Barbotin Baptiste
Mémoire présenté pour le Brevet Technique des Métiers Supérieurs
Stabilité des constructions en Pierre : Le cas des voûtes
Métiers de la Pierre – Session 2007
Stabilité des constructions en pierre : Le cas des voûtes.
Avant propos : Vocabulaire de la voûte : Tout d’abord, il convient de rappeler le sens exact des termes techniques utilisés dans ce travail :
Clef (en a) : Voussoir situé au faîte d’un arc ou d’une voûte. Douelle (en b) : Portion d’intrados délimitée par les joints d’un voussoir. Extrados (en c) : Surface convexe supérieure d’un arc ou d’une voûte. Extradossé : Se dit d’un arc ou d’une voûte dont l’extrados et l’intrados sont concentriques. Flèche (en d) : Distance verticale mesurée entre la ligne de naissance d’un arc ou d’une voûte et l’intrados, à l’axe de la clef. Imposte (en e) : Assise moulurée qui couronne un piédroit ou un support vertical sans chapiteau et reçoit la retombée d’un arc ou d’une voûte. Intrados (en f) : Surface inférieure concave d’un arc ou d’une voûte. Ligne de naissance (en g) : Ligne horizontale fictive sur laquelle l’intrados d’un arc ou d’une voûte et les surfaces des piédroits se raccordent. Piédroit (en h) : Montant qui supporte la ligne de naissance d’un arc ou d’une voûte. Portée (en i) : Distance horizontale entre les points d’appui d’un ouvrage de couvrement, mesurée à l’intrados au niveau de la ligne de naissance. Reins : Parties inférieures de l’extrados d’une voûte où les efforts de compression sont les plus importants. Ce terme désigne également le blocage qui charge l’extrados sur cette hauteur. Retombée (en j) : Portion inférieure de la voûte, à partir de la ligne de naissance, qui peut être posée sans cintre. Sommier (en k) : Voussoir situé au départ de l’arc ou de la voûte, dont le lit de pose coïncide le plus souvent avec la ligne de naissance. Surbaissé : Se dit d’un arc ou d’une voûte dont la flèche est inférieure à la moitié de la portée. Surhaussé : Se dit d’un arc ou d’une voûte dont la flèche est supérieure à la moitié de la portée. Voussoir (en l) : Nom donné aux pierres clavées qui composent un arc ou une voûte.
Toutes les voûtes simples dont l’intrados a pour profil un arc générateur concave sont des berceaux, ces voûtes ne diffèrent des arcs qui les ont générées que par leur profondeur. C’est pourquoi une voûte en parfait équilibre peut être considérée comme une suite d’arcs ou un composé d’arcs.
Précisions : Les critères d’analyse d’une structure contemporaine sont : -la résistance, -la rigidité, -la stabilité. Les deux premiers critères sont peu pertinents pour les constructions en maçonnerie car les efforts dans la maçonnerie sont souvent très bas par rapport à la résistance limite du matériau. Une pierre commune comme un grès moyen a un poids propre d’environ 20kN/m³ et une résistance limite à la compression de 400Kg/cm². Une colonne constituée de ce matériau s’effondrerait sur elle-même à partir d’une hauteur de 2km. Cependant, la pierre a l’inconvénient d’être orientée, elle n’a pas la même résistance dans toutes les directions et sa résistance à la tension est environ 10 fois inférieure à sa résistance à la compression. Le rôle du liant comme garant de la cohésion est tenu pour négligeable car c’est l’élément le plus susceptible de variations au cours du temps. Il n’est donc pas pris en compte dans les analyses mécaniques et les calculs même s’il est très important pour une distribution homogène et régulière des charges. La stabilité est la capacité d’une structure à revenir à un état précédent d’équilibre après avoir subi de petits déplacements.
Introduction : Les structures en pierre ont longtemps été les seuls moyens durables de franchir ou de couvrir des espaces, le bois étant combustible et moins permanent. Mais depuis le XIXème siècle, de nouveaux matériaux artificiels et de nouvelles techniques ont progressivement remplacé la maçonnerie dans ce domaine. L’acier puis le béton armé résistaient à la flexion contrairement aux structures maçonnées, tout en étant plus légers et moins contraignants à mettre en œuvre. L’emploi de la pierre en tant que matériau structurel est abandonné et les recherches pour développer des outils de conception d’ouvrages en pierre sont donc peu nombreuses. La pierre est aujourd’hui principalement utilisée dans le domaine funéraire, dans la voierie et comme revêtement mince. Les normes françaises concernant les règles qui assurent la stabilité des maçonneries de pierre apportent peu d’éléments. Le DTU 20.1 énonce des règles pour calculer l’élancement de parois porteuses et pour évaluer les efforts dus aux charges verticales et horizontales qui les sollicitent. Seules les normes qui s’appliquent aux revêtements minces sont réellement développées, on les trouve dans le DTU 52.1 pour les revêtements de sol et dans le DTU 55.2 pour les revêtements muraux.
Par contre, on peut déterminer actuellement avec précision les caractéristiques physiques et mécaniques des pierres. Les recherches menées sur l'identification des qualités des pierres, sur leur structure, leur comportement à l'égard de l'eau, l'estimation de leur durabilité en fonction de leur position dans l'édifice et de la zone géographique d'implantation, ont débouché sur l'établissement de la norme B10-601 qui donne les prescriptions d'emplois des pierres naturelles. Comment les concepteurs d’ouvrages en pierre assurent-ils la stabilité de la construction ? C’est la question à laquelle tente de répondre ce mémoire. La construction en pierre peut être divisée en trois ouvrages élémentaires qui sont -les murs, -les arcs, -les voûtes. Pour étudier la structure d’une voûte, on peut l’assimiler à un arc, ce qui décompose la construction en deux éléments. Afin de limiter l’étendue du sujet, c’est le cas des voûtes qui sera particulièrement développé dans ce travail. Il se divise en trois parties : la première retrace l’évolution des théories constructives à travers les progrès qui s’opèrent jusqu’au XIXème siècle. Puis de nouveaux outils s’offrent aux concepteurs grâce au développement des mathématiques et de la mécanique, c’est l’objet d’une seconde partie. La troisième partie traite des outils dont on dispose aujourd’hui.
Sommaire Avant propos
p. 1
Introduction
p. 3
I : L’évolution des théories constructives :
p. 7
I.A : Des principes constructifs empiriques
p. 7
I.A.1 : La conception des murs
p. 7
I.A.2 : Les méthodes de dimensionnement graphiques et par proportion
p. 9
I.B : Le cas des voûtes
p. 10
I.B.1 : L’encorbellement
p. 10
I.B.2 : Les voûtes à poussée
p. 11
I.B.3 : Les voûtes extradossées
p. 13
I.B.4 : De l’utilisation de l’arc en plein cintre
p. 15
I.B.5 : L’arc brisé
p. 16
I.B.6 : De la décomposition des poussées
p. 20
I.B.7 : Du rôle des nervures
p. 23
I.C : Stabilité et stéréotomie
p. 24
II : De nouveaux outils :
p. 29
II.A.1 : La méthode de La Hire
p. 30
II.A.2 : Comparaison des résultats des méthodes de La Hire et de Derand
p. 33
II.B : La chaînette
p. 34
II.C : La ligne des centres de pression
p. 36
II.D : Principes tirés de la Mécanique
p. 37
II.E : Les conditions de stabilité
p. 39
II.F : La recherche de la courbe des pressions
p. 40
II.G : Les méthodes de vérification
p. 43
II.G.1 : Méthode des courbes de pression hypothétiques, dite méthode de Méry p. 43 II.G.2 : Méthode des aires de stabilité
p. 46
III : L’analyse de la stabilité aujourd’hui :
p. 50
III.A : La théorie plastique
p. 50
III.B : Le calcul à la rupture
p. 53
III.C : L’analyse structurelle
p. 53
III.D : De nouvelles perspectives
p. 56
Conclusion
p. 60
Bibliographie
p. 61
Table des illustrations
p. 63
Annexe
p. 66
I : L’évolution des théories constructives : I.A : Des principes constructifs empiriques : Jusqu’au XVIIIème siècle, la stabilité des constructions en maçonnerie était déterminée au moyen de règles résultant de l’expérience et de l’observation d’ouvrages déjà construits, ce fut le cas encore longtemps. En effet, de nombreux traités d’architecture publiés durant tout le XIXème siècle, s’appuient sur l’observation des constructions antiques pour étayer les règles de l’art. La fascination alors exercée par les ouvrages monumentaux réalisés durant l’antiquité impose une notion de stabilité massive : pour atteindre la plus grande stabilité possible, il faudrait qu’un mur soit fait d’un seul bloc. La précision d’exécution des surfaces de joints, les dimensions parfois cyclopéennes des blocs et les techniques d’assemblage qui relient les éléments d’une même assise ou plusieurs assises entre elles, témoignent d’une volonté d’adhérence et de juxtaposition parfaite pour que la maçonnerie ne forme qu’une seule masse.
I.A.1 : La conception des murs : Les différents types d’appareils utilisés par les constructeurs grecs et romains pour réduire les désunions au sein des murs, en particulier des systèmes de clavetage ou d’entailles pratiqués dans les pierres sont examinés, mais les coûts induits sont importants. Afin d’augmenter la cohésion des blocs, l’emploi d’une bande de fer encastrée dans le lit supérieur d’une assise est préconisé, de plus chaque bloc serait percé pour y insérer une tige métallique qui traverserait la bande. Ce procédé appelé ancrage repose sur l’inconvénient de la corrosion du fer qui fait éclater la pierre. On pourrait le pratiquer aujourd’hui grâce aux aciers inoxydables. Toutefois, une distinction doit être faite entre les différentes parties des murs d’un édifice car certaines seront plus sollicitées par des efforts que d’autres. Les chaînes verticales, appelées communément « chaînes d’angles », sont placées aux angles des murs principaux, en alignement avec les murs de refend et les jambages des portes, sous la portée des principales pièces de combles et des planchers, sous la retombée des voûtes. Ce sont des contreforts si leur saillie est importante, des pilastres si la saillie est plus réduite. Les chaînes horizontales appelées « corniches » et « bandeaux » sont placées à l’endroit où les planchers reposent sur les murs, à la naissance des voûtes, où les murs sont de plus faible épaisseur, où ils cessent d’être continus, comme aux bas des croisées et sur la partie supérieure des murs. La saillie des chaînes horizontales protège les parties inférieures de l’édifice de la pluie, le rôle de ces chaînages est aussi de relier et de fixer par leur grande pesanteur, les matériaux sur lesquels ils reposent, ils réunissent également toutes les chaînes verticales pour prévenir tout espèce d’écartement. En ce qui concerne les formes, la circulaire est celle qui offre le plus de stabilité à un mur et qui exige donc moins d’épaisseur.
Viennent ensuite les polygones réguliers, qui auront d’autant plus de force que le nombre de cotés sera grand, le carré a plus de résistance que le rectangle dont la stabilité diminue à mesure qu’il s’allonge. Il faut éviter de construire de trop grandes longueurs droites sans les interrompre par des courbes ou par des angles. Ainsi l’épaisseur des murs doit augmenter en raison de la distance en ligne directe entre les murs latéraux avec lesquels ils sont liés.
I.A.2 : Les méthodes de dimensionnement graphiques et par proportion : Depuis l’antiquité, de la Renaissance au XIXème siècle et encore aujourd’hui, des méthodes graphiques et des règles de proportions sont utilisées pour dimensionner les ouvrages en maçonnerie. L’analyse constructive fondée sur l’étude des constructions antiques apparaît dès le milieu du XVème siècle, elle provient des « réductions en arts » qui appliquent les mathématiques, en particulier la géométrie, à tous les domaines de la connaissance. En architecture cela donne lieu à la codification de la perspective qui s’applique à la fois aux représentations graphiques et aux constructions. Au XIXème siècle, des théoriciens de la Renaissance italienne comme Léon-Baptiste Alberti (1404-1472) sont des références importantes. Jean-Baptiste Rondelet (1743-1829) dans son Traité théorique et pratique de l'art de bâtir publié en 1817, énonce de telles méthodes pour déterminer l’épaisseur des murs en fonction de la distance qui sépare les murs latéraux. Il considère les murs comme solides avec une épaisseur évaluée selon le rapport de 1/6ème à 1/8ème de la hauteur. Le rapport de l’épaisseur à la hauteur diminue lorsqu’au lieu d’être disposé en ligne simple, le mur renferme une enceinte déterminée et cette diminution sera d’autant plus grande que les côtés de l’enceinte compris entre deux angles consécutifs auront moins de longueur. On utilise alors une méthode graphique :
Soit ABCD, la face d’un des grands murs GH ou EF qui doivent enfermer l’espace EFGH. On tire la diagonale BD et on porte dessus à partir de B le huitième de la hauteur AB, si on recherche une grande solidité, le dixième pour une solidité moyenne, … On obtient le point d à partir duquel on trace une parallèle à AB, la distance d1 qui les sépare est l’épaisseur à donner aux grands murs. Pour les murs EG et FH, on porte leur longueur depuis A en D’, on tire la diagonale BD’ et on opère comme précédemment.
Rondelet donne d’autres méthodes pour déterminer l’épaisseur des murs couverts sans être voûtés ou celle des murs de refend.
Toutes les méthodes analogues, tant graphiques que par proportions, sont le résultat de nombreuses observations et mesures pratiquées sur des édifices de référence sur le plan de leur stabilité à travers le temps, mais aussi de leur esthétique. Il s’agit ensuite de trouver des règles simples pour les constructeurs. Intéressons nous plus particulièrement au cas des voûtes.
I.B : Le cas des voûtes : I.B.1 : L’encorbellement : Le procédé de l’encorbellement est le plus primitif et sommaire de ceux qui permettent de couvrir un espace. Dès le Vème millénaire, les hommes du néolithique dressent des pierres levées, construisent des allées couvertes, réalisent des voûtes en encorbellement très rustiques. Mais c’est à partir du début du IIIème millénaire, qu’apparaissent en Mésopotamie et en Egypte des constructions en pierre que l’on peut qualifier d’architectures rigoureuses et géométriques. A défaut de posséder un matériau capable de porter sur une grande longueur sans se briser, les bâtisseurs réduisent la portée de ce linteau unique par une succession d’appuis en surplomb, créant ainsi l’encorbellement. L’encorbellement est donc constitué d’une pièce possédant une partie en appui et une partie en saillie, la première doit être suffisamment pesante pour éviter la bascule, il faut donc charger la partie en queue dont la longueur est nécessairement supérieure à la saillie. Il lui faut également estimer empiriquement les limites de résistance du matériau afin d’opposer une épaisseur suffisante à la rupture sous l’effet de la flexion.
Pour atténuer le poids de la partie en saillie, on l’allège et l’empilage équilibré prend alors la forme d’un arc. Ce type d’appareil remonte à l’Antiquité égyptienne.
I.B.2 : Les voûtes à poussée : A la même époque apparaissent les germes de la voûte à poussée. Ces voûtes clavées sont très simplifiées par cette volonté de construire de façon massive pour plus de solidité. Sur les schémas présentés ci-dessous, on observe que si l’appel au vide est l’inconvénient principal de l’encorbellement, on l’exploite dans le procédé du clavage.
Les plus anciens exemples de voûte à poussée, isolées dans l’espace avec des claveaux multiples et rayonnants, datent du VIIème siècle avant Jésus-Christ et se trouvent en Egypte. Les Grecs qui voyagent en Mésopotamie et en Egypte connaissent cette technique, puis les Romains l’utilisent après avoir eu connaissance des modèles élaborés par les Etrusques et les Grecs. Ils l’améliorent jusqu’a atteindre une maîtrise absolue tant dans les formes que dans l’estimation de la poussée et de la portée. Les plus anciens documents traitant de l’estimation des massifs de culée des voûtes datent du milieu du XVIIème siècle, mais il est probable que le procédé graphique remontant à la Renaissance et rapporté dans le carnet du père jésuite François Derand (1588-1644) soit un héritage de l’enseignement traditionnel et corporatif de l’époque romaine. On segmente l’arc à l’aide de trois cordes prolongées de leur valeur après la ligne des naissances. Les points C et F sont situés sur l’extérieur des massifs de culée et permettent ainsi de déterminer leur largeur.
Les Romains connaissaient sûrement des méthodes graphiques analogues à celle-ci, toutefois l’empirisme demeure puisque cette méthode ne tient pas compte de la hauteur des piédroits. Longtemps l’estimation des massifs de culée fut inexistante, c’est pourquoi jusqu’au IIème siècle avant J.-C, les arcs et voûtes à poussées sont des ouvertures dans des remparts dont la masse latérale est considérable ou des ouvrages enterrés. Puis durant la seconde moitié du IIème siècle avant J.-C, l’art de couvrir les espaces avec l’arc et la voûte à poussée s’est introduit dans tous les domaines de l’architecture et des travaux publics ; cependant, il faut tout de même préciser que les constructeurs romains utilisent essentiellement le principe de la voûte concrète qui absorbe la majeure partie de la poussée. La voûte à poussée permet d’économiser la place et le matériau, par rapport à un encorbellement de grande portée qui atteindrait une hauteur considérable et nécessiterait des massifs de culée plus importants. De plus, les combinaisons de voûtes clavées permettent d’accroître les solutions d’assemblages de volumes, de passages ou d’éclairages. C’est la pesanteur qui assure la solidarité de toutes les pièces de l’arc, chaque voussoir s’appuie sur ses voisins à l’aide d’un profil en coin. Les premiers constructeurs réalisent que la tendance de chaque voussoir à écarter les suivants provoque des poussées latérales capables de renverser les appuis. Au niveau des appuis, l’arc clavé engendre une poussée oblique qui est la résultante des poussées de chaque claveau. Afin de résorber cette poussée, la charge verticale des massifs de culée doit donc être supérieure à la résultante.
P = ensemble des charges supportées et du poids de la voûte. Q= poussée latérale R= résultante de la combinaison de P et de Q.
Chaque claveau tend à chuter verticalement sous l’effet de la charge p mais est retenu par sa forme de coin. L’effort est retransmis aux claveaux voisins, c’est la poussée q. Sur le schéma ci-dessus : dans le cas A, la construction est en équilibre tant que la résultante R est contenue dans le tiers central du massif de culée. Dans le cas B, R sort du tiers central et il y a risque de renversement.
I.B.3 : Les voûtes extradossées :
Ce schéma montre les effets d’un excès de charge sur un plein cintre, l’observation des points de rupture montre qu’il faut peu charger à la clef et charger les reins pour resserrer le clavage.
Ce problème peut être résolu en diminuant l’épaisseur à partir de la naissance vers la clé, on extradosse la voûte. On retrouve Jean-Baptiste Rondelet, qui propose dans son traité deux manières d’extradosser une voûte :
Une fois l’intrados tracé, on ajoute l’épaisseur à la clé, on prend le quart du rayon Ca ou Cb que l’on reporte sur la verticale dC, à partir du point C. On obtient le point O, à partir duquel on trace l’arc MNP.
La deuxième méthode procède par divisions, on divise la verticale BO par l’épaisseur DB, on tire des horizontales par ces divisions, elles coupent l’intrados, par ces points on fait passer des rayons partant du centre O. Les intersections entre les horizontales et les rayons sont les points où passe la courbe de l’extrados, on arrête cette courbe au rayon qui forme un angle de 30° avec la naissance, on le raccorde par une ligne oblique ou par une série de ressauts au piédroit dont on détermine l’épaisseur graphiquement suivant une méthode un peu plus complexe que celle rapportée par le père Derand et par Nicolas-François Blondel (1618-1686) au XVIIème siècle.
On prend la moitié de l’épaisseur à la clé et on trace la courbe OG. De O, on tire une horizontale et de G, une verticale, elles se coupent en X. De X, on trace une perpendiculaire à la diagonale OG. Le point L est l’intersection de GO et de XZ. De L, on trace l’horizontale NLP. On prolonge la verticale intérieure du piédroit qui coupe NLP en S. On porte le point M tel que ML = LS. On reporte la distance MP de A en M’. On prend l’épaisseur de la voûte sur XZ, on reporte deux fois cette distance à partir de A, on obtient B. On trace le demi cercle de diamètre BM’ qui coupe l’horizontale ZA en Z’. L’épaisseur du piédroit correspond à la distance ZZ’.
Toutefois si cette méthode prend en compte l’épaisseur de la voûte, elle ignore la hauteur des piédroits, or la voûte à poussée exerce de très fortes poussées justement, sur ses appuis. I.B.4 : De l’utilisation de l’arc en plein cintre : Les constructeurs romans, dès le Xe, cherchent à voûter les nefs car jusqu’aux Xe et XIe siècles, il n'est question dans les documents écrits de notre histoire que d'incendies d'églises qui nécessitent des reconstructions totales ; mais ils n’ont pas des moyens aussi puissants que les Romains pour réaliser des ouvrages basés sur un principe de stabilité passive car très massive. Ils développent alors un système constructif nouveau avec des structures élastiques maintenues par des organes de contrebutement. Les voûtes sont réalisées en petit appareil présentant une certaine élasticité, elles sont cintrées sous l'intrados, au droit des points d'appui les plus résistants par des arcs doubleaux en pierres appareillées qui agissent comme des cintres permanents élastiques et suivent le mouvement des piles. Au droit des arcs doubleaux, les murs sont renforcés par des piles saillantes à l'intérieur et par des contreforts extérieurs. Cependant, la rigidité des murs contraste avec le principe de ce nouveau système. La voûte est considérée comme une structure libre reposant sur des arcs flexibles, les constructeurs décident donc de noyer des arcs doubleaux dans les murs longitudinaux indépendants de la maçonnerie, et d’une pile à l’autre. Ces arcs sont les arcs formerets. Par ce moyen, les voûtes reposent uniquement sur les piles, et les murs ne sont que des clôtures. Pour que ces berceaux soient stables, les piles qui ne doivent pas être trop espacées sont construites en matériaux bien liés, les murs épais et pleins du bas en haut et les contreforts doivent avoir une saillie suffisante. Mais si les murs portent sur des piles isolées aussi peu épaisses que possible pour ne pas gêner la circulation et la vue, qu’elles ne présentent pas une assiette suffisante pour recevoir des contreforts extérieurs saillants au-dessus des voûtes des bas-côtés, alors le berceau supérieur, déverse peu à peu sur les murs et les piles. La construction se trouve alors en péril. Observant que les berceaux exercent une pression sur les têtes de murs, les constructeurs cherchent à le remplacer pour couvrir les espaces.
I.B.5 : L’arc brisé : Ils savent que les voûtes d'arêtes présentent l’avantage de n'exercer des pressions et des poussées que sur les quatre points d'appui recevant leurs sommiers. Ils procèdent par tâtonnements pour construire des voûtes d’arête sur plan carré ou rectangulaire dit « barlong ». Ces tâtonnements vont les mener à l’arc brisé.
On voit sur cette figure que la voûte d’arrête sur plan carré ne pose pas de problème de conception et de taille tant au niveau de l’arête formée par la pénétration des deux berceaux, que des arcs qui les génèrent.
Il en est autrement si l’espace à couvrir est rectangulaire :
Les deux arcs générateurs n’ont pas le même diamètre, un des berceaux est plus élevé que l’autre.
On peut élever le plus petit des deux arcs jusqu’à ce que son extrados soit aligné avec celui du deuxième.
Sur cette figure, la tête du piédroit a été rehaussée au niveau de la ligne de naissance du plus petit des deux arcs de façon à ce que leurs extrados à l’axe de la clé soient alignés. Mais l’arête obtenue par la pénétration de ces deux berceaux est très aplatie, elle a la forme d’une anse de panier et a donc l’inconvénient d’exercer une forte poussée latérale qui tend à renverser les piédroits.
La solution la plus appropriée serait d’obtenir une arête en demi cercle.
Voici le type d’arc que l’on obtient en concevant la voûte à partir de l’arête en demi cercle, figurée en trait soutenu noir sur la vue en plan. On obtient deux arcs brisés.
A ce raisonnement se rajoute une autre observation importante des bâtisseurs de cette époque qui va les amener à la conception et l’utilisation de l’arc brisé puis de l’ogive.
e’ c’ b’
a’ En étudiant ce qui se produit lors de l’affaissement d’un plein cintre, ils remarquent que la partie b’c’ (en rouge) comprime la partie inférieure a’b’ (en bleu) à l’intrados et la clef à l’extrados en e’. Ils en concluent que le triangle curviligne b’e’c’ est inutile et que seule la diagonale b’e’ oppose une résistance aux efforts.
En partant de ce principe, ils ont tracé les deux demi-cercles d'intrados et d'extrados A B C et D E F, puis, sur le diamètre A C, ils ont cherché le centre O d'un arc de cercle réunissant le point A de l'intrados au point E de l'extrados du plein cintre.
L'arc brisé ou arc en tiers-point, obtenu par l'observation des effets résultant de la poussée des arcs plein cintre, permet de bâtir les grands vaisseaux voûtés qui caractérisent l’architecture du XII ème siècle, c’est le passage au gothique.
On saisit ainsi le cheminement théorique et pratique que ces bâtisseurs ont suivi pour appréhender la poussée et la verticaliser, mais l’invention de l’arc brisé ne suffit pas à se passer d’organes de contrebutement Il leur faut décomposer la poussée afin d’alléger les piédroit.
I.B.6 : De la décomposition des poussées : Ils comprennent que plus l'arc se rapproche, dans son développement, de la ligne horizontale, plus cette poussée s'éloigne de la verticale ; plus l'arc s'éloigne de la ligne horizontale, plus la poussée se rapproche de la verticale. Ils cherchent donc à conduire les poussées du sommet des voûtes jusqu’au sol en supprimant la matière qui se trouve en dehors des lignes de pression.
Sur ce schéma de voûte en berceau, toute la charge oblique s’applique au point C, la matière comprise dans le triangle EDF est elle utile ?
Ils cherchent alors à contenir les effets de la poussée oblique au niveau des reins avec un arc soutenu par un massif.
Il s’agit ici d’un arc-boutant qui vient s’opposer à l’effet de la pression oblique et d’un pilier butant recevant la poussée de l’arc. Grâce à ce procédé, la largeur des piédroits peut être réduite puisqu’ils ne contiennent plus que la pression verticale. La pression oblique exercée par la voûte est instinctivement décomposée en une force verticale reprise par les piliers et une poussée latérale à laquelle s’oppose le système de l’arcboutant.
L’arc-boutant peut être considéré également comme un organe intermédiaire destiné à reporter contre un pilier butant le poids et la poussée de la partie supérieure d’une voûte. Il est placé dans la ligne de direction de cette poussée, vers le milieu des reins ou entre l’imposte et la clef de la voûte, pour former par l’inclinaison de son couronnement une continuité jusqu’au pilier butant.
Les piliers A qui supportent les arcades entre la nef et les bas côtés sont élevés pour recevoir la retombée de la grande voûte B. Ils s’élèvent au dessus de la ligne de naissance de la voûte et sont chargés d’un pinacle situé dans leur prolongement afin d’augmenter leur stabilité. Afin d’alléger les piliers A qui atteindraient un volume considérable si ils étaient proportionnés à l’action de la voûte B, celle-ci a été décomposée de sorte qu’ils ne supportent plus que la partie inférieure qui exerce moins de poussée. Le poids de la partie supérieure est transmis vers un pilier butant D par un arcboutant E. Le pilier A doit donc être dimensionné pour supporter la partie inférieure C de la voûte de la nef et de la charpente qui la couvre. Le pilier butant D doit être dimensionné pour s’opposer à l’action latérale de la partie supérieure B de la voûte de la nef. L’arc-boutant E doit être disposé de manière à ce que le pilier A et le pilier butant D soient réunis.
Observant avec justesse qu'une voûte bien contre-butée n'a besoin pour soutenir sa naissance que d'un point d'appui vertical très faible comparativement à son poids, les constructeurs amincissent peu à peu les piles et reportent toute la force de résistance à l'extérieur, sur les contreforts. Ils évident complètement les intervalles entre les piles, sous les formerets, par de grandes fenêtres à meneaux; ils mettent à jour les galeries au-dessous de ces fenêtres, et tout le système de la construction des grandes nefs est ainsi réduit à des piles minces, rendues rigides par la charge, et maintenues dans un plan vertical grâce à l'équilibre établi entre la poussée des voûtes et la buttée des arcs-boutants. Mais l’arc boutant n’annule pas la poussée, il s’y oppose en maintenant la construction en équilibre, ou la transmet aux piliers butant ; un autre moyen est utilisé dans la recherche de l’équilibre, c’est la réduction des poussées obliques en une force verticale.
Au lieu de contenir la poussée oblique AB avec un arc- boutant, on lui oppose une poussée moins importante CD. Le poids E charge les sommiers des deux voûtes, pour réduire les poussées obliques en une pesanteur verticale.
Ce principe allié à l’utilisation de l’arc brisé qui libère les constructeurs des contraintes de l’arc en plein cintre ouvre un large choix formel et permet de mettre en œuvre une multitude de combinaisons de voûtes jusqu’à couvrir des plans irréguliers ou curvilignes.
I.B.7 : Du rôle des nervures : La nouvelle manière d’employer les nervures leur permet de dépasser les difficultés de conception de structure ardues. Les nervures qui définissent les arêtes d’intersection des différentes parties de voûtes sont utilisées comme des cintres permanents en pierre qui facilitent la mise en place des voûtains. L’ensemble fonctionne alors simultanément pour concentrer les poussées sur un pilier ou sur une partie de mur, un renfort local suffit pour absorber et résister aux poussées ainsi regroupées. Les arcs doubleaux et formerets, les nervures, liernes et tiercerons leur permettent de concevoir des formes en raisonnant en deux dimensions ; des successions de voûtes peuvent alors se soutenir parce qu’elles portent sur l’ossature de la structure. En effet, un arc s’inscrit dans deux dimensions alors qu’une voûte est tridimensionnelle, l’aide de la géométrie descriptive est indispensable pour en faire une représentation graphique, l’utilisation des nervures résout ce problème en traitant chaque arc séparément. Malgré les limites des connaissances dont ils disposent, les bâtisseurs de cette époque ont conçu une architecture innovante avec une véritable explosion de créativité. Ils savent que tout corps livré à lui-même est attiré verticalement vers le sol, mais ils ne savent rien de la pesanteur de l'atmosphère, de la force d'attraction ni de la forme de la terre. Pourtant ils maîtrisent les poussées avec une intuition de leur passage étonnante si on analyse l’équilibre des structures gigantesques qu’ils ont réalisées. Cette conception des structures n’est pas un phénomène architectural soudain, mais le résultat d’une accumulation d’expériences parallèles. Il faut attendre le XVIème siècle pour que les concepts physiques de la méthode gothique soient théorisés ; méthode qui sera méprisée par les penseurs de la Renaissance qui qualifient cette architecture de gothique, l'art gothique était l'art des Goths, autrement dit des barbares, qui auraient ignorés les techniques et les canons romains.
I.C : Stabilité et stéréotomie : A partir du XVIème siècle, la recherche de l’équilibre évolue vers une conception reposant sur l’étude des volumes géométriques et les premiers ouvrages traitant de stéréotomie apparaissent. Pour assurer la stabilité de l’édifice, le constructeur analyse la manière dont les corps élevés les uns au dessus des autres agissent selon leur position ; il cherche à distinguer par le développement de l’appareil la direction des poussées afin de placer efficacement les résistances qui s’opposeront aux efforts. Dans ses cours d’architecture publiés vers 1775, Jacques-François Blondel (17051774), traite « des principes qui constituent en général la solidité d’une coupole sur pendentifs » ; la méthode qui est décrite repose sur la décomposition de la construction en volumes géométriques et l’étude de l’appareil pour assurer la stabilité.
Il distingue deux plans dans cet exemple de construction : le plan inférieur qui est composé de quatre piliers situés aux angles de la croisée des transepts et de la nef, et le plan supérieur qui est celui d’une tour couverte d’une coupole.
Plan supérieur
Plan inférieur
Il précise qu’il faut ensuite dimensionner tous les supports du plan supérieur avant ceux du plan inférieur, en prenant en compte le diamètre de la tour, la nature de la coupole, son épaisseur, la hauteur de ses piédroits, les différents poids dont elle est chargée, si elle est couronnée par une charpente ou non.
Le plan supérieur rencontre le plan inférieur au milieu de la clef des arcs, cette clef et l’arc dont elle fait partie sont donc des points d’appui principaux.
Ainsi la largeur des piédroits de chaque arc est dimensionnée en fonction de la charge exercée par la tour, de la poussée des arcs qu’il soutient et qui portent une partie de la tour sur leur sommet.
Les pendentifs sont les corps intermédiaires qui réunissent les deux plans. Ils porteront une grande partie de la tour, l’analyse de la disposition de leurs voussoirs permet de connaître la direction des efforts. Un pendentif est une portion de voûte demi-sphérique identifiée avec son piédroit, les joints des voussoirs rayonnent depuis le centre de la voûte, leur queue est prolongée tant qu’elle ne rencontre pas d’obstacle. Ainsi appareillé, il agit comme une voûte dont les reins sont chargés, c’est à dire avec une poussée excentrique contre son piédroit et une poussée latérale contre les côtés de la croisée.
Les joints des voussoirs rayonnent depuis le centre de la voûte, leur queue est prolongée tant qu’elle ne rencontre pas d’obstacle.
La poussée excentrique contre le piédroit est représentée par une flèche rouge. La poussée latérale qui s’exerce contre les côtés de la croisée et accentuée par l’action de la tour est représentée par les flèches noires. L’action de la tour sur la saillie du pendentif tend également à exercer un effet de bras de levier qui repousse le piédroit au niveau de la naissance du pendentif. Les arcs subissent aussi les poussées latérales de la tour combinées à celles du pendentif.
Ce schéma illustre la manière dont Jacques-François Blondel analyse les efforts qui s’opèrent sur les éléments de la construction, en les exagérant. Il détermine ensuite les points où doivent être contrer ces efforts et en déduit que les arcs et les piédroits devront être fortifiés suffisamment pour s’y opposer. Il ajoute qu’il faut construire de grosses voûtes en berceau derrière ces arcs, dans toute la longueur des nefs ou des bras de la croix et bien appuyer les extrémités opposées par un mur d’une épaisseur capable de servir de pilier- butant à son effort latéral combiné avec celui de la tour.
L’auteur conclue cet article en précisant les étapes à respecter pour concevoir des ouvrages en pierre. Il faut : - consulter son appareil, - examiner la tendance à agir des corps supérieurs vers les inférieurs, - placer aux endroits indiqués les résistances trouvées par le calcul, - considérer les circonstances locales de la poussée des voûtes et des différents poids susceptibles de la faire varier.
Dans le cas étudié, la stabilité de la construction repose sur les arcs et leurs piédroits. On remarque que la demi sphère apporte ici une réponse au problème de passage entre le plan supérieur de la construction qui est circulaire et le plan inférieur qui est carré. De plus ce volume géométrique aide le concepteur à appréhender les efforts qui vont se produire. Mais cette approche, illustrée par cet article reste encore assez instinctive et n’a pas assimilé les nouvelles perspectives offertes par les mathématiques et la mécanique.
II : De nouveaux outils : La mécanique, dont les lois sont dictées par Newton à la fin du XVIIème siècle, provient des travaux antérieurs de Galilée, Torricelli, Descartes, Huygens, Hooke et apporte à travers la mécanique statique, l’énoncé suivant : «Si un système mécanique est en équilibre , l'effet des efforts extérieurs qui s'appliquent sur lui est nul (somme des forces extérieures nulle et somme des moments extérieurs nulle). » Un système mécanique est un ensemble de solides affectés d’une masse. Les efforts extérieurs sont les actions mécaniques (forces et moments de forces) appliquées sur le système étudié par des éléments extérieurs à ce système. Dans une étude d'équilibre statique, l'ensemble matériel isolé fournit donc le système d'équations à résoudre dans lequel les inconnues sont les efforts appliqués à ce système et la recherche des positions d'équilibre ainsi que des paramètres géométriques permettant de définir la position du système. De plus, l’intérêt des mathématiciens se concentre sur des problèmes techniques précis, l’évolution de l’algèbre facilite la résolution des équations et la mathématisation des problèmes. La géométrie se détache de la notion ancienne d'ensemble de points ou de figures de référence pour entrer dans l'ère de la géométrie des coordonnées et on cherche à associer des courbes ou des surfaces à des équations algébriques. Couplée avec cette évolution de la géométrie, la stéréotomie s’insère tout à fait dans cette avancée, même si dans ce contexte la parabole devient un objet cinématique et non plus exclusivement statique. Des échanges entre Bernoulli, Leibniz et Huygens concernant l’étude de la chaînette vont leur permettre de faire progresser la recherche sur le calcul intégral mais signifie aussi un progrès essentiel pour la conception des voûtes. Les progrès de la géométrie, des mathématiques, de la physique, de la stéréotomie combinés ouvrent de nouvelles perspectives pour la conception des ouvrages en maçonneries et des outils performants pour les constructeurs, comme nous allons le voir dans une seconde partie. L’approche des méthodes qui vont être décrites reste qualitative, les formules et le calcul ne sont pas abordés en raison de leur complexité.
II.A.1 : La méthode de La Hire : Dans son Mémoire de 1712, le mathématicien Philippe de La Hire (1640-1718) écrit « C’est un problème des plus difficile qu’il y ait dans l’Architecture, que de connaître la force que doivent avoir les piédroits des voûtes pour en soutenir la poussée ».
Il observe qu’une arche se décompose en trois blocs indépendants à la rupture et établit l’hypothèse de joints de rupture situés environ à égale distance des sections de clé et de naissance, comme le montre le modèle ci-dessus. Il analyse ensuite l’équilibre du bloc inscrit entre l’axe de la clé et le joint de rupture, puis il calcule l’effort qu’il exerce pour écarter ses deux appuis latéraux.
Amédée Frézier rapporte cette théorie dans son « Traité de stéréotomie à l'usage de l'architecture » publié entre 1737-1739. Il ajoute une méthode graphique élaborée par de La Hire destinée aux appareilleurs qui ne maîtrisent pas l’outil mathématique, elle est appliquée pour résoudre un problème : « L’épaisseur d’une voûte cylindrique, sa charge, et la hauteur de ses piédroits étant donnés, trouver l’épaisseur qu’ils doivent avoir pour en soutenir la poussée. » L’exemple choisi est un magasin à poudre d’une grandeur un peu au dessus de l’ordinaire et de mesures identiques à une construction semblable réalisée en 1732 qui s’est effondrée par la faiblesse de ses piédroits avant même d’être totalement décintrée. Soit BC, le rayon de la voûte étant de trente pieds ( 9.72m), LM, l’épaisseur minimum aux reins de 3 pieds ( 0.972m ), Hh, l’épaisseur minimum à la clef de 10 pieds ( 3.24m), la hauteur du piédroit de 13.5 pieds ( 4.374m).
Soit AHED, la moitié du profil du bâtiment voûté en berceau. L’intrados est le demi-cercle Bh et l’extrados est la ligne droite AH. Au dessus du rez-de-chaussée PE, il faut trouver la distance BX qui détermine l’épaisseur du piédroit qui doit résister à l’effort qui tend à écarter le point B. On divise le demi-cercle Bh en deux au point M, on trace depuis C le rayon CM, qui coupe AH en L, la distance LM est donnée dans l’énoncé. On construit la verticale MV puis l’horizontale NW qui passe par M et coupe CH en F.
Il faut ensuite mesurer l’aire LMhH en prenant celle du triangle LHC retranchée de l’aire du quart de cercle CMh.
On porte la racine carrée de cette surface du point M en g sur l’horizontale MF et du même point M en G sur la verticale MV. On joint G et F puis on trace la parallèle passant par g qui coupe MV en S.
On tire la droite VF et on construit la parallèle qui passe par S et coupe l’horizontale MF en Y. On mène la perpendiculaire à VF qui coupe FMN au point T, on reporte la moitié de la distance MY de T en N, puis on porte la distance PV à partir de N en u. On porte la longueur Fu en FW.
De M comme point de centre et MY comme rayon, on trace le cercle YqR, qui coupe la verticale MV en q et l’horizontale MN en R. Du point W comme centre, on trace l’arc de rayon WR qui coupe MV en Z, la longueur Zq est celle que l’on cherche pour déterminer l’épaisseur du piédroit en BX.
II.A.2 : Comparaison des résultats des méthodes de La Hire et de Derand :
En suivant cette méthode, on détermine une épaisseur Zq de 3.609 m ; voyons ce que l’on obtient selon la méthode attribuée au père Derand.
L’arc Bh est divisé en trois parties, on tire la corde dB que l’on prolonge jusqu’au niveau du sol au point e. On trace un arc de cercle de centre B et de rayon Bd, sur la droite dBe, on obtient le point e’. La distance fB est l’épaisseur du piédroit. Z
q
Le résultat obtenu détermine une épaisseur de 2.43 m, cette valeur est quasiment équivalente aux deux tiers de celle que l’on a déterminée grâce à la méthode de M. de la Hire. Amédée Frézier rapporte que la voûte qu’il prend comme exemple était supportée par des piédroits de 9 pieds d’épaisseur, soit 2.916 m, et elle s’est effondrée malgré l’aide apportée par des contreforts de 4 pieds de queue et de 6 pieds d’épaisseur.
II.B : La chaînette : La recherche d’une voûte exerçant une poussée la plus faible possible sur ses piédroits ainsi que l’étude scientifique de la chaînette vont préciser la notion d’efforts et la manière dont ils se transmettent au sein de la matière qui compose les éléments d’un arc.
La chaînette ou caténaire étudiée dès 1678 par Hooke est appelée également courbe funiculaire ou vélaire. Cette courbe est la forme prise par un fil pesant, flexible, infiniment mince, homogène et inextensible suspendu entre deux points. Galilée pensait que c'était un arc de parabole, mais Leibniz, Jean Bernoulli, et Huygens ont montré en 1691, indépendamment, qu'il n'en était rien.
« On sait qu’on ne dérange rien dans l’équilibre des puissances en changeant seulement leur direction en son contraire. » écrit Hooke, une des propriétés de la chaînette est que si elle est composée de sphères dont les centres de gravité se trouvent dans la circonférence de cette courbe, ils restent en équilibre, comme le démontre la voûte composée de boules illustrée par Poleni.
Il est évident que le moindre souffle la fait s’écrouler puisque les points de contact entre les éléments sont infiniment petits. On peut dire que c’est le cas d’équilibre extrême pour un arc ou une voûte.
Si on remplace ces globes par des voussoirs dont les joints passent par les points de contact, on obtient une forme d’arc qui n’exerce qu’une faible pression latérale. Voici la manière de tracer cette courbe :
Supposons que l’on doive couvrir un espace AB d’une voûte de hauteur SC. On trace sur un mur la ligne horizontale ab qui correspond à l’espace AB et la perpendiculaire sc qui passe par le milieu de ab et de même longueur que SC.
On attache aux points a et b une chaîne ou un cordeau flexible de sorte qu’il passe par le point c, puis on marque sur le mur une quantité suffisante de points pour retrouver la courbe inversée. On trace ensuite de chaque côté l’intrados et l’extrados de la voûte que l’on divise selon le nombre de voussoirs déterminé et enfin on tire les perpendiculaires à la courbe qui passent par ces divisions pour appareiller la voûte. Cette méthode garantit l’équilibre de la structure en utilisant la courbe naturelle que prend le fil suspendu : c’est ce que l’on appelle en architecture le « form-finding ». L’architecte Gaudi a utilisé la chaînette pour concevoir les arcs et les voûtes de la Sagrada Familia.
II.C : La ligne des centres de pression : Si on applique ce procédé sur un arc dont la courbe est par contre préalablement définie, on trace l’épure de l’arc et de la courbe qui passe en son milieu, puis on reporte cette courbe inversée et on applique un fil de même longueur sur lequel on suspend des poids qui correspondent au poids des voussoirs.
L’arc est destiné à supporter des charges extérieures à son poids propre, on les prend en compte en suspendant d’autres poids sur ceux qui correspondent aux poids des voussoirs pour que le fil se trouve tendu jusqu’à la courbure de l’arc. Ces poids représentent la charge placée au dessus du centre de gravité de chaque voussoir pour que la structure soit en équilibre. Pour connaître la poussée qui s’exerce à la naissance ou sur un point de l’arc, on prolonge la courbe par la ligne ac, on trace la verticale ab de longueur quelconque puis l’horizontale bc. La longueur de ac correspond à la poussée de l’arc et à sa direction au point a, c’est la résultante de la pression verticale ab et de la poussée latérale bc ; le poids de l’arc entre son centre et le point a, représenté par ab étant connus, on peut donc calculer les autres poids. Ainsi, connaissant la courbe, on peut déterminer l’épaisseur des voussoirs, donc leur poids pour s’assurer de l’équilibre en fonction des charges extérieures ; au XVIIIème siècle, les formules permettant de calculer mathématiquement l’équilibre des voûtes sont basées sur ce principe et reposent également sur les règles de la mécanique. Ensuite, le problème inverse se pose : étant donné l’épaisseur, comment déterminer la courbe ? Si l’on décompose une voûte et qu’on enlève une des deux parties, afin que la partie conservée reste stable, il faut appliquer en un point du joint une force égale et opposée à celle qui tend à faire basculer la structure. Ce point est appelé « centre de pression » et la courbe recherchée est appelée « courbe des pressions ». On observe sur le schéma ci-dessus qu’elle relie les centres de pression de chaque joint. II.D : Principes tirés de la Mécanique : Dans son ouvrage « La science des ingénieurs dans la conduite des travaux de fortification et d'architecture civile » publié en 1729, l’ingénieur et mathématicien français Bernard Forest de Bélidor (1698-1761), montre que trois forces en équilibre sont dans le même rapport que les côtés d’un triangle qui sont perpendiculaires à la direction de ces forces.
Ce principe permet de faire intervenir la direction des joints qui doit toujours être perpendiculaire à la courbe des pressions recherchée.
Après la méthode graphique élaborée par La Hire, Amédée Frézier énonce le problème de dimensionnement différemment, en considérant cette fois la voûte comme « un assemblage de voussoirs polis sans liaison, qui se poussent mutuellement, en agissant par leur pesanteur suivant les différentes inclinaisons de leurs lits. » On retrouve dans la résolution de ce problème, simplifiée ici, l’idée de voûte composée de sphère, soit une sphère B qui « est soutenue par les deux plans AC et DC, trouver l’impression que chacun reçoit de la pesanteur de la boule : »
Si on considère que le système est en équilibre :
La réaction des supports en A et D nous donne : A = D = P.cosα Ces deux réactions d’appuis s’opposent aux poussées exercées par la sphère B sur les plans inclinés AC et DC en A et D. Ensuite, il considère les voussoirs comme des coins polis en faisant abstraction du mortier et de son effet pour empêcher le voussoir de glisser. « Le plus sûr est toujours de construire les voûtes pour qu’elles se soutiennent indépendamment du ciment et de ses engrainements. » « Pour que les piédroits reçoivent la poussée de toute la voûte, il faut calculer cette poussée et lui en opposer une égale ou plus grande en donnant aux piédroits la largeur requise. Les voussoirs tendent à glisser le long de leurs joints, il faut que ces efforts soient contrebalancés mutuellement pour que la voûte soit en équilibre. Ces efforts dépendent de l’inclinaison plus ou moins verticale des joints et de la masse des voussoirs, ainsi, en donnant aux poids des voussoirs la juste proportion que demande l’obliquité de leurs joints, ils demeureront en équilibre. »
Calcul de l’effort d’un voussoir :
Soit m le sinus de l’angle ACB r le sinus de l’angle ACD s le sinus de l’angle BCD p le poids du corps P D’après le principe de M.Bernoulli, la pression du poids sur le plan supérieur AC= s.p m pression du poids sur le plan inférieur BC= r.p m Dans le calcul des voûtes intervient également le principe du levier en ce qu’il concerne la rotation des voussoirs. C’est un élément qui manquait aux calculs de La Hire basés sur les modes de rupture ; dès le milieu du XVIIIème siècle, on formule les modèles de rupture « à rotules », où l’arc se rompt en fragments qui pivotent les uns par rapport aux autres.
II.E : Les conditions de stabilité : A l’aide de ces différents outils apparaissent durant la première moitié du XIXème siècle plusieurs méthodes de vérification pour assurer la stabilité des voûtes. Sachant qu’une voûte s’effondre si certains de ses voussoirs sont déplacés ou détruits, sa stabilité repose sur trois conditions : - les voussoirs peuvent être déplacés par rotation autour d’une de leurs arêtes, il faut donc qu’ils soient en équilibre statique. C’est la condition d’équilibre statique, - les voussoirs peuvent glisser suivant les surfaces de leurs lits, il faut donc empêcher ce glissement par le frottement.
C’est la condition de frottement selon l’angle de frottement que fait la résultante des forces agissant sur chaque joint par rapport à la normale au plan du joint, il est évalué à 35°, - les voussoirs peuvent être déformés puis détruits par écrasement, il ne faut donc que sur aucun point, la pression par unité de surface ne dépasse la résistance attribuée au matériau qui les compose. C’est la condition de résistance. Afin de s’assurer que la voûte est en équilibre stable, il faut également connaître l’action des forces inhérentes et extérieures qui lui sont appliquées. Ces forces sont : - son propre poids. - le poids de tous les ouvrages fixes établis sur la voûte. - les surcharges variables ou passagères. - les réactions des appuis. On détermine les aires et les centres de gravité des voussoirs, on multiplie leur volume par la densité du matériau employé afin d’obtenir leur poids, puis on recherche pour chaque voussoir les forces extérieures qui lui sont appliquées.
Il faut ensuite calculer les réactions d’appuis :
On applique ici le poids P total supporté par la voûte (poids propre, charges et surcharges), au centre de gravité de la clef.
Il est donc équilibré par les composantes verticales S et S’ des réactions des culées :S =S’= P.
2 Quant aux composantes horizontales des réactions d’appuis Q et Q’, elles sont égales et opposées puisque l’ouvrage est en équilibre. Si elles étaient nulles, la voûte se comporterait comme une poutre droite sollicitée par un système de forces verticales, et travaillerait uniquement à la flexion. Pour que l’ouvrage soit stable, il est nécessaire que les réactions R et R’ qui sont les résultantes des composantes Q et S et de Q’ et S’ viennent couper la direction de la force P en un point D. La composante horizontale Q des réactions des culées que l’on appelle la poussée de la voûte est appliquée à la clef de la voûte. La résultante des efforts développés dans la section de la clef est une force horizontale égale et directement opposée à la poussée Q. Il faut donc trouver l’intensité de la poussée et son point d’application à la clef pour vérifier l’équilibre de la voûte.
II.F : La recherche de la courbe des pressions :
Dans leur ouvrage « Ponts en maçonnerie » publié en 1887, Ernest Degrand (18221892) et Jean Résal (1854-1919) définissent la notion de centre de pression comme le « point d’application sur une section transversale de la résultante des efforts moléculaires développés dans cette section. » « Si le solide est en équilibre, cette résultante est égale et directement opposée à celle des forces extérieures appliquées au solide, à partir d’une de ses extrémités jusqu’à la section considérée. » Ainsi, la courbe des pressions « est le lieu des points de rencontre des sections transversales successives et des résultantes des forces appliquées à la partie de la voûte comprise entre l’une de ses retombées et les sections transversales considérées. »
Considérons la section transversale A1B1, les forces appliquées à la moitié droite de la voûte ont pour résultante Q appliquée au point D de la clef. On compose la poussée Q avec le poids total P1 supporté par le 1er voussoir pour obtenir la résultante T1. T1 correspond donc à la section A1-B1. Le point de rencontre D1 de sa direction avec la droite A1-B1 est un point de la courbe des pressions.
En composant la force T1 avec le poids P2 supporté par le second voussoir A1-B1-A2B2, on obtient la grandeur et la direction de la résultante T2, relative à la section A2-B2 ; elle rencontre la droite A2-B2 en un point D2 appartenant à la courbe des pressions. En continuant ainsi, on détermine tous les points successifs de la courbe des pressions jusqu’à la section de la retombée. L’inconvénient de cette méthode est l’imprécision accumulée par les étapes successives du tracé. On peut éliminer cette cause d’erreur en composant les poids supportés par les voussoirs successifs à partir de la clef.
Soit P2 la résultante des poids p1 et p2, P3, la résultante des poids p1, p2 et p3, …ainsi
de suite.
Pour trouver par exemple, le point D3 correspondant à la section A3-B3, on compose la poussée Q avec la résultante P3.
La grandeur de la résultante Tn relative à la section An-Bn se calcule par la formule : Tn =
Q² + P²n.
Pn représente le poids total de l’ensemble des voussoirs compris entre la clef et la section de retombée.
La courbe des pressions tracée, on applique les règles relatives à la vérification de la stabilité des prismes en maçonnerie :
An Soient An-Bn une section transversale quelconque de la voûte et Dn, le point de passage
Dn Fn
de la courbe des pressions.
α Tn Vn
Bn
La résultante Tn se décompose en une force de compression Fn perpendiculaire à la droite AnBn et un effort tranchant, la force Vn.
Ces constructions géométriques permettant de déterminer la courbe des pressions supposent de connaître l’intensité de la poussée et son point d’application à la clef.
A partir de deux points de la courbe des pressions, on peut retrouver la poussée :
Soit P’, le poids porté par la section de voûte AB-A’B’. P’’, le poids porté par le voussoir A’B’A’’B’’. Du point quelconque M situé sur la direction P’’, on joint D et D’. Sur une droite verticale quelconque, on porte les longueurs op’ et op’’, respectivement proportionnelles aux poids P’ et P’’. On mène par le point p’’ une parallèle à MD’’ et par le point p’, une parallèle à MD’. Par leur point de rencontre m, on fait passer une parallèle à la droite DD’ que l’on prolonge jusqu’à l’intersection q avec l’horizontale qui passe par o. La longueur oq représente la poussée Q.
Ces applications, issues de l’ouvrage de Degrand et Résal cité plus haut, permettent de mieux comprendre la construction de la courbe ou ligne des pressions. Parmi les méthodes de vérification de la stabilité d’une voûte élaborées durant la première moitié du XIXème siècle, la plus ancienne est la méthode des courbes de pression hypothétiques, dite méthode de Méry.
II.G : Les méthodes de vérification :
II.G.1 : Méthode des courbes de pression hypothétiques, dite méthode de Méry : E. Méry, ingénieur des Ponts et Chaussées expose sa méthode dans un mémoire publié en 1840. Le principe de cette méthode est de décomposer la voûte dont les dimensions sont établies provisoirement, en un certain nombre de voussoirs plus grands que les voussoirs réels afin de simplifier les calculs mais suffisamment petits pour que les parties des courbes d’intrados et d’extrados puissent être assimilés à des segments de droite. On attribue ensuite à chaque voussoir hypothétique les charges propres et extérieures. Puis on construit une ligne des pressions à partir de deux points imposés qui sont le point de départ sur la clef, pris au tiers supérieur du joint de la clef et le point sur le joint de rupture situé au tiers inférieur de ce joint. Méry a déduit le choix de ces deux points des expériences réalisées par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Boistard en 1800. Il constate qu’une voûte circulaire s’ouvre à la clef du côté de l’intrados et au joint dit de rupture du côté de l’extrados, donc la courbe des pressions est plus rapprochée de l’extrados à la clef et plus proche de l’intrados au joint de rupture. Afin que les joints ne s’ouvrent pas, la courbe des pressions ne doit pas sortir du noyau central. C’est pourquoi les points ou elle rencontre les joints de la clef et de rupture ne doivent pas dépasser le tiers central de la largeur du joint du côté de l’extrados pour la clef, et le tiers du côté de l’intrados pour le joint de rupture. Soit ABCD la moitié de la voûte qui est symétrique et MN (en pointillés rouges), la courbe des pressions correspondant à une charge déterminée :
On suppose que cette courbe coupe le joint de la clef AB en M, placé aux deux tiers du joint à partir de l’intrados. MB = 2AB 3 Au droit du joint de rupture FE, la distance SE de la courbe des pressions à l’intrados est la tiers de la longueur totale du joint. SE = 1FE 3 Pour positionner le joint de rupture : On mène par le point S une parallèle à la tangente en E à la courbe de l’intrados. Elle donne la direction de la résultante des forces extérieures appliquées à la voûte entre la clef et le joint EF. On détermine cette résultante en composant la poussée Q appliquée en M et le poids total P de la partie ABEF. La tangente en S à la courbe des pressions doit ainsi passer au point de rencontre de l’horizontale Q et de la verticale P. La recherche du joint de rupture s’effectue donc par la méthode graphique suivante : On détermine, pour une série de sections transversales de la voûte, le point de rencontre de la parallèle à la tangente à la courbe de l’intrados menée au tiers de la longueur du joint, et du poids de la partie de voûte limitée par la clef et la partie considérée. La courbe ainsi tracée rencontre l’horizontale qui passe aux deux tiers de la longueur du joint de la clef en un point T qui correspond au joint de rupture.
Il ne reste plus qu’à trouver quel est le joint qui est coupé au tiers de sa longueur par une parallèle à la tangente correspondante de la courbe d’intrados menée par T, sachant que pour les voûtes en plein cintre, l’angle du joint de rupture avec l’horizontale s’écarte peu de 30°.
On peut évaluer l’intensité de la poussée graphiquement avec le parallélogramme des forces puisqu’on connaît sa direction MQ, la grandeur et la direction de P, la direction de la résultante TS.
Construction de la courbe des pressions : On la trouve en construisant le polygone funiculaire des forces appliquées à chaque voussoir, il coupe le joint délimitant deux voussoirs au centre de pression. Pour le tracer, on utilise les points M à la clef et S au joint de rupture, mais il faut connaître la résultante des efforts sur un joint pour trouver les autres.
Pour déterminer la poussée Q appliquée en M à la clé :
Q
R
P
R Q
On connaît l’intensité de la force P, on sait que la poussée Q est horizontale et appliquée en M, la voûte est en équilibre donc les trois forces Q, P et R sont concourantes et leur somme vectorielle est nulle. En traçant le polygone des forces, on trouve la ligne d’action de R qui est la résultante des efforts à gauche et la valeur de la poussée Q. Une fois la courbe des pressions déterminée, on l’utilise pour vérifier dans chaque section de la voûte ou de l’arc, les conditions de frottement et de résistance des matériaux. Si ces conditions ne sont pas validées, il faut augmenter l’épaisseur de la voûte aux joint où cela est nécessaire et construire une nouvelle épure avec ces données. Une deuxième méthode élaborée durant la seconde moitié du XIXème par l’ingénieur A.Durand-Claye (1830-…) est très intéressante.
II.G.2 : Méthode des aires de stabilité : Une poussée Q étant appliquée en un point m au joint de la clé, on la représente par une perpendiculaire à ce joint à partir du point m. Le principe est d’opérer de même pour toutes les poussées relatives à l’équilibre de la voûte, leurs extrémités forment une aire limitée par une courbe appelée indicatrice des conditions d’équilibre. En recherchant les poussées compatibles avec les conditions de frottement on obtient une seconde aire limitée par l’indicatrice des conditions de frottement. Toutes les poussées compatibles avec les conditions de résistance des matériaux donnent une aire limitée par l’indicatrice des conditions de résistance. La superposition des trois aires obtenues donne l’aire de stabilité définitive de la voûte, ainsi les poussées dont l’extrémité tombe dans l’aire de stabilité forment des courbes de pressions qui remplissent les trois conditions d’équilibre, de frottement et de résistance.
Interprétation des résultats : Si il n’existe pas d’aire commune aux trois aires partielles, la voûte n’admet aucune solution d’équilibre. Si cette aire se réduit à un seul point, il n’existe qu’une seule solution d’équilibre. Si l’aire commune est considérable, la voûte est surdimensionnée et il faut l’optimiser pour se rapprocher de l’unique solution d’équilibre.
Tracé de l’indicatrice des conditions d’équilibre d’après Degrand et Résal : Soit doco-dc, une portion de voûte comprise entre la clef doco et le joint dc, choisi arbitrairement. On connaît le profil de la voûte et la charge P.
Conditions relatives à l’équilibre : La courbe des pressions coupe le joint de la clef en m ; pour qu’il y ait équilibre, elle ne doit pas sortir de la voûte, elle rencontre le joint dc entre d et c. La résultante de la charge P et de la poussée Q menée par leur point de rencontre l doit passer au dessus de c et au dessous de d, toutes les poussées comprise entre ces deux points exercent des pressions compatibles avec l’équilibre et ne produisent pas de rotation autour de l’arête c ou d. On peut calculer les valeurs des poussées Q’ et Q’’correspondant aux deux cas limites, où la résultante serait dirigée suivant lc et ld.
Soit mq’ la valeur minima de la poussée et mq’’ la valeur maxima ; à partir de l, on les représente sur l’horizontale passant par m. Si la courbe des pressions coupe le joint de la clef en m, l’extrémité de la poussée représentée sur cette horizontale tombe entre q’ et q’’. Pour chaque point du joint doco, on détermine les points de q’ et q’’et on obtient deux courbes : αoβo et γoδo. Quelque soit le passage de la poussée à la clef, l’extrémité figurée doit se situer dans l’aire αoβoγoδo Supposons que la courbe des pressions passe au joint cd en n, on sait qu’elle rencontre la clef entre co et do. La résultante de la poussée Q et de la charge P qui passe en n, a une direction intermédiaire comprise entre nl’ et nl’’, qui correspondent aux deux cas limites où la poussée est appliquée en co et do. Connaissant P, on calcule les grandeurs des résultantes suivant ln’ et ln’’ et on en déduit les composantes nS’ et nS’’au joint cd. La réaction normale au joint cd, se situe entre les point S’ et S’’. Les positions de ces deux points sont les deux courbes αβ et γδ. Ainsi, les deux aires αoβoγoδo et αβγδ sont les aires de stabilité de la voûte qui correspondent à la condition d’équilibre. La poussée à la clef et la réaction normale au joint, figurées par des longueurs portées sur leur propre direction, doivent avoir leurs extrémités respectives inscrites à l’intérieur de ces aires. La courbe des pressions limite définie par l’un des sommets de l’aire de clef correspond au sommet de l’aire du joint cd désigné par la même lettre.
Tracé de l’indicatrice des conditions de résistance : V
O V’ B
N
Ω étant la surface du joint cd et R la résistance de sécurité, on porte en O au milieu du joint Oω=Ω.R, ce qui donne le point ω. Les points V et V’ divisent le joint en trois parties égales, on porte Vv = V’v’ = ½ Oω, puis on trace deux arcs d’hyperboles équilatères ωv et ωv’ ayant pour asymptotes la droite cd et la droite Vv ou V’v’. On mène les droites vd et v’c qui sont tangentes aux hyperboles.
Pour qu’une pression BN, figurée en rouge, ne fasse pas travailler l’arête située de son côté au delà de la résistance de sécurité, il faut que l’extrémité de sa représentative tombe dans l’intérieur du contour de sécurité cv’ωvd. Cette aire s’allonge en proportion de R et on établit un contour de sécurité à l’écrasement pour chaque joint. Aire définitive de stabilité d’une voûte :
On a pour chaque joint deux aires de stabilité, l’une correspondant à la condition d’équilibre, l’autre à la condition de résistance. Les parties communes de ces deux aires EoFoGoHo pour le joint doco, EFGH pour le joint cd, possèdent cette double propriété.
La partie de voûte comprise entre les joints codo et cd est stable concernant l’équilibre et la résistance des matériaux lorsque l’extrémité de la poussée à la clef tombe dans l’aire EoFoGoHo et que l’extrémité de la réaction normale au joint cd tombe dans l’aire EFGH.
On réitère cette opération pour tous les joints de la voûte et on obtient une série d’aires de stabilité dont la partie commune représente l’aire de stabilité définitive de la voûte.
Ces méthodes de vérification sont réalisées à l’aide d’outils graphiques qui les simplifie mais elles reposent sur des principes qui peuvent être utilisés dans une résolution par des calculs complexes ; jusqu’au milieu du XXème siècle, elles sont employées pour calculer le travail des voûtes en raisonnant selon l’hypothèse élastique, les formules de déformation permettant le calcul.
III : L’analyse de la stabilité aujourd’hui :
La valeur du module d’élasticité est très variable selon les différents types de maçonneries mais on considère que la déformation d’un prisme en maçonnerie obéit aux mêmes lois que celles qui s’appliquent aux prismes en métal ; la méthode dite des défigurations élastiques est basée sur les méthodes de calcul utilisées pour vérifier la stabilité des arcs métalliques. La voûte en maçonnerie est donc assimilée à un arc élastique continu encastré sur ses deux sommiers et la même méthode de calcul lui est appliquée. Résal a développé une telle méthode basée sur les équations de Navier.
Cependant, les théories de la plasticité se développent, associées à l’utilisation de la ligne des centres de pression. Elles apportent une nouvelle façon de considérer la stabilité des voûtes en maçonnerie à partir de 1950.
III.A : La théorie plastique :
Jacques Heyman est le plus ardent défenseur de cette approche, il propose trois conditions pour étudier la stabilité d’une structure en maçonnerie : - elle n’a pas de résistance à la tension,
- les efforts sont si bas que la maçonnerie a une résistance infinie à la compression, le matériau est rigide plastique, - il ne se produit pas de glissement entre les éléments. L’approche élastique analyse une mise en charge donnée de la structure, elle ne prend pas en compte dans les calculs le comportement exact du matériau, ce qui introduit des erreurs ; l’approche plastique étudie une mise en charge limite qui entraîne sa ruine en considérant que cet état limite est unique et défini sans ambiguïté. Lors de la mise en charge d’un arc, l’élasticité de la pierre absorbe la déformation géométrique mais si l’effort est trop important, des fissures apparaissent sur l’intrados et l’extrados ; il se produit un déplacement de la ligne de poussée. L’arc n’est pas indéfiniment élastique, si on lui enlève une charge, il ne revient pas toujours à son état d’origine.
On a vu que la position idéale de la ligne de poussée est située au milieu géométrique de l’arc mais que le risque de fissuration est limité tant que la ligne passe dans le tiers médian de l’épaisseur. Les fissures correspondent aux points de tangence entre la ligne de poussée et les limites physiques de l’arc. Des efforts de tension se produisent sur la face opposée au point de tangence pour rétablir l’équilibre des forces, mais la tension ne pouvant se transmettre d’un élément à l’autre, le joint le plus proche du point de tangence s’ouvre. Il existe deux lignes de poussée limites entre lesquelles existent une infinité de lignes de poussée : une ligne de poussée minimale et une ligne de poussée maximale. La ligne de poussée minimale correspond au fonctionnement limite de l’arc qui transmet le minimum de poussée : on trouvera une fissure sur l’intrados au droit de la clé et deux autres sur l’extrados dans les reins, elles correspondent à un affaissement sous la charge. Cet état ne nuit pas en réalité à la stabilité, c’est le seul état possible de l’arc avec trois articulations, sous une charge donnée. Tant que la charge est stable, l’ouvrage est stable.
La ligne de poussée maximale correspond au cas où l’environnement agit sur l’arc qui développe le maximum de résistance et donc la plus forte poussée dont il est capable. On observe deux fissures sur l’extrados, l’arc boutant illustre bien ce fonctionnement.
La structure s’effondre lorsque la ligne de poussée entre en contact avec quatre points en limite physique de l’arc.
Soit P, la résultante composée du poids propre de l’arc et d’une charge extérieure.
En b, on peut observer la forme que prendrait la chaînette suspendue de Hooke qui matérialise la ligne de poussée. Plus P augmente, plus elle tend à approcher les limites de l’arc.
Le stade critique est illustré en c, la
Jusqu’à trois articulations, l’arc est triangulé, donc stable.
Jacques Heyman considère que les efforts étant toujours faibles par rapport à la résistance du matériau, la ruine ne peut provenir que d’une évolution géométrique négative sous la charge. Il suppose que l’arc est une structure géométrique non linéaire.
Cette approche nécessite des calculs complexes que l’ordinateur a rendu accessibles aujourd’hui.
III.B : Le calcul à la rupture : Le calcul à la rupture permet d’affirmer avec certitude l’instabilité d’un ouvrage en maçonnerie lorsque le chargement qui lui est imposé dépasse le domaine de chargements potentiellement supportables par sa structure. Pour pouvoir vérifier la stabilité de l’ouvrage, il faut évaluer quelle partie de son potentiel de résistance peut être prise en compte et lui appliquer un coefficient de rupture calculé en considérant la résistance caractéristique de la maçonnerie et la combinaison des charges permanentes et des charges exceptionnelles appliquées à l’ouvrage. Le calcul est réalisé à partie d’un programme informatique tel que le programme VOUTE qui permet pour une voûte de géométrie donnée et un chargement donné, de calculer : -le coefficient de rupture, -les poussées extrêmes, -les lignes de pressions correspondantes et les réactions d’appuis. Le mode d’emploi de ce programme et l’étude du calcul à la rupture sont décrits dans la thèse de Jean-Michel Delbecq présentée en 1983 à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris pour obtenir le diplôme de Docteur-Ingénieur. Elle s’intitule « Analyse de la stabilité des ponts en maçonnerie par la théorie du calcul à la rupture ». III.C : L’analyse structurelle : L’approche plastique permet une analyse des structures qui composent un édifice en assimilant son comportement à celui d’un mécanisme de déformation. Dans les Annales de l’Institut Technique du Bâtiment et des Travaux Publics publiées en juillet-août 1978, se trouve une « étude de la structure d’édifices gothiques » réalisée par l’Ingénieur Hubert Joway. On retrouve dans cette « méthode d’analyse et d’intervention par les théories structurelles de la plasticité, rejoignant la géométrie constructive gothique », les travaux de Jacques Heyman et l’utilisation de l’épure de Méry. « L’existence d’une seule ligne de poussée satisfaisante, déterminée par une méthode graphique, permet de préciser les conditions de stabilité du mécanisme et de l’édifice. L’intervention éventuelle améliorera la condition d’isostaticité du mécanisme, tout en s’insérant dans la vérité constructive de l’édifice. » L’auteur décompose le système gothique en six unités structurales : -les voûtes supérieures et inférieures, -les piliers de la nef centrale, -les culées, -les arcs-boutants, -la charpente,
-les liaisons.
Puis il développe le comportement et le rôle de chaque unité. On a vu précédemment les schémas de rupture d’un arc :
Pour un arc brisé ou une ogive, la clé se soulève et les parties inférieures sont rejetées vers l’extérieur, les constructeurs dits gothiques chargent la clé par des massifs ou des clés suspendues.
L’action des arcs doubleaux fait souvent ployer les piliers et les sollicitations dues au vent produisent un effet de balancement, ce qui assimile le pilier à un pendule. Les culées sont très profondes et chargées par des pinacles et des dais pour recentrer la résultante des efforts à la retombée des arcs-boutants. Le rôle fonctionnel des arcs-boutants est comparable à celui d’un étai qui reprend la poussée d’une voûte, soutenu par un arc. En considérant la structure de l’édifice, les arcs-boutants inférieurs reprennent la poussée des voûtes et au niveau supérieur, ils s’opposent à l’action du vent. La charpente concentre les efforts au droit des travées, les entraits solidarisent les faces soumises à l’action du vent. Les liaisons sont matérialisées par les entraits et par les refends situés sur les doubleaux supérieurs et sur ceux des collatéraux. Elles sont nécessaires entre les parties supérieures subissant l’action du vent et entre les parties latérales au niveau du triforium. Les étapes de la méthode à suivre sont les suivantes : -détermination des caractéristiques de l’édifice, -détermination des sollicitations, -tracé de la ligne poussée, -détermination des contraintes et des liaisons, -détermination des articulations et du mécanisme de ruine, -mécanisme rendu isostatique, -stabilisation éventuelle préconisée.
Les théories plastiques assurent qu’une seule ligne de poussée satisfaisante suffit à garantir la stabilité, il faut étudier les conditions d’équilibre dans les sections critiques de l’édifice, comme on peut l’observer dans l’exemple suivant.
Etude de l’abbatiale Saint-Jacques à Liège :
Liaisons existantes actives :
Liaisons existantes passives : Liaisons actives à établir : Liaisons passives à établir :
Les sections jugées critiques : Le niveau A du seuil des fenêtres hautes. Le niveau B de l’abaque des chapiteaux.
Le niveau C de la base des colonnes de la nef centrale. Le niveau D de la base des piliers intermédiaires. Des liaisons sont nécessaires pour assurer l’équilibre : -la liaison supérieure F’, qui solidarise les parties hautes du clair étage soumises à l’action du vent, et neutralise les composantes horizontales des poussées obliques, -la liaison F’’, qui relie les parties latérales et déplace la résultante générale de la nef dans le pilier central. III.D : De nouvelles perspectives : Un autre exemple où les méthodes développées par le professeur Jacques Heyman sont utilisées pour assurer la stabilité de structures est rapporté par l’ingénieur irlandais Peter Rice (1935-1992). Dans son livre « Mémoire d’un ingénieur » publié en 1988, un chapitre concerne la conception du Pavillon du Futur pour l’Exposition universelle qui s’est tenue en 1992 à Séville. Il s’agit d’une façade en pierre (granit, rosa porino) autoporteuse et indépendante, comparable à « la ruine moderne d’un viaduc ou d’un aqueduc ». L'élévation se décompose en 11 arches en plein-cintre, ayant un rayon de 8,6 m et une hauteur sous clef de 37 m ; les arches reposent sur 12 paires de colonnes hautes de 28 m et espacées de 22 m à l'entraxe, l'ensemble s'étend sur une longueur de 250 m.
La pierre est choisie comme matériau structurel principal du projet sous forme d’éléments préfabriqués de section carrée composée de blocs mesurant 0.20×0.20×1.40 mètre de hauteur assemblés à l’époxy. La finesse et la légèreté de la façade ne doivent pas faire oublier les contraintes dues au vent. Il faut préserver la pierre des efforts de tension et des charges trop brusques à l’aide d’un système sophistiqué, les arches sont donc renforcées par deux systèmes de contreventement, l'un situé dans l'axe longitudinal de chaque arche et l'autre perpendiculaire à l'élévation de celles-ci.
Pour concevoir ce système, il faut prévoir le comportement des arcs en pierre. Rice explique que « dans notre cas, comme les joints principaux entre les sous-éléments préassemblés ne possédaient aucune capacité de résistance à la tension et que la charge initiale principale était le poids du toit, les conditions étaient très similaires à celles des arches étudiées par Heyman. Nous avons donc mis au point un système de modélisation informatique qui simulait l’ouverture des joints lorsqu’un effort de tension s’exerçait sur l’intrados et l’extrados. Nous avons appelé « flip-flap » ce comportement mécanique non linéaire ; il peut engendrer des changements géométriques dans la cohésion mécanique des arcs, lorsque la direction de la poussée s’écarte sensiblement de l’axe central de ces derniers. A l’aide du programme, on analysa le comportement des arcs dans diverses conditions de chargement, y compris le vent et les tremblements de terre. »
Nous avons vu que les théories plastiques supposent que l’arc est une structure géométrique non linéaire. Cette approche nécessite des calculs complexes que l’ordinateur a rendu accessibles aujourd’hui comme l’illustre l’exemple précédent. Les théories élastiques ne tiennent pas compte des discontinuités de la maçonnerie des structures qui sont pourtant relativement déformables du fait de la multiplicité des joints qui sont autant d’articulations possibles. L’analyse informatique selon la méthode des éléments finis, qui décompose la structure en une série d’éléments pertinents et qui analyse localement les conditions d’équilibre, semble faire l’unanimité. Un document réalisé conjointement par l’Ecole des Mines d’Ales et le Laboratoire de Mécanique et Génie Civil de l’Université de Montpellier 2, intitulé « Modélisation par éléments distincts d’ouvrages en génie civil : la méthode dite Non Smooth Contact Dynamics», décrit cette méthode étayée par des exemples. « La structure peut être considérée comme une collection de corps rigides ou déformables entre lesquels des relations d’interaction, usuellement du contact avec frottement, sont susceptibles de s’établir ou de se rompre. Ces types de milieux « divisés » composés d’un grand nombre de corps peuvent être modélisés par les méthodes par éléments distincts (MED). » « De nombreux ouvrages de génie civil sont des structures maçonnées. Dans de nombreux cas, ces structures sont étudiées comme des milieux continus. Cette hypothèse n’est pas réaliste dans certaines applications comme la construction en pierre massive à joints vifs, ou la construction en appareillages de pierres avec mortier, de propriétés mécaniques faibles. » Prenons exemple sur la modélisation du pont Julien : La structure est constituée de 3267 blocs, on peut analyser la répartition des efforts qui s’exercent sur les éléments de la structure, ceux qui sont représentés en jaune et vert sont les plus chargés.
En annexe figure la présentation de la « Méthode de requalification des ponts en maçonnerie » réalisée par la professeure Nathalie Domède de Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions de Toulouse présentée lors des XXIVèmes Rencontres Universitaires de Génie Civil en 2006. Elle rappelle, dans son introduction, les outils de calcul dont disposent les ingénieurs aujourd’hui : « La méthode publiée par Méry en 1830 (décrite notamment par Séjourné en 1913) est une méthode graphique qui consiste à vérifier qu’il existe un équilibre possible des forces dans la voûte. Elle ne donne pas les contraintes réellement atteintes. Le programme VOUTE, développé par J-M Delbecq en 1980 pour le compte du SETRA, effectue un calcul à la rupture, sans connaître la loi de comportement des matériaux. Elle recherche l’équilibre limite des efforts et fournit un coefficient de sécurité égal au rapport de la charge limite à la charge réelle pondérée. Les ingénieurs peuvent également se lancer dans un calcul par la méthode des éléments finis (MEF) avec des logiciels commercialisés tels que ROBOT. » « La méthode de requalification par le calcul que nous venons de décrire pourrait s’appliquer pour tous les ouvrages en maçonnerie. Cette méthode, en trois phases, permet de décrire les phénomènes internes des différentes parties de l’ouvrage, en service et jusqu’à la rupture, dans les trois dimensions du pont. Elle prend en compte la phase non linéaire des matériaux constitutifs. »
Conclusion : L’étude de l’évolution des méthodes utilisées pour dimensionner des ouvrages en pierre et assurer leur équilibre révèle plusieurs points intéressants : Tout d’abord la hardiesse des bâtisseurs. Les limites des outils dont ils disposent et une grande part d’intuition démontrent l’ingéniosité dont ils font preuve pour dépasser les contraintes architecturales contemporaines de leur époque. Cette créativité est évidemment appuyée par l’observation et les multiples expériences constructives. Puis l’appréhension des efforts et du comportement des structures se précise de plus en plus grâce aux progrès des Mathématiques et de la Mécanique. Mais il faut assimiler un domaine de connaissances très spécialisé pour maîtriser ces outils. Ce sont les compétences des ingénieurs et des bureaux d’étude technique. Cette manière de concevoir suppose l’utilisation de matériaux dont on connaît les caractéristiques avec une grande précision. C’est le cas de la pierre. En effet, on sait analyser ses caractéristiques et les changements que l’on fait subir à sa structure quand on l’extrait de son milieu, en la façonnant, lors de sa mise en œuvre. Mais la pierre reste un matériau naturel et les valeurs de ses caractéristiques peuvent varier sensiblement, ce qui n’est pas le cas des matériaux artificiels dont la composition est homogène, dosée et invariable, afin d’optimiser la matière et les coûts. Dans ses Mémoires, Fernand Pouillon va plus loin, il écrit : «De tout temps, les bâtisseurs principaux furent « les maçons, les tailleurs de pierre et les charpentiers ». Ils considèrent que la maison reste leur affaire à eux seuls, alors que leur temps est révolu. En industrialisant le bâtiment dans sa seule structure, ils entravent le progrès. » Il explique que l’équipement constituera entre 80 et 90% de la valeur de la maison. « Dans ces conditions, que représentent les murs et les structures ? […] A quoi bon, désormais, ne diriger les recherches que sur un point de l’ouvrage qui, dans un proche avenir, ne coûtera plus grand-chose ? » (p. 238). «Bâtir sera toujours nécessaire pour résoudre les grands programmes : palais, usines, hôpitaux, mais loger une humanité en détresse se présente comme un problème différent, passionnant et primordial. Moi qui suis un bâtisseur, attaché à l’efficacité, sensible à la tradition quand elle est utile socialement et économiquement, je me suis toujours trouvé prêt à abandonner les techniques périmées, quel qu’en fût le charme… » (p.239). Aujourd’hui la pierre se trouve dans une situation paradoxale puisque les outils qui permettent une conception performante de structures en pierre sont élaborés et des pistes de recherche se développent. En les couplant avec les techniques de production industrielles, la construction en pierre pourrait tenir une place importante mais elle est délaissée en dépit de ses nombreuses qualités et de l’abondance des carrières.
BIBLIOGRAPHIE : Adam, Jean-Pierre. Titre(s) : la construction romaine. Publication : éditions A. et J. Picard Paris. Belidor, Bernard Forest de (1697-1761). Titre(s) : La science des ingénieurs dans la conduite des travaux de fortification et d'architecture civile... Date d'édition : 1729 Blondel, Jacques-François (1705-1774). Titre(s) : Cours d'architecture, ou Traité de la décoration, distribution et construction des bâtiments [Texte imprimé] : contenant les leçons données en 1750 et les années suivantes. Publiés de l'aveu de l'auteur par M. R*** ; (et continué par M. Patte). Publication : Paris : Desaint : [puis] Vve Desaint, 1771-1777 Borgnis, J. A. (1781-18…). Titre : Traité élémentaire de construction appliquée à l'architecture civile, contenant les principes qui doivent diriger, 1 le choix et la préparation des matériaux ; 2 la configuration et les proportions des parties qui constituent les édifices en général ; 3 l'exécution des plans déjà fixés : suivi de nombreux exemples de distribution puisés dans les plus célèbres des monumens antiques et modernes. Auteurs secondaire(s) Ducoudray, A.G. Dess. ; Ollivier. Dess. ; Jodot. Dess. ; Adam. Grav. Publication : Paris : Bachelier, 1823. Degrand, Ernest (1822-1892). Titre(s) : Ponts en maçonnerie par E. Degrand et Jean Résal ; avec une introd. par M.-C. Lechalas... Publication : Paris : Baudry, 1887. Delbecq, Jean-Michel. Titre(s) : Analyse de la stabilité des ponts en maçonnerie par la théorie du calcul à la rupture. Publication : présentée en 1983 à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris pour obtenir le diplôme de Docteur-Ingénieur. Domède, Nathalie. Titre(s) : Méthode de requalification des ponts en maçonnerie. Publication : Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions de Toulouse : XXIVèmes Rencontres Universitaires de Génie Civil en 2006. Encyclopédie des métiers : La maçonnerie et la taille de pierre. Publication : sous l’égide de l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir.
Frézier, Amédée (1682-1773). Titre(s) : La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois pour la construction des voûtes et autres parties des bâtiments civils & militaires, ou Traité de stéréotomie, à l'usage de l'architecture. Publication : Strasbourg : J.-D. Doulsseker le fils ; Paris : L.-H. Guérin aîné : C.-A. Jombert, 1737-1739.
Heyman, Jacques. Titre(s) : The stone skeleton. Publication : 1995. Joway, Hubert. Titre(s) : Annales de l’Institut Technique du Bâtiment et des Travaux Publics : étude de la structure d’édifices gothiques. Publication : juillet-août 1978. Ozanam, Jacques (1640-1717). Titre(s) : Récréations mathématiques et physiques. Publication : Paris : C. A. Jombert, 1778. Pagès, Yves. Titre(s) : Arcs, voûtes et coques en pierre. Sous la direction de Jean-François Blassel Ecole d'Architecture de Paris La Défense. Publication : mars 2000. Péralès Robert, Dubois Frédéric, Vinches Marc et Bohatier Claude. Titre(s) : Modélisation par éléments distincts d’ouvrages en génie civil : la méthode dite Non Smooth Contact Dynamics. Publication : l’Ecole des Mines d’Ales et le Laboratoire de Mécanique et Génie Civil de l’Université de Montpellier 2. Radelet-de Grave, P. Titre(s) : La théorie des voûtes de Pierre Bouguer : jeu mathématique et enjeu pratique. Publication : 1998. Rice, Peter (1935-1992). Titre(s) : Mémoire d’un ingénieur. Publication : 1988. Viollet-le-Duc, Eugène (1814-1879). Titre(s) : Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle Publication : 1856.
TABLE DES ILLUSTRATIONS :
Page 1 : tirée de « L’encyclopédie des métiers : La maçonnerie et la taille de pierre » publiée sous l’égide de l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir. Page 9 : tracés réalisés avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 10 : tracé réalisé avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 11 : tracé réalisé avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 11 : tirée de « La construction romaine » par Jean-Pierre Adam éditions A. et J. Picard Paris. Page 12 : tirée de « La construction romaine » par Jean-Pierre Adam éditions A. et J. Picard Paris. Page 13 : tirée de « La construction romaine » par Jean-Pierre Adam éditions A. et J. Picard Paris. Page 13 : tirée de « La science des constructions » origine inconnue. Page 14 : tirée de « La science des constructions » origine inconnue. Page 15 : source inconnue. Page 16 : modélisations réalisées avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 17 : modélisations réalisées avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 18 : tirées du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle » par Eugène Viollet-le-Duc 1856. Page 19 : tirée du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle » par Eugène Viollet-le-Duc 1856. Page 20 : tirées du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle » par Eugène Viollet-le-Duc 1856. Page 21 : tirée de « Cours d'architecture » par Jacques-François Blondel 1771-1777. Page 22 : tirée du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle » par Eugène Viollet-le-Duc 1856. Page 24 : tirée de « Cours d'architecture » par Jacques-François Blondel 1771-1777. Page 25 : modélisations réalisées avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 26 : modélisations réalisées avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98.
Page 26 : tirée du « Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle » par Eugène Viollet-le-Duc 1856. Page 27 : modélisations réalisées avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 30 : tracé réalisé avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 31 : tracés réalisés avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 32 : tracés réalisés avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 33 : tracés réalisés avec le logiciel de D.A.O. Cadkey98. Page 34 : tirée de « Récréations mathématiques et physiques » par Jacques Ozanam 1778. Page 34 : tirée de « La théorie des voûtes de Pierre Bouguer : jeu mathématique et enjeu pratique » par P. Radelet-de Grave 1998. Page 35 : tirée de « Récréations mathématiques et physiques » par Jacques Ozanam 1778. Page 36 : tirée de « La science des constructions » origine inconnue. Page 37 : tirée de « La théorie des voûtes de Pierre Bouguer : jeu mathématique et enjeu pratique » par P. Radelet-de Grave 1998. Page 37 : tracé réalisé sur Word. Page 38 : tracé réalisé sur Word. Page 38 : source inconnue. Page 39 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 40 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 41 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 41 : tracé réalisé sur Word. Page 42 : tirées de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 43 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 44 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 45 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 47 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 48 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887.
Page 49 : tirée de « Ponts en maçonnerie » par Ernest Degrand et Jean Résal 1887. Page 51 : tirées de « The stone skeleton » par Jacques Heyman 1995. Page 52 : tirées de « The stone skeleton » par Jacques Heyman 1995. Page 54 : tirée des Annales de l’Institut Technique du Bâtiment et des Travaux Publics publiées en 1978 : « étude de la structure d’édifices gothiques » par Hubert Joway. Page 55 : tirée des Annales de l’Institut Technique du Bâtiment et des Travaux Publics publiées en 1978 : « étude de la structure d’édifices gothiques » par Hubert Joway. Page 56 : source inconnue. Page 57 : tirées de « Mémoire d’un ingénieur » par Peter Rice 1988. Page 58 : tirées de « Modélisation par éléments distincts d’ouvrages en génie civil : la méthode dite Non Smooth Contact Dynamics» par Robert Péralès, Frédéric Dubois, Marc Vinches et Claude Bohatier.