PSYCHOLOGIE DU TEMPOS
DU MÊME AUTEUR
Manuel pratique de Psychologie expérimentales, Paris, Presses Universitaires de France, nouv. éd., 1963. Traduction en italien, espagnol, polonais, hongrois, allemand, portugais. Les structures rythmiques, Louvain-Paris, Nauvelearts, 1956. Traité de Psychologie expérimentale (avec Jean PIAGET), Paris, Presses Universitaires de France, 1963-1966. La Psychologie expérimentale, « Que sais-je 1' », n° 1207, Paris, Presses Universitaires de France. 1966. Traduction en japonais.
INTERNATIONALE SCIENTIFIQUE SECTION PSYCHOLOGIE dirigée par Paul FRAISSE, Professeur il la Sorbonne
BIBLIOTHÈQUE
PSYCHOLOGIE DU
TEMPS par
PAUL
FRAISSE
Professeur à la Sorbonne Directeur de l'Institut de Psychologie de l'Université de Paris
DEUXIÈME
PRESSES 108,
ÉDITION
REVUE
UNIVERSITAIRES BOULEVARD
ET AUGMENTÉE
DE
SAINT-GERMAIN, 1967
FRANCE PARIS
DÉPOT LÉGAL 1 re édition .... 3" trimestre 1957 2e leT 1967 augmentée TOUS DROITS de reproduction et d'adaptation de traduction, réservés pour tous pays Presses Universitaires de France (: 1957,
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A ma, femme
Avant-propos de la deuxième édition Les études sur les problèmes psychologiques du temps ont pris depuis dix ans un nouvel essor. Il était impossible de rééditer l'ouvrage antérieur sans une révision profonde. Nous avons conservé l'architecture générale mais nous avons intégré de très nombreux résultats nouveaux et nuancé quelque interprétations. Nous avons été grandement aidé dans cette révision par Madeleine Léveillé qui a revu les épreuves, les références et réalisé les Index. Qu'elle en soit remerciée en cette première page. P. F.
INTRODUCTION L'homme vit dans le changement. Avant de savoir qu'il change lui-même, il est le spectateur d'une universelle transformation. Les nuits succèdent aux jours, le beau temps au mauvais, les hivers aux étés. Des animaux naissent, meurent ; rien n'arrête le courant de la rivière et l'érosion de la roche. Tout est entraîné par le changement, y compris l'homme. Sa vie biologique, psychologique et sociale est tout entière changement. Mais, à la différence des autres êtres, l'homme sait qu'il vit dans le changement. Il peut le reconstituer par la mémoire et en découvrir les lois pour prévoir les successions futures. Ainsi il apprend très tôt à utiliser le devenir au lieu de le subir ' seulement. L'expérience de successions dont les unes sont périodiques, les autres non, de changements continus et disco.ntinus, de renouvellements entrelacés, de permanences relatives, explique sans doute la naissance de l'idée de temps. Peut-être explique-t-elle aussi le mot lui-même. En effet le mot temps est employé couramment, même dans une langue aussi évoluée que la nôtre, pour indiquer les moments du changement : « faire chaque chose en son temps », « n'être pas de son temps », « de tout temps ». Plus concrètement encore, le temps c'est « le temps qu'il fait », c'est-à-dire les états successifs de l'atmosphère. Ce dernier sens confond, comme le mot latin tempus, le temps qu'il fait et le temps qui s'écoule. D'autre part, il manifeste la primauté, dans notre expérience, des rythmes du jour et de la nuit, ce que soulignait déjà la racine sanscrite du mot temps, qui signifiait éclairer, brûler. D'autres expressions temporelles ont facilement ce même double sens : ainsi le jour désigne la clarté, et la durée de l'éclairement par le soleil, que l'on oppose à la nuit (Regnaud, 1885). Dès l'origine donc, le sens concret a été lié au sens abstrait, et cette liaison est encore vivante de nos jours. P.
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Au cours des âges, l'effort des hommes a tendu à la maîtrise des conditions fondamentales de leur existence. Les changements périodiques -- jours, lunaisons, retours annuels des saisons - ont offert à la fois un cadre naturel permettant de situer tous les autres et un moyen de mesure. Les savants se sont efforcés de scruter ces retours périodiques, de les accorder entre eux dans un effort millénaire, qui ne peut être dit achevé puisque nous perfectionnons sans cesse nos moyens de mesurer l'heure et la seconde (1) et que la réforme du calendrier est à l'ordre du jour des Nations Unies. Les sages et les moralistes, attentifs à l'angoisse des hommes devant leur propre devenir et son terme inéluctable, se sont interrogés sur le sens même du changement à l'échelle de l'homme, des sociétés et du monde. Enfin les philosophes, partant d'une idée du temps devenue de plus en plus abstraite, en ont étudié la nature. L'histoire du temps se confond ainsi avec l'histoire de la pensée humaine. De quelle façon la pensée occidentale a-t-elle abordé le problème ? On sait que les philosophes ne se sont pas préoccupés du tout de l'origine de l'idée de temps, ni de sa nature en tant qu'idée, mais plutôt de la réalité à laquelle elle pouvait correspondre. Quel est le rapport du temps et de ses apparences avec le mouvement ? Est-il éternel ou non ? Existe-t-il en dehors d'un esprit qui unit l'antérieur et le postérieur ? Cette recherche n'est pas épuisée. Comme celle des moralistes à laquelle elle est étroitement liée, elle se renouvelle à chaque époque. La pensée platonicienne concevait le temps comme l'image mobile de l'éternité se déroulant dans un monde dominé par un retour cyclique des changements. La pensée judéo-chrétienne a été modelée par la révélation d'un monde créé avec son temps où se joue l'histoire de la faute et du rachat ; elle s'achève en une eschatologie, et, dans la cité de Dieu, le temps retourne à l'éternité. Le monde moderne a découvert l'ancienneté illimitée de son histoire ; les lois de l'évolution, que les réussites du progrès technique lui suggèrent d'extrapoler à celles des sociétés (1) La douzièmeconférencegénéraledes poidset mesuresa admis,en 1964, que la mesurede la secondedevraitêtre fondéedésormaisnon plussur le mouvementdesastres,maissur lesphénomènes La précisionserade dix intra-atomiques. à cent fois supérieure.
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humaines, ont engendré les conceptions immanentistes du temps : ce dernier devient alors le lieu du progrès indéfini réalisé par l'engagement des hommes. L'ère critique de la philosophie qu'a ouverte la réflexion de Descartes a posé à l'homme des questions d'une autre sorte. D'où nous vient cette idée de temps et quels sont ses rapports avec nos expFriences immédiates ? Ce problème épistémologique allait déboucher sur des questions proprement psychologiques. Non certes que les hommes et a fortiori les philosophes et les moralistes ne se soient pas toujours posé des problèmes psychologiques. Leurs oeuvres sont pleines de notations vécues ; un historien remarquerait aisa;ment que leurs conceptions philosophiques ont correspondu à leur manière même de vivre le temps. Mais, à partir du moment où la réflexion se centre sur l'origine et la portée de l'idée de temps, les perspectives s'éloignent d'une méditation sur Dieu et le monde, pour se tourner vers l'homme et en particulier vers les lois qui régissent son esprit. Tous les philosophes - y compris Kant - qui se sont interrogés sur l'origine de notre idée de temps ont été unanimes à reconnaître qu'elle venait du changement. Aristote avait déjà noté « que le temps... n'existe pas sans le changement » (Physique, IV, p. 149). Mais de quel changement s'agit-il ? De celui de nos sensations ou de celui de nos pensées ? La réponse à cette question est liée à la conception même que chaque philosophe se fait de l'idée. Condillac représente, on le sait, une tentative d'empirisme intégral. Sa statue « n'aurait jamais connu qu'un instant, si le premier corps odoriférant eût agi sur elle d'une manière uniforme, pendant une heure, un jour ou davantage... Il n'y a a donc qu'une succession d'odeurs transmises par l'organe ou renouvelées par la mémoire qui puisse lui donner quelque idée de durée » (Traité de.csensations, éd. de 1921., p. 85) (1). Hume a le même mouvement de pensée. « Un homme plongé dans un profond sommeil ou fortement occupé d'une seule pensée est insensible au temps... Chaque fois que nous n'avons pas de perceptions successives, nous n'avons pas de notion de temps, (1) Cette citation, commeplusieursde cellesqui survent,est empruntéeà l'ouvragede Sivadjian,Le temps(1938),où est réuni un ensembleconsidérable de textes sur le temps.
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y eût-il même une succession réelle dans les objets... Le temps ne peut faire son apparition ni tout seul ni accompagné d'un objet constant et invariable, mais se laisse toujours découvrir à quelque succession perceptible d'objets changeants » (Traité de la nature humaine, t. II, p. 52). Par contre, Descartes pense trouver dans notre expérience intérieure l'origine de notre idée de temps, qu'il ne distingue pas de celle de durée. « ... Quand je pense que je suis maintenant, et que je me ressouviens outre cela d'avoir été autrefois et que je conçois plusieurs diverses pensées dont je connais le nombre, alors j'acquiers en moi les idées de la durée et du nombre, lesquelles peu après je puis transférer à toutes les autres choses que je voudrai » (Troisième Méditation, oeuvres, t. I, p. 66). Locke dit de même : « Car tandis que nous pensons et que nous recevons successivement plusieurs idées dans notie esprit, nous connaissons que nous existons ; et ainsi la continuation de notre être (c'est-à-dire notre propre existence) et la continuation de tout autre être, laquelle est commensurable à la succession des idées qui paraissent et disparaissent dans notre esprit, peut être appelée durée de nous-mêmes et durée de tout autre être coexistant avec nos pensées. » « Un homme isolé de tout mouvement arriverait à se former quand même l'idée du temps par la seule connaissance de la succession de ses idées » (Essai sur l'entendement humain, pp. 3 et 7). En présence d'une telle conception, les empiristes se sont demandé comment cette idée de temps, née de la vie de la pensée, pouvait s'appliquer au monde extérieur. Hume pose le problème : « Les idées représentent toujours les objets ou les impressions d'où elles dérivent et ne sauraient jamais sans fiction en représenter d'autres ou s'y appliquer » (ibid., pp. 54-55). Condillac raille : « Vous appliquez votre propre durée à tout ce qui est hors de vous et vous imaginez par ce moyen une mesure commune et commensurable, instant pour instant, à la durée de tout ce qui existe. N'est-ce donc pas là une abstraction que vous réalisez ? » (De l'art de penser, p. 149). Inversement, une position totalement empiriste, comme celle de Condillac ou de Hume, mène à un relativisme extrême, l'idée n'étant alors que le double de nos expériences sensibles. On sait comment Kant, devant la nécessité de retrouver un seul temps qui fonde les lois de la science, a postulé qu'il ne
INTRODUCTION
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pouvait être qu'une forme pure de l'intuition sensible. Pour luii l'unité du temps ne peut surgir de la diversité des sensations, mais seulement de la manière dont l'esprit lie cette diversité. Sa critique est valable contre toute tentative d'atteindre un temps absolu des choses ou du moi. Mais ce serait évidemment faire un contresens de penser que Kant croit à l'innéité du concept de temps. Ce dernier, en tant que concept, est « acquis, non pas en le tirant d'une sensation quelconque des objets (car la sensation donne la matière mais non pas la forme de la connaissance humaine) mais de l'opération de l'esprit lui-même, conformément à la loi perpétuelle qui en règle les sensations » (Kant, Dissertation de 1770, citée par Sivadjian, ibid., p. 164). Ce qui est inné, c'est la possibilité de se représenter les dingrentes sensations sous la forme des relations temporelles. Le concept du temps est idéal parce qu'il n'est pas abstrait de l'expérience, mais il ne se dégage que par l'activité du sujet Telle est au moins la conception retenue par Havet, le plus récent commentateur de Kant. Celui-ci en effet ne s'est guère expliqué - ce n'était pas son but - sur les processus mêmes de la genèse de notre idée de temps. Kant a eu le grand mérite de montrer que notre idée de temps n'était pas un décalque des choses, mais une manière de les considérer. Il a ainsi déblayé le terrain pour les psychologues en les détournant de la recherche d'une réalité en soi et en les invitant à voir l'origine de l'idée de temps dans l'activité même de l'esprit qui pense et unit les divers changements. La Critique a d'autre part influencé indirectement les réflexions ultérieures. En faisant du temps une forme de la sensibilité, Kant a déplacé le problème. Les philosophes, puis les psycbologues, se sont après lui moins préoccupés de l'idée de temps que de la conscience que nous prenons du temps. L'ère postkantienne a vu le problème dériver peu à peu du plan épistémologique au plan psychologique. La question n'est plus tant de savoir à quelle condition la notion de temps peut fonder la science que de rechercher la genèse empirique de notre notion du temps et plus généralement de notre prise de conscience des deux aspects fondamentaux de cette notion : la succession et la durée. Partout, mais surtout en Allemagne, cette réflexion se situe par rapport à Kant. Certes, souvent, les auteurs confondent l'apriorisme métaphysique qui était la
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vraie position de Kant avec un innéisme, et ils accumulent de; arguments contre l'hypothèse selon laquelle le temps serait une intuition a priori. Cependant, même pour eux, un point semble acquis : la succession des sensations ou des pensées ne suffit pas à donner l'idée de succession. Celle-ci ne peut naître que de la saisie d'une relation. A partir du xixe siècle, cette relation est cherchée entre les différentes représentations que nous pouvons nous former de la réalité : en effet, à côté des perceptions qui, à elles seules, ne pourraient nous fournir plusieurs éléments de la succession, puisque chacune se situe dans l'instant, nous avons, grâce à la mémoire, des images. Par suite des lois de l'association, ces images reproduisent la série des événements vécus et nous permettent de prendre conscience des relations de l'avant et de l'après qui les unissent. Le fait même que la mémoire et l'association soient constamment invoquées montre assez que le problème à cette époque est de plus en plus posé en termes psychologiques (1). Les relations entre image et sensation ou entre plusieurs images sont évidemment envisagées de façon différente par les théoriciens de cette époque. Pour Herbart par exemple, si, après une série de représentations a, b, c, d, e, l'élément « a » se présente de nouveau à la conscience, il évoque les autres éléments b, c, d, e, qui lui ont été associés. Il y a donc une présentation de la succession, c'est-à-dire un changement dû à un processus d'évolution. Si c'est «e»» qui se trouve à nouveau donné, il évoque par un processus d'évolution « d », puis « c », puis « b », etc., mais chaque élément apparaît d'autant moins net qu'il est plus éloigné du premier ; dans cette sériation, les élaments ne sont plus donnés avec la même clarté. Chacun des processus comporte donc une présentation simultanée des deux éléments terminaux de la série, et de la combinaison des deux processus se dégage une perception complète du temps (d'après Nicols, 1890). Le temps n'est possible, pour Spencer, que par l'établissement d'un rapport entre des états de conscience. La naissance de la conscience du temps est la conscience de la différence des sur la (1) Nichols, dressant en 1890 une revue des positions contemporaines psychologie du temps, s'étonne de ce que Kant ne fasse pas une fois allusion aux dans transcendantale. C'est processus mnémoniques l'Esthétique que précisément Kant ne s'attachait pas à la psychologie.
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positions des impressions successives par rapport à l'impression différence qui naît du seul fait que que j'éprouve actuellement, n'existent pas toutes j'ai conscience que ces impressions de position ensemble. Mais la perception de ces rapports n'est que la matière première qui nous sert à construire l'idée de temps. En définitive, celle-ci est bien l'idée d'un rapport de positions, mais dissociée de toutes les positions particulières. D'après Wundt, la simple répétition d'un son suffit à fournir tous les éléments de la perception du temps. Quand le second son se produit, il reproduit en un sens le premier dont l'image est encore présente. Ainsi l'évocation du premier son par le second fournit le début, la perception du second la fin, et la Une série de persistance de l'image la longueur de l'intervalle. faits de conscience entraîne donc une relation temporelle parce qu'entre eux il y a toujours un grand nombre de représentations durables. Le temps naît à la fois de cette succession et de la relative simultanéité des formations psychiques. de cette école de pensée, Guyau également est représentatif mais sa conception est plus dynamique. Il recherche quels sont les éléments de l'expérience du temps. Il en distingue deux : le lit du temps, formé par la suite de nos représentations qui tendent à s'effacer à mesure qu'elles deviennent plus lointaines, et le cours du temps, c'est-à-dire la perspective qu'introduisent entre nos représentations le désir et l'effort. La conscience du naît de l'association temps d'images variées de degrés différents à des faits intérieurs liés à l'affectivité. Le fait commun à tous les auteurs de cette époque est qu'ils cherchent à expliquer notre idée de temps à partir de l'analyse de nos états de conscience. En ce sens, si paradoxal que paraisse ce propos, Bergson, dont la visée est plus métaphysique que n'a cependant pas une approche essentiellement psychologique, lui aussi s'adresse à notre expérience intérieure, différente : mais au lieu d'y découvrir la multiplicité, il y aperçoit l'unité intuitive de la durée homogène du moi où se pénètrent intimement des états qui ne nous apparaissent successifs que parce que nos sensations successives « retiennent quelque chose de l'extériorité réciproque qui en caractérise objectivement les causes o sur les données immédiates de la 19e éd., 1920, conscience, (Essai p. 95). Cette démarche réflexive, tout à la fois psychologique dans ses analyses et philosophique dans sa visée, est toujours
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actuelle et elle peut être considérée comme une attitude permanente de l'esprit humain. De nos jours, elle est surtout repiésentée par l'école phénoménologique, qui, partant de notre expérience, essaye par une réduction transcendantale de la dépouiller de tout ce qui est contingent et de n'en retenir que la signification essentielle. Les phénoménologues se sont justement beaucoup préoccupés de l'analyse du temps. Husserl (1928), Heidegger (1927), Merleau-Ponty (1945), Berger (1950) ont fait ressortir que le temps n'est pas un objet, qu'il ne peut donc être ni une donnée, ni un contenant, ni un contenu. Le fait essentiel pour eux est la temporalité de la conscience que nous révèle notre unique expérience, celle du présent : celui-ci en effet n'existe qu'avec ses horizons puisqu'il est le présent d'un être en devenir. La conscience déploie le temps qui apparaît ainsi comme une dimension de notre être. * * * A partir du milieu du xixe siècle, nous assistons à la naissance d'une toute nouvelle approche du problème du temps : l'étude empirique de la précision avec laquelle les hommes perçoivent le temps. Sous l'influence de la psychophysique dont Fechner vient de mettre au point les méthodes, là psychologie du temps se transporte au laboratoire. Les premiers expérimentalistes se posent les problèmes classiques de la psychophysique : la loi de Weber s'applique-t-elle au temps ? Y a-t-il des erreurs constantes dans la perception du temps ? Quelle est l'influence du contenu des intervalles temporels sur la durée perçue, etc. ? En Allemagne les travaux se multiplient (Mach, 1865 ; Vierordt, 1868 ; Kollert, 1883 ; Mehner, 1883 ; Estel, 1885 ; Glass, 1887 ; Ejner, 1889 ; Munsterberg, 1889 ; Meumann, 1893-1896 ; Schumann, 1898). Au début, ils se situent sur deux plans à la fois. D'une part, au moyen d'expériences, les psychologues recherchent ce que le sujet perçoit en l'étudiant à travers ce qu'il fait (reproduction par exemple) ou ce qu'il dit (comparaison). D'autre part, comme les philosophes de leur époque, ils essayent d'atteindre, dans des protocoles introspectifs, les fondements de la conscience du temps. Le fait nouveau est que les expérimentalistes ne se
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contentent plus de leurs observations personnelles, mais qu'ils s'appuyent sur celles de leurs « sujets », le plus souvent choisis parmi des assistants ou des collaborateurs. Ces deux approches peu à peu se dissocient. Les travaux proprement introspectifs qui voudraient atteindre des contenus premiers, des expériences immédiates, se perdent dans le byzantinisme. L'introspection a beau se faire plus systématique avec l'École de Würzbourg, elle découvre que l'essentiel de la perception échappe justement à l'introspection. Par contre, de plus en plus se révèlent la cohérence et la fécondité des résultats proprement expérimentaux. Les psychologues, en outre, ne se contentent plus d'étudier la perception du temps chez des adultes cultivés, mais étendent leurs investigations aux animaux, aux enfants, aux malades mentaux. Si ces cas permettent d'étudier la perception grâce aux techniques du conditionnement ou même à travers des réponses verbales, ils interdisent en revanche l'évocation par le sujet d'une expérience consciente. De plus en plus s'impose un point de vue qui était implicite dès les premières expérimentations : l'important est d'étudier ce que l'homme fait en réaction aux situations dans lesquelles il se trouve. En dépit du simplisme des premiers behavioristes, la psychologie tout entière se transforme en science des conduites humaines dans le premier quart du xxe siècle. En ce qui concerne le temps, l'orientation de la psychologie nouvelle s'est trouvée fixée par la conférence d'Henri Piéron au Congrès international de Psychologie d'Oxford en 1923 et par le cours que fit Pierre Janet au Collège de France en 1927-1928 sur L'évolution de la mémoire et de la notion du temps. Piéron ne se préoccupait que d'explorer les problèmes psychophysiologiques de la perception du temps. Mais, à ce propos, il a été amené à définir une méthode générale : ces problèmes doivent être abordés « sur le terrain objectif de l'analyse de la conduite humaine vis-à-vis du temps » (1923, p. 1) (1). P. Janet, avec son originalité habituelle, a renouvelé les perspectives de l'étude du temps. Son premier cours affirmait (1) Cette orientation était féconde, non seulement pour l'étude des problèmes les plus personnelles, comme perceptifs, mais aussi pour celle de nos attitudes Piéron lui-même devait l'illustrer en 1945, dans une nouvelle conférence faite devant l'Association française pour l'Avancement des Sciences.
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que la psychologie a mieux à faire que de se centrer sur l'étude de la pensée ; elle doit partir de l'action. La seule question à se poser est la suivante : « Quelles sont nos actions sur le temps ? » Selon lui, le premier acte relatif au temps est la conduite d'effort d'où naît le sentiment de la durée, comme il naîtra aussi de la conduite d'attente. Ce sentiment n'est pas une action primaire mais une régulation de l'action, due à la nécessité de nous adapter aux changements irréversibles. Ainsi, si nous rencontrons une personne qui nous apparaît plus vieille qu'à notre précédente entrevue, nous prenons conscience qu'il s'est (?coul?,du La notion d'un temps entre ces deux rencontres. universel et dans se situent tous les temps homogène lequel résultat d'une de type est elle-même le conduite changements social : elle s'impose comme le cadre d'ensemble grâce auquel se crée une uniformité entre toutes ces durées individuelles qui sont évidemment, à l'origine, hétérogènes les unes aux autres. Ce n'est pas le moment de développer et de discuter la théorie même de P. Janet. Soulignons seulement l'originalité de sa visée. Le problème psychologique n'est plus de savoir ni ce qu'est le temps, ni la nature de notre idée de temps, ni même de saisir sa genèse dans quelque intuition ou quelque construction de l'esprit, mais de comprendre comment l'homme réagit à la situation qui lui est faite de vivre dans le changement. Les données de la conscience, loin d'être méconnues, y retrouvent leur signification réelle. Elles ne sont pas en effet quelque décalque de la réalité, mais « un ensemble de signes, de formules et d'interprétations commodes » (Wallon, 1930, p. 326), qui se dans même et qui, en retour, servent de l'action développent à notre activité à mesure guide que nous en prenons conscience. * * * Notre propre travail s'inscrit dans cette perspective. Sous la dénomination de « conduites temporelles », nous nous proposons d'étudier les différentes manières dont l'homme s'adapte aux conditions temporelles de son existence. Ces conditions temporelles, en première analyse, se ramènent toutes au fait que nous vivons dans des milieux physique, technique et social qui se modifient d'une manière incessante. Non seulement nous subissons ces changements, mais nous les
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créons car notre propre activité n'est elle-même suite qu'une de changements. il apparaît Sans préjuger de leur signification ultime, que les changements, continus ou soient discontinus, qu'ils périoLà où il y a chandiques ou non, ont tous un double caractère. il y a succession de phases d'un même processus ou gement, de divers processus concomitants. D'autre part, la succession à son tour l'existence d'intervalles entre les moments implique successifs. Ces intervalles sont plus ou moins longs ; nous disons en considérant ce qui en qu'ils sont plus ou moins durables, eux demeure relativement Ainsi parlons-nous de la inchange. durée du jour pour désigner la clarté qui s'étend entre la fin d'une nuit et le début de la suivante. Phases successives et intervalles sont évidemment relatifs au contenu du changement et à l'aspect sur lequel on fait, de Le jour est un intervalle entre préférence, porter son attention. deux nuits des mais, dans le jour même, je puis distinguer où se retrouvent successions et intervalles. L'imchangements est seulement de remarquer caractère portant que ce double est manifeste, observé et l'échelle quels que soient le phénomène à laquelle on le considère. A ces conditions nous réagissons de manières temporelles, très différentes. Il est possible de distinguer parmi nos réactions trois à trois niveaux groupes principaux qui correspondent 20 La 1° Le conditionnement aux d'adaptation : changements ; des 30 La maîtrise des perception changements; changements (1). 10 LE
CONDITIONNEMENT
AU TEMPS
Le premier niveau de l'adaptation se situe sur un plan bioest commun à l'animal et à l'homme. Les changelogique qui ments nous sommes à condition soumis, auxquels qu'ils aient des chanquelque régularité, engendrent, par conditionnement, de notre gements synchrones organisme. (1) Nous excluons de l'objet de ce travail nos réactions à notre propre changement à long terme, c'est-à-dire aux différents âges de notre vie. Cette étude ouvrirait une tout autre série de problèmes. Il y a en effet une psychologie de l'enfance, de l'adolescence, de la maturité, de la vieillesse, qui traite précisément des réactions propres à chaque âge face à son propre changement. Par contre, nous envisagerons systématiquement la manière dont nous nous adaptons aux changements de notre environnement à chaque âge de la vie.
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l'S )ClIOLOGŒ DU 'l'EIlIPS
Si les changements sont périodiques - et parmi ceux-ci le plus important pour l'homme est le cycle nycthéméral -, ils donnent naissance à des activités de notre organisme qui ont la même période. Leur régulation, d'abord exogène, devient peu à peu endogène, de telle sorte qu'ils dépendent relativement peu du milieu. Cette correspondance a pour effet d'harmoniser notre vie avec les changements les plus importants de l'environnement. En outre, les modifications de notre organisme, devenues périodiques, constituent une véritable horloge phycomme l'animal - utilise pour siologique, que l'homme son orientation temporelle, surtout quand lui font défaut les repères fournis d'ordinaire par les changements de son environnement (chap. I). Ces montages physiologiques apparaissent aussi dans les conditionnements retardés par lesquels les animaux s'adaptent à l'intervalle régulier qui sépare deux ou plusieurs changements. De même, le conditionnement instrumental révèle que l'animal est capable d'apprendre à tenir compte pratiquement d'un intervalle. Chez l'homme, ces enregistrements de la durée au niveau des réactions biologiques jouent aussi un rôle, mais il est le plus souvent masqué par les appréciations conscientes de la durée (chap. II). 2°
LA
PERCEPTION
DU
TEMPS
Dans des limites temporelles étroites sans doute, mais d'une grande importance pratique, nous percevons des changements. Cette perception se caractérise par une iniégration des stimulations successives qui permet de les saisir dans une relative simultanéité : les rythmes ou les propositions du langage en sont un exemple manifeste. Cette simultanéité définit le présent psychologique, à l'intérieur duquel nous percevons les caractères fondamentaux des changements : l'ordre des stimulations et l'intervalle qui les sépare (chap. III). Dans quelles conditions est-il possible, au sein du présent psychologique, de passer de la perception de l'instantané à celle du durable, et de la simultanéité au successif ? C'est là l'objet de notre chapitre IV. Quelles sont les modalités de notre perception de la durée ?
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INTRODUCTION
On ne peut les préciser qu'en étudiant les rapports de la durée perçue avec la nature de ce qui change et la structure des processus intégratifs de la succession (chap. V). LA
MAITRISEDU TEMPS
La pelception ne nous permet de saisir que les changements contemporains. L'homme échappe à cette limite parce qu'il est capable de se représenter ces changements ; il peut ainsi se situer par rapport à eux, les mettre en relation et les utiliser, dans une certaine mesure, à son avantage. Grâce à la mémoire, nous pouvons reconstituer la succession des changements vécus et anticiper les changements à venir. L'homme acquiert ainsi un passé et un avenir, c'est-à-dire un horizon temporel par rapport auquel son action présente prend tout son sens (chap. VI). La durée proprement dite se révèle à notre conscience à partir de nos sentiments du temps, qui se ramènent essentiellement au sentiment d'un obstacle : l'intervalle entre ce que nous faisons et ce que nous voudrions faire dans un avenir rapproché. D'autre part, cette durée est appréciée directement à partir du nombre des changements que nous y avons remarqués (chap. VII). La constitution d'un horizon temporel et l'appréciation de la durée n'impliquent pas une mise en relation complète de toutes les données d'ordre et de durée qui restent encore très intuitives. Cette relation se réalise à un niveau supérieur au moyen d'opérations intellectuelles qui sont à l'origine de notre notion du temps, trame abstraite de tous les changements. Nous pouvons alors mesurer le temps, reconstituer et utiliser le devenir sans être liés par ses qualités apparentes et en particulier par l'irréversibilité de l'ordre vécu (chap. VIII). * * * Justine) notre classification des conduites temporelles dès à présent serait anticiper sur tous les chapitres à venir. 11 est cependant utile, pour mieux faire ressortir la nature de notre démarche, de situer brièvement notre classification par rapport à celles qui ont été le plu> souvent proposées.
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS .--
Écartons d'abord toutes les classifications qui partent des différentes catégories du temps : temps physique, temps biologique, temps psychologique;'temps social, etc. Elles décrivent les différentes séries des changements, elles ne sont pas faites d'un point de vue psychologique. Dès que des psychologues ont abordé le problème du temps, on a vu naître une distinction fondamentale entre une expérience primaire de la durée, attribuée à un « sens du temps », et notre idée rationnelle du temps. Cette distinction a été à la fois reprise et transformée par Bergson, chez qui elle est devenue l'opposition entre la durée vécue et la durée pensée. Dégagée de ses implications métaphysiques, elle se retrouve, avec des nuances, dans tous les traités de psychologie, et en particulier dans les travaux de pathologie mentale (Straus, Minkowski, Ehrenwald). Les classifications qui partent d'une telle distinction sont liées à une psychologie qui n'étudie que les données de la conscience. En effet, elles opposent les manières dont nous croyons saisir le temps. Elles sont donc insuffisantes dans le cadre d'une psychologie de la conduite qui, comme on le sait, considère que nos prises de conscience ne sont qu'un moment - essentiel parfois - de nos actes. Sans doute nous mettrons à profit, dans notre recherche, les analyses qu'a suggérées la distinction entre le temps vécu et le temps pensé, mais l'angle de vue sous lequel nous les envisagerons, c'est-à-dire l'adaptation aux changements, leur prêtera une autre signification. De plus, la distinction précédente, en se limitant aux états de conscience, méconnaît nos adaptations de type biologique ainsi que leurs conséquences sur le plan proprement psychologique. En revanche, ces adaptations, après avoir été étudiées par des psychophysiologistes, comme Pavlov et Piéron, figurent dans la classification proposée par le neuropsychiatre allemand Kleist (193,1,).S; fondant sur la diversité des centres nerveux impliqués dans les troubles pathologiques relatifs au temps, Kleist distingue : 10 1,'enregistrement du temps, base de l'orientation temporelle, qui dépend des noyaux et des centres végétatifs de l'hypothalamus : 2° L'appréciation de la longueur du temps qui pourrait être liée à l'activité des centres vestibulaires ; 3° La saisie des structures temporelles qui est en rapport avec les centres corticaux.
INTRODUCTION
-
1.5
Cette classification est très intéressante et recoupe la nôtre en plusieurs points. Toutefois, outre que le rôle des centres vestibulaires dans l'appréciation de la durée n'a pas été confirmé, elle a l'inconvénient de ne pas distinguer assez les conduites qui dépendent d'une manière étroite de l'activité du cortex cérébral, par exemple la perception des structures temporelles, et l'élaboration de la représentation du temps qui, elle, ne peut être étroitement localisée. Notre propre démarche est plus fonctionnelle. Nous nous sommes proposé de différencier nos processus d'adaptation aux changements en nous appuyant sur des critères tirés de la physiologie, de la pathologie, de la psychologie génétique, aussi bien que de l'analyse des fonctions psychologiques. Mais, tout en utilisant ces diverses disciplines, nous sommes resté fidèle à la méthode de la psychologie du comportement ; à travers elles, nous avons cherché à cerner ce que l'homme fait pour connaître le temps, l'utiliser et se situer dans l'universel changement qui l'entraîne.
PREMIÈRE
PARTIE
LE CONDITIONNEMENT
AU TEMPS
Les changements du monde extéiieur ne provoquent pas seulement des réactions qui répondent immédiatement à chacune de leurs phases. L'ordre et la périodicité de ces changements induisent dans les organismes des séquences de modifications physiologiques et de comportements qui présentent les mêmes caractères temporels. Ces séquences sont telles qu'il suffit qu'un premier changement soit donné pour que tous les suivants se reproduisent dans le même ordre et aux mêmes intervalles temporels. Le temps intervient en ce cas comme un véritable stimulus conditionnel. Sous l'influence des changements périodiques, l'organisme devient ainsi une véritable horloge physiologique qui fournit des repères à l'orientation temporelle de l'animal comme de l'homme (chap. I). L'aptitude de l'organisme à reproduire des séquences régulières subies ou créées par l'activité du vivant permet l'appréciation de la durée, comme on le constate dans le conditionnement retardé ou dans le conditionnement instrumental (chap. II). Le conditionnement au temps explique comment l'animal s'adapte aux changements grâce à des conduites temporelles. L'homme utilise aussi ces montages biologiques dans l'orientation temporelle et dans l'estimation de la durée, mais intégrés dans des conduites plus complexes où intervient la connaissance symbolique des changements.
l'. PHAISSb:
2
CHAPITRE
L'ADAPTATION
PREMIER
AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES
La plupart des changements de la nature sont périodiques, et cette périodicité est en relation le plus souvent avec les positions successives des astres. Marées, nycthémères, lunaisons, faisons ponctuent le milieu dans lequel vivent les organismes. Il se trouve que ceux-ci présentent aussi de nombreux phénomènes périodiques : battements du cœur, cycles respiratoires, rythmes de l'appareil digestif, du sommeil, cycles menstruels, rythmes saisonniers de la vie végétative, de l'activité sexuelle, des migrations, etc. Parmi les phénomènes périodiques de la vie organique, certains sont endogènes et sans rapport avec les alternances de la nature. Ainsi en est-il du rythme des ondes cérébrales, de celui du cœur, et même de celui de la respiration. D'autres changements organiques ont une période qui coïncide avec un phénomène naturel, sans qu'il ait été possible de mettre en évidence une relation de cause à effet : le cycle menstruel de la femme a par exemple la même alternance que la révolution de la lune. Mais il n'est pas exclu que ce qui nous apparaît pure coïncidence soit dû à l'action d'un agent qui n'a pas été encore découvert, ou encore à une rémanescence d'un effet survenu au cours de l'évolution. Enfin, 'parmi les activités périodiques des organismes, beaucoup sont induites par les variations périodiques auxquelles ces organismes sont soumis, variations de l'éclairement, de la température, de l'humidité, etc., commandées par les rythmes du cosmos. Ainsi de nombreux animaux ont une activité diurne et un repos nocturne. Quelques-uns ont le comportement inverse. Toute la nature suit le cycle des saisons, en relation avec les positions relatives de la terre et du soleil. Le fait capital est
2U
PS}?CHOLUGIEDU TEMPS
que, non seulement ces rythmes cosmiques commandent des activités réactionnelles, mais que, dans nombre de cas, ils engendrent une véritable périodicité qui s'intègre en quelque sorte à l'organisme des êtres vivants. Celui-ci devient capable d'anticiper les changements du milieu à tel point que, si on supprime l'action de l'agent inducteur, les rythmes induits continuent pendant un certain temps à se produire. D'exogène, la périodicité est devenue, par induction, endogène. Empruntons à la psychologie animale deux exemples bien étudiés pour faire comprendre ce phénomène. Les Convoluta, ces petits vers plats qui forment de grandes plaques vert foncé sur le sable humide des plages à marée basse, s'enfoncent dès que se produit l'agitation de la marée montante. Ces réactions géotropiques, tour à tour négatives et positives, synchrones du rythme des marées, ne se produisent pas chez de jeunes animaux élevés en aquarium (Martin, 1900). Si, par contre, des vers qui ont subi pendant un certain temps l'action des marées sont ensuite placés en aquarium, pendant les premiers jours, ils s'enfoncent et ressortent du sable comme s'ils subissaient encore le jeu des marées (Gamble et Keeble, 1905). Le ver luisant (femelle aptère de Lampyris noctiluca), qui allume son fanal la nuit pour appeler les mâles et qui l'éteint le jour, même si on le place à l'obscurité d'une manière permanente, continue à ne briller que la nuit pendant quatre à cinq jours. Peu à peu, dans cette nouvelle situation, l'alternance disparaît et l'animal reste allumé constamment mais avec une intensité plus faible (Piéron, 1925). Ces activités périodiques ne sont donc pas simplement des réactions réflexes concomitantes à des stimulations liées au rythme des marées ou du nycthémère, puisqu'elles subsistent quelque temps encore si on supprime la cause directe. D'autre part elles ne sont pas d'origine endogène puisqu'elles cessent peu à peu dès que ces organismes ne subissent plus de changements périodiques. La persistance rythmique, selon l'expression d'H. Piéron (L'évolution de la mémoire, 1910), apparaît alors comme un effet de l'expérience et une adaptation par anticipation aux changements (1). Il s'agit bien là d'une conduite (1) Ce chapitre doit beaucoup aux travaux d'H. Piéron qui, tout au long de sa carrière, s'est intéresse à ces phénomènes. Voir en particulier Piéron, 1910, 1937, t9t5.
L'ADAPTATION
AUX
CHANGEMENTS
PÉRIODIQUES
z
21
au sens où nous avons défini ce terme dans l'introtemporelle, d'une modalité de l'adaptation au duction, puisqu'il s'agit D'ailleurs auteurs souvent ces faits les interprètent changement. « sens du temps ». en invoquant un certain Avant de développer toutes les conséquences de ces persistances rythmiques, si ces phénonous avons à nous demander mènes ne sont que curiosités de naturalistes. Nous verrons aisément leur importance, non seulement mais chez les animaux, chez l'homme, une explication. et nous en chercherons 1 LA VARIÉTÉ
DES ADAPTATIONS
PÉRIODIQUES
Les variations se rencontrent dans le périodiques déjà De nombreuses fleurs s'épanouissent à des heures règne végétal. déterminées de la journée. Linné, à partir de cette constatation, avait des de Flore où chaque heure était planté Horloges des fleurs différentes. Ainsi le liseron des indiquée par prés s'ouvre vers 3 h, le nénuphar blanc à 7 h, le souci à 9 h, la belle-de-nuit à 18 h, etc. (Bonnier Piéron, 1910, p. 51). d'après Les feuilles des légumineuses ont une position diurne et une nocturne. a été étudiée Cette alternance, position qui depuis est innée. En effet, si on laisse une plante de haricot, longtemps, dans des conditions de milieu, et en constantes par exemple, à un Bien mieux, elle continu, particulier éclairage persiste. a montrer si le Bünning (1935) rythme prédominant pu que, de cette espèce était du type 12-12, cependant certaines variétés avaient un rythme de 23 h et d'autres de 26 h, la période propre d'une variété étant constante et transmissible par hérédité. à notre point de vue, c'est que seule Mais ce qui est intéressant l'alternance semble être de nature les variations endonome, du nycthémère entraînant la synchronisation propres proprement dite. En effet, le rythme du mouvement des feuilles peut être inversé si on utilise un éclairage artificiel la nuit pendant et qu'on laisse de jour les plantes dans l'obscurité. Cependant on peut aussi, par des alternances et d'obscurité, d'éclairage arriver à obtenir des rythmes de 6 h (3-3), de 12 h (6-6) ou même de 36 h (18-18) (Pfeffer, Piéron, 1915, d'après 1937). Mais si on replace la plante à éclairage ces rythmes constant, acquis
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PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS
et c'est la périodicité de 24 h (12-12) qui se manis'estompent feste à nouveau. D'une manière les expériences de Darwin et plus générale, Peitz (citées par Piéron, ont démontré la possibilité ibid., 1910) d'induire des rythmes chez les persistants végétaux par l'action la de lumière de ou la périodique pesanteur. Chez les animaux, les faits sont encore et plus frappants très généraux. Il n'y a guère d'espèce où on n'ait pu mettre en évidence des rythmes des rythmes saisonniers, nycthéméraux, et plus généralement des rythmes c'est-à-dire des circadiens, dont la période est d'environ 24 h (Halberg, rythmes 1960). Ces rythmes sont-ils ou exogènes ? On en disendogènes cute beaucoup. Ils persistent le plus souvent après cessation des stimulations Mais sommes-nous sûrs périodiques exogènes. de connaître toutes ces stimulations ? Nous pensons toujours à la lumière, à la température, mais nous sommes aussi sensibles à la pesanteur et peut-être à des forces ou magnétiques D'autre ces existent-ils à la électrostatiques. part, rythmes naissance ? Se développent-ils maturation ou sont-ils le par de l'expérience ? d'auteurs produit Beaucoup pensent aujourd'hui que de nombreux sont endogènes, tout en subisrythmes sant dans certaines limites l'action de « synchrotemporelles niseurs ». L'induction dans certains cas, semble rythmique, entièrement des conditions de provoquée par la rythmicité du temps ces conditions ont seulement vie, mais la plupart une nécessaire alternance pour effet de régler temporellement de périodes de veille et de sommeil, d'activité et de repos à laquelle ne peut se soustraire, sous peine de mort, aucun Les se caractérisent essenorganisme. rythmes nycthéméraux tiellement la de cette alternance avec la par synchronisation succession du et de la nuit. Cette induction régulière jour commence à la naissance de l'animal. Ainsi l'embryon de activité et même le poulet n'a aucune rythmée jeune poussin en lumière maintenu n'a pas un cycle d'activité constante Par contre, s'il est soumis à des alterréglé sur le nycthémère. nances et d'obscurité, son comportement suit ce d'éclairage et Kayser, de celui-ci rythme (Hiebel 1949). La périodicité ne peut pas cependant être quelconque. De nombreuses expériences ont montré les animaux qu'il était plus facile d'adapter élevés dans des conditions à un rythme artificielles de. 24 h
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES
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qu'à un autre, et plusieurs auteurs, dont Kayser (1952), pensent qu'il y a une prédisposition héréditaire pour un rythme de 24 h. Celle-ci serait aussi confirmée par le fait qu'il est plus facile d'inverser le rythme nycthémsral de la température du pigeon (Kayser, 1952) ou celle de l'activité du rat blanc (Hunt et Schlosberg, 1939 b) que d'en changer la période. Toutefois, dans certains cas, on a pu obtenir des rythmes dont la période est un peu plus longue. Il a été ainsi possible de créer chez des rats blancs des périodes d'activité de 16 h faisant suite à des périodes de repos de même durée (Hunt et Schlosberg, 1939 b). Malgré quelques dressages exceptionnels de ce genre, on peut affirmer qu'aucun animal n'échappe à la forte emprise du rythme nycthéméral, sauf peut-être les poissons des grandes profondeurs : on a pu constater chez eux des phases de sommeil qui peuvent se succéder à des intervalles très supérieurs à 24 h (Piéron, 1912). Il n'y a d'ailleurs pas que l'activité ou la température du corps qui varient quotidiennement. De nombreuses activités physiologiques ont un rythme circadien dont les phases correspondent ou non à celles du nycthémère. Ces exemples montrent comment la périodicité des changements extérieurs peut moduler temporellement des phases de l'activité qui, dans leur principe même, correspondent à une nécessité biologique. A côté de ces rythmes globaux de l'activité, on constate, en particulier chez les insectes, des activités qui se reproduisent toujours à la même heure et qui sont entièrement le fruit d'une expérience acquise. Si les abeilles trouvent à la même place et à la même heure de la nourriture pendant plusieurs jours de suite, elles se présentent par la suite tous les jours à cette même heure ; ce mouvement continue pendant plusieurs jours après que l'on ait supprimé la nourriture. Le dressage peut être fait simultanément à plusieurs heures de la journée (Beling, 1929) ; il peut même réussir si on place de la nourriture à deux places différentes à quelques heures d'intervalle (Wahl, 1932) (1). Ce sens de l'heure se retrouve dans (1) Grabensberger (1933)avait cru constaterles mêmesfaits chezles fourmis. MaisReichle,en 1943,a montréquel'activitédesfourmisà la recherchede la nourriture était en relationdirecteavecles conûitionsclimatiques.Dobrzanski(1956) a reprissystématiquement les expériences de Grabensberger et il a montréquel'on trouvaitaprèsl'expositionde la nourritureà une heuredonnée,pendantplusieurs un du dressagequ'à en même la même densité de fourmis à l'heure semaines, lieu, d'autresheuresde la journée.
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
d'autres espèces. Des poissons se rendent tous les jours au même lieu à l'heure où on les nourrit (Braunschmid, 1930) et des oiseaux manifestent une recrudescence d'activité peu avant l'heure de leur repas (Stein, 1951). Dans tous ces exemples, le déclenchement de l'activité se fait à un ou plusieurs moments homothétiques du nycthémère, et il n'est pas exclu a priori que des repères extérieurs puissent jouer un rôle. Mais si dans la vie normale ces derniers sont utilisés, on a cependant prouvé qu'ils n'étaient pas essentiels. Ainsi les abeilles ont pu être dressées à venir chercher leur nourriture toutes les 21 h, ce qui exclut l'utilisation de repères du monde extérieur (Beling, 1929). Plus décisive encore est l'expérience de Renner (1955). A Paris, des abeilles ont été entraînées à venir chercher leur nourriture dans une pièce expérimentale à une heure déterminée de la journée. Puis entre deux repas on les a transportées en avion de Paris à New York. Placées dans une pièce expérimentale identique et privées de nourriture, les abeilles se sont présentées les jours suivants pour chercher de la nourriture à l'heure de Paris sans tenir compte du décalage d'heure entre Paris et New York. L'expérience reprise de New York à Paris a donné le même résultat. Elle prouve que l'abeille est guidée par un repérage interne indépendant des conditions extérieures. Ce repérage doit être fourni par les variations périodiques induites dans l'organisme par le rythme nycthéméral. Si on essaie en effet de dresser des animaux à une période de temps supérieure à 24 h, il y a échec (Stein, 1951), parce que sans doute ils ne peuvent plus trouver de repères ni extérieurs, ni intérieurs. L'existence d'une horloge interne a été aussi mise en évidence dans les études sur l'orientation « astronomique o des arthropodes et des oiseaux, dont Medioni (1956) a fait une revue critique. De nombreuses expériences ont montré que des insectes, des crustacés, des oiseaux étaient capables de se diriger dans une direction donnée de la rose des vents en se guidant seulement d'après la position du soleil. Pour que ce comportement soit constant, il faut évidemment que l'animal tienne compte de l'heure puisqu'il apporte une correction à l'évolution des positions du soleil dans la journée. Ainsi des abeilles qui ont été dressées pendant un après-midi à aller chercher de la nourriture à l'ouest repartent le lendemain matin dans cette direc-
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES 25 _____ntion de l'ouest, même si dans la nuit on a transporté leur ruche dans un tout autre paysage et si on a orienté différemment le trou d'envol (von Frisch et Lindauer, 1954). Un étourneau peut être aussi dressé à chercher sa nourriture dans des mangeoires situées à l'est, quelle que soit l'heure de la journée. Cette régulation par une horloge physiologique est particulièrement manifeste quand on crée un décalage entie les indications qu'elle fournit et les positions du soleil. Si la cage de l'étourneau, dressé à s'orienter vers l'est à la lumière du jour, est placée dans un sous-sol obscur au centre d'une tente circulaire de toile blanche qui diffuse la lumière d'un projecteur électrique jouant le rôle d'un soleil artificiel, l'animal, à l'heure habituelle des expériences, s'oriente vers l'est, sa direction faisant avec celle du soleil artificiel le même angle qu'avec le vrai soleil. Si, quelques heures plus tard, on recommence l'expérience, le projecteur étant resté dans la même position, l'animal commet une erreur vers l'ouest : il a apporté une correction à la position du soleil, comme si celle-ci avait varié. Mais comme le soleil artificiel est resté fixe, il se trompe (Kramer, 1952). Inversement, on peut prouver l'existence de l'horloge interne en la déréglant. Après avoir dressé des étourneaux à s'orienter vers l'un des points cardinaux à n'importe quelle heure de la journée, on les soumet à l'influence continuelle d'un jour artificiel constitué comme suit : une alternance d'éclairement et d'obscurité reproduisant fidèlement le rythme nycthéméral, mais avec un décalage de 6 h par rapport au soleil. Si au bout de quelques jours on soumet les étourneaux à des expériences d'orientation à la lumière du jour, on constate qu'à 15 h, par exemple, ils s'orientent comme s'il était 9 h du matin. Leur erreur résulte évidemment du décalage de leur horloge interne qui s'était adaptée au nouveau rythme (Hoffmann, K., 1954). Le montage de ces horloges physiologiques implique que les organismes aient la propriété de s'adapter à des changements réguliers. Des expériences faites dans des conditions artificielles démontrent que cette propriété est assez générale et que l'on peut conditionner un animal à des périodes sans rapport avec les changements du milieu naturel, pourvu qu'elles soient inférieures à 24 h. Cette mise en évidence a été surtout l'eeuvre de Pavlov, de ses élèves et de son école, oeuvre qui peut être
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l'SYCHUUJGIE D 1 ' TEMPS
abordée par l'ouvrage de Pavlov, Leçons sur l'activité du cortex cérébral (1929), et par l'article de Dmitriev et Kochigina (1959). Dès 190î, Zelcnnji applique une combinaison d'un son et de nourriture toutes les 10 mn à un chien et découvre qu'après un certain nombre de répétitions le réflexe conditionné salivaire se produit régulièrement à la fin de l'intervalle de 10 mn. Feokritova, en 1912, devait étudier les lois précises de ce phénomène sur lesquelles nous allons revenir (p. 39). Mais le phénomène n'est pas limité au réflexe salivaire. Beritov (1912, d'après Dmitriev et Kochigina, 1959) a montré que l'on pouvait aussi conditionner des réflexes défensifs moteurs. Ainsi, si on donne un choc électrique sur la patte avant d'un chien toutes les 5 mn, après 40 répétitions on constate que l'animal, une minute avant la stimulation suivante, semble se réveiller, remue la tête et lève la patte. Mais ce réflexe ne s'établit pas d'un seul coup et les réactions sont d'abord réparties pendant tout l'intervalle entre les deux stimulations pour se concentrer peu à peu vers la fin de l'intervalle. Bykov et ses collaborateurs ont enfin démontré, depuis 1936 (d'après Dmitriev et Kochigina, 1959), que l'on pouvait conditionner au temps les changements du métabolisme (réactions aux changements de température par exemple). Toutes ces réactions sont comparables à celles des abeilles de Beling. Des changement, périodiques induisent un rythme de comportement. On peut même dresser des animaux à des périodicités complexes. Si ou donne de la nourriture à des pigeons selon le schéma temporel suivant : nourriture, 15 s; pause, 30 s; nourriture, 15 s ; pause, 90 s, en recommençant plusieurs fois ce cycle plusieurs jours de suite, on constate - grâce à l'enregistrement actographique que l'animal reste calme pendant les pauses, mais commence à remuer à la fin des périodes de repos, anticipant ainsi l'arrivée de la nourriture. Lorsqu'on cesse de leur offrir de la nourriture, les pigeons continuent pendant la durée de plusieurs cycles à présenter la même structure de comportement (Popov. 1950). * * * I "homme a été, du point de vue de ses adaptations aux périodicités cosmiques, relativement moins étudié que les animaux ou les végétaux. Il est vrai qu'il est plus difficile
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES
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d'expérimenter sur lui et de le soumettre à des conditions totalement artificielles. D'autre part, comme nous aurons l'occasion de le souligner maintes fois, ses modes d'adaptation sont variés ; ils peuvent se renforcer, mais aussi se compenser, au point de masquer des faits essentiels. L'observation courante nous révèle cependant l'importance dans nos vies du rythme nycthéméral. La plus grande partie de l'humanité dort pendant la nuit et travaille pendant le jour. Ici encore le rythme de la lumière modèle une nécessité organique, car l'homme ne peut se passer de faire succéder le sommeil à l'activité, même s'il peut modifier assez largement - dans les cas exceptionnels - la périodicité de cette alternance. Dans ce cadre général, les adaptations restent individuelles. Beaucoup de gens se réveillent à peu près à heure fixe et une variation accidentelle et importante de l'heure de leur coucher n'y change rien. L'heure du réveil n'est pas alors déterminée par la quantité de sommeil, mais par l'habitude. Depuis que les transports en avion permettent de changer rapidement de pays distants de plusieurs fuseaux horaires, de nombreux voyageurs ont remarqué que pendant plusieurs jours après un déplacement leur sommeil était perturbé et que, par exemple, s'ils venaient de France, ils avaient tendance au début de leur séjour en Amérique (où le soleil se lève quatre à cinq heures plus tard) à se réveiller beaucoup trop tôt. Depuis longtemps d'ailleurs, on sait que le pouls, la pression sanguine et surtout la température du corps présentent des variations nycthémérales chez l'homme comme chez de nombreux animaux. La différence de température chez l'homme est presque d'un degré entre le minimum de la nuit et le maximum de l'après-midi. Dès 1875, les physiologistes pensèrent que ce rythme était induit par les alternances de la lumière et de l'obscurité entraînant des alternances d'activité et de repos ; il était donc possible de le renverser en substituant, une activité diiiine à une activité nocturne ; mais les résultats restèrent très controversés jusqu'aux expériences de Toulouse et Piéron qui constatèrent, en 1907, l'inversion de la température chez les infirmières passant d'un service de jour à un service de nuit. Cependant cette inversion fut progressive et ne fut complète qu'au bout de trente à quarante jours. Dans les premières semaines, l'ascension de la température, habituelle auparavant
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
pendant la matinée et le début de l'après-midi, s'atténua peu à peu, puis se transforma en une baisse de plus en plus rapide (Toulouse et Piéron, 1907). Des voyageurs au long cours ont pu constater une modification progressive du rythme de leur température. Ainsi, Osborne, parti par bateau de Melbourne pour l'Angleterre, constatait, après un voyage de six semaines, que le maximum de sa température avait été chaque jour situé vers 18 h, alors - heure de que 18 h à l'arrivée correspondait à 4 h du matin Melbourne. L'inversion avait été complète (Osborne, 1907). « Le fait de l'inversion prouve que le rythme est fonction des conditions de vie, de l'activité physique et mentale qui, normalement, présente son maximum à un moment déterminé par les conditions cosmiques, c'est-à-dire par l'éclairement solaire, mais avec modifications d'origine sociale, entraînant ce fait que le maximum se produit bien plus tard dans les villes que dans les campagnes ; on ne peut donc invoquer une périodicité fondamentale. « Et en revanche, les difficultés, la lenteur de l'inversion indiquent que le rythme a bien été acquis, qu'il tend à persister dans sa périodicité, s'opposant à l'établissement de la périodicité nouvelle, en sorte qu'à chaque instant il s'établit un compromis entre l'action passée, le souvenir, de plus en plus faible, et l'action actuelle de plus en plus forte » (Piéron, 1910, pp. 89-90) (1). Les controverses qui précédèrent l'expérience de Toulouse et de Piéron ne cessèrent pas immédiatement, car les résultats sont parfois contradictoires. Chez ceitains individus, il semble que cette inversion ne se produise pas (Regelsberger, 1940), alors que chez l'animal elle est toujours possible. Peut-être un facteur interne, d'ordre psychique, expliquerait-il ces excepdans les étudesqui ont été faites sur (1) Ceslois trouventune confirmation les travailleursde nuit. Ceuxqui changentd'horairede travail chaquesemaine ont unetempératureirrégulière. Lesfemmesqui travaillenttonteslesnuits,comme les gardesde nuit des hôpitaux,dormentmal pendantles premièresnuits de leur congéannuel,ce qui montrequ'ellesont besoind'un certaintempspourse réhabituer à un autre rythmed'activité-repos. _ indirectede l'adaptationaux changementspériodiques, Enfin, conséquence modifiés lestravaillenrsde nuit, dontlesrythmesphysiologiques sontconstamment sont aussiceuxchezqui on observele plusd'affectionsliées par les circonstances, affections à des troublesneuro-végétatifs états anxieux, respiratoires, (névrose, troublesdigestifs)(d'aprèsKleitman,1939,Neulat,1950,Hadengue,1962).
L'ADAPTATiON AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES
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tions. En effet, si la vie psychique s'affaiblit, la plasticité aux influences extérieures semble devenir plus grande. Ainsi chez un oligophrène, microcéphalo-acromégalique, il a été possible d'obtenir en six jours seulement une double inversion quotidienne de sa température, en le faisant vivre à la lumière de 6 h à 12 h et de 18 h à 24 h, et en le maintenant à l'obscurité de 0 h à 6 h, et de 12 h à 18 h. La température a baissé de 0 h à 6 h, monté de 6 h à 12 h, baissé à nouveau de 12 h à 18 h et remonté de 18 à 24 h. Toutefois, en poursuivant l'expérience pendant un mois, on a constaté de grandes irrégularités et la réapparition de l'inversion simple, c'està-dire d'un rythme plus fondamental de 12/12 (Burckard et Kayser, 1947). Non seulement l'inversion de la température est possible, mais on peut, chez certains sujets, obtenir un nouveau rythme de la courbe de la température à des périodes un peu différentes de celle du nycthémère. Kleitman a ainsi fait vivre à un de ses collaborateurs une semaine de 8 jours (15 h de veille et 6 h de sommeil), puis une semaine de 7 jours (17 h de veille et 7 h de sommeil), enfin une semaine de 6 jours (19 h de veille et 9 h de sommeil). Dans les trois cas, la courbe de température a suivi le rythme de l'activité, mais il faut aussi noter que Kleitman (1939) a échoué en reprenant l'expérience sur luimême. Aux phases de l'activité n'est pas seulement lié le rythme de la température, mais celui de nombreuses fonctions physiologiques : la glycémie, le taux de la calcémie et de la protéinémie, le taux des lymphocytes, la sécrétion rénale, les fonctions biliaire et glycogénique du foie (Kayser, 1952) Ainsi, tout l'organisme humain, aussi bien dans la vie de relation que dans la vie végétative, participe au rythme nycthéméral (1). Ces rythmes sont induits. Rien ne le prouve mieux que l'étude du développement de l'enfant. Chez le foetus comme chez le nouveau-né, on n'observe aucune forme de cycle nycthéméral ni dans l'activité, ni dans les fonctions physiologiques. Le (1) Cerythmeexpliquesansdouteles variationsdiurnesde l'estimationde la durée misesen évidencepar la méthodede production.Aux périodesd'activité correspondla productionde duréespluslongues.Lesvariationssont inverseschez ceuxqui sont actifsde jour ou actifsde nuit (Thor,1962).
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sommeil du nouveau-né est polyphasique et les périodes de sommeil sont très nombreuses sans préférence pour la nuit. Le développement se fait par unification des périodes de sommeil qui deviennent de moins en moins nombreuses et de plus en plus longues par suite d'ml processus de maturation. Mais les habitudes sociales liées à la succession des jours et des nuits jouent un rôle prépondérant dans la localisation de ces périodes de sommeil et de veille ; dès la fin de la première semaine de la vie, le sommeil nocturne commence à l'emporter sur le sommeil diurne (Gesell, 1953, pp. 153-168). Le rythme de la température s'établit, lui, plus lentement ; il n'est bien différencie qu'au cours de la seconde année (Kleitman, Titelbaum et Hoffmann, 1937). Le facteur fondamental de ces inductions paraît être l'établissement d'un rythme périodique de l'activité et non l'influence directe d'un agent comme la lumière ou l'obscurité. D'ailleurs les aveugles-nés ne manifestent-ils pas exactement les mêmes rythmes (Remler, 1949) ? L'adaptation à une périodicité apparaît aussi dans le cycle des repas. Dans notre pays tout au moins, on habitue les enfants, dès leur naissance, à des repas espacés de 3 h en 3 h en leur faisant manquer un repas au cours de la nuit. La plupart des enfants en bonne santé s'habituent très vite à ce rythme complexe, dans le mois qui suit leur naissance. Marquis (19441) a étudié cette acquisition expérimentalement et a mis en évidence des faits très intéressants. Trois groupes d'enfants avaient été placés à leur naissance dans des lits actographiques leur activité. Les permettant d'enregistrer quantitativement enfants d'un premier groupe furent soumis à leur rvthme propre, c'est-à-dire nourris chaque fois qu'ils réclamaient par leurs cris. Ce rythme propre s'est révél° être en moyenne de 3 h 2 mn. Les enfants d'un autre groupe furent nourris régulièrement toutes les 3 h, et ceux du troisième groupe toutes les 4 h. Pour ces deux groupes, la courbe de l'activité des enfants s'est régularisée au cours des huit premiers jours. Après le repas, l'activité décroît, passe par un minimum et recommence à croître avant l'heure du repas. Mais l'activité croît plus chez les enfants habitués au rythme de 4 h que chez ceux qui sont soumis au rythme de 3 h, ce qui est normal, puisqu'il semble que le rythme naturel du besoin de nourriture soit très légèrement supérieur à 3 h, mais inférieur à 4 h. Chez ces enfants habitués au rythme
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AUX CIlANGEi1rŒNT."; l'ÉRlOD1QUES
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de 4 h, on a constaté d'ailleurs que l'activité de commençait à partir du sixième jour plus en plus tard et ne se manifestait un jeûne de 3 h 30 mn. D'autre qu'après part, les enfants 3 h mis le neuvième au de furent jour au rythme adaptés rythme de 4 h. Ils montrèrent alors une grande activité entre la troisième et la quatrième heure de chaque cycle, activité très supeerieure à celle des enfants qui avaient été nourris depuis le début au rythme de 4 h. Ce phénomène manifeste nettement qu'ils étaient déjà adaptés à un rythme de 3 h. Cette adaptation très précoce au rythme de 3 h aussi bien qu'à celui de 4 h pose la question, sur laquelle nous allons revenir, des mécanismes On sait que chez le nouveau-né physiologiques sous-jacents. les intégrations au niveau cortical ne sont pas possibles puisque les fibres des cellules corticales ne sont pas myélinisées et que le réseau de leurs interconnections ne s'est pas encore déveinfracortical centre loppé ; Marquis pense qu'un règle cette très adaptation primitive. Les périodicités que nous avons envisagées jusqu'à maintenant sont surtout en relation avec les grandes activités bioloactivité, repos, repas. Dans tous ces giques de l'organisme : cas, une alternance nécessitée par des besoins organiques entre en synchronisation avec des changements périodiques du monde extérieur. Mais chez l'homme, comme chez le végétal ou l'animal, on peut aussi induire des rythmes sans relation avec des alternances Si on donne à une personne un léger organiques. choc électrique, on constate une réaction réflexe, dite psychode la résistance apparente de la galvanique, par diminution elle-même en relation avec une activation peau, sympathique. Répétons ce choc toutes les 8 s pendant un certain temps. Au moment où on cesse les chocs, il se produit encore chez certains individus une ou plusieurs réactions à intervalles d'environ 8 s, ce qui prouve qu'un rythme de réactions neuro-végétatives avait été induit (Fraisse P. et Jampolsky M., 1952) (1). Tous les exemples typiques que nous avons choisis manifes(1) En réalité, les faits sont plus complexes.Les chocsélectriquesrépétés déter-
minent une double des réactions série de réactions réflexes psycho-galvaniques : au choc lui-même, et des réactions le choc et que nous avons interqui précèdent la des réactions cessation des on constate comme chocs, prétées d'appréhension. Après et des réactions et des réactions réflexes. qu'il y a eu induction d'appréhension Celles-ci sont cependant mieux définies chez les personnes qui ont moins de réactions d'appréhension.
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l'SYG'HOLOGIF'DU 1'EMI'S
tent donc bien que l'induction de changements périodiques, au niveau des réactions physiologiques ou de l'activité, est une loi très générale des organismes. Les rythmes de l'environnement déterminent des rythmes qui sont d'abord exogènes, mais qui deviennent de véritables rythmes endogènes, puisque la conduite anticipe la présence du stimulus, et que ce rythme demeure pendant quelque temps quand cesse la cause qui l'a engendré. Pour mieux saisir ce phénomène, il faut nous interroger maintenant sur ses mécanismes. II LES LOIS DES ADAPTATIONS PÉRIODIQUES Pour comprendre l'induction des rythmes par les changements périodiques, il faut se rappeler que la rythmicité semble caractéristique du fonctionnement du système nerveux. Cette propriété s'étend sans doute à d'autres tissus, surtout dans les organismes moins différenciés, mais, notre but étant de comprendre les conduites humaines, nous pouvons négliger cet aspect du phénomène. Trois rythmes endogènes rapides sont particulièrement frappants. Ce sont ceux du cœur, de la respiration (1) et de l'activité électrique du cerveau. Dans les trois cas, on a pu démontrer que ces rythmes n'étaient pas des réponses périodiques à des excitations périodiques ; les excitations qui agissent su-reux ont seulement pour effet d'accélérer ou de ralentir une pulsation des centres nerveux. On constate en outre que des tissus nerveux qui n'ont pas une rythmicité spontanée répondent cependant rythmiquement quand ils sont excités d'une manière continue. Ainsi en est-il des centres réflexes, des fibres sensorielles et des fibres motrices (Fessard, 1931 et 1936). Centres et fibres dans tous les cas manifestent qu'ils ont une période propre de réponse, le rythme de la réponse ne correspondant que dans certaines limites au rythme ou tout simplement à l'intensité de la stimulation. (1) Il semble,en effet,quelescentresnerveuxde la respirationont leurpériode « contrôlée proprequi seraitseulement » parles variationsde la teneurdu sangen acidecarbonique.Adrianet Buytendijk(1931)ont montré,par exemple,que l'on dans les centresrespiratoiresdes poissons,des alternancesd'activité, constatait, même si on préservaitcescentresde toute influencedes variationsde l'oxydation du sang.
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES
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Un bel exemple est fourni par le scratch reflex du chien. Comme Sherrington l'a montré, une simple excitation peut déclencher une série de mouvements périodiques qui ne peut s'expliquer par l'induction successive, puisque ce réflexe se produit même si on a sectionné les voies afférentes des muscles intéressés. Il faut penser alors que c'est l'activité répétitive d'un centre qui explique le rythme du mouvement dont la fréquence est d'ailleurs indépendante de la nature de l'excitation (The integrative action of the nervous system, 1906, pp. 45 et 71-122). Ce qui nous intéresse le plus pour la compréhension des phénomènes d'adaptation est la tendance de ces rythmes nerveux à se synchroniser entre eux. Très souvent, la périodicité d'une partie joue le rôle de chef d'orchestre (pace maker) pour d'autres pulsations. Fessard (1936) a montré l'existence du phénomène dans les conducteurs nerveux. On sait que dans le coeur le nceud sinusal est considéré comme l'entraîneur d'une multiplicité d'autres centres qui, pris à part, ont leur propre périodicité. Dans les centres supérieurs, les ondcs cérébrales périodiques que l'on recueille dans l'électro-encéphalographie sont le résultat d'une vaste synchronisation de l'activité électrique des cellules nerveuses. Selon l'hypothèse la plus vraisemblable, la régularité des pulsations d'un organe ou d'un centre serait due le plus souvent à la coordination d'un grand nombre de pulsations élémentaires (Bethe, 1940). Plus important encore est le fait que certaines activités périodiques peuvent se synchroniser à des stimulations elles-mêmes périodiques. On sait, depuis les recherches d'Adrian (1934), souvent vérifiées, que le rythme alpha des ondes cérébrales peut être, dans une certaine mesure, entraîné par une lumière intermittente. Les faits de synchronisation apparaissent aussi fréquemment dans les mouvements pendulaires. Ces derniers doivent leur régularité au phénomène de l'induction successive. La contraction des fléchisseurs entraîne dans le moment suivant celle des extenseurs, et ainsi de suite. Cette succession a son tempo propre, comme l'ont montré les nombreux travaux effectués sur le tempo spontané de la mastication, de la marche, des balancements d'un membre ou du tronc, etc. Le plus remarquable est que ces mouvements pendulaires peuvent être entraînés par des stimuli cadencés. Chez l'enfant, pareille s P. >:H,,i;;1:
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PSYCllOLOGIE nu TEMPS
induction peut se rencontrer dès l'âge de 9 mois, et c'est cette même aptitude qui permet de faire marcher au même pas de grandes formations militaires, bien que les tempi individuels soient très différents d'un soldat à l'autre. Tous ces faits concernent des rythmes relativement rapides, mais ils nous permettent de comprendre par analogie les inductions de comportement dont la période est plus longue. Ils manifestent en effet deux propriétés du système nerveux. La première est que les tissus et particulièrement les centres nerveux, ou bien ont spontanément une activité rythmique, ou bien répondent naturellement aux excitations d'une manière rythmique ; elle explique que les inductions soient fréquentes et assez faciles à établir. La seconde est que, spontanée ou déclenchée, l'activité rythmique d'un centre a une fréquence qui lui est propre et qui n'est modifiée que dans certaines limites par les régulations, les excitations et les synchronisations qui peuvent intervenir. Or, nous avons vu en particulier que les rythmes nycthéméraux, qui sont pourtant induits par les successions des jours et des nuits, correspondent à une fréquence optimum des organismes, puisqu'il est difficile d'obtenir des rythmes de ce type avec des périodes plus longues. Les effets de la température vont nous permettre cependant de distinguer entre ces différents rythmes. La température a pour effet d'augmenter la vitesse des réactions chimiques. La loi exponentielle reliant la vitesse de réaction à la température absolue a été mise en évidence par Van't Hoff en 1884 ; puis Arrhenius montra le premier que les processus biologiques obéissent à la même loi (Sivadjian, 1938, p. 3-19). On constate que le logarithme de la fréquence de réaction est proportionnel à l'inverse de la température absolue, selon la formule : logf= c-(fL/2.3
RT)
( f est la fréquence ou vitesse de réaction, lt est la constante des gaz parfaits et T la température absolue). Dans chaque type de réaction intervient une constante p. appelée caractéristique de température ou incrément thermique qui caractérise en calories par molécule-gramme l'énergie activante du processus (Hoagland, 1936 d).
1.'ADAP7'ATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQIIES -----
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On savait, depuis Marey (Sivadjian, ibid., p. 346), que la période réfractaire des centres et des nerfs dépendait de la température, mais on a montré que les rythmes endogènes de l'organisme suivaient aussi la loi d'Arrhénius. Le cœur est accéléré par une élévation de température du corps. w a alors chez l'homme une valeur approximative de 29 000. La respiration est modifiée de la même manière, la valeur de w variant avec les espèces. De même le rythme des ondes alpha est accéléré dans les mêmes conditions, la valeur de y étant égale à 8 000 chez les normaux et plus forte chez les paralytiques généraux (Hoagland, 1936, a, b, c, d). La fréquence des d'chargeas rythmiques des nerfs suit aussi la même loi : sur des nerfs de crustacés Fessard a calculé une constante jjt = 14 900 (1936, p. 135) (1). Bien avant toutes ces recherches, Piéron (1923) avait pensé que notre appréciation de la durée pouvait être sous la d,Fpen. dance de processus physiologiques. « Et si, écrivait-il, sous l'influence de variations de température, par exemple, des processus organiques voient se modifier leur vitesse, le temps mental s'étalera ou se condensera dans les mêmes proportions. » Cette hypothèse devait provoquer les célèbres expériences de François (1927, 1928). Si on demande à un sujet de frapper sur une clé à la cadence subjective de trois coups à la seconde, puis si on élève sa température interne par diathermie, on constate alors une accélération de la cadence frappée, accélération dont le sujet n'est évidemment pas conscient. Le résultat est le même si, au lieu de faire frapper, on demande au sujet de compter à la cadence d'un à la seconde. Hoagland (1933) a retrouvé le même résultat chez des personnes où l'augmentation de la température était l'effet de la maladie et il a calculé que ces résultats, comme ceux de François, vérifiaient la (1) Les rythmesnycthémérauxsont, par contre,indépendantsde la tempéde la feuillede haricotne manirature.Il est vrai quelesmouvements périodiques festentpas cette indépendance, pas plus que les conduitesdes abeilles.Celles-ci, dresséesà venirchercherleurnourritureà uneheuredonnée,arriventen avancesi la températures'élève,en retard si elle s'abaisse(Wahl,1932).Par contre, le lézard(Marxet Kayser,1949),le pigeon(Stein,1951)et l'ensemble desvertébrés,y comprisl'homme,ont des rythme;nycthémérauxet circadiensindépendantsde la température. et lesrythmes La températuresembledoncagirsur les processusmétaboliques qui en dépendent.Les rythmes circadiensqui nous intéressentéchappentà cet cffet.
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
loi d'Arrhénius, y ayant dans ces situations une valeur de 24 000 (1). Certes, les expériences de François et d'Hoagland pourraient apparaître comme hétérogènes à celles dans lesquelles précédemment nous avons constaté une accélération des rythmes Elles de la température. biologiques avec l'augmentation en sur des volontaires du mouvement ; effet, portent, rythmes la durée ne comme référence d'une seconde cependant, prendre fait pas appel à une connaissance précise mais à une norme correspondant à une expérience propre à chaque sujet. Le rythme du mouvement a une période qui est contrôlée volontairement mais la norme à laquelle elle se réfère est déterminée par des processus qui échappent à ce contrôle. Comme l'abeille qui arrive en avance quand il fait plus chaud, l'homme dont la température a augmenté frappe plus vite, tout en croyant avoir conservé le même tempo. Pour souligner cette double influence de la température, nous évoquerons l'expérience de Siffre (1963). Celui-ci a vécu 58 jours dans une caverne glaciaire à 130 m sous terre, à une température proche de 0°. L'obscurité était totale, il n'avait pas de montre et, s'il pouvait communiquer avec l'extérieur, il n'en recevait aucune information. En l'absence de tout repère, son rythme nycthéméral s'est à peu près conservé (57 levers et 57 couchers) avec un rythme moyen de 24 h 6 mn. Par contre, il devait chaque jour compter à la cadence d'un nombre par seconde jusqu'à 120. La durée totale de cette activité rythmique était de 142 au début du séjour. Elle s'est augmentée peu à peu pour atteindre 215 au bout de 30 jours. (1) Cesrésultatsont été confirméspar Kleber,Lhamonet Goldstone(1963), la qui ont fait estimerune secondeà dessujetsdonton a augmentéartificiellement températureen plaçantleurcorpsdansde l'air humide. à toutesnosestimationsdu temps. Maison ne peutpasgénéraliser cephénomène Ainsi,l'estimationen unitésde tempsou la productionde duréesde l'ordrede quelquesminutessemblentindépendantesde la températuredu corpslorsqu'on surchauffée fait variercelle-cipar un séjourde quelquesheuresdansuneatmosphère (Bellet Provins,1963).Cesestimations, pourcesmêmesauteurs,seraientaussiindépendantesde la vitessedu pouls.MaisHawkes,Joy et Evans(1962)trouventune corrélationnégativeentrevitessedu cosur(et vitessede la respiration),manipulée de durées,brèvesil est vrai (de0,5à 4 s). Ils ne troupar desdrogueset production des entrecesmêmesvariableset la reproduction vent,par contre,aucunecorrélation durées,confirmantainsiSchaeferet Gilliland(1938).Chezl'homme,en particulier, le phénomènen'est doncpas simple.La causede l'élévationde la température, la naturede la tâche,le moded'estimationde la durée,et mêmela réactiondu sujet à cesconditionsjouentun rôlecommeil apparaîtramieuxau chapitreVIII.
L'ADAPTATION AUX CIf.4NGE?IIEN'l'SPF,RIODIQU.ES
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Nous interprétons ce ralentissement du tempo comme un effet du refroidissement, effet analogue mais inverse de celui découvert par M. François (1). Mais quels sont donc les mécanismes de régulation ? Nous ne sommes même pas encore capables d'expliquer les rythmes innés eux-mêmes. Pourquoi certains centres ont-ils spontanément une activité périodique et pourquoi les fibres nerveuses répondent-elles périodiquement aux excitations ? Comme Fessard l'a démontré, il faut distinguer les processus d'activation qui rendent un nerf capable de périodicité et les processus d'excitation qui la déclenchent. Les conditions qui facilitent les uns ne sont pas les mêmes que celles qui favorisent les autres. La propriété d'automaticité ne peut s'expliquer en faisant seulement appel à l'existence, dans les centres et les fibres nerveuses, de cette phase réparatrice ou réfractaire qui suit toute période d'activité. En effet, il y a un manque de correspondance entre la durée de la phase réfractaire et la période effective du rythme, période qui est beaucoup plus longue que ne l'exigerait la simple reconstitution physiologique. Fessard a été aussi amené à postuler l'existence d'un phénomène propre d'auto-excitation (1936, pp. 144-154). * * * Pour les inductions cycliques proprement dites, Pavlov a fait intervenir comme explication spécifique les mécanismes successifs de l'excitation et de l'inhibition qui seraient commandés par des processus de conditionnement. Il ne croit pas qu'il y ait plus dans les rythmes induits que dans les conditionnements classiques, quoiqu'il reconnaisse que l'explication ne soit pas encore très précise. Le temps, dit-il, est un excitateur conditionnel. Évidemment il n'agit pas en tant que tel. Le temps se manifeste, si nous laissons de côté les phénomènes cycliques du (1) A l'effetde la température,il faudraitajouterl'actionpharmacodynamique de certainessubstances.Grabensberger (1934)a montréque des abeilleset des guêpesdresséesà un rythmede 24 h arriventen avancele lendemainsi ellesont été traitéesavecde l'iodothyréoglobuline qui activeles échangescellulaires.Elles sont,au contraire,en retardsi ellesont été traitéesà la quinine.Sterzinger(1935)a trouvéde soncôtéquele tempospontanéétait ralentichezdessujetsaprèsabsorption de quinineet accéléréaprèsabsorptionde thyroxine.Il y a là un nouveau entre rythmesinduits(chezl'animal)et rythmesspontanés(chez rapprochement l'homme).
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monde extérieur, par une série de changements organiques périodiques. De leur existence, Pavlov tire alors l'interprétation suivante : « Étant donné que chaque état de l'organe examiné peut se répercuter sur les hémisphères, cela peut servir de base à la distinction d'un moment d'un autie. » En d'autres termes, les organes envoyant suivant les moments des messages de nature différente, certains deviennent, s'ils sont associés à l'excitant normal (de la nourriture par exemple), stimuli conditionnels, c'est-à-dire que leur retour créera une excitation, tandis que les autres, qui ne sont pas renforcés, deviennent des inhibiteurs conditionnels. Dans l'expérience de Feokritova (voir p. 39) où le chien est alimenté toutes les demi-heures, cette alimentation a produit une activité déterminée, c'est-à-dire [que le chien] ressent une série de modifications suivies et déterminées. Tout ceci se faisant sentir au niveau des hémisphères, en était perçu, et à un moment déterminé de ces modifications se transformait en excitateur conditionnel » (Pavlov, 1929, p. 43). L'interprétation de Pavlov a deux aspects. En premier lieu, au cours d'une adaptation à des changements périodiques, des phases d'excitation et d'inhibition se succéderaient dans le centre intéressé. En second lieu, ces phases successives seraient commandées par des activités périodiques d'organes dont les messages acquerraient au niveau des hémisphères des significations différentes suivant les stimuli auxquels ils auraient été associés pendant le dressage même. Si cette explication permet d'interpréter la première salivation spontanée d'un chien lorsqu'on ne lui donne rien après l'avoir nourri toutes les trente minutes, elle n'est pas satisfaisante dans tous les cas où l'induction rythmique se maintient pendant plusieurs cycles en l'absence de tout renforcement. Ou alors on postule ce qu'il faut expliquer : c'est-à-dire que les stimulations périodiques entraînent des changements périodiques qui peuvent se répéter pendant plusieurs cycles, en dehors de tout renforcement. Ainsi la température du corps ou tout autre manifestation neuro-végétative peut sans doute devenir une source de stimuli conditionnels, mais il faut d'abord montrer par quel mécanisme ces rythmes organiques ont été eux-mêmes induits et comment ils se maintiennent. Certes ces mécanismes, à partir du moment où ils existent, peuvent eux-mêmes servir de base à d'autres
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conditionnements temporels qui seront alors de second ordre. La description en termes d'excitation et d'inhibition a une base expérimentale solide. Reprenons les faits. Feokritova (1912) a fait dans ses recherches sur le temps comme excitateur conditionnel l'expérience que Pavlov rapporte en ces termes : « Nous pouvons alimenter l'animal toutes les 1/2 h et ajouter en même temps l'action d'un agent quelconque ; c'est-à-dire que toutes les 1/2 h nous faisons précéder l'alimentation d'un agent quelconque. Alors se forme un excitateur conditionnel. Il sera constitué par cet agent et par le temps, c'est-à-dire toutes les 30 mn. Si nous essayons notre agent au bout de 5 ou 8 mn, il n'y aura aucune action. Si nous l'essayons plus tard, il aura déjà une action mais peu considérable. Au bout de 20 mn, l'action sera plus grande ; au bout de 25 mn elle est encore plus forte, et au bout de 30 mn l'effet sera complet. Si cet agent n'est pas renforcé systématiquement à d'autres moments que dans les 1/2 h, il cesse d'agir, même à la 29e minute, et ne manifeste son action complète qu'à la 30e minute » (Pavlov, ibid., p. 42). Le processus d'inhibition est manifeste ; le stimulus additionnel n'est efficace qu'au moment où le cortex est à nouveau en période d'excitation sous l'influence du facteur dit temps. Le travail de Koupalov (1935), autre élève de Pavlov, est encore plus éclairant. Il crée un double réflexe conditionnel à l'excitation mécanique de la peau. En un point, le réflexe est positif (salivation), en un autre, il est négatif. L'excitation alternée des deux points a lieu toutes les 7 mn. Si, après une stimulation positive, on donne une stimulation négative 14 mn après la précédente (au lieu de 7 mn), cette stimulation produit une salivation aussi importante que la stimulation positive. Inversement, si, après une stimulation négative, on donne 14 mn plus tard une stimulation positive, celle-ci a un effet moindre que lorsqu'elle survient après un délai de 7 mn. Si, dans les mêmes conditions, le délai est porté à 21 mn, la réaction au stimulus positif est normale. Ces résultats s'interprètent très bien si on admet que de 7 en 7 mn se succèdent dans le cerveau des phases d'excitation et d'inhibition. Que le stimulus positif survienne 7 ou 21 mn après le stimulus négatif, son effet est positif et de même importance, car il coïncide avec une phase d'excitation corticale. Si un stimulus négatif survient dans cette même phase, il a un certain effet (moitié environ). Inversement,
4.0
l'SYC;HOLO(?Ih,' DU TEMPS
dans les phases d'inhibition corticale, les stimuli positifs ont des effets très diminués. L'école russe a aussi montré que les injections de bromure qui facilitent les processus d'inhibition facilitent aussi l'établissement des réactions au temps (Deriabin, 1916 ; Bolotina, 1953 ; Kochigina, d'après Dmitriev et Kochigina, 1959). D'ailleurs, l'établissement des conditionnements au temps et leurs résistances à des perturbations externes dépendent du type de système nerveux des chiens. Les animaux où prédominent les processus d'inhibition donnent de meilleurs résultats que les animaux excitables. En raisonnant à partir de concepts plus opérationnels, des auteurs américains ont établi des lois du même genre. Ainsi, si on envoie des chocs électriques à des rats toutes les 12 s, à chaque choc, l'animal saute avec une force mesurable. Si, après avoir poursuivi cet apprentissage un certain temps, on envoie à l'animal un choc qui l'atteint à 3, 6, 9, 12, 15, 18, 21 ou 24 s du précédent (ces durées étant utilisées au hasard), on constate que la force du saut est maximum pour un intervalle de 12 s et qu'en deçà et au-delà elle décroît. Brown (J. S.) (1939), qui a fait cette expérience, l'interprète à partir de la loi du gradient de renforcement de Hull (1932). Si on essaie de traduire cette loi en termes plus psychologiques, on peut dire que l'excitation est moins forte (ou l'inhibition plus forte) quand on s'éloigne du moment où le choc est « attendu ». La même observation peut être faite à partir des résultats de Rosenbaum (1951). Lui s'est adressé à un conditionnement instrumental (voir chap. II, p. 59). Les rats étaient dressés à appuyer sur un levier aussitôt qu'on le leur montrait dans une cage de Skinner. Ce levier leur était d'abord présenté toutes les 60 s. Puis, le dressage étant fait, on le leur présentait à des intervalles plus courts ou plus longs que 60 s. La force de la réaction était mesurée par le délai qui s'écoulait entre le moment où on présentait le levier à l'animal et celui où il appuyait dessus. Cette latence est minimum (une seconde environ) quand le levier apparaît 60 s après la précédente réaction. Elle augmente progressivement en deçà et au-delà, le délai atteignant cnviron 5 s quand l'intervalle entre deux présentations n'cst plus que de 15 s. Tous ces faits vont dans le même sens. La durée est enregistrée de façon telle que la réaction est la plus forte au moment où
L'ADAPTATION AUX CHANGEMENTS PÉRIODIQUES
?1.1
elle est « attendue », compte tenu de l'apprentissage antérieur. En deçà et au-delà, il y a un affaiblissement graduel de la force réactrice par suite, vraisemblablement, d'un processus d'inhibition. Mais on retombe alors sur le problème central : comment est réglée temporellement la succession des périodes d'excitation et d'inhibition ? Koupalov, comme Frolov (1935), a eu tendance, à la suite de Pavlov, à l'expliquer par des stimulations extérieures ou intérieures liées aux conditions de travail. Mais nous avons déjà dit en quoi cette interprétation restait douteuse. Nous ajouterons qu'elle ne s'impose pas pour des raisons théoriques, puisque l'on constate l'existence, dans le système nerveux, d'une tendance à répondre rythmiquement, même à des stimulations non périodiques. Aussi bien, Popov, qui a beaucoup étudié ces problèmes, pense qu'il faut admettre une propriété spécifique du système nerveux « à reproduire les excitations précédentes dans l'ordre même où ces excitations ont été provoquées auparavant par les stimulations correspondantes ». A cette propriété, il a proposé de donner le nom de cyclochronie (1950 b, p. 17). Elle s'est imposée à lui à travers les faits du type de ceux que nous avons rapportés, parce qu'il a noté dans ses expériences qu'il y avait non seulement périodicité des réponses mais, dans certains cas, une véritable stéréotypie. Il a observé cette stéréotypie dans l'activité des pigeons nourris à intervalles périodiques (voir p. 26) ; il l'a retrouvée dans les tracés électro-encéphalographiques du lapin à qui on éclaire périodiquement l'oeil : les modifications dans l'aire striée deviennent périodiques et se prolongent, au détail près, après la cessation de la stimulation (ibid., p. 15). Selon Popov, qui rejoint ainsi en un sens Fessard, il faut admettre que la réponse du système nerveux à une stimulation ne serait pas simple mais multiphasique. A une phase d'excitation succéderait une phase d'inhibition qui pourrait être suivie d'autres phases plus ou moins complexes d'excitations et d'inhibitions (ibid., p. 18 et pp. 62-63). Il reste que ces rythmes induits sont le résultat d'un processus de conditionnement dans lequel tout se passe comme si l'intervalle temporel entre deux stimulations périodiques était le stimulus conditionnel, de telle sorte que, lorsqu'il y a omission d'une des stimulations périodiques, il y a cependant une réac-
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1) Fi 1 TEMPS l 'S Y (JIIOLO (§1
tion. Comme dans le conditionnement, ce montage exige la répétition, et le non-renforcement entraîne une extinction plus ou moins rapide. Si la cyclochronie apparaît comme une propriété fondamentale des centres nerveux, il reste légitime de se demander si elle est vraiment générale ou au contraire limitée à certains centres. Cette question reste, elle aussi, très obscure et on ne peut l'aborder qu'indirectement. S'il est vrai, comme le pensait Pavlov, que tout conditionnement, au moins chez les vertébrés supérieurs, se réalise au niveau cortical, il semble pourtant que la rvthmicité s'établit aussi dans les centres sous-corticaux. Deriabin a, en tous les cas, montré que les conditionnements au temps demeuraient après ablation de la zone de l'analyseur cortical correspondant au stimulus associé à la nourriture (aire tactile ou auditive). Que le cortex soit nécessaire pour l'établissement du conditionnement est vraisemblable, bien que la preuve n'ait pas été apportée pour le conditionnement au temps. Par contre, certains faits témoignent que la périodicité du rythme induit peut être commandée par des centres infracorticaux. Kayser (1952) a montré que les pigeons auxquels on a enlevé les hémisphères cérébraux présentent encore le rythme nycthéméral de température qui est un rythme acquis. Les régulations du sommeil dépendent de l'activité d'un centre hypothalamique situé autour de l'infundibulum et de la base du troisième ventricule ; le chien décérébré présente encore les alternances normales de veille et de sommeil (Lebedinskaia et Rosenthal, cité par Fulton, 1947, p. 509). On peut aussi penser que les rythmes des activités motrices et non plus seulement végétatives sont sans doute réglés par les noyaux de la base du cerveau, puisque ce sont eux qui contrôlent les mouvements automatiques. D'une manière générale, on admet aujourd'hui que la région hypothalamique préside aux régulations des cycles organiques, et Kleist (1934) puis Klines et Meszaros (1942-1943) en ont conclu que c'était à ce niveau que se produisaient les intégrations temporelles des réactions périodiques. Nous verrons au chapitre VI (p. 173) des faits relatifs aux désorientations temporelles dans le syndrome de Korsakov qui corroborent cette hypothèse.
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AUX CHANGEMENTS
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III 1,'ORIEIVTATIOIV TEMl'OREI,1,li Les faits d'induction rythmique, c'est-à-dire la naissance de p-riodicités organiques synchrones de périodicités de l'environnement, constituent des formes d'adaptation aux conditions temporelles de l'existence. Leur signification biologique générale est évidente. L'induction rythmique permet aux êtres vivants de transformer des réactions réflexes en des réactions d'anticipation. Les Convoluta peuvent ainsi s'enfoncer dans le sable avant d'être recouverts par la marée montante ; inversement, les Actinies qui se referment avant la marée descendante évitent, en gardant de l'eau, une dessiccation qui pourrait être mortelle (Piéron, 1910, p. 74). L'abeille qui a découvert une source de nectar peut la retrouver plus facilement le lendemain et s'adapter ainsi au mode de sécrétion du nectar qui se produit à heures fixes suivant les fleurs. Ne voit-on pas en effet les abeilles, si on leur offre à des heures différentes de la journée de l'eau sucrée plus ou moins concentrée, se présenter en plus grand nombre, au bout de quelques jours, à l'heure où on leur offre l'eau la plus sucrée (Wahl, 1933) ? De toute manière, cette régulation interne rend plus économique la nécessaire adaptation de l'organisme aux changements périodiques qu'il subit et en particulier aux alternances des jours et des nuits. La preuve a contrario est fournie par la fatigue qu'entraîne la réadaptation de l'organisme à un rythme d'activité différent de celui auquel il était accoutumé. Nous avons déjà rappelé qu'à la suite des voyages en avion de Paris à New York ou inversement les voyageurs constataient pendant les jours suivants des difficultés à s'adapter à leurs nouvelles heures de sommeil, par suite de la persistance de l'ancien rythme (1). L'inversion complète du rythme de l'activité entraîne de telles fatigues que les premiers auteurs qui expérimentèrent sur eux-mêmes son influence sur le rythme nvcthé(1) De cesobservationssur l'homme,il faut rapprochercelle-ciqui a été faite surun orang-outang. A Java où il avaitété capturé,on avaitconstatéqu'ildormait de 6 h du soirà 6 h du matin.Transportéen bateauversl'Allemagne, régulièrement on observaqu'il continuaitau coursdu voyageà se coucheret à se levercomme s'il était toujoursà l'heuresolairede Java. Ainsi,à la longitudedu cap de BonneEspérance,il dormaitde 2 h de l'après-midià 2 h du matin(Groos,1896).
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méral de la température abandonnèrent leurs tentatives au bout de quelques jours (Piéron, ibid., p. 88). Les médecins et sociologues ont aussi souvent noté les difficultés qu'avaient de nombreux ouvriers à changer de rythme de travail, à passer d'une équipe de jour à une équipe de nuit par exemple (Neulat, 1950). Mais, surtout, l'existence de rythmes organiques induits par les variations périodiques de l'environnement a pour l'homme une importante conséquence psychologique. Ils lui fournissent une horloge interne. A quoi sert donc une horloge ? D'abord, à situer chaque moment du jour par rapport au cours des jours et des nuits ; plus scientifiquement, à définir la position relative de la terre et du soleil au cours du nycthémère. La nature nous sert d'horloge quand, pour savoir l'heure, nous nous contentons de considérer la position du soleil ou des ombres portées (cadran solaire) par exemple. Dans d'autres cas, l'homme a construit lui-même des mouvements périodiques : c'est ainsi qu'une aiguille d'horloge fait le tour d'un cadran en 24 h. La position de l'aiguille, tout comme celle du soleil, indique alors l'heure, c'est-à-dire une division du jour. L'homme emploie systématiquement ces moyens pour organiser ses travaux et ses distractions, et, surtout, pour coordonner son activité avec celle de ses semblables. de ces repères extérieurs, Cependant, indépendamment l'homme a un certain sens de l'heure qui se manifeste surtout quand il ne dispose pas des signes dont nous avons parlé. Tout se passe alors comme s'il était capable d'interpréter des messages organiques dont la signification, liée aux modifications périodiques du corps, serait rapportée aux informations des horloges elles-mêmes. W. James cite le cas d'une oligophrène qui, ne sachant pas lire l'heure, demandait cependant tous les jours sa soupe exactement à la même heure (1891, p. 623). Les malades mentaux dits « désorientés dans le temps o ne le sont que par rapport à ce temps conventionnel des calendriers qui découpe l'année en mois et qui date les années à partir d'une origine sans réalité vécue. Ils ne le sont pas, comme nous avons pu le vérifier, par rapport aux heures de la journée ; celles-ci correspondent certes à un découpage arbitraire du jour sidéral, mais en tant que symboles elles
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sont renforcées par la régularité de la vie d'hôpital : l'heure des soins, des visites, des repas, de l'extinction des feux, des relèves du personnel. Entre ces événements, sur quels indices le malade peut-il se guider, sinon sur les rythmes organiques fondamentaux de la nourriture et du sommeil, et plus généralement du métabolisme ? En tous les cas - sauf quand la démence totale ôte tout sens à la question - les malades considérés comme désorientés dans le temps sont capables de dire l'heure qu'il est à 60 mn près, ce qui n'est pas inférieur à la précision que peut montrer n'importe quel adulte normal (Fraisse, 1952 b). Ces conduites observées en milieu hospitalier peuvent être évidemment discutées, mais plusieurs faits que nous allons examiner confirment que l'homme, en dehors de tout repère extérieur, peut cependant, dans certaines limites, s'orienter dans le temps, donc utiliser une horloge interne. Ils se rattachent tous à l'estimation de l'heure au réveil, c'est-à-dire à un moment où les points de repère extérieurs sont les moins nombreux. 10 L'EXPÉRIENCE DE MAC LEOD ET ROFF (1935) Pour étudier la précision de notre orientation temporelle en dehors des repères que nous fournit le milieu naturel et social, les deux auteurs se sont enfermés l'un après l'autre dans une chambre insonore, climatisée et éclairée uniquement à la lumière a.rtificielle. Ils avaient à leur disposition constante de la nourriture, un lit, un cabinet de toilette. Ils ne devaient rien faire, tout au plus prendre des notes sur leurs observations. De temps à autre - sauf pendant le sommeil - ils devaient indiquer par téléphone l'heure qu'il était. Le premier est resté 86 h dans cette chambre, soit près de quatre jours. Au bout de ce temps, son erreur d'estimation n'était que de 40 mn, mais il est vrai que, par moments, elle avait atteint 4 à 5 h. Le deuxième sujet est resté enfermé pendant 48 h, et au bout de ce laps de temps son erreur était de 26 mn, après avoir atteint 2 h. A quoi faut-il attribuer cette précision, relativement grande ? En examinant les protocoles expérimentaux - et en particulier celui du premier sujet qui est resté le plus longtemps dans la cabine - on constate que la base de l'orientation temporelle (et de la passagère désorientation) a été l'estimation de
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l'heure du réveil. Le sujet ayant commencé l'expérience sur le soir s'est couché vers minuit, mais il s'esL réveillé à 4 h 43 mn du matin, croyant qu'il était 9 h. Il a mal dormi, ce qui se comprend dans cette situation inhabituelle. Il a commis alors son erreur maximum. Ayant dormi par compensation dans l'après-midi, il s'est recouché cependant de bonne heure, et s'est réveillé le lendemain à 10 h 50. Il a estimé qu'il était alors 10 h du matin. La troisième nuit, il s'est réveillé à 11 h 28 et a estimé qu'il était 9 h. Deux faits sont à remarquer : a) Malgré les conditions artificielles de vie, le sujet s'est couché et levé à des heures à l'estimapeu près normales ; b) Quand il a dormi normalement, tion de l'heure au réveil a été assez correcte. A partir de là, son orientation dans la journée, facilitée par les rythmes des besoins a été assurée. alimentaires, Cette importante expérience a été refaite avec 33 sujets par Vernon et McGill (1963), avec une différence notable. Les dans la lumière, ont vécu sujets, au lieu de rester constamment dans l'obscurité, portaient des gants et avaient été invités à ne pas faire de bruit, c'est-à-dire qu'ils ont été soumis à des conditions de privation sensorielle. Dans une première expérience, 27 sujets pouvaient arrêter l'expérience quand ils le désiraient et indiquer alors le jour et l'heure. Pour un séjour moyen de 54 h 25 l'erreur, en moyenne, a été de 4 h25, 5 des 27 sujets surestimant le temps. Dans une deuxième expérience, 6 sujets devaient, chaque fois qu'une heure était passée, appuyer sur un signal et, au réveil, appuyer autant de fois que d'heures pendant lesquelles ils estimaient avoir dormi. Pour un confinement de 96 h, 3 sujets ont fait des erreurs de plus en plus considérables, de l'ordre, au total, de - 28 h à - 40 h, alors que trois autres sujets ont fait des erreurs mineures de - 8 h à 0 h. Les sujets se sont basés sur les repères fournis par les sensations de faim et sur la croissance de la barbe. La sous-estimation assez générale du temps s'explique, ces le fait auteurs, par pour que les sujets qui vivaient dans le noir ont dormi plus longtemps que d'habitude et ont estimé la durée leur sommeil de leurs habitudes cependant d'après antérieures. a été refaite aussi avec un groupe de 28 sujets L'expérience à vivre ensemble appelés pendant 12 jours dans un abri antiaérien expérimental (Thor et Crawford, 1964). Ces sujets dispo-
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saient de peu de confort et de maigres rations. L'abri était complètement isolé du monde extérieur et les sujets n'avaient pas de montre. Ils ont, à un signal de l'expérimentateur, évalué l'heure une fois par matinée et une fois par soirée. Le rythme de vie de ce groupe s'est maintenu normal pendant la durée de l'expérience. Les erreurs d'estimation matinales ont été en moyenne de - 40 mn et celles du soir de + 112 mn. Quoique les auteurs ne le soulignent pas, la vie en groupe a favorisé les estimations individuelles qui ont peu varié avec l'âge et pas du tout avec le Q.I. Nous ne retiendrons pas ici comme contre-preuve l'expérience de M. Siffre (1963) que nous avons déjà mentionnée. M. Siffre a moins cherché à s'orienter dans le temps qu'à estimer des intervalles de temps, y compris celui du sommeil. Il est arrivé à faire de grossières erreurs, ayant estimé, d'après son calendrier, que ses 58 jours d'isolement n'avaient duré que 33 jours. Nous interpréterons le sens de cette erreur p. 236. Nous voudrions seulement faire remarquer que si M. Siffre s'était servi, pour s'orienter, de ses réveils, il n'aurait commis qu'une erreur d'un jour sur 58 ;d'autre part, il ne faut pas Leod et Hoff comme permettant de Mac interpréter l'expérience de croire qu'un homme peut s'orienter indéfiniment par rapport au rythme de ses besoins organiques, car ce rythme peut se modifier quand il n'y a plus d'impulsions externes. Le rythme circadien de M. Siffre était justement de 24 h 6, ce qui donne un décalage d'environ 24 h au bout de deux mois. Les mêmes valeurs ont été retrouvées dans une expérience de J. N. Mills (1964), qui a duré 105 jours. Il est ainsi manifeste que le rythme du sommeil fournit une horloge. Nous savons bien que, le soir, nous avons, à mesure que l'heure du coucher approche, des sensations de fatigue qui peuvent nous fournir des repères et que, le matin, notre réveil a lieu à heure à peu près fixe (1). Cependant, cette expérience montre que l'estimation peut varier avec l'heure même du réveil. D'autres expériences plus spécifiques ont essayé de le démontrer. Nous allons les examiner. (1) Le mêmefait a été observéchezdesanimaux.Leurréveila lieuaux heure habituelles,mêmes'ils sont maintenusloin du bruit et de toute lumière.Ainsi. les canarisse réveillentà heurefixe,quellesque soientles conditions(Sa.ymanski, 1916).
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2° L'ESTIMATIONDE L'HEURE DU RÉVEIL L'estimation de l'heure lorsque nous nous réveillons normalement le matin, après une bonne nuit, ne permet pas de mettre en évidence l'influence de repères intérieurs, car nous disposons alors de nombreux signaux familiers : lumière du jour, bruits de l'environnement, qui constituent une véritable horloge. un bruit inhabituel ou quelque cauchemar Cependant, quand nous réveille dans la nuit, nous avons spontanément quelque idée de l'heure qu'il pourrait être. Pour avoir des données précises, Boring (L. D.) et Boring (E. G.) (1917) ont réveillé systématiquement des sujets complaisants entre minuit et 5 h du matin en leur demandant l'heure qu'il était. L'erreur moyenne des estimations a été de 50 mn, ce qui indique une réelle orientation temporelle. Les sujets, d'après leurs propres indications, essayent d'interpréter des sensations internes : degré de fatigue, profondeur du sommeil au moment de l'éveil, sensations stomacales, degré de réplétion de la vessie. On peut aussi penser qu'ils interprètent des repères non conscients, de ces repères qui nous font dire, sans calcul, dans un réveil brusqué : « Il doit être 3 h du matin. » LE
RÉVEIL SPONTANÉA HEURE FIXE
De nombreuses personnes affirment qu'il leur est possible de s'éveiller à une heure qu'elles ont déterminée la veille. Sommes-nous devant une croyance sans fondement ? Si cette possibilité existe, comment l'expliquer ? Les travaux les plus sérieux confirment l'existence de cette capacité et l'expliquent par la présence d'une véritable horloge physiologique. Il est d'abord manifeste que tout le monde ne possède pas la possibilité de se réveiller à heure fixe. Clauser (1954) a fait l'enquête la plus étendue sur cette question. Parmi 1 080 personnes interrogées, 19 % ont déclaré qu'il leur était impossible de se réveiller à volonté, 29 % doutent de cette possibilité, et 52 % ont observé occasionnellement ce phénomène sur elles-mêmes. Parmi ces 52 %, 15 % seulement peuvent se fier absolument à cette capacité, 20 % le peuvent généralement, et 59 % de temps en temps seulement. Dans l'ensemble, cette capacité semble se répartir normalement avec
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deux groupes extrêmes : 18 % des sujets qui sont à peu près sûrs de pouvoir se réveiller et 19 % qui en sont absolument incapables. Ces différences individuelles sont confirmées par la recherche de Omwake et Loranz (1933) qui ont fait appel à deux groupes, l'un comprenant dix étudiantes qui prétendaient être capables de se réveiller à heure fixe et l'autre dix étudiantes qui affirmaient le contraire. Or, au cours de 14 nuits, on a demandé à ces jeunes filles de se réveiller à des heures variées, comprises entre 0 h 30 et 6 h 15 : dans le premier groupe le réveil a été possible dans 49 % des cas avec une erreur inférieure à 30 mn ; le second groupe n'a compté que 5 % de succès. Il y a donc des différences individuelles marquées. En général, on a surtout des renseignements sur les sujets les plus aptes à se réveiller ainsi automatiquement. Hall (W. W.) (1927) a fait sur lui-même 109 essais. Dans 18 % des cas, il s'est réveillé exactement à l'heure prévue, dans 53 % des cas avec une erreur inférieure à 15 mn, dans 75 % des cas avec une erreur inférieure à 30 mn, et dans 81 % des cas avec une erreur inférieure à 54 mn. Brush (1930) a une précision du même ordre. Parmi 50 essais faits sur lui-même, il trouve que la moyenne de ses erreurs est de 10 mn 6 s, avec un
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l'S'tCHOU)GIE VU TEMPS .
de 30 mn) pour les réveils avant 2 h 30, et 70 °)>pour les réveils après 4 h 30. Ces faits étant sérieusement établis, comment peut-on les interpréter ? La première explication qui vient à l'esprit est que ces personnes se servent de repères extérieurs : le chant du coq, le bruit d'un train ou d'une sirène d'usine, le premier autobus, etc. Les sujets de Vaschide ont reconnu qu'ils cherchaient à les utiliser, mais aussi qu'ils étaient insuffisants. Frobenius, qui a étudié, spécialement ce problème, a trouvé que les résultats de ses sujets étaient aussi précis, qu'il y ait dans leur chambre une horloge qui sonne les heures, ou qu'ils dorment dans une pièce très isolée des bruits. Il a même constaté que les réveils étaient aussi précis s'il y avait dans la chambre une horloge qui avait été déréglée à l'insu du dormeur. La manière dont on se réveille dans ces conditions montre d'ailleurs que l'utilisation des repères ne serait pas toujours possible. Celle.ci impliquerait que le sujet soit en quelque sorte réveillé par un signal qu'il -puisse reconnaître et localiser. La variété des heures choisies dans les diverses recherches rendrait ces coïncidences déjà difficiles. Quels sont les bruits à 2 ou 3 h du matin ? Sauf dans des cas exceptionnels, nous serions bien incapables de l'indiquer. D'autre part, les auteurs ont noté que le réveil automatique se faisait souvent d'une manière brusque, abrupte, sans transition, comme dans une commotion. Parfois même certaines personnes ne se rappellent pas immédiatement au moment du réveil qu'elles avaient décidé de se réveiller à cette heure-là. Pour toutes ces raisons, l'utilisation de repères extérieurs ne peut suffire à expliquer ces réveils spontané à heure dite. Si les repères ne sont pas extérieurs, il faut alors supposer qu'ils sont intérieurs. Les cycles organiques induits par ceux de l'activité au cours du nycthémère, et dont nous avons vu quelques exemples, ne nous laissent aucun doute sur l'existence de cette horloge physiologique. Mais comment pouvons-nous la.lire ? Le problème posé en ces termes renvoie avant tout à celui de la nature du sommeil : pouvons-nous être attentifs électivement à certains signaux pendant le sommeil ? Nous savons que la réponse est positive. La mère perçoit les petits cris de son enfant que n'entendent pas les voisins ; le veilleur de nuit est réveillé par des craquements qu'il ne remarquerait
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pas s'il n'était pas en service. Le sommeil ne supprime pas toute la fonction vigile et la théorie psychanalytique nous a appris le sens fonctionnel des rêves. On a justement remarqué que les sujets qui doivent se réveiller à heure fixe dorment moins bien (plus d'agitation et de réveils, accélération du pouls) qu'en temps ordinaire. Tout se passe comme s'ils étaient préoccupés et cette préoccupation se manifeste justement dans leurs rêves ; problème de l'heure, retards possibles y tiennent une grande place, et souvent c'est dans un rêve même qu'ils se réveillent (Bond, 1929). Ainsi les rêves prouvent que le sujet, tout en dormant, continue à surveiller l'heure. Si la volonté consciente peut déterminer l'heure du réveil, les désirs refoulés le peuvent aussi. Odier (1946) raconte le cas d'un homme qui pouvait se réveiller exactement à l'heure qu'il s'était fixée. Un jour, par extraordinaire, il se réveilla plus tôt. L'analyse de la situation montra qu'il s'était réveillé à l'heure qui lui aurait permis de partir en voyage avec une amie, objet d'un amour coupable. Ce désir avait été refoulé, mais il avait malgré tout provoqué le réveil à l'heure utile. Cette conception du réveil spontané n'implique pas quelque obscure science de l'heure, mais simplement l'interprétation exacte des signaux organiques. Aussi bien est-elle acquise et les enfants y sont justement beaucoup moins aptes que les adultes (Clauser, 1954). Elle explique aussi pourquoi le réveil spontané est d'autant plus difficile que l'on est plus éloigné de l'heure normale du réveil. Les signaux plus éloignés de l'heure normale de notre réveil sont moins connus, plus difficile à interpréter que ceux que nous avons appris à dater par des réveils plus fréquents. D'autre part, au milieu du sommeil, la vigilance est moins grande et l'interprétation plus difficile. On pourrait objecter que ces signaux, auxquels nous faisons jouer un rôle si grand, doivent être très faibles puisqu'ils nous échappent à l'état de veille. Mais les études sur les rêves ont justement montré que, dans le sommeil, nous sommes sensibles à des stimuli organiques imperceptibles, ce qui explique en particulier que nous pouvons avoir des rêves prémonitoires de certaines maladies dont les symptômes ne se révéleront à la conscience qu'ultérieurement (Piéron et Vaschide, 1901). Les différences individuelles que l'on constate n'infirment
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pas ces conclusions. Elles montrent que le rapport entre la vigilance et les repères sensoriels n'est pas le même chez tous les individus. Il devrait être possible de préciser les particularités typologiques des personnes qui ont cette capacité, ce qui, réciproquement, éclairerait les mécanismes mêmes de l'orientation temporelle à partir des repères organiques. Seul Clauser (1954) a tenté cette analyse mais il l'a faite dans le cadre de la classification de Jaensch qui est des plus discutables. Selon lui, les individus qui ont la possibilité de se réveiller à heure fixe se rencontreraient surtout chez les « désintégrés » et, en particulier, parmi ceux qui ont une tendance au dédoublement et à la dissociation. En conclusion, nous constatons que les organismes ont de nombreuses activités périodiques dont beaucoup sont le fruit d'une adaptation. Bien des variations de leur vie physiologique se synchronisent aux changements extérieurs et les individus apprennent à répéter des conduites bénéfiques qui anticipent le retour périodique de situations correspondantes. Cette adaptation aux changements cycliques a une signification biologique évidente, mais elle a aussi une portée psychologique. L'induction des rythmes organiques à partir des rythmes cosmiques en particulier offre un double système de signaux qui se correspondent l'un à l'autre. La prépondérance des repères qui nous sont fournis par les horloges naturelles ou faites de main d'homme nous masque l'importance du montage d'une véritable horloge physiologique. La correspondance une fois établie entre ces deux types d'indications, nous pouvons cependant interpréter des repères organiques dont le signe temporel serait à lui seul peu manifeste. Ainsi s'expliquent vraisemblablement beaucoup des faits que l'on rapporte à un soi-disant sens du temps : l'intuition de l'heure qu'il est, ou certaines orientations temporelles qui doivent moins aux repëtes extérieurs qu'à des avertissements d'origine physiologique. De ce point de vue, le comportement de l'homme qui se réveille à l'heure qu'il a fixée n'est pas plus mystérieux que celui de l'animal qui présente un comportement spontané à heures régulières, même quand lui manquent les stimuli extérieurs qui avaient pu au début le diriger. Ces adaptations sont des conditionnements au sens classique, puisque ce sont des stimuli, d'abord inefficaces, qui deviennent
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ensuite signaux de la conduite. Ces conditionnements ont cependant une originalité : elle tient en ce que le stimulus normal d'origine externe engendre en quelque sorte, par induction, le stimulus interne associé. Cette induction détermine la localisation temporelle des stimuli conditionnels par suite de la synchronisation qui s'établit entre les deux séries, externe et interne, des changements. En ce sens, il y a littéralement conditionnement au temps.
CHAPITRE
LE CONDITIONNEMENT
II
A LA DURÉE
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de sont un cas particulier Les changements périodiques l'universel changement, le plus simple. On y saisit la succession En effet, les et la durée sous une forme encore élémentaire. à elles-mêmes : semblables sont de la succession toujours phases le jour et la nuit, le flux et le reflux, etc. Les durées sont isochrones entre les phases, ou, à tout le moins, la durée d'un lorsque l'animal ou cycle complet est constante. Qu'advient-il à des changements l'homme doit s'adapter qui ne sont plus aussi simples ? 1 LE CONDITIONNEMENT NETARDÉ Nous savons que l'homme a la possibilité de saisir la succession et la durée, de se les représenter, etc., mais l'animal luide tropismes ou de réflexes même a plus qu'un équipement à ne réagir qu'à des stimulations simples qui le condamnerait à un instant donné tient compte Son comportement présentes. de la de ce qui a précédé et de ce qui va suivre, c'est-à-dire Le fait est déjà manifeste dans les succession des événements. Un stimulus devient le signal d'un autre réflexes conditionnés. stimulus qui avait la propriété de déclencher une réaction innée ou acquise ; le conditionnement établi, ce signal suffira à même la si, réaction, pour une raison quelconque, sa provoquer stimulatioii propre ne se produit pas. Il se crée ainsi un apprenà la succession de deux stimulations. tissage lié essentiellement Pavlov (1929, p. 29) a toujours insisté sur le fait qu'il n'y avait conditionnement possible que lorsque le stimulus condile stimulus normal, c'est-à-dire tionnel précédait lorsqu'il y c'est-à-dire avait succession. Le conditionnement rétrograde,
IE (,'ONDITIONNFUENT A LA DURÉE
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le cas où le stimulus conditionnel suivrait le stimulus normal, n'est pas possible. Cette thèse a été contestée, mais les faits invoqués semblent tous pouvoir s'expliquer par un mauvais contrôle des stimulations (Woodworth, 1949, 1, pp. 164-165). Ainsi, la forme la plus simple de l'adaptation à la succession des changements se révèle-t-elle dans le moindre conditionnement. L'enfant, qui s'arrête de crier à la vue du biberon, anticipe l'événement suivant, de même que celui qui, quelques mois plus tard, coopère à l'habillage en présentant successivement les membres appropriés. Il n'y a pas que la succession qui compte ; l'intervalle de durée entre les stimulations joue aussi un rôle. Il existe d'abord une valeur optimum de cet intervalle. Pavlov, sans avoir fait de déterminations précises, avait lui-même signalé que le conditionnement s'établissait noimalement quand le stimulus conditionnel précédait de quelques fractions de seconde ou de quelques secondes le stimulus normal. Cette marge est celle dans laquelle il y a justement perception de la succession. Mais dans cette zone, le conditionnement, c'est-à-dire en définitive l'étahlissement d'une liaison entre les stimulations, est le plus facile lorsqu'elles se succèdent à un intervalle d'une demi-seconde ou de trois quarts de seconde environ. Nous verrons dans le chapitre V que cette durée correspond à l'intervalle dit d'indifférence qui est celui pour lequel la perception de la succession est la plus facile : les stimuli se détachent bien les uns des autres sans cependant paraître séparés par un intervalle qui dure. On retrouve cet optimum dans les conditionnements qui mettent en jeu les réactions les plus diverses : retrait de la main (Wolfle, 1932, Spooner et Kellogg, 1947), réflexe palpébral (Kimble, 1947 ; McAllister, 1953), et même réflexe psychogalvanique, bien qu'il s'agisse là d'une réaction de type neurovégétatif (White et Schlosberg, 1952). Nous retiendrons que l'adaptation à la succession est d'autant plus facile que cette succession est perçue, distinction qui s'éclairera mieux dans notre deuxième partie. Cependant le conditionnement est encore possible, quoique plus difficile, quand une durée notable sépare les deux stimulations. Non seulement le conditionnement peut s'établir, mais la réponse conditionnée se déclenche alors en l'absence du stimulus normal, après un intervalle de temps de même durée
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PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS zu
conditionnel écoulé entre le stimulus qui s'était que l'intervalle Dans ce cas le conditionnement. normal pendant et le stimulus la stimulation stimulus conditionnel : il y a un double signal Le conditionnement est et la durée entre les deux stimulations. non seulement à la Il réalise alors une adaptation dit retardé. mais à la durée, par une sorte d'estimation succession qui ne se Le limite plus au cas des changements temps dans périodiques. de stimuli conditionnés des combinaisons devient, grâce au un déterminant de la conduite. conditionnement retardé, dans le laboratoire de Pavlov Ces faits ont été mis en évidence Dmitriev et Kochigina, entre 1907 et 1911 (d'après 1959). retardé se présente sous deux formes Ce conditionnement conditionnel Le stimulus différentes. peut être assez long et le normal n'intervenir stimulus que vers la fin ; dans ce cas on conditionnel de conditionnement différé,. Le stimulus parle d'un temps être bref et précéder plus ou peut au contraire on parle alors de conditionmoins long le stimulus normal ; conditionnée de trace, pour souligner nement que la réponse mais par sa non pas par un stimulus sera déclenchée perçu trace mnémonique ibid., p. 40). (Pavlov, sont très Dans l'un et l'autre cas, les lois des phénomènes l'intervalle Le fait essentiel est voisines temporel qui qu'à (1). normal conditionnel au stimulus s'étend du début du stimulus de même durée une latence correspond, après conditionnement, conditionnée. de la réponse Il est même possible d'établir un double réflexe conditionné Il suffit de à un même stimulus chez le même animal. retardé la réaction retardée brève (15 s) dans une première conditionner retardée chambre et la réaction longue (50 s) dans une deuxième chez le reste difficile chambre. Ce double conditionnement déclencher des états chien et peut Cependant, névrotiques. (1) Les lois sont semblables mais le conditionnement différé est plus facile à obtenir que le conditionnement de trace. Pavlov (ibid., p. 86) le notait : « En présence de l'excitation continue, le retard se développe plus rapidement. » Mowrer et Lamoreaux (1942), dans des conditions particulières, notent le même fait sur le rat, ainsi que Rodnick (1937 a) chez l'homme dans le conditionnement du réflexe psychogalvanique. La même loi se retrouve dans des conditionnements d'évitement de type instrumental (Kamin, 1961 ; Black, 1963). Le fait n'a pas été expliqué. Nous serions tentés de le rapprocher des résultat. que nous avons trouvés dans l'appréciation du temps chez les jeunes enfants (Fraisse, 1948 a). Les temps « pleins » ont plus de réalité que les temps « vides » et ils sont estimés beaucoup plus exactement, comme si la durée physique du stimulus ajoutait un repère à ceux que fournissent les processus « intérieurs ».
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cette expérience montre la complexité des adaptations qui correspondent à ces processus (Chu-Tsi-Tsiao, 1959). Nous pouvons serrer les faits de plus près à partir du travail d'un élève de Pavlov. Le stimulus conditionnel était un coup de sifHet, le stimulus normal de la salivation un acide qui suivait à trois minutes d'intervalles. Si on mesure en gouttes la salivation du chien de demi-minute en demi-minute, on trouve après conditionnement les résultats suivants (Pavlov, ibid., p. 84). Nombre de gouttes Heure de salive des expériences 002244 4 3 h 13 00436 6 3 h 15 () 0 2 2 3 6 3 h 40 Cet exemple montre que la réponse ne suit pas immédiatement le stimulus conditionnel, elle est retardée. Le retard, ici, n'est pas égal à l'intervalle qui s'écoulait entre le stimulus conditionnel et le stimulus normal, ou plus exactement la réaction commence à se produire avant la fin de l'intervalle. Cela ne veut pas dire que « l'estimation » de la durée ait été inexacte. En effet, le retard dans un pareil conditionnement ne s'établit que peu à peu et Pavlov insiste même sur le fait qu'il faut procéder très progressivement et qu'il n'y a pas réussite avec tous les animaux. D'autre part, la réaction salivaire est une réponse préparatoire à l'acte de manger et il est normal qu'elle anticipe la présentation du stimulus normal (Guillaume, 1947, p. 33). La même remarque peut être faite avec encore plus de pertinence quand le réflexe qui a été conditionné est de nature défensive. Ainsi Rodnick (1937 a) a trouvé que le retard du réflexe psychogalvanique, déclenché par un choc électrique précédé d'une lumière, était, après apprentissage, de 5,7 s, alors que la lumière avait été allumée 20 s avant le choc (conditionnement différé) (1). Le réflexe lié à une attitude défensive du sujet, à une « appréhension », ne suit sans doute pas immédiatement dans le cas (1) Le retard n'est que de 4,1 s aprèsun très longapprentissage d'un réflexeconditionnéde trace,c'est-à-direlorsqu'unebrèvelumièreprécèdele chocde 20 s. Ceschiffresn'ont évidemment qu'unevaleurrelative.Switzer(1934) avait trouvéen conditionnement différé,dansune expériencesemblableà cellede le de 5 à 10 s environ retard croissait Rodnick,que pourun chocsuivantde 16 s l'établissementd'une lumière.
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
l'établissement de la lumière mais précède d'assez loin le choc. En serait-il encore de même si nous expérimentions sur des réflexes dont le sens biologique est différent ? Il est difficile de répondre à cette question, car la plupart des réflexes sont de caractère défensif ou sont très liés à des préparations d'une activité. Cependant, en allongeant l'apprentissage, les expériences montrent que l'on augmente un peu le retard de la réaction, augmentation fragile d'ailleurs, car si vingt-quatre heures séparent deux séances, il y a régression. Cependant, dans un cas, on a pu montrer que le retard de la réaction était pratiquement égal à l'intervalle entre la stimulation normale et la stimulation conditionnelle. Mais il s'agissait, il est vrai, d'une réaction physiologique et non d'un comportement ; Jasper et Shagass (1941) ont, en effet, réalisé le conditionnement retardé de la disparition du rythme cérébral alpha, disparition dont le stimulus normal est une lumière. Le stimulus conditionnel était un son qui précédait de 9,4 s la lumière. Quand le conditionnement a été stable, ils ont mesuré six fois le retard chez dix sujets et ils ont trouvé une valeur moyenne de 8,2 s avec des extrêmes de 7,2 et 9,2 s et un sigma moyen de 0,7 s. Le retard est donc, même dans ce cas, légèrement inférieur à l'intervalle temporel entre les deux stimuli, conditionnel et normal, mais il est très stable et relativement exact. Notons d'ailleurs que cette estimation biologique du retard de la réaction physiologique était beaucoup plus précise et moins variable que l'estimation consciente et volontaire des mêmes sujets. On leur a demandé en effet d'estimer en appuyant sur une clé le moment où devait se produire le stimulus normal par référence au stimulus conditionnel. Leurs estimations varient de 6 à 15,2 s avec un sigma de 2,5 s. La corrélation entre le retard physiologique et l'estimation consciente est d'autre part nulle, ce qui démontre qu'il y a indépendance des deux processus. En définitive, les conditionnements retardés manifestent qu'à un niveau involontaire les individus tiennent compte de la durée dans leurs adaptations au milieu. L'expérience de Jasper et Shagass nous ferait même penser que l'enregistrement physiologique de la durée est assez précis et que ce sont d'autres facteurs psychologiques qui entraînent souvent l'anticipation de la réaction.
LE CONDITIONNEMENT A LA DURÉE
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II L'ÉVALUATION DE LA DURÉE DANS LE CONDITIONNEMENTINSTRUMENTAL
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Du conditionnement de type classique, on distingue le conditionnement instrumental (Hilgard et Marquis, 1940). Dans celui-ci l'animal, au lieu de subir le stimulus normal, doit apprendre à produire une certaine réaction pour éviter une douleur ou pour obtenir une satisfaction. Dans ce cas, la répétition est encore nécessaire au conditionnement pour que la bonne réponse soit découverte par tâtonnements et pour qu'elle se fixe par renforcement. Les techniques du conditionnement instrumental permettent aussi de mettre en évidence que l'animal tient compte de la durée ; elles sont surtout un moyen de déterminer la finesse de ce que nous appellerons l'estimation du temps par l'animal. De anthropomorphiquement nombreuses techniques ont été utilisées pour étudier ces conditionnements. Dans un labyrinthe, un rat, entre deux parcours possibles, choisit le plus court ; de même, s'il a le choix entre deux confinements de durées différentes, l'expérience montre qu'il choisit le plus bref. C'est ce qu'ont prouvé Sams et Tolman (1925). A leur entrée dans l'appareil, les rats avaient le choix entre deux couloirs identiques à tous points de vue ; au cours de la traversée des couloirs, ils étaient retenus chaque fois dans une petite chambre, 1 mn dans l'une, 6 mn dans l'autre, avant d'atteindre leur nourriture. Les rats choisirent peu à peu la chambre où ils n'étaient détenus qu'une minute. Il ne s'agissait pas d'une préférence spatiale, puisque si on inversait la durée des confinements les animaux inversaient aussi leur choix. Cette méthode permet de juger de la capacité des animaux à différencier deux durées l'une de l'autre (1). Anderson (A. C.) (1932) l'a utilisée systématiquement en offrant à l'animal le choix entre quatre durées de détention. Au bout de 500 courses réparties (19286) a utiliséane méthodeun peu semblabledansl'étudede (1) Woodrow la capacitéde discrimination temporelledes singes.Ceux-cine devaientchercher à prendreun appât qu'aprèsla perceptiondu pluslongde deuxintervallesvides au hasard. Lui aussi a trouvé que ces singespouvaient donnéssuccessivement distinguer1,5 s de 2,25s. Cesdurées,étant dans la limite des duréesperçues, relèventd'un autretypede conduite(voirla deuxième partie) ;nousne lesmentioniwn, ici que pour mémoire,.
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
sur plus de 3 mois, son groupe de rats entrait dans 72 % des cas dans le couloir où il était retenu 1 mn, dans 19 % des cas dans celui de 2 mn, dans 6 % des cas dans celui de 3 mn, et dans 3 % des cas dans celui de 4 mn. L'apprentissage est donc indiscutable. Avec la même méthode, mais en utilisant seulement deux couloirs à la fois, le même auteur a établi que les rats étaient plus sensibles à la différence relative des durées qu'à leur différence absolue, ce qui montre que la loi de Weber s'applique à la discrimination du temps par l'animal. A partir des résultats d'Anderson, nous avons établi le tableau suivant : Rapport entre les durées ................
1/4
1/3
1/2
1/1,5
Pourcentage de choix du confinement le plus court ...........................
96
84
76
65
20 s
1(1s
80
74
Différences entre les , 4 mn 3 mu 2 mn 1 mn 30 s durées............ Pourcentage de choix du confinement le 82 plus court ........
1 96
77
79
îl
)
Ces valeurs ne sont qu'indicatives, car elles ne correspondent pas à des groupes de rats vraiment équivalents. Elles montrent pourtant que le pourcentage des réussites décroît régulièrement à mesure que le rapport des durées diminue, alors qu'il n'y a aucune loi pour les différences absolues, compte tenu du fait que les grandes différences correspondent toujours à de grands rapports. S'agit-il cependant de discrimination de la durée ? Hull (1943) a fait remarquer que l'interprétation de ces résultats était ambiguë. Le stimulus différenciateur est-il la durée de confinement, ou l'animal choisit-il simplement le trajet correspondant au confinement le plus court parce que de ce côté-là le choix est plus vite renforcé ? Ce second facteur peut évidemment jouer un rôle car plus la récompense suit rapidement un choix, et plus celui-ci est rapidement fixé. Mais Cowles et Finan (1941) ont justement proposé une autre méthode où la durée du confinement précédait le choix au lieu de le suivre ; elle
LE GO7VDITIONIVF,MEIV'l'LA DURÉE
z
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constituait donc le seul indice de discrimination (1). Ils ont pris un labyrinthe en Y. L'animal est introduit dans le tronc commun qui est la chambre de confinement, Suivant que le délai de confinement est bref ou long, l'animal doit apprendre à choisir la branche gauche ou la branche droite, un seul de ses choix étant récompensé. Dans ces conditions, seul le temps peut être un indice de discrimination. On constate une fois de plus que l'animal est capable de discrimination temporelle puisque l'apprentissage reste possible. Il semble cependant plus difficile que dans les expériences du type de Sams et Tolman. Six des neuf rats de Cowles et Finan ont appris après 600 essais à discriminer 10 s de 30 s au critère de 70 % de réussites. Heron (1949), qui a utilisé un appareil construit sur le même principe, a trouvé des différences individuelles très grandes entre les rats. Sur onze animaux, trois ont discriminé seulement 5 s de 45 s, 4 sont arrivés à discriminer 5 s de 25 s, 3 autres 5 s de 20 s, et un 5 s de 10 s. Yagi (1962) a trouvé de même que les rats pouvaient apprendre à discriminer 10 s de 50 s en 120 à 400 essais, suivant les individus. Ces méthodes de discrimination prouvent donc bien qu'il a y adaptation à la durée et discrimination, mais elles ne permettent pas cependant des déterminations fines et rapides de la précision avec laquelle les animaux peuvent estimer la durée. Ruch (1931) en a proposé une autre. On place un animal sur une grille A ; pour atteindre la nourriture, il doit passer sur une autre grille B, suivie d'une porte C. Au début B est électrisée et C est verrouillée : si l'animal s'aventure en B, il ne peut que revenir en A. Mais au bout d'un certain temps, B cesse d'être électrisée et C déverrouillée tout en restant apparemment fermée. L'animal doit profiter de ce moment pour franchir B et C, car s'il reste en A il y recevra un choc électrique. Pour résoudre ce problème, il doit donc apprécier un temps inférieur à celui qui sépare le début de l'expérience et le moment où la grille A sera électrisée et supérieur à celui du temps pen(1) Par une autre technique,moinsvalable,Mori(1954),a aussi essayéde vérifierla valeurde l'objectionde Hull.Il a variéla placedeschambresde confinedecettevariable. ment,lessituantloinouprèsdu but, maisn'a pastrouvéd'influence Il a égalementtenté de placerdans chacunedes branchesdu labyrinthedeux 1 puis 7 mn, chambresau lieu d'une. D'un côté le rat est retenusuccessivement de l'autre 7 puis 1 mn. Lesrats ne semblentpas capablesde percevoirune différenceentre ces deuxsituations.
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1'.'1 'rCITOUJG/F: nuTEMPS
dant lequel B est électrisée. Ces limites inférieures et supérieures déterminent une période de sûreté que l'expérimentateur peut faire varier autour d'une valeur moyenne. Le dressage est assez rapide et on peut diminuer progressivement la période de sûreté. Si on calcule alors l'écart entre la tentative du premier passage et le point milieu de la période de sûreté, on arrive pour le rat à une erreur de 13 % qui peut être considérée comme un seuil déterminé par une méthode de l'erreur moyenne. Ce seuil est très fin, car pour une durée du même ordre (ici 438 s) le seuil chez l'homme est de l'ordre de 20 à 30 %. Buytendijk (1935), qui a employé une méthode voisine de celle de Ruch, .
R3 R4 Ri R2 60% j 50 40 'N 30 ' 20 r r 10- o r _r o -n-rn ! n ,0 FiG. 1. - Histogrammesmontrant, pour chaquerat, la répartition moyennedes réponses dans 1 intervaliede 2 mn. Chaque bloc indique la proportion des réponses(en %) émises dans la tranche de 15 s correspondante,N = sans médicament. 10 derniersjours de stabilisation (in IRICIIFLLE (M.), DjAHANGUIRI(B.), Psychopharmacologia, 1964, 106, p. 110).
fait remarquer que les réactions anticipées sont plus nombreuses que les réactions retardées, comme dans le conditionnement classique (1). Certains programmes de renforcement (Ferster et Skinner, 1957), utilisés dans des boîtes de Skinner, permettent aussi d'étudier les conditionnements temporels sous plusieurs aspects. Deux retiendront notre attention. Tout d'abord les programmes à intervalle fixe. L'appui sur le levier n'est renforcé (par de la nourriture) que s'il intervient après un intervalle minimum de 2 mn, par exemple. Les autres appuis sont possibles, mais ne servent à rien. On observe alors que plus l'apprentissage se trouvele mêmerésultat, (1) Blancheteau(1965),qui a repriscesexpériences, mais en outre il analyseà travers quelleschaînesde conditionnement l'animal arriveà s'adapterà cette situationcomplexe.
TaeCONDITTONNEMENT
.4 1,-l D17RÉF
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développe et plus les réponses se massent vers la fin de l'intervalle. Il y a peu de réponses pendant la première minute, elles dans les augmentent peu à peu pour devenir très fréquentes dernières 15 s (voir fig. 1) (Richelle, 1962 ; Richelle et Djahanopérant guiri, 1964). Les conduites dans ce conditionnement sont très proches de celles observées par Pavlov et son école sur le conditionnement salivaire. Elles peuvent aussi être interau temps. prétées comme un conditionnement Les programmes dits D.R.L. (Differential reinforcement of low rate) sont très intéressants dans la perspective de ce chale renforcement n'intervient. pitre. Dans ces programmes, que une en suit une autre à un intervalle donné, pour réponse qui par exemple 20 s. Cette situation n'est pas assimilable à un conditionnement au temps (chap. I), parce que la périodicité n'est pas assurée, puisque l'animal peut répondre trop tôt ou trop tard. Mais quel que soit le moment de la réponse, l'appareil est aussitôt programmé pour que le renforcement ne se produise au moins 20 s après la que si la réponse suivante intervient précédente. Dans ce cas, on observe (Wilson et Keller, 1953 ; Sidman, 1956) que les intervalles de réponse se répartissent régulièrement autour d'une tendance centrale située autour de la durée fixée, soit 20 s dans l'expérience de Sidman (voir fig. 1). On peut d'ailleurs réaliser des conditionnements au temps encore plus prccis en ne renforçant que les réponses qui tombent dans un intervalle donné : par exemple après 20 s et avant 25 s. Dans ce cas précis, le dressage des rats est assez facile. Il devient plus difficile si on réduit la marge de sécurité, mais il est encore possible pour un intervalle de 1 s après 20 s, ce qui donne un intervalle de 5 % (Kelleher, Fry, Cook, 1959). * * * Par des méthodes très différentes, on a ainsi prouvé que, chez l'animal, où n'interviennent pas les processus complexes nous étudierons dans les que prochains chapitres, il existe une au soit adaptation temps, que l'animal se soumette à sa loi, ce qui est très remarquable dans le conditionnement retardé soit le détermine sa conduite, comme dans classique, que temps le conditionnement instrumental.
Id
PSYCHOLOGIEVU TEMPS
Il est vrai que ces apprentissages sont longs, difficiles, et les différences individuelles sont très grandes, comme tous les auteurs l'ont signalé après Pavlov. Ils sont aussi peu stables. Une interruption de 24 h entre deux séances amène une diminution du retard d'un conditionnement différé ou de trace (Switzer, 1934 ; Rodnick, 1937 a). La réponse retardée serait aussi moins intense que la réponse immédiate (Kotake et Tagwa, 1951 ). D'autre part, il semble que les conditionnements retardés ne sont possibles que dans des limites temporelles relativement étroites, bien que ce point n'ait pas fait l'objet d'études précises. Si les délais sont trop longs, il ne s'établit plus de liaisons entre le signal et la réponse et la discrimination de deux durées n'est plus possible. III I:ES LNTERPRÉTATIOIVS}'SYCHOPHYSIOLOGIQUES Comment expliquer les mécanismes de cette adaptation temporelle dans le cas de l'animal, cas où nous ne pouvons faire appel aux processus supérieurs que nous analyserons dans notre troisième partie ? Pavlov (ibid., p. 86) pense que le stimulus conditionnel engendre au début une inhibition conditionnelle (phase inactive) suivie d'une période d'excitation (phase active). Il s'appuie, pour sa démonstration, sur l'observation de l'animal et sur le fait que les phénomènes observés pendant la première partie du retard correspondent tout à fait aux processus d'inhibition. En particulier, une stimulation quelconque de force moyenne suffit à déclencher la salivation du chien dans la première phase en levant l'inhibition ; au contraire, à la fin, pendant la phase d'excitation, un stimulus du même genre a une action inhibitrice qui a pour effet de diminuer la salivation (1). Prenons un exemple où la levée de l'inhibition par un stimulus neutre est manifeste. Le stimulus conditionnel est l'excitation mécanique de la peau et le stimulus normal suivant à 3 mn est un acide. La réaction salivaire est retardée au fait que (1) Hull(1952)postuleaussiun processusinhibiteurcorrespondant la réponseest retardée(Théorème25 B).
LE CONDITIONNEMENT A LA DURÉE
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(expériences de 9 h 50 et 10 h 30). Si on associe au stimulus conditionnel le bruit d'un métronome qui n'a eu aucune relation avec la salivation, on s'aperçoit que la salivation commence tout de suite (10 h 15). Voici le tableau de Pavlov (ibid., p. 87) : ._ ____ ___ Salivation en gouttes 1__L_-_- - - _ _ Heures ¡Stimulus durant 1 demi-minute , chaque j : 9 h 50 10 h 15 10 h 30
I Excitation mécanique de la peau 1 0 0 3 7 11 19 3 5 9 Excitation + métronome ; 477 ' de la peau 0 0 0 3 12 14 1 Excitationmécanique 1
Tout se passe comme si le métronome qui n'avait aucune valeur de signal poui l'animal levait l'inhibition de la première phase et créait une inhibition sur la deuxième, effet caractéristique d'un stimulus neutre en fonction de l'état d'inhibition ou d'excitation du cerveau. Que le retard soit dû à une inhibition, Pavlov en veut aussi trouver une preuve dans le fait que tout ce qui contrarie le processus inhibiteur rend l'établissement d'un conditionnement retardé plus difficile. Ainsi en est-il chez les chiens dont, selon sa typologie, les processus inhibiteurs sont faibles, ou simplement chez des chiens dont le processus d'excitation est renforcé par un jeûne avant l'expérience. Par de nombreuses expériences, Pavlov et ses élèves ont d'ailleurs montré que les excitants du type caféine rendaient le conditionnement au temps, ou retardé, très difficile, tandis que les calmants du type bromure souvent les facilitent (d'après Dmitriev et Kochigina, 1959) (1). Cette hypothèse a reçu indirectement quelques autres confirmations. Le fait que chez l'homme la respiration soit inhibée pendant le conditionnement retardé du réflexe psychogalvanique pourrait être interprété dans ce sens (Switzer, 1934), quoique l'appréhension puisse suffire à l'explication. En considérant le temps de réaction comme un conditionnement, retardé des conduitesd'attente, on (1) Si on rapprochele conditionnement peutremarqueravecBirman(1953)quelesindividusqui supportentbienl'attente sont sansdouteceuxqui ont une forte composante inhibitrice.Lesmanifestations d'impatienceet les réactionsémotivesgénéraliséestraduiraientau contrairela faiblessedu processusinhibiteur. 5 P. FHAISSE
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
Leridon et Le Ny (1955) ont montré qu'un sujet habitué à réagir à un stimulus normal suivant de 5 s le stimulus conditionnel (ou signal préparatoire) donnait un temps de réaction significativement plus long si le stimulus normal arrivait seulement au bout de 2 s, c'est-à-dire pendant la phase d'inhibition. Ce résultat est d'autant plus surprenant que, normalement, le temps de réaction est plus bref après un intervalle de 2 s entre le signal préparatoire et le signal d'exécution qu'après un intervalle de 5 s. L'existence de gradients d'approche ou d'évitement selon la perspective de Miller (N. E.) (1944) peut être interprétée dans le même sens. Une force se développe progressivement à mesure que le moment d'une stimulation attendue approche. Prenons comme exemple l'expérience de Rigby (1954). Un rat a la tête prise dans un harnais dont les mouvements vont révéler les conduites d'approche ou d'évitement. Dans la situation d'approche, 10 s avant la présentation de la nourriture, on allume une lampe ; dans la situation d'évitement, 10 s avant un choc électrique appliqué sur les pattes arrière, on fait entendre un bruit. Après un dressage qui réalise un conditionnement retardé, on mesure la force d'approche à divers moments du temps pendant le délai de 10 s et on constate qu'elle croît légèrement pendant les 8 premières secondes et abruptement vers la fin. La force d'évitement suit la même évolution. Le processus d'inhibition serait révélé en outre par le fait que pendant le retard il se généraliserait. En effet pendant la phase inactive, le stimulus conditionnel d'une autre réaction est inefficace ou peu efficace (Koupalov et Pavlov, 1935). Rodnick (1937 b), par exemple, a montré qu'un réflexe palpébral, conditionné à un son, était moins intense si le son se produisait pendant le retard conditionné d'un réflexe psychogalvanique. Dans un conditionnement où le sujet humain ne bénéficie d'un renforcement monétaire que si sa réponse survient 60 s après un signal, Doehring et Al. (1964) ont observé avec quelques variations individuelles que les réponses électrodermales se multipliaient, la vitesse du coeur augmentait, le volume du doigt augmentait vers la fin de la période de 60 s, manifestant l'existence d'une phase active par rapport à une phase inhibitrice.
LE COND1TIONNEMENTA LA 1)URÉh§
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S'il est donc très vraisemblable qu'il se développe un processus d'inhibition pendant le conditionnement retardé, il reste à préciser le mécanisme même qui règle sa durée : ainsi passerait-on du plan descriptif au plan explicatif. Pavlov s'est contenté de rattacher le conditionnement retardé au conditionnement aux changements périodiques, dit conditionnement au temps, que nous avons étudié dans le précédent chapitre. Cela signifie qu'à chaque phase du retard correspondrait un état de l'organisme qui engendrerait dans les hémisphères cérébraux les processus d'inhibition pendant le retard et les processus d'excitation au moment de la réaction. Mais quels seront ces états successifs de l'organisme ? Quand on nourrit un chien toutes les 30 mn, on peut encore penser qu'à chaque instant de ces 30 mn correspond un état différent du processus digestif, mais qu'imaginer quand simplement un son est le signal d'une nourriture ? Il faudrait supposer que se développe une série de réactions de l'organisme, mais, comme dans le conditionnement au temps, il faudrait expliquer le mécanisme de la régulation temporelle de ces réactions quand leur succession n'est pas déterminée par les lois d'un processus biologique tel que la digestion. Nous sommes ainsi renvoyés à l'hypothèse même qu'a proposée Popov, la cyclochronie : le système nerveux est apte à reproduire une série d'excitations dans le même ordre et avec les mêmes intervalles temporels que lorsqu'elles ont agi la première fois sur l'organisme. Cette hypothèse peut s'appliquer aussi bien aux changements périodiques qu'à des répétitions de séquences identiques. Le groupe stimulus conditionnel-stimulus normal, y compris le délai entre les deux, constituerait un ensemble qui tendrait à se reproduire identique à lui-même. Le compte-temps d'origine cyclochronique n'exclurait pas le fait qu'il se développe une phase inhibitrice, mais celle-ci ne serait qu'un effet. Il n'exclurait pas non plus le fait que l'animal pourrait utiliser d'autres repères venant du monde extérieur ou de l'organisme. Dans le cas du conditionnement instrumental, plusieurs auteurs ont pensé que la quantité d'activité de l'animal pendant le confinement pouvait lui fournir un repère. Mais Cowles et Finan (1941) ont remarqué qu'il n'existait aucune activité typique et régulière de l'animal pendant ce temps. Heron (1949) de son côté a suggéré que, pendant les périodes de confinement,
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
il se développerait une tension et que, suivant le niveau à laquelle elle se trouverait quand l'animal est délivré, ce dernier choisirait l'une ou l'autre solution. Cette hypothèse qui reste assez vague serait corroborée par un fait qu'avait observé Buytendijk (1935). Il avait dressé un chien, placé dans un harnais du genre de ceux de Pavlov, à pousser toutes les 90 s un battant derrière lequel on avait déposé un morceau de viande. L'enregistrement continu de la respiration par un pneumographe montrait un accroissement continu de l'amplitude de la respiration à mesure que le moment d'agir approchait. Mais où est l'effet et où est la cause ? Le schéma le plus vraisemblable consiste à imaginer qu'un processus nerveux spécifique sert de compte-temps et qu'il est engendré par la répétition séquentielle d'excitations ayant une signification vitale pour l'organisme. Le centre, qui commanderait les adaptations périodiques comme les conditionnements sous-cortical. Les travaux retardés, est vraisemblablement faits à partir d'un conditionnement instrumental au temps semblent confirmer les résultats obtenus dans les inductions périodiques (chap. I, p. 42). En effet, Finan (1939) a pratiqué l'ablation des lobes frontaux chez quatre singes. Ces animaux, avant comme après l'opération, sont capables de résoudre un problème temporel du type de celui de Ruch (cf. p. 61) : rester sur une grille pendant 10 s, puis profiter des 10 s suivantes pour franchir une autre grille de façon à éviter un choc sur l'une ou l'autre grille. Ils sont de même capables de distinguer un confinement de 30 s d'un autre de 120 s (1). Certes, prise isolément, cette expérience prouve seulement que l'intégrité des aires frontales n'est pas nécessaire dans les F'inana montréque cesmêmesanimauxétaient (1) Dansla mêmeexpérience, Onappelleréponsedifféréeuneréponse incapablesde donnerdesréponsesdifférées. danslaquelleon imposeun délaientrele signalde la réactionet le momentde la réponse.Ainsi,si on cachedevantun singeun fruit,il y aura une réponsedifférée positivesi l'animalest capablede retrouvercefruit aprèsun délai.Jacobsen(1936) avait trouvédes troublesélectifsde ces réponseschezles animauxprivésd'aires frontales.Cependant,en rapprochantlesréussitesdesanimauxprivésd'airesfronet leurséchecsdansles réactions tales,danslesexpériences proprementtemporelles, différées,Finan(1939et 1942)a fait apparaîtrenettementque la réponsedifférée n'a pasune composante temporelle proprementdite,alorsqu'elleavaitété souvent assimiléeà un conditionnement retardé.Le déficitconstatéest mnénomique et seraitdû à un manquede fixationde la stimulation(placede l'objet). Le temps ici joue un rôle, non par sa duréeproprementdite qui n'a pas besoind'être enregistrée- maisparcequ'il créela possibilitéde l'oublientre la présentation et le rappel.
LE CONDITIONNEMENT AJ..4
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conditionnements retardés, mais comme par ailleurs on pense que c'est dans ces aires qu'auraient pu être localisées les régulations des conduites temporelles, on peut en inférer que le compte-temps fondamental doit être plutôt sous-cortical. Ce centre qui enregistrerait la durée et fournirait des indices sur les séquences temporelles ne jouerait évidemment un rôle qu'en relation avec tout le comportement de l'individu. Ainsi les lois propres des réactions adaptatives qui impliquent une anticipation de la situation pourraient expliquer que, dans le conditionnement retardé du réflexe psychogalvanique ou du réflexe salivaire, le retard soit inférieur au délai qui existe entre le stimulus conditionnel et le stimulus normal. Des réactions d'anxiété pomraient avoir le même effet. Cette combinaison de processus physiologiques et de repères fournis par l'affectivité comme par l'action expliquerait aussi que plus les conditions de l'adaptation sont complexes et plus en réalité les estimations temporelles sont imprécises. Ce paradoxe signifierait simplement que seul le processus physiologique de base nous offre un repère précis, et trouverait sa confirmation dans le fait que le conditionnement retardé du rythme alpha qui ne se situe pas sur le plan du comportement est le plus précis et le plus régulier de tous ceux qui ont été étudiés. * * * On peut, en conclusion, se demander quel rôle jouent ces conditionnements à la durée dans la vie de l'homme. Nous venons de voir que l'animal a la possibilité d'estimer pratiquement la durée, bien qu'il soit dépourvu de représentations symboliques et qu'il soit incapable de faire des opérations intellectuelles. Cette aptitude primaire existe-t-elle encore chez l'homme ? Elle n'apparaît pas directement, ce qui ne doit pas nous étonner, car, si elle existe, elle ne se manifeste qu'intégrée à ces conduites plus complexes qui manquent aux animaux. Cependant, les rapprochements qui se sont imposés à nous entre l'adaptation aux changements périodiques et les conditionnements à la durée nous autorisent à penser que l'homme aussi enregistre la durée sur un plan biologique. Dans le cas de l'orientation temporelle, nous avons vu clairement que l'homme
711
l'SYClTnT,Or;lE 1)[ TEMPS
utilise à la fois les repères organiques que lui fournit l'adaptation de son corps aux changements et les élaborations les plus symboliques ; de même, dans l'estimation de la durée aux constructions de l'esprit doivent se mêler des informations d'origine hiologique. C'est peut-être pourquoi l'estimation directe du temps garde toujours un caractère un peu mystérieux, dont la précision nous surprend parfois.
DEUXIÈME
LA PERCEPTION
PARTIE
DU TEMPS
Emportés et modelés par l'universel changement, nous en sommes aussi les témoins parce que nous le percevons comme changement. Cette perception est possible dans la mesure où nous saisissons en une relative simultanéité plusieurs phases successives du changement qui apparaissent ainsi liées. Le présent perçu a, par suite, une épaisseur temporelle dont la durée a les limites mêmes de l'organisation du successif en une unité (chap. III). Le seuil de la perception de la succession, dès que deux stimulations n'apparaissent plus comme simultanées, et le seuil de la durée, au-delà de l'instantanéité, sont fonction des conditions de la réception sensorielle (chap. IV). La durée perçue n'est qu'un caractère de l'organisation du successif ; sa qualité dépend de la vitesse de succession des stimulations et sa quantité de leur nature (chap. V). Dans la mesure où on peut le vérifier, on constate que les vertébrés supérieurs perçoivent le temps dans des conditions semblables à celles de l'homme. Cette forme d'adaptation apparaît donc étroitement liée à des propriétés générales des centres récepteurs. Chez l'homme cependant, la perception n'est pas seulement guide de réactions immédiates, mais source de connaissances.
CHAPITRE
III
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE Il est des cas où nous constatons le changement. Il en est où nous le percevons. Tout à l'heure, le soleil brillait ; maintenant, le ciel est couvert. Absorbé par mon travail, je n'ai pas perçu le changement, mais je le constate grâce à ma mémoire. Par contre, la cloche de l'école voisine sonne en ce moment, et je perçois la succession de ces brèves alternances de sons et de silences qui correspondent à ses battements. Je perçois dans ce cas les changements comme j'aurais pu percevoir tout à l'heure le passage des nuages masquant le soleil. Ce chapitre est consacré à l'analyse générale des caractères et des conditions de notre perception des changements. Mais pour délimiter ce problème, il faut toat d'abord s'entendre très précisément sur la nature du processus perceptif, puisque nous voulons le distinguer d'autres modes d'adaptation. Le langage psychologique, plus adapté à la vie pratique qu'à une science de l'homme, nous trahit sans cesse. La perception, dans le langage courant, désigne toute prise de conscience et recouvre alors des processus à la fois sensoriels, affectifs, mnémoniques et intellectuels. Pour ne prendre qu'un exemple, touchant à notre sujet, J. Guitton (1941, p. 19) parle de la « perception de l'avenir ». Il est évident dans ce cas qu'il ne peut s'agir que d'une métaphore. Percevoir - employons le verbe puisque la perception est l'acte d'un sujet - implique essentiellement qu'il y a réaction à une situation présente. Cette situation peut être précisée en termes physiologiques par l'existence d'une excitation des centres nerveux d'origine périphérique, en termes de conscience par une expérience immédiate, et en termes de comportement par une réaction adéquate à la situation. Sur tous ces plans, on ne peut parler de perception que
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s'il y a une réaction immédiate à une stimulation présente. On la définit peut-être mieux encore en la distinguant de ce qui n'est pas elle. La mémoration est évocation, sur le plan de l'action ou de l'imagination, d'un stimulus qui n'appartient plus à l'expérience actuelle du sujet. L'intellection est une mise en relation de données perçues, remémorées ou imaginées. La réaction affective est retentissement dans toute l'activité psychique d'un donné, lui aussi perçu ou représenté. Préalablement à tous ces processus, il a fallu qu'il y ait une expérience directe ou immédiate. Sur le plan de l'espace, nulle confusion n'est possible entre l'espace perçu, l'espace imaginé ou représenté et l'espace conçu comme une notion abstraite. Dans un autre domaine, Michotte a pu parler de « perception » de la causalité, parce qu'il a démontré qu'en modifiant les données du champ perceptif actuel il pouvait modifier du même coup les réactions - verbales, dans ses expériences - du percevant. Le fait que la perception soit une réaction à une donnée immédiate ne signifie pas nécessairement qu'elle soit indépendante de l'expérience antérieure. Les informations sensorielles se chargent, au cours de la vie d'un individu, de significations acquises par conditionnement. Le chien salive à la vue de la viande, mais seulement s'il a mangé antérieurement de la viande. Je dis que je perçois une feuille de papier parce qu'à mon expérience originale a toujours été associé dans mon enfance le mot papier. En ce sens, le présent est chargé de significations acquises dans le passé, mais autre chose est un passé présentifié par l'excitation actuelle ou un passé remémoré. En définitive, le caractère de la perception dépend plus ou moins de l'expérience passée du sujet, mais elle peut toujours se définir comme la saisie de stimulations présentes sans intervention explicite de souvenirs et sans élaboration intellectuelle. Ceci posé, on comprend immédiatement que la perception du changement pose un problème. En effei, qui dit changement dit cessation ou transformation de ce qui est. Que je puisse constater le changement en confrontant ma perception à mon souvenir, ou que je puisse concevoir le changement en rapprochant ces aperçus successifs sur le monde, la chose est claire. Mais saisissons-nous le monde seulement comme une suite de tableaux semblables à ces histoires par l'image que l'on propose
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aux enfants ? En réalité nous savons que nos perceptions ne sont pas statiques et que nous percevons un monde en perpétuelle transformation. Il faut distinguer le cas des changements continus et des changements discontinus. Les changements continus donnent naissance à la perception d'une transformation qualitative ou intensive : l'assombrissement, le rougeoiement, le bruit croissant de l'auto qui approche. Lorsqu'il y a déplacement spatial, nous percevons le changement comme mouvement. Ces changements se caractérisent tous par leur vitesse qui, avant d'être une notion susceptible d'une définition liée à sa mesure (la quantité de changement en une unité de temps), est une donnée perceptive. L'enfant de cinq ans, qui n'est pas capable de mesurer la vitesse et qui n'en possède pas la notion, peut cependant comparer la vitesse de deux mobiles à condition que la situation ne soit pas si ambiguë qu'elle exige une composition des données spatiales et temporelles (Fraisse et Vautrey, 1952). Ces changements ne sont perceptibles que si leur vitesse atteint un certain seuil. En deçà, nous constatons seulement des états différents et successifs d'un même phénomène, mais non la transformation. Ainsi en est-il de la croissance des plantes. Il a fallu le cinéma et ses possibilités de projeter les images à une cadence plus rapide que celle à laquelle elles ont été enregistrées pour que nous puissions percevoir la croissance d'une tige ou l'éclosion d'une fleur. La perception d'une transformation continue nous fournit des informations temporelles indistinctes par le fait que nous ne percevons distinctement que ce qui est statique. Elle nous permet cependant d'anticiper les états ou les positions successives de ce qui change. Le photographe amateur qui développe à la vue un cliché ou une épreuve voit se transformer plus ou moins vite l'image et il peut, à partir de cette vitesse, prévoir le moment le plus opportun pour la retirer du révélateur. La perception de la vitesse nous permet aussi d'anticiper le moment où le mobile passera en un point ; grâce à cette perception, le piéton sait quand il peut traverser la rue sans danger et le chasseur où diriger son fusil pour atteindre lièvre ou perdrix. Ces transformations peuvent nous donner une expérience du durable ; elles peuvent nous en suggérer l'idée par l'évanescence sans cesse renouvelée de ce qui change, mais nous n'y
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percevons aucune durée quantitative. Celle-ci est toujours intervalle entre deux phénomènes ou deux états distincts d'un même phénomène (1). La rivière qui coule sous mes yeux est rapide ou lente, mais ce mouvement ne me donne aucune perception de durée. De la vitesse nous pouvons sans doute conclure à une durée, mais par un raisonnement. Rien perceptivement ne nous indique que ce qui va plus vite dure moins longtemps (cf. chap. VIII). La perception des changements continus n'a jamais été mise en doute. Celle des changements discontinus pose par contre des problèmes très complexes. Le changement continu peut en effet être perçu dans l'instant, tandis que le changement discontinu, pour être perçu, implique que je perçoive non seulement l'état A puis l'état B, mais le passage de l'un à l'autre, c'est-à-dire leur succession. Or, qui dit succession dit justement que, lorsqu'un nouveau phénomène se produit, l'ancien n'est plus présent. Telle est au moins l'analyse que notre idée de succession nous permet de faire. En définissant la perception comme saisie du présent, il semble que la perception d'une succession soit impossible : voilà la conclusion à laquelle conduit une analyse logique, que peut renforcer apparemment un recours rapide à l'introspection. L'école de Würzbourg nous a heureusement mis en garde contre l'erreur objective qui consiste à confondre le donné phénoménal avec notre savoir sur l'objet. Bergson avait finement remarqué que la perception de la succession impliquait la perception simultanée et non successive de l'avan.t et de l'après et « qu'il y avait contradiction à supposer une succession qui ne fût que succession et qui tînt néanmoins dans un seul et même instant n (Bergson, ibid., p. 77). Bergson, on le sait, pensait que nous ne saisissions la succession que parce que nous la projetions dans l'espace, en assurant une simulta(1) C'est sans doute en partant de cette observationque Bergsona suggéré de distinguerla duréequalitéqui est pourlui la vraieduréeet la duréequantité. « La duréetoute pure,a-t-ilécritdansun texte célèbre,est la formeque prendla successionde nos états de conscience quandnotre moi se laissevivre,quandil s'abstientd'établirune séparationentre l'état présentet les états antérieurs» de la conscience, 19eéd., 1920,p. 75).Bergson (Essaisur les donnéesimmédiates invoqueici un changementparticulier,celuimêmede nos états de conscience, une où il a fusion de nospenséeset surtout poury déceler expérience y mélodique de nos aftects.Cetteexpérience n'est pas de l'ordrede la perception,car, en cherchant à en préciserles stimulationscorrespondantes, on supprimeraitpar le fait mêmecet état de fusion.Nousauronsl'occasionde revenirsur les positionsdf Bergson(cf. pp. 84-85).
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néité des deux termes. Cette représentation de la succession correspond à une conduite réelle que nous étudierons au chapitre VIII. Il est cependant possible de prouver que nous avons une perception de la succession. La preuve doit être apportée en première analyse sur le plan phénoménal, car il faut montrer que le paradoxe de la perception simultanée de l'avant et de l'après n'existe qu'au plan logique et non au plan des faits. Soulignons tout d'abord que tous les changements discontinus ne sont pas perceptibles. Il est 3 h 15 ; l'horloge vient de sonner un coup. Celui-ci est unique. Perceptivement il ne succède à aucun autre, mais je sais grâce à ma mémoire qu'il fait suite à trois coups frappés il y a 15 mn. Par contre, quand l'horloge frappera les quatre coups de l'heure suivante, je percevrai la succession des quatre coups : cela signifie que le premier sera en quelque manière encore présent quand le quatrième retentira. Ce fait n'a rien de paradoxal, s'il est vrai, comme nous le démontrerons, que la perception d'une stimulation même brève est un acte qui a lui-même une certaine durée et qui jette comme un pont entre des stimulations physiquement successives. Dans le cas où il y a perception de la succession, deux situat.ions peuvent se rencontrer. Si les stimulations sont nombreuses, rapides et régulières, nous percevons qu'il y a succession, mais le caractère dominant de cette succession est sa fréquence. Si la fréquence est grande, les éléments sont indistincts et nous n'avons que l'impression d'un changement d'intensité d'une même stimulation (vibrations tactiles, papillotements lumineux, crépitements). Si elle est moins grande, il y a perception d'une suite d'éléments discrets comme dans les battements d'un métronome rapide. La perception d'une fréquence s'apparente à celle de la vitesse d'un changement continu et elle nous révèle indirectement que cette dernière perception est déjà celle d'une multiplicité. Un appareil photographique très rapide ne fixe que des états statiques d'un phénomène. La perception du changement est toujours appréhension multiple. La fréquence, comme la vitesse, nous renseigne sur la qualité d'un changement mais non sur sa durée. Quand la fréquence est assez basse (de 2 à 3 à la seconde), si nous faisons attention pendant un certain temps à la suite des stimulations, un nouvel aspect de la perception du successif
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apparaît. Prenons l'exemple des sons : si nous écoutons une suite de sons identiques se succédant à intervalles isochrones, ils nous semblent être groupés par deux ou par trois ; perceptivement ce ne sont plus des sons, mais des groupes qui se succèdent. Ce phénomène, que l'on a qualifié de « rythmisation subjective » pour souligner qu'il ne correspond à aucune donnée de la réalité physique, peut nous permettre d'analyser mieux que tout autre la perception du successif. Le groupement naît en effet d'une saisie globale et comme simultanée de plusieurs éléments qui forment une unité de perception. Cette unité n'est pas seulement constatée introspectivement. Elle retentit aussi sur le comportement. L'enfant d'un an qui se balance au son de la musique, l'écolier qui fait de même en récitant des alexandrins, manifestent que le vers ou la mesure a pour eux une unité. Si on synchronise des mouvements à des sons qui reviennent périodiquement, la rythmisation subjective se traduit par des différences entre les mouvements qui reviennent à des intervalles égaux à la durée du groupement (Fraisse, 1956, p. 20). Le rythme n'est pas une singularité, mais un cas privilégié où l'unité d'éléments successifs apparaît mieux parce qu'elle se répète identique à elle-même. Cependant l'organisation d'éléments successifs en unités perceptives est un caractère si primitif de notre expérience que nous ne nous en apercevons plus. Elle est la base de notre perception du rythme, de la mélodie, mais aussi des sons du langage. L'enfant n'apprend à donner une signification aux phonèmes ma-man que parce qu'il les perçoit comme formant une unité. Parce que la perception du successif en unité est le fait fondamental de la perception du temps, nous allons en analyser successivement les caractéristiques et montrer qu'elle est : 10 Perception d'ordre ; 2° Perception d'intervalle temporel, avant de déterminer, en troisième lieu, dans quelles limites elle est possible. 1 1,,4 PERCEPTION DE 1,'ORVRFi Prenons le cas le plus simple : le bruit d'une horloge. Je perçois un tic-tac, puis il s'efface et un nouveau tic-tac apparaît. Quand le deuxième tic-tac se produit, le premier n'est plus
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une mémoire me permet et seule la mémoire, immédiate, présent de savoir que ce tic-tac a été précédé d'un autre. Mais dans la d'un tic-tac, le tic n'appartient perception pas encore à mon passé quand le tac sonne. Et, par le fait, je perçois directement du tic et du tac sans même avoir l'idée de succession l'ordre et sans qu'il y ait intervention de la mémoire. néanmoins La perception de l'ordre n'intervient que si les entre stimulations successives sont susceptibles de s'organiser Une suite de sons et de c'est-à-dire sont de même nature. elles, lumières ne donnera naissance à la d'une perception jamais les unes et les autres. La perception organisation qui intégierait sera celle d'une double série, celle des sons et celle des lumières. dans le chant choral où C'est ce qui se produit normalement voix a une D'une manière chaque propre. compléorganisation est nous verrons dans le prochain mentaire, chapitre qu'il difficile de percevoir l'ordre de succession (ou la simultanéité) ou un une lumière de deux stimulations comme hétérogènes ne s'ordonnent parce qu'elles pas spontanément. successif est est important de remarquer que l'ordre Il ne résulte d'une nous perçu. pas que plaquerions organisation comme si nous sur des stimuli indépendants les uns des autres, ou enfilions des perles. Dans l'organisation (spatiale perceptive une l'activité notre forme de temporelle), esprit n'impose pas à une matière. la science, Quel que soit le domaine qu'envisage à des éléments l'ordre a ses lois propres et n'est pas surajouté Cet ordre n'est indifférents 1946, pp. 339-340). (Guillaume, de saisi à travers l'examen non d'une pas plus représentation données successives. S'il en était ainsi, nous pourrions, après avoir perçu trois éléments successifs en rendre compte A B C, ABC ou C B A ou B A C, etc. aussi aisément dans l'ordre Il est facile de reproduire Or il n'en est rien. des chiffres dans l'ordre où nous les avons et c'est l'attitude entendus, dès le plus jeune âge. Les reprospontanée que l'on constate duire dans un autre est beaucoup nous ordre plus difficile ; de faire au truchement avons alors besoin justement appel est inhérent d'une L'ordre aux stimulations représentation. il est pratiquement elles-mêmes et dans le cas du rythme les éléments dans un autre de reproduire toujours impossible ont une ordre. Les travaux de Broadbent (1958) apporté à connaissances sur cette contribution nos importante question. son,
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visuellement trois chiffres, Si on présente 7, 2, 3, par exemple trois autres chiffres, par on fait entendre et si, simultanément, ces stimuli 9, 4, 5, le sujet ne peut reproduire qu'en exemple ou inversement. la série visuelle la série auditive après répétant se sont organisées entre elles, les excivisuelles Les excitations de groupement de même. Ce phénomène tations sonores peut ainsi aussi se produire sur la base de la place de l'excitation : à ceux à une oreille par rapport en est-il des stimuli présentés oreille. La même loi se vérifie simultanément à l'autre présentés si simultanément deux voix dans des bandes encore on entend dans tous les cas, l'organisation de fréquences différentes. Donc, des excitations. se réalise sur la base d'une identité qualitative mémoire à la ont fait de théoriciens pour appel Beaucoup dans toute de fondamentale notre l'ordre, expérience expliquer de sendu temps. Comment passer d'une pluralité psychologie les associationnistes, au siècle dernier se demandaient sations, à un ordre de ces sensations tel qu'il nous donne une expérience dans le sur leur position du changement et une indication Lotze s'était Le même problème posé pour l'espace. temps ? la théorie avait alors imaginé, pour rendre compte de l'étendue, des signes locaux 1852 ; d'après (Medicinische Psychologie, La psychologie allemande Ribot, 1879). Chaque contemporaine, point de la rétine pour la point du corps pour le tact, chaque nous donnerait des sensoriels différents, vue, ayant récepteurs intensif différent une sensation de caractère pour un même son constituerait stimulus, signe local. Le particularité qui de disdu corps (ou des yeux) nous permettrait mouvement points de l'espace. tinguer les signes locaux propres des différents de ces alors d'une organisation La possibilité de l'espace naîtrait de tenait Lotze à innée due une notion d'espace que signes, ce que auteurs ont cherché Kant. Pour le temps, de nombreux des sensations de tension être les signes temporels : pourraient aux sensations auraient et de relâchement alternées pu donner alors de leur attrisuccessives ce signe propre qui permettrait ces auteurs ont recherché les buer un ordre. Le plus souvent, sensations. de nos indices dans le degré d'effacement Lipps, par les naissent dit que les sensations puis s'effacent : exemple, déterà un moment deux d'entre elles d'effacement de degrés dans le ont occupées miné correspondent aux positions qu'elles traduites sont d'intensité entre les Les différences images temps.
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en différences de position (Grundtatsachen des Seelenlebens, 1883 ; d'après Bourdon, 1907). La théorie la plus élaborée est sans doute celle de Guyau. A l'origine, il n'y aurait ni coexistence ni succession, mais une pluralité de sensations et de représentations ; chacune serait différente des autres. « De plus, le souvenir même a ses degrés suivant qu'il est plus ou moins lointain : tout changement qui vient de se représenter dans la conscience laisse en elle, comme résidu, une série de représentations disposées selon une espèce de ligne dans laquelle toutes les représentations lointaines tendent à s'effacer pour laisser place à d'autres représentations toujours plus nettes n (Guyau, 1902, 2e éd., pp. 25-26). « La preuve, ajoute-t-il, que la représentation de l'avant et de l'après est un jeu d'images et de résidus, c'est que nous pouvons très bien les confondre n (ibid., p. 26). Il évoque par exemple cette expérience où le sujet se trompe sur l'ordre d'apparition de deux étincelles qui brillent en deux points de l'espace. Celle que l'on regarde semble apparaître la première. Mais Guyau a justement choisi un exemple dans lequel il n'y a pas organisation perceptive des stimuli par suite de leur écart spatial. L'ordre ne viendrait selon lui que d'une sorte de sédimentation de nos souvenirs. Cette théorie soulève des objections : si l'ordre est lié à l'intensité des images, comment expliquer, remarquait Bourdon (1907), qu'après avoir entendu une série de lettres il soit beaucoup plus difficile de les reproduire dans l'ordre inverse que dans l'ordre naturel ? Le raisonnement vaut pour l'effacement comme pour la représentation. Les éléments les plus récents étant les moins effacés devraient être reproduits plus facilement et en premier lieu ; or, on constate l'inverse. D'autre part, lorsque l'intervalle entre deux stimulations est très court, les différences d'effacement ne peuvent pas être perceptibles. « D'une manière générale, il est difficile d'admettre qu'il existe, entre les images d'impressions successives, des différences d'intensité comparables, comme délicatesse de différenciation, aux différences de position dans le temps que nous sommes capables de percevoir o (Bourdon, ibid., pp. 474-475) (1). surle problèmede la mémoirede la succession (1) Nousreviendrons longuement au chap. VI (p. 160). P. FRAISSE
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En réalité notre perception de l'ordre des sensations n'est pas, à sa naissance, réductible à un autre mécanisme. L'ordre même du successif. Une condition est donné dans l'organisation soit sponest cependant nécessaire : il faut que l'organisation des stimutanée, ce qui ne se produit que s'il y a homogénéité En dans certaines limites temporelles. lations et seulement --nous est assez entie les stimulations effet, si l'inteivalle long une nouvelle quand plus loin cette durée préciserons la précédente se produit, stimulation plus au n'appartient les deux n'est et la succession plus perçue : présent perceptif sont distinctes et leur ordre, qui n'est plus perçu, stimulations doit être reconstitué par la mémoire. Dans ce cas peuvent intermais aussi des venir des repères comme le degré d'effacement, VI et reconstructions VIII). logiques (chap. .
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LA PERCEPTION DE LA DURÉE Dans la perception de la succession, il y a saisie tout à la fois d'une pluralité ordonnée et des intervalles qui séparent les éléments, c'est-à-dire des durées. « La durée est comme la grandeur de la succession, la valeur de l'intervalle » (Delacroix, ne peuvent être isolées que 1936, p. 306). Ces durées-intervalles nous ne percevons pas la notre une de perception : analyse par de ce qui dure, de même que l'étendue durée indépendamment perçue est toujours celle de quelque objet. « Les phénomènes de la durée sont construits avec des rythmes, loin que les rythmes fondés sur une base temporelle bien unisoient nécessairement forme et régulière » (Bachelard, 1936, p. 5). La perception de la durée est, en d'autres termes, celle de la durée d'une organisation. en évidence ce que Il est possible de mettre objectivement Là où l'organisation nous révèle déjà l'analyse introspective. la durée est difficilement perçue. Ainsi, n'est pas prégnante, deux intervalles temporels adjacents délimités par deux sons c'est-à-dire limites et une lumière intercalée, par une suite avec sont son-lumière-son, beaucoup moins, de précomparés cision que deux intervalles délimités par trois sons identiques, car ceux-ci forment une unité perceptive. Dans le cas de la sucmême n'est possible la comparaison cession son-lumière-son, sur une suite nous hétérogène une sucplaquons que parce que
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cession homogène qui permet une organisation, comme celle de trois mouvements de la main ou de trois phonèmes correspondant chacun à un des trois stimuli (Fraisse, 1952 a). D'ailleurs, ce qui caractérise une succession, ce ne sont pas les éléments, stimuli ou intervalles, mais le schème des durées : -. Mach, à l'époque où von Ehrenfels dégageait l'importance des qualités formelles, a justement montré que c'est grâce à l'identité des schèmes temporels que des rythmes composés d'éléments différents apparaissent semblables (Bouvier, 1923). Qn
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duction motrice de structures entendues, permettent de mettre en évidence la différence fonctionnelle qui existe entre les intervalles intérieurs à une organisation successive et ceux qui séparent deux organisations l'une de l'autre. Si en effet on change la durée d'un intervalle dans un groupe rythmique, la durée apparente des autres intervalles est modifiée (ainsi que le caractère de l'ensemble). En d'autres termes, la modification d'une partie entraîne une réorganisation de l'ensemble, ce qui est caractéristique des figures dans l'espace. Par contre, si on change la durée de l'intervalle entre les groupes rythmiques, ceux-ci ne sont pas modifiés. Au point de vue de la perception, l'intervalle entre eux est comme inexistant, il est une lacune (Fraisse, ibid., p. 73). L'importance de ces lacunes a été méconnue parce qu'il semblait que nous les meublions par notre propre durée, mais Bachelard contre Bergson a justement insisté sur le fait qu'il n'y avait jamais à aucun plan continuité de la durée, mais une dialectique du plein et du vide, de l'action et du repos (Bachelard, ibid., p. 3). Au plan de la perception où nous sommes, ces lacunes jouent un rôle important, en détachant les unes des autres des unités de succession, ce qui, dans le cas du langage par exemple, permet qu'elles deviennent des unités de signification. Nous n'avons raisonné jusqu'à présent qu'à partir d'intervalles s'étendant entre des stimulations successives, ceux que l'on appelle ordinairement des durées vides ou même des temps vides en les opposant aux durées pleines ou temps pleins (1). Tout ce que nous avons dit s'applique aussi à ces derniers. Lorsqu'un son par exemple se prolonge, nous ne percevons sa durée que si le début et la fin se succèdent assez rapidement pour délimiter une unité perceptive. Les limites temporelles de cette perception sont les mêmes que dans le cas des intervalles vides : 1,5 à 2 s. Si un son dure plus longtemps, il n'y a pas de succession organisée et nous sommes ramenés, à la limite, au cas où nous ne percevons pas de changement. Le bruit du ruisseau n'a pas plus de durée perçue que la lumière du jour. ne s'appliquequ'à la descriptionphysiquedes stimulations. (1) Cevocabulaire Au point de vue de la perceptionproprementdite,l'expressionde durée« vide» n'a aucunsens,pas plusquen'en auraitcelled'étenduevide». Nouscontinuerons du langage. cependantà l'employerpourla commodité
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La durée n'est donc qu'un des caractères de l'organisation du successif et c'est en ce sens que nous interprétons l'afhrmation de Bourdon (1907) et de Piéron, 1955, 3e éd., p. 52), selon laquelle toute sensation a un caractère temporel. Ce dernier tient simplement au fait que toute sensation nous est en général donnée dans le cadre d'une succession. * * * L'analyse que nous venons de tenter pourrait sembler n'être que la défense d'une position d'école, mais il est assez facile de démontrer que les auteurs dont les positions paraissent les plus éloignées des nôtres sont partis d'une analyse de la réalité trés voisine de celle que nous avons faite, mais qu'ils ont interprétée autrement. Les divergences, il serait facile de le montrer, tiennent à ce que, dans leurs observations, ils ont introduit des théories aujourd'hui dépassées ou tout simplement à ce que l'analyse psychologique n'était pour eux qu'un point de départ. Tous les auteurs en particulier ont reconnu, d'une manière ou d'une autre, l'importance du rythme, c'est-à-dire d'une organisation, dans notre perception du successif et dans l'interprétation de notre « perception du temps ». Mais ils ne s'accordaient pas sur le problème central, celui de la perception de la durée. Durée des choses ? Durée du moi ? Durée composition des sensations ou durée construction de notre esprit ? Par exemple, on peut lire Bergson pour y trouver une opposition entre un monde matériel caractérisé par la pluralité et l'extériorité et un monde spirituel où nous saisissons la durée pure, « forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre, quand il s'abstient d'établir une séparation entre l'état présent et les états antérieurs o (Bergson, 1920, 19P éd., p. 76). Mais si on néglige ces prolongements métaphysiques, on s'aperçoit que Bergson est parti d'analyses psychologiques qui, bien avant l'oeuvre duel'École de la Eorme, reconnaissent l'importance de l'organisation de nos sensations. « On peut..., écrit-il, concevoir la succession sans la distinction et comme une pénétration mutuelle, une solidarité, une organisation intime d'éléments, dont chacun, représentatif du tout, ne s'en distingue et ne s'en isole que pour une pensée
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capable d'abstraire o (Bergson, ibid., p. 77). Il parle plusieurs fois du rythme pour le caractériser par la qualité d'une quantité où chaque excitation s'organise avec les précédentes (ibid., p. 80). Wundt, dans un tout autre contexte, avait admis, lui aussi, que les sensations de temps étaient liées à des rythmes; et il pensait d'abord à celui du pas, auquel s associeraient par ia suite les rythmes vocaux et auditifs. Il admettait que notre aperception nous permettait d'embrasser un certain nombre de sensations nuccessives mais dans sa perspective associationniste, il avait besoin de remplir les intervalles entre les sensations extéroceptives par d'autres sensations intéroceptivcs. Il imaginait qu'elles pouvaient provenir des oreilles ou même de sentiments de tension et de relâchement qui conféreraient à chaque sensation les signes temporels d'après lesquels nous pourrions les ordonner dans le temps (Wundt (W.), 1886). Ce remplissage, Münsterberg le recherchait dans les sensations musculaires de l'attention, Schumann dans un certain degré d'attente (d'après Bourdon, 1907). Il est manifeste que ces auteurs postulent ces sensations ou ces sentiments plus qu'ils ne les mettent en évidence. Si nous n'avons que des sensations élémentaires, il faut un pont pour les réunir : attention, sentiments ou, à la rigueur, d'autres sensations qui aient un caractère de continuité comme les sensations de tension ou les sensations musculaires. En fait, il s'agit pour ces auteurs d'une construction logique qui part de cette abstraction que seraient des sensations punctiformes et instantanées. C'était encore du rvthme que partait Mach pour démontrer qu'il existe un sens du temps. Tous les auteurs allemands du xix'' siècle ont emplové cette expression. Certains, comme Czermak (1857, cité par Nichols, 1890), ont cru suivant une ligne cornmc l'espace - était l'objet postkantienne que le temps d'un sens général diaiinct des cinq sens spéciaux. D'autres ont employé cette expression de sens du temps comme une formule commode pour exprimer nos possibilités d'adaptation au temps. Mach seul a pensé qu'il existerait un véritable sens du temps analogue aux autres sens. Puisque nous pouvons reconnaître le même rythme dans deux mélodies différentes, c'est que nous avons, selon lui, perçu un schème des durées indépendamment de leurs supports sensibles. Ce n est possible que si nous avons perçu ces durées pour elles-mêmes, donc si
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nous avons un sens du temps. Mach a certes compris qu'il ne suffisait pas de parler de sens, qu'il fallait aussi en préciser les récepteurs. Mais, en ce domaine, il n'innove guère et ses solutions ne sont pas très différentes de celles de Wundt par exemple. Il pense qu'il pourrait y avoir dans l'oreille quelque organe d'accommodation, comme il en existe un dans l'oeil et qui serait l'organe du sens du temps. Cet organe dépendrait des stimulations et fournirait des repères sur la distance temporelle et la position des stimulations, comme l'accommodation visuelle pour la distance et la perspective. Il dépendrait aussi de l'attention dont le travail provoquerait des sensations de fatigue de l'organe, sensations qui seraient autant de repères de la durée (Mach, 1865, d'après Bouvier, 1923). Janet a eu raison de traiter les élaborations de Mach de « raisonnements philosophiques », car il s'agit de déductions qui ne reposent sur aucun fait. D'ailleurs, le problème de l'organe récepteur ne se pose pas seul. Il y a aussi celui de l'excitant spécifique. Parler de sensation de durée, c'est supposer que les choses existent en dehors de nous comme nous les pensons » (Janet, 1928, p. 47) (1). * * * Que la durée soit un caractère de l'organisation du successif ressort aussi de l'analyse du rôle que jouent nos différents sens dans la perception des changements. Si tous nos sens nous permettent de percevoir le changement, les perceptions de la durée qui en dérivent ne sont pas pour autant homogènes. De même que l'espace kinesthésique et l'espace visuel sont distincts puisqu'ils sont relatifs à une organisation de réactions différentes, de même les durées d'une sensation visuelle et d'une sensation auditive ne sont pas directement comparables. (1) CependantJanet a été trop loin.1l a parfaitementanalyséque nos sentimentsde duréesont des réactionsà la nature de nos actions,maiscette analyse mêmel'a empêchéde voirque certainesactionsaussisontdirectementdesadaptations au temps,commeil y en a à l'espace.Saisirle successifen une unité, être capablecommele danseurde synchroniserdes mouvementsà des stimulations voilàparmid'autresdes exemplesde ces adaptations.La perception périodiques, des changements ne se limitepas à celled'unepuremultiplicité.Elleest organisationet lesactesqu'elledéterminesontla basede notreadaptationauxchangements. Lesréactionsà la duréede nos acteset les tentativesde conceptualisation de nos expériencesdu temps sont postérieures.
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
Cela dit, il reste légitime de se demander si, parmi les récepteurs, un sens ne l'emporte pas quand il s'agit de percevoir les changements. Remarquons tout d'abord que les changements ne sont pas aussi fréquents dans tous les domaines sensoriels : « Nous attribuons à un son de la durée parce que nous nous attendons toujours à ce qu'il cesse bientôt, mais pas aussi facilement à une couleur, car nous ne sommes pas aussi bien habitués à son changement n, notait déjà Herbart (cité par Sivadjian (J.), 1938, p. 223). Le problème peut d'ailleurs être abordé, non pas en partant des changements plus ou moins rapides ou fréquents des stimulations, mais en considérant que nos organes sensoriels sont adaptés très diversement à la perception du changement. Celleci, pour être fidèle, demande que les excitations aient des caractéristiques temporelles très voisines des stimulations auxquelles elles correspondent, c'est-à-dire que les récepteurs aient peu d'inertie. Envisageons d'abord le cas des organes de l'odorat et du goût qui ont justement une grande inertie. Les sensations correspondantes ont une durée indéterminée parce que le début et la fin des stimulations sont sans netteté. Si plusieurs stimulations se suivent assez rapidement, elles se fondent entre elles, sans présenter une organisation temporelle qui implique une discontinuité. Nous sommes ramenés au cas des changements continus. Les récepteurs rétiniens ont, eux aussi, une inertie notable. La sensation est longue à s'établir et longue à disparaître. Si les stimulations successives se suivent rapidement, elles se fondent entre elles (cas de la projection cinématographique). Un peu moins fréquentes, elles engendrent le papillotement. C'est pourquoi si, théoriquement, il peut y avoir des rythmes visuels aussi bien que des rythmes auditifs, les premiers ne sont d'aucun usage, la distinction et la netteté des stimuli y étant trop précaire (Fraisse, 1948 b). D'autre part, les changements rapides des stimulations visuelles nous sont pénibles. L'ouïe et le tact ont au contraire des récepteurs dont l'inertie est quasiment nulle. Mais le tact ne peut nous renseigner que sur les changements qui se produisent au contact de notre corps. Le domaine en est limité (vibrations) mais on a pu cependant utiliser cette propriété du tact pour éduquer les sourds (télétacteur). En défiritive, l'ouïe reste l'organe principal de notre per-
LE PRÉSE.NT PSYCHOLOGIQUE
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ception des changements ; c'est donc à partir d'une analyse fonctionnelle plus ou moins explicite que les auteurs considèrent en général l'ouïe comme étant le « sens du temps » alors que la vue serait celui de l'espace. « L'ouïe ne localise que très vaguement dans l'espace, tandis qu'elle localise admirablement dans la durée... elle est par excellence le sens appréciateur du temps, de la succession, du rythme et de la mesure » (Guyau, ibid., pp. 74-75). Cependant, comme pour l'espace, il se crée sans doute une assimilation entre les informations émanant des différents sens, par prépondérance d'un sens sur les autres. On sait que pour l'espace c'est la vue qui joue - sauf chez les aveugles-nés un rôle directeur. Pour la durée, qu'en est-il ? Bourdon, qui a fait cette analyse, pensait que chez lui ce n'étaient pas des sensations, mais « les représentations vocales » qui avaient la prépondérance et qui servaient en quelque sorte d'étalon pour toutes les autres durées. Il reconnaissait d'ailleurs qu'il pouvait exister des différences individuelles, « c'est-à-dire que, chez les uns, la représentation de la durée est peut-être plutôt de nature tactile, chez d'autres de nature auditive, chez d'autres enfin de nature visuelle » (Bourdon, 1907, p. 477). Envisagée sous cet angle, la question est difficile à trancher. Un fait au moins est certain, c'est que les sons du langage nous fournissent un moyen simple d'oidination de nos différentes sensations successives. Nous avons acquis par l'apprentissage du langage une maîtrise extraordinaire des organes de la phonation qui s'y prêtaient par ailleurs. Nous avons ainsi un moyen d'accompagner n'importe quelle série de stimulations par la succession de sons que nous produisons. De cette façon nous pouvons aisément contrôler l'ordination des stimulations et la durée des intervalles « pleins » ou « vides », même si les sensations ne s'organisent pas spontanément. Nous avons justement vu (p. 83) que les sujets qui devaient comparer deux durées délimitées par la suite sensorielle son-lumière-son avaient tendance à lui synchroniser une suite de sons vocaux, des « top » par exemple, telle que soit recréée une unité perceptive. Ce rôle prépondérant de la phonation ne doit pas nous surprendre : nous ne saisissons bien que ce que nous avons recréé. Il est d'autant plus précieux que les organisations perceptives
9t)
PSYCHOLOGIE 1)1.i TEMPS
dans l'ordre temporel n'ont jamais, par suite de leur caractère successif, la prégnance des formes spatiales sur lesquelles notre regard peut multiplier les prises de vue. III 1.Fi NRÉSEIVTPERÇU Ce que nous percevons dans le temps comme dans l'espace est une organisation de stimuli. Cette organisation peut être diffuse et ne nous donner qu'une perception d'étendue indistincte, comme lorsque nous regardons un paysage sans regarder aucun objet, ou une perception de vague continuité comme lorsque nous nous laissons vivre - selon l'expression de Bergson - sans porter notre attention sur aucun événement particulier. Dès que nous fixons notre attention, l'organisation apparaît au contraire, distinguant les objets, isolant les structures successives qui font dès lors figure sur un fond qui reste mal différencié. Ces organisations impliquent une unification, une délimitation d'un ensemble de stimuli, selon les lois qu'aa dégagées Wertheimer dans l'espace et qui se ramènent dans le temps à la loi de bonne continuité (Koffka, 1935, p. 437). L'unité est déterminée par la configuration des stimuli, mais elle est liée à l'unité même de 1 acte perceptif qui réalise l'intégration de toutes les données sensorielles. Nous ne percevons le successif que parce que, dans certaines limites, un « acte mental unifié » est possible. Cette unité perceptive du successif - le « tic-tac » de notre pendule - a comme conséquence l'existence d'un préSent perçu qui ne se ramène pas à l'évanescence de ce qui n'était pas encore dans ce qui n'est plus. Le présent, d'une manière générale, est ce qui est contemporain de mon activité. Les changements auxquels il correspond sont évidemment fonction de l'échelle à laquelle je les envisage. Le présent, c'est le siècle où je vis, aussi bien que l'heure qui passe. Je puis, en effet, introduire une coupure arbitraire dans les changements par rapport auxquels je me situe, en considérant que Je passé ne commence qu'à partir d'un moment donné ; je puis ainsi opposer les siècles passés au siècle présent. C'est en ce sens que P. Janet pouvait dire que « la durée du présent, c'est la durée d'un récit » (Janet, ibid., p. 315). Mais il existe aussi un présent perçu qui, lui, ne peut avoir que la durée de l'orga-
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE
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nisation que nous percevons en une unité. Mon présent est un « tic-tac » de la pendule, les trois temps du rythme de la valse, la proposition que j'entends, le cri de l'oiseau qui passe... Tout le reste est déjà passé ou appartient encore au futur. Dans ce pré.sent, il y a ordination, intervalles entre les éléments qui le constituent, mais aussi une forme de simultanéité qui tient à l'unité même de mon acte de perception. Ainsi le présent perçu n'a pas ce caractère paradoxal que lui prêterait une analyse logique qui, en atomisant le temps, réduirait le présent à un pur passage sans réalité psychologique. Ce passage, il faut, même pour le percevoir, un acte d'appréhension qui a une durée non négligeable. Ce présent, tous les psychologues en reconnaissent l'existence ; ils l'ont dénommé tour à tour « présent spécieux » (Clay, The alternative, 1882, cité par W. James, voir référence suivante p. 609), « présent sensible » (W. James, 1891, t. I, p. 608), « présent psychique » (W. Stern, 1897), « présent mental » (H. Piéron, 1923, p. 9), « présent actuel » (Koffka, ibid., p. 433). Nous préférons l'appeler présent psychologique ou présent perçu. Ils ont aussi multiplié les images ou les comparaisons qui permettent de saisir le fait. Pour Wundt, de même que dans l'espace notre regard n'embrasse qu'une certaine étendue, variable d'ailleurs avec la direction de notre attention (d'un livre je puis regarder toute la page ou simplement une lettre si je m'intéresse par exemple aux caractères typographiques), dans le temps « le champ de regard de la conscience » permet « l'aperception d'une série d'irritations sensorielles successives » (Wundt (W.), ibid., t. 2, pp. 240-241). W. James, à partir de son image du courant de conscience, évoque un pont. ecLe présent apparent est, pourrait-on dire, comme une sorte de pont en dos d'âne jeté sur le temps et du haut duquel notre regard peut à volonté descendre vers l'avenir ou vers le passé. Notre perception du temps a pour unité une durée située entre deux limites, l'une en avant et l'autre en arrière ; ces limites ne sont pas perçues en elles-mêmes mais dans le bloc de durée qu'elles terminent. Car, si nous percevons une succession, ce n'est pas que nous percevions d'abord un avant puis un après et que nous soyons amenés par là à inférer l'existence d'un intervalle de temps entre cet avant et cet après ; mais nous percevons l'intervalle même comme un tout avec ses deux limites qui font corps
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PS YCIiOLO GTF, DU
TEMPS
avec lui... Passé quelques la conscience de la durée secondes, cesse d'être une immédiate une devenir perception pour n construction Piéron 1932, p. 366). (James, reprend symbolique « Il existe un du temps qui coule comme un ruisseau. l'image d'une diversité présent durable... pour lequel il y a appréhension successive dans un processus mental embrassant dans unique son présent ramassé un certain intervalle de temps, comme on réussit à retenir dans le creux de sa main une certaine quantité de liquide sous le filet d'eau d'une source, liquide renouvelé mais dont la quantité limitée ne peut jamais s'accroître » (1923, p. 8). Le problème réel est justement de savoir l'interprétation Le plus souvent, on l'a expliqué qu'il faut donner de ce présent. des éléments d'être par une persistance qui venaient perçus. C'est W. James cette hypothèse avec la plus qui a formulé « Les choses s'évanouissent lentement hors de grande netteté : notre conscience. Si la pensée présente est ABCDEFG, la suivante sera BCDEFGH, et celle qui lui succédera CDEFGHI, les restes du passé sombrant successivement et l'accession du futur compensant le déficit », 1891, I, p. 606) (1). Wundt expri« A chaque mait la même opinion : nouvelle les aperception, irritations antérieures se retirent dans le graduellement pourtour obscur du champ du regard interne et en disparaissent à la fin entièrement ibid., p. 241). » (Wundt, Cette interprétation à la pensée de nombreux sous-jacente ne correspond La auteurs pas aux faits que l'on peut observer. des changements perception apériodiques peut faire illusion, mais celle des changements ne nous permet périodiques pas le la d'expliquer présent par persistance plus ou moins grande de traces » de la le « tic-tac Quand je perçois mnémoniques. « » ma n'est d'abord tic-tac pendule, perception pas puis l'ins« tac-tic » et ainsi de suite. Que deviendrait tant d'après un de si d'abord un de valse fort suivi rythme temps je percevais deux temps faibles puis deux temps faibles suivis d'un temps fort et enfin un ensemble faible ! 1 temps faible-temps fort-temps De même, dans la perception du langage, mon présent est fait chaque fois d'une proposition, et non de la fin d'une proposition suivie d'un morceau de la proposition suivante avec un (1) Cette conception n'a pas été reprise plus tard par W. James dans son Précis. Nous la citons seulement parce qu'elle exprime nettement une thèse courante.
LE J'RRSENT 1'8 YCHOU)GIQUE
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glissement progressif des éléments qui rendrait le langage inintelligible. Si on contrôle objectivement le contenu du présent à un moment donné, on s'aperçoit qu'il n'est pas fait exactement des derniers éléments présentés. Des sujets à qui on lit une série de dix chiffres ne peuvent en saisir - nous allons y revenir - que six ou sept, mais les six ou sept retenus ne sont pas les derniers. Le sujet, au moment où la série se termine, a un présent fait de deux ou trois groupes de deux ou trois chiffres qui ont des places variées dans la série. « Tout se passe plutôt, écrivions-nous, comme si le sujet percevait successivement plusieurs groupes successifs d'éléments d'une manière semblable à celle dont nous lisons les lettres d'un texte, c'est-à-dire non par un glissement de notre regard le long des lignes, mais par des mouvements discontinus, avec, de place en place, des arrêts pendant lesquels se produit la perception. Quand la série ne comporte pas plus d'éléments que nous ne pouvons en saisir (de six à huit), ces discontinuités n'entraînent pas d'erreur, de même que dans la lecture. Mais lorsque la série est trop longue, il y a des hiatus dans les groupes comme dans la lecture rapide où l'amplitude des mouvements nous fait sauter des mots o (Fraisse, 1944-45). Les confusions sont venues du fait qu'il est difficile de distinguer absolument mémoire et perception. « Le souvenir se crée au sein même de la perception o comme l'a écrit Delacroix (1936, p. 327). Le vocabulaire psychologique traduit la même réalité, puisque les mêmes phénomènes sont appelés mémoire immédiate ou capacité d'appréhension, suivant que l'on envisage ou bien la possibilité de reproduction immédiate et intégrale, ou bien l'aspect perceptif. Mais la mémoire immédiate n'implique pas comme la mémoire l'existence d'un passé constitué par rapport à un présent. « Il est certain, d'une part, que les différents aspects du piésent ne sont pas au même plan, sans quoi le présent nous paraîtrait immobile, d'autre part, qu'il n'y a pas dans le piésent un élément unique donné avec le caractère du présent, tout le reste étant du souvenir pur » (Delacroix, 1936, p. 313). Quand il s'agit de perception spatiale, l'identité de la mémoire immédiate et de la capacité d'appréhension apparaît tout de suite, puisque je vérifie l'étendue de la perception du sujet par le nombre d'éléments qu'il peut indiquer tout de suite
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après l'appréhension. Il en est de même dans la perception du successif. Si je puis reproduire après les avoir entendus plusieurs éléments, ce n'est pas grâce à une mémorisation, mais parce que nous avons une capacité d'appréhension qui embrasse plusieurs éléments simultanés ou successifs. Or, nous pouvons justement saisir dans l'une et l'autre condition le même nombre d'éléments, ce qui confirme l'aspect proprement perceptif de cette appréhension. (;ertes la mémoire joue un rôle, mais indirect. Quand j'écoute un discours, je perçois la proposition que prononce l'orateur, mais je l'interprète en fonction de toutes les phases précédentes que je ne perçois plus et dont j'ai gardé seulement un souvenir global. Quand j'écoute de la musique, je perçois à chaque instant une brève structure rythmique, mais qui s'intègre dans un ensemble mélodique auquel elle doit sa résonance affective. Le fait que nous puissions percevoir ainsi plusieurs éléments successifs ne doit cependant pas nous autoriser à interpréter le présent perçu comme correspondant à une capacité fixe, ou à une durée standard de l'appréciation. De ce point de vue, l'image proposée par Piéron du creux de la main qui retient une certaine quantité d'eau, et l'exemple de W. James de l'appréhension constante d'un même nombre de lettres du pré sent perçu, de peuvent prêter à confusion. La même que la richesse de son contenu, dépend des possibilités de l'organisation du successif en une unité. Elle est d'abord fonction de la direction de notre attention. La comparaison de Wundt a ici sa pleine signification. Dans le champ du regard (champ maximum), il y a un point de regard plus ou moins étendu qui dépend de ce que l'on cherche à percevoir. Dans une page imprimée, ce peut être une lettre, un mot, une expression. Bergson énonce la même idée : Cette attention est chose qui peut s'allonger ou se raccourcir comme l'intervalle entre les deux pointes d'un compas » (63' éd., 1966, p. 169). Mais ce compas, je ne puis l'ouvrir indéfiniment : ici nous nous séparons de Bergson, qui semble croire que l'étendue de mon présent dépend entièrement de ma volonté. « Mon présent en ce moment est la phrase que je suis occupé. à prononcer » dit-il justement, mais il ajoute la restriction suivante : « Il en est ainsi parce qu'il me plaît de limiter à une phrase le champ de mon attention » (ibid., p. 169). En réalité ce champ, qui peut être réduit à une sensation
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l?SYCIIOLOGIQ(iF
unique et quasi instantanée, a une limite supérieure. Elle dépend de plusieurs facteurs que nous pouvons ramener à trois : 1° L'intervalle temporel entre les stimulations ; 2° Le nombre des stimulations ; 3° Leur organisation. Ces trois facteurs se combinent, mais nous devons les examiner successivement pour préciser leur nature. '
1°
L'INTERVALLE
ENTRE
LES
STIMULATIONS
Prenons le cas de deux stimulations seulement. Si l'intervalle entre les deux est trop grand, l'une est passée quand l'autre se présente. Ce serait le cas d'une pendule où le « tac » succéderait au « tic » plusieurs secondes après. Quand la limite sera-t-elle atteinte ? Un moyen de l'évaluer est justement de ralentir la succession des sons d'une structure rythmique jusqu'à ce que celle-ci s'évanouisse"pour faire place à une succession de sons indépendants. On constate alors que le rythme disparaît pour un intervalle entre les sons de 2 s environ (Fraisse, 1956, pp. 13et 41). Cette durée est une valeur limite de toute organisation successive de deux stimulations. En deçà il existe un intervalle de succession optimum que Wundt (ibid., t. 2, p. 242) estimait être de 0,3 à 0,5 s. On peut remarquer qu'en musique les notes les plus fréquentes sur lesquelles repose l'organisation du thème mélodique ont des durées qui varient, selon les auteurs et les morceaux, de 0,15 à 0,90 s (Fraisse, ibid., p. 118). Dans la lecture courante à haute voix, nous prononçons entre trois et six sons à la seconde, ce qui correspond donc à des intervalles de 0,15 à 0,35 s (voir chap. V). 2°
LE
NOMBRE
DES
STIMULATIONS
Prenant l'exemple des coups que sonne la pendule, nous avons déjà souligné que lorsque nous entendons sonner 3 ou 4 h nous identifions immédiatement l'heure qu'il est sans faire appel à la numération. La perception de l'ensemble permet immédiatement sa transcription symbolique, ou la reproduction exacte d'une série de coups sans les avoir nombrés. Ainsi les jeunes enfants qui ne savent pas encore compter reproduisent sans erreur une série de cinq à six coups (Fraisse P. et R., 1937). Lorsque midi sonne, nous devons au contraire compter : quand
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N;Yf:lIOLOG1E 1) U TEMPS
sonnent les derniers des douze coups, les premiers n'appartiennent plus à notre présent. Combien de sons alors pouvons-nous percevoir en une unité temporelle ? Ne parlons ici que de sons identiques ; nous verrons dans les paragraphes suivants qu'il faut aussi tenir compte de la variété et de la signification des éléments. Ce problème ne peut pas être envisagé indépendamment de l'intervalle entre les sons, ou, si l'on préfère, de leur vitesse de succession. La longueur de la série appréhendée diminue en effet quand, avec l'allongement de l'intervalle, l'organisation des éléments devient plus difficile. Nous avons ainsi montré expérimentalement qu'en moyenne le nombre de sons appréhendés, vérifié par une reproduction immédiate sous forme de frappes, variait comme suit (moyenne de 10 sujets) (Fraisse P. et R., 1937) (1) : 17 cs 37 cs 63 cs 120 es 180 cs Intervalle entre les sons.... 4 Nombrede sonsappréhendés 3,3 5,7 5,7 5,4 Ce tableau confirme d'abord que ce sont les intervalles de 15 cs à 70 cs qui sont les plus favorables à la perception ; d'autre part, il montre que l'unité perçue dépend plus du nombre d'éléments que de la durée totale de la série. En effet, la durée totale de la série appréhendée, comptée du premier au dernier son, est de 0,8 s pour l'intervalle de 0,17 s et de 4,2 s pour l'intervalle de 1,8 s. Donc, nous pouvons dire que la durée du présent perçu a plus varié que le nombre d'éléments perçus, ce qui montre bien que le présent ne correspond pas simplement à un champ temporel qui serait indépendant de son contenu. Ce nombre de 5 à 6 éléments, où nous voyons la limite de notre capacité de perception du successif, se retrouve lorsque nous appréhendons des stimuli d'autre nature. Pintner (1915) indique par exemple que, dans le test des cubes de Knox, la norme pour les adultes est la possibilité de reproduire 6 mouvements exécutés sans ordre systématique. De même, les adultes, à qui on (1) La méthodede reproduction,verbaleou motrice,a été critiquéecomme de vérifierl'étenduedu présentperçu.Evidemmentla reproductionintermoyen vientaprèsla perception,quandce présentn'est plus.Maisnoussommesexactementdansla mêmesituationquandnousétudionsla perceptiondansl'espace.Dans l'un et l'autre cas,le contrôlede ce qui est perçuest réaliséau traversd'uneréaction déclenchée par la perception,ce qui n'impliquepas réellementune fixation avonsen effetmontréque les processussous-jacentsà cette mnémonique. Nous immédiateet à uneévocationdifféréeseulementde quelquessecondes reproduction étaientlargementindépendants(Fraisseet Florès,1956).
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE -- -
97
demande d'indiquer les lampes qui s'allument successivement sur un cercle, réussissent cette épreuve dans la limite de 5 lampes (Gundlach R., Rothschild D. A., et Young P. T., 1927). Le nombre de ces éléments est d'ailleurs une caractéristique générale de la capacité de notre perception, puisque, dans l'espace, nous pouvons percevoir aussi de 6 à 7 éléments distincts, des points lumineux par exemple (Fraisse P. et R., 1937). Cette capacité a guidé intuitivement l'usage des signaux sonores. Dans le morse par exemple, aucun signal ne comporte plus de cinq éléments. Dans l'alphabet Braille, on utilise aussi de 1 à 6 points. D'autre part, c'est un fait remarquable que cette capacité d'appréhension semble correspondre à une possibilité biologique assez générale et, sous cette forme frustre, assez indépendante du niveau de l'intelligence. Nous avons déjà souligné que les enfants de 4, 5 et 6 ans qui ne savent pas compter ont une capacité d'appréciation du même ordre que celle des adultes. La même capacité a été décelée chez des oiseaux. On peut dresser des pigeons, des pies, des corbeaux, des perroquets, des choucas à différencier parmi plusieurs gobelets celui qui contient de la nourriture, d'après le nombre de points figurant sur le couvercle. L'animal apprendra par exemple à choisir le gobelet qui présente 5 points parmi d'autres ayant 3, 4, 6 ou 7 points. Bien entendu, l'expérimentateur a éliminé l'influence possible de la configuration fournie par les points en variant leur répartition. La réussite n'est possible que si le nombre de points du signal positif n'excède pas 6 ou 7. La même réussite est possible si on utilise une technique impliquant une perception successive du nombre d'éléments. Les pies, par exemple, peuvent apprendre à soulever les couvercles d'une rangée de gobelets contenant un ou plusieurs grains jusqu'à ce qu'elles en aient trouvé un nombre donné. Le dressage est possible jusqu'au nombre 7 (Sauter, 1952). D'autre part, en présentant successivement les appâts sur un disque tournant, Arndt (1939-40) a établi que cette capacité d'appréhension était relativement indépendante de l'intervalle qui sépare les stimulations, mais que ces intervalles devaient être d'autant plus brefs que le nombre à appréhender était plus grand : ce qui correspond exactement aux résultats trouvés chez les enfants et chez les adultes quand on exclut la numération. P. FRAISS):
7
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
3°
L'ORGANISATION
DES
STIMULI
On sait que dans l'espace on peut percevoir beaucoup plus d'éléments s'ils forment une configuration spatiale ou un ensemble significatif. Il en est de même dans le temps. Si des sons identiques sont groupés par exemple par 2, 3, 4 ou 5, on perçoit, sans avoir recours à la numération, 4 à 5 groupes de ces sons, soit, dans le cas optimum, de 20 à 25 sons au total (Fraisse P. et R., 1937). Dietze (1885), en faisant grouper subjectivement les sons par les sujets, avait trouvé, il y a longtemps, 24 comme capacité maximum. Ce résultat ne peut cependant être atteint que si la vitesse de succession facilite le groupement, selon la loi de proximité de Wertheimer. Les résultats que nous évoquions plus haut ont été obtenus avec un intervalle de 18 cs entre les sons et de 36 cs entre les groupes. La durée maximum de la série appréhendée ne dépassait donc pas 5 s. Le simple fait que chaque élément ait une signification différente suffit à augmenter un peu notre capacité d'appréhension. Nous percevons de 7 à 8 lettres, de 7 à 9 chiffres ne formant pas des mots ou des chiffres connus. Pour de tels stimuli, il y a un développement génétique de la capacité d'appréhension. D'après les normes du test de Terman Merrill, un enfant de 3 ans doit reproduire une série de 3 chiffres ; à 7 ans, 5 chiffres ; à 10 ans, 6 chiffres. Avec l'âge les éléments sont mieux identifiés et ils prennent plus de signification : ainsi peut être saisi un certain lien entre les stimuli et leur perception en est facilitée. Si, de plus, l'organisation des éléments donne à un ensemble une unité de signification, l'appréhension est évidemment favorisée : ainsi, toujours dans le test de Terman Merrill, un adulte de niveau moyen doit pouvoir saisir et répéter sans faute une phrase de 20 à 25 syllabes. Puisque notre perception du successif est fonction des possibilités de l'organisation, tout ce qui facilite cette dernière - attitude du percevant, groupements par la proximité, structure, signification - augmente la richesse de ce qui constitue notre présent. Cependant, ce présent a une double limitation qui tient, comme nous l'avons vu, à l'intervalle entre les éléments et à leur nombre. Compte tenu des divers facteurs envisagés, le présent se limite pratiquement à une durée de 5 s environ. C'est le temps nécessaire pour prononcer une phrase de 20 à
LE PRÉSENT PSYCHOLOGIQUE
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25 syllabes ; les vers les plus longs en prosodie, les mesures les plus longues en musique ne dépassent guère 5 s (Bonaventura, 1929, pp. 33-34). On peut sans doute, dans certains cas privilégiés, atteindre un présent un peu plus long, mais le plus souvent notre présent ne dépasse guère 2 à 3 s. * * * Sur les mécanismes physiologiques de cette saisie d'une pluralité en un seul acte perceptif, on est réduit à des hypothèses assez fragiles. On a souvent rapproché le présent psychologique des oscillations de l'attention (1). On constate en effet très généralement des oscillations dans l'efficience, comme si nous ne pouvions maintenir un niveau stable de notre activité. Les faits sont particulièrement frappants dans la perception. Un stimulus juste liminaire est perçu quelques secondes, puis semble s'évanouir, pour réapparaître à nouveau (test de la montre, disque de Masson). Dans les figures ambiguës où plusieurs formes ou plusieurs aspects de la même forme peuvent être perçus (le schéma d'un cube figuré par l'ensemble de ses arêtes par exemple), il se produit dans la perception une alternance entre les figures possibles, comme s'il y avait saturation d'une perception et substitution d'une autre figure. « Tout se passe, dit Piéron, comme si les orientations perceptives concurrentes arrivaient à l'emporter chacune à son tour (Piéron, 1934, p. 33). Ces alternances peuvent être évidemment rapprochées du phénomène général de notre perception du successif : il semble qu'après une perception relativement continue se produit un décrochage après lequel recommence un nouveau présent. Les périodicités également sont comparables : dans les oscillations perceptives de différents types, on trouve des périodes extrêmes variant de 5 à 10 s (Piéron, ibid., pp. 28-33). Ces durées sont aussi environ celles du présent perçu dans les cas les plus favorables. La période de ces oscillations de l'attention dépend beaucoup des personnes, de leurs attitudes et des conditions de la perception. La durée du présent perçu paraît être influencée par les mêmes facteurs. Mais l'ensemble de ces rapprochements deltempo,1929. (1) En particulierBoNnvt:N?ruxn (E.), ll l'robleinapsicologico
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l'SYCHOGOGIF,DU TEILTPS
n'explique rien à l'heure actuelle. Il faudrait prouver qu'oscillations de la perception et durée du présent psychologique dépendent d'une même cause. Ce ne serait possible que si on avait pu expliquer la nature de ces oscillations par la mise en évidence des processus physiologiques auxquels elles correspondent. Si cette démonstration était faite, on pourrait croire à l'existence de cycles d'activité qui faciliteraient l'organisation du successif. Certains auteurs ont présenté des hypothèses plus explicatives. Selon Piéron « on peut penser que l'étendue de ce champ est connexe au temps maximum pendant lequel une réponse corticale brève peut continuer à susciter un même processus associatif se prolongeant en écho, alors même que d'autres réactions se produisent o (Piéron, 1923, p. 11). Boring (1936) évoque aussi la possibilité d'une continuité physiologique entre les excitations, qui n'explique pas cependant les ruptures périodiques. Koffka (ibid., p. 44) a élaboré une théorie plus précise : selon lui, deux sons successifs par exemple s'organiseraient en une paire de sons, parce qu'il y aurait « des relations dynamiques entre l'aire excitée et la trace de l'excitation précédente ». Il postule que les stimulations successives se projettent en des points différents du cerveau et que l'intervalle temporel se transforme en intervalle spatial. Entre la trace du premier son et l'excitation correspondant au second, il apparaîtrait une différence de potentiel ; il s'établirait un courtcircuit qui expliquerait l'organisation temporelle et l'ordination des sons. Entre une organisation temporelle et une organisation spatiale, la différence serait due essentiellement au fait que, dans le temps, il existerait une différence de potentiel entre les plages excitées qui ne se retrouverait pas entre les excitations simultanées de l'espace. Que penser de cette hypothèse? Il est naturel de postuler, pour rendre compte de l'organisation perceptive, une organisation sur le plan physiologique. On sait que les hypothèses gestaltistes, en invoquant sans cesse des champs de force, ne s'accordent pas avec les données de la neurophysiologie, mais il est vrai que des systèmes d'interconnexions neuroniques jouent peut-être un rôle équivalent à celui de champs potentiels, comme Hebb (1949) a essayé de le concevoir. Dans l'interprétation de l'organisation temporelle, l'hypothèse de Koffka d'une
LE PRI?;SENT PS?'C.TIOLOGI(JI?I?
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projection spatiale des excitations successives semble particulièrement faible. Qu il ait été conduit par un souci de cohérence de son système, tous ses textes le montrent, mais la justification spéciale qu'il donne de cette spatialisation corticale du successif n'est pas convaincante : si la deuxième excitation se produisait, dit-il, à la même place que la première, qui a laissé nécessairement une trace, cette trace serait tellement modifiée par la la perseconde excitation qu'elle perdrait son identité : d'une de sons serait ception paire impossible. Certes, si deux stimulations successives se suivent très rapidement, il y a fusion plus ou moins complète des excitations et des sensations correspondantes, mais le problème de l'organisation de stimulations successives se pose pour des intervalles temporels où il n'y a pas fusion. Selon nous, il faudrait plutôt expliquer la permanence du premier processus quand le second se produit, permanence qui permettrait l'organisation de deux excitations successives. Nous pensons en effet - les raisons en seront exposées au chapitre V - que l'excitation corticale se prolonge sous une forme infraliminaire, au-delà du temps attribué à la sensation. L'organisation des excitations en un même point serait possible sans que les sensations perdent leur individualité, si on admet que la liaison se fait justement à un niveau infraliminaire et que l'identification de chaque stimulus se fait grâce à des processus associatifs distincts. Il resterait à expliquer dans cette hypothèse comme dans celles de Piéron, de Boring ou de Koffka pourquoi cette organisation a une limite et pourquoi il se produit un décrochage en fonction et du nombre d'éléments perçus et de leurs intervalles. Il faut peut-être postuler ici cette onde d'activité que nous évoquions plus haut et qui pourrait rendre compte de cette limitation, tout comme des oscillations des champs perceptifs. Mais, sur ce point, la neurophysiologie ne nous apprend rien à l'heure actuelle. * * * Sur l'ensemble du problème du présent psychologique, la pathologie apporte un éclairage complémentaire. Elle nous révèle tout d'abord que la simple perception de l'ordre de la succession est une conduite très élémentaire rarement atteinte dans les troubles neuropsychiatriques les plus graves, même
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P.SYG'flOl,OGIF,DU TEMPS
lorsqu'il y a par ailleurs désorientation temporelle. Les malades peuvent toujours indiquer si un son précède ou suit une lumière quand l'intervalle est d'au moins une seconde (Fraisse, 1952 b). Cependant, beaucoup de malades mentaux perçoivent des séries de sons moins longues que les adultes normaux. Mais les échecs que l'on peut constater ne semblent pas tous imputables à la même cause et leur analyse semble confirmer notre interprétation du présent psychologique. Les uns sont dus simplement au fait que l'organisation successive des stimuli, dès qu'elle est un peu longue, nécessite un effort d'attention, de « présence n dont justement la plupart des malades atteints de névrose sont incapables. Tous les auteurs ont insisté sur cet aspect, qu'ils ont interprété comme une baisse de la tension psychologique (Janet), une faiblesse du système nerveux (Pavlov) ou une atteinte de la composante conative de la personnalité (Eysenck). Dans les autres cas, il semble que l'on se trouve devant une altération spécifique des troubles de l'intégration du successif : ce sont des malades qui présentent des lésions corticales. Les troubles sont parfois difficiles à mettre en évidence. Il peut y avoir difficulté à percevoir des séries de sons, c'est-à-dire des structures rythmiques. « Un des déficits les plus communs produits par une lésion corticale, pensait Head, est ce défaut de définitions temporelles ; un stimulus répété rythmiquement semble être là tout le temps n (Head H., 1920, p. 754, cité par Koffka K., ibid., p. 438). Van Woerkom considérait les troubles de la perception des rythmes comme une des atteintes fondamentales de l'aphasie. Par exemple les malades ne peuvent saisir la structure d'ïambes ou de trochées (d'après Ombredane A., 1951, pp. 243-255). Kleist, à partir de là, a estimé que la difficulté à percevoir des formes temporelles constituait un trouble spécifique (1934). Des travaux expérimentaux ont montré qu'il y avait parfois, chez des blessés du cerveau ou dans des cas neurologiques, une difficulté à percevoir le mouvement apparent, qui est, nous le verrons dans le prochain chapitre, une forme de l'intégration des données successives (Werner et Thuma, 1942). Il semble que chez ces malades la perception de chaque élément se développe indépendamment de celle des autres. A notre avis, cette indépendance pourrait en partie s'expliquer par le fait que le processus de perception serait plus long. Si la perception du
LE PRÉ.SENT PS1'C'HOLOGIQIIF,
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successif implique l'organisation de processus distincts, une durée exagérée de chaque perception gênerait ou empêcherait l'intégration temporelle (rythme, mouvement apparent). Il est encore une fois intéressant de rapprocher ces cas des troubles de la perception spatiale. Les travaux sur les agnosiques reconnaissent tous qu'il y a chez ces malades un manque d'intégration des données perceptives qui se traduit par le pointillisme dans la reproduction des formes, ou par la confusion et le désordre des éléments. D'ailleurs on trouve souvent chez le même malade des troubles de la perception des formes spatiales et temporelles (Teuber et Bender, 1949). Cette coïncidence est facile à comprendre si on remarque que, dans la perception des formes spatiales, une composante temporelle joue un rôle important. Une forme présentée en vision rapide apparaît ou comme très schématique ou comme floue. Il faut un temps de vision appréciable qui, justement, permette une exploration pour qu'une forme apparaisse dans toute sa complexité. La pathologie nous apprend donc que des lésions corticales peuvent empêcher les stimuli successifs de s'organiser en des formes temporelles, mais sans que nous puissions encore préciser les rapports de ces troubles avec des localisations précises. D'autre part il apparaît que les névroses peuvent diminuer l'efficience de ces organisations lorsqu'elles sont complexes et requièrent un effort pour être correctement perçues. IV CONCLUSION Nous pensons avoir démontré, sans qu'il subsiste aucune équivoque, que nous percevons l'enchaînement des changements, c'est-à-dire leur succession, si l'intervalle qui les sépare n'est pas trop long. Ils se groupent en des ensembles qui réalisent une forme de synthèse presque statique du devenir. Si nous comparons ces formes à celles que nous pouvons percevoir dans l'espace, elles sont relativement simples, ce qui s'explique facilement puisque nous n'avons pas dans le temps la possibilité de revenir en arrière pour développer une analyse qui permette une construction plus complexe. Aussi bien, les arts de la durée ont-ils cherché à enrichir des formes dont le
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PSYCIlOUJGlE DI? TE1HPS
nombre restait assez étroitement limité, ils ont multiplié les ressources de chaque instant : l'harmonie s'est ajoutée à la mélodie, les timbres les uns aux autres, le chant ou la danse à la musique. La simultanéité des excitations cherche à pallier la pauvreté des successions perceptibles. Cependant, à un ensemble perceptif succède un autre ensemble perceptif. Entre eux, il y a comme un léger temps mort, un hiatus que nous ne remarquons même pas ; dans le langage, la ponctuation en souligne la présence. Mais la discontinuité perceptive nous est masquée par une continuité que fournissent la tonalité affective des événements et l'unité de leur signification. Chaque ensemble perçu s'insère dans un courant où la permanence de nos attitudes et notre mémoire sont des facteurs déterminants de la continuité. Dans le langage, poétique ou non, le rôle de la signification est manifeste ; en musique la discontinuité des rythmes n'apparaît guère, car chacun participe à un mouvement musical qui donne au tout son unité. Ainsi notre présent psychologique nous permet de dominer le devenir du monde des stimulations. Grâce à lui, nous percevons des ensembles qui sont à leur tour des éléments à partir desquels nous construisons l'unité de notre vie psychologique.
CHAPITRE
IV
LE SEUIL DU TEMPS
L'existence du présent psychologique implique que plusieurs événements successifs peuvent être appréhendés en une relative simultanéité. Autrement dit, là où la physique décrit des changements dont la variable temporelle est continue, la psychologie montre une intégration discontinue de plusieurs événements successifs en des suites perceptives. Il n'y a là rien de surprenant. Toute perception a un donné phénoménal qui, dans ses qualités et son organisation, correspond à des stimulations, mais n'est pas un décalque de la réalité physique. La psychologie de la perception consiste à établir ces correspondances psychophysiques et à essayer de les expliquer en prenant connaissance des mécanismes de réception, de transmission et de projection corticale. Pour toute perception, la première question est celle de son seuil. Dans quelles conditions le temps apparaît-il donc comme une donnée perceptive ? Tel est le problème que nous voulons envisager dans ce chapitre, réservant pour le suivant l'étude des variations de nos perceptions de la durée en fonction de la nature des stimulations. Deux situations types se présentent : 10 Ou bien le changement perçu est continu ; notre perception est ainsi celle d'une continuité. En ce cas, si la stimulation physique est brève, nous avons une perception non pas de durée, mais d'instantané. Pour quelle durée de la stimulation passet-on de l'instantané au durable ? En d'autres termes, quel est le seuil du durable ? 20 Ou bien les stimulations sont brèves et répétées. Le problème est alors le suivant : à quel intervalle physique correspond la perception d'une succession, c'est-à-dire pour quel1
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nu TEMPS
intervalle deux événements cessent-ils de paraître confondus ou simultanés ? L'instantanéité et la simultanéité sont les deux cas limites où cesse la perception du temps. Inversement, étudier les conditions dans lesquelles cessent les perceptions de l'instantané et du simultané, c'est assister à la naissance perceptive du temps. 1 DE
.AUDURABI,H;
« Quand donc nous sentons l'instant comme unique, au lieu de le sentir ou bien comme antérieur et postérieur dans le mouvement, ou bien encore comme identique, mais comme fin de l'antérieur et commencement du postérieur, il semble qu'aucun temps ne s'est passé, parce qu'aucun mouvement ne s'est produit. » Il n'y a rien à changer à cette définition d'Aristote (Physique, IV, p. 219). Une stimulation brève peut être perçue sans toutefois qu'elle nous apparaisse comme durable. Nous sommes alors dans un cas limite que Piéron, par analogie avec l'espace, nomme un « point de temps » ( 1955, éd., p. 401). Toutes les sensations « non durables » sont théoriquement identiques sous le rapport du temps. Mais, pratiquement, quand on diminue la durée physique des stimulations, on diminue aussi l'intensité apparente des sensations correspondantes. Celle-ci est en effet proportionnelle à la quantité d'énergie reçue par les récepteurs sensoriels, c'est-à-dire au produit de l'intensité physique par la durée de l'excitation. La différence d'intensité crée donc une différenciation qui empêche de confondre deux sensations par ailleurs instantanées. Cependant, dans l'ensemble, les sensations instantanées se distinguent des sensations durables et il est possible de déterminer la limite entre l'instantané et le durable en fonction de la durée de la stimulation. Durup et Fessard (1930) ont ainsi trouvé que le seuil du durable était de 12,4 cs pour une stimulation lumineuse de 1 milli-bougie par centimètre carré de brillance et de 11,3 es pour une brillance de 100 mb/cm2. Pour un son de 500 Hz et d'intensité moyenne, ces mêmes auteurs ont trouvé des seuils variant de 1 à 5 cs. Bourdon (1907) avait trouvé dans la même situation 1 à 2 cs.
LK SEIIII, nu TEMPS
107
Pour des impressions tactiles engendrées par une excitation vibratoire, le seuil serait aussi de l'ordre de quelques centièmes de seconde, d'après des expériences préliminaires de Durup et Fessard. A la suite de ces auteurs, il faut remarquer que les limites de la perception de l'instantanéité dépendent de la durée d'ensemble du processus d'excitation. La valeur maximum du point de temps exprimée en durée du stimulus est en effet beaucoup plus longue dans le cas de la vue que dans celui de l'ouïe ou du tact. Mais justement nous savons que les processus d'excitation photochimique des récepteurs rétiniens ont une inertie beaucoup plus grande que ceux des récepteurs auditifs et tactiles qui sont de type mécanique. Le temps nécessaire pour déclencher le processus d'excitation ne compte pas au point de vue perceptif. L'important est sans aucun doute la durée de l'excitation corticale qui doit déterminer le caractère temporel de la perception. Piéron pense que ce sont les processus centraux qui interviennent « pour imposer une extension minima de ce point autour du centième de seconde » (ibid., p. 403). Ce point de temps a parfois été considéré comme une unité psychologique ou atome de temps. La question de l'existence d'une unité psychologique de temps a été maintes fois soulevée mais les auteurs ont donné des contenus très différents à cette notion. Certains, comme Piéron (1923, 1945), ont posé le problème sur un plan psychophysique : quel est l'élément simple, c'est-à-dire insécable, de la durée ? L'unité de temps, comme nous venons de le voir, varie alors avec la nature des sensations. De nombreux autres auteurs entendent par unité psychologique de temps la durée minimum d'une opération mentale aussi simple que possible. Richet (1898), qui a fait le premier cette suggestion, remarquait que nous ne pouvons pas prononcer plus de 11 syllabes ou voyelles à la seconde, ce qui semble indiquer qu'il y a une limite de fréquence des incitations centrales. Il a cherché par de nombreux rapprochements à montrer que cette limite du dixième de seconde environ se retrouvait dans de nombreuses manifestations à une vibration nerveuse psychiques. Elle correspondrait élémentaire dont la durée serait déterminée par celle de la période réfractaire. Ce qui est appelé dans ce cas unité psychologique est en
108 réalité
DIT TEMPS
la durée minimum du processus physiologique corresà la un acte sans référence à durée élémentaire, pondant appaTrès récemment rente de cet acte au plan de la perception. encore, Stroud (1956) a essayé de montrer que le temps psychopoulogique, c'est-à-dire le temps de l'activité psychologique, vait être brisé seulement en un nombre fini de moments, alors que le temps physique pourrait être décomposé en une infinité Il reprend d'une autre manière la démonstration d'instants. tentée Richet et, à partir de diverses expériences, qu'avait cherche à mesurer la durée d'un moment psychologique ou intervalle d'intégration, qui serait aussi selon lui de l'ordre du dixième de seconde. Stroud adopte la même valeur, mais admet une marge de 50 à 200 ms. Prenons deux de ses exemples. Si on fait voir ou entendre des séries de stimuli très brefs de 2,2 cs, les stimuli se (stimuli de 1,1 cs avec interruption suivant donc à 3,3 cs d'intervalle), le nombre de stimuli perçus est inférieur au nombre objectif de stimulations. Tout se passe comme dans une caméra dont l'obturateur ne s'ouvrant qu'un certain nombre de fois à la seconde ne pourrait enregistrer qu'une partie de ce qui se produit (White C. et Cheatham P., d'une liste de mots, on coupe l'audition 1959). Si, pendant à une certaine fréquence par un moyen électronique le flux sonore (ou si on le masque par un bruit blanc), on constate que les interruptions ont un effet très différent suivant leur rythme. Si la cadence des coupures est très lente, et si la durée de la on ne perçoit que 50 % coupure égale la durée de l'audition, des mots. Si la cadence est très rapide, il n'y a pas de perte et la réussite est de 100 %. Entre ces deux cadences extrêmes, on constate que, dès que les coupures atteignent 10 par seconde, la réussite approche du maximum, comme si, à cette cadence, on ne perdait pratiquement utile (Miller plus d'information et Licklider, 1950). Dans une autre perspective, Stein (1928) a montré que les lettres d'un mot étaient vues comme simultanées dès lors que l'intervalle de présentation entre la première et la dernière ne 100 et Lichtenstein ms, dépassait pas (1961) que quatre plages déterminant d'un carré étaient les sommets vues comme même si elles étaient allumées successivement, simultanées, pourvu que le délai entre la première et la quatrième stimulation ne dépasse pas 125 ms. Dans ces limites, l'éclairement des
LE SEUIL DU TEMPS
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plages successives peut se produire selon des intervalles réguliers ou irréguliers, sans changer le phénomène d'ensemble. D'autres auteurs, dans la même ligne, ont considéré comme un instantané irréductible, ou moment, l'intervalle qui permet tout juste de distinguer des stimulations répétées les unes des autres sans qu'il y ait fusion. Mais Piéron qui cite cette position des élèves de Uexkiill fait justement remarquer que cette fréquence de fusion dépend surtout des récepteurs, qu'elle ne peut donc servir à mesurer avec précision un processus central (Piéron, 1941, p. 102). Par contre, le passage de la discontinuité des sensations au papillotement permettrait peutêtre d'atteindre un moment significatif, puisque ce passage se produirait pour tous les sens de l'homme lorsque l'intervalle entre les stimulations successives (Brecher, 1937) atteint 50 ms. L'objet de telles recherches est de trouver une unité des processus physiologiques d'intégration du successif ; les faits sur lesquels elles s'appuient rendent vraisemblable l'existence d'une pareille unité. Mais ce problème ne sera complètement résolu que par le progrès de la neurophysiologie des centres supérieurs. La nature de l'unité physiologique du temps permettrait sans doute de comprendre les conditions dans lesquelles nous avons une perception de l'instantanéité. Mais pourrait-on aller plus loin et parler d'une unité psychologique du temps ? Unité à deux sens : c'est en premier lieu la qualité de ce qui est indivisible ; en ce sens l'instantané peut être dit une unité de temps. En second lieu, c'est la partie dont la multiplicité constitue un tout. Est-il légitime dans le cas du temps de passer du premier au second sens ? Une telle idée est sans doute présente à titre d'hypothèse chez Piéron (1945, p. 36) qui parle de durées constituées de « pluralités d'instants unitaires » et qui s'est posé le problème des rapports entre l'unité psychologique de temps et la valeur de l'échelon différentiel dans la comparaison des durées perçues. Y aurait-il des quanta du temps perçu ? Dans l'état actuel des recherches, on peut affirmer qu'il y a un processus central tel qu'il est difficile de distinguer ce qui est successif à l'intérieur d'un moment qui peut varier entre 50 et 150 ms environ. Le processus est central, mais cependant il dépend aussi de la nature des sensations (qualité, intensité) (Lichtenstein et al., 1963).
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I'SYCHOI,OGIE
DU
TEMPS
Si nos connaissances sur cet aspect deviennent plus nomde dire que les durées perçues breuses, rien ne permet cependant soient des multiples ou même des composés de ces unités de perception. Dans nos deux premiers nous avons montré chapitres, qu'il devait basée sur la proy avoir une horloge physiologique des centres nerveux à répondre à des priété rythmiquement ou non. Si nous connaissions mieux les excitations, périodiques mécanismes de ces rythmes et leurs fréquences élémentaires, les problèmes nous de soulever venons s'éclaireraient que peut-être. II DE LA
.4U
il y a perception le cas d'une stimulation de unique, la stimulation est assez ne lorsque longue pour plus Deux brèves stimulations, comme instantanée. elles, apparaître la perception d'une durée lorsqu'elles engendrent apparaissent comme successives. La durée est alors l'intervalle entre les deux stimulations. Si l'intervalle entre les deux stimulations apparaît Il ne s'écoule sont dites simultanées. nul, les deux stimulations entre elles. pas de temps La question est alors la suivante : dans quelles conditions une perception de la simultanéité ? Corrélativeavons-nous sont les seuils de de la succession ? ment, quels perception Dans la durée
I « LA
SIMULTANÉITÉ
Le sens commun sont simuladmet que deux événements à un même moment du temps. tanés lorsqu'ils se produisent très finement Poincaré Mais, comme l'a analysé (éd. définitive, ainsi, c'est se placer au point de vue d'une pp. 39-63), parler infinie et omniprésente. En effet, l'homme qui intelligence en ce domaine comme se comporte quel appareil n'importe directement les phénone connaît enregistreur jamais mènes des mais seulement sensations physiques, produites dans les phénomènes L'ordre par ces phénomènes. lequel se produisent de nos sensane détermine physiques pas l'ordre tions. L éclair la brusque de la décharge du et nuage électrique
LE SEUIL DU TEMPS
Ili
vibration de l'air qu'elle entraîne sont contemporains, mais perceptivement le tonnerre succède à l'éclair. Inversement, de deux coups de foudre qui nous paraissent simultanés, celui qui a l'origine la plus proche a succédé dans le temps à celui qui était le plus éloigné de l'observateur. La simultanéité que nous envisageons ici est la simultanéité psychologique. Elle correspond au fait que des « événements appartiennent au même présent mental et ne sont pas susceptibles d'une ordination temporelle » (Piéron, 1955, 3e éd., p. 394). L'important est cependant de déterminer les rapports entre cette simultanéité apparente et l'ordre même des phénomènes physiques, tel qu'il peut être connu par d'autres modes d'enregistrement que notre propre sensibilité. La cause la plus évidente du décalage entre l'ordre perçu et l'ordre des événements tel que peut le connaître la physique, tient évidemment à la différence de vitesse de transmission dans le monde extérieur des phénomènes vibratoires et en particulier du son et de la lumière. Déterminer la durée qui s'écoule entre l'émission et la réception est du ressort des physiciens, qui se heurtent d'ailleurs, lorsque les distances sont grandes, à de sérieuses difficultés, comme l'a montré la théorie de la relativité. Mais à cette cause de décalage s'ajoutent les différences de durée des processus d'excitation périphérique et de vitesse de la transmission des organes récepteurs jusqu'aux centres perceptifs de l'aire corticale. Là nous abordons l'aspect biologique du problème. Deux stimulations qui attaquent simultanément l'organisme ne sont pas perçues pour autant comme simultanées. Les causes en sont multiples. Les unes sont physiologiques. Chaque type de récepteur a d'abord une latence propre. Dans les meilleures conditions, la latence irréductible de la vision est supérieure de 4 cs à celle de l'audition (Piéron, ibid., p. 46). D'autre part, la latence d'un même récepteur est fonction de l'intensité de la stimulation. Plus l'intensité est forte, plus la latence est faible ; et « la partie réductible de la latence est inversement proportionnelle à l'intensité stimulatrice portée à une certaine puissance, inférieure, égale ou supérieure à l'unité » (Piéron, ibid., p. 467). Il en résulte, par exemple, que si deux petites plages lumineuses proches l'une de l'autre s'éclairent simultanément mais à des niveaux d'intensité différents, les deux lumières ne
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PSYCI[01,OGIE DU TEMPS
paraissent pas simultanées ; tout se passe comme si la plage la plus lumineuse se déplaçait vers la plage la moins lumineuse. Ce mouvement apparent est perçu quand deux stimulations semblables se succèdent assez rapidement : le phénomène est caractéristique de ce qui se passe précisément quand on est aux frontières du simultané et du successif. Outre la latence des organes périphériques, la seconde raison qui peut amener le décalage perceptif de deux stimulations, objectivement simultanées au niveau des récepteurs, est le retard de la transmission de l'influx nerveux de la périphérie au centre, retard dû à la durée de la conduction nerveuse et à celle des synapses. Klemm (1925) a ainsi montré que pour que deux stimulations, l'une sur le front, l'autre sur la cuisse, soient perçues comme simultanées, il fallait que l'excitation de la cuisse précède celle du front de 20 à 35 ms, durée qui correspond assez exactement à la durée nécessaire pour que l'influx nerveux parcoure la différence de longueur des fibres qui joignent cuisse et front au cortex. Halliday et Mingay (1964) ont repris ces mesures avec les techniques modernes. Ils ont trouvé, par la méthode des potentiels évoqués, que le retard de la réponse centrale à une stimulation du pied était de 20 ms par rapport à celle de la main. Chez un sujet, il faut un décalage de 17 ms, chez un autre de 9 ms, pour qu'il y ait perception de la simultanéité de deux stimulations au pied et à la main. Ces faits montrent la véracité du raisonnement théorique que l'on pouvait faire a priori. La base de la perception de la simultanéité réside dans la simultanéité d'excitations corticales. Mais à ce niveau interviennent d'autres facteurs plus spécifiquement psychologiques, et plus particulièrement la direction de l'attention, qui expliquent sans doute que Halliday et Mingay ont trouvé un décalage, au moins chez un sujet, entre simultanéité prédite et simultanéité perçue. Après Wundt et W. James, Titchener a remarqué que « le stimulus vers lequel nous sommes orientés demande moins de temps pour produire tout son effet conscient que le stimulus que nous n'attendons pas » (1908, p. 251). Il en résulte que, de deux stimuli qui agissent dans les mêmes conditions sur l'organisme, celui vers lequel on porte son attention apparaît comme antérieur à l'autre. Ainsi Bethe a montré que si, derrière une série de petites fenêtres, on place un tube de Geissler, l'éclairement des fenêtres
LE SEIJIL DU TEMPS
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semble prendre naissance à la fenêtre que l'on fixe (cité par Frôbes, 1935, 1, p. 386). Piaget a de même trouvé que si des enfants regardent deux lampes (distantes de 1 m et symétriques par rapport au plan médian de leurs corps) qui s'éclairent simultanément, 80 % de leurs erreurs sont dues au fait qu'ils croient que la lampe qu'ils fixaient s'est éclairée avant l'autre (1946 b, p. 120). Ces expériences ne prouvent pas encore que le retard d'une sensation sur l'autre est dû à l'attention, car dans le cas de la vision, le retard de perception du stimulus que l'on ne fixe pas peut être dû à une latence plus grande des récepteurs périphériques. Une des recherches récentes estime que le retard d'une stimulation p.ériphérique sur une stimulation fovéale est, en adaptation claire, de 10 ms à 10° et de 20 ms à 40° de la fovéa (Sweet, 1953). Mais ce facteur ne suffit sans doute pas à expliquer des résultats que l'on retrouve même quand il ne joue aucun rôle. Stone (1926) a fait une expérience très précise pour mesurer le rôle propre de l'attention. Il a recherché la durée limite de l'intervalle pour lequel un son et une stimulation tactile apparaissent simultanés, lorsque le sujet fait porter son attention : a) sur le son ; b ) sur l'attouchement. Il a obtenu une valeur de 50 ms environ qui mesurerait le rôle propre de l'attention. Cette valeur a été retrouvée par Rubin (1939) : il lui suffit d'un simple changement de la consigne - qui agit évidemment sur l'attitude du sujet - pour prévoir, de deux stimuli distants de 50 ms, lequel sera perçu avant l'autre. Par une méthode plus complexe, Schmidt et Kristofferson (1963) arrivent à déterminer que la période d'attention, qui permet de passer d'un stimulus à un autre, est d'environ 65 ms quand il s'agit de comparer la terminaison de deux stimulations lumière et son. Ce rôle spécifique de l'attention ne prend toute sa signification que si l'on se rappelle qu'il est impossible de faire attention à deux choses à la fois. Incapables d'être attentifs à deux stimulations simultanées, nous nous orientons vers l'une des deux, soit spontanément parce qu'elle nous attire, soit volontairement. Et la stimulation vers laquelle nous sommes orientés semble précéder l'autre. Ainsi, l'attention modifierait la durée des processus perceptifs correspondants, qu'il y ait accélération de l'un ou inhibition temporaire de l'autre. 8 P.
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* * *
L'ensemble des travaux qui ont été faits sur la perception de la simultanéité confirme ce point de vue. Il n'y a véritable perception de la simultanéité que lorsque les stimuli peuvent être intégrés ou unifiés de sorte que nous les saisissions ensemble, sans dispersion de notre attention. Inversement, dans tous les cas où cette unification est difficile, la perception de la simul' tanéité est très instable. Envisageons successivement les deux catégories de cas. Si deux ou plusieurs stimuli forment une figure ayant une unité de signification, leur simultanéité ne fait pas problème. La quasi fusion de deux notes d'un accord musical permet la perception d'une parfaite simultanéité. Il est au contraire difficile de se prononcer sur la simultanéité du coup frappé à la porte et de celui de l'horloge sonnant la demie, parce que les deux sons n'ont aucun rapport entre eux. L'unité peut venir d'une condition extérieure aux stimuli eux-mêmes. Un bref éclair, illuminant de l'extérieur les deux plages de l'expérience de Piaget dont nous avons parlé, aurait assuré une unité perceptive et sans doute tout le monde aurait reconnu dans un tel cas avoir vu apparaître simultanément les stimuli. D'autres expériences de Piaget ont d'ailleurs montré que la perception de la simultanéité de l'arrêt de deux mouvements, par exemple, n'était assurée chez de jeunes enfants que si les deux mouvements étaient en quelque sorte intégrés dans un commun ensemble perceptif. « Lorsque deux mobiles partent du même endroit pour aboutir en un même point avec la même vitesse, là simultanéité des départs et des arrêts ne fait pas de difficulté » (Piaget, ibid., p. 105). Mais que la simultanéité se produise après des courses de vitesses différentes, sur des lignes d'arrivée décalées dans l'espace, et le jeune enfant échoue, car chaque arrêt de mouvement appartient à un ensemble perceptif différent (1). Un des moyens que nous avons d'ailleurs de contrôler notre perception de la simultanéité, est d'inclure des stimulations sans liens apparents en un même ensemble réactionnel. Si nous (1) L'enfantplus âgé pourra surmonterces difficultéspar un raisonnement où il feraintervenirlespositionsde départet d'arrivée,et lesvitessesdesmobiles.
LE »SEUIL DU
TEMPS
Ils
de la main gauche et à un à un son par une frappe réagissons la main droice, par exemple, de éclat lumineux par une frappe en effet avec une facilitée. Nous est la confrontation apprécions de mouvements finesse le symétriques synchronisme grande réaliser moteur. Nous pouvons en un pattern qui ,s'intègrent la avec une grande simultanés deux mouvements précision, de millièmes ne des pas quelques dépassant décalages moyenne et asymétridifférents même dans le cas de membres seconde, un et droite supposant par exemple) pied gauche ques (main commande de la du déclenchement initial au niveau décalage motrice 1947-48). (Paillard, de juger la simultanéité très difficile Il est au contraire commun. La chose de deux sensations qui n'ont aucun caractère à un même sens, est vraie pour des excitations correspondant Ce problème mais encore plus pour des excitations hétérogènes. recheron le des xixe a été l'occasion, au sait, siècle, premières sur de ches l'équation personnelle. expérimentale psychologie des errems noté qu'ils commettaient avaient Les astronomes du passage le moment la méthode oeil-oreille en appréciant par de la lunette) d'une étoile en face d'un repère visuel (le réticule le temps. successifs à des battements marquant par rapport chez un à être systématiques d'ailleurs tendaient Ces erreurs « d'équation ». observateur d'où le nom donné, personnelle Wundt furent sur ce problème Les recherches par développées Les sujets devaient dite de complication. dans son expérience sur un cadran au se d'une la déplaçant aiguille place jugep'de montrèrent un son. Les résultats moment où se produisait que atteindre se faisait avec une erreur qui pouvait cette localisation dans une position 100 ms, l'aiguille étant vue le plus souvent le son s'était à celle où elle se trouvait lorsque postérieure t. Cette valeur de réellement ibid., 2, p. 302). (Wundt, produit et en auteurs a été retrouvée l'erreur particulier par plusieurs montré que le sens de qui a en outre par Michotte (1912), Elles ont l'erreur était déterminé par les conditions perceptives. « Michotte soule d'attention » et effet de point pour déplacer « n'est stimulation fortement aperçue » qu'à qu'une ligne 1-'instant-aù la difficulté stimulations. est accrue
L'existence de cette erreur montre elle est attendue. de la coïncidence de deux nous avons à juger que la difficulté Dans ce type de situations d'ailleurs, un stimulus en mouvement faut localiser puisqu'il
116
PSYCFTOT,OGTT DU TEMPS
par rapport aux graduations du cadran. De nos jours, le même phénomène a été mis en évidence par Ladefoged et Broadbent (1960), demandant à leurs sujets de localiser exactement un son qui survient pendant l'audition d'une phrase. Cette localisation est difficile, même si le sujet connaît la phrase à l'avance. L'expérience de Guinzburg (1928), d'un autre genre, illustre aussi la difficulté que l'on éprouve à percevoir la simultanéité et le type d'erreurs que l'on peut faire. La tâche de ses sujets consistait à dire si une lumière et un son étaient simultanés ou successifs. Notons tout d'abord que deux de ces dix sujets ont été incapables de donner des réponses cohérentes. Dans le cas de la simultanéité objective, l'expérimentateur n'a obtenu que 39,2 % de réponses justes. La réponse « simultanée » était donnée le plus fréquemment (45 %) dans le cas où le son précédait la lumière de 30 ms. La simultanéité était encore perçue quand le son précédait la lumière de 120 ms (8,3 % des cas), ou même quand la lumière précédait le son de la même durée (67 % des cas). Cette difficulté objective à percevoir la simultanéité correspond au fait qu'il n'y a pas, pour des stimulations hétéro sensorielles, de véritable impression de simultanéité. « La simultanéité est inférée d'une certaine indistinction, d'une absence d'ordination nettement imposée, laissant le jeu à une certaine liberté d'ordination arbitraire » (Piéron, ibid., p. 394). Guinzburg ayant demandé à ses sujets de lui indiquer les cas dans lesquels ils étaient sûrs de leurs jugements, a obtenu un plus faible pourcentage de réponses affirmatives dans les cas de perception de la simultanéité que dans les cas de perception de la succession. La perception de la simultanéité proprement dite implique donc que les excitations puissent s'organiser en un pattern perceptif ou réactionnel. Cette organisation permet tout à la fois une perception stable de la simultanéité et un seuil très fin de perception de la succession. Ainsi, comme nous l'avons déjà vu, si on éclaire successivement quatre points lumineux déterminant un losange (correspondant à un angle visuel de 1° 5'), la simultanéité subjective est obtenue pour un cycle de 125 ms, valeur très peu variable d'une expérience à l'autre (Lichtenstein, 1961). La nécessité de cette intégration explique sans doute que les aphasiques, et plus généralement les malades présentant
LE SEUIL DU TEMPS
117
-
des lésions corticales, aient des troubles de la perception de la simultanéité d'un son et d'une lumière dans des situations simples où aucun autre malade mental n'échoue (Fraisse, 1952 b). 2°
LE
SEUIL
DE
PERCEPTION
DE
LA
SUCCESSION
ET
DE
L'ORDRE
Pour quel intervalle temporel deux stimulations cessent-elles d'être confondues ou simultanées ? Piéron a proposé d'appeler acuité temporelle « la capacité discriminative dans la dimensiontemps, comme les acuités spatiales représentent les capacités discriminatives dans les dimensions de l'espace » (Piéron, ibid., p. 394). Il faut distinguer, toujours avec Piéron (1923), troi; cas : « 1° Les deux stimuli sont identiques et abordent l'organisme au même point... ; « 2° Les deux stimuli sont identiques, mais abordent l'organisme en des points différents, ou sont analogues sans être identiques... ; « 3° Les deux stimuli sont très différents (hétérosensoriels). » Dans le premier cas, si les stimulations se suivent très rapidement, elles sont fusionnées par suite de la persistance de la sensation et il n'y a perception que d'une sensation plus ou moins durable. Si l'intervalle temporel entre les stimulations est un peu plus grand, nous avons encore perception d'une excitation continue, mais de niveau variable. Une série de stimulations donne alors naissance à des phénomènes de papillotement pour la vue, de roulement ou de crépitement pour l'ouïe, de vibration pour le tact. Ces phénomènes apparaissent quand se produit, entre deux excitations, une diminution d'intensité de la sensation au moins égale à un échelon différentiel. Dans ce cas, nous percevons en réalité plus un changement qu'une véritable succession. Donc l'intervalle pour lequel on passe de la perception de la continuité à celle d'un changement d'intensité varie avec la nature des récepteurs. En se réparant sur la vitesse critique de fusion de stimulations répétées, l'oreille est encore capable de discriminer l'interruption d'un bruit blanc à la fréquence de 1 000 par seconde, c'est-à-dire lorsque l'écart est de 1 ms (Miller et Taylor, 1948). Pour le tact, on perçoit
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PSi'ClIOLOGIE
DU TEMPS
encore à la pulpe de l'index une vibration jusqu'à plus de 1 000 stimulations par seconde (Piéron, ibid., p. 68) et, pour la vue, dans des conditions favorables, on peut encore observer un papillotement à la fréquence de 60 par seconde, soit pour un intervalle temporel de 16 ms (Mowbray et Gebhard, 1954). dite est beaucoup Le seuil de la discontinuité proprement on n'en et de l'intensité des stimulations ; plus élevé, dépend ms et donner des 10 l'ouïe ordres de peut pour que grandeur : le tact, 100 ms pour la vue (Piéron, ibid., pp. 396-397). * * * Quand les stimuli abordent l'organisme en des points diflérents, on observe, entre la perception de la simultanéité et celle de la succession, une organisation des excitations successives qui donne naissance à des perceptions complexes. En vision, l'excitation en succession rapide de deux points de la rétine entraîne le plus souvent la perception d'un mouvement apparent. Il y a perception, non d'une dualité d'éléments, mais d'un seul stimulus qui se déplace du lieu d'apparition du au deuxième. Il est lieu du premier possible, quand d'apparition on connaît le phénomène, d'inférer du mouvement à la succesil n'y a pas perception de succession, mais phénoménalement sion. Les limites temporelles dans lesquelles est perçu le mouvement apparent sont très variables et dépendent, selon les lois de Korte, de l'intensité et de leur distance. des stimulations On peut même obtenir un mouvement apparent, comme nous l'avons déjà signalé, avec deux stimulations objectivement mais d'intensité simultanées, différente, par suite du retard de la sensation la moins intense sur la plus intense. Il est donc difficile de fixer la valeur de l'intervalle temporel pour lequel on passe de la simultanéité au mouvement apparent et du mouvement apparent à la succession. Cependant, pour la vision, rappelons que Wertheimer pensait que l'optimum du mouvement apparent est réalisé quand l'intervalle atteint 60 ms (le cinéma a utilisé une cadence de 18, puis de 24 images par de 55 ms et de 40 ms), et qu'il seconde, soit des intervalles d'une faisant disparaît complètement, place à la perception de la atteint 200 ms. Le pa succession, quand l'intervalle simultanéité au mouvement apparent peut se faire à un seuil très
LE SEUIL DU TEMPS
119
bas dans une situation très favorable. On peut ainsi percevoir un mouvement apparent entre deux stimulations lumineuses adjacentes se projetant sur la fovéa avec un intervalle de 5 ms (Sweet, 1953). Ce seuil est évidemment beaucoup plus élevé dans les conditions normales et il est remarquable qu'il le soit plus encore, comme nous l'avons déjà signalé, chez des malades présentant des lésions cérébrales. Ainsi, parmi des enfants de même âge mental, ceux qui sont atteints de lésions ont un seuil du mouvement apparent de plus de 200 ms et les autres ont seulement un seuil de 75 ms. Les lésions, en contribuant à isoler les sensations et à prévenir leur organisation, élargissent la zone dans laquelle il y a simultanéité apparente et élèvent le seuil d'acuité temporelle (Werner et Thuma, 1942). Dans le domaine tactile, on observe entre la simultauéité et la succession proprement dite des perceptions variées. Si on excite successivement deux points-très voisins de l'avantbras (la distance entre les points étant au-dessous du seuil de discrimination spatiale des deux contacts), lorsque l'intervalle est inférieur au centième de seconde, on ne perçoit qu'une sensation unique de petite surface localisée vers le premier point excité (Klemm, 1925). Poui des intervalles un peu plus grands, on constate, comme dans la vision, la naissance de mouvements apparents (Benussi, 1917). Piéron donne comme seuil de distinction entre des stimulations en des points voisins ou symétriques un intervalle de l'ordre du centième de seconde..Si on augmente la distance entre les points stimuli, il .faut aussi augmenter l'intervalle temporel entre les stimulations pour qu'elles soient distinctes (Wieland, 1960). Dans l'audition, les phénomènes sont complexes. Hisata (1934), cité par Piéron (1955), a constaté l'existence d'un mouvement apparent entre deux sons identiques, distants de 200, brefs, et se succédant à un intervalle de 20 à 60 ms. La rapide succession des excitations de chaque oreille donne naissance à une perception de latéralisation du son. Le seuil de cette perception est très bas : 7/100 de ms, d'après Aggazzotti (1911), 1/100 de ms d'après Hornbostel et M. Wertheimer (1920) Mais, dans ce cas, il n'y a pas de perception temporelle. Ces phénomènes qualitatifs masquent le véritable seuil de la succession. Aussi bien, I. Hirsh (1959) a proposé de distinguer nettement le seuil de la succession ou seuil de perception
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PSYCHOLOGIEDU TEIVIPS
d'une pluralité et le seuil de perception de l'ordre temporel, ce qui implique de pouvoir ordonner les stimuli. La tâche n'est possible que si les stimuli peuvent être identifiés et diversifiés sur la base de la qualité sensorielle (2 sons de hauteur différente), ou de la localisation des stimuli dans le cas des perceptions visuelles ou tactiles. En employant des sujets très entraînés et très informés sur ces phénomènes, I. Hirsh a trouvé, en utilisant la méthode de choix, que ce seuil de perception de l'ordre était le même et atteignait 20 ms, qu'il s'agisse d'ordonner des sensations auditives (sons de différentes hauteurs ou bruits, ou combinaison de bruits et de sons ; sons provenant à l'une et l'autre oreille), des sensations visuelles (distantes de 5°, 10° ou 20° d'angle visuel dans la direction horizontale ou verticale), ou de sensations tactiles aux index des deux mains (I. Hirsh, 1959 ; I. Hirsh et C. E. Sherrick, 1961). Ces résultats montrent que la perception de l'ordre temporel intervient pour des durées plus longues que lorsqu'il s'agit uniquement de discriminer s'il y a succession de deux stimulations attaquant les mêmes récepteurs ; ils montrent aussi qu'en utilisant sans aucun doute les différences qualitatives que nous avons évoquées plus haut, nous sommes capables de discriminer l'ordre de deux sensations, alors même que leur distinction n'est pas assurée comme lorsqu'un mouvement apparent intervient. Cependant, Hirsh et Sherrick ont trouvé la même valeur de 20 ms lorsqu'il s'agit d'ordonner deux sensations hétérogènes comme un son et une lumière ou une sensation tactile et auditive, ou une sensation tactile et visuelle. Cette valeur était beaucoup plus faible que celles rapportées par Tinker (1935) et Piéron (1955, p. 396), qui oscillent entre 50 et 100 ms. Il est vrai que ces valeurs se rapportent souvent à des mesures faites au xixe siècle avec un appareillage qui manquait de précision et des méthodes psychophysiques moins affinées que celles d'aujourd'hui. Exner (1875) a trouvé que l'ordre entre une stimulation visuelle et une stimulation auditive était perceptible pour un intervalle de 16 ms, mais que celui entre stimulations auditive et visuelle était de 60 ms. Ces valeurs sont plus fortes que celles de Hirsh, mais elles correspondent aussi à un critère plus élevé. Cependant, les faibles valeurs
LE SEUIL DU TEMPS
121
obtenues par Hirsh tiennent au fait qu'il a utilisé des sujets très entraînés. Avec des sujets naïfs (Hirsh et Fraisse, 1964), on trouve que le seuil de la perception de l'ordre est de 60 ms dans une succession son-lumière et de 120 ms dans une succession lumière-son. On trouve aussi que le seuil de la succession dans le cas de stimuli hétérogènes n'est pas différent du seuil de la perception de l'ordre. Il reste que les résultats d'Exner comme ceux de Hirsh et Fraisse font ressortir une asymétrie, en sens inverse, il est vrai, des seuils de perception suivant l'ordre des stimulations. Elle s'expliquerait par le fait déjà mentionné (p. 112) que le processus de perception est plus rapide pour le stimulus sur lequel se porte électivement l'attention. La plupart des auteurs ont en général trouvé que normalement la lumière attire davantage l'attention et ceci serait d'autant plus vrai que la source sonore est mieux cachée (Bald, Berrien, Price et Sprague, 1942). Ces divergences entre les résultats ne doivent pas nous surprendre, puisque la nature de chaque stimulus peut modifier le résultat et que les différences individuelles peuvent être importantes. Signalons enfin un cas particulier : celui de la perception de la succession entre une réponse motrice (appuyer sur une clé) et une sensation extéroceptive, lumineuse par exemple. Le seuil d'ordination temporelle est encore du même ordre de grandeur (50 ms) que dans le cas de deux stimulations extéroceptives (Biel W. C. et Warrick M. J., 1949). * * * Les processus périphériques et centraux, les données physiologiques et psychologiques interviennent donc pour déterminer le seuil du durable, le seuil du successif et le seuil de la perception de l'ordre. De toute manière, les valeurs trouvées restent très faibles et varient entre 1 et 100 msen considérant les cas extrêmes.
CHAPITRE
V
LA DURÉE PERÇUE Dans les limites du présent psychologique, nous percevons le temps, mais les modalités de cette perception varient en qual·té et en quantité avec la nature physique des changements qui la déterminent. Nous ne percevons pas la durée indépendamment de ce qui dure. A partir de ce fait, nous étudierons dans ce chapitre les modalités de notre perception du temps sous ses différents aspects (1). 1 ET
LA QITALITÉ L'INTERVALLE
DES
DURÉES
D'INDIFFÉRENCE
Entre la limite inférieure, où nous arrivons à distinguer que nous sommes en présence de deux stimulations distinctes, et la limite supérieure où, lorsque se produit une nouvelle excitation, la précédente n'appartient plus qu'à notre passé, il y a perception d'une succession proprement dite et d'un intervalle de plus en plus long entre les stimulations successives. S'en tenir à cette description serait simplement transposer sur le plan psychologique les mesures physiques de l'écart entre les stimulations. En réalité, à mesure que l'intervalle croît entre les stimulations, leur succession engendre des perceptions qualitativement différentes. 10 LES
QUALITÉS
DES
INTERVALLES
Au moment où les stimulations cessent de se confondre et paraissent successives et distinctes, nous n'avons pas encore pour autant perception d'un intervalle qui serait comme un que nous donnerons (1) Le lecteur s'étonnera peut-être des développements à ces problèmes, mais cette situation correspond à l'état de nos connaissances psychologiques. La perception est une des conduites les plus simples, elle a été de ce fait plus étudiée jusqu'à ce jour que d'autres qui sont plus complexes. Elle est donc mieux comnue.
LA DURÉE PERÇUE
123
vide entre elles. Ces sensations paraissent alors distinctes, mais accolées. Si l'intervalle est un peu plus grand, nous avons perception d'une collection de deux stimulations (Schultze, 1908). Ainsi, spontanément, nous ne percevons pas un écart, mais deux stimulations plus ou moins rapprochées. L'intervalle n'est pas perçu pour lui-même, bien qu'il soit, si l'on y fait attention, discernable. Quand l'écart entre les stimulations atteint 60 centièmes de seconde environ, nous percevons spontanément un intervalle, mais qui ne se dissocie pas de ses limites. Lorsque l'écart dépasse une seconde, l'aspect intervalle devient dominant ; il faut un effort de plus en plus grand pour que les deux stimulations limites forment une unité et déterminent un intervalle défini dans sa durée. Enfin, quand l'écart atteint 1,8 à 2 s, les deux stimulations cessent d'appartenir à un même présent ; il n'y a plus perception d'un intervalle durable, mais d'une distance entre un événement passé et un événement présent. La description que nous venons de faire à partir de l'intervalle entre les stimuli peut aussi être tentée en termes de vitesse de succession. Vierordt (1868), utilisant un métronome, a trouvé que le jugement « rapide » correspondait en moyenne à un intervalle de 0,42 s, « neutre » à 0,64 s, et « lent » à 1,07 s (1). La même analyse peut être faite en mettant l'accent sur les durées elles-mêmes, au lieu d'insister sur les intervalles entre les stimulations. Katz (1906) distinguait trois types de durées : les courtes de 0,25 à 0,55 s, les agréables entre 0,60 et 0,65 s, et les longues au-delà de 0,65 s. Benussi a été encore plus précis ; les durées très courtes s'étendraient de 0,09 à 0,23-0,25 s, les durées courtes de 0,23-0,25 s à 0,58-0,63 s, les durées indifférentes de 0,58-0,63 s à 1,08-1,17 s, les durées longues de 1,08-1,17 s à 2,07 s et les durées très longues au-delà. En rapprochant ces différentes analyses et sans entrer dans des précisions qui ne peuvent correspondre à des jugements qualitatifs, on peut distinguer trois zones : 10 Les intervalles courts inférieurs à 0,50 s environ. Pour ces durées, on perçoit plus les limites que l'intervalle lui-même ; (1) Il faut remarquerque les valeurstrouvéespar Vierordtsont sans doute relativesà l'échelledes intervallesquepeut donnerun métronome.En employant aussi un métronome,Frischeisen-KÜhler (19336) a trouvé que les tempi qui à une noneoù l'intervalleallait n'étaientjugésni lentsni rapide,corrs-pondaient de 0,55à 0,83s suivantlessujets.
124
PSYCHOLOGIEDU TEMPS
20 Les intervalles indifférents, c'est-à-dire ni courts, ni longs, de 0,50 à 1 s environ. Pour ces durées, limites et intervalle forment une unité ; 30 Les intervalles longs, au-delà de 1 s environ, où prédomine la perception d'un écart et où il faut un effort pour réunir les deux limites en un même présent. Cette même analyse peut être faite à partir de durées pleines, par exemple à partir de l'audition d'un son continu. Le début et la cessation du stimulus correspondent aux limites des temps vides. Dans les temps courts, tout se passe alois comme s'il n'y avait pas de durée entre le début et la fin, phénomènes dominants ; pour les durées plus longues, le début et la fin ne se laissent pas dissocier de la durée, et enfin, pour les temps longs, la durée prédomine sur les sensations initiales et terminales. Nos analyses, comme celles des autres auteurs, se rapportaient à des sensations auditives. Elles s'appliquent aussi aux sensations tactiles, mais elles perdent peu à peu toute signification pour les sensations à évolution lente qui ne facilitent pas la distinction des stimulations et la perception d'une succession. Ainsi, dans le cas limite de l'odorat, la question de l'intervalle temporel entre des odeurs tic peut même pas se poser. Ces distinctions qualitatives ont une portée d'autant plus grande qu'aux trois catégories de temps correspondent des lois perceptives différentes. Hôring, élève de Vierordt, dès 1864, avait trouvé que, parmi des intervalles allant de 0,3 à 1,4 s, les plus courts étaient surestimés et les plus longs sous-estimés, ce qui conduisait immédiatement à la notion d'un point d'indifférence ou d'un intervalle d'indifférertce correspondant à une durée pour laquelle il n'y avait pas d'erreur systématique (1). de la durée d'une stimulation celle-ci (1) On dit qu'il y a a surestimation quand est estimée d'une manière ou d'une autre (le plus souvent plus par reproduction) n'est. Nous parlerons dans ce cas de surestimation absolue. longue qu'elle On dit qu'il y a surestimation de la durée d'une stimulation A par rapport à la durée d'une stimulation B quand A est estimé être plus grand que B alors que les durées sont physiquement B est égales. Ceci implique égal à B quand que A paraît dans ce cas de surestimation relative. physiquement plus grand que A. Nous parlerons Il n'est pas possible de conclure directement d'une surestimation absolue à une surestimation relative car dans le premier cas on compare (et réciproquement), une réponse à une stimulation et dan, le deuxième cas deux perceptive physique, entre elles. perceptions
125
l,A DURÉE PERÇUE
Sur la durée de cet intervalle d'indifférence, les recherches faites en particulier en Allemagne, dans la seconde moitié du XIXe siècle, pourraient engendrer le scepticisme, et Woodrow (1934) a lui-même indiqué que, suivant les auteurs, cet intervalle a été fixé entre 0,3 s et 5 s. Nous montrerons, dans les prochains paragraphes, que différents facteurs peuvent modifier cette valeur, mais il reste que les recherches les plus sérieuses concordent pour fixer cet intervalle vers 0,6-0,8 s. Wundt (ibid., II, p. 322) donnait comme valeur 0,72 s et ses élèves Kollert, Estel, Mehmer, des durées variant de 0,71 à 0,75 s (d'après Woodrow, 1934). La détermination définitive nous paraît être celle de Woodrow (1934). Elle a été faite sur un grand nombre de sujets dont chacun n'a reproduit qu'une seule valeur d'intervalle. Malgré cela, les sujets ont surestimé les intervalles courts et sous-estimé les intervalles longs. L'intervalle d'indifférence, suivant le mode de calcul, serait compris entre 0,59 et 0,62 s. Toujours d'après le même travail, la surestimation de l'intervalle de 0,3 s atteindrait 6,2 %, la sous-estimation de l'intervalle de 1,2 s, 2,1 %, et celle de l'intervalle de 4 s, 4,6 %. Nous avons trouvé un écart systématique situé entre + 19,6 % pour un intervalle de 0,30 s et - 3,9 % pour 1,5 s (Fraisse, 1948 c). Quand les durées sont pleines, l'intervalle d'indifférence présente des valeurs et des erreurs systématiques du même ordre (Stott, 1935). Outre ces erreurs systématiques, on constate que la variabilité des estimations contrôlées par une méthode de reproduction est aussi fonction de la durée. Elle serait en moyenne, pour chaque sujet, de 10,3 % pour une durée de 0,20 s (écart type rapporté à la moyenne des reproductions). Lorsque la durée augmente, elle décroît systématiquement jusqu'à 0,6 s (7,8 %), puis remonte quand les durées sont encore plus longues (10,1 % pour 2 s) (Woodrow, 1930). * * * Nous essaierons de montrer plus loin que d'indifférence est en relation avec des processus giques et physiologiques spécifiques. Cependant peut varier selon les conditions dans lesquelles
l'intervalle psycholosa valeur intervient
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IISY(.'1101,OGIE1)li TE1HPS
sa perception. Le phénomène le i, q::i peut modifier sa valeur est le développement d'une tendance centrale relative à la gamme des durées perçues dans une situation donnée. On sait que notre expérience courante entraîne la formation d'une impression absolue qui correspond à la tendance centrale des stimuli ressentis. Ainsi nous parlons d'une chaise légère ou d'une chaise lourde en fonction de notre expérience du poids moyen d'une chaise. Spontanément, au nom d'une loi d'économie, nous nous attendons à un stimulus de l'ordre des valeurs moyennes et nous avons tendance à minimiser les petites différences - loi d'assimilation - ou, au contraire, à les surestimer, si elles sont assez grandes - loi de contraste (Fraisse, 1947). Il résulte de là que, si nous apprécions les grandeurs d'une gamme de stimuli, ceux qui sont plus petits que la moyenne sont surestimés et les plus grands sont sous-estimés. Dans les cas des intervalles temporels, cette loi est particulièrement nette. Hollingworth (1909) a suggéré que les variations des auteurs dans la détermination de l'intervalle d'indifférence étaient relatives à la gamme des durées qu'ils avaient employées dans leurs expériences. La vérification expérimentale est d'ailleurs possible : en employant sur les mêmes sujets deux gammes de stimuli, nous avons trouvé, par la méthode de reproduction, que le point d'indifférence apparaissait à 1,14 s pour des stimuli situés entre 0,2 et 1,5 s et à 3,65 s pour des stimuli allant de 0,3 à 12 s (Fraisse, 1948 c). De ce phénomène, il faut sans doute rapprocher l'effet d'ancrage, c'est-à-dire l'influence d'une valeur de référence sur les appréciations portées sur d'autres stimuli. Si, par exemple, on demande d'abord d'apprécier des durées de 0,25 à 1 s sur une échelle de 5 points (de très court à très long), et qu'ensuite la même tâche soit proposée après avoir fait percevoir avant chaque estimation une durée de référence d'un peu plus d'une seconde, on constate un glissement de plus en plus marqué de l'échelle subjective, en ce sens que les sujets attribuent plus fréquemment les jugements longs et très longs qu'auparavant. Le phénomène est particulièrement sensible pour la durée la plus longue qui est plus proche de la durée de référence (Postman et Miller, 1945). Il y a donc un effet d'assimilation. Cet effet a été confirmé par plusieurs recherches de Goldstone et
LA DURFE PERÇUE
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de ses collaborateurs (1). La durée estimée de la seconde est plus courte si la série des valeurs stimuli commence par 0,1 s que par 2 s, que cette première valeur ou « ancre » soit au début d'une série ordonnée de stimuli (ascendante ou descendante) (Goldstone, Lhamon et Boardman, 1957), ou seulement la première d'une série de stimuli présentés en désordre. L'effet est plus grand si « l'ancre » appartient à la série et fait l'objet d'une estimation que si elle est détachée (Goldstone, 1964). L'ancre peut être un stimulus visuel et les stimuli être auditifs (ou inversement). On constate encore un effet d'assimilation, mais il faut tenir compte du fait qu'un stimulus auditif est toujours jugé plus long qu'un stimulus visuel (Behar et Bevan, 1961 ; Goldstone, 1964). L'effet d'assimilation aurait été transformé en effet de contraste si la"durée de référence avait été beaucoup plus longue que les durées à estimer. Si la valeur de référence est intermédiaire entre les valeurs des durées, elle facilite la formation d'une tendance moyenne et elle joue le rôle d'un intervalle d'indifférence par rapport auquel les durées plus courtes sont surestimées et les durées plus longues sous-estimées (Philip, 1944). L'ordre de présentation des stimuli peut lui-même influer sur notre impression de brièveté ou de durée des intervalles. Benussi (1907) a trouvé, pour une série d'intervalles allant de 0,09 à 2,7 s, que le point d'indifférence des jugements (de court à long ou de long à court) changeait de place : il se situait à 0,23 s pour une présentation des durées en ordre croissant, à 1,17 s si l'ordre était décroissant, et entre 0,58 et 0,72 s si l'ordre était fortuit (2). Tout ceci pourrait signifier que l'intervalle de 0,6-0,8 s, sa méthodequ'il faut en indiquerle (1) Goldstonea employési extensivement principe.Onprésenteau sujetunesériede stimulidontla duréepeut varierde 0,1s à 2 s. Le sujetdoit estimersur une échelleen 2 (ou plusieurspoints)si chaquestimulusest plusgrandou pluspetit qu'uneseconde.La secondequi sert ici de référencen'est pas un stimulusphysiquemaisl'estimationimplicitedu sujet.Dansla mesureoù cette méthodese réfèreà un savoiracquis,nousutiliseronssurtoutles résultatsde Goldstoneau chapitreVII. Ils peuventêtre utilesdansles étudessur la perceptiondu tempsparcequ'ilsmettenten évidencedeseffetsdela stimulation surla valeursubjectivedela secondeconsidérée commepointderéférence. temporelle (2) L'attitudeprisepeut aussiinfluencerla perceptiondes duréescommecelle de tout autrestimulus.Par exemple,pourun intervallede 0,6s, Woodrowa trouvé une sous-estimation de 0,198s si la consigneorientaitl'attentiondu sujet versles limitesque l'on demandaitde considérercommeune paire de sons,et une sousestimationde 0,283s sila consigneétait de faireattentionà la duréede l'intervalle entre les sons.
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PSYCIIOLOGIE DIJ TEMPS
dit d'indifférence, ne serait que relatif à la gamme des durées perceptibles. En ce cas, les déterminations concordantes des auteurs tiendraient au fait que l'intervalle de 0,70 s environ correspondrait à la tendance centrale des durées habituellement perçues, qui, dans le cas d'un intervalle simple, vont de 0,1 à 1,8 s environ. Il est hors de doute que l'existence d'une tendance centrale joue un rôle non négligeable, ce qui explique que la valeur de l'intervalle d'indifférence est modifiée en fonction de la gamme des durées présentes dans une expérience. Il semble cependant que l'intervalle de 0,70 s environ corresponde à un processus physiologique spécifique, car on le retrouve dans des phénomènes de types différents, où ne se manifeste aucune tendance centrale proprement dite. Nous allons tenter l'étude systématique de cet intervalle, grâce à laquelle nous pourrons formuler des hypothèses plus générales sur le caractère des intervalles perçus, L'INTERVALLEDE 0,70 s Wundt, ayant trouvé que l'intervalle reproduit avec le plus d'exactitude était de 3/4 de seconde environ, avait été amené à des rapprochements avec d'autres phénomènes qui avaient la même durée. L'aperception d'un nombre complexe de 5 à 6 chiffres, par exemple, demande en moyenne ce temps-là, de même que l'association entre deux mots. « Nous devons conclure de là, écrivait-il, qu'une vitesse d'environ 3/4 de seconde est celle où les processus d'association s'accomplissent le plus facilement ; et par conséquent, dans la reproduction, nous essayons involontairement de rendre égaux à cette vitesse même des espaces de temps objectifs, quand nous raccourcissons des temps longs et prolongeons des temps courts. » Passant du fait à l'hypothèse, il ajoutait : « Chose étonnante, ce temps concorde presque avec celui qu'emploie la jambe pour son oscillation, quand les mouvements de la marche sont rapides. Il ne semble point invraisemblable que cette constante psychique de la durée moyenne de reproduction et de l'estimation la plus sûre de l'intervalle se soit développée sous l'influence des mouvements corporels, qui sont le plus exercés et qui ont déterminé la tendance que nous avons à
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organiser et à agencer d'une façon rythmique de grands espaces de temps o (Wundt, ibid., II, p. 322). Guyau, reprenant ce thème, affirmait avec un peu trop d'éloquence : « Aujourd'hui encore nous rythmons sur notre pas la vitesse de notre représentation, et, par une tendance naturelle, nous voulons adapter le pas du temps au pas de notre pensée et au pas de nos jambes » (ibid., p. 94). Tout un faisceau de données relatives à des recherches d'ordre très différent confirme et renouvelle le point de vue de Wundt. Il semble que la durée de 3/4 de seconde soit une constante psychique qui corresponde à la durée complète du processus perceptif. Les études de comportement fournissent des indications simples qui rejoignent les déterminations psychophysiologiques. Envisageons-les successivement. Ainsi, si nous évaluons une durée en comptant à un rythme imposé, et si nous cherchons à reproduire la même durée en prolongeant le même rythme (sans contrôle de stimuli), les durées sont reproduites avec le plus de précision et le moins de variabilité pour des cadences correspondant à des intervalles de 0,5 entre les nombies (R. Davis, 1962 a et 1962 b). Dans le comportement, tout se passe comme si l'efficacité d'une sensation était maximum lorsqu'elle précède la réaction de 3/4 de seconde environ. On a montré que l'intervalle optimum entre le stimulus conditionnel et le stimulus absolu est de l'ordre de 0,5 à 1 s (W olfle, 1930 ; Bernstein, 1934, et cf. chap. II, p. 55). Si l'excitant conditionnel est une combinaison de deux stimuli, le conditionnement est le plus aisé quand ils se suivent avec un intervalle de 1 s environ (Czehura, 1943). Dans une tout autre direction, les études qui ont été faites sur la période réfractaire psychologique montrent que l'intervalle temporel entre deux signaux doit être de 0,5 s au minimum pour que la réponse à chacun des signaux ait une égale rapidité. Si le deuxième signal arrive trop tôt après le premier, la réponse au second est retardée, et Welford (1952) interprète ce retard d'origine centrale comme dû à la mise en réserve du deuxième stimulus jusqu'à ce que les centres soient libres de l'utiliser et d'élaborer la seconde réponse. Le phénomène se produit encore même si le sujet ne donne pas de réponse au premier signal. Le temps de réaction au deuxième signal est minimum lorsque le premier signal le précède de 0,6 s environ. Ceci est P.
FRAISSE
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vrai, que le premier et le deuxième signal soient ou non de même nature, à condition seulement que la durée de l'intervalle entre les deux signaux d'une présentation à l'autre soit variée au hasard (Fraisse, 1957, 1958). Plus simplement, on constate que les sujets qui, par exemple, doivent reproduire un stimulus sonore en appuyant sur une clé, commencent à réagir environ 0,7 s après la cessation du stimulus, comme si cet intervalle était un optimum de la succession immédiate (Oléron G., 1952). On a cherché à évaluer plus directement la durée du processus perceptif - de l'aperen mesurant le temps nécessaire pour ception, disait Wundt donner une réponse à une stimulation. Dans les expériences du type temps de réaction où la réponse motrice doit être donnée aussitôt que l'on a perçu une stimulation, on ne mesure pas la durée de l'ensemble du processus perceptif à proprement parler : la réponse très automatisée se produit dès le seuil de la sensation. Or il y a un décalage entre le moment où il y a perception de la présence d'une stimulation et le moment où on l'identifie. Le fait est manifeste dans les expériences tachistoscopiques où l'on perçoit aisément un intervalle entre le déclenchement du système qui permet à l'excitation de se produire (déclenchement de l'obturateur, chute du rideau, contact) et le moment où on perçoit son contenu. Wundt avait essayé de mesurer ce décalage par la méthode du temps de réaction simple, mais il a échoué, car on ne peut pas contrôler à quelle phase du processus perceptif correspond la réponse du sujet (d'après Woodwo.rth, pp. 415-417). Les expériences de temps de réaction de choix sont plus adéquates, car elles impliquent l'identification du stimulus; mais, dans ce cas, au temps de perception s'ajoute la durée de sélection de la réponse. Évidemment, les temps mesurés dans les réactions de choix varient avec les conditions expérimentales. Il est intéressant cependant de remarquer que cette variation s'étend entre 30 cs environ et 60-70 cs, durée atteinte quand la discrimination devient difficile tout en restant de type perceptif. L'expérience de Lemmon (1927) illustre ce cas. Le sujet est placé devant deux tableaux correspondant à chacune des deux mains. Un certain nombre de lampes peuvent s'allumer sur chaque tableau et le sujet doit réagir avec la main qui se trouve du côté où apparaît le plus grand nombre de lampes. Le temps
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de réaction moyen pour discriminer une lampe de zéro est de 0,29 s ; deux de une, 0,475 s ; trois de deux, 0,566 s ; quatre de trois, 0,656 ; cinq de quatre, 0,741 s. L'identification de stimuli simples, contrôlée par la dénomination ou le dénombrement, demande une durée du même ordre. Cattell, J. (1885) trouve qu'il faut 0,40 s environ pour lire des lettres, des mots simples ou des nombres de 2 chiffres. Pour indiquer aussi vite que possible le nombre de points sur une plage, il faut 0,42 s pour un point et 0,63 s pour 5 (cf. Szeliski, d'après Woodworth, ibid., p. 486). Si la consigne insiste sur la précision, il faut une durée de 0,60 s à 0,70 s pour démonbrer de 1 à 3 points (Jensen, Reese et Reese, 1950). Toutes ces expériences montrent que l'identification perceptive est un processus qui demande, y compris le temps nécessaire pour l'élaboration de la réponse, une durée de 0,30 à 0,60 s. Mais il s'agit toujours de donner une réponse rapide, ce qui correspond donc au début de l'identification perceptive. Lorsque les instructions n'insistent pas sur la rapidité, on constate, dans de nombreuses situations, que le temps qui s'écoule entre le moment de la stimulation et celui de la réponse est de 0,60 à 0,80 s. Ainsi le temps nécessaire pour la reconnaissance de stimuli simples est, selon Colegrove (1898), de 0,6 s, valeur que retrouvent Ross et Fletcher (1953) dans un test d.e perception des couleurs où ils font identifier les stimuli par des sujets qui ont une vision des couleurs normale. De cet ensemble de faits, il est possible déjà d'inférer que le processus perceptif complet a une durée de l'ordre de la demiseconde. Certes, il peut y avoir réponse à la présence d'une stimulation : c'est cette durée (de 15 à 20 cs) qui est mesurée dans les temps de réaction simple. Il peut aussi y avoir réponse dès qu'il y identificatl'oiz (durée de 30 à 40 es). Au-delà se développe sans doute une phase de déclin du processus : si une nouvelle stimulation arrive juste à la fin de ce processus (c'est-à-dire vers 60-70 cs), non seulement il y a dualité des perceptions, mais la seconde semble se produire juste après la première sans qu'il y ait hiatus et sans qu'elles se recouvrent même partiellement. Telle est l'interprétation qui paraît la plus probable. On a essayé de vérifier par des méthodes plus directes cette durée du processus perceptif. Calabresi (1930) a utilisé une méthode ingénieuse. Nous
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sommes capables d'appréhender - sans avoir recours à la mémorisation - un ensemble de 7 à 8 lettres. Mais, si on nous présente un tel ensemble pendant un temps très court (1 es), nous ne percevons en movenne que 4,1 lettres environ. Ce nombre est à peu près indépendant du nombre de lettres présentées, c'est-à-dire que, si on nous montre seulement 4 lettres, elles sont presque toujours toutes perçues. Si donc on présente deux fois 4 lettres en vision rapide avec un intervalle de temps suffisant, nous percevons environ 8 lettres. Que se passera-t-il si on présente en succession rapide en un même point (grâce au double tachistoscope à chute de Wundt) deux groupes de 4 lettres, chacun pendant 1 es ? Calabresi a trouvé que le nombre d'éléments retenus variait de la manière suivante en fonction de l'intervalle : ........................ 4,4 lettres 20 ........................ 5,5 lettres 40 -........................ 10 """""""""""" 5,fi 5,6 6.5 70 ........................ )00 ........................ 7,2 120 -- ........................ 7.2 Il faut donc environ 1 s d'intervalle pour qu'il se produise une sommation presque intégrale des deux processus perceptifs qui correspondent à la présentation de chacun des groupes. Si le temps est inférieur, on peut penser que les deux processus interfèrent l'un avec l'autre, c'est-à-dire que le premier n'est pas terminé quand le second commence. On en peut déduire que le processus perceptif total demande de 3/4 de s à 1 s (1). D'autres auteurs ont utilisé des méthodes plus analytiques à partir de perceptions plus simples. Ils ont essayé de mesurer la durée d'établissement de la sensation et la durée de son déclin. Ces mesures n'ont évidemment ('e signification que pour le tact, l'ouïe et la vue, sens pour lesquels la durée propre des processus périphériques n'est pas si grande qu'elle rende ces calculs sans signification. La durée du processus comprend tout d'abord la latence qui varie avec l'intensité du stimulus. La latence irréductible a une valeur comprise, pour la sensation auditive, entre 3 et 7 es et, pour la sensation lumineuse, entre 7 Lu S4HJlUlatioli possibledes inforntations (J) Nou, a\(m'-verihene est à peu prés complètelorsquel'intervalleentre les deux plagesatteint fi0 es 1965,résultatsnonpuhliés). (Fraisseet Jakiii)?)wiez,
I,A T) UÀ ÉE IFRÇUE
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et 11 cs. Mais il s'agit là de limites inférieures. D'autre part, la latence ne mesure que le temps nécessaire pour atteindre le seuil absolu. A partir de ce moment, l'évolution du processus continue. La sensation, même pour des stimulations brèves, continue à eorticale croître ; d'autre part, l'excitation primaire engendre nécessaires à la reconnaisdes réactions corticales d'association sance perceptive (Piéron, ibid., p. 461). La durée de cette phase est difficile à mesurer. Elle croît évidemment avec la complexité d'en évaluer du stimulus. Des indices indirects permettent l'ordre de grandeur. La réaction d'arrêt du rythme alpha par exemple ne se produit que 10 à 90 cs après le début de la stimulation sensorielle. Gastaut (1949) interprète cette durée comme se porte sur l'image le temps nécessaire pour que l'attention « sur Hebb l'écran (1949, p. 71), de son côté, projetée » occipital. estime que la durée de l'activité corticale réverbérante qui serait à la base du processus perceptif est d'environ 50 cs. A cette phase d'établissement de la perception succède une Piéron (1935) estime sa phase de déclin et d'évanouissement. durée de 15 à 20 cs pour les sensations lumineuses ; von Bekesy (1933) a trouvé des durées du même ordre pour les sensations et Meesters (1942) estiment auditives, tandis que Buytendijk la durée serait encore de ce déclin que plus longue. Il est difficile d'additionner les durées des diverses phases du sont processus perceptif mais les données psychophysiologiques claires : la durée moyenne de ce processus doit être de l'ordre de la demi-seconde. de pouvoir Il serait préférable cependant la mesurer par des moyens physiologiques plus directs. Les difficultés sont évidemment grandes, mais déjà la voie qu'a utiles. ouverte Gastaut (1949) nous apporte des indications Si on enregistre directement sur le cortex les potentiels évoqués chez l'homme on constate lumineuse, par une stimulation très comme chez l'animal qu'elle induit un cycle d'excitabilité dont la les tracés de Gastaut durée, d'après (ibid., complexe p. 68), est de 50 à 60 cs. Ces faits démontrent qu'une brève stimulation engendre un d'une processus plus longue durée dont on trouve des manifestations aux plans physiologique, perceptif et moteur. En les rapprochant, les données on peut essayer d'interpréter dont nous étions partis. Les choses sembleraient phénoménales se passer ainsi : une perception paraîtrait succéder sans tran-
134 se produirait à la fin du juste lorsqu'elle à la Si elle arrivait processus perceptif qui correspond première. du processus de déclin avant la fin de <:ehii-ci, la juxtaposition de la première et du processus d'établissement de la deuxième à cette donnerait naissance d accolement ou de perception des intervalles inférieurs à 3/4 de collection, caractéristique Si au contraire le deuxième seconde. commençait processus il naîtrait une perception de séparation après la fin du premier, et les deux processus ne seraient reliés que par un effort du un processus sans doute de liaison sujet qui engendrerait Cet effort même ne serait efficace supplémentaire. que dans limites mêmes certaines seraient celles de la temporelles qui du perception temps. Si les processus étaient l'effort de nette distincjuxtaposés, tion des deux stimulations successives la surestiengendrerait mation de ces intervalles ; s'il. étaient l'effort de séparés, entraînerait un effet de sous-estimation. Sur rapprochement ces déterminations 1 action des stimulations primaires, jouerait les phénomènes de tendance contemporaines qui provoqueraient ou d'ancrage. Ils en renforceraient centrale ou en contrecarreraient l'effet. éclairent Ces déductions l'hypothèse interprétative que proLa Wundt. durée optimum d'association au posait correspond fait qu'un est terminé l'autre Le processus apparaît. lorsque avec la durée du pas, et nous ajoutons avec rapprochement celle des battements du CŒur, ne signifie pas que l'un de ces commande les autres. D'ailleurs ils ont des constantes rythmes d'Arrhenius différentes I, (voir chap. 1. 34). Il est beaucoup de penser plus vraisemblable que tous ces à des et éconorythmes phénomènes correspondent optima dans le système nerveux. successives miques des liaisons sition
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En analysant les conditions de la succession, nous avons les Il nous montré déterminaient durées. des qualités qu'elles reste à étudier d'une manière les entre les précise rapports et les durées des changements durées perçues physiques qui les
1,A DURÉE PERÇUE
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ont provoquées. Nous envisagerons successivement les questions suivantes : 1° La perception des temps vides ; 2° La perception des temps pleins ; 3° Temps pleins et temps vides ; 4° La durée des changements continus ; 5° La sensibilité différentielle. Les résultats que nous présenterons seront évidemment relatifs à la méthode de mesure employée. Nous présenterons les différentes méthodes utilisées dans l'évaluation du temps au chapitre VII (pp. 222-224), car elles ont surtout de l'importance pour l'estimation de durées plus longues. 1-°LA PERCEPTIONDES TEMPSVIDES Sur le concept même de temps viale opposé à temps plein, nous nous sommes déjà expliqué (chap. III, p. 84). La conception même de temps vide n'avait de sens que dans la perspective des psychologies du contenu du xixe siècle. Était vide un temps pendant lequel il ne se produisait pas de sensations. Tout le monde est d'accord aujourd'hui pour reconnaître que vide et plein ne caractérisent pas la perception, mais sont une description de la situation physique : c'est en ce dernier sens que nous parlerons, en accord avec la tradition, de temps vides (ou pleins). Théoriquement les temps vides existent dans deux cas : a ) Une durée sur un fond de sensations vagues et mal définies est délimitée par deux stimulations brèves (auditives, visuelles ou tactiles) ; b ) La durée correspond à la cessation d'une stimulation précise (interruption d'un son, ou d'une lumière par exemple). Le premier cas a été plus étudié ; le second est ambigu. En effet, ou bien cette cessation, envisagée au point de vue perceptif, est comme un fond indistinct, une interruption par rapport à une stimulation qui, elle, a un caractère de durée, ou bien au contraire elle fait figure sur un fond constitué par la stimulation continue ; ce deuxième cas, en théorie comme en pratique, se ramène à celui de la perception d'un temps plein, c'est-à-dire de la perception d'une continuité. Nous avons déjà, au paragraphe précédent, envisagé la perception des temps vides : nous avons vu que ces durées étaient surestimées quand elles étaient inféiieures à 3/4 de seconde, sous-estimées au-delà, ce qui implique l'existence d'un point d'indifférence qui peut dépendre des situations expérimentales.
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Il nous reste à étudier l'influence des différents types de stimuli qui peuvent délimiter les temps vides. Nous avons affirmé au chapitre III que nous ne percevions pas la durée tout court, mais la durée d'une organisation de stimuli. Il s'agit maintenant de montrer que notre perception de la durée d'un intervalle dépend de la nature de ses limites qui ne peuvent en être dissociées. Comme nous le verrons, les relations entre intervalle et limites sont complexes. Tantôt les limites sont incorporées à la durée par le jeu de l'assimilation, tantôt, par un effet de contraste, 1 intervalle est comme isolé de ses limites. Et ces effets peuvent être différents suivant que les temps sont inférieurs ou supérieurs à 3/4 de seconde. En outre, les processus d'organisation des limites sont plus ou moins facilités par la nature des stimulations ou par l'attitude du percevant. C'est ainsi qu'en écoutant trois sons qui se succèdent à intervalles réguliers, si l'on s'attache à percevoir deux des trois sons groupés et le troisième détaché, l'intervalle entre les sons groupés paraît plus court que l'autre (Benussi, 1913, pp. 115-117). A) La nature sensorielle des limite A égalité de durée physique des stimulations, plus les processus sensoriels correspondants sont longs et plus l'intervalle délimité apparaît lui-même long. Ce que l'on perçoit en général, c'est l'ensemble intervalle-limites : plus ces dernières sont durables, plus la durée de cet ensemble semble longue. Si les limites sont tactiles ou auditives, la durée paraît plus courte que si les limites sont visuelles (Meumann, 1893). Nous retrouvons ici la distinction des sensations à processus rapide et à processus lent. B) L'intensité des stimulations Dans le cas des durées brèves, plus les stimulations sont intenses (dans le domaine auditif) et plus l'intervalle paraît court (Benussi, ibid., p. 335) : la durée du processus perceptif du premier son, plus long si le stimulus est plus intense, mange en quelque sorte l'intervalle qui le suit. Le fait est particulièrement frappant si, au lieu d'utiliser deux sons, on emploie une série de stimulations à intervalles isochrones. Plus les stimulations sont intenses et plus elles paraissent denses et, du même coup, plus les intervalles paraissent brefs (Meumann, 1894). Si
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les durées sont plus longues, le phénomène s'atténue beaucoup, ce qui se comprend, puisque la durée des processus sensoriels devient négligeable par rapport à l'intervalle. Le raccourcissement de l'intervalle est le même si la première stimulation est plus intense que la seconde ; il s'explique comme le phénomène précédent. Par contre, si la stimulation la plus intense est la deuxième, l'intervalle paraît plus long, la durée du processus final s'ajoutant en quelque sorte à celle de l'intervalle. La chose n'est d'ailleurs vraie que pour les durées courtes (Benussi, ibid., p. 335). De cette influence de l'intensité des stimulations, il faut rapprocher celle de l'intensité des frappes quand l'intervalle n'est pas perçu, mais produit. Si on fait reproduire un intervalle vide en frappant deux coups sur une clé morse, dont la course du manipulateur est constante, mais la résistance plus ou moins grande, on constate que l'intervalle produit est plus court quand l'effort à faire pour frapper est plus grand. Ce résultat signifie que l'intervalle délimité par des frappes plus intenses est surestimé par rapport à celui que délimitent des frappes moins intenses (Kuroda, 1931). C) La hauteur des sons Il semble que les intervalles encadrés par des sons plus hauts apparaissent plus longs que ceux qu'encadrent des sons plus bas (Triplett, 1931 ; les hauteurs variaient dans ses expériences de 124 Hz à 1 024 Hz). D'autre part, plus grande est la différence de hauteur des sons limites et plus grande apparaît la durée de l'intervalle (Benussi, ibid., Cohen, Hansel et Sylvester, 1954 b). Cependant, la plus ou moins grande consonance des sons limites peut contrarier cet effet. Quoique cette question, malgré son intérêt pour la musique, ait été mal étudiée, on peut prévoir que plus la consonance est grande, plus l'organisation des sons limites sera facile et plus l'intervalle paraîtra court. D) La durée des sons L'allongement de la durée des sons limites augmente la durée apparente de l'intervalle qui les sépare. Si un seul des sons est long et l'autre bref, l'intervalle proprement dit entre
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les deux sons est surestimé lorsque le son long est le premier, sous-estimé lorsqu'il est le deuxième. Dans le premier cas, il dans le deuxième, la fin est un peu incorporé à l'intervalle ; de l'intervalle coïncide avec le début du son terminal (Woodrow, 1928 a). E) La place du temps vide Un temps vide peut se situer dans des contextes perceptifs très divers. Benussi (ibid., p. 411) a étudié l'influence du temps d'une durée vide et a obtenu les sur la perception d'attente résultats suivants : si le signal précède de 0,45 s une brève durée s'il la précède de 3,15 s, vide, il entraîne une sous-estimation ; il y a surestimation. Par contre, ces temps d'attente n'ont aucun effet sur les temps longs. En d'autres termes, un temps d'attente bref favorise l'impression de très court, un temps d'attente long celle de plus grand. des temps Israeli (1930) a trouvé des résultats différents : une surestimation d'attente courts de 18 à 54 cs entraînent du temps vide qui suit (durées de 35 à 109 cs) et cette surestimation est d'autant plus forte que le temps vide est plus court. La différence des résultats de Benussi et d'Israeli peut tenir à des sujets, qui joue sans leurs méthodes, mais aussi à l'attitude un rôle. Ainsi Schumann aucun doute (1898) avait montré, grand dans une succession assez rapide de 3 sons a 6 c, que si b-c est encore plus court qu'il n'est plus court que a-b, il apparaît car c arrive en réellement, quelque sorte trop tôt par rapport à la prévision que l'on peut faire à partir de la durée a-b. Si au contraire b-c est plus grand que a-b, c arrive trop tard et b-c est surestimé. Ces conclusions sont vraies si a b c sont un mais si a est considéré comme groupement, perçus ne se comme un signal de l'intervalle b-c, le phénomène produit plus. Toujours d'après Israeli (1930), un son qui suit un temps sa surestimation. Il en vide aurait aussi pour effet d'entraîner serait encore de même, comme l'avait déjà montré Benussi, si le temps vide était encadré, avant et après, de deux stimulations : l'effet de surestimation serait maximum dans ce cas. Ce serait une sorte de transcription de l'illusion de Müller-Lyer dans le domaine temporel.
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DES
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La loi générale de surestimation des durées hrèves et de des durées longues est aussi valable pour les sous-estimation durées pleines que pour les durées vides, quoiqu'elle ait été relativement moins étudiée (Edgell, 1903 ; Anderson S. F., 1.936). C'est encore en tenant compte de cette loi que nous pouvons étudier l'effet des différentes formes de « remplissage sur la durée apparente. A) Les intervalles divisés Entre le cas des durées pleines et celui des durées vides, il existe un cas intermédiaire : celui où l'intervalle entre deux est limites est rempli de stimuli discontinus. Le phénomène à du l'intercelui dans On sait analogue pointillé l'espace. que valle divisé paraît vide plus long que le même intervalle à Retrouve-t-on la même illusion (illusion d'Oppel). propos du temps ? Les résultats de répondre dans l'ensemble permettent mais avec Bourdon (1907), il faut d'abord affirmativement, noter que ce genre d'évaluation est très difficile. Comparer deux intervalles plus ou moins divisés entre eux, ou bien un intervalle divisé à un intervalle vide ou plein, revient à comparer Il y a accord des deux formes qualitativement différentes. auteurs cependant pour admettre : a ) Qu'un intervalle divisé intervalle de même durée ; b ) Que vide paraît plus long qu'un cet effet diminue lorsque la dur,.'e totale de l'intervalle augmente pour un même nombre de sons intercalai'es ; c ) Qu'un intervalle plus subdivisé paraît plus long qu'un intervalle moins subdivisé et II, 323 ; Jastrow, 1886 ; Wundt, ibid., (Hall interEn de deux 1889 ; Israeli, outre, 1930) (1). Munsterberg, valles divisés, celui qui est régulièrement divisé paraîtrait divisé (Grimm, 1934). plus long que celui qui est irrégulièrement La difficulté de la comparaison vient de ce qu'il reste malaisé de tous ces auteurs ont été obtenus de compa(1) Les résultats par la méthode Wirth la même loi par une méthode Ses de production. raison : (1937) a retrouvé au moyen de frappes, un intervalle divisé égal à un intersujets devaient produire, valle modèle vide. L'intervalle est alors plus court que l'intervalle modèle, produit ce qui signifie que l'intervalle à l'inter(et divisé) est surestimé produit par rapport valle vide du modèle.
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TEMPS
de juger de la durée de l'intervalle divisé en faisant abstraction de l'impression de vitesse qui naît de la succession des éléments. Certains sujets jugent peut-être de la quantité de sons qui se produisent : l'intervalle divisé leur paraîtrait alors plus se d'autres contentent d'apprécier la vitesse de succeslong ; sion : ceux-là pourraient trouver l'intervalle divisé plus court. Il semble que c'est une opinion de ce genre qu'invoque Benussi (ibid., p. 483), lorsqu'il soutient que les intervalles divisés paraissent plus courts que les intervalles non divisés. Ce résultat se trouverait confirmé par la recherche de Denner, Wapner et al. (1963), qui trouvent que les intervalles sont plus longs quand le rythme de l'activité (frappes du sujet) est plus lent, que ce soit pendant l'émission du stimulus ou pendant la reproduction. Cependant, plusieurs recherches récentes aboutissent au résultat inverse. Dans l'ensemble, plus un intervalle est divisé, et plus il paraît long (Fraisse, 1961). Cependant des recherches plus précises montrent que ce phénomène, tout comme celui d'Oppel dans l'espace (Piaget, 1961), passe par un maximum. Pour des intervalles de l'ordre de 500 à 700 ms (Fraisse, 1965) entre des sons successifs, l'illusion est maximum. Elle est moindre pour des intervalles plus courts et plus longs, mais il y a de très notables différences individuelles. L'effet serait aussi notable chez les enfants (1) et pour des durées pas trop longues (de 5 à 40 s). B) La nature sensorielle des stimulations Les stimulations auditives et visuelles de 1 à 16 s sont reproduites identiquement, quelles que soient les conditions de l'ambiance (Hirsh, Bilger et Deatherage, 1956). Ce résultat est confirmé par le travail de Hawkes, Bailey et Warm (1961) qui, en utilisant trois méthodes (reproduction, production et estimation verbale), trouvent que des stimulations auditives, visuelles et électriques de la peau (de 0,5 s à 4 s) d'intensité subjective comparable, sont estimées d'une manière équivalente, les stimulations électriques de la peau apparaissant peut-être un peu plus longues. (1) Résultatinéditcommuniqué personnellement par FumihoMaeda (Université d'Hiroshima).
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141
Cependant, en utilisant une méthode d'estimation d'un simple stimulus, Behar et Bevan (1961) trouvent que les durées auditives sont estimées plus longues que les durées visuelles de 20 % environ. Ce résultat a été retrouvé par la méthode d'estimation de Goldstone (voir p. 127) dans plusieurs recherches. Ainsi, une durée visuelle de 84 cs et une durée auditive de 117 cs sont jugées équivalentes à une seconde subjective (Goldstone et Goldfarb, 1964 a). Ces mêmes auteurs retrouvent un résultat qui va dans le même sens en faisant comparer des durées visuelles et des durées auditives de l'ordre de la seconde, mais toujours en utilisant une échelle d'estimation (Goldstone et Goldfarb, 1964 6). C) L'intensité des stimulations Un son plus intense paraît plus long qu'un son moins intense. Cette loi qui régit, en physiologie des sensations, les excitations très brèves est aussi applicable aux durées perceptibles. Cependant l'effet s'atténue avec l'allongement de la durée (Oléron G., 1.952). La même loi a été rctrouvée par Hirsh, Bilger et Deatherage (1956), dans des conditions plus complexe. Les sujets devaient reproduire des stimuli visuels ou sonores de 1, 2, 4, 8 et 16 s. Les conditions de la présentation étaient variables. Le fait qu'ils soient présentés ou reproduits dans l'obscurité ou la lumière n'affecte pas la perception, mais les stimuli présentés dans le silence déterminent des reproductions plus longues dans le bruit par rapport à des stimulations présentées dans le bruit et reproduites dans le silence. Les auteurs interprètent ce fait comme la mise en évidence d'une relation entre le temps perçu et le niveau de la stimulation auditive. Cette même loi explique sans doute le fait mis en évidence par Van der Waals et Roelofs (1946) : la durée de présentation d'un objet paraît d'autant plus longue que celui-ci est plus grand et plus complexe. D) La hauteur des sons Un son aigu paraît plus long qu'un son grave. Les recherches ont porté sur des comparaisons allant de 128 Hz à 1 024 Hz (Triplett., 1931) ou de 1 000 à 3 000 Hz (Cohen, Hansel et Sylvester, 1954 b).
142
PSYCHOLOGIEDU TEMPS
-
E) L'information transmise Combien de stimuli différents pouvons-nous identifier quand on nous présente des séries de durées différentes ?1? La théorie de l'information permet de calculer la capacité du canal de transmission. Ainsi, en utilisant des stimulations électriques sur l'index, Hawkes (1961) a trouvé que cette capacité était de 1,27 bits en employant une gamme de durées allant de 0,5 à 1,5 s et entre 1,40 bits et 1,90 bits pour une gamme de durées de 0,05 à 1,5 s. De toute manière, nous ne pouvons donc pas identifier plus de 3 à 4 stimuli au maximum. 30
TEMPS
PLEINS
ET
TEMPS
VIDES
Une durée pleine paraît-elle plus grande qu'une durée vide ? Classiquement les auteurs, en se référant surtout à W. James (1891) et à Meumann (1896), affirment qu'à égalité physique les durées pleines paraissent plus longues que les durées vides. Mais Meumann lui-même avait noté que cette loi n'était valable que si, dans la comparaison, le temps vide était présenté le second. Or nous verrons (p. 223) que la position relative dans le temps de deux durées à comparer est source d'erreurs systématiques qui rendent tous les résultats obtenus par cette méthode très incertains. Par la méthode de reproduction, Triplett (1931) a trouvé que certains sujets surestimaient les durées vides et d'autres les durées pleines ; nous avons nous-même constaté qu'il n'y avait aucune différence significative lorsque les sujets reproduisaient des temps vides et des temps pleins de 0,5 s et de 1 s, et ceci aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte (Fraisse, 1948 a). Triplett avait également employé les deux formes de durée vide : interruption d'une stimulation et intervalle déterminé par deux limites. Les résultats sont aussi très variables. Certains sujets perçoivent d'ailleurs l'interruption du son comme une véritable figure sur un fond. Gavini (1959), en faisant comparer dans des séquences de sons et d'intervalles les sons (temps pleins) et les intervalles (temps vides), trouve que 6 sujets sur 8 surestiment les temps pleins et ceci avec fidélité, car l'étude est faite pour des cycles de 0,5 s et de 1 s. Goldfarb
LA DURÉE PERÇUE
143
et Goldstone (1963), par leur méthode de comparaison de stimuli à l'estimation subjective d'une seconde, ont aussi trouvé que les durées auditives pleines étaient estimées plus longues que les durées vides, mais pour les stimuli visuels les résultats ne sont pas nets (Goldstone, 1964). Doehring (1961), lui, a trouvé qu'il n'y avait pas de différence dans la précision et la fidélité des reproductions d'intervalles temporels de 0,5 à 8 s, que le sujet utilise des intervalles vides (appuyer deux fois sur une clé Morse) ou pleins (tenir appuyé pendant la reproduction). Des résultats aussi incertains nous dispensent d'entrer dans le détail de certaines hypothèses. On a beaucoup discuté sur les raisons qui expliqueraient la relative surestimation des temps pleins ; ils auraient, pensait-on en général, davantage attiré l'attention et auraient été surestimés du même coup. Cette hypothèse de Meumann préfigurait le phénomène de centration si justement souligné par Piaget. Mais, de toute manière, il s'agit alors d'un problème d'attitude et ce facteur peut varier avec les sujets, la place relative des stimuli, les consignes, la méthode d'estimation (Curtis, 1916). 40
LA
DURÉE
DES
CHANGEMENTS
CONTINUS
Dans tous les cas envisagés jusqu'à présent, la durée était celle d'un stimulus qui restait identique à lui-même ou celle d'un intervalle délimité par des stimulations de même caractère. Mais la durée à percevoir peut être celle d'un changement. Avec Piéron, il faut distinguer deux cas. Dans l'un, il y a changement de position du stimulus, c'est-à-dire mouvement. Dans l'autre, le changement du stimulus est qualitatif ou intensif : une couleur qui change progressivement, un son qui s'amplifie. Quelles sont les lois de la perception de la durée de ces changements ? A) L'influence de l'espace sur la durée Si deux stimulations sont à une certaine distance l'une de l'autre dans l'espace et si elles se succèdent dans le temps, on constate que, dans une certaine mesure, la durée apparente de l'intervalle temporel est d'autant plus grande que la distance est plus grande.
144
PSYCHOLOGIEDU TEMPS
Le fait a été vérifié dans l'espace visuel (Abbe, 1936 et 1937 ; Cohen, Hansel et Sylvester, ' 1.953) et dans l'espace tactile (Suto, 1952 et 1955). En pratique, dans les expériences, la tâche du sujet est de comparer deux intervalles temporels délimités par trois stimulations successives. Si le deuxième espace est plus grand, à égalité d'intervalle temporel, il paraît plus long. Pour un rapport des distances de 1 à 10, Cohen, Hansel et Sylvester trouvent un effet de 12 Sur l'avant-bras, la grandeur de l'effet serait à peu près du même ordre (Suto, 1955). Cohen, Hansel et Sylvester ont proposé d'appeler cet effet kappa pour le distinguer et le rapprocher de l'interaction inverse appelée tau par Helson et King (1931). Ceux-ci avaient montré après Benussi (1917) que la distance entre deux stimulations tactiles successives dépend de l'intervalle temporel qui les sépare. Plus celui-ci est grand, plus la distance apparente semble longue. L'interaction espace-temps (effet kappa) dans le domaine tactile est liée directement à la perception visuelle de l'espace, comme l'a démontré Suto (1955). Il avait trouvé que la comparaison, les yeux fermés, de deux intervalles temporels délimités par trois points d'excitation sur l'avant-bras s'accompagnait d'images visuelles. L'épreuve, repiise sur des aveugles ayant perdu la vue dans la toute première enfance, a montré qu'ils n'avaient pas cette illusion que les Japonais appellent S. Les aveugles ne spatialisant pas les points excités ne surestiment pas le temps en fonction de l'espace. Sudo (1941), puis Suto (1959) ont démontré que, dans le domaine visuel, l'espace n'agissait pas par sa longueur physique, mais par sa grandeur apparente. Ainsi, dans l'expérience de Sudo, les trois stimulations apparaissent aux sommets des angles d'une figure de Müller-Lyer et l'illusion spatiale influence les durées apparentes des deux intervalles temporels. De même, Suto a vérifié que le phénomène de constance des distances entraînait l'égalité relative des intervalles temporels. L'effet S ou kappa est, en outre, influencé par les directions de l'espace (Cohen, Hansel et Sylvester, 1955). Il est maximum dans la direction haut vers bas, minimum en sens inverse bas-haut, et sa valeur est intermédiaire dans les deux directions horizontales. Selon nos auteurs, à l'influence de la distance pourrait s'ajouter l'effet
LA DURÉE PERÇUË ..- .
145
dû à l'expérience de la vitesse des mouvements selon la direction de l'espace : accélération vers le bas et l'inverse vers le haut, vitesse uniforme sur le plan horizontal. B)
de la vitesse des changements
Quelle est l'influence de la vitesse des changements sur leur durée ? Brown J. F. (1931 b), par une ingénieuse expérience, a prouvé que le temps paraissait d'autant plus court que la vitesse était plus grande. Il fait défiler devant le sujet une bande de papier sur laquelle est dessinée une figurine. Elle se déplace entre deux écrans latéraux qui limitent sa course apparente. La tâche du sujet est de régler sa vitesse jusqu'à ce que la durée d'apparition semble égale à la durée de l'intervalle temporel entre deux signaux acoustiques ou visuels. Brown augmente alors la vitesse apparente de la figurine simplement en diminuant l'éclairement. En effet, à vitesse égale, la vitesse apparente est plus grande si l'éclairement de la plage est plus faible (Brown, 1931 a). Il a alors constaté que la modification de la vitesse apparente entraînait une modification de la durée appae rente telle que l'équation t = se trouvait vérifiée sur le plan v phénoménal. Cohen J. et ses collaborateurs (1955) ont rapproché les résultats de Brown de leur effet kappa. Ils constatent que le temps paraît plus long si on augmente l'espace entre deux stimulations; Brown obtient le même résultat en diminuant la vitesse. Dans les deux cas, les résultats vont dans le sens de la loi générale d'une influence inverse sur le temps de l'espace et de la vitesse, et Cohen y voit l'influence de l'expérience quotidienne. Mais il est évident que les estimations perceptives de durée dans les expériences que nous venons de citer ne sont pas des constructions ni a fortiori des déductions. Il est juste de dire avec Koffka (1935, p. 296) que l'expérience du temps dépend de tous les facteurs du champ perceptif. Entre l'espace et le temps, il y a coalescence et réciprocité des interactions (effets kappa et tau). La grandeur de l'un influe sur celle de l'autre, un peu comme les pennures de l'illusion de Müller-Lyer réagissent sur la longueur apparente du segment qu'elles délimitent. P.
FRAISSE
10
146
I)l? '('EIYlP.S
Le rôle de l'influence de l'espace et de la vitesse sur la durée perçue est de toute manière très difficile à étudier. Les enfants ont tendance à trouver que ce qui va plus vite dure plus longtemps (Piaget, 1946 : Fraisse et Vautrey, 1952). Mais les adultes font aussi souvent la même erreur (Piaget, 1961 ; Fraisse, 1962). Il est vrai qu'il est difficile de déceler ce qui tient précisément à l'influence de la vitesse. Dans les expériences de Piaget, plus vite entraîne plus d'événements perçus (mouchets qui se déplacent sur un fil) et dans celle de Fraisse, plus vite correspond, soit à un espace parcouru plus grand, soit à une durée de passage plus courte de mobiles successifs (durées 5 et 10 s). Le problème ne semble pouvoir être tranché qu'en revenant à des expériences du type de Brown. C'est ce qu'a fait Bonnet (1965). Il fait comparer des durées égales, mais où les mobiles parcourent des espaces trois fois plus grands, à des vitesses trois fois plus lentes (et réciproquement). Il ne trouve alors aucun effet de ces variables. Il y a comme une compensation. Dans une deuxième recherche, il trouve pour des durées plus brèves (2 s et 0,8 s) que les sujets ont tendance à percevoir le temps plus long lorsqu'il correspond à un mohile parcourant un petit espace à petite vitesse que lorsqu'il correspond à un mobile parcourant un grand espace à grande vitesse. Le problème est loin d'être réglé. Une relation entre durée et vitesse se retrouve dans les changements qualitatifs ou intensifs. La durée apparente d'un son d'intensité croissante est d'autant plus brève que la vitesse d'accroissement est plus grande (Fraisse et Oléron G., 1950). Il semble de même, lorsque deux intervalles sont délimités par des sons de hauteur croissante, que moins la différence de hauteur est grande et plus l'intervalle paraît court (kappa auditif) (Cohen, Hansel et Svlvester, 1954). On peut rapprocher de ces cas les résultats qu'a trouvés Weber C. O. (1926). Si on demande d'exécuter un mouvement d'une durée donnée (la durée étant indiquée par deux sons successifs) et d'une longueur donnée, la durée produite est d'autant plus longue que l'effort à accomplir est plus grand (l'expérience est faite avec un kinésimètre de Michotte plus ou moins lesté). Cela signifie que l'intervalle produit est d'autant plus sous-estimé que l'effort produit est plus grand.
1.1.7
LA DITX1?'EPERÇUE
5°
LA
SENSIBILITÉ
DIFFÉRENTIELLE
Ce problème a été très étudié en Allemagne au X,Xe siècle à la suite de l'impulsion donnée par Fechner à la psychophysique. Mais les résultats furent alors très décevants par suite du manque de standardisation des méthodes et du trop petit nombre de sujets étudiés. Les travaux réalisés depuis 30 ans permettent d'apporter aujourd'hui des résultats plus précis et plus consistants. la Deux méthodes ont été employées principalement : méthode de comparaison et celle de reproduction. Dans le premier cas, le seuil est calculé classiquement par la différence de durée entre le stimulus constant et le stimulus variable, différence qui a autant de chance d'être perçue que non perçue ; dans le deuxième cas on utilise un indice de dispersion des reproductions. Goodfellow (1934) a montré que l'on obtenait par l'une et l'autre méthode des résultats très comparables si l'on prenait les précautions nécessaires. Cela n'est vrai qu'en moyenne, car les corrélations entre les résultats obtenus par différentes méthodes ne sont, dans le cas de stimuli auditifs, que de .50 en moyenne. Des différences individuelles d'attitude interviennent sans doute. Envisageons successivement quelle est la valeur du seuil dans les cas les plus étudiés. A) Temps vides (audition) En utilisant la méthode de comparaison, Blakely (1933) a trouvé qu'entre 0,2 et 1,5 s, le seuil est inférieur à 10 % avec un minimum de 8 % pour les durées de 0,6-0,8 s. Il croît de 10 à 16 % quand les durées passent de 2 à 4 s et jusqu'à 20 et 30 % pour des durées de 6 à 30 s. Mach (1865) avait déterminé un minimum de 5 % pour 0,4 s, Goodfellow de 6,5 % pour une seconde. Ces résultats sont concordants ; ils le sont aussi avec ceux que l'on obtient par la méthode de reproduction. Woodrow (1930) a déterminé le seuil (rapport de l'erreur type à la moyenne) pour une large gamme de durées et il trouve les valeurs suivantes : 10,3% 0,2 s ..................... 0,6 s ..................... 7,8 - (minimum) 8,6 1,0 s ..................... 2,0 s ..................... 10,1 4,0 s ................... 16,4 De 16 à 17°;, De 5 à 30 s ..............
)4)t 8 - -..- . Woodrow faisait reproduire 50 fois de suite le même intervalle. Nous avons obtenu des valeurs du seuil plus élevées : 12 à 14 pour des durées de 0,2 à 1,5 s et 12 à 20 % pour des durées de 0,3 à 12 s, lorsque le sujet ne sait pas à l'avance la durée de l'intervalle à reproduire (Fraisse, 1948 c). Inversement, par un entraînement systématique, le seuil peut être abaiss- : Hawickhorst (1934) a trouvé après entraînement un seuil de 3,6 % pour un intervalle d'une seconde. Renshaw (1932) est même arrivé à obtenir de 5 sujets, après un entraînement de 159 jours, une variabilité moyenne de 1,2 %) dans la reproduction d'une durée d'une seconde. B) Temps pleins (audition) Les seuils différentiels sont tout à fait du même ordre que pour les temps vides selon Blakely ( I 933)et Stott (1933, d'après Woodrow, 1951). Pour des durées très brèves, le seuil différentiel augmente très rapidement et atteint 12 % à 40 ms et 40 % à 0,4 ms (Small et Campbell, 1962). Le seuil peut être aussi très diminué si le sujet a connaissance de ses erreurs, soit en utilisant les données numériques, soit en lui imposant un conditionnement à la durée par un réflexe électrodermal. Dans ce cas, la variabilité des reproductions (erreur moyenne) passe de 20 0<)à 8 % environ, si on compare les résultats avant et après le conditionnement pour des durées de 3 à 10 s (Elkine, 1965). C) Temps vides et temps pleins (vision et tacet) Quand la durée est celle de stimuli lumineux, Blakely (1933) a trouvé des valeurs très voisines de celles qui sont obtenues dans le cas de l'audition. Ces résultats concordent avec ceux de Hulser (1924), selon lesquels, dans l'appréciation de la durée d'un point lumineux immobile, le seuil est de 10,3 % à 0,75 s, 6,5 % à 1,55 s et 5,4 % à 2 s, et ceux de Quasebarth (1924) qui trouve un seuil de 7 % pour les durées de 2 s de présentation d'un point lumineux immobile et de 14 pour 8 s. Avec des stimulations électriques continues de la peau, les seuils différentiels sont de l'ordre de 4 à 7 01"pour des durées de 0,5 à 1,5 s (Hawkes et Warm, 1961). L'étude systématique de Goodfellow (1934) qui compare les seuils différentiels d'intervalles d'une seconde limités par
LA DURÉE
149
PERÇUE
ces visuelles et tactiles, auditives, précise trois résultats obtenus En combinant des par rapprochements. des limites, méthode méthodes de mesure (méthode constante, il trouve que le seuil est : reproduction), des
stimulations
Pour l'audition ............... le tact .................. la vision ................
De 7 % 9,5 - 11,5 - –
serait donc du même ordre, mais différentielle La sensibilité ce qui s'explique un peu moins fine dans le cas de la vision, les limites. des stimulations bien par la nature Cependant à aussi en partie tiennent sans doute différences constatées de la durée des dans l'appréciation notre manque d'habitude visuelles ou tactiles. Cette interprétation stimulations s'appuie du test par lequel sur les conclusions de Gridley (1932). Partant deux le sens du temps en faisant Seashore comparer apprécie il a de deux successifs délimités intervalles sons, paires par les sons par des stimulations ce test en remplaçant transformé des chiffres légèreIl trouve tactiles les résultats. et comparé à ceux de de le tact ment inférieurs réussites) (72,8 % pour mais si le même test est présenté l'ouïe (77,8 % de réussites) ; une amélioration de 2 % pour l'ouïe et à nouveau, on trouve réduise donc que l'exercice de 4,1 % pour le tact. Il se pourrait la différence constatée. beaucoup de de détermination Il faut enfin signaler un cas particulier celui où on C'est la sensibilité différentielle au temps. compare le seuil. Dans cette à déterminer deux fréquences en cherchant Michon (1964) a trouvé situation que le seuil était particulière, de 100 à 200 ms, qu'il augmentait de 0,9 % pour des intervalles brutalement de 200 à 300 ms et qu'il était de 2 % de 300 à fréd'une 1 000 ms. Mais il faut souligner que la perception ne et d'un intervalle sont celle pas comparables. quence D) La
loi tle Weber-Fechner,
du temps ont Les travaux du xixe siècle sur la perception Weber si la loi de le de savoir été dominés s'appliproblème par avec de vue a défendu ce au Fechner vigueur, point quait temps. à l'autre d'un auteur ont été si différents mais les résultats que Nichols, en 1890, concluait déjà que la loi de Weber ne pouvait de vue repris aux intervalles être appliquée point temporels,
150 0
PSI'CHOLOGIE
DU
TEMPS
Bonaventura (1929) et récemment par Maack (1948) et Woodrow (1951). Plusieurs La loi de remarques préliminaires s'imposent. Weber s'applique essentiellement aux différences relatives d'inten.
puisse pas s'y appliquer parfaitement. D'autre les travaux on peut se référer ne auxquels part, font pas de distinction entre les durées perceptibles 2 jusqu'à ou 3 s et les durées plus grandes ne sont qui plus perceptibles. Si nous nous reportons Ceci dit, quels sont les résultats ? A et B, en particulier aux chiffres donnés dans les paragraphes à ceux de Woodrow, nous constatons que le seuil différentiel entre 0,2 et 2 s : il varie seulement relatif est à peu près constant de 7 à l.0 on rencontre touCertes, dans tous ces iésultats, il existe un optimum de sensijours une valeur pour laquelle en général avec la durée de l'intervalle bilité, qui coïncide soit 3/4 de seconde environ. Mais il n'y a là rien d'indifférence, dans tous les cas où la loi de Weber est d'exceptionnel, puisque, la fraction différentielle vérifiée, passe par un minimum pour croître lorsque les intensités sont faibles ou fortes. Treisman dans une très belle série (1963), Cependant. ne retrouve ce minimum la d'expériences, réponse que lorsque du sujet est donnée d'une manière ou rythmique (reproduction de durées Dans les autres c'est-à-dire cas, vides). production de durées pleines (lumidans la reproduction et la production il ne trouve de la fraction neuses ou sonores), pas de minimum mais une diminution à la durée de Weber, proportionnelle de 250 ms à 9 s, de telle sorte que AT = k (T + a), k et a étant des constantes. même dans ce cas, un minimum Toutefois, peut
LA DURÉE PERÇUE
151
sans doute si le sujet compte mentalement, réapparaître, balance la tête, etc. Certains auteurs allemands avaient cru trouver que le seuil différentiel relatif varie selon une loi périodique, c'est-à-dire qu'il y a plusieurs minima de sensibilité (Estel, Mehner et Glass) (1). Mais les méthodes employées, le petit nombre de sujets et de mesures avaient déjà fait l'objet des critiques de Fechner. Aucune étude récente n'a retrouvé ce phénomène et cet aspect de la question n'a plus qu'un intérêt historique. Le fait de n'avoir pas toujours distingué les durées perçues de celles qui ne sont qu'estimées a pu masquer la relative constance de la fraction différentielle. Nous en trouvons un indice dans le fait suivant : la loi de Weber s'applique assez bien, comme nous le verrons, aux durées estimées (chap. VII, p. 225), mais la fraction différentielle est alois beaucoup plus Les résultats de Woodrow (1930) forte et de l'ordre de 20 rendent la chose sensible : entre 2 et 4 s, la fraction différentielle change de valeur, ce qui correspond, pensons-nous, au changement qui se produit dans les processus d'appréhension et d'estimation. En adoptant la perspective de la loi de Fechner, on peut aussi se demander si lesdurées perçues forment un continuum qui serait en relation avec le logarithme des durées physiques. La question est difficile à aborder. Edgell (1903) a utilisé la méthode des gradations moyennes de Plateau qui consiste à rechercher une valeur du stimulus telle que ses différences avec deux autres stimulations, l'une plus petite, l'autre plus grande, apparaissent égales. Quand la loi de Fechner est vérifiée, ce stimulus a une valeur proche de la moyenne géométrique des deux stimulations limites et non de leur moyenne arithmétique. Or Edgell a trouvé que l'estimation d'une durée intermédiaire entre deux autres correspondait assez exactement à leur moyenne arithmétique. On peut objecter que la tâche proposée aux sujets est très difficile et leurs résultats variables et discutables. Dans les dernières années, Stevens a proposé de vingt la relation logarithmique de Fechner par une loi de remplacer et il a essayé de l'établir en recherchant la sensation puissance, (1) Sur cette question,voir !\ichois(1890)et Bonaventura(1929)qui se ralliepartiellementà ce pointde vue et qui pensequ'ily aurait trois minimade sensibilité 0,35-0,40 : s ; 2,15-2,5s. s ; 0,70-0,80
152
_.._...._ ___._
PSYCHOLOGIEDU TEMPS
qui paraissait moitié ou double d'une autre. Par approximations successives, on a même établi des échelles d'intensité subjective, c'est-à-dire des niveaux de sensations qui correspondent aux différentes grandeurs des stimuli. Pour mesurer les sensations, on a proposé des unités qui permettent d'évaluer les sensations les unes par rapport aux autres. Ainsi est né le sone pour l'intensité perçue des sons ou sonie (Stevens), le reg pour le poids, le gust pour la sapidité, le dol pour l'intensité algique, le bril pour la luminance perçue ou phanie. Gregg (1951) a tenté dans cette perspective d'établir une échelle subjective des durées. Il a recherché quelles étaient les durées (pleines) qui semblaient la moitié de stimuli de 0,4 ; 0,8 ; 1,6 ; 2,4 ; et 4,8 s. En contrebalançant les erreurs de position temporelle, il trouve que les estimations des sujets correspondent (à peu près) en moyenne à un stimulus de durée moitié (certains sujets surestimant et d'autres sous-estimant systématiquement). Ce résultat est en harmonie avec celui qu'Edgell avait obtenu par une autre méthode. Mais on ne comprend pas alors très bien pourquoi Gregg propose tout de même une échelle subjective des temps dont l'unité serait le temp, un temp correspondant à une seconde. Un demi-temp correspondrait à une durée de 0,50 s (à 5 millièmes près) : deux temps à une durée de 2 s. Ross et Katchmar (1951) ont tenté le même travail pour des durées vides. Ils trouvent aussi que, dans l'ensemble, la moitié estimée d'une durée correspond à la moitié physique, aux erreurs de position près dont ils ne se sont pas préoccupés. Ils proposent, eux, une autre unité, le chron qui correspondrait à notre expérience d'une durée de 10 s. Ekman et Frankenhaeuser (1957) ont cru retrouver une loi de puissance (avec un exposant de 1,55) sur des durées de 1 à 20 s. Mais leurs résultats sont discutables. En effet, l'erreur de position temporelle joue un grand rôle dans l'établissement de ces échelles temporelles où on ne peut comparer en une relative simultanéité l'étalon et la reproduction, qu'elle soit égale, ou moitié. Dans leurs résultats, les reproductions égales sont notablement plus courtes que l'étalon, tandis que les reproductions moitié subissent moins cette loi, ce qui fait croire à une relation de puissance. En outre, il y a un effet d'ancrage ; les durées les plus courtes étant surestimées, les plus longues sous-estimées. Le travail de Bjarkman et Holmkvist (1960) est très
LA DURÉE PERÇUE
153
satisfaisant au point de vue méthodologique et ses résultats rejoignent ceux de Gregg. Les sujets doivent ajuster pai réglage un son égal ou moitié d'un étalon (les durées utilisées vont de 1 à 7 s) et ils peuvent entendre autant de fois qu'ils le veulent étalon et ajustement, ce qui diminue beaucoup l'erreur de position temporelle. Dans ces conditions, pour un intervalle entre les deux sons de 0,1 s, ils trouvent les valeurs suivantes pour
l'ajustcment
égal
Si
et
Etalon
1,0 s 2,5 s 4,0 s 5,5 s 7,0 s
moitié
l'ajustement Si
S12°
S112
0,921 2,047 3,253 4,472 5,784
0,410 1,028 1,612 2,311 2,919
A une légère sous-estimation près des ajustements, la valeur de la moitié apparente est bien moitié du stimulus apparemment égal. Les mêmes auteurs retrouvent les résultats d'Ekman et Frankenhaeuser par la méthode de reproduction, mais leurs résultats tombent sous la même critique. D'ailleurs le débat est sans doute vain, puisque Stevens (1961) propose 1,1 comme exposant de la loi de puissance, ce qui, étant donné l'imprécision de ce genre de mesure, est peu différent de 1. La dernière recherche de Chatterjea (1961) arrive d'ailleurs à un exposant de 1,02. Si les durées apparentes sont directement proportionnelles aux durées physiques, les échelles subjectives de temps n'ont qu'un intérêt négatif. En conclusion, il semble donc que la loi de Fechner et la loi de puissance ne s'appliquent pas aux durées perçues. Cependant la sensibilité différentielle à la durée perçue est relativement constante. Cela démontre une fois de plus que les lois de Weber et de Fechner ne sont pas équivalentes. hO
L'EFFET
Toutes les lois que nous des travaux les plus sérieux trales de groupes d'individus. les auteurs n'aient pas trouvé
DES
ATTITIJDES
avons essayé de dégager à partir s'appliquent aux tendances cenMais il est peu de recherches où de fortes différences individuelles
154
PSYCfI0LOG1E
UIJ
TEMPS
allant mation
du phénomène l'inversion (sous-estiparfois jusqu'à au lieu de surestimation Bien plus, en ces par exemple). il est de nombreux contradictravaux domaines, qui semblent toires les uns par rapport aux autres. aux attitudes Il est essentiel de faire jouer un rôle important s'est des sujets dans la perception du temps. Cette constatation les dans tous les domaines de la imposée depuis perception, ces travaux de l'École de Würzbourg ont été confirmés, qui dernières sur un terrain années, plus expérimental par les Le recherches de Bruner et de ses collaborateurs perçu est (1). » de la nature fonction des stimuli, mais aussi de l' « hypothèse avec laquelle nous les appréhendons. Cette hypothèse dépend elle-même du contexte de notre expérience antérieure, perceptif, de notre médiatisés ces facteurs étant personnalité, par des attitudes. Moius le donné est contraignant, plus ces attitudes un rôle important. elles ont un effet sur Non seulement jouent notre sélection sensorielles et sur la constante des informations même nous mais elles leur donnons, peuvent signification que de modifier la grandeur des L'expérience objets. apparente Bruner et Goodman sur la surestimation des pièces de monnaie l'a démontré. par les enfants pauvres Dans le domaine il est légitime de penser que les temporel, attitudes un rôle plus important jouent que dans l'espace, évanesest par nature toute du successif puisque perception dans l'espace une confroncente, tandis que pour les perceptions tation est possible et son objet. entre la perception les Donc les auteurs ont eu sans doute raison d'invoquer la variété des résultats différences d attitudes pour expliquer mais ils n'ont pas contrôlé ce facteur assez systémaobtenus, différenne serait-ce utilisant des tiquement, consignes qu'en les ciées. Nous ne savons manière même pas d'une précise en variétés d'attitude nous possibles que pouvons prendre un estimant des durées. attribuer Il semble que nous devions rÔle essentiel au fait que les sensations successives sont plus ou moins organisées entre elles. Cette organisation peut tenir à la nature du sujet. des stimulations, mais aussi à l'attitude au de reproduction, on demande Ainsi, si, dans une expérience aux sons limites et de les reproduire sujet de faire attention (l) Pour une misseau point sur ces travaux, voir Fraisse (1953).
LA DURÉE PERÇUE -_ -
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comme une paire de sons, l'intervalle reproduit est beaucoup plus court que si on suggère au sujet d'écouter passivement les limites et de faire porter son attention sur les sensations qui emplissent l'intervalle (Woodrow, 1933). D'une manière plus générale, à la suite de Benussi, on a posé que, plus nous étions attentifs à un intervalle, c'est-à-dire plus nous y attachions d'importance, et plus il était surestime. Le fait est apparu dans les comparaisons de deux intervalles successifs. Benussi a pensé expliquer ainsi les erreurs de position temporelle. De deux intervalles successifs et égaux, celui sur lequel on porte son attention paraît plus grand que l'autre. Quasebarth (1924) a vérifié cette interprétation en demandant à ses sujets d'écouter passivement ou activement l'un ou l'autre de deux intervalles successifs à comparer. Cette loi est à rapprocher des études de Piaget sur la c;entration. Il a été amené, au cours de ses travaux sur le développement génétique des perceptions, à postuler que le stimulus sur lequel était centré le regard était surestimé par rapport aux stimuli périphériques. Il a ensuite généralisé cette loi de la centration et l'a étendue à tout stimulus qui joue le rôle principal dans une comparaison perceptive (parce qu'il est l'étalon ou le mesurant qui est « transporté »). Nous avons de notre côté pu vérifier que ces effets de centration correspondaient à une centration de l'attention ; c'est-à-dire à une orientation vers un stimulus, la centration du regard n'étant qu'un cas particulier d'un phénomène plus général (Fraisse, Ehilich et Vurpillot, 1956). Cette centration peut elle-même avoir son origine, soit dans l'objet qui attire notre attention par ses caractères, soit dans le sujet dont les attitudes créent une orientation. Dans le cas du temps, la centration peut être induite : ai Par la nature de la tâche : la comparaison, par exemple, entraîne normalement une centration sur le second temps
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
rement notre attention : par exemple intensité plus grande d'une limite (temps vide) ou du stimulus continu (temps plein) ; d) Par la consigne, qui suggère qu'un intervalle temporel a plus ou moins d'importance absolue ou relative. Peut-on rapprocher la surestimation des intervalles sur lesquels se centre notre attention, et le fait que nos estimations du temps sont plus longues quand nous faisons attention à la durée plutôt qu'à ce qui dure, loi que nous étudierons au chapitre VII ? Ce rapprochement a été tenté par Benussi. Sans que nous puissions apporter aucune preuve décisive, nous pensons qu'il est erroné, parce qu'en général les conditions de la perception des durées brèves sont très différentes de celles de l'estimation des durées longues. D'autre part, ces surestimations de la durée sur laquelle le sujet est centré apparaissaient le plus souvent dans des expériences où il faut comparer deux temps, c'est-à-dire où le sujet est surtout préoccupé de la durée de chaque intervalle. Pourquoi ferait-il plus attention, pour l'une, aux changements eux-mêmes et, pour l'autre, à la durée proprement dite ? Pour nous résumer, la perception des durées est fonction de nos attitudes dont la plus importante paraît être l'attention portée au temps perçu. Plus cette attention est grande, plus l'intervalle paraît long. Mais, toutes choses étant égales sur le plan des attitudes, la perception de la durée dépend de la nature des changements perçus. Ceux-ci déterminent au niveau des réceptions des processus d'excitations différents et au niveau central des processus perceptifs dont l'organisation détermine la durée apparente.
TROISIÈME
PARTIE
LA MATTR1SE DU TEMPS L'homme a sur l'animal une grande supériorité. Il est capable de se représenter des changements autres que ceux qu'il perçoit dans le présent. Ces représentations lui permettent, à partir du moment où il se situe, d'embrasser les perspectives temporelles passées et futures qui constituent son horizon temporel (chap. VI). L'intervalle entre le moment présent et une satisfaction à venir fait prendre conscience de la durée à travers des réactions affectives. En partant de ces sentiments de temps, nous sommes capables d'une certaine évaluation de la durée, mais notre appréciation est plus généralement fondée sur la quantité des changements que nous y situons (chap. VII). La représentation des changements conduit à des représentations de successions et de durées : loisqu'elles entrent en composition, elles donnent naissance à une notion du temps qui devient avec l'âge de plus en plus abstraite. L'homme est alors capable de mettre en relation toutes les séquences des changements et tous les intervalles temporels, indépendamment de son expérience immédiate. Il peut maîtriser le changement dans les limites où son irréversibilité le lui permet (chap. VIII). Les distinctions que nous proposons entre les modalités de notre maîtrise du temps sont justifiées par la psychologie génétique : l'enfant peut avoir un horizon temporel, éprouver des sentiments de temps, apprécier la durée avant de concevoir la notion de temps. Mais notre horizon temporel n'a toute sa richesse et nos appréciations de la durée toute leur rigueur que lorsque, grâce à la notion de temps, nous devenons capables de reconstituer l'ensemble des changements.
CHAPITRE
VI
L'HORIZON TEMPOREL Nous ne vivons que dans le présent, c'est-à-dire que notre conduite est fonction de l'ensemble de ce qui la détermine hic et nunc. Mais ces incitations présentes nous renvoient sans cesse à ce qui n'est plus ou à ce qui n'est pas encore. Le présent a donc plusieurs dimensions : « ... le présent des choses passées, le présent des choses présentes, le présent des choses futures » (saint Augustin, Confessions, p. 319). Dans le changement où nous sommes entraînés, notre action à chaque instant ne dépend pas seulement de la situation dans laquelle nous sommes, mais de tout ce que nous avons vécu et de toutes nos anticipations de l'avenir. Chacun de nos actes en tient compte parfois explicitement, toujours implicitement. En d'autres termes, on peut dire que chacun de nos actes s'insère dans une perspective temporelle, c'est-à-dire qu'il dépend de notre horizon temporel, au moment même où nous le posons. Avant d'en aborder l'étude, il est utile d'en définir le domaine en distinguant l'horizon temporel constitué par l'homme, d'une part de l'ébauche que peut s'en former l'animal, d'autre part de la notion de temps à laquelle aboutit l'adulte en pleine possession de son intelligence. En un sens, l'animal a déjà un horizon temporel. Sans doute il semble ne vivre que dans un univers de perceptions, et rien n'est plus actuel qu'une perception. Cependant chacune est un signal et par là même renvoie au passé. Le stimulus en effet n'a acquis sa signification que par l'expérience antéâeure, c'est-à-dire lorsque des liaisons se sont établies entre stimuli - devenus conditionnels - et réactions. celle-ci ne La perception-signal oriente aussi l'activité : condià un but ? Le stimulus ordonnée paraît-elle pas toujours
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
tionnel détermine des conduites d'anticipation : chercher de la nourriture, fuir le danger, etc. Le rat qui amasse de la nourriture agit comme s'il était capable de prévoir la disette ; tout en ayant une conduite instinctive, il tient cependant compte du passé, puisque les animaux qui ont été le plus frustrés de nourriture sont aussi ceux qui amassent le plus (Morgan, Stellar, Johnson, 1943). Toutefois, l'animal dans ses conduites ne se réfère pas explicitement à des événements passés ; il ne se propose pas non plus un but. Son horizon temporel reste implicite. Il agit « comme si ». L'homme aussi a des conduites de cet ordre. Mais, de plus, il est capable de déployer consciemment les dimensions du temps. D'une part, il évoque le passé comme tel, c'est-à-dire qu'il en fait le récit : il le reconnaît comme ayant appartenu à son expérience antérieure, reconnaissance qui n'est complète que lorsqu'elle entraîne la localisation du souvenir. Il organise d'autre part son activité en référence à des projets qui sont des représentations de l'avenir. Récits et projets se distinguent de la fabulation en ce qu'ils comportent toujours une référence temporelle à des changements antérieurs ou postérieurs qui les situent par rapport au présent vécu. Nous pouvons ainsi nous représenter passé ou avenir sans avoir une « représentation du temps ». Ici intervient une distinction délicate mais nécessaire entre l'horizon temporel et la notion de temps. Autre chose l'image d'un milieu homogène qui sous-tend notre notion de temps (chap. VIII), autre chose la représentation d'un ou plusieurs événements passés ou futurs. La représentation d'un événement prend un caractère temporel à partir du moment où elle est située par rapport à d'autres. La référence la plus simple est évidemment celle qui est faite par rapport au présent, instant privilégié qui détermine les deux versants de notre expérience. Plus généralement, nous précisons la localisation temporelle en situant de proche en proche les événements les uns par rapport aux autres. Nous aboutissons ainsi à la constitution de perspectives temporelles analogues aux perspectives spatiales. Se représenter le passé ou l'avenir, ce n'est donc pas évoquer quelque schème abstrait du temps mais des événements qui s'ordonnent suivant des plans de succession.
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L'HORIZON TEMPOREL
La représentation de la succession n'est complète qu'une fois acquise une notion de temps : ainsi seulement peut-elle tenir compte des différentes séries naturelles d'événements et de leurs intervalles, comme nous le verrons plus loin. Mais ce qui prouve bien que cette notion n'est pas nécessaire pour constituer l'horizon temporel, c'est que ce dernier existe déjà chez les enfants, à un stade de leur développement où ils ne sont pas encore capables de constructions opératoires. L'horizon temporel, à l'origine, est simplement une manifestation de la mémoire et il se développe avec elle. Ce chapitre n'est pas pour autant consacré à l'étude spécifique de la ni'rrioire mais à celle des perspectives de l'horizon temporel proprement dit ; il met l'accent sur la manière dont nous pouvons nous conduire par rapport aux trois instances du temps : le passé, le présent, l'avenir. 1 LA NATURE DE L'HORIZON TEMPOREL Le développement de l'hoiizon temporel au cours de l'enfance est lent. Aussi sa genèse nous oflre-t-elle une excellente opportunité d'en saisir en première analyse la nature. Nous réserverons pour la seconde partie de ce chapitre l'étude du développement quantitatif des perspectives temporelles avec l'âge. 1°
LA
GENÈSE
DES
PERSPECTIVES
TEMPORELLES
L'enfant à la naissance n'a que des réactions réflexes plus ou moins diffuses qui donnent à son comportement un caractère dispersé (Malrieu, p. 26) (1). Qui dit réaction réflexe dit une réaction qui suit immédiatement une stimulation. Ainsi le premier cri de l'enfant est une réaction réflexe à l'entrée de l'air dans les poumons, et ses mouvements de succion sont déclenchés par n'importe quel attouchement des lèvres. Point de perspective temporelle dans de telles réactions. Mais, par le jeu du conditionnement classique, apparaissent les premières (1) Aprèsles travaux fondamentauxde Piaget (1937)et de Malrieu(1953), notre propossera seulementde chercherà caractériserles grandeslignesdes de l'horizontemporel. premiersdéveloppements 11 P. FItAiSSft
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PSYCHOI,OGIE ..
DU TEMPS __.__. _. _.
ces o séries pratiques n dont parle Piaget temporelles, Dès les l'enfant semaines, (ibid., p. 325). premières qui a faim cesse de crier si on le prend pour la tétée, et sa bouche recherche le contact du sein maternel avant que de l'atteindre (Piaget, ibid., p. 326 ; Malrieu, ibid., p. 3î). Nous avons vu déjà qu'il au rythme des tétées et même à la sups'adaptait rapidement d'un repas dans la nuit. Ces conditionnements pression impliil v a anticipation de l'avenir quent une sériation temporelle : en même temps qu'utilisation pratique d'expériences passées. Une stimulation devient autre : à signal d'une par exemple, deux mois, l'enfant la tête du côté où il a entendu tourne un son (Piaget, des signaux implique ibid., p. 326). Cette utilisation tout un horizon temporel à cet se seulement qui, âge, développe au plan vécu : passé et avenir sont simultanément dans présents la conduite actuelle. Peu à peu se constituent ainsi des chaînes de réactions où chaque événement subi devient signal du suivant. La coopération à l'habillage se à qui développe graduellement de 10 mois montre l'enfant de à une partir s'adapter capable série temporelle Plus tard il prendra même l'initiative complexe. des premiers anticigestes d'une série, guidé par une véritable ira chercher souliers pation à plus longue portée : ainsi lorsqu'il ou manteau afin de sortir (1). pour qu'on l'habille Dans toutes ces premières conduites le passé temporelles, contribue à donner un sens à une stimulation, c'est-à-dire à la transformer en signal, mais le signal déclenche une conduite orientée vers un avenir d'abord très proche (l'enfant qui cherche le sein), puis de plus en plus lointain va chercher (l'enfartt qui son manteau aller se Le futur se manifeste pour promener). « vers », comme d'abord comme orientation une attitude de mais on pressent à cette orienrecherche, comment, peu peu, tation de la représentation même de la satiss'accompagnera faction ou du danger à éviter. escomptée A un second dans son apparition au stade, qui succède sans s'y substituer, les deux se développent premier puisque le conditionnement instrumental simultanément, apparaît qui des perspectives Dans le implique également temporelles. conditionnement comme l'animal, doit instrumental, l'enfant, références
(1) Malrieu (i6id.. p. 58) voit dans cette conduite un simulacre alors qu'elle nous semble de même nature que celle de l'enfant qui tend les bras vers sa mère pour être pris.
L'HORIZON TEMPOREL .. -
163 ..
découvrir, en fonction d'une stimulation, l'acte qui lui procurera la satisfaction. Pour reprendre un exemple de Piaget (ibid., p. 334), l'enfant ayant vu un hochet doit apprendre à tirer sur la ficelle pour l'ébranler. La solution implique la réactivation d'une liaison qui avait été découverte fortuitement par des tâtonnements et qui s'était fixée grâce à l'effet obtenu. Dans ces réactions, le but ne peut être atteint que si c'est « l'avenir désiré qui organise le présent » (Malrieu, ibid., p. 60). L'enfant doit reconstituer une succession utile, se détacher un instant du but lui-même pour accomplir le geste nécessaire selon un avant et un après. Dans le conditionnement simple, il y a une succession vécue, ici il y a reconstitution d'une succession. Avec le développement général, ces enchaînements deviendront de plus en plus complexes. Ce n'est plus seulement la présence du but à atteindre qui organisera la réaction mais son souvenir. L'enfant agit alors en fonction d'un objet qui n'est plus présent, au moins dans le champ de son regard. La réaction est différée. Prenons un exemple chez un enfant de 18 mois. Se trouvant dans une pièce, il part tout d'un coup avec décision chercher un jouet dans une autre pièce. Cette conduite implique un souvenir localisé dans le temps et dans l'espace, mais ce souvenir n'agit que comme une promesse de satisfaction future. Ainsi, au début tout au moins, on constate qu'avenir et passé sont relatifs l'un à l'autre. Piaget (ibid., p. 336) a noté comme première forme de cette réaction différée l'observation suivante sur un enfant de 8 mois : « Laurent voit sa mère entrer dans la chambre et la suit des yeux jusqu'à ce qu'elle s'asseye derrière lui. Il reprend alors ses jeux, mais se retourne à plusieurs reprises pour la revoir. Cependant aucun son ni aucun bruit ne peut lui rappeler cette présence. n Il y a évidemment là un début de mémoire et de localisation dans le temps et dans l'espace. Différées ou non, ces réactions constituent ce que Piaget appelle des séries subjectives qui se transforment peu à peu en séries objectives qui se distingueraient des premières en ce que la succession appréhendée s'objectiverait. L'enfant devant une situation ne se remémorerait plus seulement son action, mais l'objet lui-même. La conduite correspondante serait de rechercher un jouet qui vient de disparaître derrière un écran. Tous les
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
parents savent que l'on peut supprimer le désir de l'enfant en faisant disparaître l'objet convoité, mais ils savent aussi que cette possibilité n'a qu'un temps. Peu à peu, l'objet disparu reste encore présent grâce au souvenir et sa disparition sensible ne fait plus cesser le désir. Vers un an, l'enfant, par les jeux du conditionnement simple et instrumental, se trouve avoir acquis un horizon temporel qui commence à se dégager de ses propres réactions. « Le temps déborde définitivement la durée inhérente à l'activité propre pour s'appliquer aux choses elles-mêmes et constituer le lien continu et systématique qui unit les uns aux autres les événements du monde extérieur. En d'autres termes, le temps cesse d'être simplement le schème nécessaire de toute action reliant le sujet à l'objet pour devenir le milieu général englobant le sujet au même titre que l'objet » (Piaget, ibid., pp. 346347). Les psychanalystes ont tendance à décrire cette évolution à partir de l'expérience de la frustration. A mesure que l'enfant se développe, ses besoins ne sont pas satisfaits immédiatement. Mais, sur la base de ses expériences passées, il apprend que satisfaction lui sera donnée ultérieurement. Ce point de vue complète le précédent. Il ajoute la dimension motivation aux processus d'apprentissage (Wallace et Rabin, 1960). Les conduites cependant dépendent encore à ce stade des signaux que fournit l'environnement. Mais, peu à peu, les perceptions qui ont évoqué des actes vont faire renaître les objets absents sous forme de souvenirs. Ceux-ci. qui peuvent être de simples représentations, s'individualiseront vraiment à mesure que le langage donnera à l'enfant la possibilité de les nommer, et du même coup de pouvoir agir sur eux, de les combiner en séries propres indépendantes de l'action présente. Empruntons un exemple de ces nouvelles séries à Piaget (ibid., p. 352) : « Jacqueline (1 a. 7 m.) ramasse une herbe qu'elle met dans un seau comme s'il s'agissait des sauterelles que lui apportait quelques jours auparavant un petit cousin. Elle dit alors : Totelle (= sauterelle), totelle, hop-là (= sauter)... garçoti (= son cousin). » Une perception lui a évoqué une série d'événements passés ; le langage a permis de les préciser et de les évoquer. Le jeu de ces représentations et 1 horizon qu'il ouvre sont aussi bien mis en lumière par ces mots d un enfant de 2 a. 1 m.
L'HOItIGOIV TEMPOREL __ _....__
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« Lait, parti, Decroly et Degand (1913) : que rapportent Maïette o, qui signifiaient dans le contexte « J'ai bu mon lait, je vais chez Mariette », soulignant la double perspective passée et future du présent. A vrai dire, les premiers développements du langage, comme l'a souvent remarqué Piaget, ne donnent pas naissance à de sur le plan du nouvelles conduites, mais à des transpositions langage de ce que l'enfant savait déjà faire. Il emploie le mot comme il employait le geste : « Encore n ou « attends », premiers mots qui aient sans doute chez l'enfant une référence temporelle des petits bras tendus vers la mère. précise, sont l'équivalent L'enfant qui demande « cuillère n, pour essayer de manger sa soupe, ne fait pas autre chose que celui qui attrapait la ficelle pour faire remuer le hochet. Le langage va cependant permettre une extension considlrable des perspectives temporelles. Grâce à lui, l'individu peut non seulement disposer de tout son propre passé, mais aussi avoir Nous connaissance de celui des sociétés auxquelles il appartient. verrons plus loin comment avec l'âge se développe progressivement cet horizon et comment aussi les deux versants du relative. passé et de l'avenir changent d'importance Les perspectives temporelles de l'enfant se développent donc vécue de séries d'événements et d'actes grâce à l'expérience prolongés par les souvenirs de l'individu ou du groupe. Il serait erroné de considérer que l'enfant échappe, par un cependant à ou par des constructions intellectuelles, simple apprentissage l'emprise des réactions quasi réflexes provoquées par les stimuli L'horizon temprésents et à la dispersion qu'elles engendrent. de l'enfant se en même porel développe temps que se constitue l'unité de sa personnalité. Celle-ci exige justement que l'enfant apprenne à inhiber les réactions que suscite son corps ou l'environnement et en particulier ses réactions émotives pour être de tenir de ce qui précède ou de ce qui va capable compte suivre. Seule la conquête de sa stabilité émotive peut lui des actions à permettre d'entreprendre plus longue portée et en référence à un passé plus lointain, car l'émotivité tend à nous enfermer dans le présent. En ce sens, on peut dire avec les psychanalystes que le temps se déploie pour l'enfant dans la mesure où le principe du plaisir cède le pas au principe de réalité (Bergler et Roheim, 1946).
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_. 2°
.... LA
CONSTITUTION
f',SYCfI(IGOGIh'DU TEMPS ... _. DU
PASSÉ
L'enfant, dans ses premières expériences, apprend à connaître des séries temporelles telles qu'un des termes lui permet de prévoir ceux qui suivront. Mais ces séries ne sont pas encore localisées par rapport au présent de l'enfant. D'ailleurs, par leur nature même, elles sont ambiguës. Elles sont tout à la fois manifestation d'une expérience passée et orientation vers un futur : ainsi l'animal qui cherche sa nourriture ou l'enfant qui tend ses bras vers le biberon ou vers sa mère se réfère tout à la fois à un passé et à un futur, en recréant simplement une série temporelle. Comme le fait remarquer Heidegger, l'avenir est d'une certaine manière accomplissement du passé ; il présuppose le passé, mais celui-ci n'a le sens de passé que s'il y a un avenir (Bremel, 1950, p. 124). Les séries temporelles ne créent donc pas par elles-mêmes des perspectives temporelles où il y ait distinction du passé et du futur. Elles enrichissent seulement l'expérience présente. Le langage de l'enfant manifeste bien cette emprise. Qu'il emploie ou non des verbes dans ses phrases, jusqu'à trois ans il ne parle qu'au présent. Le contexte montre d'ailleurs qu'il exprime essentiellement une situation actuelle, même quand il y a référence au passé. S'il dit « Maman dehors », cela signifie surtout que Maman n'est pas là et non pas qu'elle est sortie il v a quelques heures. Le même phénomène se retrouverait dans la phylogenèse des langues. « Toutes les langues primitives expriment par des verbes l'idée d'action mais toutes ne distinguent pas bien les divers temps. Le verbe en sa forme primitive peut servir également à désigner le passé, le présent ou le futur » (Guyau, 1902, p. 6). En réalité, ce langage primitif exprime la réalité du monde objectif et non une expérience temporelle. « Dans les choses mêmes, l'avenir et le passé sont dans une sorte de préexistence et de survivance éternelle ; l'eau qui passera demain est en ce moment à sa source, l'eau qui vient de passer est maintenant un peu plus bas dans la vallée. Ce qui est passé ou futur pour moi est présent dans le monde » (Merleau-Pontv, 1945, p. 471). Le temps naît de mon rapport avec les choses » (i6id., p. 471), c'est-à-dire à partir du moment où elles se situent non plus seulement les unes par rapport aux autres, mais par rapport au sujet de l'expérience. Pour se situer
L'HORIZON TEMPOREL -_- _
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ainsi, il faut d'abord que les événements vécus se transforment en souvenirs. Je ne peux situer par rapport à moi que ce qui a une existence et le souvenir est justement le moyen de conserver présent ce qui n'est plus. Mais de notre expérience passée, tout ne se transforme pas en souvenirs. Une grande partie n'est pas fixée. Entre la richesse immédiate d'une perception et ce que l'on peut en évoquer quelques secondes plus tard, il y a un décalage important. Le déficit n'est d'ailleurs pas homogène et il n'existe pas en réalité de corrélation entre la richesse du contenu perceptif et ce que nous transformons en souvenirs (Fraisse et Florès, 1956). En première analyse, il faut remarquer qu' « on ne retient que ce qui a été dramatisé par le langage » (Bachelard, 1936, p. 58). Il faut avoir pu nommer les choses, les gens, les sentiments pour qu'ils puissent appartenir à nos souvenirs. Condition nécessaire, mais insuffisante, car il faut aussi qu'ils s'intègrent de quelque manière à d'autres souvenirs. Sans cette mise en relation, il n'y a pas de rappel possible. Quelles que soient les conditions de la transformation de l'expérience en souvenir, sa simple fixation ne suffit pas à lui donner une place dans mon horizon temporel. La mémoire n'est pas en effet « cet enregistrement intégral et passif auquel certains auteurs ont songé, comme s'il suffisait de consulter le registre de ses souvenirs pour en retrouver les pages en bon ordre et pourvues d'une table des matières répondant d'avance à toutes les classifications possibles » (Piaget, 1946, p. 260). La chose est facile à constater chez l'enfant. Vers trois ou quatre ans, il se contente de situer tous ses souvenirs dans un moment unique qu'il appelle hier. « Lorsqu'un enfant de 2 à 4 ans veut raconter une promenade, une visite chez des amis ou les aventures d'un voyage, il y a entassement incohérent d'une foule de détails « juxtaposés » dont chacun s'associe à un autre par couple ou petites suites, mais dont l'ordre général échappe à nos habitudes d'esprit » (Piaget, ibid., p. 261). L'enfant échoue de même à mettre en ordre des images constituant un récit, ce qui manifeste bien qu'il ne s'agit pas d'un simple déficit verbal. D'ailleurs, les adultes trouvent difficile de reproduire l'ordre de souvenirs qui ne constituent pas une série naturelle ou logique. Si on lit, par exemple, quatre poèmes inédits à des étudiants et si le jour
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PSYCHOLOGIE DIT 'l'ÉMP,<
suivant, sans les avoir prévenus, on leur demande de se rappeler l'ordre dans lequel ils les ont entendus, les quatre cinquièmes des sujets en sont incapables. Nos souvenirs ne se situent pas automatiquement les uns par rapport aux autres, comme s'il y avait une sédimentation ou un enregistrement phonographique, selon l'image proposée par Guyau. Tous les auteurs sont aujourd'hui d'accord pour reconnaître que la mémoire est une construction. Dans cette construction, la récence d'un souvenir n'est qu'un moyen, le plus fragile. D'ailleurs l'évocation de nos souvenirs ne se fait pas en partant des plus récents qui seraient les plus intenses et en remontant vers les plus anciens et les plus flous. Nous localisons nos souvenirs les uns par rapport aux autres en essayant de retrouver l'ordre même dans lequel nous les avons vécus. Pour le reconstruire, quels repères utilisons-nous ? Tout d'abord chaque événement a comme un « signe temporel ». En effet, chaque acte est associé dans le souvenir à toutes les circonstances qui l'ont entouré. Parmi elles, certaines permettent en quelque sorte de dater l'événement : elles sont en relation avec les bases mêmes du calendrier, c'est-à-dire avec la succession des matins et des soirs, les rites des repas et du sommeil, la succession des jours de la semaine dont plusieurs ont un caractère particulier (les jeudis et les dimanches pour les écoliers), la succession des fêtes, des mois, des saisons. Ces concomitances nous fournissent des repères spécifiquement temporels qui prennent toute leur signification quand ils s'insèrent dans un cadre conceptuel. Mais, à l'origine, ils sont de l'ordre du vécu ; on peut même penser, comme nous en trouverons une confirmation dans l'étude des désorientations temporelles (p. 171), qu'ils sont liés très étroitement, non seulement aux changements du monde extérieur, mais au rythme même de nos changements organiques. Nous avons vu (chap. I) qu'en synchronisme avec les différentes phases du jour se produisaient des changements organiques qui sont li2s à la succession des repas, des activités et du sommeil et qui anticipent sur ceux-ci. Sans doute ces états successifs confèrent-ils eux aussi un certain signc temporel à tout ce que nous faisons sans qu'ils soient conscients. C'est ce que pense Klcist (1934) : pour lui la localisation temporelle est scus la dépendance des centres diencéphaliques. Delay (194.2, p. 136) partage la même opinion :
¡:lWRlZON
TliMPORliI,
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« Cette région constituerait la véritable horloge de l'organisme c'est d'elle parce que que dépendent tous les grands rythmes Ces évépériodiques (faim, soif, sommeil, besoins génitaux). nements végétatifs périodiques seraient doués d'une composante chronolotemporelle qui servirait de base à un enregistrement » des vécues. gique général impressions Ces signes temporels individualisent les souvenirs ; ils ne sufflsent pas cependant à les ordonner entre eux de manière à constituer des séries temporelles. Ici intervient la construction dite qui fait appel à tous les moyens d'ordonner les proprement événements les uns par rapport aux autres. L'espace, paranous est d'un grand secours. Nos actions se déroudoxalement, lent le plus souvent en des lieux successifs. L'espace qui impose un ordre à nos actions devient ainsi un moyen de reconstituer dans le souvenir leur succession réelle. Les souvenirs des villes espagnoles que j'ai visitées cet été ne se sont pas ordonnés les uns par rapport aux autres, mais il m'est spontanément facile de retrouver sur une carte mon itinéraire et ainsi de les situer dans le temps. Cet appel à l'espace n'est qu'un cas particulier d'une loi situer nos nous faisons souvenirs, plus générale : pour appel au à l'ordre le plus probable des événements. savoir, c'est-à-dire Groethuysen (1935-36) a finement noté que dans le récit des événements de notre journée, nous suivons d'abord l'ordre mais que, quelques jours plus tard, nous préchronologique, sentons les faits dans l'ordre où ils auraient dû se produire. Si nous évoquons un repas, nous ne placerons pas le dessert avant les hors-d'?uvre. Parmi les liaisons, celles qui sont le plus faciles à reconstituer à des rapports de sont celles qui correspondent causalité. Piaget a justement insisté sur l'influence de la saisie des rapports de causalité sur le développement des séries temLes liaisons d'ailleurs causales doivent être entendues porelles. au sens le plus large et inclure les enchaînements déterminés ce Ribot la des sentiments. Les par que appelait logique recherches sur le témoignage montrent que le récit des événements vécus est une reconstruction où interviennent les intérêts et les tendances les plus profondes. En définitive, l'horizon temporel se constitue par l'organisation de nos souvenirs. Cette organisation peut se fonder sur les cycles temporels qui individualisent les souvenirs, mais elle
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utilise systématiquement le fil directeur d'une nécessité pour reconstituer l'ordre temporel des événements passés. Par le jeu de ces organisations, notre horizon temporel arrive à se développer largement au-delà des dimensions de notre propre vie. Nous traitons les événements que nous fournit l'histoire de notre groupe social comme nous avons traité notre propre histoire. D'ailleurs l'une et l'autre se confondent : l'histoire de notre enfance par exemple est celle de nos premiers souvenirs, mais aussi celle des souvenirs de nos parents, et c'est à partir des uns et des autres que se développe cette partie de nos perspectives temporelles. Les uns et les autres s'organisent d'ailleurs d'autant mieux que la société fournit, par ses horloges et surtout par ses calendriers, des repères, indispensables quand il s'agit de longues périodes de temps. Klineberg (1954) cite le cas d'Indiens de Californie qui ne savaient ni leur âge, ni combien de temps auparavant s'était passé un événement datant de plus de six ans. L'importance des constructions logiques dans la constitution de notre horizon temporel est mise négativement en évidence par le fait que les débiles mentaux comme les jeunes enfants ont un horizon temporel très réduit. Incapables les uns et les autres de construire leurs souvenirs en un passé (et d'anticiper un futur), ils sont les prisonniers du présent. De Greeff (1927) estime que l'horizon temporel passé des débiles profonds ne dépasse pas une dizaine de jours. C'est le maximum de durée qu'ils assignent à un événement passé (la fin de la guerre, le temps depuis lequel ils sont dans la maison d'éducation). Au-delà tout est sur un même plan, car ils ne sont pas capables d'ordonner leurs souvenirs. Dans les rêves, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a pas construction des souvenirs avec le souci d'une soumission au réel, on constate aussi que l'horizon temporel est très troublé : nous évoquons des événements, qui se sont réellement passés, pêle-mêle avec des fantasmes de notre imagination. La chronologie n'est pas respectée ; ainsi nous rêvons de l'enterrement d'un ami et nous bavardons avec lui dans le tableau suivant. Les raccourcis sont fréquents. Le cinéma a transformé cette expérience en procédé, mais le spectateur « bouche » les trous ou reconstitue l'ordre logique en ne se laissant pas enfermer dans l'ordre vécu des événements. Au contraire, dans les rêves, nous sommes
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soumis à des évocations apparemment chaotiques dont le principe d'organisation ne se réfère pas à l'ordre vécu et à ses nécessités, mais à des jeux d'associations où prédominent les préoccupations affectives. C'est en ce sens que nous comprenons la thèse de Freud sur l'intemporalité de l'inconscient : « Les processus du système Inconscient sont intemporels, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas ordonnés temporellement, ils ne sont pas modifiés par le temps qui passe, ils n'ont en somme aucun rapport au temps. La relation au temps est liée au travail du système conscient » (Freud, Das Unbewusste, 1915, cité par M. Bonaparte, 1939, p. 73). En effet, comme le dit 1VI.Bonaparte ( 1 939,p. 100), « le sens du réel et le sens du temps apparaissent à la fois dans le seul système Perception-Conscience. L'inconscient les ignore, l'inconscient intemporel et en lequel ne règne pas encore le processus secondaire dominé par le principe de réalité, l'inconscient demeuré tout entier soumis au processus primaire réglé par le seul principe de plaisir n. L'organisation de nos souvenirs est exigée par leur confrontation avec le réel, c'est-à-dire avec l'ensemble de nos autres souvenirs, de nos connaissances, des informations de la situation présente. Dans le rêve, ou le délire, l'homme est absorbé par l'image présente qu'il ne relie à aucune autre ; Guyau traduisait le fait dans le langage de son époque en disant que c'était la perception des différences qui créait le temps. « Il y a une chose remarquable, c'est la métamorphose perpétuelle des images, qui, quand elle est continue et sans contrastes tranchés, abolit le sentiment de la durée... A cause de cette absence de contraste, de différences, les changements les plus considérables peuvent s'accomplir en échappant à la conscience et sans s'organiser dans le temps » (ibi.d., pp. 18-19). * * * Toute l'analyse que nous venons de faire se précise si nous considérons les dissolutions pathologiques de la mémoire. Le cas le plus précis se présente dans les syndromes de Korsakov. On en connaît la caractéristique principale à notre point de vue. Le malade semble atteint d'une amnésie, qui n'est pas toujours généralisée et où prédomine l'amnésie des faits les plus récents. « Le malade aura parlé correctement, sans erreur, des faits
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passés, alors qu'il ne se rappelle plus ce qu'on vient de lui dire, ce qu'il vient de faire ; il demande un objet qu'il tient dans sa main, il veut dîner quand il sort de table, être couché quand il est dans son lit, etc. n (Régis, 1923, p. 350). Cette impuissance à fixer les souvenirs présents entraîne évidemment une désorientation temporelle dans le passé, puisque rien ou peu de chose n'est retenu de ce qui est postérieur à la maladie. La perception chez ces malades est normale, elle se transforme parfois en souvenir, mais les souvenirs qui arrivent à se fixer restent comme des « fragments isolés » (Jaspers, 1933, p. 529). Un malade peut ainsi évoquer le souvenir de l'achat d'une paire de souliers, mais être incapable de localiser temporellement l'achat. C'est comme un livre, dit-il, que j'aurais en moi, mais que je ne pourrais pas retrouver (Cohen et Rochlin, 1938). L'atteinte semble se manifester par la difficulté d'établir des rapports nouveaux entre plusieurs événements. Les travaux expérimentaux ont mis en évidence chez ces malades une difficulté élective à fixer des couples de mots (Ranschburg, 1939) et plus généralement à former de nouvelles associations (Wechsier, 1917). En particulier les malades sont incapables d'établir des liaisons entre chaque souvenir et tout ce qui s'est produit avant, pendant, après l'événement auquel il renvoie. On a parlé d'amnésie de fixation parce qu'au plan vécu le fait nouveau n'évoque plus le fait ancien, bien que le malade soit encore capable d'associer des idées ou de faire un raisonnement. Il semble plus exact de parler avec Van der Horst (1956) d'une perte de la temporalisation des souvenirs due justement à ce que chacun d'eux reste comme isolé. Selon la belle expression de Jaspers (ibid., p. 529), il y a une « diminution des synthèses d'actes ». Une malade de Bonhoeffer l'avait bien ressenti, qui disait « Le souvenir de la succession des événements dans le temps manque sans exception » (cité par Van der Horst, 1956). Ces troubles entraînent évidemment une désorientation temporelle du sujet. Ils ne sont pas d'ordre intellectuel, car ces malades utilisent bien les repères objectifs, horloges ou calendriers. Il leur manque de pouvoir dater les uns par les autres les événements qu'ils ont vécus. Cette impuissance à situer leurs souvenirs entraîne du même coup un raccourcissement de leur horizon temporel. Un malade était ainsi capable d'évoquer les principaux événements qui étaient inter-
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venus pendant ses 29 ans d'hospitalisation, mais il estimait que cette période de sa vie n'avait dure que deux ou trois ans. Spontanément il se donnait 32 ou 33 ans, mais il était capable de reconnaître que le calendrier lui donnait 59 ans (Bouman et Grünbaum, 1929). Il faut penser que les souvenirs étaient restés si lacunaires et si dissociés les uns des autres qu'ils entraînaient ce raccourcissement de la perspective temporelle. Ainsi l'analyse du syndrome de Korsakov permet utilement de préciser la nature de l'organisation grâce à laquelle se développe l'horizon temporel. Il se crée une continuité psychique parce que, de proche en proche, les souvenirs se datent euxmêmes. Cette chronognosie, comme l'appelaient Bouman et Grünbaum (1929), se distingue de la chronologie ou capacité de dater les événements selon les repères abstraits du calendrier. Le malade atteint d'un syndrome de Korsakov a perdu la première possibilité mais non la seconde (1), ce qui montre que l'organisation d'où naissent les perspectives temporelles n'est pas seulement de type intellectuel. D'ailleurs la localisation même du syndrome de Korsakov éclaire le problème. En effet, à la suite des travaux de Gamper (1928), plusieurs fois vérifiés, on a pu établir que ce syndrome correspondait à une atteinte des corps mamillaires et des centres voisins, c'est-à-dire des noyaux végétatifs de la base du cerveau. Cette localisation infracorticale montre que le syndrome de Korsakov n'est pas un trouble de type intellectuel, mais doit s'expliquer par l'intervention de mécanismes liés profondément à la vie végétative. Les corps mamillaires sont en effet en relation avec les noyaux végétatifs centraux qui ont un rôle important dans le déclenchement des grands mécanismes vitaux périodiques : faim, soif, sommeil, besoin génésique. Il est ainsi établi que « la reproductivité des événements de notre vie dépend physiologiquement, déjà dans la phase de sa formation dans l'écorce cérébrale, du renforcement des résidus corticaux, par un mécanisme sous-cortical qui conduit de l'hypothalamus à l'écorce cérébrale et qui agit sur l'écorce d'une façon qualita(1) Inversement,Minkowskicite le cas d'un paralytiquegénéralà un stade peu avancéde l'affection,capablede racontertout ce qu'il a fait pendantla guerre dansl'ordreoù il a vécules événements, maishorsd'état de direquandla guerre a commencé ou quandl'armisticea été signé(Letemp.sPMH, p. 13).
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tivement indéfinissable pour le moment, niais très probablement sensibilisante » (Ranschburg, 1939, p. 531) (1). A propos du mécanisme même de l'action des corps mamillaires sur l'intégration des événements vécus, on en est réduit aux conjectures. Delay et Brion (1954) ont avancé deux hypothèses. Dans la première, les corps agiraient par émission d'un rythme de base qui serait indispensable au développement d'activités psychologiques élaborées dans le cortex ; dans la seconde, ils agiraient électivement sur un mécanisme de la mémoire en enregistrant un signe temporel. L'analyse physiopathologique éclaire ainsi les descriptions psychologiques. Les changements périodiques de la vie végétative marquent d'une empreinte profonde tout ce que nous vivons. Nous en prenons conscience lorsque nous mettons spontanément en relation des événements avec les retours périodiques du monde environnant et de nos activités ; mais sans doute cette empreinte existe-t-elle encore plus profondément au plan biologique. Explicitement, on a plusieurs fois signalé des relations entre les trouhles de la désorientation tenrporelle et ceux de la somesthésie. Kevault d'Allonnes (1905) a cité le cas d'une malade qui ne sentait plus le besoin de manger, de boire, d'uriner, et qui, corrélativement, se plaignait de ne plus sentir le temps et de ne pouvoir connaître l'heure au cours de la journée que, si ce n'e:-t de la manière dont nous datons l'année ou le mois, par des procédés mnémotechniques, c'est-à-dire par des raisonnements. De même, Cohen et Rochlin (1938) ont décelé chez le malade dont nous avons déjà parlé des troubles dans l'expérience de son corps (oj isis (2). doiventêtre rapprochées de cellesqui ont été faite· récem(1) Cesobservations mentsur desmaladesà quion a pratiquéunethalamotomie à la suite dorsomédiale de troublesémotinnncls et de douleursinsupportables. Cesmaladies qui n'avaient ni déficitde l'intelligence ni troublestemporelsont en. à la suitede leuropération. desconfusions Ilssetromnaientsurlemoment, temporelles plusoumoinspassagères. le jour,la date,la saison,surle tempsquis'étaitécoulédepuisleurentréeà l'hôpital ou la date de leuropération.Onpouvaitobserverchezeux,conunechezlesmalades présentantun syndromede Korsakov,une dissociationentre l'estimationdirecte du tempset lesjugementappuyéssur les raisonnements et al.. 1955). (Spieg('1 (2) Il faut remarquerque les dé-orientations temporellesdans les PS)'Ch08e? de Korsakovpeuventlaisserintactsles autresmodesd'adaptationau temps.La brèvesn'est pas atteinte(Gregor,1907),ni perceptionde la duréedes successions l'estimationdes duréesde quelquesminutes(Ehreuwald,1931c) ni, commenous l'avonsvu, lesraisonnements sur letemps.Cetteremarqueestcapitalepournous,car cetteatteinteélectivecontinuela spéciticité dudéveloppement de 1 horizon temporel.
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S'il existe donc un processus qui date en quelque sorte les événements en les rattachant intimement aux rythmes de notre vie organique, le passé en tant que tel est le fruit de ces organisations complexes que nous avons décrites plus haut et qui prolongent l'enregistrement plus automatique de nos souvenirs, ou même parfois y suppléent. Des atteintes corticales peuvent les mettre en cause, en particulier celles qui touchent aux deux aires frontales : elles entraînent un trouble de i< l'acte de mémoration, acte de synthèse mentale n (Delay, 1942, p. 133). Ce trouble se manifeste par des amnésies où le déficit temporel proprement dit est moins manifeste que lorsque les lésions sont infracorticales. Toute névrose peut également entraîner ce genre de trouble, et même la simple fatigue, par une impossibilité passagère ou durable de faire l'effort intellectuel qui permet d'ordonner les souvenirs. Vinchon (1920) l'a noté en particulier chez les schizophrènes. En définitive, l'horizon temporel est une perspective construite à partir des indices que nous fournissent les repères temporels de notre expérience et par nos efforts pour organiser ensemble nos souvenirs en nous aidant de tous les principes possibles d'ordination temporelle. * * * Cette construction n'est cependant pas homogène. Si je me penche sur mon passé, les souvenirs ne s'alignent pas avec régularité. Dans cette rétrospective, il y a des noeuds formés par les événements cruciaux : un décès, une réussite à un concours, une guerre, qui rompent la continuité et qui jouent le rôle des plans dans les perspectives spatiales ; nous situons les événements selon qu'ils sont avant et après ces coupures de notre existence. La distance entre ces plans n'est pas non plus homogène. Certaines périodes nous apparaissent plus longues, d'autres plus courtes, bien que nous sachions qu'elles ont eu, à l'échelle du calendrier, la même durée. On a remarqué depuis longtemps que cette durée relative dépend du nombre de souvenirs : une période nous apparaît rétrospectivement d'autant plus longue qu'elle est riche de plus de souvenirs. De même entre deux plans d'un panorama, la distance apparaît d'autant plus grande que nous y avons plus de repères.
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Pour cette raison, les périodes les plus proches nous apparaissent relativement plus longues que des périodes objectivement de même durée, mais appartenant à un passé plus lointain. Le jour d'hier a rétrospectivement une durée beaucoup plus longue que l'un quelconque des jours des années passées. Cependant, cet effet propre de la perspective entre souvent en composition avec le fait qu'il y a parfois un décalage entre l'impression de durée au moment où nous vivons un événement et la durée apparente de la même période dans notre souvenir. Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, la durée, au moment où nous la vivons, nous paraît d'autant plus longue que nous y décelons plus de changements. Mais le nombre des changements que nous y remarquons n'est pas forcément proportionnel aux souvenirs que nous en garderons. Les journées semblent très longues à un prisonnier, parce qu' « il compte les heures », mais, après coup, sa captivité pourra lui sembler avoir peu duré parce que ces mêmes journées lui auront laissé peu de souvenirs. Par contre, une journée où l'on visite en touriste une ville ou une région nouvelle apparaît au soir même bien remplie ; comme elle laissera beaucoup de souvenirs, la même impression se retrouvera quelques années plus tard, quand on l'évoquera dans la mémoire. L'hétérogénéité des perspectives temporelles tient donc à la nature même de notre expérience vécue, mais elle n'agit que par l'intermédiaire de la quantité de nos souvenirs. Par le fait même, les effets de perspective sont les mêmes pour les périodes historiques que nous n'avons pas vécues que pour notre propre passé. Les siècles de l'histoire de France ont une durée relative d'autant plus longue que nous en connaissons plus de choses. Ceci est sans rapport avec l'éloignement des siècles : pour un helléniste, l'histoire des trois grands siècles d'Athènes occupe dans ses perspectives temporelles une durée plus grande que les dix siècles de notre Moyen Age. Il est alors peu surprenant de constater que les mêmes effets de perspective se retrouvent dans les représentations collectives et non plus seulement personnelles du temps. Hubert et Mauss l'ont analysé très finement pour la vie religieuse. Le temps n'est pas un milieu homogène ou une quantité pure. « Les parties qui nous paraissent égales en grandeur ne sont pas nécessairement égales ni même équivalentes ; sont homogènes et équiva-
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lentes les parties considérées comme semblables en raison de leur place dans le calen.drier » (Mélanges d'Histoire des religions, p. 197). Des dates critiques viennent interrompre la continuité du temps... « le temps où se passent les choses magiques et religieuses est discontinu ; il y a des à-coups de sa marche... Ainsi l'institution des calendriers n'a pas pour objet unique ni sans doute pour objet premier de mesurer l'écoulement du temps mesuré comme quantité. Elle procède non pas de l'idée d'un temps purement quantitatif, mais de l'idée d'un temps purement qualitatif composé de parties discontinues, hétérogènes et tournant sans cesse sur lui-même... » (ibid., pp. 199 et 229). Le calendrier liturgique catholique illustrerait bien cette description. Les quatre semaines de l'Avent condensent les millénaires de l'attente d'un Messie depuis la chute d'Adam et d'Ève, les six semaines de Noël au 2 février récapitulent l'enfance du Christ, et la Semaine Sainte a la même durée que les événements qu'elle évoque. Nos représentations de la vie civile présentent les mêmes caractères. Chaque année qui s'achève a eu son rythme propre marqua par les saisons, les grandes fêtes civiles ou religieuses, les vacances, etc., et les années sont plus semblables par cette répétition de rythmes de l'activité collective que par l'légalité de leur durée pour laquelle nous faisons confiance aux astronomes sans pouvoir en vérifier la réalité par notre expérience. Ce rapprochement entre les représentations du temps individuel et celles du temps historique a un sens profond. Halbwachs, qui a souligné toute l'importance des cadres sociaux dans la constitution de la mémoire individuelle, a fait justement remarquer dans un article posthume (1947) que les dinférentes séries chronologiques de notre mémoire correspondent aux différents groupes sociaux auxquels nous appartenons : « Il y a un temps de la vis professionnelle, familiale, religieuse, civile, militaire, avec des origines différentes. » D'une manière générale, celte importance du groupe social sur la constitution de l'horizon temporel a été illustrée par les recherches sur le temps écologique. Par exemple, Bernot et Blancard (1953), étudiant un village français de Normandie où cohabitent deux populations différentes, l'une de ruraux enracinés depuis longtemps dans leur terroir, l'autre d'ouvriers verriers qui se recrutent dans d'autres provinces de France, P. FRAISSE 12
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ont mis en évidence que les perspectives temporelles des deux groupes étaient différentes. Le rural vit dans une durée qui est celle même de sa famille et ses évocations remontent au-delà de ses souvenirs personnels. « Cette terre a été achetée par son grand-père, ce bâtiment a été construit par son père » ; à lui-même, tous les chemins, tous les habitants évoquent le passé. L'ouvrier verrier, lui, un immigrant, a été coupé de ses ancêtres et de leur oeuvre. Peut-être qu'ouvriers comme lui, ils n'avaient jamais été enracinés sur une terre ou dans une maison. Une fois qu'il a été transplanté dans un nouveau pays, ses propres souvenirs, ceux de sa jeunesse ne s'inscrivent pas dans son nouveau milieu. Il est presque sans passé. Chacun de nous appartenant à plusieurs groupes a ainsi plusieurs perspectives sur son passé. Elles ne sont pas homogènes entre elles. Sans doute, nous verrons (chap. VIII) que nous pouvons passer des unes aux autres par un raisonnement et en replaçant tous les événements dans un temps abstrait qui ne correspond plus aux réalités vécues. Mais, spontanément, nous ne pouvons que constater l'hétérogénéité de ces différentes perspectives : « La correspondance entre le temps du bureau, le temps de la maison, le temps de la rue, le temps des visites n'est fixée qu'entre des limites parfois assez larges (Halbwachs, 1947, p. 6). Sans aller jusqu'à dire avec cet auteur que, pour chacun de nous, la durée intérieure se décompose en plusieurs courants qui ont leur source dans les groupes eux-mêmes, et que la « conscience individuelle n'est que le lieu de passage de ces courants, le point de rencontre des temps collectifs n, il reste vrai que nos perspectives temporelles sont relatives à chacun des groupes auxquels nous appartenons et où naissent à la fois expérience et cadres de référence. Les discontinuités et l'hétérogénéité que nous constatons à la fois dans les perspectives de notre propre histoire et dans celles du temps historique sont du même ordre, tant il est vrai que nous ne sommes jamais seuls et que nos souvenirs les plus individualisés dépendent étroitement des groupes dans lesquels nous vivens. 3°
L'ANTICIPATION
DE
L'AVENIR
Dans les premiers élans du jeune enfant, il y a l'ébauche d'une anticipation. Cette impulsion est en quelque sorte indéterminée. Par le jeu des réactions circulaires et du condition-
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nement instrumental, il s'établit une relation entre l'impulsion et l'acte qui procure la satisfaction. Cette liaison crée les séries pratiques dont parle Piaget. La loi de l'effet entraîne ainsi la première base de la construction d'un avenir, puisque l'enfant - comme l'animal - est alors capable d'organiser sa conduite en fonction d'une succession. En posant un acte ou en observant un signal, il anticipe - sur la base de l'expérience passée ce qu'il fera dans quelques instants. Les conditions temporelles de cette liaison apparaissent dans les recherches qui ont été faites sur les réactions différées de l'animal. En effet, si, entre un signal qui prend un sens en fonction des besoins de l'animal et la satisfaction proprement dite, il s'écoule un délai trop long, la liaison ne s'établit pas. Des rats n'apprennent à appuyer sur un levier pour obtenir de la nourriture que si le délai entre ce geste et le moment où la nourriture apparaît ne dépasse pas 30 s (Roberts, 1930). Des singes peuvent retrouver à coup sûr une nourriture que l'on cache sous une des deux tasses renversées qui se trouvent devant eux, si le délai entre le moment où l'on cache la nourriture et celui où on leur permet de la rechercher est inférieur à 90 s (Jacobsen, 1936). Ces délais représentent en quelque sorte la durée pendant laquelle se maintient l'orientation vers l'avenir. Ils varient évidemment avec la situation expérimentale (1) et les chiffres que nous avons cités n'ont aucune valeur absolue. Ce type de recherches a un autre intérêt : il nous éclaire sur les centres nerveux qui sont mis en jeu dans ces conduites. En effet, on a constaté que les singes auxquels on ôte les lobes frontaux deviennent incapables d'avoir des réponses différées. Même au bout d'un délai de 5 s, l'animal semble ne plus se rappeler quoi que ce soit. Il semble avoir comme un trouble de la mémoire immédiate (Jacobsen, 1936) ; mais Malmo (1942) a montré qu'en réalité il y avait surtout chez lui une sensibilité plus grande aux inhibitions rétroactives. En effet, si, entre le moment où on indique à l'animal la place de la bonne à attendre 3 s pour saisir une boulette de nourri(1) Ainsi des rats n'apprennent suit immédiature que si le choc qui punit la violation de ce« tabou opérationnel» tement la violation. Si le choc est différé de quelques secondes, ou bien l'animal prend malgré tout la nourriture dès qu'elle se présente au mépris du choc ultérieur, ou bien toute activité est inhibée ; dans les deux cas l'animal n'apprend pas à respecter le délai qu'on lui impose (Mowrer, 1950, chap. XV).
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réponse (dans l'expérience de Malmo, une lumière indique le levier sur lequel il faut appuyer) et le moment de la réponse, on laisse l'animal dans l'obscurité, il donne un pourcentage de réponses différées exactes presque aussi grand après l'ablation des lobes frontaux qu'avant. Cette observation éclaire les conduites d'anticipation qui exigent que les excitations qui nous orientent vers l'avenir ne soient pas comme effacées par de nouvelles incitations. Cette orientation au niveau du cortex dépend de l'intégrité des seuls lobes frontaux, car des ablations extensives d'autres aires ne produisent aucun déficit semblable (Jacobsen, 1936). Cependant, les lobes frontaux ne semblent pas seuls intéressés par ces conduites. En effet, les animaux seulement leucotomisés ont aussi des troubles des réactions différées et il faut admettre qu'un noyau infracortical ayant des projections corticales peut être impliqué dans ces conduites. Les plus récentes hypothèses supposent qu'il s'agirait du noyau caudé (Peters, Rosvold et Mirsky, 1956). Il faut sans doute rapprocher ces résultats, obtenus sur les animaux, des observations cliniques faites sur les malades ayant subi des leucotomies et chez qui on a souvent noté qu'ils vivent plus dans le présent qu'avant leur maladie et qu'ils semblent indifférents aux prévisions (Petrie, 1952 ; Le Beau, 1954). * * * Chez l'homme, les réactions différées changent de nature : i à partir d'une incitation présente, il devient capable de se représenter le but à atteindre. En l'exprimant, il le fixe et il peut y revenir plus facilement et plus longtemps par la suite. On voit d'ailleurs que l'horizon temporel projectif du jeune enfant ne s'étend au-delà de quelques secondes qu'au moment où l'avenir n'est plus seulement vécu dans l'acte présent, mais est susceptible de représentation. Il peut alors se créer une réelle distance temporelle entre le désir présent et le but à atteindre. Ces représentations au début ne sont cependant que des reproductions des séries vécues et l'avenir n'est imaginé que comme une répétition du passé (1). Les perspectives tempo(1)« ... Monpasséne projetaitplus devantmoicette ombrede lui-mêmeque nous appelonsnotre avenirM (Proust).
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relles ne se déploient réellement que lorsque l'être humain devient capable, par le jeu des expériences symboliques, de concevoir un avenir qui soit création par rapport à sa propre histoire. Cette création n'est elle-même possible chez que ceux que le dynamisme même de l'activité porte au-delà de la situation présente. D'une manière générale, l'avenir ne se déploie que dans la mesure même où les êtres imaginent un avenir qui leur paraît réalisable. Notre attitude envers la mort le montre clairement. Sans doute, elle est un terme connu, susceptible d'entraîner en nous l'anxiété ou des conduites religieuses qui, au niveau de la religion close, sont une défense contre l'inconnaissable. Mais, à aucun âge, comme le remarque Merleau-Ponty (1947), elle ne s'inscrit dans nos perspectives temporelles, sauf chez l'homme religieux qui la considère comme un passage vers une autre vie. La mort, sous son aspect de fin absolue, n'est pas un objectif à atteindre. Cet exemple montre assez comment l'avenir est lié à l'activité même, ce qui faisait dire à Guyau (ibid., p. 33) : « Il faut désirer, il faut vouloir, il faut étendre la main et marcher pour créer l'avenir. L'avenir n'est pas ce qui vient vers nous, mais ce vers quoi nous allons. » Il y a, il est vrai, deux manières d'envisager l'avenir. Dans l'une, il est la perspective d'une conquête vers laquelle nous avançons ; dans l'autre, il est prévision d'un indéterminé qui s'accompagne « d'un sentiment d'insécurité et d'inquiétude » ou même d'angoisse, celle-ci étant « l'expérience de la vie en tant qu'elle se réduit à l'expérience de l'avenir et qu'elle l'élève elle-même jusqu'à l'absolu » (Lavelle, 1945, pp. 276-278). Dans ce deuxième cas, il y a comme une attente passive de l'avenir qui semble alors venir vers nous. De quelque façon qu'il soit envisagé, l'avenir est avant tout l'expérience d'un intervalle temporel : cette distance entre « la coupe et les lèvres » qu'évoque Guyau (ibid., p. 34). Mais celle-ci n'est pas plus l'objet d'une représentation immédiate dans le futur que dans le passé. Et même moins. Nous construisons notre passé avec des souvenirs qui sont déterminés, tandis que nos perspectives d'avenir restent toujours indéterminées et d'autant plus que certaines d'entre elles ne sont pas de simples reviviscences du passé. « L'expérience de l'avenir
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réalise une expérience du temps plus pure que l'expérience du passé où cet intervalle est déjà rempli et où nous sommes moins sensibles, si l'on peut dire, à son contenant qu'à son contenu » (Lavelle, ibid., p. 279). Nous restons toute notre vie dans des perspectives projectives assez semblables à celles de l'enfant pour qui tout le futur se situe dans l'indéterminé du demain. Certes nous pouvons dater nos projets grâce à nos schèmes du temps, à des constructions logiques, mais sur le plan vécu, il n'y a guère que projection du désir ou de la crainte et en ce sens nos perspectives dépendent très étroitement de l'état affectif présent. Que nous soyons un peu fatigués et immédiatement nos projets semblent irréalisables, l'avenir bouché. Inversement d'ailleurs, nos états affectifs dépendent de la distance temporelle qu'il y a entre le moment présente et une situation future. Les recherches sur le gradient de but poursuivies aussi bien dans la perspective de Hull (1934) que dans celle de Lewin ont mis en évidence que les caractères d'une réaction (vitesse, force) dépendaient de la proximité aussi bien spatiale que temporelle du but. Il y a un gradient d'approche aussi bien que d'évitement. Plus on est près du but, et plus la force de la réaction est grande (Miller N. E., 1944 ; voir chap. II, p. 66). Il est facile d'observer dans les conduites humaines ces gradients au cours de l'attente (Cohen J., 1953). Les fiancés, plus approche la date de leur mariage, la femme enceinte près du terme de sa délivrance, éprouvent ces effets. Lewin (1935, p. 88) remarque qu'il arrive aux délinquants condamnés à plusieurs années de prison de s'évader dans les derniers jours de leur détention. * * * Les deux perspectives - reconstruction du passé et antici- ne se développent pas du tout dans les pation de l'avenir mêmes conditions. Le passé se constitue, avons-nous vu, grâce au signe temporel que reçoit tout événement vécu et par l'organisation sérielle des souvenirs facilitée par le calendrier et les repères
sociaux
en
général.
Les
perspectives
futures
sont,
elles, fonction de la possibilité d'échapper à un présent déterminé par la situation ou par l'emprise du passf. Il n'y a avenir que s'il y a, en même temps, désir d'autre chose et conscience
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de la possibilité de le réaliser. Or, ces deux conditions tiennent à des facteurs à la fois biopsychologiques et sociologiques, étroitement liés d'ordinaire. Le désir naît d'un besoin insatisfait, mais il ne se développe que si l'être prend conscience, à travers des satisfactions intermédiaires, qu'il peut par son activité le combler. Autrement, il se crée une extinction du désir par manque de renforcement. Ainsi les enfants qui réussissent mieux à l'école pensent plus à l'avenir et ont des perspectives temporelles plus étendues que ceux qui ont des échecs scolaires (Teahan, 1958). Certes, le succès dans la satisfaction dépend de la santé physique et mentale (le malade chronique apprend, dit-on, à ne plus rien désirer) ; il dépend aussi du statut social de l'individu et des possibilités que lui donnent son éducation, son métier et sa fortune. Dans le travail déjà cité, Bernot et Blancard ont montré que les deux populations de Nouville, paysans et ouvriers verriers, n'avaient pas plus la même attitude envers l'avenir qu'envers le passé. Le paysan, fixé sur sa terre, a le souci de donner une situation à ses enfants et de les installer à leur tour ; son avenir est lui-même déterminé par les grandes étapes de sa vie : la moisson, la durée des baux, etc. L'ouvrier verrier n'a guère de calendrier proprement dit ; sa vie est scandée uniquement par son activité professionnelle marquée par les alternances d'équipe de jour ou de nuit ; pour ses enfants, il prévoit l'école, puis la première place qu'il pourra leur trouver, à la verrerie sans doute, et c'est tout. Si on demande à des enfants de 8-10 a. d'inventer des histoires, celles qu'imaginent les enfants des classes moyennes couvrent une période de temps plus grande que celles des enfants de milieux populaires (Leshan, 1952). Ce résultat s'expliquerait par le fait que, dans les milieux populaires, les séquences de tensions et de satisfactions sont beaucoup plus courtes et que les individus s'épargnent les frustrations qu'entraîneraient des plans à perspectives trop lointaines. Dans les classes moyennes au contraire, les individus peuvent organiser leur vie en cycles plus longs et agir en fonction de leurs projets. Cette observation ne signifie pas que la tolérance à la frustration est moindre en général dans les milieux populaires. Ellis et ses collaborateurs (1955) ont nettement montré qu'il n'y avait pas de relation entre la tolérance habidans un milieu
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tuelle à la frustration (1) et la durée des histoires imaginées. Mais, à niveau égal de tolérance générale à la frustration, il est vrai que les conditions dans lesquelles nous vivons nous incitent à éviter les frustrations provoquées le plus fréquemment par notre situation. Ce mécanisme de défense nous empêche de désirer ce que nous ne pouvons pas atteindre, conduite dont les « raisins verts » de la fable sont un symbole. Entre plusieurs activités, nous choisissons celle où nous pouvons réussir (Rosenzweig, 1933). Il est donc normal et vraisemblable que dans les milieux où les besoins immédiats mobilisent toutes les énergies, les perspectives temporelles soient limitées à ce qui peut être atteint tout de suite. Ainsi, des enfants américains qui se reconnaissent comme appartenant aux classes moyennes déclarent que s'ils gagnaient un prix de 2 000 dollars, ils économiseraient plus qu'ils ne dépenseraient tout de suite, tandis que les enfants du milieu ouvrier affirment le contraire (Schneider et Lysgaard, 1953). Doob (1960) a constaté des faits analogues dans trois peuples africains. A un groupe d'individus très cultivés (niveau des études supérieures) et à un groupe d'individus peu cultivés (de 0 à 4 ans de scolarisation), il a posé la question : « Pr. féreriez-vous recevoir immédiatement 5 livres sterling que 50 livres dans un an ? » Les pourcentages des réponses affirmatives dans les trois peuples ont été respectivement : - dans les 31 %, 11 % ; groupes très cultivés : 14 - dans les groupes peu cultivés : 32 %, 24 °,ô. Ce résultat est confirmé par les réponses de ces mêmes individus à une question plus générale : (r Est-il vrai de dire que c'est du temps perdu que de faire des plans pour l'avenir ? » Ceux qui acceptent ce point de vue sont : - dans les groupes très cultivés : 17 %, 16 % et 34 °/, ; - dans les groupes peu cultivés : 42 %, 22 % et 66 °;,. (1) Au planindividuel,cette tolérancedépendd'abordde la stabilitéémotive et cette stabilitécroîtavecl'âgecheztousles êtreshumains.La maturationbiolodela personnalité. gique,commeledéveloppement y ontleurpart. L'enfantapprend ainsi, à mesurequ'il grandit,à mieuxsupporterl'attente, c'est-à-direun délai dansla réalisationd'unacteconçu(Fraisseet Orsini,1955).Il devientaus i capable, devantdeuxsatisfactionsoffe, tesdont le prix diffire,de préférerde rias en plus cellequi a le plusde valeur,mêmes'il ne doitl'obtenirqueplustard, fréquemment à cellequi a le moinsde prix et qui lui appartiendraitimmédiatement (Irwinet ses collaborateurs,1943et 19.56).
L'HORIZON TEMPOREL .. -
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Le rythme même des paiements des salaires a son rôle à jouer et l'ouvrier payé à la journée n'a pas les mêmes conduites temporelles que le mensuel des classes moyennes ou que le rentier qui perçoit annuellement ses dividendes ou ses fermages. En conclusion, les perspectives projectives d'un individu dépendent de sa capacité d'anticiper l'avenir. Cette anticipation est une forme de construction que forge l'individu. Elle fait des emprunts à son expérience passée, mais elle est mue par ses désirs présents et s'inssre dans le cadre de ce qu'il considère appartenir au possible. Objectera-t-on à cette analyse la construction des « châteaux en Espagne » ? Dans ce dernier cas, ou bien il s'agit de rêves avec lesquels joue l'imagination de l'individu, sans les inscrire réellement dans des perspectives temporelles, ou bien le contact avec la réalité est perdu et le malade croit vivre ses rêves. Ni les uns ni les autres ne sont réellement projets d'avenir. Nous y reviendrons en étudiant l'influence de la personnalité sur l'horizon temporel. II LA DIVERSITÉ DES HORIZONS TEMPORELS Toutes nos analyses précédentes ont mis en évidence que l'horizon temporel de chaque individu était le résultat d'une véritable création. Nous construisons notre passé comme notre avenir. Les caractéristiques adaptatives de cette activité sont évidentes. Il s'agit pour l'homme de s'affranchir en quelque sorte du changement qui l'entraîne, en conservant le passé disponible par la mémoire et en conquérant à l'avance l'avenir par la prévision. Cette prise de possession du temps est essentiellement une oeuvre individuelle marquée par tout ce qui détermine la personnalité, l'âge, le milieu, le tempérament, l'expérience. Chaque individu a ses propres perspectives. Ici toute comparaison avec l'espace ne pourrait que nous induire en erreur. L'espace est une collection d'objets et ce sont eux qui déterminent pour une large part la structure de l'espace perçu. Le temps est certes la suite des changements, mais chacun d'eux n'existe pour moi - à part le changement présent - que comme souvenir ou comme anticipation, c'est-à-dire qu'ils ne sont que des re-présentations. L'espace est d'abord présentation ;
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
il s'impose à moi. Le temps est une conquête profondément marquée par la personnalité de chacun. Le champ de ce problème est immense ; nous nous contenterons d'indiquer quelques grandes variétés typiques de l'horizon temporel individuel. Au-delà, seules des monographies pourraient rendre compte de l'infinie diversité des perspectives temporelles de chacun. 10
L'INFLUENCE
DE
L'AGE
SUR
L'HORIZON
TEMPOREL
Chaque âge a un horizon temporel différent. L'étude génétique nous a permis au début de ce chapitre de saisir la nature même des perspectives temporelles en les regardant se constituer. Sans revenir sur cet aspect, il nous faut suivre maintenant leur développement qualitatif et quantitatif tout au long de la vie de l'individu. Le premier indice qui révèle comment l'individu tient compte du passé et de l'avenir est sans doute son activité. Tout acte se réfère à un passé et à un futur, mais souvent cette référence n'est pas explicite et ne comporte pas une localisation dans le temps. Du développement de l'horizon temporel, on peut cependant trouver une indication dans les réactions différées que nous avons déjà invoquées. Elles montrent une liaison vivante entre l'avant et l'après. On peut procéder avec l'enfant comme avec l'animal. Sous ses yeux, on cache dans un appareil à choix multiples un objet désiré et on le retient d'aller saisir l'objet avant que se soit écoulé un certain délai. A mesure que l'âge croît, on peut augmenter les délais sans compromettre la réussite. Ces délais sont évidemment chaque fois relatifs à une situation, mais le fait important est que, pour chaque type de problème, il y a une augmentation avec l'âge. Ainsi Hunter (1913), dans un appareil à choix multiples à trois éventualités, trouve que le délai tolérable croît de 50 s à 2 a. 6 m. jusqu'à 35 mn à 6 a. A propos d'un autre problème, Skalet (1930-1931) trouve que le délai qui est de quelques heures à 2 a. atteint 34 jours à 5 a. 6 m. A mesure que l'enfant grandit, il est capable de tenir compte dans son activité de ce qui a précédé et de ce qui suivra : L'accroissement par rapport à la dimension du temps psychologique continue jusqu'à l'âge adulte. Les plans s'étendent plus loin dans l'avenir et les activités de longueur croissante sont organisées comme une unité » (Lewin, 1952).
L'HORIZON TEMPOREL --
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C'est cependant le langage qui permet le mieux de se rendre compte de l'étendue des rétrospections et des projections, aussi bien de l'enfant que de l'adulte. Chez l'enfant, le développement du vocabulaire et celui des formes grammaticales sont des indices qui s'ajoutent à ceux que fournissent des observations plus précises. Vers 1 a. 6 m., l'enfant commence à évoquer un objet qui n'est pas présent, c'est-à-dire qui est absent sans que l'on puisse dire s'il se situe pour lui dans le passé ou le futur (Lewis, 1937). Vers l'âge de 2 a., l'enfant est capable d'évoquer des souvenirs qui datent d'un mois environ ; vers 3 a., on trouve déjà des souvenirs vieux d'une année, et vers 5 a. de 2 années. Vers 7-8 a., le passé de l'enfant commence à déborder son expérience personnelle. Il apprend à s'intéresser à ce qui l'a précédé, à l'histoire de ses parents et à l'histoire tout court (Malrieu, 1953, pp. 85-87). Évidemment, au début, il y a évocation sans localisation dans le passé. Cependant entre 2 et 3 a., l'enfant se met à employer le participe passé et l'imparfait, ce qui traduit une première orientation temporelle. La conscience de l'avenir se manifeste dans l'anticipation des séquences de comportements. Vers 1 a. 6 m., un enfant qui rentre vers l'heure de son bain est capable de répondre « bain » à la question « où allons-nous ? » (Lewis, 1937). C'est seulement entre 2 a. 6 m. et 3 a. qu'apparaissent les références à un avenir plus lointain ; l'enfant parle de « midi », « demain », sans que ces expressions signifient autre chose qu'une référence à un avenir proche mais indéterminé (L. W. et Cl. Stern, 1907 ; Decroly et Degand, 1913 ; Gesell et Ilg, 1949). Vers 3 a., l'enfant commence à préciser ce qu'il pense faire le lendemain et, vers 3 a. et 6 m., à situer les événements habituels de la semaine, en particulier ceux des jours exceptionnels comme le dimanche. Vers 4 a. apparaît la référence à une prochaine saison, « l'été ou l'hiver prochain », et l'enfant commence à prévoir les fêtes importantes comme celle de Noël ou son anniversaire, ces prévisions devenant assez précises vers l'âge de 5 a. (Gesell et Ilg, 1949, p. 462 ; Decroly et Degand, 1913). Vers 8 ans, l'enfant qui devient capable de s'intéresser à une histoire qu'il n'a pas vécue élabore aussi ses premiers plan. d'un avenir qui dépasse le cadre de ses activités coutumières. Il parle de sa vie d'adulte : « Je me marierai... Je serai chef de gare... », plans qui se précisent vers 9 a. (Gesell et Ilg, p. 464).
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
La compréhension des termes qui situent avec précision le temps par rapport au moment présent ou par rapport au calendrier permet de saisir comment l'enfant conquiert le temps, comment il s'y situe et situe les événements vécus ou à vivre. En nous appuyant à la fois sur Stern (1907), Decroly et Degand (1913), Oakden et Sturt (1922), Bradley (1947), Ames (1946), Gesell et Ilg (1949) et Malrieu (1953), nous avons dressé une chronologie de la compréhension ou de l'emploi des termes désignant une localisation précise. Les âges sont évidemment approximatifs et les différents auteurs ont des désaccords qui dépassent parfois une année. Plus important est l'ordre même de la fixation des mots qui traduit à sa manière l'expansion de l'horizon temporel. Reconnaître un jour privilégié de la semninc, comme 4 ans le dimanche .................................. Préciser si on est le matin ou l'après-midi.......... 5 5Utiliser exactement« hier » et « demain » ......... 6Indiquer le jour de la semaine .................... 7 le mois ................................. 7-8 la saison ............................... 8l'année.................................. 8-9 le jour du mois ......................... estimer la durze : a) D'une conversation ...................... 1 12 b )« Depuis les vacances» ................... Î » cc vacances ................... C) Jusqu'aux 12 -Donner l'heure à 2J Inn près...................... Il ressort de ce tableau qu'il y a progrès simultané de la localisation dans le passé et dans le futur, comme l'a remarqué Malrieu (ibid., p. 84). D'autre part, il faut noter que l'enfant s'oriente d'abord dans les activités cycliques qui ont un rapport direct avec le rythme de son existence : avant de s'orienter dans les jours privilégiés de la semaine, nous savons qu'il s'adapte très vite au cycle de chaque journée. Ensuite, c'est en ayant recours à l'organisation de séquences des périodes de temps vécu qu'il conquiert le temps, s'y oriente et localise un moment par rapport aux autres (Farrell, 1953). Dans le temps conventionnel, le tableau montre que son orientation se développe peu à peu entre 6 et 9 a. ; plus tard seulement il est capable d'estimer les durées en unités de temps,
L'HORIZON
TEMPORI;l, _....... _
.......... _
...
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sur lequel nous reviendrons ceci est un autre problème suivants. les chapitres ne se produit des perspectives Ce développement temporelles Par mentales. des activités à de celui fur et mesure qu'au au événement localisation d'un la temps par rapport exemple, est capable l'enfant n'est possible conventionnel que lorsque de deux séries de l'opération par laquelle il réalise la co-sériation la société. celle qu'il vit et celle que lui propose d'événements : ces où commencent de 6 ans, époque Or ce n'est qu'à partir de cette orientation. l'enfant est Avant, capable opérations, que aux autres actes les uns par rapport il ne peut situer ses propres « « ». Il est » et en avant un classement en après simple que par une forte corrélation aient trouvé alors naturel que les auteurs l'orientation du vocabulaire entre la compréhension temporel,
mais dans
aux tests d'intelligence le temps et les résultats générale, ou de débiles d'adultes d'enfants, (Friedman, qu'il s'agisse 1944 ; Buck, 1946 ; Levine M. et Al., 1959 ; Brower et Brower, 1947 ; Johnson, 1964). ne dépendent les perspectives pas temporelles Cependant, aussi li?es à semblent Elles de et de l'âge l'intelligence. que à la capacité la tolérance à la frustration ou, plus explicitement, d'atteindre des satisfactions différées (voir p. 191). Plus l'enfant et une récompense est capable de choisir importante plutôt et ses et différée faible immédiate, plus récompense qu'une et étendues vers l'avenir semblent (Mischel perspectives dans
Metzner, 1962). ne nous apprend Ce type de considérations pas le rôle resSur dans la vie de l'enfant. pectif que j oue le passé ou l'avenir à des généà l'heure actuelle cette question, on en est réduit entre se dégage de la confusion ralités. Au moment où l'enfant un beaule passé et l'avenir, il est manifeste joue que l'avenir conscientes que le coup plus grand rôle dans ses perspectives de ce n'est évidemment même si sa vie que répétiti3n passé, « à a fait et l'école.., Quand j'irai quand appris jusque-là. qu'il d'une les variations 10 ans..., 16 ans » sont 7 ans..., j'aurai « du même thème : tourne autour conversation Quand qui » S'il se penche sur son passé, ce n'est que par je serai grand. mais aux autres, se situer touches brèves, par rapport pour on Chez sans y attacher contre, l'adulte, par d'importance. de l'importance observe avec l'âge une diminution progressive
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attachée à ce qui viendra et une importance accrue de ce qui s'est passé. Au thème de « quand je serai grand, quand je serai marié, quand j'aurai une auto n, succède peu à peu le thème « de mon temps, quand j'étais enfant, quand j'étais jeune... ». Les personnes âgées s'enferment de plus en plus dans un présent qu'elles ne vivent que par référence au passé (Visher, 1947). Cependant, il faut distinguer, avec Kastenbaum (1963), la capacité des personnes âgées à penser le futur et celle d'envisager leur avenir personnel. Ce dernier aspect seulement est modifié par la vieillesse en fonction de la diminution de l'espérance de vie. Ainsi, si l'on néglige de fortes différences individuelles sur lesquelles nous allons revenir, tout se passe comme si l'homme, en se situant dans le temps, compte tenu de l'espérance de vie moyenne, attachait la plus grande importance à la partie la plus longue de sa vie, c'est-à-dire celle qui n'est pas encore vécue quand il est jeune, et celle qu'il a déjà vécue quand il est âgé. Ce point de vue permet sans doute d'expliquer qu'entre 40 et 50 ans, il y ait dans toute vie humaine une période critique, celle justement du milieu de la vie, où on passe progressivement de la jeunesse à la vieillesse avec tous les réajustements des perspectives temporelles que cette mutation entraîne. Cependant, nous avons toujours tendance à situer la vieillesse au-delà de notre âge actuel et notre conception de l'âge chronologique se modifie à mesure que nous vieillissons (M. Wertheimer, 1960). 20
L'INFLUENCE
DE
LA
PERSONNALITÉ
Nous vivons toujours dans le présent, mais il y a deux manières de le vivre. L'une consiste à être coexistant à la situation présente, l'autre au contraire à s'en détacher pour se transporter par l'imagination en un temps qui n'est plus ou dans un temps qui n'est pas encore. Dans ce deuxième cas, le passé ou l'avenir devient un présent vécu. La rêverie, la lecture d'un roman, une représentation cinématographique concrétisent ce genre de situations dans lesquelles nous vivons d'abord dans un autre temps que celui de notre activité présente. Au cinéma, je suis plus dans le temps du film qu'en train d'assister à un spectacle. La pathologie mentale offrirait aisément des exemples extrêmes de telles transpositions. Sans aller jusque-là, chaque instant de notre vie comprend des perspectives temporelles
L'HORIZON TEMPOREL
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telles que la part vécue qui revient au présent, au passé ou à l'avenir varie dans de notables proportions. De là naissent ce que Malrieu a appelé des « attitudes temporelles » que peut atteindre non seulement la phénoménologie du temps vécu, mais aussi l'étude du comportement, car nos actes en définitive en dépendent : « Suivant que nous serons attachés à la vie quotidienne ou à l'avenir individuel, fixés sur la mort, sur le passé ou sur l'avenir humain, nos actes auront une ampleur bien différente » (Malrieu, ibid., p. 22). Ces attitudes apparaissent en chacun de nous à mesure même que nous constituons nos perspectives temporelles, notre temps personnel. L'analyse peut facilement y déceler des influences nombreuses où s'allient à la fois le mode d'aborder la réalité qui dépend de notre tempérament et la manière dont notre histoire personnelle nous a façonnés. Or cette histoire elle-même s'insère dans une culture où les instances temporelles peuvent être valorisées différemment suivant les époques et les civilisations. Malrieu a justement essayé d'opposer les philosophies éternistes qui vouent l'humanité à un effort constant pour façonner un type immuable d'homme, et les philosophies progressistes tendues vers la conquête du temps qui apporte sans cesse quelque chose de nouveau à l'homme. A travers la philosophie, et surtout la littérature, Poulet, dans ses Études sur le temps humain (1950), a montré de façon pénétrante comment d'une époque à l'autre le temps était vécu d'une manière nouvelle et combien d'un individu à l'autre variaient les perspectives temporelles. Nous ne pouvons ni le suivre ni le résumer, mais nous lui emprunterons de nombreux exemples dans notre description des grands types d'attitudes. A côté des analyses basées sur l'observation du comportement, sur les interviews ou sur l'analyse du contenu des propos ou des écrits, les psychologues ont développé ces dix dernières années des méthodes originales pour étudier les perspectives temporelles d'individus ou de groupes sociaux. Nous y faisons de nombreuses allusions dans le texte, mais il apparaît utile de classer ces méthodes en fonction de l'objectif à atteindre. 1° La tolérance à la frustration ou les satisfactions différées. Cet aspect trè? primitif dans le développement de la personnalité semble caractéristique, pour les psychologues, de
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1'5 'y'CIlOLOGlE DU TEMPS
la maturité et, pour les sociologues, d'une bonne intégration dans une société développée. Les techniques utilisées, à côté de l'observation et des questionnaires portant sur les conduites impulsives, les conduites sexuelles, l'usage de l'argent et en où il y a un choix centré sur général sur toutes les motivations immédiate ou différée, ont surtout essayé de une satisfaction Ils sont présentés sous provoquer des conflits chez l'individu. « Préféreriez-vous forme verbale de type projectif. une de suite ou une x tout forte récompense plus récompense (n fois x) dans une semaine ou un mois ? n Surtout avec des on peut concrétiser enfants et des adolescents, le conflit. une une on donne à Après récompense, épreuve qui justifie faible mais immédiate, et une choisir entre une récompense mais différée. Une forme récompense partiplus importante culièrement précise consiste à donner comme récompense des bons qui peuvent être utilisés dans un drug store voisin. La valeur de ces bons augmente avec le temps qui passe (Bialer, 1961). Une autre forme projective consiste à demander au sujet de faire un récit de la manière dont il utiliserait une forte somme gagnée, par exemple, dans une loterie ou reçue en héritage. Enfin, on peut utiliser les protocoles du Thematic Apperd'un contrôle ception Test pour vérifier s'il y a prédominance interne ou d'un contrôle externe sur la conduite (Dounan et Walker, 1956). 20 L'orientation des perspectives De nomtemporelles. breuses méthodes ont été imaginées pour essayer de déceler le rôle relatif du passé, du présent et du futur. Les principales sont les suivantes : a) Faire rédiger une autobiographie passée et future (Israeli, 1936) ; au sujet de décrire dix choses b) Demander il a pensé (ou dont il a bavardé) dans auxquelles suffisamment de détails. On déduit en donnant relatif des items la prédominance de l'une ou l'autre et Kafka, 1952 ; Teahan, 1958). temporelle ((Eson du Les temps (Knapp et Garbutt, c) images auteurs ont choisi des expressions pouvant être
différentes la semaine, du nombre perspective 1958). Ces considérées
L'HORIZON TEMPOREL
193
comme des métaphores du temps. Après avoir éliminé les plus banales et les plus incongrues, ils en ont retenu 25 parmi celles que l'enquête préliminaire avait fait apparaître comme controversées. Le sujet doit alors les classer en cinq catégories, suivant qu'elles lui semblent plus ou moins appropriées au temps. Par une méthode d'analyse factorielle, les auteurs distinguent un premier facteur qui classe les items sur un continuum bipolaire, depuis un train en marche rapide, un cavalier au galop, jusqu'à un océan tranquille ou une grande étendue de ciel et un deuxième où il leur semble voir apparaître trois ensembles, l'un dynamique et vif (préférence pour les items : une chute d'eau rapide, un train rapide, un cavalier au galop, etc.), l'autre naturaliste-passif (une vaste étendue de ciel, des nuages, le rocher de Gibraltar, etc.) et, enfin, un qu'ils qualifient d'humaniste, car les images évoquent l'homme (un chapelet de grains, une chandelle qui brûle, une vieille femme filant, une chanson langoureuse, etc.). Le premier facteur semble le plus intéressant. d ) Le différenciateur sémantique. La technique d'Osgood a été encore peu employée dans ce domaine, mais semble prometteuse. Hariu (1963) a ainsi utilisé le différenciateur sémantique pour caractériser le passé, le présent et le futur et a trouvé des différences importantes. Kastenbaum (1959) a aussi utilisé cette technique avec le mot : mort. 3° L'extension des perspectives futures. a ) Les histoires à imaginer. Leshan (1952) a imaginé de donner une première phrase à partir de laquelle le sujet doit inventer une histoire (ainsi : Pierre pensait à propos de...) et il doit après évaluer la durée du développement de l'histoire. Kastenbaum (1965) a montré qu'en ajoutant un qualificatif affectif à la situation (Jack s'éveillait se sentant merveilleusement bien...), les histoires se référaient plus souvent au passé que si la phrase d'origine était neutre (Jean s'éveillait). 4° Cohérence et densité des perspectives futures. Wallace (1956) a défini un indice de cohérence des perspectives futures en demandant aux sujets : a ) d'indiquer à quel âge 14 événements qui arrivent à presque tous les gens surviendraient ; b) de classer ces 14 mêmes événements dans l'.
FRAISSE
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PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS
l'ordre où ils pourront leur arriver. La cohérence est donnée la corrélation de ces deux séries. par La densité est définie par le nombre d'événements que le dans son avenir ou par le nombre d'identisujet peut prévoir fications à la personnelles que le sujet peut faire en réponse « Que deviendrez-vous ? n (Kastenbaum, 1961). question : * * * Pour
mieux situer les types d'attitudes, il n'est pas mauvais de déterminer est l'attitude la plus commune d'essayer quelle dans notre civilisation et quelle part est faite au présent, à l'avenir et au passé - chez l'adulte du moins. Dans une enquête conduite Israeli (1932) a constaté auprès des étudiants, que le leur fois le futur 1,2 présent apparaissait plus important que et 12,7 fois plus important le Ce résultat semble que passé. dans un présent orienté prouver que nous vivons ordinairement vers l'avenir, mais qui se soucie peu du passé. Une récente recherche de Farber des indications (1953) apporte analogues. Il a demandé à des étudiants américains de classer les jours de la semaine leurs préférences le jour préféré), d'après (1 étant et il a obtenu le résultat suivant : Lundi
Mardi
Mercre3i
Jeudi
Vendredi
Samedi
Dimanche
6,1
5,0
4,9
4,3
2,9
1,5
3,0
il ressort que le samedi est le jour préféré Des commentaires, est d'activités libres (sports, parce qu'il empli spectacles, etc.), mais aussi parce qu'il est vécu dans la perspective d'un jour de Si le lundi est au contraire le jour le moins apprécié, repos. c'est non seulement en fonction des activités qu'il comporte et qui ne sont pas différentes de celles des autres jours de la mais parce qu'il est vécu dans la perspective d'autres semaine, à mesure que l'on avance dans la semaine, les jours de travail ; de moins en moins désagréables selon un jours apparaissent et le vendredi, veille du jour préféré, gradient régulier, paraît aussi agréable Il semble donc bien que les que le dimanche. sont d'al ord relatifs à l'activité sentiments mais forteprésente, ment nuances du la réalité tandis avenir, par proche que le ne semble de rôle essentiel sur la manière d'envipassé pas jouer sager le présent.
L'HORIZON TEMPOREL
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Ces considérations sont renforcées si l'on observe l'attitude de tous ceux qui vivent une période de leur histoire qui a un terme fixé. Soldats faisant leur service militaire, prisonniers dont la peine est à terme, se réveillent chaque matin en comptant les jours qui les séparent de la libération, mais ne font pas grand cas de la période déjà révolue (Farber, 1944). A y regarder de près, toutes nos conduites ont d'ailleurs ce même caractère. Elles sont déterminées par la situation présente et orientées par un but à atteindre. Le passé fournit ses leçons, mais il n'a pas dans la vie quotidienne d'intérêt en lui-même. Notre présent est polarisé vers un futur, proche ou lointain, craint ou désiré. « Notre vie est essentiellement orientée vers l'avenir », concluait aussi Minkowski (1933, p. 279) à partir de ses analyses. Toutefois il ne s'agit là que de la tendance la plus fréquente. Nous allons déceler maintenant, en fonction de la personnalité de chacun, des attitudes vitales qui valorisent de préférence le présent, ou l'avenir ou le passé. Pour les décrire, nous ferons un large appel à la pathologie qui joue en ces problèmes le rôle de miroir grossissant, en exagérant des attitudes qu'un critique attentif comme Poulet a pu déceler chez les écrivains qui ont su exprimer à travers une oeuvres leur propre horizon temporel. A) L'emprise du présent a) Il est des êtres qui ne vivent que dans le présent, simplement parce qu'ils n'ont pas la possibilité d'avoir un horizon temporel. C'est le cas de l'animal. Nous avons vu que le tout jeune enfant était dans le même cas, et le débile mental qui n'a pu se construire ni passé ni avenir n'échappe pas lui non plus au présent. « Il ne voit que la jouissance du présent, le reste se trouvant pratiquement en dehors de son appréciation o (Minkowski, ibid., p. 335). Mais il est d'autres êtres qui vivent principalement dans le présent parce que leur horizon temporel s'est très notablement rétréci. Cette involution peut avoir des causes multiples et des aspects très divers. Les maniaques, selon l'analyse de Minkowski (ibid., pp. 275276), sont justement des malades chez qui le contact avec la réalité présente est bien conservé, o mais c'est uniquement un contact instantané » sans que cet instant s'inscrive dans un
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horizon temporel. Ces malades sont hypersensibles aux sollicitations du monde extérieur : « Un objet sur lequel tombe leur regard, une inscription, un bruit contingent, une parole qui résonne par hasard à leur oreille sont de suite englobés dans leurs dires... ils expriment leurs perceptions par des paroles et se trouvent entraînés ensuite, sans but, par la stimulation créée ainsi » (I?raepelin, cité par Minkowski). Leur vie dans le présent est évidemment très pauvre -- comme celle en un sens de l'animal ou du débile - car ils sont le jouet du ccmaintenant » toujours variable, changeant d'un instant à l'autre. Le seul enseignement qu'ils nous offrent est négatif : ils manifestent que la vie dans le présent n'a de richesse et d'efficience qu'au sein d'une organisation qui intègre les leçons du passé et qui appelle l'avenir à répondre aux sollicitations du présent. L'euphorie du maniaque est liée à ce rétrécissement de son horizon temporel : ni le poids d'un passé, ni l'incertitude de l'avenir ne viennent influer sur l'humeur qui dépend étroitement du présent. Le grand âge, lorsqu'il s'accompagne d'un affaiblissement intellectuel, estompe à sa manière les perspectives temporelles qui se sont développées avec l'intelligence. Le vieillard ne songe plus à l'avenir et ses représentations du passé s'effacent. « Cette impuissance de l'anticipation et cette imperfection de la rétrospection conditionnent une insouciance qui n'est pas de l'indifférence, mais de la sérénité... L'existence d'un détachement si complet du passé et de l'avenir, des êtres et des choses, avec conservation de l'adaptation au présent n'est peut-être que l'aboutissement normal de la mentalité humaine, quand l'organisme, épargné par la maladie, subit l'épuisement de l'âge » (Minkowski, ibid., pp. 340-41, d'après Courbon, 1927). Ce dernier cas diffère cependant de celui des maniaques en ce que le présent garde une consistance et une orientation. Ce sont seulement les perspectives temporelles à long terme qui se sont évanouies. b ) En dehors de ces exemples où l'emprise du présent résulte d'une sorte d'impuissance à envisager les perspectives temporelles, il est d'autres cas où le rétrécissement de l'horizon temporel au seul présent est le fruit des processus de défense de l'individu contre les dangers qui proviennent du passé ou de l'avenir et qui semblent menacer son intégrité.
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Il est vraisemblable que beaucoup d'enfants délinquants, par exemple, sont sous l'empire de motivations qui ne permettent pas de supporter le poids de la frustration que comporte la lente réalisation d'un projet. Ce trait se révèle dans les recherches de Barndt et Johnson (1955), qui ont trouvé que les histoires imaginées par des garçons délinquants se déroulaient dans une étendue temporelle plus courte que celles d'adolescents du même âge, de même niveau intellectuel et de même statut socio-économique, et dans les recherches de Mischel (1961) sur l'impulsivité des délinquants. Dans la même perspective et en étudiant des adolescents manquant de stabilité émotive, Levine et Spivack (1959) ont démontré qu'il y avait une relation entre l'étendue de l'horizon temporel et la capacité de sacrifier une satisfaction immédiate à un but plus lointain, résultat retrouvé par S. L. Klineberg (1963). Complémentairement, on trouve que chez des délinquants soumis à une psychothérapie, les perspectives temporelles (évaluées par le T.A.T.) vers le passé et surtout vers l'avenir, s'allongent par comparaison avec un groupe contrôle (1). La description qu'a faite Baruk de malades, anciens déportés victimes pendant la guerre de persécutions raciales, permet de saisir un mécanisme de ce refuge dans le présent : « Ces sujets, ballottés, opprimés, menacés sans cesse, terrorisés, placés souvent devant un avenir en apparence fermé et sans espoir, ont fini par prendre l'habitude de ne plus penser à l'avenir et d'étouffer aussi dans leur mémoire le souvenir de leurs années passées. Ils ne vivent plus que dans le présent et ont aboli la continuité du passé vers l'avenir. Cette fixation de toute l'orientation psychologique dans le seul présent a des conséquences considérables. Elle fait disparaître l'impression du but et de la finalité de la personnalité ainsi que la notion de la valeur même de cette personnalité » (1952, p. 13). Sans avoir sombré dans la maladie, (1) Si on comparedes enfantsde 10-12ans internesd'institutsmédico-pédagode 13-16ans, internes giquesà la suite de troublescaractérielset des adolescents d'unétablissement deréadaptationscolaire,onconstatequel'inadaptationaugmente l'orientationversl'avenirchezlesjeunesenfantset qu'ellela diminuechezlesadolescents(par référenceà des enfantsbienadaptés). Cecis'expliqueraiten distinguantle type d'orientationversl'avenir,qui serait de l'ordre du désirchezl'enfantet de l'ordredu projet chezl'adolescent.Ainsi, l'inadaptation,chezl'enfantde 10ans,entraîneraitl'évasiondansle futur.Un sens plus aigudu réel,chezl'adolescent,entraîneraitau contrairecommeconséquence de l'inadaptationun rétrécissement de l'horizontemporel(S. L. Klineberg,1963).
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tous les prisonniers et déportés ont éprouvé ce besoin de se protéger plus ou moins consciemment contre un passé dont les souvenirs heureux auraient amolli leur résistance de chaque instant et contre l'évocation d'un avenir dont l'incertitude aurait été un élément supplémentaire de découragement. Dans leur cas, la pression vient des circonstances extérieures. Chez les névrosés, elle naît souvent de leurs propres conflits. Le temps peut être alors un mécanisme de défense qui permet d'isoler le moi de ses traumatismes ou de ses pulsions en créant un intervalle (Fenichel, 1953, 1, p. 193). Ce mécanisme peut jouer dans des sens différents suivant la direction d'où vient la menace. Cette dernière peut surgir du présent et le malade chercher refuge dans le passé, par exemple ; elle peut aussi - et c'est le cas qui nous intéresse ici - surgir du passé et, dans des névroses obsessionnelles, pousser à se réfugier dans le présent. Les malades ainsi atteints s'efforcent de séparer un passé pénible ou menaçant du présent. Tel malade, par exemple, peut devenir ponctuel pour éviter la ruée des instincts et surmonter la crainte de perdre son intégrité, ou pour se garder des « mauvais désirs ». Pour ne pas être submergé par son inconscient, tel autre s'efforce de ne pas perdre son temps et trouve une sécurité dans ce contact avec lui-même et le monde des objets (Dooley, 1941). « Aussi longtemps que les obsédés réussissent à régler leur vie sur des horaires, ils sont sûrs de ne pas commettre les péchés redoutés et aussi longtemps qu'ils savent à l'avance ce qu'ils feront, ils peuvent surmonter la crainte provoquée par leurs tendances à faire ce dont ils ont peur » (Fenichel, ibid., I, p. 346). Rousseau, selon l'étude de Poulet, prendrait place parmi ceux qui se réfugient dans le présent par défense contre un futur redouté. Son imagination déréglée lui peignait en effet d'avance le futur comme ne pouvant être que malheureux. « Mon imagination effarouchée qui ne me fait prévoir que de cruels avenirs... », écrivait-il dans les Confessions. L'élan vers l'avenir qui était si fort en lui devenait donc comme « un élan vers le malheur », et il cherchait son bonheur dans l'intensité des sentiments et des sensations du présent. « Mon cœur, uniquement occupé du présent, en remplit toute sa capacité, tout son espace » (Confessions, cité par Poulet, p. 171). De son attitude on peut rapprocher celle de Benjamin Constant, lui aussi en quête du bonheur : « C'est la réaction du
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passé et de l'avenir sur le présent qui fait le malheur. Dans ce moment, je ne souffre point... Ce que j'ai souffert n'est plus, ce que je souffrirai n'est pas et je m'inquiète et je me tourmente, je me crève pour ces deux néants-là !... Quel sot calcul !... Mieux vaut profiter de chaque heure, incertain qu'on est de l'heure qui suit » (cité par Poulet, p. 218 et p. 223). Sa conclusion est logique, bien qu'en fait son inquiétude l'empêchât de s'y tenir. Cette attitude, variante du carpe diem épicurien, est évidemment une des lignes de recherche de l'homme qui se satisfait de se sentir vivre, lorsque le présent le blesse moins qu'un passé chargé de souffrances ou de remords et qu'un avenir angoissant par son indétermination même. c ) Chez d'autres êtres, la double perspective temporelle peut s'effacer, non par souci de se protéger de l'avenir et du passé, mais simplement parce que le présent a en eux une résonance privilégiée. A en croire Heymans et Le Senne, ce serait même un trait de caractère : la primarité qui s'opposerait à la secondarité et qui, au point de vue qui nous intéresse, se définirait par le retentissement des impressions sur notre vie. « L'homme primaire vit dans le présent, se renouvelle avec lui : la primarité est une fontaine de Jouvence. Au contraire le secondaire amortit le présent comme par la force d'un volant, par une structure qui le leste, en opposant à l'événement actuel la répercussion d'une multitude d'impressions passées d'a.illeurs inégalement opérantes » (Le Senne, Traité de caractérologie, 1945, p. 89). Selon l'enquête statistique d'Heymans et Wiersma, les traits caractéristiques de l'individu primaire sont entre autres : agit en vue de résultats immédiats ; - immédiatement réconcilié ; - vite consolé ; - désireux de changements ; Tandis que le secondaire est : - homme d'habitude ; - longtemps sous une impression ; - - attaché aux vieux souvenirs ; - constant dans ses affections ; en vue d'un avenir lointain. - agit
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Le primaire apparaît ainsi comme un homme qui se renouvelle avec les changements mêmes de la vie, sans que pèsent sur ses décisions et ses sentiments présents, ni un passé qui obsède, ni des projets qui enchaînent. La situation présente a pour lui une importance majeure, non pas qu'il n'ait pas de perspectives temporelles, mais parce que celles-ci n'ont pas de retentissement en lui (1). De cette âme qui, dans la jouissance du moment présent, oublie « et ce qui a précédé et la préoccupation de ce qui va suivre », A. de Vigny a fait un portrait saisissant : « ... Caméléon perpétuel, elle finit par n'être ni heureuse ni malheureuse, c'est seulement une flamme qui ne s'allume qu'au mouvement des autres, et par elle-même, n'ayant plus de vie, demeure incapable d'être et ne méritant plus qu'on compte sur elle plus que sur une bulle de savon toujours emportée par le vent et coloriée par les objets qu'elle rencontre. » A ce portrait, il oppose l'âme « attentive à la fois aux trois points de l'existence, le passé, le présent, l'avenir, ne cessant de revoir ce qui a été et l'évoquant par la mémoire, de considérer ce qui est en le contemplant par le jugement, de conjecturer les probabilités de ce qui sera par l'imagination soumise aux calculs de la raison et aux lois de la volonté » (Journal, cité par Poulet, pp. 263-264). Être ainsi la proie du présent est sans rapport avec le fait d'être présent à une situation qu'il faut assumer. Les travaux d'Heymans et Wiersma nous épargnent cette confusion. Ils montrent que ce sont leâ actifs, par opposition aux non-actifs, qui sont les plus présents à leur travail et les moins distraits. Mais ce trait est sans rapport avec la primarité, donc avec le plus ou moins de retentissement qu'ont le passé et les plans lointains sur le présent vécu. En résumé, ou bien les perspectives temporelles peuvent être absentes par suite d'une défaillance congénitale ou pathologique, ou bien elles sont dévalorisées par ceux qui en redoutent (1) Paulhana décritdes êtresqu'il appelleles« présentistes » qui se caractérisent r ar la « prédominance excessive,dansl'esprit,de l'état mentaldu moment» résulte,dit-il,« de la faiblesse,de l'absence, (l52i, p. 193).Cetteprédominance du retard, de l'insuffisancedu contrôle ;les tendancesqui devraientl'exercer danssonesprit,nes'oppose n'entrentpasen activité»(1924,p. 193).Leprésentisme, car desreprésentations pas aufuturismeou au passéisme, présentessurgiesde notre dans passéou relativesà des projetsd'avenirpeuvents'imposerimpérativement lemomentprésent.Cesêtresontun trait en communl'expérience : passéene contrôle pasleursréactionsprésentes.
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la menace, ou bien enfin, quoiqu'actuelles, elles sont pratiquement sous-estimées parce que le retentissement des impressions présentes les submerge : autant de manières très différentes de limiter le temps vécu aux seuls changements du présent. Que tous les individus dont nous venons de parler soient normaux (les enfants, les primaires, les vieillards) ou qu'ils soient malades (les débiles, les maniaques, les obsédés), on ne peut s'empêcher de penser qu'il leur manque une certaine richesse humaine. Ils sont le jouet de changements incessants. A travers eux, nous apercevons ce que doit être une véritable maîtrise du temps : elle exige de l'homme un regard qui couvre à la fois toute l'expérience acquise dans le passé et tous les plans de l'avenir prévisible. N'est-ce pas tendre vers le plus haut niveau de cette fonction du réel qu'a si souvent invoquée P. Janet pour décrire la santé mentale ? B) L'emprise du passé ou de l'avenir Limiter son horizon temporel pour le réduire au seul présent est sans doute négliger une partie du réel. Cependant cette conduite exige encore d'affronter la situation actuelle. Lorsque cet affrontement paraît dépasser nos forces, il nous reste à nous réfugier dans des situations où nous trouverons avec moins d'effort une réalisation de nos désirs. Le passé et l'avenir où nous ne pouvons vivre qu'en imagination nous offrent justement une évasion de ce genre. Dans la rêverie comme dans le rêve, nous sommes délivrés de la pression du présent et les désirs tendent à se satisfaire au moyen de fantasmes (Bergler et Roheim, 1946). Dans la fatigue, la psychasthénie, en général dans les maladies mentales, on observe ce refuge qu'offrent les rêveries. Elles sont le plus souvent des rétrospections, parfois des anticipations, et permettent des satisfactions qu'interdit le présent. Si on admet qu'est temporel ce qui est soumis au devenir de la réalité, on peut dire que ces rêveries sont intemporelles et par suite reconnaître avec Freud et de nombreux psychanalystes qu'elles sont une irruption de l'inconscient, lui aussi intemporel. De toute manière, elles sont une fuite de la réalité présente. Dans les cas cités précédemment, il y avait fuite du présent vers le passé ou le futur ; mais on peut rencontrer des malades
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qui ne peuvent se fixer au présent, non parce qu'ils le fuient, mais parce que, le plus souvent, l'emprise du passé est trop grande. C'est le cas d'un remords lancinant. En somme, ce qui compte pour un individu, c'est le poids relatif qu'ont, à un moment donné, passé, présent et avenir. Ou bien il fuit une situation intolérable, passée, présente ou future qui l'amène à se réfugier dans un autre temps ; ou bien il subit l'emprise du passé, du présent ou du futur, de telle sorte que les autres aspects de la réalité lui sont masqués. Ces phénomènes que nous allons étudier sous la loupe de la maladie, nous en faisons tous l'expérience peu ou prou. Quand le travail est trop difficile, l'enfant rêve à une satisfaction passée ou future. Des sentiments de culpabilité, des frustrations antérieures nous détournent des tâches présentes comme des préoccupations d'avenir. En revanche, la présence à l'actuel marque toujours un retour à un équilibre de la personnalité. Volmat (1956, pp. 167-169) a remarqué que les malades mentaux peignaient rarement des scènes qui soient en relation avec le contenu de leur maladie, tandis qu'il y avait réactualisation de leurs conflits à partir du moment où leur état s'améliorait. De même dans les guérisons après leucotomie, de nombreux auteurs ont observé que les opérés devenaient à nouveau plus présents. Petrie (1952) les a interrogés systématiquement dans la perspective où nous nous plaçons, et il a constaté que le nombre de ceux qui étaient plus satisfaits du présent, ou inversement de ceux que le présent ne rendait plus si malheureux, augmentait avec la guérison. « Ainsi, dit-il, après leucotomie nous avons le portrait d'un individu qui est plus absorbé par le présent et qui y vit plus heureux qu'avant son opération, qui tend à laisser le passé derrière lui et qui est plus rassuré quand il considère le futur. Ceci fait un contraste avec son état avant l'opération qui tendait à être orienté vers le passé et qui était très mécontent du présent » (ibid., p. 30). Ce résultat, notons-le, ne contredit pas une autre observation souvent faite chez ces opérés : ils manifestent un certain désintérêt pour le futur qui n'est pas la perte d'une aptitude à prévoir, mais une diminution de la capacité d'effort par laquelle est justement atteinte la représentation conjointe des perspectives temporelles (Porot, 1947 ; Jones, 1949). Il s'agit bien là d'un déficit, mais qui a été leur salut en les délivrant de l'angoisse du passé ou de l'avenir.
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Si les difficultés présentes nous rejettent vers le passé ou l'avenir, il faut souligner qu'en général la fuite n'est pas possible à la fois vers l'une et l'autre de ces perspectives. Celles-ci sont en effet antithétiques dans leur signification et toujours relatives l'une à l'autre : là où l'avenir se ferme, le passé prend une importance démesurée, à moins que ce ne soit l'emprise du passé qui fasse perdre de vue l'avenir. Nous envisagerons donc successivement les deux directions dans lesquelles l'homme peut s'orienter hors du présent. a) La fuite vers l'avenir. - Normalement, la vie présente est orientée vers l'avenir qui donne un sens à notre action. Cependant, le futur est plus ou moins important, suivant la liaison qu'il entretient avec l'activité présente. Il peut en être le but, il peut aussi n'être qu'évasion, s'il provoque une anticipation trop exclusive de ce qui n'est pas encore. C'est une pareille attitude que peignait Montaigne : « Nous ne sommes jamais chez nous ; nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est » (Essais, cité par Poulet, ibid., p. 3). Le jeune Vigny disait de lui-même : « Je ne fais rien, comme vous pensez, que rêver à quelques projets pour l'avenir », et ce propos, qui pourrait être banal de la part d'un jeune homme, prend tout son sens, si on le compare au suivant : « J'ai toujours eu un tel effroi du présent et du réel dans ma vie... » (cités par Poulet, ibid., pp. 249 et 248). P. Janet aurait été enchanté par cette liaison qu'établissait Vigny entre le présent et le réel. Elle est significative. Un tel effroi entraîne-t-il un risque pour la santé mentale ? En général, non. Perrette, comme beaucoup d'enfants, peut oublier qu'elle a un pot au lait sur sa tête et danser de joie à la pensée de ses bonheurs futurs : les dommages sont rarement très grands. Cependant, les châteaux en Espagne de nos rêveries impliquent à la fois que la situation présente ne nous absorbe pas et que nous sommes peu sensibles aux leçons du passé, ou encore que nous les nions. A la limite, ils sont un signe pathologique. Nina, cette malade dont Pichon (1931) nous a raconté l'histoire, offre précisément l'exemple d'une névrose qui se traduit par une fuite en avant. Son enfance avec un père brutal a été malheureuse et l'a jetée dans la prostitution. Ce passé,
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elle le refuse. Mariée, elle cache à son mari qui étaient ses parents et elle refoule ses souvenirs d'enfance. Dans son mariage, elle n'a pas trouvé le bonheur. Elle « n'a pas su accepter un certain bât que la réalité lui imposait et qui la blessait ». Sa névrose se traduit par de la frigidité, mais Pichon remarque aussi - point qui nous intéresse surtout ici - « qu'elle verse dans les idées dites avancées et hante tous les milieux pacifistes, internationalistes, féministes, naturistes... De même que son passé individuel, elle refoule le passé collectif de la société à laquelle elle appartient ; des traditions et des moeurs des générations antérieures, rien ne doit subsister, d'où son appétit systématique de tout ce qui a couleur de nouveauté et de révolution ». Le souhait « que ça change » naît sans doute toujours d'une insatisfaction présente, mais aussi du sentiment que l'avenir peut engendrer autre chose que le passé. Il n'y a rien là que de sain ; le déséquilibre s'introduit seulement au moment où nous n'agissons plus pour réaliser cet avenir en fonction du réel mais où nous nous réfugions dans une fabulation rêvée ou même agie. Toutefois, cette attitude revêt rarement la gravité des états qui naissent quand l'avenir apparaît bouché. La fuite en avant manifeste encore cette « force psychologique » qu'Eysenck considère comme la composante conative de la personnalité. b) Le retour au passé. - Le passé est immanent au moindre de nos actes. Sans cesse notre action présente tient compte de toute l'expérience dont nous sommes enrichis. Mais le rôle du passé, comme celui de l'avenir, varie selon la valeur même qu'on lui accorde. On peut simplement l'utiliser pour réaliser un avenir qui sera une nouvelle conquête de l'être ; on peut, au contraire, s'y référer comme à une norme. L'avenir ne se ferme pas du même coup mais il ne détermine plus le présent comme une cause finale. Le présent est au contraire déterminé par le passé. Le drame racinien nous offre un excellent exemple d'une telle attitude. Il « se présente comme l'intrusion d'un passé fatal, d'un passé déterminant, d'un passé cause efficiente dans un présent qui cherche désespérément à s'en rendre indépendant ». Les tragédies de Racine sont celles de la fidélité. « Fidélité à la haine comme dans La Thébaïde, fidélité à l'amour
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comme dans Andromaque, fidélité à la coutume comme dans Bérénice, fidélité au sang comme dans Phèdre... » (Poulet, ibid., , pp. 106-107). Cette fidélité implique de resituer sans cesse le présent et les perspectives d'avenir par rapport au passé. Les conceptions religieuses, c'est le cas de Racine, ou philosophiques peuvent y avoir leur part. Souvent aussi, le milieu social joue son rôle. L'individu des classes supérieures, celui qui appartient à une « famille », a été habitué dès son jeune âge à se penser comme le membre d'une lignée. Son souci principal est de respecter les traditions, de tenir son rang (1). L'éducation, en général, peut aboutir au même résultat en créant un fort « sur-moi » qui valorise les impératifs du père et de la mère ; le tempérament y joue également son rôle et la secondarité est faite justement du retentissement dans le futur des événements passés. Souvent, cependant, l'être humain n'est rejeté vers le passé que parce que l'avenir semble se fermer pour lui. Les causes peuvent être multiples : l'âge évidemment, mais aussi la maladie, des échecs intérieurs ou sociaux. L'avenir ne semble plus pouvoir créer une situation nouvelle qui l'arracherait à la fatalité. Tout est déterminé par le passé et le désespoir le guette. Chez les malades dépressifs, ces perspectives deviennent tragiques : comme l'a analysé Straus (1928), plus l'avenir leur est fermé et plus ils se sentent liés au passé. Souvent d'ailleurs l'avenir semble négatif parce qu'il recèle une menace. Minkowski (ibid., p. 174) a publié l'observation de ce malade qui attendait un châtiment atroce de ses « crimes ». On couperait bras et jambes aux siens, lui-même subirait le même sort ; mutilé d'une façon épouvantable, il devrait vivre avec des fauves dans une cage ou avec des rats dans les égouts. Alors « il sent les journées se succéder dans leur uniformité et dans leur monotonie ; il sent le temps s'écouler et s'en plaint : « encore une journée de « passé », geint-il. Aucune action, aucun désir ne se dessinent qui, (1) Ceportraitest plus saisissantsi on l'opposeà celuides individusd'autres milieux.Dans les classesmoyennes,l'individuest surtout orientévers l'avenir. Toutesa jeunesse,on lui répète :« Penseà ton avenir», alorsqueles exhortations au filsde famillesontfaitessurle ton de l'antienne «: Quediraitta grand-mère»? Les membresdu sous-prolétariat n'ont au contraireni passéni avenir.Ce qui compteest de vivre au jour le jour, sansrespectni d'un passéqui n'inspirepas d'attachement,ni d'un avenirtrop incertain(l,eslian,1952).
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en émanant du présent, s'en iraient vers l'avenir, par-dessus la succession de journées grises et semblables ». Chez d'autres malades, c'est la peur de vieillir qui concrétise la menace de l'avenir. Christine, cette malade de Kloos (1938), en offre un exemple. A 30 ans, elle se plaignait de vivre comme si l'avenir n'existait pas. Elle ne pouvait y penser et se sentait vide et sans vie. Par contre elle pouvait se rappeler le passé, mais tout lui apparaissait vide, froid et pâle. Ces malades savent qu'il y a un futur, comme l'ont souligné entre autres Straus et Kloos, mais il ne représente plus rien pour eux. Il ne joue plus d'autre fonction dans leur vie que celle de les rejeter vers le passé et souvent de leur donner une conscience accrue du changement quotidien, justement parce que celui-ci n'a plus d'autre sens que d'être un pur changement, comme le serait le pas d'un homme qui marcherait sur place. Ainsi notait une mélancolique : « Maintenant, pendant que je parle avec vous, je pense à chaque mot prononcé : « passé, passé, passé »... Quand les autres parlent... je n'arrive pas à comprendre comment ils peuvent parler si calmement, sans se dire constamment : maintenant je parle, cela dure tant et tant de temps, puis je ferai cela et cela, et cela durera soixante ans, ensuite je mourrai, d'autres viendront après, puis d'autres encore, ils vivront aussi longtemps, à peu de chose près, que moi, ils mangeront et dormiront comme moi et cela continuera ainsi sans aucun sens pendant des milliers et des milliers d'années » (Gebsatel, cité par Minkowski, 1933, pp. 280-281). Le refuge dans le passé apporte-t-il une raison de vivre ? la désorganisation Certes pas dans les cas pathologiques : engendrée par la maladie ne le permet pas. Il est pourtant un exemple célèbre d'un être qui s'est sauvé en se situant dans son passé. Parti à la recherche du temps perdu, Proust est sans doute la proie de l'angoisse, cel'angoisse de l'être qui, se trouvant dans une existence que rien ne justifie, incapable de se découvrir une raison d'être, incapable du même coup de rien trouver qui lui garantisse la continuation de son être, éprouve simultanément l'horreur du futur qui le change, le mépris du présent qui s'avère impuissant à le fixer et le besoin de se sauver coûte que coûte de son atroce contingence en retrouvant dans le passé le fondement de cet être qu'il est et que pourtant il n'est plus » (Poulet, ibid., p. 371). Mais Proust a su donner à cette angoisse
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une valeur dans la mesure où cette quête du passé est devenue le but de sa vie. c) Le refuge dans l'intemporel. - Ce panorama des attitudes temporelles ne serait pas complet si nous ne faisions allusion aux êtres chez qui toutes les perspectives temporelles semblent disparaître parce qu'ils ne se situent plus dans le changement. S'ils peuvent encore constater la succession des événements qui les assiègent, ils n'en ressentent pas le dynamisme parce qu'ils ne sont plus capables d'en faire la synthèse (Baruk, ibid., p. 34). Du même coup, tout semble s'immobiliser en eux. Ils ne vivent ni dans le passé, ni dans l'avenir, mais dans l'intemporel, ou, si cette expression semble équivoque, dans un présent statique, qui néglige autant l'actuel que ce qui n'est plus ou ce qui sera. Leur exemple témoigne clairement que notre obscur sentiment du temps et les perspectives où il nous engage naissent précisément d'une assimilation des changements dans lesquels nous vivons. Nous-mêmes pouvons en faire l'expérience lorsque nous essayons de nous abstraire du monde extérieur par la réflexion ou la contemplation. On sait que les tempéraments schizothymiques y sont prédisposés. Mais cet « autisme » de l'être normal est riche et réversible. Au contraire, chez les schizophrènes, « le contact vital avec la réalité » est perdu, comme conclut l'analyse de Minkowski (ibid., p. 266), et leur expérience a la pauvreté d'une désintégration. Vinchon (1920) avait signalé cette transformation du présent en une éternité. Mais c'est Minkowski qui en a apporté des exemples saisissants. Citons pour décrire ces troubles quelques propos empruntés à ses propres observations ou à celles qu'il rapporte de Fischer (1929). « Je tends au repos et à l'immobilisation. J'ai aussi en moi la tendance à immobiliser autour de moi la vie... Le passé c'est le précipice, l'avenir c'est la montagne... faire des mouvements en cercle pour ne pas s'éloigner de la base, pour ne pas se déraciner, voilà ce que je voudrais » (ibid., pp. 261-262). « Que le temps passe et que les aiguilles tournent, je n'arrive pas à me le représenter très bien. Parfois, quand, dehors, au jardin, ils courent rapidement de long en large ou que le vent fait bien tournoyer les feuilles, je voudrais à nouveau vivre comme avant et pouvoir courir intérieurement avec eux, pour que le temps passe à nouveau. Mais là je suis
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arrêté et cela m'est si indifférent... je me cogne seulement le nez contre le temps » (Fischer F., cité par Minkowski, ibid., p. 268). « La pensée se tenait immobile, oui, se tenait immobile, comme si le temps n'existait plus. Je m'apparaissais à moimême comme un être intemporel parfaitement clair et limpide en ce qui concerne les relations de l'âme, comme pouvant voir son propre fond. Comme une formule mathématique... En même temps, j'entendais dans le lointain une musique silencieuse... Tout cela dans un flux incessant et continu de mouvement, ce qui contrastait d'une façon particulièrement saisissante avec mon propre état d'âme... Moi, j'étais comme coupé de mon propre passé. Comme si cela n'avait jamais été ainsi, à tel point cela était comme des ombres. Comme si la vie ne faisait que commencer maintenant » (Minkowski, ibid., p. 269). Les propos de ces sujets sont une transcription symbolique des troubles de leur expérience du temps. Ceux-ci ne sont pas sans conséquence sur leurs comportements. Minkowski les caractérise en parlant « d'actes sans lendemain, d'actes figés, d'actes a court-circuit, d'actes ne cherchant point à aboutir » (ibid., p. 264). Incapables d'assurer dans leur vie le synchronisme entre les changements intérieurs et les changements extérieurs, leur comportement se réfugie dans un immobilisme qui correspond bien à l'emprise que le spatial exerce jusque dans leurs pensées (géométrisme, réification) (1). La même cause peut produire un effet inverse chez d'autres malades. Pour essayer de reprendre contact avec cette réalité changeante qui leur échappe, ils bourrent le temps de leurs projets ou de leurs actes avec le souci de ne pas perdre une seconde. Ils ont « tendance à remplir complètement jusqu'aux bords le temps comme un simple contenant, d'idées ou d'actions (1) M. Bonaparte(1939)a tenté d'expliquertes troublestemporelsdes schizophrènespar une destructiondes« diguesentre le préconscientet le conscient» assezavancée« pour permettrede monter,du tréfondsinconscient,une nappe d'intemporalitésuffisantà submergerquasi totalementle sens de la durée,du temps» (p. 78).Cettehypothèserejointet complèteà notre avis l'interprétation la rupturequi s'est produiteentrelui et son de Minkowski. Chezle schizophrène, milieule livre à ses fantasmesintérieursqui sont en effetintemporelspuisqu'ils ne sontpas soumisà la loi du changementqui gouvernele mondeet toute penséc quis'y incarne.Il est trèsexactquele sensdu tempsn'existeques'ily a soumission au réel.
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établies d'avance » (Minkowski, ibid., p. 264). Parfois, ils sont obsédés par les montres ou les horloges auxquelles ils s'accrochent, car il leur semble que s'ils s'en détachent le temps s'anéantit (Fischer, 1929 et 1930). Ces analyses ont été recoupées par des recherches d'un autre type. Au lieu d'en appeler aux impressions vécues des schizophrènes, on a tenté de mesurer l'extension de leur horizon temporel en faisant appel à leur imagination. Ainsi, on a demandé à un groupe de malades de cette sorte, hospitalisés, mais assez coopératifs, d'indiquer dix événements qui leur arriveraient dans le reste de leur vie en précisant chaque fois la date. L'extension médiane de leurs prévisions est de 12 ans tandis que celle d'un groupe contrôle de malades hospitalisés pour des atteintes non psychiatriques (ayant même âge et même niveau mental) est de 36 ans. Plus révélatrice est encore l'épreuve où on leur demande d'imaginer des histoires du type suivant : « En se réveillant, Bill se met à penser au futur, il espère que... » L'extension temporelle des histoires des schizophrènes est en moyenne de 9 mois, celle des malades du groupe contrôle de 4 ans (Wallace, 1956). * * * En envisageant les distorsions extrêmes de l'horizon temporel, nous avons été mieux à même de comprendre à quel point chaque homme a des perspectives qui lui sont propres. Une multiplicité de facteurs les détermine : nous avons souligné les principaux, c'est-à-dire l'âge, l'éducation reçue, la situation sociale, et aussi le tempérament et la structure mentale. Ces données s'imposent à chaque instant à l'individu. Elles jouent leur partie dans le jeu, et composent nos attitudes à l'égard des instances du temps. Mais d'autres facteurs, proprement psychologiques, interviennent également : par eux s'élaborent les processus dynamiques grâce auxquels nous assurons l'intégrité de notre moi. Nous valorisons les situations qui peuvent nous procurer le plus de satisfaction ou nous promettre la plus grande sécurité. Or, de ce point de vue, passé, présent et avenir n'ont pas la même portée. Il résulte en effet de nos analyses que l'attitude normale de l'homme étant orientée vers l'avenir, cette attitude, même poussée à l'extrême, devient 14 r, r.Hmss?
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P,?l'(,'IIOLOGIE DU TEMPS
difficilement pathologique. Sa logique implique toujours un effort créateur. L'orientation vers le présent est également privilégiée : exigeant de toujours tenir compte des données d'une situation, elle est essentiellement attention au réel. Au contraire, le refuge dans le passé ou la chute dans l'intemporel sont des attitudes faciles parce qu'elles refusent d'affronter le réel. Elles traduisent une grande faiblesse psychologique. Bien entendu, ces perspectives ne sont jamais exclusives l'une de l'autre. Telles qu'elles sont, il est permis d'en dessiner la hiérarchie, dont les critères sont l'équilibre et l'efficience des conduites humaines.
CHAPITRE
VII
L'ESTIMATION DU TEMPS
Chaque changement nous incite à agir. Tant que nos réactions sont déterminées par les seules situations présentes, la durée, c'est-à-dire en première analyse l'intervalle qui sépare deux changements l'un de l'autre, n'est pas une variable de notre action. La durée perçue fait seule exception, puisqu'elle s'inscrit dans le cadre du présent psychologique (voir chap. III). La durée ne devient une réalité psychologique qu'au moment où l'action présente n'engendre pas sa satisfaction immédiate. Alors la phase actuelle du changement (subi ou effectué) ne fait qu'annoncer un autre changement qui, lui, correspondra à l'attente présente. Ainsi, la durée compte pour le chien qui entend un son, signal d'une nourriture qui n'apparaîtra que dans quelques minutes, ou pour le rat qui doit attendre l'instant propice pour passer d'une grille à une autre, éviter les chocs électriques et parvenir à sa récompense (chap. II). L'être humain prend conscience de la durée dans les mêmes conditions. Tant que nous ne vivons qu'en fonction des situations présentes, il n'y a que des « maintenant o sans durée. Il nous arrive assez souvent de vivre quelques minutes et parfois quelques heures sans avoir aucune conscience de la durée, sans penser qu'il s'écoule du temps jusqu'au moment en général où les exigences sociales nous obligent à nous resituer dans le temps. Nous savons alors qu'il s'est écoulé une durée, mais nous n'en avons eu aucune expérience (1). (1)« On ne peut pas direde l'expériencedu temps,qu'ellesoitune expérience primitive.C'est celledu présent,c'est-à-direl'expériencede l'Etre ; et le temps n'est qu'un ordreque nousintroduisonsentre les modalitésde l'Etre. Maisc'est une expériencequi est elle-mêmedérivée elle : est un produitde la réflexion.A chaqueinstant,ellenousquitteet nousobligede la ressusciterlorsquenousapprenonsà distinguer,dansl'êtreoù nouspensionsêtre établi,desmodalitéspassagères. cequinousmanqueoucequinousfuit...Quandletempsestrempliparnotreactivité. il noussembleque nousne sortonspas du présent» (Lavelle, 1945,pp. 235-236).
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TEMPS
Il faut, en effet, distinguer notre expérience de la durée de notre connaissance de la durée telle qu'elle est sous-jacente au développement de notre horizon temporel. Je puis me représenter des événements passés, savoir de combien de temps ils sont antérieurs au jour que je vis et cependant ne pas avoir une expérience de la durée qui m'en sépare, sauf si le regret par exemple de ce qui a été et un désir de le ressusciter me fait prendre conscience de cet intervalle. Je puis de même imaginer le futur, mais tant que je ne désire ou ne crains ce futur, je n'ai pas non plus une expérience de la durée. Lire un roman de science-fiction, par exemple, implique la conscience d'une différence entre l'état du monde d'aujourd'hui et celui de l'avenir, mais sans que la durée entre ces deux états intervienne d'une manière vécue. De même, dans l'action, je peux tenir compte de ce qui vient de se passer, prévoir ce que je vais dire ou faire à l'instant suivant, mais ces références, tant qu'elles sont les composantes de mon action présente, n'entraînent pas de conscience de la durée. Il en est tout autrement si, obligé de faire une tâche monotone, j'évoque le plaisir que j'aurais à m'en affranchir et à faire autre chose. L'expérience de la durée naît chaque fois que la situation présente ne fait que nous renvoyer à une autre situation qui n'est plus ou qui n'est pas encore. Ce renvoi implique que, pour quelque raison, nous ne sommes pas comblés par le présent. Le temps oppose une barrière à nos désirs. En prenant conscience de la durée, nous prenons conscience d'une résistance. Dans durée, il y a dur, et le verbe endurer rapproche ces deux significations. Or, cette résistance se manifeste sous la forme d'un état affectif que traduit le jugement de valeur que nous attribuons à l'obstacle. Aussi bien cette prise de conscience s'exprime-t-elle toujours sous forme qualitative. Nous prenons conscience du temps quand il nous paraît court ou long et le plus souvent long. Nous croyons saisir une réalité alors que nous prenons seulement conscience de notre propre réaction. Nous rejoignons ainsi l'analyse de P. Janet pour qui la durée est d'abord un sentiment, puisqu'il est « une réaction à l'exécution de l'acte » (1928, p. 53). La conscience d'une durée peut également naître de la conscience des changements qui s'y sont déroulés. En effet,
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plus les changements qui nous séparent d'un moment passé ou à venir sont nombreux, plus la durée de l'intervalle ainsi évoqué nous paraît longue. Il y a là une appréciation directe de la durée qu'il ne faut pas confondre avec les évaluations de nature proprement métrique. Ces dernières sont toujours indirectes, qu'elles soient dues à des horloges naturelles ou faites de main d'homme ou que nous considérions simplement la quantité de travail produit (chemin parcouru, nombre de pages lues, de pièces manufacturées, etc.). Au regard de ces mesures, le nombre des changements appréhendés nous permet d'apprécier la durée selon un mode intuitif. Ce caractère intuitif explique assez que les appréciations ainsi obtenues restent fort imprécises. Elles jouent cependant un rôle important dans notre vie. Les nécessités pratiques nous invitent, en effet, quotidiennement à mesurer le temps. Or, les véritables moyens de mesure ne sont pas toujours à notre disposition ; ils manquent à peu près complètement au jeune enfant. D'où le recours à ces critères - imparfaits certes, mais qui surgissent de notre expérience la plus intime - que sont les sentiments de temps et la conscience des changements vécus. A travers ces deux grands types d'informations, nous allons voir comment se constitue l'estimation du temps. 1 LES SENTIMENTS DE TEMPS Quelle heure est-il ? » est la question la plus fréquente que nous posons spontanément. En général, elle ne traduit que la nécessité de synchroniser notre activité avec celle de nos semblables, que ce soit pour la nourriture, le travail ou les loisirs. Elle n'implique en elle-même aucune prise de conscience de la durée entre deux événements ; cependant nous avons l'habitude d'utiliser les réponses à ces questions sur l'heure comme repères utiles au calcul des durées. Parfois cette même question : ?c Quelleheure est-il ? » trahit. au contraire le désir ou la crainte de voir se terminer la période présente et de se retrouver dans un autre temps. Dans ce cas, elle naît de la conscience de la durée.
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PSYCHOLOGIE
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Le cas où nous prenons le plus manifestement conscience de la durée est celui de l'attente. Il v a attente les circonsquand tances un délai entre la naissance d'un besoin et sa imposent satisfaction. Mais tout n'entraîne délai pas une conduite d'attente. Autre chose est d'attendre suivante pour la semaine l'arrivée d'un être cher, autre chose d'être sur le quai de la gare dans l'attente est réeldu train. Dans ce dernier cas, l'attente à lement une conduite l'excellente spécifique qui correspond définition de P. Janet est une (ibid., p. 141, 1928) : « L'attente active de les deux l'action stimulations, régulation qui sépare l'une préparante l'action et l'autre déchaînante, et qui maintient entre les deux à la phase de préparation ou à la phase d'érec» Cette tion. à essayer, dans la active consiste régulation mesure du possible, de supprimer ne l'attente. Le jeune enfant sait pas attendre, ce qui est la source de beaucoup d'impatiences et de caprices. Il n'apprend à supporter l'attente qu'à mesure émotive devient et Orsini, que sa stabilité plus grande (Fraisse on trouve trace pendant l'attente 1955). Même chez l'adulte, de ces anticipations de ce qui doit arriver (on se lève pour aller ce qui va arriver, ce qu'on va dire, etc.). voir, ou on se représente En apprenant à différer nos réactions, à endurer le c'est-à-dire nous l'intervalle nous conscience de délai, prenons qui sépare du terme attendu. Ce serait selon d'auteurs, même, beaucoup Le temps ne serait « à l'origine, en quelque l'expérience originale. conscient entre le besoin et sa satisfacsorte, que l'intervalle tion » (Guyau, ont retrouvé 1902, p. 34). Les psychanalystes cette origine en se l'appropriant. Les uns lient cette expérience au stade oral, d'autres au stade anal. Ils confirment seulement réactions à une frustration émotives immédiates qu'à des font place peu à peu des anticipations de plus en plus concepoù apparaît et la distinction entre le manque t.ualisées, présent la satisfaction future (Wallace et Rabin, 1960). Au lieu d'être l'intervalle entre l'éveil d'un désir et sa réalile être l'obstacle sation, pour temps peut qu'il faut vaincre est continuer la tâche entreprise alors que l'impulsion initiale S'il a finir. encore c'est celle d'en attente, épuisée. y Malgré des termes, il vaut mieux distinguer cette conduite, l'analogie de continuité, de l'attente que .Janet a appelée l'effort proprement dite. Le temps à vaincre est celui de la durée de l'acte tel qu'il doit être exécuté pour atteindre l'objectif désigné
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par les impératifs sociaux : finir sa soupe, ses devoirs, sa journée de travail. De la différence entre le résultat actuel et celui qu'il faut réaliser, naît la conscience de la durée qu'exprime l'enfant par sa plainte : « C'est long. » La langue allemande a le mot Langeweilepour exprimer le sentiment d'ennui qui naît d'une situation à laquelle on ne peut se soustraire, mot qui signifie justement long-temps. « Laconsciencedu temps, sous sa forme la plus pure, pensait Lavelle, c'est l'ennui, c'est-à-dire la conscience d'un intervalle que rien ne traverse ou que rien ne peut combler » (1945, p. 236).
P. Janet allait même jusqu'à estimer « que le commencement de la durée, le premier acte qui est fait relativement à la durée, c'est l'effort de continuité » (ibid., p. 55). Les conduites d'attente sont cependant, génétiquement, antérieures aux efforts de continuité. Ceux-ci exigent une conformité aux normes sociales qui apparaît postérieurement à la dualité du désir et de sa satisfaction. Ils traduisent une maîtrise de soi encore plus grande que la réaction différée. Quoi qu'il en soit, l'attente et l'effort de continuité sont les deux situations principales où apparaît spontanément la conscience de la durée. Or, dans les deux cas, elle est la conséquence d'une insatisfaction. Ainsi, le sentiment le plus primitif de la durée naît d'une frustration d'origine temporelle : d'une part, le moment présent ne nous procure pas la satisfaction de nos désirs, d'autre part il nous renvoie à un espoir futur (fin de l'attente, de l'acte commencé). Tant que cette frustration pèse sur nous, elle se traduit, entre autres, par une prise de conscience de l'obstacle, c'est-à-dire de l'intervalle temporel. D'où cette conclusion inattendue : au moment où le temps devient une réalité consciente, il apparaît comme étant trop long. « En fait, on ne trouve au temps une longueurque lorsqu'on le trouve trop lottg » (Bachelard, 1936, p. 48). Ce paradoxe car il est au coeur doit retenir notre attention des problèmes de l'estimation de la durée. Comme le confirme naissant au la formule de Bachelard, la conscience du temps du même coup je moment où celui-ci m'oppose une résistance, suis porté à le surestimer. D'autre part, le simple fait que la suffisur l'intervalle frustration attire mon attention temporel rait à entraîner sa surestimation. Wundt (1886) a fait l'analyse de heureusement de ce phénomène que Katz (1906) a formulé
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la manière suivante : « Chaque fois que nous portons notre attention sur le cours du temps, il semble s'allonger. » Nous verrons pourquoi dans la deuxième partie de ce chapitre. Dans l'attente et dans l'effort de continuité, les deux phénomènes : surestimation affective de l'obstacle et attention accrue à tous les changements qui séparent du terme, se renforcent l'un l'autre. N'y a-t-il pas pourtant des cas où le temps nous paraît trop court ? A suivre nos premières analyses, on pourrait penser que le temps apparaîtra trop court dans l'attente craintive de ce qui va survenir : une extraction dentaire, une séparation. Dans ce cas, le temps n'est plus une distance à combler le plus rapidement possible, mais au contraire un intervalle à maintenir. Cependant cette situation ne s'oppose pas symétriquement à la précédente. Si l'on regarde les choses de près, la conscience du temps naît du même mouvement dans l'attente de l'événement redouté que dans l'attente d'une satisfaction à venir : nous prenons conscience d'un intervalle entre le moment présent et un certain moment de l'avenir. La crainte de voir finir cet intervalle introduit un état de malaise qui l'apparente à l'insatisfaction observée dans le premier cas. Par le fait même, elle l'impose à notre attention. Et nous rejoignons ainsi l'analyse selon laquelle le temps paraît toujours long lorsque nous y faisons attention. La complexité des impressions vécues apparaît encore davantage, si nous distinguons deux types d'attente dans la crainte : celle où nous craignons la fin d'une situation agréable et celle où nous redoutons un événement futur. Dans le premier, le temps nous paraît long, mais nous souhaitons qu'il soit encore plus long. Si nous accompagnons à la gare un être cher, les minutes qui nous séparent du départ du train nous paraissent longues (attention à chaque parole, chaque geste, à tout ce qui semble annoncer le départ) et en même temps nous imposent le sentiment qu'elles sont trop courtes par suite de l'attitude affective qui voudrait repousser l'inéluctable. « Je dis à cette nuit : sois plus longue », soupirait Lamartine, mais cette nuit a dû lui sembler longue, même dans son bonheur, parce qu'il avait justement trop conscience du temps qui passait. Comme nous le verrons bientôt, elle ne lui aurait semblé vraiment très brève que s'il ne s'était pas préoccupé du temps, c'est-à-dire d'un après. Binet (1903) a observé une malade qui, lorsqu'elle ne
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dormait pas assez la nuit, se croyait obligée de rester alitée le lendemain. Dans la nuit, pendant ses insomnies, elle trouvait le temps trop court parce qu'elle craignait toujours de ne plus disposer avant le matin des heures de repos indispensables. De même, dans l'attente d'un événement désagréable, le temps nous paraît long parce que nous y portons notre attention ; cette impression est renforcée par un effet de contraste : au fond, nous souhaitons qu'il soit plus court. Nous désirons en effet que ce qui est craint se produise le plus vite possible pour faire cesser une tension qui devient d'autant plus forte et d'autant plus insupportable que le moment fatal se rapproche. Autrement dit, nous voudrions « en avoir fini ». Cette attitude qui peut paraître paradoxale est confirmée par une expérience de Falk et Bindra (1954). Ils ont demandé aux sujets de produire plusieurs fois une durée de 15 s en appuyant sur un bouton pendant ce temps. A la fin de leur estimation, les sujets du premier groupe entendaient un son, ceux du deuxième groupe recevaient un choc électrique. Les résultats montrent que les seconds produisent une durée plus courte (c'est-à-dire qu'ils surestiment par rapport aux premiers la durée produite, alors que la crainte du choc aurait pu leur faire retarder ce terme désagréable). Donc, de ces situations d'attente, ne naît jamais le sentiment immédiat du trop court. Le temps nous y apparaît toujours long, mais ce sentiment peut se surcharger de souhaits de voir l'attente se prolonger ou se terminer qui ne sont plus relatifs à la prise de conscience proprement dite de la durée. * * * Cette analyse des situations où naît le sentiment d'une réalité temporelle peut être confirmée par une contre-épreuve : l'étude des cas où nous n'avons pas l'impression qu'il s'est écoulé du temps. Car nous avons souvent ce sentiment. Nous savons que l'horloge a tourné, mais nous n'en avons nulle conscience. Quand cela se produit-il ? La règle suivante peut être formulée : la durée ne nous devient pas spontanément sensible lorsque notre présence à la situation actuelle est totale, c'est-à-dire lorsque nous ne sommes reportés en aucun autre temps de l'action par une exigence née de nos besoins ou des nécessités sociales. En d'autres termes, les sentiments de temps ne se mani-
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festent pas lorsque nous sommes pleinement satisfaits de la situation présente. Les jeunes enfants nous donnent l'exemple d'une vie presque toujours absorbée par ce qui arrive. Leurs changements de comportement sont en quelque sorte synchronisés avec les sollicitations impératives de l'ambiance. Nous faisons une expérience semblable lorsque nous vivons une journée très occupée, comportant une variété d'obligations qui s'imposent sans que nous ayons le loisir de penser ou de désirer autre chose. « Nous continuons à vivre dans le temps pour quelqu'un qui nous observe du dehors et qui a conscience lui-même de cet intervalle ; mais là où cette conscience n'est plus, quand nous ne pouvons pas opposei à l'idée de ce qui est l'idée de ce qui a été ou de ce qui sera, c'est le temps lui-même qui s'évanouit, comme cela arrive sans doute dans ces formes d'existence parfaitement dispersées qui sont, si l'on peut dire, en dessous de la temporalité » (Lavelle, ibid., p. 166). Mais comme Lavelle, excellent observateur, le fait remarquer immédiatement, ce n'est que du point de vue des objets que ces vies sont dispersées, car chez le sujet, il y a à chaque instant une forte concentration de l'attention qui explique l'harmonie entre son devenir et celui du monde. Que cette concentration soit due au pouvoir des situations elles-mêmes ou à la force d'une motivation qui se réalise pleinement dans le moment présent, elle produit les mêmes effets. L'enfant au jeu, l'amoureux dans ses transports, l'écrivain à son ouvrage, tous, pendant de longs moments, n'ont pas conscience du temps. Le fait a souvent été observé, mais pas toujours bien interprété, faute de distinguer suffisamment nos modes d'adaptation à la durée. Pourquoi, par exemple, l'écrivain ne prend-il pas conscience du temps ? Nous le supposons entièrement absorbé par sa tâche, ce qui signifie qu'il n'éprouve pas au moment où il écrit le désir de faire autre chose (de manger, d'aller faire une course) ou simplement de cesser son activité par suite de la fatigue (1). Mais cet intérêt exclusif n'empêche pas qu'il ait conscience des changements qui se produisent, ne serait-ce que du nombre de feuillets qu'il a écrits. Ces changements lui fourniront - s'il en est besoin - quelques (1)« Centmilleansde méditationscommecentmilleansde sommeiln'auraient durépournousqu'uninstant,sansla lassitudequi nousinstruità peu prèsde la longueurde la contention» (Diderot,cité par Poulet,1953.p. 201).
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repères pour apprécier la durée écoulée ; par eux-mêmes ils ne font pas surgir de sentiments de temps, ceux-ci ne dépendant que du rapport entre le sujet et son activité. Dire, comme on l'écrit souvent, que le temps ne nous dure pas quand nous sommes heureux, c'est faire une analyse juste mais insuffisante. Satisfaction et non-conscience de la durée sont deux effets concomitants d'une activité exactement adéquate à la motivation présente. Inversement insatisfaction et sentiment de la durée sont l'une et l'autre conséquences d'une frustration. Cette adéquation de la motivation à l'activité présente existe à des niveaux d'activité très différents. Elle est caractéristique des vies les plus équilibrées et des plus hautes activités manuelles, intellectuelles ou sociales. Mais elle peut se rencontrer aussi à de bas niveaux d'activité : ainsi, lorsque nous substituons à la situation objective, au réel au sens fort du terme, une réalité subjective de type imaginaire. C'est le cas de la rêverie. Certes, nous savons que la rêverie elle-même est le plus souvent le fruit d'une frustration, d'une fuite devant un réel trop difficile à maîtriser. Mais une fois que l'individu a rejoint ce plan d'activité inférieure, il peut y trouver une réalisation qui, au moment même, le satisfasse pleinement. Il est bien connu que dans la rêverie le temps ne dure pas, moins encore que dans une activité d'un plus haut niveau où peut toujours se glisser quelque difficulté. La même expérience se produit tous les jours dans la somnolence de l'endormissement ou du réveil. Quelque idée vagabonde occupe tout notre champ de conscience et nous sommes très surpris, lorsqu'une horloge sonne dans le lointain, de constater qu'il est si tard dans la nuit ou dans le matin. Nous n'avions pas pris conscience de la durée (Thury, 1903). La possibilité de se réfugier dans la rêverie explique aussi le fait que les tâches monotones apparaissent comme relativement brèves à de nombreuses personnes. Les tâches monotone' sont les plus propices à engendrer l'ennui, sentiment qui naît. de la non-coïncidence de deux durées, celle du travail, lent et fastidieux et celle de notre esprit qui se voudrait ailleurs (Pucelle 1955, p. 20). Et l'ennui s'accompagne toujours d'un sentiment de la lenteur des changements, donc du temps qui s'écoule. Or, les tâches dites monotones n'apparaissent telles qu'à une
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25 % d'après fraction des ouvriers de l'industrie, Viteles (1952). Parmi les 75 % qui n'en souffrent trouver pas, certains peuvent dans ces tâches une satisfaction mais il paraît à peu suffisante, ce qui en s'en évadant, près certain s'y adaptent que d'autres est assez facile dans la mesure où ces tâches ne requièrent que des automatismes 1930) (1). (Lossagk, En il est de des mêmes partant principes, possible les sentiments de durée ou comprendre qu'éprouvent que malades mentaux. P. Janet a décrit n'éprouvent pas certains ces idiots et déments dans les asiles des journées qui restent sans rien faire, mais qui ne paraissent et chez pas s'ennuyer rien ne déceler aient un sentiment du de qui permet qu'ils temps. Il exprime de même son étonnement devant les asthéniques rester couchés sans voir personne qui peuvent pendant longni trouver le temps long. « Ces personnes, temps sans s'ennuyer elles n'aiment dit-il, ont perdu les sentiments ; rien, ne détestent elles vont jusqu'à indifférents, rien ; les objets leur apparaissent dire qu'ils sont irréels. » Une de ces malades disait : « Les objets « C'est très m'environnent sont irréels mais elle », qui ajoutait : » -ce les ne durent drôle, Qu'est que cela veut journées plus dire ? - « Eh bien, disait-elle, constate je qu'il est le soir, je telle et constate heure fois cela que l'horloge marque chaque » me surprend ne s'est rien le matin écoulé parce qu'il depuis les impres(ibid., p. 50). Les propos de cette malade rappellent sions que nous éprouvons au moment de l'endormissement. L'affectivité est très réduite, et ce qui prédomine, c'est ce que les sentiments du vide. Ne désirant Janet rien, les appelait ne peuvent souffrir de frustration, et en particulier asthéniques de frustration aucun sentiment de la durée n'aa temporelle ; donc l'occasion de naître. Les troubles des schizophrènes sont susceptibles temporels de la même interprétation. Nous avons vu au chapitre précédent, le problèmes de lerrr horizon en examinant temporel, qu'ils (1) Les études qui ont été faites sur les ouvriers sujets à l'ennui dans les tâches monotones de l'industrie confirment nos analyses sur le sentiment de temps. Pour eux, plus l'ennui croît et plus le temps paraît long (Burton, 1943). En souffrent le plus les individus les plus intelligents : il est probable qu'ils ne peuvent trouver leur satisfaction dans des tâches routinières (Viteles, 1952). L'ennui frappe aussi des ouvriers actifs que ces tâches ne « prennent » pas assez, ou encore ceux qui sont en général mécontents de la vie et qui ont une tendance à l'inquiétude et à l'agitation. Ces derniers sont prédisposés à ne pas se satisfaire de tâches monotones et aussi sans doute de tout autre travail régulier (Smith, 1955).
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semblaient vivre dans l'intemporel. Ce dont ils se plaignent en particulier est d'avoir perdu le sentiment du temps. « Le temps pour moi, c'est quelque chose de vague. Je sais bien lire l'heure, je sais par exemple quand c'est midi, etc., mais je n'ai pas la notion du temps. Mon esprit voyage ailleurs. Je ne sais jamais depuis quand je fais telle ou telle chose... » (Halberstadt, 1922). « La montre marche exactement comme avant. Mais je ne veux plus la regarder, cela me rend triste. Que le temps passe et que les aiguilles tournent, je n'arrive pas à me les représenter très bien. » « La pensée se tenait immobile, oui, tout se tenait immobile, comme si le temps n'existait plus. Je m'apparaissais à moimême comme un être intemporel » (Fischer, cité par Minkowski, pp. 268-269). L'explication de Minkowski selon laquelle leur dynamisme vital serait atteint rend parfaitement compte de ces propos. Comment ces malades pourraient-ils sentir que le temps leur oppose un obstacle, puisqu'ils sont dominés par le sentiment de l'immobilisme ? Ils ne connaissent qu'une activité autistique où la réalisation de leurs désirs n'est pas limitée, donc où ils ne rencontrent pas le temps (Vinchon, 1920 ; Minkowski, ibid., pp. 265-266). Si on examine d'ailleurs ces malades, on voit qu'ils continuent à s'adapter aux changements périodiques, qu'ils perçoivent le temps exactement (Fraisse, 1952), qu'ils sont capables même de faire des estimations temporelles relativement correctes (Clausen, 1950). Sans doute certaines études ont-elles noté chez eux quelque difficulté à ordonner plusieurs événements, surtout quand ceux-ci ne sont pas contigus dans le temps comme mardi, vendredi, samedi (de La Garza et Worchel, 1956), mais ce qui semble électivement atteint en eux est le sentiment du temps (Zeitgefühl) et non leur horloge physiologique (Zeitsinn) ou leur notion de temps (HoranyiHechst, 1943). En résumé, l'étude des diverses circonstances où se manifestent les sentiments de temps permet d'affirmer que ceux-ci ont leur origine dans la prise de conscience d'une frustration que nous impose le temps. Ou bien il impose un délai à la satisfaction de nos désirs présents, ou bien il nous oblige à prévoir
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la fin de notre bonheur actuel. Le sentiment de la durée naît ainsi de la confrontation de ce qui est et de ce qui sera, c'est-àdire de l'intervalle qui sépare deux événements. Là au contraire où nous trouvons - à un haut ou à un bas niveau d'activité la réalisation intégrale de nos désirs dans le moment présent, nous n'éprouvons pas le sentiment que le temps dure. Certes, dans la vie courante ces moments ont une durée limitée, car la fatigue ou simplement la lassitude entre rapidement en conflit avec la motivation qui commande l'activité ; plus souvent encore la nécessité de tenir compte des cadres sociaux nous interdit de nous laisser entièrement absorber par un travail, si facile et attachant soit-il. Cependant, à des heures privilégiées, nous pouvons avoir l'impression de devenir indépendants du temps parce que nous vivons corps et âme au rvthme des changements actuels. II L'APPRÉCIATION DE LA DURÉE Notre expérience quotidienne montre à l'évidence que nous sommes infirmes dans l'appréciation de la durée. Il est difficile d'estimer depuis combien de temps je suis à table, je travaille, je marche, je lis, etc. Sans pendules et sans montres, nous commettons des erreurs grossières. Cependant nous ne cessons d'apprécier la durée de nos activités ; même quand nous pouvons les mesurer objectivement, nous aimons confronter notre estimation intuitive aux mesures. Sur quels indices sont fondées nos appréciations du temps ? Avant d'aborder ce problème essentiel, il est nécessaire que nous nous interrogions sur les formes que revêtent ces appréciations et sur leur valeur respective. Cette introduction méthodologique permettra de mieux situer les travaux que nous pourrons invoquer. 10
LES
MODALITÉS
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DE
LA
DURÉE
Nos appréciations peuvent revêtir cinq formes : a) Nous nous contentons souvent d'exprimer notre estimation par des jugements absolus : « c'est long », « c'est court ». Comme tous les jugements absolus, ils ne sont en r, alité que
L'ES1'IMA'l'ION I)U TEMPS
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des comparaisons implicites. « C'est long » exprime notre appréciation de la durée vécue par rapport à quelque étalon. Celui-ci nous est fourni par la prévision que nous avons de la durée prola fois bable de l'action entreprise (1), prévision qui d.'pend de nos habitudes (la durée moyenne d'un repas) ou de notre désir d'en voir arriver le terme rapidement ou non. Nos évaluations sous cette forme sont évidemment très influencées par les sentiments de temps qui peuvent naître de l'action. Il est d'ailleurs manifeste que ce mode d'appréciation apparaît génétiquement le premier. L'enfant trouve long de marcher ou de manger sa soupe. Cette méthode n'est guère utilisable pour des recherches empiriques, mais elle rend très bien compte de nos sentiments du temps. b ) La méthode de comparaison consiste à comparer l'une par rapport à l'autre deux durées successives. Nous l'employons dans la vie de tous les jours lorsque nous disons, par exemple, « le trajet m'a semblé plus long qu'hier n. Cette méthode a été standardisée par la psychophysique. Elle est séduisante, mais elle a l'inconvénient de faire intervenir de grosses erreurs de position temporelle (time error, particulièrement sensibles pour les durées brèves. Si les durées sont longues et si les intervalles entre les reproductions sont notables, interviennent alors les déformations mnémoniques du temps (voir p. 248). les c ) Parfois nous essayons d'évaluer quantitativement durées en utilisant les unités conventionnelles de temps, minutes et heures (en l'absence évidemment de toute horloge). Ce mode d'évaluation n'est possible qu'après une longue éducation qui provient de l'usage répété des montres et des pendules, mais il reste toujours imparfait, car ces unités n'ont pas de réalité sensible, et ne donnent pas naissance à des images. Je puis me représenter un mètre non une minute : je ne puis qu'essayer de reproduire une durée semblable. En évaluant le temps, nous essayons donc de traduire plus ou moins imparfaitement une appréciation subjective (2). (1) Nousentendonsactionau sensle plus généraldu mot. L'action,c'est ce que nousfaisons,et nousagissonsdu matin au soir.Regarder,écouter,attendre sont des actionsau mêmetitre qu'écrire,se promener,fabriquerquelquechose. (2) L'emploides unitésconventionnelles précisesreprésenteun grandprogrès sensiblecommecellesutilisées par rapportà l'emploid'unitéstiréesde l'expérience lesindigènesparlentpar exemple par certainespeupladesindigènes.A Madagascar, de la duréed'une«cuissonde riz»,cequi veutdireunedemi-heure environ(d'aprfKlineberg,1957).
221,
l'SS'Gtl(1LUG11?: DU TEMPS
Cette méthode d'estimation par une traduction en unités de temps est celle que nous employons le plus volontiers, car elle nous fournit des renseignements qui se rapprochent des informations fournies par les montres. Elle est aussi la plus utilisée dans les études expérimentales parce qu'elle est la plus pratique. d ) Nous pouvons traduire notre appréciation du temps par une reproduction,. Le sujet qui a eu une impression de durée en exécutant une tâche est invité à produire une durée équivalente soit en travaillant pendant le même temps, soit en délimitant par deux signaux, l'un au début, l'autre à la fin, une durée équivalente. Cette méthode a l'avantage de ne pas faire appel à des unités abstraites. Nous ne l'employons évidemment guère dans la vie courante où elle ne serait d'aucune utilité : par contre, son usage est fructueux dans les études expérimentales. e) On peut utiliser enfin dans les études expérimentales la méthode de production. Elle consiste à demander de faire quelque chose pendant une durée exprimée en unités de temps ; écrire pendant une minute par exemple. Ces méthodes ne sont pas équivalentes. On peut le vérifier en utilisant - avec prudence - la technique des corrélations. Clausen (1950) avait trouvé que les résultats obtenus par la méthode de reproduction et par celle d'estimation avaient une corrélation nulle. Dans une étude très systématique, et en utilisant cinq valeurs de durées allant de 21 à 45 s, nous avons trouvé les corrélations suivantes sur 22 sujets (Fraisse et coll., 1962). Entre reproductionet estimation r .17 7 Entre reproductionet production r = – .100 Entre estimation et production r = - .37 La seule corrélation significative est celle entre estimation et production, épreuves qui font toutes deux intervenir nos appréciations subjectives des unités temporelles. Le caractère négatif de la corrélation ne doit pas nous tromper. A une surestimation dans l'estimation correspond une production plus courte et le caractère négatif tient uniquement à ce que la corrélation est calculée sur des valeurs brutes et non sur des pourcentages de sur et de sous-estimation. Des résultats du même ordre ont été retrouvés par Warm, Morris et Kew (1963).
L'ESTIMATION DU TEMPS
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Sur des durées plus courtes (inférieures à 4 s), les corrélations sont nécessairement plus fortes (- .78 entre production et estimation ; + .42 entre reproduction et production, d'après Hawkes, Bailey et Warm, 1961). * * * Tous ces modes d'appréciation restent très imparfaits. Les erreurs commises sont grandes, même sur les petites durées (de l'ordre de quelques secondes à quelques minutes). Bourdon (1907), qui utilise la reproduction, estime qu'elles atteignent 20 à 25 %, lorsque les durées s'étendent de 9 à 25 s et 33 % pour 76 s. Woodrow (1930), par la même méthode, mais en faisant reproduire 50 fois de suite le même intervalle, trouve une variabilité de 17 % entre 6 et 30 s. Pumpian-Mindlin (1935), par production, estime l'erreur à 25 % en moyenne pour des durées de 30 s à 10 mn (1). Gilliland et Humphreys (1943) en combinant les résultats des trois méthodes (reproduction, estimation et production), calculent que le pourcentage d'erreurs diminue, avec l'allongement de la durée, de 28 % pour 14 s à 18 % pour 177 s. Ces derniers auteurs ont aussi trouvé que l'erreur était moindre par la méthode de reproduction que par celle de production, et par celle-ci que par celle d'estimation. Nous avons trouvé dans la recherche citée plus haut (Fraisse et coll., 1962) des résultats du même ordre. La variabilité inter-sujets et intra-sujets (fidélité) est la plus forte par la méthode d'estimation. Voici d'ailleurs l'ensemble des résultats pour les moyennes des écarts types d'appréciation de durées de 21 à 45 s : 1 Intcr-sujets l Intra-sujets 1 Reproduction...... Estimation........! Production........
13,8 °/, 35,1 23,5 -
1 ,
20,9 28,7 18,8 -
Les valeurs rapportées par les auteurs peuvent varier considérablement avec la nature et le plan de l'expérience. (1) Tous ces résultatsmontrentque la loi de Webersembles'appliqueraux duréesrelativementbrèves. P.
FRAISSE
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
Doehring (1961), par la méthode de reproduction, trouve pour des durées allant de 0,5 à 8 s une « consistance » des réponses qui varie de 20 à 50 % en combinant variabilité inter et intrasujets. Il faut d'ailleurs distinguer soigneusement en ce domaine erreurs et variabilité. En effet, dans chaque méthode, chaque sujet semble avoir une échelle propre d'appréciation de la durée qui lui permet une relative fidélité de ses appréciations, tandis que d'un sujet à l'autre les différences peuvent être considérables (Myers, 1916 ; Korngold, 1937 ; Harton, 1939 ; de Rezende, 1950 ; Eson et Kafka, 1952). Moins les unités de temps jouent un rôle dans notre appréciation de la durée et plus nous sommes précis. Les différences observées sont beaucoup plus sensibles chez les enfants ou chez les malades mentaux, surtout lorsqu'ils présentent des déficits intellectuels plus ou moins prononcés. Kohlmann (1950) a fait estimer des durées diverses allant jusqu'à 3 mn par la méthode d'estimation et par celle de reproduction. Les erreurs relatives de dix adultes normaux s'étendent, suivant les sujets, de 12 à 28 % par reproduction, et de 30 à 78 % par estimation. Dans un groupe de douze malades mentaux, comprenant des cas de tumeurs cérébrales, de schizophrénie et de démence sénile, les erreurs par reproduction s'échelonnent de 18 à 108 % et par estimation de 47 à 432 %. Les cas extrêmes, quelle que soit la méthode, sont évidemment ceux de déments séniles. Le sens de l'erreur commise varie, comme nous le verrons plus loin, avec la nature de la tâche dont on évalue la durée. Elle est aussi fonction des conditions de l'expérience : lorsque, dans le cours de la même expérience, on évalue les durées différentes, on surestime les courtes et on sous-estime les plus longues par suite du développement d'une tendance centrale (Fraisse, 1948 ; Gilliland et Humphreys, 1943 ; Clausen, 1950). Il s'agit là d'une loi générale qui se manifeste aussi dans le cas des durées perçues (chap. V, p. 126). Ces indications sur les méthodes et les variabilités des résultats montrent que l'analyse des facteurs et des lois de l'appréciation de la durée ne peut être qu'assez délicate. Les études basées sur la méthode de reproduction sont les plus solides, mais elles ne permettent d'explorer que de courtes durées. La méthode d'estimation rend possible la comparaison
L'ESTIMATION
DU
TEMPS
227
des durées mous avons
différentes de plusieurs tâches apparentes puisque vu que chaque semble avoir une échelle personne assez fidèle. elle ne seule, subjective Cependant, employée ou sous-estimé permet pas de conclure que le sujet a surestimé une durée, c'est-à-dire de savoir s'il a trouvé le temps long ou court. heure a duré 80 mn ne Qu'une personne juge qu'une signifie pas forcément que cette heure lui a paru fort longue ; tout dépend de l'emploi fait des unités de temps. Par qu'elle la des estimations d'un même a un contre, sujet comparaison certain sens, dans la mesure où elles se réfèrent à un modo grosso même étalon. Ce qui compte donc, c'est moins le chiffre absolu de l'estimation à une autre que sa valeur relative par rapport estimation. 20 LES
CRITÈRES
DE L'APPRÉCIATION
DE LA DURÉE
Nos appréciations de la durée varient en fonction beaucoup des situations sont donc les facteurs concrètes. Quels qui déterminent ces variations ? sur trois sortes Nous estimons la durée en nous fondant mais dont certaines nous sont d'indications, déjà connues, est utile de rassembler dans une même des qu'il perspective : informations basées affectives et c'est-à-dire directes, métriques, sur le nombre des changements vécus. A) Les
appréciations
de type
métrique
Par expérience, directes nous savons que nos appréciations de la durée sont très imprécises ; le plus aussi essayons-nous souvent un instrument de mesure du temps. d'utiliser Horloges et montres nous fournissent le moyen idéal. Le calcul du déplade l'aiguille nous offre cement dotée d'un mouvement uniforme une indication aucun rapport avec notre qui n'a évidemment vécue. Le processus les mesures d'ordre expérience rappelle les positions de l'aiguille suffit d'observer spatial, puisqu'il à mesurer avec le début et la fin de la période qui coïncident calcul la mesure le soit Certes, pour que possible. proprement dite du temps mais la notion d'un temps suppose homogène, nous laissons provisoirement de côté cette question VIII, (chap. p.
267). Quand
nous
n'avons
pas
de montres,
nous
essayons
de les
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS
remplacer. Pour les longues durées, nous pouvons utiliser les horloges naturelles, estimer par exemple la longueur du déplacement du soleil ou des ombres portées ; nous avons aussi à notre disposition tous les changements périodiques que nous pouvons dater, y compris ceux de notre organisme. Il est un autre moyen pratique de mesure qui est une application du principe des montres. Ce dernier consiste à mesurer un déplacement de vitesse uniforme. Certes, ce déplacement a été étalonné par rapport au nycthémère mais tout autre déplacement peut jouer un rôle identique. En effet, de deux déplacements à vitesse uniforme, on conclut aisément que le plus long a duré le plus longtemps. Une mesure proprement dite est même possible si l'unité de déplacement a été étalonnée par rapport à une montre. Nous savons ainsi qu'un piéton de force moyenne qui a parcouru 5 km a marché 1 h. A partir de l'espace parcouru, nous pouvons donc apprécier la durée. Il en est de même à partir de tout travail accompli par une machine ou par l'homme, dans la mesure où le travail a une certaine homogénéité et se compose d'unités quantifiables. Le nombre de pages écrites, la longueur de la tranchée creusée, la quantité de pièces fabriquées sont donc susceptibles de fournir des bases à la mesure du temps. Certes, moins les unités de temps sont déterminées, plus leur nombre est difficile à estimer et plus la mesure devient imprécise. Nous préférons alors parler d'appréciation ou d'estimation du temps ; il s'agit pourtant essentiellement d'une mesure qui utilise un calcul plus ou moins explicite, et qui, comme toute mesure, est un procédé indirect qui ne se réfêre en rien à la durée vécue. B) Les appréciations de type affectif Nous avons vu au début de ce chapitre que notre connaissance la plus élémentaire de la durée se faisait par l'intermédiaire des sentiments de temps. A leur manière ils nous offrent des éléments d'appréciation. Ou bien nous prenons conscience de la durée, et alors le temps nous paraît long, trop long. Ou bien nous n'avons pas conscience de la durée, et par contraste il ne nous semble pas s'être écoulé beaucoup de temps. Nous le vérifions quotidiennement. Dans l'attente, lorsque nous consultons notre montre, nous sommes toujours surpris qu'il
L'ESTIMATION DU TEMPS
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ne soit pas plus tard. Par contre, si nous passons une soirée agréable avec des amis, bien souvent nous sommes étonnés qu'il soit si tard au moment où nous regardons l'heure. Ces - ou sur appréciations fondées sur nos sentiments de temps n'interviennent jamais seules Elles colorent leur absence en quelque sorte nos estimations fondamentales du temps, où interviennent d'autres critères, comme nous allons le voir. Elles ont aussi pour effet de les accentuer. Quand naît un sentiment de temps, notre attention se porte électivement sur la durée et le temps semble passer plus lentement. « Regarder le lait l'empêche de bouillir o dit la sagesse populaire. C) Les appréciations directes de la durée Supposons maintenant que nous n'ayons aucun moyen de mesurer le temps et que, par ailleurs, le temps ne nous semble pas long : nous avons cependant conscience qu'il s'est écoulé du temps et nous nous sentons capables de l'apprécier. De quoi est faite la durée ? De changements qui se succèdent et de rien d'autre. Pour parler plus nettement, la durée psychologique est faite de changements psychologiques, c'est-à-dire de changements qui, parce qu'ils sont perçus, deviennent une réalité psychologique. La perception est donc au coeur du problème. Dans quelles conditions un changement est-il perçu ? Nous devons nous arrêter d'abord à cette question préliminaire car elle éclairera l'ensemble du problème. Parmi les multiples changements qui se produisent autour de nous, tous ne sont pas également remarqués. L'horloge derrière moi bat les secondes, mais en général je ne remarque pas chaque seconde, sauf si mon attention se porte sur ces battements pour chronométrer une course par exemple. Je lis un livre. Chaque mouvement des yeux entraîne un changement, mais je ne le perçois même pas ; à peine si je suis attentif aux pages que je tourne. Les changements vécus sont relatifs au contenu du livre. Il en est des changements comme de toutes nos perceptions. Elles ont toujours deux composantes : les stimulations et nos attitudes. A chaque instant, parmi la multitude des stimulations différentes qui agissent sur nos récepteurs, nous percevons électivement ou bien les plus intenses ou bien celles qui répon-
230
PSYCHOLOGIEDU TEMPS
dent à notre attitude du moment. Il s'établit ainsi une tension entre la force de la stimulation et celle de l'attitude. Ce qui est perçu est une résultante. Absorbé par mon travail, je n'entends pas - ou presque pas - les enfants qui discutent dans la pièce voisine. Mais qu'ils se mettent à crier et ces sons s'imposeront à moi comme une figure prégnante, le reste, c'est-à-dire mes pensées, devenant un fond indistinct. La sélection des changements perçus va dépendre de même de facteurs objectifs et de facteurs subjectifs. Les premiers tiennent à la nature même de la tâche, les seconds à l'attitude proprement dite du sujet. Cette distinction est abstraite ; dans la réalité, les changements que nous saisissons dépendent des uns et des autres. Cependant, dans une certaine mesure, il est possible de distinguer après coup ce qui provient des stimulations et ce qui est propre au sujet. Ainsi dans la perception d'une planche de Rorschach, je puis distinguer l'aspect tache d'encre de mes interprétations subjectives. Devant les changements, je puis m'attacher à la succession des événements qui se produisent comme en dehors de moi ou, au contraire, aux seuls retentissements qu'ils ont en moi. En lisant un roman, je puis juger des changements par le nombre de pages que je tourne ou, au contraire, ne m'attacher qu'aux péripéties que je vis avec les héros de l'aventure. Cette distinction entre facteurs objectifs et subjectifs du changement rejoint celle qu'a proposée Straus (1928), à partir de ses études pathologiques, entre le temps du monde et le temps du moi. Nous vivons simultanément, dit-il, dans deux temps, l'un qui est jalonné par les changements qui se produisent dans notre environnement, l'autre qui est immanent à notre expérience intime et qui surgit de notre personnalité. Des malades, schizophrènes ou mélancoliques, sont, en effet, très sensibles à l'opposition qui peut exister entre l'immobilisme de leur affectivité et de leur pensée et les changements qu'ils constatent autour d'eux et auxquels ils ne prennent plus une part active. D'autres peuvent se rendre compte d'une différence de rythme entre leurs changements intimes et ceux qu'ils constatent autour d'eux : telle cette malade de Kloos (1938), qui, dans ses accès de mélancolie, trouvait que le temps de l'horloge se ralentissait par rapport à son travail qu'elle avait l'impression de faire très vite.
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L'ESTIMATION DU TEMPS
Ces discordances sont vérifiées par les expériences que nous avons tous pu faire sur nous-mêmes. Elles sont l'exagération des différences que nous constatons entre la vitesse des changements qui se produisent et ceux que nous souhaiterions voir se produire. D'autre part, elles accusent la possibilité que nous avons de dissocier, dans une certaine mesure, le flux de nos pensées et de nos affects de celui de nos perceptions. Cependant cette dissociation est une attitude limite. On ne peut d'ailleurs pas dire que les changements perçus ne dépendent pas eux aussi de la personnalité dans son ensemble. La distinction entre temps du moi et temps du mon.de n'est valable que si elle n'est pas interprétée dans une perspective dualiste et si les termes qu'on oppose sont considérés comme deux aspects d'une même réalité qui peuvent être plus ou moins dissoci-s suivant le jeu des attitudes nées de la volonté ou de la maladie. * * * Une fois admises ces prémisses, notre propos est de démontrer que la longueur d'une durée dépend du nombre de changements que nous y percevons. Nous rejoindrons du même coup des analyses anciennes et modernes. Lorsque Aristote estimait que le temps était le nombre du mouvement, il nous semble qu'il projetait dans le monde physique une donnée d'ordre d'abord psychologique. Condillac, tout en s'intéressant surtout à l'origine de l'idée de temps, a bien vu que sa statue n'aurait jamais connu qu'un instant si le premier corps odoriférant eût agi sur elle d'une manière uniforme pendant une heure, ou davantage ; il note à plusieurs reprises que le temps n'est fait que de la succession et du nombre des impressions ressenties par l'organe ou évoquées par la mémoire. W. James écrit que « c'est la richesse de son contenu qui fait la longueur du temps » (1932, p. 370). Guyau a essayé de faire une revue exhaustive des facteurs qui interviennent dans notre estimation du temps. Il en trouve dix, mais qu'il est facile de ramener, soit au nombre, soit à la variété des images et de tout ce qui accompagne ces dernières : émotions, appétits, désirs, affections (1902, 2e éd., pp. 85-86). L'étude systématique que, de notre côté, nous allons consacrer à cette question, vise essentiellement à établir la loi
232 suivante : tout ce qui contribue à augmenter ou à diminuer le nombre relatif, c'est-à-dire la densité des changements remarqués, a pour effet d'allonger ou de raccourcir la durée apparente. 10 ET
L'INFLUENCE EN
PARTICULIER
DE DE
NOS LA
ATTITUDES MOTIVATION
Nos attitudes peuvent avoir pour etfet de multiplier ou de diminuer le nombre des changements apparents. Dans quelle mesure ces variations agissent-elles sur l'estimation de la durée ? Nous le saurons en modifiant les attitudes, la tâche objective restant la même. a ) Il nous est possible de multiplier les changements perçus en faisant porter notre attention sur les différents moments d'une tâche. Nous avons déjà fait allusion à la loi fondamentale exprimée par Katz. Plus on fait attention au temps, plus il paraît long. Or, qu'est-ce que « faire attention au temps n sinon aux divers changements qui se produisent ? Jamais une minute ne nous paraît aussi longue que lorsque nous regardons la trotteuse de nos montres parcourir les 60 divisions du cadran. Il est facile de multiplier les exemples. Dans la plupart des expériences sur l'estimation du temps, on trouve une surestimation des durées quand précisément la consigne oblige les sujets à faire attention au temps qui s'écoule. Notre attention au temps naît, le plus souvent, des conditions objectives qui nous obligent à tenir compte de la dimension temporelle de notre action. Ainsi, le temps paraît long dans l'attente ; il apparaît d'autant plus long que notre désir de voir finir la période d'attente est plus grand. Ainsi, dcs rats qui doivent choisir entre deux branches d'un labyrinthe selon la période de confinement surestiment ce temps d'attente, d'autant plus que leur motivation (en fonction de la durée du jeûne) est grande (Yagi, 1962, voir technique p. 61). Une activité monotone nous paraît d'autant plus longue que nous attendons plus de ce qui suivra. Ainsi, Filer et Meals (194 J) trouvent que des groupes d'enfants qui attendent une récompense à la fin d'une tâche fastidieuse surestiment plus le temps qu'un groupe contrôle qui n'espère rien. Si la frustration ne vient pas d'un temps trop long par rapport à l'intérêt actuel de l'action mais, au contraire, du fait que le temps imparti est trop court, c'est-à-dire que
L'ESTIMATION DU TEMI'.5
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nous devons avoir une conduite de précipitation avec une attention marquée à chaque instant, nos estimations de la durée sont ainsi paradoxalement surestimées (Orsini et Fraisse, 1959). L'existence d'un danger, si notre action est trop longue, a le même efret. Ce dernier facteur a été bien mis en évidence par la recherche de Langer, Wapner et Werner (1961). Seize sujets ont à estimer une durée dans les circonstances suivantes : placés sur un chariot qui se meut sur rails à vitesse constante, ils doivent le faire avancer pendant 5 s (méthode de production). Ils ont les yeux bandés pendant le trajet, mais avant le départ ils doivent inspecter la situation qui se caractérise par le fait que dans un cas il y a danger, le couloir où se fait l'expérience se terminant par un précipice : la cage d'escalier, et que dans l'autre il n'y a pas de danger, le déplacement se faisant dans l'autre sens, à partir de la cage d'escalier. Pour une distance de départ, à 15 pieds du danger et une vitesse de 2 miles à l'heure, l'estimation a été de 3,37 s avec danger et de 4,22 s sans danger. Par contre, ce qui diminue notre attention au temps diminue aussi sa durée apparente. Ainsi, dans le cas où la durée d'une même tâche doit être estimée plusieurs fois de suite, on constate que la surestimation diminue peu à peu (Falk et Bindra, 1954). Conclusion qui recoupe une observation banale : à mesure que nous prenons l'habitude de parcourir un trajet, d'exécuter un travail donné, le temps nécessaire paraît moins long. L'explication en est simple : la nouveauté appelle l'attention et aucun détail ne nous échappe; mais quand l'automatisme se développe, il nous laisse nous concentrer sur le but à atteindre ou nous évader dans quelque rêverie. Souvent d'ailleurs, l'attention que nous portons aux changements est due aux efforts que nous avons à accomplir pour réaliser une tâche trop difficile. Mais cette difficulté même n'est pas inhérente seulement à la nature de la tâche ; nous savons tous combien elle est accrue par une motivation insuffisante. 6) Inversement, tout ce qui, dans notre attitude, contribue à diminuer le nombre des changements perçus diminue aussi la durée apparente. Un facteur essentiel de cette diminution est l'activité organisatrice de l'esprit humain : au lieu de prendre chaque segment de la tâche pour lui-même, nous pou-
2:W
PSY'CHO,LOGIEDU TEMPS
vons envisager avant tout le but poursuivi. Ce but est parfois imposé par la nature de la tâche : faire une multiplication est autre chose qu'aligner des chiffres, mais il peut aussi être extrinsèque à la tâche elle-même et par là dépendre directement de l'attitude du sujet. Cette attitude à son tour est fonction des motivations qui l'animent : nous tendons vers un but si nous en attendons quelque satisfaction. Il apparaît ainsi que la motivation joue un grand rôle dans notre estimation du temps. Mais pour comprendre son action, il faut distinguer soigneusement la motivation intrinsèque à l'activité présente et la motivation à être débarrassé de la tâche présente pour faire autre chose de plus intéressant. Dans le cas que nous venons d'envisager, nous sommes frustrés temporellement par le présent et plus la frustration est grande, plus le temps paraît long. L'importance de la frustration peut venir conjointement du désir d'autre chose et du désintérêt pour le présent et ici nous rejoignons la motivation intrinsèque. Quand elle n'est pas très grande, notre attention se pose sur les différents moments de la tâche ; en outre, nous sommes facilement distraits par les incidents du monde qui nous environne ou par les pensées qui surgissent en nous, ou encore attentifs aux efforts à accomplir, comme nous le disions plus haut. Quand la motivation est très grande, absorbés par la tâche qui en reçoit une unité de signification, nous reconnaissons nous-mêmes que nous ne « voyons pas le temps passer ». Un cours, une discussion passionnants paraissent plus brefs qu'un cours ou qu'une discussion languissants. Les ouvriers savent bien qu'un moyen de ne pas trouver le temps long est de travailler plus activement, c'est-à-dire de s'intéresser davantage à ce qu'ils font (Jahoda, 1941). L'expérience suivante va dans le même sens. Supposons que l'on propose aux sujets des puzzles équivalents (qui ont l'air facile, mais qui sont en réalité insolubles) dans deux situations différentes. Dans l'une, la tâche est présentée comme un entraînement en vue de la réalisation d'un puzzle ultérieur ; dans l'autre, il est demandé de reconstituer effectivement le puzzle dans un temps limité. Rosenzweig et Koht (1933), auteurs de cette expérience, ont trouvé que 51 sujets sur 89 estiment le temps plus long dans la première situation, c'est-à-dire lorsque la tâche, présentée comme une épreuve préliminaire, stimule moins leur intérêt.
L'ESI'IMA'l'IOIV DU TEMPS
235
Les résultats auraient d'ailleurs été plus probants si les auteurs avaient cherché à connaître l'intérêt réel que les sujets, dans l'une comme dans l'autre situation, avaient porté à leur tâche. Cette critique est d'autant plus pertinente que Meade (1960 a), reprenant la technique de Rosenzweig et Koht, a trouvé que la variable la plus importante n'était pas dans ce cas le niveau de la motivation, mais l'ordre des situations. Que la seconde situation soit celle avec haut ou bas niveau de motivation, à durée égale, elle apparaît toujours en moyenne plus courte que la première effectuée avec l'autre niveau de motivation. Avec deux groupes différents de sujets, il n'apparaît plus d'effet de la soi-disant motivation. Mais l'implication du moi dans la tâche ne varie peut-être pas avec la consigne de l'expérimentateur. La nature du travail a une action spécifique. Il est d'ailleurs d'autres moyens de faire varier la motivation et l'un d'eux est de laisser prévoir le succès ou l'échec. Toujours avec le matériel de Rosenzweig et Koht, Meade (1960 6) a trouvé dans une nouvelle recherche que les sujets à qui on présente le puzzle comme un test d'intelligence estimaient la durée du travail à 3 mn 4 s quand on leur laissait pressentir un succès en leur disant « bien » dix fois au cours des 5 mn que durait objectivement le travail, et de 5 mn 5 s quand on ne leur donnait aucune indication annonçant un progrès. Mais cette prévision du succès ou de l'échec a peu d'effet chez ceux à qui les puzzles sont donnés à titre d'exercice sans conséquence. Cette expérience confirme les résultats d'une recherche un peu plus ancienne. On avait fait faire aux mêmes sujets deux tâches analogues (apprendre un labyrinthe mental). L'expérimentateur pouvait varier la motivation en laissant prévoir aux sujets ou le succès ou l'échec. Il les prévenait que l'épreuve devait être réussie en temps limité et il décidait par devers lui si elle conduirait à la réussite ou à l'échec, résultat qu'il était possible d'obtenir en modifiant les voies du labyrinthe à l'insu du sujet. Dans le cas où le sujet devait réussir, il l'encourageait au cours de l'épreuve, lui disant qu'il était sur la bonne voie. Dans l'autre cas, au contraire, l'expérimentateur multipliait les remontrances, laissant pressentir au sujet son échec. 52 sur 57 sujets ont estimé la tâche couronnée de succès plus courte que l'autre (Harton, 1939, b). L'auteur estime explicitement
236
PSYCHOLOGIE DU TEMPS
plus grande entraîne une meilleure organiqu'une motivation sa plus grande unité. sation du travail, c'est-à-dire avoir des origines très différentes. Une forte motivation peut d'une difficulté suffisante de la Elle peut naître simplement tâche. Nous nous intéressons plus, en effet, à une tâche qui nous - sans être qu'à trop difficile oppose une certaine résistance un travail trop facile. Harton (1938) a montré que si, sans le travail à effectuer, on en augchanger fondamentalement mente la difficulté, la tâche la plus difficile semble la plus de courte. Une de ses recherches portait sur la comparaison la un différences étaient dans les liminaires, cas, juste poids ; tâche était donc difficile ; dans l'autre, les différences étaient était Or, le temps, objectivement identique, supraliminaires. jugé plus court dans le premier cas. Cette influence de la motivation peut aider à comprendre deux faits significatifs que nous rapporte l'histoire. Le premier est celui des mineurs qui, en 1906, lors de la grande catastrophe de Courrières, se sont trouvés enfermés dans une galerie dont ils ne purent sortir qu'après trois semaines d'efforts. Spontanément, ils déclarèrent à leur délivrance qu'il leur avait semblé n'avoir passé que 4 ou 5 jours au fond de la mine. Le même de terre de Messine, fait a été constaté lors du tremblement 18 jours qui leur emmurés pendant où trois frères restèrent n'avoir duré que semblèrent au moment de leur sauvetage 4 à 5 jours (Ferrari, 1909 ; Peres, 1909). Ces erreurs considérables ne peuvent cependant s'expliquer que si on se rappelle que ces hommes enterrés vivants man- entre autres choses - de tous les repères temporels. quaient Il semble qu'ils n'aient estimé le temps si court, que parce possédés qu'ils étaient la proie d'une sorte de monoïdéisme : ne les tout entiers par la volonté de survivre, rien d'autie animait que l'idée de leur délivrance. Certes, le fait d'être dans l'attente aurait dû leur faire trouver le temps très long et il Mais sur est vraisemblable qu'ils ont éprouvé ce sentiment. avoir aucune base une durée aussi longue, ils ne pouvaient La tension à laquelle ils étaient soumis, leur d'estimation. faiblesse physiologique ont dû délester la durée de toutes les variations où elle eût pu se compter. Leur cas doit aussi être rapproché de celui de Michel Siffre dans une caverne glaciaire, (1963) qui, enfermé volontairement
L'ESTIMATION DU TEMPS ---
237
a estimé 58 jours comme ayant duré seulement 33 jours. L'absence de changements distincts dans l'obscurité, l'absence de repères physiques et sociaux contribuent à raccourcir le temps vécu. Les expériences sur l'effet de la privation sensorielle (Vernon et McGill, 1963) aboutissent aux mêmes conclusions. L'INFLUENCE
DE
LA
NATURE
DE
LA
TACHE
Une tâche se décompose en un certain nombre de parties au point de vue psychologique. A durée égale, ces parties sont plus ou moins nombreuses. Supposons que j'aie à recopier quarante lettres. Ces lettres peuvent être indépendantes les unes des autres et j'ai quarante signes divers à tracer. Elles peuvent être groupées en mots et ne plus constituer que dix éléments ; ces mots enfin peuvent former une phrase. Les lois de la psychologie de la Forme s'appliquent analogiquement aux cas des changements successifs. Quelles répercussions ces organisations ont-elles sur notre estimation du temps ? Le problème ainsi posé n'est pas sans rapport avec celui que nous avons traité précédemment : l'unité d'une tâche n'a d'existence que par un sujet ; et plus une tâche a d'unité, plus elle risque de paraître intéressante. L'unité renforce la motivation, donc fait intervenir un facteur subjectif. Cette interaction des facteurs objectifs et subjectifs peut rendre notre démonstration plus délicate, mais ne diminuera pas la portée de nos conclusions. Quelque complexe qu'en soit finalement un fait reste constant : plus le nombre de l'interprétation, changements remarqués est grand, et plus le temps paraît long. a) L'influence de l'unité de la tâche. - Deux études générales nous semblent poser le problème. La première est celle d'Axel (1924). A 68 étudiants et étudiantes, il a donné plusieurs tâches : estimer un temps vide ; taper avec un crayon sur une feuille de papier ; barrer des signes ; trouver des analogies ; -, compléter des séries de chiffres. Les sujets devaient estimer en secondes le temps pendant lequel ils avaient travaillé, les durées objectives de ces différentes tâches variant de 15 à 30 s. La valeur moyenne de la surestimation (+) ou de la sous-esti-
mation sujets
DU
PSYCHOLOGIE
2388
à partir des médianes calculée (-), et des durées, est la suivante : Temps vide ....................... Tapping .......................... Barrage .............................- ?,7 Analogies.......................... Séries de chiflres ..................
TEMPS
sur l'ensemble
des
1,8 s '- 2,4 s s - 7,6 s s 9,2
sur un grand la même question Gulliksen (1927) a repris encore de sujets (326) avec une gamme nombre d'occupations une durée de 200 s (il y Celles-ci avaient toutes plus étendue. autres tâches de durées différentes avait quelques pour éviter il n'en sera pas parlé ici). Si on range les un effet d'uniformité ; des estimations tâches selon les valeurs décroissantes moyennes, l'ordre suivant : on trouve
.
Î Repos en essayant de durrnir ......... Tenir les bras étendus ..............I Écouter un métronome (66 à la minute) (184 -) Appuyer une pointe sur la peau ...... Lire un texte dans un miroir ........ Faire une dictée .................... Faire des divisions ..................I
Estimation moyenne (en secondes) 241,77 228,4 223.7 214,11 210,2 181,8 174,6 168,9
1
1 1 I1
V . b'l't' e Variabilité (en s) 107,8 96,2 92,4 85,2 78,4 77,6 77,4 70,2
ces résultats ont été confirmés Récemment, par l'impor16 activités tante recherche de Loehlin (1959). Il a fait estimer et il de nombreux différentes de 2 mn chacune sujets par du même ordre entre les activités retrouve une hiérarchie (1). des Ces trois recherches montrent que la durée apparente sont moins morcelées, tâches décroît à mesure que les activités Cette sont moins nombreux. c'est-à-dire que les changements de unités des si on tient conclusion surtout compte s'impose le nombre effet de réduire ont apparent pour signification qui tenir les bras étendus, des changements. du tapping, Faire (1) Il trouve, en outre, de bonnes corrélations entre toutes les estimations, ce qui lui permet de dégager un facteur commun. Ces corrélations s'expliquent par des différences individuelles qui seraient de deux ordres : a) l'intérêt porté aux activités proposées. Il y a, en effet, une corrélation p - .61 entre la moyenne des estimations sur une échelle en 5 points de l'ennui opposé à l'intérêt et la moyenne des estimations temporelles ; 6) l'échelle relative des estimations verbales des sujets, l'emploi des unités de temps étant très variable d'un sujet à l'autre.
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c'est être présent à chaque moment de la durée. Au contraire, faire une dictée, c'est transcrire des propositions ou à tout le moins des ensembles de mots. C'est en outre tendre à un but qui est la reproduction fidèle d'un texte, et ce but rend moins important tout le reste. Donc plus la tâche a une unité, plus elle paraît courte, les changements partiels n'étant plus au premier plan de l'attention. L'unité de signification rendant la tâche plus intéressante comme nous l'avons vu, les facteurs subjectifs et objectifs se renforcent. de ces premières recherches est confirmée L'interprétation un travail par plus analytique d'Harton (1939 a et 1942). Les devaient estimer la durée d'abord d'une tâche qui avait sujets une forte unité : apprendre un labyrinthe mental assez difficile, puis d'un travail plus morcelé : apprendre plusieurs petits labyrinthes du même type. La durée totale de chaque tâche était identique : or, elle a été estimée 305 s dans le cas du labyrinthe unique, et 444 s dans le cas des labyrinthes multiples. Pierre Janet a souvent insisté sur la liaison qui existe entre le niveau de comportement, la fonction du réel et l'unité de la tâche. Aussi bien, notre interprétation des résultats par l'unité de la tâche est équivalente à celle qu'Axel (1924) et plus récemment Dewolfe et Duncan (1959) ont tentée en termes de niveau de comportement. La recherche de ces derniers auteurs est particulièrement démonstrative. Ayant choisi trois tâches correspondant à trois niveaux de comportement (repos sans rien faire, écrire des lettres à l'envers, résoudre des anagrammes), les sujets travaillaient pendant 26 s à une première de ces activités ditea étalon, puis devaient travailler le même temps sur une autre tâche dite de comparaison en s'arrêtant quand ils estimeraient avoir travaillé le même temps que pendant l'étalon. Toutes les combinaisons entre les trois activités ont été réalisées et les résultats sont très systématiques, comme en témoigne le tableau suivant (moyennes des logarithmes des durées) : Tâche étalon Repos ............ Alphabet.......... Anagrammes......
0
Tâche de comparaison -- __ __ – f Alphabet 1 Anagrammes Repos 1 1,42 1,54 1 1,73 1. 1,25 1,43 1,62 1,27 1.41 1 ;.>6 ) 1
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L'estimation du temps varie directement avec le niveau de la tâche de comparaison et inversement avec le niveau de la tâche étalon. Les comparaisons avec tâches identiques (valeurs de la diagonale) sont du même ordre et proches de la valeur de l'étalon (log. 26 = 1,415). D'autre part, des résultats d'Axel dont nous venons de parler, nous pouvons tirer une indication supplémentaire. Il avait questionné des sujets sur les critères qu'ils avaient utilisés pour évaluer la durée dans les différentes situations qui leur étaient proposées (ils avaient été invités à utiliser tous les moyens possibles d'estimation, sauf évidemment une montre). Le tableau suivant est révélateur : I Compteur des nombres i Quantité ., estimations Î ou faites . detravail travailet de énergie travail " faites hasard , des mouvements de 1 , necessa)rel au 1',, du corps 1i .n % '1<> 0, '1 ; vide 0 0 2,9 ..... 97,1 Temps 0 61,8 33,8 4,4 Tapping , , ...... 9 11.8 2,9 4,4 80,9 Il / Barrage......... î 77.9 / 14.7 7,4 0,0 Analogies ...... , Sériesde chiffres.., 8.8 , 80,9 10,3 0,0 j Il est évident que les sujets n'ont pas choisi leurs moyens d'estimation. Ceux-ci sont déterminés par la tâche. On ne peut compter des nombres ou des inspirations en même temps qu'on résout les analogies ou qu'on complète des séries de chiffres. La quantité de travail a un sens précis dans une tâche régulière et homogène comme le tapping et surtout le barrage, mais devient aléatoire dans un travail plus qualitatif. Dans ce dernier cas, les sujets invoquent, outre la quantité de travail, la quantité d'énergie dépensée pour faire le travail, l'effort mental nécessaire, etc. En rapprochant l'usage de ces moyens des résultats numériques déjà cités, on constate que le temps est estimé d'autant plus long que les sujets s'appuyent sur un plus grand nombre de changements (compter des nombres, des coups, apprécier la quantité de signes barrés). Il apparaît au contraire plus court quand, dans des tâches plus complexes, les sujets ne peuvent plus s'appuyer que sur des indices globaux. De plus,
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L'ESTIMAI'ION DU TEMPS
dans ces dernières situations, le pourcentage des cas où ils ont l'impression de porter un jugement au hasard, c'est-à-dire sans avoir aucun indice, croît sensiblement. Ces résultats expliquent aussi pourquoi faire quelque chose paraît toujours plus court que ne rien faire. Ne rien faire, ce n'est pas créer le vide mental ; ou bien c'est attendre la fin, et de l'attente naît le sentiment de temps dont le corollaire est l'allongement de la durée; ou bien c'est observer tout ce qui se passe pour remplir la durée. Tout travail au contraire, quel qu'il soit, implique un certain but, même si pour l'atteindre il faut effectuer des tâches parcellaires (1). Ce rôle du nombre relatif des changements ne doit pas être interprète d'une manière arithmétique. Il n'y a pas proportionnalité simple entre le nombre de changements perçus et la durée estimée. De toute manière, le problème est délicat, car si nous pouvons déterminer physiquement au niveau du stimulus combien il y a eu de changements, nous ne savons pas transcrire directement cette donnée dans la perception. D'ailleurs, le perçu est relatif tout aussi bien aux changements externes qu'aux changements biologiques. Il reste que si le nombre relatif des changements influence notre estimation du temps, ce n'est qu'à titre tendanciel, en produisant un certain effet de halo, compensé par ailleurs par tous nos autres modes d'estimation de la durée. D'ailleurs, l'aspect nombre relatif des changements perçus ou densité ne peut être envisagé indépendamment de la durée de chacun de ces changements. Pour une durée donnée, moins il y a de changements et plus chacun d'eux est long, ou plus l'intervalle entre chacun d'eux est long. Notre estimation tient, en effet, compte de ces multiples données. Nous l'avons montré dans une expérience (Fraisse, 1961) où les sujets devaient estimer la durée de la projection de vues de Paris. La même durée de 64 s par exemple pouvait être emplie par la projection (1) Sur ce point, les résultatsdéjà cités sont encoreconfirméspar ceux que Dobson(1954)a obtenussur un groupede 16sujetsen utilisantles duréesde 17s, 38 s et 2 mn. Lessujetsdevaientestimercestempsqu'ilsavaientconsacréssoit à ne rien faire, soit à faire un travail de placementsde fiches(PurduePegboard). La moyennedes estimationsdes 2 mn est 210s dans le premiercas, 173,4s dans le second.Le mêmerésultatest obtenupar la méthodede production(indiquer quandun intervalledonnéde tempsest terminé).Les sujetsdéclarentque deux minutessontécouléesau bout de 81,7s lorsqu'ilsne fontrien,et au boutde 107,7s quand ils travaillent. P.
FRAISSR
16
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de 16 vues durant 4 s ou par celle de 32 vues durant 2 s. Les estimations en unités de temps de groupes distincts de sujets sont les mêmes (84 s et 79 s) à la variabilité près. Le même résultat a été retrouvé sur d'autres durées et d'autres organisations du changement en faisant, par exemple, varier pour une durée donnée le nombre de vues, et les intervalles entre les vues. Dans tous les cas, les résultats des sujets, qui n'étaient cependant pas prévenus à l'avance de la nature de la tâche, montrent qu'il y a une intégration de l'ensemble des données. Nous verrons plus loin (p. 294) comment cette intégration se constitue peu à peu au cours du développement. b) L'influence des changements subis. - Retournons la situation que nous venons d'analyser : lorsque les changements vécus ne peuvent guère être unifiés, le temps nous paraît toujours long. Tel est le cas chaque fois que nous subissons des changements au lieu de les créer. Le meilleur exemple est celui de la perception. Nous y saisissons des changements sans les ordonner en de grandes unités puisque à chaque moment nous ne pouvons pas prévoir à long terme les stimulations qui vont se produire. Une multiplicité de changements apparents s'impose à nous. Ainsi écouter un texte paraît plus long que le copier (Swift et McGeoch, 1925), écouter ou lire paraît plus long que prendre en dictée, la durée objective étant égale bien entendu (Yerkes et Urban, 1906 ; Spencer L. T., 1921). Le champ de ces exemples peut être étendu. Myers (1916) a demandé à des spectateurs d'un match de basket-ball d'évaluer le temps qui s'était écoulé depuis le début de la partie jusqu'à un incident sérieux, temps qui avait été objectivement de 6 mn 15 s. 80 % des spectateurs ont surestimé cette durée. La moyenne des évaluations d'un groupe de 68 hommes a été de 10 mn 7 s et celle d'un groupe de 32 femmes de 15 mn 54 s. Ces surestimations sont très élevées. Musatti (1931) a réalisé une bande cinématographique de 40 s. Son groupe de 36 sujets a estimé qu'elle avait duré 2 mn 9 s. Au cours de nos recherches sur la mémoire des films (Fraisse et de Montmollin, 1952), nous avons demandé à nos 115 sujets d'estimer la durée des séquences que nous leur avions présentées, sans les avoir prévenus à l'avance de cette question, secondaire d'ailleurs dans notre recherche. L'une, qui durait 2 mn 47 s, était un court récit dramatique ; l'évaluation moyenne a été de 5 mn 54 s. L'autre
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était une bande d'actualités de 3 mn 14 s dont la durée a été évaluée à 6 mn 59 s. Dans tous les cas, la surestimation a été au moins du double, c'est-à-dire très au-delà des erreurs systématiques habituelles. Ces expériences ont toutes été faites sur des spectateurs ; elles sont d'autant plus intéressantes que l'intensité de la motivation produit chez eux un effet inverse de celui que nous avons constaté lorsque les sujets devaient faire quelque chose. Chez le spectateur en effet l'intérêt, quoique réel, ne crée pas l'unité de la tâche. L'activité perceptive a sa fin en elle-même, et non pas dans un objectif à atteindre, dans une performance à iéaliser. On peut regretter que l'expérience de Myers n'ait pu être étendue aux acteurs du match. Il est à présumer que leur évaluation du même laps de temps aurait varié en sens inverse de celle des spectateurs. A ces situations peuvent être comparées celles où nous nous trouvons devant un « film » mental imposé par une imagination que nous ne contrôlons plus du tout. C'est le cas des ivresses par le haschisch ou la mescaline et des rêves. Dans toutes ces situations, le temps paraît très long parce que des images nombreuses, variées et liées de façon assez lâche se succèdent sans que nous puissions nous en détourner ni nous référer à d'autres critères d'estimation de la durée. Les premières observations sur ces ivresses ont été faites par Moreau de Tours (1845). Après avoir noté que, sous l'effet du haschisch, la tête est semblable à un volcan, que les sensations et les sentiments se succèdent avec une incomparable rapidité, que le flux des idées paraît intarissable, il observe aussi que le temps semble se traîner avec une longueur qui désespère, que les minutes deviennent des heures et les heures des journées (p. 685). Ces affirmations ont été maintes fois confirmées, entre autres par des auteurs qui se sont préoccupés spécialement de ce problème de l'estimation du temps (Pick, 1919 ; Bromberg, 1934). Favilli (1937) leur a apporté une précision supplémentaire. Il a trouvé qu'en effet, dans les ivresses dues à la mescaline, les sujets avaient l'impression que la durée avait été très longue, mais que, quand on leur demandait une estimation précise, ils sous-estimaient notablement la durée de l'ivresse. Bien que, dans ses expériences, l'ivresse n'ait pas été complète, les sujets n'arrivaient pas à trouver des points de repère ; ne se fiant pas
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aux changements vécus qu'ils savaient imaginaires, il ne leur restait aucune base pour estimer une durée qui semblait sans épaisseur. De cette action célèbre du haschisch et de la mescaline, il faut rapprocher l'effet de plusieurs produits ayant une action sur l'estimation du temps. Certes, nos pharmacodynamique connaissances en ce domaine sont encore très insuffisantes et les résultats parfois différents d'un auteur à l'autre. Il n'y a là rien d'étonnant. Des considérations éthiques et la nécessité d'obtenir la collaboration des sujets obligent à utiliser de faibles doses. D'autre part, les mêmes produits ne produisent pas nécessairement les mêmes effets sur tous les tempéraments. Cependant, à titre indicatif, on peut dire que tous les produits qui accélèrent les fonctions vitales entraînent une surestimation du temps, ceux qui les ralentissent, l'effet inverse. Ainsi, la thyroxine (Sterzinger, 1935, 1938), la caféine (Frankenhaeuser, 1959), la métamphétamine (Frankenhaeuser, 1959) entraînent une surestimation du temps, tandis que le pentobarbital (Frankenhaeuser, 1959), le protoxyde d'azote (Steinberg, 1955 ; Frankenhaeuser, 1959) conduisent à une sous-estimation. Ce dernier effet se retrouve aussi chez des sujets qui demeurent dans une atmosphère où l'oxygène est raréfié (Barach et Kagan, 1940), comme chez ceux qui sont soumis à une force centrifuge qui entraîne une hypotension cérébrale (Frankenhaeuser, 1960). Il est vraisemblable de penser que les produits excitants entraînent une plus grande activité mentale, tandis que les produits inhibiteurs l'appauvrissent (1). Les illusions de temps dans le rêve sont célèbres. Un rêve qui n'a pu durer que quelques secondes ou quelques minutes nous semble avoir été très long parce qu'il embrasse des événements nombreux. Des cas privilégiés ont révélé que cette impression n'avait aucun rapport avec la durée réelle des images. On sur l'estimationdu (1) Cette interprétationdes effetspharmacodynamiques n'est sûrementpas exhaustive. tempspar leuractionsur l'activitéde l'imagination En effet,nousavonsvu (p. 37)que lesmêmesdroguesagissaientaussisur l'animal dansles conditionnements au temps.Il est donctrès vraisemblable que les retensur l'estimationdu temps se produisentchez tissementspharmacodynamiques l'hommeà plusieursniveaux.Signalons,en outre,quele LSD25 produitaussiune de la duréecommede plusieursautresperceptions(Bendaet Orsini. surestimation 1959).
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connaît le rêve de Maury. Impressionné par une lecture, il rêve qu'il a été, sous la Terreur, condamné à l'échafaud, qu'il languit plusieurs mois dans une prison pour enfin être guillotiné. Il se réveille alors en sursaut et constate que la flèche de son lit lui est tombée sur le cou. La chute de la flèche a été la sensation initiale qui a été interprétée d'après le contenu des lectures de la veille. Le rêve n'a duré que quelques instants, bien qu'il corresponde à une longue période vécue (Maury, 1861). Le cas n'est pas unique. Tobolowska (1900) en a rapporté plusieurs et les a rapprochés des récits faits par des noyés qui ont pu être ranimés. Dans les quelques instants qu'a duré leur évanouissement, il leur est arrivé de revivre de longues périodes de leur vie, et, une fois sauvés, il leur semble que la noyade ' elle-même a été beaucoup plus longue qu'en réalité. Nous avons tous fait l'expérience de rêves où, pendant un court endormissement, nous évoquions des actions d'une durée assez longue. Le fait a d'ailleurs été vérifié expérimentalement. Par des injections de bromure d'acétylcholine, on faisait perdre conscience à des sujets pendant des durées de 4 à 12 s. Au réveil ils déclaraient avoir fait des rêves complexes dont ils estimaient la durée très supérieure au temps pendant lequel ils avaient perdu conscience (Le Grand, 1949). Il est naturel que l'esprit attribue au rêve une durée en rapport avec les événements qui s'y sont déroulés (Foucault, 1906). Mais comment expliquer qu'une grande quantité d'images puisse se manifester en un temps très court ? Le fait pourtant n'a rien d'extraordinaire. Même à l'état de veille, il arrive qu'en un instant nous nous représentons plusieurs conséquences d'un acte que nous allons faire. Certaines images, qui ont en quelque sorte une valeur de symboles, évoquent ainsi une longue série d'actes, eux-mêmes assez longs, de même qu'il suffit des quelques images d'une bande de comics pour suggérer toute une aventure. Prenons l'exemple d'un rêve apporté par Sturt (1925, p. 111) : « Alors que j'étais assistant dans un laboratoire de physiologie, j'avais beaucoup de peine à me réveiller le matin. Un jour, mon père, pour rne réveiller, employa une cloche et sonna deux coups. Je rêvai alors que j'étais prêt à faire ma démonstration et que je sonnais pour que l'on apporte le cadavre. Puis je fis mon cours, disséquai un bras et resonnai pour que l'on emporte le cadavre. » Le rêve se produit entre les deux
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coups de cloche. Il semble décrire une période d'une heure environ ; mais si on l'examine de près, il a pu ne se composer que de 2 ou 3 images seulement. Sturt fait remarquer que le cours n'avait en réalité pas de contenu. La simple juxtaposition des images a suggéré un contenu dû à une construction mentale qui intervient au réveil. Quoi qu'il en soit, le fait important est le décalage que nous ressentons entre la durée apparente des événements du rêve - durée proportionnelle à la richesse des images et à leur signification temporelle - et d'autre part, la durée réelle de ce même rêve. Les études sur l'appréciation du temps dans l'hypnose confirment ces thèses. Quand les sujets en état de sommeil hypnotique sont seulement invités à se réveiller après un certain délai, leurs performances sont excellentes et même plus exactes que nos estimations à l'état de veille (Ehrenwald, 1931, Loomis, 1951), succès qui rappelle la précision de notre horloge physiologique. Mais si on suggère à un sujet de faire une promenade d'une demi-heure et si on le réveille au bout de 10 s, il raconte une longue promenade et il en estime la durée à une demi-heure environ. Si on lui propose simplement de faire une tâche sans en préciser la durée, l'estimation, après le réveil, correspond à peu près à la durée qui aurait été nécessaire pour faire réellement la tâche (Cooper et Erickson, 1954). On observe donc ici encore que l'estimation temporelle au réveil ne correspond qu'au nombre de changements vécus par le sujet. * * * En résumé, quand nous devons estimer une durée, nous pouvons avoir à notre disposition les informations suivantes : a) Des repères quantitatifs qui permettent une sorte de calcul de la durée. En particulier, le travail effectué, quand il peut être quantifié d'une manière précise ou approximative, sert de base à une mesure de la durée. Celle-ci reste très imprécise tant que l'on n'a pas recours à des instruments qui mesurent et la durée de l'unité de changement et le nombre de changements. Ces repères permettent cependant de comparer exactement la durée de deux changements de vitesse uniforme. Les estimations ainsi obtenues ont un caractère objectif que l'on
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confronte souvent avec celles qui utilisent vécus des indices et que nous allons rappeler. de la longueur du temps b) Les sentiments qui peuvent la durée d'une entre naître, elle-même, pendant comparaison la durée ressentie et la durée souhaitée. Ils ont en outre pour effet d'attirer notre des chanattention sur chaque moment et de multiplier le nombre de ces derniers. gements apparent c ) La densité de changements qui ont été perçus comme tels au cours de l'activité suivant (1). Cette densité est très variable les attitudes du sujet et la nature de la tâche. Moins le nombre de ces changements est grand courte. et plus la durée paraît Tout ce qui contribue à organiser les moments de l'action dans l'unité d'un but : a structure, motivation, pour signification, effet de réduire la durée apparente (2). Ces informations à des processus différents. correspondent Elles ne sont pas toujours Dans un simultanément. présentes travail ne se il a de mesure laisse qui pas quantifier, n'y pas nul sentiment de temps ne naît de l'action ; souvent, possible ; en revanche, le nombre de changements est toujours présent, et il nous impose une appréciation » de la durée très « prégnante les plus fondés objectivement. qui résiste aux démentis il de ces informations sont disponibles, Lorsque plusieurs (1) Il n'est pas possible de ramener simplement cette variable à celle de l'influence de la fréquence des changements sur la perception de la durée. Nous avons étudié ce problème dans le chapitre sur la perception du temps (p. 139). Les stimuli déterminant une fréquence ne sont pas perçus comme des événements plus ou moins indépendants, mais comme un stimulus d'un type particulier, caractérisé justement par sa fréquence. Rappelons seulement que, classiquement, on estimait que plus la fréquence était grande, plus le temps était surestimé. Nous avons cependant mis en évidence l'existence d'un optimum et souligné que l'existence des attitudes des sujets rend le problème très complexe. (2) Piaget distingue deux moyens d'estimer la durée : le travail accompli et l'activité. Ce qu'il appelle activité est-il l'équivalent du nombre des changements perçus ? Selon Piaget l'activité est l'aspect psychologique de la « puissance » physique, c'est-à-dire de la force multipliée par la vitesse (1946, pp. 50 et 285). Sa définition fait intervenir explicitement la vitesse des changements. Pour nous, la vitesse des changements ne paraît une donnée essentielle que lorsqu'elle est perçue. Or, nous ne perceuons en effet que la vitesse des changements qui se succèdent rapidement : les battements d'un métronome en sont un bon exemple. La plupart des changements que nous percevons se succèdent trop lentement pour que nous ayons une impression de vitesse. Nous en parlons, il est vrai, souvent en termes de vitesse (« comme ces deux heures ont passé vite ») mais par référence aux mouvements périodiques qui mesurent le temps. Nous dirons tout aussi bien : « Comme ces deux heures ont été brèves. » Nous développerons cette discussion plus loin (chap. VII, p. 255, et chao. VIII, p. 288). Soulignons seulement ici que pour Piaget la donnée essentielle semble être le rapport entre le travail accompli et la vitesse avec laquelle on le fait ; pour nous c'est la densité des changements perçons.
248 -
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nous arrive de négliger systématiquement certaines d'entre elles. Ce peut être un trait de notre caractère. Il est des gens qui cherchent toujours les repères les plus objectifs possibles, d'autres qui se fient davantage à leur sentiment ». Outre cette attitude spontanée, il arrive que, suivant les situations, nous nous intéressions plus à un aspect ou à un autre des changements. Si nous avons besoin d'information précise, nous tâchons de mesurer le plus précisément possible la durée ; par contre, nous nous abandonnons plus à nos impressions quand nous ne sommes pas soumis aux pressions temporelles. Ces informations ne s'excluent cependant pas. Elles peuvent se contaminer et se renforcer l'une l'autre ou au contraire être discordantes. Ce dernier cas nous est le plus sensible. Le contraste est parfois frappant quand nous comparons l'évaluation basée sur des repères quantifiables et la multiplicité apparente des changements ou le sentiment spontané que nous avons de la longueur du temps. Nous pouvons être étonnés de n'avoir pas pris conscience de la durée, quand, par ailleurs, la pluralité des changements nous conduit à juger que la durée doit avoir été substantielle. Une journée faite d'activités variées et intéressantes nous paraîtra « bien remplie u et cependant nous laissera le sentiment qu'elle a passé comme un rêve. L'appréciation rétrospective des durées accuse ces discordances entre nos informations. En effet, l'évolution des traces mnémoniques n'est pas la même pour les trois processus. La quantité de travail, dont nous avons une vive conscience tout de suite après la tâche, ne laisse parfois que de vagues souvenirs ; en revanche, la multiplicité des changements apparents peut rester beaucoup plus présente parce que chacun de ces changements a été ressenti au cours de l'action. Quant aux sentiments de temps, ils subissent le sort de tous nos sentiments. Nous pouvons en garder un souvenir, c'est-à-dire savoir que nous les avons éprouvés, mais ce souvenir n'a plus de réalité affective, il n'est pas une reviviscence. Ainsi un voyage touristique peut m'apparaître quelques années plus tard comme se déployant dans le temps, bien qu'à l'époque son vif intérêt l'ait fait trouver trop court (1). Mes années de captivité par contre (1) Diderota cette bellenotation :« 'l'ravaillonsdonc ;le travail,entre autres avantages,a celuide raccourcirles journéeset d'étendrela vie.» l;ité par Poulet (ibid.,p. 201).
L'ESTIMATION DU TEMPS
249
m'apparaissent rétrospectivement sans consistance temporelle, parce que je garde peu de souvenirs différenciés d'une époque où tous les jours se déroulaient dans la grisaille de la monotonie ; cependant le temps semblait long chaque jour dans l'attente de revivre une vie libre. Remarquons que la durée réelle de ce voyage ou de cette captivité est connue. Cette connaissance pourtant ne modifie pas directement nos appréciations intuitives si ce n'est pour les renforcer par contraste. Contraste qui souligne à quel point ces appréciations directes de la durée, fondées dans l'immédiat sur les changements vécus, à long terme sur les changements remémorés, ont une base intuitive solide (1). III L'ESTIMATION DU TEMPS EN FONCTION DE L'A GE ET DU SEXE L'appréciation de la durée résultant, comme nous venons de le voir, de l'intégration d'expériences complexes, il est naturel qu'elle dépende de tout ce qui constitue la personnalité de chacun. L'observation quotidienne nous révèle que les gens évaluent de manières très différentes la durée vécue. Dans toutes les expériences que nous avons analysées, les résultats n'indiquaient que la tendance centrale de mesures par ailleurs très variables. Malheureusement, l'état actuel des études sur la personnalité ne permet pas de tenter une psychologie différentielle d'ensemble des conduites temporelles et particulièrement de l'appréciation de la durée. Seules quelques données nous mettent sur la voie d'une (1) Frankenhaeuser (1959)a imaginéune méthodepour comparerle temps présentet le tempspassé.Le tempsprésentest mesurépar la vitesseà laquellele sujet lit deschiffresde 1 à 9, présentésen désordre,à la cadencesubjectivede un par seconde.Aprèsla tâche,le sujetestinvitéà estimerletempspasséà cettelecture des chiffresen secondes. Le tempsprésentest mesurépar le nombrede chiffreslus pendantune durée donnée,le tempspassépar l'estimationde la duréeet le tempsretenupar le quotient entre le tempspasséet le tempsprésent(P.P.T.score).Cequotient,en pratique, est toujoursinférieurà 1, c'est-à-direqu'il y a une sous-estimation du nombrede secondesécouléescomparéau nombrede secondescadencées. Cetteméthodemesure-t-elle vraimentle rapportentretempsprésentet temps le rapportentre la cadenced'une activité(lire passéou, plus opérationnellement, les chiffres)et l'estimationd'une durée ?On peut en discuter.Maiscette méthode est sensibleà l'actiondes drogues,
25))
PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS
étude comparative. Si nous ne considérons que les sentiments de temps, leur naissance dépend sans doute de situations dont beaucoup sont inévitables, en particulier l'attente ou la continuité dans l'effort, mais leur fréquence d'apparition n'est pas indépendante de la personnalité de chacun. Par exemple, les individus que nous disons équilibrés, et dont les motivations sont parfaitement adaptées aux situations où ils sont placés, risquent moins que d'autres de souffrir d'insatisfactions, parce qu'ils cherchent moins à échapper à leur condition présente ; ils ont ainsi moins souvent l'occasion de trouver le temps long. L'intensité même de ces sentiments de temps est fonction, nous l'avons déjà indiqué, de la tolérance à la frustration ou, si l'on préfère, de la stabilité émotive de chacun. L'appréciation de la durée proprement dite varie-t-elle selon le caractère ou la personnalité ? Là nous ne possédons guère de données sérieuses. Jaensch et ses élèves ont bien essayé, en fonction de leur typologie, d'étudier ce problème. Ils ont trouvé que l'intégré vers l'extérieur, c'est-à-dire celui qui a tendance à interpréter le perçu d'une façon personnelle, est surtout sensible au contenu de la durée lorsqu'il doit l'apprécier ; il ne dissocie guère la durée objective de son impression. Au contraire le désintégré, qui analyse la perception sans s'y projeter, tend à évaluer la durée objectivement : il est donc plus précis. Enfin, l'intégré vers l'intérieur, l'intraverti, qui est tout entier concentré sur lui-même, aurait plutôt tendance à sous-estimer la durée (Jaensch et Kretz, 1932 ; Schneevoigt, 1934). Ces constatations sont vraisemblables mais les classifications de Jaensch manquant de critères objectifs, il n'est pas possible de les prendre comme point de départ d'une étude plus approfondie. Dans ces conditions, il faut nous contenter d'étudier comment l'appréciation du temps varie en fonction de ces grandes différences que l'âge et le sexe introduisent entre les êtres humains. L'INFLUENCE SUR
L'APPRÉCIATION
DE DE
L'AGE LA
DURÉE
Pour dégager les lois générales qui ont fait l'objet de ce chapitre, nous nous sommes appuyé jusqu'ici sur des observations ou des expériences auxquelles se sont prêtés
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L'ESTIMATION DU TEMPS
des adultes. Il est intéressant de suivre l'appréciation de la durée au cours du développement de l'enfant et d'autre part de noter les modifications que la vieillesse peut y apporter. A) Les appréciations
du temps par
l'enfant
En traitant du problème général de l'appréciation du temps, nous avons souligné que les résultats n'étaient jamais que relatifs aux méthodes (p. 222). Constatation encore plus vraie en psychologie génétique où chaque méthode d'appréciation fait appel aux « moyens » inégalement développés de l'enfant. Ainsi on comprendra facilement que le jeune enfant est incapable de faire une estimation de la durée en unités temporelles. Même quand il est devenu capable de lire l'heure, il n'a aucune idée de ce que représente une minute ou une heure. Seule une longue expérience lui permet d'utiliser ces unités avec quelque approximation. A 8 ans, cette tâche est encore impossible (1) ; à 10 ans, 2/3 environ des enfants donnent une réponse, mais chez eux des évaluations de 20 s, par exemple, s'étalent encore de 30 s à 5 mn (Fraisse, 1948). L'exactitude de ces appréciations se développe lentement et l'apprentissage dure au moins jusqu'à 16 ans (Elkine, 1928). Cependant, si on ne fait pas appel à ce savoir, et si on utilise seulement la méthode de reproduction, les enfants montrent assez tôt qu'ils sont capables d'apprécier la durée (Fraisse, 1948). Certes, lorsqu'ils sont jeunes, leurs résultats sont très variables. A 6 ans les reproductions d'une durée de 20 s sont comprises entre 1 et 60 s, ce qui donne une variabilité relative de 90 % au lieu de 30 % environ chez les adultes. Fait assez remarquable, les enfants de cet âge sont très sensibles au contenu de la durée : les durées pleines, c'est-à-dire constituées dans notre expérience par un son continu, sont surestimées tandis que les durées vides (intervalle entre deux sons) sont fortement sous-estimées. Le fait qu'il se passe quelque chose de (1) Cependant,à partir de 8 ans les estimationsde la durée d'une seconde de ce deviennentpossibleschezl'enfantet il profiteà cet âged'unedémonstration qu'est une telle durée.Maisnous sommesalorsdans le tempsperçu (Smytheet Goldstone,1957).
PSYCHOLOGIEDU TEMPS
252
sensible semble capital, l'enfant n'arrivant pas à maintenir son attention sur ses seules impressions intérieures. Dès 8 ans, les estimations deviennent beaucoup plus précises et moins variables. Cependant les progrès continuent au-delà. Nous avons par exemple demandé à des enfants de reproduire une durée de 30 s : ils devaient appuyer sur un bouton lorsqu'il leur semblait qu'il s'était écoulé une durée égale à l'étalon. Nous avions décidé de compter comme bonnes réponses toutes celles qui se produisaient dans un intervalle de ± 5 s. Un signal annonçait aux enfants si leur réponse était bonne, anticipée ou retardée. Chaque âge étant représenté par 20 enfants et chaque enfant ayant fourni 10 réponses, les pourcentages des différentes réponses sont les suivants : °Ages 6 ans ........... 8 10 - ...........i
/
1 1
Réponses exactes °6 ,0 36 45 i3
I Réponses Réponses trop longues trop courtes 0',0 ) 0 1 2a 43 28 2'I ! 30 16 ; /
Ces chiffres confirment notre remarque précédente : les durées pleines sont surestimées davantage chez les jeunes enfants. Ils montrent surtout le lent progrès de l'estimation (Fraisse et Orsini, 1958). A 11 ans, selon Gilliland et Humphreys (1943), les enfants font encore des erreurs d'estimation qui sont presque le double de celles des adultes. Pour interpréter ce résultat, il faut tenir compte du fait que les auteurs ont combiné les trois méthodes, estimation, production et reproduction. Le développement de l'appréciation par la seule méthode de reproduction se prolongerait jusque vers 14 ans, si nous en croyons les résultats de Jampolsky (1951). Il ne s'agit pas, il est vrai, dans les expériences de ce dernier, d'évaluation temporelle simple. Ayant frappé quelques coups à intervalles réguliers de 5 s, il demandait à ses sujets de continuer à la même vitesse. En classant les sujets en deux groupes, ceux qui vont plus vite et ceux qui vont plus lentement (ceux-ci ne représentent à tous les âges que 20 % des sujets), on constate que les moyennes des deux groupes se rapprochent en fonction de l'augmentation de l'âge, ce qui
L'ESTIMATION DU
2.i3
indique que les estimations plus en plus précises (1) :
deviennent
dans l'ensemble
de
14 ans Etudiants ans j 10 ans I––––– 12 ans––––– ––––––– ' Moyennede ceux qui vont 2,82 s 13.25J s 3.0;; s 4,02 s 4,21 s trop vite.............. Moyennede ceux qui vont 8,50 s 7.61 s 6.5.3s 5,54 s 1 fiJ.75s trop lentement ........ I
L'enfant n'apprend que lentement à apprécier la durée avec la même précision que l'adulte. A quoi est dû ce progrès ? Au développement de possibilités nouvelles ou simplement à un entraînement qui se réalise peu à peu au cours de la vie. Une recherche récente d'Orsini (résultats inédits) permet de répondre que ce qui manque à l'enfant est essentiellement un entraînement. Avec la même technique que celle rapportée plus haut (expérience de Fraisse et Orsini), les enfants de 7 ans ont été entraînés à évaluer les durées de 30 s avec chaque fois connaissance de leurs résultats (exact à rL 5 s, trop long, trop court). Cet apprentissage s'est étalé sur trois semaines. Les résultats montrent un progrès considérable et stable comme le confirment les contrôles réalisés trois mois plus tard. (Le fait que les enfants n'ont pas compté a été véiifié.) ' Enfants Adulte!; I ¡ Avant Avant Après Trois mois après apprentissageapprentissage apprentissage 1 Exact ......... 9,6 % 45,5 %1 I 40,9 QI ) 36 °,'o 29;1 78,0 23,6 ! 29 .Trop long...... 1 30,0 -35 30,9 12,4 Trop court..... l, * * * Le problème central en psychologie génétique n'est cependant pas celui de la précision : il est de savoir si l'enfant emploie pour estimer le temps les mêmes informations que l'adulte. (1) Cependant,mêmechezl'adulte,les deuxtendancesdemeurent.LlewellynThomas(1959)a utiliséune méthodevoisinede cellede Jampolsky(l'étalonprésentéavant chaquereproduction est égalà la reproduction précédente)72 : % des plus sujetstendentà donnerdesreproductions pluscourtes,150' desreproductions longueset 13% ne manifestentaucunetendance.
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PSYCIIOUJGIE D17 TEMPS
En étudiant les sentiments de temps, il nous a semblé que la durée se révélait justement à l'enfant dans la distance entre le moment de l'éveil du désir et celui de la satisfaction. Tout comme l'adulte, l'enfant éprouve le sentiment que le temps de l'attente est trop long ou que le temps de l'effort, celui de manger sa soupe par exemple, n'en finit plus. Cette conscience de la durée apparaît vers 3 ou 4 ans ; à cet âge, l'enfant devient capable d'accepter que sa satisfaction soit différée ou de poursuivre un effort pour atteindre un but dont la nécessité s'impose à lui. Ces sentiments de temps, bien que, sur le plan de la représentation, ils soient plus confus chez l'enfant que chez l'adulte, sont cependant ressentis plus vivement par l'enfant qui, ayant moins de stabilité émotive, supporte plus difficilement le conflit entre les exigences du présent et la satisfaction escomptée dans un proche avenir. Inversement, quand il est absorbé profondément dans le présent, et qu'on l'arrache à son activité spontanée pour le dîner ou la toilette, il est plus surpris que l'adulte d'apprendre qu'une longue durée s'est écoulée et il est tenté de nier l'évidence. Le jeune enfant se fie à ses sentiments de temps : sur ce plan, il ne saurait y avoir de discussion. Mais une fois qu'il est capable d'une certaine appréciation de la durée, c'est-à-dire vers 4 ou 5 ans, l'enfant utilise-t-il également les deux autres critères de l'adulte, c'est-à-dire la multiplicité plus ou moins grande des changements perçus et la quantité de travail accompli ? La question a été posée en particulier par Piaget. A la suite de ses études sur Le développement de la notion de temps chez l'enfant (1946), il a été amené à penser que l'enfant estimerait la durée d'abord d'après le travail accompli, puis, dans un stade ultérieur seulement, d'après l'activité ressentie. Selon lui, seuls des enfants plus âgés sont capables de dissocier « le travail effectué de l'activité elle-même et jugent de la durée d'après les caractères introspectifs de celle-ci » (ibid., p. 50). Nous discuterons à fond la thèse de Piaget dans le prochain chapitre, car elle prend toute son importance lorsqu'il s'agit du développement de la notion de temps chez l'enfant. Ici, nous nous contenterons de quelques constatations de fait. D'après nos observations, le jeune enfant de 5 ans environ, c'est-à-dire le plus jeune enfant à qui l'on puisse poser de petits problèmes pour contrôler son mode d'appréciation de la durée, estime la
L'ES1'IMATIOIV D11 TEMPS durée tantôt par le travail accompli et tantôt par les changements perçus. Nous nous appuyerons pour le prouver sur nos propres expériences, mais aussi sur celles de Piaget lui-même, car certaines de ses recherches peuvent s'interpréter dans le sens de notre: thèse. D'ailleurs, si la distinction des deux stades successifs paraît nette à Piaget quand l'enfant doit estimer ce qu'il appelle « le temps physique », c'est-à-dire la durée des changements qui se produisent autour de nous, lui-même cependant reconnaît que, dans l'estimation de la durée de l'action, « la continuité demeure... beaucoup plus grande entre les réactions des petits et celles des grands et les illusions qui interviennent dans l'appréciation des durées se présentent sous des formes qualitatives communes à l'enfant et à l'adulte luimême » (ibid., p. 242). Toutes les expériences que nous allons citer sont organisées sur le même principe : l'enfant a pour tâche de comparer deux durées pendant lesquelles les changements qui se produisent et le travail accompli sont de nature différente. La réponse qu'il donne et secondairement les raisons qu'il invoque doivent nous révéler sur quelles données il s'est fondé dans son estimation. Considérons d'abord le cas de l'appréciation de la durée de l'action à partir d'une expérience rapportée par Piaget (ibid., pp. 253-256). L'enfant devait transporter d'une boîte dans une autre des plaquettes de bois dans un cas, de plomb dans l'autre, en utilisant de petites pinces. La durée de travail était, à l'insu de l'enfant, la même dans les deux cas. Le transport des plaquettes de bois était évidemment plus facile ; l'enfant en déplaçait donc plus que de plaquettes de plomb. Interrogés, certains enfants - une minorité - trouvent que le temps occupé à transporter des plaquettes de bois a été plus long, « parce que j'en ai mis plus » disent-ils pour justifier leur appréciation. Leur jugement est donc fondé sur le travail accompli : plus de pièces = plus de temps. D'autres enfants jugent au contraire que le transport du plomb a été plus long. Leurs justifications sont maladroites : « parce que c'est plus grand o, « c'est plus lourd », « on s'est accroché. » Elles font cependant ressortir le caractère di?cultueux de la tâche. Or, ce caractère a pour effet, comme nous l'avons vu, d'attirer l'attention du sujet sur chacun des changements. Chaque transport « compte ». Le
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l'S YCllOLOG1EDU TEMYS
cas est semblable à celui d'une marche difficile dans la neige. Piaget à ce sujet note finement que « durant les marches en montagne, lorsqu'on brasse une neige épaisse montant jusqu'audessus des genoux, dix minutes d'effort imposé et de montée lente en paraissent au moins vingt, tandis qu'un pas aisé donne lieu à des appréciations normales » (ibid., p. 259). Zuili a repris, à notre suggestion, le principe de cette expérience et a poursuivi la recherche sur de très nombreux enfants de 5 à 13 ans. Il s'agissait, dans le cas de la tâche facile, de transporter des anneaux avec la main et, dans le cas de la tâche difficile, des jetons avec une pince. A tous les âges, les enfants transportent environ 2,5 fois plus d'anneaux que de jetons. Si on fait comparer deux durées objectivement égales, 70 % des enfants de 5 ans jugent que le transport des anneaux a duré plus longtemps que celui des jetons. Ils jugent donc d'après le travail accompli, mais 30 % jugent en fonction d'un autre critère. Un indice est plus prégnant que l'autre. Avec l'âge, cette différence s'atténue et, à 13 ans, le même nombre d'enfants jugent dans un sens ou dans l'autre. On peut alors penser qu'ils compensent une donnée : le nombre de transports par la durée de chaque transport. Cette importance du nombre apparaît encore mieux si on demande à l'enfant de 5 ans de transporter des jetons pendant une durée équivalente à celle pendant laquelle il vient de transporter des anneaux. A cet âge, l'enfant cherche fréquemment à égaliser dans un sens ou dans l'autre le nombre de pièces transportées. Il se révèle ainsi peu sensible aux autres critères (durée de chaque transport, vitesse des mouvements, difficulté relative des tâches) dont il tiendra compte plus âgé. La même conclusion se dégage d'une recherche d'un tout autre type que nous avons réalisée en empruntant à Piaget une autre de ses techniques (Fraisse et Vautrey, 1952). La tâche de l'enfant consiste cette fois à comparer la durée de déplacement rectiligne de deux figurines de plomb (coureurs cyclistes) qui se meuvent sur une table parallèlement, dans le même sens, et en même temps. En tenant compte de l'ordre des départs et des arrivées, des vitesses et de la longueur des trajets, l'adulte peut sans difficulté décider de la durée relative des parcours. Mais nous verrons au chapitre suivant que l'enfant n'est pas capable de ces opérations avant l'âge de 7-8 ans. Comment alors
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257
l'enfant de 4-5 ans, privé des moyens de mesurer la durée, pourra-t-il résoudre un problème qui exige de lui une appréciation directe du temps ? Avant de décrire cette recherche, précisons que notre objet n'est pas ici de savoir s'il donnera une réponse juste, mais de découvrir quels indices lui permettent d'apporter une solution. Soit deux coureurs A et B qui partent simultanément de la même ligne et dans la même direction. A marche deux fois plus vite que B. Les deux coureurs s'arrêtent simultanément. Ils ont donc marché durant le même temps, mais A a parcouru une distance double de celle de B. 17 % seulement des enfants reconnaissent que les durées sont égales. Les autres se partagent en deux groupes équivalents. Les uns jugent que A a marché plus longtemps ; si on leur demande pourquoi, ils invoquent la plus grande vitesse ou le plus long chemin parcouru. Leur erreur vient donc de ce qu'ils jugent les durées d'après le travail accompli : A a fait quelque chose de plus que B. Les autres enfants pensent que c'est le coureur B qui a marché le plus longtemps. Leurs explications nous montrent pourquoi ils en jugent ainsi. « Il Était fatigué » disent-ils, « il avait la flemme », ce qui suggère que les enfants jugent dans ce cas de la dure de la marche du coureur par identification avec leur expérience personnelle. Quand on est demilre les autres, que l'on va moins vite, c'est que la tâche est trop difficile, alors on remarque davantage chaque pas qui coûte un effort. L'enfant qui juge que le coureur le moins rapide et qui s'est avancé le moins loin a marché plus longtemps que l'autre apprécie donc la durée à partir du même critère que celui qui trouvait que le transport des plaquettes de plomb était plus long que celui des plaquettes de bois. L'un directement, l'autre par identification, jugent de la durée d'après les changements vécus. Cette interprétation des réponses est confirmée par d'autres situations expérimentales où les durées des parcours sont inégales. Dans de telles conditions, la majorité des enfants arrivent à répondre exactement, ce qui implique - en l'absence de comparaisons opératoires - qu'ils utilisent exactement une information qui correspond à la réalité. Voyons successivement les deux cas qui peuvent se présenter. Dans le premier, le coureur qui a marché le plus longtemps est celui qui a fait le « plus » de choses : par exemple les deux coureurs partent simulP. FRAISSE 17
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tanément de la même ligne dans la même direction, à la même vitesse, mais l'un marche deux fois plus longtemps et parcourt donc deux fois plus de chemin. 71 % des enfants reconnaissent qu'il a marché plus longtemps. Les résultats sont du même ordre si la vitesse de celui qui marche le plus longtemps est aussi la plus grande. Dans le second cas, la situation est telle que le coureur qui marche le plus longtemps fait quelque chose de moins que l'autre : chemin mcindre ou parcouru moins vite. Si les enfants étaient alors capables de juger seulement d'après le travail accompli, ils devraient se tromper massivement. Il n'en est rien. Soit par exemple deux coureurs qui partent l'un après l'autre d'une même position de départ, mais dont l'un, qui se met en marche, le second, va plus vite, de telle sorte qu'ils arrivent ensemble sur la ligne d'arrivée. C'est l'histoire du lièvre et de la tortue : 61 % des enfants estiment que celui qui a marché le moins vite a marché le plus longtemps. Les témoignages des enfants confirment que dans le premier cas ils se sont laissé guider par la quantité de travail accompli par le mobile, tandis que, dans la seconde expérience, ce qui a compté a été la quantité de changements au cours de l'action. La « tortue » qui allait plus lentement a eu plus de difficultés. La majorité des enfants est donc capable de choisir le bon critère, mais une minorité notable commet une grosse erreur en se confiant à l'autre critère. * * * Nous voyons donc que les jeunes enfants utilisent les mêmes informations que les adultes mais leurs estimations présentent des particularités qui ressortent des expériences mêmes que nous avons relatées. La première est que les moyens directs et globaux d'appréciation sont plus utilisés par les enfants que par les adultes. L'adulte sait que ses appréciations ne sont pas sûres, parce qu'il en a fait souvent l'expérience. Chaque fois qu'il le peut, il cherche à évaluer indirectement la durée. Dans des courses par exemple, il raisonne à partir des positions de départ et d'an ivée, ou il tient compte du rapport espacevitesse : le mobile qui va plus vite met moins de temps. Qui de nous, assistant à une course, aura l'idée d'apprécier direc-
L'ESTIMATION DU TEMPS
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tement les temps des coureurs, alors qu'il sait que le premier a mis moins de temps que le second ? Nous nous contentons de constater l'ordre des arrivées et par un raisonnement implicite nous inférons la durée des trajets. Or, nous verrons au chapitre VIII que précisément le jeune enfant n'est pas capable de ces déductions ; il se confie entièrement aux modes plus directs d'appréciation. La seconde particularité est justement cette confiance que l'enfant accorde au mode d'appréciation qu'il emploie. Il se centre sur lui. Il ne met pas en balance son appréciation avec une tentative de mesure ; il ne prend pas non plus conscience de la pluralité des modes possibles d'appréciation qui crée chez l'adulte ces phénomènes de contraste sur lesquels nous avons insisté. Tous les protocoles de Piaget sont très frappants à ce point de vue. Ce qu'il appelle le stade de l'intuition articulée, intermédiaire entre le stade intuitif et le stade opératoire, serait assez justement caractérisé si l'on disait que l'enfant commence alors à mettre en doute sa première intuition et à la confronter avec les autres moyens d'estimation qu'il a à sa disposition. Piaget note d'ailleurs cette prudence croissante des enfants qui emploient de plus en plus avec l'âge des expressions du type « il me semble o, quand la situation ne permet pas une mesure exacte : c'est le cas en particulier lorsqu'ils comparent les durées du transport des plaquettes de plomb et des plaquettes de bois. Qu'est-ce qui détermine le choix d'un type d'information plutôt qu'un autre par l'enfant ? En parlant des adultes, nous notions que des différences typologiques devaient expliquer le fait que certains étaient plus sensibles au travail accompli et d'autres aux changements ressentis. En est-il de même pour les enfants ? Aucune vérification n'a été tentée. Nous avons seulement constaté dans nos expériences que les mêmes enfants utilisaient tour à tour les appréciations à partir du travail accompli ou à partir des efforts ressentis. Les situations auxquelles ils étaient soumis étaient ambiguës, il est vrai, et avaient été voulues telles pour mettre en évidence les modes de réponse possibles. Dans la vie quotidienne, il faut penser que c'est la nature même de la situation qui détermine la qualité des informations utilisées. Quand il ne s'agit que d'apprécier la durée d'un changement physique, nous n'avons le plus
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souvent à notre disposition que des indices relatifs à la quantité du travail, tandis que dans nos actions proprement dites les changements ressentis jouent fréquemment le rôle principal. La troisième particularité résulte de la manière dont l'enfant quantifie le travail accompli. En ce domaine, il se contente aussi d'une intuition globale et non d'une estimation qui tienne compte de toutes les données de la situation. Empruntons un exemple à Piaget (ibid., p. 130) qui a beaucoup insisté sur cet aspect. Soit un ballon dont l'eau s'écoule par un tube en Y commandé par un seul robinet dans deux vases de formes et de volumes différents. Si on fait couler l'eau jusqu'à ce que la bouteille qui a la plus petite capacité soit pleine, la seconde n'étant que partiellement remplie, le jeune enfant estime que dans la bouteille remplie l'eau a coulé plus longtemps et qu'il y a plus de liquide. L'erreur faite par l'enfant sur le « travail accompli » se répercute sur son appréciation de la durée. Un enfant un peu plus âgé ne se laissera plus prendre à cette intuition perceptive. Il sera capable d'interpréter simultanément toutes les données de la situation : la synchronisation des écoulements et l'égalité des débits (voir chap. VIII, p. 282). Une erreur fréquente de l'enfant - Piaget l'a aussi montré consiste à confondre plus vite et plus de temps. Celui qui va plus vite fait plus de travail et, faute de savoir rapporter la vitesse à l'espace, les enfants se trompent sur le travail accompli. * * * En réalité, l'enfant, incapable d'estimer la durée par la mesure proprement dite, est, dans ses appréciations, encore plus dépendant que l'adulte de ce qui se passe dans cette durée, qu'il s'agisse soit des changements physiques qu'il constate à l'aide de ses propres moyens d'estimation, soit des changements ressentis. Même quand l'enfant, après 7-8 ans, devient capable des premiers raisonnements et qu'il commence à avoir quelque notion du temps, il semble rester encore plus que l'adulte sensible à ces aspects qualitatifs de la durée. Si avec l'âge ses estimations deviennent plus précises, c'est sans doute parce qu'il use mieux des unités temporelles, mais aussi parce qu'il se fie de moins en moins à ses impressions immédiates. Cette
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évolution nous semble établie par le travail d'Axel (1924) auquel nous nous sommes déjà référé (p. 240). Il a fait estimer en minutes et secondes par de nombreux enfants âgés de 9 à 14 ans la durée de difFérentes tâches : durée vide, écrire des I, barrer des signes et faire un calcul mental (additionner les nombres de 7 en 7). Le tableau suivant, où se trouvent les médianes des estimations, met en évidence les faits saillants (durée de chaque tâche : 20 s). " d enfants 9........... 10 ........... 11 ........... 12 ........... 13 ........... 14 ...........
I Écrire Durée vide des 1 Barrage ) I 45 ' 60 12D 70 / 135 20 46,5 35,5 32 23 15 117 22 15 93 30 / 122 31 20 22,5 ' 18,5 138 30 17 1 .
Nombre
l
Calcul;1 mental 27,5 20,0 17,0 15 15 13
Nous constatons d'abord que les réponses, qui manifestent une forte surestimation à 9 ans, deviennent de plus en plus précises avec l'âge et se rapprochent de la durée réelle. Le fait saillant est qu'à tous les âges les tâches se classent, quant à leur durée apparente, selon le même ordre que chez l'adulte. Mais l'écart entre l'estimation des tâches qui paraissent les plus longues et celle des tâches qui paraissent les plus courtes diminue avec l'âge, qu'il soit considéré en tant que différence ou, ce qui est plus exact, en tant que rapport. Ainsi écrire des 1 apparaît, à 9 ans, 2,5 plus long que le calcul mental, mais seulement 1,4 fois plus à 14 ans ; l'évolution est graduelle et générale. En résumé, le jeune enfant apprécie la durée en usant des mêmes moyens d'informations que l'adulte, mais il lui manque de savoir rapprocher les diverses estimations possibles de la durée. Avec l'âge, il apprendra à les confronter et à les corriger par des évaluations indirectes à partir des moyens de mesure : ordre des successions, repères temporels, relation inverse entre le temps et la vitesse. B) Les appréciations du temps dans la vieillesse Les problèmes qui peuvent se poser dans la vieillesse sont évidemment d'un tout autre ordre. De l'involution des fonctions mentales il ne faut pas conclure à leur disparition et nul indice
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PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS
de supposer permet que le vieillard n'apprécie pas de la même manière une que l'adulte. Cependant « A mesure que l'on vieillit, a souvent été faite : on remarque trouve le temps plus court » (W..James, W. James 1932, p. 370). limite la portée d'ailleurs lui-même de cette loi. Elle serait valable des des mois et des années, pour l'appréciation jours, mais moins certainement des heures. Les pour l'appréciation n'ont de vérification été elles seraient faites ; expériences pas donné absolues des étant délicates, qu'il s'agit d'impressions vieillards. à ceux-ci de faire une estimation Si on demande dite, il est vraisemblable proprement qu'ils sauront corriger leur impression et donner une réponse aussi exacte première étaient l'observation que lorsqu'ils plus jeunes (1). Cependant de W. James a été faite si fréquemment est probaqu'elle blement exacte. Nous serions même tenté de penser qu'elle aussi bien au cas des heures, c'est-à-dire des durées s'applique d'être durées. qui viennent juste vécues, qu'aux plus longues Le phénomène est seulement moins sensible qu'il porte parce sur une petite durée. Les interprétations les plus fréquentes de ce fait sont à la thèse que nous avons défendue conformes et selon laquelle à la multiplicité des chanl'estimation de la durée est relative en effet, que la brièveté vécus. W. James gements explique, du temps provient du fait que les événements de la vie dans l'âge avancé sont si habituels qu'ils ne laissent pas de souvenirs de individualisés. Guyau dit la même chose : « Les impressions la jeunesse et nombreuses ; sont vives, neuves les années sont donc remplies, différenci6es de mille manières... Le fond du alors dans le lointain derrière théâtre recule tous les décors comme des changements à vue... changeants qui se succèdent Au contraire, la vieillesse, c'est le décor du théâtre classique, le même, un endroit banal... Les semaines se ressemtoujours c'est le train monotone de la vie. blent, les mois se ressemblent, Toutes ces images se superposent et n'en font qu'une » (Guyau, ne nous la durée
1902, pp. 100-101). Le vieillard ressent une vie plus tranquille,
moins de changements, parce qu'il vit mais surtout cours de ses parce qu'au
(1) Sans qu'il s'agisse de vieillards, Pumpian-Mindtin (1935) a trouvé que les personnes de 40-60 ans ne faisaient pas plus d'erreurs systématiques dans leurs estimations que celles de 20-30 ans.
L'ESTIMATION DU TEMPS
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activités il remarque moins de changements, ceux-ci étant trop habituels. Le phénomène serait exactement le même que celui que nous avons déjà analysé (p. 235) : lorsque nous répétons plusieurs fois une même tâche, le temps nous paraît de plus en plus court parce que notre esprit n'a plus besoin d'être attentif à chaque moment de l'action. Cette brièveté absolue du temps pourrait expliquer que le temps semble passer relativement plus vite : en effet, elle introduit un contraste entre le temps vécu et le temps tel qu'il est mesuré par les montres ou les calendriers. D'autres interprétations ont été proposées pour rendre compte de cette apparente accélération du temps avec l'âge : elles ne contredisent pas celle que nous venons de développer. Paul Janet (1877) avait remarqué que la durée apparente d'une portion de temps pouvait être relative à la durée totale de la vie. Ainsi une année à 20 ans représenterait un vingtième de la vie, et à 60 ans un soixantième. Que ce rapport joue un rôle dans l'évaluation de périodes de notre vie, le fait est vraisemblable, car nos jugements d'une partie sont toujours relatifs à l'ensemble auquel elle appartient, et la loi de Weber au sens large peut jouer aussi dans ce domaine (Benford, 1944). Il est manifeste qu'une année dans le jeune âge compte plus que dans la maturité ou dans la vieillesse. Nos anniversaires perdent de leur importance à mesure que nous vieillissons ; l'enfant ne se trompe pas sur son âge, l'adulte doit faire un effort de mémoire ou un calcul. Cependant cette loi ne peut s'appliquer qu'à de longues durées, quand joue un effet de perspective au moins implicite. Lorsqu'il s'agit de la longueur de chaque jour, on ne peut pas dire que le vieillard en juge par rapport à l'ensemble des jours vécus. Plus récemment, Carrel (1931) et Lecomte du Nouy (1936) ont proposé une interprétation supplémentaire. Ayant découvert que les plaies se cicatrisaient de plus en plus lentement à mesure que nous vieillissons, ils en ont déduit l'existence d'un temps physiologique qui ne pouvait être assimila au temps sidéral. Dans une même unité de temps, les changements biologiques sont plus nombreux lorsqu'on est jeune que plus tard, c'est-à-dire que le travail effectué par l'organisme est plus grand. « A des âges différents, il faut des temps différents pour accomplir le même travail, la cicatrisation d'un centimètre
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PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS
du Nouy, ibid., p. 234). Retournons carré de plaie » (Lecomte la situation. Si nous prenons comme unité de temps la durée d'un phénomène la durée de cicatribiologique, par exemple sation d'une plaie d'un centimètre à carré, il lui correspondra des changements mesure vieillit sidéraux de que l'individu ce que nous traduisons en disant que plus en plus importants, de en le temps de Lecomte plus plus vite. Le postulat passe du Nouy est que notre appréciation du psychologique temps est à l'unité elle-même de la « subrapportée biologique temps, à notre intelligence un renseignement conscience fournissant brut » (ibid., p. 237). Ce passage du temps au temps biologiques psychologique est-il aussi direct ? Il est légitime de penser que le temps biosur notre a une influence estimation de la durée. logique D'ailleurs nous avons déjà vu que celle-ci dépendait chez les animaux comme chez l'homme de la température qui active ou ralentit les échanges de telles biologiques (1). Mais comment au plan de l'appréciation du temps ? données se traduisent-elles Il est tout à fait possible que dans la vieillesse une activité biomoins grande nous fasse enregistrer moins de changelogique ments et que, du même coup, les heures ou les journées nous contraste courtes semblent Mais, à plus par qu'auparavant. notre il ne là de données avis, que s'agirait primaires que au fur et à mesure les habitudes sociales. Si corrigeraient à les personnes s'accordent dire le âg'es que temps passe il est non moins vrai que leurs appréplus vite qu'autrefois, Le temps psycholociations ne sont guère modifiées. objectives conditionné le on est sans doute par temps biologique ; gique ne peut cependant ramener l'un à l'autre, car les régulations sont plus complexes mettent (2), puisqu'elles psychologiques de contraste, en jeu toutes les fonctions : autophénomènes etc. corrections, habitudes, (1) Ces échanges ne doivent pas être confondus avec la simple accélération de rythmes physiologiques comme ceux du cœur ou de la respiration. (2) C'est pour cette raison sans doute yue Gardner (1935), partant lui aussi d'une hypothèse physiologique, n'a pas trouvé de différence dans l'estimation du temps entre des hyper- et (les hypotlyroïdiens. Peut-être leur temps vécu est-il estimations interviennent aussi des corrections d'origine différent, mais leurs sociale.
L'ESTIMATION DU TEMPS
2°
L'INFLUENCE
265
DU
SEXE
Tout le monde a remarqué l'influence de l'âge sur l'appréciation du temps ; par contre, ce sont surtout les situations expérimentales qui ont révélé qu'il pourrait exister, à ce point de vue, une différence entre les hommes et les femmes. Mac Dougall en 1904 a soulevé le problème. Il avait trouvé que la durée de quatre tâches différentes était en moyenne plus surestimée par les femmes que par les hommes. Yerkes et Urban ont repris le problème en 1906 et ont obtenu le même résultat. Axel (1924), dans l'importante recherche que nous avons déjà citée plusieurs fois, a trouvé lui aussi que les femmes estimaient les durées plus longues qu'elles n'étaient, quelle que soit la tâche proposée. Voici par exemple les médianes des estimations de 46 hommes et de 42 femmes pour des tâches d'une durée de 30 s. Hommes Femmes Estimation d'une durée vide ......... Tapping ........................... Barrage de chiffres ................. Analogiesà découvrir ............... Série de chiffresà compléter ........
27 26 20 18 14
36,5 38 32 25,5 24
Sur des groupes plus nombreux, Gulliksen (1927) a trouvé également que la durée de toutes les tâches était estimée plus grande par les femmes que par les hommes et que ces différences étaient significatives, sauf pour les tâches les plus difficiles (lecture dans un miroir, dictée, divisions). Cette loi qui avait l'air d'être solidement établie, mais pour laquelle aucune interprétation n'avait été proposée, n'a pas été confirmée par des études qui sont plus récentes, mais qui ne peuvent pas être considérées comme moins sérieuses que les précédentes. Swift et Mac Geoch (1925) par exemple ne décèlent pas de différence entre femmes et hommes dans l'estimation de tâches diverses, les femmes ayant plutôt tendance à moins surestimer relativement les durées que les hommes. Harton (1939), faisant estimer des périodes de 4 mn consacrées à quatre activités différentes, trouva que la moyenne de l'estimation des hommes est de 287 s (cr 101) et celle des femmes de 243 s 76). Gilliland et Humphreys (1943), en combinant
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DU TEMPS PSYCHOLOGIE ..-
les résultats obtenus par les trois méthodes, estimation, production et reproduction, ne mettent en évidence aucune différence entre les sexes. De même, Thor et Crawford (1964) ne trouvent pas d'effet du sexe dans l'estimation de la durée au cours de deux semaines de confinement. L'étude critique des techniques employées ne rend pas compte de ces divergences. Aussi bien nous n'essaierons pas de tenter une explication des différences possibles entre les appréciations des durées par les hommes et par les femmes. Seules de nouvelles expériences faites dans des conditions variées pourront trancher la question de fait avant toute interprétation. Nous avons voulu seulement ne pas passer le problème sous silence. 3° L'INFLUENCEDE LA PERSONNALITÉ Sans doute parce que nos moyens d'investigation de la personnalité sont encore infimes et nos moyens d'étudier l'estimation du temps peu précis, il est difficile de déterminer l'influence de la personnalité sur l'estimation du temps. Seule peut-être la pathologie nous apporte-t-elle quelque indication. Psychopathes, hystériques et maniaques donnent des estimations plus longues d'une durée de 30 mn que les névrosés déprimés et anxieux et les mélancoliques. Par une méthode de production (30 s), on trouve des résultats concordants, les névrosés donnant des productions plus longues que les psychotiques (Orme, 1964). Il semble, d'autre part, y avoir quelque relation entre l'extraversion et la durée de la reproduction (Du P. eez, 1964).
CHAPITRE
LA NOTION
VIII
DE
TEMPS
« L'idée de temps, comme celle d'espace, est empiriquement le résultat de l'adaptation de notre activité et de nos désirs à un même milieu inconnu et peutêtre inconnaissable. » (GUY AU, Genèse de l'idée de temps, 2e éd., 1902, p. 46.) Les conduites temporelles que nous avons étudiées jusqu'à étaient à des séquences relatives isolées de présent toujours changements. conditionnement au temps ne se produit Chaque que pour est intéressé : une série de changements auxquels l'organisme des rythmes de l'activité aux phases synchronisation organique la du nycthémère, à durée un stimulus adaptation qui sépare du stimulus annoncé. conditionnel une orgaLa perception du temps n'est possible qu'à travers des excitations les nisation qui exige que stimuli-changements aient une certaine homogénéité, c'est-à-dire qu'ils appartiennent en pratique à une même séquence. La représentation des changements le champ des élargit de l'homme. Elle permet d'un horizon conduites l'acquisition elle fonde certaines estimations du temps. Mais ces temporel, considérées isolément sont enfermées dans des bornes conduites Il suffit pour le constater de étroites. de considérer l'activité l'enfant subit une double limitation : il ne saisit qui qu'intuil'ordre tivement de séries simples d'événements et il n'aples durées que par les changements préhende qu'il a éprouvés. C'est de ces déficits nous allons cerner que pour partir forme la achevée de la au plus l'adaptation progressivement
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
changement, c'est-à-dire le développement de la notion de temps. Étudiant les étapes génétiques de son acquisition, nous en définirons la nature et le rôle qu'elle joue dans la maîtrise de notre univers. 1 LES DÉFICITS DES CONDUITES TEMPORELLES AU STADE I'RÉ-NOTIONNEL La meilleure manière de montrer ce que la notion de temps permet à l'homme est de considérer ce qu'il fait ou plutôt ce qu'il ne peut pas faire à l'âge où il ne possède pas encore cette idée. A 5 ans (1), l'enfant a déjà des perspectives temporelles, il a pris conscience de la résistance du temps, il est capable d'estimations simples de la durée. Cependant il échoue devant beaucoup de problèmes temporels que lui pose la vie. Les changements dans lesquels nous vivons se définissant par leur ordre de succession et les intervalles de durée qui les séparent, il nous suffit de saisir l'ordre et les intervalles entre les changements pour avoir tous les éléments nécessaires à la reconstitution de la série. Comment l'enfant arrive-t-il à cette double connaissance ? Nous reconsidérons successivement les problèmes posés par l'ordre et par les intervalles. 10
L'APPRÉHENSION
DE
L'ORDRE
La perception de la succession temporelle de deux événements ne présente pas de difficulté pour l'enfant de 5 ans, mais elle est très fragile dès que les deux stimuli n'appartiennent pas à la même série d'événements. Cette incertitude tient à ce que l'enfant n'est pas capable de confirmer des informations fugitives par l'utilisation raisonnée d'autres repères. Prenons un exemple que nous emprunterons, comme beaucoup d'autres dans ce chapitre, à l'ouvrage de Piaget, Le développement de la notion de temps chez l'enfant (1946). Ses comme référence dans ce paragraphe l'enfant de 5 ans (1) Nous prendrons en particulier et verbal général permet déjà des parce que son développement examens sérieux et que, d'autre réverpart, il n'est pas encore capable d'opérations vers 7 ans environ. seulement sibles, possibilité qui se manifeste
LA NOTION DE l'EMPS
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analyses et ses expériences ont posé le problème d'une manière si originale et si pénétrante que toute réflexion ne peut désormais passer que par son oeuvres. Présentons à un enfant la course de deux petits bonshommes, l'un jaune, l'autre bleu, que l'on déplace parallèlement et dans la même direction sur une table. Faisons-les partir simultanément mais à des vitesses différentes. Le jaune, plus rapide, va plus loin, s'arrête le premier ; le bleu, plus lent, continue à avancer un peu tandis que le jaune est déjà arrêté ; il s'arrête donc après lui mais sans cependant le rattraper spatialement. Avec un enfant de six ans le dialogue suivant s'engage : « Ils sont arrivés en même temps ? Non, le jaune s'arrête avant l'autre. - Lequel s'est arrêté en premier ? - Le bleu. - Lequel plus tôt ? - Le bleu - Midi, c'est l'heure de quoi faire ? - De dîner - On dira que le jaune s'arrête quand il est midi. Quand s'arrête le bleu (on montre à nouveau les courses) ? A midi aussi, avant midi ou après midi ? Avant midi - Regarde (on recommence) - Oui le jaune s'arrête en premier. Il a marché plus longtemps - Et l'autre ? - Il s'arrête avant midi... » (ibid., p. 91). L'enfant a bien perçu que le jaune s'était arrêté le premier, mais les différences de vitesses, d'espaces parcourus, de positions à l'arrivée interfèrent avec cette perception fugitive et l'enfant s'embrouille. L'ordre spatial en particulier le trouble et il traduit le retard spatial par un retard temporel. Puisque le bleu a été moins loin, il s'est arrêté avant midi. Cette erreur par contre ne se produit pas si l'ordre temporel est corroboré par l'ordination spatiale. L'enfant, s'il était interrogé sur les positions prises successivement par un seul mobile, ne s'y tromperait pas ; même avec deux déplacements, si ceux-ci sont de sens contraire, l'enfant ne commet plus d'erreurs. Il y a alors dissociation des deux déplacements, la perception de l'ordre temporel n'interfère avec aucune autre et n'est pas mise en question ; aussi bien Piaget pense-t-il que la confusion dans le cas des trajectoires de même sens n'est pas verbale, les termes le « premier », « d'abord n pouvant avoir un sens spatial ou temporel, mais résulte d'une confusion logique entre les données de l'expérience (ibid., p. 92). Le même phénomène se retrouve quand il s'agit de percevoir la non-succession de deux événements, c'est-à-dire leur simul-
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS - ---
tanéité. Si nos deux mobiles de tout à l'heure, le jaune et le bleu, s'arrêtent simultanément, le jaune étant allé plus loin que le bleu, l'enfant reconnaît que le jaune ne marchait plus quand le bleu s'est arrêté, mais il conteste qu'ils se soient arrêtés au même moment, parce que le jaune est allé plus loin et le bleu moins loin (ibid., p. 106). Cette erreur cesse si le jaune et le bleu arrivent sur la même ligne ; il n'y a en effet plus de difficultés pour l'enfant à reconnaître qu'ils se sont arrêtés simultanément. Encore une fois, l'ordre temporel est mal dissocié de l'ordre spatial, mais s'ils coïncident il n'y a plus d'erreurs. Quelle sera la supériorité de l'adulte ? S'il doute de ses sens, il saura raisonner ; dans notre exemple, en considérant les positions de départ et d'arrivée et les vitesses des mobiles, il pourra reconstruire l'ordre temporel. Cette reconstruction est encore plus nécessaire quand il ne s'agit plus seulement de la perception, mais de l'évocation mnémonique de l'ordre des événements. Chez les enfants, les souvenirs s'entassent pêle-mêle parce qu'ils ne savent justement pas reconstruire leur passé, comme le traduit la maladresse de leurs récits où l'ordre des événements dépend plus de leurs intérêts ou d'associations accidentelles que de la réalité. Une autre technique a permis à Piaget d'étudier les difficultés propres à l'enfant pour établir la succession : c'est la reconstitution d'une histoire à partir d'images en désordre. Elle met exactement en lumière la source des erreurs que commet l'enfant. En effet l'ordre établi par l'enfant est fortuit et il cherche à le justifier par une connexion syncrétique qui ne correspond à un ordre ni chronologique, ni causal ou déductif. Et parce que cet ordre est intuitif, les enfants de cinq ou six ans n'arrivent pas à le modifier, même si on leur fait admettre qu'ils se sont trompés. Il leur faudrait introduire des liens de causalité, fondés sur la vraisemblance, ce qui exigerait d'eux des connaissances ou de l'expérience. Il leur faudrait surtout pouvoir remonter de l'effet à la cause, donc parcourir la série dans les deux sens : être capables en un mot de réversibilité. Or l'intuition perceptive est marquée du caractère de l'irréversibilité. Ce même déficit apparaît dans les dialogues de Wallon avec les jeunes enfants « Est-ce qu'il y a toujours eu la Seine ? - Oui. - Il y a toujours eu Boulogne ? Oui. - Qu'est-ce qu'il
LA NOTION DE TEMPS -
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y a eu d'abord, la Seine ou Boulogne ? - ... Qu'est-ce qui a existé le premier ? - Boulogne » (Les origines de la pensée chez l'enfant, t. II, p. 211). Il est certain qu'une pareille erreur tient au manque de connaissances de l'enfant ; le sens même de cette erreur, qui est fréquente, amène Wallon à remarquer que l'antériorité de la ville sur le site naturel vient sans doute du fait que « les maisons paraissent plus nécessairement appartenir aux conditions d'existence de l'enfant et le fleuve ou le lac davantage aux circonstances accessoires » (ibid., p. 212). De même l'enfant s'accorde parfois une antériorité absolue ou relative, même par rapport à ses propres parents. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'événements qu'il n'a pas vécus, c'est l'expérience qui fait défaut aux enfants. Lorsque cette expérience existe, l'ordre des événements est connu intuitivement sans qu'ils le contrôlent par des relations de causalité ou des enchaînements logiques. De toute façon leur appréhension de la durée reste très déficiente. Que l'enfant soit en général incapable de raisonner à partir des données de son expérience, le fait est assez évident. Dans le domaine temporel, cette impuissance se manifeste spécifiquement lorsqu'il n'a plus à établir seulement des sériations simples - qui permettent un début d'horizon temporel - mais des co-sériations de plusieurs séries d'événements. La difficulté à laquelle il se heurte apparaîtra plus clairement, si nous l'envisageons avec Piaget au niveau de notre expérience d'adulte : « Si l'on songe, en son propre passé, à des séries d'événements à la fois indépendantes et interférentes (par exemple les quatre séries suivantes : dates relatives à l'aspect administratif de sa carrière ; suite des publications ; vie privée, et déroulement d'événements politiques), on s'aperçoit que ces séries ont beau demeurer chacune très vivante dans la mémoire, on est incapable sans procéder à des reconstitutions raisonnées et par conséquent opératoires : 10 due dire si tel événement de l'une des séries précède ou non tel autre d'une série interférente (et pourtant pour chaque série l'ordre de succession reste bien connu) et 2° d'évaluer approximativement (en + ou en -) les durées respectives écoulées entre deux événements appartenant à des séries distinctes... » (ibid., pp. 265-266). Il est évident que nous ne pouvons classer les événements
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PS YCllOLOGIEDU TEMPS
de deux séries les uns par rapport aux autres que si nous connaissons, outre l'ordre dans chacune des séries, la durée exacte qui s'est écoulée entre les événements de chaque série. Or l'enfant, muré dans ses intuitions globales, est incapable de cette exacte estimation des durées. De plus, l'enfant n'est pas encore capable, au stade préopératoire de la pensée, d'emboîter séries et durées pour arriver à une reconstruction exhaustive de l'ordre de plusieurs séries de changements. Nous allons voir successivement ces deux points. 20
L'APPRÉHENSION
DES
DURÉES
Rappelons quelques conclusions de notre chapitre VII. L'enfant de cinq ans a des intuitions de la durée, il est même capable de l'estimer en utilisant les mêmes critères que l'adulte. Mais à une différence près, et qui est capitale : ses impressions immédiates ne sont pas corrigées par d'autres informations une évaluation précise du temps. Il en qui permettraient résulte que les estimations de l'enfant sont très semblables à celles de l'adulte dans les situations qui ne fournissent que des critères subjectifs et qu'elles semblent de plus en plus erronées à mesure que la situation laisse place à une évaluation raisonnée des durées. Soit un exemple simple : pour l'enfant comme pour l'adulte, 15 s passées en se croisant les bras semblent plus longues que 15 s pendant lesquelles on regarde une image amusante (Piaget, ibid., p. 257). Les seuls indices au moyen desquels sont comparées ces deux durées vécues successivement sont les sentiments de temps et le nombre de changements ressentis. L'adulte n'est pas dans une autre condition que l'enfant ; l'un et l'autre ont les mêmes « illusions ». Prenons une situation plus complexe. L'enfant ayant pour tâche de dessiner des barres pendant 15 s est invité à le faire une première fois soigneusement, une seconde fois aussi vite que possible ; les jeunes enfants sont unanimes à trouver que le temps a été plus long quand ils ont été vite (Piaget, ibid., pp. 241-250). Rien d'étonnant à cela : les informations sur la durée fondées sur le travail accompli (plus de barres dessinées quand on a été vite) concordent avec celles qui proviennent des changements ressentis (dans l'effort, chaque mouvement
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compte). Ces évaluations qui sont directement dues à l'activité ne disparaissent pas quand l'enfant grandit. D'après Piaget, un tiers des enfants entre 10 et 13 ans fait encore la même erreur que les petits. Cependant, peu à peu, un raisonnement se fait jour dans l'esprit des plus grands : quand on va plus vite, on fait plus de choses dans le même temps. A partir de là, beaucoup doutent de leur estimation intuitive et infèrent que les deux tâches ont pu avoir la même durée (1). Par contre, les estimations des jeunes enfants et celles des adultes sont tout à fait différentes quand il s'agit de comparer des durées plus ou moins simultanées. En décrivant des expériences de ce type au chapitre VII (comparaison des courses de deux cyclistes, pp. 256 et suiv.), nous avons insisté sur le fait que l'enfant utilisait les informations habituelles de l'adulte ; mais ces modes d'estimation le fourvoyaient, alors que l'adulte qui assiste à ces expériences ne se trompe pas. Certes, il est soumis aux mêmes impressions, sources des mêmes illusions, mais il ne s'y arrête pas ; il raisonne et cherche à mesurer. C'est de ces opérations que l'enfant de 5 ans est incapable parce qu'il ne peut concevoir la durée en faisant abstraction de son contenu, c'est-à-dire qu'il est incapable d'arriver à la représentation d'une durée homogène et d'intervalles temporels indépendants de ce qui s'y passe. Dès lors que pendant deux durées égales, simultanées ou successives, il se passe des événements différents, l'enfant ne saisit pas l'identité temporelle au-delà des apparences. En un mot, il est incapable de mesurer la durée. La mesure exige la conservation d'une unité. Dans le temps, l'unité ne peut être qu'un changement uniforme qui sert d'étalon. Or cette uniformité n'est pas un donné, elle est une construction. En effet, pour utiliser comme mesure le jour sid ?ral, les hommes ont postula que les changements étaient uniformes à partir de la constatation qu'entre deux retours périodiques il se produisait des effets comparables. Même quand l'uniformité du changement est perceptible comme le glissement du sable dans le sablier ou la rotation de l'aiguille sur un grand chronoscope, elle n'est pas une donnée stable. fait remarquer que (1) L'évolutionavecl'âge des appréciationsde la duréependantle transport de morceauxde bois et de morceauxde plombavec des pincettesest la même (voirla descriptionde l'expérience, chap.VII, p. 255). P.
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l'adulte lui-même s'y trompe. « En regardant couler un sablier à côté du téléphone, durant une conversation interurbaine, et en chronométrant une course intéressante ou la réaction d'un sujet d'expérience qui fait attendre sa réponse, nous pouvons fort bien avoir, nous aussi, l'illusion perceptive d'un changement de vitesse du sable ou de l'aiguille du chronoscope, et présenter, suivant les cas, une illusion positive ou une illusion de contraste » (ibid., p. 188). A fortiori l'enfant. Le sable lui semble aller plus vite quand il travaille plus vite, et doucement quand il va plus lentement ; parfois c'est l'inverse, l'effet de contraste étant dominant (Piaget, ibid., p. 186). Mais chez lui l'impression première l'emporte : il croit réellement que le sable ou que l'aiguille va plus ou moins vite tandis que l'adulte sait qu'il est le jouet d'une illusion. « Seulement, comme nous savons bien que les mouvements sont constants, nous n'attachons pas d'importance à l'aspect perceptif de telles lectures et nous nous amusons tout au plus des apparences de résistance ou de froide ironie de ces mécaniques hostiles à nos désirs o (Piaget, ibid., p. 188). La mesure proprement dite ne sera possible que lorsque l'enfant admettra l'uniformité du changement au-delà de son impression et, plus généralement, qu'il reconnaîtra l'existence d'un temps homogène indépendant du contenu de l'action ou des événements qui l'emplissent : en d'autres termes, il sera d'avoir une quand capable représentation abstraite de la durée. 3°
L'INDÉPENDANCE
DE
L'ORDRE
ET
DES
DURÉES
En bref, la saisie de l'ordre des événements par le jeune enfant est incorrecte, ou à tout le moins incertaine, dès que la perception de la succession n'est pas très prégnante et a fortiori dès qu'il est nécessaire de la reconstituer après coup. De leur côté, les durées entre les événements ne sont appréciées qu'en fonction de leur contenu, c'est-à-dire qu'elles donnent naissance à de nombreuses illusions. Les difficultés que l'enfant rencontre sur ces deux plans le conduisent à des erreurs. Il en triompherait souvent s'il savait mettre en relation les données d'ordre et de durée, passer suivant les circonstances d'un système à l'autre et vérifier ou
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compléter des données trop intuitives, puisque logiquement ordre et durée sont complémentaires. L'impuissance de l'enfant à mettre en relation ordre et durée est particulièrement évidente lorsqu'il doit déterminer l'âge relatif de deux personnes. Les recherches de Piaget sont ici encore particulièrement éclairantes. Le problème est en lui-même difficile. Pour déterminer l'âge relatif de deux personnes, nous n'avons ni expérience de l'ordre de leurs naissances, ni possibilité d'apprécier la durée de leurs vies respectives. L'adulte, lui, s'appuie sur un savoir : ou bien il connaît les dates de naissance, ou bien, à défaut de celles-ci, il interprète les signes de la croissance chez l'enfant, ou ceux du vieillissement chez l'individu plus âgé (traits creusés, cheveux blancs, pesanteur de la démarche, etc.), c'est-à-dire qu'il apprécie le point où chacun en est arrivé sur le chemin de la vie. Dans l'un ou l'autre cas, il faut une déduction pour fixer l'âge relatif des deux personnes. Inversement, s'il connaît des âges, il peut en déduire l'ordre des naissances. De ces opérations, les jeunes enfants sont justement incapables. Le plus souvent ils savent si leurs frères, soeurs ou amis sont plus vieux ou plus jeunes qu'eux. Ils sont incapables d'en déduire l'ordre des naissances. Rom (4 a. 6 m.) a une petite soeur, Érica : « Qui est née la première, Érica ou toi ? - Sais pas. - On peut le savoir ? - Non. - Qui est la plus jeune ? Érica. - Alors, est née la Sais qui première ? pas o (Piaget, ibid., p. 211). Quand la connaissance de l'âge leur manque, les enfants interprètent les signes de la croissance et concluent de la taille à l'âge, ce qui est juste en première approximation lorsqu'il s'agit d'enfants, mais ce qui ne leur permet pas davantage d'en conclure quelque chose sur l'ordre des naissances. Ils sont par là conduits à des erreurs dont la plus manifeste est de conclure que les grandes personnes ayant toutes la même taille ont toutes le même âge. Citons encore ce dialogue où toutes ces impuissances se révèlent. And (6 a.) a un ami : « Plus jeune ou plus vieux que toi ? - Plus grand. - Il est né avant ou après toi ? - Après. - Ton papa est plus vieux ou plus jeune que toi ? - Plus vieux. - Il est né avant ou après toi ? - Sais pas. - Qui est arrivé le premier, lui ou toi ? - Moi. - Tu restes toujours la même chose âgé ou tu deviens plus vieux ? - Je deviens vieux. - Et ton papa ? - Toujours le même âge... »
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1'EMPS
Mais plutôt sur ces dialogues parfois que de nous étendre de Piaget difficiles à interpréter, une expérience reprenons est incapable de conclure à l'âge qui montre que l'enfant La même s'il connaît des naissances. l'ordre relatif, technique consiste à donner à 1 enfant deux jeux de dessins employée des orangers à l'enfant et des pruniers. On explique représentant ce dans des du même arbre qui sont, série, que chaque images à 2 ans, a été photographié année. A 1 il avait un an fruit, chaque deux fruits... On donne alors à l'enfant les dessins des orangers et il n'a aucune les images des peine à sérier correctement avait On lui explique ensuite orangers. l'oranger que lorsque 2 ans (Or2) et deux fruits, on a planté le prunier ; on place sous Or3, Pr2, alors sous Or2 le prunier avec un fruit (Prl), sous Or., Pr3' etc. Les plus jeunes enfants n'arrivent même à conclure avec est vieux que Prl ; pas régularité que Or2 plus à 6 ans 50 % feulement des enfants concluent pour chaque de nombre couple de dessins que l'arbre qui a le plus grand fruits est le plus vieux. Cette conclusion, reste d'ailleurs elle est possible, quand sans réfécommandée une intuition par simple quantitative rence à l'ordre l'a démontré de plantation des arbres. Piaget où les vitesses de développement par une autre expérience n'étant des deux arbres sont inégales. Les repères quantitatifs de directe avec l'âge des arbres, les réponses pas en relation l'enfant vont être commandées de l'arbre par le développement et non par son âge réel. Dans cette expérience, Piaget a représenté cette fois des pommiers et des (H). Chaque (P) poiriers série de dessins du même est à des âges différents, arbre, des de de en supportant composée tiges plus plus grandes cercles de plus en plus grands, et contenant de plus en plus de mais les dessins laissent ont fruits ; que les poiriers apparaître de vite. En vont les dessins des effet., P, grandi plus pommiers 4 pommes) à P¡¡ (80 mm et 44 pommes) (13 mm de diamètre, et ceux des poiriers de H, (12 mm de diamètre et 4 poires) à R5 (59 mm et 74 poires), de telle sorte que P4 (60 mm et 27 pommes) égale R3 (60 mm et 27 poires). Comme d'abord on place dans l'expérience précédente, dans l'ordre des dessins les pommiers, représentant puis on à l'enfant le pommier avait deux ans, explique que, lorsque on a planté le poirier qui avait alors un an, et que chaque année
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on a photographié les deux arbres. On place donc les poiriers en dessous des pommiers : à P2 correspond R,, à P3 R2, etc. Les jeunes enfants arrivent à reconnaître à chaque stade quel est l'arbre le plus vieux tant qu'à l'ordre de plantation correspond un développement correspondant. Mais ils échouent dès lors que le poirier a dépassé la taille du pommier. Le dialogue suivant est très significatif : « Joc (5 a. 6 m.) réussit à sérier les pommiers en disant : « Un an, deux ans, trois ans, etc. » Regarde : quand le pommier a 2 ans, on plante ce poirier. Lequel est le plus vieux ? Le pommier. - Et l'année après ? Encore le pommier. - Et l'année après, voici les photos qu'on a faites le même jour (P4 = R3). - Lequel est le plus vieux ? - Le poirier. - Pourquoi ? Parce qu'il a plus de poires Et ici (P5 et R) ? - Le a 27 = 27). (inexact, puisqu'on - Et a-t-il ? Quel âge poirier. (Joc compte un à un) : 4 ans. le pommier ? (compte en désignant du doigt) : 5 ans. - Lequel Parce est le plus vieux des deux ? - Le poirier. Pourquoi ? 4 ans ou à 5 ans ? a 4 ans. On est vieux à Quand qu'il plus on a 5 ans. - Alors quel est le plus vieux ? - Je ne sais pas... le poirier parce qu'il a plus de poires » (Piaget, ibid., p. 229). Tant que cet enfant a pu vérifier l'ordre des naissances par le développement de la taille et de la quantité des fruits, il ne se trompe pas, mais dès que le poirier est devenu plus grand que le pommier et porte plus de fruits, l'enfant est induit en erreur, parce qu'il continue à utiliser le même critère sans savoir, malgré la suggestion de l'examinateur, le contrôler par l'ordre des naissances. Deux autres dialogues avec des enfants plus âgés rendent encore plus saisissante l'impuissance de l'enfant qui ne peut encore raisonner. Chez le premier, Pig, l'intuition de l'âge à partir du développement est juxtaposée à la connaissance de l'ancienneté de la plantation ; chez Pau, la synthèse est faite : Pig (6 a. 8 m.) : R4 est « plus vieux que P5 ? Ah non, c'est le - Et pommier parce qu'il a 5 an.s et le poirier seulement 4 ans. C'est le poirier qui est plus vieux cette année-là (R5 et P6) ? - Ah non, c'est parce qu'il a plus de fruits. - C'est vrai ? le pommier, parce qu'il a 6 ans et le poirier 5 ans » (ibid., p. 231). Pau (7 a. 2 m.) : « (P5 et R4). - Le pommier est le plus vieux - Et P6 et R5 ? - Aussi, ça ne fait parce qu'il a été planté avant.
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rien qu'il soit plus grand : j'ai un ami qui est plus grand que moi et qui a 6 ans » (ibid., p. 232). Tous ces exemples montrent à quels obstacles se heurte l'enfant de 5 ans. Il ne dépasse pas le plan des intuitions et des appréciations immédiates. Il nous faut maintenant essayer de préciser par quelles étapes il deviendra capable de s'adapter à toutes les données temporelles. II LE DÉVELOPPEMENT DE LA NOTIOlVDE TEMPS Les progrès de l'enfant avec l'âge se font en deux étapes successives. Au cours de la première, il se produit une évolution des intuitions d'ordre et de durée, qui deviennent de plus en plus indépendantes de l'expérience concrète immédiate, grâce à l'utilisation de repères multiples et au développement des représentations correspondantes. Mais ces représentations ne permettent pas encore de mettre en relation les données d'ordre et de durée. L'enfant y parviendra dans une étape ultérieure grâce à des compositions rèversibles, c'est-à-dire par des opérations. 1°
L'ÉVOLUTION
VERS
DES ET
DE
REPRÉSENTATIONS
D'ORDRE
DURÉE
A) L'ordre, nous l'avons vu, ne fait pas de difficulté pour le jeune enfant, lorsqu'il est perçu dans des conditions non équivoques. Mais si, par exemple, l'ordre temporel doit être distingué de l'ordre spatial, alors naissent les confusions. Aussitôt que l'ordre doit être non plus perçu mais évoqué, échouent les jeunes enfants qui ne sont pas encore capables de reconstituer la série de leurs souvenirs. Piaget a montré que cette incapacité à reconstituer l'ordre des images ou des souvenirs était liée au caractère syncrétique de la perception ou de l'image mentale et que le progrès essentiel se produisait au moment où l'enfant était capable de se détacher de son intuition immédiate pour faire des hypothèses sur l'ordre réel de succession. Cela implique que l'enfant soit capable de se représenter une suite d'événements et aussi qu'il puisse donner
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un sens à cette suite, c'est-à-dire la sériation qu'il puisse rétablir en particulier sur le plan causal. logique des événements, Une belle expérience de Piaget met parfaitement en évidence cette étape. On présente à l'enfant deux bocaux superposés qui sont de forme Au début de l'expérience, le bocal différente. inférieur est vide, et le bocal supérieur est plein d'un liquide on laisse coloré ; à intervalles tomber, réguliers par un robinet de verre, une certaine la de liquide même, toujours quantité, du bocal supérieur dans le bocal inférieure. L'enfant a en face de lui une série de dessins représentant A chaque les deux bocaux. il est invité sur un nouveau à marquer dessin le écoulement, niveau en chacun d'eux. en 6 à atteint Quand, par le liquide 8 étapes, tout le liquide s'est écoulé dans le bocal infzrieur, on à gauche demande à l'enfant de sérier les dessins en mettant « quand l'eau était au commencelui qui a été fait le premier cement » et ainsi de suite. Les jeunes enfants échouent dans cette (5 ans environ) sériation sur le bocal des dessins. Pourtant ils sont capables, car ils de montrer les niveaux successifs du liquide, lui-même, sur une intuition indifférenciée de l'ordre s'appuient spatial « Autrement et de l'ordre de deux dit, en présence temporel. dessins représentant l'enfant des couples distincts de niveaux, ne sait plus décider avec rigueur lequel de ces couples est antérieur à l'autre, et cela parce que, au lieu de percevoir directement un déplacement du liquide de haut en bas et de bas en haut, il ne se trouve plus en présence que de relations spatiales statiques (de niveaux immobiles) après qu'il s'agit d'ordonner déductivement sous la forme d'une coup, donc de reconstituer » (Piaget, succession ibid., p. 12). temporelle Mais ce qui nous intéresse est le stade suivant. Les enfants avec des tâtonnements à sérier les dessins. parviennent Leur réussite reste cependant intuitive. En effet, si on coupe les dessins de manière et bocaux à séparer bocaux supérieurs les enfants à n'arrivent à faire inférieurs, correspondre pas niveau les des dessins des bocaux inférieurs à ceux chaque bocaux des c'est-à-dire à établir la co-sériation supérieurs, niveaux successifs dans chacun eux. Ils sont capables d'entre d'une reconstitution les dessins ne sont pas globale, quand mais ils ne savent les niveaux du bocal coupés ; pas déduire inférieur des niveaux du bocal supérieur, et réciproquement.
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Il y a donc entre l'échec complet à reconstituer l'ordre et la basée sur une construction une étape interréussite opératoire, médiaire mais seulement sur où l'enfant peut se représenter, un plan intuitif, la série des positions, à une grâce compréhension globale de l'ensemble du mouvement. Dans les expériences où il y a déplacement de deux coureurs dans la même direction, le progrès consiste à dissocier l'ordre des arrivées de temporel de l'un indél'ordre ce se spatial, qui exige pouvoir représenter de l'autre. ne se fait que peu à Cette dissociation pendamment l'ordre est et d'une peu parce que spatial perçu plus longuement manière l'ordre Mais plus prégnante que temporel. pour passer de ce stade encore intuitif à une réponse fondée sur un raisonil faut que l'enfant soit capable simulde tenir compte nement, tanément de l'ordre des d. parts, de l'ordre des arrivées et des durées de marche de chaque mobile. Au stade simplement l'enfant ne sait pas plus utiliser les durées comme représentatif, éléments causales. Même de raisonnement que les déductions des enfants de se correctement les durées capables représenter ne peuvent rien en déduire à l'ordre récides arrivées ; quand des enfants de se d'ailleurs, proquement capables représenter l'ordre n'en tirent pas de conclusions exactes quant aux durées ibid., pp. 94-99) (1). (Piaget, En résumé, les progrès vers la sériation des évétemporelle nements se font en passant d'un stade perceptif à une possibilité de constructions sur le plan de la représentation, constructions qui restent encore de l'ordre intuitif. Ce n'est qu'à l'étape suivante de l'ordre qu'il y aura compréhension quand l'enfant sera capable d'utiliser toutes les données de la situation, savoir de cau alité, et en particulier durées entre les acquis, rapports événements dans une construction opératoire. Le ressort est manifeste. A mesure de ces transformations de l'enfant se il conscience que 1 intelligence développe, prend des erreurs les réponses dont il se satisfaisait que comportent mois ou quelques années de quelques plus tôt. Cette prise conscience tient à ses échecs adaptatifs et surtout eux-mêmes, (1) Le rôic relatif de l'ordre et de la durée n'a toute son importance que dans les situations où il y a plusieurs séries d'événements temporels emboîtés les uns dan, autres. Quand il n'y a qm'une série d'événements homogènes (positions d'un coureur, succession de, notes d'uue mélodie, etc.), il n'y a, entre l'ordre et la durée. qne
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à la mise en relation progressive des divers éléments de son expérience, qui, au plan perceptif ou intuitif, se contredisent ou à tout le moins manquent de cohérence. Ce progrès dans la reconstruction sériale des événements grâce à la plus grande plasticité des représentations se manifeste dans les comportements les plus journaliers. Les jeunes enfants ne savent pas répondre aux questions les plus simples concernant la date : jour de la semaine, mcis, année. Leurs premières réponses exactes se basent sur une connaissance irréfléchie : « On leur a dit », « c'est comme ça » ; mais, peu à peu, leurs réponses apparaissent guidées par l'ordre séquentiel des jours ou des mois et ils retrouvent ou confirment la date au moyen d'une construction qui part d'autres dates utilisées comme repères. Ce processus ne devient d'emploi fréquent qu'après 5 ans, même chez les enfants de haut quotient intellectuel (Farrell, 1953). * * * B) Sur le plan de la durée, l'évolution est du même ordre. Le jeune enfant appréhende la durée comme relative à son contenu, c'est-à-dire comme proportionnelle au travail accompli ou aux changements qu'il y perçoit. Le premier progrès va consister pour lui à devenir capable de se représenter la durée comme un intervalle indépendant de ce qui s'y passe. En d'autres termes, les durées, d'abord hétérogènes entre elles en tant que durées, vont devenir de plus en plus homogènes, c'est-à-dire communes à tous les événements, quelle que soit leur nature. Par quelles étapes va se faire cette évolution ? Il faut d'abord remarquer qu'elle ne peut résulter que d'une contestation, sans cesse renouvelée, d'une expérience qui ne se modifie pas avec l'âge. Se représenter la durée comme un intervalle indépendant de ce qui s'y passe implique toujours de douter de l'expérience immédiate, alors que le progrès dans la saisie de l'ordre des phénomènes est, comme nous l'avons vu, le passage d'une expérience confuse à une expérience plus nette. Aussi bien, cette évolution vers la représentation et la conception d'une durée homogène est-elle un lent processus dont nous voudrions saisir la naissance même. Ici encore nous évoquerons surtout les travaux de Piaget. Nous le ferons librement en nous référant d'abord dans notre
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propre perspective aux faits qu'il a mis en évidence, en discutant ensuite sa propre interprétation. L'homogénéité du temps s'impose peu à peu, pensons-nous, du fait que l'enfant s'aperçoit de plus en plus que son appréciation intuitive de la durée est contredite soit par d'autres appréciations intuitives, soit par des estimations basées sur d'autres repères. Autrement dit, elle naît du désaccord entre diverses modalités de ses appréciations ou entre son appréciation personnelle et celle d'autrui. Concevoir un temps à écoulement homogène et uniforme suppose « un affranchissement et une décentration de la pensée à l'égard de la durée vécue » (Piaget, ibid., p. 51). L'enfant commence par être ébranlé dans ses premières certitudes lorsqu'il s'aperçoit qu'il y a plusieurs appréciations possibles de la durée. Reprenons une expérience déjà citée (chap. VII, p. 260). Un réservoir contenant de l'eau s'écoule par un tube en Y à deux branches identiques, dans deux vases différents. Les deux branches sont commandées par un seul et même robinet de telle sorte que les écoulements d'égal débit commencent et s'arrêtent en même temps. Les vases, eux, sont de forme et de grandeur différentes et, quand l'un est plein, l'eau se trouve n'avoir rempli que le tiers ou la moitié de l'autre. Les jeunes enfants échouent dans ce cas à reconnaître que l'eau a coulé le même temps dans les deux vases parce que le travail accompli est en apparence différent. Ils s'accordent à dire que l'eau a coulé plus longtemps dans la petite bouteille parce qu'elle est pleine. Sur le plan de la perception de l'ordre, l'interrogatoire montre aussi qu'ils ne reconnaissent pas la simultanéité des arrêts ; ils ne pensent pas non plus que la même quantité d'eau s'est écroulée dans les deux vases ; pour eux, il y en a plus dans celui qui est rempli. Mais l'enfant plus âgé arrive bientôt à constater la simultanéité des départs et des arrivées ; il admet alors que l'eau a coulé le même temps, assertion reconnue d'une façon encore intuitive et qui reste contredite par le premier mode d'appréciation. Voici un dialogue qui met en évidence la coexistence de deux conclusions contradictoires. Pas (6 a. 4 m.) a su prévoir qu'il faudrait plus de temps pour remplir la plus grande bouteille G que la petite C, et a constaté la simultanéité de l'arrêt des écoulements, mais si on lui demande : « Il a fallu le même temps (pour C plein et G au 1/3) ?
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- Non pas. Celle-ci (G) a mis moins de temps parce qu'elle n'est pas tout à fait remplie. - Combien de temps ? Une minute pour (C), moins pour (G), parce qu'il n'y en a pas beaucoup et qu'elle est plus grande. - Alors il a fallu plus de temps pour l'une que pour l'autre ? - Ah !le même temps parce qu'elles ont été remplies en même temps. - Pourquoi le même Parce que celle-là (C) est petite et celle-là (G) grande, temps ? mais elle n'a pas été tout à fait remplie » (ibid., p. 139). Dans un tel dialogue, ce sont les relations d'ordre qui conduisent l'enfant à changer sa conclusion, mais celle-ci est encore d'ordre intuitif. D'autres enfants, tout en continuant à admettre l'inégalité de la durée des écoulements, constatent que la quantité d'eau est équivalente dans les deux vases, malgré la différence de leur forme et concluent alors à l'égalité des durées. Ceux-ci remettent en cause leur première impression en évaluant objectivement le travail accompli par la quantité d'eau écoulée. Cette juxtaposition d'impressions liées à l'influence de l'ordre ou à des appréciations diverses et simultanées de la quantité de changements se retrouve dans d'autres situations. Ainsi, dans l'expérience où il faut faire correspondre un poirier à un pommier à différents âges, le poirier ayant été planté un an plus tard mais se développant plus vite, on voit certains enfants hésiter, pour déterminer l'âge respectif des arbres, entre une appréciation basée sur le développement, et un jugement fondé sur l'âge proprement dit, c'est-à-dire sur l'ancienneté de la plantation. Cette hésitation entraîne une confrontation qui est clairement explicitée chez un enfant, à vrai dire plus âgé, dans l'expérience où il faut comparer les temps (égaux objectivement) mis pour transporter des plaquettes de plomb et des plaquettes de bois, les premières étant plus difficiles à manipuler. Pim (10 a. 8 m.) répond : « doit être le même moment. J'avais envie de dire que les plombs étaient plus longs à mettre, mais j'ai pensé que ça devait être la même chose. - Pourquoi ? Parce que j'ai mis plus de morceaux de bois que de plomb » (ibid., p. 256). Cet enfant a d'abord apprécié la durée d'après les changements vécus. Les plaquettes de plomb se font plus remarquer que celles de bois. Mais il constate en même temps qu'il a déplacé plus de plaquettes de bois, et ceci le conduit à mettre en doute une première impression. En fait il juge de la
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durée en utilisant simultanément les deux critères qui guident 0,' les changements les enfants le travail accompli plus jeunes : Ils le conduisent à des jugements d'où il ressentis. opposés, être conclut avec sagesse les deux doivent temps égaux. que Le jeune enfant utilise un seul critère et s'y tient. La multidu dévedes points de vue est un facteur essentiel plication la valeur relative des de l'intelligence. Elle enseigne loppement critères utilisés. Mettant en doute ses impressions immédiates, l'enfant est nécessairement conduit à essayer d'évaluer la durée de comme indépendante et à se la représenter pour elle-même son contenu. Dans ce processus, le milieu social où évolue l'enfant et l'emploi des montres et des horloges progressif un même que doivent très rôle. En avant effet, jouer grand l'enfant soit capable évaluations de confronter plusieurs perde la durée, ses propres sonnelles estimations sont contredites S'il a trouvé bref le temps de son jeu, il lui par son entourage. est cependant ses éducateurs d'une rappelé par que l'heure est s'il a trouvé arrivée, et, obligation importune déjà long le d'une tâche désagréable, temps qu'il n'y a que peu de temps Les horloges, à mesure qu'il apprend à s'en qu'il s'y consacre. le point de vue des adultes. servir, lui confirment A ce stade, en effet, l'enfant commence à croire à l'homoPlus jeune il ne le du temps mesuré généité par les horloges. fait pas : quand sa vitesse de travail se modifie, il croit aussi la vitesse du sablier ou de du que change chronoscope l'aiguille travaille qui, lorsqu'il plus vite, lui semble aller aussi plus vite ou au contraire (effet d'assimilation) plus lentement (effet de Mais la confrontation de en des contraste). plus plus fréquente ou constatés et de ceux de l'enfant produits changements par le conduira assez les à la conclusion l'horloge rapidement que sont isochrones, d'autres donc indépendants temps de l'horloge une fois extérieurs. Ainsi, changements après avoir travaillé vite et une fois lentement, mais pendant le même temps, en un sablier, Map 6 a. 6 m. - répond à la question : regardant « Le sable est allé la même chose vite ou plus ou moins ? Plus vite... non, la même chose... Non. La même chose ou - La même chose. as-tu pensé plus vite ? plus vite ? Pourquoi On dirait mais c'est parce qu'on va plus vite » seulement, ibid., p. (Piaget, La constatation
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devient
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que
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l'enfant détache peu à peu l'expérience de son travail de l'expérience du mouvement du sablier ou de l'aiguille de l'horloge, et parce qu'il constate intuitivement que, sur ces instruments, il se produit des changements équivalents en des périodes équivalentes. D'ailleurs, comme on l'a souvent analysé, c'est ainsi l'homme est arrivé à une représentation qu'historiquement d'un temps homogène. En effet, l'isochronisme de deux périodes successives ne peut se mesurer directement mais seulement par l'isochronisme d'autres périodes, si bien qu'en définitive l'isochronisme reste un postulat de mieux en mieux vérifié par la concordance des observations et des mesures qu'elle permet. Au stade où nous étudions l'enfant, l'isochronisme, lié à une expérience directe de l'homogénéité des changements d'une série donnée, ne permet pas encore une mesure de la durée, qui implique la conservation du temps quand on passe d'un changement à un autre. En effet, à cet âge, 30 s d'un sablier ne sont pas équivalentes à 30 s d'un chronoscope (Piaget, ibid., pp. 191196). L'aiguille va plus vite que le sable : l'enfant en conclut qu'il pourra faire plus de choses pendant le temps de la montre que pendant celui du sablier. Il est cependant capable de reconnaître que la montre et le sablier, partis au même moment et arrêtés de même, ont marché le même temps. Il ne passe donc pas d'emblée de l'isochronisme des durées à la mesure du temps, mais, en confrontant ces durées égales entre elles et les changements hétérogènes qui les meublent, il est disposé à concevoir que la durée peut être indépendante de son contenu. D'ailleurs cette représentation d'un temps homogène n'est qu'une lente conquête et nous verrons plus loin qu'elle n'est même pas terminée à l'adolescence. 20 LA MISE EN RELATIONDE L'ORDRE ET DE LA DURÉE Vers 7-8 ans, il semble se produire une réorganisation assez brusque des données d'ordre et de durée (Piaget, ibid., pp. 277278) ; l'enfant devient alors capable de passer d'une intuition à l'autre dans une composition réversible qui implique la compréhension des rapports entre la sériation des événements et leurs durées. Plus généralement, l'enfant acquiert la capacité d'utiliser les données spatiales et cinétiques pour fonder et interpréter
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ses intuitions temporelles. Ainsi, dans l'expérience où l'eau coule en plusieurs fois d'un ballon dans une éprouvette, l'enfant qui a atteint le stade opératoire peut reconstituer l'ordre des niveaux du liquide simultanément dans les deux flacons et réaliser ainsi une co-sériation. Il est de même capable de juger que la durée pendant laquelle le flacon du haut se vide est égale à celle pendant laquelle celui du bas se remplit ; il le déduit ou bien du fait que c'est un seul écoulement (simultanéité des commencements et des fins) ou bien du fait qu'il s'agit de la même quantité d'eau. A cette étape du développement, il s'établit un équilibre entre les intuitions d'ordre et de durée. « En effet, tandis que les rapports de succession et ceux de durée procèdent au début d'intuitions hétérogènes, sans donc présenter de connexion nécessaire entre eux, ils finissent par se déterminer mutuellement en un seul système d'ensemble, à la fois différencié et entièrement cohérent n (Piaget, ibid., p. 75). Cette réciprocité permet de mettre en relation des séries de changements indépendantes les unes des autres et de saisir leurs rapports temporels sous l'angle à la fois de la succession des événements et des intervalles de durée, sans se laisser égarer par des impressions liées à la nature des changements euxmêmes. Alors l'enfant peut réellement tenir compte de toutes les conditions temporelles de son expérience parce qu'il les comprend et les situe : il peut ainsi réellement construire ses notions temporelles en prenant conscience des rapports qui existent entre tous les aspects du changement. A ce stade enfin, l'enfant apprend à mesurer le temps. La mesure du temps comme celle de l'espace implique que l'on constate la coïncidence du début et de la fin d'un intervalle temporel avec ceux d'un autre intervalle pris comme unité, c'est-à-dire en pratique le synchronisme de deux ordres de changements différents. Laissons de côté pour le moment le problème, déjà évoqué, de la nature même de l'unité de temps, qui repose, on le sait, sur le postulat de l'isochronisme de périodes identiques de changements. En effet, le fondement de cette unité n'est pas en cause dans l'opération qui consiste à mesurer le temps. Toute mesure suppose la comparaison de deux durées. Lorsque les changements sont contemporains, le cas est simple. Tant qu'il
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ne s'agit que de déterminer si une durée est plus longue ou plus courte qu'une autre, il suffit d'estimer les durées d'après les quantités de changements ressentis ou le travail accompli. Cependant une réponse ne sera exacte que si les changements comparés sont identiques. La comparaison ne devient à proprement parler métrique que lorsque la réponse ne repose plus sur une appréciation intuitive des durées, mais sur leurs emboîtements, c'est-à-dire lorsqu'on tient compte justement de l'ordre des débuts et des fins. Juger de l'égalité de deux durées est un processus plus complexe, mais indispensable pour une mesure véritable du temps. La comparaison des intuitions ne peut alors plus suffire, sauf dans le cas exceptionnel où les deux changements sont synchrones et de même nature, deux mobiles se déplaçant par exemple à la même vitesse et parallèlement. Nous avons déjà rencontré ce cas en rendant compte des expériences où nous proposions à l'enfant de 5 ans de comparer la durée de deux courses parallèles de même temps : les réponses sont justes dans 88 % des cas lorsque, les vitesses étant les mêmes, les départs et les arrivées simultanés, les mouvements sont néanmoins de sens contraire. Sans que les repères spatiaux puissent intervenir, la symétrie même des deux déplacements induit la bonne réponse. Par contre, comme nous l'avons vu, si les départs des deux mouvements de même sens sont simultanés et sur la même ligne, et si le mobile A se déplace pendant le même temps que le mobile B mais à une vitesse double, c'est-à-dire en parcourant un espace double, 17 % seulement des enfants sont capables de répondre que les deux durées de déplacement sont égales. L'intuition des changements ne leur est d'aucun secours puisque A va deux fois plus vite et parcourt deux fois plus de chemin que B ; ils ne sont pas encore capables de déduire l'égalité des durées de la simultanéité des dépar ts et des arrivées (Fraisse et Vautrey, 1952). Lorsque l'opération d'emboîtement des durées par comparaison de la succession des débuts et des fins devient possible, l'enfant peut évaluer relativement deux durées quelconques et utiliser une série de changements comme étalon dans la comparaison de toutes les durées. Il y a alors mesure proprement dite. Mais, outre cette opération, la mesure implique que les intervalles entre les changements périodiques soient reconnus
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isochrones. Nous avons vu que les intuitions cinétiques et spatiales fournissent à cette constatation une base intuitive ; celle-ci n'entraîne pas nécessairement que l'enfant de 7-8 ans conçoive déjà que l'horloge mesure un temps homogène indépendant des changements qui s'y produisent. Il y a en effet un décalage entre l'aptitude à mesurer le temps à laquelle accède l'enfant, grâce aux opérations concrètes, et la conception même qu'il se fait du temps en général ou plus exactement de ce que représente le temps, tel qu'il est développé par nos horloges. Nous allons y revenir. 30 LA THÈSE DE J. PIAGET Avant d'étudier plus avant l'évolution de la notion de temps chez l'enfant, il est nécessaire que nous confrontions la thèse que nous avons esquissée avec celle de Piaget à laquelle nous avons fait déjà de nombreuses allusions au cours de ce chapitre et du chapitre précédent. Pour lui, comme nous l'avons montré (chap. VI, p. 163), le jeune enfant, dans ses toutes premières années, arrive à constituer des séries subjectives d'après les résultats mêmes de son action. Dans les années suivantes, l'enfant réapprend sur le plan de la pensée intuitive ce qu'il possédait déjà de façon toute pratique. A ce stade et dès qu'on peut l'interroger, on constate qu'il y a indifférenciation de l'ordre temporel et de l'ordre spatial. cc Plus loin signifie toujours « plus de temps » parce que l'enfant ne tient pas compte des vitesses ou plus exactement ne fait pas la relation inverse entre la vitesse et le temps. Plus généralement, l'enfant juge de la durée par rapport au contenu de l'action, c'est-à-dire à la quantité de travail accompli ou encore aux résultats extérieurs de l'action dont l'espace parcouru n'est qu'un cas particulier (Épistémologie génétique, II, p. 27). Au stade de l'intuition immédiate, le temps est donc relatif au résultat de l'action ; c'est un temps local propre à chaque mouvement et qui n'est homogène d'un mouvement à l'autre que si les vitesses de changement sont identiques. Dans ce cas en effet, les durées sont proportionnelles aux espaces parcourus ou plus généralement aux changements produits ou constatés. Il ne saurait donc y avoir une coordination de mouvements de vitesse différente qui impliquerait la mise en relation de l'espace, du temps et de la
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vitesse. « Le propre de la pensée à ses débuts est en effet de considérer comme absolues les perspectives momentanées dans lesquelles elle est engagée, et par conséquent de ne pas les grouper selon des liens de relations réciproques » (ibid., p. 275). Ces relations apparaissent justement dans une étape ultérieure qui est celle de l'intuiaion articulée, c'est-à-dire de l'intuition des rapports. L'enfant alors ne se contente plus de juger de la durée d'après les résultats de l'acte, mais devint capable d'iatrospection et d'une estimation de la durée pendant l'action elle-même. Or cette introspection, dès lors que l'on en est capable, révèle une relation inverse entre la rapidité de l'acte et sa durée. « ... Les grands trouvent comme nous que le travail rapide a paru plus court et le travail lent plus long. C'est même cette découverte introspective qui semble être au point de départ du renversement des rapports entre le temps et la vitesse, parce que, dans la durée vécue pendant l'acte lui-même, le temps se contracte (pour la conscience) en fonction de la vitesse, tandis que dans la durée évaluée par la m-moire, le temps bien rempli se dilate et les temps vides se r?sorbent » (Épistémologie génétique, II, p. 29). A ce stade, l'enfant est capable de juger que le mobile le plus rapide a mis moins de temps ; il se produit une dissociation entre le travail effectué et l'activité elle-même, telle qu'elle est saisie introspectivement. Cette activité est au plan psychologique l'équivalent de la « puissance », c'est-à-dire de la force mu]Li2li'e par la vitesse. Cette étape prépare celle des opérations temporelles proprement dites. L'enfant qui a appris à distinguer entre l'espace et la vitesse peut alors réaliser la « coordination de ces vitesses qui va différencier l'ordre temporel de l'ordre de succession spatiale et les durées des chemins parcourus » (Épistémologie génétique, II, p. 30), de m?me qu'il peut mettre en rapport le travail effectué et l'activité ressentie. A ce moment, la décentration par rapport au temps propre est accomplie et l'enfant devient capable de concevoir un temps à écoulement homogène et réversible. Piaget a développé et complété cette thèse dans ses derniers travaux (1966). Il pense toujours que le temps est une coordination des vitesses, c'est-à-dire une compensation entre, d'une part, ce qui se fait, c'est-à-dire l'espace parcouru (ou le résultant 19 P. FRAISSE
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de l'action ou le travail accompli), et, d'autre part, la vitesse à laquelle se produit ce changement (vitesse-mouvement, ou vitesse-fréquence des actions ou puissance). Les cas envisagés dans les oeuvres de 1946-1950 ne seraient, selon Fiaget, que des cas particuliers d'une loi plus générale. De toutes manières, l'intuition articulée correspondrait au stade où l'enfant devient capable de mettre en relation inverse le résultat de l'action et sa vitesse de déroulement. Nos réflexions nous laissaient assez éloigné de la thèse de J. Piaget. Une longue collaboration a rapproché, sous plusieurs aspects, nos pcints de vue, mais il reste encore des différences de conception que nous allons essayer d'expliciter. Nous sommes d'accord sur un premier point : à l'origine, l'intuition de temps est relative à son contenu. Il n'existe pas de saisie de la durée, abstraction faite de ce qui dure. Cependant, nous insistons sur le fait que les jeunes enfants au stade préopératoire jugent de la durée selon un seul indice, mais cet indice vaiie d'un individu à l'autre et d'une situation à l'autre. Ces indices sont très divers. Les uns sont en relation avec le résultat de l'action, d'autres avec l'activité déployée ou prêtée au mobile, d'autres avec les changements perçus. 11 ne nous semble donc pas y avoir un stade préopératoire où les enfants estimeraient seulement les durées d'après les indices ce qui se fait (plus de travail, plus de vitesse, plus lcin, etc.). 11 est bien évident que l'enfant est plus sensible à ces indices qui sont relatifs au résultat de l'action qu'à ce qu'il perçcit au cours de l'action, mais il n'y a iien d'absolu en cette tendance. Si les enfants doivent comparer deux durées égales de nature voisine, il est tris rare qu'ils surestiment systématiquement l'une ou l'autre. En fait, deux durées égales de contenu vci in représentent toujours une situation amLiguë. S'agit-il de deux mobiles, le plus rapide a fait plus de chemin et on peut avoir implicitement les rapprochements suivants : plus vite => plus loin » plus de temps, mais aussi plus lent => plus d'eoeorts » plus de temps (Fraisse et Vautrey, 1952). S'il s'agit de changements discontinus, l'égalité physique des durées entraîne que, plus petit est le nombre des changements, plus long est chacun d'entre eux, d'où les deux possibilités suivant l'indice de référence : plus de changements => plus de temps, changements plus longs => plus de temps (Fraisse, 1966).
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Les expériences montrent que l'on trouve des réponses qui peuvent s'expliquer ou que les enfants expliquent par l'un ou l'autre des systèmes. Les proportions varient avec les situations expérimentales et même simplement avec l'ordre de présentation des durées, comme si la prégnance relative d'une catégorie d'indices était modifiée. Dans ces appréciations, la vitesse n'intervient que par ses effets indirects qui peuvent être dans un sens ou dans l'autre, comme nous l'avons souligné, et Piaget lui-même a trouvé ce résultat dans l'expérience déjà citée du transport des plaquettes de bois et de plomb. Nous nous retrouvons de nouveau d'accord avec Piaget pour penser que le progrès fondamental dans l'estimation de la durée se produit quand l'enfant devient capable de tenir compte simultanément de plusieurs indices. L'adulte, lui, est même capable d'opposer explicitement ces indices, de dire à la fin d'une bonne soirée : « Le temps m'a paru très court, mais il doit être au moins minuit. » La coordination des informations permet en tous les cas une estimation plus exacte. Elle fournit aussi une base au développement de la notion du temps en obligeant à dissocier peu à peu la durée de son contenu et permet d'arriver ainsi à une notion abstraite. Cette coordination est-elle toujours une compensation entre une donnée qui majore la durée et une qui la réduit ? En allant jusque-là, Piaget pose une hypothèse explicative forte, systématique et séduisante. Pour qu'elle soit toujours vérifiée, il faudrait que dans tous les cas une classe d'indices soit relative à la vitesse du changement, de manière à ce que nous soyons ramenés au cas de la relation inverse du t =type . 'Mf" ' v-. e Pour tenter cette démonstration, Piaget a été ainsi amené à distinguer, comme nous l'avons déjà indiqué, trois formes d'intervention de la vitesse : la vitesse d'un mobile, la vitesse des changements discontinus ou fréquence et la puissance de l'action (force X vitesse). Nous ne discuterons pas longuement ce dernier cas ; si on fait, en effet, appel à la variable puissance » de l'action, il est très difficile de déceler le rôle relatif de la force et celui de la vitesse. D'autre part, la réduction de la fréquence à une vitesse est pour nous un problème plus
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PSYCHOLOGIE
DU
TEMPS
et aussi crucial parce qu'il se prête mieux à l'expérimentation avec Piaget. parce qu'il est au noeud de nos divergences de l'estimation du temps En effet, nous avons dit en parlant outre les sentiments du nous utilisions, (p. 246) que temps, le travail effectué et la densité deux types d'indices : (1) des a cru reconnaître alors les deux changements perçus. Piaget la densité classes d'indices dont il parle lui-même en assimilant à et des changements une fréquence. Physiquement perçus est Elle ne cette déduction possible. correspond logiquement, des faits. cependant pas à notre analyse du temps Une vitesse, pour jouer un rôle dans l'estimation doit être perçue. Or, -, je ne dis pas dans un raisonnement si la vitesse d'un mobile entre des limites peut être perçue extrêmement étendues qui vont de 1 à 2 mn d'arcjs à 5cojs selon il n'en est pas de même de la les conditions expéiimentales, Il a n'y fréquence perçue que s'il y a distinction fréquence. des stimuli l'ordre de 10 à la et enchaînement (de seconde) entre eux. Cet enchaînement cesse lorsque la fréquence se ralentit au point de l'ordre de 2 par seconde. d'être La n'est donc perçue des intervalles entre fréquence que pour les changements allant de 0,1 s à 2 s environ, c'est-à-dire dans des cas bien particuliers à peu près qui correspondent aux cadences données Mais nous vivons par un métronome. dans un univers où beaucoup de changements plus complexe sont beaucoup La notion de densité non plus lents. englobe seulement les changements à une perception qui correspondent de la fréquence, mais tous les autres, d'une qu'ils se suivent Au terme d'une durée, l'impormanière isochrone ou irrégulière. tant est l'amoncellement plus ou moins grand des changements selon les au chapitre critères Beauperçus analysés précédent. de de coup changements => beaucoup temps (et inversement). à ramener Cette difficulté la densité des chanperceptive à donc à une une (et vitesse) peut être mise gements fréquence en évidence à ailleurs des où il apparaît par grâce expériences (1) Dans notre rédaction de 1957, nous avons employé l'expression nom6re des changements et Piaget s'est demandé si cette expression avait valeur absolue ou relative à une unité de temps. Cette dernière interprétation est évidemment la bonne. L'expérience de N. Zuili (P. 256) a cependant montré que, dans certains cas, le jeune enfant tenait compte du nombre absolu des changements et qu'après avoir transporté n anneaux il lui suffisait de transporter le même nombre de jetons pour égaliser les durécs, sans tenir aucun compte de la durée de chaque transport.
L.4 NOI'ION 1)1,;7'EM?.S . ---
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que la densité (ou fréquence des changements) ne donne pas des effets comparables à ceux d'une vitesse. Prenons un premier fait très connu dans la littérature psychologique du XIXe siècle. En utilisant un métronome, les psychologues allemands avaient constaté qu'à fréquence plus grande correspondait une durée plus longue, ce qui permettrait en effet de rapprocher les effets de vitesse-mouvement et de vitesse-fréquence. Nous avions nous-mêmes mis en évidence ces deux formes d'illusion, même chez l'adulte (1961 et 1965). Mais si on fait des expériences en utilisant des gammes de fréquence plus étendues, on découvre qu'en réalité la durée perçue n'est pas une fonction monotone de la fréquence (voir p. 140). En effet, la durée perçue est maximum pour une fréquence d'environ 1,6 par seconde en utilisant des sons brefs. Pour une fréquence plus grande, la durée estimée diminue, de même que pour une fréquence beaucoup plus lente, quoique dans ce cas les attitudes individuelles soient très variables. Le max:mum est de même nature que celui mis en évidence par Piaget (1961) sur l'illusion spatiale dite d'Oppel Kundt, et il nous apparaît bien ici que le parallélisme s'impose plus avec l'espace qu'avec la vitesse. Ce rapprochement ne nous a pas étonné car, en étudiant les mouvements rythmés, nous avions trouvé qu'à part les contraintes purement motrices (quand il s'agissait de rythmes produits) les lois d'enchaînement et de structuration dynamiques étaient exactement les mêmes que celles que l'on retrouvait en utilisant les gestalt spatiales, ce qui montrait bien que toutes ces organisations étaient gouvernées par des lois perceptives dont le caractère restait le même dans l'ordre du statique et du dynamique (Fraisse, 1939 et 1956). Nous devons rappeler ici une expérience que nous avions imaginée spécialement pour étudier cet effet de la densité (voir p. 241). Le principe en est de faire évaluer la durée de la projection de plusieurs images en faisant varier, pour une durée donnée, le nombre d'images et, inversement, la durée de la projection de chaque image. Nous avons d'abord trouvé, chez les adultes, par une méthode d'estimation en unités de temps, une absence complète d'effet systématique des deux variables. La moyenne des estimations est proportionnelle au nombre de vues projetées, à la durée de ces vues et même à l'intervalle entre les vues, lorsqu'il y en a un. L'intégration de toutes les données est parfaite.
/94.
J'S n:HULUG1E
DU TEMPS
sur des enfants avec la Piaget (1966) a repris cette expérience collaboration de Meylan-Backs. Au lieu d'estimation verbale, la durée de la projection, les enfants utilisent, pour estimer des baguettes la de différentes Nous avons refait longueurs. même expérience avec la collaboration de N. Zuili. Les enfants A leur insu elles doivent estimer successivement deux durées. sont égales. A Genève, il y a 4 vues de 6 s dans une situation et dans l'autre 8 vues de 3 s à Paris. sont les suiLes résultats en trois de Si A est la vants, distinguant réponses. catégories durée où il y a peu de vues de longue durée et si B est celle où il y a beaucoup de vues de durée brève, on peut avoir trois types de réponses : A = B, A > B, A < B. Elles se répartissent à chaque suivante : proportionnellement âge de la manière ---
!A
f,-7ans....... 8-9 9 tO-1]1 - - .......I Adultes .........
=B
A>B
A
Genève I Genève
Paris
Genève I-
39 20 10
29% 13 15 28 -
16% 6065 30 -
20 -
>BA
G°nève Gcnève
Paris
45 % 20 25 50
47% 57 58-
Nous n'avons retenu des résultats de Genève que les réponses dites spontanées seules à celles sont parce qu'elles comparables de Paris. D'autre il est difficile de en considépart, prendre ration les changements de réponse des enfants après que l'expérimentateur leur a fait mettre en doute leurs premières réponses n dans chaque série. et a attiré leur attention sur la « fréquence La différence fondamentale entre les deux séries de résultats il y a entre 7 est la suivante. Dans la recherche de Genève à fréet 8 ans mutation Avant cette quantitative. période quence correspondait plus de temps, après moins plus grande de temps. Nous ne retrouvons pas pour notre part cette inversion. Les pourcentages restent à tous les âges du même ordre. cette en termes de vitesse ou Interpréter expérience de fréquence n'est Pour estimer une pas indispensable. il faut coordonner deux indices. Ce peut durée, pareille comme le pense la mise en du être, Piaget, rapport nombre des images de leur et de la fréquence présence peut être aussi le nombre et la durée des images tation,
1,A NOI'JON DA TEMPS
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et, dans ce cas, il s'agira d'une opération multiplicative. En d'autres termes, nous pensons qu'il n'est pas possible, à l'heure actuelle, de faire le recensement de tous les indices possibles sur lesquels est bas-e l'estimation du temps et qu'il est prématuré d'affirmer que les opérations de coordination de ces indices sont toutes du même type. Nous tendons tardivement (voir p. 297) vers une notion abstraite de la durée, parce que la représentation devient de plus en plus indépendante de ce qui s'y passe. L'enfant affranchi d'impressions absolues devient capable de mettre en relation les représentations d'ordre et de durée et est capable d'avoir une notion du temps. Cette conception est semblable à celle que Piaget a proposée pour l'évolution d'autres notions, puisqu'il estime que l'enfant sensori-motrice passe en général du stade de l'adaptation à celui d'une représentation qui évolue peu à peu vers une réversibilité au moment où les op Srati Jns deviennent possibles. D'où vient alors cette différence d interprétation entre Piaget et nous ? Peut-être est-elle éclairée par ce que fut l'orientation première des travaux de Piaget sur le temps. Il rapporte luimême dans l'avant-propos de son ouvrage qu'Eiastein lui avait demandé si l'intuition subjective du temps était « primitive ou dérivée et d'emblée solidaire ou non de celle de la vitesse ». Son attention ainsi orientée, Piaget a été amené à traiter spécialement du problème du temps en relation avec la vitesse. On pourrait presque dire qu'il a surtout cherché les circonstances où apparaît la relation t = e ; à plusieurs reprises v il affirme que la notion de temps ne se dégage justement que lorsqu'il y a intuition articulée d'abord puis mise en relation de la vitesse et de la durée. Piaget (1966) a d'ailleurs explicité sa position sur ce point. L'espace comme la vitesse sont des qualités simples. On peut constater directement l'existence d'une distance, propriété isolable de son contenu, et de même la vitesse perçue dans le dépassement, tandis que la durée ne serait qu'une résultante de deux composantes. Nous avons tendance, au contraire, à penser que la durée est, comme la distance, une qualité simple. Temps et espace sont perceptivement dépendants de leur contenu et donnent
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PSYCHOLOGIEDl'
naissance au même type d'illusions avec même composition des données comme dans l'effet tau et l'effet kappa (p. 144). La qualité première correspondant à la durée est aussi celle de distance envisagée d'abord par le sujet en relation avec ses souvenirs ou ses désirs, puis entre deux événements. A s'en tenir d'ailleurs à la phénoménologie du langage, l'enfant (comme l'adulte) utilise pour parler de la durée aussi bien le vocabulaire de l'espace que celui de la vitesse (les vacances c'est loin ; le temps passe iite). L'enfant arrive peu à peu à abstraire la durée comme l'espace de son contenu. Il reste deux différences entre le temps et les autres qualités dont l'une est mineure et l'autre d'importance. La première est que nous n'arrivons pas à des représentations temporelles aussi distinctes et autonomes que les représentations spatiales. Nos représentations, par leur caractère statique, sont en effet mieux adaptées à l'espace qu'au temps et c'est pourquoi il est plus facile de traiter l'espace que le temps d'une manière logico-mathématique. La différence majeure réside cependant dans la mesure. L'espace se mesure à partir de l'espace, le tout par la partie, le temps lui se mesure à partir d'un mouvement en postulant l'isochronisme entre deux phases homologues d'un mouvement périodique, c'est-à-dire l'uniformité de la vitesse. Si la vitesse s'accélère, le temps devient plus court. A ce niveau de conceptualisation, nous pensons alors qu'il y a en effet une relation nécessaire entre le temps et la vitesse. Cette relation existe souvent dans nos estimations temporelles, mais les coordinations à travers lesquelles se construit le temps notionnel ne se ramènent pas toujours dès l'origine à ce schéma (1). (1) Danstout ce débat,nousn'avonsà aucunmomentopposé,commePiaget, Nousne comprenons cettedistinctiunqu'en ternesphysiqueet tempspsychologique. admettantquc, le premier,touslesindicessontdonnésdansla situationextédans ils sont fournis l'action du tandis le second rieure, que par sujet.Cettedistinction ne noussemblepasesetitielle,puisque,de toutesmanières,le I emps dupsychologue.quelleque soit son origine,est relatifau sujet qui le perçoitet relèvedes mêmesloisperceptives on cognitivcs. Toutest tempspsychologique si l'on préfère, mais cette affirmationn'impliqueaucuneréférenceau tempsvécu.t'xl'res?ionau à moinsque relent bergsonienou husserlien,et aucunrecoursà I*introsj,cetion, l'onadmettequetouslesprocessus perceptifset cognitifsrelèventde cetteméthode. Aussibien, lorsquenous parlonsde l'importancede la densitédes changements quine peutêtre perçusnousinvoquonsunevariablehypothétiqueet intermédiaire on peutsupposerun certainisomorphisme appréhendée pnnrrlle-méme. Cependant, entrecette variableet les stimulationsque l'on peut manipulerdans la situation sur la duréede stimuliplus et c'est sur ce postulatque reposentles expériences ou moinsfréquents,de transportd'anneauxou de jetons,de vuesplusou moins nombreuseset durables,etc.
LA NOTION DE TEMPS -
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Tout ce débat peut paraître un peu byzantin. Il pose cependant une question essentielle : pouvons-nous arriver à avoir une intuition de la durée comme telle ou bien n'est-elle jamai3 que relative à l'espace et à la vitesse ? Piaget a précisément adopté cette seconde position en soutenant « ... que les intuitions élémentaires sont celles de l'espace parcouru et de la vitesse et que le temps se différencie peu à peu d'elles mais dans la mesure où se coordonnent entre eux les co-déplacements... » (ibid., p. 42). Pour nous, au contraire, le jeune enfant a des intuitions non seulement de la vitesse et de l'espace mais aussi de la durée. Celle-ci se révèle à lui sous la forme primitive d'un intervalle qui contrarie l'accomplissement de ses désirs. Cet intervalle paraît d'abord n'être fait que du nombre de changements qui s'y produisent, mais, à mesure que l'enfant se développe, cette intuition se transforme en une représentation, milieu abstrait, lieu des changements et indépendant d'eux. Certes, ce n'est qu'une étape car l'enfant ne peut tenir compte de tous les aspects du changement qu'au moment où il sait mettre en relation l'ordre des événements et les durées qui les séparent, et passer d'un système de données à l'autre. A ce stade final nous nous retrouvons pleinement d'accord avec Piaget pour reconnaître que « le temps opératoire est constitué lorsque l'ordre des successions peut se déduire de l'emboîtement des durées et réciproquement » (ibid., p. 278), mais nous pensons que la représentation du temps existe pour elle-même et qu'elle se manifeste avant la phase opératoire. 4°
L'ÉVOLUTION JUSQU'A
DE
LA
NOTION
DE
TEMPS
L'ADOLESCENCE
L'enfant qui, vers 7-8 ans, met en relation des changements vécus et réussit des co-sériations ne réalise pas encore que le temps soit une relation indépendante des changements. Ce n'est que peu à peu qu'il parvient à ce niveau d'abstraction. Une importante recherche de Michaud (1949) éclaire cette évolution. A des groupes composés de nombreux enfants entre 10 et 15 ans, il a posé la question : Que devient le temps lorsqu'au printemps on avance l'heure en sautant tout d'un
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DU TEMPS PS YCH OLU GIÉ -. .. -
coup de 11 h du soir à minuit (1) ? Pour concrétiser le problème, il leur demandait aussi s'ils devenaient alors subitement plus âgés. Les réponses à ces questions mettent à jour le rapport que les enfants ont spontanément établi entre le temps des horloges et le temps des autres changements, jours, nuits ou croissances. En éliminant ceux qui n'avaient pas compris le problème, Michaud a pensé que, selon leurs réponses, les enfants pouvaient se classer en quatre catégories principales : 10 Ceux qui traitent le temps comme une quantité réelle. En avançant les horloges, on « escamote », on « enlève » du temps ; on agit donc sur le temps lui-même et la preuve est que ces enfants pensent qu'ils ont vieilli. « Oui, j'ai vieilli en sautant de 11 h à minuit, c'est comme si l'heure entière s'était écoulée » (13 a. 2 m.) ; « on a ajouté une heure de plus à notre âge, tout le monde a vieilli » (13 a. 11 m.). Certains répondent cependant qu'ils n'ont pas vieilli, mais leurs commentaires montrent que leur conception du temps n'est pas différente de celle des premiers : ils ne croient pas seulement que l'on vieillit si vite ; « cela ne m'a pas fait vieillir parce que ce n'est pas en une heure que l'on vieillit » (13 a. 2 m.) (p. 75). 20 Les enfants pour lesquels l'avance de l'heure se ramène à un pur problème pratique. On peut manipuler les aiguilles et cet acte nous fait perdre une heure « qui aurait pu nous servir » (p. 88). Mais ils ne se posent pas la question de savoir si l'avance de l'heure a un rapport avec un temps abstrait indépendant des possibilités qu'il ouvre à l'action. 3° Les enfants qui envisagent l'avance de l'heure sous l'angle d'une opération mathématique. En hiver, on retarde les heures, en été on les avance, cela revient à 1 - 1 = 0 (13 a. 1 m.). Cette opération n'indique pas toujours que l'enfant arrive à se représenter que les autres changements n'en sont pas affectés. La majorité pense qu' « on n'a pas vieilli puisque l'heure enlevée n'a pas été vécue a (14 a. 10 m.) ; mais certains estiment que l'âge subit le contrecoup de ces opérations. ·eOui, subitement, je suis devenue plus âgée d'une heure parce qu'on a avancé la montre d'une heure, mais comme cette heure on la rattrape en hiver, je rajeunis d'une heure... cela fait que mon âge n'a pas changé » ( 1 a.) (p. 131). (1) Cetterecherchea été effectuéeavant 1939,à une époqueon on avançait l'heureau printemps,pourla retarderen automne.
LA
NOTION
DE
TEMPS
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4° Enfin, des les enfants qui reconnaissent que le temps une les est convention n'affecte horloges pure qui pas changela ments dans la nature, et en particulier qui se produisent aux aiguilles, c'est marche du soleil ou leur âge réel. Toucher un simple décalage. réaliser Seul ce dernier de réponse manifeste que l'enfant type sans des horloges une convention comme conçoit le temps influence sur le déroulement des changements qui se produisent, seul aussi il manifeste que ce temps est une trame sous-jacente de nature des manipulations qui est indépendante homogène humaines. la plupart où l'enfant envides réponses Cependant, une mathél'avance de l'heure comme sage simple opération de vont aussi dans le même sens ; elles sont d'ailleurs matique à en nombreuses mesure les enfants sont plus plus que plus âgés. en effet, en un tableau Si on réunit, les différents unique résultats dans cette recherche obtenus par Michaud (pp. 74, 89, et des enfants 131, 241), on voit que le pourcentage (garçons sensidonnent de évolue très filles) qui chaque type réponses blement avec l'âge.
Nombre dd'enfants enfants
247......... 336......... 478......... 459......... 219......... 59.........
Temps = Ahe " quantité -réelle xe 10 0 11l 12 13 14 15
Temps ,.= activité actlvlte
%
%
36,8 32,1 22,5 16,5 16,4 10,1
36 33,3 25,7 22,4 11,7 6,7
Temps schème ma th' ema t.Ique qUe mathématique l1 %° 2 2 3,11 5 10,3 23,7
Temps = convention <}¡) 19,8 29,7 39,1 47,7 .56,8 59,3
Il apparaît des enfants ne consiqu'à 10 ans les 3/4 environ dèrent pas encore le temps comme une abstraction et que pour eux le changement de l'heure a une conséquence sur l'âge ; ils ne se représentent dus à l'âge sont pas que les changements de la marche des horloges. Vers 13 ans seulement, indépendants 50 % des enfants environ témoignent qu'ils ont compris que le des n'est convention sans influence sur temps horloges qu'une les changements mesure. qu'il Ce résultat nos démonstrations Quand, complète précédentes. au terme d'une première l'enfant de 8 ans devient évolution,
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f'SYGHOLU(?lEDU TEMPS
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capable d'emboîter les durées de deux séries de changements, il « chosifie » encore le temps qui reste lie aux représentations concrètes qu'il s'en fait. Les horloges lui donnent le modèle d'un devenir continu à vitesse constante grâce auquel il conçoit des périodes isochrones qui vont lui servir d'unités : il peut alors situer la durée des changements par rapport à ce changement privilégié. Ce n'est qu'à l'âge décrit par Piaget comme celui des opérations formelles, c'est-à-dire à l'adolescence, que l'enfant est capable de passer de l'homogénéité concrète du temps des horloges à l'homogénéité abstraite d'une durée qui serait la trame des événements sans être dans leur dépendance. L'adaptation au temps est donc fonction du développement de l'intelligence et du niveau opératoire atteint à chaque âge par l'individu. Par suite, il n'est pas étonnant que plusieurs auteurs (voir chap. VI, p. 189) aient trouvé des corrÉlations très élevées entre divers tests d'intelligence générale et les résultats obtenus dans un questionnaire portant sur l'orientation temporelle, les divisions du temps et les manières de dater les événements, toutes connaissances qui doivent être certes apprises, mais qui ne peuvent être comprises que lorsque les processus de la mesure du temps ont un sens pour l'enfant (1). III RF'PRÉSENT.ATIONET NOTION DE TEMPS Pour conclure ce chapitre consacré aux formes supérieures de l'adaptation de l'homme au temps, il est sans doute nécessaire de considérer le terme de cette évolution génétique que nous avons longuement décrite, et de mieux préciser la nature même de ce que l'homme appelle le temps. Les philosophes en ont débattu sans parvenir sur cette question à un accord minimum. Sans doute, comme le faisait remarquer Nogué (1932), le temps n'est pas une idée simple. Et cependant Pascal (De l'esprit géométrique, in Pensées et opuscules, p. 170) écrivait déjà que tous les hommes savent ce que l'on veut dire en parlant du de ces corrélationsa été préciséepar une recherchede (1) La signification Gothberg(1949)sur des débilesmentaux.La corrélationentre un questionnaire portantsur les diversesnotionsde tempset l'âge mentalest de .84 et ellen'est (à égalitéd'âgemental). plusque de .31avecl'âgechronologique
LA NOTION DE TEMPS
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temps, même s'ils ne s'accordent pas sur la nature du temps. Nous avons, en effet, une multiplicité d'expériences liées à nos divers modes d'adaptation aux changements, mais elles ne nous donnent que des éclairages partiels, tant qu'il n'y a pas composition entre ces expériences : c'est cette composition que nous appelons le temps. Ces expériences se ramènent, nous le savons, à deux dont chacune a plusieurs aspects : celle de la succession et celle de la durée. L'une et l'autre, en tant qu'expériences, appartiennent au présent vécu. L'expéiience de la succession est celle de l'évanescence de toutes nos perceptions, en particulier des perceptions auditives. Plus généralement, quand nous sommes parvenus à un âge où nous savons distinguer notre perception de l'objet qui la provoque, notre expérience est celle du perpétuel renouvellement de nos sensations, de nos pensées et de nos affects. Elle a comme caractéristique principale l'irréversibilité, c'est-àdire l'imposâible retour au plan de l'expérience de ce qui a été. Cependant, cette expérience de la succession a pour conséquence, grâce à la mémoire, le développement de perspectives temporelles constituées à la fois du souvenir des présents passés et de l'anticipation des présents à venir sur la base même de ce qui a déjà été vécu. L'expérience de la durée est celle d'un intervalle. Elle existe déjà dans la perception de la succession où l'intervalle est un donné entre les stimulations successives au même titre que leur ordre et leur multiplicité. Nous prenons cependant surtout conscience de la durée par la résistance qu'elle impose à la réalisation de nos désirs et par notre impossibilité de présentifier à volonté l'objet convoité. Plus tardivement dans le développement génétique, la durée se révèle aussi par l'éloignement de nos souvenirs ; la quantité de souvenirs entre deux moments est la base même de notre expérience de la dimension de la durée. Ces deux expériences ont des contenus différents et aucune ne constitue à proprement parler une expérience du temps. Elles convergent cependant pour nous suggérer une même image symbolique qui correspond à la nécessité où nous sommes de déployer tous ces changements vécus pour les différencier les uns des autres et les ordonner. Cette image est celle d'un espace
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
où se situent tous les événements avec à la fois leur multiplicité et leur plus ou moins grande proximité. En effet, les perspectives temporelles nées de la multiplicité des expériences passées et à venir ne peuvent faire l'objet d'une représentation que si nous plaçons côte à côte des événements les uns par rapport aux autres. Cette transcription est naturelle parce que l'ordre temporel coïncide souvent avec l'ordre spatial et que les distances correspondent à des durées de déplacements. Dans les montagnes, là où les déplacements se font surtout à pied, les paysans, à la question : « Est-ce loin ? n, vous répondent aussi bien : « à une heure » de marche qu' « à 3 ou 4 km ». La transposition spontanée du temporel en spatial s'explique aisément si on se rappelle avec Wallon la nature même de nos représentations mentales : « Moyen d'adaptation immédiate aux réalités ambiantes, nos états de conscience, nos perceptions ne traduisent que ceux de nos rapports avec le monde extérieur qui intéressent notre existence. Mais ils devront en exprimer les nuances utiles en termes clairs et nets, c'est-à-dire par un système d'impressions et de symboles qui soient aptes à fournir des distinctions tranchées, des points de repère bien définis... Cette loi de la plus grande utilité oriente l'évolution de la conscience. Ceux de nos états qui par eux-mêmes ne peuvent donner lieu à des représentations claires et distinctes s'effaceront derrière le symbolisme d'une autre série aux termes plus maniables et mieux définis » (1930, p. 326). Aux sensations visuelles, qui sont les plus précises, correspondent les représentations spatiales qui envahissent du même coup le champ de notre conscience parce qu'elles sont les plus aptes à fournir une représentation utile du monde où nous vivons. Si l'étalement spatial des changements nous offre un moyen pratique de nous les représenter, il reste vrai de dire avec Bergson que cette image du temps-espace ne correspond à aucune de nos expériences immédiates. Ne naît-elle pas justement du besoin de n'être plus enfermés dans le présent vécu pour devenir capable de se représenter - c'est-à-dire de rendre présents - les changements passés ou à venir avec leur double caractère d'ordre et de durée ? Nous laissons ainsi échapper l'aspect dynamique de l'expérience du devenir. Pourrait-il en être autrement ? Depuis Héraclite, on essaie de tenir compte de la durée vécue en comparant le temps à un courant. L'i mage
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est séduisante mais, en l'analysant, on découvre qu'elle traduit mal notre expérience. De celle-ci, elle garde certes le caractère évanescent mais seulement pour un observateur qui se place au bord du ruisseau, c'est-à-dire en dehors du temps. Elle a d'autres insuffisances. Les masses d'eau vont vers leur avenir mais pour l'observateur elles sombrent dans son passé. Si on invoque l'expérience de celui qui serait dans le courant, le changement est alors sur la rive et le courant n'est plus assimilable au temps (Merleau-Ponty, 1945, pp. 470-471). De plus, cette métaphore ne nous permet pas de nous représenter les différents moments du temps, surtout s'ils correspondent à plusieurs séries de changements. Le devenir se conceptualise mal. Le pouvoir de se représenter simultanément plusieurs moments successifs en les situant les uns à côté des autres et en les séparant par des intervalles ou durées nous permet précisément de compléter nos images frustes du devenir. Grâce à cette présentification, l'ordre des changements dépend seulement de la pensée et échappe à l'astreinte de l'expérience vécue. Elle crée un temps réversible où il est possible d'aller de ce qui était après à ce qui était avant, aussi bien que de l'avant à l'après. Cette représentation se détache de plus en plus des premières images qui la constituaient et tend à n'être plus que celle d'un milieu homogène et continu. Elle aboutit à une conception où le temps est assimilé à un espace de type euclidien où tout demeure. Berger (1950, p. 102) a justement montré que cette construction d'une représentation exprimait notre désir d'échapper à un devenir où s'inscrit la moit. « Le temps, écrit-il, est une révolte de l'homme contre cette mort dont le présent lui révèle la constance autour de lui, contre cet écoulement non pas du temps mais des contenus, contre le fait que rien ne reste dans ses mains... » Nous arrivons mal, cependant, à détacher entièrement de nous cette représentation du temps - comme d'ailleurs celle de l'espace. Le milieu que nous concevons, nous le situons par rapport à notre propre corps et nous l'orientons selon nos habitudes de pensée. Le fait a été vérifié directement. Guilford (1926) a demandé à des étudiants de dessiner une figure leur permettant de représenter le passé, le présent et le futur. 91 % des réponses sont constituées par un mouvement qui va
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PSYCHOLOGIEDU TEMPS
de gauche à droite : orientation due sans doute à l'influence de la lecture et de l'écriture qui, dans le monde occidental, crée une direction privilégiée. Tous les dessinateurs qui veulent représenter les divers stades d'un développement ou raconter une histoire par l'image, comme dans les comics, procèdent toujours de gauche à droite. En outre, compte tenu de cette direction générale, Guilford a constaté que 58 % des représentations situent le passé en dessous du présent et le futur au-dessus ;-, 22,5 % situent le présent au sommet de la crête d'une onde convexe... d'autres réponses représentent une ligne brisée. Cette diversité témoigne que cette localisation spatialisée des changements se fait selon des schèmes très personnels. Si l'on donne au problème de la localisation des représentations un caractère encore plus concret en demandant à des étudiants, comme nous-mêmes l'avons fait, de localiser l'enfant qu'ils ont été et le vieillard qu'ils deviendront, les résultats vont dans le même sens que ceux de Guilford : 31 % situent l'enfant à leur gauche, le vieillard à leur droite ; 11 % les situent sur un axe arrière-avant, le passé étant en arrière et l'avenir en avant ; 10 % ont une représentation de bas (passé) en haut, et 13 % des localisations plus complexes où prédominent simultanément deux des trois directions de l'espace. Fait intéressant, 35 % ne localisent pas ces images et expliquent qu'ils se contentent de les visualiser successivement, ce qui correspond à un mode plus primitif de la représentation du changement, la juxtaposition des images successives. C'est ainsi que l'on symbolise souvent le temps : portraits successifs d'un même homme, feuilles de calendrier qui se succèdent, etc. Cette variété de réponses souligne par une autre approche ce que nous avaient révélé les recherches génétiques, à savoir que nos représentations du temps peuvent être plus ou moins abstraites suivant les contenus auxquels elles se rapportent. Une représentation du temps selon un continu schématique polarisé à une dimension (1) nous suffit lorsque nous imaginons des changements formant une série homogène comme les divers (1) Si la représentationdu temps selonune lignedroite est prédominanteà l'heureactuelle,on saitquecetteimagedépenden partiedu développement culturel. Aristotenousdit qu'en sontemps« l'idée couranteest que les alTaireshumaines sontun cercle...» (Physique, liv. IV, p. 161).Mais,ligneou cercle,le raisonnement demeurele même.
LA N01'ION Uh' TEMPS
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âges de notre vie, les états successifs d'un corps ou la succession des jours, des mois ou des années. Mais elle devient insuffisante lorsqu'il faut mettre en relation des séries hétérogènes d'événements. En effet il faut alors construire le temps, et placer les uns par rapport aux autres des événements qui ne s'ordonnent pas naturellement et les durées qui les séparent. Pour reprendre l'exemple même de Piaget, si je veux envisager simultanément toutes les données temporelles de mon existence, situer par exemple les événements de ma vie familiale et les événements politiques de ma patrie, je procède par une série de constructions où interviennent des dates et des durées (la gue-re a duré cinq ans, mon deuxième enfant est né trois ans après le premier, etc.). Je m'appuie sur des représentations, mais au terme il n'y a plus de représentation possible, car nous ne pouvons imaginer simultanément plusieurs intervalles de temps qui se chevauchent. Cette construction du temps ne conduit pas cependant à un concept qui subsumerait une classe d'objets, mais à un schème total et unique auquel nous aboutissons au terme d'une s-rie d'opérations qui constituent l'univers temporel (Piaget, ibid., p. 293). Ce schème temporel ou cette notion, pour employer un vocabula;ra plus courant, ne résulte donc pas d'une simple abstraction n-e d'expériences multiples, pour la simple raison que les expériences temporelles sont hétérogènes les unes aux autres. Ainsi que le dit Lavelle : « Il n'y a qu'une relation qui puisse nous représenter un objet dont la présence n'est pas donnée » (1945, p. 192). Et c'est pourquoi le temps n'est pas non plus une simple forme de notre esprit. Le temps naît de l'activité même de l'homme qui s'efforce de reconstruire les changements auxquels il participe. Et, comme on le sait,il n'y a que ce que nous avons pu reconstruire que nous pouvons maîtriser. Avec la notion de temps, nous atteignons l'adaptation la plus complète de l'homme aux successions qui forment la trame de son milieu. L'homme a alors l'impression que sa conception du temps est celle d'un temps absolu dont Newton a donné la meilleure formulation. Les progrès de la science qui ont conduit à la théorie de la relativité restreinte, puis généralisée, devaient cependant révéler que ce qu'on croyait un temps absolu n'était encore qu'un « temps local », comme le nommait Lorentz, ou plus P,
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de Langevin. exactement un u temps propre » selon l'expression La sériation n'est fixe et la durée homogène que par rapport sont à un système dont les différences de références parties Dè3 lors qu'il y a immobiles les unes par rapport aux autres. les uns par rapport divers systèmes de référence en mouvement aux autres, il n'y a plus de temps commun. Le problème a éclaté à propos de la simultanéité qui est, comme nous l'avons fondamentale aussi bien au point de vu, vue de la Eériation que de la mesure de la durée. Nous admetsont simultons en première analyse que deux événements tanés lorsque nous les percevons Mais nous apprenons ensemble. ne signifie pas vite que la simultanéité de deux perceptions soient les elles deux événements correspondent que auxquels eux aussi simultanés. de la place des observateurs Tout dspend de et de la vitesse aux sources des événements par rapport fixe transmission des messages. dans un système Cependant, de références, on peut, à quelque place que l'on soit, conclure à la simultanéité de deux phénomènes ou à la non-simultanéité de transdes vitesses à partir de la considération des distances, deux mission des et de l'intervalle mesuré entre les réceptions tous les observateurs soit leur Quelle messages. place, que arriveront à la même conclusion. Mais il n'en est plus de même en mousi les deux événements en des systèmes se produisent vement les uns par rapport aux autres, comme dans deux astres évédifférents. Dans un temps absolu, nous admettons qu'un terrestre nement et un événement se dans le soleil qui passe être simultanés, mais il ne s'agit que d'une croyance : puissent nous nous en apercevons au moment où nous nous demandons observés et observateurs comment vérifier cette simultanéité, La théorie étant en mouvement les uns par rapport aux autres. seulement de la relativité a alors montré que l'on pouvait de mesurer entre les deux événements un intervalle fonction les deux données ne être mesurées l'espace-temps, que pouvant est une relativement l'une par rapport à l'autre. L'intervalle donnée spatio-temporelle. on le problème en partant des durées, Si on considère à la même Il n'y a de durée arrive conclusion. homogène, du temps, où il donc d'unité possible que dans un système une des conditions L'allure a relative stabilité y physiques. de nos horloges et de ses accédépend du champ de gravitation
LA NOI'IOlV DE TEMPS
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lérations ou de ses ralentissements. Le temps mesuié par deux horloges soumises à des champs variables, dans deux astres différents par exemple, ne serait plus le même. Et parce qu'il n'y a pas de simultanéité absolue, il ne serait pas possible de les régler l'une par rapport à l'autre. La théorie de la relativité appelle une nouvelle conception du temps comme de l'espace. Cette conception, à la différence de la notion de temps que nous avons étudiée, ne naît pas de l'action directe de l'homme sur les choses, de son adaptation à ses conditions de vie, mais de son activité scientifique. C'est en essayant de comprendre certains paradoxes de la physique et en particulier le résultat négatif de Michelson qu'Einstein a abandonné l'hypothèse d'un temps absolu et considéré qu'il n'y avait que des temps propres à chaque système de référence. Cet effort pour penser les rapports espace-temps de l'univers peut être considéré comme une nouvelle tentative pour mieux adapter nos connaissances à la réalité, mais il n'affecte pas la vie psychologique quotidienne, dont il ne découle pas. Avec le temps de la relativité nous sommes au-delà du problème psychologique des conduites temporelles, bien que notre notion du temps doive être telle que le temps «propre o ne soit qu'un cas particulier du temps de la relativité. Peut-être que la conquête de l'espace cosmique posera de nouveaux problèmes temporels aux cosmonautes qui élargiront le domaine de nos connaissances ! 1
CONCLUSION
LA VALEUR DU TEMPS Ainsi « le temps me fait et je fais le temps ! » (1). De la naissance à la mort, notre corps évolue sous l'action continue du temps. De plus, les conditions de notre existence varient sans cesse et par elles nous sommes modelés de mille façons. Nous vivons au rythme des jours et des nuits. Nos centres nerveux inscrivent la durée qui s'est écoulée entre une satisfaction et le signal qui l'a précédée. Tout événement vécu reçoit comme un signe temporel de sa concomitance avec quelque changement habituel. La vie sociale est le milieu par excellence de notre adaptation au changement, elle médiatise en quelque sorte les transformations du monde qui nous entoure. Par l'éducation, les enfants n'apprennent-ils pas essentiellement à rythmer le cycle de leurs occupations et de leurs désirs d'après le rythme des adultes ? Les premiers, les parents fixent le temps du lever, du coucher, des repas, des jeux et du travail. Plus tard l'école, la profession, la cité ajoutent leurs exigences propres. C'est en vivant avec les autres que nous souffrons de délais imposés à la satisfaction de nos désirs. Attentes et précipitations, ces deux formes de l'adaptation, sont multipliées, exacerbées par la vie sociale. Se soumettre au temps signifie pratiquement accepter le temps des autres. Cette pression temporelle de la société comporte toute une variété de degrés (Stoetzel, 1953). Elle est en général d'autant. plus forte que nous sommes insérés dans un réseau de relations sociales plus complexes. Un exemple grossier, mais significatif, cette formule à M. Bonaparte (1) Nous empruntons à Descartes. opposer Bergson
( 1 9.39),qui l'a utilisée pour
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PSYCHOLOGIE
DU
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en lumière ces différences : la proportion des gens qui mesure de la leur montre croît à la portent population que ville à laquelle ils appartiennent est plus grande. Les cultivateurs sont évidemment moins assujettis à un horaire précis ou les ouvriers. de nous d'ailleurs Chacun que les employés subit de façon variable la pression temporelle que le cadre les général de sa vie fait peser sur lui : elle se modifie suivant milieux le jour de la semaine ou l'époque que nous traversons, de l'année. Il y a ainsi un temps du bureau, un temps de la un de la maison et aussi un rue, temps (Halbwachs, 1947), de la semaine et un du un du dimanche, temps temps temps travail et un temps des vacances. Multiplicité bénéfique, puistensions et détentes, qu'elle fait succéder puisque par l'alternance des pressions et des allégements elle favorise la naissance d'un rythme de la vie individuelle. Nous savons tous la conquête le repos hebdomadaire, les vacances, ces rupque représentent tures des cadences infernales dont est faite la vie urbaine. Si précieuses il est des moments où que soient ces pauses, nous cherchons à échapper à la pression complètement temporelle. Le sommeil est la situation limite qui nous retranche dans notre individualité A un moindre biologique. degré, la rêverie nous affranchit des contraintes du réel et en particulier du au rythme de leur érection. temps social. Nos désirs s'y réalisent Libération habituelle et aboutit devient dangereuse lorsqu'elle à l'aliénation, c'est-à dire précisément à une cassure entre et la société. Les ivresses toxiques et - sur un autre l'individu les extases sont aussi des moyens de s'afplan mystiques franchir du temps : elles introduisent dans l'euphorie des éternités (M. Bonaparte). Ces expériences ne doivent pas nous tromper. exceptionnelles La sécurité de l'homme normal n'est pas de s'affranchir du La pression est. une contrainte, mais aussi temps. temporelle le cadre où notre personnalité s'est organisée. ce cadre Quand nous manque, nous sommes comme Rien ne soudésorientés. tient plus les séquences de nos activités : nous sommes seuls en face de nous-mêmes. D'un tel désarroi surgit non seulement un sentiment de vide, mais aussi une peur confuse : on craint d'être désarmé devant les impulsions la socialisation des que conduites inhibe d'ordinaire ou oblige à refouler. les uns Que cherchent avidement de nouvelles occupations pour se « diver-
CONCLUSION
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tir o de leur anxiété, que d'autres se forgent des emplois du temps rigoureux, ces initiatives procèdent du même besoin. L'équilibre humain est trop fragile pour se passer des positions fixes de l'espace et des repères réguliers du temps. L'harmonisation des temps des individus résulte d'interactions multiples, à travers lesquelles ils tendent peu à peu à la coopération que nécessite la vie sociale. Dans ce jeu d'adaptations mutuelles, chacun intervient avec tout le dynamisme de sa personnalité. La manière même dont il subit ou secoue la pression temporelle révèle ce qu'il est et ce qu'il veut être. Se soumettre au temps de son groupe, c'est en général choisir la sécurité ; s'en affranchir, affirmer son indépendance, est une forme d'agressivité. Ainsi par la ponctualité on s'assure l'estime de ceux dont dépend l'horaire et à tout le moins on évite les aventures. Il arrive très souvent que les personnes très exactes souffrent de quelque sentiment d'insécurité. D'autres au contraire se servent de la ponctualité comme d'une arme : proposée en modèle aux égaux ou aux inférieurs, elle offre une occasion de les mettre en faute (Adler, 1948, p. 292). Sans envisager ces comportements un peu névrotiques, Halbwachs (1947) fait remarquer que, l'exactitude exigée n'étant pas la même dans tous les groupes, « on se repose et on prend sa revanche dans certains milieux de l'exactitude à laquelle on est obligé dans d'autres ». Le manque d'exactitude a les mêmes significations ambiguës. On peut se mettre en retard par indifférence aux exigences sociales, par désir d'indépendance quelque peu agressif, pour irriter ceux qui vous attendent, pour avoir l'occasion en s'excusant de valoiiser sa propre personne. On peut aussi retarder une activité pour créer une tension qui soit source de satisfaction (1) (Meerloo, 1948 ; Adler, 1948 ; Fenichel, 1953 p. 344). Ces implications complexes de notre adaptation au changement montrent à quel point le temps exerce une emprise profonde sur tous les aspects de notre vie. Ponctué par les rythmes de la terre, notre devenir est modelé par ceux de la société. (1) C'est la théoriedes psychanalystespour qui le soucidu temps est une manifestationde la personnalitéanale, attendre ou faire attendre ressortissant au mêmeplaisirérotiqueque la rétention.
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PSYCHOLOGIE DU TEMPS -
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Des tentatives formées par l'homme pour se débarrasser de cette emprise, il n'existe pas que des fcrmes d'évasion. Une libération plus haute consiste moins à s'affranchir du temps qu'à le maîtriser : dépassement qui n'est possible qu'à la condition d'échapper au devenir. C'est à quoi ont été employés les efforts de la pensée constructive. Pierre Janet faisait remarquer que les philosophes ont une horreur particulière du temps et se sont appliquas à le supprimer (1918, p. 496). Sans aller jusque-là, il suffit d'observer le comportement humain au niveau des premières adaptations intellectuelles : il révèle, dès le une de domination du départ, entreprise changement. Pour se défendre contre le temps, l'homme a d'abord sa mémoire : elle présentifie les changements passés, en recompose l'ordre, en dégage la signification. L'homme crée l'unité de sa personnalité en se donnant une histoire. A son image, l'humanité revendique un passé et un avenir. Les sociétés multiplient les témoignages des époques disparues en accumulant archives, bibliothèques, musées. Patiemment, elles s'immortalisent en écrivant leur histoire. Le mouvement pour tirer à soi tout le passé et immobiliser ce qui fut changement est complété par un effort symétrique qui anticipe l'avenir et s'emploie par avance à l'accorder à nos dési. s. Les prévisions humaines dépassent le cadre d'un simple emploi du temps : elles lancent savants, ingénieurs, politiques à la poursuite de lointains objectifs. Ce regard qui se prolonge en deçà et au-delà du présent n'épuise pas notre capacité d'organiser le changement. La pensée parachève l'oeuvre de la mémoire par la mise en relation de toutes les séquences d'événements : nous apprenons ainsi à passer sans peine de l'ordre à la durfe, de l'antérieur au postérieur et du postérieur à l'antérieur. Au terme de cette construction, l'homme est en possession de ce qu'il appelle le temps, c'est-à-dire de la loi des changements. Fait paradoxal, cette loi est comme en dehors du changement lui-même. Issu de l'expéxience du temps vécu, le temps pensé n'en conserve pas les caractères les plus sensibles. Il n'est pas un abstrait du devenir, mais en coordonnant des séries multiples de changements, il leur confère une intelligibilité.
CONCLUSION
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L'hétérogénéité de nos représentations du temps par rapport à la réalité vécue apparaît quand, à l'aide de métaphores, nous prétendons nous installer au coeur du devenir. Nous l'avons noté avec Merleau-Ponty : quand nous évoquons le cours du temps, nous ne sommes jamais que des spectateurs qui, du haut d'une berge, regardent couler un fleuve qui leur reste étranger. Le devenir est transformé en objet. Cette transformation est le signe même par où nous affirmons notre domination sur le temps. Le langage dont nous nous servons tous les jours est révélateur. Nous parlons du temps comme d'une chose qui se trouve à notre disposition : « Avoir du temps » nous lui prêtons une valeur semblable à celle de l'argent : « Gagner ou perdre du temps » ; nous en faisons même un instrument d'échanges ou la manifestation de notre générosité : « Donner de son temps ». * * * Si parfaite que soit cette maîtrise, si détachée de la réalité sensible, elle ne peut nous faire oublier le caractère irréductible de l'expérience du changement. A chaque instant le temps nous est donné pour nous être aussitôt arraché. Il est facteur de toutes les édifications et de tous les progrès, il est aussi celui qui dégrade et anéantit. L'homme naît et meurt, progresse et régresse, les sociétés se développent et disparaissent : double face de l'histoire, qui marque le temps personnel comme celui des civilisations d'une ambivalence essentielle (Marrou, 1950). Le dieu grec du temps, Chronos, enfante et dévore ses enfants. Janus, dont la sagacité embrasse tout à la fois l'avenir et le passé, est doté d'un double visage, l'un sinistre et l'autre riant. Une telle ambivalence explique certains de nos choix. Porté par son tempérament, sa situation, son histoire, chacun de nous tourne les yeux vers ce qu'offre le temps ou vers ce qu'il détruit. De là naissent des attitudes qui s'inscrivent dans les conduites de chaque jour. Nous avons déjà relevé les valeurs différentes que prêtent les individus aux deux grands axes de l'horizon temporel, le passé et l'avenir. Ces attitudes ne guident pas seulement notre action, elles inspirent nos philosophies. En effet, chaque métaphysique se
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fait une conception propre du rôle des forces contraires que le temps exerce sur nous : selon l'importance dialectique qu'elle accorde, dans le devenir, à la création ou à la destruction, le moi, le monde, et même Dieu, n'ont pas le même sens. Sans doute il est peu de philosophies qui refusent de faire crédit au temps, comme il est peu d'hommes pour se fermer complètement à l'avenir. Pour celles cependant qui admettent que tout est donné au principe, le temps peut tout au plus expliciter une réalité implicite. Par contre, pour les évolutionnistes, il est le générateur de tous les progrès. Lorsqu'une philosophie les justifie ainsi ontologiquement, les aspects du temps se soient conférer la suprême valeur. Nées de nos attitudes à l'égard du temps, les philosophies, en retour, les rationalisent et les valorisent. Plus ou moins explicitement, elles définissent les manières authentiques de vivre le temps et déconsidèrent les autres. La destinée de l'homme et celle des civilisations portent l'empreinte du prix que philosophies et religions ont attribué au temps. Le psychologue constate cette sublimation de l'expérience temporelle, il cherche à en comprendre les ressorts et la portée. Au plan scientifique, il se garde de se prononcer sur la valeur du temps. Si, dans sa vie personnelle, l'option est inévitable, il n'en méconnaît pas les déterminations. La psychologie, qui se refuse à diriger son choix, lui enseigne seulement qu'il y a plus de grandeur à l'assumer consciemment.
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BRAUNSCHMIp, G. BRECHER,
201.
177, 183. A. L., 129. 121. F. K., BERRIEN, A., 33, 112. BETHE,
BERNOT,
BORING, BORING,
BOUVIER, 123,
137, 138, 139. 140, 144, 155, 156. G., 8, 303.
BERGSON,
172.
99,
C., 146. 21.
BOUMAN,
BERGER,
BERGLER,
BONHOEFFER,
BOURDON, B., 139, 225.
263.
F., V.,
40.
E., 51.
BONNIER,
133.
von,
127.
K., P.,
BONAVENTURA, BOND, N. B., BONNET,
141.
127,
G.
BEKESY,
183. 62.
BONAPARTE,M., 171,208,
207.
197,
M.,
O.
BOLOTINA,
' 148.
177,
BLANCHETEAU,
' ,
56. 147,
W.,
BLANCARD,
140, 141. 233.
M.,
BOARDMAN, BACHELARD, R. BAILEY,
141.
127, 192.
F.,
BROWN,
J.
F.,
BROWN,
J.
S.,
189. 145, 40.
146.
116.
106,
PSYCHOLOGIE
344 BRUNER, J. S., 154. BRUSH, E. N., 49. BUCK, J. N., 189. Bi·NNING, E., 21. BURGKARD,E., 29. BURTON, A., 220. BUYTENDIJK, F. J. J., 32, 62, 68, 133. BYKOv, K. M., 26. CALABRESI,R., 131-132. CAMPBELL,R. A., 148. CARREL, A., 263. CATTELL, J., 131. CHATTERJEA, R. G., 153. CHEATHAM,P. G., 108. CHU-TSI-TSIAO, 57. CLAUSEN,
J.,
221,
224,
i
)
) '
226.
CLAUSER,G., 48, 51, 52. CLAY, E. R., 91. COHEN, J., 137, 141, 144, 145, 146, 182. COHEN, L. H., 172, 174. COLEGROVE,F. W., 131. CONDILLAC,E. B. de, 3, 4, 231. CONSTANT,B., 198-199. CooK, L., 63. COOPER, L. F., 246. COURBON,196. CowLES, J. T., 60-61, 67. CRAWFORD,M. L. J., 46, 266. CURTIS, J. N., 143. CZEHURA,W. S., 129. CZERMAK,J. N., 86.
' 1
'!
:
)
DARWIN, Ch., 22. DAVIS, R., 129. DEATHERAGE,B. H., 140, 141. DECROLY, O., 165, 187, 188. DEGAND, J., 165, 187, 188. DE GREEF, E., 170. DELACROIX, H., 82, 93. DELAY, J., 168-169, 174, 175. DENNER, B., 140. DERIABIN, V. S., 40, 42. DESCARTES, R., 3, 4, 309. DEWOLFE, R. K. S., 239. DIDEROT, 218, 248. DIETZE, G., 98.
DJAHANGUIRI, B., 62-63. DMITRIEV, A. S., 26, 40, 56, 65. DOBRZANSKI,J., 23. DOBsoN, W. R., 241. DoEHRING, D. G., 66, 143, 226. DooB, L. W., 184. DOOLEY, L., 198. DOUNAN, E., 192. DUNCAN, C. P., 239. Du PREEZ, P. D., 266. DURUP, G., 106-107. EDGELL, B., 139, 151, 152. EHRENFELS, von, 83. EHRENWALD, H., 14, 174, 246. EHRLICH, S., 155. EINSTEIN, 307. EJNER,
)
jI 1
) '
1
DU TEMPS
M.,
8.
EKMAN, G., 152, 153. ELKINE, D. G., 148, 251. ELLIS, L. M., 183. ERICKSON, M. H., 246. EsoN, M. E., 192, 226. ESTEL, V., 8, 125, 151. EVANS, W. O., 36. EXNER, S., 120, 121. EYSENCK, H. J., 102, 204. FALK, J. L., 217, 233. FARBER, M. L., 194-195. FARRELL, M., 188, 281. FAVILLI, M., 243. FECHNER, G. T., 8, 147, 149, 150, 151, 153. FFNICHEL,
0.,
198,
311.
FEOKRITOVA, I. P., 26, 38-39. FERRARI, G. C., 236. FERSTER, C. B., 62. FESSARD, A., 32, 33, 35, 37, 41, 106-107. FILER, R. J., 232. FINAN, J. L., 60, 61, 67, 68. FISCHER, F., 207-209, 221. FLETCHER, J. L., 131. FLORÈS, C., 96, 167. FoucAULT, M., 245. FRAISSE, P., 31, 45, 56, 75, 78, 8384, 88, 93, 95-96, 97, 98, 102, l17, 121, 125> 126, 130, 132, 140,
INDEX
DES AUTEURS
345
142,146,148.154.155,167,184, 214, 221, 224, 225, 226, 233, 241, 242, 251, 252, 253, 256, 287, 290, 292, 293. FRAISSE, R., 95-96, 97, 98. FRANçots, M., 35, 36, 37. FRANKENHAEUSER,M., 152, 153, 244, 249. FREUD, S., 171, 201. FRIEDMAN, K. C., 189. FRISCH, K. von, 25. FRISCHEISEN-K HLER, 1., 123. FROBENIUS, K., 49-50. FR BES, J., 113. FROLOV, J. P., 41. FRY, W., 63. FULTON, J. F., 42.
j
GUNDLACH,R., 97. GUYAU, J. M., 7, 81, 88, 129, 166, 168, 171, 181, 214, 231, 262, 266, 267. HADENGUE, A., 28. HALBERG, F., 22. HALBERSTADT,G., 221. HALBWACHS,M., 177, 178,310, 311. HALL, G. S., 139. HALL, W. W., 49. HALLIDAY, A. M., 112. HANSEL, C. E. M., 137, 141, 144, 146. HARIU, T., 193. HARTON, J. J., 226, 235, 236, 239, 265. HAVET,
GAMBLE, F. W., 20. GAMPER, E., 173. GARBUTT, J. T., 192. GARDNER, W. A., 264. GASTAUT, H., 133. GAVINI, H., 142. GEBHARD, J. W., 118. GEBSATEL, 206. GESELL, A., 30, 187, 188. GILLILAND, A. R., 36, 225, 226, 252, 265. GLASS, R., 8, 151. GOLDFARB, J. L., 141, 142. GOLDSTONE,S., 36, 126-127, 141, 143, 251. L.
GOODFELLOW,
D.,
147,
j
148-149.
L.
C.,
HISATA,
300.
GRABENS BERGER,W., 23, 37. GREGG, L. W., 152, 153. GREGOR, A., 174. GRIDLEY, P. F., 149. GRIMM, K., 139. GROETHUYSEN,B., 169. GROOS, K., 43. GTt??NBAum,A., 173. GmLFORD, J. P., 303-304. GUILLAUME, P., 57, 79. GuINZBURG, R. L., 116. GUITTON, J., 73. GULLINKSEN, H., 238, 265.
5.
119.
HOAGLAND,H., 34, 35, 36.
GOODMAN,C. C., 154. GOTHBERG,
J.,
HAWICKHORST,L., 148. HAWKES, G. R., 36, 140, 142, 148, 225. HEAD, H., 102. HEBB, D. 0., 100, 133. HEIDEGGER, M., 8, 166. HELSON, H., 144. HÉRACLITE, 302. HERBART, J. F., 6, 88. HERON, W. T., 61, 67. HEYMANS, G., 199-200. HIEBEL, G., 22. HILGARD, E. R., 59. HIRSH, I. J., 119-120, 121, 140, 141.
HOFFMANN,
:
H.,
30.
HOFFMANN, K., 25. HOLLINGWORTH,H. L., 126. HOLMKVIST,O., 152. HORANYI-HECHST, B., 221. HÔRiNG, A., 124. HORNBOS
346
PSYCHOLO GIE D U TEM'PS
HUNT, J. McV., 23. HUNTER, W. S., 186. HUSSERL, E., 8.
KLINESERG, O., 170, 223. KLINEBERG, S. L., 197. KLINES, K., 42. KLOOS, G., 206, 230. KNAPP, R. H., 192. KOC]IIGINA, A., 26, 40, 56, 65. K., 90, 91, 100, § à_ 145. KOHLMANN,T., 226. KoHT, A. G., 234, 235. KOLLERT, J., 8, 125. KORNGOLD, S., 226. KORTF, 118. KOTAKE, Y., 64. KouPALOV, P. S., 39, 41, 66. KRAEPELIN, 196. KRAMER, G., 25. KRETz, A., 250. KRISTOFFERSON,A. B., 113. KURODA, R., 137.
Trr F. F L., ï 187 188. 1M ILG, 187, IRwIN, F. W., 184. ISRAELI, N., 138, 139, 192, 194. JACOBSEN, C. F., 68, 179, 180. JAENSCH, E. R., 52, 250. JAHODA, M., 234. JAKUBOWICZ,C., 132. JAMES, W., 44, 91, 92, 94, 112, 142, 231, 262. JAMPOLSKY, M., 31. JAMPOLSKY, P., 252, 253. JANET, Paul, 263. JANET, Pierre, 9-10, 87, 90, 102, 201,203,212,214,215,220,239, 312. JASPER, H., 58. JASPERS, K., 172. JASTROW, J., 139. JENSEN, E. M., 131. JOHNSON, D. M., 197. JOHNSON, E. E., 189. JOHNSON, O., 160. JoNES, R. E., 202. JoY, R. J. L, 36. KAFKA, J. S., 192, 226. KAGAN, J., 244. KAMIN, L. J., 56. KANT, E., 3, 4-6, 80. KASTENBAUM,R., 190, 193, 194. KATCHMAR,L., 152. KATZ, D., 123, 215, 232. KAYSER, Ch., 22, 23, 29, 35, 42. KEEBLE, F., 20. KELLEHER, R. T., 63. KELLER, F. S., 63. KELLOGG, W. N., 55. KEW, J. K., 224. KIESOW, F., 150. KIMBLE, G. A., 55. KING, S. M., 144. KLEBER, R. J., 36. KLEIST, K., 14, 42, 102, 168. KLEITMAN, N., 28, 29, 30. KLEMM, O., 112, 119.
1
LADEFOGED, P., 116. LA GARZA, C. O. de, 221. LAMARTINE, 216. LAMOREAUX,R. R., 56. LANGER, J., 233. LANGEVIN, P., 306. LAVELLE, L., 181, 182, 211, 215, 218, 305. LE BEAU, J., 180. LEBEDINSKAIA, S. 1., 42. LECOMTEDu Nouy, 263-264. LE GRAND, A., 245. LEMMON, V. W., 130. LE NY, J. F., 66. LERIDON, S., 66. LE SENNE, R., 199. LESHAN, L. L., 183, 193, 205. LEVINE, M., 189, 197. LEWIN, K., 182, 186. LEWIS, M. M., 187. LHAMON, W. T., 36, 127. LICHTENSTEIN, M., 108, 109, 116. LICKLIDER, J. C. R., 108. LINDAUER, M., 25. LINNÉ, 21. LIpps, Th., 80. LLEWELYN-THOMAS.E., 253. LOCKE, J., 4.
INDEX
347
DES AUTEURS
LOEHLIN, J. C., 238. LooMIs, E. A. Jr., 246. LORANZ, M., 49. LORENTZ, 305. LOSSAGK, H., 220. LOTZE, H., 80. LYSGAARD, S., 184. MAACK, A., 150. MACH, E., 8, 83, 86-87, 147. MAEDA, F., 140. MALMO, R. B., 179, 180. MALRIEU, Ph., 161, 162, 163, 187, 188, 191. MAREY, 35. MARQUIS, D. G., 30, 31. MARQUIS, D. P., 59. MARROU, H. 1., 313. MARTIN, L., 20. MARX, Ch., 35. MAURY, A., 245. MAUss, M., 176, 177. McALLISTER, W. R., 55. McDoucALr., R., 265. McGEOCH, J. A., 242, 265. MCGILL, T. E., 46, 237. McLEOD, R. B., 45-47. MEADE, R. D., 235. MEALS, D. W., 232. MEDIONI, J., 24. MEERLOO, A. M., 311. MEESTERS, A., 133. MEHNER, M., 8, 125, 151. MERLEAU-PONTY,M., 8, 166, 181, 303, 313. MESZAROS,A., 42. METZNER, R., 189. MEUMANN, E., 8, 136, 142, 143. MEYLAN-BACKS,M., 294. MICHAUD, E., 297-299. MICHELSON, 307. MICHON, J. A., 149. MICaoTTE, A., 74, 115, 146. MILLER, G. A., 108, 117, 126. MILLER, N. E., 66, 182. MILLS, J. N., 47. MINGAY, R., 112. MINKOWSKI,E., 14, 173, 195, 196, 205, 206, 207-209, 221.
MIRSKY, A. F., 180. MISCHEL, W., 189, 197. MONTAIGNE, 203. MONTMOLLIN,G. de, 242. MOREAU DE TOURS, J., 243. MORGAN, C. T., 160. MORI, T., 61. MopRjs, J. R., 224. MOWBRAY,G. H., 118. MOWRER, O. H., 56, 179. MUNSTERBERG,J., 8, 86, 139. MUSATTI, C. L., 242. MYERS, G. C., 226, 242, 243. NEULAT, G., 28, 44. NEWTON, 305. NICHOLS, H., 6, 86, 149, 151. NOGUÉ, J., 300. OAKDEN, E. C., 188. ODIER, Ch., 51. OLÉRON, G., 130, 141, 146. OMBREDANE,A., 102. OMWAKE, K. T., 49. ORME, J.-E., 266. ORSINI, F., 184, 214, 233, 244, 252, 253. OSBORNE, A., 28. OsGooD, C. E., 193. PAILLARD, J., 115. PASCAL, B., 300. PAULHAN, F., 200. PAVLOV, I. P., 14, 25-26, 37, 38, 39, 41, 42, 54, 55, 56, 57, 63, 64-65, 66, 67, 68, 102. PEITZ, 22. PÉRÈS, J., 236. PETERS, R. H., 180. PETRIE, A., 180, 202. PFEFFER, 21. PHILIP, B. R., 127. PIAGET, J., Il 3, 114, 140, 143, 146, 155,161,162,163,164,165,167, 169, 179, 247, 254-256, 259, 260, 268-270, 271, 272-280, 281-286, 288-297, 300, 305. PICHON, E., 203-204. PICK, A., 243.
348 PT£RON, H., 9, 14, 20, 21, 23, 27-23, 35, 43, 44, 51, 85, 91, 92, 94, 99, 100, 101, 106, 107, 109, 111l12, l16, l17, l18, l19, 120, 133, 143, 150. PINTNER, R., 96. POINCARÉ, H., 110. Popov, N. A., 26, 41, 67. POROT, M., 202. POSTMAN, L., 126. POULET, G., 191, 195, 198, 199. 200, 203, 205, 206, 218, 248. PRICE, J. B., 121. PROUST, M., 180, 206. PROVINS, K. A., 36. PUCELLE, J., 219. PUMPIAN-MINDLIN, E., 225, 262.
PSYCHOLOGIE 1
'
/ I / !
QUASEBARTH,K., 148, 155. RABIN, A. 1., 164, 214. RACINE, 204-205. RANSCHBURG,P., 172, 173-174. REESE, E. P. et T. W., 131. REGELSBERGER, H., 28. RÉGIS, E., 172. REGNAUD, P., 1. REICHLE, F., 23. REMLER, O., 30. RENNER, M., 24. RENSHAW, S., 148. REVAULTD'ALLONNES, G., 174. REZENDE, N. M. de, 226. RIBOT, Th., 80, 169. RICHELLE, M., 62-63. RICHET, Ch., 107, 108. RIGBY, W. K., 66. ROBERTS, W. H., 179. ROCHLIN, G. N., 172, 174. RODNICK, E. H., 56, 57, 64, 66. ROELOFS, O., 141. ROFF, M. R., 45-47. RoHErm, G., 165, 201. ROSENBAUM,G., 40. ROSENTHAL, J. S., 42. ROSENZWEIG,S., 184, 234, 235. Ross, S., 131, 152. RosvoLD, H. E., 180. ROTHSCHILD,D. A., 97.
j'
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I
I
I , / ,
!
DU TEMPS
ROUSSEAU, J. J., 198. RUBIN, E., 113. RucH, F. L., 61, 62, 68. SAMS, C. F., 59, 61. SAUTER, U., 97. SCHAEFER, V. G., 36. SCHLOSBERG,H., 23, 55. SCHMIDT, M. W., 113. SCHNEEVOIGT,W., 250. SCHNEIDER, L., 184. SCHULTZE,F. E. O., 123. SCHUMANN,F., 8, 86, 138. SEASHORE, C. E., 149. SHAGASS,C., 58. SHERRICK, C. E. Jr., 120. SHERRINGTON,C. S., 33. SIDMAN, M., 63. SIFFRE, M., 36, 47, 236. SIVADDIAN, J., 3, 5, 34, 35, 88. SKALET, M., 186. SKINNER, B. F., 40, 62. SMALL, A. M. Jr., 148. SMITH, P. C., 220. SMYTHE, E. J., 251. SPENCER, H., 6. SPENCER, L. T., 242. SPIEGEL, E. A., 174. SPIVACK, G., 197. SPOONER, A., 55. SPRAGUE, R. O., 121. STEIN, H., 24, 35. STEIN, W., 108. STEINBERG, H., 244. STELLAR, E., 160. STERN, CI., 187. STERN, L. W., 91, 187. STERN, W., 188. STERZINGER,O., 37, 244. STEVENS, S. S., 151, 152, 153. STOETZEL, J., 309. , STONE, S. A., 113. STOTT, L. H., 125, 148. STRAUS, E., 14, 205, 206, 230. STROUD, J. M., 108. STURT, M., 188, 245, 246. SuDo, Y., 144. SuTO, Y., 144. SWEET, A. 1.., 113, 119.
INDEX
DES
349
AUTEURS
E.
265. ,J., 242, St. C. A., 57, J. D.. 137. SYLVESTER, 146. SWIFT,
WAHL,
47.
S.,
64.
TAYLOR,
K., W.
TEAMAN,
J.
E.,
183,
TERMAN,
98.
TEUBER,
H.
L.,
103.
D.
'l'HOR, ?1'HUMA, THURY, TINKER,
H.,
29,
46,
B.
D., 102, 119. M., 219. M. A., 120.
TITCHENER,
E.
TITELBAUM,
S.,
)
WELFORD,
TOBOLOWSKA, E.
C.,
TOULOUSE, TREISMAN,
M.,
TRIPLETT,
D.,
I ! I
)
27, 28. 150. 'I
VASCHIDE,
242, ' 265. '
N.,
49,
I I
34.
T'HOFF,
50,
51.
I
VAUTREY, P., 75,146, 256, 287, 290. J. A., 46, 237. VERNON, VIERORDT, A. VIGNY, VINCHON, VISHER, VITELES,
123, 124. 200, 203.
K.,
8,
de, J., 175, 207, 221. A. L., 190. M. S., 220, 222.
VOLMAT, VURPILLOT,
R.,
202. E.,
233. 118,
119,
T., 55, 108. B. A., 119. E., 199-200. P., 63. 139.
W.,
von, H.
WoLFLE, WOODROW,
M., H.,
102. 129.
55, 59,
125,
127, 138, 225. 150, 151, 155, S'55 WOODWORTH, 150,R. S., 55, 130,1'30 131. 13' 1 WORCHEL, P., 221. 147-148,
WUNDT, 95,
W.,
112,
131,
132,
7, 86,
115, 134,
87,
91,
125,
128-129, 139, 215.
i YAGI,
B.,
YERKES, YOUNG,
61, 232. R. M., 242, P. T., 97.
265.
, i
155.
M.,
WOERKOM, 142.
141,
119, 90, 98,
102,
M.
WILSON, WIRTH,
109.
VAN
C.
WHITE,
129.
T.,
WERTHEIMER, 190.
WIERSMA,
61.
59,
137,
URBAN, URBAN. F.' F. ' M.,"
A. H.,
WIELAND, 245.
A., E.,
S., M.
WERNER,
112.
B., 30.
209, 214. 302.
i /
I
266.
193,
140, 148, 224, 225. J., 121. C. O., 146. WEBER, E. WEBER, H.," 8,' 60, ' 149-151,' ' 225. 153 172. D., WECHSLER,
117. 192.
164,
141.
10, 270, 271, 140, 233.
S., J.
WARRICK,
G.,
TOLMAN,
M., H.,
WAPNER, WARM,
TAGWA,
G. Van der, 23, 35, 43. A. M., 192.
WALLACE, WALLON,
J.
SZYMANSKI,
O.,
WALKER,
131.
SZELISKI,
H.
WAALS, 64, 65. 141. 144,
SWITZER,
ZELENNJI, ZUILI,
N.,
26. 256,
292,
294.
92,
94, 130,
INDEX
DES
ANALYTIQUE
Abeille, 23-25, 26, 35, 36, 37, 43. Abstraction, 305. Accélération, 263. Actinies, 43. Activité, 247, 254, 273, 289, 290, 307. Acuité temporelle, 117, 119. Adaptations périodiques, 21-42. Adolescence, 285, 300. Age : - (influence de l'), 186-190, 196, 209, 249-264, 297-300 ; - (détermination de l'), 275278, 283. Agnosie, 103. Agressivité, 311. Ajustement (méthode d'), 153. Alpha (voir Rythme). Ambivalence, 313. Amnésie de fixation, 172. Analogie, 237, 238, 265. Ancrage, 126-127, 134, 152. Angoisse, 197, 202, 206. 20, 159, 160, 162, Anticipation, 178-179, 180, 185, 187, 196, 203, 214, 252, 301, 312. Anxiété, 69, 181, 311. Aperception, 86, 91, 92, 128, 130. Aphasie, 102, 116. Appréhension (voir Capacité d'). Arrhénius (voir Loi d'). Arthropode, 24. Assimilation, 83, 126, 127, 136, 284. Asthénique, 220. Attente, 10, 65, 86, 138, 181, 182, 184, 211, 214.217, 228, 232, 236, 241, 250, 254.
) j
MATIÈRES
Attention, 86-87, 90, 94, 99, 102, 112-113, 115, 116, 121, 127, 133, 143, 155-156, 215, 216-217, 218, 229, 232-234, 239, 247, 255. Attitude, 127, 136, 138, 143, 153156,194,195,229-230, 232-237, 247, 313. Audition, 87, 88, 89, 106, 107, 108, l ll , l13, l 17, l 19, 120, 124, 132, 133, 136, 137-138, 140, 141, 142, 143, 146, 147-148, 149, 301. Autisme, 207, 221. Avance (de l'heure), 297-299. Avenir, 13, 73, 159, 160, 162, 163, 178-185, 186-190, 191, 194, 195, 196, 197, 198-199, 201-204, 205207, 312, 313, 314. (Voir aussi Futur.) Aveugle-né, 30, 89, 135. Barrage (épreuve de), 238, 240, 261, 265. Basket-ball, 242. But (voir Gradient de). Cadence, 34, 35, 36. Calcul mental, 261. Calendrier, 168, 170, 172, 173, 175, 177, 182, 183, 188. Canari, 47. 93-94, Capacité d'appréhension, 96-99. Capacité du canal de transmission, 142. Causalité, 169, 270, 271, 280. - (perception de la), 74. Centration, 143, 155, 156. Cercle, 304.
352 Cerveau (voir Cortex). Changements, 143-146, 171, 211213, 218, 229-230, 231-231., 237249, 254, 258, 259, 262, 263, 265, 267, 268, 272, 273, 274, 281, 283-284, 286, 288, 292 ; - continus, 1, 11, 75-76, 77, 88, 105 ; - discontinus, 1, 11, 75-76, 77, 290, 291. Chien, 26, 33, 38-40, 42, 56, 64, 65, 67, 68, 211. Choix multiples (appareil à), 186. Chron, 152. chronognosie, 173. Chronologie, 169, 170, 173, 177, 188, 270. Cinéma, 75, 88, 118, 170, 190, 242-243. Circadien (rythme), 22, 33, 35, 47. Cœur (voir Rythme du). Collection, 123, 134. Comparaison (méthode de), 147, 223. Complication (voir Expérience de). Comptage (épreuve de), 35, 36. Concept de temps (voir Idée, Notion de temps). Conditionnement, 9, 11-12, 17-60, 129,148,161.162,163,164, 267 ; - différé, 56-57, 64 ; - instrumental, 12, 17, 56, 59-64, 67, 68, 162-163, 164, 179 ; - retardé, 12, 17, 54-59, 64, 65, 66, 67, 68, 69 ; - rétrograde, 54-55 ; - trace de, 56-57, 64. Confinement (animal), 59-61, 66, 67-68, 232. Consigne (effet de la), 113, 127, 131, 154-155, 232, 234-235. Consonance, 137. Contraste, 88, 126, 127, 136, 217, 249, 259, 263, 264, 274, 284. Convoluta, 20, 43. Cortex, 14, 31, 38, 39, 42, 67, 100101, 102-103, 107, 108, 111, 112, l17, l19, 1??, 173-175, 179-180.
YSY'CEIOLOG1E DU 'J'EMPS
j j '
Courant, 303, 313. Crépitement, 77, 117. Crustacé, 24, 36. Culpabilité, 202. Cultivateurs (voir Ruraux). Cyclochronie. 41, 42, 67.
1
)
j
Danger, 233. Date, 281, 300, 305. Débile mental, 170, 189, 195, 196, 201, 300. Défense (mécanisme de), 184, 196. 198. Délinquant (enfant), 197. Délire, 171. Demain, 187, 188. Démence sénile, 226. Dément, 220. Dénombrement (durée du), 113. Densité des changements, 241-242, 247, 292-293, 296. Déporté, 197-198. Dépressif, 205. Désintégré, 52, 250. Désorientation temporelle, 42, 44, 102, 168, 172-173, 174-175. Dictée, 238-239, 242, 265. Diencéphale, 168. Différenciateur sémantique, 193. Division, 238, 265. Discrimination temporelle, 59-63, 68-69, 111-112. Distance, 143-144. Durée de l'excitation, 106-108. Durée du processus perceptif, 128134. Effet (voir loi de l'). Effort, 10, 202, 233, 240, 250, 254, 257, 259, 272. Effort de continuité, 214-217. Employé, 310. Émotion, 165. Endormissement, 219, 220. Enfant, 30, 31, 33-34, 55, 56, 75, 78,95,97,98,114,119,140,142, 146, 154, 161-165, 166-167, 170, 178, 180, 183, 186-189, 195, 201, 214, 218, 226, 232, 251-261, 263, 267, 268-300, 304, 309.
INDEX
ANALYTIQUE
DES MATIÈRES
Ennui, 215, 219, 220, 238. Équation personnelle, 115. Erreur de position temporelle, 152, 153, 155, 223. Espace, 80, 90, 91, 97, 98,103, 145146, 169, 185, 269-270, 288-289, 293, 295-297, 301-305 ; - tactile, 144 ; - visuel, 144. la duEstimation (méthode d'226. de rée), 223-224, 225, Estimation (méthode d' de Goldstone), 36, 141, 143. §ÎΧ§§JP§ijl'/'l§' 57, 59, 69, 174, 272-278, 291, 292, 294-297. ' 24. Étourneau, Excitations auditives - excitations visuelles (suite d'), 79-80, 82, 89, 102, 113, 116, 117, 120, 121. Excitations auditives - excitations tactiles (suite d'), 113, 120. Expérience de complication, 115. Fatigue, 257. Fechner (voir loi de). Femme, 265-266. Fond, 83, 90, 135, 142. 244. Force-centrifuge, Forme temporelle, 102-103. Fourmi, 23. Fovea, 113, 119. Fréquence, 77, 108, 149, 247, 291, 292, 293, 294. Frigidité, 204. Frontales (aires), 68, 175, 179-180. Frustration, 160j 164j 183-184 , 189, 192, 202, 214, 215, 219, 220, 221, 232, 250. Fusion, 109, 114, 117. Futur, 92, 159, 162, 166, 170, 181, 182, 187, 188, 190, 192, 193, 194, 197, 198, 202, 203, 206, 212, 215, 303. (Voir aussi Avenir). Géométrisme, 208. Goût, 88. Gradations moyennes (méthode des), 151. P.
FHAISSE
3533
Gradient : - d'approche, 66, 182 ; - de but, 182 ; - d'évitement, 66, 182 ; - de renforcement, 40. Gravitation, 306. Groupe social, 177-178, 183, 184, 205, 310, 311. Haricot, 21, 35. gaschish, 243-244. Hauteur des sons, 120, 137, 141, 146. Hier, 188. Horizon temporel, 13, 157-210, 267, 302, 313. 301, ,, 12, 17, 24Horloge physiologique, 110, 221, 246. Hyperthyroïdien, 264. ' Hypnose, 246. Hypothalamus, H§)othaÙamus, 14, 42, 173. Idée de temps, 1, 2-8. (Voir aussi Notion de temps). Idiot, 220. Illusion temporelle, 83, 272, 273, 274 ; - de Muller-Lyer, 138, 144, 145 ; - d'Oppel, 83, 139, 140, 293. Imparfait, 187. Inconscient, 171, 198, 201, 208. Indifférence (voir Intervalle d'). Information transmise, 142. Inhibition, 37-41, 64-69, 165, 179 ; - rétroactive, 179. Instantanéité, 12, 71, 105-110. Intégré : - vers l'extérieur, 250 ; - vers l'intérieur, 250. (de l'inconscient), Intemporalité 171, 201, 208. Intemporel, 207-209, 221. Intensité des stimulations, 106, 111, 119, 136-137, 141, 145, 150, 229-230. Intensité subjective (échelle d'), 152. Intervalle d'indifférence, 55, 122134, 150. 23
354
PSYCHOLOGIE
Intervalle divisé, 139-140. Intraverti, 250. Intuition articulée, 259, 289, Intuition perceptive, 267, 270, 273, 275-278, 279, 280, 282, 287, 295. 37. lodothyréoglobuline, Irréversibilité du temps, 13, 270, 301. Isochronisme, 284-285, 286, 296, 300. Isolation, 36, 46-47, 236-237. Ivresse, 243, 310. Jugement
290. 271, 286,
157, 288,
absolu, 222-223.'
Kappa (effet), 144-146, 296. Kinésimètre, 146. Korsakov (voir Syndrome
!l / de).
Labyrinthe, 59, 61, 232 ; - mental, 235, 239. Langage, 78, 84, 89, 92-93, 96, 97, 107, 164-165, 166-167, 187. Lapin, 41. Latence sensorielle, 111, 132. Latéralisation du son, 119. Lecture, 108, 131, 132. Leucotomie, 180, 202. Ligne droite, 304. Lobes frontaux (voir Frontales, aires). Localisation temporelle, 160, 163, 167, 168, 172, 187, 188, 189. Loi d'Arrhénius, 34-36. Loi de bonne continuité, 90. Loi de l'effet, 179. Loi de Fechner, 149-153. Loi de Katz, 216, 232. Loi de Korte, 118. Loi de proximité, 98. Loi de puissance, 151-153. Loi de Weber, 8, 60, 149-153, 225, 263. Lunaison, 19. Mamillaires (corps), 173-174. Maniaque, 195-196, 201, 266. Marée, 19, 20. Maturation, 184.
j'
/' ! I, Î i
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i )
DU TEMPS
Mécanisme de défense (voir Défense). Mélancolie, 205, 206, 230. Mémoire, 80, 81, 82, 92-93, 94, 163, 167-168, 170, 176, 177, 185. Mémoire immédiate, 79, 93, 95-99, 179. - du temps, 163, 170, 171175, 248-249. Mescaline, 243-244. Mesure (musique), 78, 99. Mesure du temps, 89, 212-213, 227228, 246, 257, 261, 263, 273. 274, 306. 286-288, 300, 306. Métronome, 65, 77, 123, 238, 247, 292, 293. Métabolisme (conditionnement des changements du), 26. Milieu social (voir Groupe social). Mineur, 236. Moment (voir Unité de temps). Monotonie, 212, 219-220, 232, 249. 262. Montre, 228, 284, 310. Morse, 97. Mort, 181, 303, 309. Motivation, 164, 218-22U, 232-236, 238, 243, 247, 250. Mouvement, 75, 96, 106, 114, 115, 143-145, 231, 293. - apparent, 102, 103, 112, 118-120. Névrose, 28, 103, 175, 198, 203204, 264. Niveau mental, 209, 300. Note (de musique), 95. Notion de temps, 5, 10, 13, 157, 159, 160-161, 221, 254, 260, 267307, 312. Nouveau-né. 29-31. Noyau caudé, 180. Noyé, 245. Nycthéméral (rythme), 12, 20, 2131, 34-35, 36, 42, 43-44. Obsédé, 198, 201. Odorat, 88, 184. Oiseaux, 24, 97.
INDEX
ANALYTIQUE
DES MATIÈRES
Oligophrène, 29, 44. Opération formelle, 300. Opératoire (stade), 259, 286, 289, 297. 43. Orang-outang, Ordre, 78-82, 110-111, 117-121, 167, 171, 268-278, 278-281, 288, 297, 302. Orientation : - astronomique, 24-25 ; - temporelle, 12, 14, 17, 4353, 69, 188, 189, 300. Oscillations de l'attention, 99-100. Ouïe (voir Audition). Ouvrier, 44, 177, 178, 183, 185, 220, 234, 310. Oxygène, 244. Palpébral, 55, 66. 77, 88, 109, 117. Papillotement, Paralysie générale, 173. Participe passé, 187. Passé, 13, 93, 159, 160, 162, 163, 165, 166-171, 175, 176, 178, 180, 181, 182, 183, 185-190, 190-194, 194-201, 201-207, 209, 210, 301, 303, 312, 313. Pathologie, 101-103, 171-175, 180, 190, 195, 196-198, 202, 203, 205209, 216-127, 220-221, 230, 266. Perception : - de la durée, 82-90 ; - nature de la, 73-74, 105, 159 ; - du temps, 7, 8, 12-13, 71156, 174. Période réfractaire, 35, 37, 107, 129. Persistance rythmique, 20, 21. (Voir aussi Nycthéméral, Rythmes induits). Personnalité (influence de la), 165, 185, 190-210, 249-250, 310-311. Perspective temporelle (voir Horizon temporel). Perspective temporelle (méthodes d'étude), 183, 191-194. 36, 37, 40, 65, Pharmacodynamie, 244, 245.
j ;
355
Phénoménologie du temps, 8, 19, 191. Pigeon, 23, 26, 35, 41, 42, 97. Plaie, 263. Plaisir (principe du), 165, 171. Point : - de temps, 106, 107. - d'indifférence (voir Intervalle d'). Poisson, 23, 24, 32. Ponctualité, 198, 311. Position temporelle (voir Erreur de). Potentiels évoqués (méthode des), 112, 133. Poulet, 22. Précipitation, 233. Pré-opératoire (stade), 272, 290. Présent, 8, 73, 90-91, 92, 94, 159, 160, 163, 165, 166, 170j 180, 182, 190, 191, 192, 193, 194, 195-201, 202, 204, 211, 254, 301, 303; - actuel, 91 ; 91 ; - mentai, - psychique, 91 ; ou perçu, 12, - psychoiogique 73-104, 211 ; - sensible, 91 ; 91. – spécieux. Présentisme, 200. Pression temporelle, 248, 309, 310, 311. Primarité, 199-200, 201. Privation sensorielle, 46, 237. Processus nerveux centraux (voir Cortex). Production (méthode de), 36, 224, 225, 226, 241, 252, 266. Programme de renforcement à intervalle fixe, 64-65 ; - D.R.L., 65. Projet, 160. 51, 164, 165, 201, Psychanalyse, 214, 311. Psychasténie, 201. 31, 55, 56, 57, Psycho-galvanique, 65, 66, 69, 148. Purdue pegboard, 241. Puzzle, 234.
356
PSYG'HOLOGIE
Quinine, 37.
- auditif, 86, 88 ; - du cœur, 19, 32, 35, 36, 66,
Rat, 23, 40, 56, 59-63, 66, 160, 179, 211, 232. Réaction : " - circulaire, 178 ; - différée (voir Réponse différée). Réalité (principe de), 165, 171. Récit, 160, 169, 270. Reconnaissance (durée de la), 131. Réflexe, 161, 165 ; - conditionné (voir Conditionnement) ; - défensif moteur, 26 ; - grattage (voir Scratch reflex); - palpébral (voir ce mot) ; - psycho-galvanique (voir ce mot). Réfractaire (voir Période). Réification, 208. Relativité, 111, 305-307. Renforcement, 26, 38, 39, 59, 6263, 183. Réponse différée, 68, 163, 179-180, 186, 214, 215. Représentation, 77, 79, 80, 81, 89, 129, 157, 160-161, 162, 163, 180, 181, 185, 212, 267, 278-285, 295 ; - du temps, 13, 160, 273, 274, 296-297, 300-307, 313. Reproduction (méthode de), 96, 147, 224, 225, 226. Respiration (voir Rythme de la). Retard, 200, 311. Rêve, 51, 170-171, 185, 201, 243, 244-246. Réveil, 27, 46-52, 219, 246. Rêverie, 190, 201, 203, 219, 310. Réversibilité, 268, 270, 285, 295. Ruraux, 177-178, 183, 185, 310. Rythme, 12, 78, 79, 82-84, 85-86, 92, 94, 95, 103, 104, 108, 110, 129,140,150,168,175,177,230, 284, 293, 310 ; - de l'activité électrique du cerveau, 19, 32, 41. - alpha, 33, 35, 58, 69, 133 ;
DU TEMPS
134, 264 ; - induit, 20, 21-30, 32, 43 ; - du mouvement, 35, 36 ; - des nerfs, 33, 35, 37 ; - nycthéméral (voir Nycthéméral) ; - du pas, 86, 128, 129, 134 ; - de la respiration, 19, 32, 35, 36, 65, 68, 264 ; - subjectif, 8_79 "] - visuel " 88.'
/ j
Sablier, 273, 274, 284, 285. Satisfaction différée, 184, 189, 191192, 197, 254. Schizophrène, 175, 207, 208, 209, 220,226,230. Schizothyme, 207. Scratch reflex, 33. Secondarité, 199, 205. Sécurité, 209, 310. Sens du temps, 14, 52, 86-87, 89, 171. Sentiment du temps, 10, 13, 87, 157, 212, 213-222, 223, 228-229, 247, 248, 254, 272, 292. Sériation, 162, 271, 279, 280, 285, 286, 297, 306. Série : - objective, 163 ; - subjective, 163, 288. Seuil : - absolu de durée, 106-121 ; - de la succession, 117-121 ; - différentiel de durée, 109, 147-149 ; - de perpection de l'ordre temporel, 120-121. Sexe (influence du), 265-266. Signe local, 80. Signe temporel, 80, 86, 168-169, 174, 182. Simultanéité, 12, 71, 76, 79, 91, 105, 108, 109, 110-117, 269-270, 273, 282, 286, 287, 306, 307. Singe, 59, 68, 179. Social (voir Groupe).
INDEX
ANALYTIQUE
DES MATIÈRES
Somesthésie, 174. Sommeil, 27, 30, 42, 43, 47, 50-51, 310. Sous-estimation du temps, 124126, 134, 136-141, 142-143, 226, 249, 251. Stabilité émotive, 165, 184, 185, 214, 250, 254. Succession, 5, 6, 7, 12, 13, 54-55, 71, 73, 75-78, 79-82, 83, 91, 9394, 96, 98, 102-103, 105, 109, l16, l17, l18-121, 122, 134, 157, 160, 161, 163, 172, 179, 230, 231, 261, 268, 270, 278, 280, 287, 301, 303, 304. Succession (seuil de la) (voir Seuil). Surestimation du temps, 124-126, 134, 136-141, 142-143, 155, 156, 215, 224, 226, 232, 233, 244, 251-252, 261, 265. Sur-moi, 205. 302 303. Symbolisme, 302, aymbousme, e 0 Synchronisation, 78, 87, 213, 267, 286. Synchronisation des rythmes nerveux, 33-34. 22. Synchroniseur, 22. Syncrétisme, 270, 278. Syndrome de Korsakov, 42, 171174. Tachistoscope, 130, 132. Tact, 80, 88, 107, 113, 117, 118, 119, 120, 124, 132, 136, 144, 148-149. Tapping, 238, 240, 265. 163, 279. Tâtonnement, Tau (effet), 144, 145, 296. Télétacteur, 88. Témoignage, 169. Temp, 152. 185, 191, 205, 313. Tempérament, Température, 23, 26, 27-30, 34-37, 38, 44, 264. Tempo, 33, 34, 36, 37, 123. Temps : - absolu, 305, 307 ;
) Ij .
j ;
j ) 1) ! , ) ! j
tj i/ ' / j j j
' ! )
357
-
14, 263, 264 ; 177-178 ; 177 ; - local, 288, 305 ; 14, 255, 296 ; - physique, - plein, 56, 84, 89, 135, 139142, 142-143, 148, 150, 152, 251 ; - propre, 306, 307 ; - psychologique, 14, 108, 186, 264, 296 ; - de réaction, 65, 129, 130, 131 ; - social, 14, 310 ; - vide, 56, 84, 89, 135-138, 142-143, 147-148, 150, 152, 225, 238, 240, 251, 261, 265. Tendance centrale, 126, 128, 134, 226. Tension psychologique, 102. 174. Thalamotomie, Thyroxine, 37, 244. Travailleur de nuit, 27, 28. Tumeur cérébrale, 226. Typologie (de Pavlov), 65.65. biologique, - écoiogique, - historique,
Unité de signification, . Unité de temps, 107-109, 188, 223, 226, 251, 260, 263,' 286,' 306.' Végétaux, 21-22. Ver, 20. Ver luisant, 20. Vers (poésie), 78, 99, 102. Vibration tactile, 77, 88, 107, 117, 118. Vieillesse, 190, 196, 201, 205, 261264. Vision, 80, 87-89, 106, 107, 108, lll, l13, l16, l17, l18, l19, 129, 132, 133, 136, 140, 141, 143, 144, 148-149. Vitesse, 75, 77, 114, 123, 140, 145146, 228, 231, 246, 247, 249, 252, 256-258, 260, 269-270, 272, 276, 284, 287, 288-290, 291-297, 300, 306. Weber (voir Loi de).
TABLE
DES
MATIÈRES
PAGES 1
...............................................
INTRODUCTION
PARTIE
PREMIÈRE LE
CHAPITRE PREMIER. I. II. III. -
III. -
TEMPS
aux changements
L'adaptation
périodiques.
Le conditionnement
DEUXIÈME LA CHAPITRE III. -
PERCEPTION
54
à la durée ................
retardé......................... Le conditionnement L'évaluation de la durée dans le conditionnement ........................................ trumental ............. Les interprétations psychophysiologiques
54 ins-
DU
TEMPS
Le présent psychologique.....................
Le seuil du temps ...........................
au durable ......................... l'instantané 1. - De II. - De la simultanéité au successif ..................... CHAPITRE V. 1. II. -
La durée perçue
59 64
PARTIE
1. - La perception de l'ordre ........................... II. - La perception de la durée ......................... III. - Le présent perçu .................................. IV. - Conclusion ........................................ CHAPITRE IV. -
19 21 32 43
La variété des adaptations périodiques .............. Les lois des adaptations périodiques ................ L'orientation temporelle ............................
CHAPITRE II. 1. II. -
AU
CONDITIONNEMENT
.............................
La qualité des durées et l'intervalle d'indifférence .... Durées perçues et changements physiques ...........
73 78 82 90 103 105 106 110 122 122 134
360
PSYCHOLOGIE
LA
TROISIÈME
PARTIE
MAITRISE
DU
DU TEMPS
TEMPS
PAGES
CHAPITRE VI. - L'horizon 1. - La II. - La
159
temporel...................... , .... nature de l'horizon temporel .................... diversité des horizons temporels .................
CHAPITRE VII. -
L'estimation
du temps
161 185 211
......................
1. - Les sentiments de temps ........................... de la durée.......................... II. - L'appréciation III. - L'estimation du temps en fonction de l'âge et du sexe.. CHAPITRE VIII. - La notion de temps ........................ 1. - Les déficits des conduites temporelles au stade notionnel ......................................... II. - Le développement de la notion de temps ........... III. - Représentation et notion de temps ................. CONCLUSION.-
La valeur du temps
213 222 249 267
pré268 278 300
..........................
309
BIBLIOGRAPHIE...............................................
315
INDEX DES AUTEURS ........................................,
343
INDEX ANALYTIQUEDES MATIÈRES ............................
351
1967. ÉDIT.
-
Imprimerie ?
29 094
des
Presses
_..__.._-. Universitaires IMPRIMIÏ
-----. de
EN FRANCK
__ France.
-
Vendôme IMII.
(France) ?
19 95