Notes de Cours du Professeur Sophie Delbrel
L2 DROIT & SCIENCE POLITIQUE
HISTOIRE DES INSTITUTIONS JURIDICTIONNELLES
Université Montesquieu Bordeaux IV
Année Universitaire : 2013-2014 1
INTRODUCTION : LA SUPERPOSITION DES JURIDICTIONS AVANT 1789 Les débuts de la dynastie capétienne se révèlent difficiles ; l’autorité du roi ne s’exerçant que sur un domaine aux dimensions réduites. Cela explique la prolifération de justices sur le territoire ; phénomène qui peut apparaitre comme la manifestation du morcellement coutumier. Dans le temps, il y a un empilement de ces juridictions.
Section 1 : L’héritage médiéval Dans un monde où l’autorité royale reste limitée, l’Eglise joue un grand rôle ; elle a développé ses institutions pour remplir ses tâches premières d’ordre spirituel mais elle a aussi développé son propre droit (le droit canon), que ses juridictions appliquent. C’est pourquoi, après avoir envisagé une justice laïque, il s’agira de traiter de la justice ecclésiastique.
PARAGRAPHE 1 : Les justices laïques L’effacement de l’Etat durant le Haut Moyen-Age se traduit notamment par un morcellement de la justice. Aussi bien coexistent des justices seigneuriales et une justice royale d’importance réduite.
A) Des justices seigneuriales multiples La justice est la manifestation essentielle du pouvoir dans la mesure où rendre la justice c’est apaiser les conflits, assurer la paix sur un territoire donné. En ce sens, le justicier a un rôle de prévention tout comme il a un droit de règlement et de répression. Celui qui rend la justice a certes pour fonction de punir les coupables mais il a aussi le droit, le pouvoir d’organiser la justice sur un territoire donné.
1. Féodalité et justice L’existence des justices seigneuriales est liée à l’origine même du pouvoir seigneurial ; pouvoir qui apparait tout à la fois comme une extension des droits du grand propriétaire et une usurpation du pouvoir royal. Quoi qu’il en soit, tous les seigneurs ne sont pas nécessairement justiciers ou du moins pas au même niveau. Ainsi, certaines coutumes lient le droit de rendre la justice à la possession d’un fief : « fief et justice sont tout un ». A l’inverse, d’autres coutumes affirment que fief et justice n’ont rien de commun. Dans les faits, trois situations se présentent : -
Dans les principautés territoriales où les seigneurs sont les héritiers directs des comtes carolingiens, sont exercés tous les droits de souveraineté ; c’est-à-dire notamment le droit de justice. Dans les fiefs de moindre importance, les seigneurs peuvent exercer la justice sans qu’il faille y voir une règle. Enfin, il existe des seigneurs féodaux qui ne sont pas seigneurs justiciers.
Quel que soit l’origine du pouvoir détenu par le seigneur, il faudra envisager si l’on se place dans le cadre féodal ou si l’on se place dans le cadre de la justice au sens habituel du terme, liée à la domination de la terre. 2
Dans tous les cas, la diversité juridictionnelle se trouve accrue par le fait que des établissements religieux par exemple peuvent exercer des droits de justice en tant que seigneurs. De même, à partir du 12ème siècle, les bourgeois des communes peuvent eux aussi exercer des droits de justice en tant que seigneurs.
2. La distinction entre Haute et Basse justice La distinction entre les deux n’a de sens qu’au sujet des seigneuries foncières. En effet, le seigneur est justicier en raison de la domination qu’il exerce sur la terre et sur ses habitants. Il faut chercher dans l’héritage Franc la division entre Haute et Basse justice ; c’est-à-dire la distinction entre les causes qui relèvent du comte et celles qui relèvent de ses adjoints. Ainsi, la Haute justice emporte plénitude de juridictions ; c’est-à-dire la connaissance de toutes les causes et notamment celles qui sont les plus importantes. En matière criminelle, la Haute justice est également appelée « la justice de sang », elle concerne les causes au sujet desquelles la peine de mort peut être prononcée (homicide, rapt, incendie). Quant à la basse justice, elle s’applique pour causes de moindre importance ; par exemple celles qui touchaient l’encrage des terres.
B) Une justice royale embryonnaire Le roi de France n’est pas un seigneur comme les autres car sa position au sommet de la pyramide féodale lui confère un rôle particulier. De plus, l’accroissement de son domaine lui permet de mettre en place une véritable administration judiciaire qui constituera le noyau de la justice de l’Etat royal sous l’Ancien Régime.
1. La Cour du roi et le jugement des pairs La noblesse croit profondément au principe du jugement par les pairs ce qui n’est pas sans poser problème pour les grands princes territoriaux. En ce qui les concerne, seule la Cour du roi est regardée d’une dignité suffisante pour juger les différents d’ordre féodal. De cette manière, la Cour du roi « curia regis » est compétente pour juger les grands du royaume ; c’est-à-dire ceux qui seront appelés « pairs de France ». Cette Cour se compose de grands seigneurs laïcs et religieux, de familiers du roi et de légistes. La Cour des pairs connait une certaine activité tout au long du 13ème siècle mais elle disparait au siècle suivant au profit du Parlement suffisamment garni de pairs.
2. La justice déléguée Au quotidien, la justice royale est exercée par les officiers du roi dont les compétences sont universelles ; c’est-à-dire tout à la fois administratives, fiscales, judiciaires et politiques. Les prévôts sont les premiers agents habilités à agir sur le domaine royal. Ils apparaissent au début du 11ème siècle à Orléans et TempeMalin. Ils sont nommés et révoqués par le roi qui progressivement les fait surveiller par des baillis. A l’origine, ceux-ci sont itinérants mais au milieu du 13ème siècle, ils se fixent dans la circonscription qu’ils doivent inspecter. Au Sud de la Loire, on les appelle « sénéchaux ». Les baillis et sénéchaux exercent une juridiction correspondant tout à la fois au tribunal de grande instance et à la Cour d’assises, à partir du 14ème siècle. Au-dessus de ces juges de base se trouve le Parlement. La curia regis quant à elle, connait une spécialisation croissante dont la curia in Parlamento constitue une illustration. A l’origine, cette Cour de Parlement tient des sessions irrégulières ; c’est-à-dire au gré des besoins. Mais, assez rapidement, existe une session fixe par an de la toussaint à l’été. De cette manière, nait l’année judiciaire. La Cour de Parlement se compose d’un 3
personnel variable selon les questions à traiter ; mais elle aussi obéit à un mouvement de professionnalisation. Et, à partir du règne de Philippe le Bel, le Parlement se compose dans les faits, surtout de techniciens.
PARAGRAPHE 2 : Une justice ecclésiastique structurée L’Eglise, gangrénée par les pratiques féodales, subit une crise profonde au début du Moyen-Age. Elle va remédier aux abus constatés grâce à la réforme grégorienne de la seconde moitié du 11ème siècle. L’objectif poursuivi est de redresser les mœurs de l’Eglise, de lui faire retrouver toute sa spiritualité et de libérer sa hiérarchie de l’emprise des laïcs. De cette manière, aux 11ème – 12ème siècles, l’Eglise revêt une forme monarchique assez accusée. Le phénomène de centralisation qui se produit alors apparait d’autant plus remarquable qu’il survient environ deux siècles avant la centralisation des principaux royaumes occidentaux. Dans l’organisation ecclésiastique, le diocèse reste le cadre essentiel de vie avec à sa tête un évêque aux compétences administratives, spirituelles et judiciaires importantes. L’évêque, responsable spirituel et temporel du diocèse, s’entoure d’auxiliaires au premier rang desquels il faut placer l’official ; c’est-à-dire le juge ecclésiastique.
A) L’importance des officialités Les officialités ont bien entendu une juridiction spirituelle très étendue. A cet égard, les ecclésiastiques distinguent deux aspects depuis les premiers siècles de l’Eglise : -
La juridiction au fort interne, qui a pour matière le péché qui conduit le chrétien coupable devant un prêtre afin de recevoir le sacrement de pénitence. La juridiction dite au fort externe, seule concernée ici, elle déborde le cadre du pêché car elle ne s’en occupe que s’il se manifeste extérieurement dans une attitude publique. Dans cet esprit, la juridiction au fort externe englobe toutes les matières contentieuses laissées à la compétence des justices ecclésiastiques.
L’Eglise, au Moyen-Age, jouie d’une autorité d’autant plus grande que le pouvoir politique est émietté. A cette considération, il faut ajouter que le droit canonique « calqué » sur le droit romain jouit d’un immense prestige ; et sur le fond, le droit de l’Eglise apparait à bien des égards plus indulgent que le droit laïc puisqu’il vise essentiellement à réformer les cœurs. Ces différents éléments expliquent le succès de la juridiction ecclésiastique. Dans les faits, l’évêque désigne comme il l’entend un official qu’il représente pleinement. Ce dernier s’entoure d’autres juges, d’un promoteur qui joue le rôle de ministère public ainsi que d’auxiliaires de justices tels que greffiers et notaires. Enfin, il est admis que l’appel est toujours possible devant l’officialité métropolitaine ainsi qu’au Pape.
B) La compétence des officialités Celle-ci est naturellement très large. Il faut préciser les personnes susceptibles d’être concernée par l’officialité. Tout d’abord, les officialités sont compétentes pour juger les clercs ; ils ont le privilège du fort. Ce privilège n’est pas établit pour eux à proprement parlé mais pour l’institution ecclésiastique si bien qu’il s’impose aux juridictions laïques. Ainsi, un clerc criminel surpris en flagrant délit peut être arrêté mais il doit être remis aussitôt à l’autorité ecclésiastique. Si son crime mérite la mort, l’Eglise est contrainte d’abord de dégrader le clerc avant de le remettre aux autorités laïques en demandant qu’on épargne sa vie, car l’Eglise a horreur du sang. Le privilège du fort a été étendu aux personnes misérables ; c’est-à-dire les veuves et les 4
orphelins, les croisés et les écoliers de l’université. Le privilège du fort n’est pas d’ordre public, il a vocation simplement à les protéger ; c’est-à-dire que si ces personnes le souhaitent, elles peuvent y renoncer. S’agissant de la matière civile, la compétence des officialités englobe toutes les questions relatives au sacrement et au vœu religieux. Le mariage par exemple est un sacrement et en jugeant de sa validité, l’Eglise détermine la légitimité des enfants et l’ordre des successions. En outre, toutes les questions relatives aux biens de l’Eglise relèvent des officialités. En revanche, de façon plus ponctuelle, les contrats passés sous serments et les testaments lorsqu’ils contiennent un lègue pieu, sous la compétence de l’officialité. Enfin, au regard de la compétence en matière pénale, l’officialité est compétente concernant tous les crimes commis contre la foi ; de même les crimes commis dans les lieux saints. La règle est que la juridiction ecclésiastique rend son jugement et ensuite remet le coupable à la juridiction ou à une autorité laïque.
Section 2 : Le déploiement de la justice royale sous l’Ancien Régime Dès le Moyen-Age se développe des théories propres à l’émergence de l’Etat royal, théories qui vont permettre l’établissement d’un lien entre justice et Etat. Dans ces conditions, l’Etat royal va pouvoir développer toute sorte d’institutions juridictionnelles au sein de la justice déléguée.
PARAGRAPHE 1 : L’établissement d’un lien entre justice et Etat Dans l’établissement du lien entre justice et Etat, la construction intellectuelle précède la mise en pratique en sorte que grâce à la doctrine de la souveraineté, les justices présentent sur le territoire français regardées comme justices concédées, seront mises sous tutelle royale.
A) L’élaboration d’une doctrine de la souveraineté Dès le Moyen-Age et jusqu’à la chute de l’Ancien Régime, des théories sous-tendent la mise en œuvre concrète de la souveraineté royale. Des maximes traduisent l’affirmation de la souveraineté royale à savoir que le roi est empereur en son royaume et qu’il est source de toute justice.
1. Le roi empereur en son royaume Cette affirmation trouve son origine au 13ème siècle dans la volonté d’afficher l’indépendance de l’Etat royal vis-à-vis de l’empire germanique. Cependant, cette affirmation va plus loin puisqu’au sein du royaume elle applique tout à la fois la lutte contre la féodalité et la lutte contre le pouvoir ecclésiastique. Concernant la lutte contre les institutions féodales, elle ne prend des allures de victoire qu’à la fin du Moyen-Age. Le roi capétien a usé de toute sorte de moyens pour être véritablement considéré comme audessus de la pyramide féodo-vassalique. Il a d’ailleurs utilisé à cet effet les règles féodales elles-mêmes. Par exemple, il a bien entendu multiplié les vassaux directs mais il a surtout réussi à faire admettre qu’en cas de conflit d’ordre féodal, il est possible de s’adresser à sa propre justice. Dans tous les cas, il a été reconnu sans difficulté, que le roi ne tient son pouvoir de personne, ce qui implique notamment qu’il n’ait pas à prêter hommage à quiconque. Concernant le pouvoir ecclésiastique, il constitue lui aussi un adversaire de taille pour le souverain ; et afin de s’affirmer face à la papauté, le pouvoir royal va définir une doctrine du gallicanisme qui a pour rôle de classer le clergé français sous sa dépendance étroite. Ce gallicanisme connait une traduction textuelle en
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1438 avec la promulgation de la pragmatique sanction de Bourges. Elle affirme l’indépendance du clergé français vis-à-vis de la papauté et elle condamne les ingérences du saint siège au sein de l’Eglise de France.
2. Le roi source de toute justice L’image du roi justicier reste très forte sous l’Ancien Régime car lors de son sacre, le roi promet de maintenir son droit à chacun ; ce qui fait de lui un grand débiteur de justice. Dans ces conditions, il doit être en mesure de contrôler toute la justice au sein du royaume et spécialement cela concerne la justice rendue par les juges seigneuriaux. La conception de roi justicier va beaucoup plus loin puisqu’elle implique un pouvoir créateur de droits, ce qui traduit l’existence d’un ordre juridique préexistant à l’Etat royal. De cette manière, le roi justicier a le pouvoir et le devoir d’édicter un certain nombre de normes générales. Et, le phénomène connait sont apogée sous l’Ancien Régime avec la publication des ordonnances dites de réformation au 16ème siècle : Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1439 ou Ordonnance de Moulin de 1566. Il faut aussi penser aux ordonnances de codification et notamment aux ordonnances de COLBERT, avec son Ordonnance criminelle de 1670. Au 18ème siècle, ponctuellement, le pouvoir royal crée de nouvelles normes avec par exemple l’ordonnance sur les donations promulguée en 1731.
B) La mise sous tutelle des justices concédées Comme toute justice émane du roi, on considère que toutes les juridictions autres que royales, sont des justices que le souverain, à un moment donné, a concédé. Ce postulat va permettre à l’Etat royal d’abaisser les justices seigneuriales et de surveiller les autres justices « concédées ».
1. L’abaissement des justices seigneuriales L’abaissement des justices seigneuriales s’opère en premier lieu par la réduction tout à fait considérable de leurs compétences. Tout d’abord, au sujet de la compétence concernée par la juridiction seigneuriale, deux moyens sont développés pour exclure toute compétence de la juridiction seigneuriale : -
La qualité de bourgeois du roi : en devenant bourgeois du roi, le justiciable voit ses causes traitées par les juridictions royales. L’attribution de lettres de committimus : elles sont généralement délivrées soit à des officiers royaux soit à de hauts personnages de l’Etat qui de ce fait obtiennent le privilège d’être jugé en première instance par une juridiction royale précisément désignée.
Depuis la fin du Moyen-Age, la théorie des cas royaux permet aux juridictions royales de connaitre de causes de plus en plus nombreuses au détriment des juridictions seigneuriales. En effet, à l’origine, sont considérés comme cas royaux, des cas mettant en cause des intérêts supérieurs de l’Etat (le crime de fausse monnaie par exemple). Mais assez vite, ce sont toute sorte de cas intéressant à des degrés divers l’ordre public, qui sont regardés comme des cas royaux. Et, de façon symptomatique, l’Ordonnance criminelle de 1670, ne définit pas les cas royaux et ce afin de laisser les juges royaux entièrement maitres du contenu à donner à cette notion. Le contrôle des juridictions seigneuriales s’opère aussi par des voies procédurales. En effet, le pouvoir royal parvient à faire admettre, en réutilisant des règles de droit féodal et romain, que l’appel des décisions des juges seigneuriaux est de droit devant ses propres juridictions. Simplement, avant d’appeler de la décision litigieuse devant les baillages et sénéchaussés, les justiciables doivent épuiser toutes les voies de recours 6
autorisées devant la juridiction seigneuriales. Par ailleurs, différentes réformes de l’administration de la justice conduisent à diminuer l’action des juges seigneuriaux. Ainsi, depuis le 16ème siècle, les seigneurs ne peuvent plus créer de nouvelles justices seigneuriales. En 1772, une réforme est mise en place, prenant en compte le fait que la justice seigneuriale présente un coût de plus en plus élevé pour ses titulaires. Désormais, les seigneurs ont la possibilité de se faire rembourser des frais induits par une instruction à condition que la cause au départ soit confiée après l’instruction aux justices royales.
2. La surveillance des autres justices concédées Les justices ecclésiastiques voient leurs compétences réduites au profit des juridictions royales. Tout d’abord, au regard des personnes concernées : tandis que le privilège de clergie est d’ordre public, les justices royales réduisent tout de même son application. En effet, elles estiment que la compétence des tribunaux ecclésiastiques ne s’applique que si le clerc présente toutes les apparences de son état (s’il revêtit l’habit de clerc et s’il porte la tonsure). En outre, même si le clerc présente une apparence satisfaisante, il faut encore qu’il mène une vie en accord avec sa charge. Par ailleurs, les juridictions royales appliquent aussi la théorie dite « des cas privilégiés », cas pour lesquels elles sont seules compétentes. Il s’agit de l’application à la matière ecclésiastique de la théorie des cas royaux. De cette manière, la compétence des juridictions ecclésiastiques se trouve sensiblement diminuée. Les juridictions royales connaissant par exemple de toutes les causes immobilières des clercs ou encore de crimes tels que la sorcellerie, l’hérésie, qui constituent des cas royaux. Des moyens procéduraux sont également utilisés à l’encontre de la juridiction ecclésiastique. En effet, les juridictions royales, par le moyen de l’appel comme d’abus, obligent les autorités ecclésiastiques à réviser leurs décisions. Ainsi, est qualifié d’abus, toute contravention commise par des autorités ecclésiastiques au droit royal. Les justices municipales, au même titre que les justices seigneuriales, ont à l’origine une plénitude de compétences qui s’amenuisent considérablement avec la montée en puissance du pouvoir royal. Ainsi, à la fin de l’Ancien Régime, le plus souvent elles ne conservent qu’une juridiction de police et leurs décisions sont soumises au contrôle des cours souveraines. Les juridictions consulaires : les décisions des juridictions consulaires sont soumises en appel au contrôle des Parlements. Et, c’est l’ordonnance du commerce de 1673 qui règlement l’organisation et la compétence de ces juridictions commerciales. Il faut retenir l’idée ici que ces juridictions donnent tout à fait satisfaction.
PARAGRAPHE 2 : L’épanouissement de la justice déléguée Le roi délègue son pouvoir à des juges qui rendent la justice en son nom sur l’ensemble du territoire. La justice déléguée s’oppose à la justice retenue ; c’est-à-dire celle qui est rendue directement par le roi en son conseil. Elle se compose de deux branches : -
La justice de droit commun. Les justices d’attributions ou d’exceptions.
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A) Les juridictions de droit commun 1. Les juridictions inférieures A la fin de l’Ancien Régime, des tribunaux de prévôté subsistent encore mais la volonté de la monarchie est de les faire disparaitre. Aussi bien, au 18ème siècle de nombreux sièges sont supprimés et tendent à apparaitre comme le premier échelon de la justice royale les tribunaux des baillages et sénéchaussés. En effet, les baillis et sénéchaux connaissent en première instance des causes des nobles, des cas royaux, des cas privilégiés ou encore des causes domaniales. Cependant, les baillages et sénéchaussés ont aussi une compétence d’appel au sujet des décisions rendues par les juges seigneuriaux et les juges royaux subalternes. Certains baillages et sénéchaussés ont été transformés au 16ème siècle, en sièges présidiaux pouvant juger un certain nombre de causes en dernier ressort ; c’est-à-dire du moment qu’elles rentrent dans un certain plafond (250 livres). La réforme ici présente un intérêt dans le sens où elle participe de la rationalisation de la justice. Néanmoins, ce type de juridictions est regardé avec beaucoup de méfiance par les Parlements qui se montrent très jaloux de leurs compétences. Pourtant, en 1788, le chancelier LAMOIGNON essaie de poursuivre la rationalisation judiciaire en transformant tous les baillages en présidiaux et en créant au-dessus d’eux les grands baillages qui peuvent juger nombre de causes en dernier ressort. Toutefois, l’hostilité des Parlements fait échouer la réforme qui de toute façon sera suspendue pour cause de réunion prochaine des Etats Généraux.
2. Les juridictions souveraines Les juridictions souveraines de droit commun sont les Parlements qui participent par ailleurs, à certains égard, à la fonction législative mais aussi à l’administration du royaume. Les Parlements sont apparus en Province à partir du 15ème siècle et parmi les premiers se trouvent les Parlements de Toulouse, Grenoble et Bordeaux. Les conseils souverains se trouvent dans les zones périphériques : exemple de celui de Bastia. Les Parlements jouissent en droit des mêmes pouvoirs et en principe, ils ne jugent qu’en appel, leurs décisions n’étant rendues qu’en dernier ressort. Les Parlements, au 18ème siècle, prenant exemple sur le Parlement de Paris, estiment qu’ils ont un rôle essentiel à jouer dans la politique générale du royaume. A cet effet, ils font preuve d’une grande solidarité entre eux et ils réutilisent dans le sens qui leur est favorable, la théorie des classes. Elle dit que les Parlements de France ne sont que les différentes classes d’un seul et unique Parlement du roi. En vertu de la théorie des classes, les Parlements sont membres d’un même corps indivisible et solidaire ; et ce corps est le gardien des lois fondamentales, ce corps est le titulaire de l’autorité judiciaire suprême à l’égard de tous ; c’est-à-dire même à l’égard du roi. De fait, ces affirmations grandissent et apparait la rébellion des cours souveraines. LOUIS 15, par un lit de justice tenu en 1766 à Paris, rappel les principes fondateurs de la monarchie, à savoir la plénitude de la souveraineté royale et la confusion des pouvoirs entre les mains du roi. Toutefois, cette séance dite de la flagellation marque durablement les esprits. Cependant, son existence même prouve que l’ampleur de la rébellion des cours souveraines a profondément zappé les fondements mêmes de la monarchie.
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B) Les juridictions d’attributions Les juridictions d’attributions ou d’exceptions sont le fruit d’une augmentation considérable des causes à juger et de la spécialisation du droit. Elles correspondent bien à l’idée, sous l’Ancien Régime, qu’il faut tenir compte des particularismes.
1. Les juridictions financières Sous l’Ancien Régime, le rôle des juridictions financières est de juger soit des questions relatives à la comptabilité publique soit à la perception de l’impôt ou fabrication des monnaies.
a) La comptabilité publique Les chambres des comptes sont au nombre de 12 à travers le royaume et elles ont pour fonction de vérifier les comptes des comptables royaux, avec cette précision que la chambre des comptes de Paris vérifie les comptes du présent royaume. Les chambres des comptes doivent enregistrer les édits relatifs au domaine royal, les édits relatifs aux impôts et elles reçoivent les aveux et démembrement des fiefs tenus du roi. Dans tous ces domaines, elles connaissent du contentieux civil et criminel concernant les officiers du roi. Il s’agit de Cours souveraines qui disposent du droit de remontrance mais à dire vrai, elles restent très discrète.
b) Les Cours des aides Elles sont au nombre de 13 et constituent des juridictions souveraines. Elles exercent surtout une compétence en appel. Par ailleurs, elles connaissent des litiges relatifs aux impôts indirects tels que les aides, les traites ou encore les gabelles mais également des litiges relatifs aux impôts directs à savoir essentiellement la taille. En 1ère instance, ces différents litiges ont pu être tranchés par des juridictions très variées telles que les élections, les bureaux des finances, les traites ou encore les greniers à sel. Les traites sont les équivalents des droits de douanes en ce qui concerne les frontières intérieures. Concernant les gabelles, il s’agit de droits perçus essentiellement sur le sel. Les Cours des aides ont une autre fonction très importante. En effet, elles pourchassent les faux nobles. Nombre de cours des aides, au 18ème siècle, participent très activement aux mouvements de rébellion des cours souveraines. En effet, elles estiment avoir un rôle essentiel à jouer dans l’administration des finances de la France.
c) Les Cours des monnaies A la fin du 18ème siècle, elles sont au nombre de 2 : une à Paris et l’autre à Lyon. Elles ont une compétence administrative et contentieuse, relativement à la frappe de la monnaie mais aussi plus largement relativement aux métaux précieux et à leur utilisation. Par ailleurs, elles interviennent le plus souvent en appel du grand nombre de juridictions susceptibles de trancher les litiges en 1ère instance.
2. Les juridictions de la Table de marbre Les tribunaux de la Table de marbre sont ainsi appelés parce que le connétable, l’amiral et le grand maitre des eaux et forêts rendaient la justice autour d’une grande table de marbre dans les locaux du Parlement de Paris. 9
a) Les juridictions des eaux et forêts Elles sont compétences au civil comme au criminel, pour connaitre des procès relatifs à la pêche, à la chasse et à la forêt. Plus largement, elles sont compétentes pour connaitre toutes les infractions à l’Ordonnance des eaux et forêts de 1669, rédigée sous la fonction de COLBERT. Ces juridictions sont riches de 3 degrés de juridiction. Au niveau supérieur, à travers la France siègent 20 grands maîtres des eaux et forêts, qui disposent de compétences étendues au regard de l’administration des forêts mais aussi pour trancher les litiges en dernier ressort. En matière criminelle, ils siègent avec des membres du Parlement.
b) Les amirautés Il y a les amirautés, compétents pour tout ce qui concerne la mer et à la veille de la Révolution il existe une 50aine d’amirautés dont les siègent se trouvent Outre-Mer. Là encore, ces juridictions ont une compétence tout à la fois administrative et contentieuse. D’une manière générale, elles connaissant des infractions à l’Ordonnance de la marine de 1681, rédigée sous l’impulsion de COLBERT. Cela touche à la traite des esclaves mais aussi de la situation faites aux gens marins ainsi que la construction de bâtiments maritimes. Par ailleurs, selon les sièges d’amirautés, il peut y avoir jusqu’à 3 degrés d’instance. En tout cas, en dernier ressort, c’est le Parlement qui règle souverainement le contentieux maritime.
c) La connétablie et maréchaussée de France Ce sont des tribunaux d’origine militaire, ayant pour rôle de poursuivre des personnes potentiellement dangereuses et au-delà, de réprimer des actions, des actes mettant particulièrement en péril la tranquillité publique. Aussi bien au regard des personnes concernées, ce sont des gens de guerre mais aussi des vagabonds, gens sans aveux qui sont concernés par cette juridiction. Au regard des matières, ce sont les actes les plus violents qui sont susceptibles d’être réprimés par ces juridictions ; à savoir, les séditions, les vols avec violence, les crimes sur les grands chemins ou encore les attroupements avec port d’arme. En réalité, en 1ère instance, ce sont les prévôts des maréchaux qui se prononcent dans ces différents cas. La connétablie et maréchaussée de France étant susceptibles de décider en appel. La juridiction des maréchaux s’exerce sur les campagnes mais il faut savoir qu’en dehors des temps de troubles, leur surveillance se fait peu sentir et le rôle de la maréchaussée évolue au 18ème siècle, dans le sens de la gendarmerie. D’ailleurs, en 1791, les compagnies de la maréchaussée prennent le nom de « gendarmeries nationales ».
CONCLUSION : Le système judiciaire de l’ancienne France se caractérise par sa lourdeur ; lourdeur d’autant plus perceptible pour les justiciables que le roi, en vertu de sa justice retenue, est susceptible d’intervenir à n’importe quel moment dans le cours de la justice. Et, le conseil du roi, de façon très régulière, doit rappeler à l’ordre les juridictions royales qui pratiquent une concurrence effrénée. De même, qu’il doit non moins régulièrement trancher lui-même un certain nombre de procès. Ainsi, l’ensemble de l’édifice juridictionnel de l’Ancien Régime est sujet à discussion et fait l’objet de réflexion en vue de sa simplification. Cependant, la simplification juridictionnelle va attendre la Révolution, tant la tâche se révèle ample. C’est la société toute entière qui sera alors bouleversée.
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PARTIE 1 : L’APPAREIL DE JUSTICE SOUS LA REVOLUTION ET L’EMPIRE La complexité de la justice sous l’Ancien Régime interpelle les gouvernants. En effet, 3 réformes d’inégale importance sont menées : -
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Une réforme déjà dans le sens de la simplification sous le chancelier d’AGUESSEAU au 18ème siècle. Mais, la réforme sans conteste la plus moderne est celle entreprise par le chancelier MAUPEOU en 1770-1771. En quoi consiste-t-elle ? MAUPEOU méprise le Parlement de Paris en réduisant considérablement son ressort. Par la même occasion, il crée 6 conseils supérieurs. Dans les ressorts des autres Parlements (de province), les juridictions parasites sont supprimées. Enfin, la vénalité des offices est abolie. Cela veut dire que les juges ne peuvent plus être propriétaires d’une partie de la puissance publique ; et, cette abolition s’accompagne d’un statut moderne de la Haute magistrature où les magistrats sont désignés par le pouvoir central, inamovibles, qui ne percevront que les traitements versés par l’Etat royal. Dans ces conditions, la justice devient gratuite dans le sens où les épices (droits versés par les plaideurs au juge) ne sont plus autorisées. La réforme MAUPEOU commence à être mise en application ; celui-ci bénéficiant de l’entier soutien de LOUIS 15, mais avec le décès du monarque, s’en est fini de la réforme. LOUIS 16, dès son avènement, rapporte la réforme et rappel les parlements dans leur forme ancienne. A ce moment-là, le chancelier MAUPEOU dira « Le roi veut le reperdre, il est foutu ». Réforme en 1788 par le garde des sceaux LAMOIGNON qui vise elle aussi à la simplification de la justice par l’institution notamment de grands baillages aux compétences étendues. Mais cette réforme intervient trop tardivement et est suspendue pour cause de réunion des Etats Généraux.
Une véritable révolution est donc attendue et à dire vrai, la révolution, en matière judiciaire, ne fera que témoigner de la révolution accomplie au sein de la société elle-même.
CHAPITRE 1 : La révolution de la justice Les philosophes des LUMIERES ont considérablement œuvrés pour le changement des mentalités et cela se ressent dans l’opinion publique exprimée sur les Cahiers de doléances en 1789. Que nous disent ces Cahiers ? Certes, les 3 ordres, à des degrés divers dénoncent le système juridictionnel même si le Tiers Etat semble s’y intéresser un peu plus que les 2 autres ordres. D’une manière générale, tout le monde se plaint du fait que la justice est mal rendue et aspire « à une régénération des tribunaux ». Une autre avancée importante est celle de la suppression des juridictions d’attributions, tout simplement parce que chacun aspire à une justice simple, accessible à tous et notamment aux plus malheureux de la société française. Aussi bien, la gratuité de la justice apparait être un objectif très présent dans les esprits. Reste que si les problèmes essentiels de l’Ancien Régime sont bien pointés par les Cahiers de doléances, la solution à y apporter, souvent, n’est pas très claire et cela concerne par exemple la question du recrutement des juges au sujet de laquelle toutes sortes de propositions sont faites. Quoi qu’il en soit, la justice au sein de la nouvelle société que chacun attend doit symboliser de nouvelles vertus, de nouveaux principes et, il appartiendra à la constituante de forger ces nouveaux principes rapidement amendés par la Convention et le Directoire. 11
Section 1 : La justice, symbole d’un monde nouveau sous la constituante La nouvelle justice doit se construire en contrepoint de ce qui existait sous l’Ancien Régime. En effet, la complexité de l’ancien système judiciaire était source d’inégalités ; ce qui explique que la préoccupation nouvelle réside dans l’institution d’une justice simple et proche du peuple. Le peuple doit s’approprier pleinement sa propre souveraineté, ce qui aura une traduction judiciaire et cela s’observera à travers les nouveaux fondements de la justice ainsi que le rôle qui est désormais conféré au juge.
PARAGRAPHE 1 : Les nouveaux fondements de la justice A) L’égalité des droits L’égalité des droits résultera à n’en pas douter de l’éradication des causes des injustices ; injustices stigmatisées dans les Cahiers de doléances. Dès lors, la nouvelle justice pourra être fondée sur la raison, seul moyen d’atteindre effectivement l’égalité. D’ailleurs, la DDHC, d’amblée, exprime la volonté de lutter contre l’arbitraire royal et au-delà, elle pose de nouveaux principes tout à fait essentiels en matière pénale. (Cf. articles 7, 8 et 10 de la DDHC). Les Parlements constituent un autre mal qu’il s’agit d’éradiquer. Il est vrai qu’ils concentrent sur eux les reproches formulés à l’encontre de l’ancienne justice. Surtout, leur opposition à l’autorité royale fait craindre qu’ils ne se comportent de la même manière à l’égard de l’Assemblée nationale. Dans ces conditions, l’Assemblée prononce, le 3 novembre 1789, la mise en vacance des Parlements pour une durée illimitée. Bien sûr, cela revient à les supprimer. La décision, en réalité, était acquise sur le fond depuis le début du mois d’octobre. Mais, c’est véritablement la crainte de voir de nouveau les Parlements s’opposer à l’autorité centrale qui conduit à leur suppression. Outre les Parlements, toutes les juridictions spéciales de l’Ancien Régime doivent être supprimées. En effet, elles se révèlent tout à fait irrationnelles, avec des compétences, des ressorts très mal délimités. L’idéal serait d’instituer une juridiction unique, compétente pour tout. Mais, cette idée se révèle très difficile à réaliser. D’ailleurs, rapidement, sont exclus du champ de compétences de la juridiction de droit commun, les litiges commerciaux et les litiges administratifs. L’idée qui anime les constituants est de créer autant de tribunaux et donc de juges que nécessaire ; mais pas plus que ce nécessaire. Cela conduit à mettre en place les tribunaux de districts répartis dans les 553 circonscriptions correspondantes. Grace à ces juridictions, la justice se rapproche des justiciables mais aussi, le spectre de la reconstitution de grands corps judiciaires s’éloigne. Les tribunaux districts sont composés de 5 juges auprès desquels se trouve un officier faisant fonction de ministère public. Ils connaissent en 1 er et dernier ressort de toutes les affaires personnelles et mobilières jusqu’à un certain plafond ; plafond moins élevé s’agissant des affaires réelles. Pour toutes les autres affaires, l’appel est possible. Cependant, une question pose problème ; à savoir, l’organisation de cet appel car les constituants n’ont aucunement envie de rebâtir une hiérarchie judiciaire, juridictionnelle. Est mis en place le système de l’appel circulaire, à l’inspiration du droit canonique. L’appel est porté devant l’un des 7 tribunaux de districts, territorialement les plus proches de la juridiction ayant rendu la décision attaquée. 7, car l’appelant peut repousser 3 juridictions tout comme l’intimé. Ainsi, la 7ème sera la juridiction compétente. La juridiction qui se prononce est de même niveau que l’appel évidemment.
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Tout de même, un dernier problème subsiste : celui du recours en cassation. La loi des 27 novembre-1 décembre 1790, institue un tribunal de cassation. Celui-ci ne doit pas s’inscrire dans la continuité du conseil du roi et d’ailleurs, tout est fait pour limiter sa puissance. Certes, les autres juridictions lui sont inférieures, certes il est qualifié de gardien suprême de la loi mais il se révèle très dépendant du corps législatif, qui seul a le pouvoir d’interpréter la loi. Enfin, il faut remarquer que son malgré tout conservés quelques principes anciens. Ainsi, est mis en place un bureau des requêtes, qui examine et juge l’admissibilité des pourvois ; ce bureau étant composé de 12 juges de cassation.
B) La dimension populaire de la justice La justice, pour que le peuple se l’approprie, doit être simple, rapide et peu couteuse. En matière civile, cela se traduit par la coexistence de procédures judiciaires et parajudiciaires. Les constituants estiment que nombreuses affaires n’ont pas besoin d’être traitées par la justice étatique. Pour ces causes, il faut faire confiance à des hommes du peuple vertueux. Ainsi, la loi des 16-24 août 1790, indique que l’arbitrage est le moyen le plus raisonnable de terminer les contestations entre les citoyens. Et, les arbitres doivent être des particuliers dignes d’estime. Ils peuvent connaitre des intérêts privés dans tous les cas et en toute matière sans exception. Les arbitres proposeront des compromis fondés sur l’équité. Ceux-ci pourront être exécutoires sur simple ordonnance du tribunal de districts, étant entendu tout de même que l’arbitrage reste facultatif. Les juges de paix sont les dispositions de la loi de 1790 : « Ils devront être des hommes de bien, amis de la justice et de l’ordre ». Les juges de paix connaissent en dernier ressort de causes civiles peu importantes, ce jusqu’à un certain plafond. Leur ressort s’étend sur le canton et pour les matières qui excédent leur compétence, ils forment un bureau de paix avec 4 assesseurs. Le bureau de paix reçoit une mission de conciliation. Du reste, le tribunal de district ne peut être saisi que s’il y a eu précédemment saisine du bureau de paix. Par ailleurs, le tribunal de district exerce une compétence d’appel sur les décisions rendues par le bureau de paix. Faire en sorte que la souveraineté populaire s’exprime en matière judiciaire passe aussi pour les constituants par une interrogation sur la question du jury. Le jury populaire, en effet, symbolise au mieux l’idée de souveraineté nationale, de même qu’il présente pour immense avantage d’abaisser le magistrat. Cependant, la mise en œuvre concrète des jurys populaires apparait particulièrement délicate en matière civile. En effet, l’on craint de reconstituer par cette voie une forme d’aristocratie judiciaire. La solution du jury populaire n’est retenue que pour la matière criminelle, même si une telle construction, au fond, n’apparait pas rationnelle. Ainsi, le principe du jury populaire est arrêté dès le 30 avril 1790 et, ce sont des raisons largement sentimentales à bien des égards qui expliquent ce choix. En réalité, en matière criminelle 2 jury coexistent : un jury d’accusation et un jury de jugement. La loi de 16 et 29 septembre 1791 imite assez bien la procédure anglaise quant à la procédure suivie en matière criminelle. L’instruction préparatoire est confiée au juge de paix, compétent au niveau cantonal en matière de police et de sureté. L’affaire passe ensuite au district entre les mains d’un magistrat, à savoir le directeur du jury. C’est lui qui saisit s’il y a lieu le jury d’accusation ; jury qui se compose de 8 membres. Si ce premier jury déclare qu’il y a lieu à accusation, l’affaire est portée devant le tribunal criminel devant lequel c’est le jury de jugement qui se prononcera sur la culpabilité de l’accusé. La procédure devant le tribunal criminel est orale, contradictoire, publique et accusatoire. Après avoir délibéré sur les faits, le jury se prononce sur la question de la culpabilité. Les jurés sont censés ignorer les règles juridiques ou procédurales. Ce postulat 13
conduit le législateur à leur laisser une entière liberté de juger ; c’est-à-dire que les jurés se prononceront sur la culpabilité de l’accusé en se fondant uniquement sur leur intime conviction. D’ailleurs, une inscription du 29 septembre 1791 du Ministère de la Justice, donne les directives à suivre quant à la manière de rechercher pour les jurés, les éléments de leur décision. « La loi ne dit point aux jurés : vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins ou, vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve qui ne sera pas formée de tant de témoins ou de tant d’indices. Elle ne leur fait que cette seule question qui renferme toute la mesure de leur devoir : avez-vous une intime conviction ? ». En réalité, au moment même où ce principe est adopté, il fait l’objet de critiques et les juges ne manqueront pas d’énoncer les risques que cela comporte, et notamment la condamnation au bénéfice du doute. Enfin, l’image de la souveraineté populaire, quoi que moins forte, se retrouve aussi en matière correctionnelle. Ainsi, la loi des 16 et 22 juillet 1791, crée des tribunaux de police correctionnels pour juger les délits n’emportant pas peines afflictives ou infamantes (la réputation). Ces tribunaux se composent, dans les vives d’une certaine importance, de 3 juges et d’1 assesseur. Dans ceux de moindre importance d’1 juge de paix et de 2 assesseurs. L’appel rendu par ces tribunaux doit être porté devant le tribunal de district.
PARAGRAPHE 2 : Le rejet d’un pouvoir judiciaire Dans l’esprit des LUMIERES, la séparation des pouvoirs correspondait à une spécialisation et à une indépendance des pouvoirs. Cependant, du pouvoir judiciaire sous la Révolution, personne ne veut et certainement pas le législateur. En effet, le pouvoir judiciaire rappel tout simplement les parlements d’Ancien Régime ; ce qui explique que tout est fait en réalité pour nier à la fois son existence et au-delà, pour abaisser les juges. Cela explique aussi que le juge se voit confier avant tout une tâche d’exécution, une tâche mécanique et d’une façon générale, la conception de sa mission se révèle tout à fait restrictive.
A) Le rôle mécanique du juge Le juge, par principe, ne doit exercer désormais qu’une stricte fonction juridictionnelle. C’est la loi à présent qui est souveraine. Par conséquent, seul le législateur dispose du pouvoir créateur de droits et, dans cet esprit, le juge doit se contenter d’appliquer la loi. Aussi bien, même si la Constitution de 1791 traite dans un chapitre 5 du pouvoir judiciaire ; en réalité, elle vide totalement cette notion de son sens. « Les tribunaux ne peuvent ni s’immiscer dans l’exercice du pouvoir législatif ni suspendre l’exécution des lois ». D’une manière générale, le rôle du juge est conçu de façon négative, à savoir ne pas dire le droit à la place du législateur, ne pas opprimer en abusant de la puissance de juger. Tout de même, un élément contrebalance légèrement cette vision de la fonction du juge. Le pouvoir législatif, pas plus que l’exécutif, ne peuvent exercer le pouvoir judiciaire. Dans tous les cas, l’exercice du pouvoir judiciaire est strictement entendu et si l’immixtion du juge est proscrite dans le domaine du droit, elle l’est aussi dans le domaine de l’administration. En effet, l’administration, pour être efficace, ne doit pas subir d’entrave et cela conduit à la placer sous la dépendance du législatif et dans une certaine mesure, dans la dépendance de l’exécutif. A cet égard, la constituante renoue en réalité avec une tradition d’Ancien Régime puisque l’on considère généralement que c’est l’Edit de Saint Germain de 1641 qui est à l’origine de la dualité juridictionnelle française. La Constitution de 1791, dispose que : « Les tribunaux ne peuvent entreprendre sur les fonctions administratives ou citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction ».
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B) Le choix des juges L’adoption du principe, en 1790, de jury populaire, a bien montré que la qualification professionnelle du juge est reléguée à un second plan. Du reste, après des discussions intenses sur la meilleure manière de rendre la justice, est adopté le principe de l’élection directe des juges par le peuple, en mai 1790. Ce principe d’élection est confirmé dans la loi des 16 et 24 août 1790 et dans la Constitution de 1791. « La justice sera rendu gratuitement par des juges élus », dit la Constitution. Un tel choix peut surprendre dans la mesure où les cahiers de doléances ne retiennent pas, à proprement parler, la solution de l’élection. Ils expriment simplement le souhait que la justice soit effectivement rendue gratuitement et que le roi choisisse lui-même ses juges. Le choix de l’élection a bien entendu une signification politique : d’une part, cette solution est celle qui semble le mieux s’accorder avec la souveraineté populaire et d’autre part, il a déjà été décidé que les administrateurs de district et de département seraient élus. De façon corrélative, une décision est prise sur les fonctions du juge : il s’agit d’abord d’éviter que les juges ne le restent à vie comme sous l’Ancien Régime. Pour autant, cette idée directrice n’éclaire pas beaucoup sur la durée idéale d’exercice pour un juge. En définitive, les constituants s’arrêtent à une durée de 6 ans. Et, les juges peuvent être reconduis dans leur fonction dans un aval de temps. Quoi qu’il en soit, il doit s’agir d’hommes de loi de 5 ans d’expérience réunissant certaines conditions de fortune. Les juges ainsi désignés se révèlent, au fond, tout à fait en harmonie avec la conception d’une justice proche du peuple et placée justement sous le contrôle des citoyens. D’une manière générale, l’on remarque que les professionnels du droit restent évidemment très présents dans le monde de la justice, ce qui assure au fond une sorte de continuité avec le personnel judiciaire d’Ancien Régime.
Section 2 : Les transformations de l’œuvre de la constituante Les premières élections judiciaires de la constituante ne sont pas un succès et il faut très vite procéder à des élections complémentaires en raison de l’éparpillement du corps électoral. Or, au moment même où se tiennent ces élections, se produit un événement tout à fait dramatique au plan national, à savoir la fuite du roi arrêté avec sa famille à Varenne le 21 juin 1791. Varenne marque le moment à partir duquel l’idée de République fait son chemin. La République étant proclamée à partir du 22 septembre 1792, celle-ci se caractérise surtout dans un premier temps par les excès de la Convention, le retour au calme ne se produisant que sous le directoire plusieurs années après.
PARAGRAPHE 1 : Les excès de la Convention La Convention présente pour avantage de mettre en exergue ce que sont les justices autoritaires.
A) L’épuration de la magistrature Les 22 et 25 septembre 1792, la Convention décrète que : « Les corps administratifs, municipaux et judiciaires, les juges de paix et leurs greffiers, seront renouvelés en leur entier sauf la faculté de réélire ceux qui auraient bien mérité de la Patrie ». Cependant, par le décret du 14 octobre suivant, elle supprime pour l’élection des juges, les conditions de capacité professionnelles. Désormais, pour être juge, il suffit d’être un citoyen de 25 ans accompli.
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De nouvelles élections judiciaires ont ainsi lieu en 1792-1793, avec une innovation notable, à savoir que ce sont des élections pour lesquelles l’on applique le suffrage universel. Cependant, compte tenu des circonstances, les électeurs ne se montrent pas très empressés à voter. Certes, ces élections consacrent l’entrée dans la magistrature de non-juristes ; néanmoins, les avocats restent présents en nombre assez élevé dans la plupart des palais de justice français. Il faut remarquer par ailleurs que si l’élection présente toutes sortes d’avantages, les conventionnels se réservent le droit de ne pas en tenir compte en estimant que le peuple a pu se tromper. En réalité, la Convention conduit l’épuration dans la plupart des tribunaux de district ainsi que dans les tribunaux criminels. Et, ce sont les fameux représentants en mission qui s’en occupent. Ils se rendent sur place et écartent et remplacent les juges en tant que de besoin. De plus, il faut savoir que lorsque la Convention n’écarte pas les juges, elle pratique sans problème l’annulation de jugement. Et ce, afin de mettre en place une surveillance de la France et des français.
B) La création de tribunaux révolutionnaires Déjà, il faut savoir que la journée révolutionnaire du 10 août 1792 qui a conduit au renversement de la monarchie, donne lieu à la mise en place d’un tribunal extraordinaire : celui du 17 août. Il s’agit d’une juridiction d’exception destinée à endiguer la violence populaire, juridiction qui a pour mission : « de juger les crimes commis dans la journée du 17 août et autres crimes relatifs, circonstances et dépendances ». Le tribunal extraordinaire se compose de 8 magistrats et 15 jurés, élus par les sectionnaires. Le tribunal est actionné par 2 accusateurs publics. Quelques exemples de tribunaux spécifiques : -
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La procédure expéditive est susceptible de conduire à l’échafaud en une journée. Toutefois, ce tribunal du 17 août ne condamne à mort que 25 accusés sur 62 ; ce qui satisfait peu l’opinion publique. Ce tribunal sera finalement supprimé le 29 novembre 1792. Effectivement, la journée du 10 août inaugure des mouvements très violents et notamment dans le mois de septembre qui suit, on observe de façon curieuse à certains égards des déchainements de violence. Le 11 décembre 1792, après une instruction longue de plusieurs mois, LOUIS 16 est traduit devant la Convention. Il comparait devant une instance tout à fait extraordinaire puisqu’elle représente la nation mais exerce aussi le pouvoir judiciaire. Sa défense est organisée à la fois sur un plan politique (on a pu parler de défense parlementaire), mais aussi de manière plus classique avec des avocats et notamment parmi eux DESEIZE, avocat de Bordeaux. Les conventionnels se décident pour la mort, à la suite de plusieurs votes, après plusieurs jours de procès. La décision est acquise le 20 janvier à 3h du matin et, LOUIS 16 est exécuté très vite puisqu’il est guillotiné le 21 janvier 1793 à 10h22. Enfin, le 10 mars 1793, il s’agit du tribunal extraordinaire de Paris qui passera la postérité sous le nom de tribunal révolutionnaire. Il se compose à l’origine de 5 juges, d’1 accusateur public et de 2 substituts ainsi que 12 jurés désignés par la Convention. Le caractère politique de la juridiction prédomine et la procédure se veut expéditive. La décision du tribunal n’est pas susceptible de recours et elle est exécutée immédiatement. Le champ de compétence du tribunal est très large, il connait : « de toutes entreprises contre-révolutionnaires, de tous les attentats contre la liberté, l’égalité, l’unité, l’indivisibilité de la République, la sureté intérieure et extérieure de l’Etat, de tous les complots tendant à rétablir la royauté ». fin 1793, sa compétence est encore élargie afin que ce tribunal connaisse à peu près de tout et de n’importe quoi, la procédure restant expéditive. Les effectifs du tribunal deviennent très importants puisqu’ils contiennent 16 juges et 60 jurés. 16
Le tribunal révolutionnaire, essentiellement, se retrouve parfois décliné dans certains départements ; et à cet égard, tout dépend de la volonté des représentants en mission et de l'hostilité au Gouvernement. Le tribunal de Paris, sa première présidence reste relativement modérée, elle prend le tournant sanglant à partir de septembre 1793, avec l'adoption de la loi des suspects (qui permet de juger comme suspect presque tout le monde) et la Terreur. Le tribunal est alors gouverné par 2 créatures de ROBESPIERRE qui bâclent les jugements. L'accusateur est FOUQUIET-TENVILLE qui exécute servilement la politique de la Terreur. Les prévenus comparaissent alors à Fournée devant le tribunal révolutionnaire et, sont conduit en charrette à la guillotine. Durant la Terreur, sont exécuté à travers la France entre 16 000 et 17 000 personnes. Quant au seul tribunal révolutionnaire de Paris, il se prononce sur 5300 personnes et condamne à mort 2750 personnes environ. 80% des condamnés le sont sous l'accusation de complots, d'attitudes, de sentiments, et d'écrits contrerévolutionnaires. Il faut souligner que la simple détention d'un crucifix chez soi peut conduire à la guillotine avec l'accusation de fanatisme religieux. Le tribunal révolutionnaire connaît un reflux après Thermidor, la chute de ROBESPIERRE (27 juillet 1794). Il n'est pas supprimé tout de suite mais le 9 thermidor an 2, marque la fin de la Terreur. Les mois qui suivront, pour être encore agités, témoigneront de la volonté du retour au calme, ce qui se produit avec le Directoire.
Paragraphe 2 : Le retour au calme sous le Directoire Le retour au calme ne s'effectue pas sans mal car eu égard au climat de guerre civile, la nécessité d'un pouvoir fort semble une évidence. Il s'agit tout aussi bien de contrer les royalistes et leurs menées révolutionnaires que les jacobins (partisans de ROBESPIERRE). Cela passe par une restitution d'une forme de dignité au pouvoir judiciaire mais aussi par le remaniement de la justice pénale. C'est ce que l'on va envisager dans 2 sous paragraphes.
A) La restitution d'une dignité au pouvoir judiciaire Lors de l'adoption de la Constitution de l'an 3, une discussion très nourrie s'instaure sur les notions d'autorité, et/ou de pouvoir judiciaire. Pour les tenants de l'autorité judiciaire, cette expression est la seule à même de préserver la suprématie du législatif. En revanche, pour les tenants du pouvoir judiciaire, il s'agit avant tout de faire prévaloir le principe de séparation des pouvoirs, quitte à le vider de son sens, à faire en sorte que le pouvoir judiciaire soit placé dans la stricte dépendance du législatif. C'est cette seconde option qui est choisie et, la Constitution de l'an 3 réaffirme le principe de la séparation des pouvoirs en évoquant dans son titre 8 le pouvoir judiciaire. Simplement, cela n'empêche pas les constituants d'attribuer à la fonction juridictionnelle un rôle secondaire. Dans cet esprit, l'exécutif nomme et révoque un commissaire auprès de chaque juridiction afin de surveiller la bonne exécution des voies. Il faut souligner qu'un ministère de la justice renait en octobre 1795, ce qui traduit la volonté de rationnaliser, appréhender complètement la matière. Dans le souci de ramener l'ordre sur le territoire, est promulgué un Code des délits et des peines, le 3 brumaire de l'an 4. Ce Code se révèle très important, surtout par ce que c'est ce Code qui sera utilisé jusqu'à la publication du Code d'instruction criminelle et du Code pénal en 1810. Concernant la justice, la Constitution de l'an 3 y apporte des changements relativement profonds. En effet, la Constitution supprime le district et par voie de conséquence les tribunaux de district. Dans la foulée, sont aussi supprimé les tribunaux de famille et les cas dans lesquels l'arbitrage est forcé. Le tribunal de district est 17
remplacé par un tribunal de département en matière civile. Cette solution a pour elle le mérite de la logique administrative au sein de chaque département, de chaque chef-lieu de département ; siège 2 tribunaux : un compétent en matière civile, l'autre compétent en matière criminelle. De fait, ce niveau départemental de la justice civile permet de redonner un véritable prestige aux fonctions judiciaires. Toutefois, ces tribunaux ont pour inconvénient d'éloigner la justice des justiciables. Les tribunaux civils de département, en outre, sont des corps importants en nombre, car ils se composent au minimum d'une vingtaine de juges. Ils se divisent en sections, ayant chacune à leur tête un président. Comme précédemment, l'appel est possible mais il n'a pas lieu devant une juridiction supérieure. Le tribunal compétent en appel est un autre tribunal civil départemental choisit parmi les tribunaux civils par les trois départements limitrophes. Le principe de l'élection des juges est maintenu dans le cadre d'un suffrage censitaire. La seule condition requise est celle d'être âgé d'un certain âge ; on exerce les fonctions durant 5 ans avec prolongation possible et il peut y avoir réélection sans limitation. Pourtant l'élection des juges ne reste qu'un principe car en pratique toutes sortes d'exceptions s'observent : le Directoire se donne la possibilité dans des cas nombreux de procéder lui-même à la nomination des juges, ce qui évidement restreint d'autant l'application du principe électif. Entre 1795 et 1799, se sont plusieurs centaines de juges qui sont nommés par le Directoire. Il ne reste pas grand-chose du principe électif. Après le coup d'Etat du 4 septembre 1797, le Directoire argue de l'élection de juges défavorables à la révolution pour procéder à une vaste épuration. Celle-ci touche le Ministère Public, mais aussi les juges ordinaires de même que les membres du tribunal de cassation. Il faut bien dire que dans les faits, les juges dont les traitements sont payés au lance-pierres dépendent finalement du pouvoir exécutif. Par ailleurs, s'agissant de la hiérarchie judiciaire, reste que le Tribunal de cassation fait l'objet de quelques modifications. Ainsi, en l'an 7, il se présente lui-même comme se trouvant au sommet de l'ordre judiciaire. Enfin, le tribunal de cassation voit son personnel augmenter : il accueille une cinquantaine de membres contre quarante autrefois.
B) La justice pénale remaniée Au sujet de la justice pénale, quelques modifications méritent d'être signalées. Les 2 jurys sont maintenus mais à l'égard de la procédure, les droits de la défense sont un peu mieux garantis, afin de contrebalancer les excès de la convention. Au niveau du canton, le juge de paix a compétence en matière en contravention. Au niveau de l'arrondissement, se trouve un tribunal correctionnel qui se compose au minimum d'un président et de deux juges. Enfin, au niveau départemental, le tribunal criminel se compose d'un président et de 4 juges, ce qui montre un souci d'afficher une plus grande fermeté. La justice criminelle fonctionne de façon satisfaisante dans la plupart des départements et pour l'essentiel, les infractions jugées résident dans les vols qualifiés avec violence. Cependant, nombreux sont les acquittements prononcés par les jurés, qui vont jusqu'à 50 pourcent des procès. Dans une période de recrudescence du banditisme, l'image du jury populaire n'en sort pas grandie. Dans l'opinion publique se fait sentir des signes de mécontentement. Pourquoi tant d'acquittement ? Le déséquilibre entre la peine et le crime fait penser aux jurés que le criminel ne mérite pas une peine trop exagérée. A bien des égards, la justice réorganisée par le directoire fait figure de justice de transition. Il est vrai que la justice napoléonienne par sa simplicité même laisse dans 18
l'ombre tout ce qui la précède. Enfin, la Constitution de l'an 8, loin de s'embarrasser du pouvoir judiciaire, ne traite dans son titre 5 que des tribunaux.
CHAPITRE 2 : La justice napoléonienne Entre le coup d'Etat napoléonien et l'Empire, s'organise un vaste système juridique et juridictionnel qui refonde la justice de manière durable. Pour reprendre les termes de la proclamation des consuls : « La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencé, elle est finit ». Cette déclaration résume bien les ambitions du nouveau régime, sachant qu'à ce moment, le besoin d'ordre et le désire de paix sont très forts, ce qui permet d'aller au bout des réformes avancées sous le Directoire. Il faut souligner que seul le général BONAPARTE parvient à se donner l'image de celui qui va restaurer l'ordre dans le pays, de celui qui va ramener la paix aux frontières. En matière judiciaire, le régime napoléonien se traduit d'une part, par l'établissement d'un ordre juridictionnel parallèle à un ordre administratif ; mais il se traduit d’autre part, par l'évacuation de tout risque d'usurpation du pouvoir par les juges.
Section 1 : L'établissement d'un ordre judiciaire L'ordre judiciaire voulu par Napoléon BONAPARTE s'adapte aux structures administratives que sont le département, l'arrondissement et le canton. L'ordre judiciaire emprunte à l'Ancien Régime l'idée de hiérarchie, tandis qu'il conserve de la Révolution l'idée de rationalisation. Du reste, l'édifice juridictionnel distingue clairement ce qui relève de la justice civile, de ce qui relève de la justice pénale.
PARAGRAPHE 1 : La hiérarchie de la justice civile Dans le discours préliminaire sur le projet du Code civil, sont explicitées les lignes directrices du pouvoir napoléonien, particulièrement utiles pour comprendre la logique de la réorganisation judiciaire. Ainsi, est-il dit dans ce discours préliminaire, des magistrats recommandables, qui avaient plus d'une fois conçu le projet d'établir une législation uniforme ? L'uniformité est un genre de perfection qui selon le mot d'un auteur célèbre : « saisit quelque fois les grands esprits et frappe infailliblement les petits ».
A) Centralisation et uniformisation de la justice de droit commun La réorganisation judiciaire s'inscrit dans une démarche plus vaste de centralisation et uniformisation. Ainsi, le Consulat ouvre des écoles de droit à finalité professionnelle. Assez rapidement, avec l'établissement de l'université impériale, les facultés de droit renaissent. Dans le même esprit, la loi du 12 mars 1804 exige la licence en droit pour pouvoir plaider devant les tribunaux. Voilà des signes qui ne trompent pas. La Constitution de l'An 8 comporte un titre V entièrement consacré aux tribunaux. Et, elle renvoie à la loi pour sa mise en route. Quels sont les changements notables apportés par la Constitution de l'An 8? Au niveau des cantons, sont établis des juges de paix élus, se situant au plus près des justiciables. Ils remplissent leur fonction pendant 10 ans, jouant un rôle de conciliation et devant aussi inciter les parties à utiliser l'arbitrage. Au-dessus des juges de paix, au niveau de l'arrondissement, sont mis en place des tribunaux civils composés de 3 juges. Ils ont une compétence de droit commun. Il faut savoir que ce niveau de juridiction va perdurer jusqu'en 1920. 19
Une nouvelle loi met en place 28 tribunaux d'appels. Ils ont un ressort qui s'étend sur au moins 3 départements et ils se trouvent en des lieux où siégeaient les anciennes juridictions souveraines. A cet égard, le troisième consul LEBRUN a joué un rôle déterminant : il avait été le secrétaire particulier du dernier chancelier d'Ancien Régime MAUPEOU et l'avait assisté durant la grande réforme de la justice. Les tribunaux d'appels deviennent Cour d'appel en 1804, pour en définitif s'appeler Cour impériale en 1810 ; la ressemblance avec les magistrats d'Ancien Régime étant voulue jusqu'au bout, puisque les magistrats porteront le nom de conseiller et la robe rouge. Ces magistrats sont compétents pour connaître en appel des jugements rendus par les tribunaux civils, et par les tribunaux de commerce. Dès lors, s'instaure le principe selon lequel l'appel est examiné par des juridictions différentes de celles de première instance. Au sommet de l'édifice, le tribunal de cassation devient Cour de cassation en 1804. Et, selon les termes de la Cons, il y a pour toute la République un tribunal de cassation qui se prononce sur les demandes de cassation contre les jugements en dernier ressorts rendus par les tribunaux sur les demandes de renvoie d'un tribunal à un autre en cas de suspicion légitime ou sureté publique, ou bien des prises à partie contre un tribunal entier. De par la loi du 16 septembre 1807, l’Empereur dispose du pouvoir d'interpréter la loi et ce, par voie de règlements d'administrations publics, lorsqu'il y a eu deux cassation sur la même affaire. La Cour de cassation matérialise alors l'idéal de fusion entre l'Ancien Régime et la Révolution. Elle se compose de 48 conseillers choisis par le Sénat, parmi 3 candidats pour chaque poste choisit par le premier consul.
B) L’apparition des Conseils de prud'homme La justice spécialisée sous le régime napoléonien se réduit aux tribunaux de commerce et aux Conseils de prud'homme. La loi du 21 germinal An 9 (11 avril 1801), a donné compétence aux autorités de police municipale pour connaître des litiges entre employeurs et salariés ; c'est-à-dire entre les marchands et le chef d'atelier, contremaitres et ouvriers. Ce système fait l'objet de critiques en raison de la spécificité économique du contentieux du travail. C'est la raison pour laquelle une nouvelle juridiction voit le jour sous l'impulsion de la chambre de commerce de Lyon et des fabricants de soieries. Les Conseils de prud'homme répondent aux principes révolutionnaires de la justice par les proches. Ils sont fondés en 1806 à Lyon ; le nom lui-même de Conseil de Prud'homme ayant été proposé par la chambre commerce de Lyon. Il s'agit de la résurgence d'une vieille institution : celle du bureau commun de la grande fabrique. L'idée est alors de donner une allure démocratique à une institution avant tout concédée au patronat du textile. L'expérience Lyonnaise se révèle un succès et dès les années 1807-1808 elle est menée également dans d'autres villes industrielles et au final, à la chute du premier Empire, il en existe 32. Les prud'hommes napoléoniens sont des instances représentatives mais non paritaires. Les chefs d'ateliers y siègent aux côtés des maîtres, ce qui est une différence assez notable de ce qui était pratiqué sous l'Ancien Régime. Par ailleurs, un décret de 1809 exige que les fabricants aient toujours un représentant de plus que les chefs d'ateliers au sein de la juridiction, prépondérance du patronat. Il faut signaler que les ouvriers à proprement parler n'ont pas de représentants au sein du Conseil des prud'hommes.
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Au demeurant, il faut savoir que le contrat de travail en tant que tel n’existe pas. Il est seulement question, dans les articles 1779 à 1781 du Code civil, du contrat de louage de services. Concernant le différend relatif au contrat, l’article 1781 du Code civil indique expressément que : « Le maître est cru sur son affirmation pour la quotité des gages, pour le paiement du salaire de l’année échue et pour les acomptes donnés pour l’année courante ». Lorsqu’il y a un différend qui s’élève au sujet du contrat de travail, la parole du maître ou de l’employeur vaut plus que celle de l’employé. Ainsi, il n’y a pas encore de spécificité du contrat de travail. Au sujet de cet article aussi, il n’y a pas encore d’obligation de verser le salaire de l’employé ou du salarié à telle ou telle échéance ; tout est affaire de circonstances puisque le contrat de travail n’est pas encore encadré. Il faut remarquer que la spécificité des conflits du travail se trouve reconnue et en tant que telle. Cela signe l’échec de l’utopie révolutionnaire unitaire, qui voulait que chacun soit apte à juger de tout.
PARAGRAPHE 2 : L’ordonnancement de la justice pénale Les transformations relatives à la justice pénale se révèlent plus lentes qu’en matière de justice civile. Elles s’échelonnent ainsi entre 1800 et 1810. Ces transformations affectent aussi bien le jugement des contraventions et des délits, que le jugement des crimes.
A) Le jugement des contraventions et des délits S’agissant des contraventions et des délits, jusqu’à la date d’entrée en application du Code d’instruction criminelle ; c’est-à-dire jusqu’en 1811, c’est le juge de paix qui est compétant en matière de simple police. Il est donc compétant notamment en matière de contravention forestière, d’injures verbales, des affiches et ouvrages contraires aux mœurs et de façon plus anecdotique, les juges de paix sont compétant pour réprimer l’action de ceux « qui font le métier de deviner et pronostiquer, d’expliquer les songes ». Les juges de paix statuent seuls et le commissaire de police fait office de Ministère Public. En matière correctionnelle à proprement parlé, ce sont les tribunaux civils de 1ère instance qui sont compétant. Leur compétence correspond aux délits forestiers et aux délits dont la peine excède 5 jours d’emprisonnement et 15 Francs d’amande. Le Ministère Public se voit ici attribuer un rôle décisif dans la poursuite et dans la mise en mouvement de l’action publique, et la recherche des infractions. Aussi, il faut rappeler que les peines correctionnelles sont : -
L’emprisonnement à temps dans un lieu de correction. L’interdiction à temps de certains droits civiques, civils ou de famille. L’amende.
En appel, les jugements correctionnels sont appréciés par le tribunal criminel du département. A partir de la réforme du Code d’instruction criminelle, ils seront appréciés par le tribunal correctionnel du chef-lieu de département. Il faut remarquer que l’instruction des dossiers n’incombe plus au Ministère Public mais à un nouveau magistrat du siège : le juge d’instruction. Il décerne les mandats de comparutions, d’amener, de dépôt et d’arrêt. Il faut savoir que dans la mesure où l’inculpé jouit d’un domicile, le juge d’instruction aura la possibilité de ne décerner qu’un mandat de comparution, quitte à le convertir par la suite en un autre mandat. Concernant le mandat d’amener, il concernera toute personne inculpée pour un délit en portant peine afflictive (qui afflige le condamné dans sa chair) ou infamante (qui porte atteinte à sa réputation). Ainsi, le législateur napoléonien abandonne l’idéologie révolutionnaire selon laquelle, il est inutile de porter atteinte à la chair du condamné car cela rappel la torture d’Ancien Régime ; ici, on veut avant tout rendre les peines exemplaires. 21
Par ailleurs, le juge d’instruction doit mener son interrogatoire dans les 24h de la délivrance du mandat de dépôt. Il est assisté d’un greffier mais la procédure est marquée par le secret. De ce point de vue, l’on renoue avec les pratiques de l’Ordonnance criminelle de 1670. Les ordonnances rendues par le juge d’instruction peuvent faire l’objet d’un appel qui se déroule devant une chambre spéciale de la Cour d’appel. Il rend ces ordonnances après avoir interrogé les témoins mais ce, en dehors de la présence du prévenu ou de son conseil. Enfin, lorsque le juge d’instruction prend sa décision, il remet son rapport à la chambre du conseil du tribunal de qui il dépend et c’est cette chambre du conseil qui va décider soit : du non-lieu, soit du renvoi devant des tribunaux inférieurs, ou qui va transmettre le rapport au procureur général afin d’aboutir à une procédure devant le tribunal criminel, qui deviendra par la suite Cour d’assises.
B) Le jugement des crimes Le jugement des crimes, lui aussi, connait de grandes modifications sous le Consulat et l’Empire. Il faut savoir que Napoléon BONAPARTE, sur le principe, est tout à fait hostile au jury populaire. Jusqu’au Consulat, il en existe 2 : -
Un jury d’accusation. Un jury de jugement.
D’une part, le jury d’accusation apparait comme un élément alourdissant inutilement la procédure criminelle. Il sera très vite supprimé au profit de la chambre des mises en accusation. D’autre part, s’agissant du jury de jugement, il apparait quant à lui, trop influençable et/ou trop indulgent ; c’est en tout cas ce que semble retenir le plus souvent l’opinion publique. A l’occasion d’une consultation sur le projet de nouveaux Codes criminels, la magistrature est invitée à donner son avis spécialement sur la procédure par jurés. Près de la moitié des magistrats se prononcent alors contre le maintien du jury populaire. Le souhait le plus répandu chez les magistrats est d’en revenir à l’Ordonnance criminelle de 1670, quelque peu modérée tout de même par certains révolutionnaires. Il s’agit essentiellement de l’assistance d’un conseil et de la publicité des débats. Au final, subsiste le jury de jugement que Napoléon BONAPARTE accepte de conserver ; ce sur les instances du Conseil d’Etat. Simplement, il s’agit pour lui, de pouvoir choisir les jurés et ce sera possible à partir d’une sélection de noms, opérée par les préfets de départements. Ainsi, les Cours d’assises sont mises en place à partir du 1er janvier 1811 et remplacent les tribunaux criminels. Il en existe une par département, siégeant une fois par trimestre. Celles-ci se composent de 3 juges, de 12 jurés et d’un parquet. Les jurés doivent se prononcer sur les faits imputés à l’accusé et sur leurs circonstances. Ils se prononcent toujours selon leur intime conviction et leur décision est prise à la majorité simple. La procédure devant la Cour d’assises obéit à un schéma stricte : l’acte d’accusation est tout d’abord lu par un greffier, sont présentés ensuite les différentes pièces à conviction. Puis, les témoins sont entendus, sachant qu’ici l’accusé peut se faire entendre. La procédure devant les assises se termine par l’expression de la partie civile ou de son conseil, ensuite du procureur général et enfin la parole est donnée à l’accusé et à son conseil. Ainsi, il y a une forme de progrès par rapport à l’Ordonnance criminelle de 1670. Il faut souligner que dans le Code d’instruction criminelle, il est prévu que les juges, lorsqu’ils sont convaincus que les jurés se sont trompés sur le fond en reconnaissant l’accusé coupable, peuvent sursoir à la 22
condamnation. Cette surséance est très encadrée car elle ne peut être prononcée que d’office, immédiatement après la proclamation de la décision du jury. L’affaire est alors renvoyée à une prochaine session de la Cour d’assises et elle devra alors être appréciée par un jury entièrement recomposé ; c’est-àdire de telle sorte qu’aucun des jurés n’ayant prononcé la 1ère décision ne soit présents. Cette fois-ci la 2ème décision sera la bonne ; il n’y aura alors aucun moyen de la contrer. Les réformes de l’An 8 et des années suivantes, marque la fin de la révolution politique mais aussi de la révolution judiciaire. Les Codes et la refonte de la procédure rebâtissent une justice qui atteste de l’intérêt de Napoléon BONAPARTE pour ces questions. On lui prête notamment la formule : « Le plus grand moyen d’un Gouvernement, c’est la justice ». Pour autant, il ne s’agir aucunement de reconstituer un pouvoir judiciaire qui s’érigerait en concurrent du pouvoir politique. Tout au contraire, le pouvoir judiciaire à proprement parlé doit être éradiqué pour que ne subsiste que l’autorité judiciaire, garante de la pérennité du régime.
Section 2 : L’éradication du pouvoir judiciaire Le principe de l’élection des juges est abandonné par Napoléon BONAPARTE. En guise de contrepartie, la Constitution de l’An 8 prévoit que les magistrats seront nommés à vie et ne pourront être révoqués sauf cas de forfaiture. Il s’agit du principe d’inamovibilité qui est posé. Toutefois, le principe d’inamovibilité posé, il appelle déjà quelques nuances, aussi bien au regard de la magistrature assise qu’au regard de la magistrature debout.
PARAGRAPHE 1 : La magistrature assise Afin de rompre avec le Directoire et fortifier le Consulat qui vient de se porter au pouvoir, il est nécessaire de recruter des magistrats compétents. Cependant, l’organisation judiciaire, élaborée en l’An 8, apparait vite comme une œuvre inachevée. Il faudra attendre la loi du 20 avril 1810 pour qu’effectivement, la magistrature soit remodelée à l’image de l’Empire.
A) La magistrature du Consulat Il se révèle difficile pour le Gouvernement d’évaluer la capacité professionnelle des futurs fonctionnaires de l’ordre judiciaire. Aussi, en l’An 8, le Gouvernement sélectionne des personnes ayant occupé des fonctions publiques au cours des années précédentes, non sans une certaine précipitation. Concrètement, ce sont les députations ; c’est-à-dire les représentants des différents départements au sein des assemblées politiques du Consulat, qui préparent le travail de nomination du ministère de la justice. Du reste, des circulaires du ministre de la justice précisent ce qui est attendu des juges ; c’est-à-dire ce qui est attendu d’eux quant à leur moralité, leur civisme ou quant à leur talent. De même, le ministre souhaite que, ceux qui parmi les juges en place ne mériteraient pas la confiance du premier consul, soient remplacés. A priori, aucune compétence particulière n’est requise. Mais, dans les faits, ce sont des juristes qui figurent sur les listes de noms proposés. La seule exigence est celle d’être âgé au moins de 30 ans. Toutefois, très souvent, ce sont des hommes qui ont été précédemment juges, voire avocats, qui deviennent magistrats. Cependant, compte tenue de la rapidité avec laquelle il a fallu agir, dans les mois qui suivent les nouvelles nominations de juges, le ministre de la justice diligent une enquête sur les différents tribunaux. Ainsi, dès 1801, les présidents de Cours font l’objet d’un rapport afin de s’assurer qu’ils remplissent convenablement leurs fonctions et qu’ils sont des relais efficaces du pouvoir napoléonien. 23
Le ministre, cette fois-ci, s’adresse au préfet et au commissaire de police afin de parfaire la vision de cette nouvelle magistrature. Aussi bien, le ministre souhaite que lui soit indiqué au sein de chaque juridiction, les noms des juges qui seraient susceptibles de remplacer le Président de la juridiction considérée, dans l’hypothèse où ce dernier ne serait pas maintenu. Dans la Constitution de l’An 8, la loi du 18 mars 1800 énonce que : « Choisi tous les 3 ans parmi les juges de tribunal civil d’arrondissement, le Président du dit tribunal ». Ainsi, on procède de la même façon pour nommer tous les ans le Président du tribunal criminel. Au demeurant, avec l’entrée en vigueur du Code pénal et du Code d’instruction criminelle, un renouvellement du personnel judiciaire apparait indispensable. Alors qu’en l’An 8 le sentiment politique affiché était républicain, il devient plus franchement royaliste, avec la proclamation de l’Empire. (POURQUOI L’INDEPENDENCE JURIDICTIONNELLE N’EXISTE PAS ?).
B) La magistrature de l’Empire On met en place une nouvelle organisation judiciaire, la loi de l'An 8 ne devant pas durer. Cette nouvelle organisation ne devient effectivement effective qu’en 1811 : entrée en vigueur du Code pénal. Les nouvelles dispositions ne rompent pas brutalement avec celles de l'An 8. De fait, la carte des juridictions n'est guère bouleversée avec des tribunaux de première instance identiques aux précédents. En revanche, les Cours criminelles disparaissent, leurs sont alors substituées des Cours d'assises qui elles, n'ont pas de personnel propre. Cela n'empêche pas l'augmentation assez significative du personnel judiciaire. Il n'en demeure pas moins qu'il faut opérer un tri au sein du personnel existant et à cet effet, le ministre de la justice sollicite les chefs des Cours d'appel à savoir, les présidents d'appel et les procureurs généraux. Quant aux préfets, il leur est demandé de dresser un état des anciens magistrats des Parlements et des Cours supérieures qui habitent leurs départements. Il s'agit de remanier l'organisation judiciaire : on choisit les bons et mauvais magistrats. Cette enquête diligentée en 1811 révèle la volonté de privilégier les magistrats d'Ancien Régime dans la nouvelle organisation judiciaire. Néanmoins, les changements de personnes restent relativement modestes et en définitive, dépendent surtout des relations entretenues par les chefs de Cours avec les magistrats. Pour le renouvellement du personnel des tribunaux de première instance, ce sont essentiellement des fils de famille qui sont proposés ; c’est-à-dire des jeunes gens ayant déjà un certain patrimoine ou des espérances sérieuses d'en avoir. Au final, le magistrat recruté sous l'Empire n'obéit pas à un profil sociologique bien déterminé. Il est vieux ou jeune ; il a pu avoir une expérience de juriste ou occuper des fonctions publiques. Une chose est certaine : il a cependant su témoigner à un moment donné son dévouement à l'empereur. A cet égard, le phénomène est particulièrement sensible s'agissant du ministère public.
PARAGRAPHE 2 : La magistrature débout L'accusateur public, mis en place au début de la Révolution, avait vocation à occuper une place importante dans le dispositif judiciaire. Sous le Directoire, il a souffert de la désaffection envers l'élection. Mais, avec l'avènement Napoléonien, il est appelé à retrouver une importance indéniable. Du reste, l'accusateur public en tant que tel disparait avec la Constitution de l'An 8, qui ne conserve que le commissaire du pouvoir exécutif et le Tribunal criminel (ancienne Cour d'assises). 24
La loi du 7 pluviôse An 8 va accentuer le rôle du ministère public essentiellement dans l'instruction, ce qui de façon corrélative affaiblit le directeur du jury. Cela explique que le jury accusatoire ait été supprimé sans aucun problème. En vertu de la Constitution de l'An 8, les commissaires du Gouvernement pris pour les Tribunaux d'appel sont choisis sur la liste départementale ; dans le cadre du Tribunal de cassation ils sont choisis sur la liste nationale. Les règles de nomination du Parquet sont fixées pour le 19ème siècle avec pour idée directrice, la nécessité d'un Ministère public parfaitement en harmonie avec la Constitution en vigueur ; c'est-à-dire avec le pouvoir exécutif. Dans ces conditions, ce qui caractérise le ministère public c'est avant tout sa fonction politique. Les hommes qui le composent doivent être appréhendés, appréciés en fonction de leur efficacité par rapport à l'exécution des ordres du pouvoir exécutif. La règle fixée est que le Ministère public obéit au pouvoir exécutif. An 9 : il faut souligner que seul un Gouvernement vigoureux est en mesure d'assurer la liberté et de maintenir la tranquillité publique ; il faut une France pacifiée. Afin d'aboutir à ce résultat, le magistrat du Ministère public doit être l'homme du Gouvernement. Il est nommé par lui et est révocable par lui. Dans ces conditions, le Ministère public se retrouve bien sûr sous l'étroite surveillance du Ministère de la justice. Il faut aller au-delà de ce rôle hiérarchique. Le Procureur d'un tribunal sont les représentants du pouvoir, ses exécutants, ce qui implique aussi un rôle essentiel d'information. Il revient aux différents éléments qui composent le Ministère public d'informer le pouvoir, de faire des rapports à la police judiciaire. Les Procureurs généraux rendent ainsi des rapports très variés sur la situation politique de leur ressort, que ce soit sur des affaires précises ou sur des discours tenus par les uns et les autres. Ils tiennent aussi un rôle actif dans la propagande napoléonienne. Ce rôle s'exerce naturellement au sein de la cité mais aussi au sein de la hiérarchie judiciaire. En effet, le Procureur général diffuse l'idéologie du pouvoir en place, notamment à travers les discours de rentrée lors des audiences solennelles des Cours d'appel, dont l'Empire a rétablit l'usage en 1808. Pendant une grande partie du 19ème siècle, ces discours rappellent à bien des égards les mercuriales qui autrefois portaient sur les devoirs des magistrats. Une fois de plus, il y a une référence à l'Ancien Régime mais moins ouverte. Le poids du Parquet se fait d'ailleurs d'autant mieux sentir qu'à partir de 1810, l'Ordre des Avocats se recompose progressivement et les avocats sont placés sous la tutelle du Ministère de la justice et du Ministère public. Le véritable centre de décision c'est le Ministère public. Bref, les cadres de l'organisation judiciaire se trouvent durablement fixés au début du 19ème siècle. Les Gouvernements suivants se sont fort bien accommodés de ces institutions. Certes, les lois napoléoniennes, au regard de l'organisation judiciaire, ne prévoient pas tout mais la coutume judiciaire jouera un rôle non négligeable dans le développement de règles relatives à la carrière des magistrats. Néanmoins, s'il y a renouvellement de la justice, le phénomène ne se produit en réalité que sur le très long terme.
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PARTIE 2 : UNE JUSTICE RENOUVELEE DE LA RESTAURATION A LA FIN DE LA 2nde GUERRE MONDIALE Depuis 1814, l'emprise du Gouvernement sur la justice s'est très lentement desserrée. L'ordre judiciaire a tout d'abord retrouvé un véritable pouvoir d'interprétation des textes. Puis, il a été placé sur un pied d'égalité avec l'ordre administratif. Pour autant, la République ne parvient pas à supprimer tout lien entre la politique et la justice, ce qui bien sûr interroge. A cette problématique s'y ajoute une seconde : celle des moyens accordés à la justice.
CHAPITRE 1 : Justice et politique, un lien durable Le 19ème siècle est un siècle de grandes mutations sociales, en même temps qu’il est un siècle d’instabilités politiques. Entre le consulat et la 3ème République, 9 régimes politiques se succèdent et se veulent profondément différents les uns des autres. Or, dans le même temps, la justice apparait comme le bras armé du pouvoir. Elle constitue donc un support efficace pour accélérer, protéger ou pour promouvoir le modèle politique du moment. A la charnière des deux siècles, l’affaire DREYFUS coupe la France en deux. Son écho à travers l’ensemble du territoire ne doit pas être sous-estimé. Pour reprendre les mots de Léon BLUM : « On se battait pour ou contre la République ». Là, au fond, réside le changement essentiel ; c’est-à-dire l’installation définitive de la République qui doit relever la tête malgré les guerres et les scandales de la 1ère moitié du 20ème siècle.
Section 1 : L’empreinte des changements de régimes De façon récurrente, les régimes politiques qui s’installent prévoient la mise en place de justices d’exceptions afin de solder les régimes qui les ont précédés. Des justiciables particuliers sont visés par ces juridictions spéciales mais, il faut souligner que les juges, eux aussi, font les frais des changements de régimes.
PARAGRAPHE 1 : Le recours aux justices d’exception La renaissance des justices d’exception concerne, au premier chef, les justices politiques. Celles-ci ont pour mission de juger de hauts personnages de l’Etat qui se retrouvent accusés de trahison à la faveur des changements de régimes. Un 1er exemple à cet égard est donné avec la restauration monarchique d’après les 100 jours, avec l’arrestation du Maréchal NEY. En tant que militaire, le Maréchal NEY pourrait/devrait être jugé par le Conseil de guerre mais, il est aussi pair de France au moment des faits et, de façon curieuse, il réclame de lui-même la compétence de la Chambre des pairs, alors même que le Conseil de guerre lui aurait été probablement plus favorable. En effet, la Charte constitutionnelle établie la compétence de la Chambre des pairs à 3 égards : -
Elle connait des crimes de haute trahison et des attentats contre la sûreté de l’Etat qui lui seront déférés par la loi. 26
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Elle a compétence pour juger ses propres membres. Elle peut juger les ministres sur l’accusation de la Chambre des députés.
Ces dernières dispositions vont permettre, le moment venu, de juger aussi les ministres de Charles 10. Le phénomène est d’autant plus remarquable que, sous la Révolution française, aucun ministre des gouvernements monarchiques d’Ancien Régime n’avait été mis en cause devant la Haute Cours. Il leur est reproché d’avoir fait inutilement coulé le sang, en ayant contresigné les ordonnances royales, contestées par l’opinion publique. De fait, le jugement des ministres de Charles 10 a surtout pour but de satisfaire la foule en colère et de mettre fin à la Révolution de 1830. Outre les justices politiques, les Cours prévôtales de la Restauration apparaissent comme des juridictions d’exception. Elles sont instituées à la fin de l’année 1815, alors même que le texte de la Charte constitutionnelle prohibe les juridictions d’exception. Il est vrai, que la Charte précise aussi qu’il ne faut pas comprendre, sous la dénomination de juridictions d’exception, les Cours prévôtale si leur établissement était jugé indispensable. A la suite de la défaite de Waterloo, d’es milliers d’hommes errent dans les campagnes du Nord et de la Seine inférieure. Ensuite, la famine sévie, ce qui entraine une hausse des prix. Enfin, le sentiment anti-bonapartiste se manifeste très violement dans telles régions laissant cours à la Terreur blanche. (Livre de Benoit YVERT : « La Restauration »). D’une manière générale, c’est la lutte contre la délinquance de droit commun qui conduit au rétablissement des Cours prévôtales, dans un esprit particulièrement répressif. Les Cours prévôtales se composent de magistrats civils et militaires, chaque juridiction devant comprendre un militaire ayant grade de colonel. Ce dernier est appelé « prévôt » ou « grand prévôt ». Concernant les civils, il s’agit de juges pris au sein du tribunal local de 1ère instance. La compétence des Cours prévôtales comprend les crimes de rébellion armée, de réunions séditieuses, d’écrits et de discours séditieux. Elle s’étend aussi au fait d’arborer un drapeau autre que le drapeau blanc. Dans les faits, les cas prévôtaux sont très divers : ils s’inscrivent dans la droite ligne de la compétence des cours spéciales de l’Empire, qui avaient été mises en place par le Code d’instruction criminelle. La compétence des Cours prévôtales connait un développement original avec la matière douanière, grâce à une loi d’avril 1816, dont l’objectif est de réprimer la contrebande accompagnée de violences publiques. Les Cours prévôtales se mettent en place assez difficilement car les magistrats civils y mettent une certaine mauvaise volonté. Elles concernent une procédure tout à fait expéditive et leur fait prendre une décision devant exécutoire dans les 24 heures, rendue en dernier ressort. En définitive, les Cours prévôtales répriment surtout les crimes commis par les vagabonds, par les militaires, par les contrebandiers et les bandits de grands chemins. Les affaires politiques qui ont donné lieu à la mise en place de ces juridictions spéciales, se résument à environ 10% des affaires traitées. Il s’agit d’écrits et discours séditieux ainsi que du fait d’arborer le drapeau tricolore. Au 19ème siècle, la commune de Paris donne une dernière fois l’occasion de recourir à des juridictions d’exception. Celles-ci sont présentées comme des Cours martiales mais dans les faits, elles fonctionnent comme les Cours prévôtales et seront confrontées à leur déportation en Nouvelle-Calédonie. Au 20ème siècle, de justices d’exception, il ne reste que les justices politiques. Ainsi, à la fin de la 1ère guerre mondiale, les procès contre des ministres sont suivis devant la Haute Cours de justice concernent Joseph CAILLAUX et Jean-Louis MALVAY. Il faut rappeler à cet égard que, selon les lois constitutionnelles de 1875, les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés, lorsqu’il y a atteinte à la sûreté de l’Etat ou lorsqu’ils ont commis des crimes dans l’exercice de leur fonction. 27
Quelques années plus tard, la Haute Cour de justice se réunie cette fois-ci à la suite d’un scandale politicofinancier de l’affaire COUSPRIC.
PARAGRAPHE 2 : L’épuration de la magistrature Depuis la Révolution, aucun régime politique a proprement parlé ne s’accommode d’une justice stable et indépendante du pouvoir politique. Il faut dire que l’examen professionnel d’entrée dans la magistrature ne fait son apparition qu’en 1908. Et, il faut attendre la fin de la 1ère Guerre Mondiale pour que les juges de paix obéissent aux mêmes conditions de recrutement que les autres magistrats. S’agissant de l’inamovibilité, elle ne sera reconnue qu’en 1946. S’il est question d’inamovibilité durant le 19ème siècle, il ne s’agit que d’une approche limitée du concept, limitée dans le temps car, l’inamovibilité, au fond, ne serait aller au-delà du régime politique considéré. Du reste, le concept d’inamovibilité connait aussi une limitation quant au personnel bénéficiaire. Il ne s’agirait que des magistrats du siège et non de ceux du parquet. Pour autant, bien que contesté, ce principe fait son chemin, notamment sous le 2nd Empire. Dès les débuts de la 3ème République, le pouvoir en place éprouve le besoin de justifier l’épuration qui se révèle nécessaire. Il faut dire que, pour les détracteurs de l’inamovibilité, la forme républicaine du régime ne saurait s’accommoder d’un tel principe. De plus, l’inamovibilité ne figure pas au sein des principes explicités par les lois constitutionnelles de 1875. Sur le fond même de la question, il est nécessaire de se débarrasser, dans la magistrature, des éléments les plus bonapartistes ou monarchistes. Il est vrai qu’au début de la 3ème République, les comportements antirépublicains de nombreux magistrats ne sont pas souhaitables. De plus, les juges sont accusés de s’ériger en 3ème pouvoir et d’usurper les prérogatives de l’exécutif et du législatif. Dans ses conditions, chez un certain nombre de républicains, les magistrats sont regardés avec méfiance. De façon significative, le président de la chambre des députés, Jules GREVY, en 1878, indique : « Je ne connais qu’une réforme à réaliser au sujet de la magistrature : c’est sa suppression ». Sans aller jusque-là, cela permet de comprendre que la loi du 30 août 1883 suspende le principe d’inamovibilité pour une durée de 3 mois. L’idée du législateur est de supprimer autant de postes qu’il existe de magistrats indésirables. Dans ces conditions, sont fixés les nombres minimum de magistrats nécessaires pour prendre une décision, que ce soit en 1ère instance ou en appel. Aussi, selon les termes mêmes de la loi de 1883, les éliminations porteront sur l’ensemble du personnel indistinctement. Dans les faits, l’épuration est effectivement très importante mais, elle porte surtout sur les plus âgés des magistrats du fait que ce sont eux qui se révèlent les moins convaincus par les principes républicains. Il suffit de ne pas avoir salué le préfet ou d’assister régulièrement aux offices religieux pour faire l’objet de sanctions. Les monarchistes et les conservateurs cléricaux feront les frais de cette épuration. Une importante épuration se déroulera ensuite à l’hiver 1940 sous le gouvernement de Vichy. Ces épurations revêtent un caractère idéologique et raciste, puisque ce gouvernement fait la chasse aux métèques, aux juifs, aux francs-maçons… De fait, l’inamovibilité des magistrats est supprimée, ce qui conduit à une épuration très significative : ce sont environ 300 magistrats qui en font les frais. La légalité républicaine est rétablie par une ordonnance du 9 août 1944 qui abroge tous les textes législatifs et réglementaires de Vichy. Il induit une nouvelle épuration. En effet, dès l’automne 1944, la magistrature fait l’objet d’une épuration sévère (environ 10% des magistrats sont touchés). De la manière la plus urgente, 28
il s’agit de punir ceux qui ont soutenu activement ou passivement le régime de l’Etat. On aboutit ici à un peu moins de 300 magistrats sanctionnés. Parmi eux, se trouve un certain nombre de hauts magistrats français. Enfin, la Constitution de 1946 réaffirme, quant à elle, l’inamovibilité des magistrats du Siège et, l’épuration en tant que telle, est clause en 1948. Se pose alors la question de la place du juge dans nos institutions.
Section 2 : La place du juge dans les institutions En dépit des différentes vagues d’épuration, la magistrature parvient à conquérir une place importante au sein des institutions. Cela s’observe sous la 3ème et la 4ème République, tandis que depuis le tournant du 20ème siècle, différends bouleversements, événements ont remis en cause l’équilibre social. A cet égard, l’affaire DREYFUS constitue un point de rupture essentiel car, l’Affaire sert en définitive la cause de la magistrature judiciaire. Au demeurant, la République étant désormais bien installée, il s’agit de conférer une certaine stabilité à la magistrature ; ce dont témoigne la reconnaissance progressive de l’indépendance de la magistrature.
PARAGRAPHE 1 : L’Affaire DREYFUS, séisme judiciaire et politique Le 15 octobre 1894, le capitaine Alfred DREYFUS est arrêté au Ministère de la Guerre. Il achève alors un stage de 2 ans à l’Etat-major de l’armée, après une brillante scolarité à l’Ecole supérieure de guerre. Son arrestation a été décidée par le Ministre de la guerre en personne. Il y a 35 ans, au mois de décembre suivant, il est condamné à Paris par le Tribunal militaire. Il est convaincu du crime de haute trahison. Ce crime, en réalité, lui est attribué à la suite d’une véritable machination : -
D’abord au sein de l’armée et au sein d’autres corps. Ensuite, à la démission du pouvoir politique face à la puissance de l’armée.
L’accusation repose sur la soit disant reconnaissance de l’écriture de DREYFUS sur un bordereau, document non-signé qui accompagnait des documents secrets français, interceptés au sein de l’Ambassade d’Allemagne. Or, l’identification n’est pas le fruit du hasard, elle est prétendue par cela même qui se sont déjà montrés hostiles à DREYFUS durant son stage. Il apparait que dans la détermination du Ministère de la guerre à obtenir la condamnation de DREYFUS, la considération du fait qu’il est juif est tout à fait importante ; de même qu’il devient une question de principe au sein du ministère de la guerre de le faire condamner à la peine maximale. De façon extraordinaire, le Ministère de la guerre communique un dossier secret en charge contre DREYFUS au mois de décembre 1894 aux membres du Conseil de guerre, durant leur délibéré. DREYFUS est dégradé à Paris, sous la foule et est déporté sur l’île du Diable au large de la Guyane. Malgré le traitement cruel qui lui est réservé, il conserve sa détermination à prouver son innocence, accompagné de sa famille et notamment sa femme Lucie en premier lieu, ainsi que quelques amis appelés les « dreyfusards ». Ces premiers dreyfusard et notamment le lieutenant-colonel PICQUART, s’emploie à découvrir la vérité mais il se heurte à un véritable mur cimenté à la fois par la raison d’Etat, la pression militaire et populaire. En effet, la France des années 1880-1890 est la France du boulangisme, du scandale de Panama et des violences anarchistes. Et, la République n’a pas réglé la question de la moralité des régimes ainsi que la question de la place de l’armée au sein de la démocratie. De ce point de vue, le boulangisme montre que les
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dérives sont tout à fait possibles. Aussi, il faut remarquer que le livre publié par Edouard DRUMONT en 1886 intitulé « La France juive », a été un important succès de librairie. En 1896-1897, malgré les atermoiements de l’affaire DREYFUS, certains officiers ont compris que le véritable coupable est le commandant ESTERHAZY, qui se trouve d’ailleurs acquitté en justice. Mais, le Conseil de guerre qui le juge en 1898, l’acquitte à l’unanimité. Du reste, les gouvernements républicains qui se succèdent jusqu’en 1898, refusent de prendre en compte les preuves de son innocence ; aussi bien des intellectuels que quelques hommes politiques s’élèvent alors contre les menaces portées contre les droits de l’Homme. Emile ZOLA publie le fameux « J’accuse » au début de l’année 1898, ce qui provoque un procès retentissant mais aussi, la remise en route de l’appareil de justice. Ce texte s’adresse à Felix FAURE, Président de la République. Il se présente comme un long réquisitoire qui démontre l’innocence du capitaine DREYFUS et dénonçant l’impunité offerte aux véritables coupables. Il met en avant les responsabilités des institutions politiques ainsi que celles des journaux qui entretiennent la haine dans une opinion publique complaisante. ZOLA conclu son article par la mise en accusation des principaux responsables qu’il vient d’identifier. Par un acte révolutionnaire, selon ses propres mots, il s’offre de passer en justice sachant très bien que ces accusations sont de nature à le faire poursuivre pour diffamation. L’Affaire est relancée et la condamnation de DREYFUS est annulée en 1899 par la Cour de cassation. Toutefois, DREYFUS, une nouvelle fois, sera condamné par le Conseil de guerre à Rennes en 1899. Cette décision provoque un tôlé général. Finalement, face au nouveau scandale, DREYFUS est gracié et libéré ; ce qui dans un premier temps permet au capitaine de retrouver les siens. Mais, il n’est aucunement dit qu’il est innocent. Finalement, en juillet 1906, la Cour de cassation réhabilite DREYFUS, ce qui met enfin un terme à la bataille judiciaire. Ceci est de nature à montrer la supériorité de la justice civile sur la justice militaire. Quelques jours plus tard, DREYFUS est promu dans l’ordre de la légion d’honneur. Aussi, il participera au corps militaire lors de la 1ère Guerre Mondiale et la terminera au-delà de la limite d’âge. Mais, il ne parviendra jamais aux hauts grades de l’armée tel qu’il aurait dû le faire. « On se battait pour ou contre l’Affaire DREYFUS ».
PARAGRAPHE 2 : L’indépendance en question L’évolution de la magistrature, fin 19ème – début 20ème siècle, s’effectue malgré quelques tourments, dans le sens de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Cependant, il faut souligner que, jusqu’au lendemain de la 1ère Guerre Mondiale, l’avancement des magistrats dépend exclusivement du bon vouloir du Ministère de la justice. Même sous la 3ème République, les recommandations influent sur la nomination des magistrats. Le décret du 1 août 1906 crée tout de même le tableau d’avancement de la magistrature, à l’image de ce qui existe alors dans les autres administrations. Il faut attendre le décret du 21 juillet 1927 pour que soit véritablement définie la hiérarchie judiciaire. L’échelle part du juge suppléant pour, au 12ème échelon, concerner le grade de président de chambre à la Cour d’appel de Paris. On a un début d’encadrement de cette hiérarchie judiciaire. A partir de 1927, est également prise en compte l’ancienneté. De fait, il revient à une commission composée de magistrats et de membres du Ministère de la justice, d’établir le tableau d’avancement. Ne peuvent y être inscrit que les magistrats ayant au moins 2 ans d’ancienneté dans la fonction exercée. Ces dispositions seront complétées en 1934, afin de mieux appréhender ce qui relève de l’ancienneté et du mérite des candidats. 30
La question de l’indépendance de la magistrature se trouve de nouveau soulevée à la suite des scandales politico-financiers. Et, l’affaire STAVISKY en constitue un exemple retentissant. En effet, STAVISKY a fondé le Crédit Municipal de Bayonne à la demande du Maire Joseph GARAT. Or, il a fait émettre par le Crédit Municipal des bons de caisses frauduleux, ce qui aboutit à sa faillite. Il est arrêté mais s’évade et disparait. Il est retrouvé par la police au début de l’année 1934 à Chamonix. Mais, au moment où la police veut l’arrêter de nouveau, il est retrouvé mort. C’est là que le scandale devient assourdissant : la police dit qu’il s’est suicidé mais une partie de la presse suggère qu’il a été suicidé. Le président du Conseil, Camille CHAUTEMPS, est compromis. Compte tenu du scandale, il se voit alors contraint de démissionner. L’Affaire connait un dernier rebondissement avec quelques semaines plus tard, le décès du magistrat chargé d’enquêter sur les liens existant entre la classe politique et STAVISKY. Plusieurs propositions de droit sont formulées par la suite, afin de redonner au juge liberté et prestige. Mais, l’agitation sociale, entretenue par les ligues d’extrême droite, empêche de procéder à une réforme profonde. Il faudra attendre la fin de la 2nde Guerre Mondiale pour que cette réforme ait lieu. Il revient à l’Assemblée nationale constituante de se pencher sur l’organisation du pouvoir judiciaire. Et, le principe d’un Conseil supérieur de la magistrature est arrêté. Aussi bien, le CSM est appelé à remplir 2 grandes fonctions : -
Il présente les magistrats au Président de la République qui les nomme ; les magistrats du Siège étant inamovibles. Il assure la discipline des magistrats, leur indépendance et l’administration des tribunaux judiciaires.
Le CSM s’organise, en 1946, autour de 3 commissions compétentes : -
Pour le personnel. L’administration et la discipline. Pour les grâces.
C’est cette dernière commission qui se révèle la plus active en 1947 et 1949.
CHAPITRE 2 : Les mutations de la vie juridictionnelle La justice au 19ème siècle et ce jusqu’à la 2nde Guerre Mondiale, inspire de nombreux écrivains et caricaturistes. Les uns et les autres présentent aux lecteurs des procureurs hantés par la répression, des présidents obnubilés par leur carrière, de gros juges qui sombrent dans le sommeil. Dans l’image que renvoi la justice, le justiciable apparait comme une quantité négligeable lorsqu’il n’est pas en cheville au moyen direct avec le juge, il n’est au mieux qu’un faire-valoir. En ce sens, la justice participerait d’un mythe masquant l’injustice. Il est certain que les bouleversements des 19ème et 20ème siècles sont d’ampleur et appellent la modernisation de l’appareil de justice qui témoigne par ailleurs, d’une certaine perméabilité aux évolutions sociales.
Section 1 : La modernisation de l’appareil de justice L’encombrement des prétoires résulte du comportement de ceux qui se placent en dehors de la règle posée par le législateur. Ces écarts induisent des actions en justice qui nourrissent directement l’activité des
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juridictions. A cet égard, les changements les plus importants de ces 2 siècles, liés à l’évolution du droit et de la procédure, sont sans aucun doute ceux qui affectent les juridictions pénales.
PARAGRAPHE 1 : L’accès à la justice facilité Le combat pour l’assistance judiciaire a commencé avant la Révolution de 1848 et dès son accession à la présidence de la République, Louis Napoléon BONAPARTE reconnait devant l’Assemblée que la défense gratuite des indigents n’est pas suffisamment assurée par la législation. Aussi bien, la loi relative à l’assistance judiciaire est votée en 1851. Elle fera l’objet d’un remaniement en 1901 mais, pour l’essentiel, ces dispositions resteront en vigueur jusqu’en 1912. La loi de 1851 prévoit les conditions d’octroi d’une faveur et non d’un droit aux personnes démunies. A cet égard, un rapprochement doit être fait entre l’assistance judiciaire et l’assistance publique qui commence à susciter l’attention du législateur. L’assistance est accordée par un Bureau d’assistance judiciaire, installé dans chaque arrondissement. Il se compose de 3 hommes de loi, d’un représentant du préfet et d’un représentant du directeur de l’enregistrement. Le Bureau d’assistance judiciaire, juge de l’indigence et examine l’affaire au fond. En effet, dans la mesure du possible, il va tenter de jouer le rôle de médiateur. Le Bureau d’assistance judiciaire tranche souverainement et il n’y a pas d’appel possible, même pour contester la qualité d’indigent. Un seul recours est possible : il est offert au Procureur général qui peut demander la réformation d’une décision illégale. Indéniablement, dans l’esprit du législateur, le Bureau d’assistance judiciaire fait office de tribunal des pauvres. Dès 1851, l’assistance judiciaire et plus exactement l’activité de bureau d’assistance judiciaire est prise en compte par le Ministère de la justice dans l’élaboration de ses statistiques. Cela signifie que l’innovation est tout à fait importante. Effectivement, les causes bénéficiant de l’assistance judiciaire se multiplient de façon significative, le rythme se ralentissant à la veille de la 1ère Guerre Mondiale. D’une manière générale, on observe que tout bureau confondu, se sont environ 40 à 50% des demandes judiciaires qui se trouvent satisfaites. Pour autant, pendant longtemps, l’assistance judiciaire reste trop rare pour influencer le volume des procès. A titre d’exemple, sous le 2nd Empire, ce sont simplement environ 4 000 causes sur un volume de 125 000 qui bénéficient de l’assistance judiciaire. Il n’en demeure pas moins que restent très nombreuses les causes dans lesquelles l’une des parties a bénéficié de l’assistance judiciaire ne sont pas jugées. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : d’une part, l’assistance offerte est sans doute encore largement insuffisante, ce qui décourage l’assisté ; d’autre part, compte tenu des compétences du Bureau d’assistance judiciaire sur le fond, il est fort possible que dans un certain nombre de cas une des parties se décourage ou reconnait ses torts. L’assistance judiciaire ne reflète que de façon très imparfaite, l’usage que les classes populaires peuvent faire de la justice au 19ème siècle. Pour l’essentiel, les demandes sont faites par les demandeurs au procès et plus rarement par les défendeurs. Ensuite, l’assistance judiciaire est accordée dans des proportions bien moindres dans les affaires relevant des justices de paix que pour les affaires des tribunaux civils. Dans les justices de paix sont traitées des questions touchant au paiement des gages et salaires des nourrices ou encore de l’autorité parentale. De fait, les demandes d’assistance judiciaire, pour l’essentiel, concernent les ménages désunis. Cette demande est faite pour obtenir une séparation de corps ou un divorce, sachant que ce sont les femmes qui demandent à en bénéficier. Dans tous les cas, il faut bien dire que si l’assistance judiciaire connait une forme 32
d’élan à la fin du 19ème siècle, cela est dû à l’adoption de lois spécifiques telles que celles relatives au divorce à partir de 1884, et aux séparations de corps en 1869.
PARAGRAPHE 2 : Un ordre judiciaire réaménagé Dès le début de la monarchie de juillet, l’objectif politique affiché est de réduire le nombre de juridictions ainsi que le personnel judiciaire. Cependant, cette volonté politique n’est pas suivie d’effets car les différents gouvernements craignent la réaction des personnels judiciaires et des populations concernées. La 2nde République va se pencher sur l’organisation judiciaire mais en essayant de lui appliquer les valeurs qu’elle véhicule nouvellement, ce qui induit par exemple l’introduction du paritarisme dans la composition des Conseils de Prud’hommes. De même, une réflexion sur le jury criminel est menée. Cependant, la 2nde République a une existence trop brève pour que différentes réflexions aboutissent et, somme toute, les juridictions du 2nd Empire ressemblent grandement aux juridictions monarchiques de la Restauration. Ensuite, c’est le jury criminel qui fera l’objet de nouvelles dispositions en 1872. Mais les changements n’apparaissent pas très significatifs par rapport à la période précédente. Simplement, il y a un effort de démocratisation des jurés, au moins sur le principe puisque dans les faits, cette démocratisation mettra du temps à être effective. En revanche, de façon plus éclatante, la carte judiciaire se trouve modifiée par 2 décrets de lois pris en 1926. Ces décrets de lois suppriment les tribunaux d’arrondissement pour établir des tribunaux départementaux. A l’intérieur de ces tribunaux, sont mises en place des sections destinées à remplacer les tribunaux d’arrondissement. Cela aboutit tout de même à la suppression de 227 tribunaux sur 358. Il faut dire que, si jusqu’en 1926 le personnel judiciaire avait pu être diminué, le nombre de juridictions était resté le même. La réforme brutale de 1926 participe des mesures spectaculaires du gouvernement POINT CARRÉ ayant conduit aussi à l’adoption d’un nouveau franc. Si la réforme passe mal, elle a été conduite sans concertation mais surtout, elle est adoptée au début du mois de septembre 1926 ; c’est-à-dire quasiment à la veille de la rentrée judiciaire. Le mécontentement du monde judiciaire et de la population est tel, qu’une loi du 22 août 1929 institut autant de sections dans les tribunaux départementaux qu’il existait auparavant de tribunaux d’arrondissement. En définitive, les tribunaux départementaux sont supprimés en 1930. Sont alors mis en place des tribunaux de 1ère instance qui resteront en l’état jusqu’en 1958. Au regard de l’activité des juridictions, leur évolution se révèle particulièrement sensible en matière pénale. Ainsi, dans les années 1820-1830, l’essentiel du contentieux des juridictions répressives consiste en des délits ruraux et forestiers. Il est vrai que le Code forestier de 1827 a sensiblement modifié des règles séculaires et que la paysannerie française mettra un certain temps avant d’intégrer dans ses comportements les nouveaux interdits posés. Le contentieux forestier, sous le 2nd Empire, représentera encore environ 1/3 de l’activité des tribunaux correctionnels. Il faut souligner que, si dès le 2nd Empire l’activité desdits tribunaux correctionnels en matière forestière diminue, c’est aussi parce que l’administration forestière a été autorisée par une loi de 1859 à transiger avant jugement. Il faut savoir qu’à côté du contentieux forestier, le contentieux de la chasse et de la pêche alimente sensiblement l’activité des tribunaux correctionnels. Avec les progrès de l’industrialisation sensibles à partir de la monarchie de juillet, les affaires traitées par les juridictions pénales tendent à changer de nature. Ainsi, ce sont de plus en plus les vols, les atteintes aux bonnes mœurs ou encore à l’ordre public qui forme une part non négligeable de l’activité des tribunaux correctionnels. Cette évolution-là est sensible jusque dans les années 1960. 33
En lien avec la répression du vol, la répression du vagabondage et de la mendicité devient de plus en plus importante et concerne plutôt le peuple des villes. Depuis les débuts de la 3ème République, c’est la répression de l’ivresse publique qui devient un sujet de plus en plus présent devant les tribunaux correctionnels, parce que la société a évolué. Sociologiquement, l’ivresse est susceptible d’être mal perçue dans des lieux de forte densité démographique. Enfin, la répression des infractions aux mœurs recouvrent pendant longtemps aussi bien les outrages publics à la pudeur que les attentats à la pudeur, les viols ou même l’adultère. Par outrage public à la pudeur, on désigne au 19ème siècle surtout des exhibitions et des agressions sexuelles, susceptibles de s’étendre à ce que l’on qualifierait aujourd’hui de viol. Dans les débuts de la 3ème République, on relève une forte augmentation des infractions sexuelles et criminelles qui peuvent faire l’objet, au demeurent, d’arrangements entre la famille de l’agresseur et celle de la victime, et ce jusqu’à l’entre deux guerres. Reste à signaler que le législateur de la 3ème République est obnubilé par le problème de la récidive, souhaitant séparer autant que possible les délinquants occasionnels des délinquants habituels. Ainsi, à destination des délinquants occasionnels, la loi du 14 août 1885 se penche sur les moyens de « prévenir la récidive ». La loi du 26 mars 1891 institue elle, le sursis à emprisonnement. Mais, la loi du 27 mai 1885 prévoit la peine de la relégation pour les délinquants récidivistes. Depuis le milieu du 19ème siècle, on peut malgré tout observer et ce jusqu’à la 2nde Guerre Mondiale, que la durée de la détention est après stable : autour de 4 mois en moyenne. Il est à noter un élément remarquable : le nombre des détenus est à la baisse.
Section 2 : La perméabilité aux évolutions sociales La transformation majeure de la justice dans le courant de la 3ème République réside dans sa laïcisation. Audelà de ce phénomène, le métier et la dignité du magistrat connaissent eux aussi des transformations notables ; transformations qui résultent de transformations de la société ainsi que des modifications de recrutement pour l’entrée de la magistrature.
PARAGRAPHE 1 : La laïcisation de la justice Depuis le Moyen-Age, le jour de la rentrée judiciaire se déroulait lors de la messe rouge, aussi appelée messe du St esprit (apparue à Paris au 14ème siècle par le 1er président de Paris : Armand De CORBIER). La messe terminée, les magistrats pouvaient tenir l’audience solennelle de rentrée. Cette pratique n’a connu aucune interruption si ce n’est à l’occasion des Révolutions de 1789, de 1830 et a commencé à faiblir à la chute du 2nd Empire. La messe rouge, qui perdure au long du 19ème siècle, est une pratique suscite autant d’interrogations que l’église exerce souvent une influence plus ou moins directe sur les nominations et avancements des magistrats. A ceci, il faut ajouter qu’à plusieurs reprises le ministre de la justice est en même temps celui des cultes, ce qui facilite à bien des égards les échanges. Cependant, avec la victoire des républicains, le sentiment anticlérical progresse rapidement. Progresse surtout l’idée que la religion doit être une affaire privée et non plus une affaire publique. Du reste, l’entreprise de laïcisation de la justice n’attend pas 1905. Elle doit être rapprochée de la problématique de l’inamovibilité. En 1880, s’enclenche le mouvement de laïcisation de la justice avec la promulgation de 2 décrets :
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Un décret relatif à la dissolution de l’ordre des jésuites. Un décret interdisant aux congrégations de se maintenir sur le territoire si elles ne disposent pas d’une autorisation gouvernementale.
Une circulaire du garde des sceaux, en juin 1880, prescrit alors aux magistrats du Parquet de surveiller précisément l’exécution de ces fameux décrets du mois de mars précédent. Or, ces décrets, de par leur contenu, déplaisent fortement aux plus cléricaux des magistrats. Ainsi, très vite, ce sont des centaines de magistrats (d’abord du Parquet puis du Siège) qui démissionnent de leur fonction. De fait, on compte jusqu’à 600 départs au début de l’année 1881. Quelques mois plus tard, se pose la question du maintien ou non de la fameuse messe du St esprit. La question se pose surtout à Paris, tout simplement car dans la plupart des villes de province cette pratique a commencé à tomber en désuétude car d’une part, les magistrats les plus croyants sont partis et d’autre part, le pouvoir politique ayant changé, la magistrature restante ne s’y adapte pas et c’est une pratique en forte baisse de vitesse. La Cour de cassation et la Cour d’appel de Paris, en 1883, délibèrent sur la question et décident de conserver cette tradition. Mais, même dans la capitale, la messe rouge faiblie dans sa pratique si bien qu’au mois de décembre 1900, elle est tout simplement abolie par une circulaire du garde des sceaux. (Pratique qui existe encore à Monaco). La laïcisation de la justice va prendre une tournure particulière avec les discussions aboutissant à la loi de 1905. Une succession d’événements dès 1904 précipite le mouvement de laïcisation de la justice. En effet, les relations entre le gouvernement français et la papauté se dégradent de façon très sensible dès le 1 er mois de l’année 1904. Les relations deviennent tellement mauvaises que tout échange diplomatique cesse. Face aux critiques formulées par le nouveau Pape à l’encontre de la politique française, une circulaire dite VALLEZ du ministre de la justice, enjoint la disparition de tous les signes emblèmes religieux qui se trouvent dans les palais de justice français. Elle est durement ressentie car cette circulaire est expédiée le vendredi 1er avril 1904 et c’est le vendredi saint de l’année 1904, ce qui est particulièrement dur pour les cléricaux et les magistrats catholiques. Néanmoins, la tension se maintien entre cléricaux et anticléricaux avec la loi du 9 décembre 1905 qui dispose que « La République assure la liberté de conscience » et donc « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Or, dans les mois et années qui suivent, ce sont bel et bien des fédérations d’inventaires qui vont devoir avoir lieu et qui vont raviver les tensions entre cléricaux et anticléricaux.
PARAGRAPHE 2 : La transformation des professionnels de la justice Dans le courant du 19ème siècle, la Cour de cassation et certaines juridictions ont eu à connaitre de comportements de magistrats qui se plaçaient en dehors de certaines règles de vie inhérentes à leur dignité. Mais, en tant que tel, les exigences rappelées ne se distinguent pas alors de ce qui avait pu être formulé sous l’Ancien Régime. On attend du juge d’être intègre, d’adopter un comportement paisible et donc d’éviter de s’en prendre violement à tel ou tel particulier ainsi qu’à tel autre juge. Simplement, il faut souligner que c’est l’avis même du magistrat qui doit être un modèle d’ordre social. Dans cet esprit, pendant très longtemps, les séparations de fait entre époux ne sont pas bien vues au sein de la 35
magistrature, de même pour les divorces dès lors qu’ils seront légalisés par la loi de 1884. Mais, a fortiori, les relations hors mariage sont susceptibles d’induire le prononcé de sanctions à l’encontre du magistrat coupable. A cet égard, toute sorte de décision rappel que le comportement du magistrat doit être irréprochable. Il est vrai que jusqu’à la 1ère Guerre Mondiale, les magistrats appartiennent à la France des notables. Pour nombre d’entre eux, ce sont des propriétaires fonciers. Ce n’est qu’à partir de la 2 nde Guerre Mondiale qu’une véritable évolution se dessine. Ainsi, en 1954, la 1ère enquête réalisée sur l’ensemble des futurs magistrats indique qu’environ 10% des candidats à l’examen d’entrée dans la magistrature sont enfants en magistrats. Ainsi, après la 2nde Guerre Mondiale, il y a un renouvellement sociologique assez sensible. Ce changement est tout à fait important car durant tout le 19ème siècle, il avait été admis que lorsqu’il y avait plusieurs candidats pour le même poste, la priorité devait être donnée aux fils de magistrats. Ainsi, le soutien amical, familial et politique apparaissait tout à fait essentiel dans le déroulement de la carrière. La dynamique sociale change avec la 3ème République et l’avènement des couches nouvelles. Déjà, dans la période 1890-1920, un certain nombre de magistrats, désormais, ont pour parents des professionnels nonissus de la magistrature. En 1919, le législateur prend en compte ce début révolution en indiquant que « Peu à peu, la magistrature a cessé d’être un privilège de castes ». En outre, l’entrée des femmes dans la magistrature devient un sujet récurent de discussions dans les années 1930. Il faut signaler que depuis 1900, elles peuvent accéder au Barreau. Depuis 1908, elles peuvent être élues au Conseil de Prud’hommes. Et, depuis 1931, elles sont éligibles au sein des tribunaux de commerce. Mais, devenir magistrate que n’est ni. C’est seulement en 1946 qu’une loi votée par l’Assemblée constituante édicte que « Tout français de l’un ou de l’autre sexe, répondant aux conditions légales, peut accéder aux fonctions de la magistrature ». En 1946, Mme LAGARDE, professeur à la faculté de Rennes est nommée Conseiller à la Cour de cassation. Il faut attendre les années 1980 pour qu’une femme, Simone ROZÈS accède à la présidence de la Cour de cassation.
EXAMEN ORAL : 1 QUESTION DE COURS ± 15 MINUTES (PLAN DU COURS A CONNAITRE !)
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