Introduction (Manon A) Pendant longtemps, le juge se refusait d’exercer tout contrôle sur les décisions de l’administration. Puis, prenant en compte le fait que l’administration se doit d’agir dans l’intérêt général, un contrôle du juge sur les décisions s’est développé à partir des années 60. Ce contrôle n’était au départ qu’un contrôle de l’excès de pouvoir, qui, à travers les années, a été touché d’une première vague d’évolution, allant dans le sens d’un renforcement du contrôle du juge, et donc d’une limitation du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Cela a entraîné un meilleur encadrement de celle-ci. Cependant, le contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions de l’administration, et plus particulièrement sur les sanctions infligées aux administrés est touché d’une seconde vague d’évolution au cœur de laquelle le recours pour excès de pouvoir est victime d’un déclin, lié à l’émergence d’autres types de recours en droit administratif et notamment à l’émergence du recours de plein contentieux objectif. Il convient de revenir sur la distinction classique des deux contentieux, qui tient aux pouvoirs conférés au juge en fonction du recours. Le recours pour excès de pouvoir est un recours qui ne permet au juge que d’annuler un acte administratif, en cas d’illégalité de celui-ci. En revanche, le recours de plein contentieux (ou recours de pleine juridiction) peut aboutir à l’annulation d’un acte mais aussi à sa réformation ou à d’autres mesures (comme l’injonction). Cette distinction est fondamentale car elle entraîne de nombreuses conséquences procédurales : par exemple, le recours pour excès de pouvoir est en principe dispensé du ministère d’avocat tandis que le recours de plein contentieux ne l’est pas. Concernant le contentieux des sanctions administratives infligées aux administrés, le juge de l’excès de pouvoir était initialement compétent : cependant, il a été considéré, notamment par le Conseil d’État, que ces pouvoir n’étaient pas suffisants. En effet, les administrés disposent de garanties vis-à-vis de l’administration, qui impliquent notamment un investissement supérieur de la part du juge dans la défense de leurs droits. Cette distinction classique entre les deux recours semble aujourd’hui dépassée : le recours de pleine juridiction concerne la légalité d’un acte administratif : il est « objectif » car, si le juge constate une illégalité, il pourra annuler ou modifier l’acte. C’est en cela que, bien que se rapprochant du recours pour excès de pouvoir qui porte également sur la légalité des actes administratif, le recours de pleine juridiction s’en distingue car le juge administratif dispose de pouvoirs supérieurs et son action peut aller plus loin que la simple annulation de l’acte administratif litigieux. Ainsi, de grands changements ont parcouru les deux grandes catégories de recours contentieux au point que la question d’une distinction toujours existante entre les deux types de recours se pose. Cependant, dans certains domaines, le recours pour excès de pouvoir reste d’actualité. Il est opportun de déterminer si l’évolution du contrôle des sanctions infligées aux administrés garantit une meilleure protection à ces derniers ? Malgré cette évolution, la coexistence traditionnelle des deux recours subsiste (ce que nous allons voir dans un premier temps) mais la tendance est à une utilisation croissante du recours de plein contentieux, offrant une protection accrue pour les administrés (sujet que nous aborderons dans un second temps). I.
La coexistence traditionnelle de deux recours A-
Une préférence pour le recours en excès de pouvoir (Marie-Alix)
Les textes qui habilitent l’administration à agir lui confèrent plus au moins de discrétion. Cette discrétion va lui permettre de prendre des décisions que le juge va contrôler. L’enjeu pour le juge va être de trouver le juste milieu entre le respect de la marge de manœuvre de l’administration et l’exercice d’un contrôle de ses décisions. C’est en large partie le juge lui-même qui décide de l’intensité de son contrôle et il avait une tendance à choisir un contrôle minimal. Comme on peut le voir dans l’arrêt du CE Société Atom 16 fév. 2009 où le magistrat du tribunal administratif ainsi que le juge de la cour d’appel avaient préféré opter pour l’excès de pouvoir. Le recours pour excès de pouvoir est l’action selon laquelle toute personne y ayant intérêt peut provoquer l’annulation d’une décision par le juge administratif en raison de l’illégalité de cette décision. Le recours est largement ouvert au justiciable mais un peu décevant dans son résultat qui ne pouvait qu’être l’annulation ou la non annulation de l’acte. De plus le requérant ne pouvait obtenir des indemnités de la part du juge et ne pouvait fonder son recours que sur l’illégalité. Pourquoi le juge préférait-il juger en excès de pouvoir ? Les administrés se trouvent dans une situation de subordination vis-à-vis de l’administration, ce qui donne à cette dernière une autorité particulière sur eux. Le juge respectait cette relation en exerçant un contrôle minimum d’excès de pouvoir qui lui permettait d’annuler ou non la décision de l’administration mais ne lui permettais pas de la remplacer par la sienne. Le juge exerçait donc un contrôle minimum pour laisser à l’administration le plus de discrétion possible. Cinq éléments sont alors contrôlés par le juge, relatifs à la légalité interne et la légalité externe. Il s’agit de l’incompétence, du vice de forme et de procédure, du détournement de pouvoir, de l’erreur de droit et de l’inexactitude matérielle des faits. Mais afin de s’assurer que le pouvoir discrétionnaire ne se transforme pas en pouvoir arbitraire, le juge contrôlait, sauf exception, un sixième élément : l’erreur manifeste d’appréciation. Elle peut être définie comme l’erreur énorme, grossière, qui ne pourrait échapper à personne. L’erreur manifeste d’appréciation permettait ainsi au juge d’annuler par exemple une sanction manifestement disproportionnée infligée à un agent par sa hiérarchie.
Mais cette approche n’est pas idéale et pose certains problèmes. En effet, lorsque le juge décide de l’intensité du contrôle qu’il va exercer il adopte une démarche pratique et doit prendre en compte certains critères : 1. Le degré de la marge de manœuvre que le texte habilitant laisse à l’administration – en choisissant l’excès de pouvoir le juge respectait ce critère et donc la discrétion accordée à l’administration. Mais il doit aussi prendre en compte : 2. Les droits et libertés que la décision de l’administration est susceptible d’affecter. Et surtout : 3. Le niveau de garanti qu’il entend donner aux administrés en fonction de la nature de la décision prise par l’administration. C’est alors que l’on voit les limites du choix de l’excès de pouvoir, qui ne satisfait pas ces deux derniers critères, surtout en ce qui concerne le contentieux des sanctions. En effet les sanctions infligées affectent des droits et libertés fondamentales de l’administré. Ce domaine requiert donc un degré de protection élevé de ces derniers. Pourtant, malgré cela, pendant longtemps le juge a préféré ne pas s’immiscer dans la relation particulière entre l’administration et son subordonné. Mais il apparaît maintenant qu’elle a plutôt restreint cette idée aux fonctionnaires et qu’elle s’autorise à exercer un contrôle plus strict lorsqu’il s’agit des administrés. B-
Une évolution déclenchée par la jurisprudence (Manon G)
Il semble qu’une réticence générale vis à vis de la déférence de recours au juge de pleine juridiction était la norme pendant de nombreuses années. En effet, beaucoup critiquaient la pluralité des pouvoirs disponibles à ce juge qui n’est pas tenue par la même binarité des sanctions que le juge de l’excès de pouvoir. Le juge administratif s’interdisait de statuer en pleine juridiction afin de respecter le principe de la séparation des institutions juridictionnelles et administratives. Il appartient en effet au juge de décider la façon dont il va statuer. Les textes peuvent préciser les matières relevant de la pleine juridiction mais c’est souvent le juge qui créé la frontière lorsqu’il estime qu’une annulation ou non ne serait pas une garantie suffisante pour les administrés. Cette réticence c’est peu à peu dissipée avec la crainte d’une action devant la CEDH sur le principe de l’article 6, le droit à un procès équitable qui ne pourrait pas être respectée dans les cas ou une annulation n’apporterait pas une garantie suffisante aux administrés. Plusieurs solutions jurisprudentielles ont concrétisé la faveur dont bénéficie le plein contentieux. Certains recours vont ainsi être jugé directement en pleine juridiction. C’est le cas des sanctions infligées aux administrés. Cela est illustré par la décision du CE du 16 février 2009 « Atom » dans laquelle le Conseil d’Etat a jugé qu’il appartient aux juges du fond lorsqu’ils sont saisi d’une contestation portant sur une sanction que l’administration a infligé à un administré, de prendre une décision se substituant à celle de l’administration ou d’appliquer une loi plus douce entrée en vigueur entre le moment ou l’infraction a été commise et ou le juge statue. Le juge se prononce donc en temps que juge de plein contentieux. Dans sa décision du 17 janvier 1989 relative au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, ou il était question d’une amende instaurée à l’encontre d’un transporteur routier qui avait introduit en France des étrangers sans les titres requis, le CE a relevé que l'existence d'un recours de pleine juridiction constitue une garantie essentielle en matière de sanctions administratives à caractère pécuniaire. On retrouve cette préférence dans un arrêt du « 23 octobre 1995, Schmautzer c/ Autriche » De plus, les dispositions législatives désignant le recours de pleine juridiction comme celui par lequel des décisions de sanctions peuvent être déférées au JA se sont multipliées et leur convergence est remarquable. Cette préférence s’explique par la marge de manœuvre accordé au JA lui permettant de ne pas épuiser ses prérogatives et notamment de ne pas faire usage de son pouvoir de réformation s’il estime que les circonstances de l’espèce ne le lui permettent pas. Le recours pour excès de pouvoir reste toutefois présent et toute décision administrative peut encore en faire l’objet (Dame-Lamotte- 17 aout 1940). Le recours de pleine juridiction continue donc de coexister avec celui pour excès de pouvoir malgré l’évolution récente. II.
Une protection accrue des administrés A.
La non rétroactivité et la loi pénale plus douce en matière administrative (Franck)
- origines : Art 8 DDHC « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » - deux principes qui ne concernent pas seulement les juridictions répressives mais s'étendent à y«toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire» C.C décision 82-155 DC, 30/12/82. - principes qui portent sur l'application dans le temps des dispositions de nature répressives évoquent :
* d'une part, le principe de non rétroactivité des lois représsives plus sévères, qu'il s'agisse des dispositions d'incriminations ou de sanctions, interdit de sanctionner un comportement en vertu d'un texte plus sévère entré en vigueur postérieurement à celui-ci * d’autre part, le principe de rétroactivité des lois répressives plus douces implique que la loi pénale nouvelle, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s’applique aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée Un juge, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré. Il lui appartient de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration et, le cas échéant, de faire application d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue. IL se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux ; Dès lors que de nouvelles dispositions prévoient des peines moins sévères que la loi ancienne ; il y a lieu pour le Conseil d'Etat, statuant comme juge de plein contentieux, d'appliquer ces dispositions. On en trouve un exemple dans le premier document, la décision du CE « Atom » mentionnée auparavant mettant en avant les dispositions de la loi du 22 octobre 1940, lorsqu'elles ont été codifiées aux articles L. 112-6 et suivants du code monétaire et financier par l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000, ont été modifiées pour prévoir que les contrevenants à l'interdiction du paiement en espèce de sommes excédant un certain montant sont passibles d'une amende fiscale dont le montant n'est plus fixé à 5 % des sommes indûment réglées en numéraire, mais qui désormais « ne peut excéder » ces 5 %. - Il est acquis, en premier lieu, que l'application immédiate du principe de la loi pénale nouvelle plus douce s'étend aux sanctions administratives (CE, 17 mars 1997) comme aux sanctions fiscales (Avis CE, Section, 5 avril 1996) et que ce principe s'adresse au juge lui-même. L'incorporation de cette règle au bloc de constitutionnalité du droit administratif répressif paraît en outre certaine, le juge constitutionnel ayant relevé que le pouvoir de fixer les règles d'entrée en vigueur des lois qu'il édicte est reconnu au législateur « sous réserve des l'application immédiate des mesures répressives plus douces » et non pas seulement des mesures pénales plus douces (décision n° 90-277 du 25 juillet 1990, Rec. p. 70 ; décision n° 92-305 du 21 février 1992, Rec. p. 27 B-
Une exigence européenne de pleine juridiction (Alexia)
Depuis quelques années, sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, le juge administratif a renforcé son contrôle sur les sanctions administratives. Depuis l’arrêt Albert et Le Compte c. Belgique de 1983, la Cour européenne des droits de l’Homme considère que des organes « autre que les juridictions ordinaires » comme l’administration, ne présentent pas les garanties de l’article 6 comme l’impartialité et l’indépendance. Leurs décisions doivent faire l’objet d’un contrôle par un organe judiciaire de « pleine juridiction ». En l’absence d’un tel contrôle, il y aurait violation de l’article 6 de la Convention. La Cour européenne des droits de l’Homme a également estimé qu’un contrôle de proportionnalité est indispensable pour garantir un procès équitable. L’application de ce contrôle de proportionnalité signifierait que le juge du plein contentieux, et non le juge de l’excès de pouvoir, serait compétent. On peut donc en déduire qu’il y a une exigence européenne de « pleine juridiction ». Cette exigence implique également un contrôle de proportionnalité sur le choix de la sanction. Est-ce que la personne mérite une sanction? Si oui, est-ce qu’elle mérite CETTE sanction? On parle donc de contrôle de proportionnalité. Le juge peut annuler une sanction et la remplacer par une autre si elle n’est pas proportionnelle. Cette notion évite toute décision arbitraire en protégeant les administrés de tout abus de pouvoir. L’administré mérite une sanction proportionnelle à ses actes ou manquements. En France, c’est l’arrêt Atom de 2009 qui a confirmé qu’on est bien passé d’un simple contrôle de légalité dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir à un contrôle de pleine juridiction. Cette évolution proposée concerne l'ensemble des sanctions administratives. Le CE est passé d’un contrôle minimum à un contrôle normal. Ce n’est toutefois pas le cas dans tous les domaines comme celui de la déchéance de nationalité ce qui pourrait s’avérer problématique. Le cas de la sanction de déchéance de nationalité est considérée comme ayant une dimension morale et la sanction est perçue comme une punition. Le CE a décidé de rester juge de l’excès de pouvoir et n’a pas trouvé d’illégalité dans cette sanction qui a donc été maintenue pour cinq administrés (DOC 8). Vu les conséquences très lourdes de cette sanction sur les droits et libertés des administrés et la vision européenne de la protection des droits et libertés, cette décision va être très critiqué. Le caractère très grave des faits de terrorisme pourrait éventuellement justifier cette décision. Donc même dans les cas les plus sérieux comme la déchéance de nationalité le choix de l’étendu du pouvoir est laissé au juge. Nous avons vu que les garanties que le juge doit aux administrés implique qu’il s’investisse plus et qu’il utilise le plein contentieux. Cependant, dans le cas de la déchéance de nationalité, le juge en statuant en excès de pouvoir ne peut garantir certains droits essentiels aux administrés, ce qui s’oppose à l’exigence européenne de pleine juridiction.