Université Cheikh Anta Diop de Dakar Faculté des sciences Juridiques et Politiques ***********
Année Universitaire 2015/2016 Licence 2 Sciences Juridiques 1er Semestre
Droit des Contrats EQUIPE PEDAGOGIQUE Chargé du Cours : Coordonnateur :
Professeur Samuel Aristide BADJI M. Christian Ousmane DIOUF
Chargés (es) des Travaux dirigés Mme Fatimata Kane SOW / Dr. Sidy Nar DIAGNE / M. Abdou Yade SARR / M. Samba DABO / Dr. El Hadji Samba NDIAYE / Melle Sokhna Mariama Seye Fall / M. Khamad NDOUR / M. Christian Ousmane DIOUF / Mme Ndeye Fatou Lecor DIAW / Mme Nogoye Ndour NIANG/ Mme Fatou Seck Youm GUEYE / M. Assane MBAYE
Séance n° 1 Thème : la période précontractuelle Sous-thème : les pourparlers Exercice : commentaire d’arrêt Commentaire de l’arrêt de la Chambre commerciale, financière et économique du 26 novembre 2003 de la Cour de Cassation française Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 1999), que la société Alain Manoukian a engagé avec les consorts X... et Y... (les consorts X...),, actionnaires de la société Stuck, des négociations en vue de la cession des actions composant le capital de cette société ; que les pourparlers entrepris au printemps de l'année 1997 ont, à l'issue de plusieurs rencontres et de divers échanges de courriers, conduit à l'établissement, le 24 septembre 1997, d'un projet d'accord stipulant notamment plusieurs conditions suspensives qui devaient être réalisées avant le 10 octobre de la même année, date ultérieurement reportée au 31 octobre ; qu'après de nouvelles discussions, la société Alain Manoukian a, le 16 octobre 1997, accepté les demandes de modification formulées par les cédants et proposé de reporter la date limite de réalisation des conditions au 15 novembre 1997 ; que les consorts X... n'ayant formulé aucune observation, un nouveau projet de cession leur a été adressé le 13 novembre 1997 ; que le 24 novembre, la société Alain Manoukian a appris que les consorts X... avaient, le 10 novembre, consenti à la société Les complices une promesse de cession des actions de la société Stuck
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; que la société Alain Manoukian a demandé que les consorts X... et la société Les complices soient condamnés à réparer le préjudice résultant de la rupture fautive des pourparlers ; Sur le premier moyen du pourvoi formé par la société Alain Manoukian : Attendu que la société Alain Manoukian fait grief à l'arrêt d'avoir limité à 400 000 francs la condamnation à dommages-intérêts prononcée à l'encontre des consorts X... alors, selon le moyen, que celui qui rompt brutalement des pourparlers relatifs à la cession des actions d'une société exploitant un fonds de commerce doit indemniser la victime de cette rupture de la perte de la chance qu'avait cette dernière d'obtenir les gains espérés tirés de l'exploitation dudit fonds de commerce en cas de conclusion du contrat ; qu'il importe peu que les parties ne soient parvenues à aucun accord ferme et définitif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les consorts X... avaient engagé leur responsabilité délictuelle envers la société Alain Manoukian en rompant unilatéralement, brutalement et avec mauvaise foi les pourparlers qui avaient eu lieu entre eux au sujet de la cession des actions de la société Stuck exploitant un fonds de commerce dans le centre commercial Belle Epine ; qu'en estimant néanmoins que le préjudice subi par la société Alain Manoukian ne pouvait correspondre, du seul fait de l'absence d'accord ferme et définitif, à la perte de la chance qu'avait cette société d'obtenir les gains qu'elle pouvait espérer tirer de l'exploitation du fonds de commerce et en limitant la réparation du préjudice subi par la société Alain Manoukian aux frais occasionnés par la négociation et aux études préalables qu'elle avait engagées, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; Mais attendu que les circonstances constitutives d'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ; Attendu que la cour d'appel a décidé à bon droit qu'en l'absence d'accord ferme et définitif, le préjudice subi par la société Alain Manoukian n'incluait que les frais occasionnés par la négociation et les études préalables auxquelles elle avait fait procéder et non les gains qu'elle pouvait, en cas de conclusion du contrat, espérer tirer de l'exploitation du fonds de commerce ni même la perte d'une chance d'obtenir ces gains ; que le moyen n'est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois ;
Bibliographie indicative : - Mousseron P., Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, RTD com., 1998, 243. - Mestre J., La période précontractuelle et la formation du contrat, Les Petites Affiches, 5 mai 2000, 7. -D. Mazeaud, « Mystères et paradoxes de la période précontractuelle », Mélanges Ghestin, LGDJ, 2001, p.637, -J. Schmidt, « La période précontractuelle en droit français », RIDComp. 1990, p. 545 et s. 2
-J. Schmidt, « La sanction de la faute précontractuelle, RTD civ. 1974, p.46 et s -Ph. Le Tourneau, M. Poumard, Bonne foi et pourparlers, Dalloz, Janv. 2009, n° 24 -J. Mestre, D’une rupture fautive des pourparlers, RTD. Civ., 1997, p. 651 Documents : Document 1 Les obligations naissant des pourparlers, M. Hani BARCHA, Juge unique de Tripoli, Président du Tribunal de Batroun, Président du Tribunal de Douma La rencontre de deux volontés est l’élément indispensable à la formation d’un contrat. Une convention ne peut se former que lorsque les contractants sont d’accord sur tous les éléments de la convention qu’ils se proposent de conclure. Par exemple, dans la vente, il est nécessaire que les parties en cause soient d’accord sur l’objet et le prix. Dans un grand nombre de contrats de la vie courante, cet accord de volontés est chose facile à réaliser. Le cas le plus simple paraît être celui de l’offre au public. Dans ce cas, nous voyons par exemple un individu faire l’offre, soit à l’étalage d’un magasin, soit par voie d’annonces dans un journal, de nous vendre un objet à un prix déterminé, il nous suffit de manifester la volonté d’acquérir l’objet en offrant d’en payer le prix, et le contrat est forme. Dans un tel contrat, aucune discussion n’est possible, la volonté du vendeur est déterminée, dans tous ses éléments, par la seule offre qu’il nous a faite. A l’opposé de ces contrats, il y en a d’autres où cet accord de volontés est chose beaucoup plus difficile à obtenir. Souvent, l’individu qui se propose de conclure un contrat n’a pas de volonté définitivement fixée; il ne connaît pas quelles seront les modalités de la convention projetée. Cet individu va d’abord chercher un cocontractant susceptible d’arriver à un accord avec lui. Lorsqu’il l’aura trouvé, un temps plus ou moins long va s’écouler entre leur première rencontre et la conclusion du contrat; peutêtre n’arriveront-ils jamais à un accord et il se peut que l’un d’eux arrête les négociations entreprises. Cette période qui sépare la rencontre des deux individus de la conclusion du contrat est celle des pourparlers; elle est plus au moins longue suivant les contrats qu’il s'agit de conclure. Pour éclairer la question, prenons un exemple emprunté à la pratique : Un individu veut faire construire une maison; il va tout d’abord s’adresser à un entrepreneur. Une première discussion va s’engager entre eux, au cours de laquelle celui qui a l’intention de faire construire va fournir à l’entrepreneur des indications des plus générales; il l’informera sur le prix approximatif qu’il peut offrir, sur le nombre de pièces de la maison, il lui fera savoir s’il entend doter ou non sa maison du confort moderne. Lorsque l’entrepreneur aura ces renseignements, il établira une proposition qu’il ira présenter à celui qui a proposé le contrat. Celui-ci peut l’accepter et en ce cas le contrat d’entreprise est formé. Il peut au contraire le refuser et les négociations seront rompues. Il peut aussi demander à l’entrepreneur d’apporter des modifications au projet qu’il a établi, les négociations se trouveront alors allongées. Nous nous trouvons ainsi en présence d’un contrat qui se forme par étapes successives. Cette étude de la période pré-contractuelle des pourparlers n’est pas très récente, c’est à la fin du siècle dernier que sont apparues les premières analyses qui la concernent. Cette remarque concerne surtout les auteurs Français (Pothier, Saleilles, Planiol, Josserand, etc…) En effet, dans les nombreux ouvrages de la doctrine libanaise, l’étude des négociations préliminaires à la formation des contrats n’occupe que fort peu de place elle est presque complètement passée sous silence. Pourtant, les rédacteurs du code des obligations et des contrats ont profité des apports de la jurisprudence et de la doctrine française pour donner à la responsabilité pré-contractuelle, une assise législative dans les articles 178 à 185 du code des obligations et des contrats intitulés : "Période pré-contractuelle et formation des contrats". C’est ainsi qu’a pris naissance dans notre droit un problème nouveau auquel nous nousproposons de consacrer nos développements suivants. Quelles sont donc les raisons qui expliquent l’apparition de ce problème ? La première qu’il y a lieu de signaler est le déclin du formalisme. Dans toutes les législations formalistes, la volonté n’est efficace que si elle se manifeste dans des formes solennelles. Dans de telles législations où la forme est indispensable pour que naissent des obligations à la charge des parties on peut concevoir que les négociations d’un contrat ne puissent enraciner de telles obligations, avec le code civil et le C.O.C, nous avons assisté à une disparition du formalisme il ne subsiste dans certains contrats que pour protéger soit les parties soit l'intérêt des tiers. Le principe de la liberté contractuelle domine la majorité de ces Codes d’où l’importance du problème de la responsabilité précontractuelle.
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Mais la véritable cause de la naissance de ce problème des pourparlers réside dans la vie économique contemporaines l’importance et la complexité des biens objets d’échanges et des mécanismes de leur réalisation ne se satisfont plus de la conclusion brutale d’un accord. Le développement de la publicité et des moyens de communications rend enfin, nécessaire une lente progression de l’accord contractuel vers la formation définitive. "le schéma classique rend alors, moins compte de la formation du contrat, il ne s'agit plus toujours d’un acte primitif par lequel un état de droit succède au néant juridique mais du point d’aboutissement de toute une période préparatoire de négociation."1 Ces pourparlers que nous avons ainsi mis en lumière dans l’exemple qui a précédé, quelle est leur place dans le processus contractuel ? Ont-ils une valeur juridique ? Entraînent-ils des obligations? Et plus spécialement leur rupture peut-elle servir de base pour une action en dommages-intérêts ? Sur quel fondement ? C’est là un ensemble de problèmes que nous nous proposons d’étudier. Le dernier aspect de l’étude, celui qui résulte de la rupture des pourparlers est de beaucoup le plus important, il retiendra une importante partie des développements subséquents. Ces problèmes se présentent à nous comme des problèmes modernes. C’est en considération de cet aspect que nous nous efforcerons de les résoudre. Pour ce faire, on divisera notre étude en deux parties, nous étudierons en premier lieu la place des pourparlers dans le processus contractuel, nous examinerons ensuite le problème de la responsabilité précontractuelle. A. Les pourparlers dans le processus contractuel Au début de notre introduction, nous avons essayé de délimiter le problème que nous nous proposons d’étudier. C’est ainsi que nous avons été amené à opposer deux catégories de contrats, les uns très simples comme l’offre au public, les autres beaucoup plus complexes comme les contrats d’entreprise. Nous avons signalé que l’étude des pourparlers se posait surtout dans les seconds. C’est donc là un premier point à retenir; le problème des pourparlers ne peut se poser que dans les contrats qui nécessitent une certaine élaboration. Dans les contrats où des volontés divergentes au moment où elles se rencontrent arrivent pas à pas, à s’accorder. Si le problème des pourparlers ne se pose que dans les contrats qui nécessitent une certaine élaboration, il faut remarquer qu’il peut se poser dans tous les contrats où cette élaboration existe : vente, bail, contrat d’entreprise, contrat de société. Nous connaissons maintenant dans quels contrats les questions soulevées par les pourparlers peuvent se poser; il est maintenant nécessaire de voir quelle est, dans un contrat déterminé, la place des pourparlers; pour cela nous devons étudier quelles sont les différentes phases dans la formation d’un contrat. 1. Les différentes phases dans la formation d’un contrat.
A ce niveau, on étudiera dans une première sous-section, la classification de base (classification de Faggella), pour proposer dans une deuxième sous-section, une classification ajustée. a) Classification de Faggella Exposé: Cette question a fait l’objet d’une étude approfondie de la part d’un auteur italien, le conseiller Faggella2. Cet auteur a étudié principalement l’importante question de la responsabilité découlant de la rupture des pourparlers. Avant d’entamer cette étude, il a montré quelles étaient les phases qui précèdent la conclusion d’un contrat. Il en distingue trois: les négociations préliminaires, l’élaboration de l’offre et l’émission de l’offre. La première de ces phases, celle des négociations est la plus longue. C’est au cours de cette période que les parties discutent sur les éléments qui doivent constituer le contrat proposé. Au cours de cette période, les parties ne sont jamais liées, elles ne sont nullement engagées à conclure le contrat. Cette première période concerne uniquement la recherche d’un accord de volonté sur les éléments essentiels du contrat. Lorsque cet accord de volontés est réalisé sur tous les points essentiels, il s’en présente une seconde, destinée à formuler l’offre d’une façon définitive. Cette seconde phase suppose un arrêt entre l’achèvement des pourparlers et la manifestation de la volonté de la partie qui a pris le projet à son compte, par laquelle elle l’adresse à l’autre sous la forme d’une offre définitive .Il est nécessaire de bien marquer quelle est la position de cette seconde phase dans la formation du contrat. A la suite de tractations, un accord intervient sur les éléments essentiels du contrat, autrement dit les bases sont établies. Les deux parties se séparent sans avoir pris parti; chacune d’elles qui ne s’est nullement liée dans la 1ère période se réfugie et réfléchit. Elle cherche quels sont les avantages et inconvénients du contrat et ce n’est qu’après cette réflexion qu’elle décidera de l’attitude qu’elle doit adopter si elle doit ou non consentir.
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Schmidt, op.cit, p.5 Salleilles, la responsabilité pré-contractuelle, R.T.D.C. 1907, p.697
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La troisième phase de la formation du contrat est l’émission de l’offre. La partie qui a établi un projet définitif l’offre à l’autre; il ne manque plus que l’acceptation de cette dernière et le contrat est conclu. Critique3: La distinction tripartite de Faggella n’apparaît pas dans tous les contrats, dans beaucoup de contrats, la seconde phase n’existe pas et il faut considérer les négociations préliminaires comme un tout, engendrant toujours les mêmes effets juridiques. Même en adoptant la doctrine de Faggella, en faisant produire aux pourparlers des effets plus rigoureux lorsqu’un accord est intervenu sur les éléments essentiels du contrat, il y a des difficultés. Quels sont en effet les éléments essentiels du contrat ? c’est la une chose bien vague et souvent l’une des parties pourra considérer comme essentiel un élément qui, aux yeux de l’autre apparaîtra comme tout à fait secondaire. C’est une recherche bien difficile à faire, elle exige une étude de la véritable intention des parties le juge devant apprécier quels sont les éléments que chacune d’elles a considéré comme essentiels. C’est là un travail très difficile et l’arbitraire des tribunaux est à craindre. Après avoir exposé la classification de Faggella, il s’avère nécessaire de proposer une distinction basée sur cette dernière mais ajustée à la lumière de la critique qui lui a été adressée. b)Classification adoptée La période pré-contractuelle correspond à une modification progressive de la volonté de chacune des parties qui tend à être en accord avec celle de l’autre partie. Au début, la divergence de chacune des volontés porte sur la personne même du contractant; dans une seconde période, elle porte sur les obligations devant incomber à chacune des parties, enfin dans la troisième, la volonté de l’une est définitivement fixée, il ne reste plus à l’autre qu’à se mettre d’accord avec elle. Chacune de ces phases correspond respectivement à l’invitation à entrer en pourparlers, aux pourparlers proprement dits et à l’émission de l’offre. Pour éclairer tout cela, nous allons prendre un exemple de contrat et montrer en étudiant l’évolution progressive de sa formation quels sont les moments que nous devons distinguer. 1ère Phase: Invitation à entrer en pourparlers. Voici un patron qui veut embaucher un ouvrier. La première chose qu’il fera est de déterminer l’individu qu’il va ainsi engager. Il va appeler différents candidats et il choisira parmi eux celui avec lequel il entrera en négociations Au début, la volonté de ce patron n’est pas déterminée quant à la personne de son futur cocontractant. Il cherchera ce dernier et lorsqu’il l’aura trouvé, les deux parties conviendront ou non d’entrer en pourparlers. (voir infra, différence avec l’offre). C’est à notre avis la première phase à distinguer dans la formation contractuelle. Elle soulève un grave problème de responsabilité: Celui du refus d’entrer en pourparlers. Ce n’est pas celui que nous étudions et nous supposerons qu’il y a entrée en pourparlers. Ce problème de refus d’entrer en pourparlers possède des liens de connexité évidentes avec notre étude et pour être complet nous devons signaler comment les auteurs et la jurisprudence l’ont résolu4 Ils font généralement une distinction suivant les raisons qui ont déterminé ce refus. S’il n’a été déterminé que par des considérations d'intérêt personnel au contractant, il ne peut être une source de responsabilité à son égard; si au contraire, ce refus n’est motivé que dans l’intention de nuire, soit à l’autre partie, soit a une tierce personne, il peut donner lieu à une allocation de dommages intérêts. Dans notre exemple, si le patron refuse d’entrer en pourparlers avec un ouvrier parce qu’il estime qu’il est trop âgé, ou bien que son état de santé ne lui paraît pas suffisant pour le travail, on ne peut rien lui reprocher. Une solution contraire serait en désaccord avec les principes généraux de la liberté du travail, du commerce, de l’industrie. Le patron a voulu protéger son entreprise, et si on l’obligeait a entrer en négociation avec cet ouvrier, cela pourrait être contraire à ses intérêts les plus légitimes. Si par contre, le patron refuse, soit parce que cet ouvrier est membre d’un tel syndicat, soit parce qu il pratique telle religion qui n’est pas la sienne soit dans l’intention de nuire à une tierce personne, la solution est différente. Ce n’est plus l'intérêt légitime de l’entreprise qui apparaît alors, c’est au contraire une intention de nuire et dès lors on peut comprendre que la jurisprudence alloue des dommages-intérêts en ce cas. Ces indications sont à titre d’exemple, en réalité le problème est beaucoup plus complexe, il évolue avec les idées économiques et politiques. Comme celui que nous étudions, il pose le plus souvent une question de fait, et les juges sont obligés de déterminer les mobiles qui ont entraîné la décision les parties. Comme nous allons le voir le problème des pourparlers pose une question de fait qu’aucune règle, ci ce n’est l’article 1382 c.civ ne peut résoudre. 2ème phase: Les pourparlers proprement dits.
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Cohérier, les obligations naissant des pourparlers, Paris, 1930 René Morel: Rev. Trim dr. civ, 1908: "du refus de contracter opposé en raison de considérations personnelles", p.298
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Après cette phase, il y a lieu de distinguer une seconde qui est celle de l’élaboration de l’offre. Les volontés sont maintenant bien déterminées quant à la personne du futur contractant, leurs divergences portent sur les éléments du Contrat propose. C’est au cours de cette période que le projet de contrat va être élaboré par des accords successifs jusqu’à ce que la volonté de l’une d’elles soit déterminée d’une façon définitive. Pour reprendre notre exemple du contrat de travail, c’est au cours de cette période que les parties vont discuter les éléments du contrat de travail, sur le salaire, sur les heures de travail, le congé etc.... 3ème phase : L'émission de l'offre Lorsque la volonté de l’une des parties sera ainsi définitivement arrêtée, nous entrerons dans la troisième phase qui est celle de l’émission de l’offre. A ce moment là, il ne manque plus qu’un seul élément pour que le contrat soit conclu: c’est l’acceptation de l’autre partie. Telle est donc la classification que nous croyons pouvoir adopter dans la période précontractuelle. Faggella avait passé sous silence la première phase : l’offre d’entrer en pourparlers, alors que elle apparaît comme essentielle en raison des obligations qu’elle peut engendrer. Par ailleurs nous préférons, à la différence de l’auteur italien considérer comme un tout la phase des tractations qui succède à l’entrée en pourparlers. Il faut voir dans la division tripartite que nous avons adoptée une classification qui permettra de mieux comprendre les développements à venir. Il ne faudrait cependant pas y attacher une importance trop grande et nous ne la distinguons nettement que dans les contrats composés (contrat d’entreprise, de société...). Après avoir précisé les différentes phases de la formation du contrat, il nous reste en dernier ressort, de délimiter la notion de pourparlers qui fera l’objet de la 2ème section. 2.La notion de pourparlers D’après ce que nous venons d’exposer on peut conclure que la notion de pourparlers est ici entendue restrictivement : n’y sont comprises que les discussions antérieures à tout accord contractuel même partiel ou de principe5. Essayons maintenant de délimiter la notion de pourparlers par une double approche, négative puis positive, en nous référant à ce qui a été écrit à ce sujet par les auteurs modernes. a)Délimitation négative Il convient de distinguer les pourparlers de notions voisines et connexes. Offre et invitation à entrer en pourparlers. L’offre est une proposition de contracter suffisamment ferme et précise pour que son acceptation suffise à former le contrat6 Tandis que la proposition insuffisamment précise ou incomplète n'est pas une offre mais une simple invitation à entrer en pourparlers: elle tend seulement à l’ouverture de discussions en vue de la conclusion éventuelle d’un contrat dont certains éléments essentiels restent pour l’instant indéterminés. D’où à la différence de l’offre, qui peut être acceptée telle quelle, l’invitation aux pourparlers n’est pas susceptible d’une acceptation immédiate nouant le contrat. Cependant, selon Weil et Terré7,la réponse à cette invitation peut-elle même constituer une offre. Les pourparlers et la promesse unilatérale de contrat. L’aboutissement normal des pourparlers est la formation du contrat. Cependant entre l’invitation à entrer en pourparlers et la conclusion du contrat un stade intermédiaire est possible: c’est celui de la promesse de contrat. La promesse de contrat est l’acte par lequel l’une des parties s’engage envers l’autre à passer une convention déterminée lorsque cette dernière en manifeste le désire. Donc, la promesse unilatérale de contrat est un véritable contrat dont l’objet est de fixer l’offre pendant un certain délai convenu8. De ce fait, il diffère nettement des pourparlers qui ont pour conséquence l’élaboration de l’offre suite à des négociations. Les pourparlers et les accords de principe. L’accord de principe peut être défini comme l’engagement contractuel de faire une offre ou de poursuivre une négociation en cours enfin d’aboutir à la conclusion d’un contrat, dont l’objet n’est encore déterminé que de façon partielle et en tout cas insuffisante pour que le contrat soit formé9. L’accord de principe fait donc naître une obligation contractuelle de négocier, qui doit naturellement s’exécuter de bonne foi, et dont la sanction ne peut être qu’une condamnation à des dommages intérêts. En somme l’accord de principe donne à la sanction de la rupture des pourparlers un fondement contractuel10.
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Juris -class., art 1109, Fasc. 3-A Ghestin, op.cit, n° 201 et 205 7 WeiI et Terré, op.cit n0 134 8 Ghestin, op.cit., n°232 9 J.Carbonnier, Obligation, par. 67 6
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b) Délimitation positive: Définition des pourparlers. D’après Carbonnier11:"C’est la phase préliminaire où les clauses du contrat sont étudiées et discutées". Il n’y a pas encore de contrat formé, il se peut même qu’il n’y ait pas encore eu d’offre de contracter prête à être acceptée telle quelle, seulement des propositions et des contre-propositions. D’après Ghestin11, entre l’initiative que constitue l’entrée en pourparlers ou l’offre, et la conclusion d’un contrat, se situe souvent une période pré-contractuelle qui peut être parfois de longue durée... C’est la période des pourparlers dont la consultation peut servir à l’interprétation du contrat. Une fois précisée la place des pourparlers dans le processus contractuel, il s’avère nécessaire de traiter dans la deuxième partie, la responsabilité dans la période pré-contractuelle. B.La responsabilité dans la période pré-contractuelle Pas de responsabilité contractuelle sans un contrat. Nombreux sont les problèmes de responsabilité soulevés antérieurement à la formation des contrats: s'agit-il alors de responsabilité contractuelle ou délictuelle ? Lorsque deux individus sont entrés en rapport en vue d’aboutir à la conclusion d’un contrat, des dépenses sont engagées par l’une des parties, des démarches sont faites. Le contrat ne se forme pas. La personne qui a ainsi exposé des frais ou bien qui a manqué des occasions intéressantes, va être tentée de réclamer des dommagesintérêts à l’autre. Sur quels textes va-t-elle fonder son action ? sur ceux relatifs à la responsabilité délictuelle ou bien va-t-elle considérer qu’il y a une faute contractuelle? Puisqu’il n’y a pas de contrat, il semble illogique de parler de responsabilité contractuelle. Peut-on cependant ne pas tenir compte de la situation spéciale dans laquelle on est placé du fait que c'est à l’occasion de la conclusion d’un contrat que la responsabilité est engagée; la nature même de la responsabilité12n’en sera -t-elle pas modifiée? C’est à une époque relativement ancienne que les auteurs ont examiné ce problème. L’auteur le plus célèbre est Ihering qui a soutenu la thèse de la faute contractuelle. A côté de cette théorie une autre sera également exposée vue son influence sur le droit libanais, c’est celle de Josserand, l’un des promoteurs du code des obligations et des contrats libanais, il a soutenu la thèse de la faute délictuelle basée sur l’abus de droit. On va examiner dans une section première le fondement juridique de la responsabilité dans la période précontractuelle, pour exposer dans une deuxième section le régime juridique auquel elle est soumise. 1.
Fondement de la responsabilité dans la période pré-contractuelle.
a)La faute contractuelle: Théorie de Ihering Exposé : Ihering est le premier à avoir examiné à fond le problème. Il conclut, partant du droit romain, à la responsabilité contractuelle13. Mais justement, parce que son raisonnement prend pour base le droit romain, on ne saurait s’y arrêter. Au fond, ce qui conduit le célèbre juriste à parler de responsabilité contractuelle c’est la considération suivante: Il est nécessaire, dans certains cas de proclamer la responsabilité du pré-contractant, or l’application des règles de le responsabilité délictuelle ne peut y conduire en droit romain il faut donc donner l’action contractuelle. Critique: Mais pareil raisonnement est sans valeur tant en droit français qu’en droit libanais qui connaissent un principe général de responsabilité délictuelle susceptible de jouer dans toutes les situations; on pourra rejeter la nature contractuelle de la responsabilité et assurer quand même la réparation du dommage causé. Une fois écartée la faute contractuelle examinons maintenant la théorie de l’abus de droit. b) La faute délictuelle : Théorie de l’abus de droit. Opinion de M. Josserand. Exposé.
10 Fontaine, in les lettres d’intention dans la négociation des contrats internationaux, 1977, t3, n°2, p.109, Carbonnier, droit civil, t.4, les obligations, p.85 Ghestin, traite de droit civil, les obligations. Le contrat, n0 227 12 Mazeaud, leçon de droit civil, 1.2, vol. 1er, les obligations, théorie générale, n0 116 13 Dans le sens du caractère contractuel de la résponsabi1it~ outre Ihéring: SaIeilIes,"De la responsabilité précontractuelle", revue. trim. droitcivil, 1907, p.697 ets, Colin et Capitant, t.II 8è edit. n0 28. 11
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Dansson étude sur "l’Esprit des droits et leur relativité14", M. .Josserand consacre une partie à la formation des contrats. Il essaye de trouver une solution au problème du refus de contracter, principalement en matière de refus d’embauchage pour des considérations purement personnelles. Cette solution n’est d’ailleurs que l’application de la théorie générale de l’abus de droit à la formation des contrats. D’après M. Josserand, le critère de l’abus de droit ne doit être recherché, ni dans l’intention de nuire, ni dans une faute commise lors de l’exercice du droit, mais dans le détournement du droit de sa fonction. Les droits conférés par la société à l’homme, l’ont été en vue d’une destination économique et sociale. Si un individu exerce son droit hors du cadre de cette destination, le droit est détourné de sa fonction pour laquelle il a été créé et la responsabilité est transportée dans le domaine des pourparlers. Cette conception signifie que chacune des parties conserve la liberté absolue de se retirer des négociations. Cette liberté lui est conférée pour des raisons économiques, le développement du commerce et de l’industrie, la libre concurrence, mais lorsque ce retrait est inspiré de raisons purement égoïstes, alors le droit est détourné de sa fonction et la responsabilité est encourue. Appréciation Lathéorie de M. Josserand a été âprement critiquée. Ces critiques sont inhérentes à la notion de “Droit fonction”; nous n’avons pas à les examiner, mais nous devons dire que cette conception à été consacrée d’une manière claire par les tribunaux français qui recherchent le but dans lequel l’auteur du dommage a exercé son droit et dans le cas qui nous occupe, ils essayent de déterminer si la rupture est bien inspirée par des considérations économiques15. En droit Libanais, la théorie de l’abus de droit s’impose pour trois raisons: Parce que l’article 124 du code des obligations et des contrats consacre clairement la théorie de l’abus de droit d’où on peut étendre son domaine d’application à la liberté de ne pas contracter. Parce que l’article 181, du C.O.C, engage la responsabilité de celui qui abuse de son droit de refus de contracter. Parce que Josserand, l’un des promoteurs du C.O.C a fondé la responsabilité précontractuelle sur la théorie de l’abus de droit. Cependant, la jurisprudence libanaise n’est pas claire en ce qui concerne le fondement juridique de la responsabilité pré-contractuelle. Et la décision de la cour d’appel de Beyrouth16ne tranche pas ce point d’une manière précise. Elle hésite entre la théorie de la responsabilité et celle de l’apparence. Elle indique tantôt la responsabilité et tantôt la croyance légitime. En effet, selon cet arrêt, la croyance légitime entraîne la responsabilité en ce qu’elle implique la faute. En résumé, on peut dire que la rupture des pourparlers peut en principe intervenir à tout moment, sur décision unilatérale d’une partie17. Cette liberté, imposée par l’autonomie de la volonté ne doit pas cependant autoriser la légèreté ou la mauvaise foi. Aussi admet-on que l’auteur de la rupture engage sa responsabilité civile s’il abuse de cette faculté. Cette éventuelle responsabilité est de nature délictuelle, aucun contrat n ayant été conclu entre les parties, et ceci en dépit de la théorie de Ihering sur la faute contractuelle aujourd’hui fermement condamnée par la cour de cassation18. “La victime d’une faute commise au cours de la période qui a précédé la conclusion d’un contrat est en droit de poursuivre la séparation du préjudice qu’elle estime avoir subi devant le tribunal du lieu du dommage sur le fondement de la responsabilité délictuelle”. Après avoir analysé le fondement de la responsabilité pré-contractuelle, il reste à déterminer son régime juridique. 2.Régime juridique de la responsabilité pour rupture des pourparlers (solutions pratiques) D’après ce qu’on vient d’exposer les suites de l’échec de la négociation peuvent être réglées par application du droit commun de la responsabilité civile délictuelle19dans la mesure où ces règles ont pour objectif d’assurer la
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Josserand, de I’Esprit des droits et de leur relativité, théorie de l’abus des droits, Dalloz, 1927, n0 86,p.ll8 Rennes, 8juillet 1929, D.H. 1929 p.548
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Appel Beyrouth, 25 Avril 1968, R.J.L. 1968 p.449. Carbonnier, droit civil, t.4, les obligations 13ème édition p.85, Malaurie et Aynes, droit civil, les obligations, Cujas. N° 249; Ghestin, traité de droit civil. Les obligations. Le Contrat n° 228. 18 Cass. com. 11 Janvier 1924 Bull.civ. IV n°16. 17
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Les décisions admettant la responsabilité pour rupture fautive des pourparlers visent les articles 1382 et 1383 du code civil: V. par ex. : Com., 20 Mars 1972, J.C.P., 1973.II. 17543, note Schmidt; civ., 3 Octobre. 1972, Bull, n0 431, p.359. V.Schmidt, "La sanction de la faute pré-contractuelle", Rev.tr.dr.civ.,1974 p.46 et s
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réparation d’un dommage causé par une faute, leur mise en oeuvre suppose la réunion de certaines conditions et conduit à des conséquences déterminées. a)Conditions de la responsabilité pour rupture des pourparlers. La victime de la rupture des pourparlers doit conformément aux règles générales de la responsabilité civile, prouver qu’elle a subi un dommage relié à la faute de l’auteur de la rupture par une relation de cause à effet. Il convient d’examiner les caractéristiques originales que chacun de ces trois éléments revêt dans la mise en œuvre de la responsabilité pour rupture des pourparlers20 Dommage pré-contractuel Le dommage éprouvé par la victime de la rupture des pourparlers doit présenter les caractères suivants: Il doit être matériel certain, non réparé Dommage matériel: consistant dans la perte pécuniaire subie, ta jurisprudence fourni une multitude d’exemples: - Les frais engagés en vue de la préparation et de la conclusion du contrat: Frais de voyage, d’étude, perte de temps21. Certain: la victime de la rupture ne peut pas obtenir la compensation du manque de gain équivalent au bénéfice qui aurait été procuré par l’exécution de contrat projeté. En effet, la certitude du préjudice suppose que le contrat ait été conclu, car c’est dans ce cas seulement que les parties peuvent légitimement compter sur son exécution. La rupture des pourparlers cause simplement la perte d’une chance de conclure le contrat considéré. Cependant la perte d’une chance engendre une responsabilité si c’est une chance réelle et sérieuse. Le dommage ne doit pas avoir été réparé: C’est par l’absence de cette condition que s’explique la jurisprudence déboutant les professionnels de leur demande de remboursement de devis non acceptés par les clients. Le jeu normal de la concurrence implique que soient inscrites dans les “frais généraux” les dépenses des négociations qui n’ont pas abouti. Une cour d’appel a ainsi affirmé que “Les plans et devis ne sont que des accessoires de l’offre destinés à mettre en plein lumière les avantages de celle-ci Les frais qu’ils peuvent occasionner tombent dans les frais généraux que toute maison de commerce est obligée de supporter22” La faute précontractuelle L’admission de la responsabilité risque de tenir en échec le principe de la liberté, qui domine les relations précontractuelles. Il convient donc d’être particulièrement attentif à la qualification des comportements éventuellement fautifs pendant cette période et ainsi étudier les critères et les applications de la faute précontractuelle. Critère et applications de la faute pré-contractuelle. Pour préciser la faute pré-contractuelle il convient de répondre successivement à trois questions Quels sont les comportements fautifs ? La faute pré-contractuelle doit-elle être intentionnelle ? La faute pré-contractuelle doit elle être grave ? Quels sont les comportements fautifs ? En matière de responsabilité civile délictuelle, la faute est définie comme “Une erreur de conduite qu’un homme normalement avisé ne commet pas lorsqu’il se trouve dans les mêmes circonstances de fait23. L’appréciation de la faute doit être faite par rapport à la situation dans laquelle se trouvait son auteur, mais in abstracto, c'est à dire. par comparaison avec un individu abstrait normalement diligent. Or, le comportement correspondant aux finalités des relations précontractuelles est basé sur la bonne foi réciproque24. L’obligation générale de bonne foi préside, en effet, non seulement à l’exécution des conventions mais aussi a leur formation. C’est donc la mauvaise foi (qui ne s’accompagne pas nécessairement de l’intention de nuire) qui est le critère de la faute précontractuelle. En droit libanais l’arrêt de la cour d’appel de Beyrouth précité affirme que "Si les pourparlers étaient de nature à créer chez l’entrepreneur une croyance légitime que le contrat d’entreprise allait être conclu la rupture des pourparlers engagera la responsabilité de leur auteur". Appliqué à la rupture des pourparlers, ce critère permet d’affirmer qu’elle est fautive lorsqu’elle intervient alors que son auteur avait laissé croire à son partenaire que le contrat allait être conclu25. Cette idée apparaît dans une
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J.Shmidt, “La sanction de la faute pré-contractuelle” rev. trim. dr. civ, 1974, p.46 et s.
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Par ex.com.20 Mars 1972 préc, il s’agissait, cuire autres des frais de voyages et de séjour aux Etats-Unis, ou l’un de partenaires s'était rendu pour voir la machine qu’il envisageait d'acheter. 22 Paris, 7 Mars 1912, Gaz.Pal. 1912 .11. 210. 23 Starck (B).Droit Civil, obligation. Paris 1972, n°270 24
Schmidt, art. Cité, n°11 p.53
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Durry, obs. Rev.tr.dr.civ., l972, p.780 dans le même sens. appel Beyrouth, 25 Avril 1968, R.J.L. 1968 p.449.
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décision déjà ancienne de la cour d’appel de Paris de 13 février 1883 : “la promesse fallacieuse de consentir un contrat peut sans qu’elle oblige contractuellement le promettant, constituer une faute délictuelle”. La prise en considération de la confiance trompée constitue un critère réaliste de la faute dans les négociations, mais présente des dangers en ce qu’elle risque de conduire à une admission trop large de la responsabilité précontractuelle au détriment du principe de la liberté. Or il ne s'agit pas de protéger les négociateurs naïfs ou négligents mais d’assurer la rectitude des relations pré-contractuelles. Il est donc nécessaire de contrôler l’application de la notion de confiance pré-contractuelle et d’en admettre les conséquences seulement si l’analyse des faits démontre l’existence d’une confiance “sérieuse, légitime et prévisible" créée par le comportement de l’un des négociateurs26. Aussi, la confiance sera elle considérée comme légitime ou non, selon le caractère plus ou moins “avancé” des négociations et la qualité de la victime de la rupture. On peut s’attendre, par exemple, à ce qu’un professionnel ne fasse pas preuve de légèreté dans la conduite des pourparlers et n’accorde pas sa confiance de manière hâtive. La jurisprudence a même admis qu’un partenaire à la renégociation d’un contrat arrivant à son terme, pouvant, dans certaines circonstances, avoir confiance dans le renouvellement du contrat, sur des bases économiques qui ne seraient pas fondamentalement différentes de celles du contrat précédent. La cour d’appel de Toulouse a jugé fautive la rupture des pourparlers en vue d’une concession de licence où le demandeur de licence, après avoir pris contact avec le breveté, n’a pas donné suite aux propositions de celui-ci le breveté et a immédiatement engagé une procédure en octroi de licence obligatoire. Cette décision démontre que, lorsque l’existence d’une confiance légitime dans la possibilité de conclusion du contrat n’est pas démontrée, la rupture peut cependant être fautive en raison des circonstances qui l’ont entourée. La faute pré-contractuelle doit-elle être intentionnelle ? Certaines juridictions avaient eu tendance à se montrer particulièrement restrictives pour admettre le caractère fautif de la rupture, en exigeant qu’elle intervienne avec l’intention de nuire au partenaire. Cette solution a été censurée par le cour de cassation pour la violation de l’article 1382 et 1383 du code civil, car la "responsabilité délictuelle prévue aux articles susvisés du code civil peut être retenue en l’absence d’intention de nuire27." La première chambre civile a cependant ultérieurement cassé un arrêt au motif qu’il avait admis la responsabilité sans avoir relevé ni la volonté de nuire, ni la mauvaise foi28. La faute pré-contractuelle doit-elle être grave ? L’analyse de la jurisprudence permet de déceler une tendance a considérer la qualité de professionnel. Il faudrait donc distinguer entre: Lorsque les pourparlers se déroulent entre professionnels. La jurisprudence semble soucieuse de ne pas engager facilement la responsabilité de celui qui a refusé de contracter. Une cour d’appel indique ainsi "qu'on ne saurait sans porter gravement atteinte à la liberté individuelle et à la sécurité commerciale admettre qu’un commerçant puisse être responsable pour n’avoir donné suite à des pourparlers et pour avoir traiter avec un concurrent, la faute doit être une faute patente indiscutable". De manière générale, dans les relations entre professionnels la faute est appréciée non pas par référence à la conduite du bon père de famille mais à celle du bon professionnel. Lorsque en revanche, la négociation met en présence, un non professionnel et un professionnel pour la conclusion d’un contrat relevant de la compétence de ce dernier, sa responsabilité risque d’être plus facilement engagée. La rupture du chef du professionnel pourra an effet être plus souvent qualifiée de fautive, car la confiance29. créée en la personne du partenaire non professionnel est dans ce cas, sans doute plus grande qu’à l’ordinaire. Il est probable que la jurisprudence se montre plus sévère à l’égard du comportement du professionnel auteur de la rupture, conformément à la tendance qui se développe en d’autres domaines. Le critère général de la faute en matière délictuelle s’applique donc à la rupture des pourparlers: La rupture peut être fautive même si elle résulte d’une simple négligence et même si elle n’a pas le caractère de gravité. En résumé, l’obligation générale de bonne foi dans la formation des contrats revêt lors des pourparlers, un aspect spécifique; elle n’impose point de ne pas rompre les pourparlers, mais commande de ne pas y mettre fin alors que l’on a suscité chez le partenaire une confiance légitime dans la conclusion du contrat. En droit Libanais, il n’y a pas eu des cas pareils, mais vu la similitude des textes sur la responsabilité délictuelle rien n’empêche d’appliquer des solutions identiques.
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Com., l5Fev. 1965, Bull. IV 110123, p 105. Civ., 3 Octobre 1972, Bull III, n°491, p.391
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Civ, 12 Avril 1976, Bull I,n0122, p.98
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Ghestin, prés. n° 483
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Lien de causalité entre la faute et le dommage pré-contractuels. Bien que le problème de la causalité soit rarement discuté dans les litiges relatifs à la responsabilité précontractuelle, il peut être intéressant d’y prêter attention. Il n’est pas toujours certain, en effet, que la faute reprochée ait eu pour conséquence directe et inévitable la rupture des pourparlers source du dommage allégué. Ainsi par exemple, lors de la renégociation d’un contrat à des conditions différentes du précédant n’entraîne pas nécessairement la rupture de la négociation: il n’empêche pas, en effet, la conclusion d’un nouveau contrat entre les parties30. b) Conséquences de la responsabilité pour rupture des pourparlers Lorsque la responsabilité de l’auteur de la rupture est engagée, il est tenu de réparer le dommage éprouvé par son partenaire. On peut, a priori, concevoir soit une réparation en nature, consistant dans la conclusion forcée d’un contrat, soit une réparation par équivalent, consistant dans l’allocation de dommages-intérêts31. Absence d’une réparation en nature Bien que la réparation en nature soit de principe en matière de responsabilité civile, la cour de cassation n’a jamais consacré cette solution de façon certaine s’agissant de la responsabilité pour rupture de pourparlers. Il ne parait pas possible, en effet de poser une telle solution en règle générale. Le contrat ne peut se former contre la volonté de l’un des intéressés, le consentement étant, alors, absent et le juge n’ayant, ni en droit Français ni en droit Libanais, le pouvoir de se substituer à la volonté des parties. Condamnation à des dommages-intérêts. La réparation en nature n’étant pas admise, seuls des dommages intérêts pourront être accordés à la victime de la rupture des pourparlers. Se pose, alors, le problème de leur évaluation. Conformément aux règles générales de la responsabilité civile délictuelle, les dommages intérêts devront compenser tout le préjudice éprouvé par la victime. Leur montant est apprécié souverainement par les juges du fond, dans la limite des prétentions des parties. L’évaluation de la perte subie est, généralement, aisée, puis qu’elle est basée sur des éléments de preuve d’un préjudice déjà réalisé, établi par exemple par des documents comptables indiquant les frais engagés au cours de la négociation. L’évaluation du manque à gagner peut être plus délicate. Elle ne peut être calculée sur la base des engagements prévus dans le contrat projeté, car celui-ci n’a pas par hypothèse, été conclu. Ainsi la cour de Bordeaux, dans l’arrêt du 17 janvier 1870, infirma la décision des juges du fond qui avaient alloué à la victime de la rupture une indemnité de 20.000 Francs correspondant au montant de la clause pénale dans le projet de contrat. La cour ramena les dommages intérêts à 4000 F. La cour de Toulouse dans l’arrêt du 15 février 1979, a évalué à 25.000 F. Le préjudice causé au breveté par la rupture des négociations par le contrat de licence. Il n’est pas d’avantage possible d’accorder à la victime l’équivalent des bénéfices qu’elle aurait retirés de l’exécution du contrat, car le dommage ne réside pas dans la non-exécution de ce contrat, mais dans sa non conclusion. Il s’agit donc de compenser la perte d’une chance dont l’évaluation comporte, nécessairement une part d’arbitraire.
Document 2 :
RTD Civ. 2006 p. 754 Le préjudice découlant d'une rupture fautive de pourparlers : la troisième chambre civile rejoint la chambre
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Schmidt sous com, 9 Fév. 1981
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Schmidt sous com, 9 Fév. 1981.préc.
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commerciale e (Civ. 3 , 28 juin 2006, n° 04-20.040, D. 2006, p. 2963, note D. Mazeaud et 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Causson , infra p. 770, obs. P. Jourdain , JCP G 2006.I.166, obs. Ph. Stoffel-Munck, ibid. II.10130, note O. Deshayes)
Jacques Mestre, Professeur à l'Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III) Bertrand Fages, Professeur à l'Université Paris-Val-de-Marne (Paris XII)
On se souvient que dans son arrêt Manoukian la chambre commerciale de la Cour de cassation avait imprimé au contentieux de la rupture des pourparlers une inflexion significative en affirmant que « les circonstances constitutives d'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat » (Com. 26 nov. 2003, RTD civ. 2004.80 ; adde Bull. Joly, 2004.849, obs. J.-J. Daigre ; JCP G 2004.I.163, n° 18, obs. G. Viney ; JCP E 2004, p. 738, note Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2004.257, obs. D. Mazeaud). La voilà rejointe aujourd'hui par la troisième chambre civile qui pose pour sa part, sous le visa de l'article 1382, « qu'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers pré-contractuels n'est pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ». En l'espèce, cet attendu justifie la cassation d'un arrêt qui avait indemnisé une société privée de la possibilité d'acquérir un terrain destiné à la construction d'un immeuble de sa « perte d'une chance sur le manque à gagner » résultant de la disparition du programme immobilier envisagé. D'une chambre à l'autre, le raisonnement demeure identique. Partant du postulat que la rupture unilatérale des pourparlers ne constitue pas en elle-même une faute - elle est au contraire l'expression de la liberté de ne pas contracter - c'est uniquement dans les « circonstances » ou « dans l'exercice » de cette liberté qu'il y a lieu de rechercher le siège d'une éventuelle faute. Or, même si on la caractérise, ce n'est pas cette faute qui provoque en tant que telle la rupture et, partant, cause le préjudice consistant dans la perte d'une chance de conclure le contrat projeté. Ce préjudice, qui est souvent bien réel, n'est causalement relié à aucune faute : il ne peut donc être indemnisé. Ce qui ne doit pas signifier, en revanche, qu'il n'y a pas lieu de réparer la perte d'une chance de conclure un contrat équivalent avec un tiers (cf. Ph. Stoffel-Munck et O. Deshayes, obs. et note préc. ;contra Ph. Le Tourneau et al., Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2006-07, n° 845 in fine). Un tel raisonnement appelle les mêmes observations que celles que nous avions formulées à l'époque sous l'arrêt Manoukian et auxquelles il nous suffit de renvoyer. Alors quoi de neuf ? Peut-être le sentiment, avec cette jurisprudence qui se confirme et s'affiche de la façon la plus officielle - le présent arrêt fera l'objet d'une publication au Bulletin et au Rapport annuel de la Cour de cassation - qu'il devient plus que jamais nécessaire de se demander, avant de s'engager dans la voie qui consiste à établir la rupture fautive des pourparlers et ne permet d'obtenir qu'une indemnisation très inférieure au gain contractuel espéré, si on ne dispose pas déjà de tous les éléments qui pourraient conduire le juge à reconnaître l'existence d'un contrat (V. infra, n° 2 ) et, partant de là, ouvrir droit à une réparation plus généreuse (V. infra, n° 3 ). De quoi réfléchir à deux fois, par conséquent, à l'élaboration d'une stratégie judiciaire dont on a déjà souligné, ici même (RTD civ. 2002.802 ), qu'elle n'était pas interchangeable au cours d'un même procès.
Document 3 RTD Civ. 2006 p. 770 Préjudice consécutif à la rupture fautive des pourparlers e (Civ. 3 , 28 juin 2006, SARL Antineas c/ SCI Longson et autre, pourvoi n° 04-20.040, FP-P+B+R+I, D. 2006, p. 2963, note D. Mazeaud et 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Causson , supra p. 754, obs. J. Mestre et B. Fages , JCP 2006.II.10130, note O. Deshayes et I.166, n° 6, obs. Ph. Stoffel-Munck)
Patrice Jourdain, Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
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Dans un arrêt Manoukian du 26 novembre 2003, que nos collègues Jacques Mestre et Bertrand Fages avaient longuement commenté dans cette Revue (RTD civ. 2004.80 ), la chambre commerciale de la Cour de cassation avait provoqué un véritable coup de tonnerre dans le ciel de la responsabilité précontractuelle en refusant d'indemniser non seulement les gains espérés du contrat projeté mais encore la perte d'une chance de les obtenir en cas de rupture fautive des pourparlers. L'arrêt du 28 juin 2006 de la troisième chambre civile, qui fera l'objet d'une large diffusion et sera sans doute abondamment commenté, se situe dans le prolongement de cette solution. Le propriétaire d'un terrain avait mené des négociations avec une société civile immobilière et deux autres personnes pour la vente de son bien en vue de la construction d'un immeuble. Le projet de « protocole » de vente n'ayant pu être signé et le propriétaire du terrain l'ayant vendu à un tiers, il fut assigné en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers. Une cour d'appel accepta d'indemniser le préjudice de la SCI consistant en la perte d'une chance sur le manque à gagner résultant de la disparition du programme immobilier envisagé. L'arrêt est cassé : « une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels n'est pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ». Ce motif reprend à peu de choses près celui que la chambre commerciale avait utilisé dans son arrêt du 26 novembre 2003 où il était énoncé que « les circonstances constitutives d'une faute dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ». Il confirme le refus de la Cour de cassation d'indemniser la perte d'une chance de tirer les avantages attendus du contrat projeté et assure l'effectivité du revirement de jurisprudence entrepris en 2003. On remarquera qu'à chaque fois la Cour de cassation se place sur le terrain de la causalité pour justifier la solution. Mais en réalité l'explication du revirement réside plutôt dans une meilleure analyse de la faute précontractuelle. Jusque-là, on avait tendance à considérer la faute à rompre les pourparlers, laquelle est incontestablement la cause du préjudice de perte de chance allégué par la victime. La rupture a en effet privé la victime d'une chance de conclure le contrat et de percevoir les gains espérés de son exécution. Mais cette approche de la faute heurte de front le principe de la liberté de ne pas contracter, corollaire indissociable de la liberté contractuelle. Le strict respect de cette liberté conduit à considérer que la rupture en soi ne peut jamais être fautive. Il peut certes y avoir des abus de la liberté de rupture relevant de l'article 1382 du code civil. Mais la faute qu'ils impliquent ne peut alors résider que dans les circonstances de la rupture ou dans l'attitude de son auteur au cours des négociations qui l'ont précédée. Ce que M. Deshayes a qualifié de « faute de négociation », c'est-à-dire la faute de comportement distincte de la rupture elle-même (note préc. ;adde, Le dommage précontractuel, RTD civ. 2004.187) et que la Cour de cassation préfère nommer « faute dans l'exercice du droit de rupture ». Or cette faute, ainsi comprise, ne peut évidemment pas être la cause de la perte d'une chance de tirer profit du contrat projeté puisqu'elle n'en provoque pas elle-même la rupture. Il n'en irait autrement que si les négociations avaient donné lieu à la conclusion d'un avant-contrat contenant l'engagement ferme de contracter de l'auteur de la rupture - tel une promesse de contrat - car alors la victime disposerait d'un droit acquis à sa conclusion du contrat et aux avantages qu'elle peut légitimement en espérer. C'est d'ailleurs cette hypothèse que semble avoir réservé l'arrêt Manoukian en conditionnant le refus d'indemniser la perte d'une chance à « l'absence d'un accord ferme et définitif ». A défaut de tout engagement de contracter, la Cour de cassation, en renonçant à indemniser la perte d'une chance de réaliser les gains attendus du contrat négocié, fait sienne une nouvelle analyse de la faute précontractuelle, plus restreinte et plus respectueuse de la liberté de ne pas contracter. Il reste à savoir de quels préjudices une faute de négociation peut-elle être la cause. Dans l'affaire Manoukian, la chambre commerciale avait approuvé la cour d'appel d'avoir indemnisé les « frais occasionnés par la négociation et les études préalables ». Ces frais inutilement exposés par la victime de la rupture sont généralement considérés comme un préjudice certain résultant de la faute. Il s'agira des dépenses exposées en pure perte, telles que frais d'études, de déplacement, coût d'intervention de tiers conseils, experts ou consultants, auquel il faudrait ajouter la perte du temps occasionnée ou la perte d'heures de travail du personnel ayant participé aux négociations. Ces frais et pertes diverses correspondent à ce que, depuis Jhering, on nomme volontiers à l'étranger « l'intérêt négatif », c'est-à-dire, l'intérêt qu'aurait eu la victime à ne pas s'engager dans des
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négociations précontractuelles, par opposition à « l'intérêt positif », qui est l'intérêt qu'elle aurait eu à conclure le contrat projeté et qui inclut la perte d'une chance d'en retirer les profits. C'est la prise en compte de l'intérêt positif qui est condamnée par la Cour de cassation au nom de l'absence de lien de causalité entre la faute commise dans l'exercice du droit (ou plutôt de la liberté) de rupture. Seul l'intérêt négatif est indemnisable parce que sa considération exclut de tirer les conséquences de l'exécution du contrat projeté et cherche seulement à replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si les négociations n'avaient pas eu lieu. Hormis les frais occasionnés, d'autres préjudices peuvent découler de la faute de négociation et mériter e réparation au titre de l'intérêt négatif. Un autre arrêt du même jour (Civ. 3 , 28 juin 2006, pourvoi n° 05-14.229), qui ne sera pas publié au Bulletin, réserve d'ailleurs expressément cette possibilité. Une cour d'appel avait limité la réparation à allouer à la victime d'une rupture abusive de pourparlers en admettant que celle-ci ne peut prétendre obtenir que la seule indemnisation des frais qu'elle a exposés. Pour la Cour de cassation, qui censure son arrêt, ces motifs ne suffisaient pas à justifier sa décision ; ce qui autorisera la juridiction de renvoi à envisager l'indemnisation de tout autre préjudice qui serait en relation de causalité avec la faute commise. Il pourrait s'agir d'abord des préjudices résultant d'atteinte à la réputation ou à l'image de l'entreprise victime, d'atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne, de la divulgation de savoir-faire ou d'informations confidentielles si le savoir ou les informations communiquées ont été utilisés par l'auteur de la rupture. La victime de la rupture pourrait également invoquer le retard à mettre en oeuvre un projet qui nécessitait la conclusion du contrat négocié lorsque la faute consiste à avoir prolongé des pourparlers que l'auteur de la rupture n'avait plus l'intention de mener à leur terme. Mais le préjudice pourrait encore consister dans la perte d'une chance de conclure, non le contrat négocié, mais un autre contrat avec un tiers. Et c'est alors la perte d'une chance de tirer avantage de cet autre contrat qui sera indemnisé, à condition d'établir la réalité de la chance perdue, c'est-à-dire l'opportunité et la probabilité suffisante que la victime avait de traiter avec un tiers. Tous ces préjudices ont vocation à être réparés en cas d'exercice fautif de la liberté de rupture. Toutefois, il semble que l'exigence de causalité que la Cour de cassation met en relief dans ses arrêts doive conduire à des distinctions selon le type de faute commise. Car toute faute de négociation n'engendre pas nécessairement les différents préjudices mentionnés ci-dessus (V., pour un développement de cette analyse, le bel article de O. Deshayes, Le dommage précontractuel, article préc.). Il faudrait donc se demander quels préjudices auraient été évités sans la faute commise : ceux-là seuls seront réparables. Ainsi, les frais occasionnés par les négociations ne seront réparés que s'ils sont la conséquence de la faute, par exemple si la faute consiste à engager des pourparlers sans intention de contracter ou encore à retarder le moment de la rupture en entretenant chez la victime le vain espoir de la conclusion du contrat projeté et en la laissant continuer à engager des dépenses inutiles. Au contraire, certains frais, parce qu'ils sont inhérents à toute négociation, ne seront pas pris en compte dans la mesure où ils auraient dû être supportés même en l'absence de faute de l'auteur de la rupture ou en présence d'une faute non causale ; ils représentent un risque que les partenaires ont accepté en connaissance de cause. Et le même raisonnement pourrait être fait pour les autres préjudices qui devront être la conséquence de la faute commise. Pratiquement, c'est le plus souvent le fait d'entrer artificiellement en négociation ou de prolonger indûment les pourparlers qui entraînera ces divers préjudices. Mais certains pourraient également naître des circonstances qui ont entouré la rupture, telle que brutalité de celle-ci ou la publicité qui lui est donnée, le comportement vexatoire et déloyal de l'auteur, etc. En tout cas, la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation issue des arrêts de 2003 et 2006 devrait logiquement conduire à faire disparaître la sanction des fautes consistant à rompre le contrat en l'absence de motif ou avec un motif jugé illégitime, généralement parce qu'il est propre à l'un des négociateurs ou parce que les pourparlers étaient tellement avancés que l'on estime que plus rien ne peut justifier une rupture unilatérale (fautes que O. Deshayes nomme « fautes de rupture » par opposition aux « fautes de négociation », article préc.). Ces fautes, qui impliquent un contrôle des motifs de la rupture, représentent une restriction importance au principe de la liberté de ne pas contracter, que la Cour de cassation veut privilégier, et s'accordent mal désormais avec le refus d'indemniser la perte d'une chance. Comme l'observe M. Deshayes dans sa note, « il serait peu cohérent d'exclure l'indemnisation de la perte d'une chance de conclure le contrat négocié au motif que la décision de rompre ne peut jamais constituer une faute et d'apprécier dans le même temps la faute dans la rupture des pourparlers à l'aune des motifs invoqués par l'auteur de la rupture ». Mais il est vrai que la cohérence n'est pas une vertu constante en jurisprudence.
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INDICATIONS SUR LA METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE D’ « ARRET » L'expression de « commentaire d'arrêt » est consacrée, bien que l'exercice puisse porter aussi bien sur un arrêt, que sur un jugement. Il s'agit d'un commentaire une décision de justice de quelque juridiction quelle émane, même si c'est le plus souvent une décision de la Cour suprême. L'exercice est considéré comme complexe, car il est tout à fait nouveau pour un étudiant de première année. Aussi, il présente deux difficultés principales. La première est d'éviter la paraphrase de la décision. Il ne faut pas vous borner à répéter sous d'autres termes la solution donnée. La seconde difficulté est d'éviter que l'arrêt ne soit qu'un prétexte pour réciter le cours et disserter sur des points sans les mettre en relation avec l'arrêt. Quand la décision soumise à analyse est un arrêt de la Cour suprême, il y a fortement intérêt à : Savoir si on est en présence d'un arrêt de rejet (fondé sur le pouvoir souverain des juges du fond, sur l'approbation d'une appréciation juridique effectuée par les juges du fond, sur une substitution de motifs) ou d'un arrêt de cassation (fondé sur un défaut de motifs, sur un défaut de base légale, sur la violation de la loi) : la portée de l’arrêt dépend de ces considérations. Savoir déterminer le, ou les moyens de cassation, et le, ou les branches des moyens ; Se demander si le pourvoi est formé contre un arrêt d'appel (il faut alors, dans la partie de l'analyse consacrée à la procédure, préciser si l'arrêt d'appel était confirmatif ou infirmatif de la décision des premiers juges) ou contre un jugement rendu en premier et dernier ressort; Se demander si le pourvoi qui a donné lieu à la décision de la Cour suprême est un pourvoi "classique", ou un pourvoi dans l'intérêt de la loi, formé par le Procureur général près la Cour suprême; Se demandersi, dans l'hypothèse où l'arrêt de la Cour suprême vient casser la décision de la juridiction du fond, il y a cassation avec renvoi, sachant que la cassation a lieu, à titre exceptionnel, sans renvoi. Déterminersi on est en présence d'un arrêt d'espèce ou d'un arrêt de principe Ne pas oublier que la vocation de la Cour suprême est de juger en droit, et non en fait. Précisions liminaires L’arrêt de principe L’arrêt de principe, au-delà du cas d’espèce, entend imposer à l’ensemble des juridictions judiciaires une certaine interprétation de la règle de droit. Il n’est nulle part écrit dans le texte d’un arrêt de la Cour suprême qu’il s’agit d’un arrêt de principe ou d’un simple arrêt d’espèce. Cependant, il existe des critères qui peuvent aider à qualifier d’ « arrêt de principe » un arrêt de la Cour suprême : - La portée doctrinale et normative de l’arrêt Dans la mesure où les arrêts de principe sont ceux qui présentent un intérêt d’ordre juridique plus ou moins grand, ils comprennent à l’évidence tous les arrêts qui mettent fin à une controverse divisant les tribunaux, voire la doctrine, en ce qui concerne un point de droit. Ils comprennent aussi ceux qui inaugurent l’interprétation d’une nouvelle règle de droit. Ils incluent également les arrêts par lesquels la Cour suprême opère un revirement jurisprudentiel. Dans ce vaste domaine, il est évident que la portée des arrêts de l’Assemblée plénière ou des chambres mixtes (au Sénégal chambres réunies) est supérieure, dès lors qu’ils ont eu pour objet de résoudre des questions de droit de principe ou connaissant des solutions divergentes soit entre les chambres de la Cour suprême, soit entre la Cour suprême et les juridictions du fond - La formulation de l’arrêt Il est soutenu qu’un arrêt de principe est souvent un arrêt de cassation. Mais un arrêt de principe peut aussi être un arrêt de rejet. L’arrêt Jacques Vabres du 24 mai 1975 était un arrêt de rejet, alors que l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000 était un arrêt de cassation (pourtant l’un et l’autre ont eu un effet considérable dans l’ordre juridique établi). En revanche, le caractère de principe d’un arrêt de cassation ou de rejet de la Cour suprême peut être éventuellement déduit de la formulation qu’ils utilisent. L’arrêt d’espèce L’arrêt d’espèce a une portée très faible. Il n’a d’autre ambition que de résoudre la difficulté particulière que le litige a soulevée. L’arrêt de cassation d’espèce se reconnaît lorsqu’il casse pour inobservation des formes du jugement, par exemple, « l’absence ou insuffisance de motifs », ou « le défaut de réponses à conclusions ». En général, les cassations pour de tels griefs de forme n’ont pas un grand intérêt théorique.
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L’arrêt de cassation est également d’espèce lorsqu’il comporte un attendu sous forme de « chapeau » qui reprend littéralement le texte de l’article auquel il se réfère dans son « visa », sans rien y apporter de nouveau. L’arrêt de rejet d’espèce se reconnaît lorsque la Cour suprême énonce que les juges du fond ont « souverainement estimé, jugé, ou pu décider que… ». Cela signifie que la Cour suprême ne veut pas connaître du problème de droit. Elle se borne à vérifier que les juges du fond ont motivé leurs décisions et répondu aux conclusions. L’arrêt de cassation L’arrêt de cassation de principe est souvent reconnaissable à la formulation relativement générale et abstraite du chapeau qui suit le visa. Parfois encore, cette formulation générale et abstraite peut figurerdans l’attendu qui précède le dispositif. Structure type d’un arrêt de cassation La Cour, Vu l’article… Dans cette proposition, que l’on appelle le visa, la Cour suprême vise, c’est-à-dire cite le numéro de l’article, le titre de la loi ou le principe discuté. Attendu qu’il résulte de ce texte… Il s’agit du chapeau de l’arrêt. La Cour suprême cite le texte même de l’article ou formule le grand principe qu’elle entend appliquer. Parfois, le chapeau figure dans l’attendu précédant le dispositif. Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que… ; Dans la première partie de cette proposition, la Cour suprême rappelle les faits. Que (ou « Attendu que ») l’arrêt attaqué a décidé que… Dans cette deuxième partie de la proposition, la Cour suprême rappelle la décision et les arguments retenus par la cour d’appel. Attendu qu’en statuant ainsi (ou « de la sorte »), alors que… (Autre formule : « Attendu cependant qu’il ne peut […], d’où il suit qu’en statuant comme elle l’a fait la Cour d’appel a violé le texte susvisé… ») Dans cette proposition sont indiquées les raisons pour lesquelles, selon la Cour suprême, l’arrêt attaqué encourt la cassation. Contrairement aux arrêts de rejet, on ne trouve pas dans les arrêts de cassation les griefs formulés par l’auteur du pourvoi contre l’arrêt qu’il attaque. Toutefois, on peut admettre que ces griefs se confondent avec les arguments de la Cour suprême énoncés dans son arrêt. Par ces motifs, casse et annule l’arrêt rendu le (…) et renvoie devant… L’arrêt de rejet L’arrêt de rejet de principe se reconnaît aussi à la formulation générale et abstraite qu’il emploie dans son attendu du motif de rejet : Les arrêts de rejet ont également une portée doctrinale et didactique lorsque la Cour suprême emploie les termes suivants : « Mais attendu qu’à bon droit (ou « légitimement ») la cour d’appel a pu décider (ou « estimer »)… » Exemple : « Mais attendu que le Traité du 25 mars 1957, qui, en vertu de l’article 55 de la constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres ; qu’en raison de cette spécificité, l’ordre juridique qu’il a crée est directement applicable aux ressortissants de ces Etats et s’impose à leurs juridictions ; que dès lors, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que l’article 95 du traité devait être appliqué en l’espèce… » (ch. Mixte, 24 mai 1975, D. 1975. 497). Lorsque la Cour suprême procède par substitution de motifs, ses arrêts ont également une valeur nominative. Il en est ainsi lorsque la cour d’appel a rendu une décision justifiée sur un motif erroné. Au lieu de casser l’arrêt, la Cour suprême a la faculté de rejeter le pourvoi après avoir substitué au motif erroné un motif de pur droit. Exemple : « Mais attendu que, pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4 du code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime : que par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué par le moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié » (Ass. Plén., 9 mai 1984, D. 1984, note Chabas).
Structure type d’un arrêt de rejet La Cour, Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt (ou du jugement) attaqué…
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Dans cette proposition, seront généralement exposés succinctement les faits de l’espèce, éventuellement la procédure suivie jusque-là, et bien entendu la décision qui a été rendue par l’arrêt ou le jugement attaqué. Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué (ou « Attendu qu’il est reproché à l’arrêt attaqué ») d’avoir ainsi statué, alors que… Dans cette proposition, seront cités les moyens du pourvoi, c’est-à-dire les arguments, les critiques formulées par le demandeur au pourvoi à l’encontre de la décision attaquée. Mais attendu que (…) à bon droit la Cour d’appel a décidé que… (ou « Mais attendu que » suivi de l’énoncé du principe sur lequel s’appuie la Cour suprême), d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli (ou « que les juges du fond ont ainsi pu décider… ») ; Dans cette proposition, la Cour suprême réfute les griefs formulés par l’auteur du pourvoi et donne sa propre opinion. En somme, la Cour suprême se fait le défenseur de la décision attaquée. Par ces motifs, rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le… La fiche de méthodologie Il s'agit de rédiger ce que l'on appelle une « note de jurisprudence ». De telles notes sont publiées par les « arrêtistes », entendez : les commentateurs d'arrêts, dans les grands recueils de jurisprudence (Recueil Dalloz, Semaine juridique, par exemple) à la suite des décisions rapportées. Le travail que vous avez à présenter diffère cependant quelque peu de celui des « arrêtistes », car ceux-ci ont à commenter des décisions récentes, de telle sorte que leurs recherches, quant à la législation, à la jurisprudence et la doctrine, s'arrêtent nécessairement dans le temps à la décision annotée, tandis que l'on vous demande souvent de commenter un arrêt déjà ancien, de telle sorte que vous ne devez pas limiter vos recherches aux textes, aux décisions et études antérieures à cet arrêt. Le commentaire d’arrêt a un double objet : – l'explication de la décision : il faut, à ce stade, montrer que l'arrêt a été compris, ce qui suppose des connaissances approfondies, lesquelles doivent être confrontées avec les éléments spécifiques de la décision ; – une réflexion sur la décision :après avoir démontré que vous avez compris la décision, il s'agit de montrer que vous savez réfléchir. Ainsi, en utilisant vos connaissances doctrinales et jurisprudentielles, il convient de mener une discussion en vue d'apprécier cette décision au regard du droit positif, d'en effectuer la critique, d'en mesurer les conséquences juridiques, sociales, politiques, économiques, morales, etc. Remarques Il faut éviter: – de faire une dissertation ; – de paraphraser la décision ; – les développements purement descriptifs et théoriques. I. Travail préparatoire - Présentation de la décision à commenter L'introduction du commentaire d'arrêt est soumise à quelques règles spécifiques. En guise de préliminaire, il importe de présenter la décision qui doit être commentée. À ce titre, il convient d'indiquer la nature de la juridiction qui l'a rendue, sa date et de situer en deux, trois lignes la question juridique traitée. Puis, les faits de la cause doivent être exposés : ici non plus, il ne s'agit pas de reproduire servilement et fastidieusement le motif de la décision qui contient les faits en question. Par conséquent, il faut opérer une sélection : seuls, les faits utiles, c'est-à-dire ceux qui ont une influence sur la question posée aux juges et sur la solution que ceux-ci lui ont donnée, méritent les honneurs de l'introduction. Après l'exposé des faits, intervient nécessairement celui de la procédure. Précision et concision sont les deux impératifs qui doivent être respectés à ce stade de l'introduction. Il ne saurait être question d'entamer l'explication de la décision ; il faut se limiter à indiquer comment les rôles de demandeur et de défendeur à l'instance ont été répartis pendant les différentes phases du procès, mentionner, brièvement mais précisément, les prétentions de chaque partie, préciser les juridictions qui ont rendu des décisions antérieurement à celle qui doit être commentée, les dates de ces décisions et le sens dans lequel elles ont été rendues. À l'issue de ce rappel de la procédure, deux thèses doivent nécessairement apparaître quant à la solution à apporter à une même question, quant à l'interprétation d'une seule règle de droit. Aussi, si la décision à commenter est un arrêt de la Cour
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suprême, les développements relatifs à la procédure doivent clairement faire apparaître l'opposition entre le raisonnement des juges du fond d'une part, et celui du demandeur au pourvoi, d'autre part. Attention à éviter de supposer des faits imaginaires et à bien respecter la chronologie. Attention aussi à ne pas inventer la solution de première instance, si elle ne vous est pas donnée. Vous pouvez parfois déduire la solution grâce à la formule "l'arrêt infirmatif attaqué" (la cour d'appel a infirmé la solution de première instance), ou "l'arrêt confirmatif attaqué" (la cour d'appel a confirmé la solution). II est temps, alors, d’exposer clairement la question de droit que la décision commentée a tranchée. Le problème de droit est la question juridique qui a été posée à la juridiction saisie par le pourvoi (d’une manière générale, c’est la juridiction dont on commente la décision) et sur lequel les parties sont en désaccord. Il s'agit là d'une étape déterminante non seulement de l'introduction, mais aussi du commentaire. Le correcteur, à la lecture des lignes consacrées à l'exposé de la question de droit pourra immédiatement constater si, oui ou non, vous avez bien compris la décision que vous prétendez commenter. Il faut, en effet, bien comprendre que toute la difficulté de cet exercice spécifique qu'est le commentaire d'arrêt réside, outre l'explication de la décision et la réflexion que celle-ci vous inspire, dans la découverte de la question qui a été tranchée. Si vous vous trompez sur cette question de droit, si vous ne réussissez pas à l'identifier ou si vous l'exposez de manière imprécise ou confuse, il ne fait guère de doute que votre commentaire sera voué à l'échec. Aussi, faut-il apporter un grand soin et une particulière attention à cette étape de l'introduction. Le problème de droit se déduit donc de la confrontation des arguments présentés par le demandeur avec la thèse soutenue par les juges dont la décision est contestée devant la Cour suprême. Pour le trouver, il faut donc concevoir très clairement le ou les points de désaccord entre les parties (il peut y avoir plusieurs problèmes de droit dans un même arrêt). Une solution de facilité consiste à partir du principe que la Cour suprême, juge du droit, répond toujours au problème de droit qui lui est soumis, et qu’il suffit de déduire de la solution le problème qui se pose. C’est en effet exact dans 90 % des cas, mais il y a un risque terrible de passer à côté de l’arrêt. En effet, il arrive que la Cour suprême ne réponde pas au problème de droit et réponde à une question qui n’est pas posée (on parlera alors d’obiter dictum). Le commentaire ne réside plus alors dans la critique de la solution apportée pour résoudre le problème de droit, mais dans le fait de comprendre pourquoi la Cour suprême n’a pas répondu à la question qui lui était posée (solution de facilité, erreur, prétexte saisi pour statuer dans un autre domaine ?). Pour éviter de tomber dans ce piège, il faut donc bien analyser les arguments des uns et des autres (en confrontant les thèses en présence) et déterminer si la Cour suprême répond à la question qu’on lui pose, et si elle y répond correctement. Dans un arrêt de rejet, la thèse de l'arrêt attaqué est présentée la première et introduite par la locution conjonctive "au motif que", et la thèse du pourvoi vient ensuite introduite par la conjonction "alors que". Dans un arrêt de cassation, la thèse du pourvoi n'est pas présentée, c'est la thèse de la cour d'appel qui est développée. Sa thèse est clairement annoncée: la cour d'appel retient que... a considéré que... a énoncé que... Lorsque la décision à commenter est un jugement ou un arrêt de la cour d’appel, il faut confronter les arguments du demandeur et du défendeur (jugement); de l’appelant et de l’intimé (arrêt de la cour d’appel). Dans un même arrêt, on peut trouver un ou plusieurs problèmes de droit. S’ils sont tous d’égale importance, et s’ils concernent tous le sujet traité en travaux dirigés ou dans le programme de l’examen, il faudra les traiter séparément, si possible dans des parties distinctes. Il arrive souvent qu’ils n’aient pas tous la même importance ; il ne faudra alors retenir pour le commentaire que le point principal, mais sans oublier de signaler dans l’introduction la présence de points annexes en indiquant qu’ils seront volontairement laissés de côté. On procédera de la même manière dans les hypothèses où un problème ne concerne pas directement la séance ou le thème, mais toujours en le mentionnant dans son introduction. RETENIR : Le problème de droit doit correspondre aux deux derniers arguments que s’opposent les parties. Lorsque l’analyse est bien faite il suffit de mettre ces arguments sous forme interrogative et le problème de droit est alors identifié. Si vous n’y parvenez pas, c’est souvent le signe d’une mauvaise décomposition des prétentions des parties. Une fois franchie, l'étape en question doit être suivie de l'exposé de la solution que la décision commentée a apporté à la question de droit. Exceptionnellement, notamment s’il s'agit d'un arrêt de principe, il n'est pas interdit d'ouvrir les guillemets et de reproduire le motif de la décision dans lequel cette solution est donnée. L'introduction se termine par l'annonce du plan des développements qui vont suivre. Pour résumer: Le travail préparatoire qui constitue l’introduction et votre commentaire doit comporter les quatre éléments suivants :
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1. Un rappel chronologique des faits. 2. Un rappel chronologique de la procédure en énonçant à chaque stade de la procédure (première instance, appel, cassation), l'objet de la demande (ou requête) et la solution retenue, tout en précisant les arguments avancés par chaque juridiction. En même temps, faire le rappel des prétentions soutenues par les plaideurs 3. Une reformulation en termes juridiques du problème de droit soulevé par l'arrêt (décision). 4. La solution retenue par l'arrêt (décision) au problème de droit soulevé. II- Confection d’un plan Le commentaire d'arrêt suppose la confection d'un plan. Quant au fond, on signalera que, pour l'essentiel, commenter un arrêt consiste à : Lorsque l'arrêt ne tranchequ'une question de droit, le plan de son commentaire peut être utilement articulé autour des trois masses de développement que sont l'étude de sons sens, de sa valeur et de sa portée. En ce qui concerne, la répartition de ces masses à l'intérieur des parties et des sous-parties de votre plan, une règle s’impose : l’explication du sens de la décision doit être effectuée dans la première partie du commentaire. Quant à la valeur et à la portée de l’arrêt, tout dépend des espèces : Soit l’arrêt s’inscrit dans une longue évolution jurisprudentielle, ou bien en constitue le point de départ ou le point d’orgue, et alors, il sera judicieux de consacrer une partie de votre commentaire à la portée de l’arrêt. Dans cette hypothèse, l’étude de la valeur de l’arrêt pourra être traitée dans la première partie du plan, à la suite de l’explication de son sens ; Soit l’arrêt a suscité denombreuses discussions et controverses doctrinales, auquel cas vous pourrez réserver la seconde partie de votre commentaire à l’appréciation de sa valeur. Dans cette seconde hypothèse, l’étude de la portée de l’arrêt pourra trouver place dans la première partie de votre devoir ; Expliquer le sens de l’arrêt : il s'agit de faire œuvre pédagogique, d'expliquer le raisonnement de la juridiction qui a rendu la décision, d'expliciter la façon dont elle a interprété la règle de droit pour trancher la question qui lui était posée. Pour convenablement se prononcer sur le sens d'une décision de justice, il est clair que de solides connaissances théoriques sont indispensables car elles permettent de comprendre et donc, d’expliquer une décision qui, par hypothèse, porte sur un point précis du cours. Apprécier lavaleur de l’arrêt : il s’agit en quelque sorte de « juger les juges ». Cet examen critique de la décision suppose, lui aussi, des connaissances approfondies qui doivent conduire à émettre un jugement de valeur sur l'interprétation de la règle de droit qui a été retenue par la juridiction dont la décision est commentée. Ce qui nécessite une culture juridique suffisamment maîtrisée pour connaître les opinions doctrinales qui ont été émises à propos de la question de droit tranchée par la décision et de la solution rendue par cette dernière. Dans ces développements, dans lesquels l'accent est mis sur la réflexion, il convient de réfléchir sur la rectitude juridique de la décision, sur sa cohérence logique, sur sa conformité au droit positif, à l'équité, à la morale, à l'idée de justice et aux impératifs économiques et sociaux ; Etudier laportée de l’arrêt : il s’agit de rechercher son influence sur l'évolution postérieure du droit positif. En fait, cette partie du commentaire diffère sensiblement selon la date à laquelle a été rendue la décision en question. Si il s'agit d'une décision déjà ancienne, il convient, non seulement de rappeler les solutions jurisprudentielles qui lui étaient antérieures, mais encore de retracer l'évolution qui s'est, postérieurement, dessinée. Au fond, l'exercice ne présente guère de difficultés, si ce n'est un sérieux effort de mémoire. En revanche, si l'arrêt est récent, la réflexion sur la portée de la décision rendue est autrement plus délicate. Il faut alors se risquer à un pronostic et essayer de prévoir les conséquences de cette décision sur le droit positif. En particulier, il importe de rechercher si la décision est de principe, et en tant que telle énonce une règle générale et abstraite susceptible d'être étendue aux espèces futures portant sur la même question juridique, ou bien si il s'agit simplement d'une décision d'espèce dont la solution s'explique, pour l'essentiel, par la spécificité des faits de la cause et qui n'est donc promise à aucun avenir jurisprudentiel. Lorsqu’il s’agit d’un arrêt d’espèce : vous l’avez trouvée conforme au droit positif antérieur, et vous avez discuté les mérites de cette solution bien établie. La seule conséquence que l’on peut reconnaître à une décision de ce type est de renforcer encore la position acquise. On peut s’en féliciter, ou bien le regretter et souhaiter une évolution. - Notez cependant que toute décision de justice présente l’intérêt d’appliquer les principes à un cas particulier nouveau. Il est rare que la situation de fait soit exactement la même que celle des précédents. On a donc souvent une illustration nouvelle à présenter. - En outre, si la décision n’est pas récente, vous connaissez l’évolution ultérieure du droit positif sur la question et vous devez en dire un mot.
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La solution de l’époque s’est-elle maintenue ou a-t-elle subi une évolution ? A- t- elle été consacrée, ou au contraire, condamnée par une disposition légale ? - Enfin, il peut être intéressant de mentionner brièvement si les mêmes solutions sont appliquées dans des cas voisins. Mais ne vous étendez pas outre mesure sur ces cas voisins pour ne pas sortir du sujet. Dans ce cas de l’arrêt d’espèce, ne prévoyez pas de faire une partie du commentaire sur les incidences de l’arrêt. Les incidences doivent être étudiées tout au long du commentaire. C’est plutôt l’exposé du régime applicable qui doit être privilégié. Concrètement dans un arrêt d’espèce la réponse au problème juridique doit être éclatée en deux branches : l’une consacrée à la première partie et l’autre consacrée à la seconde partie. Lorsqu’il s’agit d’un arrêt de principe :l’étude de sa portée doit constituer une part importante de votre commentaire (au moins toute la deuxième partie). Mais le travail vous est facilité car vous trouverez expliquées dans les ouvrages ainsi que dans les notes ou les conclusions qui l’accompagnent les conséquences de la jurisprudence inaugurée par cet arrêt, ainsi que l’évolution ultérieure. Un jour d’examen, il faut avoir les connaissances suffisantes pour reconnaître l’arrêt et le replacer dans l’évolution de la question. Précisez les points suivants : - La solution nouvelle est-elle appelée à s’appliquer souvent, à régir un grand nombre de cas ? - La solution nouvelle entraîne- t- elle des conséquences juridiques importantes ? - A- t- elle eu des incidences extra-juridiques (retentissements sociologiques, économiques, sociaux, etc.) ou pourrait-elle en avoir ? - La solution est-elle toujours en vigueur ? S’est-elle maintenue longtemps ? Quel est le sens de l’évolution postérieure ou de l’évolution prévisible ? A- t- elle été consacrée par des dispositions légales ? Pour les autres décisions : l’arrêt à commenter n’est pas un arrêt d’espèce. Il s’écarte des solutions acquises, apporte une précision d’interprétation, innove quelque peu. Mais s’il s’agit d’une décision des juges du fond, ou en tout cas d’un arrêt qui ne présente pas les caractères de l’arrêt de principe : la nouvelle interprétation est énoncée incidemment dans le cours du raisonnement, comme un simple motif de droit. A votre niveau, la recherche des incidences d’une décision de ce type est délicate. On ne vous reprochera pas d’être prudent et bref sur ce point. L’important est de bien montrer en quoi consiste l’apport nouveau, ou la différence d’interprétation par rapport aux solutions antérieures. Lorsque l’arrêt trancheplusieurs questions de droit, une démarche différente pourra inspirer la construction de votre plan. Ces questions se formalisent dans les différents moyens développés par le demandeur au pourvoi. Dans une telle hypothèse, les différentes parties de votre plan peuvent être consacrées à l’étude de chacune de ces questions, en regroupant le cas échéant, celles qui présentent des points communs. Le plan Dans un commentaire d'arrêt, il est préférable de ne pas rechercher dans le plan trop d'originalité : il faut un plan très simple. La simplicité, en ce domaine, épouse, la forme binaire. Un plan en deux parties, comportant chacune deux sous-parties, est donc conseillé. Faîtes apparaître les intitulés des parties et sous-parties ; éventuellement soulignez-les. N'oubliez jamais d'annoncer, dans un chapeau, chaque partie suivante et sous-partie, sachant que vous n'introduisez jamais deux niveaux hiérarchiques simultanément. Par conséquent, après l'intitulé de la première partie, vous introduisez le A) et B). A la fin du A), vous introduisez le B) A la fin du B), vous introduisez la seconde partie, mais non les A') et B') Après l'intitulé de la seconde partie, vous introduisez les A') et B'). A la fin du A’) vous introduisez le B’) L'annonce de chaque partie constitue un chapeau, c'est-à-dire une transition entre le paragraphe précédent et le paragraphe suivant : si votre plan est bon, vous ne devriez éprouver aucune difficulté à écrire les transitionsintroductions. Elles devraient s'imposer d'elles-mêmes. Chacune des sous-parties doit avoir à peu près la même longueur. La seule exception notable généralement admise concerne le B') en seconde partie. Il peut être plus court et constitue le plus souvent une ouverture par rapport aux thèmes centraux abordés dans le commentaire. Il remplace un peu la conclusion exigée en dissertation notamment littéraire. III- Rédaction du commentaire Le respect du style, qui doit être approprié et sobre, contribue à la pertinence du commentaire. Il convient de veiller au juste emploi du vocabulaire juridique. A cet égard, l’exposé d’une critique de la solution ne peut être mené qu’au moyen de termes mesurés et adéquats. Il est recommandé de se reporter systématiquement à la lecture des textes cités dans l’arrêt, ou auxquels la décision se rattache, afin d’éviter tout oubli, contresens, confusion.
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Dans le corps du commentaire, il est souvent utile de citer d’autres décisions, ainsi que certaines opinions doctrinales. L’étudiant pourra à titre d’aide-mémoire consulter et citer les références contenues notamment dans les Codes (origine et date de l’arrêt ou nom de l’auteur). L’utilisation de ces références suppose que ces informations soient préalablement connues. En particulier, le risque est grand de mentionner des décisions dont le contexte diffère de celui de l’espèce à commenter, et de procéder à des comparaisons erronées. Il serait de surcroît malvenu d’opérer un recopiage, sans explication d’extrait d’arrêt. Enfin, une conclusion résumant le commentaire n’a pas lieu d’être. A ce stade, l’essentiel a été exprimé ou omis. A titre exceptionnel, il peut être néanmoins envisagé la formulation d’une autre question, dépassant la portée de l’arrêt telle qu’elle a été expliquée tout au long du commentaire.
Structure du commentaire d’arrêt Introduction (Ne pas mentionner dans le devoir) - Présentation de l’arrêt - Faits - Procédure / Prétentions et moyens des parties - Problème juridique - Solution - Annonce du plan NB : Les étapes de l’introduction ne doivent pas être intitulées. Corps du commentaire (Ne pas mentionner dans le devoir) IIntitulé de la première partie Chapeau pour annoncer les deux sous parties A- Intitulé de la première sous-partie ………………………………………… ………………………………………… ………………………………………… Annonce de la seconde sous-partie B- Intitulé de la deuxième sous-partie ………………………………………… ………………………………………… ………………………………………… Transition pour annoncer la deuxième partie IIIntitulé de la deuxième partie Chapeau pour annoncer les deux sous-parties A- Intitulé de la première sous-partie ……………………………………. …………………………………….. ……………………………………. Annonce de la seconde sous-partie B- Intitulé de la deuxième sous-partie ……………………………………… ……………………………………… ……………………………………… Pas de conclusion
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Séance n° 2 Thème : la période précontractuelle Sous-thème : les avant-contrats Exercice : commentaire d’articles Commentaire conjoint des articles 382 et 383 du COCC Article 382 Code des obligations civiles et commerciales Avant-contrat L’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat Elle oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la conservation de la propriété foncière Article 383 Code des obligations civiles et commerciales Conditions de forme Le contrat doit à peine, de nullité absolue, être passé par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires. Bibliographie indicative : -Boyer L., Les promesses synallagmatiques de vente : contribution à l’étude des avant- contrats, RTDCiv 1949, 1 et s. -Chauvin P., Quelle sanction en cas de violation d’un pacte de préférence, RIDA 8-9/ 2006 -Faye. A. « Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais », Revue Droit Sénégalais Université de Toulouse, Presse universitaire de Toulouse I Capitole, n°8, nov. 2009, p.257 -Boubacar Diallo, «Promesse sous seing privés de vente d’immeuble immatriculé ne vaut? » Observation sur CS Sénégal n°79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo, Revue Droit et Ville, n°71, 2001, p. 175-197, n°31 -Mayatta Ndiaye Mbaye, Les transactions immobilières au Sénégal, « De l’esprit du droit », Mélanges Pougoue P. G - Mazeaud D., Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, in Etudes offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, 637. - Mestre J., La période précontractuelle et la formation du contrat, Les Petites Affiches, 5 mai 2000, 7. - Mousseron P., Conduite des négociations contractuelles et responsabilité civile délictuelle, RTD com., 1998, 243. - Schmidt-Szalewski J., 1- La période précontractuelle en droit français, RIDC 2-1990, pp. 545-566. 2- La sanction de la faute précontractuelle, RTD civ., 1974, 46. 22
-Voirin P., Le pacte de préférence, JCP 1954, I, 1192.
Documents Document n° 1 Dispositions légales : Article 79 du Code des obligations civiles et commerciales Contrat entre présents Les parties doivent échanger leurs consentements sur toutes les stipulations du contrat. Toutefois, le contrat est réputé conclu dès que les parties se sont mises d’accord sur les points essentiels, notamment sur la nature et l’objet des prestations promises. Article 318 du Code des obligations civiles et commerciales Définition du droit de préemption Quelle qu’en soit la source, le droit de préemption donne à une personne la faculté de se porter acquéreur d’un bien de préférence à toute autre. Ce droit peut s’exercer dans toute espèce de vente. Article 319 du Code des obligations civiles et commerciales Droit de préemption conventionnel Le droit de préemption d’origine conventionnelle résulte du pacte de préférence. Ce pacte est soumis aux règles des promesses de vente. Article 320 du Code des obligations civiles et commerciales Effet quant au promettant Le promettant est tenu de faire connaître au bénéficiaire sa décision d’aliéner et les conditions du contrat qu’il projette de passer avec un tiers. Article 321 du Code des obligations civiles et commerciales Diverses sortes de promesses de vente Le contrat de vente peut être précédé d’une promesse de vente, synallagmatique ou unilatérale. Article 322 du Code des obligations civiles et commerciales Promesse synallagmatique La promesse synallagmatique est celle par laquelle les deux parties sont d’accord, le vendeur pour vendre, l’acheteur pour acheter une chose déterminée pour un prix fixé. Article 323 du Code des obligations civiles et commerciales Effets La promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être passé librement. Dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation. Article 324 du Code des obligations civiles et commerciales
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Promesse unilatérale de vente La promesse de vente est unilatérale lorsque le bénéficiaire de l’offre n’assume aucune obligation d’acheter, alors que le promettant est tenu de l’obligation de vendre. Article 325 du Code des obligations civiles et commerciales Effets Lorsque toutes les conditions nécessaires à la formation de la vente sont fixées dans le contrat, la promesse de vente engage le vendeur et fait naître l’option au profit de l’acheteur. La promesse de vente est parfaite dès l’échange des consentements et la vente est conclue au moment où l’acquéreur lève l’option. Article 326 du Code des obligations civiles et commerciales Violation de la promesse de vente Si, malgré sa promesse, le promettant a vendu la chose à un tiers, le bénéficiaire peut lui réclamer des dommages et intérêts ; il ne peut poursuivre l’annulation du contrat contre le tiers acquéreur que s’il établit la mauvaise foi de ce dernier au moment de l’acquisition. Article 327 du Code des obligations civiles et commerciales Promesse unilatérale d’achat, définition La promesse d’achat est une convention par laquelle une personne s’engage à acheter une chose si le vendeur consent à la vendre. Article 328 du Code des obligations civiles et commerciales Effets Le promettant est lié par l’acceptation du vendeur si toutes les conditions de la vente sont fixées dans le contrat. La vente est conclue lorsque le vendeur fait connaître son adhésion à vendre la chose. Article 382 Code des obligations civiles et commerciales Avant-contrat L’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat Elle oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la conservation de la propriété foncière Article 383 Code des obligations civiles et commerciales Conditions de forme Le contrat doit à peine, de nullité absolue, être passé par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires. Document n° 2 Boubacar Diallo, «Promesse sous seing privés de vente d’immeuble immatriculé ne vaut? » Observation sur CS Sénégal n°79 du 16 juillet 2008, Aliou Bathily c/ Abdoul Diallo, Revue Droit et Ville, n°71, 2001, p. 175-197, n°31 Cour suprême (ex. Cour de cassation) du Sénégal
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Arrêt n° 79 du 16 juillet 2008 Aliou Bathily c/Abdoul Diallo pj La Cour Après en avoir délibéré conformément à la loi ; Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ;
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que par jugement du 28 mars 2001, le tribunal régional de Dakar, après avoir rejeté la demande de résolution du contrat de vente conclu entre Aliou Bathily et Abdoul Diallo et constaté que ce dernier s’est libéré du prix convenu, a ordonné la perfection du contrat sous astreinte de 15000 F par jour de retard ; Sur le premier moyen pris de la violation des dispositions des articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, en ce que le juge d’appel a confirmé le perfection de la vente sur la base uniquement d’un acte sous seing privé n’ayant pas date certaine, passé entre le défendeur au pourvoi et El hadji Mamadou Sall qui, ne disposant pas d’une procuration notariée, n’a jamais justifié être son mandataire, alors que, s’agissant d’un titre foncier, les transactions portant sur l’immeuble dont la perfection de la vente était recherchée, sont régies par un formalisme rigoureux fixé par les règles visées au moyen ; Vu les articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, ensemble l’article 258 du même Code ;
Attendu qu’en vertu de ces textes d’ordre public, la vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées par devant notaire ; Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, qui a ordonné la perfection de la vente d’un immeuble objet du TF n° 19916/DG sur la base d’un acte sous seing privé, l’arrêt retient « que l’appelant principal bien que représenté par un conseil, n’a versé au dossier, à part l’acte d’appel, aucune autre pièce pour soutenir sa demande tendant à l’infirmation de la décision attaquée ; que l’attitude de l’appelant laisse supposer qu’il n’a pas de moyens sérieux à opposer aux arguments retenus par les premiers juges » ; Qu’en se déterminant ainsi, alors que la vente porte sur un immeuble immatriculé, la cour d’Appel a violé les textes susvisés ; Par ces motifs, Et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens : Casse et annule…
OBSERVATIONS 1. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient »1 lorsqu’elles portent sur la vente d’un immeuble immatriculé et si elles ont été passées par acte sous seings privés. Cet enseignement constant32 de la
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Cf. CS, 2ème civ. et com., 04 juin 1993, Arrêt n° 107, EDJA n° 24, janv. - mars 1995, note A. Cissé. Plus récemment, la Cour a encore affirmé l’exigence d’un acte authentique en approuvant la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu que « la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé doit revêtir la forme d’un acte authentique » : CS, civ. et com., 16 janvier 2008, arrêt n° 21, Youssou Seck c/SNR, Bull n° 16,
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jurisprudence de la Cour suprême du Sénégal33 vient, à nouveau, d’être confirmé par l’arrêt n° 79 du 16 juillet 2008. Toutefois, malgré cette constance de la jurisprudence de la Cour, cet arrêt peut faire débat à un double point de vue, au moins. D’une part, la règle plusieurs fois répétée ne semble pas être parfaitement entendue par les juridictions du fond. Certaines décisions continuent à accorder, comme en l’espèce, une certaine valeur juridique à la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé. C’est le signe que le principe du formalisme de la promesse est loin de faire l’unanimité. Il appelle certaines critiques qui, à maints égards, paraissent légitimes au regard du fondement discutable que lui assigne la Cour suprême. D’autre part, le principe de solution consacré apporte une précision supplémentaire quant à la portée 1
Souvent prêtée aux hommes politiques (on se demande bien pourquoi ?), cette expression aurait pour origine la pancarte « demain on rase gratis » qui ornait, en permanence, la porte d’un barbier. On imagine facilement l’étonnement de ceux qui se présentaient le lendemain et se voyaient réclamer paiement au motif que « c’est demain que c’est gratuit ». du formalisme des contrats relatifs à une transaction immobilière, au-delà de la seule promesse de vente34. Cet arrêt suscite ainsi une discussion essentielle sur la détermination des contours du formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés35.
2.
A l’origine de cette affaire, un mandataire ne justifiant pas d’une procuration notariée avait signé un acte sous seings privés portant sur la vente d’un immeuble immatriculé. La perfection de la vente a été poursuivie par le futur acquéreur qui s’était libéré du prix convenu. Celle-ci sera ordonnée par la Cour d’appel de Dakar dans son arrêt n° 657 du 17 décembre 2004, confirmant le jugement entrepris par le tribunal régional hors classe de Dakar en date du 28 mars 2001. En déférant cet arrêt de la Cour d’appel à la censure de la Haute juridiction sénégalaise, le pourvoi l’invitait à se prononcer sur la question de savoir si la promesse synallagmatique de vente sous seings privés portant sur un immeuble immatriculé est valable. Répondant clairement par la négative, la Cour suprême a affirmé qu’une telle promesse, tout comme la vente sur laquelle elle porte, doivent être passées par acte notarié. 3. Cet arrêt soulève des interrogations liées à la portée du formalisme des actes relatifs aux immeubles immatriculés ainsi qu’à la valeur juridique de tels actes lorsqu’ils sont passés sous seings privés. La Cour suprême y a apporté des réponses tranchées en se prononçant sur la nature de la sanction de la violation de l’exigence d’un acte notarié. Mais, de manière sousjacente, l’arrêt interpelle sur certaines questions. D’un point de vue de pure technique juridique, une distinction nette suivant la nature des actes intervenus entre les parties n’a pas été clairement faite au regard des dispositions visées. La Cour n’a pas fait le départ, ni affirmé clairement l’assimilation entre la promesse visée par l’article 382 et « le contrat » auquel se réfère l’article 383. La promesse de vente -et au-delà d’elle, les avant-contrats- est-elle visée sous ce vocable « contrat » ou est-ce seulement la vente définitive qui est visée ? D’un point de vue de politique juridique, la nature des intérêts en cause dans les transactions en matière immobilière doit être définie. De telles opérations concernent-elles la protection des parties ou de la société, d’intérêts particuliers ou de l’intérêt général ? Dans certains systèmes juridiques, la promesse synallagmatique de vente (ou la vente), même portant sur un immeuble, peut être passée
op. cit. Dans le même sens, CS, civ. et com., 05 déc. 2007, arrêt n° 121, Amadou Lamine Kébé c/Mayoro Mbaye, Bull n° 15, année judiciaire 2006-2007 : « … tant la promesse de vente que le contrat définitif ayant pour objet la vente d’un immeuble immatriculé au livre foncier doivent être établis obligatoirement par un notaire ». Et, plus récemment, CS, civ. et com. n° 63 du 18 nov. 2009, Nasrallah c/S.C.I. Padrino. 33 La loi organique n° 2008-35 du 7 août 2008 a institué, à nouveau, une Cour suprême, au Sénégal, qui a repris les compétences de la Cour de cassation, notamment, en matière civile et commerciale. La Cour de cassation avait été instituée, en même temps qu’un Conseil constitutionnel et un Conseil d’Etat, en remplacement de l’ancienne Cour suprême, par la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992. Aussi, l’expression « Cour suprême du Sénégal » (et l’abréviation « CS ») sera-t-elle utilisée pour désigner, indistinctement, les arrêts rendus par la Cour de cassation sénégalaise et la Cour suprême du Sénégal qui se sont succédés, notamment, en matière civile et commerciale. L’expression « Cour de cassation » (et l’abréviation « cass. ») désignera la Cour de cassation française, afin d’éviter les équivoques. 34 Cf. infra : n° 33. - s. 35 La question est d’autant plus importante dans le contexte du Sénégal. En effet, si dans le contexte français, « en matière civile, la vente d’immeuble est presque toujours établie par acte authentique, le plus souvent notarié » (Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Paris, Defrénois, 2003, n° 156), au Sénégal, le recours à l’écrit et, particulièrement, à l’écrit authentique est loin d’être systématique.
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par acte sous seings privés sans que sa validité ne soit remise en cause par ce seul fait36. Dans ce cas, la portée de la promesse est déterminée par les stipulations des parties. Celles-ci peuvent ainsi différer la seule prise d’effets de la vente jusqu’à l’accomplissement de certaines formalités, auquel cas, la promesse synallagmatique de vente vaut vente37. Mais elles peuvent également prévoir que la formation de la vente est subordonnée à la signature d’un acte authentique dans un certain délai. Dans ce dernier cas, la promesse ne vaut pas vente38. Elle s’analyse en un simple projet non obligatoire que certains qualifient, de manière discutable, de vente sous condition suspensive9. 4. Au Sénégal, la Haute juridiction reste constante en matière d’encadrement des opérations immobilières par le formalisme d’authenticité. Sur le fondement discutable des dispositions d’ordre public du Code des obligations civiles et commerciales (COCC), elle consacre, en effet, l’exigence d’un formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés (I). Faut-il y voir une manifestation du renouveau du formalisme en matière contractuelle ? Ce formalisme des contrats relatifs aux droits réels immobiliers irait dans le même sens que les nouvelles tendances vers un formalisme informatif protecteur39. Celui-ci est sanctionné, le plus souvent, sévèrement40, par la jurisprudence. Ou alors, est-ce la marque de lourdeurs mal fondées qui freinent ou ralentissent inutilement les opérations immobilières ? Quel que soit le point de vue adopté, le développement de ce formalisme de validité marque un recul supplémentaire du consensualisme ou liberté des formes contractuelles41. La justification réside, selon la décision d’espèce, dans l’ordre public, c’est-à-dire, des impératifs liés à la protection des parties, des tiers et de la société, en général. Partant, la Cour a apporté une précision quant à la sanction des actes sous seings privés portant sur un immeuble immatriculé (II).
I. LE FORMALISME DES CONTRATS RELATIFS AUX IMMEUBLES IMMATRICULÉS
5. Suivant l’arrêt de la chambre civile et commerciale, les actes juridiques litigieux devaient faire l’objet d’un acte passé par devant notaire. Afin de préciser la base juridique de cette exigence, la Cour se réfère à des dispositions d’ordre public comme fondement textuel du formalisme (A). Dans le même temps, elle détermine l’expression de ce formalisme (B). A. LE FONDEMENT TEXTUEL DU FORMALISME
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Ainsi, en droit français, la forme notariée n’est pas exigée pour la validité mais seulement pour la publicité de l’acte de vente immobilière classique (la règle, qui vaut pour la vente finale, l’est a fortiori pour les avantcontrats de vente). Il résulte, en revanche, des dispositions de l’article L. 261-11 du CCH que le contrat de vente d’immeubles à construire doit, s’il porte sur un immeuble ou une partie d’immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, être nécessairement passé par acte notarié à peine de nullité ; et une règle analogue est prévue par l’article L. 262-4 à propos de la vente d’immeubles à rénover. 37 Par exemple, si les parties prévoient que le transfert de propriété du bien immobilier ne se produira qu’au jour de la signature de l’acte notarié, on parle de clause de réitération ou de régularisation. Cette clause est valable et s’explique, le plus souvent, par le fait que le paiement du prix se fera le jour de la signature de l’acte authentique entre les mains du notaire rédacteur. Dans ce cas, selon la Cour de cassation française, le contrat étant supposé d’ores et déjà formé, le refus de l’une des parties de se prêter à la formalité requise l’expose à des sanctions dont l’exécution forcée (le cas échéant, un jugement pourra tenir d’acte authentique de vente) : Cass. 3e civ. 20 déc. 1994, n° 92-20878, Bull. civ. III, n° 229, p. 148 ; JCP G, 1995, p. 353, note Chr. Larroumet ; JCP N, 1996, p. 501, note D. Mainguy. 38 Cf. La vente d’immeuble. Sécurité et transparence, 99e Congrès des notaires de France, Deauville, 25-28 mai 2003, Paris, Ed. Exposition, 2003, p. 389. 9 Cette qualification est contestable dans la mesure où, d’une part, le consentement ne peut faire l’objet d’une condition et, d’autre part, une telle condition serait purement potestative et, pour cette raison, frappée de nullité. 39 G. Couturier, « Les finalités et les sanctions du formalisme », in n° spécial, J. Flour – Le formalisme, Defrénois 15-30 août 2000, n° 15-16. 40 Magnier, « Les sanctions du formalisme informatif », JCP 2004, I, 106. 41 J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4e éd. 2003, n° 87 : « le consensualisme est estompé par une renaissance du formalisme ».
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6. Pour asseoir l’exigence de formalisme des contrats relatifs aux droits réels immobiliers, l’arrêt se fonde sur les dispositions combinées des articles 258, 323, 382 et 383 du COCC. L’ensemble de ces dispositions serait d’ordre public et constitue, selon la Cour, la base légale du formalisme exigé. Toutefois, si les textes d’ordre public des articles 258, 382 et 383 du COCC peuvent constituer le siège, le fondement, certes discutable, du formalisme des contrats relatifs aux droits réels immobiliers (1), la référence, par la Cour, à l’article 323, consacré à la promesse de contrat consensuel, est plus contestable et rend ce fondement inopportun (2).
1) Le fondement discutable du formalisme
7.
La situation des textes visés en l’espèce dans le Code est primordiale pour l’intelligence de l’arrêt. Ainsi, l’article 258 du COCC consacre le caractère d’ordre public des dispositions relatives, notamment, aux contrats relatifs aux immeubles immatriculés42. Il fait partie des dispositions du titre préliminaire de la deuxième partie du Code traitant des contrats spéciaux43. Toutefois, force est de reconnaître qu’il ne suffit pas, comme le fait la Cour, de constater le caractère d’ordre public des dispositions visées pour caractériser le fondement du formalisme de la promesse ou du mandat. Un examen minutieux de ces textes et de leur situation dans le COCC permet d’apporter de sérieuses réserves sur la justesse de la référence.
8.
L’article 382 est consacré à la promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble immatriculé. Il dispose que « l’acte par lequel les parties s’engagent, l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse synallagmatique de contrat »44. L’acte ainsi défini « oblige l’une et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière »45. Mais pour produire des effets, la promesse synallagmatique de contrat doit-elle respecter la condition inscrite à l’article 383 ? Celui-ci, introduit par la loi n° 85-37 du 23 juillet 1985, dispose que « le contrat doit, à peine de nullité, être passé devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires »46. Le champ d’application de ce dernier texte pourrait faire débat du fait de l’usage du terme « le contrat » par le législateur.
9.
Une première lecture, privilégiée par la Cour, suggère que « le contrat » visé est entendu au sens large englobant l’« avant-contrat » dont traite l’article 382 du COCC47. C’est ainsi que l’on peut expliquer que la décision de la Cour se réfère expressément à « la vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble
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Ainsi, après avoir précisé que les dispositions de la deuxième partie du Code sont supplétives de volonté, le législateur affirme, dans le second alinéa de l’article 258 que, « ne tolèrent pas la convention contraire, les règles concernant les contrats portant sur les immeubles immatriculés et le fonds de commerce, les baux à usage d’habitation ou à usage commercial, l’assurance ainsi que toute disposition particulière expressément déclarée d’ordre public ». 43 Loi n° 66-70 du 13 juillet 1962, entrée en vigueur le 1er janvier 1967, plusieurs fois modifiée, notamment par la loi n° 85-37 du 23 juillet 1985 et par la loi n° 98-21 du 26 mars 1998 abrogeant les dispositions modifiées et remplacées par celles de l’OHADA. Dans le livre premier consacré aux contrats translatifs de propriété, quatre chapitres sont dédiés successivement à la vente, aux autres contrats translatifs, aux contrats relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés et à la vente de fonds de commerce. Les articles 382 et 383 du COCC, logés dans le chapitre consacré aux contrats relatifs aux droits réels immobiliers sont donc indiscutablement d’ordre public. 44 Art. 382 al. 1. 45 Art. 382 al. 2. 46 Ce texte peut être rapproché de l’article L. 261-11 du Code français de la construction et de l’habitation qui exige que le contrat de vente d’immeuble à construire, lorsque celui-ci doit être à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, soit passé par acte notarié. Le formalisme est alors distinct de celui de l’article L. 222-3 du CCH qui exige, à peine de nullité, que le contrat de promotion immobilière portant sur un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation soit constaté par un écrit contenant certaines mentions. 47 Cette analyse est partagée en droit sénégalais. Cf. notamment, A. Faye, « Le transfert de propriété dans la vente de l’immeuble en droit sénégalais », PUSS, Droit sénégalais, n° 8/2009.
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immatriculé ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes ». Cette conception large pourrait apparaître comme conforme à l’architecture du code qui insère l’article 383 parmi les règles générales applicables « aux contrats relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés ». Alors, la référence « aux contrats » justifierait de ne pas cantonner la règle de l’article 383 à la seule vente définitive. Sous cet angle, la position de la Cour respecte la nature juridique de la promesse synallagmatique ainsi que du mandat. La promesse synallagmatique de vente s’analyse, en effet, comme un contrat par lequel les parties s’obligent mutuellement, l’une à vendre, l’autre à acheter un bien déterminé à un prix fixé. De même, le mandat, qu’il soit bénévole ou salarié, nécessite un accord de volontés entre le mandant et le mandataire. Il fait naître au moins une obligation, à la charge du mandataire, de réaliser des actes déterminés, à titre indépendant, pour le compte du mandant.
10.
Mais cette position de la Cour respecte-t-elle l’esprit des dispositions visées ? On peut en douter avec raison. En effet, une deuxième lecture de ces textes incline à limiter l’exigence d’un acte notarié au seul contrat final de vente d’immeuble. Vraisemblablement, le terme « le contrat », inscrit à l’article 383 du COCC, vise le contrat de vente définitive. Or, la promesse de contrat, en matière de vente d’immeuble, se distingue du contrat définitif. Si, en vertu de l’article 323 du COCC, la promesse synallagmatique de vente vaut vente, c’est à la condition expresse que le contrat puisse être passé librement. Il en est autrement en matière immobilière où l’article 383 prescrit un formalisme obligatoire. La réglementation y est donc dérogatoire par rapport au consensualisme de la vente en droit civil sénégalais. La promesse synallagmatique de vente, dont le législateur a pris soin de définir le régime juridique (définition et effets) dans l’article 382 présente une autonomie certaine par rapport à un contrat définitif qui, indubitablement, est formaliste. On peut donc raisonnablement considérer que si l’article 383 a consacré un formalisme à un « contrat », il s’agit bien du contrat de vente définitive. Le principe d’une interprétation stricte des exceptions milite en ce sens. Le législateur l’aurait certainement précisé sans équivoque dans l’article 382 qui est consacré à cet avant-contrat s’il avait entendu exiger le même formalisme pour la promesse. Celle-ci devrait donc être valable lorsqu’elle est passée sous seings privés. Toutefois, ce n’est pas la position adoptée par la Cour suprême qui a écarté cet entendement strict de l’article 383 par un raisonnement qui ne semble pas exact, ni bien fondé.
11.
Obéissant à une politique jurisprudentielle orientée vers le contrôle des transactions immobilières, l’arrêt de la Cour suprême est fondé sur une interprétation large mais contestable de l’article 383 du COCC. Au demeurant, en suivant la logique empruntée par la Cour, les dispositions d’ordre public de ce texte, combinées à celles des articles 258 et 382 se seraient suffi à elles-mêmes pour servir de base légale à l’exigence de formalisme. C’est pourquoi la référence à l’article 323 du COCC peut paraître inopportune, voire contradictoire.
2) Le fondement inopportun du formalisme
12.
La Cour suprême se réfère à l’article 323 du COCC. Aux termes de ce texte, « la promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être passé librement. Dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation ». L’arrêt renvoie à ce texte comme à une disposition d’ordre public servant de base légale à l’exigence du formalisme prescrit à propos des actes portant sur des immeubles immatriculés. Or, un tel renvoi est très discutable. Il révèle une certaine contradiction dans la détermination des bases légales du formalisme. 13. D’abord, la référence manque d’exactitude car le texte de l’article 323 du COCC n’est pas d’ordre public. Il ne relève pas des matières considérées par l’article 258 alinéa 2 comme faisant l’objet de dispositions d’ordre public. Il est plutôt soumis au principe posé par le premier alinéa de cet article. Suivant ce principe, « les dispositions de la deuxième partie du COCC sont supplétives de la volonté des contractants ». L’article 323 fait partie des dispositions consacrées aux modalités de la vente. Il pose donc une règle dispositive à laquelle la Cour renvoie, sans raison, comme à une règle d’ordre public.
14.
Ensuite, une telle référence est de nature à jeter le trouble dans la mesure où il s’évince de ce texte que la promesse synallagmatique de vente, par laquelle les parties s’accordent mutuellement, l’une pour vendre, l’autre pour acheter une chose déterminée pour un prix fixé48, est une vente parfaite lorsque le contrat est
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A l’opposé, dans la promesse unilatérale de vente ou d’achat, seul le promettant s’engage à vendre ou acheter tel objet à tel prix. Le bénéficiaire qui accepte la promesse, bénéficie d’une option qu’il lui est loisible de lever dans un délai déterminé pour conclure le contrat promis. V. art. 324 s. (promesse unilatérale de vente) et 327 s (promesse unilatérale d’achat) du COCC.
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consensuel. Sinon, elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation49. La solution induite par l’article 323 prend le contrepied de celle qui découle de la position de la Cour. Elle obligerait les parties à un contrat portant sur un droit réel immobilier à le parfaire en accomplissant les formalités nécessaires à sa formation. Des dispositions supplétives de volontés, consacrées à la vente, en général, ne devraient pas, selon la solution de l’espèce, pouvoir faire échec à l’application de règles d’ordre public consacrées spécialement aux contrats portant sur des immeubles immatriculés. L’opportunité d’inclure l’article 323 du COCC parmi les bases légales de l’exigence de formalisme est donc très discutable. Et ce texte est d’ailleurs souvent brandi afin de justifier la solution contraire50 permettant de conclure à la validité de la promesse de vente sous seings privés.
15.
Une référence à l’article 322 du COCC aurait été plus compréhensible de la part de la Cour suprême. Ce texte consacre une définition de la promesse synallagmatique de vente plus précise que celle de l’article 382, alinéa 1. Il met l’accent sur les éléments essentiels sur lesquels porte l’accord des parties : « une chose déterminée » et « un prix fixé ». Il aurait donc été parfaitement complémentaire avec les dispositions des articles 382 et 383 qui, dans l’esprit de cet arrêt, déterminent la manifestation du formalisme.
B. L’EXPRESSION DU FORMALISME 16. L’arrêt apporte deux précisions concernant la position de la Cour sur la manifestation du formalisme dans les actes relatifs aux droits réels portant sur les immeubles immatriculés. D’une part, il s’agit d’un écrit ad solemnitatem51 (1) qui fait échec au principe du consensualisme. D’autre part, c’est un écrit authentique (2) qui repose en principe sur l’établissement d’un acte notarié.
1) L’exigence d’un écrit ad solemnitatem
17.
Les conventions litigieuses auraient dû, selon les termes de l’arrêt, « être passées par devant notaire ». Ainsi, le formalisme exigé par la Cour affecte la validité de la vente, de la promesse ou du mandat consenti pour passer de tels actes. A ce titre, il fait véritablement exception au consensualisme qui trouve son siège, en droit sénégalais, à l’article 41 du COCC. Ce principe qui gouverne la matière des contrats signifie que ceux-ci peuvent être passés librement, leur validité se suffisant de l’échange des consentements. Les parties expriment leur consentement de quelque manière que ce soit, à condition que la manifestation de volonté ne laisse aucun doute sur leur intention52. L’exigence d’un écrit ou d’autres formalités pour la validité d’une convention relève donc d’une exception qui doit être prescrite par une disposition particulière. Selon la Cour suprême, la conclusion des actes relatifs à un immeuble immatriculé, notamment d’une promesse, compte parmi les exceptions au consensualisme, même si cela ne résulte pas, de manière univoque, de la loi. Le formalisme réside donc dans la rédaction d’un écrit53ad solemnitatem54. Si l’écrit n’est pas défini par le législateur sénégalais, il est admis qu’il résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible55. En principe, le support sur lequel est établi l’écrit est indifférent quant à sa valeur juridique. En effet, la loi 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques (LTE) prévoit que « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi
18.
49
Art. 323 du COCC. Cf. en ce sens, CA Dakar, n° 339 du 4 juil. 2002. Décision censurée par CS, civ. et com., 05 déc. 2007, arrêt n° 121, op. cit. 51 On parle de formalisme ad solemnitatem si la nullité est absolue et de formalisme ad validitatem si la nullité est relative (V. J.-L. Bergel, Méthodologie juridique, Dalloz, 3e éd., p. 65). 52 Article 60 du COCC. 53 Le formalisme de validité peut également résider dans la remise d’une chose, dans les contrats dits « réels ». 54 L’acte juridique qui est frappé d’un tel formalisme est un acte juridique solennel. Cf. Guerriero, L’acte juridique solennel, th. Toulouse, 1975, préf. Vidal. 55 Définition consacrée par l’article 1316 du Code civil français issu de la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000, JORF 14 mars 2000. 50
30
et conservé sous forme électronique… »56. Il n’en est autrement que pour, d’une part, les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des successions et, d’autre part, les actes sous seing privé relatifs à des sûretés souscrites pour des besoins non professionnels57. La promesse de vente d’immeuble n’échapperait donc pas à la règle de l’équivalence fonctionnelle des écrits sur support papier et électronique.
19.
L’écrit prescrit, selon l’arrêt d’espèce, pour la promesse de vente d’immeuble se distingue de l’écrit exigé à titre de simple condition de preuve. La violation d’un tel formalisme affecte l’efficacité de l’acte en cas de contestation. Ses effets sont alors simplement paralysés. C’est le cas, en droit civil, pour les actes juridiques dont le montant dépasse le seuil fixé par la loi58. Mais le formalisme consacré aux contrats portant sur des droits réels immobiliers est-il simplement de validité ou permet-il également de remplir une fonction de publicité ? D’une part, pour ce qui est de l’acte notarié, on peut considérer, comme en matière de droit de la famille, que « la forme assume une fonction sociale… elle fait connaître l’acte privé. Elle lui donne la publicité»59. D’autre part, en plus d’être passé par devant notaire, l’acte constitutif ou translatif de droit réel immobilier doit faire l’objet d’une inscription au titre foncier. Mais est-ce un acte de formation ou d’exécution du contrat translatif de droit réel ? En vertu de l’article 381 du COCC, « l’acquisition du droit réel résulte de la mention au titre foncier du nom du nouveau titulaire du droit ». En droit sénégalais, le transfert de propriété ne s’opère pas solo consensu60. C’est plutôt par l’exécution de l’obligation de délivrance que se réalise le transfert de la propriété de la chose à l’acquéreur61. S’agissant de la vente d’immeuble, la délivrance est faite par la réalisation des formalités de publicité exigées par les dispositions particulières à la propriété foncière et l’établissement du titre foncier au nom de l’acheteur62. L’acte translatif de droit réel fait ainsi l’objet d’un formalisme de validité, un écrit ad solemnitatem, mais également de publicité, qui permet d’assurer l’exécution de l’obligation de délivrance.
20.
Mais sur la question de savoir si l’écrit exigé pour la validité de l’acte peut être sous seings privés, la juridiction suprême n’a pas jugé dans le même sens que la Cour d’appel. Cette dernière, malgré l’absence d’un acte authentique, avait admis la validité de la promesse et prescrit la perfection de l’acte63. La confirmation de la perfection de la vente avait été obtenue sans que la Cour d’appel ne se prononçât directement sur la validité de la promesse en elle-même. Ce n’est que par un raisonnement déductif que l’on pouvait conclure que la Cour d’appel a affirmé la validité de la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé. Une position plus claire aurait été bienvenue sur la qualification de la promesse synallagmatique de vente d’immeuble immatriculé. L’importance de la question soulevée militait en cette faveur, du fait des enjeux liés à la précision de la valeur et du régime juridiques de la promesse de contrat en matière immobilière. Or, c’est le principe même de la validité de la promesse de vente d’immeuble sous seings privés qui est rejeté par la Cour suprême. Le fait que celle-ci exige qu’elle résulte d’un acte authentique imprime à la promesse un caractère solennel. Le formalisme prescrit est un acte authentique.
2) L’exigence d’un acte authentique
56
Article 19 LTE. Il convient également de noter que le règlement 15-2002 du Conseil des Ministre de l’UEMOA prévoit la même règle de l’équivalence fonctionnelle entre le papier et l’électronique. Le principe est posé par les articles 18 et 19 du Règlement n° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) adopté le 16 septembre 2002 à Cotonou (Bénin). Toutefois, le champ d’application du Règlement est circonscrit aux transactions bancaires et financières et aux opérations effectuées dans tous les systèmes de paiement (article 17 du Règlement). Autrement dit, la preuve électronique dont il s’agit dans ce texte ne concerne que ces opérations-là. 57 Article 20 LTE. 58 Ce montant est fixé à 20 000 FCFA, soit environ 30,48 euros. 59 G. Cornu, L’art du droit en quête de sagesse, Paris, PUF, « Doctrine juridique », 1998, p. 151. 60 V. article 276 du COCC. 61 Cf. article 276, al. 3 du COCC. 62 Cf. article 277, al. 2 du COCC. L’inscription est soumise aux dispositions des articles 130 et suivants du décret juillet 1932, JO Afrique occidentale française du 22 avril 1933, p. 426 s. 63 CA Dakar, arrêt n° 657 du 17 décembre 2004, inédit.
31
21.
La Cour considère que la promesse de vente d’immeuble immatriculé, comme les autres actes portant sur les droits réels immobiliers, doit être passée par devant notaire64. Cette exigence d’un acte notarié fait de la promesse un contrat solennel au sens strict du terme65. La solennité réside dans l’intervention du notaire qui établit l’acte. Il s’agit d’un « rite d’écriture »66 qui révèle, aux yeux des parties, l’importance de l’acte. Ce rite fait des actes dont il célèbre l’existence « des actes ostensibles, de grands piliers dressés pour être vus »67. Si l’acte est établi par voie électronique, le rite de l’intervention du notaire prend la forme d’une signature électronique qui « confère l’authenticité à l’acte »68. Toutefois, si l’acte authentique en question est en principe un acte notarié, celui-ci peut, dans certains cas, être suppléé par un acte équivalent.
L’acte notarié n’est pas le seul acte authentique. L’authenticité69 de l’acte peut provenir de l’intervention d’autres dépositaires du sceau public. D’ailleurs, c’est l’intervention d’un officier public qui permet d’opérer la traditionnelle distinction entre l’acte authentique et l’acte sous seings privés. Toutefois, concernant le contrat relatif aux droits réels immobiliers, l’article 383 du COCC impose qu’il soit passé « par devant un notaire territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ». Il faut se garder d’en conclure que seule l’intervention du notaire permet de satisfaire au formalisme prescrit pour la validité de telles conventions, à l’exclusion de celle de tout autre dépositaire du sceau public. D’autres titulaires de l’office public ont reçu le « pouvoir de communiquer l’authenticité aux actes qu’ils reçoivent »70.
22.
23.
Il arrive que la transaction portant sur un droit réel immobilier soit consacrée par une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée. C’est le cas, notamment, lorsqu’une vente est opérée au terme d’une procédure judiciaire d’adjudication. De tels actes peuvent dispenser d’un acte notarié et être admis comme des actes authentiques équivalents. L’exigence d’authenticité ne confine donc pas aux seuls actes notariés. Qu’en serait-il de ce qu’il est convenu d’appeler « acte sous signature juridique » ? Est ainsi désigné l’acte conclu devant un « professionnel du droit soumis à un statut contraignant et à un contrôle rigoureux »71 destiné à la protection des usagers du droit ou l’acte rédigé par un tel professionnel. L’acte ainsi visé aurait une force probante renforcée car faisant foi quant à son origine et son contenu, ayant date certaine et n’étant pas soumis à la formalité dite du double. Mais il ne serait pas revêtu de la force exécutoire72. Ce formalisme pourrait, s’il était consacré, perturber la conception bipartite de la forme littérale des actes juridiques au Sénégal et dans les pays attachés à la tradition civiliste. En France, une certaine doctrine appelle de ses vœux ce troisième type d’acte littéral44. Mais en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour suprême sénégalaise, un acte sous signature juridique subirait le même sort qu’un acte sous signatures privées s’il portait sur un immeuble immatriculé. Il serait frappé de nullité absolue, comme la Haute juridiction sénégalaise l’a rappelé dans cette affaire. II. LA SANCTION DES ACTES SOUS SEINGS PRIVÉS PORTANT SUR UN IMMEUBLE IMMATRICULÉ
64
Cf. les décisions déjà citées de la chambre civile et commerciale : 16 janvier 2008, arrêt n° 21, op. cit. ; 05 déc. 2007, arrêt n° 121, op. cit. 65 On peut avoir une perception plus ou moins large de la notion de contrat solennel. De manière large, le caractère solennel vise les actes dans lesquels un formalisme autre que la remise d’une chose est prescrit (actes authentiques ou sous seings privés). De manière plus étroite, ce caractère est réservé aux actes dans lesquels le formalisme exigé confère l’authenticité à un acte (acte authentique). 66 J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, les obligations, Paris, PUF, « Quadrige », 1ère éd. 2004, n° 1005. 67 G. Cornu, op. cit., p. 149. 68 Article 41, al. 1 LTE. Pour une analyse doctrinale de l’acte authentique électronique, cf. M. Grimaldi et B. Reynis, « L’acte authentique électronique», Defrénois2003, art. 37798, p. 1023 s. ; A. Raynouard, « Sur une notion ancienne de l’authenticité : l’apport de l’électronique », Defrénois2003, art. 37806, p. 1117 s. 69 Cf. sur la notion d’authenticité, A. Lapeyre, « L’authenticité », JCP G, 1970, I, 2365 n° 14 ; J. Flour, « Sur une notion nouvelle de l’authenticité », Defrénois1972, art. 30159, p. 977 s. ; Ph. Malaurie, « L’authenticité », Les éditions du CRIDON, Paris, intervention du 4 avril 2001 ; D. Froger, « Contribution notariale à la définition de la notion d’authenticité », Defrénois 2004, art. 37873, p. 173 s. 70 G. Cornu, op. cit., p. 149. Cf. sur les différentes catégories d’actes authentiques, D. Froger, op. cit., p. 173 s. 71 En France, « cette catégorie comprendrait les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, les avocats inscrits à un barreau français, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs » : F. G’Sell-Macrez, « Justification et régime de l’acte sous signature juridique », Gaz. Pal. 14 oct. 2008, n° 288, p. 12. 72 F. G’Sell-Macrez, op. cit. p. 12. 44Idem.
32
24. Suivant la solution consacrée par la Cour suprême dans la décision d’espèce, la nullité qui sanctionne les actes sous seings privés relatifs aux immeubles immatriculés est absolue. Mais audelà de la consécration de la nullité absolue (A), cet arrêt apporte une précision. La nullité est encourue non seulement par la vente et la promesse de vente, mais également par le mandat les concernant. L’étendue de la nullité (B) couvre donc d’autres contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers que la seule vente. A. LA CONSÉCRATION DE LA NULLITÉ ABSOLUE 25. L’arrêt précise, se fondant sur les dispositions de l’article 383 du COCC, que la nullité d’un acte sous seings privés portant sur un droit réel immobilier présente un caractère absolu. Les intérêts en jeu dans les transactions immobilières concernées (1) justifient-ils la radicalité de la sanction (2) ? 1) La nature des intérêts protégés
26.
La nature de la nullité dépend de l’objet des règles juridiques qui ont été violées. Si celles-ci ne sont pas simplement destinées à la protection de l’une des parties, d’un intérêt particulier, mais manifestent plutôt l’attention que la société porte à l’acte envisagé du fait de l’intérêt général qui est en cause, la sanction encourue est la nullité absolue. La Cour suprême constate et affirme que les dispositions en cause sont d’ordre public. Mais celui-ci est protéiforme. Il est possible, entre autres distinctions, que l’ordre public en cause qui est textuel et non virtuel73, soit de protection, par opposition à l’ordre public de direction.
27.
L’analyse stricte de l’article 258 du COCC consacrant le caractère d’ordre public des dispositions consacrées aux conventions relatives aux droits réels portant sur des immeubles immatriculés ne suffit pas à déterminer la nature exacte des intérêts protégés. Même l’appréciation, d’un point de vue de pur droit positif, des dispositions consacrées comme d’ordre public n’y suffirait pas. C’est, au-delà du texte lui-même, les orientations de politique juridique qu’il consacre qui permettent de répondre à la question de la nature des intérêts protégés par ces dispositions d’ordre public. Or, il est certain que toute disposition juridique, même visant à protéger des particuliers, parties ou tiers, recèle nécessairement une part d’intérêt général, la société accordant à cette protection d’intérêts privés une certaine attention qui manifeste l’intérêt général. Les notions d’intérêt74 privé ou d’intérêt général sont à contenu variable75, ce qui rend difficile leur caractérisation.
28.
Néanmoins, dans certaines matières, la prégnance de la volonté de l’autorité publique de contrôler la validité des actes juridiques par la prescription d’un formalisme strict, d’une constatation officielle de l’acte, est révélatrice de l’implication de l’intérêt général. Il en est ainsi, notamment, des actes relatifs au droit des personnes et de la famille ou de certains contrats pécuniaires76 comme les contrats portant sur les immeubles immatriculés. La vente d’immeuble immatriculé n’échappe donc pas à la volonté de contrôle de la régularité de certains actes juridiques du fait des intérêts en cause. Il est possible d’y voir une « volonté de contrôler les transactions immobilières »77 qui sont parfois complexes. Certes, ce contrôle peut être mû par le souci de protéger la volonté des parties ou de l’une d’elles. Ainsi, en vertu de son devoir de conseil, l’officier public serait tenu d’apporter à ses clients un éclairage utile sur la portée de leurs engagements. La constatation officielle de l’acte et de sa date pourrait également être protectrice des tiers qui sont ainsi à l’abri de fraudes dont ils pourraient être victimes78. A l’égard de toutes ces personnes la forme est « facteur de réflexion […], stimule,
73
V. sur cette distinction, J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, les obligations, Paris, PUF, « Quadrige », n° 984. 74 Cf. sur cette notion d’intérêt en droit, Ph. Gérard, F. Ost, M. Van de Kerchove (dir.), Droit et intérêt, Publications des Facultés universitaires SaintLouis, Bruxelles, 1990. 75 Sur ces notions, cf. Ch. Perelman, R. Vander Elst, Les notions à contenu variable en droit, Bruxelles, Bruylant, 1984. 76 J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil. Les obligations, vol. 1 L’acte juridique, Paris, Sirey, 12e éd. 2006, n° 306. 77 A. Cissé, op. cit., p. 74. Ainsi, dans le domaine des contrats immobiliers, le formalisme est devenu la règle du fait de « l’adéquation des vertus informatives de la confection d’un écrit au souci croissant d’un consentement mieux éclairé » : J.-L. Aubert, F. C. Dutilleul, Le contrat, Paris, Dalloz, « Connaissance du droit », 4e éd. 2010, p. 88. 78 Cf. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, op. cit., n° 306. 51 G. Cornu, op. cit., p. 151.
33
suscite, provoque, alerte, avertit, met en garde [et] lorsque le fond sommeille, elle réveille »51 ! Mais dans le même temps, elle consacre la perfection de l’opération et révèle, comme en l’espèce, une cinquième condition essentielle à la validité des conventions portant sur les droits réels immobiliers. La forme « donne l’être »79 à la vente. La Cour a, sur la base d’un fondement et d’une motivation contestables, étendu cette vérité à la promesse de vente ainsi qu’aux autres contrats afférents à des immeubles immatriculés. Dans cet esprit, la nullité encourue par une opération passée en violation d’une telle condition ne pouvait être qu’absolue53. La sanction est radicale. 2) La radicalité de la sanction
29.
Le caractère absolu de la nullité encourue est affirmé expressément par le législateur concernant le contrat de vente. La Cour suprême l’a étendu à la promesse et au mandat. Cette nullité, tout comme la nullité relative, prive de tout effet l’acte qui en est affecté. Le contrat concerné est censé n’avoir jamais existé. Aucune portée juridique n’est donc reconnue à l’acte sous seings privés qui constitue ou transfère un droit réel portant sur un immeuble immatriculé. La protection des parties et le contrôle des transactions immobilières sont donc privilégiés par rapport au respect de la parole donnée qui fonde la force obligatoire des conventions. On peut comprendre aisément que le souci de contrôle des opérations immobilières puisse justifier que la vente soit soumise à un formalisme rigoureux sanctionné par la nullité absolue. Une telle rigueur est-elle nécessaire, s’agissant des actes préparatoires à la vente immobilière ?
30.
La position de la Cour peut être à l’origine de certaines difficultés. D’abord, les actes préparatoires perdent de leur utilité s’ils doivent être passés dans les mêmes formes que la vente. La promesse permet souvent de consigner les engagements des parties en attendant de pouvoir passer l’acte définitif dans les formes requises. En sus, la privation de tels actes de tout effet lorsqu’ils sont passés sous seings privés remet en cause la sécurité des transactions en fragilisant la force obligatoire des conventions. Il devient plus facile de se délier d’un engagement pris dans le cadre d’une promesse de vente d’immeuble au motif que la promesse ou la procuration établie en vue de la conclure n’a pas été faite par devant notaire. Au surplus, le fait qu’ils soient établis par acte sous seings privés ne dispenserait pas les parties de parfaire la vente. Celles-ci seraient obligées de conclure le contrat définitif par acte notarié, puis d’accomplir les formalités requises, conformément aux dispositions des articles 383 et suivants du COCC. Le contrôle des opérations immobilières serait ainsi maintenu sur le contrat définitif de vente. La protection des parties par un acte notarié serait pourvue efficacement au moment de la perfection de la vente. Or, ce n’est pas le cas en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour suprême80. On peut craindre certaines lourdeurs lorsque les actes préparatoires sont passés par acte notarié. Les parties seraient obligées de repasser devant le notaire à plusieurs reprises pour une même opération. Outre les coûts importants que cela entraîne, ce formalisme paraît excessif en termes de délais. A moins que l’on considère que le respect du formalisme pour la promesse dispense les parties de repasser par devant notaire. La promesse, lorsqu’elle est passée dans les formes prescrites par l’article 383, vaudrait alors vente. Elle obligerait les parties à, directement, « procéder à l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière »81. Une telle interprétation de ce texte serait très hardie si elle ne relève pas, simplement, de l’aventure. Elle ne ressort d’ailleurs nullement des termes de l’arrêt d’espèce.
31.
32.
Par contre, il s’en déduit que l’absence d’acte notarié rend les actes préparatoires de nul effet. Aucun engagement contractuel ne peut résulter d’une promesse sous seings privés. L’action en nullité contre une telle promesse peut être initiée par les parties, mais aussi par le ministère public. Le juge peut également soulever d’office la nullité absolue d’un contrat portant sur un droit réel immobilier passé sous seings privés. L’initiative est élargie afin d’augmenter les chances d’éradiquer de tels actes considérés comme contraires à l’intérêt général. La nullité s’impose au juge qui ne peut, comme l’a fait la Cour d’appel, reconnaître aucun effet à l’acte conclu en violation du formalisme. Les parties ne peuvent pas non plus maintenir l’acte dans la vie juridique en le confirmant. Et le périmètre de la nullité s’étend, selon la Cour suprême, à tous les contrats relatifs à des droits réels portant sur des immeubles immatriculés.
79
J. Carbonnier, op. cit., n° 1004. 53 Idem. Cf. notamment, CS, civ. et com., 16 janvier 2008, arrêt n° 21, op. cit. ; 05 déc. 2007, arrêt n° 121, op. cit. 81 Article 382, alinéa 2, du COCC. 80
34
B. L’ÉTENDUE DE LA NULLITÉ ENCOURUE 33. En précisant que la vente, la promesse et le mandat portant sur ces contrats sont tous soumis au formalisme consacré, la Cour suprême donne une large portée au formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés. La nullité absolue est encourue par les actes sous seings privés qui constatent des contrats translatifs de droits réels immobiliers (1) ou des contrats préparatoires à de telles conventions (2).
1) Les contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers
34.
Il ressort de l’article 383 du COCC que la vente d’un immeuble immatriculé doit faire l’objet d’un acte notarié. Il en est ainsi car la vente constitue un acte translatif de propriété par excellence. Interprétant ce texte de manière large, la Cour affirme que d’autres actes translatifs de propriété devraient être soumis au formalisme de validité consacré.
35.
A l’examen, deux critères semblent découler des dispositions des articles 379 et suivants du COCC consacrées aux contrats relatifs aux droits réels immobiliers. D’une part, il faut que l’acte soit qualifié de contrat, c’est-à-dire, qu’il puisse être considéré comme un accord de volontés générateur d’obligations82. Ce premier critère permet d’écarter les actes juridiques unilatéraux du champ du formalisme des actes relatifs aux droits réels immobiliers. Contrairement au contrat, ils émanent de la manifestation d’une volonté solitaire et peuvent, au-delà de l’obligation, faire naître d’autres effets juridiques83. D’autre part, le contrat doit constituer ou transférer un droit réel immobilier. Ainsi, même si c’est la vente qui est visée par la Cour, d’autres contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers peuvent être compris dans le périmètre de la nullité.
36.
Ainsi, l’apport en société d’un droit réel immobilier doit également faire l’objet d’un acte notarié. Il s’agit d’un apport en nature qui se réalise par le transfert des droits réels correspondant aux biens apportés et par la mise à la disposition effective de la société des biens sur lesquels portent ces droits. Il est donc bien soumis aux dispositions des articles 37984 et suivants du COCC dans la mesure où ces dispositions ne sont pas contraires à celles du droit uniforme africain des affaires de l’OHADA85. Cette formalité est accomplie par la rédaction ou la réception des statuts de la société par un notaire. Ainsi, si les statuts ne sont plus nécessairement établis par un notaire -ceux-ci pouvant être simplement enregistrés auprès d’un notaire-, il en est autrement lorsqu’un associé apporte un droit réel immobilier en pleine propriété. Dans ce cas, le transfert doit être passé par devant notaire.
37.
L’interprétation extensive de l’article 383 du COCC dans cet arrêt permet également de conclure à l’application du formalisme requis à la donation portant sur des droits réels immobiliers. La donation est bien un contrat et non un acte juridique unilatéral car il requiert un accord de volontés entre le donateur et le donataire. Toutefois, seul le premier s’oblige, en principe, ce qui en fait un contrat unilatéral, à moins que des charges soient stipulées pour être supportées par le second. Mais dans tous les cas, la donation entraîne un transfert de la propriété du donateur au donataire. Il est donc un contrat translatif de propriété. A ce titre, il doit être passé par devant notaire à peine de nullité absolue.
38.
Il devrait en être de même d’un échange portant sur des droits réels immobiliers. Il résulte également d’un accord de volontés et permet de réaliser le transfert de propriété des immeubles qui en font l’objet. Comme
82
Article 40, alinéa 1er du COCC. Cf. en droit sénégalais, J.-P. Tosi, Le droit des obligations au Sénégal, LGDJ-NEA, 1981, p. 35 s., n° 51 s. 84 Article 379 du COCC : « Les contrats relatifs à des immeubles immatriculés sont soumis aux dispositions spéciales du présent chapitre ». 85 La supranationalité du droit uniforme africain des affaires de l’OHADA consacrée par l’article 10 du traité de l’OHADA ne s’oppose pas à l’existence de dispositions nationales non contraires aux dispositions des actes uniformes. Cf. J. Issa-Sayegh, « La portée abrogatoire des actes uniformes de l’OHADA sur le droit interne des Etats-Parties », Revue Burkinabè de Droit, n° 3940, n° spécial 2001, p. 57 ; F. M. Sawadogo, « Les actes uniformes de l’OHADA : aspects techniques généraux », Revue Burkinabè de droit, n° 3940, n° spécial 2001, p. 46 ; P. Diédhiou, « L’article 10 du Traité de l’OHADA : quelle portée abrogatoire et supranationale ? », Rev. droit uniforme 2007, p. 265. 60 V. article 391 du COCC. 83
35
en matière de vente, le transfert de propriété dans l’échange se produit par l’inscription de chacun des transferts aux titres fonciers respectifs60. Même le bail peut être inclus dans le périmètre du formalisme de l’article 383 du COCC lorsqu’il est assorti d’une promesse de vente. Non seulement l’opposabilité aux tiers requiert dans ce cas une inscription au titre foncier86, mais la validité de la promesse est tributaire de l’existence d’un acte notarié, suivant la jurisprudence de la Cour suprême. Certes, dans ce cas, le formalisme est davantage lié à la promesse de vente en tant qu’acte préparatoire. 2) Les actes préparatoires aux contrats translatifs de droits réels immobiliers
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La Haute juridiction sénégalaise vise non seulement la vente, mais également « …la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration donnée pour conclure de tels actes… ». La promesse synallagmatique de vente suppose que les parties aient donné leur consentement définitif à la vente, à moins qu’une faculté de dédit n’ait été convenue. Les parties doivent s’être entendues sur la chose et le prix87. Dans la promesse synallagmatique de vente, ni le vendeur, ni l’acheteur ne bénéficient d’un droit d’option. Ils s’engagent réciproquement de manière définitive. En droit sénégalais, si la vente porte sur un immeuble, la juridiction suprême considère que la promesse ne peut être passée par acte sous seings privés. Il en est ainsi d’une promesse synallagmatique tout comme d’une promesse unilatérale. Dans ce dernier cadre, l’engagement du promettant est définitif et le contrat de vente est parfait dès la levée de l’option par le bénéficiaire dans les délais63.
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La solution retenue à propos de la promesse de vente devrait également être étendue à la promesse unilatérale ou synallagmatique de conclure tout contrat translatif de droit réel immobilier, notamment une promesse de donation, une promesse d’apport ou une promesse d’échange. Toutefois, l’extension du formalisme au mandat de conclure de tels actes est plus délicate encore. Certes, le mandat est bien un contrat car il suppose l’accord de volontés du mandant et du mandataire. De plus, il fait naître des obligations à la charge du mandataire et, parfois aussi, du mandant. Mais le mandat ne peut opérer directement un transfert de droit réel immobilier. Il ne porte que sur le pouvoir conféré au mandataire de réaliser de tels actes. La volonté de contrôler la réalité de ce pouvoir permet de protéger le mandant ainsi que les tiers qui contractent avec le mandataire. L’exigence du formalisme, techniquement fondée sur la règle du parallélisme des formes88, permet politiquement d’attirer l’attention du mandant sur la gravité de l’acte. Elle est aussi destinée à assurer une certaine sécurité juridique au tiers contractant avec le mandataire dont l’opération ne sera pas anéantie pour défaut de pouvoir de ce dernier. L’exigence d’une procuration notariée pour la vente d’un immeuble immatriculé est très clairement affirmée65 par les hauts magistrats dans cette espèce. Il en va de même d’autres actes préparatoires à la vente d’un immeuble immatriculé, notamment, un pacte de préférence portant sur un immeuble immatriculé89. Le contrôle de l’opération immobilière est ainsi totalement assuré d’un bout à l’autre de la chaîne. L’ensemble des contrats relatifs à un immeuble immatriculé, y compris la promesse et le mandat, est soumis au même formalisme de validité -un acte notarié- et à une même sanction -la nullité absolue-. Il en sera ainsi, hélas, jusqu’à ce que la Haute juridiction abandonne sa lecture extensive contestable des dispositions visées en l’espèce. Pour une légitimité plus forte, les chambres réunies pourraient le faire, à moins que le législateur
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Cf. article 390 du COCC en ce qui concerne l’opposabilité aux tiers. Cf. sur la promesse synallagmatique de vente, Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Paris, Defrénois, 2003, n° 128 s. 63 A. Cissé, op. cit., p. 69. 88 En droit français, tout mandat peut indirectement devenir formaliste du fait de l’application de la règle dite du parallélisme des formes qui veut qu’il emprunte la même forme que l’acte à accomplir. Ainsi, par exemple, le mandat de faire une donation ou de constituer une hypothèque conventionnelle est nécessairement notarié, parce que la donation (C. civ., art. 931: « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ») ou l’hypothèque conventionnelle (C. civ., art. 2394 et 2416: « l’hypothèque conventionnelle ne peut être consentie que par acte notarié ») suppose ellemême une telle formalité. De même, « le mandat sous seing privé de se porter caution pour l’une des opérations relevant des chapitres I ou II du titre premier du livre troisième du Code de la consommation doit répondre aux exigences des articles L. 313-7 et L. 313-8 de ce code (mentions manuscrites) ; que l’irrégularité qui entache le mandat s’étend au cautionnement subséquent donné sous la forme authentique » (Cass. 1re civ., 8 déc. 2009, n° 08-17531 : JCP G 2010, 149, note Ph. Simler). Cf. pour plus de développements, M. Thioye, Droit des intermédiaires immobiliers, Litec, 2010, n° 439. 65 On pourrait citer, dans le même sens, C. supr. Sénégal, n° 1 du 8 janv. 1986, cité in rev. EDJA, sept. - oct. 1987, p. 15. 89 CS. n° 57 du 16 juillet 2003, Soc. Foncière de la côte d’Afrique représentée par la Régie Mugnier c/Raphaël Hédant. 87
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n’intervienne par une réécriture univoque de ces textes, pour que vaille la promesse sous seings privés de vente d’immeuble immatriculé ! Document 3 Cour suprême, Chambres réunies, 19 juin 2012 La Cour, Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ; Vu la loi organique n° 2008-35 du 8 août 2008 par la Cour suprême ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Après en avoir délibéré conformément à la loi, Attendu que par arrêt n° 03 de 2 janvier 2008, la Chambre civile et commerciale statuant sur le pourvoi formé par la CBAO contre l’arrêt n° 21 du 15 janvier 2004 de la Cour d’appel de Dakar a, sur le fondement de l’article 38 de la loi n° 92-25 du 30 mai 1992, ordonné la saisine des chambres réunies ; Attendu qu’après cassation de l’arrêt n°229 du 12 mai 2000, un second arrêt rendu entre les mêmes parties procédant en la même qualité dans la même affaire est attaqué par le même moyen que précédemment tiré de la violation de l’article 382 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC) ; Sur le moyen unique, tiré de la violation des articles 379, 382 et 383 du COCC, qui fait grief à l’arrêt attaqué d’ordonner la perfection de la vente aux motifs que « aux termes de l’article 382 du COCC, l’engagement de la CBAO de céder les titres fonciers 81/DP et 3409/DG à express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat et s’analysent en avant-contrat ; qu’il ressort de ces dispositions que le contrat de vente d’immeuble immatriculé ne se forme qu’au moment de sa passation devant notaire ; que par ailleurs l’article 382 n’exige aucune forme pour la validité de la promesse synallagmatique de vente… », alors qu’une distinction entre le régime juridique de l’avant-contrat et de celui du contrat est en totale contradiction avec les textes et que la Cour de cassation a déjà jugé que la promesse synallagmatique de contrat portant sur un immeuble immatriculé devait être notarié ; Mais attendu que, contrairement à la jurisprudence invoquée par le moyen, les dispositions des articles 321, 322, 323, 382, 383 du COCC n’exigent aucune forme particulière pour la validité de la promesse synallagmatique de contrat ou avant-contrat qu’il faut distinguer du contrat, lequel, lorsqu’il s’agit d’un immeuble immatriculé, doit être passé, à peine de nullité absolue, par devant notairesauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ; que la promesse synallagmatique de contrat oblige les parties à parfaire le contrat ; Et attendu qu’en ordonnant la perfection de la vente, après avoir relevé que « l’engagement de la CBAO de céder les TF n° 81/DP et 3409/DG à Express Transit et la levée de l’option par cette dernière constituent une promesse synallagmatique de contrat qui oblige les parties à parfaire le contrat », la Cour d’appel, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait l’exacte application ; PAR CES MOTIFS : Statuant toutes Chambres réunies, Rejette le pourvoi formé par la CBAO contre l’arrêt n° 21 rendu le 15 janvier 2004 par la Cour d’appel de Dakar ; Condamne la CBAO aux dépens ; Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour suprême, Chambres réunies, en son audience publique tenue les jour, mois et an ci-dessus et à laquelle siégeaient […].
Document 4 : . Gautier P.-Y., Rebondissement dans le feuilleton du pacte de préférence : un deuxième arrêt, connexe à celui de la Chambre mixte, Recueil Dalloz, 2006, pp. 2510-2512. VENTE
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Rebondissement dans le feuilleton du pacte de préférence : un deuxième arrêt, connexe à celui de la chambre mixte.
SOMMAIRE DE LA DECISION L’acquéreur de la parcelle litigieuse étant censé connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui ont été publiés à la conservation des hypothèques, une cour d’appel peut décider que l’acquéreur a commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur. Cour de cassation, 1ére civ. 11 juil. 2006 La COUR : Donne acte aux consorts P...de leur reprise d’instance an tant qu’héritiers de Daurice P..., décédé le 25 septembre 2003 ; - Attendu qu’une donation-partage du 18 décembre 1957, contenant un pacte de préférence a attribué à Adèle A...un bien immobilier situé à Haapiti ; Qu’une donation-partage du 7 août a attribué à M. Ruini A..., une parcelle dépendant du bien mobilier ; que, par acte reçu le 3 décembre 1985 par M. S..., notaire, M. A... a vendu la parcelle à la SCI E... ; Sur le premier moyen ;- Attendu que MS... et la SCI E... font grief à l’arrêt attaqué (CA Papeete, 13 février 2003) d’avoir dit que le pacte de préférence n’a pas été respecté à l’égard de Daurice P... et de les avoir déclarés avec M. A... responsable de ce préjudice et tenus de le réparer in solidum, alors, selon le moyen, qu’ils soutenaient dans leurs conclusions d’appel que la SCI, conjointement avec MA...avait offert à Mme P... d’exercer son droit de préférence par lettre recommandée du 7 août 1987 et qu’en estimant néanmoins que ce droit avait été méconnu et qu’en préjudice en résultait, au seul motif que cette offre n’avait pas notifiée le 3 décembre 1985, sans expliquer en quoi l’offre qui lui avait été adressée ultérieurement ne lui permettait pas d’acquérir la parcelle litigieuse par préférence à la SCI E..., qui y avait ainsi consenti expressément, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 1147 et 1382 du code civil ; Mais attendu qu’en décidant que M. A... avait violé le pacte de préférence à l’égard de Daurice P...pour avoir omis de lui proposer la vente projetée, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; Sur le deuxième moyen : - Attendu que M.S... et la SCI E... font encore grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré M. S... responsable du préjudice subi par Daurice P... du fait de la violation du pacte de préférence et tenu, in solidum avec M. A... et la SCI E..., de la réparer, alors selon le moyen, que l’obligation pour le débiteur d’un pacte de préférence de ne pas vendre à autrui le bien qui en est l’objet relève de l’obligation d’exécuter de bonne foi ses obligations contractuelles, de sorte que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas lui avoir rappelé ce principe, et qu’en estimant néanmoins que M. S... avait commis une faute en ne rappelant pas à M. A... qu’il devait éxécuter de bonne foi le pacte de préférence dont il se savait débiteur, la cour a violé les articles 1134, 1147 et 1382 du code civil ; Mais attendu que, tenu de conseiller les parties et d’assurer l’efficacité des actes dressés, le notaire ayant connaissance d’un pacte de préférence doit, préalablement à l’authentification d’un acte de vente, veiller au respect des droits du bénéficiaire du pacte et, le cas échéant, refuser d’authentifier la vente conclue en violation de ce pacte, qu’en l’espèce, la cour d’appel a décidé à bon droit que M.S... avait engagé sa responsabilité, en n’ayant pas, d’une part en sa qualité de professionnel du droit et des transactions immobilières, incité M. A... et la SCI E...à respecter les droits des bénéficiaires du pacte, d’autre part, fait référence au pacte de préférence dans l’acte de vente, tout en ayant mentionné le second acte de donation-partage qu’il avait lui- même authentifié ; que le moyen n’est pas fondé ; Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :- Attendu que M. S... et la SCI E... font grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré la SCI E... responsable du préjudice subi par Daurice P... du fait de la violation du pacte de préférence et tenu, in solidum avec M. S... et M. A... de le réparer , alors selon le moyen : 1- qu’un pacte de préférence, qui s’analyse en une promesse de vente conditionnelle n’est pas une restriction au droit de disposer soumise à la publicité obligatoire, de sorte que sa publication ne suffit pas à établir la connaissance qu’en auraient les tiers, et qu’en estimant néanmoins qu’en raison de la publication du pacte de préférence stipulé dans les donations-partages de 1957 et 1985, la SCI. E... était censée en avoir connaissance et qu’elle avait donc commis une faute en achetant le terrain qui en constituaient l’objet, la cour d’appel a violé les articles 28-2 et 371 du décret du 4 janvier 1955, ensemble l’article 1382 du code civil ; 2- que l’acquéreur, serait-il un professionnel de l’immobilier, n’est pas tenu de s’informer de l’existence des droits de préférence dont son vendeur pourrait être débiteur et qu’en retenant la responsabilité de la SCI E... au seul motif qu’elle était
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prétendument tenue de s’informer des obligations dont pouvait être tenu son vendeur, la cour d’appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil ; Mais attendu qu’ayant précédemment retenu que la SCI E... était censé connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui avaient été publiés à la conservation des hypothèques, la cour d’appel a pu décider que la SCI E... avait commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mise à la charge de son vendeur ; que le moyen, qui est sans portée en sa première branche et qui manque en fait en sa seconde, ne peut être accueilli ; Par ces motifs, rejette (...).
Note de Pierre-Yves Gautier Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) 1-Mais pourquoi les pourvois n’ont-ils pas été pas été joints ? C’est la question que se pose le lecteur de l’arrêt ci-dessus : mêmes faits, mêmes parties, même procédure, c’est bien la même affaire que celle qui a donné lieu à la décision spectaculaire rendue par la chambre mixte, quelques semaines plus tôt. Le trouble repose dans la réponse du troisième moyen. On se souvient qu’une donation-partage sur un immeuble, contenant un pacte de préférence, avait fait l’objet d’une publicité foncière ; puis, de nombreuses années après, l’ayant cause avait lui-même transmis le bien pour partie à un nouvel attributaire, l’acte rappelant l’existence de l’avant-contrat et ayant lui-même fait à son tour l’objet d’une publicité. Quatre mois plus tard, le propriétaire vend la chose à un tiers, une SCI, par acte authentique, sans l’avoir au préalable proposée au bénéficiaire. Celui-ci assigne le débiteur de la préférence et le tiers, afin d’obtenir l’exécution forcée du pacte, c‘est è dire sa substitution à l’acheteur ; il réclame subsidiairement des dommages et intérêts aux mêmes parties, ainsi qu’au notaire, qui avait instrumenté la deuxième donation-partage et l’acte de vente, pour la faute commise par lui de n’avoir pas mis en garde les parties, du fait du pacte dont tout le monde avait connaissance par la publicité foncière et d’avoir ainsi collaboré à la méconnaissance de ses droits. Les juges du fond, semble t-il dans un même arrêt, déboutent le bénéficiaire de sa demande d’exécution forcée, mais accueillent sa réclamation pécuniaire en retenant le principe de l’obligation des trois défendeurs à l’indemniser. Deux pourvois sont alors formés : l’un par le bénéficiaire, l’autre par le notaire et le tiers-acquéreur. Les instances auraient raisonnablement dû être jointes, à la fois parce que les pourvois ont été formés contre le même arrêt et que les questions juridiques sont étroitement liées. Pour une raison qu’on ignore, elles ne l’ont pas été : une chambre mixte a été désignée pour connaître du pourvoi du bénéficiaire, c’est l’arrêt du 26 mai ; et celui des défendeurs vient de faire l’objet de l’arrêt du 11 juillet. 2- On connaît la solution adoptée par la Chambre mixte : spectaculaire revirement de jurisprudence sur la possibilité théorique d’annuler l’acte conclu avec le tiers et de lui substituer le bénéficiaire, mais exigence supplémentaire de la preuve de ce que le premier ait eu « connaissance de l’intention » du second de faire valoir son droit, de sorte que cette double preuve psychologique étant pratiquement impossible à rapporter, pas d’exécution en nature. Mais l’affaire ne s’arrête pas là et se poursuit avec l’arrêt du 11 juillet, deuxième épisode : - La responsabilité contractuelle du propriétaire est retenue par la décision qui approuve les juges du fond de l’avoir tenu pour obligé in solidum avec les deux autres d’indemniser le bénéficiaire. C’est logique, dès lors que l’exécution a été écartée, même si on peut le regretter : il faut bien que le fautif répare d’une manière ou d’une autre, ici, en argent. Mais, en même temps, c’est un retour à la case départ, c’est-à-dire l’article 1142 du code civil. En examinant ce moyen, l’arrêt nous fournit une indication de fait précieuse : deux ans après la vente, le propriétaire et la SCI auraient finalement offert au bénéficiaire d’exercer sa préférence. Il confirme également qu’au jour de la vente aucune notification du projet n’avait eu lieu auprès du bénéficiaire.
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- La responsabilité civile du notaire est également retenue, car connaissant le pacte et alors qu’il est un professionnel, il n’aurait pas dû authentifier la vente avec le tiers et, au contraire des droits du bénéficiaire, de nature à mettre en péril l’efficacité de la vente. Là encore, c’est assez classique. - Il reste la situation du tiers, qui se plaint d’avoir été tenu pour coresponsable ; voici ce que la première Chambre civile lui répond, en rejetant son pourvoi : la société « était censée connaître l’existence du pacte de préférence en raison de l’opposabilité aux tiers des actes de donation-partage qui avaient été publiés à la conservation des hypothèques... (de sorte que) la SCI avait commis une faute de négligence en omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge du vendeur ». L’arrêt écarte à cet effet à juste titre la distinction subtile, relative à l’effet de la publicité d’un pacte de préférence, selon qu’elle est obligatoire ou facultative. C’est sur le cas du tiers acquéreur seulement qu’on formulera quelques observations puisque c’est lui qui constitue la barrière ayant entravé l’exécution forcée, selon l’arrêt du 26 mai. C’est sa responsabilité, les détails livrés par l’arrêt du 11 juillet et la façon dont son obligation de réparation se trouve énoncé par celui-ci, qui mettent en effet mal à l’aise et vont conduire à poser à nouveau la question de l’exécution en nature. 3- La cour de cassation relève clairement que le tiers était au courant ou en tout ca censé l’être, du fait de la publicité foncière et qu’il aurait dû se montrer plus curieux (« omettant de s’informer précisément des obligations mises à la charge de son vendeur »). C’est plus qu’une négligence, mais s’apparente à de la mauvaise foi : le tiers ne pouvait ignorer le pacte, énoncé dans pas moins de deux actes ayant fait l’objet d’une publicité, le second étant en outre rappelé dans la vente ; il s’est pourtant gardé de s’en enquérir plus avant auprès du propriétaire. Rappelons la définition de la mauvaise foi : « s’agissant de priver l’intéressé du bénéfice de l’ignorance ou de l’apparence, attitude de celui qui se prévaut d’une situation juridique dont il connaît (ou devrait) connaître les vices ou le caractère illusoire ». Ici, cela y ressemble beaucoup. D’autant plus que l’acheteur n’était pas un particulier, une personne physique, un consommateur, mais une société civile immobilière, a priori professionnelle elle aussi : l’adoption de cette forme sociale repose sur des mobiles économiques de rentabilité, de profit ou d’économie, notamment aux fins d’opérations immobilières. L’acquéreur était ainsi tenu d’un devoir de s’informer : quand le contractant pourrait avoir accès facilement à l’information et qu’il ne peut s’abriter derrière une ignorance légitime, c’est en effet à lui de « prendre les informations convenables ». Ce qui vaut dans les rapports inter partes qu’avec les tiers auxquels son comportement peut causer un dommage. On se remémore le Discours préliminaire de Portalis : « un homme qui traite avec un autre homme doit être attentif et sage ; il doit veiller à son intérêt, prendre les informations convenables et ne pas négliger ca qui est utile ». Ce qui vaut par a priori pour une personne morale, professionnelle et familière, par son secteur d’activité même, de la publicité foncière, ainsi que des avant-contrats. 4- Pourquoi, dans ces conditions, ne pas déclarer l’acte inopposable au bénéficiaire, de la même façon que par exemple, en matière de fraude paulienne ? Rien n’empêcherait ainsi la substitution du bénéficiaire pour sanctionner en nature la responsabilité du tiers acquéreur. Les deux arrêts se sont contentés du principe d’une indemnisation pécuniaire, que l’acheteur a néanmoins trouvé trop lourd, puisqu’il a formé un pourvoi, alors qu’il a tout de même échappé au transfert forcé de la chose. 5- Il ne reste plus guère, si l’on combine les arrêts des 26 mai et 11 juillet, que la condition assez artificielle de la « connaissance par le tiers de l’intention » du bénéficiaire de se prévaloir de son droit. Cependant, dans la note précédente, on avait tenté de démontrer que cette preuve manque de pertinence, pour la raison qu’au moment de la vente le bénéficiaire n’a aucune « intention » particulière, tout simplement parce qu’il n’a pas été informé, le projet de vente ne lui ayant pas été notifié. Pour avoir une intention, il faut être au courant de la décision du propriétaire de vendre – c’est un pacte, pas une promesse, on n’est pas sûr qu’il se déterminera à céder son bien, ni à quel moment. En l’espèce, l’arrêt du 11 juillet précise nettement que le bénéficiaire n’était pas au courant, le projet ni la vente ne lui ayant été notifiés.
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Pourtant, l’acte aurait, par exemple pu contenir une condition suspensive de la non-levée de l’option par le bénéficiaire, clause qu’on rencontre assez fréquemment en technique contractuelle, notamment dans le droit de la distribution. Ce n’est que deux ans après que les intéressés semblent avoir voulu se rattraper, en lui notifiant (ce qui est assez curieux) l’offre de vente. 6- A moins qu’on interprète la condition posée par la Chambre mixte comme l’intention du bénéficiaire non pas d’acheter, mais seulement de conserver son droit, à l’aveuglette, c’est-à-dire de faire savoir périodiquement au propriétaire qu’il n’entend pas perdre son option, alors même qu’il ignore complètement si son cocontractant entend garder la chose ou la céder. Son inaction se verrait alors sanctionnée par une déchéance sans texte, ce qui serait un renversement de l’ordre naturel des choses, s’apparentant à une sorte d’obligation d’interruption périodique de la prescription. Le titulaire d’un droit d’option subordonné à la décision d’autrui n’a rien d’autre à entreprendre que d’attendre que celui-ci fasse connaître ce qu’il a finalement arrêté. Rappelons, par comparaison, que le droit du bénéficiaire d’un pacte de préférence n’est pas prescriptible, tant que son débiteur ne l’a pas informé de sa décision de vendre, au surplus, l’on sait que la même Cour de cassation considère que l’avant-contrat reste valable, ne fût-il enfermé dans aucun délai. 7- Cette exigence de diligence à la charge du bénéficiaire constituerait une contrainte très mal commode (notification à une date anniversaire ?) et une condition que ni la loi, ni la logique, ni la justice contractuelle n’imposent ; en outre, une telle manifestation de volonté ne peut être pratiquement adressée qu’au propriétaire, puisque c’est lui seul que connaît le bénéficiaire et pas aux tiers du monde entier, acquéreurs potentiels de la chose. Sauf bien entendu si le bénéficiaire a eu vent du projet et connaît ou pressent l’identité du ou des possibles acheteurs, ce qui ne semble pas avoir été ici le cas. La « connaissance » par l’acquéreur de l’intention du bénéficiaire est de ce fait une preuve impossible : si le propriétaire a mis la lettre recommandée annuelle du bénéficiaire dans un tiroir ou à la corbeille, qu’en saura le tiers ? De toute façon, cela ne tient pas : connaissant le pacte, le tiers devrait se montrer plus curieux, on tourne en rond. Il faut donc le marteler : tant « l’intention » du bénéficiaire que sa « connaissance » par le tiers supposent la notification préalable au premier par le propriétaire, soit du projet d’acte, soit de la vente conclue sous condition suspensive, soit tout simplement de sa décision de principe de céder son bien. 8- Mis bout à bout, les deux arrêts manquent un peu de réalisme et risquent d’être cruellement ressentis par tous les bénéficiaires de pactes, dans l’immense secteur couvert par ceux-ci, de l’immobilier aux sociétés civiles et commerciales, en passant par le monde de la culture et du spectacle, ou de la distribution. Ces décisions créent, en effet, une certaine insécurité pour les bénéficiaires de toutes sortes, qui ne doivent s’attendre au mieux, en cas de violation du pacte, qu’à recevoir des dommages intérêts. Et, corrélativement, les propriétaires et tiers complices savent qu’ils pourront ainsi s’en sortir par une allocation en argent, sans remise en cause des actes conclus en violation du pacte, même si en l’espèce ils ont trouvé que c’est déjà trop. L’exécution en nature est autant affaire de morale et de sécurité que d’analyse économique du droit. Bis repetita placent : il est souhaitable de tirer toutes les conséquences de la nouvelle position adoptée par la Cour de cassation sur la substitution d’acquéreur.
INDICATION SUR LA METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE D’ARTICLE Objectifs du commentaire d’article Analyser une disposition légale, Etudier sa portée, Situer sa valeur. Spécificités du commentaire d’article Le texte à commenter doit être le cœur du devoir. Le commentaire est délimité par tous les termes de l'article et uniquement les termes de l'article (d'où l'importance du commentaire mot à mot dans la phase préparatoire). Travail préparatoire
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Connaissance approfondie de la section du cours correspondant au thème développé par l'article à commenter. Définition des termes clés de l’article en vue d’une bonne maîtrise de la terminologie juridique. Analyse de tous les termes de l'article : commentaire mot à mot.
Le commentaire mot à mot 1. Analyse purement grammaticale de l'article : sujet + verbe + compléments. Tout de suite mettre en avant les liaisons dans l'article avec les conjonctions de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car). Par exemple : prêter attention au fait que le terme "ou" désigne des propositions alternatives, le terme "et" des propositions cumulatives. Regarder le temps des verbes. Ex: présent de l'indicatif = vérité générale, disposition légale impérative, obligation à distinguer du conditionnel. Pour les compléments, voir s'ils sont de moyen, de lieu etc. 2. Définition de tous les termes du sujet: travail fastidieux mais très important. Introduction 1. phrase d'accroche. 2. énoncé de l'article, s'il est trop long donner sa signification générale. 3. Restituer le texte dans son contexte : dire de quelle loi, décret, code, convention internationale … il est issu, dans quel chapitre, livre, section etc. s'il a fait l'objet de modification(s). 4. Donner la signification de l'article, sans rentrer dans les détails qui doivent être dégagés lors de l'analyse dans les développements. 5. Dégager l’idée générale et la structure de l’article. 6. Annonce du plan du commentaire. Plan Le plan pour le commentaire d'article il est conseillé de se limiter à deux parties (et deux sous-parties) qui représentent en général les deux axes principaux du texte à commenter, voire la structure de l'article (ex: alinéa 1, alinéa 2)
Développements Dans tous les développements, il faut systématiquement revenir au texte, en le mentionnant ou en le citant. En effet, la réflexion porte sur ce support, elle ne doit pas se perdre dans des considérations qui y seraient étrangères. L’analyse littérale Vous allez vous livrer à une étude systématique de chaque terme rencontré. Certains auteurs parlent de glose. Ce type d'analyse se justifie quand le texte est court ou lorsqu'il n'a pas appelé de développement conséquent dans la doctrine. Il s’agira de ; - suivre l'articulation logique du texte, - développer le sens et la portée juridique de chaque terme. L’analyse synthétique Vous allez porter un jugement de fond sur le texte en question en problématisant le thème traité par la disposition. Il faudra définir un angle d'approche, en posant une problématique à laquelle vous répondrez sous
la forme d'un plan en 2 parties.
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Séance n° 3 Thème : Les conditions de formation du contrat Sous-thème : Le consentement Exercice : Dissertation Sujet : la place du consentement dans le contrat Bibliographie indicative: -R. Cabrillac, Droit des obligations, 8e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2008, n° 126 s. -J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Les obligations, t. 1, L'acte juridique, 13e éd., Sirey, 2008. -S. Porchy-Simon, Droit civil 2e année, les obligations, 5e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2008, n° 392 s. -F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009. -Georges Vivien,De l'erreur déterminante et substantielle,RTD Civ. 1992 p. 305 -Jean-François Renucci,L'identité du cocontractant,RTD Com. 1993 p. 441 -Dimitri Houtcieff,Contribution à l'étude de l'intuitus personae,RTD Civ. 2003 p. 3 -H. Aubry, Droit de rétractation dans le cadre d’une commercialisation à distance inDémarchage bancaire et financier. Dalloz, septembre 2009 (actualisation avril 2016), n° 133. Documents Document n° 1 Dispositions légales : ARTICLE 47 COCC Enumération des conditions de validité du contrat Sont requis pour la validité du contrat : 1°) Le consentement 2°) la capacité de contracter 3°) Un objet déterminé et licite, formant la matière du contrat et des obligations ; 4°) Une cause licite pour le contrat et les obligations qui en résultent ARTICLE 61 COCC Enumération des vices du consentement Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur, s'il a été surpris par dol ou extorqué par violence. ARTICLE 62 COCC L'erreur Il n'y a nullité lorsque la volonté de l'un des contractants a été déterminée par une erreur.
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Ce fait est établi lorsque l'autre contractant a pu connaître le motif déterminant pour lequel le contrat a été conclu. L'erreur de droit est vice du consentement dans les mêmes conditions que l'erreur de fait. ARTICLE 63 COCC
Le dol
Le dol est une tromperie provoquée par des manœuvres que l'un des contractants a pratiquées à l'encontre de l'autre pour l'amener à donner son consentement. Il y a dol également lorsque ces manœuvres exercées par un tiers contre l'une des parties ont été connues de l'autre. ARTICLE 64 COCC
La violence
La violence est cause de nullité lorsqu'elle inspire à un contractant une crainte telle que cette personne donne malgré elle son consentement. N'est pas considérée comme violence la menace d'user légitimement d'un droit.
Document 2 Marie-anne Frison-Roche, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats, RTD civ. 1995, p. 577 Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des contrats Marie-Anne Frison-Roche, Professeur à l'Université Paris-Dauphine (Paris IX) ; Directeur de l'Institut de droit économique, fiscal et social 1. Le présent propos n'a pour but que d'esquisser le profit que l'on pourrait tirer d'une distinction plus nette et plus systématique à opérer en droit des contrats entre la volonté et le consentement, entre la rencontre des volontés et l'échange des consentements(1), afin d'expliquer plus aisément, c'est-à-dire plus simplement et d'une façon plus cohérente, l'évolution de cette matière, notamment lorsqu'elle prend prise en droit des affaires. Echange des consentements ; rencontre des volontés. Sont-ce des locutions fongibles ? Y a-t-il vraiment unicité d'un phénomène ainsi plus ou moins adroitement qualifié ? Quand on ne les confond pas, on considère assez aisément que l'expression d'échange des consentements est impropre et qu'il conviendrait de préférer celle de rencontre des volontés pour désigner ce qui fait le contrat. En effet, il est déjà difficile de sortir de soi-même par une volonté qui va à la rencontre ; il serait vain et faux de croire que l'on peut aller jusqu'à offrir un consentementen échange. Pourtant, les mains se rencontrent mais les anneaux s'échangent... La figure du mariage, dans sa dimension mystique, hante toujours le droit des contrats(2), même ce droit des affaires que l'on ressent parfois comme un droit civil au sang froid. 2. Il faut ainsi rappeler et tirer tout profit du fait que volonté et consentement ne peuvent se réduire l'un à l'autre, qu'échange et rencontre ne doivent pas s'assimiler. La volonté est au coeur de l'humanisme et marque l'intériorité incommensurable de l'homme tandis que le consentement est un objet, conséquence de la volonté, symbole et extériorisation de la volonté, mais distinct de la volonté. Ainsi, par la volonté, la personne manifeste sa puissance, sa capacité à poser à elle-même sa propre loi, sa liberté. Tandis que le consentement est signe d'une sorte de capitulation. Il y a toujours de l'aliénation dans un consentement. C'est bien ainsi que le définit le Vocabulaire philosophique de Lalande : consentir, c'est admettre, donner son assentiment, c'est-à-dire baisser pavillon devant une assertion ou devant une autre personne(3). Tandis que la volonté consiste dans la force de pouvoir toujours ne pas admettre. C'est pourquoi la figure de la liberté est celle du martyr et du héros : celui qui ne s'avoue jamais vaincu, celui qui ne consent jamais. En Occident, la liberté est dans le « non » ; le consentement est dans le « oui ». Par la volonté, je domine ; par le consentement, je me soumets. La force est du côté de la volonté ; la faiblesse du côté du consentement. 3. Par le consentement, me voilà obligé, me voilà l'obligé de l'autre. L'article 1108 du code civil s'en donne l'écho, en visant « le consentement de la partie qui s'oblige ». On comprend alors que le consentement puisse être un signe de faiblesse, de vassalité, là où la volonté est signe de puissance et d'autonomie ; que le consentement puisse être donné sous la pression, signe d'une volonté « impressionnée », sans qu'il faille y voir nécessairement violence ; que le contrat-capitulation est concevable, l'hypothèse objective de la lésion étant là
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pour l'attester. La doctrine classique, telle qu'on nous la présente toute concentrée sur la volonté, aurait pu, si elle avait été plus sensible à cette dimension du consentement, établir ainsi : « qui dit contractuel, dit défaite ». Le droit des contrats en eut été changé, ou du moins changé plus vite. Le consentement, donc, ne se réduit pas à la volonté. C'est sans doute pour cela que le droit français n'a pas admis a priori l'engagement unilatéral, cet acte de volonté sans consentement(4), cet acte du vouloir créateur pur(5). 4. Dès lors, le consentement est une sorte de gage que l'on donne à l'autre. C'est pourquoi la volonté peut vouloir tout tandis que le consentement ne peut porter que sur le possible, que sur ce que je peux donner. Le consentement a partie liée avec le patrimoine, alors que la volonté y est naturellement étrangère. Mais quel gage ? Gage d'amour, dirait le droit du mariage, qu'il est décidément bien difficile de chasser. Gage de gratitude, dirait le droit des libéralités. Gage d'équilibre objectif et de sécurité juridique, dira le droit des contrats, du même coup désireux du formalisme qui fait couple avec la sécurité. Ce contrat permet ainsi d'établir un temps un semblant de paix entre les personnes aux intérêts opposés. 5. Car le consentement est donc bien un otage donné : il doit y avoir échange des otages. En cela, le consentement est avant tout anticipation du consentement de l'autre, l'interdépendance restant la marque du contrat. C'est à ce lien essentiel que semble se rattacher la théorie anglaise de la consideration (6) : l'accord ne se conçoit pas sans l'échange, au sens de l'admission d'une perte - par mon consentement - dans la perspective d'un avoir - par le consentement de l'autre. Et avant tout échange de ce type, qui repose sur l'anticipation et l'équilibre des gages, il y a nécessairement ajustement, négociation, palabre. Plus encore, le contrat ne peut plus être un point dans le temps où la volonté, vive comme l'éclair, élit une volonté alter ego tout aussi prompte à aller à sa rencontre, dans la joie intemporelle de leur union. Bien plutôt, le contrat, mécanisme méfiant et besogneux, tâtonnant et prudent, est l'instrument pessimiste de cette guerre froide, conflit créateur sur lequel se construit le contrat(7). Il s'étire alors dans le temps ou trace un long trait dans l'espace entre cocontractants éloignés l'un de l'autre. 6. Dans cette perspective, il n'y a pas d'affinité élective entre volontés soeurs, dans cette sorte de romantisme juridique que traduit la théorie classique, mais mise en place d'un échange entre personnes objectivement ennemies puisqu'aux intérêts et visées contradictoires. Il n'y a plus un envol mystique entre deux volontés, d'autant plus pur qu'il est libre du temps et ne s'encrasse pas de formalité. Au contraire, cette méfiance gage de paix va rendre obsédante la question des procédures, des traces de l'échange, va rendre centrale la perspective des preuves. 7. Ainsi, par mon consentement, je m'abaisse et l'on se souviendra que la tradition asiatique analyse le contrat comme un déshonneur. Je m'abaisse mais c'est à condition que je tienne l'autre pareillement. Je ne donne mon consentement que si je me saisis du consentement de l'autre. Le consentement n'est supportable que par l'échange. Il faut concevoir non pas tant l'échange des consentements que le consentement parce que l'échange. C'est bien pourquoi l'hypothèse des convergences de consentements, tels que les expriment les pratiques concertées notamment, s'ils créent des accords, suppose l'intérêt commun, cette convergence née de l'agrégation des intérêts. Voilà pourquoi les statuts de sociétés s'accommodent de plus en plus difficilement de la qualification de contrat pour verser vers celle d'un acte collectif créateur d'institution tandis que l'intérêt commun, bien distinct, peut être présenté comme sa loi(8). A ce titre, ils relèvent fondamentalement d'une autre problématique que celle de l'échange : l'agrégat de consentements n'emprunte pas à l'échange l'hostilité première de ce dernier. En cela, l'échange des consentements est sans doute l'expression juridique la plus conforme de la réalité des rapports humains. 8. Continuons dans cette perspective d'une défense de l'adéquation théorique et pratique de l'échange des consentements. La rencontre des volontés est bien éthérée ; instant magique, elle fait le contrat sans autre forme de procès et semble s'épuiser dans cette satisfaction. L'échange des consentements, formule plus lourde, méfiance concrétisée entre partenaires, évoque davantage l'autre échange, éminemment intéressé : l'échange économique dont le contrat est la forme juridique. C'est pour avoir le bien que je capture le consentement de l'autre ; c'est parce qu'il faut bien que je paie pour l'avoir que je me contrains. Le potlatch n'est pas loin. Ainsi et là encore, la doctrine classique n'aurait sans doute pas relégué l'échange économique comme la boite noire du droit des contrats si elle avait donné tout son sens à l'expression parfois décriée d'échange des consentements. 9. Cela aurait permis sans doute aussi un plus facile rapprochement entre la théorie juridique du contrat et la théorie économique du marché(9). Dans le cadre de cette dernière, il est assez difficile d'évoquer l'idée de
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volontés autonomes dans la mesure où la loi économique du marché dicte aux agents rationnels leur comportement. Plus encore, si un agent retrouve une puissance, une autonomie de la volonté par rapport à l'ajustement mécanique des prix par l'offre et la demande, l'abus de position dominante peut être constitué. En revanche, ce qui s'échange, ce sont bien des consentements mécanisés entre personnes aux intérêts contradictoires, comme autant de formes juridiques des échanges des biens et services gouvernés par les lois du marché. Et l'on observera que le refus de vente, qui n'est jamais qu'un refus de consentement, un refus de laisser circuler un consentement qui doit être disponible pour être saisi par qui le veut, est effectivement sanctionné au nom des lois du marché et ce sans nécessité d'un abus démontré(10). 10. On peut alors soutenir que la volonté est une matrice de consentements qu'elle débite et met sur le marché comme autant de doubles juridiques des biens économiques. La volonté reste en dehors du marché - le contraire en troublerait le jeu et le marché lui fait barrière - mais c'est par sa puissance qu'elle lui fournit les consentements dont il doit se nourrir autant que de biens économiques. En cela, la volonté est la source mais une source extérieure de la circulation économique. Fondement et extériorité peuvent très bien aller de pair. Au regard de cette puissance à créer des objets autonomes de soi, la véritable génération donc, l'analogie peut alors se faire entre, d'une part, ce lien entre volonté et consentement, et d'autre part, celui que la jurisprudence a opéré entre nom patronymique et nom commercial(11). Le consentement est ainsi un objet dont on dispose sur un marché(12). Se dégage par cela l'adéquation de l'échange des consentements avec le principe du libéralisme marchand. On relèvera au passage que la théorie des cessions de contrat serait plus admissible sous le premier angle du consentement que sous le second angle de la volonté. Peut-on aller jusqu'à suggérer qu'il existe des marchés de consentements mécanisés ? Cela éclairerait peut-être sous un nouveau jour le marché financier. Mais le consentement est toujours un objet né de la volonté : il y a un lien de génération entre la volonté et le consentement, le consentement est fils de la volonté et ce lien ne doit être brisé, faute de quoi un vice du consentement est constitué. Le contrat résulte alors de cette dialectique entre le subjectif de la volonté et l'objectif du consentement. Le consentement est un objet que l'on donne et qui circule tandis qu'on conserve toujours et par principe sa volonté, ne serait-ce que pour qu'elle produise d'autres consentements. 11. Fondamentalement, la distinction entre la volonté et le consentement est formidablement porteuse d'une réconciliation. En effet, on conçoit une articulation entre une puissance conservée, souveraine et a priori de la volonté, qu'on ne devrait soumettre à aucune autorisation, et qui n'a nul besoin du droit positif pour exister, et un consentement né de la volonté mais détaché d'elle et qui circule. Il peut ainsi y avoir objectivisme contractuel, par la considération du consentement, sans nécessairement dirigisme contractuel, lequel voudrait porter sur la volonté. Peut enfin être brisée cette alternative à deux branches, subjectivisme et absence de cette sorte circulation juridique qu'exigent pourtant les principes économiques du marché, d'une part, objectivité et source réglementaire de l'instrument contractuel à laquelle répugnent les mêmes principes, d'autre part. Cette alternative est une aporie. En effet, la théorie classique du droit des contrats n'est pas « dépassée » par le droit du marché et l'objectivité du contrat n'entraîne pas par fatalité l'emprise de la loi et de l'administration sur le phénomène contractuel. Le droit des contrats peut ainsi revendiquer le classicisme de la source - volonté, individualisme et subjectivité tout en devenant harmonieux avec le mécanisme du marché, par la qualification de ce qui naît de la volonté, consentement, masse et fongibilité, voire liquidité des consentements, objectivation. Ce qui est aisément perçu comme des tensions peuvent trouver alors des explications plus cohérentes : il en est ainsi de cette exigence conjuguée et à première vue paradoxale d'une mondialisation des rapports juridiques et économiques, relevant donc du couple que forment le consentement et le marché, et d'une personnalisation des normes juridiques, contractuelles notamment, relevant alors du couple que forment la volonté et l'extériorité par rapport au marché. Les deux mouvements peuvent ainsi aller dans le même temps, sans engendrer de discordances. 12. Ainsi, il y a tout à la fois rupture sémantique entre volonté subjective et consentement objectif, et dialectique créatrice entre les deux. Il faut bien que les volontés se rencontrent pour que les consentements s'échangent. C'est encore user de la liberté que de me soumettre à ce que me dicte ma raison pratique. Ainsi l'aliénation, renoncement à la liberté, atteste cette dernière dans le même instant et l'on ressent plus sereinement la contrainte du consentement lorsqu'elle est née de la volonté, comme on admet mieux le renoncement lorsqu'il vient de la puissance. 13. Dès lors, l'isolement de l'échange des consentements et son articulation dans le même temps avec la rencontre des volontés a pouvoir peut-être de donner une meilleure mesure d'une évolution du droit des contrats à première vue assez chaotique. En effet, peut donner l'unité à l'ensemble la qualification du
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consentementcomme objet autonome dont on dispose et que l'on donne pour fabriquer un contrat qui est luimême un objet autonome. La volonté n'est de cette technique qu'une sorte de norme fondamentale a-juridique qui fonde le système mais qui n'a pas vocation à y participer d'une façon dominatrice. La circulation économique des biens et des services et le phénomène des contrats de masse seraient sans doute mieux servis par cette représentation d'ensemble que recèle la distinction première de la volonté et du consentement
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Document n°3 : Soraya Amrani Mekki, Professeur à l'Université de Paris X – Nanterre et Bénédicte Fauvarque-Cosson, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), Droit des contrats (des extraits), octobre 2006 - septembre 2007, Recueil Dalloz 2007 p. 2966. L'erreur-obstacle : quand l'inexcusable chasse l'erreur-obstacle L'erreur-obstacle est généralement analysée comme une absence de consentement. Elle se distingue de l'erreur vice du consentement qui renvoie à la qualité de celui-ci (V. égal. sur le fondement de l'absence de consentement, Paris, 30 nov. 2006, JCP 2007. II. 10069, note H. Kenfack : l'illettrisme permet d'annuler une promesse de vente conclue alors que la partie pensait conclure un pacte de préférence). Sa qualification est cependant délicate comme le révèle l'arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet 2007 (Civ. 3e, 4 juill. 2007, n° 06-15.881, D. 2007. AJ. 2102 ; RLDC, sept. 2007, n° 2647). Un marchand de biens vend en 2003 un immeuble à une SCI pour le prix de 457 347 euros, prix indiqué à la fois sur la promesse de vente datant de juillet 2003 et sur l'acte notarié établi un mois plus tard. Le vendeur demande par la suite la nullité du contrat invoquant une « erreur sur le prix résultant d'une conversion erronée du prix de francs en euros » réalisée par la secrétaire notariale. Les juges du fond donnent gain de cause au marchand de biens sur le fondement de l'erreur vice du consentement en considérant que l'erreur commise est excusable. Si la Cour de cassation confirme le fondement de l'erreur sur la substance, elle juge l'erreur inexcusable car « tous les actes portaient le prix identique de 457 347 euros et (alors qu')il entre dans la compétence d'un marchand de biens, professionnel de la vente, de savoir déterminer et contrôler la conversion d'un prix négocié en francs, en euros, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». L'erreur commise à l'occasion d'une conversion n'est pas un cas isolé (V. par ex. Com. 22 nov. 2005, inédit, n° 04-10.434) : « (...) M. X..., homme d'affaires habitué à des opérations boursières, ne pouvait sérieusement soutenir avoir commis une erreur sur le libellé de la monnaie entre francs et euros », mais son fondement reste délicat. Il est difficile de la qualifier d'erreur sur les qualités substantielles car elle est purement matérielle et réside dans une mauvaise conversion des francs en euros. Elle s'apparente bien plus à une erreur-obstacle, error in corpore sur l'identité de la chose. Il est vrai que, sur cette question, les arrêts ne sont pas toujours d'une grande clarté (V. not. Com. 14 janv. 1969 « que cette erreur portant sur la substance même de la prestation promise par la blanchisserie à sa cocontractante, savoir l'unité monétaire employée pour mesurer le prix, le tribunal a pu décider que le consentement (de ladite blanchisserie) a été vicié à sa base par une erreur fondamentale », RTD civ. 1969. 556, obs. Y. Loussouarn ; D. 1970. Jur. 458, note A. Pédamon). Pourtant, la conversion erronée est à l'origine d'une vente portant sur un prix sur lequel les parties n'ont pu se mettre d'accord (comp. Orléans, 13 mai 2004, RTD civ. 2005. 589, obs. J. Mestre et B. Fages ; CCE 2004, n° 144, obs. P. Stoffel-Munck ; JCP E 2005. 1060, obs. M. Vivant, N. Mallet-Poujol et J.-M. Bruguière : « Que force est de constater qu'il n'y a pas eu d'échange de consentement sur la prestation monétaire, l'acheteur entendant donner 10 979 francs et le vendeur recevoir 10 979 euros pour le même produit ; que les deux parties ne se sont donc pas entendues sur le prix, de sorte que le contrat de vente ne s'est pas formé »), en sorte que l'erreur-obstacle aurait pu être envisagée (V. aussi pour une simple erreur typographique, TGI Pau, 7 janv. 1982, JCP 1983. II. 19999, note Coïret). En refusant, en l'espèce, de la consacrer au profit du fondement de l'erreur sur la substance, la Cour de cassation pourrait renforcer l'idée selon laquelle l'erreur-obstacle ne serait pas foncièrement différente de l'erreur vice du consentement (en ce sens, C. Larroumet, Les obligations. Le contrat, 1re partie Conditions de formation, Economica, 2007, n° 321 s., p. 285 s.).
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Surtout, concrètement, la qualification d'erreur sur la substance permet de sanctionner le caractère grossier du comportement du vendeur. Un minimum de vérification lui aurait, en l'espèce, permis de rectifier cette erreur purement matérielle (comp., Civ. 1re, 4 juill. 1995, D. 1997. Jur. 206, note A.-M. Luciani, et 1996. Somm. 11, obs. G. Paisant ; RTD com. 1996. 315, obs. B. Bouloc : à propos d'une erreur d'étiquetage à l'origine d'un prix insuffisant mais qui ne peut être qualifié de prix dérisoire). Or, le fondement de l'erreur-obstacle aurait entraîné l'exclusion de toute erreur inexcusable (en ce sens, TGI Paris, 26 juin 1979, D. 1980. IR. 263, obs. J. Ghestin ; V. égal., F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, 9e éd., Dalloz, 2005, n° 223, p. 231). D'une certaine manière, pour pouvoir invoquer le caractère inexcusable de l'erreur, il fallait échapper au fondement de l'erreur-obstacle. Autrement dit, l'inexcusable a chassé, en amont, l'erreur-obstacle. Le caractère inexcusable de l'erreur est en outre apprécié de manière particulièrement rigoureuse par la Cour de cassation afin d'assurer la sécurité des transactions et la sanction des comportements imprudents. Habituellement, elle opère un contrôle in concreto en tenant compte de la qualité des parties, de leur âge, de l'objet du contrat, des circonstances lors de sa conclusion (J. Ghestin, La formation du contrat, op. cit., n° 523 s., p. 484 s. ; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, op. cit., n° 223, p. 230 ; B. Fages, Droit des obligations, LGDJ, coll. Manuel, 2007, n° 115, p. 98). Elle en vient ainsi à distinguer la situation des novices, profanes et des « sachants » par expérience ou par profession. Lorsqu'il est question d'une erreur commise par le vendeur, elle a souvent tendance à se montrer plus exigeante, ce que confirme l'appréciation singulière de l'erreur inexcusable en l'espèce. En effet, la cour d'appel ne s'était pas arrêtée à la qualité de marchand de biens du vendeur, soulignant que ce statut n'avait été choisi que pour des raisons fiscales. Elle relevait également que l'erreur « résultait d'une mauvaise conversion effectuée par la secrétaire notariale [et] qu'il ne pouvait être reproché une faute de négligence à Mme X à raison de la confiance accordée au notaire ». La Cour de cassation, au contraire, censure les juges du fond, au motif « qu'il entre dans la compétence d'un marchand de biens, professionnel de la vente, de savoir déterminer et contrôler la conversion d'un prix négocié en francs, en euros » (comp. même rigueur, Com. 22 nov. 2005, préc.). La solution doit être approuvée à cet égard car il serait bien difficile de prendre en considération les motivations et les intentions de chaque contractant. b - Le dol Bien mal acquis profite parfois... L'arrêt Baldus du 3 mai 2000 avait fait couler beaucoup d'encre en refusant de prononcer la nullité d'un contrat au motif que l'acheteur n'était pas tenu d'informer le vendeur de la valeur des photographies qu'il lui avait vendues (Bull. civ. I, n° 131 ; D. 2002. Somm. 928, obs. O. Tournafond ; RTD civ. 2000. 566, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP 2000. I. 272, n° 1 s., obs. G. Loiseau ; ibid. 2001. II. 10510, note C. Jamin ; Defrénois 2000. 1110, obs. D. Mazeaud ; V. égal. pour la valeur d'actions cédées à la charge des associés, Com. 12 mai 2004, JCP 2004. I. 173, obs. A. Constantin). Pour une partie de la doctrine, cette décision est empreinte de réalisme. Elle récompense celui qui par ses efforts et ses connaissances a obtenu une information qu'il refuse de communiquer sans contrepartie (V. B. Rudden, Le juste et l'inefficace, pour un non-devoir de renseignement, RTD civ. 1985. 91 s.). Pour d'autres, la « chasse aux pigeons est ouverte » (en ce sens, D. Mazeaud, obs. préc.). Jusqu'à présent, on pouvait douter de sa portée. Un arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 17 janvier 2007, (FS-P+B), réitère le principe posé en usant d'une formule bien plus générale (Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442, Bull. civ. III, n° 5 ; D. 2007. Jur. 1051, note D. Mazeaud, et Jur. 1054, note P. Stoffel-Munck ; AJDI 2007. 416, obs. S. Bigot de la Touanne ; RTD civ. 2007. 335, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC 2007-3, p. 703 s., obs. Y.-M. Laithier ; JCP 2007. II. 10042, note C. Jamin ; Defrénois 2007. 443, obs. E. Savaux ; CCC, mai 2007, n° 117, obs. L. Leveneur ; Dr. et patr. 2007. 83 s., obs. L. Aynès et P. StoffelMunck, qui approuvent l'arrêt considéré comme cohérent et opportun). Une promesse de vente immobilière est conclue entre un acquéreur, agent immobilier et marchand de biens, et un vendeur, agriculteur devenu manoeuvre, dont l'épouse était en incapacité totale de travail. Le vendeur soutient avoir été victime d'une réticence dolosive car l'acheteur ne lui aurait pas révélé la valeur réelle du bien qu'il vendait. Il demande de ce fait la nullité du contrat. Les juges du fond lui donnent gain de cause aux motifs que le vendeur « ne pouvait lui-même connaître la valeur de son pavillon » et que le silence gardé par l'acquéreur « constituait un manquement au devoir de loyauté qui s'impose à tout contractant et caractérisait une réticence dolosive déterminante du consentement au sens de l'article 1116 du code civil ». Cette décision est cassée par la
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Cour de cassation aux motifs que « l'acquéreur, même professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis ». A plusieurs égards, l'arrêt rendu par la troisième Chambre civile a une portée bien plus large que son prédécesseur Baldus. Tout d'abord, la situation personnelle du vendeur aurait pu inciter à la clémence. Il s'agit d'un agriculteur devenu manutentionnaire, en difficultés financières et devant assurer la charge d'une épouse en incapacité de travail. Ces données économiques, sociales, culturelles et financières auraient pu être prises en compte pour déterminer si le vendeur avait réellement les moyens de se procurer seul l'information sur la valeur de son bien, en fournissant un effort raisonnable. En effet, l'argument récurrent est le coût de l'information qui ne devrait pas profiter à autrui (P. Stoffel-Munck, obs. préc.). Mais encore faut-il que le cocontractant ait la possibilité de se procurer seul l'information. Cet agriculteur « reconverti » en manutentionnaire à temps partiel n'avait pas réellement le choix (pour une autre appréciation, V. Y.-M. Laithier, obs. préc., spéc. p. 704). D'ailleurs, il se trouvait en toute confiance face à cet agent immobilier avec lequel il avait déjà conclu un certain nombre de contrats. Il est même précisé que le vendeur s'était déplacé dans son agence pour la signature de la promesse. Ce « professionnel » agissait, du moins en apparence, dans le cadre de ses fonctions ! En outre, contrairement à l'affaire Baldus, l'acheteur a participé à la négociation du prix. Il a de cette manière, en partie, contribué à sa détermination. Enfin, alors que l'arrêt du 3 mai 2000 avait au moins le mérite de rendre une solution circonstanciée (l'utilisation de l'imparfait en atteste, en ce sens, G. Loiseau, obs. préc. ss. Civ. 1re, 3 mai 2000), l'arrêt de 2007 use d'une formule très générale excluant en amont toute prise en considération de la singularité des différents cas litigieux. Cette solution d'une certaine manière réduit également l'intérêt de la réticence dolosive. Lorsque l'erreur provoquée par la réticence d'une information portera sur la valeur, le vendeur ne pourra s'en prévaloir. A contrario, si elle provoque une erreur sur la substance, la réticence dolosive est envisageable mais devient alors sans intérêt car il suffit de se fonder sur les dispositions de l'article 1110 du code civil. Cela amène à s'interroger d'ailleurs sur la nature de l'erreur commise en l'espèce. N'était-ce pas davantage une erreur sur la valeur conséquence d'une première erreur sur les qualités substantielles Quoi qu'il en soit, la portée de l'arrêt ne doit pas non plus être exagérée car il est question de l'erreur du vendeur et non de celle de l'acheteur. L'erreur sur la valeur de ce dernier en raison du défaut d'information du vendeur reste donc envisageable. Cette différence de traitement témoignerait de nouveau du sacrifice imposé au vendeur en matière de vices du consentement . De plus, seul le contrat de vente est visé ce qui permettrait un cantonnement de la jurisprudence à ce contrat spécial. Quels que soient les moyens mis en oeuvre pour limiter la portée de cette décision, elle manifeste un certain recul du devoir de loyauté (V. égal., Com. 27 mars 2007, JCP 2007. II. 10119, note Y.-M. Serinet ; V. cep., Com. 10 juill. 2007, publié au Bulletin ; D. 2007. AJ. 1955, obs. X. Delpech : « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties »). La solution pourrait résider à l'avenir dans l'utilisation d'un autre fondement mieux à même de protéger les victimes de ce type de comportement : le vice de faiblesse (V. égal le moyen offert par l'art. 4.109 du droit européen des contrats). Ce vice désigne « la particulière vulnérabilité de certains contractants profanes - du fait de leur âge, de la maladie, ou d'un état de nécessité - qui altère leurs perceptions et favorise les incitations et le harcèlement contractuels par des personnes peu scrupuleuses, ne permet ni la reconnaissance d'un dol ni celle d'une violence » (C. Aubert de Vincelles, Altération du consentement et efficacité des sanctions contractuelles, Dalloz, 2002, n° 438, p. 343 ; dans le même esprit, la lésion qualifiée proposée par M. G. Chantepie, La lésion, Préf. G. Viney, LGDJ, 2007, spéc. n° 686 s., p. 434 s.). A ce titre, on peut citer un arrêt original rendu par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation le 5 octobre 2006 à propos d'une convention d'honoraires conclue entre un avocat et son client (Civ. 2e, 5 oct. 2006, n° 04-11.179, D. 2007. Jur. 2215, note G. Raoul-Cormeil ; CCC, févr. 2007, n° 44, obs. L. Leveneur). La Cour de cassation a jugé que « la salariée était dans l'incapacité de mesurer les inexactitudes du relevé des prestations de l'avocat annexé à la convention ; que les circonstances de la signature de la convention permettent d'estimer que le consentement de Mme X n'a pas été libre ; qu'elle se trouvait dans un état de moindre résistance en raison du besoin qu'elle avait de percevoir rapidement les dommages et intérêts qui lui étaient dus compte tenu de son état de surendettement et qu'elle se trouvait dans un état de faiblesse psychologique, attesté par les pièces médicales produites ; que cet état de faiblesse implicitement reconnu par
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M. Y lorsque celui-ci fait part des angoisses de sa cliente, n'étaient pas de nature à permettre à la demanderesse de s'opposer aux prétentions de son avocat, compte tenu de la différence des personnalités en présence ; Qu'ainsi, lors de la signature de la convention d'honoraires, le consentement de Mme X était altéré ; Que par ces constatations et énonciations, caractérisant le vice du consentement , l'ordonnance se trouve légalement justifiée ». Cet arrêt se présente comme une illustration topique des avantages que peut offrir un raisonnement fondé sur l'idée d'un nouveau vice du consentement , vice de faiblesse qui n'est ni un cas de dol ni un cas de violence. A l'égard de la réticence dolosive, si aux dires de certains, « la messe est dite » (P. Stoffel-Munck, note préc. ), prions pour qu'un miracle se produise et que la Cour de cassation en revienne soit à une conception plus loyale des relations contractuelles sous l'angle de la réticence dolosive, soit à l'utilisation plus fréquente de certains expédients, tel le vice de faiblesse. Document n°5 Erreur - Jacques GHESTIN - Yves-Marie SERINET - septembre 2006 (des extraits) Dalloz.fr b. - L'erreur indirecte sur l'objet d'une prestation 172. Elle porte sur l'aptitude de l'objet à remplir l'usage auquel celui qui s'est trompé le destinait, ou elle résulte d'une erreur de droit. 1° - L'erreur sur l'aptitude de l'objet 173. Parfois le juge ne se borne pas à constater l'absence de telle ou telle qualité. Il observe que l'objet n'était pas apte à réaliser la fin poursuivie par la victime de l'erreur. Inversement, la nullité est écartée en relevant que l'objet vendu était apte à sa destination (Cass. req. 1er mars 1876, DP 1877. 1. 155, S. 1876. 1. 318 : rejet de l'erreur sur le constat que la carrière de pierres dont l'exploitation avait été cédée était réellement une carrière de pierres lithographiques ; Cass. com. 8 déc. 1998, no 96-16.160 : pose d'un équipement de carrosserie isotherme et d'un hayon élévateur n'affectant pas l'utilisation du véhicule dont l'état d'usure restait normal nonobstant une réduction de la charge utile que l'acheteur n'avait pu ignorer). 174. De fréquentes applications de ce type d'erreurs se rencontrent en matière de ventes d'animaux (Cass. req. 1er mars 1899, S. 1899. 1. 221, pour la vente d'une vache inapte au travail ; Cass. civ. 27 avr. 1953, D. 1953. 440, pour un cheval de trait trop âgé ; Cass. 1re civ. 24 avr. 1985, Bull. civ. I, no 127, pour la vente d'une jument atteinte d'une maladie infectieuse très grave qui la rendait impropre à tout usage de poulinière ou de cheval de course auquel elle était destinée ; CA Poitiers, 6 janv. 1998, JCP 1999. IV. 2182 : vente d'un cheval atteint de leucémie ; Cass. 1re civ. 5 févr. 2002, Bull. civ. I, no 38, JCP 2003. II. 10175, note Ch. Lièvremont, les acquéreurs découvrant l'état de gestation de la jument postérieurement à la vente alors qu'ils avaient eu l'intention d'acquérir une pouliche de course et non une jument de reproduction). 175. On en trouve également dans les ventes de matériels ou de machines (T. civ. Caen, 6 mars 1957, D. 1957, somm. 86, pour une erreur sur le poids d'une scie portative rendant impossible ou au moins plus pénible l'utilisation de l'engin. Erreur de droit 190. Bien que, de façon générale, l'erreur de droit soit assimilée à l'erreur de fait, certaines décisions refusent d'annuler le contrat en imposant deux séries de limites à sa prise en considération. 191. Il en va ainsi, en premier lieu, lorsque l'une des parties fait état d'une mauvaise compréhension des conséquences juridiques de son engagement. Depuis longtemps, la Cour de cassation considère qu'un acte juridique ne saurait être annulé pour cause d'erreur de droit pour la seule raison que son auteur l'aurait accompli dans l'ignorance des conséquences qui devraient en découler inéluctablement aux termes d'une disposition impérative de la loi, mais sans que sa méprise ait porté, soit sur les qualités substantielles de la chose, soit sur la cause juridique de cette opération (Cass. civ. 22 févr. 1943, Gaz. Pal. 1943. 1. 225, S. 1943. 1. 55, DA 1943. 49, JCP 1944. II. 2649, note R. Houin : censure de la décision annulant un cautionnement donné par une femme mariée avec l'autorisation de son mari, qui avait ignoré que, en application des anc. art. 1409 et 1419 c. civ., il obligeait ainsi lui-même et la communauté, et non seulement sa femme). Elle a notamment statué en ce sens à l'égard d'options exercées en matière de sécurité sociale (Cass. 2e civ. 2 nov. 1966, Bull. civ. II, no 885 ; Cass. 2e civ. 17 mai 1962, Bull. civ. II, no 452 ; V. cep. Cass. 2e civ. 4 juin 1964, Bull. civ. II, no 450 ; Cass. soc. 20 mai 1969, Bull. civ. V, no 345 ; adde : Cass. 1re civ. 21 juin 1960, Bull. civ. I, no 339, qui admettent l'annulation parce
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que des renseignements inexacts ou incomplets avaient été donnés par l'organisme de sécurité sociale). De même, la prétendue méprise d'un salarié sur la portée de sa démission faisant suite à une décision d'invalidité prise par la sécurité sociale n'a pas été retenue parce qu'elle a été jugée non plausible (Cass. soc. 28 juin 2001, no 99-44.139 ). Cette limitation du jeu de l'erreur de droit a depuis été reprise et explicitée. C'est ainsi qu'il a été jugé que « si l'erreur de droit peut justifier l'annulation d'un acte juridique pour vice du consentement ou défaut de cause, elle ne prive pas d'efficacité les dispositions légales qui produisent leurs effets en dehors de toute manifestation de volonté de la part de celui qui se prévaut de leur ignorance » (Cass. 1re civ. 4 nov. 1975, D. 1977. 105, note J. Ghestin : une veuve commune en biens, déchue de la faculté de renoncer à la communauté en vertu de l'art. 1457 anc. c. civ., ne peut échapper aux conséquences inconnues d'elle que la loi attache à son inaction). Plus récemment, la Cour de cassation a censuré, pour violation de l'article 1110 du code civil, un jugement qui, pour annuler le contrat de prêt conclu par un consommateur en vue de l'acquisition d'un véhicule volé un an plus tard, avait retenu l'erreur de droit commise par l'emprunteur qui ignorait la survie du contrat de prêt en cas de disparition du véhicule, alors qu'une telle erreur ne revêt aucun caractère substantiel de nature à vicier son consentement et à entraîner la nullité du prêt (Cass. 1re civ. 14 juin 1989, Bull. civ. I, no 240, D. 1989, somm. 338, obs. J.-L. Aubert, RTD civ. 1989. 742, obs. J. Mestre). La distinction s'avère parfois subtile (J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, t. 2, no 200 ; Ph. MALINVAUD, op. cit., no 170). Elle n'est pas toujours parfaitement respectée. Dans le droit du cautionnement (V. supra, no 169), le désir de se montrer indulgent envers des cautions particulièrement dignes de protection a pu conduire à admettre la nullité en retenant que la méprise avait porté « non sur les conséquences, mais sur la substance même de l'engagement » (Cass. 1re civ. 25 mai 1964, Bull. civ. I, no 269, D. 1964. 626, RTD civ. 1965. 109, obs. J. Chevallier ; adde : CA Paris, 18 janv. 1978, JCP 1980. II. 19318, note Ph. Simler ; Cass. 1re civ. 4 juill. 1979, D. 1979, IR 536, Gaz. Pal. 1979. 2, somm. 484 ; CA Paris, 27 mars 1987, D. 1987, somm. 446, obs. L. Aynès ; CA Versailles, 23 juin 1995, RJDA 1995, no 1319 ; CA Grenoble, 20 févr. 1996, JCP 1997. I. 3991, obs. Ph. Simler ; et les références citées par Ph. SIMLER, op. cit. [supra, no 20], no 134). Pour des raisons voisines, la nullité d'un acte de délégation a pareillement été retenue au motif que le délégué, non professionnel, n'avait pas été informé par ses cocontractants des conséquences de son engagement, de sorte que sa renonciation aux dispositions protectrices d'ordre public du maître de l'ouvrage (CCH, art. L. 231-2 et s., textes relatifs au règlement du prix dans les contrats de construction de maison individuelle) qu'implique l'acte de délégation n'avait pas été faite en connaissance de cause alors que « cette renonciation touchait à la substance même du contrat » (Cass. com. 28 févr. 2006, no 04-11.057 ). 192. En second lieu, la Cour de cassation refuse que l'erreur de droit puisse trouver sa source dans une jurisprudence défavorable. Depuis longtemps, elle pose en règle que « l'erreur de droit consécutive à une diversité de jurisprudence et à une controverse établie ne saurait être une cause de nullité de la convention » (Cass. soc. 24 oct. 1946, D. 1947. 72 ; Cass. soc. 5 déc. 1952, Bull. civ. IV, no 890 ; adde : J. BOULANGER, note sous Cass. civ. 26 oct. 1943, D. 1946. 303). Le fondement de cette solution peut être recherché dans les principes qui régissent l'interprétation de la loi par la Cour de cassation. En effet, c'est généralement en faisant état d'un arrêt rendu postérieurement au contrat par cette juridiction que l'une des parties invoque une erreur de droit. Or, selon la Cour de cassation, on ne peut déduire une telle conséquence « d'une décision judiciaire dont l'effet est nécessairement limité aux parties qui l'ont obtenue » (Cass. soc. 8 déc. 1966, Bull. civ. IV, no 937, qui concerne l'erreur du solvens dans la répétition de l'indu, mais qui rappelle un principe de portée générale ; adde, en matière de répétition de l'indu : Cass. soc. 20 juin 1966, Bull. civ. IV, no 624, D. 1967. 264, note A. Rouiller, RTD civ. 1967. 150, obs. J. Chevallier, RTD civ. 1967. 202, obs. P. Hébraud ; Cass. soc. 20 juin 1966, Bull. civ. IV, no 625 ; Cass. soc. 6 oct. 1971, Bull. civ. V, no 545 ; Cass. soc. 24 mai 1973, D. 1974. 365, note crit. J. Ghestin). Il n'en reste pas moins que la Cour de cassation a pour mission d'unifier l'interprétation de la loi, et qu'elle fait connaître le sens que celle-ci avait dès l'origine. Celui qui lui a donné une autre interprétation a donc bien fait une erreur de droit. La solution s'explique sans doute par le souci d'atténuer les conséquences de l'effet rétroactif de l'interprétation jurisprudentielle (J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, avec le concours de M. FABREMAGNAN, op. cit. [ supra, no 2], no 518), ainsi que d'éventuels revirements (pour les discussions relatives à cette question, V. N. MOLFESSIS [sous la dir. de], Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à M. le premier président G. CANIVET le 30 nov. 2004, 2005, Litec). Les conventions passées en l'état du droit antérieur à l'intervention de la Cour de cassation ne peuvent être remises en question en fonction de l'interprétation retenue par celle-ci, dès l'instant du moins que les parties connaissaient l'existence de la controverse. De ce point de vue, l'atténuation traditionnelle à la prise en compte de l'erreur de droit fait écho à une jurisprudence postérieure d'après laquelle « l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée » (Cass. 1re civ. 9 oct. 2001, Bull. civ. I, no 157, D. 2001. 3470, rapp. P. Sargos, note D. Thouvenin , RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; adde, déjà : Cass. 1re civ. 21 mars 2000, Bull. civ. I, no 97, D. 2000. 593, note Ch. Atias , RTD civ. 2000. 666, obs. N. Molfessis ). Psychologiquement, on peut cependant contester qu'il ne puisse y avoir, en de telles circonstances, une erreur de droit déterminante
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du consentement (rappr. supra, no 118, la jurisprudence refusant de reconnaître qu'une erreur puisse naître de la déclaration d'illégalité d'une clause type d'un contrat intervenue postérieurement à la formation de celui-ci). Toujours est-il que la Cour régulatrice formule aujourd'hui d'une manière très générale cette limite quand elle censure, au visa des articles 1304, 1109 et 1110 du code civil, une Cour d'appel qui fait courir le délai pour agir en nullité relative en raison de l'illicéité de la clause de rémunération d'un contrat d'édition du jour du jugement rendu dans une affaire semblable aux motifs que « ne pouvait être invoquée comme cause d'une erreur de droit susceptible de justifier la nullité d'un contrat, une décision judiciaire rendue, entre d'autres parties » (Cass. 1re civ. 27 juin 2006, no 05-13.337 ). C'est donc le caractère relatif de l'autorité de la chose jugée qui est avancé comme une justification de la solution. Document 5 Frédérique Cohet-cordey, La violence, les sectes et le contrat de vente d'immeuble, AJDI 1999 p. 1013 La violence est très certainement le vice du consentement à propos duquel les juges ont eu le moins souvent l'occasion de s'exprimer, alors qu'il est, avec ses cinq articles (art. 1111 à 1115 du Code civil), le plus réglementé de tous. Il est traditionnellement défini comme le fait de susciter ou d'exploiter un sentiment de crainte afin de contraindre une personne à donner son consentement (1). A la différence du dol, avec lequel on le compare fréquemment, le vice de violence ne conduit pas la victime à se tromper, son consentement n'est pas atteint dans son élément d'intelligence, mais dans son élément de liberté, dans sa dimension volitive et non pas réflexive (2). L'acte est conclu sous l'empire de la crainte (3). Ce n'est donc pas la violence en elle-même qui est prise en considération par le droit de la formation des contrats (4). Elle n'est pas sanctionnée en tant que telle, mais uniquement au regard de la crainte qu'elle a inspirée. La nullité qui vient frapper le contrat sanctionne moins un comportement illicite, contraire au droit, qu'elle ne protège la victime. Aussi devra-t-elle être demandée en justice par la victime dans un délai de cinq ans à compter du jour où la violence a cessé. Le régime de la nullité de protection qui sanctionne ce vice explique que dans un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 janvier 1999, Sté Jojema c/ Mme Bosse-Platière (v. ci-après p. 1035) l'action en nullité d'un contrat de vente portant sur un bien immeuble ait pu être reçue par les tribunaux plus de cinq ans après la conclusion de l'acte, mais à peine trois ans après que les violences eurent cessé. Le cas particulier ayant donné lieu à cette décision concerne une catégorie de violence hélas tout à fait actuelle : celle qui résulte de l'emprise exercée par les sectes sur la personne de leurs membres. Les manipulations mentales auxquelles aboutissent les techniques parfois employées par les membres de ces organisations sont source d'abus qui constituent un danger pour les personnes contre lequel il convient de les protéger. Mais quels sont les instruments de cette protection ? Le garde des Sceaux déclarait, en 1986, que les moyens à mettre en oeuvre pour lutter contre les dérives sectaires étaient d'ores et déjà présents dans « l'arsenal juridique existant (5) ». La Cour de cassation ne dément pas cette affirmation dans la décision qu'elle a rendue le 13 janvier 1999 (6), puisqu'elle s'appuie sur la théorie des vices du consentement pour anéantir un contrat de vente d'un bien immeuble consenti par sa propriétaire à une société civile immobilière dont les associés et le gérant étaient membres de la communauté à laquelle elle avait adhéré (contrat qui dissimulait une donation consentie sous la violence - la propriétaire victime ayant reversé en espèces une somme d'argent correspondant au montant principal du prix de vente de l'immeuble stipulé dans l'acte notarié). Dans le cas d'espèce, l'immeuble était investi par certains membres de ladite communauté depuis 1972. A partir de cette date jusqu'au mois de novembre 1987, la venderesse avait été l'objet de violences physiques et morales jugées viciantes du consentement au sens des articles 1111 et 1112 du Code civil, c'est-à-dire « de nature à faire impression sur une personne raisonnable » et à « inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ». Pour établir le caractère déterminant de ces violences sur le consentement de la victime, les juges du fond ont relevé que l'intéressée était, au moment des faits, vulnérable car séparée de son époux et ayant à sa charge ses enfants, et que cette vulnérabilité l'avait conduite à conclure l'acte de vente litigieux. En mettant en avant ces éléments de fait, la Cour de cassation rappelle que le comportement du cocontractant victime joue un rôle de premier plan dans l'appréciation de l'existence du vice de violence. Le comportement de l'autre partie étant secondaire, il suffit, mais il est toutefois nécessaire, que la crainte exercée ait inspiré une crainte suffisamment contraignante dans l'esprit de la victime. La crainte inspirée
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Le consentement se trouve atteint par le vice de violence lorsqu'il n'est donné qu'en raison de la crainte ressentie par la victime, crainte résultant de la menace d'un mal plus grand (7) ayant conduit la victime à donner son accord à la conclusion du contrat tout en sachant qu'il ne lui est pas favorable (8).Cette crainte doit donc avoir été déterminante de son consentement et avoir été contemporaine de la formation du contrat. Ces deux caractères de l'élément psychologique de la violence sont contestés par la société, acquéreur dans cette affaire. Il est tout d'abord reproché aux juges du fond de s'être contentés d'avoir affirmé que la victime avait subi des violences physiques et morales sans préciser en quoi la violence exercée avait déterminé le consentement de la victime à l'acte litigieux. La victime était en l'espèce soumise à la surveillance des membres de la communauté à laquelle elle appartenait et subissait, ainsi que ses enfants, des humiliations psychologiques et physiques, sous forme, entre autres, de punitions et de menaces de damnation éternelle. La discipline du groupe auquel elle appartenait, dirigée par l'auteur d'une thèse relative à « la terreur comme système de domination », était fondée sur une aliénation psychologique provoquée, sur une soumission sans condition pendant la présence dans le groupe et même ultérieurement. Un ébranlement affectif en est résulté, la rendant particulièrement sensible aux menaces dirigées à son encontre et à celle de ses enfants (9). Le constat d'une telle situation a permis à la Cour de cassation d'en déduire que le consentement de la victime, rendue vulnérable en raison des agissements relevés, avait été déterminé par ces derniers. La violence vient exploiter la faiblesse d'autrui, faiblesse qui peut être toute relative mais qui doit avoir influencé le consentement (10). La vulnérabilité ici observée semble avoir un rôle à remplir relativement à l'appréciation de la condition de la personne pouvant caractériser la gravité de la contrainte inspirée (11). Elle apparaît comme étant une unité de mesure de la gravité de la menace et de l'existence de la violence en tant que vice du consentement . Quand la cuirasse d'une personne tombe et que l'on dirige une épée sur une partie du corps découvert, l'exploitation de cette faiblesse révélée face à la menace exercée constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du Code civil (12). La vulnérabilité provoquée par des manipulations physiques et psychologiques des membres d'une communauté met le contractant dans une situation d'« incapacité » en ce sens que le consentement qu'il est alors susceptible d'exprimer ne peut permettre la formation d'un contrat valable dès lors que ce contrat s'inscrit dans le giron de ces manipulations ; elles seules déterminent son consentement. Dans le même sens, il a été jugé que la personne qui avait cédé à la menace d'être laissée sans soin de la part de l'acquéreur en acceptant de vendre son bien moyennant un prix symbolique converti en bail à nourriture avait succombé au vice de violence (13). Plus proche encore de la décision commentée, des juges ont pu admettre qu'une même violence exercée sur deux époux pouvait être viciante du consentement de l'un mais non de l'autre en raison de la plus grande vulnérabilité de l'un d'eux (14). La crainte suscitée par les violences exercées sera donc plus ou moins grave suivant la condition de la victime. Si, selon Portalis, « l'office de la loi est de nous protéger contre la fraude d'autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison (15) », l'exigence générale de loyauté et d'honnêteté qui s'impose en matière contractuelle comme en d'autres oblige à prendre en considération des comportements consistant à exploiter la faiblesse d'autrui (16). « Il est juste de protéger aussi les plus faibles et les plustimides (17). » De longue date, les juges (18) considèrent que l'appréciation du caractère déterminant de la violence doit se faire in concreto, eu égard « à l'âge, au sexe et à la condition des personnes » selon l'article 1112, alinéa 2, du Code civil, et non par référence à une « personne raisonnable » visée à l'alinéa 1 du même article. Telle est bien la conception retenue dans l'arrêt qui nous est soumis ; conception subjective qui, au-delà de la cause (la crainte exercée), s'intéresse à l'effet de la menace. Elle doit avoir atteint son but : troubler le consentement. Mais la crainte ne doit toutefois déboucher sur l'annulation du contrat que dans la mesure où la victime est excusable (19). Nul doute qu'elle l'était en l'espèce. Le pourvoi reproche également aux juges de la cour d'appel de ne pas avoir caractérisé l'actualité de la crainte inspirée. Les éléments de contrainte relevés étant pour l'essentiel postérieurs à la formation du contrat. Or, si le danger doit être imminent (l'article 1112 du Code civil utilise le terme « présent »), il n'a pas à être actuel.
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Il suffit que la crainte soit réelle au moment de la formation du contrat, quel que soit le moment de réalisation potentiel de la menace ; instant qui est nécessairement futur (20). Afin de vicier le consentement de la personne qui en souffre, la crainte inspirée doit résulter d'une crainte exercée. Un lien de causalité certain unit ces deux éléments dans le cadre du vice de violence (21). La crainte exercée La crainte exercée correspond à la menace à l'origine de laquelle se trouve la crainte inspirée, à « tous les comportements qui contraignent un contractant à contracter (22) ». La crainte avait en l'espèce été exercée par les membres et le dirigeant de la secte et non par la société cocontractante au profit de laquelle la convention litigieuse a été conclue. Mais l'on sait que l'origine du mal importe peu en la matière. Il peut résulter d'un comportement humain, qui n'est pas nécessairement celui du cocontractant (23) ou des circonstances (24). Cette crainte ainsi exercée, menaçant le contractant « dans sa personne ou sa fortune » (25), est purement objective. Le cocontractant de la victime ne doit pas nécessairement être de mauvaise foi pour que la contrainte exercée soit viciante du consentement, ni tirer profit de l'opération conclue (26). Toutefois, en cas d'état de nécessité, la jurisprudence semble exiger que le cocontractant ait profité des circonstances pour stipuler des conditions abusivement favorables pour lui. La situation de détresse ne suffit pas, il faut aussi une exploitation de celle-ci, donc un élément intentionnel (27). La crainte exercée doit exister, être contemporaine de la formation du contrat et être illégitime. Le pourvoi critiquait les juges de fond pour avoir retenu, afin de caractériser la crainte exercée, des éléments sporadiques, vagues et très espacés dans le temps, ou précis mais postérieurs à la formation de la convention en cause. En d'autres termes, il leur est reproché de ne pas avoir établi de lien temporel direct entre les pratiques relevées et l'expression du consentement. La Cour de cassation rejette cette argumentation en considérant que les juges pouvaient se fonder sur des éléments d'appréciation postérieurs à la date de formation du contrat afin de caractériser l'existence d'une crainte exercée au moment de l'échange des consentements qui, en l'espèce, résultait plus d'une ambiance générale de contrainte, de soumission, que d'un acte isolé de contrainte. S'il est ainsi admis que les juges peuvent se référer à des éléments postérieurs à la formation du contrat, c'est uniquement afin d'apprécier la psychologie de la victime étroitement dépendante de son environnement lorsque celui-ci s'est maintenu au-delà de la formation du contrat. L'illégitimité de la violence n'a pas, quant à elle, été contestée en l'espèce. Ce caractère indispensable à l'admission du vice de violence (28) résultait ici des moyens employés (violence physique et morale) et du but poursuivi (la menace constitue le moyen de se procurer un avantage indu, excessif, abusif) (29). Un telle violence constitue un délit civil, un comportement moralement fautif et socialement dangereux (30), qui justifie, comme en l'espèce, la mise en cause de la responsabilité précontractuelle du contractant qui en est l'auteur ou qui en bénéficie, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, et sa condamnation à verser des dommages-intérêts compensatoires à la victime. La liberté de croyance trouve ainsi sa nécessaire limite dans les moyens employés et le but recherché. Le vice de violence, pris en compte bien plus largement que les autres, parce que le trouble causé par la violence est considéré par le législateur comme particulièrement dangereux, apparaît alors comme un instrument efficace de lutte contre des pratiques de manipulations pouvant se développer au sein de certaines organisations à caractère sectaire. Document 6 Civ. 25 mai 1870
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La cour ; - vu les articles 1101 et 1108 C.civ. ;- Attendu que l’arrêt attaqué, en condamnant le demandeur comme obligé à la souscription de vingt actions prises en son nom dans la Société des raffineries nantaises, s’est uniquement fondé sur le fait que le dit demandeur avait laissé sans réponse la lettre par laquelle Robin et cie., chargés du placement des actions, lui avaient donné avis qu’il avait été porté sur la liste des souscripteur, et qu’ils avaient versé pour lui la somme exigée pour le premier versement sur le montant des actions ; - Attendu, en droit, que le silence de celui qu’on prétend obligé ne peut suffire, en l’absence de tout autre circonstance, pour faire contre lui de l’obligation alléguée ; -Attendu qu’en jugeant le contraire, l’arrêt attaqué a violé les dispositions ci-dessus visé du code Napoléon ; -Par ces motifs casse
Séance n° 4
Thème : Les conditions de formation du contrat Sous-thème : La cause Exercice : commentaire d’arrêt Commentaire de l’arrêt de la cour de cassation française, 1re civ. 7 oct 1998 LA COUR - Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu que, par acte sous seing privé du 17 juin 1981, M. Malvezin a reconnu devoir à son épouse une somme, remboursable avec un préavis de trois mois ; qu'après leur divorce, Mme Malvezin, devenue Mme Grostabussiat, a, par acte du 14 juin 1989, accepté que le prêt lui soit remboursé sous forme d'une augmentation de la pension alimentaire que lui versait son ex-mari ; qu'en 1993, elle l'a assigné en remboursement du solde du prêt; Attendu que M. Malvezin fait grief à l'arrêt attaqué (CA Versailles, 23 février 1996) d'avoir annulé pour cause illicite l'acte du 14 juin 1989 et fait droit à la demande de son ex-épouse, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en ne constatant pas que l'accord avait eu pour motif déterminant des déductions fiscales illégales et en ne recherchant pas s'il n'avait pas eu pour motif déterminant de réaliser l'étalement du remboursement du prêt dont le paiement était susceptible d'être réclamé à tout moment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du code civil ; et alors, d'autre part, qu'une convention ne peut être annulée pour cause illicite que lorsque les parties se sont engagées en considération commune d'un motif pour elles déterminant ; qu'ayant constaté que Mme Grostabussiat déclarait à l'administration fiscale l'intégralité des sommes reçues de M. Malvezin, il s'en évinçait que Mme Grostabussiat ne pouvait avoir eu pour motif déterminant de son accord la déductibilité, par M. Malvezin, des sommes à elle versées, en sorte que la cour d'appel, en retenant une cause illicite, a violé l'article précité ; Mais attendu qu'un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale, même lorsque l'une des parties n'a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat ; que l'arrêt ayant retenu que l'acte du 14 juin 1989 avait une cause illicite en ce qu'il avait pour but de permettre à M. Malvezin de déduire des sommes non fiscalement déductibles, Mme Grostabussiat était fondée à demander l'annulation de la convention ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante visée à la première branche du moyen, a légalement justifié sa décision ;
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Par ces motifs, m rejettte.. Bibliogrraphie indicative : -Ph. Dellebecque, Duu nouveau suur la connaiissance du motif m illicite ou immoral fondant l’an nnulation d’un conntrat, Recueiil Dalloz 19999, p. 110. D. Bonnnet, Cause et condition daans les actes juridiques, j LGDJ, L 2005. J. Ghestiin, Cause de l’engagemennt et validitéé du contrat, LGDJ, L 2006. D. Mazeeaud, « Les nouveaux innstruments de d l’équilibree contractuel. Ne risque-t-on pas d’aller trop loin ? » In I La nouvellle crise du contrat, c sous la direction de Ch. Jaminn et D. Mazeeaud, Dalloz,, 2003, p. 143. C civil :u un passé, un présent, p un aavenir. Dallozz, 2004. D. Mazeeaud, « La caause », in 18004-2004, le Code R.-M. Rampelberg, R « Le contrrat et sa caause : aperççus historiquue et compaaratif sur un n couple controveersé », in Lees concepts contractuelss français à l’heure des principes duu droit euro opéen des contrats,, Dalloz, 20003, p. 19. Documeents : Documeent 1
Xavier Lagarde, L Sur l'utilité l de la théorie de la cause, Recueeil Dalloz 20077 p.740 ourtant, à la réflexion, r cellee-ci est bien décevante. d L'intérêt doctrinal pourr la théorie dee la cause ne fléchit pas. Po mpréhension du d régime Singularité française, elle nous appporte bien peeu. Plus gravee, elle obscurrcit notre com d à nous enn passer. contractuuel. Nous gagnnerions sans doute r sur l''utilité de la th héorie de la caause. 1 - Il exisste deux bonnees raisons de réfléchir Tout d'abbord, la persppective d'une unification communautair c re du droit dees obligationss la condamn ne dans le moyen teerme. Cette thhéorie est peuu prisée en Europe E et, sur cette questioon, la France a bien peu de d chances d'emporteer la mise. Comme C l'a sugggéré J. Ghesstin (1), il faut f donc qu''elle se prépaare à cet aban ndon et la meilleuree manière de procéder p est d'isoler d les fonnctionnalités de d la théorie poour, le momennt venu, les reedistribuer sur les diffférentes technniques retenues par le droitt en voie d'harrmonisation. Ensuite, avec a un brin d'insolence d ett de désinvoltuure, il n'est paas interdit de se demander si la matière ne n souffre pas d'un trop t faible « rendement r docctrinal ». Car enfin, e les meilleurs s'y sontt essayés pourr un résultat malgré m tout assez déccevant. Si tel est le cas, cee n'est pas quue les meilleu urs soient moiins bons qu'on le pensait (2), c'est plutôt qu''ils ont travaillé à l'aide d'unn outil d'une qualité q assez moyenne. m 2 - La thééorie de la cauuse laisse en effet e perplexe dès lors que, aujourd'hui, elle e paraît à la fois évidente, inutile et malgré toout inexacte. Le conseensus, en docttrine et en juurisprudence (3), consistee à distinguer entre la causse de l'obligaation, dont l'existencce s'apprécie objectivemennt, et la causse du contratt, dont la liccéité fait l'obbjet d'une ap ppréciation subjectivee. Avec un reegard rétrospeectif, chacun devine d les effo forts doctrinauux nécessairess à la mise en n forme de cette disttinction. Pour autant, si, avvec injustice, on se dispensse de cette miise en perspecctive, il apparraît que la distinctioon n'est jamaiss qu'une consséquence natuurelle des prin ncipes qui gouuvernent l'objeet des obligattions. Plus
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précisémeent, elle s'obsserve pour aiinsi dire sponntanément à la l lumière duu constat que la théorie dee la cause remédie aux a insuffisannces de la théoorie de l'objet. - La nulllité de l'objeet rejaillit surr l'obligation. En revanche, elle n'atteiint pas l'obliggation, contreepartie de l'obligatioon annulée. Poour parvenir à ce résultat, ill faut donc dirre que la seconde constitue la cause de laa première de sorte qu'ainsi, l'annnulation de l'une entraîne mécaniquem ment l'annulatiion de l'autre. Ainsi se deessine une d la cause de l'obligation. conceptioon objective de - L'objet contraire à l'oordre public et e aux bonnes moeurs est entaché e de nulllité. Si ne sont sanctionnées que les r assez forrmelle. Il fautt donc que la nullité frappee également lees contrats illicéités officielles, la proposition reste mulent leurs vices. v D'où unne conceptionn subjective de d l'illicéité dee la cause quui permet de traquer t les qui dissim contrats, valables en appparence, mais en réalité coonclus dans l'in ntention de rééaliser un projet illicite. e évidence duu lien entre l'oobjet et la cauuse conduit ain nsi sans surpriise à une concception dualistte de cette La mise en dernière. De manière également é atteendue, elle enntraîne aussi un u réveil des doctrines d antiicausalistes. En E effet, la s moins à appprécier la vaalidité d'un coontrat qu'à détterminer l'éten ndue d'une référencee à l'existence de la cause sert nullité d'oores et déjà acquise. a Quannt à l'exigencee d'une causee licite, elle sonne comme le simple rap ppel d'une exigence de légalité doont elle ne faiit que souligner la nécessaiire effectivité. Ainsi conçuee, la théorie de d la cause n'a qu'unee faible valeurr ajoutée. Au moins pourrait-on compter qu'éévidente et inuutile, la théorrie serait à touut le moins eexacte. Las, ill faut bien use, elle compporte de nombbreuses approx ximations. admettre qu'au moins en ce qui conncerne l'existeence de la cau ux des actes à titre gratuit, la conception n objective Aussitôt franchie la froontière qui séppare les actes à titre onéreu l en cette c matière,, elle reprend d quelque s'effondree. La cause se fond dans l'intention libérale. Et lorsque, consistannce, c'est pour s'apparenter à un motif, souudainement éllevé au rang de d cause. Plus grave, depuiss quelques années, ill se dit que même m les actees à titre onérreux sont atteeints par un mouvement m dee subjectivisaation de la cause. L''article 1131 du code civvil ne semblee plus refléter l'exigence d'un équilibre abstraitemeent défini. L'abstracttion, comme du reste l'éqquilibre, s'effaacent progresssivement ; onn s'intéresse ddésormais à ce c que les parties veeulent concrèttement. Tel esst par exemplee le cas lorsqu ue, dans une affaire a demeurrée cas d'écolee, la cause réside danns l'intention d'une partie à un contrat dee prendre appu ui sur ce derniier pour l'exploitation d'un commerce c (4). Auu reste, il n'esst même pas certain c que la cause demeurre une conditiion de validitéé des contrats. En effet, depuis le début des annnées 1990 (55), la Cour dee cassation a utilisé u la notioon pour se livrrer à une sortee de police ommation. des contrrats, semblable à celle que la théorie dess clauses abussives autorise dans les conttrats de conso Or, en touutes ces occurrrences, l'objectif n'est plus l'effacement rétroactif r d'unn contrat dépoourvu de causee, mais, au contraire,, le maintien de d celui-ci, débbarrassé des clauses c jugéess indésirables. Grâce à ces c évolutions, la théorie dee la cause a rettrouvé quelqu ues couleurs. Mais M tout semb mble se passer comme c si, pour être utile, la théoorie devait êtrre fausse. A force fo d'être paartout, elle serrait nulle part. La multipliccité de ses m révéllateur de son inutilité i théoriique (II). utilités prratiques (I) estt peut-être le meilleur I - Les utilités pratiquees L occurrencces de la thééorie de la cause c en révvèlent quatre visages. Ellee apparaît 3 - Préssentation - Les successivvement comm me un prolongeement de la théorie des vicces du consenntement, une technique d'aapplication des dispoositions de l'arrticle 6 du codde civil, une exxtension de laa théorie des clauses c abusives, un cantonn nement de la théoriee de l'imprévission. Le seconnd point paraîtt acquis. Ainssi qu'il a été dit d (supra, n° 2), l'article 1133 1 du code civil a pour principale fonction de garantir l'effectivité l d l'exigence de licéité. Ill s'agit de fraapper de nulllité non seulement les de p objet la méconnaissannce d'une règ gle impérativee, mais égaleement celles dont c'est stipulatioons qui ont pour seulemennt le but ou l'eeffet (6). Quue l'on parle d'objet d ou de cause, c le principe est toujoours le même : ne pas « déroger, par des convventions partiiculières, auxx lois qui inttéressent l'orddre public et les bonnes moeurs m ». Concentrrons donc l'atteention sur les premier, troissième et quatrième points.
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4 - Causse et vices du u consentement - Lorsque la cause esst considérée comme la coontrepartie objjective de l'obligatioon, il est égallement admis que le défautt de cause réssulte nécessairrement d'un vvice du consen ntement (7). En efffet, si l'acte est e à titre onééreux, la contrrepartie est atttendue. Si ellee fait défaut lors de la concclusion du contrat, c'est c qu'il y a eu erreur ouu contrainte. Car C s'il n'y a eu ni l'une, ni n l'autre, c'esst qu'alors l'absence de contreparrtie est souhaaitée et que l'acte est à titrre gratuit. Lee défaut de caause, source dde nullité d'u un contrat, constitue bien, en pratiique, un vice du d consentemeent. s n'est pas p sans intérêêt pour celui qui q demande la nullité. Dee la même Invoquer le premier pllutôt que le second manière que q la preuvee du dol faciliite la dénonciaation de l'erreeur, l'inexistennce de la causse simplifie laa tâche du demandeuur. L'erreur esst énorme ; ellle est à l'imagge de l'erreur obstacle o et il n'est n donc pass besoin d'étab blir qu'elle a été déteerminante du consentement c de la victime. Bien plus, en n l'absence dee cause, il n'y a pas lieu de prendre p en considéraation les freins habituels à la l dénonciatioon de l'erreur, qu'ils tiennennt au fait que celle-ci est in nexcusable (8) ou portent seulem ment sur la vaaleur. Le défautt de cause faiit oublier le vice du consenntement. En même m temps, il i n'est pas inuutile de rappeeler que le premier n'est n qu'une vaariante du secoond. D'un poinnt de vue péddagogique, cella évite d'avoiir à tenir un propos p généraalement perçuu comme contrradictoire. En effet, à ce jour, nouus sommes enccore contraintts d'enseigner que la cause est caractériséée lorsqu'une obligation e inexistantee. Sans doute expliquons nous n alors a une conntrepartie maais qu'elle l'esst encore lorsqque celle-ci est qu'en cettte dernière hyypothèse l'intenntion libérale tient lieu de cause. c Mais l'aauditeur flairee le tour de paasse-passe. Il entend que la causee est objectivee mais qu'au cas où, ainsi entendue, elle vient à faire défaut, elle redevient q les partiess ont libremen nt voulu et subjectivee. Il peut être perplexe. Mieeux vaut dire que le contratt doit être ce que qu'au cas où tel n'est pas p le cas elless peuvent en demander d la nullité, n à certaiines conditionns. L'on comp prend alors qu'un conntrat voulu sanns contrepartiee n'a pas à être annulé maiss que doit l'êtrre celui dans leequel la contrepartie est inexistantte dès lors quee cette dernièrre avait été souuhaitée. 5 - Suite - D'un point de vue plus thhéorique, le rattachement de d la cause à la l théorie des vices du con nsentement permet de d saisir la coontinuité des évolutions juurisprudentielles. Chacun sait bien que la force oblig gatoire du contrat s'accommode relativement mal d'une déénonciation sans s retenue des d vices de la volonté. C'est C bien pourquoi celle-ci fait l'objet d'un cantonnement. Ainsi l'erreu ur n'est-elle soource de nulliité qu'à la con ndition de porter surr une qualité substantielle de la chose. Pour P limiter l'insécurité jurridique, il a un temps été suggéré s de s'entendree sur une déffinition préétaablie de la quualité substanttielle (9). Onn parlait de cconception obj bjective de celle-ci. Simplement, S il est apparu que q l'objectivitté souhaitée su upportait une dose de subjectivité. Il sufffisait, pour employerr une terminoologie qui mériterait m d'êtrre abandonnéée, d' « objecctiver » par le contrat lees qualités subjectiveement considdérées commee substantiellees. En clair, pour ne trom mper les attenntes d'aucune des deux parties auu contrat, et donc pour présserver la sécurrité juridique, il a été déciddé qu'une quallité est substan ntielle dès lors qu'elle a été contraactuellement définie d comme telle. Ainsi la notion de « qualité convenue » a-t-ellee connu le succès quu'elle méritait (10). La théoriie de la causee a connu unee évolution coomparable à la l théorie de l'erreur. Pourr le comprend dre, il faut accepter de d revoir l'artiiculation génééralement adm mise entre erreeur et inexistennce de la cause. Le princiipe est que l'erreur n'est cauuse de nullité qu'à la condiition de porterr sur une quallité substantieelle. Il s'en déduit quue l'erreur sur les mobiles comme c l'erreuur sur la valeu ur sont indifféérentes. En mêême temps, lee droit des contrats ne se désinttéresse pas complètement c des mobiless ou de la valeur. v Témooin, lorsqu'il prend en s une contrepartiee dérisoire. De manière considéraation la destinnation d'un coontrat ou encoore lorsqu'il sanctionne assez loggique, il faut en e déduire quue cette attentiion est portéee non pas au titre t d'une errreur, mais au titre de la cause. Coomme l'erreur est mise à l'éccart, l'intentioon l'est égalem ment. La causee s'entend en cconséquence de d manière objective. Et c'est ainnsi qu'elle esst censée reffléter une ex xigence d'équilibre. Cette présentation comporte d : elle occulte o le fait qu'au cas où la destinationn d'un contratt se révèle ineexacte, ou cependannt un double défaut encore quu'en l'absencee de contrepaartie sérieuse, il y a bien une erreur sur s les motiffs ou la valeu ur et que, précisémeent, l'intérêt d'invoquer d unne absence dee cause est d'o obtenir la sannction de cette erreur ; ellee oblige à retenir unne conceptionn étroite de la cause qui, coonstruite sur l'idée d'équilibbre, devient viite la contrepaartie, alors
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que l'on sait s déjà que la l cause peut être autre choose que cela, notamment, n unn motif. D'où d'ailleurs les tentatives doctrinalees pour reconstruire la théoorie autour de l'idée d'intérêêt (11), ou encore e la nuanncer en introdu uisant une dose de subjectivité (12). ( Il serait sans doute plus simple de diire que la théoorie de l'erreurr a été élaboréée en vue d'appprécier une errreur sur la chose puuis, plus largeement, sur sess qualités subbstantielles, c'est-à-dire, enn réalité, une erreur sur l'o objet de la prestationn caractéristiqque, généralem ment d'ailleurrs une chose vendue. v Du coup, c cette thééorie ne perm met pas de traiter convenablementt l'erreur sur d'autres d aspeccts du contrat,, la valeur de la chose, maais aussi plus largement q dans l'envvironnement contractuel, c inntéresse les parties et que l'on désigne à travers les termes de tout ce qui, mobiles ou o de motifs. Ainsi, lorsquu'il est affirméé que l'erreur sur la valeurr, comme cellle sur les mob biles, sont indifférenntes, ce n'est pas tant qu'eelles demeureent sans portéée juridique ; c'est plutôt qque, de manière moins radicale, la théorie de l'erreur l ne s'y intéresse pas, et que, sur cee sujet, le théoorie de la cause prend le relaais. ues similaires,, ces deux thééories sont sen nsiblement Cependannt, ayant l'unee et l'autre à réégler des diffiicultés pratiqu coulées dans d le mêmee moule. Pouur des raisonss de sécurité juridique, ellles ont l'une et l'autre pou ur objectif principal de cantonnerr la dénonciatiion de l'erreurr. Elles n'ont pas tout à faiit le même obbjet. L'erreur de d l'article 1110 conncerne essenttiellement la prestation caaractéristique.. En cas d'innexistence dee la cause, l'erreur est susceptibble de porter sur s l'ensemblee des élémentts au regard desquels d le déébiteur s'est ddéterminé. Sim mplement, pour séleectionner les erreurs e admisssibles, la mêm me méthode peut être utiliséée. De la mêm me manière qu ue l'erreur sur une qualité q substanntielle justifie l'annulation du d contrat à laa condition dee porter sur unne qualité con nvenue, de la même manière, l'abbsence de cauuse n'entraînee l'annulation du contrat quue si elle se constate à prropos d'un élément convenu. c Touut au plus peut-on exiger unn surcroît de rigueur dans l'appréciationn de ce dernierr. Comme l'erreur dont d traite la théorie t de la cause c a un doomaine plus étendu é que l'errreur de l'articcle 1110, il est prudent d'exiger que q l'entrée daans le champ contractuel c se fasse au moy yen d'une stipuulation expresse (13). Un peu comme c on a pu p le croire à propos de l'errreur sur les qualités q substaantielles, longgtemps la docttrine a été convaincuue que seulee une analysse abstraite, objective disait-on, des éléments proopres à déterminer le consentem ment des parrties permettrrait d'éviter que q la cause ne subvertissse la force obligatoire du u contrat. Simplemeent, la jurisprrudence a claiirement perçuu que l'exigencce d'objectivitté pouvait êtrre respectée malgré m une analyse concrète c de laa cause. Désorrmais, tout peeut devenir caause, à la conndition d'entreer expressément dans le champ contractuel (14). Sans dooute les concceptions abstrraites conservvent-elles unee utilité en ce c qu'elles permettennt de présumeer le caractère déterminant de d l'erreur lorsque la cause,, selon ces connceptions, faitt défaut (15). Il y a alors disppense de conntractualisationn de la causee. Pour autannt, ces concepptions n'empêêchent pas d'introduiire des varianntes, pourvu qu'elles q aient été é convenuess. Il n'y a pas de passage dee l'objectif au u subjectif. Car, de subjectivité, s ill y a toujourss eu. Simplem ment, à une analyse a in abstracto de la cause, est ajoutée une analyse inn concreto. L'ajout L s'est faait d'autant pluus aisément que, q depuis tooujours, le déffaut de cause procédait d'un vice du consentem ment et qu'il importait en conséquence de d privilégier une u approche au cas par caas dès lors d impératifs de sécurité ju uridique. que ce poouvait être danns le respect des Finalemeent, la cause est bien un proolongement dee la théorie dees vices du coonsentement. S Soit l'erreur porte sur la prestationn caractéristiqque et alors elle e n'est souurce de nullitté qu'à la conndition d'être relative à un ne qualité substantieelle, entenduee comme qualiité convenue, de la chose objet o de cette prestation. p Sooit l'erreur porrte sur tout autre élém ment ayant dééterminé le coonsentement du d débiteur, laa valeur de la chose ou les motifs, notam mment, et, alors, ellee entraîne la nullité n du conttrat si cet élém ment est abstraaitement définni par la loi ouu, concrètemen nt, par une stipulatioon expresse duu contrat. 6 - Cause et clauses abusives a - Laa théorie des clauses c abusiv ves est une crréation du drooit de la conso ommation. met l'éradicatioon des clausess qui, selon l'eexpression dee l'article L. 1332-1 du code de la consom mmation, « Elle perm ont pour objet ou pourr effet de créeer, au détrimeent du non-pro ofessionnel ouu du consomm mateur, un dééséquilibre ntractuelle significattif entre les drroits et obligaations des partties au contratt ». Elle est l'iinstrument d'uune police con bien plus qu'elle ne constitue le suppport d'une conndition de vallidité des conttrats. En effet,, si une clausee est jugée e principe, ill demeure, la clause en mooins. Il s'agit bien de sancctionner le abusive, le contrat n'eest pas nul ; en
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professionnel qui abuse plutôt que d'effacer d un coontrat non conforme. Quandd le professionnnel abuse-t-ill ?
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T est par - lorsqu'il stipule une clause qui a pour effet dee rendre inefffectif l'équilibbre voulu par les parties. Tel d responsabillité ou encore de la clause autorisant a le pprofessionnel à modifier exemple le cas de la cllause élusive de unilatérallement le conttenu du contraat. - lorsquee, abstractionn faite de l'ééquivalence des d prestation ns, le professsionnel s'octrroie un avan ntage sans contreparrtie ou sans motif m ; tel peutt être le cas loorsque, par exemple, le professionnel s'abbstrait de la th héorie des risques ouu encore renverse la chargee de la preuve.. Cette thééorie est inappplicable en dehors des relations de consommatioon. Simplem ment, rattachéee à l'idée d'équilibrre, comme l'a été avant ellee la théorie dee la cause, son n champ d'appplication a étéé étendu par application a de cette dernière. d Ainssi peut s'interppréter la jurispprudence ayan nt déclaré sans cause, illicitte et réputée non n écrite, la clause dite de réclam mation de la victime v et quii tend à réduirre la durée de la garantie à un temps infé férieur à la durée de la responsabiilité (17). La L jurisprudennce Chronoposst (18) peutt être appréciéée dans le mêême esprit puisque l'objectif l étaitt d'empêcher l'application d'une clause limitative de responsabilitéé alors qu'en raison du manquem ment du débiteeur à une obliggation essentiielle, une tellee clause contreedisait la portée de l'engageement pris et devait être réputée non n écrite. Danns ces deux caas, il n'a jamaais été questionn d'annuler unn contrat pourr défaut de mme s'il avaitt été fait appliication de la théorie t des claauses abusivees, il a été jugé que doit cause. Exxactement com être élimiinée une clausse ayant pour objet ou effet de rendre ineffectif l'équiliibre voulu parr les parties. Lorsque l'article 11311 du code civvil sert de reelais à l'articlee L. 132-1 du d code de laa consommatiion, il est quelles les désormais sans rapporrt avec la thééorie des vicees du consenteement. Il s'appplique à des clauses auxq parties n''ont généralem ment pas prêtté attention ett à propos deesquelles, à prroprement paarler, il n'y a pas eu de consentem ment. Au dem meurant, la preuve p d'une volonté intèg gre n'empêcheerait pas l'éraadication de la clause. Lorsqu'unne vente est stipulée à un prix p dérisoire,, l'acquéreur peut p tenter de prouver que telle était la volonté v du vendeur et e qu'en réalitté la vente dégguise une donnation (19). En revanche,, cette soupappe n'existe plu us lorsqu'il est prétenndu qu'une claause n'a pas de cause. Le béénéficiaire de celle-ci ne peeut prétendre conserver son n avantage en prétenndant que celuui-ci a été librrement et connsciemment acccepté par l'auutre partie. Laa clause doit disparaître d tout simpplement parce qu'elle a le toort d'être là. Icii, à l'inverse d'ailleurs, d il n'yy a aucune subbjectivité. 7 - Causse et impréviision - Il n'esst guère douteeux que les parties p s'engaggent dans un certain conteexte. Si ce dernier viient à changerr, au moins l'uune d'entre ellles souhaitera une modificaation des donnnées contractu uelles. Elle ne l'obtieendra pas. Tellle est la soluution que com mmande le rejjet de la théoorie de l'impréévision. Elle s'explique essentielllement par dees raisons de sécurité juridiique. En l'abssence de repèrres clairemennt définis, ce serait s trop gravemennt méconnaître les attentes du créancier que q de lui imp poser une rééccriture du conntrat. Dans son n principe, comme dans d sa mise enn oeuvre, cellee-ci serait impprévisible. Il existe cependant dees techniques permettant de d concilier laa volonté de changement de l'une des parties et ur le contrat quui, dans tout rrapport volonttaire, reste l'aspiratioon à la permannence de l'auttre. Elles prennnent appui su le meilleuur moyen de donner de l'obbjectivité auxx attentes respectives de chaacune des deuux parties. Il existe une techniquee expéditive qui, q par le mooyen d'un term me extinctif, consiste à borner le contraat dans la durrée ; de la sorte, il n'y n a de contraainte que dans le court term me et les partiies limitent lees risques liés au bouleversement des circonstannces. De mannière plus subbtile, les partiees peuvent lieer le contenu ou même l'exxistence du co ontrat à la survenancce (ou l'absennce de) d'un ou de plusieuurs événemen nts. Ainsi lorssque les partiies introduisen nt dans le contrat unne clause de renégociation. Ainsi égalem ment lorsqu'ellees stipulent unne condition. Il faut ajouter la théorrie de la causse. En effet, celle-ci c a traitt à l'ensemblee des élémentts extérieurs au a rapport e autorise unee prise en con nsidération d'obligatiion (V. supra,, n° 5). De la sorte, elle a partie liée avecc le contexte et de l'impréévision. De deeux choses l'une : - ou bien l'élément au regard duquell une partie s'eest déterminée est en fait innexistant dès le jour de la conclusion c u erreur du contraat. Par exemplle, le commerrce projeté grââce au contrat n'est pas réallisable. Dans cce cas, il y a une qui, néceessairement, s''apprécie au jour de la form mation du con ntrat. Ainsi, laa Cour de casssation rappellle-t-elle «
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que l'exisstence de la caause d'une obligation doit s'apprécier à laa date où elle est e souscrite »
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- ou bienn il n'y a pas d'erreur d'apppréciation. Sim mplement, l'éllément qui a conditionné le consentemeent vient à disparaîtrre en cours d'exécution. Daans ce cas, et spécialementt si par une sttipulation exppresse cet élém ment a été élevé au rang de causse, l'impératiff de sécurité juridique j n'im mpose pas de maintenir le contrat ; pas plus qu'il faut dès le jourr de sa concluusion. Ainsi, la l Cour de n'empêchhe l'annulationn de ce dernier lorsque l'éléément fait défa cassationn peut-elle adm mettre qu'en cours c de contrat une obligattion n'ait plus d'effet pour nn'avoir plus de d cause (21). vité et objectivvité. La disparrition de la caause est un Dans cettte hypothèse, la théorie de la cause est enntre subjectiv fait objecctif. Pour autant, s'il ne restte pas sans efffet, c'est que, au a moment dee la conclusion du contrat, les parties y ont inteentionnellemennt prêté attenttion. 8 - Ainsii se présente la l théorie de la cause : des manifestatio ons multiples qu'il semble bien difficile de réunir autour d'uune techniquee ou d'une idéee communes. Faut-il F lui sou uhaiter un avennir ? II - L'inuttilité théoriquee 9 - La rééponse est pluutôt négative. Car la théoriie est techniq quement discuutable, politiquuement inexaccte, enfin, juridiquem ment superfluue. 10 - Unee théorie tech hniquement discutable d - Sous S un anglee technique, une u bonne thééorie se signalle par son homogénnéité, conditioon de son carractère opérattoire. Telle esst, par exempple, la théoriee de l'autonomie de la volonté qui q repose sur une idée - la contrainte vooulue est respeectueuse de laa liberté - et dee laquelle se déduit d fort logiquem ment un régimee général du contrat : consensualisme, eff ffet obligatoiree, effet relatif. De telless théories sonnt rares. Au reste, r lorsqu'eelles existent,, elles recèlennt souvent unne part d'artiffice. C'est d'ailleurs un peu le cass de la théoriee de l'autonom mie de la volo onté qu'on dit trop abstraite parce qu'oub blieuse des d force qui soous-tendent lees rapports conntractuels. Dee fait, le droit se s meut dans les conflits d'iintérêts de rapports de telle sorte que les connstructions dooctrinales doivvent fréquem mment intégrerr des considéérations contraadictoires. L'obstacle n'est pas dirrimant. La scieence du droit, c'est sa richeesse et sa limitte, sait fondre des volontés contraires p près cohéérents. La notiion de qualité substantielle,, sur laquelle est construite la théorie dans des ensembles à peu c la prrotection du consentement dde la victime de l'erreur de l'erreuur, permet d'écclairer le propoos. Il faut ici concilier et le resppect des attentes légitimes du créancieer. Précisémeent, c'est grâcce au princippe selon lequel l'erreur n'emportee la nullité qu'à q la condittion de porterr sur une qu ualité substanttielle, entenduue comme un ne qualité convenuee, que la conciiliation peut inntervenir. Car alors, la proteection opère sans s effet de suurprise. En un moot, une notionn ou une théoorie ne sont rééellement opératoires que si s elles sont pplacées au serv vice d'une ambition ou au coeur d'un d conflit, l'uun et l'autre clairement iden ntifiés. Tel n'eest assurémennt pas le cas dee la cause. Tantôt, coomme l'erreurr, elle est utiliisée pour arbiitrer le conflitt entre une paartie déçue parr le contrat et une autre qui, justeement, tente encore d'en tirrer avantage. Tantôt, T elle s''inscrit dans une u perspectivve bien plus générale g et remplit alors a pour prinncipal office d'assurer d le reespect de règlles impérativees. En marge de ces deux premières fonctionnnalités, elle est e un outil de d police conntractuelle et permet l'élim mination de clauses abusiives. Plus marginaleement encore, elle peut êtrre un substitutt de la théoriee de l'imprévision. On voit mal où pourrrait être le principe fédérateur. f Saans doute est-iil généralemennt avancé quee la théorie de la cause est uune illustration n de l'idée d'équilibrre et qu'en cela elle est un tempérament - sinon un con ncurrent - à la théorie de l'auutonomie de la l volonté. Pour parttager que soit cette analyse, elle paraît poolitiquement in nexacte. 11 - Une théorie polittiquement ineexacte - Sauf à formuler un ne proposition d'une générallité telle qu'ellle perdrait e inexact d'affirmer qu'uun principe d''équilibre gouuverne le drooit des contraats et qu'il toute connsistance, il est s'exprimeerait à travers la théorie de la cause. A trravers la distinction entre les actes à titre onéreux et les l actes à titre gratuuit, celui-ci addmet les relatiions équilibréees comme celles qui ne le sont s pas. Sanss doute peut-o on soutenir que le drroit veille à l'ééquilibre des relations vouulues comme telles. t Mais alors, cela ne ppeut signifier que deux choses :
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p de l'éqquilibre vouluu ; dans ce cas, l'objectif estt le respect dess volontés dess parties et - Le droitt s'assure du principe la protecttion de l'équiliibre est alors en e fait une prootection du co onsentement ; - Le droiit est soucieuxx de l'effectivvité de cet équuilibre ; ce qu ui voudrait aloors dire que lle droit s'inqu uiète d'une certaine équivalence é enntre les prestaations des parties. Cependannt, il n'est de principe mieuux établi que l'équivalence l des prestationns n'est pas unne condition de d validité des conventions (22)). Elle n'est prise p en considdération qu'à la faveur d'uune déloyauté,, caractérisée en cas de p par l'artticle 1118 du code civil et selon s laquelle la lésion ne vicie v point dol. Sinonn, elle se heurrte à la règle posée les conveentions. En coonsacrant le réégime de la libberté des prix x, le droit de la concurrencee a d'ailleurs donné d une nouvelle jeunesse j à ce texte. Il est enn effet définittivement acqu uis que le marcché constitue lla meilleure garantie g du juste prixx. La preuve en e est que le législateur, loorsqu'il a vou ulu protéger lee consommateeur des « désséquilibres significattifs » dont il pourrait p souffrrir, a expressém ment réservé la question dee l'équivalencee entre le prix x et le bien vendu ouu la prestatioon offerte. Seelon l'article L. 132-1, aliinéa 7, du coode de la coonsommation, en effet, l'éliminattion des clausees abusives nee peut aucunem ment servir dee prétexte à unn contrôle des prix. Il est vraii, malgré tout, que ce texte consacre unee exigence d'ééquilibre. Cepeendant, c'est ssoit en vue dee préserver l'équilibree voulu par lees parties, ce qui nous ram mène à la prottection du connsentement, soit aux fins de d garantir l'équilibree sur des aspects accessoirres du contratt (V. supra, n° n 6). Dans ce dernier cas,, il est d'ailleurs moins question d'équilibre quue de réciproccité. En outre, même sans réciprocité, r il n'y a pas nécessairement d'abus. d Tel p à moontrer que l'av vantage dont il dispose réppond à une ju ustification est le cass lorsque le professionnel parvient légitime (23). Quoi qu'il q en soit, l'exigence d'éqquilibre reste marginale. Enn outre, elle se manifeste à travers la notion dee clause abusivve qui, de connsensus, ne connstitue pas le coeur de la thhéorie de la cauuse. Avant dee sceller une conclusion c auussi négative, peut-être fau ut-il s'arrêter une u dernière ffois sur l'amb biguïté des rapports entre équilibrre et consenteement. Lorsqque la contrep partie attendue fait défaut, l'erreur est énorme é et justifie l'aannulation du contrat sans qu'il q soit nécessaire d'établiir son caractèrre déterminantt. Cette phrasee peut être perçue coomme une illuustration de l'idée que le dééfaut de causee est un vice du consentem ment dont il siimplifie la dénonciattion. Le propoos est cependaant réversible.. La simplificaation peut préécisément s'exxpliquer par lee défaut de contreparrtie et alors cee ne serait pluss la protectionn de l'équilibree qui cacheraiit la protectionn du consentem ment mais exactemeent l'inverse. L'inversion L de sens trouve cependant c asseez vite sa limitte. - La causse peut être unn élément (mootif, conditionn) convenu. Peensons par exemple à la cauution qui conttractualise et élève au a rang de caause l'absencee de déconfituure du débiteu ur principal. Dans ce cas, la contreparttie comme l'équilibree sont insaisisssables. La cauuse constitue bien b un vecteu ur de protectioon du consenttement ; - Lorsqu'eelle n'est pas convenue, c la cause c est apprréciée in abstrracto pour chaaque type de ccontrat (24). Tant que les contraats ont une naature synallagm matique, la caause s'apparen nte à la contreppartie. Elle seemble alors traaduire une exigence d'équilibre. Simplement, S c cette dernière s'efface lorsq que le contrat ne se ramènee plus à un écchange. La e vraisemblaable que la cauuse abstraitem ment définie s'apparente cause se déplace au grré des qualificcations. Et il est e déterminennt généralemennt l'utilité. A ce c compte, aux éléments caractérisstiques de telss ou tels contrats, lesquels en elle peut être totalemennt détachée dee l'idée de conntrepartie objeective et, toutt en conservannt son abstracttion, venir m Les libbéralités perm mettent d'illustrer le propoos. Ici, point de contrepaartie, mais se fondree dans un motif. certainem ment une utilitté. La différennce entre la bieenfaisance et le titre gratuitt est que ce deernier opère trransfert de propriété et constitue de d ce fait un mode m de dévollution successsorale. Ce qui est lié à cettee dernière dim mension de q a trait auxx liens familiaaux, participe de l'utilité dee la libéralité et peut donc,, à titre de l'acte, en fait, tout ce qui motif détterminant, êtrre apparenté à la cause (25). Sauf à ne raisonneer que sur l'hhypothèse des contrats synallagm matiques, la caause ne paraît pas réductible à une exigen nce objective d'équilibre. A Appréciée absttraitement, elle conssiste dans l'utiilité du contrrat, généralem ment définie en e considératiion des élémeents qui déterrminent la qualificattion et la natuure de ce derrnier. Bien enntendu, la déttermination dee ces élémentts peut évolueer avec le temps. p des vertus. v En drooit des contratts, elles n'ont cependant La justicee commutativve, la proportioonnalité ont peut-être
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pas valeuur de principe. 12 - Un ne théorie ju uridiquementt superflue - Sans idée directrice, d d'uune mise en oeuvre exceessivement complexee, la théorie de d la cause n'a vraisemblabblement plus beaucoup d'avvenir. D'autannt moins que,, dans son principe et e ses applicattions, elle est parfaitement p s superflue. Dans sonn principe, la théorie t n'a guèère de justificaation. Commee le suggérait Portalis, il fauut toujours se demander pourquoi le législateuur s'intéresse à tel ou tel phénomène. L'interrogatioon est d'autannt plus justifiiée que le phénomène est naturel. Or, le fait est que les indivvidus contracttent et que, daans l'exercice dde cette activitté, le droit mie. Au bénééfice de cette remarque r préaalable, on peuut discerner trrois motifs leur conffère une assez large autonom d'intervenntion : - Tout d'aabord, en conssidération d'unne rencontre de d deux conseentements, le droit d veille naaturellement à la qualité de celle-cci et de ceux-là ; une théoriee des vices duu consentemen nt est incontouurnable. - Ensuite, et parce quee le contrat n'eest a priori quue l'instrumen nt propre à perrmettre la satiisfaction des intérêts i en présence,, il importe dee s'assurer duu respect de l'intérêt généraal ; d'où une exigence e de llicéité, dont l'effectivité doit être garantie. g - Enfin, et parce qu'uune large parttie du contratt échappe au consentemennt, il importe qu'un certain n contrôle s'exerce. Celui-ci peut d'abord porterr sur les clausses qui le plus souvent échaappent à l'attenntion des partiies ; ce qui justifie unne éliminationn des clauses abusives. a Le contrôle c se jusstifie égalemeent lors de l'exxécution du co ontrat. Car alors, ayaant épuisé ses effets lors de la formation de l'acte, la vo olonté ne pèsee plus. D'où uune exigence de d loyauté, parfois coomprise comm me l'expression d'un solidarrisme (26), dans d le but dee maintenir l'harmonie des liens tissés par le conntrat. A priori, on ne voit pas p qu'il y aitt de place poour la théorie de la cause, expression dd'un principe de justice commutaative. D'autantt que ses appplications peuuvent être aisément distribbuées sur les différents élééments du régime coontractuel. L'exigencce de licéité de d la cause se fond dans unne exigence dee licéité du coontrat, dont ellle tend exclussivement à garantir l'effectivité. La « cause des clauses » n'esst en réalité qu u'une extensioon de la théorie des clausess abusives. d devoir dee loyauté qui commande c La cause,, relais de la thhéorie de l'impprévision, n'est jamais que l'expression d'un de reconnnaître la cadducité d'une convention c loorsque l'un dees éléments au regard duuquel une parrtie s'était expressém ment déterminnée vient à fairre défaut. Il reste à dire un mot de la cause lorsque l son abbsence facilite la dénonciaation d'un vicee du consenteement. Un léger effoort de réécrituure de nos texxtes permettraait d'oublier lees articles 11331 à 1133 du code civil. Après A avoir rappelé que q l'erreur suur une qualitéé substantiellee de la chosee est source de d nullité, il suffirait d'ajo outer deux propositioons : - L'erreurr sur l'existencce de tout élém ment ayant dééterminé le co onsentement des d parties enttraîne l'annulaation de la conventioon pourvu quue cet élémennt et son caractère déterm minant du coonsentement aient fait l'ob bjet d'une stipulatioon expresse ; - A défauut d'une telle stipulation, l'erreur l sur l'eexistence d'un n élément affeectant l'utilité du contrat ju ustifie son annulatioon ; l'utilité du d contrat est appréciée enn considératio on de sa qualiification, de sa nature et des d règles spéciales qui lui sont applicables. a nclusion - Cettte présentatioon n'est pas saans défauts. D'abord, D elle est e faussementt originale en ce qu'elle 13 - Con doit l'esseentiel de son inspiration auux idées expriimées par Cap pitant, Ripert et Boulangerr et, plus réceemment, J. Rochfeldd. Au demeuraant, le lien enttre consentem ment et cause est e communém ment perçu. Ennsuite, elle nee simplifie pas le drroit positif auu point de réssoudre toutes les difficultéés pratiques suscitées s par la théorie de la cause. L'appréciiation de l'utiilité d'un conntrat en consiidération de la catégorie à laquelle il appartient reestera une opérationn relativement délicate, com mme peut l'êtree aujourd'hui l'identification l n de la cause ddans les différrents types
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de contrat. A l'effacement de la théorie de la cause, on peut cependant trouver deux avantages. Le premier est d'ordre didactique. Il suffit désormais de dire que le droit des contrats arbitre entre protection du consentement et impératif de sécurité juridique pour rendre compte et du régime de l'erreur et des applications pratiques de la cause. L'ensemble devient cohérent. Il n'est plus besoin d'introduire d'autres données, sources de multiples circonvolutions et, au moins chez les étudiants, de la plus grande incompréhension. Notamment, cela évite d'avoir à dire qu'il faut veiller à l'équilibre du contrat, et en fait à une certaine équivalence (V. supra, n° 11), juste après avoir affirmé qu'en droit français, il n'y a pas de contrôle du juste prix. Cela évite également d'avoir à énoncer que la cause consiste dans les raisons de s'engager et qu'elle conditionne la validité du contrat, après avoir lourdement insisté sur le fait que les motifs sont juridiquement indifférents. Le second avantage est d'ordre politique. Chacun aura clairement perçu que la présentation proposée est, quoique plus simple, assez proche de celles résultant des tentatives d'unification du droit européen des contrats, notamment Les principes du droit européen des contrats. Dans le même temps, elle reste assez fidèle à l'état du droit positif français ; en tout cas, si elle peut ici ou là être prise en défaut, sa mise en oeuvre n'emporterait aucun bouleversement. Se pourrait-il donc qu'enseignant le droit français, nous enseignions dans le même temps les principes d'un droit européen des contrats ? En ces temps où l'Europe suscite plus d'inquiétude que d'espoirs, la coïncidence serait heureuse. En outre, elle nous donnerait l'occasion de montrer qu'en matière d'art législatif la France peut retrouver son rang si elle accepte de revoir ses doctrines. Document 2 Thomas Genicon, Défense et illustration de la cause en droit des contrats, À propos du projet de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Recueil Dalloz 2015 p.1551 Résolus à supprimer la cause, les projets de réforme du droit des contrats s'efforcent depuis plusieurs années d'évincer le mot sans, dit-on, supprimer la chose. C'est pourtant à un résultat opposé que parvient le projet d'ordonnance : le mot ne cesse de hanter le texte par prétérition, cependant que la chose n'est pas parfaitement conservée. « Intérêt », « contenu », « objet, « but »..., cette valse-hésitation des substituts ne doit rien au hasard : elle est la preuve que le mot comme la chose sont irremplaçables. N'est-il pas temps d'en finir avec ces vaines contorsions et de dire les choses telles qu'elles sont ? Cela est nécessaire techniquement pour préserver des solutions indispensables au fond. Cela est nécessaire culturellement, car la disparition de la cause est un mauvais signal adressé à nombre de droits - et de partenaires - étrangers. 1 - Comme chacun sait, le projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations propose de supprimer la cause en tant que condition de validité d'un contrat. Il faut reconnaître un grand mérite au mouvement anticausaliste qui semble avoir troublé la Chancellerie : celui, par un choc en retour, de renforcer la puissance théorique de la cause, d'une part, et de convaincre de son utilité pratique, d'autre part. Car, aujourd'hui comme hier, de même que la première charge anticausaliste de Planiol au début du XXe siècle s'était soldée par un progrès salutaire en forçant doctrine et jurisprudence à affiner la cause et à en effacer certains errements, elle pourrait sortir renforcée de la nouvelle attaque qui lui est portée. La critique dont la cause est l'objet, parce qu'elle est stimulante, invite ainsi à souligner sa modernité afin de montrer pourquoi il faut la maintenir et comment elle peut épouser les besoins présents et futurs du droit des contrats. La cause fait partie, en effet, de ces piliers anciens dont on oublie un peu, à force de les avoir sous les yeux et de ne pas s'en servir tous les jours, qu'ils soutiennent toute la demeure et dont on s'imagine à tort que l'on pourra se priver sans dommage. Rien n'exprime mieux cet état d'esprit que le mot attribué à Claude Serre : « j'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait le jour où il a claqué la porte ». Aussi faut-il souhaiter, pour éviter une telle déconvenue tardive, qu'un ultime sursaut porte à revoir tout le bénéfice que notre droit retire de la cause, avant de la conduire sur le seuil du code civil. Il faut le souhaiter d'autant plus que, précisément, le législateur s'apprête à reprendre la plume et se voit donc offrir l'occasion historique de consolider dans la clarté la théorie de la cause
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et d'en ôter les ombres dont certains font un prétexxte pour l'anéaantir tout entièère. Toutes chhoses concouurent en effet à justifier le maintien de la cause : elle est irrempllaçable en praatique (I), indispenssable en théoriie (II) et cruciiale culturellem ment (III). I - Irrempplaçable en praatique 2 - Il fauut dénoncer avec a la plus grande g fermetté l'affirmatio on selon laqueelle la dispariition de la caause serait essentielllement un débbat académiquue et n'emporrterait pas de modifications des solutionns au fond. On O passera rapidemeent sur l'idée selon laquellle les vices du d consentem ment (et notam mment l'erreuur) pourraientt suffire à prendre le relais : les plus p récents partisans p de laa suppression de la cause conviennent c euux-mêmes de ce que le d l'existence de la cause va au-delà de celui c de la quaalité d'une vollonté (c'est d'aailleurs très prrécisément contrôle de ce qu'ils lui reprochentt) (1). En efffet, ce contrôôle consiste, sur un autre pllan, objectif ccelui-là, à vériifier si, de p que l'orddre juridique aaccepte de lui prêter son l'extérieuur, le contrat a une utilité et une rationalitté suffisantes pour concours (en lui donnnant force oblligatoire). C'est précisémen nt ce qui perm met aujourd'hhui d'annuler un u contrat alors pouurtant qu'aucuun consentem ment n'a été vicié v (2) ou u alors que cee vice ne peuut être établii (3). La Chancelleerie ne s'y est d'ailleurs pass trompée qui,, tout de mêm me inquiète, a veillé v à introdduire des palliiatifs de la cause crooyant ainsi en préserver touutes les fonctioons pratiques. Mais, outre le fait que l'onn peut s'interro oger sur la démarchee consistant à vouloir sim mplement suppprimer un mo ot (4), forcee est de consstater qu'en vérité, v des lacunes demeurent. d Pirre que cela : d'une d part, dispparaîtront san ns compensatioon des solutioons que la cause apporte aujourd'hhui (A) ; d'auttre part, les paalliatifs évoquués, introduits pour tenter de d remédier à sa disparition n, risquent de produiire des effets pervers p (B). A - Dispaarition, sans coompensation, de solutions nécessaires n 3 - Les pertes p assurées sont pour l'essentiel au nombre n de deeux : la disparrition d'un conntrôle social de l'utilité minimalee de tous les coontrats ; corréélativement, l'iimpossibilité de d corriger dees actes abstraaits injustifiés. 4 -En prremier lieu, on ne s'expliqque pas que laa disposition phare qu'est l'article 11677 du projet (5) et qui incarne, en e réalité, le contrôle c objecttif de l'utilité minimale du contrat c évoquué précédemm ment ne concerrne que les contrats synallagmatiq s ques commutattifs à titre onééreux. On ne peut, p sans incoohérence polittique, refuser d'aller audelà de ce cas particullier et s'abstennir de porter le même contrrôle sur les noombreux contrrats qui ne relèvent pas de la logiique de l'échaange strict (6) : les contraats aléatoires,, les contrats coopératifs quui reposent no on pas sur une perm mutation de vaaleurs mais suur leur mise enn commun (co ontrat de sociiété ou contraat d'édition, paar ex.), les contrats ou o actes unilaatéraux à titre onéreux (prom messe unilatérale de contraat, pacte de prréférence, prom messes de payer divverses, cautionnnement, recoonnaissance de d dette, etc.) et, bien sûr, les l contrats à titre gratuit. De même que l'articcle 1167 exigge une contreppartie non illuusoire et non dérisoire pouur valider le ccontrat synallaagmatique commutaatif à titre onééreux, le droitt positif doit s'assurer s que tout t acte juriddique s'appuiee sur un intérêêt objectif non illusooire et non dérrisoire - une « raison justifiicative », com mme disent les juristes italieens pour définir la cause - afin de l'autoriser l à prrendre place dans d l'ordre juuridique. Or, faute fa de cause,, comment perrmettra-t-on, demain, d la nullité dees actes juriddiques non jusstifiés au-delàà du cas spéccial visé par l'article 11677 ? Ou alors faudra-t-il considéreer que la nullitté est exclue, ce c qui serait inntolérable ? Qu'on enn juge plutôt à la lumière d'un cas très pratique, parrmi d'autres, qui suscite laa plus grandee attention doctrinalee au Royaum me-Uni, mais qu'on q délaissee de ce côté-cci de la Mancche : il s'agit de l'hypothèsse de la « rallonge » de prix (77). Faute d'exxiger que l'enngagement dee payer s'appuuie sur une cause réelle ett sérieuse, commentt annulera-t-onn demain les conventions modificativess injustifiées ? Ainsi de cettte hypothèsee classique d'un conttrat unilatéral conclu après une vente et par p lequel l'accheteur s'engagge à verser unn supplément de prix au vendeur sans s que cettee « rallonge » reçoive une explication e rattionnelle. Il appparaît parfois que cette grratification supplémeentaire a, en vérité, v pour seeul but de faiire en sorte qu ue le vendeurr quitte les lieeux - étant en ntendu que l'acquéreuur, bien évideemment, tire déjà d du contratt de vente son n droit à la miise en possesssion (8)... Il n'y a là ni erreur, nii violence (sauuf à diluer coomplètement les l conditionss de la violencce au point de la défigurerr (9)), ni absence d'objet, d l'acheeteur entendannt simplemennt se débarrassser du gêneuur... Est-il accceptable pour autant de
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valider unne conventionn qui vise uniiquement à faaire rémunérerr une prestatioon pourtant ddéjà due (10 0) ? On ne sera pas étonné é de connstater qu'aujoourd'hui, la juurisprudence est e fort aise de trouver la thhéorie de la cause c pour annuler ces c contrats injjustifiés (11). 5 -En seecond lieu, prrolongeant le raisonnemennt qui précèd de, la suppresssion de la cause comme condition générale de validité dees contrats devvrait logiquem ment faire basculer le droit français dans un principe de d validité des actess abstraits (112). La seule déclaration d'un d engagem ment ou un coontrat unilatérral (ce que l'o on appelle classiquement le « billlet non causé », » comme celuui par lequel « je m'engagee à verser à X la somme de X € ») ne pourra pllus être attaquuée au prétextee que l'obligattion ne reposee sur aucune raison r sérieuse puisque la cause c n'est plus une condition dee validité de l'engagementt. Est-ce tolérrable ? Vraisemblablemennt pas, puisqu ue le droit q écarte forrmellement laa cause et rep pose donc suur ce principee de validité des actes allemandd lui-même, qui abstraits, accepte touttefois de fairre jouer aprèès coup l'enrrichissement sans cause lorsqu'il est établi é que ment pris étaiit dépourvu de d justificationn réelle. Or il i est douteuxx que le projeet de réformee permette l'engagem d'emprunnter le même chemin puisqque, en son arrticle 1303-1, il ferme la voie v à « l'enriichissement in njustifié » lorsque cet c enrichissem ment procède de « l'accompplissement d'u une obligationn » - ce qui seera par hypoth hèse le cas puisque l'acte l sans cauuse produira une u obligation (le serpent see mord la queeue). Surtout, quoique la prrésentation du systèm me allemand mérite m bien dees nuances (13), ( on a du mal à ne pas y trouver unee contradiction n latente sinon techhnique, du mooins substantielle. L'acte esst valable maiss injuste, raisoon pour laqueelle on corrigee ses effets normaux.... Il peut toutt de même seembler incohéérent de comm mencer par vaalider un acte juridique pou ur le vider ensuite de d ses effets au a moyen d'unn autre mécannisme (correctteur) : concrètement, on reetourne l'enricchissement sans causse contre la foorce obligatoirre de l'acte crréé, dont a beeau jeu de diree qu'il est valaable... En vérrité, si l'on estime quu'il faut reveenir sur les effets e du conttrat, n'est-ce pas un aveu de ce que, de façon gén nérale, un engagemeent doit nécesssairement s'apppuyer sur unne raison justificative ? Carr, sinon, comm ment expliquerr qu'il soit injuste affin de permetttre l'applicatioon de l'enrichiissement sanss cause ? Ce qui q fait qu'un tel système « fait de la cause » comme c M. Joourdain fait dee la prose... À quoi bon cette contorsioon si, au surplus, on troquee la cause contre dees cotes mal taaillées ? B - Des remèdes pires que le prétenddu mal penser la dispparition de la ccause et qui see résument 6 - On enn vient aux efffets pervers dees mesures priises pour comp à ceci : enn lieu et placee du classiquee contrôle social que la cau use permet et qui q est d'autannt plus tolérab ble qu'il se fait très à la marge, le projet entendd introduire paar compensatio on de nouveauux instrumentts de contrôle judiciaire très flouss et dont nul ne cerne (maais beaucoup redoutent) l'éétendue ! L'aarticle 1168 qqui grave danss la loi et généralisee le mystérieuux mécanismee d'éradicationn d'une « clausse qui prive dee sa substancee l'obligation essentielle e », l'articlle 1169 qui généralise g le contrôle des clauses abussives à tous les l contrats, y compris lees contrats négociés,, l'article 11422 qui prévoit la nullité pouur état de néceessité ou de dépendance, d l'aarticle 1186 qui q met en place unee impressionnnante caducitéé pour disparition d'« un éllément extérieeur au contratt mais nécessaire à son efficacitéé », dont on peine p à voir lees limites... Qui Q ne voit le prix à payer pour « acheteer » la dispariition de la cause ? Qui Q ne voit less ferments de déstabilisation ainsi introd duits dans le droit des contrats ? Qui ne voit v que le remède est e pire que lee mal prétenddu ? Et qui peeut soutenir séérieusement que q la cause m mérite d'être supprimée s parce qu'eelle est supposément une nootion floue aloors qu'on y su ubstitue des nootions plus flooues et plus daangereuses encore ? Le L mot « conttenu » a été juustement critiqqué (14) quii n'est autre, duu reste, comm me l'a soulignéé un auteur italien quue « l'objet duu contrat qualifié par la cauuse, (...) la prrestation contrractuelle éclaiirée par la raison qui la justifie » (15). Quannt à user du seeul « objet », dont on élarg girait la notionn pour verser dans son sein n la cause, p ? Avec A presciennce, le doyen Cornu l'avait déjà dénoncé : « Éliminée en titre, la qui ne vooit le tour de passe-passe cause mootif reparaît suubrepticemennt, sous couveert de l'objet (...). ( Il est révvélateur et instructif, écriv vait-il, que l'évacuatiion formelle du concept de d cause rempplace un dédo oublement paar un autre. L La théorie fraançaise du dédoublement de la cauuse (selon sa fonction), (ferrait) place (...)) à un dédoublement de l'obbjet ». Et, luciidement, il ajoutait : « de lege fereenda, on hésitterait désormaais à dire que la théorie frannçaise de la cause est superrflue et on se demanndera plutôt si son élimination vaut le risqque de dénaturer le conceptt d'objet en le dédoublant » (16)... Il faut doonc prendre laa mesure des choses : ceuxx qui ont fait le choix poliitique - fort léégitime comm me tel - de plaider laa suppression de la cause parce qu'elle oppère un contrô ôle social (et donc judiciairre) venant se surajouter
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au contrôôle du consenttement - ce quui leur semble une atteinte in njustifiable à la l liberté conttractuelle - risquent d'en être pourr leurs frais. En E voulant chhasser la cauuse, instrumen nt modéré et finalement diiscret, certains libéraux auront peeut-être oeuvrré pour partiee, en oppositiion exacte av vec leur aspiration premièrre, à précipiteer le droit français dans d un intervventionnisme judiciaire j com mme il n'a jam mais connu... Il est vrai que certains d'enttre eux ont bien perççu le piège, ett ainsi plaidennt-ils récemm ment, non seullement pour la disparition de la cause, mais, m plus encore, et e fort logiqueement, pour la suppressionn des palliatiffs mis en placce par la Chaancellerie (17). On en vient à unne approche davantage d théoorique. II - Indisppensable en thhéorie 7 - D'un point p de vue théorique, t la cause c est pourrvue de bien des d vertus. Avvant de revenirr sur celles qu ui relèvent de la théoorie politique (B), on dira unn mot de cellees qui procèdeent de la théorrie juridique (A A). A - En thhéorie juridiquue 8 -En thééorie juridiquee, en se privannt de la cause on se prive d'un d instrumennt irremplaçabble d'explicatio on et donc d'applicattion des règlees du droit des d contrats. La cause est l'intelligencee de l'acte, quui le rend so ocialement intelligiblle. Parce qu'elle exprime lee but du contrrat, en donnan nt à voir les raaisons des enggagements priis, elle est par excelllence le facteeur explicatiff de l'accord et, e on l'a vu, ce qui en jusstifie la récepption par l'ord dre social. Comment dire que ceette explicatioon est inutile pour le droiit des contratts dans son eensemble, quee la cause p ou moinss discrètemennt dans nombrre de mécanissmes techniquues qui le com mposent ? surplombbe et irrigue plus Pour savooir si un conttrat est valablle, ne faut-il pas d'abord le l comprendree (18) ? Et, au-delà de sa validité, cerner le but du contratt est crucial poour l'interprétter, le qualifierr, déterminer son régime, s''assurer de sa pérennité, uoi récuser ceet instrument qui permet une u lecture le résouddre pour impréévision ou poour inexécutioon, etc. Pourqu économiqque du contraat dont tout lee monde convvient, par aillleurs - serait--ce au traverss de mots nou uveaux (« économiee du contrat », par ex.) -, quu'elle est la cllef moderne de d compréhenssion du droit ddes contrats (19) ? Le fait mêmee que le Consseil d'État ait délibérément d choisi de recu ueillir la causee en droit adm ministratif n'esst-il pas la meilleuree preuve de soon efficacité pratique p (20)), en même temps que s'opèère sous nos yyeux une harm monisation interne du d droit des contrats c qu'il serait bien étrange é de brriser ? Tant et e si bien quu'à supposer que q soient suppriméés les mots duu causalisme, on ne cesseraa jamais d'en faire. f Plus enccore, à terme,, notre systèm me de droit écrit toléérera-t-il qu'« une notion générale g laissse sa place à une casuistiqque figée de solutions parrticulières, contraire à l'esprit du droit françaiss » (21) ? La L cause, « fill qui relie (sees) applicationns diverses » (22), ne reparaîtraa-t-elle pas auu moins dans la l doctrine poour combler laa « lacune connceptuelle » (23) qu'aura,, à contreemploi, laissée la réfoorme ? Mais quel q détour innutile, alors, s'il faut demaiin reconstruiree la théorie de la cause o a, au sièclee passé, consttruit celle de l'exception l d'iinexécution ouu de la prohibbition des eng gagements comme on perpétuells à partir des applications particulières p q qu'avait consaccrées ça et là le code de 1804 (et que le projet, p par un drôle de d chassé-croisé, consacre fort justement) ! Aussi ne faut-il f pas s'éttonner que cerrtains annonceent déjà la résurrectiion à venir dee la cause en jurisprudence j e (24), faisan nt écho en quuelque mesuree à un auteur suisse qui écrit à prropos de son droit et du drroit allemand (qui ne conn naissent pourttant pas la cauuse) que « ceette notion ressurgit toujours, elle est dans la "nnature des choses" en matièrre contractuelle » (25). B - En théorie politique a ce qui viient d'être dit. Si la cause eest « dans la nature n des 9 -En thééorie politiquee, le lien se faait aisément avec choses »,, c'est parce qu'un q engagem ment n'a pas de valeur pour lui-même, mais doit êtrre fondé en raison. r On mesure quelle q rupture philosophiquue se dessine : la cause est la marque, daans le code ciivil, de la ratiionalité de l'acte hum main qui, pouur être humainn, doit avoir un sens. Ce serait s bafouerr la liberté et la volonté qu ue de leur permettree de créer ex nihilo n l'obligattion qui sortirrait tout arméee, tel un deus ex e machina, dd'une pure déccision sans racine. Saauf à renouerr paradoxalem ment avec le foormalisme av veugle de la sttipulatio du ddroit romain, on o ne doit pas perdrre de vue que le droit françaais a voulu « qu'on q soumît au a juge, non pas p une opérattion purementt formelle, mais l'oppération éconoomique réelle intervenue enntre les partiees (...). "Il n'aaccepte plus dde faire interv venir la loi sans savooir pourquoi" (Defrénois) » (26). Bien sûr, plane la menace d'unee police des enngagements qui q ne peut
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être que judiciaire et onn comprend lees craintes du courant libéraal. p tout est affaire d'opinion. On avouera, a pourr notre part, ne n pas être 10 - À diire vrai, dans ce registre politique, séduit parr un libéralism me total qui baannirait absoluument toute trrace de contrôôle social (ainssi certains pro oposent-ils de suppriimer même lee contrôle de la licéité de la cause (2 27)). Ce seraitt l'avènementt de la volontté pure où l'homme, seule mesuree de lui-mêmee, se donne ses propres loiis - ce qui nee serait pas loin de renouerr avec une fo te de la théoriie de l'autonom mie de la volo onté. Mais on éprouve ausssi, on l'a dit, lees craintes version fondamentalist de ceux qui q voient aveec méfiance le droit des conntrats se peupller de mécanissmes correcteuurs par trop in ntrusifs. In medio staat virtus, en somme : comm ment ne pas faire fa basculer le contrat danns un libéralissme débridé sans verser dans un dirigisme d étouuffant ? Mais préccisément ! Cee juste milieu n'est-il pas soous notre main n, ramassé touut à fait dans la théorie et la l pratique de la cause ? Si, historriquement, la cause s'est dééveloppée de concert c avec le l consensualiisme, c'est parrce qu'elle u contrepointt discret à l'auutonomie de laa volonté. Tou ut au long en a toujoours été le moodeste garde-ffou, comme un de son chheminement, n'a-t-elle n pas été é empreinte d'un colbertissme bon teint venant v en nuaance d'un libérralisme de principe ? Pourquoi aloors remettre enn cause ce jusste compromiss ? Pourquoi bousculer b cet ééquilibre polittique et ce point de rencontre connsensuel inscrrit, comme teel, dans le « code c de tous les Français » ? L'époque,, du reste, d pratiques contractuelless. À l'heure d'une ultraillustre laa nécessité d'uun simple encaadrement sociial a minima des financiariisation de l'économie qui conduit parffois - avec lees résultats que q l'on sait - à la créatio on et à la circulatioon, par contrat, de valeurs artificielles, il i n'est peut-êttre ni si injusste, ni si daté,, de proclameer en droit commun le principe d'un d contrôle de d la rationaliité objective minimale m de l'acte (28). Bien sûr, il est e dans la nt de justice dérogatoire - cee qui peut légitimement nature dee la cause d'êtrre dans une ceertaine mesuree un instrumen inquiéter.. Mais quel syystème juridiqque peut se passer p d'une so orte de « souppape » du connsensualisme ? Ce rôle modérateeur est joué, onn l'a vu, par l'eenrichissemennt sans cause en e droit allem mand, par la coonsideration en n common law, et rissque de l'être demain en drooit français - avec a bien dav vantage de danngers et de faççon lacunaire on l'a dit par les nouveaux n méccanismes d'insspection judicciaire envisag gés par le proojet. La causee traduit une aspiration irrépressiible qu'il faut contenir et nee pas nier. Or, justement, co ontrairement à ce qui est afffirmé, pour qu ui porte un e e e regard lonng sur la jurissprudence du XIX , du XX et du début du d XXI siècle, il ressort évvidemment qu ue, dans le rapport de d force entre libéralisme et e cause, le prremier a eu laa plus belle part p en droit ddes contrats et e qu'il n'a jamais étéé corseté par la l seconde. Sii pourtant l'onn se plaît parfo ois à la peindrre comme un fauteur de tro ouble, c'est à la lumière seulemennt de quelquees errements mal maîtrisés et très marrginaux des aannées 1990, à présent franchem ment révolus (29) et monntés aujourd'hhui en épinglle à contretem mps par strattégie rhétoriq que. Mais, comme lee dit la sage maxime m romainne, l'abus n'exxclut pas l'usag ge... 11 - Quaant au mauvaiis procès en obscurité o qui lui est fait au u nom de l'obbjectif politiqque d'accessib bilité et de lisibilité du d droit des contrats, c mêm me s'il serait abbsurde de nierr que la notioon a longtempps suscité disccussions et controverrses - mais quuelle grande notion n juridiquue n'a jamais connu pareil sort (abus, boonne foi, forcee majeure, etc.), sanns d'ailleurs être ê pareillem ment attaquée (30) ! -, sees ombres n'oont pu prospéérer qu'à la faveur f des insuffisannces de la loi, les textes duu code civil étant é très pauv vres à son enndroit (31). L La solution see présente donc d'elle-même : un projet de réfoorme qui se propose p précisément de modderniser et d'aaméliorer la liisibilité du droit des contrats, pluutôt que de faaire table rasee, se doit de saisir l'occassion de mettree bon ordre. Ainsi que ujourd'hui asssez nettementt élucidée » (32), la l'énonce M. Savaux, « la matièree (étant) quaand même au p être parfaaitement maîttrisée pour Chancelleerie se devrait d'en prendree acte. Car la cause est unee notion qui peut peu que le législateurr veuille bien prendre la peine p de le faaire : d'abord,, en définissaant la cause, ensuite e en arrêtant « les limites d'investigation d n tracées au juuge » (33). Le bénéfice serait double,, au reste, carr on ne se sentirait plus p obligé, alors, a ni d'introduire de nouuveaux concep pts flous com mme le « conttenu du contraat », ni de faire sortir de leur lit les nouveaux mécanismes m c correcteurs do ont l'introductiion est envisaagée par comp pensation : d (ainsi de la générralisation du contrôle des clauses abusiives ou de la notion de on pourraait soit s'en dispenser clause quui prive de saa substance l'oobligation esssentielle), soitt resserrer leuur domaine d'aapplication (p par ex., en contenantt dans des lim mites plus stricctes la violencce économiqu ue). Cette recoonsolidation dde la cause dan ns le code civil auraait de grands avantages a pourr le droit civill français et so on rayonnemennt à l'étrangerr.
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III - Cultuurellement cappitale 12 - Cultuurellement, enn effet, l'impoortance de la théorie t de la cause c est conssidérable, danss l'ordre intern ne comme dans l'orddre internationnal. A - Dans l'ordre interne d la cause 13 -Danss l'ordre internne, il est peutt-être regrettabble que l'on faasse peu de caas de l'ancragee historique de dans les mentalités et la pratique des d juristes. Quand Q on sait l'importancee décisive duu langage en droit, d tout omaine par changemeent de mot dooit se faire aveec la plus grannde prudence, spécialementt en matière dde contrats, do excellencce de la stabiilité et de la prévisibilité des d normes. Le malheur est e que, dans ce débat, la cause ait curieusem ment été perçuue par la Channcellerie comm me un symbolle de non-moddernité cependdant que sa su uppression serait unee marque de progrès p (34). Quoique l'onn soit prêt à comprendre quue le droit dess contrats n'écchappe pas à la bataaille des imagges et de la communicatio c on, on aurait tout de mêm me souhaité quue ce légitim me vent de modernissme soufflât ailleurs a : il esst frappant quue la cause, cllef de voûte indispensable i , soit sacrifiéée là où la notion dee quasi-contratt - dont on n'aa jamais vraim ment cerné le régime générall - est étrangement conservée comme une reliquue des temps anciens... Étoonnant arbitraage, car la cau use est un insstrument famiilier qui règle l'esprit et constitue un point de repère pour tous les pratiiciens du droit. À telle ennseigne que laa supprimer conduirait, c comme l'a souligné lee sénateur Jeaan-Jacques Hyest H lors de travaux en coommission ((35), à une véritable v « d on a le plus p grand maal, on l'a vu, à mesurer la nécessité et les bénéfices.. Et on ne révolutionn mentale » dont saurait saans risque jugeer l'argument secondaire : ce c serait bascu uler dans une vision v utilitariiste, « ingénieeriste », du droit qui le ramèneraitt à de pures diirectives et dees ordres bruts sans considéération pour ssa dimension culturelle. mpris des conttrats, ramasse en lui le discours d'une Or, au-deelà de sa foncttion strictemennt normative, le droit, y com société ett charrie un arrrière-fond sennsible dans lequel cette derrnière se donnne à voir à ellee-même (36). Le droit est aussi message, histtoire, pages duu roman d'un peuple et il n'est pas certaiin que l'on puiisse arracher celle c de la p soi-mêm me mais aussi pour p d'autres. cause sanns dommage, pour B - Dans l'ordre internaational e la dispaarition de la caause serait ceertainement unne erreur strattégique de 14 -Danss l'ordre interrnational, en effet, premier ordre. o Contraiirement à ce qui q a pu être dit, d par maladrresse ou par calcul, c la causse est largemeent connue en droit comparé : il n'est que de songer, entre autres à l'Italie, l'Espagnne, la Belgiqque, le Luxem mbourg, la hili, Colombiee, Argentine, V Venezuela, Péérou, etc. Roumanie, la Bulgarie, à tout le conntinent latino-aaméricain - Ch , à l'Afrique francophhone et à nom mbre de pays du Moyen-O Orient à comm mencer par le Liban et, bieen sûr, au e pour déconsidérer d p avance la thèse adverse, on a parfoiis accusé le causalisme par c Québec. Pourtant, là encore, n pas voir à l'inverse que cet argument peu loyal d'être aniimé d'un espriit purement coocardier ! Maais comment ne est pour une bonne paart un curieuxx mélange, doont la France a malheureussement le secret, entre un zèle autoe l'occurrencce avec l'autoomutilation !) et une form me d'ethnocenttrisme qui em mpêche de dépréciatteur (flirtant en regarder au-delà des frontières f ? Au A point d'oubblier que notree droit puissee faire partie dd'une famille culturelle p le desttin commun et e que l'on ne peut, sans égo oïsme, traiter pour quantitéé négligeable ? Certains dont on partage de nos am mis en ont d'aailleurs été léégitimement blessés b (37).. Qu'on le veuuille ou non, la cause est devenue d à l'étrangerr un symbolee politique, et e sa disparitiion, malheureeusement, la seule partie visible et terrriblement décevantee du projet dee réforme pouur nombre d'eentre eux. Piree que cela : lee geste de faibblesse d'un paays qui ne croit pluss en son droit, et qui, du mêême coup, déssavoue quelqu ue peu les affeections internaationales que l'histoire l a nouées. Et E pourtant, làà encore par unne curieuse coontradiction, la l Chancelleriie affiche ouveertement l'amb mbition que le droit français fr puissee recouvrer quuelque influennce à l'internaational ! Mais comment afffirmer sérieuseement que l'on referra de la Francce une haute figure des drroits civilistess en abandonnnant l'un des plus forts sy ymboles et signes dee ralliement de la culturee juridique laatine (38) ? Même les plus p cyniquess comprendro ont que la meilleuree façon de connserver ses liiens avec ses proches n'estt guère de leuur tourner le dos et, à cet égard, les milieux d'affaires d auraaient bien tort de sous-estim mer les conséq quences qui, même m de façoon lointaine ett indirecte, pourraiennt finir par réssulter d'un relââchement par touches succcessives - et l'aabandon de laa cause en estt une - des liens poliitiques et cullturels qui se sont noués avec des parttenaires ancieens et fidèless. À un échellon même modeste en effet, le droit, commee d'autres phhénomènes, à un échelon plus importaant, tels la diplomatie, d
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l'économiie, la langue, l'art, la gastroonomie, particcipe de la poliitique étrangèère d'un pays. On ne sauraitt l'oublier, alors surttout que la Fraance a toujourrs eu le souci de la diversitéé culturelle daans le monde - à laquelle il se dit que la ministrre de la justicce est pourtantt très attachéee. Dès lors, see pourrait-il quue, par un étrrange paradox xe, le droit français se s révèle traîtrre à sa cause ? Laissons répondre un jugee et universitaiire espagnol (39) : « (...) Je me m permets dee dire que ce n'est n pas, à moon avis, le bon n choix. Je mee permets aussi de vous dire que plus qu'une coontribution auu droit europpéen des conntrats, l'aband don français de d la cause sserait une claaudication déloyale. Que cacher la cause pour surmonter l'issolement du drroit français n'est n pas tellem ment différentt de ce qui supposeraait de renonceer à la langue française pouur favoriser l'iintégration linnguistique dess peuples euro opéens. Et que vous n'avez donc pas p mis sur la table le droit français, mais sous la tablee. Pour ne pass perdre la bataaille, vous ue vous, les juuristes françaiss, n'êtes plus conscients c avez préfféré ne pas baatailler. Encoree plus : j'ai l'iimpression qu de votre responsabilité r é. Le code Nappoléon n'est plus le patrimo oine exclusif des d Français. L La cause, le sy ystème dit « causalisste », n'est paas une entrave pour la circuulation du droiit des contratss, mais plutôt un moyen, un n véhicule de comm munication jurridique. Autouur du code Napoléon, N et de d la cause, s'est s formée ppendant des siiècles une communaauté juridique que vous aveez négligée (....). Puisqu'un jour la France a exporté la ccause, la France ne peut maintenaant s'en débarrasser unilatéraalement ».
Séance n° 5 Thème :
La sancttion des con nditions de foormation du u contrat
Exercicee : Dissertattion Sujet :
L’autonoomie de la clause réputéee non écrite vis-à-vis v de l’inexistence et de la nulliité
Bibliogrraphie indicative
-Antoinne Hontebeyrie, Inexisstence d'unne conventiion et clauuse réputéee non écriite in Prescripption extincctive, Réperttoire de drooit immobiliier, Dalloz fevrier f 20166 -Laurennce Collet, Inexistence I d’un contraat de prêt à défaut de consentemeent, Receuill Dalloz, 1993, P. 508 -Alexis Posez, la théorie t des nullités, Lee centenairee d’une mystification, RTD Civ. 2011, p. 647 M Serinnet, Nullité pour p erreurr et nullité fondée f sur d’autres ca auses de -J. Ghesstin, Yves Marie mal form mation du contrat, c in erreur, e Dallooz septembrre 2006 (acttualisation aavril 2016). -V. Cotttereau, La clause c réputtée non écritte », J.C.P., éd. G. 1993.13691, p.315 à 321.
Documents : Document 1 Alexis Poosez, extrait , La théorie des d nullités, La L suma divisiio face aux autres a sanction ns, Le centena aire d'une mystificattion, RTD Civ.. 2011 p.653
l thèse de Renné Japiot est d'avoir d introduitt dans la théoriie des formes jjusqu'alors mécconnues de 65. Un auutre mérite de la nullités. L'inconvénient de d sa présentatioon tient cependaant dans son caaractère exorbitaant, en ce que nnombre de ces sanctions s se c variétés de nullités au u sein de la distinguennt tout à fait de la nullité proprement dite. Carr, s'il est nécesssaire d'intégrer certaines
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division biipartite, il ne l'eest pas moins dee distinguer ce qui appartient à la théorie des nullités de ce qqui lui est étrang ger. d la théorie D'autres nuullités au sein de 66. Qu'ellee soit absolue ou o relative, la nullité n peut touj ujours revêtir d'autres propriétéés, d'ailleurs noon exclusives lees unes des autres : ellle peut être d'orrdre public, facuultative, ou encore partielle
(109).
• La nullitéé d'ordre publicc 67. Une nuullité est dite d'ordre public lorrsqu'elle est proononcée pour un u motif visant à la sauvegardee des intérêts su upérieurs de la collectivvité, que ceux-cci soient économ miques, politiquues, moraux ou u plus généralem ment sociaux (110). Il est bieen question en cela dee l'ordre public de direction, celui-là c qui autoorise le ministèère public à agiir en toutes circconstances (art. 423 c. pr. civ.), et noon de l'ordre puublic de protecttion qui, pour des d motifs subo ordonnés, comm mande l'édictionn de règles partticulières et impérativees en faveur d'uune catégorie dee personnes répuutées plus vulnéérables
(111)).
68. Il peuut être tentant d'avancer d en prremière analysee que cette division de l'ordree public réponddrait en tout po oint à celle ordonnant la théorie des nullités, n de tellee sorte que la nullité absolue serait s toujours d'ordre d public dde direction
(1 112), tandis
que la nulllité relative nee serait jamais prescrite que pour p des motifss intéressant unn ordre public dde protection (113). Un examen pllus approfondi laisse cependaant voir que less deux distinctions ne coïnciddent pas nécessaairement, ne seerait-ce que pour cette raison que l'orddre public, mêm me de direction, est toujours fo onction des circconstances conccrètes de chaque espèce (114), de sorte qu'il est peu p de causes de nullité, mêm me absolue, qu ui puissent préttendre le mobilliser in abstraccto (115). Même la nullité n pour objet ou cause illicite pourrait nee pas toujours autoriser a l'actionn du représentan ant de l'Etat si ne n se trouve affectée qu'une q stipulatioon accessoire et e sans conséquuences d'un acccord resté connfidentiel. A l'inverse, la nulllité absolue fondée surr une absence d'objet d ou de caause n'intéresseera guère l'ordre public, à moiins que le contrrat présente cettte fois une portée d'inntérêt général (116). Et la nuullité relative elle-même pourrrait en venir à solliciter cet orrdre public de direction, d si l'on s'en tient aux dispossitions qui connfèrent au ministère public la faculté de la soulever en lieeu et place du contractant protégé
(117).
• La nullitéé facultative 69. Toute nullité, qu'elle soit relative ou absolue, opère normalement de d droit, sinon même m de plein droit, en ce quee le juge est dition de validitté, du consenteement ou du co ontrat, a été tenu de laa prononcer ou de la constaterr lorsqu'il relèvve qu'une cond méconnuee. Exceptionnelllement cependdant, il arrive que la sanctiion de certainees nullités soiit confiée à so on pouvoir d'appréciaation. En quoi laa faculté ici en cause est bien la sienne proprre et non celle, également imppliquée mais prréalable, du titulaire dee l'action à qui il i appartiendrait d'invoquer la nullité relative.. 70. La nottion est connue des processualiistes depuis l'A Ancien droit, quii distinguait déjjà entre les nulllités péremptoirres, opérant de plein droit, d et les nulllités comminatooires, abandonnnées à la pruden nce des juges. C'est aujourd'hhui le droit des incapacités qui en fouurnit les exemples les plus remarquables, où laa plupart des reescisions prescrrites par le codee civil ne sont en outre que judiciairem ment facultativees
(118). Maiis les nullités reelatives ne sontt pas seules conncernées. Bien ddes nullités facu ultatives en
effet ont par p ailleurs un caractère c absolu, ce que suffitt à laisser voir un rapide exam men du droit dees sociétés entreprisess en difficulté
(1 119) ou des
(120). Certaines d'entre ellees peuvent mêm me être prescrittes pour un mootif d'ordre pub blic, le juge
ayant alorss la faculté d'éccarter une nullité que lui aura pourtant p soumisse le ministère public p
(121).
71. La nuullité propremeent facultative suppose que lee juge du fond d dispose d'un pouvoir discrétionnaire (122), lequel implique qu'il q ne soit pass tenu de motiveer sa décision quant q à son cho oix de prononceer ou non la sannction, ou qu'il ne soit tout au plus asssujetti qu'à une obligation de motivation m pureement formelle,, sans aucun conntrôle exercé suur la pertinencee des motifs retenus
(123). Toute nullité n facultativve procède en cela d'un jugem ment rendu enn équité, et est à ce titre néceessairement
dérogatoirre
(124).
e les conditions c auxqquelles la nullitté doit être décclarée, sans 72. Lorsquue la loi, ou laa Cour de cassaation, énonce elle-même laisser, cees conditions rééunies, aucun autre a pouvoir d'appréciation d au a juge, la nulllité n'est plus facultative : un ne fois ces éléments de d fait établis, même m souverainnement appréciiés par les juges du fond, ceuxx-ci sont tenus dde prononcer laa nullité. Et certaines nullités, n que l'oon présente pouurtant comme facultatives, nee dérogent mêm me pas au droiit commun, en ce que les conditionss posées par la loi l ne servent plus p alors de caas de recevabilitté mais tout au plus de formallités destinées à faciliter la
71
preuve d'uune nullité ordiinaire (125). Il en va notam mment ainsi dess mentions exiggées du vendeuur à l'acte de cession d'un fonds de commerce, c dès lors que leur absence a n'exonèère pas le cessionnaire d'établir le vice du coonsentement provoqué par cette omission (126). Bien B différente est e l'hypothèse dans laquelle laa loi entend posser par ces condditions celles au uxquelles le juge pourrra décider de prrononcer ou dee ne pas prononncer la nullité. En E ce cas en efffet, le pouvoirr d'appréciation n du juge se trouve sim mplement suborddonné, sans quee la nullité pronnoncée en soit moins m facultativve
(127).
• La nullitéé partielle n rien d'autrre qu'une nullitté quelconque dont d l'objet se limite à une ppartie seulemen nt d'un acte 73. La nuullité partielle n'est juridique. Elle trouve sa raison r d'être dans le constat quue l'élément viccié n'est pas essentiel à l'acte qqui le contient, en e tant qu'il sera réputéé ne pas avoir déterminé d le coonsentement dess auteurs, qui see seraient aussi bien accordés sur le même accte privé de cet élémennt. L'analyse procède donc norrmalement d'unn examen de la volonté v réelle des d parties, à mooins que la loi ne n pose par exception une présomptiion
(128), laqquelle peut parrfois devenir irrréfragable lorssque la clause prohibée est réputée non
écrite sanss laisser la possiibilité d'établir son caractère essentiel
(129).
74. Pour cette c raison, la nullité partielle n'est ordinairrement envisag gée qu'à l'occasion de la sancttion d'une nulliité absolue, celle qui affecte l'acte luui-même plutôôt que le conseentement qui lee précède (1330). En soi, poourtant, la question de la me on le fait du u reste pour divisibilitéé matérielle de la sanction mérriterait d'être éggalement poséee pour la nullitéé relative, comm toute autree forme d'anéanntissement du coontrat. On peutt bien, selon un premier point de d vue, estimerr que le consenttement à un acte juridique serait nécessairement indiivisible, et qu'ill ne saurait don nc être vicié qu'een totalité ou pas du tout. Maiis sur un tel d stipulationn à l'aune de so on caractère argument, on se trouverait empêché d'exxaminer le caraactère essentiel ou accessoire d'une e toute clause serait toujours réputée essentiielle. Ce qui teendrait à démon ntrer que la déterminannt de la volonté des parties, et volition coontractuelle n'est peut-être pass si indivisible qu'on q le juge par habitude, et qu'un vice du cconsentement pourrait, p lui aussi, n'em mporter qu'une nullité partiellee s'il peut être établi é qu'il n'a déterminé d l'adhéésion au contraat que pour ce qu'il q a porté sur une paart de celui-ci
(131).
75. La nulllité partielle réalise par conséqquent une révission du contrat. Elle opère en ce c sens commee le fait une réd duction, à la différence que celle-ci nee porte que sur la quotité d'unee stipulation là où la nullité l'aanéantit dans saa substance mêm me (132). l conversion paar réduction, laaquelle, éradiquuant un élément essentiel du co ontrat, ne se Elle se disstingue encore, à l'inverse, de la contente plus p de réviser ce c dernier mais en opère une vééritable réfectio on
(133).
v que, contraairement à une idée i reçue, la plupart p des nulliités sont d'aborrd partielles 76. Une raapide analyse suuffit à laisser voir avant que d'être totales, en ce qu'elles affectent avantt tout un élémeent du contrat, dont on se deemandera, dans un second temps, s'ill est essentiel ou o non à l'ensem mble. C'est bieen à ce constat qu'a mené l'évvolution de l'intterprétation con njointement faite par laa Cour de cassaation des articlees 900 et 1172 du code civil, dont il se déduuit désormais quue la condition impossible ou illicite n'emporte le reeste de l'acte, seelon les termess mêmes de cettte seconde dispposition, que poour « la conven ntion qui en dépend » (134). De sorrte que, ainsi posée, la solutioon serait strictem ment et logiqueement la mêmee que la nullité affecte une stipulationn au sein d'un unique contratt (indivisibilité)) ou qu'elle s'éétende, au-delà,, à un accord iinséré dans un groupe de (interdéépendance). contrats 77. Ce n'eest guère que paar exception, enn réalité, que laa nullité sera rééputée totale saans qu'il soit procédé à aucun examen de l'importannce de l'élémentt vicié. On adm mettra volontierrs, par exemplee, que la nullitéé d'un contrat pour vice du con nsentement soit, jusquu'à preuve conttraire, présuméée indivisible, de même que celle déduite de d la nullité dd'une condition attachée à l'ensemblee de l'acte
(1335). Et il y auraait naturellemennt lieu d'y ajoutter le cas plus général g d'indivisibilité matérieelle, et donc
nécessairee, ou celui dans lequel ce rappoort de dépendannce serait prescrrit pour des motifs d'ordre pubblic cas, le prinncipe a vocationn à rester au carractère partiel de d la nullité.
(136). Maais hors ces
78. Ainsi dessinée, la thhéorie des nulllités est compplète et achevéée. Mais elle réclame r encoree, pour convain ncre, de se mation du contrrat. confronterr aux autres sannctions, concurrrentes, de la form D'autres saanctions hors dee la théorie 79. S'agisssant d'évoquer ici les autres saanctions relativves à la formatio on du contrat, et e plus précisém ment celles qui, comme la nullité, troouvent leur cauuse dans cette formation, f on écartera é d'embllée le cas de laa résolution, soous toutes ses formes, f qui opère soitt par un nouveel accord des parties, p le mutuuus dissensus (137), soit paar le jeu d'unee condition résolutoire, et intervient donc toujours dans d l'exécutionn du contrat. Laa même raison oblige o à ignorerr aussi bien touutes espèces de déchéance,
72
dont la forrclusion, qui peeuvent encore se s rattacher à l'iidée d'une cond dition résolutoirre particulière ttenant dans l'ino observation d'une conddition de recouuvrement de sa créance. La rééduction a pu être ê rapprochéee de la nullité ppartielle (138 8) et, à l'en distinguer,, il ne s'agiraitt de toute façoon d'autre chosse que d'une révision r par réffaction d'une oobligation ; tan ndis que la conversionn par réductionn ne se sépare pas pour sa part de la nullitté, qu'elle présuuppose au conttraire notion, moins bien connnue en France, d'inefficacité, ou inapplicabiilité
(139). Quant à la
(140), de d deux chosess l'une encore : soit cette
sanction atteint a des effetts recherchés par p les parties, et il s'agira d'une nullité parrtielle (141), soit on lui recconnaît une autonomiee en tant qu'ellee opérerait sur les effets mêm me non envisagéés par les contrractants, et il n'y a plus propreement alors d'anéantisssement, ni mêm me de sanction, mais simple innterprétation d'u une volonté conntractuelle que l'on limitera à ce qui était possible de d faire. Si bienn que, hors la nullité, n ne restennt plus au boutt du compte poour sanctions atttachées à la fo ormation du contrat que l'inopposabiliité, la caducité et e l'inexistence.. • L'inoppoosabilité 80. L'effett relatif des coonventions impplique que, nonn tenus d'exécu uter les obligatiions d'un accord auquel ils ne n sont pas parties, lees tiers n'en sooient pas moinns contraints dee tenir comptee de cet objet juridique, et dde ne pas conttrevenir en conséquennce aux droits ainsi constituués, ni provoquuer l'inexécutio on de l'un dess contractants (142). Cette obligation minimale ne peut touteffois leur être im mputée à chargge qu'à la cond dition d'établir qu'ils ont effecctivement eu ou o dû avoir norée, et le connaissannce de la conveention formée sans eux : sanss cette preuve, on continuera à présumer quu'ils l'auront ign contrat leuur restera inopposable
(143)..
81. L'inoppposabilité d'unn contrat aux tiers est donc soon état le plus ordinaire. Elle ne devient unne sanction que lorsqu'elle intervient en un cas où lee contrat aurait dû être opposaable, c'est-à-diree du jour où l'inntéressé en a prris ou aurait dû en prendre connaissannce. 82. Sa cauuse principale rééside à ce titre dans d la fraude paulienne, p et plu us largement auujourd'hui dans toute fraude paar collusion aux droits des tiers (144) : le contrat ainsi a destiné parr ses auteurs à contrevenir c au droit d acquis d'uun tiers restera in nopposable à ce dernier, quoi qu'il en ait su, lequel continuera dès lors à jou uir de son drooit en dépit de la volonté co ontraire des contractannts. On observee du reste que la fraude ne peuut elle-même être ê constituée qu'à q la conditioon que l'existen nce du droit lésé ait étéé opposable auux contractants,, ce qui supposse que ceux-ci en ait eu ou aurait a dû en avooir connaissancce avant de contracter. 83. Certainnes formes d'innterdiction sembblent égalementt devoir trouverr leur sanction dans d l'inopposabbilité de l'acte, en dépit de dispositionns qui, déjà annciennes, ne paarlent que de nullité. n Ainsi les l cessions prrohibées de l'arrticle 1596 du code civil s'analyseraaient-elles mieuux comme des cas d'inopposaabilité au proprriétaire d'actes réputés passés en fraude à sees droits (145). De même, la pseuddo-nullité encouurue au titre dess articles 215 ett 1427 du même code au cas dde dépassement du pouvoir ment la faculté, ouverte à l'auutre époux, de s'opposer s à de cogestiion du conjointt sur les biens communs tradduirait simplem l'aliénationn ainsi consentiie
(146).
opposabilité 84. Le déffaut de publicitéé, en revanche, lors même quee celle-ci serait obligatoire, n'est qu'une cause ordinaire d'ino : elle opère simple retourr au droit comm mun de l'effet reelatif des conventions, auquel le l système de ppublicité entend dait déroger en renverssant, par cette foormalité, la préssomption habituuellement appliicable. n partielle en ce qu'elle co onsiste comme celle-ci à priveer l'acte d'une partie p de ses 85. L'inopposabilité se raapproche de la nullité effets (1147). A la difféérence de la nuullité cependantt, cet anéantisssement partiel n'opère n plus ici que ratione personae, p à l'égard dess tiers ou d'un seul, s l'acte demeeurant entièrem ment valable inteer partes. On a également pu rrapprocher l'ino opposabilité de la nulliité relative, pouur ce qu'elle nee peut, comme cette c dernière, être invoquée que q par le tierss intéressé (14 48). Elle le serait mêm me doublement si l'on considèrre le fait que soon effet se born ne lui aussi à cee seul tiers. Maais, précisémentt pour cette raison, cettte sanction douublement relativve n'est pas unee nullité, consid dérant qu'un acte est valable oou ne l'est pas : il n'est pas valable à l'égard de certtains et nul poour d'autres. Tout ce que l'on n peut dire, c'est qu'il y aurra un acte valaable restant inopposabble à quelques-uuns
(149).
86. La prooximité de l'inoppposabilité et de d la nullité pouurrait se faire asssimilation cepeendant lorsque la sanction de la l première revient à priver p l'acte de son effet essenntiel, ainsi qu'ill en va par exemple pour un acte a translatif qqui resterait ino opposable à tous faute de publicité, ouu même, en cass de collusion frrauduleuse, au seul s propriétairre évincé qui poourrait toujours faire usage de son drooit de dispositioon pour rétablir la chaîne transllative à partir de d lui (150). Mais M même en cce cas, on préféérera penser que l'accord des parties tombera, t non du d seul fait de cette c inopposab bilité, mais pouur ce que celle--ci en aura fait disparaître l'objet prinncipal, par caduucité plutôt que par nullité.
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• La caduccité 87. Les coonditions de foormation d'un acte a juridique ne n doivent pas seulement êtree réunies au preemier jour : elles doivent encore ne pas disparaître au cours de sa période d'exécuution, sous pein ne de rendre cettte dernière imppossible. La san nction alors en cause n'est n plus la nulllité, quand bienn même la conddition disparue affecterait la validité v de l'actee, mais bien la caducité (151). 88. A la diifférence en efffet de la nullité, où la conditionn manque dès l'origine, la caduucité suppose quue cette conditiion ne fasse pas d'emblée défaut, de sorte s que cette autre sanction postule tout au u contraire un acte a initialemennt valable. Elle peut ainsi, contrairem ment à la nullitéé, n'opérer que pour l'avenir, sans remettre en e cause l'exéccution passée, eet sans d'ailleurrs que cette absence de rétroactivité ait rien de néccessaire. On renncontre ainsi des caducités quui, à l'inverse, rétroagiront au u jour de la formation de l'acte dès loors que la disparition vaudra elle-même pou ur le passé (152). Tel sera bbien le cas si, au a sein d'un groupe de contrats interddépendants, l'unn d'eux - disons une vente - en n vient à être résolu pour inexéécution, entraîn nant ainsi la disparitionn rétroactive de la cause du conntrat - disons unn louage - qui y serait lié
(1553).
89. La conndition de form mation disparue n'est du reste pas p nécessairem ment une condittion de validitéé : il peut égaleement s'agir d'une conddition d'existennce. La défaillaance d'une conndition suspensiive illustre parrfaitement cettee hypothèse daans laquelle viendrait à disparaître réttroactivement un u élément duqquel dépendait encore e l'existennce de l'acte jurridique. Et pas plus p qu'elle ne se conffond avec la nulllité, la caducitéé ne se confonddrait alors, pour la même raisonn, avec l'inexisttence. • L'inexistence 90. Souvennt évoquée, et aussi souvent condamnée c (1154), la notion d'inexistence a manifestement souffert d'un succès trop vif et imm mérité. Sa critiquue, à l'époque de d Japiot, était certainement c sallutaire, si l'on se rappelle l'exoorbitance du dom maine et du régime que l'inexistence avait a fini par reevendiquer, si peu p de temps ap près que Aubry et Rau l'ait acccouchée (155). Mais son long purgaatoire désormaiis achevé, la nootion mériteraitt, pour peu que l'on veuille bieen renoncer à l'instrumentaliseer, un autre examen. Et E de fait, on nee manque pas d'observer d que, à la faveur peut-être des réceents projets d'hharmonisation du d droit des contrats
(156), l'inexisttence fait aujourrd'hui l'objet d'uun incontestablle regain d'intérrêt
(157).
91. Il n'estt pas totalemennt invraisemblabble au fond qu'uun contrat, ou tout autre acte juuridique, puissee ne pas existerr plutôt que d'être nul. Si l'offre, par exemple, ne renncontre pas sonn acceptation, on o ne dira certaainement pas dee la convention n qu'elle est nulle, maiis bien qu'elle n'existe pas. Les causes de l''inexistence son nt d'ailleurs loiin de se limiterr à cette seule hypothèse. Contracterr avec un enfannt en bas-âge ouu avec le représeentant prétendu u d'un enfant paas même conçu,, ce n'est pas seeulement, là encore, coonclure un conttrat nul : c'est ne pas contraccter du tout. Ett l'on peut sonnger également à la conventio on faite sur l'honneur qui échappe, faute fa de force obligatoire, o à laa qualification de contrat. A quoi q il faut ajouuter que certain nes clauses n écrites sonnt proprement réputées inexxistantes lorsqu ue le juge estiime qu'elles réésultent d'une stipulation réputées non incohérentte parce que coontraire à l'esseence de l'engaggement (158)). Et une analyyse parfaitemennt conséquente oblige à y associer enncore tous les cas de requaliffication contracctuelle comme autant a d'inexisttences relativess : si l'on dit d'u un mariage qu'il est innexistant en l'abbsence de l'un de ses éléments constitutifs, tels que la différennce de sexe ((159), il faut bieen conclure identiquem ment lorsque quue l'on requalifi fie une vente saans prix en donaation. Il pourraa bien y avoir aalors un contrat, mais il ne s'agira pluus d'une vente, laquelle l sera doonc bien inexisttante. Il est toujjours question, du reste, quandd on constate l'inexistence d'un accorrd, de se déterm miner au regardd d'un contrat sppécial, sans qu ue l'on s'interrogge nécessairem ment sur l'opporttunité de le requalifierr. ••• 92. Au terrme de ce rapidde parcours à traavers les sanctioons de la formaation du contratt, on aboutit doonc à discerner finalement, comme le faisait Japiot (160), une dizzaine de sanctioons différentes (161). Mais à la différencee de l'auteur dijonnais, qui n'y voyaitt qu'autant d'eespèces de nuullités, ces sannctions se trou uvent désormaais réintégrées dans la summa divisio traditionneelle, pour une part, p et extraitees de ce systèm me, pour une au utre part. En sorrte que, ainsi reecomposée, la théorie des nullités nee s'en trouve paas seulement déémystifiée : rennouant avec son n histoire, c'est aussi, à l'heuree des réformes, son avenir qu'elle préépare.
Documeent 2 Antoine Hontebeyrie,, extrait, Presscription extinnctive, Réperttoire de droit immobilier, Dalloz févrieer 2016
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Section 2 - Inexistence d'une conveention et clau use réputée non écrite 32. À l'im mprescriptibilité du droit de proopriété et de sees attributs, fautt-il ajouter cellee des actions reelatives à l'inex xistence d'une convvention ? La quuestion est discuutée, en raison des doutes que l'on nourrit quuant à l'autonom mie de cette nottion par rapport à la l nullité (V. ADIDA-CANAC C, Actualité de l'inexistence dees actes juridiquues, Rapport annnuel 2004 de la l Cour de cassatioon, p. 105. - PO OSEZ, L'inexisstence du contrrat, thèse, Pariss II, dir. D. Burreau, 2010). Laa jurisprudence reflète cette incerrtitude. Ainsi laa première cham mbre civile de la l Cour de casssation a-t-elle juugé le 10 juin 11986 qu'en l'étaat d'une offre de contrat c non acceptée, donc d'uun contrat a prriori inexistant, « il ne pouvaiit y avoir presccription de l'acttion en re o nullité d'uun acte auquel faisait défaut l'un de ses élééments essentiels » (Civ. 1 , 10 juin 1986, Bull. civ. I, n 159 ; D. 1988. Somm. S 14, obs. Robert ; RTD D civ. 1987. 535, obs. Mestre.. - Adde : Casss., ass. plén., 288 mai 1982, Bu ull. ass. o plén. n 3 ; D. 1983. 1177, concl. Cabaannes, et p. 3499, note Gaillard d. - Sur l'assim milation de l'ineexistence à la nullité, o V. Com. 30 3 nov. 1983, Bull. civ. IV, n 333). Selon cet arrêt do onc, l'action tirée de l'inexisstence du conttrat est sanctionnéée par une nulliité, mais par unne nullité imprescriptible parcee que fondée suur l'absence d'unn élément essen ntiel du contrat. Prrise littéralemennt, la solution pourrait d'ailleurs s'appliquer à d'autres vicees, tant les élém ments essentiels d'une conventionn ne se limitentt pas au consenntement (Rappr.. Com. 30 nov. 1983, préc.). On O ne doit cepeendant pas en ex xagérer la portée, car elle évoquee la théorie classsique des nulliités, généralem ment rejetée aujoourd'hui (V. cepp. Com. 23 octt. 2007, o o , Bull. civ. c IV, n 226 ; D. 2008. 9544, note G. Chan ntepie ; AJD DI 2008. 795, oobs. F. Cohet-C Cordey n 06-13.9979 ; RTD com. 2008. 4008, obs. B. Bouuloc , - maiis l'arrêt retient, à propos d'unne nullité absolue, l'application n de la prescriptioon trentenaire de l'ancien artticle 2262 du code civil. - Adde A : C. civ., futurs art. 11778 s. tels qu'isssus de o er l'ordonnannce n 2016-1311 du 10 févr. 20016 entrant en vigueur v le 1 occt. suivant). 33. Au resste, une décisioon postérieure de d la même preemière chambree civile paraît prendre p le conttre-pied de la position p précédemm ment exposée. La Haute Juriddiction y juge en e effet que « l'action l engagéée en vue de coontester l'existeence du consentem ment donné à laa souscription d'un d emprunt s'aanalyse, non en n une action rellative aux opéraations de créditt régies par les artiicles L. 311-1 et e suivants du code c de la consoommation, mais en une actionn en contestationn de l'existencee même re er o d'une convvention soumisse, en tant que telle, à la presccription de droiit commun » (C Civ. 1 , 1 avrr. 2003, n 00-2 22.631 o , Bull. civ. c I, n 94 ; D. D 2003. 1229, obs. o C. Rondey ; RTD com m. 2003. 552, obbs. D. Legeais ; RTD com m. 2003. 801, obs. B. Bouloc ; Defrénois 20003. 861, note Aubert A ; Defrén nois 2003. 859,, obs. Savaux ; JCP 2003. II. 10109, note Monnachon-Duchênee). Cette fois, donc, l'inexistence est recon nnue en tant quue telle, mais sujette à presccription e o (Rappr. Ciiv. 3 , 21 mai 2014, 2 n 13-16.5591 , D. 20115. 529, obs. S.. Amrani-Mekkki et M. Mekki ; RDC 2014. 605, obs. Geniccon, dans une affaire où les jugges du fond, appprouvés par la Cour, C ont refuséé de faire jouer l'article 1304 du d code o er civil - danns sa version anntérieure à l'ord. n 2016-131 du d 10 févr. 2016 entrant en viggueur le 1 octt. suivant - et ap ppliqué la prescripption de droit commun à une action tendannt à faire consstater l'inexisteence de cessionns portant une fausse e o o signature. - Comp. Civ. 3 , 26 juin 20113, n 12-20.9334 , Bull. ciiv. III, n 85 ; D. 2013. 1682 ; D. 2013. 2544, P V. Georgett et V. Guillauddier ; D. 2014. 630, obs. S.. Amrani-Mekkki et M. Mekki chron. A. Pic, ; AJDI 2014. 471, obs. F. Coohet ; RDC C 2013. 1299, obs. Genicon, qui appréhend de comme une cause de nulliité relative sou umise à l'article 13304 du code civvil - dans sa version antérieure à l'ordonnance préc. - un vicee du consentemeent évoquant laa notion d'« erreur--obstacle »). Laa solution peutt laisser perplexxe. Ne supposee-t-elle pas, à l'extrême, qu'uune convention puisse naître ex nihilo n par le seul jeu de la preescription ? Coomment admettrre que l'écoulem ment du temps puisse empêch her une personne de d voir juger quu'une convention n'existe pas ? e
34. Cepenndant, comme on o l'a observé (TERRÉ, SIM MLER et LEQU UETTE, Droit civil, c Les obliggations, 11 éd., 2013, o Précis Dallloz, n 414, noote 3), une action en exécutioon fondée sur un u contrat inexiistant se heurterrait de toute faaçon au os principe de d perpétuité de l'exception (suur lequel, V. inffra, n 581 s.). L'imprescriptibbilité ne présennte donc aucunee utilité dans cette hypothèse. Ceertes, le principee de perpétuité de l'exception ne trouve pas application en cas d'exécution n totale os ou partiellle du contrat litiigieux (V. infraa, n 599 s.). On O pourrait doncc en déduire quu'une action en eexécution d'un contrat inexistant mais partiellem ment exécuté doit d être accueiillie, ce que l'iimprescriptibilité empêcheraitt au contraire (Rappr. ( ADIDA-C CANAC, articlee préc., spéc. p. p 120). Mais conçoit-on vraim ment qu'un conntrat inexistant puisse être ex xécuté ? Reste la quuestion de la reestitution des prrestations déjà fournies. f Touteefois, en ce dom maine, il n'y a aaucune raison d''écarter la prescripption. Réserve faite f d'une actioon en revendicattion s'il y a lieu u, on appliqueraa les règles de pprescription de l'action l o en répétition de l'indu (V. infra, n 73) ou, o s'il faut assim miler l'inexisten nce à la nullité, celles qui conccernent les restiitutions re o o consécutivves à l'annulatiion (Civ. 1 , 24 , Bull. civ. I, n 218 ; D. 22003. 369, notte J.-L. 2 sept. 2002, n 00-21.278 Aubert ; RTD civ. 2003. 284, obs. J. Mestre ) - étant observéé qu'avec la réfforme de 2008 le délai sera de d toute façon quinnquennal. En somme, on le voit, l'idée que q les actionss fondées sur l'inexistence puissent ressorttir à la prescriptioon de droit coommun n'est paas nécessairem ment condamnéée par les consséquences qui en résultent. Il I n'est
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cependant pas certain quue leur inclusioon dans le chaamp de l'impreescriptibilité soit dépourvue dde tout effet uttile. La « partie » au contrat peutt en effet avoir intérêt à agir en constatation de d l'inexistencee indépendamm ment de toute deemande en exécution de son « cocontractant c ». Et il serait pour p le moins contestable d'écarter son acttion motif priss de la e prescriptioon (Comp. GE ENICON, obs. préc. sous Civ. 3 , 21 mai 2014, 2 RDC 20014. 605, spécc. II). La questtion de l'imprescriiptibilité des actions fondées sur l'inexistennce d'une conv vention reste doonc ouverte (sur le cas des actions tendant à faire f constater l'existence d'unn contrat d'une qualification différente de cellle choisie par lles parties, par le seul e er o effet d'unne disposition légale : BOFF FA, note sous Civ. 3 , 1 occt. 2014, n 133-16.806 , D. 2014. 2565 5, obs. Y. Rouqueet , note R.--J. Aubin-Broutté ; D. 2015. 16615, obs. M.-P. Dumont-Lefraand ; RTD com. 2014. 77 73, obs. e o F. Kendériian ; RDC 2015. 2 275. - Addde : Civ. 3 , 3 déc. 2015, n 14-19.146 1 , publié p au Bulleetin). 35. Le cas des clauses répputées non écrittes appelle des observations an nalogues à cellees qui viennent d'être faites. Ceertes, il n'est guèree contesté que la l « réputation de non-écrituree » se distinguee de la nullité. Comme C son noom l'indique, laa clause est véritabblement inexisttante. Toute iddée de prescripption est donc ici à bannir lorsqu'il l s'agit de le faire co onstater os (S. GAUD DEMET, La claause réputée non écrite, préff. Lequette, 200 06, Economicaa, n 231 s. - C Comp. KULLM MANN, Remarquees sur la clause réputée non écrite, D. 19993. Chron. 59 , spéc. p. 62 6 s.). En revannche, les actio ons qui découlent de cette inexxistence, par exxemple celles qui tendent aux a restitutionss, demeurent ddans le champ p de la prescriptioon (KULLMAN NN, article précc., eod. loc.).
Documeent 3 Laurence Collet , Inexisstence d'un con ntrat de prêt à défaut de consentement, Recueil Dalloz 19993 p.508 [1 et 2] Chhassez-la par la porte, elle entrrera par la fenêttre. A l'heure où la théorie dee l'inexistence semble être chaassée du droit des d sociétés parr la Cour de caassation (1), elle e fait son m juridictionn, en procédure pénale (2), taandis que son usage u est établi een procédure ciivile (3). apparition devant cette même mble incertaine ; ainsi, dans less deux décisionns commentées : dans la prem mière espèce La position de la Cour dee cassation sem C général industriel c/ Alllaire, inédit au Bulletin), B elle recourt expliciteement à l'inexisstence, dans (Civ. 1re, 5 mars 1991, Crédit la secondee (préc., note 1), elle rejette ferrmement l'appliication de cette notion. De même,, la doctrine n'eest pas unanim me mais, dans l'eensemble, l'inexistence est maal aimée par les auteurs qui laa critiquent sans indullgence (4) ou la passent sous silence, ses défenseurs d étantt peu nombreuxx (5). Il est poourtant notablee que Japiot (6), pouurfendeur de la théorie classiquue des nullités, qui, rompant av vec la théorie de d l'acte-organissme, lui substitu ua la notion de droit dee critique, conserva l'inexistennce en retenant toutefois une conception strictte et ne la faisaant intervenir qu ue dans des cas extrêm mes dans lesqueels il était impoossible de « déccouvrir une basse consistant daans un acte juridique qui puissse servir de fondementt à certaines connséquences juriidiques » (7). La compaaraison des deuux décisions commentées perm mettra de mettrre en évidence les causes et lles effets de l'iinexistence.
I. - Les cauuses.
mme un succéddané des nullitéss dans des hypoothèses où le législateur avait entendu les A l'originee, l'inexistence est apparue com raréfier. C'est C sous la pluume des auteurss du XIXe sièclle (8) qu'elle apparaît pour la l première foiss afin d'éviter les l résultats absurdes (9) auxquels aurait a conduit l'application l dee l'adage Pas de d nullité sans texte t dans le drroit du mariagee : dans les hypothèses où faisait déffaut un élémennt essentiel de la convention, c'est-à-dire unn élément qui pparticipait de saa nature ou a le contrat ne pouvait pass exister (10) peu importait qu'il n'y eut paas de dispositio on légale le encore de son essence, alors d ce rôle d'eersatz qu'elle esst aujourd'hui consacrée c en prrocédure civile où la règle Pass de nullité prévoyant. C'est encore dans sans grieff est de droit positif (art. 114, al. 2, NCPC)) : pour faire disparaître d des actes a auxquels faisait défaut un u élément l jurisprudence (11), approouvée en cela par les auteurs (12), a eu en la matière recoours à l'inexisteence (13). essentiel, la Ainsi conssacrée en procéédure civile, l'innexistence a faiit récemment son apparition en e procédure péénale dans des hypothèses où il s'agiissait de faire disparaître dess actes informees (14). Maiss la jurisprudennce n'utilise paas seulement l'inexistence comme suuccédané des nuullités dans des domaines où lee législateur a entendu e les rarééfier, elle y a éggalement recou urs dans des hypothèses où la nullité serait s susceptiblle d'être prononncée ; l'inexisten nce entre alors en e concurrence avec la nullité..
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Les deux décisions commentées correspondent à des hypothèses dans lesquelles, depuis le début du siècle, l'inexistence concurrence la nullité. Comme dans les cas où elle remplit le rôle d'ersatz, c'est par la gravité du vice que l'on justifie le recours à cette notion. L'acte est qualifié d'inexistant car un élément essentiel, participant de sa définition, fait défaut : dans la deuxième espèce il est question d'une société dont les associés sont dépourvus d'affectio societatis (A), dans la première d'un contrat pour lequel le consentement d'un cocontracant fait défaut (B).
A. - L'absence d'affectio societatis : cas des sociétés fictives.
Quand elle est le fait des justiciables (15), la fiction se définit comme la création volontaire d'une apparence trompeuse (16). Une société fictive est un fantôme juridique ne répondant pas à la définition fondamentale de l'art. 1832 c. civ. (17), elle ne comporte pas d' affectio societatis (18). En apparence, la société a cependant une existence réelle, les formalités de constitution ont été accomplies, la société a un nom, un siège social, voire des organes qui agissent en son nom. Si l'on se reporte à l'art. 1844-10 c. civ. (« La nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des art. 1832 ... »), il semble logique de considérer que les sociétés fictives sont nulles, c'est d'ailleurs l'opinion d'une partie de la doctrine (19), adoptée par la Cour de cassation dans certaines décisions. Cependant, d'autres auteurs (20), se prévalant aussi de décisions de la Cour de cassation (21), considèrent que les sociétés fictives sont non pas nulles mais inexistantes. Ainsi pour M. Calais-Auloy : « Les sociétés fictives sont atteintes d'une tare beaucoup plus grave, quoique généralement moins visible ; ce n'est pas leur validité qui est en cause, c'est déjà leur existence même » (22). Cette formule montre que, comme dans la théorie classique, c'est sur la gravité du vice que se fonde l'inexistence. M. Jeantin (23), plus subtilement, distingue des sociétés fictives dans lesquelles le vice est moins grave, par exemple la fictivité des apports, les sociétés inexistantes atteintes du vice le plus grave : l'absence d'affectio societatis. Dans une hypothèse où, dès l'origine, les associés d'une SARL n'avaient pas eu l'affectio societatis, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation avait consacré l'inexistence : la société « n'avait jamais eu d'existence » (24). L'arrêt commenté de la Chambre commerciale constitue un revirement par rapport à cette jurisprudence puisque, dans une hypothèse similaire, il énonce : « une société fictive est une société nulle et non inexistante ». Malgré la solennité de cette affirmation, il est possible de limiter la portée de la décision ; comme l'a remarqué un auteur qui y est pourtant favorable : « la plasticité des notions est telle qu'il suffirait de s'évader du concept de société fictive pour échapper à la remise en rang commandée par notre arrêt » (25). Ce n'est pas en droit des sociétés mais en droit des obligations que la théorie de l'inexistence a été la plus utilisée en concurrence avec les nullités. B. - L'absence de consentement d'une partie au contrat.
Le premier arrêt intervient dans une hypothèse classique d'inexistence en droit des obligations consentement : le consentement est en effet un élément essentiel à l'existence du contrat.
(26), l'absence de
En l'espèce, il s'agit de la vente d'un véhicule automobile financée à l'aide d'un prêt pour lequel le vendeur a pris soin de faire enregistrer son gage. Le véhicule en question a été revendu à un tiers qui demande la mainlevée de la saisie que le prêteur de deniers avait effectuée sur le véhicule : jusqu'ici rien de très original. Mais les choses se compliquent si l'on relève que le premier acquéreur du véhicule, qui a également la qualité d'emprunteur, était lors de son achat un incapable majeur sous tutelle et qu'il n'avait pas signé le contrat de prêt. Les juges du fond, dans un arrêt confirmatif, ont jugé que le prêt était inexistant et ont donc refusé de valider l'inscription en gage ; ils ont ordonné la mainlevée de la saisie. Le pourvoi était inspiré d'une jurisprudence (controversée) en matière de cautionnement : il prétendait que la nullité du prêt laissait subsister l'obligation de restitution des fonds, donc le gage qui en garantissait l'exécution. Il n'a pas convaincu les hauts magistrats qui, à la suite des juges du fond, ont décidé que le contrat de prêt étant inexistant aucun gage ne pouvait être inscrit du chef dudit contrat. L'attendu de la Cour de cassation dont la brièveté accentue encore la force dit très clairement : « aucun échange de consentement n'étant intervenu ..., il n'y a pas eu contrat de prêt ... le contrat (est) inexistant ... ». Cette formulation ne saurait surprendre dans une hypothèse, l'absence de consentement, qui correspond à un cas classique d'inexistence dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Même si les décisions ne sont pas nombreuses, elles existent et,
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depuis le début du siècle, sont venues consacrer cette notion. La Cour de cassation en 1915 (27), à propos d'une donation faite à une commune qui ne l'avait pas acceptée, tira de cette absence de consentement d'un des cocontractants l'inexistence du contrat ; ne s'appliquaient donc pas les prescriptions prévues par les art. 1304 et 2262 c. civ. Dans d'autres espèces, elle préfère parler de nullité absolue (28) et encore d'inopposabilité (29) mais cette terminologie approximative n'est que le masque d'une inexistence inavouée, ce que l'on a appelé le voile pudique de l'inexistence (30). Parfois la Cour de cassation a soulevé le voile, ainsi dans un arrêt en date du 10 juin 1986 (31), toujours à propos d'une donation non acceptée. Dans la décision commentée, il n'est plus question de voile, la Cour de cassation appelle les choses par leur nom ; le contrat en l'absence de consentement de l'une des parties est, selon ses propres termes, inexistant. Pourtant, il ne faut pas croire que la Cour de cassation fait de l'inexistence son étendard (32). Quel que soit le rôle de l'inexistence, succédané ou concurrente de la nullité, la jurisprudence qualifie d'inexistant l'acte atteint d'un vice particulièrement grave - il est privé d'un de ses éléments essentiels - qui le rend informe selon l'expression de P. Hébraud (33). N'y a-t-il pas un retour au critère s'attachant à la gravité du vice qui avait compliqué la théorie des nullités rendant difficile la détermination des vices dont la gravité rendrait l'acte informe ? La critique n'est ni fausse ni décisive : quelle notion juridique ne suscite pas des difficultés d'interprétation ? Mais, comme l'avait relevé P. Hébraud qui était pourtant convaincu de la réalité intellectuelle de la notion d'inexistence - et pas seulement de sa réalité pratique comme beaucoup d'auteurs qui la réduisent à une notion fonctionnelle -, ce n'est pas dans la détermination des causes d'inefficacité que réside son intérêt majeur mais bien « quant à la manière dont s'opère cette inefficacité » (34), comme le montrent les deux décisions commentées. II. - Les effets On a beaucoup critiqué en doctrine la théorie classique pour laquelle l'inexistence, contrairement à la nullité, était seulement constatée par le juge et non prononcée par lui (35). Dès lors que les parties n'étaient pas d'accord pour admettre que le contrat était inexistant et qu'il y avait une apparence de contrat, une action en justice était nécessaire qui tende à ce que l'apparence soit détruite et la réalité rétablie. Pourtant, si, dans le cas de la nullité comme dans celui de l'inexistence, il y a inefficacité ab initio de l'acte, dans un cas cette inefficacité n'est qu'une fiction légale - l'anéantissement rétroactif - (A), tandis que dans l'autre elle correspond à une réalité - le néant - (B). A. - L'inefficacité fictivement rétroactive de l'acte nul. L'inefficacité ab initio de l'acte nul est une fiction ; c'est ce qui explique que le législateur et le juge peuvent en limiter les effets aussi bien à l'égard des tiers qu'entre les parties. A titre d'exemples on citera l'art. 201 c. civ. qui dispose que le mariage putatif « produit, néanmoins, ses effets à l'égard des époux, lorsqu'il a été contracté de bonne foi », et encore l'art. 1844-15 c. civ. qui dipose : « Lorsque la nullité de la société est prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à l'exécution du contrat. A l'égard de la personne morale qui a pu prendre naissance, elle produit les effets d'une dissolution prononcée par justice ». Au-delà de ces exemples tirés de la loi, les deux décisions commentées nous permettent d'évoquer des hypothèses où le juge a conservé à l'acte nul une certaine efficacité. 1. - L'annulation du contrat de prêt laisse subsister l'obligation de restitution. Telle est la thèse développée dans le pourvoi dans la première espèce : « l'annulation du contrat laissait subsister l'obligation de restitution des sommes versées, ainsi que les sûretés constituées en garantie de l'exécution de l'obligation ». En d'autres termes, certes le prêt est nul mais les fonds ont été versés et doivent être restitués, par conséquent le gage doit garantir l'exécution de cette obligation. Ce moyen s'inspire d'une jurisprudence de la Cour de cassation en matière de cautionnement, inaugurée par la Chambre commerciale dans un arrêt du 17 nov. 1982 (36). Dans une espèce où la vente avait été annulée pour indétermination du prix, les juges déclarèrent nul le contrat de prêt mais estimèrent que la caution devait néanmoins garantir les restitutions consécutives à l'annulation : « tant que les parties n'ont pas été remises en l'état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l'obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable ... dès lors le cautionnement, en considération duquel le prêt a été consenti, subsiste tant que cette obligation n'est pas éteinte ». Cette solution qui s'est vue réaffirmée à plusieurs reprises par cette même Chambre de façon très ferme (37) vient bouleverser la théorie générale des obligations selon laquelle l'annulation du contrat entraîne sa disparition rétroactive. Les termes utilisés par la Cour de cassation qui vise « l'obligation de restituer inhérente au contrat de prêt » attestent qu'il s'agit
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bien là d'une obligation contractuelle ; elle ajoute que l'obligation « demeure valable » (38). Comment interpréter ce « demeure valable » : une obligation de restitution est née et elle demeure valable malgré l'annulation du contrat ; il faut donc y voir une exception à la rétroactivité de l'inefficacité du contrat. Des différentes analyses proposées en doctrine (39) pour fonder cette solution, la plus juste semble celle de M. Aynès (40) qui explique cette jurisprudence en se fondant sur la nature particulière du contrat principal : le contrat de prêt est un contrat réel ; l'obligation de restitution est « plus la conséquence de la remise initiale des fonds que du contrat lui-même ». Ainsi si la caution doit garantir la restitution des fonds consécutivement à l'annulation c'est parce que son objet demeure identique. Cette explication donne à la jurisprudence inaugurée en 1982 une portée beaucoup plus réduite que celle de MM. Mouly et Delebecque - puisque, dans le cas où l'obligation garantie n'est pas née d'un contrat réel, la caution est libérée - ce qui est heureux, cette jurisprudence nous semblant regrettable (41). 2. - A l'égard des tiers : la théorie de l'apparence. En application de l'adage error communis facit jus la jurisprudence protège les tiers victimes de l'apparence trompeuse créée par l'acte nul. L'art. 1844-16 c. civ. qui dispose « Ni la société, ni les associés ne peuvent se prévaloir d'une nullité à l'égard des tiers de bonne foi ... » constitue une application légale de ce principe au droit des sociétés. Dans l'arrêt commenté de la Chambre commerciale, c'est pour avoir refusé de faire bénéficier de cette disposition l'administration fiscale que les jugements rendus les 5 avr. et 10 mai 1990 par le Tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan ont été cassés. La rédaction du pourvoi pourrait surprendre ; sa lecture a contrario laisserait supposer que, si la société avait été inexistante, l'administration fiscale n'aurait pu se prévaloir de l'apparence. Une telle solution pourrait sembler critiquable (42), il semble qu'il faille expliquer cette formulation par la volonté de la Cour de cassation de condamner la théorie de l'inexistence des sociétés fictives (43). Néanmoins, l'inexistence a des conséquences spécifiques qui expliquent que la jurisprudence utilise cette notion. B. - L'inefficacité originaire (originelle) de l'acte inexistant. L'idée est classique, on connaît la formule de Demolombe : « On n'annule pas le néant » (44), et présente de multiples intérêts que la jurisprudence a depuis toujours utilisés (1), la décision commentée de la première Chambre civile permet d'en montrer un nouveau (2). 1. - Les intérêts classiques. Le premier intérêt est l'imprescriptibilité de l'action - et pas seulement de l'exception -, tous les arrêts cités à propos de l'absence de consentement ont eu recours à l'inexistence pour écarter la prescription. Un arrêt inédit de la Chambre commerciale a récemment rappelé un autre intérêt de l'inexistence - sans toutefois (c'est une habitude) la nommer mais l'appelant nullité absolue - : l'impossibilité de confirmer l'acte inexistant : « attendu que les actes dont la nullité est absolue étant dépourvus d'existence légale ne sont susceptibles ni de prescription ni de confirmation ... » (45). En droit des sociétés, l'inexistence a permis d'échapper à l'application de l'art. 368 de la loi de 1966 qui écarte la rétroactivité de la nullité (46), elle a encore conduit à refuser aux sociétés inexistantes le bénéfice de la liquidation (47). La première espèce commentée montre un nouvel intérêt du recours à l'inexistence de l'acte plutôt qu'à sa nullité. 2. - L'apport de la décision. L'attendu ne dit pas : le contrat de prêt est nul et par conséquent le gage, accessoire de celui-ci, est nul, mais le contrat de prêt est « inexistant » et par conséquent « aucun gage ne pouvait être inscrit du chef de ce contrat ». La question de la validité du gage automobile doit être résolue en considération de sa nature : c'est une sûreté légale (48) instituée par la loi Malingre du 29 déc. 1934 et aujourd'hui régie par le décret du 30 déc. 1953 modifié par le décret du 20 mai 1955 et la loi du 2 août 1957. Aux termes de l'art. 1er du décret, tout contrat de prêt destiné à l'achat de véhicules automobiles doit faire l'objet d'un acte sous seing privé dans les conditions fixées à l'art. 2074 c. civ., c'est-à-dire qu'il doit être dûment enregistré, désigner le véhicule et préciser la somme due. Ces différentes exigences sont des conditions de validité du contrat
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et sont donc posées à peine de nullité (49). Le gage résulte de la loi, il est attaché au contrat de prêt répondant aux exigences légales, mais pour être conservé et opposable aux tiers, il doit faire l'objet d'une inscription sur un registre à souche tenu à la préfecture qui a délivré la carte grise (art. 2 et 5 du décret). Cette inscription est la seule manifestation tangible de ce gage, sûreté légale. En l'espèce, le gage a bien été inscrit par le créancier, le problème est ailleurs, en amont, c'est le contrat de prêt qui est en cause car non signé par le débiteur. Cette absence de signature fait que l'exigence légale d'un acte sous seing privé n'a pas été respectée et donc que le contrat est nul, par conséquent le gage est également nul. La solution semble évidente, la Cour de cassation ne l'a pas retenue : à aucun moment elle ne parle de nullité, ce qui nous semble s'expliquer par les termes du pourvoi pour lequel l'obligation de restitution et le gage survivraient à l'annulation du contrat de prêt. Le recours à l'inexistence permet ici à la Cour de cassation d'échapper à la logique apparente du moyen et montre un intérêt tout à fait nouveau de cette théorie puisque la décision tire de l'inexistence du contrat de prêt l'inexistence de la sûreté légale auquel il était censé donner naissance. La sûreté ne tombe pas par voie de l'accessoire, elle n'est jamais née ! Elle n'a pas pu être inscrite, elle est comme le contrat de prêt inexistante. La Cour de cassation n'opère pas au moment de sa décision par un raisonnement rétroactif classique en matière de nullité mais estime qu'avant même cette décision, au moment de l'inscription, le contrat de prêt n'existait pas et par conséquent aucun gage ne pouvait être inscrit. L'on est ici en présence d'une sûreté légale et non conventionnelle : le gage naît du contrat de prêt ; si celui-ci n'existe pas, comment pourrait-il donner naissance à celui-là ? Si le prêt avait été seulement nul, le gage automobile aurait-il pu valablement être inscrit et garantir la restitution consécutive à l'annulation du prêt ? Face à un moyen qui parle de nullité et rien que de nullité, on peut supposer que, si la Cour de cassation répond sur le terrain de l'inexistence, c'est à dessein. Cette décision met en évidence un nouvel intérêt de l'inefficacité ab initio (effective et non fictive) de l'acte inexistant : elle empêche la naissance de la sûreté légale et rend vaine son inscription. Si le gage avait été conventionnel, la solution eût-elle été identique ? La question mérite d'être posée car en pareille hypothèse c'est un autre contrat que le prêt annulé qui aurait donné naissance à la sûreté. Dans ce cas, y aurait-il eu un intérêt à considérer que le contrat de prêt n'était pas nul mais inexistant ? En cas de nullité, il conviendrait de faire application de la jurisprudence inaugurée en 1982 en matière de cautionnement et de considérer que le gage conventionnel garantit la restitution consécutive à l'annulation du prêt. En revanche, en cas d'inexistence, on ne pourrait considérer la remise des fonds comme l'exécution d'une obligation issue d'un contrat réel engendrant une obligation de restitution, puisque au moment de cette remise le contrat serait inexistant, par conséquent le gage ne garantirait pas de restitution « inhérente au contrat de prêt ». Il apparaît, ainsi, que le recours à l'inexistence aurait également emporté un intérêt pratique si le gage avait été non pas légal comme en l'espèce mais conventionnel : l'inexistence du contrat de prêt n'aurait pas laissé subsister le gage jusqu'à l'exécution de la restitution (50). Au terme de cette étude, l'intérêt de l'inexistence apparaît certain : elle constitue une arme efficace pour faire disparaître du commerce juridique des actes informes dans des hypothèses où le législateur a entendu raréfier les nullités ou limiter les effets de la rétroactivité.
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Séance 6
Thème : L’exécution du contrat Sous-thème : La force obligatoire du contrat Exercice : commentaire d’article Commentaire conjoint des articles 96 et 97 COCC Article 96 : Force obligatoire du contrat « Le contrat légalement formé crée entre les parties un lien irrévocable » Article 97 Résiliation et révision « Le contrat ne peut être révisé ou résilié que du consentement mutuel des parties ou pour les clauses prévues par la loi »
Bibliographie indicative : -M. Latina, déclinaison de la force obligatoire du contrat, in Contrat (généralités), Dalloz décembre 2013 (actualisation : avril 2016) -L. Boyer, force obligatoire du contrat in contrat et convention, Dalloz Aout 1993 (actualisation : avril 2015) n° 233 -J. Schmidt-Szalewski, La force obligatoire à l’épreuve des avant-contrats, RTD Civ. 2000 p.25 Ghestin J, Jamin Ch., Billiau M., Les effets du contrat, Traité de droit civil, LGDJ , 3e éd., 2001. - Ghestin J., La distinction des parties et des tiers, JCP 1992.1.3628, n°4 -Aubert J.-L, A propos d’une distinction renouvelée des parties et des tiers, RTD civ. 1993, p. 263 et s -AYNES L. « Les effets du contrat à l’égard des tiers », RDC, 2006, p.63 -Thibierge C., De l’élargissement de la notion de partie au contrat….à l’élargissement de la portée de l’effet relatif, RTD Civ. 1994, p.275 Ghestin J., Nouvelles propositions pour un renouvellement de la distinction des parties et des tiers, RTD civ., 1994, p. 777
Documents Document 1 L. Boyer, Force obligatoire du contrat in Contrats et conventions, Dalloz Aout 1993 (actualisation : avril 2015) n° 233 Chapitre 1 - Force obligatoire du contrat
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233. Dès l'instant où le contrat a été régulièrement formé, il doit être exécuté tel que prévu initialement. Cette règle qui résulte de l'article 1134 du code civil concerne d'ailleurs non seulement les dispositions expresses, mais aussi les dispositions légales qui sont venues s'insérer dans le contrat, soit impérativement, soit de façon supplétive ; les unes et les autres ne peuvent, en principe, être modifiées que par un nouvel accord. Actualisation 233 s. Force obligatoire du contrat. - AYNES, À propos de la force obligatoire du contrat, RDC oct. 2003. 323 s. 234. Ce principe de la force obligatoire a un double fondement : Moral, tout d'abord, pour tout ce qui procède de la volonté des parties ; la parole donnée doit être tenue. Économique et social, ensuite : le crédit sur lequel repose toute la vie des affaires disparaîtrait si le créancier n'était pas certain que son débiteur sera contraint à l'exécution de sa promesse ; il exigerait toujours une contrepartie immédiate ou des garanties que le faible est impuissant à fournir ; au-delà des cas individuels, l'intérêt des débiteurs eux-mêmes est que les promesses soient strictement respectées (Mazeaud et Chabas, t. 2, no 721 ; Rouast, Le respect des engagements librement consentis…, Semaines sociales de France 1938.338). 235. Ces justifications expliquent que l'article 1134 demeure à la base de notre droit des contrats. Sans doute, le législateur intervient-il très souvent pour l'écarter (V. infra, not. no 322, 332, 345), mais il garde valeur de principe assoupli d'ailleurs par quelques tempéraments (V. infra, no 236 et s.). Dans sa mise en oeuvre, il faut, par ailleurs, tenir compte du pouvoir d'interprétation qui est celui du juge en la matière (V. infra, no 251 et s.). Section 1 - Principe et tempéraments Art. 1 - Principe 236. Qualifiant le contrat de « loi des parties », le code civil en prescrit une exécution très stricte. Ni les contractants ni les juges ne peuvent normalement en modifier les clauses fussent-elles de simples clauses de style (Sur l'obligation de respecter celles-ci, V. Civ. 3e, 3 mai 1968, Bull. civ. III, no 184 ; adde : A. Lecomte, La clause de style, Rev. trim. dr. civ. 1935.305 ; D. Denis, La clause de style, Études Flour 1979, p. 117 et s.). 237. Cette force obligatoire s'impose d'abord aux parties, lesquelles tirent du contrat un droit à l'exécution de celui-ci. C'est seulement par une nouvelle convention qu'elles peuvent décider, soit de la modification (V. infra, no 329 et s.), soit de la révocation de l'accord original (C. civ., art. 1134, al. 2 ; sur le mutuus dissensus, V. infra, no 349). 238. Elle s'impose aussi au juge, ce dernier ne pouvant en invoquant l'équité modifier ce qui a été convenu par les parties (Civ. 6 mars 1876, S. 76.1.161 ; 15 nov. 1933, S. 1934.1.13). La Cour de cassation réaffirme très fréquemment ce principe, veillant à ce qu'au travers d'une interprétation de l'accord, les juges du fond n'en dénaturent pas le contenu (V. infra, no 271 et s.). Ainsi le juge ne peut-il, sans violer l'article 1134 du code civil, étendre l'objet d'une obligation définie par le contrat (Civ. 8 mai 1933, D. H. 1933.395), ou substituer un complément de prix à un droit d'usage et d'habitation stipulé au profit du vendeur et portant sur un bien déterminé (Civ. 3e, 1er mars 1989, Rép. Defrénois 1990, art. 34886, note M. Vion), ni se substituer aux parties pour exercer une option qu'elles s'étaient réservées ou autoriser le cocontractant à exercer celle-ci à la place de la partie défaillante (Civ. 3e, 4 juill. 1968, Bull. civ. III, no 325). 239. Au regard du législateur lui-même, le principe de la force obligatoire du contrat veut qu'une loi nouvelle ne soit pas applicable aux « contrats en cours » (Marty et Raynaud, t. 1, no 107 ; Weill et Terré, op. cit., no 372). Il en va autrement chaque fois qu'il s'agit d'une loi d'ordre public, le législateur explicitant d'ailleurs très souvent sa volonté d'application immédiate. Art. 2 - Tempéraments 240. Pour si nettement affirmé qu'il soit, le principe de la force obligatoire ne va pas sans tempéraments, le législateur décidant souvent qu'une loi nouvelle sera applicable aux effets d'un contrat en cours (V. infra, no 332). Beaucoup plus prudent est nécessairement le juge et cette prudence apparaît, en particulier, lorsqu'on
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s'interrogge sur l'incidennce que peuveent avoir ici unne référence à l'idée de bonnne foi (V. infrra, no 241 et s.) ou à l'imprévission des partiees (V. infra, no 245 et s.). § 1 - Force obligatoiree et bonne foii 241. C'esst d'abord en se référant à une bonne fooi nécessaire que q l'on peut penser éviter les excès aux xquels peut abouutir une appliccation trop riggide du princiipe de la forcee obligatoire. L'article 11344, alinéa 3, in ndique, en effet, que les convventions « doiivent être exéécutées de bo onne foi » et l'article l 1135 pose une dirrective voisine en e énonçant qu'elles obliggent à toutess les suites que « l'équitéé, l'usage ouu la loi donn nent à l'obligatioon… ». Actualisaation 241 s. Foorce obligatoirre et bonne fooi. - PICOD, L'exigence L de bonne foi danns l'exécutionn du contrat, Presses P universitaaires d'Aix-M Marseille, Facculté de droitt et de scien nce politique, 1993, p. 57. – ANCEL, Force obligatoirre et contenuu obligationneel du contrat, RTD civ. 19 999. 771 . – SCHMIDT T-SZALEWSK KI, La force obligatoire à l'éppreuve des avvant-contrats, RTD R civ. 200 00. 26 . – CHAZAL, C Dee la significatiion du mot loi dans d l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, RTD ciiv. 2001. 265 . – GRYN NBAUM et NICOT N (sous la dir. d de), Le soolidarisme conntractuel, Econnomica, 2004. – MIGNOT,, De la solidarrité en général et du solidarism me contractueel en particulieer ou le solidaarisme contracctuel a-t-il un rapport avec la solidarité ?, ? RRJ 4/2004. 2153. 2 – L'obliggation de bonne foi suppose l'existence de d liens contraactuels et ceuxx-ci cessent lo orsque la conditiion suspensivee à laquelle ils étaient soum mis a défailli (Civ. ( 3e, 14 seept. 2005, no 004-10.857, Bu ull. civ. III, no 166 ; D. 2006. 761, 7 note Mazeaud ). – La Cour de cassation appporte une limitation à l'obliigation f en décidannt que : « si laa règle selon laquelle l les coonventions doivent être exéécutées d'exécutioon de bonne foi, de bonnee foi permet auu juge de sancctionner l'usagge déloyal d'u une prérogativve contractuellle, elle ne l'au utorise pas à porrter atteinte à la substance même des drroits et obligaations légalem ment convenuss entre les paarties » (Com. 100 juill. 2007, no 06-14.768 , D. 2007. AJ 1955, obss. Delpech ; ibbid. 2839, notte Stoffel-Mu unck et ; JCP 20077. Actu. 340, obs. Chabass ; ibid. II. 100154, note Hooutcieff ; Deffrénois 2844, noote Gautier 2007. 14554, obs. Savauux). 242. Notrre droit jurispprudentiel ne méconnaît m pass cette référen nce et, de fait, c'est cette iddée qui légitim me des solutions telle celle d'uun imprimeur refusant d'exxécuter si on lu ui demande d'imprimer d dess textes contraaires à ses intérêêts et lui causaant préjudice (Lyon, ( 4 févr. 1971, Gaz. Pal. 1971.1.3633). 243. De fait, f cette réféérence à la néécessité de l'abbus de droit légitime la plaace faite à la théorie de l'ab bus de droit dans les rapports entre les partties (Marson, La théorie dee l'abus de drooit dans les coontrats, thèse, Paris, 1935 ; H. de la Massuue, Responsabbilité contracttuelle et respo onsabilité déliictuelle sous la notion d'ab bus de droit, Revv. trim. dr. civv. 1948.27 ; V. V Abus de droit) ; elle fond de des décisioons telle celle déclarant ineffficace les somm mations faites au a locataire paar le bailleur ayant a soigneu usement attenddu le départ enn vacances de celuici (Civ. 3e, 15 déc. 19976, Bull. civv. III, no 465, Rev. trim. drr. civ. 1977.3340, obs. G. C Cornu). Elle permet p encore auu juge d'exigeer de chacunee des parties une u obligation n de loyauté ; Com. 15 juinn 1959, D 19 960.97, note R. Rodière), R voirre même un devoir de cooopération en nvers le cocoontractant (Paaris, 28 mars 1939, o D. H. 19339.231 ; adde : Weill et Terrré, op. cit., n 355 et s. ; et sur le devoir de coopératioon dans le con ntrat de fournituree de système informatique, i Com. 8 juin 1979, Bull. civ. IV, no 186 ; Paris, 19 juiin 1985, J. C. P., éd. E., 1986.. I. 15131, no 8, obs. M. Vivant V et A. Lucas L ; adde : Y. Picod, L'obligation L dde coopération n dans l'exécutioon du contrat, J. C. p. 1988.. I. 3318 et Lee devoir de loy yauté dans l'exxécution du contrat, thèse, Dijon, 1982 ; J. Ghestin, L'abuus dans les coontrats, Gaz. Pal. P 1981.2, Do oct. 379). l notion de bo onne foi, toutt comme celle d'équité, ne permet p 244. Il deemeure cependdant que cettee référence à la au juge en e principe, que de préciser les obligaations naissan nt du contrat,, voire de le compléter par des obligationns accessoiress en usant de la technique interprétativee (V. infra, no 262 et s.). A Au-delà, la Co our de cassationn reste attachéée au principee que le juge ne pourra faiire état de l'ééquité ni pourr soustraire l'u un des contractaants à l'accom mplissement dees engagemennts clairs et précis p qu'il a librement asssumés (Com. 2 déc. 1947, Gaaz. Pal. 1948.11.36) ni pour refaire r le conttrat en substitu uant des clausses nouvelles à celles arrêtéées par les partiees (Civ. 6 juinn 1921, D. p. 1921.1.73 ; Com. C 18 janv. 1950, D. 1950.227 ; Com. 14 oct. 1987, Bull.
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civ. III, no 169, Rev. trrim. dr. civ. 1989.71, 1 obs. J. Mestre). Su ur le pouvoir exceptionnel que se recon nnaît le juge de coonvertir un baail à nourrituree en rente viaggère, V. Bail à nourriture. § 2 - Force obligatoiree et imprévisiion A. - Discussion et solu ution de princcipe 245. On s'est demandé, par ailleurss, lorsque l'exxécution d'un contrat s'échhelonne sur unne longue du urée, si l'apparitioon d'un déséqquilibre prononncé entre les prestations p resspectives des parties ne devvait pas perm mettre à celle désaavantagée de ce fait, de deemander la révvision du con ntrat aux fins d'en d rééquilibrer l'économie ; audelà des accidents dee la conjonctuure, la constaance de l'éro osion monétaiire a donné à ce problèm me une importancce considérabble, en diminuuant, au point de la rendre parfois illusooire, l'obligatioon des débiteeurs de sommes d'argent. d Actualisaation 245 s. Foorce obligatoirre et imprévission. - Un arrêêt de la premiière chambre civile de la C Cour de cassattion en date du 16 1 mars 2004 a paru poserr le principe d'une d obligatiion générale de d renégociattion des contrrats en cours, en cas de modiffication impréévue des circoonstances écon nomiques. Maais la portée rééelle de cet arrrêt est S, LPA 28 juuin 2004, p. 18, note Mazeaud, discutée par la doctrrine (V. note GAVOTY ett EDWARDS .– ; JCP 2004. I. 173, obs. Mestre et Faages ; RTD ciiv. 2004. 290 D. 2004. 1754, obs. J.. Ghestin ). SCHMID DT, À propos de la jurispruudence, sourcee du droit des affaires, D. 20004. Chron. 2132 246. En faveur d'une réponse affirm mative, on a notamment fait fa valoir quee les parties nne contractentt qu'en fonction d'une certainee situation, ceelle résultant des données existantes e ou normalementt prévisibles ; si ces données changent c au point p d'échappper à ce qui avvait été envisagé, les partiess sont dans unne situation no ouvelle échappannt à ce qui avaait été leur com mmune volonnté ; d'où la th héorie de l'impprévision devaant alors s'app pliquer pour perm mettre un rajustement de leuur accord. Cettte théorie quii tient compte de nombreuxx autres facteu urs tant sociaux qu'économique q es, ne peut êtrre ici étudiée (V. ( Imprévisiion). On noterra seulement qque la jurispru udence civile a toujours refuusé de l'admeettre comme susceptible de d fonder un droit pour lle cocontractaant de demanderr au juge une révision du contrat c (Civ. 8 mars 1876, affaire du cannal de Craponnne, D. p. 76.1.193, S. 76.1.1661, 6 juin 19221, D. p. 19211.1.73, rap. Colin, C S. 1921.1. 193, note L. Hugueney)) ; pour si on néreuse qu'elle aiit pu devenir pour lui, l'exxécution du coontrat doit resster telle quellle, dès l'instaant où elle deemeure matérielleement et juriddiquement poossible (Req. 31 juill. 1934 4, D. H. 1934.490 ; Com. 118 janv. 1950, Bull. civ. II, no 26, Gaz. Pal. 1950.1.320, D. D 1950.227).. 247. Parffois discutée, surtout s d'un point p de vue moral, m cette jurrisprudence trrès ferme témooigne que c'esst dans la considdération de la nécessaire séécurité exigéee au plan gén néral par le crrédit que le pprincipe de laa force obligatoirre trouve sa principale p jusstification ; c'eest, d'ailleurs,, pour des raiisons d'ordre également géénéral, celles tiréées notammennt de la nécesssité d'assurer la l continuité de d fonctionnement des servvices publics, que le Conseil d'État d admet une solution différente enn ce qui conccerne les conntrats adminisstratifs (Cons. d'Ét. 30 mars 1916, Gaz. Bordeaux, S. 1916.3.17, notte M. Hauriou u ; 15 juill. 19949, Ville d'Ellbeuf, S. 1950 0.3.61, note A. Mestre, M D. 19950.59, note C. C Blaevoët ; adde : J. de Soto, Imprévvision et éconnomie dirigéee, J. C. p. 1950. I. I 817). B. - Des clauses c conveentionnelles 248. Si lees parties n'onnt pas de la soorte la possibilité d'obtenir unilatéralemeent du juge la révision du contrat, du moinss peuvent-elless insérer dans celui-ci des clauses c la prév voyant, soit poour le cas où ttel ou tel évén nement se produiirait, soit danss l'hypothèse d'une variatioon des donnéees économiquue et monétairre. a) Il s'agit tantôt des clausses dites d'inddexation ou d'échelle mobille qui se sontt révélées com mme pratiquem ment indispen nsables dans touut contrat d'unne certaine durée, d mais le l législateurr ne les autoorise que danns certaines limites l (V. Paiem ment). 249. b) Ill s'agit aussi des d clauses dittes d'adaptatioon ou de hard dship (El Gam mmal, L'adaptaation du contrrat aux circonstannces économiiques, préface A. Tunc ; R. Fabre, Les claauses d'adaptaation dans les contrats, Rev v. trim. dr. civ. 1983.1). Très fréquentes f danns les contratss internationau ux (Oppetit, Les L hardships clauses, in Droit D et pratique du d commerce international 1975.512 et 1976.7), 1 on les trouve aussii en droit interrne notammen nt dans certaines conventions collectives dee travail. Elless comportent l'obligation dee négocier dee bonne foi, aiinsi en
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faisant des propositions sérieuses dans un délai raisonnable (Jarrosson, Les clauses de renégociation… in Les principales clauses des contrats, p. 141 et s.). Elles prônent parfois l'intervention du juge ou d'un médiateur (Paris, 28 sept. 1976, J. C. p. 1978. II. 18810, note J. Robert). C. - Interventions législatives 250. Mais, c'est surtout le législateur qui intervient dans des circonstances très nombreuses pour combler des ruptures d'équilibre survenant dans l'économie des contrats de longue durée. Au-delà de lois de circonstances, il use et cela d'une façon permanente de différentes techniques : 1o Dans certains cas, le législateur modifie directement la prestation d'une des parties ; ainsi, en matière de rentes viagères (V. les très nombreuses lois qui se sont succédées, celle no 49-420 du 25 mars 1949, D. 1949.203, Rect. 258, demeurant le texte de base). 2o D'autres fois, il confie au juge le soin d'opérer cette révision sur la demande d'une des parties ; ainsi, en matière de cession de « droit d'auteur », le juge peut réviser le prix convenu au cas de « prévision insuffisante » (C. propr. intell., art. L. 131-5) ; ainsi encore en matière de baux commerciaux (Décr. no 53-960 du 30 sept. 1953, art. 26 et s., D. 1953.393) ou de baux ruraux (C. rur., art. L. 411-13), mais, dans de tels cas, on peut noter que la durée du contrat lui-même, tout autant que la liberté des parties, échappant à la commune volonté des parties, l'intervention des pouvoirs publics procède plus des exigences du dirigisme contractuel que d'une consécration de la théorie de l'imprévision. 3o Dans certaines hypothèses, le législateur a, enfin, accordé à une des parties le droit de demander la résiliation anticipée d'un contrat devenu trop lourd pour elle (V. infra, no 357) ; il lui donne, ainsi, un moyen de pression sur l'autre contractant pour obtenir un réaménagement de l'accord. Section 2 - Interprétation du contrat par le juge 251. Si l'interprétation d'un contrat peut être l'oeuvre commune des parties, elle est beaucoup plus souvent celle du juge ; ici et là, elle n'a, d'ailleurs, pas le même caractère ; effectuée par les parties, elle sera souvent une modification de leur accord primitif ; le juge en principe, ne peut, au contraire, modifier cet accord en l'interprétant ; la loi contractuelle s'impose à lui dans des termes sensiblement identiques à ceux concernant les textes émanant de pouvoirs publics (Dereux, L'interprétation des actes juridiques privés, thèse, Paris, 1905 ; G. Marty, Le rôle du juge dans l'interprétation des contrats, Travaux de l'Association Henri Capitant, 1949, p. 85 et s. ; de Callotay, Recherches sur l'interprétation des conventions, Bruxelles, 1947). Actualisation 251 s. Interprétation du contrat. - MESTRE et LAUDE, L'interprétation « active » du contrat par le juge, Presses universitaires d'Aix-Marseille, Faculté de droit et de science politique, 1993, p. 9. 252. Il faut distinguer l'interprétation d'un contrat de sa qualification ; celle-ci n'intervient normalement qu'après l'interprétation, à supposer que cette dernière soit nécessaire. La qualification est, en effet, l'opération par laquelle on classe une convention particulière parmi les types déjà existants aux fins de déterminer l'ensemble des règles qui, de ce fait, lui sont applicables (V. supra, no 43 et s., et sur la question : Terré, L'influence de la volonté individuelle sur les qualifications, 1957). Or, on ne peut qualifier l'accord des parties sans savoir d'abord exactement ce que celles-ci ont voulu, c'est-à-dire en interprétant leur accord. Cette interprétation est une question de fait ; la qualification, au contraire, c'est-à-dire la catégorisation du contrat est une question de droit, soumise, à ce titre, au contrôle de la Cour de cassation (V. infra, no 269 et s.). S'agissant de l'interprétation elle-même, on examinera successivement les méthodes et solutions qui ont pu se dégager (V. infra, no 253 et s.) puis le contrôle de la Cour de cassation en la matière (V. infra, no 269 et s.). Art. 1 - Méthodes et solutions § 1 - Méthodes proposées 253. 1o Au plan théorique, on retrouve ici la diversité de tendances existant en matière d'interprétation légale. Pour beaucoup et conformément au principe volontariste, l'interprétation doit tendre à la découverte de la commune volonté des parties en s'attachant, au-delà de la lettre de l'accord, à leur volonté réelle ; si celle-ci est confuse, voire même absente sur certains points, on présumera ce qu'elle aurait pu être ; c'est là, la méthode subjective. Selon d'autres, au contraire, c'est en fonction des usages et des exigences de la bonne foi que devrait avoir lieu l'interprétation lorsque l'expression de la commune volonté est incertaine ou
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insuffisante ; il est, en effet, fictif de vouloir dépasser cette expression, les parties ayant probablement eu des arrière-pensées différentes comme le sont leurs intérêts ; et comme il est ainsi arbitraire de vouloir s'attacher une commune intention qui n'existe pas, on s'en tiendra à une méthode objective dans laquelle toute fiction est étrangère. Plus qu'opposées, les deux méthodes sont, à la vérité, complémentaires. Parce que résultant de la volonté des parties, le contenu du contrat doit d'abord être défini en se référant à celle-ci, mais les parties n'ont pu, ni su, tout prévoir lorsque ce contrat est de quelque durée ou que des difficultés surgissent au cours de son exécution ; dans son oeuvre supplétive, le juge ne peut alors user de la seule méthode objective. 254. 2o Telles qu'elles résultent du code, les directives légales de base sont résolument subjectivistes (Sur celles-ci, V. Dupichot, Pour un retour aux textes ; défense et illustration du « Petit guide-âne » des articles 1156 à 1164 du code civil, Mélanges Flour, p. 179 et s.). C'est ce qui ressort de l'article 1156 selon lequel il faut « rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes », de l'article 1163 disposant que « quelques généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se seront proposé de contracter » et de l'article 1164 qui ajoute : « lorsque dans un contrat, on a exprimé un cas pour l'explication de l'obligation, on n'est pas censé avoir voulu par là restreindre l'étendue que l'engagement reçoit de droit aux cas non exprimés » ; on peut voir, enfin, une référence au principe volontariste dans la règle de l'article 1162 aux termes duquel « dans le doute, la convention s'interprète… en faveur de celui qui a contracté l'obligation » (Comp. Marty et Raynaud, t. 2, no 241 et s.). Mais le législateur a prévu aussi que l'on se réfère à des éléments extérieurs à la volonté commune : ainsi quand l'article 1135 prévoit que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature » ; mieux encore, le juge est invité par les articles 1159 et 1160 à se référer aux usages pour tout ce que le contrat comporte d'incomplet et d'ambigu. Il faut, enfin, faire état de certaines règles de bon sens, souvent empruntées à Pothier : tel, l'article 1157 selon lequel « lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans celui avec lequel elle n'en saurait produire aucun » ou l'article 1158 : « Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat ». § 2 - Solutions jurisprudentielles 255. La jurisprudence fait preuve du même éclectisme ; d'une part et s'agissant des dispositions insérées dans le contrat, elle s'efforce de dégager, au cas de doute ou d'ambiguïté, ce que les parties ont voulu réellement (V. infra, no 256 et s.) ; elle n'hésite pas par ailleurs à suppléer cette volonté et à compléter le contrat faisant ainsi oeuvre créatrice (V. infra, no 262 et s.). A. - Interprétation et recherche de la volonté 256. A supposer qu'une interprétation soit nécessaire, et il en est ainsi lorsque le texte se révèle obscur, ambigu, incomplet ou entaché de contradictions, le juge cherche avant tout à dégager la commune volonté des parties. On peut dire, à cet égard, qu'il n'est lié qu'au seul texte de l'article 1156 (Sur le caractère impératif de celui-ci, V. Soc. 11 juin 1942, D. C. 1943.135, note J. Flour ; Civ. lre, 20 janv. 1970, Bull. civ. I, no 24) ; les autres directives légales étant de simples conseils qu'il peut écarter lorsque conduisant à des résultats contraires à ceux qui résultent de cette recherche ; ainsi a-t-il été précisé que la règle énoncée par l'article 1162 du code civil et selon laquelle en cas de doute l'interprétation s'effectue en faveur du débiteur n'a pas un caractère impératif de telle sorte qu'une interprétation différente ne peut fonder un recours en cassation (Soc. 20 févr. 1975, Bull. civ. V, no 93). 257. Dans cette oeuvre d'interprétation, le juge peut écarter les termes utilisés par les parties, s'il est démontré que « malgré leur clarté, les termes invoqués pris dans leur sens littéral, étaient incompatibles avec l'ensemble du contrat et l'intention évidente des parties » (Req. 15 avr. 1926, D. H. 1926.317 ; V. égal. Civ. 3e, 5 févr. 1971, D. 1971.281, rapp. Cornuey, Rec. gén. lois 1971.386, obs. Nicolas-Jacob). Il peut tout autant recourir à des éléments extrinsèques à l'acte lui-même mais qui traduisent la volonté réelle des parties (Mazeaud et Chabas, t. 2, no 344 et 345), et si ces éléments sont certains, il les fera prévaloir au regard des dispositions contraires qui apparaissent de la sorte entachées d'erreur, se référer à un corps de règles que les parties ont pu avoir présentes à l'esprit au moment de la rédaction de leur contrat (V., par ex., pour une hypothèse d'interprétation par référence au droit canon : Chambéry, 15 janv. 1964, D. 1964.605, note J. Dauvillier) ou tenir compte lorsque celui-ci a été rédigé dans une langue étrangère du sens que le contractant, obligé de traduire dans sa langue maternelle, avait pu donner à certains termes (Civ. 11 janv.
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1943, D. C. 1943.48) ; de même, peut-il au cas de clauses obscures et ambiguës recourir à des témoignages pour définir leur portée exacte (Civ. lre, 3 mars 1969, D. 1969.477, Rev. trim. dr. civ. 1969.764, obs. Y. Loussouarn), ou encore au comportement ultérieur des parties (ainsi pour un contrat d'édition : Civ. 1re, 18 févr. 1986, Bull. civ. I, no 31 ; adde : Civ. 1re, 13 déc. 1988, D. 1989. Somm. 230, obs. J.-L. Aubert), car il ne s'agit pas alors d'une question de preuve mais bien d'interprétation. 258. Trop souvent, dans les conventions, il y a contradiction entre deux clauses précises, celle-ci provenant de ce que certains praticiens (ou leurs clercs) ont rédigé le contrat en empruntant des stipulations à des formulaires différents ; il convient alors, précise la Cour de cassation, « de faire prévaloir celle des clauses dont l'exécution répond à l'essentiel de la volonté des parties » (Req. 6 févr. 1945, Gaz. Pal. 1945.1.116, Rev. trim. dr. civ. 1945.188, obs. M. Boitard) et de préférer autant que faire se peut la clause claire et précise à celle ambiguë qui viendrait la contredire (Civ. 9 oct. et 16 déc. 1940, D. A. 1941.130 ; 5 janv. 1948, D. 1948.265, note P. L.-P. ; 29 juin 1948, D. 1948.554). 259. La même prépondérance attribuée à la volonté réelle explique la suspicion dans laquelle les clauses de style sont souvent tenues par les tribunaux (A. Lecomte, La clause de style, Rev. trim. dr. civ. 1935.305 ; Zuchetta, La clause de style dans les actes notariaux, thèse, Aix, 1942). Une clause est dite de style lorsqu'elle est reproduite d'une façon habituelle dans un type déterminé de contrat parce que figurant dans les formulaires dont se servent les praticiens. Sans doute, cette constance de son emploi est-elle souvent le signe de l'utilité de la clause ; mais il peut aussi s'agir de pure routine, le rédacteur s'étant conformé paresseusement à l'habitude ; il ne s'agit plus dès lors de l'expression d'une volonté réelle. Aussi, sans nier la valeur de la clause de style en tant que telle (Civ. 3e, 3 mai 1968, Bull. civ. III, no 184, pour l'application d'une clause de non-garantie ; comp. Bordeaux, 10 déc. 1928, D. p. 1929.2.81, note P. Voirin ; V. aussi : J.-F. Pillebot et J.M. Gilardeau, La formule et la machine, J. C. P., éd. not., 1982, Prat. 8319), les tribunaux ont-ils eu souvent l'occasion de décider que si une telle clause est en discordance avec une autre disposition certainement présente à l'esprit des parties, celle-ci doit prévaloir (Civ. 26 avr. 1932, D. H. 1932.315) ; qu'il y a lieu de lui refuser effet lorsque l'on constate qu'en exécutant le contrat les parties n'avaient pas paru se rendre compte de son existence (Civ. 21 nov. 1932, D. H. 1933.19) et que l'élimination d'une telle clause, parce que non voulue réellement, s'impose avec d'autant plus de force que, même très claire, elle a été rédigée en termes plus généraux (Civ. 29 oct. 1928, D. H. 1928.574 ; Bordeaux, 10 déc. 1928, D. p. 1929.2.81). 260. Il en va de même pour les clauses imprimées, celles-ci n'ayant bien souvent d'autre valeur que de style ; aussi, a-t-il été maintes fois jugé qu'en cas d'opposition entre une clause imprimée et une clause manuscrite, celle-ci doit prévaloir car c'est elle qui a normalement retenu l'attention des parties au moment de leur signature (Civ. 31 janv. 1927, S. 1927.1.190 ; Soc. 27 févr. 1947, Gaz. Pal. 1947.1.205 ; Civ. 23 juin 1952, S. 1953.1.86 ; Trib. com. Paris, 6 mai 1968, Gaz. Pal. 1968.2.135 ; Com. 7 janv. 1969, J. C. p. 1969. II. 16121, note R. Prieur). 261. Les solutions qui précèdent se situent, souvent, dans le cadre des contrats dits d'adhésion (V. supra, no 56 et s.) mais il est aussi quant à ceux-ci d'autres formules qui procèdent - tout au moins dans une certaine mesure - du principe qu'il faut s'attacher à déterminer ce qu'a réellement été la commune volonté : ainsi, lorsque la jurisprudence interprète ces contrats contre celle des parties qui en a arrêté le contenu, surtout si ce dernier a fait l'objet de sa part d'une prérédaction unilatérale (Civ. 28 juin 1909, D. p. 1910.1.21 ; Douai, 10 nov. 1898, D. p. 1900.2.47), car il est douteux que, dans de tels cas, l'autre partie en ait saisi et voulu toute la portée (V. de même : Colmar, 25 janv. 1963, Gaz. Pal. 1963.1.277, selon lequel en cas de mauvaise rédaction d'un cahier des charges, celui-ci doit être interprété en faveur de l'entrepreneur). B. - Interprétation et oeuvre de complément 262. Mais l'interprétation du contrat ne se limite pas à une recherche par le juge de ce qu'ont exactement voulu les parties. Bien souvent, une telle recherche est vaine ; le juge n'en doit pas moins, au cas de difficultés résultant d'un accord mal rédigé ou incomplet, donner une solution à celles-ci à peine de déni de justice (Rappr. C. civ., art. 4 et 1134) ; il lui faut alors faire oeuvre de complément en utilisant, ainsi que les textes d'ailleurs l'y invitent (V. C. civ., art. 1135), d'autres sources juridiques : non seulement les dispositions supplétives légales mais encore les usages ou plus simplement l'équité. Les unes et les autres ont ainsi pour fonction non d'éclairer la volonté contractuelle, mais bien de la suppléer. Au vrai, c'est dans le cas où le contrat est muet que la référence aux usages se comprend le mieux (V., pour un bail, Trib. civ. Seine, 15 déc. 1942, Gaz. Pal. 1943.1.110) surtout si le contrat est intervenu entre professionnels (Paris, 4 janv. 1934.
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D. H. 1934.105) et l'usage alors applicable est celui du lieu où le contrat s'est formé (Civ. 9 août 1887, S. 87.1.416). Il est difficile, certes, d'opérer un départ sûr entre les cas où la démarche du juge s'appuie sur une volonté contractuelle tacite et ceux dans lesquels il supplée purement et simplement ; mais la question n'est que d'une importance très relative dès l'instant où, répudiant une conception trop exclusivement volontariste, l'on admet que dans l'interprétation du contrat - comme dans l'interprétation légale - se manifeste le nécessaire pouvoir créateur qui appartient aux tribunaux (Adde : J. Maury, Observations sur la jurisprudence en tant que source du droit, Mélanges Ripert, 1950, t. 1, p. 28 et s. ; Chrétien, Les règles de droit d'origine jurisprudentielle, thèse, Lille, 1935. - V. aussi, Jurisprudence). 263. Le domaine de l'interprétation est ici immense, celle-ci, selon les cas, pouvant aboutir à des résultats fort divers. On notera seulement qu'au-delà des cas concrets, cette interprétation par le juge aboutit à la création d'un corps de règles coutumières qui s'est manifesté notamment : 264. 1o Pour énoncer l'existence d'obligations accessoires à celles expressément stipulées par les parties, il suffit, à titre d'exemples de se référer aux obligations de sécurité qui se sont développées dans presque tous les contrats ou aux obligations de renseignement et de conseil qui pèsent aujourd'hui de façon très lourde sur les professionnels vis-à-vis de leurs clients (V. Responsabilité contractuelle). 265. 2o Pour préciser la portée et la structure des obligations existant ainsi entre les parties : ainsi, telle obligation a-t-elle le caractère d'une obligation de résultat ou seulement d'une obligation de moyens ?… Et l'on sait combien l'interprétation jurisprudentielle est nuancée et subtile, l'obligation du tenancier de jeux forains quant à la sécurité de son client étant, en principe, une obligation de résultat (Civ. 1re, 1er juill. 1964, D. 1965. Somm. 14) mais devenant une simple obligation de moyens lorsque le client a un rôle actif dans l'exécution du jeu (Civ. 1re, 9 janv. 1957, D. 1958.245, note R. Savatier) ; ainsi encore lorsqu'en matière de responsabilité du chirurgien, la jurisprudence reconnaît, en fait, une véritable responsabilité du fait d'autrui… (Civ. 1re, 18 oct. 1960, J. C. p. 1960. II. 11846, note R. Savatier). 266. 3o Pour définir le champ contractuel lui-même, a) D'abord en ce qui concerne les personnes qui puisent leurs droits dans le contrat : ainsi, dans le contrat de transport quand les tribunaux décident que le transporteur est tenu contractuellement non seulement vis-à-vis de son client, mais encore vis-à-vis des proches de ce dernier (Civ. 6 déc. 1932 et 24 mai 1933, D. p. 1933.1.137, note L. Josserand, S. 1934.1.81, note P. Esmein), tout au moins s'ils sont liés à lui par un droit à des aliments (Civ. 1re, 15 févr. 1955, Bull. civ. I, no 76, D. 1955.519) ; ainsi encore lorsqu'on affirme le caractère contractuel de certaines actions directes dans les groupes de contrats (Ass. plén. 7 févr. 1986, D. 1986.293, note A. Bénabent, D. 1987. Somm. 185, obs. H. Groutel, Rev. trim. dr. civ. 1986.605, obs. P. Rémy). b) Ensuite, en prolongeant dans le temps certaines obligations des parties au-delà de l'exécution même du contrat : ainsi pour l'obligation d'assistance incombant au vendeur de matériel informatique (Lamberterie, La responsabilité contractuelle du vendeur de matériel informatique, Rev. jurispr. com. 1979.463). 267. Sans doute, l'interprète use-t-il souvent ici de formules pouvant faire croire qu'il ne fait que continuer à traduire et développer la volonté des parties : ainsi, lorsqu'il parle de volonté présumée de leur part ou lorsqu'il invoque l'existence de stipulations pour autrui tacites (V., par ex., supra, no 266, pour le contrat de transport) ; mais de telles formules ne peuvent cacher la réalité : tout élément de commune volonté des parties est ici absent. Comment expliquer, par exemple, la solution voulant qu'au cas où, dans un contrat, il existe deux clauses attributives de compétence nettement contradictoires, il faille admettre la compétence du juge désigné par les règles du droit commun (Req. 24 juin 1912, D. p. 1913.1.363 ; Angers, 9 janv. 1952, J. C. p. 1952. II. 6969, Rev. trim. dr. civ. 1953.380) ? Ou celle selon laquelle il est impossible aux parties d'écarter de leur accord certaines obligations énoncées par la jurisprudence dans son oeuvre d'interprétation (V., par ex., Toulouse, 23 oct. 1934, D. p. 1935.2.49, note L. Mazeaud ; Paris, 25 mars 1954, D. 1954.295, J. C. p. 1954. II. 8094, note R. Rodière ; adde : P. Esmein, Méditation sur les conventions d'irresponsabilité au cas de dommages causés à la personne, Mélanges Savatier, 1965, p. 271 et s.) ? Dans son interprétation, le juge va au-delà de la volonté des parties et c'est l'équité, au sens très large du terme, qui le guide dans cette oeuvre de complément. 268. On peut, au surplus, noter que dans certains cas, le juge aboutit, sous couleur d'interprétation, à modifier le contrat. Il en est ainsi notamment en matière de contrats à exécution successive que le rejet de la théorie de l'imprévision (V. supra, no 245) lui interdit de rajuster ouvertement : c'est ainsi que pour les contrats de bail à nourriture, la jurisprudence a cru pouvoir substituer à l'exécution en nature prévue par le contrat, le service
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d'une pennsion alimentaaire (Req. 20 oct. 1936, D. D H. 1936.555 5). C'est ainsi encore que ppour une obliigation dont l'objjet variait suivant un indicce, le juge a remplacé r l'ind dice effectivem ment choisi (lle taux d'intérrêt des bons du Trésor) T par l'iindice du coûtt de la vie, aloors licite (Lyo on, 21 juill. 19943, Gaz. Pall. 1943.2.119, et sur pourvoi, Req. 6 févr. 1945, 1 Gaz. Pal. 1945.1.116)) ou ordonné une expertise à l'effet de doonner un équiivalent à l'indice initialement choisi qui n'éétait plus publié (Soc. 27 av vr. 1945, D. 1945.323 ; addde : Civ. 3e, 15 févr. 1972, D. 1973.417, noote J. Ghestin, J. C. p. 19722. II. 17094, note n J.-P. Lévvy ; 18 juill. 11985, Bull. ciiv. III, no 113, Rev. R trim. drr. civ. 1986.5599, obs. J. Mestre). M V. ég galement pouur le temps dde guerre, lee refus d'appliquuer une clausee d'attribution de compétennce dont l'application aurait conduit à pllaider au-delàà de la ligne de démarcation d (S Soc. 11 juin 1942, D. C. 19943.135, note J. J Flour). Actualisaation 268-2. Innterprétation des contrats.. Contrats prroposés par les professionnels aux coonsommateurss. Loi du 1er févvrier 1995. - La loi no 95--96 du 1er févvrier 1995 (artt. 2, D. 1995. 119) insère dans le code de la consomm mation un article L. 133-2, relatif à la clarté c et à l'in nterprétation des d stipulationns dans les co ontrats proposés par les profeessionnels auxx consommateeurs, qui prév voit que ces clauses c doivennt être présenttées et d façon clairre et compréheensible. Elles s'interprètentt en cas de douute dans le seens le plus fav vorable rédigées de au consom mmateur ou au a non-professionnel. La rèègle n'est touttefois pas appplicable aux pprocédures eng gagées sur le fonndement de l'aarticle L. 421-66 C. consom. Art. 2 - Contrôle C de laa Cour de casssation 269. L'innterprétation du d contrat esst une question de fait ; telle t est la formule f en foonction de laaquelle s'ordonneent les solutionns de principee (V. infra, no 270 et s.) d'aaprès lesquellees la Cour de ccassation doitt rester en dehorss de l'interpréétation du conntrat. Dans cerrtains cas, cep pendant, lorsqque le contratt prend l'aspecct d'un acte-règlee, il y a lieu de d se demandeer si le rôle de d la Cour sup prême ne doit pas s'affirmer de la même façon qu'en mattière d'interpréétation légale (V. infra, no 276 2 et s.). § 1 - Solu utions de prin ncipe A. - Pouvvoir souveraiin du juge du fond 270. Bienn qu'aux termes de l'article 1134 du code civil, le con ntrat puisse êtrre qualifié de loi des partiees, son interprétaation ne relèvee pas, en principe, du contrrôle de la Cou ur de cassationn (V. G. Martty, La distinction du fait et duu droit, thèsee, Toulouse, 1929 ; Le rôôle du juge dans l'interprrétation du contrat, Travaaux de l'Associattion Henri Caapitant, 1949, p. 85 et s. ; R. R Plaisant, Le contrôle de laa Cour de casssation en matiière de contrats, Gaz. Pal. 19446.1, Doct. 266). La fonction de la Cour suprême est d'assurer d l'uniité de jurispru udence c'est-à-dirre l'interprétattion uniformee de règles d'uune portée gén nérale. Or, le contrat c n'est ppas - si ce n'esst dans des cas très t particulieers (V. infra, no 276 et s.) - l'expression n d'une règle générale ; il ne définit qu ue des rapports personnels p et occasionnels (Mazeaud et Chabas, t. 2, no 354). De làà, la formule ttrès tôt affirm mée par la Cour de d cassation (C Ch. réun. 2 féévr. 1808, S. 08.1.183) 0 et seelon laquelle l'interprétation du contrat relève, r en principe, du pouvooir souverain des juges du fond. La jurisprudence esst très ferme en la matièree (Civ. 25 nov. 1918, 1 S. 1920.1.173 ; 2 aoûût 1927, Gaz. Pal. 1927.2.7 792 ; 13 janv. 1936, ibid. 1936.1.582 ; 17 7 févr. 1965, D. 1965. Somm.. 117), précisaant, en particuulier, que les articles 1154 et suivants duu code civil n'ayant n que la vaaleur de simplees conseils et non de règless, leur inobserrvation par le juge ne perm met pas de fonder un pourvoi en e cassation (Civ. ( 1re, 6 maars 1979, Bulll. civ. I, no 83 ; Com. 19 janv. j 1981, ibbid. IV, no 34 ; Soc. 3 juin 19881, ibid. V, no 490). Ce pouuvoir souveraiin du juge du fond f n'est, touutefois, pas sanns limites. Actualisaation 270. Conntrat autonomee ou avenant au contrat : appréciation a so ouveraine dess juges du fonnd. - Ne sauraait être considéréé comme un nouveau n contrrat un accord verbal qui, co onformément à son intituléé d'avenant, reenvoie expressém ment aux term mes du contraat initialementt conclu entre les parties, ce c dont il résuultait le mainttien en re o vigueur des d stipulatioons initiales inchangées i (C Civ. 1 , 24 av vr. 2013, n 11-26.597 1 , Dalloz acttualité, 21 mai 20013, obs. Kilggus). B. - Théoorie de la dén naturation
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271. Le juge de fond ne peut d'abord, sous couleur d'interprétation, aller à l'encontre d'une volonté des parties qui a été clairement exprimée. Or, tel est le cas lorsqu'il y a précisément dénaturation d'une clause claire et précise. Dans une longue série d'arrêts, la Cour de cassation a affirmé son pouvoir de censure en la matière en indiquant que « s'il appartient aux juges du fait de déterminer le sens et la portée des conventions des parties et de rechercher leur intention, ce pouvoir ne saurait aller jusqu'à dénaturer ces conventions lorsqu'elles sont claires et précises et ne comportent aucune interprétation » (Civ. 30 nov. 1892, D. p. 93.1.85 ; adde : Com. 2 déc. 1947, D. 1948. Somm. 5, Gaz. Pal. 1948.1.36 ; Civ. 3e, 27 nov. 1969, Rev. trim. dr. civ. 1970.762, obs. Y. Loussouarn ; Civ. lre, 11 mai 1982, Gaz. Pal. 1982.2.612, note F. Chabas ; Com. 5 juill. 1984, J. C. p. 1985. II. 20409, note E.-M. Bey ; V. sur la question : Marraud, La notion de dénaturation en droit civil français, thèse, Nancy, 1972 ; J. Boré, Un centenaire : le contrôle par la Cour de cassation de la dénaturation des actes, Rev. trim. dr. civ. 1972.249). A titre d'exemple, on peut indiquer qu'il a été jugé que dénature les termes clairs et précis d'un contrat prévoyant le paiement d'une rente viagère en nature « d'une certaine quantité de vin libre, loyal et marchand, absolument net de toutes charges, notamment celles pouvant résulter du statut viticole, telle, par exemple, actuellement le hors quantum, l'arrêt ayant décidé qu'il s'agit d'un vin soumis aux règles de l'échelonnement fixées par les décrets d'organisation des campagnes viticoles » (Civ. 3e, 10 oct. 1969, Bull. civ. III, no 638). Il en est d'ailleurs ainsi, non seulement pour les contrats mais aussi pour tous les actes juridiques privés. 272. Cette théorie de la dénaturation procède de l'idée qu'en dénaturant le contrat, sous couleur de l'interprétation, le juge refuse de l'appliquer et viole ainsi l'article 1134, alinéa 1er, du code civil. Encore fautil qu'il n'y ait vraiment pas matière à interprétation, c'est-à-dire qu'on ne soit pas en présence d'une clause claire et précise… Or, la Cour de cassation se réserve le contrôle de ce qui est « clair et précis » (V. sur la notion d'acte clair, Boré, La cassation civile, no 2381 et s. ; J. Voulet, Le grief de dénaturation devant la Cour de cassation, J. C. p. 1971. I. 2410). 273. Concrètement, ce contrôle de la Cour de cassation permet d'abord d'éviter certaines erreurs d'appréciation lorsque revêtant un caractère de gravité (Carbonnier, op. cit., no 147, p. 275). Au-delà et techniquement, il tend à définir le cadre et la méthode selon lesquels le juge doit interpréter. D'une part, et en présence d'une clause apparemment claire et précise, le juge peut l'écarter (Req. 15 avr. 1926, S. 1926.1.151 ; 26 nov. 1888, D. p. 89.1.101), mais il ne le peut qu'en faisant état de motifs sérieux, tels que, par exemple des éléments extérieurs à l'acte (V. supra, no 221) ; ainsi une clause d'un contrat antérieur à la guerre attribuant compétence exclusive au tribunal de la Seine, a-t-elle pu être écartée au motif qu'elle avait été prévue pour un temps normal, et non pour le cas où la France était coupée en deux par une ligne de démarcation, ce qui rendait son application difficile (Soc. 11 juin 1942, D. C. 1943.135, note J. Flour). Faute d'une motivation suffisante, la Cour suprême casse pour dénaturation de la clause et son contrôle se ramène ainsi à celui du caractère sérieux et suffisant des motifs (Marty, thèse préc., no 151 ; J.-F. Le Clech, De l'insuffisance des motifs, manque de base légale des décisions judiciaires, J. C. p. 1948. I. 690). 274. Inversement, le juge ne peut se contenter d'affirmer le caractère clair et précis d'une clause pour refuser de l'interpréter lorsqu'une partie le lui demande ; faute d'une motivation suffisante, il s'expose en effet à la cassation pour manque de base légale (Marty et Raynaud, op. cit., no 244 ; Boré, La cassation civile, no 1234 et s. ; Com. 7 janv. 1975, D. 1975.516, note P. Malaurie). C. - Contrôle de la qualification 275. Dès l'instant où sont établis le contenu et la portée de l'accord peut apparaître un problème de qualification du contrat. Mais ce problème n'est autre que celui de la détermination des règles juridiques applicables ; c'est une question de droit (Marty, op. cit., no 115 ; Mazeaud et Chabas, t. 2, no 355 ; Weill et Terré, op. cit., no 371 ; Crim. 29 oct. 1985, Gaz. Pal. 1986.1.9, note J.-P. Doucet) qui, à ce titre, est soumise au contrôle de la Cour de cassation, tout au moins dans la mesure où la qualification ne repose pas sur des éléments subjectifs aux parties (Sur les nuances à apporter dans une telle hypothèse, V. Terré, op. cit., no 687 et s.). La jurisprudence est en la matière constante (Req. 11 nov. 1884, D. p. 85.1.116 ; 25 mars 1889, D. p. 90.1.208 ; Civ. 2 juill. 1895, D. p. 95.1.511 ; Soc. 28 févr. 1985, Bull. civ. V, no 138). § 2 - Contrôle des contrats à portée réglementaire 276. Il est, cependant, une catégorie de contrats dont l'interprétation semble bien être soumise au contrôle de la Cour de cassation : ce sont ceux apparaissant comme des actes-règles tant par leur portée générale que par
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le processus de leur formation. Il faut alors assurer une unité de jurisprudence dans l'interprétation d'une clause qui régit tout un ensemble de rapports contractuels, et peut ainsi donner lieu à toute une série de procès juridiquement distincts. Aussi, la Cour de cassation a-t-elle été ici amenée à se départir en partie de sa position traditionnelle et à imposer sa propre interprétation tantôt de manière détournée (Civ. 19 juin 1900, 2 arrêts, S. 1903.1.225 ; adde : Dereux, L'interprétation des actes juridiques privés, thèse, Paris, 1905, p. 112 et s.), d'autres fois d'une façon plus ouverte. 277. 1o II en est d'abord ainsi pour les contrats d'adhésion, véritables lois privées imposées au public par une même personne (généralement un groupe professionnel ou un organisme para-public). La jurisprudence est ici très nette : s'agissant des clauses d'un emprunt obligataire, la Cour de cassation a imposé son interprétation propre (Civ. 3 juin et 9 juill. 1930, 14 janv. 1931, D. p. 1931.1.5, concl. proc. gén. Matter, note R. Sava-tier) et il en va de même en ce qui concerne certaines clauses usuelles des polices d'assurance, telle celle subordonnant la garantie à la possession d'un permis de conduire régulier (Civ. 18 mars 1942, S. 1943.1.13, note R. Houin) ou celle réservant la direction des procès à l'assureur (Civ. 4 mai 1942, D. C. 1942.131, note A. Besson). 278. 2o S'agissant des conventions collectives du travail, il devrait, semble-t-il, en aller de même, l'élément normatif l'y emportant et de beaucoup sur l'élément contractuel (Camerlynck, Traité de droit du travail, Les conventions collectives, par M. Despax, no 168 ; G. Marty, obs. Rev. trim. dr. civ. 1938.475). La jurisprudence semble bien avoir amorcé dans ce sens une évolution discrète : sans doute, continue-t-elle à affirmer le principe de l'interprétation souveraine des juges du fond (Soc. 30 oct. 1950, Dr. ouvrier 1958.228) mais elle accueille aujourd'hui les pourvois fondés directement sur la violation d'une convention collective en dehors de toute référence à une dénaturation des clauses de celle-ci (Durand et Vitu, Droit du travail, t. 3, p. 530 ; Despax, op. et loc. cit. ; Soc. 5 janv. 1956, Cuny, Bull. civ. IV, no 12) et ses plus récents arrêts accentuent encore cette tendance (V. en particulier, Soc. 17 juin 1970, Bull. civ. V, no 416 ; Ass. plén. 6 févr. 1976, J. C. p. 1976. II. 18481, note H. Groutel). 279. 3o S'agissant des contrats-types, on a fait valoir l'intérêt incontestable qu'il y aurait à ce que ceux-ci soient l'objet d'une interprétation unitaire mais il faut aussi souligner que ces contrats - tout au moins les contrats types privés sans valeur impérative - sont de simples formules à la disposition des parties et que celles-ci peuvent fort bien utiliser en ayant dans chaque cas des acceptions différentes ; ceci, explique sans doute la répugnance très nette de la Cour de cassation à exercer un contrôle (Civ. 18 nov. 1930, Gaz. Pal. 1930.2.940 : clause type d'un contrat de vente ; 31 oct. 1923, D. p. 1923.1.205, S. 1924.1.58, note P. Esmein : clause type d'un bail ; Civ. 14 mai 1929, S. 1929.1.337 : contrat type d'une vente commerciale, etc.) encore qu'on ait cru pouvoir déceler (Léauté, op. cit., no 21 et 22) les signes discrets d'un début d'évolution (Civ. 1er mars 1943, S. 1944.1.27, à propos d'un contrat-type de vente de la London Corn Trade Association ; rappr. Req. 4 mai 1926, D. H. 1926.297 ; Req. 20 oct. 1920, S. 1922.1.201). 280. 4o Dans le même esprit et pour répondre à l'exigence d'une interprétation unitaire, la Cour de cassation s'est toujours réservé le contrôle des tarifs de chemin de fer en raison de leur caractère réglementaire (Civ. 29 juill. 1890, S. 91.1.423 ; 4 avr. 1933, D. H. 1933.315) et celui de l'interprétation des contrats lorsque celle-ci est faite en matière fiscale pour la perception des droits d'enregistrement. 281. 5o Pour certains, enfin, il faudrait aller plus loin et admettre le contrôle de la Cour de cassation sur l'interprétation des contrats auxquels donne lieu l'acte collectif car leur portée générale rend ici encore nécessaire une unité de jurisprudence (Roujou de Boubée, op. cit., p. 270 et s.). Le moindre danger d'interprétations différentes à propos d'un même acte de cette nature, comme la possibilité que des formules semblables soient ici et là insérées dans un esprit différent (V. supra, no 279), explique sans doute que la Cour de cassation ne soit pas engagée dans cette voie.
Document 2 M. Latina, Déclinaison de la force obligatoire du contrat, in Contrat (généralités), Dalloz décembre 2013 (actualisation : avril 2016) § 2 - Déclinaisons de la force obligatoire du contrat
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89. Un coontrat doté dee force obligattoire est un coontrat qui se doit d d'être resspecté (V., pouur une relectu ure des déclinaisoons de la forcce obligatoire,, LEMAY, thhèse préc., spééc. nos 183 s.).. La « pérenniité contractueelle » a même reççu une protecction constituttionnelle (GA AHDOUN, op p. cit., nos 208 s., spéc. no 416), les contrrats en cours étaant soustraits aux interventtions législativves qui ne so ont pas fondéees sur un mootif d'intérêt général g o o suffisant (V. supra, nos 12 s.). Le contrat c est ainnsi intangiblee (V. infra, nos 90 s.), et irrrévocable (V. infra, nos 99 s.).. A. - Intan ngibilité du contrat c 90. L'intaangibilité du contrat c vaut aussi a bien vis-à-vis des parrties (V. infraa, nos 91 s.) quue vis-à-vis du u juge os (V. infra, n 95 s.). 1° - Vis-àà-vis des partties 91. Sens. - Dire que lee contrat est inntangible ne signifie pas qu ue le contrat, une u fois concllu, va dévelop pper sa vie proprre en échappannt à l'emprisee des contractaants. En effet,, ce que la voolonté commuune a fait, la volonté v communee peut le défaaire (C. civ., art. 1134, al. 2). Autremen nt dit, l'intanggibilité du conntrat s'entend d d'une intangibillité par volonnté unilatéralee. Dans la puureté des princcipes, le conttrat est en efffet un templee de la bilatéralitté au sein duqquel la volontéé unilatérale des d parties n'a plus sa place.. Cette volontéé s'est en effet figée dans le consentement c échangé parr les parties et e seul un no ouvel échangee de consenteements, portaant sur certains aspects a de la relation contrractuelle, perm mettra d'en ch hanger son coontenu. Rien de ce qui a été é fait contractuuellement n'est donc horrs de portéee de la volo onté communne (ROUHE ETTE, La réévision conventioonnelle du conntrat, RID com mp. 1986. 3699 s. - PELLET T, L'avenant auu contrat, 2010, IRJS éditio ons). À cet égardd, il n'est touteefois pas toujoours facile de distinguer en ntre la modificcation d'un acccord existant, et un nouvel acccord intégraal, et ce, en dépit d des diffférences de réégime importtantes entre cces deux opérrations (GHOZI, La modificaation du contrrat par la volonté des parrties, 1980, LGDJ, L spéc. nos 37 s. - PEL LLET, op. cit., sppéc. nos 14 s.). 92. Droits potestatifs : définition. - Il I n'en reste paas moins que rien ne semblle interdire auux parties d'accorder à l'une d'eentre elles unee prérogative unilatérale u quue l'on nommee parfois « drooit potestatif » (NAJJAR, Le droit d'option, contribution à l'étude du droit potestattif et de l'actte unilatéral, 1967, coll. B Bibl. de droit privé, LGDJ. - VALORY, La potestativvité dans lees relations contractuelless, 1999, PU U Aix-Marseiille. ROCHFE ELD, Les drooits potestatifs fs accordés paar le contrat, in Le contrat au début du XXIe siècle : études offertes à Jacques Gheestin, 2001, LG GDJ, p. 747 s. - POMART--NOMDEDEO O, Le régime juridique des droits potestatiffs en matière contractuellee, RTD civ. 2010. 2 209 ). Ces droits,, qui perturbeent la classifiication bipartite des d droits subbjectifs, se déffinissent comm me des pouvo oirs par lesqueels leur « titulaaire peut influ uer sur les situatiions juridiquees préexistantees en les moddifiant, les éteiignant ou en en e créant de nnouvelles au moyen m d'une acttivité propre unilatérale u » (BOYER, ( Less promesses synallagmatiq s ques de vente,, RTD civ. 19 949. 1, spéc. no 27). 2 Le droit potestatif p est ainsi la maniifestation conccrète de la pooussée de l'unnilatéralisme dans d le droit des contrats (D. MAZEAUD et C. JAMIN N [dir.], L'uniilatéralisme ett le droit dess obligations, 1999, Économicca, 1999. - LE EMAY, thèse préc.). La fonnction d'un dro oit potestatif est e en effet dee permettre la survie de la voolonté de sonn titulaire, par-delà l'échannge des consentements, enn autorisant son action liibre et unilatéralle au cours de d l'exécution de la relationn contractuellle. L'attitude du droit posiitif vis-à-vis de d ces droits potestatifs est pourtant p ambivalente. Valaables en princcipe, car autorrisés par la liiberté contracctuelle, certains droits d potestaatifs tombent sous le coup de la prohibition des mysstérieuses « cconditions purrement potestativves » de l'articcle 1174 du code c civil (suur lesquelles : DROSS, L'inntrouvable nuullité des cond ditions potestativves, RTD civ. 2007. 701 . - DONDER RO, De la con ndition potesttative licite, R RTD civ. 2007 7. 677 . - LAT TINA, op. cit., spéc. p. 214 s., nos 295 s.). 93. Droits potestatifs : validité ? — La L Cour de caassation proclaame en effet la nullité des cconditions purrement potestativves au motif qu'elles q constiituent « un drroit unilatéral abandonné à la volonté arrbitraire d'unee seule des partiees » (Soc. 28 oct. o 1963, Bull. civ. V, no 739. 7 - V. aussii Paris, 6 juill. 2006, Juris-D Data no 31198 81, qui définit laa condition pootestative prohhibée comme celle qui con nfère à une paartie « le droiit […] d'impo oser sa volonté à l'autre »). La L prohibitionn des conditioons purement potestatives semble donc emporter dan ns son sillage lee principe même du droit potestatif. p Estt ainsi interdiite, au titre de d l'article 11774 du code ciivil, la faculté poour l'employeeur d'activer une u clause dee non-concurrrence dite « enn sommeil » (Soc. 12 avr. 1995, D. 1996. Somm. 246, obs. Serra ; Dr. soc. 1995. 668, obss. J. Savatier. - Soc. 122 févr. 2002, no 00-
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41.765 , Bull. civ. V, V no 62 ; D. 2002. 2 2089, obbs. Mathieu ; RTD civ. 2002. 511, obbs. Mestre et Fages. F . - Sooc. 15 avr. 200 08, no 07-40.9907 ). En d'autres term mes, un - Socc. 22 janv. 2003, no 01-40.0031 employeuur ne peut se réserver r la poossibilité de déécider seul si son employé sera soumis, en cas de dép part de l'entreprisse, à une obliigation de nonn-concurrencee, et ce quand d bien même l'activation dde la clause dee nonconcurrennce s'accompaagnerait d'unee indemnité coompensatrice.. En outre, esst nulle, car pootestative, la clause attributive de juridictioon qui laisse à une partie lee choix de la juridiction j com mpétente (Civv. 1re, 26 sept. 2012, o ; RDC C 2013. 661, obs. Racine ; Rev. crit. DIP P 2013. 256, obs. Bureau n 11-26.022 ; D. 2012. 2876, ; JCP 2012. 1815, obs. o Cornut). Peut-être ne faut-il f donc voir dans l'inteerdiction de ceertains note Marrtel droits pottestatifs par laa Cour de casssation que la volonté v de pro otéger les conttractants en sittuation de faib blesse. Le légisslateur a enn effet monntré la voie en bannisssant les drooits potestatiffs de la reelation consomm mateur/professionnel lorsqu''ils offrent un pouvoir unilaatéral à ce derrnier (V., par eex., C. consom m., art. R. 132-1,, 3o, qui interrdit la clause réservant « au profession nnel le droit de modifier unilatéralemeent les clauses du d contrat relatives à sa durée, d aux carractéristiques ou au prix du d bien à livrrer ou du serrvice à rendre »). De même, dans d les parteenariats comm merciaux, les droits potestaatifs sont suscceptibles de tomber t sous le cooup de l'articlle L. 442-6, I,, 2o du code de d commerce qui précise quu'engage la reesponsabilité de d son auteur et l'oblige à répparer le préjuudice causé le fait de soum mettre ou de teenter de soum mettre un parttenaire commerccial à des obligations créannt un déséquiliibre significattif dans les drroits et obligaations des parties. Il n'en restee pas moins que q la Haute Juridiction J vallide nombre de d droits potesstatifs, quitte à les soumettrre à la réserve, soit s de l'abuss, comme c'esst le cas par exemple de la déterminattion unilatéralle du prix daans les contrats-ccadre, soit dee la bonne fooi, qui encadrre par exemp ple l'exercice des clauses résolutoires (sur ( le contrôle des d prérogativves contractueelles par la bonnne foi, V. inffra, nos 123 s.)). Les droits ppotestatifs son nt donc toujours sous s surveillannce, et parfoiss interdits, nottamment danss les relations structurellemeent inégalitairres. 94. Si le contrat est en e principe sooustrait à la volonté v unilattérale des parrties, il est éggalement à l'aabri de l'intervenntion du juge. 2° - Vis-àà-vis du juge 95. Princcipe de la nonn-immixtion du d juge. - Danns la conceptio on classique et e libérale du contrat, concception qui n'a pas disparu et qui explique,, encore aujouurd'hui, nomb bre de règles du droit posittif, le contrat est la chose dess parties. L'im mmixtion du juuge dans la spphère contractu uelle doit donnc être limitée au strict minimum, car elle serait porteusee d'insécurité juridique. j Cettte position ex xplique la défiiance traditionnnelle de la do octrine vis-à-vis du pouvoir dee révision du juge, j c'est-à-ddire vis-à-vis de d la possibiliité, offerte à uun juge, de mo odifier le contennu de l'accordd des parties, soit en le corrrigeant s'il see révèle défecctueux, soit en le complétaant s'il s'avère laacunaire. Les exemples aboondent en légiislation comm me l'impossibiilité pour un juge de fixer le l prix de la ventte, afin de palllier la carencee des parties ou o du mandataaire qui était chargé de le dééterminer (V. Vente [2o formaation]). Cettee défiance tradditionnelle esst également présente p danss la jurisprudeence de la Co our de cassationn. Par exemplee, lorsque la Haute H Juridicttion a décidé d'autoriser la fixation unilaatérale du prix x dans er o les contrats-cadres (C Cass., ass. plénn., 1 déc. 19995, n 93-13.688 , D. 1996. 13, notte Aynès ; JCP G ; Defréénois 1996. 7447, obs. Deleb becque ; RTD D civ. 1996. 1553, obs. Mestrre ; 1996. II. 22565, obs. Ghestin LPA no 155, 1 27 déc. 1995, 1 p. 11, obs. Bureau ett Molfessis ; GAJC, G t. 2, 12e éd., 2008, nos 152-155), elle a doté les juges j du fondd du pouvoir de sanctionneer le prix abu usif, soit par la l résiliation du contrat, so oit par l'octroi d''une indemnitté. Or, octroyeer une indemnnité, c'est-à-dirre réparer le préjudice p caussé au débiteurr par le prix abussif, ce n'est pas, ni d'un pooint de vue syymbolique, nii d'un point de d vue pratiquue, modifier le l prix initialemeent fixé. En effet, e le préjuddice causé auu débiteur par le prix abusiif, qui doit seervir de mesurre à la réparationn, n'est pas nécessairemen n nt égal à la part du prix jugée abusivve. Le préjuddice peut êtree plus importantt, si le prix abbusif a causé laa perte du débbiteur, ou plus faible, si le débiteur d a pu rrépercuter unee partie du prix qui q lui a été im mposé sur ses propres p débiteeurs. De mêm me, la Cour de cassation s'esst toujours reffusée à autoriser les juges duu fond à « reefaire » le coontrat en cas d'imprévisionn (Civ. 6 maars 1876, Can nal de Craponnee, D. 1976. 1. 193 ; GAJC C, t. 2, 11e édd., no 163. - V. V Imprévisioon), et ce en dépit des moyens m techniquees, comme la cause ou la boonne foi, qu'eelle aurait pu solliciter s pourr donner une bbase juridiquee à une telle inteervention (V.,, sur ce thèm me, FAUVAR RQUE-COSSO ON, Le changgement des ccirconstances, RDC 2004. 67 s.). Actualisaation
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95. Princcipe de la noon-immixtion du juge. - L'article L 1195 5 du code civvil résultant dde l'ordonnan nce du 10 févrierr 2016 contieent une innovvation majeurre. Il disposee que : « Si un u changemennt de circonsstances imprévisiible lors de laa conclusion du d contrat rennd l'exécution n excessivemeent onéreuse ppour une parttie qui n'avait paas accepté d''en assumer le l risque, cellle-ci peut deemander une renégociationn du contrat à son cocontracctant. Elle conntinue à exécuuter ses obligattions durant laa renégociatioon. En cas dee refus ou d'échec de la rennégociation, lees parties peu uvent convenirr de la résoluttion du contraat, à la date et auux conditionss qu'elles déteerminent, ou demander d d'u un commun acccord au jugee de procéder à son adaptation. À défaut d'accord d dans un délai raisoonnable, le ju uge peut, à la demande d'unne partie, rév viser le contrat ouu y mettre fin,, à la date et aux a conditionss qu'il fixe ». Le Rappoort au Présideent de la Réppublique expllique que : « L'article L 11955 constitue quuant à lui l'un ne des innovatioons importantees de l'ordonnnance, puisqu'il introduit l'im mprévision daans le droit dees contrats fraançais, notion bien connue enn jurisprudencee administratiive. […] La France F est l'unn des derniers pays d'Europ pe à ne pas reconnnaître la théoorie de l'impréévision commee cause modérratrice de la force f obligatoiire du contrat.. Cette consécrattion, inspirée du droit com mparé commee des projets d'harmonisattion européenns, permet de lutter contre less déséquilibres contractuelss majeurs qui surviennent en e cours d'exéccution, conforrmément à l'objectif de justicee contractuellee poursuivi paar l'ordonnancee ». 96. Excepptions : pouvooir de révisionn d'origine léggale. - Les hyp pothèses dans lesquelles le jjuge intervien nt pour modifier le contenu duu contrat ne cessent c cependdant de croîtree, notammentt lorsqu'il s'aggit de rééquilib brer le contrat enn modérant ses s stipulationns (D. MAZE EAUD, La rév vision du conntrat, LPA 300 juin 2005, p. p 4 s.). Parfois, c'est c le législateur lui-mêm me qui octroie un tel pouv voir de modéération au jugge. C'est le cas par exemple en matière dee clause pénalle (D. MAZEA AUD, La clau use pénale, 19992, LGDJ), lee juge ayant obtenu o la possibbilité de modiifier le montaant de la peinne prévue en cas d'inexéccution du conntrat pour évitter les injusticess manifestes (C. ( civ., art. 1152. - La Coour de cassatio on a cependaant veillé à cee que le pouv voir de révision accordé a au jugge ne débordee pas le cadre stricte de la clause c pénale : V. Clause p pénale). C'est le cas égalemennt, en droit dee la consomm mation, l'articlee L. 211-10 permettant au juge j d'imposeer une réductiion du prix pourr compenser le l défaut de conformité de la chose acheetée. C'est le cas, enfin, maais la liste n'eest pas exhaustivve, dans le caddre de la luttee contre le suurendettement des particulieers puisque laa révision peu ut aller jusqu'à l'eeffacement paartiel ou total des dettes du débiteur (C. consom., c art. L. 330-1 s. - V V. Surendetteement des partiiculiers), ce qui, q plus encoore que les déélais de grâce (C. civ., art. 1244-1), s'opppose frontalem ment à l'intangibbilité du contraat. 97. Excepptions : pouvoir de révisioon d'origine juurisprudentielle. - Parfois, c'est la Courr de cassation n qui a octroyé d'autorité d un poouvoir de réviision aux jugees du fond. C'eest ainsi, par exemple, e que les juges du fond f se sont vus dotés de la faculté f de rédduire les honooraires réclam més par certaiins professionnnels (AUBER RT de d l'abus danss la fixation du d prix, D. 20006. Chron. 262 29 VINCELLES, Pour unne généralisatiion encadrée de ERRÉ, SIMLE ER et LEQUETTE, op. citt., no 311), dee substituer unn indice licitee à un s., spéc. nos 25 s. - TE indice illiicite pour sauvver une clausee d'indexationn (Civ. 3e, 22 juill. j 1987, Buull. civ. III, no 151), ou de réputer r non écritees les clauses abusives qui figurent danss les contrats passés entre professionnels p s et consomm mateurs sur le fonndement de l'aarticle L. 132--1 du code dee la consommaation (Civ. 1ree, 14 mai 19911, no 89-20.99 99 , Bull. civ.. I, no 153 ; CC CC 1991. Com mm. 159, obss. Leveneur ; D. D 1991. 449, note Ghestinn ; JCP 19 991. II. 21763, noote Paisant ; RTD R civ. 19911. 526, obs. Mestre M ; GA AJC, t. 2, no 1559). 98. Quellle que soit sa source, le rennforcement duu pouvoir de réévision du jugge emporte ainnsi remise en cause, si ce n'esst de l'intangiibilité du conntrat, au moinns de la préseentation classique qui fait du juge « l'eennemi contractuuel numéro 1 » (D. MAZEA AUD, article préc. [V. supraa, no 26], D. 20010. Chron. 24481 ). B. - Irrévvocabilité du contrat 99. Conttrat à durée déterminée. - Lorsqu'un contrat c est à durée déterm minée, chacunne des partiees doit l'exécuterr jusqu'à son terme, sans pouvoir p le rem mettre en quesstion par volonté unilatérale. Le contrat est en effet obligatoire pendaant toute sa duurée, et il n'y a donc pas d'allternative à l'eexécution fidèèle de la conveention. En effet,, seul l'accorrd des partiees ou mutuuss dissensus (VATINET, ( L mutuus ddissensus, RT Le TD civ. 1986. 2522 s. - SIRI, Le L mutuus disssensus. Notioon, domaine, régime, thèsse, Aix-Marseeille III, 2011) peut mettre finn au contrat de d manière anticipée a (C. civ., c art. 1134). Le principee de l'irrévocabilité du con ntrat à
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durée détterminée, parr volonté unillatérale, soufffre cependant d'exceptions qui se sont multipliées avec a la proliférattion des conttrats spéciauxx (V. Résolutiion - Résiliattion), au poinnt que la préésentation opp posant contrats à durée détterminée et contrats à durée d indéterrminée ait pu p être quallifiée de sim mpliste (D. MAZ ZEAUD, Duréée et rupture, RDC 2004. 129 1 s.). D'abo ord, la liberté contractuellee permet l'insertion, dans les contrats à duurée déterminéée, de clausess de résiliatio on anticipée. Ces C clauses, qqui offrent un n droit potestatiff à l'une des paarties (sur lesqquels, V. suprra, nos 92 s.), sont s cependannt sous surveilllance, car ellees sont susceptibbles d'être impposées par lee contractant en situation de force. Ellees sont donc interdites daans les relations entre consom mmateurs et proofessionnels lorsqu'elles l so ont réservées au a professionnnel (C. consom m., art. o R. 132-1,, 8 : Est interddite la clause qui reconnaît « au professio onnel le droit de résilier disscrétionnairem ment le contrat, sans s reconnaîttre le même droit d au non-pprofessionnel ou au consoommateur »), eet sont suscep ptibles d'engagerr la responsabbilité d'un prrofessionnel vis-à-vis v de son s partenairee commerciall si leurs mod dalités créent unn déséquilibre entre les droiits et obligatioons des parties (C. com., arrt. L. 442-6, I,, 2o). En tout état é de cause, ellles doivent touujours prévoirr un délai de préavis p raisonn nable. Actualisaation 99 s. Irrévvocabilité du contrat. - L'orrdonnance du 10 février 2016 introduit dans d le code ciivil des dispositions généraless relatives à laa durée du coontrat. Selon le l nouvel article 1211 « Loorsque le conttrat est conclu u pour une duréee indéterminée, chaque parrtie peut y metttre fin à tout moment, souus réserve de rrespecter le déélai de préavis contractuellem ment prévu ou,, à défaut, un délai raisonn nable ». Quantt à l'article 12212, il disposee que : me. « Lorsquee le contrat esst conclu pour une durée détterminée, chaque partie doiit l'exécuter juusqu'à son term Nul ne peeut exiger le reenouvellemennt du contrat ». » 100. Ensuuite, le législaateur a prévu des d facultés dee résiliation an nticipée dans certains c contraats en raison de d leur nature. Il en va ainsi, par p exemple, dans le contraat de mandat. Le mandant, qui a placé ssa confiance dans d le mandataire, doit avoirr la possibilitéé de mettre fiin au contrat si cette confiiance est altérrée. C'est pou urquoi, l'article 2004 2 du code civil c offre au mandant m une faculté f de résiiliation ad nuttum (V. Mand dat). En outree, la loi octroie frréquemment aux a contractannts en situatioon de faiblessee, notamment aux consomm mateurs, un drroit de rétractatioon (MIRABA AIL, La rétracctation en drooit privé fran nçais, 1997, LGDJ) L ou un droit de résiliation anticipé. Le droit de réétractation se distingue du droit de résiliation anticipéée en ce qu'il ss'exerce en prrincipe avant touute exécutionn du contratt (C. consom m., art. L. 121-6, al. 1er). Ce critère nn'est toutefoiis pas systématiiquement préssent (V. par exx., en cas de vente v à distancce, C. consom m., art. L. 121--20 et L. 121-21), et pourrait même m disparaaître à l'avenirr. La directivee du 25 octobrre 2011 relativve aux droits des consomm mateurs précise en e effet, dans son article 9.3, que les États doivent s'abstenir s d'innterdire aux pparties contracctantes d'exécuteer leurs obligaations contracttuelles pendannt le délai de rétractation. r E permet ceppendant le maaintien Elle d'une tellle interdictioon pour les contrats c concclus hors étaablissements commerciaux c , c'est-à-dire après démarchaage. Surtout, le droit de réétractation enntraîne l'anéan ntissement duu contrat (Civv. 3e, 13 mars 2012, no 11-12.232 DI 2013. 137,, obs. Cohet--Cordey ), y compris pour p le passéé, là où le drroit de , AJD résiliationn anticipée est censé metttre fin à unee relation con ntractuelle unniquement poour l'avenir (V V., par exemple, la faculté de d résiliation anticipée offferte au locattaire : L. du 6 juill. 1989,, art. 12. - V.. Baux d'habitattion et mixtess [Rapports locatifs l indiviiduels : loi du u 6 juillet 19889]). Les droitts de rétractatiion, ou de repenttir, encore apppelés « dédit » lorsque leuur origine estt conventionnnelle, sont ainnsi conçus, en n droit positif, comme c des exxceptions à l'irrévocabilité l é du contrat, et non comm me des mécaanismes différrant la formationn du contrat dans d le temps (V., sur ce thhème, RIEG, La « punctation », contribuution à l'étudee de la formationn successive du d contrat, inn Études offerrtes à Alfred Jauffret, 19744, Faculté de droit et de science politique d'Aix-Marseiille, p. 593 s.). Ils s'opposennt en conséqueence aux délaais de réflexionn qui ont pourr objet d'interdire la conclusioon du contratt avant l'écouulement d'un certain c temps (V. par exem mple, en matière de crédit imm mobilier, C. consom., c art. L. L 312-10). Actualisaation 100. Loi Hamon. Transposition de laa législation européenne. e - Conformémennt aux disposiitions de la dirrective o onsommateurss, la loi no 20014-344 du 17 7 mars n 2011/883/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des co 2014 relaative à la connsommation (JO ( 18 mars) maintient l'in nterdiction poour le professsionnel de reecevoir aucune contrepartie c de la part du consommateuur pendant le délai de rétrractation pourr les seuls co ontrats conclus hors h établissem ments (C. conssom., art. L. 121-18-2 nouv v.).
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101. Enfiin, en dépit dee la lettre de l'article 1184 du d code civil, qui précise que q la résolutioon pour inexéécution doit être demandée en e justice, laa Cour de caassation a offfert au créanncier la posssibilité de réssoudre unilatérallement le conttrat en cas de comportemennt grave du déébiteur (Civ. 1re, 13 oct. 19998, no 96-21.485 , Bull. civv. I, no 300 ; D. D 1999. 197,, note Jamin ; D. 1999. Somm. 115, obs. Delebeccque ; Deffrénois 1999. 3744, obs. D. Mazzeaud. - V. Réésolution - Résiliation). Laa résolution see produit cepeendant « aux risques r et périls » du créancierr. Ainsi, une fois f le contrat résolu, le déb biteur méconteent pourra saiisir le juge afiin qu'il vérifie quue les conditiions de la réssolution unilattérale étaient réunies. Le contrôle c du juuge s'exerce donc d a posteriorii (JAMIN, Lees conditions de la résolutioon du contratt : vers un moodèle unique, in Les sanctio ons de l'inexécuttion de l'obliggation contracttuelle, 2002, Bruylant-LGD B DJ, p. 451 s.), la Cour de casssation exigeaant des juges du fond qu'ils caractérisent c l gravité du comportement du débiteuur (Civ. 1re, 228 oct. 2003, no 01la o , Bull. civv. I, n 211 ; RTD R civ. 20004. 89, obs. Mestre M et Faages ; RD DC 2004. 644 4, obs. 03.662 D. Mazeaaud ; RLDC 2004, 2 no 40, obbs. Garaud. - Le L projet de rééforme du drooit des contratts de la Chanccellerie prévoit dee consacrer daans la loi cettee faculté de résolution unilaatérale : art. 1443). 102. Conntrat à durée indéterminéee. - Dans les contrats à durée d indéterm minée, chaque contractant a, en principe, la possibilitéé de rompre la l relation conntractuelle (C Cons. const. 9 nov. 1999, no 99-419, RT TD civ. o - V. infra, n 245), sauf à respecter un délai de préaavis raisonnable. S'il 2000. 1099, obs. Mestree et Fages. en est ainnsi, c'est parcee que nul ne dooit être perpéttuellement lié par un contraat. Or, s'il n'avvait pas été préévu de faculté unnilatérale de résiliation r danns les contratss à durée indééterminée, le simple refus ddu cocontracttant de mettre finn à la relationn contractuellee aurait suffi à forcer l'autree à rester danss les liens du ccontrat. Ce prrincipe ne figure pourtant pas dans le codee civil. Posé par p la Cour dee cassation (C Civ. 1re, 5 févrr. 1985, Bull. civ. I, o n 54 : « Il I résulte de l'article 1134, alinéa a 2, du coode civil que « dans les conntrats à exécuttion successiv ve dans lesquels aucun a terme n'a n été prévu, la l résiliation unilatérale u est,, sauf abus, saanctionnée parr l'alinéa 3 du même texte, offe fert aux deux parties p »), il s'est vu accordeer par le Consseil constitutioonnel une valeeur constitutio onnelle indirecte dans une déccision du 9 noovembre 1999 (Cons. const. 9 nov. 1999, no 99-419, R RTD civ. 2000 0. 109, o - V. suprra, n 15). Lees Sages ont en effet déciddé que, « si lle contrat est la loi obs. Messtre et Fages. communee des parties, la liberté quui découle de l'article 4 dee la Déclaration des droitss de l'homme et du citoyen de d 1789 justifiie qu'un contrrat de droit privé à durée in ndéterminée puisse p être rom mpu unilatérallement par l'un ou o l'autre des contractants ». » S'agissant de d son régimee, la faculté de d résiliation uunilatérale n'aa pas à être motivvée, mais ellee n'est pas pouur autant discrrétionnaire, le juge pouvant déduire l'exisstence d'un ab bus des circonstannces entourannt la rupture (Civ. 1re, 5 féévr. 1985, prééc. - Civ. 1re, 21 févr. 20066, no 02-21.24 40 , Bull. civ.. I, no 82 ; RD DC 2006. 704,, obs. D. Mazeaud), commee le fait d'inciiter son partennaire à consen ntir de lourds invvestissements peu de tempss avant de lui signifier la ceessation du contrat (Com. 20 janv. 1998, no 9618.353 D 1998. 413, note Jamin , Bull. civ. IV, no 40 ; D. ; CCC 19998. Comm. 556, obs. Leveeneur ; ; JCP P 1999. II. 10 0085, obs. Chhazal ; RTD cciv. 1998. 675 5, obs. D. 1999. Somm. 114, obs. D. Mazeeaud , RTD civ. 2002. 810, obbs. Mestre et F Fages ). L''avantMestre. - Com. 29 janv. 2002, no 00-11.433 projet dee réforme de la Chancellerrie prévoit ainnsi de consaccrer ce princippe dans son aarticle 130 daans les termes suuivants : « Loorsque le conttrat est concllu pour une durée d indéterm minée, il peutt être résilié à tout moment par l'une ou l'autre partie, sous réservee d'un délai de d préavis suuffisant. Sauf abus, la résiliation unilatéralle n'engage paas la responsabbilité du contrractant qui en prend l'initiattive ». 103. Ruppture des relaations commeerciales établlies. - Le libéralisme de la l rupture dees contrats à durée indétermiinée, comme du refus duu renouvellem ment des conttrats à durée déterminée dd'ailleurs (V. supra, nos 72 s.),, a incité le léégislateur à addopter des texttes protecteurs en matière de d relations d''affaires. Ce faisant, f le législaateur s'est connformé à l'aviis du Conseil constitutionn nel qui avait décidé d qu'il luui appartenaitt, « en raison de la nécessité d'assurer d pourr certains conttrats la protecttion de l'une des d parties, dee préciser les causes c permettannt une telle résiliation, r ainnsi que les modalités m de celle-ci, c notam mment le resspect d'un prééavis » (Cons. coonst. 9 nov. 19999, préc.). Orr, dans le dom maine des relattions d'affairees, la perte d'uun contrat peutt avoir des effetss désastreux suur la pérennité de l'entrepriise concernée.. L'article L. 442-6, 4 I, 5o duu code de com mmerce encadre ainsi a strictemeent la rupture des d relations commerciales c établies afin, en particulierr, qu'il soit don nné au partenairee commerciall le temps sufffisant pour pallier p la disparition du conntrat (LE CO OUVIOUR, Regards critiques sur la rupturee des relations commerciales établies, RT TD com. 2008. 1 s. - BE EHAR-TOUCHAIS, o La rupturre d'une relatiion commerciiale établie, LPA L n 203, 9 oct. 2008, p. 9 s.). Cet artiicle énonce en n effet qu'engagee la responsabbilité de son auteur a (la respponsabilité estt délictuelle : Com. C 6 févr. 22007, no 04-13.178 , Bull. civ. IV, no 211 ; D. 2007. 6553, obs. Chevrrier ; JCP 2007. II. 10108, obs. F. M Marmoz ; RDC C 2007. 731, obs. J.-S. Borghettti), le fait de « rompre bruttalement […] une relation commerciale c éétablie, sans préavis p
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écrit tenaant compte de d la durée de la relation commercialee et respectannt la durée m minimale de préavis p déterminéée, en référencce aux usagess du commercee, par des accords interproffessionnels ». En l'absence de tels accords, il i appartient aux a juges du fond f de déterm miner, a posteeriori, quelle était é la durée dde préavis miinimal. Pour ce faire, f ils tienneent compte, ouutre de la durée des relation ns commerciaales antérieurees, de la situattion de dépendannce économiquue du partenaaire, et de la part que le con ntrat représenttait dans son cchiffre d'affairres (en présence d'un contrat type prévoyyant la durée du préavis, l'article L. 4442-6 du codee de commerrce ne I no 151). s'appliquee pas : Com. 4 oct. 2011, no 10-20.240 , Bull. civ. IV,
Documeent 3 Joanna Schmidt-Szale S ewski, La forrce obligatoiree à l'épreuve des d avant-con ntrats, RTD C Civ. 2000 p.25 5
A la fronttière entre le domaine d délicctuel et contracctuel, les avan nt-contrats sonnt dotés d'effets obligatoiress atténués, dont l'annalyse permett de mesurerr le contenu « minimal » de la forcce obligatoiree du contrat. Le refus jurisprudeentiel de l'exéécution en natuure repose surr la considérattion de l'objet des avant-conntrats et des obligations o qu'ils créent. Le fondeement de la foorce obligatoirre est ainsi mis m en lumière et nuancé, réévélant la spécificité du droit frannçais en la mattière. posent avec une Réfléchisssant à la notiion de contratt, un auteur obbserve que « Les contrats préparatoires p u acuité particulièère la questionn du domaine du contrat. A partir de quel moment y a--t-il contrat daans la périodee préalable à la concclusion du conntrat définitif ? ». Il répondd à cette questtion en indiquuant que « la qualification de contrat doit être encore écartéée lorsque l'acccord des voloontés n'a pas donné naissannce à des effe fets pourvus d'une d force juridique obligatoire » (1). Un double critère perrmet donc de reconnaître, parmi diversees conventionns, celles pouuvant être quaalifiées de p d'efffets pourvus d'une d force contrats : d'une part, l'existence d'unn accord de volontés et, d'aautre part, la présence juridique obligatoire. ment l'existen nce d'engageements précoontractuels de d nature Les juridictions frannçaises admeettent facilem l large reconn naissance de l'existence l d'uun accord des parties p sur contractuuelle (2). Cettte solution s'eexplique par la les élémeents essentiels de l'opérationn projetée (33), condition nécessaire n (4) et suffisantte (5) d'existence d'un contrat consensuel. c D plus, la prreuve de la rencontre De r dess actes de voolonté est librre, car l'exprression du consentem ment n'est en principe p soum mise à aucune forme (6). Mais recoonnaître aux accords a précoontractuels la nature n d'un co ontrat supposee encore que ll'on vérifie la teneur de leurs effeets : sont-ils bien « pourvvus d'une forcce juridique obligatoire o » caractéristiquue du contrat ? Pareille démarchee implique quue l'on identifiie le contenu de l'effet obliigatoire dont traite t l'article 1134, alinéa 1 du code civil. Ce texte indiquee que l'inobseervation d'unee obligation d'origine d contrractuelle décllenche l'interv vention de q le non-resspect d'une lo oi. On considdère, en effet, que l'inexécu ution d'un l'autorité publique au même titre que contrat nee lèse pas seuulement les inntérêts du créaancier, mais trrouble l'ordre juridique toutt entier, dans la mesure où le contrat est le principal p instrrument d'échaange entre lees hommes (7). Ce poinnt de vue classique est omique de l'Eccole de Chicaago, qui consid dèrent que aujourd'hhui remis en quuestion par les tenants de l'analyse écono l'inexécuttion peut bénééficier à la soociété en génééral lorsque lees dommages et intérêts soont limités à laa perte du profit atteendu par le crééancier (8). Adopter le l point de vuue du créancier (9) pour analyser a la forcce obligatoiree du contrat peermet d'appréh hender, de manière simple, s les im mplications écoonomiques dess règles du dro oit des contratts. La force obbligatoire peu ut, en effet, trouver soon fondementt autant dans l'autonomie l d la volonté (10), que daans la confiancce faite par lee créancier de au débiteuur (11), faissant écho à la notion n anglo-américaine dee reliance (12). Le droit français f modeerne offre au créancier c de l'oobligation con ntractuelle ineexécutée un évventail de san nctions, les unes d'orrigine légale : exécution forrcée en naturee (art. 1184, al. a 2, c. civ.) ou o par équivallent (art. 1147 7 c. civ.) ; résolutionn du contrat (art. ( 1184, al. 2, c. civ.) ; les autres d'o origine jurisprrudentielle : eexception d'ineexécution, réfaction,, déchéances,, etc. (13). S'y ajoutent des remèdess propres auxx contrats spéciaux (par ex. e action rédhibitoiire ou estimattoire dans la vente, v etc.) (14). L'examen n de la jurispruudence révèlee la primauté accordée a à
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l'exécutioon en nature par p rapport auux autres sancctions de l'ineexécution (115). Le droit français reflète ainsi le recul de la l règle nemo praecise p cogii potest ad facctum, constaté en droit compparé (16). Cette hiérrarchie des saanctions traduuit l'évolution de la notion d'obligation d coontractuelle. L La conception n primitive de l'obliggation, lien personnel source de « puissannce », conduisait à considéérer l'inexécutiion comme un ne offense personnellle, permettannt au créancierr de se « vengger » sur la personne du débbiteur. Dans uune société plu us raffinée et plus coomplexe, le lien d'obligatioon est devenu plus objectif,, réalisant l'écchange de valeeurs économiq ques entre deux patrrimoines (177). Des procéédés de sancttion plus efficcaces ont alors été rechercchés, tendant à rétablir l'équilibree économiquee rompu par l'iinexécution (18). On ne s'intéresse s pluus au sort du ddébiteur, mais à celui du contrat (19) ; tant quue l'exécution paraît possiblle, le contrat est e maintenu ; lorsqu'elle nee l'est plus, il devra être liquidé (20). mer en justice l'exécution foorcée par le déébiteur, ou Le maintiien du contratt implique quee le créancier puisse réclam aux frais de celui-ci (art. 1143, 11444 1184, al. 2, 1610 c. civ. L. L 9 juill. 19911, art. 1er, al. 11). Vaincre la résistance u certaine violence, v que le droit modeerne exerce suur son patrim moine et non plus p sur sa du débiteeur implique une personne (21). Diverrs procédés dee contrainte inndirecte (excep ptio non adim mpleti contracttus ; droit de rétention r ; ( reemplacement, destruction) s'offrent à luui pour parvennir à la satisffaction en astreinte)) ou directe (expulsion, nature dee ses intérêts. Le droit proccessuel met à sa disposition n des procéduures simplifiéées d'injonctio on de faire (art. 14255-1 à 1425-9 NCPC) N ou dee payer (art. 1405 et s. NCP PC), ainsi quee l'astreinte juudiciaire (22 2). Pareille sanction est la seule qui respecte strictement la l force oblig gatoire du coontrat, en proocurant au créancier la prestationn qu'il attendaait. Toutes les autres formess de sanction ne n lui assurentt qu'une satisffaction atténuéée. Première manifestationn du contrat,, les avant-coontrats permettent de tenteer une délimiitation de la portée du principe de d la force obbligatoire et des d domaines respectifs r de l'exécution l foorcée et par éqquivalent. L'ob bservation des norm mes effectivem ment pratiquéees à titre de saanction révéleera la portée en e quelque soorte « minimaale » de la force obliigatoire. Innomméés pour la pllupart (23), les avant-conntrats ne se laissent enferrmer dans auucune catégorrie. Ils se caractérissent par une communauté c d d'objectif visaant à préparerr soit la négocciation, soit laa conclusion du d contrat définitif (24) : la réaalisation concrrète de cet obbjectif dépend d de l'efficacitté des sanctioons de leur ineexécution.
I. - Sanction des avant--contrats relattifs à la négociiation du conttrat définitif c les partenaires p souhaitent en faciliter f le dééroulement, ou o encore Envisageant la négocciation d'un contrat, bénéficier d'une chancee de conclusioon du contrat, en obligeant à le négocier. A. - Obliggations relativves au dérouleement de la néégociation
d la négociaation, les parteenaires peuveent convenir des d modalités de règlementt des problèm mes qu'elle A l'orée de peut suscciter. Ils pourrsuivront cet objectif en s'engageant s à respecter ceertaines obligaations spécifiiques à la période de d négociationn. Un avant-coontrat peut ainnsi imposer au ux négociateuurs des obligattions de confiidentialité, d'exclusivvité, de loyautté, etc. En cas d'inexécution d'une d de ces obligations, o lee créancier peeut-il en exigger l'exécutionn forcée par le débiteur selon le principe p posé par l'article 1184 du code civil c (25) ? En E règle généérale, la résoluution du contrrat assortie de domm mages et intérêêts n'est qu'unn remède extraaordinaire, auquel l'exécution doit être ppréférée (26)), sauf cas exceptionnnel. Paradoxaalement, en drroit français, le domaine des d exception ns au principee de la force obligatoire du d contrat (entenduee comme le droit d du créanccier à l'exécuttion en naturee) n'est pas dééfini avec préccision. A prem mière vue, celles-ci sont au nombbre de deux : l'exécution l enn nature est éccartée, d'une part, p par appliication de l'arrticle 1184
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alinéa 2, en cas d'imp mpossibilité (27) ( et, d'autrre part, par application a dee l'article 11442 qui semblle exclure l'exécutioon forcée des obligations o dee faire ou de ne n pas faire (28). ( La mise en oeuvre dee ces exceptioons est toutefo fois délicate, car c le code ciivil a pratiquement ignoré la notion i d'impossiibilité d'exécuution et son article 1142 reçoit en juriisprudence unne applicationn limitée et incertaine. i convient doonc d'abord dee vérifier si l'eexécution des obligations reelatives au Pour répoondre à la queestion posée, il déroulem ment de la négoociation est poossible. Le droit français ne traite t pas l'im mpossibilité en e tant que problème p autoonome (29), mais en tan nt que cas particulieer de la notionn d'inexécutionn figurant à l''article 1147. Le code civill n'envisage ceependant l'imp possibilité d'exécutioon que lorsquu'elle revêt les caractères d'une d force majeure m ayant empêché le ddébiteur d'exéécuter (art. 1148) ; en e pareil cas, le débiteur est e délié de son s engagemeent sans respoonsabilité. Le code ne règle pas, en revanche, les conditionns ni les consééquences d'unne impossibilitté d'exécutionn due à la fautte (ou au fait non n fautif) du débiteeur. Celle-ci n''est que l'une des variétés de d l'inexécution (30) (par ex. art. 900, 11126, 1128, 11 129, 1172, 1182, 13002, 1598, etc. c. civ.), qui ne n s'en distinggue que parcee que l'inexécuution est définnitivement con nsommée. Conséqueence logique de l'impossibbilité, l'exécuution en naturre n'est plus envisageable ; le créancieer doit se contenterr d'une exécuution par équiivalent (31).. Encore doit-on définir lees circonstancces qui constiituent une impossibiilité d'exécutioon. Tout d'abbord, le fait duu débiteur peuut avoir rendu matériellemeent impossiblee l'exécution dde l'obligation n ; il en est ainsi lorssqu'il ne peutt plus (ou ne veut plus) exxécuter lui-m même et que l'exécution paar un tiers aux x frais du débiteur (art. ( 1143 c. civ.) n'est pas envisageable. e Tel est le cas lorsque l'obliigation a pour objet une cho ose dont le débiteur a provoqué la disparition (matérielle ou o juridique), sans qu'il sooit possible dee la remplaceer, ou une prestationn que le débiteeur refuse d'exxécuter alors qu'il q est le seu ul à pouvoir le faire. Mais il peut arriver quue l'obligationn du débiteur soit s encore matériellement possible à exxécuter, mais que q l'objet c la Cour de d cassation a estimé que le créancier ne ppouvait réclam mer que la du contraat ne le soit pluus. En pareil cas, résolutionn et non l'exéécution (32)). L'hypothèsee la plus fréq quente est celle où le créan ancier n'a pluss intérêt à l'exécutioon forcée en nature, n par exxemple en cass de retard im mportant ayantt privé la presstation de son n intérêt (33). On peut y voir un u cas de disparition de la cause, c entendu ue au sens d'oobjectif éconoomique poursu uivi par le contrat (34). L'inexécuution des oblligations préccontractuelles les plus cou urantes de coonfidentialité, exclusivité et e loyauté illustre bien b cette hyppothèse où l''exécution forrcée est impo ossible en raaison de la ddéfaillance dee l'objectif contractuuel. En effet, si s des informattions confidenntielles ont étéé divulguées à des tiers en vviolation de l'obligation de secrett, la valeur dee ces informations est définitivement co ompromise ; le l débiteur nee peut plus prrocurer au créancierr l'avantage enn nature qu'il était en droitt d'attendre. Pareillement, P s des négociaations parallèlles ont été si entreprisees en méconnnaissance dee l'obligation d'exclusivité, il est certees théoriquem ment possiblee de faire condamner le débiteurr à les cesserr ; il est toutefois peu pro obable qu'à laa suite d'une telle condam mnation les p iniitiaux. Enfin, comment meettre en oeuvrre l'exécution forcée de négociations réussissennt entre les partenaires S violation se traduira, le l plus souveent, par la ru upture des l'obligatioon de loyautéé dans la négociation ? Sa pourparleers et l'échec définitif d du proojet poursuivii. Dans la mesure m où les obligations reelatives à la néégociation pou ursuivent un objectif o préciss - même s'il est e lointain - consistaant dans la conclusion du contrat, c leur innexécution compromet cet objectif définnitivement, ren ndant sans intérêt unne condamnatiion du débiteuur à exécuter en nature ce qu'il a promiss. Le créancieer devra se contenter de dommagees et intérêts,, somme d'arggent supposée représenter l'exécution par p équivalennt (35). Pareeil résultat consomm me cependant la l ruine du coontrat dont la liquidation l deevra être envissagée, ce qui rrévèle, une fois de plus, la primauuté de l'exécuttion en nature sur les autres formes de san nction. Dans la mesure où l'exécution l enn nature des obligations relatives à l'organisation de la négociiation. est miques, il n'estt pas nécessairre de vérifier à leur propos l'application de d l'article impossiblle pour des raaisons économ
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1142 du code c civil. Parreille recherchhe doit, en revvanche, être efffectuée s'agisssant de l'obliggation d'entreprendre la négociation. B. - Obliggation d'entrepprendre la néggociation La personnne intéresséee par un contraat dont la connclusion ne parrait pas envisaageable dans l'immédiat, peeut créer à la chargee de son partenaire une oblligation d'entreprendre la négociation, esspérant ainsi bbénéficier d'u une chance de concluusion du conttrat convoité. La jurispruddence a claireement admis l'existence l et la spécificitéé de telles obligationns de négocieer, résultant d'un d « accord de principe », ou d'un « pacte de préfférence », sellon que la conventioon inclut ou noon une compaaraison avec lees conditions accordées auxx tiers. 1. Sanctioon d'un accordd de principe L'accord de principe crée l'obligatiion d'entrepreendre la négo ociation d'un contrat futur (par ex. « Nous N nous engageonns à envisagerr avec vous laa possibilité dee vous reprendre au servicee de notre socciété ») (36). Dans les affaires parvenues p jussqu'à la Courr de cassationn (37), la question était celle de la ddéfinition de l'objet de l'obligatioon inexécutéee : obligationn de conclure le contrat prrojeté, ou d'een entreprendrre la négociaation ? La question présente ici un u intérêt fonddamental du point p de vue de d la satisfactioon du créanciier : la premièère est une obligationn de résultat,, la seconde une simple obligation dee moyen (388). En consééquence, l'exéécution de l'obligatioon de négocieer ne se traduit pas nécessaiirement par laa conclusion du d contrat, carr même une néégociation loyale peuut échouer, si les parties nee parviennent pas p à trouver une u entente saatisfaisant leurrs intérêts. Dans les affaires jugéees, le créancier ne cherchaait pas à obten nir l'exécutionn forcée de l'obligation de négocier, mière solution, aurait-il obteenu la condam mnation du mais seullement des doommages et inntérêts. Eut-il tenté la prem débiteur à prendre conttact sous astreeinte en vue d'envisager d la conclusion c duu contrat ? La réponse négattive est ici dictée tannt par des conssidération écoonomiques, quue juridiques. Sur le plan purement matériel, unee « négociatioon forcée » au urait peu de chances c d'abooutir à la concclusion du a comprom mis, le créanccier n'a plus d'intérêt à contrat projeté ; l'objeectif économiique de l'obliggation étant ainsi O retrouve icci la notion d'iimpossibilité d'exécution d reencontrée à prropos des avan nt-contrats l'exécutioon en nature. On organisannt la négociation. Pourtant dans une aff ffaire EDF c// Shell, la coour de Paris a enjoint auxx parties d'exxécuter leur obligation d prix du contractuuelle de négoccier. Une clauuse du contrat de fournituree de fuel prévooyait qu'en caas de hausse du fuel au-deelà d'un certaiin seuil, les paarties se rapprrocheraient po our « examineer éventuellem ment les modiffications à apporter au contrat ».. Lorsque Shell saisit le juuge pour fairre constater que q le prix coontractuel étaait devenu d de Paaris décida, aavant-dire-dro oit, qu'il « indétermiinable provoqquant la caduucité du contrrat, la cour d'appel convient de renvoyer les parties, seelon leur engagement, à co onclure un acccord sur ce ppoint, sous l'éégide d'un c de la formulee proposée observateeur ; que c'est seulement enn cas d'échec de cette négociation et en connaissance que la cour dira si la formule fo qui poourrait éventuellement conv venir sur le pllan financier m modifie les do onnées des contrats en e cours et innterdit par connséquent au juuge de l'imposser » (39). Cette C décisionn doit être ram menée à sa juste messure : la courr ne condamnne pas sous astreinte a une partie récalcitrante à négocier, mais se borne à rappeler qu'elle ne peuut rendre la solution qui luui est demand dée avant quee les parties aiient tenté de la trouver elles-mêm mes en exécuttion de leur obbligation de reenégocier leur contrat (40)). Le problèème se pose de manière différente d en cas d'inexécu ution d'un paccte de préféreence, où l'obliigation de négocier a un contenu plus précis quue dans un acccord de princip pe. 2. Sanctioon d'un pacte de préférencee L'objet de d l'obligationn caractéristiqque d'un pactte de préféren nce est plus précis que ccelui de l'obliigation de négocier résultant d'unn « accord de principe p ». Lee débiteur ne s'engage s pas siimplement à « prendre conttact » ou à « envisagger » la concluusion : il doit adresser au créancier c une offre (41) prioritaire p de ccontrat à des conditions c au moinss aussi avantaageuses que ceelles faites à des tiers (ou par eux). Pareille conventiion limite claiirement le
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choix du cocontractantt (42), ce quui explique sonn succès dans les pactes d'aactionnaires, aafin de contrôller l'entrée de nouveeaux associés dans le capittal social (443). Le pacte de préférencce également vivace dans la l période précédantt les ventes d'iimmeubles (44), ou les coontrats portant sur des droitts de propriétéé intellectuellee (45). De quellees actions disppose le créancier lorsque le débiteur, mécconnaissant soon obligation dde préférence,, a adressé une offree de contrat à un tiers, ouu a conclu avvec lui à dess conditions plus p avantageeuses ? Le ch hoix entre l'exécutioon en nature ett par équivalent révèle ici toout son intérêtt. L'argent ne constitue, en effet, qu'uun équivalentt très imparfaait (46) par rapport à l'obbjectif poursu uivi par le créancierr de l'obligatiion de préférrence. Le conntrat qu'il esp pérait conclurre lui aurait procuré des avantages irremplaççables : empêcher l'entrée de concurrentts indésirabless dans le capiital social ; rééunir deux paarcelles de terrain coontiguës ; obtenir le droit d'exploiter un u nouveau brevet b afin dee n'être pas élliminé du maarché, etc. Lorsque ce c contrat a étté conclu avecc un tiers, l'avvantage escom mpté est définiitivement com mpromis : un concurrent c siégera daans le conseil d'administrattion ; la propriiété ne sera paas agrandie ; la l nouvelle tecchnologie ne pourra p pas être explooitée, etc. Daans la plupart des cas, le créancier c de l'obligation dee préférence a un intérêt im mpératif à réclamer l'exécution foorcée en naturee de l'obligatioon due par le débiteur. l le con ntrat définitif est translatif de droits réells (par ex. Il conviennt tout d'aborrd de rappelerr que même lorsque vente), lee pacte de prréférence ne crée encore aucun droit réel r au profitt du créancieer, mais seuleement des obligationns de faire ouu de ne pas faiire (47). Cellui-ci ne peut donc pas revvendiquer la chhose entre less mains du tiers qui a contracté avvec le débiteurr au mépris duu pacte. A la diffférence de l'innexécution d''un accord dee principe, ceelle d'un pactte de préférennce ne comprromet pas définitiveement l'objecttif poursuivi par les conttractants, car la conclusioon du contratt définitif resste encore possible. En effet, si lee débiteur de l'obligation de préférence est e condamné à adresser auu créancier un ne offre de p que ce co ontrat se form me. Ce n'est doonc pas la défaaillance de contrat dééfinitif, il sufffira à celui-ci de l'accepter pour l'objet duu contrat qui s'oppose à son exécution ; ill reste à vérifiier si la spécifficité de l'objeet de l'obligation n'y fait pas obstaacle. Si le conttrat convoité a déjà été connclu avec un tiiers (par ex. lees parts socialles ont été céddées à un conccurrent), il convienddra de procédeer en deux temps : tout d'aabord, ce con ntrat devra êtrre annulé, afin que les dro oits qu'il a transmis retournent daans le patrimooine du débiteeur de l'obligaation de préféérence ; puis, le créancier réclamera O des difficuultés spécifiquues surgissent à chacune l'exécutioon forcée de l''obligation née du pacte de préférence. Or, de ces deux étapes. nulé que par application dde la règle fra aus omnia Tout d'abbord, le contrrat conclu aveec le tiers ne peut être ann corrumpiit, sanctionnannt une collusioon frauduleuse entre le débiteur et le tierrs. Le créancieer demandeurr en nullité devra appporter la preuvve d'une telle fraude à ses droits. d Celle-cci implique deeux éléments : d'une part, lee tiers doit avoir conntracté de mauuvaise foi, enn connaissant l'existence du u pacte de prééférence, mais il doit, de plus, p avoir connu l'inntention du créancier d'exeercer ses droiits : le tiers et e le débiteur se sont conceertés pour em mpêcher le créancierr de conclure le l contrat défiinitif. La seulee mauvaise fo oi du tiers connstitue de sa paart une faute délictuelle d engageannt sa responsaabilité envers le créancier du d pacte, mais n'est pas unne cause de nullité du conttrat qu'il a conclu avvec le tiers : Ce contrat demeure valaable (48). En E pareil cas,, l'exécution en nature du u pacte de préférencce est impossibble pour des raisons r juridiqques. Enfin, sii le contrat a été é conclu aveec un tiers de bonne b foi, ignorant l'existence duu pacte, non seulement cee contrat restee valable, maais encore le tiers n'encou urt aucune responsabbilité. L'annulattion du contraat frauduleuseement conclu avec le tiers provoque p la reestitution des prestations et le retour des droitts dans le pattrimoine de leeur titulaire initial, i débiteu ur du pacte de d préférence. S'il tient à obtenir le transfert de ces droits à son profit, le l créancier de d l'obligation de préférencee devra alors en réclamer l'exécution forcée. Le débiteur pouurra-t-il être condamné à addresser au créaancier une offfre préférentieelle de contrat définitif ? L'offre esst l'expressionn de la volontéé de conclure un contrat déterminé ; lorsqu'elle a été aadressée à unee personne déterminéée (et à suppooser qu'un seuul contrat puissse être conclu u), cela impliique nécessairrement la volo onté de ne pas contrracter avec d'aautres. Lorsquue le débiteur de l'obligatio on de préférennce adresse unne offre à un tiers, cela
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implique son refus de contracter avvec le créanciier. Or, la Cou ur de cassatioon a toujours fait prévaloirr la liberté ntracter - et n'aa jamais impoosé la conclusion forcée contractuuelle - dans soon aspect négaatif de liberté de ne pas con d'un conttrat lorsque l''une des partiies a manifessté sa volontéé de ne pas lee conclure avvec l'autre. Teelle fut la motivatioon des premierrs arrêts relatiifs aux sanctioons de l'inexéccution d'un paacte de préféreence. La Courr a censuré un arrêt qui, q après avoir annulé la vente v passée avvec un tiers au u mépris du pacte p de préférence, en avaiit ordonné l'exécutioon entre le déébiteur de la préférence ett son créancier : « Attenddu qu'en statuuant ainsi, alo ors qu'elle constataitt qu'au moment où Mme Auury (créancièree du pacte) av vait manifestéé sa volonté d''acquérir, Mmees Besnard et de Beccque (débitricees du pacte) avaient a déjà manifesté m leur volonté de nee pas lui venddre les parts so ociales qui faisaient l'objet de leurr engagement, la cour d'apppel a violé less dispositions du texte susvvisé (art. 1583 3 c. civ.) » (49). Cette C solutionn est donc fonndée sur l'abssence de conssentement au contrat définiitif, la formattion de ce consentem ment étant reendue impossiible par le reefus de contraacter manifestté par le débiiteur de l'obliigation de préférencce. C'est en 1989 1 (50) quu'apparaît le fondement f tiréé de l'article 1142 du code civil. c Dans unne affaire où le pacte de préférencce avait été coonclu entre deeux groupes d'associés d et devait d jouer enn cas de transsfert de la pro opriété des actions, les débiteurs avaient a contraacté avec un tiiers au mépriss des droits duu créancier dee la préférencee. Celui-ci d fond ont effectivement e ordonné la remise r au demandaiit à être subsstitué au tierss concurrent. Les juges du créancierr des ordres de d mouvementt des actions, en contreparrtie du paiemeent de leur prrix de vente, procédant ainsi, impplicitement, à l'annulation du d contrat connclu avec le tiiers et à l'exéccution forcée du pacte de préférence. p La cassattion est interveenue pour violation de l'artiicle 1142, alorrs que le demaandeur n'ayannt pas prouvé la l fraude à ses droitss, le contrat coonclu par le débiteur d avec le l tiers n'auraiit pas dû être annulé. La m motivation ne distinguait d pas claireement le probllème de la nuullité du contraat conclu avecc le tiers et ceelui de l'exécuution forcée du u pacte de préférencce : l'arrêt n'iimpliquait donnc pas nécessairement le refus d'exécuution forcée ssi une fraudee avait été constatéee, justifiant l'annnulation du contrat c concluu avec le tiers (51). Une récente affaire (52) ( a permis à la Cour de cassation de statuer précissément sur unne telle situation : après u par le débiiteur avec unn tiers, le crééancier de avoir obttenu l'annulattion du contrrat frauduleussement conclu l'obligatioon de préféreence réclamaitt sa substitutiion au tiers dans d le contraat (de vente) aannulé. Sensiibles, sans doute, auux intérêts écoonomiques enn présence, less juges du fon nd firent droiit à cette dem mande. La cassation est, cette foiss, intervenue uniquement sur le fondem ment de la viiolation de l'aarticle 1142 : l'exécution forcée de l'obligatioon de faire unne offre préférrentielle ne peeut être ordonn née en tant quue sanction dee la fraude aux x droits du créancierr (il reste à savvoir si le pactee de préférence subsiste à ceette première inexécution). Cette soluution, qui connstitue un nouvveau cas d'appplication de l'article 1142 du d code civil, conduit à unee réflexion sur le dom maine de ce teexte. La règle qu'il pose est traditionnelleement présentéée comme unee application de la distinctiion entre l'oblligation de donner (aau sens de trannsférer la proppriété), toujouurs susceptiblee d'exécution en e nature (553), et les oblig gations de faire ou de d ne pas fairee, dont l'exécuution forcée paaraît condamn née par la génnéralité des terrmes de l'article 1142 (54). Seloon une récentee thèse (55), ce texte ne viserait v pas, to outefois, à ôterr au juge le poouvoir de con ndamner le débiteur d'une telle obbligation à l'eexécuter en nature, n mais se s bornerait à écarter la vviolence comm me moyen u injonctionn de faire et c''est seulementt en cas de d'exécutioon forcée. Le juge pourrait ainsi adresserr au débiteur une refus d'obbtempérer qu'il le condamnnerait à des doommages et intérêts et nonn à exécuter een nature souss astreinte. D'une cerrtaine manièree, cette approcche est confirrmée par la ju urisprudence, qui, q de plus een plus audaciieusement, considèree que l'astreinnte n'atteint quu'indirectemennt la liberté du d débiteur, qui q garde la ppossibilité, au moins en théorie, de d refuser d'obbtempérer (556). Ainsi, less tribunaux asssurent l'exécuution forcée des d contrats portant sur dess services (557), soit direcctement en condamnant le débiteeur sous astrreinte, soit en e autorisant l'exécution par p un tiers (art. 1144). Selon la C de cassaation, l'articlee 1142 ne peut p trouver application qu'en cas jurisprudeence dominaante de la Cour d'inexécuution d'une « obligation perrsonnelle de faire f ou de nee pas faire » (58) dont laa doctrine a proposé p de préciser les l contours. Certains auteeurs considèrent que l'application de l'aarticle 1142 ddoit être limiitée « aux obligationns qui suppossent nécessaireement un fait personnel du u débiteur parcce qu'elles ontt été contractéées intuitu
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personae « (59). Ce critère paraitt toutefois troop large, car certaines c obligations de cee type sont su usceptibles n : tel esst le cas du baail à nourriturre, par exempple. Le doyen Carbonnier propose p de d'exécutioon forcée en nature définir l'oobligation perrsonnelle pluss précisémentt comme celle qui met en jeu des « quualités irréducctiblement personnellles du débiteuur » (60). Or, l'obliigation de néégocier impliqque une telle intervention éminemmentt personnelle du débiteur, justifiant l'applicatiion de l'articlee 1142 du codde civil. Si l'oon ne peut con ntraindre un arrtiste (61), uun enseignantt (62) ou un emplooyeur (63) à fournir la preestation promiise, on ne peu ut davantage forcer f quelqu'uun à négocier,, ni à faire une offree de contrat (64). La soluttion est techniquement irrééprochable : Sur le plan praatique, on peu ut regretter la limitattion de l'efficaacité économiique du pactee de préférencce. Mais on peut p aussi louuer cette solution, en ce qu'elle raappelle l'objectif de cet avant-contrat, a consistant à accroître less chances de conclusion du d contrat définitif, mais sans renndre sa conclusion certaine. L'article 1142 apparaîtt ainsi commee une règle dee sauvegarde des libertés inndividuelles, aappliqué ici à la liberté contractuuelle (65). L'exécution L foorcée est impoossible lorsqu u'elle se feraitt au prix de la violation d'une d telle liberté daans la personne du débiteur de l'obligationn inexécutée (66). Toutefoiss, l'interventioon personnellle du débiteuur n'est pas un u critère génnéral d'applicaation de l'artiicle 1142. Certainess décisions confèrent à ce teexte un domaaine élargi, en le présentant comme l'alteernative à l'exéécution en nature daans tous les caas où celle-ci serait impossible. Ainsi, paar exemple, laa Cour de casssation a pu dééclarer : « Mais atteendu que, suivvant l'article 1142 du code civil, c toute oblligation de faiire se résout een dommages et intérêts en cas d''inexécution de d la part duu débiteur ; que, q par une exacte e applicaation de ce texte, la cour d'appel a condamné Mme C., pouur le cas où ellle ne serait paas en mesure de d restituer en nature les meeubles revendiiqués, à en payer la valeur v actuellee à Mme F. ... » (67). L'article 1142 serait aiinsi le pendannt de l'article 1184 alinéa 2, 2 qui permet au créancier de forcer le débiteur à q l'exécution n en nature estt devenue imppossible (hors un cas de l'exécutioon « lorsqu'ellle est possiblee ». Dès lors que force majjeure), le créaancier peut deemander la réssolution du co ontrat et des dommages-int d térêts. Ce textte jouerait quelle quue soit l'originne de l'imposssibilité, qu'ellle soit matérielle, juridiquue ou morale.. On pourrait, en effet, considéreer que les obliigations dont l'objet l consiste dans une « prestation p à caaractère irréduuctiblement peersonnel » ne peuvennt être exécutéées en nature en raison d'unne impossibilitté morale. Ainsi, l'exxécution en naature des avannt-contrats relatifs à la négo ociation du contrat définitiff est toujours impossible ; tantôt pour des raisonns économiquues tenant à laa disparition de d la cause (auu sens de butt poursuivi), taantôt pour des raisoons juridiques (lorsqu'un tiiers de bonnee foi possède un droit qui paralyse l'exxécution du contrat) ou morales, tenant à la sauuvegarde de laa liberté contrractuelle du déébiteur. On peut se demanderr si pareil raissonnement esst encore tenaable en préseence d'avant-ccontrats qui réésolument poursuiveent l'objectif de d la conclusioon du contrat définitif. II. - Sancction des avantt-contrats relaatifs à la concllusion du conttrat définitif Les négociateurs peuveent tenter de rendre r probabble, voire mêm me certaine la conclusion duu contrat projeeté. Ils ont u avant-contrrat, la volontéé de conclure le contrat alors recoours à la techhnique juridiquue consistant à fixer, par un définitif. Selon qu'unee seule des parties, p ou touutes les partiees expriment pareille voloonté, l'avant-ccontrat est messe synallag gmatique » dee contrat déffinitif. L'aptitu ude des « dénomméé « promessee unilatérale » ou « prom promessees » à satisfaire l'objectif pooursuivi, consiistant à rendree certaine la coonclusion du ccontrat définittif, dépend des sanctions de leur innexécution. messes unilatérrales de contraat A. - Sancction des prom La promeesse unilatéralle est un contrrat par lequel une partie - lee promettant - présente unee offre de conttrat futur à l'autre - lee bénéficiaire - et s'engage à la maintenir pendant un certain c délai (« ( délai d'optioon ») (68). Cet C avantcontrat (69) présentee une utilité loorsque l'une des d parties au contrat futur est déjà déciddée à le conclure, alors
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que l'autrre ne l'est pas : grâce au déélai qui lui estt accordé, le bénéficiaire b a le temps d'exxaminer la posssibilité et l'opportunnité de l'opérration avant de d prendre une décision. Le L bénéficiairee conclut donnc la promesse dans un double buut : pouvoir reetarder sa déccision de concclure le contraat définitif, maais aussi être ssûr de pouvoir conclure ce contraat (70) s'il décide de « lever l'optionn ». Jusqu'à quel point laa promesse uunilatérale assure-t-elle effectivem ment au bénéfficiaire la certiitude de la connclusion du co ontrat définitif ? Lorsque le promettant retire son offre o de conttrat définitif avant l'expiraation du délaai d'option, peeut-il être fre au profit du bénéficiaire, ou engage-t-il seulemeent sa « resp ponsabilité condamné à « réitérer » cette offr mmages et intéérêts ? contractuuelle » (71), qui se traduirra par des dom La Cour de cassation (72) considère que le rettrait (73) dee l'offre avant la levée de ll'option réguliière (74) empêche la conclusionn du contrat définitif d avec le bénéficiairre. L'arrêt Le Fur F de 1996 (75) n'a pass remis en m seulementt réaffirmé quue le contrat dééfinitif se form mait par la levvée régulière de d l'option cause cettte solution, mais dans le délai d ; il s'agissait, dans cettte affaire, de vérifier v l'ordree chronologiqque des actes dde volonté, allors que le promettannt tentait d'antticiper la date de son retraitt de l'offre. Cette soluution est-elle aussi a odieuse que l'ont laisssé entendre ceertains auteurss ? La motivvation de l'arrêêt du 15 décembre 1993 mérite m d'être raappelée, « Maais attendu quee la cour d'ap ppel, ayant exactemeent retenu quee tant que les bénéficiaires b n n'avaient pas déclaré acquéérir, l'obligatioon de la prom mettante ne constituaiit qu'une obliigation de faiire et que la levée l d'option n, postérieure à la rétractattion de la pro omettante, excluait toute renconntre de volonntés réciproquues de vendrre et d'acquéérir, le moyeen n'est pas fondé ». ntrat définitif, le promettantt a manifesté sa s volonté La Cour se contente d'observer qu'een retirant sonn offre de con a le bénéfiiciaire. C'est donc d la référen nce implicite à la liberté conntractuelle, so ouci que la de ne pluus le conclure avec Haute jurridiction maniifeste en perm manence à proopos de la con nclusion de coontrats, qui mootive cette sollution. On pourrait objecter o qu'enn passant la prromesse unilattérale, le prom mettant a renonncé à sa libertté de ne pas conclure c le contrat dééfinitif avec le bénéficiairee (76). Mais il resterait allors l'argumennt tiré de l'artiicle 1142 du code c civil. La Cour de cassation ne n fonde pas expressément e sa solution su ur ce texte, coomme elle le ffait à propos des d pactes o l'autre de ces c avant-conttrats, l'obligatiion méconnuee est bien une obligation de préféreence. Qu'il s'aagisse de l'un ou de faire : adresser unee offre au crééancier de la préférence, p ou u maintenir l''offre au proffit du bénéficiiaire de la promessee unilatérale. Si la premièère d'entre ellles n'est pas susceptible d'exécution d foorcée en raiso on de son caractère « éminemment personnel », » la seconde ne n doit pas l'êttre davantage. Le refus de condamnner le prometttant à concluure le contratt définitif aveec le bénéficciaire a été critiqué en b d l'avantage en nature (coonclusion du contrat défin de nitif) qu'il opportuniité, en ce quu'il prive le bénéficiaire attendait de la promessse unilatérale. Mais la mêm me critique pou urrait être form mulée dans toous les cas d'aapplication p le créanncier de l'avanntage que préésente l'exécuttion en naturee ! Il est vrai que cette de l'articlle 1142, qui prive solution brouille b la frontière entre l'ooffre et la proomesse unilatéérale de contraat, en permettaant dans les deux d cas le retrait dee la volonté de d contracter (77). Elle signifie s qu'en n droit françaais le retrait dde l'offre non n acceptée empêche toujours la coonclusion du contrat c (78),, que l'offre see présente com mme un acte uunilatéral, ou qu'elle q soit l'objet d'uune obligationn contractuellle. Le droit frrançais diffèree sur ce pointt du droit alleemand (79), où l'offre acceptée ou l'option leevée dans le délai forme touujours le contrrat, permettannt ensuite d'obbtenir l'exécuttion forcée de celui-cci. En somm me, seule la coonclusion du contrat c définittif entraîne un ne renonciationn définitive à la liberté con ntractuelle. Jusque-làà, cette libertéé prime et peuut être exercée pour empêccher la concluusion du contrrat définitif. La L validité même dee pareille oblligation pourrrait être discuutée, en ce qu'elle q a pourr objet une reestriction à une u liberté fondamenntale (80). L'obligation L dee négocier ou de conclure un u contrat futuur est toutefois valable, maiis pourvue d'une forcce obligatoire atténuée, ne pouvant p donnner lieu à l'exéécution en natuure, mais seullement à des dommages d et intérêtss.
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Ainsi s'afffirme à nouveeau la place doominante du principe p de la liberté contraactuelle dans laa hiérarchie des d normes (81) ; dépourvu de valeur constiitutionnelle (82), il consttitue néanmoinns « ... au seens de l'articlee 34 de la Constituttion, un princippe fondamenttal du régime des d obligation ns civiles » et « principe génnéral du droit » (83). Les tenaants de la thhéorie économ mique du drooit proposent une autre approche a du principe de la liberté contractuuelle : selon euux, ce principee résumerait la règle selon laquelle l l'échaange volontairre permet de maximiser m les richessses (84). Enn privilégiant la liberté conttractuelle du promettant, p onn lui permet, éévidemment, de d tirer un meilleur parti p économiique de sa situuation... Loin de procurer p au crééancier la certtitude de la coonclusion du contrat c définitif, les avant-ccontrats ne lui accordent qu'un esppoir ... dont la déceptionn ne sera com mpensée que par une som mme d'argentt... Seule, la promesse synallagm matique de conntrat semble échapper é à cettte fragilité. B. - Sancction des prom messes synallaggmatiques de contrat
matique est unn contrat par lequel les parrties consentent à un contraat, tout en se référant à La promeesse synallagm une form malité supplém mentaire. Lorsqque le contratt envisagé estt consensuel, cette formalitté est conven nue par les parties quui doivent dééfinir son rôlle dans la forrmation du contrat c (par ex. acte autheentique dans une u vente d'immeubble) ; lorsqu'iil est solenneel ou réel, la formalité estt d'origine léggale et constiitue nécessairrement un élément essentiel e à la formation f du contrat. c Cette diffférence de quaalification de la formalité rejaillit évidem mment sur le régime r des sannctions de l'in nexécution de chacunne des deux caatégories de promesses. p 1. Sanctioon de la promesse synallagm matique de coontrat consensu uel « La prom messe de ventte vaut vente, lorsqu'il y a consentement c réciproque dees parties sur lla chose et le prix » : la règle posée par l'articlee 1589 du codde civil n'est qu'une q applicaation du princcipe du consennsualisme. La promesse omporte le consentement c d'un conntrat consensuuel « vaut » ce contrat, puisqu'elle co des parties, condition nécessairre et suffisantte à sa formattion. Ce princcipe n'est cep pendant pas d'ordre d public,, si bien qu'ill peut être écarté parr la volonté dees parties. a) Princippe légal Puisque pareille p promeesse « est » lee contrat définnitif, son inexéécution est traaitée comme ccelle d'un tel contrat. c La jurisprudeence appliquee constammennt cette consééquence, en faisant f droit aux a demandess d'exécution forcée en nature duu contrat définnitif auquel less parties ont coonsenti dans la promesse. Ainsi, less promesses synallagmatiqu s ues de vente (« compromiis de vente »)) peuvent êtree exécutées co omme des ventes : l'acquéreur l poourra être conndamné à payeer le prix et lee vendeur à liivrer les bienss (85). Sauff à prévoir une conddition suspensiive ou un term me, pareille prromesse transsfère évidemm ment la propriéété (86) et les l risques (87) à l'acheteur dèss sa conclusionn. Cette règle s'applique quelle q que soiit la nature - im mmobilière (88) ou mobillière (89) - ddes droits ven ndus, qu'ils portent suur un objet coorporel ou incorporel (90)). En cas de refus par l'unee des parties dd'exécuter une promesse synallagm matique de veente de droitss immobiliers,, le tribunal constatera c leuur accord sur la chose et lee prix (ou éventuellement sur les autres élémennts considéréss par elles com mme essentielss) et ordonnerra l'exécution forcée. Le f l'objet dee la publicatio on éventuellem ment nécessaiire à l'opposab bilité de le jugementt, acte authenttique, pourra faire vente auxx tiers (91). Moins abbondante à proopos de promeesses de contrrats autres quee la vente, la jurisprudence j e leur appliquee la même solution (92).
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Le princiipe du consennsualisme, malgré sa place importante daans notre droiit, il n'est pass, toutefois, im mpératif et peut soufffrir des déroggations convenntionnelles. b) Dérogaations convenntionnelles La Cour de d cassation admet a clairem ment que les paarties puissentt déroger à la règle r « promeesse de vente vaut v vente ». La juriisprudence connaît surtout des litiges proovenant du reffus de l'une dees parties de pparticiper à laa passation de l'acte authentique, auquel a se réfèèrent généraleement les « co ompromis de vente » d'imm meuble, ou dee fonds de commercce (la formalitéé envisagée consiste parfoiis dans la rédaaction de l'insttrumentum dééfinitif). Le ju uge doit en pareil cass vérifier si lee « compromiss » est une veente, ou un sim mple avant-coontrat précédaant la vente, qui q ne sera conclue que q lors de la passation p de l'acte authentiqque. La qualiffication reposee sur une doubble analyse dee la volonté dees parties. Touut d'abord, il cconvient de véérifier leur accord suur la chose et le prix, nécesssaire et, en principe, p suffissant pour quee le « comprom mis » soit unee vente en applicatioon de l'article 1589 du codde civil (93). Ensuite, il faut f définir le rôle qu'elles ont entendu attribuer a à l'acte authhentique (944). Or, les élém ments autres que q la chose et e le prix sontt présumés acccessoires à la formation de la vennte. Ainsi, la référence r à la passation d'uun acte authen ntique (95) est e présumée cconstituer unee modalité d'exécutioon de la ventee, d'ores et déjjà conclue parr l'accord « minimal m » sur la chose et le prix. Pareillee formalité peut deveenir un élémeent essentiel à la formationn du contrat de d vente, si les l parties exppriment claireement une volonté en e ce sens (96), en stipullant par exem mple : « Le prrésent comproomis est un coontrat prélimiinaire à la vente. Ceelle-ci ne sera formée que loors de la passaation de l'acte authentique.... ». Dans la pratique, les clauses sont rarement réddigées de maanière aussi claire. c On se contente gén néralement d'indiquer que « le présent contrat ne n prendra sonn effet définitiff que lors de la l passation dee l'acte authen ntique » (97), ou que q « l'acheteeur sera proprriétaire des bieens vendus à compter seuleement de l'actte authentiquee » (98), ou encoree que « l'efficcacité des préssentes est conditionnée par l'acte authenttique », etc. D Dans tous ces exemples, la clause établit une reelation entre l''acte authentiqque et les effeets de la ventee, et non la forrmation de ceelle-ci. Or, c soit déjà d formé. Paareilles clausess affectent envisagerr les effets d'uun contrat impplique nécessaairement que celui-ci donc d'unn terme suspeensif (99) l'un des effets de la vente, mais ne retaardent point ssa formation. Ainsi, les clauses précitées p sont impuissantes à déroger à la l règle « pro omesse de vennte vaut ventee » : au contrraire, elles entraînennt inévitablem ment l'applicatiion de cette règle r et l'exéccution forcée du d contrat définitif à la deemande de l'une des parties (1000). Cette solution, consééquence inéluuctable de l''article 1589,, conduit peeut-être à coonférer à la promesse synallagm matique une effficacité supérrieure à celle que q les contraactants en attendaient. En efffet, lors de laa passation du « com mpromis » les parties n'ont généralementt pas conscien nce de concluure une vente, mais un avan nt-contrat, devant êttre suivi de l'aacte authentiqque (ou plus généralement g d'un acte déffinitif) qui, daans leur espritt « vaudra vente ». Une dérogatiion au princippe fondamenttal du consen nsualisme mérrite cependannt davantage d'attention d mple clause de d style, ou unne clause dontt on n'a pas mesuré m la portéée. Rien d'étonnnant à ce quee les juges qu'une sim se montreent exigeants pour admettree une dérogatiion convention nnelle à la règgle « promessse de contrat consensuel c vaut ce contrat c » et quu'en cas de dooute ils appliquent cette rèègle, exprimannt un principee fondamentaal de notre droit des obligations. d expressément que lleur promessee « ne vaut Faut-il, alors, conseilleer aux rédacteeurs de « comppromis » de déclarer pas contrrat définitif » ? Une pareillee promesse sera distincte du u contrat définnitif et produiira les effets d'un d avantcontrat auutonome. Ellee comporte l'aaccord des parrties sur les éléments « légaalement essentiels » (par ex x. la chose et le prixx dans la veente) et génèrre l'obligationn de particip per à la passaation de la fformalité (parr ex. acte authentiqque), que les parties p ont ériggée en élémennt essentiel à laa formation duu contrat définnitif. En cas de d refus de l'une d'ellles d'exécuterr cette obligatiion spécifiquee, quelles sancctions pourronnt être envisagées ? L'autree partie ne pourra paas obtenir l'exxécution forcée du contratt définitif, pu uisque, par hyypothèse, celuui-ci n'a pas encore e été conclu. Pourra-t-elle P rééclamer l'exéccution forcée de d l'obligation n d'avoir à parrticiper à l'actte authentique (ou à une autre form malité convenntionnellementt prévue) ? Cuurieusement, la l Cour de casssation n'a pas été appelée à trancher cette queestion (101),, probablemennt en raison de d la généraliité de l'appliccation de l'artticle 1589 dan ns les cas
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douteux. Si le problèm me lui était possé, il est fort à parier qu'ellee considérera qu'il s'agit d'uune obligation n de faire à l parties caractère éminemmentt personnel doont l'article 11142 interdit l'eexécution forccée en nature. En effet, si les s'engagennt à « réitérerr leur consenttement » devaant un notairee, il n'est plus possible d'addmettre qu'un jugement tienne lieeu d'acte autheentique. Cette soluution rejoindrrait celle applliquée aux proomesses synaallagmatiques de contrats nnon-consensueels. Or, en stipulant que leur prom messe de conntrat « ne vauut pas » contrrat définitif malgré m leur coonsentement, les l parties érigent ceelui-ci en conttrat non conseensuel. 2. Sanctioon de la promesse synallagm matique de coontrat non consensuel La formaation des conttrats non connsensuels néceessite le conssentement dess parties sur lles éléments essentiels, complété par un acte prévu p par la loi : remise de la l chose pour les contrat réeels (102) ouu accomplissem ment de la formalité légale pour lees contrats sollennels (1033). La promeesse synallaggmatique d'unn tel contrat ne n « vaut » jamais j contraat définitif. Elle réalise, en n effet, le consentem ment, qui dem meure un élém ment nécessairee, mais n'est plus p suffisant à la formationn de ces contrrats. Ainsi, la promesse de prêt nee « vaut » paas prêt ; la prromesse d'hyp pothèque ne « vaut » pas hhypothèque (104) ; la d mariage ne n « vaut » pas p contrat de d mariage, etc. e Dans tous les cas, la promesse promessee de contrat de synallagm matique de contrat c non consensuel c esst un avant-ccontrat distinct du contraat définitif. Ce C contrat préliminaaire contient le l consentemeent des parties sur les élém ments essentieels du contrat définitif et crée c à leur charge l'oobligation d'acccomplir la formalité légalee nécessaire à la formation de d ce contrat. En cas dee refus d'exécuuter cette obliigation, son crréancier ne peeut réclamer l'eexécution du contrat définitif, qui n'a pas, par hypothèse, h étéé formé. L'autrre partie peut--elle du moinss exiger l'exéccution forcée dde l'obligation n née de la promessee d'avoir à acccomplir l'acte légalement néécessaire à la formation duu contrat définnitif ? Par exeemple, une partie à une u promesse synallagmatiqque d'hypothèque peut-elle exiger de l'auutre qu'elle parrticipe à la paassation de l'acte notaarié nécessairre à la formatiion du contrat d'hypothèquee ? Dans une promesse p synallagmatique de prêt, le futur empprunteur peut--il obtenir la condamnation c n du futur prêtteur à lui remeettre la chose devant être prêtée p ? La jurisprudeence refuse pareille soluution (105), dissociant ainsi clairemeent le contratt définitif dee l'accord préliminaaire. Les obliggations nées de d celui-ci ne sont pas susceptibles d'exéécution forcéee en nature : condamner c une partiee à accomplir l'acte ou la foormalité imposée par la loi pour la formaation du contraat définitif rev viendrait à la forcer à conclure ce contrat, soluttion qui n'a jam mais été admiise par la Couur de cassationn, attachée au respect de la liberté contractuelle.. messe synallaggmatique est un u avant-conttrat distinct duu contrat défiinitif, que ce soit s par la Ainsi, lorrsqu'une prom volonté des d parties ou celle c du législlateur, elle estt insusceptiblee d'exécution forcée f en natuure. L'étude des d sanctions des d avant-contrats confirmee qu'ils sont bien créateurs d'obligations de nature con ntractuelle, conférantt au créancierr le droit à l'exécution parr équivalent de d l'obligationn consentie ppar le débiteu ur. Le rôle fondamenntal de la voloonté dans la crréation d'obliggations est ainsi confirmé (106). Toutefoiss, si la pleine force obligatoire du contraat consiste daans la faculté d'obtenir l'exéécution en nature, alors les avant-contrats ne sont s dotés quue d'un effet obligatoire o attténué, puisqu''aucun d'eux nn'est assorti de d pareille sanction. Ainsi, à la différence d dess jurisprudencces britanniqu ue (107) et américaine (108), le droiit français m leur refuse l'exécutionn en nature. admet la nature contracctuelle des avaant-contrats, mais j el s'explique par p des considdérations objecctives venant limiter l'effett attendu d'un accord de Le refus jurisprudentie volontés valable. L'ineexécution de certains avannt-contrats pro ovoque en efffet inévitableement la défaaillance de l'objectif économique poursuivi p (1109), rendant sans intérêt un ne demande d'exécution d enn nature. Dans les autres cas, c'estt la considérration de l'obbjet de l'obliggation inexéccutée qui connduit à en liimiter l'efficaacité. Une renonciattion volontairre à la libertéé de contracteer est considéérée comme valable, v mais ne produit qu'un q effet juridique atténué, carr son exécutiion forcée coonduirait à exercer e sur lee débiteur unne violence qui q parait ductif de norm mes bilatéraless, c'est-à-dire liant deux inacceptaable. Même sii l'on voit danns le contrat « un acte prod
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centres d'intérêt » (110), on doit aussi a tenir com mpte des norm mes extérieuress (111). Danns la solution du conflit d débiteur-liiberté de ne pas p contracterr - est affirméée comme généré paar l'inexécutioon, la liberté individuelle du norme suupérieure aux intérêts i du crééancier. Cette anaalyse confirmee, ainsi, que le l contrat ne peut être défi fini exclusivem ment par sa pprocédure de formation, f mais doitt l'être égalem ment en considéérant l'obligattion qu'il engeendre et qui enn est un élémennt spécifique (112). Cette connception, baséée sur l'analysee du droit possitif et qui a lee mérite du réaalisme, peut êêtre intégrée à la théorie générale du contrat, enn tant que conciliation des approches a volontariste et poositiviste (113), entretenaant ainsi le mythe rasssurant du Drooit comme sysstème ordonnéé
Documeent 4 Louis Booyers, Relativiité du lien con ntractuel in Contrats C et con nventions, Aooût 1993 (actu ualisation : avril a 2015, n°316 et s Section 1 - Relativité du lien obligaatoire 283. La détermination d des personnees au regard desquelles d le contrat c produuit effet paraîît au premier abord fort simple ; elle e est cependdant longtempps restée obsccurcie en raiso on de la diverssité des situattions dans lesq quelles les tiers peuvvent se trouvver à l'égard des d parties ellles-mêmes (A Aussel, Essai sur la notionn de tiers en droit civil de l'opposabiilité « erga français, thèse, Montpeellier, 1953) et e par une disssociation insu uffisante des conséquences c omnes » et de l'effet obbligatoire au sens s strict. S'aagissant de ceelui-ci, il faut préciser p qu'il concerne seullement les droits et obligations o quue le contrat fait naître ou transmet. S'ag gissant des peersonnes affecctées par ces derniers, d il faut distinnguer entre ceeux qui ont diirectement parrticipé à la co onvention origginaire (V. inffra, no 284 et s.) s et ceux qui, en raaison d'un acte ou d'un fait juridique ultérieur, u ont pu p devenir les ayants causse des parties (V. infra, no 288 et s.). Actualisaation
Art. 1 - Situation S des parties « Stricto sensu » 284. Seulles les parties au contrat sont liées par l'effet l de celu ui-ci. Encore faut-il f rappeleer que les perssonnes qui ont particcipé effectivem ment à la form mation du conttrat ne sont pas p toujours ceelles qui se troouvent obligéees ; s'il y a représenttation, c'est le représenté quui est obligé ett non le représsentant (V. Reeprésentation).. 285. A cette solution de principe,, l'article 1165 prévoit lui-même une exxception lorsqqu'il se réfère à l'article 1121 du code civil, texte qui préévoit, sous certaines cond ditions, la vaalidité de la stipulation po our autrui p largemen nt admise qu'eelle ne peut noormalement qu ue profiter (V. Stipuulation pour auutrui). Celle-ci est d'autant plus à son bénéficiaire ; auussi, la jurispprudence a-t-eelle très largeement utilisé la notion de stipulation taacite pour a - le nombre dee ceux pouvaant se prévaloiir d'un contraat ; l'exemple du augmenteer - souvent abusivement contrat de d transport est classique,, mais il est beaucoup d'aautres hypothhèses telles quue le contrat de transfusioon sanguine (C Civ. 2e, 17 décc. 1954, D. 19955.269, note R. Rodière) ou o celui intervvenant entre un u vendeur de timbrees de collectioon et un expertt en philatélie (Paris, 18 juin n 1957, J. C. p. p 1957. II. 100134, note R. Lindon). L 286. Au contraire, c la prromesse pour autrui est striictement interd dite (art. 11199) et si l'articlee 1120 semblee tempérer cette excclusive lorsquue déclarant : « Néanmoinns, on peut see porter fort pour un tierrs… » l'atténu uation est purementt apparente ; par p le fait de la promesse dee porte-fort, seul le prometttant est personnnellement en ngagé et le tiers ne le l sera que paar sa ratification éventuellee, celle-ci le faisant alors devenir, en qquelque sorte,, partie au contrat originaire o (V. Porte-fort). Il faut enfin signaler que certaines convventions collecctives peuven nt avoir un effet obligatoire qui déépasse le cerclle des représenntés au momeent de l'accordd intervenu (V V. Convention collective et supra, no 101). Maiss cette extensiion résultant soit s d'adhésion ns volontaires, soit d'une diisposition régllementaire d contrat ou légale, il n'y a pas làà de véritable dérogation auu principe de l'effet relatif du
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287. On peut enfin observer que dans certains cas, le jeu d'autres théories juridiques vient en quelque sorte occulter le principe de la relativité et ce en particulier dans l'intérêt du crédit public et de la bonne administration des biens (Weill et Terré, op. cit., no 521) : une personne peut en effet être considérée comme partie à un acte auquel elle est demeurée étrangère et obligée par cet acte : tel est le cas lorsque joue la théorie de l'apparence (V. Mandat), tel est encore le cas pour le propriétaire sous condition suspensive : il peut être lié par les actes d'administration d'un tiers possesseur du bien avant la réalisation de la condition.
Art. 2 - Situation des ayants cause 288. Il s'agit ici de l'hypothèse où, postérieurement au contrat intervenu, des tiers succèdent en tout ou partie à la situation qui était celle de l'un des cocontractants. Dans quelle mesure ces tiers que l'on appelle ayants cause (V. Ayant cause), peuvent-ils exercer les droits ou doivent-ils assumer les obligations qui procèdent du contrat de leur auteur ? Le problème ainsi posé suppose qu'il s'agisse de contrats encore en cours et d'exécution continue ou successive. Au cas contraire, en effet, l'incidence du contrat à l'égard de l'ayant cause ne se situe qu'au plan de l'opposabilité de la situation nouvelle ; ainsi, notamment, pour les contrats créateurs ou translatifs de droits réels dont l'exécution est sur ce point instantanée. 289. Étant ainsi précisé qu'il ne peut s'agir, en l'espèce, que de contrats dont l'effet obligatoire n'est pas encore épuisé, la réponse à la question appelle une distinction selon qu'il s'agit d'ayants cause universels (V. infra, no 290) ou d'ayants cause à titre particulier (V. infra, no 291 et s.). § 1 - Ayants cause universels 290. Les ayants cause universels ou à titre universel (héritiers, légataires universels ou à titre universel) succèdent au patrimoine même de leur auteur et donc aux dettes aussi bien qu'aux droits de celui-ci ; les contrats conclus par le défunt leur profitent et les obligent. Il en va autrement, cependant, lorsque les parties ont exclu cette transmissibilité à cause de mort (art. 1122) ou lorsque cette exclusion résulte du caractère d'intuitu personae s'attachant à la prestation promise (engagement d'un peintre en renom d'effectuer le portrait de son client). La détermination des engagements intransmissibles peut d'ailleurs être délicate : il a été jugé, par exemple, que celui de ne pas se réinstaller, contracté par un vétérinaire, ne s'imposait pas à son fils et héritier, lui-même vétérinaire (Poitiers, 8 nov. 1949, Gaz. Pal. 1950.1.105), mais il est, par contre, admis que la clause de non-rétablissement stipulée dans l'acte de vente d'un fonds de commerce s'impose au fils héritier non renonçant du vendeur (Com. 16 mars 1954, D. 1954.474). § 2 - Ayants cause à titre particulier 291. Les ayants cause à titre particulier sont ceux qui succèdent seulement à un bien ou à un droit déterminé de leur auteur : ainsi l'acheteur d'un immeuble ou le légataire particulier. Le problème de l'effet obligatoire des contrats en cours à leur égard ne peut se poser qu'autant qu'il s'agit de contrats concernant ce droit ou ce bien et concrètement dans les termes que voici. Dans la mesure où un contrat est générateur de créances et de dettes, l'ayant cause peut-il, aux lieu et place de son auteur, exercer contre l'autre partie les créances nées du contrat ? Et inversement, cette autre partie peut-elle le poursuivre en paiement de ce qui incombait initialement à cet auteur ? 292. Doctrine et jurisprudence sont cependant en faveur de solutions moins rigides (V. J. Lepargneur, De l'effet à l'égard de l'ayant cause à titre particulier des contrats générateurs d'obligations relatifs au bien transmis, Rev. trim. dr. civ. 1924.481 ; J.-H. Garreau de La Méchenie, La vocation de l'ayant cause à titre particulier aux droits et obligations de son auteur, ibid. 1944.219 ; Mazeaud et Chabas, op. cit., no 752 et s. ; Marty et Raynaud, op. cit., no 239 et s. ; Flour et Aubert, Les obligations, no 446 et s. ; Weill et Terré, op. cit., no 510 et s. ; Malaurie et Aynès, Les obligations, no 660 et s.). Maints motifs tant économiques que pratiques sont invoqués dans ce sens mais le droit positif reste complexe et la jurisprudence est parfois peu cohérente, tiraillée qu'elle est entre d'une part ces exigences et d'autre part la logique inhérente au principe même de la relativité. Sous réserve de très nombreuses nuances, on exposera d'abord les solutions qu'on peut dire analytiques relatives à l'effet obligatoire d'un droit ou d'une dette au profit ou à la charge de l'ayant cause à titre particulier, pour examiner ensuite dans une autre approche plus globale, le jeu de la relativité en présence d'un ensemble contractuel. A. - Créances bénéficiant à l'ayant cause
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293. Il en est ainsi lorsque la créance a un caractère accessoire par rapport au bien transmis, c'est-à-dire qu'elle en est pratiquement indissociable. Pour exprimer cet étroit rapport, on indique tantôt que cette créance est née intuitu rei, tantôt qu'elle ne présente pratiquement d'intérêt que pour le titulaire du bien transmis, tantôt enfin qu'il y avait eu une stipulation pour autrui tacite au profit des acquéreurs successifs du bien. 294. Concrètement, c'est par référence à ces idées. - d'ailleurs en partie connexes - que les tribunaux admettent aisément la transmission ipso facto de nombreux droits et actions à l'ayant cause à titre particulier acquéreur d'un bien : tel est le cas pour l'action en garantie des vices cachés (Ass. plén. 7 févr. 1986, 2 arrêts, D. 1986.293, note A. Bénabent, J. C. p. 1986. II. 20616, note P. Malinvaud, Rev. trim. dr. civ. 1986.605, obs. P. Rémy), pour l'obligation de délivrance (Civ. 1re, 9 mars 1983, Bull. civ. I, no 92, Rev. trim. dr. civ. 1983.753, obs. P. Rémy), pour l'obligation de non-concurrence en cas de cessions successives d'un fonds de commerce (Req. 18 mai 1868, D. p. 69.1.366 ; Lyon, 18 déc. 1952, D. 1953.241), pour l'obligation de renseignement et de conseil (CollartDutilleul et Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 1991, no 219)… et la transmission a été pareillement admise s'agissant des actions en responsabilité dont le vendeur pouvait bénéficier vis-à-vis d'un architecte ou d'un entrepreneur (Civ. 3e, 23 mars 1968, D. 1970.663, note P. Jestaz, Rép. Defrénois 1971, art. 29787, no 9, obs. J.-L. Aubert), solution d'ailleurs reprise par la loi no 78-12 du 4 janvier 1978 (D. 1978.74) ; l'article 1646-1, alinéa 2 du code civil (et l'art. L. 261-6 c. constr. et hab.) précisant en outre que les garanties dont est tenu le vendeur d'un immeuble à construire « bénéficient aux propriétaires successifs de l'immeuble ». S'agissant enfin de l'action en résolution de marchés concernant le bien transmis, il a été jugé qu'une coupe de bois ayant été cédée à un exploitant forestier, l'acquéreur du fonds pouvait agir en résolution contre ledit forestier, faute pour ce dernier de ne pas avoir retiré le bois dans le délai stipulé (Req. 3 nov. 1932, D. H. 1932.570). 295. Encore faut-il que le lien entre le bien transmis et la créance soit suffisamment étroit pour qu'on puisse la dire accessoire. Au cas contraire, celui où elle est simplement relative à ce bien, il n'y a pas de transmission de plein droit à l'ayant cause : ainsi a-t-il été jugé que l'acquéreur d'un bien loué ne peut normalement agir en résolution du bail contre un locataire pour des manquements de celui-ci antérieurs à la vente (Soc. 16 mai 1958, D. 1958.464, Rev. trim. dr. civ. 1958.421, obs. J. Carbonnier ; adde : A. Choteau, A propos du refus à l'acquéreur de l'action en résiliation du bail pour manquements antérieurs du preneur, D. 1959, Chron. 271 ; même solution pour l'action en réparation que le bailleur peut avoir contre un locataire : Civ. 1re, 13 janv. 1964, Gaz. Pal. 1964. I. 274 ; Civ. 3e, 25 janv. 1983, Bull. civ. III, no 26). De la même façon, pour si relatives qu'elles puissent être au regard du fonds de commerce cédé, les créances nées au profit d'un vendeur d'un fonds de commerce antérieurement à la cession ne bénéficient pas de plein droit à l'acquéreur (Req. 3 sept. 1940, D. A. 1941.37 ; Aix, 22 mars 1955, D. 1956. Somm. 38). On soulignera la difficulté qu'il y a à définir de façon précise la frontière entre une créance accessoire et une créance simplement relative (Mazeaud et Chabas, op. cit., no 754). B. - Obligations devant être assumées par l'ayant cause 296. S'agissant des obligations nées d'un contrat et relatives à un bien, elles ne sont pas, en principe, transmises de plein droit à son cessionnaire, le cédant étant corrélativement libéré. La jurisprudence demeure très ferme sur ce point (Civ. 15 janv. 1918, D. p. 1918.1.17 ; Req. 2 sept. 1940, J. C. p. 1941. II. 1557, note J. Becqué) et cette solution demeure l'obstacle majeur à la libre cessibilité des contrats. Aussi a-t-il été jugé que l'acquéreur d'une boucherie n'était pas tenu d'exécuter un engagement de son vendeur par lequel celui-ci s'engageait vis-à-vis de ses concurrents à ne pas ouvrir le dimanche (Dijon, 15 janv. 1908, D. p. 1911.2.128) et que l'acheteur d'un immeuble n'était pas obligé de payer la somme promise par son vendeur pour l'acquisition d'une mitoyenneté (Civ. 3e, 7 janv. 1971, Gaz. Pal. 1971.1.219). Ce n'est que de façon très limitée et par des voies détournées qu'on arrive à assujettir l'ayant cause à l'obligation de son auteur. 297. Ainsi, tout d'abord, lorsqu'on peut relever de sa part une acceptation implicite d'assumer l'obligation relative au bien transmis (V. pour un contrat dit « de bière » : Colmar, 20 oct. 1936, Gaz. Pal. 1936.2.882). 298. De cette hypothèse, on peut rapprocher celle où l'ayant cause se voit reconnaître contre le cocontractant de son auteur le droit d'exercer une créance composante d'une relation synallagmatique. En pareil cas, on s'accorde à reconnaître que, en raison de l'interdépendance existant entre les composantes de ladite relation, il ne peut exercer son droit sans assumer l'obligation qui en est la contrepartie (Weill et Terré, op. cit., no 517 ; Flour et Aubert, Obligations, no 449). Tel est, en particulier, le cas chaque fois qu'en raison d'une disposition légale un
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tiers succède aux droits d'une des parties (V., par ex., C. civ., art. 1743, al. ler), mais la solution vaut également pour le cas où ce tiers bénéficie d'une créance contre le cocontractant de son auteur par le fait d'une stipulation pour autrui. On remarquera seulement que l'obligation de l'ayant cause résulte ici, en définitive, de l'option par lui exercée et que l'exercice de cette option ne libère pas nécessairement son auteur (Civ. 1re, 14 déc. 1982, D. 1983.416, note L. Aynès). 299. D'autre fois, les tribunaux assimilent l'obligation relative au bien transmis à une charge réelle qui, parce que liée à ce bien ainsi qu'une servitude, oblige un acquéreur à l'assumer aux lieu et place de son auteur (Hansenne, De l'obligation réelle accessoire à l'obligation réelle principale, Mélanges A. Weill, 1983, p. 325) ; ainsi a-t-on pu juger que la clause par laquelle l'acquéreur d'un fonds de commerce s'engage à l'égard de son vendeur à ne pas vendre certains articles constituait une restriction à l'activité commerciale ayant le caractère d'un « droit réel mobilier » et s'imposant à ce titre aux sous-acquéreurs successifs (Rouen, 28 nov. 1925, D. p. 1927.2.172, note J. Lepargneur, S. 1925.2.125, note H.R.) ; ainsi encore l'acquéreur d'un terrain s'est vu obligé de respecter l'engagement de son auteur de ne pas réclamer d'indemnité pour les dommages causés par l'exploitation d'une mine, cet engagement étant analysé en une restriction du droit de propriété (Civ. 12 déc. 1899, D. p. 1900.1.361, S. 1901.1.497, note A. Tissier). Actualisation C. - Effet obligatoire et ensemble contractuel 300. Dans le cadre de la prise en considération des ensembles de contrats (Sur ceux-ci et sur leur diversité, V. supra, no 105), s'est manifestée une approche toute nouvelle quant à la portée à donner au principe de la relativité. Ne convient-il pas, en effet, d'admettre que, par une sorte de rayonnement du contrat principal, existent des relations de caractère contractuel entre toutes les parties à l'ensemble, même si elles n'ont pas contracté directement ? La réponse jurisprudentielle opère à cet égard une distinction. 301. a) S'agissant des chaînes de contrats ou d'une façon plus précise des contrats successifs comportant le transfert d'un même bien, de nombreux arrêts admettent qu'il y a une relation contractuelle entre les différentes parties de l'ensemble (Ass. plén., 7 févr. 1986, J. C. p. 1986. II. 20616, note P. Malinvaud, Rev. trim. dr. civ. 1986.364, obs. J. Huet, 594, obs. J. Mestre, 605, obs. P. Rémy ; Civ. 3e, 7 mars 1990, D. 1990, I. R. 88 , Rev. trim. dr. civ. 1990.288, obs. P. Jourdain). 302. b) S'agissant par contre de sous-contrats ou mieux d'un ensemble contractuel ne comportant pas de transfert de biens, la jurisprudence a été longtemps partagée, la première chambre civile admettant ici encore la relation contractuelle (Civ. 1re, 8 mars 1988, Rev. trim. dr. civ. 1988.551, obs. P. Rémy, 741, obs. J. Mestre, 761 et s., obs. P. Jourdain ; 21 juin 1988, D. 1989.5, note C. Larroumet, J. C. p. 1988. II. 21125, note P. Jourdain), cependant que d'autres formations de la Cour suprême étaient d'un avis contraire (Civ. 3e, 22 juin 1988, J. C. p. 1988. II. 21125, note P. Jourdain ; Com. 30 oct. 1989, Rev. trim. dr. civ. 1990.290, obs. P. Jourdain ; 4 juin 1991, Bull. civ. IV, no 20). C'est cette dernière position qu'a confirmé l'Assemblée plénière dans son important arrêt du 12 juillet 1991 (D. 1991.549, note J. Ghestin , J. C. p. 1991. II. 21743, note G. Viney, Rev. jurispr. dr. aff. no 711, concl. R. Mourier, rap. P. Leclercq, Rev. trim. dr. civ. 1991.750, obs. P. Jourdain). S'agissant d'une action en responsabilité dirigée par un maître d'ouvrage contre un sous-traitant, l'arrêt refuse, en effet, à ce dernier, la possibilité d'opposer les exceptions qu'aurait pu opposer l'entrepreneur principal lui-même - et plus particulièrement une forclusion. - en rappelant que « les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes » et que « le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage ». 303. Il est sans doute trop tôt pour savoir si les arrêts précités de l'Assemblée plénière (V. supra, no 302) constituent un définitif partage entre les cas où existe dans un groupe de contrats une relation contractuelle généralisée et ceux où cette relation fait défaut. On notera seulement que la distinction actuellement faite ne va pas sans inconvénient (P. Jourdain, obs. Rev. trim. dr. civ. 1991.751 ; G. Viney, L'action en responsabilité entre participants à une chaîne de contrats, Mélanges Holleaux, p. 308 et s.) et que la référence générale à l'article 1165 du code civil recouvre en général deux problèmes plus précis : celui théorique de la nature contractuelle ou délictuelle de la responsabilité encourue, celui plus précis de l'opposabilité par ou à un ayant cause, des exceptions définies dans ou pour le cercle fermé d'un contrat. Peut-être de nouvelles réflexions tant sur le caractère unitaire ou dualiste de notre régime de la responsabilité civile que sur les conditions d'opposabilité de ce qui naît d'un contrat amèneront-elles une construction plus cohérente. En l'état présent, il demeure que l'action contractuelle n'est transmise à l'ayant cause que dans un groupe de contrats
translatifs de propriété
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(P. Jourdain, obs. préc.). De ce point de vue, la solution procède beaucoup plus de la théorie de l'accessoire déjà rencontrée (V. supra, no 295 et 299) que d'une véritable exception au principe de relativité de l'effet obligatoire des contrats (Adde : C. Jamin, Une restauration de l'effet relatif du contrat…, D. 1991, Chron. 257 ; C. Larroumet, L'effet relatif des contratset la négation de l'existence d'une action en responsabilité nécessairement contractuelle dans les ensembles contractuels, J. C. p. 1991. I. 3531). Section 2 - Opposabilité du contrat 304. Le principe de l'opposabilité erga omnes du contrat est le complément du principe de la relativité (J. Duclos, L'opposabilité, essai d'une théorie générale, 1984, L.G.D.J.). Encore faut-il bien s'entendre sur son contenu. Il stipule que le contrat lui-même, comme la situation par lui créée, constitue un fait dont chacun peut et doit tenir compte, soit pour en tirer argument (Civ. 3e, 21 mars 1972, Bull. civ. III, no 193), soit, tout au contraire, pour limiter son activité. Mais faut-il aller plus loin et parler d'une opposabilité des effets obligatoires (Malaurie et Aynès, Les obligations, no 655) pour permettre à tout tiers y ayant intérêt d'exiger l'exécution d'un contrat ? Ce serait renier l'article 1165 du code civil et le principe de la liberté qui le sous-tend. Aussi, sont-ce seulement des aménagements sensibles mais limités, tenant compte de la situation particulière de certains tiers, qui ont été, comme on l'a vu (V. supra, no 291 et s.), admis par notre droit positif quant à la relativitételle que précédemment définie. Art. 1 - Opposabilité aux tiers 305. Ses manifestations sont extrêmement diverses (V. infra, no 306 et s.), mais elle est normalement soumise à certaines conditions (V. infra, no 310 et s.). § 1 - Manifestations de l'opposabilité aux tiers 306. a) D'une façon générale, le contrat peut d'abord être invoqué contre un tiers dans la mesure où il constitue un titre, ainsi comme présomption dans un litige concernant la preuve du droit de propriété (Civ. 3e, 5 mai 1982, Bull. civ. III, no 116, D. 1983, I. R. 17, obs. A. Robert ; 12 déc. 1979, D. 1980, I. R. 207 ; Mazeaud et Chabas, op. cit., no 762) ; ainsi encore comme juste titre permettant l'usucapion abrégée (Marty et Raynaud, op. cit., no 245), en tant que juste cause permettant de résister à l'action de in rem verso (Req. 22 févr. 1939, 2e esp., D. p. 1940.1.5, note G. Ripert, Gaz. Pal. 1939.1.779). La Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que si les conventions ne peuvent normalement obliger que les parties, les juges n'en peuvent pas moins rechercher dans des actes étrangers a l'une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer leur décision (Com. 8 mai 1972, Rép. Defrénois 1972, art. 30197, no 59, obs. J.-L. Aubert) et considérer les stipulations d'un contrat comme créant une situation opposable aux tiers (Civ. 3e, 21 mars 1972, Bull. civ. III, no 193 ; adde : Weill et Terré, op. cit., no 518). 307. b) Cette opposabilité erga omnes de la situation créée par le contrat s'affirme ensuite au niveau des droits réels : ceux résultant d'un contrat sont opposables à tous. Ainsi, l'acquéreur d'un bien bénéficie-t-il d'une extension des droits de son auteur sur ce bien (un rachat de servitude, par ex.) sans qu'il y ait lieu de voir là un tempérament à la relativité de l'effet obligatoire. Sous réserve de certaines formalités de publicité, l'opposabilité est d'ailleurs indispensable pour assurer l'efficacité des transmissions et plus généralement du commerce juridique. Elle est tout autant indispensable, tant pour définir le contenu exact des droits acquis par un ayant cause que pour assurer le règlement de conflits éventuels entre ayants cause successifs de même auteur. L'opposabilité - tout au moins dans certains cas - de la clause d'exclusivité pour légitimer un refus de vente (Crim. 11 juill. 1962, D. 1962.497, rapp. Costa, S. 1962.219, note J. Robert, J. C. p. 1962. II. 12799, Gaz. Pal. 1962.2.132 ; adde : A. Chavanne, note sous Paris, 22 juin 1960, J. C. p. 1960. II 11857) témoigne encore de la permanence et de la généralité de cette fonction. 308. c) C'est encore en raison de l'opposabilité du contrat que la responsabilité d'un tiers peut être engagée lorsqu'il s'est rendu complice de son inexécution : ainsi, quand celui-ci s'est rendu complice de la violation d'une obligation contractuelle (Com. 11 oct. 1971, D. 1972.120 ; 13 mars 1979, D. 1980.1, note Y. Serra), le directeur d'un théâtre qui engage une artiste liée à un autre théâtre peut être condamné à indemnité au même titre que l'artiste qui a rompu son engagement (Req. 2 juin 1930, préc. ; 7 oct. 1958, D. 1958.763, Rev. trim. dr. civ. 1959.104, obs. H. et L. Mazeaud) et le code du travail (Liv. I, art. 23 a) a consacré cette jurisprudence ; ainsi, encore, lorsqu'un tiers se rend complice de la violation d'une promesse de vente (Civ. 1re, 17 juill. 1956, Bull. civ. I, no 318 ; 23 oct. 1957, D. 1957.729, Rev. trim. dr. civ. 1958.74, obs. H. et L. Mazeaud ; Civ. 3e, 8 juill. 1975, Gaz. Pal. 1975.2.781). Dans de tels cas la responsabilité encourue par le tiers est une responsabilité délictuelle car il n'est pas partie au contrat (Adde, sur cette question : P. Hugueney, La responsabilité du tiers complice de la violation d'une obligation contractuelle, thèse, Paris, 1910 ; B. Starck, Des contrats conclus en
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violation des droits contractuels d'autrui, J. C. p. 1954. I. 1180 ; adde : pour la condamnation in solidum de la partie contractuellement responsable et du tiers complice au plan délictuel, V. Civ. 1re, 16 juill. 1970, Bull. civ. I, no 241). Actualisation 309. d) II faut enfin signaler que, dans certains cas tout au moins, l'opposabilité est susceptible d'avoir un effet particulier : celui de modifier une obligation existant déjà à la charge d'un tiers ; ainsi, lorsque les obligations d'un tiers sont subordonnées à celles d'une partie au contrat ; tel est le cas pour les cautions, garants et civilement responsables. Sans doute, cette incidence peut-elle être dangereuse ; aussi sera-t-elle très rare, le débiteur principal ne pouvant normalement augmenter l'engagement de la caution postérieurement à l'engagement de celle-ci (Planiol et Ripert, t. 11, par Becqué, no 1534), les assureurs de responsabilité stipulant presque toujours qu'une transaction intervenue en dehors d'eux ne leur serait pas opposable, etc. ; elle peut, pourtant, se manifester au cas de cautionnement illimité (Planiol et Ripert, t. 11, no 1531) ou, si, fait exceptionnel, une transaction venait à être passée par un assuré de bonne foi, en l'absence de toute clause prohibitive (Pour une hypothèse de cet ordre dans laquelle une transaction est opposée à un garant comme fixant le montant du préjudice, V. Civ. 25 juill. 1866, D. p. 66.1.309 ; adde : Transaction). § 2 - Conditions de l'opposabilité aux tiers 310. Si l'opposabilité est la règle, du moins est-elle soumise à certaines conditions : a) D'une façon générale, elle suppose, en premier lieu, que soit effectivement prouvée l'existence des contrats dont on veut se prévaloir ; aussi sera-t-elle très sagement subordonnée à l'exigence d'une date certaine résultant des conditions prévues par l'article 1328 du code civil ; ces dispositions sont bien entendu inapplicables lorsque la preuve en question ne suppose pas la production d'un écrit. 311. b) Dans de nombreux cas, la loi subordonne, en outre, l'opposabilité des contrats aux ayants cause à titre particulier à l'accomplissement de formalités de publicité ; ainsi, exige-t-elle en matière immobilière l'inscription des hypothèques et la publication de tous les actes visés par l'article 28 du décret no 55-22 du 4 janvier 1955 (D. 1955.44, Rect. 73) aux registres des conservations des hypothèques (V. Publicité foncière) ; une publicité analogue est exigée aux fichiers de l'inscription maritime pour les contrats relatifs aux navires (Décr. no 67-967 du 27 oct. 1967, art. 88 et s., D. 1967.436), au registre national des brevets tenu par l'Office national de la propriété industrielle pour les cessions de brevets (C. propr. intell., art. L. 613-9), au registre spécial des marques de fabrique pour la cession d'une marque (C. propr. intell., art. L. 714-7), au registre du commerce, pour les ventes de fonds de commerce (Sur l'exacte portée de la publicité prévue, V. Rép. com., vo Registre du commerce), au registre tenu au secrétariat général de l'aviation civile, pour les contrats constituant ou transférant des droits sur aéronefs (C. aviation civ., art. L. 121-8), etc. II faut, enfin, rappeler qu'une cession de créance n'est opposable aux tiers que si les formalités prévues par l'article 1690 du code civil ont été remplies et que, dans un esprit analogue, l'article 1141 du code civil prévoit que l'acquéreur d'un meuble corporel doit déjà être entré en possession pour pouvoir opposer son titre à un autre acquéreur. 312. c) En ce qui concerne les créanciers chirographaires, en revanche, l'accomplissement de formalités de publicité n'est pas en principe nécessaire pour qu'un contrat leur soit opposable et c'est pour cette raison qu'on a cru jadis devoir les assimiler aux ayants cause à titre universel ; ce qui est inexact. La vérité est qu'ayant pour gage général le patrimoine de leur débiteur ils voient ce gage se modifier continuellement, bénéficiant de l'augmentation d'actif et souffrant de celle de son passif. Cette opposabilité de principe ne va pas, toutefois, sans restrictions ; ainsi, la donation immobilière qui n'a pas encore été transcrite ne peut leur être opposée (C. civ., art. 941) ; ainsi, surtout, peuvent-ils dans le cadre de l'article 1167 du code civil faire déclarer que leur sont inopposables certains contrats passés par leur débiteur et ayant pour effet de l'appauvrir (V. Action paulienne). 313. d) II faut enfin signaler que l'opposabilité de principe du contrat à l'égard des tiers trouve ses limites dans deux séries d'hypothèses : d'une part au cas de simulation, les tiers peuvent choisir entre l'acte ostensible et la contre-lettre, écartant ainsi le titre qu'on prétend leur opposer (V. Simulation) ; ils peuvent aussi obtenir que leur soit déclaré inopposable tout acte revêtant un caractère frauduleux à leur égard (J. Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude…, thèse, Toulouse, 1956, p. 393 et s.).
Art. 2 - Opposabilité par les tiers 314. 1o Si les tiers peuvent se voir opposer le contrat intervenu en dehors d'eux, ils peuvent aussi s'en prévaloir.
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Sans doute, ne peuvent-ils pas exiger à leur profit l'exécution d'une obligation (V. supra, no 282) mais ils peuvent invoquer ce contrat, ses effets ou son inexécution comme autant de données de fait (Com. 22 oct. 1991, D. 1993. 181 ,note Ghestin Rev. trim. dr. civ. 1992.279, obs. J. Mestre). Ainsi, un tiers peut-il invoquer à l'encontre d'une des parties le contrat par lequel celle-ci a perdu les droits qu'elle entend exercer contre lui (Civ. 19 oct. 1954, D. 1956.78), ou faire état, pour l'interprétation d'un accord, des conventions que son cocontractant a lui-même passées avec un tiers (Civ. 1re, 9 juill. 1956, Bull. civ. I, no 290). 315. 2o Mais c'est surtout pour fonder à son profit une action en responsabilité civile en de très nombreuses hypothèses. Jugé, par exemple, que les parents de la victime d'un contrat de transport peuvent, en dehors de toute stipulation de ce contrat en leur faveur et même s'ils renoncent à cette stipulation, demander réparation du préjudice causé (Com. 19 juin 1951, D. 1951.717, note G. Ripert, J. C. p. 1951. II 6426, note E. Becqué ; Civ. 23 janv. 1959, D. 1959.281, note R. Rodière, S. 1959.103) ; qu'un tiers peut demander réparation du préjudice par lui personnellement subi en raison du vice de construction d'une automobile (Req. 8 mars 1937, D. H. 1937.217), ou d'un ascenseur (Civ. 8 juin 1948, J. C. p. 1949. II. 4778, note R. Savatier) ; de la même façon, la mauvaise exécution d'un contrat de prêt (Req. 23 févr. 1897, S. 98.1.65, note A. Esmein) ou du contrat passé avec l'autorité militaire pour la garde de prisonniers (Civ. 3 déc. 1953, J. C. p. 1954. II 8025, note R. Savatier) a pu fonder une action en responsabilité dont le caractère est délictuel puisque la victime a la
Document 2 Fabrice Gréau, Action directe, justification de l’action directe par la théorie des groupes de contrats, RTD civ., janvier 2001 (actualisation : avril 2016) Art. 2 - Justification de l'action directe par la théorie des groupes de contrats 38. Les insuffisances des explications fondées sur les mécanismes classiques du droit civil ont conduit une partie de la doctrine à se tourner vers une nouvelle théorie qui s'éloigne des concepts classiques, tout en conservant l'idée que l'action directe doit être justifiée par l'existence d'un lien de droit entre le créancier et le sous-débiteur. Dans un contexte où les fondements classiques de l'action directe en garantie ou en responsabilité se trouvent contestés (BOUBLI, Soliloque sur la transmission de l'obligation en garantie, JCP 1974. I. 2646), M. TEYSSIÉ critique vigoureusement l'idée suivant laquelle les actions directes doivent nécessairement disposer d'un fondement légal et propose de les justifier, qu'elles soient en paiement ou en responsabilité, par le concept de groupe de contrats (TEYSSIÉ, op. cit. - V. également NÉRET, op. cit.). 39. L'idée, qui dépasse la seule question des actions directes, est que la complexité et la diversification des opérations contractuelles devraient se traduire par une compréhension rénovée, moins individualiste, de l'effet relatif des conventions. Le constat d'une réalité économique où les rapports contractuels sont enchevêtrés les uns aux autres permettrait de reconnaître juridiquement l'existence de groupes contractuels (des ensembles contractuels lorsque plusieurs contrats sont conclus pour satisfaire le même objectif, ou des chaînes de contrats lorsque se succèdent plusieurs contrats portant sur le même bien ou sur la même prestation) au sein desquels les rapports entre les différents membres seraient de nature contractuelle, quand bien même ces derniers n'auraient à aucun moment directement contracté ensemble, ce qui présenterait l'avantage de protéger les prévisions du débiteur contractuel - c'est l'objectif recherché - en appliquant le régime du contrat plutôt que celui de la responsabilité délictuelle (V. déjà DURRY, obs. ss Com. 4 déc. 1968, RTD civ. 1968. 773). Il ne s'agit donc plus ici de tenter d'expliquer le contournement du principe de l'effet relatif par l'action directe, mais, plus radicalement, d'élargir les frontières traditionnelles du principe de l'effet relatif de manière à donner à l'action directe une véritable nature contractuelle. L'action directe ne serait alors plus une exception au principe de l'effet relatif, mais une simple mise en oeuvre de rapports contractuels. L'explication permettrait de justifier les actions déjà existantes et de fonder l'admission de nouvelles actions potentielles. 40. La première chambre civile de la Cour de cassation a fait sienne cette théorie dans deux arrêts de 1988 : d'abord en s'affranchissant du fondement traditionnel de l'accessoire dans une décision accordant au maître de l'ouvrage une action directe « nécessairement contractuelle » contre un sous-traitant ayant réalisé une prestation de services sans transfert de propriété d'une chose (Civ. 1re, 8 mars 1988, Bull. civ. I, no 69 ; RTD civ. 1988. 551, obs. Rémy ; RTD civ. 1988. 741, 761 et 764, obs. Mestre ; JCP 1988. II. 21070, note Jourdain) ; ensuite et surtout par une autre décision affirmant (suivant une formule de DURRY : RTD civ. 1980. 355) que, « dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n'ont souffert du dommage que parce qu'ils avaient un lien avec le contrat initial » (Civ. 1re, 21 juin 1988, Bull. civ. I, no 202 ; D. 1989. 5, note Larroumet ; JCP 1988. II. 21125, note Jourdain ; RTD civ. 1989. 74, obs.
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Mestre ; RTD civ. 1989. 107, obs. Rémy). La troisième chambre civile ayant refusé de s'engager dans cette voie en énonçant « qu'il n'existe aucun lien contractuel entre l'entrepreneur principal et le sous-traitant de son soustraitant » (Civ. 3e, 22 juin 1988, Bull. civ. III, no 115 ; RTD civ. 1988. 763, obs. Jourdain ; RTD civ. 1989. 110, obs. Rémy), l'assemblée plénière a dû se prononcer, et elle l'a fait, en rejetant de manière franche cet élargissement de la responsabilité contractuelle dans son célèbre arrêt Besse. Au visa de l'article 1165 du code civil, elle censure une décision ayant admis une action nécessairement contractuelle d'un maître de l'ouvrage contre un sous-traitant en affirmant que « le sous-traitant n'est pas contractuellement lié au maître de l'ouvrage » (Cass., ass. plén., 12 juill. 1991, no 90-13.602 , Bull. ass. plén. no 5 ; D. 1991. 549, note Ghestin ; D. 1991. Somm. 321, obs. Aubert . - Adde : JAMIN, Une restauration de l'effet relatif du contrat, D. 1991. 257 ; LARROUMET, L'effet relatif des contrats et la négation de l'existence d'une action en responsabilité nécessairement contractuelle dans les ensembles contractuels, JCP 1991. I. 3531). 41. La théorie des groupes de contrats n'a donc été qu'une réalité très éphémère en droit positif, qui en est resté au fondement de l'accessoire pour justifier l'action en responsabilité ou en garantie exercée par un contractant extrême au sein d'une chaîne de contratstranslative de propriété, non sans quelques incertitudes (V. infra, nos 94 s.). Il est vrai que cette théorie avait fait l'objet de nombreuses critiques (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., nos 1126 s.), en particulier parce qu'elle « recouvre des réalités trop diverses pour fournir un cadre ferme » aux solutions qu'elle implique (TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE, op. cit., no 505), bien qu'un auteur ait ensuite tenté de proposer une nouvelle présentation des groupes de contrats en partant de la nature du dommage subi (BACACHE-GIBEILI, La relativité des conventions et les groupes de contrats, 1996, LGDJ, préf. LEQUETTE). La Cour de cassation a même opéré depuis quelques années un virage complet en posant le principe très contesté suivant lequel « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, no 05-13.255 , Bull. ass. plén. no 9 ; D. 2006. 2825, note Viney ; JCP 2006. II. 10181, avis Gariazzo et note Billiau ; RTD civ. 2007. 123, obs. Jourdain ). On assiste donc à une généralisation de la voie délictuelle (qui peut d'ailleurs menacer la pérennité des solutions fondées sur la transmission par accessoire), alors que la théorie des groupes de contrats avait pour objectif d'étendre le domaine des actions contractuelles (sur le lien entre ces deux questions, V. en particulier P. ANCEL, article préc., in Mélanges Ponsard). 42. Faut-il regretter cet échec de la théorie des groupes de contrats ? À s'en tenir à la seule question de la justification des actions directes, cet abandon paraît légitime. D'une part, parce qu'il existe en droit positif des actions qui n'entrent pas dans ce cadre, notamment l'action de la victime contre l'assureur de responsabilité - qui est pourtant l'archétype de l'action directe -, car la victime n'a pas de lien contractuel avec l'assureur et elle n'en a pas nécessairement avec l'assuré, ce que n'ignorait pas M. TEYSSIÉ qui était alors contraint d'admettre que les actions n'entrant pas dans ce schéma devaient par conséquent recevoir l'aval du législateur (TEYSSIÉ, op. cit., no 560. - Dans le même sens : NÉRET, op. cit., no 433 et no 438). D'autre part et surtout, parce que cette théorie, en élargissant les liens contractuels, se démarquait trop nettement du postulat qui avait toujours, explicitement ou non, appuyé l'admission des actions directes : favoriser un créancier jugé particulièrement digne de protection. En effet, la théorie des groupes de contrats a pour objectif essentiel, en fermant la voie délictuelle au créancier, de protéger les prévisions contractuelles du débiteur poursuivi puisqu'il peut opposer au créancier toutes les clauses figurant dans le contrat conclu avec le débiteur intermédiaire, si bien qu'on peut sérieusement douter d'être ici en présence de véritables actions directes dès lors que le créancier n'exerce finalement que ce qui peut être perçu comme une forme particulière d'action oblique (JAMIN, article préc., no 32). La remarque vaut également pour les actions aujourd'hui fondées sur l'accessoire, qui protègent d'autant moins le créancier que la Cour de cassation, en dehors du domaine de la transmission par accessoire, favorise désormais largement la voie délictuelle lorsque l'inexécution du contrat cause un préjudice à un tiers. 43. Au-delà, c'est l'idée même d'une action directe contractuelle qui peut sembler antinomique : s'il existe un lien contractuel, c'est que l'action exercée est une action en responsabilité contractuelle de droit commun (MALLETBRICOUT, op. cit., no 359, qui évoque un « non-sens »). M. JAMIN estime certes que les actions directes sont nécessairement contractuelles « dans la mesure où elles trouvent leur source dans le
contrat liant le
débiteur intermédiaire au sous-débiteur » et parce que ce contrat constitue la mesure des actions (op. cit., no 284). Mais l'on peut parfaitement considérer que l'affirmation de cette nature contractuelle n'a rien d'indispensable si l'on estime, à l'instar de cet auteur, que l'action directe est en réalité un mécanisme correcteur du principe de l'effet relatif des conventions (V. infra, nos 44 s.). Cette logique corrective n'impose en effet pas de choisir entre une nature contractuelle et une nature délictuelle - même si l'on admet que le rapport d'obligation entre le sous-débiteur et le débiteur intermédiaire constitue la mesure de l'action -, puisqu'il s'agit alors
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d'appréhender un mécanisme qui sort du cadre habituel du droit des obligations pour en atténuer la rigueur : pourquoi faudrait-il entrer dans le moule contractuel alors que l'on cherche à s'en échapper ? Art. 3 - Reconnaissance de l'originalité de l'action directe en tant que mécanisme correcteur 44. Le point commun entre les analyses précédentes est qu'elles cherchent toutes à justifier ou créer un lien de droit entre le titulaire de l'action et le sous-débiteur, ce qui ne permet pas d'aboutir à des explications réellement satisfaisantes car trop étriquées pour embrasser la diversité des illustrations de l'action directe. M. JAMIN (op. cit., spéc. nos 299 s.) a tenté de proposer une analyse plus globale en partant d'une analyse du discours juridique des auteurs ayant défendu au XIXe siècle le principe de l'action directe, ce qui lui permet de discerner les raisons d'être de l'action. Il constate que l'action directe est constamment justifiée par des motifs d'équité, mais que cela ne suffit pas en soi à donner une assise juridique à l'action. Idéalement, n'importe quelle règle juridique devrait pouvoir être justifiée par l'équité, mais cette équité doit pouvoir trouver un habillage juridique susceptible d'atténuer son flou et sa subjectivité. S'appuyant, en particulier, sur l'analyse de textes de DEMOLOMBE (op. cit. [supra, no 5], no 139) et de LABBÉ (article préc.), qui considèrent respectivement que l'action directe est une application de la gestion d'affaire ou un privilège sur créance, M. JAMIN estime que l'action directe est l'application d'un principe de justice commutative en raison de l'accroissement de la valeur du patrimoine du sous-débiteur, accroissement auquel le titulaire de l'action est directement à l'origine et qui justifie l'octroi d'une action lui permettant d'obtenir l'équivalent de cette valeur. Plus précisément, cette justice commutative peut être mise en oeuvre lorsque l'on décèle un transfert de valeur entre le créancier et le sous-débiteur et un lien de connexité entre ce transfert de valeur et le travail fourni par le créancier. Dans d'autres situations, c'est une finalité de garantie du dommage subi par le créancier qui justifie la préférence qui lui est accordée. 45. Il y a dans cette présentation un véritable changement de perspective. L'action directe n'est plus enfermée dans le schéma rigide et insatisfaisant de la découverte d'un lien de droit, ni même dans un fondement légal qui ne correspond pas à la réalité historique. Elle est conçue comme « un mécanisme correcteur des principes de relativité des conventions et d'égalité des créanciers, qui ne trouve son fondement ni dans un concept classique issu du code civil, ni nécessairement dans les termes d'une loi spéciale, et qui permet à l'un de ces créanciers, pour des motifs d'équité et en vue d'un équilibre des patrimoines, d'obtenir, pour son propre compte, du débiteur de son débiteur, soit un paiement, soit la mise en oeuvre d'une garantie, c'est-à-dire la sanction, respectant nécessairement le principe de prévisibilité contractuelle, de l'inexécution d'un contrat antérieur ou la mise en oeuvre d'une garantie légale qui est attachée à ce contrat » (JAMIN, op. cit., no 328). Elle est un mécanisme correcteur au même titre que l'abus de droit, la fraude ou l'apparence, lorsque l'application trop rigoureuse des principes usuels ne permet pas d'aboutir à une solution juste, ce qui en fait plus un complément qu'une véritable exception au principe de l'effet relatif. Cela n'interdit pas de poser des critères pour reconnaître cette nécessité de justice commutative. Selon M. JAMIN (op. cit., no 319 ; la pensée de l'auteur ayant ensuite légèrement évolué [les critères sont affinés], elle est précisée dans GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., nos 1133 s.), l'action directe peut d'abord se manifester pour sanctionner un accroissement de valeur du patrimoine du sous-débiteur lorsqu'il présente un lien de connexité avec une prestation fournie par le créancier au débiteur intermédiaire, ce qui permet de mettre l'accent sur l'échange au sein du contrat. L'action directe peut ensuite plus simplement obéir à un impératif d'indemnisation lorsqu'à nouveau un lien de connexité existe entre la créance du titulaire de l'action contre le débiteur intermédiaire et la créance du débiteur intermédiaire à l'encontre du sous-débiteur (proche de cette idée, à propos d'un appel en garantie : Civ. 1re, 4 oct. 1988, no 86-16.726 , Bull. civ. I, no 263. Contra : Civ. 1re, 20 févr. 1996, no 94-11.155 , Bull. civ. I, no 85). 46. Cette présentation est fort séduisante en ce qu'elle permet de donner une véritable trame à l'action directe, ainsi qu'une unité la sortant enfin de la mosaïque des explications plus précises, sauf peut-être pour les actions directes en responsabilité (V. infra, nos 102 s.). Mais cette qualité a évidemment un revers que ne manquent pas de souligner les détracteurs de cette thèse : l'idée de justice commutative, même précisée par le critère du lien de connexité, peut apparaître à certains beaucoup trop floue pour être réellement opératoire (par exemple : BACACHE-GIBEILI, op. cit. [supra no 41], no 314 ; MALLET-BRICOUT, op. cit., no 385). En d'autres termes, l'équité clairement mise en avant par M. JAMIN peut s'exposer encore beaucoup trop ouvertement, ne pas avancer de manière suffisamment masquée, derrière les critères que celui-ci propose pour reconnaître - et potentiellement créer - des actions directes. Mais ce défaut peut aisément être surmonté si l'on admet que la recherche d'une véritable unité de la notion doit nécessairement se payer par une perte de précision technique, ce qui n'a rien de surprenant puisque la plupart des actions directes ont été dégagées par la jurisprudence. Ainsi que le souligne M. DESHAYES, ce défaut ne peut être aisément corrigé car il témoigne de « l'inévitable fragilité du droit en train de se faire » (op. cit., no 334). Qui plus est, les critères dégagés manquent peut-être de fermeté, mais ils permettent au juge d'exercer son pouvoir d'appréciation sans pour autant apparaître susceptibles de faire voler en éclats le principe de l'effet relatif.
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47. Il faut également noter que l'Avant-projet CATALA, s'il semble adopter la conception légale de l'action directe dans l'alinéa 1er de l'article 1168 (V. supra, no 1), s'écarte de ce schéma dans son alinéa 2, à l'aide d'un critère plus vague encore que ceux proposés par M. JAMIN, puisqu'il prévoit que « l'action directe est également ouverte lorsqu'elle permet seule d'éviter l'appauvrissement injuste du créancier, compte tenu du lien qui unit les contrats ». Une partie de la doctrine semble donc prête aujourd'hui à se rallier à cette conception plus souple de l'action directe (V. par exemple FRANÇOIS, op. cit., no 332 ; MAZEAUD et CHABAS, op. cit., no 806 in fine, qui considèrent que les juges doivent se montrer parcimonieux tout en précisant que l'action se justifie par « un lien étroit de causalité » entre la dette du sous-créancier et la créance du tiers ; TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE, op. cit., no 1192, qui reprennent la présentation de JAMIN en précisant toutefois que les actions directes parfaites, qui entraînent une véritable affectation de la dette du tiers à la satisfaction du créancier, ne peuvent s'expliquer que par l'octroi d'un véritable privilège). 48. Admettre cette nouvelle présentation et les critères qui l'accompagnent suppose toutefois de jeter un nouveau regard sur certaines actions que la doctrine classique range traditionnellement dans la catégorie des actions directes, mais qui ne respectent pas ces critères. Il en va ainsi, par exemple, de l'action accordée par l'article L. 6145-11 du code de la santé publique aux hôpitaux contre les débiteurs des malades hospitalisés, de l'action en distraction des dépens que l'article 699 du code de procédure civile octroie aux avocats et avoués contre la partie défaillante, ou encore de l'action bénéficiant aux créanciers d'une pension alimentaire en vertu de la loi no 73-5 du 2 janvier 1973 contre les débiteurs du débiteur. Il s'agit plus de modes de paiement simplifiés que de véritables actions directes (V. infra, nos 79 s.). Leur maintien peut se justifier par d'autres considérations, ce qui n'est peut-être pas le cas des actions en responsabilité contractuelle contre le contractant extrême que la jurisprudence fonde sur la théorie de l'accessoire (V. supra, nos 28 s. et infra, nos 87 s.) : admises à une époque où elles étaient avantageuses pour les créanciers puisque la Cour de cassation leur fermait la voie délictuelle, consolidées ensuite lorsque cette même Cour leur imposa en 1979 la voie contractuelle en excluant l'option avec une action délictuelle finalement admise en 1937 (V. infra, no 91), ces actions ne présentent plus guère d'avantages pour leurs titulaires puisqu'elles permettent surtout de protéger les prévisions contractuelles du débiteur. Elles ne sont plus indispensables si l'on permet au créancier d'agir sur le terrain délictuel (V. toutefois, nuancé sur ce point, JAMIN, article préc., D. 1991. 257 , no 12), solution plus avantageuse pour ce dernier, plus respectueuse de la logique de l'action directe qui est une faveur accordée au créancier, et qui est d'autant moins chimérique que la Cour de cassation a par ailleurs mis en oeuvre une très large dérelativisation de la faute contractuelle (V. supra, no 41). Section 2 - Pluralité des actions directes 49. Si la recherche d'un fondement juridique à l'action directe s'avère si délicate, c'est en grande partie la conséquence de la diversité des illustrations de cette action en droit positif. Si l'on ajoute à cela les incertitudes qui pèsent sur le contenu même de la notion d'action directe à raison de l'opposition entre l'idée d'un droit propre et celle d'un droit dérivé (V. supra, no 12) ainsi que de la distinction, souvent reprise, entre les véritables et les fausses actions directes (V. supra, no 11), on conviendra qu'il est malaisé de vouloir prétendre dresser une liste exhaustive des actions directes. L'expression est souvent employée en pratique à propos d'actions qui ne sont pas des actions directes : ainsi de l'action des créanciers sociaux contre les commanditaires qui n'ont pas intégralement libéré leur apport, ou contre les associés qui se sont répartis l'actif après la dissolution de la société. Elles ne peuvent être considérées comme des actions directes dès lors qu'elles sont accordées à tous les créanciers sociaux (JAMIN, op. cit., nos 48 s.). 50. Le législateur lui-même n'aide pas toujours à y voir plus clair lorsqu'il qualifie expressément d'action directe une action qui ne paraît guère apte à entrer dans cette catégorie. À propos de la lettre de voiture en droit des transports, l'article L. 132-8 du code de commerce, issu de la loi no 98-69 du 6 février 1998, prévoit que « le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport ». La qualification formelle d'action directe semble pourtant démentie par la précision préalable, dans le même texte, suivant laquelle « la lettre de voiture forme un contrat […] entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier », ce qui est une reconnaissance de la nature tripartite du contrat de transport (HA NGOC, Théorie générale des contrats et contrats maritimes, thèse, Paris I, 2010, nos 407 s.). L'existence d'un contrat entre les différents protagonistes permet d'y voir une simple action contractuelle en paiement du voiturier contre ses cocontractants : « Comment peut-on parler d'action directe entre parties à un même contrat ? […] Cette confusion est, pour le moins, gênante » (DELEBECQUE, Loi du 6 février 1998 : amélioration des conditions d'exercice de la profession de transporteur routier, D. Affaires 1998. 871). D'ailleurs, la Cour de cassation préfère parfois utiliser la formule plus neutre de « garantie de paiement » (Com. 22 janv. 2008, no 06-19.423 , JCP 2008. II. 10073, note Delebecque). Certains
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auteurs n'excluent toutefois pas la pertinence de cette qualification légale, tout en atténuant celle d'un contrat à plusieurs personnes (HÉCART, L'action directe du voiturier : sagacité ou maladresse ?, D. 2006. Chron. 1821 ). Paradoxalement, la Cour de cassation a pu reconnaître, par une lecture extensive de ce texte, une véritable action directe en paiement au bénéfice du sous-voiturier (Com. 28 janv. 2004, no 02-13.912 , Bull. civ. IV, no 19 ; D. 2004. 944, note Tosi ; JCP 2004. II. 10077, note Paulin ; JCP E 2004. 650, note Delebecque), sauf lorsque l'expéditeur avait interdit toute substitution. La solution est vigoureusement critiquée par certains auteurs qui soulignent que l'article L. 132-8 du code de commerce ne vise pas l'hypothèse de la sous-traitance (PAULIN, note préc.). La qualification d'action directe n'en finit pas de susciter des difficultés (HAFTEL, Quelques précisions sur la mystérieuse « action directe » du transporteur, D. 2009. Chron. 475 ). 51. Au regard de ces difficultés, il est donc préférable de présenter les différentes actions directes en suivant la distinction devenue classique entre les actions directes en paiement (V. infra, nos 52 s.) et les actions directes en responsabilité ou en garantie (V. infra, nos 87 s.), bien que la qualification d'action directe pour les secondes puisse être contestée (V. infra, nos 102 s.). Art. 1 - Actions directes en paiement 52. Admettre l'analyse suivant laquelle l'action directe est un mécanisme qui vient corriger les rigueurs du principe de l'effet relatif en raison d'un lien de connexité entre la créance du titulaire de l'action à l'égard du débiteur intermédiaire et celle de ce dernier à l'égard du sous-débiteur (V. supra, nos 44 s.) doit conduire à écarter cette qualification pour des actions qui sont pourtant traditionnellement considérées comme des actions directes. Il existe ainsi de véritables actions directes (V. infra, nos 53 s.), dont l'existence est justifiée par ce rapport de connexité, et des modes simplifiés de paiement (V. infra, nos 79 s.), pour lesquels ce rapport de connexité n'est pas présent. Actualisation § 1 - Véritables actions directes 53. À suivre les critères dégagés par M. JAMIN (V. supra, no 45), les actions directes sont justifiées soit par un lien de connexité entre une prestation fournie par le créancier au débiteur intermédiaire et la créance de ce dernier contre le sous-débiteur (V. infra, nos 54 s.), soit par un impératif d'indemnisation en présence d'un lien de connexité entre les deux créances (V. infra, nos 71 s.). A. - Actions justifiées par l'existence d'une prestation du créancier 54. Les actions directes en paiement qui trouvent leur origine dans une prestation fournie par le créancier au débiteur intermédiaire sont fréquemment illustrées à l'aide des actions découvertes par la jurisprudence sur le fondement de quelques textes qui n'allaient pas dans ce sens dans l'esprit des rédacteurs du code civil (V. infra, nos 55 s.). Le législateur est intervenu par la suite pour créer d'autres actions (V. infra, nos 63 s.). 1° - Actions issues du code civil 55. L'article 1753 prévoit ainsi, dans son alinéa 1er, que « le sous-locataire n'est tenu envers le propriétaire que jusqu'à concurrence du prix de sa sous-location dont il peut être débiteur au moment de la saisie, et sans qu'il puisse opposer des payements faits par anticipation ». La jurisprudence a rapidement décelé dans cette formule très évasive - qui, dans l'esprit des rédacteurs du code, portait sur la seule question de l'étendue du droit de gage du propriétaire sur les meubles meublant le local (JAMIN, op. cit., no 17) - une action directe du bailleur contre le sous-locataire que la doctrine avait déjà perçue (Civ. 24 janv. 1853, DP 1853. 1. 124 ; S. 1853. 1. 321). Parce que la créance du locataire principal contre le sous-locataire n'existe qu'à raison de la jouissance de la chose accordée par le bailleur, celui-ci peut donc agir directement contre le sous-locataire, qui n'est pas son contractant, pour obtenir le paiement des loyers non versés par le locataire principal. L'existence d'une telle action présente un grand intérêt lorsque le locataire principal est soumis à une procédure collective (Civ. 3e, 19 févr. 1997, no 9512.491 , Bull. civ. III, no 35 ; Loyers et copr. 1997, no 176, obs. Brault et Mutelet) ; d'autant qu'elle n'empêche pas le propriétaire de réclamer une indemnité d'occupation au sous-locataire, au moins lorsque le bail principal a été résolu et que le sous-locataire occupe les lieux sans droit ni titre (Civ. 3e, 1er oct. 1997, no 95-20.741 , RDI 1998. 142, obs. Collart Dutilleul ). Toutefois, à en juger par le très faible contentieux qu'elle suscite, elle ne semble guère utilisée en pratique. L'action du sous-locataire contre le bailleur en exécution de ses obligations locatives pourrait se révéler plus intéressante, mais la Cour de cassation a refusé d'en reconnaître l'existence (Req. 8 nov. 1882, DP 1883. 1. 305 ; S. 1884. 1. 333).
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56. L'article 1798 prévoit quant à lui que « les maçons, charpentiers et autres ouvriers qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise, n'ont d'action contre celui pour lequel les ouvrages ont été faits, que jusqu'à concurrence de ce dont il se trouve débiteur envers l'entrepreneur », ce qui n'était en 1804 que l'extension du domaine d'une saisie-arrêt ouverte auparavant à certains ouvriers (SOLUS, thèse préc., no 130). Le texte est devenu le support d'une action directe des ouvriers contre le maître de l'ouvrage à compter d'un arrêt écartant le formalisme de la saisie-arrêt (Req. 18 janv. 1854, DP 1845. 1. 121 ; S. 1854. 1. 441), ce qui se comprend sans difficultés puisque l'ouvrier a fourni à l'entrepreneur une prestation dont bénéficie le maître de l'ouvrage. La jurisprudence a par la suite refusé d'étendre le domaine de cette action aux fournisseurs et aux sous-traitants, au motif que « la disposition exceptionnelle de l'article 1798 ne saurait profiter à ceux qui, dans une pensée de spéculation et en vue de faire une opération commerciale, deviennent entrepreneurs » (Civ. 12 févr. 1866, DP 1866. 1. 57), mais la loi no 75-1334 du 31 décembre 1975 a ensuite consacré une action directe spécifique aux sous-traitants (V. infra, nos 64 s.). 57. Cette action ne connaît guère plus de succès en pratique que la précédente, mais il est vrai que - outre le mécanisme de la garantie des salaires - le code du travail admet aujourd'hui différentes actions qui en limitent l'intérêt. L'article L. 3253-23, 1o du code du travail reprend ainsi le principe de cette action au bénéfice des « salariés des secteurs du bâtiment et des travaux publics ». Surtout, l'article L. 8232-3 du code du travail prévoit, à propos des situations visées à l'article L. 8231-1 (conclusion d'un contrat par le chef d'entreprise avec un entrepreneur qui recrute lui-même la main-d'oeuvre nécessaire et qui n'est pas propriétaire d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal) que « le salarié lésé, les organismes de sécurité sociale et d'allocations familiales et la caisse de congés payés peuvent engager, en cas de défaillance de l'entrepreneur, une action directe contre le chef d'entreprise pour lequel le travail a été réalisé ». Une action similaire existe en matière de travail temporaire : l'entreprise de travail temporaire doit certes fournir une garantie financière (C. trav., art. L. 1251-49), mais, si cette garantie se révèle insuffisante, les salariés et les organismes sociaux peuvent exercer une « action directe contre l'entreprise utilisatrice substituée, même lorsque celle-ci s'est acquittée en tout ou en partie des sommes qu'elle devait à l'entrepreneur de travail temporaire pour la mise à disposition des salariés » (C. trav., art. R. 1251-27 ; V. également C. trav., art. L. 1251-52). Pourtant, on peut hésiter à qualifier ces actions d'« actions directes ». Dans ces deux cas, les textes évoquent en effet la substitution d'un créancier par un autre, si bien que certains y voient une application de la novation (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1123. Comp. JAMIN, op. cit., no 199, où l'auteur opte pour la qualification d'action directe). 58. La dernière action directe issue de l'interprétation des textes du code civil est une action à double visage. Elle intervient en matière de mandat, dans le contexte de la substitution de mandataire, où l'article 1994, alinéa 2, prévoit que, « dans tous les cas, le mandant peut agir directement contre la personne que le mandataire s'est substitué ». La jurisprudence y a d'abord vu une action directe du mandant contre le mandataire substitué, puis, plus tardivement, elle a « bilatéralisé » l'action en l'accordant également au mandataire substitué contre le mandant (GOMEZ, Les actions directes du mandant et du sous-mandataire dans la jurisprudence française : bilan et propositions, LPA 21 et 22 sept. 2000, p. 5 et p. 4). 59. L'action directe du mandant contre le mandataire substitué n'est a priori pas surprenante. En effet, le texte est en apparence clair puisqu'il emploie l'adverbe « directement ». La formule n'est pourtant pas le signe d'une reconnaissance, ne serait-ce que timide, d'une action directe par les rédacteurs du code. Les travaux préparatoires montrent que les rédacteurs ont entendu assimiler cette action à celle exercée contre le mandataire principal (MALLET-BRICOUT, op. cit., no 335) et qu'elle ne serait ainsi que l'héritière de l'actio mandati directa du droit romain, action qui concernait « les rapports normaux d'un créancier et de son débiteur dans le contrat de mandat » (JAMIN, op. cit., no 19), ici étendue au mandataire substitué. Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que la jurisprudence a vu dans ce texte le siège d'une véritable action directe du mandant contre le mandataire substitué (Paris, 12 juill. 1845, S. 1845. 2. 472. - Req. 20 avr. 1859, S. 1859. 1. 298 ; DP 1859. 1. 263), action qui a parfois pu être expliquée par le mécanisme peu convaincant d'une représentation à double degré (V. supra, no 25) de manière à y voir une fausse action directe. La Cour de cassation a parfois paru acquiescer à cette logique en y voyant la manifestation d'un « lien contractuel » (Com. 31 janv. 1956, Bull. civ. III, no 47) ou, plus récemment, une action en responsabilité de nature contractuelle qui s'étendrait même contre le contractant du mandataire substitué, dans le contexte il est vrai particulier du droit des transports (Com. 20 févr. 1996, no 9318.739 , Bull. civ. IV, no 60 ; D. 1996. 290, note Delebecque ; RTD civ. 1996. 621, obs. Jourdain ). L'action se comprend toutefois mieux par l'idée que la rémunération du mandataire principal par le mandant profite également au mandataire substitué, même si formellement la jurisprudence ne limite pas cette action au mandat à titre onéreux. Elle est surtout « une réponse de la doctrine et de la jurisprudence au souci de placer le créancier mandant dans une situation particulièrement favorable, afin qu'il ne pâtisse pas de l'intrusion dans son
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affaire du tiers mandataire substitué, qu'il n'a bien souvent ni désiré ni choisi » (MALLET-BRICOUT, op. cit., no 317). 60. Il ne s'agit d'ailleurs pas que d'une simple action en paiement, mais également d'une action en responsabilité contre le mandataire substitué (MALLET-BRICOUT, op. cit., no 402). Elle permet en outre au mandant d'exiger la reddition des comptes (Civ. 1re, 8 févr. 2000, no 95.14.330, Bull. civ. I, no 36). Puisque l'action doit permettre au mandant de ne pas subir les conséquences de la substitution, elle doit jouer sans difficultés lorsque la substitution n'avait pas été expressément autorisée par le mandant (Com. 2 déc. 1997, no 95-19.579 , Bull. civ. IV, no 313 ; JCP 1998. II. 10160, note Storck. - Com. 8 avr. 1976, Bull. civ. IV, no 111). Mieux, l'action directe du mandant peut être mise en oeuvre que le mandataire substitué ait eu ou non connaissance de l'existence du mandat originaire, c'est-à-dire de l'existence même d'une substitution (Com. 14 oct. 1997, no 9518.739 , Bull. civ. IV, no 266 ; D. 1998. 115, rapp. Rémery ; D. 1998. Somm. 112, obs. Delebecque ; JCP 1998. I. 113, no 7, obs. Jamin. - La Cour retenait auparavant la solution inverse : Req. 28 oct. 1924, DH 1924. 683) ; solution qui peut surprendre en théorie (le débiteur assigné est sous-mandataire à son insu et acquiert donc objectivement cette qualité) mais opportune en pratique puisqu'en matière de transports l'ignorance de la substitution est fréquente pour le mandant comme pour le sous-mandataire (RÉMERY, rapp. préc.). La solution n'est pas la même dans le cadre du contrat de commission, le commissionnaire substitué ne pouvant agir contre le commettant que lorsque le commissionnaire agit au nom de ce dernier (Com. 9 déc. 1997, no 95-22.096 , Bull. civ. IV, no 333 ; JCP 1998. II. 10201, note Litty), ce qui est logique puisque les règles du mandat sont applicables au contrat de commission dans cette hypothèse. L'action s'éteint lorsque le mandataire substitué a exécuté ses consignes et en a rendu compte au substituant (Civ. 4 août 1879, DP 1880. 1. 59). 61. Alors qu'elle s'est refusée à le faire pour les actions des articles 1753 et 1798 du code civil, la jurisprudence a « bilatéralisé » l'article 1994, alinéa 2, en accordant une action directe au mandataire substitué contre le mandant (Civ. 1re, 27 déc. 1960, Bull. civ. I, no 573 ; D. 1961. 491, note Bigot ; RTD civ. 1961. 700, obs. Cornu. - Com. 8 nov. 1983, Bull. civ. IV, no 301 ; RTD com. 1985. 353, obs. Hémard et Bouloc. - Plus récemment : Com. 13 févr. 2007, no 05-10.174 , Bull. civ. IV, no 42 ; RTD com. 2007. 589, obs. Bouloc ), laquelle lui est fort utile pour obtenir le remboursement de ses avances et frais et le paiement de sa rémunération. La solution n'était pourtant pas évidente puisque le texte ne mentionnait pas même implicitement la possibilité d'une telle action. Elle est donc une véritable création prétorienne (MALLET-BRICOUT, op. cit., no 442) qui a suscité de nombreuses analyses (V. supra, no 16). Outre la recherche habituelle d'un lien de droit pour écarter l'autonomie de l'action, certains ont pu estimer qu'il ne s'agissait pas d'une véritable action directe dans la mesure où il « est de la nature de l'action directe d'être une faveur à sens unique » (COZIAN, op. cit., no 72). L'action n'a pourtant rien d'illogique puisque le mandataire substitué a contribué à faire naître une valeur dans le patrimoine du mandant et que sa créance contre le mandataire intermédiaire présente un rapport étroit avec celle de ce dernier contre le mandant. Elle est en pratique d'une grande importance, comme le révèle un contentieux fort nourri en comparaison de celui portant sur l'action du mandant contre le mandataire substitué. Il est vrai que « l'action directe est surtout utile au substitué qui tente d'éviter ainsi les conséquences désastreuses de la faillite de son cocontractant, ce dernier n'étant plus en mesure de le rémunérer ou de lui rembourser ses frais » (MALLETBRICOUT, op. cit., no 395, note no 12). 62. L'action du mandataire substitué est d'autant plus utile que la jurisprudence l'admet très largement. Ainsi, à l'instar de ce qui est jugé à propos de l'action du mandant, il n'est nullement nécessaire que la substitution ait été autorisée par le mandant (Com. 19 mars 1991, no 89-17.267 , Bull. civ. IV, no 102 ; RTD civ. 1992. 414, obs. Gautier ; RJ com. 1993. 338, note Davignon. - Déjà, Com. 9 nov. 1987, no 86-11.989 , Bull. civ. IV, no 233. Comp. Paris, 6 juill. 1995, JCP 1995. IV. 2708, qui évince l'action en raison d'une clause excluant la substitution de mandataire), ni même que celle-ci ait été simplement connue du mandant (Com. 5 oct. 1993 no 91-17.563 , sol. impl., Bull. civ. IV, no 320 ; D. 1995. 169, note Auckenthaler . - Contra : Versailles, 27 mai 1987, Gaz. Pal. 1987. 2. Somm. 477). Pendant quelques années, la Cour de cassation a même considéré cette action comme une action directe parfaite, c'est-à-dire une action entraînant l'immobilisation de la créance dès sa naissance et non à compter de sa mise en oeuvre par le créancier (sur la distinction entre les actions parfaites et imparfaites, V. infra, no 105), ce qui interdisait au mandant d'opposer au mandataire substitué les paiements faits au mandataire initial et l'exposait au risque d'un double paiement. La solution était quelque peu excessive et a finalement été abandonnée (V. infra, no 134). 2° - Actions issues de textes postérieurs au code civil 63. Une véritable action directe d'origine légale existe en matière de transports maritimes, dans l'hypothèse du
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sous-affrètement, qui est celle dans laquelle le fréteur met à la disposition de l'affréteur un navire et que ce dernier conclut, à propos du même engin, un autre contrat d'affrètement. Au XIXe siècle, quelques juges du fond avaient accordé au fréteur initial une action directe contre le sous-affréteur sur le fondement de l'article 1753 du code civil en assimilant l'opération à une sous-location (TC Dieppe, 24 juill. 1877, S. 1880. 2. 45. - Rouen, 28 févr. 1878, DP 1879. 2. 30). La solution était encore admise au milieu du XXe siècle (Paris, 14 déc. 1959, DMF 1961. 215, note Rodière) avant qu'elle ne soit formellement consacrée par le législateur à l'article 14 de la loi no 66-420 du 18 juin 1966. Ce texte, désormais codifié à l'article L. 5423-7 du code des transports, dispose dans son alinéa 1er que « le fréteur, dans la mesure de ce qui lui est dû par l'affréteur, peut agir contre le sousaffréteur en paiement du fret encore dû par celui-ci ». L'alinéa 2 précise que « le sous-affrètement n'établit pas d'autres relations directes entre le fréteur et le sous-affréteur ». 64. Si l'article 1753 du code civil a pu être appliqué en matière d'affrètement avant l'intervention de la loi, la délimitation du domaine de l'article 1798 du code civil était plus problématique. Le refus de la jurisprudence d'étendre le domaine de ce texte aux sous-traitants a soulevé en retour la question de l'octroi à leur profit d'une action spécifique. Alors que le législateur belge, par une loi du 19 février 1990, a modifié l'article 1798 en introduisant les sous-traitants dans la liste des bénéficiaires de l'action, le législateur français a fait le choix de créer une nouvelle action par la loi no 75-1334 du 31 décembre 1975 (V. Contrat d'entreprise ; V. aussi Rép. com., vo Sous-traitance), dans le contexte économiquement délicat d'une multiplication des faillites des entrepreneurs. L'intervention législative est volontairement large car l'idée était d'offrir « au sous-traitant des garanties de paiement en cas de défaillance de l'entrepreneur principal » (BÉNABENT, Droit civil. Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 8e éd., 2008, Montchrestien, no 861). Elle ne se limite pas à la seule question de l'action directe puisqu'elle met en place différentes mesures jugées nécessaires pour concilier les intérêts des différents protagonistes, la volonté des parlementaires étant de ne pas instaurer une protection excessive qui serait susceptible de nuire en dernier ressort aux sous-traitants (V. sur ce point, M.-É. ANCEL, article préc., Trav. Com. fr. DIP 2009-2010). Avec un peu de recul, l'on peut légitimement s'interroger sur la pertinence de ce choix. L'action est quelque peu atypique et la mise en oeuvre de la loi de 1975 suscite d'innombrables difficultés en pratique (elle fait d'ailleurs régulièrement l'objet de projets de réforme), d'une part, parce que son efficacité repose sur des initiatives de l'entrepreneur principal (qui doit fournir une caution professionnelle ou une délégation du maître de l'ouvrage et faire agréer le sous-traitant par le maître de l'ouvrage) que le sous-traitant n'est évidemment pas toujours en position d'exiger et, d'autre part, parce que les techniques déployées par la loi se révèlent trop complexes, à tel point qu'on peut douter de leur effectivité (BÉNABENT, op. et loc. cit.). Une interprétation moins restrictive de l'article 1798 du code civil aurait peut-être permis d'éviter ces complications (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1150 in fine). 65. La situation du sous-traitant n'est pas la même suivant qu'il participe à un marché public ou à un marché privé. Dans la première situation, il ne bénéficie pas d'une action directe mais d'un paiement direct. Dès lors que le sous-traitant a été accepté, que ses conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage et que le montant du contrat de sous-traitance dépasse 600 €, il est payé directement par le maître de l'ouvrage pour la part du marché dont il assure l'exécution (L. 31 déc. 1975, art. 6, al. 1er et 2), même en cas de procédure collective ouverte à l'encontre de l'entrepreneur principal (art. 6, al. 4). Ce procédé a été jugé trop contraignant pour les marchés privés, d'autant plus que le maître de l'ouvrage est susceptible d'être insolvable. La loi octroie donc ici au sous-traitant qui entre dans le champ d'application visé par l'article 1er une véritable action directe contre le maître de l'ouvrage (L. 31 déc. 1975, art. 12). Elle diffère du paiement direct en ce qu'elle est subsidiaire. Elle suppose en effet une défaillance de l'entrepreneur principal. Si ce dernier ne paie pas le sous-traitant dans un délai d'un mois après sa mise en demeure - dont une copie doit être adressée au maître de l'ouvrage -, l'action peut alors être exercée et c'est seulement à ce moment que la créance du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage se trouve immobilisée, le maître de l'ouvrage ne devant payer que dans la limite de ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal. Seul le maître de l'ouvrage est concerné, mais tous les sous-traitants successifs peuvent agir contre lui (Civ. 3e, 29 mai 1980, D. 1980. 443, note Bénabent ; JCP 1980. II. 19440, obs. Flécheux. - Civ. 3e, 11 oct. 1983, D. 1984. 153, note Bénabent ; RTD civ. 1984. 327, obs. Rémy. - Com. 19 mai 1998, no 95-21.523 , Bull. civ. IV, no 158). Actualisation 66. Encore faut-il qu'ils aient été acceptés et que leurs conditions de paiement aient été agréées par le maître de l'ouvrage, formalités qui pèsent sur les épaules de l'entrepreneur principal (art. 3). En effet, le soustraitant non agréé ne peut bénéficier ni du paiement direct, ni de l'action directe (Cass., ch. mixte, 13 mars 1981, D. 1981. 309, note Bénabent ; JCP 1981. II. 19568, concl. Toubas, note Flécheux ; RTD civ. 1981. 862, obs. Rémy ; RDI 1981. 378, obs. Malinvaud et Boubli. - Civ. 3e, 5 juin 1985, Bull. civ. III, no 89. - Civ. 3e, 26 nov.
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2003, no 02-13.094 , Bull. civ. III, no 209 ; Defrénois 2004. 448, obs. Périnet-Marquet ; JCP 2004. II. 10179, note Le Gars). La solution est critiquable par sa radicalité : refuser l'action permet au maître soit de conserver indûment le solde de la somme due au sous-traitant, soit de payer l'entrepreneur principal « qui profite ainsi de sa propre faute » (BÉNABENT, Les contrats…, op. cit. [supra, no 64], no 868). Pourquoi refuser l'action dans une telle occurrence alors que le maître de l'ouvrage n'a pas à payer deux fois ? La Cour s'efforce toutefois d'assouplir ce formalisme lorsqu'elle admet que l'acceptation et l'agrément peuvent être concomitants à l'exercice de l'action directe (Civ. 3e, 31 mars 1993, no 91-14.958 , Bull. civ. III, no 48 ; D. 1994. Somm. 148, obs. Bénabent . - Civ. 3e, 16 déc. 1987, no 86-15.616 , Bull. civ. III, no 206), ou encore qu'ils peuvent être tacites dès lors qu'existe un « acte manifestant sans équivoque la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter le sous-traitant et d'agréer les conditions de paiement » (Civ. 3e, 3 mars 1999, no 97-14.715 , Bull. civ. III, no 56 ; CCC 1999, no 89, obs. Leveneur. - Civ. 3e, 30 oct. 1991, no 90-11.753 , Bull. civ. III, no 257 ; D. 1992. Somm. 114, obs. Bénabent . - Plus récemment : Civ. 3e, 25 févr. 2009, no 07-20.096 , Bull. civ. III, no 50 ; D. 2009. 806, obs. Delpech ) ; mais une telle manifestation tacite n'est que rarement retenue (par exemple : Civ. 3e, 14 mars 2001, no 99-14.312 ). Ce formalisme rigoureux n'épargne d'ailleurs pas le maître de l'ouvrage, qui ne peut s'aventurer à payer le sous-traitant sans que les formalités légales aient été accomplies, car il risque alors d'être condamné à payer également l'entrepreneur principal (Civ. 3e, 6 déc. 2006, no 05-17.286 , Bull. civ. III, no 241, paiement du sous-traitant sans avoir reçu au préalable copie de la mise en demeure. - Civ. 3e, 13 déc. 1995, no 93-18.625 , Bull. civ. III, no 256). 67. L'ignorance très fréquente en pratique de la procédure d'agrément ne favorise guère le succès de cette action directe, dont le droit positif offre d'ailleurs une bonne stratégie de contournement. La véritable mesure de protection des sous-traitants est en effet plutôt celle figurant à l'article 14-1 de la loi de 1975. Introduit par l'article 13 de la loi no 86-13 du 6 janvier 1986, ce texte prévoit, pour les travaux de bâtiment et les travaux publics, que le maître de l'ouvrage qui a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant non agréé doit mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter des formalités nécessaires à l'ouverture de l'action directe. La méconnaissance par le maître de l'ouvrage de cette obligation est sanctionnée par sa responsabilité délictuelle, permettant ainsi de réparer « l'entier préjudice causé par sa faute » (Civ. 3e, 16 déc. 2008, no 08-10.060 . - Com. 14 avr. 1999, no 97-16.503 , Bull. civ. III, no 97 ; Defrénois 1999. 1130, obs. Périnet-Marquet), sans même qu'il soit nécessaire d'apporter la preuve de la défaillance de l'entrepreneur principal (Civ. 3e, 26 nov. 2003, no 02-13.094 , Bull. civ. III, no 209 ; Defrénois 2004. 448, obs. Périnet-Marquet). Par cette voie détournée, le sous-traitant peut donc obtenir le paiement du solde du prix qu'il aurait pu recouvrer via l'action directe (Civ. 3e, 26 nov. 2003, no 02-13.094 , préc.). La solution est quelque peu excessive et devrait pouvoir être limitée à la simple réparation de la perte d'une chance d'obtenir un paiement car « cette incursion perturbatrice de la responsabilité civile porte en elle la tentation de réduire la faute du maître de l'ouvrage à un expédient permettant de contourner les rigueurs de l'action directe » (HOUTCIEFF, Pour une indemnisation mesurée du préjudice subi par le sous-traitant en cas de manquement du maître de l'ouvrage à l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, D. 2002. 1506 , no 11. - Comp. PÉRINET-MARQUET, La responsabilité du maître de l'ouvrage privé à l'égard du sous-traitant impayé, RDI 1996. 159 ). 68. Plus récemment, le législateur semble avoir posé les prémices, sans réellement le vouloir, d'une nouvelle action directe en faveur de l'entrepreneur de travaux contre l'établissement de crédit ayant accordé un crédit spécifique au maître de l'ouvrage, ce qui n'est pas sans rappeler la genèse de l'action directe de la victime contre l'assureur de responsabilité (V. infra, nos 72 s.). L'article 5 de la loi no 94-475 du 10 juin 1994 portant réforme du droit des procédures collectives avait pour objectif de garantir l'entrepreneur du paiement des sommes dues par le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privés visé à l'article 1779, 3o du code civil (c'est-à-dire « celui des architectes, entrepreneurs d'ouvrages et techniciens par suite d'études, devis ou marchés ») dont le montant dépasse 12 000 € (Décr. no 99-658 du 30 juill. 1999, art. 1er), afin de juguler l'augmentation des procédures collectives ouvertes à l'encontre d'entrepreneurs du bâtiment et, plus largement, les faillites en cascade. Il a introduit un nouvel article 1799-1 au sein du code civil, dont l'alinéa 2 prévoit que « lorsque le maître de l'ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l'établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3o de l'article 1779 tant que celles-ci n'ont pas reçu le paiement de l'intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt ». À défaut d'un tel recours à un crédit spécifique, et en l'absence de garantie particulière, le paiement est alors garanti par un cautionnement consenti au maître de l'ouvrage par un établissement de crédit (C. civ., art. 1799-1, al. 3). 69. La dette du prêteur à l'égard du maître de l'ouvrage est ainsi immobilisée au profit de l'entrepreneur. Le législateur n'a pas choisi d'employer le terme « action directe », ce qui est apparemment volontaire puisque le groupe de travail à l'origine du texte n'a pas souhaité créer un lien de droit entre le prêteur et l'entrepreneur
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(SAINT-ALARY-HOUIN, À propos de l'article 1799-1 du code civil et de la garantie de paiement des entrepreneurs, in Mélanges dédiés à Louis Boyer, 1996, Presses de l'Université de sciences sociales de Toulouse, p. 679 ; La genèse de l'article 1799-1 du code civil, RDI 1994. 339 ) et a opté pour l'idée plus vague d'un « versement direct du prêt », pour « éviter de créer une nouvelle sûreté de toute pièce dont l'effet serait de perturber l'état du droit existant » (SAINT-ALARY-HOUIN, La genèse…, article préc., no 14), et s'abstenir ainsi de toute confusion avec l'action directe des sous-traitants. Pourtant, c'est justement en raison, d'une part, de l'absence d'un lien de droit entre le prêteur et l'entrepreneur et, d'autre part, de l'immobilisation de la créance entre les mains du premier qu'il paraît logique de voir dans ce texte la consécration d'une nouvelle action directe qui ne dit pas son nom. L'élément le plus gênant n'est pas tant le mutisme du texte - qui n'a jamais constitué un obstacle à la reconnaissance des actions directes (l'immobilisation imposée par la loi de l'indemnité entre les mains de l'assureur avait permis la reconnaissance de l'action directe de la victime) - que les modalités de sa mise en oeuvre. En effet, il précise que « les versements se font sur l'ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage entre les mains de la personne ou d'un mandataire désigné à cet effet » (al. 2). L'initiative ainsi laissée au maître de l'ouvrage est gênante dans le schéma de l'action directe, mais il est possible d'y voir un simple « détail de fonctionnement destiné à éviter aux banquiers de porter une quelconque appréciation sur les bénéficiaires des versements » (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1162). Surtout, une éventuelle résistance du maître de l'ouvrage devrait permettre à l'entrepreneur d'agir directement contre le prêteur (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. et loc. cit.). 70. Pour l'heure, la jurisprudence porte surtout sur l'obligation du maître de l'ouvrage de fournir un cautionnement et sur les conséquences de sa défaillance. La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que l'article 1799-1 est d'ordre public (Civ. 3e, 1er déc. 2004, no 03-13.949 , Bull. civ. III, no 220). Mais, dans une décision antérieure, elle contrarie la portée de l'immobilisation de la somme empruntée en jugeant que dès lors que le prêteur a versé les fonds sur le compte personnel du maître de l'ouvrage, la somme n'est plus indisponible et peut donc faire l'objet d'une saisie-attribution par un autre créancier (Civ. 2e, 31 mai 2001, no 99-19.104 ), ce qui constitue un moyen relativement aisé d'éluder l'action directe de l'entrepreneur. B. - Actions justifiées par l'impératif d'indemnisation du créancier 71. Si le développement de l'assurance de responsabilité a grandement contribué aux mutations du droit de la responsabilité civile, l'apparition de l'action de la victime contre l'assureur du responsable a constitué une étape décisive dans l'édification du concept d'action directe, dont elle est en droit positif la forme la plus achevée. Même si elle subit aujourd'hui la concurrence de l'action en responsabilité délictuelle fondée sur le manquement contractuel de l'assureur (Civ. 2e, 10 mai 2007, no 06-13.269 , Bull. civ. II, no 126 ; RDC 2007. 1137, obs. Carval ; RGDA 2007. 592, obs. Kullmann, la victime avait préféré agir sur le fondement délictuel à raison des atermoiements de l'assureur à l'égard de l'assuré dans l'exécution d'une assurance de choses), elle illustre au mieux les actions fondées sur l'indemnisation et l'existence d'un rapport de connexité entre la créance de la victime contre le responsable et celle de ce dernier contre l'assureur. C'est en effet ici qu'une simple application de l'action oblique se révèlerait le plus injuste en ce qu'elle pourrait potentiellement profiter aux créanciers du responsable qui viendraient en concours avec la victime, alors que la finalité de l'assurance de responsabilité, quand bien même il s'agirait d'un contrat conclu entre l'assureur et le responsable, est l'indemnisation la plus complète possible de la victime. 72. Pourtant, avant la loi no 2007-1774 du 17 décembre 2007, l'action directe contre l'assureur de responsabilité n'avait pas « de caractère exclusivement légal » (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1088). Dès le XIXe siècle, une partie de la doctrine avait exprimé le voeu que la victime puisse agir directement contre l'assureur du risque locatif et du recours des voisins, voeu que n'avait qu'imparfaitement consacré la loi du 18 mars 1889 dont l'article 3 prévoyait l'immobilisation de la créance entre les mains de l'assureur tant que la victime n'était pas désintéressée. Mais la Cour de cassation vit fort logiquement dans cette immobilisation la reconnaissance implicite d'une action directe (Civ. 17 juill. 1911, DP 1912. 1. 81, note Planiol ; S. 1915. 1. 145, note Naquet ; RTD civ. 1912. 517, obs. Demogue), qui trouve aujourd'hui son siège à l'article L. 121-13, alinéa 4, du code des assurances. Ce mouvement se répéta en matière d'assurance de responsabilité : une loi du 28 mai 1913 introduit un nouveau privilège spécial à l'article 2332, 8o du code civil (anc. art. 2102, 8o) pour les créances « nées d'un accident au profit des tiers lésés par cet accident ou de leurs ayants droit, sur l'indemnité dont l'assureur de responsabilité civile se reconnaît ou a été judiciairement reconnu débiteur à raison de la convention d'assurance ». Surtout, le même texte poursuit en précisant qu'« aucun payement fait à l'assuré ne sera libératoire tant que les créanciers privilégiés n'auront pas été désintéressés ». Cette nouvelle immobilisation de la créance était propice à la reconnaissance d'une action directe, malgré des travaux préparatoires révélant l'hostilité très forte des sénateurs à l'égard d'une telle éventualité (JAMIN, op. cit., no 101).
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73. La Cour de cassation considéra à nouveau dès 1926 que cette immobilisation de la créance ne pouvait que traduire l'existence d'une action directe au profit de la victime, sauf à paralyser potentiellement son indemnisation. Elle le fit en des termes très forts en affirmant que « la victime de l'accident trouve, dans le droit propre qui lui est ainsi conféré par la loi, une action directe » (Civ. 14 juin 1926, DP 1927. 1. 127, rapport Colin et note Josserand ; S. 1927. 1. 25, note Esmein). En d'autres termes, si l'immobilisation de la créance a techniquement permis la reconnaissance de l'action, c'est l'indemnisation de la victime qui en constitue le fondement (par exemple : Civ. 1re, 18 févr. 1997, no 95-10.586 , RGDA 1997. 550, note Kullmann). La solution ne fut qu'implicitement confirmée par la loi du 13 juillet 1930 sur le contrat d'assurance dont l'article 53, devenu l'article L. 124-3 du code des assurances, prévoyait que « l'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré » (al. 2). Grâce au fondement de l'indemnisation de la victime, cette action fut par la suite largement favorisée ; elle a en particulier acquis une autonomie toujours plus marquée par rapport aux droits de l'assuré, la Cour de cassation allant désormais jusqu'à retenir que la mise en cause de l'assuré au cours du procès n'est plus nécessaire à sa recevabilité (V. infra, no 147). C'est avec la loi no 2007-1774 du 17 décembre 2007 que l'action directe a été pleinement reconnue par le législateur, sans que cela entraîne une modification sur le fond. L'alinéa 1er de l'article L. 124-3 du code des assurances dispose e effet désormais que « le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ». Cette reconnaissance tardive de l'action s'explique par la transposition de la directive européenne no 2005/14/CE, ici prise en son article 4 quinquies. Actualisation 74. Puisque le dynamisme de cette action s'explique par la nécessité de garantir l'indemnisation de la victime, certains considèrent qu'elle pourrait être mise en oeuvre au-delà du cadre de l'assurance de responsabilité, « toutes les fois qu'une assurance a pour effet, fût-il indirect, de garantir l'indemnisation d'un tiers victime du dommage » (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1153), cela bien que l'article L. 124-3 du code des assurances figure dans un chapitre intitulé « Les assurances de responsabilité ». La jurisprudence porte au moins un témoignage de cette idée : la Cour de cassation a en effet étendu cette action à l'assurance sur corps en matière maritime, qui est une forme particulière d'assurances de choses (Com. 3 févr. 1987, no 84-11.891 , Bull. civ. IV, no 30). Elle a toutefois refusé de l'admettre en matière immobilière à propos d'une assurance de dommages souscrite au bénéfice de l'entrepreneur assuré tenu de reprendre à ses frais les travaux défectueux avant livraison (Civ. 1re, 7 juin 1989, no 87-11.532 , Bull. civ. I, no 227). Mais un autre arrêt retient une solution différente à propos d'une garantie accordée contre l'effondrement avant la réception des travaux : la Cour de cassation y admet que cette figure puisse s'analyser en une assurance de responsabilité, même si elle écarte l'action directe en l'espèce, mais au seul motif que sa recevabilité avait été étendue par les juges du fond à des dommages portant sur des ouvrages nouveaux réalisés par l'assuré (Civ. 1re, 13 nov. 1996, no 94-10.031 , Bull. civ. I, no 396 ; RGDA 1997. 196, obs. Périnet-Marquet ; Gaz. Pal. 1997. 1. Somm. 78, obs. Favre-Rochex). 75. Au-delà de l'assurance de responsabilité, il existe d'autres textes qui ont permis à la jurisprudence de reconnaître d'autres actions directes en matière d'assurances. L'article L. 121-13 du code des assurances, issu de l'article 2 de la loi du 18 février 1889, prévoit ainsi que « les indemnités dues par suite d'assurance contre l'incendie, contre la grêle, contre la mortalité du bétail, ou les autres risques, sont attribuées, sans qu'il y ait besoin de délégation expresse, aux créanciers privilégiés ou hypothécaires, suivant leur rang ». Ce texte n'exprime donc pas formellement l'octroi d'une action directe aux créanciers privilégiés et hypothécaires contre l'assureur, ce que la Cour de cassation a pourtant admis en 1911 (Civ. 17 juill. 1911, supra, no 72). Sans être aussi favorable que l'action exercée contre l'assureur de responsabilité dans la mesure où elle n'est pas parfaite (les paiements faits de bonne foi par l'assureur avant opposition sont valables suivant l'alinéa 2), elle constitue un moyen non négligeable de protection de ces créanciers. L'indemnité peut en effet leur être attribuée dès lors que la créance est certaine, liquide et exigible et dans la limite du montant de cette créance (Civ. 1re, 7 avr. 1992, no 89-12.247 , Bull. civ. I, no 113 ; RCA 1992, no 284 ; RCA 1992. Chron. 23, obs. Groutel ; RGAT 1992. 508, note Maurice). On y voit parfois la mise en oeuvre d'une subrogation réelle (LAMBERT-FAIVRE et LEVENEUR, op. cit., no 588), mais la Cour de cassation estime que le créancier dispose d'un droit personnel sur l'indemnité d'assurance (par exemple : Civ. 1re, 28 oct. 1997, no 89-12.247, Bull. civ. I, no 113 ; RCA 1997, no 380, qui juge que la procédure de redressement judiciaire de l'assuré est sans incidence sur l'attribution de l'indemnité au créancier), laquelle « ne tombe pas dans le patrimoine du débiteur » (Civ. 1re, 21 janv. 1997, no 94-16.157 , Bull. civ. I, no 27 ; Defrénois 1997. 741, note Delebecque). 76. La Cour de cassation a également admis, sans avoir cette fois le support ne serait-ce qu'implicite d'un texte,
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une action directe au bénéfice des salariés contre l'assureur qui a conclu avec leur employeur un contrat d'assurance destiné à garantir le paiement d'éventuelles indemnités de licenciement. Alors que l'assureur reprochait dans son pourvoi aux juges du fond d'avoir admis une action directe sans aucun texte pour justifier cette solution, la Cour retient simplement « que les salariés, bénéficiaires de la police souscrite par l'employeur en vue de garantir le paiement des indemnités de licenciement, disposent d'une action directe contre l'assureur » (Soc. 9 juin 1993, no 89-40.043 , Bull. civ. V, no 160 ; D. 1994. 270, note Jamin ). Plutôt que de voir dans cette solution une nouvelle illustration du mécanisme incertain de la stipulation pour autrui tacite, il est préférable d'estimer que la Cour de cassation prend ici en considération le lien de connexité existant entre la créance des salariés à l'égard de l'employeur et celle de ce dernier à l'égard de l'assureur, « la garantie n'étant due par l'assureur qu'en raison de la dette de l'employeur à l'égard des salariés » (JAMIN, note préc.). La Cour de cassation a néanmoins refusé d'octroyer aux salariés une action directe en paiement contre l'AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), même en cas de négligence du mandataire judiciaire qui doit faire appel à l'AGS à défaut de fonds disponibles dans l'entreprise (Soc. 26 janv. 2000, no 9642.376 , Bull. civ. V, no 39. - Soc. 18 oct. 1989, no 88-44.174 , JCP E 1990. 15768, obs. Pétel). La solution est critiquable dès lors que les salariés sont les destinataires de la garantie (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1164) et que le mandataire judiciaire n'accomplit pas correctement la mission qui est lui dictée notamment par l'article L. 3253-20 du code du travail. Sa négligence pourrait justifier la neutralisation des règles de la procédure collective. 77. En dehors du droit des assurances, mais toujours dans une optique de garantie d'un débiteur qui est le destinataire d'une mesure de protection, la jurisprudence a octroyé, après plusieurs soubresauts, ce qui semble bien être une action directe au profit du client d'un agent immobilier contre le garant de cet agent. À l'instar de nombreux professionnels, les agents immobiliers sont tenus de fournir une garantie professionnelle pour pouvoir exercer leur activité (V., sur ces garanties financières professionnelles, CABRILLAC, MOULY et PÉTEL, op. cit., nos 411 s.). Cette obligation - visant également les syndics de copropriété et les administrateurs de biens leur est imposée par l'article 3, 2o de la loi no 70-9 du 2 janvier 1970 et le décret no 72-678 du 20 juillet 1972 et tend à garantir la restitution des fonds, effets ou valeurs détenus pour le compte de leurs clients. La question de la nature juridique de cette garantie s'est posée lorsque l'agent immobilier faisait l'objet d'une procédure collective, à l'époque où le défaut de déclaration de la créance emportait son extinction, cette sanction ayant été supprimée par la réforme de 2005 du droit des procédures collectives (l'ordonnance no 2008-1345 du 18 décembre 2008 ayant opté pour la sanction de l'inopposabilité, en précisant qu'elle s'étend, pendant l'exécution du plan de sauvegarde, aux garants personnes physiques ; V. C. com., art. L. 622-26, al. 2). Actualisation 78. Si on assimilait cette garantie à un cautionnement, son sort suivait celui de la créance non déclarée : elle se trouvait éteinte en même temps que cette dernière. Afin d'assurer son effectivité, la Cour de cassation a fini par considérer que, « en raison de son autonomie, la garantie financière exigée des personnes exerçant des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs qu'elles ont reçus n'est pas éteinte lorsque, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de l'agent immobilier, le client ne déclare pas au passif sa créance de restitution de la somme versée ; qu'en conséquence, ce client peut assigner directement le garant » (Cass., ass. plén., 4 juin 1999, no 96-18.094 , Bull. civ. no 4 ; D. 2000. Somm. 140, obs. Capoulade ; RTD civ. 1999. 665, obs. Crocq ; JCP 1999. II. 10152, note Béhar-Touchais), solution qui peut être étendue à d'autres garanties professionnelles. Cette position est d'autant plus remarquable que la Cour aurait pu tout aussi bien avoir recours à la stipulation pour autrui, ou encore à la qualification d'assurance pour compte (CABRILLAC, MOULY et PÉTEL, op. cit., no 413). Certains estiment toutefois que la solution ne traduit pas la reconnaissance d'une action directe, mais que la Cour se contente d'entériner l'autonomie de la garantie et en tire comme conséquence que le client peut agir directement contre le garant (BÉHAR-TOUCHAIS, note préc., spéc. no 9). L'abandon par le législateur de la solution de l'extinction d'une créance non déclarée à la procédure permettra peut-être de savoir si cette nouvelle action directe n'est qu'une solution purement circonstancielle - beaucoup souhaitant un retour à la logique du cautionnement - ou si elle reflète un choix mûrement réfléchi au regard des critères de l'action directe. § 2 - Modes simplifiés de paiement 79. Admettre l'idée suivant laquelle l'action directe est un mécanisme correcteur de l'effet relatif des conventions en adoptant les deux critères proposés par M. JAMIN (V. supra, nos 44 s.) contraint à s'interroger sur la qualification de certaines actions qui, si elles sont traditionnellement considérées comme des actions directes, n'entrent pas réellement dans le cadre ainsi dessiné parce qu'elles ne répondent à aucun de ces critères. Il est d'ailleurs remarquable de constater que, dans sa thèse, M. JAMIN propose un troisième critère, plus vague que les précédents, pour reconnaître une action directe : il vise ainsi la situation dans laquelle « un créancier fournit
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sans contrepartie, mais sans esprit libéral, une valeur dans le patrimoine de son débiteur et que ce dernier dispose d'une créance envers un tiers » (JAMIN, op. cit., no 319), tout en admettant que les actions correspondant à cette analyse sont justifiées par l'ordre public, fondement qui les distingue des autres actions (JAMIN, op. cit., no 318). S'il considère alors que ces actions peuvent néanmoins être assimilées aux autres actions directes, ce n'est pas sans une certaine réticence. Ce sentiment l'emporte par la suite - certainement en raison du caractère beaucoup trop évasif de ce troisième critère et de l'absence de connexité entre les créances qui fait sortir l'action directe du contexte contractuel (puisqu'il s'agit d'appréhender une simple créance envers un tiers et non plus un débiteur contractuel) et la rend insaisissable -, car ce critère n'est plus mentionné dans ses écrits postérieurs (JAMIN, article préc., no 47 ; GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., nos 1137 s.) ; et seules les actions répondant aux deux premiers critères sont considérées comme de véritables actions directes. 80. Qu'en est-il alors des actions qui ne sont pas d'authentiques actions directes ? Par la force des choses, elles ne peuvent être radicalement écartées de la catégorie des actions directes, mais elles sont reléguées en une souscatégorie marginale, celle des modes de paiement simplifiés (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., nos 1142 s. et no 1165 ; TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE, op. cit., no 1192), car elles empruntent la technique de l'action directe sans pour autant en avoir ni l'esprit, ni la finalité. Ce sont des « actions directes d'exception » dont la plupart s'expliquent par une tradition historique (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1145). Il ne s'agit pas en effet ici d'apporter une quelconque dérogation au principe de l'effet relatif des contrats, mais plus simplement de permettre la satisfaction d'un créancier en allant rechercher une créance aisément disponible. Avec ces actions directes lato sensu, l'on se rapproche encore plus des voies d'exécution, sans en adopter toujours toutes les caractéristiques techniques. 81. Cette idée d'une voie d'exécution simplifiée peut ici apparaître plus opératoire que lorsqu'elle est invoquée pour justifier les actions directes dans leur globalité (V. supra, nos 36 s.). Ce rapprochement est particulièrement flagrant à propos des actions simplement justifiées par la supériorité de certaines créances pour des raisons tenant à l'intérêt général. Il s'agit tout d'abord du recours accordé aux hôpitaux et aux hospices contre les débiteurs ordinaires et alimentaires des malades hospitalisés par l'article L. 6145-11 du code de la santé publique, texte dans lequel la jurisprudence voit une action directe (Civ. 2e, 21 févr. 1963, JCP 1963. II. 13169, obs. J. A.) dont elle limite toutefois la portée, au moins lorsque l'action est exercée contre un débiteur alimentaire, par l'application de l'adage « aliments ne s'arréragent pas » (Civ. 1re, 14 janv. 2003, no 00-20.267 , Bull. civ. I, no 6 ; JCP 2004. II. 10040, note Guerchoun ; RTD civ. 2004. 275, obs. Hauser . - Civ. 1re, 20 janv. 2004, no 0113.723 , Bull. civ. I, no 19 ; JCP 2004. II. 10043, note Casey). Le rapport de connexité pourrait très éventuellement être admis lorsque cette action est dirigée contre un débiteur alimentaire ; il est en revanche inexistant lorsque le créancier agit contre un débiteur ordinaire (DROSS, article préc., no 91). Cela est encore plus vrai à propos de l'avis à tiers détenteur que l'article L. 263 du livre des procédures fiscales accorde au Trésor public et qui lui permet d'obtenir le paiement des impôts bénéficiant d'un privilège en s'adressant directement à un débiteur du débiteur, qui doit verser les sommes qu'il détient dès réception de l'avis, à concurrence des impositions et des pénalités dues par le redevable. Depuis la réforme des voies d'exécution opérée par la loi du 9 juillet 1991, l'action du Trésor est presque sur un pied d'égalité avec la saisie-attribution que peut exercer tout créancier (si l'on excepte l'hypothèse des saisies sur rémunération où l'avis à tiers détenteur est plus avantageux). 82. À l'origine, le recours accordé aux hôpitaux et l'avis à tiers détenteur étaient considérés comme des « faveurs exorbitantes » (COZIAN, op. cit., no 123). M. COZIAN, pourtant ardent défenseur de la conception légaliste de l'action directe, soulignait que ces deux actions sont profondément différentes de celles du code civil, car elles permettent d'appréhender toutes les créances du débiteur (sauf lorsqu'est visé un débiteur alimentaire), ce qui leur donne « l'allure d'une prérogative de droit public et que l'on imagine mal au service d'un simple particulier » (COZIAN, op. et loc. cit.). Ces actions sont dites générales, par opposition aux actions directes traditionnelles qui sont qualifiées de spéciales en ce que leur titulaire ne peut s'adresser qu'à un débiteur déterminé pour recouvrer une créance déterminée. Sans même avoir ici à se rallier à l'idée suivant laquelle l'action directe est un mécanisme correctif justifié par la connexité des créances, on peut estimer que ces actions ne méritent pas l'appellation d'« action directe », qui ne leur apporte rien, et doivent être rangées au sein des voies d'exécution (V. DROSS, article préc., no 90, à propos de l'avis à tiers détenteur). En d'autres termes, les actions directes générales ne sont pas des actions directes. 83. L'observation vaut également pour l'action accordée aux créanciers d'aliments par la loi no 73-5 du 2 janvier 1973 contre les débiteurs de leur débiteur. Elle concerne les obligations alimentaires prévues par le code civil ainsi que la prestation compensatoire lorsqu'elles prennent la forme d'une pension ou d'une rente. La Cour de cassation y voit une action directe et juge ainsi que le défaut de déclaration de la créance à la procédure collective ouverte contre le débiteur d'aliments ne prive pas le créancier de la possibilité d'exercer cette action (Com. 15 juill. 1986, Bull. civ. IV, no 158 ; D. 1987. 192, note Massip). Elle ne constitue pourtant pas une
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exception au principe de l'effet relatif des conventions et permet en outre à son titulaire d'appréhender toutes les créances de son débiteur. Cela en fait une véritable mesure d'exécution, ce que révèle d'ailleurs la loi du 2 janvier 1973 en précisant que cette procédure concerne les échéances d'une pension fixée par « une décision judiciaire devenue exécutoire » (art. 1er, al. 2), ou, plus simplement encore, la nécessité de faire intervenir un huissier (art. 6, al. 1er). Plus contraignante qu'une véritable action directe, cette action opère seulement une simplification des voies d'exécution justifiée par la solidarité familiale. 84. La situation est plus ambiguë quant à l'action du Trésor public contre les dépositaires publics de deniers (notaires, huissiers, commissaires-priseurs…). L'article L. 265 du livre des procédures fiscales les contraint à vérifier et justifier « que les impôts directs dus par les personnes dont ils détiennent les fonds ont été payés ». Ils peuvent payer directement ces impositions avant de délivrer les fonds. L'immobilisation de la créance au profit du Trésor est l'indice d'une action directe, mais il s'agit d'une action d'exception puisque cette créance fiscale n'entretient aucune relation de connexité avec la créance du dépositaire public. C'est à nouveau l'intérêt général qui commande cette action, qui se présente techniquement comme une action directe sans être pour autant une exception au principe de l'effet relatif des conventions. 85. L'action la plus ambivalente est peut-être toutefois l'action en distraction des dépens que l'article 699 du code de procédure civile accorde aux avocats et avoués, lorsque leur ministère est obligatoire et qu'ils en ont formulé la demande contre la partie condamnée pour obtenir le recouvrement des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir obtenu provision. Le plaideur condamné aux dépens peut ainsi être contraint de les payer directement à l'avocat ou à l'avoué de son adversaire plutôt qu'à son adversaire lui-même, sans pour autant que le créancier soit privé de la possibilité d'agir en paiement contre son débiteur direct (Civ. 2e, 14 févr. 1990, no 88-16.829 , Bull. civ. II, no 34 ; D. 1991. 141, note Vasserot ; JCP 1991. II. 21765, note du Rusquec). Cette solution puise ses origines dans la jurisprudence de l'ancien droit, où elle se justifiait à la fois par la nécessité de protéger celui qui venait en aide à un plaideur impécunieux et par la volonté de récompenser son altruisme (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1143). La qualification d'action directe n'apparaît pas ici totalement irrecevable, car la créance de l'avocat contre son client présente un lien évident de connexité avec la dette du plaideur condamné aux dépens à l'égard de ce client (DROSS, article préc., no 87). Elle s'en échappe seulement en ce qu'elle ne vient pas contredire l'effet relatif des conventions, mais plutôt perturber le rapport d'instance originel entre les deux parties au procès. C'est surtout cette particularité qui ne lui permet pas d'être assimilée aux actions directes stricto sensu : relevant de la procédure civile plus que du droit des obligations, elle est nécessairement la conséquence d'une décision de justice - ce qui n'est pas le cas des autres actions directes -, d'autant plus que le droit de recouvrer directement les frais ne peut être exercé qu'autant que cette action a été conférée par le jugement à l'avocat ou à l'avoué (Civ. 2e, 18 mars 1987, no 85-16.474 , D. 1987. IR 76). 86. On cite également parfois (GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op. cit., no 1182), comme illustration d'action directe lato sensu, l'article 32 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ; en effet, ce texte permet à l'employeur de « poursuivre directement » le responsable du dommage ou son assureur pour obtenir « le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à la victime pendant la période d'indisponibilité de celle-ci », par opposition à l'action de nature subrogatoire dont il bénéficie en vertu de l'article 29-4 de cette même loi à propos des salaires et de leurs accessoires maintenus par lui au cours de la période d'inactivité consécutive à l'événement ayant occasionné le dommage. Il n'est pourtant ici nullement nécessaire d'avoir recours à l'action directe pour expliquer cette solution. Le versement des cotisations sociales est une dépense non indemnitaire, ce qui exclut la subrogation de l'employeur tout en constituant à son égard un préjudice propre par ricochet dont l'article 32 de la loi de 1985 lui permet de demander la réparation par simple application de l'article 1382 du code civil (MAZEAUD et CHABAS, op. cit., no 416).
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Séance n°7 Thème : L’efficacité du contrat Sous-thème : La modification du contrat Nature de l’exercice : commentaire d’arrêt Cass, Com. 3 novembre 1992/Arrêt Huard (RTD CIV 1993.124; JCP 1993 II. 22614) Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mai 1990), que, le 2 octobre 1970, la Société française des pétroles BP (société BP) a conclu avec M. X... un contrat de distributeur agréé, pour une durée de 15 années, prenant effet le 25 mars 1971 ; que, par avenant du 14 octobre 1981, le contrat a été prorogé jusqu'au 31 décembre 1988 ; qu'en 1983, les prix de vente des produits pétroliers au détail ont été libérés ; que M. X..., se plaignant de ce que, en dépit de l'engagement de la société BP de l'intégrer dans son réseau, cette dernière ne lui a pas donné les moyens de pratiquer des prix concurrentiels, l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ; Attendu que la société BP reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande à concurrence de 150 000 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans son préambule, l'accord de distributeur agréé du 2 octobre 1970 prévoyait que la société BP devrait faire bénéficier M. X... de diverses aides " dans les limites d'une rentabilité acceptable " ; qu'en jugeant dès lors que la société BP était contractuellement tenue d'intégrer M. X... dans son réseau en lui assurant une rentabilité acceptable, la cour d'appel a dénaturé cette clause stipulée au profit de la société pétrolière et non à celui de son distributeur agréé, en violation de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que nul ne peut se voir imputer une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité sans que soit établie l'existence d'une inexécution de ses obligations contenues dans le contrat ; qu'en ne retenant à l'encontre de la société BP que le seul grief de n'avoir pas recherché un accord de coopération commerciale avec son distributeur agréé, M. X..., la cour d'appel n'a relevé à son encontre aucune violation de ses obligations contractuelles et ne pouvait dès lors juger qu'elle avait commis une faute contractuelle dont elle devait réparer les conséquences dommageables, en violation de l'article 1147 du Code civil ; et alors, enfin, que nul ne peut être tenu pour responsable du préjudice subi par son cocontractant lorsque ce préjudice trouve sa source dans une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ; qu'en jugeant dès lors que la société BP devait être tenue pour contractuellement responsable du préjudice invoqué par M. X..., préjudice tenant aux difficultés consécutives à l'impossibilité pour ce dernier de faire face à la concurrence, après avoir pourtant constaté qu'elle était néanmoins tenue, en raison de la politique des prix en matière de carburants, de lui vendre ceux-ci au prix qu'elle pratiquait effectivement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, en violation des articles 1147 et 1148 du Code civil ; Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt ne dit pas que la société BP était tenue d'intégrer M. X... dans son réseau " en lui assurant une rentabilité acceptable " ; Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que le contrat contenait une clause d'approvisionnement exclusif, que M. X... avait effectué des travaux d'aménagement dans la station-service, et que " le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs agréés était, pour le supercarburant et l'essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces mêmes produits au consommateur final par l'intermédiaire de ses mandataires ", l'arrêt retient que la société BP, qui s'était engagée à maintenir dans son réseau M. X..., lequel n'était pas obligé de renoncer à son statut de distributeur agréé résultant du contrat en cours 128
d'exécution pour devenir mandataire comme elle le lui proposait, n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait, dans le cadre du contrat de distributeur agréé, approvisionner M. X... à un prix inférieur au tarif " pompiste de marque ", sans enfreindre la réglementation, puisqu'il lui appartenait d'établir un accord de coopération commerciale entrant " dans le cadre des exceptions d'alignement ou de pénétration protectrice d'un détaillant qui ont toujours été admises " ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, d'où il résultait l'absence de tout cas de force majeure, la cour d'appel a pu décider qu'en privant M. X... des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la société BP n'avait pas exécuté le contrat de bonne foi ; D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est mal fondé pour le surplus ; PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi Bibliographie indicative : -M. Boutonnet,L'obligation de renégocier le contrat au nom de la lutte contre les gaz à effet de serre. Recueil Dalloz 2008, Jurisprudence p. 1120 - D. Mazeaud, Du nouveau sur l'obligation de renégocier Recueil Dalloz 2004, Jurisprudence p. 1754. -Fabre-Magnan M. « Droit des obligations 1- Contrat et engagement unilatéral », PUF, 3éd, 2012 -Mazeaud D. « Que reste-t-il de l’intangibilité du contrat », Dr. et patr. mars 1998, p.51 -Jamin C. « Révision et intangibilité », Dr. et patr. mars 1998, p.46 -Diagne S. « La pratique du montage contractuel : Réflexions sur une figure juridique en construction », Thèse UCAD, FSJP, 2015.
Document n° 1 : Cass. Com. 29 juin 2010 (n°09-67369) LA COUR (…) : Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société d’Exploitation de chauffage (société SEC) a fait assigner en référé la société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un contrat d’une durée de 12 ans ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d’une centrale de production de cogénération moyennant une redevance forfaitaire annuelle, aux fins qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche : Vu les articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ; Attendu que pour retenir que l’obligation de la société Soffimat de satisfaire à l’obligation de révision des moteurs n’était pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs et d’en justifier par l’envoi journalier d’un rapport d’intervention, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours à compter du 6 octobre 2008, l’arrêt relève qu’il n’est pas allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l’article 12 du contrat invoqué par la société Soffimat au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d’équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités du contrat ; Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa
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signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait l’exécution, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ; Et sur le second moyen : Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile ; Attendu que pour déclarer irrecevable la demande d’expertise sollicitée par la société Soffimat, l’arrêt retient qu’il s’agit d’une demande nouvelle formée en cause d’appel, sans lien avec les demandes dont le premier juge était saisi ; Attendu qu’en statuant ainsi alors que cette demande était destinée à analyser l’économie générale du contrat et tendait par voie de conséquence aux mêmes fins que la défense soumise au premier juge dès lors qu’elle avait pour objet d’établir que l’obligation, dont l’exécution était sollicitée, était sérieusement contestable, compte tenu du bouleversement de l’économie du contrat entre 1998 et 2008, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Document n° 2 : EXTRAIT DE MATHILDE BOUTONNET, L'obligation de renégocier le contrat au nom de la lutte contre les gaz à effet de serre Recueil Dalloz 2008, Jurisprudence p. 1120 Dans un arrêt du 26 septembre 2007, la Cour d'appel de Nancy montre de manière inattendue comment les futures difficultés écologiques pourraient exercer une influence sur le droit des contrats. Il faut dire que, en l'espèce, le contrat n'était pas sans conséquence sur la protection de l'environnement. Il s'agissait d'un contrat de fourniture d'énergie conclu en 1999 : la société Novacarb, productrice de carbonate et de bicarbonate à partir de vapeur d'eau, se fournit auprès de la société Socoma. Celle-ci lui met à disposition un système de « cogénération » que le client utilise librement. La mésentente entre les parties surgit à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-237 du 18 mars 2004 et de l'ordonnance n° 2004-330 du 15 avril 2004 qui instituent le système d'échange de quotas de gaz à effet de serre selon lequel les entreprises concernées se voient affecter par une autorité administrative un nombre de quotas, c'est-à-dire « une unité de compte représentative de l'émission de l'équivalent d'une tonne de dioxyde de carbone », cessibles en cas de reliquats. A l'inverse, l'exploitant qui ne dispose pas de quotas en nombre suffisant doit en racheter et peut être sanctionné pénalement. En l'espèce, le fournisseur a justement pu céder ses reliquats. Or, selon le client, puisque le contrat le rend débiteur des coûts liés à la mise en oeuvre d'une nouvelle législation, il devrait aussi être créditeur de ces bénéfices. A défaut, il y aurait déséquilibre du contrat. Courant 2005, les deux parties ont tenté de le renégocier, mais n'y sont pas parvenues. La société Novacarb a alors assigné en justice son fournisseur. Le 26 juin 2006, le Tribunal de commerce de Nancy a rejeté la demande de révision du contrat en rappelant sa force obligatoire. C'est pourquoi, en appel, la société Novacarb a uniquement fait valoir « l'interprétation du contrat par adjonction » alors que l'intimé arguait de son impossible révision judiciaire. Confrontée à la question de la possible interprétation ou révision du contrat en cas de déséquilibre contractuel non prévisible, la Cour d'appel de Nancy a rendu un arrêt avant dire droit le 26 septembre 2007. Sur le fondement des articles 1134, alinéa 3, et 1135 du code civil, elle impose la renégociation du contrat et se réserve le droit de contrôler son échec. Pour soutenir sa solution, elle impose de « corriger le déséquilibre contractuel », et cela, non seulement en raison d'une « atteinte inéquitable aux intérêts particuliers », mais aussi « dans l'intérêt général de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ». Ainsi, au-delà de l'aspect technique de la solution (I), c'est sa justification téléologique qui suscite la réflexion (II) […] Document n° 3 : EXTRAIT DE DENIS MAZEAUD, Du nouveau sur l'obligation de renégocier Recueil Dalloz 2004, Jurisprudence p. 1754
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1. Lentement, mais sûrement, précisément tous les six ans, la Cour de cassation rappelle à tous les observateurs de la planète contractuelle que, si elle n'est toujours pas disposée à faire sauter le « canal de Craponne », elle concède cependant l'existence d'une mince ouverture dans le monument jurisprudentiel, édifié en 1876 (2), sous la forme de la reconnaissance d'une obligation de renégocier (3) les contrats devenus profondément déséquilibrés. Mais l'intérêt du nouvel arrêt rendu, le 16 mars 2004, par la première Chambre civile ne se réduit pas à la simple réaffirmation d'une solution émise naguère par la Chambre commerciale ; la Cour profite, en effet, de l'occasion pour apporter des précisions fondamentales sur le domaine de cette obligation, fondée sur l'exigence de bonne foi. 2. Aux termes d'un contrat de sous-concession, une société avait obtenu, pour une durée de dix ans, l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et devait, en contrepartie, verser un loyer annuel au concessionnaire initial, une association, et une redevance au concédant, une commune. A mi-parcours contractuel, cette société, invoquant un bouleversement de l'équilibre contractuel, demanda au juge de prononcer la résiliation du contrat, qu'elle avait cessé d'exécuter. Demande qui fut écartée par la cour d'appel qui, tout au contraire, la condamna pour rupture unilatérale à payer diverses sommes à ses partenaires. Jouant alors son vatout, la société forma un très audacieux pourvoi dans lequel elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir donné de base légale à leur décision, au regard des articles 1134 et 1147 du code civil. Selon elle, puisque « les parties sont tenues d'exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée », la cour d'appel aurait dû rechercher « si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par (le concédant) dans la détermination des conditions d'exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, (ses cocontractants) n'avaient pas le devoir de mettre la société (...) en mesure d'exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d'accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu ». En clair, l'inégalité contractuelle, qui se traduisait par le pouvoir détenu par un des contractants de fixer unilatéralement les modalités d'exécution du contrat, emportait, au nom du devoir de bonne foi et à la charge des contractants du demandeur au pourvoi, une obligation de renégocier ce contrat-cadre de dépendance manifestement déséquilibré. 3. La première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas succombé aux charmes de ce pourvoi, que même les plus fervents partisans du solidarisme contractuel (4) éprouveraient quelques difficultés à cautionner. Pour le rejeter, elle affirme que les juges du fond avaient relevé que la société, qui l'avait formé, « mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l'association de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traité au mépris de leur obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ». Puis, la Cour, pour marquer un peu plus encore son approbation de la solution émise par la cour d'appel, et donner par la même occasion une sorte de petite leçon de morale contractuelle, souligne que celle-ci avait ajouté que la société « ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait pas su apprécier ». 4. A une époque où les réactions du législateur et du juge contre le déséquilibre contractuel se multiplient et alimentent le débat entre les zélateurs de la liberté contractuelle et les adeptes de la théorie du solidarisme, l'arrêt commenté constitue, nous semble-t-il, une intéressante source de réflexions, dans la mesure où, au moins implicitement, il trace, à travers la question spécifique de la portée de l'obligation de renégocier, la frontière entre ce qui relève de la liberté et de la responsabilité des contractants dans le processus contractuel et ce que ceux-ci sont en droit d'attendre du devoir de bonne foi que notre droit positif a sensiblement réactivé depuis une trentaine d'années. A juste titre, pensons-nous, la Cour de cassation rappelle, en définitive, que l'équilibre des stipulations et des prestations contractuelles est, en principe, l'affaire des contractants, meilleurs juges de leurs propres intérêts, qui, parce qu'ils le déterminent librement, doivent ensuite en assumer la responsabilité. En somme, le déséquilibre est, sauf s'il procède d'un abus de puissance inacceptable et s'il se traduit par un excès inadmissible, la rançon de la liberté. Néanmoins, la Cour concède, c'est bien le moins, que lorsqu'un profond déséquilibre économique survient pendant l'exécution du contrat et qu'il procède d'un changement imprévisible et brutal des circonstances qui ont présidé à la conclusion du contrat, le devoir de bonne foi prend alors le relais et contraint les contractants à faire preuve d'un minimum de solidarité.
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5. Sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c'est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l'obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II) […] Document n° 4 : Civ. 6 mars 1876, (D. 76. 1. 193, note Giboulot), De Galliffet c. Commune de Pélissanne ARRÊT La Cour ; - Sur le deuxième moyen : - Attendu qu'il résulte des déclarations de l'arrêt attaqué que les travaux qu'il prescrit doivent être exécutés dans l'intérêt des parties, afin, d'une part, de mesurer la quantité d'eau que les hoirs de Galliffet doivent livrer aux arrosants, et, d'autre part, de remédier à des abus de jouissance commis par ceux-ci ; - Que la moitié de la dépense totale mise à la charge de chacune des parties représente donc, dans l'appréciation souveraine de la cour d'appel, le montant des frais qui incombent à cette partie pour l'exécution de ses obligations personnelles, et non une portion des frais dont est tenu son adversaire ; - D'où il suit qu'en faisant masse de toutes les dépenses nécessaires pour rétablir respectivement les parties dans leurs droits et en les condamnant à payer ces dépenses par égale portion, la cour d'Aix n'a commis aucun excès de pouvoir, et n'a violé ni l'article 1134, ni l'article 1135 du Code civil ; - Rejette ce moyen ; Mais, sur le premier moyen du pourvoi : - Vu l'article 1134 du Code civil ; - Attendu que la disposition de cet article n'étant que la reproduction des anciens principes constamment suivis en matière d'obligations conventionnelles, la circonstance que les contrats dont l'exécution donne lieu au litige sont antérieurs à la promulgation du Code civil ne saurait être, dans l'espèce, un obstacle à l'application dudit article ; - Attendu que la règle qu'il consacre est générale, absolue, et régit les contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives de même qu'à ceux de toute autre nature ; - Que, dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ; - Qu'en décidant le contraire et en élevant à 30 centimes de 1834 à 1874, puis à 60 centimes à partir de 1874, la redevance d'arrosage, fixée à 3 sols par les conventions de 1560 et 1567, sous prétexte que cette redevance n'était plus en rapport avec les frais d'entretien du canal de Craponne, l'arrêt attaqué a formellement violé l'article 1134 ci-dessus visé ; - Par ces motifs, casse... Observations 1 " Tête de pont jetée dans le futur " (Carbonnier, Flexible droit, 6e éd., p. 175 ; H. Lécuyer, " Le contrat, acte de prévision ", Mélanges Terré, 1999, p. 643), le contrat subit les " meurtrissures du temps ". Lorsque son exécution est échelonnée et que les obligations qui en découlent ont été exclusivement fixées en considération des circonstances contemporaines de sa conclusion, les parties sont exposées à un aléa : la transformation du contexte économique, politique, monétaire ou social peut rompre l'équilibre initial des prestations. Est-il alors possible au cocontractant désavantagé d'obtenir la révision du contrat ? C'est tout le problème de l'imprévision contractuelle. La jurispru dence y a apporté au XIXe siècle une réponse tranchée (I), qui est à l'époque présente marquée tout à la fois par la place de plus en plus grande faite aux contrats à long terme et par l'instabilité chronique des données économiques et monétaires, l'objet de très vives contestations (II). I. - Le refus de la révision pour imprévision 2 Aucune affaire n'est, en la matière, plus significative que celle du Canal de Craponne. Les conventions litigieuses passées en 1560 et 1567 avaient pour objet la fourniture d'eau destinée à alimenter des canaux d'irrigation dans la plaine d'Arles, moyennant une redevance de 3 sols par carteirade (190 ares). Au cours du XIXe siècle, l'entreprise qui exploitait le canal, faisant état de la baisse de la valeur de la monnaie et de la hausse du coût de la main-d'œuvre, demanda un relèvement de la taxe qui n'était plus en rapport avec les frais d'entretien. La cour d'Aix ayant élevé cette redevance à 60 centimes, sa décision fut cassée. Aucune
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considération de temps ou d'équité ne peut, en effet, selon la Cour de cassation, permettre au juge de modifier la convention des parties ; l'article 1134 du Code civil, texte général et absolu, l'impose. La loi du contrat est une " loi d'airain " qui s'impose au juge comme aux parties. La solution n'était pas sans précédent. À l'occasion des contrats de remplacement militaire rendus plus onéreux par la survenance de la guerre de Crimée, la Cour de cassation avait déjà censuré les décisions des cours d'appel, qui avaient admis leur résiliation (Civ. 9 janv. 1856, 3 arrêts, DP 56. 1. 33 ; 11 mars 1856, DP 56. 1. 100). La période d'inflation consécutive à la première guerre mondiale fut l'occasion pour la Cour de cassation de réaffirmer la solution dans les domaines les plus divers : bail à cheptel (Civ. 6 juin 1921, D. 1921. 1. 73, rapp. A. Colin, S. 1921. 1. 193, note Hugueney ; 30 mai 1922, D. 1922. 1. 69, S. 1922. 1. 289, note Hugueney, mais V. depuis L. du 4 juin 1941 modifiant l'art. 1826 C. civ.), livraison périodique de charbon à prix fixe (Civ. 14 nov. 1933, Gaz. Pal. 1934. 1. 58), prix de série rendu insuffisant du fait d'une augmentation des salaires (Com. 18 janv. 1950, D. 1950. 227). Depuis, la Cour de cassation réaffirme régulièrement son refus d'admettre les révisions pour imprévision lorsque l'occasion s'en présente (V. par ex. : Com. 18 déc. 1979, Bull. Civ. IV, no 339, RTD civ. 1980.180, obs. G. Cornu). Mieux, lorsque certains arrêts récents ont pu être interprétés, en raison de leur ambiguïté, comme le signe annonciateur d'une évolution devant conduire à la consécration de la révision pour imprévision (Civ. 1re, 16 mars 2004, 1754, note. D. Mazeaud, RDC 2004. 642, obs. D. Mazeaud), les hauts magistrats sont immédiatement intervenus pour dénoncer le caractère erroné d'une telle interprétation (RenaudPayen, note JCP E 2004. 737), ce qui a déclenché une guerre picrocholine au sein de la doctrine (J. Ghestin, " L'interprétation d'un arrêt de la Cour de cassation ", D. 2004. 2239 ; A. Bénadent, " Dalloz ou Dallas ? ", D. 2005. 852). En dépit de son ancienneté et de sa constance, cette jurisprudence ne devait pas être suivie par la juridiction administrative. Dans l'arrêt Gaz de Bordeaux, le Conseil d'État consacre, en effet, au contraire, la théorie de l'imprévision. Constatant qu'une hausse imprévisible du charbon avait bouleversé l'économie du contrat de concession, la haute juridiction reconnaît au concessionnaire un droit à indemnité contre l'autorité concédante (CE 30 mars 1916, D. 1916. 3. 25, S. 1916. 3. 17, GAJA, 16e éd., no 31). Encore faut-il que le bouleversement du contrat soit dû à un événement imprévisible, extérieur aux parties contractantes et qu'il ne présente qu'un caractère temporaire ; si le déséquilibre est définitif, il y a lieu de résilier le contrat (CE 9 déc. 1932, Cie des Tramways de Cherbourg, D. 1933. 3. 17, concl. Josse, note Pelloux ; 14 juin 2000, Commune de Staffelfelden, Lebon, p. 227, BJCP 2000. 435, concl. Bergeal). La diversité des points de vue atteste, s'il en était besoin, la difficulté du problème à résoudre. En faveur de la solution retenue par la Cour de cassation, on a fait valoir que l'hypothèse n'est pas réductible à l'un des cas de figure qui aurait permis de ne pas exécuter le contrat ou éventuellement de le rééquilibrer. De fait, il n'y a pas force majeure car l'exécution des prestations est certes devenue difficile mais non impossible ; il n'y a pas non plus lésion, car le déséquilibre ne prend pas sa source dans une inégalité initiale des prestations, mais dans un bouleversement extérieur et postérieur à la conclusion du contrat. Néanmoins, les moyens techniques susceptibles de fonder une révision du contrat ne font pas totalement défaut. On aurait pu invoquer l'idée selon laquelle la théorie de la cause ne doit pas jouer seulement au moment de la formation du contrat, mais aussi lors de son exécution. Partant, une certaine équivalence devrait être maintenue entre les prestations des contractants. Il aurait pu encore être fait appel à la règle qui veut que les conventions soient exécutées de bonne foi (art. 1134, al. 3) ; n'est-ce pas en effet la méconnaître que d'exiger la stricte exécution d'un contrat alors que le changement des circonstances rend écrasante la charge de l'un et dérisoire la prestation de l'autre ? (rappr. la position de la jurisprudence allemande, Rieg, Le rôle de la volonté dans l'acte juridique en droit civil français et allemand, 1961, nos 43, 147, 526 et 533). De même, la possibilité d'une révision aurait pu être déduite de l'article 1135 du Code civil qui dispose que " les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ". Mais, on l'a vu, la haute juridiction récuse dans l'arrêt ci-dessus reproduit toute référence à l'équité. Enfin, il aurait toujours été possible de sous-entendre dans tout contrat de longue durée une clause particulière, dite clause rebus sic stantibus, en vertu de laquelle le consentement est subordonné à la persistance de l'état de fait qui existait au jour où il a été exprimé. Sans doute eût-on objecté que cette interprétation est divinatoire, les parties n'ayant pas envisagé la
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situation qui est à l'origine de la difficulté. Mais elle ne l'est pas plus que la découverte qu'a faite la jurisprudence de certaines obligations dans certains contrats (V. par ex. infra, no 276, pour l'obligation de sécurité dans le contrat de transport).. 4 Dès lors, on peut affirmer que, si la jurisprudence a refusé de s'engager sur la voie de la révision pour imprévision, c'est par un choix délibéré (Marty et Raynaud, Les obligations, t. I, no 250 ; Carbonnier, t. 4, no 144 ; Flour, Aubert et Savaux, Les obligations, vol. I, nos 404 et s. ; Terré, Simler et Lequette, Les obligations, no 441). Celui-ci s'explique principalement par des raisons juridiques ainsi que par des raisons économiques. Raisons juridiques : les tribunaux ont craint, d'une part, que les contractants de mauvaise foi ne cherchent à se dérober à leurs engagements, d'autre part, que l'arbitraire du juge, favorisant l'instabilité du contrat, ne se retourne contre la sécurité juridique. Raisons économiques : la révision du contrat est certes souvent le seul moyen d'éviter la ruine d'une des parties et par là l'inexécution du contrat. C'est d'ailleurs pour éviter l'interruption du service public que la jurisprudence administrative a initialement fait place à la révision pour imprévision. Selon la formule d'Hauriou, la rigidité du service public est assurée par la flexibilité du contrat. Mais admettre la révision dans un cas, c'est risquer de mettre le cocontractant dans l'impossibilité d'exécuter les obligations assumées par lui dans d'autres contrats et par là même provoquer un déséquilibre généralisé " par un jeu de réactions en chaîne impossibles à limiter et même à prévoir " (Flour, Aubert et Savaux, Les obligations, vol. 1, no 413). Or le juge est mal placé pour apprécier si sa décision, particulière par définition, sera au regard de l'économie nationale, bonne ou mauvaise. D'où son refus de procéder à la révision. C'est au législateur, mieux armé pour apprécier les conséquences économiques de tel ou tel choix, d'intervenir ponctuellement, lorsque l'injustice contractuelle est particulièrement criante et qu'une catégorie importante de personnes risque d'être ruinée. Tel a été le cas notamment à la suite des deux guerres mondiales (sur ces interventions, V. Carbonnier, t. 4, no 145 ; Flour et Aubert, Les obligations, vol. 1, nos 421 et s. ; Terré, Simler et Lequette, Les obligations, no 443 ; dans un domaine voisin, le refus jurisprudentiel de réduire le montant des clauses pénales insérées dans le contrat a été brisé par le législateur, V. infra, no 166). Au-delà de ces lois de circonstance, le législateur met parfois en place des systèmes de révision permanents mais limités à un domaine étroit. Ainsi en va-t-il du droit des successions et des libéralités avec la loi du 3 juillet 1971 prévoyant la réévaluation de la soulte due par un copartageant, lorsque " par suite des circonstances économiques, la valeur du bien mis dans son lot a augmenté ou diminué d'un quart depuis le partage " (art. 833-1 C. civ.) ou celle du 4 juillet 1984 " permettant la révision des charges et conditions apposées à certaines libéralités " (art. 900-2 et s. C. civ. ; sur ces lois, V. Terré et Lequette, Les successions, Les libéralités, 3e éd., nos 331-1 et s. et 934). II. - La critique de la solution 5 Reprise par la quasi-totalité de la doctrine civiliste, cette argumentation n'emporte pourtant pas totalement la conviction. L'exemple du droit comparé montre en effet que, très largement admise au XIXe siècle dans les autres pays d'Europe, cette position a été abandonnée depuis lors, tantôt à la suite d'une évolution jurisprudentielle (Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Suisse), tantôt du fait d'une intervention du législateur (Italie, Grèce, Portugal) (Schindler-Viguie, La notion de juste prix en droit positif français, thèse Paris II, 1992, p. 317 et s.). Or en aucun de ces pays, l'admission de la révision pour imprévision n'a, semble-t-il, engendré l'insécurité redoutée (R. David, " L'imprévision dans les droits européens ", Mélanges Jauffret, 1974, p. 211 et s. ;Les contrats en droit anglais, 2e éd., no 432, p. 316 ; D. Tallon, " La révision du contrat pour imprévision au regard des enseignements récents du droit comparé ", Mélanges Sayag, 1997, p. 403). La multiplication des contrats conclus pour une longue durée, soit que la complexité de la tâche à accomplir appelle d'importants délais d'exécution, soit encore que l'insécurité grandissante du monde environnant incite à s'assurer par des accords durables un approvisionnement en matières premières ou en énergie, milite également en faveur d'une évolution de la jurisprudence (Ghestin et Billiau, Le prix dans les contrats de longue durée, 1990, nos 127 et s., p. 168 et s.).
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Certes, instruits par l'expérience, les cocontractants s'efforcent de parer aux conséquences désastreuses de l'instabilité économique ou monétaire au moyen de clauses conventionnelles d'adaptation (R. Fabre, " Les clauses d'adaptation dans les contrats ", RTD civ. 1983. 1 ; M. Fontaine, " Les contrats internationaux à long terme ", Études Houin, 1985, p. 263 ; Ph. Fouchard, " L'adaptation des contrats à la conjoncture économique ", Rev. arb. 1979. 67 ; Jarrosson, " Les clauses de renégociation, de conciliation et de médiation ", in Les principales clauses des contrats conclus entre les professionnels, 1990, p. 141). Celle-ci peut être automatique : clause monétaire indexant le prix à payer sur la valeur de tel produit ou de tel service (sur la validité de ces clauses, infra, no 246), clause du client le plus favorisé qui permet l'alignement des conditions du contrat sur celles plus favorables qui seraient dans l'avenir consenties à un tiers, clause de l'offre concurrente qui permet à une partie, en faisant valoir auprès de son partenaire la proposition plus favorable reçue d'un tiers, d'obtenir soit l'alignement sur celle-ci, soit la suspension ou la résiliation du contrat (Droit et pratique du commerce international, 1978, p. 186 et s.). Il peut également avoir été convenu de renégocier le contrat au cas où des données nouvelles se feraient jour. Tel est l'objet de la clause de hardship qui permet à l'une ou l'autre des parties de demander un " réaménagement du contrat qui les lie si un changement intervenu dans les données initiales au regard desquelles elles s'étaient engagées vient à modifier l'équilibre de ce contrat au point de faire subir à l'une d'elles une rigueur ("hardship") injuste " (V. B. Oppetit, " L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la clause de hardship ", JDI 1974. 794 et s. ; V. aussi Droit et pratique du commerce international 1976, p. 7 et s.). Quant à la clause de force majeure qui a pour objet principal de suspendre l'exécution du contrat en cas d'impossibilité d'exécution, elle peut également conduire à une renégociation du contrat lorsque cette situation se prolonge (Ph. Kahn, " Force majeure et contrats internationaux de longue durée ", JDI 1975. 467 et s. ; V. aussi Droit et pratique du commerce international, 1979. 470 et s.). Mais on a fait valoir que, plutôt que d'inviter les parties à insérer elles-mêmes dans leur contrat des clauses destinées à répudier les solutions actuelles de notre droit, il serait préférable de renverser le principe et d'admettre la révision pour imprévision ? Qu'en est-il, en effet, du bien-fondé d'une règle supplétive que les particuliers sont encouragés à écarter dans tous les cas (R. David, art. préc.,Mélanges Jauffret, p. 229) ? À cela, il est aisé de répondre que l'absence de révision pour imprévision est préférable en ce qu'elle est une puissante incitation à l'adoption de clauses qui apportent une réponse sur mesure aux difficultés nées de l'instabilité économique et monétaire. On est alors en présence d'une règle supplétive qui remplit une fonction répulsive (C. Pérès, La règle supplétive, thèse Paris I, éd. 2004, no 588, p. 571). Un moyen terme consisterait, comme le préconisent certains, à mettre à la charge des parties une obligation de négocier afin d'adapter le contrat au changement des circonstances. Le juge interviendrait alors simplement afin de vérifier si le refus de négocier ne constitue pas un manquement à l'exigence de bonne foi susceptible d'être sanctionné sur le terrain de la responsabilité contractuelle (Y. Picod, " L'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat ", in Le juge et l'exécution du contrat, 1993, p. 68 et s. ; comp. D. Tallon, art. préc.,Mélanges Sayag, p. 414 ; M.-E. Pancrazi-Tian, La protection judiciaire du lien contractuel, 1996, nos 450 et s., p. 361 ; L. Aynès, " Le devoir de renégocier ", RJ com. 1999. 11 et s.). C'est en ce sens que s'oriente l'avant-projet de réforme du droit des obligations (voir art. 1135-2 et 1135-3 ; P. Catala, " La renégociation des contrats ", Mélanges Paul Didier, 2008, p. 91). Encore faudrait-il pour que le mécanisme soit pleinement efficace que le juge exerce, en la matière, un réel contrôle. Tel n'est pas le cas, pour l'heure, de celui qui est exercé lorsqu'une clause de hardship est stipulée, en sorte que l'obligation qui est ainsi contractée se transforme en une obligation purement potestative (Civ. 1re, 3 oct.2006, D. 2007.765, note D. Mazeaud). La Cour de cassation pourrait au demeurant découvrir des raisons de modifier sa position et de faire disparaître l'une des plus célèbres distorsions entre le droit civil et le droit administratif dans l'infléchissement de la jurisprudence du Conseil d'État. En admettant que le concessionnaire peut, alors même que la concession a pris fin, faire jouer à son profit la théorie de l'imprévision comme élément de règlement de la situation définitive (CE
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12 mars 1976, AJDA 1976. 528 et 552, concl. Labetoulle), celui-ci ne fait plus reposer l'admission de la révision pour imprévision sur la seule idée de continuité du service public, mais aussi sur le droit du contractant à un certain équilibre financier (Laubadère, Vénézia et Gaudemet, Droit administratif, t. I, 10e éd., no 1076). 6
L'accroissement des pouvoirs du juge, en matière de détermination du prix, qui résulte des arrêts rendus par l'Assemblée plénière le 1er décembre 1995 (supra, nos 152-155), crée, au reste, un contexte favorable à une consécration de la révision pour imprévision. Mettant en avant une obligation de bonne foi réactivée par une conception solidariste des contrats, un courant doctrinal très actif milite pour l'admission d'une révision judiciaire des contrats dès lors que leur exécution risque, en raison de leur déséquilibre, d'emporter la ruine d'un des contractants (C. Jamin, " Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l'art. 1134 C. civ. ", Dr. et patr. 1998. 46 ; C. Thibierge-Guelfucci, Libres propos sur la transformation du contrat, RTD civ. 1997. 380 ; D. Mazeaud, obs. Defrénois 1999. 373 ; L. Grynbaum, Le contrat contingent, thèse Paris II, 1998 ; L. FinLanger, L'équilibre contractuel, thèse Orléans, 2000. Pour une critique, V. Y. Lequette, " Bilan des solidarismes contractuels ", Mélanges Paul Didier, 2008, p. 247 et s., sp. p. 272). Certaines décisions récentes ont pu être comprises comme un premier pas dans cette direction. Dans le fameux arrêt Huard, la Cour de cassation a, en effet, approuvé la cour de Paris d'avoir considéré qu'en cas de changement de circonstances exposant un distributeur à une concurrence renforcée, le fournisseur était contraint par l'exigence de bonne foi de négocier avec celui-ci un accord de coopération commerciale afin de lui permettre de s'aligner sur ses concurrents (Com. 3 nov. 1992, JCP 1993. II. 22614, note Virassamy, CCC 1993, no 45, RTD civ. 1993. 124, obs. Mestre). Et plus récemment, elle a censuré les juges du fond qui avaient refusé la révision de son contrat à un agent commercial qui se plaignait de la concurrence à laquelle il se trouvait confronté de la part de centrales d'achat qui se fournissaient auprès de ses mandants (Com. 24 nov. 1998, Defrénois 1999. 371, obs. D. Mazeaud, RTD civ. 1999. 98, obs. Mestre). Certes, dans l'un et l'autre cas, le problème posé n'était pas, à proprement parler, celui de l'impré vision, puisque loin d'être dues à des événements fortuits, les situations justifiant l'aménagement du prix avaient été le fait de l'un des contractants. Il n'en reste pas moins que ces décisions " ouvrent directement sur une exigence de renégociation du prix " (Molfessis, " Les exigences relatives au prix en droit des contrats ", LPA, 5 mai 2000, no 90, p. 54, no 29). Quant à certaines cours d'appel, elles n'ont pas hésité, dans deux décisions remarquées à inviter les parties à renégocier leur contrat de bonne foi (Paris, 28 sept. 1976, JCP 1976. II. 18810, note J. Robert, Rev. arb. 1977. 341. et chron. B. Oppetit, p. 315 ; Nancy, 26 sept. 2007, D. 2008. 1120, note. M. Bouttonnet, JCP 2008. II. 10091, note M. Lemoureux). Principes du droit européen du contrat (art. 2-117) et principes Unidroit (art. 6-21 à 23) donnent au juge le pouvoir soit de résoudre soit de modifier le contrat. Mais ils soulignent le caractère exceptionnel de l'action qui n'est ouverte que si l'exécution est excessivement onéreuse pour l'une des parties. Les textes insistent sur le premier devoir des parties qui est de parvenir à un accord amiable. La Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises paraît, en revanche, exclure la révision pour imprévision (art. 79). Document Cour de cassation, chambre commerciale, Audience publique du mardi 29 juin 2010 N° de pourvoi: 09-67369 Non publié au bulletin Cassation
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant : Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société d'Exploitation de chauffage (société SEC) a fait assigner en référé la société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un contrat d'une durée de 12 ans ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d'une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle, aux fins qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
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Vu les articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ; Attendu que pour retenir que l'obligation de la société Soffimat de satisfaire à l'obligation de révision des moteurs n'était pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs et d'en justifier par l'envoi journalier d'un rapport d'intervention, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours à compter du 6 octobre 2008, l'arrêt relève qu'il n'est pas allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l'article 12 du contrat invoqué par la société Soffimat au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d'équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités du contrat ; Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont la société SEC sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; Et sur le second moyen : Vu les articles 564 et 566 du code de procédure civile ; Attendu que pour déclarer irrecevable la demande d'expertise sollicitée par la société Soffimat, l'arrêt retient qu'il s'agit d'une demande nouvelle formée en cause d'appel, sans lien avec les demandes dont le premier juge était saisi ; Attendu qu'en statuant ainsi alors que cette demande était destinée à analyser l'économie générale du contrat et tendait par voie de conséquence aux mêmes fins que la défense soumise au premier juge dès lors qu'elle avait pour objet d'établir que l'obligation, dont l'exécution était sollicitée, était sérieusement contestable, compte tenu du bouleversement de l'économie du contrat entre 1998 et 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société SEC aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Soffimat la somme de 2 500 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille dix. MOYENS ANNEXES au présent arrêt Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société Soffimat. PREMIER MOYEN DE CASSATION IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance du président du Tribunal de commerce de Paris en date du 2 octobre 2008 en ce qu'elle avait ordonné à la société SOFFIMAT d'exécuter ses obligations et plus particulièrement, de réaliser les travaux de maintenance prévus contractuellement et, notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs, et d'en justifier par l'envoi, journalier, d'un rapport d'intervention détaillant les prestations effectivement réalisées, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant trente jours à compter du 6 octobre 2008 au matin, en ce que ladite ordonnance avait dit que le non accomplissement des prestations et l'absence d'envoi d'un rapport journalier d'intervention ouvriraient droit au bénéfice de
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l'astreinte ainsi fixée, et que les prestations requises devraient être terminées au plus tard le 31 octobre 2008, date à laquelle la société SOFFIMAT devrait justifier de la bonne réalisation de ses prestations par l'envoi d'un quitus de bonne fin, et ce, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard, et en ce qu'elle avait précisé que dans l'hypothèse soit d'un refus exprès de la société SOFFIMAT d'intervenir en exécution des prestations requises, soit du constat de sa défaillance, l'ensemble de ce qui précède deviendrait caduc et, que la société SEC serait alors autorisée à faire intervenir la société de son choix aux fins de réaliser les prestations de maintenance auxquelles s'était engagée la société SOFFIMAT, celle-ci devant supporter intégralement le coût des prestations qui seraient facturées par la tierce société requise à raison de la défaillance de la société SOFFIMAT, ainsi que d'AVOIR «fixé à compter du 6 octobre 2008 le constat de la défaillance de cette dernière société dans l'exécution de obligation de faire ordonnée» ; AUX MOTIFS PROPRES QUE « pour s'opposer à la demande d'exécution sous astreinte des travaux de maintenance des 30 000 heures, l'appelante soulève la nullité du contrat sur le fondement de l'article 1131 du code civil voire sa caducité au motif que, le coût de la visite s'élevant à plus du triple de son évaluation initiale, ce contrat n'a plus de contrepartie réelle et son exécution est devenue impossible selon l'économie voulue par les parties à l'origine ; qu'elle allègue également l'existence d'un cas de force majeure tel qu'il est prévu par l'article 8 du contrat, résultant du bouleversement majeur du contexte économique et de l'augmentation impossible et irrésistible des prix imposés par la société JENBACHER, le fabricant, pour la maintenance, lesquels échappent à son contrôle ; que selon elle, l'article 12 prévoyant que les nouvelles conditions économiques peuvent nécessiter une renégociation des clauses du contrat pour l'adapter, l'obligation de bonne foi imposait à la société SEC d'accepter une renégociation comme en 2007, la prestation exigée pour près de 400 000 € correspondant pratiquement aux redevances payées en dix ans ; que ces moyens constituent selon elle autant de contestations sérieuses faisant obstacle à la "compétence" du juge des référés ; Considérant que l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile sur lequel est fondé la demande formée par la société SEC dispose que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce statuant en référé peut ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ; Considérant qu'alors que l'obligation pour la société SOFFIMAT de mettre en oeuvre l'opération de maintenance des 30 000 heures de fonctionnement des moteurs de la centrale de cogénération à compter du 1er avril 2008 pour l'achever avant le 1er novembre n'a pas été contestée dans sa télécopie du 4 juin, ce n'est qu'à partir du 12 juin 2008 que cette société a entendu soumettre l'exécution de cette opération à une révision des conditions du contrat ; Que, dès lors que l'existence de la cause des obligations doit être appréciée lors de la formation du contrat et qu'il n'est pas allégué en l'espèce que le contrat litigieux était dépourvu de cause à la date de sa signature le 24 décembre 1998 puisqu'il est seulement invoqué un déséquilibre économique et une absence de contrepartie réelle actuelle résultant de la hausse du coût des matières premières depuis l'année 2006, le moyen tiré de la nullité encourue du contrat manque de sérieux ; Que le moyen tiré de la caducité du contrat par référence à la demande en ce sens formée devant le juge du fond, sans autre développement devant la cour, n'est pas davantage sérieux ; que l'article 12 du contrat invoqué au soutien de cette prétention est relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pas durant les douze années de son exécution, en sorte que n'est pas manifeste la caducité du contrat tenant à l'impossibilité pour l'appelante de poursuivre son exécution du fait du prétendu refus de la société SEC de reprendre les discussions en vue d'une adaptation du contrat permettant d'en corriger le déséquilibre ; Qu'enfin, si l'article 8 du contrat stipule qu'"aucune partie ne sera considérée en défaut ou en manquement à ses obligations contractuelles dans la mesure où l'exécution de ces obligations est entravée par un cas de force majeure qui se produit après la date de l'ordre de service", il reste que les conditions d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de l'événement constitutif de la force majeure ne sont manifestement pas réunies en l'espèce et que la force majeure invoquée ne saurait résulter de la rupture d'équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités du contrat ; Qu'il s'ensuit que l'obligation pour la société SOFFIMAT de satisfaire à l'opération de révision des moteurs, en fonctionnement depuis plus de 30 000 heures, n'est pas sérieusement contestable ; Considérant, dans ces conditions, que l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a ordonné l'exécution de cette obligation de faire, sauf à repousser au 6 octobre 2008 le constat de la défaillance de la société SOFFIMAT permettant à la société SEC de s'adresser à une société tierce afin, d'une part, de tenir compte du bref délai depuis le prononcé de cette décision pour assurer le démarrage effectif de la révision et, d'autre part, de faire coïncider ce constat avec le point de départ de l'astreinte dont est assortie la mesure» ; ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE «les parties sont liées par un contrat d'une durée de 12 ans signé le 24 décembre 1998 prévoyant de manière imminente la maintenance des moteurs après 30.000 heures de fonctionnement ; Attendu que SOFFIMAT après avoir demandé une hausse de 12,8 % refuse d'effectuer cette opération de maintenance évaluée selon elle à 384.000 Euros ; Attendu que cette opération de maintenance n'arrive qu'une fois, pendant la durée du contrat ; que celui-ci mentionne des formules de révision de prix ; Que le 4 juin 2008, SOFFIMAT indique se préparer à la visite des 30.000 heures ; Que le 12 juin 2008, elle indique vouloir obtenir une augmentation de 12,8 % à compter du 1er juillet 2008 ; Attendu que ceci rend suspect les
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arguments de SOFFIMAT invoquant la force majeure puisque l'opération d'après eux coûte près de 400.000 Euros ; Attendu que le 3 septembre 2008, SOFFIMAT proposait de mettre fin à l'amiable au contrat et ce quatre semaines avant la date limite pour la révision des 30.000 Euros ; Attendu que des motifs économiques de rentabilité ne rentrent pas dans le cadre de l'article 8 du contrat qui prévoit des limites aux engagements souscrits , En conséquence nous ferons droit à la demande en statuant dans les termes de l'assignation» ; 1. ALORS QUE la disparition de la cause d'un engagement à exécution successive entraîne sa caducité ; que le bouleversement de l'économie d'un contrat à raison du changement des circonstances économiques prive de cause un tel engagement, dès lors qu'il rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie ; qu'en conséquence, l'obligation qui en découle est sérieusement contestable ; qu'en écartant le moyen tiré de la caducité du contrat litigieux, au prétexte que son article 12 était relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pas durant les douze années de son exécution, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le bouleversement de l'économie du contrat résultant de la hausse du coût des matières premières depuis 2006 avait rendu l'exécution du contrat excessivement onéreuse pour le débiteur de l'obligation en cause, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 873 et 1131 du Code civil ; 2. ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 10, alinéas 9 à 13), expressément visées par l'arrêt attaqué (p. 2, dernier alinéa), la société SOFFIMAT soutenait, sans faire référence à l'article 12 du contrat litigieux, que l'économie générale de celui-ci avait été affectée par les montants devenus ridicules des redevances stipulées, de sorte que le contrat étant caduc, l'obligation en découlant était sérieusement contestable ; qu'en se fondant sur la seule interprétation de l'article 12 de ce contrat pour rejeter le moyen tiré de la caducité de celui-ci, la Cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 3. ALORS QUE le bouleversement de l'économie du contrat à raison du changement des circonstances économiques rend l'obligation sérieusement contestable, dès lors que le créancier refuse de renégocier de bonne foi le contrat devenu déséquilibré ; qu'en l'espèce, la société SOFFIMAT soutenait dans ses conclusions d'appel (p. 12, alinéas 5 et suivants), expressément visées par l'arrêt attaqué (p. 2, dernier alinéa), que l'obligation de bonne foi qui doit présider à l'exécution des conventions imposait à la société SEC d'accepter une renégociation des modalités du contrat profondément déséquilibré par suite du bouleversement de son économie ; qu'en affirmant que l'obligation de la société SOFFIMAT n'était pas sérieusement contestable, sans rechercher si la société SEC avait accepté de renégocier de bonne foi ce contrat, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 873 et 1134 du Code civil. SECOND MOYEN DE CASSATION IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré la société SOFFIMAT irrecevable en sa demande d'expertise ; AUX MOTIFS QUE «la société SOFFIMAT sollicite la désignation d'un expert financier avec pour mission de donner son avis sur l'économie globale du contrat dans la période comprise entre 1998 et 2008 et fournir tous éléments de calcul et de fait sur le préjudice économique et financier qu'elle a subi ; Que cependant, s'agissant d'une demande nouvelle formée en cause d'appel, sans lien avec les demandes dont le premier juge était saisi, c'est à bon droit que l'intimée en soulève l'irrecevabilité par application de l'article 564 du code de procédure civile» ; ALORS QUE les prétentions ne sont pas nouvelles en cause d'appel, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ; qu'il résulte des énonciations de l'ordonnance déférée à la Cour d'appel que la société SOFFIMAT soutenait que les demandes de la société SEC se heurtaient à une contestation sérieuse, inhérente à l'impossibilité d'exécution du contrat selon l'économie voulue par les parties ; que dès lors, la demande, formulée pour la première fois en cause d'appel, tendant à voir désigner un expert avec pour mission de donner son avis sur l'économie générale dudit contrat et fournir tous éléments sur le préjudice économique et financier subi par l'appelante ne constituait pas une prétention nouvelle ; qu'en jugeant néanmoins cette demande irrecevable, la Cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du Code de procédure civile.
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