linguistique
JEAN,MICHEL ADAM
LES
TEXTES: TYPES
ET PROTOTYPES RECIT, DESCRIPTION, ARGU M ENTATION, EXPLICATION ET DIALOCUE
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^+t1T crdde par Henri Mitterand
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Iean-Michel Adom Professeur de linguistique frangoise d I'Universiti de Lousonne
Les textes : types et prototypes Rdcit, description, argumentation, explication et dialogue
Troisidme ddition revue et corrigde
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Du m6me auteur :
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Texte narratd Texte descriptif
Dans la mGme collection
:
Les Etudes littdraires par J. Rohou
La Didactique du Frangais par G. Guillo, A. Couprie La Didoctique d I'oral du CAPES de lettres modernes par A. Bouillaguet La PoCtique des textes par J. Milly La Pdriphdrie des textes par P. Lane
A Emmanuet et Sdgoline.
PrCcis d'analyse littCraire
par M. Patillon Eldments de rhdtorique classique par M. Patillon
O Editions Nathan, 1992 - ISBN 209 190756-X 9, rue M6chain - 75014 Paris
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Le
phoiaopillage, c'61 I'usge abusif d collsrif de la phot@pic sm autoristion d6 au1ru$
et
ds €diteus.
Largement rdpandu dans les Ctablissements d'enseignement, le photcopillage menace I'avenir du livre, car met en danger son dquilibre aonomique. ll prive les auteurs d'une justc rcmundration. En dchors de I'usage priv€ du copisie, toute reproduction totale ou particllc dc
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ouvrag€ est itrtcrditc D,
Avant-propos
Le problime des types constitue depuis Russel I'un des centres de la rdflexion en logique. Il se pose avec acuitd dons ce que I'on appelle les sciences humaines. Dans tous les cas, il s'agit d'une catigorisation relativement intuitive grdce d laquelle ensuite un systime de pro-
positions devient possible. (Sumpf 1969 : 46)
Any native speaker of a longuage will in principle be able to make a distinction between a poem and a hondbook of mathematics, between an article in the news-
paper and a questionnaire. This implies that he has the initial obility to differentiate the universe of texts and to recognize different types of texts. We sholl claim [...] that this.fundomental ability is part of linguistic competence. We shall argue at the same time that this competence must be a textual competence. (Van Dijk 1972 : 297-298)
Ces dernidres anndes, dans le domaine francophone, les num6ros 56 et 62 de Protiques (1987 et 1989), 74 de Languefrangaise (1987), 79 du Frangais
uujourd'hui (1987) et 83 des Etudes de tinguistique appliquCe (1991) ont 6t6 consacrds aux typologies de textes et de discours ou aux types de textes. Les rrum6ros de revues et les ouvrages de synthdse sur I'argumentation, la deseription, le r6cit, I'explication et la conversation se sont 6galement multipli6s, lltestant les progrds des analyses partielles de ces cinq grandes formes h6ritCes de la tradition rhdtorique et des manuels de composition classiques. La recherche de classements typologiques a pu paraitre limitde au champ tle la didactique du frangais langue maternelle, 6trangdre et seconde ou encore rtu domaine de la littdrature (d travers la th6orie des genres) car les linguistes ont, pour leur part, souvent exprimd une certaine m6fiance d l'encontre de
loute typologie des textes. J. Molino, par exemple, repr6sente bien la tendance radicale qui met en question l'id6e mOme de linguistique du texte. Il ddclare, d propos de la typologie des textes : auxquelles
on aboutit ne sont gudre
i
cette question, les conclusions encourageantes les classifications
Malgr6 les nombreuses recherches consacr€es
:
6
)
Les lextes: lypes et prototlpes
maniables celles par exemple qui distinguent (cf. Werlich) description, rdcit, exposition, argumentation, instruction ne sont fras distinctives et ne fournissent qu'un cadre vague sans garantie d'homog6n6itd ni de r6gularit€, tandis que les classifications qui visent €tre homogdnes, rigoureuses, monotypiques et exhaustives sont contraintes de se perdre dans une ramification sans limites qui les rend rapidement inutilisables sans qu'elles soient plus assur€es. Ce qui nous conduit ir la thdse suivante : il ne saurait exister de thCorie gindrale du discours ou du texte. (1990 : 16l)
-
-
i
< La typologie des textes est un domaine qui m'a toujours paru extr€mement ddlicat et je m'y suis peu risqud >, note, quant d lui, M. Charolles (1990 : 9) en reconnaissant toutefois que les enseignants, qui travaillent forcdment sur des textes et ont pour objet naturel de rdflexion les discours des 6ldves, des mddias, de la litt6rature, sont bien oblig6s de se poser des questions relatives aux classements de ces textes et discours. B. Combettes, autre sp6cialiste de linguistique textuelle, distingue fort justement les recherches qui semblent curieusement avoir la typologie pour seule finalitd de celles qui, < explicitement ou implicitement, ne considdrent pas la construction d'une typologie comme une fin en soi, mais comme la possibilit€ de mettre les types de textes en relation avec "autre chose", cet autre chose €tant en l'occurrence, majoritairement, le domaine linguistique D (1990 : l4). C'est bien le sens du pr6sent ouvrage : la typologie qui va €tre expos6e n'a de sens que dans un cadre thdorique plus large, que le chapitre I exposera et que mes,E/dments de linguistique textuelle (Mardaga 1990) d6taillent plus largement. L'hypothdse de l'existence d'un petit nombre de types s6quentiels de base types monog6r6s narratif, descriptif, argumentatif et explicatif ainsi que type polygdrd dialogal - a pour but de th6oriser de fagon unifi6e I'hdt6rog6n6itd compositionnelle des discours. Cette hypothdse a aussi pour finalit6, dans I'esprit de la citation de J. Sumpf donn6e en exergue, de tenir compte d'une categorisation relativement intuitive et proche des jugements spontan6s des sujets d partir de laquelle, sous certaines conditions, il deviendra possible de ddvelopper un certain nombre de propositions th6oriques. L'opposition rdcit,/non r6cit, acquise trds t6t, semble admise par la plupart des sujets parlants (je ne me prononce pas sur I'universalit6 de cette distinction malgrd les observations accumul6es dans des cultures trds diverses). Que les linguistes le veuillent ou non, comme la rdflexion de T.A. Van Dijk cit6e en exergue en tdmoigne (en termes de comp€tence linguistique 6largie), la cat6gorisation des textes fait partie des activitds cognitives spontan6es des sujets : < Toute activite intellectuelle ccnduit celui qui la pratique i cr6er des distinctions et d construire des types d I'intdrieur de I'objet d'analyse > (Dispaux 1984 :99). Dans un ouvrage r6cent et dans une perspective pourtant toute diff6rente, G. Kleiber le rappelle : << Catdgorisation et cat€gories sont les 6l6ments fondamentaux, la plupart du temps inconscients, de notre organisation de I'exp6rience > (1990 : l3). Sans I'existence de telles catdgories, notre apprdhension
Avant-propos
7
rler drroncCs produits serait probablement impossible : nous serions submer16r pnr la diversitd absolue, par une impression chaotique que les rdgularitds
ryntuxiques ne compenseraient certainement pas. La thdse linguistique de l'dchelle ascendante de libert6, qui laisse entendre qu'au-deli de la syntaxe ll n'cxiste plus la moindre organisation rflgl5e, a trop longtemps compromis lcr recherches linguistiques. L'influence des sciences cognitives, les travaux nrr les < grammaires floues > (Kleiber et Riegel 1978, Sinaceur 1978) et sur lc curactCre modulaire de la langue ont heureusement modifi6 le paysage linluistique contemporain. Il est aujourd'hui assez commun6ment admis que, lron 916 mal 916, le linguiste doit - i ses risques et pdrils, bien s0r - s'aventurcr cn direction du texte-discours. De toute fagon, comme le note M. Mahrnoudian lui-m€me, d propos de ce qu'il nomme les dangers du classicisme : rr Que la linguistique structurale se soit cantonn€e dans l'6tude de la phrase ttc dCcoule pas des principes th€oriques qu'elle s'est donn€s. Par exemple, ln dCfinition d'une langue par Martinet n'implique nullement que l'€tude lingrristique doit se limiter au cadre de la phrase D (1989 : 221-222). Les recherches sur les catdgorisations humaines men6es en psychologie cognitive, et surtout utilis6es aujourd'hui dans le domaine de la s6mantique lexicale, ont eu une influence ddterminante sur I'esprit g6n€ral du prdsent ouvrage. Pour parler de typologie en linguistique du texte, il fallait en effet pouvoir ddgager la rdflexion de l'id6al scientiste des cat6gories gouverndes par dcs conditions n6cessaires et suffisantes. C. Vandeloise, dans la pr6sentation du num6ro 53 de la rewe Communications, r6sume I'esprit de ce changement dc perspective: Plut6t que d'adapter sa mdthodologie A la nature de son objet d'6tude, il senible que la linguistique contemporaine ait postul€ un objet conforme ir ses m€thodes, un postulat que l'€tude empirique de la cat6gorisation humaine ne vient pas conforter. En admettant que le langage est explicable par des tendances plut6t que par des rdgles absolues, la s€mantique cognitive renonce aux exigbnces des sciences exactes, mais des aspects primordiaux du langage ne peuvent €tre r€v€l6s sans ce type d'analyse. (1991 : 4)
Pour ce qui est du traitement cognitif des textes, de nombreuses recherches moddlisent les processus de compr6hension et de production en se r€f6rant d des schdmas textuels prototypiques d6finis comme des << repr6sentations, progressivement 6labor€es par les sujets au cours de leur d€veloppement, des propri6t6s superstructurelles des textes canoniques que leur culture reconnait ct que, souvent, leur langue nomme >> (Brassart 1990 : 300). La maitrise de ces repr€sentations sch€matiques prototypiques semble avoir des consdquences sur le stockage des informations trait€es en cours de comprdhension et sur la recherche des blocs d'informations par stratdgies d'anticipation. Les
difficultds de comprdhension de textes oraux comme €crits que connaissent les sujets novices ou non experts semblent s'expliquer, en partie du moins,
Avant propos
Les lexles: types el prololypes
par la non-maitrise de sch6mas textuels prototypiques. S. Ehrlich (1985), par exemple, explique les 6carts entre lecteurs lents et rapides non seulement par des capacitds in€gales de d€chiffrage etlou une maitrise in€gale du thdme abordd dans le texte lu, mais 6galement par des diffdrences sensibles de construction, sous le contr6le de sch6mas textuels prototypiques, d'une repr6sentation organis6e et hidrarchis6e du contenu s6mantique du texte. Nombre de travaux sur la production 6crite confirment le r6le de tels schdmas disponibles en mdmoire d long terme sur les activitds de planification et de r6vision. C. Bereiter et M. Scardamalia (1982 et 1987) montrent que novices et non-experts << ne disposent pas (encore) de ces sch6mas et n'ont pas automatisd un certain nombre de savoir-faire de "bas niveau" (graphiques, orthographiques, syntaxiques...). Ils doivent donc consacrer une part importante de leur attention ir r€gler ces micro-probldmes linguistiques au fur et i mesure qu'ils se prdsentent dans la mise en mots, au d6triment de la composition d'ensemble puisque la capacit6 de traitement de tout sujet est limitee et qu'aucune compensation ne peut €tre assurde par les sch6mas textuels prototypiques non ou peu disponibles chez eux. De li l'aspect texte-collage ou texte-tas de leurs productions >> (Brassart 1990 : 301). Bien s0r, toute entreprise de classification pose des probldmes. A plus forte raison quand on pr6tend passer les produits symboliques des pratiques discursives humaines au filtre d'un petit nombre de cat€gories 6l6mentaires. De cette 6vidence ne peut que d6couler une saine m€fiance ou, pour le moins, une prudence qui ne doit toutefois pas nous emp€cher de formuler des hypothdses de travail. Comme l'€crit G. Dispaux : << Une d6finition qui n'aurait jamais pos€ aucun probldme serait inutile. Il en va de mOme pour une typologie > (1984 :102). En m'int6ressant a cinq types 6l6mentaires, je choisis de partir de cat6gories culturellement prdexistantes, c'est-i-dire << apprises de manidre incidente et op€ratoires en tant que connaissances d'un groupe donn6, en particulier d travers le langage > (Dubois l99l : ll). Le rendement de cette hypothdse me parait assez int€ressant pour prendre le risque de donner ici une nouvelle version des thdses queje d6fends depuis quelques ann6es d€jd. Entre mes pre-
ou preslilascription, narration, exposition et argumentotion) I'instruction et Dressque Beaugrande De tandis Longacre) t,rilttion (texte procddural de tcri(tggt)privil6gient description,norrationetargumentationetBiceMortara ( irrravelli qSS) ajoute aux cinq types de Werlich un type optatif (acfialise
if
magiques, incantations' lrur les souhaits, mal6dictions, conjurations, formules les textes monog6r6s sont pris seuls cas, trois ces Dans pasquinade). i,ridres, .,, .o*pt. et le dialogue est ainsi tout naturellement exclu' Confrontd d I'h€tdrogdneite de tout discours et dans l'€tat pr€sent de nos r.onnaissances, mon propos n'est pas de mettre un point final au(x) d6bat(s)
cours en proposant une typologie de plus ou I-n typologie d6finitive. quesI'cspdre seulement contribuer ir une clarification de quelques-unes des
flr t
ions qui se posent dans le champ de la th€orie linguistique et, de fagon urgente
rcrnbli-t-il, dans la reflexion didactique. Comme le note J.-C. Milner dans l.'Amour de la langue: < Si dfsintdress€ que s'y veuille !e chercheur, I'Ecole cst d ses basques etlui r6clame des comptes > (1979 : I l5)' Si I'Ecole sollicite crcore le liniuiste, c'est i pr€sent - g6n6ralement du moins - sans illusions tldmesurdes, sans cette attente hors de propos qui pr6sida aux malentendus rlcs ann6es 1960-70. On sait d€finitivement que la linguistique ne rdvolutionque ltcra pas I'enseignement des langues maternelles ou 6trangdres, on sait
<< dures >>, ruts richerches ne prdsentent pas les garanties id6ales des sciences repen€tre qu'elles doivent t1u'elles ne sont pas immediatement applicables' quelLes {ducatif' terrain sCcs dans le cadri sp6cifique de la didactique et du prdsent que l'6tat prendre comme ques observations qui suivent ne sont donc ir ic travaux de linguistique textuelle. Comme le dit encore J.-C. Milner : << Du savoir sur la langue, ftt-il inscrit dans la science, on ne peut attendre d'autre
qu'une raiionalisation de la p6dagogie D (1978: ll5)' Si la r6flexion cneigei ddbouche sur une certaine rationalisation des ddmarches par les didacrusage
licie;
et les p(dagogues eux-m€mes, les objectifs du pr{sent essai auront 6td
largement d6pass€s
midres propositions, encore trds proches de celles d'Egon Werlich (1975), et la mise au point prdsent6e dans les pages qui suivent, l'6volution est sensible et la r6vision de certaines hypothdses traduit la dynamique d'une recherche qui est loin d'Otre achev€er. Pour des typologies linguistiques concurrentes, je renvoie simplement d Werlich (1975) qui ajoute aux quatre grands types
l.
l.
Pour se faire une id6e des d6bats, je renvoie A la fagon dont mes hypothdses sont discut€es par E. Roulet et par R. Bouchard dans le num6ro 83 des Etudes de linguistique appliquie (1991), par T. Virtanen et B. Warvik (1987) ou J.-J. Richer (l9l), ainsi que, plus largement, aux synth€ses de J.-L. Chiss (1987), A. Petitjean (1989), B. Schneuwly (1987) et H. lsenberg (1987).
hypothdses de traLes pages qu,on va lire doivent beaucoup il tous ceux qui ont discut6 mes
de vail : Jean-Paul Bronckart, Sylvie Durrer, FranQoise Revaz et Eddy Roulet tout d'abord, a
Brassart' pius lointains mais attentifs lecteurs comme Jean-Jacques Richer et Dominique Guy j'avais initialement envisagd de ,i mes amis Andrd Petitjean et Jean-Louis Chiss avec lesquels publier un ouvrage qui devait 6tre aussi une synthdse des typologies actuelles'
Introduction : une typologie parmi d'autres
Deux thdories explicatives rivoles ne portent pas sur des phdnomines diffirents [...] mois sur des explications diffdrentes des mAme faits. Le critdre de choix d'une thdorie ddpend principalement de I'dtendue et de la varidtd des phdnomdnes qu'un type unifid d'explication permet de subsumer : une thdorie est supCrieure d une autre parce que son pouvoir explicatif est plus grand.
(Kahn
l.
1988
:
45)
Types dldmentaires et hdt6rogdnditd textuelle
l,c linguiste qui exprime le plus nettement le besoin de classements typologiques cst certainement Mikharl Bakhtine qui situe son propos aux frontidres de la sociologie, de la philologie, de la linguistique et de la littdrature. A propos des formes concrdtes de discours ddpendant des rapports de production et de la structure socio-politique, Bakhtine et Volochinov ecrivent : << La typologie de ces formes cst I'un des probldmes les plus vitaux pour le marxisme. [...] Chaque dpoque ct chaque groupe social a son rdpertoire de formes de discours dans la commu-
nication socio-id€ologique > (1977 :40). Dans < Le probldme'du texte >>, la position exprim€e par Bakhtine est extr€mement int€ressante pour notre propos : Les formes de langue et les formes types d'6nonc6s, c'est-i-dire les genres du discours, s'introduisent dans notre exp€rience et dans notre conscience conjointement et sans que leur corr6lation dtroite soit rompue. Apprendre i parler c'est apprendre i structurer des €nonc6s (parce que nous parlons par 6nonc6s et non par propositions isol6es et, encore moins, bien entendu, par mots isol6s). Les genres du discours organisent notre parole de la m€me fagon que I'organisent les formes grammaticales (syntaxiques). (1984 : 285)
La r€flexion du linguiste russe a ceci d'original qu'elle 6tend les limites de la comp€tence linguistique des sujets au-deldr de la phrase, dans la direction des ( types relativement stables d'€nonc6s ) (1984 :266) et de ce qu'il appelle ailleurs la << syntaxe des grandes masses verbales D (1978 : 59)' ces < grands ensembles verbaux : longs dnonc€s de la vie courante, dialogues,
l2
Les textes
:
types et
prolotpes
Introduction
discours, trait€s, romans > (ibid.). outre le fait qu,il ne s€pare pas les domai_ I'icrit et de I'orar, Bakhtine pense en m€me temps o-orioion et inter-
nes de
pr€tation
:
Nous
apprenonsi mouler notre parore dans les formes du genre et, entendant Ia parore d'autrui, nous savons dlembree, aux tout premiers mots, en pressentir le genre, en deviner le volume (la longueur approximative d,un tout discursif), Ia structure compositionneile donn€e, ei prcvoir ra fin, autrement dit, dcs le d6but, nous sommes sensibles au tout discursif qui,ensuite, dunt ta p-aarrus de ra parore ddvidera ses diff6renciations. si les genrls du ciscours n'"-irr"i.ri o", et si nous n'en avions pas
lprotidienne. C'est d une hypothdse sur ces unit€s minimales de composition textuelle, formes fondamentales du langage ordinaire, que, ddplagant l'analyse dc Bakhtine du champ socio-linguistique des genres discursifs en direction rlc celui plus €troitement linguistique de la textualit€, seront consacr6s les chapilres qui suivent. La seconde hypothdse forte de Bakhtine a trait aux relations des unit6s (phrases ou propositions) avec le < tout de l'6nonc6 fini >>, son organisation compositionnelle :
la-maitrise, et qu,ii nous
Tous nos €nonces disposent d'une forme type et relativement stable de structu-
faille r., *e"i p.".-la iremrere fois dans le processus de ra parore, qr'il nou, faite construire chacun de nos €nonc6s, l'6change verbal serait quaiiment impossible. (fSS+ :
s'il n'hdsite
pas
i
ration d'un tout. (1984: 284) Lorsque nous choisissons un type donn€ de proposition, nous ne choisissons pas seulement une proposition donnde, en fonction de ce que nous voulons exprimer i I'aide de cette proposition, nous sdlectionnons un type de proposition en fonction du tout de l'6nonc6 fini qui se pr€sente e notre imagination verbale et qui d€termine notre opinion. L'id6e que nous avons de la forme de notre €nonc€, c'est-A-dire d'un genre pr6cis du discours, nous guide dans notre processus discursif. (1984: 288)
ig,
parrer de
types (rerativement) stables d,6nonc6s, Bakhtine insiste sur l'extr€me mobiliti et su, ta diurrsit€ des r€priques brives, du dialogue quotidien, du rdcit familier, de la lettre, qu,il considdre comme des genres 6ldmentaires du discours quotidien : Le locuteur regoit donc, outre les formes prescriptives de la langue commune (les composantes et-les structures grammaiicales), res rormes-ioi-roin, pr.r_ criptives pour lui de |cnonc6, .'.rt-I-dir" les genres du discours _ pour une inter_ ligence r€ciproque entre locuteurs ces derniers sont aussi indispensables que les formes de langue. Les genres du discours, compar.s uu" ror-as a, lungua, ,on, beaucoup plus changeants, souples, mais, pour l,individu parlant, ils n,en ont pas moins une valeur normative : ils lui soni donn6s, ." n,"ri pu, iui qui res crde. c'est pourquoi r'€nonc€, dans sa singularit€, en d6pit de son individualit€ et de sa cr6ativit6, ne saurait €tre consid6r6lomme une combinaison absorument libre des formes de langue.
(19g4 2g7)
Derridre certaines h6sitations terminorogiques et re caractdre essentieflement programmatique. des 6crits du ringuiste russe se profilent quand meme deux hypothdses ringuistiques.fortes. r-a premiere
u ti"ii iiJ", ,.tutiu._ ment stables d'6nonc6s qu'il d.signe ao-,n" genres "u* < premiers >>, du discours prdsents aussi bien dans res genrer littdraire! (genres ,, ,ipar excel_ lence) que dans res 6nonc6s de la vie quoti-olnn..
,.*a,
L,hypothdse bakhtinienne de << genres du discours > ant€rieuri comme la langue elle-m€me - g€n6rarit6, a le d la litt€rature, qu''s d.passent par leur m6rite de fonder la complexitd des formes les plus itauorg.r"rur un certain nombre de formes .l.mentaires qu'il faut probablemenr consid.rer .o_.. ;;;;ryp;q"es. En d'autres termes, des types relativement stables d,6nonc€s d, uur. -res Jont dispo_ nibles pour
Bien que Bakhtine n'explicite nulle part - i ma connaissance - comment s'articulent contexte socio-politique et choix d'une organisation compositionnelle, la linguistique contemporaine peut difficilement dviter de se demander quelles sont les limites de I'autonomie de la langue (rdgles phon6tiques, lexicales, morphologiques, syntaxiques, s€mantiques-logiques de base). Quelle est la part de la surddtermination du systdme par la mise en texte et en discours ? La mise en mots est-elle d6termin6e uniquement par des rtgles fond€es en langue ou ddpend-elle surtout des contraintes de I'interaction ? Roman Jakobson a souvent insistd sur le principe structural de la d€termination des parties par le tout et du tout par les parties. La question de I'autonomie relative des parties (temps verbaux, rdgles d'accord, etc.) ne doit pas €tre ndglig€e : tout en gardant des valeurs relativement autonomes, ces cat6gories d'une langue donn6e subissent diff€rentes modifications et spdcifications dans le cotexte, d'une part, et dans le contexte, d'autre part'. Michel Foucault-€crit fort nettement dans L'Archiologie du savoir : Ce ne sont pas la m€me syntaxe, ni le m€me vocabulaire qui sont mis en cuvre dans un texte 6crit et dans une conversation, sur un journal et dans un livre, dans une lettre et sur une affiche ; bien plus, il y a des suites de mots qui forment des phrases bien individualis6es et parfaitement acceptables, si elles figurent dans les gros titres d'un journal, et qui pourtant, au fil d'une conversation, ne pourraient jamais valoir comme une phrase ayant un sens. (1969 : 133)
d'infinies
combinaisons et transformations dans genres < seconds >. Ainsi, la structure 6l6mentaire de la s6quence narrative se trouve ua-se de l'6pop6e, de ra. fabre, ae ta piupart
i l1 des romans, des narrations th6itrales classiques d'exposition ou de ddnoriement, mais 6galement du reportage et du fait divers journaristique, de ra narration orale ou de l'anecdote
13
l.
Si par contexte on entend la prise en compte de conditions de production, d'une situation socio-discursive, cotexte, en revanche, ne ddsigne que I'environnement linguistique immddiat : les €nonc€s qui pr€cddent etlou suivent l'6nonc6 consid€r6.
14
Les texles: lypes et prototypes
Intoduction
Si nous revenons d prcsent dans le champ prus proprement
ringuistique, M'A.K. Haridav et R. Hasan, dans un ctassique a,Ji"irrgrir,iiue textueue (cohesion in Engrish), n'h€sirent pas parrei i o. . n,u.iort-iultures
A ses
15
concurrentes que si elle rend compte de fagon unifide d'un nombre plus
glund et plus vari6 de phdnomdnes.
> qui
font de chaque texte un texte de < nature sp6cifique .onur.rution, r6cit, chanson, correspondance commerciare, eic.- n (1976 : 32a rjetraduisl). Selon eux, chacune de ces. sortes de textes possdde p-pi, o discursive et ils entendent par ldr la structure globare < inhdienie uu* no,ion, de r6cit, priire, ballade, correspondan." orn-.r"tt", ,onn.,... > (1976 :326-327). euerques ann€es prus tard, dans re cadre de sa th60rie au texte, van oijr< (1978' t98la et b, l9g4) parre prut6t de << superstructures >> en r6servant ra notion
-
;#il;
i.i.
scmantique de << macrostructure > au thcme ou topi. globul d,un €noncd : < Les superstructures sont des structures grobales qui ressembrent d un sch6ma. A la diffcrence des macrostructures, elles ne d€terminent pas un "contenu" global, mais plutdt la .,forme,, globale d,un discours. Cette forme est d6finie, comme en syntaxe, en termes de catigories sch€matiques >> (l98la : 26). c'est ainsi, finalement, que la question des typorogies
tourner autour de ra r€frexion sur les rup.trr*Jtur.", a fini par textue'es que je red.finis ici comme des sch€mas prototypiques a,"^pi."i prus restreinte
;:,,::""r'une
disrincrion entre diminsion textue'e et aimension s€quen-
D'un point de vue cognitif, ir est aujourd'hui admis que res schcmas pro_ biel sfir, pas cormpte d eux seuls d. tourl.. aspects de la compr€hension et de la production aJ, t.*t"r. Toutes sortes totypiques ne rendent,
de connais_
sances entrent en jeu dans ces deux opdrations
(connaisr"".* pr"g.atiques, connaissance des mondes reprdsent€s, etc.). La diversit€ a.ri"uir^ impriqu6s ne doit pas d6courager la recherche, o,"ir uu contraire stimuler une conception syst6mique des processus et, dcs lors, un travail sur les diff6rents systdmes ou modules i consid6rer. Dans les tiches qu.,"prer"nteit aussi uien
la compr.hension que ra production, la connaissance de sch.mas prototypiques dote interpr€tants et producteuis d'un ensembre a. .truttgi"rie r6soru_ tion de probtdmes spdcifiques. comme i"-not, w. Kintsch propos de ra lecture, les schdmas prototypiques guident et contr.lent les strat€gies de comprihension : << Ir est certes poisibri d. ,e passer de ces stratdgies, mais otre capable d'emplover des stratdgies organisationneiles sp6cifiluli
i
*L, €tre une aide puissante au lecteur > (tgg2 : t6). Le passage d'une thcorie des superstructures i une hypothrise sur la struc_ ture s6quentielle des textes et sur res prototypes de schemas-sequ;;rid, de base constitue I'objet du prdsent o.ruragi. Ir s;agit a',rn. t"rri"tiie Jt prication d'un certain nombre de faits ue texlalitd. ii d'"urr", approches sont certai_ nement possibles, la pertinence- du modile propos. doit 6tre .valuce en termes d'implications vdrifiables de la th6orie. Le contrOre.*peri*rii"r d,une explicative ne peut Otre qu'indir""t. corn,n" re sourigne ra citation de tigrl. P' Kahn donn.e en exergue de citte introauciion, une thcorie n,est supdrieure
2. Quelle base de typologisation choisir ? l)cs hypothdses typologiques peuvent €tre formuldes d partir de perspectives nds diverses. La pertinence, les limites et I'int6r0t d'une typologie linguistirlrc doivent €tre dvaluds dans un cadre thdorique d'ensemble. Afin de donner
I'approche linguistique des contours d6finis, il convient de d6gager la rdl'lexion du flou h6t6rogdne des classements existants. Dans ce but, je prolxrse de distinguer les concepts de TextB et de DIScouRs en partant du fait rlrrc les pratiques discursives - dont parle surtout Bakhtine - sont des forrrres 6labor6es et des objets par excellence pluridisciplinaires. On peut parler rlc formations discursives religieuse, journalistique, politique ou littdraire dans lesquelles sont produits des genres du discours religieux comme la pridre, le \crmon, I'hagiographie, la parabole ; des genres du discours journalistique comme le fait divers, le reportage, l'6ditorial, la brdve ; des genres du diseours litt6raire dont il faut noter qu'( e cdt€ des grands genres comme la tragCdie, la lettre, I'6pop6e, relativement stables dans une culture d6termin6e, ll en est qui sont plus €troits et soumis d de grandes variations historiques : vuudeville, 6glogue, roman pr6cieux > (Maingueneau 1990 : 133). C'est dire r;u'au-deld des formes €l€mentaires de s6quentialisation dont je vais parler, rlcs codifications sociales - g€n6riques - sont i I'euvre dans toute commurrication verbale (Rastier 1989 : 37), codifications qui, de toute 6vidence, ne rcldvent pas d'une th6orisation strictement linguistique et que je suis bien oblig6, de ce fait, d'6carter provisoirement de ma rdflexion. Bien qu'elle opdre rune provisoire mise d l'€cart des conditions socio-historiques de production tlcs €noncds, la linguistique textuelle ne se fonde pas sur une illusoire conception autonomiste de l'6tude du langage. Les recherches sur les catdgorisations Irumaines jettent un pont entre connaissances du monde et corinaissances linguistiques. Or, dans la connaissance du monde des textes, les sujets utilisent tlcs cat6gories dont il faut bien essayer de tenir compte. Le pr6sent essai se pr€sente ainsi comme une r€flexion sur certaines cat6gories i la base de toute composition textuelle. En distinguant dnoncd et texte, je souligne deux approches des probldrnes textuels et deux axes de th6orisation (que j'essaie de tenir dans deux ( rnoments distincts de ma r€flexion et de mes travaux) . Un inonci - texte )) observable et iru sens d'objet mat6riel oral ou €crit, d'objet empirique -, dcscriptible, n'est pas le texte, objet abstrait construit par ddfinition et qui doit €tre pens6 dans le cadre d'une th€orie (explicative) de sa structure compositionnelle. Cette d6finition du rExte comme objet abstrait, oppos€ au DIs('ouRS, est assez unanimement admise aujourd'hui. Ainsi C. Fuchs, d la suite tle D. Slakta, d6finit le discours en ces termes : < objet concret, produit dans
il
16
Les textes: types el protolypes
Introduction
une situation ddtermin6e sous I'effet d'un r6seau complexe de d6terminations extralinguistiques (sociales, id6ologiques) > (tggS : )Z). Le texte est un objet d'6tude si difficile d d6limiteiqu'il est methodolo_ giquement indispensabre d'effectuer certains choix. on p."i i"irr., de c6t6, un instant, ra dimension proprement discursive des faits de l";;;" sans pos_ tuler pour autant une autonomie fictive des productions langagiEres : il s,agit seulement d'exposer un point de vue provisoirement limitd,u-r rin certain nom_ bre de ph€nomdnes, enadoptant un tel point de uu" uu*ironltemps qu,ir nous aidera i mettre en dvidence des aspects fondamentaux de lJmise en dis_ cours' aussi longtemps qu'il nous permettra de relire une tradition rhdtori_ que un peu trop rapidement oubliee par une vogue structuraliste fond6e, elle, sur des postulats autonomistes. La r6flexion qu'expose le pr6sent ouvrage est domin€e par la vorontd de penser linguistiquement la nature compositionnelle profond6ment h6t€rogdne de toute production rangagidre. cette h6t6rog6n6it6 ist gdn6rarement d ra base du rejet des d6marches typologiques. La complexitd textuelle est observable et abordable d'un point de vue typologique d la seure condition d,adopter un point de vue modulaire. Les typologies 6nonciatives souvent retenues par les linguistes (Benveniste 1966, weinrici tgT3,simonin-Grumuach 1975) sont certainement pertinentes d un niveau trds pr6cis de d€finition de la textualite et je ne considdre la typologie s6quentielre ici expos6e qu. *-. un point
de vue partiel sur un objet h6t6rogdne. Les modules dnonciatif et s€quentiel sont complementaires et aucun ne constitue, d lui seur, une base de typorogie susceptible de rendre compte integralement de tous les aspects deia textualite et de toutes les sortes de textes. cette modularitd est .".iuin"*"rrt ."rponruble du fait que I'on ne puisse assigner d chaque type de sdquence une distri-
bution trds stricte de marques morpho_syntaxiquis. Le schdma l situe les ancrages possibres d'un certain nombre de typologies ou bases de typologisation. J'en signare bridvement ,"pr, .; rocarisant mon propos au seul niveau de la sixidme. En [l], je situe les typologies discursives-situationnelles de _ Bakhtinevolochinov et-en [2] les.typologies des genres (ritt6raires .tzou ,o.iuu*jl i
ces typologies les moins ringuistiques peuvent €tre ajout€es des typoiogies por_ 1r1, ainsi {ue des typo_ logies reposant sur des bases th€matiques et prenant en compte I'opposition
tant sur les fonctions du rangage et res actes de parlle
de la fiction et de la non-fiction [5].
D autres, prus linguistiqu'es, peuvent etre fond6es sur des bases 6nonciatives-[a] ou s6quentiettes r., .tiri*ions typo_ logiques situ6es en [7] me paraissenl beauioup trop 101. imbitieuses et imperti_ nentes en raison de I'h6t6rog€n6it6 compositionnelle dont il a 6t6 question plus haut. Situer une rdflexion typologique en ou en [2] r.*u]. tout aussi [l] ambitieux et difficile i tenir du point de vueiinguistique que j,ai crroiri d,adop-
-.
ter ici. Les taxinomies des actes illocutoires [3f(de siarte, eustin eileurs cesseurs) sont parfois redoubrees par- des typologies
.n.or.
suc_
plus
11
.t|lltroximatives : (( narrer >, << enseigner )), ( d€crire >> chez Mallarmd, ou rn('t)rc ( raconter >>, < expliquer )), (< enseigner > chez Sartre. DISCOURS I
lnteraction sociale [1] I
Genres
(et sous-genres) de discours
o
N
-
N
/
a
[21
I I
Vis6e
Rep6rages
rllocutoire
6nonciatifs
Coh6sion s6mantique
{r:oh6rence) t3t
(mondes)
Structure compositionnelle S6quentialit6
I4l
tsl
t6t
Connexit6
SUITE DE PROPOSITIONS
CONFIGURATION PRAGMATIOUE
TEXTE
17l lchdma
I : Les
bases de typologisation
Aprds un premier chapitre qui dessine le cadre de ma thdorie s€quentielle, 5 sont consacr6s aux formes monog6r6es que sont le r€cit, lir description, I'argumentation et I'explication, et le chapitre 6 une forme lcs chapitres 2
i
i
compositionnelle polyg6r6e : le dialogue. Le chapitre 7, enfin, a pour but tl'illustrer le mode d'insertion de s6quences narratives dans un genre littdraire par excellence dialogal : le th66tre. J'ai choisi de parler du th66tre classique pour montrer ce qu'est un genre narratif et pour expliquer le sens, selon moi, chapitres prdc6dents : rendre compte des pratiques discursives les plus complexes en choisissant, volontairement, un genre litt6raire situd entre le discours polyg€r6 et le discours monog6r€, entre I'oral et le scriptural. C'est au prix d'une telle mise d l'dpreuve que la th6orie s6quentielle doit Otre 6valu6e et compar6e d d'autres propositionsr. Ces propositions doivent €tre envisag6es des
D. Maingueneau a proc€d€, en 1990, ir la r€€criture du chapitre 7 de ses Eliments de linguistipour Ie texle littiroire (Bordas, 1986). Les pages 132 i 139, consacrdes aux probldmes de rypologie, A I'h6t6rogdndite du texte et i I'organisation hi€rarchique de la s6quence, appliquent I une fable de La Fontaine et ir un discours de Victor Hugo les hypothdses que j'avais expos€es dds 1987 et que je reprends en les corrigeant et prdcisant ici.
que
18
La
textes
: tlpes
el
prototy4s
dans la perspective de toute mod.risation th.orique. comme le Gleick dans La Thiorie
du chaos:
dit
Chopitre
I
James
Le choix est toujours te m.me. soit vous rendez votre moddre prus comprexe et plus fidile i la r€arit€, soit vous r...nJJr piu, ,i.pr. pi", r"h. a .anipuler. Seul un scientifique n?iLp..l, p*r.i-q".i.,ooite parrait ..il.rii.qui ,"p.e_ sente parfaitement ra.r6arit€. un tet n'oal[ ptan aussi grand et ditaiti'.que ou,un "uiuiir., t" possibre, sa pr€cision irait {...1. si un ter pran 6tait ";il;;';;eprisente d.enconir.i.." a."ination piemitre: g€n.rariser et r€sumer. [...] eueiles-gue soient teu.s roncitns, res carreser res moddL doivent tout autant simprifier re monde qur r"..p.oauire.
" Jil;;ilu'n1.1,*
Cadre thdorique
d'une typologie sdquentielle
tiramm".#",iai , ,onl
Pour obsemer quelque chose, ilfaut savoir quoi regorder. Une description n'est ainsi possible que dans un cadre thCorique prCaloble et celui-ci ne devient efJicace
qu'd condition d'Atre explicitC. (Borel, Grize, Midville
l. L'heterogdndit6 compositionnelle
1983
:
220)
des 6nonc6s
Par rapport aux approches discursives possibles, le cadre et les limites d'une approche linguistique et textuelle doivent €tre trds pr€cisdment situds. J'ai dit plus haut qu'il me paraissait pr6somptueux de parler de < typologie des textes >. Les sceptiques sont gdn€ralement d6courag€s par le fait que chaque texte est une r€alitd beaucoup trop hdtdrogdne pour qu'il soit possible de I'enfermer dans les limites d'une d€finition stricte. On peut, en effet, affirmer que les formes narratives sont au moins aussi varides que les formes argumentatives. La description existe, quant A elle, rarement l'€tat pur ei autonome ; elle ne constitue le plus souvent qu'un moment d'un texte narratif ou explicatif. Un r€cit peut n'Otre, de la m€me fagon, qu'un moment dans une argumentation, une explication ou une conversation, et il n'existe pas de r€cit sans un minimum de description. Comme on I'a vu plus haut, un principe de Bakhtine guide ma r€flexion :
i
i
i
parler, c'est apprendre structurer des 6nonc6s (parce que nous parlons par €nonc€s et non par propositions isol€es et, encore moins, bien entendu, par mots isoles). Les genres du discours organisent notre parole de la mOme fagon que I'organisent les formes grammaticales (syntaxiques). (t984 : 285) Apprendre
Tout en consid€rant ces genres du discours comme des types relativement stables d'6nonc€s, Bakhtine insiste sur le fait que le caracttre changeant et souple des genres du discours ne se traduit p:ls, pour le sujet parlant, par I'al€aI
20
Les textes: lypes et protolypes
Cadre thdorique d'une typologie
toire et l'anarchie de l'inspiration : < L'6nonc6, dans sa singularitd, en d6pit de son individualit6 et de sa crdativit6, ne saurait otre consid6r6 comme une combinaison absolument libre des formes de langue D (1984 : 287). En entrant un peu plus dans le d6tail, on peut dire que la compdtence linguistique des sujets est r6gl6e, de fagon fort complexe, par un faisceau de contraintes : locales et globales, textuelles et discursives. a. contraintes discursives (celles des genres) localisdes dans la partie sup6rieure du sch6ma
I
lement d6termin6es
-
li6es d des pratiques discursives historiquement et socia-
(ce sont ces contraintes qui intdressent Bakhtine-
Volochinov). b. contraintes textuelles
- localis6es dans la partie inf6rieure du schdma I li€es i I'h6t6rogdndit6 de la composition dont rendent compte les plans d'organisation (not6s Al, A2, A3, Bl et 82 dans le sch6ma 2).
c. Contraintes locales d'une langue donn6e, sur les plans phonique (ortho)graphique, lexical, grammatical, s6mantico-logique.
: un des plans d'organisation de la textualitd
L'organisation s€quentielle qui va nous retenir n'est qu'un des plans d'organisation de la textualitd. Le schdma suivant ddtaille les modules ou plans compl€mentaires qu'il est utile de distinguerr :
l.
TEXTE
CONFIGURATION PRAGMATIOUE
SUITE DE PROPOSITIONS
tAl
IBI
Vis6e
Rep6rages
illocutoire (coh6rencel
6nonciatifs
lAll
lA2l
Coh6sion s6mantique
Connexit6
S6quentialit6
lBll
1B2l
(mondes)
lA3l
Schdma 2
et
L'hypothdse de cat€gorisations (prototypiques) de base n,a de sens que si I'on congoit le langage comme un systdme complexe composd de soussystdmes ou modules d la fois relativement autonomes et en interaction les uns avec les autres. Les modules classiquement dtudi€s par la linguistique sont phon6tique-phonologique, morphologique, lexical, syntaxique, sdmantique et pragmatique. Je me propose de rdorganiser ces sous-systemes dans un essai de th6orie d'ensemble. Les plans d'organisation de la textualitd rendent compte du caractdre profonddment h€tdrogBne d'un objet irrdductible i un seul type d'organisation, complexe et en m€me temps cohdrent. pariant pour le caractdre th€orisable de cette diversite et de cette h6t6rog6n6it€, je parle de diff€rents plans d'organisation textuelle et je d6finis le texte comme une structure composde de sdquences. En revenant sur ces deux aspects, il s'agit de dessiner un cadre th€orique. L'objectif de la linguistique textuelle est simple : poursuivre I'analyse linguistique au-deld de la phrase complexe et des seuls couples de phrases et, si difficile que cela paraisse, accepter de se situer aux frontidres du linguistique dans le but de rendre compte de I'h6t€rog€n6it6 de toute composition textuelle.
2. Lasdquence
sCquentielle 2l
Je compldte au passage le chapitre 2 de la premiire partie de mes Eldments de tinguistique lextuelle qui ne dCcrivait que quelques plans d'organisation et ne fournissait pas encore de th6orie d'ensemblc.
Dans la perspective pragmatique et textuelle que je choisis d'adopter, un TEXTE peut €tre consid6r6 comme une configuration rCglCe par divers modules ou sous-systdmes en constonte interaction. Les trois premiers correspondent i I'organisation qu'on peut dire pragmatique du discours [A], les deux derniers permettent de rendre compte du fait qu'un texte est une suite non aleatoire de propositions [B], Trois plans - ou modules de gestion - de I'organisation pragmatique peuvent Otre distingu6s : la visde illocutoire [Al], les rep6rages (ancrages et
plans) €nonciatifs [A2] et la repr€sentation construite ou << monde >> du texte (organisation s€mantique-rdf€rentielle) [A3]. Deux plans d'organisation assurent I'articulation des propositions : la grammaire de phrase et la grammaire de texte sont responsables de ce qu'on peut appeler la connexitd textuelle (ou organisation g€n6rale) [Bl], mais il faut ajouter ce module de gestion de toutes les formes de mise en texte un autre module, celui de I'organisation s6quentielle (prototypes de sdquences) [B2]. Ces cinq plans d'organisation compl6mentaires, qui correspondent des sous-systemes ou modules de gestion de toute conduite langagidre, peuvent 6tre d€taillds en tenant compte chaque fois des dimensions locale et globale des faits de langue : Au niveau de ce premier module, et comme le montre L6o Apos' A.1. tel (1980), un texte est une s6quence d'actes de discours qui peut Otre consid6r6e elle-m€me comme un acte de discours unifi6. A la suite de F. Nef, j'ai souvent pris I'exemple d'un discours politique giscardien (le discours dit < du bon choix pour la France > de janvier 1978). Il est facile de rdsumer le discours de Giscard en disant qu'il a demand€ au pays (i tous les Frangais) de voter pour la droite. Mais cette op€ration implique que I'auditeur/lecteur identifie, d'une part, la suite des actes illocutoires : promettre, interroger, pr6dire, etc. mais aussi, d'autre part, qu'il d€rive de cette suite d'actes hi6rarchisde un acte global et indirect de type directif : en effet, nulle part le pr€sident n'ordonne explicitement de voter pour la majoritd de l'€poque.
i
i
-
;
22
Les
lules : types
Retenons que
et
prototwes
la ddrivation d'un macro-acte peut s'effectuer soit
Cadre thiorique d'une typologie
explicite ou d ddriver de I'ensemble du texte. c'est ce mouvement interprdtatif qui permet de d6clarer << coh€rent )) un texte lu. La cohdrence n'est pas une propri€t€ linguistique des 6nonc6s, mais le produit d'une activit€ interprdtative. L'interpretant prcte a priori sens et signification aux 6nonc6s et ne formule g6n6ralement un jugement d'incoh€rence qu'en tout dernier ressort. Le jugement de coh€rence est rendu possible par la d6couverte d'(au moins) une vis6e illocutoire du texte ou de la s6quence, vis6e qui permet d'€tablir des liens entre des 6nonc6s manquant dventuellement de-connexitd etlou de cohdsion etlou de progression. Ainsi dans ce petit texte de Robert Desnos : (1t LA COLOMBE DE L'ARCHE
Maudit
soit le pdre de l'€pouse du forgeron qui forgea le fer de la cognde avec laquelle le bOcheron abattit le ch6ne dans lequel on sculpta le lit
oi fut engendr€ l'arri0re-grand-p6re de l'homme qui conduisit la voiture
23
dans laquelle ta mdre rencontra ton pdre ! Robert Desnos, < Langage cuit >, Corps et biens, @ 6d. Gallimard.
de
manidre progressive (dans le mouvement induit par la successivit€ des actes illocutoires), soit de manidre rdtrospective, a partir du dernier acte. c'est ce dernier cas de figure qu'illustre I'exemple giscardien puisque le discours se
termine par un micro-acte prddictif explicite (<< ... comme vous I'avez toujours fait, vous ferez le bon choix pour la France >). ce pr6dictif est charg€ de masquer le macro-acte directif qui est, en fait, la cl6 de toute I'intervention prdsidentielle. J'ai montrd ailleurs (1985 : lg6-200) la complexiti du processus de l€gitimation institutionnel du locuteur. En effet, pour accomplir un acte directif de ce type, il fallait que le locuteur qui le profdrait ne soit plus pris pour ce qu'il6tait (la constitution interdisant au pr6sident de la R6publique de prendre parti directement dans le d6bat l6gislatif), mais pour un simple citoyen, en se crdant une autre l6gitimit6 au moyen d'un petit r6cit autobiographique que j'analyse d la fin du Texte narratif et dont j'expliciterai mieux le statut particulier au chapitre 5. La vis€e illocutoire globale ddfinit tout texte comme ayant un but (explicite ou non) : agir sur les reprdsentations, les croyances etlou les comportements d'un destinataire (individuel ou collectif). Les diff6rentes pr6faces des Fables de La Fontaine prdsentent un intdressant rdajustement de la vis6e initiale : instruire et/ou plaire.lJne double vis6e peut €tre €galement postul€e : instruire sans pour autant renoncer I distraire. ce grand d6bai de l'6ge classique, i propos du r6cit, correspond exemplairement au module Al. A cette conduite dialogiquement orientde vers autrui i la production rdpond, sym6triquement, le fait que comprendre un texte consisie toujours d saisir I'intention qui s'y exprime sous la forme d'un macro-acte de langage
sCquentielle
est
La connexit€ syntaxique de ce podme est correcte, mais la progression trop forte pour la cohdsion s6mantique et la coh6rence n'est pragmatique-
i
ment garantie que si I'on se rdfdre une po6ticit€ ins6parable du mdcanisme illocutoire de I'insulte rituelle (< Maudit soit... >) longuement analys€e par
W. Labov (voir Adam l99la : 108-lll).
Localement, I'orientation argumentative peut €tre indiqu6e, comme le montre I'analyse illocutoire classique, par des micro-actes de langage (promettre, questionner, ordonner, demander, asserter, etc.), mais 6galement par des connecteurs argumentatifs (car, parce que, mais, donc, etc.) ou/et par un lexique axiologiquement marqu€ (<< masure >) ou ( nid >> pour << maison >>' < bambin D ou (( morveux D pour << enfant >>, < maigre )) ou ( mince >> pour un personnage, choix d'un lexique globalement euphorique ou dysphorique dans une description, etc.). Un ancrage 6nonciatif global confdre d un texte sa tonalitd 6nonA.2. ciative d'ensemble tandis qu'alternent d'incessants changements de plans €nonciatifs. On peut bridvement distinguer plusieurs grands types de repdrages €nonciatifs : 1. Une dnonciation (de < discours ) ou actuelle) orale dans laquelle le contexte est imm6diatement donn6 dans la situation. Le repdre est alors : JE-TUICI-MAINTENANT.
2. Une dnonciation (de << discours t) ou actuelle) €crite dans laquelle le contexte doit €tre verbalisd en vue d'une interaction i distance. 3. Une €nonciation non actuelle (appel6e < histoire > depuis les travaux de Benveniste et qui recouvre aussi bien le r€cit historique que le conte merveilleux, la ldgende ou le r€cit de science-fiction) ; dans ce type d'dnonciation, le sujet parlant ne s'implique pas, il se met d distance (on pourrait parler d'une 6nonciation distanci6e, dite non actuelle pour cette raison). 4. Une 6nonciation proverbiale, celle aussi de la maxime et du dicton, caractdris6e par un oN universel et le prdsent proprement a-temporel. 5. Une dnonciation du discours logique, thdorique-scientifique dans laquelle la r6f€rence cesse d'Otre situationnelle pour porter sur le texte lui-m€me et l'interdiscours (textes et auteurs cit6s en r6f6rence). Le NOUSest alors soit une amplification du jeu de I'auteur du texte et de la communaut6 scientifique, soit une fagon d'englober I'auteur (du pr€sent ouvrage par exemple) et son lecteur. Les r6f6rences spatiales (plus haut, ci-dessous, plus loin, etc.) et temporelle (avant, aprds, etc.) ne renvoient qu'au texte qu'on est en train de lire. 6. Et enfin la trds particulidre €nonciation du discours po€tique qui rapproche, dans I'exemple de Desnos cit6 plus haut, le podme du m€canisme
24
Les textes:
tlpes el prolotlpes
Cadre thiorique d'une typologie
illocutoire trds particulier de I'insulte rituelle. En effet, dans cet extraordinaire rituel langagier, I'insulte ne doit surtout pas €tre prise pour une insulte personnelle, mais devenir un pur jeu verbal, une joute oratoire d6croch6e par rapport d I'ici-maintenant des co6nonciateurs. Au plan local, les propositions 6nonc6es peuvent Otre ou non prises en charge par le locuteur. cette prise en charge des propositions doit €tre envisag6e en rapport avec la construction de << mondes > (espaces s6mantiques, << univers de croyance D ou ( espaces mentaux >), cadre dconomique pour l'6tude de la polyphonie. Ainsi dans le m€me discours << du bon choix pour la France > que je citais plus haut, lorsque le pr6sident de la R6publique de l'6poque ddclare : (21 Je n'ai pas d vous dicter votre r6ponse.
25
rCfdrence, dans lequel il conviendra d'6valuer les faits relatds. Un pr€dicat comme : < J'ai rev€ que... D ou un si hypothetique employd avec I'imparfait ct le conditionnel viennent €galement suspendre les conditions de v6rit€ qui rdgissent notre univers de r{fdrence. Notons au passage que le rdcit autobiographique cit6 plus haut est lui profdrd sous la l6gislation vdriconditionnelle clu vnRI et du FAUX dont je laisse le lecteur juge... Soulignons 6galement qu'ici, le titre du podme de Desnos (< La colombe de l'arche >>) ne permet gudre de cerner le thdme global de la pidce. A un niveau interm6diaire entre le global et le local, la dimension sdmantico-r€f6rentielle est analysable en termes d'isotopie(s) et de coh6sion clu monde reprdsentd. Un €nonc6 surr€aliste comme : (3)
il faut entendre aussitdt deux propositions : l'une explicite, la proposition n6gative qui est prise en charge par le locuteur lui-m€me, I'autie implicite, pr6supposde par la n€gation, laisse entendre: < Je dois vous dicter votre r6ponse. D cette dernidre proposition ne peut pas €tre prise en charge par le locuteur-prdsident, mais, grdce d un petit r6cit qu'il vient juste de raconter, par le simple citoyen qui tient i prdsent le serment fait un jour, au plus fort de la d6bdcle, par l'enfant qu'il 6tait alors : ouand j'avais treize ans. j'ai assist6 en Auvergne
sCquentielle
i
la d6b6cle de l,arm6e frangaise. Pour les gargons de mon dge, avant la guerre, l'arm6e frangaise 6tait une chose impressionnante et puissante. Et nous l,avons vue arriver en miettes. sur la petite route, prds du village o0 j'irai voter en mars comme simple citoyen, nous interrogions les soldats pour essayer de comprendre : < Oue s'est-il pass6 ? > La r6ponse nous venait, toujours ra m6me : < Nous avons 6t6 tromp6s. on nous a tromp6s. > J'entends encore a quarante ans d'intervalle cette r6ponse et je me suis dit que. si j'exercais un jour des responsabilites, je ne permettrais jamais que les Frangais puissent dire : . On nous a tromp6s. D C'est pourquoi je vous parle clairement.
A.3. - La dimension sdmantique globale est repr6sent6e par ce qu,on appelle la macrostructure sdmantique ou, plus simplement, le tt dm. global d'un 6nonc€. Le caractdre fictionnel ou non du texte est, i ce niveau aussi, tout i fait essentiel. Le monde repr6sent6 est soit merveilleux, c'est-i-dire soumis i une logique particulidre, soit un monde soumis i I'alternative du vner et du Reux dans la logique de notre univers de r6f6rence. En commenqant une narration par ( Il 6tait une fois... D, le narrateur opdre une mise d distance d la fois dnonciative [A2] et fictionnelle [A3], il donne au lecteur/auditeur une instruction sur I'ancrage 6nonciatif non actuel de ce qui suit et sur le monde singulier, non conforme aux lois qui rdgissent notie univers de
Dans le salon de Madame des Ricochets Le th6 de lune est servi dans des eufs d'engoulevent. (Andrd Breton, < Monde >, Signe ascendantl ne pr€sente pas les redondances s6mantiques n6cessaires ir la
jugement de coh6sion (et, partant, de coh€rence).
d'un 6noncd isotope comme
formulation d'un
Il diffdre trcs nettement
:
{4}
Dans le salon de Madame des Ricochets, le th6 de Chine est servi dans des
tasses de porcelaine. Les lexdmes < lune >> et < eufs d'engoulevent >> apparaissent comme h€t6rogdnes au contexte isotope du salon et du th€ qui peut €tre de Chine ou de
Ceylan, mais assurdment pas d'une autre plandte et qui peut @tre servi dans des tasses, mais pas dans des eufs d'engoulevent. Bien str, cette rupture peut etre attenuee par une interpretation attentive au fait que la lune est un lieu comme la Chine ou Ceylan, que I'euf, en raison de sa forme et de sa fragilit€, pourrait Qtre compard i une tasse de porcelaine. Sans pousser au-deli I'interprdtation, on voit que le concept d'isotopie << se r€fdre toujours d la constance d'un parcours de sens qu'un texte exhibe quand on le soumet i des rdgles de coh6rence interpr6tative > (U. Eco i985). Ce concept permet de decrire les ph€nomdnes de poly-isotopie si fr€quents dans les €nonc€s du type de (3) et, par exemple, dans les paraboles (lisibles sur deux isotopies au moins). La notion s€mantique de cohdsion a pour but de repondre i des questions naives : comment expliquer le fait que, quand on lit et comprend un 6nonc6, on eprouve ou non un sentiment d'unit6 ? cOmment rendre compte s6mantiquement du fait qu'une phrase ne soit pas un tas de mots et un texte une simple juxtaposition de phrases ? Distingu6e dela eonnexild interne aux formants linguistiques d'une expression (des lettres,/sons aux composants morpho-syntaxiques) et opdrant aussi de phrase en phrase (module Bl)'
26
Les
texta : tWes el prototypes
Cadre thiorique d'une typologie
distingu6e 6galement de la cohirence (module A I et de la pertinencecontex) tuelle, la cohdsion sdmantique est un fait de co-textualit€ que la notion d'isotopie permet de th6oriser. 8.1. - Du point de vue de la connexit6 textuelle, que ddcrit partiellement ce qu'on appelle parfois la << grammaire de texte >>, differents plans doi-
vent de nouveau etre consid6r6s qui correspondent
i la texture microlinguistique, objet traditionnel de la stylistique. A un tout premier niveau, chaque unit6 (proposition-phrase) est morphosyntaxiquement structur6e. ce niveau est celui que d6crit -hssiquement la lin_
guistique, aussi je souligne seulement que I'autonomie de la syniaxe est quand mOme relative. En effet, d'un point de vue syntaxique et s6mantique, un 6nonc6 comme (5) n'est pas forc€ment inacceptable : (51 Le chou mange l'engoulevent. Dans un monde oir Ie chou serait recat6goris6 comme une plante carnivore particulidrement vorace, les contraintes s6mantiques habituelles ne s'exer-
ceraient plus de la m€me fagon sur I'agent du verbe. une s€mantique des mondes [A3] doit donc accompagner la syntaxe. La connexit6 des chaines de propositions (ph€nomdnes locaux de liage) doit €tre envisagde dans le cadre de la tension textuelle : assurer la repriserdpdtition (la continuitd textuelle) tout en garantissant la progression. Les tra_ vaux linguistiques ddsormais classiques ddcrivent bien la pronominalisation (LE chat... rL...), la d€finitivisation (uN chat... r-E chat...i, la rdf6rentialisation ddictique cotextuelle (uN chat... cn chat...), la nominalisation (un chat entra... L'entrde du chat...), la substitution lexicale (un chat... L'animal...) et la reformulation (ce chat est un f6lin), les recouvrements prdsuppositionnels et autres reprises d'inf€rences (Lucky Luke a arr€t6 de fumer : it rumait donc auparavant)r. A titre d'illustration, on peut dire que dans le podme de Desnos cit6 plus haut, la connexitd morpho-syntaxique est correcte, mais la progression s6mantique trop forte et la coh6sion d peine garantie pragmatiqu;."nt pu. I'insulte rituelle (<< Maudit soit... >). De plus, on vient de L voir, le rapport s6mantique entre le titre et le podme tient plus de l'6nigme que de h ?ixation d'un thdme du discours : aucun rapport isotopique ne peut €tre instaurd sans un gros effort d'interpr6tation. Du point de vue du liage, les propositions successives ne cessent d'introduire des informations nouvelles. Informations certes reliees syntaxiquement entre elles, mais sur le mode d'une trds ancienne et populaire chaine de relatives enchdssdes i I'infini de L'homme qui a semd Ie groin qui a nourri Ie coq qui a rdveill{ Ie bon monsieur qui a arr€ti le mdchant brigind qui a battu la servante qui a trait Ia vache qui, etc, La grammaticalit6 des I
.
Pour une analyse de ces notions voir
mes
Eliments de linguistique textuette (l99|J,pages 52-60).
siquentielle
27
cnchainements syntaxiques ne suffit pas confdrer d une suite du type de (l) une coh{sion suffisante. En une seule phrase typographique et un seul acte d'fnonciation, on atteint dix niveaux de ddcrochage syntaxique (expansions compl{ment de nom clasprdpositionnelles internes au syntagme nominal proposition). Si, dans le poime et enchdssements relatifs d'une autre sique c'est que I'appui flagrant, est de Desnos, le manque de coh6sion-r6pdtition les condipr€c6dente faible, trop est proposition la sur de chaque nouvelle six font se succ€der transitions Les insuffisantes. tions de reprise nettement sans noyaux des constituant passd six 6v6nements soit simple verbes au la moindre adjonction d'un imparfait, c'est-d-dire d'un etaL Le rdsultat est, en fait, la production d'une suite entidrement orient{e vers sa fin : << (Maudit soit) la voiture dans laquelle ta mdre rencontra ton pdre >>. Le surgissement des possessifs de deuxidme personne (aprds les d€finis sp6cifiques des syntagmes nominaux pr6cddents) donne accds au genre discursif trds particulier de I'insulte rituelle. Toute cette s6quence tient entre ses premiers et derniers mots et le sentiment de coh6sion-coh6rence de I'ensemble s'explique : cohlsion sdmantique de I'isotopie [A3] de I'engendrement qui s'achdve avant I'engendrement du destinataire (succession 6vdnementielle) et cohdrence €nonciative mal6dic[A2l et pragmatique [Al] d'une insulte rituelle mimant le style des tions de I'Ancien Testament. Par ailleurs, il faut tenir compte de la dimension rythmique des 6nonc6s et ph{nom€nes de parenth{sages marqu6s argumentativement ou non. Avec des les parenth6sages, il s'agit d'6tudier des ensembles de propositions relifes et hi6rarchisdes par des connecteurs (Si... alors... mais... donc...) ou des organisateurs textuels (D'abord..., puis..., ensuite..., enfin... ; D'une Part'.., d'autre part... ; etc.). J'6tudie dans le ddtail ailleurs (1990 : 82-83) ce court passage du
i
-
-
-
-
< discours du bon choix pour la France
>>
dans lequel (2) se trouve pris
:
(6)
chacune de ces questions comporte une reponse claire. Je'n'ai pas d vous la dicter cAR nous sommes un pays de libert6, unls je ne veux pas non plus que personne, le dis bien personne, ne puisse dire un jour qu'il aura 6td tromP6.
La conclusion induite par le jeu des parenthesages introduit la proposition d6ni6e dont je parlais plus haut. L'argutlent qui suit la conjonction CAR (< Nous sommes un pays de liberte >>) se voit domin6, en quelque sorte' par I'argument introduit par MAIS (< Je ne veux pas... >). La conclusion d6ductible de ce dernier argument est tout simplement la n6gation de la conclusion qui prdcdde CAR (( Je n'ai pas d vous la dicter >>) : << Je dois oONC vous dicter votre r€ponse >r.
l.
Sur pdriode et parenth6sage, voir Adam 1990' pages 72-83 el 227-251.
28
La
textes
:
Upes et prctotypes
Cadre thdorique d'une typologie
Les phdnomdnes de ddmarcations graphiques locales et de marquage gro-
bal du plan de texte (segmentation) son-t des aspects de la spatialisation dcrite de la chaine verbare, un premier rieu d'instru"iion pou, r'"-p"qu.tuge et le traitement des unit€s ringuistiques. Je range dans ce prun p"rii.u=rier d,organisation textuele non seurement res indicitions de ;""c;;;;de chapitre et de paragraphe, mais les titres et sous-titres, ra mise.n-u"r, ei ,troprre, .n po6sie, la mise en pages en g6n€ral, le choix des caractdres typograptriques, la p-onctuation. organisateurs textuels et connecteurs peuvent €galement venir souligner un plan de texter. 8.2. L'organisation s6quentieile de ra textuarit6 est le pran qui me parait constituer-la base la prus intdressante de typologie. En.o-p-ren.n'Jon.o,n*" en production, il semble que des schdmas siquentiers prototypi4aes soient pro_ gressivement 6labor6s par les sujets, uu .ou* de leur deveroppement cognitif. un r6cit singulier ou une deicription donn€e diffdrent l,un de |autre et dgalement des autres r6cits et des autres descriptions. Toutes les sortes de s€quences sont, d leur manidre, < originares >. Mais chaque s6quence reconnue comme descriptive,- par exemple, partage avec les autres un certain nom_ bre de caractdristiques ringuisriques d-'enseirbre, un ai qui incite le lecteur interpr6tant i les ideniifier comme aes "i, tiiiii sequencer"J"r.-ii-ptiu., ptu, ou moins typiques, plus ou moins canoniques. Ir en va exactement de meme pour une sdquence narrative, explicative bu Fondde sur I'hypothdse d'un nombre r€duit".gu*"ntative. d-e tvp* a. r"g.oupements des propositions 6l6mentaires, la description de ce derniei pran a'Jffisation doit
permettre de thdoriser de fagon unifi€e les << types relativement s-tables d,6non_ c6s > ou (< genres primaires du discours > dont il a €t6 qurrtion ptus haut.
3. Approche unifide de Ia structure
sdquentielle des textes
L'unitd textuelle que je ddsigne par la notion de sEeuerucE peur €tre d6finie comme une STRUCTURE, c'est_ir-dire comme : - un r€seau relationner hi€rarchique: grandeur ddcomposable en parties reli€es entre elles et reli€es au tout qu'efes constituent ;une entit€ rerativement autonome, dot€e d'une organisation interne qui lui est propre et donc en relation de ddpendance/ind.pendance avec l,ensemble plus vaste dont elle fait partie. En tant que structure sdquentielle, un texte (T) comporte un nombre n de siquences comprdtes ou eiliptique(s). zes Miile it (Jne'Nuits,re'conte du Graal, un podme, une brdve aonuarruiion ou un discours politique sont tous, :t au mdme titre, des structures sdquentielres. C'est ." q,r. g"khtii" appeile 'hdtdrogdnditd compositionnelle dis 6nonc6s : Sur ce point, voir Adam 1990, pages 6g_72.
siquentielle
29
L'une des raisons qui fait que la linguistique ignore les formes d'€nonc€s tient d I'extr€me heterog€neitd de leur structure compositionnelle et aux particularit€s qui va de la r€plique monolexdmatide leur volume (la longueur du discours) que au roman en plusieurs tomes. La forte variabilitd du volume est valable aussi
-
pour les genres discursifs oraux. (1984 : 288)
D€finir le texte comme une structure sdquentielle permet d'aborder I'h€t€rog6n€itd compositionnelle en termes hi€rarchiques assez g6n6raux. La s€quence, unit6 constituante du texte, est constitu€e de paquets de propositions (les macro-propositions), elles-m€mes constitu6es de n propositions. Cette d6finition est en accord avec un principe structural de base : << En m€me temps qu'elles s'enchainent, les unit6s dldmentaires s'emboitent dans des unit6s plus vastes > (Ricaur 1986 : 150). Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple simple, ce petit r€cit oral dont le chapitre (2) consacr€ au sch6ma prototypique de la s6quence narrative justifiera le d€coupage, peut €tre d6compos6 en douze propositions regroupdes
en paquets de macro-propositions
:
(7)
d'6td euh fp1 C'etait pendant les vacances plus quelle date { [b] c'6tait un jm'rapelle | 1c1 c'etait quand j'€tais avec deux copains | 101 on avait 6t6 dans un chantier I\--.,lel onA s'avait amus€ i cache-cache
[f] {gp)on a vu un grand tas de petits cailloux on s'est mis en chaussettes flsl i [hl et on est monte dessus et on s'poussait i tit gtLs'laisait des crochepattes sur les cailloux l [jl lkl k1}! euh y a un bonhomme qui nous a euh du moins engueul6s [l (gl"o--Son s'est vite taille lml c'est tout.
Les quatre organisateurs temporels - PUls, ALoRS, Er RpnEs et ALoRS ponctuent la progression de ce r6cit en signalant les regroupements de propositions : les propositions [a + b + c + d + e] constituent une premidre macro-proposition i laquelle nous donnerons plus loin le nom de situation initiale; la proposition [fl, introduite par I'organisateur euls, correspond d une seconde macro-proposition narrative, responsable du ddmarrage du rdcit ; les propositions [g + h + i + j] forment, elles, une macro-proposition introduite par I'organisateur narratif ALoRS ; la proposition [k], introduite par et neREs, est interpr€tde comme la macro-proposition qui permet au r6cit de s'achever d'une certaine fagon ; la proposition [], introduite par ALoRS, correspond i la mgcro-proposition de situation finale ; enfin, la proposition [m] est une chute, caract6ristique de certaines narrations orales (ici, r6cit d'expdriencq, vdcue relat€e en situation scolaire).
30
Les
tgr;tes
: llpes et prototypes
Cadre thiorique d'une typologie
on le voit, une macro-proposition peut ctre actualis6e, en surface, par une seule ou par plusieurs propositions. ce principe hidrarchique est d la base des cinq types de regroupements sdquentiels dont il va Otre question. La connaissance des sch€mas prototypiques, plus ou moins renforcde par des marques linguistiques de surface, vient faciliter les op6rations de regroupement de I'information en cycles de traitement. soit une structure hi6rarchique 6l6mentaire qui vaut pour tous les textes fe note ici par / # / lad6limitation des frontidres du (para)texte, marques de d€but et de fin d,une communi-
cation)
:
[Sdquence(s) [macro-propositions [proposition(s)]lll
En d'autres termes, les propositions sont les composantes d'une unit6
sup€rieure, la macro-proposition, elle-mOme unit6 constituante de la sdquence, elle-m€me unit€ constituante du texte. cette ddfinition de chaque unit€ comme constituante d'une unit6 de rang hierarchique sup6rieur et constituee d'unites de rang inf€rieur est la condition premidre d'une approche unifide de la
s6quentialitd textuelle.
Mon hypothdse est la suivante : les
<< types relativement stables d'6nonet les r€gularitds compositionnelles dont parle Bakhtine sont a la base, en fait, des rdgularit6s s6quentielles. Les s6quences dldmentaires semblent se r6duire ir quelques types 6l6mentaires d'articulation des propositions. Dans l'€tat actuel de la r6flexion, il me parait n6cessaire de retenir les s6que!.ges
c6s
>>
prototypiques suivalrtes;nanative, descriptive,
aiat;'sak7-
argumeititiiq@Woti;; ei ' '-' --'r
Je suis de plus en plus tent6 de parler de s6quences prototypiques dans la mesure oi les 6nonc6s que I'on range dans la catdgorie du r€cit ou de la description, par exemple, ne s'avdrent gdn€ralement pas tous reprdsentatifs au m€me titre de la catdgorie en question. c'est par r6f6rence i un prototype
narratif, descriptif ou autre, qu'une sdquence peut €tre d€signde comme plus ou moins narrative, descriptive, etc. Les textes r6alis6s se situent sur un gradient de typicalitd allant d'exemples qui v6rifient I'ensemble de la cat€gorie ddfinie i des exemples p6riphdriques, qui ne sont que partiellement confor-
mes. Les chapitres suivants seront consacr€s d d6finir les sch6mas prototypiques des sdquences narrative, descriptive, argumentative, explicative et dialogale. De la m€me fagon que le prototype de I'oiseau g6n€ralement - une plutdt proche du moineau ou du canari permet de distinguer m6sange,
-
une chouette, une cigogne et m€me une autruche et un pingouin d'autres animaux, il semble exister un sch6ma prototypique de la sdquence narrative qui
wquentielle 3l
permet de distinguer cette dernidre d'une s€quence descriptive, argumentative ou autre. C'est le sch€ma ou image mentale du prototype-objet abstrait, construit i partir de propri€t6s typiques de la catdgorie, qui permet la reconnaissance ult6rieure de tel ou tel exemple comme plus ou moins prototypique. Dans les chapitres qui suivent, je m'attacherai surtout d ddfinir les propri€t6s constitutives des cinq prototypes abstraits de sdquences. Des exemples nombreux seront confront€s ir chaque sch€ma prototypique et 6valu6s en fonction de ce qu'ils permettront de v6rifier. Il restera toujours des baleines, des chauves-souris et des ornithorynques pour nous embrouiller un peu les id6es, des sirdnes et des centaures aussi... Si les €nonc6s r6alisds diffdrent tant les uns des autres, si donc la crdativitd et I'hdt6rogdndit€ apparaissent avant les rdgularitds, c'est parce qu'au niveau textuel la combinaison des s€quences est g6n6ralement complexe' L'homog€n€itd est, tout comme le texte dl€mentaire d'une seule s6quence, un cas relativement exceptionnel. Deux cas de figure doivent toutefois Otre envisag6s : Le texte ne comporte qu'une s6quence. On ne peut parler alors que de quasi homog€n€it6 dans la mesure oi, dans un r6cit minimal, par exemple, des propositions descriptives et 6valuatives viennent souvent s'ajouter aux propositions narratives (on le verra au chapitre 2) ; si une description peut sembler plus souvent pure, il n'est pas rare de trouver des propositions €valuatives, voire un plan de texte argumentatif charge d'organiser les diff€rents moments
.
de la s6quence. o Ou bien le texte comporte un certain nombre (n) de s6quences de mOme type (toutes narratives, par exemple). Deux nouvelles possibilit6s se pr6sentent alors : ces s{quences peuvent se suivre linfairement et etre coordonnfes entre elles (c'est le cas du conte merveilleux) ; ces sdquences peuvent aussi €tre ins6r6es les unes dans les autres en un point quelconque de la s6quence principaler. Les typologies textuelles globales, dont on a {6je dit qu'elles nous paraissaient trop ambitieuses, ne peuvent atteindireque tes cas simples de structures sequentielles (quasi) homogdnes. Confront6e d des corpus plus naturellement complexes, I'approche s6quentielle permet d'envisager les cas de structures sCquentielles hitirogdnes. Deux nouveaux cas de figure se presentent alors : l'insertion de s€quences h6tdrogdnes et la dominante sdquentielle. Lorsque alternent des s6quences de types diff€rents, une relation entre s6quence ins€rante et s6quence ins€rde apparait. Ainsi ce qu'on appelle I'exemplum narratif correspond-il d la structure : [s6q. argumentative [s6q. narrative] s6q. argumentativel ; la pr6sence d'une description dans un roman peut etre
l.
i
Je ne donne pas ici d'exemples concrets, les chapitres 2 6 comportant des illustrations dcs cas de figure envisag€s ici d'un point de vue thdorique gdn6ral.
I 32
Les texles
:
types et
prototlrys Cadre thdorique d'une typologie
ainsi d6crite €garement : {s€q. narrative [s6q. descriptive] s6q. narrativel.
et l98la) que du sonnet (1984). Je suis partiellement sa premidre d6finition des superstructures, car elle permet d'affiner I'hypothdse de Bakhtine sur tes relations entre unit6s et ( tout de l'6nonc6 fini > : ce sont des structures globales qui ressemblent i un sch6ma. A h diff€rence des macrostructures, elles ne ddterminent pas un ( contenu > global, mais plutdt la < forme > globale d'un discours [...]. Les macro-propositions, au moins celles d'un niveau assez 6lev6, seront organis€es par les cat€gories sch€matiques de la superstructure, par exemple le sch6ma narratif. (l98la:26-27) Je suis 6galement sa plus recente conception des superstructures corffne struc-
I'objet de nombreuses
tures textuelles
L'autre type de structure s6quentielle h6t6rogdne ne correspond pas I'insertion (plus ou moins maiqu6e) d'une ,eq'u.n". -tpr* -Ju moins; compldte, mais au m6range, cette fois, de s6quencei a. tvp., difflrents. La relation peut alors €tre dite de dominante, selon une formuie [s6q. Jominante > sdq.,domindel qui donnera lieu, par exemple, au sourignem"ni d., macropropositions d'une s6quence narrative par-des argumentatifs (parenth€sages marqu6s) : "on.r"at-"uru [s6q. narrative > s6q. argumentatiuellninsi aans cette s6quence du d6but de La princesse sur un pois d'Andersen of re r6cit domine manifestement, et oir |argumentation sourigne simplement te plan de texte (ie note les propositions par des lettres comi. pour-i'.*.-pt"
i
i-\
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il ;dHil"Hilht[*;ffi ::[:ff*',iffiiil#,'i'llTj,lli; " ryi3!iX.:;::fiii[gl:i:'"';:"hl!fi oiy6:rl??':s princessef ,.,t.",' il;;; ftr i"fl:::T,::':: chose en elles lui "^'^::i::::l paraissait su.snecl,thl En cong€erlence, 'lolii revint bien afflig6 +
de n'avoir pas trouv6 ce ou.il qu.il ddsiraii Oesiriii. j ,
fir'i bi
Les connecteurs argumentatifs sourignent ra suite des cinq macropropositions narratives en induisant les regrouper.n,, profosiiionnets vanrs
: [a + b] unls [c] ooNc [d + e] uars tf
*
,rri
gl u*"o*suquirvcE 1tr1. on aura certainement not6 que j'abandonne ici le terme mOme de ( superstructures )) textuelles. Diffus6e largement par T.A. van Dijk et utili_ sde assez systematiquement dans tn.r p..-[rs travaux, cette notior,a fini par recouvrir des unit€s textuelles trop vagues. T.A. van Dijk p"it! en
"rr"t
de rimes gdn6ralement diffdrentes dans chaque quatrain) et un distique final, tandis que le plan de texte du sonnet italien classique est constitud de cieux quatrains (au m€me systdme de rimes a + b) et de deux tercets (rimes c + d + e). Un sonnet n'est donc qu'une segmentation canonique d'un texte dont la structure sequentielle de base argumentative souvent aux xvtc et xvllc siecles, descriptive dans la po6sie descriptive du xvlrr" sidcle ou encore narrative reste d examiner de prds si l'on veut justement rendre compte du passage d'une forme << primaire > d un genre litt€raire < second > par ddfinition. J'ai d6cid€ de ne retenir que cinq types de structures s€quentielles de base (narratif, descriptif, argumentatif, explicatif, dialogal). Les autres types envisag6s d titre d'hypothdse dans mes travaux antdrieurs peuvent certainement Otre abandonn6s. Ils se r6duisent, en effet, soit de simples descrip-
-
:
un4rince [b] quivourait 6pouser une princess",li"r [a] lltt y avait une fois un4rriDce t"1 une princesse v6ritable 'n[.}j re1 ei, a b v 6rit€, lr"":"i
(
superposdes > aux structures grammaticales (van Dijk 1984 : 2285). Toutefois, la confusion entre simple plan de texte (responsable de la segmentation vi-lisible du texte ecrit) et superstructure introduit des confusions comparables d celles d'Halliday et Hasan. T.A. Van Dijk considdre, en effet, un sonnet comme une ( superstructure prosodique D et un r6cit comme une < superstructure sdmantique >>. En proposant de s6parer segmentation (c'est-d-dire 6tablissement d'un plan de texte) d'un genre po6tique et sdquentialisalion, je suis amen6 d me ddbarrasser d'une notion devenue trop vague. Ainsi, pour moi, le sonnet 6lisabdthain comporte un plan de texte de trois quatrains (aux systdmes
r6flexions d l'6poque classique : il s'agissaii explicitement de se demander com_ ment gdrer une telre h6t€rog6n6it€ (c'est d cette question que sera consacrd le chapitre 7). Pour ce qui est de l'insertion de r8qu"n"., a.r.riptiu", aun, les narrations romanesques, des syntagmes introducteurs types eties crausules tout aussi st6r6otyp6es sont souveniutilis6s (Hamon rggi ; aJa- et petit_ jean 1989 pour une analyse d6taill6e).
(8)
33
de < superstructure > aussi bien d propos du rdcit et de I'argumentation (1984
L'insertion d'un diarogue dans un r6cit p.ui.o.r.rpondre d la structure : [s6q. narrative [s6q. dialogale] s.dq. narrativel, et celle d'un r6cit dans un diarogue ay s.qhgma inverse : [s6q. diarogale [s6q. narrative] seq. aiarogai"l. t-'ne,erogdnditd est un ph€nomdne telemeni 6vident pour res icripteirs que lorsque l'insertion d'une s6quence h€t6rogdne a rieu, iue suit ,ouu.nt a.r=proc6dures de ddmarcation tres strictes. Le marquage des zones r.ontieres,-aes fieux ini_ tial et final d'insertion, est codifi6 auisi bien dans re recit oral liiiee_prdface et Rdsumd d l'ouverture, chute ou Morare-dvaruation enfermeture; que dans la dramaturgie de l'6poque classique. La pr6sence de morceaux narratifs dans une pidce de th66tre par essence dialogale a fait
pr6c6dent)
sdquentielle
"
-
i -
-
tions d'actions (ainsi pour la plupart des textes << proc6duraux )) ou
< instructifs > et des textes ( expositifs ) en coMMENr), soit d des actes de langage, et ils reldvent alors, de ce fait, des plans illocutoire (Al) et 6nonciatif (A2) d'organisation textuelle et non de la s6quentialit6 (82) proprement dite. Ainsi en va-t-il pour la nature m0me de l,ordre d la base de l'< injonctif > ; le < pr6dictif > et l'<< optatif I >> doivent €tre quant d eux abordds comme de simples descriptions de ce qui doit €tre ou est suppos6 devoir Otre.
l.
Mortara Garavelli (1988 : 165) parle ce propos de textes ( primitifs > : pridres, souhaits, malddictions, conjurations, imprdcations et incantations, qui semblent caractdris€s par leur forte composante conative et leur valeur d'acte de langage primitif. Le petit texte de Desnos cit€ plus haut (l) entre partiellement dans une telle cat6gorie illocutoire.
i
34
Les
tuta : tlpes
et prototypes
Codre thiorique d'une typologie
Dans le mOme esprit, il me parait i pr6sent impossible de consid6rer le type ( po6tique ) comme un type de mise en sdquence comparable aux cinq autres. Il n'est, en effet, pas prioritairement 169l€ par la structure hidrarchique de I'ordre des propositions qui ddfinit le mode de structuration sdquentielle. Sa sp6cificit6 rdside probablement dans le fait qu'il est organis6 en << surface )) par un processus de composition qui a le principe d'6quivalence (Jakobson 1963 : 220) pour loi : << Les textes poetiques se caractdrisent par l'6tablissement, codifid ou non, de rapports d'6quivalence entre diff6rents points de la sdquence du discours, rapports qui sont ddfinis aux niveaux
de repr6sentation "superficiels" de la
s6quence >>
(Ruwet 1975: 316).
Aux niveaux phon€tique et syllabique (le mdtre transforme la syllabe en unit6 de mesure) s'ajoutent les principes signalds plus haut i propos de la p6riode (rythme structurant) et de la segmentation. Le plan d'organisation p€riodique (rythme et parall€lismes de construction) et la segmentation prennent tellement le pas sur la structure hi6rarchique qu'on peut ddfinir le po6tique comme un mode de planification qui vient se superposer i !a sdquentialit6 d'un des types de base. Plutdt qu'i une superposition, il semble qu'on ait affaire i un double travail : travail de la s6quentialite ( d'origine >> et de la syntaxe par la mise en texte po6tique. Dans la po6sie descriptive, la po6-
sie didactique (explicative-expositive), la po6sie argumentative et surtout les podmes narratifs, un type de base se laisse identifier. Dans les formes dialogales que constituent la tragedie et le drame classiques en vers, des moments narratifs, argumentatifs, expositifs et purement dialogaux sont tous mis en texte selon les lois du po6tique. Ajoutons que le podtique doit 6galement Ctre abordd aux niveaux s6mantique (A3 du schdma 2) et dnonciatif (A2) qui jouent un r6le au moins aussi important que les effets de surface commun6ment admis. L'extrOme h6t€rogdn6it€ des
<<
genres de discours >), deje rehvde par Bakh-
tine comme une caractdristique du langage humain, est un constat empirique pr6alable d toute approche typologique des diff6rences. L'h6tdrog6n€it6 est une donnde que le linguiste ne peut pas ignorer et il me parait impossible de d6velopper une th6orie un peu consdquente du texte sans rendre compte de faqon aussi dconomique et g6nerale que possible de ce qui est, aprds tout, l'expdrience commune des sujets parlants. Je propose donc de travailler sur la base de la d6finition suivante :
siquentielle
35
Cette hypothdse peut raisonnablement pric6der la ddfinition des types de s€quences si et c'est A ce niveau que, pour ma part je parle de th6orie quelles qu'elles soient, les unitds d6sign6es par la notion de s6quence unifi6e possddent la propri6t6 d'obdir toutes au m6me principe hi6rarchique de regroupement des propositions en macro-propositions, des macro-propositions en cinq prototypes de s€quences de base et des s€quences en textes.
-,
-
4. L'unitd de base : la proposition
€nonc6e
Nous avons vu que la sdquence comporte un nombre donnd de macropropositions compos€es d'une ou de plusieurs propositions 6l6mentaires. Il reste donc d d6finir ces propositions en nous demandant au passage s'il est pertinent de parler de propositions narratives, descriptives ou autres; en d'autres termes, si les diff6renciations typologiques ont lieu d ce micro-niveau ou au niveau sup6rieur du regroupement des propositions en paquets (macropropositions) organisds selon les sch6mas prototypiques de sdquences de base. A I'oral comme d l'6crit, I'interpr€tant cherche avant tout d comprendre ce qui lui est dit et les divers plans d'organisation des €noncds envisagds plus haut le guident dans cette opdration. Il n'y a certainement aucune raison qui permette de privil€gier le seul niveau syntaxique. Ordre des mots, catdgories grammaticales et marques morpho-syntaxiques guident I'interpr6tation s6mantique d un niveau trds local et la reprdsentation sdmantique d'un 6nonc6 peut 6tre congue comme un << ensemble d'informations enregistrdes sous forme abstraite > (Caron 1989 : 156). La fagon de formaliser cette reprdsentation dif-
fdre selon les th€ories, mais I'accord est assez g6n6ral sur le caractdre propositionnel de cette repr6sentation. L'unitd de base est la predication, c'estd-dire l'6tablissement d'une relation portant sur un ou plusieurs concepts. Aux propositions explicitement formuldes, il ne faut pas oublier d'ajouter celles qui doivent €tre inf6r6es (pr6supposds et sous-entendus). L'€noncd (9) sera, par exemple, ainsi d6composd dans une s6mantique de type casuel : (9) Le marquis [N1]offre un collier de perles [N2] d la marquise [N3].
V + Objetl B6n6ficiairel Agentl ttl Processus N2 N3 N1
b6ndfactif (action)
Un second type d'analyse prddicative amdne W. Kintsch et T.A. Van Dijk ir d6composer de la fagon suivante la premidre phrase d'un article intituld < Les autocollants et les flics > Un TExTE est une structure hi€rarchique complexe comprenant n s€quences
-
elliptiques ou compldtes
-
de m€me typ€ ou de types diff€rents.
:
(10) Une s6rie d'affrontements violents et sanglants entre la police et des membres du parti des Black Panthers ponctua les premiers jours de l'6te 1969. [...1
36
Les
Prop. 1 : Prop. 2 : Prop. 3 :
texta:
types et protorypes
ISANGLANTS, AFFRoNTEMENTSI
Leur analyse des op6rations de comprdhension de cette premiere phrase est la suivante : < P4 est sdlectionne comme proposition superordonnee car elle est la seule proposition de I'ensemble d'entr6e qui soit directement reli€e au titre: elle partage avec le titre le concept PoLIcE. [...] Pl, P2, P3 et P5 sont directement subordonn6es d P4 car elles ont en commun I'argument HEURT ; P6 et P7 sont subordonn6es en raison de la r6p6tition de I'argument
erE > (1984 [978] : I 14). Ces niveaux hidrarchiques peuvent ainsi €tre repr6:
[P4
[Pl, P2, P3, P5 [P6, PTlll
On le voit, ces diff€rents types de pr6sentation des propositionsr n'envisagent tout naturellement pas de caractdriser les diff€rentes sortes de propositions. Pourtant, dans son << Essai de ddfinition linguistique du r6cit >, D. Combe (1989) n'hdsite pas, lui, i affirmer que la c6ldbre proposition (l l) est, en soi, lisible comme un r6cit : (11) La marquise sortit ir cinq heures. Sa tentative de d€finition linguistique exclusivement phrastique d'une proposition narrative m6rite toute notre attention. La question pos6e est, en effet,
essentielle et difficilement 6vitable : existe-t-il des caractdres linguistiques qui
permettent de d6finir une proposition comme narrative et donc, par extension, une autre comme descriptive, argumentative, etc., ou l'unitd minimale de typicitd est-elle sup6rieure i la proposition ? Engageons un moment le d6bat.
L'exemple (ll) possdde certes une caracteristique linguistique : il s'agit d'un 6nonc6 assertif. Mais D. Combe ne dit pas que cette modalit{ assertive domine dgalement dans des 6nonc€s descriptifs portant sur des 6tats (12) ou sur des actions (13) et m€me dans des conclusions de suites argumentatives de type : < ... donc la marquise est une menteuse D, ou encore des sdquences explicatives (< ... parce que la marquise est maride >) : Pour une bonne prfsentation des diff6rentes sortes de repr€sentations propositionnelles, je renvoie ir J. Frangois 1991. Pour 6viter une technicitd excessive de I'analyse, je ne formaliserai pas autant mes diff6rentes analyses. Au niveau de th6orisation et en raison des objectifs qui sont ici les miens, j'ai cherche i att6nuer autant que possible les effets d'une formalisation qui n'6tait pas indispensable.
l.
37
l'l2l La marquise portait une robe de velours rouge. (131 La marquise monte sur son cheval.
ISERTE.AFFRoNTEMENTSI IVToLENTS, AFFRoNTEMENTSI
Prop. 4 : IENTRE. AFFRoNTEMENTS. PoLlcE, BLAcK PANTHERSI Prop. 5 : [TEMps: DANS, AFFRoNTEMENTS, €TEl Prop.6:loEBUT,Er€l Prop. 7 : ITEMPS: EN, ETE. 19691
sentds
Cadre thdorique d' une t.ypologie sdquentielle
De toute dvidence, si I'on d6finit spontandment (l l) comme une proposition plut6t narrative, il n'en va pas de mOme avec des propositions marqu6es par des modalitds syntaxiques interrogative (14), exclamative (15) ou
imp6rative (16)
:
(14) Est-ce que la marquise sortit d cinq heures ? (1 5) La marquise sortit a cinq heures ! (16) Madame la Marquise, vous sortirez d cinq heures
La n6gation suffit m€me l'€valuation
i
!
faire basculer (ll) dans le commentaire ou
:
117l La marquise n'est pas sortie d cinq heures. On voit toutefois qu'il suffirait d'ajouter < Ce jourJi... D et d'employer le pass6 simple pour que I'on interprdte (18) comme une proposition extraite
d'une suite narrative canonique
:
(18) Ce jour-li, la marquise ne sortit pas
i
cinq heures.
D. Combe peut fort justement observer qu'une proposition reconnue comme narrative doit Otre << forc6ment une affirmation positive > (1989 : 158) garantie en (l l), de toute 6vidence, par le et que la distanciation modale pass6 simple associ6 d la troisidme personne est indispensable. Lorsque la distanciation modale est attdnude, on peut affirmer, avec D. Combe, que ( commentaire et r6cit sont €troitement unis > (1989 : 159). Il semble bien qu'avec la recherche d'une ddfinition du rdcit appuyde sur une modalit6 assertive neutre, on retrouve la << voix narrative > de Blanchot et l'<< 6nonciation historique >> de Benveniste, soit une d6finition essentiellement 6nonciative de
-
-
la narration. Tentant de cerner l'€nonc6 narratif de base, D. Combe propose cette d€finition (sur laquelle je reviendrai, en la pr6cisant, au chapitre 2) : Dans l'6nonc6 narratif de base, le thdme devra €tre une personne, un €tre anim€, ou une chose d€finie anthropologiquement grice i une figure de rh€torique (mdtaphore, personnification, all€gorisation...). Quant au pr6dicat, il signifiera I'id€e d'action (< sortir >), de changement d'€tat, de transformation, ou plus gdn6ralement d'6v6nement, conform€ment aux critdres retenus par L€vi-Strauss, Greimas, Barthes et Bremond. (1989 : 160)
La narrativit6 ne saurait 6tre concentrde dans le verbe seul, elle semble tenir < d I'action et non pas au verbe en tant que catdgorie linguistique > (Combe 1989 : 160). En effet, I'intrusion d'un verbe d'6tat engendre une proposition descriptive :
38
La
Cadre thiorique d'une typologie
textes: tlpes et prototlpes
La simple intrusion du passd simple suffirait d transformer (19) en proposition narrative. Le fait d'habiter i I'endroit indiqud deviendrait un 6v6nement cl€ d'une suite narrative : (20) La marquise habita un h6tel particulier de l'avenue Foch'
La simple modification du temps du verbe a des incidences sur I'interprdtation de la proposition : (21) La marquise sortait d cinq heures. l22l La marquise sortira i cinq heures. (23) La marquise est sortie i cinq heures. l24l La marquise sort d cinq heures. En (21), ou bien I'on est en train de caractdriser (proposition descriptive exemplaire) le sujet sur la base de ses habitudes (fr€quentatif), ou bien cette proposition I'imparfait laisse attendre une suite du type: << -..lorsqu'un homme 6trangement vetu I'aborda >. Soit, dans ce dernier cas' un sch6ma d'incidence caract€ristique d'une suite narrative. En (22), on se trouve en pr6proposition prise dans une s{quence sence soit d'une r6ponse d une question soit d'un usage narratif d'historien (le < futur des historiens >). dialogale Les exemples (23) et (24) prdsentent une ambiguit6 comparable : r6ponse une question ou proposition narrative relide ir d'autres propositions au passd compos6 et i I'imparfait pour (23), iL l'imparfait et au pass6 simple pour (24),
i
-
conform6ment i I'usage du pr€sent dit narratif. Lorsque D. Combe considdre les phrases complexes suivantes
39
consid6r€es comme narratives est possible (thdme-argument anthropomorphe,
(19) La marquise habite un h6tel particulier de l'avenue Foch.
-,
sfuuentielle
i
:
(25) La marquise sortit d cinq heures, se rendit au th6etre. 126l La marquise sortit a cinq heures, puis se rendit au th6etre. (271 Aprds qu'i cinq heures la marquise fut sortie, elle se rendit au th66tre.
il se borne d noter que la succession temporelle peut s'exprimer explicitement ou implicitement et que : Lorsque la phrase compte plusieurs propositions, ddtermin6es par des verbes distincts, chacun d'entre eux constitue une unit6 minimale de r€cit, la phrase entiCre n'6tant qu'une expansion de cette unit€ de base qui prdpare le champ, plus vaste encore, d'une expansion au niveau discursif, qu'on prend g6n6ralement seul en compte. (1989: 165)
D. Combe reconnait que si << la phrase narrative est la forme minimale du rdcit [...] I'expansion discursive est omnipr6sente >> (1989 : 165), mais sa position reste cat6goriquement phrastique : < Il ne semble pas n€cessaire de poser la pluralit6 des propositions comme une condition grammaticale du r6cit > (1989 : 164). Certes, une caract6risation grammaticale des propositions
pr€dicat signalant un 6v6nement, 6noncd assertif actif ou passif, distanciation modale), mais peut-on esp6rer partir de la grammaire pour remonter jusqu'au r6cit ? Les caractdristiques retenues correspondent d certaines propositions descriptives et ne permettent donc pas d'assurer que telle proposition est, en elle-m6me, de tel ou tel type. L'emploi du pass6 simple ne garantit m€me pas si I'on en croit I'usage de passds simples isolds caractdristiques que nous ayons affaire d une proposition prise de la presse contemporaine dans une chaine de pass6s simples.
-
-
Selon moi, si certaines caract6risations grammaticales peuvent plus ou moins autoriser ou emp6cher une proposition d'6tre consid6r6e comme narrative (ou encore descriptive, argumentative, explicative ou dialogale), les critdres grammaticaux ne permettent pas, de fagon absolue, de la ddfinir typologiquement. Il est impossible de ndgliger ici les relations constantes entre dimension locale - microstructurelle - et globale - s6quentielle - des faits de langue. Une proposition donn€e n'est d€finissable comme narrative ou descriptive ou autre qu'd la double lumidre de ses caract6ristiques grammaticales et de son insertion dans un cotexte, dans une suite de propositions que I'interprdtant relie entre elles. Une proposition 6valuative comme (17) n'est pas interpr6table sans considdration du cotexte. Il en va de m€me avec toutes les propositions au passd simple qui appellent une chaine de pass6s simples ou un imparfait difficilement interpr6table sans appui sur une proposition comportant un aoriste. Pour moi, les contraintes morpho-syntaxiques et semantiques qui excluent (14), (15) et (16) d'une suite trds strictement narrative de propositions ne doivent pas €tre s6par6es de consid6rations s6quentielles. C'est une contrainte d'enchainement qui, en dernidre instance, rend possible (ou impossible) I'insertion de certaines propositions dans une s6quence narrative. C'est cette contrainte globale et les caract€ristiques grammaticales qui font de (l l) et (18) des noyaux narratifs, de (12), (19) et (21) des expansions descriptives. Ici encore, la linguistique textuelle s'impose sans exclure, bien sffr, les consid6rations locales de la linguistique classique. La proposition 6nonc6e (ou clause) est une unit6 textuelle cernable sous trois de ses aspects compl6mentaires que le sch6ma de la page suivante r6sumeI.
l.
Je r6vise ici partiellement le schdma de la page 36 de mes Etiments de linguistique textuelle.
40
Les
textes: types et prototypes
nefeneruCe = Construction d'une
repr6sentation
discursive
PROPOSITION EworucEe
(Enonciateur)
Cadre thdorique d'une lypologie
\ I
I vn.rorrt t
Eruoructertoru = prise en charge I par un locuteur / LIAGE
=
Connexite et s6quentialit6
]
VISEE
ILLOCUTOIRE
sdquentielle 4l
< dictum > objectif d'un << modus > subjectif ? L'un et I'autre sont, dans la construction du sens, totalement insdparables. Ils ddterminent ensemble un contenu. o Aspect textuel de la mise en relation, du liage de la proposition avec d'autres propositions (explicites ou non). En consid6rant ce troisidme aspect comme constitutif de la proposition €nonc€e, il s'agit de se d6gager de I'id€e d'unit6 autonome et de proposer une d6finition textuelle de la proposition : unit6 li€e selon le double mouvement compl6mentaire de la connexitd (succession lin€aire de propositions) et de la s6quentialite (structure hidrarchique de propositions). Je d6finis donc la proposition 6noncde comme une unit6 li6e d d'autres
,,",,o,-,,r
Schdma 3
o Aspect rdfdrentiel ou construction d'une representation discursive. Si on coupait cette dernidre de l'6nonciation (du subjectif), on pourrait, avec Charles Bally, parler de << dictum >>. Searle, de son c0t6 parle de << contenu descrip> susceptible de recevoir une certaine valeur de v6rit6. C'est d ce premier niveau que la proposition est predication : attribution de propri6t6(s) un individu. Comme Benveniste I'a 6crit et comme la linguistique structurale I'avait un peu rapidement oubli€, < la r€fdrence est partie intdgrante de l'€nonciation > (1974 : 82). Paul Riccur partage la m€me conception en apportant une prdcision importante : ( Le texte [ ...] n'est pas sans rdf€rence ; ce sera pr6cis6ment la tdche de la lecture, en tant qu'interpr€tation, d'effectuer la r6fdrence D (1986 : l4l). Enoncer ou lire une proposition, c'est construire une repr6sentation discursive et I'on peut decrire le sens d'un texte ( comme une image mentale que le r6cepteur se fait de la rdalitd telle qu'elle lui est offerte par Ie texte > (Martin 1985 : 57). Dans la mesure of tout texte construit une repr6sentation, on peut dire que la description est, d'une certaine manidre, au ceur de I'activitd langagidre. Il faudra donc veiller ne pas confondre par la suite cette fonction descriptive inhdrente d I'exercice de la parole et la forme de mise en texte-s6quence d laquelle nous donnerons le nom de description. De m€me, le fait que tout 6nonc6 possdde un but ou orientation argumentative ne devra pas €tre confondu avec la mise en s€quence argumentative. Il y a certes ld des sources de difficultds terminologiques, mais inventer de nouveaux termes ne nous faciliterait certainement pas plus la tdche. o Aspect dnonciatif. La construction de la rdf6rence est insdparable du point de vue d'un sujet. Le << dictum > objectif ne peut qu'artificiellement €tre s6par6 de ce que Bally appelle la < rdaction d'un sujet )) ou ( modus >. En parlant plutdt de prise en charge 6nonciative, il s'agit de combler I'espace vide qui existe, chez Searle, entre le contenu descriptif de la proposition et I'application d'une force illocutoire sur le contenu propositionnel. Comment penser travers cette ( application D sans passer par un ancrage de l'dnonciation lequel se d6finit la validitd de la proposition ? Comment surtout sdparer un
lf
i
i
i
propositions : << La proposition est 6l6ment signifiant de l'6nonc6 dans son tout et acquiert son sens ddfinitif seulement dans ce tout > (Bakhtine 1984 : 290). De plus, je refuse de confondre des aspects 6nonciatifs li6s d la prise en charge (distanciation propre aux propositions utilisant le passd simple oppo-
i celles qui sont fortement modalis€es) avec la narration proprement dite. Une regrettable impr6cision a €t6 entretenue par ceux qui ont rebaptis€ << r6cit >> l'<< 6nonciation historique >> de Benveniste. Depuis Weinrich, Genette et Mains€es
gueneau, un tel glissement terminologique induit une confusion entre plans 6nonciatifs et sequentialit6. Si le passd simple est, comme le note un trds c6ldbre article de Roland Barthes, la << pierre d'angle du r€cit >>, I'usage de ce tiroir verbo-temporel ne transforme pas pour autant une proposition isol6e comme (ll) en un r6cit complet. Du point de vue s€quentiel, le fait qu'une proposition puisse Otre soit un argument, soit une conclusion correspond i un type particulier d'enchainement : une sdquentialit6 locale argumentatiye. D'autres modes de microenchainements locaux de propositions semblent possibles : enchainements narratifs dont il vient d'€tre partiellement question et dans lesquels le lien < posl hoc, ergo propter hoc )) entre deux ou plusieurs propositions tient lieu de rapport chrono-logique ; enchainements descriptifs r6gis par des opdrations net-
tement hi6rarchisantes
et
paradigmatiques d'int6gration s6mantique;
enchainements dialogaux et explicatifs (domin6s par une structure question16ponse-€valuation). Ainsi, par exemple, une phrase complexe comme :
(28) Les hommes aiment les femmes qui ont les mains douces. a beau €tre une unitd signifiante de la langue et, par li m€me, intelligible isoldment, elle ne prend sens qu'en co(n)texte oir elle peut aussi bien constituer les pr€misses d'une argumentation publicitaire que la morale d'une fable ou d'un conte grivois. Tout dipend de sa place dans une suite siquentielle donnde et, de plus, elle ne fait sens qu'd I'occasion d'une €nonciation particulidre
dans laquelle le critdre avanc6 par la seconde proposition (relative) prendra
tout son
sens.
42
Cadre thCorique d'une typologie
Les lextes: types et protolypes
Lorsque Bakhtine reldve I'autonomie trds particulidre de certaines propositions d'ouverture et de fermeture d'un r6cit, il insiste sur le fait que cette apparente autonomie est emportde par leur fonction textuelle et dialogique : < Ce sont, en effet, des propositions d"'avant-poste", pourrait-on dire, situ6es en plein sur la ligne de d6marcation oir s'accomplit I'alternance (la reldve) des sujets parlants D (1984 : 297). L'existence de telles propositions a 6t6 confirmde depuis par l'6tude de I'inscription des s6quences narratives dans des contextes conversationnels. Cette insertion donne - comme on le verra au chapitre 7 syst6matiquement lieu d des procddures d'ouverture sous forme de rdsumd et/ ou d'entrde-prdface et de fermeture sous forme de chute ou de morale-dvaluation qui ramdne les interlocuteurs au contexte de I'interaction en cours. Ajoutons que la structure des enchainements explicatifs pourtant monologaux est tres proche de celle de la conversation : une question-probldme est posde d laquelle une r6ponse-solution est apport€e puis 6valu€e.
Il serait certainement possible de consid6rer (28) comme un proverbe, c'est-d-dire une proposition en apparence encore plus < autonome >> et suffisante qu'un slogan. En fait, un proverbe est, avant tout, un 6nonc6 disponible et destind d la rdappropriation polyphonique, dans un enchainement interactif donn6. D'un point de vue g6ndral, il faut avant tout souligner le fait qu'une proposition descriptive 6l6mentaire comme : (29) La marquise a les mains douces.
intelligible dans sa signification linguistique intrinsdque, mais hors situation
etlou isol€ment ddpourvue de sens, peut fort bien devenir 6l6ment d'une s6quence argumentative
:
(30) La marquise a les mains douces, mais je ne l'aime pas.
on (29) est devenu un argument (p) pour une conclusion implicite (q) justement ni6e par la proposition (non-q) qui suit le connecteur-marqueur d'argument MAIS, comme nous le verrons plus prdcisdment au chapitre 4. Qu'elles soient assertives, interrogatives ou exclamatives, les propositions
sont, de toute fagon, prises dans un contexte 6nonciatif oir elles font
sens.
Considdr6es isol6ment, les assertions constatives peuvent, bien sffr, d I'analyse, €tre perques comme susceptibles de former un 6nonc6 complet, mais : < Dans la rdalit€, une information de ce type s'adresse d quelqu'un, est suscit€e par quelque chose, poursuit un but quelconque, autrement dit, est un maillon r€el de la chaine de l'6change verbal, d I'intdrieur d'une sphdre donn6e de la rda-
litd humaine ou de la vie quotidienne > (Bakhtine 1984 : 290). Dans Ze Marxisme et la philosophie du langage, Bakhtine-Volochinov pousse cette id6e encore plus loin :
sdquentielle
43
Toute 6nonciation-monologue, m€me s'il s'agit d'une inscription sur un monument, constitue un 6l€ment inalidnable de la communication verbale. Toute 6nonciation, m€me sous forme 6crite figde, est une rdponse quelque chose et est construite comme telle. Elle n'est qu'un maillon de la chaine des actes de parole. Toute inscription prolonge celles qui I'ont pr6c6d6e, engage une pol€mique avec elles, s'attend des rdactions actives de compr6hension, anticipe sur celles-ci, etc. [...] Une inscription, comme toute dnonciation-monologue, est prevue pour 6tre comprise, elle est orient€e vers une lecture dans le contexte de la vie scienti-
i
i
fique ou de la rdalitd litt€raire du moment 1...1. (1977
:
105-106)
Dans cet esprit, on ne peut interpr6ter le petit rdcit giscardien (citd page Z) et I'argumentation qui le prolonge (exemple 6, page 27) en dehors de la chaine des actes de parole : pression de Chirac qui enjoint le Pr6sident ir s'engager, intertexte de la droite classique rendant le Front populaire responsable de la
ddbdcle et assimilant I'Union de la gauche au souvenir de 1936, vote de la nation comme forme de r6ponse au discours de son Prdsident, etc. Cette nature profond6ment dialogique du discours ne doit toutefois pas €tre confondue avec le mode d'agencement s6quentiel que je d6signerai par le terme < dialogue >>. L'importance du principe dialogique ne confdre pas plus au dialogue une place primordiale que la rdf€rence ne ou part transforme la description en catdgorie langagidre g6n6rale.
-
i
-
r Chopitre
2
Le prototype de la s6quence narrative
En ddpit de diffdrences dvidentes entre rdcit historique et rdcit de fiction, il existe un e structure narrative commune qui nous autorise d considdrer le discours narratd comme un modile homogdne de discours. (Riceur 1980 : 3) Le r€cit est certainement I'unitd textuelle qui a 6td la plus travaill6e par d'Aristote d I'Essai sur le rdcit de - de Laet Podtique par la narratologie moderne t Bdrardier de Bataut (1776) - de la Morphotogie du conte de Propp (1928) d Temps et rdcit de Paul Riceur (1983-1985). Il existe aujourd'hui de nombreuses pr6sentations et synthdses de tous ces travaux et de ceux qui ont €td men6s, ces dernidres anndes, en psychologie cognitive (Fayol 1985). C'est d propos du r6cit qu'a €t6 progressivement 6labor6e la notion de superstructure, avec ces suites de propositions narratives auxquelles U. Eco fait allusion dans son Apostille.au Nom de la rose: << En narrativit6, le souffle n'est pas confi€ d des phrases, mais i des macro-propositions plus amples, d des scansions d'6v6nements > (1985b : 50). Le moddle de la sdquence narrative de base que je vais exposer ici a pour but d'expliciter cette observation essentielle en d6finissant ce qui assure le lien des propositions ainsi que leur empaquetage sous forme de < macropropositions > constitutives d'une s6quence elle-m€me constitutive d'un texte. En tant qu'unitd textuelle, tout r6cit correspond certes iddalement i la d6finition minimale qu'on peut donner de la textualit| : suite de propositions liCes progressant vers une fin, mais comment d€finir ce qui fait la sp6cificit6 de ce type de mise en texte ?
la tradition rh€torique
l. Pour un expos€ d€taill€ des recherches modernes de narratologie, je renvoie narratif, publi€ dans la m€me collection que le prdsent ouvrage.
au
46
l.
Ricit
Les textes: tlpes et prototypes
Critdres pour une d6finition du r6cit
Deux d6finitions de
c.
Bremond posent les constituants de base de tout r6cit.
trouve dans Logique du ricit: << eue par ce message, un sujet quelconque (animd ou inanim6, il n'importe) soit plac€ dans un temps t, puis t + n et qu'il soit dit ce qu'il advient d I'instant t + n des pr€dicats qui le caractdrisaient d I'instant t > (1973 : 99-100). A ces trois premiers constituants : sujet, temporalitd et predicats transformds, une seconde definition ajoute encore quelques 6l€ments : La plus courte
a pas r6cit mais, par exemple, description (si les objets du discours sont associ6s par une contiguit€ spatiale), d6duction (s'ils s'impliquent I'un I'autre), effusion lyrique (s'ils s'dvoquent par m6taphore ou m€tonymie), etc. Oi il n'y a pas int6gration dans l'unit6 d'une m€me action, il n'y a pas non plus r€cit, mais seule-
ment chronologie, dnonciation d'une succession de faits incoordonn6s. ol enfin il n'y a pas implication d'int6r€t humain (oir les 6v6nements rapport€s ne sont ni produits par des agents ni subis par des patients anthropomorphes), il ne peut y avoir de rdcit, parce que c'est seulement par rapport i un projet humain que les 6v6nements prennent sens et s'organisent en une s€rie temporelle structur€e. (Bremond 1966:. 62)
Plus pr€cis6ment, disons que six constituants doivent Otre r6unis pour que I'on puisse parler de r6cit.
(A).
Succession d'dvinements : Oit il n'y o pas succession,
<<
I'unit6 d'une conduite orient€e vers une fin
> (1966 :76\. La lin6arit6 temporelle se trouve ainsi probl€matis6e comme le montrera le cinquidme critdre.
(B). Unitd thdmotique (ou moins un octeur-suiet
S) : o Oit [...] il n'y a pos implicotion d'intdr€t humoin [...], il de rdcil > (Bremond).
se
Tout rdcit consiste en un discours int€grant une succession d'iv€nements d'int6r6t humain dans I'unitd d'une m€me action. Oi il n'y a pas succession, il n'y
il n'y
a pas rdcit > (Bremond).
Pour qu'il y ait r6cit, il faut une succession minimale d'6v€nements survenant en un temps t puis t + n. En d€finissant l'<< unit€ fonctionnelle > qui traverse les diffdrents modes et genres narratifs, Paul Riceur souligne luiaussi I'importance de la temporalit€ minimale : << Le caractdre commun de I'exp€rience humaine, qui est marqu€, articuld, clarifi6 par I'acte de raconter sous toutes ses formes, c'est sorf caractire temporel. Tout ce qu'on raconte arrive dans le temps, prend du temps, se d6roule temporellement ; et ce qui se ddroule dans le temps peut €tre racont€ ) (1986 : 12). ce critdre de temporalitd n'est toutefois pas un critdre d€finitif : de nombreuses autres sortes de textes (recettes et chroniques, par exemple) comportent une dimension temporelle qui ne les transforme pas en r€cits pour autant. Pour qu'il y ait r6cit, il faut que cette temporalit6 de base soit emport€e par une tension : la d6termination rdtrograde qui fait qu'un r6cit est tendu vers sa fin (t + n), organisd en fonction de cette situation finale. claude Bremond le note d'ailleurs bien : ( Le narrateur qui veut ordonner la succession chronologique des 6v6nements qu'il relate, leur donner un sens, n'a d'autre ressource que de les lier dans
47
ne
peut y
tvoir
Dans sa d6finition de 1973, C. Bremond parle d'<< un sujet quelconque il n'importe) >, plac€ < dans un temps t, puis + n r>, ce qui permet de rdunir les composantes A et B. La ddfinition de 1966 insiste quant a elle sur le caractdre anthropomorphe de ce sujet et 6largit la d6finition ir I'idde d'< implication d'int6r€t humain >>. La pr€sence d'un acteur (S) au moins un, individuel ou collectif, sujet d'6tat (patient) etlou sujet op6semrateur (agent de la transformation dont il va €tre question plus loin) par question Aristote est discut6e ble €tre un facteur d'unit6 de l'action. Cette au chapitre 8 de La Podtique :
t
(anim6 ou inanim6,
-
-
L'unit6 de I'histoire ne vient pas, comme certains le croient, de ce qu'elle concerne un h€ros unique. Car il se produit dans la vie d'un individu unique un nombre €lev€, voire infini, d'evdnements dont certains ne constituent en rien une unitd ; et de m6me un seul homme accomplit un grand nombre d'actions qui ne forment en rien une action unique. (5lal6)
La mise en garde d'Aristote doit €tre retenue, I'unicit€ de I'acteur (principal) ne garantit pas I'unit€ de I'action. La pr€sence d'(au moins) un acteur est indispensable, mais ce critdre ne devient pertinent que mis en rapport avec les autres composantes : avec la succession temporelle (A) et avec des pr€dicats caract6risant ce sujet (C).
(C).
Des prddicats transformds
:
qu'il advient d I'instont t + n des prddicats qui [...] Qi'il coiactdrisoient fte suiet d'6tot S] d I'instant t > (Bremond). Une trace de cette id6e se trouve deje e la fin du chapitre'7 de La PodtiK
soit
dit
ce
que : << Pour fixer grossidrement une limite, disons que l'€tendue qui permet le passage du malheur au bonheur ou du bonheur au malheur d travers une s6rie d'6v6nements enchain6s selon la vraisemblance ou la ndcessitd fournit une d{limitation satisfaisante de la longueur > (51a6). Cet exemple choisi par Aristote correspond la notion d'inversion des contenus qui sera longtemps la cl6 de la ddfinition du r6cit par la s€miotique narrative de Greimas. Cette
i
opposition entre contenu inversi (un sujet d'6tat [S] est disjoint d'un certain objet de valeur : O) et contenu posd (le sujet d'6tat est, a la fin du r6cit, conjoint d I'objet qu'il convoitait) ddbouche sur la ddfinition suivante : << Le rdcit achev6 peut se lire comme la transformation d'un 6tat donn6 en son contraire. La pr€visibilitd de ce parcours binaire d6finit la cohdrence particulidre du r6cit et marque sa cl6ture > (H6nault 1983 :27). En va-t-il toujours ainsi
?
48
Les
Rdcil
texles: types et prolotypes
Si l'on prend I'exemple du d6but de La Princesse sur unpords d'Andersen cit6 au chapitre prdc6dent (page 32), on constate que le paragraphe cit6 forme temporellement une s6quence : du temps s'6coule et des 6v€nements se succddent entre le d€part et le retour du prince (A), ce dernier garantit I'unit€ de I'histoire (B), mais c'est le critdre (C) qui est d6cisif ; le prddicat initial est bien celui d'une disjonction du sujet S et de I'objet de valeur que son ddsir pose O (une princesse vdritable). Entre le ddbut et la fin de la s€quence, on ne peut pas dire que l'hypothdse d'Aristote se v6rifie. En effet, le Prince est toujours disjoint de son objet de valeur i la fin de la s6quence. Il n'y a donc pas eu de transformation conjonctive minimale. Ceci s'explique certes par le fait que cette brdve s€quence n'est que le ddbut du r6cit, mais ceci nous
oblige quand mOme d aller un peu plus loin. De fagon moins globale et moins directement inspirde par l'6tude des contes merveilleux, on peut simplement se contenter de I'idde de pr6dicats d'Otre, d'avoir ou de faire ddfinissant le sujet d'6tat S en I'instant t - d6bqt_ pui s gn !liuilaut-g-r-[* r[n;19-1a.gqq@ 9:Je-l€ro.+g1-mule des situations initiale et finale qui r6unit les trois premidres composantes (A, B et C) en soulignant leurs relations et sans impliquer n6cessairement I'inversion des contenus postul6e trop grossidrement par la s€miotique narrative :
soiffiffi
Situation initiale : IS est/fait/F ou n'a pas X, X', etc., en tl Situation finale: [S est/fait/a ou n'a pas Y, Y',.etc., en t + nl.
(D). Un procis : < Oi il n'! o pos intdgration dans I'unitd d'une mAme action, il n'y a pos [...] rdcit > (Bremond). Cette id6e d'unit6 de I'action est mise en avant par Aristote lui-m6me en plusieurs points de La Podtique et c'est en son nom qu'il ne se satis-
fait pas de l'unicit6 du h6ros (B) : [...] L'histoire, qui est imitation d'action, doit €tre repr6sentation d'une action une et qui forme un tout ; et les parties que constituent les faits doivent etre agenc6es de telle sorte que, si l'une d'elles est ddplac€e ou supprim€e, le tout soit troubld et boulevers€. Car ce dont l'adjonction ou la suppression n'a aucune consdquence visible n'est pas une partie du tout. (51a30)
un toui est ainsi prdcisde par \+. qui forme -La notion d'action utc-gt L-,.a-,---*'_ -+----*"Aristote : Forme un tout. ce qui a un commencement. un milieu et une fin. Un commence-ffi-aru-q*,ini: quoi se rrouve Fuiills n?GCffimirii?uii. .rt.jri,-il
ou vient ir se produire naturellement autre chose. Une fin au"ires contraire est ce qui vient naturellement aprds autre chose, par ndcessit€ ou dans la plupart des cas, et aprds quoi il n'y a rien. Un milieu est ce qui succdde i autre chose et aprds
49
quoi il vient autre chose. Ainsi les histoires bien agencees ne doivent ni commencer au hasard, ni s'achever au hasard' (50b26)
par les cette triade sera reprise systematiquement, a l'6poque classique, ( >>, (( termes de < d6but ) ou (( exposition )>, nceud )) ou d{veloppement comme < conclusion )> ou (( d€nouement >. La definition de I'action unique annales : tout permet e Aristote de distinguer le r6cit de la chronique ou des
[...]Leshistoiresdoivent€treagencdesenformededrame,autourd,uneaction un
et menee jusqu'd son terme, avec un commencement, qui forme un tout, milieu et une fin, pour que, semblables d un €tre vivant un et ne doit pas €tre semstructure propre leur ; elles procurent le plaisir qui leur est non d'une action I'expos€, qui n€cessairement sont blabli n celle des chroniques
uni, for,ount un tout
une,maisd'unep6riodeuniqueavectousles€v6nementsquisesontalorspro-
les autres
duits, affectant un seul ou plusieurs hommes et entretenant les uns avec qu'eurent lieu la bataille des relations fortuites ; cai c'est dans la m€me p€riode qui ne tendaient en navale de Salamine et ia bataille des Carthaginois en Sicile, p€riodes cons€cutique des dans peut m€me de rien vers le meme terme ; et il se en rien qui n'aboutissent 6v€nements deux l'autre aprds produisent I'un ves se d un terme un' (59a17-21)
c'est d ces propos d'Aristote que se r€fdre P. Ricaur lorsqu'il d€finit texte en r€cit. Le le mode de comjosiiion verbale qui constitue, selon lui, un philosophe souligne tres justement que le muthos comme
(
assemblage des
actions-accomplies>estuneopdrationdemiseenintrigue:<
(1986 : 13). niveau de I'unit6 de la fable entiere (c'est-i-dire du Texte) est egalement vrai au qui retient notre attention : la s6quence' Essayonsdeformulerceciautrement:pourqu'ilyaitrecit,ilfautune procds transformation des pr€dicats (C) afi cours d'un procds. La notion de de I'id€e (A) abandonnant en p.r."t de preciser la composante temporelle aristotdlicienne conception La simple suciession temporelle d'6v€nements. d'aition une, formant un tout, n'est pas autre chose quelgjlggiglIglfgl,mationnel suivant, dominE par la tension dont je pa4a\-Ply: h3]!j-^-*._,
l?--a.*.-
'.situation initiale
(Situation finale--.i
I
'r'**
__-
APRES
AVANT
/-;( commEfieffibnt D
._ ?
I
..
avec C'est, par exemple, ce dont essaie de rendre compte A'J' Greimas (S) disjoint est d'6tat (PN) sujet : un la formule des programmes narratifs (O) et, sous l'action (faire transformateur FT) d'un 1Vy O'un objet de uul"u,. (A) iujet operuieur (Sop), le sujet d'etat (S) est, d la fin du r6cit, conjoint
50
Ricit
Les textes: types et prototypes
l'objet qu'il convoitait. Soit la formule d'un programme narratif conjoncun programme disjonctif, il suffirait d'inverser les prddicat initial et final en passant d'une conjonction A d une disjonction V) : ir
La sp6cificit6 du r6cit d'Andersen n'apparait qu'avec la propro,p_ri€t6 de I'objet de valeur (< v€ritable >) faiit ici figure -6dmme delCompiiiation-Pn2 le souligne d'ailleurs le connecteur argumenta-
retardgg3l
tif (pour
PN = FT(Sop) >>KSVO)
tif
:
A).
.. '
tiogr"
l.
initia'le1es rre.oi. nins-G
ai, noil avons'affaiiE a riri6?iri_d;sitioii
Pour un rdsumd et une application, voir Adam 1984: 59-73.
-De
bgj{s-?fonde S39t9:p.tgp-o-si4g}*=*ggiil_epgell-e_le*g$_.*-*
ses rencontr6es (< il ne pouvait jamais s'assurer si c'6taient de vdritables princesses >), c'est-i-dire de r€v6ler la vdrit€, et la proposition [g] insiste sur la difficult€ de d€celer le non-€tre mensonger sous le paraitre (< paraissait suspect >). Cette macro-proposition narrative peut €tre appel€e << R€solution >> m€me lorsqu'elle ne manifeste aucune r6solution du probldme pos€ ; par ce terme j'entends seulement souligner le fait que ce second d6clencheur permet la s€quence de s'achever comme le premier (Pn2) assurait, de son c6t6, le d6marrage de la sdquence. A sa manidre, Tomachevski avait pergu la nature profond6ment symetrique de Pn2 et de Pn4 : << La tension dramatique s'accroit au fur et mesure que le renversement de la situation approche. Cette ten$gl.p_slgbtg_-tfuel9F_ilu-ellgng11t.par la pr€paration de ce renverseme'ff)i-(M65'l )Iq.7l6artait m€me ae PnZ-iltl cciffie tfriiiiili"thcse ii eiae pn4
Pour passer de la simple suite lindaire et temporelle des moments (ml, m2, etc.) au r6cit proprement dit, il faut opdrer une mise en intrigue, passer de la succession chronologique i la logique singulidre du rdcit qui introduit une probl€matisation par le biais de deux macro-propositions narratives - Pn2 et Pn4 - extrOmement importantes, ins6r6es entre la situation initiale et le debut du procds (Pnl) et entre le procds et la situation finale (Pn5). Avant d'entrer dans la logique singulidre de la mise en intrigue en pr6cisant le cinquidme critdre (E) de d6finition du r€cit, on peut prendre conscience de I'importance des macro-propositions Pn2 et Pn4 egLeVgna*!.I9ill;{gsjdre s€quence . ^parasraphe de La Princesse.sur un noi${emptJigj'F"ds6 ni:-'| fu/ En effe1, l.es d-pux^prp;rueres proposrtiblgse it*nXntum'f tiff ta macro-
propositionFni-orientation ouBitribiioii initiale dalpose le sujet S de I'histoire et ta retatiueffipidcise la teneur tfe sa qiiet; iTvoulait >), i savoir un objet valorisd (< ufd princesse >). Dans son article < Thdmatique > de 1925, B. Tomachevski d€finit ainsi notre premidre macro-proposition : << La situation initiale exige une introduction narrative. Le r6cit des circonstances qui ddterminent l'€tat initial des personnages et de leurs rapports s'appelle I'exposition > (1965 : 275).ll ajoure fort justement que cette exposition-orientation ne se situe pas toujours au tout d6but d'une histoire. Le r6cit peut fort bien commencer ex abrupto : < Le r6cit commence par I'action gLqourJf-qg {6.ye= lopp.ement eji'eyleslcG pal$ffiGi?-qGiffiomEfffiffiitr" la sltua-
"r'aAIS.
Tomachevski donne la ddfinition suivante : << Pour mettre en route la fable, on introduit des motifs dynamiques qui ddtruisent l'6quilibre de la situation initiale. L'ensemble des motifs qui violent I'immobilitd de la situation initiale et qui entament I'action s'appelle le neud. Habituellement le ncud ddtermine tout le d6roulement de la fabTe dt*TTifiifrattidifrifi-eux i,eiietia;s &;"fi"_c;jifsp_fin"qip-au-x iii-lio._4i:iiis pdr [d-nGrid. Ced-vaiiatiorii 3'aij,pe]!!e,.nr.iesp6ri* pdties (le passage d'une situation e unE iriii;}f,fl-t65 :Ziq.'bins notre exem-
Pour €tre plus complet, outre le fait que sujet d'6tat et sujet op6rateur peuvent correspondre au m0me acteur, il me parait indispensable de dire que le procds transformationnel (qui r€ussit ou 6choue) comporte trois moments (m) li6s aux moments constitutifs de I'aspect. Les deux extr0mes permettent de red6finir la composante (A) en l'intdgrant dans I'unit6 actionnelle du proAPRES LE PRocds : ml = AVANT LE PRocES (action imminente = t), m5 cns (accomplissement r6cent = t + n). Ceci correspond aux deux premidres macro-propositions narratives (Pnl et Pn5) constitutives de la s€quence de base. Le procds lui-mOme peut etre d6compos6 en trois moments :
;-
Q_d.).
p6s}fotTq:'Une flfonT"qf
> (SaO)l'
m2 = Ddbut du procds (commencer d, se mettre m3 = Pendant le proces (continuer dl. m4 = Fin du procEs (finir de).
5l
i
i
eofriine"ilurid il'antiil[Edt;.-Torit-IoeiAueiiftnt; aF"P;4-n"Cioiiiiiori Adcouie lii-Situation finatd Gynitxiield€nouement pour Tomachevski). Ce mouvement logique est ici soulignd par le connecteur EI_q9[qE*q-u_E]l,gB _-qt-l-4 Situation
-
-
lire, avec le retour du snjgt;-{',4-ctGC&*r'asGf-"-._Oii peui di;;qua tO;;6;.;:pioprii-ilioni'Pn:ZGtTn4assirlijnt la mise en intrigue d la fi-nale-Pn5 donne
-.
i
(E). La cnusalitd nanotive d'une mise en intrigue : < Le ricit explique et coordonne en meme fumps qu'il retroce, il substitue I'ordre cousol d I'enchotnement chronologique > (Sartre 1947 : 147). Dans sa c6ldbre < Explicatio n de L'Etranger >> (1943), Sartre part Ae cette,r{r*l dEfinition du r6cit pour expliquer en quoi le roman de Camus ne peut
tmj
52
Les textes: types et prototlpes
Ricit
€tre considdrd comme un r6cit. Il d€veloppe la m€me id6e dans un essai de 1938 sur Dos Passos : < Le r6cit explique : I'ordre chronologique - ordre pour la vie dissimule d peine I'ordre des causes pour ordre I'entendement ; l'6v6nement ne nous touche pas, il est d mi-chemin entre le fait et la loi >> (1947 : 20). Si l'6crivain amdiicain invente litt6ralement << un art de conter D, c'est que, notamment dans Manhattan Transfer (lgzi), ( pas un instant I'ordre des causes ne se laisse surprendre sous I'ordre des dates. ce n'est point rdcit : c'est le d€vidage balbutiant d'une m6moire brute et criblde de trous, qui rdsume en quelques mots une pdriode de plusieurs ann6es, pouf s'€tendre languissamment sur un fait minuscule >> (1947 : 2l). L'abandon du post hoc, ergo propter hoc des anciens par le roman moderne se traduit par
le fait qu'au lieu de relier causalement des 6v6nements, raconter, chez Dos Passos, << c'est faire une addition >>. De la m€me manidre, dans L'Etranger, les phrases semblent juxtapos6es : << En particulier on 6vite toutes les liaisons causales, qui introduiraient dans le r6cit un embryon d'explication et qui mettraient entre les instants un ordre diffdrent de la succession pure >> (1947 : 143). D'oir cette cdldbre formule : << Une phrase de L'Etranger c,est une ile
>>
(1947 : r42). Plus prds de nous, les narrateurs de claude Simon sont exemplairement dans I'incapacit€ de relater une suite d'6v€nements sous forme d,urrdcit constitu6. Au d6but de Tentative de restitution d'ttn retable boroque, dans une de ces interminables parenthdses dont I'auteur a le secret, la connaissance des €v6nements est clairement d€clar6e < fragmentaire, incomplcte, faite d'une addition de brdves images, elles-mOmes incompldtement appr6henddes par la vision, de paroles, elles-m€mes mal saisies, de sensations elles-m€mes mal d6finies, et tout cela vague, plein de trous, de vides, auxquels l'imagination et une approximation logique s'efforgaient de remedier >. euelques lignes plus loin, la tentative de narrativisation ce que j'appelle la mise en intrigue est decrite en ces termes :
-
-
Et maintenant, maintenant que tout est fini, tenter de rapporter, de reconstituer qui s'est pass6, c'est un peu comme si on essayait de recoller les ddbris dispers6s, incomplets, d'un miroir, s'efforgant maladroitement de les reajuster, n,obtenant qu'un resultat incoh€rent, derisoire, idiot, oir peut-€tre seul notre esprit, ou plutot notre orgueil, nous enjoint sous peine de folie et en d€pit de toute 6vidence de trouver tout prix une suite logique de causes et d'effets li of tout ce
i
ce que la raison
parvient d voir, c'est cette errance, nous-m€mes ballott6s de droite et de gauche, comme un bouchon i la d6rive, sans direction, sans vue, essayant seulement de surnager et souffrant, et mourant pour finir, et c'est tout...
Dans L'Art du roman, Milan Kundera va dans le m€me sens en comparant les suicides de werther et d'Anna Karenine. chez Goethe, < werther aime la femme de son ami. Il ne peut trahir |ami, il ne peut renoncer i son amour, donc, il se tue ) (1986 : 79) ; en d'autres termes le suicide est ici
53
( transparent comme une {quation mathdmatique >> (ibiA. Pour les anciens romanciers, le mobile rationnellement saisissable fait naitre un acte qui en provoque un autre, et ainsi de suite. L'aventure est r6cit, c'est-i-dire << enchainement, lumineusement causal, des actes > (ibid.). Le fait qu'on ne puisse, en revanche, pas vraiment expliquer le suicide d'Anna Karenine marque bien toute la diff6rence entre la narration classique et le roman de Tolstoi qui met en lumidre << I'aspect a-causal, incalculable, voire mystfrieux, de I'action humaine > (ibid.). A titre d'exemple, considdrons ce rdsum€ de Colomba de M6rim6e proposd dans le Manuel des dtudes littdraires frangaises de P. Castex et P. Surer (Tome 5, XIX? siicle, Hachette, 1950 : 172) : regagnant [a] Un jeune lieutenant en demi-solde, Orso, fait connaissance, en la Corse. sa patrie, du colonel Nevil et de sa fille Lydia, dont il s'6prend. [b] A son arrivde dans l'ile, sa sceur Colomba trouble son beau r€ve en l'appelant d une vendetta contre les Barricini, meurtriers de son pOre. [c] Orso, bless6 par les deux frdres Barricini, riposte et les abat d'un coup double, puis gagne le maquis ; [d] Colomba et Lydia le rejoignent ; [e] mais la petite troupe
est capturee. [f] orso est consid6r6 comme ayant agi en 6tat de l6gitime ddfense [gl et celebre ses fianqailles avec Lydia, [h] tandis que Colomba' implacable, savoure son triomphe en prdsence du vieux Barricini mourant.
Un rdsumd d'un texte narratif est un texte comme un autre mOme si, comme le note A. Kibedi varga, < le r6cit ne reprfsente jamais /e texte, mais une espdce de r6sum€ mental de celui-ci, et qui risque mQme d'€tre inexact puisqu,il d{pend du choix de celui qui r6sume les €v€nements racont€s dans un texte > (1979 : 380). Le r6sumd choisi nous permet d'acceder ir une fable (ou histoire, terme pr€f6rable d celui de < r6cit >> qu'utilise A. Kibedi Varga) qui semble bien s'appuyer sur un syllogisme sous-jacent : L'homme qui ne d6fend pas son honneur est indigne d'6tre heureux. Or Orso {grice
A
Colomba} a su ddfendre son honneur. (m2 + m3 + m4
Donc Orso est digne d'6tre heureux. (m5
=
(ml = [a] +
[bl)
= [cl' [dl' lel et [fl]
[g] et [hl)
ChezMdrimee comme chez Goethe, les faits ont la transparence sinon d'une < 6quation mathematique ), comme le dit M. Kundera, du moins de cette forme iddale du raisonnement qu'est un syllogisme. Dans de telles conditions, la narration s'appuie sur la logique d'un raisonnement et I'on peut effectivement parler d'un << enchainement, lumineusement Causal, des actes >>. La logique singulidre de la mise en intrigue n'a rien i voir avec la rigueur abstraite des raisonnements materialisds par de tels syllogismes. La < logique >
r 54
Les textes: lypes et prototlpes
Rdcil
narrative est parfaitement cernde par R. Barthes lorsqu'il parle d'elle comme d'une logique trds impure, un semblant de logique, une logique endoxale, li6e d nos faqons de raisonner et pas du tout aux lois du raisonnement formel que les syllogismes pr6c€dents mettaient, eux, en 6vidence : Tout laisse d penser, en effet, que le ressort de I'activit€ narrative est la confusion m€me de la cons€cution et de la consdquence, ce qui vient aprds 6tant lu dans le r6cit comme causd por ; Ie r6cit serait, dans c€ cas, une application syst€matique de l'erreur logique d6noncde par la scolastique sous la f ormule posl hoc, ergo propter hoc 1...1. (1966 : l0)
G. Genette insiste plus nettement encore, avec la notion de << d€terminations r6trogrades >>, sur la fagon dont le r6cit dissimule son arbitraire : < Non pas vraiment I'inddtermination, mais la ddtermination des moyens par les fins, et, pour parler plus brutalement, des causes par les eflets > (1969 : 94). La motivation narrative est une sorte de voile de causalit6 : << La motivation est donc I'apparence et I'alibi causaliste que se donne la d€termination finaliste qui est la rdgle de la fiction :le parce que cbarge de faire oublier le pour quoi ? - et donc de naturaliser, ou de rdaliser (au sens de : faire passer pour r6elle) la fiction en dissimulant ce qu'elle a de concertd, [...] c'est-ir-dire d'artificiel : bref, de fictif > (Genette 1969 : 97). Cet €crasement de la logique et de la temporalit6 est, avant tout, r6alis6 par la < logique > macro-propositionnelle de la mise en intrigue dont rend compte le sch€ma quinaire suivant qui hi€rarchise les relations, autrement simplement chronologiques et lindaires, entre les cinq moments (m) de tout procds d I'int6rieur d'une s€quence (ou d'un texte entier) :
Pn3
Pn Pn5
= [dl + lel = Re-action constitu6e par la fuite = [f] = R6solution amenee par la reconnaissance =
et la capture des trois acteurs. de la l6gitime d6fense comme carac-
tdristique du faire de Pn2. (fianqailles [gl + [h] = 5;1u.1;.n finale qui conjoint les trois actants avec le bonheur d'Orso et de Lydia) et l'honneur {vengeance de Colomba}.
On comprend mieux ainsi la notion de < scansion d'6v€nements l> dont parle U. Eco et la conception aristotdlicienne de ( tout d'une action >. L'op6ration de mise en intrigue repose sur ce dispositif 6l6mentaire qui d6bouche, bien str, sur des possibilit6s de combinaison des s6quences en textes selon trois modes de base que je dftaille ailleurs et qu'illustreront partiellement les analyses textuelles de ce chapitre et du suivant (Adam 1985 :'10-94) : coordonner lindairement des s€quences, les enchAsser-ins6rer les unes dans les autres ou les monter en paralldle (histoires altern€es dont le Conte du Groal deChrEtien de Troyes ou Palmiers ssuvages de Faulkner sont de bons exemples litt6raires et Les dieux sont tombds sur la t€te, le plus amusant exemple filmique)' On comprend aussi que la compilation de faits rang€s par ordre de dates des chroniques, annales, etc., puisse €tre d€clarde non narrative aussi bien par Aristote que par B€rardier de Bataut dans son Essai sur le rdcit de 1776 : dans ce cas on n'assiste pas d une mise en intrigue dominde par I'introduction des deux d6clencheurs constitu6s par la Complication-Pn2 et la R6solutionPn4. C'est par exemple le cas dans cet €nonc6 dont U. Eco note, dans Lector in fabula, qu'il est exclu du nombre des textes narratifs : Hier ie suis sorti de chez moi pour aller prendre le train de 8 h 30 qui arrive Turin d 1O heures. J'ai pris un taxi qui m'a amen6 d la gare, ld j'ai achet6 un billet et je me suis rendu sur le bon quai ; d 8 h 20 je suis mont6 dans
i
le train qui est parti e I'heure et qui m'a conduit
S6quence narrative
55
i
Turin.
Si une telle s6quence linguistique n'est pas un recit, ce n'est pas pour Situation initiale (0rientation)
Complication D6clencheur 1
Pn1
Pn2
{m1}
Actions
R6solution
ou
D6clencheur 2
Situation linale
Evaluation Pn3
(m2) +(m3) +(m4l
Pn4
Pn5 (m5)
L'application de ce sch6ma au r6sumd de Colomba proposd plus haut donne le d6coupage suivant, plus proche de I'ensemble du rdsum€ que le syllogisme : Pn1
= [a] + [bl =
Pn2 =
Bonheur d'Orso et d6shonneur ressenti d'abord par Colomba (d'o0 le mandement) dans une Situation initiale type qui conjoint trois acteurs dans la perspective de deux qu6tes li6es : Orso et Lydia (bonheur vis6), Orso et Colomba (honneur vis6). [cl = Qr5s, bless6 par les Barricini, riposte et les tue : soit un faire transformateur qui peut modifier les pr6dicats de base de Pn 1 en introduisant le malheur et le d6s-
honneur.
i
les raisons pragmatiques envisag€es par U. Eco : << Face quelqu'un qui raconterait une histoire de ce genre, nous nous demanderions pourquoi il nous fait
perdre notre temps en violant la premidre rdgle conversationnelle de Grice, selon laquelle il ne faut pas 0tre plus informatif que ce qui est de rigueur >> (1985 : l4l). Cette loi n'est en rien une loi purement narrative. En fait, si cette ( histoire >> de voyage en train n'est pas un recit, c'est parce qu'elle se contente d'6numdrer une succession d'actes - qui correspondent d un simple script sans mettre les €vdnements en intrigue. Pour distinguer description d'actions et r6cit, disons que la description d'actions (dont il sera question d la fin du chapitre 3) n'est pas soumise au critdre de mise en intrigue (E). Ajoutons que I'Orientation-Pnl, en fixant la situation initiale du r6cit, 6tablit surtout les 6l6ments constitutifs du < monde >> de I'histoire racontde. Comme le note U. Eco : ( Pour raconter, il faut avant tout se construire un monde, le plus meubl6 possible, jusque dans les plus petits d6tails > (1985b : 26). Non seulement les personnages sont contraints d'agir selon les lois de
l tlr
il I
tll
56
Les textes: tlpes et prototypes
Rdcil
ce monde, mais < le narrateur est le prisonnier de ses pr6misses > (l9g5b : 35). c'est dire qu'une logique du monde repr€sent6 vient se superposer d la logique de Ia mise en intrigue. cette logique du monde repr6sent6 se situe, elle, dans la partie gauche du schdma 2 (chapitre l, page 2l), en A,3.
(F). Uye_lvaluation finale (explicite ou implicite) : <,M€me quond._tous.les faits sont dtablis, il reste toujours
le
problime
cette dernidre composante dite << configurante par p. Ricaur la '' suite du philosophe du langage Louis o. Mink est probablement une des cl6s de la sp6cificit6 du r6cit. on la trouve 6galement chez B6rardier de Bataut :
i
-
Il est bien peu de gens qui soient en €tat, par eux-m€mes, de tirer les vdritables conclusions des faits qu'ils lisent. Il faut donc que l'dcrivain suppl6e ir cette incapacit€, pour donner son ouvrage I'utilite qui lui convient. 17lla:321-322,s
:
i
conformdment d ce que dit de la fable le pdre Le Bossu dans son Traitd du poime ipique (1675), B. de Bataut ajoute :
Ce n'est qu'en ayant sans cesse la pens6e du ddnouement devant les yeux que nous pouvons donner d un plan son indispensable physionomie de logique en faisant que tous les incidents, et particulidrement le ton et de causalitd gdn6ral, tendent vers le d€veloppement de l'intention > (1951 : 984). Pour le maitre de la narration fantastique, la premidre de toutes les considdrations est tout naturellement < celle d'un effet d produire > (ibid.) et cette conception de I'effet n'est pas sans cons€quences sur la dimension m0me de I'Guvre : < Si un ouvrage litteraire est trop long pour se laisser lire en une seule s6ance, il faut nous r€signer d nous priver de I'effet prodigieusement important qui r6sulte de I'unit6 d'impression ; car, si deux s€ances sont n6cessaires, les affaires du monde s'interposent, et tout ce que nous appelons I'ensemble, totalit6, se trouve ddtruit du coup D (1951 : 986). Sur la base de toutes ces observations, il devient possible de compl6ter le prototype de la s6quence narrative de base par un moddle int6grant cette de macro-proposition dvaluative finale (ou < morale > PnO) qui donne fagon explicite ou non et, selon les genres narratifs, plus ou moins facilement le sens configuraddductible d partir d'indices d€crypter par le lecteur tionnel de la sdquence.
-
de leur. compr-4hension dons un ucte de jugement qui arriv,e 'd les tenir ensemble ou lieu de les voir en sdrie > (I,link tg69-1970).
-
57
I
i
-
-
Sa partie la plus essentielle est la maxime de morale qu'elle veut insinuer. C'est
lir le fondement qui la soutient. (1776 : 5gl)
on retrouve la mOme id6e chez Lessing qui, dans ses Rdflexions sur la fable, tnit les composantes (E) et (F) dans une ddfinition trds aristotdlicienne ce I'action comme suite de changements qui, pris ensemble, < forment un lout >. Pour Lessing, I'unit6 de I'ensemble provient de I'accord de toutes les parties en vue d'une seule fin : < La fin de la fable, ce pourquoi on l,invente, :'est le principe moral. > claude simon, dans son discours de rdception du \obel, pr6cise dans le mOme sens le processus de fabrication de la fable : Selon le dictionnaire, la premidre acception du mot < fable > est la suivante : < Petit r6cit d'otr I'on tire une moralite >. une objection vient aussitot i I'esprit : c'est qu'en fait le v6ritable processus de fabrication de la fable se d6roule exactement ir I'inverse de ce schdma et qu'au contraire c,est le r6cit qui est tir6 de la moralitd. Pour le fabuliste, il y a d'abord une moralitd [...] et ensuite seulement I'histoire qu'il imagine i titre de d€monstration imag€e, pour illustrer la maxime, le prdcepte ou la these que I'auteur cherche par ce moyen dr rendre plus frap-
pants. (1986:
I I I I I
Situation Complication (R6)Actions R6solution
initiale D6clencheur 1 (Orientation) Pn2 Pn1
ou
Evaluation
Pn3
Ddclencheur
Pn4
2
Situation finale
Morale
PnS
PnO
i I I
i i
16)
Edgar Poe, d propos d'un tout autre genre narratif, aboutissait d6ja e m€me conclusion dans sa < M6thode de composition >> de Lo Gendse d'un todme : < Je puis dire que mon podme avait trouv6 son commencement rar la fin, comme devraient commencer tous les ouvrages d'art [...] > (1951 : 9l). < Un plan quelconque, digne du nom de pran, doit avoir 6t6 ioigneusenent elabor6 en vue du d6nouement, avant que la plume attaque le papier. a
Les 6crivains mettent bien en 6vidence cette compldmentarit6 narrative entre s€quence et configuration. Ainsi Milan Kundera, dans L'Art du roman, parle de < I'art de I'ellipse D comme d'une ndcessit6 qu'il explique en des termes fort proches de ceux d'E.A. Poe : << Imaginez un chiteau si 6norme qu'on ne peut I'embrasser du regard. Imaginez un quatuor qui dure neuf heures. Il y a des limites anthropologiques qu'il ne faut pas ddpasser, les limites de la mdmoire, par exemple. A la fin de votre lecture, vous devez €tre encore en mesure de vous rappeler le commencement. Autrement le roman devient informe, sa "clart6 architectonique" s'embrume > (1986 :94), La structure du r6cit garantit la maitrise de la diversit6 des 6l6ments : assurant la coh6sion, elle permet la mdmorisation comme la lisibilitd des 6nonc6s.
Prenons I'exemple d'un r6cit d'une bridvet6 extr€me
-
l2l
: ll
IL FAUT FAIRE SIGNE
AU MACHINISTE
l.
l
f 58
Les
textes: tlpes et protolypes
Ricit
La dame attendait I'autobus Le monsieur attendait l'autobus
passe un chien noir qui boitait la dame regarde le chien le monsieur regarde le chien et pendant ce temps-ld l'autobus passa Raymond Oueneau, Courir les rues, @ 6d. Gallimard, 1967. Ce petit texte pr6sente I'intdr€t de ne pas respecter tout d fait I'ordre canonique des macro-propositions. Le titre correspond, en effet, i une anticipation de l'dvaluation finale-Pno qui suit habituellement la situation finale-pnS. cette dernidre n'est pas explicitement fournie, mais donn6e ir d€river i partir des informations pr€cddentes : bus dgalement manqu6 par le monsieur et par la dame, soit un retour ir la situation de d6part (t + n [Pn5] = t [pnl]). Les deux premiers vers d€finissent la Situation initiale (Orientation-pnl) ; le vers 3 introduit le d6clencheur du r6cit (Complication Pn2) ; les vers 4 et 5
correspondent
i
la (r6)action centrale (Pn3) et le dernier vers au second d6clen-
cheur ou R6solution-Pn4.
Il est intdressant de comparer ce petit recit avec ce que dit Lessing lorsqu,il montre qu'une suite de personnages un coq de bruydre (Sl) + une martre (S2) + un renard (S3) + un loup (S4) - ne fait pas une fable. Une succession dv6nementielle de ce type, ou m6me, comme I'envisage Lessing : << La martre ddvora le coq de bruydre, le renard ddvora la martre, le loup ddvora le renard >, ne suffit pas - quoi qu'il en dise d transformer le principe moral en fable. L'importance du pass6 simple est -tout d fait r6elle et 6galement mise en avant par le dernier mot du petit recit de Queneau : derridre ce temps narratif se profile le d€placement de la succession temporelle (A) vers la causalitd narrative de la mise en intrigue (E). Mais, pour qu'il y ait r6cit, il faut passer du plan de la succession dvdnementielle d celui de la < configuration >, il faut pouvoir ddpasser I'absence d'acteur constant. L'unit€ est ici assur6e par le principe moral : < Le plus faible est la proie d6sign6e du plus fort > qui pose clairement deux acteurs charg6s d'assurer le lien, en profondeur, des propositions : Slle plus fort et S2-le plus faible, mais on ne peut parler d'un pro:ds transformationnel articuld autour des deux d€clencheurs (Pn2 et pn4) qui rssurent le passage d'une situation initiale d une situation finale. Pour 6crire un r6cit et ddpasser la simple description d'actions, il faudrait, par exemple, imaginer un procds qui mette face d face le plus fort (le Loup) et le plus faible il'Agneau) pour aboutir d I'intrigue de la fable de La Fontaine dont je ddtaille .'analyse plus loin. Les six critdres envisagds peuvent €tre r€unis dans le schdma de synthdse ;uivant
:
59
Unit6 th6matique (B) [Sujet] Succession 6v6nementielle (A) Pr6dicats {C}
:
:
t[m1l (Sl X, X'...
Procls (D)
[m2-m3-m4]
+ n[m5]
(sl Y, Y'...
Transformation
tll ttt n Morale >-Evaluation finale
t
Causalit6 narrative (El [Pn2 et Pn4j
{F}
lPnol
2. Pragmatique du r6cit Trois rdgles pragmatiques ont 6t6 6dict6es par Cic6ron et reprises, par exemple, dans I'article < Rdcit >> del'Encyclopddie : rdgles de concision (loi d'6conomie), de clartd et de vroisemblance. Les ouvrages classiques ajoutent g6ndralement une loi toute pragmatique d'intdrdt : < La narration sera int6ressante, si l'orateur, qui parle pour €tre 6cout6, et I'auteur, qui 6crit pour €tre lu, savent attacher I'auditeur ou le lecteur, soit en I'amusant, soit en I'instruisant, soit en le touchant, c'est-d-dire en parlant i son imagination, i son intelligence ou i son ceur. ) On peut se poser des questions sur ces quatre principes. Si le vraisemblable et la clart6 semblent unanimement prescrits pour former un bon r6cit, I'int6r6t ne s'accorde pas toujours avec la loi d'6cono-
mie classique. En t6moignent, par exemple, ces remarques de Michel D6on dans Un taxi muuve. A propos des histoires racont6es par le personnage central' le narrateur note d'abord qu'elles respectent la rdgle de vraisemblance : ( Dans les histoires de Taubelman [...] il y a une part de v6ritd qui les'rend plausibles > (1973 : 160), mais, ajoute-t-il un peu plus loin: << [...] Je n'ai pas le talent d'dcrivain qui me permettrait de restituer (ou mieux de r6inventer) dans sa richesse et son intdgralit6 une histoire de Taubelman. Celle-li dura prds d'une heure avec des incidentes, des redites, un dpoustouflant vocabulaire. Au contraire des autres qui clochaient par trop, j'eus tendance d la croire vraie, enfin plausible )) (1973 : 286). Dans un recueil de nouvelles intituld Ni Ies ailes ni le bec, Franqois Conod va dans le m€me sens que D6on. Aprds avoir racont6 une histoire en quelques lignes, il ajoute : Quoi ? D€jd fini ? Dominique, qui racontait tellement mieux que moi, nous aurait tenus en haleine pendant des heures avec son histoire de Titanic. Alors que moi, je la liquide [...] i toute allure, je la torpille [...], comme pour m'en d€barrasser au plus vite, comme si elle me br0lait les ldvres, ou les doigts quand j'6cris. (1987 l 56)
:
f t0
Les textes: types et
prototlpes
Il commente ainsi la troisidme histoire qu'il vient aussi d'exp6dier en une lemi-page
sante )), d6crire la petite boite ronde sur le couvercle de laquelle s'6talait, en diagonale (les boites rondes ont-elles une diagonale ?), en anglaises mauves, la griffe des seurs Frangin. Et puis incorporer ir la pdte de mots mdtaphores et comparaisons, qui sont la graisse du langage [...]. Dominique aurait tenu la soiree entidre, aurait bdti tout un roman. Moi, je n'arrive m€me pas ir en tirer une nouvelle. Impuissance ? Sterilitd ? R6pugnance plut6t d pdtrir la pdte des mots [...]. Mais moi, quand je triture la pdte des mots, qa me fait l,effet inverse de ta pdte amaigrissante des seurs Frangin : contrairement ir ce qui se passait quand c'€tait Dominique qui racontait, plus je mets de pommade, plus mon texte enfle inutilement.
:
157-158)
Comme le montre le << principe dialogiquer >>, la structure narrative d aquelle s'attachent les grammaires de r6cit n'est que superficiellement homo;dne : < Les 6nonc6s longuement d6velopp6s et bien qu'ils 6manent d'un interocuteur unique [...] sont monologiques par leur seule forme ext6rieure, mais, rar leur structure s€mantique et stylistique, ils sont en fait essentiellement diaogiques > (Bakhtine traduit in Todorov l98l : 292). Comment la structure lu r6cit intdgre-t-elle ce principe dialogique ? C'est un des points auxquels rne narratologie linguistique doit s'efforcer de r6pondre. La thdse linguistique de base du principe dialogique est la suivante : r Tout discours est dirigd sur une r6ponse, et ne peut dchapper d I'influence rrofonde du discours-rdplique pr€vu > (Bakhtine-Volochinov 1977 : 103). \utre formulation, dans la traduction de T. Todorov : < Tout 6nonc6 exige, rour qu'il se r6alise, d la fois la prdsence d'un locuteur et d'un auditeur. [...] 'oute expression linguistique, donc, est toujours orient6e vers l,autre, vers 'auditeur, mOme si cet autre est physiquement absent > (1981 : 292). Les ons6quences de cette prise en compte du destinataire (co-6nonciateur, en fait)
rdcit sont considdrables pour la narratologie. on trouve chez Bakhtine les ermes de ce que W. Labov et J. Waletzky (1967, l9T2) th6oriseront autour .es propositions 6valuatives : < Ainsi, tout 6nonc6 (discours, conf6rence, etc.) st congu en fonction d'un auditeur, c'est-i-dire de sa comprdhension et de a r6ponse non pas sa rdponse imm6diate, bien s0r, car il ne faut pas interompre un orateur ou un conf6rencier par des remarques personnelles ; mais ussi en fonction de son accord, de son d6saccord, ou, pour le dire autre.u
-
rent, de la perception €valuative de I'auditeur, bref, en fonction de l',,audirire de l'6nonc6" > (Todorov l98l :292). La narratologie moderne a mis un certain temps d tenir compte de ces ypothdses qui font dclater la belle unit6 monologique du r6cit. C'est dans Voir ir ce sujet T. Todorov
1981.
6l
cette perspective que W. Labov met I'accent sur un fait pragmatique fort int6-
ressant
:
Zlt, j'ai ddjd tout dit. Il aurait fallu parler longuement de la < pdte amaigris-
(1987
Rdcit
:
Il y a bien des fagons de raconter la m€me histoire, et on peut lui faire dire des choses fort diff6rentes, ou rien du tout. L'histoire qui ne dit rien s'attire une remarque m€prisante : < Et alors ? ) Cette question, le bon narrateur parvient toujours d l'€viter, il sait la rendre impensable. Il sait faire en sorte que, son r€cit termin6, la seule remarque appropri6e soit : < Vraiment ? ) ou toute autre expression apte ir souligner le caractdre memorable des dvdnements rapportes. (1978 : 303) Le meilleur exemple litt6raire de ce genre de sanction nous est fourni par ce r6cit de l'acte IV des Justes de Camus :
{@ Kaliayev
[1] : ll ne faut pas dire cela, frdre. Dieu ne peut rien. La justice est notre affaire | (Un silence.) Tu ne comprends pas ? Connais-tu la l6gende de saint Dmitri ?
Fokalll:Non. Kaliayev [2] : [a] ll avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-m0me, et il se h6tait [b] lorsqu'il rencontra un paysan [c] dont la voiture 6tait embourb6e. [d] Alors saint Dmitri l'aida. [e] La boue 6tait 6paisse, la fondridre profonde. [f] ll fallut batailler pendant une heure. [g] Et quand ce fut fini, [h] saint Dmitri courut au rendez-vous. [i] Mais Dieu n'6tait plus lir. Foka [2]: Et alors ? Kaliayev [3] : Et alors il y a ceux qui arriveront toujours en retard au rendezvous parce qu'il y a trop de frdres d secourir. Le fait que le rdcit alldgorique ne permette pas ir I'auditeur (Foka) d'interpr6ter correctement la < maxime de morale > implicite oblige le narrateur d formuler explicitement une 6valuation finale sous forme de << Morale >. On peut dire que la sanction du < Et alors ? > manifeste la mauvaise anticipation par le narrateur des possibilit€s interpr6tatives de son auditeur. Soulignons que ce recit, extremement concis, est totalement ddpourvu d'dvaluations susceptibles de pr€parer I'interpr6tation finale. Le respect outrancier de la loi d'6conomie est certainement responsable des difficultds de comprdhension de Foka. Cet exemple contraste avec le r6cit d'un bavard que I'on trouve dans Belle du seigneur d'Albert Cohen. Dans ce texte, les mouvements d'anticipation des rdactions de I'auditeur, la fagon d'adjoindre au corps du r6cit tout un ensemble de propositions clescriptives et 6valuatives suspendent le cours des 6v6nements et contrastent avec l'dconomie excessive du r€cit des Justes ou I'impuissance du narrateur de Ni /es ailes ni le bec. Avec l'approche pragmatique et textuelle, le changement de cap de la narratologie a lieu dans une double direction : en direction du langage ordinaire et non plus de la seule narration litt6raire, d'une part, en direction de la non-homog€ndit€ du r€cit, de ce que j'appellerai son orientation
F
62
Ricit
Les textes: types el prototypes
argumentative, d'autre part. La narratologie qu'inaugurent Labov et waletzky et que prolongent les travaux amdricains de sacks et Jefferson et, en Allemagne, d'Uta Quastoff consiste d d6crire des textes domin6s par une atti-
-
tude langagidre fondde -sur I'appel d I'activit€ du ou des partenaire(s) de I'interaction. soit un glissement des prdoccupations du plan de Ia normalitd formelle - de la cl6ture structurale, ri6e d un genre (le conte merveilleux 6crit) au plan de I'interaction langagidre en situation - causalit6 interactive toujours sous-jacente et parfois dominante. ces deux composantes ne sont en rien s6parables et il faut absolument penser le r€cit comme Ie produit d'une construction textuelle (plan de sa structure s6quentielle propre) et d'une orientation pragmatique (pian de I'interaction langagidre). c'est dans ce sens que s'engagent le Lector in fabula d'Umberto Eco (1979), qui constitue le premier essai de pragmatique textuelle
appliqude au rdcit, et, d'une certaine manidre, la r€flexion de p. Riceur dans les trois volumes de Temps et rdcit. La triple mimesis de p. Riceur approche, en effet, une grande partie de I'objet m€me de la pragmatique textuelle d'U. Eco : < Etudier comment le texte (une fois proouit;-est lu Lt comment toute description de la structure du texte doit, en mOme temps, €tre la description des mouvements de lecture qu'il impose > (Eco l9g5 : l0). La premiire mimesis ou plan de la prdfiguration situ€e en amont de la textualitd est celle de I'intrigue comme composition d,actions enraci-
-
-
n€es dans du pr€construit. M€moire de ce que le texte prend en charge et tente de rendre intelligible, elle marque I'ancrage de la composition narrative
dans la compr6hension pratique du lecteur. En effet : << Imiter ou reprdsenter I'action, c'est d'abord pr6-comprendre ce qu'il en est de I'agir humain : de sa s€mantique, de sa symbolique, de sa temporalit€. c'est sur cette pr6compr€hension, commune au podte et i son lecteur, que s'enldve Ia mise en intrigue et, avec elle, la mimesis textuelle et litt€raire > (Riccur l9g3 : 100). La deuxiime mimesis, pton de lo succession et de la configuration, est le < pivot de I'analyse > (Riceur 1983 : 86). on peut la ddfiniicomme une activitd productrice d'intrigue qui consiste d prendre ensemble une succession d'actions pour en faire un tout organis6 ayant un commencement et une fin. Comme mddiation, le moment de l'op6ration configurative fait d'6v6nements individuels une histoire, il compose en un tout des facteurs hdterogcnes. En d'autres termes, la mise en intrigue permet de rassembler une succession d'6v6nements en un tout signifiant faisant < figure >>, dot6 d'un lommencement et d'une fin, et susceptible d'€tre suivi par qui lit ou entend l'< histoire >. ce plan est, bien sfir, celui qui nous int€resse le plus directement ici. La troisieme mimesis ou plan de la refiguration, avaldu texte, ( marque L'intersection du monde du texte et du monde de I'auditeur ou du lecteur. L'intersection, donc, du monde configurd [.. .] et du monde dans lequel I'action :ffective se deploie et deploie sa temporalit6 spdcifique > (Riceur issl , t09).
63
Ce moment oir le lecteur s'approprie le monde de I'euvre se trouve encore dans l'euvre elle-mOme. En d'autres termes, I'effet produit par le texte, cette << reconfiguration > de I'expdrience du lecteur que la lecture effectue, n'est pas ext€rieur au texte lui-m6me et sa signification. Riceur oppose r€cit historique et rdcit fictionnel partir de la pr6tention d la v6ritd par laquelle se ddfinit la troisidme relation mim6tique (1984 : l2). Soulignons au passage que c'est bien I'objet de la dernidre [3] r6plique du narrateur des Justes que de donner le sens du r6cit configur6 en explicitant I'intersection du monde du r€cit et du monde dans lequel se ddroule l'6change entre Kaliayev et Foka. C'est < dans I'auditeur ou dans le lecteur >, souligne encore Riceur, que << s'achdve le parcours de la mimesis >>, < I'activite mimetique ne trouve pas le terme vis€ par son dynamisme dans le seul texte podtique, mais dans le spectateur ou le lecteur > (1983 : 77). Le triple aspect de l'activit€ mimdtique permet de souligner l'importance de la mimesis 2, lieu de passage d'un amont (m6moire) un aval (attente) du texte. Ceci d€bouche sur un heureux refus de I'enfermement dans la < cl6ture > (structurale) du texte. Mais, en contrepartie, si une place importante est accordde au lecteur (point d'articulation entre mimesis 2 et mimesis 3), Riceur ndglige son sym€trique entre mimesis I et mimesis 2 : le producteur du r6cit. Enfin, les limites de ces propositions apparaissent dans Ie privildge accord€ I'art narratif : P. Ricaur place le r6cit ordinaire dans la mimesis I ( I 984 : 230 et 37) et ne situe dans la mimesis 2 que les grandes euvres l6gitim6es et valoris6es par I'institution litt6raire. Pour 6viter une telle limitation, examinons i prdsent comment des textes trds differents actualisent le prototype de la s€quence narrative ddfini plus haut. J'emprunte volontairement mes exemples d des genres assez divers : thddtre, roman et fable en ajoutant, en guise d'exercices, une anecdote et un r6cit de presse.
i
i
i
i
3. Analyses sequentielles 3.1. Albert Camus : complexitd sdquentielle d'un rdcit bref
'
Le r6cit (3), tir6 des Justes d'Albert Camus, pr6sente I'immense avantage de permettre d'expliciter la structure intratextuelle d'un monologue narratif (sa (( syntaxe narrative >) et son insertion dans le cotexte conversationnel d'une pidce de th€itre (sa << syntaxe dramatique > dont il sera plus amplement question au chapitre 7). De plus, sa structure interne, malgr€ sa bridvetd, est une structure plus complexe que celle des exemples prdc€dents avec deux procds enchAss6s. J'insiste sur cet exemple parce que Harald Weinrich, qui I'examine dans Le Temps (1973 : I l2-l 15) en adoptant un point de vue de linguistique
l.
Lapresentedtudecompldteetaffinecellequejeproposais,enl9S5,dansLeTextenarrotif
(pages 163-167).
I 64
Les texles: types et prototypes
Rdcit
Responsable de I'action contraire au premier procds, la s6quence centrale (Sn2) peut 6tre ainsi d€crite :
textuelle, n'entre pas du tout dans le d6tail de la structure textuelle et utilise des catdgories de description du rdcit beaucoup trop dl€mentaires. Le seul point qui me semble bien vu par H. Weinrich a trait au passage du monde de la ldgende au monde de I'interaction (traduit maladroitement par le terme < monde commentd >). Je cite ce qui me parait fort bien situer la nature des macropropositions Pnl et Pn5 ainsi que la nature du passage de Pn5 d PnO (c'est moi qui ajoute ces 6l6ments dans le texte de Weinrich, bien s0r) :
Pnl' - [c] = Situation initiale (donr + imparfaitl. Pn2' - [d] = Complication (alors + pass6 simple]. Pn3' - [e] = Evaluation centrale (imparfait]. Pna' - [f] = R6solution (pass6 simple). Pns' - [g] = Situation finale (et quand ce fut finil. Des organisateurs ponctuent les transitions entre les m€mes macropropositions des deux sdquences: Pnl - LoRSeuE - Pn2 et pnl'- eLoRS Pn2' , Pn4'- ET eUAND - Pn5' et Pn4 - MArs - Pn5. L'emploi de la troisidme personne, I'alternance de I'imparfait et du passd simple sont, eux aussi, significatifs : ils renvoient d une 6nonciation distancide (historique). La proposition Pn5' au passd simple souligne, avec I'anaphorique cE, la reprise de la premidre sequence, un moment interrompue. cette description intratextuelle du monologue de Kaliayev confirme bien sa nature narrative, mais elle n'est pas suffisante. La narratologie poststructuraliste nous a permis de comprendre et de th6oriser la n6cessit6 d'interprdter le r6cit dans le cadre interactif oir il apparait. La rdplique (2) de Foka (< Et alors ? >) prouve que Kaliayev, le narrateur-r6citant, a mal 6valu6 les capacites de son interlocuteur. Le contrat initial n'est que partiellement rempli et il faut, pour comprendre ce qui se passe, remonter au dialogue qui amdne le monologue narratif. L'6nonc6 r6futatif qui ouvre I'intervention de Kaliayev est directement li6 i la pr6c€dente r6plique. Son assertion : << Dieu ne peut rien. La justice est notre affaire ! > laisse Foka muet, comme la didascalie (<< un silence >>) le souligne. Prenant conscience de cet 6cart et de cette incompr6hension, Kaliayev envisage alors de raconter la ldgende de saint Dmitri, elle aussi inconnue de son interlocuteur. Un double savoir doit donc €tre mis en place par Kaliayev : connaissance de la ldgende et interpr6tation de sa pertinence dans le contexte prdsent (sur le moddle classique d'interpr6tation de la parabole). Le << Et alors ? > de Foka porte bien sur la pertinence ici-maintenant
Introduction [Pnl] et conclusion [Pn5] repr6sentent bien plus que les premidres qui, du point de vue de la technique narrative, assurent des fonctions bien pr6cises. L'introet dernidres phrases du texte ; ce sont pleinement des parties du r6cit
duction [Pnl] sert d'exposition elle pr€sente le monde qui va €tre racont€ et invite le lecteur (ou I'auditeur) i p6ndtrer dans cet univers €tranger. La conclusion [Pn5] referme ce monde myst6rieux du r6cit oi un mortel peut avoir rendez-vous avec Dieu. Elle nous conduit vers la morale [PnO] de la l€gende, en plein domaine du monde comment€. Nous voici ramen€s de ce monde €tranger vers notre monde quotidien. C'en est bien fini des rendez-vous avec Dieu ; en revanche, th€ologie et morale y ont leur place : la l6gende va pouvoir Otre comment€e. Ce sont donc deux fonctions qualitativement diff€rentes du r€cit lui m€me ; elles marquent la frontidre entre monde comment€ et monde raconte. Elles enserrent le corps narratif proprement dit oir se fait la progression du r6cit. (1973 : ll4)
Concentrons, dans un premier temps, I'analyse sur le bloc narratif homogdne que constitue la deuxidme r6plique de Kaliayev. L'examen des prddicats de la situation finale (i) permet d'identifier,
d. rebours, ceux de la situation procis + lnoyau narratif ou procds proprement ditl + rendez-vous manqui-aprds le procis. Si I'on examine de prds la proposition (a) (la plus longue et la plus complexe du r€cit), on constate qu'elle met en place un conflit entre deux procds : rencontrer Dieu (a) etlou aider un paysan (b et c). Tout le texte tourne autour de la tension entre deux choix : opter pour I'absolu (rencontrer Dieu) ou pour une conduite de bon Samaritain prescrite par la loi religieuse elle-meme. La rencontre du paysan,
initiale : rendez-vous projetd-avant
le
soulign€e par le passd simple et le marqueur d'6v6nement LoRSQUE, devient ici un obstacle (macro-proposition Complication-Pn2) dans la marche du saint
de cette histoire. Le d€clenchement d'une explication s'impose : Kaliayev expli-
cite donc la < morale >> de son r6cit. Le choix des temps (pr6sent et futur) ainsi que I'utilisation de termes universels (<< ceux qui, frdres >>) soulignent le passage du monde du r6cit (de la l€gende) i celui de I'interaction en cours. Le monologue narratif thditral - dont il sera de nouveau question au chapitre 7 comporte donc, comme tout r€cit oral, deux macro-propositions - : une Entrde-prdface-PnO (<< connais-tu la l6gende ?... >) et qui I'encadrent une Evaluation finale-Pno. L'une permet de passer du monde actuel de l'dchange au monde de la l€gende, I'autre d'accomplir le trajet inverse. En mentionnant d'autres variantes d'ouverture (le Rdsumd) et de fermeture (la simple Chute [< Et voild >] ou la Coda), on aboutit i un moddle - ou prototype du r6cit €l€mentaire complet :
vers son Dieu. Une analyse linguistique attentive aux marques permet de d6crire ce petit r6cit comme une s6quence comportant I'enchdssement d'une autre sdquence dans la macro-proposition centrale (Pn3-(R6)action) du premier niveau. La premidre s6quence narrative (Snl) est constituee d'une suite de macropropositions narratives : Pn1 Pn2 Pn3 Pna Pns
-
65
[a] [bl
= Situation initiale-Orientation, verbes a l'imparfait. = Complication (ddclencheur du procds) llorsquelet verbe au pass6 simple. a [c] [s] = R€-action [ici s6quence ench6ssde Sn2, d6taill6e ci-dessous]. = R6solution tentde, verbe au pass6 simple. [hl = Situation finale, verbe ir l'imparfait. [i]
-
\
66
Les
Rdcil
texles: tYqes et Protollqes
67
splendide, Gobelins, et catera. Lui donc, imposant devant son bureau grand style. un visage de marbre, le regard pdndtrant, [d] et alors tout a coup un sourire. Je t'assure que j'ai eu le coup de foudre, il a un charme fou. Oh, je sens que je me jetterais au feu pour un type comme ga ! [e] Donc, le sou-
Recit
rire et puis silence, mais un silence d'une dur6e, peut-etre deux minutes
pourpoint si j'ai quelque chose i lui dire. [h] Moi €tonn6 je lui dis naturellement que non. [i] Alors, il me dit que c'est bien ce qu'il pensait. A vrai dire, je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire par ld, mais ga n'a pas d'importance. [j] Alors moi, pas bdte, avec une prdsence d'esprit peu ordinaire, tu voudras bien le reconnaitre, je saisis l'occasion par les cheveux et je dis qu'en somme j'ai bien quelque chose A lui dire, et c'est que je suis heureux de l'occasion qui m'est offerte de lui dire toute la joie que j'6prouve i servir sous ses ordres - quoique de loin, ajout6-je finement, tu comprends l'allusion au truc de faire partie de son cabinet ? Bret, du joli baratin. [k] Li-dessus on parle de choses et autres, politique internationale, dernier discours de Briand, moi disant chaque fois mon mot, bref conversation. Et conversation dans son bureau somptueux, devant les Gobelins, donc conversation d'6gal A 6gal, mondaine en quelque sorte. fl Bon, mais attends. c'est pas fini, il y a mieux. [m] lmagine-toi que brusquement il prend une feuille et il 6crit dessus, moi je regarde du c6t6 de la fen€tre pour n'avoir pas I'air indiscret. Et alors, il me passe la feuille. Elle 6tait adressde A la section administrative ! Tu sais ce qu'il y avait dessus ? Eh bien, je vais te le dire. Ma promotion ! (ll respira largement, ferma les yeux, les rouvrit, ralluma sa pipe pour d6glutir un ddbut de sanglot, tira plusieurs bouff6es pour rester viril et lutter contre les spasmes des ldvres en 6moi.) [n] Bref, par d6cision du secr6taire g6n€ral, monsieur Adrien Deume promu membre de section A A dater du premier juin ! Voild ! ll me reprend la feuille, il la signe et il la lance dans la boite des sorties ! Pour moi, il n'a m€me pas consultd Sir John ! Bref. choix direct, procddure exceptionnelle ! [o] Alors qu'est-ce que tu en dis ? ' - C'est magnifique. - Je te crois que c'est magnifique I Tu te rends compte, bombard6 A tout
passage de la Bakhtine avait rep€re l'existence de ces marques de conversation au rdcit :
Cesont,eneffet,despropositionsd'<
oi
s'accomplit I'alternance (la reldve)
!
Je t'avoue que je n'6tais pas tout d fait d mon aise, mais quoi, je ne pouvais pas parler du moment qu'il refl6chissait, [f] bref, j'attendais. [g] Et puis tout d coup quelque chose de pas ordinaire. lmagine-toi qu'il me demande d br0le-
des
OnverraauchapitreT,d,lalumidredefaitsidentifi€sparJacquesSch6-
pr€pare g6n6-
rer dans la dramaturgie classique, qu'un ensemble de r6pliques €galement par ralement le r6cit non seulement par une Entr6e-pr6face mais elles sont Iivaluations. des Quand un R6sum6. Le r6cit peut aussi comporter d mainou r6cit du I'issue signaler i le fait du recitant, celles-ci sont destinees en proc€dure explique cette de L'absence tenir I'attention de l'interlocuteur. pr6pad destin€es 6valuations des introduisant : en p".ii. t'e.h"c de Kaliayev ? >>' ier I'interprdtation de son r6cit, il aurait €vit€ le fatidique << Et alors de que Bataut B' On voit que le rdcit peut etre pr€c6d€ de ces pr€ambules
jugeait maladroits et q;'on upp"tt. aujourd'hui R6sum6 et Entree-preface quelque chose de bien plus singuip""Ol , < Je vais bien vtus faire rire ; voici qu'il peut n'imagineriez jamais ce que je vais vous dire. > Ajoutons ii.. ;'uou,
(au thedtre par exem€tre suivi, dans le cas d'une inscription dans un 6change la conversation pr6alad ple), aussi bien par une chute qui ."tque le retour dans le bref exemple ainsi va bien tl"'qu" par une Evaluation finate (pnO). Il en
(5)' (Z) ainsi que dans la plus complexe fable de La Fontaine
d'un coup ! [...]
3.2. Albert Cohen : le rdcit d'un bavard
Albert Cohen, Belle du seigneur, @ 6d. Gallimard, 1968 : 9O-91.
(4)
-
A, rePrit-il. Ou'Y a-t-il ? Tu te sens mal
?
-MembredesectionA,expliqua-t-ild'unevoixdtrangl€e'Non'pasici' pas dans l'ascenseur. Dans mon bureau, dans l'intimitd'
_[a]Ehbien,voilir,commenga-t-il,cal6danssonfauteuilettirantsursa
Mais pipe pour lutter conire l'emotion, voilir, c,est un vrai conte de f6es. [b]
ilfautqueieteracontebientoutdepuislecommencement.(lls,entourade fum6e.Nepaspleurer,6trelevainqueurinsensible.Nepastroplaregarder carl.admirationqu,illiraitdanssesyeuxrisqueraitdefairemonterlessan. glots tout pr€ts dans son diaphragme') [c] Donc' i'entre' cabinet ultra-
A la diff6rence du rdcit de Camus, ce long passage de Betle du seigneur est satur6 de digressions 6valuatives du personnage-narrateur et de parenthEses commentatives du narrateur-auteur. Il peut toutefois €tre divis6 en deux s€quences, selon la m€me proc6dure d'enchissement que pour le texte des -Iusles de Camus. Faute de place, je me contente de d6tailler le ddcoupage narraque je propose et dont le mouvement permet de mettre en 6vidence la strat6gie narrative d'un personnage bavard et pretentieux qui croit apprendre d sa femme ce qu'elle sait d6jd et qui ignore que celle-ci est, en fait, entidrement responsable de sa subite promotion :
tif
68 PnO
Les textes
-
Pn1 enZ Pn3
:
Ricit
types et protolYqes
prise [al = R6sum6 (interrompu par une parenthese d6crivant les conditions de la
Ibl =
de parole narrative) qui annonce le caractdre extraordinaire du r6cit d venir' Entr6e-pr6face (plus une parenthdse sur les conditions de l'acte de narrationl'
[cl = Situation initiale-Orientation introduite par un DoNc phatique' [aj = Complication introduite tres classiquement par le d6clencheur narratif
-
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frdre. Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens Car vous ne m'dpargnez gudre,
€r
o
ALORS TOUT A COUP.
= [s6quence ench6ss6e Sn2l A partir de [e] < Donc le sourire
"
l'"'i;"'ii
T'?;J;
69
;
;:#"' ;T?';r"
Ld-dessus, au fond des for6ts Le Loup I'emporte, et puis le mange. Sans autre forme de procds. La Fontaine, Fables, Livre premier, X.
>
Pn1'- [f] = Situation initiale; ( 8REF, i'attendais D. pn2'- [g] = Complicationintroduiteparled6clencheurnarratif ETPUlsrourAcouP. fn3' - fnj et [i] = R6-action sous forme de paroles des deux interlocuteurs et 6valuation.
pna'
- [jl = Longue proposition
pns'
-
pr6sent6e comme Rdsolution par le narrateur, introduite par ALoRs et fermee par le marqueur de reformulation
[kl
=
conclusive gner. Situation finale de la s6quence insdr6e et retour [l] de cette s6quence A celle de premier niveau : l'auditrice pourrait croire le r6cit achev6 alors qu'il ne s'agit que de I'achdvement de la s6quence enchass6e (<
PnO Pn4 PnS
c'est Pas fini >)'
[ml= R6solution marqu6e par I'adverbe BRUSoUEMENT' [nl = Situation finale soulign6e par vollA et SREF. [o] = Evaluation finale dialogu6e.
3.3. Hdtdrogdn6itd compositionnelle d'une fable de La Fontaine
(5)
LE LouP
Er L'AGNEAU
La raison du plus fort est toujours la meilleure
:
Nous l'allons montrer tout d l'heure. Un Agneau se d6salt6roit Dans le courant d'une onde Pure; Un Loup survient d jeun, qui cherchoit aventure, Et que la faim en ces lieux attiroit. te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Oui Dit cet animal plein de rage : Tu seras ch6ti6 de ta t6merit6. l'Agneau, que Votre Majest6 - Sire, r6pond Ne se mette pas en coldre ; Mais plutOt qu'elle considdre Que je me vas desalterant Dans le courant Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ; Et que par cons6quent, en aucune fa9on, Je ne puis troubler sa boisson. reprit cette b€te cruelle ; Tu - je la troubles, Et sais que de moi tu mddis l'an pass6. l'aurois-je fait si ie n'6tois pas n6 ? - Comment Reprit l'Agneau, je tdte encor ma mere.
La complexit6 de la structure de cette fable cdldbre embarrasse beaucoup les commentateurs. Le premier vers fournit, par anticipation, la Morale-pno tandis que le second vers correspond d une exemplaire Entr€e-pr6face-pn0. Le choix des temps verbaux confirme le fait que ces deux macro-propositions sont, en quelque sorte, ext€rieures au rdcit proprement dit : pr6sent de v6rit6 g6n6rale renforcd par < toujours )), pour le premier vers, futur proche pour le second qui annonce le r6cit i venir. La segmentation (blanc mrqud entre ces deux vers et le corps du r6cit) souligne typographiquement la s6paration cies deux < mondes >>. Les vers 3 et 4 mettent en place un premier acteur (Sl,l'Agneau), cette macro-proposition d I'imparfait a la valeur descriptive caractdristique des d6buts de r6cit : fixer le cadre (ici uniquement spatial) de la Situation initiale-pn I . Le d6but du procds est soulign6, au d6but du vers 5, par le prdsent de narration qui introduit le second acteur (s2, le Loup) et une motivation importante pour la suite (< d jeun >), motivation renforcde par les deux propositions descriptives (suite du vers 5 et vers 6) d I'imparfait. on peut consid6rer ces deux vers comme la complication-Pn2 du r6cit : la relation potentielle [S2 - manger Sl] 6tant construite spontandment par le lecteur sur la base de ses savoirs encyclop6diques (histoires de loups peuplant notre imaginaire). L'intrigue ouverte par pn2 est la suivante : la faim de 32 sera-t-elle satisfaite et Sl restera-t-il ou non en vie ? ces deux questions sont intimement li6es : la d6gradation de sl (Etre d6vor6) constituant une amdlioration pour s2 (ne plus Otre d jeun), la d€gradation pour 52 (€tre toujours affam6) entrainant une am6lioration pour Sl (rester en vie). Sym€triquement d Pn2, les vers 27 iL29 constituent la R6solution-pn4 qui met fin au procds. ces vers sont constituds de deux propositions narratives (vers 27 et d5but de 28, d'une part, suite du vers 28, d'autre part) qui ont pour agent Sl et pour patient 52, les pr6dicats /emporter/ et /manger/ sont compl6t6s par une localisation spatiale : < au fond des bois >. Le vers 29 peut 6tre consid6r6 comme une proposition 6valuative de Pn4. conform6ment au moddle pos6 plus haut, on peut dire qu'une Situation finale Pn5 (elliptique ici) est ais6ment d6duite de Pn4, une fin qui inverse le prddicat initial [Sl vivant] en [Sl mortl. Avec Pn4, le manque (faim de 52) introduit en pn2 comme d6clencheurComplication se trouve rdsolu conformdment aux attentes. Reste l'ensemble des vers 7 d 26 qui apparait comme s€quentiellement hdt€rogdne au reste narratif du texte. on peut parler ici d'un dialogue
-
-
70
Les textes
:
Ricit
lypes et Prototpes
ins6r6 dans le r6cit ou d'un r6cit construit autour d'un dialogue, conform6ment au genre narratif choisi : la fable. Je propose de consid6rer ce dialogue comme une transformation de I'Action-Pn3 en dire(s), en un conflit de paroles. Si la longueur de ce d6veloppement tranche par rapport au reste du r€cit, ce qui tranche aussi, c'est Son inutilitd : les vingt vers Se resument en une macroproposition Pn3 qui n'influe pas du tout sur le cours des 6v6nements que Pn2 laissait pr6voir. C'est pr6cisdment ce d{sdquilibre qui explique la teneur de auquel sera la morale. Sans analyser ici la structure de ce long dialogue j'ajouterai simplement qu'il illustre parfaiconsacree la fin du chapitre 6 tement ce que I'on peut dire, avec Ch. Perelman, des conditions prfalables
-,
-
d I'argumentation, de I'opposition entre libert6 spirituelle et contrainte
:
i
L'Agneau aimerait €tre sur ce terrain ou, du moins, il tente d'y amener le Loup car il sait que : ( Le recours i I'argumentation suppose l'{tablissement d'une communaut6 des esprits qui, pendant qu'elle dure, exclut l'usage de la violence > (ibid.). La fable de La Fontaine illustre ce que ch. Perelman et L. Olbrecht-Tyteca pr€voient quand m€me : D'aucuns pr6tendront que parfois, voire toujours, le recours d I'argumentation n'est qu'une feinte. Il n'y aurait qu'un semblant de d6bat argumentatif, soit que I'orateur impose I'auditoire I'obligation de l'6couter, soit que ce dernier se contente d'en faire le SimulaCre : danS I'un comme danS I'autre CaS, I'argumentation ne serait qu'un leurre, I'accord acquis ne serait qu'une forme deguisde de coercition ou un symbole de bon vouloir'
i
4. Pour conclure Ce que je viens de dire de r6cits minimaux et de r6cits plus complexes confirme
la d6finition de la textualit6 pos6e au chapitre l. Un texte comporte une seule ou un nombre n de s6quences soit identiques (toutes narratives dans la plupart des exemples choisis ci-dessus), soit diff6rentes (une sdquence dialogale ins6r6e dans un r6cit pour I'exemple
De la m€me fagon qu'un texte est le plus souvent composd de s6quences h6t6rogdnes, la s6quence narrative comporte des propositions descriptives (en Pnl surtout et en Pn3 qui n'est gdndralement qu'une description d'actions), mais elle peut aussi comporter des propositions dvaluatives ou encore des ensembles dialogaux plus ou moins d€veloppds qui viennent alors compliquer la structure compositionnelle de la s€quence. Dans l'6tat actuel de nos connaissances, il ne me parait pas pertinent de tenter d'6num6rer des marques de surface dont le rep6rage suffirait pour affirmer que l'on est en pr6sence d'une s6quence narrative. En effet, en y regardant d'un peu prds, on se rend compte que les organisateurs temporels (puis, alors, soudain, etc.), pourtant trds fr6quents dans le r€cit, peuvent fort bien €tre combin6s avec voire remplacds par des connecteurs argumentatifs (mais, alors, en consdquence, donc, etc.) ; I'apparition du pass6 simple n,est une condition ni n6cessaire ni suffisante de d6finition d'une s6quence narrative : le pr6sent de narration est trds fr€quent ; la prdsence de verbes exprimant des actions est aussi caracteristique des descriptions d'actions... certes des configurations de marques peuvent €tre envisagdes : trds forte densitd d'anaphores pronominales (cette forme de thdmatisation est probablement un des indices formels les plus caracteristiques de la s6quence narrative) et alternance de I'imparfait et du pass6 simple (ou du pass6 compos€, voire du prdsent de narration), par exemple. Il semble surtout que I'on puisse caract6riser la narrativit6 par I'exclusion de certaines formes linguistiques : emploi exclusif de I'imparfait (absence de sch6ma d'incidence) et pr6sence exclusive de pr6dicats d'0tre ou d'6tat, par exemple ; emploi massif de ddterminants ir valeur g€n6rique et de ce pr6sent de vdrit6 gdn€rale (gnomique) qui peuvent certes se trouver dans la < Morale >>, mais pas dans tout le r6cit. Le fait que les critdres avanc6s plus haut ne s'appliquent pas d des genres dits narratifs comme le < rdcit de bataille >>, le << r€cit de voyage >>, les chroniques et le < r6cit de r€ve )) nous met dans I'obligation de considdrer ir pr6sent un autre type de sdquentialit6 : la description. Les types de descriptions d'actions se situent certainement fort prds du rdcit, mais, nous allons le voir, dans I'attraction imm6diate du type descriptif. ll resterait enfin d examiner trds attentivement le cas de rdcits partiellement d6viants par rapport au prototype de base dont il vient d'6tre question : << I'histoire dr6le >>, par exemple. Faute de place, je laisse de c0t6 cette question ainsi que celle des genres narratifs dont un travail ult6rieur exclusivement consacr6 aux genres narratifs devrait prdciser les modes sp6cifiques de gestion du prototype de la s6quence narrative. on en verra, au chapitre 7, un seul exemple avec le mono-
-
L'usage de I'argumentation implique que I'on a renonc€ d recourir uniquement la force, que I'on attache du prix ir I'adh6sion de I'interlocuteur, obtenue ir I'aide d'une persuasion raisonn6e, qu'on ne le traite pas comme un objet, mais que I'on fait appel i sa libert€ de jugement. (Perelman et olbrecht-Tyteca 1988 : 73)
I
1 l
-
de La Fontaine). Si le texte est une unit€ constitu€e de sequences, la s6quence
7l
-
-
logue narratif thddtral. Je rappelle que la tradition rhdtorique insiste sur les diff6rentes << espdces de narration > : narrations oratoire, historique, dramatique (ou podtique), familiire et oilegorique. Elle prend ainsi en compte les modes d'insertion du r6cit dans des ensembles discursifs aussi diff6rents qu'une pidce de th6dtre,
est une unit6 constitu(e de macro-propositions, elles-m€mes constitu€es de propositions. La definition propos€e plus haut se v€rifie donc pour le r6cit : [Texte [S6quence{s) narrative(s) [Macro-propositions narratives [proposition{s}]lll
I
72
Les textes: types et prototlpes
Ricil
un plaidoyer ou un ouvrage historique. Le genre narratif est alors considfrd comme une catdgorie englobante avec ses sous-genres aux formes et fonctions spdcifiques. En d'autres termes, l'homogdne est pensd en mCme temps que l'h6t6rogdne, alors que cette complexit€ est g6n6ralement perdue de vue dans le projet structural (s6miotique ou poetique). Pour €tre un peu complet, il faudrait examiner comment l'{clatement des rdgles classiques devient {vident dans certaines formes de contestation et de parodie de la narration classique. En effet, I'iddal du r6cit canonique est attaqud, dds I'Antiquit€, par le rdcit parodique puis par I'anti-roman de la fin du xvII" et surtout du xvllt" sidcle (Sorel, Fielding, Sterne, Diderot, etc.). La discontinuit6 vient alors rompre l'unit€ narrative par insertion de digressions infinies, de commentaires et de longs dialogues (non-respect patent de la rdgle de concision). Le refus romantique des rdgles a donn6 naissance d ces << romans humoristiques > dont parle Flaubert d propos de Xavier de Maistre et d'Alphonse Karr ; ce que D. Sangsue appelle plus largement, d la suite de Nodier, le genre du << rdcit excentrique > (1987). La d6finition de Nodier r6sume d elle seule la contestation et la ruine des rdgles classiques : << J'entends ici par un livre excentrique un livre qui est fait hors de toutes les rdgles communes de la composition et du style, et dont il est impossible ou trds difficile de deviner le but, quand il est arrivd par hasard que I'auteur eOt un but en l'€crivant > (1835). Avec les d6veloppements r6cents de I'informatique, des jeux de r6les et des grammaires de rdcit, un nouveau type de narration a vu le jour et connu un immense succds ces dernidres ann6es aux Etats-Unis et en Europe : le rdcit arborescent, principe d la base des << livres dont vous €tes le h6rosr >>. L'origine du r6cit arborescent est assur6ment le principe du Conte d votre fsgon de Raymond Queneau (1967), histoire de << trois alertes petits pois )) publide avec les travaux de I'Ouvroir de litt€rature potentielle (OULIPO). Le principe de base est celui du choix entre les possibles narratifs qu'une nouvelle de Ficciones de Borges intitul€e << Le Jardin aux sentiers qui bifurquent > rdsume en ces termes et porte au-deld de la limite des possibilit6s d'6criture et de lecture : < Dans toutes les fictions, chaque fois que diverses possibilit{s se pr6sentent, I'homme en adopte une et flimine les autres ; dans la fiction du presque inextricable Ts'ui P€n, il les adopte toutes simultan6ment. >
5.
73
Exercices d'analyse s6quentielle
Texte 2.1 . Une anecdote de Chateaubriand [a] A l'entr6e de la nuit, nous faillimes d'6tre arrdtds au village de Saint-Paternion : [b] il s'agissait de graisser la voiture ; [c] un paysan vissa l'6crou d'une des roues d contresens, avec tant de force qu'il 6tait impossible de l'6ter. [d] Tous les habiles du village, le mardchal-ferrant d leur tdte, 6choudrent dans leurs tentatives. [e] Un gargon de quatorze ir quinze ans quitte la troupe. [f] revient avec une paire de tenailles, [g] 6carte les travailleurs, [h] entoure l'6crou d'un fil d'archal, [i] le tortille avec ses pinces, et, [j] pesant de la main dans le sens de la vis, [k] enldve
l'6crou sans le moindre effort : !] ce fut un vivat universel. [m] Cet enfant ne serait-il point quelque Archimdde ? [n] La reine d'une tribu d'Esquimaux, cette femme qui tracait au capitaine Parry une carte des mers polaires. regardait attentivement des matelots soudant d la forge des bouts de fer, et devangait par son g6nie toute sa race. Chateaubriand, MEmoires d'outre-tombe, Livre 42, chapitre 1, 22 septembre.
Analysez les regroupements de propositions en macro-propositions dans cette sdquence narrative bien proche du moddle prototypique.
Texte 2.2. Un r6cit journalistique : l'attentat de Brighton L'IRA revendique I'attentat de Brighton : 4 morts et 3O blessds GOD SAVES MAGGIE Deux heures cinquante du matin, hier, dans la petite ville de Brighton, au sud de l'Angleterre. Au bar du Grand H6tel, les derniers parlementaires Conservateurs se preparent d rejoindre leurs chambres. Margaret Thatcher, dans son cabinet de travail. met un point final au discours de clOture du congrds annuel de son parti. L'hotel est habitd par la presque totalite des membres de son cabinet, des hommes politiques et des d6put6s. Soudain, c'est I'explosion. L'Arm6e R6publicaine lrlandaise avait pos6 une bombe au troisidme 6tage. Margaret Thatcher est vivante, mais quatre personnes sont tu6es, trente autres bless€es, dont un ministre et un deputd. Aprds la stupeur, fidOle d son image, le 1"'ministre britannique annonce que le congrds continue. Lire pages 2 d 4. Lib6ration du 13-14 octobre 1984. En prdtant une attention particulidre au noyau (Pn3) de ce texte, d6cri-
vez les regroupements macro-propositionnels de cette sdquence tout aussi canonique que la pr6c6dente.
l.
Pour des tentatives en frangais langue 6trangdre et seconde, voir par exemple le roman poli-
cierJusd'orongedeJ.dePorla(Hachettel986)et,pluscourtetplussimple,
Uneactriceodis'
paru de C. Barnoud et Ph. Bedel (Hachette-Alliance frangaise 1988), ainsi que, dans le domaine de la bande dessin6e, La Peur au Louvre el Panique au cirque de C. Delafosse et Y. Pommaux (Bayard-Presse 1986).
Texte 2.3. Un r6cit 6tiologique : Comment les lapins apprirent i bondir Autrefois, le plus 696 de tous les lapins d6cida de convoquer ses cong6ndres pour leur faire part de sa r6flexion : - Sur la terre, leur dit-il, n'importe quel animal peut faire peur aux autres. Or,
74
Les
texta:
Chopitre
types et prototypes
pauvres de nous, nous avons peur de tous mais aucun n'a peur de nous. Tout nous effraie, jusqu'au moindre bruissement de feuilles ! Comme c'est triste ! Cherchons un moyen d'y rem6dier. lls se mirent donc en qu6te, bien tristement. Sur le chemin, ils rencontr0rent une pie qui leur dit : lapins ! Oir allez-vous ainsi, la mine d6faite ? - Ah, mes pauvres et nous, nous avons peur de tout, r6pondit le vieux - Personne n'a peur de nous,jeter dans un puits profond que de continuer d vivre lapin. Mieux vaut encore se comme 94. stupide d6cision ! - Ouelle Non. non. ce n'est pas b6te du tout : il n'y a pas d'autre solution. la pie, je vais tout de m6me vous donner un conseil. MettezEcoutez, continua vous tous en boule, blottis dans I'herbe. Lorsqu'un troupeau de moutons passera pour aller s'abreuver d la rividre, vous sauterez tous d'un seul coup. Vous me direz ensuite ce qui s'est pass6. A ce moment, vous verrez bien qui de nous a dit vrai. Les lapins suivirent le conseil de la pie. lls se pelotonndrent, les uns contre les autres. Plus tard, un troupeau de moutons, guid6 par un berger, passa prds d'eux. et tous les lapins bondirent d'un seul coup sur le pr6. Les moutons eurent si peur qu'ils s'enfuirent de tous c6t6s. Le berger avait beau les battre pour qu'ils s'arr6tent, ils continuaient d courir. Les lapins, dress6s sur leurs pattes arridre, 6taient tout 6tonn6s de voir les moutons dans cet 6tat ! Depuis ce temps-lir, les lapins ont pris l'habitude de se mettre en boule, de se d6placer en sautant et de se dresser sur leurs pattes arridre. A. Desjacques et T. Soukhbaatar, Contes et rdcits de Mongolie, Nathan, coll. < Arc en Poche D, 1992, pp.21-23.
3
Le prototype de la sdquence descriptive'
1. Histoire d'un rejet presque gdn6ral Et les descriptions ! Rien n'est comparable au n6ant de celles-ci ; ce n'est que superpositions d'images de catalogue, I'auteur en prend de plus en plus son aise, il saisit I'occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche me faire tomber d'accord avec lui sur des lieux communs >>, s'6crie Andr6 Breton dans le premier Manifeste du surrdalisme. Un sidcle et demi plus t6t I'abbd B6rardier de Bataut exprime le mOme point de vue dans son Essci sur <<
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le rdcit (1776): << Que de lieux communs oir I'on d6crit une campagne, un torrent, une temp€te, et qui peuvent convenir e toutes sortes de sujets ? Ce sont des espdces de pidces de rapport qu'on ddplace i son 916 et qu'on enchisse of I'on veut. On pourrait en faire un r6pertoire dispos6 par lettres alphab€ti-
Proposez un d6coupage de cette forme singulidre de narration portant sur un mythe d'origine du monde dont toutes les cultures sont friandes.
ques en forme de dictionnaire, pour la commodit€ des plagiaires. > Pour com-
prendre une telle m6fiance et mieux situer les r6ponses thdoriques qui sont les nOtres, il est utile de faire un ddtour historique par la tradition rh6torique et stylistique Au xvrll" sidcle, sous I'influence des podtes anglais Thompson, Gray et Wordsworth, se d6veloppe une po€sie descriptive d laquelle le maitre de rh6torique dcossais Hughes Blair fait allusion en termes peu 6logieux : Par poesie descriptive, je ne veux point ddsigner une espdce ou une forme particulidre de composition, parce qu'il n'en est aucune de quelque €tendue qui soit purement descriptive, c'est-ir-dire dans laquelle, le podte n'ait uniquement voulu ddcrire, sans qu'un r€cit, une action ou un sentiment forme le sujet principal de son ouvrage. Les descriptions sont plutOt des ornements que des sujets de podmes. (1830 : III, 40)
l
Ce chapitre est l'occasion de pr€ciser et de rdviser quelques points de la th6orie de la description d6veloppde dans le Texte dxcriptd (Paris, Nathan, 1989, avec la collaboration d'A. Petitjean).
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I
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Dauiption
Les textes: types et prolotlpes
A la
Toute description se r6duit ?r l'€num6ration des parties ou des aspects d'une chose vue, et cet inventaire peut etre dressd dans un ordre quelconque, ce qui introduit dans I'exdcution une sorte de hasard, On peut intervertir, en g€n€ral, les propositions successives, et rien n'incite l'auteur i donner des formes n6cessairement vari€es ces dl€ments qui sont, en quelque sorte, paralldles. Le discours n'est plus qu'une suite de substitutions. D'ailleurs, une telle 6num6ration peut etre aussi brdve ou aussi d6velopp€e qu'on le voudra. On peut d€crire un chapeau en vingt pages, une bataille en dix lignes. (Paul Val€ry, (Euvres, Pl6iade, tome 2,
mOme 6poque, dans son article < Descriptif
>> de l'Encyclopddie, Marmontel s'en prend lui aussi d la podsie descriptive : < Ce qu'on appelle aujourd'hui en Podsie le genre descriptif, n'6tait pas connu des Anciens. C'est une invention moderne, que n'approuve gudre, d ce qu'il me semble, ni la raison, ni le go0t >> (1787, Tome II : 440). Son argumentation est entidrement fond6e sur I'absence d'autonomie de la description :
Il arrive i tous les hommes de dicrire en parlant, pour rendre plus sensibles les objets qui les intdressent ; et la Description est li€e avec un rdcit qui I'amdne, avec une intention d'instruire ou de persuader, avec un int€r€t qui lui sert de motif. Mais ce qui n'arrive ir personne, dans aucune situation, c'est de ddcrire pour ddcrire, et de dicrire encore aprds avoir ddcrit, en passant d'un objet d I'autre, sans autre cause que la mobilit6 du regard et de la pens€e ; et comme en nous disant : < Vous venez de voir la temp€te ; vous allez voir le calme et la sdr€nit€. > (1787 : ll,442) Pour I'esthdtique classique, le d6faut majeur de la description r6side dans
fait qu'elle ne comporte ni ordre, ni limites et semble, dds lors, soumise aux caprices des auteurs. La critique est unanime, de Marmontel i Val€ry, le
en passant par ViolletJe-Duc
:
Toute composition raisonnable doit former un ensemble, un Tout, dont les parties sont li€es, dont le milieu r6ponde au commencement, et la fin au milieu : c'est le prdcepte d'Aristote et d'Horace. Or dans le poime descriptif, nul ensemble, nul ordre, nulle correspondance : il y a des beautds, je le crois, mais des beaut6s qui se d6truisent par leur succession monotone, ou leur discordant assemblage. Chacune de ces Descriptions plairait si elle €tait seule : elle ressemblerait du moins a un tableau. Mais cent Descriptions de suite ne ressemblent qu'e un rouleau oi les €tudes de Vernet seraient coll€es I'une d I'autre. Et en effet, un Podme descriptif ne peut €tre consid€rd que comme le recueil des €tudes d'un podte qui exerce ses crayons, et qui se pr6pare i jeter dans un ouvrage r€gulier et complet les richesses et les beautds d'un style pittoresque et harmonieux. (Mar-
montel, 1787, tome 2 : 444) [Un podme descriptif] peut etre plus ou moins 6tendu, plus ou moins resserr€, selon le caprice ou la f€condit€ de son auteur ; [...] c'est et ce ne peut jamais
€tre qu'un compos€ de parties plus ou moins brillantes, mais ddsordonn€es, c'esti-dire sans commencement, sans milieu et sans fin oblig€e, ce qui compose I'unit€. Ce n'est point un sujet, mais une suite de sujets r€unis au hasard par des transitions qui tout habiles qu'elles soient, ne sauraient composer un tout. (ViolletJeDuc 1835 : 420-421')
C'est visiblement I'unit6 compositionnelle du r6cit qui sert de r6f6rence :t d'unit€ de mesure aux commentateurs pour juger la description. Au-deli le la seule poesie descriptive, I'anathdme touche le descriptif en gdn€ral et Paul Val6ry peut, dans << Autour de Corot >>, formuler ce jugement sans appel :
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pp. t3V1-1325) Si on la d6finit isoldment, il y a bien une sorte de monstruositd textuelle de la description qui la distingue nettement du r€cit. Vannier par exemple, en 1912, souligne que dans la description, I'ordre des parties 6tant facultatif, le scripteur est maitre de son plan, ce qui n'est, selon lui, pas le cas dans la narration. A I'oppos6 de cette monstruosit€ et de cette anarchie, mouvement, action et ordre presque par d6finition, le r6cit correspond assez naturellement I'id6al prdn6 par I'esthdtique classique. Ce que J. Ricardou d6signera plus tard (1978) comme une < belligdrance << Dans textuelle ) est, au milieu du sidcle dernier, aussi bien perQu par Wey les longues descriptions, I'art le plus difficile i atteindre est celui qui les rend assez attachantes pour les emp€cher de ralentir l'action gdndrale > (1845 : 339)
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-
( par Egli -unsque - Il y a deux ordres de faits qu'on pourrait appeler les permanents et simultan€s, les autres passagers et successifs. Les premiers fournissent les 6l6ments de la description, les autres ceux de la narration >> (1912 :37). A ce propos, la distinction que les petits maitres de stylistique 6tablissent entre le tableau et le rdcit est int€ressante : Le tableau suppose [...] des traits en nombre restreint et habilement group,€s autour d'un motif principal. Par li il diffdre de la description ordinaire. Il diffdre aussi de la narration en ce sens qu'il ne comporte pas toujours une action ; de plus, s'il en comporte une, cette action n'a ni commencement, ni milieu, ni fin ; nous la voyons un moment donn6, mais d un seul moment, sinon ce serait un r€cit. Or le r€cit est au tableau litt6raire ce que des vues cin6matographiques sont au
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vrai tableau. [...] L'invention d'un tableau
est la m€me pour le peintre et l'€crivain. La disposition aussi : I'artiste distingue en effet un premier p/an, un deuxidme plan, etc., c'est-i-dire des groupements de personnes ou de choses plus ou moins 6loign6es du spectateur, et, dans chaque plan, la position relative de celles-ci n'est pas laiss6e au hasard. (Vannier l9l2 : 300 et 302)
On le voit, le genre descriptif du tableau est soigneusement distingu€ du r€cit et Vannier peut repertorier diff6rents sujets de tableaux qui sont autant de descriptions d'actions : le retour du marin, une heureuse famille, un grandpdre et ses petits-enfants, I'entr6e en classe, la sortie des 6ldves i quatre heu-
res, le salut au drapeau, un paysage en hiver ou en 616, etc. Autant de
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Les textes: tlpes et prototypes
Description
morceaux descriptifs que les exercices scolaires de composition ont, au d6but du xx. sidcle, €rigds en moddles. Pour ins6rer une s6quence descriptive dans un rdcit, il est ndcessaire d'op6rer une r€duction de son statut de ( morceau >r en evitant tout ralentissement st toute cassure :
classiques sont particulidrement sensibles d6borde largement le seul cas de la s€quence descriptive. Rhdtoriciens et maitres de stylistique mentionnent un autre aspect n6gatif de la description : sa tendonce d la ddpersonnalisation. Si le narratif est jugd positivement, c'est que ce dernier est par essence foncidrement anthropomorphique. Comme on I'a vu au chapitre pr6c6dent, la prdsence centrale et permanente d'au moins un personnage-acteur est une des composantes de
Le succds d€pend non seulement de la richesse du style et de la fraicheur, de la bonne ordonnance de la peinture ; mais encore de ses proportions relativement ir I'ensemble de I'ouvrage ; de I'opportunit6 de la description, de la place qu'on lui assigne, et de la manidre plus ou moins essentielle dont on la relie a I'ensemble. Il faut qu'elle soit un moyen dramatique, qu'on en sente la n6cessit6, que jamais elle ne reste un hors-d'euvre, et autant que possible, qu'on y rattache quelque sentiment. (Wey 1845 : 399-400)
base du r6cit. La description, qui peut concerner tout aussi bien le monde inanim6 que des personnages, est susceptible d'introduire, ce niveau th6matique, une nouvelle cassure et une h6tdrog6nditd suppldmentaire. La solution stylistique d ces divers probldmes se trouve dans le precepte hom6rique vant6 par Lessing : << Homdre [...] n'a gdndralement pour chaque
i
trait descriptif. Pour lui, un vaisseau est noir, ou profond, ou rapide, et tout au plus noir et bien pourvu de rames : il ne vo pas plus loin dans Ia description [...] > 0964 (1766): lll). Aux yeux d'Albalat, ce type de rdduction d une simple dpithdte possdde la vertu de ne pas briser le mouvement du texte en n'y introduisant pas de morceau hdtdrogdnet. Il donne, d ce propos, un conseil amusant :
chose qu'un seul
En 1690, dans le troisidme dialogue du Parolldte des Anciens et des Moderzes, charles Perrault insistait d6jd sur la difficult€ d'int€grer les morceaux lescriptifs. ceci I'amenait mOme d critiquer le cadre narratif et descriptif platoniciens, des dialogues qu'il pas qualifier n'hdsitait d de surcharge -
nutile
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:
Il faut
avouer que Platon n'a pas ignor€ I'art du dialogue, qu'il establit bien la il se passe, qu'il choisit et conserve bien les caractdres de ses personnages, mais il faut demeurer d'accord aussi que, pour l,ordinaire, c'est avec une longueur qui d6sole les plus patients [...]. La description exacte des lieux oir ils se promdnent, des meurs et des fagons de faire de ceux qu'il introduit et le narr€ de cent petits incidents qui ne font rien au sujet qu'il traite, ont 6te regardez jusques icy comme des merveilles et des agr6ments inimitables, mais ils
Depuis Flaubert, on trouve commode de traiter la description par alin€a. On s'interrompt, on va la ligne, et on se met ir ddcrire. Comme le morceau est servi part, le lecteur le supprime et poursuit sa lecture. Il faut, au contraire, m€ler ses descriptions au rdcit ; elles doivent I'accompagner, le p€n€trer, le soutenir, de fagon qu'on ne puisse en omettre une ligne. Rien de factice. Pas de morceau. Tout doit faire corps. (1932 : 187)
scdne otr
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i
n'ont plus aujourd'hui le m€me don de plaire ; on veut en venir la chose dont il s'agit et tout ce qui n'y sert de rien, ennuye quelque beau qu'il soit en
i
De la tradition rh6torique nous avons €galement h€rit6 l'6num6ration des types de descriptions. Fontanier r6sume et synthetise cette tradition en
lui-m€me.
consacrant une dizaine de pages du Traitd gdndral des figures du discours autres que les Tropes (1821) aux << figures de pens6es par ddveloppement )) et i < diff6rentes espdces de description >> : la ToPoGRAPHIE (sorte de description est aussi bien d I'usage de I'orateur que du narrateur, elle << a pour objet un lieu
Lorsque Vapereau, par exemple, dit que < la description n'6tant pas un rrnement sans motif, un hors-d'cuvre brillant, mais une ressource de plus rour mettre en lumidre sous leur v6ritable point les personnages et I'action, I est dvident qu'elle doit venir d sa place et se d6velopper en vue du but i tteindre, sans le d6passer > (1884 :614), il met le doigt sur ce qui confdre chaque description un ordre toujours spdcifique : I'orientation argumentaive qui r6sulte de la logique de s6n insertion dans un texte particulier (narraif, argumentatif ou autre). La d€nonciation du morceau descriptif s'appuie essentiellement sur la erception de son caractdre h6t6rogdne, sur son 6tranget6 par rapport au otexte dans lequel il se trouve insdr6. Toutes ces critiques confirment le fait u'une hypothdse linguistique et textuelle doit absolument tenir compte de h6t6rog6n6it6 compositionnelle. On verra au chapitre 7 comment, i l'6poue classique, des rdgles strictes gdrent I'insertion des s6quences narratives ans un dialogue th6dtral. Le probldme de l'h€t6rog€n6it6 i laquelle les
quelconque, tel un vallon, une montagne une plaine, une ville, un village, une maison, un temple, une grotte, un jardin, un verger, une for€t, etc. >>), la cnnoNocRApHIE (description de temps, de p6riodes, d'dges qui << caract6rise vivement le temps d'un 6v6nement, par le concours des circonstances qui s'y rattachent >>), la enosoPocRAPHIE (< description qui a pour objet la figure, le corps, les traits, les qualit6s physiques, ou seulement I'ext6rieur, le maintien, le mouvement d'un Otre anim6, r6el ou fictif, c'est-d-dire, de pure
l. San Antonio lui-m€me reconnait I'existence de cette rdgle lorsque, page 34 de Remouille-moi la compresse, on peut lire : < Le lecteur, dans sa bienveillance inaccoutumidre, me permettra qu'il ne soit d6cid6 d me faire chier d'interrompre -d'uni moins paragraphe, pour d6peindre la surnomm6e Ninette. >
t
cette palpitante histoire, I'espace
l0
Les textes: tlpes et prototypes
Description 8l
i la s6quence descriptive
Lmagination >>), I'EtHoRrie (< description qui a pour objet les mcurs, le carac:dre, les vices, les vertus, les talents, les ddfauts, enfin les bonnes ou les mau-
2. De l'6num6ration
raises qualitds morales d'un personnage rdel ou fictif >>), le RoRTnalr i< description tant au moral qu'au physique d'un €tre anim6, r6el ou fictif >), e PARALLELe (qui < consiste dans deux descriptions, ou cons6cutives, ou ndlang€es, par lesquelles on rapproche I'un de l'autre, sous leurs rapports rhysiques ou moraux, deux objets dont on veut montrer la ressemblance ou a diff6rence >) et le TABLEAU (<< certaines descriptions vives et anim6es, de rassions, d'actions, d'6v6nements, ou de ph6nomdnes physiques ou moraux >).
Comme le dit I'article < Description >> de I'Encyclopddie : << Une description est l'6num6ration des attributs d'une chose. >> L'6num6ration apparait dds lors comme une sorte de base ou de degr6 z1ro de la proc6dure descriptive. Est-ce pour autant, comme Val6ry le laissait entendre dans les observations citdes plus haut, un non-texte ? Les deux exemples suivants, litt6raire et publicitaire, recourent visiblement d des proc6d6s semblables. Le premier est une publicit6 pour une encyclop6die de Gallimard :
il ajoute que la description donne lieu d 'HyporyposE < quand I'exposition de l'objet est si vive, si 6nergique, qu,il :n rdsulte dans le style une image, un tableau >. M€me id6e chez Marmontel l6jd : < Sila Description ne met pas son objet sous les yeux, elle n'est ni ora\vec les rh€toriciens antiques,
oire, ni poetique : les bons historiens eux-mOmes, comme Tite-Live et Tacite, fait des tableaux vivants >> (1787,T.2). Dans son Art d'dcrire enseignd en vingt legons (1896), Antoine Albalat era I'un des premiers d s'insurger contre les excds de tels classements :
rn ont
La connaissance de l'€thopde, prosopop6e, hypotypose, etc., n'enseigne ni ii bien d6crire ni savoir ce que c'est qu'une bonne description. Laissons d d'autres le soin de diviser la description en < chronographie, topographie, prosopographie,6thopde >. Il ne manque pas de livres oir I'on pourra se renseigner sur ces etiquettes steriles, chdres aux Le Batteux et aux Marmontel. Contentons-nous de retenir seulement deux divisions:.la description proprement dite etle portrait, qui est une sorte de description r6duite et de qualit€ particulidre. (19ffi :227)
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On le voit, la rh6torique a longtemps construit sa typologie sur la qualit€ lu r6f€rent d6crit. Chez Fontanier,le temps,le lieu,l'apparence extdrieure t les qualitds morales sont privil6gi6s et combin6s de fagon i donner les dif6rentes espdces de descriptions. chez ses successeurs, le critdre r6f6rentiel Lemeure, mais au prix d'une r6duction aux cat€gories centrales de I'humain portrait) et du non-humain (description proprement dite). Le rejet d'une vis6e normative amdne la linguistique textuelle d rompre 6solument avec des ddmarches qui rendent difficile une rdflexion g6n6rale ur le fonctionnement spdcifique des procddures descriptivest. En thdorisant l sdquentialit6 descriptive et en laissant de c6t6, dans un premier temps du roins, les ph6nomdnes d'h€tdrogdn€itd textuelle (rapports avec la narration, 'argumentation, I'explication, etc.), il s'agit, par-deld les diffdrences purerent r6f6rentielles et thdmatiques, de repdrer une procddure descriptive beauoup plus structuree qu'on ne le pr6tend gdn6ralement.
'
Comme I'ecrit Paul Riceur : < Le savoir est toujours en train de s'arracher d I'id6ologie, mais id6ologie est toujours ce qui demeure la grille, le code d'interpr6tation par quoi nous ne sommes as intellectuellement sans attaches [...1, port€s par la "substance €thique" > (1986b: 331).
(1) Des r6cits, des 6v6nements, des t6moignages, des podmes, des correspondances, des bibliographies, des dates, des archives, des analyses, des anecdotes, des l6gendes, des contes, des critiques, des textes littdraires... Des documents, des photos, des croquis, des gravures, des cartes, des sch6mas, des pastels, des calligraphies, des plans, des dessins, des aquarelles, des euvres d'art..,
o""0"":'""J:;lff
,il?ll:;,3i1,!lTJ'i",l"des6checs'
du pass€, du futur. des explorations, du r6ve. de l'6vasion, de la science, des aventures, des hdros et des inconnus. D6couvertes Gallimard t...1
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A part trois blocs thdmatiques non-verbal, thdmes abord6s - verbal, qui viennent justifier la segmentation du plan de texte choisi (trois paragraphes et une sorte de conclusion en deux temps), I'ordre des trois premiers paragraphes pourrait €tre modifi6, I'ordre des 6l6ments 6num6rds chaque fois 6galement. Aprds cet inventaire des composantes ou parties de chaque < livre > de l'encyclopddie en question, une fois donnd ce que j'ai propos6 d'appeler le thdme-titre de la s6quence descriptive (le nom de la collection : << D6couvertes Gallimard >), une 6valuation vient confdrer un sens d l'€numdration (inachevde de surcroit si I'on en croit les points de suspension) :
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82
Les textes
: tpes
I'abondance exceptionnelle (< autant de choses >>), soit une premidre propri6t6 suivie d'une autre propri6td : < en couleurs au format de poche >>. L'orientation argumentative de la sdquence descriptive apparait clairement au terme du processus de valorisation (< jamais vu )), (( premidre >) : invitation implicite i d6river un acte illocutoire sous-jacent de recommandation et d'incitation d I'achat. Le long paragraphe descriptif suivant, dans le style de I'inventaire d'un commissaire priseur, extrait du Souveroin poncif de Morgan Sportds, pr6sente I'avantage d'€tre trds explicitement pr€sente comme une < fastidieuse
6num6ration >
Desuiption
et prototlpes
M6talinguistiquement, cette sdquence est clairement d6sign6e comme une description 6l6mentaire (< sommaire r>), mais suffisante (< prdcise >r). La construction de cette brdve s6quence est intdressante. La premidre phrase d6crit deux objets successivement : moustache el chapeau melon ; elle compldte chacun (par le biais de prddicats qualificatifs PRq) par quelques propri6t6s : taille pour la moustache : petite, couleur identique pour la moustache et le chapeau : noire. Soit des propositions descriptives 6ldmentaires (notdes pd par la suite) relides par l'6num6ratif pr :
:
(2t Et comme Xerox se tait, Rank fait alors une fastidieuse 6num6ration du mobilier de cet appartement. Une fagon comme une autre de meubler le silence : - Un fauteuil Chippendale, des lampes champignon Gal16 en p6te de verre. un canap6 Art-D6co, une bergdre Louis XV h6rit6e de sa mdre ; une chaise Knoll ; une chaise-sac Pierro Gatti ( goutte d'huile > en cuir et polyuretane ; un pouf marocain ; un paravent vietnamien ; des ombrelles en papier imprim6 ( Pattaya Beach > ; une reproduction du Jardin des ddlices de J6r6me Bosch ; deux affiches Mucha ; une plaque 6maill6e Banania ; un masque primitif Pounou du Gabon ; un porte-ananas en opaline p6te de riz blanche style LouisPhilippe ; un fauteuil de Manille en rotin ; un automate joueur de flOte Lambert ; une poup6e ancienne < googlie D avec son service < minuscule D ; une s6rie de cartes postales 6rotiques 19OO ; une chaine st6r6o Hitachi d platine pour disque compact et ampli Technics ; une buvette et pot e eau en fai'ence de Moustiers, Gaspard F6raud ; un juke-box Wurlitzer 78O, de 194'l , achetd chez les Emmatis ; une cafetidre ir pi6douche ainsi qu'un crdmier et un sucrier Ridgway ; une boite en m6tal bouillon cube Maggi jaune et rouge ; une lampe pakistanaise multicolore en peau de chameau ; un kalamkar ; une s6rie de jarres afghanes ; une panthere noire en c6ramique blanche craquel6e 193O ; le poster de Marilyn retenant sa jupe au-dessus de la bouche de m6tro ; une seringue clystdre 6tain et bois trouv6e aux puces de Clignancourt ; une cr6maill0re c6venole ; une chaise longue de Starck ; une bibliothdque chinoise en bambou de chez Pier lmport oir l'on pouvait trouver entre autres Fragments d'un discours amoureux de Barthes, les M6moires d'une jeune fille rangde ; Quand la Chine s'€veillera... Enfin Esther avait fait de notre studette un vrai petit nid d'amour modeste mais cosy ! Cossu mdme. Morgan Sportds, Le Souverain poncif , O €d. Balland, 1987 -struc-
Une moustache
11 PROPR (taille) PRq ant€pose < < petite <
<
PROPR (couleur) PRq
er (connecteurl un chapeau melon <
<
PROPR PRq
<
<
noire
(comparatif) <
<
de la mdme couleur
La phrase suivante comporte une partie mdtalinguistique (< description sommaire >) et surtout un nouvel 6l6ment : le nom propre, thdme-titre qui attribue ir un sujet d€termind les propositions descriptives pr6cddentes : Char-
/o/, d6sign6 d'abord par antithese i un synthdme qualificatif courant dans la presse : ( ennemi public no I )). Cette fagon de donner le thdme-titre en retard, aprds des 6l6ments reli6s m6tonymiquementr, introduit un effet d'attente qui pourrait ddboucher sur une forme d'€nigme dans un texte de plus grande amplitude. Les op€rations qui permettent de fixer un thdme-titre et de s6lectionner des aspects (parties ou propri6t6s) de
I'objet garantissent l'unit6
de la sdquence
descriptive. Le mouvement est ici le suivant : a) ddcrire une moustache (propositions descriptives 6l6mentaires) ; b) ddcrire un chapeau (proposition descriptive 6l6mentaire) ; c) les relier, en cr6ant une structure hi6rarchique nouvelle, sous la d€pendance d'un terme super-ordonn6 (nom propre). Soit le passage d'une r6f6rence non spdcifique impliqu6e par I'op6ration d'extraction (uNE moustache, uN chapeau) i une r6f6rence sp6cifique (r-R moustache et LE chapeau DE Charlot). D'autres procddures descriptives sont possibles. Ainsi, par exemple, dans ce petit texte des Histoires noturelles de Jules Renard tout entier domin6 par une reformulation mdtaphorique : t-n pucr grain Un de tabac
(4)
De telles dnum6rations faiblement ordonndes contrastent avec la
ture descriptive (mOme 6l6mentaire) de cette pr6sentation d'un article de presse consacr€ d Charlie Chaplin
83
i
ressort.
:
{3)
Une petite moustache noire et un chapeau melon de la mdme couleur. Description sommaire et pr6cise d la fois de I'ami public
No1:Charlot.[...]
l.
Le chapeau melon apparfrt comme un 6l6ment m€tonymique qui, A la diffdrence des oreilles ou des livres (synecdoques), dispose d'une certaine ind6pendance par rapport A la t€te (il peut €tre retir€). La moustache est une partie du tout, au m6me titre que les joues, le front, les sourcils et les cheveux (relation plus synecdochique que m6tonymique).
84
Les tates
: tlpes
Desuiption
et prototypes
85
i
La description-d6finition ne porte plus sur la couleur, la grandeur ou la forme de I'objet consid6r€, mais elle s'appuie sur un rapprochement du ddcrit avec un objet d'un autre ordre (< grain de tabac >) auquel est pr€t€e une propri€td inconcevable dans le r6el (< i ressort r>). L'examen des diverses proc6dures possibles peut etre r6sum6 par un sch6ma prototypique de la s6quence descriptive qui est, en fait, un rdpertoire des op6rations de constructions des macro-propositions elles-m€mes. Ce qui diff€rencie le prototype de la sdquence descriptive de celui du r6cit, c'est surtout, comme les Anciens et Val€ry le pressentaient, le fait que cette structure ne refldte pas le moindre ordre des op€rations. En revanche, je dirai que la critique de Val6ry ndglige le fait que le nombre de proc6dures, r€duit et trds strict, est rdvdlateur d'un ordre singulier : non pas lin6aire, mais hi6rarchique, vertical en quelque sorte et trds proche de I'ordre du dictionnaire : << Le moddle (lointain) de la description n'est pas le discours oratoire (on ne "peint" rien du tout), mais une sorte d'artefact lexicographique > (Barthes 1973 : 45).
Pour passer de ce r6pertoire d'op€rations une description particulidre, est possible de s'appuyer sur l'organisation lin6aire globale d'un PLnN DE TEXTE : quatre saisons, cinq sens, ordres alphab€tique ou numdrique, points
il
cardinaux, simple succession temporelle, plans spatiaux frontal (haut-bas), lat€ral (gauche-droite), fuyant (avant-arridre). Dans la mesure oir le prototype de la sdquence descriptive ne donne c'est bien le regret de Paul Val€ry aucune indication d'ordre, ne comporte aucune lin6arit6 intrinsdque qui lui permette de se trouver (ou non) en phase avec la lindarit6 propre au langage articuld, les plans de textes et leurs marques sp6cifiques ont une importance ddcisive pour la lisibilitd et pour I'interprdtation de toute description. Je ne reprends pas ici ce que j'ai d€veloppd ailleurs autour des marqueurs d'6numdration et de reformulation (1990 : 143-190).
-
3.
-
Les quatre procedures descriptives (ou macro-opdrations) la base du prototype
i
3.1. Procddurc d'ancrage: ancrage, affectation et reformulation
-t
Par I'op€ration d'ancrage - ancrage r6f6rentiel - la sdquence descriptive signale, au moyen d'un nom (pivot nominal que j'appelle le rttBtrle-rtrnB qu'il s'agisse d'un nom prbpre ou commun) : a) d'entrde de jeu de qui/quoi il va €tre question (eNcnecn proprement dit), b) ou bien, en fin de sdquence, de qui/quoi il vient d'€tre question (nrnnc-
I
/\--
\
Pd.PROPR Pd.PART (qualitdsl (synecdoque)
/T\-.etc. --4.1
forme taille
2 3 etc.
Partie
ttttlttt
,/\
,/\
-P"K' Temps.
Loc.
/\ /\ /\ pd.PROPR pd.PART
etc.
A
pd.SlT
Pd,ASS
n
I
rnrroN), c) ou bien encore, combinant ces deux procddures, elle reprend en le modifiant le thdme-titre initial (neroRMULATIoN). Cette dernidre op€ration peut
I Comparaison Mdtaphore
I
TH€MATISATIoN
I I
tl
PROPR
rsEunrrsnloru MISE EN RELATION
I
-/\ Pd.SIT
THEMATTSATToN THEMATTSATToN ASS-Comparat
ASPECTUAUSATION
I
MISE EN RELATION
ASPECTUALISATION
dgalement s'appliquer d d'autres unit6s apparues en cours de description (refor-
muler une propridtd ou la d6signation d'une partie de I'objet considdr6). Dans I'exemple de la puce de Jules Renard (4), grice i la mise en place, en t€te de s6quence, d'un thdme-titre, le lecteur peut convoquer ses connaissances encyclop6diques et confronter ses attentes d ce qu'il va lire. L'op6ration inverse d'affectation du thdme-titre en fin de s6quence seulement
I I
/\ /\
I
(exemples
(l)
et (3) ci-dessus), retarde un tel processus r6f6rentiel et
cognitif
:
ASPECTUA- MISE EN
I
LISATION RELATION
I
le lecteur ne peut plus qu'€mettre des hypothdses qu'il v6rifie au terme de la s6quence quand le thdme-titre lui est donn€ (comme c'est g6n6ralement le
I
cas).
etc.
pd.ASS
etc.
etc.
On peut donc dire qu'en cr€ant une cohdsion s€mantique r€f€rentielle, le thdme-titre est un premier facteur d'ordre. Pr6cisons, d ce propos, qu'il faut bien distinguer la rdfdrence virtuelle ddclench€e par I'ancrage (attente d'une classe plus ou moins disponible dans la m6moire du lecteur/auditeur)
I I REFORMULA TION
dela rifdrence actuelle (la classe construite) produite au terme de la sdquence. Schdma ptototyplque de
b
La repr€sentation descriptive vient en effet renforcer (confirmation) ou
sdquence descriptive
I
86
Les textes: types el prototypes
Description
modifier (r6vision) Ies savoirs ant€rieurs. L'anarchie descriptive n'est pas aussi grande que Valdry le prdtend. En effet, le producteur de la description interrompt I'expansion de la s6quence ld oir il estime en avoir assez dit en fonction, d'une part, des savoirs qu'il pr€te d son interlocuteur et, d'autre part, de l'6tat de I'interaction (c'est-d-dire, par exemple, du ddveloppement du r€cit ou de I'argumentation en cours ou encore du genre de discours). Ainsi, le caractdre succinct de (3) s'explique-t-il par le fait que le texte peut jouer avec ce que les lecteurs sont suppos6s savoir du personnage de Charlot. L'affectation retard6e du thdme-titre s'explique ici par une sorte de jeu cognitif : une incitation d lever une €nigme (trds relative dans le cadre d'un article de presse accompagnd de photos). La bridvetd et le caractdre mdtaphoriquement inattendu de (4) s'explique aussi par les lois stylistiques du genre (ddfinitions de
chef . dont ils ne savent pas les intentions ; c'est une multitude d'6mes pour la plupart viles et mercenaires, qui, sans songer d leur propre rdputation, travaillent d celle des rois et des conqu6rants i c'est un assemblage confus de
libertins, qu'il faut assujettir ir l'ob6issance ; de l6ches, qu'il faut mener au combat ; de t6m6raires qu'il faut retenir ; d'impatients, qu'il faut accoutumer A la confiance. (Je souligne)
La reformulation peut marquer I'ouverture de paragraphes successifs. Ainsi dans cette d€finition de la m€disance par Massillon (e souligne la structure de base, ir I'initiale des paragraphes) : (6) La m6disance est un feu ddvorant qui fl6trit tout ce qu'il touche, qui exerce sa fureur sur le bon grain comme sur la paille, sur le profane comme sur le
type po6tique). Les exemples (2) et (3) mettent en dvidence la parent6 qui existe entre I'affectation d'un thdme-titre d un objet du discours et la modification du thdme-titre donn6 par I'opdration de rd-ancrage qu'on d€signe par le terme de reformulation t. En (2), I'ancrage donne d'abord le thdme-titre suivant : ( cet appartement >, reformuld d la fin sous la forme << notre studette > et surtout << un (vrai petit) nid d'amour >> auquel trois propri6t6s sont conf€r€es (<< modeste >, (( cosy >), ( cossu >), propri€tds articul€es et marqudes argumentativement par les connecteurs MArS et MEME. En (3), le passage de < ...I'ami public no I >> d < Charlot > est marqud par les deux points, ce qui revient, ld aussi, d modifier le thdme-titre en signalant la reformulation au moyen de la ponctuation. Les formes linguistiques de la reformulation vont de la simple mise en apposition soulignde par la ponctuation, i I'utilisation d'un verbe explicite de type : Nl s'appelle,/se nomme N2 (nom propre) en passant par les structures : Nl bref/donc/enfin (c'est) N2 Nl en un mot/autrement ditlpour tout direlautant dire,/en d'autres termes, c'est-i-dire N2. Dans la rubrique < ddfinitions > de leurs Legons de littdrature frangaise
ir
t7t
Le boy chinois : quand j'y repense ! Ouelle n'avait pas 6t6 notre surprise i Anne Marie et moi lorsque nous avions 6t6 le chercher d la gare ! Tout guind6 en gentleman. jaune dans les attifements du blanc, avec son costume bleu ray6, son neud papillon et ses chaussures en daim, on aurait dit un d6fileur de carnaval. Pourtant, grand et mince, visage sculpt6 dans le bois dur des jungles, des yeux de tigre et de hautes pommettes, c'6tait un vdritable Seigneur de la guerre. En le voyant, j'avais 6te tout excit6, le ceur comme un tambour : avoir l'un de ces hommes redoutables pour serviteqr d la fois m'atti-
rait et me terrifiait [...].
Lucien Bodard, La Chasse d I'ours, O Grasset 1985 : 39.
La reformulation peut €tre int6gr6e d la structure narrative, comme dans cette fable de La Fontaine. Les reformulations successivement assumees par le narrateur (< Or c'6tait un cochet D, vers 15) et par la mdre du souriceau (< Ce doucet est un chat )), vers 34) viennent corriger la description fournie par celui dont le texte prdcise qu'il ignore encore tout du monde. Le jeu d'6nigme que g6ndre le retardement de l'ancrage est particulidrement int€ressant ici :
:
(s)
Qu'est-ce qu'une armde ? C'est un corps animd d'une infinite de passions diff6rentes, qu'un homme habile fait mouvoir pour la ddfense de la patrie ; c'est une troupe d'hommes arm€s qui suivent aveugl6ment les ordrbs d'un
l.
sacr6 ; qui ne laisse, partout oir il a pass6. que la ruine et la desolation [...]. La mddisance est un orgueilsecret qui nous d6couvre la paille dans l'eil de notre frdre, et nous cache la poutre qui est dans le n6tre [...]. La mddisance est un mal inquiet qui trouble la soci6t6, qui jette la dissension dans les cit6s [...]. Enfin, c'est une source pleine d'un venin mortel [...1. Souvent, la reformulation indique qu'une s6quence descriptive s'achdve. Ainsi dans cet exemple de Lucien Bodard dont je ne d6taille pas ici I'analyse :
et de morale (1842), Nodl et De la Place choisissent plusieurs textes construits sur le principe de la reformulation. Ainsi dans cette oraison fundbre de Turenne
par Fldchier
87
(8)
rE
cocHrr.
LE
cHAr
ET LE souRrcEAU
Un souriceau tout .ieune, et qui n'avait rien vu, Fut presque pris au d6pourvu. Voici comment il conta l'aventure d sa mdre :
D€crite plus compldtement dans mes ElCments de linguistique textuelle, pages l?0-190.
t
88
Description
Les textes: types et protolypes
< J'avais franchi les monts qui bornent
89
+ Pn4-R6solution (v. 18-30) + [ellipse de Pn5-Situation finale] + PnOEvaluation finale (v. 3l- 40) et Morale proprement dite (v. 4l-42).
cet Etat,
Et trottais comme un jeune rat Oui cherche d se donner carridre, Lorsque deux animaux m'ont arr6t6 les yeux : L'un doux. b6nin et gracieux, Et l'autre turbulent, et plein d'inquidtude. ll a la voix pergante et rude, Sur la tdte un morceau de chair. Une sorte de bras dont il s'6ldve en l'air Comme pour prendre sa vol6e, La queue en panache 6tal6e. ) Or c'6tait un cochet dont notre souriceau Fit d sa mdre le tableau Comme d'un animal venu de I'Am6rique. < ll se battait, dit-il, les flancs avec ses bras, Faisant tel bruit et tel fracas, Oue moi, qui gr6ce aux dieux de courage me pique, En ai pris la fuite de peur, Le maudissant de trds bon ceur. Sans lui j'aurais fait connaissance Avec cet animal qui m'a sembl6 si doux. ll est velout6 comme nous, Marquet6, longue queue, une humble contenance ; Un modeste regard, et pourtant l'eil luisant : Je le crois fort sympathisant Avec messieurs les rats ; car il a des oreilles
Soulignons, pour conclure ce premier point, que c'est probablement I'existence de cette op6ration g€n6rale d'ancrage qui amdne M. Riffaterre d dire du systdme descriptif qu'il < ressemble d une d6finition de dictionnaire > et d le consid6rer comme un ( reseau verbal fig6 qui s'organise autour d'un mot noyau > (le << pantonyme > de Philippe Hamon). On comprend mieux aussi que Barthes puisse parler d'un < artefact lexicographique >'
3.2. Procddure d'aspectualisation Si I'on en croit Littre, la description est une ( sorte d'exposition des divers aspects par lesquels on peut considerer une chose et qui la fait connaitre au moins en partie > (ie souligne). On peut dire que l'6num6ration de I'exemple (l) consiste d donner successivement quarante-deux parties (aspects) des encyclopddies de la collection < Ddcouvertes ) chez Gallimard (thdme-titre donne aprds l'6numdration, c'est-d-dire ici sous la forme d'une affectation retardant l'ancrage rdfdrentiel). Ce texte apparait, dans sa premiCre partie, comme un exemple de ce qu'on peut appeler un degr€ z6ro de la description dans la mesure of n'est pas pris en compte I'autre aspect de tout objet : la mise en dvidence de ses qualitds ou propridtds (ce que prend en charge la fin du document). L'op€ration d'aspectualisation est la plus communement admise comme base de la description. Ainsi G.G. Granger' parle-t-il de < la mise en 6vidence d'un tout > et de ( son d6coupage en parties ) au moyen d'un < reseau abstrait > qui met les 6l6ments en relation. Je dirai, pour ma part, que I'op6ration d'ancroge est responsable de la mise en 6vidence d'un tout et I'opdration d'aspectualisation du d6coupage en parties (n. ennrtns). Il faut toutefois ajouter d ce d6coupage en parties la prise en consid6ration des qualitds ou propri6t6s du tout (couleur, dimension-taille, forme, nombre, etc.), voire, par le biais d'une nouvelle op€ration (sous-thdmatisation), des propridtds des parties envisagdes. Ainsi, en (4), pour la couleur et la taille (PRoPRIETES) du chapeau (e,lnrtE) de Charlot (Thdme-titre). Entreprenant le portrait de Carmen, Mdrimde se r€fdre au moddle de la beaut6 espagnole et il identifie une matrice textuelle qui correspond parfaitement d I'op€ration d'aspectualisation.
En figure aux n6tres pareilles. Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'6clat L'autre m'a fait prendre la fuite. Mon fils. dit la souris, ce doucet est un chat, Oui sous son minois hypocrite Contre toute ta parentd D'un malin vouloir est port6. L'autre animal tout au contraire, Bien 6loign6 de nous mal faire, Servira quelque jour peut-€tre d nos repas. Ouant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. Garde-toi, tant que tu vivras, De juger des gens sur leur mine. >
La Fontaine, Fables.
(s)
J'eus alors tout le loisir d'examiner ma gitane, pendant que quelques honn€tes gens s'6bahissaient, en prenant leurs glaces, de me voir en si bonne compagnie. Je doute fort que mademoiselle Carmen fOt de race pure, du moins elle 6tait
On voit que la fable - genre habituellement dconome en description 'appuie ici entidrement sur de longs fragments descriptifs (vers 8 e 14, l8-19 :t 24 it 30) ins€r6s dans une structure narrative €ldmentaire : pn0-R6sum6
infiniment plus jolie que toutes les femmes de sa nation que i'aie jamais
v. l-2) et Entr6e-pr6face (v. 3) +
r
Pn2-Complication (v.7-14)
Pnl-Situation initiale (v. 4-6) + Pn3-Evaluation extradi6gdtique (v. l5-17)
l.
I
Pour la connaissance philosophique, Paris, Odile Jacob, 1988
:
109
et
I 17.
90
Les textes: types eI prototypes
Description 9l
rencontrdes. Pour qu'une femme soit belle, disent les Espagnols, il faut qu,elle r6unisse trente si, ou, si l'on veut, qu'on puisse la d6finir au moyen de dix adjectifs applicables chacun d trois parties de sa personne. Par exemple, elle doit avoir trois choses noires : les yeux, les paupidres et les sourcils ; trois fines, les doigts, les ldvres, les cheveux, etc. Voyez Brant6me pour le reste. Ma boh6mienne ne pouvait prdtendre e tant de perfection. Sa peau. d,ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la teinte du cuivre. ses yeux dtaient obliques, mais admirablement fendus ; ses ldvres un peu fortes, mais bien dessindes et laissant voir des dents plus blanches que des amandes sans leur peau. Ses cheveux, peut-Ctre un peu gros,6taient noirs, d reflets bleus comme I'aile d'un corbeau. longs et luisants. Pour ne pas vous fatiguer d'une description trop prolixe, je vous dirai en somme qu'd chaque d6faut elle r6unissait une qualitd qui ressortait peut-Ctre plus fortement par le contraste. C'6tait une beautd 6trange et sauvage, une figure qui dtonnait d'abord. mais qu'on ne pouvait oublier. Ses yeux surtout avaient une expression i la fois voluptueuse et farouche que je n'ai trouvde depuis d aucun regard humain. CEil de boh6mien, eil de loup, c'est un dicton espagnol qui d6note une bonne observation. Si vous n'avez pas le temps d'aller au Jardin des plantes pour 6tudier le regard d'un loup, consid6rez votre chat quand il guette un moineau. Prosper M6rim6e, Carmen
Lorsqu'il note que la femme id€alement belle se d€finit <( au moyen de dix adjectifs applicables chacun i trois parties de sa personne ) et lorsqu'il precise qu'<< elle doit avoir trois choses noires : les yeux, les paupidres et les sourcils ; trois fines, les doigts, les ldvres, les cheveux, etc. ), M6rim6e fonde une matrice num6rique (<< trente si >) sur les composantes de toute aspectualisation : pRopRrETE (dix adjectifs) et pARTrEs (chaque adjectif devant Otre applicable d trois parties du corps de la belle). L'exemple propos6 peut Otre rinsi d6compos6 (ie note par Pd, la macro-proposition descriptive directement reli6e au theme-titre et par pd la ou les propositions descriptives d6velopp€es d un niveau 2, 3, 4, etc.\ :
Il faut souligner la compl6mentaritd des deux composantes de la proc6dure d'aspectualisation : comme le choix des parties s6lectionn€es par le descripteur est contraint par I'effet recherch6, le choix des propri€t6s (PROPR) permet, lui, de poser la question de l'orientation 6valuative (argumentative) de toute description. Les adjectifs s€lectionnds peuvent Otre relativement neutres : dire d'une balle qu'elle est ronde ou iaune, par exemple, n'engage pas vraiment le descripteur. Dire d'un personnage qu'il est marid ou cdlibataire non plus ; en revanche, le qualifier de grand ou petit, de beau ou de laid, de mince ou de maigre, touchant ou caractdriel, peut sous-entendre un choix et r6v6ler I'existence d'une 6chelle de valeurs sur laquelle le descripteur a choisi de s'appuyer. De tels adjectifs dvaluatifs, qui impliquent un jugement de valeur dthique ou esthetique et revelent donc une prise en charge dnonciative (modus qui vient s'ajouter au dictum), sont dits axiologiques'. La valeur axiologique d'adjectifs comme accueillant et direct est relativement commune aux lecteurs francophones de la premidre page du journal Le Monde ; elle est, en revanche, sdlectionnde par le contexte pour des adjectifs plus flous comme : simple, grand, dnergique, carrd ou massif . En t6moignent ces descriptions (10) du Premier ministre iranien Ghothzadeh (le 17 septembre 1982, jour de sa mise d mort) et (l l) du pr€sident 6gyptien Moubarak (10 d€cembre 1986) : {10}
De toute fagon cet homme grand, massif , 6nergique qui avait incontestablement une forte personnalit6 et tenait d son franc-parler ne pouvait guEre faire bon m6nage avec la clique cl6ricale A laquelle il reprochait d'avoir mono-
polis6 le pouvoir. (11)
L'homme est toujours aussi accueillant, simple, direct. Mais peut-Ctre est-il plus carrl qu'auparavant, comme s'il avait pris de l'aisance au fil des 6preuves qui n'ont pas manqu6. Les effets d'isotopie deviennent ici essentiels. C'est le rep€rage co(n)textuel d'une isotopie qui garantit la valeur neutralis6e ou franchement 6valuative (affective, axiologique ou non) des propri6t€s de I'objet d6crit.
Belle femme I
Pd PART
yeux I
pd PROPR
doigts I
pd PROPR
pd PROPR
Il est trds int6ressant de constater que l'ambition taxinomique de I'histoire naturelle de l'6poque classique dont parle M. Foucault dans les Mots et les Choses repose sur les op6ration dont nous avons parl6 : euphorie de la
ldvres I
I
I
pd PROPR
3.3. Proc6dure de mise en relation
pd
PROPR
I
pd PROPR
L I
noirs
I
"",1,",
^i,*
f
ins
I
I
f
ines
f
ins
Voir
A ce propos
C. Kerbrat-Oreccioni : L'Enonciation : de la subjectiviti dans le langage, 6 de ses Etiments de linguistique pour le
A. Colin, Paris, 1980 ; et D. Maingueneau, chapitre texte litftraire, Bordas, Paris, 1986.
92
Description
Les lexles: types et prototypes
denomination par le langage du continu des objets du monde (opdration d'ancrage),
division et classement des 6l6ments qui composent les objets eux-mOmes (operation d'aspectualisation). opdration de mise en relation analogique enfin :
[...] Les formes et les dispositions doivent €tre d6crites par d'autres proc6d€s : soit par I'identification ir des formes g6om6triques, soit par des analogies qui toutes doivent Otre < de la plus grande €vidence >>. c,est ainsi qu'on peut ddcrire
certaines formes assez complexes ir partir de leur trds visible ressemblance avec le corps humain, qui sert comme de r6serve aux moddles de la visibilitd, et fait spontan6ment charnidre entre ce qu'on peut voir et ce qu'on peut dire. [...] Linn6 €numdre les parties du corps humain qui peuvent servir d'arch6types,-soit pour les dimensions, soit surtout pour les formes : cheveux, ongles, pouces, palmes,
eil,
oreille, doigt, nombril, p6nis, vulve, mamelle. (1966
:
147)
cette proc6dure descriptive correspond d ce que j'aiproposd de ddsigner par I'opdration c"assimilation qui peut €tre soit comparotive, soit mitophorique. Un proc6d6 de ce type prdside d ce portrait de Frangois Nourissier dans le Journal de Matthieu Galey :
tl2t Un visage rose, un peu mou, le nez rond, et un front immense. ouelque chose
d'une vierge flamande qui aurait oubli6 sa coiffe.
une premidre opdration d'aspectualisation permet de consid€rer une partie (le visage) du tout (F. Nourissier). une opdration de th6matisation s6lectionne, d'une part, des propri6t6s de ce visage : rose, mou (marqu6 par une 6valuation : un peu) et, d'autre part, des parties du visage avec leurs propri6t6s res-
pectives : nez < < rond et front < < immense. Le portrait se tirmine par une mise en relation comparative : quelque chose d'une vierge ftamande it
laquelle la proposition relative ajoute une propri6t6.
Francois Nourissier
ASPECTUALISATION
REFORMULATION I I
quelque chose d' I I
COMPARAISON I
93
La mise en relation peut €tre, plus simplement, mdtonymique. Dans ce I'objet ddcrit est rapproch6 d'autres objets spatialement (m6tonymie du contact proprement dite) ou temporellement (metalepse). Ainsi, dans les exemples (3) et (7), si la moustache de Charlot est une partie du personnage au mOme titre que les yeux et les pommettes du boy chinois - €l6ments envisa-
cas
le chapeau melon de geables donc par une procedure d'aspectualisation papillon du boy chinois sont les chaussures et Charlot, le costume, le neud (SITUATION) selon une avec le thdme-titre relation autant d'6l6ments mis en proc€dure de contact m6tonymique.
-,
3.4. Procddure d'enchissement par sous-th6matisation Cette op€ration d'enchissement d'une s6quence dans une autre est ir la source de l'expansion descriptive. Ainsi s'opdre le passage des macro-propositions descriptives (Pd) de rang I aux propositions descriptives (pd) de rang 2, 3, 4, etc., de tous Ies exemples pr6c6dents. Comme on a pu s'en rendre compte, une partie s6lectionn6e par aspectualisation peut €tre choisie comme base d'une nouvelle s6quence, prise comrne nouveau thdme-titre et, e son tour, consid6r€e sous diff€rents aspects : propri6t6s €ventuelles et sous-parties. Par une nouvelle thdmatisation (si I'on considdre I'ancrage comme la thdmatisation de base), une sous-partie peut Otre envisagde dans ses propri6t6s et parties et cela, th6oriquement, de faqon infinie. Cette opdration s'applique prioritairement, pour I'aspectualisation, aux parties et, pour la mise en relation, d la mise en situation mdtonymique (objets contigus). La thdmatisation sur assimilation comparative ou mdtaphorique est beaucoup plus rare et r{servde aux
(... vous €tes mon /ion [ASS mdta. + th6matisation-PROPR] gendreux\. Les propri6t6s, qui ne supportent gudre qu'une opdrasuperbe et (de type Beau [PROPR + th6matisation-ASS comparative tion d'expansion comp.l comme...\ ont gdn6ralement pour fonction de clore une expansion. Il en va de m€me pour I'opdration de reformulation qui ouvre ou ferme une s€quence en remontant directement au Thdme-titre et qui se combine souvent avec une m6taphore. Ainsi dans ce dialogue d'une vignette du Dossier Harding (Dargaud 1984, planche 27),bande dessinde de Floch et Rividre qui met en scdne deux personnages on ne peut plus britanniques, install€s dans de confortables fauteuils de leur club : propri6t6s
une vierge flamande I
pd2 PROPR I I
qui aurait perdu sa coilfe
{13} Pouvez-vous me d6crire ce yankee ? Hum... Pour autant que ie m'en souvienne. il s'agit d'un type plut6t grand' aux cheveux roux... ll s'habille de fagon voyante et fume de gros cigares : en somme, l'Amdricain typique. Floch et Rividre, Dossier Harding, @ 6d. Dargaud' 1984.
-
94
Les
Description
tates : types et prototlpes ce yankee
uN ASPECTUALISATION pn
o pf,
iffi -------F7r
---------1
TYPE MISE EN RELATION
nr es r
---r--METONYMIE (PREDICATS
REFORMULATION I I
FONCTIONNELS}
I
(CONNECTEUR CONCLUSIF}
plut6t grand
I I I
aux cheveux
(Cvati
En somme
des cigares
I
PROPRI€TE I
I
roux
THEMATISATIONS
lr rt
PROPRIETE
lr rl
de fagon
gros
i
la fin de la s6quence.
4. Texte proc6dural ou description d'actions
PROPRIETE
voyante
de synthdse de la description de la vignette de B.D. examinde rapidement cidessus. Par I'op6rati on d' aspectualisation, les diff6rents aspects de l' obiet (Par' ties et/ou qualitds) sont introduits dans le discours. Par la mise en relation, I'objet est, d'une part, situ€ localement et./ou temporellement et, d'autre part, mis en relation avec d'autres par les divers proc6d1s d'assimilallon que constituent la comparaison et la m6taphore. Par une op6ration facultative de th6matisation, n'importe quel 6l6ment peut se trouver, d son tour, au point de d6part d'une nouvelle proc6dure d'aspectualisation etlou de mise en situation, processus qui pourrait se poursuivre i I'infini. Enfin, quel que soit I'objet du discours (humain ou non, statique ou dynamique), il faut souligner qu'une m0me opdration d'ancroge garantit I'unitd sdmantique de la s6quence en mentionnant ce dont il est question sous la forme d'un thdme-titre donn6 soit au
d6but soit
I
THEMATISATION
l'Amdricain typique
La progression de la r6plique descriptive est trds m6thodique : la premidre phrase d6veloppe l'aspectualisation Qtropridtd puis partie),la seconde la mise en relation et la dernidre, marqude comme conclusive par la ponctuation, propose une reformulation de synthdse. Dans la publicit6 suivante, I'op6ration de thdmatisation comparative sur les trois propri6t6s 6num6r€es dds le titre est particulidrement exemplaire : 114l
H6tels Meridien Caraibes Bleu, blanc, frais Bleu comme la mer, parfois verte ou turquoise, ou mauve selon les heures. Blanc comme le sable, ou le soleil i midi. Bleu, blanc, frais comme les rafraichissements au bord de la piscine. Les hdtels Meridien cara'rbes sont des cocktails de plaisir. Les trois propri6t6s (Pd pRopR) du thdme-titre subissent chacune un traitement de m6me type (i trois niveaux hidrarchiques de profondeur). L'ouverture potentiellement infinie de la description au regard du r6f6rent n'existe pas du point de vue de I'orientation argumentative, de la fonction de la s6quence descriptive dans un texte donn6. Linguistiquement (J'-M. Adam et A. Petitjean 1989), il est difficile d'admettre I'id6e d'anarchie et d'absence de construction dont parle paul val6ry. Reposant sur une procedure de hierarchisation trds stricte (qui la distingue nettement de la liste6numdration), la description peut €tre d6finie comme un type de s6quentialit6 r6gi par diverses op6rations presque compldtement illustr6es par le sch6ma
95
?
Dans mes publications ant6rieures, suivant en cela les propositions typologiques de Werlich et de Longacre, j'avais sans h6sitation consid6r6 la recette de cuisine, la notice de montage, les consignes et rdglements, rdgles du jeu et guides d'itin6raires, I'horoscope m€me, la proph6tie et le bulletin m€t6orologique, comme des repr6sentants probables d'un type de sdquentialit6 sp6ci-
fique. Les textes que certaines typologies appellent programmatifs ou instructionnels, ou encore injonctifs, ont en commun de dire de faire en pr6disant un r6sultat, d'inciter trds directement i I'action. G. Vigner rdsume bien les caract6ristiques de ce genre en parlant de < la reprdsentation d'une transformation d'6tat que le lecteur aura i rdaliser sur injonction de scripteur, transformation qui s'accomplira par le moyen d'un algorithme rev€tant la forme d'activit6s gestuelles programmdes selon une logique technique (et culturelle) donn6e > (1990-: ll4). A prdsent que les critdres se sont affin6s, je suis plus nuanc6. Je me demande, en effet, si nous n'avons pas affaire,'dans tous ces cas, d des actualisations singulidres d'un simple genre de description. M'opposant trds nettement i ceux (Greimas 1983, Bouchard 1991) qrii font de ces des variantes du r6cit, je la recette de cuisine surtout sortes de textes dirai qu'ils se laissent abuser par la prdsence massive de pr6dicats actionnels, qu'ils ne tiennent pas assez compte du caractdre illocutoire des temps utilis6s (infinitif jussif, imp€ratif ou futur pr6dictif), de I'absence dnonciative de sujet ddtermin6 (place abstraite destin6e d €tre occup6e par le lecteur lui-m€me) et du caractdre r$solument non fictionnel du genre. Qu'une narrativisation soit en raison de la transformation d'un 6tat de d6part en toujours possible ne m6tamorphose pas pour autant le discours proc6dural un 6tat d'arriv6e programmateur en rdcit. Faute de place, je me contenterai du cas de la ou recette de cuisine en examinant un exemple classique, d I'infinitif (publicit6 des magasins cooP).
96
Les
textes: tlpes et protorypes
{15} COOUELET AUX MORILLES
lngrddients pour 4 personnes : 2 gros coquelets 5O g de beurre 1 dchalote 1/2 gousse d'ail 1 sachet de morilles s6ch6es 1 dl de vin blanc 2 dl de bouillon de poule ou un fond de volaille sel
poivre noir du moulin 1 pointe de moutarde 1 pointe de concentr6 de viande 2 dl de double crEme PrEparation Couper les coquelets en morceaux, les rincer i l'eau froide et les s6cher avant de les saler et poivrer. Les faire dorer de toutes parts, les rdserver. Faire tremper les morilles dans de l'eau chaude et les rincer soigneusement. Dans le beurre de cuisson des coquerets. 6tuver air et 6charote hachds menu, ajouter les morilles et saisir. Mouiller avec le vin blanc, et laisser rdduire avant
d'ajouter le bouillon, la moutarde et le concentr6 de viande. Remettre la volaille dans la sauce, couvrir et laisser cuire pendant 20 min d petit feu. Sortir les morceaux de volaille et r€server au chaud. Affiner la sauce avec la cr0me et tout en remuant, porter d dbullition. Napper les morceaux de
volaille de cette sauce et servir trds chaud. Accompagner de haricots ( mange-tout >>, de riz sauvage et de l6gumes.
Le genre de discours que I'on catdgorise sans peine comme << recette de cuisine > comporte un plan de texte clair : a) Nom de la recette qui correspond parfaitement au thdme-titre (opdration d'ancrage) de la sdquence descriptive. b) Liste des ingr6dients ndcesssaires qui degr6 z€ro de la description - (encore correspond i l'6numdration des composants 6pars et crus) du tout (a). c) Description des actions d ex6cuter correctement pour obtenir le plat convoitd
Description
97
ail et 6chalote hach€s menu )) : il faut donc, pr6alablement avoir hach6 menu la l,/2 gousse d'ail et I'dchalote). Une premidre s6rie d'actes concerne la volaille (actes I ir7),la s6rie suivante (8 d 17) porte sur la sauce, puis trois actions (18 a 20) ont conjointement trait d la volaille et d la sauce. Une nouvelle phase (21 it 22) porte alors sur la volaille, puis une autre sur la sauce (23 it 25) et, de nouveau, sur les deux (25 et26). Le plat ainsi constitu6 est enfin accompaen9 (27) d'6l6ments non rdpertorids dans la liste des ingrddients du plat
principal.
On le voit, un ensemble ordonn6 d'actes aboutit d I'objet global qui assure I'homog6n6it6 de la structure. Soit un plan type de ce genre de texte dans lequel les 6l6ments de la s6quence (b) sont repris syst6matiquement dans une s6rie d'actes (c). Ce plan est nettement plus prdcis que celui que je proposais dans mon article de la revue Pra tiques (n" 56 1987) : [a] correspond d ce que j 'appelais alors < 6tat final ,, [b] e < 6tat initial D et [c] d << transformation >. Ce sch6ma reste vrai du point de vue de l'algorithme de transformation : une suite ordonn6e d'op6rations permet de passer d'un 6tat initial (ensemble d'ingrddients divers ou d'6l6ments 6pars) d un 6tat final (tout achev6). Mais le sch6ma que je propose actuellement tient mieux compte du fait que cette structure peut 0tre assimilde un processus de condensation lexicale : passage de la liste [b] d un lexdme superordonn6 [a], qui sert de thdme-titre d la recette, par le moyen [c] de verbes d'action. G. Vigner (1990 : 109)t identifie parfaitement ce mouvement sans en tirer malheureusement les cons6quences typologiques qui s'imposent : un tel processus correspond d la structure de la description. On peut dire que le texte de type programmatif introduit un mouvement dans la structure : [a] n'est obtenu que si l'on opdre sur [b] une s6rie d'actes [c]. Mais [b] et [c] ne font que d6crire ou d6finir, d'une fagon certes un peu particulidre, le thdme-titre [a]. Le processus de ddmultiplication qui permet de passer de [a] la liste [b] des ingr6dients ressemble dl'aspectualisation et le processus inverse de condensalior ressemble beaucoup ir
i
i
l'affectation.
(a).
. cette dernidre s6quence, entidrement lindaire, garantit le passage des parties au tout. Ainsi, en (15), la s6quence de2i actes successiis (c)-permet de passer des 12 ingr6dients de (b) au tout (a). La d6composition de L description d'actions (c) ne peut €tre op6r6e en termes narratifs. Il s'agit seulement de s6ries d'actes successifs soigneusement hi6rarchis6s. L'exemfle (15) comporte 25 actes explicites et 2 actes sous-entendus (en dixidme position < : 6tuver
l.
G. Vigner d6crit toutefois avec beaucoup de justesse le mdcanisme g6n6ral et il dresse une typologie des algorithmes de transformation qui permet de rendre compte de tous les textes programmatifs. Je renvoie donc cet article ainsi que, pour une premidre approche de la description d'actions, ir F. Revaz 1987.
i
98
Les textes: types et prototypes
Description Thdme-
Coquelet aux morilles [al
-/
\- ---\ Icondensation]
'[transf ormation]
------------t>
S6quence 2 Description d'actions [cl
99
Je ne considdre plus aujourd'hui cette s6quence comme un exemple type d'hdtdrog6n€it6, mais comme un simple cas d'animation par la description d'actions d'un portrait par d€finition statique. En d'autres termes, cette sorte dc procddure descriptive ne diffdre pas vraiment de la description d'objets dans le mouvement de leur fabrication. Ainsi dans cet exemple homdrique (un peu moins cdldbre que le bouclier d'Achille) oir la description du lit d'ulysse cl de Pdndlope XXIII del'odyssde est narrativement motiv6e - au chant par le fait que P€n6lope met Ulysse d l'dpreuve -en lui demandant de d€crire I'objet qu'ils sont les seuls, avec la servante Actoris, d connaitre :
(17t
ce plan de texte et des marques de surpeut €tre tent6 de consid6rer les textes proface elles aussi trCs spdcifiques, on comme un type bien individualisd, situ6, cdduraux et injonctifs-instructionnels (trds proche du r6cit selon la le r6cit et description entre dans un continuum, Greimas (1983) et Bouchard (1991), extremement proche de la description selon moi). Je viens de montrer pourquoi je ne considdre pas utile d'en faire un sixidme prototype de s6quence, cette solution ne me g€ne que parce que I'on n'est d6jd plus dans un prototype de s€quentialit6, mais bien dans un genre discursif avec toutes ses composantes pragmatiques (vis6e illucutoire injonctive, place 6nonciative vide destin6e d Otre occupde par le lecteur, monde repr6sent6 non fictionnel). Je trouve plus 6conomique d'dviter autant que possible de multiplier les prototypes de base. L'application du moddle propos€ a toutes les recettes possibles permet de comprendre le cas singulier du portrait-recette de Chateaubriand cit6 par Philippe Hamon (1981) et repris page 95 du Texte descriptif :
A cause du caractdre trds strict de
(16) Lucile, la quatridme de mes seurs. avait deux ans de plus que moi. Cadette d6laissde, sa parure ne se composait que de la d6pouille de ses seurs. Ou'on se figure une petite fille maigre, trop grande pour son 6ge, bras d6gingand6s, air timide, parlant avec difficulte et ne pouvant rien apprendre ; qu'on
lui mette une robe emprunt6e d une autre taille que la sienne ; renfermez sa poitrine dans un corps piqu6 dont les pointes lui faisaient des plaies aux c6t6s ; soutenez son cou par un collier de fer garni de velours brun ; retroussez ses cheveux sur le haut de sa t€te, rattachez-les avec une toque d'6toffe noire ; et vous verrez la misdrable crdature qui me frappa en rentrant sous le toit paternel. Personne n'aurait soupgonn6 dans la ch6tive Lucile, les talents et les beaut6s qui devaient un jour briller en elle.
Chateaubriand, M6moires d'outre-tombe, 13.
[...] ll est un secret dans la structure de ce lit : je I'ai bdti tout seul. r90 Dans la cour s'6levait un rejet d'olivier feuillu dru, verdoyant, aussi 6pais qu'une colonne. Je bdtis notre chambre autour de lui, de pierres denses, je la couvris d'un bon toit, la fermai d'une porte aux vantaux bien rejoints. Ensuite, je coupai la couronne de l'olivier et, en taillant le tronc ir la racine, avec le glaive je le planai savamment et l'6quarris au cordeau pour faire un pied de lit ; je le pergai A la taridre. Aprds cela, pour l'achever, je polis le reste du lit 2oo en l'incrustant d'argent, d'ivoire et d'or ; je tendis les sangles de cuir teintes de pourpre. Voild le secret dont je te parlais [...] Homere, Odyssde, trad. de p. Jaccottet, @ La D6couverte, 1 989, pp. 372-373.
on le voit clairement : le lit n'est pas d6crit dans son 6tat d€finitif mais en cours de fabrication par ulysse lui-m€me. Il est difficile de mieux m€ler description et action. conformdment aux recommandations des petits maitres de rh6torique et de stylistique, la description-recette est, avec la descriptionpromenade (dont la description d'itin6raire est une variante), une des techniques d'animation des objets statiques. Toutes ces formes de recours d la description d'actions apparaissent donc comme des solutions internes au descriptif ct pas du tout comme des proc6d6s de narrativisation. Au terme de ce type de description d'actions un tout est certes constitu6, mais il faut absolument tenir compte du fait qu'aucune complication-Pn2 et aucune r6solution-pn4 ne viennent, dans la description-promenade, la description-recette et la description d'itindraire, proc6der d une quelconque mise en intrigue. si une 6valuation finale est parfois introduite, ceci ne fait pas pour autant basculer la description d'actions dans le r6cit : le critdre (E) manque. En d'autres termes, un algorithme lin6aire de transformations n'est pas un recit. Il serait, ir ce propos, utile de r6server le verbe relater aux rapports non narratifs de
100
Les textes
:
Dauiption l0l
lypes et prototwes
chaines d'actions. Ainsi Ulysse relate-t-il ici la construction du lit (il en d6crit la fabrication), mais il ne raconte, proprement parler, rien. Un < r6cit de r€ve > relate une suite non coordonn€e causalement d'actes et d'6tats. A pro-
i
prement parler,
il
ne raconte, lui non plus, rien.
5. Pour conclure Pour conclure, retenons que la description s'6tend de la limite infdrieure repr6sent6e par une simple proposition descriptive d la s6quence descriptive compldte dont la limite est potentiellement infinie. En termes de dominante textuelle, la description I'emporte rarement. Dans un r6cit de quelque 6tendue, elle est, en principe, au service de la narration, c'est-d-dire domin6e. Peu d'dcrivains se sont d'ailleurs risqu6s la description continue. < Le Domaine d'Arnheim > et < Le Cottage Landor )) d'8.A. Poe (Histoires grotesques et sdrieuses) constituent deux cas uniques dans toutes les nouvelles de I'auteur amdricain. Avec Lo Presqu'ile, Julien Gracq va plus loin encore dans la procddure de la description-promenade et il se conforme i la ddfinition qu'il donne lui-mOme de la description : < La description, c'est le monde qui ouvre ses chemins, qui devient chemin, oti ddjd quelqu'un mar-
i
che ou va marcher >> (En lisant, en dcrivont). Je ne citerai, pour finir, qu'un cas d'h6t6rog6n€it6 textuelle forte : la description des Terriens r€v6s de fagon prdmonitoire par Ylla K., au tout d6but des Chroniques martiennes de Ray Bradbury. (18)
- Bizarre, murmura-t-elle. Trds bizarre, mon r6ve. -oh? Visiblement il n'avait qu'une envie : aller retrouver son livre. r6v6 d'un homme. - J'ai homme - Un homme trds grand. Prds d'un mdtre quatre-vingt-cinq. - Un un g6ant, un g6ant monstrueux. Ridicule - Pourtant, ;dit-elle, cherchant ses mots. ll avait l'air normal. Malg16 sa taille. !
-
Et il avait... oh je sais bien que tu vas me trouver stupide... ll avait les yeux b/eus
-
!
Les yeux bleus ! Dieux ! s'exclama M. K. Qu'est-ce que tu reveras la pro-
chaine fois ? Je suppose qu'il avait les cheveux noirs ? ? Elle 6tait surexcitee. - Comment l'as-tu devin6 plus invraisemblable, r6pliqua-t-il froidement. la la couleur J'ai choisi pourtant noirs ! Et il avait la peau trds blanche ; oh vrai. lls 6taient C'est il 6tait tout d fait extraordinaire ! Avec un uniforme 6trange. ll descendait du ciel et me parlait trds aimablement. Elle se mit e sourire. Descendre du ciel, quelle sottise ! [...] Les propositions descriptives sont ici diffract6es de r€plique en r6plique selon un ordre [dialogue dominant > description dominde]. Bien s0r, I'int6r0t
dc ce texte est de nous donner d connaitre les normes descriptives du monde dans lequel nous entrons. La banalitd d'un homme (thdme-titre) mesurant I m 85 (propri6t6), aux yeux (partie) bleus (propri6t6), aux cheveux (partie) noirs (propri6te) et e la peau (partie) blanche (propri6t6) est transformde, par la mise en scdne dialogale (6valuations successives), en description extraordirraire au regard de M. et Mme K. Les adjonctions mdtonymiques (v€tements, l'usde) viennent ensuite compl€ter cette description, on le voit, tout d fait canonique par ailleurs.
6.
Exercices d'analyse s6quentielle
Texte 3.1 . Un portrait en parallele (L. Bodard) Analysez, de faqon d6taill6e, la structure s6quentielle de la troisiime puis de la quatridme phrase de I'exemple (7) p. 87 - portrait du boy chinois (Lucien Bodard, La Chasse d l'ours, Grasset 1985: 39). lnspirez-vous des reprdsentations de la structure des exemples (1 2) et (1 3) pour mettre au point le schdma de la structure de chacune de ces phrases-sAquences.
Texte 3.2. Types et prototypes d'6l6phants africains Pour renvoyer - en abyme - d la probl6matique du pr4sent ouvrage d partir d'une description qui pose la question des prototypes de fagon fort claire (prototype d'6l6phants africains dits < de savane > et < forestier > par rapports auxquels une gamme de variantes peut 6tre posde), je ne resiste pas d I'envie de citer ce petit texte paru dans un hebdomadaire helvetique : [...] [a] On diff6rencie deux types d'6l6phants africains : [b] le type dit < fores> dont les aires d'habitat sont les for6ts de C6te-d'lvoire [c] et le type dit ( de savane > que l'on rencontre g6ndralement au Kenya. [d] L'6l6phant forestier est le plus petit. [e] ll a une forme plus a6rodynamique > [f] et " le front un peu fuyant. [g] Ses d6fenses sont droites [h] et dirigdes vers le bas, [i] particularitd anatomique [j] lui permettant de se d6placer plus facilement [k] dans les for€ts !l encombr6es de branches. [m] Ses oreilles ont une forme plus arrondie. [n] Ouant d l'6l6phant de savane, il peut atteindre 3 m 5O au garrot. [o] Son front est plus droit, [p] ses d6fenses sont recourb6es [q] et ses oreilles, trds grandes, [r] sont de forme triangulaire. [s] Entre ces deux types, il existe toute une gamme de variations et il est difficile de tracer avec nettet6 une
tier
limite conventionnelle oir la race dite forestidre cdde le pas d celle des savanes.
P. Challandes, Fdmina no 4, janvier 1992 : 34, Lausanne.
Etabtissez l'arbre descriptif des deux portraits d'1tdphants. Structure de la description de l'6l6phant ( forestier > puis structure de celle de l'616-
phant < de savane
>.
Chapitre
102 La tutes : lypes et prototYqes
4
Texte 3.3. Argumenter en ddcrivant Donnez, dans un premier temps, le schdma de la structure descriptive de cette brCve tfigende qui accompagnait la photographie d'une falaise d'escatade de ta rdgion d'Evian et Thonon : Cadre verdoyant
rocher franc et massif le Pas-de-l'ours a tout Pour Plaire.
lAlpi-rando, n" 90, 1986
:
Le prototype de la s6quence argumentative
1161.
Afin d'articuler analyse s6quentielle et analyse pragmatique, tentez de rendre compte des dimensions s6mantique, flnonciative et illocutoire de
ce petit texte. Comme je I'ai d6ji notd plus haut, il ne faut pas plus confondre I'unit6 compositionnelle, que je d6signe sous le terme de s6quence argumentative, avec I'argumentation en g6n6ral que confondre la s6quence descriptive dont il vient d'€tre question avec la fonction descriptive-rdf6rentielle de la langue ou encore le dialogisme avec le dialogue. D'un point de vue g6n€ral, I'argumentation pourrait fort bien €tre conque comme une quatridme ou une septidme fonction du langage aprds les fonctions 6motive-expressive, conativeimpressive et r€ferentielle de Btihler ou encore m€talinguistique, phatique et po€t:que-autotdlique de Jakobson. Il ne peut €tre question d'entrer ici en matidre sur la question classique de la prioritd d accorder i la fonction descriptive (conception dite descriptiviste) ou d la fonction argumentativerh6torique (position dite ascriptivrsre). Quand on parle, on fait allusion i un < monde > (< r6el >> ou fictif, pr6sentd comme tel ou non), on construit une repr6sentation : c'est la fonction descriptive de la langue. Mais on parle souvent en cherchant d faire partager i un interlocuteur des opinionq ou des repr6sentations relatives dr un thdme donn6, en cherchant i provoquer ou accroitre I'adhdsion d'un auditeur ou d'un auditoire plus vaste aux thdses qu'on pr6sente i son assentiment. En d'autres termes, on parle trds souvent pour argumenter et cette finalitd est consid€r6e par les uns comme surajout6e a la valeur descriptive-informative de la langue (c'est la position classique de la rh6torique) et par les autres comme premidre (c'est la thdse de Ducrot et Anscombre 1983). Dans cette dernidre perspective, les donndes informationnelles ne sont pas vues comme prioritaires dans la reconstruction du sens d'un 6nonc6, mais comme d€riv6es de sa valeur argumentative. D'aprds le sch6ma 2, proposd au tout ddbut du pr6sent ouvrage (page 2l), la notion gdndrale d'argumentation peut €tre abord€e soit au niveau du discours et de I'interaction sociale, soit au niveau de I'organisation pragmatique de la textualit6. Si I'on d6finit I'argumentation comme la construction, par un 6nonciateur, d'une reprdsentation discursive (plan A3 d'organisation)
104
Les textes
:
types et protoljpes
Argumentotion
visant d modifier la repr6sentation d'un interlocuteur d propos d'un objet de discours donn6, on peut envisager le but argumentatif en termes de visde illocutoire (plan Al). En revanche, si I'on considdre l'argumentation comme une forme de composition 6l6mentaire, si I'on postule I'existence, chez les locuteurs, de repr6sentations prototypiques relatives d un ou d des sch6mas de l'argumentation, on se situe, cette fois, au niveau 82 de I'organisation s6quentielle de la textualit6. Dans cette perspective, on se demandera si certaines suites de propositions peuvent €tre marqudes comme des suites r6interpr6taConclusion, Donnde(s) Conclubles en termes de relr''rn Argument(s) sion (Toulmin 1858 : 97)r ou encore Raisons Conclusion (Apoth6loz et al. 1989). Ces variantes rendent toutes compte d'un m€me ph6nomdne : un discours argumentatif vise d intervenir sur les opinions, attitudes ou comportements d'un interlocuteur ou d'un auditoire en rendant cr6dible ou acceptable un dnoncd (conclusion) appuy6, selon des modalit6s diverses, sur un autre (argument./donn6e,/raisons). Par ddfinition, la donn6e-argument vise d 6tayer ou r6futer une proposition. On peut dire que ces notions de conclusion et de donn6e (ou encore prdmisses) renvoient I'une d I'autre. Un 6nonc6 isol6 n'est pas a priori conclusion ou argument-donn6e. Si une (une seule ou plusieurs) proposition apparait comme le pr6alable d'une conclusion, c'est aposteriori, par rapport d cette dernidre. La relation [Donn6e Conclusion] peut €tre consid6r6e comme une s6quence de base dans la mesure oir une s6rie s'interrompt et oir un effet de cldture est ressenti (Apoth€loz et al. 1984 : 38). Cette id6e est soutenue aujourd'hui par nombre de sp€cialistes de l'argumentation. M.-J. Borel, par exemple, exprime une position trds proche de celle que syst6matise le prdsent ouvrage : << Il n'y a de conclusion que relativement d des pr6misses, et rdciproquement. Et d la diff6rence des pr6misses, le propre d'une conclusion est de pouvoir resservir ultdrieurement dans le discours, d titre de pr6misse par exemple. On a ainsi un type de sdquence textuelle qui se diff€rencie d'autres s6quences, narratives par exemple > (1991 78). D. Apothdloz et D. Mi€ville, dans leur r6flexion sur la relation d'6tayage, d propos d'un corpus oral, repdrent ( toutes les situations dans lesquelles un segment de texte appar[ait] comme un argument en faveur de l'€nonciation d'un autre segment du m€me texte > (1989 : 248). Par le terme segment, ils ddsignent des unit€s textuelles << dont la grandeur peut varier entre la proposition ou l'6nonc6 et une sdquence d'6nonc€s >> (ibid :249). Cette analyse des relations enfie segment 6tayd et segment 4tayant reldve assur€ment de la probl6matique ddvelopp6e ici m€me.
-
-
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i
-
:
l. Un schdma de l'etayage argumentatif
105
des propositions
l'our expliciter ce principe qui est certainement a la base de toute assertion rrrgumentative, revenons sur plusieurs 6nonc6s d6jd examin6s et, tout d'abord, sur un exemple propos6 au chapitre I : (3O) La marquise a les mains douces, mais je ne l'aime pas.
Une suite de ce type peut €tre considdrde comme une s6quence argumenlative 6l6mentaire dans la mesure otr le connecteur MAISr fournit des instructions de traitement de la proposition qui le prdcdde et de celle qui le suit. La proposition p lLa marquise a les mains doucesl est donnde i lire comme une donn6e-argument pour une conclusion C lJe I'aimel non exprim6e. La prolrosition p rdpond, en quelque sorte, d une question implicite du type : Pour tluelle raison aimes-tu la morquise 2 La proposition p 6nonce la donn6e (< data > chez Toulmin) qui justifie la conclusion C. Cependant, comme le souligne le sch6ma argumentatif imagind par Toulmin (1958), pour que cette .iustification soit valable, il faut encore rdpondre d la question implicite : comrnent peut-on passer de la donn6e p ir la conclusion C ? Qu'est-ce qui l6gitime ce passage de la douceur des mains de la marquise d I'amour qui lui est port6 ? Une rdgle d'inf6rence, un principe g6n6ral (<< warrant > chez Toulrnin) ou << licence d'inf6rer > (De Pater 1965 : 95) 6vite que I'on soit oblig€ d'introduire d'autres donn€es et vient, en quelque sorte, jeter un pont entre donn6e et conclusion. Dans notre exemple, c'est un topos actualisd dans l'6nonc6 (28) du chapitre I qui sert de fondement d f infdrence et vient 6tayer lc passage de la donn6e d la conclusion :
(28) Les hommes aiment les femmes qui ont les mains douces. On peut ainsi d6composer le mouvement d'infdrence sous la forme d'un raisonnement sous-jacent qui aurait la forme d'un syllogisme dans lequel le passage de la classe (les hommes/les femmes) d un membre seulement de la classe (Jella marquise) ne pose pas trop de probldmes : Les hommes aiment les femmes qui ont les mains douces (28) on La marquise a les mains douces (29) ooruc .j'aime la marquise
La donnde qu'exprime (29) ne mdne d la conclusion fJ'aime la marquisel que par le biais d'une inf6rence, c'est-d-dire de I'application d'une rdgle d'inf6rcnce appuy6e sur la raison ou garant explicit€ par la prdmisse majeure (28).
Ajoutons toutefois qu'une Restriction (r6futation ou exception) doit €tre
l T.A. Van Dijk (1980) s'inspire explicitement de ce philosophe du langage ; c'est dgalement i lui que se r€fdrent aujourd'hui Plantin (1990 : 22-34) et Brassart (1990 : 316-317).
l.
Pour une description d6taill6e de ce connecteur, je renvoie aux pages l9l-210 de
t;lements de linguistique textuelle.
mes
106
Argumentation
Les textes: types et protorypes
107
lLa marquise a les mains douces MAI| P)IJRTANTie ne
introduite qui modalise le passage de la donnde d la conclusion : les inf6ren-
MAIS avec PoURTANT
ces peuvent certes 0tre dtay€es par un certain nombre de justifications ou Supports (( Backing >> chez Toulmin 1958 : 103 et 105), mais elles peuvent aussi,
I'aime poslconfirme la nature concessive de l'op6ration argumentative d6clench6e par MAIS. Dans ce cas, on peut dire que la rdgle d'inf6rence - qui ne s'applique pas pour des raisons qu'il faudrait s'applique gdn€ralement dtayer sous la forme d'une restriction : ,l MoINs QUE la marquise ne soit trop sotte, pretentieuse, jeune/vieille, rdactionnaire, inculte pour moi. Ce qui aurait canoniquement la forme d'un carr6 argumentatif :
dans certaines circonstances, ne pas s'appliquer ; il doit toujours y avoir une place prdvue pour une dventuelle non-application des rdgles d'inf6rence, voire
pour une rdfutationr. En d'autres termes, m€me si la donnde-argument entraine IRoBABLEMENT ou vRAISEMBLABLEMENT (adverbe modal de Force) la conclusion, c'est dans le cadre d'une restriction ou contre-argumentation toujours possible (A MorNs euE). En r6sum€, le schdma de base de I'argumentation est une mise en relation de donnCes avec une conclusion. Cette mise en relation peut €tre implicitement ou explicitement fond6e (garant et support) ol contrari€e (rifutation ou exception). Si la donnde est l'6l6ment le plus souvent explicite, le support est trds souvent implicite et les autres composantes se situent entre ces deux pdles d'implicitation et d'explicitation. Le sch6ma du mouvement argumentatif est donc, dds lors, le suivant : Proposition p [La
marquise doucesl
nECle ----'donc probablement ---->[J'aime la marquise] b,frufgneflCe
les mains
oottruEes
t
8i',ili,? aiment
[Les hommes
les femmes qui ont les mains doucesl
toNcLusloN
I f,3','ffii3"" (r6futation exception)
La prise en compte du caractdre seulement probable de I'application de la rdgle d'inf6rence qui conduit d la conclusion, d'une part, et de la restriction, d'autre part, est tellement utile qu'avec l'6nonc6 (30), on constate que la seconde proposition, introduite par le connecteur MAIS (ici concessif), vient justement souligner le renversement de la conclusion attendue. C'est un schdma concessif classique dans lequel la rdgle d'infdrence est contredite :
-
I
[Application de la rdgle d'inf6rencel
l_ q'*
Conclusion
___
tl
Conclusion q [Je l'aime]
MAIS ----- Arg-Donn6e y doucesl [Elle est sotte et laide]
<---
->
Conclusion non-q [Je ne l'aime pasl
Le moddle de Toulmin (revu par De Pater 1965 et Plantin 1990 et encore modifid partiellement ici) est un vdritable sch€ma du processus d'6tayage/r€futation des €nonc6s caracteristique de la s6quence argumentative que nous dirons canonique ou prototypique. Afin d'en exposer bridvement une version aussi simplifi6e que possible, raisonnons un moment sur les deux propositions descriptives suivantes :
Une proposition descriptive de ce type peut 0tre assert6e dans une sdquence argumentative si elle prend appui sur une autre proposition :
'lilJ#?'
I
-------
(1) Harlem est suisse. (1'l Omar est franqais.
t
Proposition p [Donn6e] -------- MAIS
Donn6e p
lLa marquise a les mains
lApplication de] ila restrictionl
+
proposition non-q
--
La seconde proposition n'acquiert son statut de donnie ciu de pr€misse (2) + DONC VRAISEMBLABLEMENT pro- [proposition position (l)l qu'en fonction d'une troisidme proposition le plus souvent implicitde : pour la conclusion
(3) Les gens n6s A Lausanne sont gdndralement sujets helv6tiques. (3'l Les gens nds d Evian sont g6neralement sujets frangais. Cette proposition implicite, qui garantit les inf€rences et la pertinence de l'ddifice argumentatif, s'appuie elle-m6me sur un Support tout aussi implicite :
-
Le fait que l'on puisse remplacer le connecteur MAIS par ET pouRTANT marquise a les mains douces ET aoURTANT je ne I'aime pasl ou combiner lLa
l. Plantin (190 : 33) note bien que la composante Restriction constitue < une allusion d'un adversaire > au moins potentiel.
(2) Harlem est n6 i Lausanne. (2'l Omar est n6 i Evian.
d la position
(4) Etant donn6 les dispositions l6gales du code de la nationalit6 en vigueur dans le pays en question.
La Restriction (r€futation ou exception) qui doit €tre apport€e est la suivante
:
108
Les texta
:
Argumentation
types el prototypes
(5) A moins que ses parents ne soient dtrangers et qu'Harlem n'ait pas opt6 pour la nationalite suisse d dix-huit ans ou pas fait ses dtudes et r6sid6 assez longtemps en Suisse ou qu'il ait 6td naturalis6 allemand.
Cette restriction, en raison du droit du sol prioritaire encore
i
ce
jour
en France sur le droit du sang, ne s'applique pas de la m6me fagon en France (l') qu'en Suisse (l). La binationalit€ est envisageable en (l'), mais pas du tout en (l). La restriction diffdre selon les dispositions l6gales des codes de la nationalit6, mais, de toute fagon, pour pouvoir asserter (l), il faut admettre (2), en raison de (3) et (4) et sous la condition de (5). C'est donc bien d << monde > ou espace sdmantique (qu'on peut considdrer comme un champ argumentatif) que l'6tayage argumentatif d'un 6nonc6 est possible. Le sch6ma argumentatif complet suivant (inspir€ de Toulmin 1958 ') rdsume le mouvement :
I'int6rieur d'un
proposition l2l -*------ [inf€rence]----- donc probablement
IDoNNEESI
I puisque
IGARANTI
it moins que
proposition (1)
lcoNcLUsloNl
t (31
+
(51
Les deux premidres propositions fournissent les donndes lal Il y avoit princesse qui et laissent entenprince 4pouser une voulait un fois [bl dre que I'on pourrait inf6rer (conclusion C implicite) qu'il sera facile au h6ros de cette histoire de trouver une 6pouse. En effet, dans le monde des contes, les royaumes et les princesses ne manquent pas. La proposition descriptive introduite par le premier connecteur argumentatif [c] MAIS une princesse vient apporter une indication suppldmentaire d partir de laquelle vdritable une conclusion non-C peut €tre tir6e : il ne sera peut-€tre pas aussi facile que cela d'en trouver une. Le sch6ma argumentatif est alors le suivant : une
-
-
-
-
propositions [al et [b] --- MAIS --- proposition [cl
ll
>
{Conclusion C} <
(Conclusion non-C)
+
DONC
.+
proposition [dl
Le mouvement argumentatif est plus complexe qu'il n'y parait. En effet, la conclusion DoNc [d] est 6tay6e par I'ensemble de ce qui pr6cdde et qui menait d la premidre conclusion implicite (non-C). En d'autres termes, une premidre conclusion devient pr6misse (donn€e) pour une nouvelle conclusion. Soit un schdma complexe de l'6tayage de la proposition [d] :
IRESTRTCTTONI
t
6tant donnd (41 lsuPPoRTl
En interrogeant plus i fond les rdgles d'inf6rence (ou de passage), il serait certainement possible de proposer une typologie des formes de I'argumentation ordinaire et de distinguer d6monstration (enchainement d6ductif de propositions) et argumentation proprement dite. Je laisse cette question d6licate en suspens pour ne m'int6resser qu'au sch€ma g6ndral susceptible de fournir la base d'un prototype de la s€quence argumentative. Avant d'en venir d un tel prototype et surtout pour insister ici encore sur I'hdt6rog6ndit6 textuelle, il me parait utile de revenir sur deux exemples d6jd examin6s dans les chapitres consacr6s au r6cit et i la description. L'exemple (8), premier paragraphe d'un conte d'Andersen dont j'ai analys6 la structure narrative aux chapitres I (p. 32) et 2 (p. 50-51), peut €tre reconsiddrd argumentativement i la lumidre des connecteurs. (8) [a] ll y avait une fois un prince [b] qui voulait dpouser une princesse. [c] MArs une princesse v6ritable. [dl ll fit ooruc le tour du monde pour en trouver une, [e] et, la v6rit6, les princesses ne manquaient pas ; [f] mers il ne pouvait jamais s'assurer si c'6taient de v6ritables princesses ; [g] toujours quelque chose en elles lui paraissait suspect. [hl EN coNsEoueruce, il revint bien afflig€ de n'avoir pas trouv6 ce qu'il ddsirait.
i
l.
109
(DONNEES
(DONNEE
----->
DONC [dl) CONCLUSION}
Le d€but de la seconde phrase (P2) fait allusion aux infdrences de la preet, d la vdriti, les princesses ne monquaient pas midre. La proposition [e] MAIS est une allusion directe i la conclusion C, mais les propositions [fl princesses jamois et s'assurer si c'dtaient de viritables il ne pouvait [g] viennent reprendre, toujours quelque chose en elles lui paraissait suspect avec le connecteur MAls, le mouvement argumentatif pr6c6dent. La propoEN IoNSEQUENCE, il revint bien affligd de n'avoir pas trouvd ce sition [h] qu'il ddsirait est prise exactement dans le m6me mouvement que la propo-
-
-
-
-
sition [d]
:
-
-
-
-
propositions [dl et [e] --- MAIS --- propositions [fl et [gl
ll
(Conciusion C') <
-
-
> (Conclusion non-C')
+
EN CONSEOUENCE
+
prop. [h]
Soit un schdma complexe des dtayages de la proposition [h] semblable d celui de l'€tayage de [d] : (([dlet [el MAls [f]et lsl-----> non-c'] -----> {D.NNEES
Voir aussi Plantin 1990 : 28, et Brassart l99O : 3l'7.
---> non-C) ---> -.._> CONCLUSION}
(([a] et [b] MAIS [c]
---->
t",X3t-"tJ:il--->
EN CONSEOUENCE [h]]
coNcLusroN}
ll0
Les textes: tlpes et prototlpes
Argumentation
J'ai montr€, au chapitre 2, comment cette structure argumentative est narrativis6e. Je ne reviens pas sur cette analyse, mais soulignons que nous avons ici I'illustration parfaite de ce que j'ai d6fini comme une h6t6rog€n6it€ de type [S6quence dominante ) Sdquence dominde]. Si le rdcit domine ici l'argumentation, c'est, d'une part, pour des raisons linguistiques de surface : pr6sence de I'organisateur narratif < Il 6tait une fois > et du couple verbotemporel imparfait-passd simple accompagn6 de la troisidme personne (illelle) et, d'autre part, pour des raisons g6n6riques : ce texte est un conte. La structure argumentative que je viens de ddcrire est au service de la structure s6quentielle narrative. La < logique >> de ce paragraphe est certes ceile que les deux sch6mas des dtayages argumentatifs des propositions viennent de d6crire, mais celle-ci ne prend tout son sens que dans la logique narrative propre aux contes : les sujets partent en qu€te d'un objet qui doit Otre valoris€, ils tentent de transformer une relation de disjonction en conjonction pour effacer le manque qui motive la narration m€me. La premidre sdquence, scand6e par le d€part et le retour du sujet-hdros, ne pr6sente pas de r€solution du manque et I'on peut, de ce fait, escompter que ce r6cit est loin d'Otre achev6. R€v6lant un autre aspect de I'h6t6rog6ndit6, l'exemple descriptif (7) du chapitre 3, permet d'examiner comment deux descriptions successives d'un m€me personnage, rdsumdes chacune dans une reformulation dont j'ai parl6 d6jd plus haut, peuvent Otre argumentativement reli6es. t7t [P1] Le boy chinois : quand j'y repense ! [P2] Ouelle n'avait pas €t6 notre surprise d Anne Marie et moi lorsque nous avions 6t6 le chercher d la gare ! [P3] Tout guindd en gentleman, jaune dans les attifements du blanc, avec son costume bleu ray6, son neud papillon et ses chaussures en daim, on aurait dit un ddfileur de carnaval. [P4] pouRTANr, grand et mince, visage sculpte dans le bois dur des jungles, des yeux de tigre et de hautes pommettes, c'6tait un v6ritable Seigneur de la guerre. [pS] En le voyant, j,avais 6td tout excit6, le ceur comme un tambour : avoir I'un de ces hommes redoutables pour serviteur d la fois m'attirait et me terrifiait [...].
La premidre phrase-s€quence descriptive [P3] aboutit reformulative : Proposition
p:
i
une proposition
Le boy chinois [...] on aurait dit un ddfileur de carnaval.
La deuxidme phrase-s6quence
se
r€sume dans cette autre reformulation
:
Proposition q : Le boy chinois [...] c'6tait un v6ritable Seigneur de la guerre.
Soit une structure argumentative que je ddcris plus compldtement dans le corrig6 de I'exercice 3.1. (p. 198-200) du chapitre pr6c6dent : (C1) Pronpsition p (D2) ---- POURTANT
L__---'.7,
Conclusion non-q (C2)
-1-
---
-
----
(C3) proposition q (D4)
,---HONCLUSTON
(C4l
III
La proposition p peut €tre analysde, dans un premier mouvement, comme une sorte de conclusion (Cl) tirde des donn6es fournies par la description (Dl). Dans un deuxidme mouvement, cette conclusion devient une nouvelle donn6e (D2) menant d la conclusion non-q (C2) selon un processus inf6rentiel qui ne pose pas de probldmes. La proposition q, de la mOme manidre, est une sorte de conclusion (C3) des donn6es (D3) fournies par le reste de la phrasesdquence descriptive P4. Elle devient une nouvelle donnde (D4) qui, associde d D2 dans un mouvement concessif classique, 6taye la conclusion (C4) de la phrase P5. Soit le sch6ma suivant de l'dtayage successif des propositions : 1P3l D1
-->
C1
prop.
I
D2
p
+
C2 (non-q) --- POURTANT --- [P4] D3
-
ala
prop. q
I
D4
+
C4 [Psl
Selon ce sch6ma du mouvement argumentatif, on voit que les deux un mouvement argumentatif dominant. Les reformulations, dont il a 6t6 question au chapitre 3, prennent ici tout leur sens. La fonction s6quentielle de la reformulation a trop rarement 6t6 soulignde par les linguistes : on voit bien ici comment la reformulation est une sorte d'intermddiaire, de transition entre la sdquence descriptive qu'elle boucle et le mouvement argumentatif englobant. s6quences descriptives sont prises dans
2. Schdma inf6rentiel, syllogisme et enthymdme On peut dire que le moddle r6duit du mouvement argumentatif est exemplairement rdalis€ par l'induction [Si p alors q] et par le syllogisme (avec sa variante
incompldte propre au discours ordinaire : I'enthymdme). Dans les Premiers Analytiques (24b, 18-22) - voir aussi les Topiques, Aristote avance cette ddfinition du syllogisme : Livre l, 100a25-100b26 -, < Le syllogisme est un raisonnement dans lequel certaines pr6misses 6tant posees, une proposition nouvelle en r6sulte n6cessairement par Ie seul fait de ces donn6es. > On retrouve la base du sch6ma examin6 plus haut : les pr6misses sont ici d6finies comme des donn6es dont rdsulte ndcessairement (< une proposition nouvelle > qui est proprement une conclusion. Le syllogisme a pour particularit6 d'amener la conclusion sans recours extdrieur : ( par le seul fait de ces donn6es >. C'est dire qu'il ne n6cessite ni support, ni restriction et que la rdgle d'inf6rence est la simple application d'un sch6ma abstrait (sch€ma tellement formel qu'il peut aboutir i des conclusions aussi absurdes
ll2
Les texles
:
Argumentation
types et prolotwes
qu'amusantes). Retenons seulement que la structure du syllogisme correspond conclusionl. au sch6ma de base : [donn€es (prdmisses majeure et mineure) Par rapport e cette structure logique un peu trop iddale et formelle, le discours naturel recourt plus volontiers I'enthymdme. Ainsi dans ces deux exemples publicitaires que j'6tudie plus en d6tail ailleurs (1990 : l2l-133):
-
i
la conclusion < Alors il n'y a pas de bulles dans Banga >. L'enthymdme a ici la forme superficielle du sch6ma inf6rentiel argumentatif [Si p alors ql et nous sommes trds proches des enoncds argumentatifs classiques :
i
(11) Si vous savez casser un
LE MIEL
(1O) ll n'y a pas de bulles dans les fruits. Alors il n'y a pas de bulles dans Banga.
En (9), la conclusion du syllogisme manque : < Donc toutes les vertus sont dans le miel. > En (10), c'est une pr6misse qui est sous-entendue : < Or il n'y a que des fruits dans Banga. > Dans les deux cas, on peut reconnaitre la d6finition aristot6licienne de I'enthymdme. Aristote pr6cise, dans Ie livre premier de la Rhdtorique, que l'exemple comme induction et I'enthymdme comme syllogisme sont ( compos6s de termes peu nombreux et souvent moins nombreux que ceux qui constituent le syllogisme proprement dit. En effet, si quelqu'un de ces termes est connu, il ne faut pas l'€noncer ; I'auditeur luim€me le suppl6e > (1357a). Prenant I'exemple d'un athldte c€ldbre, Aristote explique que pour conclure qu'il < a regu une couronne comme prix de sa victoire, il suffit de dire : il a 6t€ vainqueur d Olympie ; inutile d'ajouter : d Olympie, le vainqueur regoit une couronne ; c'est un fait connu de tout le monde > (ibid.). Dans le Livre II de la Rhdtorique, lrailant des enthymdmes, il ajoute : << Il ne faut pas, ici, conclure en reprenant I'argument de loin, ni en passant par tous les 6chelons ; le premier de ces proc6d6s ferait naitre l'obscurit6 de la longueur ; I'autre serait redondant puisqu'il €noncerait des
c'est-d-dire domin6e par le principe du paralldlisme. Le couplage des termes utilisds aboutit d un reste presque anagrammatique : < Les vertus... Trubert >>. Avec Banga (10), la pr6misse non dite est surtout celle que I'on veut voir reconstruite par le lecteur-interpr€tant. En n'6nonqant pas la prdmisse mineure (< Or il n'y a que des fruits dans Banga >), le publicitaire 6vite, de plus, de voir son propos tomber sous le coup d'une accusation de publicitd mensongdre. Le lecteur-interpretant assume seul la donn6e implicitde qui permet d'aboutir
(Alsa)
qu'elle est. Dans ces deux cas, le schema [donn6es + conclusion] est 6vident. Il se complique seulement de la construction d'un monde plus (12) ou moins (l l) fictif. Dans tous les cas, le moddle est le suivant : dans le contexte de p (Si p), il est pertinent d'6noncer la conclusion q (alors q)1. Avec les exemples suivants, le sch€ma argumentatif se complique un peu : (13) M6me si leurs nombreuses couches sont d6lectables : le secret de nos lasagnes reste imp6n6trable. (Findus)
(14) Si notre classe Club World est reconnue comme I'une des meilleures au monde, c'est qu'elle a 6t6 pens6e avant tout par des passagers d'affaires. (British Airways) (1
5) Si les mamans veulent la douceur Peaudouce, c'est parce que c'est bon
pour elles.
En (13), MEME SI laisse entendre que I'on pourrait normalement tirer de la donn6e p une conclusion contraire i la valeur n6gative (< imp6ndtrable >) de la proposition q. Ce sch6ma concessif repose sur [Si p alors q] et sur son
corollaire [Si non p alors non q]
:
DONNEE --- [Rdsle d'inf6rencel --- CONCLUSION (Si non-p)
choses dvidentes > (1395b22).
Ajoutons qu'6noncer la conclusion de (9) serait certes inutile, puisque tout lecteur, appliquant la loi d'abaissement (premier terme de la pr6misse majeure + second terme de la pr6misse mineure), aboutit ais€ment d la conclusion implicitde, mais surtout que ceci ne permettrait pas de formuler la conclusion publicitaire vis6e qui porte sur un miel particulier et pas sur tous les miels. L'€conomie du discours naturel est ici de nature < podtique >>,
euf, vous savez faire un g6teau.
(12) si SAAB produisait ses voitures en masse, aucune sAAB ne serait ce
(9) Toutes les vertus sont dans les fleurs Toutes les fleurs sont dans le miel TRUBERT
I 13
'---t M€me si p------------> (alors q)
Bien sfir, il faut admettre une rdgle d'inf6rence un peu ddlicate d 6tablir ici, mais qui laisse entendre que ce qui est < d{lectable )) est ( p6n€trable >. L'exemple suivant est probablement plus simple d interprdter : (16) M€me si la population canine est en baisse dans nos r6gions ['..] l'amour du toutou n'est pas pass6 de mode pour autant'
l.
pouruneetuded6taill6e,jerenvoieauchapitre3deLangueetlittdrature(1991)quejeconsa-
cre A un grand nombre d'exemples d'hypoth6tiques.
ll4
Les textes: tlpes et prototypes
Argumentation
DONNEE --- [Rdgte d'inf6renceJ --- CONCLUSTON Mdme si p----------;'(alors q)
I 15
La structure explicative de (14) et de (15) correspond donc d un mouvement infdrentiel qui part de I'indice-effet (la ou les donndes) pour remonter d la cause en renforgant avant tout la v6rit6 m€me de la donn6e.
Si non-p
3. Du
schdma del'ltayage des propositions au prototype de la sdquence argumentative
Ici, la donn€e ( baisse de la population canine > laisse conclure dans le sens <( I'amour du toutou est donc pass6 de mode >. Le propre de unue st (renforcd ici par pouR AUTANT) est de souligner que l,infdrence attendue est justement remise en cause. cet exemple 6tant un titre d,article de presse, on s'attend, bien s0r, d ce que le corps de I'article vienne expliquer I'apparente contradiction. Avec les exemples (14) et (15), il semble que Ie schdma argumentatif des hypoth6tiques ne s'applique plus aussi bien et que I'on ait gliss6 insensiblement de I'argumentation i l'explication. En effet, dans la structure explicative de type [Si p c'est (parce) que q], il semble que la relation d'orientation argumentative lindaire [Si donn€e p - (alors) conclusion q] s'inverse en un nouvel ordre [Si F * c'est (parce) que q]. Cette inversion apja.ente de I'inf6rence est caract6ristique de la s6quence explicative dont il sera question au chapitre 5 : [p est vrai, mais pourquoi ? parce que q]. En fait, selonun sch6ma pr€vu par Aristote dans les Premiers Analytiques (il zl ,70a-b), on remonte ici de I'indice p i ce qu'il indique, i savoir q : l'effet p indique la cause q. comme le rappellent les sdmiologues : <( Dans certains contextes, la prdsence d'une cause est une bonne raison d'en inf6rer celle d'un effet, dans d'autres il est licite d I'inverse d'inf6rer celle de la cause de la prdsence de I'effet. > (Apoth6loz et al. 1984 :41). Le schdma est bien de type [c'est parce que q (donn€e) que p (conclusion)l :
L'analyse de ces divers exemples nous amdne i admettre I'idde d'un mode particulier de composition liant des propositions selon un ordre progressif : conclusion, ou selon un ordre rdgressif : conclusion * q], l'6noncd paralldle << au mouvement du raisonnement : On tire ou fait linguistique est s'ensuivre une consdquence de ce qui la pr6cdde d la fois textuellement et arguq], mentativement > (Borel l99l : 78). Dans I'ordre r6gressif [p * CAR la lin6arit6 de l'6nonc6 linguistique est I'inverse du mouvement : -<< On justifie une affirmation qui pr6cdde textuellement, mais qui suit argumentativement > (ibid.). Tandis que I'ordre progressif vise i conclure, I'ordre r6gressif est plut6t celui de la preuve et de I'explication. Soulignons qu'd I'oral, I'ordre semble pr€f€rentiellement r6gressif : << On asserte quelque chose et ensuite seulement on justifie, explique, etc. ) (Apoth6loz et Midville 1989 : donn6es
-
-[inf6rence]* [inf€rence]- donn6es. Dans I'ordre progressif [p - ooNc
249).
Le ddtour par le syllogisme et I'enthymdme nous force i revenir sur la forme de donndes que reprdsentent les pr6misses et sur la conclusion. On a vu plus haut ir quel point ces deux unitds de base de la sdquence argumentative se d6finissent I'une par I'autre : les propositions qui constituent les pr€misses ne le sont qu'en fonction de la conclusion et cette dernidre n'existe, en tant que telle, que vis-d-vis de la (ou des) proposition(s) qui constitue(nt)
( 1 4') c'est parce qu'elle a 6t6 pens6e avant tout par des passagers d, atfaires que notre classe club World est reconnue comme l,une des meilleures au monde.
les prdmisses. La d6pendance de ces deux macro-propositions est donc struc-
turelle. Si la macro-proposition conclusive (P.arg. Concl.) peut comprendre plusieurs propositions, disons qu'elle comprend, au minimum, une proposition compldte et qu'on peut la ddfinir, d'un point de vue illocutoire, comme << un acte d'assertion qui, mettant en jeu une ou plusieurs infdrences, pr6sente ces infdrences comme ldgitimant [...] les dnonc€s concluants. [...] Une conclusion suppose toujours au moins une op6ration inf6rentielle, mais une telle opdration ne donne pas n6cessairement lieu i un acte de conclusion >r (Apoth6loz et al. 1984 : 39).
(15') c'est parce que c'est bon pour elles que les mamans veulent la dou-
ceur Peaudouce.
Pour passer de ee sch6ma explicatif 6l6mentaire i la structure argumentative, le mouvement [donn6es * conclusion]. c'est un peu plus facile pour (15) que pour (14) :
il faudrait pouvoir r6tablir
(15") si Peaudouce est bon pour les mamans, alors il est naturel qu,elles
i
veuillent la douceur peaudouce.
Le mouvement qui mdne de la macro-proposition prdmisse (ou donn6es)
la macro-proposition conclusion m€rite une attention toute particuliere.
Perelman congoit ce mouvement comme un transfert d'adhdsion
(14") si notre classe club world a 6t6 pens6e avant tout par des passagers d'affaires, alors on comprend qu'elle soit reconnue comme l,une des meil-
:
L'argumentation ne transfdre pas des pr6misses vers une conclusion une propri6t€ mais ce qui est le cas dans la d6monstration objective, telle que la vdrit€ s'efforce de faire passer vers la conclusion l'adhCsion accord€e aux prdmisses.
-
leures au monde.
t
-,
116
Les textes: types et prototypes
Argunenlation ll7
cette adhdsion est toujours relative ir un auditoire, eile peut €tre plus ou moins intense, selon les interlocuteurs. (19g3 : 173)
que le sens commun est entidrement disposd d reconnaitre comme argumentatifs, on constate des formes trds diff6rentes les unes des autres et m€me [...]
une argumentation n'offre aucune homog€n6it6. > (1974: 186) que par M. Charolles : << L'argumentation n'implique pas pour les discours produits qu'ils aient une forme bien sp€cifique > (1980 : 38). Il me semble que ces r6serves sont justes d'un point de vue textuel global : les textes-discours argumentatifs sont certainement aussi vari6s que les modes textuels de narration. Mais ceci n'interdit pas de formuler une hypothdse sdquentielle plus restrictive, fond6e sur la possibilitd de reconnaissance par les locuteurs, d'une forme prototypique de sdquence argumentative de base. Pour passer du schdma procddural 6l6mentaire dont il a 6t6 question plus
Si I'id6e de transfert d'adhdsion est int6ressante, la distinction entre argu_ mentation et d6monstration n'est peut-Otre pas aussi 6vidente. pererman tient
pourtant d cette distinction
:
Dans un systime former cohdrent chacun doit arriver grace au calcur au m6me r6sultat. Il n'en est pas de m€me dans |argumentation, of un discours efficace ir l'6gard d'un auditoire d'ignorants p"ut nL pas convaincre des esprits prus
ques.
(t983: I74)
criti_
cette distinction pr6suppose, on le voit, un id6al logique du discours de la science qui n'est quand m0me pas tout d fait confo.mJita reunte. Au lieu d'admettre cette distinction, je dirai seulement que le mouvement g6n6ral est le m6me dans I'argumentation et dans la ddmonstration. En .ff.,, .o--" le souligne G' vignaux : ( tout texte scientifique se construit dans |argumentation et la controverse, sans parler des 6l6ments stylistiques qui vont fonder, authentifier ce qu'on pergoit ou ce qu'on sait €tre uni rhdtorique de la science > (1988 : 5l). que les hommes comme re souligne Ia cdldbre formure , - Etant donn€ - caprice de Pascal se gouvernent ( plus par que par raison > (<< De l,esprit de g6om6trie >), il faut insister sur le choix dei prlmisses d'une argumenra_ tion. Le fait qu'une argumentation vise toujouis un auditeur ou un public sp€cifique explique l'importance de ce choix : < Il est n6cessaire que [le locuteurl se fasse, parmi d'autres, une reprdsentation de son auditeur. Non s.utement des connaissances qu'il a, mais des valeurs auxqueiles il adhdre > (Grize 1981 : 30). Dans cette perspective, on comprend qu;Aristote et perelman d sa suite se soient longuement attard6s sur lanature des premisses. Le raisonnement d'Aristote est le suivant : pour convaincre un lnterlocuteur, il faut mettre celui-ci en position telle qu'il se trouve dans I'impossiuiliid
haut
i
l'essai de d6finition d'une unit6 s6quentielle prototypique, partons d'une
d6finition avanc€e dans un contexte linguistique pourtant non textuel par O. Ducrot : Un grand nombre de textes litt€raires, surtout aux xvn. et xv[r. sidcles, se pr€sentent comme des raisonnements. Leur objet est soit de ddmontrer, soit de refuter
une thdse. Pour ce faire, ils partent de pr€misses, pas toujours explicites d'ailleurs, cens6es incontestables, et ils essaient de montrer qu'on ne saurait admettre ces pr€misses sans admettre aussi telle ou telle conclusion la conclusion 6tant soit la thdse ir d€montrer, soit la n6gation de la thdse de leurs adversaires. Et, pour passer des pr€misses aux conclusions, ils utilisent diverses ddmarches argumentatives dont ils pensent qu'aucun homme sens6 ne peut refuser de les
-
accomplir.>(1980:81) Bien qu'elle s'appuie sur des formes trds dlabordes (litt6raires) de discours argumentatifs, cette d6finition rejoint le moddle mis en dvidence plus haut. O. Ducrot parle d'abord de deux mouvements argumentatifs : ddmontrer et r6futer une thdse. Dans les deux cas, le mouvement est le mOme puisqu'il s'agit de partir de prdmisses (donndes) qu'on ne saurait admettre sans admettre aussi telle ou telle conclusion. Entre les deux, le passage est assur6 par des < d6mar-
ae refuser
les propositions avanc6es. pour aller dans le sens d'une telle impossibilit6, il.faut que ces propositions soient aussi proches que possibre a. q.ilrque opinion ou autorit6 g6n6rare. pour se faire une idee ae ta *-p[.iiJ-oe ra cor_ lecte de telles pr6misses endoxales, suffit de voir !l Aristote d6crit Ieur rdcolte : << on peut retenir res opinions qui sont "ornrn"nt celles de tous les hommes' ou de presque tous, ou de ceux qui reprdsentent l'opinion 6ctair6e, et parmi ceux-ci, celles de tous, ou de preique tous, ou des plus connur, exception faite de celles qui contredisent les 6vidences communes >> (Topiques r, l4). Assurdment, les prdmisses choisies trahissent I'id6e que le locuteur se fait des repr6sentations (connaissances, croyances, id6ologie)i" ron ini"rtocuteur. Aprds une rdflexion qui nous a men€s aux frontiEres de notre obj.t, ,"u.nons a ce qui nous occupe pr6sentement. Il faut certainement admettre les r6serves exprimdes aussi bien par J.-B. Grize : < Si I'on considdre des textes
ches argumentatives >> qui prennent I'allure d'enchainements d'argumentspreuves correspondant soit aux supports d'une rdgle d'inf6rence, soit d des micro-chaines d'arguments ou des mouvements argumentatifs enchdss6s. Le sch6ma simplifi€ de base correspond d ce qu'on a vu plus haut :
i
ootrtru€es --------- ARGUMENTS --------> coNcLUstoN
(pnEurssEs)
I
6tayage des arguments I
GARANT SUPPORT
Ce sch€ma de base n'exclut pas les restrictions dont on a parl6 plus haut. De plus, il doit €tre compl6t€ d la lumidre d'un principe dialogique dont j'ai
t
ll8
Les textes: types et prototlpes
Argumentation
d6ji soulign6 I'importance : << Un discours argumentatif [...] se place toujours par rapport i un contre-discours effectif ou virtuel. [...] D€fendre une thdse ou une conclusion revient toujours d la ddfendre contre d'autres thdses ou conclusions > (Moeschler 1985 :47). on peut donc donner d la s6quence argumentative prototypique la forme suivante :
Texte argumentatif
THESE +
DONNEES
P.argo
€tayagedes
rHEsE [MAlsl
[P. arg
P.ars1
P.atg2
+
ts,l
vers 1 [p. arg 1']
CONCLUSION
l
(Nouvelle) Thdse
I
P. arg 3
Ce sch6ma de base i trois macro-propositions (p.arg l, 2 et 3) prend explicitement appui sur P.arg 0 (thdse ant6rieure) dans le cas particulier de la rdfutation. Retenons que ce sch€ma prototypique n'est pas plus d'un ordre lindaire immuable que ceux du r6cit et de la description : la (nouvelle) thdse (P.arg 3) peut €tre formul6e d'entr6e et reprise ou non par une conclusion qui la redouble en fin de sdquence, la thdse ant€rieure (P.arg 0) peut €tre sousentendue. ceci ressemble d ce qui advient des places des macro-propositions et de leur caractdre plus ou moins elliptique dans le cas de la sdquence narrative.
implicite
---->
(CONCLUSION Nouvelle thEse
[P. ars 3]
[P. ars 1l vers 3-4
I'ERTESI vers 2 [P. arg 3']
:
[p. arg 1']
[P.
ars
1]
I
I
I
[P. ars 0]
Rbgle d'infdrence
Rdgle
reconnue (CERTES)
d'inf6rence
ll
4. Analyses sequentielles
Conclusions C-C' [arg 3'] [vers 2]
4.1 Rdfutation et ellipse de la conclusion-nouvelle thbse Sans que la lisibilit6 du mouvement argumentatif en souffre, dans certaines conditions, la conclusion-nouvelle thdse (P. arg 3) peut Otre sous-entendue. ce petit podme de Raymond Queneau que j'6tudie dans le ddtail aillzurs (1990 :
7l
[inf6rencesl
que tu6e de propositions argumentatives constituant une s€quence compldte s'appuie ce texte de I'on peut dire enchdss6e. Le mouvement argumentatif sur un carr6 argumentatif qui garantit les infdrences menant d la conclusion
P. arg 4
(1
----
comme on le voit, la macro-proposition P. arg 0 est elle-m€me consti-
,1&?["'3"
227-236) en t6moigne admirablement
Ol
DoNNEES {Pr6misses)
Donn6es
donc probablement
inf6rences
l9
Veille "
nrutERteuRe
S6quence argumentative
ANTERIEURE (Pr6misses) -
(
I
<
-
-->
Conclusions non-C-C' [P. arg 3]
Le rnouvement infdrentiel de gauche se situe dans le monde non actuel marqu{ par Si hypoth6tique, I'imparfait et le conditionnel, c'est.ir-dire ici dans un univers non pris en charge par le locuteur. Cet enchainement argumentatif acquiert ainsi un statut de thdse ant€rieure (P. arg 0) tandis que les donprend en n6es aisert6es au pr6sent, aprds MAIS, sont celles que le locuteur (CenreS) la valiquand m€me qu'il reconnait charge tout en laisiant entendre inf6de ces validit{ qu'il la ne situe (vers mais 2), dit6 des conclusions C et C' qui des mdne rdgle d'infdrence La hypoth{tique. que dans un monde rences la dans r6appliqu6e ensuite 2 est vers du conclusions vers I aux donn{es du on c-c'], ---> conclusions p que --cERTEs reconnait l,on mesure otr, si [Si doit admettre 6galement que [Si non-p --- alors ---> non-C-C']. Or, les vers 3 et 4 viennent trds exactement nier la propri6t6 accord6e aux < feux dans la nuit > du vers I (< faisaient des signes > et, dans un premier 6tat manuscrit du texte : << avaient un sens >). La rime < certes >>/< d6concertent > Concentre, d elle seule, le renversement tragique du Sens au non-Sens, de la communicatiorr d la non-communication.
:
Vetu-e
Si les feux dans la nuit faisaient des signes certes la peur serait un rire et l'angoisse un pardon mais les feux dans la nuit sans cesse d6concertent le guetteur affind par la veille et le froid.
Le sch6ma argumentatif de ce petit texte est, en fait, assez complexe. )n peut dire que les vers 3 et 4 r€futent, sur la base de la donn€e qu'ils 6nonrent (P. arg l), la thdse antdrieure (P. arg 0) exposde dans les deux premiers rers. Les infdrences ir tirer de la proposition qui suit uers (vers 3-4) mdnent i une conclusion implicite qui infirme les deux assertions hypoth6tiques du ters 2, Soit un sch6ma g6n6ral de ce texte :
j
v 120
Argumentation
Les textes: types et prototypes
4.2. Retour sur un texte publicitaire :
Mir
Rose
D.G. Brassart (1990) a consacrd un article aux diverses analyses que, de 1976 i 1987, j'ai successivement propos6es de ce petit texte publicitaire fie respecte lutant que possible la disposition typographique du document original et d6signe les propositions de surface par une lettre, pour la commodit6 de I'analyse) : (
18)
[a] Les hommes aiment les femmes [b] qui ont les mains douces. [c] Vous le savez. [d] Mais vous savez aussi [e] que vous faites la vaisselle. [f] Alors ne renoncez pas pour autant d votre charme, [g] utilisez Mir Rose. [h] Votre vaisselle sera propre et brillante. [i] Et vos mains, gr6ce i I'extrait de pdtale de rose contenu dans Mir Rose, seront plus douces et
un stade de thdorisation presque aussi 6labord que celui des s6quences descriptive et narrative que je connaissais beaucoup mieux. Dans une toute premidre analyse, j'avais avancd une description narrative de ce texte. Ceci s'explique par le fait que ma conception du r6cit 6tait, d l'6poque, encore trds proche de la s6miotique narrative de Greimas. Or, dans le moddle sdmiotique de l'Ecole de Paris, la syntaxe narrative est suppos6e rendre compte de tous les textes (Greimas 1983 : 17-18). La narrativit€ est m€me ddfinie comme < le principe organisateur de tout discours > (Greimas et Court6s 1979 :249). Ne disposant pas encore des six critdres avancds
au chapitre 2, il m'erait tout d fait possible d'imaginer une narrativisation du contenu du texte.
plus belles.
[j] Elles ne pourront que vous dire merci. [k] Votre mari aussi.
l2l
(Doyle Dane Bernach Publicite)
Rendant compte de mes diff6rentes dtudes de cette publicitd, D.G. Brasart se demande s'il ne s'agit pas d'un de mes textes f6tiches... Pour 6viter le le contredire et pour verser une pidce de plus ?r son dossier, je n'h6site pas r revenir une fois encore sur cet exemple. En fait, je ne me permets ce retour ur le lieu du crime que parce que j'ai I'impression de pouvoir enfin proposer rne description d la fois simpler et relativement pr6cise de ce petit texte dans cadre d'une r6flexion plus pouss6e que celles que j'ai pu entreprendre aupaavant sur les schdmas de I'argumentation. Ddpassant progressivement la th6oie des superstructures qui est longtemps rest6e d l'6tat d'6bauche (T.A. Van e
)ijk I'a
plusieurs fois reconnu), il me fallait abandonner la pure et simple entation d'appliquer un sch6ma d un texte supposd repr6sentatif, il me falilt 6laborer un moddle prototypique de la sdquence argumentative plus souple t plus g6n6ral que le sch6ma superstructurel propos6 par L. Sprenger)harolles (1980:77).Il me fallait enfin quelques ann6es de travail sur les rarqueurs de I'argumentation (connecteurs et organisateurs) pour arriver i
. ce critdre de simplicitd n'est pas du tout appliqu6 par D. c. Brassart qui se r6fdre pourtant, cmme moi, au moddle de Toulmin. Je renvoie le lecteur int6ressd par une comparaison de nos escriptions d son article d'Argumentation no 4, 1990.
En n'entrant pas dans le detail du fonctionnement et en ndgligeant le fait qu'aucun 6vdnement n'est relat6, on pourrait consid6rer les propositions [a], [b] et [c] comme dessinant we situation initiale (Pnl) et voir dans [d] et [e] une forme de complication (Pn2). La suite pose plus de probldme, mais on pressent que I'utilisation de Mir Rose [g] pourrait constituer lune rdsolution (Pn4) du probldme pos€ en [d] et [e] qui amdne, en [h] et [i], une espdce de situation finale (Pn5). On pourrait m€me aller jusqu'ir accorder a [] et [k] un statut de < Morale >. En s'interrogeant sur les deux dernidres phrases et ces remerciements €tranges qui 6manent des mains du sujet lui-m€me et de son mari, on constate que le moddle s6miotique des actants du r6cit et des programmes narratifs s'applique assez bien. En effet, le don de la douceur et de la beaut6 accrue des mains appelle un contre-don sous forme de remerciements d'lun destinataire. La vaisselle fait quant d elle figure d'opposant et Mir Rose d'adjuvant magique dans une qu€te que mdne le sujet (< vous D. La division de ce sujet en personne totale (< vous >) et partielle (< vos mains >>, synecdoque exemplaire) s'explique parfaitement par le dispositif actantiel et les programmes narratifs : le sujet d'dtot est repr6sent6 par les mains et le sujet defaire par la consommatrice utilisatrice de Mir Rose. Si ce dernier possdde la modalitd vout-otR (vouloir plaire tout en faisant quand in€me la vaisselle) et la modalitd sAvoIR (r6p6t6e deux fois), c'est bien le eouvotn plaire qui lui manque. Le produit Mir Rose, en lui redonnant ce pouvoir, rend le sujet capable de toutes les s6ductions. Bien qu'elle soit trds approximative, une telle lecture est possible et, en d6pit de d€fauts ind6niables, elle esquisse une interprdtqtion du texte. Ceci confirme un point th€orique qui int6resse trds directement notre propos. La comprdhension d'un texte est une stratdgie de rdsolution de probldme, c'esti-dire qu'en cours de lecture, I'interprdtant conjecture au mieux I'organisation du texte en se fondant sur des strategies dont il se souvient qu'elles < se sont r6v6l6es utiles au cours de son exp6rience ant6rieure > (Kintsch l98l-82 : 780). Dans ces conditions, aussi surprenant que cela puisse paraitre, la lecture narrative d laquelle je viens de me livrer peut fort bien correspondre d l'interprdtation d'un lecteur qui ne disposerait, dans sa mdmoire d long terme,
22
r Les textes: tlpes et prototypes
Argumenlation ue de sch€mas prototypiques de rdcits (moddles de contes merve'reux en parculier)' Lecteur naifet narratorogue sont, l'un et l,autre, ounuuiles ptus par application d'un schdma preconitruit qu. pu, une r6ete attention a ra logiue spdcifique
faut ajouter encore I'appui des infdrences sur un savoir partag€: le Garant < Les mains douces, c'est bon pour les caresses ). Le connecteur argumentatif MAIS introduit une restriction susceptible de bloquer la conclusion infdrentielle Cl. La proposition [c] peut Otre d€crite comme une deuxidme sdquence ench6ss6e en position de restriction :
du texte consid6r€. Pour en revenir i certe logique, je partirai de ce sch6ma simplifi. de la lructure argumentative de Mir Rose : -
S6quence 1
PFEMISSES
Donn6es onn6es
lnf6rences
1-[a]-[bl
:
D1- Inf6ren
tal-tbl
_->Conclusion Ci
donc probablement
I
[cl
I MAIS Bestriction
Conclusion Cl
Restriction MAIS
:
S6quence 2
->
d moins que
lcJ
Donndes D2
lnfdrences
leI
ldl
-
I
/6ns
-
12
-
lnf€rences
tdr -
[eJ
ALORS
I
probablement
--
i moins que non-(non-Cil Restriction
t
puisque Garant
_> (imp6ratif)
{St} Donnee D4
[g]
>Conclusion non-Cl
t
T-
poUR
lrro*,
6tant donnd
Ifl
Support
-__-__---j l
La donn6e (D2) (( Vous faites la vaisselle >) entraine I'application d'un processus inf6rentiel : [donc probablement non-Cll : Les hommes ne vous aimeront vraisemblablement pas. Cette conclusion non-Cl s'appuie sur une rdgle d'inf€rence garantie par : puisque faire la voisselle abime les mains, ainsi que par le support : dtanl donnd que Ia vaisselle se fait avec les mains (sans gants protecteurs qssez efficaces et sons lave-vaisselle). Ce dernier mouvement argumentatif est lui-mOme susceptible d'Otre interrompu dans son ddroulement par une troisidme s6quence :
co;;tusio;;_______--__-___j
C2-rht \ c2-[hl ca-tit )I =cr--------"-----___---______--j c4-tjl-tkl
|
)
cette sch€matisation rerativement simpte permet de r6soudre l,essentiel les probldmgs que je rencontrais dans mes pr6c€dentes repr6sentations e ce texte. Il reste t r6tablir aussi clairement que possible res diffdrents rouvements argumentatifs en revenant sur les principau* uppui, lnrer"n_ els.
Sdquence
Le connecteur argumentatif MArs, qui ouvre [d], articule entre elles deux rdmisses qui ont une vareur de donn.es bout i.u" concrusions oppos.es. Les ropositions [c] (< Vous re savez >) et [d] (< vous savez aussi >>) insistent sur fait que I'interpr€tant-lecteur.(< voilJ rl pzut effectuer certaines inf6ren-
t ' D1-
rnndes D1 lal-tbl
rnf6rences tcl
-
donc
i
probabrement \
Sdquence
2:
concrusion c1
D2 [el
-
lnf6rences ldl A
-
ALORS probablement
-
Conclusion non-C1'
I
Sdguence 3
res
1
R6futation
La proposition rerative [b] introduit une propri6t6 qui est presque une striction de [af : seules tes fimmes qui oii vous avez les mains douces,
moins que MAIS
Garant
ndes des hommes, Soit une conclusion
tI
Restriction
:
-
I
[cl-->C1--*
lnf6rences
ral_rbt
.
:s. On a donc une premiire s6quence argumentative
Concl. non-Cl
probablement -
I
)onnees
123
cl
i^
moins douces peuvent otre appuy6e sur [c] : vous savez que
hommes vius aimeroii
p-nooii*ent.'
:
non-(non-Cll POUR AUTANT Restriction 2 [fl d moins que Donn6e D4 [g]-lnf6rences
--------: :
:
-
Conclusions
c2-thl
c3-[il )l=c1 c4-tjl-tkt J
{
:
--.---:
124
Argumentation
Les textes: tlpes et prototlpes
La proposition [fl (< Alors ne renoncez pas pour autant d votre charme >) . aisse entendre que le mouvement argumentatif des deux premidres s6quenplaire). cette conclusion non-cl est
:es menait d une conclusion (renoncer d
mplicitement amen6e par la donn6e D2 introduite par MArs. ce mouvement des deux premidres s6quences ne peut Otre bloqu6 que )ar une raison susceptible d'interrompre un tel enchainement : pour que non
non-cl)
ne pas (renoncer d plaire)
soit possible, il faut r6futer des inf6'ences pr6c6dentes. Le r6le du connecteur pouR AUTANT est ici important. le connecteur souligne la cons6cution [D2 ---> conclusion non-cl], c'est-dlire une conclusion non-cl (ne pas pouvoir plaire aux hommes) qui impli1ue bien un renoncement au charme. pouR AUTANT signale que cette ronclusion peut €tre rejet6e, qu'elle 6mane d'un point de vue (d'une logique) 1ui n'est pas celui du locuteur. L'analyse polyphonique d'o. Ducrot (19g4 : ',19-220) vient en quelque sorte expliquer le changement de modalit€ syntaxi1ue. Le passage d I'imp6ratif dans les propositions t4 et tgl prouve que les nonc6s qui suivent ALORS sont pris en charge nettement par le locuteur :
-
-
elui-ci pose, en fait, le savoir (propositions tbl et tdl) de son lecteurnterpr6tant comme un point de vue dont il propose la rdfutation. L'ensem,le du mouvement prdc6dent est, par la n6gation (< ne renoncez pas... >), ttribu6 i un point de vue ddclard inadmissible et que le locuteur implicite ejette imp6rativement. Le moyen de ce rejet (restriction A naotNs euE) tient tout entier dans I'utisation du produit de vaisselle Mir Rose (proposition [g]). Soulignons encore ue le futur des propositions [h], [i] et tjl introduit une prddiction des conclurons lides d cette nouvelle donn6e : sI vous utilisez Mir Rose, ALoRS votre aisselle sera..., vos mains seront..., etc. La conclusion c3 (< vos mains seront lus douces et plus belles >) renvoie directement aux infdrences de la premidre lquence (Dl cl). c'est dire que la seconde restriction (r6futation D4-tgl) ient tout simplement compenser la premidre (MAIS D2-[e]). Les effets 6nonciatifs de surface li6s aux changements des temps des veres (prdsent, puis imp6ratif, puis futur) sont surtout des changements modaux. 'ux propositions non prises en charge par le locuteur (prdmisses au pr6sent e vdritd g6n6rale) succddent des propositions trds directement assum6es par ri (impdratif et futur d valeur prddictive). ces aspects 6nonciatifs participent u mouvement argumentatif comme volonte d'influencer autrui (< vous >) r quelque manidre.
->
.
Exercices d'analyse sdquentielle
exte 4.1. V. Giscard d'Estaing : discours du 27 janvier 197g la lumidre du sch1ma prototypique, peut-on dire de ce passage de la n du discours dit < du bon choix pour la France > qu'it constitue une iquence argumentative compldte
?
comparez votre description de cet
125
extrait (paru dans le journatLe Monde du 30 ianvier 1 978) d celle du petit texte de Raymond Aueneau examind pages 1 1 8-1 1 9. Vous pouvez 6ventuellement revoir ce qui a 6td dit de ces quelques lignes au chapitre 1 (page 27). pas [...] chacune de ces questions comporte une r6ponse claire. Je n'ai
d vous
la dicter car nous sommes un pays de libert6, mais je ne veux pas non plus que personne, je dis bien personne, ne puisse dire un jour qu'il aura 6t6 tromp6' ["']
Texte 4.2. Racine'. B€r6nice
Etudiez le mouvement argumentatif des vers 371 e 386 de la scdne 2 de I'acte ll de Bfrfnice. PAULIN
gzt N'en doutez point, Seigneur. Soit raison, soit caprice, Rome ne l'attend point pour son imp6ratrice. On sait qu'elle est charmante ; et de si belles mains Semblent vous demander l'empire des humains. szs Elle a m€me, dit-on, le ceur d'une Romaine ; Elle a mille vertus. Mais, Seigneur, elle est reine. Rome. par une loi qui ne se peut changer, N'admet avec son sang aucun sang 6tranger, Et ne reconnait point les fruits illegitimes sso Oui naissent d'un hymen contraire i ses maximes. D'ailleurs, vous le savez, en bannissant ses rois, Rome ir ce nom si noble et si saint autrefois, Attacha pour jamais une haine puissante ; Et quoiqu'ir ses Cdsars fiddle, ob6issante, sgs Cette haine, Seigneur, reste de sa fiert6, Survit dans tous les ceurs aprds la libert6' ['..]
Texte 4.3. Thomas More : L'tJtoPie
le mouvement argumentatif de cet extrait de L'Utopie de 'tudier Thomas More, commencez par examiner les diffdrentes sdquences argumentatives qu'it contient, puis essayez de schdmatiser le mouvement Pour
g6n6ral. jour et d'une nuit en vingt-quatre [...] Les Utopiens divisent l'intervalle d'un heures 6gales. Six heures sont employ6es aux travaux mat6riels [...]' $o lci, je m'attends d une objection s6rieuse et j'ai hate de la pr6venir. $1
$2
On me dira peut-Ctre : Six heures de travail par iour ne suffisent pas aux besoins
de la consommation publique, et I'Utopie doit 6tre un pays trds mis6rable. ll s'en faut bien qu'il en soit ainsi. Au contraire, les six heures de travail produisent abondamment toutes les n6cessit6s et commodit6s de la vie, et en outre un superflu bien sup6rieur aux besoins de la consommation'
llt 126
Chopitre
Les lextes: types et prototlpes
Vous le comprendrez facilement, si vous r6fl6chissez au grand nombre de gens oisifs chez les autres nations. D'abord, presque toutes les femmes, qui composent la moitie de la population, et la plupart des hommes, ld o0 les femmes travaillent. Ensuite cette foule immense de pr€tres et de religieux fain6ants. Ajoutez-y tous ces riches propridtaires qu'on appelle vulgairement nobles et seigneurs ; ajoutez-y encore leurs nu6es de valets, autant de fripons en livr6e ; et ce d6luge de mendiants robustes et valides qui cachent leur paresse sous de feintes infirmit6s. Et, en somme, vous trouverez que le nombre de ceux qui, par leur travail, fournissent aux besoins du genre humain, est bien moindre que vous l'imaginez. $4 considerez aussi combien peu de ceux qui travaillent sont employ6s en choses vraiment n6cessaires. Car, dans ce sidcle d,argent, oir l,argent est le dieu et la mesure universelle. une foule d'arts vains et frivoles s'exercent uniquement au service du luxe et du d6rdglement. Mais si la masse actuelle des travailleurs 6tait 16partie dans les diverses professions utiles, de manidre ir produire m€me avec abondance tout ce qu'exige la consommation, le prix de la main-d'@uvre baisserait a un point que I'ouvrier ne pourrait plus vivre de son salaire. $s Supposez donc qu'on fasse travailler utilement ceux qui ne produisent que des objets de luxe et ceux qui ne produisent rien, tout en mangeant chacun le travail et la part de deux bons ouvriers ; alors vous concevrez sans peine qu'ils auront plus de temps qu'il n'en faut pour fournir aux n6cessit6s, aux commodit6s et mcme aux plaisirs de la vie, j'entends les plaisirs fond6s sur la nature et la v6rit6. $6 Or. ce que j'avance est prouv6. en Utopie, par des faits. [...]
5
$3
Le prototype de la sdquence explicative
Le terme
<<
expliquer
>>
ddsigne des activitds trPs diverses.
Expliquer le point de vue que I'on adopte, expliquer une page de Proust et expliquer comment rdussir un riz crCole ne renvoient certainement pas d un mAme sens. Il importe donc, pour commencer, d'y mettre un peu d'ordre, quitte d prendre parfois des ddcisions orbitroires.
(Grize I98l
l.
:
7)
Explicatif, expositif et informatif
Dans le flou des premiers classements typologiques, on a parfois confondur texte explicatif et texte expositif et m€me parl6 volontiers de texte informatif. C'est le cas, par exemple des Instructions officielles frangaises pour le Col' lige (page 46 de l'6dition du Livre de Poche). Une d€finition du type de celle de Littr6 pr€te sur ce point i confusion : << Explication .' 1. Discours par lequel on expose quelque chose de manidre i en donner I'intelligence, la raison. [...] 2. Ce qui aide d trouver la cause, le motif d'une chose difficile d concevoir 1...1
3. Justification, €claircissement. [...]
))
Le livre de B. Combettes et R. Tomassone, intituld : Le Texte informatif, aspects linguistiques (Bruxelles, De Boeck-Wesmael, collection Prisme, 1988), apporte quelques r6ponses aux questions que I'on est en droit de se poser sur le statut d'un type de texte dit < informatif >. Dans leur introduction, les auteurs reconnaissent que tout texte est, i certain degr6, informatif et que << le terme d"'expositif" serait sans doute meilleur que celui d"'informatif", relativement vague D (1988 : 6). S'ils d€cident toutefois de s'en tenir i un terme couramment utilis6, ils distinguent quand m€me fort nettement le type informatif-expositif du type argumentatif qui vise i modifier des croyances, des repr€sentations alors que le texte informatif-expositif vise moins
l. C'est le cas de mes propres propositions de 1985 et de 1987 que le pr6sent ouvrage a pour but de corriger.
J
128
Les texles: rypes et prototypes
d transformer des convictions qu'ir apporter un savoir. Ils le distinguent egalement de I'explication :
Expliquer nous semble constituer une intention particulidre qui ne se confond pas avec informer ; le texte explicatif a sans doute une base informative, mais se caractdrise, en plus, par la volont6 de faire comprendre les ph6nomdnes : d'ori, implicite ou explicite, I'existence d'une question comme point de d€part, que le texte s'efforcera d'6lucider. Le texte informatif, en revanche, ne vise pas d 6tablir une conclusion : il transmet des donn€es, certes organis6es, hidrarchisees [...], mais pas d des fins d6monstratives. Il ne s'agit pas, en principe, d'influencer I'auditoire, de le conduire ?r telle ou telle conclusion, de justifier un probldme qui serait pos6. (1988:6)
La distinction entre informatif-expositif et explicatif 6tant clairement op6r6e, il reste d franchir le pas que n'osent franchir B. combettes et R. Tomassone, d savoir consid6rer le texte informatif-expositif comme un genre de discours encyclop6dique prioritairement fond6 sur des enchainements s6quentiels de type soit descriptif, soit franchement explicatif. En d'autres termes, le type dit < expositif > semble pouvoir €tre ddfinitivement exclu de nos classements prototypiques. cette position est d6fendue 6galement aujourd'hui par
D.G. Brassart
:
Nous proposons donc de ne pas retenir I'expositif comme type textuel ou sfquentiel
et de d€crire ces documents, selon leurs propri€t6s d'organisation proprement textuelle, soit comme des descriptions (tel est quasi toujours le cas, par exemple, des fiches zoologiques que I'on trouve aujourd'hui en abondance dans les encyclopddies, les manuels, les publications pour la jeunesse comme Astrapi ou sur
les images publicitaires offertes avec telle marque de chocolat [...]), soit comme des explications. (1990b : 34)
Dans un article plus r6cent, B. combettes, nettement moins prdcis que ci-dessus, abandonne I'id6e m€me de type de texte explicatif au profit d'une < conduite >> ou d'un < discours > explicatif : << on voit comment une sorte de glissement se produit : de l'importance des situations d'explication on fait d6couler I'existence du Texte Explicatif, ce qui est pour le moins discutable. Je note d'ailleurs, en m'en tenant d la revue pratiques,l,h6sitation entre texte et discours lorsqu'il s'agit d"'explicatif", alors que Ie ,,narratif',, le ,,des-
criptif", l"'argumentatif", n'entrainent
apparemment pas le m0me flottement et sont caract€ris6s comme types de textes >> (1990 : 14-15). Pour ddpasser ces flottements entre < texte > et < discours > explicatifs, il convient de proc6der comme avec I'argumentation en 6vitant de confondre les dimensions pragmatique et discursive des conduites explicatives, d'une part, et la textualit6 dans laquelle s'inscrit une s6quence explicative, d'autre part. Si le cas du compte rendu d'exp6rience est souvent cit6 comme exemple de superstructure du texte expositif, c'est probablement en raison d,une
Explicotion
129
confusion dommageable entre s6quence, d'une part, et segmentation d'un 6nonc6 par un plan de texte plus ou moins conventionnellement fix6, d'autre part. A mes yeux le travail de W. Kintsch et T.A. Van Dijk (1984 : I 17) sur le schdma du compte rendu d'exp6rience est un plan de texte organisant un discours th6orique selon une disposition r6gl6e. Le plan [lNTRoDUcrIoN + METHoDE + RESULTATS + DIScussIoNl remplit, dans ce cas, la m€me fonction de facilitation de la lecture et d'organisation de I'information que la maquette d'un quotidien (si difficile d modifier sans perdre des lecteurs). Il n'y a donc aucune raison de lui donner un statut de structure prototypique au niveau, du moins, de textualitd que j'envisage : I'organisation s6quentielle du discours. La distinction d op6rer entre exposition et explication passe par la diff€rence entre pouReuol ? et coMMENt ? La plupart des s6quences en CoMMENT ne sont pas explicatives. Ainsi dans cet exemple publicitaire :
(1) Sortez vainqueur avec la nouvelle Civic 1.6 Vti. Comment gagner une Honda ? Rien de plus simple : il vous suffit de passer nous voir et de vous installer au volant de votre Honda prdf6r6e pour une course d'essai. La nouvelle gamme des Civic comprend sept versions compactes, du moddle de base particulidrement avantageux d la version de luxe tout confort. Par exemple la Civic 1.6 Vti 3 portes (illustree ci-dessus), dot6e d'un moteur ( sport VTEC D d6veloppant 160 ch, avec direction assist6e, verrouillage central, toit ouvrant et de nombreux autres avantages pour 29 900 francs seulement. Exdcution et finitions jusque dans les moindre d6tails d base de mat6riaux recyclables d 80 o/o. De retour de votre course d'essai. inscrivez vos nom et adresse sur le bulletin de participation Grand Prix, d6posez-le dans l'urne et attendez. Peut-6tre serez-vous l'heureux vainqueur ! Honda
On voit bien ici que le texte ne rdpond qu'd la question < comment faire pour... ? )). Et il rdpond A cette question par une proc6dure descriptive exemplaire : description d'actions interrompue un moment par une description d'€tat (< La nouvelle gamme des Civic... > et cas particulier de la Civic 1.6 Vti), puis la description d'actions-recette reprend (i partir de << De retour de votre course... )). A la diff6rence de ce que j'ai pu €crire dans certains travaux ant6rieurs et i la diffdrence de Werlich, il ne me parait plus du tout ndcessaire de consid6rer les textes expositifs en coMMENT comme des variantes du
prototype explicatif. Il faut dire encore un mot de ce que je considdre comme une forme particulidre d'explication : la justification. Je me contenterai de suivre ici J.-8. Grize (l98lb : 8) en d6finissant la justification comme une rdponse i la question < pourquoi affirmer cela ? >r Tandis que I'explication proprement dite doit plutdt Otre consid6r€e comme une rdponse i << pourquoi Otre/devenir
130
Les
texta:
Explicotion l3l
tlqes et PrototYqes
tel ou faire cela ? > En d'autres termes, on justifie des paroles et l'on explique des faits (<< de re >>).
(<<
de
dicto
>>)
Ainsi, dans la perspective s6miologique, l'explication est pensde en terrnes que nous dirions pragmatiques. M.-J. Borel se propose de < r6fl6chir sur ces indices qui, dans le texte, permettent celui qui I'interprdte d'y repdrer
i
2. Du discours explicatif au texte explicatif
une explication, ou dans un mouvement inverse quoique non sym€trique, sur ces repires dont le producteur du texte jalonne son parcours pour qu'il puisse
A c6td des quatre autres grands types, I'explication peut apparaitre comme
0tre identifid comme explicatif ) (l98lb : 23). Cette approche nettement discursive repose, de plus, sur un rejet categorique de toute r€flexion typologique :
un parent pauvre tant les publications sur le r€cit, la description, l'argumentatiron et le dialogue ont 6te nombreuses de tout temps et particulidrement depuis les ann{es soixante. Il a fallu, en revanche, attendre 1980 pour que les 6tudes sur le discours et sur le texte explicatif se pr6cisent et se multiplient'
C'est d'abord la notion de conduite explicative que theorisent - i la suite et dans I'esprit de leurs analyses de I'argumentation - les chercheurs r{unis autour de Jean-Blaise Grize au Centre de recherches s6miologiques de I'universit6 de Neuchdtel. Preuve ind6niable de I'int6r€t de leur rEflexion, les premidres publications de leurs recherches, dans les Travaux du CdRS, ont (no 36, et6 trer r"pid"-ent 6puis6es : < Quelques r6flexions sur I'explication > r6serv6 a €t6 meme sort (n" Le 1981). 39, 1980) et n Le discours explicatif >>
XIX, dela Revue europdenne des sciences sociales (1981) qui r€unissait d'importantes contributions de J.-B. Grize (< Logique
u.,
nl
56, tome
de Marie-Jeanne Borel (< Donner des raisons. Un naturelle et explication >), ainsi que, entre autres' de Jo€lle ChesnyI'explication genre de discours, >>),
kohler sur les aspects explicatifs de la paraphrase et de Denis Mi{ville sur le discours didactique en mathfmatiques. De ces deux dernidres, il faut aussi citer : << Aspects des discours explicatifs > (Chesny-Kohler 1983) et <<
L'explication dans I'argumentation
:
approche sdmiologique
>
(Borel
1981b).
riors de la semiologie neuchdteloise et des recherches formelles (Hempel 1965), c'est surtout dans le domaine de la recherche didactique que les travaux se sont multipli€s. La revue Pra tiques a consacr6 deux num6ros ir la question : << Les textes explicatifs > (no 51, 1986) et < Les discours explicatifs > (no 58, 1988), avec des articles de Danielle Coltier, Bernard Combettes, Jeanirangois Halt6 et Anne Leclaire-Halt€ auxquels je me r€f6rerai souvent ici' Trois num6ros de la revue Replres, de I'Institut national de la recherche p6dagogique frangais, ont portd sur I'explication : < Communiquer et expliquer uuloneg. > (no 69, 1986), ( Discours explicatifs en classe >> (n" 72, 1987) et << Le dis"onrr explicatif, genre et texte > (n" 77, 1989). Enfin, la revue Recherches, de I'Association franqaise des enseignants de franqais de Lille, a propose la dernidre mise au point tant th€orique que didactique dans un numero intitule << Expliquer > (n" 13, 1990) et introduit par un d6bat entre B. Combettes, M. charolles, J.-F. Halt€ et moi-m€me sur la place de I'explicatif dans nos r€flexions typologiques. Ce bref parcours des principales publications montre que c'est le discours gdn6ralement pris en compte.
et non le texte explicatif qui
est
Une explication ne peut €tre une chose en soi, elle est essentiellement relative. Une des difficultds qu'on rencontre ir vouloir isoler un objet d'6tudes dans le champ des discours pour I'ins€rer dans une typologie tient d ce qu'un type de discours n'a pas de r€alitC sdmiotique lorsqu'il est isole de son contexte, de ses rapports avec d'autres discours, des situations qui le determinent et oir il a ses effets. Cela est vrai aussi du discours explicatif. On ne borne pas un discours comme on borne un terrain, on ne le ddmonte pas comme une machine. C'est un signe de quelque chose, pour quelqu'un, dans un contexte de signes et d'exp6riences. Le discours est ainsi un processus qui, dans son d€roulement m€me < fait signe >, c'est-i-dire fournit des marques de la manidre dont il faut le prendre.
(Borel l98lb : 23)
point de vue strictej'ai, pourquoi ment discursif, expliquent bien au d6but du pr6sent ouvrage, tenu d d6finir les limites des bases de typologisation. Dans la perspective pragmatique et discursive de la sdmiologie, I'explication est un acte de discours qui pr€suppose et etablit en m€me temps un contrat dont J.-B. Grize rdsume ainsi les conditions pragmatiques : Ces remarques, entidrement justes me semble-t-il du
l.
Le ph€nomdne
i
expliquer est incontestable : c'est un constat ou un fait. i expliquer quelque chose qu'il ne tient pas pour
Personne ne cherche, en effet,
acquis. [...] 2. Ce dont il est question est incomplet Ici encore, le caractdre lacunaire de la situation doit s'imposer. Tous ceux qui ont tant soit peu la pratique de l'enseignement savent bien les efforts qu'il faut souvent faire pour amener I'auditoire d se persuader que la question i laquelle le cours va rdpondre se pose r€ellement. 3. Celui qui explique est en situation de le faire. Cela signifie que I'interlocuteur doit lui reconnaitre les comp€tences cognitives voulues. Il doit encore Otre neutre et d€sint6ress6. Certes, une explication peut servir I'orateur. Il peut en user pour argumenter et tout particu[erement pour accroitre ce que Bourdieu appelle son < capital d'autorit6 >. Mais ld oi il expli-
que,
il
se
doit d'6tre objectif. (l98lb : 9-10)
3. Un prototype de la
s€quence explicative
Comme nous le verrons plus loin, J.-B. Grize lui-mdme reconnait que I'explication possdde une texture sp6cifique (l98lb: ll). En ddpit du caractdre
Explication
132 La texta: types el ProtolYqes diffdrent de nos approches, je trouve une confirmation de mes hypothdses de travail dans de r€centes prises de position de J.-B. Grize (Logique et langoge l9X)). Aprds avoir consid6r6l'opfrateur POURQU6I comme le critdre de I'explication (notons que COMMENT joue parfois le meme r6le), J.-B. Grize 6crit : < Le probldme est maintenant de repdrer les sdquences discursives qui sont explicatives >> (1990 : 105 ; je souligne). Retenons qu'en limitant son enqu€te d I'analyse de sdquences explicatives il adopte un point de vue r6solument s{quentiel, fondd sur la reconnaissance du fait que le texte est une unit6 trop h6t6rogdne pour pouvoir subir une r6duction typologique. pour J.-B. Grize, la << structure g6n€rale d'une sequence explicative (1990 : 107) est la suivante : un premier op6rateur [PouRQUol] fait passer d'une sch6matisation S-i, qui presente un objet complexe (o-i), e une sch6matisation S-q, qui fait probldme (objet probl6matique O-q), puis un second operateur [pARcE QUE] permet de passer de s-q d une sch€matisation explicative S-e (O-e). La sdquence explicative de Grize est la suivante : >>
s-i
POUROUOI
S-q
?
>
lo-il
PARCE OUE
[o-q]
>
Si I'on souligne que la schematisation initiale (S-i) est souvent sousentendue, on peut dire que cette structure correspond d la premidre partie de celle qu'envisage Danielle Coltier (1986 : 8) : Phase de questionnement + Phase r6solutive + Phase conclusive ceci aboutit d la structure sequentielle de base que je proposais dans Pratiques n" 56 (1987a :72) et que je compldte ici en tenant compte de la sch6-
matisation initiale facultative dont parle J.-B. Grize et que je note ici P. expl. 0 (c'est-ir-dire : macro-proposition explicative 0) : SAguence explicative WototYpique
o. 1.
Pourquoi X
?
{ou Comment 2. Parce
que
3.
?}
:
Macro-proposition explicative 0
:
sch6matisation initiale
Macro-proposition explicative 1 Macro-proposition explicative 2 Macro-proposition explicative 3
: : :
Problome (question) Explication (r6ponse) Conclusion-6valuation
et I'ensemble, comme le note J.-B. Grize, est souvent pr6c6d6 par une description qui correspond ir une sch6matisation initiale destinde d je amener I'objet probl{matique que th6matise la macro-proposition que note
[P. expl. l].
(2t
(a) Nous estimons pertinentes les raisons all6gudes par M. Le Pen. (b) Ce n'est pas le cas de M. Levai, ni celui de la totalite des journalistes qui ont commentd l'6mission le lendemain.
(c) Pourquoi ? {d) M. Le Pen a beau protester
de son innocence, il estantis6mite. (e) ll est souhaitable, il est n6cessaire qu'il le soit. (f) Sa culpabilite a 6t6 reconnue d l'avance. (g) Ses justifications n'ont aucune importance [...] (h) Rien n'y fera. (i) M. Le Pen hait les juifs. (j) Peut-0tre la famille de M. Levai a-t-elle souffert du nazisme. (k) Peut-Otre d6sire-t-il se venger. (l) Peut-dtre tressaille-t-il lorsqu'il entrevoit l'ombre du fant6me de la < bdte immonde ,. (m) Cela explique son ton passionn6. (n) Nous le comprenons fort bien. [...]
J. Perrin. La Nation n" 1 254, 18-1-1986. Deux sdquences explicatives se suivent ici S6quence 1
:
:
P.expl.O:(a) P. expl. 1 : Pourquoi (b) ? P. expl. 2 i Parce que (d), (e), (f), (g), (h) et (i) Sdquence 2 : P. expl. 1 : Pourqugi (m) ? P. expl. 2 : Parce que (i), (k) et (l)
P.expl.3:(n)
Ces deux s6quences se compldtent d'une certaine fagon : la premidre com-
porte I'introduction (P. expl. 0) qui manque d la seconde et cette dernidre est ferm6e par la conclusion (P. expl. 3) qui manque d la premidre. L'actuali-
Le premier op€rateur [PouRQUoIl introduit la premidre macroproposition, le second [rnnCe QUE] amene la deuxidme macro-proposition, et I'on trouve gdndralement, comme le note D. Coltier, une troisidme macroproposition qui peut soit €tre d€plac6e en t€te de s6quence, soit €tre effac€e (effit d'ellipse)
Consid6rons, d titre de premier exemple d'actualisation de la sdquence prototypique, ce passage d'un article d'un journal suisse romand dont I'appartcnance politique sera sans peine identifide par le lecteur :
S-e
[o-el
133
sation incompldte, dans les deux cas, du prototype de la s€quence explicative est, en quelque sorte, compensde par I'enchainement des deux sdquences. On observe surtout ici divers ph6nomdnes de place des op6rateurs et d'ordre des
macro-propositions. L'opdrateur pouReuor peut fort bien 0tre implicite (s6quence 2), il peut €galement venir aprds le contenu m€me de la question qu'il pose (s6quence l). Il se situe, en effet, aprds la description de la sch6matisation initiale P. expl. 0 (a) et aprds la schdmatisation de I'objet probldmatique P. expl. I (b). Suit tout naturellement (sans formulation explicite de I'op€rateur PARCE eUE) la schdmatisation explicative (P. expl. 2) qui pose I'objet expliqu€ (O-e) :
134
Les textes: types et prototypes
S6quence 1 : P. expl. 0 : Proposition (a) POUROUOI
Explication
=
S-i [O-i]
=
S-q [O-ql
(3) On a observd que les pincettes de chemin6e et autres meubles de fer qu,on
?
P. expl. 1 : Proposition (bl (PARCE OUE)
P. expl. 2 : Propositions (dl A {i)
=
S-e [O-el
La seconde s6quence est un peu plus complexe. Il faut, en effet, aller chercher I'objet probldmatique (O-q) dans la proposition (m) qui souligne, au moyen de I'anaphorique ( cela ) et de l'emploi explicite du verbe << expliquer >, I'inversion de I'ordre des macro-propositions. Dds lors, la structure p6riodique ternaire pr6c6dente (propositions + k + l) constitue I'explication (S-e) ou P.
j
expl. 2 modalis6e par I'emploi de < peut-€tre D. La proposition (n) est une conclusion-6valuation (P. expl. 3) exemplaire. On se doute qu'elle peut difficilement clore un mouvement argumentatif. Suit effectivement un paragraphe qui donne une idde claire de la conclusion g€n€rale du texte : << Ce que nous comprenons moins, c'est qu'il vienne donner des legons de toldrance. On voit bien que ce beau principe s'6croule au moindre souffle. Il suffit d'un soupqon d'antisdmitisme pour qu'il s'efface derridre la mauvaise foi. >> Il est bien €vident que ces deux sdquences explicatives sont prises dans un mouvement argumentatif-pol€mique plus gdnEral que I'analyse de I'ensemble de I'article permettrait seule de d6crire. Sans aller jusque-ld, je me contenterai de dire un mot de la fonction pragmatique du recours d la forme s6quentielle explicative. Comme le note M.-J. Borel dans une perspective discursive, le recours ir I'explication permet au locuteur de se pr6senter comme un simple t6moin, observateur objectif des faits : < Expliquer exige une prise de distance du locuteur, une sorte de ddcentration par rapport aux valeurs, un refus des investissements subjectifs ) (l98lb :24). C'est bien tout le sens du mouvement de la seconde sdquence. Les investissements affectifs 6tant attribu6s d M. Levai, le locuteur peut s'offrir le luxe du masque de I'objectivit€ et conclure m€me en prdtendant comprendre (proposition n) : < Le sujet qui explique donne de lui l'image du tdmoin et non de I'agent de l'action > (Borel l98lb : 24). Se donner pour celui qui n'€value pas ce dont il parle, mais qui en d6ploie en toute objectivit6 l'intelligence, tel est bien le sens de toute slratdgie explicative. Ces quelques remarques prouvent que les approches textuelles€quentielle et discursive peuvent fort bien se compl6ter, je souligne seule-
ment qu'il ne me parait utile ni de les opposer radicalement, ni de
les
confondre. Le caractdre elliptique de la plupart des textes explicatifs doit €tre soulign€. J.-B. Grize (1990 : 107) cite un exemple qui ne comporte pas de macroproposition conclusive-dvaluative [P. expl. 3] et qui ne donne pas explicitement les opdrateurs [Pourquoi ?] et [Parce que]. Il se pr6sente seulement en deux paragraphes qui correspondent trds exactement aux deux premidres
macro-propositions
:
135
tient ordinairement dans une situation verticale, ainsi que les barres de fer qu'on met sur les clochers, acquidrent avec le temps une force magndtique assez sensible ; aussi s'est-on apergu qu'une barre de fer battue dans une situation verticale, ou rougie au feu, 6tant tremp6e dans I'eau froide dans la mdme situation, devient un peu magn6tique, sans l'approche d'aucun aimant. Pour avoir la raison de ce ph6nomdne, V. A. n'a qu'i se souvenir que la terre est elle-m6me un aimant, et consequemment entour6e d'un tourbillon magn€tique, dont la d6clinaison et l'inclinaison de I'aiguille aimant6e montre partout la v6ritable direction ; si donc une barre de fer se trouve longtemps dans cette situation, nous n'avons pas lieu d'6tre surpris qu'elle devienne magndtique. Nous avons vu aussi que l'inclinaison de I'aiguille aimant6e est d Berlin de 72 degrds et dans presque toute l'Europe elle est d peu prds la m€me, cette inclinaison ne diffdre que de 18o de la situation verticale ; ainsi la situation verticale ne diffdre pas beaucoup de la direction du tourbillon magn6tique : une barre de fer que l'on a tenue longtemps dans cette situation, sera enfin p6n6tr6e par le tourbillon magn6tique, et doit acqu6rir par consequent une force magn6tique. (L. Euler, Lettre e une Princesse d'Allemagne sur divers sujets de physique et de philosophie, Berne, 17751.
Le premier paragraphe expose bien un ensemble de faits probl6matiques (< On a observd que... ), << aussi s'est-on apergu que... >) : comment se faitil que les objets cit6s, placds dans une position donn€e, deviennent un peu magn€tiques sans pourtant I'approche du moindre aimant ? Comme I'indique le d6but du second paragraphe : < Pour avoir la raison de ce ph6nomene... )), une explication peut Otre donn6e, un pARcE qur peut venir r6pondre au pouReuor implicite du paragraphe pr6c6dent. La nature rationnelle de I'explication est renforc6e par les connecteurs < ainsi )) et ( par cons€quent >>. J.-B. Grize (1990 : 107-108) distingue quand mOme ici trois soussch6matisations : une premidre sch6matisation (S-i) pr6sente un objet complexe (O-i) : lpincettes de chemindes, meubles de fer, barres de fer, objets aimant6sl, soit P. expl. 0 ; puis une sch6matisation qui fait probldme (S-q) introduit une transformation de I'objet initial dans la macro-proposition P. expl. I : {pincettes de chemindes, meubles de fer, barres de fer, objets aimant€s, ceci sazs I'approche d'aucun aimantl; enfin, la schdmatisation explicative (S-e), dans la dernidre macro-proposition P. expl. 2, ajoute au faisceau constitutif de I'objet probldmatique un nouvel 6l6ment : fpincettes de chemin6es, meubles de fer, barres de fer, objets aimant6s, sans I'approche d'aucun aimant, objets situ€s dans le champ magn6tique terrestreJ (O-e). Sur le m€me sujet, nombre d'encyclopddies se contentent de decrire le ph6nomdne du magn6tisme terrestre. Je trouve cependant un paragraphe int6ressant dans le chapitre < Gdographie physique > de l'6dition 1988 du euid :
136
Explication
Les textes: types et PrototYqes
(41
Causes du magn'tisme terrestre. L'aimantation des roches terrestres ne peut expliquer que des anomalies locales et superficielles : elles cessent d'6tre aimantables au-dessus d'une certaine tempdrature (point de curie). L'essentiel du champ doit €tre produit par une dynamo auto-excit6e par rotation du globe, fonctionnant grace ir des d6placements de matidre conductrice se produisant dans le noyau liquide. L'6nergie qui entretient ces mouvements viendrait : 1 0 soit de la pouss6e d'Archimdde produite par des differences de tempdrature ; 2o soit de l'6nergie gravitationnelle lib6rde par I'enfoncement de mat6riaux lourds dans le manteau ou le noyau. (Robert Laffont 1988 : 81) (<< ne peut expliquer >) au d6but de ce est une r€ponse implicite d la que le d{veloppement chapitre pose clairement terrestre > (P. expl. l). magn€tisme du (Quelles les) causes sont question : < nettement insufexplication pr6sent6e une comme premidre est rdponse Une pr6sent6es comme des explicitement hypothdses des alors Suivent fisante. r6ponses-P. expl.2 possibles : < doit atre >>, << viendrait soit de... soit de... >>. Ici aussi, aucune conclusion-P. expl. 3 ne vient 6valuer la compl{tude de la
La pr6sence du verbe expliquer
rdponse apport6e. Tout aussi elliptique et pourtant construit sur le moddle de la sequence explicative, on peut citer le podme des Ziaux de Raymond Queneau intitul{ < L'explication des metaphores >. Je ne cite que les quatre premidres strophes, dans la mesure oi deux blocs de quatre strophes reprennent ensuite encore deux fois exactement la m€me structure : (5)
L'exprtcnrtot't DEs
METAPHoRES
Loin du temps, de l'espace, un homme est 69ar6, Mince comme un cheveu, ample comme I'aurore, Les naseaux ecumants, les deux yeux r6vuls6s, Et les mains en avant pour tater le d6cor
137
Les quatre premiers vers et le d6but du vers 5 ddcrivent une situation que I'on peut considdrer comme formant la premidre macro-proposition (P. expl. 0). La question qui occupe la suite de la deuxidme strophe pose bien le probldme-P. expl. l. La rdponse-P. expl. 2 est ici donnde comme une justification (<< de dicto >>) toujours d6velopp6e en deux temps. Une protase de type : [Si proposition p] insiste sur le caractdre justificatif de < l'explication des m6taphores D ; elle est suivie d'une apodose de type : [C'est que proposition ql aux vers 9, l0 et 12, de type : [C'est pour q] au vers 14 et de type : [(alors) q] aux vers ll, 13, 14-15. Inutile de dire combien I'absence de conclusion-P, expl. 3 pdse ici fortement sur I'interpr6tation ! Plus simple, la publicit6 suivante me parait suivre de trds prds, elle, le sch6ma prototypique : (6) LA MACHINE A LAVER DU LAc oe
Gausr
(a) Tout en haut de la chaine des Pyr6n6es, au pied du Vignemale, se trouve le lac de Gaube. (b)Y monter en voiture est hors de question car seul un sentier
y mdne.
(c) Pourtant, sur les bords du lac, il y a une petite auberge : celle de Mme Seyrds. (d) Et dans cette auberge une machine d laver Radiola. (e) Pourquoi une Radiola ? (f) Ecoutez Mme Seyrds : (g) < M€me ici il faut une machine d laver. (h) Pour notre linge d nous d'abord. (i) Et puis, mdme isol6s comme on est, dans une auberge il y a toujours beaucoup de serviettes et de nappes d laver. " {j} u Seulement il faut une machine qui ne tombe pas en panne. {k} Parce que c'est trds difficile pour les reparateurs de monter jusqu'ici. > {l} " Alors, il faut du robuste. (m) Nous, on a toujours eu une Radiola. (n) Et on n'a jamais eu d'ennuis avec. D (o) Chez Radiola, il n'y a pas que les machines d laver qui soient sans probldmes : les lave-vaisselle, les cuisinidres, les r6frig6rateurs et les cong6lateurs sont aussi fabriquds pour durer, comme la machine d'laver du lac de Gaube.
inexistant. Mais quelle est, dira-t-on, -La D'ailleurs signification de cette m6taphore : < Mince comme un cheveu, ample comme I'aurore Et pourquoi ces naseaux hors des trois dimensions ? Si je parle du temps, c'est qu'il n'est pas encore, Si je parle d'un lieu, c'est qu'il a disparu' Si je parle d'un homme, il sera bientdt mort' Si je parle du temps, c'est qu'il n'est d6jir plus. Si je parle d'espace, un dieu vient le d6truire, Si je parle des ans, c'est pour an6antir, Si j'entends le silence, un dieu vient y mugir Et ses cris repetes ne peuvent que me nuire. [.'.] Raymond Oueneau, Les Ziaux, @ 6d. Gallimard.
Radiola
Des appareils 6lectro-m6nagers sans probldmes.
Un processus descriptif couvre les deux premiers paragraphes et met en place une premidre repr6sentation (schdmatisation S-i de J.-B. Grize, P. expl. 0 selon moi). Par inclusions successives de type m6tonymique, nous passons de la chaine des Pyr6ndes au Vignemale, puis au lac de Gaube et d I'auberge de Mme Seyrds pour aboutir enfin d la machine d laver Radiola. Mais, au lieu de d6crire classiquement cet objet (thdme-titre d6clar6 dans l'€nonc6-titre de la publicit€), une sdquence explicative s'ouvre nettement alors qui semble avoir pour seule fonction d'affirmer une propri6t6 : la soliditd (sous des reformulations diverses : < qui ne tombe pas en panne >, < du robuste >, << jamais eu d'ennuis avec ), ( sans probldmes >). On peut dire que, dans ce texte, la
138
Explication
Les textes: lypes et prototypes
description est emport6e par le mouvement explicatif qui porte sur l'6nonc6 de la propri6td principale de ce qui pourrait constituer un thdme-titre. La s6quence explicative proprement dite (P. expl. l) d6bute avec la formulation de la question (objet probldmatique O-q) : << Pourquoi une Radiola ? >. Tout le discours direct a pour fonction d'apporter la r6ponse i cette question (P. expl. 2) tandis que le dernier paragraphe pr6sente une conclusion (P. expl. 3) qui vient 6largir I'amplitude de I'application de cette r6ponse. L'ensemble de la r6ponse (P. expl. 2) apportle au discours direct (introduit par la proposition f) apparait, en fait, comme une s6quence compldte, enchdss€e dans le mouvement explicatif que je viens de d6crire. S6quence ench6ss6e : P. expl. 0 : (g), (h), (il = il faut une machine d laver (O-i) P. expl. 1 : Pourquoi (jl ? P. expl. 2: Parce que (kl P. expl. 3 : Alors conclusion (l), (m), (n)
Soit la structure textuelle suivante
:
S6quence explicative enchissante
P. expl. O tal d tdl
P. expl. lel
P. expl. 3
P. expl. 2 S6quence explicative
1
lol
ench6ss6e
tfl
P. expl.
lgl e
0
til
P.
expl.
tjl
1
P. expl. 2 tkl
P. expl.3
lll e
[nl
4. Probldmes d'hetdrog6ndit6 Dans un petit article du num6ro 13 de la revue Recherches, Isabelle Delcambre (1990 : 152-153) met bien en 6vidence ce qui diff6rencie description et explication en proposant de comparer deux propos sur les dauphins : (7t
l. .l tal Le dauphin est trCs bien 6quip6 pour la nage. [b] Sa colonne vert6brale se prolonge, tr l'arridre, par une nageoire horizontale qui propulse l'animal d 40 km/h en vitesse de pointe. [c] Une torpille vivante. [d] Le secret de sa rapidit6 ? [e] Sa peau. [f] Lorsqu'un animal se d6place dans l'eau, des tourbillons se forment d la surface de son corps et ralentissent sa progression. [g] La peau du dauphin, elle, se d6forme pour faciliter l'6coulement de
139
l'eau sur les flancs. [h] Les tourbillons engendrds par la nage disparaissent comme par enchantement. Extrait de Sciences et Vie Junior n'17, 199O. (8)
[...] [a] C'est en 1936 que le naturaliste J.E. Gray dnonga son fameux
(
para-
doxe >, d'aprEs lequel la masse musculaire des dauphins, compte tenu de leur taille et de leur forme, 6tait tout i fait incapable d'expliquer les vitesses que ces c6tac6s atteignent effectivement ! [b] A fortiori, selon ce paradoxe, sont-ils bien incapables de sauter ! [c] Or, chacun sait que ces animaux sautent mCme tres bien... [d] Comment expliquer cette distorsion qui existe entre les calculs thdoriques. irr6prochables, des hydrodynamiciens, et la r6alitd la plus ais6ment visible ? [e] Plusieurs hypothdses ont 6t6 6mises a ce sujet. [f] L'une d'elles fait intervenir les propri6t6s particulidres de la peau des c6tac6s. [g] Ce qui freine I'avancement des objets dans les fluides (eau ou air) ce sont les tourbillons que cette progression m6me engendre. [h] Or, la peau des dauphins et de leurs cousins aurait la capacit6. en se d6formant localement de fagon r6flexe, de ( tuer D les turbulences parasites. [i] ll en resulterait un 6coulement quasi laminaire de I'eau autour de leur corps, [j] et c'est ce qui expliquerait leurs performances extraordinaires. [...] (Texte trouvd au verso d'une fiche constituant l'amorce commerciale des courriers envoy6s un peu partout en France par le commandant Cousteau)
Isabelle Delcambre considdre (8) comme ( un texte explicatif typique > (1990 : 156). On peut, en effet, consid6rer que le paradoxe P. expl. 0 est exposd
par les propositions [a], [b] et [c] et que [d] constitue la premidre macroproposition P. expl. l. La r6ponse (P. expl.2) est donn6e par les propositions [e] n [i] et la conclusion (P. expl. 3) par la proposition [j]. On ne retrouve pas cette structure dans le texte (7) qui aborde pourtant le m€me thdme. La description I'emporte clairement dans les propositions [a], [b] et [c] (reformulation mdtaphorique exemplaire). La suite de cette description est toutefois un peu plus complexe. La question rh6torique [d] porte sur
la propri6t6 (< rapidit6 >) exprim6e par la proposition [b] et par la reformulation m6taphorique [c]. La r6ponse [e] est donn6e par le retour i une partie de I'animal (proc6dure de sous-th6matisation classique dans la description) : sa peau. Une comparaison (proposition [fl) permet d'appuyer la propridtd avancde par la proposition [g]. On pergoit toutefois une contamination de la description par une sorte de reste d'une structure explicative : le probldme pos6 en [d] trouve une premidre r€ponse en [e] avant d'6tre repos6 en [f] et trouver sa reponse en [g] et [h]. Cette mixit6 du texte (7) doit €tre prise en compte : la description est, en quelque sorte, dynamis€e par des microenchainements de nature plus explicative que descriptive. La dominante reste clairement descriptive, mais la prdsence de I'explication en filigrane a pour
140
Explication l4l
Les textes: types et prolotypes
cons6quence une composition nettement moins claire que dans cette descrip-
tion extraite d'une autre sorte de fiche sur un animal marin pas la moindre trace d'explication :
oi
ne demeure
(s) Les manchots, ces curieux oiseaux des mers australes et des r6gions antarctiques, pr6sentent une extraordinaire adaptation d la vie aquatique. [...] Les plus agiles atteignent des vitesses de 40 i 45 km/h. En nage rapide, ils se propulsent d la fagon des dauphins, prds de la surface, dmergeant en souplesse ir un rythme 169ulier, pour respirer. Le corps est massif mais f usel6 ; par suite de l'alourdissement du squelette, sa densit6 est proche de celle de I'eau, ce qui facilite la nage en immersion. 1...1
L'appareil propulseur est constitu6 par les ailes, dont les os aplatis et solidement ligatur6s en font de v6ritables rames, analogues aux ailerons des c6tac6s. Le sternum porte une forte cardne oi viennent s'attacher de puissants muscles. Cet appareil permet au manchot des acc6ldrations extraordinaires ; il peut bondir litt6ralement hors de l'eau pour atteindre le bord de la banquise d deux ou trois mdtres de haut. En nage rapide, les ailes battent jusqu'A 20O fois ir la minute. Les pattes palm6es, tendues tout d l'arridre du corps, font office de gouvernail de direction, de m6me que la courte queue. En d6pit de leur masse, les manchots sont 6galement capables de plonger d'une bonne hauteur ; leur sternum allong6 protdge le ventre de l'effet du choc. Etude zootogique, @ Editions Rencontre, Lausanne, 1977.
La complexit6 et I'hdt6rog6n€it€ des formes usuelles de conduite explicative sont probablement i l'origine des assertions des adversaires de toute d€marche typologique. Un texte comme (7) est effectivement d'une h6t6rog€n6it6 qui emp€che de le considdrer comme une manifestation d'un prototype donn6. Ce fait ne vient, selon moi, pas jeter le doute sur I'utilit6 de la r6flexion typologique, il confirme seulement que les textes rdels actualisent d'une fagon plus (textes (8) et (9), par exemple) ou moins nette (texte (7) de toute dvidence) les prototypes de base disponibles dans la m€moire des locuteurs. La position ddfendue dans le pr6sent ouvrage permet aussi de d6passer d'autres difficultds. Le moddle s6quentiel nous rend avant tout attentifs i I'insertion de s6quences hdt6rogdnes : pr6sence d'une explication dans un r€cit ou d'un r6cit dans une explication, par exemple. Sur les rapports, d un niveau textuel, du r€cit et de I'explication, je renvoie au trds bon article d'Anne Leclaire-Haltd : < Explication et r€cit dans les textes de fiction >> (Pratiques n" 67,1990). Sa notion de << boucle explicative )) comme discours second (cf. aussi Halt€ 1988) correspond d ce que j'appelle une sdquence ins€r€e dans une sdquence ins6rante d'un autre type (ici narratif). Une s6quence explicative peut certes se d6velopper dans un ensemble narratif (voir ci-dessous I'exercice portant sur un passage de Splendeurs et misires des courtisanes), mais un r€cit peut fort bien venir s'insdrer dans une s6quence explicative (elle-mOme
insdr6e dans un autre ensemble) en position de macro-proposition 2-Rdponse. C'est le cas de cette fin d'un discours de V. Giscard d'Estaing auquel j'ai d€ji
plusieurs fois fait allusion. (10)
[...] [a] Mes chdres Frangaises et mes chers Frangais, je vous ai parl6 du bon choix pour la France. [b] Je l'ai fait, vous I'avez vu, avec une certaine gravit6. [c] ll faut que je vous dise pourquoi, [d] et je vous raconterai, pour cela, un souvenir d'enfance. j'ai assist€ en Auvergne d la d6b6cle de l'arm6e [e] Quand j'avais treize ans, frangaise. [f] Pour les gargons de mon dge, avant la guerre, l'arm6e fran-
gaise 6tait une chose impressionnante et puissante' [g] Et nous l'avons vue arriver en miettes. [h] Sur la petite route, prOs du village o0 j'irai voter en mars comme simple citoyen, nous interrogions les soldats pour essayer de comprendre : * Oue s'est-il passd ? " [i] La r6ponse nous venait, toujours la m€me : < Nous avons 6t6 trompes, on nous a tromp6s. D je me [j] J'entends encore quarante ans d'intervalle cette r6ponse [k] et suis dit que, si j'exergais un jour des responsabilites, je ne permettrais jamais que les Frangais puissent dire : o On nous a tromp6s. D [] C'est pourquoi je vous parle clairement. [m] Les cons6quences de votre choix, pour vous-m€mes et pour la France, chacune et chacun de vous peut
i
les connaitre.[...]
Texte paru dans le journal Le Monde du 29-30 janvier 1978.
Aprds quarante minutes de discours, le pr6sident de la R6publique de l'6poque s'interrompt pour donner une solennit6 dvidente i son propos. Il donne d'abord une premidre sch6matisation de son discours (S-i = P. expl. 0) : < [a] Je vous ai parl6 du bon choix pour la France. >> La deuxidme macroproposition (P. expl. l) pose une schematisation probl6matique (S-q) appuyde sur I'op€rateur PoURQUoI : < [b] Je I'ai fait, vous l'avez vu, avec une certaine gravit6. [c] Il faut que je vous dise pourquoi. > Soit I'buverture d'un processus plus de justification (portant sur le dire) que d'explication. En guise de Rdponse-justification (P. expl. 2), il choisit d'insdrer une sdquence narrative (recit autobiographique que j'analyse dans Ze Texte nanatif, Nathan 1985, pp. 186-200) : < [d] Je vous raconterai, pour cela, un souvenir d'enfance. >>
La fonction de ce r6cit enchdss6 est donc de servir clairement de justification, le r6cit rdpond au probldme, il a pour t6che d'apporter la rdponse au probldme pos6 en P. expl. l. La chute du r6cit, qui correspond i la macroproposition P. expl. 3, manifeste bien le retour au niveau de la s6quence explicative enchissante : < [] C'est pourquoi je vous parle clairement. >> Le
passage dela gravitC dla clartd correspond i une conclusion-€valuation interne et intervient aprds une conclusion-dvaluation externe : les longs applaudissements qui ont 6clate juste la fin du r6cit. Comme je I'ai montrd ailleurs et
i
rappel€ plus haut, le bref r6cit autobiographique n'a certes pas que cette
142
Explication
Les textes: types et prototypes
fonction de < r6ponse-P. expl. 2 >>.Il faut considdrer cette fonction dejustification dans son rapport avec I'importante operation de l6gitimation dont
j'ai
d€jd parl6. Soit la structure textuelle suivante
:
P. expl. 1 Pourquoi [b] ? et [cl
au-dessus de la cheville, est tel qu'il donne, au bout d'une ann6e. un vice de marche 6ternel au forgat. Oblig6 d'envoyer dans une jambe plus de force que dans
l'autre pour tirer cette manicle, tel est le nom donn6 dans le bagne d ce ferrement, le condamn6 contracte invinciblement l'habitude de cet effort. Plus tard, quand il ne porte plus sa chaine, il en est de cet appareil comme des jambes coup6es, dont l'amputd souffre toujours ; le forgat sent toujours sa manicle, il ne peut jamais se d6faire de ce tic de d6marche. En termes de police, il tire la droite. Ce diagnostic. connu des forcats entre eux, comme il l'est des agents de police,
S6quence explicative
P. expl. O lal et lbl
143
P. expl.2
P. expl. 3
JUSTIFICATION
tll
tdl
s'il n'aide pas d la reconnaissance d'un camarade, du moins la compldte. Chez Trompe-la-mort, 6vad6 depuis huit ans, ce mouvement s'6tait bien affaibli ; mais, par l'effet de son absorbante mdditation, il allait d'un pas si lent, et si solennel que, quelque faible que fOt ce vice de d6marche, il devait frapper un exerc6 comme celui de La Pouraille. On comprend trds bien d'ailleurs que les
eil
I
forgats, toujours en pr6sence les uns des autres au bagne, et n'ayant qu'eux-
PnO
Pn1
I
I
lel
tft
Pn2 Pn3
ltt
lgl
[hl
Pn4
Pn5
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tkl
I
m0mes d observer, aient 6tudi6 tellement leurs physionomies, qu'ils connaissent certaines habitudes qui doivent 6chapper d leurs ennemis syst6matiques : les mouchards, les gendarmes et les commissaires de police. Balzac, Splendeurs et misCres des courtisanes, La Pl6iade, Gallimard 1977 : 839.
Ddterminez si I'on peut parler ici de pause explicative comme on parlait au chapitre 3 de pause descriptive. Pouvez-vous considdrer ce passage comme une actualisation canonique du prototype explicatif ?
5. Exercices d'analyse sequentielle Texte 5.1 . Retour sur un r6cit 6tiologique Appliquez au petit rdcit proposd pages 73-74\e moddle de la sdquence explicative. Peut-on ddfinir le rdcit 6tiologique comme une relation de dominante (voir page 32 ce qui est dit de cette notion) liant ici structure explicative et structure narrative ? S'agit-il plut6t d'un enchdssement ?
Texte 5.2. Balzac : La d6marche du bagnard Dans la quatriCme partie de Splendeurs et misdres des courtisanes, Balzac interrompt un moment sa narration pour expliquer le propos de criminels qui observent J. Collin, alias Vautrin, alias Trompe-la-mort, detenu d la conciergeriel :
i
n
n'est pas un sanglier[pr9tre en argot], dit La Pouraille Fil-de-Soie, c'est cheval de retour [r6cidiviste]. Vois comme il tire sa droite ! I est n6cessaire d'expliquer ici, car tous les lecteurs n'ont pas eu la fantaisie de risiter un bagne, que chaque forgat est accoupl6 d un autre (toujours un vieux rt un jeune ensemble) par une chaine. Le poids de cette chaine, riv€e i un anneau Ce "121
i
L. J'emprunte cet exemple un article du num€ro 13 de Recherches : < Identifier et dcrire des extes explicatifs au L, P. >, de Brigitte Hibert-Hocquet et Guislaine Luccini-Monteil (1990).
Texte 5.3. Jules Verne revu par un manuel de sciences physiques J'ai d plusieurs occasions (Adam 1985b : 43 et 1987a : 72-7& prdsent1
le texte suivant - trouv6 dans un manuel de sciences physiques oi il figure en tant que document d'un chapitre consacr6 aux << propri6t6s physiques de la matidre ,, - comme un exemple caract6ristique de I'explication. A la tumidre de ce qui vient d'6tre dit, seriez-vous aussi catdgorique que j'ai pu l'6tre ? (13) Une aventure au p6le Nord... Le capitaine Hatteras, le docteur et leurs compagnons font partie d'une exp6dition pour explorer les environs du pdle Nord. lls viennent de se construire une maison de glace mais ils n'ont plus rien d manger et voild qu'un ours affamd les suit : que faire ? lls n'ont plus de balles pour leur fusil ! < Demain, dit-il, je tuerai cet ours
-
!
Demain ! fit Johnson, qui semblait sortir d'un mauvais r6ve. Demain ! Vous n'avez pas de balle ! J'en ferai.
lM
Chopitre
Les lexles: types et prototlpes
de plomb - Vous n'avez'pas -Et, Non, maisle j'ai du mercure prit le thermometre
6
!
!
cela dit, docteur ; il marquait d l'int6rieur + 1O' C. Le docteur sortit. plaga I'instrument sur un glagon et rentra bientot. La temp6rature exterieure 6tait de 47o C au-dessous de z1ro. << A demain, dit-il au vieux marin ; dormez, et attendons le lever du soleil. > Le lendemain, aux premiers rayons du jour, le docteur, suivi de Johnson, se pr6cipita dehors et courut au thermomdtre ; tout le mercure s'6tait rdfugid dans la cuvette, sous la forme d'un cylindre compact. Le docteur brisa l'instrument et en retira de ses doigts, prudemment gant6s, un vdritable morceau de metal tres peu mall6able et d'une grande duret6. C'6tait un vrai lingot. < Ah ! monsieur Clawbonny, s'6cria le maitre d'6quipage, voild qui est merveilleux ! Vous 6tes un fier homme ! - Non, mon ami, r6pondit le docteur, je suis seulement un homme doud d'une bonne m6moire et qui a beaucoup lu. Oue voulez-vous dire ? - Je souvenu i propos d'un fait relat6 par le capitaine Ross dans la rela- me suisvoyage : il dit avoir percd une planche d'un pouce d'6paisseur avec tion de son un fusil charg€ d'une balle de mercure gel6 ; si j'avais eu de l'huile d ma disposition, c'e0t 6t6 presque la mdme chose. car il raconte dgalement qu'une balle d'huile d'amande douce, tir6e contre un poteau, le fendit et rebondit d terre sans avoir
6td cassee. L'ours fut tu6 par la balle faite avec le mercure du thermomitre. Jules Verne, Les Aventures du capitaine Hatteras.
Le prototype de la sdquence dialogale
Le dialogue, ou sens dtroit du mot, n'est bien sfrr qu'une des formes, il est vrai la plus importante, de I'interaction verbale. Mais on peut comprendre le dialogue au sens lorge, en entendant par ld non seulement la communication verbale directe et d haute voix entre une personne et une outre, mais aussi toute communication verbale, quelle qu'en soit la Jorme.
(M. Bakhtine, in Todorov I98l : I7l)
l.
Du dialogisme au dialogue
En parvenant d ce cinquidme type de s6quence, on aborde assur6ment un mode
de composition en apparence moins structur6 que les quatre autres. La conversation ordinaire peut certes €tre, comme on dit, < forrnelle >, trds ritualisde, mais la plupart du temps une impression de ddsordre et d'hdt6rog€ndit6 pr6domine. De fait, si la plupart des commentateurs s'accordent - i peu prds sur les quatre prototypes prdcddents, ils rejettent majoritairement le dialogue-conversation de leurs typologies. Celle de Werlich, par exemple, repose sur une telle exclusion, alors que celle de R. de Beaugrande (1980) intdgre le dialogue parmi les grands modes de mise en texte. La tendance g6n6rale consiste d mettre le dialogue-conversation nettement d part soit en lui accordant une place prddominante, soit en l'ignorant. Ces deux solutions me paraissent aussi prdjudiciables I'une que I'autre. La fagon dont T. Virtanen et B. Warvik ont critique ma position repr€sente assez bien les arguments g6n6ralement avancds pour que nous prenions le temps de I'examiner de prds :
Il
semble que la < conversation > ne forme pas un type textuel, mais qu'elle soit d intdgrer i la typologie de Werlich. En d'autres termes, une conversation peut consister en fragments argumentatifs, narratifs, instructifs, etc., ainsi que naturellement contenir des r€alisations de la fonction phatique, qui a pour but unique de maintenir la communication. Ce qui distingue les emplois conversationnels des autres emplois des types textuels est le caractdre dialogique de la conversation. Ainsi le monologue ne permet pas les interventions d'un interlocuteur, contrairement au dialogue. En plus, la conversation est diff€renci€e par
plutdt
146
Les textes
: tlpes
son caractdre
et
prototpes
impromptu et tous
Dialogue les ph€nomdnes que cela
tation, les corrections, le << turn-taking
>>,
etc. (1987
entraine, tels que I'h6si-
: 100-l0l)
Le fait qu'un dialogue puisse comporter des moments (s€quences monologales) narratifs, descriptifs, explicatifs ou argumentatifs ne constitue pas un argument de diff€renciation pertinent. En fonction de ce que j'ai dit de la textualitd et de son mode compositionnel, le dialogue est potentiellement d'une hdt6rog6n6it6 comparable d celle du r6cit, avec ses sdquences descriptives, dialogales, explicatives. L'hypothdse s6quentielle rend compte de I'h6t6rogdn6it6 compositionnelle du dialogue comme elle rend compte de celle des autres formes de mise en texte. Elle ne nous met pas dans I'obligation d'accorder une place d part d un type par rapport aux autres, m€me si, comme le souligne Ia citation de Bakhtine propos6e en exergue de ce chapitre ou cette phrase de Volochinov : << Le dialogue - l'6change de mots - est la forme la plus naturelle du langage > (in Todorov l98l : 292). qui est aussi la plus dvidente La seconde objection a trait au carac-
-
-
tdre monologique des quatre premidres formes de mise en texte. Prise en charge par plusieurs locuteurs (au moins deux), une s€quence dialogale est, elle, par ddfinition polyg6rde. Je ne retiens pas cette objection pour deux raisons. Elle n6glige d'abord le fait que les s6quences monogdrdes sont toujours, elles aussi, prises dans une co6nonciation. Roman Jakobson, se r6f6rant Peirce et d Vygotsky, le notait d€jd dans ses Essais de linguistique gdndrale : << Tout dis-
i
cours individuel suppose un 6change > (1963 : 32). Par rapport d l'6noncd dialogal, dans lequel les interventions des interlocuteurs se succddent, le monologue se caract6rise par le caractdre en apparence homogdne de I'intervention d'un seul sujet parlant. Mais les penseurs antiques consid6raient d6ji le discours int€rieur comme un dialogue intdrieur et tous les linguistes, d la suite
de Bakhtine-Volochinov (1929) et de Vygotsky (1934),
reconnaissent
aujourd'hui que < le dialogue sous-tend m€me le discours int6rieur > (Jakobson 1963 : 32) . Comme l'6crit E. Benveniste : < Le "monologue" est un dialogue int6rioris6, formul6 en "langage int6rieur", entre un moi locuteur et un moi dcouteur > (1974 : 85). Dans une structure dialogale, les voix des interlocuteurs se r6pondent, leurs interventions se suivent en conservant une cer-
taine autonomie, mais comme le rappelle Volochinov
:
plusieurs voix (6nonciateurs) au sein d'une m€me intervention (monologale) : structure polyphonique qu'on oppose parfois d la structure diaphonique qui voit le locuteur reprendre et rdinterprdter, dans son propre discours - d I'aide d'un puisque, par exemple des propos attribuables d son interlocuteur. -, On peut donc placer, au c@ur mOme de I'activit6 6nonciative, une polyphonie et un dialogisme constitutifs. Cette hdt6rogdn6it6 fondamentale de la parole n'est pas explor6e seulement par les linguistes, psychanalystes et autres psychologues. C'est tout le sens de I'euvre d'dcrivains comme Dostoi'evski ou Nathalie Sarraute. Le < principe dialogique > cher au groupe de Bakhtine relativise donc fortement les distinctions que l'on cherche d mettre en avant pour opposer les formes monologales (r6cit, description, argumentation et explication) la forme dialogale et exclure le dialogue de toute r6flexion typologique. Quel que soit le degr6 d'accord ou m€me le violent d€saccord des partenaires d'une interaction dialogude, ceux-ci coopdrent, qu'ils le veuillent ou non, d la production d'une unit€ parfaitement identifiable, comportant un d6but et une
i
fin, et des modes d'enchainement des prises de parole. Comme le note J. Schwitalla : Si aucune des contributions n'est plus li€e i la prdc6dente [...], un dialogue cesse d'€tre un dialogue ; il devient une suite de monologues tels que nous les connaissons dans certaines situations de communication, oir plusieurs locuteurs livrent leur commentaire sur un sujet dr tour de rdle, sans tenir compte de ce que disent les autres. (1978 : 166)
Rappelant ce propos, Catherine Kerbrat-Oreccioni ajoute fort justement
d mon sens
:
Pour qu'on puisse v€ritablement parler de dialogue, il faut non seulement que se trouvent en pr6sence deux personnes au moins qui parlent i tour de rdle, et qui tdmoignent par leur comportement non verbal de leur < engagement > dans la conversation, mais aussi que leurs €noncds respectifs soient mutuellemeil dhrcr-
minds.1...1 Une conversation est un ( texte > produit collectivement, dont les divers fils doivent d'une certaine fagon se nouer faute de quoi on parle, d I'aide d'une m€taphore qui reldve elle aussi de cette isotopie du tissage, de conversation < d6cousue >. (1990: 197)
-
Les 6nonc€s longuement d€velopp6s et bien qu'ils dmanent d'un interlocuteur par exemple : le discours d'un orateur, le cours d'un professeur, le unique monologue d'un acteur, les r6flexions i haute voix d'un homme seul sont monologiques par leur seule forme ext€rieure, mais, par leur structure sdmantique et
-
147
-
stylistique, ils sont en fait essentiellement dialogiques. (Cit6 in Todorov
l98l :292\
Le dialogue, en tant que forme textuelle, n'est que la manifestation la plus spectaculaire et la plus 6vidente d'un m6canisme dnonciatif complexe et il convient de distinguer une telle succession de r6pliques de la prdsence de
Les travaux rdcents mettent tous I'accent sur le
fait qu'un dialogue-
conversation est une coconstruction, une << rdalisation interactive > (Schegloff 1982) qui se prdsente non seulement comme une succession d'<< dchanges > (Roulet l98l), mais comme une ( structure hi€rarchisde d'dchanges > (RemiGiraud 1987). On peut donc se demander si un texte dialogal n'est pas une suite hidrarchisde de s6quences appel6es 6changes. Se pose alors la question de savoir si cette s6quence-6change est I'unit€ constituante du texte dialogal
148
Les
texta:
types et prototjpes
Dialogue
au m€me titre que les s6quences d'un conte sont les unit6s constituantes de narratif particulier et s'il importe peu que cette forme de mise en texte soit polyg6rde (interventions de plusieurs sujets) - les intervenants successifs 6tant, qu'ils le veuillent ou non, engagds dans la coconstruction d'un texte unique. Avant de tenter de rdpondre i ces questions essentielles, il convient de nous entendre sur quelques distinctions terminologiques. Je vais profiter de cette pause pour op6rer un bref ddtour historique, car les conversationnalistes contemporains oublient un peu trop souvent que le dialogue-conversation a toujours intdress6 la stylistique et la rh6torique.
Les catdgories gdn€ralement utilis6es manquent de prdcision. Ainsi, rien n'oppose structurellement les Dialogues de Platon etles Diologues des morts de Lucien, F€nelon ou Fontenelle aux Entretiens sur la pluraliti des mondes du m€me Fontenelle : dialogue et entretien, ici, semblent synonymes. Parmi les rares tentatives de classement, je retiens celle de Joseph de Maistre qui, dans Les Soirdes de Soint-Pdtersbourg (1821'), ddfinit le dialogue comme une unit6 de composition textuelle : < Ce mot ne reprdsente qu'une fiction ; car il suppose une conversation qui n'a jamais exist6. C'est une @uvre purement artificielle [...] ; c'est une composition comme une autre. >> La conversation, qui admet un nombre illimit6 d'interlocuteurs, n'a jamais de hrrt pr6ddfini et offre < un certain p1te-m1le de pensdes, fruit des transitions les plus bizarres, qui nous mdnent souvent d parler, dans le m€me quart d'heure, de I'existence de Dieu et de I'op6ra-comique >>. L'entretien ne se distingue de la conversation que par le nombre n6cessairement limitd de ses participants (deux ou trois au maximum) et la gravit€ de leurs propos. En d'autres termes : << La conversation divague de sa nature [...]. Mais I'entretien est beaucoup plus sage. >> M€me s'il limite le dialogue au phdnomdne textuel6crit et d l'6crit litt€raire, ce classement a le mdrite de distinguer le produit textuel qu'est le dialogue des pratiques discursives qu'englobe la notion de conversation au sens large (l'entretien 6tant une sous-catdgorie avec la conversation au sens restreint). Dans la suite du prdsent ouvrage, j'appellerai dialogue aussi bien le produit textuel des interactions sociales que les 6changes des personnages d'un texte de fiction (pidce de thdAtre, nouvelle ou roman). Le chevalier de M6r6 (De la conversation, 1669) a propos6 une d€finition de la conversation qui est tout naturellement plutOt sociologique : il souligne d'abord l'inscription de la conversation dans les lieux sociaux les plus divers (rencontres de hasard, voyages avec des amis ou des personnes inconnues, propos de table ou d'amour) ; il en pr6cise ensuite le but principal : le divertissement, car < quand on s'assemble pour ddlibdrer, pu pour traiter d'affaires, cela s'appelle Conseil et Conf6rence, oil d'ordinaire il ne faut ni
ce genre
2. De la conversation au dialogue' Dialogue et conversation sont g6ndralement synonymes et I'on parle d'analyse
conversationnelle en g6n6ral. Je crois pr6f6rable de dire que le dialogue et la conversation repr€sentent deux points de vue sur la parole alternde. La conversation gagne i €tre consid6r€e comme un point de vue psycho-sociodiscursif ou comme un genre de discours au m€me titre que le d6bat, I'interview, la conversation t6l6phonique, etc. Le dialogue n'est rien d'autre qu'une unit€ de composition textuelle (orale ou 6crite). Quand la forme du dialogue philosophique d la manidre de I'Antiquit6 a cess6 d'Otre ir la mode, cette forme de mise en texte litt6raire a 6t6 bien souvent d6nigrde. Ainsi, d un sidcle d'6cart, Francis Wey et Maurice Blanchot y voient un signe de paresse et de facilitd : On vend aux journaux son esprit i la colonne, i la ligne m€me. Or, le dialogue, malaisd pour les novices, est, pour ceux qui savent bien leur itat, d'une facilit€, d'une 6lasticit6 prodigieuses. Il a I'avantage de raccourcir les lignes suivant le caprice et I'app€tit de l'€crivain. L'interjection ah ! vaut sept i huit sous, comme la ligne la plus rigoureusement comprim€e ; et sous la plume de ceux qui se qualifient de mar€chaux litt€raires, I'art consiste d multiplier les blancs ; (style mercantile).
II : 483)
rire ni badiner >. Mdr6 ajoute enfin quelques indications que nous dirions aujourd'hui pragmatiques : < Celui qui parle, s'il veut faire en sorte qu'on
Dans les romans, la part dite dialogu6e est l'expression de la paresse et de la routine : les personnages parlent pour mettre des blancs dans une page, et par imitation de la vie otr il n'y a pas de rdcit, mais des conversations ; il faut donc de temps en temps dans les livres donner la parole aux gens ; le contact direct est une 6conomie et un repos (pour I'auteur plus encore que le lecteur), (Blanchot 1959 : 208-209)
I'aime, et qu'on le trouve de bonne compagnie, ne doit gudre songer, du moins autant que cela d6pend de lui, qu'i rendre heureux ceux qui l'6coutent. [...] C'est la conformit€ qui fait qu'on se plait ensemble, et qu'on s'aime d'une affection rdciproque. De sorte qu'autant que la biensdance et la perfection le peuvent souffrir, et quelquefois m€me au pr€judice de I'une et de I'autre, on se doit d'accommoder le plus qu'on peut aux personnes qu'on veut gagner. > Cette position trds historique se retrouve 6galement chezLa Bruydre :
(Wey 1845
Il
.
Je reprends ici trls partiellement quelques 6l6ments de l'article 6crit avec Sylvie Durrer pour l'Atlos des littdralures de l'Encyclopoedia Universalk. I
t49
me semble que l'esprit de politesse est une certaine attention
i
faire que par
nos paroles et par nos manidres les autres soient contents de nous et d'eux-memes. < L'esprit de la conversation >, 1688.
t
150
Dialogue
Les textes: lypes et prototypes
Il
pr6cise encore
l5l
de composition textuelle, dchappent partiellement d la contrainte rituelle ou,
:
i
en tout cas, on peut difficilement accorder cette contrainte une place centrale. Les dchanges < confirmatifs > sont, en effet, le plus souvent absents des dialogues thdAtraux, romanesques et philosophiques. Lecteurs et spectateurs voient rarement les personnages se saluer et prendre cong€. Et quand le cas se prdsente, c'est g6n6ralement moins pour souligner la confirmation d'un lien que pour marquer la rupture, d€sir6e ou subie, d'un lien social ou amoureux. De fagon plus g6n6rale et d'un point de vue plus textuel, alors que tendanciellement le dialogue oral se pr6sente plut6t comme une structure compldte et hidrarchis6e d'dchanges constitu€s de r6pliques qui s'enchainent selon des modes sp6cifiques d'organisation, le dialogue 6crit ob6it d la tendance inverse en 6tant le plus souvent fragmentaire. Des dchanges de ce type
L'esprit de la conversation consiste bien moins d en montrer beaucoup qu'i en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, I'est de vous parfaitement. Les hommes veulent plaire ; ils cherchent moins d Ctre instruits, et m€me r6jouis, qu'i Otre gottds et applaudis ; et le plaisir le plus d6licat est de faire celui d'autrui. Si le xvll" sidcle a vu fleurir, sous la plume du chevalier de M6r6 ou de Nicolas Faret, de v€ritables guides de la conversation, le xlx" sidcle n'est pas en reste avec l'6tonnant Dictionnaire de la conversqtion et de lo lecture (1835) dont le plan, 6voqu6 dans I'article << Conversation >, est plus ambitieux encore que celui de l'Encyclopddie : << Il comprend tout ce qu'il y a de grave, mais aussi tout ce qu'il y a de futile d savoir [...1.En un mot, ce n'est pas un livre, c'est bien r6ellement une conversation, mais une conversation de gens d'esprit et de science, une conversation de toutes les opinions, et de tous les systdmes, et de toute I'Europe ; une longue et int€ressante conversation. > La d6finition de J. Janin prolonge celle de M6rd et de I'opinion g6n6rale : < La conversation, ce n'est pas toute parole qui sort de la bouche de I'homme, c'est sa parole perfectionnde, 6rudite, ddlicate ; c'est le langage de I'homme en soci6t6, mais dans une soci€t6 bien faite, 6l6gante, polie ; la conversation, c'est le superflu de la parole humaine [...] ; la conversation est une espdce de murmure capricieux, savant, aimable, caressant, moqueur, po€tique, toujours flatteur, m€me dans son sarcasme ; c'est une politesse r6ciproque que se font les hommes les uns les autres ; c'est une langue d part dans la langue universelle. > Ce d6tour historique n'est pas totalement inutile dans la mesure oit, prds de trois sidcles plus tard et dans des contextes pourtant trds diffdrents, les descriptions des socio-ethnologues am6ricains E. Goffman, P. Brown ou S. Levinson vont dans le m€me sens en d6finissant la conversation avant tout comme une activitd rituelle dont l'enjeu est la confirmation et le maintien du tissu social. Pour un certain nombre de thdoriciens actuels, plus encore que les contraintes communicatives, ce sont les contraintes rituelles qui influencent la forme et la structure de la conversation. Dans les 6changes verbaux, le comportement des individus serait essentiellement d6termin6 par la ndcessit6 de ne pas perdre Ioface en protdgeant - autant que possible - celle des autres. La notion de conformit6 du chevalier de M6r6 se retrouve dans celle d'<< Cchanges confirmatifs >> qui correspondent aux remerciements et aux salutations sur lesquelles s'achdvent n6cessairement les conversations. La confirmation r6ciproque apparait, chez de nombreux conversationnalistes, non seulement comme l'€tape finale mais comme la finalit6 m€me de la conversation L'id€al du consensus semble traverser un grand nombre d'approches de la conversation. Les formes €crites du dialogue, en revanche, en tant qu'unit6s
sont monnaie courante dans la litterature romanesque
:
Comme il passait par Vassonville, il aperqut, au bord d'un foss€, un jeune garqon assis sur I'herbe. le m€decin ? demanda I'enfant. -Et, Etes-vous sur la rdponse de Charles, il prit ses sabots d ses mains et se mit d courir devant lui. L'officier de sant€, chemin faisant, comprit aux discours de son guide que M. Rouault devait €tre un cultivateur des plus ais6s. Il s'6tait cass6 la jambe, la veille au soir, en revenant de faire les Rois chez un voisin. La femme 6tait morte depuis deux ans. Il n'avait avec lui que sa demoiselle, qui I'aidait ?r tenir
la maison. Flaubert, Modame Bovary, 1,2.
Pour Maurice Blanchot, les r6cits de James ( ont tous pour p6les quelques conversations capitales oir la v€rit6 secrdte, passionn6e et passionnante, diffuse dans tout le livre, essaie d'apparaitre en ce qu'elle a de ndcessairement dissimuld )) (( La douleur du dialogue >, 1959). Le consensus dont nous avons parl6 plus haut se trouve ici, comme le note encore M. Blanchot, d6plac6
et thdmatisd autrement
:
James parvient [...] a mettre en /rers dans les conversations la part d'obscurit€ qui est le centre et I'enjeu de chacun de ses livres et il faire d'elle, non pas seulement la cause des malentendus, mais la raison d'une anxieuse et profonde entente. Ce qui ne peut s'exprimer, c'est cela qui nous rapproche et qui attire les unes vers les autres nos paroles autrement sdpardes. C'est autour de ce qui 6chappe
d toute communication directe que se reforme leur communaut6.
Les formes du dialogue de fiction ont le mdrite de nous entrainer bien loin de la civile et paisible conversation, de I'esprit de politesse et des c€ldbres < maximes de la conversation > de H. Paul Grice qui ddveloppe ce qu'il appelle le < principe de coop6ration >. Si les maximes de < quantit| >> (Que votre qu'il n'est pas plus contribution contienne outont - d'informotion - et requis), de < qualit6 >> (N'affirmez pas ce que vous croyez Atre faux ou ce
I
152
Les lextes
: tlpes
et
prototpes
Dialogue
pour quoi vous manquez
de preuves), de (< modalitd > (Soyez c/alr) sont malheureusement assez confuses, la maxime la plus importante - << be relevant >> (Parlez d propos, soyez pertinent) montre ir quel point les interactions sont assujetties d I'empire du sens et soumises au regard de I'autre. Comme le sou-
ligne F. Flahaut : < Prendre la parole, c'est toujours au moins avoir d charge d'attester qu'on est fond6 d le faire. [...] La visde de pertinence est constitutive de l'dnonciation. >> Ceci n'empOche pas que, comme le souligne La Bruydre lui-mOme: L'on parle imp6tueusement dans les entretiens, souvent par vanit€ ou par humeur, rarement avec assez d'attention : tout occupe du d€sir de r€pondre i ce qu'on n'6coute point, I'on suit ses id€es, et on les explique sans le moindre 6gard pour les raisonnements d'autrui ; I'on est bien dloign€ de trouver ensemble la v€rit€, I'on n'est pas encore convenu de celle que l'on cherche. Dds 1925, Charles Bally tient €galement compte de cette r6alit6 conflic-
tuelle inh6rente d I'activit€ €nonciative du sujet parlant
:
Pour un observateur superficiel, [a conversation la plus anodine] n'offre rien de particulier ; mais examinez de plus prds les proc6d6s employ6s : la langue apparaitra comme une arme que chaque interlocuteur manie en vue de l'action, pour imposer sa pens€e personnelle. La langue de la conversation est r€gie par une rhdtorique instinctive et pratique. [...]
Le contact avec les autres sujets donne au langage un double caractere : tantOt celui qui parle concentre son effort sur I'action qu'il veut produire, et I'esprit de I'interlocuteur est comme une place forte qu'il veut prendre d'assaut ; tant6t c'est la reprdsentation d'un autre sujet qui d6termine la nature de I'expression ; on ne calcule plus les coups i donner, on songe i ceux qu'on pourrait recevoir. (1965 :21-22\ Sans m'attarder sur les formes du discours indirect, indirect libre ou sur les modes de fusion du dialogue avec son contexte que r€alisent Dostoi'evski,
Virginia Woolf, James Joyce ou Albert Cohen, je prdfdre insister sur ce qui n'a gudre 6t6 envisagd que par Marmontel : les types de dialogues. Dans ses Eldments de littdrature (1787), ce dernier consacre un article au < Dialogue po€tique > et distingue quatre formes de << scdnes >>. Dans un premier type de dialogue, << les interlocuteurs s'abandonnent aux mouvements de leur dme, sans autre motif que de l'6pancher ; ces scdnes-li ne conviennent qu'd la violence de la passion ; dans tout autre cas elles doivent 6tre bannies du th66tre,
comme froides et superflues >. Dans le second, < les interlocuteurs ont un dessein commun qu'ils concertent ensemble, ou des secrets int6ressants qu'ils se communiquent D. Dans le troisidme, << I'un des interlocuteurs a un projet ou des sentiments qu'il veut inspirer d I'autre [...]. Comme I'un des personnages n'y est que passif, le dialogue ne saurait 6tre ni rapide, ni vari6. > Dans le dernier, < les interlocuteurs ont des vues, des sentiments, ou des passions
r53
qui se combattent, et c'est la forme la plus favorable au th6Atre >. En 1876, G. Vapereau (Dictionnaire universel de littdrature, tome l) reprend ces cat6gories en pr6cisant seulement que le dialogue participe du monologue, dela conf4rence, de la harangue et de la dispute. Les cat6gories propos6es par Marmontel et Vapereau montrent bien que les dialogues obdissent ir des r6gularit6s. Cependant, en raison de I'hdt6rog6nditd des critdres utilisds, elles sont trop impr6cises et gagneraient ir €tre revues
i
la lumidre de sch6mas d'interaction didactique, dialectique et poldmique propos6s par S. Durrer (1990) d propos de I'art romanesque du xIx" sidcle ou encore de la < typologie des dialogues > et routines de conversation qu'envisage G. Dispaux (1984) dans la droite ligne des distinctions philosophiques classiques entre dialogues critique, dislectique et dristique. Dans les affrontements 6ristiques, je rappelle que le d6sir de vaincre est dominant, qu'il s'agit litt6ralement de faire mordre la poussiire l'autre, sans se pr6occuper vraiment de la v6rit6 des propos tenus. Ce sont les applaudissements qui sont recherchds :
i
En s'engageant ir dialoguer, on t€moigne de I'intention d'obtenir un accord, m€me partiel. Si cette volont6 est absente, la relation dialectique s'6puise dans le jeuspectacle du dialogue 6ristique. (Dispaux 1984 : 55)
En distinguant dialogue de stratdges, d'experts, d'id€ologues et de sourds,
Dispaux se situe de toute dvidence i un niveau plus conversationnel que dialogal et il faut absolument essayer de reprendre Ie probldme tout autrement en se demandant si un noyau prototypique commun d toutes les formes de dialogues n'est pas imaginable.
3. L'organisation
sdquentielle du prototype dialogal
Comme le note Catherine Kerbrat-Orecchioni dans la section la plus linguistique du premier tome de sa prdsentation de synthdse svr L'Interaction verbale, notre propos consiste essentiellement d << d6gager les rdgles qui r€gissent I'organisation s6quentielle des 6noncds produits de part et d'autre au cours d'une conversation > (1990 : 198). Tout naturellement une grande partie des principes d'organisation linguistique (coh6rence, rep6rages dnonciatifs, coh€sion isotopique et connexit6) s'appliquent lorsqu'on prete attention aussi bien i la coh6sion, i la coh€rence qu'i la connexit€ interne d'une intervention d'un locuteur donn6 ou de I'ensemble des interventions de tel ou tel locuteur ou encore des enchainements cons6cutifs d'interventions de locuteurs diff6rents. Ici plus qu'ailleurs, les contraintes sp€cifiques de ce type de textualit6 ddtermin6e par I'interaction agissent sur les formants linguistiques dans le sens d'une mise en mouvement de I'ensemble des contraintes des rdgles linguistiques : certaines rdgles de cohdrence interne, qui lui << Le discours altern6 ob6it sont plus ou moins spdcifiques. Mais ces rdgles sont aussi plus ou moins
i
154
Les textes: types et prototypes
Dialogue
contraignantes, c'est-d-dire que la grammaire qui sous-tend I'organisation des interactions verbales est selon les cas plus ou moins souple ou rigide > (KerbratOrecchioni 1990: 200).
Au lieu de nous laisser d6courager par la mobilit6 et la diversit6, les remarques qui suivent tentent de ddgager le noyau dur - prototypique par excellence de I'enchainement des s6quences dialogales. ce schdma - pas plus que les prdc6dents un schdma normatif. prototypique n'est Sous Ia pression de I'interaction verbale, il est certainement, plus que les pr6c€dents, sujet
d des ellipses et des rdalisations dont I'incompldtude est
manifeste.
Atkinson et Heritage d€finissent leur unit6 d'analyse d'une fagon trds proche de celle que
j'ai jusqu'ici adoptde : << Pour I'analyse
de conversation,
ce sont les sdquences et les tours de parole dans une s6quence,
plut6t que les phrases et les 6nonc6s isol6s, qui deviennent I'unit6 d'analyse > (1984 : 5). Entre cette notion de << s6quence >> et celle de << tours de parole >>, il faut quand m€me ajouter d'autres unitds et, conform6ment au moddle utilis6 jusqu'ici, se demander si I'on a bien affaire au moddle hi6rarchique [Texte < S6quence
< macro-propositions < propositions] ou si ce moddle doit €tre am6nag6. Si quelques am6nagements sont n€cessaires, il ne faut pas qu'ils remettent en cause la description unifi6e. Les sp6cialistes s'accordent d poser I'existence d'une macro-unitd : le texte dialogal - qu'ils appellent plus volontiers << interaction >>, < incursion >>, < dvdnement de communication )) ou encore <( rencontre ). Le texte dialogal peut €tre d6fini comme une structure hidrarchis6e de s6quences appel6es g6n6ralement < €changes >>. Deux types de s6quences doivent otre distingu€es : les sdquences phatiques d'ouverture et de cldture, - les sdquences transoctionnelles constituant le corps de l,interaction. - L'id6e d'un bornage participationnel d6limit6 par la rencontre et la s6paration d'au moins deux actants en un temps et un lieu donn6s semble une bonne d6finition de d6part. Il suffit toutefois de consid€rer le flou du d€coupage d'une pidce de thddtre en scdnes d6limit6es, en principe, par - pourtant les entr6es et les sorties des personnages pour percevoir la complexitd de cette d€finition en apparence simple. Les- limites de I'acte qui renvoie tout le monde dans les coulisses sont ddje un peu plus claires. En fait, une personne peut quitter une interaction en cours et revenir 6ventuellement sans que I'unit€ ait €t6 obligatoirement brisde. L'unit6 d'une interaction a certainement aussi quelque chose d voir avec le ou les thdmes abord6s (les < changements de conversation D, comme on dit). cette question est si d6licate que c. KerbratOrecchioni ne peut proposer que cette d6finition : << pour qu'on ait affaire d une seule et mOme interaction, il faut et il suffit que I'on ait un groupe de participants modifiable mais sans rupture, qui dans un cadre spatio-temporel modifiable mais sans rupture, parlent d'un objet modifiable mais sans rupture > (1990 : 216). M€me les bornes que repr6sentent les s€quences phatiques
155
ne sont pas absolument indispensables : il arrive qu'une interaction ddmarre sans entr€e en matidre et,/ou se termine ex abrupto. Les sdquences d'ouverture et de cl6ture, fortement ritualis6es, sont nettement plus structur6es que les sdquences transactionnelles. Je pr6fdre les d6finir comme des s6quences phatiques. Depuis les observations de Jakobson et qui se r€fdrent I'un et I'autre d la th6orie pragde Benveniste (1974 : 86-88) on sait matique du langage de I'anthropologue Malinowski (Adam 1990d) que l'ouverture d'une interaction (d'un texte dialogal) comporte une phase rituelle extr€mement d6licate et, selon les soci6t6s, plus ou moins longue. R. Jakobson parle de la possibilit6 d'un << 6change profus de formules ritualisdes > (1963 : 217), voire < de dialogues entiers dont I'unique objet est de prolonger la conversation > (lDid). Comme le souligne Benveniste : < On est ici la limite du "dialogue" > (1974 : 88). En insistant sur le caractdre d6licat de I'ouverture et de la cl6ture des interactions, les spdcialistes de I'analyse conversationnelle ont trds scrupuleusement d6crit ces s6quences les mieux structurdes. MOme si la frontidre entre salutation et d6but de la premidre s6quence transactionnelle est parfois un peu floue, on peut identifier des enchainements transactionnels. Ceux-ci ne prennent fin qu'avec des salutations de clOture qui peuvent elles aussi non seulement s'€terniser, mais commencer par des pr6paratifs mal sdpar€s du corps de I'interaction. Pour cerner les changements de s6quences transactionnelles, le critdre thdmatique me parait utile. On changera donc assur6ment de s6quence transactionnelle en changeant de sujet (un exemple l'illustrera ci-dessous). Notons au passage que la structure des dchanges dpistolaires repose sur la d6finition du texte conversationnel qui vient d'€tre proposde. Dialogue diffdr6 en raison de l'absence physique de I'interlocuteur, la lettre porte des traces de cette parent€. En effet, les formules d'adresse et les salutations finales qui signalent le genre avec I'indication des repdres spatio-temporels et de correspondent trds exactement aux sdquenI'identitd des co6nonciateurs ces phatiques et le corps de la correspondance aux s6quences transactionnelles. La seule diff€rence tient, bien sffr, au caractdre non pas monologique, mais monogdrd de cette interaction sans intervention directe d'autrui. Ceci n'emp€che pas le scripteur d'introduire un dialogisme profond en anticipant les questions de I'autre, par exemple, en mimant ses interruptions potentielles, en introduisant un simulacre de relation intersubjective. Un ddcentrement de type dialogique est certainement d la base de la structure 6nonciative singulidre de la lettrer.
-
-,
i
-
l.
-
Lire ir ce propos La Lette, approches simiotiques, Actes du VIe Colloque interdisciplinaire de Fribourg, Editions universitaires de Fribourg, Suisse, 1988.
156
Les textes:
Diologue
typa et prototypes
Pour passer delasdquence du texte dialogal dlfini - unit6 constitutive comme la plus grande unit6 dialogale d I'unitd qui la constitue, il faut d'abord ddfinir l'6change comme la plus- petite unit6 dialogale. On dira ainsi que les paires €ldmentaires :
41 81
-
Bonjour ! Bonjour !
Bx *
Bl
est une intervention double qui cl6t la premidre paire (6change a) mais
t6s distinctes cette fois
Au revoir.
Au revoir.
Texte 2
sont des €changes qui constituent respectivement une sdquence phatique d'ouverture et une s6quence phatique de clOture dldmentaires. Le fait qu'il soit imp6ratif de rdpondre d la salutation Al par une salutation Bl confdre d de telles paires - dites << paires adjacentes ) - une unit€ d€termin6e par le lien d'une intervention initiative (Al et Ax) et d'une intervention r6active (Bl et Bx). C'est ainsi que se constitue, de fagon minimale, I'unit6 dialogale de base appel6e Echange. On se rend compte qu'un 6change est une suite d'interventions (not6es par une lettre identifiant chaque locuteur et un num6ro d'ordre reliant entre elles chaque intervention de chaque locuteur). La structure d'une s6quence-6change peut €tre binaire, comme on vient de le voir, mais elle semble pouvoir €tre 6galement ternaire :
41
:
l'heure ?-------ltal - Vous avezheures.--------------=ll"'-U1 -------=' ll six est --------J[b'] A2 - Merci On voit que si les interventions Al et A2 sont en quelque sorte simples,
A1 B1
en ouvre en m€me temps une seconde (6change b). Ceci peut encore se compliquer quand les interventions sont manifestement constituees de deux uni-
ou encore : Ax
Texte 1
157
Ou'est-ce que tu lis - Un bouquin de linguistique textuelle. - Linguistiquetextuelle ! /Ah bon ! / Ben disdonc ! /Trds bien ! / Ben merde ?
B1 A2
:
A1 - Excusez-moi, Vous avez l'heure 81 - Bien s0r. ll est six heures. A2 - Merci.
?
1
Ce texte comporte, en fait, trois 6changes (a, b et c) qui correspondent d chacune des s6quences envisag€es plus haut : S6quence phatique d'ouvertureprdparation (a) qui n'est pas referm6e par une intervention verbalis6e (un mouvement de t€te et un regard suffisent, en effet, d r6pondre phatiquement). Suivent une s6quence transactionnelle complexe et la sdquence phatique de cl6ture (d). Comme le note C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 259),la question << Vous avez I'heure ? > qui ouvre l'dchange transactionnel est, i la fois, une question (b) et une requ€te (c). Cette intervention initiative double explique le d6doublement de la r6ponse de B : r6ponse ir la question (b') et r6ponse ir la requ€te (c'). Soit un sch6ma imbriqud li6 i la bifonctionnalit6 de la question posde et 6galement de la r6ponse la requOte (service) :
i
!
On a alors une triade : intervention initiative (Al) + intervention rdactive (Bl) + intervention << 6valuative > (A2). Les variantes de cette troisidme intervention vont de la simple reprise en 6cho d des morphdmes plus ou moins charg6s de valeurs dmotives ou appr6ciatives. Comme C. Kerbrat-Orecchioni le souligne : << Le terme d"'6valuation" ne doit pas Otre pris ici dans son sens usuel : il ddsigne simplement le troisidme temps de l'6change, par lequel [A] cl6t cet 6change qu'il a lui-m6me ouvert, en signalant d [B] qu'il a bien enregistr6 son intervention r€active, et qu'il la juge satisfaisante D (1990 :236). La plupart du temps, si la troisidme intervention (A2) est ndgative, la compl6tude interactive semble remise en cause et (au moins) un dchange suppl6mentaire devient alors indispensable. Je ne distinguerai pas ici entre 6changes binaires (dits parfois < confirmatifs >) et 6changes ternaires (< rdparateurs >>). Comme le suggdre C. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 240-241), on peut consid6rer la plupart des s6quences ternaires comme compos6es, en fait, de deux 6changes (QuestionR6ponse not6e << a r> puis Service-Remerciement not6 < b >) :
:
A1
-
41 -
Excusez-moi.--------------- [al
Vous avez l'heure ? --------------r [b-c]
sor.
81 - Bien 81 A2 - Merci.-----
.--:
:: _l ll_l
r J
On voit I'utilitd de la distinction entre une unit6 appelle sdquence - constitutive du texte dialogal et constituee d'dchanges - et une unit6 appelde ichange. Dans le banal petit texte 2, la s6quence transactionnelle comporte trois 6changes imbriqu€s. Il reste i d6finir quelles unit6s constituent l'6change. Manifestement, I'intervention ou tour de parole n'est pas une unit6 hi6rarchique. Elle est la plus grande unit6 monologale seulement. C'est la plus petirc unitd monologale qui importe : les suites [a], [b], [a'], [b'], [cl, [c'], [d] et [d'] ci-dessus d6gag6es. Ces unitds ressemblent fort aux propositions dont j'ai parl6
d la fin du chapitre l.
I
et qui, regroup6es en paquets, constituaient
des
Erving Goffman traitant longuement ce type d'exemple dans le premier chapitre de Fagons je n'insiste pas plus.
de parler (1987),
158
Les textes: types et prototypes
Dialogue
macro-propositions dans les analyses des chapitres pr6c6dents. La nature sp6cifique du dialogue dont m€me - conduite d la fois verbale et mimo-gestuelle les dialogues litt6raires tentent de rendre compte nous place dans I'obliga- de la s6quence dialogale tion de donner d cette plus petite unit6 constitutive une valeur particulidre.
Texte 3
A1 81 A2 82 A3 -
Les sp6cialistes de la conversation parlent g6ndralement d'<< actes r>. Dans sa synthdse, d6ji plusieurs fois cit6e, C. Kerbrat-Orecchioni considdre < I'id6e
que les conversations sont constitu6es, au niveau basique, non pas d,unit6s informationnelles, mais d'actes de langage ) (1990 : 2ll) comme faisant I'objet d'un consensus. Pour ma part, au risque de ternir ce beau consensus, je parlerai de propositions 6nonc6es possddant pleinement la valeur de clause dont
j'ai
trds bridvement parl6 en fin de premier chapitre.
A.
Berrendonner et
la fois verbale et mimo-gestuelle, apte ir op€rer des transformations dans la m6moire discursive ( = le stock structur6 d'informations M que gdrent coopdrativement les interlocuteurs). Une clause est ainsi une unit6 minimale virtuelle de comportement, un r6le langagier 6l€mentaire. (1989 : l13)
On dira donc qu'un 6change (unit6 constitutive de la s6quence) est constitue de clauses. c'est dire qu'un geste peut fort bien remplacer une intervention et constituer alors un 6l6ment de l'6change au m€me titre qu,un 6nonc6 verbalisd. soulignons ici que dans le cadre de I'inscription d'un dialogue dans un rdcit, il est fr6quent de voir le narrateur commenter un enchainement au lieu de le donner dans sa compldtude. Il est trds fr6quent de trouver une intervention-clause [a] au discours direct et la narrativisation de la r€action mimo-gestuelle [a']. Au th6dtre dgalement, une didascalie de I'auteur peut signaler quel geste constitue la < r6plique >> d'un personnage. L'intervention, constituee par une prise de parole d'un locuteur, plus grande unit6 monologale, peut fort bien s'6tendre en longueur et 6tre constitu6e par un rdcit complet ou par une s6quence d'explication enchissde en un point de l'6change en cours. Toutefois, une interruption monologu6e un peu longue doit toujours Otre soigneusement n6goci6e et elle donne lieu aux sanctions d6crites au chapitre 2 (3.1.). Faute de place, je vais ddcrire rapidement les enchainements de plus en plus complexes que j'avais d6ji examin6s dans mon article de 1987a. Je corrige la description encore trop 6l6mentaire proposde alors.
Non.
ll est six heures. Merci.
conflictuelle
:
41 A1
81
A2* 82A3-
Un acte dnonciatif ne se r6duit pas d I'expression d'une valeur illocutoire ou < interactive ) (au sens de Roulet et al. 1985 :,27),bien qu,il comporte ordinairement ?r
?
interprdt6e comme une requ6te et il ne lui est pas r6pondu par le dddoublement observ6 plus haut, d'autre part la r€plique Bl vient sdrieusement compliquer I'enchainement en donnant ir I'ensemble de I'interaction une tonalitd
:
ces aspects. C'est, plus largement, une conduite
:
Excusez-moi. Vous avez I'heure Vous n'avez pas de montre ?
Ce texte ressemble au pr6c6dent, mais, d'une part la question (b) est juste
M.-J. Reichler-Bdguelin soulignent que la fonction spdcifique de la clause n'est plus < de marquer des diff6rences de sens, mais de servir d I'accomplissement d'un acte dnonciatif > (1989: ll3). Ils pr6cisent de fagon int6ressante pour nous
159
On peut h6siter d consid€rer
Bl
cornme une acceptation de l'6change,
mais je propose la description hidrarchique suivante de ce texte conversation-
nel 6l6mentaire
:
Texte 3 S6quence
56quence transactionnelle Echange ench6ssant
S6quence 0
d'a
aA lAll
O
lA3l
[B1l
t
o-b
R-b'-d lB2l
Echange enchAss6
lAll
--------- Q-c lBl
l
--._-*-l
R-c'
lA2l
Cette description un peu plus fine que les pr6c6dentes permet de souligner plusieurs phdnomdnes mentionn€s plus haut : . On note d'abord I'absence d'6changes phatiques rituels de type < Bonjour ! > (A0 et B0) et < Au revoir > (A4 et B3). Cette absence est remplac€e par une intervention que I'on peut dire phatique d'entr6e en contact [Al-a] qui, sous la forme d'une excuse, tente clairement d'ouvrir une interaction tout en cherchant d att6nuer I'effet de I'incursion de A sur le < territoire > de B.
160
Les textes: types et prototypes
Dialogue
L'intervention [Bl] est d'ailleurs une rdaction dont I'inddniable violence rdpond << violence > in6vitable de I'incursionr. La cldture est assur6ment elliptique aussi. On aurait fort bien pu imaginer que B vienne clore i son tour l'6change en compensant son agacement initial par un : ( Il n'y a pas de quoi. > Cette absence de cldture phatique r€ciproque confirme le d6s6quilibre initial. En d'autres termes, on voit qu'un d6faut de structure peut €tre rdvdlateur d'un rapport de force : tout n'est donc peut €tre pas aussi anarchique qu'on veut le dire dans la conversation ordinaire. d la
o Les transitions
entre sdquences phatiques et sdquences transactionnelles sont assurdes de fagon in6gale. On ne peut pas dire vraiment que Bl soit une clause
[a'] et [c] en m€me temps. En revanche, 82 est d la fois r6ponse [R-b'] de la s6quence transactionnelle enchdssante et service cr66 [d] appelant un remerciement [d']. De ce fait, A3 est en m€me temps remerciement [d'] et clOture de l'interaction. o L'absence de r6ponse d la question
[Al-b] qui ouvre le premier 6change transactionnel, entraine tout naturellement I'enchissement d'un second 6change. On peut parler ici d'enchdssement dans la mesure oir la rdponse [Rc'] conditionne [R-b']. Ajoutons que cette absence de r6ponse de B i la question pos€e par A est un signe de d6saccord et une source de conflit. Le retardement d'une rdponse est toujours un risque interactif. En conclusion de cette premidre analyse d'un exemple un peu simple et invent6, je veux esp6rer que la formalisation proposde ne tombe pas sous la critique formul6e par C. Kerbrat-Orecchioni d I'encontre du moddle hi6rarchique de l'6cole de Gendve : << Je me demande, 6crit-elle, si ce type de repr6-
sentation n'accorde pas trop de structure aux objets i d6crire, et si ce "tout-hi6rarchique" n'en "rajoute" pas un peu par rapport aux r6alit6s empiriques > (1990 :243). Le dernier exemple que je vais 6tudier est tire d'un texte fictionnel de la s6rie policidre des Reiner de Claude Klotz. Sa nature th66trale et le dysfonctionnement qui le r€git m'ont incit€ dr le choisir. La s6rie d'interviews tdl6vis6es qui suit ne passa pas i l'antenne durant les jours d'angoisse. Elles n'ont d'ailleurs, d notre connaissance, jamais 6t6 programmdes. Un journaliste et un cam6raman de I'ORTF alldrent poser dans diffdrents quartiers de Paris les mdmes questions sur les €v6nements en cours d des personnes isol6es appartenant A diverses categories sociales. Une jeune fille, visible[...] Troisidme interview : (Jardin du Luxembourg ment une etudiante, tricote sur un banc ; elle a de longs cheveux frisds sales).
-
l.
i
A. Finkielkraut 6crit, ce propos: < Par oi commencer ? Par I'excuse. [...] C'est l'6crasante responsabilit6 des premiers mots : trouver une brdche dans la forteresse du quant-d-soi, se faire absoudre, en commengant, du scandale de commencer >> (Le Nouveau Disordre amoureux, Paris, Le Seuil, 1971 :291).
l6l
Journaliste [J 1 ] : [1 ] Pourriez-vous, pour la t6l6vision, donner votre avis sur les 6v6nements actuels ? Jeune fille [JF1] (regard trds las) : [2] Et ca vous avancera d quoi d'avoir mon
avis
?
(Silence)
Journaliste [J2] : [3] Eh bien... c'est... c'est int6ressant de savoir ce que les gens pensent ; [4] vous n'aimez pas savoir ce que les gens pensent, vous ? Jeune fille lJF2l : [5] Si, bien s0r, [6] j'aimerais par exemple bien savoir ce que vous en pensez, vous ? Journaliste [J3] : [7] De quoi 7 Jeune fille [JF3] : [8] Des 6v6nements. Journaliste [J ] : [9] Eh bien, d mon avis, 9a va mal, trds mal m6me. Jeune fille [JF ] : [1O] Vous qovez que c'est la guerre ? Journaliste [J 5] : [1 1 ] ll f aut que je me m6f ie [1 2l car je suis d,un temp6ra_
ment naturellement pessimiste, [1 3] mais je ne pense pas cette fois que nous pourrons l'6viter. [14] C'est d'ailleurs l'avis de ma femme. Jeune fille [JFs] : [15] Vous 6tes mari6s depuis longtemps ? Journaliste [J6] : [16] Qa va faire quinze ans. 1.. .l Jeune f ille lJF9l : [41 ] Je vous remercie inf iniment, [42] d vous Cognac_ Jay. (elle baisse la tete sur son tricot). C. Klotz-Reiner, Cosmos-Cross, 6d. Christian Bourgois
L'absence de sdquences phatiques rituelles d'ouverture et de fermeture de type salutations s'explique assez bien ici par le genre de I'interview t6l6vis€e. A I'ellipse de toute s6quence phatique d'ouverture r6pond quand m0me la s6quence phatique de cldture rituelle (intervention JF9) : remerciements et antenne rendue aux studios de t€l6vision. Tout I'humour tenant, bien s0r, ici au renversement des rdles : I'intervieweur interviewd se voit d6poss6d6 de son pouvoir et c'est la jeune fille elle-m€me qui se substitue d lui pour rendre I'antenne. on comprend que, dans ces conditions, comme le souligne l'ouverture de ce passage trds singulier et autonome par rapport au roman, cette interview d6lirante n'ait jamais 6t6 programmde. Du fait de ce d6rapage, la question qui ouvre la s€quence transactionnelle ne recevra jamais vraiment sa r6ponse. Ou plut6t, si I'interview peut se clore par les remerciements d'usage, c'est
qu'en fait, la rdponse a quand m€me 6t6 apport6e. Elle I'est au terme d'une reprise de la question [Q-al] du journaliste par la jeune fille [e-a6] au d€but de la troisidme s6quence enchdssde. Dans ces conditions, la r€ponse [R-a'] attendue de la jeune fille est d€placde dans les sdquences 3 et 5 : [Ra'9] et [Re'l l] du journaliste (ensuite I'interview bifurque vers tout autre chose : la vie priv6e du journaliste-interviewd). cet exemple permet de mettre en 6vidence divers modes d'articulation des dchanges transactionnels : le type enchdssd dont il a d6jd 6t6 question plus haut et deux formes de liage coordonn6.
162
Les textes
types et prototpes
:
Dialogue
o Enchdssement d'dchange engendr€ par une absence de rdponse:
153
Texte conversationnel
(interviewl Echange ench6ssant (3)
Oa (JF2) ---- non rdponse
---
56quences transactionnelles
Ra' (J4)
E"t"nn"
S6quence
ench6ss6 (4)
od
(J3)
---(J1)
Oa1
.
Liage coordonnd d'dchanges dans des interventions successives (sans changement de rdles) :
Echange
42
1
Echange ench6ssant
Rd' (JF3)
1
non-r6ponse -----Ra'
I
Echanges
(J4-Ra',g)
Y'ench6ssds
Es
E2
Echange {6}
(51
S€q. phatique de cl6ture
I
Oe
{JF4}
of {JFs}
Re' (J5}
Rf', (J6}
I
o Echanges coordonn€s au sein d'une m€me intervention (alternance r6les)
des
Ob2
>
(JF1)
I
Rb'3-Oc4 (J2t
:
>
Rc'5-Oa6
(JFr
-
I
-
Ra'9 (J4l
I
I
I
I
QelO > Re'11 Of15 > Rf'16 (J5) (JFs) {J6}
(JF4)
[...1
€s Echange
.------.Ob (JF1}
Echange (2)
(1)
Rb'-et
Oc
tJ2l
uF2t
On retrouve ici les grandes formes d'articulation des unitds ddcrites au chapitre 2, d propos du r6cit, le cas des 6changes altern6s est m0me envisageable : c'est l'exemple du dialogue de sourds dans lequel deux conversations se poursuivent symdtriquement sans se rencontrer. On peut rdsumer la structure de I'extrait de Cosmos-cfo,r.r de la fagon suivante (je num6rote les interventions J l, J2 etc., d'une part, et les clauses
al, b2, b'3, etc., d'autre part)
:
l,g'?i;3,
Rc' Rc'-
Je ne d6veloppe pas, on pergoit aisdment la complexit6 de la description
d'un texte un peu plus int6ressant que ceux qui sont gdndralement cit6s.
4. L'inscription du dialogue
dans le r6cit
De tout temps, I'insertion des dialogues a pos6 aux 6crivains des probldmes techniques et esthetiques. Un des derniers en date, pourtant spdcialiste de narratologie et de sdmiotique par ailleurs, s'exprime en ces termes dans son,4pos-
tille au Nom de Ia rose
:
Les conversations me posaient de gros probldmes que j'ai rdsolus en dcrivant. Il est une th€matique, peu trait6e par les thdories de la narrativitd, qui est celle des turn ancillaries, c'est-i-dire les artifices gr0ce auxquels le narrateur passe la parole aux diffdrents personnages. [...] C'est un probldme de style, un probldme iC6ologique, un probldme de < po€sie ), autant que le choix d,une rime, d,une assonance ou I'introduction d'un paragramme. Il s'agit de trouver une certaine coh€rence. (Eco 1985 : 37 et 39)
Dans
<<
Conversation et sous-conversation ) (1956), Nathalie Sarraute << encombrante convention >>. Les cas d'extr0me
examine aussi cette
164
Les textes: types et protolypes
domination du dialogue qu'elle cite (Ivy Compton-Burnett et Hemingway) ne sont cependant pas tout d fait des innovations et doivent 0tre compl6tds par ceux de Gyp, d'Abel Hermant, par les 350 pages de pur dialogue de Jean Barois de Roger Martin du Gard et par les 500 pages de questions et de r€ponses de L'Inquisitoire de Robert Pinget. Comme le souligne Nathalie Sarraute, de tels cas particuliers s'apparentent plus au thddtre qu'au genre romanesque. A I'autre extrdmitd, en intervenant dans les dialogues et en recourant
Dialogue
rlc ce dialogue, je compldte donc i la fois I'analyse narrative du chapitre 2 ct la rdflexion g6n€rale sur les types de dialogues.
-
[1] aui te rend si hardi de troubler mon breuvage
-
Dans le courant
meilleur compte et de fagon plus efficace par le document et le reportage), mais en profondeur > (1956). L'invention des Tropismes consistera < d plon-
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle
;
[5] Et que par consdquent, en aucune fagon, Je ne puis troubler sa boisson.
ger le lecteur dans le flot de ces drames souterrains que Proust n'a eu le temps que de survoler >. La sous-conversation ici 6voqu6e est d6jd en germe dans I'cuvre d'Henry James.
[6] Tu la troubles, reprit cette b6te cruelle ; [7] Et je sais que de moi tu m6dis l'an pass6. Comment l'aurois-je fait si je n'6tois pas n6 ? [8] - Reprit l'Agneau, [9] je tette encor ma mdre. - [1O] Si ce n'est toi, c'est donc ton frbre. [11] Je n'en ai point. - I12l C'est donc quelqu'un des tiens
-
Derridre la question de I'insertion du dialogue dans le corps d'un r6cit profile la question du discours relatd : direct, indirect, indirect libre et narrativisd. Cette question a 6td I'objet d'une assez abondante littdrature pour que je ne la ddveloppe pas ici. Retenons que se posent deux questions, de notre point de vue. Celle de I'effet de dominante du rdcit sur le dialogue dans le cas du discours se
A titre d'exemple d'inscription du dialogue dans un r6cit, je me propose de revenir sur la fable de La Fontaine dont I'analyse narrative en fin de chapitre 2 ne pouvait €tre qu'insuffisante. En d6veloppant I'analyse s6quentielle
?
Dit cet animal plein de rage : [2] Tu seras ch6ti6 de ta t6m6rit6. [3] Sire, r6pond I'Agneau, que Votre Majest6 Ne se mette pas en coldre ; [4] Mais plut6t qu'elle considdre Que je me vas d6salt6rant
d I'analyse, la tentative proustienne est plus sp6cifiquement romanesque. Elle apporte aux lecteurs << ce qu'ils sont en droit d'attendre du romancier : un accroissement de leur expdrience non pas en 6tendue (cela leur est donn6 d
indirect, indirect libre et narrativis€. Seul le discours direct garde une certaine autonomie. L'insertion est assur6e par les verbes attributifs g€n6ralement utilis6s. Reste encore la question du degr6 de d6veloppement des sdquences dialogales. La forme du dialogue dominant tire le roman vers le th66tre, la forme du r€cit dominant aboutit ir ces s6quences tronqudes dont le petit extrait de Madome Bovary cit6 plus haut (p. l5l) est un exemple type : la rdponse de Charles Bovary d la question pos6e par I'enfant est narrativis6e (< Sur la rdponse de Charles >) et les paroles de I'enfant passent du discours direct dans le manuscrit autographe de Flaubert (< Il y a joliment longtemps que je suis d vous esp6rer, ajouta-t-il, Mamzelle Emma m'a envoy€ vous attendre, sit6t que Borel a 6t6 revenu. C'est que notre maitre souffre I'impossible il jure comme tout >) i un style indirect libre qui neutralise les marques d'oralit€ et souligne seulement, avec les italiques, la parole d'autrui. La ddcision de passer le discours d'un personnage d'un premier plan (s6quence dialogale compldte ou tronqu6e) d un second plan est une d6cision importante. On peut €mettre ici I'hypothdse d'un choix destin6 d ne pas donner d'importance d un personnage secondaire. La narration reste centr6e sur un Charles silencieux.
165
-
;
[13] Car vous ne m'6pargnez gudre, Vous, vos bergers et vos chiens. [14] On me l'a dit: [15] il faut que je me venge.
La Fontaine, Fables.
On a peu dit de la fable de La Fontaine lorsqu'on a simplement ddcrit structure narrative. On n'a rien dit de I'humour gringant de la morale, transposition bien ironique du moddle latin du fabuliste : << Cette fable est 6crite contre ceux qui, sous des pr6textes invent6s, accablent les innocents > (Phddre). On peut parler d'ironie ici dans la mesure oir ce que la fable ( montre > cst si 6norme qu'on ne peut prendre la morale propos6e au seul premier degr6. L'analyse du dialogue montre un non-respcct du moddle prototypique : aucune s6quence phatique d'ouverture et de fermeture. Le dialogue est imm6diatement donn6 dans sa phase transactionnelle. Deux explications peuvent 0tre avanc6es : une loi d'6conomie li6e au genre narratif de la fable, mais on peut aussi consid6rer que la violence de I'interaction rend totalement inutile loute d6marche phatique rituelle. La violence est proprement la n6gation des principes de m6nagement et de consensus qui pr6sident aux rituels phatiques. Le corps de I'interaction est assez complexe. Le loup ouvre et ferme la transaction (Ll et L4), ce qui prouve qu'il domine en prenant I'initiative et $a
cn ayant le dernier mot. La premidre intervention du Loup (Ll) donne le ton : il pose d'abord rune question [1] puis il profdre une menace [2] qui annonce I'issue de I'interaction puisque I'Agneau est bel et bien < chitie de sa t6m6ritd > en fin de tcxte. Cet enchainement Question + Menace nous incite d revoir la nature
Dialogue
166 La texta: types et prototypes interrogative de la question initiale: ne serait-ce pas une fausse question destinde d permettre au Loup d'asserter par pr6supposition un fait et d'en conclure une promesse de chdtiment ? La longue intervention (Al) de I'Agneau constitue une sorte de r6ponse argumentde d la question pos6e. En fait, plus qu'une rdponse d la fausse question, le propos de I'Agneau se pr6sente comme une v€ritable entreprise de r6futation des prdsupposds de la question initiale. En effet, alors que la question porte sur la <( hardiesse > - < t6m6rit6 > de I'Agneau, elle pr6suppose comme un fait donnd que ce dernier est venu troubler I'eau du Loup. Le mouvement argumentatif du propos de I'Agneau est le suivant : [3] Pr6paration, recadrage de l'interaction. [4] MArs : expos6 d'un fait physique (donnde irr6futable] [5] erncorusEouerur (Conclusion] : n6gation du prdsuppos6 : < Je ne puis troubler... "
On peut dire que I'Agneau recadre I'interaction en proposant au Loup de passer de la violence (<< ne se mette pas en coldre >>) au raisonnement (< qu'elle considdre >). La citation de Perelman propos6e au chapitre 2 (page 70) montre bien que la d6cision d'argumenter est un renoncement d la force. L'Agneau doit recourir i la parole argumentative - au dialogue dialectique recherchant les preuves, affirmant la vdritd et d6nongant-d€montrant la fausset€ au Loup qui - pour tenter de bloquer la violence initiale. Par rapport engage, avec cette fausse question, un ( faux > dialogue un dialogue 6ristiquer I'Agneau entre dans une entreprise de conviction (c'est, bien s0r,
-,
sa seule arme).
L'intervention L2 du Loup confirme que le dialogue dans lequel il s'est engag€ est un dialogue 6ristique. L'assertion [6] vient juste rdaffirmer le pr6supposd de la question initiale en r6duisant d ndant toutes les objections de l'Agneau. Aux faits eux-m€mes, ddmontr€s par I'Agneau, est oppos6 un autre
fait, non ddmontrd, lui. Le Loup poursuit pourtant son argumentation 6ristique. La clause not6e [7] est un reproche qui apparait comme une deuxidme raison de mettre la menace [2] d ex€cution. La r6plique A2 de I'Agneau [8] et [9] vient contester par un fait objectif le prdsupposd de l'assertion [7] du Loup. L'intervention suivante du Loup (L3) semble accepter I'objection de I'Agneau et la corriger [0]. L'Agneau r€plique d son tour (A3) selon la mOme dialectique de r6futation des pr6suppos€s
Il].
Le mdcanisme des enchainements ne peut €tre ddcrit dans les termes simples Question > Rdponse envisag6e plus haut. Si la question apparait comme la plus €vidente des ouvertures d'un dchange et la r6ponse comme la
t. Eristique vient de < €ris > qui signifie querelle. Protagoras passe pour I'inventeur de cet art de la controverse, cher aux sophistes et qui permettait de faire triompher I'absurde et le faux.
167
r onrposante r6active de la paire, il faut bien voir qu'une assertion permet aussi rlc prcndre I'initiative et d'ouvrir un 6change. Une assertion pose un fait, une rhuurde, une thdse que I'interlocuteur est somme d'admettre ou de rdfuter. I lrr Cchange est donc clairement ouvert aussi bien par un acte interlocutif (l'intcrrogation que par un acte d'assertion. De plus, la valeur illocutoire d'une r lrrrrsc peut Otre en apparence assertive ou interrogative et viser en fait une t()ut autre action : les reproches que formule le Loup prennent ainsi, en surou d'une simple assertion [7]. lrrec, I'aspect d'une interrogation La nature €ristique du dialogue choisi par le Loup est 6vidente jusqu'd ln l'in : il s'agit bien de mettre I'adversaire en difficult6 quoi qu'il dise. Les grr trnisses-pr6suppos€s ne jouent pas un rdle important dans le dialogue 6ristrrlue. L'Agneau, lui, a raison de chercher d situer I'interaction dans un autre typc de dialogue, car dans le cas des dialogues dialectique et critique des le r6le des pr€misses est imporAnciens connus bien sOr de La Fontaine tnnt et I'adh€sion des interlocuteurs est indispensable. Le fait que le Loup nc s'en soucie pas materialise bien son optique 6ristique. Comme le note G. l)ispaux : < En s'engageant d dialoguer, on t6moigne de I'intention d'obtenir un accord, m6me partiel. Si cette volontE est absente, la relation dialectitpre s'6puise dans le jeu-spectacle du dialogue dristique > (1984 : 55).
[]
-
-
La fagon dont le Loup va clore I'interaction est d'abord la 11u'avant : passage de la responsabilitd directe de l'Agneau [7]
i
mOme
celle de son lrdre [0]puis de sa famille [2]et plus largement de sa classe ou de son clan (( vous >). Le dernier argument est amen€ par cAR U3l et c'est celui qui dnonce le plus clairement les raisons du Loup : un affrontement dont Louis Marin (1986) a montrd qu'il est celui du monde de la nature (celui du Loup) cl du monde de la culture (celui de I'Agneau, des chiens et des bergers). Ces deux mondes n'obdissent pas aux m€mes lois. A mon sens, si la morale ironise, c'est pour interroger l'ordre du monde : lc leurre de I'argumentation ou la parodie de procds que r€vdle le dialogue 0ristique prouve que nous vivons dans un univers de barbarie encore non r6gul€
par la parole. Il faut encore relever l'6trange clause Ia] qui semble relativiser la seule juste raison du Loup. En passant d'une €vidence naturelle qui pourrait justifier son acte [5] i un << on-dit >>, le Loup prouve qu'il n'a m€me pas 6t6 directement victime de I'agression pos€e en [3]. L'ddifice dialectique s'effondre totalement pour que I'emporte la seule sophistique €ristique.
5. Exercice d'analyse sequentielle sur les deux dialogues du texte de Jules Verne proposO dans I'exercice 5.3. du chapitre prdcddent, d6terminez leur incompl6tude et les formes d'enchainements qui les caractdrisent. En revenant
168
Chopitre
Les textes: tlpes et prototlpes
7
[A1] < Demain, dit-il, je tuerai cet ours ! [81] - Demain !fit Johnson, qui semblait sortir d'un mauvais r6ve.
[ 2] [82] [A3l [83] [A4] -
Demain ! Vous n'avez pas de balle ! J'en ferai. Vous n'avez pas de plomb ! Non, mais j'ai du mercure !
[84] ( Ah ! monsieur Clawbonny, s'6cria le maitre d'6quipage. voild qui est merveilleux ! Vous 6tes un f'.r homme ! [A5] - Non, mon ami, repondit le docteur, je suis seulement un homme doud d'une bonne m6moire et qui a beaucoup lu. [85] - Que voulez-vous dire ? [46] - Je me suis souvenu d propos d'un fait relat6 par le capitaine Ross dans la relation de son voyage : il dit avoir perc6 une planche d'un pouce d'6paisseur avec un fusil charg6 d'une balle de mercure gel6 ; si j'avais eu de I'huile i ma disposition, c'e0t 6td presque la m6me chose, car il raconte 6galement qu'une balle d'huile d'amande douce, tirde contre un poteau, le fendit et rebondit i terre sans avoir 6t6 cass6e. Jules Verne, Les Aventures du capitaine Hatteras.
Un exemple d'hetdrog6n6it6 r6gl6e le monologue narratif dans le th66tre classique
:
Aprds des chapitres consacr6s i des formes textuelles 6l6mentaires, il me grtrait indispensable de passer d un mode complexe de combinaison de s6quenccs h6t6rogdnes en essayant de r6concilier tradition rh6torique et analyse linguistique. Le monologue narratif thddtral est un des grands genres du rdcit. ll pr6sente un int6r0t majeur dans le cadre du pr€sent ouvrage : il s'agit d'une sdquence ins6r6e dans une autre, dialogale. La fable de La Fontaine 6tudi6e irux chapitres 2 et 6 prdsentait le cas de figure exactement inverse d'un dialogue ins6r6 dans une s€quence narrative. Pour aborder ce genre narratif singulier, j'examinerai tout d'abord les rilpports du th66tre et de la narration en insistant sur le mode d'insertion du rdcit dans le dialogue. Je proc6derai aussi d une relecture des thdses de Jactlues Sch6rer dans Lo Dramaturgie classique en France et, i la lumidre de cette rnise au point thdorique et historique, je ddcrirai un certain nombre de cdldhres monologues narratifs d'exposition et de ddnouementr.
l. Th€dtre et narration l.l.
Le texte thditral : genre narratif ou dramatique
?
l.a pensde classique oppose, depuis I'Antiquit6, la diCgisis dla mimlsis. Cette dernidre 6tant entendue dans le sens platonicien de dialogue, c'est-d-dire moins d'imitation (sens commundment retenu aujourd'hui) que de transcription ou de citation. Soit un couple rdcit VS dialogue ou mode narratif VS mode dramatique. Cette opposition est reprise par G€rard Genette, dans Nouveaux Discours du rdcit (1983). Ce dernier d6plore I'entreprise et le titre m6me de Syntaxe narrative des tragddies de Corneille de Thomas Pavel (1976) en
L Une premidre version de cette 6tude, 6crite avec la collaboration de B6n6dicte Le Clerc, ;raru dans un num6ro de Pratiques (no 59, septembre 1988) consacr6 aux genres du r6cit.
a
170
Les
lutes : types
soulignant que (1983 : l3).
<<
Le monologue
et prototypes
la syntaxe d'une trag6die ne peut €tre que dramatique
ou d'un roman. Mais un tel rdsum6 narratif est-il fiddle au texte et, surtout, estil fiddle la repr6sentation ? (Kibedi Varga 1988 : 84)
>>
On peut effectivement opposer le livre de Pavel i deux articles du no 4l de la revue Pratiques : << Pour une approche pragmatique du dialogue th6dtral > (Kerbrat-Oreccioni 1984) et << La conversation au thddtre > (Petitjean 1984) ou encore au no 6 des Cahiers de linguistique frangaise de I'Universit6 de Gendve, < Discours th66tral et analyse conversationnelle > (Moeschler et Reboul 1985). La simple confrontation des titres permet de situer le ddbat et de d€gager deux tendances : I'analyse narrative (Pavel) et I'analyse de la conversation (Reboul-Moeschler) peuvent aborder, chacune d leur manidre, le discours theatral du classicisme frangais. Le fait qu'il s'agisse des grandes tragddies de Corneille dans le premier cas et de L'Ecole des maris et des Fourberies de Scapin dans I'autre ne change rien d I'affaire. On reconnait derridre <( syntaxe narrative )) et ( analyse conversationnelle >> deux fagons d'approcher le texte theatral en privil6giant soit le mode narratif, soit le mode dramatique. Lorsque, i la fin de leur travail (pages 103-106 et 107-ll0), A. Reboul et J. Moeschler rdsument les deux pidces de Molidre, ils procddent, en fait, d la suppression des dialogues et e la restitution monologale d'une histoire. Il est vrai qu'une pidce de th6itre, i un certain niveau de description (celui du r6sum6 prdcis6ment), est une histoire et Georges Jean, dans son ouvrage g6n6ral sur le th66tre de la collection << Peuple et culture >r au Seuil, peut rappeler la citation cdldbre de Brecht : << La fable, c'est le ceur du spectacle >>, et ajouter en justifiant, en quelque sorte, I'entreprise de Pavel :
i
En abandonnant une position narratologique par trop g€ndrale et d6gadu texte proprement dit, je considdre que le texte th€Atral doit recevoir cn priorit6 une description conversationnelle, attentive aux dchanges de r€pliques qui constituent la forme m€me de la part verbale de la repr€sentation. lin accord avec G. Genette, je dirai donc que le texte thddtral est constitu€ dc rdpliques-interventionst et je centrerai mon attention sur les insertions de gCc
passages narratifs dans des 6changes dialogaux. Les ruptures d'dquilibre entre
lc dialogue et les moments narratifs sont clairement denoncees par des forlnules de ce genre : lieu de scdnes, nous avons des r6cits > (pr6face de Cromwel[). - <<<< Au Une des rdgles du thditre est de ne mettre en r6cit que les choses - peuvent qui ne passer en action > (pr€face de Britannicus). On voit que I'opposition entre scdnes-action-dialogue, d'une part, et narration, d'autre paft, est perque par les plus grands 6crivains eux-m€mes (Hugo ct Racine). Le texte th6itral comporte des zones textuelles jug6es tellement hdtdrogdnes (dialogue vs rdcit) que les classiques - contre les d6bordements du thddtre d'avant la Fronde ont jug6 n6cessaire d'en codifier les relations. - la nature prioritairement dialogale du texte A. Kibedi Varga d€crit bien de thddtre :
Il contient en g6n6ral de nombreux €l€ments non dramatiques qui proviennent del'exposition, c'est-i-dire des renseignements concernant des evenements ant€rieurs i I'action et que I'auteur fait raconter i quelqu'un, en gdn6ral au d6but de la pidce. La v6ritable action dramatique, c'est-i-dire les €v€nements repr€sent6s sur scdne, se r6duit la plupart du temps i peu de chose : tout ce qu'un narrateur aimerait raconter avec beaucoup de verve, toute la riche biographie des
Elle est constituee par la somme des 6v6nements dans lesquels les personnages sont impliqu€s, qu'ils le veuillent ou non. C'est I'histoire qu'on raconte pour le plaisir du spectateur. C'est la fiction gr6ce i laquelle la reprdsentation se ddroule dans le temps. Elle est pr6sente m€me dans ces pidces d'aujourd'hui < otr il ne se passe rien >>. Car le spectateur de th6dtre attend toujours qu'il se passe quelque chose. Cette attente pouvant d'ailleurs constituer toute la fable. De plus, la fable est le r6v6lateur r
of
se
r€fractent la soci€t€, I'histoire, les id6ologies. (1977
personnages, c'est d€jd du pass6, La narration est presque entidrement ant€rieure I'action ; elle la conditionne m€me, mais la part narrative de celle-ci se r€duit i un minimum. [...] Une fois I'action d6clench€e, la narration se dresse presque comme un obstacle ; comme les descriptions dans les romans r€alistes, elle est ndcessaire mais elle ralentit la marche des €v6nements. (1988 : 84)
i
z
l6)
Pour consid6rer une pidce de th66tre comme un r6cit, il faut donc passer du niveau des dialogues des acteurs-personnages de la repr6sentation th66trale d celui de la pidce comme texte global communiqud par un auteur (narrateur) absent d un public (lecteur) : A premidre vue, le th6itre peut nous apparaitre comme une narration, surtout lorsque I'on songe de prdf€rence au texte th6dtral : pendant les cours et les examens de littdrature, nous avons l'habitude de r6sumer les pidces narrativement. Nous pouvons etudier les personnages principaux et les personnages secondaires exactement comme dans les textes narratifs et nous pouvons 6tablir le modile actantiel d'une pidce de th€dtre qui ne se distinguera en rien de celui d'une nouvelle
nanatif l7l
Puisque le texte thddtral classique comporte des sdquences narratives, il convient de se donner les moyens de ddcrire ces sdquenccs monologales et surtout leur mode d'insertion dans le texte dialogal. Pour une linguistique textuelle, l'6tude du monologue narratif pr€sente un double intdr€t : permettre, d'une part, de poser trds concrdtement la question de I'insertion de s6quences h6t6rogdnes du type
:
[conversation [r€cit] conversationl,
l.
Auxquelles il convient, bien s0r, d'ajouter les didascalies trds brives dans le thCAtrc classique, mais bien plus nombreuses et d6velopp6es chez Hugo, par exemple, pour citer un cas extrOme.
172
Les
Le monologue narratif
texles: tlpes et prototypes
permettre, d'autre part, de penser la nature profond€ment dialogique des dchanges narratifs. Avec ce qu'on peut appeler un type de ricit dans lo conversation, il s'agit donc de souligner I'ouverture ou la coconstruction du r6cit par le narrateur-r6citant et son interlocuteur. Soit une triple probl6matique : celle de la structure interne (intra-textuelle) du monologue narratif, celle de l'insertion (cotextuelle) du r6cit dans le dialogue, celle de la fonction interactionnelle (contextuelle) de l'dchange narratif.
1.2. Le rdcit dans la conversation (I'Ecole
des
femmes
ll,
-
AcrvEs
Mon Dieu, ne gagez pas : vous perdriez vraiment. ARNOLPHE
47s Quoi ? c'est la v6rit6 qu'un homme..'
-
Chose s0re. ll n'a presque boug6 de chez nous, je vous jure. ARNoLPHE, bas, d part. Cet aveu qu'elle fait avec sinc6rit6 Me marque pour le moins son ingdnuit6. (haut)
Mais il me semble, Agnds, si ma mdmoire est bonne. +eo Que j'avais ddfendu que vous vissiez personne. AcrrrEs
Oui ; mais quand ie l'ai vu, vous ignorez pourquoi ; Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi. ARNoLPHE
Peut-Ctre
Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprds Un jeune homme bien fait, qui rencontrant ma vue,
D'une humble r6v6rence aussit6t me salue : Moi, pour ne point manquer d la civilit6. Je fis la rdv6rence aussi de mon c6t6. Soudain il me refalt une autre r6v6rence : Moi, j'en refais de m6me une autre en diligence ; Et lui d'une troisiOme aussit6t repartant, D'une troisi€me aussi j'y repars d l'instant. ll passe, vient, repasse, et touiours de plus belle Me fait i chaque fois rdv€rence nouvelle ; Et moi qui tous ces tours fixement regardais, Nouvelle r6v6rence aussi je lui rendais : Tant que si sur ce point la nuit ne fOt venue, Toujours comme cela, je me serais tenue, Ne voulant point c6der, et recevoir l'ennui Qu'il me pOt estimer moins civile que lui.
Ces premidres observations s'appliquent parfaitement au monologue nar-
-
*
[...] Quelles nouvelles
?
Le petit chat est mort. [...]
cette scdne est domin6e par une demande d'information et I'attente d'une << nouvelle >r. Dans cette situation d'interrogatoire, Agnds, sommde de raconter, n'a pas besoin d'imposer sa prise de parole narrative. Faute de place, je n'examine que le premier r€cit d'Agnds (vers 483 i 542) en citant tout le texte indispensable ir la d6monstration :
tout autre
ARNOLPHE
Fort bien. ActrtEs
ARwOlpne, ayant un peu r€v6. 1...1
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu +zo Etait en mon absence i la maison venu. Oue vous aviez souffert sa vue et ses harangues ;
fort 6tonnante et difficile i croire.
J'6tais sur le balcon A travailler au frais,
ratif classique. Molidre imagine toutefois, i la scdne rr,5 de L'Ecole des femmes, un autre mode d'6valuation : une 6valuation externe par le destinataire, interprdtant du r€cit lui-m€me. Il s'agit de la scdne qui commence par l'illustre enchainement des vers 460 et 461 : AcrrrEs.
; mais enfin contez-moi cette histoire. AGNES
Elle est
locuteur.
ARNoLeHE.
?
ActrtEs
5)
Le chapitre 2 a propos6 une d6finition minimale de la s6quence narrative fie renvoie surtout d l'6tude d'un extrait des Justes de camus qui a permis d'expliciter la structure intratextuelle du monologue narratif sa <( syntaxe narrative > et son insertion dans le cotexte conversationnel sa (( syntaxe dramatique >). Sur la base de cette premidre description, on peut dire que le monologue narratif au th66tre comporte, comme tout r6cit oral, deux macropropositions qui I'encadrent : une Entr6e-pr6face (PnO) et une Evaluation finale ou Morale (Pno). L'une permet de passer du monde actuel de l'6change au monde de la narration, I'autre d'accomplir le trajet inverse. on constatera plus loin que, dans la dramaturgie classique, un ensemble de r€pliques pr6pare gdn6ralement le r6cit non seulement par une Entr6e-pr6face, mais 6galement par un R6sum6. Comme on I'a ddjd vu, le r6cit peut aussi comporter des Evaluations ; quand elles sont le fait du r6citant, cilles-ci sont g6n6ralement destin6es i signaler I'issue du r6cit ou i maintenir I'attention de l'inter-
-
Mais je n'ai point pris foi sur ces m6chantes langues, Et j'ai voulu gager que c'6tait faussement.'.
sos
Le lendemain, 6tant sur notre Porte, Une vieille m'aborde en parlant de la sorte : < Mon enfant le bon Dieu puisse-t-il vous b6nir,
Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir
!
t73
174
Les textes: types et prototypes
Le monologue
ll ne vous a pas faite une belle personne Afin de mal user des choses qu'il vous donne 510
>
!
AGNis
j'ai blessd quelqu'un ! fis-je toute dtonn€e. Oui, dit-elle, bless6, mais blessd tout de bon ; Et c'est l'homme qu'hier vous vites du balcon. 515
AGNEs
Voild comme il me vit, et regut guerison. Vous-m6me, a votre avis, n'ai-je pas eu raison ? Et pouvais-je, aprds tout, avoir la conscience De le laisser mourir faute d'une assistance, Moi qui compatis tant aux gens qu'on fait souffrir Et ne puis. sans pleurer, voir un poulet mourir ? Anuolpne, bas, d part Tout cela n'est parti que d'une 6me innocente ; Et j'en dois accuser mon absence imprudente, Oui sans guide a laissd cette bont6 de m@urs Expos6e aux aguets des rusds s6ducteurs. Je crains que le pendard, dans ses v@ux tdmdraires. Un peu plus fort que jeu n'ait pouss6 les affaires.
[Cette histoire] est
>>
< Moi,
- Hdlas ! qui pourrait, dis-je, en avoir 6t6 cause ? Sur lui. sans y penser, fis-je choir quelque chose ? - Non, dit-elle, vos yeux ont fait ce coup fatal, Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal. - Hd ! mon Dieu ! ma surprise est. fis-je, sans seconde : 520 Mes yeux ont-ils du mal, pour en donner au monde ? - Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le tr6pas, Ma fille. ont un venin que vous ne savez pas. En un mot il languit. le pauvre mis6rable ; Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable, 525 Oue votre cruautd lui refuse un secours, C'est un homme e porter en terre dans deux jours. - Mon Dieu ! j'en aurais, dis-je, une douleur bien grande Mais pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande ? - Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir Oue le bien de vous voir et vous entretenir : Vos yeux peuvent eux seuls emp€cher sa ruine Et du mal qu'ils ont fait Ctre la m6decine. - H6las ! volontiers, dis-je : et puisqu'il est ainsi, ll peut, tant qu'il voudra, me venir voir ici. > Anruolexe, d part Ah ! sorcidre maudite, empoisonneuse d'6mes, Puisse l'enfer payer tes charitables trames !
(
fort dtonnante et difficile d croire. >> Cette Entrde-pr6face est meme prdcddde d'une sorte de R6sum€ (v.476), aveu qui fait du rdcit d venir I'explicationjustification du fait coupable d'avoir regu un homme sans autorisation (v. 479-480). Le caractdre dialogique du r6cit apparait dans la demande formul6e par Arnolphe lui-mOme : << Mais enfin contez-moi cette histoire (v. 483). De plus, le noyau - Complication-Pn2 des vers 503 e 510, Actiondvaluation-Pn3 des vers 512 d 528 et R€solution-Pn4 des vers 529 it 534 est constitue par un dialogue rapport€. Enfin, chacune des macro-propositions essentielles (la Complication Pn2 et la Rdsolution Pn4) est suivie d'une 6valuation explicite d'Arnolphe. Si ce dernier souligne seulement la fin de la situa-
part
Ah ! supp6t de Satan ! ex6crable damnde
175
Le r€cit d'Agnds commence (v. 484) par une Entr6e-pr6face type destinde d souligner le caractdre surprenant du r6cit d venir :
;
Et vous devez savoir que vous avez blessd Un ceur qui de s'en plaindre est aujourd'hui forc6. ARNoLeHE, a
narratif
tion initiale (Orientation-Pnl) par < Fort bien >>, ses deux 6valuations en apart6 des vers 5ll ((Ah ! supp6t de Satan ! ex6crable damnde ! >) et 535-536 (( Ah ! sorcidre maudite, empoisonneuse d'dme./Puisse I'enfer payer tes charitables trames ! >) ponctuent, elles, les deux faits majeurs de la progression narrative. La structure de ce d6but de scdne est la suivante :
(al (b) :
(c)
Dialogue fu.4821 R6sum6 (476) Demande de r6cit (483) Entr6e-pr6face {484}
IREclrl Pn1 = Orientation (v. 485-502) Pn2 = Complication (v. 503-51O) + Evaluation d'Arnolphe (apart6 du v. 511) Pn3 = R6action-dvaluation (v. 512-528) Pn4 = R6solution {v. 529-534} + Evaluation d'Arnolphe (apart6 des v. 535-536) PnS = Situation finale (v. 537)
(d)
Coda (retour au dialogue : 538-542) Morale (543-548)
(e)
Dialogue puis r6cit 2
Comme on le voit, I'insertion du dialogue en Pn2-Pn3-Pn4 et surtout les 6valuations aprds les d€clencheurs Pn2 et Pn4 soulignent la structure interne de la sdquence. Ajoutons que I'ellipse des 6v6nements r6sum6s au v. 537 incite
ensuite le jaloux d susciter un r€cit compl6mentaire (r€cit 2). Molidre resout le probldme technique de I'introduction du r6cit dans le drame en m6nageant des interruptions de la narratrice et en mettant en scdne des dialogues rapport6s d I'int6rieur m€me de la narration. Voyons d prdsent comment la rh€torique de la dramaturgie classique aborde les faits de dramaturgie que nous venons de mentionner.
176
Les textes: types et prototypes
2. Approche dramaturgique
Le monologue
du monologue narratif classique
Comn:e la tradition le souligne et comme nous venons de le rappeler, au th6dtre, le r€cit est une forme monologu€e de longueur variable, ins6rde dans un
dialogue. Selon les 6poques, ce r6cit a pu €tre pris en charge soit par un rdci-
tant 6tranger d l'action, soit par un personnage impliqu6 dans l'action. Le premier cas de figure domine dans la tragddie antique et ses versions modernes : le chaur dans Antigone d'Anouilh, la voix dans La Machine infernale de Cocteau, le mendiant dans Electre de Giraudoux assurent ce r6le avec une ext6riorit6 suffisante par rapport d l'action elle-m€me. La dramaturgie classique recourt, le plus souvent, d la seconde possibilitd. A partir de la Fronde, la place et les fonctions du r6cit ont 6te soigneusement codifi6es. La Dramaturgie classique en France de J. Sch€rer (1966) reste actuellement la meilleure synthdse portant sur les rdgles th66trales de cette 6poque. La section qui retient mon attention se trouve dans la deuxidme partie de I'ouvrage (( La structure externe de la pidce >) et elle fait partie du quatridme chapitre consacr€ aux formes fixes. Avant le monologue et l'apart6, J. Sch6rer examine, dans un premier temps, les rdgles du r6cit (1966 :229-235) puis sa < forme >, ses (( fonctions ) et son < prestige D (1966 : 235-244).
2.1. Les trois lois du monologue narratif Les observations de J. Schdrer 6tant assez d6sordonn6es, j'ai choisi de les regrouper en envisageant pour ma part, de fagon synth6tique, trois grandes lois - li6es, bien s0r, les unes aux autres - que je propose de d6signer en ces termes : une loi d'homog6n6itd textuelle ou /oi d'dconomie ; - une r6f6rentielle ou /oi d'informotion ; - une loi loi pragmatique ou loi de motivation.
-
Loi d'dconomie Cette loi correspond d I'affirmation, d6jd cit6e plus haut, de Racine dans sa premidre prdface de Britannicus : < Une des rdgles du th6dtre est de ne mettre en r6cit que les choses qui ne peuvent passer en action. >> C'est bien du choix d'un type de mise en texte qu'il s'agit ici : rdcit ou dialogue. Si le rdcit rapporte des 6v6nements (loi d'information) qu'il est impossible de reprdsenter sur la scdne, c'est bien str en raison de la rdgle des trois unit6s (de lieu, de temps et d'action) et de la rdgle de biensdance. La loi d'dconomie contr6le essentiellementlafrdquence etla durde d,es r€cits : dans un genre dramatique dialogal dont I'essence est la mat€rialisation par la parole des 6motions et des passions, la narration monologale apparait comme un pis-aller auquel il ne faut recourir qu'd propos et sans excds. Au sujet de ce qu'il appelle < le r6cit
narrotif
177
dramatique >, Pierre Guiraud a insist6 sur cette hdt6rog6ndit6 textuelle et parl6, d sa manidre, de I'incompatibilite stylistique fondamentale du drame et du rdcit : < Ce dernier, en effet, dans la mesure oir il postule une distanciation du temps narr6 et du temps de la narration, suspend le temps dramatique et cnerve I'action ) (1969 : 152). De la m€me fagon que la description peut venir perturber la progression narrative dans le genre romanesque, le caractdre monologal du r6cit risque de briser le rythme des enchainements de r6pliques. Cette loi d'6conomie est donc entidrement justifi6e par la crainte toute classique de I'hdt6rog6n€it6 et par la recherche constante d'une unitd discursive : le dialogue. On a vu comment, dans la scdne 5 de I'acte ll de L'Ecole des femmes,le dialogue (rdpliques d'Arnolphe en apart6 et discours relatd) pouvait all6ger la densit6 du monologue narratif.
Loi d'information Cette deuxidme loi est d6termin6e par des exigences r6f€rentielles. Le r6cit doit, en raison des limites imposdes par les < unitds D, apporter de l'information sur des faits inconnus (loi 2.a.) ; il doit aussi, en raison cette fois du caractdre psychologique du th€dtre classique, fournir des informations sur les caractdres des personnages eux-mOmes (loi 2.b.). L'information porte soit sur les absents dont il est question dans le r6cit, soit sur les pr6sents : le narrateurrdcitant lui-m€me et,/ou son auditeur. Pierre Guiraud reldve fort justement que la fonction d'information < doit Otre masqude et subordonn6e d I'action >>. Trois exemples suffiront : une maxime de Corneille, dans l'examen de ( il ne faut la suite du Menteur, stipule que conform6ment d la loi 2.a. jamais faire raconter ce que le spectateur a ddjd vu >> et, dans I'Examen de Polyeucte, il ajoute : < [...] Ce sont des choses dont il faut instruire le spectateur en les faisant apprendre par un des acteurs d I'autre ; mais il faut prendre garde avec soin que celui d qui on les apprend ait lieu de les ignorer jusque-ld aussi bien que le spectateur. D A la scdne 2 de l'acte lY d'Horace, il est, d'un point de vue tant psychologique que dramaturgique, naturel de voir Valdre, dans un r6cit d'une trentaine de vers, raconter la seconde partie du combat des Horaces et des Curiaces en insistant sur le prestige du jeune h€ros absent de la scdne (loi 2.b.). Enfin, les interventions pressantes d'Arnolphe, dans la scdne de L'Ecole des femmes 6tudi6e plus haut, ainsi que ses dvaluations successives en apart6, sont, bien s0r, destin6es d rdv6ler la jalousie du vieux barbon autant qu'i mettre en 6vidence des faits encore incer-
-
-
tains. Quant d I'innocence (de la narration) d'Agnds, elle est reconnue et soulign6e par Arnolphe lui-m6me (v. 477-478 et 543). Il faut insister sur I'int6ressante exception de la scdne III,3 d.es Fourberies de Scapin (sur laquelle je reviens pp. 186-187) otr Zerbinette raconte e Gdronte l'histoire qui vient justement d'arriver d ce dernier. C'est, bien s0r, d partir d'un quiproquo que surgit I'effet comique. L'ambiguil6 r6fdrentielle (elle ne sait, en fait, pas de qui elle est en train de rire et elle ne soupqonne
178
Les textes: lypes et prototypes
Le monologue
i
narratif
179
pas que le d€ictique (< ce > renvoie son interlocuteur : << la bonne dupe que ce vieillard >) et le non-respect de la loi d'information sont directement d la
2.2.Un r6cit d'exposition un peu complexe i Les Fourberies de Scapinl,2
source du comique.
[Jne exclamation d'entr€e marque I'arrivde sur scdne du
Loi de motivotion
vdritable 6motion. Le monologue narratif doit surmonter un obstacle que Cor-
neille, dans I'examen du Cid (1660), citant Horace, d6finit en ces termes : << Ce qu'on expose d la vue touche bien plus que ce qu'on n'apprend que par un r€cit )) ; cette id6e est reprise dans un deuxidme discours de 1660 (De la tragddie): < Un r6cit frappe moins que le spectacle. > Cette fois encore, la gratuitd n'est de mise ni pour qui raconte, ni pour qui 6coute (personnage ou spectateur). Certains moments ou lieux du texte peuvent €tre consid6rds comme des temps forts de la motivation narrative : Le d€but d'une pidce, avec le rdcit d'exposition, prdsente la situation, les personnages, leurs liens, la fagon dont l'intrigue est deje nouee et obeit ainsi d la loi d'information (pour le spectateur comme pour le personnageauditeur). Il doit, de plus, €tre motiv6, non seulement par un d6s€quilibre entre ce que sait le narrateur et ce qu'ignore(nt) son (ses) auditeur(s), mais par une demande d'information ou par une r6v6lation qui projette ainsi le spectateur en plein drame. La fin, avec le rdcit de ddnouement, rapporte I'issue du drame ou r€vdle (dans la com€die) des liens familiaux jusqu'ici ignor6s entre des personnages, conform6ment e la loi d'information, mais il doit, lui aussi, €tre motivd en produisant un effet une dmotion sur un (des) personnage(s). Aux r6cits de ces deux temps forts, s'ajoutent des rdcits intermddiaires li6s, eux aussi, aux 6tapes importantes de I'action et charg6s d'une valeur
-
-
-
-
6motionnelle pour le narrateur comme pour son auditeur. Encore une fois, la scdne II,5 de L'Ecole des femmes a permis de mettre en dvidence la motivation dmotive et psychologique du r6cit pour celui qui le regoit (apart6s successifs d'Arnolphe) et pour la narratrice elle-m€me qui rapporte d'ailleurs ses propres r6actions d'€tonnement (vers 512, 515, 519, 527,533). L'essentiel se situe dans le dds6quilibre dmotif soulign6 aux vers 565 et 566 dans cet apart6 d'Arnolphe : < O facheux examen d'un mystdre fatal, / Oir I'examinateur souffre seul tout le mal ! > Toutefois, ici encore, pour les classiques - hors de la com6die du moins -, la mesure est de rigueur : le narrateur et I'auditeur ne sauraient €tre ni indiffdrents, ni trop impliqu6s dans le r6cit. Ajoutons que la loi de motivation exclut les r6cits d la cantonade destinds aux seuls spectateurs et qui viendraient rompre le cours de
l'action.
:
Sclpttt. (1)
Loi pragmatique par excellence, cette dernidre loi souligne surtout la ndcessit6 pour le r6cit de susciter, au-deld d'un simple apport d'information, une
-
futur r6citant
- Qu'est-ce, seigneur Octave ? Ou'avez-vous ? Ou'y a-t-il ? Ouel d6sordre est-ce ld ? Je vous vois tout troubl6. Ocuve. (1 ) - Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis d6sesp6r6, je suis le plus infortund de tous les hommes ! Les exclamations d'Octave entrainent chez Scapin I'envie de prendre connaissance de ce qui motive un tel affolement (questions de curiositd) et amdnent l'annonce anticip6e, par Octave, de ce qui constitue, en fait, le point de d6part de tout le r6cit (la Complication-Pn2 de toute la pidce) :
(2)
? - Comment N'as-tu rien appris de ce qui me regarde ? Scaprru. (3) - Non. Ocrave. (3) - Mon pdre arrive avec le seigneur G6ronte, et ils me veulent
Scaptru.
Ocrnve. (2) marier.
Le dialogue qui suit justifie qu'il soit n6cessaire de remonter de la Complication-Pn2 dr la Situation initiale (ou Orientation-Pnl) pour I'expliciter d Scapin lui-mOme :
(4)
a-t-il ld de si funeste ? - Eh bien ! qu'y pas la cause de mon inqui6tude. ne sais Hdlas ! tu Scnptru. (51 - Non ; mais il ne tiendra qu'i vous que je le sache bient6t ; et je suis homme consolatif, homme i m'int6resser aux affaires des jeunes Scnprru.
Ocrave. (4) gens.
Suit, de la part d'Octave, une vdritable demande de R€solution-Pn4 qui permet d'introduire le thdme de la << fourberie >>, c'est-d-dire de la maitrise thditrale de I'intrigue par le valet, thdme de toute la pidce :
Ocrrve. (5) - Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelqu'invention, forger quelque machine. pour me tirer de la peine oi je suis, je croirais t'Otre redevable de plus que de la vie. Sclpttt. (6) - A vous dire la v6rit6, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux m€ler. J'ai sans doute regu du Ciel un g6nie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galanteries ingdnieuses, i qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire sans vanit6 qu'on n'a gudre vu d'homme qui fOt plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble m6tier. Mais, ma foi, le mdrite est trop maltrait6 aujourd'hui, et j'ai renoncd d toutes choses depuis certain chagrin d'une affaire qui m'arriva. Ocrlve. (6) - Comment ? Ouelle affaire, Scapin ? Sceptru. (7) - Une aventure oir je me brouillai avec la justice.
180
Les textes: types et prototlpes
Le monologue
Ocreve . (7) - La justice ! Scrpttrt. (8) - Oui, nous e0mes un petit d6m6l6 ensemble. Ocravr. (8) - Toi et la justice ?
rue 6cartde quelques plaintes m€l6es de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c'est : Une femme nous dit en soupirant que nous pouvions
voir ld quelque chose de pitoyable en des personnes 6trangdres, et qu'd moins
En ce point, on s'attend d un renversement de la relation narrative qui pourrait amener scapin i raconter, mais ce dernier interrompt la digression pour demander i octave de commencer le r6cit des 6v6nements ant6rieurs e la situation prdsente et qui doivent l'expliquer : Scaprru. (9)
-
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me d6pitai de telle
sorte contre I'ingratitude du sidcle, que je r6solus de ne plus rien faire. Baste Ne laissez pas de me conter votre aventure.
I
La longue mise en place de I'orientation-Pnl' du rdcit d'Octave se d6roule sur deux plans : si I'on se place du point de vue de Scapin, la loi d'information n'est pas respect€e (< Je sais cela >>), mais, du point de vue du spectateur, l'apport d'information est dvident et tout d fait conforme aux n€cessit6s
d'un r6cit d'exposition
:
Ocrevr. (9) - Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Gdronte et mon pOre s'embarqudrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce ofi leurs intdrdts sont mel6s. Scaprru. (1O) - Je sais cela. Ocravr. (10) - Et que L6andre et moi nous f0mes laissds par nos pdres, moi sous la conduite de Sylvestre, et L6andre sous ta direction. Scnpru. (11) - Oui. Je me suis fort bien acquitt6 de ma charge. Octeve. (11) - Quelque temps aprds. L6andre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont il devint amoureux. Sceptru. 112l - Je sais cela encore. Ocrnve. 112l * Comme nous sommes grands amis, il me fit aussit6t confidence de son amour et me mena voir cette fille, que je trouvai belle d la v6rit6, mais non pas tant qu'il voulait que je la trouvasse. ll ne m'entretenait que d'elle chaque jour, m'exagdrait ir tous moments sa beaut6 et sa gr6ce, me louait son esprit et me parlait avec transport des charmes de son entretien,
dont il me rapportait jusqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforgait toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. ll me querellait quelquefois de n'6tre pas assez sensible aux choses qu'il me venait de dire, et me bl6mait sans cesse de l'indiff6rence oi j'6tais pour les feux de l,amour. Scnptru. (13) - Je ne vois pas encore oir ceci veut aller.
La dernidre r6plique de Scapin sanctionne les digressions d,Octave et m'apparait comme une vdritable demande de Complication-pn2', une demande de sortie de I'Orientation-Pnl'. Ouverte par << Un jour >>, la r€plique d'octave introduit la proposition indispensable au d6clenchement du r6cit
narratif l8l
:
Ocrave. (1 3) - Un jour que je l'accompagnais pour aller chez les gens qui gardent l'objet de ses v@ux, nous entendimes dans une petite maison d.une
d'6tre insensibles, nous en serions touch6s. Sceptru. (14) - Oir est-ce que cela nous mdne ? OcrAVE. (14) - La curiosit6 me fit presser Ldandre de voir ce que c'6tait. 1...1
La suite de la r€plique d'Octave est une longue description domin6e par I'imparfait et ponctu6e d'6valuations de Scapin et d'Octave lui-mOme. Soit une macro-proposition Pn3' tout d fait classique : Ocuve. {14 suite) - [...] Nous entrons dans une salle, oit nous voyons une vieille femme mourante, assist6e d'une servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on puisse jamais voir. Scaptru. (15) - Ah ! ah ! Ocrave. (15) - Une autre aurait paru effroyable en l'6tat oi elle 6tait, car elle n'avait pour habillement qu'une mdchante petite jupe, avec des brassieres de nuit qui dtaient de simple futaine, et sa coiffure 6tait une cornette jaune, retrouss6e au haut de sa tete, qui laissait tomber en d6sordre ses cheveux sur ses 6paules ; et cependant faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'6tait qu'agrements et que charme que toute sa personne. Sclptn. (16) - Je sens venir les choses. Ocrave. (16) - Si tu I'avais vue, Scapin, en l'6tat que je dis, tu l'aurais trouvde admirable. Sclpttrt. (171 - Oh ! je n'en doute point ; et, sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle 6tait tout i fait charmante. Ocrlve. (171 - Ses larmes n'dtaient point de ces larmes d€sagr6ables qui d6figurent un visage : elle avait, ir pleurer, une gr6ce touchante, et sa douleur 6tait la plus belle du monde. Scaprru.
(18)
-
Je vois tout cela.
OcrevE. (181 - Elle faisait fondre chacun en larmes en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu'elle appelait sa chdre mdre, et il n'y avait personne qui n'e0t l'5me perc6e de voir un si bon naturel'
Sur la base des 6valuations multiples d'Octave, Scapin anticipe la R6solution-Pn4' pour acc6l6rer le cours de la narration :
- En effet, cela est touchant, et je vois bien que ce bon naturelvous la fit aimer. Ocravr. (19) - Ah ! Scapin, un barbare l'aurait aim€e. ScnptN. (20) - Assur6ment. Le moyen de s'en emp€cher ! Ocrnve. (20) - Aprds quelques paroles dont je t6chai d'adoucir la douleur de cette charmante afflig6e, nous sortimes de lA et, demandant A L€andre ce qui lui semblait de cette personne, il me r€pondit froidement qu'il la trouvait assez jolie. Je fus piqu6 de la froideur avec laquelle il m'en parlait, ot Sclpttrt. (191
li
182
Les textes: tlpes et prototypes
Le monologue
je ne voulus point lui d6couvrir I'effet que ses beaut6s avaient fait sur mon
183
En ce point de la scdne, Sylvestre et Octave reprennent la narration d
6me.
un niveau supdrieur qui nous ramdne d la situation pr6sente des personnages (Situation initiale-Pnl) et d I'annonce pr€alable, par Octave, de la Complication-Pn2 : << Mon pdre arrive avec le seigneur G6ronte, et ils me veulent marier. > Nous comprenons ainsi que les deux s6quences narratives d'exposition ne constituaient que la Situation initiale-Pnl du r€cit de la pidce en cours de d6roulement. Soit un enchissement-insertion, cette fois, de deux
Conscient du fait que la narration de son maitre est trop satur6e de digressions descriptives et 6valuatives, Sylvestre ddcide de I'interrompre pour formuler lui-m€me la teneur de la Situation finale-Pn5' de ce qui ne constitue, en fait, que la premidre sdquence d'un r6cit qu'il prend dds lors en charge
pour mener plus rondement la narration de la s6quence suivante
narratif
:
s€quences dans
un r6cit enchdssant
:
-
SYLvrsrne. (11 I'interrompant Si vous n'abr€gez ce r6cit, nous en voild pour jusqu'A demain. Laissez-le-moi finir en deux mots. Son ceur lil ddsigne Octavel prend feu dds ce moment. ll ne saurait plus vivre qu'il n'aille consoler son aimable afflig6e. [...]
Les Fourberies de Scapin
{r6cit ench6ssant}
Pn1
Situation finale de la premidre sequence (Pn5'-Snl) et Situation initiale de la seconde (Pnl"-Sn2) coincident, conformdment au moddle du liage lindaire des s6quences narratives. Sylvestre pose ensuite la Complication-Pn2" :
Pn3
Pn2
Pn4
Pn5
(R6cits ench6ssds)
Sn1
(Octave)
SvlvesrRe. (1 suitel - [...] Ses fr6quentes visites sont rejet6es de la servante, devenue la gouvernante par le trepas de la mdre : voili mon homme au ddsespoir. ll presse, supplie, conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien et sans appui, est de famille honn€te et qu'd moins que de l'6pouser, on ne peut souffrir ses poursuites ; voili son amour augmente par les difficultes. [...]
Pn1' Pn2' Pn3'
Pn4'_ PnS',
Pn2" Pn3" (Pn4"l
Suit l'6noncd de la Complication-Pn2
Deux 6valuations introduites par < voild > ponctuent cette indeniable Complication-Pn2". Suit une Evaluation-Pn3" qui d6bouche sur I'annonce mdtalinguistiquement explicite de la macro-proposition-Pn4" que j'ai prdcisdment propos6 d'appeler << R6solution >> :
Pn5"
:
Sylvesrnr. (2) - Maintenant. mets avec cela le retour impr6vu du pdre, qu'on n'attendait que dans deux mois ; la decouverte que l'oncle a faite du secret de notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut faire de lui (il ddsigne Octavel avec la fille que le seigneur Gdronte a eue d'une seconde femme qu'on dit qu'il a 6pous6e d Tarente Ocuvr. l21l - Et, par-dessus tout cela, mets encore I'indigence oi se
-
Svlvesrne. {1 suite} [...] ll consulte dans sa t€te, agite, raisonne, balance, prend sa r6solution : [...]
trouve cette aimable personne et I'impuissance o0 je me vois d'avoir de quoi la secourir.
La R€solution-Pn4" est, en fait, sous-entendue : Sylvestre, conform6ment au contrat de bridvetd, conclut sa narration par l'€noncd direct de la Situation finale-Pn5" de la deuxidme s6quence du rdcit d'exposition :
Puis survient une 6valuation, par Scapin, de la situation (Iivaluation-Pn3)
qui vient clore ce que I'on peut consid6rer comme le rdcit d'exposition
Svlvesrne. (1 suite) - [...] : le voild mari6 avec elle depuis trois jours. Scnptru. l21l - J'entends.
:
l22l - Est-ce ld tout ? Vous voild bien embarrass6s tous deux pour une bagatelle ! C'est bien ld de quoi se tant alarmer ! [...] Sclpttrt.
Soulignons, d'une part, le contraste des deux s6quences prises en charge par deux narrateurs diff6rents (deux narrateurs dont I'implication psychologique dans les €v€nements diffdre, conform€ment ici d la loi de motivation) et I'efficacit6 de Sylvestre qui voit sa narration sanctionnee positivement par un << J'entends > de Scapin qui est tout le contraire du fatidique < Et alors ? >>.
Scapin poursuit par une anticipation de la Rdsolution-Pn4 qui est, bien s0r, tout le ressort dramatique de la pidce et qui renvoie bien dr la demande par Octave, de I'aide du valet de son ami : signal6e plus haut
-
-
(22 suite) - [...] N'as-tu point de honte, toi lil se tourne vers Sylvestre) de demeurer court d si peu de chose ? Oue diable ! te voilit grand et gros
Sceptru.
I
184
Le monologue
Les textes : types et protolypes
comme pdre et mdre. et tu ne saurais trouver dans ta tdte, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honndte petit stratageme, pour ajuster vos affaires ? Fi ! Peste soit du butor ! [...]
On le voit, cet exemple confirme bien ce que dit A. Kibedi Varga : ( La narration est presque entidrement antdrieure d I'action ; elle la conditionne m€me, mais la part narrative de celle-ci se rdduit d un minimum > (1988 : 84). On peut, ir la lumidre du sch6ma proposd plus haut, mesurer ce << minimum D : d'un point de vue strictement narratif, le reste de la pidce ne porte que sur la Rdsolution-Pn4 et la Situation finale-Pn5 du rdcit enchdssant alors que le rdcit d'exposition recouvre la plus grande partie du r6cit proprement dit.
2.3. Formes d'insertion du monologue narratif Pour attirer I'attention de I'auditeur, le r6cit th6dtral doit non seulement respecter les trois lois dont il vient d'€tre question, mais, en outre, user d'une certaine < forme > dont les composantes types semblent Otre, pour les classiques, les suivantes. Le r6cit proprement dit est encadrd par un certain nombre de < d6veloppements accessoires >, directement li6s d l'6nonc6 du r6citant et aux rdactions de I'auditeur. Ces d6veloppements, inscrits dans l'dchange dialogal, prolongent la loi pragmatique de motivation. J. Sch6rer insiste sur les €changes qui encadrent le r6cit proprement dit. Il r6sume lui-mOme la fagon dont le rdcit est << richement encadrd >> et 6numdre d'abord : << le pr6ambule, la justification, les questions, I'annonce du fait, les exclamations et les commentaires > (1966 : 235-236) pour aboutir ensuite i la << forme type aussi compldte que possible > suivante : Exclamations du r6citant [0] ; questions de l'auditeur ; annonce du fait [2] ; exclamations, commentaires et nouvelles questions de I'auditeur [3] ; justification et prdambule du r6cit [4] ; demande de recit [5] ; rdcit proprement dit [6], coup€ d'exclamations et de commentaires de I'auditeur [7], qui peut encore, aprds le r6cit, faire de nouveaux commentaires [8]. Soit, si I'on suit I'ordre canonique proposd par J. Sch6rer, cette suite
[]
d'interventions
:
Auditeur
R6citant
(1)
(01 Exclamation d'arriv6e.
(2) Annonce du lait qui motive le
r6cit.
(3)
Ouestions de curiositd. Exclamations de surprise
etlou commentaires-demandes d'inf ormation.
(4) Justification, pr6ambule appelant
{5}
Demande de r6cit.
(7)
Exclamations/commentaires 6ventuels.
(8)
Commentaires terminaux.
l'attention.
(6) R6cit proprement dit.
nanatif
185
Une telle suite lin6aire n'est, bien s0r, qu'indicative. Beaucoup trop stricte, elle n'est (presque) jamais rdalisde sous cette forme. Retenons seulement l'existence de ces grandes catdgories d'interventions et envisageons rapidement les d6finitions qu'en donne J. Sch6rer en les rapprochant des remarques linguis-
tiques prdc6demment formul€es. Par un prdombule,le r6citant r6clame toute I'attention de son (ses) auditeur(s). La ddfinition de J. Schdrer est la suivante : < Le prdambule a pour fonction essentielle d'attirer sur le r€cit qui va suivre I'attention du personnage qui 6coute et surtout, ce qui n'est pas inutile, I'attention du public > (1966 : 236). Les d6finitions qu'il en donne correspondent d ce que nous avons appeld plus haut l'Entrde-prdface (PnO). Dans les r6cits oraux, les formules habituelles sont les suivantes : < Je vais vous raconter une histoire/t'en raconter une bien bonne. > Dans le texte classique, ceci donne, par exemple, la formulation plus 6lev6e suivante : Et puisque vous voulez qu'ici je vous raconte La gloire d'une mort qui nous couvre de honte, Ecoutez' admirez' et plaignez son
tr6pas'
corneilre, pomp4e
L'annonce du fait correspond tout d fait d ce que j'ai appeld plus haut Rdsumd. Selon J. Schdrer : < Si la personne qui [...] dcoute s'int6resse vraiet nous avons vu que c'est ld, d l'€poque classique, une ment [au] rdcit elle doit Otre impatiente de connaitre tout de suite le des rdgles du r6cit fait nouveau qu'annonce le messager. [...] C'est pourquoi le r6cit proprement dit est presque toujours prdcdd6 de I'annonce du fait, qui tient en un vers ou deux et apaise la curiositd ; ensuite on en vient aux d6tails D (1966 :237). Comme il le souligne, cette idde de placer une annonce du fait essentiel ou r6sumd avant le r6cit proprement dit n'est pas une invention de la dramaturgie classique. Il cite d I'appui des exemples de Robert Garnier (acte III d'Antigone), Hardy, Rotrou et bien d'autres encore. Corneille dnonce quant d lui, dans I'Examen de Pompde, une v6ritable rdgle d'introduction du R6sum6 : << Lorsqu'on a affaire d un esprit tranquille, on prend le loisir d'exprimer toutes les particularit€s ; mais avant que d'y descendre, j'estime qu'il est bon, mtme alors, d'en dire tout I'effet en deux mots dds I'abord. >> Dans la scdne des
-
-,
Fourberies de Scapin examinde plus haut, on aura reconnu la rdplique d'Octave : ( Mon pdre arrive avec le seigneur Gdronte, et ils me veulent marier. > De la part du r6citant, d'autres interventions secondaires (r6ellement < accessoires >, elles) sont possibles : o L'Exclamotion d'entrde qui ponctue I'arriv6e sur scene du futur r6citant et est entidrement li6e i la fonction 6motive : elle manifeste sa surprise et entraine, en retour, chez I'auditeur, une envie de prendre connaissance du fait qui motive cette attitude. Dans les Fourberies, les deux premidres rdpliques
T: 186
Les textes: lypes et prototypes
Le monolcgue
portent entierement sur cette unit6 (questions de Scapin, exclamations
norratif
187
(5) Priambule ou Entrde-prdface type de Zerbinette : < Oui. Pour peu que vous me pressiez, vous me trouverez assez dispos6e d vous dire I'affaire, et j'ai une d€mangeaison naturelle d faire des contes que je sais. )) (6) Demande de ricit de G6ronte : << Je vous prie de me dire cette
d'Octave).
o La Justification lorsque le narrateur n'est pas l6gitim6 d prendre la parole pour apporter le fait annonc6. J. Sch6rer parle, d ce propos, d'une (( sorte de rdponse d une objection pr€judicielle >> (1966 :236). o La Promesse d'un rdcit bref, enfin : promesse d'un r6cit en < deux mots ) souvent bien mal tenue dans le th€itre de Rotrou, par exemple. Du c6t6 de I'auditeur, retenons surtout : . La Demonde de rdcit qui s'accompagne souvent de questions. C'est le << Ne laissez pas de me conter votre aventure > de Scapin dans la scdne 6tudi6e plus haut. c Les Exclamations qui peuvent facultativement interrompre le cours du r6cit. o Les Commentaires (le plus souvent exclamatifs) qui viennent clore le r€cit et annuler le fameux < Et alors ? >> dont nous parlions plus haut. De cette fagon, I'auditeur libdre I'intensit6 de ses dmotions, g6ndralement contenues pendant le r6cit, par des commentaires exclamatifs et des €valuations
histoire.
>
(7) Rdcit de Zerbinette interrompu par un bref dialogue et I'apart€ sui-
vant de G€ronte : (8) Exclamation-ivaluation : << Ah ! coquin que tu es ! (9) Poursuite du rdcit de Zerbinette qui s'achdve en ces termes : << Mais il me semble que vous ne riez point de mon conte. Qu'en dites-vous ? > Ceci permet d G€ronte de conclure lui-m€me : Q0) Evaluation-Morale: < Je dis que le jeune homme est un pendard, un insolent, qui sera puni par son pdre du tour qu'il lui a fait ; que I'Egyptienne est une malavis6e, une impertinente, de dire des injures i un homme d'honneur qui saura lui apprendre ir venir ici d6baucher les enfants de famille ; >>
et que le valet est un sc6l6rat qui sera par G6ronte envoy6 au gibet avant
soit demain.
d'indignation ou de rdjouissance. Examinons rapidement une insertion de monologue narratif. Faute de place, je renvoie aux descriptions ultdrieures du r6cit du combat contre les Maures (Le Cid IV,3) et du r€cit de Thdramdne (Phidre V,6) ainsi qu'aux deux exercices d'analyse sdquentielle propos€s en fin de chapitre.
qu'il
>
3. Le monologue narratif : rdcit et/ou ornementation
?
Les prd-classiques, soucieux de motiver le r6cit (loi de motivation), ont trop volontiers abond€ dans le sens des remarques de l'abb€ d'Aubignac : < fles narrationsl sont ennuyeuses [...] quand elles sont faites avec des expressions faibles et languissantes ; car n'apportant aucun ornement au thddtre, le spectateur se d6gotte, se reldche et n'6coute plus r> (Sch6rer 1966 :240). Au nom de ce principe, I'ornementation I'a emport6, bien souvent, dans la narration : < On pourrait dire que les passages narratifs constituent des 6l6ments 6pidictiques d I'int6rieur d'une Guvre qui, dans son ensemble, ne I'est pas [...], Si les rapports entre la po6sie et le genre dpidictique sont €troitg, le th66tre et en particulier la tragddie classique reldvent plutOt des deux autres genera causarum de la rh6torique traditionnelle : du judiciaire et du d6lib€ratif > (Kibedi Varga 1988 : 84-85). La dramaturgie classique a, ici encore, recherch€ l'6quilibre et voulu soumettre I'ornementation rh6torique d la primautd de l'action aussi bien dans Ia tragddie-procds corn6lienne que dans la trag€die-passion racinienne. Les analogies entre I'intrigue des pidces de Corneille et un procds sont manifestes: Le hdros se justifie soit devant un tribunal "r€el", soit devant le public > (Kibedi Varga 1988 : 85). Il faut toutefois dipasser les analogies trop simples (chercher, par exemple d rapprocher la trag6die racinienne du seul genre d€lib6rati0 car << le personnage th€atral impose [...] de force un rOle ambivalent au spectateur, un r6le qui est d la fois judiciaire et d6lib€ratif : celui-ci est appel6 la juger, mais aussi ir s'identifier avec lui. [...] Dans la trag€die [...], la part de la narration est restreinte, elle reste largement cachde et elle n'existe que pour creer une situation rhdtorique plus
Les Fourberies de Scapin III,3 Dans cette scdne de quiproquos dont il a d6jd 6td rapidement question, Zerbinette est la r€citante et Gdronte I'auditeur, en fait, de sa propre histoire. Citons juste les 6l6ments essentiels de I'insertion du r6cit : (l) Exclamation d'arrivde de Zerbinette : << Ah, ah, ah, ah, la plaisante histoire et la bonne dupe que ce vieillard ! >> L'emploi anaphorique de ce est ici int6ressant dans la mesure of Zerbinette ignore qu'il renvoie i G6ronte (d€ictique, donc). G€ronte I'interprdte d'ailleurs ainsi dans un premier temps et Zerbinette est amen€e d lui dire qu'elle ne rit pas de lui (alors qu'il s'agit en fait de son histoire) : (2) Questions de curiositd de Gdronte : < Pourquoi venez-vous ici me rire au nez ? > A quoi Zerbinette r6plique par un r6sum6 exemplaire : (3) Rdsumd : < Cela ne vous regarde point, et je ris toute seule d'un conte qu'on vient de me faire, le plus plaisant qu'on puisse entendre. Je ne sais pas si c'est parce que je suis int6ress€e dans la chose, mais je n'ai jamais trouvd rien de si drdle qu'un tour qui vient d'Otre jou€ par un fils i son pdre, pour en attraper de I'argent. > (4) Demande d'information de G€ronte : < Par un fils d son pdre, pour en attraper de I'argent ? >>
(
i
I
188
Les textes: types et prototypes
forte et plus directe (judiciaire-ddlib6rative) qui cherchera d. communiquer au public des dmotions, en particulier celles de la crainte et de la piti6 > (Kibedi Varga 1988 : 86). Dans le but de cerner les rapports complexes de l'6pidictique, du judiciaire et du d€lib€ratif, examinons rapidement, et pour terminer, trois textes. 3.1. Aspects de I'art oratoire dans les rdcits de Rodrigue et de Th6rambne Je reviens sur deux des plus c6ldbres monologues narratifs de corneille (r6cit du combat du Cid contre les Maures) et de Racine (r6cit, par Thdramdne, de la mort d'Hippolyte) qui sont tous deux fortement influencds par l'art oratoire : le genre judiciaire du tribunal domine dans le premier, le genre 6pidictique des rassemblements commdmoratifs dans le second.
Le Cid IV,3 : Rdcit du combat contre les Maures Le mode d'insertion de ce rdcit est int6ressant dans la mesure oir la narration est demand6e directement par le personnage hidrarchiquement supdrieur. Le roi rdsume et formule lui-m€me la requ€te suivante : < Et de cette victoire
/
Apprends-moi plus au long la v6ritable histoire. R6citant (Rodriguel
(5) Poursuite du r6cit (1257-13291
.
Les marques du genre po6tique sont, quant d elles, fort bien soulign6es par A. Boissinot : < De m€me le moddle po6tique joue aussi bien dans la mise en scdne (le cadre nocturne de la bataille, qui se poursuit de la nuit d l'aube, sugg€rant que le h6ros nait avec le jour) que dans les innombrables figures du signifid (m6taphores , v . l29l , m6tonymies , v .127 4, oxymore, v '127 3 , etc ,)
ou du signifiant (effet de rythme, de contrastes, de r6p6titions, v.l28l, 1289 et 1290, 1318... ; allit6rations comme celles du vers1276: "Les MORes et la MeR Montent jusqu'au pORt") > (1987 : 70). Phddre V,6
: le rdcit de Thdromine
>>
plus critiqud de tout le thddtre classique > (Sch6rer 1966 :
Auditeur (le roil
(1)
R6sum6 fi215-12201
(2)
Demande de
(4)
lnterruption-commentaire (1253-1 257 < 1...1 Mais poursuis
6)
189
qui, selon I'expression d'A. Boissinot, < fait de Rodrigue un nouvel Ulysse > (p. 70), style noble et amplification dpique des c6ldbres vers 1259 it 1262 (< nous partimes cinq cents... >>), 1284 (< Poussons jusques au ciel mille cris 6clatants >>) et l3l4 (<< Poussent jusques aux cieux des cris 6pouvantables >), l29l (< Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang >), 1299-1300 (( Et la terre, et le fleuve, et leur flotte et le port,,/ Sont des champs de carnage, oir triomphe la mort D), l30l-1302 k O combien d'actions, combien d'exploits c6ldbres / Sont demeur6s sans gloire au milieu des t6ndbres >>), etc.
L'insertion de ce c€ldbre r6cit de la fin de la pidce de Racine
(3) R6cit du combat (1243-12521
norratif
Le monologue
Al) -
-
sans doute << le est la suivante :
rHEsEr
t+ae Th6ramdne, est-ce toi ? Ou'as-tu fait de mon fils ? Je te I'ai confi6 dds l'6ge le plus tendre. Mais d'oir naissent les pleurs que je te vois r6pandre Oue fait mon fils
r6cit 11241-12421 >)
lnterruption de la scdne (arriv6e de Chimdnel
Dans le texte de Corneille, le plaidoyer pro domo de l'6loquence judiciaire structure entidrement la dynamique du rdcit. Rodrigue applique la loi d'information en accddant d la requ€te du roi (v. 124l-1242 et 1257 ddji cit6s plus haut) et en d6taillant la suite des 6vdnements survenus hors de la scdne. Cependant, sa narration est, avant tout, une argumentation destin6e d souligner le rdle d6terminant de son action h6roique. Comme A. Boissinot I'a bien montrd (1987 : 67-71), il est utile de distinguer la double valeur pragmatique de ce r6cit : d'une part, le discours adress6 par Rodrigue d son roi - plan des personnages-acteurs a pour but de convaincre de la valeur du h€ros et de ( [faire] comprendre que le roi ne puisse se rdsoudre i sacrifier un tel d6fenseur > (Sch6rer 1966 :240\; d'autre part, I'effet recherch6 sur le lecleur,/spectateur - plan de la r6ception de I'euvre - est essentiellement d'ordre esthdtique et se manifeste par deux types de marques ou registres : r Les marques du genre 6pique : choix de la ruse guerridre (v. 1263-1272\
?
THERAMENE
0 soins tardifs et superflus
!
lnutile tendresse ! Hippolyte n'est plus. THESEE
Dieux
!
THERAMENE
J'ai vu des mortels p6rir le plus aimable, Et j'ose dire encor, Seigneur, le moins coupable. rHEsEr
t+gs Mon fils n'est plus ? H6 quoi ? quand je lui tends les bras, Les Dieux impatients ont h6t6 son tr6pas ? Ouel coup me l'a ravi ? quelle foudre soudaine ? THERAMENE
A peine nous sortions ............... rHERnuErur
0
l'eil
mdme de son pdre. mon fils ! cher espoir que je me suis ravi !
r57o Et que m6connaitrait
IT
190
Les textes: types et protolypes
Le monologue
Ce dernier vers, souvenir de L'Endide (VIII, 240), est prolong6 par I'amplification mythique des vers 1539-1540 :
THESEE
lnexorables Dieux, qui m'avez trop servi ! A quels mortels regrets ma vie.est rdserv€e
!
On dit qu'on a vu mdme, en ce d6sordre affreux, Un Dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux.
THERAMENE
La timide Aricie est alors arriv6e.
Ce qui donne le sch6ma de synthdse suivant R6citant
(Th6ramdnel
La description du monstre renvoie mOme au souvenir du Minotaure fait d'Hippolyte, d son tour, un h6ros de l6gende :
:
Auditeur (Th6s6el
(1)
(3) Exclamations (1493)
Exclamations (1491-14921
et r6sum6 (1492)
(4)
Reprise du r6sum6 (1493-1494)
(6) R6cit (1498-1570)
(8)
Suite du rdcit (1574-15921
Soulignons enfin le terme de la course funeste des chevaux effrayds par le monstre vaincu :
(51 Exclamations et nouvelle demande de r6cit (1495-'1497)
{7}
De nos cris douloureux la plaine retentit ; Leur fougue impdtueuse enfin se ralentit : lls s'arrdtent, non loin de ces tombeaux antiques Oir des rois ses aieux sont les froides reliques. (v.1551-1554)
Exclamations-commentaires
(1571-1573)
{9} lnterruption de
la scdne (arriv6e de Phddre)
A ces marques du genre 6pique, auxquelles on pourrait encore ajouter I'herbe rouge et fumante >> du vers 1577,la structure po6tique du chant fundbre ajoute une coloration pathdtique. Au tableau du ddbut r6pond le tableau final des femmes 6plor6es autour de la ddpouille du hdros. Le rythme du vers est disloqud d I'extr0me dans les instants les plus pathetiques (v.1535,1542, 1545, 1550, 1559), le travail du signifiant est tout aussi 6vident, par exemple au vers 1520 (( Sa CROUPe Se RECOURbe en REPlis ToRTueux >) ; l'6tude des figures (synecdoques du d€but : v.1502,1504,1505, m€tonymies, m6taphores de la < plaine liquide > du v.l5l3 ir la << sanglante 6cume > du v.1538) m6riterait d elle seule un long ddveloppement. Insistons surtout sur I'hypotypose qui, avec le pr6sent historique soutenu par le verbe votR de I'interruption des v. 1545-1548 (< J'ai vu, Seigneur, j'ai vu... >), est la figure classique de l'6loge fundbre. Lamy en donne la ddfinition suivante : < Hypotypose est une espdce d'enthousiasme qui fait qu'on s'imagine voir ce qui n'est point pr6sent, et qu'on le repr6sente si vivement devant les yeux de ceux qui 6coutent, qu'il leur semble voir ce qu'on leur dit'. > Ceci prolonge l'<< image des choses, si bien repr6sent6e par la parole que I'auditeur croit plutdt la voir que I'entendre >> de Quintilien dans L'Institution oratoire (IX,2).Il n'est, de plus, pas surprenant de voir Dumarsais 6crire, d propos du r6cit de Th6ramdne : < Remarquez que tous les verbes de cette narration sont au present, I'onde s'approche, se brise, etc., c'est ce qui fait I'hypotypose, I'image, la peinture, il semble que I'action se passe sous nos yeux D (Traitd des tropes
Le rdcit de Thdramdne ob€it exactement aux memes contraintes pragmatiques et textuelles que celui de Rodrigue. Sur le plan scdnique, il s'agit d'une argumentation : Th6ramdne, qui s'est vu confier la garde d'Hippolyte, doit narrativement expliquer d Th6s6e qu'il n'est en rien responsable de la mort de son fils, d'une part, et faire l'6loge du h6ros, victime innocente (genre €pidictique), d'autre part. Sur le plan de la r6ception esth€tique, la double dimension 6pique et poetique travaille ce pathetique chant fundbre. Les imparfaits des vers (1498-1506) de I'orientation permettent au tableau
de se ddvelopper amplement
<<
:
ll 6tait sur son char ; ses gardes afflig6s lmitaient son silence, autour de lui rang6s.
A h similitude
des soldats et du h6ros r6pond en 6cho celle de ses coursiers
:
L'eil morne maintenant et la tete baiss6e, Semblaient se conformer d sa triste pens6e. Avec le surgissement du monstre (v. 1507 sqq.), I'amplification €pique est d son comble : S'6ldve d gros bouillons une montagne humide. L'onde approche, se brise, et vomit d nos yeux, Parmi des f lots d'6cume, un monstre furieux. (v. 1 51 3- 1 51 5)
[...] Ses longs mugissements font trembler le rivage. Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ; La terre s'en 6meut, l'air en est infect6 ; Le
et
Son front large est arm6 de cornes menagantes; (v. 15171 lndomptable taureau, dragon imp6tueux, Sa croupe se recourbe en replis tortueux. (v.1 519-1 52O)
Ouestions, demande de r6cit
(1488-1491)
(2)
narrotd l9l
l.
flot qui l'apporta, recule 6pouvant6. lv. 1521-1524l.
J
La Rheturique ou I'art de parler II,9, p. 154,ddition de Paris
1757.
192
Le monologue
Les textes: tYqes et PrototYqes
Voild comme. occup6 de mon nouvel amour, Mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour. Mais je m'en fais peut-Ctre une trop belle image Elle m'est apparue avec trop d'avantage : Narcisse, qu'en dis-tu ?
pass6 simple vient briser la continuit6 du pr6sent historique < l'apporta >'
II,9). Un seul au
v. 1524:
S,2,Lemonologue de Ndron : texte narratif ou lyrique(BritannicuJ,II, 2)
?
Pour terminer par un exemple relativement bref et revenir sur la structure narrative expos6e au chapitre 2, examinons le c6ldbre monologue de N6ron d la scdne 2 du deuxidme acte de Britannicus. Comme il a d6jd 6t6 abondamment commente, je ne reviens pas sur ce qu'en dit Barthes dans sa r6flexion sur le < t6n6broso racinienr > et je renvoie surtout d une trds bonne analyse de P. Kuentz(1970) pour ne discuter qu'un point i mes yeux important : le rapport du podme et du r6cit'
narratif
193
;
NARcISSE
41o
Ouoi, Seigneur 7 croira-t-on Ou'elle ait pu si longtemps se cacher
i
N6ron
?
L'insertion du monologue narratif dans le dialogue se fait i deux niveaux : encadrement du rdcit, d'une part, et insertions phatiques directement li6es d l'interaction en cours, d'autre part.
NERON
Narcisse, c'en est fait, N6ron est amoureux'
R6citant {N6ronl
NARcISSE
Vous
(11
?
NERoN
Depuis un moment. mais pour toute ma vie. J'aime, que dis-je, aimer ? j'idol6tre Junie I
Annonce du fait brut R6sum6 (382)
{3) R6sum6 (383-384)
Auditeur (Narcissel
(2)
(41 Nouvelle question 6tonn6e (385)
NARctssE
Vous l'aimez
Ouestion 6tonn6e en retour (3831
{5t R6cit (385-4081
?
NERON
(6) Retour au dialogue
Excitd d'un d6sir curieux,
395
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux, Triste, levant au ciel ses yeux mouill6s de larmes, Oui brillaient au travers des flambeaux et des armes' Belle, sans ornements, dans le simple appareil D'une beaut6 qu'on vient d'arracher au sommeil' Oue veux-tu ? Je ne sais si cette n6gligence, Les ombres, les flambeaux. les cris et le silence, Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs, Relevaient de ses yeux les timides douceurs. Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue, J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue : lmmobile, saisi d'un long 6tonnement,
Je l'ai laiss6e passer dans son appartement. J'ai passd dans le mien' C'est lir que, solitaire. De son image en vain j'ai voulu me distraire. Trop prEsente d mes yeux, je croyais lui parler, J'aimais jusqu'ir ses pleurs que je faisais couler. Ouelquefois, mais trop tard, je lui demandais gr6ce J'employais les soupirs, et m€me la menace.
l.
Pages 26-28
de Sur Racine, Paris, Le Seuil, coll. Points'
;
sous forme de question (4091
(7)
Commentaire (4O9-410)
A cet encadrement 6l6mentaire dans lequel, on le voit, N€ron a I'initiative (c'est m€me lui qui relance la conversation par une question au vers 409), s'ajoute un rdcit ouvert non pas par des interruptions de Narcisse, mais par des marques de la complicitd phatique : << Que verD(-tu ? ) (391), <.euoi qu'il en soit ), (395) et ( Voile comme > conclusif (405). Pour le reste, la structure narrative de cette tirade est exemplaire : Pnl : Les dix premiers vers constituent I'Orientation, le second (386) fixant les paramdtres du r6cit : quand ? (< cette nuit >), qui ? (< je >), quoi ? (< voir arriver Junie >), oil ? (( en ces lieux >). Pn2 : Les vers 395-398 introduisent une Complication : le ravisseur est litt€ralement << ravi > (glissement du sens propre des << ravisseurs > du v. 393 au sens ici figur€) et frapp€ d'impuissance. La reprise du voir (< je I'ai vue D, v. 386), sous forme cette fois nominale (< si belle vue >), souligne le passage de la premidre i la deuxidme macro-proposition. Pn3 : Les deux vers suivants (399-400) correspondent i la Rd-action de Ndron et soulignent, par la sdparation spatiale et la solitude, le passage au fantasme.
lg4
Conclusion
Les textes: tYqes et ProtoryPes
Pn4:Lesvers40li404correspondentilatentativedeR€solutionfanpar I'imparfait)' tasmatique dl ta aitt"nit (soulignde finale. Les deux suivants Situation ia fixent +oo pn5 : Les u"r, +oi PnO : 'i une v6ritable Evaluation terminale (407-408) Pnl de la.Coda ""*iit*i quelque sorte' < trop betle image D est' en >)' image (<< son Pn3 (< Belle >), pnZ (-< si belte Yle ') et n" puisse pas Otre'aussi cat6On comprendra que;;;s cesconditioni' 3t ni d une aifaire ni [irl un "r€cit" gorique que p. rrrrnti ,'.l N*our-n'uuons que nous Ce :26)' (1970 ) .,description", mais b;";; une "mise en scdne" une trds qtrt ia mise en scdne est essentiellement ici venons de monffer pto"u" probl€matique question importante, li6e i la stricte mise en recit. nert. irne
posons en.termes de dominante typologique de l'ornementation et que nous de P' Kuentz : << L'organisapartir de cette uo*tiltru*tion cat€gorique plut6t-que-narratif > (1970 : At tvp" fvrilue' tion tout entiere a" les donn6es picturales ao
i
".i*"ttl"l 26). Assur6ment, la
"tuit-ob'"o" vsfaiblesse, "piq'"'f-"ltqot vue et au fantasme, I'antithdse/orce t,i-age,iia >> des (t multiples parall€lismet Les'yeux le retournem.n, ,"ni,lJui'uui' lt' v' j'ai voulu (< reprises +OO) et v.387 et394 / u,n"' v** o a"' u' +Ol it genre lvriquedu formelles et re-.ntiqn.i 396 et 400) sont autan/iJ;;.0*t Cette d6coupent des sortes de strophes' ptttt*tion i" po6tique. La rime narrative : Pnl
et le recours a
>>
segmentation
fait' " poetiquJ;iJ;;;
souligner la structure
2 +2vers' +u.tt,Pn3 = ZveriPn4 = 4vers'P15 = = 4 + 2+ 4vers,pnZ = lyrique d'un monologue On peut donc bi-en pu'tt'iti de la construction de fagon exemplaire' s'agit' Il narrative' dont la dynamique s6quentielle reste ( 6ios 6v6nement >> d'ail-
u#;;;'ilpore a'up-p.ter un Narcisse aux v' 409-410 reptque de u -' ;iis;i;;"; explicitement leurs > qui unit Junie et Bri-
du r€cit de ce que
qo,!-n]-* Jet oir. t'< €ios sororal pas mutuellement' Tout au tannicus. Le poeme ei it tttit ne s'excluent ie ce monologue une densit6 leur combiriuiron aonn. i l'.criture
6ros dont on sait
contraire,
stylistique toute Particulidre'
4. Exercices d'analyse sequentielle r6cit 7.1. Andromaque V, 3 : un modele r6duit du de d6nouement Etudiezles6t6mentsc;aractlristiquesdel'inseriondur6citded6noueenvirod' Vd'Andromaque /vers 1493 d 1534 ment de
la
scbne 3 dei'acte
7.2. Mithridate Y, 4 Etudiez de
la
m€me riqon te r6cit de
(vers 1549-164d'
la
y scdne 4 de l'acte de Mithridate
Au terme de cet essai, on voit que les prototypes s€quentiels sont des cat6gories relativement floues et pourtant operatoires. S'il est souvent difficile de d6terminer de quel type un texte global est I'actualisation, c'est que la plupart des textes se pr€sentent comme des mdlanges de plusieurs types de s€quences. Les textes homog€nes (unitypes) sont plus rares que les textes h6t€rogdnes (pluritypes) composds, par ddfinition, de sdquences actualisant elles-m€mes des prototypes diffdrents. Un texte het€rogdne est g€n6ralement class€ en fonction du type encadrant. Ainsi la fable du << Loup et l'Agneau >> parce que le est-elle ddfinie comme narrative conformdment au genre rdcit encadre ici le dialogue. Quantitativement, le dialogue I'emporte certes,
-
-
mais c'est le type encadrant qui ddfinit I'appartenance gdn6rique du tout. Il ressort des chapitres pr6c€dents qu'il n'y a pas lieu de minimiser le caractdre hdt€rogdne des €noncds produits. La r6flexion typologique n'a pas pour but de r6duire le complexe au simple. Elle doit i mon sens, tout au contraire, tenter de penser la complexit6 compositionnelle des discours. L'hypothdse des prototypes sdquentiels a I'avantage, par rapport A d'autres hypothdses typologiques, de rendre compte, d'une part, du fait que les €noncds produits actualisent toujours de faqon plus ou moins fiddle les prototypes de base et, d'autre part, du fait, en apparence contradictoire, que les sujets catdgorisent assez aisdment des actualisations pourtant toujours floues. L'hypothdse s€quentielle est une r€ponse d une fuite en avant toujours possible en matidre d'analyse des discours. Tout texte 6tant pris dans un jeu de renvois intertextuels infinis, on peut se demander quelles sont, en effet, les limites de notre unit€ d'analyse. C. Kerbrat-Orecchioni a bien d€crit ce vertige i propos de I'analyse de I'interaction verbale : De proche en proche, I'unit6 v€ritablement supdrieure, c'est en fait I'ensemble de tous les discours qui se sont €changds au cours de I'histoire de l'humanit6... Mais pour d6crire, il faut bien dicouper un objet dans un continuum, et ce A partir de critdres autant que possible raisonnables, mais dont I'application comporte ndcessairement une certaine dose d'arbitraire. (l9X):217)
196
Les
tuta : ryPes et Prototlws
L'hypothdse s6quentielle que je viens d'exposer n'est, ie- le rappelle, qu'une partie ae la reflexion plus globale sur la textualit€ que le chapitre I qu'un a rapidiment cern6e. Ma conieption de la sequentialit€ part du fait
Propositions de corrig6s des exercices d'analyse sdquentielle
parlectzur confdre une certaine cohesion i une suite textuelle en s'appuyant que suite telle affirmer tiellement sur une opdration de classification. Pour ou dialoest plutot descriptivi ou narrative ou argumentative ou explicative culturellement abstraits, prototypiques gate, il faut qu'ixistent des sch€mas transmis. qui En d,autres termes, c'est une op6ration de lecture-interprdtation un a,parfois On compositionnelle. structure cOnfdre au discours une certaine faits des textuelle nature La production. et lecture p.u trop tendance ir s€parer de formes de langue a pour .onr6qu.nr. la production d'un agencement certes guide la lecture/6coute qui donn6e une structure compositionnelle d'un €nonc6 achev6, mais qui guide aussi la premidre de toutes les lectudu processus res/dcoutes : celle op€r6e par le producteur lui-meme au cours interpretatif de production de son discours. Avant de s'ouvrir sur I'espace langue et de faits de loutes les lectures possibles, la nature sequentielle des du processus interpretatif l,existence de prototypes guident et materialisent le producteur lui-m€me. J'ai essaye de donner une description unifi6e des prototypes s6quentiels' la plus souOn a vu que l-'actualisation du prototype dialogal est certainement de composition, 6l€mentaires formes ;1, ;;i;q. A la difference des autres Les ia structure-cadre du texte dialogal dans son ensemble est trds r6gl6e' ne dialogal texte le qui composent s€quences phatiques et transactionnelles chaque macro-propositions. de restreint nombre ,orrt p", constitu6es d'un est compos6e d'echanges dont phatique ou transactionnelle s€quence au niveau le nombre n'est pas previsible. chaque 6change - correspondant nombre d'un macro-propositionnel du moddle g€ndral - est compos6 6vafacultativement d'interventions-clauses donn6 (initiatives et r6actives et structudes mobilite luative). cette structure hi€rarchique, malgre I'extr€me
resdia,logales,s,inscritdoncdanslemoddleg6n6ralenvisage..philosophie de Je conclus avec Umberto Eco qui resume assez bien la : langage du philosophie mon propos, i la fin de Sdmiotique et l'employer comme Le code ne peut pas €tre seulement un chiffre : au risque de infinies' la source occurrences des qui autorise matrice une sera ce m6taphore, par hasard' procdde ne soit-il, d,unleu. Mais aucun jeu, aussi libre et inventif (appauvri, moddle que le co0te co0te pas imposer Exclure le hasard n. .igniri, de la conjecinterm€diaire le stade Reste la n€cessit6. fallacieuxfde et formalis6
ture,toujoursexposde[...]auprincipedelafaillibilit€,etr6gieparlaconfiance qu. nou, uuons dans le iuif qu" t"t lois que nous inventons pour expliquer I'infor(1988 : 2?4) mel, I'expliquent d'une cerToine moni?re, iamais d€finitive'
L'esprit des exercices propos6s et de leurs ( corrig6s D est le suivant ; d'une part permettre au lecteur de v6rifier sa compr6hension de certaines propositions th6oriques, d'autre part conrptslgr certaines informa_ tions et articuler certaines notions. cette double finalit6 explique que certaines analyses soient plus d6velopp6es que d'autres : il ne s'agit que rarement de simples propositicns de < corrig6s >.
Texte 2.1. : Une anecdote de Chateaubriand La proposition [a] constitue le R6sum6 (pno) de l'6pisode en insistant sur le fait que l'histoire va tourner autour d'une interruption du voyage du narrateur. La proposition [b] pose, a l'imparfait, trds bridvement la teneur de la Situation initiale-Orientation (Pn1) : la voiture doit absolument Ctre graiss6e (probablement ses essieux). La proposition [c] introduit quant d elle une complication-Pn2 qui explique ce qui6tait annonc6 par pno : il devient impossible de ddfaire une des roues. Avec la quatridme proposition, la R6-action (Pn3), noyau du r6cit, est entidrement n6gative et le contenu du r6sum6 se trouve confirmd : le voyage risque d'6tre interrompu si l'on ne parvient pas d d6faire l'6crou de la roue bloqu6e pour graisser la voiture. surviennent alors, avec une mise en relief accentu6e par l'utilisation soudaine du pr6sent de narration, les propositions [e] d [k] qui d6veloppent la description des actions du h6ros de l'histoire (sujet op6rateur de la transformation) et forment globalement la R6solution_pn4. La proposition I] souligne une partie de la situation finale-pn5 : on d6duit de Pn4 le fait que la voiture va pouvoir, d pr6sent, 6tre graiss6e et que le voyage ne va pas etre interrompu, mais, en insistant sur le < vivat > des spectateurs, c'est l'exploit du h6ros du r6cit qui se trouve finalement mis en avant. Les deux dernidres propositions [m] et [n] d6veloppent une 6valuation finale-morale Pno qui interprdte le sens, pour chateaubriand, de cette anecdote : on est pass6 de l'histoire d'un voyage interrompu d l'exploit du h6ros adolescent inconnu compar6 aux plus illustres.
198
Les lextes
: tpes
et prototypes
Conigis des exercices
Texte 2.2. : Un r6cit journalistique : l'attentat de Brighton Cet exemple non litt6raire pr6sente l'avantage de comporter tous les
616-
ments d'une sdquence narrative et un noyau (Pn3) plus 6valuatif qu'actionnel, ce qui compldte les descriptions pr6c6dentes de cette unit6. Le premier titre peut 6tre consid616 comme PnO-R6sum6 tandis que le grand titre (en gros caractdres), qui joue, bien s0r, sur l'intertexte de l'hymne national britannique, constitue la < Morale >-PnO. La Situation initiale-Pn 1 est longuement expos6e et elle contraste avec la bri6vet6 de la Complication Pn2 (< Soudain, c'est l'explosion ,r) amen6e et soulign6e par un organisateur narratif introducteur type de la macro-proposition Pn2. La macro-proposition Pn3 est constitu6e par une 6valuation r6trospective (< L'Arm6e R6publicaine lrlandaise avait pos6 une bombe au troisidme 6tage >). La R6solution-Pn4 dresse le bilan des victimes en insistant sur le fait que, conform6ment d PnO, Madame Thatcher est vivante. La Situation finale-Pn5 est prise en charge par la dernidre phrase du texte (discours narrativise - ( ...annonce que... > - pr6c6d6e d'une 6valuation : < fiddle d son image >).
Texte 2.3. : Un r6cit 6tiologique Le premier paragraphe et le propos de l'ain6 des lapins donnent une sifuation initiale {Pn1) caract6ris6e par un 6tat de manque de la communaut6. On peut consid6rer l'injonction finale < Cherchons un moyen d'y rem6dier > et le d6but du paragraphe suivant comme le d6clencheur du r6cit (Pn2) : qudte qui apparait comme un vouloir des sulets portant sur le savorT etle pouvoir qui manquent. La rencontre de la pie et le long dialogue constituent le noyau de la s6quence (Pn3) au cours duquel le savoir est acquis par le sujet-h6ros collectif. L'application de ce savoir (quatre premi6res phrases du dernier paragraphe) ou passage du savoir au pouvoir qui manifeste la comp6tence des sujets constitue une rdsolution exemplaire (Pn4) aboutissant it la situation finale (Pn5) : < Les lapins [...] 6taient tout 6tonn6s [...] >. Enfin, la dernidre phrase est une 6valuation finale (PnQl en forme de chute (< Depuis ce jour... "l qui nous ramdne bien au pr6sent du lecteur, A l'6tat du monde actuel.
Texte 3.1. : Un portrait en paralldle Le thdme-titre est pos6 d'entr6e (< le boy chinois >), mais il donne lieu d deux phrases descriptives successives (P3 et P4). argumentativement reli6es par le connecteur POURTnrut. Chacune de ces deux phrases s'ache-
comme on l'a d6jd dit - par une reformulation, le boy chinois est successivement d6crit comme un ( d6fileur de carnaval > puis comme un < Seigneur de la guerre >. Le connecteur PouRTRrur, qui articule entre elles ces deux reformulations, introduit un mouvement argumentatif en
vant
199
signalant que re texte va dans re sens de ra seconde reformuration prut6t QUe (ou en d6pit) de ra premidre. cette orientation possibre ra dernidre phrase (p5) < "rg;;";,u,ive ,,rend : un de ces hommesiedoutabres qui ne peut cor6f6rer qu'avec ra seconde reformuration. La fonction textueile du connecteur est,ici 6videnle : ir signare un pran de texte en articurant les deux parties d,un portrait en paialldle. Comme on l,a vu plus haut, il est inutile de partir de l,< unit6 > phrase pour anaryser ra textualit6 d'un tel extrait. Les phrases pg et p+ sont
essentietement des unit6s typographiques
qui correspondent d deux s6quences descriptives construites en paraltdle et articul6es argumentativement par "o.pict"l, re connecteur. pour cerner ra structure textueile de chacune de ces d.eux phrases-s6quences, ir est utire de partir des unit6s d'analyse textueile dont nous avons d6jd parr6 ir" ,,.."l:oroposition
descriptive, unit6 constituante de ra s6quence et m.me de propositions descriptives. La complexit6 unit6 constitu6e eile_ de ces deux phrases_ s6quences apparait dds que rjon essaie de rendre compte de ra hi6rarchie des unit6s (macro-propositions descriptives not6es pd et micro_ propositions descriptives not6es pd) qui les composent 1. cette s6quence est construite sur ra seure op6ration descriptive d'aspectuarisation : deux propri6t6s du personnage sont d,une expansion sans suite pour la premidre 'objet gentleman]] [tout.guind6 et [en beaucoup plus d6veloppde pour la seconie puisque sont successivement prises en compte des parties.[pd(3)] de son v6tement fpJtzft des pro_ pri6t6s [pd(a)] de certaines de ces parties. La reformuration ", vient crore cette premidre s6quence en red6finissant re thdme_titre. La phrase-s6quence suivante (p4) est hi6rarchiguement aussi complexe. Deux propri6t6s (pd(1)pROpR) du boy pos6es : < grand D et < mince D et une partie "hi;;il;;"; (pd(l)pART) seulement: son < visage >' on a vu que re caractdre arborescent de ra description tient surtout au fait que l'expansion descriptive peut se d6veropper, non seulement directement depuis le thdme_tiire (sorte d,hyperthdme), mais 6ga_ lement d partir d'une unit6 prise comme sous-thdme-titre par une op6ration de sous-th6matisation. cette op6ration permet d,extraire re cos_ tume ou res chaussures ou re visage du personnage pour reur affecter des propri6t6s ou des parties (sous-p-artiesl'susceptiores d,6tre, d reur tour, th6matis.es seron un processus d'enchdssement hi6rarchique th60riquement infini, mais 16916, en fait, par les besoins du sens a c'est-d-dire par le principe de pertinence. "ommuniqrer,
-
l"j,lfi]"ji iii.',"j;[rrlli::,ton
propos6e page r78 de Adam er peritjean re8e, ainsi que dans
200
Les texta
:
types et PrototYqes
Sch6ma de la phrase P3
Corrigis des :
Theme-titre Le boy chinois
--------ASPEcruALrsATroN tout guind6
Pd(1} REFORMULATION
taune I
I
pd(2)ASSIMILATION
pd(2)SlT I
I
I
I
en gentleman,
dans les attifements du blanc,
un d6fileur de carnaval.
I
I
AVEC
[6vah.iation]
I
pd(31 PARTIES
1on
aulait ditl
201
La comparaison des sch6mas des deux s6quences permet de cerner leur identit6 structurelle : d6veloppement par aspectualisation puis reformulation conclusive dans les deux cas. Les diff6rences tiennent au fait que ces deux s6quences mettent chacune l'accent sur un 6l6ment diff6rent : les vetements (< attifement > est lexicalement marqu6 de fagon n6gative), d'une part, et le visage, d'autre part. ll semble qu'en abandonnant, dans la seconde s6quence, ce qui est le plus ext6rieur au per-
sonnage, l'isotopie cesse d'Ctre n6gative. L'unit6 de chaque sdquence r6sulte, on le voit, de la hi6rarchie des propositions descriptives. Deux reformulations successives terminent les deux phrases-s6quences et confdrent e cette description une unit6 textuelle, celle du portrait en paralldle de la tradition rh6torique classique. Dans le cadre du moddle dynamique dont la linguistique textuelle a le plus grand besoin, on constate qu'il s'agit moins ici d'une seule descriptionrepr6sentation d'un personnage que de la modification progressive d'une repr6sentation : soit une dynamique d l'int6rieur de chaque phrases6quence d'abord, puis une modification de phrase-s6quence (P3) en phrase-s6quence (P4) ensuite (orientation argumentative). Sch6ma de la phrase P4
:
ThEme-titre Le boy chinois
chaussures
costume
exercica
papillon I I
pd(4)PROPRIETES
/\
,r( \,r,
pd(4)PROPRIETE I I
Pd( 1}REFORMULATION
ASPECTUALISATION
-----\ Pd(1}PROPRIETES Pd(1}PARTIES
en daim,
Ainsi le visage du boy chinois se trouve-t-ilth6matis6 de deux manie( res : des parties (pd(2)PART) sont consid6r6es (( yeux D et pommettes ))) et regoivent chacune un d6veloppement : m6taphorique (pd(3)ASS) pour les ( yeux , (n de tigre )) et choix d'une propri6t6 (pd(3)PROPR) pour les ( pommettes D (< hautes >). L'assimilation m6taphorique du < visage o : ,, sculpt6 dans le bois > est suivie de deux propri6t6s de ce ,. bois )) : ( dur D et ( des jungles >'
grand (et)
mince,
I
visage
-----^-------pd(2)PART
c'6tait
pd{2}PROPR +ASS
-----.---.(et) pommettes, yeux
I
sculpt6 dans le bois
des
lttt
pd(3)ASS I
pd(3)PROPR
de tigre
I
[6valuation] v6ritable
pd{3}PROPR I
(de) hautes
un Seigneur de la guerre.
202
Conigis des exercices 203
Les texles: types et prototYqes
Texte 3.2 : Types et prototypes d'6l6phants africains La premidre partie de ce texte a pour thdme-titre la classe /6l6phants afri-
cains/. Une premidre macro-proposition descriptive (Pd1 PART) s6lectionne deux parties de cette classe en pr6cisant (pd2 SIT m6tonymie) oit vit chacune des deux sous espdce. On peut m€me consid6rer cette mise en relation comme soulignant la d6finition de chacun des deux types. Suivent deux descriptions - sur le moddle du portrait en paralldle ici encore - que je vais d6tailler en donnant simplement la structure hi6rarchique de chacune de ces s6quences.
Le second sch6ma est nettement plus simple que le pr6c6dent, mais construit sur le meme moule exactement : Thdme-titre El6phant de savane (Type S) I
ASPECTUALISATION
Pd1. PROPR
Pd1 PART
I
(taille)
f
I
jusqu'd 5 m lnl Thdme-titre Elephant forestier (Type
plus
tque tJpe st
grandes
tpl
trBs tql
forme triangulaire
lrl
type
F)
lol front I
[e]
d6fenses
oreilles
o
I
I
pd2 PROPR
pd2 PROPR
,,J"",
6troites dirig6es tgl vers le
un peu lf1
pd2
PROPR
I
arrondies I
------"*9
pd3 COMP
til
(type S)
I
pd3 REFORMULATION plus que
tqu" tl/p" st
I
recourb6es
I
PROPR
plus (que
I
COMP plus
I
droit
pd2
I
Pd1 PART
----_------(taille) f orme
le
pd2 PROPR
pd3 COMP
Pd1. PROPR
n
pd2 PROPR
I
I
I
rl tt adrodynamique peiit tl pd2 COMP pd2
oreilles
I
F)
ASPECTUALISATION
tt tt ldl
ront
I
pd4 PROPR til
pd5 SIT (M6to-Loc) I
dans les fordts [k] I
pd6 PROPR I
encombr6es de branches [ll
I
lml
Texte 3.3. : Argumenter en d6crivant En d6pit de sa bridvet6, cette l6gende d'une photographie constitue un texte entier. Sa compl6tude est conforme au sch6ma 1 propos6 en fin d'introduction : structure s6quentielle descriptive 6vidente et configura-
tion pragmatique. L'6tude de cet exemple est une bonne occasion de souligner comment une repr6sentation se construit pas a pas, de proposition en proposition 1. a) La premidre ligne du texte est une premidre proposition descriptive qui, en l'absence de d6terminant, se trouve en attente d'une r6f6rence pr6cise (donn6e, il est vrai par la proximit6 spatiale de la photo que cette l6gende accompagne). Cette proposition est constitu6e d'un thdme (( cadre >) et d'un pr6dicat qualificatif (Propri6t6: < verdoyant >).
b) La deuxidme ligne est une proposition descriptive de structure semblable (deux propri6t6s sont seulement coordonn6es) : second thdme (< rocher et double pr6dicat qualificatif (Propri6t6s : < franc > et < massif >1. ',) Les savoirs du lecteur lui permettent de mettre en relation ces deux thdmes : le cadre et le rocher apparaissent comme les constituants d'un lieu dans lequel (" cadre >) et sur lequel (< rocher >) il est possible de pratiquer la grimpe (contexte du magazine et de I'article dont cet 6nonc6 est extrait). La suite vient encore pr6ciser ceci : l.
Je reprends ici l'essentiel des pages 98-103 de Adam et Petitjean 1989.
204
Conigis des exercica 205
Les textes: types et prototypes
c) Avec la troisidme ligne, la r6f6rence d un lieu-dit (" Le Pas-deI'ours ,) stabilise r6f6rentiellement les deux thdmes pr6c6dents qui apparaissent dds lors comme des parties de ce qui devient le tout ou thdmetitre de la s6quence. La quatridme ligne d6veloppe le pr6dicat (nouvelle propri6t6) li6 d ce nouveau thdme. La structure s6quentielle descriptive de ce texte est donc la suivante :
TEXTE
Sdquentialit6 s6quence descriptive I
Vis6e illocutoire
Rep6rage
Cohdsion s6mantique
I
6nonciatif
I
I
I
macro-structure
macro-acte de discours implicite A d6river
(voir sch6ma pr6c6dent)
s6mantique
ThCme-titre Le Pas-de-l'ours
Pd(1} PROPR
I I
I
a tout pour plaire
Pd(1) PART
Plan explicite du
rocher
cadre
I
I
I I
verdoyant
f
ranc et
massif
Plan implicite
ll faut ici tenir compte du mouvement r6gressif de l'argumentation : la conclusion < Je n'ai pas d vous la dicter " (Conclusion non-C-P. arg 3 ci-dessous) vient avant l'argument introduit par cAR r ( Nous sommes un pays de libert6 > (Donn6e-P. arg 1). Soit le schdma suivant de cette sdquence :
a tout pour plaire
Cette structure s6quentielle, conforme au prototype le plus simple de la s6quence descriptive, tire sa coh6sion et sa coh6rence de sa dimension pragmatique. D'un point de vue s6mantique, le pr6dicat apparu d la quatridme ligne semble avoir une importance trds grande : une isotopie relie les diff6rents pr6dicats euphoriques (verdoyant + franc et massif = a tout pour plaire). D'un point de vue 6nonciatif , le patient du verbe transitif indirect manque : plaire, c'est toujours plaire d, €tre source de plaisir pour quelqu'un. Conform6ment d une rhdtorique toute publicitaire, cette place vide est destin6e au lecteur : Le Pas-de-l'ours a tout pour VOUS plaire / pour plaire au grimpeur que vous 6tes. Le rep6rage 6nonciatif singulier de ce texte r6side dans l'acte de lecture qui fixe les paramdtres d'identit6, de lieu et de temps du sujet de l'6noncialion' D'un point de vue ittocutoire, on peut dire que l'6clairage euphorique des pr6dicats amdne I'interpr6tant d calculer les raisons pr6sum6es de cette description. Ceci aboutit d la d6rivation d'un acte de discours de type recom-
CONCLUSION n6n-Q
P.ars3
donc
-
probablement-
CAR-
infdrences P.ary2
A
DONNEE
P, arg
1
l
MAIS RESTRICTION
I I
(Conctusion
C)<-I T I
| I
DONNEE GARANT-ETAYANT [...] puisque la ddmocratie nous avons 6t6 trompes respecte le libre choix des citoyens P. arg 4 .t" ne veux pas
6tayage par le r6cit autobiographique
"
l'
SUPPORT-ETAYANT 62nt dffin;la const'r6ion de b V" R6publique qui
interdit au Pr6sident d'intervenir dans le
mandation: si l'on me dit autant de bien de cet endroit, c'est pour m'inciter d/me recommander de m'y rendre au plus vite' Ce que l'on peut r6sumer ainsi
discours
Texte 4.1. : Noyau argumentatif du discours dit < du bon choix pour la France >
pd(2) PROPR
pd(2) PROPR
recommandation
VOUS
debat 169islatif
Le connecteur argumentatif MAts introduit moins une nouvelle don-
:
n6e qu'une restriction qui vient bloquer le mouvement inf6rentiel P. arg 1
i I
l
d conclure non plus dans le sens de non-> P. arg 3 et amener implicite : .. J'ai d dois} vous dicter votre
C, mais de la Conclusion C {je r6ponse. > Ceci r6sume, en fait, le mouvement g6neral du discours. La d6n6gation initiale (non-C) - que j'ai d6crite en termes de polyphonie 6nonciative au chapitre 1 - prend ici tout son sens.
2M
Conigis des
Les lexles: types et prototypes
La r6plique de Paulin peut Ctre ainsi d6compos6e v.
372
:
S6quence 2 ($ 4)
ant6rieure-MAIS Donn6e- inf6rpnces
I T I s6q. enchdssde
v.373
(Elle est reine)
v. 376
IT
-
MONDE ) ACTUEL J
Conclusion
= rhdse v. 372
DONNEE
lP2l
lPl l I
I
v.377 et suivants
-
I
Loi romaine
MONDE
)
NON-ACTUEL
(uroPtE) )'
v.375
(ceur d'une romaine)
v.376
I I
CONCLUSIONS
Si DONNEE [P3 imparfait]
[P3 conditionnel]
Le $ 5 r6sume les arguments 6tay6s par les s6quences 1 et 2. Ce qui donne le sch6ma d'ensemble suivant :
(mille vertus)
THESE
Texte 4.3. : Thomas More, L'Utopie
ANTERIEURE
Ce texte argumentatif , plus complexe que le prdc6dent en apparence du
P. arg O
moins, est de nature r6futative. C'est dire qu'il pose d'entr6e {$ 1}une
t$11
I
thdse ant6rieure (P. arg 0) que le second paragraphe refute (( au
I
contraire o) en exposant la nouvelle thdse (P. arg 3l que le corps de l'argumentation va devoir venir 6tayer. Les $ 3 et $ 4 avancent chacun un argument ($ 3 = Arg 1 et $ 4 = Arg 2) repris au d6but du $ 5 pour qu'en soit tir6e une conclusion qui correspond d la nouvelle thdse expos6e au $ 2. D6composons bridvement les s6quences argumentatives du $ 3 (S6quence 1) et du $ 4 (s6quence 21. La structure du $ 3 est de forme Slp ALORS q : :
vous rdfl6chissez au grand nombre de gens oisifs chez
t""
<-cAR
coNcLustoN
MAIS (n6gation de P1l
{charmante, belles mains}
Sl I I
:
:
ETAYAGE
implicite
S6quence 1
207
La structure de la s6quence suivante est un peu plus complexe
Texte 4.2. : Racine, Bdrdnice Thdse--------Thdse
exercica
autres
EruuMgRnttott
nations
:
D'abord... Ensuite... Aioutez... aloutez encore...
et... (ALORS}
Nouvelle
thdse
l$21
I i
P. arg
1
Arg 2 + Arg
r S6q 2 t$ 4l
1
r
donc probablement-*CoNCLUSION (Nouvelle) Thlse P. arg 3 [$ 2l et 1E 51
S6q 1 l$ s1
Texte 5.1 . : Retour sur un r6cit 6tiologique Le titre du r6cit (< Comment les lapins... o) pose la question (P. expl. 1) laquelle le r6cit analys6 plus haut (page 196) apporte une rdponse (P' expl. 2). L'6valuation finale-chute du r6cit ("Depuis ce jour...") est 6galement une forme de cldture-type d'une explication (PnO = P. expl. 3). L'h6t6rog6n6it6 de ce r6cit 6tiologique apparait ici comme un fait d'enchdssement
i
assez classique d'un r6cit dans une structure explicative 6l6mentaire. Si
I
CONCLUSION (en somme)
REFUTATION 9911xi55-
vous trouverez que le nombre [...] moindre que vous l'imaginiez
-
ARGUMENT
1
l'on peut h6siter ici entre enchessement et simple fait de dominante, le r6cit se trouve, de toute fagon, encadr6 par l'explication. On peut consid6rer cette forme d'encadrement 6l6mentaire comme caract6ristique de ce genre singulier de r6cit mythique d'origine du monde.
Texte 5.2. : Balzac, la d6marche du bagnard Comme nous avons parl6 plus haut de pauses descriptives, on peut parler ici de pause explicative, tout aussi nettement marqu6e : introduite par le verbe explicite (< il est n6cessaire d'expliquer ici >) et ferm6e par le
I 208 La tuta : rypes et prolotlpes
Corrigds des
2W
son destinataire m€me (A5). Ce premier 6change est suivi d'un second plus canonique : question (B5) et r6ponse (46). Soit le sch6ma :
retour au contexte de la narration (du regard portd par le personnage qui a prof6r6 la parole 6nigmatique du d6but : La Pouraille). On peut consid6rer que le probldme (premidre macro-proposition explicative) est ici implicite. L'6nigme pos6e par le propos - ( il tire sa droite > - de La Pouraille justifie la pause explicative. L'ensemble du paragraphe qui suit cette parole au discours direct apporte une explication {deuxidme macroproposition descriptive) qui ne s'achdve que sur une conclusion destin6e d ramener au contexte de l'histoire et a bien iustifier le fait que La Pouraille ait devin6 l'origine de Trompe-la-mort.
sdquence
2:
[Bal
-
NONIlAS]
olB5l -R146l
Texte 7.1. : AndromaqueV,3 : un moddle r6duit du r6cit de d6nouement
Texte 5.3. : Jules Verne revu par un manuel de sciences
1493
physiques Le texte, tel qu'il est pr6sent6 est, en fait, totalement narratif . On peut dire que le paragraphe en italique met en place une situation initiale (Pn 1) et une Complication (Pn2) : tuer un ours pour manger. L'ensemble du texte de Verne citd ne repr6sente que la macro-proposition centrale de tout r6cit : une descrlption d'actions et de paroles {Pn3}. Le r6cit s'achdve dans le paragraphe en italique qui donne la R6solution-Pn4. L'ellipse de la situation finale est rendue possible par le fait que le lecteur r6tablit sans
Oreste
Madame, c'en est fait, et vous 0tes servie Pyrrhus rend i l'autel son infiddle vie.
Hermione Oreste
ll est mort
:
?
ll expire ; et nos Grecs irrit6s Ont lavd dans son sang ses infid6lit6s
lREcrT PROPREMENT DrTl
1525 Hermione Ou'ont-ils fait .... [SUITE DU RECIT] Oreste Tais-toi, perfide, [...] 1533 Hermione !
peine le fait que les explorateurs sont sauv6s (PnS). Dds lors le noyau de ce texte ne saurait Ctre trait6 autrement que comme un d6veloppement du CoMMENT FAIRE pour fabriquer une balle sans plomb ? La nature < informative > de cet extrait est 6vidente, mais cette valeur informative ne le transforme pas en texte explicatif ou, du moins, d aucun moment le dispositif textuel ne devient celui de l'explication.
Texte du Chapitre 6
exercica
Cet enchainement peut ainsi 6tre r6sum6 R6citant (Oreste)
:
Auditeur (Hermione)
(1) Annonce du fait R6sum6 (1493-14941
(2) Question (1495)
(3) R6cit (1497-15241
(4) lnterruption exclamative (1 525)
(s) Suite du r6cit (1525-15331
(61
:
L'intervention A1 est plus qu'une simple assertion. On peut parler ici d'une
Commentaires terminaux
(1
534...)
forme d'engagement-promesse. Normalement, un 6nonc6 de ce type n'appelle pas de r6plique d6finie. ll peut seulement 6tre reconnu comme valable/non valable ou simplement possible/impossible. B1 marque pr6cis6ment la surprise que cet engagement ait pu 6tre prof6r6. 42 r6itdre simplement la promesse faite.'Ce premier 6change est suivi d'une premidre r6futation (82) que A3 contre sur le mode toujours de la promesse. Le troisidme 6change est ouvert par une nouvelle objection en chaine : pour tuer un ours il faut des balles (82), pour avoir des balles il faut du plomb (83). On peut dire que le premier 6change d6clenche deux 6changes de contestation qui portent sur la possibilit6 m€me de sa prof6ration. La deuxidme s6quence s'ouvre sur une 6valuation de la promesse formul6e dans la s6quence pr6c6dente. Mais cette intervention exclamative (84) qui n'appelait, elle non plus, pas de 16plique est contest6e par
Texte 7.2. Mithridate Y,4 R6citant (Arbate)
(1)
Auditeur {Monime)
R6sum6 (1549-155O) < Vous l'allez voir paraitre ; et j'ose
m'assurer Que vous-mOme avec moi vous allez
le pleurer.
o
t2l Exclamation de surprise (1551) n Ouoi ! le Roi... >
t
210 (3)
Les textes: types et prototlqes
Rdfdrences bibliographiques
Reprise du r6sum6 (1551-1554) < Le Roi touche i son heure dernidre, Madame, et ne voit plus qu'un reste de lumidre. Je l'ai laiss6 sanglant. port6 par des
soldats, Et Xiphards en pleurs accompagne leurs pas. > {4} Exclamations, commentaire et ques-
tions {1555-1557} < Xiphards ? Ah ! grands Dieux ! Je doute si je veille, Et n'ose qu'en tremblant en croire mon oreille. Xiphards vit encore ? Xiphards que mes pleurs... >
(5)
R6cit (1558-1618)
(7) Suite du r6cit (1619-1638)
(61
lnterruption exclamative < Juste Ciel ! >
(1
61
9l
(8) Exclamations-commentaires ( 1 639646) < Ah ! que de tant d'horreurs justement 6tonn6e, Je plains de ce grand Roi la triste destin€e ! H6las ! et pl0t aux Dieux qu'd son
sort inhumain Moi-m6me j'eusse pu ne point Pr€ter la main, Et que, simple t6moin du malheur qui
l'accable,
Je le pusse pleurer sans en €tre coupable
!
ll vient. Ouel nouveau trouble excite
en mes esprits Le sang du p€re, 6 Ciel ! et les larmes du fils I o
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Chapitre
l5
I l9 l9
Cadre thdorique d'une typologie sdquentielle
l. L'h6t6rog6n€itd s€quence
compositionnelle des dnoncds
: un des plans d'organisation de la textualit€
....
.
.
20 28 35
Chapitre 2
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ll ll
Types 6l6mentaires et hdt€rog6n6it6 textuelle Quelle base de typologisation choisir ?
3. Approche unifi6e de la structure s6quentielle des textes 4. L'unit6 de base : la proposition 6nonc6e
:
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5
Introduction : une typologie parmi d'autres
2. La
Press.
WEINRIcH
Avant-propos
Le prototype de la sdquence narrative
<<
l.
Critdres pour une ddfinition du r6cit ..
2. Pragmatique du r€cit 3. Analyses s6quentielles
3.1. Albert Camus: complexit6 s6quentielle d'un rdcit bref .... 3.2. Albert Cohen : le rdcit d'un bavard 3.3. H6t6rogdn6it€ compositionnelle d'une fable de La Fontaine 4. Pour conclure 5. Exercices d'analyse s6quentielle : une anecdote de Chateaubriand, un rdcit de presse et un r6cit 6tiologique
46 59 63 63
66 68 70 73
Chapitre 3
Le prototype de la sdquence descriptive
l. Histoire d'un rejet presque 2. De l'6numdration
i
gdn6ral
77
la s€quence descriptive
8l
222 3.
Les textes
: tpes
et prototyrys
Toble des
Les quatre proc€dures (ou macro-opdrations) d la base du prototype
3.1. Proc6dure d'ancrage : ancrage, affectation et reformulation 3.2. Procddure d'aspectualisation 3.3. Procddure de mise en relation
3.4. Proc6dure d'enchtssement par sous-th6matisation 4. Texte proc6dural ou description d'actions ? . . . . 5. Pour conclure 6. Exercices d'analyse s6quentielle : un portrait de L. Bodard, d'6l6phants africains, argumenter en ddcrivant . . . .
89
9l
l.
r00 les types
l0l
lll
4.2. Retour sur un texte publicitaire (Mir Rose) . 5. Exercices d'analyse sdquentielle : V. Giscard d'Estaing, Th. More Racine
l.l.
Th€ramdne
Le Cid IV,3 : r6cit du combat contre les Maures Phidre V,6 : le rdcit de Th6ramdne 3.2. Le monologue de N6ron : texte narratif ou lyrique (Britannicus, ll,2) 2 . . . . 4. Exercices d'analyse sdquentielle : AndromaqueY,3 et MithridateY,4
thdse-conclusion
(Queneau)
et
105
lt5 lr8
argumentative . . .
Thddtre et narration
Le texte thdAtral: genre narratif ou dramatique ? .. 1.2. Le rdcit dans la conversation (L'Ecole des femmes II,5) ' '. 2. Approche dramaturgique du monologue narratif classique . . . . . 2.1. Les trois lois du monologue narratif 2.2. lJnr6cit d'exposition un peu complexe : Les Fourberies de Scopin I,2 2.3. Formes d'insertion du monologue narratif (Les Fourberies de Scapin III,3) . 3. Le monologue narratif : r€cit etlou ornementation ? . ..... .. . 3.1. Aspects de I'art oratoire dans les r6cits de Rodrigue et de
Chapitre 4 Le prototype de la s6quence argumentative
4. Analyses sdquentielles 4.1. Rdfutation et ellipse de la conclusion-nouvelle
lt8
t69 t69 172
t76 176
t79 184 187 188 188 189
t92 194
t20
Conclusion
195
124
Propositions de corrig€s des exercices d'analyse Chapitre 5
R6f6rences bibliographiques
Le prototype de la s6quence explicative
l. Explicatif, expositif et informatif 2. 3.
223
Chapitre 7 Un exemple d'h6t€rogdn6it€ regl6e : le monologue narratif dans le thddtre classique
85 85
93 95
l. Un sch6ma de l'fltayage argumentatif des propositions 2. Schdma inf6rentiel, syllogisme et enthymdme . . . . 3. Du schdma de l'6tayage des propositions au prototype de la sdquence
matiires
....
Du discours explicatif au texte explicatif Un prototype de la s6quence explicative
4. Probldmes d'h6t6rog6n6fte . . 5. Exercices d'analyse s6quentielle : un r6cit 6tiologique, Balzac et Jules Verne
t27 130
l3l 138
142
Chapitre 6 Le prototype de la s6quence dialogale
l. Du dialogisme au dialogue . . . ) De la conversation au dialogue
.
t45 148
3. L'organisation s€quentielle du prototype dialogal 4. L'inscription du dialogue dans le r6cit .
153
5. Exercice d'analyse s6quentielle
167
163
At
.
s6quentielle
197
2ll
-fot. L'h6terogeneit6 compositionnelle des fextes d6fie toute tentotive de lpologie. En porlont moins de lypes de texles que de protolypes de sequences {norrotif, descriptif, orgumentotif, explicotif et diolo-
gol), cet essoi opporte des r6ponses originoles, dons une perspective linguistique et textuelle ottentive d certoins ocquis de lo rh6torique clossique et de lo recherche cognitive contemporoine. Jeon-Michel Adom, professeur de linguistique frongoise d l'unlversit6 de Lousonne; docteur d Etot, o publie, dons lo m6me colleclion, le Texte norrotif {1985) ei, ovec A. Petitleon, Le Texte descriptif (1989). ll est egolemeni l'outeur de Linguistique et dtscours litterotre (ovec J.-P. Goldenstein) , de Pour lire le poene, Le Recif, Elements de linguistique textuelle el Longue et litl6roture.
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