1- Présentation du Contexte a. Le cadre de l’étude L’incertitude est une donnée intrinsèque à la vie de chaque organisation. Le risque revêt aujourd’hui une importance particulière. La notion de risque au sein des sciences de gestion reste paradoxale : d’une part, la prise de risques est au fondement même de l’activité de l’entrepreneur, de l’autre ses conséquences néfastes s’inscrivent en opposition à la culture du manager, tendu vers la performance de la réussite. Le risque est un élément inséparable de la vie de toute entreprise, qui œuvre dans un environnement complexe, hostile et dynamique. L’entreprise est de plus en plus dépendante des aléas de son environnement. Cette tendance s’est accentuée avec le développement technologique qui place l’entreprise au centre d’un système inter relié ou le moindre incident déclenche un effet de chaîne et des dysfonctionnements. Les conséquences potentiellement systémiques de ces dysfonctionnements ont conduit les entreprises, les chercheurs, les autorités publiques chargés du contrôle et de la surveillance à porter une attention particulière aux risques. De nouveaux concepts se sont ainsi développés tels que la gestion des risques. La gestion des risques est aujourd’hui utilisée dans de nombreux domaines. Bien qu’elle ne soit pas encore une discipline de premier plan comme la finance, le marketing, les ressources humaines, etc. La gestion des risques s’institutionnalise en devenant un élément à part entière dans un processus de bonne gouvernance des entreprises d’envergure et un ingrédient essentiel pour une saine gestion pour les petites entreprises. Jusqu’à très récemment, « l’approche historique dominante de la gestion des risques est l’approche par silos, confiés à des spécialistes issus du domaine dominant du silo » Van Caillie, 2013 (gestion du risque financier, gestion du risque juridique, gestion du risque technique, etc.). Dans un monde de plus en plus complexe où les interdépendances entre les différents éléments du fonctionnement de nos sociétés sont en constante augmentation, un consensus s’établit désormais selon lequel une gestion efficace des risques nécessite de briser les silos et d’adopter une perspective globale, systématique et permanente. Cette approche des risques consiste ainsi à aborder les risques dans un cadre global et intégré. Elle conduit à l’instauration, par une entreprise, d’un processus itératif ou continu interpellant plusieurs acteurs. Au regard de tout ce qui précède, toute entreprise devrait envisager l’établissement d’un processus de gestion des risques. Que ce soit dans le contexte d’une démarche collective au sein du milieu dans lequel elle est implantée ou pour assurer la gestion des risques à l’intérieur de son organisation, il s’agit des situations dans lesquelles l’établissement d’un processus de gestion des risques apparaît tout à fait pertinent. L’entreprise qui souhaite déployer une démarche de gestion des risques doit faire le choix entre plusieurs approches. Il nécessaires pour cela de choisir l’approche la mieux adaptée au stade de développement, à la culture d’entreprise et à sa maturité.
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Une attention particulière devrait être accordée aux différentes perceptions des risques, aux valeurs, aux préoccupations et aux intérêts des divers acteurs engagés ou consultés. Pour cela, l’entreprise doit s’assurer de prendre en compte les facteurs pouvant freiner le déploiement d’une démarche de gestion des risques. Ce n’est que lorsqu’elle a pris conscience de sa culture et de son identité qu’elle est prête à passer à la phase de déploiement de cette démarche au sein de sa structure. b. Enjeu L’étude de l’analyse préliminaire à la mise en œuvre d’une démarche de gestion intégrée des risques présente des enjeux à la fois théoriques et managériaux. Au plan théorique, les chercheurs en sciences de gestion qui abordent les questions relatives à la gestion des risques font face à la nécessité de confirmer l’approche de gestion intégrée des risques, selon laquelle on devrait adopter une vue holistique des risques, comme la plus pertinente, au regard des évolutions du contexte actuel. Par ailleurs, la recherche sur les risques, pour s’affirmer, doit encore être rattachée à une discipline majeure des sciences de gestion. L’enjeu des recherches scientifiques sur les risques est de parvenir à ériger la gestion des risques en discipline de premier rang en la structurant et en la légitimant. Au-delà des aspects factuels et techniques associés à la démarche de gestion des risques, l’entreprise doit s’assurer de prendre en compte les considérations politiques, sociales, économiques, environnementales, juridiques et culturelles en présence, car celles-ci sont susceptibles d’influencer les priorités établies et les décisions prises en matière de gestion des risque. Telles semblent être de notre point de vue les enjeux managériaux liés au déploiement d’une démarche de gestion des risques. 2- Problématique Depuis plus d’une cinquantaine d’années, les chercheurs de tout bord s’intéressent à la gestion des risques, mais l’approche adoptée et le centre de leur intérêt ont beaucoup évolué, en raison de la complexité accrue des affaires. Tableau 2.1 Gestion des risques aperçu historique Période Les années 50 Les années 60
Débat Les premiers débats sur la notion du risque étaient surtout de nature mathématique Une première «définition» de la notion «gestion du risque», (« risk management »), dans un article de la « Harvard Business Review » : « Gérer le risque, c'est vivre dans l’éventualité qu’un événement futur provoque un préjudice.» (BEN HUNT)
2
Période Les années 701
Les années 802
Débat Le terme « gestion des risques » gagne du terrain dans les pratiques des institutions financières et les risque financier et de marché sont au cœur des recherches. Début de l’utilisation des instruments financiers dérivés (des contrats à terme sur les devises dans un premier temps) par les entreprises.
Fin des années 90
Importance accrue du risque politique; Plusieurs compagnies multinationales mettent en place une approche systématique pour anticiper les évolutions politiques de leurs marchés; Pour les entreprises nationales, la gestion du risque détient un rôle périphérique limité à une couverture par les assurances.
La gestion intégrée des risques Les entreprises devraient adopter une vue holistique des risques.
Adapté de Dumitriu (2002) L’approche du risque a aussi évolué. Ainsi, durant plusieurs années, l’approche des marchés financiers basée sur la théorie du portefeuille a dominé le cadre des chercheurs (tableau 2.2). Toutefois, à partir des années 90, l’approche stratégique semble préférée par les managers (tableau 2.3). Par conséquent, plusieurs chercheurs se penchent dernièrement sur la gestion des risques en adoptant une approche stratégique, basée sur une vue holistique des risques et de leurs interactions.
Tableau 2.2 : La geslion des risques : approche financière 1
Aux Etats-Unis, la Chase Manhattan avait constitué un comité sur le risque- pays ; Professional Insurance Buyers Association (association des acheteurs d'assurances professionnels) s'est rebaptisée Risk and Insurance Management Society (RIMS société de gestion des risques et des assurances) 2
Selon une étude de marché (BEN HUNT) : moins de 25 % d'entreprises avaient mis en place des moyens internes d'évaluation des risques; seulement 10 % environ utilisaient des consultants externes à ce sujet; quelques multinationales qui ont mis en place une approche systématique pour anticiper les évolutions politiques de leurs marchés étrangers. 3
Risque : mesure et impact, selon l’approche des marchés financiers
Mesure
Sources de risque
Approche
1- Risque de Le risque qui ne Changements des divers Le bêta (APT; Risque total d’une marché, peut pas être contextes (politique, économique, CAPM) compagnie = le risque de ou risque éliminé par la technologique), accompagné par Bêta = 1 : Le marché +le risque systématiq diversification du des événements ayant des risque spécifique ue portefeuille conséquences non favorables systématique du Mesure : L’écart type du (autrement dit, il (guerre, inflation, crise titre est le même rendement représente le sectorielle, etc.) qui affectent que la moyenne Par risque toutes les compagnies, dans un du marché. Bêta diversification du marginal que même sens (par conséquent, il ne < 1 : Le risque portefeuille, l’investisseur chaque peut pas être éliminé) systématique du peut réduire compagnie titre est inférieur considérablement le risque ajoute au à la moyenne du non systématique; par risque d’un marché. conséquent, le risque total portefeuille Bêta > 1 : Le pourrait être approximé par diversifié) risque le risque systématique du systématique titre est supérieur à la moyenne du marché. Le risque qui, du Ce risque est relié strictement à Il n’existe Risque spécifique ou point de vue de l’activité de l’entreprise et à la aucune mesure qualité de son management, à sa financière risque non- l’investisseur, être capacité d’améliorer explicite systématique pourrait éliminé par la continuellement le utilisée par le diversification du positionnement de son entreprise, marché portefeuille les relations avec les employés financier. (risque de grève), avec les clients et les fournisseurs (risque de volatilité des résultats), etc.
Source : C. Dumitriu, «Gestion des risques : méthodes et outils», Codex MBA 8193, UQAM, 2006 Tableau 2.3 : La gestion des risques : approche stratégique Risque : mesure et impact, selon l’approche stratégique La perspective des managers Le risque Risque opérationnel (relié aux opérations de Mesure : la variabilité de ses Risque corporatif : d’affaire de l’entreprise) : risque engendré par les décisions indicateurs de performance : le risque d’affaire + leur adoptées et mises en oeuvre ROA, ROE. le risque financier entreprise Risque stratégique : le risque engendré par les Certains chercheurs décisions en cours (investissements, entrée dans proposent le « Bêta sans des nouveaux marchés, développement des levier » (Allaire et Firsirotu, nouveaux produits, etc.) 2004) Les managers ne font pas la distinction entre Aucune mesure ex-ante le risque systématique et non systématique. Le risque Risque relié à l’utilisation du levier financier financier
Le niveau d’endettement (Dette à long terme/Fonds propres, D/E); Le coût moyen pondéré du capital WACC.
Source : C. Dumitriu, «Gestion des risques : méthodes et outils», Codex MBA 8193, UQAM, 2006
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Comme on peut observer dans le tableau 2.4, parmi les principaux risques identifiés par les managers des grandes compagnies cotés à la NYSE, on retrouve des risques systématiques et des risques non systématiques. Selon ce sondage, les CEOs sont préoccupés premièrement par des risques stratégiques et des risques reliés aux changements des contextes, et non pas par les risques bien connus tels que le risque de change et le risque de marché (C. Dumitriu, 2006). Tableau 2.4 : Les principaux risques identifiés par les compagnies cotées à NYSE3
RISK FACTORS : WHICH FACTORS WILL HAVE A STRONG IMPACT ON PROFITABILITY IN 2006? OVER THE NEXT FIVE YEARS RISK
Risques (traduction libre)
Overregulation
Complexité de réglementation Les coûts sociaux
Health-care costs
% of CEOs who % of CEOs who answered strong answered strong impact in 2006 impact over the next five years la
32
42
26
36
Changing global economic conditions Changing domestic economic conditions
Le changement des contextes (globaux et locaux)
23
30
17
27
Energy costs
Le coût de l’énergie
27
26
La compétition locale
22
24
La volatilité des prix difficulté de retenir «le talent» La concurrence provenant des compagnies étrangères Le risqué de réputation Le coût du capital Les relations avec les investisseurs Le risque politique Les coûts de retraite des employés Terrorisme et autres facteurs d’insécurité
24 16
22 22
14
22
17 14 15
18 17 15
12 13
15 14
11
14
Domestic competition Price volatility Employee retention Foreign competition
Reputation risk Cost of capital Investor uncertainty Political risk Pension/retirement plan costs Security/terrorism
Adapté de NYSE AGENDA, New Realities for Global Leaders, 2006, page 6. Ce changement de «vision» concernant le risque perçu par les entreprises se reflète aussi dans les recherches scientifiques (tableau 2.4).
3
Les entreprises choisies œuvraient dans 35 industries différentes à travers 11 pays et représentaient une capitalisation boursière de près de 900 milliards de dollars.
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Tableau 2.5 : Revue de la littérature pour la gestion des risques Recherches qui portent sur un seul type de risque
Marois, 2002 Hoti et McAleer, 2002
Le risque-pays
Gary, 2002. Eppen, 2003 Deniau, Morisano, Larentry (2003) Knight, 2003 Raddock,D. M. (1986) Derringer et Wang, 1997
Le risque d'exploitation
Le risque financier
Les fondements: Sharpe (1964) et Blake (1972); Tufano, 1996 Jorion, 2001 Christoffersen et Gonsalves (2005) Sheldon, Jacobson, Kamani, Kobza (2005) Mahlmann, 2005 Ojanen, Makkonen, Salo (2005) Dumitriu (2006)
Knight et Pretty (2002)
Risque stratégique
Mitrof I, 2002 Dubois, 1996 Beck, 2001.
Risque technologique Risque social et perceptions des risques
Gebler, 2006 Luehrman, 1998
Risque culturel Risque de projets d’investissement
Le risque politique
Le risque spécifique du secteur d’activité (plusieurs risques reliés aux contextes)
Recherches qui portent sur plusieurs types de risques interreliés00
Simons, 1999666
Allaire et Firsirotu (1993; 2004)
Erb. Harvey, Tadas, Viskanta (1996)
Clark et Varma (1999)
KJeffner, Lee, McGannon (2003) John Drzik (2005). Dumitriu (2006)
Risque opérationnel; risque de destructions des actifs; risque de compétition; risque de franchise Risque de l’environnement (sociopolitique, technologique et concurrentiel) Risque politique, économique et financier
Risque opérationnel; risque de marché; risque d’événement; risque de contrepartie Meulbroek (2002) Risques financiers, légaux, fiscaux, opérationnels, réglementaires, de marché Nouvelle approche : ERM (Enterprisewide Risk Management) ou GIR (Gestion intégrée des risques) ERM (GIR)
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