Angola
Isabel, une princesse très riche
Chine
Les libérateurs de serpents
courrierinternational.com N° 1131 du 5 au 11 juillet 2012
Portrait
L’avocate brésilienne du foot
Comment le “printemps érable” a réveillé le Québec
Montréal
ville rebelle
Série d’été Voyage dans les capitales mondiales de la contestation avec
3:HIKNLI=XUXZUV:?l@l@d@b@a;
M 03183 - 1131 - F: 3,50 E
Afrique CFA : 2 600 FCFA - Algérie : 450 DA Allemagne : 4,00 € - Autriche : 4,00 € - Canada : 5,95 $CAN DOM : 4,20 € - Espagne : 4,00 € - E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ Grèce : 4,00 € - Irlande : 4,00 € - Italie : 4,00 € - Japon : 700 ¥ Maroc : 30 DH - Norvège : 50 NOK - Portugal cont. : 4,00 € Suisse : 5,90 CHF - Tunisie : 4,50 DTU - TOM : 700 CFP
Aventure Descendre le fleuve Congo en canoë France 3,50 €
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Sommaire
DR
Ça ferait un bon sujet de bac (section ES ?) : “L’enseignement universitaire est-il un droit, et doit-il être gratuit ?” Les étudiants québécois répondent oui aux deux questions, et le revendiquent avec force. Difficile de ne pas leur donner raison, difficile d’admettre la transformation de l’enseignement en commerce. Surtout dans notre nouveau monde numérique qui pourrait aider – rêvons un peu – à universaliser l’accès à la connaissance. L’université permet l’enrichissement culturel (et, à terme, financier) des étudiants, mais aussi celui de la société dans son ensemble. Connaissance et croissance vont de pair, notamment pour les pays les plus pauvres. Malheureusement, la gratuité n’existe pas. Dans les pays du monde où les frais d’inscription à l’université sont encore modérés, l’essentiel du coût des études revient à l’Etat, donc aux contribuables, lesquels n’ont pas tous la chance de pouvoir envoyer leurs enfants à l’université… En ces temps de famine budgétaire, gratuité pour les uns peut donc signifier plus d’impôts pour les autres. En 2010, le gouvernement britannique a tenté de concilier l’inconciliable. La coalition entre les conservateurs et les libéraux-démocrates (de gauche) a déployé un pragmatisme très british et des efforts de pédagogie qui expliquent sans doute pourquoi le début de printemps anglais n’a pas dépassé trois manifestations. Les droits universitaires ont triplé, mais avec un système de prêts, remboursables selon les moyens de chacun. L’Etat avance les frais. L’étudiant qui échoue au diplôme ne paie rien. Les autres ne remboursent qu’à partir d’un salaire de 21 000 livres par an (2 150 euros par mois). Celui qui devient trader à la City, en revanche, paie sa dette assortie de taux d’intérêt élevés. Après tout, il a encore suffisamment en poche pour sa Porsche décapotable et son appartement à Chelsea, hasn’t he ? Jean-Hébert Armengaud
En couverture : A Montréal, début juin, des centaines d’étudiants nus protestent à nouveau contre la hausse des droits universitaires. Photo de François Pesant, Polaris-Starface
En couverture 10 Montréal Depuis plus de cinq mois, le Québec vit à l’heure du “printemps érable”. Grève étudiante, manifestations monstres, débordements violents… la Belle Province a rarement été aussi secouée. Si la contestation s’essouffle avec l’arrivée de l’été, elle pourrait redoubler dès la rentrée, à la mi-août, et déboucher sur des élections anticipées à l’automne.
D’un continent à l’autre
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Très chères facs
Planète presse A suivre Les gens
18 France Restauration Pour Starbucks, des nuages dans le café 20 Europe Conseil européen Monti et Rajoy signent l’adieu à la souveraineté Serbie Le “petit Milosevic“ vous salue bien Royaume-Uni La fin de la compassion Italie Du séisme au délire architectural
Angola Au royaume de la princesse Isabel 36 Economie Droit Des entreprises éthiques protégées par la loi Pays-Bas Triodos, une banque durable 38 Ecologie Initiative Bienvenue dans la tribu des geeks écolos Informatique Internet aura bientôt une bonne mine 39 Sciences Nucléaire Les aventuriers de l’archive perdue 40 Médias Etats-Unis Provoquer pour vendre, ou l’art de la une
Long courrier
Timor-Oriental Un pays riche de pétrole qui fait le plein de pauvres
24 Amériques Etats-Unis Obama sauvé par la Cour suprême Amérique latine Le pillage des “chercheurs d’or“ Mexique Le retour du PRI, vieux parti caméléon 27 Asie Chine Libérez-nous des “libérateurs“ ! Timor-Oriental Un pays riche de pétrole qui fait le plein de pauvres 30 Moyen-Orient Turquie Ankara revoit ses alliances Egypte Comment j’ai réussi à me libérer des Frères musulmans Israël Un mariage juif et gay 32 Afrique Angola Au royaume de la princesse Isabel Soudan Les indignés de Khartoum entrent en scène
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Editorial
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n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
42 Voyage J’ai descendu le fleuve Congo en canoë 46 Tendance Réparateur, un métier d’avenir 47 Le livre La ruée vers l’or olympique 48 Musique Le bal maudit des favelas 51 Insolites Copulations sylvestres
Economie Des entreprises éthiques protégées par la loi
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
Planète presse
S
w u in ww r l te .c e rn ou w at rr io ie eb na r l.c om
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courrierinternational.com Parmi nos sources cette semaine Al-Ahram Weekly 60 000 ex., Egypte, hebdomadaire. Ce qui ne peut être publié dans le quotidien arabophone Al-Ahram paraît dans cet hebdomadaire de langue anglaise, prétendent les mauvaises langues. Ses pages culturelles sont de bonne facture et il constitue une source de première valeur sur l’Afrique orientale. Anfibia (revistaanfibia.com), Argentine.
Ce magazine numérique lancé en mai 2012 publie des reportages au long cours. “Amphibie” a été fondée par l’Universidad nacional de San Martín, avec le soutien de la fondation Nuevo Periodismo Iberoamericano, créée à l’initiative du romancier Gabriel García Márquez. Ha’Aretz 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919, “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens. Brecha 10 000 ex., Uruguay, hebdomadaire. Fondée en 1985, “La Brèche” a succédé au légendaire Marcha, disparu dans les années 1970, au début de la dictature militaire. Le titre se veut indépendant et de gauche. Le Devoir 35 000 ex., Canada (Québec), quotidien. Henri Bourassa publie en 1910 le premier numéro du Devoir, en promettant d’en faire un journal “d’opinion” et “d’échange d’idées” pour raviver la fibre nationaliste des Canadiens français. Aujourd’hui, le dernier quotidien indépendant du
Québec jouit d’une solide réputation, même si sa diffusion est restreinte. Plutôt souverainiste. The Globe and Mail 321 000 ex., Canada, quotidien. Fondé en 1844, lu d’un océan à l’autre, sérieux et non engagé, le titre de Toronto est le quotidien de référence au Canada et exerce une forte influence auprès des milieux politiques fédéraux. The Guardian 364 600 ex., Royaume-Uni, quotidien. Depuis 1821, l’indépendance, la qualité et l’engagement à gauche caractérisent ce titre qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. Istoé 370 000 ex., Brésil, hebdomadaire. Fondé en 1976, “C’est-à-dire” s’est imposé comme un des principaux hebdomadaires du pays. De tendance libérale et situé au centre gauche, Istoé s’est bâti une solide réputation pour son regard à la fois large et indépendant, en accord avec l’esprit combatif prodémocratique qui oriente ce magazine depuis sa création. The Independent 215 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, c’est l’un des grands titres de la presse britannique de qualité. Il se distingue de ses concurrents par son indépendance d’esprit, son engagement proeuropéen et ses positions libérales sur les questions de société. Jadaliyya (jadaliyya.com), Etats-Unis. “Polémique” est un webzine indépendant édité par l’Institut d’études arabes basé à Washington. Lancé en juillet 2010, il propose des articles de journalistes et écrivains sur des sujets politiques, économiques et culturels concernant les pays du monde arabe. Jutarnji List 100 000 ex., Croatie, quotidien. Créé après l’indépendance de la Croatie, le “Journal du matin”, d’orientation libérale, est le deuxième quotidien du pays. On y trouve des reportages et chroniques de qualité, le journal ayant ouvert ses colonnes à de nombreux écrivains croates.
Los Angeles Times 657 000 ex., Etats-Unis, quotidien. Le géant de la côte ouest. Créé en 1881, c’est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays et le grand spécialiste des sujets de société et de l’industrie du divertissement. Maclean’s 350 000 ex., Canada, hebdomadaire.
Fondé en 1905, farouchement conservateur, ce magazine couvre l’ensemble du Canada anglais et n’a pas de concurrents dans la région. Il a encore durci le ton au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Mother Jones 180 000 ex., Etats-Unis, bimestriel. Lancé en 1976 par quelques passionnés de journalisme d’investigation, Mother Jones revendique fortement son identité progressiste et contestataire. Ce magazine de gauche, d’envergure nationale, traite de l’actualité ainsi que des grands enjeux de notre temps : environnement, justice sociale, etc. The National 50 000 ex., Emirats arabes unis, quotidien. Le titre, créé début 2008, appartient à une société d’investissement du prince héritier Mohammed ben Zayed Al-Nahyan. Ainsi, il est souvent peu critique dans sa couverture des événements intérieurs. Sur l’international, en revanche, il offre souvent des reportages et des analyses de grande qualité. Nature 50 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Depuis 1869, cette revue scientifique au prestige mérité accueille – après plusieurs mois de vérifications – les comptes rendus des innovations
majeures. Son âge ne l’empêche pas de rester d’un étonnant dynamisme. Onearth Magazine 175 000 ex., Etats-Unis, trimestriel. Créé en 1979 (à l’époque sous le nom The Amicus Journal) par l’ONG américaine Natural Resource Defense Council, le titre est aujourd’hui l’un des médias écologistes le plus influents de la planète. Público 70 000 ex., Portugal, quotidien. Lancé en 1990, “Public” s’est très vite imposé, dans la grisaille de la presse portugaise, par son originalité et sa modernité. S’inspirant des grands quotidiens européens, il propose une information de qualité sur le monde. Reforma 155 000 ex., Mexique, quotidien. Lancé en 1993, ce titre de tendance libérale est l’un des fleurons du groupe Reforma, qui a son siège à Monterrey, la capitale économique du Nord. Il a acquis une solide réputation grâce notamment à ses enquêtes et reportages et à ses nombreux chroniqueurs de renom. La Repubblica 438 000 ex., Italie, quotidien. Né en 1976, le titre se veut le journal de l’élite intellectuelle et financière du pays. Orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour le Parti démocrate, c’est le deuxième quotidien le plus vendu en Italie après Il Corriere della Sera. Al-Shourouk, Egypte, quotidien. Crée en 2009 par la célèbre maison d’édition égyptienne Dar AlShourouk, “Lever de soleil” est un média généraliste qui traite de l’actualité politique, économique, culturelle et sportive. Tempo 160 000 ex., Indonésie, hebdomadaire. Le titre fut publié pour la première fois en avril 1971 par P.T. Grafitti Pers, dans l’intention d’offrir au public indonésien de nouvelles façons de lire l’information : une liberté d’analyse et le respect des divergences d’opinion. Trouw 106 000 ex., PaysBas, quotidien. Ce journal issu de la Résistance a vu le jour en 1943. Modérément
progressiste, son lectorat provient, à l’origine, de la communauté protestante de centre gauche. Frits van Exter est le premier rédacteur en chef qui n’est pas issu de l’Eglise réformée. Néanmoins, la Fondation pour la presse chrétienne veille à l’identité religieuse du journal. Utne Reader 305 000 ex., Etats-Unis, bimestriel. Depuis 1984, Utne Reader publie une sélection des meilleurs articles de la presse alternative américaine dont Women Outside de Santa Fe. Un contrepoint utile aux grands titres du pays. La Vanguardia 200 000 ex., Espagne, quotidien. “L’Avant-Garde” a été fondée en 1881 à Barcelone par la famille Godó, qui en est toujours propriétaire. Ce quotidien modéré et ouvert sur le monde est le quatrième du pays en termes de diffusion, mais il est numéro un en Catalogne. Visão 108 000 ex., Portugal, hebdomadaire. En 1993, le vieil hebdo tabloïd en noir et blanc O Jornal se métamorphosait en un newsmagazine haut en couleur, sorte de Newsweek portugais. Beau produit marketing du groupe suisse Edipresse, le titre est aujourd’hui le deuxième hebdomadaire d’information du pays, derrière Expresso. De Volkskrant 310 000 ex. Pays-Bas, quotidien. Né en 1919, catholique militant pendant cinquante ans, “Le Journal du peuple” s’est laïcisé en 1965 et est aujourd’hui la lecture favorite des progressistes d’Amsterdam, bien qu’ils se plaignent beaucoup de sa dérive populiste. Zhongguo Xinwen Zhoukan 220 000 ex., Chine, hebdomadaire. Magazine d’information créé à Pékin le 1er janvier 2000. Papier glacé, photos en couleurs, style direct, sujets variés. Son éditeur, l’agence Nouvelles de Chine, fait des efforts évidents pour fournir un magazine “ouvert sur le monde, dans un esprit créatif et original”.
Courrier international n° 1131 Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire Le Monde Publications internationales SA. Directoire Antoine Laporte, président et directeur de la publication ; Eric Chol. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal mai 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel
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Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
A suivre Mali
Japon
Un nouveau chef pour la Ligue du Nord
Le parti au pouvoir fragilisé
Dimanche 1er juillet, Roberto Maroni, l’ex-ministre de l’Intérieur du gouvernement Berlusconi, a été élu à la tête du parti populiste et séparatiste pour succéder au leader historique Umberto Bossi. En pleine crise depuis le scandale du détournement de fonds publics de janvier, la Ligue du Nord cherche à se relancer en vue des élections législatives de 2013. “Maroni va tout faire pour normaliser la Ligue, la transformer en un parti régionaliste classique comme il en existe tant en Europe, note le Corriere della Sera. Un passage obligé après la période révolutionnaire-charismatique qu’a constituée l’ère Bossi. […] Pour cela, il devra probablement se résoudre à perdre les composantes les plus extrémistes du mouvement.”
Ichiro Ozawa, surnommé le “shogun de l’ombre”, a quitté le Parti démocrate (centre gauche, au pouvoir depuis 2009) avec cinquante autres parlementaires, lundi 2 juillet. Ceux qui formaient la plus grande faction du parti entendent protester contre la hausse de la TVA, projet de loi qui va prochainement être présenté au Sénat. Cette division fragilise le Premier ministre, Yoshihiko Noda, dès lors obligé de compter sur la coopération de l’opposition. “Ozawa, l’un des hommes politiques les plus influents du pays, envisage de constituer un nouveau parti, qui s’opposera à l’augmentation de la TVA et prônera la sortie progressive du nucléaire”, relate l’Asahi Shimbun.
Saccage à Tombouctou Les islamistes du groupe armé Ansar Dine (Les défenseurs de la religion) ont démoli, le 30 juin, sept des seize mausolées de saints musulmans, dont ils considérent le culte comme païen. Ils ont également brisé la porte d’entrée de la mosquée Sidi Yahia, l’une des trois plus grandes de la ville. Une action en représailles, selon eux, à la décision de l’Unesco d’inscrire Tombouctou sur la liste du patrimoine mondial en péril.
Russie
Mobilisation exceptionnelle de l’intelligentsia
Le 27 juin, une centaine de personnalités du monde des arts et de la culture russe signaient, sur le site de la radio indépendante Echo de Moscou, une lettre ouverte adressée à la Cour suprême de Russie, demandant la libération des trois jeunes performeuses du groupe Pussy Riot, incarcérées depuis 2012. Le 21 février, elles avaient interprété un “Te Deum punk” dans la cathédrale
du Christ-Sauveur, à Moscou. Vêtues de robes aux couleurs criardes, affublées de cagoules, elles avaient entonné, détournant les paroles d’une prière, “Vierge Marie, délivre-nous de Poutine.” Arrêtées à l’issue de leur performance, trois d’entre elles ont vu depuis leur détention provisoire prolongée de deux mois, puis d’un mois, soit jusqu’au 24 juillet. Accusées de hooliganisme, elles risquent une peine de sept ans de prison.
de l’embargo de l’Union européenne sur le pétrole iranien, le 1er juillet. Dans le quotidien Iran Daily, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ramin Mehranparast, regrette que “ces sanctions aggravent la crise économique globale”. Selon lui, les Etats-Unis et l’Europe mettent en péril les discussions sur le nucléaire iranien, alors qu’une réunion a eu lieu le 3 juillet à Istanbul.
Iran
Embargo, missiles et nucléaire “Notre réponse aux attaques ennemies”, titre le quotidien iranien Siasat-e Rooz à côté de la photo d’un missile testé le 2 juillet. Une façon pour le régime iranien de “célébrer” l’entrée en vigueur
Chine
Mauvais accueil de Hu Jintao à Hong Kong La visite du président chinois Hu Jintao à Hong Kong, le 29 juin, à l’occasion de la cérémonie du 15e anniversaire de la rétrocession du territoire à la Chine, a provoqué la fureur et la méfiance des Hongkongais. Un journaliste du quotidien Apple Daily a interpellé le président chinois sur “le souhait des Hongkongais de réhabiliter le mouvement du 4 juin 1989” (700 étudiants avaient été tués par l’armée chinoise lors de ce mouvement prodémocratique baptisé “printemps de Pékin”). Hu n’a pas réagi, mais le journaliste a été emmené par la police et gardé à vue jusqu’à la fin de la cérémonie. 400 000 Hongkongais ont manifesté le 1er juillet pour défendre leurs valeurs : la démocratie, la justice, la liberté, les droits de l’homme, rapporte le journal Ming Pao.
Agenda Algérie
Cinquante ans d’indépendance
5 juillet L’Algérie célèbre le cinquantenaire de son indépendance, acquise en 1962 après plus de cent trente-deux ans de colonisation française. La commémoration de cette date, fondatrice de l’histoire contemporaine du pays, est l’occasion de faire un bilan, mais aussi de revenir sur les relations franco-algériennes, souvent encore conflictuelles.
5 juillet Après un an et demi d’audiences, verdict dans le procès contre huit anciens militaires, dont Jorge Rafael Videla et Reynaldo Bignone, accusés d’avoir organisé sous la dictature argentine un plan systématique de vol de bébés. Entre 1976 et 1983, plus de 500 nouveau-nés ont été arrachés à leurs parents et confiés à des familles proches des militaires. Coup d’envoi du festival de
Roskilde (Danemark), le plus
grand rassemblement de rock de l’Europe du Nord. 7 juillet Ouverture du festival international de théâtre d’Avignon.
La Libye se prépare à tenir ses premières élections libres après quatre décennies de dictature de Muammar Kadhafi. Ce scrutin est organisé pour désigner une Assemblée constituante.
8 juillet Finale homme du tournoi de tennis de Winbledon. 11 juillet Elections en Indonésie : six candidats se présentent au poste de gouverneur de Jakarta, la capitale.
AFP ; SERGEY PONOMAREV/AP-SIPA ; YOSHIKAZU TSUNO/AFP ; GETTY IMAGES ; BRUNO BARBIER/ONLY FRANCE/AFP
Italie
Euro 2012, JO de Londres…
La fête commence Hors-série Juin-juillet-août 201 2 - 8,50 ¤
Ronaldo JO de Londres Camorra Volants indiens Calendrier nippon Perle du Caucase Orgasme collectif Demi-dieux Championnes fauchées Fraudeurs Euro 2012 Propagande Police des marques Ennemis jurés
Sport et argent
L’amour fou !
Fièvre dépensière Golf urbain Caïds des stades Prime à la blessure Zéro pointé
Chez votre marchand de journaux
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Les gens Gislaine Nunes
L’avocate des stars du ballon rond
L
Istoé São Paulo
ors de la fracassante rupture de contrat entre Ronaldinho [l’ancien joueur du PSG et du Milan AC] et le club carioca [de Rio] de Flamengo, le plus populaire du Brésil, un des personnages les plus controversés des coulisses du football est entré en jeu : Gislaine Nunes, 45 ans, avocate de près de 500 joueurs brésiliens, dont de nombreuses stars. C’est elle qui a réussi à convaincre le tribunal que le club de Flamengo devait libérer Ronaldinho [pour des salaires non payés]. Une victoire de plus pour celle dont les spécialistes estiment qu’elle est parvenue
Cette Brésilienne aurait fait gagner à ses clients plus de 130 millions d’euros à amasser près de 350 millions de reais [130 millions d’euros] pour ses clients du monde du football en quinze ans d’activité. Comme Gislaine Nunes perçoit 30 % d’honoraires sur ces sommes, la fortune lui a souri. “Elle n’est pas bien vue parce qu’elle obtient des jugements qui dépouillent les clubs”, affirme Denis España, l’avocat des Corinthians [le grand club de São Paulo]. Une certaine dose d’exhibitionnisme et un style excentrique font de Gislaine Nunes une cible constante. Elle a notamment reçu des menaces de mort : “On a mis un animal mort devant ma porte, on m’a envoyé des couronnes mortuaires, confie-t-elle. Et j’ai reçu d’innombrables courriels de gens qui disent vouloir me tuer.” Ce qui l’a obligée à faire appel à des gardes du corps et à circuler en voiture blindée. Pour le reste, elle affirme vivre simplement. Gislaine Nunes vit à Perdizes, dans l’ouest de São Paulo [un quartier habité par les classes moyennes et privilégiées], avec son mari et son fils. C’est là également que se trouve son cabinet, avec cinq avocats à son service. Elle a pour habitude de travailler en jeans et porte sa robe d’avocate seulement lors des audiences. Gislaine Nunes, qui assume le fait de ne pas connaître grand-chose au football, possède elle aussi son fan-club. Outre la question du droit du travail, son cabinet s’occupe également de l’image et même de la vie privée de certains joueurs. “Les joueurs viennent des quartiers populaires et ne sont pas préparés à gagner un tas d’argent”,
Gislaine Nunes. Dessin d’António (Lisbonne) pour Courrier international.
souligne celle que beaucoup surnomment la “mãezona” [la mère-poule], et qui n’hésite pas à s’immiscer jusque dans leurs lits : “Ils me disent qu’ils sortent et je leur demande : ‘Vous avez des capotes ? N’utilisez pas celles des filles car elles ont déjà tout planifié’.” Une telle proximité avec ses joueurs lui vaut de nombreux cadeaux de leur part : voitures, vêtements de marque, parfums, bijoux. Mais sa vie n’a pas toujours été aussi rose. Née à Bauru, dans l’Etat de São Paulo, Gislaine Nunes s’est mariée en 1988, à l’âge de 21 ans, avec son amour d’enfance, Evandro, l’arrière-gauche d’un club de Campinas (également dans l’Etat de São Paulo). A l’époque, les rapports entre les joueurs et les clubs étaient régis par un système proche de l’esclavage. “Evandro s’est blessé lors d’un match. Il a été écarté et le club a arrêté de le payer”, se souvient-elle. Ils ont dû vendre les rares biens qu’ils possédaient et ont connu la misère. Après avoir suivi des études de droit, Gislaine Nunes s’est donc mise en tête de défendre les droits de son mari. “Je suis allée en justice à une époque où personne n’osait le faire. J’ai gagné, les biens du club ont été saisis et j’ai tout vendu aux enchères”, raconte-t-elle. La nouvelle d’une avocate qui décrochait des victoires en justice contre les clubs s’est vite répandue parmi les footballeurs. Ainsi la période de vaches maigres a pris fin quand Gislaine Nunes a découvert que représenter des joueurs dans des actions en justice était une source inépuisable de revenu. Wilson Aquino
Ils et elles ont dit Csanád Szegedi, eurodéputé d’extrême droite hongrois Confondu Connu pour ses propos antisémites, il vient d’apprendre qu’il a lui-même des origines juives. “Je ne dis pas que je n’étais pas étonné”, déclare-t-il, disant qu’il lui faudrait “un certain temps” pour “digérer la nouvelle”.(Barikád, Budapest) Chris Patten, dernier gouverneur britannique de Hong Kong Nostalgique Il a passé Noël en famille dans l’ancienne enclave britannique, dont il avait préparé la rétrocession à la Chine il y a quinze ans. “Tous voulaient voir leur ancienne chambre à coucher dans la résidence du gouverneur. Nos petits-enfants avaient du mal à admettre qu’on habitait là.” (South China Morning Post, Hong Kong) Mohamed Nasheed, président déchu des Maldives Vengeur “J’aimerais dire à ceux qui ont prévu de passer des vacances aux Maldives d’annuler leur réservation. S’il vous plaît, n’enrichissez pas un gouvernement illégitime.” Il a démissionné le 7 février sous la pression de l’opposition. (Minivan News, Malé) Jordan Golson, vendeur chez Apple (Salem, New Hampshire) Envieux “Quand vous voyez les bénéfices de l’entreprise et que vous voyez votre chèque à la fin du mois, ça fait un peu mal.” En avril 2012, Apple a annoncé le doublement de ses bénéfices. (The New York Times, Etats-Unis) Samuel Israel III, ancien gestionnaire d’un fonds spéculatif Rétrospectif “Je ne suis pas né menteur. Je le suis devenu.” Il purge une peine de vingt-deux ans de prison pour un détournement de 450 millions de dollars. (Politico, Arlington) Mikhaïl Khvostov, représentant permanent de la Biélorussie auprès de l’Office des Nations unies à Genève Gonflé “La Biélorussie est un pays démocratique. L’état de la démocratie est, sous de nombreux aspects, bien meilleur chez nous que dans les autres pays européens.”(Charter97, Minsk) Anderson Cooper, journaliste vedette de la chaîne d’informations CNN Affirmatif “Le fait est que je suis gay, que je l’ai toujours été et que je le serai toujours, et que je suis tout ce qu’il y a de plus heureux, à l’aise avec moi-même, et fier.” Si son coming out est tardif, c’est pour des raisons professionnelles, précise-t-il. (The Daily Beast, New York)
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En couverture Série d’été Le Mouv’ et Courrier international vous font découvrir huit nouveaux lieux de la contestation : Montréal, Tunis, Madrid, Londres, Hong Kong, Tel-Aviv, Moscou et New York. A écouter sur Le Mouv’ chaque samedi de 18 h à 19 h 30 et le dimanche de 12 h à 13 h 30, du 7 juillet au 26 août. Et à lire chaque jeudi dans Courrier international.
Montréal Ville rebelle Depuis plus de cinq mois, le Québec vit à l’heure du “printemps érable”. Grève étudiante, manifestations monstres, débordements violents… la Belle Province a rarement été aussi secouée. Si la contestation s’essouffle avec l’arrivée de l’été, elle pourrait redoubler dès la rentrée, à la mi-août, et déboucher sur des élections anticipées à l’automne.
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Le “printemps érable” passera-t-il l’été ? l’Association pour une solidarité syndicale étudiante, une coalition ad hoc créée au début du mouvement de contestation] en faisant l’empêcheur de tourner en rond. Hélas ! Cette (exaspérante !) stratégie de diabolisation du groupe étudiant représentant désormais le plus grand nombre de grévistes n’est pas digne du gouvernement, qui devrait retrouver à la faveur de l’été la hauteur qui s’impose pour au moins traiter ses interlocuteurs avec le respect qui s’impose. Cela a cruellement manqué au cours du printemps. Quels seront les effets de l’été sur le spectaculaire crescendo printanier ? Les troupes étudiantes peaufineront un agenda de fin d’été destiné à occuper une éventuelle scène électorale de rentrée. [Des élections générales anticipées pourraient être organisées au Québec à l’automne.] Pour contrer l’exaspération ambiante autour d’un conflit non réglé, les étudiants devront trouver des manières originales de ne pas se faire oublier sans sombrer dans ces excès qui pourraient parfaitement nourrir les messages antiviolence et proresponsabilité des libéraux, au grand plaisir des électeurs. Le ralliement des troupes dispersées constituera un défi de taille pour les étudiants, dont les premiers votes de “grève” doivent se dérouler début août, en pleines vacances ! [Une reprise des cours pourrait en effet avoir lieu le 17 août pour rattraper le trimestre.] Mais l’écueil le plus grand demeure l’atterrissage raté d’un envol aussi spectaculaire, sur lequel des centaines de milliers de citoyens ont misé leurs espoirs. Le réveil social dont plusieurs se félicitent pourrait être brutal si d’aventure la ferveur s’éteignait, laissant en plan des citoyens et leur rêve d’un nouveau départ. Marie-Andrée Chouinard
En cette période estivale, la mobilisation s’essouffle. Elle pourrait repartir de plus belle à la mi-août, date de reprise des cours, surtout si des élections anticipées sont déclenchées à l’automne. Le Devoir Montréal
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Points névralgiques de la contestation OCÉAN ATLANTIQUE
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Quartier du Plateau Mont-Royal
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Place Emilie Gamelin, point de départ des manifestations quotidiennes
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Ville de Westmount
Montréal : 1 650 000 habitants (agglomération : 3 824 000) 10 km
Pont Jacques Cartier
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LAC SAINT-LOUIS
Blocage occasionnel de pont
Université et autres établissements scolaires en lutte
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Quartiers les plus actifs dans le “tintamarre des casseroles”
Source : Openstreetmap
CANADA
1. Université du Québec à Montréal (UQAM) 2. Université Concordia 3. Carrefour des rues Sherbrooke et Saint-Denis 4. Palais des Congrès, devant lequel a eu lieu une émeute le 20 avril Quartier Quartier de Rosemontde Villeray La Petite Patrie
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Depuis le début de la grève, des étudiants en design graphique de l’université du Québec à Montréal, inspirés notamment par les affiches de Mai 68, ont créé l’école de la Montagne rouge, un collectif créatif et subversif qui a donné à la contestation étudiante une étonnante signature visuelle. Ils se sont récemment associés au magazine montréalais Urbania et à l’Office national du film du Canada pour mener à bien un projet intitulé “Rouge au carré”, qui est à la fois un essai interactif et un magazine papier. Le magazine a été publié et distribué à l’occasion de la manifestation nationale du 22 juin. Toutes les illustrations de ce dossier sont issues de cette édition spéciale. Retrouvez le travail de la Montagne rouge sur Internet (http://ecolemontagne rouge.com), la version PDF du magazine (http://urbania.ca/ magazines/3182/greve), ainsi que l’essai interactif (http://rouge.onf.ca).
EN
URBANIA/LA MONTAGNE ROUGE
Graphisme
es 22 se suivent et ont des airs de famille. La rue s’est remplie de quelques dizaines de milliers de manifestants le 22 juin dernier à Montréal et à Québec, premier rendez-vous estival destiné à rappeler aux autorités endormies qu’une grève étudiante leur pèse toujours sur les bras et que l’insatisfaction d’un peuple gronde. Quatrième mise en scène du 22, après celles de mars, d’avril et de mai, celle de juin aura réuni moins d’adeptes, mais cet essoufflement était attendu, début d’été oblige. Malgré le nombre réduit de participants, les ingrédients habituels étaient réunis : ambiance festive, marche pacifique, discours enflammés dirigés contre la politique marchande liée à l’éducation et à l’aberration de la loi 78 [adoptée le 18 mai dernier, cette loi restreint le droit de grève et de manifester], chant des casseroles. Pendant que de la rue on faisait ce bénéfique rappel d’un conflit toujours gangrené, le ministre des Finances, Raymond Bachand, avait lui aussi un refrain à reprendre : celui de l’incapacité pour son gouvernement de reprendre les pourparlers avec les associations étudiantes abruptement interrompus à la veille du 1er juin, tant et aussi longtemps que les étudiants n’auront pas adouci leurs positions. Sur un air connu, M. Bachand s’est plu à diaboliser la Classe [Coalition large de
Chronologie Mars 2011 Le gouvernement québécois annonce son intention d’augmenter les frais de scolarité. D’ici à 2017, les droits d’inscription doivent passer de près de 1 700 euros par an à quelque 3 000 euros. Août 2011 Les étudiants lancent leur campagne contre la hausse des droits de scolarité. 13 février 2012 Les associations étudiantes votent la grève générale illimitée. 7 mars L’étudiant Francis Grenier est grièvement blessé lors d’une manifestation à Montréal. 21 mars Les étudiants adoptent des tactiques visant à perturber l’économie québécoise (blocage de ponts, occupations de bâtiments, etc.). 22 mars 200 000 personnes défilent à Montréal. 20 avril Emeute devant le palais des Congrès de la ville. 23 avril Début des négociations entre le gouvernement et les principales associations étudiantes. 25 avril Le gouvernement rompt les négociations. 27 avril Le Premier ministre Jean Charest propose d’étaler la hausse des droits de scolarité sur sept ans au lieu de cinq et d’injecter 39 millions de dollars canadiens [environ 30 millions d’euros] dans le régime des bourses. Début mai Un nouveau projet d’accord avorte, la mobilisation se poursuit. 18 mai 2012 Le Parlement québécois adopte une loi spéciale. Approuvée par 68 voix contre 48, la loi 78 restreint le droit de grève dans les universités, limite le droit de manifester et prévoit de lourdes amendes pour les contrevenants. Pour marquer leur opposition à la loi 78, les habitants de Montréal descendent dans la rue avec des casseroles. 20 mai 300 personnes sont interpellées lors d’une manifestation nocturne émaillée de violences à Montréal. 21 mai La Classe [Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante] annonce qu’elle ne respectera pas la loi 78. 22 mai Grande manifestation marquant les 100 jours du mouvement de contestation étudiant. 25-30 mai Le tintamarre des casseroles s’étend en province. 8-9-10 juin “Tous nus dans la rue” : des étudiants dévêtus perturbent le Grand Prix de formule 1 à Montréal. 22 juin Une grande manifestation nationale rassemble près de 15 000 personnes dans les rues de Montréal (effectifs en nette baisse) et 10 000 dans les rues de Québec (un record). Juillet Rumeurs persistantes sur l’organisation d’élections générales anticipées à l’automne.
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Une contestation, pas une révolution du Suroît. En février 2004, des gens ordinaires peu enclins au militantisme étaient descendus dans la rue pour dénoncer les risques de pollution présentés par le projet. Le Premier ministre libéral Charest, qui avait été élu peu de temps auparavant, avait fait marche arrière. L’année dernière, un mouvement semblable s’en est pris aux conséquences des agissements de l’industrie du gaz de schiste sur les terres et la vie des habitants des zones rurales. Pendant des mois, les gens se sont réunis dans les villages et ont vociféré à la télé. Le gouvernement Charest a fini par demander une enquête, qui a imposé un moratoire sur l’exploration du gaz de schiste jusqu’aux prochaines élections. Ces luttes reposaient sur les questions suivantes : quel est le rôle de l’Etat au XXIe siècle ? De quel côté est-il : des intérêts privés ou de l’intérêt général ? Ces préoccupations ne sont pas nouvelles, mais elles ont été reformulées par des gens qui n’étaient pas issus de l’axe Parti québécois-syndicats. Dans le même temps, Québec solidaire exploitait les mêmes thèmes en posant des questions délicates sur les relations entre le gouvernement Charest (et les anciens gouvernements issus du Parti québécois) et les grandes entreprises. Amir Khadir est le seul député de Québec solidaire. Il est en quelque sorte le résultat d’un croisement du
Le “printemps érable” n’a rien à voir avec les révoltes du “printemps arabe”, mais tout avec les mobilisations altermondialistes de la fin des années 1990. The Globe and Mail (extraits) Toronto
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les puissants – ce sont les mêmes personnes que l’on retrouve aujourd’hui dans le mouvement Occupy Wall Street et qui ont forgé le concept des 99 % contre les 1 % les plus riches. Les forces progressistes ont toujours été puissantes au Québec. Pendant des décennies elles ont essentiellement montré leur force par le biais des syndicats et du Parti québécois [indépendantiste], mais depuis dix ans elles s’impliquent dans toute une série de groupements de citoyens et dans un nouveau parti politique, Québec solidaire, bien ancré à gauche. Les groupements de citoyens se concentrent habituellement sur des questions locales, comme le projet de construction d’une centrale électrique au gaz naturel dans la région
* Chroniqueur du quotidien québécois La Presse.
Symbole
Crise étudiante : Mai 68, en gros Depuis le début du “printemps érable”, commentateurs et journalistes multiplient les références à la révolte étudiante française. Les étudiants manifestent en surnombre. La rue joue à la révolution dans une atmosphère festive, avec des pointes de violence. Le gouvernement exsangue s’entête et cherche des sorties. L’ordre constitutionnel luimême semble menacé, enfin, au moins un peu. Avec de tels points d’ancrage, il semble bien tentant de tendre des liens entre ce qui se passe au Québec et ce qui s’est passé en France il y a quarantequatre ans. Les commentateurs d’ici ne se gênent pas pour multiplier les rapprochements avec le grand chambardement des sixties. Le sociologue québécois Stéphane Kelly avoue être “tombé de sa chaise” en lisant certaines comparaisons. “Le rapprochement avec Mai 68 est souvent proposé pour discréditer le mouvement actuel, et surtout ses franges plus radicales. Seulement, le profil d’un étudiant en mai 1968 et celui d’un étudiant d’aujourd’hui n’est pas du tout le même. L’avenir qu’on lui propose s’avère complètement différent. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est la préservation d’un acquis jugé raisonnable.” Pour lui, il y a quelque
chose de défensif dans ce mouvement, de conservateur même, dans le sens où les contestataires veulent conserver certaines choses nobles. “L’idée de créer un monde complètement neuf, on ne la croise pas beaucoup dans la rue, chez la masse des gens qui ont de la sympathie pour le mouvement étudiant, dit-il. Dans les années 1960, il y avait un contexte social-révolutionnaire. Les jeunes lisaient des auteurs qui les encourageaient à révolutionner la famille, l’autorité, le travail, l’école, la sexualité. Il n’est plus question de ça.” Le politologue Marc Chevrier a profité des derniers mois pour relire des penseurs français ayant réfléchi à Mai 68. “Quand notre ‘printemps érable’ est arrivé, j’ai été frappé par les similitudes et les différences avec Mai 68,explique le professeur. A l’époque, des penseurs croient que les étudiants vont créer une brèche dans les sociétés libérales avancées, une brèche vue comme une révolution ou comme une suspension pour engendrer une autre forme d’organisation sociale où la hiérarchie et la division du travail seraient abolies ou réduites.” Mais, “si la jeunesse domine démographiquement dans les années 1960, elle est maintenant en recul, ajoute le professeur. A l’époque, il y avait une revendication radicale, avec un marxisme classique puissant, une aspiration à une autre vie aussi,
du point de vue des mœurs notamment. Maintenant, les jeunes héritiers de Mai 68 ne se réclament plus du marxisme, ou bien peu, et ils n’ont pas besoin de militer pour une société permissive ou la révolution sexuelle.” D’autant moins qu’ils manifestent presque tout nus. Les jeunes contestataires actuels se rattachent plus à des théories démocratiques alternatives ou radicales, très critiques de la représentation politique classique, très favorables à la démocratie directe et participative. Certains se réclament ouvertement de l’anarchisme. “Le mouvement de grève étudiant donne à ces idées une expression inédite, dit Marc Chevrier. Des associations étudiantes elles-mêmes ont institutionnalisé certains des acquis de Mai 68 dans leurs discours, dans leurs pratiques.” Stéphane Kelly remarque au moins une similitude avec Mai 68, à la fois essentielle et superficielle, en rapport à la redécouverte de ce que Hannah Arendt appelle le “bonheur public” des animaux politiques que nous sommes. “S’il y a un seul aspect qui peut renvoyer à une sorte d’héritage révolutionnaire, il me semble dans le plaisir de manifester, conclut-il. Les jeunes ont redécouvert qu’on peut avoir du fun en se regroupant pour contester.” Stéphane Baillargeon Le Devoir (extraits) Montréal
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oilà quatre mois que Montréal est plus ou moins transformé en un champ de bataille où s’affrontent policiers et étudiants. En grève pour protester contre une hausse de 75 % des frais de scolarité, ces derniers sont allés jusqu’à faire trois à quatre manifestations par jour. Oui, par jour. L’événement est pratiquement sans précédent au Québec tant par son ampleur que par les perturbations qu’il provoque. Faisant écho aux révolutions arabes, certains parlent de printemps québécois. C’est bien entendu absurde. Le Québec n’est pas l’Egypte, et le Premier ministre québécois Jean Charest n’est pas Hosni Moubarak. Néanmoins ce conflit va au-delà de l’augmentation des frais de scolarité au Québec (qui sont depuis toujours les plus bas du Canada). Peut-être est-ce notre Seattle à nous. Vous vous souvenez de Seattle, en 1999 ? L’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait choisi cette ville pour y tenir des pourparlers multilatéraux sur le libre-échange. Le véritable spectacle avait cependant eu lieu dans les rues, où des militants de gauche de tout poil avaient réussi à voler la vedette aux hauts fonctionnaires, aux responsables politiques et aux chefs d’entreprise. En se heurtant violemment à la police, les manifestants avaient gravement perturbé la conférence et fait passer leur message au grand public. L’événement avait galvanisé ceux qui en Occident se sentaient exclus par une évolution mondiale destinée selon eux à favoriser les riches et
militant américain Ralph Nader et du linguiste Noam Chomsky. M. Khadir se considère comme le produit de ce qu’il appelle “le premier cycle” du militantisme de base – celui qui s’est d’abord concentré sur les accords de libre-échange (la période Seattle), puis sur la guerre d’Irak. Le second cycle a commencé, selon lui, avec les manifestations contre le projet de centrale du Suroît en 2004 et d’autres mouvements citoyens relatifs au développement des ressources naturelles québécoises. “Si ces mobilisations ont eu autant de succès, souligne M. Khadir, c’est à cause de l’indignation provoquée par la corruption des élites dirigeantes, en particulier du gouvernement Charest.” Le printemps québécois auquel aspirent les étudiants n’est donc pas né de rien. Il est la conséquence directe du développement de ces forces progressistes dans la province. Et c’est pour cela que j’y vois notre “Seattle” au Québec. La situation actuelle représente à la fois l’état d’une dynamique et un avant-goût de l’avenir. Les universités sont peut-être fermées depuis quatre mois, mais des milliers de jeunes Québécois se sont formés eux-mêmes au militantisme. Ces jeunes appliqueront les leçons tirées de ce mouvement à toute une série de questions dans les années à venir. Patrick Lagacé*
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Pauvres enfants gâtés du Québec Le magazine canadien anglophone Maclean’s dresse un portrait peu flatteur de la mobilisation étudiante dans la Belle Province, soulignant qu’elle n’est le fait que d’une minorité de jeunes nantis et violents.
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out au long du mois de mai, des milliers de manifestants ont envahi les rues de Montréal, offrant un spectacle schizophrène d’indignation pacifique et de violence opportuniste. Tous les soirs, ils se rassemblent place Emilie Gamelin, au centre-ville, haut lieu d’ivrognerie et de consommation de drogues illicites. De là, la foule se met en marche, dans une direction choisie par quiconque se trouve en tête de cortège à cet instant. Nul ne connaît le trajet et c’est délibéré. Pendant les heures qui suivent, les participants défilent dans les rues, scandent des slogans fustigeant le Premier ministre québécois Jean Charest et font le provocant salut nazi de rigueur*. Parmi eux figurent des hommes déguisés en pandas et en bananes, ainsi que l’ange, un petit bout de femme originaire des Philippines vêtue d’une robe blanche et arborant des ailes. A l’avant, les forces de l’ordre à vélo pistent la progression du défilé, tandis que, sur les côtés, leurs collègues en tenue antiémeute se dandinent comme des pingouins casqués. Si des violences éclatent, ce qui est souvent le cas, la police doit généralement faire preuve de tolérance, ne serait-ce qu’à cause du nombre de gens qui se pressent dans la rue. Des vitrines sont fracassées, des pierres lancées, des feux allumés. De temps à autre, la police intervient, mais en général, après ces accès de violence, la foule rentre dans le rang et poursuit son chemin. Ces rassemblements géants et imprévisibles de personnes indignées tant par la décision du gouvernement québécois d’augmenter les frais d’inscription à l’université que par celle de recourir à la force pour faire retomber la colère des étudiants sont devenus le casse-tête du printemps au Québec (et tout spécialement à Montréal). Le conflit crée un climat d’incertitude dommageable au tourisme estival, un secteur qui pèse 1 milliard de dollars canadiens [777 millions d’euros]. Il a entraîné l’adoption d’une rigoureuse loi antimanifestation. Enfin, il a conduit le Québec dans une
Manifestation contre la hausse des droits de scolarité à Montréal. A la une L’hebdomadaire canadien anglophone Maclean’s a consacré sa une du 4 juin au conflit étudiant, en qualifiant les manifestants de “nouvelle classe dirigeante du Québec”. Cette couverture a provoqué de vives réactions.
situation de blocage politique et social au début d’un été qui s’annonce long et chaud. Tout cela sous le regard quelque peu perplexe du reste du pays. Le bras de fer entre les étudiants et le gouvernement, qui a débuté en février dernier, a pour prétexte les frais d’inscription à l’université, pourtant les plus bas du Canada. Qui plus est, environ 70 % des étudiants québécois n’ont pas fait grève et ont terminé normalement leur année universitaire. La clameur dans les rues provient d’une poignée de départements de 11 universités sur les 18 que compte la province, et de 14 Cégep [collège d’enseignement général et professionnel, l’équivalent québécois du lycée], sur un total de 48. Confrontée à l’impossibilité de trouver une issue à la crise, Line Beauchamp,
la ministre de l’Education, a démissionné le 14 mai dernier. Après quoi, des individus masqués ont fait irruption dans les salles de classe et houspillé les étudiants qui avaient osé aller en cours. Même si, par le passé, son parti a tergiversé sur la question de l’augmentation des frais de scolarité, la chef du Parti québécois, Pauline Marois, s’est depuis alignée sur la position du mouvement étudiant. Elle a même accusé Jean Charest d’“agresser la jeunesse du Québec” avec sa mesure controversée. Mais jusqu’à la mi-mai, les enquêtes d’opinion ne cessaient de donner raison à l’obstination de Charest. La donne a changé avec l’adoption de la loi 78. Exaspéré par les manifestations persistantes et parfois violentes ainsi que par le blocage des universités, le gouvernement Charest a déposé une proposition de loi limitant strictement ces deux types d’action. Voté le 18 mai, le texte repousse la reprise des cours à la mi-août dans les établissements touchés par la grève, de manière à observer une “période de refroidissement”. Mais c’est surtout le volet restreignant le droit de manifester qui a suscité une levée des boucliers. En vertu de la nouvelle loi, toute personne ou groupe organisant une manifestation de plus de 50 personnes est tenu de prévenir la police de la date, de l’heure et du trajet du défilé, sous peine de se voir infliger une amende de 5 000 dollars canadiens [3 885 euros] pour les individus et de 35 000 dollars canadiens [27 195 euros] pour les associations. Cette loi a suscité beaucoup de scepticisme, 73 % des Québécois estiment qu’elle ne sera guère efficace pour mettre fin au conflit. De leur côté, les manifestants semblent éprouver une joie perverse face à la répression. “Nous avons déjà gagné”, nous a assuré fin mai l’un d’eux, âgé d’une vingtaine d’années. “Nous avons montré au Québec le vrai visage de Charest.” De fait, loin de briser le mouvement, la loi 78 semble l’avoir rendu plus hardi. La moitié des mille arrestations intervenues sur l’île de Montréal ont eu lieu durant les trois soirs qui ont suivi le passage du texte. “Les gens se sont radicalisés et sont devenus plus agressifs”, note le porte-parole de la police montréalaise, Ian Lafrenière. Ce nouveau et puissant mouvement étudiant n’a pas seulement bouleversé l’agenda politique au Québec et entraîné la mise en place de la loi sur la sécurité publique la plus dure de l’histoire de la province, des responsables politiques ont démissionné et Jean Charest doit relever le défi le plus important de ses dix années à la tête du gouvernement. Dans la rue comme dans les coulisses du pouvoir, on sent que le changement est en marche dans la province, peut-être de manière irrévocable. Martin Patriquin * En français dans le texte.
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epuis quelques semaines, un panda est en première ligne des manifestations étudiantes. Anachronique, ce câlinours bicolore suscite une improbable vague de sympathie. Lors de la grande manif du 22 mai, certains scandaient même : “Panda président !” Sous son pelage se cache un prof qui fait de la philosophie sur le trottoir. C’est le No-Kung-Fu Panda. Le dalaï-lama de la peluche qui oppose les câlins aux coups de matraque. Quand la tension monte dans les manifestations, Anarchopanda collectionne les étreintes, accordant une plus-value à celles qui sont volées aux policiers. “Mon fantasme était une escouade de mascottes qui s’interposeraient systématiquement entre les policiers antiémeute et les étudiants lors des interventions injustifiées, confie le panda nu. Plus fondamentalement, si des étudiants pacifiques qui manifestent de façon normale méritent de se faire matraquer, de se faire lancer du poivre, des gaz ou des balles de caoutchouc, je le mérite aussi. J’interviens contre la brutalité policière.” Pourquoi en panda ? “A circonstances bizarres, réponse bizarre. C’est ma façon d’intervenir pour que les étudiants arrêtent de souffrir, sans trahir leur lutte ni détourner leur discours.” Anarchopanda, quand le Québec n’est pas en crise, enseigne la philo au cégep [collège d’enseignement général et professionnel, l’équivalent québécois du lycée]. Il en pince pour les antiques, Platon, Aristote, Plotin, et lit le grec ancien “avec du temps et un dictionnaire. En philo, je veux que les gens se posent des questions, même les plus difficiles, qu’ils prennent le temps dans leur vie d’y réfléchir. Qu’ils comprennent qu’il n’y a pas de solutions faciles à des questions compliquées, que tout seul dans ton coin, tu as moins de chances de trouver une solution qu’en faisant un débat.” Pourquoi le panda ? Pour le symbole et les couleurs – noir et blanc – de l’anarchisme, mais surtout “parce que c’était la plus belle des mascottes cheap en vente sur eBay China”. Digressons pour rappeler que la “diplomatie du panda” existe en Chine depuis quatre mille ans : on y offre en cadeau des pandas géants en gage de bonnes relations. En témoignent Er Chun et Li Ji, deux émissaires d’amitié prêtés en février dernier à Stephen Harper pour dix ans [ces deux pandas – des vrais ! – rejoindront les zoos de Calgary et de Toronto au début de 2013]. Anarchopanda, ici et maintenant, s’offre pour diluer la tension entre étudiants et policiers.
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Présent dans toutes les manifestations, ce drôle de panda est devenu la mascotte du “printemps érable”. Sous le costume noir et blanc se cache un professeur de philosophie déterminé à protéger les jeunes contestataires des violences policières.
w u in ww r l te .c e rn ou w at rr e io ie b na r l.c om
Anarchopanda aime les étudiants qui protestent
Retrouvez sur notre site notre dossier sur le “printemps érable”.
Auparavant, il a participé, dans sa peau d’homme, à près de soixante-dix manifestations de cette grève. “L’idée était d’aller entre les étudiants et l’escouade antiémeute pour empêcher la brutalité. C’est impraticable dans le feu de l’action. Et on peut lire du paternalisme dans ce geste : moi, adulte, je vous protège, vous, enfants. Je veux soutenir les étudiants sans les influencer.” Sa solution ? L’attaque de bisous façon Tao Tao. “Avant-hier, j’ai eu un policier ; hier, trois. Je sens qu’ils ont un code de comportement précis – ne pas répondre aux questions, ne pas regarder dans les yeux –, mais la ligne du code qui dit quoi faire quand on se fait donner un câlin par une mascotte semble vide”, s’amuse l’AnarchoToutou, sourire en coin. Sur plus de cent jours de grève, Anarchopanda a constaté des mutations. “Les étudiants ont radicalisé leurs comportements de manifestants, mais pas leurs positions. Et ce ne sont même pas des positions radicales, mais des valeurs de la révolution tranquille. Vouloir la gratuité scolaire, ce n’est ni radical ni communiste.” Cet Ewok [espèce d’ours de Star Wars] extralarge est fasciné par ce que ces jeunes, dits hyperindividualistes, sont prêts à sacrifier. “Ils sont étonnamment adaptés aux manifestations. Tu te fais poivrer, des gens avec des masques te ramènent en arrière, s’occupent de toi. J’te jure qu’ensuite tu vois autrement les jeunes à masque et lunettes, quand
ils t’ont soigné. On assiste selon moi à un des mouvements sociaux de l’histoire du Québec parmi les plus intelligents, les plus réfléchis, les plus stratégiques et les plus nobles, car ces étudiants ne vont pas subir la majorité de la hausse [des frais de scolarité]. Ils voient à long terme, ils se battent pour les autres. Et ils savent que, si cette petite hausse passe, ça ne s’arrêtera pas là. J’aime les étudiants, les ‘carrés verts’ [partisans de la hausse des droits de scolarité]. Mais les ‘carrés rouges’ [étudiants protestataires], je les admire. Parce qu’ils ont plus d’arguments, pour ce qu’ils sacrifient et parce qu’ils ont raison. Ça m’émeut quotidiennement.” Cette passion dans la voix, cet engagement entier sont ceux des grands discours politiques. Panda pour président ? Un sourire en coin perce la fumée de sa cigarette. “Ça serait contradictoire, pour un panda anarchiste. Je ne suis pas un leader, je ne contrôle pas, je ne suis pas un porteparole, je ne suis pas une fucking mascotte. Anarchopanda, c’est mon geste de conscience. Selon moi, la cause des étudiants est juste, et ce qu’ils subissent comme réponse gouvernementale et policière est illégitime. Mon geste peut être absurde ou inutile, mais je suis là, avec eux. Tant que les étudiants vont se faire rentrer dedans, Anarcho va être là.” Anarchopanda, c’est de la philosophie pratique, quoi. Sur le trottoir. En temps réel. Catherine Lalonde
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Montréal Ville rebelle
L’amour au temps des carrés rouges La mobilisation peut être propice aux bluettes. En particulier grâce au compte Twitter @manifdating, qui permet aux manifestants de se retrouver et, qui sait, de conclure des #manifmariages et de donner naissance à des #manifbébés ? Le Devoir (extraits) Montréal
l’une de Montréal et l’autre de New York, qui se sont rencontrées par carrés rouges interposés sur Facebook [le carré rouge est devenu le symbole des opposants à la hausse des droits de scolarité]. Compliqué ? Pas autant que leurs amours naissantes et la difficulté de trouver une toilette publique unisexe pour aller se soulager la vessie durant les manifs. Elles m’ont avoué qu’elles préféraient s’abstenir… Devant moi, en direct de New York, Raphaële de Montréal, 27 ans, étudiante aux beaux-arts à Concordia, et Amelia de New York, 21 ans, sans emploi, sans domicile fixe non plus. “Pour les transsexuels, tout est politique, même l’amour ! Nous sommes des activistes, notre
survie en dépend”, souligne Amelia, qui me parle des problèmes psychiatriques, de la discrimination et des meurtres et suicides, courants dans la communauté trans. Seraient-elles tombées en amour sans cette charge militante ou si l’une des deux avait affiché le carré vert [symbole de ceux qui sont favorables à la hausse des droits de scolarité] ? Malaise. “Pas certaine…”, répond Amelia de sa voix masculine et en écartant une mèche de cheveux rebelle qui lui balafre le visage. “C’est comme si j’étais républicaine et elle démocrate ; c’est impossible”, assure la blonde Raphaële, qui a fait le voyage pour la rejoindre à New York. Elle est visiblement impressionnée par sa tourterelle militante au sein du mouvement Occupy Wall Street : “Amelia est jolie, brillante et très impliquée dans l’action politique. Elle revient du sommet de l’Otan à Chicago. Le monde est fucked up [bousillé] et nous, on veut le changer.” Le message a le mérite de ne pas faire dans le conte de fées. Mais les romantiques n’ont pas dit leur dernier mot. Ainsi, Kenza Chaouai a initié le compte @manifdating sur Twitter pour aider ceux qui éprouvaient un #manifcrush (béguin de manif) à se retrouver. “Depuis le début des manifs, tout le monde s’aborde dans les rues, c’est très facile de nouer des liens. Et j’ai entendu parler de tant d’histoires d’amour qui sont nées durant les manifs étudiantes”, raconte la responsable des communications du site web AskMen. Son compte, @manifdating, avec ses deux petits cœurs en feutrine rouge épinglés l’un avec l’autre, agit comme courroie de transmission. Charmante initiative qui enfantera peut-être des #manifbébés. En attendant, Kenza donne des conseils aux manifestants transis : prêter son téléphone pour consulter le compte Twitter du SPVM, suivre son instinct et le bruit des casseroles, offrir une place sous son parapluie ou même s’imaginer avec des menottes en plastique avec l’élu de son choix. “Ici, au Québec, les gens ne s’interpellent pas
A lire la semaine prochaine
Tunis
beaucoup, souligne Kenza. On a tendance à être peureux et on ne sait pas dans quelle langue s’accoster. C’est l’occasion rêvée de briser ce mur en demandant où est la manif ou en tapant sur la casserole de quelqu’un. Un Black Bloc a même offert une fleur à une fille et elle a envoyé sa photo à @manifdating pour le retrouver !” Même masquée, l’offrande fait battre les cœurs. Avis aux timides. Qui dit amours, tentatives de séduction et cinéma maison dit fantasmes avec un grand F, le meilleur moment de l’amour après l’escalier à grimper. Les leaders étudiants sont devenus, à cet égard, des têtes d’affiche aussi convoitées que Johnny Depp et Vanessa Paradis en ce moment. “Moi, je garde mon souffle pour Gabriel Nadeau-Dubois, [l’un des deux porte-parole de la coalition étudiante la Classe], me confie Kenza, 24 ans. Il dégage de la confiance en lui-même, c’est très attirant. Il a du leadership et il parle bien, en plus d’être très viril. Ma ‘dream manif situation’, ce serait Gabriel Nadeau-Dubois qui me kidnappe sur un cheval du SPVM volé pour m’emmener quelque part.” Très terre à terre comme fantasme si l’on considère que les mascottes Anarchopanda ou la Banane rebelle figurent aussi très haut au palmarès des princes qui, à défaut d’être charmants, peuvent faire office de superhéros les 22 du mois [ jours des grandes mobilisations]. Mais en termes d’amours impossibles, rien ne battra mon amie Anne, dont le cœur se dilate pour une vieille casserole (non, elle n’est pas en couple), un wok modifié dont elle n’avait jamais saisi l’utilité jusqu’à présent. Désormais, son petit orchestre de rue peut compter sur elle et ses rythmes jazzés : “En compagnie de mon wok, je me suis fait un tas d’amis et j’ai noué des liens avec mes voisins. C’est merveilleux ! On est devenus une gang de chums” [bande d’amis]”, me dit-elle. A défaut d’un amour sans lendemain, les amitiés de proximité sont un précieux pis-aller. Josée Blanchette
URBANIA/LA MONTAGNE ROUGE
I
ls sont jeunes (de cœur, du moins), ils sont fous (ça n’a pas d’âge) et ils font d’une pierre, ou d’un slogan, deux coups. Changer le monde et tomber en amour ne procède-t-il pas du même élan ? Les amours ne seront peut-être pas éternelles, mais le souvenir de la rencontre, si. Le printemps 2012 comptera son lot d’histoires guimauves. Elles s’ajouteront à ces milliers de flammes qui s’épousent et se consument, lucioles dans la nuit s’attirant à coups de spatules et de tenues légères, dans l’intensité et la ferveur, dans le défi et l’obscurité, des ingrédients tout à fait compatibles avec l’énamourement. Je ne donnerais pas cher pour avoir à nouveau 20 ans, mais le temps d’une manif, le temps d’un béguin ou d’un flirt, oui, j’en conviens, ça m’aurait amusée. J’aurais aimé être étudiante et tomber amoureuse d’une jeune recrue du SPVM [Service de police de la ville de Montréal], tiens. Nous aurions été les Roméo et Juliette de l’histoire. D’ailleurs, j’y ai cru un instant, à cette histoire qui a circulé sur le compte Twitter @manifdating. Et je n’étais pas la seule. Une policière et un étudiant en science po, on imagine le pied de nez à la logique. Tout le monde veut croire que l’amour est plus fort que la police, qu’il est enfant de bohème et n’a jamais, jamais connu de loi (78) [adoptée le 18 mai 2012, cette loi restreint le droit de grève et de manifester]. Si on avait besoin de preuves, j’ai interviewé via Skype un jeune couple de transsexuelles,
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France Restauration
Pour Starbucks, des nuages dans le café Les Français boudent les breuvages de la chaîne américaine, trop chers et trop torréfiés. La firme joue donc son va-tout : s’adapter aux goûts hexagonaux ou partir.
sos, nombreux sont ceux qui trouvent que l’expresso de Starbucks a un trop fort goût de brûlé, même par rapport aux habitudes françaises. C’est pour cette raison que, début mars, l’entreprise a lancé un café plus léger, moins torréfié. La question du service s’est également posée partout en Europe : pour remédier à l’image impersonnelle dont pâtit la chaîne, les employés ont commencé à porter des badges avec leur nom. D’autres modifications ont par ailleurs été mises en place pour résoudre un problème typiquement européen : la lenteur du service. Pour cela, les employés gardent désormais le lait à portée de main, près de l’émulsionneur par exemple.
The New York Times (extraits) New York
CAGLE CARTOONS
P
ar une matinée ensoleillée, dans le quartier parisien du Marais, Marion Bayod s’assoit à une table minuscule du Cactus, un café qu’elle fréquente depuis des années. Elle jette un regard de travers au Starbucks installé en face. “Je n’y mets jamais les pieds. C’est impersonnel, le café est médiocre et tout y est cher”, lance cette jeune femme de 35 ans. Un serveur la salue par son nom avant de lui apporter sans tarder son expresso habituel. Près d’une décennie après son arrivée en Europe, Starbucks peine toujours à attirer des clients comme Marion. Alors que la chaîne a renoué avec la croissance aux Etats-Unis et continue de croître rapidement en Asie, où elle fait encore figure de nouveauté, son succès reste mitigé en Europe, sur ce Vieux Continent qui a inventé l’idée même du café et du petit noir avalé au comptoir. Starbucks a donc décidé de lancer une offensive – assortie d’un budget de plusieurs millions de dollars – pour conquérir les amateurs de café européens. Mais séduire les Français pourrait s’avérer particulièrement difficile, car marcher le long d’un boulevard parisien avec un gobelet à la main, ça ne se fait pas * ! Après huit années passées à ouvrir successivement 63 cafés en France, Starbucks n’a toujours pas réussi à dégager le moindre profit dans l’Hexagone. Même dans les pays européens où Starbucks engrange des bénéfices, la croissance des ventes et des revenus est bien en deçà des chiffres enregistrés sur tout le continent américain et
McDonald’s comme modèle Un moka-merlot sans faux col… ?? C’est notre cocktail “Happy Hour”… Dernière nouvelle : Strarbucks ajoute la bière et le vin à son menu après 16 heures. Dessin de Milt Priggee, Etats-Unis. en Asie. C’est en partie dû à la crise de la dette et à la stagnation des économies, mais également aux loyers et aux charges salariales qui, en Europe, sont extrêmement élevés. Toutefois, le plus gros défi qui attend Starbucks est de satisfaire les goûts variés des Européens d’un bout à l’autre du continent.
“Ça ne se fait pas !” Que l’on ne s’y trompe pas, les adeptes de la chaîne ne manquent pas en Europe. A Amsterdam, Berlin ou Londres, ou même dans certains cercles parisiens, les établissements sont souvent pleins de citadins, de touristes et de jeunes équipés d’ordinateurs portables, qui voient dans la chaîne un parangon de la culture américaine. “Dans tous les magazines, on voit des stars comme Kim Kardashian [starlette de la télé-réalité américaine] se balader avec un gobelet Starbucks”, explique Daphka Monteiro. Cette Parisienne de 19 ans, qui veut
PIERRE WEILL Vendredi 19h20 - Partout ailleurs en partenariat avec
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travailler dans la mode, déguste un Frappuccino à 5 euros en face du café préféré de Marion Bayod. “Avec mes amis, nous venons ici parce que c’est branché.” C’est peutêtre vrai – il n’empêche que Starbucks a du mal à faire des bénéfices à partir de clients comme elle. Là où un New-Yorkais prendra volontiers un café à emporter – le type de commande le plus rentable pour l’entreprise –, les Français préféreront s’asseoir pour déguster leur boisson. C’est pourquoi Starbucks doit investir considérablement pour doter ses cafés français de salles plus vastes, entre autres rénovations. Et, si la majorité des Français (60 %) boivent des expres-
A la page Les cafés Starbucks ne sont pas les seuls produits venus des Etats-Unis qui ont du mal à percer dans l’Hexagone. Livres électroniques et liseuses connaissent eux aussi des ratés. “En matière de lecture, les Français font fi de la vogue du toutnumérique et restent fidèles aux bons vieux livres”, relève The Guardian. “Des études ont montré que, à l’instar des lecteurs allemands, les Français préfèrent lire sur du papier plutôt que sur des écrans. Alors que les ventes de livres électroniques augmentent à un rythme soutenu aux EtatsUnis et au Royaume-Uni – où elles comptent respectivement pour 20 % et 10 % du total des ventes –, elles ne comptent en France que pour 3 % du marché”, détaille le quotidien britannique. Si l’on considère en outre que seuls 13 % des livres achetés en France le sont via Internet, les 2 500 libraires du pays auraient des raisons de se frotter les mains. “Les libraires français ne connaissent pas la crise”, titre The New York Times. Le quotidien américain rappelle que la vente de livres a augmenté de 6,5 % en France entre 2003 et 2011.
Les innovations les plus visibles, toutefois, passent par des cafés “concept”, censés faire des Starbucks des commerces de quartier branchés. A Paris, le Starbucks installé près de l’opéra Garnier a été transformé pour un style plus rustique. Celui qui se trouve près du Louvre a désormais une allure plus moderne, avec un élégant comptoir en bois. Et celui du boulevard des Capucines [dans le IIe arrondissement] est installé dans une salle somptueuse avec des fauteuils en velours et des chandeliers, où le plafond doré à l’or fin représente des chérubins sur un ciel bleu. En pleine phase d’adaptation, l’entreprise a toute latitude pour s’inspirer de l’expérience de deux autres grandes chaînes américaines. En 1997, Burger King avait été contraint de fermer ses 39 restaurants français après l’échec de sa stratégie consistant à reproduire son modèle américain sans l’ajuster aux particularités locales. McDonald’s, au contraire, enregistre une croissance rapide en France, car la chaîne s’adapte le plus possible à son public : elle utilise des viandes, des moutardes et des fromages français, conserve l’architecture d’origine de certains restaurants et a récemment créé des espaces McCafé pour attirer ses clients amateurs de caféine. Il est trop tôt pour savoir si la nouvelle stratégie de Starbucks lui permettra de véritablement stimuler ses bénéfices, d’autant que la fragilité de l’économie continue de faire obstacle aux ventes. Les dirigeants de la chaîne sont en tout cas suffisamment confiants pour déjà prévoir l’ouverture de centaines de cafés supplémentaires en Europe, de Paris à Moscou, en plus des 1 700 qui existent déjà. “En Europe, nous ne risquons pas de saturer le marché, c’est plutôt le contraire”, justifie Michelle Gass, présidente de Starbucks pour l’Europe, le MoyenOrient et l’Afrique. “Et, quand je dis ça, je n’exagère pas. Dans les rues de Paris, il faut chercher les cafés Starbucks pour les trouver. A Manhattan, il y en a à tous les coins de rue.” Liz Alderman * En français dans le texte.
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Europe
Retrouvez plus d’informations sur la crise de l’euro au jour le jour sur presseurop.eu premier site d’information multilingue européen.
Conseil européen
Monti et Rajoy signent l’adieu à la souveraineté Un accord a été trouvé à Bruxelles le 29 juin sous l’impulsion de l’Espagne et de l’Italie, alliés de dernière minute. Un pas vers une intégration renforcée.
pour la recapitalisation de la banque, afin de ne pas rebuter les investisseurs privés. Ce qui en théorie supprime le fil rouge qui reliait l’emprunt à la charge explosive de la prime de risque [l’écart de taux d’intérêt entre les obligations d’Etat espagnoles et allemandes]. Les deux autres mesures vont demander plus de temps. La recapitalisation du système bancaire dépend de la rapidité avec laquelle la Banque centrale européenne assumera ses compétences de supervision et de contrôle sur l’ensemble du système bancaire de l’Union. L’enjeu, de taille, est la supervision et le contrôle depuis Francfort de tout le système bancaire européen (sauf celui du RoyaumeUni bien évidemment).
La Vanguardia (extraits) Barcelone
e magnifique épisode de la bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme, l’autre grand roman de Stendhal, nous a été fort utile la semaine dernière pour décrire ce sentiment désormais familier qui nous étreint devant la spirale vertigineuse de la crise. Conscients d’être au cœur d’une histoire qui nous dépasse, nous avons beau lire les plus grands spécialistes, nous avons du mal à comprendre le sens et la portée des événements qui se succèdent autour de nous. Non seulement nous souffrons du manque de communication des plus hautes instances de l’Etat, mais nous soupçonnons ces dernières de ne pas avoir une vision très claire des événements. Nous sommes tous des Fabrice del Dongo, le jeune Italien qui participa à la bataille de Waterloo sans savoir ce qui s’y passait. Cette semaine est plus lumineuse. Les décisions prises à Bruxelles le 29 juin ont donné un peu de sens à la grande confusion qui régnait depuis les dramatiques élections grecques, déjà oubliées par la mémoire de reptile des médias. L’Italie et l’Espagne ont tenu bon face à l’Allemagne pour forcer l’adoption de trois mesures qui, en principe, devraient les protéger du pire. Les deux pays ont conclu une alliance de dernière minute – inédite dans l’histoire de l’Union européenne – pour éviter une humiliation qui aurait eu de graves conséquences en politique intérieure. Ils ont ainsi découvert le poids qu’ils représentent ensemble en Europe.
L
Une mise en scène élégante Une dégradation plus importante de la dette publique aurait conduit le gouvernement de Mario Monti au désastre et à la tenue d’élections anticipées en automne. Malgré la mise en scène élégante et efficace de Monti et de ses ministres technocrates, la situation en Italie est des plus délicates. Le système politique est entré dans une phase de désintégration : le centre droit doit se réinventer après la débâcle berlusconienne ; le centre gauche (Parti démocrate) est en tête des sondages mais manque de cohérence et d’assise ; le comédien Beppe Grillo, fondateur d’un mouvement antipolitique appelé Cinque Stelle [“cinq étoiles”], frôle les 20 % dans certains sondages ; Berlusconi – très intéressé par le phénomène Grillo – a sorti des oubliettes la menace d’un retour à la lire ; quant au Vatican, il n’est pas au meilleur
La paix de Westphalie
Dessin de Schot, Pays-Bas. de sa forme pour faire contrepoids. Au cœur de cette tourmente baroque, seule la figure du président de la République Giorgio Napolitano tient encore debout. Les services secrets allemands, sous le contrôle direct de la chancelière, ont d’ailleurs mis en garde Angela Merkel contre les dangers d’une Italie en déshérence politique. Si l’on ajoute à cela les derniers rapports sur les coûts réels d’une éventuelle désintégration de l’euro, on comprend mieux la mine défaite de la dirigeante allemande vendredi matin à Bruxelles. A force de tirer sur la corde, elle s’est elle aussi retrouvée au bord du vide. “Le cratère s’est élargi et l’Italie se retrouve au bord du gouffre.” Cette phrase prononcée par le Premier ministre italien il y a vingt jours, peu avant les élections en Grèce, permet de mieux comprendre ce qui s’est passé à Bruxelles. Pourquoi le cratère s’est-il élargi ? A cause des problèmes de recapitalisation de la banque espagnole Bankia. Tout le monde soupçonnait – et soupçonne encore aujourd’hui – que le problème espagnol était bien plus grave que ne voulaient le reconnaître les deux gouvernements qui se sont succédé ces sept derniers mois. Des soupçons pris très au sérieux dans certains cercles de la City, à Londres. Contrairement à se qui se passe en l’Italie, il n’y a pas de problèmes de stabilité parlementaire en Espagne. Le gouvernement a la majorité absolue avec 186 députés et encore quatre ans devant lui. Et c’est d’ailleurs l’atout principal de Mariano Rajoy. A la différence de Monti, Rajoy n’est donc pas dans une situation précaire, mais
une intervention [de l’UE et du FMI] dans l’économie du pays pourrait le mettre en danger. A Bruxelles, Monti jouait sa survie, et Rajoy son avenir. L’alliance entre les deux hommes était inévitable. Ils se sont entretenus à trois reprises dans les quarante-huit heures qui ont précédé le sommet de Bruxelles. Reste à définir les détails de l’accord. Des trois mesures concédées à Bruxelles, la plus tangible est l’annulation du statut prioritaire attribué aux créanciers du prêt
Intégration et relance Le 29 juin, le sommet européen a pris trois grandes décisions. – Vers une union bancaire : les dirigeants de la zone euro se sont accordés sur une supervision de leurs banques par la Banque centrale européenne. Une fois ce dispositif créé, le Mécanisme européen de stabilité (MES) pourra recapitaliser directement les banques. – Le Pacte pour la croissance et l’emploi : 120 milliards d’euros seront mobilisés pour stimuler l’économie de l’UE, via les fonds structurels, la Banque européenne d’investissement et des project bonds, emprunts destinés à financer des grands chantiers. – Intégration renforcée : une “feuille de route”, assortie d’échéances précises, préparera la mise en œuvre d’une véritable union économique et monétaire.
Ce monumental transfert de souveraineté est observé par Londres avec effroi. La troisième mesure, le rachat de la dette par les deux fonds de secours européens [le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité], devra être assortie d’un certain nombre de mémorandums [documents fixant les contreparties des plans de sauvetage]. Il n’y aura pas d’hommes en noir dépêchés dans les ministères à Madrid et à Rome, mais des mesures de contrôle, que l’Allemagne et ses alliés chercheront à durcir afin de sortir la tête haute de cette dernière péripétie. Rappelons que les élections en Allemagne auront lieu dans un an. Les événements de la semaine dernière rendent un peu moins confus le Waterloo de Stendhal. Et cette plus grande lisibilité nous renvoie à un événement historique antérieur, tout aussi important que la bataille qui a provoqué la chute de Napoléon : Westphalie, 1648. Cette succession de traités qui a donné son nom à la paix de Westphalie a lentement mais sûrement liquidé le vieil espace impérial européen lié à Rome : la mosaïque du Saint Empire romain germanique, le pape et l’empire espagnol endetté et si puissant outre-mer. Les traités de Westphalie érigèrent le principe de souveraineté nationale, incarné par la France de Mazarin, et donnèrent naissance à cette Europe des Etats-nations que la Révolution française poussera encore plus loin. Peut-être sommes-nous en train de revenir à cette période de l’histoire sans le savoir. Les ailes du moulin de la souveraineté nationale ont commencé à tourner dans l’autre sens. Pour soutenir l’euro, il faut déléguer des compétences nationales au centre impérial. Westphalie II. Les Espagnols et les Italiens n’ont pas d’autre solution que de l’accepter. La grande interrogation reste la France, quintessence de l’Etat-nation. Le fantôme de Mazarin ne devrait pas tarder à venir hanter l’Elysée. (Le processus qui aboutit aux traités de Westphalie dura plus de trente ans.) Enric Juliana
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012 Nomination “Pourquoi faire partie
d’un gouvernement quand nous pouvons en diriger un autre ?” a déclaré Ivica Dacic au quotidien Blic de Belgrade pour expliquer son revirement. Le 28 juin, après l’échec des négociations entre le leader
des socialistes serbes et ses anciens alliés au sein du gouvernement sortant (le Parti démocratique de l’ex-président pro-européen Boris Tadic), le président nationaliste Tomislav Nikolic a nommé Ivica Dacic Premier
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ministre. A charge pour lui de former un gouvernement en s’appuyant sur la nouvelle coalition qui associe le Parti serbe du progrès (parti au pouvoir), les socialistes et le Parti des régions unies (formation regroupant des hommes d’affaires).
Serbie
Le “petit Milosevic” vous salue bien La République de Serbie HONGRIE
CROATIE
100 km VOJVODINE ROUMANIE
Belgrade
Jutarnji List (extraits) Zagreb
ombien de fois suis-je mort et tu m’as ressuscité ?” a chanté Ivica Dacic lors d’un meeting électoral, aux côtés de la diva du pop-folk yougoslave Vesna Zmijanac. Pour ce qui le concerne, il est non seulement vivant et en pleine santé, mais il a aussi fait renaître de ses cendres le Parti socialiste serbe, dont il a hérité de feu Slobodan Milosevic. Les analystes sont unanimes : il est le principal gagnant des dernières élections législatives. Certes, avec ses 15 %, il a obtenu moins de voix que le Parti serbe du progrès (SNS) de Tomislav Nikolic ou le Parti démocratique (DS) de Boris Tadic. Mais, contrairement à eux, son score a doublé depuis 2008. “Si la campagne avait duré plus longtemps, nous aurions fait un score encore meilleur”, a-t-il fanfaronné. Donné mort il y a quelques années, il est aujourd’hui Premier ministre, et l’étoile montante de la scène politique serbe. Il ne doit pas sa réussite aux chanteuses plantureuses, mais à
C
Superficie : 77 474 km2 Population : 7,3 millions d’hab.
MONTÉNÉGRO KOSOVO Mer Adriatique
ALBANIE
MACÉDOINE
l’intelligente campagne qu’il a menée et à sa capacité à retourner sa veste. L’ex-porteparole de Milosevic, surnommé “le petit Sloba”, a réussi à faire la synthèse des rhétoriques de Milosevic et de Tito**, en prônant l’ordre et l’orgueil national. A cela s’ajoutent une couche de justice sociale et des propos menaçants à l’égard des “ennemis” de la Serbie, où qu’ils se trouvent. Né en 1966 au Kosovo, Ivica Dacic arrive à Belgrade à la fin des années 1980, où il s’inscrit en sciences politiques. Il se distingue alors comme l’un des meilleurs étudiants de sa génération. Repéré par Milosevic et sa femme, Mirjana Markovic, il s’occupe de la jeunesse au sein du PS
Courrier international
BOSNIEHERZÉGOV.
BULGARIE
Le leader des socialistes, Ivica Dacic, est devenu le nouveau Premier ministre serbe, au prix d’une alliance avec les nationalistes. Le principal quotidien croate dresse le portrait de cet ancien porteparole de Slobodan Milosevic*.
avant de devenir, à 26 ans, le porte-parole du parti. Député à partir de 1992, il entre dans les instances dirigeantes du parti après la chute de son mentor, le 5 octobre 2000, et s’empare, en 2006, du poste de premier secrétaire. A cette époque, il menaçait encore de traduire devant la justice ceux qui avaient livré Milosevic au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie [TPIY] de La Haye, et qualifiait les démocrates de “plus grande catastrophe naturelle” que la Serbie ait connue. Quelques années plus tard, une fois ministre de l’Intérieur dans un gouvernement dirigé par les démocrates, il arrêtait Ratko Mladic, le fugitif serbe le plus recherché par la justice internationale. Cela s’appelle l’art de la politique. Entre 2006 et 2008, Ivica Dacic était devenu le plus fidèle allié de son ennemi d’hier, le Parti démocratique, de l’ex-président proeuropéen Boris Tadic. Dans un autre pays, cela aurait suffi à mettre fin à sa carrière. En Serbie, il a été perçu comme un homme qui “évolue avec son temps”. Et sa popularité n’a cessé d’augmenter, surtout depuis le jour où il est devenu ministre
de l’Intérieur. Une fonction dans laquelle, au dire de tous, il a été très efficace – les arrestations en série de criminels notoires, tout comme l’excellente coopération qu’il a mise en œuvre avec les pays voisins en la matière sont incontestables –, sauf en ce qui concerne le Kosovo. Sur le sujet de l’ancienne province serbe [indépendante depuis 2008], Ivica Dacic s’est toujours montré intransigeant. “Si quelqu’un s’attaque aux Serbes du Kosovo, il doit s’attendre à la réponse de la Serbie”, at-il averti. Lors d’un meeting à Kosovska Mitrovica [le chef-lieu des Serbes du Nord], il a déclaré que “la reconnaissance de l’existence des Serbes du Kosovo était la ligne rouge à ne pas franchir”. Snjezana Pavic * Slobodan Milosevic (1941-2006). Ancien président de la république de Serbie (1990-1997) et de la république fédérale de Yougoslavie (1997-2000), il est considéré comme un artisan du renouveau du nationalisme. Accusé, à l’issue des guerres de Yougoslavie, de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, il est mort en détention aux Pays-Bas avant la fin de son procès. ** Josip Broz, dit Tito (1892-1980), a dirigé la république socialiste de Yougoslavie, sous le titre de Premier ministre, puis de président, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1980.
Royaume-Uni
La fin de la compassion Le Premier ministre britannique a présenté le 25 juin son projet de réduction drastique des dépenses sociales. The Independent (extraits) Londres
l est vraiment très fort ce Cameron ! Voilà un Premier ministre né dans l’opulence, scandalisé par ces gens qui ont tout sans avoir à lever le petit doigt. Qui pourrait égaler un tel culot ? La reine peut-être ? Elle pourrait par exemple commencer son discours de Noël en vilipendant ceux qui organisent des festivités extravagantes pour l’anniversaire de leur prise de fonction. Ou encore un de nos députés eurosceptiques refusant d’intégrer l’UE au motif que les Européens sont incapables de tirer un penalty correctement ? Fort de son bon droit, le Premier ministre a décidé de s’attaquer à cette catégorie de tire-au-flanc que sont les jeunes
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de moins de 25 ans bénéficiaires de l’allocation logement. Mais il n’a toujours pas dit comment il comptait botter les fesses à ceux qui gagnent de l’argent sans payer leurs impôts et qui coûtent pourtant la bagatelle de 90 milliards de livres [112 milliards d’euros] par an à l’Etat. Il faut donc supposer que si les prestataires de l’allocation logement sont une priorité, c’est qu’ils doivent s’en mettre plein les poches. Les jeunes sont une ruine pour la nation. On nous dit qu’ils n’ont pas besoin d’allocation logement parce qu’ils peuvent toujours retourner vivre chez leurs parents. Une chambre d’enfant avec un couvre-lit à motifs de dauphins n’est pourtant plus vraiment adaptée quand on est marié ou qu’on a un diplôme d’ingénieur. Pourquoi alors ne pas interdire l’accès des jeunes aux bibliothèques ? Leurs mères peuvent encore leur lire des histoires. Ou alors les priver de toute allocation ? S’ils ont faim, ils peuvent toujours téter le sein maternel, au lieu de se nourrir aux frais du contribuable. Mark Steel
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Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012 Répliques Située dans une zone de fortes frictions entre les plaques tectoniques africaine et eurasienne, l’Italie est particulièrement exposée aux tremblements de terre. Les 20 et 29 mai, l’Emilie-Romagne,
Europe
la Lombardie et la Vénétie (nord de l’Italie) ont été touchées par deux séismes, d’une magnitude de 6 et de 5,8. Vingt-cinq personnes sont décédées et plus de 350 ont été blessées. Ces deux tremblements
Italie
Du séisme au délire architectural En 2002, un tremblement de terre a touché le village de San Giuliano di Puglia, dans le sud de l’Italie. Aujourd’hui, la commune est défigurée par des constructions monumentales, vides. La Repubblica Rome
Nouvelles habitations édifiées dans le village de San Giuliano, après le séisme de 2002.
Déferlement de laideur
Une région sismique p
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Le soir même, le reportage de l’émission Porta a Porta [rendez-vous politique phare de Rai 1] sur le président du Conseil en mission se résuma à du voyeurisme morbide. Visages marqués par la douleur, yeux étincelants, promesses de miracles dans des délais garantis de façon péremptoire. Et quelle grandiose démesure ! Une école, branlante, jamais mise aux normes après une rénovation criminelle, s’était effondrée, les autres maisons demeuraient intactes malgré les lézardes, mais le village entier devait être reconstruit de fond en comble. Dans le scénario, à côté de l’adverbe “absolument”, ont commencé à proliférer les diminutifs qui, en 2009 à L’Aquila, allaient imprégner la novlangue des malheurs italiens : maisonnettes, ange-
lots, jardinets et autres coquetteries qui condamnent au kitsch la mise en scène de la douleur. Le San Giuliano que j’ai vu n’a plus rien du village qu’il était autrefois. Il a été abandonné à une expérimentation urbaine cyclopéenne et à un gaspillage effarant d’argent public dont nous payons aujourd’hui encore la facture. Il a disparu sous un déferlement de laideur, une déshumanisation de la ville, un détournement éhonté des subventions de l’Etat au profit d’une clique restreinte : les trois choses vont ensemble. Un village minuscule d’environ 1 000 âmes a été métamorphosé en une sorte de métropole
Mer Adriatique
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Rome
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San Guliano di Puglia
Naples Mer Tyrrhénienne
300 km
ITALIE
RÉGION DU MOLISE
Courrier international
son adverbe favori : “absolument”. Il tenait absolument à ériger “un nouveau San Giuliano”. Il tenait absolument à “construire un quartier rempli d’espaces verts, avec la séparation complète des automobiles et des parcours réservés aux piétons et aux bicyclettes”. Dans les vingt-quatre mois, absolument, les habitants allaient recevoir “de nouveaux appartements fonctionnels, innovants, construits selon les nouvelles techniques de la domotique, dans un cadre verdoyant”.
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ous sommes habitués à parler des années Berlusconi comme d’une époque de troubles : troubles dans les palais du pouvoir, dans les rapports entre l’exécutif et les magistrats, ainsi qu’au sein des partis. Nous sommes moins habitués à considérer les cicatrices que ces années ont laissées sur le corps de l’Italie, sur son paysage, sur l’idée que nous nous faisons de nos villes, sur la façon dont nous les habitons. Les plaies sont profondes et indélébiles dans de vastes zones de l’Italie : elles nous ont changés anthropologiquement, aucune alternance ne réussira à les effacer. Je parle des blessures non cicatrisées de L’Aquila, une ville que j’ai vue enserrée par les échafaudages. Je parle de San Giuliano di Puglia [dans la région du Molise], où je me suis rendue pour constater et comprendre comment avait commencé ce gâchis qui mérite d’être désormais appelé par son nom : urbanicide, un rite sacrificiel qui a immolé tant de villes dévastées par les tremblements de terre, réduisant en poussière le mot même que nous avions l’habitude d’associer à la polis : le vivre ensemble urbain, qui civilise l’homme, le rend convivial, ouvert à la diversité. Antonello Caporale [écrivain et journaliste italien, auteur de Terremoti Spa – tremblements de terre SA –, Rizzoli, 2010, sur l’exploitation financière des tremblements de terre], l’homme qui m’a conseillé ce voyage, me guide à travers les rues du bourg que Berlusconi a refait, maquillé, déformé et exploité. Nous nous souvenons tous du jour où la terre a tremblé à San Giuliano. Le 31 octobre 2002, à 11 h 32, l’école s’est écroulée : 27 enfants sont morts ensevelis sous les décombres avec leur maîtresse, Carmela Ciniglio. Nous nous souvenons de l’horreur et puis du manège vespéral des phares et des caméras dépêchées sur les lieux pour filmer l’arrivée du président du Conseil, Silvio Berlusconi. Celui-ci n’avait pris la peine de prévenir personne, pas même le maire, Antonio Borrelli, qui avait perdu sa fille dans le séisme. Il avait besoin des caméras de télévision pour brandir devant elles ses promesses de rédemption, voire de résurrection, en véritable roi guérisseur. Il employa à plusieurs reprises
GIUSEPPE CAROTENUTO
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équipée de fontaines monumentales, d’un parc de la mémoire qui imite le mémorial de l’Holocauste à Berlin, d’une école gigantesque qui pourrait héberger des milliers d’enfants et en accueille à peine quatre-vingt- dix-huit. D’autres absurdités viennent s’ajouter à la liste : une piscine olympique (le village est essentiellement peuplé de retraités), un palais des sports, une rocade de 700 mètres qui a coûté la modique somme de 5 millions d’euros, un auditorium, un bâtiment pour l’annexe locale de l’université du Molise [basée à Campobasso, à 50 kilomètres de San Giuliano di Puglia], etc. Cette annexe est adossée à la nouvelle école : la plaque apposée à l’entrée certifie pompeusement la destination originelle du bâtiment, mais l’université n’a jamais pris possession des lieux. A la place ? Un centre d’appels. Les quartiers, les appartements hypermodernes, les grands travaux annoncés par l’ancien président du Conseil rivalisent de monumentalisme, ils sont tous démesurés. Tout a été pensé, non pas pour les habitants sur lesquels s’est abattue cette calamité aussi luxueuse qu’inattendue, mais pour magnifier le thaumaturge, pour épater la galerie, à la manière d’un Néron ou d’un Pierre le Grand.
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012 de terre ont fait d’énormes dégâts, évalués à plusieurs milliards d’euros. Quinze mille personnes ont dû quitter leur domicile et vivent toujours à l’heure actuelle dans des camps d’accueil, sous la tente. Les
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grosses chaleurs estivales ont obligé la Protection civile [service de l’Etat chargé des situations d’urgence] à y distribuer des climatiseurs. Il Post rapporte que 1 870 de ces appareils ont été installés.
Fontaine monumentale à l’entrée de l’école primaire du village. Guido Bertolaso, ange gardien de la protection civile [service de l’Etat, chargé des situations d’urgence, de l’assistance aux populations], fut le bras droit du roi guérisseur. Voici comment se présente la nouvelle Jérusalem du Molise : dans la ville basse, la place du 31-Octobre-2002, froide et théâtrale, et les maisons d’architecte colorées aux formes bizarres jurent avec le vieux bourg. La place est presque toujours déserte : trop dissuasive, juge-t-on en ville. De grands escaliers en pierre côtoient des passages piétonniers en marbre et même, jouxtant la place, une route en porphyre complètement inutile. Le visiteur, sans l’aide d’un guide, aura du mal à s’y retrouver. Il gardera le sentiment d’un apparat grandiose, mais, justement, mystérieux.
L’exploitation des drames Aucun mystère pourtant, comme l’explique parfaitement Antonello Caporale dans Terremoti Spa. Dès le début la stratégie était claire, inéluctable : il fallait, pour tirer profit du cataclysme, que les besoins d’argent et de reconstruction deviennent infinis, que le nombre des victimes soit démesurément exagéré, que les communes dévastées se multiplient à volonté. La zone sismique devait être étendue, pour laisser le champ libre aux dépenses, à la spéculation et aux malversations. Michele Mignogna, codirecteur du journal Il Ponte Online [ journal local de la région calabraise] énumère les noms de la clique qui confectionna sur-le-champ le modèle d’urgence, en gonflant les dépenses pour s’enrichir. Au premier rang, Claudio Rinaldi (entre-temps mis en examen pour abus de biens sociaux), proche de Guido Bertolaso ; Bertolaso lui-même et Michele Iorio, président de la région du Molise et commissaire chargé de la reconstruction (condamné depuis en première instance pour abus de bien sociaux, prise illégale d’intérêts au détriment de l’Etat, “concours idéal d’infractions” et pour avoir “étendu abusivement la zone sinistrée sans en avoir ni la compétence ni la légitimité”).
C’est le paradigme de l’Italie que nous vivons. Les gouvernements culpabilisent les Italiens, accusés de vivre au-dessus de leurs moyens, mais se trompent de cible à force de pontifier impudemment. C’est leur appât du gain et leurs compromis avec la réalité qui nous ont poussés à vivre audessus de nos moyens. Et la même scène se répète presque partout : en Campanie depuis le tremblement de terre de 1980, dans le Molise, dans les Abruzzes. Dans son beau livre sur la Camorra [mafia napolitaine] et les ordures en Campanie (La Peste, Rizzoli, 2010), Tommaso Sodano raconte très bien comment les politiques véreux, de mèche avec la pègre, ont fait de l’Italie un des pays les plus corrompus et les plus endettés au monde. Pas une catastrophe naturelle, pas un drame des ordures qui ne devienne festin pour les vautours, prêts à se repaître, à violer la terre, à exploiter la mort. “Passé, désastre, changement, nouveauté, futur”, tels sont selon Tommaso Sodano les mots d’ordre de ces hommes d’affaires, au sens propre. Le tremblement de terre en Irpinia en 1980 ne fut rien d’autre : “petits arrangements entre amis et gaspillage d’argent public”.
Ville cobaye Je conseille à qui voudra visiter San Giulinao de jeter un œil à la fontaine des Anges, en verre de Murano et céramique, imaginée par Sabino Ventura et par la Japonaise Yumiko Tachimi. Elle trône dans le patio de la nouvelle école, baptisée Les Anges de San Giuliano : 27 putti blancs et corpulents au ventre et aux fesses rebondies, qui rient, béats, sous les jets d’eau. Chiara d’Amico, venue en amie de la commune voisine de Jelsi, me regarde, désemparée. Elle confesse ne pas en soutenir la vue, son estomac se retourne. Les putti rappellent le monde féerique des jouets Papo, dont raffolent les enfants italiens en bas âge. Voilà à quoi servent les services d’urgence. Dans l’urgence tout est permis, les lois et les appels d’offres réglementés sont détournés, le citoyen écarquille les yeux,
infantilisé. De petits cercles se forment : ce sont les invités au festin. Et quand s’achève la phase d’urgence, une autre s’ouvre, sournoisement analogue : la phase de la “criticité”. Michele Petraroia, ex-secrétaire de la CGIL [principal syndicat italien], proche de l’association antimafia Libera de don Luigi Ciotti, et aujourd’hui conseiller régional du Molise, m’explique : “San Giuliano a servi de cobaye au modèle Berlusconi-Bertolaso. Un mécanisme bien rodé : le commissaire chargé de la reconstruction devenait président de la région, le Palais Chigi [la résidence des présidents du Conseil] centralisait les opérations en garantissant les fonds. Par le biais des ordonnances de la présidence du Conseil qui fixaient les critères de reconstruction de la zone, les lois et les appels d’offres étaient escamotés. Il a fallu attendre le dernier gouvernement Prodi pour qu’un compte rendu financier devienne obligatoire. Le plan a coûté un milliard d’euros sur dix ans : un torrent effréné déversé sur des zones qui n’en avait souvent pas le moindre besoin.” Le nombre de communes sinistrées s’élevait à 25-30 (18 selon d’autres estimations). Il devint 84. Le résultat ? “Une reconstruction bloquée à 35 %, des écoles non conformes aux normes de sécurité, un déclin démographique, des entreprises fermées, le
dépeuplement de San Giuliano.” On parle peu des architectes qui se sont prêtés à la création de la ville cobaye. On parle peu de l’offense, de l’humiliation que sécrète la laideur, surtout dans un pays comme l’Italie. L’urbanicide se nourrit aussi de cela, et les architectes devront un jour assumer leurs responsabilités. Parmi les personnes extraordinaires que j’ai rencontrées dans le Molise, je voudrais en citer une en particulier : don Antonio Di Lalla, prêtre de Bonefro et des alentours, où des maisonnettes délabrées abritent encore dix familles de personnes évacuées. Il dirige un journal indispensable pour quiconque cherche à connaître l’Italie qui résiste à la déliquescence : La Fonte [la source], magazine des victimes du tremblement de terre. “La question que nous devons nous poser est : où est passé l’argent mis à disposition ? Le fait est qu’on préfère le superflu, mais l’essentiel reste inachevé, de telle façon que le climat de dépendance envers ceux qui distribuent les ressources s’éternise. Il y a eu des gaspillages énormes, mais l’argent a été débloqué pour des ouvrages morts ; aussitôt terminés, aussitôt fermés, comme l’université fantôme. Au détriment d’ouvrages où l’homme puisse se remettre au travail et reprendre le cours d’une vie citadine normale.” Barbara Spinelli
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Amériques Etats-Unis
Obama sauvé par la Cour suprême La plus haute cour de justice américaine a finalement validé, par cinq voix contre quatre, la réforme du système de santé d’Obama. Une victoire pour le président – et les 30 millions d’Américains sans assurancemaladie – à cinq mois de l’élection présidentielle du 6 novembre prochain. Mother Jones (extraits) San Francisco
lle a survécu. La loi organisant le plus grand élargissement des compétences de l’Etat providence depuis le projet de Grande Société de Lyndon B. Johnson [président de 1963 à 1969] a reçu l’aval de la Cour suprême la plus conservatrice de ces dernières décennies. Cette décision ne constitue pas seulement un tournant juridique, elle marque également l’échec retentissant de la stratégie déployée par les conservateurs pour saboter l’œuvre du gouvernement Obama par tous les moyens possibles. “La Cour suprême vient de sauver le président”, résume Adam Winkler, professeur de droit à l’Université de Californie à Los Angeles. Faisant mentir presque tous les pronostics, le président de la Cour suprême, John Roberts, s’est en effet joint aux quatre juges progressistes pour maintenir la loi. John Roberts, juge conservateur nommé par le président George W. Bush, a donc fait échouer l’offensive de la droite contre l’Affordable Care Act [loi sur les soins abordables] de Barack Obama. Les conservateurs étaient passés à l’attaque en multipliant les dépôts de plaintes dès l’adoption du texte par le Congrès en
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“Prêt pour le prochain combat ? — Euh…” Sur la ceinture : Réforme du système de santé. Dessin de Luojie paru dans China Daily, Pékin. mars 2010. N’ayant pu le torpiller ni par la voie de l’obstruction parlementaire ni par la voie des urnes, pas plus qu’en attisant le mécontentement populaire, ils s’étaient finalement tournés vers les tribunaux. Cela n’a pas marché. La Cour suprême a refusé de bouleverser la vie de tous les Américains de moins de 26 ans aujourd’hui couverts par l’assurance de leurs parents, mais aussi de tous les malades qui ont été soulagés par la suppression du plafond de remboursement et des personnes âgées qui devraient de nouveau recourir à Medicare [programme fédéral d’assurance-maladie pour les personnes âgées et les handicapés] sans les aides à l’achat de médicaments sur ordonnance mises en place par le gouvernement Obama. Au lieu de cela, le juge Roberts – à la nomination duquel Barack Obama
s’était opposé lorsqu’il était encore sénateur de l’Illinois au Congrès, à Washington – a décidé de voter avec les quatre juges progressistes de la Cour pour sauver la mesure phare du président en matière de politique intérieure. La partie n’est pas gagnée pour autant. Les conservateurs ont promis de contester d’autres dispositions de la loi. N’ayant pu la détruire dans sa totalité, ils vont maintenant essayer de la démolir morceau par morceau. Si Mitt Romney l’emportait face à Obama lors de l’élection du 6 novembre prochain, il pourrait s’opposer à la mise en œuvre de la loi, même sans l’aval du Congrès. Le jugement de la Cour suprême ne garantit pas l’application de la loi visant à couvrir 30 millions d’Américains sans assurance-maladie. On ignore encore l’impact réel de cette décision sur
l’avenir de la réglementation. Il fut un temps où le principe de l’Affordable Care Act était soutenu par les républicains, qui refusaient des solutions trop encadrées par le gouvernement mais souhaitaient que tous les citoyens bénéficient d’une couverture maladie. Pourtant, alors que les démocrates et la gauche se mettaient d’accord sur un projet proche d’une couverture universelle mais respectant le marché de l’assurance privée, les républicains se sont mis à décrier l’idée comme l’une des plus infâmes formes de tyrannie. Parmi eux : Mitt Romney, champion républicain en 2012, alors que la réforme de l’assurancemaladie qu’il a mise en œuvre lorsqu’il était gouverneur du Massachusetts en fait le parrain de l’Affordable Care Act ; la très conservatrice Heritage Foundation, qui avait elle-même proposé l’idée en 1989 ; et le juge de la Cour suprême Antonin Scalia, qui s’est rappelé son opposition à l’Obamacare [surnom péjoratif de la réforme de la santé d’Obama] juste à temps pour voter contre. Mais cela n’a pas suffi. La loi a survécu, sauvée par le plus inattendu des défenseurs. Alors qu’il expliquait pourquoi il voterait contre la nomination du juge Roberts à la Cour suprême, le sénateur Obama avait déclaré : “Dans 5 % des cas, le problème ne se limite pas à la constitutionnalité d’un texte. Le facteur déterminant, c’est ce que pense le juge en son for intérieur.” Trouvant en son for intérieur le juge Roberts trop rigide, Obama avait donc voté contre la nomination du futur président de la Cour suprême. “Je vote contre la nomination de John Roberts, avait-il alors déclaré. Je le fais avec énormément de réticence. J’espère que je me trompe.” Il semble en effet qu’il s’est trompé. Adam Serwer
Témoignage
Une question de vie ou de mort Au lendemain du jugement de la Cour suprême, le Los Angeles Times a ouvert ses colonnes à une patiente atteinte d’un cancer qui explique comment la réforme du système de santé lui a sauvé la vie. La décision de la Cour suprême était pour moi une question de vie ou de mort. Je sais maintenant que je pourrai poursuivre le traitement dont j’ai besoin pour lutter contre un cancer du sein extrêmement agressif. J’ai fait partie des premières
personnes qui ont bénéficié de la nouvelle loi relative au système de santé. Quand j’ai appris que j’étais malade, en 2011, je n’avais pas d’assurancemaladie, et très peu d’options s’offraient donc à moi. Aucune compagnie d’assurances n’a voulu prendre mon cas en charge. Heureusement, le nouveau régime venait d’entrer en vigueur, et j’ai ainsi pu souscrire une assurance dans le cadre d’un programme public. Si je n’avais pas de couverture maladie, ce n’est pas parce que je suis une bonne à rien, une fainéante et une assistée,
mais parce que mon mari et moi travaillons à notre compte. Nous avions souscrit une assurancemaladie conçue pour les travailleurs indépendants mais, après avoir épuisé toutes nos ressources à cause des primes de 1 500 dollars [environ 1 200 euros] par mois, nous avons été contraints de résilier notre contrat. Début 2012, quand j’ai parlé de ma situation pour la première fois dans le Los Angeles Times, j’ai reçu des lettres d’insultes : d’après certains lecteurs, je méritais visiblement de mourir. Beaucoup d’autres étaient
étonnés et m’ont fait part de leur soutien. C’est surtout de l’étranger que sont venues les réactions les plus stupéfaites. Canadiens, Français, Italiens, Britanniques et Suisses ne comprennent pas pourquoi aux Etats-Unis la réforme de la santé est un sujet aussi politique. Ils ne comprennent pas pourquoi la plupart des gens ne savent rien de l’Affordable Care Act [la loi sur les soins abordables], pourquoi nous sommes si cruels les uns envers les autres. En juin, j’ai subi une double ablation, après cinq mois de chimiothérapie. J’ai reçu
des soins d’une qualité remarquable. Comme tout le monde, je ne pensais pas que j’aurais un jour le cancer. Après le diagnostic, ma vie a été complètement chamboulée. Si je raconte mon histoire, ce n’est pas pour qu’on me plaigne, mais pour faire remarquer que la chimiothérapie et une intervention chirurgicale lourde sont des épreuves suffisamment stressantes en soi sans que l’on doive en plus se préoccuper de leur coût. Spike Dolomite Ward Los Angeles Times (extraits) Etats-Unis
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Amérique latine
Le pillage des “chercheurs d’or” Les grandes compagnies minières se ruent sur le sous-continent latino-américain, qui concentre un tiers des investissements mondiaux dans ce secteur. Au détriment de toute préoccupation environnementale. Brecha Montevideo
’une part, l’Amérique latine connaît un boom minier comme elle n’en avait pas vu depuis longtemps. De l’autre, la “nouvelle conscience environnementale” et la résistance des populations locales aux projets dans ce secteur sont plus fortes que par le passé. Dans plusieurs pays de la région sont arrivées au gouvernement des formations politiques de gauche ou “progressistes” qui ne remettent pas en question les investissements miniers, même si elles ont encadré un peu plus le secteur et imposé des normes d’exploitation plus rigoureuses. Dans l’un de ses derniers rapports, l’Observatoire des conflits miniers en Amérique latine (Ocmal) a recensé au moins 120 “conflits” de l’Amérique centrale à la Patagonie. Selon la Banque mondiale, près d’un tiers des investissements mondiaux dans l’exploration de nouveaux gisements miniers se concentrent aujourd’hui en Amérique latine. Le produit intérieur brut (PIB) de plusieurs pays de la région dépend de plus en plus de ce secteur. Au Brésil, toujours selon la Banque mondiale, la production minière a progressé de 20 % en 2011 par rapport à l’année précédente, et en Equateur le gouvernement prévoit une croissance de 5 % du PIB en 2012 grâce à l’exploitation des mines d’or et d’argent. Au Pérou, près de 25 millions d’hectares, soit 19 % du territoire national (deux fois plus qu’en 2001), ont fait l’objet de concessions à des entreprises minières. Et le processus
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Le PIB de plusieurs pays de la région dépend de plus en plus de ce secteur se poursuit, indique l’étude, sans que le pays se soit “doté d’un cadre environnemental et social”. L’évolution des cours du cuivre, de l’or, de l’argent, du nickel, du fer et du zinc sur les marchés internationaux explique ce manque de régulation. C’est le cas par exemple dans la province de La Rioja, dans le nord-ouest de l’Argentine. Luis Beder, quand il était encore dans l’opposition, en 2007, avait juré que s’il devenait gouverneur de la province il
Dessin de Raymond Verdaguer, Etats-Unis. interdirait les exploitations minières à ciel ouvert. Mais en 2008, une fois élu, il a “changé d’avis”. Luis Beder a signé un accord avec une multinationale canadienne, Osisko, pour l’exploitation de la mine d’or que convoitait une autre compagnie canadienne, Barrick Gold [à laquelle il s’était opposé quelques mois plus tôt]. Pour les opposants à cette mine, dans le village de Famatina, c’est simple : tout le monde a un prix, et Osisko a trouvé le prix du gouverneur Beder. En janvier dernier, les habitants de Famatina et de Chilecito ont repris leur mobilisation contre l’entreprise minière et bloqué des routes. Quelques semaines plus tard, le gouverneur a déclenché une vague de répression qui n’a laissé personne indifférent. Même scénario en février dans la province de Catamarca [nord-ouest du pays], où la police a fait des blessés parmi les habitants qui bloquaient une route dans la ville de Tinogasta. Ces derniers protestaient contre de nouveaux projets autour de la mine
Bajo de la Alumbrera, le principal gisement d’or et de cuivre du Nord-Ouest argentin, exploité par deux entreprises canadiennes et une suisse (qui détiennent à elles trois 80 % des parts), en partenariat avec une société publique de la province, Yacimientos Mineros de Aguas del Dionisio. Au conseil de direction de ce consortium s’est adjoint récemment un certain Armando Mercado, ex-mari de la ministre du Développement social Alicia Kirchner, elle-même sœur de Néstor Kirchner [l’ex-président, auquel a succédé sa femme, Cristina]. Cela fait déjà quelque temps que la présidente argentine, Cristina Kirchner, promeut l’exploitation minière à grande échelle. Elle constitue selon elle l’une des activités qui a le plus d’avenir en Argentine et dont le trésor public peut espérer le plus de revenus. Le “gouvernement K” [de Kirchner] est très remonté contre les habitants qui viennent s’opposer à ce qui serait la poule aux œufs d’or, les accusant d’être des “conservateurs” qui ne se soucient aucunement de “l’avenir du pays”. Dans son dernier ouvrage, El Mal, le député, journaliste, écrivain et ancien kirchnériste Miguel Bonasso dénonce “le pillage” auquel se livrent les grandes multinationales minières en Amérique latine. Si elles prennent au moins la peine aujourd’hui de commander et de payer des études d’impact environnemental, ces sociétés continuent de se comporter en vrais colons : elles prennent et puis s’en vont – sans laisser grandchose derrière elles. A Famatina, raconte le journaliste argentin Martín Caparrós, un cadre de la société Osisko devenu persona non grata pour les habitants s’est enfui précipitamment, laissant derrière lui un dossier. Au côté de bilans et d’autres documents figurait un manuel listant “les moyens de contourner certains obstacles financiers et de faire passer et valider les dépenses en pots-de-vin”. Le dossier contenait également une liste des habitants les plus actifs dans la lutte contre les mines, précisant leur degré de “dangerosité” et ceux que la compagnie envisageait de corrompre. “La justice n’a pas ouvert d’enquête sur cette liste noire”, précise le journaliste L’Argentine n’est pas un cas isolé. Au Panamá, dans la région où vit la commuA relire Notre dossier “L’or, la face cachée d’une frénésie mondiale”, dans CI n° 1103-1104, du 22 décembre 2011.
nauté indienne des Ngöbe-Buglé, des entreprises coréennes et singapouriennes bataillaient pour obtenir des licences pour l’exploitation d’un gigantesque gisement renfermant quelque 17 millions de tonnes de cuivre. Cette ethnie s’est mobilisée et a bloqué des routes. Les affrontements avec la police se sont soldés par la mort de deux Indiens. En Colombie, la multinationale canadienne Greystar projetait d’exploiter la mine de Santurbán, située à 3 600 mètres d’altitude et qui contiendrait de riches filons d’or et d’argent. La production aurait pu atteindre 16 millions d’onces d’or et 2,3 millions
Ces compagnies prennent puis s’en vont comme de vrais colons d’onces d’argent par an. Or cette région abrite les sources d’eau qui alimentent la province de Santander, et que le projet aurait déviées vers la mine. Grâce à la mobilisation locale, celui-ci a été suspendu en 2011. Au Costa Rica, Industrias Infinito, filiale de la multinationale minière canadienne Infinito Gold, souhaitait exploiter une mine d’or prometteuse : 900 000 onces d’or par an. La concession lui avait été accordée par le gouvernement, mais les manifestations ont réussi à arrêter le processus, via une intervention de la justice, qui, en novembre 2011, est revenue sur la décision gouvernementale. En Equateur, la société canadienne Kinross négocie avec le gouvernement de Rafael Correa l’exploitation d’un filon souterrain, dans l’Amazonie équatorienne, qui recèlerait 6,4 millions d’onces d’or et 9,1 millions d’onces d’argent. A Cajamarca, une province du nord-ouest du Pérou, les habitants ont réussi à freiner, au moins temporairement, les projets d’extraction d’or de l’américaine Newmont, qui prévoyait d’assécher quatre lacs sous lesquels se trouvent les gisements. Le gouvernement d’Ollanta Humala était en principe favorable à ce projet de plus de 4,5 milliards de dollars d’investissements. Il fait face depuis plus d’un mois à une grève générale dans la province. Le Chili est l’un des pays d’Amérique latine où l’activité minière est la plus développée, tant en nombre d’exploitations qu’en termes de revenus dégagés. L’un des projets, pas encore lancé mais déjà approuvé “avec quelques réserves” par le gouvernement de Sebastián Piñera, prévoit l’extraction de près de 6 millions de tonnes de charbon par an dans la province de Magallanes, dans le Sud. Les mouvements écologistes dénoncent un désastre à venir pour la région. Daniel Gatti
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Premiers résultats Enrique Peña Nieto, 45 ans, est élu président du Mexique avec 37,65 % des suffrages devant son adversaire de gauche Andrés Manuel López Obrador (32,11 %) et la candidate conservatrice Josefina Vázquez Mota (25,44 %). Gouverneur
Amériques
de l’Etat de Mexico de 2005 à 2011, marié à une actrice de telenovelas, Peña Nieto, surnommé “le galant télégénique” voire “le Justin Bieber du PRI”, a assuré qu’il n’y aurait sous son mandat “aucun retour vers le passé”, selon El Universal.
Mexique
Le retour du PRI, vieux parti caméléon L’élection à la présidence d’Enrique Peña Nieto signe le retour du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) après douze ans d’alternance. Et aussi, selon l’écrivain Jorge Volpi, l’échec de la transition démocratique rêvée en 2000. Reforma Mexico
e 2 juillet 2000, lorsque les autorités chargées de l’élection avaient confirmé la défaite du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) à la présidentielle, nous avions cru avoir enterré le régime qui, durant plus de soixante-dix ans, avait exercé une domination quasi absolue sur le Mexique. Bien que conçu à l’origine par Plutarco Elías Calles sur le modèle du fascisme italien, le PRI n’était jamais devenu une dictature à proprement parler, mais un système sui generis, étudié et imité partout, qui, grâce à ses mues constantes, a pu s’adapter à toutes les évolutions par un subtil mélange de cooptation et de répression. Pourtant, trois moments clés ont entraîné sa lente déliquescence : en 1968, l’assassinat de plus de 300 manifestants étudiants a rompu le pacte symbolique
L
Dessin de Hachfeld paru dans Neues Deutschland, Berlin. qui l’unissait à la société ; vingt ans plus tard, en 1988 [lors de l’élection présidentielle], le système s’est rendu coupable d’une fraude très grossière au détriment de Cuauhtémoc Cárdenas [un dissident du PRI] ; enfin, en 1994, le PRI a volé en éclats quand, après l’apparition surprise de la guérilla zapatiste au Chiapas, son
Corruption
Soixante-dix ans de combines La victoire du PRI, ce parti “corrompu et corrupteur de façon obscène” n’est-elle pas due à “une élection achetée” ? se demande Proceso. “Les journalistes ont constaté tout au long de la campagne des montages à coup de millions de dollars”, affirme l’hebdomadaire mexicain, qui rappelle des meetings de campagne
certes “combles”, mais où le public quittait la salle “avant que le candidat ait commencé son discours”. “Aucun média n’a pu pour l’instant prouver, document en main, l’achat de votes parce que le PRI, fort de ses soixante-dix ans d’expérience au pouvoir, sait comment s’y prendre sans laisser de traces.
Au PRI, ils sont corrompus mais pas stupides”, ajoute Proceso. Plusieurs médias mexicains ont aussi dénoncé un accord entre la principale chaîne de télévision privée Televisa et Peña Nieto pour promouvoir son image. Et les deux partis d’opposition ont d’ores et déjà dénoncé des malversations.
candidat à la présidentielle et son secrétaire général ont été assassinés, révélant de féroces luttes intestines qui mettaient à bas soixante ans de partage pacifique du pouvoir. Discrédité, divisé, le PRI n’est pas parvenu à freiner l’ascension de Vicente Fox [conservateur, du Parti d’action nationale (PAN), élu le 1er juillet 2000], qui a su fédérer autour de lui le vote du rejet du régime. Le Mexique a alors entamé une difficile transition vers la démocratie. A son arrivée au pouvoir, Vicente Fox a tenté de former un gouvernement d’union et, lors de ses premiers mois à la présidence, il a obtenu des avancées en matière de transparence et de liberté d’expression. Malheureusement, il n’a pas tardé à dilapider son énorme capital politique : bloqué par un Congrès dans lequel l’opposition était majoritaire, mal conseillé par son épouse et obsédé (à l’époque et aujourd’hui encore) par l’idée de détruire Andrés Manuel López Obrador [le candidat de gauche, du Parti de la révolution démocratique (PRD), fondé par des dissidents du PRI], Vicente Fox a déçu les attentes considérables qu’avait éveillées sa victoire. La prési-
Vu d’ailleurs avec Christophe Moulin Vendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 14 h 10 et 17 h 10 La vie politique française vue de l’étranger chaque semaine avec
dentielle de 2006 [qui a vu l’élection du conservateur Felipe Calderón, du PAN] doit être perçue, dans ce contexte, comme le naufrage de notre transition démocratique. Dans un duel au couteau, gauche et droite ont tout fait pour s’entre-détruire, démantelant au passage le consensus social qui avait permis de chasser le PRI de la présidence. Allié à ceux qui jusque-là soutenaient le PRI, le PAN a obtenu de justesse la victoire, payée au prix d’une division radicale du pays. Une polarisation qu’allaient encore accentuer les invectives de López Obrador contre les institutions [il a contesté les résultats de l’élection] et, surtout, le lancement par le président Felipe Calderón de la guerre contre les narcos [dont le bilan est de près de 60 000 morts en six ans]. Si, en 2012, le PRI n’a jamais quitté la tête des sondages, c’est en raison de l’incapacité de la gauche et de la droite à se mettre d’accord sur les changements institutionnels dont a besoin le pays (comme elles l’avaient fait, par exemple, au Chili et en Espagne). Ainsi, pendant que les ennemis traditionnels du PRI se discréditaient et se mettaient des bâtons dans les roues, la formation historique a pu tranquillement organiser son retour triomphal à Los Pinos [le palais présidentiel]. Le PRI s’est toujours distingué par sa capacité à retourner sa veste et à changer de visage, et le “nouveau” PRI s’est attaché à se démarquer de toute position idéologique : aussi vide soit-il, son appel à un “gouvernement efficace” entendait positionner le parti comme une formation du centre, sans aspérités, à l’instar de l’“ancien” PRI, fourre-tout. Un examen de sa stratégie de campagne ne révèle rien d’autre que des promesses concrètes, “certifiées devant notaire”, pour l’essentiel des projets de travaux publics qui, comme toujours sous le règne du PRI, bénéficieront à certaines communautés uniquement et feront la fortune de ceux chargés de les mettre en œuvre. Dans cette partie de billard à trois bandes, le PRI a fait sienne la maxime romaine Divide et impera, diviser pour mieux régner. Jorge Volpi
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Retrouvez sur “Télématin” la chronique de Marie Mamgioglou, aux côtés de William Leymergie, à propos des “relâcheurs de serpents”, le samedi 7 juillet à 9 h 10.
Asie Chine
Libérez-nous des “libérateurs” ! Le bouddhisme mène à tout, y compris à relâcher des reptiles par centaines dans un village. Rituel bouddhique, la libération d’animaux vivants connaît des dérives et rapporte gros. Zhongguo Xinwen Zhoukan (extraits) Pékin De Xinglong (province du Hebei)
’affaire a commencé le 31 mai. En milieu de journée, neuf voitures ont fait irruption dans le village de Miao’erdong [province du Hebei, dans l’est de la Chine]. Une quarantaine de personnes, amenées par cet étrange convoi, ont sorti des véhicules des boîtes en polystyrène remplies de sacs renfermant toutes sortes de pythons et autres serpents. Les reptiles ont ensuite été relâchés dans un verger et ont mis le village sens dessus dessous. Ces quarante personnes étaient membres d’un groupe de libération d’animaux captifs basé à Pékin. Le “lâcher d’animaux” est une pratique bouddhique prônée par le courant du Grand Véhicule [Mahāyāna] et fondée sur la notion de miséricorde compatissante. Sa doctrine place tous les êtres vivants sur un pied d’égalité en vertu de la succession des renaissances et des réincarnations. C’est ainsi que poissons, oiseaux et autres animaux, capturés vivants, sont libérés dans les étangs ou les montagnes pour leur éviter de finir dans la marmite ou en captivité. Les grands maîtres du bouddhisme ont souvent vanté les bienfaits de la “libération d’animaux” sur la voie du bonheur et de la vertu. Les libérations d’animaux dans la nature ne concernent pas seulement le village de Miao’erdong. Selon Yu Fengqing, membre de longue date de l’Association de protection des animaux sauvages, on trouve partout en Chine des groupes spécialisés dans la libération d’animaux captifs. Pour l’anniversaire de la naissance de Bouddha ou à l’occasion d’autres fêtes, ils collectent des fonds, utilisés pour acheter des lots entiers de poissons, d’oiseaux ou de tortues pour les relâcher ensuite. La “campagne de libération” du village de Miao’erdong, avec une quarantaine de personnes, peut en fait être considérée comme de faible ampleur. Yang Huiqin, une villageoise, fait chaque jour plusieurs fois le tour de sa cour, un bâton à la main. Des serpents ont été libérés près de chez elle, dans les fourrés : “Il y en des
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Dessin d’Astromujjoff paru dans La Vanguardia, Barcelone.
jaunes, des bariolés et d’autres encore qui sont tout noirs.” Les villageois en colère ont retenu treize “relâcheurs” jusqu’à l’intervention des responsables municipaux. “Finalement, les ‘relâcheurs’ nous ont versé 40 000 yuans [5 000 euros] de dédommagement”, explique le trésorier du village. Le lendemain de l’opération, les villageois se sont rassemblés spontanément pour lancer une grande chasse aux serpents, jugés “effrayants”, car on ne sait s’ils sont venimeux ou non. Mais les reptiles tués ont représenté moins de la moitié des animaux libérés. Qui plus est, des œufs ont été découverts, d’où la crainte de voir proliférer les serpents. “Nous qui comptions cueillir des fruits dans les montagnes pour gagner un peu d’argent, maintenant nous n’osons plus le faire !” regrette Yang Huiqin, qui ne se risque
“Le destin de ces animaux est le vôtre ; faites une bonne action” même plus à laver son linge dans la rivière. Quant aux enfants du village, ils ne vont plus à l’école, et les habitants sont obligés de passer leur temps libre à chasser les serpents. Le millier de reptiles libérés provenaient tous d’un marché de gros. Sur un marché de la capitale qui se trouve près d’un lieu très prisé des “libérateurs d’animaux”, un vendeur de fruits de mer vante ainsi sa marchandise : “Le destin de ces animaux est le vôtre ; vous pouvez faire une bonne action !” Sur le marché aux fleurs, aux oiseaux et aux poissons de Shilihe, à Pékin, on peut même voir des pancartes indiquant : “Supporte la remise en liberté”. Le rituel de la libération dans la nature d’animaux captifs a favorisé la création
d’une “chaîne de production” d’un nouveau genre. Pour accomplir le rituel, certaines personnes commandent les animaux à des vendeurs spécialisés, lesquels les commandent à leur tour à des chasseurs d’oiseaux ou de serpents, qui capturent le nombre demandé de bêtes avant de les acheminer jusqu’au marché. C’est ainsi que se crée un cercle vicieux ! Les amateurs de lâchers d’animaux dans la nature expliquent que la libération de serpents doit être inspirée par une profonde compassion pour pouvoir être considérée comme une bonne action. Un principe de base est que cela ne doit pas être une source de perturbation dans la vie de tous les jours et que cela ne doit pas porter atteinte à la sécurité publique – sinon l’effet est contraire à celui escompté. Les mille reptiles libérés dans le village de Miao’erdong ont semé la terreur parmi les habitants. De plus, contrairement à la volonté de leurs “bienfaiteurs”, leur vie n’est pas forcément protégée. Selon Song Huigang, un autre membre de l’Association de protection des animaux sauvages, “en Chine, la plupart des espèces de serpents vivent dans le sud du pays. Lorsqu’ils sont revendus dans le Nord, il n’est pas certain qu’ils parviennent à s’adapter à leur nouvel environnement, même lorsqu’ils sont relâchés dans des bois, et leur survie n’est pas assurée !” La question de la libération intempestive d’animaux est l’objet de polémiques depuis plusieurs années dans le milieu bouddhiste. Le maître Shen Yan, directeur de l’Institut d’études bouddhiques Chung-Hwa, a déclaré que les abus en la matière étaient une honte et que le problème ne provenait pas du rituel en lui-même, mais des moyens employés. Les adeptes du bouddhisme doivent attacher de l’importance à la compassion, qui est l’essence de ce rituel, et ne doivent pas chercher seulement à respecter la forme. Li Guang et Yang Di
Le mot de la semaine
“ganchao” Rattrapage “Rattrapage” est un mot à forte connotation maoïste. Se composant de deux caractères, gan (rattraper) et chao (dépasser), il faisait partie de l’idéologie de l’époque. Le fameux Grand Bond en avant de 1958 fut lancé sous le slogan “Rattrapons les Etats-Unis et dépassons l’Angleterre”. Dans cette logique, le Parti, la nation ou même l’individu pouvaient surmonter toutes les difficultés à partir du moment où ils se conformaient à l’idéologie. La réforme de 1978 a balayé l’idéologie. Les campagnes maoïstes ne sont plus à la mode. Pourtant, la mentalité du rattrapage reste présente. Vue de l’extérieur, la Chine a accédé au rang de superpuissance, et son économie devient le moteur du monde. L’article dévoile un coin caché de la vie spirituelle des Chinois. Une partie des urbains vient à peine d’échapper à la misère et se sent orpheline d’esprit et d’âme. On se souvient que certaines pratiques appartenant à la tradition bouddhique, comme la remise en liberté d’animaux dans la nature, pourraient être une solution pour retrouver son âme perdue. Il suffit d’acheter quelques petits animaux captifs, de les amener en zone rurale et de les relâcher pour avoir le sentiment de faire une bonne action. Certes, ces libérateurs cherchent à se débarrasser du poids écrasant du matérialisme omniprésent et grossissent les rangs de l’armée des repentis dans les monastères bouddhistes. Mais, peu soucieux des dégâts collatéraux envers les villageois, ils ne réfléchissent pas à l’impact d’une action censée libérer des bêtes mais qui ne fera que démanteler davantage la nature. Le paradoxe de cette histoire est que, dans un monde où domine la recherche du gain, le retour à la spiritualité profite aussi au commerce. Chen Yan. Calligraphie d’Hélène Ho
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Asie
Jeunesse Une bombe sociale à retardement ? Pays jeune par son histoire – il est le 191e Etat membre des Nations unies, admis en 2002 –, le Timor-Oriental l'est aussi par sa population : quatre Timorais sur dix ont
moins de 14 ans. Ce qui, combiné au nombre des pauvres, qui s’accroît malgré le “trésor” pétrolier du pays, pourrait bien le transformer en poudrière. Sources : Banque mondiale, Bureau national des statistiques du Timor-Oriental, UNFPA
Timor-Oriental
Répartition de la population par tranches d’âge (2010)
De 15 à 64 ans
53,9 %
De 0 à 14 ans
41,4 %
Plus de 65 ans
4,7 %
MIGUEL MADEIRA / PUBLICO
Un pays riche de pétrole qui fait le plein de pauvres
Au bord d’une rue défoncée de Dili, la capitale souvent inondée par des pluies torrentielles, un jeune Timorais propose le drapeau national.
Ils ont gagné leur indépendance dans le sang, après des années de violences et d’exactions de l’armée indonésienne. La liberté conquise, les Timorais se sont attaqués à la pauvreté.Dix ans après, le bilan déçoit. Público (extraits) Lisbonne
a pluie fine ne semble pas gêner les centaines de personnes âgées qui occupent la quasi-totalité de la cour de la Banque nationale du commerce du Timor-Oriental, à Dili. Ces hommes et ces femmes attendent en silence en rangs serrés. Certains s’appuient sur d’autres, fatigués par l’attente, qui dure depuis plus de trois heures. Lorsqu’ils peuvent enfin
L
donner aux employés les papiers demandés, ils reçoivent 180 dollars [143 euros]. La majorité ne vérifie même pas l’argent reçu. Dans six mois, ils reviendront pour recevoir cette aide gouvernementale mise en place en 2011 pour les plus de 60 ans et les handicapés : 1 dollar [0,8 euro] par jour pendant six mois. Délia Gonçalves, l’une des responsables de la banque, décompte près de 47 000 bénéficiaires dans le pays sur une population estimée à 1,1 million. “Un dollar par jour, c’est suffisant et c’est une bonne chose pour les gens”, assure-t-elle. Dans les files d’attente, Alfredo da Silva Gomes n’est pas d’accord : “Evidemment que cet argent ne suffit pas à une personne pour vivre !” “Il n’y a que ceux qui sont dans leurs bureaux qui pensent que c’est suffisant. Au Timor, la pauvreté est très grande”, ajoute Fernando Soares, qui
s’immisce dans la discussion. “Ce n’est pas assez, mais c’est une bonne politique et notre nouveau président [l’ancien chef des armées José Maria Vasconcelos, dit Taur Matan Ruak, élu en avril] a promis de l’augmenter”, souligne de son côté Francisco Araujo. Ces hommes âgés, très pauvres, sont les mêmes que ceux qui, avant le référendum d’autodétermination de 1999, vivaient à Dili dans des “maisons” en bois ou en torchis, avec des tôles de zinc pour toit. Ce sont les mêmes qui en 2002, après s’être réfugiés dans les montagnes pour fuir la destruction et la mort après le référendum [en représailles, l’armée indonésienne avait mené une répression sanglante], sont revenus à Dili pour habiter les tentes installées par l’aide internationale. Les années passant, ils ont reconstruit leurs vieilles “maisons” sur les sols boueux.
D’autres maisons, plus solides, ont vu le jour, habitées par des gens tout aussi misérables. Elles se cachent derrière les murs des grandes entreprises, des agences de l’ONU, des ONG, des commissariats de police et des énormes bâtiments publics flambant neufs. Les gens continuent à y cuisiner au feu de bois le peu qu’ils ont. L’électricité est présente dans toute la ville, mais à des prix inabordables. Ils continuent aussi à cultiver leurs jardins sur les rives des cours d’eau – toujours plus pollués – de Dili, et vendent leurs fruits et légumes pour quelques centimes dans les nombreux marchés de plein air anarchiques et sales ou au bord des routes. A quelques mètres, le plus souvent, les luxueux supermarchés des malae [“étrangers” en tetum, une des deux langues nationales avec le portugais] et de l’élite timoraise, toujours plus riche.
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(2010)
Pop. urbaine
29,6 % Pop. rurale
70,4 %
Sur les quelque 1,7 milliard de dollars [1,4 milliard d’euros] du budget, issu en grande partie de l’exploitation du pétrole et du gaz, seuls 128 millions [100 millions d’euros] sont consacrés aux dépenses sociales. Une somme qui permet de verser l’aide de 180 dollars, d’autres pensions de retraite, et celles des anciens combattants, veuves et orphelins de guerre. Soit un total de 89 000 Timorais, selon le gouvernement. Une aide importante, mais qui est encore loin d’être suffisante pour éviter que la moitié des Timorais ne vivent audessous du seuil de pauvreté. “La pauvreté est encore généralisée ; nous n’avons pas réussi à la réduire autant que prévu”, reconnaît José Ramos-Horta, l’ancien président de la République [de 2007 à 2012]. Pour celui qui est aussi Prix Nobel de la paix [en 1996], la malnutrition infantile, qui atteint près de la moitié des enfants, “est inacceptable”. La tuberculose, dit-il, “continue à être la première maladie du pays” et “la malaria et la dengue ne faiblissent pas”. Des maladies qui tuent encore au Timor. Pourtant, le budget de cette année consacre seulement 48 millions de dollars [38 millions d’euros] à la santé, soit 27 millions [22 millions d’euros] de moins qu’à l’administration de l’Etat.
“Dix ans après l’indépendance, le pays vit sur l’argent du pétrole” “Même si tout n’a pas été un succès, il faut tenir compte du contexte général”, souligne Ramos-Horta. Pour Marí Alkatiri, secrétaire général du Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor-Oriental [Fretilin, ancienne guérilla et premier parti timorais, actuellement dans l’opposition] et ancien Premier ministre, “il n’y a pas de ligne stratégique pour le Timor-Oriental et pour lutter contre la pauvreté. Dix ans après l’indépendance, le pays vit en se fondant sur l’argent facile du pétrole et sans plan de développement cohérent.” Alkatiri ajoute : “Au lieu de distribuer cet argent, on préfère l’enterrer dans des projets mégalomaniaques réalisés par des étrangers.” Pour qui revient à Dili dix ans après [l’indépendance], la première image est impressionnante. En une décennie, la capitale, qui avait vu près des trois quarts de ses bâtiments détruits, a su se reconstruire sur ses décombres. Les boutiques tenues par les Chinois se multiplient dans toute la ville [lire ci-contre]. Indonésiens, Malaisiens et Pakistanais possèdent eux aussi de nombreuses échoppes. Dans la rue, enfants et adultes vendent CD piratés, babioles en tout genre et pulsa [cartes de téléphonie mobile]. A Dili, où vivent 150 000 habitants, on a construit des maisons et des immeubles de deux ou trois étages comme on en trouve dans les grandes villes d’Asie. Parmi les nouveaux bâtiments qui agrémentent cette cité désordonnée et sale – les ordures sont brûlées à ciel ouvert et les fortes pluies la transforment presque en un lac –, il y a
Population bénéficiant d’un accès à l’eau potable
Ratio de la population pauvre (en fonction du seuil de pauvreté national)
(2010)
66 %
39,7 %
2001
2007
Le pétrole, un trésor confisqué MALAISIE
I N D O N É S I E I N D O N É S I E
OCÉAN INDIEN
Zone pétrolière de développement conjoint
Dili Baucau T-O
TIMOR-ORIENTAL AUSTRALIE
Superficie : 15 410 km2 (2 fois la Corse) • Population : 1 129 000 habitants • Espérance de vie : 62,5 ans • Classement IDH* : 147e sur 187 Etats • PIB par habitant (en PPA, 2011) : 2 863 dollars Religion : 98 % des Timorais se disent catholiques • Part des principaux secteurs économiques dans le PIB : agriculture (30,5 %), industrie (13,5 %), services (56 %)
LE bâtiment. Le Timor Plaza, un centre commercial privé qui vient d’ouvrir ses portes, situé non loin de l’endroit où les personnes âgées viennent chercher leurs quelques dollars d’aide. Sa dimension, ses trois étages avec des dizaines de magasins et de bureaux, ses espaces de divertissement pour les enfants et ses nombreux restaurants apportent une modernité jamais vue ici. Le Plaza est donc rapidement devenu le sujet par excellence des rumeurs de la ville et le lieu à la mode à fréquenter, même si la majorité de ses visiteurs n’ont pas les moyens d’y faire des achats. Une autre raison explique son succès : la présence du premier ascenseur du pays accessible au public. Le Plaza est seulement concurrencé par le nouveau bâtiment du ministère des Affaires étrangères et celui de la Défense, énormes et luxueux, très audessus des besoins de cette jeune nation, décorés avec un mobilier des plus raffinés et dotés d’équipements modernes. Des équipements qui pourraient rendre jaloux des gouvernements étrangers plus riches, mais qui sont peu utilisés soit par manque de personnel qualifié, soit parce qu’ils sont inutiles compte tenu de la réalité locale. Les deux bâtiments ont été financés par l’aide chinoise, comme le prouve la tapisserie qui recouvre tout un mur du salon
Limite de la zone économique exclusive (accord de 1997) 500 km
29
49,9 %
MER DE TIMOR
Darwin AUSTRALIE
Gisement d’hydrocarbures en exploitation
Indépendance sanglante 1975 La colonie portugaise, après avoir proclamé son indépendance, est envahie par l’Indonésie. Le conflit avec la résistance timoraise fait au moins 200 000 victimes jusqu’en 1999. 1999 Après la chute du dictateur indonésien Suharto, en 1998, l’Indonésie et le Portugal s’accordent pour permettre au Timor-Oriental de se prononcer sur son avenir. Plus de 78 % des Timorais votent pour l’indépendance. Une répression sanglante de l’armée indonésienne suit. L’ONU intervient et installe une autorité de transition. 2002 Xanana Gusmão, figure de la résistance, est élu président et intronisé le 20 mai, date officielle de l’indépendance. 2007 José Ramos-Horta, leader indépendantiste et Prix Nobel de la paix (1996), remporte la présidentielle et nomme Xanana Gusmão Premier ministre. 2012 Dix ans après l’indépendance, José Maria Vasconcelos, alias Taur Matan Ruak, ex-chef des armées, est élu à la présidence. Il nommera un Premier ministre à l’issue des élections législatives du 7 juillet (65 sièges à pourvoir). L’ONU doit se retirer du pays à la fin de l’année.
Sources : France Diplomatie, FMI, PNUD. *Indice de développement humain.
Répartition de la population par milieux
d’honneur du ministère des Affaires étrangères – une cordillère montagneuse, celle que couronne la muraille de Chine. En dix ans, la première préoccupation de l’ONU comme des gouvernements successifs a été de construire un Etat démocratique. Cet Etat est une réalité, avec ses qualités et ses défauts. Une victoire célébrée par tous. Sauf que, pendant que l’on construisait l’Etat, presque tout le reste a été relégué au second plan. On a fait couler et on fait encore couler l’argent pour résoudre les problèmes, les dollars passant de main en main de façon vertigineuse sans trop de contrôle. Lutter contre la corruption était et reste le mot d’ordre de tous les politiques timorais, sans grand effet. Jusqu’en mars dernier, lorsqu’un tribunal de Dili a prononcé la mise en accusation de la ministre de la Justice pour corruption, abus de pouvoir et faux en écritures. Une bombe qui a débouché sur la suspension de son mandat par le Parlement. Marí Alkatiri, du Fretilin, assène : “Au Timor, la corruption est partout. Dans un pays aussi petit, il y a des choses qu’on ne peut pas cacher. Ce voisin, par exemple, n’avait rien avant que ce gouvernement n’arrive au pouvoir [le Fretilin est dans l’opposition depuis 2006] et avant l’arrivée de l’argent du pétrole, et subitement il possède deux, trois voitures, une maison de plusieurs centaines de milliers de dollars et se rend très souvent à Bali ou à Singapour.” Près de 130 kilomètres et, au minimum, trois heures et demie de trajet séparent Dili de Baucau, les deux principales villes du pays. La route s’est progressivement dégradée en dix ans. Les conducteurs sont fréquemment surpris par d’énormes nidsde-poule. Et la route Dili-Baucau est un moindre mal comparé aux autres axes. Conséquences : des populations isolées, des difficultés importantes d’accès aux soins et à l’éducation, des retards en matière de développement rural et plus de pauvreté. Il faut sortir de Dili pour s’apercevoir de la véritable dimension de la pauvreté. C’est là que vivent ceux qui ne voient pas la couleur de l’argent du pétrole. Luciano Alvarez
Expansion
La Chine toujours plus présente La Chine est très entreprenante au TimorOriental. Des centaines de fonctionnaires ont été invités à faire le voyage à Pékin ces sept dernières années. Des bourses sont offertes aux étudiants et l’armée suit des formations sous commandement chinois. Les exportations de la Chine vers le Timor-Oriental ont fait un bond de 110 % en 2011. Les produits chinois inondent les marchés locaux, et 3 000 immigrants chinois se sont déjà installés dans
le pays. La plupart ont ouvert des boutiques à Dili et jusque dans les villages les plus reculés. Ils ruinent le commerce en vendant leurs produits importés moins cher que les produits locaux. Asina, marchande de fruits et légumes, n’arrive plus à faire face : “Nous demandons au gouvernement de réglementer le prix des produits alimentaires et de nous accorder des subventions pour que nous puissions survivre.” En 2008, la Chine a remporté
un appel d’offres pour la vente de deux patrouilleurs. L’Australie, qui avait proposé ses navires, a critiqué les Chinois, affirmant que leurs bateaux n’étaient pas adaptés. Selon Ramos-Horta, alors président, si le TimorOriental a choisi d’acheter des navires chinois, c’était parce qu’ils coûtaient moins cher et que la Chine offrait d’entraîner les techniciens. “Nous n’avons pas pris en considération la concurrence politique mondiale, nous avons privilégié l’intérêt
économique de notre peuple.” Tous les projets chinois n’aboutissent pas. Des compagnies chinoises avaient des vues sur la prospection gazière dans le golfe de Timor, mais l’Australie leur a fait barrage sur ce qu’elle considère comme sa chasse gardée. Elle a forcé le Timor-Oriental à accepter la construction d’un gazoduc depuis ce golfe jusqu’à Darwin. Eko Ari (Jakarta) et José Sarlito Amaral (Dili) Tempo (extraits) Jakarta
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Moyen-Orient Turquie
Ankara revoit ses alliances La crise syrienne a montré au gouvernement islamiste de la Turquie que l’Iran et la Russie ne pouvaient être des alliés fiables. Ankara ne peut compter que sur l’Occident.
et quelques âmes sœurs allemandes. La Russie n’est certes pas une amie de la Turquie, pas plus que l’Iran. Confrontés à un nombre toujours plus important de réfugiés, “hôtes” ou transfuges syriens, et à des provocations militaires imprévisibles, les dirigeants turcs devraient comprendre où se trouve leur intérêt. Sinon, qu’ils se concentrent au moins sur une question en particulier : l’énorme arsenal syrien dans le domaine
The Guardian (extraits) Londres
omme les temps changent ! Au début de 2003, quand le gouvernement Bush avait demandé l’autorisation de faire passer ses troupes par le territoire turc pour envahir l’Irak, Ankara avait froidement refusé. Pour s’être aussi audacieusement opposée à la volonté de l’Amérique, la Turquie avait été saluée dans le monde arabe, en particulier en Syrie. C’est désormais au tour du régime du président Bachar El-Assad d’être considéré à Ankara comme un ennemi dangereux : le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a promptement changé de ton [après l’attaque d’un avion turc par la Syrie le 22 juin]. Rechignant à s’attaquer lui-même
C
Les priorités d’Ankara : la modernisation et la croissance économique à Assad, Erdogan s’est tourné vers les EtatsUnis et l’Otan en quête de soutien. Mais Erdogan a eu beau jurer de frapper toutes les unités militaires syriennes qui approcheraient de la frontière, d’appuyer “à tout prix” les forces de l’opposition et de faire tout son possible pour abattre la dynastie Assad, en réalité la position de la Turquie est faible. Les priorités d’Ankara sont doubles, et d’ordre national : la modernisation et la croissance économique. La Turquie ne veut pas d’une guerre à sa frontière sud ; elle ne peut pas se permettre de voir un conflit menacer ces deux objectifs, déstabiliser un peu plus les régions kurdes, et sérieusement compromettre ses intérêts régionaux. Cette faiblesse inhérente de la Turquie était manifeste même avant le début du soulèvement en Syrie, il y a plus d’un an. Et elle s’est accentuée par une série de graves erreurs de calcul. Ahmet Davutoglu, le ministre des Affaires étrangères, surnommé le “Kissinger turc” (un surnom censé être un compliment), est le père de la politique du “zéro problème avec les voisins”. En bref, l’idée était que la Turquie renforce ses liens avec les pays arabes qu’elle avait autrefois colonisés, joue le rôle d’intermédiaire de bonne foi avec l’Iran, et entretienne une relation pragmatique positive avec Israël. En théorie, tout cela devait consolider la position d’Ankara en tant que puissance régionale
Peu d’informations sur les capacités syriennes chimiques et biologiques
Dessin de Bleibel, Liban. montante et d’interconnexion entre l’Occident et le Proche-Orient. Cette politique a semblé fonctionner pendant un temps. En ce qui concerne plus particulièrement la Syrie, la Turquie s’est efforcée de mettre de côté de vieux litiges, comme le partage des ressources en eau, le problème de la province frontalière de Hatay et le soutien de Damas aux militants kurdes. Une ouverture qui paraît aujourd’hui malavisée. Du reste, les relations avec Israël ont capoté. De son côté, l’Irak préfère manifestement Téhéran à Ankara. Et les responsables du programme nucléaire
iranien n’ont, semble-t-il, aucune considération pour les efforts de médiation turcs. La question kurde, elle, n’a toujours pas trouvé de solution. La crise syrienne offre aux dirigeants turcs la possibilité de réorienter la politique de leur pays sur une base plus saine, en cherchant aujourd’hui qui sont leurs vrais amis, non qui ils pourraient être. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne appartiennent fermement au premier camp, tout comme la plupart des pays de l’Otan, en dépit des sentiments antiturcs agités par le peu regretté Nicolas Sarkozy
des armes conventionnelles et de destruction massive. Un danger mis en lumière la semaine dernière par The Christian Science Monitor : “On dispose de peu d’informations solides sur les capacités syriennes dans le domaine de la guerre chimique et biologique, mais le pays disposerait d’un des plus grands stocks d’agents chimiques du monde, dont du VX et du sarin, des gaz innervants. Damas est également doté d’un nombre impressionnant de missiles sol-sol, comme les Scud-D, qui peuvent être équipés de têtes chimiques.” Il est effrayant d’envisager que certaines de ces armes soient utilisées par un régime désespéré se battant pour sa survie ou qu’elles tombent aux mains de groupes terroristes, quelle que soit leur obédience. Le chaos qui s’ensuivrait aurait largement de quoi faire pâlir ce qui s’est passé en Libye et dans le Sahel après la chute de Kadhafi. Simon Tisdall
Vu de Syrie
La mauvaise stratégie d’Assad Seul un nationaliste syrien pouvait apprécier tout le sel de la situation. Cette semaine, on apprenait que quelque 200 Syriens fuyant le régime de Bachar El-Assad étaient passés dans la province turque de Hatay. Ce groupe comprenait un général, deux colonels, deux commandants et une trentaine d’autres militaires. La province de Hatay appartenait autrefois à la Syrie, avant d’être occupée par la Turquie en 1938, puis annexée. Depuis des décennies, les nationalistes syriens considèrent Hatay comme un territoire volé. Aujourd’hui, c’est devenu une terre de salut pour de nombreux Syriens, mais aussi un foyer
Dessin de Bleibel, Liban. de tensions grandissantes entre Damas et Ankara après la destruction d’un avion turc par la Syrie [le 22 juin]. Damas essaye de déstabiliser ses pays frontaliers, en
particulier la Turquie et le Liban, afin de se protéger. Du point de vue de Bachar El-Assad, si la communauté internationale en vient à craindre que la fin de son
régime n’entraîne une explosion régionale, elle y réfléchira à deux fois avant de le pousser au départ. Cette stratégie ne se révèle pas si payante. En d’autres termes, les tentatives de déstabilisation de la région par Assad ne font que confirmer qu’il représente une menace et qu’à ce titre il faut le renverser. S’il y a bien un consensus international à propos de la situation en Syrie, c’est sur le fait que le conflit ne doit pas s’étendre aux pays voisins, notamment la Turquie, le Liban et l’Irak, vulnérables du fait de leur mixité religieuse et ethnique. Michael Young The National (extraits) Abou Dhabi
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Egypte
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Israël
Comment j’ai réussi à me libérer des Frères musulmans
Un mariage juif et gay
Nés au sein de familles islamistes, de nombreux jeunes Egyptiens finissent par s’émanciper de la religion, souvent au prix d’une rupture avec leurs parents.
Avraham Burg, juif religieux et enfant terrible de la politique israélienne, raconte comment il a célébré un mariage entre deux hommes selon la loi de Moïse. Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv
Al-Shourouk Le Caire
orsque les députés [de deux mouvements d’extrême droite] Anastasia Michaëli (Israël Beiteinou) et Uri Ariel (Union nationale) ont fait part de leurs points de vue quant à la place dans la société et aux droits des membres de la communauté homosexuelle*, j’étais occupé ailleurs. En effet, j’avais le privilège, pour la première fois de ma vie, de célébrer le mariage d’un couple de même sexe. Ils avaient choisi en pleine connaissance de cause une cérémonie à la fois totalement gay et totalement humaine et juive. Quand nous avons eu vent des déclarations de ces deux députés, nous avons pensé que nous devions présenter à l’opinion publique une vision du monde radicalement différente. Le public devait pouvoir faire le départ entre le sacré et le profane, la lumière et les ténèbres, ces députés et nous. Avant la traditionnelle cérémonie, durant la bénédiction, j’ai déclaré : “Ce qui a conduit nos ancêtres à édicter un interdit sur l’amour pour une personne du même sexe, ce n’était ni la crainte ni la haine, mais une vision du monde beaucoup plus profonde. Le judaïsme est une civilisation de la vie, une sacralité de la vie. La fertilité permet la naissance et la continuité de l’humanité, ce qui est l’essence même de la culture juive de la vie et de la sacralité de la vie. Et parce que, en ces temps anciens, l’homosexualité signifiait infécondité et impossibilité de se multiplier, elle fut interdite et excommuniée. Mais aujourd’hui, avec les découvertes des dernières générations, tout cela a changé. Notre nouvelle famille est très large. Homos et lesbiennes désirent et peuvent être des parents élevant des enfants merveilleux et égaux à n’importe quel autre enfant. Et quand l’excuse de la stérilité devient nulle et non avenue, la mise au ban violente et horrifiée de l’homosexualité devient nulle et non avenue. L’amour pour les personnes du même sexe, c’est l’amour sensible d’une personne qui aime quelqu’un qui est, littéralement, comme elle. N’est-ce pas une autre interprétation, contemporaine et actuelle, du commandement : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’? L’amour de quelqu’un qui est comme moi, c’est une autre dimension du potentiel amoureux de l’être humain. Ce que ce couple nous offre comme présent, c’est le tikkoun olam, la réparation du monde.” Avraham Burg
L
D
ans la famille de Moussaab, le père, la mère et les six frères jurent tous fidélité aux Frères musulmans. La mère a veillé à éduquer ses enfants selon leurs idées, mais, quand la révolution a éclaté, en 2011, son fils Moussaab, un jeune médecin, a fait sa propre révolution en quittant la confrérie. Cela a été un choc violent à l’intérieur de la famille. L’intéressé s’en explique : “Ma mère et mon frère aîné sont extrêmement dévoués à la confrérie, sans aucune objectivité. Je peux davantage discuter avec mon père, qui pense comme moi que les membres [des Frères musulmans] n’ont pas été touchés par le Saint-Esprit mais sont des êtres humains faillibles. Ma mère, en revanche, justifie tout ce qu’ils font sans se servir de son cerveau. Certes, je me sens un peu étranger à la maison, mais je n’ai plus envie de faire partie d’un troupeau.” Moussaab n’est pas le seul à vouloir s’émanciper de la tutelle de la confrérie et à chercher une autre solution politique. Dans de nombreux autres foyers acquis aux Frères, les enfants ont la même démarche. Islam Lotfi par exemple, qui a fait dissidence tout récemment : “Les Frères étaient ce qu’il y avait de mieux face au Parti national démocrate (PND), au pouvoir sous le régime de Hosni Moubarak. C’est pour cela qu’ils ont réussi à attirer les jeunes. Or les choses ont changé après la révolution. Désormais il existe d’autres forces, qui expriment mieux les idées de la jeunesse.” De nombreux jeunes reprochent en effet à la confrérie de ne pas avoir assimilé l’esprit de la révolution. Ceux qui ont entièrement grandi dans l’univers religieux des Frères se sont retrouvés soudainement confrontés à des étrangers, des gens qu’ils n’avaient pas l’habitude de fréquenter. Pour fuir leur passé, ces ex-“fréristes” sont même amenés à changer de lieu de résidence. Ainsi, le désir de se libérer de son milieu a poussé Hassan, ingénieur d’une vingtaine d’années, à quitter sa ville natale, Mansoura, où vit sa famille dans un milieu islamiste très fermé, afin de refaire sa vie au Caire de manière indépendante. Faute de quoi il aurait été soumis en permanence à des pressions visant à le ramener vers la confrérie. Souhaib, lui aussi ingénieur, explique : “Avant la révolution, on pouvait avoir quelques divergences, mais on était unis parce qu’en tant qu’opposition on était dans le même
Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres. camp. Chez moi, à la maison, les différends sont nés quand les Frères ont commencé à apparaître comme une force majoritaire.” Lors des événements de la rue Mohamed Mahmoud [affrontements autour de la place Tahrir en novembre 2011, quand des forces révolutionnaires ont affronté l’armée sans que les Frères musulmans leur apportent le moindre soutien], Moussaab a répondu à l’appel de la rue, tandis que son père s’est rangé au refus de la confrérie de descendre à Tahrir. Souhaib, lui, a beaucoup discuté avec son père : “Les Frères misent sur le Parlement, tandis que nous, les jeunes, on mise sur la rue. Mes discussions avec mon père se sont heurtées au
Modestie Le nouveau président égyptien, l’islamiste Mohamed Morsi, compterait nommer parmi ses vice-présidents une femme et un chrétien copte, dans le but de rassurer la société égyptienne et la communauté internationale. Son épouse, Nagla Ali, refuse le titre de première dame d’Egypte. La presse cairote révèle qu’elle souhaite le modeste titre de “première servante d’Egypte”.
fait qu’on ne parlait plus le même langage.” Et il ajoute : “Eux, ils persistent dans les vieilles méthodes. C’est une génération de dinosaures qui ne veut pas disparaître.” Finalement, Souhaib est bel et bien descendu ce jour-là à Tahrir, mais sa conscience n’était pas tranquille : “Si la mort avait été au rendez-vous, pas sûr que mon père aurait été content de moi.” Les élections législatives [fin 2011] ont été un autre grand révélateur des divergences. Islam Lotfi s’y est présenté comme candidat indépendant, son épouse, Sarah, devenant trésorière de la cam-
pagne. Etant elle-même membre des Sœurs musulmanes, elle a eu de vifs débats avec l’une des dirigeantes des Sœurs, sur la légitimité de se présenter contre des gens qui avaient pris en charge la formation de son époux. “Il a été exclu pour avoir pris la défense des révolutionnaires lors des affrontements avec les milices du régime. Depuis, je vis un conflit intérieur. Mes anciennes amies m’accusent de militer pour un candidat qui n’est pas un Frère”, confesse-t-elle. Autre cas : Abdelkarim, qui s’est présenté sur la liste “La Révolution continue” [liste révolutionnaire, opposée aux candidats des Frères], ce qui a vivement embarrassé sa mère, coincée entre son amour pour son fils et sa totale fidélité aux Frères. Beaucoup de familles doivent trouver de nouvelles façons de vivre ensemble. Habib, médecin, évite de parler politique avec ses parents, fanatiques des Frères. Bilal, blogueur d’une vingtaine d’années, se souvient des critiques qu’il a subies lorsqu’il a commencé à sécher les cours de récitation coranique : “Quand je me suis éloigné des Frères, j’avais envie de découvrir [des écrivains égyptiens libéraux comme] Naguib Mahfouz et Alaa AlAswani.” Sa famille l’a également blâmé de fréquenter les salles de cinéma. Il a aussi changé de manière de s’habiller : “Les Frères s’habillent de manière très classique et ils peignent généralement leurs cheveux sur le côté, alors que j’ai envie de les peigner vers l’arrière et de porter des vêtements plus sport.” Mahmoud, 31 ans, a quitté les Frères, qu’il critiquait pour leur favoritisme au profit des enfants des dirigeants. “Mes parents n’hésitent pas à me faire harceler par d’anciens camarades afin qu’ils me ramènent vers les Frères, mais j’ai pris ma décision, un point c’est tout. S’ils essaient encore, ils vont
* Anastasia Michaëli a déclaré que “les femmes qui avortent deviennent lesbiennes” et que “la Gay Pride de Tel-Aviv est une perversion absolue”. Pour Uri Ariel, “Tsahal ne devrait pas enrôler des gays, car certaines de leurs pratiques ne sont pas compatibles avec l’aptitude au combat”.
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L ar es ch iv es
Afrique
Un article à relire “Main basse sur le Portugal”. Profitant de la manne pétrolière et de la crise financière en Europe, l’Angola investit massivement dans l’économie de l’ancienne puissance colonisatrice (CI n° 1119).
Angola
Au royaume de la princesse Isabel La fille aînée du président angolais José Eduardo dos Santos est devenue la femme la plus riche d’Afrique en toute discrétion. Télécoms, banques, énergie : rien ne lui échappe. Sur fond d’accusations de népotisme et de corruption. Visão (extraits) Lisbonne
êtue d’un jean déchiré et d’un tee-shirt, une jeune femme arrive à l’aéroport de Lisbonne en provenance de Luanda, accompagnée d’une autre femme à la tenue plus soignée et de trois enfants. Un ami est là pour l’accueillir. Bien qu’elle soit célèbre et que son nom s’étale sur les manchettes des journaux économiques portugais – sans parler de la revue Forbes, où elle figure parmi les plus grandes fortunes d’Afrique –, personne ne la reconnaît, si ce n’est son ami. Camouflée dans une tenue des plus simples – de marque, tout de même –, elle s’efface finalement devant celle qui l’accompagne : la nounou de ses enfants (âgés de 4, 7 et 8 ans). Isabel José dos Santos, 39 ans, n’est sans doute venue faire que quelques courses. Des choses simples : prendre une participation financière dans Galp [l’un des principaux groupes pétroliers et gaziers européens], renforcer sa position dans ZON [principal opérateur de télévision par satellite et deuxième fournisseur Internet au Portugal] ou avaler un gros morceau de la BPI [Banque portugaise d’investissement, quatrième institution financière du pays]… “La princesse”, comme on l’appelle dans son pays, fille aînée du président angolais José Eduardo dos Santos [à la tête de l’Etat depuis 1979] et de Tatiana Karanova, de Bakou, affiche une déconcertante discrétion, et se montre allergique aux interviews et aux séances photo. Entièrement occidentalisée, Isabel dos Santos, qui a suivi une formation d’ingénierie mécanique et électronique au King’s College de Londres, est anglophile. Elle maîtrise plusieurs langues, dont le français et le russe, ce qui fait d’elle une véritable femme du monde. Ces temps-ci, le Portugal a autant besoin d’investissements que son désert azéri natal a besoin d’eau. Isabel dos Santos a donc fait pleuvoir une manne providentielle sur Lisbonne : à travers le holding Santoro, elle détient 25 % de la banque BIC Angola, désormais propriétaire de la BPN [banque privée portugaise au bord de la faillite, nationalisée en 2008 puis renflouée à hauteur de 5,1 milliards d’euros par l’Etat] et de 19 % de la BPI [mais aussi de 12,4 % de la BCP, première banque privée du pays,
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via la Sonangol, société pétrolière publique angolaise]. Elle possède également, à travers le holding Esperanza, en partenariat avec la Sonangol, 33,3 % du capital de Galp et 15 % de ZON via Kento [holding immatriculé à Malte]. Cela représente au total environ 1,4 milliard d’euros d’actions dans des entreprises portugaises cotées en Bourse. Banque, énergie, télécommunications sont ses principales cibles, sans compter les secteurs du ciment, de l’agroalimentaire et de l’art. Et pourtant, le restaurant branché Oon.dah de Luanda, où le moindre plat coûte 100 euros, est la véritable prunelle de ses yeux… Mais n’allons pas trop vite.
Diamants à gogo Isabel dos Santos ne va pas aimer cet article – elle déteste être sous les projecteurs, mais son nom apparaît dans les conseils d’administration de plusieurs sociétés présentes dans le business de haut niveau, au Portugal comme en Angola. Et, lorsqu’il n’y figure pas, Isabel est tapie dans l’ombre. Prenons par exemple Mário Filipe Moreira Leite da Silva, 40 ans, diplômé d’économie de l’université de Porto. C’est son homme de paille dans plusieurs entreprises à Lisbonne. Il vient également de prendre la tête du conseil d’administration de la manufacture de luxe genevoise De Grisogono. La fille du président angolais brouille les codes des grands investisseurs internationaux. Alors que ces derniers créent en règle générale un holding central, concentrant le capital, qui injecte de l’argent dans différentes entreprises, Isabel dos Santos préfère de son côté lancer des sociétés spécifiques pour chaque secteur d’investissement : Santoro pour la banque, Kento pour les télécoms, Esperanza pour l’énergie. Ensuite, elle établit le siège de chacune d’entre elles dans des pays à la fiscalité avantageuse, comme les Pays-Bas, tout en évitant les sociétés offshore. D’où lui vient donc ce goût pour le business ? Isabel dos Santos a débuté chez le consultant Coopers & Lybrand [devenu plus tard, à la suite d’une fusion, PricewaterhouseCoopers, numéro un mondial du conseil] à Londres, avant d’entrer pour de bon dans les affaires avec une entreprise de collecte de déchets basée à Luanda. En avril 2001, elle change de braquet en rejoignant Unitel [leader des télécoms en Angola], avec un piston paternel, comme
“Elle ne va pas aimer cet article car elle déteste être sous les projecteurs”
Une ascension fulgurante 1973 Naissance à Bakou (capitale de l’Azerbaïdjan). 1997 Elle crée avec sa mère à Gibraltar une société de commercialisation de diamants. 2001 Elle rejoint Unitel, leader des télécoms en Angola. 2002 Mariage à la cathédrale de Luanda avec le richissime Congolais Sindika Dokolo, qui possède la plus grande collection d’art contemporain africain du monde. 2006 Elle ouvre le restaurant Miami Beach Club sur l’Ilha de Luanda, un must des nuits luandaises. 2011 Selon Forbes, sa fortune est estimée à 170 millions d’euros. 2012 La banque BIC Angola, dont elle détient 25 %, acquiert pour 40 millions d’euros la BPN, une banque privée portugaise au bord de la faillite, nationalisée en 2008 puis renflouée à hauteur de 5,1 milliards d’euros par l’Etat.
semble le prouver un télégramme confidentiel de l’ambassade des Etats-Unis à Luanda capté par WikiLeaks. Son profil branché et des plus discrets nourrit le mystère qui l’entoure, jalousement gardé comme un diamant rare, de ceux que produit le sous-sol de son pays et qu’elle achetait et vendait via Trans Africa Investment Services (Tais), une société créée à Gibraltar en 1997 [avec sa mère] et aussitôt autorisée par le gouvernement à commercialiser les pierres précieuses. Le fait qu’Isabel soit à la fois une femme et une civile fait d’elle un cas rare au sein du monde entrepreneurial angolais, traditionnellement dominé par les généraux du Mouvement populaire de libération de l’Angola [MPLA, l’ancienne guérilla, au pouvoir depuis l’indépendance]. “La princesse” n’a pas eu besoin d’ouvrir les portes à coups de crosse, d’une part parce qu’elle est intelligente et d’autre part du fait de son statut de fille du président, ce qui en Angola – comme ailleurs… – n’est pas négligeable. Si en 2007 le journal italien La Stampa dénonçait l’empire créé par Isabel dos Santos comme fondé sur “la corruption et le favoritisme”, plus récemment les accusations sont venues du journaliste angolais Rafael Marques, auteur du livre Diamantes de sangue. Corrupção e tortura em Angola [“Diamants de sang : corruption et torture en Angola”, publié en 2011 au Portugal]. Selon lui, Tais comme Unitel sont gangrenées par le népotisme : “Unitel est une société à capitaux mixtes dont l’Etat détient 25 % via la Sonangol. Le général Leopoldino do Nascimento, proche conseiller d’Eduardo dos Santos, en est le président. Comment Isabel
dos Santos a-t-elle donc pu entrer au conseil d’administration et trouver les capitaux nécessaires pour devenir l’actionnaire de l’une des principales entreprises privées angolaises ?” En bien ou en mal, il est certain que la position dominante d’Isabel dos Santos fait d’elle l’interlocutrice idéale pour l’implantation de groupes portugais en Angola. Les Portugais y gagnent eux aussi. La BES [deuxième banque privée portugaise] a créé il y a quelques années une succursale angolaise, la Besa, dont l’un des actionnaires principaux n’est autre que la fille du président. Dans le même temps, Portugal Telecom [le leader de la téléphonie], dont la BES est actionnaire, obtenait 25 % du capital d’Unitel, à qui le gouvernement angolais avait accordé les droits d’exploitation de la téléphonie mobile – en adjudication directe ! Plus récemment, la Sonae [premier groupe privé portugais] a signé un accord avec l’entreprise angolaise Condis [détenue par Isabel dos Santos] pour être présente dans la distribution alimentaire via l’enseigne Continente. “La princesse” avait déjà son nom associé à Terra Verde, une entreprise gérée par des spécialistes israéliens qui produit des fruits et légumes approvisionnant Luanda. Parmi ses partenaires, on trouve le Russe Arcadi Gaydamak, impliqué avec le Franco-Suisse Pierre Falcone dans l’affaire de l’Angolagate [trafic d’armes à destination de l’Angola dans les années 1990].
“Sex and the City” à Luanda Il existe une sorte d’omerta autour d’Isabel dos Santos. Ceux qui la connaissent préfèrent ne pas en parler. Et ceux qui le font préfèrent rester anonymes, même s’ils font son éloge. Un député portugais avoue que la panique s’installe lorsque l’on parle des Angolais. Isabel n’est pas aussi froide que sa mère, Tatiana Kukanova, alias Tatiana Cerguevna Regan, son nom actuel, à qui elle rend fréquemment visite à Londres. Isabel est une mère poule sereine, dévouée à son mari, qu’elle implique dans ses affaires. Bien informée, dure en affaires, pleine d’esprit et intelligente, “la princesse” parle doucement, est à l’écoute, ce qui ne l’empêche pas d’agir dans son intérêt exclusif. Les 82 millions récemment investis au Portugal n’ont pas été du gaspillage. La fille du président sait très bien que c’est l’époque des soldes [dans un pays sous assistance financière internationale]. Une opportunité s’ouvre également en Espagne : l’Angolaise pense se rapprocher du groupe espagnol Caixa [la première caisse d’épargne en Europe]. Mais ne la cherchez pas dans les boutiques de luxe. Elle ne porte pas de bijoux voyants et ne circule pas en Bentley. 34
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BRUNO FONSECA/LUSA
Isabel dos Santos, la face privilégiée de l’Angola.
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Afrique 32 On l’a par contre déjà rencontrée avec un chariot dans un supermarché de la banlieue de Lisbonne. En 2002, “la princesse” s’est mariée dans la cathédrale de Luanda avec Sindika Dokolo, un Congolais (rencontré à Londres) qui possède la plus grande collection d’art contemporain africain du monde. Le cadre familial ne serait pas complet sans ses huit frères et sœurs nés de quatre femmes différentes. En 2006, Isabel dos Santos a ouvert sur l’Ilha de Luanda [cordon littoral de la baie de la ville] le glamour Miami Beach Club, devenu un must des nuits luandaises. Mais elle préfère fréquenter, avec un groupe restreint d’amies, genre Sex and the City, son restaurant, situé dans un bâtiment appartenant pour partie à la BES. Le Oon.dah est un restaurant “gourmet et design” conçu par l’architecte anglais Julian Taylor, à qui l’on avait demandé de travailler sans venir en Angola pour ne pas être influencé par l’environnement local ! N’allons pas jusqu’à penser qu’Isabel dos Santos se prive de passer du bon temps de façon dispendieuse. Il y a un peu plus de deux mois, elle fêtait son trente-neuvième anniversaire en compagnie de son mari et d’un groupe d’amis à l’Amanjena, la résidence hôtelière la plus raffinée de Marrakech. Généralement, la femme la plus riche d’Afrique passe son temps entre
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passe de devenir le nouvel homme fort de l’Angola. L’ancien patron de la Sonangol (l’entreprise pétrolière publique), ministre d’Etat chargé de la Coordination économique, est
Luanda, Lisbonne et Londres. Dans la résidence de luxe où elle vit, à la sortie de Luanda, et où elle côtoie des dirigeants d’entreprise, Isabel possède deux maisons sans que l’on sache jamais dans laquelle elle se trouve. A Lisbonne, “la princesse” jongle entre le Ritz et son appartement, au centre-ville, sans compter ses bureaux situés Avenida da Liberdade [les ChampsElysées lisboètes]. Dans la capitale britannique, elle possède un bureau à Chelsea, près de la célèbre King’s Road. Cela fait longtemps que Bakou n’est plus dans son viseur. C’est la ville qui l’a vue naître en 1973, à une époque où les femmes des colons portugais paressaient sur les terrasses de Luanda. C’était la guerre froide et Isabel dos Santos était de l’autre côté du rideau de fer. En Angola, trois guérillas positionnées à l’intérieur du pays obligeaient les Portugais à maintenir un fort contingent militaire sur place [l’indépendance du pays date de 1975]. Dans un Luanda où ne parvenaient jamais les échos de cette guerre, la jeunesse blanche allait se baigner dans les eaux chaudes de la ville sans la moindre inquiétude. Pourtant, à Luanda comme à Lisbonne, les “capitaines d’avril” [à l’origine de la “révolution des œillets” de 1974, mettant fin à quarante-huit ans de dictature] se réunissaient clandestinement. Le régime vivait
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le numéro 2 sur la liste du MPLA, le parti au pouvoir, pour les élections du 31 août prochain, liste menée par José Eduardo dos Santos. S’il était réélu, l’actuel président pourrait à plus ou moins brève
Une famille en or En 2002, l’élite luandaise a vibré pour le mariage d’Isabel, dont Caras (le Gala portugais) rendait compte à l’époque. Visão n’oublie pas de mentionner la présence de sa sœur, Tchizé (au centre de la page), partie prenante du secteur diamantaire angolais. Ajoutons au tableau familial ses frères, “Zedu”, actif dans les médias, et “Zenú”, patron d’une banque et présent dans le BTP et les médias.
échéance céder sa place à son second. Ces élections seront les deuxièmes depuis la fin de la guerre civile de 2002. Manuel Vicente fait l’objet de plusieurs plaintes au Portugal pour blanchiment de capitaux.
ses derniers instants. En URSS, certains cadres des mouvements de lutte pour l’indépendance étudiaient et se mêlaient à des filles russes. Parmi eux, le jeune Eduardo dos Santos, qui suivait alors des études d’ingénieur spécialisé dans les hydrocarbures et les télécommunications à Bakou, cité pétrolière et lieu de villégiature des apparatchiks soviétiques. Pendant que le futur président angolais se mariait, devenait père et finissait ses études, la révolte et la pauvreté explosaient dans les quartiers noirs de Luanda. Peu de choses ont changé depuis, malgré la décolonisation, le “socialisme scientifique” et le néolibéralisme qui a suivi. Mais tout cela intéresse peu Isabel dos Santos. Comme l’indiquait un télégramme confidentiel de l’ambassade des Etats-Unis, “elle est plus intéressée par ses nombreuses affaires et autres hobbys, comme les collections d’art et la famille, que par l’idée d’entreprendre une carrière politique”. Malgré tout, ajoute le document intercepté par WikiLeaks, “elle a montré un grand intérêt pour un congrès du MPLA auquel elle assistait, allant à la rencontre des délégués en provenance de tout le pays”. “La princesse” n’a donc pas besoin de gardes du corps à Luanda. Tout le monde sait qui elle est, et personne n’ose la toucher. Filipe Luís
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DR - STRINGER/AFP
Le dauphin Manuel Vicente est en
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Soudan
Les indignés de Khartoum entrent en scène Le mouvement de protestation contre la hausse des prix et le régime d’Omar El-Béchir prend de l’ampleur malgré la multiplication des arrestations.
Contexte
Al-Ahram Weekly (extraits) Le Caire
L’actuelle vague de manifestations fait suite à des mobilisations plus modestes mais qui persistent depuis plus d’un an et sont une réponse directe aux politiques économiques liées à la sécession du Soudan du Sud à l’été 2011. La partition du pays a privé Khartoum de deux tiers de ses réserves pétrolières tout en aggravant ses déficits et en affaiblissant sa monnaie alors que les prix des denrées alimentaires et d’autres produits d’importation augmentaient. Pour ne rien arranger, le Soudan du Sud (qui n’a pas de port) a interrompu sa production de pétrole en janvier après avoir accusé Khartoum de lui appliquer des tarifs exorbitants pour l’utilisation de ses pipelines [invoquant le traitement du pétrole et divers frais et services, Khartoum réclame 36 dollars par baril, tandis que le Soudan du Sud soutient qu’il ne doit payer que le transit du brut, soit 3 dollars par baril]. Après des années de croissance nourrie aux exportations pétrolières, la base financière sur laquelle le régime s’appuyait pour maintenir ses réseaux a littéralement disparu du jour au lendemain. Le régime du président El-Béchir a alors immédiatement posé des restrictions à la sortie des devises étrangères, interdit certaines importations et réduit les aides de l’Etat pour certaines denrées de base comme le sucre et le carburant. Si le mouvement de contestation s’inspire en partie des révolutions arabes, les revendications des manifestants, elles, sont propres au Soudan. Les étudiants, les nombreux militants sans emploi, les syndicats professionnels et les chefs du rassemblement des Forces du consensus national (National Consensus Forces, NFC, organisation qui regroupe les principaux partis d’opposition) qui affrontent les forces de sécurité dans les rues de Khartoum rejettent tous l’idée que le gouvernement n’a aucune prise sur la crise économique et que celle-ci ne serait que le produit d’agents “malveillants” de l’économie souterraine. L’influent vice-président, Ali Osmane Taha, a été jusqu’à rejeter la faute de la crise sur les Soudanais eux-mêmes, qu’il accuse d’avoir vécu “au-dessus de leurs moyens”. Taha n’a fait qu’enrager un peu plus les manifestants. Khalid Medani Jadaliyya (extraits) Washington
Les raisons de la colère
epuis le 16 juin, des étudiants, rejoints par de nombreux citoyens, manifestent dans les rues de Khartoum pour protester contre la montée en flèche du coût de la vie. Les manifestations se sont intensifiées après l’annonce [le 18 juin] par le gouvernement de la suppression des subventions aux carburants. Ces mesures ne font qu’aggraver les problèmes économiques du Soudan, qui a perdu les trois quarts de ses revenus [liés à l’exploitation du pétrole] après la sécession du Sud, il y a un an. Le mouvement de contestation est parti du campus de l’université de Khartoum, la plus grande du Soudan. Certains étudiants scandaient des slogans contre la vie chère, d’autres clamaient : “Le peuple veut la chute du régime.”
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Le régime déstabilisé ÉGYPTE
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Dès les premiers rassemblements, la police a réagi avec violence pour disperser les manifestants et évacuer l’université. Dans le même temps, trois journaux ont fait l’objet d’une interdiction de publication. Ces manifestations surviennent alors que l’inflation atteint des seuils sans précédent : 28,5 % en avril et 30,4 % en mai. En outre, le gouvernement cherche à réduire un déficit qui s’élève à 2,4 milliards de dollars [1,89 milliard d’euros]. Jusqu’à cet été, le Soudanais moyen était resté sourd aux appels lancés par des partis de l’opposition pour manifester en masse contre la politique gouvernementale, une politique qui a entraîné la sécession du Sud, ainsi que des guerres dans plusieurs régions du pays. Mais aujourd’hui, la population soudanaise s’est mobilisée très largement pour protester contre une crise économique sans précédent. Les Soudanais n’ont pas le sentiment d’avoir profité des revenus pétroliers par le passé. Ils reprochent au gouvernement de n’appliquer ni à lui-même ni à ses fonctionnaires les mesures d’austérité. Les dépenses liées à la sécurité et au financement de la vie politique engloutissent une large part du budget et ne font qu’augmenter en raison des guerres sans fins au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu, ainsi qu’à cause des tensions avec le Soudan du Sud.
Pour tenter de calmer le mouvement, le président Omar El-Béchir [au pouvoir depuis vingt-trois ans] a déclaré devant le Parlement que son gouvernement adopterait des mesures comme le Soudan n’en avait pas connu depuis vingt ans. Ainsi, il a décidé de supprimer plus de cent postes à la présidence, dans les ministères et les corps législatifs. Cette restructuration prévoit aussi la suppression de la moitié des postes exécutifs et législatifs dans différents Etats du pays. Il a également demandé au ministère de la Justice de prendre des mesures contre les détournements de fonds publics et mis en garde contre la contrebande vers le Soudan du Sud. En réponse, le rassemblement des Forces du consensus national [National Consensus Forces, NCF, organisation qui regroupe les principaux partis d’opposition) a invité le peuple soudanais à poursuivre la contestation. Il souhaite faire pression sur le régime pour qu’il mette fin
SOUDAN ÉRYT.
Khartoum DARFOUR K-S*
NIL BLEU
ÉTHIOPIE
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SOUDAN DU SUD Juba
500 km
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* Kordofan du Sud. KENYA
Principaux puits de pétrole Oléoducs Régions disputées entre le Nord et le Sud
Courrier international
Une répression sans précédent de la part de la police antiémeutes
Dessin de Côté paru dans Le Soleil, Québec. aux guerres et aux souffrances, qu’il œuvre en faveur du changement. Le mouvement Sudan Change Now a affirmé que les événements de ces derniers jours avaient été les plus sanglants de toute l’histoire du pays. En effet, les manifestations ont fait l’objet d’une répression sans précédent de la part de la police antiémeutes ainsi que de miliciens civils, dont on pense qu’ils sont liés aux services de sécurité et aux agences de renseignements. Le mouvement a appelé à une cessation immédiate de la violence contre les manifestants, qui exercent leur droit légitime à la liberté d’expression en faveur d’un changement pacifique. Al-Tayeb Zine El-Abidine, professeur de sciences politiques à l’université de Khartoum, estime que les inégalités sont la principale raison des révoltes antigouvernementales dans le Sud, le Darfour, le Nil Bleu, le Kordofan du Sud et l’est du Soudan. Il insiste sur la nécessité des réformes dans plusieurs domaines, notamment pour lutter contre la corruption. Celle-ci s’est étendue à l’ensemble des pouvoirs publics et rien n’est fait pour l’enrayer, même lorsque les preuves sont accablantes. “Le gouvernement doit interpréter correctement certains indicateurs qui lui sont transmis par ses membres loyalistes du mouvement islamique et du parti au pouvoir avant qu’il ne soit trop tard, explique Zine El-Abidine. Des témoignages de mécontentement émanant de personnalités du mouvement islamique ont été publiés, et le Parlement est encore plus critique envers le gouvernement que l’opposition qui gronde dans les rues.” Parallèlement, de hauts fonctionnaires démissionnent de leurs postes ministériels, révélant la corruption de leurs prédécesseurs. Et, dans le pays, il ne reste plus grand monde pour défendre la politique du gouvernement. Asmaa El-Husseini
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Economie
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A relire “Des entreprises certifiées vertueuses” (paru dans CI n° 998, du 17 décembre 2009). Cet article de The Philadelphia Inquirer expose la démarche de B Lab, l’organisme qui certifie les B Corporations.
Neuf Etats En juin, la Louisiane et la Caroline du Sud ont introduit dans leur législation le statut de benefit corporation, après l’Etat de New York, le New Jersey, le Vermont, la Virginie, Hawaii,
Droit
Des entreprises éthiques protégées par la loi Plusieurs Etats américains permettent aux sociétés de s’enregistrer comme benefit corporations. Ce statut les autorise, éventuellement, à faire passer l’intérêt général avant celui des actionnaires. Financial Times (extraits) Londres
u siège de Patagonia, à Ventura, Californie, l’hôte d’accueil est également professeur de surf. Et il propose volontiers aux visiteurs de leur donner un cours. Quoi d’étonnant ? Après tout, l’autobiographie d’Yvon Chouinard, fondateur de cette entreprise spécialisée dans les vêtements techniques de sport, s’intitule Let My People Go Surfing [Laisse mon peuple aller surfer ; en français Homme d’affaires malgré moi. Confessions d’un alterentrepreneur, Vuibert, 2006]. Ce qui est plus déconcertant, c’est d’entendre Rick Ridgeway, le directeur des projets environnementaux, présenter la rédaction des statuts de la société comme “la tâche la plus gratifiante et la plus satisfaisante [qu’il ait] jamais accomplie”. Cet alpiniste de haut niveau, qui a failli mourir sous une avalanche dans l’Himalaya, fait partie des “aventuriers de l’année” honorés en 2008 par le magazine National Geographic. Est-il possible que ce photographe et cinéaste primé se délecte aujourd’hui du jargon de la gouvernance d’entreprise ? Apparemment, oui. Patagonia est en train de transformer les valeurs commerciales, environnementales et sociales définies par Yvon Chouinard en une charte juridiquement contraignante. Une fois ce changement accompli, la société deviendra l’une des premières benefit corporations de Californie – et, avec un chiffre d’affaires de 414 millions de dollars [91,5 millions d’euros], l’une des plus importantes. D’abord reconnues dans le Maryland en 2010 et aujourd’hui dans neuf Etats du pays, ces entreprises doivent, au-delà des objectifs financiers, satisfaire à des critères sociaux, environnementaux et communautaires. Leurs plus ardents partisans nourrissent des ambitions qui vont plus loin qu’une simple restructuration d’agrément pour les “hommes d’affaires malgré eux”. Ils entendent surfer sur la vague du changement du capitalisme jusqu’à ce que les vieilles opinions préconçues sur le monde des affaires soient définitivement corrigées. “Il s’agit soit de l’avant-garde d’un changement de paradigme, soit d’un mouvement marginal – et je penche pour la première hypothèse”, commente John Montgomery, avocat d’affaires de la Silicon Valley qui a coprésidé le groupe de travail juridique à l’origine de la loi sur les benefit corporations en Californie.
A
Dessin de Walenta, Pologne. “Si l’on veut que ces entreprises attirent les investissements et se développent, il faut clarifier les choses”, explique Andrew Kassoy, cofondateur de B Lab, organisation à but non lucratif qui a pour vocation de promouvoir ce statut mais aussi de certifier que les entreprises qui en bénéficient respectent de strictes normes sociales et environnementales. B Lab chapeaute un réseau de B corporations, ou B corps, qui respectent ce cahier des charges. (Toutes les B corps ne sont toutefois pas des benefit corporations, parfois parce qu’elles sont enregistrées dans un Etat qui n’a pas adopté la législation adéquate.) Dans la liste des benefit corporations figurent Sun Light & Power – le plus ancien installateur de panneaux solaires en Californie, dont le chiffre d’affaires atteint 16 millions de dollars [13 millions d’euros] –, un fabricant de skateboards à New York, une animalerie dans le Maryland ou Give Something Back Office Supplies (GSB), un distributeur de fournitures de bureau en Californie. Selon Sean Marx, cofondateur de cette société, le statut de benefit corporation “permet aux consommateurs de distinguer les entreprises qui font bien de celles qui disent qu’elles font bien”. GSB redistribue 70 % de ses 800 000 dollars [plus de 600 000 euros] de bénéfices au sein de la
communauté locale. A en croire Sean Marx et ses homologues, la certification les contraint à être plus rigoureux dans leurs efforts en vue d’améliorer leurs performances sociales, communautaires et écologiques, et les aide à se comparer. En outre, le personnel a le sentiment de partager un objectif commun, ce qui facilite la gestion de l’entreprise. Enfin, les ambitions vertueuses affichées par ces dirigeants leur permettent de recruter et de retenir des employés talentueux. “Nous avons pu attirer des gens, que l’on ne rencontre généralement pas chez un distributeur de fournitures de notre taille, extrêmement compétents, travailleurs et investis”, se félicite Sean Marx.
Conscience sociale Cascade Engineering fabrique dans le Michigan des produits moulés par injection et réalise un chiffre d’affaires de plus de 300 millions de dollars [240 millions d’euros]. Son patron, Fred Keller, résume son attitude par cette formule : “Trouver quelque chose de bien à faire et imaginer comment faire de bonnes affaires avec. Vous avez alors un bon produit, un personnel responsabilisé et une merveilleuse communauté.” Cascade est une B corp, bien que le Michigan n’ait pas encore adopté la loi sur les benefit corporations. Mais son cas soulève
une question importante : est-il nécessaire de changer de statut légal pour bénéficier des avantages que procure un engagement public sur des objectifs sociaux, environnementaux et communautaires ? Les dirigeants de benefit corporations répondent qu’ils ont besoin de la sécurité juridique que leur assure le nouveau statut. Ce dernier protège en effet les entrepreneurs, dans l’hypothèse où des investisseurs extérieurs voudraient, en contrepartie d’un nouveau financement, les obliger à renoncer à leurs principes. Gary Gerber, fondateur et PDG de Sun Light & Power, fut l’un des premiers à soutenir le concept de benefit corporation lors de sa présentation devant le Social Venture Network, un groupe d’entrepreneurs socialement responsables créé il y a vingtcinq ans. Gary Gerber est hanté par le précédent créé par le fabricant de crèmes glacées Ben & Jerry’s. En 2000, ses actionnaires ont cédé le glacier à Unilever, après la défection d’hommes d’affaires à forte conscience sociale, qui avaient proposé un prix de rachat inférieur. Certes, le cofondateur de l’entreprise, Jerry Greenfeld, n’a aujourd’hui rien à reprocher au géant anglo-néerlandais des produits de grande consommation (qui défend lui-même la “création de valeur partagée”). “Mais même
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012 le Maryland et la Californie. Le processus est par ailleurs en cours dans le Michigan, la Caroline du Nord, le Colorado, la Pennsylvanie, l’Illinois et Washington DC.
Profil Créée en 1980, la banque néerlandaise Triodos a des succursales en Belgique, au Royaume-Uni, en Espagne et en Allemagne. Elle compte
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355 000 clients. En 2011, elle a réalisé un bénéfice net de 17,3 millions d’euros, en progression par rapport à 2010.
Pays-Bas si Ben & Jerry’s avait inscrit ses principes [éthiques] dans ses statuts, relève Gary Gerber, n’importe quel actionnaire aurait pu les contester et obtenir gain de cause.” Cette crainte de voir de futurs propriétaires remettre en question ses valeurs explique pourquoi Patagonia a décidé de devenir une benefit corporation. Rick Ridgeway ne veut pas sous-estimer l’effet positif de la certification, mais pour l’entreprise, “il était encore plus important de préserver cet héritage.” Comme l’a noté Yvon Chouinard en janvier dernier, lors de l’entrée en vigueur de la loi en Californie, “Patagonia s’efforce de bâtir une entreprise qui pourra durer cent ans.”
Des actionnaires brimés ? Ce genre de prévision inquiète certains observateurs. “La manière dont les benefit corporations perçoivent les devoirs fiduciaires des administrateurs perpétue l’idée fausse selon laquelle la loi existante oblige l’entreprise à optimiser obstinément les profits et le prix de l’action. Ce faisant, elle sape les valeurs que les défenseurs de la gouvernance d’entreprise devraient chercher à promouvoir : une prise de décision responsable et durable”, déplore Mark Underberg, ancien associé du cabinet Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison, dans un texte écrit pour le Forum sur la réglementation financière et sur la gouvernance d’entreprise de la faculté de droit de Harvard. De son côté, Charles Elson, de l’université du Delaware, Etat où se constituent toujours la plupart des sociétés américaines cotées en Bourse [car le droit des sociétés y est, de leur point de vue, particulièrement abouti], prévient que la nouvelle structure risque de “supprimer complètement la responsabilité des dirigeants” et de renforcer le poids des gestionnaires aux dépens des actionnaires. Pour l’instant, rares sont les Etats américains qui ont introduit le statut de benefit corporation. Une minorité d’entreprises se sont engagées dans cette voie. La plupart d’entre elles n’ont qu’un petit nombre d’actionnaires, souvent limité aux seuls fondateurs. La question de savoir qui pourrait vouloir investir dans une benefit corporation reste donc en suspens. Andrew Kassoy, de B Lab, cite quelques fonds de capital-risque qui ont apporté leur soutien à des B corps. De son côté, John Montgomery cherche des sociétés de la Silicon Valley susceptibles d’attirer davantage de “capitaux patients”. Reste que le marché des actions n’est pas encore concerné. “J’aimerais beaucoup que mon entreprise soit la première benefit corporation à entrer en Bourse, assure Gary Gerber – même si rien n’est prévu dans l’immédiat. Ce serait formidable.” Il devra sans doute attendre un peu. Comme le souligne Fred Keller, le patron de Cascade, le mouvement “ne va pas se développer à toute allure. Il va faire l’objet de discussions pendant encore un certain temps.” Mais comme le savent les employés surfeurs de Patagonia, pour prendre la vague parfaite, il faut savoir être patient. Andrew Hill
Triodos, une banque durable Grâce aux dépôts des épargnants, cet établissement finance des entreprises et des projets à caractère social ou environnemental. Malgré la crise, il poursuit son développement. Trouw Amsterdam
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e directeur de la Banque Triodos, Peter Blom, fait-il partie de ces gens qui ont le don de faire fructifier l’argent, ou bien la réussite financière de ce militant pour un monde meilleur est-elle le fruit du hasard ? Grâce à son image de banque verte, son établissement attire en tout cas de plus en plus d’épargnants. Nombre de participants néerlandais au mouvement Occupy citent en exemple Triodos et sa concurrente, ASN. Ils souhaiteraient que ceux qui placent des fonds en Bourse transfèrent plutôt leurs capitaux vers ces deux institutions, qui ne sont pas axées sur le pur profit. Effectivement, Peter Blom, 55 ans, ne cherche pas, a priori, à faire le maximum de bénéfices. Dans Het nieuwe bankieren [La banque autrement, éd. Kosmos Z & K, 2009, non traduit], il expose sa vision de la mission des banques et s’interroge sur la notion de progrès. Le développement du capital doit selon lui toujours aller de pair avec le développement social et environnemental ; la nature et les structures sociales ne doivent pas en pâtir. Le rapport annuel de la Banque Triodos s’articule d’ailleurs autour de trois critères : les gens, la planète et le profit. Dans un rapport d’activité paru début 2011, il est par exemple précisé qu’à travers le financement de 300 projets d’énergie durable en Europe, la banque a évité l’émission de 1,6 million de tonnes de CO2 par an. Elle investit également dans l’agriculture biologique et dans des organismes comme le Raeger Autismecentrum, un centre d’accompagnement des enfants autistes. Dans ce cadre, la quête pure et simple du profit est loin d’être une priorité. Par ailleurs, Triodos ne promet pas de primes variables à ses collaborateurs et les actionnaires n’ont qu’une influence indirecte. Une approche très différente de “la pensée focalisée sur les transactions” des autres banques, “où l’on croise surtout des jeunes qui cherchent à marquer des points”, estime Peter Blom. Au lieu d’investir en prenant des risques, Peter Blom privilégie la mission classique des banques : attirer les épargnants et accorder des crédits, en favorisant, dans la mesure du possible, le contact humain. Il encourage ses collaborateurs à se concentrer avant tout sur la relation avec les clients,
et maintient lui-même le contact. “Ce que j’apprécie chez Peter, c’est qu’il se rend régulièrement chez les entrepreneurs et les agriculteurs”, explique Arie van den Brand, ancien député du parti [vert] GroenLinks avec qui Peter Blom a fondé Bioraad, un organe consultatif pour la recherche dans l’agriculture biologique. “Peter n’a rien du directeur enfermé dans sa tour d’ivoire. C’est un banquier intègre et une personne responsable sur le plan social et écologique.” Peter Blom a souvent emmené Arie van den Brand dîner dans des restaurants bio. “Avant que le ‘durable’ soit à la mode, il s’en préoccupait déjà.” Au Club de Rome, cependant, on le considère avant tout comme un banquier. L’an dernier, cette organisation internationale qui se préoccupe de l’avenir de l’humanité et de la planète l’a accueilli en son sein. “Les critères de sélection sont très stricts”, explique l’influent
écologiste Wouter van Dieren, l’un des trois autres Néerlandais du Club [il dirige le bureau de conseil et groupe de réflexion Imsa Amsterdam, spécialisé en développement durable]. “Il faut avoir du poids sur la scène internationale, défendre la cause et occuper une place unique. Je suis très heureux qu’il nous ait rejoints. C’est une personne d’une force extraordinaire.” Wouter van Dieren ne peut dire s’il voit d’abord en Peter Blom le banquier ou le militant. “L’un n’exclut pas l’autre. La Banque Triodos est considérée comme un établissement qui cherche à rendre le monde meilleur.” En tout état de cause, Peter Blom ne donne pas l’impression d’agir pour son profit personnel. Via des initiatives comme le Sustainable Finance Lab [groupe de réflexion néerlandais qui cherche à améliorer le système financier] et la Global Alliance for Banking on Values, réseau mondial de banques durables, il essaie effectivement de rendre le monde meilleur. Katja Keuchenius Dessin d’Arend, Pays-Bas.
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Ecologie Initiative
Bienvenue dans la tribu des geeks écolos De jeunes cinéastes californiens vivent dans des habitations qu’ils ont construites eux-mêmes et qui marient nature et nouvelles technologies.
Daren l’électricité nécessaire pour ses LED et son ordinateur portable. Fidèles au credo de leur petite communauté, qui encourage le partage des informations, Isaiah Saxon et Meara O’Reilly, sa compagne, ont publié des plans et des illustrations de leur petite maison sur le site Internet d’Encyclopedia Pictura.
Utne Reader Minneapolis
ans les montagnes de Santa Cruz, en Californie, une petite communauté se construit. Sur quatre hectares de collines de la commune d’Aptos, trois cinéastes et leurs amis ont établi une sorte d’espace créatif rural animé par un grand principe : l’esprit DIY (Do it yourself, “faites-le vous-même”). Cet avantposte utopique s’appelle Trout Gulch. “Nous construisons un village de hobbits [gnomes inventés par l’écrivain J. R. R. Tolkien] ancré dans le XXIe siècle, où tout est extrêmement bucolique et en harmonie avec la nature, mais nous adoptons aussi les dernières technologies”, explique Isaiah Saxon, 29 ans, qui a grandi dans les environs et qui est retourné y vivre avec deux amis cinéastes, Sean Hellfritsch et Daren Rabinovitch. Ce trio d’adeptes du retour à la terre, dirige une société d’animation numérique, Encyclopedia Pictura. Ils ont notamment réalisé un clip à succès pour la chanteuse islandaise Björk. Leur vie semble tout simplement idyllique. Toutes les personnes qui leur rendent visite tombent immédiatement amoureuses de la cuisine et de la salle à manger de plein-air. Ils préparent et prennent leurs repas sous un auvent de 90 m² en bois de séquoia et en tôle ondulée. Leur four en forme d’igloo est fait de moellons, de terre et de chaux.
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JON KALISH
“L’enthousiasme des gens est lié à la liberté qui règne ici ”
Cette chaumière de Trout Gulch est faite en herbe de la pampa. Actuellement, Trout Gulch est composé de plusieurs petits bâtiments, dont une cabane à outils, une chambre d’ami, une vieille caravane, une serre et un enclos à chèvres. Les douches sont à l’extérieur, et les habitants utilisent des toilettes sèches. Rob Wilson, le stagiaire qui s’occupe du web pour Encyclopedia Pictura, dort dans une cabane construite dans un arbre, à plus de 7 mètres au-dessus du sol. Sean Hellfritsch et Isaiah Saxon habitent dans des maisonnettes près de la cuisine. En traversant un kiosque en séquoia, on finit par trouver la chaumière de Daren Rabinovitch, perchée en haut d’une
colline. Elle est faite d’herbe de la pampa, une espèce envahissante originaire d’Amérique du Sud. La porte ne fait que 1,20 mètre de haut, ce qui pousse les visiteurs à se demander quel lutin habite là. “C’est une chambre construite pour durer une dizaine d’années. Ensuite, elle se décomposera progressivement jusqu’à devenir du paillis, explique son occupant, âgé de 33 ans. Nous cherchons à vivre dans la forêt sans tout détruire sur notre passage.” A proximité de la chaumière, on aperçoit un panneau solaire de 175 watts, parfaite métaphore de la cohabitation du bucolique et de la modernité. Ce panneau posé sur un bâti de rondins fournit à
A quelques pas de la cuisine, le jardin fournit l’essentiel de la nourriture que consomment les habitants de Trout Gulch. Ryan Hett, agriculteur originaire du Dakota du Nord, est responsable des plantations. Il a retourné le sol des parterres sur près de 50 centimètres de profondeur et a eu recours à la technique du double bêchage, qui consiste à retirer la terre et à la mélanger à du compost avant de la remettre dans les plates-bandes. Selon Isaiah, cette méthode est incomparable dans le domaine de la culture bio-intensive. “Je pense que l’enthousiasme des gens est lié à la liberté qui règne ici et au sentiment incroyable d’indépendance que donne le fait de pouvoir construire soi-même son cadre de vie”, affirme-t-il. En même temps, ils travaillent sur leur premier long-métrage. C’est l’histoire d’un garçon de 12 ans et de ses amis dégourdis qui se découvrent des talents de charpentiers, de couvreurs, de plombiers et autres bricoleurs pour reconstruire leur ville après des inondations dévastatrices. Le titre provisoire du film ? DIY. Jon Kalish
Informatique
Internet aura bientôt une bonne mine En Norvège, une mine glaciale va héberger un gigantesque centre de données, une structure qui doit être constamment refroidie. Onearth Magazine (extraits) New York
u plus profond d’une montagne gelée, des ingénieurs norvégiens espèrent créer une forteresse destinée au stockage et à la circulation de données. Dans la mine désaffectée de Lefdal, proche de la commune de Måløy, cette forteresse serait refroidie par de l’eau de mer acheminée depuis le Nordfjord, à environ 370 kilomètres au nord-ouest
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d’Oslo, afin que la température ambiante reste à 8 °C tout au long de l’année. La Norvège s’est taillé une réputation de leader mondial de l’énergie propre, et la petite bourgade de Måløy, avec une population de 3 000 habitants seulement, est devenue un centre de développement des technologies vertes. La localité est ainsi pionnière dans le domaine de l’énergie éolienne tant sur terre qu’en mer. Mais le projet le plus ambitieux est la mine de Lefdal, qui, promet LocalHost, l’entreprise à l’origine de sa conception, constituera le plus grand et le plus écologique des parcs de serveurs au monde. Jadis, on extrayait de l’olivine de la mine de Lefdal. Ce vaste site comporte cinq niveaux et s’étend sur quelque 120 000 mètres carrés. Ces différents niveaux sont
reliés par une route pavée qui descend en spirale dans des tunnels de 13 mètres de largeur et de 9 mètres de hauteur. Un de ces cinq niveaux, indique Mats Andersson, le directeur commercial du projet, “pourrait à lui seul accueillir tous les serveurs de Norvège”. Le monde virtuel d’Internet a déjà une empreinte physique bien réelle. Derrière chaque recherche sur Google, mise à jour sur Facebook ou message sur Twitter, il existe une gigantesque infrastructure d’immenses parcs de serveurs qui, ensemble, émettent quelque 230 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an, soit plus qu’un pays comme l’Argentine. La climatisation peut consommer jusqu’à la moitié de l’énergie dont ont besoin des géants numériques comme Google,
Facebook, Twitter, Amazon, Apple, Microsoft et IBM pour faire fonctionner leurs gigantesques sites de serveurs, en constante expansion. L’une des solutions possibles consiste à déménager les installations vers un endroit déjà froid naturellement. En outre, le voisinage de Lefdal offre en abondance de l’énergie renouvelable, produite par des barrages hydroélectriques et par des parcs éoliens. Il faut ajouter à cela un système de réfrigération exceptionnel, qui pompera de l’eau glacée à 200 mètres au-dessous du niveau de la mer. Le centre de données attend désormais l’arrivée de son premier locataire, peut-être IBM Norvège. Selon Mats Andersson, le chantier démarrera cet automne. “Nous serons opérationnels avant l’été 2013”, prédit-il. David Biello
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Sciences Nucléaire
Les aventuriers de l’archive perdue Des scientifiques se démènent pour retrouver les collections de tissus d’animaux irradiés durant la guerre froide. Ces échantillons pourraient nous aider à mieux comprendre les dangers des radiations.
uniques. “Ils étaient ravis que quelqu’un s’intéresse enfin à cette collection, raconte Soile Tapio. Ils m’ont répété plusieurs fois qu’ils voulaient qu’elle soit archivée avant leur mort.” Pendant ce temps, une opération similaire a eu lieu aux Etats-Unis. Au milieu des années 1990, Gayle Woloschak avait étudié les échantillons obtenus à la suite de l’irradiation de 7 000 beagles [race de chien] et de 50 000 souris dans le cadre d’expériences effectuées à l’Argonne Research Laboratory (dans l’Illinois) entre 1969 et 1992. Après son arrivée à la Northwestern, toutefois, elle a été consternée d’apprendre que ces échantillons allaient être jetés et elle a obtenu la permission du ministère de l’Energie de les stocker à l’université.
Nature (extraits) Londres
ziorsk, une ville russe située au cœur de l’Oural, dissimule les reliques d’une expérience secrète de grande ampleur. A partir des années 1950 et jusqu’à la fin de la guerre froide, près de 250 000 animaux y ont été exposés à des radiations. Certains ont été bombardés de rayonnements , et , d’autres ont été nourris de particules radioactives. Certaines doses étaient assez élevées pour tuer les bêtes rapidement, d’autres étaient assez faibles pour sembler inoffensives. Une fois les animaux morts – des souris, des rats, des chiens, des cochons et quelques singes –, les scientifiques les disséquaient pour constater les dégâts provoqués par la radioactivité sur leurs tissus. Ils figeaient de fines tranches de poumon, de cœur, de foie, de cerveau et d’autres organes dans des blocs de paraffine, pour ensuite les couper en lamelles et les examiner au microscope. Certains organes étaient conservés dans des bocaux de formol.
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23 000 animaux L’Union soviétique, qui avait peur de subir une attaque nucléaire américaine, voulait comprendre par quels processus les radiations endommagent les tissus et provoquent des maladies comme le cancer. Ils étaient également préoccupés par les accidents survenus dans leurs complexes nucléaires, comme la catastrophe de la centrale de Maïak [une panne du système de réfrigération de conteneurs de déchets radioactifs provoqua une explosion et la libération de radioéléments] en 1957, près d’Oziorsk. Des archives similaires ont été constituées aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, où près de 500 millions d’animaux ont été sacrifiés à la même cause. Toutefois, à la fin de la guerre froide, ces collections sont tombées dans l’oubli. Aujourd’hui, une nouvelle génération de radiobiologistes s’intéresse de près à ces archives, car ils veulent étudier les effets entraînés par des doses extrêmement faibles de radiations – inférieures à 100 millisieverts – auxquelles sont exposées les personnes qui passent des scanners ou qui vivent près des réacteurs de la centrale endommagée de Fukushima, au Japon. Les anciennes collections constituent une base de données qu’il serait impos-
Futur centre de stockage
Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö. sible de recréer de nos jours. La plupart des expériences ont été menées dans des conditions spécifiques et les animaux ont été exposés à différentes doses de radiations, souvent tout au long de leur existence. “Nous ne pourrons jamais reproduire ces expériences à une si grande échelle sur des animaux, à la fois pour des raisons financières et éthiques”, explique Gayle Woloschak, radiobiologiste à la Northwestern University, à Chicago dans l’Illinois. “En revanche, nous pouvons peut-être réutiliser les tissus qui ont été conservés.” Depuis quelques années, des chercheurs du monde entier tentent de retrouver et de sauvegarder ces archives. Ils ont obtenu le soutien financier de divers organismes, dont la Commission européenne, l’Institut national du cancer et le ministère de l’Energie des Etats-Unis. En février 2007, à la recherche des fameux tissus, Soile Tapio, du Helmholtz Centre Munich – un des anciens centres de recherche nucléaire allemands –, s’est rendue dans la ville d’Oziorsk. Elle participait à un programme de promotion des archives radiobiologiques européennes (ERA-PRO), lancé en 1996 dans le but de numériser les données issues des expériences réalisées en Europe. En 2006, le directeur du programme d’irradiation des animaux au Southern Urals Biophysics Institute (Subi), installé à Oziorsk, a informé Soile Tapio de l’ampleur phénoménale des études menées dans ce centre. “A l’époque, nous ne connaissions l’institut que de nom”,
se rappelle la scientifique. Il a d’abord fallu attendre plusieurs mois pour que la Russie lui donne l’autorisation de se rendre dans cette ville fermée [Oziorsk fait partie des sites créés à l’époque de l’URSS et comportant des restrictions d’accès et de résidence]. Enfin, après un long voyage en avion, trois heures de route et une longue procédure d’habilitation de sécurité, un petit groupe de scientifiques sur le retour a emmené la délégation jusqu’à une maison abandon-
“Nous ne pourrons plus jamais reproduire de telles expériences” née, dont le toit était béant et les fenêtres brisées. Des lames de verre et des carnets de notes étaient éparpillés par terre dans certains bureaux. En revanche, dans d’autres pièces, chauffées, il y avait des étagères en bois pleines de lames et de blocs de cire dans des sacs en plastique. A son apogée, le programme employait plus de 100 personnes, mais lorsqu’il a été interrompu du jour au lendemain, à la fin de la guerre froide, seules quatre ou cinq personnes sont restées pour s’occuper des archives. Les visiteurs ont été impressionnés de voir que ces scientifiques d’un certain âge étaient capables d’associer tous les échantillons – soit 23 000 animaux – aux protocoles détaillés d’expériences
“Lorsque la communauté scientifique a découvert que j’étais en possession de tous les tissus collectés au laboratoire Argonne, on a commencé à me demander si je pouvais aussi conserver les échantillons d’autres centres de recherche”, explique Gayle Woloschak. Actuellement, la Northwestern University est officiellement chargée de la conservation de tous les matériaux liés aux expériences d’irradiation sur d’animaux menées aux Etats-Unis. Gayle Woloschak estime à 20 000 le nombre d’échantillons qu’elle détient actuellement. Les scientifiques savent que mettre la main sur ces tissus ne constitue que le premier d’une série de défis : il leur faudra ensuite déterminer s’il est encore possible de détecter et d’analyser les biomolécules [ADN, protéines, etc.] présentes dans ces tissus. Les chercheurs veulent comprendre les effets moléculaires des faibles doses de radiations, afin de voir comment les cellules de différents tissus s’adaptent. Il s’agit ensuite de déterminer comment apparaissent les maladies. Les scientifiques s’intéressent également aux types de biomolécules qui permettraient de connaître précisément la quantité de radiations à laquelle une personne a été exposée, ou de savoir si cette personne risque ou non de contracter des maladies liées à ces radiations. Par ailleurs, les radiobiologistes s’attendent à ce que le seuil de tolérance aux radiations ne soit pas le même d’un tissu et d’un individu à l’autre. Au moins, les tissus collectés à Oziorsk sont désormais archivés, comme le souhaitaient leurs gardiens. Les échantillons – ainsi que les tissus humains des employés de la centrale de Maïak exposés aux radiations – seront prochainement stockés dans un bâtiment ultramoderne actuellement en construction sur le campus du Subi. Les chercheurs espèrent que les tissus des animaux feront l’objet de nouvelles expérimentations, cette fois sur la scène internationale. Alison Abbott
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Médias Etats-Unis
Provoquer pour vendre, ou l’art de la une Président gay, seins nus, avions lubriques : la presse magazine américaine fait de la surenchère pour renouer avec le succès. The New York Times New York
ui aurait pu imaginer que l’allaitement pouvait encore provoquer une telle controverse ? La récente couverture du magazine Time montrant une jolie mère de 26 ans donnant le sein à son fils de 3 ans – avec le titre “Etes-vous suffisamment maternelle ?” – a prouvé qu’une image convenablement choquante pouvait encore faire parler. The Huffington Post a publié une vingtaine de papiers sur l’allaitement, dont une galerie d’images représentant au fil de l’histoire de l’art des femmes en train de donner le sein. Même Benyamin Nétanyahou, qui a fait la une de Time la semaine du 20 mai, a demandé si on le photographierait sans chemise. “Cette couverture a réalisé l’impossible, déclare Richard Stengel, directeur de la rédaction de Time. Le sujet a manifestement touché un point sensible.” D’après un porte-parole du magazine, ce numéro est celui qui s’est le plus vendu cette année, et le nombre de demandes d’abonnement que Time reçoit habituellement en une semaine a doublé. Suivant l’exemple des médias en ligne, les magazines cherchent tout autant à toucher le public par l’intermédiaire des réseaux sociaux que dans les kiosques. La couverture de Time a laissé une marque encore plus impressionnante en ligne. Le jour suivant sa parution, les termes s’y rapportant représentaient quatre recherches sur cinq sur Google. Dans les huit jours suivant la publication, elle avait été mentionnée plus de 50 000 fois sur Twitter et le nombre de followers de Time avait grimpé en flèche. Le magazine a en outre reçu 43 000 “j’aime” sur Facebook.
Q
Les colonnes de la Maison-Blanche aux couleurs du drapeau gay.
“Etes-vous suffisamment maternelle ?”
“Dans le cycle permanent de l’info, c’est le meilleur moyen de dire : ‘Hé, attendez, regardez-moi’”, estime Josh Tyrangiel, le rédacteur en chef de Bloomberg Businessweek. La couverture controversée fait partie de l’arsenal de la presse magazine depuis les années 1960. Songeons par exemple au fameux numéro : “Dieu est-il mort ?” de Time en 1966. Pour Clara Jeffery, du magazine Mother Jones, les lecteurs sont habitués à des couvertures moins provocatrices dans les magazines grand public, où ce sont souvent les célébrités qui dominent. “[Ces publications] font rarement une couverture sans célébrité, nous répond-elle par courriel. Les couvertures sont strictement contrôlées par les agents des intéressés – bien plus qu’avant. Ce qui explique pourquoi elles sont souvent ennuyeuses, artificielles, faussement sexy et interchangeables.” Pour Tina Brown, rédactrice en chef de Newsweek et du Daily Beast, la couverture est “l’arme pour séduire les lecteurs”. La couverture de mai représentant Barack Obama a été citée près de 20 000 fois sur Twitter. Le magazine n’avait pas encore
“On y va, chérie”. Selon Roger Black, qui a travaillé pendant quarante ans en tant que directeur artistique pour des publications comme Esquire et Newsweek, à l’heure où les ventes en kiosque déclinent, les couvertures provocatrices permettent de donner un coup de fouet à la presse magazine. Au cours des cinq dernières années, les ventes totales en kiosque ont chuté de 39 %, selon l’Audit Bureau of Circulations [organisme de référence de la diffusion de la presse aux EtatsUnis]. “La diffusion en kiosque de la plupart des magazines représente une petite fraction de ce qu’elle était il y a vingt ans, ajoute M. Black. Au lieu de chercher à doper les ventes en kiosque, on s’efforce aujourd’hui de faire parler de soi.” La couverture sur l’allaitement n’était que la dernière en date d’une série de couvertures provocatrices. Cette même semaine, Newsweek représentait le président Obama avec une auréole arc-en-ciel et titrait : “Le premier président gay”. Bloomberg Businessweek avait attiré l’attention en février en présentant en couverture un avion de Continental et un avion d’United en train de s’accoupler, avec le titre “On y va, chérie.”
“Le premier président gay”. sont plutôt intelligents.” Ce qui est difficile à déterminer, c’est en quoi les unes sensationnelles modifient la façon dont un magazine est perçu au fil du temps. George Lois, qui a créé les unes mémorables d’Esquire dans les années 1960, comme celles du boxeur Muhammad Ali en saint Sébastien et d’Andy Warhol se noyant dans de la soupe Campbell, reproche aux concepteurs de couvertures actuels d’être “constipés” et “moins créatifs” dans leurs choix. Selon lui, une couverture bien pensée et provocatrice paie à court terme comme à long terme. Quand Esquire avait représenté le boxeur noir Sonny Liston déguisé en Père Noël, tous les grands annonceurs du Sud avaient commencé par se retirer du magazine pour finalement doubler leurs annonces dans les quelques mois suivants. Cette couverture avait en outre contribué à lancer un débat national sur les questions raciales. “Les couvertures provocantes se vendaient comme des petits pains”, conclut Lois. Christine Haughney
“La campagne la plus sanglante de l’Histoire”. les chiffres des ventes en kiosque mais Mme Brown était ravie. “Il s’agit de réveiller la marque, ajoute-t-elle. On est au milieu d’une offensive. La question, c’est de savoir comment on va passer.” D’après David Remnick, rédacteur en chef du New Yorker, les lecteurs sont parfaitement capables de gérer les couvertures provocatrices. En 2008, une couverture satirique du New Yorker montrant un dessin d’Obama en turban tapant dans le poing d’une Michelle Obama brandissant un fusil-mitrailleur avait provoqué une avalanche de lettres et d’appels téléphoniques. Le président avait dénoncé cette image, considérée par son équipe de campagne comme “de mauvais goût” et “insultante”. “Le thème principal [des réactions des lecteurs], c’était : ‘Je comprends ce que vous voulez dire’, raconte M. Remnick. Les gens
“Pourquoi les femmes ne peuvent pas tout avoir”.
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Voyage
J’ai descendu le fleuve Congo en canoë L’aventurier britannique Phil Harwood a parcouru de la source à l’embouchure le grand cours d’eau qui baigne la république démocratique du Congo. Un périple de cinq mois et de 4 700 kilomètres jalonné de bonnes et de moins bonnes rencontres.
J
’ai mis à profit la bourse octroyée par le Winston Churchill Memorial Trust [une fondation britannique qui finance des voyages à but éducatif], pour descendre le fleuve Congo de sa source à son embouchure, à travers la république démocratique du Congo, ravagée par la guerre. A partir de sa véritable source, dans le nord-est de la Zambie, le Congo mesure quelque 4 700 kilomètres de long. C’est le huitième cours d’eau du monde par sa longueur, et le deuxième, derrière l’Amazone, par son débit et son bassin hydrographique. Il traverse la savane, des marécages et des forêts tropicales humides, et franchit deux fois l’équateur avant de se jeter dans l’Atlantique. Le Congo a terriblement souffert tout au long de son histoire et, en raison de décennies et de décennies d’exploitation par les puissances étrangères, d’instabilité politique, de corruption et de guerre civile, sans parler de la présence de crocodiles, d’hippopotames, de chutes et de rapides, le fleuve est devenu une destination à éviter. Mais si vous êtes en quête d’un véritable voyage d’aventure, ne cherchez plus, c’est le 44 Congo qu’il vous faut !
Lo cou ng rri er
The Guardian Londres
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
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Chambeshi
PHIL HARWOOD
C’est en amont que le fleuve le plus puissant d’Afrique prend sa source.
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
Anges gardiens
Pratique
Leonardo, John et Valatay, trois des quatre frères qui ont escorté Phil Harwood pendant une partie de son périple.
Pour voyageurs aguerris
soleil. Je constate le changement d’atmosphère et je ne peux m’empêcher de penser aux Everglades [zone humide subtropicale du sud de la Floride], quand soudain j’entends un bruit sur ma droite. Deux crocodiles de quatre mètres de long foncent à travers le sous-bois et se jettent à l’eau du haut de la rive surélevée. Ils sont si près que je peux voir se fermer la membrane de l’œil du plus proche. Ils soulèvent une énorme gerbe d’eau en plongeant et disparaissent directement sous mon canoë, me faisant tanguer dangereusement.
Même si “la république démocratique du Congo est engagée dans un processus de retour à la normalité”, selon les termes du ministère français des Affaires étrangères, ce dernier déconseille encore les voyages touristiques dans le pays. “Personne ne va au Congo pour se prélasser sur une chaise longue pendant deux semaines. Le Congo est une expérience réservée aux personnes qui aiment apprendre, observer, et qui ne craignent pas de nouer le contact avec la population. Qui ne craignent pas non plus de goûter la cuisine locale, de marcher dans la boue et acceptent de ne pas trouver forcément de bière fraîche ou de coca”, avertit d’emblée Go Congo Tour Operator sur son site (gocongo.com). Ce voyagiste basé à Kinshasa propose toute une série de circuits en RDC, et notamment des expéditions sur le fleuve Congo d’une durée de deux semaines à un mois. Prochains départs les 6 et 22 août. Avant le voyage, on pourra lire aussi : A travers le continent mystérieux, le récit qu’a fait l’explorateur Henry Morton Stanley de sa descente du fleuve Congo en 1877 (Stock, 1991). Au cœur des ténèbres, la célèbre nouvelle de Joseph Conrad inspirée du récit de Stanley (Garnier Flammarion, 1993).
Le grondement des rapides
PHIL HARWOOD PHIL HARWOOD
Phil Harwood
De la Zambie à l’Atlantique SOUDAN DU SUD RÉP. CENTRAFRICAINE CAMEROUN
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Embouchure du Congo
2. Luapula
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ATLANTIQUE ANGOLA
500 km Trajet suivi par Phil Harwood 1. Lac Bangwelo 2. Lac Moero
Equateur
Mbandaka
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42 Henry Morton Stanley a été le premier Européen à explorer le moyen et le bas Congo, en 1877. Il est parti de Zanzibar, sur l’océan Indien, et son périple a duré neuf cent quatre-vingt-dixneuf jours au total. Son expédition, forte de 356 hommes au départ, n’en comptait plus que 114 à l’arrivée. Le dernier Européen qui restait à part Stanley se noya dans la dernière série de rapides, ce qui incita l’explorateur à écrire : “Je suis las, oh, si las, de cette succession interminable de malheurs et de morts.” Le peuple du Congo a été pour moi une formidable source d’inspiration. Nous avons tous beaucoup à apprendre de leur courage et de leur endurance face à l’adversité. Mais je dois avouer que je me suis aussi heurté parfois à de l’hostilité, et je ne pense pas avoir jamais été aussi près de la dépression nerveuse qu’au cours des cinq mois qu’il m’a fallu pour atteindre l’Atlantique. Et, pour ne rien arranger, je n’ai pas non plus été épargné par le paludisme. Grâce à l’aide des habitants du coin, j’ai déniché une source minuscule au pied d’un banian [espèce proche du figuier], sur les hauts plateaux de Zambie. C’est là que prend sa source le fleuve le plus puissant d’Afrique. Je transporte mon canoë canadien de cinq mètres à l’arrière d’un 4x4 et je finis par trouver un endroit assez large pour le mettre à l’eau. Le haut Chambeshi est un magnifique petit torrent : des eaux cristallines, des oiseaux en abondance et de jolis petits rapides pour m’obliger à ne pas relâcher mes efforts. Les principaux risques pour l’instant, c’est d’être déchiré en lambeaux par les épineux tranchants comme des rasoirs qui semblent surgir de toutes parts, ou de coincer mon canoë contre un rocher ou l’un des nombreux arbres qui barrent le fleuve. Quelques jours plus tard, les crocodiles vont devenir un autre motif d’inquiétude. L’environnement n’est plus le même, et le passage se fait plus étroit et sombre avec, en surplomb, des arbres noueux qui occultent la lumière du
Luala
Dans les marais de Bangwelo, une portion du fleuve infestée de crocodiles.
Les marais de Bangwelo, qui s’étendent sur une superficie de 2 600 kilomètres carrés, ont été classés en 1991 comme zone humide d’importance internationale. Leur habitant le plus remarquable est le bec-en-sabot, un échassier au port hautain qui se nourrit entre autres de bébés crocodiles. La nuit, en l’absence de terre ferme, ma technique consiste à pagayer aussi vigoureusement que possible pour m’abriter dans la roselière la plus dense que je peux trouver. Je tente de m’y glisser jusqu’au fond jusqu’à me retrouver calé sans risquer de chavirer. Je me dis qu’entouré ainsi de roseaux je ne devrais pas avoir la visite surprise d’un animal assez gros pour me croquer la tête. Plus d’une fois, des craquements et des bruits d’éclaboussement me réveillent en pleine nuit, mais je finis par m’y habituer. Les craquements et les éclaboussements sont une chose, se faire arracher la jambe par une affreuse créature en est une autre. Des semaines plus tard, après avoir négocié les chutes et les nombreux rapides de la rivière Luapula, je me heurte à un mur de forêt vierge dans lequel le cours d’eau disparaît en se divisant en une multitude de bras. A peine m’y suisje engagé que j’ai l’impression de pénétrer dans un autre monde. J’entends le grondement constant des rapides, quelque part dans le lointain, et je m’efforce de tenir ma gauche pour ne pas être aspiré dans une éventuelle cataracte.
ZAMBIE
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Source du Congo
Bassin versant du fleuve Congo Abréviations : BU. Burundi, RW. Rwanda
Courrier international
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lule remplie de prostituées. Mon délit ? Avoir empêché physiquement l’agent de la police des frontières de quitter son bureau avec mon passeport dans sa poche, après m’avoir réclamé 100 dollars pour me le rendre. Je réussis finalement à me sortir de ce mauvais pas et, le lendemain, comme pour mieux souligner le contraste, je passe la soirée avec deux pêcheurs adorables sur une petite île du fleuve. La ville de Kongolo illustre à merveille les ravages causés dans le pays par le règne criminel du président Mobutu [1965-1997]. Il a dilapidé les richesses du pays à des fins d’enrichissement personnel, avec pour conséquence l’effondrement des infrastructures déjà affaiblies. Les berges sont jonchées d’épaves d’immenses barges rouillées. Elles ont été abandonnées depuis longtemps si l’on en croit le grand arbre qui a poussé dans une des cales. Un peu plus loin, à l’intérieur des terres, je découvre un hangar sans toit avec trois locomotives à vapeur intactes mais rouillées, exposées aux intempéries.
Barges rouillées
PHIL HARWOOD
Aux chutes Wagenia Un pêcheur manipule sa nasse avec agilité. Je ne veux pas rester au milieu et risquer de perdre mes repères. Par moments, les rapides se font plus imposants, et je tente alors de revenir en arrière pour trouver un passage plus facile. Je me faufile sous une plante grimpante et dérange un crocodile qui glisse de son rocher. Une autre fois, un énorme serpent nage jusqu’à mon canoë, se dresse hors de l’eau, et je suis obligé de le repousser à coups de pagaie. A cet endroit, la canopée est si dense que l’on distingue à peine le ciel, seul un rare rayon de soleil parvient à transpercer le feuillage. Aux chutes Wagenia, près de Kisangani, un pêcheur enya [les Enyas, peuple du bassin du Congo vivant essentiellement de la pêche, portent aussi le nom de Wagenias] manipule sa nasse avec agilité. La rivière Luvua, issue du lac Moero, est de loin la portion la plus reculée du fleuve Congo. Elle est jalonnée de chutes et de rapides et ses abords sont gardés par des chars soviétiques T-62 abandonnés, qui gisent à flanc de colline près de Pweto. La ville la plus proche se trouve à près de 480 kilomètres de là.
Voile de soie blanche La veille de mon départ, un pilote de brousse sudafricain au visage buriné m’aborde et me met en garde avec son fort accent afrikaans : “Tu sais qu’il y a encore des rebelles Maï-Maï armés [nom donné aux groupes actifs pendant la deuxième guerre du Congo, 1998-2003] là-bas, mec ? Moi je te le dis, s’ils t’attrapent, ils vont te tuer, et ça sera pas une mort rapide.” Et d’ajouter : “Il y a un an, deux missionnaires belges se sont fait capturer et torturer, ils leur ont coupé les testicules et ils les ont mangés. Puis ils leur ont coupé la tête et ils les ont exposées sur des pieux à l’entrée de leur village.” Je dois avouer que l’idée de renoncer m’effleure, mais je l’écarte résolument, et je me dépêche de partir avant d’être tenté de changer d’avis. Le paysage de la Luvua est unique en son genre. Les collines environnantes sont tapissées d’une herbe dorée et parsemées de quelques huttes abandonnées construites en roche volcanique. On aperçoit de grands arbres comme drapés dans de gigantesques voiles de soie blanche flottant au vent – en fait, ce sont d’immenses
L’auteur Phil Harwood a gardé de ses années passées dans les Royal Marines, forces spéciales de la marine britannique, un goût de l’aventure extrême. Retourné à la vie civile il y a vingt ans, il est devenu moniteur de ski, guide de montagne, formateur en escalade et en canoë-kayak. Parmi ses expéditions récentes figurent la traversée de l’île de Bornéo, en Indonésie, et plusieurs descentes de cours d’eau, notamment le fleuve Yukon (Canada-Alaska) et le Rio Grande (Mexique-Etats-Unis). Il a tiré de son périple en canoë sur le fleuve Congo réalisé en 2008 un livre, Canoeing the Congo, et un DVD, Mazungu Canoeing the Congo, que l’on peut se procurer sur son site (canoeingthecongo.com).
“
toiles d’araignées, de la taille d’une maison. A un moment, alors que je tente d’aborder un rapide particulièrement dangereux, j’en effleure une par inadvertance, et je me retrouve immédiatement avec un million d’araignées dans la bouche, le nez et les oreilles. Si je n’étais l’aventurier endurci que je suis ou, plutôt, si un pêcheur n’était pas assis là sur un rocher à me regarder, je hurlerais comme une gamine. Plus loin en aval, des falaises de couleur ocre hautes de plusieurs centaines de mètres se dressent de part et d’autre du fleuve, avec des arbres chétifs et tordus en équilibre précaire. Ici tout est complètement sec et seules les berges du fleuve offrent un peu de verdure. Le gouffre qui s’ouvre devant moi m’oblige à faire un portage [transporter le canoë sur la berge]. Sur la rivière Lualaba, qui constitue le cours moyen et inférieur du fleuve Congo, je suis souvent frappé par l’extraordinaire hospitalité des pêcheurs locaux, très démunis, mais je croise aussi sur ma route des individus moins recommandables. Un matin, alors que j’essaie de quitter discrètement la localité de Kabalo dans la brume matinale, deux soldats à bord d’une pirogue m’obligent à accoster sous la menace de leurs armes. Je suis accueilli sur la rive par ce que je qualifierais de bande de fonctionnaires corrompus. Ils me soumettent à une violente fouille au corps, puis à un interrogatoire, avant de me passer les menottes et de me jeter dans une cel-
Moi je te le dis, si les rebelles Maï-Maï t’attrapent, ils vont te tuer, et ça sera pas une mort rapide”
Dans sa nouvelle Au cœur des Ténèbres, Joseph Conrad décrivait ainsi le bas Congo : “C’était se reporter, pour ainsi dire, aux premiers âges du monde, alors que la végétation débordait sur la terre et que les grands arbres étaient rois. Un fleuve désert, un grand silence, une forêt impénétrable. L’air était chaud, épais, lourd, indolent. Il n’y avait aucune joie dans l’éclat du soleil. […] Sur des bancs de sable argentés, des hippopotames et des crocodiles se chauffaient au soleil côte à côte. Le fleuve élargi coulait au travers d’une cohue d’îles boisées, on y perdait son chemin comme on eût fait dans un désert […] Et cette immobilité de toutes choses n’était rien moins que paisible. C’était l’immobilité d’une force implacable couvant on ne savait quel insondable dessein. Elle vous contemplait d’un air plein de ressentiment.”* Une portion du bas Congo est surnommée par les autochtones “l’abattoir” en raison de son passé de cannibalisme et de sa réputation persistante de coupe-gorge. C’est cela qui m’a incité à recruter quatre frères pour m’escorter. Je les ai rencontrés alors que je m’abritais d’un orage dans leur hameau reculé, et j’ai immédiatement su que je pouvais leur faire confiance. Armé d’un fusil, avec mon canoë arrimé à leur pirogue géante, nous avons pagayé et flotté pendant cinq jours et cinq nuits sur le fleuve. Commentaires des gens du coin : “Qu’est-ce que vous attendez pour lui trancher la gorge ?” ou encore “Si vous ne voulez pas le faire, on peut s’en charger : dites-nous où vous avez établi votre camp et on se partagera l’argent." La rencontre avec les frères Valatay, Leonardo, Maurice et John a été l’un des grands moments de mon voyage. Malgré leur effroyable dénuement, ils étaient la preuve éclatante que l’on peut garder sa dignité et son honneur même dans l’adversité. Et si mes démêlés avec des individus malfaisants avaient fait vaciller ma foi dans l’humanité, ces quatre hommes l’ont définitivement raffermie. J’ai quitté les frères à Mbandaka et, avec dixhuit kilos de moins au terme d’un voyage de cinq mois qui a changé ma vie à jamais, j’ai atteint l’océan Atlantique. J’ai passé ma dernière nuit sur le fleuve en compagnie de gens merveilleux dans un village extrêmement pauvre, dans le Parc marin des mangroves, à l’embouchure de l’estuaire. En signe de remerciement aux pêcheurs du Congo, j’ai offert mon canoë au chef du village. Il était aux anges, comme je l’étais d’être parvenu à mener à bien mon projet. Phil Harwood * Traduction d’André Ruyters, in Nouvelles complètes (Gallimard, coll. “Quarto”, 2003).
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
Dans les cafés réparation, on peut obtenir une réparation gratuite. Les réparateurs de Mme Postma sont bénévoles. La Fondation Repair Café de Mme Postma fonctionne entre autres grâce à une subvention de 125 000 euros allouée par le ministère néerlandais du Logement, de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, pour une période de trois ans. Souvent, les gens viennent faire réparer des appareils qui ne sont pas même pas cassés, dit Mme Postma. “C’est parfois choquant : un sèchecheveux dont le seul problème est de contenir un peu de poussière, un lecteur CD dont la lentille est sale.” Ces derniers mois, toutefois, elle a assisté à un grand nombre de sauvetages, raconte-t-elle. Une plaque de cuisson électrique hors service, réparée par Theo van den Akker. “Theo, qu’est-ce qu’elle avait déjà, cette plaque ?” “Un problème de fusible thermique”, dit M. Van den Akker, qui continue imperturbablement à bricoler. “Tu te souviens aussi de cette femme à Havenaar, qui avait apporté je ne sais plus quel appareil ?” “Une perceuse à support vertical, dont elle avait hérité. C’était depuis vingt ans dans son grenier. Elle était tellement reconnaissante que l’outil puisse à nouveau servir!”
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Tendance
Réparateur, un métier d’avenir
Les réparations évitent certes le gaspillage, mais le plus beau, c’est qu’elles s’accompagnent d’histoires personnelles. “Il se passe toujours quelque chose, explique Mme Postma. Les gens viennent raconter leur histoire. On entend souvent des cris de joie : ça y est, ça remarche !” Ton Meurs, 67 ans, est venu avec deux lecteurs de CD, défectueux. L’un deux, qu’il surnomme affectueusement l’“appareil à croque-monsieur” en raison de sa forme atypique, a un couvercle qui ne s’ouvre plus. Il appartient à Humphrey Pietersz, “Jimi” pour les intimes, en raison de sa coupe afro à la Hendrix, un musicien des rues atteint d’un cancer en phase terminale. Pendant quinze ans, Jimi a chanté tous les jours devant le magasin Hema dans la Ferdinand Bolstraat, en plein cœur du quartier populaire De Pijp, à Amsterdam, jusqu’au jour où les médecins lui ont annoncé qu’il avait une tumeur au poumon. “Il est en partie paralysé, dit Ton Meurs. Peut-être qu’il s’est appuyé par accident sur le couvercle.” Ton Meurs a de la chance. Le réparateur Maxim van Wijk, 48 ans, réussit à rendre la parole à l’appareil à croque-monsieur. Ton Meurs est ravi. Jimi va pouvoir écouter des CD de Wilson Pickett sur son lit de mort, les derniers sacrements d’un rocker. Jonathan Witteman
Repair Café Dans les vingt “cafés réparation” qui ont ouvert depuis deux ans aux Pays-Bas, des bénévoles donnent une nouvelle vie aux appareils en panne. Des initiatives similaires se développent ailleurs en Europe.
Amsterdam, mai 2012. Pourquoi jeter quand on peut réparer ?
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De Volkskrant Amsterdam
En Europe En Espagne, la Communauté urbaine de Barcelone a mis en place, en 2010 le service Reparat millor que nou (Réparé c’est mieux que neuf ), dans le but de limiter la production de déchets. Plus de 3 000 personnes ont déjà franchi la porte de l’atelier où des experts en bricolage, menuiserie, électronique et textile réparent gratuitement toutes sortes d’objets et transmettent leur savoir-faire à ceux qui le souhaitent. Pour en savoir plus : Repair Café (repaircafe.fr) Reparat millor que nou (reparatmillorquenou. blogspot.fr)
IVY NJIOKIKTJIEN/THE NEW YORK TIMES
n dirait la leçon d’anatomie d’un fer à repasser : à l’aide de pinces et d’un tournevis, le réparateur Theo van den Akker, 64 ans, démonte le fer à repasser de Wil et de Pieter de Vries. Ce couple de septuagénaires espère que le patient, qui a subi des attaques chroniques de courts-circuits, pourra être sauvé. Le diagnostic laisse peu d’espoir cependant. “Tout est très rouillé”, dit Theo van den Akker, en montrant les contacts brunâtres. “Vous voulez dire que c’est la fin ?” demande Wil de Vries. “J’en ai bien peur”, répond Theo van den Akker. Heureusement, ce n’est pas le sort de tous les appareils que l’on apporte au Repair Café, à Amsterdam, un atelier où l’on redonne à des objets endommagés une seconde vie : des machines à expresso en panne, des pulls rongés par les mites, des tables bancales. Depuis 2010, Martine Postma, 41 ans, construit son empire de cafés réparation, qui compte à présent vingt sites aux Pays-Bas. Martine Postma a eu l’idée de ces cafés pour contrer la tendance des Néerlandais à jeter. Elle avait constaté que des gens mettent souvent au rebut des objets à peine abîmés. Mais la réparation est un savoir-faire qui se perd. On utilise son téléphone, son ordinateur portable ou d’autres appareils électroniques les yeux fermés mais, à la moindre panne, on est désarmé. Les gens se disent : “Ce n’est pas normal de jeter une machine à café juste pour un problème de soudure, mais je ne vais pas payer la réparation 80 euros.” Comme ils se sentent coupables, ils laissent l’appareil au fond d’un placard pendant un an, puis finissent par s’en débarrasser quand ils sont pris d’une fureur de rangement.
Courrier international | n° 1131 | du 5 au 11 juillet 2012
Le livre
Biographie
La ruée vers l’or olympique Le Britannique Chris Cleave met en scène trois cyclistes de compétition qui s’entraînent en vue des JO de Londres. Un récit sportif doublé d’un drame humain.
H NIALL MCDIARMID
The Independent Londres
ourra ! Les Jeux olympiques ! A moins d’un mois de l’événement, on a de plus en plus l’impression que les Jeux de 2012 seront moins un événement sportif qu’un phénomène commercial, et, franchement, une grande partie du public potentiel s’ennuie d’ores et déjà à mourir. Pour garder la bonne humeur d’ici à la cérémonie d’ouverture [le 27 juillet], on aurait presque besoin qu’une histoire bien racontée vienne nous rappeler le drame humain qui se dissimule derrière ce monstre. Et c’est là qu’intervient Chris Cleave. Cleave a su par le passé raconter à merveille des drames inspirés d’événements réels. Incendiaire [Le Livre de poche, 2007], qui traitait d’un attentat suicide à Londres, est paru tout à fait par hasard le 7 juillet 2005, le jour même des attentats dans le métro londonien. Et les
Né en 1973 à Londres et élevé au Cameroun, Chris Cleave a travaillé comme barman et dans la marine marchande avant d’entamer une brillante carrière littéraire, en 2005, avec son roman Incendiaire. Le livre a été traduit dans une vingtaine de langues et a valu plusieurs prix à son auteur, au RoyaumeUni et à l’étranger. Son roman suivant, Et les hommes sont venus, inspiré de son enfance africaine, a été un best-seller. Ce père de trois enfants a tenu de 2008 à 2010 dans le quotidien The Guardian une chronique intitulée “Down with the kids” (A bas les enfants). Pour en savoir plus : chriscleave.com
hommes sont venus [Le Livre de poche, 2012], qui abordait avec brio la question des demandeurs d’asile nigérians, a été un grand succès de librairie. Avec son nouveau roman, Gold*[Or], Cleave va encore plus loin, puisqu’il situe l’essentiel de l’action durant les Jeux olympiques de 2012. Le livre a pour protagonistes trois cyclistes britanniques rivaux, Zoe Castle, Kate Meadows et son mari, Jack, et le décor est planté pour un roman sportif truffé de boissons protéinées et d’acide lactique. Mais la présence de Sophie, la fille de Kate et de Jack, fait passer le roman dans une autre dimension. Kate est sans doute meilleure cycliste que Zoe, mais ses chances de remporter l’or sont sur le point d’être gâchées pour la seconde fois car Sophie est atteinte d’une leucémie. Cleave explore à merveille le terrain émotionnel que les sportifs de haut niveau doivent parcourir pour devenir des champions. Zoe, avec ses gros contrats de sponsoring et son appartement splendide, est brisée intérieurement. Gagner est une nécessité pour elle car elle n’a pas grandchose d’autre dans sa vie. Kate, avec son mari, sa fille malade et son naturel plus aimable, est moins assoiffée d’or. Tout semble très simple jusqu’à ce que Cleave fasse entendre la voix de Sophie.
Le magazine qui donne à voir les meilleures photos depuis l’an 2000
* Ed. Sceptre, Londres, 2012. Pas encore traduit en français.
L E MA G A ZI NE Q UI D O NNE À VO I R
AU MUSÉE DE LA PHOTOGRAPHIE DE MOUGINS
www.delair.fr
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Cette fan de La Guerre des étoiles est bien consciente de l’impact qu’a sa maladie sur ses parents stressés et épuisés. Elle tente de tempérer les effets de la chimiothérapie par l’imagination et les jeux de rôle, dans l’espoir de se montrer forte devant ses parents afin qu’ils puissent participer aux Jeux. Les pages dont elle est la narratrice sont presque insoutenables, mais elles ont un tel souffle qu’elles balaient toutes les réserves qu’on pouvait avoir à l’idée de lire un roman à thématique sportive. L’activité cycliste est pourtant loin d’être négligée. Entraînements et compétition sont rendus avec une belle assurance. Cleave a de toute évidence passé du temps à se documenter, et les détails techniques et le changement (bien réel) du règlement des épreuves cyclistes, qui constitue l’un des principaux rebondissements du livre, sont d’une authenticité éclatante. Tom, l’entraîneur des deux cyclistes femmes, est un beau personnage secondaire, avec ses genoux fichus, ses propos désabusés et son grand cœur. Même Jack, le personnage le moins réussi, ressemble au genre de sportif que nous connaissons tous. Voilà ce qui rend le livre si agréable à lire : malgré l’entraînement implacable, le drame de la chimio et leur stature internationale, les personnages restent indéfectiblement humains. Il est facile d’oublier en effet que ces sportifs de haut niveau ne sont pas des tiroirs-caisses, mais des êtres humains mus par des élans et des désirs. Gold a beau donner par moments dans le mélo, ce roman a le grand mérite de nous rappeler que c’est à un drame rempli d’émotions que nous allons assister cet été. Alexandra Heminsley
JEANLOUP SIEFF CHEZ TOUS LES BONS MARCHANDS DE JOURNAUX 5 EUROS
NUMÉRO 51 / ÉTÉ 2012
JEAN-MARIE HURON LUMIÈRES DE L’UBAC BERNARD PLOSSU INÉDITS EN NOIR ET BLANC KHVAY SAMNANG HAUT LES MASQUES 1
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Mur d’enceintes
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Démontage au petit matin d’un sound system sur les hauteurs de la favela Morro dos Prazeres, à Rio (2007).
Musique
Le bal maudit des favelas
L cou ong rri er
Sous prétexte de pacifier les banlieues populaires de Rio de Janeiro, les autorités sévissent depuis quelques années contre les “bailes funk”. Ces immenses soirées dansantes en plein air sont devenues un mouvement culturel à part entière.
L
Revista Anfibia (extraits) Buenos Aires
e 19 juin 2011, Roberto a été réveillé à l’aube par le bruit des hélicoptères survolant sa maison du Morro da Mangueira [la colline du manguier, un quartier de favelas au nord de Rio de Janeiro]. Ce n’était pas la première fois que la police militaire envahissait le quartier et ce ne serait pas non plus la dernière. Mais cette offensive-ci était différente. Avec quatorze blindés, quatre hélicoptères, des bus, des motos, des camions et 750 agents, la police militaire lançait une charge décisive contre le crime organisé. Avec l’installation d’une unité de police pacificatrice (UPP) à l’intérieur de la favela, la présence policière, jusque-là exceptionnelle, allait devenir une constante. Pour certains habitants, cela signifiait la fin de la mainmise des trafiquants de drogue sur le quartier. Pour d’autres, elle annonçait un harcèlement policier accru, des interpellations et des interdictions symbo-
liques, parmi lesquelles le bannissement de l’un des principaux ingrédients de l’autonomie culturelle et économique de la favela, les bailes funk, au motif qu’ils font l’apologie du narcotrafic. Pour Roberto et ses amis, c’était une perte inestimable. Pour Angela, âgée de trente ans de plus, c’était au contraire un soulagement et l’assurance de dormir enfin sans musique assourdissante sous ses fenêtres. Du haut d’un immeuble de cinq étages, le funkeiro Roberto observe les bars et les trottoirs paisibles de la rue Buraco Quente et se souvient : “Tout ça ici était à nous, on pouvait à peine passer d’un trottoir à l’autre. Il y avait sept sonos, sept DJ différents et tout le monde ‘rebondissait’.” Dans le lexique des adeptes du funk, le verbe quicar [littéralement “rebondir”] ne désigne pas l’ensemble de cette danse qui mime l’acte sexuel, mais un mouvement particulier qui consiste à descendre jusqu’au sol et à pousser les fesses vers le haut et vers l’arrière et qui, vu de derrière, évoque un ballon qui rebondit. Pour
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Détecteur de métaux C’est à cette époque que Glauber, un enfant du Morro da Mangueira, décide de devenir DJ. Il est fan des émissions de musique noire de Rádio Manchete, et les tables de mixage le rendent dingues. “A l’époque, les bals n’avaient lieu qu’en juin, autour de la Saint-Jean. A cette occasion, les fêtes étaient autorisées dans la rue, et personne ne venait saisir ton matériel. Je passais les vendredis, samedis et dimanches à mixer de la pagode [genre musical dérivé de la samba], de la samba et du funk.” Il décroche son premier emploi dans une équipe de DJ, et ne changera plus jamais d’activité. Il a vu naître le funk carioca [de Rio], et a accompagné chacune de ses étapes. Il a vécu aussi toutes ses interdictions, mais a choisi de ne pas s’en indigner. C’est un petit gros paisible qui pense que l’on peut tout résoudre en discutant. Roberto se souvient que c’est pour sentir les basses du funk marteler sa poitrine et impressionner sa petite amie qu’il a surmonté sa peur et s’est rendu pour la première fois à un baile de corredor [un type de baile funk où s’affrontaient des bandes rivales] hors de son quartier. C’était dans les années 1990. Tout au long de cette décennie, des dizaines de bus loués pour l’occasion déversaient des centaines de personnes dans ces soirées où l’on se divisait en deux
camps, A et B, en fonction du quartier d’où l’on venait et des zones d’influence d’organisations criminelles telles que Comando Vermelho et Terceiro Comando. Dans les bailes de corredor, le but consistait à se rouer de coups, camp A contre camp B. En général, l’aile féminine du funk réprouvait cette pratique, préférant l’extase romantique du funk melody [nom brésilien du genre appelé freestyle aux Etats-Unis] ou le contact érotique de la danse de putaria [funk sensuel]. Mais affronter le mouvement d’une foule contre son corps est un plaisir masculin incommensurable. Quiconque s’est lancé dans un pogo frénétique peut saisir la virilité qui imprègne ces ambiances. En 1995, la Ligue indépendante des DJ cède à la pression des autorités, qui menaçaient de couper l’eau et l’électricité dans le quartier Chapéu Mangueira, dans la banlieue sud, et arrête ce type de soirée. De nouvelles mesures interdisent les transports en commun illégaux, exigent une insonorisation impossible à mettre en œuvre et la fin de la violence physique. C’est aussi un prétexte pour empêcher les autres types de bailes funk. De cette époque, DJ Glauber se souvient surtout de l’arrivée d’un char de l’armée sur le terrain de l’école de samba où se tenait un bal. Ce sera la fin. Pendant cinq ans, il n’y aura plus un seul bal à Mangueira. Et ce sera la première d’une série d’actions destinées à faire basculer le funk dans l’illégalité, à dompter et à civiliser un mouvement émanant de l’envers de la civilisation. La persécution des bailes funk a son arsenal juridique. Comme l’explique le professeur de musicologie Carlos Palombini sur un site consacré au funk carioca (proibidao.funk.blog.br), “en novembre 1999, l’assemblée législative de l’Etat de Rio de Janeiro instaure une commission d’enquête parlementaire (CPI) sur le baile funk, en raison d’indices de violence, du trafic de drogue et de comportements à problèmes de jeunes mineurs.” La “CPI du funk” aboutit en 2000 à la loi 3410, qui fait porter la responsabilité juridique des bals aux directeurs et gérants des lieux où ils sont organisés, oblige ces derniers à installer des détecteurs de métaux à l’entrée et à solliciter une autorisation préalable de la police, exige une présence policière pendant toute la durée de la soirée et interdit les chansons faisant l’apologie du crime organisé. La “loi sur le funk” a eu pour résultat le plus visible de faire migrer quasiment toutes les soirées vers les favelas, quartiers auxquels la police accédait (et accède encore) plus difficilement,
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Frime
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Les bals funks brassent près de 4 millions d’euros par mois.
A écouter Le funk carioca, appelé simplement funk à Rio ou baile funk en dehors du Brésil, est depuis les années 1980 la musique la plus représentative des favelas de Rio. Inspiré du funk américain, ce mélange explosif de Miami bass, de rap et d’électro fait danser chaque weekend des milliers de personnes. Les morceaux se renouvellent en permanence, hors des circuits commerciaux traditionnels. Certains font l’éloge des gangs : c’est le proibidaõ. D’autres ont des connotations sexuelles marquées : le putaria. D’autres encore se font l’écho de revendications sociales ou religieuses. On peut écouter des morceaux sur les sites spécialisés funk.blog.br et proibidao.funk.blog.br.
Corps-à-corps “Baile funk”au Morro da Chatuba, dans la banlieue nord de Rio (2009).
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s’initier à cette pratique, il est conseillé de commencer en s’appuyant contre un mur. Sur un tempo de 129 pulsations par minute appelé tamborzão, le mouvement de descente se répète jusqu’à l’épuisement. Il faut prendre soin de ses genoux si l’on veut quicar jusqu’à 8 heures du matin. Aucun événement particulier ne marque l’avènement de la culture funk au Brésil. Dans les années 1970, des bals où l’on passait de la soul américaine sur des murs d’enceintes géantes attiraient jusqu’à 10 000 jeunes, noirs pour la plupart, dans les banlieues sud de Rio. Le funk, rythme totalement étranger à l’époque, n’était pas encore synonyme de favela. En 1980, le Brésil vit la fin de la dictature militaire accablé par la crise économique engendrée par la dette extérieure. Les taux d’intérêt élevés et le service de la dette compromettent les rares programmes publics de construction de logements. Beaucoup de familles n’ont d’autre choix que de s’établir dans des favelas, où il n’y a pas de plans d’occupation des sols et où l’on peut se raccorder illégalement aux réseaux d’eau et d’électricité. Les favelas de Rio se développent alors au rythme de la dette.
en raison de leur configuration et du fort potentiel d’affrontement. Si l’on cherchait avec cette loi à encadrer strictement les soirées funk, d’autres ont aussi cherché par la voie légale à combattre le lien direct entre funk et trafic de drogue en œuvrant à la reconnaissance du baile funk comme mouvement culturel à part entière. En 2004, la loi 4264 décrète que le funk est une “activité culturelle à caractère populaire”, contribuant ainsi à sortir le funk de l’illégalité. Malgré cette avancée, la loi exige encore le respect des mesures exigées par le texte précédent. Ignorant tout de ces batailles juridiques, Roberto et ses amis continuent de se trémousser au son du funk. Carburant au cocktail de rhum et de boissons énergisantes, ils cherchent à oublier qu’on est bientôt lundi et que les armes qui circulent autour d’eux peuvent être mortelles. L’illégalité ne leur fait pas peur. Ils savent qu’ils peuvent perdre la vie à tout moment. Pas besoin d’être un criminel pour mourir ou être traité comme tel. Il suffit d’un faux pas, d’une mauvaise fréquentation, d’une mauvaise rencontre avec la police ou d’une balle perdue.
Chiffre d’affaires triplé En juin 2008, une nouvelle loi, la 5265, instaure des mesures encore plus strictes pour l’organisation des bals. En cas de non-respect, la loi prévoit des sanctions comme la suspension de l’événement, la fermeture du lieu et des amendes. Les dispositions de la loi sont à ce point strictes que toute soirée est de facto illégale. Une enquête réalisée en 2008 par la Fondation Getulio Vargas (FGV) montre que ces soirées brassaient jusqu’à 10 millions de reais [3,9 millions d’euros] par mois à Rio. L’étude prend en compte une chaîne de production qui va de la billetterie de grands organisateurs d’événements funk comme Furacão 2000 à la récupération des canettes dans les bals de quartier, en passant par les DJ, les ingénieurs du son et les vendeurs ambulants. Pour les soirées dont l’accès est réglementé – comme celles qui ont lieu dans des boîtes de nuit ou des gymnases –, le coût de l’entrée peut atteindre 5 reais [2 euros]. Ce n’est pas le cas des bals de favela, où l’entrée est gratuite et où les recettes sont largement réparties. Les jours de bal, le salon de coiffure où travaille la fille d’Angela était plein à craquer. Pour
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favelas signifiait se faire payer moins ou pas du tout. En même temps, ces concerts gratuits étaient la meilleure façon de tester leurs nouvelles compositions. “Il n’y a que deux façons de faire connaître une chanson. Les radios, mais c’est cher et compliqué, ou la rue. Si ça cartonne, alors ça cartonne vraiment. Tout le monde la chante, ça devient un hit. Si ce n’est pas le cas, on laisse tomber”, explique Fred, un producteur de concerts qui gère également la carrière du chanteur MC Alexandre. Fred, qui a grandi dans une favela du Complexo do Alemão, dans la banlieue nord de Rio, n’a jamais fait de musique mais dit être né avec le funk dans le sang. Les sourcils épilés, les cheveux bien coupés et coiffés au gel, l’entrepreneur a un physique de culturiste et arbore des tatouages de couleur sur ses muscles gonflés. Il porte une montre de luxe, il aime les chemises extravagantes du créateur Christian Audigier et a le sens des affaires. Le rôle d’un producteur varie en fonction de la popularité et de l’agenda de l’artiste, mais aussi du degré d’intimité qu’il a avec son poulain. Fred organise de grandes fêtes funk dans toute la périphérie de Rio, avec des investissements considérables sans avoir la certitude d’obtenir des retours. Il s’occupe aussi de programmer des concerts, de produire des clips, de diffuser les nouveaux titres de MC Alexandre et de parcourir jusqu’à 500 kilomètres chaque nuit pour se rendre d’un concert à un autre. Les week-ends, il organise en moyenne trois fêtes par soir, mais il peut y en avoir jusqu’à six, plus une gratuite dans la favela.
Accès réglementé
Le chanteur et le dealer
Lo cou ng rri er
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Dans une boîte de nuit de Rio (2010).
son mari coursier c’était aussi une journée faste : il arrondissait son salaire en transportant des passagers sur sa moto de haut en bas du quartier. Le frigo de dona Creusa tournait lui aussi à plein régime. Elle devait rafraîchir trois fois plus de canettes de bière dans son bar pour approvisionner son fils qui en faisait la vente ambulante entre la sono et la foule. Assis dans l’un des bars de l’avenue Visconde de Niterói, Glauber raconte que les soirées de la rue Buraco Quente n’avaient pas de chef. Chaque équipe de DJ était engagée par une personne différente et la programmation variait selon les goûts et les préférences du client. “Chaque groupe passait sa sélection. Il y avait toute sorte de styles de funk. Il y avait même de l’électro.” L’idée, raconte Glauber, était de ne pas faire payer l’entrée et de gagner de l’argent avec les consommations. C’était à chaque groupe de commerçants de veiller à ce qu’il y ait de l’animation devant son stand, son magasin ou son bar. Les vendeurs ambulants se faufilaient dans la foule. Cela valait le coup financièrement de travailler jusqu’au matin. Selon l’enquête de la FGV et les témoignages des commerçants locaux, les jours de baile funk, on pouvait tripler ou quadrupler son chiffre d’affaires. “Bonbons, chewing-gums, sucettes ! Tout à 1 real ! Limonade, bière, trois pour 5 ! Loló, loló, loló [drogue à inhaler à base de chloroforme et d’éther] ! De la cocaïne, de la bonne, pour 5 reais, j’ai de tout !” Les artistes tirent des bénéfices plus indirects de ces soirées. Ils obtiennent les meilleurs cachets – jusqu’à 5 000 reais [2 000 euros] – dans les soirées organisées dans les autres Etats du Brésil ou dans les salles de concert. Dans les soirées payantes, ils peuvent espérer gagner environ 1 500 reais [580 euros]. Se produire dans les
Alliances en résonance Ce festival, organisé par la Fondation Alliance française, est consacré cette année aux cultures urbaines du Brésil. On pourra ainsi découvrir jusqu’au 31 juillet une autre facette des favelas à travers le travail de 14 jeunes photographes de la périphérie de Rio réuni dans l’exposition “Ginga da vida” à la galerie Fondation Alliance française (101, bd Raspail, Paris 6e). Programme complet sur fondationalliancefr.org.
“
Le 15 mai 2010, Wallace Ferreira da Mota, alias MC Smith, a été réveillé par des coups à sa fenêtre et a dit à sa mère : “Ouvre, cette fois ils ont un mandat.” Quelques jours plus tôt, il avait reçu la visite de policiers armés, qui venaient l’arrêter pour possession de stupéfiants mais ils n’avaient pas de mandat. Ils étaient repartis avec quelques milliers de reais que Smith gardait chez lui pour s’acheter une moto. La seconde fois, le mandat de perquisition invoquait quatre articles du code pénal et accusait Smith d’“apologie du crime”, d’“association de malfaiteurs” et d’“association illégale”. La brigade de répression des crimes informatiques s’était appuyée sur des vidéos prises pendant des concerts de MC Smith et diffusées sur Internet. MC Smith est l’interprète de Vida bandida, un morceau de “funk narratif ” qui raconte l’ascension d’un jeune de milieu défavorisé, qui s’habille comme les grands chefs du gang Comando Vermelho et dispose de femmes, d’argent, de policiers et d’armes. Ce titre est devenu célèbre et est chanté par tous les jeunes, qu’ils viennent ou non des favelas : “Nossa vida é bandida/E o nosso jogo e bruto./Hoje somos festa, amanhã seremos luto./Caveirão não me assusta !/Não fugimos do conflito./Nós também somos blindados/No sangue de Jesus Cristo.” [Nous menons une vie
On dit que le funk a un fort potentiel pacificateur, que c’est de la culture. OK, mais cela ne se traduit pas dans la pratique”
de bandits/Et notre jeu est sauvage./Aujourd’hui nous sommes la fête, demain nous serons le deuil./Le char de la police militaire ne me fait pas peur !/Nous n’échappons pas au conflit./Mais nous sommes blindés par le sang du Christ.] Le ton de la chanson suffirait à en faire une “apologie” de la criminalité, ce qui n’est pas en soi passible d’une peine de prison. Mais le fait que la chanson mentionne Fabiano Atanázio, alias FB, l’un des trafiquants les plus recherchés de Rio de Janeiro, et qu’elle soit chantée à la première personne suffisait pour prouver la “fraternisation” entre le chanteur et le dealer. Ce délit est passible d’une peine de trois à dix ans de prison assortie d’une amende de 1 000 à 1 500 reais [390 à 580 euros]. Trois autres MC ont été arrêtés pour les mêmes raisons : Frank, Ticão et Max. Après avoir vécu l’horreur pendant neuf jours, Wallace et ses confrères ont été libérés grâce à l’intervention de l’Association des professionnels et amis du funk (Apafunk).
Emploi du temps de ministre L’Apafunk a été créée dans le but de transformer un sujet sécuritaire en sujet politique. Son fondateur, MC Leonardo, a un emploi du temps de ministre. Il partage son temps entre l’émission quotidienne qu’il anime sur la radio nationale, l’organisation d’événements de l’association, l’assistance juridique, sa famille, les appels qu’il reçoit sur son portable et les négociations directes avec les forces de police. Les politiques ont une démarche “fasciste et normalisatrice” vis-à-vis du funk, déplore MC Leonardo. “Quand on entend un député parler du sujet, on a envie de pleurer, ironise-t-il. On dit que le funk a un fort potentiel pacificateur, que c’est de la culture. OK, mais cela ne se traduit pas dans la pratique. Parce que les habitants des favelas, ils ne connaissent pas la législation. Un sergent de la police militaire peut débarquer et mettre fin à un baile funk, sans mandat, sans rien.” En septembre 2009, grâce au travail de pédagogie de MC Leonardo auprès des députés, la loi 5265 est abrogée au profit d’un texte qui reconnaît le funk comme manifestation culturelle. Le funk, désormais, n’est plus du ressort de la Sécurité mais de la Culture, et toute discrimination contre le mouvement ou ses membres est interdit. Un an plus tard, MC Leonardo et l’officier de police Renato Serra se donnaient une poignée de main. Les bailes funk étaient à nouveau autorisés, à condition de se dérouler dans un gymnase, de ne pas accueillir plus de 500 personnes et de ne pas programmer de chansons à la gloire des trafiquants. Le “bal de la paix” devait montrer qu’il était possible de coexister pacifiquement avec la police, sans interdictions mais avec une réglementation stricte : fouilles à l’entrée, entrée payante et interdite aux mineurs. Comme il fallait que tout se passe bien, les jours de pluie, le DJ suppliait le public : “Les amis, s’il vous plaît, dansons toute la nuit, mais sans ouvrir les parapluies !” Les parapluies brandis évoquaient en effet la façon dont on empoignait les fusils quand on dansait du funk proibidão [à la gloire des gangs]. Les fêtes devaient se terminer à 3 heures du matin. Leonardo se bat encore pour qu’elles puissent durer jusqu’à 4 h 30 afin que les funkeiros ne restent pas à attendre le bus, qui commence à circuler à partir de 5 heures. Peu à peu, avec le soutien de l’Apafunk, des bals réglementés ont été autorisés dans les favelas de Rocinha, Salgueiro, Tabajaras et Santa Marta. Et en octobre prochain, MC Leonardo se présentera aux élections municipales à Rio sous les couleurs du Parti socialisme et liberté (Psol). Roberta Brasilino Barbosa et Natasha Felizi
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Insolites
Ames sensibles, abstenez-vous ; amateurs de la série Les Experts, soyez tout ouïe : des chercheurs des universités de Gembloux et de Liège ont mis au point une nouvelle méthode d’analyse permettant l’identification des odeurs cadavériques. Pendant cinq ans, ces chercheurs, soutenus par l’unité d’identification des victimes (DIV) de la police fédérale belge, ont étudié les composés chimiques volatils des odeurs provenant de cadavres en décomposition. L’étude a été effectuée sur des cadavres de porcs. La technique d’analyse, très complexe, est innovante. Elle a permis de distinguer et de fractionner, de manière plus précise qu’auparavant, les différentes molécules composant les odeurs cadavériques. Alors que la technique traditionnelle permettait d’en définir une centaine,
la méthode qu’ont mise au point les chercheurs permet d’identifier 830 composés spécifiques à la décomposition cadavérique. Cette avancée scientifique devrait permettre de faciliter le travail de recherche des corps effectué par exemple lors de catastrophes naturelles, de recherche de tombes clandestines ou de dissimulation de cadavres. Les appareils permettant ces détections olfactives n’existent pas à ce jour, mais les chercheurs espèrent que le résultat de leur travail ouvrira des perspectives en vue d’élaborer de tels outils. Cette avancée permettra également de mieux entraîner les chiens pisteurs et d’élaborer de nouveaux détecteurs biologiques pour la recherche de corps, tels que les insectes, par exemple. La Libre Belgique, Bruxelles
“Morning Sun”
AFP
E. HOPPER
En haut la toile d’Edward Hopper, en bas le “tableau vivant” : l’actrice et danseuse Anna Parrow prend la pose pour le photographe Ed Lachman. Vous avez raté cette installation conçue dans le cadre de la rétrospective consacrée au maître américain à Madrid ? Vous aurez peut-être une deuxième chance : Anna Parrow prévoit de se produire dans une “galerie parisienne”, rapporte le Dagens Nyheter.
REUTERS
Ça sent le cadavre Vue imprenable Du nouveau en Suisse : le téléphérique avec toit ouvrant. Ces cabines à deux étages gravissent le Stanserhorn, près de Lucerne. Elles montent jusqu’à 1 850 mètres, offrant six minutes de vue panoramique. La terrasse, qui peut abriter 30 personnes, est accessible par un escalier intérieur. Si le vertige vous gagne, prenez votre mal en patience : la télécabine elle-même est totalement transparente. (Daily Mail, Londres)
“Martine” version carré rouge Détourner les titres de la série enfantine Martine, ce n’est pas une tradition proprement québécoise, écrit le magazine canadien L’Actualité. Mais les militants du “printemps érable” renouvellent le genre sur la Toile. En ligne de mire, toujours, l’augmentation des frais d’inscription à l’université.
La tour infernale La Funcheng Wanda Plaza, tour de trente-deux étages édifiée à Mianyang, dans la province du Sichuan, en Chine, fait un peu désordre : pour construire cet édifice, on a rasé une école fraîchement bâtie et, depuis que la tour est sortie de terre, l’aéroport local a dû supprimer tous ses vols de nuit et dérouter ses vols de jour. Les autorités pourraient exiger la démolition de dix étages de la tour. Elles refusent
de révéler l’identité du responsable de la délivrance du permis de construire, rapporte le quotidien hongkongais South China Morning Post. L’école détruite pour faire place au complexe de luxe avait été construite il y a deux ans grâce à des dons provenant de Hong Kong – 4 millions d’euros de financements alloués après le tremblement de terre qui avait dévasté le Sichuan en 2008.
Copulations sylvestres
ED LACHMAN
P
p ac pa ard te 3 lit on s a pr 8 fe é d née v H ès m e C s ec no eno de me olo , a s le in ué t, qu s e gn ta d sy vas un acc atr xéc e. L tué iab ju m ion p us e c u a v à l le an rid bol de act ée ent tée ille ’un Le Em nu iqu iqu ch e a d’a s a s p a a ani s s pi ler e : l e. E eni vec voi ns. our bso mit orc re le es ll lle le r e Pa s u é iè ro s j a e n s. d n rm or s e la re m ug ut e Ce ia co i ce t m s ain em or re tt bl u ell lle ré un so ge e ités vêt e d e e rag es, rie hab ici nt rm nts a p éc t d é l Ka vo ili an ém llem as isio éc a lu tha ilà té d n le x iq ue is s an e c es nc ure rina , p ou de ara t u hé , ré s s n c n g u cis le e tè e ne e D Sa pe re ste ie int uv en W t el t.
On n’est plus tranquille nulle part ! Un politicien autrichien a été surpris en pleins ébats en forêt par des caméras destinées à enregistrer la vie de la faune locale. Installées en haut des arbres, au plus profond des bois, les caméras automatiques à infrarouge de la Société de chasse de Carinthie permettent d’observer cerfs et sangliers dans leur habitat naturel. La scène inattendue de copulation humaine n’a pas été divulguée, rapporte Der Spiegel, et l’identité du politicien est restée secrète. Les individus surpris en position compromettante peuvent prétendre à 20 000 euros de dommages et intérêts pour violation de leur vie privée, indique l’ONG Arge Daten. Cette organisation, qui milite pour la protection des données personnelles, demande que les caméras soient signalées afin que les “visiteurs adaptent leur comportement”.