RÉSULTAT RÉSULT AT DE RECHERCHE LEXTENSO.FR - 10/09/2017 18:35 | UNIVERSITE AIX MARSEILLE
La notion de théorie générale, son application en droit des contrats. Théorie générale du contrat et théorie générale des contrats spéciaux Issu Is su de Petite Petitess af af !ches - 28/11/2012 - n° 238 - page 4 ID : PA201211284 Auteur(s): Éric SAVAUX
Existe-t-il une théorie générale des contrats spéciaux ? La question fait écho à celle posée naguère : la théorie générale du contrat existe-t-elle 1? L'identité de la problématique et la proximité des objets auxquels elle s'applique justi !ent le thème de cet exposé introductif. Il s'agit de savoir si l'on peut tirer des enseignements de l'analyse conduite sur la théorie générale du contrat pour la ré "exion actuelle sur la théorie générale des contrats spéciaux. De quoi parle-t-on exactement lorsque l'on invoque ce concept ? Quelle est la nature exacte — ou l'objet — d'une théorie générale des contrats spéciaux ? Qui la fait, dans quel(s) but(s) ? (...). Peut-être ce que l'on a découvert de la théorie générale du contrat peut-il aider à la compréhension de la théorie générale des contrats spéciaux. Les juristes raffolent des théories et notamment des théories générales, qui pullulent en droit : la théorie générale du procès, celle de la suspension du contrat de travail, celle des circonstances aggravantes... la théorie générale du droit aussi. La théorie est alors considérée, pour l'essentiel, selon le sens que le vocabulaire Capitant donne au mot « théorie juridique » : « activité doctrinale fondamentale dont l'objectif est de contribuer à l'élaboration scienti !que du droit, en dégageant les questions qui dominent une matière, les catégories qui l'ordonnent, les principes qui en gouvernent l'application... ». Quant à la notion de théorie générale, elle n'est approfondie que lorsqu'elle est appliquée au droit. La dé !nition varie selon les auteurs, mais il s'agit toujours d'une activité doctrinale de pénétration de l'essence du juridique, indépendamment des particularités des branches du droit ou des systèmes juridiques. En revanche, quand il s'agit de la théorie générale de tel ou tel élément particulier, la notion n'est généralement pas dé !nie, mais l'objet est de saisir le tout de l'institution considérée. Selon l'indication fournie par Didier Martin, « Le propos d'une théorie générale répond à l'idée d'une construction intellectuelle, méthodique et organisée, visant à ériger en synthèse cohérente la pensée relative à une matière déterminée » 2. À cet égard, théorie générale du contrat et, dans une moindre mesure, théorie générale des contrats spéciaux apparaissent comme d'étranges théories. En effet, ces locutions ne désignent pas une activité de la doctrine, mais une fraction du droit positif. Tel est le cas lorsqu'un auteur indique que « la théorie générale des contrats (...) réunit les règles qui sont communes à tous les contrats » 3, ou que d'autres précisent qu'il « s'agit d'une théorie générale, qui ne s'attache pas au particularisme des contrats spéciaux... La théorie est donc abstraite, ayant ayant pour objet les règles communes à l'ensemble des contrats » 4. La théorie générale du contrat désigne alors les règles applicables à tous les contrats 5, par opposition à celles valant pour chacun des différents types (art. 1582 à 2070). La théorie générale du contrat s'oppose alors au droit des contrats spéciaux.
L'assimilation de la théorie générale du contrat à une fraction du droit positif n'est cependant pas totale. Des variations de sens sont observables dans la doctrine qui utilise la formule sans grande rigueur. Ainsi, lorsque les auteurs précités jugent, l'un, « que les auteurs ont contribué à élaborer la théorie générale des contrats et des obligations » 6, les autres que « depuis le milieu des années 1980, une aspiration au retour à la théorie générale du contrat... se manifeste dans la doctrine et dans le droit positif » 7. La théorie générale n'est alors pas réductible à un ensemble de normes. Elle emprunte, au moins pour partie, à la science du droit, ce qui rend tolérable l'utilisation du mot « théorie ». L'analyse de ces divergences a démontré l'existence de deux phénomènes 8. Le premier est une tendance irrésistible à confondre la théorie générale et le droit commun des contrats, ce qui fonde le mythe de sa positivité. Le second, corrélatif, est une dissimulation de la nature véritable de la théorie générale du contrat qui est une activité de la science du droit dans le domaine du contrat, et le produit de cette activité. Les règles générales positives du contrat ne constituent pas la théorie générale du contrat qui se trouve ailleurs. La théorie générale des contrats spéciaux suscite les mêmes conclusions, avec des nuances importantes. Il est dif !cile de dater exactement l'apparition du concept de théorie générale du contrat que l'on peut seulement situer à la !n du XIXe siècle. Au contraire, la naissance de celui de théorie générale des contrats spéciaux peut être établie avec précision. En 1985, la faculté de droit de Poitiers organisa les premières journées Savatier consacrées à l'évolution contemporaine du droit des contrats. Le doyen Jean Carbonnier y avança l'idée d'y « réserver une place pour la théorie générale des contrats spéciaux », ajoutant qu'il en existe « l'amorce dans les articles 1101 et suivants — la classi!cation des contrats — et surtout dans l'article 1107 — le contrat innomé. Mais il y faudrait d'avantage : des règles sur la quali !cation, sur la possibilité et le traitement des contrats mixtes » 9. Dans le même contexte, Philippe Jestaz soutint la nécessité d'inventer, « de toute urgence », une théorie générale des contrats spéciaux a !n d'éviter que la théorie générale du contrat ne risque « de tourner à vide tandis que de leur côté les contrats spéciaux relèveraient, chacun pour ce qui le concerne, d'une sorte de technologie primaire » 10. Il s'agissait donc d'insérer entre la théorie générale du contrat et le droit des contrats spéciaux un corps intermédiaire de règles traitant de questions communes aux contrats spéciaux. Trente ans plus tard, le projet n'a pas été mené à bien. Le Code civil n'a pas été réformé dans le domaine du contrat et la doctrine recherche toujours les matériaux de la théorie générale des contrats spéciaux, ce qui explique que l'on se demande aujourd'hui si elle existe. Il serait présomptueux et prématuré, en début de colloque, de répondre à cette question. Pour nourrir la ré"exion, on peut simplement dire que deux enseignements naissent de la confrontation de la théorie générale des contrats spéciaux avec l'expérience de la théorie générale du contrat. La théorie générale des contrats spéciaux partage avec celle du contrat une tendance très nette à la confusion avec le droit commun. Mais comme, contrairement au droit commun du contrat, celui des contrats spéciaux n'existe pas encore de manière certaine, il s'agit, pour l'essentiel, d'un projet pour l'avenir. Or, parce que la théorie générale ne doit pas être confondue avec le droit commun, ce projet tend en réalité à la consécration d'une fausse théorie générale (I) (I), alors que la vraie théorie générale des contrats spéciaux existe déjà mais sous une autre forme ; elle est d'aujourd'hui (II) (II).
I. Pour l'avenir : une fausse théorie générale des contrats spéciaux Pour l'avenir, la doctrine s'efforce de découvrir, non pas une théorie générale, mais un droit commun des contrats spéciaux. C'est très clair lorsqu'au-delà des mots qui hésitent entre théorie générale et droit commun des contrats spéciaux (A) (A), on examine la chose qu'ils décrivent qui est invariablement
un nouveau corps de règles applicables aux contrats spéciaux (B) (B).
A. Les mots : théorie générale ou droit commun des contrats spéciaux ? Les mots « théorie générale des contrats spéciaux » se sont vite répandus dans la littérature à la suite de Jean Carbonnier et de Philippe Jestaz. En 1987, Loïc Cadiet proposait « d'intercaler, entre le droit commun du contrat, considéré en général, et les droits propres à chaque espèce de contrat, considérée en particulier, une sorte de théorie générale des contrats spéciaux » 11. En 2006, la Revue des contrats ouvre un débat intitulé « Une théorie générale des contrats spéciaux ? ». Tous les auteurs comprennent la question comme consistant à déterminer s'il est possible de consacrer des « règles particulières communes aux divers contrats spéciaux » 12, également de regrouper les contrats spéciaux par familles, a !n, notamment, de traduire les rapprochements qui résultent de l'existence de règles communes 13. L'argumentaire de présentation de ce colloque pose en gros la même question. Les causes de l'interrogation sont bien connues. Depuis 1804, les !gures du contrat se sont considérablement transformées, les petits contrats devenant grands, les contrats gratuits devenant intéressés... Surtout, les espèces de contrats se sont diversi !ées, la vente, le bail, le mandat... obéissant à des régimes de plus en plus spécialisés en fonction de la nature du bien ou du service considéré, de la qualité des parties... À côté des contrats nommés, l'innomé a connu un fantastique développement, notamment sous la forme des contrats complexes. Les sources du droit des contrats spéciaux se sont également transformées. Les règles sont de plus en plus souvent hors du code, dans une législation de plus en plus spécialisée et impérative. Le droit de la consommation et le droit de la concurrence, internes et européens, les droits de l'Homme... se sont ajoutés aux classiques droits civil et commercial... Ces mutations ont provoqué un éclatement du droit des contrats spéciaux mais elles ont aussi suscité de nouveaux rapprochements que la théorie générale des contrats spéciaux a pour objet de traduire. L'œuvre est nécessaire pour remettre de l'ordre dans le droit contemporain des contrats, notamment dans la perspective d'une recodi!cation. C'est ici que réside la différence radicale entre la théorie générale du contrat et celle des contrats spéciaux précédemment évoquée. Comme il existe dans le Code civil un ensemble de règles générales applicables à toutes les conventions, personne ne doute vraiment que la théorie générale du contrat existe. Tout juste se demande-t-on si cette existence n'est pas menacée, à l'époque moderne, par la prolifération du droit spécial. En tout cas, la théorie générale du contrat est dotée d'une positivité que l'on n'attribue pas, en principe, à la théorie générale des contrats spéciaux qui reste, pour l'essentiel, à construire, même si certains linéaments existent en droit positif. Ce que la théorie générale des contrats spéciaux partage néanmoins avec celle du contrat, c'est qu'il s'agit de principes régissant les contrats, donc de droit objectif pour lequel le mot « théorie » est mal adapté. Au demeurant, quelques rares auteurs l'évitent soigneusement 14. Tel est le cas de Pascal Puig qui, bien que n'invoquant jamais la nécessité de distinguer théorie générale et droit commun, opte systématiquement pour le second pour décrire la recomposition du droit des contrats spéciaux. C'est en effet « Pour un droit commun spécial des contrats » qu'il plaide 15. La dénomination est aussi a priori étrange, mais elle s'explique fort bien et elle paraît effectivement plus adaptée à l'objet qu'elle décrit. Il s'agit d'installer entre le droit commun du contrat, les droits communs aux principales obligations contractuelles, les droits spéciaux et très spéciaux des différents contrats et les statuts liés à des particularismes subjectifs, « un droit commun spécial des contrats qui s'attacherait aux principales opérations que permettent d'accomplir des contrats spéciaux : transférer la propriété, mettre à disposition, garder, restituer... » 16. Malgré des mots différents, la chose décrite est donc la même que celle baptisée : « théorie générale des contrats spéciaux » par les autres auteurs.
B. La chose : un nouveau corps de règles pour les contrats spéciaux
La chose appelée « théorie générale des contrats spéciaux » est donc, pour l'essentiel, un nouveau corps de règles rassemblant, à un niveau inférieur par rapport à la « théorie générale du contrat », mais supérieur au droit de chaque convention, des principes valables pour plusieurs types de contrats. Certes, les objets couverts par le concept sont en réalité plus nombreux que cela, en relation avec la vraie nature d'une théorie générale 17. Mais l'activité très largement dominante est la recherche de règles partagées par différents contrats spéciaux a !n de réordonner la matière, autrement dit celle d'un droit commun et pas d'une théorie générale. Le sentiment général est que si ce droit commun n'existe pas en tant que tel, les éléments se trouvent déjà pour partie dans le droit positif. Le droit commun des contrats spéciaux est donc doté d'une semi-positivité. Seuls quelques rares auteurs sont d'un avis contraire, notamment ceux qui contestent les dénominations « droit spécialisé des contrats » ou « droit spécial des contrats », « pour laisser penser qu'il y a là une véritable discipline, qu'il existe, outre une théorie générale du contrat, une théorie générale des contrats spéciaux » 18, alors que les quelques règles rapprochant les contrats sont insuf !santes et que, si une solution commune apparaît, elle enrichit le droit commun des contrats. Ceux qui s'efforcent au contraire de faire apparaître un droit commun en germe empruntent plusieurs voies, alternativement ou cumulativement. La plus évidente consiste à rechercher les règles qui, en droit positif, s'appliquent déjà à plusieurs contrats spéciaux ou celles qui pourraient être étendues de l'un à l'autre. Les directions foisonnent. Elles concernent notamment la généralisation des devoirs d'information et de conseil, celle de l'obligation de sécurité, l'encadrement des clauses limitatives de responsabilité, le débordement hors de la vente des règles de la garantie... 19. Ces éléments suscitent des interrogations concernant leur champ d'application. Par leur extrême généralité, certaines solutions paraissent appartenir plus au droit commun des contrats qu'aux contrats spéciaux comme le prouve, par exemple, la consécration de l'obligation d'information dans les projets de réforme. Quant aux autres, il faudrait dé !nir avec précision leur domaine. Dans la formation de ces règles générales, certaines disciplines transversales comme le droit de la concurrence et le droit de la consommation jouent un rôle essentiel, par exemple s'agissant de la garantie légale de la conformité des biens vendus aux consommateurs qui s'applique non seulement à la vente mais aussi aux contrats d'entreprise ayant pour objet la fabrication d'un bien meuble. Le droit de la consommation alimente pas mal les ré "exions en ce qu'il suscite une question importante : les contrats de la consommation pourraient-ils constituer une catégorie soumise à un régime spéci!que ? La réponse est généralement négative, aux motifs que le seul élément caractéristique serait la qualité des parties, insuf !sante à fonder un corps cohérent de règles originales. La vente ou la prestation de services conclues par un consommateur restent une vente ou un contrat d'entreprise soumis aux dispositions du Code civil. Cependant, l'opinion contraire a été récemment soutenue avec quelques raisons. Au-delà de la singularité de contrats particuliers régis par le Code de la consommation ou par des lois spéciales, le droit de la consommation procède à des regroupements qui correspondent au niveau intermédiaire baptisé « théorie générale » dans le domaine des contrats spéciaux : par exemple en appliquant indifféremment à la vente et à la prestation de services des règles relatives à l'information précontractuelle sur les caractéristiques essentielles, ou sur les délais de livraison... Par ailleurs, la catégorie générale du contrat de consommation tend à se constituer autour d'un régime commun englobant des dispositions uniformes en cas de démarchage à domicile ou de conclusion à distance et celles applicables à tous les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, comme la réglementation des clauses abusives ou l'interprétation contre le professionnel 20. La seconde méthode consiste à construire le droit commun spécial à partir des éléments qui composent les contrats spéciaux, de leur structure. Il existe deux variantes. Une première suggestion émise à l'occasion du bicentenaire du Code civil et de la question de la recodi !cation a connu une certaine fortune. Formulée par Alain Bénabent, elle consiste à « décloisonner les quali!cations par des théories spéciales », à « renoncer au classement en quelque
sorte vertical que nous connaissons au pro !t de régimes transversaux s'attachant non plus à opposer des contrats dé!nis les uns aux autres, mais à établir des corps de règles liés à l'objet et à la fonction de tel ou tel type d'obligation, quel que soit le contrat précis dans lequel elle vient s'insérer » 21. Par exemple, le transfert de propriété d'un bien devrait avoir les mêmes effets sans se demander s'il se produit à la suite d'une vente, d'un contrat d'entreprise ou en échange d'un service. Ou encore, il faudrait appliquer au transfert de la détention d'un bien le même régime, qu'elle intervienne en exécution d'un contrat de dépôt, d'un mandat, d'une location... Cette proposition suscite deux remarques. D'une part, la méthode aboutit à la formation d'un droit commun des obligations 22 — ou des effets des contrats —, pas à celle d'un droit commun des contrats spéciaux. D'autre part, elle est insuf !sante pour établir le régime d'un contrat donné. Comme l'auteur le reconnaît, il faut croiser cette approche avec plusieurs autres, notamment le caractère gratuit ou onéreux du contrat, la considération de son économie et de l'intérêt dans lequel il est conclu. Or, il n'est pas sûr que l'addition n'ait pour effet que d'« af !ner les théories spéciales » ; dans certains cas, elle pourrait bien les ruiner 23. La seconde objection vaut contre une proposition voisine consistant à réorganiser la matière à partir des « opérations élémentaires » dé !nies comme des « groupes d'obligations rassemblées en vue d'une !nalité commune élémentaire : transférer la propriété, transférer la jouissance, créer un bien, rendre un service, conserver, représenter » 24. À première vue, le fait que ces opérations « mettent en œuvre plusieurs obligations réciproques » écarte la critique de la mutilation du régime du contrat. Mais ne faut-il pas alors traiter du transfert de la propriété ou de la jouissance à titre gratuit ou à titre onéreux, ou tout au moins intéressé, de même pour la création d'un bien et la fourniture d'un service ? C'est d'ailleurs à ce résultat qu'on aboutit avec la proposition de sous-distinctions applicables aux catégories d'opérations élémentaires et tenant à la contrepartie de l'opération envisagée qu'ajoute l'auteur 25. Le point commun de ces deux propositions est qu'il s'agit de « décloisonner les quali !cations » 26, de « décomposer » 27 les catégories du code jugées dépassées. Énoncées à propos des obligations, des effets du contrat ou des « opérations élémentaires », les règles devraient être assemblées pour fabriquer le régime de tel ou tel contrat. La méthode présente indiscutablement des avantages pour le traitement des contrats complexes qui est un point important de la théorie générale des contrats spéciaux. Mais, outre les objections précédemment évoquées et le fait qu'il ne serait pas facile à traduire dans la loi à propos des contrats spéciaux, ce procédé présente a priori l'inconvénient de ne pas !xer à l'avance le régime global du contrat, même pour les types élémentaires. D'où, parfois, la tentation de le compléter par une « recomposition des familles » 28 de contrats. Les familles de contrats sont nécessaires à la classi !cation et à la quali !cation, essentielles dans la théorie générale des contrats spéciaux. Mais il s'agit de familles recomposées 29. Il conviendrait en effet d'élaborer des classi !cations en remplacement de celles du code, inadaptées aux contrats modernes. Là aussi, les propositions abondent. Certains suggèrent de reconstruire à partir de l'objet du contrat dé!ni comme l'opération souhaitée par les parties 30 ou comme l'obligation caractéristique ou fondamentale 31, d'autres en fonction de la nature des biens sur lesquels porte le contrat 32, d'autres encore en se fondant sur son objectif économique 33. Le programme du colloque suggère que le regroupement pourrait aussi se faire en fonction du domaine d'activité ou du mode de formation. Dans une vue positiviste, il s'agit de regrouper les contrats à partir de critères prédé !nis de telle sorte que chaque convention nouvelle qui sera rattachée à une catégorie soit soumise à une réglementation minimum valant pour tous les contrats du même type. Classi !cation et quali!cation permettent de dé!nir le régime du contrat. De là naissent d'ailleurs, non pas un droit commun spécial mais des droits communs spéciaux, ce qui ajoute à la complexité de la matière. Dans une perspective plus scienti !que, il s'agit de mettre de l'ordre en distinguant différentes classes d'objets à partir d'éléments qui les réunissent et les opposent aux autres. Les classi !cations et la quali!cation appartiennent donc, par certains aspects au droit commun spécial, par d'autres à la théorie générale des contrats spéciaux dont ils contribuent à révéler la véritable nature.
II. Aujourd'hui déjà : la véritable théorie générale des contrats spéciaux La véritable théorie générale des contrats spéciaux n'est pas très différente de la théorie générale du contrat. Les enseignements dégagés de l'analyse de l'une valent dans l'ensemble pour l'autre. On peut donc les synthétiser très rapidement. Comme la théorie générale du contrat, la théorie générale des contrats spéciaux correspond en réalité à une activité doctrinale (A) et au produit de cette activité (B) (B).
A. Une activité doctrinale L'activité doctrinale qui constitue la vraie théorie générale des contrats spéciaux est multiple. On la trouve non seulement dans les articles et chroniques qui traitent spéci !quement de la question de son existence, mais également dans les ouvrages de droit des contrats spéciaux, particulièrement dans les introductions, et également dans quelques thèses, particulièrement dans celle de Charlotte Goldie-Genicon 34. Dans ces écrits, la part de science juridique appliquée est nettement dominante. Il s'agit en effet, pour l'essentiel, de dégager du droit moderne des contrats, émietté pour régir des !gures contractuelles de plus en plus singulières, des corps de règles valant pour des catégories de contrats redessinées. La doctrine est alors l'auxiliaire d'un hypothétique législateur réformiste au pro !t duquel elle met à disposition sa compétence. À cet égard, la théorie générale des contrats spéciaux est le fruit d'un contexte historique dans lequel la recodi !cation joue un rôle non négligeable, ce qui la distingue nettement de la théorie générale du contrat. Il ne s'agit pas de rajeunir des règles existantes mais d'en créer de nouvelles, raison pour laquelle l'illusion de la positivité de la théorie générale est moins ancrée dans les contrats spéciaux que pour le contrat en général. Pour mener à bien sa tâche, la doctrine met en œuvre les ressources classiques du raisonnement juridique : l'analogie, l'induction... comme lorsqu'on se demande, par exemple, si le contrat de travail peut être le précurseur d'un droit commun des contrats spéciaux. Cela conduit à la révélation, selon la terminologie forgée par Pascal Puig 35, de « droits communs » « par superposition », « par imitation », « par transposition », « par harmonisation ». La doctrine s'efforce également de construire ses propositions à partir d'une connaissance approfondie des modèles de contrats, des clauses usuelles... qui relève aussi de la science juridique appliquée, de même que la !n à laquelle elle tend : la transformation du droit des contrats. Pour autant, toute science fondamentale n'est pas absente de la théorie générale des contrats spéciaux. On trouve en effet, en quantité variable, des ré "exions concernant les traits dominants et l'esprit de la législation, le sens de son évolution, la diversi !cation des sources du droit des contrats spéciaux et notamment leur européanisation, les transformations des pratiques contractuelles... C'est aussi à partir des informations issues de ces questionnements que la doctrine imagine le droit commun spécial à venir. En fonction de choix de politique juridique aussi : faut-il libérer l'initiative individuelle et favoriser la souplesse dans le régime des contrats ou faire régner plus de justice et protéger les contractants faibles... ? La théorie générale des contrats spéciaux est aussi le produit de ces interrogations.
B. Le produit de l'activité doctrinale Le produit de l'activité doctrinale, c'est une forme particulière du droit commun : non pas le droit commun tel qu'il est — le droit commun positif ou semi-positif —, mais le droit commun tel que les auteurs le perçoivent ou le conçoivent : un droit commun savant. Cette dimension est particulièrement nette dans la théorie générale des contrats spéciaux puisque le droit commun que les auteurs révèlent n'est pas livré tel quel par les sources institutionnelles du droit. C'est la doctrine qui, par des rapprochements, des analogies, des inductions... le forge, donnant ainsi au droit positif
une rationalité, une cohérence qu'il ne contient pas forcément. De ce point de vue, la théorie générale des contrats spéciaux ressemble aussi à celle du contrat. Avec une différence, cependant. Bien que s'intéressant à des questions cruciales, la théorie générale des contrats spéciaux est beaucoup moins infestée de philosophie que la théorie générale du contrat, justement parce qu'elle ne s'intéresse pas au contrat en général. Point de grand système bâti sur l'autonomie de la volonté ou le juste et l'utile dans le contrat, donc ; seulement des formes subalternes comme la liberté contractuelle et des considérations sur ce qu'il paraît souhaitable de faire, dans une société moderne, pour adapter le droit à ses besoins. Le pragmatisme du droit des contrats spéciaux imprègne la doctrine des contrats spéciaux. Malgré cette ultime différence, la conclusion générale est fondamentalement la même qu'à propos de la théorie générale du contrat. La théorie générale des contrats spéciaux existe, mais pas sous la forme qu'on lui prête ordinairement. C'est une activité doctrinale ayant pour objet la conception d'un ou plusieurs corps de règles de niveau intermédiaire régissant les contrats, mieux dénommés « droit commun spécial » ou « droits communs spéciaux », et le produit de cette activité. L'approfondissement de la distinction, celui des raisons de la confusion ordinaire des deux notions... relève de l'épistémologie juridique qui n'est pas l'orientation de ce colloque. Selon les vœux des organisateurs, continuons donc à faire de la théorie générale en nous demandant, en réalité, si le droit commun des contrats spéciaux existe. 1 – (1) E. Savaux, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, LGDJ, 1997, préf. J.-L. Aubert. 2 – (2) D. Martin, Préface à la thèse de J. Duclos, L'opposabilité (essai d'une théorie générale), LGDJ, 1984. 3 – (3) G. Cornu, Regards sur le titre III du livre III du Code civil «Des contrats ou des obligations conventionnelles en général» (Essai de lecture d'un titre du code), Cours de DEA droit privé 1976, Les cours de droit, 1976, n o 41. 4 – (4) P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, Defrénois, 2009, 4 e éd., no 400. 5 – (5) C. civ., art. 1101 à 1167. 6 – (6) G. Cornu, op. cit., n o 55. 7 – (7) P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit civil, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2011, 5 e éd., no 35. 8 – (8) E. Savaux, op. cit. 9 – (9) J. Carbonnier, «Introduction», in L'évolution contemporaine du droit des contrats, PUF, Publications de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, 1986, T. 15, p. 31. 10 – (10) P. Jestaz, L'évolution du droit des contrats spéciaux dans la loi depuis 1945, ibid., p. 135. 11 – (11) L. Cadiet (dir.), «Interrogations sur le droit contemporain des contrats», in Le droit contemporain des contrats, Économica, 1987. 12 – (12) J.-J. Barbièri, «Pour une théorie spéciale des relations contractuelles», in Une théorie générale des contrats spéciaux, RDC 2006/2, p. 621 13 – (13) V. particulièrement P.-Y. Gautier, Prolégomènes à une théorie générale des contrats spéciaux, ibid., p. 610. V. également F. Collart-Dutilleul, La théorisation des contrats spéciaux : du droit des contrats au droit des biens, ibid., p. 605. 14 – (14) Parlant aussi de droit commun complémentaire de la théorie générale, après avoir évoqué la théorie générale des contrats spéciaux, v. J.-J. Barbièri, art. préc. En réalité, dans la matière des contrats spéciaux comme dans celle du contrat en général, «théorie générale» et «droit commun» sont utilisés comme synonymes, notamment pour des raisons de style.
15 – (15) P. Puig, «Pour un droit commun spécial des contrats», in Le monde du droit, Écrits rédigés en l'honneur de Jacques Foyer, Économica, 2008, p. 825. 16 – (16) L'expression « droit commun spécial » est jugée préférable à celle de « droit commun des contrats spéciaux » parce que «la spécialité s'attache moins aux contrats eux-mêmes qu'au droit qui les régit. Il s'agit bien d'un droit commun puisqu'il transcende les catégories contractuelles connues, mais il s'agit d'un droit spécial en ce qu'il n'a pas vocation à régir tous les contrats mais seulement ceux qui mettront en œuvre l'une des opérations élémentaires précitées». 17 – (17) V. infra II. 18 – (18) P.-H. Antonmattei et J. Raynard, Droit civil, Contrats spéciaux, Litec, 2008, 6 e éd., no 3. 19 – (19) V. notamment P.-Y. Gautier, Prolégomènes à une théorie générale des contrats spéciaux, préc. ; P. Puig, Pour un droit commun spécial des contrats, préc. 20 – (20) N. Sauphanor-Brouillaud, Le contrat de consommation et les contrats spéciaux, Mélanges en l'honneur de B. Gross, PU Nancy, 2009, p. 305. 21 – (21) A. Benabent, «Les dif !cultés de la recodi!cation : les contrats spéciaux», in Le Code civil 1804-2004, Livre du bicentenaire, Dalloz-Litec, 2004, 245, spécial, p. 250 et s. 22 – (22) L'auteur distingue comme objet de l'obligation servant à construire ces théories spéciales : le transfert de la propriété d'un bien, celle de la détention, la promesse de jouissance, le versement d'une somme d'argent, l'exécution d'une prestation de service, l'engagement de ne pas faire. 23 – (23) Ainsi de la précision que les garanties dues par le vendeur ne le sont pas par un donateur qui contredit largement l'idée d'une identité d'effets du transfert de propriété d'un bien. 24 – (24) P. Puig, Pour un droit commun spécial des contrats, préc. 25 – (25) Qui retient aussi la considération de la nature des biens ou des services faisant l'objet de l'opération (meuble corporel, immeuble, droit de la propriété intellectuelle, chose fongible ou non... service relatif à une chose ou à la personne, standardisé ou individualisé...). 26 – (26) A. Bénabent, op. cit. 27 – (27) P. Puig, op. cit. 28 – (28) Ibid. 29 – (29) J. Carbonnier lui-même situait «l'amorce» de la théorie générale du contrat dans les articles 1001 et suivants du Code civil qui dé !nissent les différentes classes de contrats et surtout dans l'article 1107 qui distingue le nommé et l'innomé, les contrats civils et les contrats commerciaux. 30 – (30) J.-J. Barbièri, «Pour une théorie spéciale des relations contractuelles» : RDC 2006/2, 621. 31 – (31) F. Collart-Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 2007, 8 e éd., nos 28 et s. 32 – (32) Comme les créations intellectuelles ou les aliments : F. Collart-Dutilleul, «La théorisation des contrats spéciaux : du droit des contrats au droit des biens» : RDC 2006/2, p. 604. 33 – (33) Ce qui conduirait à distinguer les contrats créateurs de richesses (entreprise, contrats de services, production) reposant sur une obligation de facere, les contrats permettant la circulation des richesses fondés sur une obligation de praestare et ceux en assurant la conservation : P. Puig, op. cit. 34 – (34) Contribution à l'étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, préf. Y. Lequette, LGDJ, 2009. En réalité, cet ouvrage relève plus de la théorie générale du contrat que de celle des contrats spéciaux. 35 – (35) Op. cit.
Issu Is su de Petites af !ches - 28/11/2012 - n° 238 - page 4 ID : PA201211284 Permalien : lext.so/PA201211284 Auteur(s) : Éric SAVAUX
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