PROPRIETES MECANIQUES ET COMPORTEMENT EN TRACTION D’UNE FIBRE D’ORTIE (URTICA DIOICA) STUDY OF THE TENSILE PROPERTIES OF STINGING NETTLE FIBRES (URTICA DIOICA)
Christophe Baley*, Edwin Bodros* *Laboratoire L2PIC – Université de Bretagne Sud – rue Saint Maudé - 56321 LORIENT Cedex e-mail :
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RESUME L’usage des fibres végétales en renfort de matériaux composites augmente. Les avantages sont nombreux d’un point de vue environnemental autant qu’économique ou social. Elles sont renouvelables par culture et biodégradables. Il existe de nombreuses plantes à fibres, donc la recherche d’un renfort optimum impose de caractériser différentes variétés. Les orties, le lin et le chanvre sont des variétés cultivables en Europe (variétés adaptées au climat et au sol). Des fibres ont été prélevées dans des tiges d’ortie ( Urtica Dioica). Les essais de traction sur des fibres unitaires montrent que le comportement est quasi linéaire et les propriétés mécaniques moyennes importantes : module d’Young de 87 GPa, contrainte à rupture 1594 MPa et un allongement à rupture de 2.11 %.
ABSTRACT Developing new natural fibre composites is the focus of many studies today. Indeed, they are made out of renewable resources and, therefore, have a lower environmental impact in comparison to mineral fibre composites. The mechanical performances of stinging nettle fibres are measured and compared to flax and other lignocellulosic fibres. The stress/strain curve of stinging nettle fibres ( Urtica Dioica) shows they have a linear behaviour. The average tensile properties are a Young’s modulus equal to 87 GPa, a tensile strength equal to 1594 MPa, and a strain at failure equal to 2.11 %.
MOTS CLES : fibre, ortie ((Urtica Dioica), propriétés mécaniques, traction KEYWORDS : fibre, stinging nettle (Urtica Dioica), mechanical properties, tensile
INTRODUCTION L’usage des fibres végétales en renfort de matériaux composites augmente. Les avantages sont nombreux d’un point de vue environnemental autant qu’économique ou social. Elles sont renouvelables, biodégradables. Pour l’industrie du composite, les fibres naturelles permettent, lorsqu’elles sont associées à un biopolymère, une gestion de fin de vie par compostage (Baley et al, 04) (Bodros et al, 07). Par ailleurs, l’utilisation de fibres naturelles dans le domaine des composites donne de nouvelles perspectives au monde agricole. Pour utiliser les composites dans des applications structurelles, les fibres de renfort doivent présenter de bonnes propriétés mécaniques reproductibles. Si il existe de nombreuses plantes à fibres, la recherche d’un renfort optimum impose de caractériser différentes variétés. Le lin, le chanvre et les orties sont des plantes à fibres cultivables en Europe (plantes adaptées au climat et au sol). Le choix d’une plante à fibres se fait en fonction des propriétés mécaniques des fibres, mais aussi en fonction des possibilités de valorisation de l’ensemble des co-produits (fibres, bois, feuilles, graines). L'ortie est une plante médicinale aux propriétés connues depuis le Moyen Age, un légume plein de vitamines et de minéraux, un fertilisant riche en oligo-éléments, un répulsif des insectes phytophages et des pucerons, une fibre vestimentaire ou papetière, etc. Ces plantes poussent sur des terrains riches en composés azotés. Elles sont nitrophiles et donc bioindicatrices de la richesse en azote des sols. Les qualités textiles des orties sont connues en Europe depuis de nombreuses années. Entre le XV° et XVII°, l’industrie de la fibre d’ortie a tenté de s’imposer, en particulier en Allemagne, mais aussi en France, à Angers notamment, où l’on fabriquait une toile de très bonne qualité (Bertrand, 05). Pendant la première guerre mondiale, les allemands en faisaient leurs capotes, des toiles de tente, des sacs à dos, des chaussettes et des tricots. Une teneur modeste de fibres dans les tiges a limité les développements (Wheeler, 05). Des travaux récents sur les variétés (Hartl et al, 02) (Vogl et al, 03) montrent qu’il est possible d’obtenir 16% de fibres de la masse sèche des plantes. Les orties (latin Urtica) sont un genre de la famille des Urticacées qui regroupe une trentaine d'espèces de plantes herbacées à feuilles velues. Toute la plante est couverte de poils urticants. Les poils contiennent du formiate de sodium (un sel d’acide formique) qui irrite la peau au contact, les poils ayant à leur extrémité une pointe de silice qui permet de pénétrer la peau des animaux qui s'en approchent trop. Les espèces les plus communes sont la grande ortie (Urtica dioica, 50 cm à 1 mètre) et la petite ortie (Urtica urens, moins de 50 cm). Nos travaux concernent le comportement en traction de fibres unitaires, fibres extraites de la grande ortie (Urtica Dioica), plante très commune en France.
MATERIAUX ET METHODES EXPERIMENTALES Matériaux étudiés Les orties (Urtica Dioica), récoltés dans le Morbihan au mois de septembre, ont été séchées à l’air ambiant pendant 2 jours puis rouies à l’eau (7 jours d’immersion). Après sèchage, les fibres sont extraies manuellement des tiges avec précaution pour limiter la création de défauts.
Essais mécaniques Des essais de traction sur fibres unitaires ont été conduits, sur une machine de traction MTS (synergie 1000 / Capteur 2N). La détermination des propriétés des fibres a été effectuée en
tenant compte de la compliance du système de mesure suivant la norme NFT 25-704. La longueur libre sollicitée est de 10 mm.
RESULTATS ET DISCUSSION Section des fibres Les fibres présentent une section polygonale, elles sont assemblées en paquets à l’extérieur des tiges (Fig.1). La section des fibres a été déterminée sous microscope par examen de 363 fibres dans des tiges. Le diamètre moyen équivalent (en considérant la section des fibres circulaire) est de 19.9 µm (± 4.4).
Figure 1. Faisceau de fibres d’ortie (Urtica Dioica) dans une tige. SEM photograph of the cross section of a stinging nettle stem (Urtica Dioica)
Essais de traction La figure 2 présente les courbes contrainte-déformation d’une fibre d’ortie et de lin pour un essai de traction. Le comportement d’une fibre d’ortie est quasi-élastique linéaire jusqu’à rupture. La première partie curviligne constatée sur une fibre de lin s’explique par des mécanismes de glissement et de ré-orientation des fibrilles de cellulose (Baley, 02). Un cycle de charge-décharge fait disparaître cette non-linéarité. Une fibre végétale est assimilable à un matériau composite renforcé par des fibrilles de cellulose disposées en hélice. Les paramètres les plus influents sur son comportement sont le pourcentage de cellulose et l’angle microfibrillaire (Baley, 04). L’angle micro-fibrillaire des fibres de lin est de 11° (Wang et al, 01) et celui des fibres de ramie de 3° (Nishiyama et al , 1998). La ramie, comme l’ortie, fait partie de la famille des Urticacées. La ramie blanche, ou ortie argentée ( Boehmeria nivea) et l’ortie utile, ou ramie verte ( Boehmeria utilis ou Boehmeria terracissima) sont souvent confondues sous le même vocable de China-grass (Bertrand, 05). Le comportement quasi-linéaire des fibres d’ortie s’explique par le faible angle micro-fibrillaire. Les essais de traction sur fibres unitaires permettent de constater, malgré une grande variabilité des résultats, l'évolution avec le diamètre du module d'Young et de la contrainte à rupture (figures 3 et 4). Ces caractéristiques augmentent lorsque le diamètre des fibres diminue. Si on analyse l'allongement à rupture des fibres de lin en fonction de leur diamètre, il n’apparaît pas de relation notable entre allongement à rupture et diamètre. Un résultat identique est constaté pour des fibres de lin (Baley, 02).
Ortie Lin
1600
) a P 1200 M ( e t n i 800 a r t n o C 400
0 0
1
2
3
Allongement (%)
Figure 2 : Courbes types contrainte-allongement. Essai de traction fibre d’ortie et de lin Typical stinging nettle fibre and flax stress/strain curves 150
3500
. ) a P G ( 100 g n u o Y ' d e 50 l u d o M
. ) 2500 a P M ( 2000 e t n 1500 i a r t n 1000 o C
0
0
3000
500
10
20
30
Diamètre (µm)
40
10
20
30
40
Diamètre (µm)
Figures 3 et 4: Evolution du module d'Young et de la contrainte à rupture de fibres d’ortie en fonction du diamètre. Young’s modulus and tensile strength as a function of the stinging nettle fibre diameter La connaissance des propriétés mécaniques moyennes des fibres d’ortie est nécessaire pour permettre des comparaisons. La moyenne arithmétique des caractéristiques mesurées est inopérante car la rigidité des fibres est fonction de leurs sections et le prélèvement des fibres pour caractérisation n'est pas représentatif de la dispersion des diamètres (diamètre moyen des fibres testées 22,4 µm et diamètre moyen des fibres dans une tige 19,9 µm). Les propriétés mécaniques moyennes des fibres d’ortie sont : un module d’Young de 87 GPa (±28), une contrainte à rupture de 1594 MPa (±640) et un allongement à rupture de 2.11 % (±0.83). Ces valeurs correspondent aux moyennes des valeurs mesurées sur des fibres dont le diamètre est compris entre 18 et 22 µm (28 essais validés).
Comparaison des propriétés de différentes fibres
Le tableau 1 présente une comparaison entre les propriétés en traction des fibres d’ortie, de lin, de chanvre et de verre (renfort le plus couramment utilisé pour les matériaux composites). On constate que : • la rigidité des fibres d’orties est supérieure à celle du verre. Les fibres végétales sont renforcées par des fibrilles de cellulose dont le module d’Young dans la direction des chaînes est de 138 GPa (cellulose I) et la résistance en traction estimée de 17,8 GPa (Nishino et al, 04). La valeur maximale du module d’Young d’une fibre végétale (% cellulose important, angle microfibrillaire faible et absence de défaut) est estimé à 128 GPa (Nishino et al, 04). • les fibres d’ortie et de lin présentent de bonnes propriétés mécaniques justifiant leur usage pour des applications structurelles. • les propriétés issues de la littérature sur les fibres de chanvre et de ramie sont inférieures. Il faut néanmoins éviter toute conclusion hâtive, car nous ne connaissons pas la variété des plantes, les conditions de croissance, d’extraction et de caractérisation des fibres. • pour une plante donnée, la variété influence les propriétés mécaniques (exemple du lin dans le tableau 1).
Ortie Lin variété Ariane Lin variété agatha Chanvre Ramie Ramie Verre
3
E (GPa) 87 (±28) 58 (±15)
σ (MPa) 1594 (±640) 1339 (±486)
A (%) 2,11 (±0.81) 3,27 (±0,4)
d (g/cm )
71 (±25)
1381 (±419)
19,1 (±4,3) 65 (±18) 24,5 72
270 (±40) 900 560 2200
Référence
1,53
df (µm) 19,9 (±4,4) 17,8 (±5,8)
(Baley, 02)
2,1 (±0,8)
1,53
15 (±0,6)
(Charlet et al, 06)
0,8 (±0,1)
1,48 1,51 1,51 2,54
31,2(±4,9)
(Eichhorn et al, 04) (Angelini et al, 00) (Goda et al, 06) (Guillon, 95)
2,5 3
34
Tableau 1 : Propriétés mécaniques en traction de différentes fibres avec E : module d’Young, σ : contrainte à rupture, A : allongement à rupture, d : densité et df : diamètre moyen des fibres. Tensile properties of single fibres
CONCLUSION L’usage des fibres végétales pour le renforcement de polymères est un sujet d’actualité, d’où l’intérêt de rechercher la plante « idéale ». Les plantes à fibres d’ortie, de lin et de chanvre peuvent être cultivées en Europe. Il est possible de valoriser les coproduits de l’ortie dans de nombreux domaines (alimentation, cosmétique, pharmacie, matériaux..) d’où l’intérêt de cette plante. Les propriétés mécaniques en traction des fibres d’ortie (Urtica Dioica) sont importantes et l’on constate un comportement quasi-élastique linéaire. Comme d’autres fibres végétales le module d’Young et la contrainte à rupture sont fonction du diamètre. Dans le futur, il sera intéressant d’étudier la composition et la structure des fibres, plus particulièrement le pourcentage de cellulose et l’angle microfibrillaire, ainsi que le comportement de matériaux composites.
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