Publicación del Instituto de Patrimonio Cultural correspondiente al municipio Leonardo Infante del estado Guarico en VenezuelaDescripción completa
Par Elisabeth Rochat de la Vallée
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Descripción: Geomorfologia Valle de Aburrá
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Descripción: El valle de la muerte. Libro obligatorio para cualquier emprendimiento
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Descripción: Ell Valle de la Visión es un conjunto de oraciones puritanas que exaltan el nombre de Dios y ponen al hombre en su justa dimensión.
La Langue Berbère - Recueil de Textes de Salem CHAKER http://adrar-inu.blogspot.com
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LES ESPRITS1
LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LA PENSÉE CHINOISE CLASSIQUE La notion de shen 神 , habituellement traduite par “esprits”, est complexe et multivalente. Elle revêt des significations différentes selon son évolution au cours du temps comme selon les contextes où elle se trouve employée. Ainsi les nuances seront importantes entre l’emploi de shen 神 en philoso phie, dans les textes religieux, dans dans la théorie de la médecine, dans dans les usages populaires ... Si l’on remonte à l’origine, on trouve le caractère shen 神 employé dans les inscriptions sur bronze, comme dans les textes les plus anciens, avec le sens des esprits des ancêtres ancêtres : les puissances qui sont “au Ciel” et qui exercent un pouvoir “en bas” sur leurs descendants. D’où l’usage du caractère shen 神 pour les esprits du Ciel, par opposition par ex. aux esprits de la Terre Terre ( gui 鬼 ). On a donc shen 神 , les esprits, des “divinités”, des êtres dotés d’une puissance divine, exerçant leur influences sur les hommes et la nature entière. Leur pouvoir est merveilleux, prodigieux, miraculeux, subtil et imperceptible. On constate le résultat de la présence des esprits; mais on ne peut pas expliquer comment ils opèrent, puisque la nature même de leur pouvoir est céleste, vient d’un ordre “supérieur”. On ne peut donc pas expliquer leurs opérations par la logique des raisonnements humains; on ne peut pas intégrer leur puissance à l’expression duelle qui qui est celle du monde monde sous le Ciel. D’où leur définition 2 dans le Xici : “Ce que le Yin/Yang ne peut sonder, ce sont les esprits.” Leur action ne peut être qu’excellente et parfaite, puisque céleste. Elle est donc toujours et par définition expression de l’ordre de l’avènement et du déroulement de la vie dans le monde, de l’ordre naturel qu’on appelle aussi le Ciel ( tian 天 ). Les esprits sont donc l’animation céleste en tout être. Ils sont l’ordre sacré de la vie dans chaque phénomène naturel comme dans les affaires humaines. On a ainsi des esprits pour tous les lieux ou forces naturels comme pour les parties de la maison, pour les maladies ou le bonheur; il y a ceux qui président aux naissances ou aux mariages, ceux qui patronnent tous les corps de métiers, qui protègent les Lettrés ou les prisonniers ... Ils président à toutes les activités de la nature et de l’homme.
Les esprits dans la nature Les esprits sont partout : divinité de la montagne ou de la rivière, du feu ou du bois, des céréales ou des nouvelles pousses, du tonnerre ou des nuages, de la peste ou de la sécheresse, de la scarlatine ou de la variole, du bonheur ou de la richesse, des portes ou de l’âtre, des puits de sel ou des digues, de la tuile du toit ou des latrines, du Foie ou des yeux, yeux, de l’Estomac ou du cerveau, .... On peut regarder les esprits comme des fonctionnaires divins, des serviteurs du Ciel, des garants de l’ordre naturel. Ce n’est pas dépréciatif que d’être les employées de la vie, d’avoir pour charge de garder les souffles dans dans le courant de la vie, d’en diriger les manifestations, manifestations, de telle sorte qu’elles ne dévient pas de ce qu’elles doivent être, mais suivent leur nature conférée à l’origine. 3 1.Cette présentation est loin d’épuiser le sujet et d’étudier toutes les facettes de la notion de shen 神 . Elle explore sim plement quelques aspects qui éclairent éclairent son usage dans les grands textes de la théoies médicale. médicale. 2.Ou Grand Commentaire du Livre des Mutations, rédigé vers les IV, IV, IIIè siècles avant l’ère chrétienne.
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Le génie du fleuve fait couler le fleuve vers la mer; l’esprit d’un élément, comme le Feu, fait que le feu monte et flambe, réchauffe et diffuse; la divinité de la sécheresse la fait arriver quand les circonstances la provoquent, l’esprit des portes contrôle ce qui passe par elles ... Chaque esprit fait en sorte que tout fonctionne selon sa nature propre.
Les esprits en l’homme Les esprits descendent du Ciel et peuplent le monde qui entoure l’homme; mais ils pénètrent aussi dans les êtres et contrôlent en l’homme tous les mouvements de sa psychologie comme de sa physiologie. Dès le Zuozhuan 1, on trouve, pour shen 神 , le sens de très intelligent;un homme “spirituel” est éclairé, de l’intérieur, par ces puissances célestes; c’est un être inspiré i nspiré et merveilleusement sage. Les esprits sont donc des puissances extérieures, qui existent en elles-mêmes comme agents du Ciel, capables de protéger protéger les humains, ou de leur nuire. Mais Mais ils peuvent aussi pénétrer pénétrer leur corps et être présents dans le centre de la personne et de la l a personnalité qu’est le Cœur, ainsi que dans tous les organes et toutes les parties de l’organisme. La question se pose alors de savoir si ces esprits descendent en un être par une sorte de volonté du Ciel ou bien si leur présence en un homme est le résultat d’un travail d’intériorisation qu’il effectue de son propre chef. Le travail intérieur par lequel on suscite en soi les esprits est déjà le sujet central d’un texte de la fin du IVè siècle avant J..C., le cha pitre Neiye du Guanzi. Guanzi. On peut peut même en arriver arriver à se demande demande si les esprits esprits propres d’un homme homme ont une existence réelle en dehors du corps de cet homme et des essences qui le l e composent. L’expression “essences-esprits” jingshen 精 神 désigne l’esprit vital de l’homme, où les esprits sont indissociables de ses essences. Les esprits animent les essences, si elles sont assez pures et subtiles pour se laisser pénétrer par eux. La puissance qu’ils peuvent déployer en un humain est fonction de la qualité des essences que celui-ci est capable de maintenir et renouveler en lui; c’est dire que la présence des esprits esprits dans un humain et la capacité capacité à contrôler les opérations opérations de la vie est fonction de la conduite de cet homme : s’il sait ou non se rapprocher de l’ordre naturel dans ses activités physiques comme dans son équilibre mental et affectif. Se rapprocher de l’ordre naturel, c’est se laisser habiter par les l es esprits pour se conformer au Ciel. Ainsi, il dépend de l’homme de se mettre sur la voie de l’intériorisation des esprits; cette orientation intérieure le conforte de plus en plus dans l’ordre naturel qui est le déploiement optimal de sa propre vie; on dit alors que les esprits, qu’il a su attirer et garder, le gardent de tout mal, tant qu’il maintient, par le calme intérieur, la qualité nécessaire des essences. Cependant Cependant il n’y a aucun déterminisme absolu; les esprits sont volatiles; l’homme ne peut que se conformer, conformer, dans la mesure de ses possibilités, à l’ordre naturel; mais mais comme il ne peut le pénétrer entièrement, à moins d’être parvenu au stade ultime où il ne fait qu’un avec cet ordre, où il est devenu céleste, où il s’est incorporé à la Voie, Voie, il y a toujours de bonnes chances pour que des flucfl uctuations existent dans sa conduite. Les esprits ne se gardent pas comme si l’on pouvait les tenir ou les enfermer; ils vont et viennent, c’est leur mouvement caractéristique. L’homme L’homme ne peut garder que sa vigilance à ne pas commettre d’erreurs qui sèmeraient en lui l’agitation et troubleraient la limpidité de ses essences.
3.Il peut certes y avoir des conflits d’autorité. Par exemple quand telle divinité est condamnée ou bannie par un haut fonctionnaire, comme représentant un culte illicite. Mais, Mais, en ce cas, deux ordres du monde monde s’opposent, tous deux naturels : l’ancien, dont la divinité condamnée se prévaut, et le nouveau instauré par le Fils du Ciel, l’Empereur de qui le haut fonctionnaire tire son autorité. 1.Commentaire de la Chronique des Printemps et Automne Automne (Chunqiu), sans doute rédigé vers les V-IVè V-IVè siècles avant l’ère chrétienne, et remanié autour de l’ère chrétienne.
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“Les esprits prennent vie de Ce qui n’a pas (de forme wu 無 ) et les formes (les corps, xing 形 ) sont achevées par Ce qui a (forme you 有 )1 . ... Ainsi dit-on : les esprits envoient envoient (activent) les souffles souffles shen shi qi 神使氣 ) et les souffles déterminent les formes. Ces formes ont des principes d’organisa( shen tion (li 理 ) qui déterminent leur espèce, et par les espèces on les classe. ... Le Sage se fonde f onde sur les esprits pour les rendre présents (en lui). Bien qu’il ait en lui le merveilleux, il doit accomplir ses dis positions propres (qing 情 )2 . Celui qui va au cœur de la Voie glorieuse (de splendeur) a l’illumination (ming 明 ) . Celui qui n’a pas le cœur d’un Sage pour accèder à l’intelligence ( cong ming 聰明 ), comment pourrait-il rendre présents en lui les esprits du Ciel Terre et accomplir les dispositions naturelles attachées à sa forme ? Les esprits : les êtres les reçoivent, r eçoivent, mais sans en avoir conscience conscience ( zhi 知 ); ils vont et viennent ( qu lai 去來). C’est pourquoi le Sage est dans la crainte et désire les rendre présents en lui. Son seul désir étant de garder leur présence, les esprits se rendent présents en lui. S’il désire ainsi leur présence, c’est que rien n’est plus précieux.” (Shiji, fin du ch.25) 3 On peut comprendre ces allées et venues comme l’arrivée et le départ de puissances extérieures; certaines situations sont clairement liées à des pratiques de type shamaniste et il y a des phénomènes de possession par la divinité, de transe. Mais, dans les textes philosophiques et dans ceux de la théorie médicale, il s’agit plutôt d’état de conscience : on expérimente ou on n’expérimente plus, ou moins intensément, l’état où l’on se sent un, unifié, unifié, inspiré, en accord avec les grands mouvements mouvements de la vie en soi, autour de soi, dans la nature et le cosmos. La vision que l’on a des évènements et des êtres est plus ou moins claire, va plus ou moins “de soi”. Les esprits, la présence des esprits est alors un “état d’esprit” qui induit un “état de corps”; car la présence des esprits est intelligence et sagesse, mais elle est aussi splendeur du corps, éclat de la santé. Les esprits ne sont pas quantifiable (nous verrons plus loin la question de leur nombre); ils ne sont pas non plus altérables. altérables. Ce sont des agents agents à qui l’on donne ou non puissance puissance d’action et de contrôle. contrôle.
Les esprits, shen 神 , n’appartiennent pas à la personne qu’ils habitent, et cependant ils font partie d’elle par l’esprit vital ( jing shen 精神 ); ils sont sa lumière intérieure, sa perception, son intelligence, sa conscience et son savoir-faire. Ils sont ce par quoi un être humain a une conscience et un savoir d’homme, une intelligence qui n’est pas seule habileté mais pénétration de la réalité vivante. Sans les esprits, un homme n’est pas vraiment un être humain; il est fou ou inhumain. Son corps ne connaît que l’épanouissement animal de la substance travaillée par les souffles. Le fou peut ainsi jouir d’une santé quasi parfaite; mais on ne le considèrera pas comme vraiment “sain” et son manque d’intelligence le mettra en danger. Quant à celui qui se livre à ses passions, gâtant ses essences, générant l’agitation et l’affairement, il rend inopérant les esprits et en subit les conséquences dans son mental et dans son corps. “L'homme pris par la démence, s'il ne peut éviter de tomber dans l'eau ou le feu, s'il choît dans le shen 神 ), de fossé ou le canal, croyez-vous que ce soit par manque de corps ( xing 形 ), d'esprits ( shen souffles (qi 氣 ) ou de vouloir ( zhi 志 ) ? Non. C'est qu'il en fait un usage aberrant. Ils ont désertés leurs postes de garde ( shou 守 ), ils ont abandonné leurs demeures, demeures, celles de l'extérieur ( wai 外 ) et 1.Pour dire que les esprits proviennent du mystère originel, là où s’enracine s’enracine le déploiement de la vie. Quand Ciel et Terre Terre se constituent, que les souffes Yin et Yang s’entrecroisent, les esprits sont là pour diriger toutesles opérations. “Le mystère profond (qui est originel, xuan 玄 ) produit le esprits.” (Suwen 5) 2.L’homme a, par nature, ce qui lui donne accès au mystère originel, au Ciel. Mais il doit suivre la voie qui y mène - ou ramène - en fonction des caractéristiques de sa nature propre. 3.Mémoires Historiques de Sima Qian, ouvrage composé un siècle avant l’ère chrétienne.
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celles de l'interne (nei 內 ). C'est une situation où le mouvement et l'arrêt ne reposent plus sur rien, où l'activité et le repos ne sont plus centrés ( zhong 中 ). Sa vie durant, il déplacera un corps ( xing 形 ) handicapé par des chemins tortueux et des voies raboteuses, trébuchant au milieu de trous pleins de fange et d'ordure. Venu au monde équipé comme tout un chacun, il n'en est pas moins moqué et méprisé par les gens. Pourquoi donc ? Parce que le rapport de son corps ( xing 形 ) aux esprits (shen 神 ) est perdu. Or donc, quand les esprits règnent en maîtres ( zhu 主), le corps suit et l'on prospère; et quand le corps impose sa loi ( zhi 制 ), les esprits suivent et l'on se dégrade. Les hommes aux appétits voraces et aux passions dévorantes couvent la puissance d'un regard plein d'envie; fascinés qu'ils sont par les titres et les positions; ils n'ont qu'une ambition : dépasser les autres par leur habileté et s'installer sur les hauteurs de la société. Avec ce résultat que leurs essences et leurs esprits (esprit vital, jing shen 精 神 ) diminuent tous les jours un peu plus, s'égarent toujours plus loin. C'est un débordement prolongé sans espoir de retour; le corps fermé et le centre inaccessible, les esprits ne trouvent plus par où pénétrer. Alors les gens éprouvent, à tout instant, les effets désastreux de leur aveuglement et de leur extravagance.” (Huainan zi, ch.1) On pourrai dire que shen 神 c’est ce qui fait que l’on a conscience. Qu’est-ce “avoir conscience” ? sinon de se voir à sa place dans l’univers et de voir l’univers dans sa réalité. Cependant, la pensée chinoise, principalement sous l’influence du Taoïsme, préfera dire ÊTRE à sa place dans l’univers et percevoir l’univers dans sa réalité, car le but ultime de la vie n’est pas de regarder mais d’appartenir. La contemplation est une immersion, où l’on ne voit plus rien, ne sait plus rien, où toutes les distinction s’abolissent. Cela seul permet de rester dans le mouvement de la vie, par incorporation, qui est un abandon de la conscience claire et de la pensée discursive, mais une plénitude d’esprit.
LA NOTION DE SHEN, ESPRITS, DANS LES TEXTES MÉDICAUX L’usage de la notion de shen 神 , esprits, dans la théorie médicale s’appuie principalement sur sa vision dans les textes philosophiques. Ainsi ils sont présentés comme la vie même d’un homme, ce qui le rend sain de corps et d’esprit. “Posséder les esprits, c’est le resplendissement (de la vie). Perdre les esprits, c’est l’anéantissement.” (Suwen 13) C’est ainsi qu’on peut dire que les esprits sont le Ciel (le naturel) en moi, ils sont les guides de la vie qui se déroule en conformité avec sa nature propre, originelle, conférée par le Ciel. Quand une vie est bien réglée, quand tous les souffles accomplisssent parfaitement leurs activités propres, au bon endroit, au bon moment, selon le rythme juste - ce qui est la même chose que de dire que les Cinq zang accomplissent parfaitement leurs fonctions - alors c’est la vie spirituelle. “Les Cinq saveurs pénètrent par la bouche et sont thésaurisées par les intestins et l'estomac; les saveurs sont thésaurisées dans les zang, pour en entretenir les Cinq souffles. L'harmonieuse composition de ces souffles fait vivre; les liquides corporels denses et légers ( jin ye 津液 ) se complètent parfaitement, et les esprits ( shen 神 ) alors font vivre, naturellement.” (Suwen 9)
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La lumière des esprits Les esprits qui guident la vie ne sont pas un simple mécanisme, mais une lumière. Cette lumière est un éclairage qui permet la connaissance, la compréhension de ce qui seul importe, c’est-à-dire de ce qui fait vivre. Comme le seul savoir faire qui compte est de “savoir vivre” et savoir comment entretenir sa vie1, la seule connaissance qui vaille est celle qui éclaire sur l’ordre naturel de la vie et qui permet d’y adhérer de tout son être; ce n’est pas la connaissance qui vient d’un savoir accumulé, d’une pensée discursive, d’une analyse, mais celle qui est l’adhésion au mouvement vital jusqu’à la dernière fibre de son être. “Le Yin/Yang est la Voie du Ciel/Terre, corde maitresse et mailles des Dix mille êtres, père et mère des changements et transformations, enracinement et commencement de la vie et de la mort, demeure pour le resplendissement des esprits ( shen ming 神明 )” (Suwen 5) Quand les esprits sont au contrôle, ils activent les souffles en fonction de l’origine, de la nature propre de chacun et de l’ordre sacré de la vie. La réaction à toutes les circonstances est alors parfaitement appropriée et juste; rien ne perturbe le déroulement de la vie. “La Voie est dans l’unité et les esprits impriment un mouvement de rotation sans jamais revenir en arrière. S’ils revenaient en arrière, ils n’assumeraient plus les rotations, ce serait la perte du mécanisme (subtil de la vie, ji 機 ).” (Suwen 15) “Le corps abrite la vie, les souffles en sont l'abondance, les esprits la dirigent. Une des entités perdelle sa position, les trois en pâtissent.” (Huainan zi, ch.1)
Quand, chaque organe, chaque sens, chaque instance fonctionne parfaitement, rien ne s’oppose à la présence des esprits; ce qui renforce la perfection du fonctionnement procurant force et santé et ce qui, en même temps, donne l’acuité et l’adéquation convenables, appropriées au fontionnement des organes des sens et du mental. C’est l’illumination, l’état spirituel, tel qu’il est présenté en Huainan zi ch.7 : “Sang-et-souffles ( xue qi 血氣 ) peuvent-ils se concentrer dans les Cinq viscères ( zang ) au lieu de se répandre au dehors, poitrine et ventre se remplissent alors en totalité, les désirs et les convoitises perdent alors toute leur force. Poitrine et ventre étant entièrement pleins, désirs et convoitises étant réduits à rien, l'œil et l'oreille sont clairs, la vision et l'audition pénétrantes. Une telle perfection dans l'atteinte de leur objet par les sens, c'est cela l'Illumination ( ming 明 ). Les Cinq viscères peuvent-ils se placer dans la dépendance du cœur et ne pas s'en écarter, quelle que soit l'exhaltation du vouloir ( zhi 志 ), la conduite ne dévie pas. Ainsi, les esprits vitaux ( jing shen 精神 ) surabondent et rien ne se dissipe des souffles. Abondance d'esprits, plénitude de souffles, tout est ordonné, équilibré, compénétré : C'est l'Etat spirituel ( shen 神 ). L'Etat spirituel rend parfaite la vision, parfaite l'audition, parfait l'accomplissement : Les tristesses et les soucis ne peuvent plus nous assaillir, les souffles pernicieux ( xie qi 邪氣 ) fondre sur nous à l'improviste.”
1.cf Lingshu 8, Les Mouvements du cœur : “Le savoir-faire c’est l’entretien de la vie”.
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Accueillir et garder les esprits Comment attirer les esprits du Ciel ? Comment les garder afin qu’ils nous gardent ? En réglant sa vie à l’aide des esprits qui sont déjà présents en soi, afin de renouveler des essences de la qualité propre à l’espèce humaine. “Les souffles grossiers ( fan qi 煩氣 ) forment les animaux; les souffles légers et subtils ( jing qi 精氣 ), les hommes.” (Huainan zi, ch.7) Il y a plus d’esprits célestes dans un humain qu’en n’importe quel autre être, à cause de la qualité de ses essences. Mais l’humain doit maintenir cette qualité, sinon, il perd les esprits en les rendant ino pérants, et alors il perd sa vie. En maintenant la qualité des essences, les esprits continuent d’être attirés; et parce qu’ils sont plus nombreux ou plus présents, les essences sont riches et pures. C’est donc bien les essences qui permettent la présence des esprits. “Que des vivants ( sheng 生 ) surviennent dénote les essences ( jing 精 ). Que les deux essences s’étreignent dénote les esprits ( shen 神 ).” (Lingshu 8) Ces “deux essences” sont les essences des deux humains géniteurs, mâle et femelle, père et mère, racine des essences dite du Ciel antérieur pour le nouvel être. Mais c’est aussi les esssences du Ciel postérieur se renouvelant sur le modèle originel des essences du Ciel antérieur. Comment renouveler les essences du Ciel postérieur en gardant la qualité innée du Ciel antérieur ? 1 En évitant tout ce qui dérange et trouble l’activité régulière des souffles, qui travaillent en permanence sur les essences; c’est-à-dire en évitant les émotions et passions, les désirs inappropriés, les excès de chaud ou de froid, de fatigue ou de relations sexuelles .... En travaillant, dans son corps et son mental, tout ce qui préserve le rythme normal des souffles, leur permettant d’assimiler et de transformer les essences de façon à ce qu’elles soutiennent la présence des esprits. “Intestins et estomac étant alternativement vides et pleins, les souffles montent et descendent ( qi de shang xia 氣得上下 ), les Cinq zang sont stables et paisibles, sang et souffles ( xue qi 血氣 ) sont harmonieusement composés et circulent aisément ( he li 和利 ) et l’esprit vital ( jing shen 精神 ) alors reste à demeure. Ainsi donc, les esprits ( shen 神 ) ce sont les essences-souffles ( jing qi 精氣 ) provenant des aliments solides et liquides.” (Lingshu 32) Toutes les techniques sont bonnes : diététique, gymnastique, respiration, méditation ... à condition qu’elles n’aient d’autre visée que l’adhésion au mouvement de la vie pour lui-même et qu’elles préservent et confortent le calme intérieur.
L’essentiel dans l’usage des aiguilles ( 用鍼之要 ) réside dans la connaissance de la régulation du yin et du yang ( 知調陰與陽 ); quand on régule yin et yang (l’un par rapport à l’autre), alors les essences et les souffles resplendissent ( 精氣乃光 ), on unit le corps et les souffles ( 合形與氣 ) et on fait en sorte que les esprits soient thésaurisés à l’interne ( 使神內藏 ). (Lingshu ch.5)
1.On appelle “Ciel antérieur” ou “Avant le Cie”l l’aspect théorique et constitutif de la réalité et de chaque être; les forces qui président à l’apparition d’un être et qui demeurent activent tout au long de son existence en tant que fondement et modèle. On appelle “Ciel postérieur” ou “Après le Ciel”, l’aspect expérimental et fonctionnel de la même réalité; les forces vives renouvelées par l’individu (respiration , alimentation), tout l’acquis.
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Les essences Au sens premier, jing 精 désigne les grains de riz décortiqués, la partie affinée du riz; par extension quelque chose d’épuré, choisi, subtil, exquis, raffiné. Les essences, pures et subtiles, sont les modèles de chaque vie (essences du Ciel antérieur) et la base de son entretien (essences du Ciel postérieur). Les essences rendent particulière une vie au sein de la vitalité universelle. Elles règlent les conditions de la vie pour chacun, de la naissance à la mort, de l’apparition à la disparition. Un être reste lui-même au travers de toutes les mutations qu’il subit au long de sa vie, car les essences assurent fidèlement cette continuité. Leur relation à l’origine et à la continuité, ainsi que leur nature yin, les lient aux Reins : “Les Reins …. sont le logis des essences. [...] “Les Reins thésaurisent les essences ( jing 精 ).” (Lingshu 8) Elles sont le matériau plein de vitalité qui tisse les vivants. Elles permettent aux substances de rester vivantes, c’est-à-dire d’être transformées continuellement par les souffles. Les essences de la dotation originelle (essences du Ciel antérieur) déterminent la qualité spécifique de la substance humaine. Les essences du Ciel postérieur permettent l’élaboration, le développement et le maintien d’un être, par renouvellement selon les normes originelles de la nature propre. “Homme et femme unissent leurs essences : les Dix mille êtres sont produits par transformations (hua sheng 化生 )”. (Yijing ou Livre des mutations – Xici) “Les Essences sont l’enracinement ( ben 本 ) d’un corps vivant ( shen 身 )” (Suwen 4) “Ce qui vient en premier ( xian 先 ) dans la vie d’un être (dans une vie personnelle exprimé dans un corps, shen sheng 身生 ), est appelé Essences.” (Lingshu 30) Les essences passent d’un être à l’autre (par ex. l’alimentation); par décomposition de la matière qui les contient, elles sont assimilées dans un nouvel organisme (essences du Ciel postérieur); elles y gagnent, selon des affinités, les zang qu’elles régénèrent et où elles permettent la présence et le contrôle des esprits. Elles sont travaillées et transformées en permanence par les souffles. En se consumant, elles dégagent des souffles aux activités spécifiques; par assimilation, elles vitalisent les substances corporelles. Les essences ne sont pas visibles en elles mêmes, mais rien de substantiel n’existe, ne prend forme et vie sans elles; on perçoit leurs qualités, leur abondance ou leur pénurie, dans chaque être vivant. Alors que le corps relève de la Terre, les essences relèvent du Ciel, car les essences sont alors l’initiative et le contrôle de l’expression vitale représentée par la forme corporelle. “le Ciel par les essences ( jing 精 ) et la Terre par les formes ( xing 形 ), Le Ciel par les Huit régulateurs (du temps) et la Terre par les Cinq organisateurs (que sont les Cinq éléments), peuvent se comporter en père et mère des Dix mille êtres.” (Suwen ch.5) Dans toute forme les essences sont donc ce qui donne la vie, ce qui manifeste le naturel, ce qui permet aux souffles d’animer les corps et les substances. Tout l’entretien de la vie et l’accomplissement corporel reposent sur les essences.
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“Les Essences ( jing 精 ), dans tous les êtres, c’est ce qui en fait des vivants ( sheng 生 ). En bas, elles produisent les Cinq céréales; en haut, elles font les étoiles bien rangées; s’écoulant ( liu 流 ) à l’intervalle entre Ciel et Terre, ce sont les esprits de la Terre et ceux du Ciel ( gui shen); thésaurisées ( cang 藏 ) au centre de la poitrine, c’est l’homme saint ( sheng ren 聖人 ). Et ainsi, voilà les souffles …. “ (Guanzi – Nei Ye) “Que des vivants surviennent dénote les essences” (Lingshu ch.8) Il faut donc garder précieusement et activement les essences, ne pas les gaspiller, les perdre, les détèriorer, car alors on détruit la qualité des substances vitales : liquides corporels et graisses constitutives, sang et sperme, et même moelle et cerveau, os et chairs; on affaiblit et dénature la production en soi des souffles; on obscurcit la pensée et s’oppose à la présence des esprits.
L’esprit vital ( jing shen 精神 ) L’association des essences subtiles et des esprits représente le plus haut niveau de la vie humain, l’humanité d’un homme. C’est la source de la connaissance, réflexion, pensée, moral, conduite morale, droiture intérieure qui est aussi rectitude des mouvements du souffle... Les Cinq zang qui forment le centre de la personne sont en charge de l’esprit vital, par opposition aux Six fu, davantage tournés vers le côté matériel de la vie : “L’homme recoit la vie par son sang-et-souffle ( xue qi 血氣 ), ses essences-et-esprits ( jing shen 精神 , esprit vital), pour accomplir sa destinée en fonction de sa nature propre. [….]. Les Cinq zang sont pour thésauriser essences-et-esprits ( jing shen 精神 ), sang-et-souffles ( xue qi 血氣 ), Hun et Po ( 魂 魄 ). Les Six fu sont pour transformer ( hua 化 ) les liquides et céréales et faire circuler les liquides corporels ( jin ye 津液 ).” (Lingshu 47)
L’espirt vital ( jing shen 精神 ) d’un homme, qui représente ses esprits propres, survit à sa disparition, à la dissolution de la personne. “Ainsi, les esprits légers et subtils (l’esprit vital, jing shen 精神 ) sont propriété du Ciel et l'ossature corporelle ( gu hai 骨骸 ), propriété de la Terre. Les esprits légers et subtils (l’esprit vital, jing shen 精 神 ) repasseront leur porte, les ossements retourneront à leur racine. Mais alors comment "moi" subsisterai-je à jamais ?” (Huainan zi, ch.7) Cet esprit vital est personnel, spécifique à un être, car les essences sont les siennes et dépendent, pour leur qualité, de la conduite de sa vie. C’est ainsi que certains textes parleront de l’altération des esprits en un être. Cependant, on peut aussi considérer que, si les essences sont propres et sous la res ponsabilité de l’homme qu’elles vitalisent, les esprits, en tant que messagers du Ciel, ne lui appartiennent pas. Ils sont sa vie, mais ne sont pas à lui. Il ne peut donc pas les altérer (contrairement aux Hun et aux Po). Les esprits sont la puissance efficace, la “vertu” du Ciel, de l’ordre naturel de la vie. Ils sont attirés par la conduite de la vie, qui détermine la qualité des essences. Plus les esprits sont présents, plus la conduite est naturellement correcte, et plus on accepte et désire leur présence. Ils sont les conducteurs du char de la vie. Le Cœur étant plein d’eux peut diriger la vie avec puissance et efficacité et tous les replis de l’être, tant physique que mental ou moral, sont pleins de leur présence.
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Les esprits ne sont pas l’âme, ou un principe de vie personnelle qui survivrait à la mort. Shen est différent de Hun ou Po qui sont personnels. Les esprits sont partout là où est la vie, la Voie du Ciel, et ils inspirent en fonction de la qualité des essences, en l’homme l’esprit vital (essences esprits, jingshen 精神 ), par la subtilité et le raffinement des essences, donne accès à la conscience ( zhi 知 ) qui est un savoir faire/savoir vivre ( zhi 智 ).
LES CINQ ESPRITS Le nombre des esprits Combien y -a-til d’esprits ? Un ? Cinq ? Cent ? 18 000 ? Les nombres qui leur sont attribués ne sont pas quantitatifs mais qualitatifs. Ils donnent une indication sur les esprits dont il est question. Par exemple, les Deux esprits ( er shen 二神 ) pourront être le Yin et le Yang, sous leur aspect de puissances productrices de la vie; les Trois esprits ( san shen 三神 ) seront ceux du Ciel, de la Terre et de l’homme ou des Pics sacrés, ou encore les esprits qui, dans le corps, habitent les trois champs de cinabre; les Quatre esprits ( si shen 四神 ) seront les divinités qui donnent leur qualité propre aux Quatre directions de l’espace. Les Six esprits ( liu shen 六神 ) pourront être six catégories d’esprits à qui l’on offre des sacrifices (Quatre saisons, froid et chaud, soleil, lune, étoiles, sécheresse et inondation) ou encore six esprits qui, dans le corps, animent Cœur, Poumon, Foie, Reins, Rate et Vésicule Biliaire. Cent esprits (bai shen 百神 ) sont une troupe d’esprits. Mais l’essentiel est exprimé par le proverbe : “Les myriades d’esprits ne font qu’un esprit” ( qian shen wan shen dou shi yi shen 千神萬 神都是一神 ). Cinq esprits (wu shen 五神 ) indique que les esprits sont à considérer au niveau de Cinq, distribués et particularisés en chacun des Cinq zang, si l’on est dans un contexte corporel; dans un contexte plus général, ce sont les esprits des Cinq éléments, des Quatre directions et du centre; ou encore les Cinq souverains mythiques divinisés. Cinq est le niveau de l’organisation de la vie, de la répartition des toutes les qualités et mouvements de souffles qui font et maintiennent la vie. C’est une organisation qui est faite dans la conscience; un essai pour gérer le multiple en gardant présent l’unité, qui est seule réelle. 1
1.Il est normal que l’on ait des analogies entre les Cinq shen, l’expression des esprits par cinq, et les Cinq éléments. Il ne serait cependant pas licite d’appliquer mécaniquement aux Cinq shen toutes les règles et cycles conçus pour les Cinq éléments (ainsi les cycles de domination ou d’engendrement). On ne peut appliquer mécaniquement toutes les règles des Cinq éléments que quand on prend chaque notion, répartie en Cinq, comme représentant la qualité et le mouvement de souffles propres aux Cinq éléments; mais on renonce alors aux caractéritiques propres de ces notions. Il en va ainsi non seulement pour les Cinq esprits, mais pour les Cinq saveurs, Cinq souffles atmosphériques... Il est stupide de dire que le sec domine le vent, sinon quand sec et vent représente le Métal et le Bois, comme il est faux de dire que l’humidité engendre la sécheresse ou domine le froid, sinon quand ils représentent la Terre, le Métal et l’Eau. Quand on tr aite de ces souffles atmosphériques, on regarde leurs relations non seulement en fonction des Cinq éléments qui permettent de les classifier mais aussi en fonction de leurs interactions propres. Ou encore, la colère n’engendre pas l’allégresse et la tristesse ne domine pas toujours la colère. Ainsi on ne peut pas dire, en parlant des qualités spécifiques des Cinq esprits, que le Vouloir engendre les Hun ou que les Po dominent les Hun, autrement que pour dire que les Reins-Eau engendre le Foie-Bois ou que le Poumon-Métal domine le Foie-Bois.
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Le Cœur et les Cinq zang “Quand mon Cœur règle bien ( zhi 治), les charges (organes des sens, guan 官) sont aussi bien réglées zhi 治 ). Quand mon Cœur est en paix ( an 安 ), les charges (organes des sens) sont aussi en paix. Ce ( zhi qui règle, c’est le Cœur. Ce qui confère la paix, c’est le Cœur. Le Cœur cache un Cœur. Au centre de ce Cœur, il y a encore un Cœur. Au cœur de ce Cœur, la dis position intérieure (propos) précède les paroles, de la disposition intérieure procède la forme ( xing 形 ), de la forme procèdent les paroles, des paroles procède la mise en œuvre ( shi 使 ), de la mise en œuvre procède la régulation ( zhi 治 ). Sans régulation, on n’échappe pas au désordre désordre ( luan 亂 ), un désordre qui mène à la mort. Quand, par la présence des essences, la vie se développe naturellement, l’extérieur ( wai 外 ) montre une tranquille splendeur et à l’intime ( nei 內 ) est précieusement gardé ( cang 藏 ) ce qui procure une fontaine jaillissante, ainsi qu’un débordement harmonisé et équilibré qui procure une source abyssale de souffles. Source abyssale qui ne tarit pas et qui donne leur fermeté aux Quatre membres. Fontaine qui ne s’assèche pas et qui donne aux Neuf orifices leurs communications convenables, rendant capable d’aller au bout de ce nous présente le Ciel/Terre, de s’étendre aux Quatre mers. Au zhong 中 ), aucun désarroi dans le propos (la dsposition intérieure, yi 意 ); à l’extérieur ( wai centre ( zhong 外 ), aucun pervers ( xie 邪 ) portant nuisance.” (Guanzi, Neiye) Le Cœur est un, l’Un, l’unité des Cinq zang. Les esprits du Cœur, puisqu’ils sont aussi l’Un, s’expriment à travers chacun des Cinq zang d’une manière spécifique. Les esprits étant le mouvement naturel propre à chacun des Cinq zang, vont avoir un expression spécifique qui va prendre un nom particulier en chacun. Ce sont les Cinq expressions, manifestations des esprits ou les manfestations des esprits par et dans les Cinq zang. “Oui, le Cœur est le maître des Cinq viscères ( zang ), ), il règle l'usage des Quatre membres, membres, il fait couler et circuler le sang et les souffles, il galope sur la frontière du oui et du non, il va et vient par les portes et les ouvertures ouvertures des Cent Cent affaires.” (Huainan (Huainan zi, ch.1) Les Cinq esprits sont donc l’ordre naturel derrière le fonctionnement de chacun des Cinq zang. On les répartit comme suit : “Le Cœur thésaurise les Esprits ( shen 神 ) Le Poumon thésaurise les Po ( 魄 ) Le Foie thésaurise les Hun ( 魂 ) La Rate thésaurise le Propos ( yi 意 ) Les Reins thésaurisent le Vouloir ( zhi 志 ) “ (Suwen 23) La présentation la plus complète, dans les textes médicaux, se trouve en Lingshu 8 : “Le Ciel en moi est vertu; la Terre en moi est souffles. La Vertu s'écoule, les souffles se répandent et c'est la vie. Que des vivants surviennent dénote les essences et que les deux essences s'étreignent dénote les esprits. Ce qui suit fidèlement les esprits dans leurs allées et venues dénote les Hun et ce qui s'associe aux essences dans leurs sorties et rentrées dénote les Po. Pour ce qui prend en charge les êtres on parlera du cœur. Que le cœur s'applique on parlera de propos et que le propos soit permanent on parlera de vouloir.” (Lingshu 8)
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Les esprits du Cœur Esprits et Cœur ont une relation spécifique. Le Cœur, souverain et maître de la vie, est le “lieu” par excellence de la présence des esprits, puisque mon Cœur est moi et que les esprits me permettent d’être moi. “Le Cœur est l’enracinement de la vie ( sheng zhi ben 生之本 ); changements et transformations des shen 神 ).” (Suwen 9) esprits ( shen Le Cœur est l’unité, le centre, l’harmonie du centre. Il n’a pas de forme en tant que centre; il est la lumière des esprits qui éclaire la conscience et la conduite, conduite, qui donne la joie de vivre, la joie du Ciel. Il se répand partout, est présent partout. Le liquide rouge, bien visible et tangible, du sang abrite l’invisible présence des esprits, ls propagent partout, assurant la cohésion de l’être, perceptions et sensations, la sensibilité et la connaissance. connaissance. “Le Cœur ( xin 心 ) a la charge du Seigneur et du maître ( jun zhu 君 主 ); le resplendissement des shen ming 神明 ) en procède. [...] Quand le maître répand sa lumière ( zhu ming 主明 ), les esprits ( shen inférieurs sont paisibles; un tel entretien de la vie ( yang sheng 養生 ) procure la longévité ( shou 壽 ), de génération en génération, et l'Empire sous le Ciel resplendit d'un grand éclat. Mais si le maître ne répand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque fermeture et blocage des voies, l'arrêt des communications; et le corps ( xing 形 ) en est gravement atteint. Une telle façon d'entretenir la vie est catastrophique.” (Suwen 8) “Le Cœur est le grand maître ( da zhu 大主 ) des Cinq zang et des Six fu; c'est là que demeurent les essences/esprits essences/esprits (esprit vital, jing shen 精神 ). Quand ce zang est solide et ferme, les pervers ( xie 邪 ) ne peuvent s'y mettre. Mais s'ils y sont, le Cœur est atteint; si le Cœur est atteint, les esprits s'en vont et quand les esprits s'en sont allés, c'est la mort.” (Lingshu 71) Quand tout fonctionne pafaitement, que tout se fait à la lumière des esprits, la conscience est éclairée, l’intelligence profonde, le jugement sain, le calme parfait, les perceptions exactes; le corps est robuste, l’apparence splendide, splendide, la santé excellente ... C’est le resplendissement qui vient des esprits : shen ming 神明 .
Hun et Po, double expression du céleste et du terrestre Il n’est pas possible de parler de ce qui fonde la conscience humaine, l’esprit humain, le mental ... sans parler, comme constituants, de ces deux sortes d’âmes, d’anima, d’animation. Hun ( 魂 ) et Po ( 魄 ) sont liés à la Terre; ils portent les divinités de la Terre, gui 鬼 , dans dans leur caraccaractère. Les gui 鬼 sont attachés à la Terre comme les forces animatrices qui en dépendent; ils sont parfois dangereux ou même malveillants; ils peuvent aussi être dangereux parce qu’ils manquent de la lumière qui éclaire la conscience et la connaissance, puisqu’elles viennent viennent du Ciel. Hun et Po vivent en couple : leur union, c'est la vie; leur séparation, notre mort. Ils sont les deux facettes de la vie sur Terre; ils sont la dualité propre à toute expression de la vie. Dans un être humain, une partie appartient, depuis le premier commencement, commencement, au Ciel, et une partie est définitivement liée à la Terre. Leur étreinte est la vie sur Terre Terre : “Les souffles célestes forment l’âme spirituelle (Hun), les souffles terrestres, l’âme corporelle (Po). Qu’ils fassent retour à leur demeure primordiale et chacune gardera son logis. Qui sait les retenir
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sans qu’elles s’échappent, s’identifiera au Grand Un dont l’essences fait corps avec le dao céleste.” (Huainanzi, IX, 23a, trad. Jean Levi, Pléiade, p.368) “L'être humain est la vertu (combinée) du Ciel/Terre, L'entrelacement du Yin/Yang ( 陰陽 ), l'assem blage des esprits de la Terre et du Ciel ( gui shen 鬼神 ), le meilleur des souffles des Cinq éléments (wu xing 五行 ).” (Liji, Livre des Rites, ch. Liyun) La part terrestre fixe l’humain dans un corps, une forme; ce sont les Po. La part céleste, qui s’élève vers ce qui est subtil et clair, ce sont les Hun; mais les Hun doivent être inspirés par le Ciel, les esprits, l’ordre naturel, pour ne pas devenir mauvais, nuisibles, car la clarté se sera retirée d’eux. Pour la même raison, les Hun doivent toujours dominer les Po. Les Hun et les Po , au cours de la vie, se chargent de vitalité. La qualité de ce qui est absorbé par les uns et par les autres crée une animation concrète dont la puissance n'est pas éteinte par la dissociation que la mort opère. À la séparation, à la mort, chaque partenaire reprend son mouvement naturel : les Hun gagnent les hauteurs des cieux et les Po sortent par les orifices (en particulier inférieurs) et retombent vers le sol et dans la terre. Les Hun resplendiront dans les hauteurs et les Po chercheront à s'assouvir dans les profondeurs. Puis Hun et Po auront disparu, refondus dans la puissance universelle où se modèlent les êtres. Ainsi Hun et Po, qui, entre conception et mort, se conjoignent pour composer une existence, ont une survie.
Les Hun Les Hun, mouvement yang, auront tendance à s'élever dans les hauteurs. Ils voyagent librement, permettent l’imagination et les rêves ou encore la randonnée extatique, le voyage hors du corps. Ils sont sans forme et ne sont donc pas prisonniers de la forme corporelle. Ils sont associés aux souffles, souffles, euxmêmes sans forme, liés au Yang et au Ciel. A la mort, on tente rituellement de rappeler les Hun du défunt. Après la mort, ils deviennent, au Ciel, les mânes glorieux, les ling hun 靈魂 , vénérés dans le culte des ancêtres. Durant la vie, ils s'élèvent en intelligence, connnaissance, connnaissance, sensibilité, spiritualité, imagination, rêves et songerie, contemplation... Mais, pour ce faire, il leur faut un enracinement dans le Yin, qui les tienne fermement, empêchant empêchant l'accomplissement l'accomplissement prématuré de leur élan vers le Ciel. Ils ont donc besoin des Po pour rester rester présents en un être. Leur jonction les équilibre et les fait habiter habiter l'être qu'ils composent, stabilisés par les souffles et le sang; ils se retiennent les Hun aux Po et les Po aux Hun, en se compénétrant. A partir des Han, on parle de Trois Hun. Trois évoque les souffles, dont c’est le nombre par excellence. Certaines pratiques taoïstes utiliseront ces trois Hun pour représenter trois niveaux de la vie intérieure : spirituelle, mentale, émotionnelle.
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Les Po Les Po, dont le mouvement est yin, auront tendance à s'enfoncer dans les profondeurs. Ils sont liés à ce qui a une forme, au corps, au sang. A la mort, ils retournent à la Terre, dont ils vont, du reste, en se décomposant et en disparaissant lentement, renouveler la puissance : "Les chairs et les ossements sont enfouis et deviennent comme la terre de champs." (Liji, Livre des Rites, trad. Couvreur, II p.289) Si ce retour ne peut pas s’accomplir, parce que les rites n’ont pas été respectés, parce que la mort a été violente et injuste ..., les Po deviennent des revenants qui hantent les vivants, en quête d’assouvissement. Durant la vie, les Po sont responsables de nos mouvents vitaux, des sensations, des réactions, des poussées instinctives. Le sensitif, le "végétatif", le corporel sont de leur obédience. L'enracinement solide au Yang, qui les soutient, les complète, les harmonise, leur est nécessaire. Il empêche leur retour fatal à la Terre, en terre. A partir des Han, le nombre traditionnel des Po est Sept, nombre des orifices supérieurs (sensoriels), des émotions, évocateur des désordre potentiels qui agitent la force vitale quand elle n’est plus contrôlée, par ex. par le Yin/Yang et les Cinq éléments (dont le total est aussi Sept).
Hun et Po en médecine En médecine, Hun et Po sont liés au Foie et au Poumon et habitent ces organes. Cette association se comprend à un premier niveau comme les grands mouvements opposés de montée et de descente, comme le soleil qui se lève à l’est (à gauche, correspondant au Foie) et se couche à l’ouest (à droite, correspondant au Poumon); ils sont donc l’expression du Yin/Yang en tant que dualité : haut et bas, subtil et compact, Ciel et Terre ... Les associations aux organes revêtent d’autres aspects plus spécifiques à la médecine : Le Foie, gorgé de sang, est le logis des Hun car le Yin fixe leur tendance volatile et le sang renforce le contact avec les esprits. Mental, imaginaire, rêves, pensée, émotions ... se trouveront donc associé facilement aux Hun, au Foie, sous l’inspiration du Cœur habité des esprits. C'est ainsi que le Foie les thésaurise. Le Foie est un zang mâle, exprimant la véhémence des effets du Yang, mais qui s'origine dans les Reins (essences et moelles, "eau" des Reins); le Foie a une nature profonde yin; il est le grand thésaurisateur, gardien du sang. Ce sang, qui porte déjà la marque du cœur et de ses esprits, fera, pour les Hun, un logis idéal, leur permettant un lieu de fixation, comme on propose un nid ou un perchoir aux oiseaux du Ciel. Réciproquement, les Hun participent à la qualité spirituelle du sang. Les Hun sont, par analogie naturelle, liés à ce qui n’est pas substantiel dans le sang. Mais la substance du sang les retient, agissant comme un Yin qui fixe le Yang. Le Poumon, plein de souffles, offre une possibilité aux Po de ne pas tomber en terre; les souffles sont aussi les activités instinctives, les rythmes de la vie, la respiration ... qui ne se font pas parce qu’on en a conscience mais qui occupe tout le corps.
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C'est ainsi que le Poumon les thésaurise. Le Poumon est un zang femelle; il recueille, à la manière de l'automne; mais il est également le maître des souffles, de leur distribution avec ses régulations cycliques, des rythmes instinctifs de la vie. Les souffles sont l'appui des Po, leur permettant de s'exprimer en animant l'être. Les Po ne sont pas liés aux souffles en tant que Yang céleste, puisqu’ils sont liés par affinité naturelle à la substance, à la forme, donc au liquide sanguin. Mais les souffles sont le Yang qui les équilibre. Le couple indissociable des Hun et des Po établissent la possiblité d’une vie individuelle, personnalisée, par leur tension/opposition ainsi que par leur complémentarité (Yin/Yang). Hun et Po ne sont pas exactement mon mental, ma conscience, mon esprit, puisqu’ils “précèdent” mon cœur et qu’ils font partie1 de ce qui permet la constitution du Cœur, du soi, de la personne avec sa conscience et la conscience de soi. Ils expriment les esprits, shen, agents du Ciel et de l’ordre naturel, dans la dualité qui me permet d’avoir un corps terrestre et un esprit céleste mais de les avoir l’un dans l’autre, l’un par l’autre, l’un pour l’autre (comme tout couple Yin/Yang); leur séparation est mortelle; les disharmonie est dommageable. Pas de Hun sans Po, pas de Po sans Hun, pas de corps sans l’esprit qui le compénètre, pas d’esprit humain sans un corps à habiter. Sinon, c’est la mort, ce n’est pas la vie présente dans son expression toujours double, ou plutôt duelle, sur Terre et vers le Ciel.
Vouloir et propos ( zhi yi 志意 ) Vouloir et propos sont dépendant du Cœur, du soi, de la durée de ma vie, de ma personne (faite de l’étreinte des Hun et des Po). Ils expriment le Cœur, déjà constitué, avec une conscience, des perceptions et une capacité à réagir, des tendances, désirs, pensées, idées, intention, propension ... et la faculté de les diriger et de les soumettre ou de s’y soumettre. L’image du cœur ( 心 ) entre dans la composition des caractères qui les désignent. Vouloir et propos sont un couple employés aussi couramment en dehors du contexte médical, comme zhi yi 志意 ou comme yi zhi 意志. Mais le couple n’est pas aussi nettement Yin/Yang, Ciel/Terre que pour Hun et Po. zhi yi 志意 :
Pensée, esprit. Volonté, propos, dessein, détermination. On insiste davantage sur l’idée que l’on garde à l’esprit, sur le dessein que l’on construit et la détermination qui commence. yi zhi 意志 : Volonté, intention. Volontaire; Résolu, déterminé. On insiste davantage sur la fermeté du propos, la détermination, la résolution, la force de volonté. Vouloir et propos sont liés aux Reins et à la Rate; ils sont donc liés aux représentants, dans l’être, du Ciel antérieur et du Ciel postérieur Le Ciel antérieur est la racine, l’origine, l’enracinement dans l’origine, le naturel; le Ciel postérieur est l’expression sans cesse actualisée de cette origine.
Le propos “Que le Cœur s’applique, on parlera de propos” (Lingshu 8) 1.Cf Lingshu 8, Les Mouvements du Cœur.
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Quand le Cœur “s’applique”, une pensée lui vient, une image surgit, un souvenir, une impression, une sensation est là; et le Cœur applique dessus sa capacité de conscience. Appliquant cette capacité de conscience, le Cœur est responsable de la manière dont il considère ce qui lui vient : accepter ou refuser, regarder avec calme et objectivité ou selon les préjugés et désirs sous-jacents ... Le propos n’est pas simplement la représentation consciente d’une idée, c’est ce qu’on a dans le Cœur et qui forme le fond de notre être, sur quoi se fondent toutes nos réactions, nos humeurs, nos tendances, attraits et aversions ... C’est notre disposition intérieure qui va sélectionner et interpréter ce qui envahit le champ de la conscience. La Rate présente au Cœur ce qu’elle puise dans la richesse alimentaire pour le nourrir d’un sang abondant et bien composé; par le même mouvement, elle présente au Cœur ce qu’elle tire du terreau de la mémoire, ce à quoi elle donne une ébauche de forme dans la pensée : les idées, des propositions sur lesquelles, si elles se maintiennent dans la conscience, la pensée va travailler. Le propos est ce qui vient à l’esprit et qui va l’occuper. Qu’une pensée en chasse une autre n’est pas vraiment le vide du Cœur; c’est une instabilité qui n’est pas profitable. Mais qu’une idée se fixe dans la conscience présente le danger de fermer le Cœur à tout autre chose; c’est l’idée fixe qui tourne à l’obsession. Ce que l’on a dans le cœur c’est aussi souvent l’objet des désirs; le propos se pervertit alors en désirs qui rongent ou qui brûlent et, dans l’un et l’autre cas, consument les essences, détruisent le sang, rendent le Cœur de plus en plus incapable de règner à la lumière des esprits. En fait, le propos est comme le sang : il doit circuler, sans stagnation, constamment, pour nourrir la vie sans partialité. Que le Cœur soit “vide”, n’implique pas que rien n’y passe ou ne s’y passe; mais tout y est fluide et rien n’est désiré, préféré, en dehors de l’adhésion au mouvement naturel de la vie. Le propos est au-delà de la conscience, puisque c’est la disposition qui va donner son orientation à la conscience et au jugement. Le propos est déjà une intention, une orientation.
Le vouloir “Que le propos soit permanent, on parlera de vouloir” (Lingshu 8) Des dispositions ou intentions, qui n’étaient pas encore ancrées, perdurent dans l’être, deviennent une détermination. A présent, les forces vives sont orientées par le Cœur, la conscience, vers un but. Ce but doit toujours être fondamentalement un “vouloir-vivre”, celui qui pousse vers la vie depuis l’origine et qui maintient en vie parce qu’il reste dans la bonne direction. Ainsi un arbre ne grandit et ne resplendit que parce que la sève est pulsée, de toutes les forces de l’arbre, de la racine vers le haut. Le vouloir est cette tension orientée de tout ce qui fait ma vie. Il a de multiples expressions, qui devront toujours, quelques soient leur intensité ou leur objet, demeurer fidèles à cette orientation première. Sinon, elles se tournent contre la vie qui les supportent. Le vouloir est lié à la continuité de l'être; maintenir une idée, tendre vers un objectif, fournit la tension générale et cohérente du mouvement vital. La vie est sous tension, comme tout ce qui est organique. mais il est préférable que cette tension s’exerce dans la bonne direction. Ainsi le “vouloir” d’un fleuve, depuis sa source, est de gagner la mer. L’eau du fleuve n’arrivera à la mer que si elle suit son cours naturel, c’est-à-dire qu’elle reste fidèle à sa nature propre. La nature propre de l’Eau est de descendre, d’aller vers le bas. Comme la mer est plus basse que tous le fleuves, l’eau qui reste fidèle à sa nature arrivera toujours à la mer. Les détours et sinuosités qui auront parsemés son cours ne comptent pas, ne sont que des résultats des circonstances de la vie; il importe seulement que l’eau soit fidèle à son origine qui détermine sa nature; elle accomplit alors parfaitement son destin en se fondant finalement dans la mer.
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Il en va de même de l’homme : fidèle à sa nature propre originelle, contenue et exprimée par les Reins, il mène sa vie en fonction des circonstances, mais en restant fidèle à sa nature propre; son vouloir est ainsi parfaitement juste et parfaitement puissant. Un vouloir qui dévie de la nature originelle devient nocif; quand le Cœur accepte de garder des idées, des propos qui ne conviennent pas à l’entretein de sa vie, le vouloir n’est plus droit. Le vouloir est fondamentalement un vouloir vivre; mais un propos qui est un désir, une idée inapproprié peut le désorienter et même le déraciner. Les Reins sont l’origine et l’assise de vie, le fondement riche et solide permettant l’élan et le déploiement; leur puissance s’exprime dans les os, leur qualité dans les essences. Ils offrent un logis appro prié au vouloir. Le vouloir s’exprime aussi en Cinq; son unité de vouloir vivre, enraciné dans les essences et la continuité des Reins, se détaille en cinq pulsions fondamentales, qui animent les cinq zang et forment la racine des émotions et sentiments, mais aussi la racine du mouvement fondamental de chaque organe.
La disposition et l’orientation intérieures Vouloir et propos étant antérieur à toute pensée construite, ne se ramènent pas entièrement à la volonté réfléchie, la conscience active et claire. Ils sont des “esprits”, des puissances qui sont derrière l’avènement de la pensée humaine, de tous les sentiments qui animent le cœur de l’homme, de tout ce qui se formule dans la vie intérieure. Ils ne sont ni ce que la pyschologie occidentale appelle la cosncience, ni ce qu’elle appelle l’inconscient 1. Vouloir et propos sont l’orientation intérieure qui détermine la manière dont on perçoit, comprend, réagit à tout ce qui se présente. Propos et vouloir permettent le développement d’une pensée, qui se déroulera en fonction de ce qui est déjà en moi comme impression, mémoire, tendances, sentiments, et même préjugés ou préconception. Vouloir et propos représentent l’orientation de toute animation à partir d’un mental bien construit et inspiré. Ils sont le pivot de la distribution de tous les éléments de la vie psychique, physique, spirituelle ... sous la responsabilité du Cœur : “- La défaillance du corps et l’anémie complète où l’on n’a aucun résultat, à quoi cela tient-il ? - Les esprits n’opèrent plus ( shen bu shi 神不使 ). - Que veut-on dire par « les esprits n’opèrent plus » ? - Les aiguilles de métal et de pierre représentent la Voie ( dao 道 , le moyen d’opérer). Mais que les essences et esprits ( jing shen 精神 , l’esprit vital) ne puissent pas pénétrer, que vouloir et propos ( zhi yi 志意 ) ne puissent diriger convenablement ( zhi 治 ) et le mal ne peut pas être guéri. Quand les essences sont inexistantes et les esprits en allés, ni la reconstruction (nutritive, ying 營 ), ni la défense ( wei 衛 ) ne peuvent revenir et être récupérées. Comment cela ? C’est que désirs et convoitises indéfiniment renouvelés, avec en plus une crainte pusillanime qui ne peut être arrêtée, essences et souffles ( jing qi 精氣 ) se relâchent jusqu’à la ruine, la reconstruction se fige et la défense est arrachée. Alors les esprits nous quittent et la maladie n’est pas guérissable.” (Suwen 14)
1. Cf René Girard et la “méconnaissance”.
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L’orientation juste permet d’éviter le désordre dans la pensée et les sentiments, de faire bon usage des perceptions et connaissances, de prendre pleinement et fructueusement les traitements donnés par l’acupuncteur. l’acupuncteur. On examine toujours ces dispositions intérieures du patient avant avant tout traitement : “Pour tout traitement, il faut observer l’en-bas, se conformer aux pouls ( mai 脈 ), examiner l’orientation intérieure ( zhi yi 志意 ) ainsi que les caractéristiques de la maladie.” (Suwen 11) Dans certains cas où le patient n’est pas bien disposés, on conseille de s’abstenir de puncturer : “Cela étant, celui qui voudra utiliser les aiguilles, qu’il examine donc attentivement comment se présente le malade, pour percevoir le maintien ou la disparition des essences et des esprits ( jing shen 精 神 , l’esprit vital), des Hun et des Po, et sa disposition ( yi 意 ), si elle est favorable ou défavorable. Si ces cinq-là sont atteints, l’aiguille ne peut pas traiter.” (Lingshu 8) Ce même acupuncteur, acupuncteur, quand il traite, tourne son vouloir et son propos vers le patient : “Quand vous puncturez, [...] le vouloir ( zhi 志 ) paisible, considérez votre patient, sans tourner vos regards à gauche ou à droite. ” (Suwen 54) Par la pratique quotidienne, le thérapeute se rectifie chaque jour afin de présenter au patient la rectitude de ses propres souffles, sa rectitude intérieure. Un vouloir paisible n’est pas une volonté molle; c’est ne rien vouloir d’autre que d’être le plus correct possible, d’être dans le mouvement juste de la vie en soi. Le thérapeute peut certes avoir en tête les réminiscences nécessaires de ses connaissances, connaissances, les informations par lesquelles il les appelle et les relient, les idées qui lui viennent. Mais il faudra aussi que rien de cela ne vienne le troubler quand il agit, car sa propre concentration, non pas sur une idée ou une volonté, mais sur la situation telle qu’elle se présente, avec la capacité à accueillir tout ce qui vient, fait partie du traitement. “Que l’on se tienne dans un lieu tranquille et retiré ; que l’on regarde les présages de l’en allée et de la venue des esprits. Ayant Ayant fermé hermétiquement portes et fenêtres, les Hun ( hun 魂 ) et les Po ( po yi 一 ) le pouvoir spirituel ( shen 魄 ) ne se dissipent pas ; la concentration des pensées pensées ( yi 意 ) unifie ( yi 神 ), de sorte que essences et souffles ( jing qi 精氣 ) se répartissent comme il faut. Quand aucun bruit venant des hommes ne touche les oreilles, le recueillement des essences propres s’effectue et les esprits étant Un, le vouloir ( zhi 志 ) passe dans l’aiguille avec son message impératif.” (Lingshu 9)
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LE VOULOIR UN ET MULTIPLE
Quand on parle du vouloir ( zhi ) en médecine chinoise, on pense immédiatement à celui des Cinq esprits (wu shen ) lié aux Reins, c’est-à-dire à la participation des souffles souffles de l’Eau dans l’élabol’élabo ration et le fonctionnement de la conscience et du mental. Cependant, on parle aussi des Cinq vouloirs ( wu zhi ), dont on se demande comment ils différent des émotions, s’ils sont normaux ou pathologiques. En regardant soigneusement comment la notion de zhi , vouloir, se présente dans les textes classiclassi ques, on comprend mieux son usage dans les textes t extes médicaux, ayant une meilleure connaissance de ce qui est à sa base.
1. L’ORIENTATION DE LA VIE Le caractère zhi se compose du cœur surmonté de ㄓ c’est-à-dire une jeune pousse qui sort de terre (figurée par la ligne inférieure i nférieure __ ). A partir d’une base solide, la plante va croître et grandir, tirant continuellement de ses racines de quoi développer tronc et branches. Dans les texte classiques d’avant l’ère chrétienne, le l e caractère zhi signifie l’intention qui se développe en soi, son sentiment, sa détermination, sa fin; c’est aspirer à un idéal, à un désir, tendre vers un but, une ambition. C’est aussi perpétuer la mémoire de quelque chose, par exemple par des écrits, des “mémoires”, car l’inscription dans la durée est implicite dans la notion : on ne peut pas parler d’un vouloir sans une certaine constance, sans persistance; il faut bien retenir dans son esprit une idée, un désir, une pensée pour qu’advienne un vouloir vouloir qui pousse à sa manifstation et à son accomplissement. C’est du reste la définition que le Lingshu ch.8 1 donne du vouloir : “Que le propos ( yi )2 soit permanent on parlera de vouloir.” Prenons zhi comme le vouloir, la détermination que l’on a dans le cœur, ce qui fait agir et agir dans une certaine direction, en vue d’un but. Il s’agit de tendre vers un objectif, de se fixer solidement dans une visée, de se disposer entièrement en vue d’un but à attendre, d’aspirer profondément et sincèrement, de tout son être, à quelque chose.
1. Voir Les mouvements du Cœur, DDB. 2. Les liens entre le ”propos” ( yi - qui est aussi intention, pensée, dessein et désir) et le vouloir ( zhi ) sont étroits. A tel point que leurs emplois et leurs sens se mêlent souvent. Ils forment ensemble les expressions zhi yi ( ) et yi zhi ( ) qui désignent la disposition intérieure. Nous excluons artificelleartificelle ment cette relation du cadre limité de cet article. Mais l’étude de zhi ne peut pas être complète sans celle de yi .
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Le lien à l’origine Vers quoi tendre d’abord et avant tout, si ce n’est, comme la jeune pousse, vers le développement de sa vie. Le vouloir-vivre est naturel, premier et définitif. Il est aussi spécifique. L’impulsion première, qui permet le début d’une vie et en donne les caractéristiques, vient du Ciel. Elle prend forme sur Terre, Terre, dans les contraintes et déterminations imposées par les formes terrestres, t errestres, par exemple celles des essences mêlées des parents d’un nouvel être, qui reçoivent le don céleste et l’exprime spécifiquement en fonction des lignées et des personnes. C’est la nature propre, la nature première qui définit une vie particulière et la qualifie pour un devenir en fonction des capacités déposées en elle à l’origine. Si ce à quoi on aspire fait partie du déroulement naturel, le vouloir met sa puissance au service du développement en continue de la vie. Si ce à quoi on aspire est contraire à l’ordre naturel tel qu’il s’exprime en un être, le vouloir tourne sa puissance contre la vie, épuise la vitalité par les passions, la pervertie par les désirs inappropriés. Ce qui revient à dire que si ce à quoi on aspire est conforme à sa nature originelle, le vouloir nous fait tendre vers la réalisation de notre destinée propre et nous fait participer à l’harmonie cosmique. Mais s’il n’est qu’ambitions personnelles, il nous dévoie en de multiples désirs qui ne cessent d’accroître leurs exigences exigences.. La relation à l’origine est fondamentale dans le vouloir. Comme la tension qui habite un arbre vient de ses racines et pousse la sève en haut et jusqu’à l’extrémité de la dernière branche pour permettre sa croissance normale, le vouloir, en un être, est la source de ses pensées, de ses sentiments et de ses conduites; il détermine son devenir, devenir, mais doit le l e faire en restant fidèle à sa racine, la source de vie, la nature première de cet être.
Le vouloir des Reins L’association du vouloir avec l’Eau et les Reins, en médecine 1, rend bien compte de ce lien à l’origine ainsi qu’à la continuité dans le déroulement de la vie en fonction f onction de cette origine. Les Reins sont le rapport constant à l’origine, le Ciel antérieur; ils sont aussi le fondement de toutes les manifestations yin et yang dans les différents organes, ces dernières dépendant des Reins pour leur force et leur durée. Les Reins sont la mémoire de l’origine, permettant ainsi la perpétuation de la vie et le maintien de l’identité, ainsi que le passage à la postérité et au Ciel postérieur. postérieur. De même, l’identité d’une rivière lui vient de la source et lui donne l’orientation de son trajet vers la mer, même si elle reçoit en abondance d’ailleurs (pluie, afflluents) l’eau qu’elle fait sienne. D’où l’importance de l’idéal que l’on se choisit, de l’idée qu’on laisse pénétrer son esprit, du propos ( yi yi ) qui sert de base au fonctionnement mental et aux états affectifs, puisque le propos qui reste dans le Cœur devient le vouloir vouloir,, comme nous l’avons déjà rappelé (cf Lingshu, ch.8). 1. Dans les textes médicaux, en vertu de cette association, le vouloir ( zhi ) peut parfois être employé pour indiquer le fonctionnement des Reins. Ainsi par ex., en Suwen ch.62, l’excès ou l’insuffisance du vouloir est à comprendre comme l’excès ou l’insuffisance du fonctionnement de l’organe Reins.
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Cependant, chez l’homme, le vouloir n’est pas simplement le vouloir-vivre de l’instinct animal ou de la croissance végétale; il doit se combiner avec l’humain, et l’humain doit dominer et ordonner. Ce qui est fondamental et spécifique en l’homme, c’est le discernement qui fait voir comment vivre en homme et non pas simplement comment survivre; comment accomplir sa destinée d’homme en prenant conscience des qualités déposés originellement en soi par le Ciel. Le Ciel qualifie ainsi chaque être en vue d’un certain développement de vie, fixant ce à quoi chacun est destiné ( ming ).
Le vouloir du Ciel Connaître le vouloir du Ciel, c’est connaître sa destinée, prendre conscience de ce à quoi le Ciel nous destine. Cela est fondamental, en particulier pour les confucianistes. Comment Confucius pensait-il arriver à connaître ce qu’est le vouloir du Ciel ? En orientant correctement son propre vouloir, en tournant son esprit dans la bonne direction :
“Concentre ta volonté ( zhi ) sur la Voie, prends appui sur la Vertu, modèle tes actions sur le ( )1 , et prends ton plaisir dans les arts. (Lunyu, VII, 6. Trad. A. Cheng)
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“Le Maître dit : à 15 ans, je résolus ( zhi ) d’apprendre. À 30 ans, je m’affermis dans la Voie. À 40 ans, je n’éprouvais plus aucun doute. À 50 ans, je connaissais les décrets du Ciel ( tian ming )2 . À 60 ans, j’avais un discernement parfait. À 70 ans, j’agissais en toute liberté 3, sans pour autant transgresser aucune règle. (Lunyu, II, 4. Trad. Anne Cheng p.33) Ainsi pour connaître ce à quoi le Ciel nous destine, ce qui n’est rien d’autre que la volonté du Ciel en ce qui me concerne, il faut commencer par un acte de volonté personnel, la détermination d’aller vers le Ciel, ici, pour Confucius, par l’étude 4. Pourquoi certains posent-ils cet acte de volonté et d’autres pas ? Certains pensent qu’il s’agit d’une différence de qualité dans les natures propres; certains êtres sont faits de souffles plus riches que d’autres5, leurs souffles sont plus forts et peuvent donc mieux maintenir leur résolution. D’autres penchent plutôt pour une question de circonstances. Tous les hommes ont la capacité, innée, de fixer ainsi leur volonté, mais tous n’en ont pas la possibilité 6 dans la pratique et dans les faits. Si le Ciel a une “volonté” comment l’a-t-il ? Quelle idée se fait-on de lui ? Est-ce simplement une façon de parler de l’ordre naturel ou bien est-ce une façon d’évoquer une sorte de divinité omnipotente et omnisciente ?
1. Ren : aussi traduit par Bienveillance, Humanité ou Sens de l’humain. C’est la grande vertu confucéenne. 2. C’est-à-dire ce à quoi le Ciel me destine, ma destinée. 3. C’est-à-dire selon les désirs de mon Cœur. 4.Il en ira de même pour les Taoïstes plus tard : l’abolition de la volonté propre se fait au cours d’un processus dans lequel on s’engage et se maintient par une ferme détermination, un acte personnel de volonté. 5. Cf par ex. Lunheng ch.4. 6. Cf par ex. Xunzi ch.23.
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Mozi1 parle du Ciel2 plutôt comme d’une puissance capable d’avoir ses sentiments et dispositions propres, ses idées, pensées et sa volonté; capable aussi de récompenser ceux qui se conforme à son dessein et de punir ceux qui y contreviennent. Dong Zhongshu3 le ramène davantage vers l’ordre naturel. Les sentiments du Ciel sont le yin yang, et la volonté du Ciel se manifeste dans les phénomènes naturels : présages de prospérité et paix quand tout est bien réglé ou bien de calamités et malheurs dans le cas contraire. Si le souverain comprend et applique la volonté du Ciel, le peuple le suit et tout est en ordre dans la nature comme dans la société. Le souverain comprend et applique la volonté du Ciel, car il a le cœur d’un sage, car il a cultivé en lui les vertus qui permettent d’être un avec le Ciel, d’être en accord avec l’ordre naturel. Il est remonté à l’origine des choses, pour en connaître la nature; c’est dans le Ciel qu’il comprend et connaît l’origine des choses et des êtres, des phénomènes et des manifestations. Même un sceptique comme Wang Chong 4, qui réfute tout “sentiment” du Ciel, reconnaît une “volonté du Ciel” ( ) que le sage perçoit en son Cœur : “Le Cœur du Ciel très haut réside dans la poitrine du Sage.” (Lunheng, ch. 42) Pour avoir le Cœur d’un sage, ou pour percevoir la volonté du Ciel en son Cœur, il faut que ce dernier soit libre de toute attache et de tout préjugé. La relation avec l’accomplissement de ce à quoi le Ciel (ou l’ordre naturel) nous destine est ainsi fondamentale, puisqu’on réalise sa destinée ( ming ) en orientant notre Cœur avec fermeté et constance dans la Voie du Ciel.
Le vouloir du cœur Le Cœur humain reçoit le Ciel. Il a, par nature, la faculté de connaître et de discerner; il est ce qui permet de prendre conscience du vouloir du Ciel, de l’accepter et de le suivre; ou bien de manquer de force pour le faire; ou encore de se laisser séduire par des appétits et des plaisirs, en apparence plus intenses et plus réels. “Comment un homme peut-il connaître la Voie ? Par le Cœur. Comment le Cœur peut-il connaître ? Par le vide, la pure attention qui unifie l'être et la quiétude. [……] L'homme vit et possède la connaissance; il connaît et, par là, possède le vouloir. Le vouloir, c'est la thésaurisation (garder précieusement et activement à l'intime). Mais cependant, on dit que le Cœur est vide; car le vide ne porte pas sur les impressions déjà thésaurisées, mais sur ce qui est à recevoir. Le Cœur est vivant (est vie) et il possède la connaissance; il connaît et, par là, fait des distinctions.” (Xunzi, ch.21) Le Cœur est le maître de tout le mental, intelligence, mémoire et volonté. Il fait ses choix et peut plier le corps et les sens à ses choix; nul ni rien ne peut le faire changer, s’il est assez fort. Ses choix sont fait à la lumière de l’intelligence, et l’intelligence doit s’offrir à la lumière des esprits ( shen ming ) pour être intelligence spirituelle, intelligence du Cœur. 1. Mozi ou Mo Di (c.468 - c.376 AC), penseur qui prôna une société fondée sur l’entraide et le dévouement au bien commun. 2. Cf ch. 26, Tian zhi. 3. Dong Zhongshu (179-104 AC), auteur du Chunqiu Fanlu, où il intègre la morale confucéenne dans la cosmologie fondée sur le yin yang et les Cinq éléments. 4. Wang Chong (27-97), auteur du Lunheng où il critique toutes les croyances non fondées.
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Le Cœur est ainsi le maître de la vie, le souverain du corps, de la vie mentale, affective, sensorielle. Tout obéit à ses choix, reçoit ses ordres; mais lui n’en reçoit pas d’autres que de sa propre vision. Sa vision dépend de la lumière qu’il a en lui-même, de la présence des esprits. Nul n’est sans vouloir; chacun a ses convinctions, ses désirs, ses orientations, dont il ne démord pas. C’est ce qui détermine ses pensées et ses actes, ce qui forge sa conscience; c’est ce qui guide donc ses souffles et toutes leurs activités. Tout ce qui affecte le vouloir, affecte aussi les souffles et toute la vitalité dont ils sont le support. Que le Cœur soit affecté, son contenu et son expression s’altèrent : “Les sons ( sheng ), les couleurs (se ), les cinq saveurs ( wu wei ), les pays lointains, le précieux et l’étrange, l’extraordinaire et le différent, les objets extravagants suffisent à changer le cœur (bian xin ), à modifier la volonté ( yi zhi ), à agiter et à ébranler les esprits essentiels ( jing shen ), à faire réagir aux incitations le sang et les souffles ( xue qi ) d’innombrables fois.” (Huainan zi, ch.8 - Remi Mathieu - Pléiade)
Le vide du Cœur Le Cœur doit surveiller ce qui vient le remplir; il ne doit jamais se laisser prendre ou obstruer par une pensée, une idée, un désir, un sentiment, une volonté … On doit vider continuellement son Cœur de ce qui s’attache à lui; à quoi, en retour, il s’attache; et qui finalement s’impose à lui comme ce qui l’occupe et le façonne et devient bientôt ce vers quoi il tend et aspire, ce que l’on veut, l’objet du vouloir. C’est pourquoi seul un Cœur vide, impassible, peut garder l’être dans la direction de son développement naturel. Ainsi ce qui veut, ce qui décide du vouloir, c’est le Cœur. On pourrait dire que le vouloir est l’expression, dans le Cœur, c’est-à-dire en moi-même, du mouvement des Reins : l’enracinement dans l’origine, qui permet d’aller droit dans la vie, d’être authentique ( zhen ). Quand on parle ainsi du Cœur, on ne parle pas de son aspect comme l’un des Cinq zang, en charge des souffles du Feu, responsable du sang et de son écoulement dans l’organisme. On parle du Cœur impalpable, de ma conscience, mon esprit, mon mental, mon intelligence, ma réflexion, mes pensées, mes dispositions, mes émotions… Tout ce qui se passe dans ce Cœur, passe dans l’organisme par la circulation du sang. L’écoulement du sang informe tous les lieux du corps, qui se trouvent éclairés par la lumière spirituelle du Cœur, dans la mesure où ce dernier est capable de l’accueillir et de la propager. “Quand le maître (le Cœur) répand sa lumière ( ming ), les inférieurs sont paisibles; un tel entretien de la vie ( yang sheng ) procure la longévité, de génération en génération, et l'Empire sous le Ciel resplendit d'un grand éclat. Mais si le maître ne répand pas sa lumière, les Douze charges sont en péril; ce qui provoque fermeture et blocage des voies, l'arrêt des communications; et le corps en est gravement atteint. Une telle façon d'entretenir la vie est catastrophique.” (Suwen, ch.8) Le Cœur qui est le grand maître des Cinq zang et des Six fu est plus que l’un des Cinq zang; il est leur combinaison, leur assemblage, leur compénétration, leur unité. Ce qui est en moi conscience et esprit est l’amalgame toujours renouvelé des Cinq éléments sous la forme des Cinq organes zang.
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Ainsi, le vouloir qui est lié aux Reins quand on est dans les Cinq esprits ( wu shen ), est en fait le vouloir du Cœur, qui est le brassage et la fusion des Cinq esprits pour former mon être, ma conscience et ce qui dirige les modulations de ma vie intérieure. C’est pourquoi il est pratiquement impossible de parler du vouloir sans parler du propos ( yi ), car c’est leur association qui suscite la qualité et la force de l’orientation prise pas un être. On pourrait dire que le vouloir ( zhi) est la force avec laquelle on se maintient dans la direction que le propos ( yi) a initié. Il est aussi pratiquement impossible de parler du vouloir sans parler de l’ouverture du Cœur aux esprits, puisque c’est leur lumière qui permet le discernement sur ce qui est à garder dans l’esprit, afin que l’esprit se fixe dessus et le veuille. On associe esprits et vouloir pour former l’expression shen zhi , qui désigne l’esprit, la conscience, la faculté de connaître et de réfléchir sur ce qu’on connaît. On pourrait se demander si la Vésicule Biliaire joue un rôle vis à vis du vouloir, elle qui est responsable de la rectitude et de la décision, elle qui est remplie d’essences et donc en rapport avec les Reins, le yin authentique, mais aussi remplie de souffles yang, et donc en rapport avec le yang authentique, le feu de la Porte de la destinée personnelle (Mingmen). Un lien existe, par la nature même de ses souffles, entre la Vésicule Biliaire et le vouloir. Par leur vaillance et leur droiture, par leur relation aux Reins et à Mingmen, ces souffles aident le vouloir dans le Cœur. Mais ce n’est pas le mouvement du Bois qui est au fondement du vouloir. C’est celui de l’Eau, qui a plus de sagesse et moins d’impétuosité, qui est l’enracinement dans l’origine et la base permanente de toutes ses activités vitales. C’est aussi la lumière du Cœur qui permet la droiture de la Vésicule Biliaire.
2. LE VOULOIR ET LES SOUFFLES Les souffles, soutien du vouloir Le vouloir est une force qui s’apuie sur les souffles. Sans les souffles, le mental ne fonctionne pas, l’esprit ne s’exprime pas, le vouloir est impuissant. “Les saveurs (c.à.d. la nourriture, wei ) activent les souffles (qi ); les souffles affermissent le vouloir ( zhi ); le vouloir fixe la parole; la parole donne des ordres”. (Chunqiu zuozhuan, 7è année du duc Zhao) La même chose se retrouve en médecine, puisque les souffles et leur bon renouvellement, permettent le bon fonctionnement de toutes les instances psychiques, mentales et spirituelles, aussi bien qu’ils permettent la force physique et l’entretien des substances du corps. Ainsi, en Lingshu ch.32, les esprits ( shen ) sont également placés en dépendance de l’alimentation pour le maintien de leur présence et de leur force d’expression grâce au bon état des Cinq zang : “Ainsi donc, les Esprits ( shen ) ce sont les essences-souffles ( jing qi ) provenant des aliments solides et liquides.”
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Le vouloir, perturbateur des souffles De plus, vouloir et souffles doivent s’accorder, en ce sens que le vouloir du Cœur et la force vitale n’agissent pas l’un contre l’autre, c’est-à-dire que les désirs et intentions qui émanent du Cœur ne sèment pas le trouble dans la régulation des souffles, amenant ainsi leur dissipation. Le Lüshi Chunqiu décrit ainsi le mauvais professeur : “Son intention ( zhi ) et ses souffles ( qi ) ne sont pas en harmonie ( he ); il prend (une idée) puis la délaisse, changeant sans cesse, sans aucune contance en son Cœur.”(Lüshi Chunqiu, livre 4) Alors que chez un être humain bien équilibré : “Les mouvements musculaires et les os doivent être bien fermes; le Cœur ( xin ) et le vouloir ( zhi ) doivent être en harmonie (he ), les essences ( jing ) et les souffles (qi ) doivent bien circuler.” (Lüshi Chunqiu, livre 20) Car l’homme assez parfait pour mettre son Cœur en union avec le Ciel a un vouloir droit et des souffles en abondance : “Quand il est ainsi en lui-même pur et lumineux (éclairé, ming ), ses souffles et ses intentions ( qi zhi ) sont semblables à ceux des esprits ( shen ).” Alors sa volonté et ses souffles (ou sa volonté soutenue et exprimée par ses souffles, zhi qi ) emplissent le Ciel Terre.” (Liji, ch. Kongzi xianju)
Le vouloir, guide des souffles “Le vouloir est le maître des souffles (son guide, shi ) alors que les soufles donnent au corps sa pleine puissance ( chong ). Ainsi le vouloir est supérieur alors que les souffles ne viennent qu’en second. C’est pourquoi je dis : tenez fermement votre vouloir et ne laissez pas les souffles se déchaîner.” (Mencius, ch.2) L’attention est attirée par quelque chose, dans le corps où à l’extérieur : une douleur, une chaleur ou bien un bel objet, une chose répugnante ... Cette attention, si elle est soutenue, se transforme en une sorte de finalité, un but. Le vouloir qui naît ainsi dans le cœur guide les souffles et les fait affluer là où l’attention est fixée. Les mouvements du corps, les gestes, les attitudes, les réactions… sont ainsi guidés par le vouloir. Je tends la main vers l’objet du désir; je mets mes forces en œuvre pour obtenir ce à quoi j’aspire. La maîtrise de soi n’est pas une contrainte (même si une certaine contrainte peut être nécessaire à certains moments), mais la possession de soi, c’est-à-dire conscience de la réalité de la vie en soi et de sa régulation naturelle. On retient les souffles déchainés de la colère, on maîtrise les souffles affolés de la peur, on entretient des aspirations et désirs justes et convenables, on a le geste juste et sûr,… par l’acquisition progressive de la sérénité, par le rapprochement de l’état spirituel, ou, en d’autres termes, en gardant les esprits en son Cœur. Le Huainanzi, vers la fin chapitre 1 1, traite du rapport des esprits au vouloir. Parce que les souffles sont abondants, tout peut fonctionner. Parce que les esprits sont présents dans le Cœur tout peut fonctionner correctement et partout. Parce que les esprits permettent le vide du Cœur, l’attention n’est retenue par rien et peut donc être présente partout, diffuse mais réelle. Les esprits dirigent alors le 1. Cf Les Grands traités du Huainanzi, Le Cerf, Patrimoine.
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vouloir sur l’objet ou l’endroit de l’attention présente, mais sans mobiliser l’attention exclusiveent sur cet objet, restant ainsi disponible à ce qui peut se présenter. Le vouloir guide alors les souffles, les faisant affluer vers un lieu particulier en cas de besoin, mais sans les faire déserter les autres activités. La conscience est alors présente comme latente partout où elle n’est pas activée; rien ne lui échappe. “Eh bien alors ! Ce qui donne à un homme vue claire et ouïe fine, pour bien distinguer, un organisme résistant et capable, par cent jointures, de flexion et d'extension, ce qui rend capable de discerner à l'oeil le blanc et le noir, le beau et le laid, de séparer le semblable et le différent, de distinguer le vrai du faux, qu'est-ce donc ? sinon que les souffles rendus abondants, les Esprits sont capables de donner le branle (shi ). Comment savoir qu'il en va bien ainsi ? Le vouloir ( zhi ) en chacun ayant une place où se tenir; les Esprits ont, eux, leurs attaches ( xi ). On marche, le pied vient à buter, on tombe, la tête donne con tre un poteau, on perd connaissance; on nous fait des signes que nous ne pouvons pas percevoir; des appels que nous ne pouvons entendre. Ni les yeux ni les oreilles ne nous ont quitté. Mais alors qu'estce qui fait que nous ne puissions pas répondre ? C'est que les Esprits ( shen ) n'assurent plus leur garde (shou ). Ainsi, présents dans ce qui est petit, ils sont absents de ce qui est grand; s'ils sont au centre, ils sont absents de l'extérieur; s'ils sont en haut, ils sont absents du bas; s'ils sont sur la gauche, ils sont absents de la droite. Mais s'il y a partout abondance, partout aussi ils seront présents. Qui estime le Vide, de la fine pointe d'un poil fera sa résidence. L'homme pris par la démence, s'il ne peut éviter de tomber dans l'eau ou le feu, s'il choît dans le fossé ou le canal, croyez-vous que ce soit par manque de corps ( xing ), d'esprits (shen ), de souffles (qi ) ou de vouloir ( zhi ) ? Non. C'est qu'il en fait un usage aberrant. Ils ont désertés leurs postes de garde (shou ), ils ont abandonné leurs demeures, celles de l'extérieur ( wai ) et celles de l'interne (nei ).” (Huainanzi, ch.1 - Trad. C. Larre & E. Rochat 1 ) Les textes médicaux se préoccupent plus particulièrement de l’effet sur le mouvement des souffles et de l’incidence sur le fonctionnement organique. Quand les vouloirs dégénèrent en désirs, émotions et passions, la peturbation des souffles est celle propre à chaque émotion 2. Ils considèrent également comme l’attention portée à une douleur, par exemple, dirige les souffles vers l’endroit douloureux. Le Lingshu, chapitre 27, décrit des douleurs dues au froid, qui condensent les liquides corporels qui font alors pression sur les chairs. Puis il ajoute : “Quand il y a douleur, les esprits s’y portent ( shen gui ); les esprits s’y portant, il y a réchauffement; et le réchauffement dissipe la douleur.” Le même principe se retrouve dans les exercices corporels, où l’on guide le souffle dans le corps autant par le mental que par des mouvements physiques; et encore plus dans les pratiques où le souffle est guidé intérieurement par le seul mental. Si les esprits dirigent la vie, leur lumière éclaire l’intellligence et le choix des finalités, les buts, idéaux, désirs, vouloir. Si les souffles sont abondants, ils mettent leur force au service des esprits s’exprimant dans le ou les vouloirs. Le corps abrite ce jeu déterminé d’esprits et de souffles ce qui permet l’élaboration d’une vie personnelle.
1. Les Grand taités du Huai nan zi, LeCerf. 2. Cf Les Mouvements du Cœur DDB et Les émotions en médecine chinoise Fascicule de l’E.E.A.
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Le vide (du Cœur) donne accès à la vraie plénitude. Si l’on ne veut rien pour soi, on peut accueillir la plénitude de la vie. Il en va de même dans les arts martiaux. Le vouloir n’est ni un désir de battre l’adversaire, ni une attention limitée aux détails pour comprendre le sens d’un mouvement, deviner la signification de l’esquisse d’un mouvement. Le vouloir est la plénitude de souffles au service d’une intelligence spirituelle. Quand on ne veut rien, on est prêt à tout. Mais ne rien vouloir, être sans désir, est l’aboutissement d’un long cheminement, dans lequel on ne peut pas s’engager ni persévérer sans un ferme vouloir, une solide détermination.
3. LES CINQ VOULOIRS Quand on considère le vouloir comme l’expression des Reins dans l’esprit, il est l’orientation vitale générale, ce qui dirige tous les souffles. Considérons les souffles des Cinq éléments, qui sont le fonctionnement des Cinq organes zang, et regardons leurs effets au niveau émotionnel. On a alors Cinq directions prises naurellement par ces souffles, Cinq vouloirs, qui sont normaux quand il s’harmonisent et pathologiques quand l’excès en fait des facteurs de déséquilibre. Prenon un exemple plus en détail. Les souffles du Bois, représentés en l’homme par le Foie, ont une tendance naturelle à projeter vers le haut et l’extérieur, à donner une impulsion forte aux circulations, à dégager les chemins. Dans la normalité, ce mouvement trouve son équilibre en s’harmonisant avec les quatre autres. Dans la pathologie, il devient souvent excessif et déséquilibre l’organisme. Dans la vie intérieure, fonctionnement du mental et état émotionel, ce même mouvement de souffles est appelé nu , habituellement traduit par “colère”, mais qui signifie aussi : ardeur, impétuosité, grand effort. Nu est une colère pathologique, voire une fureur, en cas d’excès; mais c’est aussi l’élan nécessaire à un bon fonctionnement mental et affectif. Sans lui, rien qui porte en avant, permet de se projeter dans l’avenir, donne le courage de traverser les obstacles de la vie. nu est donc le vouloir propre des souffles du Foie-Bois. On peut, d’une façon générale, parler des Sept émotions, usant de la valeur symbolique du nombre sept pour dire que les émotions sont puissantes, mais qu’elles sont un danger permanent, un désordre potentiel. On peut, sur d’anciens modèles, parler des Six émotions qui sont, en l’homme, analogues aux Six souffles du Ciel dans la nature. Ces Six émotions sont alors appelés les Six vouloirs (liu qi ) et l’homme est invité à les réguler en s’inspirant de la régulation naturelle du froid et de la chaleur, du vent et de la pluie, du jour et de la nuit, qui sont les Six souffles du Ciel. «En l’homme, amour et haine, allégresse et colère, affliction et joie, sont produits par les Six souffles (liu qi ) (du Ciel). C’est pourquoi les connaître à fond permet de régler convenablement les Six vouloirs ( liu zhi ), par analogie.» (Chunqiu zuozhuan, 25è année du duc Zhao) On peut parler de Cinq vouloirs, quand on considère l’organisation du souffle vital, sur Terre, en Cinq qualités ou modalités d’opérer. C’est ce que l’on trouve dans le Suwen ch.5, où un vouloir correspond, dans la normalité, à chaque zang; mais où ce vouloir porte aussi atteinte à ce même zang : “Au Ciel, c'est le vent. Sur Terre, c'est le bois. Dans les parties du corps, c'est les mouvements mus-
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culaires. Dans les zang, c'est le Foie. [……] Dans les vouloirs, c'est la colère ( nu ). La colère porte atteinte au Foie …” Et de même pour chacun des quatre autres organes. L’allégresse est associé au Cœur, la pensée obsessive à la Rate, le chagrin au Poumon et la peur aux Reins. Des listes un peu différentes de ces Cinq vouloirs peuvent être dressées. Des variations apparaissent non seulement dans le même ouvrage, mais parfois dans le même chapitre. Leur signification reste la même : un orientation particulière du mouvement des souffles à travers chaque organe, en fonction de l’élément qu’il représente dans l’être humain. Le vouloir, en chaque organe, guide ses souffles; il garde la rectitude de leur mouvement et de leurs acivités; ou bien il s’enfle indûment, se dérègle, et désorganise leurs activités. Quand les Cinq zang peuvent se mettre dans la lumière du Cœur d’une personne qui s’efforce d’être de plus en plus semblable aux esprits et fidèle à la Voie du Ciel, alors leurs vouloirs manifestent sur Cinq la puissance et la droiture du vouloir. “Les Cinq viscères peuvent-ils se placer dans la dépendance du Cœur et ne pas s'en écarter, quelle que soit l'exhaltation du vouloir ( zhi ), la conduite ne dévie pas. Ainsi, les Esprits vitaux ( jing shen ) surabondent et rien ne se dissipe des souffles ( qi ). Abondance d'Esprits, plénitude de souf fles, tout est ordonné, équilibré, compénétré : C'est l'Etat spirituel (shen ).” (Huainanzi ch.7 - Trad. Claude Larre)
4. LES VARIATIONS SAISONNIÈRES DU VOULOIR L’homme authentique ne varie pas dans sa détermination; il reste fixé sur son idéal de vertu et prend tous les moyens d’y parvenir. Cependant, il s’adapte infiniment et indéfiniment à toutes les situations, pliant son vouloir aux circonstances, changeant ses dispositions intérieures et sa conduite, sans altérer l’orientation profonde de sa vie, qui est d’être un avec la Voie du Ciel. “De tels hommes ont l’esprit volontaire ( xin zhi ), le visage paisible, le front serein. Tristes, ils s’identifient à l’automne, gais au printemps, leurs mouvements d’humeur (mot-à-mot : allégresse et colère, xi nu ) s’accordent à la ronde des saisons ( tong si shi ). Ils se trouvent en conformité avec les choses si bien que nul ne peut circonscrire leurs limites.” (Zhuangzi ch.6 - Trad. Jean Lévi, les Œuvres de Maître Tchouang)
Le Suwen ch 2 présente les Quatre saisons. Pour chacune il indique les dispositions appropriés du vouloir. Ainsi, au printemps, “on exerce le vouloir pour la poussée de la vie : Faire vivre et ne pas tuer, donner, ne pas ôter, récompenser, ne pas punir”, alors qu’en automne, “on exerce le vouloir dans la paix et la tranquillité, pour adoucir l'effet repressif de l'automne”. En été, “on exerce le vouloir, mais sans violence : Secondant l'éclat de la beauté et de la force, qui accomplissent alors leur promesses; secondant l'évacuation des souffles qui aiment alors aller s'extérioriser” alors qu’en hiver “on exerce le vouloir comme enfoui, comme caché, comme tourné seulement vers soi, comme occupé à se posséder”.
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Ainsi le vouloir, la tension intérieure, varie selon les saisons, les différents moment du temps, les âges de la vie, les étapes d’un processus, la qualité de l’environnement, les spécificités de ce avec quoi on interagit … Ce qui est à faire, et donc à vouloir, change avec les circonstances. La fermété n’est pas la rigidité. L’adaptibilité permet l’efficacité et l’économie des forces. L’opportunisme, quand il n’est pas utilisation et manipulation des autres et des circonstances pour un profit personnel, est un devoir sacré, un synchronisme qui est concordance avec le mouvement de la vie. Ce qui demeure constant est la correspondance à la réalité de la vie. Car ces variation ne sont possibles que si l’enracinement est solide; comme lors d’une entreprise la cohésion d’ensemble tient à un idéal, à une but général, une certaine finalité qu’on se fixe et qui soustend les multiples décisions et orientations prises au gré de l’activité et de ses développements. Pour commencer une affaire, il faut avoir une idée et un idéal, vouloir réaliser quelque chose et dans une certaine voie. Dans le processus de développement, on va créer des départements, qui ne doivent pas être des “divisions”, mais des secteurs complémentaires par leurs différences; chacun aura un but particulier, mais qui ne sera correct que s’il répond à l’exigence du département en même temps qu’il participe à l’harmonie et la progression de l’ensemble. Au niveau de la direction générale comme au niveau des départements, les stratégies changent selon les circonstances; mais sans jamais être contraires aux buts et idéaux de l’entreprise tels qu’ils ont été compris au départ et ont permis sa création. Chaque orientation particulière est prise en fonction de l’inspiration générale et initiale; nul ne doit la perdre de vue, sous peine de se dénaturer, de perdre l’esprit qui anime l’entreprise; ces déterminations peuvent être de tous ordres et parfois apparaître comme opposées, parce qu’elles seront commandées par les circonstances; mais elles ne doivent pas quitter ce qui fait l’enracinement, ce qui est à la source et à la base du projet. Ainsi, la rivière, à partir de sa source, ne change jamais sa destination, qui reste toujours la mer. Cependant, aucun fleuve n’est rectiligne; il parvient à la mer par de multiples détours. Mais à aucun moment l’eau n’abondonne sa nature propre, qui est de descendre, de s’écouler vers le bas. Le fleuve atteint donc toujours la mer, qui, elle, est au plus bas. Il a ainsi rempli sa destinée, en gardant sa direction générale, son vouloir, mais en l’adaptant selon la nature et les configurations du terrain, quiite à parfois prendre des directions qui ne sont pas celles de la mer.
5. LES CHANGEMENTS DU VOULOIR CONSTANT L’adaptation permanente, dans le respect de sa nature originelle, est l’œuvre de la pensée. La pensée humaine se dirige là où un vouloir éclairé la porte; elle reconnaît les situations pour ce qu’elles sont et pour ce qu’elles réclament et elle trouve comment s’y conformer sans se dénaturer. Le Lingshu 8 définit la pensée comme changements dans le vouloir : “Que le vouloir qui se maintient change on parlera de pensée.” Le vouloir, qui change avec les saisons et les moments, avec l’âge et les circonstances, se maintient cependant comme orientation et direction générales. Dans un être, un vouloir unique émerge de l’origine; chez l’homme, il passe par son Cœur, sa conscience, pour être fixé. Ce vouloir guide sa vie jusqu’à la fin et il doit s’orienter vers la destination de
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la vie, qui pour l’homme est avant tout céleste et spirituelle. Le vouloir doit donc orienter l’être vers les lumières spirituelles (shen ming ) et vers le Ciel ou la Voie. Ainsi les souffles sont guidés correctement, par le Cœur d’une façon générale et unifiée, et par les Cinq zang dans les mouvements particuliers des souffles et les divers secteurs de l’activité vitale. Fermement ancré, l’homme sage peut alors changer indéfiniment. Comme la girouette. La girouette ne change pas, dit-on; c’est le vent qui change. En effet, une bonne girouette ne change jamais par elle-même, mais toujourrs en fonction du vent. Elle indique la direction du vent parce qu’elle est équilibrée, qu’elle ne penche dans aucune direction, qu’elle n’en préfère aucune; et aussi parce qu’elle est solidement plantée, bien droite et bien souple.
Approche du Taoïsme
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APPROCHE DE LA SAGESSE TAOÏSTE recherche de l'harmonie avec le cosmos
La Chine a produit le Taoïsme au cours d'une longue maturation. Attitude devant la vie, ce qu'on appelle le Taoïsme peut être une religion, une éthique, un système du monde. Il s'insinue dans toute l'activité de ceux qui en acceptent l'imprégnation. La rectitude intérieure est l'expression en soi de l'ordre du monde, qui n'est rien d'autre que l'universelle spontanéité, c'est-à-dire la Voie, le Tao (dao). En s'ordonnant soi-même selon ce modèle cosmique, que l'on aperçoit dans toutes les manifestations de la vie naturelle, tout se règle. Par l'initiation et la pratique, on s'unit aux grandes forces du monde, telles le Yin Yang; on parvient ainsi à la Longévité, une vie d'une durée indéfinie au sein de l'univers. L'agir se confond avec l'intégration cosmique : ne faire qu'un souffle avec le souffle cosmique, dans la spontanéité absolue. N'interférant aucunement avec l'ordre naturel, il est un non-agir, un agir sans agir, qui est cependant plus efficace que les activités volontaires habituelles des hommes.
Les textes fondateurs Ce sont les textes sue lesquels repose le taoïsme dans son esprit profond; c'est à eux que l'on revient régulièrement pour fonder théories et conduites, même si bien d'autres textes, écrits par un maître ou "révélés", enrichissent et précisent, au cours des siècles, l'approche et les pratiques taoïstes. Ils servent de base à cet exposé, qui ne prétend pas traiter de tout le Taoïsme, mais simplement de donner un éclairage sur quelques aspects essentiels. Nous citerons souvent, pour illustrer notre propos, le Livre de la Voie et de la Vertu (Daodejing) 1, attribué à Laozi, car ce texte court contient l'essentiel de la doctrine. Il est de plus facilement accessible à tous en de nombreuses traductions dans pratiquement toutes les langues occidentales. Ce texte, vraisemblablement rédigé durant la deuxième moitié du 3è siècle avant J.C., fut attribué légendaire à Laozi, "le vieux maître", sorte de personnage composite qui prend quelques traits d'un archiviste contemporain de Confucius, et s'enrichit de détails et de légendes à significations philosophique, politique et idéologique. Celui qui a compilé ce livre - sans doute un ancien ministre ou général - a repris des éléments de textes et de réflexion prééxistant; mais il a cependant fait ?uvre personnelle par la puissance et la beauté à la fois du style et de la pensée. Le Zhuangzi, ouvrage beaucoup plus long et parsemé d'anecdotes, est composé de 33 chapitres, écrits entre le 4è et le 1er siècle avant J.C. Il offre une communauté de pensée avec le Laozi, tout en présentant des approches et des sensibilités variées. Le Liezi, attribué au sage du même nom qui aurait vécu aux environs de 400 av.J.C., est souvent associé aux deux précédents dans une sorte de trilogie de textes fondateurs. Il est en fait de rédaction beaucoup plus tardive (4è siècle après J.C.), bien qu'il intègre des éléments contemporains du Laozi et du Zhuangzi.
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Formation du Taoïsme La sensibilité et la pensée taoïstes sont redevables à de nombreuses sources : l'antique fonds chamaniste et animiste de la Chine, la religion populaire, les techniques physiologiques, miexorcistes, mi médicales, voire magiques, les spéculations cosmologiques qui tiennent à la fois de la divination et de l'observation des astres et des phénomènes naturels, l'attitude d'ermites retirés du monde ou encore celle d'artisans experts en leur art ... Dans les siècles qui précèdent l'ère chrétienne, des penseurs puisent à ces diverses sources, mais se caractérisent par une référence grandissante à un absolu qui sous-tend toute vie et qui fonde toute cosmologie. Quand le caractère " Dao " ou " Tao "2 est utilisé pour désigner cet absolu innommable, les textes réunis autour de cette sensibilité sont dits de l'école taoïste ( dao jia ). Le caractère " dao " signifie voie, cheminement; c'est une manière de procéder, une méthode. Chacun chemine, suit une voie, une règle de vie personnelle, reflet de l'ordre du monde. Il progresse ainsi dans l'existence, remplissant au mieux son rôle familiale et social. Dans le Taoïsme, la Voie est au-delà de tous les cheminements personnels, mais les sous-tend et les fonde tous : "La voie qu'on peut énoncer n'est déjà plus la Voie" (Daodejing 1) Au-delà de toute perception sensible ou connaissance intellectuelle, la Voie est présence ineffable, source de toutes les manifestations de la vie : "Profondeur d'abîme, on dirait une présence. Nous ignorons de qui elle procède, préssentant qu'elle précède le Souverain lui-même" (Daodejing 4) "La Grande Voie ..... les Dix mille êtres3 en dépendent pour vivre" (Daodejing 34) Un peu plus tard, dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, la religion taoiste ( dao jiao ) apparaît, avec clergé et rites. Le Taoïsme religieux ne sera cependant jamais soumis à une autorité centrale, décidant du licite et de l'illicite, édictant un dogme. De nombreuses branches ou sectes fleuriront, exprimant la vitalité toujours renouvelé du Taoïsme.
Le Taoïsme est toujours une pratique Même s'il faut faire une différence entre un Taoïsme philosophique et un Taoïsme religieux, il ne faut pas pousser cette différence jusqu'à séparer l'un de l'autre. La pratique doit être l'aboutissement de la pensée et la pensée, le fondement de la pratique. Le Taoïsme religieux s'inspirera toujours des grands textes dits philosophiques. Ces textes eux-mêmes ne prennent tout leur sens que s'ils inspirent une condutie de vie et mènent à ce qui les dépassent. Il s'agit toujours, par des moyens variés, de s'intégrer à la Voie, principe de vie, constant, inaltérable, qui soutient l'ordre du monde dans sa régularité, sa fiabilité et sa spontanéïte. "Une chose faire d'un mélange est là avant le Ciel Terre4; silencieuse, ah oui ! Illimitée assurément ! Reposant sur soi, inaltérable, tournant sans faute et sans usure. On peut y voir la Mère de ce qui est sous le Ciel. Nous ne connaissons pas son Nom; son appelation est : la Voie." `Daodejing 25)
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Le retour La quête de chacun est de faire retour. Faire retour, c'est d'abord opérer un retournement. Retourner les valeurs habituellement reconnues par les hommes, la société : "Retournement, mouvement de la Voie. Faiblesse, son usage." (Daodejing 40) C'est revenir au mouvement cosmique de la vie, qui retourne le froid et chaud et le chaud en froid au long des Quatre saisons de l'année; qui, de même, contient tous les opposés, tous les contraires (incluant la vie et la mort) et les laissent s'exprimer en alternance, en harmonie, pour manifester les innombrables formes que revêt la vie. C'est retourner à l'origine de ma vie, source de toute vie, telle qu'elle est en elle-même. Même si ces images sont métaphoriquement employées, il ne s'agit pas de régresser jusqu'à l'état d'enfançon ou d'embryon, mais de retrouver en soi - par l'ascèse, la méditation, les pratiques - la pure réalité, la Voie. Cela nécessite abnégation et désintéresement, qui vont jusqu'à l'abolition du moi ou même de la personne en tant qu'être particulier. Le taoïste en quête de la vraie vie, de l'immortalité, de la Voie qui est au-delà de la vie et de la mort, renonce à tout désir et volition, aux émotions et attachements, à toute possession personnelle qu'elle soit physique, intellectuelle ou mentale. C'est à ce prix qu'il se renouvelle et se retrouve intégré au mouvement de la vie. "Parvenus à l'extrême du Vide, fermement ancrès dans la Quiétude, tandis que Dix mille êtres d'un seul élan éclosent, nous contemplons le Retour. Les êtres prospèrent à l'envie, mais chacun fait retour à sa racine. Revenir à sa racine, c'est la Quiétude, c'est accomplir son destin. Accomplir son destin, c'est cela le Constant. Atteindre le Constant, c'est l'illumination; ne pas le connaître, c'est courir follement au désastre. Atteindre le Constant donne accès à l'Infini; par l'Infini, à l'Universel; par l'Universel, au pouvoir royal; par la Royauté, au Ciel et par le Ciel à la Voie; la Voie à la vie qui demeure et la fin de votre vie ne sera pas la destruction." (Daodejing 16)
Le Vide et le Rien (xu wu ) Tout commence par la diminution des préjugés, désirs, intentions; la renonciation au savoir qui croit qu'il sait, aux connaissances qui empêchent souvent de saisir la vie à sa source tout en multipliant des informations, exactes certes, mais qui nous détournent de l'essentiel quand leur recherche et leur acquisition remplacent le retour à soi et à la Voie. "Pour l'étude, tous les jours un peu plus. Pour la Voie, tous les jours un peu moins." (Daodejing 48) Car la Voie n'est ni définissable, ni pensable. Exercer sa pensée et son intelligence pour saisir la Voie, c'est commettre un contre-sens. Mais tenter d'éradiquer chaque détermination ou qualité propre, rapproche d'elle en éliminant les premiers obstacles. "On regarde mais sans voir : on l'appelle Invisible. On écoute sans entendre : on l'appelle Inaudible. On cherche à le toucher : on l'appelle Impalpable. Voilà trois choses ineffables, qui, confondues, font l'Unité." (Daodejing 14)
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Faire le vide n'est pas n'être rien; c'est développer la force de vie et se laisser emmener où elle s'accomplit. Le Vide n'est pas un manque, c'est ce qui permet l'adaptibilité, la souplesse; par lui on est enraciné au plus profond, car on se débarrasse continuellement du superficiel et de l'inutile. "L'homme de caractère choisit la subsatnce et ne se fie pas à ce qui est superficiel. Il est pour le fruit, ne se fie pas à la fleur. Il rejetait l'extérieur et s'en tenait à soi;" (Daodejing 38) Le maître en arts martiaux ne fait pas autrement : tranquillement, il attend son adversaire, sans rien anticiper, sans rien imaginer, mais en étant, par là même, prêt à tout. Sa réaction sera instantanée, juste et puissante. Rien ne sera gaspillé de ses potentialités par une idée qui, même correcte, est inutile et même nuisible, puisqu'elle lui encombre l'esprit. Alors on peut être rempli d'une sensation authentique de vie, bien au-delà de la pensée et de la conscience claire, une expérience de la réalité qui permet de surmonter les angoisses et les peurs de la condition humaine.
Le non-agir (wu wei ) N'ayant plus ni désir ni volonté propre, l'agir du sage taoïste n'est pas dirigé par une intention ou un jugement; il est simple réaction aux situations d'un être qui a retrouvé en lui l'ordre naturel de la vie. Ce qu'il fait n'interfère jamais avec le cours des choses et le mouvement naturel des êtres. Le Non agir c'est, mû par une nécessité intérieure, faire ce qui est demandé, à un moment et dans un lieu précis, par la nature des choses. Alors il n'est rien qui ne soit réalisé, puisque la Voie est l'universelle spontanéité présente au cœur de chacun. "La Voie constante est Sans agir et rien pourtant qui ne soit fait." (Daodejing 37) Toute intervention dans le cours des choses suscite des réactions que nul ne maîtrise et qui peuvent aboutir à tout autre chose que l'intention première. Opposition, sous une forme ou sous une autre, au mouvement naturel, l'intervention c'est agir par sa propre décision au lieu de s'en remettre au déroulement de la Voie dans les êtres et les situations. L'affairement et ses conséquences néfastes ne manqueront pas de faire payer leur tribut : "L'intervention, c'est l'échec; la possession, c'est la perte. Les Saints, n'intervenant pas, évitaient l'échec; ne possédant pas, évitaient la perte." (Daodejing 64)
La vertu du sage L'efficacité du sage n'est pas liée à son action, mais à sa vertu. Par "vertu" ( de ), plutôt que des qualités morales, on entend l'efficacité puissante que procure l'agir naturel. Un homme possédé par la Vertu suit, parfaitement et spontanément, les mouvements de la vie; il est remplit de la puissance qui appartient à la vie quand nul désir ou volonté ne vient la contrarier ou la détourner. Alors émane de lui comme une force qui touche les autres, sans même qu'ils en aient vraiment conscience; cette force les touche là où eux-mêmes sont en contact avec la réalité qui les fait vivre; elle peut donc les rendre à eux mêmes, à plus d'authenticité.
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"Les Saints s'appliquaient à secourir les humains sans rejeter personne, s'appliquaient à secourir les êtres sans en rejeter aucun. C'est ce qu'on appelle : répandre à son tour la Lumière. L'homme bon est le maître du méchant, le méchant sert de matière à l'homme bon." (Daodejing 27) Le sage n'utilise pas cette force, car la manipuler serait la détruire; il la laisse émaner de lui, tout en cultivant sa participation active et mystique à la vie du monde, mais en prenant bien soin de r ester caché et ignoré. Il est mieux que nul ne se rende compte de l'action secrète du sage, car la conscience risque non seulement de nuire au sage "découvert", mais aussi de pervertir le processus même par lequel les êtres sont pris par son influence bénéfique. C'est ainsi que le gouvernement de l'État n'est qu'un effet du travail sur soi et que l'enseignement sans parole seul transmet l'essentiel.
Le modèle de l'eau Le sage se compare à l'eau : comme la pluie qui tombe sur tous les champs, il laisse son influence se répandre sur les bons et les méchants, simple effet de ce qu'il est. "Un homme haut placé, faisant le Bien, agira comme l'eau." (Daodejing 8) Comme l'eau, le sage se laisse aller avec toutes les apparences de la faiblesse, mais sans se laisser détourner. L'eau de la rivière, suivant sa seule nature qui est d'aller vers le bas, arrive toujours à la mer, indifférente à tous les tours et détours que les circonstances lui imposent. Le sage suit aussi sa nature et la nature des choses, indifférent à ce que lui commande les circonstances; il ne résiste pas, ne s'oppose à rien, ne se dispute avec personne, non pas pour éviter de combattre, mais parce qu'il est mû par sa rencontre avec la Voie. La Voie, union des contraires, coexistence harmonieuse des innombrables vivants, est l'infinie adaptabilité du sage qui ne tient qu'à elle et que par elle. Le sage possède alors la vie qui ne tarit pas. "Rien au monde comme l'eau, de plus souple, de plus faible. Pour attaquer le solide et le fort, qui sera comme l'eau ? Le Non avoir en elle la fait changeante." (Daodejing 78)
Mystique et transcendance Le sage taoïste est un mystique en ce sens qu'il recherche la fusion avec la Voie, l'intégration totale avec le principe cosmique de vie. Il n'y a pas de relation avec ce principe de vie, puisqu'il n'est pas autre chose que ce qui existe, n'est pas extérieur à soi ou au monde. On ne cherche pas non plus à avoir conscience de ce principe, ca en avoir conscience serait faire deux avec lui, être distinct, séparé. On ne peut que tenter de se fondre en lui, faire un avec lui, car l'unité est la réalité la plus profonde de chacun, la seule permanente. Notre existence actuelle n'est qu'une phase, qui nous fait vivre la distinction et la dualité; mais cette existence exprimée par et dans la dualité ne doit pas perdre sa racine, sous peine de se perdre à jamais. L'union à la Voie se fait donc dans une abolition de soi, qui n'est cependant pas perçue comme une disparition. "Se contenter de peu, c'est la richesse. Agir puissamment, c'est s'accomplir. Conserver ses moyens est durer. Mourir sans périr, c'est la Longévité."(Daodejing 33)
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Le sage taoïste, dans la montagne, contemple les nuages et médite sur l'éphémère qu'ils évoquent. Au-delà des nuages, il y a le ciel; et au-delà du bleu du ciel, n'y a-t-il pas l'azur infini ? Seul demeure ce qui est au-delà de l'éphémère et dont chaque être fait partie avant même de commencer d'exister. Cette fusion indicible, si elle n'est pas une illusion, doit être active, perceptible, dans le monde présent, au travers de notre existence prise dans ses multiples tensions. On l'expérimente à des niveaux variés dans la vie quotidienne. Ainsi l'artiste, par exemple un pianiste, ne se représente pas, dans le moment où il joue, l'intégration totale de tous les éléments de son être pour produire la musique; il ne sait même pas vraiment comment cet état arrive; et quand il est dedans, il ne peut pas s'en détacher, le penser, encore moins l'expliquer. Mais il ne peut vraiment jouer, bien jouer, que dans cet état. "Revenu sur terre", à la fin du récital, il peut parler, tout en sachant qu'il ne pourra jamais exprimer par les mots ce qu'il vit quand il ne peut même plus penser. Il s'exprimera cependant, car il appartient aussi au monde de la dualité, de la multiplicité, avec sa personne, son corps, ses qualités, ses relations aux autres êtres ... Mais l'état expérimenté quand il joue ne lui apparaît-il pas comme encore plus réel ? Les artisans, ou chacun de nous, concentrés sur ce que nous savons faire, vivons la même expérience, qui donne accès à la réalité de l'Un. Il ne s'agit pas d'être ailleurs, d'être autre, mais de passer par delà les déterminations et spécificités qui maintiennent dans la multiplicité, dans la dualité, pour ne faire qu'un avec la Voie du Ciel, dans un abandon total, y compris de sa propre activité mentale. La mort alors n'est que le retour à cet état que j'expérimente déjà comme plus constant, plus réel que les autres aspects de ma vie. Finalement, on doit aller jusqu'à affirmer que vie et mort ne sont qu'un, car si elles étaient vraiment différentes, l'Unité sur laquelle on s'appuie ne serait qu'un leurre. "Ainsi le toujours sans attraits invite à contempler le mystère, et le toujours plein d'attraits à considérer ses aspects manifestes. Ces deux-là, nés ensemble sous des noms différents, sont en fait ensemble l'Origine. Et d'origines en Origine, la porte du mystère merveilleux." (Daodejing 1) Peut-on parle de transcendance ? Sans doute pas dans le sens donné par le Christianisme; mais on ne peut pas plus parler d'immanence. La Voie du sage taoïste le mène à la racine de l'existence, là où il n'y a plus rien de déterminé ou de déterminable, d'exprimé ou d'exprimable, de pensé ou de pensable, mais sur quoi repose la totalité des êtres qui ont chacun leurs déterminations, leurs expressions et capacités spécifiques. "Les Dix mille êtres du monde sont le produit de ce qui a; mais ce qui a est produit de ce qui n'a pas." (Daodejing 40) 1. Dans la traduction de Claude LARRE, nouvelle édition, DDB, Paris, 2003. 2. Selon les translitérations utilisés. La prononciation et le caractère sont les mêmes; la façon de rendre cette prononciation en lettres romaine seule varie. 3. Tous les êtres qui peuplent l'univers. 4. L'Univers.