DESS Sémiotique 2010 -2011
COMICS
LES SUPER-HÉROS DÉCRYPTÉS PAR LA SÉMIO
Comment analyser les comics ? Quelles valeurs véhiculent-ils ? Quelles visions du monde ? Quelles histoires nous racontent-ils et comment ?
Un système semi-symbolique Hypothèses de lecture Par Elodie Mielczareck
Ils ne sont plus si jeunes mais toujours d’actualité. Leur succès est toujours intact, ils inondent depuis la moitié du XXème siècle librairies, cinéma, imaginaires. Que ce cache-t-il derrière ces productions qui réinventent sans cesse, sans jamais l’épuiser ni la vider de son sens, l’existence de ces légendes qui ont peuplé notre univers dès l’enfance ? C’est parce que la sémiotique a les outils pour répondre à cette question qu’il m’a semblé intéressant d’aborder cette thématique. Ne pas en rester au constat, creuser les significations, identifier les signes. Analyser les super héros, leurs représentations iconiques (couleurs, postures, etc.), leurs histoires (quelles transformations ? quels parcours, etc.), leurs charges symboliques, et enfin, percer, peut-être,
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l’image de la société construite par les comics. Le défi était également de pouvoir se "dépatouiller" face à une thématique aussi large, nébuleuse et galvaudée pour également s'intéresser à la problématique de la constitution du corpus. De manière méthodologique, nous procéderons par strates, nous irons des signes visibles, de leur manifestation pour ensuite arriver à la «matrice structurante», accéder aux «valeurs» constitutives de ce que nous considérons désormais comme un système (nous reprenons la démarche telle que la propose Greimas dans le «parcours génératif»). «C’est le point de vue qui fait l’objet» nous dit Martinet. Héritage du structuralisme et pierre angulaire de toute visée
sémiotique, les notions de «système» et de «relation» sont celles qui vont baliser notre objet d’étude. Notre corpus est constitué de représentations graphiques de nos super héros (1) et de quelques couvertures de comics (2). Nous utiliserons le savoir encyclopédique que nous avons sur ces personnages (extracorpus) en dernière partie (3). Nous prenons le parti-pris de n’étudier que quatre héros. Mais ils sont vraisemblablement les plus «constitutifs» du système, ils en sont à la base. Une recherche google à «super héros» les faits revenir plus que les autres : Superman, Wonderwoman (parfois nommée Superwoman), Batman et Spiderman. Choix confirmé par le dernier numéro de Geek Magazine.
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Sommaire Plan 1. Introduction a.Qu’est-ce que la sémiologie ? Et la sémiotique ? b.Méthodologie c.Problématique 2.L’analyse d.La représentation des Super Héros - Les codes graphiques e.Couvertures et discours - Territoires narratifs f.Connaissance encyclopédique des Super Héros - C’est quoi être un super héros ? 3. Conclusions 4. Ouvrages cités
Les super héros les plus référencés sont la trinité de la famille DC (Superman, Wonderwoman et Batman) et deux personnages quasi fondateurs de la famille Marvel (Spiderman et Hulk). Les super héros connaissent au début de leur création des histoires isolées et, au fur et à mesure de leur popularité, peuvent se confronter ou lier affinités avec d’autres superhéros.
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«Le sémiologue est celui qui voit du sens là où les autres voient des choses» Umberto Eco
Le sémiologue est un extra- une de Paris Match, le catch, le Tour de France ou la nouvelle DS dans terrestre Mythologies. La description du message s'effectue en « immanence ,, c'est-à-dire hors des volontés (conscientes ou inconscientes) de l'émetteur et des présupposés (conscients ou inconscients) du récepteur. Le sémiologue doit échapper à ses propres projections culturelles et personnelles, comme s'il regardait I'objet de son analyse depuis l'espace...
1. Introduction a. Qu’est-ce-que la sémiologie, qu’est-ce que la sémiotique ? 1. C’est l’analyse des signes, des messages, aussi bien visuels que verbaux. C’est une méthodologie scientifique, ayant son propre vocabulaire, ses propres outils, ses postulats hérités de l’histoire des sciences humaines et sociales (le structuralisme, l’interactionnisme, etc.)
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2. C'est Roland Barthes, écrivain et sémiologue (1915-1980), qui en reprenant les enseignements de Ferdinand de Saussure (père de la linguistique moderne), les a appliqué, pour la première fois à l’image. Notamment, à travers des articles connus, la publicité de Panzani dans «Rhétorique de l’image» mais aussi la
Il propose la sémiologie comme outil de décryptage idéologique. Chaque message étant une construction qui ne va pas de soi, le sémiologue a pour tâche de déconstruire cet assemblage arbitraire et prétendument naturel.
3. Le sémiologue est celui qui dévoile « la matrice structurante » et met à nu « le procès du sens » — pour reprendre les expressions de Roland Barthes. Adepte du message sous les messages, le sémiologue observe, décrypte et analyse pour rendre compte des effets de sens, des connotés et des implicites présents dans la communication. 4. Il s’agit de répondre à la question globale : quelle construction du monde propose le message (ou l’objet) ? Ne plus se contenter du «pourquoi» et répondre au «comment» s’écrit le message. 5. La sémiotique peut se définir comme une «sémiologie seconde génération». Apparue un plus tardivement avec l’Ecole de Paris autour de Algirdas Julien Greimas, elle est utilisée pour ses applications concrètes dans les bureaux d’études et plannings stratégiques à partir des années 90, durant lesquelles elle commence à se diffuser dans un cadre hors de l’université.
MODETOUS LES MOIS 3 mars 2011
b. Méthodologie Nous utilisons la méthodologie propre à la sémiologie et à la sémiotique, inspirée, notamment, de la phonétique (constitution d’un système de «valeurs différentielles»). Plusieurs postulats de base : - Le monde du sens humain est intelligible : tous les signes ont un sens qui est analysable et interprétable et qui donc, de fait, obéit à des règles d’organisation rationnelles. - La constitution du corpus correspond à des critères d’homogénéité, d’exhaustivité et de représentativité. - L’immanence de l’analyse : dans un premier temps, le corpus est décontextualisé : on s’intéresse d’abord aux messages, aux signes et codes utilisés avant de s’intéresser aux conditions d’émission de ces mêmes signes. - La notion de «système» : le corpus forme un système de relations fini, c’est l’ensemble des différences entre les éléments du corpus qui crée le système. La sémiotique prétend étudier ces relations.
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Enfin, nous considérons, selon la définition proposée par Louis Hjelmslev (à la suite de Ferdinand de Saussure) qu’un signe est la réunion d’un plan de l’expression et d’un plan du contenu. Nous considérons également, grâce à l’apport théorique et méthodologique de Jean-Marie Floch, qu’un système est semi-symbolique lorsque certains systèmes signifiants ne sont pas caractérisés par une conformité totale entre plan de l’expression et du contenu mais lorsqu’il existe des corrélations entre un ensemble du plan de l’expression et un autre du plan du contenu. Nous utilisons donc la démarche «classique» de l’analyse sémiotique, à savoir le parcours génératif. Dans notre introduction nous avions déjà posé quelques questions. Plus spécifiquement, nous aimerions nous intéresser à trois clefs d’entrée qui nous permettent de quadriller l’univers des super héros.
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c. Problématique En effet, le choix d’un dossier ayant pour thématique les super-héros est une porte ouverte vers l’infini. Or nous avons délimité, de manière arbitraire certes mais non moins justifiée, notre corpus en vue d’aborder le sujet par trois niveaux complémentaires : 1. Les super-héros et leurs représentations : comment sont-ils habillés, quels sont leurs caractères individualisants, etc. 2. Les couvertures de bandes-dessinées : quels discours ? quelles histoires ? quels thèmes ? 3. Le savoir extra-corpus concernant la mythologie des super-héros : leur naissance, leur vie, leur mort. Quelles structures sous-jacentes ? Dans chacun de ces niveaux, nous appliquerons le parcours génératif, en partant des signes perçus visuellement pour comprendre comment se structurent les valeurs de notre corpus.
super-héros (1) se situe au niveau du «Signe» et de la «Figure»; les couvertures étudiées (2) se situent au niveau de l’ «Objet» (et donc du Signe, de la Figure et du Texte puisqu’il y a générativité). La mythologie des super-héros (3) se situe davantage du côté de la stratégie, voire de la forme de vie car on peut se poser la question de la place de cette mythologie dans la société. C’est pour cela que ce dernier point nécessite une connaissance extracorpus pour mener à bien l’analyse. Ne s’agissant pas d’une commande client, notre problématique est assez large et reprend les questions posées dans notre page de couverture, à savoir : Comment analyser les comics ? Quelles valeurs véhiculent-ils ? Quelles visions du monde ? Quelles histoires nous racontent-ils et comment ?
En outre, nous avons eu besoin de faire appel à des connaissances dites «encyclopédiques» soit hors Par ailleurs, nous avons découvert un autre corpus et parfois une méthodologie davantage outil proposé par Jacques Fontanille comme «le sémiologique que sémiotique (notamment dans parcours génératif du plan de l’expression» (voir ci- l’analyse de certains symboles). dessous). Il nous permet de comprendre où se situe l’analyse. Par rapport aux trois clefs d’entrée proposées précédemment, la représentation des
Jacques Fontanille propose un parcours génératif du plan de l’expression. Ce parcours permet de définir plus précisément la problématique et le «niveau de pertinence». Où se situe-t-on exactement ? Un bon outil pour pouvoir comprendre à quel niveau se situe l’analyse.
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2. Analyse d. La représentation des super-héros Analyse des codes graphiques i. Superman Intéressons-nous d’abord à celui que l’on considère comme le premier super héros. Crée par deux amis de lycée, il rencontre un succès inattendu : « le magazine d’abord tiré à 200 000 exemplaires, atteindra le demimillion d’exemplaires au bout de sept numéros. Superman est si populaire que, rapidement, il devient le premier héros dont un magazine porte le nom (...) » Super Héros, Martin Winckler Etudions plus précisément ses habits, ses postures et les éléments symboliques forts visibles dans notre corpus. Il est vêtu d’une cape, d’un boxer et de bottes rouges, le reste de sa combinaison est bleue (un bleu plus clair que celui de Wonderwoman) et souvent, même sa chevelure est bleue. On retrouve quelques éléments jaunes, notamment la ceinture et le fond du symbole présent sur son torse et sur lequel apparaît son initiale S en rouge. Sa musculature est saillante et visible, malgré la combinaison. Notons que ces couleurs sont celles qui nous rappelle le drapeau américain, même si cela est moins visible que dans la tenue de Wonderwoman (où, justement, le bleu est un peu plus foncé et couvert d’étoiles) ou dans le nom du personnage Captain America). L’entièreté de son visage est toujours à découvert. Dans notre corpus, il est soit en «mouvement» (un poing ou les deux élevés dans les airs / mouvement de conquête vers le ciel) versus «pause officielle» (debout jambes écartées et poings sur la taille / mouvement d’ancrage au sol). Il est généralement souriant et dans l’ «affirmation de soi», dans la «puissance positive», dans la «conviction». Par ailleurs, toutes les couvertures sont prises de jour, c’est un personnage «solaire», ce qui confirme les connotés de «puissance positive» vus précédemment. Le symbole fort lié à Superman est le «poing fermé tenu fièrement en hauteur», en tous les cas, c’est un des mouvements kinésiques les plus caractéristiques du personnage. Par une approche un peu plus sémiologique, on peut étudier cette figure du poing que l’on retrouve en langue, «taper du poing sur la table» soit exprimer son point de vue avec colère, montrer son désaccord, s’affirmer par rapport à l’autre; «mettre un coup de poing» soit un acte de violence envers autrui, exercer sa force physique sur l’autre; «serrer le poing» soit exprimer sa colère. Ce sont tous ces connotés qui donnent de la vigueur au personnage et qui, couplés avec l’expression bienveillante du visage, en font des connotés positifs de puissance, de détermination, d’affirmation (versus colère, malveillance, etc.) Un graphisme qui a quelque peu évolué ces dernières années, comme si DC avait voulu donner un coup de jeune au plus vieux des super héros. S’il est dès ces débuts compris comme le garant de certaines valeurs, notamment des valeurs morales de l’Amérique (il a souvent était utilisé comme messager par le gouvernement à destination des plus jeunes pour l’entre-aide, la tolérance, contre le sida, le racket, etc.) cela change un peu ces dernières années :
Evolution graphique du personnage, notamment son sourire et l’ouverture de son visage, altération de la bonhommie initiale du personnage
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En effet, si le personnage est connu pour être «bonhomme», il semble se durcir ces dernières années (au sens propre comme au figuré d’ailleurs car sa musculature se fait de plus en plus imposante). On le voit dans des représentations où son sourire se fait moins béat. Cette évolution est toutefois minime par rapport à l’autre personnage que nous allons voir à présent.
ii. Wonderwoman Intéressons-nous maintenant à la plus ancienne et aujourd’hui la plus célèbre héroïne dans un univers qui reste majoritairement très masculin : « Marston fait remarquer à l’éditeur que les super héros sont tous des hommes : il serait temps de créer une super héroïne qui, par ses qualités de force, de beauté et de compassion, plairait à la fois aux garçons et aux filles. » Comics : Dans la peau des super héros, Philippe Guedj Toute de rouge et de bleu vêtue comme son prédécesseur, Wonderwoman a également une ceinture, son initiale et un serre-tête jaune, ses bottes sont également rouges, comme son bustier. A ses débuts, elle a également les cheveux bleus. Elle a aussi des bracelets en acier aux poignets. Grandes différences avec Superman : ses motifs en étoiles qui rappellent très fortement le drapeau américain. Et, inversement, beaucoup de peau est visible, elle est beaucoup plus légèrement vêtue que ses homologues masculins en combinaison. Elle a un gadget dont elle ne se sépare jamais : son lasso, ce qui lui permet de faire usage de la force sans violence. Dans notre corpus, elle soit en «mouvement» de course, bien qu’elle ne vole pas, soit en «posture officielle» (poings sur les hanches). Beaucoup de ressemblance avec Superman donc. C’est elle aussi un personnage «solaire» qui rétablit l’ordre et la justice le jour et non la nuit. Elle est également toujours souriante. On retrouve les connotés de «puissance positive» vus précédemment. Par ailleurs, l’étoile est le symbole graphique fort qui caractérise le personnage et viennent renforcer une certaine féminité. On dit «avoir la tête dans les étoiles» pour signifier le rêve ou le bonheur (versus le poing de l’action chez Superman). L’étoile, ce sont des connotés très positif de lumière, de perfection. Un symbole cosmique et religieux. En outre, dans le drapeau américain, il signifie l’union scellée entre les Etats. Beaucoup de connotés euphoriques liés à la «puissance» dans le sens de «capacité à faire lumière», ce qui renvoie aux capacités physiques mais aussi intellectuelles. Le graphisme lié à ce personnage est sans doute celui qui a le plus évolué ces dernières années. Bien qu’elle n’est pas connu un succès aussi puissant que ses compères masculins (malgré la série TV, la BD reste assez peu traduite en France, absence d’adaptation cinématographique), Wonderwoman reste un personnage phare dans l’univers des comics.
Evolution graphique du personnage, notamment son sourire, ses formes beaucoup plus érotisées, l’attribut d’autres accessoires (l’épée, les flèches et le bouclier que les Amazones savent manier) et, assez notable pour être écrit, sa musculature. Des muscles beaucoup plus visibles et saillants. Une Wonderwoman bodybuildée qui pose l’interrogation suivante : ce corps sculpté et érotisé est sans conteste le reflet de nos préoccupations actuelles, est-il révélateur d’un changement dans la position masculin versus féminin ? On peut en effet se poser la question de savoir si Wonderwoman est le reflet d’une certaine évolution de la place des femmes dans la société...?
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Par rapport aux symboles vus précédemment, on retrouve les homologations suivantes : Etoile / Rêve versus Poing / Action Etoile / Féminité versus Poing / Masculinité L’étoile est au rêve ce que le poing est à l’action et l’étoile est à la féminité ce que le poing est à la masculinité. Nous l’avons vu, Superman et Wonderwoman ont beaucoup de caractéristiques communes : couleurs, kinésie, inversement des symboles. Des affinités que les dessinateurs se sont fait une joie d’exploiter dans certains scenarii.
iii. Batman The Shadow est d’abord un personnage radiophonique, «une voix dans la nuit». Il devient très vite un personnage charnière de la culture populaire américaine et un héros de Comics. Il n’a pas de super pouvoir, il est humain mais utilise les effets spéciaux de la prestidigitation pour apparaître et disparaître. « Pour lutter contre le crime, il emprunte de temps à autre, avec son accord, l’identité de Lamont Cranston, un «play-boy millionnaire» (...) il reste indubitablement de son inscription dans le patrimoine populaire de l’Amérique, mais aussi de son mystère et de son aspect glaçant annonciateur d’un super héros célèbre. Un homme masqué, enveloppé dans une cape, qui frappe de terreurs les gangsters en apparaissant et disparaissant à volonté - c’est aussi, vous le devinez, le portrait de Batman ! » Super Héros, Martin Winckler Une filiation intéressante puisqu’effectivement, Batman n’a pas de super pouvoirs (versus Superman) ni une origine mythologique (versus Wonderwoman) liée à une mutation (versus Spiderman et Hulk). D’un point de vue graphique, ses couleurs sont le noir, le gris et le bleu marine foncé. Sa ceinture et le fond de l’icône de la chauve-souris sur son torse sont jaunes (parfois le fond disparaît pour seulement laisser une chauve-souris noire). C’est un des rares super héros à avoir peu de couleurs vives. Le noir, le gris et le bleu marine renvoient à la fois au caractère nocturne et inquiétant du personnage. Il est pratiquement totalement recouvert par sa combinaison, seuls la bouche et le menton sont visibles. Ce qui est intéressant car on sent bien que la question des super héros tourne autour des questions identitaires, nous y reviendrons. Sa kinésie est un peu différente de celle de Superman («pause officielle»), il est également souvent en mouvement (course ou saut) ou alors ses bras sont croisés, il affiche alors une «pause méditative». Sa musculature est également très impressionnante. Lui, ne sourit jamais (versus la bonhomie de Superman). Le symbole fort de Batman est animal, il incarne avec sa cape, son masque la chauve-souris, emblème que le policier Gordon utilise pour lui demander de l’aide. La chauve-souris est un animal mythique, surtout depuis Dracula. Les connotés qui lui sont liés sont dysphoriques (versus connotés euphoriques du poing et de l’étoile). La chauvesouris ne vit que la nuit (caractère inquiétant) et se nourrirait de sang, celui de l’humain serait particulièrement savoureux (caractère horrifique). C’est un animal maléfique. Etonnant donc de l’avoir choisi pour un super héros, défendeur de la Justice et du Bien. En définitive, c’est certainement cette ambivalence entre Bien et Mal, ces connotés mitigés, qui donnent une profondeur psychologique davantage marquée chez ce personnage. Les ressemblances avec Superman sont importantes : des bottes, un boxer, une cape, une ceinture, la défense du Bien, etc. Mais les oppositions sont nombreuses également, pour les codes graphiques : personnage diurne et solaire versus personnage nocturne et lunaire; personnage en couleurs vives versus personnage en couleurs sombres; personnage souriant versus personnage sans sourire; personnage d’action versus personnage de la méditation; personnage officiel versus personnage officieux; identité montrée versus identité cachée; caractère surhumain versus caractère animal par la connaissance encyclopédique des deux personnages, on peut également parler des oppositions : super pouvoirs versus super gadgets, origine extra-terrestre versus origine terrestre; et certainement d’autres.
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On peut formaliser les oppositions ci-dessus selon la formalisation suivante : Superman
Batman
Couleurs vives
Couleurs sombres
Sourire
Absence de sourire
Visage découvert
Visage couvert
Pause de constat
Pause méditative
Caractère sur humain («le poing»)
Caractère animal («la chauve-souris»)
Personnage solaire
Personnage lunaire
Caractère bonhomme
Caractère inquiétant
Super pouvoirs
Super gadget
Origine extra-terrestre
Origine terrestre
Posture officielle
Posture officielle
Super héros officiel
Super héros officieux
Plan de l’expression (niveau du signe et de la figure)
Connaissance encyclopédique
Plan du contenu
Par ailleurs, ce super héros connaît une évolution graphique moins marquée que chez les autres. On peut juste noter que sa musculature devient également très impressionnante (mais cela est également vrai pour tous les autres). En revanche, difficile de faire l’impasse sur toutes les adaptations cinématographiques de ces dernières années. On peut donc affirmer que l’évolution graphique du personnage est inversement proportionnel à sont évolution narrative.
iv. Spiderman Commençons avec l’un des super héros les plus connus de la famille Marvel. Un super héros qui a failli ne jamais voir le jour et, au final, un succès inattendu : « Pour mieux séduire le lectorat, Spiderma, serait un ado orphelin, Peter Parker, élevé par son oncle et sa tante et bourré de problème quotidien (argent, acné, bizutage, loser sentimental, etc...) ! Goodman rejeta le concept : les teenagers étaient d’habitude les partenaires du héros principal (Robin dans Batman...); un héros n’a jamais de soucis personnes, et Spiderman est un nom repoussoir («Les gens détestent les araignées, Stan ! ») ». Comics : Dans la peau des super héros, Philippe Guedj Certes, les super héros n’ont pas de problèmes personnels, pourtant cette dimension va apporter une profondeur psychologique au personnage, c’est sans doute la clef de son succès. Concernant son apparence graphique, il a deux couleurs : le bleu et le rouge (tout comme Superman et Wonderwoman), deux couleurs qui, décidément, fonctionnent bien dans l’univers des comics. Il a également des bottes, deux yeux «lentilles» (comme Batman) et l’icône animale de ce qu’il incarne sur son torse. C’est l’un des rares super héros a avoir une combinaison totale, tout son corps est recouvert du costume, aucune chaire visible. C’est intéressant car si la problématique identitaire est présente dans l’évolution narrative de tous les personnages, elle atteint son paroxysme avec Spiderman (identité liée à son adolescence, identité liée à son personnage de super héros, etc.). Ses postures sont un peu différentes de celles des autres personnages, elles imitent le mouvement de l’araignée. On le voit donc souvent accroupi sur ses genoux, jambes pliées ou rampant sur un sol ou un mur. On est donc davantage sur le territoire de l’agilité (versus la force), de la rapidité (versus la puissance) et de la petitesse (versus la grandeur).
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Par ailleurs, le symbole de l’araignée est, comme pour Batman, plutôt connoté de manière dysphorique. C’est un animal dont les morsures peut-être très douloureuse, elle représente un piège pour ceux qui se collent à sa toile. L’araignée une prédactrice, elle est donc reliée au connotés de dangerosité et de menace. Du moins en Occident, car dans d’autres régions du monde, c’est une figure mythique, elle serait à l’origine du matériau qui a construit les premiers hommes, et, dans certains mythes fondateurs, elle est même liée au destin des hommes. Une ambivalence que l’on retrouve au sein du personnage, tout comme Batman. Par ailleurs, les ressemblances avec ce dernier sont nombreuses. Lui aussi a pour emblème un animal, lui aussi a une combinaison intégrale (quasi intégrale pour Batman), lui aussi est inquiétant, lui aussi est nocturne, etc. Sa musculature est moins impressionnante que celle de Superman ou Batman (peut-être parce que c’est un adolescent ? Il est donc moins supposé incarner les idéaux de la masculinité brute...) Toujours est-il que c’est sans doute le personnage qui a le moins connu d’évolution graphique. Il a très peu changé depuis sa création. Certainement parce que son visage est non visible mais surtout parce qu’il n’a pas connu une seconde jeunesse, à l’inverse de Superman, Batman et Wonderwoman que l’on retrouve quelques décennies après leur création dans Trinity. Pareillement à Batman, on peut affirmer que si son évolution graphique est moindre, son évolution narrative est importante, mise en valeur dernièrement par l’adaptation cinématographique au sein de laquelle se pose la question «Be or not to be (a super heros); that is the question». Une problématique par ailleurs reprise par la série télévisée américaine Heroes.
v. L’Incroyable Hulk Un personnage intéressant : n’est-il pas un monstre plutôt qu’un super héros ? Hulk est crée dans la foulée des Quatre Fantastiques : « La popularité de La Chose dans les Quatre Fantastiques (c’est lui qui reçoit le plus de courrier) l’a renforcé dans sa conviction que le public nourrit une sympathie naturelle pour les monstres. Influencés par les films de Frankenstein et le Dr Jekyll et Mr Hyde (...) ». Comics : Dans la peau des super héros, Philippe Guedj Effectivement, la ressemblance graphique avec La Chose est frappante : une masse formelle très importante, un short de couleur bleu (Hulk l’a parfois violet), et une kinésie semblable, les bras jamais au dessus d’une hauteur d’épaule (trop volumineux !), toujours ramenés près du corps et les poings prêts à serrer quelque chose. Le regard est toujours froid, le sourire absent mais la bouche ouverte de manière agressive (prêt à attaquer) ou les dents serrées. Avec Hulk, nous sommes toujours dans le registre de la colère poussée à son paroxysme, c’est un personnage qui enrage, qui est bestial non par son apparence mais son comportement. Sa mimogestualité (expression du visage) exprime la fureur (versus le contrôle, la maîtrise, la réserve des super héros vus précédemment). Les couleurs sont intéressantes. «Hulk sera d’abord gris... une couleur passant très mal à l’impression ». Du coup, on le dessinera en vert. Michel Pastoureau nous explique que le vert est la couleur de l’inconstance, tantôt elle porte bonheur, tantôt elle porte malchance. L’argent est vert (le dollar), les tables de jeux sont vertes (on peut perdre, on peut gagner), les terrains de foot, les tables de ping-pong, en bref, le vert est la couleur de la fluctuation, connotée à la fois de manière euphorique et dysphorique. Pourtant, il a failli être... rouge, la couleur de la colère. Mais la transformation était davantage suggérée par la couleur verte devenue l’emblème du super héros. Le rouge n’a tout de fois pas été complètement abandonnée par les studios Marvel.... En tous les cas, un super héros hors du commun, un peu benêt, facilement manipulable, ni gentil, ni méchant puisque sans conscience : «Il ne s’agit pas d’un personnage ayant une conscience mais de deux personnages habitant le même corps : un scientifique doué d’une conscience, un monstre envahit par la rage» (Super Héros, Martin Winckler)
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Ce qui en fait un trait différenciant par rapport aux autres. Quand Hulk apparaît il est synonyme de désordre, de chaos. Nous avons pu le constater en analysant les couvertures de Comics. Hulk est très souvent «seul contre tous», manipulé à tort par un esprit mauvais qui le convainc que tel personnage lui en veut. Il devient alors un rite initiatique. En effet, un super héros digne de ce nom doit combattre Hulk, c’est une sorte de test à passer. Notons que Batman est celui qui semble s’être le plus confronté lui...
vi. Les apports de la sémio «Identifier des différences et établir des hiérarchies sont donc les deux «gestes» élémentaires de l’analyse sémiotique.» « - Différencier : Identifier les différences (les contrastes, les oppositions), puis établir des réseaux de différences; à l’intérieur de ce réseau, la valeur d’une figure sera définie par les oppositions dans lesquelles elle rentre. On aboutit donc à un système de valeurs différentielles - Hiérarchiser : Distinguer des principes et des niveaux de saisie différents pour la signification. On distingue le plus souvent le niveau des différences sémantiques élémentaires (par exemple, continu / discontinu ou animé / inanimé), celui des différences des rôles narratifs (par exemple, agent/patient), celui de la figurativité (par exemple les éléments matériels), celui de l’énonciation (par exemple énonciation subjective / énonciation non subjective), etc. Chaque niveau complète les autres, et augmente leur intelligibilité ». Métiers de la sémiotique, sous la direction de Jacques Fontanille. Limoges : Pulim, 1999. C’est ce que nous allons essayer de faire à partir de cette clef d’entrée que nous avons choisis, à savoir les références graphiques, les codes visuels utilisés et caractéristiques de ces cinq personnages. Dans cette partie-ci nous allons davantage nous situer du côté de la composante sémantique (versus composante syntaxique (partie II) versus composante pragmatique). Nous allons donc préférer utiliser un carré sémiotique comme outil d’analyse. Avant toute chose, résumons tout ce qui a été dit sous la forme du tableau suivant :
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Superman
Wonderwoman
Batman
Spiderman
Hulk
Couleurs
Bleu +, Rouge +, Jaune -
Bleu +, Rouge +, Jaune -, Blanc -
Noir ou bleu marine +, Gris +, Jaune -
Bleu +, Rouge +, Noir -
Vert +, Bleu ou Violet -
Vêtement
Cape, initiale sur le torse
Lasso, bouclier, épée et flèches par la suite, initiale sur bustier
Cape, ailerons sur les bras, ceinture gadget (pas très visible graphiquement)
Combinaison totale, filet de soie qui sortent du poignet
Transformation du corps qui devient titanesque
Poing
Etoile
Chauve-souris
Araignée
Vert
Volant ou pause officielle
Course ou pause officielle
Course, saut, jambes pliées, pause méditative
Accroupi, rampant
Mouvements de colère (bras écartés) ou course
+
+
-
-
-/+
Puissance positive, conviction, bienveillance, affirmation, l’action
Puissance positive, rêve et pensées, bienveillance, faire la lumière sur un point,
Méditation, réflexion, menace, discrétion, animalité
Agilité, discrétion, animalité, rapidité, menace
Colère, rage, hyper puissance, impulsivité, inconstance
Visible
Visible
Cachée
Cachée
Transformation
Symboles * Kinésie / Postures Connotés + / -
Thèmes associés
Identité
* Il y’en a d’autres pour chacun des personnages mais par manque de temps nous préférons nous intéresser au plus probant. En effet, on peut penser à la cape pour Superman et à tout ce que cela peut engendrer comme connotés associer au sème mais il nous semblait moins parlant que le poing. Nous prenons le risque de nous répéter : dans cette première partie il s’agit d’analyser uniquement la représentation visuelle des personnages soit les codes graphiques spécifiques à chacun. A partir de ces «signes de surface», nous avons dégagé un certain discours thématique. A partir de ces données, nous avons pu décrypter deux axes qui se rencontrent : - Les super héros de lumière versus les super héros de l’ombre - Les super héros du côté de la rationalité versus les super héros instinctifs (desquels se dégagent une certaine animalité)
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Nous avons essayer de voir les éléments qui étaient polarisés à partir de l’opposition binaire «lumière versus ombre» soit «super héros solaire versus super héros lunaire» soit «les bienfaiteurs officiels versus les bienfaiteurs officieux».
Les bienfaiteurs officiels sont incarnés par Superman et Wonderwoman, un thème développé à travers leurs couleurs de costume (celles du drapeau américain), les symboles mis en valeur (le poing, l’étoile), leurs postures (les poings sur les hanches) et leurs mises en scène diurnes. Nous y reviendrons dans la deuxième partie, mais l’on voit déjà comment à travers les signes graphiques, Wonderwoman se présente comme le pendant féminin de Superman, un trait parfois exploité par les scénaristes. En opposition, le bienfaiteur officieux par exellence, c’est Batman. Personnage nocturne, secret, insaisissable. Un thème que l’on retrouve à travers les couleurs sombres (noir et gris), la posture méditative et le symbole de la chauve-souris. Un super héros qui, graphiquement, raconte déjà l’ambivalence entre «bienveillance» et «menace, inquiétude». Un thème identitaire qui sera repris dans le Dark Night de Christopher Nolan. En outre, Batman forme un «couple» (officieux d’ailleurs) avec Catwoman (peu claire sur le schéma car hors de notre corpus) et dont les couleurs la présente comme le pendant féminin de l’homme chauve-souris. A noter que l’on sent déjà une tension entre les deux personnages, car Catwoman n’est pas du côté de la rationalité comme Batman mais du côté de l’imprévisibilité, de l’instinctivité «primaire», entre eux, c’est le jeu du chat et de la (chauve) souris.... En contradiction avec les bienfaiteurs officiels, on retrouve les vengeurs, incarné dans notre corpus par Spiderman. Il s’agit de «vengeurs» masqués, s’exerçant la nuit, et mettant en scène une animalité profonde. Certes Batman a pour symbole une chauve-souris mais sa kinésie et ses couleurs font qu’il n’appartient pas à la catégorie «vengeurs». Cela sera d’ailleurs confirmé par le récit qui les met en scène : d’un côté, les super héros qui ont un statut irréfutable de super héros (musculature, posture d’assurance, etc.) et ceux qui ont un statut différent (musculature moindre, kinésie non affirmative, etc.) D’ailleurs, la narration met en scène d’un côté le super héros officiels ou officieux comme dévoué à sa cause et non sa vie, alors que pour les défenseurs et les vengeurs, les scénaristes mettront davantage en scène leurs problèmes personnels. Enfin, en implication avec les bienfaiteurs officiels, nous avons les «défenseurs». Une catégorie absente de notre corpus mais qui serait bien incarnée par Tarzan. Celui-ci est bien en contradiction avec Batman, un homme qui se sert d’un emblème animal versus un homme qui a été élevé par des animaux. Hulk est hors de cette catégorie, ni solaire, ni lunaire, il est l’incarnation du paroxysme de l’impulsivité, de l’instinct quasi animal destructeur, d’où sa place dans notre carré. Ce qui
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confirme par ailleurs, la légitimité de la question : Hulk, super héros ou monstre ? On le voit bien, il a une position marginale par rapport aux autres. Enfin, pour conclure cette première partie, nous trouvons intéressant de nous placer, très brièvement, au niveau de le «forme de vie», car à partir de ces signes de surface purement graphique, nous pouvons suivre une évolution certaine entre les expressions graphiques des personnages à leur naissance et celles d’aujourd’hui. Nous avons esquissé quelques remarques sur l’évolution de certains personnages comme Superman et Wonderwoman pour lesquels nous avons vu une musculature de plus en plus prégnante, la perte progressive de leur «bonhommie» qui nous racontent certainement quelque chose sur l’évolution de la perception de notre corps. Ce qui veut dire que l’on accorde une certaine importance à leur expression faciale, ces personnages sont davantage «psychologisés» car leur début. Par ailleurs, ils élargissent leur répertoire d’expression qui ne se limite plus à un sourire figé (que j’appelle le sourire bonhomme) mais à l’expression d’une palette d’émotions humaines universelles dont la souffrance et la colère.
Un focus de plus en plus important sur la mimogestualité des personnages, l’expression de leurs sentiments qui a sans doute beaucoup à voir avec le durcissement de l’individualisme caractéristique de notre époque. C’est une intuition, elle mériterait d’être développé dans un cadre beaucoup plus large. Mais il est tout de même flagrant de voir à quel point ces personnages «globaux» (plan large, peu de détails faciaux) font désormais placent à des personnages «individualisés» au maximum (plan rapproché, minutie des traits du visage, travail sur l’expression faciale, etc.), dont une des conséquences est l’émergence de sentiments malveillants lisibles sur le visage de nos bienfaiteurs officiels (la colère, la rage, la haine), ce qui modifient également le discours et le positionnement du personnage...
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2. Analyse e. Couvertures et discours Analyse des territoires narratifs i. Les territoires répertoriés Notre corpus est composé d’environ 130 couvertures, affiches, et extraits de BD, parmi celles-ci les plus connues, d’autres moins, allant de la moitié du XXème siècle à aujourd’hui. Il ne s’agit donc pas de passer au crible toutes les couvertures pour remarquer les détails graphiques propres à chacune mais plutôt de tenter de dégager les territoires narratifs les plus répandus dans l’univers des comics. Nous sommes donc moins au niveau du Code que du Discours : Que nous racontent ses couvertures sur la vie des super héros ? Bien qu’ils aient une vie de super héros, donc extraordinaire dans le sens premier du terme (hors de l’ordinaire), bien qu’ils ne soient pas tous humains, ils ne connaissent pas le temps mythologiques des dieux (temps circulaire) mais bien le temps chronologique et linéaire humain. Eux aussi, connaissent un parcours de la vie à la mort, ils combattent, gagnent, perdent, se lient d’amitié avec d’autres, s’aiment et... meurent. A noter que leur naissance n’est pas leur naissance humaine qui est racontée mais bien leur naissance de super héros, le moment de leur transformation (ex. Spiderman : étudiant banal > super héros). Quant à leur mort, elle est toujours l’occasion de relancer un comics en perte de vitesse en créant l’événement inattendu et presque inadmissible du super héros dans sa fragilité et sa finitude.
Voici la liste des territoires discursifs investis par les couvertures de comics (avec seulement quelques exemples) : Territoire La puissance (à la fois positive comme la force et négative comme la rage)
Le chaos, le désordre
L’identité (le déshabillage, la transformation)
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Exemples
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Territoire La manipulation, le piège, la menace, visible ou invisible
La lutte, l’affrontement
La perte du super héros, le K.O, la mort
L’affrontement entre deux super héros
La préparation d’un plan
La transmission d’un savoir
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Exemples
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Territoire La détermination
La capture du méchant
Des histoires de groupes
Des binômes, des compères
Hulk contre tous
Des histoires d’amour
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Exemples
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Territoire
Exemples
Le super héros captif
La pause du super héros
Certains territoires sont spécifiques à certains super héros : - Wonderwoman est la seule à se faire ligoter et capturer de cette manière; - La préparation d’un plan est souvent mise en scène dans les couvertures de Batman avec Robin, ce qui est beaucoup moins vrais pour les autres super héros (du coup on retrouve notre «posture méditative» de la première partie, les autres sont soit en action, soit en pause officielle). - La transmission d’un savoir est mis exclusivement en scène sur les couvertures de Superman, ce qui confirme notre propos de la première partie sur Superman en tant que médiateur des valeurs gouvernementales envers les jeunes, valeurs positives de respect, bienveillance, etc. - La question de l’identité et du déshabillage est moins mis en scène sur les couvertures de Batman et Hulk, en revanche cette question est beaucoup plus développé chez Wonderwoman et encore plus chez Superman et Spiderman. - Enfin, Hulk est, comme nous le disions en premier partie, le seul super héros à s’opposer à tous les autres en même temps puisqu’il constitue un rite initiatique.
ii. Organisation des territoires identifiés Comment organiser cette liste de territoires discursifs identifiés ? Nous pensons que, dans un premier temps, un schéma tensif pourrait nous permettre d’organiser ces territoires identifiés puisque cet outil offre un vision continue du monde (versus la vision discontinue car polarisée du carré sémiotique). Les deux axes sont constitués par : - L’intensité : moins il y a d’intensité (on est dans l’Ordre), plus il y a d’intensité (on bascule vers le Chaos); - L’extensité : c’est l’axe de l’écoulement du temps. Ce schéma permet de rendre compte de la plupart des territoires discursifs identifiés précédemment et de les inclure dans une succession temporelle, soit une dimension syntaxique.
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SEMIOSUPER-HÉROS - DOSSIER 2011 Le premier élément angulaire qui montre que nous passons de l’Ordre au Chaos est le changement identitaire du super héros. Le combat avec l’ennemi dure ensuite un certain temps. Suivi par un K.O ou en tous les cas la mise à mal des capacités du super héros avant que celui-ci ne le capture. L’affrontement de deux super héros est plus riche d’intensité et se déroule sur une durée temporelle plus importante qu’avec un ennemi classique. L’amour et l’amitié peuvent être perçus comme des «sanctions glorifiantes» de ce qui précède. La conclusion positive est le super héros qui conserve son statut. La conclusion négative est la mort de celui-ci, très riche d’intensité. Plutôt que de nous intéresser à un classement thématique, nous préférons nous intéresser à la structure syntaxique que forme ce corpus. Nous voyons qu’il existe une structure sous-jacente commune à tous les comics. Ces récits se fondent sur la même prosodie. On attend toujours d’un super héros qu’il fasse ses preuves, éprouve quelques difficultés (physiques dans le combat de son adversaire et pourquoi pas psychologiques comme le renoncement ou la mésestime de soi, par exemple). Le statut initial est toujours celui de l’Ordre (voir même de l’ordinarité, de la vie quotidienne). Un événement ou plutôt un « anti-sujet » vient contraindre cet Ordre pour le transformer en Chaos. C’est toujours le point de départ. Le point d’arrivée est la réussite ou l’échec du super héros à rétablir cet ordre initial. Nous allons voir que l’analyse de Greimas à partir des travaux de Propp va nous être utile pour approfondir ce point de la structure sous-jacente.
iii. Structure narrative sous-jacente Il se passe toujours cette progression narrative qui part de l’Ordre vers le Chaos suite à l’intervention d’un «méchant» (anti-sujet) que le super héros combattra en vue de rétablir l’Ordre initial.
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SEMIOSUPER-HÉROS - DOSSIER 2011 Afin d’organiser au mieux cette progression, il nous semble que le programme narratif est un outil qui va permettre de rendre compte de toutes ces phases successives et des pré-requis nécessaire au super héros. Le schéma narratif se décomposante en quatre phases : - Le contrat ou l’instauration de l’action : Définition de la valeur de l’Objet à acquérir par un destinateur-manipulateur; - La compétence ou la qualification du sujet: Préparation à l’action en fonction de la motivation du sujet modal (vouloir/devoir/savoir/pouvoir/croire - La performance ou la réalisation de l’action : Action proprement dite du sujet de faire vs l’action d‘un anti-sujet ou l’aide d’un adjuvant - La sanction ou la reconnaissance du sujet : Evaluation de l’action réalisée par un destinateur-judicateur « L’intérêt de ce schéma est son «encadrement contractuel». Pour toute transformation, on suppose d’abord une structure contractuelle ». Etudes «sémios» et enquête en entreprise, Didier Tsala Effa et alii.
Voici le schéma narratif à l’oeuvre dans notre corpus :
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SEMIOSUPER-HÉROS - DOSSIER 2011 Nous avons montré que le genre du comics est, comme celui du conte, très normé. La structure sous-jacente se répète souvent à l’infini, d’où la nécessité pour les créatifs de s’interroger sur ces canevas pour pouvoir proposer quelque chose de nouveau, tout en restant fidèle aux règles du genre. Ce travail n’est pas sans rappeler celui mené par Claude Lévi-Strauss dans son Anthropologie Structurale. Il a tenté de mettre en valeur la «matrice structurale» de différents mythes (en les découpant en « mythèmes »). Si l’on fait cet effort d’abstraction, l’on se rend compte que la matrice structurale est la suivante : cacher son identité -> devenir soi-même pour défendre les valeurs du Bien, quoi qu’il en coûte, en restant fidèle à soi -> Réussir ou échouer. Par ailleurs, Umberto Eco défend le schéma narratif itératif présent dans les comics, il nous dit que (1) cette forme fixe et itérative n’est pas nouvelle, c’est une des formes les plus caractéristiques de l’art narratif populaire, (2) ce mécanisme itératif dont on tire toujours une certaine forme de jouissance est typique de l’enfance : « L’attrait du livre, le sentiment d’apaisement, de détente psychologique qu’il procure viennent de ce que, au creux de son fauteuil ou assis sur la banquette d’un train, le lecteur retrouve sans cesse ce qu’il sait déjà, ce qu’il veut savoir une fois encore et ce pour quoi il a acheté le volume. (...) Un plaisir où la distraction tient au refus du développement des événements, au fait de se soustraire à la tension passé-présent-futur pour se retirer vers un instant aimé parce que réccurent .» De Superman au Surhomme, «Le mythe de Superman». Umberto Eco. Une soustraction au déroulement passé-présent-futur qui n’empêche pas au super héros d’appartenir au temps chronologique humain, c’est ce qui permet l’identification du destinataire au héros. Enfin, La quête du super héros est une quête identitaire et de fidélité à soi. Quant aux valeurs de Bien, alors qu’au milieu du XXème siècle, elles semblent aller de soi pour Superman ou encore Wonderwoman, les scénaristes sont de plus en plus nombreux à réinterroger cette donnée. Qu’est ce que le Bien ? Sa définition est-elle universelle ? Le film Watchmen est un succès cinématographique notamment parce qu’il met en scène des super héros dont l’heure de gloire est passée. Désabusés, ivrognes, tueurs, les super héros agissent en fonction de leur définition du Bien, une définition individuelle et non plus collective, nous y reviendrons dans la dernière partie qui suit.
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3. Analyse f. Connaissance encyclopédique des superhéros C’est quoi être un super héros ? i. Le mythe des origines Le «mythe des origines» est une dimension importante dans le récit des super héros, car ce sont les origines qui expliquent en partie le statut du super héros. Superman est un être exceptionnel en partie parce que c’est un extra-terrestre. En effet, ses parents l’ont envoyé sur Terre à l’aide d’une capsule spatiale que son père avait construit pour lui éviter d’assister à la destruction de sa planète, Krypton. Il est une sorte de demi-dieu à la force herculéenne. Une arrivée quasi-messianique pour celui considéré comme le père fondateur des super héros. Il sera par la suite adopté par un couple de fermier et sera toujours reconnaissant envers la nation qui l’a accueillie. Wonderwoman est, quant à elle, la fille de la Reine des Amazones. Une origine mythologique, bien que ces amazones là soient immortelles (elles n’ont donc pas besoin de se reproduire) et qu’elles aient leur poitrine intact et vivent sur une île invisible. C’est un crash d’avion piloté par un des membres de US Air Force qui va leur faire prendre conscience des problèmes rencontrés par les Etats-Unis dans sa volonté de faire respecter la paix dans le monde. La Reine des Amazones décide donc d’envoyer sa fille combattre sur le sol américain sous le nom que nous lui connaissons aujourd’hui.
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Batman est, contrairement à Superman, un humain. Ses parents se font tuer sous ses yeux par un malfrat, en pleine rue, alors qu’ils sortaient du cinéma (où ils avaient vus le Masque de Zorro...) Dès lors, sa soif de vengeance est insatiable. Désormais orphelin, il est l’héritier d’une fortune importante qu’il investira plus tard dans l’éradiction du Mal et du Crime. Une nuit d’insomnie, alors qu’il décide de prendre un nom et une apparence effroyables, une chauve-souris entre par sa fenêtre... Spiderman est également un être banal, avant d’être un super héros. Jeune lycéen boutonneux et introverti, il a un certain penchant pour les sciences. Un jour, alors qu’il est en visite dans un laboratoire avec sa classe, il se fait mordre accidentellement par une araignée. Peu de temps après, il comprend que son ADN a muté : il n’a plus besoin de lunette, sa musculature s’est développée et il peut grimper contre les murs. Orphelin depuis que ses deux parents ont été tué alors qu’ils étaient agents secrets pour le gouvernement, il est élevé par son oncle et sa tante. Dans un premier temps, il utilise ses nouveaux super pouvoirs dans le but de gagner de l’argent. Mais un jour, il laisse s’échapper un voleur puisque ce n’est pas son problème. Seulement, ce même voleur est le meurtrier de son oncle. Un drame qu’il aurait pu empêcher et qui est l’origine de la réorientation du personnage qui décide dès lors de combattre le crime. Hulk est également un homme avant d’être un super héros (d’un statut un peu particulier, nous l’avons vu, à mi-chemin entre le monstre et le héros). Scientifique, il travaille dans un laboratoire lorsqu’il est accidentellement irradié par des rayons «gamma»... Depuis, toute émotion violente l’expose à une transformation incommensurable, le savant doué de conscience laisse sa place à un monstre envahi par la rage. Il y a donc une première typologie entre les «origines mythiques», les «origines humaines» et les «mutations» qui déterminent le positionnement de nos super héros :
Nous voyons que les origines mythiques (extra-terrestres) s’opposent aux origines humaines (terrestres). Les mutations sont un cas de transformation d’un humain conjoint à la banalité à T0 et qui se retrouve conjoint à des super pouvoirs en T +1.
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On retrouve donc deux visions du monde : d’un côté une vision religieuse, du moins transcendantale, de l’autre côté, une vision humaniste. D’un côté, le super héros est légitimé par la noblesse de ses origines : ce sont des dieux ou des demi-dieux qui trouvent leurs origines dans l’imaginaire de la Grèce Antique (Wonderwoman, Superman). De l’autre côté, ce sont des humains qui ont décidé de maximiser leur potentiels (Batman, à noter que c’est la catégorie la moins étayée de super héros, contrairement aux mutants) ou bien qui ont muté suite à un accident. On peut essayer de transformer cette typologie ternaire en carré sémiotique, outil efficace pour montrer des positionnements polarisés. Nous aurions alors une position à occuper, qui serait un sub-contraire aux «mutants», ce que nous avons appelé les «personnages déchus».
Les «personnages déchus» correspondraient à des figures mythiques qui n’ont pas choisi leur place de super héros auprès des humains (Thor, par exemple ? ). Mais nous pouvons également imaginer des figures moins mythiques, beaucoup plus sombres. Ce seraient des humains qui auraient pactisé avec le diable en personne, et auraient donc perdus leur statut d’humain (pensons à Spawn ou The Crow à titre d’exemple, mais ils ne font pas partis de la famille Marvel ou DC). En tous les cas, nous restons dans une vision religieuse du monde. Finalement, les super héros les plus présents dans l’univers des comics Marvel et DC sont les mutants ou ceux parvenants d’une contrée lointaine (origine extra terrestre) et qui ont choisi d’avoir ce statut. A l’inverse, les humains qui ont maximisé leur potentiel (sans connaître d’accident) sont peu nombreux, de même les personnages déchus.
ii. Processus d’identification Il est intéressant de s’intéresser brièvement aux phénomènes qui permettent l’identification du destinataire au héros de l’histoire. Nos super héros sont tous extra ordinaires, pourtant, il nous est facile de nous identifier à eux. Deux phénomènes majeurs semblent permettre ce processus : - Le changement identitaire : un super héros a une double identité; - L’inscription du super héros dans une espace et un temps «humain», et dans une histoire elle-même itérative.
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En effet, pour pourfendre le Mal et défendre le Bien, le super héros cache sa vraie identité, il ne reste pas tout le temps «déguisé», ainsi Superman endosse-t-il le rôle d’un journaliste timide voire maladroit, Spiderman n’est-il qu’un lycéen introverti, Batman un millionnaire flambeur, etc. Comme le souligne Umberto Eco, c’est cette capacité à devenir l’«être moyen», tout à fait quelconque, banal, sans compétence particulière qui permet au destinataire de s’identifier au personnage. Voici ce qu’il dit à propos de Superman : « Mais d’un point de vue myhtopoiétique, la trouvaille est carrément géniale : en effet, Clark Kent incarne exactement le lecteur moyen type, bourré de complexes et méprisé par ses semblables; ainsi, par un évident processus d’identification, n’importe quel petit employé de n’importe quelle ville d’Amérique nourrit le secret espoir de voir fleurir un jour, sur les dépouilles de sa personnalité,un surhomme capable de racheter ses années de médiocrité ». De Superman au Surhomme, «Le mythe de Superman». Umberto Eco. Outre la double identité qui permet au destinataire de rêver secrètement à une nouvelle identité, le temps est une donnée importante et savamment utilisée dans les comics. En effet, nous avons vu que le processus itératif (l’irruption d’un Méchant qui menace l’Ordre initial) est constitutif de la narration des comics. Pour autant, il y a également une progression chronologique humaine; si le super héros ne vieillit pas, il naît (en tant que super héros) et meurt parfois. En tous les cas, il éprouve le temps du combat (revoir le schéma tensif (2.e.ii). Il est intéressant de rendre compte de cette ambivalence à travers laquelle les super héros sont à la fois hors du temps (de part leur condition extraordinaire) et dans le temps quotidien humain (de part leur existence sur Terre, ou du moins un lieu qui y ressemble très fortement). Nos super héros connaissent des préoccupations universelles : l’amour versus la haine, la naissance versus la mort, la joie versus le malheur, etc. C’est bien cette double capacité à être hors du commun des mortels ET vivre les universaux humains qui permet l’identification du destinataire à ceux-ci. Nous retrouvons cette ambivalence dans l’espace évoqué par les comics, un espace de vie qui ressemble très fortement à notre Terre et pourtant, un espace toujours considéré comme un lieu inexistant. Umberto Eco s’interroge d’ailleurs sur le lieu d’existence de Superman : « (...) Au lieu de cela, Superman exerce son activité au niveau de la petite communauté où il vit (Smallville pendant son enfance, Metropolis à l’âge adulte) et (...) même s’il affronte avec désinvolture des voyages dans d’autres galaxies, il ignore pratiquement, je ne dis pas la dimension «monde», mais la dimension «Etats-Unis» (...) Superman constitue un parfait exemple de conscience civique totalement séparée de la conscience politique. Le civisme de Superman est irréprochable, mais il s’exerce et se manifeste dans le cadre d’une petite communauté close ». De Superman au Surhomme, «Le mythe de Superman». Umberto Eco. C’est cette définition du civisme qui va être petit à petit remise en cause dans les adaptations plus récentes des comics, nous y revenons à la fin de cette partie. En outre, nous pouvons résumer ce qui vient d’être dit par le schéma suivant :
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iii. La définition du Bien Tous les super héros de nos BD veulent être conjoints au même Objet de valeur : l’Ordre (versus le Chaos), du moins, dans l’univers Marvel et DC. Cet objet de valeur correspond à des équivalences axiologiques : Ordre / Bien versus Chaos / Mal. Nous devons nous poser la question : qu’est-ce que le Bien ? Quelles incarnations narratives, thématiques et figuratives dans les comics ? Revenons tout d’abord à une question un peu plus originelle : qu’est-ce qu’un super héros ? Disons que « c’est un personnage doté de pouvoir ou d’aptitudes extraordinaires qui lui permettent d’accomplir des hauts faits inaccessibles au commun des mortels » (Winckler). Généralement un super héros met ses super pouvoirs au service du Bien, mais tous n’est pas si simple. D’ailleurs les super héros ne sont pas toujours considérés comme «bons» puisqu’ils leur arrivent de combattre les uns contre les autres... Les X-Men sont mêmes pourchassés par les humains. En outre, tous les super héros sont différents, certains sont mus par un désir de justice universel (Superman et Wonderwoman), d’autres ont des motivations plus psychologiques et plus ambivalentes (la vengeance pour Batman, le profit pour Spiderman qui doit payer ses études, la fureur pour Hulk, etc.) La notion de Bien renvoie nécessairement à la question de la subjectivité et du point de vue. C’est pour cela qu’il nous semble intéressant d’utiliser la théorie de Youri Lotman développée dans Sémiosphère. Celui-ci met en évidence la structure sémiotique suivante, propre à tous les systèmes culturels et constitutivement dialogiques :
Voici la définition de Lotman : «La sémiosphère est l’espace sémiotique hors duquel la sémiosis est impossible». Nous allons voir ce qui fait sens pour les super héros et comment ils se définissent.
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Les super héros sont au centre d’un système qui défini le Bien comme le respect de l’Ordre (acteur endotique), les ennemis du super héros sont bien souvent les ennemis du peuple, ceux qui défendent la barbarie et la violence, prônent le Chaos (acteurs exotiques). Pour répondre à notre question ci-dessus, voici les incarnations que nous avons dégagés, très rapidement car il faudrait compléter par un autre corpus qui ne serait plus celui des super héros mais des ennemis :
Niveaux
Incarnations
Narratif
Irruption qui crée le Chaos
Thématique
Manipulation, Folie, Violence, Peur, Piège, Menace, Manigances
Figuratif
Des personnages difformes, extravagants, bariolés, récurrence du violet
En tous les cas, une vision manichéenne à travers laquelle s’oppose l’Ordre, le Bien , le Beau au Chaos, au Mal et au Difforme. Héritage de nos traditions chrétiennes ? Il est intéressant de constater l’évolution de cette mise en scène du Super Héros / Bien versus Anti-Super héros / Mal ces dernières années. Quelles sont les valeurs que les super héros défendent ? Difficile à dire. Pour autant, si on prend le cas de Superman il est l’incarnation du super héros américain par excellence, il est le « père fondateur », considéré comme le premier super héros et sa tenue est aux couleurs patriotiques (et, nous l’avons vu, il a été souvent utilisé par la propagande américaine destinée aux jeunes). Bien que son action ne s’étende qu’à Metropolis (et parfois dans l’espace), il ne fait aucun doute qu’il soit citoyen américain. On peut donc en déduire que Superman défend le Bien contre le Mal, à savoir des valeurs démocratiques et judéo-chrétiennes. On a donc l’équation suivante : Bien = valeurs démocratiques (respect, équité, justice, etc.) + valeurs judéo-chrétiennes (partage, bienveillance, etc.) C’est rare mais il arrive que certains super héros fassent incursion dans notre monde réel, ainsi retrouve-t-on Thor combattre le communisme au Vietnam ou encore Captain América contre Hitler. Plus récemment, l’effondrement des Twin Towers est l’occasion de la mise en scène de l’impuissance de Spiderman... L’univers des comics reste donc un univers imaginaire qui emprunte au réel certaines structures temporelles (temps chronologique), spatiales (la ville, l’urbanisme) et actorielles (personnage mi-médiocre mi-divin) permettant une identification rapide aux super héros. Les super héros sont-ils seulement américains ? Oui, mais leur succès outre-atlantique montre que, plus largement, ils peuvent être considérés comme emblèmes des pays occidentaux démocratiques, métaphore de la puissance des pays alliés sur un plan idéologique, diplomatique et politique. Détailler ce point, certes intéressant, n’est pas l’objet de notre rendu, aussi nous ne développerons pas davantage. Cependant, l’introduction d’un outil comme la sémiosphère de Lotman montre la construction d’un système de valeurs centré autour d’un noyau qui offre sa vision subjective de ce qu’il considère comme le Bien (à lui, normé et accepté) versus le Mal (hors de lui et inacceptable). Dès lors, on comprend comment certains événements majeurs de notre XXe-XXIe siècle peuvent surgir dans certains numéros de comics, ces événements, dictatures ou attentats, sont une attaque aux valeurs prônées par « le Centre ». Ces valeurs sont appelées le Bien mais on comprend que dans le pays responsable de la dictature ou de l’attentat, elles s’appellent le Mal. C’est manifestement cette ambivalence, cette subjectivité voilée sous le drap de l’objectivité qui est, ces dernières années, au coeur de la représentation américaine. Pays de l’hégémonie militaire et diplomatique, leurs interventions hors territoire américain a été de plus en plus contestées. Cette «fracture» se retrouve au sein des structures narratives de certains Comics, notamment dans leurs adaptations cinématographiques. Citons les Watchmen, mises en scènes de super héros en pleine décadence, dont l’heure de gloire est passée (alcooliques, dépressifs, assassinés, voici ce que sont devenus les défenseurs d’antant), des super héros qui ne veulent plus l’être : Spiderman (le film de Sam Raimi, 2002), Batman dans The Dark Night (2008, Christopher Nolan). L’univers des comics commencent-il sa période nihiliste ? La question reste ouverte et trouvera sa réponse dans quelques années. Par ailleurs, nous pouvons résumer l’axiologisation dans l’univers des comics à l’aide du carré sémiotique opposant le Bien versus le Mal :
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SEMIOSUPER-HÉROS - DOSSIER 2011 Le Bien (Superman en étant le prototype pour les raisons vues ci-dessus) est au centre de la sémiosphère des super héros, le Mal étant souvent incarné par un ennemi juré (Lex Luthor dans notre illustration). Les personnages comme Batman connaissent une certaine profondeur psychologique car nous l’avons vu, ils oscillent entre l’idée de justice (valeur noble) et de vengeance (valeur indécente). Toutefois, ce sont des super héros, ils combattent le Mal. On pourrait également imaginer à cet endroit «Non Mal» un super héros qui serait obligé de sacrifier quelques valeurs du Centre de manière momentanée pour sauvegarder l’Ordre de manière pérenne. Le personnage de Spawn (mais il y en a d’autres) qui ne fait ni parti de l’univers Marvel ni DC rappelons-le, incarne cette limite, lorsque que le «super héros» frôle le côté obscur. Ce sont des personnages qui sont infernaux mais connaissent, malgré tout une certaine éthique. On pourrait aussi imaginer à cet endroit «non Bien» des «méchants par dépit», qui affronteraient un super héros, et qui, à la fin du combat se rendent compte qu’ils étaient dans l’erreur. On peut constater qu’a la «naissance des super héros», la vision du monde «le Bien versus le Mal» fonctionnait et était stabilisée : correspondait-elle à une vision particulière du monde à cette époque, à savoir une vision plutôt manichéenne Etats-Unis / capitalisme / Bien versus Russie / communisme / Mal ? En revanche, ces dernières années, les scenari posent davantage la question du «non Bien» et du «non Mal», jusqu’où le Bien se délimite du Mal : cela correspond-il à une vision du monde actuelle où les valeurs ne sont plus si clairement définies ? Un monde dans lequel l’univers soviétique s’est effondré et dans lequel l’American Dream n’est plus ? On se souvient du tollé crée par un des derniers numéros du Man of Steel et dans lequel Superman renonce à sa nationalité américaine... (http:// www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Superman-il-ne-veut-plus-etreamericain-!-2690532) Superman déclare : "Je renonce à ma citoyenneté américaine. Je suis fatigué de voir mes actes limités en tant qu'instruments de la politique des Etats-Unis. « La Vérité, la Justice, et la Méthode à l'Américaine...» ça ne me suffit plus désormais"
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Par ailleurs, cette question du Bien a été mis à mal par la montée en puissance de l’individualisme. Nous avions abordé ce point dans la partie graphique, nous avions vu que le graphisme avait évolué d’une représentation globale des personnages pour aller vers une représentation plus locale des personnages qui, focalisée sur le visage, rendait l’expression de leur sentiments plus visibles. Petit à petit, il semble que les super héros se voient sous différentes facettes, davantage multiples et complexes. Il y a donc instabilité : les super héros (surtout visibles avec Wonderwoman et Superman) ont perdu leur bonhomie d’antant. Le Bien tel qu’il est défini aujourd’hui dans les comics ne connait plus la même définition. Le Bien de la communauté a fait place au Bien des individus. La communauté n’est plus vue comme un tout mais comme un ensemble d’entitées disparates, ce qui modifie d’autant les points de vue, les valeurs et les définitions apportées au mot «Bien».... Toutes ces questions seraient à développer de manière méthodique et relèvent parfois plus de la sociologie que de la sémiotique. Nous laissons le soin à de futurs doctorants ou chercheurs d’élucider ces nombreuses problématiques. Enfin, pour conclure cette dernière partie et pour proposer une autre piste de réflexion à la question : c’est quoi être un super héros ? Nous terminerons par une approche brièvement sémantique. Le syntagme «super héros» est intéressante à plusieurs égard. Tout d’abord, il mobilise l’univers sémantique du «héros» dans lequel on retrouve les sèmes de /bravoure/, de / puissance/, d’ /extraordinarité/, de /réalisation/, de /sacrifice/, de /valeurs/, de /défense/, d’ /identité/, etc. Le TLF nous dit : «Homme, femme qui fait preuve, dans certaines circonstances, d'une grande abnégation» ou encore «Homme, femme qui porte un trait de caractère à son plus haut degré.» L’univers sémique mobilisé est davantage /humain/ que /divin/, bien qu’un héros puisse également être un demi-dieux. Ensuite, le préfixe «super» vient ajouter d’autres sèmes tels /paroxysme/, /supériorité/, /absolu/. Autrement dit la «géantisation» du mot «héros» renvoie au caractère non humain et divin du personnage. Au delà du héros puis du surhomme, le super héros est capable de tout, c’est pour cela qu’il a des super pouvoirs. Mais les structures temporelles, spatiales et la double identité permettent aux personnages de conserver, malgré tout, une dimension humaine.
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3. Conclusions
Ce que nous avons appris de la partie sur l’analyse des codes graphiques des super héros : L’analyse des codes graphiques seuls permet déjà d’élaborer une structuration de l’univers des super héros. S’opposent les super héros solaires versus les super héros lunaires. Se contredisent les super héros du côté de la rationalité et ceux du côté de l’instinctivité. Nous avons donc une typologie caractéristiques dans l’univers des comics : Les bienfaiteurs officiels (Superman et Wonderwoman) versus les bienfaiteurs officieux (Batman) qui se contredisent avec les défenseurs (Tarzan) et les vengeurs (Spiderman). Les codes graphiques permettent également de mettre en évidence des couples tels Wonderwoman et Superman ou Batman et Catwoman. Il y a également une évolution graphique des personnages importante, notamment chez Superman et Wonderwoman qui ont perdu leur bonhomie initiale pour être davantage «psychologisés». Une évolution à mettre en parallèle d’une Forme de vie propre à notre société : l’individualisme.
Ce que nous avons appris de la partie sur l’analyse des couvertures de comics : L’analyse des territoires narratifs a mis en évidence une structure sous-jacente itérative que le schéma narratif a pu mettre à jour et qui rappelle l’analyse en «mythèmes» de Lévi-Strauss (voir le schéma p21) : un Ordre initial auquel le super héros est conjoint interrompu par l’arrivée d’un anti-sujet qui veut que le monde soit conjoint au Chaos.
Ce que nous avons appris de la partie sur l’analyse du savoir encyclopédique sur les super héros : Etre un super héros c’est : - avoir une origine mythique (spécifique à chaque héros, mythologique ou humaine) - appartenir à un temps et un espace humain, bien que ceux-ci soient légèrement modifié (Métropolis n’existe pas). - défendre les valeurs du Bien, une valeur subjective et nodale de plus en plus réintérrogée par l’industrie cinématographique ces dernières années. Une axiologisation spécifique qui, située du côté des Formes de vie, renvoie à une certaine situation socio-politico-economique du monde et particulièrement des Etats-Unis.
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Bien sûr, il y a bien d’autres thèmes qui auraient pu être abordé pour parler des super héros : la place du sacré dans les comics, l’inspiration des structures tragiques du théâtre grec, les liens entre manga et comics, les pendants féminins des super héros, les ennemis des super héros; nous aurions pu parler d’autres super héros : Super Dupont, Tartine, Fifi brindacier, etc. En bref, autant de territoires qui mériteraient d’être invertis par la sémiotique... L’appel est lancé ! Nous terminerons donc simplement, en présageant que l’univers des comics a encore de beaux jours devant lui car il a cette faculté à pouvoir mobiliser notre Imaginaire : « Si nous pouvons supporter la contingeance de notre existence, ou encore le vertige de l’Etre, c’est précisément parce que l’homme est capable de concevoir un sens imaginaire à ce quelque chose qui repose sur du chaos. L’imaginaire est de qui permet fondamentalement à l’homme d’accépter l’idée qu’il soit issu du Néant ». «La structure initiatique du manga» in L’univers des bandes dessinées. Sociétés n°106. Frédéric Vincent.
4. Ouvrages cités Voici la liste non exhaustive des ouvrages cités dans notre dossier :
Didier Tsala Effa et alii. Etudes « Sémios « et enquêtes en entreprise. France : Les Deux Encres, 2008. Martin Winckler. Super Héros. Paris : E.P.A Hachette Livre, 2003. Philippe Guedj. Comics : Dans la peau des super héros. France : Timée Editions 2006. Umberto Eco : De Superman au Surhomme, «Le mythe de Superman». Paris : Grasset, Le livre de Poche, 1993. Sociétés n°106, 2009/4, «L’univers des bandes dessinées». Bruxelles : De Boeck.
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