«AFFAIRE ME SEYE / UN MEURTRE SUR COMMANDE» DE Abdoulatif Coulibaly ;: Accusation de Pape Ibrahima Diakhaté : Me WADE, LE COMMANDITAIRE DU CRIME (Le Quotidien (Sn) 14/12/2005) Abdoulaye Wade a du souci à se faire. Après Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée ?, paru en 2003, le journaliste Abdou Latif Coulibaly récidive avec Affaire Maître Sèye : un meurtre sur commande. L’ambition de son enquête : faire toute la lumière sur l’assassinat de Me Babacar Sèye. Et une nouvelle fois, il risque de faire trembler le Palais Léopold Sédar Senghor. «En l’état des faits et selon mon intime conviction, Abdoulaye Wade ne peut pas avoir fait assassiner Me Babacar Sèye.» Tels étaient, en 2003, les propos tenus par Abdou Latif Coulibaly dans son ouvrage Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ? Deux ans et une enquête plus tard, le journaliste a radicalement changé d’avis sur la question. Pour preuve, son dernier opus sorti, lundi dernier en France : Affaire Maître Sèye : Un meurtre sur commande. Dans cet ouvrage, Latif Coulibaly déroule le fil des événements ayant précédé et suivi l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, le 15 mai 1993, et les éclaire des témoignages qu’il a recueillis tout au long de son enquête. Le résultat est pour le moins sans ambiguïté : après 192 pages, le lecteur est fixé sur le commanditaire du meurtre. Lors de ses recherches pour son précédent ouvrage, Latif Coulibaly fait «une découverte surprenante, qui (lui) a donné envie de poursuivre (son) enquête et d’écrire sur cette affaire» : les indemnités versées à la famille de Me Sèye par le Président Abdoulaye Wade et les 18 millions donnés à chaque assassin du juge à leur sortie de prison. Il cherche à contacter l’un des trois assassins de Me Sèye. La chance lui sourit en octobre 2004. Estimant que, pour lui, «le moment est venu de parler», Pape I. Diakhaté prend contact avec le journaliste. Cette rencontre sera le début de nombreux entretiens, «disponibles en version images et son». AVEUX DE PAPE IBRAHIMA DIAKHATE Pape Ibrahima Diakhaté, présenté tout au long de l’ouvrage comme un «homme troublé qui souffre et demande maintenant à être écouté», déroge à l’image que les médias avaient forgée de lui en 1993. «Je me suis fait une toute autre image de l’homme», explique Abdou Latif Coulibaly, «il a, sans conteste, mûri». Conscient de son acte, «coupable, mais pas nécessairement responsable de (ses) actes», La version de Pape Ibrahima Diakhaté «vertèbre» le livre. Latif Coulibaly, adoptant la méthode de la triangulation, vérifie les informations, les confronte avec des données émanant de sources policières ou de versions de personnes, à l’époque, titulaires de hautes fonctions politiques. L’objectif: «fiabiliser les informations qui constituent la trame de cet ouvrage.» Désireux d’analyser les raisons qui ont mené au 15 mai 1993, le journaliste fait débuter son enquête en 1988. A cette époque, Pape Ibrahima Diakhaté, Clédor Sène, Ousmane Sène et Ameth Guèye, poussés par «notre engagement dont se servaient, en abusant de notre innocence et de notre naïveté juvéniles, Abdoulaye Wade et ses partisans», font partie d’un «commando», chargé par «le Pds et son leader (...) de semer le désordre et le chaos dans le pays, afin de créer les conditions d’une insurrection populaire (...)» et ainsi empêcher le Ps de rester au pouvoir. La violence est présentée comme le seul recours : «Je peux dire, avec exactitude, que Me Wade, lui, était (au sein du Pds) du camp qui prônait la violence. Il en était même l’instigateur principal. Il nous donnait des instructions, planifiait nos agissements directement ou par personne interposée. Tantôt c’était Ablaye Faye, tantôt c’était Mody Sy qui nous dirigeaient vers nos cibles», explique Diakhaté.
Considérant à l’époque Abdoulaye Wade comme «un idéal de dirigeant», l’appelant même «Dieu, le Miséricordieux», et racontant que «j’étais subjugué, je croyais à sa parole, je l’ai parfois pris pour un prophète», lui et ses amis, symboles d’une «jeunesse désespérée», organisent un certain nombre d’«actes terroristes». «Nous ne voulions pas qu’il y ait mort d’homme. Et il y a beaucoup, beaucoup d’autres choses que nous avions refusé de faire», confesse Pape Ibrahima Diakhaté. Malgré tout, des attentats émaillent les années 1988 et 1989, dont l’explosion d’une voiture piégée en décembre 1988, pour lequel Clédor Sène et Ousmane Sène seront arrêtés, tandis que Pape Ibrahima Diakhaté sera embarqué pour avoir protesté. L’entrée d’Abdoulaye Wade dans le gouvernement d’union nationale en 1991 jette un froid sur les relations que lui et ses amis entretiennent avec Me Wade : «Sa volte-face nous a beaucoup étonnés. Nous nous étions battus à notre manière pour qu’il soit au pouvoir, mais pas pour qu’il y participe sous quelle que forme que ce soit. Et lui, quelque temps après, il entre au gouvernement. Je lui ai dit ce que je pensais. Il n’a rien dit.» Le lien est renoué lorsque Wade quitte le gouvernement. Pape Ibrahima Diakhaté, Clédor Sène et Ameth Guèye sont alors chargés d’assurer la sécurité d’Abdoulaye Wade lors de sa tournée électorale pour la présidentielle de février 1993. C’est dans ce cadre qu’ils reçoivent de l’argent de Me Wade pour acquérir des armes. «Nous étions et travaillions avec le Vieux, car nous étions convaincus que son combat était juste, légitime et nécessaire», raconte-t-il. Amer, mais nostalgique, Pape Ibrahima Diakhaté se souvient : «Pendant cette campagne, nous faisions partie du groupe des hommes de confiance de Wade.» Pour preuve : les photos prises où Abdoulaye Wade pose avec la bande. L’élection législative de février 1993 approche. Alors que la campagne électorale se déroule dans le calme, Abdoulaye Wade déclare : «Je ne donne aucun crédit aux décisions du Conseil constitutionnel qui se trouve sous l’influence des hommes d’Abdou Diouf, en particulier de son vice-président, Me Babacar Sèye, qui a été pendant longtemps un député socialiste. Ce n’est pas sérieux.» La veille des résultats, Nicolas Balique, alors correspondant de Radio France Internationale (Rfi), se fait agresser devant le domicile de Me Wade, qu’il vient d’interroger. Le ministre Pape Samba Mboup sera arrêté et condamné. Le 14 mai, la Commission nationale de recensement des votes proclame les résultats et donne le Ps vainqueur des élections avec 84 sièges de députés. CIRCONSTANCES DE L’ASSASSINAT Le lendemain, Me Babacar Sèye est assassiné. Ses meurtriers : trois jeunes hommes à bord d’une Peugeot 505. Sur les conditions de l’assassinat, Pape Ibrahima Diakhaté est clair : le juge était vivant quand Assane Diop a tiré sur lui ; il n’y a pas eu de simulation du crime. Une demi-heure après, Me Babacar Sèye meurt à l’hôpital Principal. Alors qu’une partie de la population pense à un meurtre commandité, les méthodes des enquêteurs, débarquant une heure après le drame au siège du Pds, jettent le doute sur le sérieux des investigations. Wade et trois membres du Pds sont arrêtés, puis libérés trois jours après. Leur ligne de défense s’articule autour de l’idée d’un complot fomenté contre eux par le pouvoir. Malgré tout, les enquêteurs ont de quoi soupçonner le Pds. Un haut fonctionnaire de la police nationale raconte à Abdou Latif Coulibaly que des témoins oculaires ont donné le signalement d’une voiture, qui avait déjà été repérée par des agents de police, le matin même, devant la permanence du Pds. Depuis le début de la campagne électorale, la police et les services de renseignements généraux avaient placé sous surveillance les membres du Pds. Pour preuve, le bulletin de renseignements daté du 15 mai 1993, qui décrit de façon détaillée la voiture mise en cause. Les dirigeants du Pds sont suspectés. Abdoulaye Wade, son épouse Viviane, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, sont dans le collimateur de la Justice, tout comme Mody Sy, Samuel Sarr, Abdoulaye Faye, Meïssa Sall ou encore Lamine Faye. En août 1993, le procureur Abdoulaye Gaye rédige un
réquisitoire supplétif et charge les personnalités du Pds. Avant qu’ils ne soient arrêtés, le juge reçoit l’ordre du Palais de la République de remettre les suspects en liberté. Le 21 mai, Wal Fadjri fait sa Une sur des déclarations de Clédor Sène, arrêté en Gambie, peu après le meurtre, accusant Abdoulaye Wade et son épouse d’avoir commandité l’assassinat. Le jeune homme avait déclaré aux enquêteurs : «Devant l’impossibilité de réaliser cet objectif (assassiner Youssou Ndiaye), Me Wade nous a orientés. (...) Au cours de l’entretien, il nous a demandé de cibler Me Sèye qu’il fallait liquider avant la proclamation des résultats. A ses yeux, celui-ci était le personnage le plus influent du Conseil constitutionnel et entièrement acquis à la cause du Ps, dont il fut le militant pendant cinquante ans.» Selon sa déposition à la Brigade régionale de la sûreté de l’Etat, Clédor Sène reconnaît que la voiture qui a servi pour le meurtre de Me Sèye a été payée par Samuel Sarr, qu’il a connu par l’intermédiaire d’Abdoulaye Wade. Il révèle également la complicité d’Assane Diop et de Pape Ibrahima Diakhaté et livre aux enquêteurs les détails de la préparation de l’assassinat. Il raconte la façon dont lui, Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté ont rencontré Abdoulaye Wade le soir même : «Nous lui avons rendu compte, alors qu’il était seul. Il semblait visiblement satisfait, mais n’a rien dit de plus.» WADE, LE COMMANDITAIRE S’agissant du commanditaire du meurtre, Clédor Sène évoque les débuts de leur collaboration : «En clair, il s’agissait de savoir si le Parti démocratique sénégalais voulait, par notre entremise, avoir un bras armé. Je précise plutôt que c’est Maître Wade luimême et non le Pds en tant qu’entité qui nous l’avait demandé.» Viviane Wade est également citée par Clédor Sène : «Le mercredi 3 février 1993, Madame Viviane Wade, conformément aux instructions de son mari, m’a remis la somme de 500 000 francs Cfa. (...) Ces 500 000 francs Cfa viennent s’ajouter aux 500 000 francs Cfa que nous avions reçus du nommé Mody Sy quelques jours auparavant. C’est avec les 500 000 francs Cfa, remis par Mody Sy, que j’ai acheté les quatre pistolets déjà évoqués.» Face aux enquêteurs, Clédor Sène assume ses responsabilités et ne montre aucun regret. Il insiste sur le fait qu’Abdoulaye Wade est le commanditaire du meurtre. Devant le juge, il reviendra sur ses déclarations, portant ses accusations sur Habib Thiam. La responsabilité de Me Wade est néanmoins admise par Pape Ibrahima Diakhaté, qui reconnaît que l’implication du Premier ministre de l’époque est «un mensonge grossier qui leur a été dicté en prison par leurs avocats, en particulier par Khoureysi Bâ». Pape Ibrahima Diakhaté apporte de nouveaux détails aux déclarations de Clédor Sène. Sur la cible de l’assassinat, il raconte qu’Abdoulaye Wade leur avait d’abord dit : «Si vous pouvez éliminer Youssou Ndiaye (ancien ministre d’Etat, ministre des Sports sous le gouvernement de l’alternance), faites-le !», mais, confie-t-il, «Dieu et nous-mêmes en avons décidé autrement». En effet, «nous refusions de nous exécuter. J’estimais que nous prenions trop de risques en essayant d’attenter à la vie de Youssoupha Ndiaye». Cependant, lui et Clédor décident de simuler l’exécution de Youssou Ndiaye. Ils louent une voiture avec l’argent donné par Wade, alors que d’habitude, c’était «Viviane Wade qui débloquait les sommes d’argent dont nous avions besoin pour mener nos activités». Quand ils vont rendre compte de l’avancée de leur projet à Abdoulaye Wade, ce dernier est «totalement détendu et même souriant». Youssou Ndiaye habitant près du palais, les jeunes hommes renoncent à cet attentat, mais font cependant courir la rumeur d’une attaque possible contre le président du Conseil constitutionnel. Une fois le projet mis en place d’assassiner Me Sèye et une fois qu’Abdoulaye Wade «a griffonné sur un bout de papier les coordonnées de Me Babacar Sèye et l’a remis à Clédor Sène», les discussions portent sur les modalités du meurtre. Pape Ibrahima Diakhaté rapporte les propos d’Abdoulaye Wade : «Pour l’atteindre, ce sera plus facile, indique-t-il, de l’attendre sur le chemin de la mosquée.» Mais, «je me suis demandé comment, à son âge, Me Wade pouvait aider à organiser l’assassinat d’un homme, en recommandant aux
assassins désignés de l’attendre sur le chemin de la mosquée. Nous avions refusé et notre refus, en ce moment-là, était catégorique», précise-t-il. Une autre idée éclot alors : celle d’envoyer les jeunes hommes se former en Europe pour constituer un groupe armé, capable de déclencher une insurrection. Le projet échoue peu après au profit de celui d’assassiner Me Sèye. PERIPETIES DE L’ARRESTATION Pape Ibrahima Diakhaté revient également sur l’entretien que lui et sa bande ont eu avec Abdoulaye Wade, le soir du meurtre : «En tout cas, il était trop silencieux, à mon avis. Normal, nous avions tué, mais nous portions ensemble le fardeau de la mort. Lui, sur sa vieille conscience de militant politique et nous sur nos frêles consciences de jeunes manipulés. Il était incapable de nous fixer.» Il apporte d’autres détails sur les heures suivant cette rencontre. Le voyage en Gambie finit en arrestation pour Clédor Sène. Assane Diop réussit à obtenir un faux passeport gambien, en vue de partir en Europe ou aux Etats-Unis. Cependant, n’ayant pas les moyens de son ambition, il écrit une lettre à «Madame» pour obtenir de l’argent. Lorsque le procureur général de Dakar lui demandera de l’identifier, Assane Diop parlera d’une lettre adressée à son épouse. Or, Pape Ibrahima Diakhaté «se dit certain que cette lettre était destinée à Viviane Wade». Pour l’heure, Assane Diop est arrêté en juin 1993. Seul Pape Ibrahima Diakhaté est encore en liberté et ce jusqu’au 21 juin 1993. Après son arrestation, il pense à parler. Mais Clédor Sène affime qu’il n’est au courant de rien : «C’est à partir de cet instant que la presse a commencé à dire que Clédor était le cerveau du crime. Cela m’amusait. Quel cerveau? Le cerveau, c’était Maître Wade», raconte-t-il. «Ceux qui étaient au courant, ceux qui savaient, c’était Samuel Sarr, Ablaye Faye, Ousmane Ngom, Viviane Wade. Ils étaient au courant. Karim Wade savait peutêtre. Ce que je peux dire avec certitude, c’est que, pendant la campagne électorale, Karim nous avait prêté son arme, un magnum», ajoute-t-il. A propos des armes du crime, les trois assassins mèneront longtemps les policiers en bateau. Alors que Clédor Sène accuse dans un premier temps Abdoulaye Wade, il se rétracte et envoie une lettre à la presse pour le blanchir. Les trois assassins ont l’espoir de sortir de prison, en mettant en cause Habib Thiam. Leur avocat, Me Koureichi Bâ, les encourage à le faire, tout comme il reprendra cette thèse dans l’ouvrage qu’il écrira sur cette affaire peu avant la sortie de prison des jeunes hommes. A son propos, Pape Ibrahima Diakhaté révèle que l’avocat leur apportait en prison et à rythme régulier des sommes d’argent de la part d’Abdoulaye Wade. En mai 1994, la Chambre d’accusation rend un arrêt de non-renvoi des responsables du Pds. «L’arrêt blanchit-il pour autant les personnes accusées? Rien n’est moins sûr. Les juges ont estimé qu’au regard des pièces de la procédure, il n’y avait pas de charges suffisantes», conclut Abdou Latif Coulibaly. Le 7 octobre 1994, la Cour d’assises condamne Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté à 18 ans de prison et Clédor Sène à 22 ans de réclusion criminelle. Leur seul espoir : qu’Abdoulaye Wade arrive au pouvoir. Le 19 mars 2000, leur rêve se réalise. S’engage un long chantage entre les trois assassins et Me Wade. La révision du procès avec des éléments nouveaux apportés par les jeunes hommes ou la libération. Face à l’opinion publique, Me Wade a les mains liées. Me Madické Niang soumet alors aux assassins l’idée d’une loi d’amnistie qui sera évoquée par Abdoulaye Wade, puis abandonnée, au vu de la contestation, puis d’un livre pour diffuser la thèse de la simulation du crime. L’ouvrage paraît effectivement en 2002, sous le titre : Pour que triomphe la vérité, l’assassinat de Me Babacar Sèye. En février 2002, Abdoulaye Wade signe le décret de grâce : Pape Ibrahima Diakhaté, Assane Diop et Clédor Sène sont libres, après neuf ans de prison
pour le meurtre d’un haut fonctionnaire d’Etat. Après être sorti de prison, Pape Ibrahima Diakhaté tente de convaincre ses deux complices de parler : «Je considère qu’il a détruit nos vies. On doit le lui faire payer en le dénonçant haut et fort.» «Si Me Wade n’avait pas décidé de la mort du vice-président du Conseil constitutionnel, il n’y aurait pas eu d’affaire Me Sèye», martèle-t-il. En guise de conclusion, Abdou Latif Coulibaly a choisi de répondre aux critiques formulées par le député Iba Der THian et de livrer les preuves de ce qu’il avançait dans son dernier ouvrage sur l’affaire de la réfection de l’avion du commandement du chef de l’Etat. Une chose est sûre : ceux qui appelaient leurs concitoyens à «briser (la) plume satanique» d’Abdou Latif Coulibaly ont désormais de quoi enrager. Par Adeline SEURAT (à Paris) «AFFAIRE ME SEYE / UN MEURTRE SUR COMMANDE» DE ABDOU LATIF COULIBALY : PUBLICATION - Quelques bonnes feuilles de l’ouvrage : Aveux circonstanciés L’information circulait depuis que la grâce d’abord, et l’amnistie par la suite ont été accordées aux assassins du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, le 15 mai 1993. Aujourd’hui, en sortant aux éditions L’Harmattan, Sénégal - Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande, Abdou Latif Coulibaly jette un gros pavé dans la mare «Wadienne». En effet, selon les témoignages et les informations obtenues après investigations et contenus dans le livre, le commanditaire de ce meurtre ne serait que l’actuel couple présidentiel. Me Abdoulaye Wade et sa femme Viviane. Le Quotidien qui a pu entrer en possession d’un exemplaire de cet ouvrage, vous livre à travers ces lignes, quelques bonnes feuilles de cette «bombe». (…) C’est dans ce climat et dans ce contexte que les législatives se tiennent le 9 mai 1993. Le pays attend avec angoisse les résultats des scrutins. Il avait été assez sérieusement traumatisé par les péripéties de la longue attente des résultats du scrutin présidentiel précédent. On se rappelle que c’est quelques jours après ce scrutin que le juge Kéba Mbaye avait démissionné de la présidence du Conseil constitutionnel, laissant son fauteuil à un autre magistrat, Youssoupha Ndiaye, futur ministre d’Etat, ministre des Sports dans le gouvernement du Président Abdoulaye Wade. YOUSSOUPHA NDIAYE, LA PREMIERE CIBLE Curieux retournement de l’histoire ! C’est lui qui a été dans un premier temps la cible de tueurs de Me Sèye et qui a échappé par miracle à la mort. Comment a-t-il pu sauver sa peau ? Pape Ibrahima Diakhaté explique que c’est Dieu qui n’en a pas voulu : «Je me rappelle que quand Kéba Mbaye a démissionné et que Youssou Ndiaye a été nommé, Wade nous a appelés et nous a dit «Youssou Ndiaye a été nommé pour voler les élections. Lui, je le connais bien, il est programmé pour me liquider avec mon parti. Estce que vous êtes capables de vous en prendre à lui.» Il a ensuite ajouté : «Diouf n’a pas respecté nos accords. On aurait dû se concerter avant que quelqu’un soit nommé.» Les propos du Vieux sifflent encore dans mes oreilles. II y a des mots qui sont difficiles à prononcer. Lui-même a eu du mal à sortir ceux par lesquels il nous exprimait ses souhaits. II réussira, tout de même, à dire : «Si vous pouvez éliminer Youssou Ndiaye, faites-le.» Dieu et nous-mêmes en avons décidé autrement.» Me Wade se montre plus clair et plus précis, explique Diakhaté : «Il faut l’assassiner, qu’on l’assassine.» Il l’a dit en wolof et l’a répété en français. Il a conclu notre entretien avec cette terrible phrase que je n’oublierai jamais de même que je n’oublierai l’entretien au cours duquel cette phrase a été prononcée : «Il faut le faire.
Allez-y !» Notre entretien a eu lieu un dimanche soir au domicile du Point E. Nous étions deux avec lui Clédor Sène et moi-même… Quelques instants après, Ousmane Ngom est venu nous rejoindre dans le salon. Nous avions déjà terminé notre entretien. Je suis sorti de là totalement bouleversé et nous sommes restés tous les deux silencieux, pendant de longues minutes. Nous avons, ensuite, quitté le domicile de Me Wade. En cours de route, j’ai exprimé mes craintes à mon camarade qui a esquivé la question quand je lui ai dit : «Est-ce que tu penses que cette opération est possible ?» Nous en avons reparlé après. Notre décision était ferme : nous refusions de nous exécuter. J’estimais que nous prenions trop de risques en essayant d’attenter à la vie de Youssoupha Ndiaye. En fait, nous avions louvoyé et tergiversé. Plus d’une semaine après notre entretien et en voyant que nous traînions les pieds, Me Wade est revenu à la charge. C’est là où Clédor Sène et moi-même avons décidé de louer une voiture pour simuler l’exécution de l’opération.» L’argent de la location du véhicule leur a été remis par Abdoulaye Wade lui-même, alors que, d’habitude, indique Pape lbrahima Diakhaté, c’était «Viviane Wade qui débloquait les sommes d’argent dont nous avions besoin pour mener nos activités.» La voiture, une Ax Citroën, a été louée aux abords de la salle des ventes, auprès de la société “Touba Location”. Diakhaté et Sène s’accordent parfaitement sur ce point. Après avoir pris possession de la voiture, les deux jeunes gens se sont immédiatement rendus au domicile du Vieux avec la voiture pour lui rendre compte de l’état d’avancement des démarches entreprises et lui indiquer, également, que le plan de filature du véhicule du nouveau président du Conseil constitutionnel était en train d’être préparé. (…) Pape Ibrahima Diakhaté s’exprime ainsi en relevant, également, le fait que les attaques adressées contre Maître Sèye, depuis sa nomination au Conseil constitutionnel, par Abdoulaye Wade en faisait une cible désignée. Me Wade a, en effet, souvent attaqué, dans ses discours publics, ce juge : «Celui-là, c’est un ennemi, ne cessait de dire Abdoulaye Wade», selon Pape Ibrahima Diakhaté qui se veut davantage plus précis : «Il nous a dit que c’était son ennemi. Je me rappelle, c’était un dimanche. C’est Viviane Wade, elle-même, qui nous a reçus dans le salon, Me Wade s’entretenait en ce moment avec quelqu’un dans ses appartements. Il est venu nous rejoindre dans le salon où son épouse avait servi, à chacun de nous, un verre bien glacé de bissap. Un soleil de plomb dardait ses rayons sur Dakar, dans cette après-midi de très forte canicule. La maison n’était pas, comme d’habitude, remplie de militants. Je me souviens encore des mots de Wade : «Ah, non, Me Sèye, ce n’est pas possible. Je sais pourquoi il est là. C’est sûr qu’il a été nommé, uniquement, pour aider à tout truquer. C’est un scandale. C’est un ancien militant du Ps.» Abdoulaye Wade précisera davantage sa pensée : «Lui, il ne faut pas le laisser faire.» Sur ces faits, le Vieux s’est levé et a fouillé dans une caisse, pour en sortir un vieil annuaire. Il a griffonné sur un bout de papier les coordonnées de Me Babacar Sèye et l’a remis à Clédor Sène.» Ne signe-t-on pas ainsi l’arrêt de mort de Babacar Sèye, en donnant à ses bourreaux désignés les moyens de lui dresser une potence ? Pape Ibrahima Diakhaté répond de façon affirmative, quand il souligne : «Me Wade nous a aussi indiqué l’emplacement de sa villa de Mermoz et nous a, également, dit que Me Sèye avait une autre maison à Dieuppeul. Il a mentionné sur le papier remis à Clédor un numéro de téléphone, celui de la maison de Me Sèye à SaintLouis. Pour l’atteindre ce sera plus facile, indique-t-il, de l’attendre sur le chemin de la mosquée. Il nous a fourni en même temps un détail intéressant : «Tous les matins à l’aube, il va prier à la mosquée, vous pouvez l’attendre sur le chemin.» J’ai frémi quand il a fini de parler.» Tuer un homme de cet âge sur le chemin de la mosquée. La symbolique apparaissait suffisamment forte pour étonner, voire bouleverser, même de jeunes gens, pourtant longuement préparés à passer à l’acte. Pape Ibrahima Diakhaté s’émeut en ces termes
«Je me suis demandé comment à son âge Me Wade pouvait aider à organiser l’assassinat d’un homme, en recommandant aux assassins désignés de l’attendre sur le chemin de la mosquée. Nous avions refusé et notre refus, en ce moment-là, était catégorique. Le Vieux redoublera d’efforts quand il se rendra compte de notre détermination à maintenir ce refus. Il nous a alors boudé et cette attitude a duré au moins quelques jours. Au bout de ces quelques jours, il a décidé de changer de stratégie, il nous fit appeler pour discuter d’autre chose. Quand nous sommes venus le trouver, il ne nous a pas directement parlé de l’opération. Il a repris avec nous les discussions autour d’un vieux projet. Nous avions, en effet, un jour discuté avec lui des possibilités et de la nécessité de lancer une opération insurrectionnelle au Sénégal. Celle-ci devait instaurer un climat de guerre civile et de terreur susceptible de forcer Abdou Diouf à s’asseoir, à nouveau, avec lui pour déterminer les conditions de mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Ces discussions avaient lieu, tout juste avant son entrée dans le gouvernement en avril 1991. Il était question, à l’époque, de nous faire voyager en Europe, en vue de rencontrer ses partenaires qui, selon lui, devaient nous aider à acquérir des armes et à les faire convoyer au Sénégal. Le Vieux semblait sérieux. Il avait interrogé chacun de nous pour savoir si nous disposions de passeports. Parmi nous, seul Clédor en possédait. Le Vieux expliquait sans détours, qu’il était convaincu que le Ps ne lâcherait jamais le pouvoir et qu’il pensait qu’une insurrection était nécessaire pour l’en déloger. J’imagine que s’il avait les moyens d’une telle aventure, il l’aurait tentée, en essayant de se réfugier derrière des paravents. Notre bande était l’embryon de son hypothétique armée de libération et le paravent disponible.» (…) Dès leur retour à Dakar, ils sont reçus par le Vieux, à qui ils rendent comptent de leurs démarches en Casamance. Pape Ibrahima Diakhaté pense, avec le recul, qu’en réalité, Abdoulaye était à peine intéressé. En tous les cas, à peine leur récit terminé, Me Wade leur reparle du juge Sèye. Clédor Sène et Pape lbrahima Diakhaté discutent, à nouveau, avec Wade, la veille de la proclamation des résultats des élections législatives qui ont eu lieu le 9 mai 1993. Pape Ibrahima Diakhaté révèle : «C’est ce même jour que nous avons pris la résolution de filer Me Sèye et de donner suite aux souhaits du Vieux.» (…) C’est dans la nuit de cette même journée que Clédor Sène et Diakhaté ont commencé à réfléchir sur les profils des membres de leur commando. Les deux jeunes hommes sont décidés. Qui seront les autres membres de la bande ? C’est Assane Diop qui est automatiquement pressenti. A ce sujet, Diakhaté soutient : «Concernant Assane Diop, je suis formel, c’est Samuel Sarr qui lui a parlé et l’a convaincu de rejoindre notre équipe. Dans la nuit du jeudi 12 mai 1993, nous nous sommes rendus au Conseil constitutionnel pour faire un repérage des lieux. Le Vieux s’impatientait. Il fallait lui prouver notre détermination. Arrivés là, nous avons vu des véhicules garés. Nous avons trouvé sur place quelques gendarmes. Nous sommes passés du côté de la plage, là où est implanté, aujourd’hui, le parc d’attraction Magic Land. Il y avait un gendarme qui faisait la ronde. Quand on a calculé le tour de sa ronde, on a constaté qu’on avait largement le temps de pouvoir entrer et tenter de brûler des voitures. Nous avons mis le feu sur une CX. Nous ne voulions pas nous en prendre aux gendarmes. Il fallait cependant donner au Vieux un gage de notre détermination : la voiture piégée au Conseil constitutionnel en était une preuve. Le lendemain, le Vieux était euphorique.» Sur le chemin du retour, affirme Pape Ibrahima Diakhaté : «Nous avons croisé, à la hauteur de la station d’essence de Baobab, à l’angle sur le chemin du domicile du Vieux, Samuel Sarr qui nous a déclaré qu’il allait chez Serigne
Ndiaye Bouna. Il nous avait déjà dit, auparavant, que Serigne Ndiaye Bouna habitait aux Almadies. C’est une grande maison entourée d’arbres. Ce jour-là, Samuel Sarr est parti avec notre copain Assane Diop. Ce dernier est descendu de notre voiture alors que nous revenions du Conseil constitutionnel et est reparti avec Samuel et Baye Moussé. Ce sont eux qui ont tiré, dans la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 mai, les coups de feu chez Serigne Ndiaye Bouna qui ont été rapportés par la presse. La bande est immédiatement revenue nous retrouver chez le Vieux. Samuel Sarr l’a retrouvé dans ses appartements. Les deux hommes se sont entretenus pendant au moins une trentaine de minutes, avant que Me Wade ne revienne prendre congé de nous, en nous souhaitant de passer une bonne nuit.» (…) SENTENCE DE MORT (…) Le compte à rebours s’est enclenché. Maître Babacar Sèye est condamné. Il mourra, comme le souhaitent les commanditaires de sa mort et les exécutants désignés à cet effet. Pape Ibrahima Diakhaté explique l’assaut final : «Nous sommes partis de chez Clédor Sène, nous sommes passés à Dieuppeul, où nous n’avons pas vu la voiture de Me Sèye, nous avons alors mis le cap vers le Conseil constitutionnel. Clédor avait en mémoire le numéro d’immatriculation. Arrivés à cet endroit, il a dit à Assane qui était assis devant à côté de lui : «Vérifie le numéro de la voiture.» En venant de Mermoz, et en allant vers le Conseil constitutionnel, celui qui est à côté du chauffeur a une meilleure vue. Assane Diop s’est exécuté et a dit : «Ah, oui, elle est là.» Nous nous sommes alors garés un peu plus loin. Peu après, Youssou Ndiaye nous a dépassés. Il était dans sa voiture. Nous sommes allés faire le guet devant l’ambassade du Brésil, je pense. Un journal l’a écrit. C’était vrai. Pendant que nous faisions le guet, j’ai eu un désaccord avec eux. C’est à ce moment que j’ai décidé de descendre vers la plage. Je suis resté sur le rivage, mon pantalon était mouillé. Puis je suis retourné à la voiture et nous sommes repartis. Au carrefour de l’Université, on s’est arrêté. Quelques minutes après, la voiture nous a dépassés, nous l’avons reconnue et nous l’avons immédiatement suivie de près jusqu’au moment où il a tourné vers… Moi, j’avais un 7.5 et un 9 court. Un 9 mm court. C’est ce que j’avais. J’avais des balles artisanales dans mes deux pistolets.» Diakhaté se veut encore plus précis et plus détaillé dans ses explications : «Quand j’ai tiré l’une des deux armes s’est bloquée. Ce n’est pas pour me défendre, mais je peux aujourd’hui dire que ce sont les balles tirées du pistolet de notre camarade Assane Diop qui ont atteint Me Sèye. Je m’explique : les balles des 9 mm courts sont difficiles à trouver, je n’avais pas les bonnes balles, elles avaient été modifiées pour s’adapter à mon arme. Assane Diop s’était chargé de m’en trouver, il n’avait pas réussi et celles qui ont été chargées dans mon arme sont des balles pour un pistolet 9 mm long, que nous avons adaptées pour un 9 mm court. C’est la personne que nous étions allés trouver aux Hlm «Las Palmas» qui avait fait sur les munitions un petit travail de modification. Pour ce faire, il avait pris la balle de 9 mm long dont il avait enlevé l’amorce, pour d’abord couper la douille, et remettre, ensuite, le couvercle sur la douille. Cela ressemble alors à un 9 mm long. Souvent, quand on «traficote» une arme artisanalement, en coupant l’amorce, on perd beaucoup en fiabilité et en qualité de tir. De toutes les façons, l’arme s’était enraillée. Elle s’est coincée. En dépassant la voiture, j’ai visé les pneus. Assane était devant. Les gars disaient : «Visez le chauffeur, visez le chauffeur.» Dans un premier temps, notre objectif était de leur faire peur, Nous voulions les faire parler. Nous avons ensuite changé d’avis pour satisfaire le Vieux.» (…) Après le crime, les exécutants sont naturellement curieux de prendre connaissance de l’état d’esprit de ceux qu’ils désignent comme étant les commanditaires et pressés d’apprécier, en même temps, l’ambiance qui règne chez eux.
Ils décident d’aller les trouver, après avoir grignoté chez Mbaye Mbarrick FaIl. Pape Ibrahima Diakhaté se souvient : «Nous avons pris un taxi. Le chauffeur, sur notre demande, nous a débarqués juste derrière le domicile des époux Wade. Aux abords de la maison, nous avons vu Lamine Faye, le petit-neveu du Vieux qui est actuellement son garde du corps. Nous avons demandé alors au gardien qui était posté devant la maison d’éteindre la lampe qui est devant la porte dérobée de la concession, pour qu’on puisse s’introduire en toute discrétion dans la maison. Assane Diop, lui, était déjà là. Dès que nous sommes arrivés il est parti. Le Vieux était dans sa cuisine. Je reviens un peu en arrière. Quand nous faisions le guet sur la corniche pour attendre le véhicule de Me Babacar Sèye, nous avons vu Famara Ibrahima Sagna, alors président du Conseil économique et social, filant à toute allure sur le bitume. II a été reconnu par Clédor Sène et Assane Diop. Le soir, quand nous sommes arrivés chez le Vieux, il nous a informés que Famara lbrahima Sagna était venu le voir.» Clédor et Diakhaté ont pu rencontrer Abdoulaye Wade et lui rendre compte : «Quand nous sommes arrivés, le Vieux était assis dans le salon. II semblait quelque peu préoccupé ou nerveux. En tous les cas, il était trop silencieux à mon avis. Normal, nous avions tué, mais nous portions ensemble le fardeau de la mort. Lui, sur sa vieille conscience de militant politique et nous sur nos frêles consciences de jeunes manipulés. II était incapable de nous fixer. II avait la tête enfoncée dans les épaules et les yeux rivés sur la table qui était devant lui. II était habillé d’un léger petit boubou sénégalais, de couleur bleu.» Comment la rencontre s’est-eIle passée ? Douze ans après, Pape lbrahima Diakhaté se rappelle encore de celle- ci, dans ses moindres détails : «Nous lui avons expliqué le déroulement de l’opération dont il était le cerveau et le principal commanditaire. II nous a dit : «C’est bien, soyez prudents.» En même temps, il nous a appris qu’il avait reçu une convocation de la gendarmerie. II précisera cependant qu’il ne répondrait pas : «J’attendrai qu’on vienne me chercher.» Les deux jeunes gens sont sortis de chez Wade par la porte dérobée et ont immédiatement quitté les lieux. Avant qu’ils ne prennent congé de lui, Wade, lui-même, leur a indiqué qu’Ousmane Ngom était à l’intérieur de la maison, avec son épouse. Viviane Wade est venue vers eux et leur a dit : «Vous n’avez pas d’argent, je vais vous en trouver un peu.» Puis elle est revenue, affirme Diakhaté avec un billet de 500 francs français et le leur a remis en présence de Ousmane Ngom, l’actuel ministre de l’Intérieur. Avant de se séparer d’eux elle leur a fixé un rendez-vous ferme pour le lendemain, aux abords d’une pâtisserie située au Point-E, à Dakar : «Les Ambassades». C’était pour leur donner, explique Diakhaté, une somme plus consistante. (…) STRATEGIE DE BROUILLAGE C’est ainsi que les trois assassins ont, ensemble, décidé que chacun devait faire disparaître ses armes. Au cours du procès devant les Assises, les accusés ont pourtant déclaré qu’après le meurtre ils avaient remis leurs armes à Clédor Sène qui avait été chargé de les déposer, toutes, entre les mains d’un responsable socialiste, en l’occurrence Ameth Diène. Pape Ibrahima Diakhaté soutient que cette version est totalement fausse. Aussi, déclare-t-il aujourd’hui à ce sujet : «Moi, je n’ai jamais vu, ni rencontré Ahmeth Diène. Nous ne l’avions jamais auparavant
rencontré, dans le cadre de nos activités subversives. C’était une invention de Clédor Sène. Pourquoi avoir accusé Habib Thiam et Ameth Diène ? Pape Samba Mboup m’a dit quelque chose en prison qui me semble avoir été déterminant. C’est très important que je le révèle. Nous avons rencontré Mboup en prison, lui y séjournait bien avant notre arrivée, suite à l’agression dont a été victime, devant le domicile de Me Wade, Nicolas Balique, l’ancien correspondant permanent de Radio france internationale (Rfi) à Dakar. Je sais, aujourd’hui, qu’il mentait effrontément quand il nous faisait croire que les responsables du Pds avaient réussi à trouver des gendarmes qui pouvaient témoigner en notre faveur, pour faire prospérer la thèse de la simulation d’un crime. C’est ce qu’il avait dit à Clédor et à moi-même. Il nous l’a répété plusieurs fois. Ils étaient dans le même secteur, dans la prison, le cinquième.» Pape Ibrahima Diakhaté se souvient en avoir discuté avec Clédor Sène qui, selon lui, avait aussi travaillé avec l’avocat Khoureysi Bâ pour étayer cette thèse, en essayant de lui trouver les moyens d’une apparente crédibilité. «Nous nous accrochions à cette idée comme à une bouée de sauvetage», indique Diakhaté qui reconnaît, aujourd’hui, s’être totalement fourvoyé. Aussi déclare-t-il : «Je pensais naïvement, mais honnêtement qu’en mettant en cause Habib Thiam, nous avions des chances de nous en sortir. Je me suis rendu compte en prison que cette thèse a été suggérée à Clédor Sène par Abdoulaye Wade lui-même. Habib Thiam était pour eux le candidat idéal pour un tel complot car, selon la thèse défendue par Me Madické Niang et par Me Wade lui-même, il prenait le Vieux comme un ennemi dont il fallait, à tout prix, empêcher les retrouvailles avec son vieil ami Abdou Diouf, en l’éliminant politiquement. Nous savons tous que cette thèse structure principalement le livre que Me Niang a publié sur l’Affaire Sèye, quelques semaines avant notre sortie de prison. C’est Khoureysi Bâ, en personne, qui nous l’a présenté pour que nous l’endossions et c’est ce que Clédor Sène avait admirablement réussi à faire en manipulant de façon incroyable, tous les médias du pays. Je crois que le juge avait commis des erreurs en programmant nos auditions à des moments différents et à des dates éloignées. Tout ce qu’un suspect déclarait au juge, l’avocat le répétait à l’autre, et ensemble, nous trouvions les moyens de bâtir une ligne de défense cohérente et coordonnée. Cela a, en partie, sauvé Abdoulaye Wade et tous ses camarades suspects.» Pape Ibrahima Diakhaté se souvient de certains détails qui rendent son récit encore plus surprenant : «Je sais que c’est l’avocat Khoureysi Bâ qui a dicté à Clédor les termes de la lettre que ce dernier a envoyée aux rédactions pour soi-disant blanchir, Me Wade, alors qu’il l’avait gravement mis en cause dans ses premières auditions devant les enquêteurs. Il devait, par la suite, accuser Habib Thiam. Me Bâ n’était pas un avocat ordinaire pour nous. C’est lui qui nous amenait en prison l’argent que lui remettait Me Wade. Pendant six mois il a remis à chacun de nous la somme de 150 000 francs. Il nous disait que c’est le Vieux qui nous l’avait remis pour les besoins de nos dépenses quotidiennes. Au terme du septième mois de notre séjour carcéral, les montants remis ont été revus à la baisse. Nous avons après reçu 100 000 francs Cfa pendant huit mois. Ce que je trouvais extraordinaire, c’est le fait que notre avocat ne nous parlait que d’argent et rarement de procédures ou de moyens de défense légaux. Quand il parlait d’argent, je pensais, moi, à ma sortie de là et au drame que je vivais. Mon esprit était en fait ailleurs On dirait qu’ils nous donnaient de l’argent pour nous maintenir en prison. Pour qu’on y reste en gardant le silence. Je voulais parler car je trouvais tout cela injuste. Je voulais soulager ma conscience à défaut de recouvrer ma liberté. Quand Me Bâ a disparu de la procédure, je ne sais pour quelle raison, c’est M Bidjélli Fall qui venait nous voir en prison et qui nous apportait les sommes d’argent que Me Wade nous préparait Je me souviens qu’il nous arrivait de dépanner le convoyeur.» (…) ET l’ALTERNANCE SURVINT
Le miracle se produit, ce 19 mars 2000. Les socialistes sont vaincus par la voie démocratique le Sopi, enfin triomphant, dispose des rênes d’un pouvoir tant convoité. La suite des événements leur donne raison, en justifiant tous les espoirs fondés sur l’arrivée des libéraux au pouvoir. Ils attendaient ce jour de victoire depuis des années et encore plus depuis ces neuf dernières années qu’ils ont passé dans la solitude d’une cellule de prison. Ils sont naturellement confiants et s’attendent à un signe concret de la part du président de la République nouvellement élu, pour les sortir de leurs cellules. Tous trois sont convaincus qu’il en a les moyens et pensent en plus qu’il est tenu de le faire, car c’est lui-même, soutiennent-ils, qui les a conduits là où ils sont. Ils le font clairement savoir à qui de droit. Ils trouvent des intermédiaires et envoient des messages circonstanciés au président. Lui-même, pense-t-il comme eux ? Tout porte à croire que oui. La libération des meurtriers du 15 mai 1993 semble être une préoccupation essentielle pour le président. Dès son installation, il s’en ouvre à Moustapha Niasse, son Premier ministre d’alors. Mieux, il lui a demandé d’en discuter avec certaines personnes pour recueillir et pour se faire une idée précise de la réaction de l’opinion, mais aussi pour évaluer les conséquences politiques éventuelles qu’une telle libération pourrait entraîner pour son nouveau régime. Les résultats du sondage sont dissuasifs. Abdoulaye Wade semble pourtant décidé à agir. On l’en dissuade, il consent à se donner une patience supplémentaire, mais les jeunes, eux, s’impatientent. Il n’a plus tellement le choix ni trop la latitude de décider librement de la date d’élargissement des jeunes assassins. Le chef de l’Etat subit de terribles pressions de leur part et celles-ci tournent au chantage. (…) Un de ses proches se confie à ce sujet. «J’avais l’impression que le président était assis sur des charbons ardents, dès que l’affaire Sèye, pour une raison quelconque, était évoquée avec lui. J’ai observé qu’il perdait tous ses moyens. Je l’ai entendu un jour dire : «Il faut faire vite pour trouver les moyens adéquats de faire libérer ces jeunes, ils sont innocents.» (…) Pape Ibrahima Diakhaté se montre particulièrement impatient. Les collaborateurs du Président se mettent sans plus tarder au travail. C’est le branle-bas, car les jeunes en ont marre. Diakhaté confirme : «Nous en avions assez de continuer de payer seuls alors que les commanditaires se la coulaient douce sous les lambris des ors du pouvoir. Nous nous sommes révoltés. Nous voulions en finir avec la vie carcérale.» Tout en étant conscients d’avoir participé à un meurtre, les trois jeunes n’en exigeaient pas moins du chef de l’Etat leur libération. Pape Samba Mboup, ministre et chef de cabinet du président de la République, un fidèle parmi les fidèles proches du président, les rencontre régulièrement et promet sans cesse la diligence de l’autorité et en particulier celle de son patron. Diakhaté explique : «En prison, pendant que nous y étions, et jusqu’à ce que le Vieux arrive au pouvoir, Mboup s’est souvent fait son porte-parole auprès de nous. Après son élection, il s’est pointé presque tous les trois jours pour nous calmer car il savait que nous étions prêts pour la révolte. A chaque fois, il nous a tenu le même discours : «Le Vieux a dit ceci, le Vieux a dit cela. II vous promet ceci, il vous promet cela. II dit qu’il fera ceci, ou cela.» Une fois nous lui avons répondu : «De toutes ces promesses, nous n’en voulons aucune, la seule qui nous intéresse c’est sortir d’ici. Ce que nous voulons, c’est sortir de cet endroit.» II nous a alors dit : «Le Vieux dit d’attendre dans un ou deux mois.» Plus tard, quand nous en avons eu davantage marre, nous lui avons dit : «D’ailleurs, nous ne voulons plus te voir, nous n’avons plus rien à te dire.» Je crois qu’il l’a répété au Vieux qui nous a envoyé Madické Niang. Ce dernier nous a promis de régler l’affaire en un mois. Nous étions au mois de novembre 2000, à peine huit mois après l’arrivée au
pouvoir de Wade. II nous a assuré qu’il discutait sérieusement avec Wade de notre situation et des conditions de notre libération. Vous pouvez, disait-il, me croire et avoir confiance en moi. En dépit de sa bon-ne volonté et de sa résolution, les choses ne bougeaient pas. Madické Niang est revenu nous dire : «C’est Moustapha Niasse qui bloque tout.» Vous vous souvenez que Niasse a été limogé le 3 mars 2001. Quand Mame Madior Boye a été nommée, Madické Niang est revenu quelque temps après nous voir et nous a dit : «Le président veut vous faire sortir de prison, mais il y a des gens qui s’y opposent, le Premier ministre Mame Madior Boye, notamment. La loi lui permet de contresigner les décrets du président de la République. Or pour l’instant, elle a refusé de contresigner le décret de grâce qui est prêt. C’est ce qu’il nous a déclaré.» (…) UN LIVRE CATALYSEUR La sortie du livre de Madické Niang a joué comme une sorte de feu vert et, rien ne semblait plus, désormais, s’opposer à l’élargissement des trois condamnés. Cette libération intervient à la surprise générale des citoyens sénégalais, en février 2002. Le décret de grâce tant attendu en prison par les assassins de Me Sèye est, enfin, signé par le chef de l’Etat. Mame Madior Boye, Premier ministre y a apposé son contreseing. Tout est fini. Après neuf ans de prison, Clédor Sène, Pape lbrahima Diakhaté et Assane Diop sont, enfin, libres. Libres de vaquer à leurs occupations, libres d’envisager autrement leur nouvelle vie. Les choses n’ont pas été faciles. Les responsables du Pds, nichés au plus haut sommet de l’État, se sont-ils exécutés malgré eux, à cause de la peur d’être démasqués par les trois condamnés ? Hier comme aujourd’hui, ces derniers semblent vivre sous la peur d’un déballage de la part des jeunes qui savent tout du complot. Ils ont joué avec le feu, en poussant trop loin le bouchon de la contestation et le harcèlement du défunt régime socialiste. Ils n’ont pas écouté les conseils ou les mises en garde de leurs alliés de l’époque, même pas les paroles de ceux d’entre eux qui semblaient les plus avertis. (…) Après leur sortie de prison, loin de se montrer reconnaissants, à l’égard du chef de l’État qui leur a permis de recouvrer la liberté, Pape Ibrahima Diakhaté essaye de convaincre chacun de vider son sac, en leur disant : «Le Vieux n’a aucune considération pour nous. Il n’en a que pour ses enfants. Il ne doit plus dormir. Il doit payer, lui aussi. S’il n’était pas arrivé au pouvoir, on serait encore en prison. Je considère qu’il a détruit nos vies. On doit le lui faire payer en le dénonçant haut et fort.» A SUIVRE MINERVE - Wadegate La République a touché le creux. Le fond. La lie nauséeuse de l’un des crimes politiques le plus abject que le Sénégal indépendant ait connu. Aux sidérantes, sulfureuses révélations de Latif Coulibaly, les fayots d’un «meurtre sur commande» ont répondu, hier, par de faux-fuyants aussi lisses que des œufs de Pâques, du genre «on ne regarde pas derrière, mais devant nous». Oh que si, Messieurs les bourreaux et leurs affidés ! Le crime politique, de surcroît, commis à l’endroit d’un si grand serviteur de l’Etat, le juge constitutionnel, Babacar Sèye, ne saurait être enseveli par cette prescription facile enrobée dans un honteux et avilissant aveu. «Oui, nous sommes coupables, mais c’est du passé». Arrêtez vite ce refrain macabre destiné à banaliser un crime crapuleux qui n’a jamais quitté les placards de nos mémoires encore peuplées par l’image insoutenable du juge constitutionnel affalé dans sa voiture criblée de balles, sur la Corniche.
Le journaliste Abdou Latif Coulibaly a écrit un livre grave. Très grave. Un livre courageux. Très courageux. Un livre qui n’épouse pas cette fois-ci, sur l’affaire Me Sèye, la courbe subjective des ping-pongs entre politiques ou politiciens. L’écrivain-journaliste, par des témoignages et une compilation de faits, a réussi la gageure de faire parler un acteur du drame et des procès-verbaux accablants qui impliquent Me Wade et son épouse dans le meurtre politique de Me Babacar Sèye. C’était alors dans une période de braise dans l’opposition et dans ce qui apparaît aujourd’hui comme un projet Icarien d’accession au pouvoir. DES ACTES QUI ACCUSENT En réalité, le mérite de l’écrivain-journaliste est d’avoir eu le courage de déflorer les fleurs du mal que les Sénégalais n’avaient pas manqué de décrypter, du moins de soupçonner, à travers une compilation d’actes empressés sous l’alternance, un fort parfum de culpabilité qui flotte sur les allées bleuies du Palais Léopold Sédar Senghor. D’abord, la frénésie avec laquelle les auteurs du crime, condamnés sous le régime de Diouf par la Cour d’Assises, Pape Diakhité, Assane Diop et Clédor Sèye, ont été libérés non sans des pressions et autres chantages, alors que l’alternance était encore à ses euphories, couvertes par un long état de grâce mais exhalait déjà une odeur fétide. L’odeur de consciences malheureuses hantées par le fantôme de l’homme de Dieu que fut, de son vivant, Me Babacar Sèye. Ensuite, est venue s’y sédimenter la véreuse forme et l’insolite modalité choisies pour indemniser la famille du juge constitutionnel. Enfin, pour couronner l’infamie, la fameuse loi Ezzan portant amnistie des crimes et délits politiques a servi de corbillard pour accompagner au cimetière d’une histoire tachée de sang les mains sales qui gouvernent maintenant la République. Qu’il nous souvienne, à ce moment où la République a atteint le comble de l’ignominie, l’avertissement du sage de Tivaoune, feu Abdoul Aziz Sy : «Ceux qui ont tué Me Babacar Sèye ne dormiront plus jamais la conscience tranquille.» Et jamais plus, les commanditaires et auteurs du crime politique n’ont pu retrouver le sommeil comme l’attestent à l’envi la série d’actes posés par eux et qui ont eu le cruel mérite de révéler l’impossible catharsis pour débarrasser leur conscience de leurs agissements. Non, ce serait illusoire de gommer cette abjection, ce crime morbide et dénué de sens, par l’argument aussi simple que simpliste consistant à reléguer l’affaire Me Sèye dans les abysses du passé. Pourquoi alors nous sommes-nous abîmés à traquer le passé de l’hôte tchadien parmi nous, Hissène Habré, pour des crimes qu’il aurait commis il y a de cela plus d’une décennie au Tchad ? Le sommeil de notre raison par rapport à cette affaire ne fera qu’enfanter d’autres cas encore monstrueux. Puis la logique, sous d’autres formes, a continué à «vertébrer» des criminogènes qui règnent sur nos existences clonées. L’agression sur Talla Sylla confiée à la gendarmerie qui a fait une remarquable enquête qui avait identifié ses auteurs dans l’espace présidentiel. TERRIBLES REGARDS Et puis, comment peut-on avoir une aussi plate idée pour la mémoire de cette illustre victime, de sa famille et des Sénégalais, en adoptant une posture aussi sadique que celle qui consiste à tout enfouir dans le passé, sous le prétexte qu’il faille regarder le futur ? Comme si l’on fait injure à la vérité proverbiale africaine, brillamment reprise par Djibril Tamsir Niane, dans Soundjata ou l’épopée mandingue : «Le monde est vieux, mais l’avenir sort du passé». En clair, les tenants du pouvoir de la thèse de l’effacement et de l’amnésie ne nous proposent rien moins que l’absolution d’un crime politique envers un innocent sacrifié sur l’autel de l’accession au pouvoir par et pour tous les moyens.
Les «thésards» politiques sur l’oubli oublient-ils alors que le Watergate survenu en 1972 peuple encore les mémoires des Américains, que l’assassinat de John F. Kennedy habite encore leur conscience de citoyens épris de justice et vérité ? Aujourd’hui, les révélations fracassantes du livre de Latif Coulibaly font émerger des visages tristement puissants de la République. Toutefois, ce sont des millions de regards outrés et outragés de Sénégalais qui se posent sur ces visages pour déceler, dans chaque parcelle de rictus, dans chaque sillon ridé, le sang de Me Babacar Sèye qui a giclé suite à un «meurtre sur commande». Pour moins que ça, Nixon avait eu la dignité d’effacer son indignité par une démission. Peut-on vraiment supporter tous ces regards, plus que jamais inquisiteurs, accusateurs ? Que c’est terrible de vivre avec cette faute énorme contre les vivants ? Envers la mémoire de l’assassiné aussi. Les fendeurs de la vie de Me Sèye apparaîtront sur le petit rectangle, ils feront de savants discours. Ils exhiberont leur amour presque tyrannique pour le Sénégal ; ils chanteront leurs réalisations. Hélas, chaque regard qui se pose sur eux, aujourd’hui, est chargé d’un verdict implacable face à ce que Latif Coulibaly révèle : un Wadegate. Soro DIOP