h3fr Du.même quteur
Rosenr ALTMIN, Edilig, 1981.
ClulNo' Lp ctttÉul AMÉRIcÀIN, 1895-1980 : De GnIrrttH 1983. Jurnes DEAN, Éditions Henri Veyrier, 1983'
Doucr-ls Srm, Edilig, 1984.
Jean-Loup Bourget
Le mélodrarne
hollywoodien
Stock 00 166596
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Avant-propos
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Pour paraphraser Magritte, n ceci n'est pas une considérablement remaniée thèse ,. C'est la version
- qui m'occupa une douzaine d'un travail universitaire -d'années, de 1970 à 1982. Dirigé amicalement et Pnoros Cinémathèque de Toulouse : 1,2, 5, 6,7,8, 9, 10, I 1, 13, 15, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 32, 33. Collection Michel Ciment : 3, 4, 12, 19,20,34,35. Collection de I'auteur : 14, 16,26,27,30, 31.
Pour l'illustration de cet ouvrage, nous remercions la Cinémathèque de Toulouse, présidée par Raymond Bon»e.
Si vous souhaitez être tenu au courant de la publication de nos ouvra-
il vous suffira d'en faire la demande aux Editions STOCK, 14, rue de l'Ancienne-Comédie, 75006 Paris. Vous recevrez alors, sans aucun engagement de votre part, le bulletin ou sont régulièrement présentées nos nouveautés que vous trouverez chez votre libraire. ges,
Tous droits réservés pour tous pays O 1985, Stock.
patiemment par un américaniste, Bernard Poli, et par Henri Agel, titulaire d'une chaire (alors unique en France) d'Études cinématographiques, ce travail aboutll au doctorat d'État (Sorbonne nouvelle, décembre I
982).
Il m'est impossible de citer ici toutes les institutions fil de dix années passées aux Éhts-Unis, au
qui, au
Cunada et en Angleterre, me permirent de visionner plusieurs centaines de films et de consulter leur docu-
fitcntation. Je me contenterai de nommer le British Fllrn Institute, dont la fréquentation assidue fut pour moi un atout décisif. Dans le même temps, ma réflexion bénéficia du dialogue mené avec d'incomparables u hommes de l'art, :.John Cromwell et Douglas Sirk ainsi qu'avec un - et critiques, de gt'and nombre de chercheurs, historiens Jacques Bontemps et Jean Domarchi à Peter Wollen et Robin Wood, sans oublier l'équipe qui anime la revue lto:;itif. Aussi suis-je particulièrement heureux qtt'accueillies par Michel Ciment, ces pages viennent ettiourd'hui rejoindre celles qu'Alain Masson a naguère uotrsacrées à la Comédie musicale.
Définitions
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MÉr-ooËftrrff'
Le terme de u mélodrame » €st presque toujours omployé de façon péjorative: il désigne une æuvre à l'intrigue à la fois invraisemblable et stéréotypée, donc prévisible, aux effets sensationnels qui bafouent la psyehologie et le bon gorit, à la sentimentalité souvent écæurante. Historiquement, il s'agit d'un genre populaire et théâtral, né sous la Révolution française, et illustré en partlculier par Pixérécourt, auteur de Coelina ou l'Enfant du mystère (1800), Le Chien de Montargis ou laForêt de Bondy (1814), Latude ou Trente-Cinq Ans de captivité ( 1834) ; il le sera plus tard, à l'époque du u Boulevard du Crime », pâr des auteurs comme d'Ennery (Don César de Bazan, 1844 ; Les Deux Orphelines, 1874) ou Decoureelle. Par son origine, il est donc lié à une époque de
profonds bouleversements politiques et sociaux, à l'égard desquels il exprime des sentiments mêlés d'espoir et de désarroi. Son idéologie ne craint pas de eombiner des attitudes contradictoires, révolutionnaires et réactionnaires. La croyance à la Providence va de pair avec la soumission à la fatalité la plus noire et aux rnachinations toujours recommencées des méchants. §tylistiquement, le mélodrame (étymologiquement : r drame avec musique ») est un mixte de paroles, de gestes, d'effets spéciaux : il est un spectacle, et la mise
10
Définitions
en scène y joue un rôle prépondérant. C'est ainsi que L'Enfant sauÿage d'Eymery et Blanchard, musique de Picciny (1803), est défini par ses auteurs comme un mélodrame u à grand spectacle, mêlé de chants, danses, jeux, combats et pantomime ". Par là, cette forme de spectacle prélude donc au drame romantique et surtout au film hollywoodien. D'autre part, genre hautement fictif mais très marqué socialement, le mélodrame a exercé une influence profonde sur le développement du roman au xlxe siècle. D'ailleurs, les mélodrames de Pixérécourt étaient euxmêmes issus de romans gothiques, comme le prouvent clairement leurs titres (par exemple, Coelina olt l'Enfant du mystère) ; symétriquement, les plus grands romanciers du siècle préfèrent souvent aux subtilités de l'analyse psychologique des effets qu'ils qualifient euxmêmes de u dramatiques,. Des éléments mélodramatiques sont présents chez Balzac (Le Curé de village) et même chez Stendhal (Le Rouge et le Noir) comme chez Hugo (Les Misérables), chez Disraeli (Sybil), Dickens (Little Dorrit), les Brontë (Jane Eyre, Wuthering Heights), comme chez Hardy (Tess of the D'Urbervilles) et même chez George Eliot (Daniel Deronda). Sous le masque du u réalisme ,, le mélodramatique (sinon le mélodrame) poursuit une carrière triomphale dans la grande littérature, et se révèle incontestablement comme une des formes d'art les plus aptes à décrire la société bourgeoise du xtx" siècle. Selon la juste remarque de Peter Brooks,
Le parti pris selon lequel le mélodrame n'est qu'une tragédie vulgaire et dégradée, le théâtre romantique qu'une tragédie emphatique et manquée, et qui vqut que Balzac, Dickens, Dostoïevski,
voire Henry James, dérogent fréquemment au » " réalisme sérieux par leur penchant vers un
romanesque exagéré, empêche de comprendre les prémisses mêmes de cette littérature. Car ces écrivains qui continueront à croire à l'importance du grand drame éthique dans un univers désacralisé
ll
Délinitions
auront presque forcément recours tique pour sa mise en scèneI.
u, -êjodru*u-
En même temps subsistent de multiples formes popLl-
laires, les unes romanesques, les autres théâtrales. La Grand'Mère de Richebourg, Le Maître de forges d'Ohnet, La Porteuse de pain de Montd.pin ;dans le domaine anglophone,les mélodrames de l'lrlandais Dion Boucicault, dont la majeure partie sont udaptés de succès français, mais dont quelques-uns, sur elcs sujets irlandais, ont été naguère applaudis à l'Abbey 'lheatre à Dublin (The Shaughraun, avec Cyril Cusack). Pcndant tout le xIx' siècle, les romans à succès sont rystématiquement adaptés à la scène, comme de nos .iours ils sont portés à l'écran. Les deux traditions (grande littérature et littérature populaire) se rejoignent précisément pour contribuer à lu naissance du cinéma.En 1927, T.S. Eliot notait à juste titre qu'au xx" siècle, le mélodrame cinématographique avait remplacé le mélodrame théâtral du siècle précéclent. Il ajoutait qu'au xtx'siècle, o âge d'or de la fiction mélodramatique ,, il y avait entre la u littératuvg » (par exemple, les æuvres de Dickens, d'Emily Brontë et même de George Eliot) et les « thrillers , (les æuvres à scnsation de Wilkie Collins) une différence de qualité ou de degré, mais non de nature: u Les meilleurs romans étaient mélodramatiques 2. " Si les u ficelles , du mélodrame sont, avec la même uisance, catastrophiques ou providentielles, le fatum mélodramatique est toujours politique ou social plus que véritablement métaphysique. Le mélodrame est, en quelque sorte, une tragédie qui serait consciente de l'cxistence de la société (il est frappant de remarquer le rrombre de titres qui font allusion à l'occupation sociale Clitons par exemple
l.
n
Une esthétique de l'étonnement: le mélodrame
(lua, n" 19,1974, p. 356. '
,, Pttteli'
2. Times Literarv Supplernent, 4 aofit 1927, partiellement lcproduit dans le ffs du 5 aofit 1977 , p. 960.
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Définitions
du héros : Jenny l'ourtrière, Le Porteur d'eau, etc.) 3. Il est dès lors permis de penser avec Robert B. Heilman que le mélodrame a existé, sous des formes et des noms divers, dans de nombreuses cultures, et qu'Ëuripide et les Jacobéens ont écrit des mélodrames, cornme au xx" siècle Eugene O'Neill ou Tennessee Williams a.
MÉr-oouiuE HoLLywooDIEN
l'Italie, ont produit quantité de films situés dans le droit fil du mélodrame théâtral ; il faut prendre garde qu'il en va un peu différemment à Hollywood, où le genre doit sans doute davantage au romanesque victorien. L'anglais tend d'ailleurs à réserver l'appellation de (crime) melodrama, (war) melodrama, etc., à des films d'action caractérisés par leur intrigue à péripéties, et à désigner de préférence ce qui nous intéresse ici du beau nom de romantic drarna. On définira comme u mélodrame » tout film hollywoodien qui présente les caractéristiques suivantes : un personnage de victime (souvent une femme, un enfant, [-a France, et plus encore
3. Dans ses Réflexions sl.r
la
tragédie (1829), Beniamin
Constant avait bien aperçu cette différence essentielle entre le drame moderne (qu'il continue d'appeler n tragédie ») et la tragédie classique : « L'ordre social, l'action de la société sur l'individu, dans les diverses phases et aux diverses époques, ce réseau d'institutions et de conventions qui nous enveloppe dès notre naissance et ne se rompt qu'à notre mort, sont des ressorts tragiques qu'il ne faut que savoir manier. Ils sont tout à fait équivalents à la fatalité des anciens., CÛuvres, Bibl. de la Pléiaàe, 1957, p.952.
4. Pour Robert B. Heilman, u en observant le théâtre de l'Antiquité, de la Renaissance et des Temps modernes, on est amené à distinguer, parmi ce qui est habituellement confondu sous le vocable de traeédie, deux types fondamentaux : le mélodrame de l'homme en cônflit avec d âutres hommes ou avec le monde, et la tragédie de l'homme en conflit avec lui-même., Tras3dt,and Melodrama: Versions ol Experience, Seattle : Univ. of Waihington Press, 1968, p.296,
Définitions
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un infirme) ; une intrigue faisant appel à des péripéties providentielles ou catastrophiques, et non au seul jeu des circonstances réalistes ; enfin, un traitement qui met l'accent soit sur le pathétique et la sentimentalité (faisant partager au spectateur, au moins en apparence, ie point de vue de la victime), soit sur la violence des péiipéties, soit (le plus souvent) tour à tour sur ces deux bléments, avec les ruptures de ton que cela implique' En d'autres termes, le mélodrame américain recouvre toute la gamme qui s'étend des " films roses » aux n films t oi.t » ; il est borné à une extrémité par les comédies sentimentales, à l'autre par des films à l'intrigue et au milieu plus spécifiques, thrillers, disaster films (* films catastrophg »), ou même films d'horreur. Son intrigue et surtout son traitement le distinguent des drames psychologiques et des études de mæurs réalistes et n vraisernblables r. Bien entendu, la définition des genres est aussi délicate que celle des espèces animales, et de nombreux fïlms àonstituent des cas limites ou, plus rarement, de véritables hybrides (A Star Is Born àe Cukor est à la fois un mélodràme et w musical; Party Girl, de Nicholas Ray, est un mixte de mélodrame, de film de gangsters-et de musical). Contrairement à la définition du méloclrame théâtral à la Pixérécourt, on ne retiendra pas, pour le cinéma hollywoodien, le critère du mani.héi.-.. Celui-ci caractérise davantage sans doute les films d'action (melodramasl que les mélodrames proprement dits (romantic dratnas), d'où les u bons ' et les .. méchant5 » rlê sont pas absents, mais dont les personnages ont souvent une grande complexité morale. Pour la période o classique » qui nous occupe (19301960 enviion), un indice souvent décisif d'appartenance au genre consiste en la présence de certaines actrices, notoirement spécialisées dans l'interprétation de victimes pathétiques: Joan Crawford et Margaret Sullavan, Olivia de Havilland et Ingrid Bergman, Joan Fontaine et Jane Wyman... D'où l'appellation fréquente
14
Définitions
de women's pictures, à peu près synonyme, à la nuance péjorative près, de romantic drama.
MÉrnonp
,l)
Longtemps, les arbres d.es auteurs ont caché la forêt lorsqu'il s'agissait d'ensembles aussi que typés le western ou la comédie musicale. Dans ses Horizons West, Jim Kitses, après une remarquable introduction générale, détaillait l'apport d'Anthony Mann, Budd Boetticher, Sam Peckinpah 5. On affirmait fréquemment la capacité des auteurs à u transcender, les conventions du genre. I,a connotation mystique n'était pas fortuite : des démiurges triomphaie.ri d'r.r. matière lourde et incapable de penser. On oubliait le mot de Baudelaire, pour qui des genres, même
les rhétoriques et les prosodies ne sont pas des tyrannies inventées arbitrairement, mais une collection de règles réclamées par l'organisation même de l'être spirituel. Et jamais les piosodies et les rhétoriqües n'ont empeôhe l'originalité de se produire distinctement. Le contraire, à savoir qu'elles ont aidé l'éclosion de l'originalité, serait infiniment plus vrai 6. Je me suis efforcé, pour ma part, de considérer le genre de l'intérieur, en partant de l'hypothèse qu'il possède en propre non seulement une thématique, une structure narrative et une rhétorique plus ou moins
5. Jim Kitses, Horizons West : Anthony Mann, Bttdd Boetticlter, Peckinpah: Studies of Authorsitip within tii Wiitri"', Cinema One, no 12, Londres: Thames &-Hudson et British Film Institute, 1969. lSalon de 1859,, in Curiosités esthétiqttes, ^ 6. Baudel.a_ire, Garnier, 1962, p. 328. _
S-am
Délinitions
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créatrice qui lui permet de se renouveler et même de renaître, après telle êclipse, de façon pour ainsi dire spontanée. Méthode formelle, esthétique plus que sociologique. ll n'en reste pas moins qu'on ne saurait déchiffrer les « signes, que nous offrent les films américains sans qr-relque connaissance de la société qu'ils dépeignent. Qui les analyserait sans être familiarisé avec la réalité dc l'Amérique, pour ne rien dire de la langue anglaise, s'cxposerait à commettre de graves contresens. J'ai dont visé à une analyse textuelle aussi fidèlement descriptive que possible, une manière d'équivalent pour le tcxie cinématographique de la « nouvelle critique ' litléraire. Mais je ne me suis interdit d'avoir recours ni aux témoignages sur le processus d'élaboration des l'ilms ni à la connaissance de l'Amérique à laquelle ils lbnt u référence ,. I'igées, mais aussi une capacité
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Prologue
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Une fille mère, séduite et abandonnée, et dont l'ettfant est mort, est chassée par des puritains sans §æur. Elle erre dans la tourmente ; épuisée, elle est surprise par la débâcle, prisonnière d'un bloc de glace à la dêrive que le courant entraîne inexorablement vers des ehutes niagaresques. Elle est sauvée in extremis par un bon ieune homme. Un aventurier, vil séducteur et imposteur sous l'apparênce de l'officier et du gentleman, veut assouvir son déair auprès d'une innocente, orpheline de mère, simple d'esprit, à peine nubile. Il est surpris par le père de lr l'illette, qui le tue et le jette à l'égout, où son cadavre ra mêle aux ordures. Victime d'un accident de charrette, une jeune femme Ëë traine jusqu'à l'autel d'une église, pour se confesser à utte religieuse. Celle-ci n'est autre que sa demi-sæur Angela, qu'elle avait criminellement déshéritée. Tandis gue le Vésuve est en éruption, une inondation engloutit l'olficier qu'aimait Angela et qu'elle avait cru mort dans une expédition coloniale. Pendant la Première Guerre mondiale, une autre Angela, fiancée à un officier allemand, après avoir été vlctime d'un naufrage et d'une tentatiye de viol, mancpte être exécutée pour espionnage par les compatriotes tle son ami. Nous revoici en Italie. Une troisième Angela est pour-
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ll
Prologue
suivie jusque dans une église, au pied d'un autel, par son amant qui veut l'étrangler, car il croit qu'elle s'est prostituée. Mais, levant les yeux, il voit au-dessus de l'autel une icône de la Madone, dans laquelle il reconnaît un portrait d'Angela qu'il avait lui-même peint autrefois. Il comprend son erreur, relève la jeune femme et la prend dans ses bras. On aura reconnu au passage quelques scènes, célèbres et caractéristiques, d'autant de chefs-d'æuvre du muet : Way Down East de Griffith (1920), Foolish Wives de Stroheim (1922), The White Sister de Henry King (1923), The Little Arnerican de DeMille (1917), Street Angel de Borzage (1928)... Chez Henry King, comme chez Griffith, l'héroïne pathétique est - admirablepu aussi ment interprétée par Lillian Gish, et j'aurais - la même actrice dans Orphans o'f the Stonn de bien citer Griffith, ou encore dans telle séquence signée par Seastrom (The Wind) ou par King Vidor (la précieuse Bohème); à Street Angel, j'aurais pu préférer un autre titre de Borzage, Seventh Heaven, ou bien, toujours avec Janet Gaynor, Sunrise de Murnau. Mais à quoi bon multiplier les exemples ? Il est clair qu'il existe, entre le muet et le mélodrame, une sorte de connivence. Encore faut-il en esquisser la raison. Remontons à la naissance du cinéma: la technique est nouvelle, mais, à d'autres égards, le spectacle s'inscrit dans le prolongement de divertissements populaires traditionnels, la farce, le mélodrame, la pantomime, le music-hall (uaudeville auxÉtats-Unis) et le cirque. En ce sens limité, il existe donc un lien précis, historique, entre le mélodrame théâtral et le cinéma, soit qu'aient été portées à l'écran les æuvres qui avaient fait leurs preuves sur la scène (c'est notamment le cas de Way Down East, et bien srir des Deux Orphelines), soit, plus subtilement, que le film présente au spectateur, à l'intérieur de sa fiction, un extrait d'un mélodrame théâtral. Aux débuts de cette .. mise en abyme ,, la distance entre le film et la pièce-à-l'intérieur-du-film peut être des plus réduites: ainsi dans The Drunkard's Relonnation de
l,e tnélodrame et le cinéma
muet
19
6ril'l'ith (1909), l'ivrogne s'amende, comme l'indique le lltre, parce qu'il assiste à un spectacle édifiant, d'aillêttrs accompagné par un orchestre (un mélodrame), et qu'il se voit en quelque sorte lui-même sur scène, ainsi que sa fillette qu'il maltraiter. Ici, le mélodrame renvoir au cinéma sa propre image, une image qui n'est que légèrement plus stylisée que le cinéma lui-même, âvec son effet de réel. Mais bientôt le rapport du mélodrame théâtral avec ron n écrin , cinématographique se fait beaucoup plus euttrplexe. W.C. Fields, comme Chaplin, est l'un de ces Ët'tistes qui incarnent le lien originel entre le u vaudevllle, et le cinéma hollywoodien. Il apparaît comme tel,.jongleur et homme de cirque, dans Sally ol the Sawç/ssl de Griffith (1925). Quelques années plus tard, The Qltl-l;ashioned Way (1934) reprend le procédé du mélorfu'anre-à-l'intérieur-du-film ; mais cette fois-ci le mélodt'nme victorien (ustement intitulé The Drunkard) est lnterprété de façon parodique. Le procédé n'en reste pâË moins inextricablement ambigu, comme si le çltréma rendait hommage à des origines qu'il ne renie llttllcment, tout en soulignant par contraste le chemin pâr'L'()uru, le progrès accompli depuis cet humble délltrt, Le cinérna traite le mélodrame victorien comme utt ui'cul que l'on aime avec tendresse, malgré son atta€lrenrent un peu ridicule au langage et aux vêtements çl'tur autre âge. Malgré, ou pour cette raison même ? La Rortalgie s'en mêlant, la parodie sera rarement aussi Fàlente qu'avec W.C. Fields. C'est ainsi qu'on retrouvêr'n le mélodrame-à-l'intérieur-du-film chez Sirk, d'alrrrrd dans Take Me to Town (où une pièce intitulée 'l'irc l,ady's Good Name A Melodratna in three scenes - commentaire ironique mais uorrstitue une sorte de exn('lcment parallèle, comme chez Griffith, à l'intrigue
l
ll s'agit d'une adaptation théâtral d., L'lrru,,ttrtoir de Zola. " d,ans L'Avttttr-Scèrte rl('t'rrupage de cette séquence a été publié n David Wark Griffith : Le Lv-s brisé et l'ltrt'rtttt, n' 302, Spécial
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rletrr r'ourts métrages,, février 1983.
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Prologue
du film), ensuite dans All I Desire (oit Barbara Stanwyck interprète une actrice de u vaudeville " et où le talent de sa fille se révèle dans une représentation de Baroness Barclay's Secret). De tels exemples pourraient, naturellement, être multipliés (v. Mazeppa dans Heller in Pink Tights de Cukor).
En deuxième lieu, le cinéma américain, visant non pas exactement le public populaire, mais le « grand public », a volontiers puisé son inspiration soit dans la littérature romanesque, porteuse d'éléments mélodramatiques, du siècle précédent, soit dans le best-seller contemporain, qui reprend souvent les techniques et les formules d'abord éprouvées par cette même littérature. En ce sens, le cinéma n'est pas l'héritier direct du mélodrame théâtral : il se substitue pour ainsi dire à lui, il s'approprie la fonction de " dramatisation » précédemment dévolue à la scène. Au lieu que les romans à succès fasSeht l'objet (comme c'était le cas au xrxe siècle) d'une adaptation théâtrale, ils sont désormais portés à l'écran, avec le grossissement que cela implique, à la fois en raison des contraintes techniques propres au nouveau moyen d'expression, et parce que le public visé est plus vaste. Il faut d'ailleurs signaler que le procédé de la " dramatisation » restera vivant aux États-Unis et que, dans quantité de cas, une adaptation théâtrale constituera un stade intermédiaire, facilitant le passage du roman au cinéma. Cela explique par exemple Qne The Heiress de William Wyler ou A Place in the Sun de George Stevens portent non pas le titre des æuvres romanesques où ils trouvent leur source première (Washington Square de Henry James et An American Tragedy de Dreiser), mais celui de pièces de théâtre signées respectivement par Ruth et Augustus Goetz et par Patrick Kearney. Très tôt, le cinéma a donc adapté des æuvres, théâtrales ou romanesques, déjà " classiques » ou contemporaines, marquées au sceau du mélodramatique: David Belasco, Booth Tarkington et Fannie Hurst voisinent avec Dickens (A Tale of Two Cities, 1911, l9l7),
l,e mélodrame et le cinéma
muet
2l
Hugo (The Hunchback of Notre Danne, d'après Notrel)une de Paris, 1923) ou Hawthorne (The Scarlet Letter, 1908, 1911, 1913, 1926!). Encore convient-il de se rlemander pourquoi le cinéma muet s'est révélé si apte à ce genre d'exercice. A mes yeux, c'est Thomas Elsaesrer qui a avancé l'explication la plus pertihente : privé des nuances de la parole (et aussi, ajoirterai-je, de celles du style, de l'expression littéraire), le cinéma muet a nécessairernent campensé cette incapacité en créant . un langage formel extrêmefnent subtil et pourtant précis (utilisant éclairage, décor, jeu des acteurs, gros plan, montage et mouvements de caméra) », un langage visuel donc, mais orgâniquement lié à un accompagnemcnt musical. Il faut insister sur ce point, car la musique contribue, de manière déterminante, à l'implicatlon émotionnelle du spectateur. Les habitués des cinénrathèques savent bien l'apport fondarnental d'un piâI. rriste de talent à la projection d'un filrn muet. En bref, pour Thomas Elsaesser, « tout le cinéma rnuet dramatique - de True Heart Susie à Foolish Wives ou The Lodgdr * est " mélodramatique2 ",.
D'une définition du mélodrame qui se résumait à l'intrigue, à certaines scènes et situations, on est passé à une définition stylistique, au langage même du cinéma muet. Progrès décisif, en même temps qu'ambiguï1é persistante. Progrès décisif,
qui résume de manière théoriqde celui qu'accomplirent les « pionniers , du cinéma, au premier chef Griffith, en inventant, à partir d'une littéruture qui n'était pas toujours la meilleure, un nouvel ort majeur. Ambiguité persistante, parce qu'on désignera désorrrrais du même nom de o mélodrames » tantôt des films qui répondent effectivement aux critères stylistiques
2. n Tales of Sound and Fury: Observations on the Family Meltrdrama ,, Monogratn, n" 4, 1972, p, 6,
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22
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Prologue
(proprement cinématographiques) du genre, tantôt des æuvres dont seul le scénario est mélodramatique. Ainsi le Griffith de A Romance of Happy Valley (19 l9), le Griffith pastoral, fort éloigné du mélodrame à I'italienne, n'en est pas moins fermement situé sur un terrain qui est celui du mélodrame cinématographique (romantic drama). C'est qu'il a saisi cette idée simple et juste que le cinéma, sans longs discours, revivifie la pastorale, puisqu'il lui est loisible de montrer des collines et des vallées, des arbres et des haies, des rivières et des chaumières, qui, même truqués, artificiels, fabriqués en studio, seront toujours moins bavards et plus parlants que les tirades des bergers de L'Astrée.
Uu cns coMPLExE : A Woman of Paris
Chaplin n'est pas étranger au mélodrame. Lui aussi plonge ses racines dans le spectacle populaire, la pantomime, le u vaudeville ,. D'autre part, on lui a souvent fait grief de son penchant à la sentimentalité, opposant son comique à ôelui plus u pur, de Buster Keaton. La conclusion de The Circus, celle de City Lights, font appel, de manière très apparente, au pathétique. Beaucoup plus complexe est le cas de A Woman of Paris (1.923). L'æuvre, qui faillit s'intituler Destiny, reste définie comme u a drama of fate », un drame du destin, autant dire un mélodrame (ou une tragédie ?), encore que de nommer ainsi l'appartenance générique produise plutôt l'effet d'une certaine distanciation. Ce drame est nettement divisé en trois parties, d'importance inégale. Une brève introduction : Marie St. Clair (Edna Purviance) est chassée tour à tour par son père, puis par le père de son ami Jean Millet (Carl Miller). Un concours de circonstances particulièrement malheureux fait que Jean n'apparaît pas à son rendez-vous avec Marie, et surtout que celle-ci ignore la
Le mélodratne et le cinéma
muet
23
falson de cette absence (la mort subite de Millet père). Bn conclusion de ce prologue, Marie, abandonnée de tfrurs, se rend seule à Paris. On passe ensuite au volet central du film, le plus dévcloppé. On nous montre à loisir la vie luxueuse, lntnrorale, voire décadente, que, dans la capitale, Marie mène avec le jouisseur Pierre Revel (Adolphe Menjou). Mnrie et Revel semblent épris l'un de l'autre, mais cela n't'mpêche pas Revel d'organiser son propre mariage Hve'c une femme riche. Blessée, Marie reste attachée à Itti e n raison du luxe qu'il lui procure. C'est alors qu'elle rencontre par hasard Jean Millet, lui aussi monté à Pttt'is, où il est devenu peintre. Toujours épris d'elle, Jeurr hésite, à cause de l'opposition de sa mère à lui, à l'épouser, mais l'engage à changer de vie, à redevenir la attaque Jeunc fille simple et pure du prologue. Jean son mais le venger, mère veut Sa puis suicide. se Revcl, par touchée Marie, de chugrin la rapproche maintenant lç t'crnords. Épilogue : les deux femmes sont retournées ensemble à lu campagne où, avec la bénédiction d'un prêtre, elles t'occupent d'enfants orphelins. Sur la route, Pierre Revel, indifférent, croise Marie sans la voir. ()c qui frappe, dans ce triptyque, c'est d'abord le esructère profondément hétérogène des trois volets. Le ntélodrame plus ou moins annoncé par le sous-titre rll'lcure presque exclusivement dans le prologue, puis darrs la dernière partie du film. Instances parentales ïêprcssives, mort subite (de chagrin), coïncidence recloublée, nostalgie de l'innocence perdue (Jean Millet lelt Ic portrait de Marie non pas dans la robe lamée d'or Glu'"llË a choisie, mais dans sa simplicité d'antanf, vio' letrce vengeresse, tentative de meurtre, suicide, réconciliation et expiation sanctifiée par l'Église - autant rl'él(.r'ncnts du mélodrame le plus exacerbé, que Cha;tlirt accumule à dessein et comme avec malice. La Iorcc de ces .. motifs » vient de leur présentation exclurlvt:lnent visuelle, avec le strict minimum de cartons
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prologue
explicatifs. Ainsi, une pipe renversée à terre suffit à indiquer la mort du père. Dans la partie centrale, il en va différemment. Jusqu'à la réapparition de Jean Millet, A Wornan of Paris n'a plus rien du mélodrame, et tout de la comédie de mæurs. Et autant auparavant Chaplin visait à l'économie, à un style serré, voire sec, autant, sans abandonner le recours à de saisissantes ellipses, il détaille maintenant sa description, "balzacienne » pourrait-on dire, de dandys et de coquettes que caractérisent le raffinement de leurs manières et la crudité de leurs calculs d'intérêt. Ainsi, lorsqu'il nous présente, dans le cadre du restaurant Le Sagouin, le personnage de Pierre Revel, Chaplin ne nous fait grâce d'aucun détail de la préparation de son repas, qu'il s'agisse du choix d'une bécasse faisandée, de la confection des truffes au champagne (u trn régal pour les cochons et les hommes du monde ,), des réactions obséquieuses ou dégoûtées du maître d'hôtel et des cuistots. Scènes délicieuses, admirablement observées, finement comiques, qui préfigurent parfois la comédie loufoque qui triompherait à Hollywood dix ans plus tard (e pense à la saynète du collier: Marie, s'efforçant de prouver son désintéressement à Revel amusé et sceptique, jette par la fenêtre un collier de perles; un vagabond qui passe le ramasse ; Marie se précipite alors dans la rue, poursuit le clochard, lui arrache le collier ; prise enfin d'un remords, elle revient sur ses pas et lui donne une modeste aumône). Lubitsch ne s'y est pas trompé, qui fut vivement frappé par AWoman of Paris,y trouvant un encouragement à sa propre conception de la comédie, à ces notations précises, chefs-d'æuvre tout à la fois d'ironie, de psychologie et de style cinématographique, que sont les u touches à la Lubitsch 3 ,.
3. L'admiration de Lubitsch pour A Wotnan ol Paris a été sign-alée par Herman G. Weinbèrg, The Lubitsclt'Touch, New York : Dover, 1977, p.56-60.
l,e mélodrame et le cinéma
muet
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ll n'en reste pas moins qu'une lecture du film qui réduirait à ce volet central constituerait, à la
le
limite, un
gonlresens: Chaplin, de toute évidence, a joué du rontraste entre les diverses parties, et la comédie n'ncquiert sa signification que dans le cadre du méloune jeune fille pure, rlt'sme qui la sertit. Prologue - une coquette dépradsrrs un village ; volet central - une jeune femme vêe, dans la capitale; épilogue ;rleusc, qui, de retour dans son village, expie ses lettlcs.
l.orsqu'on a bien compris la structure du film, il est leeile de montrer que les éléments comiques y sont rkrlés d'une valeur non seulement psychologique, mais atrrsi symbolique. Le nom du Sagouin, le parfum de lelrandé, l'assimilation de l'homme du monde (friand de truffes) au cochon, autant d'indications qui doivent !1vç prises au pied de la lettre, qui désignent la pourriture d'une société située aux antipodes de la pastorale çr1 d1r ses vertus primitives. La comédie satirique est rlêrignée comme l'envers du mélodrame. ("est d'ailleurs par d'autres effets d'antithèse que le nrélodrame fait retour dans la comédie chaplinienne. A l'orgie située dans un appartement du quartier Latin et rtrlrninant par un strip-tease est juxtaposé le studio du Itnllvle artiste, avec sa table couverte d'une nappe à rarrcaux. Second effet de contraste, sur cette nappe rkrnrcstique, familiale, emblématiquement paisible, apparaissent incongrtiment les balles dont Millet cltnrgc son revolver. Enfin, lorsque le peintre se sui' t'ltle, c'est dans le cadre sophistiqué du Sagouin, et au pletld'une statue de femme nue : manière à la fois polérrrir;ue et symbolique d'accuser les véritables responsahlcs cle sa mort, les clients du restaurant, la strip-tearëusc, image de la société frelatée de la capitale. l,'lrégémonie du mélodrame, à l'époque du muet, lr('(,uvre une grande diversité de formes. On trouvera r'lrt'z le Murnau de Sunrise la même finesse d'écriture
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t
prologue
que dans A Woman of Paris, mais aussi, dans l'opposition Nature vs. Culture, campagne vs. ville, femme blonde vs. femme brune a, un symbolisme diffus, nimbé d'une aura religieuse, fort étranger à Chaplin. Même lorsque le mode de narration demeure ouvertement mélodramatique, les formes ne sont pas interchangeables. Chez Griffith, la tonalité est sentimentale ; il est fait appel à la pitié du spectateur pour d'innocentes victimes : la fille-mère d,e Way Down East (et déjà celle de Fate's Turning, 1911), le couple racialement mixte de Broken Blossoms, le couple royal d'lntolerance, Ies deux Orphelines... Souvent filmés en gros plan, les visages d'actrices revêtent une importance toute particulière. La parenté est étroite avec la peinture préraphaélite, elle-même tout à la fois hyperréaliste, sentimentale, et souvent " mélodramatique ,. Pour citer, encore une fois, Fatets Turning,la fille-mère qui, son bébé dans les bras, y interrompt le mariage de son séducteur, semble sortie du tableau de Ford Madox Brown, Take Yottr Son, Sir /, qui raconte à peu près la même anecdote (Tate Gallery, Londres). Ces images sentirnentales sont donc animées menacées l'histoire, c'est- etchezGriffith, -parpar à-dire très souvent, l'Histoire : la chute de Babylone et la Saint-Barthélemy (Intolerance), la Guerre d'Indépendance (America), la Révolution française (Orphans of the Stonn), la guerre de Sécession (The Birth of a Nation)... Comme chezBalzac la fiction
romanesque, le cinéma semble être pour Griffith l'agent d'un drame qui menace, en y introduisant non seulement le mouvement, mais surtout le passage du temps, la vision primitive du bonheur pastoral. Chez Stroheim, la présentation même des victimes féminines trahit la perversion de la sentimentalité griffithienne, en un mot : le sadisme. Les unes sont affligées d'une infirmité (dans The Wedding March, Cecelia, la 4. Vs. (versus),
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contre
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ba mélodratne et le cinéma muet
âlle elu « roi du zino-pad ,, boite ; dans Foolish Wives,la fttlle Marietta est retardée, sourde et muette), d'autres, htnl ussorties à des partenaires d'une extrême grossiè!Ëlé, paraissent prédestinées à souffrir (la douce Mitzi et lê boucher Schani dans The Wedding March, la jolie Trlnn el le dentiste McTeague dans Greed). Davantage QU'à l'héroïne, l'attention de l'auteur, sa sympathie tftlrtique en quelque sorte, va au personnage de séducteur professionnel qu'il interprète lui-même à trois fÊpriscs (Blind Husbands, Foolish Wives, The Wedding làewh1. Une description naturaliste met à nu le caractàt'e postiche de l'identité princière. Même authentique, êelle-ci se ramène en effet à un maquillage et à une fiÊEscarade, qui font de l'officier séducteur, parfumé et E€rreté, une sorte d'équivalent masculin des grandes egeottes 1900. Que Stroheim, non content d'incarner le Éle, ait en outre nourri avec complaisance la légende la Qul lc disait autobiographique, confère à son æuvre psychodrame' quàlité d'un fascinant eher. DeMille enfin, la tendance à l'épopée est nette. Én observe, comme chez Griffith, le gorit de l'Histoire ; ËBâls c'est un gofit curieusement statique, qui répète lnelél'iniment des affrontements figés, une lutte maniehéenne. Elle-même tôt figée, la dramaturgie demilharrrc prolongera, jusqu'au beau milieu des années cinEuânte, des formules mises au point à l'époque du nuet, De la première version de The Squaw Mttn et de lpan the Wotnan à The Volga Boaunan et The Godless au son premier film parlant 6lr/, de Dynamite la technique seule l'plluke des Ten Commandtnents, tenrblc évoluer. Une esthétique immuable reproduit tler alÏrontements pareils aux psychomachies et aux Jugements derniers qu'on voit aux tympans des églises rulllûnes.
Première Partie
Thèmes
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Thèmes
secret concerne les rapports qui ont réellement existé et le !rt.. le jeune Français André (Phillips Holmes)spectajeune AlËmand Walter. Le secret est connu du ieur, puisque André, considérant qu'il a «'tlé .un homme ,, iient à s'en confesser (et cette confession nous est donnée dans un flash-back); mais le prêtre-à qui il fait cet aveu lui répond que, puisque c'était à la g.r"tt", il n'a fait que son devoir' Le « suspens » portera âorr", .or, rr.le sècret, mais sur son éventuelle révélation. André se rend, en effet, en Allemagne pour tout avouer aux parents de Walter, les Hôlderlin' Mais le courage lui manque après le malentendu initial de sa conveisation avec Ume Utitderlin et la fiancée de WalWal,"t Èl*, qui lui demandent: « Vous avez connupour la vu l'avez que vous Quand est-ce ter ? 'dernière - Oui. C'est ? heureux fois ? Est-ce qu'il avait l'air ' uneà la fiancée qu,en définitive André devra se confesser seconde fois. Cette scène a lieu dans la chambre restée intacte de Walter, que les parents Hôlderlin et la fiancée ont respectée comme un sanctuaire' Elsa comreçue de *.r"" à lire à André la dernière lettre qu'elle apar impliqui, (ce Walt"r; André en termine la lecture André cation, ramène au flash-back des tranchées, où avait pris connaissance de cette lettre)' Waterloo Bridge de Mervyn Le Roy (1940) a aussi' pour point de âépa.t 4" son intrigue, la Premjère 'Cr..tà mondiale. L'idylle entre Roy Cronin (Robert i"ÿlot;, officier et héritier d'une grande famille' et la aà"t""t" Myra (Vivien Leigh) est -interrompue par la pour le front' A la suite d'un t "rr" et le âépart de RoyRoy mort (cette situation se iralentend,r, Mytu croit reproduira dans Casablanca). Tant par chagrin quepour survivre, elle est amenée à se prostituer' Cronin iéapparaît et l'épouse' Elle avoue son secret à la mère de irày et prendla fuite. Il apprend à son tour la verité p". fiity, i'amie de Myra. Il la retrouve, mais trop tard : àlle meurt victime d'un u accident » qui est bien plutôt un suicide. Il convient d'examiner ensemble Rebecca de Hitch'
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Ellehés'situations
qulentretiennent' dans leur |Eek (1940) et lane Eyre, du secret et de l'aveu' des tfÏfr*." â" ru tné*utiquË les deu* cas' un homme plus âgé tË;;;.â,r. Du"' pour celle-ci' au fttg sa tres jeune femme constitue dont la solution est H;;t-p;ieilement, une énigme La ressemblance des situaïïlilil;e.àa."t mariagetà rait que la jeune femme.est iË;';;;;;.;";tuée pardt'* films' par Joan Fontaine' ti;;pté,a;, dans,lts de Daphne Du Maurier' îüii'rro, d;après le best-sellerl'adaptation de lane Eyre ËÀ.tà"'a" qu.lque' années me paraît.infiniË;R;b.ti d,","ï'orr (1g44)'lVlais-il Du Maurier s'était elleil;rï;t"buur" q* oàphnéBrontë' mÀm*'ir,tpirée de Charlotte : "'ij;;t Â;'t secret sera dévoilé en deux temps jeune sa à ""o,l" avoue olivier) a'iü.a, Maxim (Laurence c'est elle la narranommée; jamais H,;. iqui n'est dàns tane Evre), que' loin d'aimer ;i;;;-.;;" àfo"t'il lu hur.'uit' cet aveu fait i;ü; ,u pr.t"i!t"g'"tt"t I e s rapp orts, lE nr é diate m ent p'o : lt:: l::^d"-:i par iu'1"ü" femme' jusqu'ici traitée ;ffiil;; est Elle ' â"vltt't adulte 'ôt',' "ot veux' ftïi; ;ï;nfant,script pre' mCtre' comTe u intelligente' II*ii" àu"t t" mai"I '' Pour l'a première fois' nllt Ia situation ""' et non comme aupaiiiiiÀ l'embrasse -i" passionnément' également que révèle froït' Maxim il;;;'; d'un accident dans lequel il f,ebccca est morte "itti*" se greffe une part i"-t*po"uabilit: Là-dessus Juge avoir réalité' Rebecca' atteinte Hfle intrigue potrcière : en s'est suicidée' mais d'une E;ù-,r" Àâadiè in;;able, provoquant Maxim pour ài"io* îachiavélique, eïr accusé de meurtre' lr'it tu tue etIe soit son de Maxim hanté par Rebecca' a passé Lc secret, de château du r eorrélatif ob;".tii'-Jans l'aile interdite que le secret i,ù;;i;;i"t, l'àile de Rebecca (de même et
été publié par John Gassner l, [.c script de Rebeccuu ab iii pin P/av s' New Yo rk : c rorvn'
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Thème
policier a pour corrélatifs objectifs le cottage proche la plage et l'épave du bateau). L'incendie détruira le château, équivalant métaphoriquement à une révélar tion complète qui dissipe les miasmes du passé. D'ail" leurs, le domaine de Manderley était fermé par une grille, symbole traditionnel d'énigme à déchiffrer. i De Rebecca, rapprochons Ja,ne Eyre: la première femme de Rochester (Orson Welles) est encore vivante ; folle, elle est enfermée dans une partie inter', dite du château de Thornfield, la tour mystérieuse. Un incendie détruira Thornfield et la folle, rendant possil ble le bonheur de Rochester et de Jane (le scénario, drt à Aldous Huxley, Robert Stevenson et John Houseman, simplifie considérablement la fin du livre et sacrifie au
i happy ending conventionnel). (1942),le personnage de Dans Casablanca de Curtiz Rick (Humphrey Bogart) constitue une énigme pour le spectateur dans la mesure où il refuse de s'engager aux côtés des résistants, en dépit de son passé antifasciste (i a fourni des armes aux Éthiopiens et combattu en Espa gne avec les Républicains). La clé de cette énigme, c'est que Rick a la conviction d'avoir été trahi par Ilsa (Ingrid Bergman). Le spectateur aura cette clé grâce à un flash. back déterminé par le retour d'Ilsa en compagnie Laszlo (Paul Henreid), son mari qu'elle avait cru (deuxième énigme, deuxième secret qui était, celui-ci ignoré de Rick et d'Ilsa). On retrouve dans Passage to Marseille de Curti (1944) le même personnage (Matrac : Bogart) au de militant antifasciste, mais cette fois-ci le secret son non-engagement n'a rien à voir avec sa vie privée
sentimentale: sa motivation est purement politique
I
Matrac ayant été injustement arrêté, accusé condamné au bagne par un gouvernement qui s thisait d'ores et déjà avec le fuscisme. Le secret, i encore, nous est dévoilé par une série de flash-backs. Dans Under Capricorn de Hitchcock (1949), le sec concerne le passé de Sam Flusky (Joseph Cotten). Pa flrenier en Irlande, dans une maison aristocratique, i
Êllehés-situations
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Souse la demoiselle de la famille, lady Harrietta
Tlngrid Bergman). Mais la noblesse irlandaise, essayant 'fg . récupéreru Harrietta et de condamner Flusky à la Eotence, parvient du moins à l'envoyer au bagne, où sa Èmr. le suit. Il fait fortune dans la u société sauvage » !u'est l'Australie du xrx" siècle, mais cette réussite écoâOmique ne se confond pas avec la réussite proprement tËclale. L'aristocratie australienne (dans la mesure où Illo existe, ce que le film met fortement en doute) Ffuce de se rendre chez lui. On a donc affaire à un ülehé-situation comparable à celui des Misérables: lhncien forçat qui a iéussi dans la société. La solution !;il l'aveu, la confession de Flusky puis de sa femme à fdtr., lui-même un aristocrate, qui représente pour bdy Harrietta la tentation (surmontée) du retour à la ü9blesse, et qui, simple catalyseur, sera éliminé après la Ëhmite de l'opération. Trntôt le secret est ignoré du personnage. Une double Flnésie - en vertu de laquelle Charles Rainier Ëonald Colman) épouse la même femme, Paula (Greer frruon;, à deux reprises - fait le sujet de Random Har|xrt de Mervyn Le Roy (1942). Dans Love Letters de lllam Dieterle (1945), l'amnésie de Singleton (JenniJones) a été provoquée par un meurtre dont elle a le témoin et dont elle a été accusée ; l'élucidation' la forme d'un flash-black. On note (en rapport les châteaux gothiques de Rebecca et d,e Jane Eyre) le $r cottage où s'est déroulée la scène et où Singleton ilGouvre la mémoire « ressemble à une maison hanIf , ; il est entouré de vapeurs méphitiques et porte le âÊm parlant de Longreach (c'est-à-dire la mémoire l3fuuie, hors d'atteinte). Dans A.ututnn Leaves d'Aldrich (1956), le mystère enveloppe ce qui a provoqué la semiune liaiBhnésie de Burt Hanson (Cliff Robertson) première père femme entre sa et son : l'élucidation Fn Irn rendue possible par la découverte du couple illicite Hr Milly (Joan Crawford), seconde épouse de Burt. Elton*, enfin, Moment to Momenr de Merr,yn Le Roy [1900;, où l'on retrouve les éléments familiers du
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Thùnes
schéma: adultère, secret criminel, amnésie, élucidation au moyen d'un flash-back.
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INrrnunÉ, cÉcrrÉ Ayant recours au pathétique, le mélodrame privilégie les personnages de victimes. D'autre part, comme l'a remarqué Robert B. Heilman dans Tragedy and Melo' drama, il fait souvent appel à une catastrophe physique, externe, plutôt qu'à la " faille intérieure » caractéristique du héros tragique. Aussi les personnages de victimes sont-ils souvent porteurs d'un signe extérieur, clairement visible, les désignant comme tels, d'une infirmité. Archétypique à cet égard est Laura (Jane Wyman) dans The Glass Menagerie (1950) d'Irving Rapper, d'après la pièce de Tennessee Williams. Innocente et pour cette raison même victime, elle boite légèrement. La convention du réalisme aidant, les personnages d'infirmes apparaissent avec une plus grande fréquence dans les mélodrames qui ont, de près ou de loin, un cadre guerrier. Dans Foolish Wives, dont l'action se déroule à Monte-Carlo en février 1919, un ancien com' battant, amputé des deux bras, sert de repoussoir à l'imposteur qu'incarne Stroheim. Dans Broken Lullablt, l'infirmité ou la mutilation est utilisée de façon crû' ment rhétorique, afin de souligner le propos pacifiste du film; d'abord, dès l'ouverture, lorsque la foule en liesse, le jour anniversaire de l'Armistice (1 I novembre l9l9), est cadrée à l'intérieur d'un pilon ; ensuite, lorsqu'il est mis fin à une discussion nationaliste et par hypothèse belliciste et revancharde, dans un café alle" mand, par un jeune homme rescapé de la guerre et lui aussi amputé d'une jambe. Dans The Best Years of Out Lives de William Wyler (1946), drame social et mêmê documentaire à forte coloration mélodramatique, l'ufl
Ëlle hé,s'situations
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du pe.totrnages principaux (il s'agit d'anciens combat' tsntr américains qui éprouvent à l'issue de la Seconde €uerre mondiale des difficultés diverses à se réadapter I la vie civile, professionnelle et familiale) est un lnflrme, dont le rôle est interprété par un authentique
§lutilé de guerre et non par un acteur (Harold Russell)' llrtout ici le message semble clair, univoque : les mutil& de guerre sont les innocentes victimes de catastrophes déclenchées, selon toute apparence, par d'autres voire !u'eux. Pourtant ce thème devient plus complexe, Doude ceux notamment lfnbigu, dans d'autres films, Sirk. llrn = Dans The Tarnished Angels (1958), en effet, d'après Fyktn de Faulkner, il est encore, quoique indirectetn€nt, question de la guerre (la Première Guerre monélnle). Les protagonistes sont des " acrobates de l'air ', É'tnciens as des combats aériens, qui en sont réduits Fàr la paix, c'est-à-dire par leurs difficultés matérielles, hals aussi par le souvenir obsédé de la guerre, à mimer hur rôle précédent' Le cirque a remplacé l'honneur et h gloire, mais le danger est toujours présent. D'où lrldée qu. ces cascadeurs sont au moins partiellement Frponsables de leur propre sort, et non plus de pures et lnnocentes victimes. L'infirmité prend dès lors une Eeloration équivoque. Le colonel Fineman, sorte de llensieur Loyal de ce cirque, boite. Il donne le signal du Éêpart de Ia course avec sa béquille. Son infirmité phytlque a pour corollaire l'infirmité morale dont souffrent lor autt.. personnages, celui qu'interprète Robert ttcck lRoger Shumann) en particulier. L,e thème se confirme dans ATime 1o Love and aThne Maria tct Dic, également de Sirk (1958), d'après Erich et à oriental front Rentarque, qui se déroule sur le lrltrtérieur de l'Allemagne au moment ou le Troisième Eeich commence à se lézarder et à s'écrouler. Le per:Ënuage de Reuter (interprété par Keenan Wynn) y est lnl'irrne ; mais (ironie sirkienne) c'est qu'il a été, non pâ: hlessé, mais victime de la goutte pour avoir festoyé, âttu",'* classique de la guerre et de ses souffrances'
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Thèntes
On trouve chez Robert Rossen une utilisation comparable de l'infirmité avec son symbolisme qu'on peut qualifier de .. biblique , (impliquant, au lieu de l'innocence absolue, une part de responsabilité du personnage). Dans The Hustler (1961), Sarah (Piper Laurie) boite ; Eddie (Paul Newman) a les pouces plâtrés après que des joueurs de billard qu'il a tenté d'« arnaquer » les lui ont écrasés. Ces signes extérieurs sont sans doute moins graves que les infirmités morales de Findlay, le
riche joueur de Louisville, ou surtout de Bert Gordon (George C. Scott), qui sont des infirmes sous le masque de la normalité. Ayant succombé à la tentation dégradante et « satanieue » de Bert Gordon, Sarah se tue après avoir écrit sur le miroir du lavabo IERVER. reo / rwrsrEn / crurrlEo, c'est-à-dire nÉpnRvÉ tpl / orrFoRME
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rNrrnuE.
On revient, inversement, au stéréotype de l'infirmité innocente avec les personnages de sourds-muets, qu'il s'agisse de Belinda (Jane Wyman) d,ans lohnny Belinda de Jean Negulesco (1948), de The Spiral Staircase de Robert Siodmak (1946), film qui se situe aux frontières du thriller ou du u film noir, et du mélodrame et qui met en scène une servante muette (Dorothy McGuire) terrorisée par un assassin qui ne s'attaque qu'à des infirmes, ou de Letter from an lJnknown Woman de Max Ophuls (1948), où le serviteur de Brand (Louis Jour. dan), pianiste et séducteur, est muet et, contr:aire+nent à son maître, reconnaîf-immédiatement la véritable iden. tité de l'u inconnue " du titre (Joan Fontaine), la petite fille sous la femme amoureuse Il arrive, enfin, que la victime, quoique innocente, paie pour les fautes d'un autre. Il en est ainsi dans The Foxes of Harrow (Stahl, 1947), où l'enfant, à la honte de son père, devient infirme après une chute de cheval; Dans Love Affair de Leo McCarey et dans son remake Ar? Af'fair to Remember,la femme (Irene Dunne / Deborah Kerr) est victime d'un accident qui la rend infirme. Mais, conformément à la dialectique de l'. échange u qui caractérise l'ensemble du film, de sa thématique et
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êlleh,És'situations
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ron intrigue, ce sont les fautes de l'homme (Charles ]oyer I Cuty Grant) qu'elle expie, bien plutôt que les ülnnes propres. On peut considérer comme une variante ou comme Btte lbrme extrême de l'infirmité la cécité, qui a tradiHgnnellement fonctionné comme métaphore de la r Voyance , (la cécité physique étant le signe et l'envers ffmboliques de la lucidité psychologique ou même Eêtaphysique : Tirésias, Homère, (Edipe, Ossian...). llrlr il est permis de penser que le cinéma, art r vlruel », ajoute à ce stéréotype une dimension pathéHque supplémentaire, ainsi qu'une ironie dramatique. E: thème de la cécité a fasciné certains cinéastes. Dans len autobiographie, Fun in a Chinese Laundry, Josef tgn Sternberg dit avoir voulu réaliser un film dans hqtrel n il était question d'une aveugle et d'un sourdFuet, le sujet devant être vu par les yeux d'une fille qui 2 Ftlvait jamais pu voir ,. Sternberg aurait donc poussé son terme logique (quoique difficilement imagihrqu'à =Arble) l'identification mélodramatique au point de vue dr la victime. Quant à Douglas Sirk, il a déclaré aux Éelrjer.s du cinéma.' u Un de mes projets les plus chers IHtt,,, de faire un film qui se passerait entièrement dans Ei Enile réservé aux aveugles 3' , El Griffith s'en tenait dans Orphans of the Stonn à lftveugle en tant que victime, Chaplin exploite dès City Lllhts (1931) les possibilités ironiques de la situation' k feune aveugle a pour seul ami le vagabond, qu'elle imngine comme un Prince charmant' Grâce aux soins un lu'll lui prodigue, elle recouvre Ia vue,latrouve véritable (hutr'*) Prince charmant, apprend enfin ldentité de son bienfaiteur, qui lui dit avec un sourire Érlgné et pathétique: « Vous voyez maintenant ? , (c'ert le dernier carton du film). 1, l"tttt
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lUôf', p. 207.
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Scrue Danev et Jean-Louis Noames,
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Entretien avec Dou-
llnr Sirkî, Cuhiers tlu cinétna, n" 189, avril
1967 ,
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Parmi d'innombrables films où apparaît le thème de la cécité, on citera : Seventh Heaven (Borzage, 1927 remake par - 1937), dans lequel le héros, Chico,; devient King, aveugle à la suite d'une blessure de guerre. Magnificent Obsesslon (Stahl, 1935; remake par - 1954). L'héroïne est victime d'un Sirk, accident qui la rend aveugle; responsable de cet accident, le héros se rachètera en devenant un grand chirurgien et en lui rendant la vue. Dark Victory (Edmund Goulding, 1939). Judith Traherne (Bette Davis) souffre d'une tumeur au cerveau et devient peu à peu aveugle, mais remporte une « victoire , sur la fatalité en connaissant le bonheur avec Frederick Steele (George Brent), le chirurgien qui l'opère en vain. Jane Eyre, oit la cécité constitue la punition de (Orson Welles). Mais, au terme de sa narraRochester tion, la voix off de Jane (Joan Fontaine) nous apprend que Rochester a partiellement recouvré la vue, et qu'ils ont un enfant qui a ses grands yeux. On Dangerous Ground (Nicholas l95l). Il - ici, apparemment, d'un film policier,Ray, s'agit mais la coloration mélodramatique est due au personnage de Ma.y Madden (Ida Lupino), la sæur aveugle du meurtrier que poursuit le policier Jim Wilson (Robert Ryan). Celui-ci, d'abord obsédé par sa proie, s'humanise au contact de l'aveugle, éprouve la pitié, puis l'amour. The Story of Esther Costello (David Miller, 1957). Le-personnage d'Esther Costello (Heather Sears) y est " surdéterminé , en tant que victime, puisqu'elle est à la fois orpheline, aveugle, sourde et muette. De plus, le père adoptif de l'enfant, véritable méchant de mélodrame (Rossano Brazzi), profite d'elle aussi bien financièrement (en détournant les fonds qu'elle collecte pour secourir d'autres handicapés) que sexuellement (il la viole, et elle recouvre alors l'usage de ses facultés). On peut d'ores et déjà noter certaines ressemblances entre les personnages d'Esther Costello et de Belinda
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(Jane Wyman dans lohnny Belinda): elles viennent l'une et l'autre de pays n primitifs ", de franges celtiques, l'Irlande et la Nouvelle-Ecosse respectivement; des séquences importantes sont consacrées à leur apprentissage du langage. Au cinéma comme dans la réalité, I'aveugle est souvent musicien. On peut signaler à cet égard Sabotem' d'Alfred Hitchcock (1942), avec son personnage de pianiste aveugle, doué d'une sorte de sixième sens (il décèle immédiatement que le fugitif porte des menottes et qu'il est innocent), et sa référence au compositeur -De lius (qui était lui-même aveugle). Dans The Enchan' tcd Cottage de John Cromwell (1945), Herbert Marshall lncarne un pianiste aveugle qui se sert de son instrument pour raconter une histoire u indicible ". Immédiatement traduite pour le spectateur en une série d'imaet de dialogue, cette hisEes accompagnées de musique toire constitue le corps même du film. Le musicien lveugle est donc par excellence celui-qui-fait-voir. Autre variation sur le thème de l'infirmité physique, lr défiguration, qui se prête au symbolisme mélodramatlque: le visage est conçu comme l'expression de la personnalité qu'il extériorise. Ce jeu sur l'apparence fait tout le sujet de ihysionomique et la réalité de l'âme 4 (1941). Anna Holm Cukor de George Face, Woman's A (Joan Crawford) a la moitié du visage défigurée ; aigrie, rlle pratique le chantage pour se venger du monde. Elle fëRcontre le docteur Gustav Segert (Melvyn Douglas), un chirurgien esthétique, dont elle se propose de faire ehanter la femme infidèle. Il l'opère et lui rend sa beauté, mais se demande bientôt s'il n'a pas créé u un tnonstre, un beau visage de femme sans cæur ,' Cependent, Anna renoncera à être la complice d'une tentative d'assassinat, et sauvera au contraire la vie de Ia victime
4, ll s'asit du remake d'un film suédois de 1936 (Etr Kt'irtrta.s Autiktc, dè Gustav Molander, avec Ingrid Bergman), lui-môme llr'é dc la pièce de Francis de Croisset Il était une ftti.s'
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désignée: en définitive, son apparence et sa personnalité sont en harmonie ; Gustav a été non pas le Frankenstein d'un monstre, mais le Pygmalion d'une Galatée ; la demi-défiguration d'Anna au début du film reflétait un caractère partagé entre le bien et le mal. Dans The Enchanted Cottage, Oliver (Robert Young) est défiguré (par une blessure de guerre) et a perdu l'usage de la main droite; mais Laura (Dorothy McGuire) le voit avec les yeux de l'amour et n'aperçoit pas ses infirmités; symétriquement, elle lui paraît radieusement belle, alors qu'aux yeux du monde elle est un laideron. Dans Jane Eyre, Rochester a une balafre, signe extérieur du caractère " gothique , de son personnage, d'une psychologie et d'un passé également troubles. Dans Lafayette Escadrille de William Wellman (1958), situé pendant la Grande Guerre, Thad Walker (Tab Hunter) est, de même, balafré : il porte, pour ainsi dire, les stigmates non seulement de son corps à corps avec un " poilu " français, mais aussi de sa désertion.
IopNuTÉ PRoBLÉMATIQUE,
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BÂTARDISE
D'autres victimes portent la tare réelle ou supposée de leur naissance sinon d'une-infirmité. Le mélo- des origines abonde en personnages d'enfants drame aristocratiques élevés dans une famille humble. Le thème réactualise en l'occurrence un stéréotype d'innombrables mythologies: le bâtard divin, l'enfant trouvé fondateur d'Empire (par exemple, Romulus né des amours illicites d'une vestale et du dieu Mars, ou Moise dont la légende juive ne renverse le schéma habituel qu'en apparence, comme l'ont bien montré Freud et Rank s).
5. Freud, Moïse et le monctthéisrre, Gallimard, 1948, p. l3 sq. ; Otto Rank, Le Mvthe de la naissttnce du héro.s, Pavot, 1983.
Clichés-situations
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Dans la littérature du xIx" siècle, où a tant puisé le einéma hollywoodien, on peut noter, dans Notre'Dame de Paris,les personnages d'Esmeralda (enfant perdue, cnlevée à sa mère qui la hait puis reconnaît finalement ron identité grâce au talisman, une chaussure de bébé, qu'elle porte au cou) et de Quasimodo (enfant monstiueux que les Gitans ont substitué à Esmeralda, enfant trouvé 6) ; dans la fiction victorienne, The Historlt of Henry Esmond de Thackeray ou Daniel Derondct de George Eliot, deux romans dont le héros éponyme est un bâtard et dont le sujet est en grande partie constitué par la quête d'une identité (uive pour Deronda). Ôonformément à la thèse de Robert B' Heilman sur Ie caractère ,. engagé », voire polémique, du mélodrame, Daniel Deronda permet à George Eliot à la fois de r'interroger sur la question juive et de remarquer ironiquement que le déshonneur s'attache, dans la société, davantage aux u enfants illégitims5 » qu'aux u pères illégitimes ,. Si l'orphelin peut n'être qu'une victime de la flatalité, le bâtard est donc par définition une victime de la société. Les films qui servent ici de paradigme sont d'abord des adaptations de mélodrames littéraires: Orphans of the Stonn, avec le personnage de Louise (Dorothy Gish),
enfant bâtarde, abandonnée, comme Quasimodo, devant Notre-Dame; et A Tale of Two Cities de Jack Conway (1935), d'après Dickens, avec celui de Charles Darnay, dont la véritable identité est aristocratique (Saint-Evremonde). Ces deux récits sont également exemplaires par le choix de la période pendant laquelle lls se déroulent, la Révolution française, et ils se sont d'ailleurs télescopés : Griffith a incorporé dans Orphans
6. Sous le titre de The Hunchb«ck ol Notre Dutte, N
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of the Stonn des éléments empruntés à Carlyle et
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Dickens. On citera encore: Adverse de Mervyn Le Roy (1936). Le - Anthony ici aussi éponyme, est un bâtard. Son père est tué héros, en duel par Don Luis (Claude Rains), diplomate espagnol, époux légitime de la mère. Sa mère (fille d'un négociant écossais) meurt en lui donnant naissance. Don Luis l'abandonne devant un couvent italien, muni d'une statue de la Vierge et de dix pièces d'or, et annonce officiellement la mort de l'enfant. Les religieuses baptisent celui-ci Anthonÿ, car il a été trouvé un " 17 janvier, fête de saint Antoine. Plus tard son protec. teur (qui est en fait son grand-père maternel) devine sa véritable identité (grâce à sa ressemblance avec sa mère et à la statue de la Madone, objet talisman qui l'accompagne toujours) et lui donne le nom d'" Anthony Adverse » : c'est une victime de la fatalité. Anthony Adverse (Fredric March) transmettra ce nom à son fils légitime mais abandonné par sa mère, Mlle Georges, -maîtresse de Bonaparte. Cette suite d'aventures se déroule avec pour toile de fond la Révolution et l'Empire, c'est-à-dire l'époque de la naissance du mélodrame, une époque de bouleversements politiques et sociaux que le cas d'Anthony Adverse résume de manière exemplaire. Forever Amber d'Otto Preminger (1947). Amber Saint-Clair (Linda Darnell) est une enfant abandonnée ; recueillie et élevée par des fermiers puritains, elle se sent de condition supérieure (ici apparaît la croyancel dans tout un courant du mélodrame populaire, au caractère naturel et pour ainsi dire ethnique, racial, des distinctions de classe sociale). Elle refuse le mariage que ses parents adoptifs veulent lui imposer avec un u bouseux , et devient, après de nombreuses péripéties, la favorite de Charles II (George Sanders). Comme dan§ Anthony Adverse, à l'arrière-plan figure une époque de bouleversements économiques, politiques et sociaux, la Révolution anglaise et la Restauration.
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Belinda de Jean Negulesco (1948)'
- Johnny Belinda (Jane Wyman) « a tué sa mère en venant au
morrd., ; elle esi sourde et muette' Elle est violée par
[ocky MacCormick (Stephen McNally), devient amnéaiquô a un enfant qu'elle appelle Johnny' Le père se irufrii." s'exclamant devant l'enfant : « C'est le portrait se craché (the spittingimage) de son pèr9' " La situation fils-du le est .oÀpfià"", .u. "Èu.trn croit que Johnny ,eàL.i", le Dr Richardson (Lew Ayres), qrri aime effectiu..rr".rt Belinda ; et la femme légitime de Locky Macôormick veut adopter l'enfant, sur lequel elle transfère l'u-o.r, qu'elle éprouve elle-même pour le médecin"' en réalité Ces quiprôquos et cette confusion préfigurent que' sur le hippy ending; ils servent en effet à indiquer i. piâ"'tv-bol"ique, " Johnny Belinda ' est l'enfant de n"iirau ét du Di Richardson : il deviendra qui il est'. Un thème caractéristique - souvent lié à celui du est constitué par les frères ennemis' Il est bâtard .o"tu", dans la mytholôgie (Etéocle et Polynice' -les i.,*"ur* Romulus et Rémus) comme dans la Bible et-Jacob qui se-batiô"i" et Abel; les jumeaux Esaü Rebecca"') ; il est mère leur de iaient dans le ventie dans As,You (par exemple présent chez Shakespeare Llt u trl comme dans la littérature romantique : il p-asriotr"" Victor Hugo, ainsi qu'en témoignent Han de iitti"a" (le bourràu et Musdaemon)., Note'Dame et (Eponine Misérables Les frère), Paris (Froilo et son Cosette)... Dans la Bible, c'est habituellement le cadet qui est préféré par Dieu à l'aîné. De même, en règle générale' ie batarâ (ou le cadet), à priori désigné comme victime' s'efforce à. .,rr*orter sôn handicap et triomphe en fin de compte de l'aîné, du fils légitime' Le thème revient avec une fréquence remarquable 7. dans les mélodrames de vincente Minnelli Dès under'
7. Ainsi oue l'a bien noté François Truchaud dans son ÿirl' 1 966, p' I 35' ,' o'",ti'iutiinàl/r, Éditions universitaires,
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current (1946),les frères ennemis inversent graduellement leurs rôles. Alan (Robert Taylor) est peu à peu dévoilé comme un fou et un criminel, iandis que pârr. au premier plan Michael (Robert Mitchum), le u p4svais_sujet,, l'artiste. La même femme, Ann (Katharine Hepburn) aimera Alan, puis Michael. Dans Some Came Running (1959), Frank Hirsh (Arthur Kennedy) est bijoutier, petit bourgeois, bon père de famille 1 u, moins en apparence: il a fonction de frère légitime. Dave Hirsh (Frank Sinatra) est écrivain, bohème, joueur, buveur, ami d'une prostituée: il a fonction de frère bâtard. Mais son talent, son goût de la vie, son refus de l'hypocrisie font clairement de lui le personnage le plus intéressant. Dans Home from ih" Uitt (1960), l'opposition est explicite entre les deux enfants de Wade Hunnicutt (Robert Mitchum) : le fils légitime, Theron (George Hamilton), est un timide fili de sa mère, ; le bâtard Rafe (George peppard) a" hérité les qualités viriles et la passion de son père pour la chasse. Le film comporte, par rapport au schéma habituel, un certain nombre de variations originales : Rafe est l,aîné. Il épouse Libby (Luana Patten), enceinte des æuvres de Theron, pour éviter que naisse un bâtard de plus ,. En " définitive, les frères ennemis se réconcilient ; sur la tombe de Wade, on inscrit « pÈRE DE RArHAEL ET DE THERoN ». Enfin, Minnelli a réalisé en 1962 un remake de The Four Horsemen of the Apocalypse (dont la première version avait été signée par Rex Ingram en l92l), ce qui lui permet d'évoquer à nouveau le thème « fratricide r_: il s'agit d'une famille argentine divisée pendant la guerre (Minnelli a transposé l,action aè ta Première Guerre mondiale à la Seconde) entre ses branches allemande et française, qui s;entre-tuent littéralement 8.
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Chez Sirk, dans Written on the Wind, on peut-cgnsidérer de même que, sur le plan symbolique, au fils légi-
fyl" (Robert Stack) i'oppose son ami d'enfance de frcre bâtard, favori du in..t i{udion;, à fonction aiment la même femme' Lucy
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àère (Robert
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taré' iU,rtàt, Bacall). Légitime, Kyle n'en est pas moins frère son sur s'appuyer de it u t""t ""rr. bàsoin r bâtard » tout en étant jaloux de lui' Il tente de le tuer' syT ne détruit lui-même; conformément à la logique le c'est Étfiq". du film et à celle du thème en général, * bâtàrd » qui sera finalement aimé de Lucy' li serait- facile de multiplier les exemples, qu'il (1940)' s'agisse de The Mortal Stonn de Frank Borzage
ou la situation rappelle celle de The Four Horsemen of iie Lpocolyp.rr, pritqr" la montée du nazisme y déchire un" iamilie allémanâe, partiellement juive I de Lea.ve ier to Heaven de John U. Stahl (1945), qui oppose^les fille ( sæurs ennemies ,, l'ange (Ruth : Jeanne Crain que l'on aJoptive, donc symboliquement " bâtarde ') taillé avoir voii titterulemeni descendre du ciel après iu" ,ori"rr, le démon (Ellen: Gene Tierney) que l'on voit surgir d'en bas, de la piscine, toutes deux amoureuCornel *.t i""-c-" homme (Richard Harland: d'après (1955), Kazan Wita"l i d'East of Eden d'Elia SteinÉeck, où le o mauvais ' frère Cal (James Dean) supplante le .. bon ,, Aron (Richard Davalos), dans le c*ul (Burl â;ÀUt" (Julie Harris), et où le shé{! Sam Cooper Ives) reàd explicite la référence biblique du- titre.a lain et Àbel: .. CàIn se retira de Ia présence de Yahvé et séjourna au pays de Nod, à l'est d'Eden ' (Genèse' 4' I
6).
DrrrÉnpNce n'Âcs
9, Ar- co-ntraire, d,ans The Wrtrld Move.s On de John Ford (1934),les liens familiaux priment sur le nationalisme. a;r;;;-
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sins allemands pansent les plaies de la guerre, soignent
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A l'inverse de la précédente, une catégorie d'obstacles au bonheur mef en jeu non seulement l'identité des
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personnages, mais aussi, et parfois contradictoirement, celle de leurs interprètes : il s'agit de la différence d,âge. L'un des plus beaux et des plus importants mélodrames de Douglas Sirk, All That Heaven Allows, réunit à nouveau, deux ans après Magnificent Obsession, Rock Hudson et Jane Wyman. Ce qui fait obstacle au bonheur des protagonistes est d'abord la différence de classe sociale entre Carey Scott (Jane Wyman), veuve d,un notable dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre, et le jardinier-pépiniériste Ron Kirby (Rock Hudson). Deux classes, mais aussi deux styles de vie, deux philosophies (Ron Kirby incarnant et symbolisant un certain .. rètour à la nature "), dont l'opposition se complique ici d,une diff-érence 4'àEg, presque de génération, puisque Carey a,de son précédent mariage, deux enfants en âge d,allei à l'université. Dans Magnificent Obsession, Rock Hudson et Jane Wyman étaient censés avoir à peu près le même âge. Certes, Helen Phillips (Jane Wyman) y êtait déjà veuve, mais d'un homme plus âgé qu'elle, précédemment marié, père d'une grande fille. La veuve et sa belle-fille sont (selon le scénario) supposées être environ du ryême âge. Cette indication était d,ailleurs explicite dans la première version du film, réalisée par Stàhl en 1935 : le père, veuf, a épousé une amie de sa fille. En revanche, dans le remake de Sirk, on n'y croit guère : Jane Wyman semble appartenir à une autre génération que Rock Hudson. Si bien que All That Heaven Allou,s 1e_jait que rendre explicite l'obstacle au bonheur (la différence d'âge) qui était implicite dans Magnificent Obsession, où l'on observait un conflit latent entre le pré-texte (le scénario) et le texte filmique (en l,occurrence, les interprètes). Il est d'ailleurs curieux de constater que Jane Wyman, que l'on peut considérer, à l'instar de Bette Davis, Joan Crawford ou Lana Turner, comme une des « actrices fondamentales, du mélodrame hollywoodien, a interprété successivement et sans transitiôn des victimes jeunes et innocentes, puis des femmes d,âge
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Elle n'a jamais été simplement adulte. Parmi ses interprétations appartenant à la première catégorie, on peut faire figurer The Glass Menagerie (Irving Rapper, 1950), où son innocence, sa chasteté a pour emblème, dans la « ménagerie de verre ,, la médiévale licorne, et lohnny Belinda (1948), ainsi que Stage Fright de Hitchcock (1950) ; dans la seconde, Magnificent Obsession, AllThat Heauen Allows, deux films dans l'intervalle desquels elle revient au même stéréotype de la jeune fille innocente (dans le mélodrame de Rudolph Maté, Miracle in the Rain, 1955). Il s'agit là d'une indication précieuse sur la tendance du mélodrame à choisir des per§onnages « trop jeunes )) ou « trop âgés ", déviants par rapport à la norme dramatique, par opposition aux personnages simplement jeunes et adultes. C'est justement dans cet excès d'innocence ou de maturité, dans ce r trop tôt » ou ce « trop tard ,, que réside le pathétique. Et, si l'on en croit l'exemple de Jane Wyman, les deux r excès ,, apparaissent interchangeables. Exceptionnel dans la mesure où il décante l'intrigue et met l'accent presque exclusivement sur les rapports du couple, Alt That Heaven Allows ne s'en conforme pas moins au schéma habituel, qui veut qu'on ait affaire à un triangle. En effet, en bonne règle dramatique, l'obstacle au bonheur que constitue la différence d'âge ressort plus clairement si l'un ou l'autre partenaire du eouple a également l'option d'épouser un homme ou une femme de son âge. Dans All That Heaven Allows, Carey a le choix entre Ron Kirby et Harvey (Conrad Nagel), qui appartient à la même génération que son mari défunt. De son côté, Kirby apparaît brièvement en eompagnie d'une jeune femme blonde (Mary Ann: Merry Anders), mais c'est une fausse piste, et qui n'est d'ailleurs qu'esquissée. Un recensement rapide montre que la combinaison la plus fréquente est le triangle homme mrir-femme mtre-jeune femme, l'obstacle étant constitué moins par la clifférence d'âge en tant que telle que par le fait que l'homme est déjà marié à une femme de son âge, qui mCrr.
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souvent est impotente ou folle. Ainsi dans Forbidden de Frank Capra (1932), Bob Grover (Adolphe Menjou) et I ulu Smith (Barbara Stanwyck) s'éprennent l'un de l'autre. Malheureusement, Grover est marié (sa femme est invalide). Il mènera donc une double vie, Lulu finissant même de surcroît par épouser quelqu'un de son âge (Al Holland: Ralph Bellamy), mais qu'elle n'aime pas, et uniquement pour protéger la réputation et la carrière de Grover. La situation est la même dans Christopher Strong (1933) de Dorothy Arzner, l'une des rares femmes metteurs en scène hollywoodiennes. Une jeune aviatrice, lady Cynthia Darrington (Katharine Hepburn), est la maîtresse de sir Christopher Strong (Colin Clive), un homme mtir, marié (lady Strong: Billie Burke). Dorothy Arzner souligne la différence d'âge : lady Cynthia est la confidente de Monica Strong (Helen Chandler), la fille de sir Christopher. Cynthia et Monica sont toutes deux enceintes : Christopher va être père et grand-père en même temps. Cynthia se suicide aux commandes de son avion. Voici Intermezzo de Gregory Ratoff (1939). Compositeur et violoniste, Holger Brandt (Leslie Howard) s'éprend d'Anita Hoffmann (Ingrid Bergman), qui est pianiste, et abandonne femme et enfants. Les deux musiciens effectuent ensemble une tournée de concerts à travers l'Europe, mais Anita comprend que leur liaison ne peut continuer, elle se sacrifie et quitte Brandt. La fin du film voit la cellule familiale reconstituée, Brandt ayant regagné son foyer où l'attendaient femme, enfants et chien. A mon sens, l'æuvre doit être lue à deux niveaux différents et appelle une interpréta' tion de type psychanalytique: en apparence, les conventions l'emportent, la conception bourgeoise de la famille triomphe, le spectateur est rassuré par l'échec d'une liaison illicite. Mais la mise en images renverse terme à terme les intentions du scénario. Intennezzo donne, profondément, l'impression d'un manifeste en faveur de l'amour fou : aux neiges de la Suède s'oppose
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lc midi de la France ; à la devise que les amants déchiff?cnt sur la pierre tombale d'un village provençal : r Mon amour dure après la mort », s'oppose la mortdrns-la-vie que représente la cellule familiale suédoise. Toutes les scènes domestiques, l'ouverture et la fin prétondument o heureuse ,, sont si conventionnelles qu'elles sont troublantes, tandis que l'idylle entre les lmants est filmée avec poésie et sensibilité e. September A.t'fair de William Dieterle (1950) offre un rchéma très proche. La pianiste Manina Stuart (Joan Fontaine) s'éprend, en ltalie, de David Lawrence (Joseph Cotten), qui a aux États-Unis une femme et un Hls, Le destin leur donne un coup de pouce, leur permêttant de refaire leur vie puisqu'ils passent l'un et l'tutre pour morts, l'avion qu'ils auraient dfi prendre !'étant écrasé. Mais Manina se rend compte que David Re saurait être entièrement heureux avec elle, elle se Itcrifie et lui permet ainsi de renouer avec l'Amérique It âvec sa famille. Le titre du film, et la chanson « §sptember Song " de Kurt Weill et Maxwell Anderson, mettÊnt l'accent sur le caractère pathétique de l'idylle - et lur la différence d'âge: Car les jours sont brefs And the days grow short When your reach Septem- lorsque vient septembre
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And the autumn weather Turns the leaves to flame And I haven't got time Fpr the waiting game.
et lorsque l'automne embrase les feuilles je n'ai plus le temps plus le temps d'attendre.
Le triangle femme mrire-homme mûr-jeune homme te trouve notamment dans Camille de George Cukor (1937), d'après La Dame aux catnélias d'Alexandre Dumas fils. Marguerite Gautier (Greta Garbo) a un pro-
9, Premier film américain d'Ingrid Bergman, IntennelT.o estle d'un film suédois du même titre (Gustav Molander,
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1936) dont elle était la star.
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tecteur, le baron de Varville (Henry Daniell). Elle tombe amoureuse du jeune Armand (Robert Taylor). L'obstacle au bonheur n'est pas seulement la différence Marguerite Gautier est une demi-mondaine ; d'âge mais elle en constitue un aspect. Pour sauver la carrière d'Armand, Marguerite se sacrifie et retourne chez Varville. Elle sera réunie à Armand, mais trop tard: elle meurt. Cukor a remarqué avec raison que le succès du film était dri à la qualité des interprètes et, en particulier, à la jeunesse de Robert TaYlor :
en 1937 Lorsque nous avons réalisé Camille » qui monjeune étoile une Robert Tdylor était " tait; il n'avait pas beaucoup d'expérience. Traditionnellement, le rôle d'Armand est épouvantable' peut-être Je n'ai jamais très bien su pourquoi - par des parce qu'il est habituellement interprété ho*mel d'âge mûr. En conséquence, Armand semble se conduire de manière stupide. Lorsque quelqu'un de vraiment jeune joue Armand, on comprend le personnage ; il devient séduisant, avec une sorte de passion juvénile, alors que, s'il avait trente-huit ans, on se demanderait pourquoi diable il agit de cette façon. Si bien que son manque même de maturité, l'intensité de sa jeune passion faisaient de Robert Taylor un excellent Armand. Peut-être lui manquait-il une certaine élégance ; mais il était très beàu et s'en tira remarquablement bien ro. Dans Humoresque de Jean Negulesco (1947), Helen (Joan Crawford), sous Ie regard blasé de son mari Victor Wright (Paul Cavanagh), s'attache à la carrière du jeune violoniste Paul Boray (John Garfield). A la différ.n.. d'âge s'ajoute une différence de classe sociale (les Wright sont riches, sophistiqués, voire décadents). Helen Wright se suicide. 10. Cité dans Charles Higham et Joel Greenberg, The Celluloid Muse: Holll,wood Directors Speak, Londres, 1969; reprint New York : New American Library, 1972, p. 61.
On citera enfin Tea and Sympathy de Vincente Minnelli (1956), d'après la pièce de Robert Anderson. Un ldolescent, Tom Lee (John Kerr), aime une femme mariée, plus âgée que lui, Laura Reynolds (Deborah Kerr); elle l'aime aussi, plus secrètement. Elle a été mariée une première fois à quelqu'un de tout à fait remblable à ce jeune homme, un artiste, un être " fémipin », selon son second mari Bill Reynolds (Leif Erickron), qui est, lui, une brute. (Ce premier mari a été tué à la guerre.) Tom et Laura s'aiment brièvement ; le mari trop viril devient une épave après que sa femme l'a abandonné. En conclusion (le film est un long flashback), la femme qui s'est effacée regrette d'avoir quitté lon mari devenu cette loque, mais non d'avoir aimé l'adolescent, qui s'est marié de son côté. Le triangle homme mûr-jeune femme-jeune homme n'est pas inhabituel. Dans Morocco de Josef von Sternberg (1930), La Bessière (Adolphe Menjou, interprète fréquent de l'u homme d'âge mûr ") se sacrifie pour essurer le bonheur d'Amy Jolly (Marlene Dietrich) et du légionnaire Brown (Gary Cooper). Inversement, dans Blonde Venus, également de Sternberg (1932), Helen Faraday (Marlene Dietrich) fera retour à son mari (Edward: Herbert Marshall) après sa liaison avec Nick Townsend (Cary Grant) et de nombreuses péripéties, une sorte de descente aux enfers ; à l'origine, elle n'avait quitté son mari que par amour pour lui, pour réunir l'argent nécessaire à sa guérison. Dans I/isrory Is Made at Night de Frank Borzage (1937), le mari plus âgé, maladivement jaloux (Bruce Vail : Colin Clive), jette, par son attitude odieuse et ses nrachinations, sa jeune femme (Irene : Jean Arthur) dans les bras de Paul Dumond (Charles Boyer)' Il provoque même un naufrage pour que périsse le couple. Il échoue in extremis et se donne la mort. D'autres combinaisons restent exceptionnelles, par cxemple le triangle femme mCtre-jeune homme-jeune ['emme, qu'on trouve dans SmoulderingFires (Clarence Brown, 1925), au titre français éloquent (La Femme de
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an Unknown Wornan (Ophuls, 1948) offre un cas de figure original. Lisa (Joan Fontaine) s'éprend du pianiste Brand (Louis Jourdan) alors qu'elle est adolescente. Elle reste « fidèle , à cet amour malgré les avances timides d'un jeune lieutenant. Ensuite sa vie sera partagée entre Brand et son mari, homme beaucoup plus âgé qu'elle. Femmeenfant, Lisa ne s'attache qu'à des personnages d'âge mûr. Restent enfin les cas rares l'on n'a - assezL'homme - estoùplus affaire qu'à deux protagonistes. âgé : il faut citer avant tout A Star Is Born de Cukor (1954), remake du film de Wellman (1937), mais reprenant aussi un scénario voisin de What Price Hollywood (1932) de Cukor lui-même. L'action se situe à Hollywood. La carrière de l'acteur vieillissant et alcoolique (Norman Maine : James Mason) décline alors que celle de sa jeune femme (Vicky Lester : Judy Garland) est en plein essor. Vicky s'apprêtant à renoncer à sa carrière pour se consacrer à Norman, celui-ci se suicide. Son sacrifice permet la solution symbolique des contradictions : à la fin du film, Vicky Lester, sans abandonner Ie public auquel elle se doit, se fait appeler u Mme Norman Maine r. La force de l'æuvre vient en partie d'une tension, d'une contradiction sous-jacente : certains des traits prêtés à Norman Maine dans la fiction appartenaient, dans une réalité connue de tous, à Judy Garland, l'interprète de Vicky Lester. Curieusement, cela a pour effet non pas de faire ressortir l'inadéquation de Judy Garland au rôle de Vicky Lester (qu'il lui aurait fallu jouer quinze ans plus tôt), mais au contraire de rendre également émouvants les deux partenaires, ressentis, de manière subliminale, comme interchangeables. Cas symétrique : la femme est plus âgée. En dehors de All That Heaven Allows,le mélodrame le plus caractéristique est ici Autumn Leaves (1956), de Robert Aldrich. Le titre et l'utilisation de la chanson de Prévert et Kosma, u Les Feuilles mortes ,, explicitent le thème, quarante ans). Letter from
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qui est essentiellement la différence d'âge entre Millicent Wetherby (Joan Crawford) et Burt Hanson (Cliff Robertson). Thème souligné avec insistance: Milly conseille à Burt de " sortir avec quelqu'un de son âge à lui ,. Il lui répond que les filles qu'il a fréquentées étaient « trop jeunes pour lui », InânQüâient de maturité; l'une était amoureuse de Gregory Peck, l'autre
mâchait continuellement du chewing-gum. Ils se marient, mais ne connaîtront le bonheur qu'après de multiples péripéties: Burt a caché à Milly tout un pan de son passé. Il s'avère qu'il a été traumatisé, car il a été marié une première fois et sa femme Virginia (Vera Miles) l'a trompé avec son propre père à lui (Lorne Greene) : cela constituait donc une variante du troisième schéma, c'est-à-dire homme mrir (Greene)-jeune femme (Vera Miles)-jeune homme (Robertson), l'originalité de cette variante tenant au fait que c'était ici le .jeune homme le mari u légitime r, l'homme mCrr celui qui brise le couple légitime.
Un mélodrame admirable traite spécifiquement le l'obstacle au bonheur problème du " troisième âge " d'âge non pas à la différence étant en l'occurrence l'intérieur du couple, mais entre les générations (parents àgés I enfants et petits-enfants) : il s'agit de Make Way for Tomorrow de Leo McCarey (1937), au titre délibérément cruel (u Place aux jeunes ! ,), au générique sur fond de soleil couchant et à la fin tragique, puisque ce conflit des générations provoque la séparation du couple âgé, qui était très uni.
CarasrnopuEs HUMAINES
ET NATURELLES
Il est fréquent dans le mélodrame que les obstacles au tout extérieurs, au moins en bonheur surgissent à l'instant le plus inopportun. Il s'agit apparence notamment de catastrophes soit humaines (la guerre),
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soit naturelles (la tempête), de ce que les compagnies d'assurances anglo-saxonnes désignent comme act of war ou act of God (et l'on verra d'ailleurs que ces catastrophes, qu'elles soient humaines ou naturelles, sont souvent d'inspiration divine). La guerre est, de très loin, le plus fréquent des désastres humains. Alors que Chico et Diane se sont déclaré leur amour, la Première Guerre mondiale éclate, les amants n'ont pas le temps de se marier et sont immédiatement séparés (Seventh Heaven). De même dans Waterloo Bridge (Mervyn Le Roy, 1940): Roy Cronin (Robert Taylor), officier à Londres, pendant la Grande Guerre, obtient de ses supérieurs la permission d'épouser Myra (Vivien Leigh), mais il trouve close la porte de l'église (« Pas de mariage après 15 h "). Les amants se donnent rendez-vous pour le lendemain matin, mais le soir même Roy est appelé au front. Les fins tragiques sont fréquentes: les amants meurent l'un et l'autre dans Lafatette Escadrille, qui, comme l'indique son titre, se déroule en France, pendant la Première Guerre mondiale, et dans China Doll (Borzage, 1958), qui a pour cadre la Chine pendant la Seconde Guerre. Matrac (Humphrey Bogart), résistant engagé aux côtés des Britanniques, meurt à la fin de Passage to Marseille, comme Ernst Graeber (John Gavin), soldat allemand tué par les partisans russes qu'il a refusé d'exécuter, dans A Time to Love and a Time to Die. Dans ce dernier film, la conclusion tragique est équilibrée, dans une certaine mesure, mais aussi rendue plus poignante, par le fait qu'auparavant les jeunes mariés ont décidé de défier l'alerte aérienne et de passer ensemble leur nuit de noces sans descendre dans l'abri souterrain. Le film de Sirk pose, par ailleurs, la question de la responsabilité des hommes dans les catastrophes qui les accablent : si Ernst Graeber est innocent en tant qu'individu, qu'il porte l'uniforme allemand le fait participer à la culpabilité collective des nazis. Déjà, le couple de A Farewell to Anns (de Borzage, 1932, d'après Hemingway), interprété par Gary Cooper
'
Ellchés-situations
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ft Helen Hayes, s'exclamait : o Nous accusons la guerre ç'ss1 dg tous nos malheurs, mais nous avons tort
§uelque chose qui est en nous. » Citons enhn The Four Horsetnen of the Apocalypse (Minnelli, 1962), où l'on voit la Seconde Guerre mondiale détruire une famille argentine franco-allemande, et dont le titre fait explicitement allusion à la métaphytlque catastrophique du mélodrame, les « Quatre Cavaliers , étant la u Conquête ,,, la u Guerre ,r, la.. Peste », Ia r Mort, (Apocalypse, 6, 1-8). Ils apparaissent à la fois eomme un motif décoratif (les chenets d'une cheminée, plus tard reproduits sur un tableau) et comme une vision prémonitoire au début du film (en Argentine, à la veille du conflit). Ainsi que l'a noté François Truchaud, Minnelli respecte l'ordre d'apparition des Quatre Cavaliers : à la conquête allemande succèdent la guerre, puis ls « peste " (et la famine) de l'occupation, enfin la mort des protagonistes. Parmi les catastrophes naturelles, on mentionnera d'abord la tempête, ressort mélodramatique de films muets célèbres, comme Way Down East de Griffith, dont le titre français est A travers l'orage, ou The Wind de Seastrom, au titre éloquent, où la tempête .. orchestre » une tentative de séduction et un meurtre. Dans Made for Each Other de John Cromwell (1939), une tempête de neige se déclenche alors qu'un bébé atteint de pneumonie a besoin d'un sérum qu'on doit apporter par avion de Salt Lake City ; de façon quasi miraculeuse, l'avion arrivera à bon port. Dans Suez d'Allan Dwan (1938), Ferdinand de Lesseps (Tyrone Power) a l'idée, après une première tornade, de percer le canal de Suez ;pendant la seconde, Toni Pellerin (Annabella) lui sauve la vie en l'attachant à un poteau, mais trouve ellemême la mort. Parmi d'autres catastrophes naturelles figurent les épidémies: la peste dans Forever Arnber (Preminger, 1947), le typhus auquel succombent l'enfant, puis l'u Inconnus ,, dans Letter from an Unknou'n Wornan (Ophuls, 1948). Dans Jezebel (Wyler, 1938), la fièvre
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jaune permet à Julie Marston (Bette Davis) de se racheler grâce à un héroique sacrifice. Dans Magnificent Doll (Borzage, 1946),la même épidémie se déclare alors que la haine de Dollie (Ginger Rogers) pour son mari, le quaker John Todd, afait place à l'amour; elle emporte tour à tour leur fils, puis John Todd lui-même. Le tremblement de terre qui ravagea San Francisco en 1906 apparaît dans The Sisters d'Anatole Litvak (1938) et surtout, bien évidemment, dans le film de Woody S. Van Dyke, San Francisco (1936). Toute cette æuvre est construite sur le parallèle avec Sodome : San Francisco est présentée comme la moderne Sodome, une cité capitale du vice. Au début du film, un premier incendie annonce la conclusion, qui confirme le parallèle, car la ville est détruite moins par le tremblement de terre que par l'incendie quril provoque, et qu'on peut assimiler au .. feu du ciel u. Les péchés de la ville sont responsables du châtiment divin qui l'accable. C'étuit déjà la mode des u films catastrophs ,, et l'on sait que la Fox répliqua à la MGM avec In Old Chicago de Henry King (1938), qui met en scène l'incendie (d'origine accidentelle mais humaine) de 1871. Accidentels ou criminels, les incendies constituent une péripétie très fréquente du mélodrame : qu'il suffise de citer la trilogie Rebecca-Jane Eyre'Elephant Walk (Dieterle, 1954\,où chaque fois l'incendie détruit une partie interdite d'une maison seigneuriale, dépositaire d'un secret maléfique. Ajoutons l'éruption volcanique (comme celle du Vésuve dans The White Sister),le fléau des sauterelles (The Good Earth de Sidney Franklin, 1937), l'inondation, qui renvoie généralement, de manière explicite, au modèle du Déluge biblique (The White Sister ;When Tomorrow Comes de Stahl, 1939 ;Thunder on the Hill de
Sirk, 1951). Signalons enfin les naufrages : The Last Voyage d'Andrew L. Stone (1960) ; A Night to Reruember de Roy Baker (1958) i Titanic de Jean Negulesco (1953), qui n'exploite d'ailleurs guère les éléments pathétiques et
Clichés-situations
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mélodramatiques implicites dans le sujet; History Is Made at Night de Frank Borzage (1937): le mari jaloux et criminel veut se débarrasser de sa femme et de l'ami de celle-ci en faisant en sorte que son propre navire, le Princess lrene, à bord duquel se trouvent les amants, roit victime d'un accident. Il prétend vouloir battre le record de la traversée de l'Atlantique malgré les conditions atmosphériques défavorables, brouillard et icebergs. Le capitaine, après quelque hésitation, obéit. Le naufrage a lieu et, comme dans Titan l'c, les passagers qui n'ont pu trouver place dans les chaloupes attendent la mort en chantant « Nearer, my God, to Thee ,, (.. Plus près de toi, mon Dieu ,). Mais l'épave ne sombrera pas, tandis qu'à Paris le mari a écrit et tous seront sauvés donné la mort. lettre et s'est d'aveu une On remarque que la référence biblique (implicite ou explicite) est omniprésente. Toutes les catastrophes peuvent en effet se ramener à des fléaux divins : Déluge, lauterelles, mort des premiers-nés (la mort de l'enfant est un cliché-situation du mélodrame), pluie de soufre ct de feu qui détruisit Sodome et Gomorrhe, Quatre Cavaliers de l'Apocalypse. D'autre part, si la catastrophe u naturelle » est fréquemment assimilée à un châtiment divin (par exemple, le tremblement de terre'de San Francisco à la des-
truction de Sodome et Gomorrhe), symétriquement il n'est pas rare qu'une « catastrophe " humaine (notamment une révolution) soit assimilée à une catastrophe antirévolutionnai naturelle. C'est un schéma courant, impliquant que les -révolutions sont incontrôlables, comparables à des raz de marée, des cyclones, des tornades. Cela est donc révélateur d'une certaine ldéologie du mélodrame. L'assimilation se trouve déjà chez Dickens. Elle apparaît clairement chez Griffith, qui, comme je l'ai signalé, a emprunté à Dickens et à Carlyle certains éléments de son adaptation des Deux Orphelines, intitulée, de manière révélatrice, u Orphans of the Storm ,. On peut faire la même réflexion à propos d'autres
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films sur Ia Révolution française et sur d'autres révolutions, l'adaptation par Jack Conway de A Tale of Tu'o Cities bien sûr, Anthony Adverse de Le Roy, Marie Antoinette de Woody S. Van Dyke (1937), Forever Arnber de Preminger. Il en va de même encore de la guerre sino' japonaise vue par Capra (Lost Horizon, 1937), ou du nazisme, l3 « peste , brune, dénoncé par Borzage (The le titre). La tendance de Mortal Storm, l94O - noter à souligner l'impuissance des tous ces films consiste individus devant des mouvements historiques, assimila: bles à des cataclysmes naturels, qui les dépassent et les accablent. On n'y échappe qu'en faisant la part du feu, en se réfugiant dans la mort (Marie Antoinette, The Mor' tal Storm), dans un paradis provisoire et probablement imaginaire (Shangri La dans Lost Horizon), ou encore en Angleterre (A Tale of Two Cities), ou en s'exilant - en Amérique, terre vierge où l'on comde préférence naturels, mais où l'on fera l'économie battra les séismes des « cataclysmes historiques ,. Fels, amant de MarieAntoinette (Tyrone Power), se rend en Amérique, aux côtés de Rochambeau, mais il a le tort de revenir en France. Anthony Adverse et son fils partent pour le Nouveau Monde, ainsi que l'enfant d'Amber et son père (Cornel Wilde), qui quittent l'Angleterre pour la u Virginie ", au nom symbolique.
Acctop,Nrs
Parfois l'intervention catastrophique prend simple. ment la forme d'un accident. Tel accident de train est lui-même le détonateur d'une catastrophe puisqu'il libère les fauves du cirque (The Greatest Show on Earth de DeMille,1952). L'accidept d'avion apparaît, manifestation d'une " providence » sardonique, dans Septernbet, A'ffair.' l'avion que devait prendre le couple illicite David Lawrence-Manina Stuart s'étant écrasé, ils sont
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censés être morts et sont donc soumis à la tentation de pouvoir u refaire leur vie » en jouissant de l'incognito.
Le plus fréquent est l'accident d'automobile, qui, agissant comme un u révélateur », a souvent la fonction diur" sorte de jugement de Dieu. Il en va ainsi dans Dangerous d'Aifred E. Green (1935): Joyce Heath (Bette Davis), une actrice à la personnalité destructrice,
l'est éprise de l'architecte Don Bellows (Franchot
Tone). Pour régler la situation, d'accord avec son mari, elle lance leur voiture contre un arbre. Joyce n'est que légèrement blessée, tandis que le mari est complètemànt estropié. Mais Joyce renonce à Bellows, qui fait retour à sa fiancée, et la dernière image du film montre Joyce portant des fleurs à son mari, à l'hôpital. De même, dans Four Daughters de Curtiz (1938), Mickey Borden (John Garfield), élément hétérogène, antisocial, qui fait le malheur de ses proches, décide de se tuppri*"t et se lance dans une course en automobile dans la neige. Il meurt à l'hôpital avec sa femme à son chevet. Parfois l'accident est évité de justesse, mais la course Ên voiture a la même fonction de " fuite en avant » visant à provoquer, fût-ce de façon tragique et irrémédiable, là solution d'un conflit; quelle qu'elle soit, la conclusion de la séquence éclairera le personnage sur les propres sentiments. Dans The Bad and the Beautiful de Minnelli (1953), l'actrice Georgia Lorrison (Lana Turner) connaît le triomphe grâce au producteur Jonathan Shields (Kirk Douglas), mais le même soir s'aperçoit que celui-ci la trompe avec une petite débutante :
ie lance alors dans une course en voiture
qui constitue une extériorisation, une expression plastique de son désarroi. Neuf ans plus tard, Minnelli réalise Two Weeks in Another Town, qui n'est pas un remake de The Bad and lhe Beautiful, mais qui y fait diverses allusions et en cite eleux séquences. On retrouve dans Tv'o Weeks Kirk Douglas; il ior" maintenant le rôle de l'acteur Jack Andrus, qui se lance dans une course en voiture pour
elle
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savoir la vérité sur l'accident dont (selon la fiction) il a été victime quelques années plus tôt: était-il simplement ivre, ou désirait-il mourir ? Quoiqu'il soit clairement en état d'ébriété, il sait, cette fois-ci, éviter le mur ; d'où l'idée que l'accident d'autrefois était en réalité une tentative de suicide, ce qui constitue en même temps, par implication, un commentaire sur la séquence presque identique de The Bad and the Beautiful. A cette dernière scène, " rêglée comme un ballet rr u, fait aussi écho une séquence de Portrait in Black de Michael Gordon (1960): Lana Turner, complice de deux crimes, doit y conduire une voiture sous la pluie, s'affole et manque être victime d'un accident. Séquence parfaitement « gratuite » au regard de l'intrigue policière, qui désigne le degré d'imbrication, dans des films de ce t5pe, entre thriller et mélodrame. Parfois l'accident se réduit à une chute chute de cheval, chute dans l'escalier. La petite -fille meurt (comme son grand-père auparavant) en sautant une barrière à cheval (Gone with the Wind de Victor Fleming, 1939). Le petit garçon tombe dans l'escalier (The Foxes of Harrow de Stahl, 1947). De même, c'est en montant l'escalier de sa demeure patricienne que le père (Jasper Hadley: Robert Keith) est victime d'une attaque tandis que, par un effet d'antithèse cher au mélodrame, à l'étage sa fille Marylee (Dorothy Malone) danse et que la musique hurle (Written on the Wind de Sirk). Dans une séquence célèbre de Leave Her to Heaven (Stahl,1945), Ellen (Gene Tierney) tombe délibérément dans l'escalier pour se faire avorter. Dans All That Heaven Allows de Sirk, alors que Carey Scott (Jane Wyman) s'est finalement décidée à retrou-
ver Ron Kirby (Rock Hudson), celui-ci est victime
d'une chute dans la neige. Contrairement à ce qui se passait dans Magnificent Obsession, la séparation des I
,!
i
I l. Vincente Minnelli dans The Celluloid Muse : n Nous avons expliqué l'action {à Lana Turner] comme on explique une chorégraphie à une danseu5s,, p. 204.
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amants n'est ici que de courte durée. Isolée, la péripétie mélodramatique n'en est que plus révélatrice : l'accident n'est pas exactement immérité, pas exactement, si l'on ose dire, " accidentel ,. S'agirait-il d'une contamination du mélodrame par la tragédie ? Non, puisque, en réalité, l'homme souffre et expie l'hésitation de la femme, schéma mélodramatique par excellence de la réversibilité des souffrances des innocents au profit des coupables. L'originalité vient plutôt de ce que la victime soit, en l'occurrence, l'homme. Habituellement, les rôles sont inverses. Ainsi dans Magnificent Obsession, qui abonde en catastrophes mélodramatiques. Dès le début du film, Bob Merrick (Rock Hudson) est victime d'un accident de hors-bord; il est sauvé grâce à un réanimateur car-
diaque, mais l'appareil fait défaut au Dr Phillips, qui meurt. Après avoir ainsi indirectement provoqué la mort du médecin, Merrick sera encore responsable de la cécité de sa veuve (c'est en essayant d'échapper à ses assiduités qu'elle est renversée par une voiture). Helen Phillips soufÊre par Merrick, mais aussi pour lui ; c'est la souffrance d'Helen qui permettra à l'homme de se racheter en la guérissant. De même encore, mais plus subtilement, dans Love Aflair et An Affair to Remember de McCarey: l'héroïne (Irene Dunne / Deborah Kerr), renversée par une voiture au pied de l'Empire State Building où elle a rendezvous avec son amant (Charles Boyer / Cary Grant), devient infirme, comme pour « expier " la vie passée de l'homme qu'elle aime. De même enfin, dans Gone with the Wind ou The Foxes of Harrow: l'enfant expie les fautes de ses parents.
2
Classes sociales
:
De la société, le mélodrame offre habituellement une image hiérarchisée. Européettne, elle est divisée en classes. Américaine, « société sans classes, (du moins théoriquement), elle n'en est pas moins divisée en pauvres et riches. Des tensions viennent dynamiser cette image figée : d'une part, le mélodrame privilégie les personnages de victimes, donc, en principe, les pauvres et les membres des classes inférieures ; d'autre part, genre décoratif, il a'adresse au grand public, sinon au public populaire à proprement parler, et, par conséquent, se plaît à faire miroiter à ses yeux le raffinement des riches, les prestiges de la classe supérieure. En outre, pour déclencher le pathétique, la « stratégie , du mélodrame a tout intérêt à souligner l'opposition entre richesse et pauvreté, bonheur et malheur, donc à multiplier les schémas d'ascension et de chute, de passage d'une classe sociale à une autre. C'est ainsi que fortunes faites et défaites abondent chez Dickens, par exemple dans Little Dorrit qui est d'ailleurs divisé en deux parties intitulées respectivement « Pauvreté , et u Richesse ,.
Thèmes:
Classes sociaîes
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It littéralement,
l'air libre en
c'est-à-dire de travailler à devenant balayeur des rues r.
Seul LA
SOCTÉTÉ EUROPÉENNE
La société européenne décrite dans le mélodrame hollywoodien est hiérarchisée et figée, divisée en classes ou castes, à moins qu'elle ne cède aux pressions internes qui s'exercent sur elle et ne soit la proie de la Révolution, de bouleversements. Il suffit sur ce point de renvoyer à certains titres déjà mentionnés à propos des catastiophes humaines, tels qu'Orphans of the Stonn, A Tale of iwo Cities, Anthony Adverse ot Forever Amber' En règle générale, on y dénonce à la fois les excès de l'AncÈn négi*. et ceux de la Révolution, et la seule solution qtrip".-.tte d'échapper au « mal du siècle ' (l'expressi oî the sickness of the age se trouve dans Fore' i", À*b"r) y consiste à s'expatrier pour l'Amérique, la u Virginie ,, Terre vierge où, présume-t-on, la mobilité sociJe est plus grande et ne s'accompagne pas des mêmes ,orËt.turts violents. L'Amérique est à la fois o the land of opportunity ,, un espace largement ouvert aux entreprises individuelles, et le continent des cata', strophes naturelles, qui (à l'inverse des catastrophes humaines qui caractérisent l'Europe) renforcent la soli' i darité sociàle. typiquo manière de décrite est européenne La société dans SeventhHeàven (Borzage, 1927 ; King, 1937), quir se situe à Paris à la veille de la Première Guerre lrlorl: diale. Sa hiérarchie y trouve une expression proprer ment spatiale ou pour ainsi dire topographique, comm§ dans un roman deBalzac ou de Victor Hugo. Le héros,J quoiqu'il manifeste à certains égards les traits d'un opti; misme spécifiquement u américain ', répétant san$ cesse , u ie suis quelqu'un de très remarquable ", slyi appelle u Chico " (« gamin » en espagnol), il est égou'r tier et a pour ambition de u s'élever socialement » î
le décor du film
transcende l'architecture
lociale, puisque Chico vit dans une mansarde (le « s€ptlème ciel , du titre anglais) d'où il peut dominer Paris ât où il trouvera l'amour en compagnie de Diane. (Notons, en passant, que si le symbolisme social de l'architecture est universel, il n'est pas univoque : dans les maisons patriciennes, à l'upstairs des maîtres !'oppose le downstarrs des domestiques; de même, dans l'Amérique contemporaine, plus l'étage est élevé, plus il est noble, etle penthouse est signe de richesse et de réussite ; inversement, dans le Paris du xtx'siècle, et donc dans Seventh Heaven, ce sont les bonnes et les ôtudiants impécunieux qui sont relégués sous les toits.) On remarque de même, dans les films qui ont pour 6adre la société anglaise, la très grande difficulté ou l'impossibilité de passer d'une classe à l'autre. Citons, dans Wuthering Heights de William Wyler (1939), d'après Emily Brontë, les notations concernant les Linton, à l'abri dans un monde clos, isolé, en désaccord lvec la lande environnante, et dans lequel on pénètre eomme par effraction, à la suite de la caméra qui entre chez eux par la fenêtre 2. Dans Waterloo Bridge (Le Roy, 1940), dont l'action se situe à Londres pendant la Première Guerre mondiale, le héros (Roy: Robert Taylor), officier, héritier d'une famille aristocratique, s'éprend
t.
Dans Ie rôle de Chico, James Stewart succède, en 1937 , à
(Jharles Farrell. Le parlant aidant, cette
interprétation renfoçce
l'américanisation implicite du personnage, d'autant plus due facc à lui Diane (Janet Gaynor dans la première version) est maintenant incarnée par la Française Simone Simon. 2. La séquence est décrite dans le scénario publié par John (Tu,enty_Best Fihn Plavs, ichols (Tu,entt.Best.Fihn Pla.ys, p. 315) : " !e Gnssner lrisner et Dudley Nichols -I-e Balon Linton au érépusculê : Isabêlla... joue de l-'épinette.-Cathy travaille à son cadre de petit point... Le juge Linton et Edgar let'minent une partie d'échecs. C'est une atmosphère de grand ealme domestique. , Il n'est pas fait mention du mouvement si frappant de la caméra.
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Thèmes
d'une ballerine (Myra: Vivien Leigh). Il demande la permission de l'épouser à son colonel, qui n'est autre que son oncle et le chef de la famille (le duc : C. Aubrey Smith) : la hiérarchie militaire reproduit la hiérarchie familiale. Celui-ci s'exclame : u [Jne danseuse ! » -pensant qu'il s'agit d'une grisette, non d'une ballerine, mais accorde la permission. Roy est appelé au front, si bien que le mariage n'a pas lieu ; Myra croit Roy mort, se prostitue pour survivre. Il la retrouve, l'emmène dans sa propriété familiale, en Écosse. Le duc lui dit: " Ce serait amusant si vous étiez vraiment une " danseuse ", au sens où ils l'entendent ! , Mais précisément c'est ce qu'elle est devenue, si bien qu'on a le sentiment (malgré la sympathie que lui témoigne le duc) qu'elle était vouée à ne pas s'élever au-dessus de sa classe. Elle avoue la vérité à la mère de Roy, retourne à Londres où elle trouve la mort sur Waterloo Bridge. L'essentiel du film est un flash-back au terme duquel on revoit, comme au début, Roy vieilli alors qu'éclate la Seconde Guerrq mondiale: il est devenu absolument pareil à son oncle, le chef de famille. Les danseuses sont faites pour inspirer de grandes passions, non pour devenir les épouses légitimes de l'aristocratie. On trouve des éléments comparables dans une autre ceuvre de Mervyn Le Roy, Random Harvest (1942), encore que les implications sociales n'en soient guère développées: Ronald Colman y interprète le rôle d'un homme deux fois amnésique, tour à tour sir Charlès Rainier,le maître de Random Hall, u magnat de l'indus1ds , (il joint donc la réussite économique à son rang et social), membre du parti libéral et du Parlement journaliste ,, o John Smith vivant avec sa humble femme dans une chaumière d.u Devon. Lorsqu'il reder vient sir Charles, il est symptomatique que sa femme (Greer Garson) ne soit plus que sa secrétaire ; dans un rôle rappelant celui de Vivien Leigh dans Waterloo Bridge, Greer Garson était d'abord présentée comme une actrice, danseuse et chanteuse, d'une grande vulgarité. Elle finira néanmoins, contrairement à ce qui se
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passe dans Waterloo Bridge, à devenir, et à demeurer,
r lady Rainier r. L'idéal social de Zoo in Budapesr de Rowland V. Lee (1933) semble être l'empire austro-hongrois, un ensemble statique et hiérarchisé où chacun est défini par sa fonction plutôt que par ses caractéristiques individuelles. Mais l'architecture providentielle de ce système est si exagérée que l'effet produit est, en dernière analyse, eatirique (que cela soit délibéré ou non de la part du réalisateur). Stylistiquement, la fonction sociale est indiquée par des emblèmes (costumes folkloriques, casques à pointe, plumets) qui paraissent légèrement ridicules. La société de Zoo in Budapesl est nettement divirée entre riches et pauvres, entre ceux qui détiennent une parcelle d'autorité et ceux qui en sont dépourvus. D'un côté, les visiteurs aristocratiques du jardin zoologique, ainsi qu'une multitude de personnages en uniforme : gardiens, policiers, conducteurs d'autobus... De l'autre, les paysans qui visitentle zoo, habillés de costumes folkloriques, les orphelines, et le héros antisocial, quirecherche la compagnie des animaux de préférence à celle des hommes. En d'autres termes, cette société est si aliénée qu'afin d'y être libre, il faut y vivre derrière les barreaux d'une cage ! Le film tourne, enfin, au cauchemar, alors que les qui tnimaux sauvages s'échappent de leurs cages - ce tuggère que cette société si bien organisée pourrait facilement être la proie de convulsions révolutionnaires, en dépit d'une conclusion littéralement incroyable, qui prétend réconcilier un système féodal et le bonheur Individuel. Le couple de Zoo in Budapesl (interprété par Gene Raymond et Loretta Young) trouve d'abord'le bonheur dans l'antre d'un ours, qui domine la ville et, pnr conséquent, le monde extérieur: cette situation rnppelle celle de Chico et de Diane dans Seventh Heal,lt
11 .
Thème§
vo
Classes
sociales
cains. Ainsi, dans The Foxes of Harrow (Stahl, 1947), Le soclÉrr luÉRlcllrue
L'affirmation mainte fois répétée qui veut que la
société sans classes » est diversement démentie par le mélodrame. Chaplin campe, en Amérique même, des extrêmes de richesse et de pàuvret é,par exemple le millionnaire et le vagabond de City Lights. Soutiendra-t-on (on ne s'en est guère privé) qu'il portait sur l'Amérique un regard étranger, voire hôstilà ? Il devrait pourtant être évident que la vision de Chaplin doit davantage à la pantomime qu'au marxisme. Remarquons ensuite que la société du Vieux Sud, telle qu'elle est dépeinte par Hollywood, apparaît fort prochè de celles du Vieux Monde. Le phénomène, qui a, bien entendu, un fondement historique, constitue une composante ancienne de l'imaginaire américain. Ainsi que i'observe William R' Taylor au seuil de son étude classique Cqvalier and Yankee,
société américaine soit une
«
vers 1860 la plupart des Américains en étaient
venus à considérer que leur société et leur culture étaient divisées entre un Nord démocratique et mercantile et un Sud aristocratique et agraire. Orl pensait de part et d'autre que chacune des deux èntités possèdait ses propres traditions éthiques ^et 3.. historiqïes, et même un héritage racial distinct
Hollywood a tout à la fois reproduit, perpétué et- dif: fusé càtte aspiration aristocratique du Vieux Sud, et simultanément le sentiment qu'elle était vouée à l'échec. Plus précisément, la société sudiste est mon' trée comme mêlant caractères européens et améri' 3. William R. Taylor, Cuvulier cuttl Yankca : Tltc Old Soutlt artd Arnericctn National ihurucîer, Londres: W.H' Allen, 1963, p.15.
7l qui
se déroule à La Nouvelle-Orléans au xlxe siècle. A certains égards, on se trouve bien sur Ia Terre promise, on échappe au passé européen: le héros, interprété par Rex Harrison, est le bâtard d'une farnille aristocratique irlandaise (« the House of Harrow "), qui pourra faire fbrtune et reconstituer en Louisiane « un nouveau Harrow r. Ce qui justifie l'ascension sociale, c'est Ia réussite économique et non la naissance : on trouve des nouveaux riches (Fox, l'Allemand avec lequel il joue et qu'il tue), on fait fortune et on se ruine (on assiste à un krach boursier). Mais, d'autre part, il existe une aristocratie locale, et le système économique de la plantation est fondé sur l'esclavage. Une esclave noire, désignée par Fox comme " la Belle Sauvage )), a un bébé en même temps que l'épouse de Fox (Maureen O'Hara), et ce parallélisme souligne la structure hiérarchique de Ia société. Refusant qu'il devienne à son tour un esclave, n la Belle Sauvage , essaie de le noyer, et se jette ellemême à l'eau pour échapper à sa condition. Cette utilisation de la société sudiste comme intermédiaire entre la société eufopéenne (aristocratique) et la société nord-américaine proprement dite, yankee (industrielle, capitaliste) apparaît aussi dans Gone u'itlt lhe Wind, dans lezebel de Wyler (où Amy, l'épouse -vntzkee de Pres, s'interroge : ces Sudistes qui se flattent tou,iours de leurs belles manières et qui pratiquent le duel ne sont-ils pas plutôt des sauvages?), Band o'fAngels de Walsh (1957), etjusque dans Ruby Gentrv de King Vidor (1952), dont l'action se situe en Caroline du Nord: le réalisateur y dénonce la décadence d'une société qui « bride le dynamisme du meilleur de ses fils , (Boake Tackman : Charlton Heston) o et y campe une héroïne (Ruby: Jennifer Jones) qui, ne pouvant échapper à sa condition sociale, se vengera en détruisant celui qui lui
4. Michael Henry, . Le blé, l'acier et la dynamite (d'Arr Arttari' turt Rontanc'e à Rubv Gentrv, ou l'après-guerre de King Vidor) ,, l\t.titif , n" 163, nov. 1974, p. 48.
72
I hetneg,
avait déclaré que u la richesse ne la sortirait pas du marécage ". Dans certains mélodrames, la différence sociale est' plutôt ressentie ou décrite comme statique, e_t constitue Ln obstacle au bonheur du couple. Elle fonctionne alors de manière comparable à la différence d'âge, le partenaire plus élevé dans la hiérarchie sociale étant habituellement lui-même plus âgé ; de plus, toujours en victime toute désignée règle générale, c'est la femme qui est l'inférieure de l'homme, et qui est plus jeune -que lui. Dans The Shining Hour (Borzage, 1938), on voit Joan Crawford, issue des plébéiens u Riley de la Dixième Avenue )), épouser Melvyn Douglas, héritier des aristocrati, euês « Linden du Wiscon5in », mais ne se faire accepter de ceux-ci qu'après de multiples difficultês. Dans Back Street, en revanche, la femme se sacrifie à l'homme, à sa carrière, reste dans l'ombre et dans une position sociale inférieure (première version par John M. Stahl, 1932; remake par Robert Stevenson, 1941s) ; il en va de même dans Foibidden (Capra, 1932) et dans Only Yesterday (Stahl, 1933). Dans Ladies of Leisure (Capra, 1930), la party girl quis'est sincèrement éprise d'un riche héritier n'échappe au suicide que grâce à un happy ending manifesiement artificiel et plaqué ; auparavant, elle s'est o sacrifiée » sur les instances de la mère de son amant. On peut renvoyer encore à Kitty Foyle de Sam Wood (1940), film qui se passe pendant les années trente et qui se présente comme u l'histoire naturelle d'une femme,. L'héroïne éponyme (interprétée par Ginger Rogers) est une employée de bureau. Elle s'éprend de son patron, le riche Philadelphien Wyn Strafford (Den' nis Morgan). Il la demande en mariage, mais la diffé' rence de classe sociale, dramatisée par l'opposition de* 5. Dans un second remake, d'ailleurs médiocre (David Miller, l96l), la différence de classe sociale a disparu, privant l'argu'
menf à la fois de vraisemblance et de pertinence.
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deux villes (humble milieu irlandais de New York pour Kitty, grande famille de Philadelphie, où l'on porte le même prénom de père en fils, pour Wyn), fait échouer le mariage. Kitty a un bébé (mort-né) tandis que Wyn épouse quelqu'un de sa classe ;cinq ans plus tard, Kitty, se rendant à Philadelphie, rencontre le petit garçon de Wyn, qu'elle surprend fort en lui disant: u Je peux devitu t'appelles Wynwood Strafford VII. " ner ton nom La o dynastie bourgeoise , a assuré sa pérennité en éliminant l'intruse Kitty Foyle. Bien souvent, si le bonheur sourit aux amants, c'est que le couple sait renoncer aux fausses valeurs de la richesse et du rang social. Dans Élistory Is Made at Night (Borzage, 1937),Irene Vail (Jean Arthur) est une Cen' drillon à l'envers : elle quitte son mari riche et plus âgé, mais jaloux et criminel (Colin Clive), pour Paul Dumond (Charles Boyer), qui n'a du u Prince , charmant que l'apparence : certes, il est européen, mais, s'il
est en tenue de soirée, c'est parce qu'il est maître d'hôtel. Irene retrouve, au contact de Paul, sa « vraie » nature, car elle est originaire, démocratiquement, du Kansas.
Les personnages de maîtres d'hôtel et de valets constituent d'ailleurs, dans les mélodrames ainsi que dans les u comédies loufoques " (screwball comedies), un moyen commode de monter et de descendre sur l'échelle sociale, en soulignant au passage qu'à certains égards, l'habit fait le moine, et la tenue de soirée le millionnaire. C'est ainsi que, dans un autre film de Borzage, Man's Castle (1933), le héros (Bill : Spencer Tracy) porte, au début de l'action, un habit de soirée. C'est manifestement un homme riche qui a pitié de la ,ieune femme affamée qu'interprète Loretta Young. Pas du tout: c'est un homme-sandwich ! Un écriteau phosphorescent s'allume et s'éteint sur son plastron, avec la mention cAFÉ GItsEY. Bill emmène Trina au restaurant, alors qu'il n'a lui-même pas un sou pour payer; il appelle le patron, menace de faire scan'dale, commence
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à mettre sa menace à exécution en faisant un discours sur le chômage et la nourriture qu'on gaspille' Inversement, d'autres mélodrames célèbrent la vitalité de la société américaine, le fait qu'on peut s'y enri' chir, y réaliser le « rêve américain , d'un bonheur fondé sur là réussite matérielle. Tel est le cas, par exemple, dans la première version d'lmitation of Life (Stahl, Lg34): Bàa Pullman (Claudette Colbert) et son amie la Noire Delilah (Louise Beavers) font fortune grâce à la recette de cette dernière pour les crêpes. Une justice immanente les récompense lorsqu'elles offrent des crêpes à un client qui n'a pas d'argent; il leur donne un conseil « qui vaut cent mille dollars », celui de les distribuer dans tout le pays et non dans leur seule crêperie. C'est dans des circonstances comparables que I'héroïne de Mildred Pierce (Curtiz, 1945) fait fortune à force de travail, ayant débuté comme serveuse et finissant par être propriétaire d'une chaîne de restaurants. Ombre discrète au tableau: la réussite économique, dans /trzf' tation of Life, n'efface pas la distinction raciale, donc sociale. Dans une séquence admirablement éloquente, Bea Pullman monte se coucher (upstairs), elle dit bon' soir à Delilah qui se rend dans ses propres quartiers (downstairsl. L'« associée , noire est traitée comme une domestique. En outre, aux schémas d'ascension sociale s'opposent les schémas de chute : si la mobilité sociale est plus grande aux États-Unis, elle ne s'exerce pas à sens unique. Le thème, pour d'évidentes raisons historiques, a été souvent traité pendant la Dépression, la crise des années trente, et de nombreuses screu'ball cornedies opposent « îoüv€âüx riches r> et « nouveaux pauvres »
(notamment My Man Godfrey de Gregory La Caval, 1936). Le krach de 1929 apparaît dans le mélodrame de
Cukor Tarnished Lady (1931) : encouragée par sa mère, l'héroïne (Nancy Courtney : Tallulah Bankhead) épouse un homme riche qu'elle n'aime pas (Norman Cravath : Clive Brook). Le mariage est bientôt malheureux ; elle quitte son mari. Il perd sa fortune dans le krach. Alors
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qu'il va se remarier, elle revient à lui, ayant appris à liaimer pendant leur séparation. Only Yesterday de Stahl (1r33) s'ouvre le 29 octobre 1929,jour du krach, et on assiste immédiatement au suicide d'un homme
ruiné ; on voit ensuite James Emerson (John Boles) qui s'enferme dans son bureau avec un revolver, mais qui est distrait par la lettre qu'il reçoit d'une n inconnue ',
suivant un procédé qui préfigure celui du film
d'Ophuls 6. On trouve ces schém as de rise and f all, d'ascension et de chute, dès Manslaughter de DeMille (1922): une riche et arrogante héritière, Lydia Thorne (Leatrice Joy), est envoyée en prison pour avoir tué un policier dans un accident d'automobile' Elle s'y réforme et, devenue dame d'æuvres, tire du ruisseau où il était tombé par dépit amoureux l'homme (Daniel O'Bannon: Thomas Meighan) qui l'avait envoyée en prison' On assiste donc à la chute et à la rédemption successives des deux personnages principaux, qui dans l'intervalle ont échangé leurs rôles. Dans The Crowd de King Vidor (1928), la providence et la fatalité se manifestent simultanément (le couple gagne un prix de cinq cents clollars ; leur fillette est écrasée en traversant la rue), et un symptôme de la mobilité sociale est constitué, en un r.nr, pàt l'hésitation du metteur en scène sur la conclusion appropriée : Vidor a indiqué qu'il avait préparé en ,iusqu'à sept fins différentes ; il a notamment tourné, (James Murray) John voit dehors de celle où l'on devenu homme-sandwich, habillé en clown, faire rire Ia foule alors que lui-même s'était moqué d'un tel personnage au début du film, une autre hn, happy ending tra' clitionnel, selon lequel la famille fait fortune. Voici, un peu plus tard, Blonde Venus de Josef von Sternberg: le mari (Edward Faraday: Herbert Marshall) a besoin de mille cinq cents dollars pour se
6. Le krach de 1929 figure aussi Itrrd (1934).
dans The Worltl Moves On de
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Thèmes
faire soigner. Sa femme (Helen: Marlene Dietrich) trouve de l'argent auprès d'un politicien véreux (Nick Townsend: Cary Grant), mais, surprise par son mari, elle commence une véritable dégringolade sociale, jusqu'à devenir une prostituée de la dernière catégorie ; puis elle remonte l'échelle sociale (en tant qu'artiste de cabaret) à une vitesse non moins vertigineuse ; elle retrouve Nick qu'elle s'apprête à épouser. In extremis, elle réintègre la cellule familiale. La morale de l'histoire, qui souligne ce schéma de " zigzag social », est exprimée par le quatrain que Helen a écrit sur une vitre dans les coulisses
:
Down to Gehenna Or up to the throne He travels faster Who travels alone
Descente aux Enfers Montée sur les cimes Tout est plus rapide Pour le solitaire
Cinq ans plus tard, en 1937, King Vidor signe un remake de StellaDallas (de Henry King, 1925). Stephen Dallas (John Boles) est le fils d'un millionnaire ruiné. Il travaille à l'usine où il rencontre Stella Martin (Barbara Stanwyck), qu'il épouse. On lui offre une bonne situation à New York, mais Stella refuse de le suivre. La fille des Dallas, Laurel, est dès lors ballottée entre ses parents, entre le milieu vulgaire de sa mère et celui, raffiné, de son père et d'une grande famille adoptive, les Morrison. Après diverses péripéties, Stella comprend où est l'intérêt de sa fille, joue la comédie du cynisme, et, le cæur déchiré, l'" abandonne » pour qu'elle bénéficie des avantages que peut lui procurer le milieu riche et sophistiqué des Morrison. Le point de vue de Vidor sur Stella est ambigu: estelle admirable en dépit, ou à cause même, de sa vulgarité ? Dans le deuxième cas, on aurait affaire à une critique sociale implicite : il serait clair que l'" élégance , est une convention sociale parmi d'autres et doit être, en dernière analyse, rejetée comme appartenant à un système factice, celui de la haute société, tandis que la
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vulgarité , serait ressentie comme positive, comme la marque d'une certaine sincérité et générosité de sentiments appartenant en propre aux classes " populaires ,. Mais, à la vulgarité naturelle de Stella, Vidor oppose l'élégance également naturelle de sa fille Laurel. A la fin du film, Laurel épouse un riche héritier (Richard Grosvenor III), et Stella assiste à ce mariage dehors, sous la pluie, derrière une grille, image lamentable de l'amour maternel sacrifié et de l'aliénation sociale. Stella Dallas est donc caractérisé par une sorte de schizophrénie et aboutit en fait à la conclusion qu'on ne saurait échapper à sa classe : Stephen Dallas n'a pu entraîner Stella dans §a « remontée » sociale ; inversement, il est lui-même resté, malgré la ruine de son père, un aristocrate, et, bon sang ne sachant mentir, Laurel est la * fille de son père r, non de sa mère... On en arrive, en d'autres termes, à la conclusion paradoxale que la fluidité économique de l'Amérique masque dans la structure sociale un statisme qui n'a rien à envier à celui de l'Europe. C'était déjà la leçon même de Manhandled d'Allan Dwan (1924), avec Gloria §wanson : on peut devenir millionnaire sans pour Éutant cesser d'appartenir à sa classe sociale' Dans Mannequin de Borzage (1937), Jessica Cassidy (Joan Crawford) épouse un homme du même milieu qu'elle, Eddie Miller (Alan Curtis). Le très humble f«rur même de son mariage, elle rencontre le riche ârmateur John D. Hennessey (Spencer Tracy), qui r'éprend d'elle et qu'elle finit par épouser après avoir divorcé d'avec Miller. Jessica est issue d'un humble milieu, Irish American, décrit, au début du film, de façon néo-réaliste avant la lettre (dans l'escalier cli§Rôte une ampoule électrique et hurlent les gosses; la ntère de Jessica se tue à la tâche pour un mari fainéant). Hennessey est lui aussi un Irlandais, mais qui a fait forlune ; nous le voyons alors qu'il est parvenu au sommet, êl c'est le premier mari de Jessica, Eddie, l'ambitieux qui ne réussit pas, qui fait fonctibn de o méchant ,. Cela et Hennessey luin'empêchera pourtant pas Jessica n
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de subir fortement Ia tentation de la retraite même à"". un" .. chaumière irlandai5s », mais pour-y résister l: victorieusement et pousser son mari à reprendrt :lt; responsabilité la de min de la réussite èconomique et de HensÀciale. L'ascension est retaidée par la ruine couple- de nessey, mais cette « purgation '- permet au En défini' ;ô#i. de zéro, tous màlentendus dissipés' film optiun comme donc t\ie, Mannequin apparaît la possià sociale' miste, avec sa.royàr." à Ia mobilité mais menacée bilité d'une progression un temps la ensuite confirméel La chute met fin au faux bonheur ; rédemption achemine vers le vrai bonheur' égaleCet àptimisme s'exprimait déjà dans Secrets' Massale dans sommes ment dé Borzage (t9j3) : nous joue .lr"r.ttr, à la fii du xrx. siècle. Mary Pickford (qui riche ici son dernier rôle au cinéma) interprète-une irZ.i,iC." qui doit épouser un lord anglais ridicule'-Elle père'-John tombe amoureuse à'un petit employé de son en ensemble s'enfuient Ils ô;;lit" (Leslie Howarà;. et sociale promotion é"irr.i"ià, àt, il. font foriune, leur d'incidetrts i;;rièr;politique du mari étant émailléespour ré'ttsstr : qri .à.t.tpo"d"t t au « prix qu'on paie ' a mort de leur premier eniant, Jcandale parce.que John une maîtrerrè... L" dogme, ou le mythe' de l'ascension .à"i"f" liée à la réussitè économique n'est pas sérieusement mis en question: tout au plus assiste-t-on à un à certain « ressourcement ' du coupl e àgé qui reprend.' Terre promise ilÀ; e" film, le chemin de la Californie' qu'est l'Améripromise Terre a ilir,e.i.ur de cette que
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-î"p.rrdunt, il est soit suggéré,
soit n€ttement indi91e, duns d" nombreux mélodiàmes' que le succès matériel prix personet l,accès à la haute société se paient d'un signée par Bor7. Dans une première version de Secrel's' déjà I è. sv m,bol ism e nôn s mai ;iuit-ià""tiq"e, ,"LL îisîq\,' i;
";hè*; ff,3i[t*trï:;;,'"*:mr*l,â:Ëi?i#:"T:ïtân".lr;L:;: gne.
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est sensible même dans des nel et moral élevé' Le thème d'Imitation of Life æuvres comme f" pt"tiète version à bien des pourtant ou Mildred Pierce, f,t'i upputuissent to'''me de véritables hvmü;;;;rt;ri q,r" j"-l'ui 'ôté, Dans iË, u,r'fiUeralismê économique et au capitalisme. rt fille de I'héroine qui fait fortune i;ïdJ;;t
"".n.i, J"u" ctu*ford) devient la rivale iëË;.ite colbertl Mikir.ed Pierce' la fille Âmoureuse de sa ;;;-; dans après i"" l'ho**" qui l'a séduite iü;"ü;;;ïrv*,i celle-ci à avoir épousé sa *tt", et elle ieproche son enrichissei.;";;;graillon » qui accompagne et son système ment; néanmoin., Iu totieté améiicaineque très indirecen ac-cusation économiqu. r.,o*is Monte Beragon (zachary seducteur' vil Ë;;;;le » espagnol u Scott), est désignj;;;;" un aristocrate Ii-#*i"uin, qii appelle le Pacifique « mon océan ''est
qu'exige l'aJcension sociale de Gregorv l-aCava' Sytn' tti e ,t". talent àu"' "t' filmadupte' Imitation of phony of Six MiUi;;'O9iz1' "Étn*" Klau(Felix héros Life, d'unroman dt Èu""i" Hurst' Le juif du o Lower issu du gherto [Jr, ni.urdo coJez) esr grooklyn Bridge' Poussé' par sa East Side », près de et célèbre; sa famille, il devient un chiruigien riche pîàî"iià" rà.iut" se traduit topographlqyt^*t"t :iÏ::: End Avenue' puls iuti" ,o, cabinet d'abord dans West visite' en Rolls dans Park Ar","'"] ô"t put""t: I:"gt"t a peu à peu Royce, à leurs u*i' d" gh"tto' Y3i:5lu"ber d'Hip;tl; d;venu infidèle au serment i:î;;';;il" infirmes les soigner de àÙligation ;;;;ilii"1r.it"it dans Ia chirurgie et Ies déshérités,'îâ"t se ipécialiser
Le thème
d" p;i*
patientes richissimes et esthétique et ne tàiter que des extérieur par ses àet*"t-.e.s. Il est protégé du monde
Jessica (Irene secrétaires, "t ,oi u"ii" d'enfance si bien qu'un lui' Dunne) ,,. p.'i purvenir jusqu'à qt''il aurait Pu sauver' meurt' ;;i;;;;r"rgi., "'î;i; Ë.v,îiuâri'*" biblique' souligné pa'.1.? musiQue se donne libre cours' a'ir,rpirutiân juivà de Max §teiner' des premiers-nés » pour son ;^;"â;;."iË du ., rachatjuive' ie premier-né appartient f"ttuaiiio"
rËr""it"r."
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Thèrnes
à Dieu et doit lui être racheté par son père) met en relief le fait que Klauber lui-même a besoin d'être « racheté », non qu'il appartienne à Dieu, mais à Mammon... Son père (Meyer Klauber : Gregory Ratoff) est victime d'une
attaque pendant la cérémonie; Felix l'opère d'une tumeur au cerveau, mais en vain : il meurt. Le voile se déchire alors, et Felix avoue avoir vendu son âme « pouf un plat de lentilles >> Qtottage: allusion à Esaü et Jacob, et suite du thème du premier-né qui a renoncé à ses obligations). Il se rachètera, littéralement, en faisant retour au ghetto et en opérant Jessica paralysée 8. C'est une morale comparable qu'on retrouvera dans I Take This Woman de W.S. Van Dyke (1940), dont le héros est aussi un médecin e, et dans Caught de Max Ophuls (1949). Dans ce dernier film, Barbara Bel Geddes incarne Leonora, héroine à la sensibilité de
midinette, en quête de grand amour, de luxe et
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d'argent. Elle épouse un millionnaire (Smith Ohlrig: Robert Ryan), et ce mariage est salué dans la presse par des manchettes telles que u Cendrillon a trouvé son Prince charmant ! » et par des photographies comparant la cabane d'où elle vient au palais où elle va désormais vivre, équivalent visuel de l'expression from rags to riches (" des haillons à la fortune "). Mais il s'avère bientôt que, comme l'indique le titre du film, Leonora est prisonnière de sa richesse, de son mari mégalomane, d'une demeure gothique et comme hantée, qui évoque, parmi d'autres éléments, le Xanadu de Citizen Kane. Le médecin dont elle s'éprend (Larry Quinada: James Mason) lui donne un manteau, en précisant: 8. Nombre des thèmes d.e Symphonv of Six Million sont préfigurés dans l'admirable Younger Generàtion de Capra, réalise à la charnière muet-parlant (192q).Il s'agit aussi d'unè adaptation de Fannie Hurst, et l'interprète du juif qui renie ses originès est déià
Ricardo Cortez. Mais son métiér (antiquaire et .,oÀ chirurgiei) n'a pas la même résonance symboliquè. 9. Il en va de même encoie d.ans The Citadel de Kins Vidor (1 938), d'après Cronin, mais il s'agit ici de l'Angleterre et"non de l'Amérique.
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Ce n'est pas du vison, mais cela vous tiendra chaud. , A la fin du film, une infirmière emportera précisément le manteau de vison de Leonora, symbole suffisant de la richesse et du statut social dont elle a maintenant com«
pris la vanité. On se rapproche donc du schéma qui oppose traditionnellement réussite publique et malheur privé, réussite économique et sociale et misère morale. C'est vrai de Citizen Kane d'Orson Welles, mais aussi de The Power and the Glory de William K. Howard (1933), film qu'on cite souvent comme un « précurseur de Kane, à ', la fois en raison de son thème et parce qu'il a recours à une technique narrative complexe, avec une série de flash-backs qui ne respectent pas l'ordre chronologique (le scénario est dfi à Preston Sturges). The Power and the Glory, qui est au demeurant une ceuvre assez médiocre, se termine par le suicide de son héros, le Thomas Garner du titre français. Celui-ci, qu'interprète Spencer Tracy, est un des puissants , de ce monde ; il a été " poussé sur le chemin de l'ambition sociale par une femme qu'il a ensuite trompée, puis acculée au suicide ; puis il a été à son tour trahi par son propre fils. Le titre original souligne le thème biblique, qu'on peut ramener aux " vanités », aux « memento mori de la pein" ture du xvtt" siècle : en dernière analyse, la puissance et la gloire n'appartiennent qu'à Dieu, qui les prête et les reprend en toute souveraineté. Si l'adultère, dans Secrets ou The Power and the Glory, débouche sur le scandale, d'autres ceuvres, Bacft Street, Only Yesterday de Stahl, s'attachent à décrire la n. double vie u d'hommes appartenant à la bonne société, menant de pair une vie publique chargée d'honneurs et une vie privée qui relègue dans l'ombre une l'emme entretenue. Ce qui caractérise la société bourgeoise de ces films (et l'Amérique ne s'y sépare pas en l'occurrence de l'Europe), c'est, en effet, la distinction qu'elle introduit entre l'homme public et l'homme privé. Distinction elle-même soutenue par un double
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Thèmes
système de moralité, impliquant une dialectique du citoyen et de l'individu, de l'ouvert et du caché, de la convention et du sentiment. Le scandale est un accident du système, par le jeu duquel le privé envahit le public (il est significatif que Stahl ait tourné en 1937 une biographie de Parnell). Dans une société où le mariage appartient au domaine public et l'amour au domaine privé, il n'est nullement accidentel, il est pour ainsi dire normal, que les amants soient d'abord séparés. De même, il est « normâl », c'est-à-dire conforme au code de la société décrite, que le héros de Back Street, Walter, n'éprouve jamais de remords du fait qu'il trompe sa femme : il ne s'agit pas, selon lui, d'une trahison. A nos yeux, Walter agit de façon également odieuse à l'égard de sa femme et de sa maîtresse, puisqu'il trompe chacune avec l'autre. Selon sa logique bourgeoise, pourtant, il est fidèle aux deux femmes : Ray (sa maîtresse) voudrait un enfant de lui, mais Walter, qui a deux enfants légitimes, s'y refuse absolument, conformément au code moral et matériel de la u propriété ". Si la peur du scandale ne lui interdisait pas de transgresser le code social, nous serions en présence d'un autre personnage potentiel de mélodrame, le bâtard qui, absent de Back Street, apparaît dans Only Yesterday. Quant à l'épouse, elle participe à la fois du code public et du code privé : épouse , la différence », " légitime elle est aussi " domestiqus ; n'est donc que de la maîtresse entre sa situation et celle de degré. Ray est plus épouse que l'épouse, elle est l'ombre de Walter, tout comme la femme de Walter, mais davantage encore que celle-ci. Elle est, si I'on veut, ,. " Madame X Back Streel est donc, par implication, un mélodrame social et féministe qui démonte les rouages d'une u dou' ble moralité " bourgeoise et qui élucide les contradic' tions que cette double moralité a résolues à sa façon. Back Streer, qui montre la maîtresse comme l'arché' type de l'épouse, et qui souligne que le cas de Ray n'est
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exceptionnel (« par hasard », sa voisine est aussi une femme entretenue »), raconte une histoire exemplaire et, à l'instar de tout un pan du mélodrame hollywoodien, renvoie la société américaine au modèle de la société européenne. pas n
T-
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Rituels
Le sens commun considère en général que la lettre (le symbole) est secondaire par rapport à l'esprit (la réalité). La lettre tue (cette citation biblique est reprise, par exemple, par Thomas Hardy au frontispice de lude lhe Obscure)', elle est un appauvrissement de l'esprit. Dans le mélodrame, ce rapport a un caractère plus fondamental. La lettre est une intuition de l'esprit, et l'unité originale de la lettre et de l'esprit est restaurée. On pourrait dire que le mélodrame prend le symbole à la lettre. Imiter les paroles et les gestes d'un rituel, accomplir ce que la psychanalyse qualifie de « gratification symbolique ,, revient souvent pour le mélodrame à exprimer l'esprit mieux que ne saurait le faire la u réalité, conventionnelle. A cet égard, la croyance mélodramatique à la lettre se rapproche du fatalisme qu'on attribue, à tort ou à raison, à l'Islam : u C'était écrit ! , Ainsi, u Queen Kelly ,, d'abord désignée par antiphraqe ou par ironie, montera effectivement sur le trône (du moins dans le projet original de Stroheimr). Inverse-
l.
i I
I
Ii
{
Dans
la version montée sans l'aveu de Stroheim, Kitty
Kelly, qui a suscité la ialousie de la reine, est chassée par celle-ci
ct sé süicide. Selon lè scénario imaginé par Stroheim, elle ne meurt pas, mais part pour l'Afrique, se marie avec un vieillard, retrouve le princè, engagé dans les troupes coloniales allemantlcs. Il l'époïse aprèsïalnort du vieillaid; dans l'intervalle, la
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Thèntes
ment, l'héroïne de Waterloo Bridge deviendra ce qu'elle était à la lettre, une danseuse, au sens où l'on u met une danseuse dans ses meubles ". Dans Seve nth Heavere, Chico protège Diane d'abord de sa sæur sadique, puis d'elle-même, lorsqu'elle tente de se suicider. Mais la sæur veut se venger en faisant arrêter Diane par la police. Chico s'avance et déclare avec fermeté : .. C'est ma femme. , Parce qu'il l'a affirmé, les paroles (la lettre) deviendront réalité (l'esprit), elles sont d'ores et déjà vraies, même si Chico ne s'en rend pas absolument comPte. En fait, ces paroles lui ont échappé. A la conduite
magique correspond une métaphysique : l'Esprit s'exprime directement par la lettre, par la parole. Si cette manière de glossolalie demeure inhabituelle, même dans le mélodrame, en revanche la télépathie y
fort répandue : dans Seventh Heaven, Diane et Chico auront des rendez-vous télépathiques à 1l h du matin ; dans Symphony of Six Million, Felix Klauber « sent )) mystérieusement qu'il rate un rendez-vous important; dans luarea (Dieterle, 1939), Maximilien et Carlotta communiquent, de part et d'autre de l'Océan, par la penSée, par le rêve ou par le truchement de leur chanson mascotte « La Paloma r. Chico et Diane doivent vivre ensemble pour quelques jours, car la police les a prévenus qu'elle passerait chez eux à titre de vérification. C'est l'occasion pour eux de prendre le petit déjeuner ensemble, indication supplémentaire qu'ils sont déjà mari et femme selon la u lettre, du rituel. On trouve des scènes semblables dans The Best Years of Our Lives de Wyler, riche en motifs mélodramatiques en dépit d'une apparence réaliste, est
reine a été assassinée. Le prince monte donc sur le trône en compagnie de Kitty, qui-devient ainsi réellement «Queen Kellv ". Deux bobines de scènes africaines ont été retrouvées par Herman G. Weinberg et déposées par lui à la Cinémathi'que Weinberg, Stroheim : A Pictorial Rccortl ol His Nitta française - York : Dover, 1975, p. 210,212. Filrr.s, New
Rituels
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voire documentaire, et de la précision de son propos (la réinsertion des anciens combattants dans la vie civile), ninsi que danslt Happened Ane Night de Capra (1934) et ûans Hands Across the Table de Mitchell Leisen ( r e3s). Ces deux derniers titres sont des screwball comedies et non des rnélodrames, mais les thématiques des deux genres, comme on aura l'occasion de le vérifier à propos du conte de Cendrillon, sont fréquemment très proches. Sans doute, d'autre part, ne faut-il pas sous-estimer, dans la chasteté de telles scènes, la part de responsabilité qu'a le code Hays. Mais l'autocensure n'est pas seule en cause : dans China Doll de Borzage (1958), le couple (Cliff Brandon : Victor Mature et Shu-Jen : Li Li Hua) vit ensemble non seulement avant la naissance de l'amour, mais aussi avant d'avoir des rapports sexuels. Que la jeune femme soit enceinte sera l'occasion (en réalité très attendue) de " régularissl , la situation. Ce film méconnu apparaît d'ailleurs, à bien des égards, comme un remake de Seventh Heaven.
MlRmcr,s,
ENTERREMENTS
Dans Seventh Heaven, Iorsque Chico et Diane se marient effectivement, ils le font eux-mêmes, à l'aide des médailles que le père Chevillon a données à Chico, et Diane prie pour qu'il s'agisse d'un ., vrai » mariage. Respecter scrupuleusement la lettre du rituel assure la présence de l'esprit: c'est une attitude qu'on peut qua-
lifier de magique, ritualiste ou formaliste.
Dans
l,afayette Escadrille de Wellman, Thad Walker (Tab Hunter) et Renée (Etchika Choureau) se marient de l'açon comparable, en utilisant les boucles d'oreilles de la jeune femme comme gage de fidélité. (La substitution cst facilitée par la langue anglaise, pour laquelle l'alliance, wedding ring, et la boucle d'oreille, ear ring,
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Thèmes
appartiennent à la même classe, ring. Preuve parmi beaucoup d'autres qu'on aurait tort de ne voir dans le cinéma qu'un art exclusivement visuel2.) On qualifiera de mélodramatique ce t)æe de mariage effectué par les intéressés eux-mêmes à l'aide d'un talisman et en respectant un certain rituel, ou encore effectué, à leur demande, par une figure de prêtre, en faisant fi des délais habituels et pour répondre à une inspiration subite. Il abonde chez Borzage, mais n'est pas inconnu de la littérature. Balzac, dans Zes Marana, en offre une illustration, en même temps qu'une excellente définition: « L'innocent mariage de l'anneau, la plus magnifique des unions, la plus légère et la plus forte de toutes les cérémonies, l'hymen du cæur 3. , Les intéressés s'administrent eux-mêmes le sacrement du mariage non seulement dans les deux versions de Seventh Heaven, mais aussi dans Street Angel de Borzage. Dans Lafayette Escodrille commence à se dessiner la figure du prêtre, qui n'est encore qu'un . témoin , actif : le concierge, mutilé de 1870, prête son missel au héros, et c'est lui qui suggère l'utilisation d'une des boucles d'oreilles de l'héroïne comme substitut de l'alliance. Le cas de figure suivant fait intervenir un personnage qui a fonction de prêtre. Dans Man's Castle de Borzage (1933), Bill (Spencer Tracy) et Trina (Loretta Young) sont mariés par Ira (Walter Connollÿ), un ancien preacher qui retrouve sa fonction pour les besoins de la cause. Dans Lazybones (Borzage,1925), c'est un marin qui officie ; dans Three Comrades (Borzage,1938), c'est Alfons, le patron du restaurant; les mariés (Erich Lohkamp: Robert Taylor et Pat Hollman : Margaret Sulla-
_ 2. Dans le film anglais de HitchcockThe Ring(1927),le titre désigne tout à la fois un brac'elet, symbole d'adultèrc, et I'alliance qui lui sera, en définitive, subsiituée. 3. Je cite d'après l'éd. Béguin-Ducourneau, Club français du
livre, 1965, V[,466.
Rituels
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van) sont flanqués de leurs témoins, les deux autres r camarades " du titre (Otto Koster: Franchot Tone et Gottfried Lenz: Robert Young). La plus belle scène de ce genre se trouve dans The Mortal Storm (Borzage,1940) : la mère (Maria Ouspenskaya) y unit son fils Martin (James Stewart) et Freya (Margaret Sullavan) grâce à un objet talismanique, une coupe nuptiale contenant du n vin de pomme ,. Le rituel et le symbolisme mêlent christianisme et paganisme : il s'agit d'une communion (les mariés boivent à tour de rôle et disent (< amen "), mais le pommier en question est l'u arbre de vie » sous lequel la mère s'asseyait enceinte et au pied duquel son fils enfant avait fait ses premiers pas. Tout en regrettant qu'en raison des circonstances (le couple est pourchassé par les nazis) le mariage ne puisse se dérouler dans l'église du village, la mère insiste sur la validité de la cérémonie : « Mais, pour moi, c'est maintenant qu'a lieu votre nrariage u, dit-elle avant de bénir le couple. La situation est presque identique dans Hitler's Madtnun de Sirk (1943): le prêtre ayant été abattu par les Allemands, le père (Ralph Morgan) marie, avec la Bible et le pain, sa fille Jarmila (Patricia Morison) et Karel (Alan Curtis). Dans Shockproof, également de Sirk (1949),la mère (Esther Minciotti) bénit l'union de son I'ils (Cornel Wilde) et de Jenny (Patricia Knight). Citons eRcore The Hunchback of Notre Datne de Dieterle, où Clopin (Thomas Mitchell) préside au mariage de Gringoire (Edmond O'Brien) et d'Esmeralda (Maureen O'Hara), effectué à l'aide d'une cruche à laquelle le couple boit avant qu'on la brise. La présence d'un prêtre n'interdit nullement le ( mariage mélodramatique ,. Une scène caractéristique à cet égard se trouve dans Han d'lslande de Victor [{ugo : cédant aux instances d'Ethel, un prêtre luthét'icn accepte d'unir la jeune fille à son « époux ", le t'ondamné à mort Ordener. La u cérémonie , improvisdrc a lieu dans le cachot d'Ordener, la veille de son
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Thèmes
On rapprochera Hold Back Tornorrow, film écrit, produit et mis en scène par Hugo Haas (1956)' John Àgar y joue le rôle d'un assassin, condamné à mort. Son dernier væu est de passer Ia nuit avec une femme. On lui amène une jeune femme que l'on vient de sauver du suicide (Cleo Moore). Un prêtre catholique (l'action se passe dans un pays d'Amérique latine) iend'visite au càndamné, qui lui demande: u Marieznous. , Le prêtre proteste : u C'est contraire à la loi de l'Église ,, puis acèepte. La cérémonie se déroule avec poir témôins Ia fémme du gardien et la sæur du exécution
a.
condamné. Dans A Forewell to Anns de Borzag e (1932), le prêtre (Jack La Rue) unit Catherine (Helen Hayes) et Fredeii.k (Cu.y Cooper) à l'hôpital, sans qu'ils s'en aperçoivent immédiatèment, dans une scène d'ailleurs curieusement ratée par Jack La Rue, mais aussi par Borzage' L'importance du rituel est soulignée, non sans quelque
ironie, par Catherine, qui, habillée en infirmière,
déclare : u Du moins suis-je en blanc. » Dans China Doll (Borzage, 1958), un prêtre (Ward Bond) est présent, mais se soumet au rituel d'un mariage chinois: on retrouve le syncrétisme de The Mortal Stonn' La puissance de la lettre est mise en relief, sur le par You'll Never Get Rich, comédie mode comique, -thémati que screwball (Sidney Lanfield, musicale à lg4l): Fred Astaire et Rita Hayworth y « jouent ' leur mariage; mais Astaire a engagé un véritable juge, si bien q-ue le mariage est valide selon la lettre, et bientôt donc selon l'esPrit. Symétriquement, de même que le respect du rituel urrür. la rêalité du mariage, les entorses qu'on lui fait, 4. Victor Hugo, (Euvres contplète.s, éd' Jean Massin, Club fran.ui. a" iir." , §ez ,II, p. 3s0-3â I . ll conviendrait par aillcu.s de éiter, dans Les Travailleurs de la rrter, ce sommel melodramallà". â" ot le mariage d'Ebenezer et de Déruchette en présence s^acrifie à"-cifiàti,-i. à"..,i"., de marié qu'il aurait dû être, se pà"-. a-.rl"ii sÿmboliquement père de la mariée, et fournit l'alliance.
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du même par accident, jettent une ombre sur l'union ordeal The Meredith' George de ;;6i.:D"ns le romaï ,,i rt"h*d Feverel, Lucy est unie-à Richard avec une We ailiance qui n'est pas la Ëur' De même, dans Merrily longue la Co ,o lielt de borothy Arzner (1932)' du mariag" .r,ttt J91 PlSntice (Sylvia Sid*ùÀ." "nô;;ô...y co.u.t-t (Fredric March) décrit méticuleupar la ,.ii"",le riîuel et donne le sentiment (confirmé ménage le que conduite un peu nerveuse du marié) tu desïifficultés : Gerry ne trouve pas l'alliance' la "à""ui iafi;i, par la sortir de sa poèh" de pantalon'lemais prêtre .o.r"*ï fermement dans sa main lorsque passe la lorsqu'il pourquoi veut la bénir ; on comprend ! tire-bouchon d'un uu doig, de ioar, : c'èst l'anneau le (1978)' Dans fhe Deer Hunter de Michael Cimino mariés du vin qu'ils doi;;;;" orthodoxe donne aux une vent boire, dans la même coupe, sans en renverser petites de s'émaille mariée la qoutte: mais la robe de
,".h;;'-"g.. Il
ne s'agit peut-être que dlul bll-ul
Viêtmauvais prérug" ' (le mârié reviendra mutilé du son de fait nam), maii qui pt."à un relief particulier du insertion dans un rituel sacré' ôurrs un second t5rye, qu'on peut qualifier de mariage autre ,u, p.o.,rration, l. tàr,p[e assiste au mariage d'un du bénéfice part le IJôi. ;; t;attritue pour sa propre rituàI. Dans Sanrise àe Murnau, les protagonistes-revi-
«
Mitry: vent leur mariage' Comme l'a bien noté Jean auqu.el mariage d'un par vue la « La journée commence tandis ils assistent et qui e$ t; leur, par procuration' l'homme' que le crime ô"i pi"t ord, la nature exécute devant l'horreur mettant le souhaité, avait un instant, procuration, etc' s' ' On comàa ,on acte, là aussi par -George Stevens (1956)' qui appalnarera avec Giant de ici très proche du J « familiale, il;;;ü;"À a. la saga entre Bick Bene-etoatu*e. Après une semi-brouille 1963' 5. Jean Mitry, Dictionnaire tltr cinérnn' Larousse' p, 25.
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Thèmes
dict (Rock Hudson) et sa femme Leslie (Elizabeth Taylor), celle-ci, accompagnée de ses enfants, est rentrée chez ses parents. Sa sæur se marie avec sir David Karfrey (Rod Taylor), ancien soupirant de Leslie. Pendant la èérémonie, qui a lieu au domicile des parents, Leslie étant u demoiselle , d'honneur, Bick arrive, se place derrière sa femme : tout se passe comme si les paroles du pasteur leur étaient destinées, et qu'ils se marient donc à nouveau. On note une variante intéressante, qui combine le mariage par procuration et la coupable négligence du rituel, dans Rebecca de Hitchcock : Maxim de Winter (Laurence Olivier) et l'héroïne (Joan Fontaine) se marient discrètement, comme à la sauvette ; en sortant de la mairie, ils croisent un « vrai » mariage en blanc, et Maxim, après avoir observé : « Vous auriez aimé porter un voile, n'est-ce pas ? , est comme pris de remords, et achète une brassée d'æillets pour sa jeune épouse' Dans d'autres cas, les protagonistes ne sont pas encore mariés. Ainsi dans Camille de Cukor: Armand Duval (Robert Taylor) et Marguerite Gautier (Greta Garbo) assistent à un mariage; plus tard, Armand précise : toutes les paroles prononcées par le prêtre et les mariés nous concernaient : « Je vous ai épousée aujourd'hui. " Les deux types de " mariage mélodramatique ' sont combinés dans The rituel et par procuration Best Years of Our Lives: tandis que le rituel revêt une signification particulière pour le couple Cathy O'Donnell-Harold Russell, car ce dernier est mutilé mais parvient à respecter scrupuleusement la lettre du cérémonial (o prenez sa main dans votre main ,, etc.) et à passer lui-même l'alliance au doigt de sa fiancée, le jeu du montage implique les u spectateurs », c'est-à-dire le couple Teresa Wright-Dana Andrews, qui deviennent dès lors les protagonistes d'un mariage par procuration. Il serait fastidieux d'énumérer les mélodrames où l'on assiste à un mariage « institutionnel " ; dans tout Ie
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cinéma sonore et parlant, la cérémonie est désignée, de façon à la fois nécessaire et suffisante, par quelques mesures de u La Marche nuptiale ». Le thème de Mendelssohn revient avec insistance dans The Old Maid d'Edmund Goulding (1939), dont les quatre parties correspondent chacune à un mariage : l. mariage de Delia (Miriam Hopkins); le jour même revient son ancien fiancé Clem (George Brent), qu'elle n'a pas su attendre. 2. Cinq ans plus tard, préparatifs du mariage de Charlotte (Bette Davis). Celle-ci a eu de Clem (ensuite tué à la guerre de Sécession) un enfant illégitime. Delia, jalouse de Clem, même à titre posthume, raconte au fiancé de Charlotte qu'atteinte d'une maladie incurable, celle-ci ne veut pas se marier. Le mariage est rompu. 3. Vingt ans plus tard, mariage de ta lille de Delia.4. Peu après, mariage de Clementina (Jane Bryan), la fille de Charlotte et de Clem, qui croit qu'elle est la fille de Delia. Le mariage demeure la fête familiale par excellence même au-delà de la période qui nous occupe. Citons, dans le registre de la satire, A Wedding de Robert Altman (1978) ;dans le registre dramatique,The Godfather de Coppola (1972), The Deer Hunter de Cimino. Dans The Godfather,la longue séquence d'ouverture a pour sujet un mariage et permet la description contrastée de deux milieux, italien d'Amérique et WASP (White AngloSaxon Protestant). Par l'importance accordée à cette séquence, l'æuvre participe du genre de la saga familiale plus que du film de gangsters à proprement parler. DansThe Deer Hunter, « êpçp(e intimiste , longue de trois heures, tout le premier tiers du film est consacré à une fête familiale (le mariage de Steven : John Savage) qui se superpose à une fête collective (les adieux de la communauté aux trois « conscrits r, dont le marié, qui partent pour le Viêt-nam). Cette première partie - la plus réussie peut-être d'un film d'ailleurs extrêmement puissant n'est pas sans évoquer l'ouverture de The - mais l'originalité tient notamment à la desoodfather, cription d'un milieu social et ethnique tout à fait diffé-
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rent, puisqu'il s'agit ici d'une communauté russe américaine dans une ville industrielle de Pennsylvanie, Clairton. Les rassemblements familiaux encadrent la partie centrale (qui a pour sujet la guerre du Viêt-nam) : mariage au début, enterrement à la fin. Comme l'a remarqué Stephen Saban: « Ce sont les rituels qui font le sujet du film : rituels du mariage, de la chasse, de la guerre, de l'amitié 6 ,,, et cette attention envers le rituel désigne l'appartenance du film à la tradition mélodramatique. Le lien entre la cellule fami" liale et la collectivité est souligné : au début, par la superposition des deux fêtes (mariage et adieux aux conscrits par l'American Legion), à la fin (c'est même la dernière image du film), par la scène où les personnages, réunis pour une sorte de wake, de veillée funèbre, chantent, sans triomphalisme mais sans ironie, u God Bless America r. Il n'est pas interdit de songer au précédent de The Wedding Night, admirable mélodrame méconnu de King Vidor (1934), qui se situe dans un milieu polonais américain, mais rural, et qui à un mariage fait succéder une veillée mortuaire. La mariée (Manya: Anna,Sten) repousse le marié (Fredrik: Ralph Bellamy) qui, saoul, hors de lui, veut tuer son rival (Tony Barrett: Gary Cooper). Les deux hommes se battent dans l'escalier. Manya, qui se jette entre eux, est précipitée du haut de cet escalier et, toujours vêtue de sa robe nuptiale, tuée. Après la veillée mortuaire, Barrett voit dans la neige le fantôme de Manya, à laquelle on peut considérer qu'il était uni mélodramatiquement, symboliquement, car ils avaient u vécu " ensemble, prenant le petit déjeuner à l'instar des héros de Borzage et de Capra, et qu'elle avait passé en tout bien tout honneur, mais qu'importe ? - la nuit avec lui. - au principe esthétique de la pathetic Conformément
6. Stephen Saban, u The Most Dangerous Game n, Tlrc l4 déc. 1978, p. 64.
Weeklv Neu,.s, New York,
S
Riruels
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lallacy, de l'anthropomorphisme des éléments naturels, les enterrements se déroulent fréquemment sous la pluie: c'est le cas dans Abraham Lincoln (Griffith, 1930), Beyond the Forest (Vidor, 1949), The Barefoot Contessa (Mankiewicz, 1954), A Star Is Born (Cukor, 1954), Portrait in Black (Michael Gordon, 1960). Ils eonstituent souvent l'ouverture du film, « au présent », et déclenchent la succession des flash-backs. C'est vrai de The Power and the Glory, de The Barefoot Contessa et cle Ten North Frederick (Philip Dunne, 1958) ; dans The Bad and the Beautifu/, un enterrement sert d'ouverture au premier flash-back. Dans deux autres films de Minnelli, l'enterrement, la visite au cimetière, clôturent Ia narration: Some Catne Running et Home from the Hill. S'il est clair que l'enterrement joue dans le mélodrame un rôle moins fréquent et moins important que lc mariage, il existe quelques exemples frappants où la pompe funèbre reprend la plénitude de son sens. Citons l.,eave Her to Heaven de Stahl, où l'héroïne, Ellen (Gene Tierney), à cheval, disperse à travers la prairie du Nouvcau-Mexique les cendres de son père contenues dans uRe urne, et les films de Douglas Sirk, dans lesquels l'enterrement conserve la forme rituelle d'une célébrati«rn, d'u4e veillée mortuaire, au sens irlandais de wake (comme dans Finnegan's Wake), ainsi que Sirk s'en est expliqué lui-même, déclarant à propos de The Tarnished Angels: Dans le dernier acte du film, on sait ce qu'est le u Wake , irlandais (la veillée funèbre et le petit matin qui la suit). Cette impression-là, c'est moi qui l'ai ramenée d'Irlande et qui l'ai ajoutée au livre de Faulkner lPylonl: quand les personnages sont assis autour de la même table, on peut penser aux Irlandais qui s'asseyent en cercle et se lamentent sur la perte de leurs héros
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Thèmes
et à propos de la scène finale d'Imitation olLife: u C'est encore une version du " Wake " irlandais, une lamentation sur les morts 7. , Dès la première version d'Imitation, signée par Stahl,
le rituel avait été soigneusement réglé par l'héroïne, alors nommée Delilah : " Je voudrais un bel enterre-
ment... une longue procession... les loges au grand complet... un corbillard de velours blanc... doublé de satin pourpre... tiré par des chevaux, je n'aime pas l'odeur de l'essence... " En dehors de la splendeur de la pompe funèbre (accentuée chez Sirk par l'utilisation de la couleur et par la présence de Mahalia Jackson), l'important, au point de vue thématique, est que l'enterrement permet la reconstitution symbolique de la cellule familiale. La fille de Delilah / Annie, voulant passer pour blanche, a renié sa mère, mais lui fait retour lors de ses funérailles.
SussrrrutroN
DES PERSoNNAGES
Loin de concerner les seuls mariages mélodramatiprocuration), le procédé de la substitution des personnages est d'un emploi courant. A ce procédé métaphorique, le mélodrame tend à conférer un caractère littéral. ques du deuxième type (c'est-à-dire par
Les deux exemples les plus frappants se trouvent sans
doute dans Broken Lullaby (ou The Man
I Killed) d,e
Lubitsch, et dans Magnificent Obsession. Chez Lubitsch, Paul Renard (Phillips Holmes) remplace, devient Walter, o l'homme qu'il a tué ,, pour la fiancée et les parents de celui-ci ; dans Magnificent Obsession, Merrick remplace, devient le médecin dont il avait indirectement provoqué la mort. Dans ce dernier cas, la 7. Cahiers du cinéma, n" 189, p. 70.
Rltuels
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:ubstitution est facilitée par le fait que les deux hommes tont médecins (ou du moins que Merrick avait fait des études de médecine) ; dans Broken Lullaby, par le fait qu'ils sont tous deux musiciens. La symétrie entre Paul et Walter est accentuée par le caractère lui-même u binational , de leur musique: compositeurs allemands (Beethoven, Schumann), technique française (Walter a lhit ses études au Conservatoire de Paris). En d'autres termes, le schéma mélodramatique de réversibilité correspond, sur le plan humain, au message pacifiste et internationaliste du film. La progression de Broken Lullaby consiste à rendre explicite l'assimilation implicite de Paul à Walter. Cette essimilation est suggérée dès le flash-back des tranehées; elle devient complète lorsque Elsa (Nancy earroll), la fiancée de Walter, dit à Paul que, s'il quitte les Hôlderlin, " il tuera Walter une seconde fois ". A la fln du film, Paul joue Triiutnerei de Schumann sur le vlolon du jeune Allemand. Dès l'ouverture de Magnificent Obsessiorz, le Dr Phil. llps et le playboy Bob Merrick, qui n'ont rien en commun, sont implicitement comparés, et même assimilés, par le jeu de la coïncidence : Phillips meurt d'une crise eardiaque alors que son réanimateur a été emprunté pour sauver Merrick, victime d'un accident de horsbeird. Cette coïncidence (mais il faut se rappeler que, dans le mélodrame, le recours à la fatalité aveugle est équilibré par la conviction, conforme au caractère litlér'al du genre, eue « rien n'arrive par hasard ,) signifie quc Bob Merrick est responsable de la mort du Dr Philllps. Nouvelle " coïncidence ", Merrick est soigné dans l'hôpital de Phillips. La première personne qu'il renE(rntre lorsqu'il s'échappe de l'hôpital est la veuve du rkrcteur. Lorsqu'il a un accident de voiture, c'est devant ln maison de Randolph, qui est le meilleur ami de Philllps. Dès qu'il s'emploie à pratiquer les croyances philnnthropiques du médecin, derechef il rencontre sa veuve. Ayant .. tué , le mari, il devient maintenant resporrsable de la cécité de la veuve.
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Thèr
A la fin du film, la série catastrophique se mue dain en Providence (ce qui, bien entendu, renverse le sens des catastrophes précédentes, ou, si l'on préfère, leur donne leur véritable sens, lui-même providentiel) : devenu chirurgien, Bob Merrick doit opérer Helen, la veuve de Phillips, qu'il aime et dont il est aimé. Il la guérit de la cécité qu'il lui avait infligée (avant l'opéra' tion, il précise expressément: « Ce pourrait être urt fibrome dfi à l'accident d'autrefois,). Bien évidem' ment, Merrick ne saurait défaire son « crime » et ressus' il expie en devenant Wayne Phil. citer le Dr Phillips lips. L'assimilation des deux personnages, d'abord implicite et scandaleuse, est devenue, à la fin du récit, à la fois explicite et exemplaire. Bob Merrick est, en effet,, un chirurgien célèbre, un philanthrope,le meilleur ami de Randolph, bientôt le mari de Helen : il est, en d'autres termes, tout ce que Wayne Phillips avait été. i La substitution est facilitée si la place à remplir est vide : dans Magnificent Obsession,le Dr Phillips bril par son absence, ce qui signifie notamment qu'aucun obstacle réel ne s'oppose à l'amour de Helen et de Bobi à la substitution de Bob au médecin. Dans Now, Voyat ger (IruingRapper, 1942),Tina (Janis Wilson), la fille Jerry (Paul Henreid) et de sa femme légitime, est tée par Charlotte (Bette Davis ): elle se substitue l'enfant que Jerry et Charlotte s'interdisent d'avoir, el devient cet enfant. Le couple légitime aux yeux dt mélodrame (Jerry et Charlotte) a été doté, symbolique, i ment, d'un enfant. lnversement, le processus de substitution est mis e échec dans Intermezzo (Gregory Ratoff, 1939). amants, Holger Brandt, qui est marié, et Anita mann, ont fui la Suède pour le midi de la France. rencontrent une petite fille nommée Marianne. La tion explicite de Marianne est de rappeler à Holger propre petite fille, Anne-Marie, et de lui faire la Suède et son foyer. Mais sa fonction implicite est traditionnel de la Francc autre: Marianne - symbolela fille de Holger et d'Anita, est, métaphoriquement,
-
Rltuels
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tusceptible de remplacer la petite Suédoise. Alors qu'Anne-Marie, fillette stéréotypée, apprenait, sous la dlrection d'Anita, à jouer du piano, Marianne, enfant à l'étincelle vitale, apprend à Holger à jouer de la cithare. Le retour de Holger à sa famille constitue donc, en ce !ens, un rejet de la logique mélodramatique qui avait permis la substitution de Marianne à Anne-Marie. Les schémas de substitution ont leurs variantes réciproques. Il suffit de rappeler brièvement les exemples tle Manslaughter.' le héros, qui a permis la rédemption de l'héroïne, est à son tour « racheté , par elle ; Autumn Itaÿes.' « guérie , de ses inhibitions par Burt Hanson, Milly le guérit à son tour de ses fantasmes, de sa dépresÉlon nerveuse; All That Heaven Allows.' Ron Kirby r paie », pâr son accident, les hésitations de Carey; et An Af'fair to Remember : Terry « paie », pâr son accident 6t son infirmité, la vie passée de Nicky Ferrante. Les procédés de substitution et d'échange appellent la comparaison avec des concepts religieux: le dogme chrétien de la communion des saints, selon lequel " les églises triomphante, militante et souffrante sont en union , ; le principe de réversibilité, selon lequel u les touffrances et les mérites de l'innocent profitent au coupable, et ceux des saints à toutes les âmes en état de Erâce ,. Ainsi s'esquisse une véritable théologie du méloelrame
8.
tl. Théologie à laquelle souscrit Balzac. Citons par exemple l)csplein, le Ëéros de'La Messe de l'athée.'u Mon DieL, s'il est üne rphèrc où tu mettes après leur mort ceux qui ont été parfaits, Frrsc au bon Bourgeat ; et s'il y a quelque chose à souffrir pour Ittl, donne-moi ses souffrances, afin de le faire entrer plus vilg rlatrs ce qu'on appelle le paradis, (éd. Béguin-Ducourneau l,
l05n).
4 Nature vs. Culture
définition des termes de Nature et de Culture est des plus délicates, il ne fait pas de doute que leur opporition est fréquemment opératoire. Mais c'est précisément qu'il faut l'entendre comme une opposition fonctionnelle et non pas comme une sorte de psychomachie Êntre deux concepts au contenu clair, bien défini. En hit, le contenu des deux termes, et le signe positif ou négatif qui les affecte, varie considérablement d'une époque à l'autre et, à la même époque, d'un genre ou d'un auteur à l'autre. On peut néanmoins poser comme postulat que le mélodrame est un genre primitiviste et prend généralement parti pour la Nature contre la Si la
Culture. Loin d'être à l'æuvre dans le seul cinéma hollywoodlen, cette opposition fonctionnelle caractérise la litténture américaine, voire la culture américaine, dans toR ensemble. Crest justement la question du primitivlrme qu'abordent des études aussi fondamentales que eelle de Henry Nash Smith,Virgin Land, ou de son élève Leo Marx, The Machine in the Garden '. Henry Nash Emith traite en ce qui concerne la littérature, et surtout lr littérature populaire, un sujet voisin de celui de Frederick Jackson Turner, l'historien de la u Frontière ". Henry Nash Smith, Virgin Lantl : The Arrtcric'art Wast a.s York': Vintage Books, 1950. Leo Marx, The Muchine ii the Gartlen : Technologt und llte Past
l,
Ëvnthol aÀd fvtvth, New
r02
Thèmes'
Il
montre l'importance, dans I'imaginaire collectif de l'Amérique, de la u Terre vierge , de l'Ouest, de la frontière entre civilisation (européenne) et Nature indomptée, sauvagerie. Il analyse en particulier non seulement le personnage de l'Indien, mais aussi celui terme dont l'ambiguilé grammade l'Indian fighter ticale traduit assez-bien l'ambiguïté sémantique, puisque le « tueur d'Indiens », âÿâflt adopté le mode de vie indien, en vient à préférer les coutumes de la frontière à celles, encore européennes, de la côte Est et de la civilisation. Plus près de nous, Peter Wollen, analysant les films de John Ford dans ses Signs and Meaning in the Cinetna, s'est placé sous l'invocation de Henry Nash Smith, de même que Jim Kitses dans ses Horizons West2. On est donc là sur un terrain qui, bien évidemment, semble concerner davantage le western que le mélodrame, encore que la frontière... entre les genres soit parfois difficile à tracer. Ainsi, The Squaru Man de Cecil B. DeMille (1931) est un western, mais serti dans un pur mélodrame : le héros, Jim, est un Anglais, amoureux de la femme de son cousin. Celui-ci commet une indélicatesse; Jim se sacrifie et part pour les États-Unis, si bien qu'on croira que c'est lui le coupable. Il est « séduit » par unê Indienne, qui lui donne un enfant. Le film développe l'opposition des deux cultures de façon somme tout6 sympathique à la culture indienne, primitive, proche do la Nature (l'Indienne s'appelle Naturich). Lorsque l'enfant méprise le cheval naïf qu'a taillé sa mère et lui préfère un train électrique, la sympathie de DeMille va évidemment à l'Indienne. Le cousin anglais meurt; sa femme, Diana, se rend aux États-Unis, décide d'emmej ner l'enfant pour lui donner une éducation britanniquel Inconsolable de la perte de son enfant, l'Indienne se 2. Peter Wollen, Signs antl Meanirtg in tltc Cinerrzrt, Cinentâ One, n" 9, Londres : Secker & Warburg et British Film lnstitutc, 1969,p.96. Jim Kitses, p. 10.
Nature vs.
Cuhure
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suicide. Selon son mari, sa mentalité « primitive , la rendait étrangère à ce fils de race et de culture mêlées
3.
Admettons provisoirement le caractère univoque du western, qui serait u primitiviste » presque par définition (ne serait-ce que dans la semi-conscience du spectateur, qui attend du western de « grands espaces »). L'analyse de Leo Marx, faisant suite à celle de Henry Nash Smith, l'enrichit, car elle la complique en suggérant que la véritable tradition américaine est moins o primitive » qu'elle n'est un compromis entre les deux termes de Nature et de Culture. D'où le titre de son étude, u La Machine en ce jardin ,, image de l'irruption dans la nature sauvage de la technologie industrielle, notamment du chemin de fer civilisateur. J'ai tenté de dégager cette thématique, qui atteint aux dimensions d'une mythologie, dans deux westerns de Howard Hawks : au primitivisme décrit par Henry Nash Smith correspond pour l'essentiel The Big Sk1t, de 1952, qui traite la période de l'exploration de l'Ouest, Ia recherche du fameux " Passage du nord-ouest, vers la Chine et le Japon, phénomène qui montre que, plus de trois siècles après Christophe Colomb, ls " mythe de l'Ouest, pouvait n'être encore qu'un avatar du mythe cle l'Orient ; au semi-primitivisme analysé par Leo Marx répond en revanche Red River, de 1948, qui traite la phase suivante, celle de I'exploitation de l'Ouest, avec l'union harmonieuse dans une même image de la Nature et de la Machine, c'est-à-dire de la prairie et du ehemin de fer a. Une autre opposition opératoire, utilisée notamment
par Erwin Panofsky, distinguera entre primitivisme r dur , et primitivisme u doux , (ou pastoralisme). Dans 1. C'était la troisième fois que DeMille traitait le su"jet, apr'ès l9l3 (son premier l'ilm) et de 1918. 4, n Hawks et le mythe de I'Ouest américain ", Positil, n" 195-
lcs vcrsions muettes de
l9o, iuillet-aolût 1977, p. 3l-42.
lO4
Thèntes
le premier cas, l'accent est mis sur la dureté des condi' tions de vie " originelles ,, sur la barbarie, la sauvage' rie, la bestialité ; dans le second, sur l'Age d'or, la facilité des conditions de vie, la simplicité, la sincérité... En ce qui concerne le paysage, si le u jardin " (d'Eden par exemple) est l'emblème du pastoralisme, le désert sté' rile peut être celui du primitivisme ,. dur ,. Au Bon Sau. vage s'opposera le sauvage sanguinaire, et ainsi de suite 5. D'autre part (et je cite ici Jim Kitses), des oppositions terme à terme entre les prédicats de la Nature et de la Culture peuvent graduellement se modifier jusqu'à changer de sens et s'inverser, selon un processus pro' prement dialectique: l
Le Désert a) l'Individu c'est-à-dire : liberté
1.,s. La Civilisation vs. la Communauté: vs. restriction
mais aussi (par des étapes graduelles que j'omets ici) soliPsisme
b) Nature
:
c'est-à-dire : pureté mais aussi: sauvagerie c) l'Ouest: c'est-à-dire : l'Amérique mais aussi : le passé
vs. vs. vs. vs. vs. vs. VS.
démocratie Culture : corruption humanité l'Est : l'Europe l'avenir 6
:
È
'I {r.l
I
I
Revenons maintenant au mélodrame. Dans la trèd grande majorité des cas, la Nature est affectée d'un
l 5. Erwin Panofsky, Studies itt Icon
Nature vs.
Culture
105
tigne positif, la Culture d'un signe négatif. Ainsi, dans §iunrise, où cette opposition est incarnée par deux femmes, celle de la campagne, blonde et bénéfique, celle de la ville, femme fatale, brune et maléfique. De même dans 1m Name Only de John Cromwell (1939): la rencontre entre Alec Walker (Cary Grant) et la blonde Julie Eden (Carole Lombard) a lieu dans un cadre rustique, alors que celle-ci est en train de pêcher; par implication, le caractère « naturel " de Julie Eden, au nom révélateur, s'oppose au caractère sophistiqué, civilisé, hypocrite, de la femme légitime d'Alec, la brune Maida (Kay Francis). De même encore dans The Ten Cotnmandments de DeMille (1956), u épopée biblique » certcs, mais aux schémas mélodramatiques accusés (MoTse: Charlton Heston et Ramsès: Yul Brynner y tont des u frères ennemis » ; Moïse est fils d'esclave, devient fils de prince, redevient esclave ; il est à la juive comme Daniel recherche de son identité Eliot) : les deux femGeorge roman de Deronda dans le incarnent respectimes qu'aime successivement Moïse vement Culture (Néfertari: Anne Baxter) et Nature (§éphora: Yvonne de Carlo). La première est une prineesse égyptienne, l'épouse promise au Pharaon, une femme belle, raffinée, cruelle ; la seconde est une bergère arabe, dont la beauté est décrite comme r intérieure », et qui est présentée, une quenouille à la main, absolument semblable à un personnage de Le Nain 7. Dans The Sandpiper de Minnelli (1965), l'antithèse oppose à la fois deux femmes (Laura Reynolds : E,lizabeth Taylor et Claire Hewitt: Eva Marie Saint) et, eomme toujours chez ce metteur en scène, deux décors. Elle n'a rien de manichéen. Laura Reynolds
lncarne la libération sexuelle et la morale naturelle
;
7, Je songe ici àl'Intérieur paÿsdn (dit aussi Ferrune let'tottt sa gttctttntille)1.e Ia National Galiery of Art à Washington, catalogue rr" 24 dans Jacques Thuillier, Lês Frères Le N«irt, Réunion des Mttsôes nationaux, 1978.
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Thèmes
elle veut soustraire son fils à l'enrégimentement de l'école, faire de lui un o Bon Sauvage ,. Edward Hewitt (Richard Burton), pasteur, éducateur et bon mari,
représente avec son épouse toutes les valeurs (nullement méprisées) de l' establishment américain. Chez les Hewitt, le décor est une harmonie de tons blancs, noirs et gris. Inversement, la couleur de Laura est le rouge (couleur de son foulard, de son chandail, de encore que le rouge ne soit pas dansThe son poncho) Sandpiper un coloris univoque, au contraire : il sert, au début àu film, à caractériser le décor scolaire, professoral, de la bonne société (le bureau du juge est tapissé de livres dont les reliures rouges signifient ici le Livre, la Loi). D'un côté donc, la maison de Laura, sur pilotis, au bord de la mer, et la mer elle-même, « corrélatif objectif , des étreintes passionnées de Hewitt et de Laura, mais aussi, de façon plus diffuse et plus fonda' mentale, symbole d'une Nature immuable quels que soient les raffinements du progrès et de la civilisation' De l'autre côté, l'école, la chapelle. En dehors du fait que la brune et la blonde ont ici échangé leurs rôles par rapport à Sunrise ou à In Name On$t, on peut noter que l'opposition Nature-Culture se complique chez Min' n"lli duns la mesure où le pôle naturel est paradoxalement incarné par l'artiste (Laura est sculpteur). Mais cette artiste constitue bien la tentation naturelle de Hewitt. Dans Home from the Hill du même metteur en scène (1960), l'opposition Nature-Culture est incarnée non par deux femmes, mais par Wade Hunnicutt (Robert Mitchum; et sa femme Hannah (Eleanor Parker) : cette fois-ci, c'est donc la femme qui représente le pôle civi' lisateur, l'homme le côté naturel. Le conflit se perpétue à la génération suivante avec les personnages de Rafe (Geoige Peppard), premier-né bâtard, compagnon de chassà de son père, et de Theron (George Hamilton), fils légitime, " fils de sa mère ". Le père se moque de la chambre d'enfant où vit Theron et lui oppose son pro' pre décor " viril , : cheminée, fusils, trophées de chasse
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et de pêche, chiens de chasse." La chasse constitue ici une métaphore ambiguë, signifiant la cruauté, mais aussi l'harmonie de l'homme et de la Nature. La conclusion, comme l'ensemble de l'æuvre, est équilibrée: le père est éliminé, tandis que se réconcilient ses fils, frèie. errne-is, le cadet Theron étant lui-même devenu dans l'intervalle mfir, viril.
Nuancé, complexe, voire contradictoire chez Minnélli, le conflit est ailleurs plus franc et traditionnel. Dans Camille,l'idylle entre Greta Garbo et Robert Taylor a pour cadre une nature pastorale, des prairies et
des moutons, des arbres en fleurs et des oiseaux. Mar-
guerite Gautier, la demi-mondaine, se souvient de ses n origines campagnardes ". Elle est rendue à sa pureté la blancheur de sa traîne et de que symbolise natuielle, pastorale s'oppose à la culture nature sa capeline. Cette jeu, comme la lumière parisienne du théâtre et du iolaire à un monde nocturne, éclairé artificiellement. Dans Beyond the Forest (Vidor, 1949), Rosa Moline (Bette Davis) ne sait pas se contenter de son bonheur conjugal avec le médecin de Loyalton (Wisconsin) qu'intèrprète Joseph Cotten et que son goût de la pêche, son canoë, sa pipe désignent comme un homme « natuçgl », êïr harmonie avec une communauté de paysans et de bficherons vêtus de chemises à carreaux (autre signe de rusticité). Rosa ne rêve que manteaux de fourrure, magazines de mode, romance avec Neil Latimer (David Briàn), qui l'emmènera dans la grande ville, Chicago; clle trouve la mort faute de renoncer à ce rêve destructcur. Inversement, dansA/l I Desire de Sirk (1953), l'actrice Naomi Murdoch (Barbara Stanwyck) quitte Broadway, revient dans la petite ville de Riverdale (Wisconsin) et, en définitive, décide d'y rester auprès de sa famille, qu'elle avait abandonnée pour sa carrière. On note dans les films de Sirk la présence fréquente d'un décor pastoral qui sert de cadre à une idylle et symbolise une innocence et un bonheur le plus souvent fragiles. Dans All I Desire, Naomi retrouvait son amant Dutch Heine-
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man (Lyle Bettger) au bord d'un lac. On trouve des scènes semblables dans Taza, Son of Cochise, western où figure notamment le motif mélodramatique des frères ennemis, et dans Written on the Wind : le tryst de Mitch et de Marylee, au bord de la rivière, symbolise leur innocence perdue, .. le vert paradis des amours enfantines ». Dans ce dernier film, Mitch et son père incarnent la Nature (le père a un ranch, il boit de la bière) face à la culture frelatée des Hadley (connotée par les voitures de sport, l'alcool, les armes à feu). Citons enfin A Time to Love and a Time to Die, où la pastorale est à la fois poignante et légèrement ironique : les amants échappent pour quelques heures à Ia guerre qui ravage l'Allemagne et, au bord d'une rivière, croient 1n4i5 ç's5[ découvrir avec surprise une odeur de lilas le parfum dont s'est inondé Ernst Graeber (John Gavin), comme avait fait Wyatt Earp (Henry Fonda) dans une scène célèbre de My Darling Clementine, western de John Ford. Ils découvrent néanmoins bientôt un arbre inexplicablement fleuri sous lequel ils s'embrassent (il s'agit, bien entendu, comme dans le mariage mélodramatique de The Mortal Stonn, deBorzage, del'arbre de vie). Il en va de même dans Lafayette Escadrille de Wellman: Thad et Renée passent leur u lune de miel » sur une colline, près de Paris, parmi les fleurs, sous un ciel auguste; Thad s'écrie : .. Nous sommes à des cen' taines de kilomètres de la France, de Paris, de la guerre », niant ainsi la proximité de la ville qui symbo' lise la civilisation, mais aussi un lieu de perdition, peu' plé de déserteurs et de profiteurs qui hantent ses lupa' nars. Thad et Renée s'apprennent réciproquement l'anglais et le français. Cet apprentissage est, certes, une acculturation, mais il désigne avant tout l'innocence naturelle des personnages ; inversement, la « madame » du bordel, qui parle toutes les langues, incarne la mau' vaise Culture. On note des scènes semblables dans Across the Wide Missouri, western primitiviste du même metteur en scène, qui a pour thème, comme The Big
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du nord-ouest. Le traps'y apprennent réciIndienne peur (Clark Gable) et une proquement leur langue. Dans certains cas, le conflit est moins entre Nature et Culture à proprement parler qu'entre Culture (primitive ou exotique, donc par implication plus proche de la Nature) et Culture. Ainsi dans The Squaw Man, dêià évoqué. Nicholas Ray utilise le mythe du Bon Sauvage The Savage Innode manière assez ambiguë - dans -cents (1959), qui met en scène des Esquimaux ; on rapprochera, du même réalisateur, Hot Blood (1956), où il était question des Gitans. On retrouve les Esquimaux dans lce Palace de Vincent Sherman (1960). Citons encore The Sins of Rachel Cade de Gordon Douglas ou Two Loves de Charles Walters (tous deux de 1961), réflexions sur le puritanisme (en tant que morale de répression sexuelle, antinaturelle) sur fond de culture primitive très typée (africaine et nêo-zélandaise respectivement). S'agissant de cultures moins primitives qu'exotiques, le torrest donné dès Broken Blossoms de Griffith (1919), qui, loin de sacrifier au cliché du " méchant Chinois', témoigne au contraire d'une ironie subtile, mais mordante, en nous montrant son héros qui part pour l'Occident afin de lui apporter un message de paix' En Chine ne se battent, en effet, que les marins américains. A Londres, le Chinois rencontre à son tour des missionnaires chrétiens qui se rendent en Orient, mais le livre qu'ils lui donnent est intitulé Hell (" L'Enfer"). En d'autres termes, au message pacifique de la Nature, ou plus exactement de la Culture prétendue primitive,gxgiiqr., s'oppose le message négatif du puritanisme, de la psludo-civilisation. Notons ici que le mélodrame, genre à l'idéologie fréquemment réactionnaire, ne s'en àffir*" pas moins volontiers antiraciste ; la différence de race constitue alors un obstacle au bonheur comparable à la différence de classe ou à la différence d'âge (Bitter Tea of General Yen de Capra, 1933). A quarante ans de distance, The World of Suzie Wong Sky,
la recherche du
Passage
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de Richard Quine (1960) renoue avec le propos de Broken Blossoms.Tel un personnage de Minnelli, le peintre qu'interprète William Holden y oscille entre deux femmes, la prostituée chinoise qui pose pour lui (Nancy Kwan) et l'Anglaise au sens critique développé (Sylvia Syms) ; comme chez Griffith, la « sauvageonne , chi' noise est désignée comme, en définitive, plus civilisée
que les civilisés : en témoignent la scène où Holden dépouille Nancy Kwan des attributs vulgaire5 « qui la font ressembler à une prostituée blanche », et celle, symérique, où il lui apporte un diadème et deux robes « qui ont appartenu à une impératrics ,. La fausse culture dépouillée, Nancy Kwan est rendue par Holden à sa vraie culture, qui se confond avec sa « nature ». Une variante très proche fait contraster avec la Culture la Culture populaire, à son tour ressentie comme plus voisine du naturel et de la Nature. Il en va ainsi dès Manhandled (1924), où, à Tessie McGuire (Glo' ria Swanson) jouant de l'ukulele, instrument primitif et populaire, Dwan oppose la conversation très sophistiquée du sculpteur Brandt et du romancier Garrettson, horirmes de culture par définition. Le schéma reproduit celui de l'opposition entre classes sociales. On le retrouve dans Srel/a Dallas de Vidor, avec le personnage éponyme qu'interprète Barbara Stanwyck, et qui arbore une série de robes toutes plus voyantes les unes que les autres, audacieusement décolletées, à ruches, à fanfreluches mousseuses, ainsi que des bijoux d'un sou après avoir lu True Confessions au lit en mangeant des chocolats, Stella Dallas fait sa sortie dans le monde, portant voilette, étole de renard et bracelets qui cliquetr tent. Ici la culture populaire semble être le reflet cari: catural de la grande culture ; il n'en reste pas moins que, derrière ces apparences vulgaires, se dissimulent de véritables sentiments, notamment un amour mater' nel (sentiment « naturel » pâr excellence ; cf. The Squaw Man) qui ira jusqu'au sacrifice. Cela confirme l'ambiguité, déjà signalée, du point de vue de Vidor sur son Personnage. 1
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Dans Sotz e Came Running de Minnelli, l'opposition est incarnée par deux femmes et deux décors' Ginny Moorhead (Shirley Maclaine), la prostituée au grand cæur, représente la Culture populaire, donc la Nature, symbolisée par son oreiller-souvenir sur lequel est ins.tit l. mot Sweetheart (« Chérie '). Elle s'agrippe à ce fétiche lorsqu'elle meurt en essayant de protéger Dave Hirsh (FranÉ Sinatra). Ginny appartient au même décor que Bama Dillert (Dean Martin), chez qui se trouve
notu**.rrt un objet kitsch, une lampe en forme de
danseuse qui se déhanche et dont le pagne constitue l'abat-jour. Inversement, Gwen French (Martha Hyer), qui esi professeur, incarne la Culture; dans la maison qu'elle habite avec son père, on voit des livres jusque dans la cuisine, et des reproductions de tableaux, un Canaletto, le Garçon au gilet rouge de Cézanne"' De même que Laura Reynolds constituera dans The Sandpiper lâ tentation naturelle du révérend Hewitt, de herrr. Gwen French constitue ici la tentation culturelle de Dave Hirsh, écrivain bohème aspirant au havre de la
respectabilité. Dave représente pour Gwen, quoique passagèrement, la tentation inverse, comme on le voit d"nr iu scène admirable où il défait les cheveux de la jeune femme, faisant tomber les épingles-qui les entraïent, rendant à cette chevelure sa liberté « naturelle ,. Opposer primitivisme n dur » et pastoralisme revient à op^ptser Nature (maléfique) et Nature (bénéfique)' Ce typl'd. conflit découle logiquement des antithèses ambiguês que l'on trouvait chez Minnelli (Some Came Runring, Iio*" from the Hill, The Sandpiper) ou chez Vidor litetta Dallas). L'un des meilleurs exemples e-st précisèment celui d'un autre film de King Vidor, lhe 'Wedding Night. Les deux personnages principaux (dont Vidor, Jontrairement à ce qui se passera dans Stello Dullas, épouse ici clairement le paryi) rejettent chacun cle son côte le milieu qui les étouffe, et parviennent à une union sublime, à la fois charnelle et spirituelle, mais qui n'est sanctionnée que par la mort' Tony
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Barrett (Gary Cooper) est un romancier, un homme de culture donc, qui devient un raté car, victime de son succès, du milieu factice de New York, de la camaraderie superficielle de sa femme, de la boisson, il n'a plus le temps d'écrire, ni d'ailleurs la moindre inspiration (le personnage évoque, semble-t-il, F. Scott Fitzgerald). Désargenté, il retourne dans une ferme familiale, dans le Connecticut, et y fait la rencontre de fermiers d'origine polonaise. La communauté polonaise américaine stimule d'abord son imagination, mais c'est surtout au contact de Manya (Anna Sten) qu'il reprend gofit à la vie, réapprend la beauté et la simplicité de gestes quotidiens (allumer un feu, un fourneau, préparer un repas) et se remet à écrire. Il ne faudrait cependant pas chercher dans The Wedding Night la vision naiVe d'un idéal pastoral. Le milieu paysan polonais est nettement décrit comme tout aussi opprimant pour Manya que le milieu new. yorkais pour Barrett; cette société primitive est régie de manière tyrannique par le pater familias interprété par Siegfried Rumann, les femmes y sont des esclaves domestiques, et les mariages arrangés au nom de consi, dérations purement économiques. La sensibilité ,, réa., liste " mais délicate de Manya contraste avec la vulga: rité, l'insensibilité bestiale de Fredrik (Ralph Bellamy), à qui elle est promise, et que l'on voit se réjouir à l'idée de tuer un cochon (dans une scène digne du Thomas Hardy de Jude the Obscure) ou de déflorer sa femme après avoir copieusement bu et reçu les encourage. ments de la partie mâle de la communauté. Si le salut, pour l'écrivain, consiste bien à revenir aux sources de la vie, plus près de la Terre, il ne s'agit donc nullement d'un rejet de la civilisation : l'idéal est situé, non du côté du primitivisme, mais, pour ainsi dire, à mi-chemin. Tony offre à Manya la même chance de libération qu'elle lui offre à lui. Citons aussi Under Capricorn de Hitchcock. Sam Flusky et sa femme Harrietta y sont en proie aux atta. ques des forces du bas. Milly, la gouvernante, fait tout
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pour dégrader Harrietta, car elle la considère comme une intruse dans ce nouveau monde (l'Australie) où elle pense avoir sa place u naturelle auprès de Flusky " (d'origine humble, alors que sa femme est d'origine aristocratique). Pour la terroriser, elle fait appel aux ressources du primitivisrne australien (aborigène), plaçant par exemple une tête réduite à son chevet. La conclusion équilibrée renvoie dos à dos l'aristocratie et l'Australie populaire (décrite comme sous-humaine), fait l'apologie du mariage socialement mixte et d'une sorte de « juste milieu ,.
Il en va de même encore dans So Big de Robert Wise (1953), qui a pour cadre une communauté rurale hollandaise, près de Chicago. Le primitivisme appartient à la variante .. dure », non flattée (" cette prairie tue tout le monde », est-il précisé), mais simultanément la ville de Chicago est présentée en termes bibliques comme un lieu de perdition. Le héros, o So Big ", se rendra en définitive à l'université pour devenir architecte, donc se tourner vers la culture, mais il subsistera un mouvement de va-et-vient, une hésitation. Certains éléments naturels apparaissent avec régularité comme maléfiques ou du moins dangereux par leur caractère incontrôlable. C'est le cas, bien entendu, de l'orage et des autres catastrophes naturelles, mais aussi de l'Océan, qui se fait parfois Léviathan. Dans Anna Christie de Clarence Brown (1930), d'après Eugene O'Neill, la mer, toujours désignée comme diabolique, s'oppose au rêve agrarien ; il s'agit donc ici, en quelque sorte, d'une opposition entre Nature primitive et Nature pastorale. Dans Humoresque, Helen Wright (Joan Crawford), décrite comme hypercivilisée, se suicide par noyade dans la mer. On trouvera des scènes de suicide semblables dans A Star ls Born et dans Interiors (Woody Allen, 1978). Ailleurs la mer désigne simplement la passion amoureuse, mais cette passion est ellernême ambiguë, tantôt libératrice, tantôt (ou simultanéntent) destructrice: Mildred Pierce de Curtiz (1945),
Thètnes
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Humoresque, Clash by Night de Lang (1952), Vertigo de Hitchcock (1958), The SandpiPer. On constate donc que, si le mélodrame affecte, dans la majorité des cas, la Nature d'un signe positif aux dépeni de la Culture, il existe de nombreux exemples otr-l'opposition est renversée, et aussi de nombreux cas où une sorte de synthèse entre les deux termes est recherchée, avec un succès d'ailleurs variable. On constate en outre que le contenu même des termes de Nature et de Culture est susceptible de variations considérables: la petite ville peut symboliser la Nature par opposition à 1a grande ville (All I Desire de Sirk) ou la Cllture pu. oppotition à la campagne, à la forêt (4// That Heàv", À[lo*t du même réalisateur) ; il ne suffit pas de dire que le motif des fleurs par exemple signifie,
àe manière univoque, la Nature: à la violette qui a effectivement ce sens (dans Mannequin de Borzage, lg37), ou à la marguerite (Driftwood de Dwan, 1947), s'opposera, fleur quasi u artificiells ', l'orchidée (Mildred Pierce).
LE
HÈÀ,IE DE L,ENFANCE
Selon la parole de Wordsworth, u the child is father to the man , : l'enfant présente à l'homme, comme en un miroir, sa propre origine, avec l'innocence qui la caraÇ' térise et que l'adulte perdra. Comme tel, l'enfant constitue dans bon nombre de mélodrames une victime toute désignée. Sa mort figure parmi les " malheurs-clichés ' du àelodrame: Rich Man's Folly de John Cromwell (1931) d'après Dombey and Son de Dickens, Secrets', Mitdred Piàrce, The Foxes of Harrow, Plymouth Adven' ture de Clarence Brown (1952), The World ol Suzie Wong(dans ces deux dernières æuvres, on peut signaler d'intéressants rituels d'enterrement). Rappelons que, dans la tradition biblique, la mort des premiers'
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nés est un fléau de Dieu, une catastrophe d'origine divine, au même titre que le Déluge ou les sauterelles (The Ten Commandments). Si la mort de l'enfant peut servir à indiquer le caractère aveugle du destin, il est fréquent qu'elle illustre le dogme de la communion des saints, qu'a adopté le mélodrame : les souffrances de l'innocent profitent au coupable. Un cas extrême de primitivisme est celui de l'enfant trouvé ou de l'enfant sauvage, libre de toute attache familiale ou sociale. Il n'est pas rare que sa situation se confonde avec celle du bâtard, mais l'éclairage est différent: négatif pour le bâtard, positif pour l'enfant trouvé. Celui-ci, dans le mélodrame comme dans la mythologie, est susceptible d'être fils de prince ou même de dieu: c'est le cas de Moise, si l'on accepte avec Freud l'hypothèse de son origine égyptienne et princière. Naturellement, DeMille, dans The Ten Commandments, s'en tient sur ce point à la version de sa naissance que donne la Bible, encore que le choix d'un interprète aux formes athlétiques, Charlton Heston, corrobore implicitement la thèse de Freud. Dans Lazybones de Borzage (1925),I'enfant trouvé, une petite fille, est comparé à la fois à Moi'se " sauvé des eaux » et à David (elle a des boucles " juives » et s'arme d'une fronde). Dans Johnny Belinda, Jane Wyman donne une interprétation remarquable d'une enfant sauvage, sourde et muette, qui sera soumise à l'apprentissage du langage. Ce thème classique (que j'ai signalé à propos de Lafayette Escadrille) hgure, par exemple, chez Balzac, dont l'Ursule Mirouët est elle-même, comme l'indique son nom (. petite ourse »), une enfant sauvage
8.
8. Éd. Béguin-Ducourneau, VIII, 416, 418, 459 (n Ursule est digne de son nom... elle est très-sauvage ,).
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Normalement bon, parfois méchant (comme l'ogre Lp WrmpmnlNN
des contes de fées), le personnage du Wildermann est un familier de la littérature de type « romantique », au sens défini par Northrop Frye dans son Anatomy of Cri-
ticism: J'emprunte le terme de Wilderrnann àEugenio d'Ors et à son admirable essai sur le baroque, qui, faisant de baroque et romantisme deux variantes du même u éon ' anticlassique, inviterait d'ailleurs de manière insistante et tentante à considérer le mélodrame, qu'il soit pièce à machines ou pastorale, comme une manifestation de l'esprit baroque. Le Wildennann est cet u homme sauvage » qu'on voit sur les blasons et sur les enseignes d'Allemagne du Sud, vêtu d'une peau de bête et armé d'une màssue'. Il rappelle certaines figures de la mythologie classique, les satyres, les faunes, personnagei mi-humains mi-animaux, issus, selon tels mythes primitivistes, d'accouplements entre hommes et
bêt"rr0. Avant l'époque baroque proprement dite, il joue un rôle important dans les fêtes de la Renaissance, où il exprime le goût de Ia nature, le pastoralisme, souvent mêlés à un certain exotisme rr. Il a des avatars chrétiens, principalement Jean-Baptiste au désert, vêtu (selon l'Évangile) d'une peau de chameau, mais aussi divers ermites, par exemple le saint Onuphre de Salvator Rosa 12.
9. Eusenio d'Ors, Dtt barttque, Gallimard, 1968, p'. 17-18' 10. Elwin Panofsky sur le Pav.sage attx-ttrtitnriltr de Piero di Cosimo à I'Ashmoleân Museum (Oxford) : " Les forêts sont encore hantées par d'étranges créatures, nées. des accouple-
ments entre humàins et animàux, car la truie au visage de femme et la chèvre au visage d'homme ne sont nullement des fântaisies
à la Bosch: elles iont censées témoigner d'une théorie très sérieuse, contestée, et par là même transmise, par trente-cinq vers de Lucrèce. " Studies itt lcortologv, p. 55. I l. Selon le mot de Michel Vovelle, « on prête beaucoup aux Sarrasins. , Les Métamorphoses de lafête en Provertcc de 1750 it
820. Aubier/Flammarion, 197 6. tZ. l, Cuirie to the Galleries of the Minneapolis lttstitute of Arts, The Minneapolis Institute of Arts, l97o' p' 96 (o Saint Hum'
Le plus connu des enfants sauvages est le Mowgli de Kipling; un homme vert hantait les forêts de l'Angleterre médiévale, prenant tantôt la forme de Robin des Bois, tantôt, dans l'aventure de Gauvain, celle du Chevalier; représenté chez Spenser par Satyrane, l'.. homme sauvage ,, abonde à la Renaissance, et il y a des siècles que le géant hirsute, maladroit mais fidèle, se promène dans la littérature de type romantique. Ces personnages sont, à des degrés divers, des enfants de la nature ; ils peuvent, comme le Vendredi de Robinson, se mettre au service du héros, mais leurs origines demeurent impénétrables. Serviteurs ou amis du héros, ils témoignent du mystérieux rapport à la nature qui caractérise si souvent celui-ci. Le paradoxe qui veut que nombre de ces enfants de la nature soient des êtres u surnaturels , choque davantage la logique que la littérature. La bonne fée, le mort reconnaissant, le serviteur miraculeux, sont autant de lieux communs du conte populairer3. Où le cinéma hollywoodien se distingue de la littérature qu'évoque Northrop Frye, c'est que de tels personnages il fait volontiers des protagonistes. Sans même parler de Tarzan, de Robin des Bois, des " Sauvages » (Indiens notamment) qui appartiennent à des genres spécifiques, on peut citer les types incarnés par certains
acteurs, au physique souvent athlétique : Sterling Hayden, Lorne Greene, Jack Palance... Charles Bickford joue Matt, le marin, dans Annct
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phrey ,).
13. Northrop Frye, Antttomv of Criticisrn : Four Essavs, Princelon Univ. Press, 1957, p. 196-197.
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Christie; il est le père de Belinda dans Johnny Belinda' Dans Four Daughters de Michael Curtiz ( I 93 8), son premier film, .o**" dans Daughters Courageous du" même réalisateur (1939), John Garfield est le n sauVage » qui devra finalement être expulsé du milieu douillet où il s'est introduit par mégarde' Dans Humoresque, son innocence est soulignée par la joie enfantinË qu'il éprouve à lancer une fléchette dans le mille ou à s'achei.t u, complet à grosses rayures, au mépris des conventions vestimentaires de la haute société' Comme le lui fait remarquer Helen (Joan Crawford): >r, c'est .< Vous êtes grossier: c'est le signe du talent sauvage aussi le secret de la séduction que ce bon exerce malgré lui sur la femme du monde' De même, Victor Wri ht (Paul Cavanagh, admirable en mari indulgent, très roué du xvltI" siècle) commente en ces termà le style de Paul Boray (Garfield), virtuose du violon: " Il joue comme Van Gogh peignait' ll-y a d-t1 en tout artiste ,6ti1u§ls' ' (Il lri sauvage "., n'est à'ailleurs pas interdit de songer ici à Kirk Douglas interprète de Van Gogh dans Lust for Lile de Minnelli : on remarquera une fois de plus que c'est paradoxalement l'artiste, Van Gogh « sauvage ', Gauguin « primitif ,, qui incarne la Nature ; mais c'est qu'il rejette ce qu'on pourrait appeler la u culture dominante '') ^ Dani Att That H"or", Allows de Sirk, Rock Hudson incarne, de manière presque littérale, un homme des bois: pépiniériste, Ron Kirby vit en harmonie avec la naturé, ôhutt" Ie faisan, nourrit une biche' Son amie Atida remarque : « Je ne crois pas que Ron ait jamais lu ce livre lWalden, de Thoreau]. Mais il le vit' " On rap' procherà de ce rôle ceux que joue Rock Hudson dans à'autres films de Sirk, comm e Ta1a, Son ol Cochise, oit il est un Indien qui se civilise, et dans Written on the Wind.' « saine , vi,olence, goût pour la nature qu'il par' tage avec son père. Son rôle dans Magnificent Obses' siàn, en revanche, est celui d'un playboy (certes spor' tif), puis d'un grand chirurgien, ce qui brouille quelque p.rri.t pistes ; il est néanmoins comparé par une petite
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fille à ,,Tarzan,, de même que dans All That Heaven Allows on l'appellera u Carey's nature-boy )), « l'homme des bois de Carey [Jane Wyman] ,. Le mélodrame hollywoodien ne l'indique qu'en termes voilés, mais le I//i/dennann incarne bien srltr, par opposition à l'impuissance de l'homme trop civilisé, Ia vitalité sexuelle. Dans Wild in the Country de Philip Dunne (1961), au titre doublement primitiviste ou pastoral, Elvis Presley est un Wildermann qrui se civilise ; en filigrane, on retrouve dans ce rôle son interprétation d'un Indien dans le western de Don Siegel Flaming Star (1960)' On se souvient que les héroïnes pathétiques incarnées par Jane Wyman avaient tendance à être soit trop jeunes, soit trop âgées. On s'aperçoit de même que les interprètes de l'innocence naturelle dévient, d'une manière qu'on pourrait qualifier de symétrique, par rapport à une norme imaginaire. Tantôt le personnage (enfant, femme, femme-enfant, homme à la sensibilité n féminine ») est .. moins qu'un homme » ; tantôt, bon géant, bon sauvage, Wildertnann, il est, pour ainsi dire, « plus qu'un homme r.
Le Plnauts
TERRESTRE
Emblématique du pastoralisme est le primitif jardin d'Eden, le Paradis terrestre. Sa beauté et son caractère poignant viennent au moins en partie du fait qu'il s'agit d'un paradis perdu consécutivement à la u chute '. Son illustration la plus remarquable peut-être est celle qu'en donne Leo McCarey dans An Affair to Remember (1957). Dans la première version de l'histoire, Love Af-fair (1939), le Paradis terrestre apparaît déjà: il est situé à Madère ; dans le remake, il bénéficie en outre des beautés picturales de la couleur, que McCarey proressemdigue avec une palette digne de Bonnard - la blance est accentuée par le fait qu'il s'agit maintenant
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Thèrnes
de Villefranche, sur la Côte d'Azur. C'est un paradis terrestre, mais aussi céleste, car il est placé sur la hauteur et domine la baie. La grand-mère du héros, qui l'habite,
est une sorte de figure divine : Terry (Deborah Ker) doute d'abord de son existence, puis, à la vue du jardin paradis-iaque, elle s'exclame : .. Je commence à croire à l'existence de la grand-mère. , C'est un jardin enchanté, où l'on n'a le droit de se retirer qu'après avoir longtemps vécu et passé par le feu des épreuves. u On y est bien pour s'asseoir et se souvenir r, dit la grand-mère, Janou (Cathleen Nesbitt). C'est « un autre monde >>, note son petit-fils Nicky (Cary Grant), le monde d'hier (Janou insiste aussi sur la frontière qui sépare ce jardin du monde u réel », « présent ra ,). Nicky et Terry le mériteront peut-être, mais la chose est improbable, car ils appartiennent l'un et l'autre, quelles que soient leurs origines, à l'Amérique, non à l'Europe; l'emblème de leur amour est l'Empire State Building. D'ailleurs, lors du second voyage de Nicky à Villefranche, le jardin est vide, la grand-mère est morte: c'est bien d'un paradis perdu qu'il s'agissait. Il en va de même chez Minnelli, où l'on peut citer Ie jardin de Tea and Sympathy, qui unit les principes masculin et féminin (Tom Lee y a ajouté le myosotis, le ton de bleu, touche finale qui parfait tout le rose qu'y a planté Laura Reynolds) ; mais il n'est fleuri que dans un flash-back; au présent, c'est un jardin abandonné. De même encore dans The Four Horsetnen of the Apocalypse : le jardin dg " patriarche , Madariaga, en Argentine, est un précaire Paradis terrestre d'avant la chute, c'est-à-dire d'avant la guerre, le nazisme, l'irruption des 14. Janou : o Je ne vais pas plus loin. C'est la frontière de mon
petit monde. " Terry: " C'est un monde parfait. Merci pour m'avoir permis d'y pénétrer. Adieu. , Janou : n Soyez bénie. , accidentelle ou intenL'effet est renforcé par la médiocrité ou plutôt nl«l/r du procédé technique (transparence tionnelle s/zol), qui -indique clairement au spectateur qu'il s'agit d'un n collage, entre deux décors distincts.
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Quatre Cavaliers. Il est saccagê par un orage prémonitoire. East of Eden, autitre éloquent, célèbre, dans le jardin californien, une Nature comme antérieure à la chute, à la rivalité des frères ennemis, mais aussi à la Grande Guerre. Dans la gamme des verts qui baignent le film, Kazan s'est efforcé de trouver un équivalent visuel aux descriptions de la vallée de Salinas par Steinbeckrs. Dans Madatne X (David Lowell Rich, 1965), le jardin du Danois Christian Tobin (John Van Dreelen) est défini comme un héritage sacré: .. Mon père me l'a donné... C'était son royaume... Il deviendra celui de mon fiIs... " Ce jardin est bien le cadre, pour Madame X (Lana Turner), d'une régénération après sa chute tant physique (dans la neige) que morale; mais, simple pause dans la u descente aux enfers du personnage, il deviendra lui " aussi un paradis perdu. On rapprochera de ce dernier cas Secrets de Borzage. Lorsque le couple arrive en Californie, Mary (Mary Pickford) s'exclame : u C'est exactement comme le jardin d'Eden ! " John (Leslie Howard) lui répond: u Beaucoup de serpents et pas de pommes. , L'un et l'autre ont à la fois tort et raison. La Californie restera pour eux l'image d'un Paradis terrestre, et ils y connaîtront la réussite économique et sociale, mais auparavant ils auront été attaqués par des voleurs de bétail et ils auront perdu leur enfant. De même, dans Plltntontlt Adventure de Clarence Brown (1952) : l'enfant qui veut être le premier à voir l'Amérique et qui déclare: n Ce sera comme le jardin d'Eden », Irl€ürt en mer. C'est ici de la Terre promise qu'il s'agit : re-création du Paradis terrestre, elle demeure fréquemment inaccessible (comme à Moïse lui-même dans la Bible), ou du moins se paie d'un prix élevé. Au Paradis terrestre s'opposent, d'une part, l'Enfer civilisé, d'autre part, le Paradis apparent, artificiel. 15. Comme il s'en est expliqué dans Kazan par Ka?.an : Entretiens avec Michel Cimenl, Stock, 1973, p. 20l-204.
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Dans la première catégorie, on peut faire figurer la mai' son de jeu (Mother Gin Sling's gambling den) de The
Shanghai Gesture de Sternberg, les boîtes de nuit à l'éclairage expressionniste et " infernal " d'lmitation of Life (version de Sirk) ou de Two Weeks in Another Town, le bordel au mobilier somptueux de Lalaltette Escadrille, le restaurant Germania de A Time to Love and a Time to Die, dont le nom est clairement symbolique : c'est très précisément une nation qui, s'efforçant en vain d'oublier dans l'orgie la mort environnante, périt dans un étouffement et un embrasement. Parmi les paradis apparents, artificiels, on signalera la Côte d'Azur telle qu'elle apparaît dans Tender Is the Night de Henry King (1962), d'après F. Scott Fitzgerald, cadre « romantique » certes, mais sans rien de naturel, toile de fond d'incessantes et monotones réceptions et beuveries. Dans ce film d'ailleurs médiocre, tous les décors sont artificiels, qu'il s'agisse de la Côte d'Azur, de la Suisse ou des palaces internationaux (le Ritz à Paris, les hôtels de Venise ou de Rome...). On trouve aussi, dans The Sandpiper de Minnelli, l'enfer du Nepenthes, paradis artificiel de l'oubli et de I'hébétude. Les hippies qui l'habitent constituent un milieu qui se veut bohème, mais qui a cessé d'être créateur, une sousNature (tandis que la séquence de party, signature bien connue de nombreux films antérieurs de Minnelli, désignait plutôt une Culture frelatée).
GÉocupstE
IMAGINAIRE DU MÉLoDRAME
Ainsi s'esquisse une géographie imaginaire dont il ne suffit pas de dire qu'elle privilégie les décors « romantiques r>, câr cette épithète un peu passe-partout recou' vre des motifs sensiblement différents : Nature pastorale, Nature primitive et o rude ,, Culture sophisti' quée... Les oppositions terme à terme sont fréquentes,
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Cuhure
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mais, d'une antithèse à l'autre, il est courant que la même localisation change de sens (par exemple, New York peut être ressentie comme la Ville par excellence, c'est-à-dire la Culture par opposition à la Nature, mais aussi comme Culture populaire, donc u naturelle », pâr opposition à la Culture aristocratique). Réservant le cas de l'Amérique elle-même, examinons d'abord le reste du monde. On distinguera schématiquement quatre décors ou paysages principaux. La Nature primitive a pour cadre privilégié les u franges celtiques " de l'Europe occidentale. L'Irlande est montrée, dansThe Story of Esther Costello, sous un jour cru, antipastoral. fvres, les habitants du village de Cloncraig saluent Margaret Landi (Joan Crawford) qui se révulse. C'est là qü'elle recueille une orpheline sourde et muette, une sorte d'u enfant sauvage ,, Esther Costello (Heather Sears).
Dans Brigadoon, tnusical mélodramatique de Minnelli (1954), l'Écosse s'oppose à New York comme un rêve pastoral à la réalité d'une culture aliénante ; dansThe Keys of the Kingdorz (Stahl, 1944), paradis des pêcheurs, elle n'en comporte pas moins des traits rudes, par exemple des conflits religieux, ponctués par l'orage. Les Cornouailles sont le cadre de Rebecca de Hitch' cock et de My Cousin Rachel de Henry Koster (1953), autre adaptation de Daphne Du Maurier. Cornouailles et Devon apparaissent également dans Random Harvest de Mervyn Le Roy, avec le motif de la chaumière opposée au manoir. The Wild Heart est situé dans le Shropshire, à la frontière de l'Angleterre et du Pays de Gallesr6. On rapprochera, enfin, des franges celtiques la Nouvelle-Écosse de Johnny Belinda. Les paysages des Cornouailles, du Devon et du Dorset ont quelque chose d'inquiétant, ils se prêtent aux histoi' 16. Ce titre désigne la version américaine de Gone to Eurlh, lilm anglais de Mièhael Powell et Emeric Pressburger (1950), remanié par Mamoulian à la demande de Selznick (1952).
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res de fantômes (The Uninvited àe Lewis Allen ', Moon' de Fritz Lang, film d'aventures à la Robert Louis fleet 'St"r"rrot Ces , où passent quelques frissons d'horreur)' peu' l'Angleterre de caractères spéèifiques du sud-ouest vent également s'ippliquer au reste du pays, qui a d-onc tendaàcè à constituer un cadre à la fois primitif (d'un primitivisme plus hard que-soft, pour reprendre la ter' minologie de Panofsky) et fantastique ou " gothique " : Wuthering Heights, lane Eyre, Love Letters, etc' La Nature proprement pastorale est surtout représentée par les paysages méditerranéens, luxuriants et enso: leilfés, et nàtàmment par le midi de la France, qui, dans Intermezzo, s'oppose à la Suède. Dans September Affair' l'Italie s'oppose à l'Amérique ; dans Love Affair et An Affair to Ràmember, Madère, puis Villefranche, à l'Amériq"". La Côte d'Azur apparaît dès Foollsh Wives de Stioheim, ainsi que dans Rebecca, Tender Is the Night, Moment to Moment... De même que les caractères fantastiques de-s Cornouailles sontlusceptibles de s'appliquer à l'Angleterre dans son ensemble, de même le caractère idyllique de la Côte d'Azur,symbolisant la douceur de vivre, s'étend à la France entière. On évoquera à cet égard, outre les scènes encore pastorales de Passage to Marseille ou de Lafayette Escidrille, le pittoresque sentimental qui s'attâ.he à Paris, u capitale des arts », mais surtout d'un certain art de vivre, de Seventh Heaven à C asablanca en passant par la première version de Magnilicent Obses' sion. Le reste de l'Europe se réduit, pour l'essentiel, au monde germanique (Allemagne, Suisse, Autriche), qui, à l'instai de Paris, mêle caractères pastoraux et traits de haute et ancienne culture, connotés par les clochers gothiques etbaroques. La tendance est donc, ici encore, I lu .utt. postale pittot.tqre' La Suisse apparaît, par Ie biais d'un u scenic railway r, dans Lelter frotn an Un' known Wornan, qui appartient d'ailleurs au genre viennois, et aussi dani le remake de Magnificent Obsession, Tender Is the Night, Madame X- Interlude de Sirk (1957)
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oppose à l'Amérique les charmes pittoresques, mais aussi les pièges, de Munich et de Salzbourg. Dans Blonde Venus de Sternberg (1932),l'Allemagne revêt une forme explicitement symbolique et pastorale grâce au récit qu'Edward Faraday (Herbert Marshall) fait à son fils de sa rencontre avec Helen (Marlene Dietrich) et qu'il intitule u Springtime in Germanÿ » (« Le Printemps en Allemagne »). Le reste du monde a des caractères très variables puisqu'il constitue, comme par définition, l'exotisme, l'u autre ". Il a fréquemment des traits primitifs et rudes : Australie d'Under Capricorn (Hitchcock, 1949), Guyane de Strange Cargo (Borzage, 1940) et de Passage to Marseille, Nouvelle-Zêlande de Green Dolphin Street (Victor Saville, 1947) ou de Two Loves (Charles Walters, 1961), Mexique, cadre de la déchéance ultime de Madame X; Afrique, etc. Parfois il représente, de manière neutre ou négative, une civilisation « autre , (l'Inde de Bhowani lunction ; Ia Chine de Bitter Tea of General Yen; celle de The Shanghai Gesture, qui est un enfer civilisé). Cet aspect demeure dans le mélodrame contemporain. On a pu reprocher à The Deer Hunter (Cimino, 1978) son racisme antivietnamien ; ce film patriotique dépeint en effet ce qui n'est pas l'Amérique comme l'étranger, l'autre, mais, pour ainsi dire, de manière symbolique et non spécifique. L'architecture majestueuse du film oppose terme à terme la bonne Culture (la communauté russe orthodoxe de Pennsylvanie) et la mauvaise Culture (l'enfer de Saigon au moment de sa chute, avec le personnage du Français en nautonier); la bonne Nature (les montagnes de Virginie occidentale) et la mauvaise Nature (le fleuve et la jungle du Viêt-nam). Parfois, enfin, l'exotisme est synonyme de pastoralisme, et ses paysages idylliques ont la même fonction que ceux de la Côte d'Azur. C'est le cas d'Honolulu dans One Way Passage (Tay Garnett, 1932), de Rio de Janeiro dans Now, Voyager (Irving Rapper, 1942), par opposition à New York et Boston, ou de l'Argentine dans The
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Pass:,1-Bu'gotl The strange woman (ulmer, 19f) 1947) oppose Jennie(Dieterle' of Portrait dans Ie Maine i variantes encore' peut citer Ëô;üà rti"* ittt"on Heaven rhat ou.All ;ËË;à1.r, ro"' o""shtersce'dernier Millie film' Allow s,' comme C;;yJ*tiâu"t otigi';;i;;" Nouvelle-Angleterre dans Wetherby "r, Autumn Leaves'
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" l"tïi il ::lfi J#;ï:MJ;ü;;iiu--u.,uui'"Tî'ï:",':'Y::'^*i alr Ï'ftr\uLrvçq* ^""^^-;'i (stahl' 1945)' de même rile) dans Leave He H"ou"n .r ,r----^ r-^in\ à câ sreur il7 üï"";i *.1,'" Ll'h tr^"ï:i,::::Tl "' i -
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i:::1#";;;'i';.u"t'1:"1o.ï",::i*;if ,T,31. au rexas dans GiantrT' Inver'"i;:dË;p;;;iii;;ent
la référence au roman de Willa 17. De m-anière c^omparable' c #Tiÿfr1iiî:**Ïràhr,t:iq:iil6iiiTrËili','Tii ll ôuvel é-orléan s décadente' à'éi;i'È;;i"ï Jt I
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sement, dans Ladies of Leisure (Capra,1930),-l,AriToya la liberté des svmbolise, pu, oppt,ition à New York' sans classes' ;il;r;itlt'et"itét et d'une société la Californie' A la Côte d'Azur correspond aisément raisons pour-des' ,tiuif"già. par le cinéma américain Malibu dans T e o commodité' "^';';î;;;;thy a;e"iaente de üinn"lli ou dans Beloved Infidel de Sandpiper de Minnelli jouent le lils;'Büaii tout à fait ;;Ëd; ;"radis - au moinl apparents De Villefranche' à .Àp*"'Ufes à Monte-Carlo ou Obsession ;a;. qu'il désignait la Suisse de Magnificent » ayant recours au comme un « pays de carte postale en qui s'anim:l sitl orocédé désuet d;la ;;it postale jour ironique : There's T"î"iiràt"ie sous un il;; t:q1r"1:-: 0,"^ Always Tomorrow s'ouvre sur une solerr tois' sous Ie tlT::l lue précède le texte : " Il était une californien... " comme jardin Si la Californie apparaît fréquemment de ce rôle' qui et Terre promise, -à'rr,," pas l'àxclusivité "'u "fià Nouvelle-Angleterre iart, à la et.à dévolu, "L"i sauvases' les plus. ve-r{?vu"t' moini ffi ; rurales du Midwest' et riants, d'autre fart, aux régions à Experirnent PeriPour le premier .à', o" se reportera au Vermont' à sa lous de Jacques Tourneur Qg44): marguerites' chaumière .t a * pt"iti" fleurie de culturels' séduisants il;;;;;-;r,. *,rt,it'ât dt signes d'Allida (Hedy mais inquiétants. Face au personnage Lukas' qui est Lamarr), on trouve celui qu;incarle Paul (Bedereaux)' et introviennois, porte un nom français poiité" il;;; i;;*. aÀt iu sociéte York' et artificielle de Putit, Puis dans celle de New l'utilisaPour le Midwest, on notera' en particulier' All I Desire; t-l' S: tion du Wisconsin (Be'yo'd the Foreit' à New York ;;; t ..ii" a. clt'"innati, s'opposanttraditionnelle' comme une "o*À'"uuté etÉnique' (Back Street)'.O,n familiale, à une *Lttopolt anonyme familial de ;;;;;.h. ra Mee-t Me in st' Louis'la musical de déména' rvririr.lli, et le refus unanime de famille ger Pour New York'
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Thèmes
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La Culture, pour sa part, est représentée par la grande ville, donc avant tout par New York (mais avec l'ambi' gui'té déjà notée que New York est susceptible d'appaiaître comme u populaire , : ainsi, dans The Shining Hour, New York signifie le peuple, le Wisconsin une sorte d'aristocratie rurale). Il peut s'agir de diverses autres villes. Capitale d'une Nouvelle-Angleterre primitive ou pastorale, Boston n'en demeure pas moins synonyme de culture : caractéristique à cet égard est The Late George Apley de Joseph L. Mankiewicz (1947), avec ses citations d'Emerson et de Whistler. L'aristocratie aliénante de Now, Voyager vient de Back Bay, quartier huppé de Boston. Dans Kitty Foyle de Sam Wood ( 1940),
c'est Philadelphie qui joue ce rôle, par opposition à New York. Dans le Midwest, la " ville tentaculaire » est bien entendu Chicago, qu'on fera contraster avec son hinterlandpastoral : City Girl de Murnau (1930), Beyond theForest, So Big r8. Au sein même du jardin californien, San Francisco fera figure de Sodome (San Francisco de Woody S. Van Dyke, 1936).
ANluaux
ET TALISMANS
personnages et de certains paysages, les animaux jouent dans le mélodrame un iOle qui renforce fréquemment la symbolique de l'innocence et du primitivisme. Qu'il suffise de rappeler l'exemple de la biche, dans All That Heaven Allows de Sirk: d'abord nourrie par le " bon géant " Ron Kirby, elle apparaît à la dernière image du film, derrière une
A l'instar de certains
18, Cette caractérisation de Chicago est fâcilitée par le fait ou'elle est la patrie du naturalisme américain, la " jungle o d'Uoton Sinclair. l2 n fosse , de Frank Norris; on comparera, oluâ orès de nous. son utilisation comme décor de Loctkûtg lor
Mr. éoo,lbar (Richard Brooks, 1977).
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grande verrière, pour sceller la réunion des amants Kirby a été victime. Un autre exemple, celui de The Glass Menagerie d'Irving Rapper (1950), d'après Tennessee Williams, montre que le rôle normalement dévolu aux animaux peut être rempli par des objets qui les représentent ou Ies symbolisent. Dans cette dernière æuvre, l'héroïne, Laura (Jane Wyman), est la gardienne d'une « ménagerie de verre ,, collection d'animaux qui dénotent à la fois son innocence et sa fragilité. L'animal emblématique de cette jeune vierge est la licorne, conformément au bestiaire médiéval et renaissant. Jim (Kirk Douglas) brise accidentellement la licorne, ce qui désigne la perte de l'innocence, sinon de la virginité, de l'héroTne, la perte de ses illusionsre. Il est clair que dans le mélodrame, comme dans le conte de fées, comme dans le roman victorien (qu'on §onge, dans Little Dorrit, à l'étui marqué D.N.F.), certains objets inanimés n'en ont pas moins une âme. Lorsque ces objets sont représentatifs, ou figuratifs, ils se substituent de façon magique au modèle dont ils sont I'image, l'icône: ainsi, la licorne de verre, ou le portrait, soit bénéfique, soit maléfique, qui apparaît dans le mélodrame avec une grande fréquence. On peut distinguer trois cas principaux, qui s'enchevêtrent d'ailleurs. En premier lieu, le portrait talisman ,ioue un rôle magique ou religieux, normalement bénéfique : dans Street Angel de Borzage, Gino (Charles Farrcll) peint un portrait d'Angela (Janet Gaynor) qu'un autre peintre transformera, comme dansPierre Grasson de Balzac, en faux primitif. Angela regrette qu'on ait vcndu son portrait : u C'était davantage qu'un tableau -_ il paraissait vivant et compréhensif, comme un ange gardien., Le second peintre lui ajoute une auréole. après la péripétie de l'accident dont
19. Au titre de l2 u géographie imaginaire » du mélodrame, on 'enrarquera que The Glas.s Menagerie a pour cadre Saint Louis, Èylronyme, ici encore, d'innocence provinciale et désuète. f
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Thèmes
Gino, persuadé qu'Angela est une prostituée dont le la poursuit dans les bas-fonds visage seul est "rgeliqr", d" Ë ville, jusque dans une église où il s'apprête à l'étrangler. Mais au-dessus de l'autel se trouve son pro' p." port.uit en Vierge sainte ; Angelaprécise qu'elle est restàe u pareille ut, tubl.u, », c'est-à-dire vierge' Une fin heureuse réunit donc les amants. De même, dans Love A"f-t'air et An A't'fair to Rernetnber' Michel Marnay (Nicky Ferrante dans le remake) peint Terry portant le châie de la grand-mère' A l'insu de l'artistà, qui croit en avoir fait don à une « infirme », ce portrait devient la propriété de son modèle (il s'agit à'.rrr" seule et même pèrsonne). Présence tutélaire, il présidera en définitir., co*me la biche de All That Hea' ien Allows, à la réunion des amants Ie jour de Noël' On citera encore, en dehors du portrait d'Allida dans Experiment Perilous, qui la restitue à son environne' mËnt « naturel ,, sa ptài.ie piquée de marguerites dans le Vermont, The Piciure of Dorian Gralt d'Albert Lewin (1945), d'après Oscar Wilde : la fonction du portrait est Li .*pti.iiement magique, en même temps qu'elle constitue un exemple d. u réversibilité ". seul à porter les traces de ses taies physiques et morales, le portra-it tofturé du personnage---porr lequel on a fait appel, de I manière très appropriée, au peintre de Chicago Ivan e Lo..uirr. Albrig'ht, èt a la coul"u. dans un film par ailredevient, à la mort de Dorian leurs en noir ei blanc Gray, innocent comme l'enfance. Un deuxième type de portrait, souvent maléfique, représente une figure d'autorité, figure u divine " dans Kàeper of the Ftame (Cukor, 1943), portrait de la mère 'dans Now, Voyager et dans The lJninvited, du père dans The Spiral Staircase, image freudienne de l'ancien gou' u..nà, au pied de laquelle s'embrassent sa fille (Joanne Oruf et John Iréland (All the King's Men de 'Warren, àobert Rossen, d'après Robert Penn ,19!9), portrait du père tenànt un derrick et exprimant la fata' iite du pouvoir stérile qu'il transmet à sa fille (Written on the Wind).
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Dans nombre de cas, le portrait représente un mort ou une morte. Un troisième type exerce une fascination morbide, recèle un danger mortel. Dans Laura (preminger, 1944), le portrait de l'héroTne, présumée morte, envoûte le détective qui enquête sur sa disparition (Dana Andrews) ; c'est alors qu'il s'est endormi au pied du tableau que lui apparaît le fantôme ,, de Laura " (Gene Tierney). Le tableau constitue bien ici, selon le juste mot d'Alain Masson, l'intersigne qui unit la vie à " la mort 20 ,. Dans The Woman in the Window (Lang, lg4l),le por-
trait fascinant de l'inconnue signifie la mort pour
Richard Wanley (Edward G. Robinson). Dans le film de Dieterle, ls « portrait de Jennie , est celui d,un fan_ tôme; l'u amour fou , du peintre et de son modèle ne sera consommé que dans la mort. De même, dans pandora and the Flying Dutchman de Lewin, pandora (Ava Gardner), modèle du peintre van der Zee (.Iames Mason), est tout à la fois la femme que le Hollandais volant a tuée trois siècles plus tôt, et celle qui l,aime assez pour mourir avec lui, rompant ainsi la malédiction qui le condamne à errer pour l'éternité. Dans le film de Hitchcock, le portrait de la morte Rebecca demeure agissant, de manière maléfique, et sert d'instrument à une tentative de vengeance posthume. Symétriquement, dans Strange lllusion d,Ulmer (1945), c'est par le truchement de son portrait que le juge Cartwright communique à son fils sa soif de vengeance et l'aide à démasquer son assassin. Une variante assez fréquente du portrait est constituée par la statue : statues équestres, correspondant à des portraits paternels, tutélaires, de.4 Farewell to Anns et de Living on Velvet, tous deux de Borzage, statue de la Madone qui permet d'identifier Anthony Adverse (dans le film de Le Roy), statue de saint André dans Miracle in the Rain de Rudolph Maté (1955)... Parmi les objets talismaniques les plus répandus, on 20. uLatoile et l'écran
,,
Positif,
n. 189, janv.
1977,
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Nature vs.
citera encore ceux qui désignent le monde naturel: l'arbre de vie de The Mortal Stonn et celui de A Titne to Love and a Time to Die, la branche d'arbre chinois (.. l'arbre de la pluie d'or ,) que Kirbycoupe pour Carey ècott dans All That Heaven Allows, les deux pins qui symbolisent l'amour impossible de Dean Hess et d'En §oot, Yang dans Battle Hymn (Sirk, 1956)' En second lieu, les médailles, amulettes, anneaux i
lg _Bus -Stop (Joshua Logan, d,après William Inge, 1956), Chérie (Marilyn Monroe).r,ào.ue la canadienîé du cow-boy (Don Murray), et en échange lui ..m.t .o, foulard vert, les couleuri que déjà .. Beàuregard , avait
les deux bagues de Her Code of Honor (Stahl, 1919) ;-le
-qui permet d'identifier Louise (Dorothy médaillon Gish) dans Orphans of the Storm, exactement comme dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo l'amulette permettait de reconnaître en Esmeralda la fille de la bachette; les médailles avec lesquelles se marient Diane et Chico dans Seve nth Heaven ; la médaille de saint Antoine (AFarewell to Arms) ; les boutons de man' chettes que iudith (Bette Davis) offre à Frederick (George Brent) pour le remercier de l'avoir guérie et en Itri ptàci.ant : « un petit peu d'or et beaucoup de-senti' ,rr.rt , (Dark Victory de Goulding) ; la bague en forme de serpènt (u symbole d'éternité ") de Kitty Foyle (SaT Wo"d, 1940) ;\es dog tags (plaqr:'es d'identité) des sol' dats, transmises à l'orpheline de China Doll (Borzage, 195É) ; la bague et la p1èce de monnaie romaine (lucky pieci)'de Miiacle in the Rain, qui, avec l'intercession de saint André, permettra, comme dans Seventh Heaven, une sorte de résurrection symbolique du personnage (Arthur Hugenon : Van Johnson) mort à la guerre' Tout près de ,où, signalons les boucles d'oreilles en forme àe croix qu'Ivan a cachées avant de partir pour la guerre et qui témoignent de la permanence de son I*ou poui Maria (Maria's Lovers d'Andrei Koncha' lovsky). Éuoqrro". enfin les accessoires du vêtement : le châle d,e Love A'ffair et d'An Alfair to Remember, concrétisant la transmiésion des pouvoirs " divins " de la grand-mère à Terry McKay; les coussins/oreillers sentimentaux d'Orpians of tù" Storm et de Some Came Running;la purrto,_rfl. de cendrillon... Dans la très belle scène finale
'
portées en l'honneur de sa reine lors
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du tournoi/rodéo. Ces divers accessoires remplissent, on le voit, des fonctions elles-mêmes variées, mais toutes liées , id.rtification, affirmation d'appartenance, de loyauté .;;; fidélité, transmission d,unè génération à l,autre. A son propriétaire légitime, l,objet confère un pouvoir béné[ique, magique, voire surnâturel (puisqu,ii faut rappeler avec Northrop Frye que Nature ei surnaturel foni,'dans la littérature « romantique », très bon ménage). Ce gorit du mélodrame pour l,animisme n,Àtdu reste qu'une variante de son refus d,opposer le littéral et le symbolique. Le portrait est le -àdè1., la licorne est I.aura, les verres qui s'entrechoquent sur un bar le soir de la Saint-Sylvestre sont les u âmes , des perso";*.; morts mais devenus immortels (One Wa1, passage"de Tay Garnett). Cet animisme apparaît avec une fréquence et une net_ teté particulières dans les æuvres de Frank Borzage. Le vêtement remplace le personnage (dans SevenË Heaven, Diane se fait, non sans hésitation, u embrasser » par la veste de Chico absent). Les animaux agissent et èa_ gissent comme des êtres humains : dans=Slre et Angel, qui se p-assg parmi les gens du cirque, le singe a q"i o" demande de o 5aluer le brave poliiier, lui fàit piàJ "ri de de- nez; Angela s'étant attaquèe à Gino, la chèvrà celui-ci fonce sur elle et Ia cllbute. Le taxi de seventh Heauen s'appelle « Eloise », celui de Three Comratles, n Baby ,. Les avions d.e China Doll ont sur le u .., , d.s dents qui les font ressembler à des ..q.ri.r.. -peintes, Dans Moonrise (1948), Rex Ingram ne fait ur..r.r"àiffé_ rence entre les personnages humains, les animaux (o Mr. Dog ,) et les objets (u Mr. Guitar,).
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Deuxième Partie
Structures narratives
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Flash-backs
Les problèmes de structure narrative revêtent dans le cinéma américain classique » une importance parti" culière. D'une part, en effet, le cinéma peut être Considéré, à l'instar de la musique, comme un « 21ft 6ls temps ». Les films s'apparentent même assez précisément à une musique enregistrée, puisque leur durée est en principe fixée une fois pour toutes et n'est pas susceptible de modification suivant telle ou telle interprétation. Leur déroulement temporel est strictement linéaire, ce qui n'est pas (du moins pas exclusivement) le cas du livre, où, malgré une pagination elle-même vectorielle, on peut renvoyer le lecteur en arrière, où celui-ci peut sauter/tel passage, revenir lui-même sur ses pas, et où le temps de la lecture est libre, indéterminé, susceptible, au-delà d'un seuil minimal, de se prolonger indéfi niment. Dans le cadre rigide du temps réel de la projec" " tion, cependant, le film hollywoodien n'en a pas moins recours à tous les artifices du récit littéraire. C'est ainsi que le temps de la fiction peut être accéléré ou ralenti par toutes sortes de procédés de découpage ou de montage, par des ellipses ou des effets de o suspens ,, si bien qu'un film peut u couvrir » une période de plusieurs siècles aussi bien que le temps réel de projection (cas de Rope de Hitchcock). Et ce temps de la fiction n'est, à la clifférence de celui de la projection, nullement linéaire :
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Structures narratives
qu'il suffise de mentionner à cet égard l'existence du u flash-bac[ », oü « retour en arrière ,. Une opinion répandue veut que le cinéma ait
influencé, ou même bouleversé, la structure narrative du roman et l'écriture du roman en général. Cette thèse a été soutenue, en particulier, par Claude-Edmonde Magny dans L'Age du rotnan américainI'(1948)' Au36urd'hui encore, Jean Mitry s'en fait l'écho II n'est ..it"t pas niable qu'un certain nombre de romanciers se soient explicitement référés à l'art et à la technique cinématogràphiques et se soient efforcés d'en fournir un équivalenl litieraire. on peut citer les exemples de John Dos Passos (avec le procédé du u Camera Eye » et d11 « Newsreel,, esquissé en 1925 dans Manhattan Transler et mis au point en 1930 dans U'S'A'), et e-n France du ., nouv.à, to-un ', dont la tentative de regard objectif, de description neutre et détaillée, prend po,r. *odèle le cinéma et son objectivité photographi' Modificaque, réelle ou apparente. -Èutor, L'ouverture de La de exemple bon un constitue Michel d" ion, cette tentative. Néanmoins, cette théorie m'a toujours paru peu assurée, et je crois, pour ma part, à la suite d'André Bazin et de sa " Oéf".rrè de l'adaptation ,, que fondamentalement c'est la vue inverse qui est le plus souvent vérifiée : c'est-à-dire que, pour la période u classique ' qui nous occupe ici, l'influence de la littérature sur le cinéma est nettement plus importante que celle du cinéma sur la littérature 2. Ce n'est pas seulement que la
majorité des sujets de films ont été empruntés à la littérature. C'est aussi que nombre des techniques dont l'invention est fréquemment portée au crédit du cinéma existaient d'ores et déjà dans la littérature. C'est pour d'évidentes raisons polémiques qu'Alain RobbeGrillet définit (par exemple) le roman balzacien comme caractérisé par sa linéarité et sa causalité. Mais quiconque a lu Balzac avec attention sait bien que tel n'est pas le cas. Le procédé du flash-back est aujourd'hui ressenti comme essentiellement cinématographique. Cependant, le mot anglais existe de longue date pour désigner un « ressouvenir » soudain. Et le procédé est loin d'être inconnu dans le roman du xIx'siècle. Un roman court, de Balzac précisément, La Maison du Chat-qui-pelote, s'ouvre par une scène (le peintre Sommervieux assistant à l'éveil de la maison du drapier Guillaume) qui ne correspond pas au début chronologique du récit, rapporté plus loin 3. De même, dans le domaine anglais, un roman 6 George Eliot, Daniel Deronda: le premier chapitre montre l'héroïne Gwendolen sur le continent, lorsqu'elle a quitté l'Angleterre après avoir refusé d'épouser Grandcourt (scènes qui nous seront rapportées dans les chapitres 3 à l4). Un second « retour en arrière » raconte la vie de Daniel Deronda (chapitres 16 à 20) avant sa rencontre avec Gwendolen dans le même premier chapitre. On revient 4tr « présent » avec le chapitre 15, puis avec le chapitre 2l etlasuite. Dans tel autre cas le cinéma, en recourant mais à Hollywood, de
l. ul-a narration romanesque a toujours suivi, au moins lusou'À 1920, un développehent chronologique"' Ce -n'est
la littérature anglo--axonne des années vingt - torte' ment inspirée du cinéma quant aux structures narratlves - que iË.éiitiât de déplacements continuels dans l'espace et le.temps a vu le iour ,, Jeân Mitry, n Les origines du flash-back ", Cirtéttta' n" 97, 1984, P. I l. rcsraphe, '"i.-I Àïtii Éi.n, au"t son recours au roman, le cinéma s'est-il inspirele plus souvent non point, comme il paraîtrait logiguc, dei æuvres Ou Certains veulent volr son tnÏluence prealaolc,
âr'âr..
139
Flash-backs
la littérature de type victorien, et
en
ou France, de MM. Henry Bordeaux et Pierre Benoit. Mieux - à pis quand un cinéaste américain s'attaque par exception une-æuvre de Hemingway, comme Pour qui sonne le glas lFor Whom the Bell Tolls, de Sam Wood, 1943), c'est en fait pour la traiter dans un style traditionnel qui conviendrait aussi bien à n'importe quel ror4an d'aventures ,r, Qu'esl-ce que le cinétna?,
éditiôn définitive, Editions du Cerf, 1981, p. 90-91.
3. Sur l'utilisation du flash-back dans cette nouvelle, voir mon uBalzac et le pictural", The Romanic Reviev, n" 64, 1973, p.293.
Structures narratives
140
au flash-back, ne fera que reproduire la technique narrative du roman porté à l'écran : Wuthering Heights d'Emily Brontë précède de près d'un siècle son adaptation par Wyler. On pourrait aisément multiplier les exemples de procédés techniques utilisés par le cinéma, mais qui trouvent leur origine, ou du moins leur préfiguration, dans la littérature : ainsi l'ellipse, ou encore le montage alterné, présent dans un chapitre célèbre de Madame Bovary (les comices agricoles), ainsi que chez Dickens, dans le chapitre " The Knitting Done , de A Tale of Tu'o Cities. Et tandis que de son « montage parallèle ,, Flaubert tire un rythme accéléré, mais surtout des effets « modernes , de contraste et de distanciation, Dickens, exactement comme le fera Griffith, y trouve l'instrument d'une dynamisation du récit et d'une participation accrue du lecteur. Si l'on examine la structure narrative du mélodrame, on peut distinguer schématiquement quatre types de récits principaux:
Type I Narration strictement linéaire Type 2 Un flash-back isolé :
:
EFGHI...
EFG/A I H r...
Type 3 Une série de flash-backs: Type 4 Un long flash-back:
EFIA.lG
/B lHr...
EFlABC D E F...
l,
la narration est, pour ainsi dire, tout entière au présent. Remarquons que la plupart des comédies, des comédies dramatiques, des films d'aventures, épousent ce schéma. Ce type n'est donc pas spécifiquement mélodramatique. Notons cependant qu'on a souvent affaire à un prologue qui expose l'enfance des personnages, donc à un type A / E F G H..' qui se rapproche déjà du type 2. Emprunté à la littérature, le procédé est plus « radical , au cinéma, car les interprètes y changent réellement. On peut citer à cet égard Anthony Dans le type
Flash-backs
141
Adverse de Le P.ioy,The Strange Wornan d'Ulmer, Imitation of Lile a... Au type 2 (un flash-back isolé) appartiennent, en dehors de mélodrames, nombre de films policiers, ou de façon générale de récits qui comportent une énigme qu'il s'agit de déchifÊrer. La fonction du flash-back est alors, avant tout, d'élucidation. Le flash-back isolé s'apparente souvent à une obsession, à un fantasme, et il est utilisé comme tel dans les æuvres d'inspiration psychanalytique, comme le western de Walsh Pursued. Il n'est pas rare que, pendant la durée même du flashback, des u marques » rappellent que la narration au présent est suspendue : l'image est cadrée de biais, ou bien les bords en sont flous, avec un effet de brume ou de fumée, ou encore on entend la voix off d'un narrateur. Voici quelques exemples de mélodrames qui appartiennent à ce type : dans Broken Lullaby de Lubitsch, le flash-back dévoile le souvenir qui hante littéralement le héros, jeune musicien français; c'est qu'il a tué à la gueme un Allemand qui est en quelque sorte son double. Dans la suite du récit, le flash-back sera non répété, mais évoqué par un objet qui, ayant figuré dans le flashback, est dès lors susceptible d'en remplir l'office : une lettre au ton pacifiste, écrite pafl'Allemand à sa fiancée, et dont le Français avait eu connaissance dans la tranchée. Dans Waterloo Bridge (qui appartient au type 4), un porte-bonheur chinois joue un rôle comparable, introduisant et concluant le long flash-back qui constitue l'essentiel du film. En d'autres termes, ces objets talismans ont pour fonction narrative de faciliter le passage du présent au passé et inversement. Dans Casablanca, un long flash-back isolé, entrecoupé de brefs retours au présent, est à la fois nostalgique (puisqu'il fait revivre le bonheur du couple Ilsa-
4. Inversement, le même acteur peut interpréter deux personfille, dans deux époques
nages : Carol Lynley est la mère, puis la
du Cardinal d'Otto Preminger.
142 1
l
i
Structures narratives
Rick) et fatidique (puisque ce bonheur est perdu, et que l'épisode se termine sur la séparation des amants). Il revêt clairement pour Rick un caractère d'obsession refoulée. Dans Làve Letters (Dieterle, lg45),le flashback permet d'élucider un secret criminel qui a provoqué l'amnésie de l'héroïne. Dans The Tarnished Angels, il met au jour un « secret " refoulé par les protagonistes (Roger Shumann et Jiggs ont joué aux dés qui épouserait LaVerne enceinte). Utilisé à la fin du récit, un flash-back isolé donne au film une structure circulaire. Ainsi, dans Secrets de Borzage, ce procédé ramène le couple âgé (interprété par Leslie Howard et Mary Pickford) au début de son mariage. C'est donc une structure de type E F G H E. La première et la deuxième versions de Back Street, signées par Stahl et par Stevenson, se terminent par une séquence en tous points semblable à un flash-back, mais qui ramène à un " passé " rêvé et non vécu, à l'irréel du passé. Dans les types 3 et 4, la longueur des retours en arrière, le fait qu'ils ne sont pas marqués comme lels (seule est indiquée la plongée du présent dans le passé, au début du flash-back, et éventuellement le retour au présent, à la fin de celui-ci), ont pour effet qu'on a le sentiment, contrairement à ce qui se passait pour le type 2, d'une narration elle-même au présent et non au
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Flash-backs
Marseille et Mildred Pierce de Curtiz, Ruthless d'Ulmer, L etter fr om an U nknown W oman d' Ophuls, Th e B aref o o t Contessa de Mankiewicz. Dans la plupart des cas, la série des flash-backs reste disposée dans un ordre rigoureusement chronologique. En revanche, les divers segments sont susceptibles, comme dans Citizen Kane, d'exprimer les points de vue de narrateurs distincts (The Bad and the Beautiful de Minnelli). Dans le tpe 4, un long flash-back forme en réalité le corps même du film ; en général, on revient finalement au présent, que prolonge une coda. A ce schéma, qui a donc quelque chose de proprement circulaire, obéissentWaterloo Bridge de Le Fioy, Leave Her to Heaven de Stahl, Magnificent Doll de Borzage, Bhowani Junction de Cukor, Tea and Sympathy de Minnelli,Written an the Wind de Sirk... Il convient de lui rattacher aussi bien
Rebecca de Hitchcock, où l'héroïne rêve qu'elle retourne au château de Manderley, que The Enchanted Cottage de Cromwell, dont le narrateur au « présent , est le pianiste qu'interprète Herbert Marshall et dont le jeu u évoque » une histoire à tous égards assimilable à un long retour en arrière.
ScgÉtuns cIRcut-AIRES
passé.
Dans le type 3, la série de flash-backs est entrecoupée de brefs retours au présent. Cette forme a paru particulièrement appropriée pour éclairer les diverses facettes
d'un personnage sur lequel on enquête. Son exemple le plus célèbre est Citizen Kane. Il est vrai que le chefd'æuvre d'Orson Welles avait été précédé par The Power and the Glory de William K. Howard (1933), dont le scénario est dû â Pr"rto, Sturges, et ses flash-backs non chronologiques ; mais ceux-ci avaient un narrateur unique. Au type 3 appartiennent notammentJane Eyre deStevenson, The Keys of the Kingdom de Stahl, Passage to
Ce rapide inventaire appelle deux remarques. D'une
part,l'abondance même deq flash-backs, procédé narratif qui, de toute évidence,\ous occuperait moins si nous discutions d'autres genres. En deuxième lieu, la fréquence élevée de schémas formels de répétition, cycliques. Or, ces formes sont signifiantes. Le flashback est à la fois fatidique et élucidateur: il donne la clé du secret, et expose par quel enchaînement inéluctable d'événements on en est arrivé au présent d'un destin scellé. Les schémas circulaires expriment, comme par définition, une clôture elle aussi fatidique. En d'autres
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Structures narratives
termes, ce que révèle ou confirme la structure - c'est, narrative du mélodrame, outre son -goürt du secret, du mystère, de l'énigme, sa paradoxale soumission à la fatalité, justifiée par la croyance que (selon le mot de Lisa dans Letter from an l|nknown Woman) « rien n'arrive par hasard rr. D'un côté, l'inexplicable; de l'autre, l'éternel retour de l'identique. Cherchons confirmation de ces remarques. Le présent auquel on revient dans la narration est fréquemment dramatisé et ritualisé, ce qui accentue le sentiment de retour fatidique. Dans The Baref oot Contessa, il s'agit d'un enterrement. Dans Letter from an (Jnknown Woman,la narratrice (auteur de la lettre) est en train d'agoniser; le destinataire de la lettre s'apprête à fuir un duel qui signerait son arrêt de mort. Dans Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950), le narrateur du flashback n'est autre que Joe Gillis (William Holden), dont le cadavre flotte dans la piscine. Au début de Mildred Pierce, il y a mort d'homme I il s'agira donc de savoir qui a tué, qui est coupable, juridiquement, mais aussi qui est responsable, moralement, faute de quoi on aurait affaire à une fiction policière plutôt qu'à un mélodrame. Le schéma de Written on the Wind est très proche. A la fin du long retour en arrière, on rejouera la scène d'ouverture, qui avait été interrompue, laissée en suspens, par le flash-back. Dans Bhowani Junction de Cukor, une astuce de narration fait qu'on assiste, au début du film, à une scène de séparation (scène fati" dique ,), alors que le flash-back qui suit nous apprendra qu'il ne s'agit que d'une séparation provisoire, préludant au mariage des amants. Le retour fatidique de l'identique que désignent les schémas circulaires peut être exprimé, en l'absence même de flash-back, par des procédés métonymiques. Ainsi A Time to Love and a Time to Die de Sirk est construit comme un triptyque. Du front germano-russe, on passe à l'intérieur de l'Allemagne, puis on revient au front. Le retour au même lieu géographique équivaut structuralement à un retour au présent, la partie
Flash-backs
145
médiane faisant dès lors office, comme dans Casablanca, de flash-back nostalgique. Dans Letter from an Unknown Wortan, l'histoire se répète pour l'héroïne qui accompagne son amant, et quelques années plus tard son enfant, à la gare, dans deux scènes identiques. Ils partent l'un et l'autre « pour deux semaines ,, assurance qui sera démentie par l'événement : l'amant ne reparaîtra pas avant des années, et encore sans se rappeler Lisa; l'enfant mourra, victime du typhus. Dans Waterloo Bridge, le passage du héros sur le pont qui donne son titre au film déclenche le flash-back; l'éternel retour de l'identique est ici celui de la Guerre mondiale, la Seconde pour le présent de la narration, la Première pour le flash-back. Cependant, comme je l'ai signalé, une coda prolonge le plus souvent, à l'issue du flash-back, le retour au présent. Cette coda est fréquemment l'occasion d'introduire un deus ex machina, t)n hoppy ending. De film noir,le mélodrame devient alors film rose (d'ailleurs, le procédé n'est pas absent du film noir proprement dit: par exemple, The Big Clock de John Farrow s'ouvre sur une scène où l'on voit le héros traqué, sans espoir de salut, et se poursuit par un flash-bacfl< au terme duquel il saura échapper à ses ennemis). Ma\s de telles conclusions sont souvent ressenties comme artificielles. Un Sirk s'est plu, en faisant appel à des clichés-images empreints d'une certaine irréalité, à en souligner le caractère convenu. A la fin de Letter from an LJnknow,n Woman, Ophuls, avec un grand art, obéit à la règle qui veut que le flash-back u élucidateur, modifie la conduite du héros, mais c'est précisément pour avoir recours à une fin fermée, quoique moralement plus noble : le médiocre Brand se ressaisit et, au lieu de fuir, décide de se battre en duel, ce qui équivaut pour lui à un suicide
2
Saisons
Un moyen privilégié d'évoquer l'éternel retour l'identique auquel sont soumis les personnages
de de
mélodrame consiste à marquer le passage des saisons, soit par des notations d'ordre naturel, climatique (la neige, la végétation), soit par des notations culturelles. Pour ce qui est de la nature, on se bornera à citer le générique de A Time to Love and a Time to Dre, où l'on voit successivement l'u arbre de vie » en fleur, ses fleurs qui tombent, l'arbre sous la neige, ses branches couvertes de givre. Plus importantes, à l'égard {q-la narration, sont les fêtes de l'année et, en tout premier lieu, apparaissant dans le mélodrame avec une grande fréquence, Noël et la Saint-sylvestre. Cette fréquence reflète, bien sûr, la place éminente de ces fêtes dans la civilisation américaine. La manière la plus simple de les désigner, c'est, pour NoëI, une couronne sur la porte, avec du houx et un ruban rouge (éventuellement, on ajoutera l'arbre de NoëI, les cloches,les clochettes, des morceaux de musique comme " The First Noel » ou « Adeste Fideles ,) ; pour la Saint-sylvestre, quelques mesures de " Auld Lang Syne ,, (u Old Acquaintance » f " Ce n'est qu'un au revoir »), accompagnées, le cas échéant, des images d'une « party ,, d'une célébration dans un restaurant ou
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Structures narratives
une boîte de nuit, avec coupes de champagne, serpentins et ballons r. ' Parmi les saisons de l'année, Noël est la fête familiale par excellence, normalement la fête des retrouvailles, de la communauté familiale (r)assemblée : Heidi de Dwan, où l'on chante u Silent Night » ; Four Daughters de Curtiz i Since You Went Away de Cromwell (19a4). Dans ce dernier film, alors même que le père a été porté disparu à la guerre, toute la famille a préparé pour lui des cadeaux, et cet acte de u foi " rend précisément la foi chrétienne à la gouvernante noire (Hattie McDaniel). On apprend que le père est sain et sauf, et le film se clôt sur l'image de la maison familiale, accompagnée pâr « Adeste Fideles r. Dans la narration, donc, Noël représente un paroxysme de bonheur familial ; pour cette raison, la fête apparaît souvent à la conclusion du récit. Deux séquences de Madame X dramatisent l'opposition Noël en famille / Noël sans famille, Dans la première, l'héroïne (Lana Turner) célèbre Noël avec son mari et son fils; elle précise que c'est u l'époque de l'année qu'[elle] préfère ,. Un an plus tard, adultère, ayant fui sa famille, vivant dans un pays étranger, elle rencontre un enfant qu'elle prend pour le sien, puis tombe datrs la neige et veut se laisser mourir. Noël représente alors le paroxysme du malheur fami-
lial. Dans Beloved Infidel (Henry King, 1959), une sorte d'ironie pathétique naît du contraste entre la situation (la mort de Gregory Peck: F. Scott Fitzgerald) et le cadre, lui-même contrasté, puisque Noël en Californie du Sud mêle à un climat " estival , des décorations,
l. L'association d'" Auld Lang Syne " et de la Saint-Sylvestre remonte à lg29: pour la premièie Ëois, cette année-là, Güy Lom-
bardo et son orchestre de u Royal Canadians, célébrèrent le Nouvel An sur les ondes de la radio américaine, en jouant l'air mascotte qu'ils avaient, paraît-il, appris des Ecossais de London (Ontario).
Saisons
149
houx, sapins, qui y paraissent saugrenues 2. Des meurtres coïncident ironiquement avec Noê1, sous des enseignes qui souhaitent Mrnnv Cszusruls : Greed de Stroheim, Underworld U.S.A., film de gangsters mélodramatique de Fuller. Millie (ZaSu Pitts) se suicide la veille de Noël (WalftingDown Broadway f Hello, Sister / de Stroheim, 1932). Dans A Star Is Born de Cukor, Norman Maine est arrêté, la veille de NoëI, pour conduite en état d'ivresse; c'est en prison que sa femme Vicky vient le chercher. Dêjà Manslaughter de DeMille se terminait sur NoëI, époque des bonnes æuvres, de la soupe populaire, des retrouvailles, du contraste le plus vif entre joie publique et malheur privé, du contraste extrême entre les possédants et les déshérités. Le passage des saisons ponctue An A't'-fair to Rementber de McCarey. La croisière se termine aux accents d'" Auld Lang Syne u, donc le 3l décembre. Les amants se donnent rendez-vous six mois plus tard (le 1"' juillet). Ce rendez-vous est manqué, mais après six mois à nouveau écoulés ils se revoient (la veille de Noël) et sont réunis le jour même de Noël. Il s'agit, comme dans Manslaughter or dans Sirzce You Went Away, de la scène finale du film. La Saint-Sylvestre constitue-t-elle simplement une version plus profane de Noël ?Ïés deux fêtes figurent tour à tour dans I'll Be Seeing You de Dieterle (1944). . Auld Lang Syne » est, avec u La Marche nuptiale » de Mendelssohn,l'une des musiques les plus fréquemment entendues dans le cinéma américain, et particulièrement dans le mélodrame. L'air revient, par exemple, avec insistance dans Waterloo Bridge de Le Roy. Ce qui flait le succès d'" Auld Lang Syne " et de la Saint-Sylvestre, c'est, me semble-t-il, leur ambigui'té même, l'ambiguité de toute " charnière » : c'est une fin et un recommencement, un adieu et des retrouvailles, le tréfonds de la tristesse et le comble du bonheur. Citons One Way Passage de Tay Garnett. Au cours du 2. A Phoenix (Arizona), on déguise les cactus en pères NoëI.
Structures narratives
150 «
voyage sans retour » qui donne son titre au film, deux
Dan Hardesty (William condamnés à mort, Powell), promis à la chaise électrique, et Joan Ames se (Kay Francis), atteinte d'une maladie incurable San Francisco, se débarquer à sont aimés, et, avant de plus tard, sont promis de se retrouver quatre semaines au Mexique, pour le réveillon de la Saint-Sylvestre. La scène finale réunit, dans le bar d'Aguascalientes, deux barmen et l'ami du couple tragique. Un bruit de verres cassés : les fantômes invisibles des amants sont venus au rendez-vous. Comme Noël dans les titres cités précédemment, la Saint-Sylvestre clôture donc ici le récit. Elle favorise aussi des retrouvailles dans Remember the Night, comédie loufoque et mélodramatique de Mitchell Leisen (1940). Inversement, elle apparaît en contrepoint ironique dansUnderworld U.S.A. de Fuller ; en contrepoint pathétique dans Made for Each Other de Cromwell: John et Jane Mason (James Stewart et Carole Lombard) sont de jeunes mariés, avec un bébé. Ils ont des problèmes d'argent. Ils vont réveillonner dans un restaurant, pour oublier leurs ennuis. Mais la jeune femme éclate soudain en sanglots. Tandis que la rue retentit des cris joyeux de " Happy New Year ! , le bébé a une pneumonie. Il sera sauvé grâce à un sérum qu'à travers l'orage, on apporte de Salt Lake City, et aussi grâce aux prières de Jane. Son mari pourra lui dire : u Bonne année, chérie ! , A cette séquence drama' tique ne succédera qu'une conventionnelle fin heu' reuse : pour l'essentiel, le récit est clos. «
Le CanNnvll
Empruntant la classification et la terminologie de Michel Vovelle, j'ai déjà traité de la u fête familiale , et des u saisons de la yis » (mariages, enterrements). Je viens d'évoquer les u saisons de l'anné6 », qui se situent
Saisons
151
« entre fête familiale et fête collective ". Reste à dire quelques rnots des " fêtes collectives » à proprement parler, dont la plus importante est sans doute le Carna-
val.
Underworld de Sternberg (1927): la fête chez les gangsters est décrite comme un u Carnaval diaboliQue » (a Devil's Carnival), ce qui, en un sens, est une tautologie. Andrew Sarris a justement qualifié cette séquence de " Walpurgisnacht 3 ,. Dans Dishonored du même metteur en scène (1931), c'est dans une séquence comparable que se rencontrent X 2T (Marlene Dietrich) et le lieutenant Kranau (Victor Mclaglen). Stylistiquement, ces séquences ressemblent à celles de la SaintSylvestre. Leur fonction narrative est généralement de mettre en présence les partenaires du couple, de faciliter une intrigue amoureuse. On rapprochera les scènes de Carnaval de Gild(t (Charles Vidor, 1946), et surtout le Mardi gras de La Nouvelle-Orléans, que l'on trouve dans Her Sis/er'.ç Secret d'Ulmer (1946) et dans TheJarnished Angels de Sirk. Chez Ulmer, le Carnaval apparaît deux fois : c'est grâce à la u licence " du Mardi gras que se rencontrent les amants d'un soir, le soldat Dick Connolly et Toni Dubois. Un an plus tard, après un rendez-vous manqué, Toni observe seule une ronde d'enfants déguisés pour le Carnaval. Chez Sirk, toute l'action du film se déroule pendant les fêtes du Mardi gras. On note, là encore, la fonction érotique du Carnaval (il préside à la constitution du couple LaVerne Shumann-Burke Devlin), mais la fête baroque se mue en danse de mort (le couple qui s'embrasse est brutalement interrompu par l'irruption d'un masque à tête de mort; bientôt Roger Shumann trouvera la mort). Cette ambigtrïté du Carnaval, ce lien entre Eros et Thanatos, sont fort anciens. Hugo notait dans son Pro' tnontoriutn Somnii: 3. Andrew Sarris, The Films of losef von SternberS, New York The Museum of Modern Art, 1966, p. 15.
:
152
Structures narratives
L'homme danse volontiers la danse macabre, et, ce qui est bizarre, il la danse sans le savoir. C'est à l'heure où il est le plus gai qu'il est le plus funèbre. Un bal en carnaval, c'est une fête aux fantômes. Le domino est peu distinct du linceul. Quoi de plus lugubre que le masque, face morte promenée dans les joies ! L'homme rit sous cette mort 4. Ces réflexions s'appliquent particulièrement bien aux Tarnished Angels de Sirk. La fonction de la fête collective dans la narration est donc comparable à celle de la fête familiale, et revêt la même ambiguité. Noël désigne « normalement , le rassemblement familial, et peut donc souligner l'absence d'une famille, ou sa rupture. Le Carnaval unit « normalement, les amants ou les sépare. Lubitsch, dans sa - le Rosita (1923), emploie motif du Carnaval (à Séville) au début et à la fin du film, avec un puissant effet d'antithèse : la séquence d'ouverture unit les amants ; dans la
conclusion, la mort semble les séparer (avant l'intervention d'un happy ending surprise), et le contraste éclate entre leur détresse et la liesse populaire.
Dans certains cas d'ailleurs, les fêtes collectives dont le type est le Carnaval sont des fêtes d'adieu, des célébrations guerrières. Dans Since You Went Away de John Cromwell, deux cents jeunes filles sont recrutées pour un grand bal précédant le départ des soldats pour la guerre ; dans The Deer Hunter de Michael Cimino, au mariage d'un des protagonistes se superpose, à l'Ameri-
can Legion Hall, la célébration en l'honneur
des
conscrits » partant pour le Viêt-nam. La fête foraine est tantôt le lieu où l'on se trouve : Cal (James Dean) et Abra (Julie Harris) s'y rapprochent dans Easr of Eden, comme Elvis Presley et Millie Perkins dans Wild in the Country de Philip Dunne ; tantôt le lieu où l'on se perd: dans Some Canne Running de Minnelli, Ginny Moorhead (Shirley Maclaine) y est tuée en ..
4.
CEuvres complètes,
XII,
458.
Saisons
153
protégeant Dave Hirsh (Frank Sinatra); le couple baniel-Gilly y est séparé par le shériff (Moonrise de Borzage).
La fête collective est rarement un simple cadre, un simple ornement. On peut considérer qu'elle a toujours uns fonction narrative, soit qu'elle renforce les liens par exemple, lorsque Bob Merrick entre un couple (Rock Hudson) et Helen Phillips (Jane Wyman) assistent à la fête folklorique au cours de laquelle on u brrhle la sorcière ,, dans une petite ville de Suisse (Magnificent Obsession de Sirk), soit inversement qu'elle signale le danger et semble appeler le drame. Les manèges de A Scandal in Paris (Sirk, 1946) et de Strangers on a Traitt (Hitchcock, 1951) servent de cadre, mais auqsi d'instrument, à des luttes mortelles ; dans The Third À(an (Carol a un caractère déserte Reed, 1 950), la grande roue inquiétant. Dans certains films, comme The Tarnished Angels,la fête ou sa préparation fait l'unité de lieu, d'action. Le sujet est tout trouvé : la fête rapproche et oppose la communauté locale et des étrangers de passage. C'est ainsi que Picnic de Joshua Logan (1956), d'après William Inge, est construit autour de la fête de u Neewollah " (inversion de " Halloween )), autrement dit la Toussaint). De ce type se rapprochent non seulement Bus Stop, autre adaptation par Logan d'une pièce d'Inge, construite autour du rodéo de Phoenix, mais surtout Some Came Running.
3
Happy endings
Le genre mélodramatique, on l'a déjà noté, englobe aussi volontiers les films noirs (catastrophiques) que les films roses (providentiels) ; cependant, dans la très grande majorité des cas, quelle que- soit la tonalité du ié.it, l. roJe l'emporte à la fin : c'est le phénomène bien du happ)' jusque parmi le grand public connu vu, de été a ending Le happy heureuse. ending, dela fin jusqu'à date une et maniàre presque universelle paraît bien il récente, comme une loi du genre' En fait, u difficile de distinguer ce qui était " loi du genre à proprement parler, impératif économique, cens-ure ou autocensure : ces divers éléments étaient devenus comme indiscernables, et se combinaient pour imposer à l'industrie, et donc au public, surtout américain, une fin heureuse... et conforme à la morale. La vertu est récompensée, les méchants sont punis. Il semble d'ailleurs que cette fin heureuse était simultanément comme exigée par la majorité du public, qui aurait rejeté des conclusions u adultes », « pessimistes "' il n'est guère niable, en tout cas, que cette « loi du genre » ait été imposée avec davantage de rigueur au àiné*a que dans la littérature, et en Amérique qu'en Europe. Àinsi, adaptée en 1922 sous le titre The Conquering'Power, Eugéiie Grandet a-t-elle été affublée par Rei Ingram d'une hoppy endpostiche. Ainsi est-il arrivé que la même æuvre soit présentêe au public américain
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Structures narratiues
et au public européen avec des fins différentes, plus ou moins « roses ,. On se souvient que A Woman of paris se termine de manière édifiante, par le repentir et l'expiation de Marie St. Clair;pourtant, Chaplin avait préféré, pour la version destinée à l'Europe, une fin cynique: malgré le suicide de son amoureux, Marie retournait vivre avec son protecteur riche et blasé r. Le procédé a subsisté, beaucoup plus près de nous dans le temps : de La"fayette Escadrille, mélodrame u noir, jusqu'à sa conclusion comprise (la mort des amants), il existe une version, diffusée naguère à la télévision américaine, avec une fin heureuse si mal montée qu'on voit le héros mourir, puis, pour ainsi dire, ressusciter. Mais ce qui est ici maladresse peut devenir ailleurs procédé stylistique riche de sens. En effet, u loi du genre ",le happÿ endingpeut dès lors n'apparaître que comme une convention. A noter tout d'abord que, même s'il est plus répandu, plus fréquent au cinéma que dans la littérature, le hoppy ending a néanmoins été ressenti comme la conclusion obligée d'autres genres, qu'il s'agisse du deus ex machino du théâtre classique ou, plus près de nous, de la fiction victorienne, dont j'ai signalé l'étroite parenté avec le cinéma hollywoodien. Dans son remarquable essai sur Dickens, écrit en 1939, George Orwell s'interroge notamment sur ce qu,il appelle, précisément, le deus ex machina et le happy ending qui caractérisent, selon lui, les romans de Dickens, mais aussi ceux de ses contemporains, et il explique ce que, à ses yeux, signifie ce recours à la conven-
tion
:
Dans le roman-type de Dickens, le deus ex machina fait son entrée au dernier chapitre, un sac d'or à la main, et le héros peut alors se reposer... ... Quand Martin Chuzzlewit eut été réconcilié
l.
Happy endings
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avec son oncle, quand Nicholas Nickleby eut épousé une riche héritière, quand John Harmon que firent-ils ? eut fait fortune grâce à Boffin La réponse évidente est qu'ils- ne firent nlr,N'.. Tel est l'esprit dans lequel se terminent la plupart des livres de Dickens: une sorte d'oisiveté radieuse... C'était d'ailleurs l'idéal de l'époque..' Le rêve étrange et creux de la bourgeoisie, aux xvIIIe et xx" slècles , c' êtaitl' oisiveté ab solue . Charles Reade traduit ce sentiment à la perfection dans la conclusion de Hard Cash... la vision C'est le hrppy ending victorien type
d'une énorme, chaleureuse famille, trois ou quatre générations entassées dans une même maison, croissant et multipliant sans cesse, comme un parc à huîtres... [Chez Dickens,] c'est la même atmosphère incestuèuse que chez Reade, et, de toute évidence, c'est la fin idéale pour Dickens..' L'idéal à atteindre, en somme, c'est: cent mille
livres, une drôle de vieille maison couverte de lierre, une femme douce et aimante, une nichée d'enfants, et RIEN A FAIRE. Tout est luxe, calme et
volupté domestiques. Dans le c,imetière moussu, en bas âe la route, reposent les chers disparus, disparus avant le happy ending...Il n'arrive jamais rien, sauf, une fois par an, une naissance. Ce qui est curieux, c'est qu'il s'agit d'un tableau réellement heureux, ou du moins que Dickens parvient à faire apparaître comme tel2.
nul doute, Orwell a raison de ne pas considérer le happy ending victorien comme vide de sens. Cette formà est signifiante ; et il existe, chez Dickens, chez Charles Reade, une adéquation entre la forme et ce qu'elle signifie. Peut-être, cependant, Orwell n'aperçoit-il pas suffisamment le caractère convenu du happy ending, même chez les victoriens. Pour de nombreux Sans
2. Georee Orwell, .Charles Dickens ", irt A Collection ol Nàw York: Harcourt Brace Jovanovich, 1946, p. 86'
E.s.savs,
Selon Herman G. Weinberg, The Lubit.sch Touclt, p. 57.
89.
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Structures narratives
romanciers du xrx'siècle, dont les ceuvres sont publiées en feuilleton, et doivent tenir leurs lecteurs en haleine, « fiction » est synonyme d'intrigue complexe, de rebondissements multiples; à la fin de la fiction, comme par définition, il ne se passe plus rien. Sinon, la fiction n'aurait pas de fin. Le hrppy ending apparaît alors comme une conclusion commode: les peuples, mais aussi les personnages heureux, n'ont pas d'histoire. On notera qu'au point de vue structural, une fin tragique, où les personnages, par exemple, trouvent la mort, remplit exactement la même fonction : il ne peut plus rien se passer. Au cinéma comme dans la littérature, l'artiste qui souhaite mettre fin à la fiction a, en somme, le choix entre le bonheur ou la mort du personnage. Dans un autre type de littérature, naturellement, le découpage sera arbitraire, de manière à suggérer que la vie continue comme par le passé : un tel choix paraîtra plus approprié à la chronique de type réaliste qu'au mélodrame flamboyant. Du caractère u plaqué , de ses fins heureuses, qu'on lui a beaucoup reproché, le mélodrame sait tirer profit. Voici, à la fin du muet, deux æuvres nimbées de spiritualité: dans Seventh Heaven de Borzage, le héros meurt sous nos yeux à la guerre. Il surgit néanmoins après l'armistice, aveugle mais vivant. Fin conventionnelle ? mais bien plutôt littéralement miraculeuse. De même, à la fin de Sunrise, le sauvetage de l'héroïne (qu'on a crue perdue) à l'aurore revêt le caractère d'une véritable résurrection. C'est que, selon le mot de Jean Mitry, .. tout ici n'est que symbole ". Avec le parlant, le symbolique divorce d'avec le réel. Dans Back Street de Stahl, après la mort de Walter Saxel, une séquence à l'irréel du passé montre ce qu'il serait advenu si le rendez-vous de la jeunesse n'avait pas été manquê. Le caractère conventionnel du hoppy ending est ici explicitement marqué. Dans Ladies of Leisure, invitée par la mère du riche héritier Jerry à u se sacrifier ,, Kay (Barbara Stanwyck) obéit et se suicide. Elle est sauvée, de manière provi-
Happy endings
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dentielle. Contrairement à Stahl, Capra s'en tient ici au registre de l'implicite ; il laisse entendre que, dans la réâlité,la fin seiait tout autre. Les miracles de Seventlt Heaven et de Sunrise, qui emportaient l'adhésion, ont fait place à un procédé discrètement ironique' Cê procédé âncien du deus ex machina - 1l existe chez Èuripide, chez le Molière de Tartu't'-fe - a étê, au cinéma, ,rlilisé avec une grande intelligence par Douglas Sirk. Ainsi dans Magnificent Obsession, où une à."umulation assez extraordinaire de catastrophes sera annulée d'un coup, Helen Phillips recouvrant la vue grâce à l'homme (Èob Merrick) par la faute de qui elle i'avait perdue, et trouvant simultanément en lui une véritabie réincarnation de son mari, brillant chirurgien dont Merrick avait indirectement provoqué la mort"' Ainsi dans Atl Thot Heaven Allows, qui se termine par une image subtilement, délibérémsnt « plus belle que la yis », qu-i donne à penser que le film est apologue ou parabole plutôt que récit véridique. Sirk lui-même, ayant relevé, dans Magnificent Obsession,les échos del'Alceste d'Euripide, compare sa propre utilisation ironique du happy- ending au deus ex 'machina du tragiqué gt..3. Il observe aussi que le caractère fatidiqué du flash-back (par exemple dans Written on the Wind) n'est contredit que partiellemerrt par la coda, la fin heureuse qui rompt l"' encerclement » de l'intrigue : Dans Written on the Wind comme dans The Tariith"d Angels, il s'agit d'un échec réellement déses' pêrê... Toütes les pièces d'Euripide ont ce- concept la seule issue, c'est l'ironie de la o fin àà .tàt"t. au mélodrame amérir. Comparez-les heureuse sentez un public tout vous Athènes, à cain. Là-bas, américain, un public public que le insouciant aussi qui refuse d'elviiager l'échec. Il y a toujours une issue. Il vous faut donc plaquer une fin heureuse'
3. Sirk on Sirk: Interuiev's rt'ith Jon Hallidav, Cinema One' n" 18, Secker & Warburg,1971, p. 95-96'
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Stuctures narratives
Celle-ci existe chez les autres tragiques grecs, mais associée à la religion. Chez Euripide, orrvoit un fin sourire et une lueur d'ironie. C'est l'intérêt du flash-back. Dans Written on the Wind, comme dans Summer Storrn, on commence par la fin. Le s,pectateur est censé savoir ce qui l'attend... Le public est forcé de s'attacher au "ornment av lieu du quoi à la structure au lieu de
- sur le thème... plutôt l'intrigue, aux variations qu'au thème lui-même. C'est ce que j'appêlle la manière euripidienne. Et à la fin, il n'y a pas de solution aux antithèses, il n'y a que [e dàus ex machina, qu'on appelle aujourd'hui happy enda.
L'ironie de Sirk est légère ; ses mélodrames n'ont rien de parodique. Plus près de nous, il demeure d'ailleurs possible de trouver des exemples de happy endings qui sont caractérisés par une certaine ambiguité et qui
pourtant se rapprochent (plus que ceux de Sirk) de l'" idéal victorien , décrit et raillé par Orwell. Il s'agit en particulier de deux films de Jerry Schatzberg. Dans le premier, The Seduction of toe Tynan (1979), qui renoue avec la veine « populiste , des années trente, un sénateur adultère est réuni à son épouse, mais devant le public d'un meeting: le happy ending est donc mis en scène en tant que tel, encore que l'auteur ne paraisse nullement prendre ses distances à l'égard du sujet; au contraire, il y adhère pleinement. Un an plus tard, dans le très remarquable Honeysuckle Rose, Schatzberg traite à nouveau de l'adultère, mais cette fois-ci dans le milieu de la country music ,, " au Texas, et non plus dans celui de la politique fédérale. Le scénario de Honeysuckle Rose est (lointainement) inspiré de celui d'Intennezeo .. un musicien d'âge mrhr a une aventure avec une jeune musicienne, qui donne des
.4; Sir! on Sirk, p. 119. Des o autres tragiques gr€cs », qui associaient la fin heurêuse à la religion, on iapproc"h.ra Éoirase et Murnau. Surnrner Stonn, deuxième film'américain de'Sirk (1944), est une adaptation de Tchekhov.
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leçons à son enfant. Mais il réintègre la cellule familiale (cette scène fait donc songer à la fiction victorienne) : là encore, les retrouvailles et la réconciliation ont lieu en public, « tout finit par des chansons », et il est sans doute permis de se demander s'il ne s'agit pas de u mise en scène ". Mais c'est justement la fonction ùt happy ending que de transcender les oppositions entre vie publique et vie privée, entre femme et maîtresse, entre réalité et fiction. Schatzberg, metteur en scène chaleureux, s'identifliant à ses personnages davantage que Sirk, Européen et plus intellectuel, retrouve là, me semble-t-il, quelque chose de la veine généreuse, unanimiste, du happy ending victorien, familial et non seulement heureux, mais, pour ainsi dire, satisfait de lui-même.
4 Cendrillon
le cinéma hollywoodien des années
trente, par la frappé est on mélodrames, mais aussi comédies, fréquence des renvois à un modèle narratif : le conte de Cendrillon. Aussi, m'inspirant librement de l'exemple de Proppr, ai-je tenté de montrer que, dans la plupart des films de Borzage, on retrouve, plus ou moins déguisés, donc reconnaissables ou méconnaissables, les personnages et les objets qui caractérisent ce conte. Je rappelle tout d'abord les fonctions des personnages chez Perrault. On note certains éléments de l'opposition entre enfant légitime et bâtard : Cendrillon et ses sæurs sont des enfants de lits différents' Cendrillon s5[ traitée qui est l'aînée, donc plus " légitime ; comme une « bâtarde ,, elle passe pour laide' Sa mère est morte. Le père ne joue strictement aucun rôle. On a donc, autour de Cendrillon elle-même, d'une part, des personnages négatifs (la belle-mère et les deux sæurs, dont la coquetterie s'oppose d'abord à la pauvre mise de Cendrillon), d'autre part, la marraine (qui est une fée), substitut de la mère morte ;le fils du roi, séduit par l'inconnue avec laquelle il a dansé, et le gentilhomme qui fait, pour la retrouver, I'essai de la pantoufle qu'elle a abandonnée en s'enfuyant à minuit. Les principaux objets sont: la pantoufle (dont on
Dans
l.
Morphologie dtt conte,Le Seuil, 1970.
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Structures narrati
s'accorde aujourd'hui à dire qu'elle est bien de verre non de vair) qui permet d'identifier Cendrillon, mais aussi la citrouille, les souris, le rat, les lézards, transformés, grâce à la baguette de la marraine, en carrosse, chevaux, cocher moustachu, laquais. Parmi les lieux de l'action, le .. coin de la cheminée u qui vaut son surnom à l'héroine s'oppose clairement au « palais », cadre du bal. Je me borne ici aux divers éléments de la structure narrative, personnages, objets et leurs fonctions ;j'examinerai ensuite le sens plus ou moins complexe, voire contradictoire, du conte. A partir de quelques films de Frank Borzage, on établit le tableau « morphologique " suivant: Lazybones (1925)
Cendrillon: Ruth (ZaSu Pitts). Belle-mère : Mrs. Fanning (Emily Fitzroy), qui fouette Ruth. Sæur: Agnes (Jane Novak), qui est amoureuse du Fils du Roi. Fils du Roi: Lazybones (Buck Jones). Fée: Mrs. Tuttle (Edythe Chapman), mère de LazÈones, qui lui donne sa canne à pêche [= baguette]. Talisman: la canne à pêche. Carrosse: automobile. Seventh Heaven (1927) Cendrillon: Diane (Janet Gaynor).
Sæur (à fonction de belle-mère): Nana (Gladys Brockwell), qui fouette Diane. La mère est morte. Fils du Roi: Chico (Charles Farrell), qui répète sans cesse: .. Je suis un type très remarquable. " Fée: le Père Chevillon (Emile Chautard). Talisman : médailles religieuses. Carrosse: Eloi'se (taxi de la Marne). Cocher moustachu: Boul (Albert Gran). Palais : .. Seventh Heaven ,, par opposition aux égouts (où travaille Chico, où Nana plonge Diane, où vit " Rat ").
Cendrillon
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Street Angel (1928) Cendrillon : Angela (Janet Gaynor).
Sæur (à fonction de belle-mère) : la prostituée. On voit mourir la mère. Fils du Roi : Chico (Charles Farrell). Fées: le patron du cirque; la Madone. Talisman : le portrait d'Angela, qui devient portrait de la Madone (noter la métamorphose). Carrosse : roulotte du cirque. Palais: mansarde. A Farewell to Arms (1932)
Cendrillon: Catherine Barkley (Helen Hayes). Belle-mère: l'infirmière en chef (Blanche Frederici). Sæur: Helen Ferguson (Mary Phillips). Fils du Roi: lieutenant Frederick Henry (Gary Cooper). Fée : le prêtre (Jack La Rue). Talismans : soulier de la prostituée, statue équestre, médaille de saint Antoine, tableau du bordel (un nu),
photo d'Henry. Palais: bordel. Rinaldi (Adolphe Menjou) a un rôle complexe : à certains égards, le .. Roi ,, car il joue le rôle ds u père , de Henry; le u Gentilhomme », car il présente Frederick à Catherine ; voire la u Fée » (car il sauve la vie de Frederick). Man's Castle (1933) Cendrillon : Trina (Loretta Young). Belle-mère : Flossie (Marjorie Rambeau). Sæur: Fay La Rue (Glenda Farrell). Fils du Roi: Bill (Spencer Tracy). Fées: Flossie ; Ira (Walter Connolly). Talisman: robe de Flossie. Carrosse: wagon du train. Palais: cabane (cf. le titre du film).
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Structures narrative
Cendrillon
Little Man, What Now ? (1934) u Cendrillon r: Hans Pinneberg (Douglass Montgomery). Belles-mères : Kleinholz ; Mia Pinneberg (Catherine Doucet). Fille du Roi: Lâmmchen (Margaret Sullavan). u Fées, : Jackman (Alan Hale) ; Heilbutt. Carrosse: charrette du marchand de meubles. Palais: mansarde.
i
!
Living on Velvet (1935) " Cendrillon " : Terry Parker (George Brent). Mort de la mère, du père et de la sæur. Fille du Roi: Amy Prentiss (Kay Francis). u Fée, : Gibraltar Pritcham (Warren William). Talisman: statue de Sheridan. Palais : appartement d'Amy. History Is Made at Night (1937) Cendrillon : frene Vail (Jean Arthur). En fait, les rôles de " Cendrillon " et du " Fils du Roi " sont ici interchangeables: le nouveau bateau de Bruce Vail s'appelle le Princess lrene. , " Belles-mères : Bruce Vail (Colin Clive) ; ironiquement, .. Coco ,. Fils du Roi: Paul Dumond (Charles Boyer). n Fées , : Cesare (Leo Carrillo) ; u Coco ,. Talisman : Lobster-Cardinal-a-la-Cesare et salade chiffonnade. Carrosse: taxi. Palais: n Châteaubleu ,, reconstitué outre-Atlantique (métamorphose " magique "). Three Comrades (1938) Cendrillon: Pat Hollman (Margaret Sullavan). " Belle-mère , : Franz Freuer (Lionel Atwill). Fils du Roi: Erich Lohkamp (Robert Taylor). « Fées : Alfons (Guy Kibbee) ; docteur Felix Jaffé " (guérison miraculeuse). Carrosse : u Baby » (métamorphose : d'abord avion, devient taxi).
167
Cocher: Otto Koster (Franchot Tone). Hour (1938) Cendrillon: Olivia Riley (Joan Crawford). o Belle-mère » : Hanna Linden (Fay Bainter) ; en fait, c'est une sæur à fonction de belle-mère, mais une sæur The Shining
du u Fils du Roi ". Fils du Roi: Henry Linden (Melvyn Douglas). Fée: Judy Linden (Margaret Sullavan). Carrosse : automobile. Laquais qui devient cocher: Belvedere (Hattie McDaniel) Palais: résidence Linden ; maison en construction. Strange Cargo (1940) Cendrillon: Julie (Joan Crawford) ; même remarque que pour History Is Made at Night: les rôles de Cendrillon et du Prince sont ici interchangeables. (Peter Lorre) ; Moll " Belles-mères " : M'sieu Pig (Albert Dekker) ; Hessler (Paul Lukas). Fils du Roi: Verne (Clark Gable). u Fée , : Cambreau (Ian Hunter; figure du Christ). Carrosse: bateau. The Mortal Stonn (1940)
Cendrillon: Freya Roth (Margaret Sullavan). u Belle-mère ,, « sceurs » : Fritz Marberg (Robert Young) ; Otto von Rohn (Robert Stack) ; les nazis en général.
Fils du Roi: Martin Breitner (James Stewart). Fée: Mme Breitner (Maria Ouspenskaya). Talisman : coupe nuptiale; référence à l'arbre de vie.
Palais: de la Fée (celle-ci étant la mère du Prince, c'est bien du Palais du Roi qu'il s'agit). China Dotl (1958) Cendrillon: Shu-Jen (Li Li Hua).
u Belle-mère, : l'Américaine de la Croix-Rouge (Elaine Curtis). Cendrillon a été abandonnée par son
père.
Fils du Roi: Cliff Brandon (Victor Mature).
Structures narratives
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Fée: le Père Cairns (Ward Bond). Talismans : broche ; dog tags (plaques d'identité) des soldats. Carrosse : Chang).
jeep; avion. Laquais : Ellington (Danny
Palais: appartement de Cliff. Peut-être objectera-t-on que le schéma est si général qu'il n'a pas de sens. Je ne le pense pas. Sa répétition et ses variations me semblent éclairantes, et il permet de rendre compte de nombre de détails qui, apparemment gratuits, s'inscrivent dans une structure narrative implicite, mais cohérente. Tout d'abord, et comme on pouvait s'y attendre, on note que le conte de fées se dissimule sous le mode du réalisme, si bien que les personnages à fonction de , " fée sont souvent présentés comme étant médecins prêtres ou : médecins dans A Farewell to Anns (Rinaldi est chirurgien) et Three Cotnrades, prêtres dans Seventh Heaven, A Farewell to Anns, China Doll, et, avec des variantes, dans Man's Castle (le " prédicateur ") et dans Strange Cargo (Rambeau,avatar du Christ). C'est le personnage-fée qui préside, plus ou moins directement, au mariage rituel entre les protagonistes. Rappelons en outre que ce mariage s'accomplit à l'aide d'un talisman, objet magique qui est habituellement fourni par Ie personnage-fée. En deuxième lieu, il est curieux de remarquer que le carrosse, le cocher, les laquais de Cendrillon, structures profondes, affleurent jusque dans le réalisme de la surfàce. C'est ainsi que, dans Seventh Heaven, on peui considérer le taxi Eloi'se comme carrosse de Cendrillon, le chauffeur Boul comme le cocher. Dans Three Cornrades, Pat Hollman (Margaret Sullavan) apparaît d'abord dans le carrosse (la voiture de sport) de Franz
Freuer (Lionel Atwill), Prince charmant, mais aussi séducteur aux tempes argentées, donc à fonction de père ou de beau-père ; le taxi u Baby " des trois camara. des (cet anthropomorphisme des objets vient tout droit
Cendrillon
169
de la littérature féerique), carrosse rival, donne la chasse à Freuer, gagne la course.
Qu'il s'agisse dans les deux cas d'un taxi est intéressant: c'est un moyen commode de respecter I'apparence du réalisme, puisque même les humbles peuvent s'offrir de temps en temps un « carrosse , de louage (il
en va de même pour les vêtements de soirée). D'ailleurs, jusqu'à la métamorphose chère aux fées (la citrouille qui devient carrosse) est présente, puisque o Baby », âVâût d'être un taxi, était un avion. D'autres versions du carrosse sont justement constituées par l'avion de China Doll et par le bateau de Strange Cargo. Citons encore, dans The Shining Hou.r,l'automobile de Cendrillon (Joan Crawford), dans laquelle se jette in extremis le Fils du Roi (Melvyn Douglas). Le conducteur en devient, dans l'amusante dernière scène, la domestique noire qu'interprète Hattie McDaniel : tout occupée à embrasser le Prince, Cendrillon a lâché le volant ! Mais le conte de Cendrillon n'apparaît pas dans les seuls mélodrames de Frank Borzage. Dès 1920, Forbidden Fruit se présente comme « une variation sur le thème de Cendrillon 2 » ; selon un procédé cher à DeMille (cf. Male and Female ou Manslaughter), le thème était explicité par une séquence en costumes. Vingt ans plus tard, dans Rebecca, Favell (George Sanders) désigne ironiquement l'héroïne (Joan Fontaine) du nom de u Cinderella,. A François Truffaut qui remarquait qu'« au fond, l'histoire de " Rebecca " est très proche de " Cendrillon " ,, Alfred Hitchcock répondait: L'héroïne esr Cendrillon, et Mme Danvers l'une de ses vilaines sæurs: mais cette comparaison est encore plus justifiée avec une pièce anglaise anté-
2. The Autobiographv of Cecil B. DeMille, éd. Donald Hayne, Londres: W.H. Allen, 1960, p.211.
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Structures narratiues
rieure à o Rebecca » et qui s'intitule : " Sa maison est en ordre », dont l'auteur était Pinero [ÉIis Hottse in Order, 19061. Dans cette pièce la méchante femme n'était pas la gouvernante, mais la sæur du maître de maison, dônc la belle-sæur de Cendrillon. On peut supposer que cette pièce a influencé Daphne du Maurier 3. Souvent, les titres des films constituent un renvoi explicite au conte de fées. Citons à cet égard: Cinders (comédie romantique d'Alfred E. - Ella 1926), transparente anagramme, à une lettre Green, près, de " Cinderella, ; Midnighr (comédie loufoque de Mitchell Leisen, 1939) 1939):: «" toutes Iles Cendrillons ont leur minuit,. leur heure de vérité; Cinderella, mélodrame commencé par - New York Sternberg, terminé par Borzage (1938), repris par Woody S. Van Dyke et distribué en 1940 sous le titre I Take This Woman; Barefoot Contessa, drame de Mankiewicz - The (1954), où Ava Gardner est la « Comtesse aux pieds rlus >», Cendrillon qui épouse le " Prince charmant » Torlato-Favrini ; Glass Slipper, comédie musicale de Charles - The(1955). Walters Nombre de ces titres doivent s'entendre ironiquement, d'une ironie parfois amère (The Barefoot Contessa). D'autres sont au contraire de véritables remakes du conte de Perrault. Citons une autre comédie romantique, First Love, d,e Henry Koster (1939). Deanna Durbin y incarne une orpheline recueillie par de riches cousins; sa cousine Barbara est jalouse d'elle. Les serviteurs fonctionnent comme u fée ,r, fournissant à la jeune fille robe, chaussures, fleurs pour aller au bal. La police s'en mêle et
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joue le rôle des laquais du carrosse. Une valse permet à Cendrillon de séduire le Prince charmant (Robert Stack). A minuit, elle perd un soulier. A une séparation pathétique succédera le happy ending. Sans multiplier indéfiniment les exemples, on notera que nombre des films qui reproduisent l'argument du conte sont des " comédies loufoques " (screwball comedies), genre caractéristique des années trente et qui s'apparente au mélodrame par sa structure narrative, sinon par le ton. En effet, la screwball comedy est le reflet comique de la Dépression, de la crise et de la rapidité avec laquelle elle fait et défait les fortunes et les situations sociales. Impuissant devant ce qui lui apparaît comme pur arbitraire économique et social, le héros réagit soit en affichant son insouciance (c'est la screwball comedy), soit en incriminant la " fatalité , (c'est le mélodrame). De plus, la screwball comedy a ceci de commun avec les mélodrames de Borzage que le personnage de Cendrillon y est souvent masculin (cf. Little Man, What Now ?, Living on Velvet, History Is Made at Night, Strange Cargo). Au cours de leurs pérégrinations, les " héritières fugitives » (runaway heiresses)qui peuplent la comédie loufoque rencontrent souvent un u Cendrillon masculin a ,. Sous le coup de baguette magique de l'attraction sexuelle, amour et argent sont réconciliés, et tout finit par un mariage. On aura reconnu l'argument de l'archétypique It Happened One Night (Capra, 1934), où Ellie (Claudette Colbert) sera sauvée in extremis d'un mariage de raison et de convenance (ou plutôt de convention) pour épouser Peter (Clark Gable) - u Cen-
drillon,. Les variations sur ce schéma sont nombreuses. Dans
4. On peut signaler un avatar plus récent du même type, C-inderfella (-titre qü associe à Cinderella le mot u fella ,, c'est-à-dire 3. François Truffaut, Le Cinéma selon Hitchcock, Robert Laf. font, 1966, p. 97.
*
fellow',), cômédie de Frank Tashlin, avec Jerry Lewis
(1960).
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Next Time I Marry de Garson Kanin (1938), une riche héritière (Lucille Ball) ramasse « un , Cendrillon dans la rue (James Ellison) pour échapper au fatidique mariage de raison, puis se débarrasse de lui sans élégance. Mais ce Cendrillon refuse d'être le héros d'un conte de fées, ou plutôt de ne l'être qu'à demi. Par dignité masculine, il veut être le premier à rompre, et l'inévitable se produit: il séduit la Princesse. Même argument dans Princess O'Rourke de Norman Krasna (1943): une jeune princesse étrangère s'éprend d'un Américain « comme les autres », eüi, se réveillant en plein conte de fées, refuse de devenir un « étalon royal , ; la soumission de la femme sera, une fois de plus, le prix de l'amour retrouvé et de l'arrangement, en même temps que la démocratie américaine sera exaltée face à l'aristocratie du Nouveau Monde. On s'en aperçoit sans doute, certaines de ces intrigues auraient fort bien pu se prêter à un traitement mélodramatique. C'est vrai de My Man Godfrey, autre screwball comedy archétypique, où l'on voit la riche héritière (Carole Lombard) ramasser, littéralement, dans une décharge municipale, un clochard, un ., homme oublié " (Godfrey: William Powell), pour en faire un jouet, son maître d'hôtel, son mari enfin : le ton est généralement grinçant, le rire, jaune (Gregory I-a Cava, 1936).
On revient à la distribution traditionnelle des sexes dans S/ze Married Her Boss (également de La Cava), ou dans You Can't Take It with You de Capra, mais la moralité n'est guère différente : le Prince charmant (ici James Stewart) doit théoriquement rompre avec son propre milieu pour mériter Cendrillon (Jean Arthur) ; en fait, le milieu se convertit en masse, ce qui permet une réconciliation générale. Dans S/an ding Room Only (Sidney Lanfield, 1944),le patron doit feindre d'être un domestique pour mériter sa secrétaire soubrette. Extrêmement répandu dans les comédies et les mélodrames des années trente, le procédé du déguisement traduit, de toute évidence, la fluidité sociale d'une épo.
Cendrillon
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que de crise, où voisinent « nouveaux riches » et « rloüet le conte veaux pauvres r. Cependant, ce procédé est extrêmement de Cendrillon dans son ensemble complexes, ambigu, et susceptible d'interprétations voire contradictoires, dont il faut dire un mot. De même que, dans le primitivisme, on distinguait une version ,. dure » et une version « pastorale », de même Cendrillon appelle une interprétation " démocratique » et une interprétation .. aristocratique ,. Dans le premier cas, il s'agit d'exalter le brassage social, de montrer que rien ne sépare, en profondeur, Cendrillon
et le Fils du Roi. C'est l'optimisme à la Capra (optimisme auquel il ne faut d'ailleurs pas réduire cet
auteur : le mélodrame Forbidden contient une allusion caustique au conte de Cendrillon; et, dans Platinum Blonde, comédie de 1931, " le , Cendrillon, un journaIiste, au lieu d'épouser la riche héritière, lui préférera en définitive Loretta Young, qui est aussi journaliste). Dans le second cas, il s'agit au contraire d'affirmer que Cendrillon est de naissance princière, de railler la fausse aristocratie de sa belle-mère et de ses demisæurs, de montrer que son union avec le Fils du Roi est ce qu'il y a de plus naturel. Dans la littérature et au cinéma, les deux interprétations se succèdent, s'opposent ou se mêlent. [.a version aristocratique domine chez le Cervantès de " L'Illustre Laveuse de vaissellg ,, dans les Nouvelles exemplaires: même s'il est vrai que Thomas « était si amoureux de cette belle personne que quand même on ne lui aurait point découvert de quelle naissance elle était, il l'aurait prise pour femme dans son état de laveuse de vaisselle r, il n'en reste pas moins Que « si elle avait paru belle sous son costume de journalière, [Constance] semblait, sous celui-ci, une chose du ciel : il lui seyait si bien que l'on pensait que, dès sa naissance, elle avait été noble et avait usé des meilleurs vêtements à la mode s. , 5. Trad. Jean Cassou, Pléiade, 1949, p. 1386.
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Structures narratives
Il en va de même, au cinéma, dans The Golden Chance de DeMille (1915). L'héroïne, fille d'un juge, est de bonne famille, mais déchue à cause de son mariage avec un voleur ivrogne. Pour gagner sa vie, elle est contrainte de prendre du service chez de grands bourgeois, qui la font passer pour une amie de la famille. Les invités partent à minuit, et la comédie cesse pour Mary Denby (Cleo Ridgely), qui en est réduite à comparer le " soulier de verre " qu'elle a porté pendant la soirée, et son soulier à elle, éculé et troué. Mais c'est précisément pendant la soirée qu'elle est redevenue ce qu'elle est: une princesse. C'est alors que s'est exprimée sa vraie « nature ,. Les différences sociales reflètent (ou plus exactement : devraient refléter) des différences naturelles. Certes, il existe des aristocrates déchus et des gens sans gotit indûment u arrivés », mais il ne s'agit là que d'accidentelles et provisoires anomalies : fonda- sang mentalement, bon ne saurait -mentir, et chacun est amené à retrouver (c'est l'aspect littéralement réactionnaire) sa place u naturelle ,. C'est cette croyance même à une hiérarchie naturelle que je qualifie de u réactionnaire » ou d'« aristocratieu€ ». Or, chez Borzage, il en va différemment, par exemple, ainsi que je l'ai déjà signalé, dans History Is Made at Night. Le Prince charmant (Paul Dumond: Charles Boyer), en habit de soirée, danse avec Cendrillon (Irene Vail: Jean Arthur), qui perd sa pantoufle. Paul réunit d'ailleurs en un seul personnage le rôle du Prince et une partie de celui de la Fée, car il a arraché Irene aux griffes d'un mari jaloux et l'a sauvée des avances d'un vulgaire chauffeur, avant de lui ouvrir les portes d'un véritable palais, le restaurant Châteaubleu, au nom élo. quent. Donc, même sur le plan social, le mythe de Cen-
drillon semble se donner libre cours: l'aristocrate qu'est clairement Dumond (comme l'indiquent sa tenue vestimentaire et sa conduite impeccable) a supplanté le prolétaire (le chauffeur: fvan Lebedeff) ; Borzage d,êcritavec complaisance le cadre du Châteaubleu, restaurant de grand luxe, dépeint la naissance de
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Cendrillon
I'amour en des termes qui font appel au romanesque traditionnel de la -musique et de la danse. Sans doute, Irene n'est pas elle-même une prolétaire, mais elle est américaine, donc moins " noble » eue Dumond, l'Européen. De plus, conformément au schéma narratif du conte de fées, elle disparaîtra le lendemain (quoique nettement après minuit) et demeurera longtemps insaisissable.
Cependant, ces apparences sont toutes trompeuses. D'une part, au fil de la soirée du Châteaubleu, Irene passe peu à peu non pas de la laideur à l'élégance, mais de la sophistication au naturel. Surpris par le mari jaloux (Colin Clive), Dumond a fait mine d'être un rat d'hôtel, aarrachê son collier de perles à la jeune femme et l'a emmenée en la u dépouillant, de ses bijoux. Au Châteaubleu, elle perd une pantoufle, puis son manteau de fourrure, puis sa seconde pantoufle. Elle danse pieds nus, libérée des parures artificielles qui ne lui appartenaient pas en propre, qui constituaient comme autant de marques de propriété imposées par son mari. Elle révélera sa vraie « nature » euand elle préparera pour Dumond... des æufs brouillés, baptisés pour la circonstance « eggs a la Kansas ". D'autre part, on s'apercevra bientôt (mais cela, ni Irene, ni le spectateur, ne le savent encore) que, si Dumond est en smoking, et s'il a réussi comme par « magie à ouvrir le Châteaubleu à cette heure si tar" dive, c'est qu'il y travaille comme maître d'hôtel. Nous nous sommes laissé naïvement abuser par les apparences d'un smoking et d'un næud papillon. Preuve que l'habit fait le moine ; dès lors, la définition de l'aristocratie ne-,saurait être qu'économique ou culturelle, et non pas.i naturelle ». Le mythe de Cendrillon est ironiquement subverti. De même, on se souvient que dans Man's Castle le o Prince charmant " (Spencer Tracy) est en réalité un homme-sandwich. De même encore, dans Midnight de Mitchell Leisen : Tibor Czerny (Don Ameche), présenté comme u Fée et « marraine de Cendrillon (Eve Pea-
"
"
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Structures narratives
body: Claudette Colbert), est chauffeur de taxi. Le
cas
symétrique apparaît dans My Man Godfrey de I-a Cava; le forgotten man,le clochard, vient en réalité d'une des meilleures familles de Boston (synonyme, on le sait, d'aristocratie). S'il joue avec aisance le rôle d'un maître d'hôtel, n'est-ce pas qu'il lui est naturel de porter l'habit de soirée ? Certes, il a conscience de la crise économique, des injustices sociales, de la vanité des gens du monde son monde; et néanmoins, il se prend - de pour la famille qu'il sert, se laisse enfin d'affection épouser par la riche héritière (Carole Lombard), c'està-dire par u quelqu'un de son monde ,,. On revient donc ici, en quelque sorte, et contrairement à ce qui se passe chezCapra et Borzage, à la rrersion « aristocratique , du conte; mais le mode est plutôt désenchanté. Cette discussion nous a, en apparence, éloignés de la structure narrative pour nous ramener à certains points esquissés dans la thématique. Mais cela se justifie, car les formes les schémas narratifs - etdenotamment - ne sont pas vides sens ; encore que, comme on vient de le voir, le même schéma puisse, grâce à des détails qui semblent d'abord secondaires, être porteur d'un sens implicite fort différent de l'apparence ; et que le même schéma puisse donner lieu à un traitement comique ou mélodramatique (ou tour à tour comique et mélodramatique), suivant le point de vue adopté par le metteur en scène; c'est une question d'accentuation. Ainsi, la structure narrative du mélodrame apparaît porteuse d'un sens qui confirme le caractère fatidique du genre (grâce à l'utilisation du flash-back et de schémas circulaires), tout en le nuançant fréquemment, au moins en surface, de l'optimisme d'un happy ending (qui à son tour est susceptible d'être ironique). Aux personnages du mélodr ainsi qu'aux objets sont souvent assignées des fonctions qui les rendent -pareils aux personnages et aux objets des contes de fées, de la littérature populaire en général; mais ces fonctions
Cendrillon
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n'excluent nullement la complexité, l'ambigulté, les renversements ou les déviations des significations, des i nterprétations traditionnelles. La structure narrative entretient donc les rapports les plus étroits avec les thèmes. Elle ne constitue d'ailleurs pas un simple véhicule », un cadre vide que rempli" raient ceux-ci : en dehors des cas d'adéquation parfaite entre thématique et structure narrative, il existe fré-
quemment, entre ces deux aspects de l'æuvre, une sorte jeu, de décalage, qui permet précisément les utilisations ironiques, les ambiguités accidentelles ou délibéde
rées.
De même, la structure narrative ne saurait être considérée séparément du style. On l'a vu, certains scénarios de screwball comedies ressemblent à s'y méprendre à des scénarios de mélodrame. La différence réside dans le ton, dans le style, découlant du point de vue adopté.
Bachelor Mother (. La Fille-mère ") de Garson Kanin (1939) est une comédie et non un « sombre drame , ; mais, à la conclusion près, le scénario est fort proche du mélodrame de Sam Wood Kitty Foyle (1940), avec la même interprète (Ginger Rogers). Dans divers cas,le film semble appartenir successivement à des genles distincts. Certains mélodrames englobent de larges segments comiques (Made for Eaclt Other de Cromwell, les deux Af-fair de McCarey), tandis que certaines comédies débouchent de façon inopinée sur le mélodrame (ainsi Sullivan's Traveis de prèston Sturges ou Once Upon a Honeymoon de McCarey; ou encore The Great Dictator de Chaplin, voire To Be or Not to Be de Lubitsch aura reconnu, dans ces trois derniers titres, ceux d'admirables comédies antinazies).
L'impression de mélodramatique ou de comique, de noir ou de rose, est donc fonction non pas de la seule conclusion, à l'occasion de laquelle le metteur en scène a pu souhaiter une rupture de ton (ou y être contraint), ni même de la structure narrative dans son ensemble, mais aussi de la texture même de l'æuvre
Troisième Partie
Stylistique
1
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Dans son célèbre essai " Style et matériau au cinéma r, Erwin Panofsky compare le cinéma muet à l'imagerie médiévale et note que, pour faciliter la compréhension du nouveau langage filmique, on introduisit « une iconographie fixe qui informait le spectateur, de I'extérieur, sur les faits et les personnages principaux, à peu près comme les deux femmes derrière l'empereur, quand elles portaient respectivement une épée et une
croix, étaient, sans ambiguïté possible, identifiées comme la Vaillance et la Foi ,. Cependant, après avoir signalé quelques exemples de cette iconographie (le Méchant « r€connâissable à sa moustache noire et à sa canne r, la nappe à carreaux u [connotant], une fois pour toutes, le milieu " pauvre mais honnête " ,r), Panofsky conclut eue « les moyens de ce genre devinrent moins nécessaires au fur et à mesure que le public s'accoutumait davantage à interpréter l'action pour elle-même » et eu'<< ils furent virtuellement abolis à l'invention du film parlant », seul€ l'intrigue demeurant stéréotypéer. Sous sa forme révisée, le texte de Panofsky date de 1947. Avec le recul du temps, il apparaît clairement que
l. Erwin Panofsky, « Style et matériau au cinéma,, trad. Dominique Noguez, in Cinéma: Théorie,lectures, sous la dir. de D, Noguez, Klincksieck, 1973, p. 54-56.
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Stylistique
ce qu'il appelait le u symbolisme primitif » a survécu dans bien davantage que quelques détails 2 ,. Certains " genres se caractérisent, en effet, non seulement par leurs clichés-situations, mais aussi par leurs clichésimages, par une iconographie. C'est ainsi que Colin McArthur, dans sa discussion du film de gangsters et du thriller, observe que l'iconographie du genre peut être regroupée autour de trois catégories : l'aspect physique des personnages (expressions, gestes, langage, habillement) ; le milieu dans lequel ils évoluent (en l'occurrence, la ville, particulièrement la nuit) ; enfin, la technologie dont ils disposent (armes à feu, automobiles, téléphones 3). Il est bien évident que l'iconographie du mélodrame ne revêt pas le caractère systématique et pour ainsi dire contraignant qui s'attache à celles du film de gangsters ou du western ; cependant, il est facile de montrer que certaines images reviennent, dans le genre, avec une fréquence significative.
Vrsacrs
DE FEMMES
On relèvera d'abord, dans l'apparence physique des personnages, les expressions du visage et surtout du qui visage féminin servent à désigner les diverses émotions de l'héroïne, notamment la douleur ou la détresse (ce qui correspond au ressort pathétique du mélodrame, et au fait que le personnage est souvent une victime). Très tôt, l'utilisation du gros plan a permis 2. Comme je me suis efforcé de le montrer dans mon article En relisant Panofsky ", Positif, n" 259, sept. 1982; voir aussi mon « Hollywood fânhstiqug: réveils ei prodiges dans le cinéma parlant, 1929-1969 ", Etudes anglaises, l, 1984. 3. Colin McArthur, Underu,orld U.S.A., Cinema One, n" 20, Londres: Secker & Warburg et British Film Institute, 1972, p.22-23. u
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l'introduction d'une sorte de ponctuation pathétique : il était fait appel au visage « parlant , de l'actrice. Cela est vrai au moins depuis Griffith et Way Down East, oit la tonalité du récit est indiquée par les expressions successives de Lillian Gish ; il en va de même dans The White Sister de Henry King, avec la même interprète. Parmi les grands mélodrames des années trente, beaucoup sont construits autour d'une actrice et de sa capacité à traduire, par le seul truchement de son visage, une gamme de sentiments divers. C'est là un domaine où le u langage visuel " hérité du muet a survécu. On citera particulièrement, à cet égard, Greta ce n'est pas une coïncidence Garbo, qui d'ailleurs - du muet, et son interprétation était une grande « star, de Marguerite Gautier dans Camille de Cukor (1937): elle exprime tour à tour, avec intensité, la coquetterie, la lassitude, la nostalgie de la pureté, l'amour partagé, l'abnégation du sacrifice... Elle rit et rayonne de bonheur de vivre de manière plus convaincante même que dans la comédie de Lubitsch, Ninotchka (1939), dont Ie slogan publicitaire sera " Garbo laughs ! , (u Garbo rit ! ";. Cette capacité est utilisée par Cukor à des fins mélodramatiques. Un soir, Marguerite Gautier, dont c'est l'anniversaire, attend le retour de son jeune ami Armand (Robert Taylor), auquel elle a promis de se donner pour la première fois ; mais c'est le protecteur de Marguerite, Varville (Henry Daniell), qui rentre inopinément; elle lui joue la comédie, mais il n'est pas dupe. Comme on entend Armand sonner à la porte, elle déclare, se forçant à rire et faisant rire sarcastiquement Varville: " Peut-être est-ce le grand amour de ma vie qui est à la porte. , Or, cette scène atteint à une sorte de sommet mélodramatique non seulement à cause de la situation (la péripétie u catastrophique , du retour de Varville au lieu d'Armand), mais surtout grâce à la capacité qu'a l'actrice d'exprimer simultanément l'amusement apparent et la détresse profonde. Plus tard, dans une scène qui constitue en quelque
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sorte le pendant de celle que je viens d'évoquer, Marguerite, ayant décidé, sur les instances du père
d'Armand (Lionel Barrymore), de se sacrifier pour ne lui fait croire qu'il lui est devenu indifférent : dans ces deux scènes pathétiques, où à deux reprises elle se sacrifie pour protéger son amant, Marguerite Gautier u joue la comédie ", faisant tour à tour semblant d'aimer celui qu'elle n'aime pas, et de ne plus aimer celui qu'elle aime. Mais, quel que soit le talent de l'actrice, Varville, plus expérimenté, plus perspicace qu'Armand, n'en sait pas moins déchiffrer l'expression de son visage: vous ne pouvez, dit-il très justement à Marguerite, me cacher que vous êtes amoureuse d'un autre , c'est écrit sur votre visage (" it's on your face "). Après Greta Garbo, c'est Joan Crawford qui saura le mieux sans doute traduire le pathétique par son visage pas faire obstacle à la carrière du jeune homme,
baigné de larmes, avec ses yeux démesurés. Les larmes semblent souligner la nudité du visage, ajouter à sa fragilité. Inversement, dans Leave Her to Heaven, Gene Tierney en femme fatale aura le visage dissimulé derrière des lunettes de soleil lorsqu'elle laissera intentionnellement se noyer son beau-frère; aux expressions désignant les victimes innocentes répondent celles des personnages affectés d'un signe négatif, ou plutôt l'absence ostentatoire d'expression que les lunettes connotent. Pour les lunettes de soleil, on signalera encore Bette Davis dans Beyond the Forest, et il - mais s'agit ici d'un thriller le tueur d'Underworld Il.S.A.
(Fuller, l96l).
-
La rpuup
A l-A FENÊTRE
Un motif iconographique privilégié par le mélodrame (mais qui ne lui est pas exclusif) est celui de la femme à la fenêtre. Ici encore, ce motif correspond le plus sou-
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vent à une pause, à une ponctuation pathétique: la femme à la fenêtre est un témoin passif, situé à la frontière du monde clos, intérieur, et du monde extérieur, à la limite de la cellule familiale et de l'univers social; quoiqu'elle regarde à l'extérieur mais elle ne franpas chit cette limite, elle ne cesse pas d'appartenir au cercle domestique qui simultanément la protège et l'enferme. La femme est toujours derrière la vitre ; il est fréquent que dehors il pleuve, ce qui ajoute au pathétique. Le sens du motif est généralement l'attente de la femme, dont le mari, ou l'amant, appartient, lui, au monde social, au monde du dehors ; le fait qu'elle est abandonnée, temporairement ou définitivement; sa réflexion, sa méditation passive sur le sort qui est le sien, sur sa séparation même d'avec l'univers qui l'entoure. Citons quelques exemples de cette iconographie extrêmement abondante: Madeleine Carroll dans The World Moves On - 1934). La pluie souligne le pathétique (derrière (Ford,
la vitre, la femme voit son mari partir pour
la
guerre).
Katharine Hepburn dans Alice Adatzs (George Stevens, 1935). Il pleut; elle pleure ; l'impact de l'image, comme il est fréquent, est accentué par un travelling avant sur le visage de l'actrice. Bette Davis dans The Sisters (Anatole Litvak, - Abandonnée par son mari, 1938). elle pleure ; travelling avant ; ses lèvres forment les mots (qu'on n'entend pas, mais qu'on devine) " Please come back. » On note que le procédé, ici encore, est celui même du muet. Joan Crawford dans Mildred Pierce. Ici, la vitre suggère nettement une prison ; auparavant, on a vu le visage de Joan Crawford derrière les barreaux (ceux d'un guichet, mais suggérant une cellule). Joan Crawford dans Possessed (Curtis Bernhardt,
1947). -
Nancy Coleman dans Her Sister's Secret (Ulmer,
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1946). L'héroïne, qui se croit abandonnée, et qui a renoncé à son enfant, observe une ronde d'enfants déguisés pour le Mardi gras. Linda Darnell à la fin de Forever Arnber (Premin- 1947), ger, observant son ancien amant et leur fils qui s'éloignent ensemble vers l'Amérique, la Terre promise à laquelle elle-même n'aura pas accès. Maureen O'Hara dans The Foxes of Harrow (Stahl,
-
1947).
Wyman dans All That Heaven Allov's. - Jane Lana Turner dans Portrait in Blacft (Michael Gor- 1960). Il s'agit ici aussi de la dernière image du don,
film (un travelling avant sur Lana Turner à Ia fenêtre, femme criminelle maintenant u abandonnée ,, car son Anthony Quinn vient d'être tué). complice Turner dans Madame X. - Lana noté que cette iconographie est parfois présente J'ai dans d'autres genres. Je citerai deux films de John Ford : la comédie irlandaise The Quiet Man, oit l'on voit Mary Kate (Maureen O'Hara) pensive à la fenêtre après qu'elle a été demandée en mariage par Sean Thornton (John Wayne), et Drums Along the Mohawft (1939), film de pionniers où Lana (Claudette Colbert) attend le retour des soldats, le visage photographié derrière la vitre, alors qu'il pleut. Mais la signification mélodra-
matique du motif est, par là même, confirmée: c'est un motif romanesque ou sentimental, qui sert à désigner une pause, l'expectative, l'attente, le désarroi... L'image est certainement d'origine picturale. Mais, chez le romantique allemand Caspar David Friedrich, on voit la femme de dos, rêvant à l'évasion que symbolise le mât aperçu d'un navire (Femme à la fenêtre, vers 1822, Nationalgalerie, Berlin), et le motif est repris tel quel dans le film Die Linkshiindige Frau de Peter Handke (1978); dans le cinéma hollywoodien, au contraire, la femme est presque toujours montrée de face, ce qui permet au visage de l'actrice d'exprimer
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silencieusement toute une gamme possible de sentiments a. Il faut d,ailleurs insister sur ce caractère u possible n, sur la polysémie de l'image, d'autant plus que les sentiments exprimés sont ici, très souvent, de nature vague et diffuse. En un sens, les visages d'actrices, le motif de la femme à la fenêtre, ne signifient rien de précis et d'univoque ; c'est le spectateur qui, à l'aide du contexte, se charge de déchiffrer ce qui peut-être n'est qu'une page blanche, mais qui, pour cette raison même, joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du pathétique. On peut mentionner à cet égard la fin célèbre de Queen Christina de Rouben Mamoulian (1933), avec Greta Garbo, où l'on voit l'actrice se figer en une sorte de figure de proue, après la mort de son amant. Le réaIisateur a déclaré à ce" propos :
Garbo m'a demandé : u Qu'est-ce que je joue dans cette scène ? , Souvenez-vous, elle est immobile plus pendant près de quatre mètres de film - dontu Vous de deux en gros plan. Je lui ai répondu: connaissez l'expression " table rase " ? Je veux que votre visage soit une page blanche. Je veux que l'écriture soit le travail de chaque spectateur.
J'aimerais que vous évitiez même de fermer les yeux, afin que vous ne soyez qu'un masque admirable. " Si bien qu'en réalité il n'y a rien sur son visage : mais chaque spectateur vous dira ce qu'elle penie et ce qu'elle ressent. Et c'est chaque fois quelque chose de différent s.
4. Il
en va de même dans Da.s Tagebuclt einer Verlorenen,
hlm
allemand de G. W. Pabst, interprété par l'actrice américaine Louise Brooks (1929). 5. Cité dans Tom Milne, Marnoulian, Cinema One, n" 13, Londres: Thames and Hudson et British Film Institure, 1969,p.7475.
q Stylistiqua.
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Gr,sruelle Même s'il est fréquemment accompagné d'un mouvement de caméra (travelling avant notamment), le motif précédent vaut d'abord par l'immobilité de l'interprète. En revanche, la gestuelle fait évidemment intervenir le mouvement. Tout film, bien entendu, comporte une gestuelle ; mais celle-ci revêt dans le mélodrame une importance particulière, puisque, dans ce genre, le mouvement traduit, extériorise l'émotion. La fille prodigue se précipite sur le cercueil de sa mère (Imitation of Life),'la prostituée au grand cæur se jette au-devant du tueur pour protéger son ami (Shirley Maclaine dans Soze Came Running); le Bon Géant pacifique assomme, en quelques coups de battoir, un adversaire qui l'attaquait traîtreusement (Rock Hudson dans Written on the Wind); le procureur, mimant le geste de celui qu'il accuse d'être un assassin, casse, en plein tribunal, une rame de barque (Raymond Burr dans A Place in the Sun de George Stevens) ; une gifle, même " accidentelle ,, n'en traduit pas moins l'injustice cruelle que le mari témoigne à sa femme (A Star ls Born). Car la gifle est, dans le cinéma hollywoodien u classià la fois euphémique et éclatant eu€ », l'équivalent - grossière, de l'insulte la plus de l'humiliation la plus vive,la manifestation d'un mépris sans mélange : citons les deux gifles de Camille (Marguerite Gautier est giflée par Varville, qu'à son tour gifle Armand), celle que dans The Barefoot Contessa le prince Torlato-Favrini donne au producteur de cinéma... Le mélodrame abonde ainsi en gestes spectaculaires, sentimentaux ou violents, que l'on pourrait dénombrer à l'infini.
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HAstLLEÀ'tENt
L'habillement des personnages de mélodrame joue rôle très dans le film de gangsters aussi - unréaliste ou - comme u symbolique » et non seulement important, fonctionnel. Le manteau de vison est une véritable u icône , qui suffit à désigner la richesse, la classe possédante ; c'est un signe suspect, dénotant plus de sophistication que de sincérité. Dans History Is Made at Night, Jean Arthur, " Cendrillon à l'envers ,, se dépouille de ses bijoux, de ses souliers, laisse tomber son manteau de vison, afin de redevenir elle-même et de connaître le bonheur. On trouve des scènes semblables dans I Take This Woman de Van Dyke, avec Hedy Lamarr. De même, dans Caughl (Ophuls, 1949), s'opposent le simple manteau « qui n'est pas du vison, mais qui tiendra chaud , à l'héroine, et le manteau de vison que celle-ci, midinette mariée à un mégalomane, abandonne à la fin du film, Chacun des deux manteaux symbolise son donateur, son style de vie et ses valeurs. Dans Imitation of Life (version de Sirk), le manteau de vison désigne le succès et la richesse, mais aussi la corruption de la carrière qu'a choisie Lora Meredith (Lana Turner). Les manteaux de vison, les robes longues, les bijoux (dont l'abondance caractérise en particulier les films de Joan Crawford, par exemple Mannequire) remplissent la même fonction que les accessoires des personnages dans le thriller ou le western. Ils font partie intégrante du genre, et exercent sur le spectateur une réelle fascination. Si bien que, même affectée d'une nuance négative, leur signification ne laisse pas'd'être ambiguë. Ils représentent aussi, pour de nombreux personnages et, à n'en pas douter, pour de nombreux spectateurs une sorte d'idéal qui n'est guère accessible que par -le rêve, un rêve auquel on peut identifier le cinéma.
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C'est ainsi que dans Liule Man, What Now ? (Borzage,
1934), I âmmchen (Margaret Sullavan) " joue " à s'habiller d'une robe longue et à se faire appeler », et que, dans quantité de mélodrames, les " Majesté signes de la richesse et de la u sophistication » (vêtements de soirée, champagne...) non seulement jouent un rôle décoratif, mais font figure d'idéal dont il faut se montrer digne, ou auquel, sans doute, il faut être capable de renoncer, mais qui justement mérite qu'on lui consacre quelques efforts (voir par exemple An Affair to Remember). A l'opposé, d'autres vêtements, d'autres accessoires désignent la proximité à la Nature, la simplicité rustique. Dans The River (Borzage, 1929), Charles Farrell coupe du bois, vêtu d'une chemise à carreaux. Dans Leave Her to Heaven, Chill Wills et Cornel Wilde portent des chemises écossaises. Dans Love Letters (Dieterle, 1945), Joseph Cotten fume la pipe et porte un lainage. Dans Beyond the Forest (Vidor, 1949), de même, le mari (Joseph Cotten) a des chemises à carreaux, il fume la pipe; au contraire, sa femme (Bette Davis) a des lunettes noires, des talons hauts. Dans All That Heaven Alîows, Rock Hudson porte une veste et une chemise également à carreaux. Schématique, immédiatement déchiffrable, le code est pourtant complexe. Ainsi la pipe désigne l'homme tranquille, sans ambition excessive, et aussi l'intellectuel. Cotten, dans Beyond the Forest, est médecin ; de même, le Dr Vincent, dans Strange lllusion (Ulmer, 1945), va à la pêche, porte une chemise à carreaux, fume la pipe. Dans Stardust Memories de Woody Allen (1980), le psychiatre se précipitera à la poursuite de l'o agressivité " échappée du héros et, pour témoigner de sa bonne foi et de son identité, s'écriera: " Je suis pipe ! " Comme il est votre psychanalyste - voici lemastéréotype. fréquent, l'humour souligne
Nappr, A cARREAUX
Pour ce qui est du milieu, bornons-nous à remarquer que la nappe à carreaux signalée par Panofsky n'a nullement disparu avec le muet. On la voit, rouge et blanche, dans Leave Her to Heaven, dans la comédie musicale Easter Parade (Charles Walters, 1948), dans le wes' tern The Duel at Silver Creek (Don Siegel, 1952); dans Written on the Wind, encore que cette dernière occurrence ne soit pas dépourvue d'une certaine ambiguilé, puisqu'il s'agit du cadre hautement sophistiqué du Club 21. Mais, habituellement, la nappe à carreaux continue le accompagnée ou non d'une cafetière à désigner encore : Citons la convivialité. et domestique bonheur (Roy 1936 Melody of Little Man, What Now ?, Broadway Del Ruth, 1935), Heidi (Dwan, 1937), Back Streel (version de Stevenson), Driftwood (Dwan, 1947), Stranger on the Raz (western de Don Siegel ,1967)... A l'instar de la femme à la fenêtre, la nappe à carreaux peut donc être caractérisée comme un motif mélodramatique, mais susceptible de figurer, avec la même signification, dans des genres divers.
SrÉnÉorvPES vISUEls
La permanence de u clichés-images » ne saurait cependant masquer l'évolution du genre. En effet, certains stéréotypes visuels appartiennent au répertoire traditionnel du mélodrame littéraire, et n'ont donc rien, en eux-mêmes, de spécifiquement cinématographique. D'autres empruntent à la technologie moderne et prennent toute leur valeur expressive grâce à la technique cinématographique. On évoquera, pour illustrer
Ie premier cas, l'opposition (explicite ou implicite) entre u chaumière » et u château » i pour le second, la
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Srylistique
course-poursuite en automobile (qui apparaît dès les débuts du siècle et à peu près simultanément dans les serials, feuilletons d'aventures filmées, et sous forme parodique chez les burlesques). Dans le mélodrame traditionnel, la chaumière, image de la vie domestique, humble et tranquille, s'oppose au château, souvent hanté. Citons, par exemple, Randorn Harvest (Mervyn Le Roy, 1942): avec n Random Hall , contraste le « cottage " du Devon, entouré d'arbres en fleurs. D'un côté la vie publique, de l'autre la vie privée. Il en va de même dans Rebecc(t: au château de Manderley s'oppose la cabane (le « cottagg ") proche de la mer ; toute une aile de Manderley demeure occupée par le fantôme de Rebecca, et c'est un incendie qui dissipera cet envorhtement. De même encore, dans lane Eyre, le château de Thornfield a une tour mystérieuse, où est séquestrée la femme devenue folle de Rochester, et que détruira un incendie. Dans The Enchanted Cottage au contraire, comme l'indique le titre, une chaumière située en Nouvelle-Angleterre transfigure l'amour tranquille que se vouent deux déshérités. La chaumière apparaît encore dans Chained (Clarence Brown, 1934), Daisy Kenyon (Preminger, 1947); l'opposition entre chaumière et château, dans Love Letters (Longreach vs. Beltmarsh), dans Caught (" cabin » vs. « palace »), etc. L'antithèse fondamentale public-privé peur être exprimée par sa frontière elle-même (voir la femme à la fenêtre). Elle peut aussi se réduire à l'opposition entre deux parties d'une même demeure : par exemple, le rezde-chaussée, avec le hail d'entrée et les pièces de réception, sera public, alors que l'étage, avec ses chambres, sera privé 6. L'importance de l'escalier apparaît ici 6. Cet élémentaire u svmbolisme , architectural ne caractérise évidemment pas le seul mélodrame. V. F. Perkins a noté l'opposition du_ u haut , (privé) et du n bas , (public) dans trois films de Nicholas Ray: les drarnes ou mélodiames Bigger îhan
Life er Rebel Wirhaut'a Cuu.\e, mais aussi le wester.n loiiirtv Gtritar, Film as Film: Understanding antl Judging Motie.;. Pengr-rin
Books, 1972,p.90-91.
744
t)
lrr lrariage de Greed (Erich von Stroheim, 1925) : ZaSu Pitts, William Barlow, Gibson Gowland.
lytlia Knott, Cafl Miller, Edna Purviance dans A Woman oI Paris (Charles Chaplin, 1923).
Lillian Gish et Dorothy Gish dans Orphans ol the Storm de D.W. Griffith (1922).
Lillian Gish, Gino Conado et John Gilbert dans La Bohème de King Vidor (1926).
liuynor, George Stone, Charles
ul Albert Gran dans Seventh de Frank Borzage (1927)
lirlrrrn et James Stewart dans r
r
Heaven
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Kintt
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æ*§p,§;ll'Ï,1,.i,''l1''1.1,**''6'§.}; Phillips Holmes et Nancy Canoll dans Broken [ullaby d'Ernst Lubitsch (1932)
à caneaux : Robert Young, Robert Taylor, Margaret Sullavan et Franchot Ïone dans de Frank Borzage (1938).
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lngrid Bergman et le violon de Leslie Howard dans lntermezzo de Gregory Ratoff
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Amêrique : Spencor Tracy, Marloria Rambeau et Arthur Hohl dans Man's Castle de Frank tlrl\
Vivien Leigh et Robert TaYlor dans Waterloo Bridge de MervYn Le (1940).
La crise en Europe:Douglass Montgomery et Muriel Kirkland dans
Little Man, What Now?
de
Borzage (1934).
et Henry Fonda dans Kouyon rl'0tto Prentittl;ttr
Irrrwlrrrrl Joan Crawfortl et Clark Gahle dans Strange Cargo de Frank Borza6e
(,1940).
RoY
Ava Gardner et Stttwntl
ger dans Bhowanl de George Cukor (lllhll)
Às
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et Joan Fontaine au pied du portrait de (Alfred ^,,rk,rson Hitchcock, 1940)' llrr,r:a
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Barbra Streisand et la veste de Robert Redford dans Ihe Way We Were de Sydney Pollack (1973).
Richard Gere et Debra Winger dans An Gentleman de Taylor Hackford (1982).
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L,,rrrrv rl:rrtq Icaufi Hor to HOaven
CtrrUrttt Colbert dans lmitation ol Life de M. Stahl (1934).
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Bette Davis et Paul dans Now, Voyagel Rapper (1942).
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(r944)
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mélodrame : Frank Sinatra et Shirley Maclaine dans Some Came
Running de Vincente Minnelli
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La figure de style de l'antithèse : Glenn Ford dans Ïhe Four Horse-
men ol the Apocalypse de Vincente Minnelli (1962). -Z
Lana Turner
et Kirk Douglas dans The Bad and The Beautilul de
Minnelli (1953).
Cary Grant et Deborah Ken dans An Aflair to Bemem-
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Erich Maria Remarque Gavin dans A
et
Iime to Die de Douglas (1958).
Eleanor Parker, Robert Mitchum et George Hamilton dans Home (re60).
from the Hill de Vincente
Les Frères ennemis : George Peppard et George Hamilton dans Home (1900).
from the Hill de Vincente
John
Iime to love and
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Clichés-images
193
clairement: quelles que soient ses autres valeurs symboliques ou décoratives, il est le moyen même de passer du public au privé, ou inversement. Aussi est-il par e*cèllence un espace dramatique et, s'il sert de décor aux films les plus divers, il revient avec une fréquence particulière dans le mélodrame, de lezebel (Wyler, 1938) etWhenTomorrow Comes (Stahl, 1939) àWritten on the Wind, Portrait in Black, Marnie (Hitchcock, 1964), Madame X... On y fait des chutes accidentelles (The Foxes of Harrow de Stahl) ou intentionnelles (Leave Her to Heaven du même metteur en scène) ; mais surtout, le descendre avec ostentation constitue
un processus d'extériorisation, d'ouverture sur Ie
Le pauvre amour
: Maria's Lovers d'Andrei
Konchalovsky (1984).
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monde, sur la société, tandis que le monter pour « se retirer dans ses appartements , désigne un repli sur soi, sur la cellule familiale. Vêtue de rouge provocant ou de blanc docile, l'héroine fait, en le descendant, son entrée dans le monde (Bette Davis dans Jezebel)' Dans Mr. Ske.f-fingtort (Vincent Sherman, 1944), deux scènes se répondent : dans la première, Bette Davis descend l'escalier monumental, faisant une « entrée )) spectaculaire (quoique macabre) parmi la foule de ses anciens soupirants, qu'elle a cônviés pour se prouver à elle-même qu'elle n'avait rien perdu de son pouvoir de séduction ; dans Ia deuxième, qui est le finale du film, réconciliée avec son vieux mari aveugle et meurtri (Claude Rains), elle monte avec lui, tournant le dos au monde et au public, ce même escalier, qui mène au portrait où elle reste éternellement jeune. Citons, enfin, la célèbre séquence finale de Sunset Boulevard, où Norma Desmond (Gloria Swanson) revit, dans une sorte de transe, son passé de « star , : descendant l'escalier sous les ordres de Max von Mayerling (Stroheim), elle répète o la scène jouée vingt ans auparavant lorsque Erich von Stroheim dirigeait Gloria Swanson dans la scène de l'escalier de Queen KellyT. " 7. Michel Ciment, Les Conquérrtnts d'un\ nouvealt rt'r<.tntle : sur le cinéma américctirt, Gallimard, 198 l, p. 158'
E.ç.sai-s
r94
Stylistique
D'autres stéréotypes visuels empruntent à la techno' logie moderne. L'automobile, en particulier, évoque à la fois la vitesse, un mode de vie " moderne " et tréPi' dant, et souvent une menace mortelle : Greta Garbo se suicide en jetant son Hispano-Suiza contre un arbre (à la fin de A Woman of Affairs de Clarence Brown, t929), Bette Davis a la passion des voitures rapides dans .Irt This Our Life (Huston,1942), Elizabeth Taylor est arrê' tée pour excès de vitesse (APlace in the Sun de Stevens, 19s 1)...
Le motif de la voiture de sport apparaît dans I'æuvre singulière d'Albert Lewin, Pandora and the Flying Duichman (1951). Sa nationalité britannique et le caractère éclectique de ses références littéraires et pic' turales, parmi lesquelles le surréalisme figure en bonne place, situent ce film en marge du mélodrame holly' woodien stricto senslt, mais il n'en relève pas moins, à certains égards, du genre, ne serait-ce qu'en raison de la présence d'Àva Gardner dans le rôle de Pandora. L'action se déroule en Espagne en 1930, parmi un groupe d'Anglo-Saxons expatriés. L'un des admirateurs àe Pàndora,l'Anglais Stephen Cameron (Nigel Patrick), pilote une voiture de course, véritable bolide auquel, à la demande de la jeune femme, il fait gravir une mon' tagne qui surplombe la Méditerranée, puis qu'il préci' pite du haut de cette falaise dans la mer 8. Le symbolisme sexuel d'une telle séquence est d'ail' leurs patent. Dans le cinéma hollywoodien çlassique, le code interdit en principe de montrer l'acte sexuel, Celui-ci est donc évoqué par toute une rhétorique, qui fait appel soit, comme dans Pandora, à des procédés métaphoriques (dont le plus familier peut-être, accom' pagné d'un clin d'æil de connivence au spectateur, est ia Lor.lusion de North by Northwest de Hitchcock : le train pénétrant dans le tunnel), soit à la combinaison de 8. Voir le découpage du film publié .dans L'Avant-Scène Cinéma, n" 245,1- âvril 1980, p. ll'12, et [a photographie n" 4, p. 14.
Clichés-images
195
procédés métonymiques et de l'ellipse. On représente le prélude aux rapports sexuels, ou le repos qui les suit, ou encore ces deux « temps » successivement : on montre des cigarettes allumées l'une à l'autre, puis entièrement consumées/consommées (One Way Passage de Tay Garnett, 1932); l'homme allume simultanément deux cigarettes et en donne une à sa partenaire (Now, Voyager d'Irving Rapper, 1942); l'électrophone continue à tourner " à vide " tandis qu'on distingue le reflet du couple dans le grand miroir qui surmonte la cheminêe (Mildred Pierce). L'image de la cheminée devant laquelle est étendue une « peau d'ours " (bearskin rug) est un véritable stéréotype visuel servant à désigner la séduction e. Il est à peine besoin de rappeler que, dans le cinérna hollywoodien, le baiser suffit souvent à signifier l'acte sexuel; de même, la porte forcée est à la fois métonymie et métaphore du viol (Gone with the Wind; The Foxes of Harrow). Une variante en est constituée par la fenêtre qu'ouvre violemment l'orage et par où ruisselle la pluie " séminale ": Band of Angels de Walsh, Tfte Story of Esther Costello de David Miller (tous deux de t957).
9. En même temps, le stéréotype survit sous sa forme purement linguistique. Parler de " bearskin rug » équivaut à évoquer des u estampes iaponaises ». On en trouve deux exemples dàns llre d'ailleurs emore"inis d'ironie ou de u distanciation ,
- dans l/re Fortune Cool
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2
Musique
Si l'on n'entend plus nécessairement dans u mélodrame, l'étymologie u drame accompagné de musieüê ,,, il n'en reste pas moins que musique et chansons
jouent, dans le genre hollywoodien, un rôle de premier plan. Cela s'explique notamment par l'héritage du cinéma muet, qui, il ne faut jamais l'oublier, n'était nullement silencieux: la musique contribuait puissamment à camper l'atmosphère d'un art dont il n'est paradoxal qu'en apparence de dire qu'il se rapprochait de l'opéra. Même après l'avènement du parlant, le mélodrame demeure parmi les genres qui échappent à plusieurs égards à l'esthétique du réalisme, et dont la stylisation plus poussée comporte normalement l'utilisation de la musique afin de renforcer l'ambiance émotionnelle du film et d'accentuer le caractère pathétique des événements dépeints. L'utilisation de la musique à des fins sentimentales ou nostalgiques modifie l'appartenance générique de l'æuvre : si Laura, film criminel, penche du côté du mélodrame, c'est notamrnent grâce au leitmotiv romantique (dri à David Raksin) qui accompagne habituellement le portrait de l'héroïne que l'on croit assassinéer.
l. Shelbv Carpenter (Vincent Price), le fiancé veule, mais intelligent et spirituel, de Laura, décrit cette mêlodie conime u not exactly classical, but sweet » en d'autres termes, une -
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Stylistique
Musique
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Une catégorie extrêmement nombreuse et importante de mélodrames a pour héros des musiciens. Catégorie facilement reconnaissable a priori par les titres mêmes des films : Broken Lullaby, Intermezzo, Hurnoresque, Interlude... Justifiée par le milieu où se déroule l'action de ces æuvres, la musique n'en ., déborde » pas moins de ces limites relativement étroites, jusqu'à acquérir, le plus souvent, une fonction précise dans le récit. Dans Broken Lullaby (ouThe Man I Killed), mélodrame pacifiste, elle sert à désigner la communauté des musiciens, qui transcende les oppositions nationales; la u berceuse " (Iullaby/ interrompue est celle de l'Allemand Walter (qui avait étudié à Paris), tué à la guerre par le Français André. Plein de remords, André sera graduellement amené à remplacer, à devenir Walter, jusqu'au moment où il jouera sur le violon du jeune Allemand, et devant les parents de celui-ci, la berceuse de SchumannTriiutnerei, et où, pour l'accompagner, la fiancée de Walter ouvrira le piano fermé à clé (ce duo piano-violon acquérant dès lors, comme dans tel autre film de Lubitsch qui serait, lui, une comédie, une claire signification sexuelle). De même, dans Intermezzo (Ratoff, 1939), le duo musical entre Holger Brandt (violoniste célèbre) et Anita Hoffrnann (pianiste inconnue) prélude à leur liaison, pour laquelle Holger abandonnera quelque temps sa famille. De même encore dans When Tornorrou' Comes de Stahl, dont Interlude de Sirk est un remake, Philip Durand (pianiste virtuose, marié) accompagne Helen qui chante. En revanche, dans September Af t'air de Dieterle, dont le scénario est par ailleurs fort proche d'Intermezzo, seule la femme (interprétée par Joan Fonefficace musique d'ambiance sinon de In n grande musique '. Voir le découpage du film dans L'Avcutl'Scène Cirtétrt«, n" 2l l212, juillet-sept. 1978, p.21. La"remarqüe vaut aussi pour la musique de Max Steiner.qui accompagne le générique de Mildred Pierce: musique passionnée. de càmplexè caractère svmphonique, qui laisse à juste titre prééager un « sombre drame', .i non ün bànal film pôlicier.
taine) est musicienne (pianiste); la musique classique joue un moindre rôle que la chanson « September Song ".
La musique classique est au contraire à l'honneur dans Humoresque, dont le héros est un violoniste incarné par John Garfield. Le titre fait allusion à une composition de Dvorak. Mais c'est surtout le " Liebestod, de Wagner (tiré de Tristan et Isolde) que Joan Crarvford écoute à la radio, joué par Garfield (en fait, par Isaac Stern, " conseiller musical " du film), et qui accompagne le suicide de celle-ci. Dans I've Always Loved You de Borzage (1946), d'après u Concerto , de Borden Chase, on entend, outre des Sonates de Mozart et de Beethoven, des morceaux de Chopin et de Schubert, et le u Deuxième Concerto , pour piano de Rachmaninoff. Ces æuvres sont en fait interprétées par Artur Rubinstein. Dans Undercurrent de Minnelli, un morceau pour piano de Brahms ponctue l'action ; ce rôle est joué, dans Letter from an Un' known Wotnan d'Ophuls, par u Un sospiro " de Liszt. Le héros (Stefan Brand: Louis Jourdan) est un pianiste virtuose que Lisa (Joan Fontaine) aime secrètement et qu'elle écoute à son insu : o Un sospiro » servira donc et la dans tout le film à désigner l'innocente pureté à naïVeté du sentiment que Lisa continue à porter Brand au- fil des années, alors que celui-ci perd graduellement son talent. Dans le même film, Ophuls rend hommage à son compositeur préféré, Mozart (Lisa revoit Brand à l'Opéra, à une représentation de " La Fhite enchantée , où elle s'est rendue avec son mari), mais c'est bien à la musique romantique de Liszt qu'est dévolu le rôle essentiel de leitmotlv mélodramatique. Cette musique romantique s'oppose aussi à la musique militaire (« La Marche de Radetsky ») que le jeune lieutenant, à Linz, croit naiïement que Lisa appréciera. Chaque type de musique, en un sens, correspond donc à un personnage et au sentiment que Lisa éprouve à son égard : pour la musique militaire et le jeune lieutenant, l'indifférence; pour Mozart et son mari, l'admiration ; pour Liszt et Brand, la passion.
200
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De même qu'on a relevé de nombreuses affinités entre le cinéma hollywoodien et le roman victorien, on remarque ici le gofrt du mélodrame pour la musique du xx" siècle et du début du xx" siècle, romantique et postromantique: témoin Tchalkovski, Mendelssohn, u La Chevauchée des Walkyries " (The Scttrlet Empress), la u Pathétique , de Tchaikovski (Now, Voyager), Rachmaninoff (I've Always Loved You, September Aft'ttir), "Le Lac des Cygnes " de Tchaikovski (Waterloo Bridge), Schubert et Brahms (Four Daughters), Schubert et Chopin (I've Always Loved You)... La partition de Dimitri Tiomkin pour Portrait of Jennie est inspirée de thèmes de Debussÿ. u L'Hymne à la Joie , sert à évoquer le « secret magnifiqus , de l'altruisme dans Magnificent Obsession de Sirk. * Liebestrasp , de Liszt ponctue All That Heaven Allows de Sirk; on l'entendait déjà dans Imitation of Life de Stahl, dans lezebel de Wyler. Dans Guest in the House, film u gothique " de John Brahm (1944),Anne Baxter joue sans cesse un disque du même u Liebestraum » ; c'est le même air encore que Margo Channing (Bette Davis), ayant bu, triste et jalouse, fait jouer inlassablement par le pianiste dans All About Eve mais, lorsqu'elle l'entend à la radio de Mankiewicz un peu plus tard, elle s'écrie : " Je déteste la sentimentalité 2 ! , Quant à la musique écrite spécialement pour le cinéma, il est fréquent qu'elle s'inspire, jusqu'au pasti' che, des compositeurs précités, ou encore qu'elle ait un caractère nettement programmatique, délibérément signifiant (mais parfois redondant)' Elle incorpore sou-
vent des airs connus du spectateur, qui l'aident «
à
situer, immédiatement la scène dans l'espace ou
dans le temps de la fiction (les pianistes, à l'époque du muet, n'agissaient Pas autrement)' 2. Voir le script du film dans Joseph L. Mankiew icz, Mttrc About n All About'Eve , : a Colloquy ht Garv Carev vt'ith loseplt L. Mankieu,iczTogether with his Screenplav n All About flre », New York: Random House, 1972, p.205-208,265.
Musique
20t
J'ai déjà eu l'occasion de noter que les scènes de mariage sont à peu près inévitablement accompagnées (ou simplement annoncées, ou même escamotées) par quelques mesures ds « La Marche nuptiale , de Mendelssohn, et d'évoquer le rôle extrêmement important que remplit l'air " Auld Lang Syne ,, (u Ce n'est qu'un au revoir »), soit (le plus souvent) pour désigner la SaintSylvestre, soit pour souligner des retrouvailles (voir le finale de I Take This Woman de Van Dyke), soit au contraire pour ajouter au romantisme pathétique d'une séquence d'adieux. La plus belle du genre est assurément celle de Waterloo Bridge, où l'on voit l'orchestre, tout en jouant, sur l'air d'" Auld Lang Syne ,, u The Farewell Waltz ,, (.. La Valse des adieux ,), éteindre progressivement les bougies, et les couples des danseurs se détacher alors en ombres chinoises sur la grande baie vitrée derrière laquelle se dessine le panorama de Londres. Ayant longuementpréparé, avec le scénariste Samuel Behrman et le producteur Sidney Franklin, le dialogue de cette scène pour Robert Taylor et Vivien Leigh, Mervyn Le Roy jugeait le résultat inexplicablement insatisfaisant, jusqu'à ce que, resté seul sur le plateau, tard dans la nuit, il décide soudain d'éliminer tout dialogue: Je compris alors ce que les réalisateurs du muet avaient toujours su, et que j'aurais dri savoir moi aussi. Souvent, dans les moments de grande émotion, les mots sont absents. Un regard, un geste, une caresse peuvent être porteurs de beaucoup plus de sens que les paroles qu'on prononce. Depuis l'avènement du son, nous étions devenus dépendants de celui-ci, d'une manière peut-être excessive. Il était temps d'en revenir à la conduite humaine fondamentale, et souvent les êtres humains ne disent rien. Dans cette scène, le silence était plus expressif que le dialogue 3. 3. Merwn Le Roy et Dick Kleiner, Mervÿn Le Roy: Take One, H. Afien, 1974, p. 147. On 3e reporiera aussi au
Londres, "W.
Stylistique
202
Avec perspicacité, le réalisateur met ainsi I'accent sur la manière dont le formalisme et la stylisation du muet dans le mélodrame. Pour ou revivent survivent quelques instants, l'alliance renouvelée de la musique et de l'image rend le parlant superfétatoire. L'un des compositeurs attitrés de la Warner pendant les années trente et quarante, Max Steiner, fut le maître de ces partitions « programmatiques ", signifiantes. En voici quelques exemples : dans Symphony of Six Million de La Cava,la musique d'inspiration juive renforce la tonalité biblique du récit. Dans The Old Maid de Goulding, la partition incorpore, outre La Marche nup-
"
tiale, (quatre mariages ponctuent l'action du film), l'air .. My Darling Clementine », qui fait allusion à l'amour que Charlotte (Bette Davis) porte à Clem (George Brent). Celui-ci est tué à la guerre ; on entend le thème musical chaque fois que Charlotte se souvient de Clem. Dans Casablanca et dans Passage to Marseille, mélodrames antinazis de Curtiz, Max Steiner fait avant tout appel à " La Marseillaise », ainsi que (dans le second film) à " En passant par la Lorraine ". On a pu considérer que ce caractère u illustratif " culminait dans la partition de Steiner pour Since You Went Away (Cromwell, 1944), qui lui valut un Oscar, quoiqu'elle se réduisît, pour l'essentiel, à une sorte de collage ou de pot-pourri : La séquence d'ouverture, destinée à établir que le mari de Claudette Colbert est parti pour l'armée, en la laissant avec de jeunes enfants, consistait en un lent panoramique sur une pièce déserte, cependant que Steiner nous offrait, en une rapide succession, quelques mesures de u Together r, de " La Marche nuptiâle r, de la " Berceuse » de Brahms et de u You're in the Army Now, a. d'91 un directeur GII Souve^nirt o Ruttenberg-: «n §ouvenlrs ignage de Joseph Ruttenberg: témolgnage témoi de la Ëhoioeraphie ", Positif , n" 142, sept. 1972, p. 72-73. Filnr Internationi Film the Thirtie.s, rhe ie.ç, International Hollvv,ood in rhe Hollyrvood Bax[er, axier, HolL.truood 4. John Baxter, Guide Series, Londres: Zwemmer, et New York : Barnes, 1968, p.136.
Musique
203
C'est qu'à côté de la grande musique d'inspiration romantique, les chansons occupent une place de choix. u Plaisir d'amour », eui date de la fin du xvttl" siècle, époque même de la naissance du mélodrame théâtral, fait un peu figure, avec son message à la fois sentimental et nostalgique, son caractère prémonitoire, d'hyrnne national du mélodrame. On l'entend, par exemple, dans le remake de Seventh Heaven par Henry King, lorsque James Stewart emmène Simone Simon dans sa mansarde, le u septième ciel , qui donne son titre au film' DansThe Heiress de Wyler, dont la musique par ailleurs très o américaine » est signée par Aaron Copland, Morris Townsend (Montgomery Clift) a rapporté " Plaisir d'arnour " de Paris. Il chante la chanson en français, en s'accompagnant au piano, puis la rejoue, sans la chanter, mais en en traduisant les paroles. Catherine (Olivia de Havilland) s'exclame: « C'est une très belle chanson ! , Comme il est fréquent, le thème est ensuite repris, dans la suite du film, sous forme orchestrale. Joué à la guitare, u Plaisir d'amour » ouvre le flash'back de Tea and Sympathy de Minnelli. Il figure aussi, hors du domaine américain, dans le mélodrame d'Abel Gance Paradis perdu, et, en marge du genre, dans le thriller en costumes de Siodmak The Suspect. Les title songs, qui portent le même nom, le même u titre ,, que le film (ou un nom voisin), en résument l'atmosphère, le message, et, comme tels, en accompagnent très souvent le générique (Hold Back Tomorror\.' de Haas, Imitation of Life de Sirk) ou le final e (Beloved Infidel de King, Strangers When We Meet de Quine). u September Song », de Kurt Weill et Maxwell Anderson, contribue, en insistant sur la différence d'âge des protagonistes, à donner à September Af't'air son aspect automnal. Tout à fait comparable est le cas d'Aututnn Leaves d'Aldrich, dont le titre est inspiré de la chanson de Prévert et Kosma " Les Feuilles mortes ", ici adaptée par Johnny Mercer et interprétée par Nat « King " Cole. Elle est chantée off tant à la fin que pendant le générique ; elle apparaît aussi à l'intérieur du film, mais avec
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une justification " réaliste » (un juke-box, puis un disque que Cliff Robertson achète à Joan Crawford). Dans An Affair to Remember de McCarey, la chanson u A Love Affair » porle donc le même titre que la pre. mière version de l'histoire, également due à McCarey. On l'entend d'abord au générique du film. Puis Janou (la grand-mère du héros) l'interprète au piano, tandis que Terry (Deborah Kerr) la chante en français. On l'entend une troisième fois, en " flash-back sonore ,, alors que Nicky (Cary Grant) est revenu sur les lieux, après la mort de Janou. Elle est à nouveau interprétée par Terry dans un night-club. Et on l'entend une dernière fois, off, à la fin du film. Tout en encadrant l'æuvre à la manière d'un écrin, la chanson remplit une fonction décisive à l'intérieur de celle-ci, puisqu'elle désigne l'.. alliance " immédiatement et tacitement conclue entre la grand-mère et Terry, une alliance de, nature pour ainsi dire religieuse: la vieille femme confie à la jeune le soin de veiller sur Nicky. D'autre part, il n'est pas indifférent que la chanson ait, comme " Plaisir d'amour " dans The Heiress, des paroles françaises : elle signifie l'Europe (aristocratique) dont McCarey veut
célébrer l'harmonieuse synthèse avec l'Amérique (démocratique). D'ailleurs, dans la première version de " Plaisir d'amour , que joue la grand-mère (Maria Ouspenskaya) et que chante Terry (Irene Dunne). Enfin, le truchement de la chanson " A Love Affair, permet à McCarey d'exprimer l'émotion qui étreint les personnages d'une manière explicite mais stylisée, et d'échapper ainsi à l'écueil d'un sentimentalisme pesant ou prosaiQue ;le title song contribue donc puissamment à nimber An Affair to Remember d'une aura nostalgiLoue Af-fair (1939), c'est précisément
que.
3
Couleur
La couleur, au cinéma, n'est pas dépourvue d'ambiguiïé. Sans doute sa diffusion va-t-elle, comme celle du parlant, dans le sens d'un plus grand réalisme. Pouriant, soit en raison de limitations techniques, soit par choix esthétique, la couleur peut aussi bien accentuer la stylisation, renforcer le formalisme. Le muet avait eu ,.cô.rrt aux effets précieux de la pellicule teintée : le rouge des incendies, le bleu des scènes nocturnes, étaient plus u atmosphériques, que réalistes. Souvent, le procèdé était ouvertement symbolique: ainsi diverseJ scènes de The Galden Chance (DeMille, 1915) sontelles teintées en jaune pour faire écho au titre du film et suggérer la richesse, l'oPulence. Ut p"t décisif est franchi avec le Technicolor tri' chrome, mis au point en 1932. Le premier long métrage photographié avec le nouveau procédé est Becky Sharp àe Mamoulian (1935). Mais la diffusion de la couleur sera beaucoup plus graduelle que celle du parlant, et surtout ne se fera pas de manière uniforme. Ici interviennent clairement, à côté des facteurs économiques, des choix esthétiques. C'est ainsi qu'assez fréquemment, des films en noir et blanc comportent une séquence en couleurs, séquence toujours exotique, pittoiesque ou fantastique, et non réaliste (Son of the Gods. de Frânk Lloyd, The Women de Cukor, The Picture of Dorian Gray de Lewin...). On voit la même logique à
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l'æuvre dans The Wizard of Oz de Fleming: le noir et blanc est plus u réaliste,, que la couleur. Avec les années quarante, l'usage de la couleur se répand, mais il tend à être codifié selon les genres. La couleur est, pour l'essentiel, réservée au cinéma d'évasion (sauf le film d'horreur): la comédie musicale d'une part, les films d'aventures (souvent dotés d'un décor exotique) de l'autre. A cette époque donc, il demeure inhabituel que les mélodrames soient en couleurs, d'autant que le genre est alors o contamin§ » par le film criminel, qui, comme l'implique l'expression de u film noir r, est le plus souvent en noir et blanc. La situation change avec'les années cinquante et la concurrence de la télévision, qui pousse le cinéma à systématiser le recours à la couleur et au grand écran. De plus en plus, la couleur devient la technique dominante à Hollywood, le noir et blanc étant à son tour réservé à quelques genres précis: l'horreur d'une part, le drame (et non pas le mélodrame) de l'autre. Enfin, l'usage de la couleur se généralise jusqu'à devenir non signifiant; aujourd'hui, seul le fait qu'une ceuvre s,oit réalisée en noir et blanc correspond à un choix délibéré. Pendant les années trente, le mélodrame n'est donc
pour ainsi dire jamais photographié en couleurs (à l'inverse, dès cette époque, The Adventures of Robin Hood de Curtiz fixent les canons du genre pour le film d'aventures, et Gone with the Wind ceux du film à grand spectacle). Pendant les années quarante, on mettra à part un mélodrame comme Forever Amber de Preminger, qui est en même temps un film historique, en costume, et qui a donc été, logiquement, réalisé en couleurs. t.a typologie, sinon le style à proprement parler, situeForeuer Amber dans la mouvance de Becky Sharp. Cependant, on continue à photographier en noir et blanc la presque totalité des mélodrames, ce qui ne rend que plus extraordinaire le cas de Leave Her to Heaven de Stahl (1945). On pourrait discuter longuement de l'appartenance
Couleur
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générique exaôte de cette æuvre: mélodrame ou film noir ? §a construction, avec la coda de son procès, la rapproche de Written on the Wind ou de Madame X; *âii, en même temps, elle répond fort bien à la définition du film noir, si caractéristique des années quarante, ou plutôt y répondrait, si son utilisation du Technicolor ne faisait problème à cet égard. La photographié du film est due à Leon Shamroy et le Technicolor à Natalie Kalmus (tous deux seront récompensés par un oscar) ; l'intérêt de la couleur vient de ce qu'elle èst utilisée d'une manière qui (sans qu'elle cesse d'êtt" airparemment réaliste) Iui confère une valeur émotive èt, si j'ose dire, musicale. Dans la première partie du film, située au Nouveau-Mexique, les contrastes sont crus, accentués pour s'harmoniser avec la passion des personnages et surtout d'Ellen (Gene Tierney) ; la fenêtrà jaune orangé du ranch se détache dans la nuit bleutée. iottqrr. l'action se déplace ensuite vers le Maine, o, po,r.tuit penser que ces couleurs feraient place à des accords plus discrets, mais il n'en est rien, èar les vêtements des personnages ressortent avec vivacité du cadre naturel : les chemises écossaises ont toutes du rouge, les nappes sont à carreaux rouges et blancs; plus tard, Gene Tierney porte un chemisier blanc à manches flottantes, un pantalon flottant rose vif : ce sont toutes des couleurs voyantes, « passionnées rr, et aussi artificielles et non naturelles. Ces procédés sont systématiques dans Leave Her to Heaven, soit que la couleur vive mais tendre (le rose) contraste au"c l"s sentiments violents d'Ellen furieuse d'attendre un enfant, soit au contraire que des taches rouges (par exemple, les ongles peints de ses orteils) r.--bl"ti exprimer sa passion. C'est seulement à la fin du fitm qu'après cette orgie chromatique, 199 personnages qui ônt survécu (Richard: Cornel Wilde et Ruth : i"uttr. Crain) seront en harmonie avec le paysage d'eau et de verdure qui les entoure, et qu'on verra leurs silhouettes en contre-jour, rendues à une reposante pénombre crépusculaire, après des éclats baroques qui
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tous, en dernière analyse, constituaient autant de u s61rélatifs objectifs " de l'ardeur dévorante d,Ellen. Sirk, notamment dans Written on the Wind, se souviendra de cette utilisation de la couleur à des fins dramatiques et pour ainsi dire provocantes. Si Leave Her to Heaven est, dans le contexte du film noir et des années quarante, un cas unique, pendant les années cinquante, en revanche, on observe une sorte de renaissance du mélodrame, qui, se distinguant, précisément, du film noir, fait alors appel, de manièrè extrêmement originale, à la couleur et au grand écran (equ-el se généralise à la suite de l'introduction par la Fox du plocéde Cinémascope, dont le premier exêmple est, en 1953, The Robe de Henry Koster). Dans cette catégorie du u nouveau mélodrame », on peut en effet faire figurer de nombreux titres signés par 9gg.gg Cukor (A Star Is Born, Bhowani Jinctiô@, Nicholas P.ay (Rebel Without a Cause, Bigger than Lifei), Leo McCarey (An Affair to Remember), Douglas Sirk (Battle Hymn, Interlude, A Time to Love and i Time to Die) et Vincente Minnelli (The Cobweb, Lust for Life, Tea and Sympathy, Some Came Running, The Four Horsemen of the Apocalypse, Two Weeks in Another Town). Tous sont en couleurs et en Cinémascope. Le format du gSnd écran permet au mélodrame de respirer plus
librement, d'échapper à une dramaturgiô conirai-
gnante. Déployés dans un espace plus vaste, débordant du cadre ramassé de l'écran classique, les mouvements d'appareil deviennent beaucoup plus spectaculaires. Quant à la couleur, elle est, dans la presque totalité de ces films, utilisée de manière plus émotive que neutre (mais les apparences du réalisme sont sauves la plupart du temps).
S'il n'est pas niable que cette évolution formelle s'explique d'abord par le souci de concurrencer la télévision, il est intéressant de noter les réactions des artistes qui l'ont conduite, avec plus ou moins d,enthousiasme, voire à leur corps défendant. Fritz Lang déclare, -Cir,émusdans Le Mépris, de Jean-Luc Godard, que le cope dont il a pourtant donné un exemple admirable
-
Couleur
209
n'est bon qu'à filmer les enterreavec Moonfleet ments et les serpents. Kazan a reconnu qu'alors même qu'il n'aimait guère le format du Cinémascope, celui-ci (qu'il a utilisé dans East of Eden) lui avait permis de progresser en rendant son montage moins insistant, sa mise en scène plus détenduer. Cukor, qui, l'un des premiers, illustra cette technique, mais qui se veut avant tout « directeur d'acteurs », se retranche modestement derrière le talent de son u conseiller pour la couleur r, George HoyningenHuene, qui a travaillé sur A Star Is Born et sur Bhowani lunction, ainsi que sur les musicals Les Girls et Let's Make Love et sur le western Heller in Pink Tights. Mais il faut se souvenir que Cukor avait été êcarté du tournage film important par son utilide Gone with the Wind sation de la couleur et- ses valeurs spectaculaires en général précisément parce que Selznick lui reproprêter trop d'attention à la direction d'acteurs chait de et de négliger le « spectacle , : il a pu penser qu'il avait, quinze ans plus tard, une sorte de revanche à prendre 2. D'autre part, le fait que A Star Is Born soit un musical
l. Kazan par Kalan, p. 200-201 (u Ce n'était pas concerté : j'y ai été contraint par l'exigence de ce format ,). 2. Sur le conflit entretukor et Selznick ef ses diverses incidences sur la carrière de Cukor, voir mon " Apologie du " director " ,,, Positif , n" 275, janv. 1984. Il n'est pas indifférent d'obseropérateur de ver avec John Francis Kreidl qu'Ernest Haller - en Cinémasa aussi signé la photographie Gone with the Wind - a Cause de Ray et du western d'Anthony cope de Rebel Without Mann Man ol the West, Kreidl, Nicholas Ray, Boston : Twayne, 1977 , p. 214-215. Rappelons au passage que le mélodrame n'est bien srir pas le seul gènre concerné par les mutations techniques des années cinquante. En dehors du western, plus important pour l'utilisation du Scope que pour celle de la couleur (The Man frorn Laramie, Man of the Weit d'Anthony Mann), il est frappant de constater que l'évolution du thriller hitchcockien est exactement parallèle à celle du mélodrame : dans Vertigo et North bv Nortltu'est,la couleur et le grand écran de la Vistavision se substituent à des formes que dominaient les espaces confinés du film noir (Strangers on a Train, I Confess, The Wrong Man).
2t0
l
en même temps qu'un mélodrame constitue sans doute une indication à ne pas négliger. qui a réalisé à cette On note, en effet, que Minnelli époque le plus grand nombre de- mélodrames en cou' êtait auparavant surtout leurs et en Cinémascope comédies musicales, réalisateur de connu comme genre où la couleur était, dès les années quarante,'la règle plutôt que l'exception : Meet Me in St. Louis, Yolanda and the Thie'\, Ziegfeld Follies, The Pirate, An American in Paris, The Band Wagon, Brigadoon.. De plus, ces comédies musicales appartiennent toutes au versant nostalgique, rêvé ou pittoresque, en tout cas irréaliste, du genre, et la couleur s'y caractérise donc elle-même par son emploi décoratif ou émotif. Les recherches picturales abondent, qu'il s'agisse de rendre hommage (dans le ballet hnal d'An Armericqn in Paris) aux peintres impressionnistes et post-impressionnistes, ou d'évoquer, dans Brigadoon, les paysagistes anglais, « ces couleurs tirant sur le jaune, un aspect particulier du ciel, une atmosphère 3... ".
Il
«
est dès lors tentant de conclure que l'emploi irréaliste , de la couleur dans la comédie musicale
(genre où celui-ci était la règle) a servi de modèle à son
emploi également " irréaliste , dans le mélodrame. Entre les musicals et les mélodrames de Minnelli, notons qu'il existe au moins un lien stylistique direct, Van Gogh étant un des peintres auxquels il est rendu
hommage dans An American in Paris, et sa « vie passionnée , faisant le sujet de Lust for Life. Charles K. Hagedon est Ie " conseiller pour la couleur " de nombreux mélodrames de Minnelli, àe The Cobweb à Two Weeks in Another Town, ainsi que des musicals Kismet, Gigi et Bells Are Ringing,' aussi est-il permis de penser qu'il a joué auprès de Minnelli un rôle comparable à celui de George Hoyningen-Huene auprès de Cukor (mais,
j
, I
Couleur
Stylistique
3. Charles Bitsch et Jean Domarchi: « Entretien avec Vincente Minnelli", Cahiers du cinéma, n" 74, août-sept. 1957, p.10.
1
2rl
contrairement à Cukor, Minnelli est lui-même avant tout soucieux de u valeurs , visuelles). Les films de Sirk les plus remarquables pour leur utilisation de la couleur sont sans doute Written on the Wind et Imitation of Life, qui n'ont pas été tournés en Cinémascope. Les arrangements de couleurs deWritten on the Wind rappellent ceux de Leave Her to Heaven de Stahl, de même que le personnage de Marylee (Dorothy Malone), associé en particulier au rouge et au rose, rappelle celui d'Ellen (Gene Tierney). Marylee a une voiture rouge, un téléphone rouge, ses ongles de pied sont (comme ceux d'Ellen) peints en rouge vif, sanglant. Elle porte successivement une robe rose foncé, une robe écarlate, un peignoir rose vif (là encore, cf - Leave Her to pour autant leur Heaven). On peut considérer - sanset trop précise attribuer une signification univoque que ces couleurs, rose vif et rouge, désignent la " rage de vivre " de Marylee, et notamment sa fringale sexuelle et sa passion non partagée pour Mitch Wayne (Rock Hudson). De son côté, son frère Kyle (Robert Stack) a typiquement artificielle, une voiture jaune - couleur rouge: lui aussi exprime, de et une robe de chambre manière criarde et violente (mais plus intermittente que sa sæur), son obsession de l2 " puissance » en général et sexuelle en particulier. Face au rouge, au rose, au jaune, couleurs agressives, on observe au contraire des
tons bleus, nocturnes, reposants, mais aussi bien
inquiétants (par exemple, le bleu de la mer à Miami, la nuit, dont l'image est liée à la découverte d'un pistolet sous l'oreiller de Kyle). Le bleu mêlé au rose a une du chemivaleur sentimentale et nostalgique - celle sier que porte Marylee quand elle veut rappeler à Mitch leurs jeux enfantins dans un décor pastoral, au bord de la rivière a. 4. Sur l'. orchestration de la couleur " dans Written on the Wind, voir Michael Stern, Douglas Sir&, Boston :-Twayne, 1979, p. 142-144. Pour Stern, le rougè de Marylee signifie la sexualité- ; le bleu argenté, lunaire, la mort. Voir aussi mon Dottglas Sirk, Edilig, 1984,p. 120.
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it
lil
Stylistique
I.'emploi de la couleur par Minnelli évoque parfois les procédés sirkiens. C'est ainsi qu'on rapprochera les séquences nocturnes d'Imitation of Life et le parti pris stylistique de Minnelli dans Some Came Running, qui est de la même année (1959), et sur lequel le metteur en scène s'est expliqué en ces termes: Some Came Running concernait une petite ville, le quartier le moins reluisant de la ville. Un quartier plein de bars et de maisons de jeu, de restaurants vulgaires et d'enseignes au néon : tout cela ressemblait plus ou moins à l'intérieur d'un juke-box. En un sens, c'est la gamme de couleurs du film parce qu'elle appartient aux personnages eux-mêmes - fille pas très reluisants, des joueurs, une comme celle qu'interprète Shirley Maclaine. En fait, ce sont des couleurs réalistes, mais leur choix donne un sentiment d'irréalité s...
qui
cette irréalité caractérise à tant -d'égards la comédie musicale illustrée par Minnelli. (fantasy)
Aussi a-t-on pu considérer que u la séquence finale [de Some Came Runningf (la poursuite et le meurtre dans la fête foraine) est le digne équivalent dramatique du ballet d'Un Américain à Paris, tourbillon hallucinant de formes et de couleurs orchestré en un montage haletant 6. , J'ajouterais volontiers que cette séquence (qui doit aussi à l'iconographie du film de gangsters) est comme la version dramatique du ballet parodique de Mickey Spillane (" Girl Hunt Ballet ») que l'on voit dans The Band Wagon,' et aussi que la lumière rouge qui baigne le gangster, le u tueur, Raymond, dans Some Came Running, n'est autre que celle qui fuse autour de Gene Kelly quand il prétend être le féroce Macoco dans The Pirate (" Pirate Ballet ,).
5. Ernesto Serebrinsky et Oscar Garaycochea: u Vincente Minnelli interviewed in Argentina,,, Moiie, n" 10, juin 1963, p.24. 6. Jean-Pierre Coursodon et Yves Boisset, Vingt ans de cinéma américain, C.I.B., 1961, p. 105.
213
Couleur Mais,
il faut y insister, l'utilisation de la cor.lleur par
Sirk ou Minnelli n'a jamais la rigueur univoque d'un code figé; d'ailleurs, des rimes intérieures nuancent subtilement les oppositions: ainsi, toujours dans Some Came Running, le rouge, couleur du drame et de la passion (la fleur que Shirley Maclaine porte dans les cheveux, les ongles peints de Martha Hyer), est présent même dans le décor culturel, sophistiqué, dépassionné des French (on voit au mur une reproduction du Gilet roug,e de Cézanne), exactement comme dans The Sand' piper le rouge désignera la passion de Laura, mais aussi les livres de la Loi. Examinant l'æuvre de Nicholas Ray, John Francis Kreidl parvient à des conclusions similaires. Il observe que, dans tous les films de Ray (qui, à l'unique exception près de Bitter Victory, ne travailla qu'en couleurs à partir de Johnny Guitar), certaines couleurs ressortent de manière éclatante: le rouge d'une veste dans Rebel Without a Cause.,le jaune des taxis dans Bigger than Life, les pourpres et les ors de Party Girl, qri, contrastant avec les gris, habi[ent la fausse splendeur « romaine » de Chicago pendant les années trente. Mais ces coudont le caractère symbolique n'est pas niable leurs cependant de valeur, et de signification, que -dansn'sn[ le contexte de chaque film. Leur sens, pour ainsi dire, leur vient de l'intérieur du film, au lieu d'être arbitrairement imposé de l'extérieur 7. Il s'agit d'ailleurs là d'une constante du cinéma hollywoodieni où le style et la signification symbolique s'accommodent le plus souvent d'une apparence réaliste (le commentaire de Minnelli sur Some Came Running est révélateur à cet égard).
De même qu'il fut l'un des metteurs en scène à épouser , délibérément la couleur, de même Nicholas Ray accueillit avec faveur le grand écran et tout partiu
culièrement le Cinémascope.
Il faut rappeler
7. John Francis Kreidl, p. 197'200.
à ce pro-
2t4
Stylistique
pos que Ray, originaire du Wisconsin, étudia l'architecture avec Frank Lloyd Wright ; et il est permis de penser qu'un lien objectif existe, dans leur commune familia, rité avec les vastes horizons de la Prairie, entre le goût de Wright pour les compositions horizontales et celui de Nicholas Ray pour le Cinémascope 8. Voici un dernier exemple d'une utilisation symbolique (et pourtant réaliste) du Scope et de la couleur; il
est tiré de Bhowani lunctiom de Cukor. L'action se déroule en Inde, juste avant l'indépendance. On voit défiler les soldats o anglais u (en fait, ce sont des Indiens Pathans, mais habillés d'uniformes anglais); la classe enfantine s'arrête, les enfants vêtus de blanc se précipitent pour rire et applaudir. Les soldats kaki quittent le champ à droite (la scène est filmée en plongée et en plan général), cependant que les enfants en blanc s'éparpillent, toujours riant, courant vers la gauche et le bord supérieur de l'image. En même temps, un personnage (incarnant un Indien nationaliste) explique : quand les Anglais seront partis, l'Inde s'ouvrira comme une fleur. C'est à ce départ et à cette éclosion mêmes que Cukor et George Hoyningen-Huene viennent, en un raccourci saisissant, de nous faire assister.
8. Nicholas Ray lui-même s'est expliqué sur son gotit pour le Cinémascope et l'influence de Wright sur son sens de la composition visuelle dans l'entretien qu'il a accordé à Charles Bitsch, Cahiers du cinéma, n'89, nov. 1958.
4
Mouvements de cam éra, effets de montage
Le répertoire stylistique cinématographique ne
se
réduit évidemment pas à l'iconographie, à l'utilisation de la musique et à celle de la couleur: deux éléments
il
est d'ailleurs .*iè*.*ent difficile de rendre compte, puisqu'ils jouent sur le mouvement, soit à l'intérieur du plan (ce sont les mouvements de caméra), soit dans la disposisupplémeniaires interviennent, dont
tion successive des plans (ce sont les effets de montage)' L'impossibilité de commenter l'image même se fait ici ..,r.il"*"nt sentir. Je me bornerai donc à quelques réflexions d'ordre général, mais illustrées d'exemples précis. Les angles de prise de vue et les mouvements de caméra faisaient partie intégrante du langage filmique tel qu'il avait été élaboré à l'époque du muet. A cet égard, l'avènement du parlant marqua d'abord une règression, car les caméras durent être enfermées dans de veritables cages qui les insonorisaient, mais aussi les rendaient fort peu maniables. Assez rapidement, les progrès techniques effectués dans l'enregistrement permirént à la caméra de recouvrer sa mobilité. Il n'en pour des raisons qui tiennent à reste pas moins que du cinéma et au contexte propre la fois à l'histoire les années trente demeurèrent soumisocio-culturel ses à la tyrannie de la parole et furent, par conséquent, sauf chei quelques .. stylistes » comme Mamoulian ou
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Stylistique
Sternberg, moins propices aux recherches formelles que l'époque du muet que les années quarante, - ou« germanique lorsque l'influence du style " deviendrait prépondérante au point de transformer les figures rhétoriques en véritables maniérismes. Les séquences où les mouvements de caméra jouent un rôle spectaculaire et donc remarqué sont souvent réservées à l'ouverture ou à la conclusion du film'. C'est ainsi que, dans Since You Went Away de Cromwell, pour nous présenter ce qu'un carton définit comme « cette forteresse imprenable le foyer américain en 1943 ",la caméra, après avoir -montré la maison sous la pluie (symbolique de la guerre), détaille successivement, d'un seul mouvement circulaire (" panoramique »), les accessoires qui nous donnent une première idée de ses occupants : de l'étoile accrochée à la fenêtre (qui indique que c'est la saison de Noël), on passe à un confortable fauteuil, au bouledogue familial, à l'indication plus précise de la date (12 janvier), à un télégramme, à des clés, aux initiales T.H., à un poisson empaillé et u légendé ", à des chaussons de bébé, à une photo... et on revient enfin à l'étoile sur la fenêtre. C'est cette séquence qu'accompagne la musique « programmatique " de Max Steiner que j'ai évoquée précédemment. On note l'adéquation parfaite entre la forme et le fond: un mouvement de caméra unique, et qui plus est circulaire, détaille « amoureusement " les signifiants multiples d'un signifié unique, mais complexe (le foyer américain, c'est la patrie, la démocratie, l'armée; la maison, la propriété, la famille 2...).
L D'ailleurs, ces séquences sont souvent « muettes r, ou du moins,dépourvues de dialogue sinon d'effets sonores : voir à cet égard l'ouverture très caracléristique de trois films de Lubitsch,
Mouvements de camêra, et'fets de montage
217
Nombreuses sont les séquences qui, sans être nécessairement placées au début du film, introduisent la caméra dans la demeure ou la vie privée du persontout en douceur dans le cas nage. Cette pénétration s'apparente ailleurs à une de Since You Went Away sorte d'effraction. J'ai cité à ce propos la manière très frappante dont la caméra de William Wyler (et'de Gregg Toland) pénètre chez les Linton par la fenêtre, ce qui suggère qu'on passe dans un monde clos et douillet, abiitant des gens faibles, en désaccord avec la lande environnante (Wuthering Heights). Le même photographe, Gregg Toland, utilisera le même procédé de façon encore plus spectaculaire dans Citizen Kane: à deux reprises, lorsque le journaliste vient enquêter auprès de Susan Alexander (la seconde femme de Kane, devenue chanteuse dans un misérable beuglant), la caméra s'introduit dans le « night-cluf » en paraissant traverser, par un hardi mouvement plongeant, la verrière du plafond. Comme l'a bien vu Jean Mitry, cette pénétration évoque une effraction, voire le viol d'une conscience 3. On observe, dans l'utilisation des mouvernents de camêra,le même gofit des formes circulaires que dans la structure narrative : il est fréquent qu'au terme d'une séquence, la caméra revienne à son point de départ (par exemple, dans la séquence d'ouverture de Since You Went Away) ; de même, il est fréquent que la fin du film fasse écho à l'ouverture, qu'on fasse appel à la même image, au mouvement de caméra symétrique (ainsi, Since You Went Away se termine sur un travelling arrière: on s'éloigne de la maison ; ce mouvement est symétrique du mouvement de u pénétration », au début du film). Dans ce cas, la fin du film peut être dite stylis-
les comédies Trouble in Paratlise'et Angel, le mélodrame j"/rc
Man I Killed. .2. Le génériq9e
d-e Since Yotr Went Awalt .. crédite », pour la photographie, Stanley Cortez et Lee Gaimes. Cependant, la séque.nce d'ouverture est due à George Barnes, qui fut bientôt rem-placé par Stanley CorIez; celui-cià son tour, irobilisé, céda la place à Lee Garmès. Cf. les déclarations de Lee Garmes et de
Stanley Cortez dans Charles Higham, Httlly'ttttttd Ctttrteratttur : Sourcés of Lieht, Cinema One, n'--14, Londrés : Thames and Hudson et Siitish Film Institute, 1970, p.47 et 109 respectivement. 3. Dictionnaire du cinéma, op. cit., p.57.
2t8
Stylistique
tiquement " fermée ". Mais il arrive aussi qu'inversement, la caméra cadre, à la conclusion du récit, l'extérieur, ou le ciel, ce qui constitue une fin formellement « ouverte », un u dépassement , du cadre où était contenu le récit. Ainsi, à la fin d'AllThat Heaven Alloy,s, un panoramique cadre la fenêtre à l'extérieur de laquelle on voit une biche, symbole de la Nature qui constitue comme une sublimation de l'amour des protagonistes, une « ouverture " littérale sur un monde plus vaste. Cette signification est plus nette encore dans la dernière image de Now, Voyager (Irving Rapper, 1942) :les amants (Charlotte : Bette Davis et Jerry : Paul Henreid) décident de renoncer définitivement à leur liaison (Jerry est marié et ne peut divorcer). Par un effet de substitution symbolique, Tina, la fille de Jerry, mais dont Charlotte a la charge, devient l'enfant qu'ils auraient voulu avoir ensemble. Charlotte exprime ainsi leur renoncement: « Ne demandons pas la lune; nous avons les étoiles. , Un mouvement panoramique de la caméra va alors cadrer le ciel étoilé. Ce panoramique vers le firmament est, dans le cinéma hollywoodien, un moyen simple mais efficace d'exprimer une « transcendance ». A ce titre, il a été utilisé à de nombreuses reprises par Frank Borzage. La séquence de ce genre la plus remarquable se trouve dans Disputed Passage (1939). Nous sommes dans un hôpital chinois qui a été bombardé. Audrey (Dorothy Lamour) est assise au chevet de Beaven (John Howard), qui est dans le coma. LIn panoramique, abandonnant les deux personnages, cadre une ouverture dans le plafond, par où l'on voit le ciel et les étoiles. Fondu-enchaîné : la nuit fait place à l'aube ; un second panoramique, exactement symétrique du précédent, retourne à Audrey et à Beaven, qui s'éveille miraculeusement de son coma. Comme le note John Beltoh : « Le panoramique n'intègre pas seulement les personnages au décor, il associe aussi la guérisson de Beaven à une force divine et régé-
Mouvements de caméra,
e-t't'ets
de montage
2r9
nératrice, aussi mystérieuse que l'aube d'un jour nouveau 4. ,,
Vingt ans plus tard, la même scène reparaît dans China Doll: Cliff Brandon (Victor Mature) a une crise de malaria. La jeune Chinoise qu'il a achetée à son père, Shu-Jen (Li Li Hua), se couche sur le lit pour lui tenir
chaud. La caméra cadre la fenêtre située juste au-dessus du lit, et qui s'illumine des éclairs d'un orage' Au plan suivant, l'orage s'est apaisé; c'est le lendemain matin' Un mouvement symétrique cadre Cliff, guéri, sur son lit, Shu-Jen à ses côtés, en train de cirer ses chaussures. Il est guéri de la même manière u miraculeuse », transcendante, que Beaven (en rnême temps, l'ellipse - qui a permis de ne pas est déjà un effet de montage montrer le rapport physique entre les deux personnages). Citons à nouveau John Belton :
plan, comme celrr-i de Disputed Passage, devi^:nt unË préfiguration de la rédemption finale de Cliff et Ce
il
suggère non seulement leur dont nous voyons le fruit à la fin union sexuelle mais aussi, plus immédiatement, la guédu film rison de Cliff. En même temps, ce plan, toujours comme celui de Disputed Pasisage, englobe Cliff et Shu-Jen dans un ordre naturel qui les dépasse et qui veille à leur régénération, tant physique que spirituelle s.
de §hu-fén, car
4. John Belton, u Frank Borzage danf son Hotyartl Hutks, prà"i-aorz"gi, n'agu G. Uhner,ïhe", Holly-*ood Professionals, n' 3, Londréi i ff,à Tantivy Press, et New York : Barnes, 1974, p. iiS-iZO. La photographie de Di:putetl Passage est de William C. - i:Mellor. i;É Belton, op. cit., p. 120- u ordre naturel', dit Belton' On dirait mieux sans doutê « ordre surnaturel '. Mais.i'-ai moi-.
' de la nature dans A// ih;; H;";;;;-Allows. c'est que, pour citer encore une fois Northrop Frye : « Le parado*. qiri uert que nombre de ces entànts de Ë-;;t;;É t"ient'des êtres "' surnaturels " choque davantage la même évooué le caractère n transcendant
logique que Ia littérature.
,
220
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MoNrlcg Plus encore que les mouvements de caméra, le montage, dans le cinéma hollyrvoodien u classique , et, par conséquent, dans le mélodrame, se caractérise par sa tendance à l'u invisibilité , : il existe et fait « respirer » le film, mais d'une manière dont le spectateur, le plus souvent, ne doit pas avoir conscience. A cet égard, le cinéma hollywoodien, tout en s'opposant radicalement au modèle soviétique, ne se confond nullement pour autant avec le cinéma iu u plan-séquence », où le montage est réduit au minimum par l'utilisation de mouvements de caméra et de la profondeur de champ. Il n,a aucun scrupule à faire appel à des procédés de montage (par exemple le champ/contrechamp), et ne saurait prêter dans son ensemble à des conclusions philosophiques comme celles qu'André Bazin tirait de l'observation du cinéma de Renoir ou de Rossellini. On est donc amené, une fois encore, et comme le faisait d'ailleurs André Bazin lui-même, à rapprocher le cinéma hollywoodien çlas5ique , moins de la littéra" ture contemporaine que de celle du xrx. siècle, avec
laquelle
il
partage le gorit d'une certaine continuité
romanesque, ou du moins de son apparence. La littérature « moderne », pour sa part, a, de longue date, et dès avant la naissance du cinéma, cultivé les effets de u ç61lage, ou de « montage , discontinu, d'abord dans la poésie (qu'elle soit de langue française, avec Laforgue et Apollinaire, ou de langue anglaise, avec Ezra pound, T.S. Eliot et les imagistes), puis, de manière croissante, dans le roman, notamment chez Dos passos. Dans le même temps, le cinéma hollywoodien, tout en s,appropriant les divers procédés narratifs en usage dani la littérature, avait au contraire tendance à perfectionner sa propre technique de montage jusqu'à rendre celle-ci, dans la plupart des cas, efficace, lisse et invisible.
Mouvements de caméra, ef-t'ets de montage
221
Dans le cinéma " classique ,, les effets apparents de montage sont donc peu nombreux, et concernent tout particulièrement les séquences de transition qui évoquent le passage du temps : éphémérides dont les feuilles sont tournées par le vent, noms des mois (AFarewell to Arms), millésimes des années successives (Anthony Adverse,In Old Chicago), tous procédés qui sont très tÔt devenus des clichés, ce qui ne les a pas empêchés d'être durables: les feuilles d'éphéméride introduisent le flash-back de Written on the Wind, un montage d'enseignes lumineuses, de marquises et d'affiches de théâtre désigne la progression d'une carrière dans Imitation of Life de Sirk, et l'on retrouvera cette même figure de style que l'on pourrait croire désuète jusque dans Tootsie de Sydney Pollack (1982), où la naissance d'une « star » est résumée par un montage de couvertures de magazines... Pour intéressants qu'ils soient, ces effets rhétoriques ne sont pas spécifiques au mélodrame ; on peut noter cependant qu'ils sont relativement fréquents dans ce genre, pour la raison évidente qu'ils permettent (ou du moins s'y efforcent) de conférer au cinéma une dimension qui à priori lui fait tout à fait défaut, et qui est précisément celle de la durée romanesque' On vérifie ici que les procédés stylistiques sont rarement de purs « ornements » : ils ont une signification, une fonction dans l'économie du récit. Prenons un exemple, tiré de l'adaptation de Of Human Bondage par John Cromwell (1934). Après que Sally (Frances Dee) a dit à Philip (Leslie Howard) « Revenez dimanche prochain », une séquence apparemment de pure transition surimpose sur le visage de l'actrice des feuilles d'éphéméride dont le passage s'accélère (tout en se ralentissant parfois sur le mot u dimanchs ") : la séquence signifie aussi que le rapport entre Philip et Sally s'approfondit, devient plus intime, et constitue donc un moyen précieux, pour un film long de quatre-vingt-dix minutes seulement, de suggérer l'épaisseur, la durée romanesques. Au début des années cinquante encore, George Stevens utilisera
222
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à la même fin les fondus enchaînés (A Place in the' Sun). Depuis une quinzaine d'années, cependant, le cinéma américain a parfois pratiqué un nouveau type de montage, sensiblement différent du montage u invisible " de l'époque classique (smooth, unobtrusive editing). En
jouant un peu sur les mots, on pourrait dire qu'on a désormais affaire à un cinéma non plus du montage, mais du découpage, qui met l'accent sur le caractère disparate des ,. séries », au lieu de s'efforcer comme auparavant de les unifier. On aboutit fréquemment, dans ce nouveau cinéma, à un type de montage que j'ai proposé d'appeler " schizophrénique 6 ". C'est ainsi que, dans Loaking for Mr. Goodbar de Richard Brooks (1977), la " schizophrénie " de l'héroïne (interprétée
par Diane Keaton) est précisément reflétée par un montage binaire, qui fait alterner brusquement, sans transition, scènes nocturnes de bars louches, de rencontres de hasard, de liaisons dépourvues de tendresse et bientôt émaillées de violence, et scènes diurnes, aimables, souriantes, remplies de gentillesse et de bonne volonté, situées dans une école pour les sourds-muets. Il est d'ailleurs permis de se demander si ce montage , " reflète bien la personnalité de l'héroïne, ou si ce n'est pas plutôt l'inverse, c'est-à-dire si ce n'est pas plutôt le découpage qui détermine l'impression que nous nous formons du personnage et le jugement (clinique) que nous portons sur elle. On trouve le même genre de découpage dans All the President's Men d'Alan J. Pakula (1976): au monde extérieur représenté par Washington, capitale du " méchant, Nixon, toujours filmée sous la pluie, dans les brumes et dans la nuit, s'oppose le monde intérieur, brillamment illuminé, des u bons ", les journalistes du 6. u Quelques remarques de pure forme: des techniques maîtrisées », iru « Actualité du cinéma américain », sous la direction de Jean Domarchi et Olivier Eyquem, Cinérna d'aujourd'ltui, no 14, automne 1979, p.23-25.
Mouvements de caméra, effets de montage
223
Post : cette structure exprime le manichéisme du film, qu'on opposera à l'ambiguité, plus riche et plus pro-fànde, d une æuvre de 1949 sur un sujet semblable, All the King's Men de Robert Rossen (la filiation est explicitée par les titres et leur commune référence àla nurt"ry ihy*" d'Humpty Dumpty)' Ailleurs, la juxtaposition schizophrénique dénote non le manichéisme, mais une mystéii",rt" ii*ilitrde des extrêm es : dans The Heretic de Boorman (1977), le montage oppose avec violence, mais aussi unit avec lyrisme, les gratte-ciel de New York et les églises d'Éthiopie, plantées sur leurs inaccessibles pitons rocheux. Coppola, dans The Godfather (1972), faisant appel au montage alterné pour met' tre en parallèle baptême de l'enfant et règlement de comptes, reprend des procédés qu'on considérait
naguère plus caractéristiques du cinéma soviétique que du-cinéma américain et de son montage u invisible '' Il est vrai qu'au-delà d'Eisenstein, l'on peut - et l'on ,"-o-.rt". jusqu'au « montage alterné " de Grifdoit fith, dont j'ai noté qu'il était déjà présent chez Dickens' Et, dès lois, il est pirmis de se demander si ce type de montage a vraiment disparu du cinéma américain entre Griffitti et les années soixante-dix, où il reparaît " en force » avec les exemples précités, et aussi avec Puzzle of aDownfatt Chitd de Jerry Schatzberg (1970), Calyr-et de Bob Fosse (197 2) ou Interiorsde Woody Allen (l 978)' On s'aperçoit, à la réflexion, que le goût u mélodramamasqué par l'apparence de tique, de l'antithèse
- du cinéma classique était de linéarité effectivement présent dans le montage de certaine-s æuvres antérieures: Some Came Running de Minnelli est, comm e Looking for Mr. Goodbar, construit à partir de deux séries antithétiques (le monde diurne de Frank: Arthur Kennedy; le monde nocturne de Dave : Frank Sinatra). Au début de Magnificent Obsession de Sirk, on passe brutalement du générique, avec ses couleurs et sa texture soyeuses, qu'accompagne la musique sirupeuse de chæurs off, à l'image du bateau Httrricane qui ionce sur le lac : la technologie moderne fait irrup.oié..tr.",
Stylistique
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tion, avec bruit et fureur, dans le mélodrame larmoyant et édifiant. Dans Written on the Wind, pendant que Marylee Hadley, au son d'une musique assourdissante, se livre à une sorte de frénétique danse sexuelle, son père monte l'escalier monumental de leur demeure patricienne et s'effondre, victime d'une attaque. Le montage alterné fait ressortir les antithèses : haut I bas, féminin / masculin, jeunesse / vieillesse, danse / mort (c'est-à-dire Eros / Thanatos). En même temps, la séquence permet à Sirk de suggérer que la conduite « scandaleuse " de Marylee (qui réagit aux souffrances de son père avec une provocante indifférence) est responsable de la mort de celui-ci ; l'alternance des termes de l'antithèse n'est pas simple juxtaposition, elle détermine un lien de causalité.
ANrtrnÈsEs
Les mélodrames abondent donc en antithèses, qui constituent autant de figures de style et non seulement de thèmes. Chez Griffith, par exemple, ce gofit de l'antithèse est d'abord littéraire et linguistique. Un intertitre désigne comme 13 « paix de la guerre " le champ de bataille couvert de cadavres (dans The Birth of a Nation). Mais le génie du metteur en scène a précisément consisté, entre autres, à savoir traduire visuellement de telles antithèses verbales. Ainsi, dans le même film, un intertitre indique : ,. Les femmes et les enfants pleuraient pendant qu'un grand conquérant marchait vers la mer » (double opposition : entre les faibles et les forts, entre les souffrances des premiers et le triomphe des seconds). Mais un plan extraordinaire traduit cette opposition et la dynamise par le simple jeu d'un bref mouvement de caméra. On voit, en effet, au premier plan, une femme et des enfants prostrés et en pleurs. La
Mouvements de caméra, ef lets de montage
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caméra décrit un mouvement panoramique vers la droite, dominant une vallée où l'on aperçoit l'armée de Sherman, puis revient au groupe initial. (En même temps, bien sûr, l'opposition premier plan/arrière-plan rend les " faibles » plus pathétiques 7.) Il suffira d'un autre exemple emprunté au cinéma muet, celui de Stroheim. Le procédé de l'antithèse est courant chez lui, soit par le jeu du montage (qui fait alterner scènes d'idylle et d'orgie dans The Merry Widow et The Wedding March), soit à l'intérieur du même plan : dans Greed, au moment précis où McTeague passe l'alliance au doigt de Trina vêtue de sa robe blanche de mariée, on aperçoit, dans la rue en contrebas, le lent passage d'un convoi funèbre, un cercueil que portent plusieurs hommes et que suit une femme voilée de noir 8. Cette figure de style ne disparaît pas avec le parlant et les années trente, mais elle s'estompe, elle perd l'évidence que lui conférait la rhétorique du muet. On citera tel plan curieux, comme celui de Strange Cargo de Borzage où l'on voit Clark Gable, décoiffé et déguenillé, agripper par la cheville Joan Crawford en talons hauts, vêtue avec élégance, maquillée et couverte de bijoux. L'antithèse revient en force dans les « nouveaux mélodrames, en couleurs des années cinquante, et déjà dans Leave Her to Heaven de Stahl, qui en constitue un peu la préfiguration: Jeanne Crain " descend du ciel " où elle a taillé les rosiers, tandis que Gene Tierney, 7. Ce plan est décrit dans L'Avant-Scène Cinéma, u Spécial Griffith ; La Naissance d'une nation, The Battle ,, n" 193- 194, oct. 1977, p. 32-33. 8. Ayant montré l'antithèse dans Ie même plan, Stroheim l'expliéite ensuite par un procédé de montâge (un fondu enchaîné), qui a d'ailleurs pour effet de la diluer plutôt que de la dramatiser. V. Ies photogrâphies dans Herman G. Weinberg,The Complete Greed ol Erich von Sîroheitn, New York: Arno Press, lin1972. De cette antithèse visuelle, on rapprochera celle - of guistique du poème de Blake u London r, dans les Song.s - avec sa mention du u corbillard du mariage " (the Experience, Marriage hearse).
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Stylistique
o démon », surgit du fond des eaux, d'une piscine. Some Came Running de Minnelli repose tout entier sur le principe de l'antithèse. Le monde diurne du commerce, de la famille, de l'école, des cocktail parties amieales mais guindées, s'oppose au monde nocturne du jeu, des bars, des beuveries, des bagarres, des lumières au néon. Entre ces deux univers oscille Dave Hirsh (Frank Sinatra), écrivain qui tire son inspiration des bas-fonds, mais qui est lu par le beau monde. D'un côté se trouvent son enfance, ses attaches familiales (même si elles sont bien distendues), la tentation de la respectabilité que lui offre Gwen French (Martha Hyer), qui est enseignante ; de l'autre, l'alcool, l'argent facile, l'attachement mina-
ble mais touchant de Ginny Moorhead
(Shirley ». grand prostituée au cæur Maclaine), la " A ces deux univers correspondent des styles différents, qu'il s'agisse de la photographie, de la musique, du jeu des acteurs, et Some Came Running met précisément en scène l'envahissement du monde bourgeois par l'artiste et ses amis interlopes. Lorsque Dave Hirsh arrive dans sa chambre d'hôtel, il y campe immédiatement son décor, que caractérisent le goCrt de la littérature et celui (antinomique ?) de la boisson : les romans de Faulkner, Steinbeck, Thomas Wolfe, F. Scott Fitzgerald... voisinent avec le bourbon. Chez les French, le décor (que j'ai déjà eu l'occasion de décrire) est à la fois bourgeois et intellectuel. Quant au personnage de Ginny Moorhead, il est surdéterminé par la multiplicité de ses marques stylistiques: maquillage, accent, vocabulaire, mais aussi la fleur rouge qu'elle porte dans les cheveux, son sac à main en forme de petit lapin,l'oreiller-souvenir à la criarde couleur orangée qu'elle se fait offrir par Dave et qui porte la légende ouvertement sentimentale « Sweetheart ». Stylistiquement, comme l'a noté Jim Kitses, Ginny semble échappée d'une comédie musicale, elle u n'appartient pas au même film " que Gwen French. Au rapport conflictuel entre les u frères ennemis » Dave et Frank s'ajoute celui qui oppose Dave à Cwen,
Mouvements de caméra, eflets de montage
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sauf pendant l'intermède d'une tentative d'harmonisation, lorsque Dave, dans le demi-jour où ils se tiennent et qui constitue le symbole visuel d'une possible conci-
liation, puisqu'il est également éloigné de la clarté diurne et des stridences nocturnes, défait le chignon compassé de Gwen: on entend tomber à terre deux épingles à cheveux, et c'est une femme libérée, qui n'essaie plus de refréner sa sensualité, qui soudain
apparaît au spectateur et à Dave (cette scène rappelle un épisode très frappant de The Scarlet Letter, de Hawthorne: après avoir dégrafé la lettre d'infamie qui donne son titre au roman, l'héroïne, mue par une inspiration soudaine, enlève le strict bonnet puritain qui enserrait sa chevelure et laisse celle-ci tomber librement, u sombre et riche », sur ses épaules). Enfin, Minnelli ne craint pas de pousser à son paroxysme l'antithèse entre Gwen et Ginny, mettant face à face les deux femmes qui se disputent Dave et qui, puisqu'elles " n'appartiennent pas au même film ", ne devraient jamais se rencontrer: il photographie leur confrontation en un champ/contrechamp classique, silhouettanf chacune sur un arrière-plan qui souligne l'incongruité de la situation, puisque, par un effet de chiasme, Martha Hyer se détache sur le fond u naturel , d'une fenêtre, tandis que Shirley Maclaine est filmée sur fond de tableau noir.
Au terme de cette brève analyse stylistique du mélodrame hollywoodien, de nombreuses constantes apparaissent, mais aussi certains traits isolés dans le temps. Constante que l'utilisation de la musique, tout à la fois comme élément thématique, et surtout comme élément stylistique, structural, fonctionnel. Constante que le recours à des motifs iconographiques, comme la femme à la fenêtre ou la nappe à carreaux, qui sont contrairement à ce que pensait Erwin Panofsky loin d'avoir disparu avec le muet. Constante encore que l'insertion de tels motifs dans des codes (et notamment
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des schémas d'opposition) à la signification relativement stable. En revanche, les progrès techniques du cinéma, qui lui ont fait subir de véritables mutations, ont nécesiairement déterminé des phases spécifiques du genre: le mélodrame n'échappe pas à la diachronie.
Auatrième Partie
Genre et auteurs
Certains metteurs en scène sont étroitement associés
au mélodrame hollywoodien. J'ai retenu les quatre
noms qui me paraissent s'imposer avec la plus grande évidence: pour les années trente, ceux de Frank Borzage et de John M. Stahl ; pour les années cinquante, ceux de Vincente Minnelli et de Douglas Sirk. Quantité
d'autres réalisateurs, naturellement, ont signé des mélodrames éminents, mais leur rapport au genre me semble, pour des raisons fort diverses, moins étroit, moins organique. Ainsi King Vidor, que son goût portait aux affrontements mélodramatiques, n'a cependant travaillé dans le cadre strict du genre hollywoodien que lorsqu'il y était contraint (Stello Dallas), et avec un bonheur inégal (mieux vaut oublier Cynara). On mesure ici le chemin parcouru depuis l'époque du muet et l'hégémonie du mélodrame (The Big Parade, La Bohème).
Pour Sternberg,
le mélodrame n'est guère qu'un
il affiche le mépris du pas carrière à Holly». fit ne pur Ophuls Max cinéaste Letter wood, et, s'il réalisa, avec from an Unknown Woman, un parfait chef-d'æuvre, c'est un film d'esprit européen et qui reste isolé.LaCava, malgré Symphony of Sbc. Million, Capra, malgré Forbidden, voire, malgré Make Way for Tomorrow, Leo McCarey, sont d'abord des auteurs comiques. Cukor, qui concevait son rôle, avec fierté, comme celui d'un director et non d'un canevas, un pré-texte pour lequel «
Genre et auteurs
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auteur, n'a pris le mélodrame à bras-le-corps que dans A Star Is Born ; encore s'agit-il d'une æuvre hybride. Tay Garnett, en dépit de One Way Passage, Curtiz, en dépit de Mildred Pierce, sont surtout réputés pour leurs films d'action. D'autres encore, Edmund Goulding, Jean Negulesco, Irving Rapper, ne sont pas des « auteurs » au sens critique du terme ; leur « style » est bien plutôt celui de la MGM ou de la Warner (il se pourrait d'ailleurs que tel fût également le cas de Curtiz et de Tay Garnett). Il conviendrait à ce propos de s'interroger sur le rôle joué par certains producteurs, au premier chef David O. Selznick, et aussi Samuel Goldwyn (avec lequel travailla longuement William Wyler). Mais il s'agit là de points d'histoire cinématographique qui dépassent le cadre d'une étude interne 1.
FReNr BoRzRcE
Frank Borzage reste fidèle au mélodrame pendant la majeure partie de sa carrière. Non qu'il n'ait pas réalisé de films appartenant à d'autres genres: sans parler de ses débuts, où, comme plusieurs autres pionniers de Hollywood, il fit ses gammes en tournant (et en interprétant) de courts westerns, il a signé quelques comédies ou comédies musicales, par exemple Flirtation Walk (1934) ou ÈIis Butler's Sister (1943) ; mais ce sont plutôt ces derniers titres qui paraissent marginaux par rapport à un corpus essentiellement mélodramatique. C'est au genre du mélodrame, en effet, qu'appartiennent les chefs-d'æuvre de Borzage à la fin du muet (Seventh Heauen, Street Angel, The River), et aussi ses grands films des années trente, notamment A Farewell
l. De même qu'on distingue traditionnellement entre l'histoire de la littérature et I'histoire littéraire, de même il peut paraître souhaitable de ne pas confondre l'histoire du cinéma et l'histoire cinématographique.
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Little Man, What Now ?, History Is Made at Night, Mannequin, Three Comrades, Disputed Passage, The Mortal Storm, et encore ses ceuvres tardivès, comme Moonrise (1948) et surtout China Doll to Arms, Man's Castle,
(1es8).
Historiquement, Borzage incarne à la perfection ce qu'on peut désigner comme le mélodrame classique' Èn effet, ses æuvres muettes s'inscrivent dans la tradition de f intimisme griffithien, illustré par Broken Blos' soms ov True Heart Susie, plutôt que dans celle du spectaculaire et de l'épique (The Birth of a Nation,lylolàrance), et s'abstiennent tout à fait de procédés visibles de montage. Pendant les années trente, alors que le mélodrame a perdu la prédominance qu'il partageait, du temps du muet, avec le burlesque, et qu'il est devenu un genre parmi d'autres, Borzage en est le représentant le plus èminent sans doute, et il sait tout à la fois rester fidèle au romantisme qui, d'ores et déjà, caractérise son æuvre, et cependant s'adapter à l'évolution du cinéma. Ainsi observe-t-on chez lui une tendance à davantage de réalisme, conformément aux possibilités offertes par le parlant: on croit à l'Italie de la Première Guerre mondiale (dépeinte dans A Farewell to Arms) comme on ne croyait pas au Paris tout de fantaisie de Seventh Heaÿen.
En revanche, à partir des années quarante, la carrière
de Borzage amorce incontestablement un déclin. Sa fidélité à une certaine esthétique semble maintenant le desservir. Il demeurait pourtant capable d'évoluer, comme le montre Moonrise, qui participe de l'atmosphère contemporaine, fataliste, lucide et désespérée, du film noir. Mais cet ouvrage reste isolé, et Borzage qui s'arrête de tourner pendant dix ans, pour des raisons mal élucidées, mais où il est possible que la boisprendra aucune part à la son ait joué un rôle - ne renaissance du mélodrame, en Cinémascope et en couleurs, qui caractérise la fin des années cinquante' Son derniei filrn qui nous intéresse ici, China Doll, estpho-
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Genre et auteurs
tographié en noir et blanc et, véritable remake, à certains égards, de Seventh Heaven, il tourne le dos à l'évolution contemporaine du cinéma pour se replonger dans un passé déjà ancien, historique. Le parallélisme frappant entre la carrière de Borzage et le développement du mélodrame classique suffirait, me semble-t-il, à indiquer que la spécialisation de Borzage dans ce genre ne résultait pas simplement de la tendance hollywoodienne à assigner au metteur en scène des æuvres du genre où il réussissait le mieux (c'est ce qu'Arthur Knight a appelé typecasting the director, à l'instar du typecasting ou distribution des
rôles selon les " types ,, qu'incarnent le mieux les
acteurs). Il apparaît clairement que Borzage, mri par une motivation plus profonde que le simple souci de l'efficacité ou de la rentabilité, a lui-même souhaité et activement recherché cette spécialisation 2. Dans quelle mesure d'ailleurs Borzage s'est-il adapté à l'évolution du cinéma, et notamment à l'avènement du parlant ? Il n'est pas sûr que ses films soient devenus, globalement, plus réalistes. En premier lieu, Borzage a toujours apporté une attention méticuleuse aux détails de ses films, ce qui n'en fait pas pour autant des æuvres réalistes. Ainsi Jean Negulesco, qui dirigea la seconde
2. Arthur Knight: u Pendant les années vingt, les studios eurent une tendance marquée à " spécialiser " leurs metteurs en scène aussi systématiquement que leurs vedettes. Lubitsch et ses élèves étaient les réalisateurs " brillants ", auxquels on ne manquait jamais d'assigner les comédies sophistiquées. La comédie à gags allait à des hommes comme Clarence Badger, H. C. Potter, Erle Kenton, Marshall Neilan et Charles Reisner. Frank B,orzage, George Fitzmaurice, Edmund Goulding et Henry King étaient réputés pour leur capacité à diriger des " films de femmes " (terme que les femmes si l'on considère les films en question devraient trouver particulièrement offensant)... » The - Art : APanoramic History of the Movies, New York : The Liveliest New
American Library, 1957,p. 129. Arthur Knight note cependant ensuite l'" incroyable flexibilité , de nombreux réalisateurs de cette époque, phénomène qui corrigeait les effets de la spécialisation et qui fait ressortir par contraste la constance de l'inspiration borzagienne (p. 131).
Genre et auteurs
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équipe de A Farewell to Arms, remarque: u Borzage était un homme étrange. Il aurait une scène avec, disons, trois cents figurants, et tout ce qui l'intéresserait, ce serait la façon dont l'eau s'égoutte d'une feuille et dont on voit Gary Cooper passer sous les gouttes 3. d'eau pendant la grande retraite de Caporetto , En deuxième lieu, si l'on devait chercher dans l'æuvre de Borzage une confirmation de la thèse d'Alain Masson, pour qui le cinéma muet, dont l'esthétique était baignée de symbolisme, a laissé place au .. fonctionnalisme , du parlant, la démonstration ne sera guère probante : le symbolisme, dans Man's Castle, Three Comrades ou The Mortal Storm, n'est certainement pas moindre que dans les films muets de Borzagea,
Cependant, Borzage ne donne pas, contrairement à Sternberg auquel l'apparente d'ailleurs sa méthode de travail méticuleuse s, l'impression d'avoir cherché à prolonger jusque dans le parlant une esthétique héritée du muet. Mais c'est que son penchant pour une méditation sentimentale et empreinte de spiritualité ne l'empêchait nullement d'être attentif à l'Histoire, et aux événèments qui agitaient l'Amérique et le reste du monde pendant les années trente : la Dépression d'une part, la montée du nazisme de l'autre. A la réflexion, il se pourrait que la plus vive impression de vérité historique ressentie devant A Farewell to Arms (par opposition à Seventh Heaven) soit due moins 3. The Celtutoid Muse, P.2ll. 4. Alain Masson, u L'avènement du parlant", Comédie musi' cale, StockfCinéma, 1981, p. 179-191. 5.'Cf. I'iritéressani témoiÊnage de deux visiteurs anglais à Hollvwood en 1930. oui com-parènt la manière de travailler de iu*.r Cruze et cefle de Jôsef von Sternberg : o La différence était comparable à celle qui existe entre un peintre romantique, brossant vigoureusement une Êresque à grands traits rapides, et un préraphàélite produisant lentement ses effets par une accumulation de détails soigneusement choisis'.. ' Jan et Cora Gordon, S/ar-Dust in Hollÿwood, Londres: Harrap, 1930, p. 207208.
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Genre et auteurs
à de véritables différences stylistiques qu'au sentiment qu'existe à nouveau un réel danger de guerre. Borzage
est, davantage que Sternberg, sensible à l'histoire contemporaine, et l'on peut considérer Man's Castle comme une æuvre directement inspirée par la crise économique, de même que l'opposition de Borzage au nazisme est exprimée de manière cohérente et argumentée dans sa trilogie allemande : Little Man, What Now ? d'après Hans Fallada, Three Comrades d'après Erich Maria Remarque, The Mortal Storm enfin. Mais cette conscience de l'histoire contemporaine ne s'accompagne pas chezBorzage d'un ton journalistique ou de propagande. Borzage traite avec la même sensualité les sujets à implications clairement sociales et les idylles situées dans des pays de fantaisie, le Paris de Seventh Heaven ou l'Italie de Street Angel. Cela constitue une indication supplémentaire de son rapport privilégié au mélodrame : il a traité de manière mélodramatique et sentimentale des sujets qui, selon les canons hollywoodiens d'alors, appelaient un traitement réaliste ou polémique. En d'autres termes, Borzage a choisi de s'exprimer par le truchement du mélodrame classique, y compris lorsque ce genre n'apparaissait pas, soit à cause du thème, soit à cause de l'actualité, comme le mieux adapté à son propos. Borzage s'est clairement identifié à ce qu'on peut appeler la métaphysique du mélodrame. Ni sa tendresse pour les humbles, les " marginaux » qui sont les personnages de ses meilleurs films, ni son aspiration à la spiritualité, ne sont feintes. Cette spiritualité est d'ailleurs difficile à définir, car elle émane des personnages tout en les englobant dans une sorte de champ qui les dépasse. Il semble que, pour Borzage,le matériel et le spirituel, le naturel et le surnaturel, l'immanent et le transcendant, le social et le métaphysique, n'appartiennent pas à des ordres différents. De là une spiritualité, et une religiosité, syncrétiques, qui font éventuellement appel aux Églises établies, mais sans se soumettre à elles. On se souvient que, dansThe Mortal Storrn, c'est la
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faisant allumère de Martin (James Stewart) qui officie' la commude catholique sion, certes, au sacrement à une vitalisme' au ;;;, ir"itËtti, plus profondément' vie' de l'arbre qu'incarne ;;;,; à; religion naturelle alludes certaines Dans une p..rp."ii,. otthoàoxe' se situent à sions que Borzage fait au christianisme de Man's fin la A i" ff*ii" a'une liîtérale profanation' et Trina Bill ô;;;i;,';;rrme l'a bien noté John Belton' à""r la o crèche, d'un wagon -à -b.e;t!tux' ;;;;; u' P-u"' uttàrJuttt la naissance de leur enfant pour Noël cambreau (Ian Hunî;;;;s" ô;sr, I" p"ttolnas: dephysique moral de ,..i â"i ."rîa'potltiUle le ülut(Joan crawford)' ^et est une îËiirJlèr"tr ôâur"l et de Julie Puis.ii".ài""iion du éhrirt. La Legion of DecencYl condamna catholique' ;;;;;Iigu" de vertu d'inspiration des Sainle film pour son u utilisaiion irrévérencieuse de libidineuses u implic-ations tes Ecritures » et d;;Èt 7 sàn dialogue et dè ses situations "' et le spirituel Ce refus d. aitti"g;"t trrt" le matériel de gu-escènes les est Darticulièremeni manifeste dans rhe Dans Borzase' de Farrell Ciarles sur River,Mary prr.t.",, se couth" nue DollLiLi i.'.Zlr,.,rn"i dà même que dans Chinasimultané"àlî "Ë;t;;;;;Vi;a;. Mature en le guérissant ment de son attaque de malaria' Dàns DisputedPassoge' ..r"".tte, il n y a pas de rapport physique entre Be.aLamour)'.mais' ", ven (John Uowu.d; Ët Audreÿ (Dorothy miracuguérison la je l'ai noté; la séquence.de avec manière' "àÀ*. même fil-é. exactement de la leuse sera.dans le qu'elle "ri *o,rr.à""ts de caméra' les mêmes srgnrncaChina Dotl ;elle a donc exactement la même
;iJ"fËi;;;ill;; l.i rit*'
u-n rôle également ti;;. De fuçor, comparable, tableaux' l'un sacré « rédempteur » est dévoiu à deux a posé Janet Gaynor
une Sainte Vierge pour laquelle un nu dans un Dorprofane (Street Angel) -,l'autre del (A Farewell to Arms)' scène semblable 6. John Belton, Frank Borzage' 2' 9-7 ' Une (1937)' l-ang de o.ice Live o"ry i"i rinî.Ëiâ'àunà 1 . Cite Par John Belton' P' t4J'
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On pourrait donc conclure que, pour Borzage, le mélodrame représente non seulement une esthé1ique pleinement satisfaisante, mais aussi une man,ière de religion qui se suffit à soi-même: les valeurs humaines
et surnaturelles sont indiscernables. A la fin de ses films, Borzage a recours soit au hrppy e_nding miraculeux, soit au procédé que;. p.opor.iâi, d'appeler de .. mort et transfiguration , , ,.. fiï mal" heureuse " selon la convention du réalisme, mais que Borzage sublime spontanément, naturellement, püisque, à la limite, il ne distingue pas entre la vie et l,aprèsvie. On trouve la fin miraculeuse dans Seventh Heàven, et aussi dans Street Angel, The River, Secrets, Man's Caitle, Little Man, What Now ?, History Is Made at Night, Disputed Passage, Strange Cargo j la « mqrt et transfiguration ,, dans Three Comrades (on voit Margaret Sullavan et les u 11qi5 camarades » marcher de frônt vers les spectateurs; mais deux de ces quatre personnages sont des fantômes), dans The Mortal Storm-(là.rr"oré, Freya
[Margaret Sullavan] meurt, victime de la barbaiie nazie; cette mort est accompagnée sur la bande-son par le bruit de cloches, symbole à la fois de mort et de résurrection), dans China Doll où les amants meurent, mais .. survivent » oll « revivent , dans leur enfant qu,on voit, grandie, dans l'épilogue du film. La transcendance ultime, dans l,æuvre de Borzage, peut donc être la mort, désignée par le motif des Jl,oches, et aussi par le blanc, couleur de la pureté virginale, mais aussi de l'absence, couleur médiévale àu deuil. Ainsi, à la fin de A Farewell to Arms, Catherine (Helen Hayes) fait, sur son lit d,hôpital, sa toilette de mourante, déjà de morte, tandis que se mêlent la musi_ que de Wagner et les sonneries de cloches. C,est l'armistice. Morte, Frederick (Gary Cooper) la soulève, le drap de lit se déroulant en unelraîne majestueuse s. 8.. Dans.l'iconographie borzagienne revient avec insistance le motrt qg l'homme portant la femme dans A Farewell to - morte (mais Arms, The Mortal Stonn, China Doll ;vivante il s,agit d,un
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Sur l'écran apparaissent les colombes de la paix et des cimetières, fài* de l'armistice, mais aussi paix éternelle. On retrouve des images finales " llançhss » au terme de Man's Castle, avec Ia robe de mariée de Loretta Young, et de The Mortal Storm, avec le linceul symbolique dà ta neige qui recouvre les empreintes des pas' ' Porr. Borzage,la fin du mélodrame ne saurait donc être que le miracle ou la mort; c'est que, comme- en ie*oigr"rt ses déclarations à Peter Milne, il identifiait le mélodrame à la vie même :
Quant au mélodrame, je crois que c'est une foàe de divertissement qui a été énormément calomniée. Certes, le vieux mélodrame, ce qu'on àéiig""it péjorativement comme le " m-elo pour midinettei,, n'avait guère de mérite en dehors de
son aptitude'à suscitei des sensations fortes' 9' t'y ceux ;;üia pas d" véritables personnages, sauf La situaoui émanaient des situations elles-mêmes' conformément à la règle ü;;-;;à;ii1" p.ttor.,age, -les films d'aujourd'hui' â" gà"i". Mâis, dans -on trou-ve les situations mélodramatiques d'autretots' dans lesquelles on a placé d'authentiqnes person;æ;t.iô critiques ont tendance à les décrier' à les
juger
't,rlfai.et. Ils ne semblent pas voir que la vie est
Les situations quotidiennement présentent iét plr" âut t lu vie' LisËz le journal, parlez avec vos amis' et vous verrez si ie n"'ai pas iaison' La coïncidence pt"fifÈ." a.rs iu vie dô chacun' Et pourtar.rt' lorsvéridiques sont portées à l'!crar1, â""."t situations sous prétexte qu'elles 5en[ « ctu parfois, rit o, "t ". mélo S'il en est ainsi, c'est la vie elle-même qui est
partie de mélodrame' i;ilË;" grande "gtotesqïes se
miraculeu;ç » après que le héros a tenté d'étranrapprochera' ici encore' ;i"J.'f^'i;;fr.1 àâ". Street aigeL (in [u"g le finaie de You Only Live Once' hanov endins
"t
u
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Genre et a.uteurs
une plaisanterie; certains humoristes le croient,
mais tel n'est pas mon cas
e.
JonN M. Sranr-
Il est arrivé à John M. Stahl d,avoir recours aux mêmes sources (typiquement mélodramatiques) que Frank Borzage : c'est ainsi qu,il a porté à l,écràn f.u"nie Hurst (Back Street,Imitation of Life)et Lloyd C. Douglas (Magnificent Obsessionl. Son ouvrage le ilus littéràire est sans doute The Keys of the Kingâom, àdaptation du best-seller d'A.J. Cronin ; ce n,est pàs, parmi làs films de Stahl, l'un des plus mélodramatiques. Comme le note Yann Tobin, son æuvre muette, qui abonde en mélodrames, nous est malheureu..-àt inaccessible. J'ai cependant pu voir Her Code of Honor (1919), qui permet de s'en faire une idée: éertains aspects du scénario (la double vie du héros, partagé entre sa maîtresse américaine et sa femme légitime) annoncent clairement Back Street, de même quJle scenario de Suspicious Wives (lg2l) évoque tout à fait une première version de Magnificent Obsession, avec interversion des rôles: « Le héros tombe aveugle à la suite d'un accident de voiture dont la femme fait indi_ "r, se faire rectement responsable, Elle le soigne"ri sans reconnaître r0. » Le corpus mélodramatique stahlien se réduit donc, pour l'essentiel, à cinq filÂs des annéàs trente (Back Street, Only yesterday, Imitation of Life, Magnificent Obsession, When Tornorrow Comesl ei i deux æuvres des années quarante, Leave Her to Heaven Peter Milne, u Some words from Frank Borzage »,in Motion -.9. Directing: The Picture Facts and Theoriei York: Fatk, te.î2, p _l^l-6-_llt i;à.-;ô;;lques "flh; N;;";ü;;;ï;ï mots de Frank positï, }Jo-r?ëg n" Lg3._194, juill._août 1g76, p. 2_5. ", 10. Yann Tobin, uprésentaiion de John UISi"tt (de Back ^ Street à Leave Her to Heaven) positil, ilO-iïï,j;iil._r;;;
1979,p.100, 104.
",
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et The Foxes of Harrow. Corpus réduit en nombre et dans le temps, mais, à l'évidente exception près de Leave Her to Heaven, fort cohérent. Quels sont les caractères communs de ces films ? Tout d'abord, une appartenance explicite, non dissimulée, au genre mélodramatique : à cet égard, Stahl ne se distingue pas de Borzage. En revanche, l'aspiration à la spiritualité, constante chez Borzage, n'apparaît chez Stahl que de manière intermittente: dans The Keys of the Kingdom, -bien sûr, qui est l'histoire d'un missionnaire catholique en Chine ;dans Magnificent Obsession, adaptation de Lloyd C. Douglas exprimant les croyances syncrétiques et quelque peu illuminées de cet êcrivain, et que l'on peut à bon droit comparer au Disputed Pas' sage de Borzage d'après le même auteur ; enfin, dans When Tomorrow Comes, lorsque l'automobile dans laquelle Philip Durand (Charles Boyer) raccompagne Helen (Irene Dunne) est bloquée par l'ouragan, et que le couple se réfugie dans une église déserte: Helen prie; menacé par l'inondation, le couple monte à la tribune, où Philip (pianiste célèbre) joue de l'harmonium ; le dialogue fait alors allusion au Déluge et à la fin du monde. (En même temps qu'à Borzage, on pense ici à McCarey, dont Love Af'fair est interptétêe,la même année, par les mêmes acteurs, et inclut une scène située dans une chapelle.) Mais ce qui fait le propre des films de Stahl, c'est d'abord leur style : un lyrisme retenu, qui reste en deçà de l'émotion, laissant celle-ci se dégager, spontanément et comme par implication, des situations dépeintes, des personnages évoqués. Là encore, cette esthétique qui a recours à la litote (et qui nous éloigne de Borzage) rapproche Stahl de McCarey (dans Make Way lor Tomorrow,l'émotion vient de la u neutralité , apparente de McCarey, et du fait que les personnages s'efforcent, par pudeur, de dissimuler leurs sentiments; on retrouve cette même caractéristique dans Love A'f-fair etAn Affair to Remember). Cela constitue, me semble-t-il, une indication précieuse du fait que Stahl ne s'identifie pas au
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mélodrame à la manière de Borzage: pour que le mélodrame puisse u jouer ", Stahl juge nécessaire de prendre à son égard un (léger) recul, d'observer une (relative) froideur. Le choix d'Irene Dunne, interprète assez peu expressive, va d'ailleurs dans le même sens, ainsi que Yann Tobin le note en esquissant une comparaison entre la version de Back Street par Stahl (avec Irene Dunne) et celle de Robert Stevenson (avec Margaret Sullavan):
dans la première version, Irene Dunne, retardée par les affaires de cæur de sa sæur, se retrouve seule dans le parc que Walter et sa mère viennent de quitter ;la caméra centrée sur elle s'éloigne soudain en un inoubliable travelling arrière jusqu'à ce qu'elle se perde dans la foule: Ray, en quelque sorte, s'apprête à retomber dans l'anonymat. Dans le remake, Sullavan manque, cette fois à cause d'un prétendant jaloux, le bateau qui emporte Boyer hors de sa vie: pendant qu'il vogue vers l'horizon, la caméra s'attarde ici en gros plan sur le visage de l'actrice cette Ray-là se prépare à devenir sublimerr.-
En dehors de ce style retenu, qui affecte i'irrdifference, l'objectivité, ce qui distingue Stahl, c'est la manière aiguë dont il perçoit le rôle des conventions et des conflits d'essence sociale. Borzage n'est nullement un auteur indifférent aux problèmes sociaux, et tout particulièrement à la Dépression et au chômage ; mais il se contente de voir dans le social une variante (non spécifique) de la fatalité. Stahl, inversement, a tendance à voir dans le destin le déguisement du déterminisme social. Où Borzage, d'ailleurs débordant de sympathie pour les humbles, les marginaux, semble souscrire à une sorte d'anarchisme poétique (notamment dans Man's Castle), Stahl s'intéresse de près au fonctionne-
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Yann Tobin, p. 102.
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ment même du déterminisme social. Dans Back Street, il indique - discrètement, mais nettement - d'une part, que le véritable obstacle au bonheur des protagonistes réside dans leur différence de classe sociale, et non dans la péripétie d'un rendez-vous manqué; d'autre part, que la société grande bourgeoise que défend et illustre Walter Saxel est foncièrement, cruellement antiféministe. En d'autres termes, ce n'est pas vraiment, contrairement à Botzage, un metteur en scène romantique ;à la retenue de son style correspond un relatif scepticisme à l'égard des valeurs les plus affirmées du mélodrame (en l'occurrence, l'amour qui se jouerait des obstacles placés sur son chemin par un destin aveugle). Il en va de même dans Only Yesterday, dont l'argument annonce de fort près Letter from an Unknown Womand'Ophuls. John Boles (c'est le même acteur que dans Back Steet), ruiné par le krach de 1929, s'apprête à mettre fin à ses jours, lorsqu'il reçoit une « lettre une femme qu'il a aimée et oubliée d'une inconnue » à deux reprises, -et qui, dans l'ombre, lui est restée fidèle. Comme dans le film d'Ophuls, l'interprète féminine, sincère, sentimentale, passionnée (ici Margaret Sullavan), fait avec l'acteur un contraste saisissant, ce qui contribue à l'effet féministe de l'æuvre, mais permet aussi, momentanément, d'oublier la sottise d'une telle héroïne s'amourachant d'un tel homme... Très subtilement, tout en réalisant un mélodrame fidèle à tous les canons du genre (thématiquement: la femme victime; narrativement: la construction circulaire ; stylistiquement : l'interprétation de Margaret Sullavan), Stahl critique non seulement son héros masculin, coupable de double moralité et d'insensibilité, mais aussi son héroine, dont l'admirable fidélité paraît s'être trompée d'objet. L'intérêt de Stahl pour les mécanismes sociaux est à nouveau en évidence dans Imitation of Life, qui traite à la fois le thème de l'ascension sociale, la question du racisme et, derechef, celle du féminisme : dans un
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monde d'hommes, deux héroïhes (Claudette Colbert et la Noire Louise Beavers), deux veuves, trouvent ensemble le chemin de la prospérité économique; mais la Noire est subtilement et comme inrlocemment exploitée -par la Blanche, et son admirable amour maternel n'empêche nullement la révolte de sa fille, qui veut être considérée comme blanche, et rejette l'identité qui la condamne à une citoyenneté de seconde zoîe. Dans When Tomorrow Comes, une idylle est, une nouvelle fois, rendue impossible par l'existence d'une femme légitime (et folle) certes, mais aussi par la différence sociale entre le grand pianiste et la serveuse. On assiste à une grève des serveuses, et Irene Dunne y expose à Charles Boyer un bref apologue: comme ils rencontrent deux enfants dont l'un pousse l'aùtre, dans une petite voiture, et que celui qui est « conduit , se plaint eue « le moteur est poussif ", elle lui déclare : .. C'est une image du capital et du travail. " gotit pour [,es thèmes caractéristiques de Stahl l'analyse du fonctionnement social, féminisme retrouvent dans The Foxes of Harrow,' mais le cadre exotique et l'époque lointaine (la Louisiane au début du xrx'siècle) diminuent la portée du film par rapport aux précédents mélodrames de Stahl. Il faut, en revanche, s'arrêter sur le cas extraordinaire de Leave Her to Heaÿen. L'originalité stylistique de Leave Her to Heaven, et notamment son utilisation de la couleur, est incontestable; pourtant, Stahl ne s'y départ pas de son habituelle distance, de son objectivité, voire de sa froideur, qui contraste, ici encore, avec la violence des sentiments mis en scène. C'est sans prendre ouvertement parti que Stahl dépeint la conduite scandaleuse de son héroihe (Ellen: Gene Tierney), poussée tour à tour au meurtre, à l'avortement et à un suicide qu'elle maquille en assassinat, par l'amour possessif, exclusif, qu'elle voue à son mari Richard (Cornel Wilde). La singularité du film, et sa place unique dans l'æuvre, viennent aussi de ce qu'au ressort social, Stahl a substitué le ressort
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psychanalytique. La passion d'Ellen poul Richard s'explique en effet par la ressemblance de celui-ci avec le père de la jeune femme : il s'agit donc d'un inceste transféré. Sans doute le recours à la psychanalyse constitue-t-il un signe des temps. On fera aussi la part de ce qui, selon toute apparence, revient au best-seller de Ben Ames Williams: la même année (1945), Edgar G. Ulmer réa-
lise, d'après un autre roman du même antour, The Strange Woman, portrait d'une femme à la passion également excessive, qu'interprète Hedy Lamarr. A sa manière criminelle et dévoyée, la révolte d'Ellen n'en témoigne pas moins du féminisme persistant de Stahl.
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Minnelli a essentiellement æuvré dans trois genres: le musical, la comédie et le mélodrame, qu'il a illustrés par un nombre de films sensiblement égal. Très schématiquement, on pourrait considérer que la majorité
musicals, de Cabin in the Sfty à On a Clear Day You Can See Forever, représentent la part du rêve, et la plupart des drames ou mélodrames, de ïJndercurrent àThe Sandpiper, celle de la réalité, tandis que les comédies se répartissent des deux cÔtés, soit contes de fées (The Cfock, The Courtship of Eddie's Father, A Matter of Time),soit réalistes en même temps que cauchemardes(Father of the Bride, The Long Long Trailer). ques Ainsi voit-on s'esquisser une organisation des genres pratiqués par Minnelli, et de leurs fonctions respectives. Mais les notions de " rêve » et de " réalité » restent très générales, et il se pourrait qu'elles fussent caractéristiques des genres eux-mêmes plus que du metteur en scènê. Ce qui paraît plus proprement minnellien, c'est la fréquenôe de véritables ruptures de ton et de style, non sèulement d'un film à l'autre, mais à l'intérieur même des films. des
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Les genres, chez Minnelli, existent rarement à l'état pur: ils semblent toujours aspirer au statut d'un autre
genre. J'ai déjà noté la dette évidente du mélodrame minnellien envers la comédie musicale (voir en particulier le finale de Some Came Running);j'emprunte un exemple symétrique au premier film réalisé « en solo », par Minnell| Cabin in the Sky Q9al, qui appartient à un genre, et même à un sous-genre (la comédie musicale mettant en scène des Noirs " na'r'fs u) des plus conventionnels r2. Vers la fin du récit, on passe brusquement du rêve au cauchemar. Au bar-dancing du Paradise (ainsi désigné par antinomie), une tornade éclate soudain, le plafond s'effondre, deux personnages sont tués; Georgia Brown (Lena Horne), la femme fatale qui, sophistiquée et le sourire éclatant, annonce le type qu'incarnera Cyd Charisse dans Two Weeks in Another Town (et qui porte, comme GinnyMoorhead dans Soze Came Running, une fleur dans les cheveux), a une crise d'hystérie. Tout se calme bientôt, mais il n'en reste pas moins qu'on a assisté à une irruption arbitraire du mélodramatique, qui peut à bon droit étonner dans un film de ce genre. La même remarque s'applique à Meet Me in St. Louis (1944), film lui aussi nettement situé du côté du rêve, mais qui, pendant un bref instant, devient cauchemar au moins pour un des personnages, la petite « Tootie » (Margaret O'Brien). L'écran se peuple des sorcières de Halloween et, comme dans Cabin in the Sfty, il n'y a là nulle distanciation, le spectateur doit partager l'effroi de la fillette, et se croire un moment en présence d'un film d'horreur 13. Le passage du rêve au cauchemar se
12. Avant de réaliser Cabin in the Sky, Minnelli avait mis en scène des numéros musicaux dans pluiieurs films, notamment
Strikg Up the Band et Babes on Brôadway de Busby Berkeley
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trouve encore brièvement dans le musical Brigadoon (1954) ; on assiste à une poursuite effrénée à travers la forêt,.le village enchanté étant menacé de mort par la désertion d'un de ses habitants. L'atmosphère annonce alors très précisément celle de Home from the Hil-|, mélodramé qui utilise la chasse comme métaphore de la virilité; ei le geste de Jeff Douglas (Van Johnson) buvant du whisky dans sa flasque, avant de tuer (quoique accidentellement) le jeune homme, sera repris textuellement par Raymond, le tueur de Some Came Runainii d'ailleurs que par Kyle Hadley (Robert ning Stack) dans Written on the Wind de Sirk. Mentionnons encore le procédé fort inhabituel qui donne à des comédies la forme fatidique du flash-back: Father of the Bride (1950) s'ouvre sur le spectacle d'un cataclysme et une allusion de Spencer Tracy au « caychemàr » qu'il vient de vivre; The Long Long Trailer (1954), sur un mariage en train de se défaire. Minnelli a donné à ces deux titres une structure dramatique qui, caractéristique du thriller ou du mélodrame, constitue un bon exemple de forme entrant en conflit avec le contenu explicite de l'æuvre. (A la même époque, Cukor utilisè un procédé semblable dans sa comédie dramatique The Marrying Kind.) Dans lês mélodrames de Minnelli, comme symétri' quement, certains procédés stylistiques, voire des ,iéq,r"t."t entières, semblent exprimer une nostalgie de la comédie musicale. On se souvient que, dès The Bad and the Beautiful, Minnelli disait avoir " chorégraphié ,, réglé comme un ballet, la séquence où Georgia i-orrison (I-.ru Turner), en proie au désarroi, car elle a surpris en compagnie d'une autre femme l'homme qui lance dans une folle course en prétendait ^voiture, l'aimer, se sous la pluiera. Séquence reprise dans Two Weeks in Another Town, où l'on note d'autres éléments qui renvoient à la comédie musicale, qu'il s'agisse du
(1940-1941).
13. Une atmosphère semblable règne dans
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Mademoiselle,
(épisode deThe Story of Three Loves,1953), avec la visite du petit garçon à Ia sorcière.
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14. The Celluloid Muse, P' 204.
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montage métaphorique de la fontaine de Trevi (avec son écho des fontaines de la Concorde, sur lesquelles s'ouvrait An American in Paris et qu'on revoyait dans Gigi) ou des images de dolce vita,baignées d'éclairages o infernaux » : comme le finale de Some Came Running, auquel elles s'apparentent, comme certaines scènes similaires dans l'Imitation de Sirk, elles transposent dans le mélodrame la frénésie bigarrée du musical. Ailleurs, le mélodrame minnellien appelle la même référence à la comédie musicale, mais sans la violence orgiaque de Some Came Running. En particulier, la tonalité picturale de Tea and Sympathy rapproche cette æuvre de Brigadoon ;les amants sont unis dans le cadre d'une forêt automnale, rousse comme Deborah Kerr. Tea and Sympathy contient d'ailleurs, à l'instar de The Bad and the Beautiful, une remarquable séquence de pure chorégraphie, où l'on voit John Kerr et son ami pataud imiter chacun la façon de marcher de l'autre. Dans l'æuvre de Minnelli, juqu'aux incohérences thématiques et stylistiques sont donc disposées selon un ordre cohérent. Certes, comme le prouve son échec à faire æuvre personnelle en dehors du cadre de la MGM, il n'a pas véritablement dépassé les limites du système : il s'est contenté de les explorer de l'intérieur. Mais il a montré que l'auteur peut, sans les enfreindre, plier les conventions du genre à des fins d'expression personnelle. Minnelli ne conteste pas le bien-fondé de la thé. matique mélodramatique, ou de la rhétorique du rnusical, mais il combine ces deux éléments d'une manière originale. Au fil de sa carrière, il a d'abord signé des comédies qui aspiraient au statut de films dramatiques, puis, de façon croissante, des mélodrames, mais où fait retour le refoulé du musical: la couleur et la danse. En ce sens, son rapport au mélodrame, mêlé d'identification et de distance, évoque celui de Douglas Sirk; mais ce que Minnelli semble avoir réalisé d'une manière purement intuitive est, chez Sirk, le produit d'une démarche intellectuelle délibérée.
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La relation de Sirk au mélodrame est à la fois privilé-
giée et complexe. Cette complexité est intrinsèque, mais elle tient aussi à la longue carrière du metteur en scène, qu'ont marquée des phases assez profondément distinctàs. En outre, l'æuvre a bénéficié d'un éclairage unique, d'un commentaire qu'on pourrait dire autorisé, puisque Sirk lui-même, depuis sa retraite des studios, i'est expliqué, de manière lucide et argumentée, sur ses conceptiot s esthétiques, et notamment sur son intérêt pour le mélodramers. En schématisant légèrement, on peut résumer comme suit les diverses phases de la carrière : en Allemagne,1920'1935 ; - théâtre cinéma en Allemagne (UFA), 1934-1937 ; - cinéma aux États-Unis (notamment productions 194l-1950 ; indépendantes), cinéma aux Étarc-Unis (Universal-International),
-1950-1959; en Allemagne, 1963-1969; - théâtre cinéma en Allemagne (trois courts métrages pro- par l'École des Hautes Études cinématographiduits ques de Munich), 1975-1978' La pratique du mélodrame par Sirk caractérise non pas vraimênt l'ensemble de cette carrière, mais la period. cinématographique allemande (avec Schlussàkkord, La Habànera et Zu Neuen \Jfern), et la deuxième période américaine, au studio Universal, 15. Pour une présentation détaillée de I'ensemble de l'æuvre,
i. -" oei-"ts àe renvover à mon Douglas Sirft, Edilig, 1984' L'entrétien fondamental- est le Sirk on Sirft de Jon Halliday
(1g72\. Des extraits substantiels en figurent dans mon ouvrage' àont ia bibliographie recense divers autres entretiens avec le metteur en scène.
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avec successivement All I Desire, Magnificent Obsession, All That Heaven Allows, There's Always Tomorrow, Battle Hymn, Written on the Wind, Interlude, The Tarnished Angels, A Time to Love and a Time to Die, et Imitation of Life. Des mélodrames allemands de Sirk, on pourrait répéter ce qu'on a dit de leurs contemporains, les mélodrames américains de Stahl : si leur appartenance au genre est affirmée avec force et clarté par leurs thèmes et leur structure narrative, on décèle dans leur style à côté d'éléments qui sont, eux aussi, ouvertement -mélodramatiques, comme l'utilisation de la musique e[ des chansons une certaine retenue, une certaine distance entre- l'auteur et son matériau. Sirk est plus pro. che, dès cette époque, de Stahl que de Borzage. On note, d'autre part, qu'un thème prémonitoire - films, celui de? revient avec insistance dans ces -l'opposition entre l'Europe et le Nouveau Monde : Allemagne vs. New York dans Schlussakkord, Suède vs. Porto Rico dans La Habanera, Angleterre vs. Australie dans Zu Neuen lJfern, dont le titre signifie .. Vers de nouveaux rivages ,. Cette opposition géographique exprime en même temps une opposition sociale: dans Schlussakkord,l'exil en Amérique équivaut à un déclassement ; dans La Habanera, l'aristocratie portoricaine est un trompe-l'æil ; dans Zu Neuen Ufern,l'hypocrisie de la caste britannique contraste avec la société des pionniers australiens Mais l'essentiel du corpus mélodramatique sirkien est donc bien constitué par les films Universal, dont l'ensemble nombreux n'en est pas moins, thématiquement et stylistiquement, cohérent et structuré. Cohérence due, en particulier, à l'existence d'une équipe comprenant le plus souvent aux côtés de Sirk et du producteur Ross Hunter - le photographe Russell - Skinner, les décorateurs Metty, le compositeur Frank Alexander Golitzen et Russell A. Gausman. De longue date, ces derniers s'étaient distingués dans la couleur, recevant un oscar pour The Phantom ol the Opera
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d'Arthur Lubin (1943), ainsi que dans le décor européen (par exemple, pour Letter from an Unknown Woman d'Ophuls).
En outre, quatre des mélodrames de Sirk sont des remakes de films précédemment produits par Universal: il s'agit de Magnificent Obsession (1954), d'après Stahl (1935); de There's Always Tomorrow (1956), d'après l'ouvrage du même titre (également intitulé foo Laie for Love), d'Edward Sloman (1934) | d'Interlude (1957), d'après When Tomorrow Comes de Stahl (1939) ; et, enfin, d'Imitation of Life (1959), aussi d'après Stahl (1934). Or, Sirk n'a pas eu connaissance des films de Stahl. Selon le témoignage de Jon Halliday, Sirk ne savait rien de Stahl lorsqu'on lui demanda de faire Magnificent Obsession'.. ll n'a jamais vu Magnificent Obsession ni When Tomorrow Comes ; il avu Imitation of Life après avoir terminé sa version à lui. La seule influence est indirecte : le studio utilisant ses anciennes adaptations, et Sirk les recevant sous forme de traitements des anciens scénarios 16. Encore qu'on ne puisse tout à fait écarter la part de la coincidence (e l'ai signalé, une certaine parenté semble exister entre les films de Stahl et ceux de Sirk dès les années trente), il faut aussi voir là l'empreinte du studio en tant que coauteur. Cela ne signifie nullement que les mélodrames de Sirk soient de simples résurgences des æuvres de Stahl, bien au contraire. Leur caractère unique vient précisément de ce qu'ils ont été mis en scène par un grand artiste, doublé d'un intellectuel européen, qu'habitait, de longue date, la passion de l'Amérique, de sa littérature, mais aussi de sa culture populaire, de son cinéma, et tout particulièrement du mélodrame. En même temps, Sirk n'a jamais tout à fait cessé d'être un intel16. Lettre de Jon Halliday à l'auteur,
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1970.
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lectuel européen, il ne s'est pas départi de sa propre culture et de sa lucidité. D'où une attitude ambivalente à l'égard du genre, un mélange d'adhésion et de distance (mais une distance intellectuelle, et non pas, comme chez Minnelli, esthétique), un agnosticisme qui aurait la nostalgie de la foi. Encouragée par les déclarations de Sirk, une lecture attentive des mélodrames Universal a permis d'y relever, sous l'excès même de formes rutilantes, des éléments implicitement ironiques. On l'a vu à propos du hoppy ending, que Sirk compare an deus ex machina des classiques. Cette ironie réelle pas être - on - ne doit exagérée. En premier lieu, qu'elle appaobservera raît davantage dans les remakes, notamm ent Magnificent Obsession ou Imitation of Life, que dans, par exemple, All That Heaven Allows, pourtant pur produit du studio Universal et de l'équipe Ross Hunter. Le ressort pathétique, d'autre part, n'a pas disparu: Margot, et bien d'autres avec elle, pleure aux mélodrames de Douglas Sirk. Il se pourrait enfin que le o recul » pris par rapport au matériau mélodramatique, plus sensible chez le Sirk des années cinquante que chez le Stahl des années trente (où ce recul existait d'ores et déjà), reflète l'évolution même du genre dans son ensemble, ou du moins coïncide avec celle-ci.
Cinquième Partie
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Si le système des genres opère, sans nul doute, dès l'époque du cinéma muet, il ne se constitue dans sa phàse classique qu'après l'avènement du parlant' Cela èst compréhensible : comme je l'ai rappelé en- citant Thomas Elsaesser, le cinéma muet faisait, pour des rai' sons structurales, la part excessivement belle au mélodrame, et seul le " fonctionnalisme " du parlant a pu rendre prégnante une opposition entre le drame réaliste et lè m?lodrame. Sur ce point, je me rapproche de la théorie d'Alain en dépit de certaines réserves parlant. L'esthétique au muet du Masson sur le Passage plus symbolistà que fonctionnelle du muet privilégiait inconiestablement le mélodrame ; le fonctionnalisme du parlant a d'abord suscité une production nombreuse de èomédies et de films d'action (les films de gangsters en particulier) situés dans un cadre réaliste, et où le mélodramatique pouvait certes subsister, mais au niveau du scénariô plutôt que du style. C'est donc, de manière paradoxale mais logique, l'avènement du parlant qui, ân ôtant son caractère mélodramatique à une g."nd" partie de la production hollywoodienne, a per*it tu riaissance du mélodrame comme genre cinéma' tographique parmi d'autres; c'est, en quelque sorte,
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l'avènement du parlant qui a permis de passer, sans ambiguï'té, du mélodramatique « connoté ,àu mélodramatique « dénoté » pâr le scénario, les thèmes, les figures de style. Cela ne signifie pas que les grands mélodrames des années trente soient stylistiquement homogènes. Le formalisme caractéristique du genre est, le plus souvent, tempéré par divers éléments réalistes propres à l,époque. J'ai déjà évoqué les cas contrastés - de Borzage et de Stahl. De même, je -noterai que d,importantés nuances séparent Broken Lullaby de Lubitsch, à la rhétorique affirmée, à l'esthétique plongeant ses racines dans le muet, et des æuvres marquées par un ton familier, délibérément prosaiQue, qui participent de l,esthétique réaliste alors dominante, comme One Way passage de Tay Garnett, ou encore In Name Only et Made for Each Other de John Cromwell. La remarque vaut aussi pour les stars féminines, alors si étroitement associées au genre. Greta Garbo exprime, pour reprendre la juste expression de panofsky, « une sorte de nostalgie du muet ,. Si elle est rendue admirablement humaine, et comme familière, par Cukor dans Camille, elle demeure pourtant la Divine , une diva, un monstre sacré, en même temps qu'une étrangère à l'AmériqueI. Il en va de même de Marlene Diétrich, sous la direction de Sternberg. Elle a beau se faire l'interprète, dans Blonde Venus, d'une mère aimante, son personnage incarne d'abord une survivance : celle d'un art à l'extrême raffinement visuel et d'un exotisme qui sont devenus également insolites. En effet, ces cas sont désormais isolés. Dans leur très grande majorité, les autres actrices caractéristiques du genre, même lorsqu'elles empruntent certains traits de leur jeu à l'hiératisme de Greta Garbo ou de Marlene
l. Le surnom de Greta Garbo remonte au film de Victor SeastromThe Divine Woman (1928;d'après la pièce de Gladvs Unser Starlight), aujourd'hui considéré c'omme perdu, et oùi;aciricË incarnait une « star théâtrale qui évoqud Sarah Bernhardt. "
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Dietrich, sont maintenant américaines. Citons Joan Crawford (notamment sous la direction de Borzage), Kay Francis (One Way Passage, In Name Only), Margaret Sullavan (chez Borzage et Stahl, et aussi dans le remake de Back Street par Stevenson). L'énergie de Barbara Stanwyck, qui n'exclut pas la stylisation, est tout américaine (Ladies of Leisure et Forbidden, de Capra ; Stella Dallas, de Vidor) ; cela est encore plus net chez Bette Davis (dans Dangerous d'Alfred E. Green, Jezebel de Wyler, The Sisters de Litvak, Dark Victory et The Old Maid de Goulding). On est frappé, en outre, par le nombre d'actrices qui se sont illustrées dans la comédie aussi bien que dans le mélodrame : Irene Dunne (chez Stahl ; chez La Cava : Symphony of Six Million; chez McCarey: Love Af'fair), Claudette Colbert (Imitation of Li'fe de Stahl;, Carole Lombard (ln Name Only, Made for Each Other), Katharine Hepburn (par exemple, dans Christopher Strong de Dorothy Arzner), Ginger Rogers (Kitty Foyle de Sam Wood). Chez celles-ci, le « naturel , triomphe. A la fin de la période considérée, de nouvelles inter-
prètes font leur apparition, venues de Suède (Ingrid Bergman dans Intermezzo de Ratoff) ou d'Angleterre (Vivien Leigh dans Gone with the Wind, que ses dimensions .. épiques » situent en marge du genre, et dans Waterloo Bridge de Le Roy).Mais on ne saurait les qualifier d'exotiques.
Lrs INNÉps
QUARANTE
: MÉLoDRAME ET " FILM NoIR"
J'ai cité quelques titres du début des années quarante, mais c'est qu'ils appartiennent, stylistiquement, à la décennie précédente, même si une évolution est déjà décelable, une accentuation, au fur et à mesure qu'on s'éloigne de la naissance du parlant, des valeurs romantiques au détriment du réalisme, un recours plus
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appuyé à la musique, une sorte de retodr au style « opératique " du muet, sensible dans Waterloo Bridge, ot), comme le note Yann Tobin, dans le remake de Back Street par Robert Stevenson 2.
Mais une évolution beaucoup plus fondamentale se dessine pendant les années quarante, sous l'influence combinée de facteurs extérieurs et de facteurs propres à l'histoire du cinéma, et affecte non seulement le mélodrame, mais I'ensemble de la production hollywoodienne et du système des genres : il s'agit de l'apparition ds " film noir, ou thriller, eü'on peut définir succinc-
tement comme une série de films à l'intrigue criminelle, à l'atmosphère fataliste, aux décors souvent oppressants et aux éclairages vivement contrastés, qui transpose voire néo-expressionnistes - une série contemporaine les dans le cadre réaliste de l'Amérique schémas formels de l'Allemagne des années vingt. Facteurs extérieurs : dès avant l'entrée des États-Unis dans le conflit, la guerre mobilise les énergies contre le nazisme et suscite la production d'ouvrages de propagande, qui constituent un des composants fondamentaux du film noir. Les maîtres de ce sous-genre sont Fritz Lang (Manhunt, Hangmen Also Die, Ministry of Fear) etAlfred Hitchcock (Foreign Correspondent, Saboteur, Notorious.) Facteurs internes : comme l'a noté Thomas Elsaesser, les années quarante marquent, après la tyrannie de la parole, un retour à des préoccupations plus spécifiquement formelles; on renoue avec les recherches esthétiques qui avaient occupé la fin du muet, et ce souci du style, lié à des innovations techniques comme la profoni
2. Yann Tobin : « Autant le style de Stahl est sobre, retenu, aidé en cela par Ia photographie " brute " du grand Karl Freund et l'absence quasi totale de partition musicale, autant le film de Stevenson est romantique et baroque (au sens hollywoodien)... Tout participe dans ce dernier film, y compris la direction d'acteurs et les modifications notables du scénario, à la même volonté de surenchère dans le " glamour " aux dépens du réalisme social... , u Présentation de John M. Stahl ", p. l0l.
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deur de champ, fait renaître l'intérêt pour les mouvements de caméra complexes, pour les angles de prise de vue inhabituels, bref pour une rhétorique qui rappelle non seulement le muet en général, mais plus particulièrement les recherches de l'expressionnisme allemand dans'les années vingt 3. Ce nouvel esthétisme est notamment exprimé par Citizen Kane d'Orson Welles (1941), qui n'est, à proprement parler, ni un mélodrame ni un " film n6i1», mâis qui partage avec ces deux genres divers éléments thématiques, narratifs et stylistiques, et qui aura sur eux une influence très nette, dont Ruthless d'Ulmer ou C aught d'Ophuls témoignent éloquemment. Il existe, entre les facteurs extérieurs et ceux qui concernent l'évolution propre du cinéma, une réelle convergence. En effet, si des metteurs en scène et des notamment allemands acteurs européens - età Hollywood dès l'époque du étaient venus nombreux muet (citons Lubitsch, Pola Negri, Emil Jannings...), ce mouvement s'amplifia, en réaction au nazisme, d'abord pendant les années trente (avec l'émigration de nombreux Juifs et d'autres Allemands antinazis), puis à la suite des victoires hitlériennes (la colonie européenne étant renforcée par des Français comme Jean Renoir). Et, qu'ils soient venus à Hollywood, à l'origine, pour des raisons strictement professionnelles ou en tant que réfugiés politiques, nombreux ont été les réalisateurs européens qui ont à la fois signé des mélodrames de propagande antinazie, et familiarisé, ou re-familiarisé, Hollywood avec leurs techniques et leur style distinctifs. Parmi eux figuraient, outre Lang et Hitchcock, le Hongrois Curtiz, venu à Hollywood dès le muet (Casablanca, Passage to Marseille/, l'Allemand Douglas Sirk (Hitler's Madman). Caractéristique des années quarante et du début des années cinquante apparaît donc le genre qu'on appelle
3. Thomas Elsaesser,
u
Tales of Sound and Fury
,, p. 6.
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L'évolution du ge
L'évolution du genre
tantôt le thriller, tantôt le film criminel, tantôt le . fi161 due aux critiques français dc noir r, - désignation mais qui est passée dans la languc l'après-guerre, anglaise a. Au cæur de ce vaste ensemble, on trouve let films de « privé », comme The Mahese Falcon de Johil Huston, d'après Dashiell Hammett, ou The Big Sleep d,a Howard Hawks, d'après Raymond Chandler, ainsi quc les adaptations d'autres écrivains de u série noire », pâf exemple James M. Cain (Double Indemnity de Billy Wih der, The Pastman Always Rings Twice de Tay Garnettlr C'est dire que, structuralement, le .. film noir » tend à prendre la place centrale qu'occupait, pendant la décennie précédente, le film de gangsters. Mais, en même temps, l'atmosphère et le style typi' ques du u film noir r, sa dramatisation d'un combat douteux où les forces du bien sont contraintes, à l'instatr des forces du mal, d'agir dans l'ombre (et non plut d'une lutte manichéenne entre la lumière et les ténh bres), sa métaphysique fataliste, imprègnent quantitÉ d'æuvres appartenant à d'autres genres. C'est ainli qu'on peut considérer le western psychanalytique dç Raoul Walsh, Pursued (1947), comme un véritabld u film noir r, thématiquement (le héros est traumatica par un souvenir infantile) aussi bien que stylistiqucr ment (l'æuvre baigne dans des ombres expressionni& tes). A la même époque, la même remarque s'appliqu0 au film en costume (Reign ol Terror d'Anthony Mann) oû jusqu'à la comédie (Unfaithfully Yours de Preston Sturr 4
ges).
r!
Le drame et tout particulièrement Ie mélodramc ,i' {
4. C'est ainsi que Jean-Pierre Chartier, rendant compte, cà
1946, de trois æu^vres qui sont effectivement des paradigines dq
Indemnity (1944) et The Lost Weekend
film noir ", Double "(1945) de Billv Wilder, et Murder, My'Sweet (1944) d'Edward
Ùmytiyk, intitule son article o Les Américains aussi font dcl films "-noirs " ,, et explique cette caractérisation par allusion I ,, notammcrt " une école française des films noirs comprenant Le Quai des brumes et Hôtel du Nord (tous deux de Carné, 1938), La Revue du cinéma, l, n" 2, nov, 1946, p. 67-70.
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échappent d'autant moins à cette imprégnation par le " film noir, que mélodrame et thriller ont un ancêtre commun : le roman noir ou « gothique " de la fin.du xvrtt" siècle et du début du xIx'siècle. Premier film américain de Hitchcock, Rebecca (1940) est adapté d'un roman fortement marqué par la tradition « gothique ». Ce n'est pas un " filrn noir ,, mais on y relève toute une série d'éléments qui caractérisent le genre : récit à la première personne, personnage de Femme fatale (l'absente Rebecca), curiosité pour la psychologie criminelle, aspects stylistiques néo-expressionnistes, et jusqu'à un détail qui annonce les grotesqueries du film noir un gros bouton sur le menton de Mrs. Danvers (Judith- Anderson). Que dire de Laura d'Otto Preminger (1944) ? C'est un peu le cas symétrique de Rebecca: d'abord mis sur l'enquête policière, l'accent se déplace graduellement vers l'intérêt « romantique >» qu'éprouve l'enquêteur (Dana Andrews) pour la femme qu'il croit morte (Gene Tierney). Les deux films ont donc en commun la fascination morbide qu'exerce un personnage féminin, " Rebecca » ou « Laura », dont le portrait peint domine l'action. Si Rèbecca est un mélodrame qui tend déjà vers le o film noir r, Laura est, symétriquement, un ,, particulier grâce à la musique " film noir qui tend, en mélodrame. vers le de David Raksin, Deux autres films contemporains permettent de s'interroger sur les rapports entre les deux ensembles : il s'agit de Mildred Pierce et de Leave Her to Heaven,l'un et l'autre de 1945. Pour Yann Tobin, " si Mildred Pierce est un sujet de mélodrame que Curtiz traite en film noir, Leave Her to Heaven est un sujet de film noir que Stahl traite en pur mélodrame s. " Cette vue est un peu schématique. Motifs mélodramatiques et trame criminelle sont présents ici et là. Dans Mildred Pierce, l'enquête
policière détermine la forme même de la narration 5. Yann Tobin, p. 107.
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L'éyolution du genre
L'évolution du genre
263
(trois flash-backs successifs agencent le récit de Mil-
forêts de sapin, et les eaux glauques d'un lac de
dred). En revanche, si la structure de Leave Her to Hea' ven est aussi celle d'un flash-back, elle n'a rien d'une enquête, car la culpabilité de l'héroihe a été établie, pour le spectateur, sans la moindre ambiguïté: voilà qui accentue l'appartenance mélodramatique du film. C'est, bien évidemment, du style que provient la différence fondamentale entre les deux æuvres, et d'abord de l'utilisation de la couleur par Stahl. Sensibles avant tout à la vogue du " film noir ,, les critiques contemporains ont jugé que Leave Her to Heaven appartenait au genre par le thème, et ont exprimé leur surprise, et généralement leur incompréhension, qu'il y échappe par le style et la couleur. C'est ainsi que Jacques Siclier observe que .. ce film, desservi par le Technicolor, a étê assez mal accueilli. La couleur convient sans doute mal aux drames noirs 6 ". Seul Jacques B. Brunius y avait reconnu une des « très rares tentatives " pour inventer un u style tragique, de la couleur, même s'il concluait que Stahl n'avait eue « partiellement réussi " à u fixer les couleurs du tragique 7 ". Plus élogieux sont Raymond Borde et Étienne Chaumeton, qui, il est vrai, écrivent quelques années plus tard:
haute montagne
Un détail à noter. Pour la première fois, le Technicolor est utilisé dans un film de crime. On le réservait jusqu'alors à l'exotisme, à l'aventure et au music-hall. Mais o le paysage est un état de l'âme ,, et John Stahl a su accentuer le tragique du récit, en utilisant les scènes d'aube et de crépuscule, le cadre chaotique, couleur de sang séché, des steppes désertiques du Nouveau-Mexique, la pesante solitude d'une cabane perdue dans la verdure des 6. Jacques Siclier, Le Mythe de la ferrunç dans le cinéma américain : dè " la Divine " à Blanche Dubois, Editions du Cerf, 1956, p. 87. - 7. Jacques B. Brunius, " Couleur du tragique ", La Revue du cinéma, I , n" 2, nov . 1946, p. 7-8, 10.
8.
Cette opinion est aujourd'hui communément acceptée. Il me semble, à vrai dire, qu'une raison précise explique qu'on ait longtemps refusé de voir dans Leave Her to Heaven autre chose qu'un " film noir , paré de couleurs incongrues: c'est le personnage qu'y interprète Gene Tierney. En dehors de l'influence formelle, en effet, l'aspect sous lequel le film criminel a sans doute le plus profondément marqué le mélodrame est la conception des personnages féminins. Dans la thématique du mélodrame classique, ce personnage est, le plus souvent, victime innocente. Tel est le cas de presque toutes les interprètes que j'ai citées comme typiques des années trente, en particulier de Joan Crawford, Margaret Sullavan, Irene Dunne, ou encore Loretta Young. Même les actrices que leur tempérament semblait devoir promettre à des rôles plus énergiques incarnent alors, bon gré mal gré, des victimes soumises (par exemple, Katharine Hepburn dans Christopher Strong, Barbara Stanwyck dans Forbidden et Stella Dallas). C'est Bette Davis qui a le plus de mal à se conformer à ce schéma, qu'elle récuse, ou tente de récuser, dans Dangerotts, Jezebel ot Dark Victory (en revanche, elle accepte de s'immoler, par exemple, dans The Sisters, ou, face à Miriam Hopkins, dans The Old Maid). Mais le " film noir, met l'accent sur l'ambiguité du bien et du mal ; il implique volontiers son enquêteur dans les ténèbres que celui-ci est chargé de dissiper. Ce refus du manichéisme primaire a d'importantes consé-
quences: d'une part, l'innocence est rarement absolue ; d'autre part, une femme criminelle est susceptible d'exercer une réelle fascination. Ce deuxième cas de
8. Raymond Borde et Étie4ne Chaumeton , Panorarna dllfihn noir atiéricain (1941-1953,1, Éditions de Minuit, 1955, p. 59'
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L'évolution du genre
figure permet de donner libre cours à l'énergie de certaines actrices, qui, d'innocentes victimes, se muent en criminelles : ainsi Barbara Stanwyck devient, dans Double Indemnity, une femme fatale, « une sorte de mante religieuse e ,. Prédatrice et non plus victime, elle ne fait plus appel au ressort du pathétique, et Double Indemnity échappe dès lors au genre mélodramatique. Tel n'est pas le cas dans Leave Her to Heaven.'Gene Tierney y est criminelle, certes, mais encore - et d'abord victime d'elle-même. En d'autres termes, - une héroïhe de mélodrame, mais de méloelle demeure drame contaminé par le film noirr0. Cette contamination affecte non seulement le personnage d'Ellen, mais aussi celui de son mari (interprété par Cornel Wilde), moins innocent qu'il n'y paraît, et condamné comme tel, pour n'avoir pas dénoncé les crimes de son épouse, à une peine de prison.
Lss Ri.rNÉes crNeuANTE: ApocÉE
ET AGoNTE DU GENRE
Avec les années cinquante, les chemins du mélodrame et du u film noir " divergent à nouveau. La télévision exerce doublement son influence sur Hollywood. D'une manière directe, en formant une école de jeunes réalisateurs dont le style sobre, privilégiant le dialogue et le découpage, s'oppose alors diamétralement au u mélodramatique, flamboyant: citons Delbert Mann (Marty), John Frankenheimer, Sidney Lumet, Robert Mulligan... D'une manière indirecte, en susci9. Jacques Siclier, p. 82. 10. On pourrait même dire, en reprenant la désignation de Leave Her 1o Heaven par Jacques B. Brunius comme u tragédie ,, de mélodrame contâminé pàr le tragique. Mais il conv"ient dé rappeler que I'opposition tragédie vs. mélodrame n'est, en l'occurrence, pas pertinente, la u tragédie , n'ayant jamais constitué un genre cinématographique.
L'évolution du genre
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tant un regain d'intérêt pour les atouts spécifiques du cinéma, la couleur et le grand écran, qui se généralisent non seulement dans l'" épopée " (laquelle connaît un renouveau avec, par exemple, le Qua Vadis de Mervyn Le Roy), dans la comédie musicale, dans le western, mais aussi dans la renaissance d'un mélodrame aux effets spectaculaires. contrairement à ce qui On peut même considérer que la se pa;sait pendant la décennie précédente couleur constitue, pendant les années cinquante, un véritable indice, voire un critère, d'appartenance au genre mélodramatique, par opposition aux " drames ' qui se veulent plus réalistes, plus retenus. C'est en effet pendant cette période que la présence ou l'absence de ia couleur est pertinente, alors qu'auparavant seule sa présence était la conséquence d'un choix délibéré, et qu'à une époque plus récente, seule son absence résultèra à son tout d'une volonté réfléchie. Bien entendu, les critères économiques ne doivent pas être négligés, la MGM par exemple, première des Maior Companies, n'éprouvant aucune difficulté à recourir au Cinémascope et à la couleur, alors que, dans la production Univeisal, il est fait appel plus rarement au grand écran, et qu'un Sirk est contraint à trois reprises de tourner en noir et blanc des mélodrames qu'il aurait souhaité photographier en couleurs: All I Desire, There's Always Tomorrow, The Tarnished Angels. En règle générale, cependant, on peut avancer l'idée que le choix de la couleur ou du noir et blanc est signifiant, que la couleur accentue les caractéristiques spectaculaires, donc mélodramatiques, des films, tandis que le noir et blanc, s'harmonisant avec I'atmosphère grave du drame, en souligne le sérieux et souvent la filiation littéraire : les æuvres en noir etblanc apparaissent donc plus dramatiques que mélodramatiques. On opposera à ôet égard le cas d'Elia Kazan à celui de Nicholas Ray: tandii que Ray, pourtant issu du film noir (genre auquel appartiànt encore On Dangerous Ground), choisit de n9 tôùrner qu'en couleurs et sur grand êcran, Kazan, mal-
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L'évolution du genre
gré l'importante exception d'East of Eden, continue à réaliser la plupart de ses films en noir et blanc : A Streetcar Named Desire, On the Waterfront, Baby Doll, A Face in the Crowd. Cette fidélité à la sobriété du noir et blanc est d'autant plus remarquable qu'à deux reprises (A Streetcar Named Desire, Baby Doll), Kazan adapte un auteur lui-même " mélodramatique », Tennessee Williams. Kazan et aussi Mankiewicz (Suddenly Last Summer) prennent, pour adapter Tennessee Williams, le parti d'une certaine intériorisation, à la différence de Richard Brooks portant à l'écran Cat on a Hot Tin Roof et Sweet Bird ol Youth. Avec la couleur apparaît donc clairement le critère stylistique de l'appartenance au genre, alors que le critère thématique (les clichés-situations) a tendance à passer au second plan, à glisser du registre explicite au registre implicite (sauf dans les mélodrames de Sirk, qui, dans la mesure où ils sont des remakes de films des années trente, sont, logiquement, fidèles à la thématique explicite du genre). Mais la couleur ou son absence ne constitue pas, à elle seule, un critère décisif. Ainsi, dans The Big Knife de Robert Aldrich (1955), d'après Clifford Odets, le noir et blanc correspond effectivement à la volonté de faire dramatique et non mélodramatique, ou, si l'on préfère, de maintenir dans certaines limites la violence (potentiellement mélodramatique) du propos; mais il n'en va pas de même dans Autumn Leaves, où le metteur en scène (Aldrich encore) a un tout autre dessein : il souhaite rendre hommage à Joan Crawford et au passé du genre, donc aux mélodrames en noir et blanc des années trente et quarante. Il reste que le mélodrame subit, dans les années cinquante, une véritable mutation: pour l'essentiel, le genre est désormais caractérisé par la couleur du tra" gique » qu'avait, selon le mot de Jacques B. Brunius, préfigurée Leave Her to Heaven de Stahl. Cette généralisation de la couleur s'accompagne, sur le plan thématique, d'une nette régression des valeurs sentimentales du mélodrame, et de la confirmation
267
L'évolution du genre
concomitante d'une violence peut-être héritée du " film noir, ; mais cette violence, reproduite sur le grand écran, tend à être plus gestuelle que criminelle. Les personnages de victimes féminines, voire les actrices, ne jouenf plus le même rôle que par le passé : au lieu des très nombreux noms qui venaient auparavant à l'esprit, on ne peut guère citer que Lana Turner et Jane Wyman. Même dans les mélodrames les plus respectuâux de la tradition générique, la violence, la technologie moderne font irruption en même temps que la .o.rl.rr. (par exemple, le hors-bord, au début de Magnificent Obsession de Sirk ; les automobiles de Written on the Wind). Tout se passe comme si les deux phénomènes étaient liés,l'intrôduction de la couleur (qui, même dotée de sa violence propre, constitue un ornement) étant pour ainsi dire ôompensée par un reflux de la sentimentalité, une progression de la violence gestuelle. Aussi le mélodrame sentimental, qui avait dominé les années trente avant de s'assombrir au contact ds " film noir,,, fait-il, pendant les années cinquante, figure d'exception singulièr", et même de provocation. A cette catégorie appartient précisément l'æuut" d'Aldrich, Autumn Leaves, et cela ôorrespondait à une démarche délibérée du metteur en scène :
Je suppose que c'est un désir de survie q]ri pe po,rrù à fairé Autumn Leaves. On critiquait.de plus àn plus la violence et la colère de mes films éléments qui n'étaient d'ailleurs pas intentionnels j'ai pénsé qu'il était grand tgmp.s que je réalise -u, et it él-o [soàp opera] d'abord, parce que je " " un, ensuite parce voulais de toute façon en réaliser rr' que le sujet de celui-ci me paraissait très bon
De même, lorsque McCarey réalise An Af-fair to Rem emb er, mélodrame
ll.
sentimental d'où pour ainsi dire
The Celluloid Muse, P. 33.
L'évolution du genre
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toute üolence est exclue (l'héroihe est renversée par une voiture, mais on ne voit pas la scène), remake de sa Love Alt'air si caractéristique des années trente, il s'agit d'un propos réfléchi, d'une nostalgie active, qui a certainement conscience d'être à contre-courant des récentes modes hollywoodiennes et, en particulier, du « nouveau mélodrams ,, dont le goût pour la violence reste étranger à son auteur. C'est ce qu'a bien noté Jacques Goimard: u McCarey, brouillé avec la société moderne, adopte volontairement le ton du mélodrame le plus sentimental. Certains en ont déduit que c'était un film gâteux. Comment n'a-t-on pas compris que c'était de la provocation ? 12 " Interrogé sur McCarey, Sirk, à son tour, déclare son admiration pour l'auteur d'An Affair to Remember, tout en précisant: C'est vraiment le pur mélodrame qui l'intéresse, lui. Ce qui est effectivement très différent de mes films car tout à fait dépourvu de violence. Je m'attache, moi, à cette violence qui contrebalance le côté
sirupeux de tout mélodrame. Le mélodrame est vraiment devenu quelque chose d'affreusement sentimental. Mais McCarey a porté le genre à son apogée13.
Or, s'il est vrai que les deux metteurs en scène n'ont pas, à l'égard du mélodramatique sentimental ou u sirup€üx », exactement la même attitude, il ne faut pas exagérer ce qui les sépare. D'abord, Magnificent Obsession, All That Heaven Allows, Imitation of Life ne sont pas dépourvus de sentimentalité. Plus subtilement, la nos-
12. " A demain l'Amérique ", Cahiers du cinéma, n. 150-151, déc. 1963-janv. 1964, p. 199. Dans cet important article, Jacques Goimard invite à éclairer Ie cinéma hollvwoodien par une meilleure connaissance de l'histoire et de lâ civilisati'on des ÉtatsUnis.
13. « Entretien avec Douglas n" 189, p. 25.
Sirk,,
Cahiers du cinéma,
L'évolution du genre
269
talgie de McCarey n'est pas loin de produire les mêmes effËts que l'u ironie , sirliienne : le souci de réaffirmer la validité de la tradition mélodramatique, le retour aux années trente, au « pur mélodrame ' d'où la violence est exclue (mais non l'humour), ont pour conséquence d'instaurer une distance, sinon une distanciation : c'est Ia nostalgie d'un paradis par définition perdu' Il n'esi pas indifférent d'ailleurs qu'à l'instar d'An A'f-fair to Ràmember, Magnificent Obsession et Imitation oi t4" soient les remakes d'æuvres des années trente' En effet,le remake, dont on n'aperçoit trop souvent que
l'indéniable motivation économique, incarne aussi, non sans ambiguité,la mémoire du genre. Il rend explicitement hommage à la tradition, tout en se faisant fort de la revivifier en ayant recours à de nouveaux interprè-
tes et aux perfectionnements techniques du son et de la
couleur. ôette ambiguité explique pour une part qu'il échoue fréquemm.rrt, .r'uyunt réussi qu'à susciter la de l'original' nostalgie *grands reÀakes ici discutés ne sont nullement Les inférieurs à leurs modèles. Mais ils ont ceci de commun qu'ils semblent témoigner, fût-ce à leur "9.ry.: {éfendant, de la difficulté, ou même de l'impossibilité, que Hollywood éprouve désormais à réaliser des mélodra*"r. Lu splendeur de leur chromatisme, plutôt qy: l'indice d'ùne santé exubérante, apparaît comme celui d'une floraison tardive, automnale, déjà marquée par la mort. La séquence la plus probante à cet égard est celle qui clôt Imiiation of Life: pompe funèbre baroque, accompagnée de musique, de chevaux et de fleurs, de remords àt à" pl"u.s, d'hàrmonies en noir et blanc, sous la neige o patËétique ,. Séquence déchirante, dont le symbglisme est ienforcé iar le fait qu'elle constitue l'adieu de Sirk à Hollywood. Mais on citera aussi bien An Affair to Remember.' l'agonie de la grand-mère y est sans doute, comme l'impli[ue Jacques Goimard, celle d'une classe sociale et diun-mode âe vie, mais encore celle d'un mode de récit. Ce personnage si « typé ' de la grand'
270
L'évolution du genre
mère ra résume, à lui seul, tout ensemble la mémoire, mais aussi l'innocence, d'un genre désormais impossible à illustrer. On rapprochera Two Weeks in Another Town de Minnelli, qui n'est pas un remake, mais multiplie, on s'en souvient, les allusions àThe Bad and the Beautiful, rêalisé neuf ans plus tôt par le même metteur en scène et la même équipe. Two Weeks présente The Bad and the Beautiful comme le modèle, peut-être inégalable, du cinéma hollywoodien classique, et nous fait assister à l'agonie du director Kruger (Edward G. Robinson), qui est censé en être l'auteur. Dès lors, cette agonie est simultanément celle d'un certain cinéma hollywoodien, d'une forme artistique aussi irrémédiablement révolue que le muet après le triomphe du parlant. La date exacte peut prêter à discussion. Pour Olivier Eyquem, « le terme de cette période fut la dernière version de MadameX, projet sirkien qui échut finalement à David Lowell Rich, et qui marqua, en 1966,la fin du mélo en tant que genre organisé rs. ,, A mes yeux, le sort du genre est scellé dès 1959, l'année d'Imitation et aussi de Some Came Running de Minnelli, qui se clôt sur une fête baroque aux couleurs et à la musique stridentes, lieu d'un meurtre, et sur un enterrement. Le mélodrame, pas plus que le musical, n'échappe au destin historique des genres: " Né avec le parlant, il a disparu progressivement. L'agonie, commencée avant L960, admet parfois d'éclatants regains de santé, propres à susciter des espérances trornpeuses; mais pour lente qu'elle soit, la mort du genre est acquise 16. ,
14. Selon Ie mot de Sirk, dans l'entretien précité. 15. u Un retour du mélodrame américain (l) »,Positif , n" 228,
mars 1980, p. 3. 16. Alain Masson, Comédie musicale, p. 13.
Epilogue
L'ÉrrnNsI- REToUR ou tr,tÉLOonnme I
Pendant les années soixante, le mélodrame semble subir une éclipse, que l'on attribue généralement à la crise des valeürs familiales à la même époque' L'explication paraît courte, puisque c'est tout l'édifice des gen.es qui est alors contesté. Les codes génériques sont ressentis comme autant d'entraves intolérables à la liberté créatrice de réalisateurs qui revendiquent le sta' tut européen d'.. auteurs,,, oü du moins comme des conventions surannées, qui interdisent que l'on traite des sujets contemporains de manière elle-même u adulte ". De plus, le triomphe de la télévision, désormais devenue lË premier dei mass-media, rend caduques certaines formes cinématographiques. De même que le mélodrame cinématog.aphiq,r" s'était substitué au mélodrame théâtral, de même les soap operas' feuilletons télévisés, capturent le public du mélodrame hollywoodien. Sans doute peut-on citer des æuvres qui, avec des fortunes fort diverses, témoignent de la survivance d'une tradition. Les productions de Ross Hunter, après le retour de Sirk et Europe, sont du nombre (Madame X, 1966). Strangers When We Meet de Richard Quine (igOO) s'inscrit dans la filiation minnellienne, et Minàelli iui-même donne encore, avec The Sandpiper (1965), un mélodrame admirable, mais que la critique
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Épilogue
éreinte et qui subit un désastre commercial. Le plus souvent, le mélodrame se dilue, fait place à un mélodramatique diffus qu'on qualifierait peut-être mieux de romanesque, et que l'on trouvera par exemple chez Sydney Pollack : This Property Is Condemned, adaptation de Tennessee Williams, vaut par l'interprétation de Natalie Wood et par l'utilisation de la couleur (1966) ; la
nostalgie douce-amère de The Way We Were se pare de motifs sentimentaux, comme le bal des bacheliers ou le feu dans la cheminée (1973)... On pourrait citer aussi le Robert Mulligan de Baby, the Rain Must Fall ( I 965) et de Summer of a2 Q97l). Avec les années soixante-dix, on a beaucoup parlé d'un u retour du mélodrame ". Olivier Eyquem s,est attaché à en définir les principales subdivisions: mélo de luxe (The Other Side of Midnight, The Greek Tycoon), mélo biographique (Lady Sings the Blues) ou pseudobiographique (la version rock de A Star Is Bori), mêlo morbide (Love Story)et mélo juvénile (Ice Castles, The Turning Point 1/. Force est de reconnaître avec Eyquem que la plupart de ces catégories ne recouvrent què des formes u résiduelles ,, les titres évoqués comptant davantage dans l'histoire de l'industrie hollywoodiànne que dans celle des formes cinématographiques qui nous intéresse ici au premier chef. Ainsi, le prodigieux succès public de Love Story (1970) a suscité une résurgence de « p§165 morbides (Sunshine, Bobby Deer" field)parmi lesquels on cherchera en vain l'équivalent contemporain des chefs-d'æuvre de Vidor (La Bohème) ou de Cukor (Camille). Parmi les raisons qui sont susceptibles d'expliquer ce « retour du mélodrame », la vogue du féminisme est l'une des plus probantes. Comme pendant les années trente et quarante, les héroïhes positives abondent, depuis Alice Doesn't Live Here Anymore jusqu,à An Unmarried Woman, en passant par Julia et Norma Rae.
L o Un retour du mélodrame américain 230, mars, avril, mai 1980.
",
positi-l , n"" 228, 229 ,
L'éternel retour du mélodrame
?
273
Alan Rudolph a lui-même suggéré que l'on compare Remember My Name, qu'il a construit autour de Geral-
dine Chaplin, aux women's pictures interprétées naguère par Bette Davis, Barbara Stanwyck ou Joan Crawford 2. On mentionnera aussi les mixtes du mélodrame pseudo-biographique et du film musical, comme The Rose, avec Betty Midler, et New York, New York, avecLiza Minnelli; cette dernière æuvre renvoie clairement au modèle de A Star Is Born (version de Cukor), et à son interprète Judy Garland, mère de Liza Minnelli. Parmi ces portraits féminins, l'un des plus remarquables est Puule of a Down'fall Child de Jerry Schatzberg, avec Faye Dunaway (1970). La forme éclatée en est parfaitement appropriée au dessein ; l'écriture, moderne et maîtrisée, ne craint pas de dialoguer avec la tradition hollywoodienne, ici incarnée en particulier par le Shanghai Express de Sternberg. Plus schématique, mais efficace, apparaît Looking for Mr. Goodbar de Richard Brooks (1977), autre peinture d'une héroïne schizophrène (Diane Keaton). la fois fémiCe sous-genre du mélodrame - tout à niste, biographique, psychiatrique et polémique - affi' che aujourd'hui une belle santé. Dans Srar 80 (1983), Bob Fosse met en cause, sur un ton grand-guignolesque, la symbiose de l'érotisme et de la publicité façon P layb oy. Dans Frances (Graeme Clifford, 1982), Jessica Lange interprète, avec talent et conviction, l'actrice Frances Farmer, contre laquelle se liguent les forces de la famille et de Hollywood, de la gauche et de la psychiatrie: quel que soit le parti de réalisme historique, ce manichéisme remonte aux sources mêmes du mélodrame. On continuera à distinguer, pour l'essentiel, entre des æuvres qui, non dénuées d'éléments mélodramatiques,
2.
Cité
par Richard Lippe, u Melodrama in the Seventies,,
Movie, n" 29-30, été 1982, p. 126.
274
Épilogue
appartiennent plutôt à la nébuleuse du romanesque, et celles qui se donnent ouvertement, encore qu'à des titres divers, comme résurgences du mélodrame proprement dit. Voici, dans la première catégorie, les films de groupe: ils ont, le plus souvent, le ton de la chronique, ils répugnent aux schémas narratifs serrés du mélodrame. Un exemple très séduisant en avait été donné dès 1965 par Sidney Lumet, et s'intitulait précil'instar de They sément The Group ; c'était aussi - àPollack (1969) Shoot Horses, Don't They ? de Sydney un témoignage révélateur de la fascination qu'exerçaient alors les années trente. Plus près de nous, on signalera Four Friends d'Arthur Penn (1981), voire les adaptations des best-sellers de John lrving, The World According to Garp de George Roy Hill (1982), The Hotel New Hampshire de Tony Richardson (1984), où la nostalgie et la tendresse familiale font craquer le vernis de l'anticonformisme. (Il est d'ailleurs curieux de noter que Steve Tesich est le scénariste de Garp aussi bien que de Four Friends.) Le modèle avoué de ces chroniques provinciales est Splendor in the Grass de Kazan, dont le scénario était signé par William Inge (1961). Notons les jalons d'une continuité : en 1962, William Inge adapte pour Frankenheimer le roman de James Leo Herlihy All Fall Down,'vingt ans plus tard, Herlihy joue dans Four Friends. Rares sont les æuvres qui, poursuivant dans la voie tracée par Puzzle of o Downfall Child, s'efforcent d'inventer des formes nouvelles. Ainsi The Big Chill de Lawrence Kasdan (1983), d'ailleurs estimable, ne sollicite notre curiosité visuelle que dans son prologue, où une main de femme aux ongles peints en rouge habille un homme (dont on ne sait pas encore qu'il s'agit d'un cadavre) en une série de très gros plans déshumanisés, pareils aux tableaux de Domenico Gnoli. Parmi les films qui se réclament de la grande tradition hollywoodienne, j'ai déjà évoqué, à la croisée du mélodrame et de l'épopée, The Deer Hunter de Michael Cimino (1978). L'ampleur mêrne du dessein, la
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construction complexe du polyptyque, le sujet patriotique, et jusqu'au flanc prêté à l'accusation de racisme, appellent la comparaison avec le Griffith de The Birth of a Nation. On voit donc aujourd'hui le mélodrame renouer, par delà la période classique, avec le muet. Mais des ingrédients spécifiquement contemporains sont présents, qu'il s'agisse de la violence sadique (chez Cimino, les prisonniers américains sont contraints de jouer à la roulette russe ; Looking for Mr. Goodbar et Star 80 se terminent par des meurtres sanglants) ou d'une sexualité " libérée », qu'on trouve par exemple dans An Olficer and a Gentleman de Taylor Hackford (1982). Moins important, assurément, que The Deer Hunter, ce dernier titre témoigne cependant de la vitalité du genre, et de la permanence de son inscription sociale. L'armée broie les faibles, mais elle est aussi u l'école où se trempent les cæurs 3 ,, la clé de la promotion sociale, de l'intégration raciale et même de la promotion féminine. Une évolution générale, qui n'épargne pas le mélo' drame, permet de peindre des milieux jusqu'ici le plus souvent négligés par Hollywood, la classe ouvrière et, fréquemment confondues avec celle-ci, les communautés ethniques issues du monde slave. Russes ou Yougoslaves de Pennsylvanie, travaillant dans les aciéries, rapprochent, en dépit de considérables différences esthétiques et idéologiques, The Deer Hunter et Four Friends. On n'avait guère vu ce type de Personnages depuis les films u sociaux, de la Warner (Black Fury de C:urtiz, 1935, situé parmi les mineurs polonais de Pennsylvanie). Inversement, les espaces ouverts du Texas restent le lieu privilégié du « gothique » américain d'essence rurale, à l'æuvre aussi bien dans Days of Heaven de Terrence Malick que dans Raggedy Man de Jack Fisk (décorateur du précédent), avec Sissy Spacek (1982). 3. Louis Marcorelles, Le Monde,2l janv'
1983.
276
Epilogue
Avec perspicacité, Dave Kehr a noté que l'incessant réseau d'échanges entre l'Amérique et l'Europe avait affecté le mélodrame contemporain. Datant, pour sa part,le « retour du mélodrame » des Interiors de Woody Allen (1978), il observe qu'au moment même où les Européens (Fassbinder, Rivette, Bertolucci) réalisent des mélodrames flamboyants, à l'hollywoodienne, les
Américains au contraire, Woody Allen, mais aussi Robert Benton (Kramer vs. Kramer, 1979), Robert Redford (Ordinary People, 1980) s'avancent masqués derrière Bergman (et accessoirement Truffaut): caméra statique, cadrage géométrique, éclairage clinique a. Le rapprochement peut paraître curieux: la stylisation d'Interiors est (comme le signale Kehr) si poussée qu'elle ne saurait passer inaperçue, qu'elle relève donc, comme le montage et le chromatisme de Puzzle of a Downfall Child, d'une rhétorique proprement mélodramatique. Il est néanmoins saisissant de constater qu'en Amérique même, les Européens participent activemept au « retour du mélodrame ». Qu'on en juge. Paris, Texas (1984), tourné aux ÉtatsUnis par l'Allemand Wim Wenders, conte l'odyssée d'un personnage amnésique, qui a perdu jusqu'à l'usage de la parole, une sorte d'" enfant sauvage " adulte et même d'âge mûr. On le met en présence de son fils, qu'il n'a pas vu depuis de longues années et, entre l'enfant et lui, après un peu d'hésitation, s'établit bientôt une si forte complicité qu'ils prennent ensemble la route, à la recherche de la mère de l'enfant. L'homme (Travis: Harry Dean Stanton) retrouve celle-ci, qui est considérablement plus jeune que lui (Jane: Nastassja Kinski), et se confesse auprès d'elle. Ainsi est élucidée pour le spectateur l'énigme d'une séparation traumatique, en même temps que le personnage libère sa conscience du " poids du passé ". Soulagé, Travis réunit l'enfant et sa mère, et disparaît dans la nuit texane. 4. « The New Male Melodrama ", American Fihn, avril 1983.
L'éternel retour du mélodrame
?
277
On n'a aucune peine à reconnaître ici un foisonnement de motifs mélodramatiques. En outre, au récit mélodramatique correspond un ensemble de recherches formelles, qu'il s'agisse des éclairages, qui évoquent la peinture d'Edward Hopper (et qui ont appelé la comparaison avec Some Came Running de Minnelli s), de la longue scène de la double confession dans le », qüi, structuralement, joue le rôle d'un " peep-shovv 6, flash-back dans le mélodrame hollywoodien classique ou encore de la musique qui ponctue les déplacements du personnage et qui, inspirée du blues, fait ouvertement appel au ressort du pathétique 7. On a là cependant une appréhension du mode mélodramatique qui, magistrale, reste cérébrale. A ce titre, elle s'apparente au bergmanisme d'Interiors, sinon à la distance délibérée d'Orson Welles dans Mr. Arkadin. (Dans l'ouverture de Paris, Texas,le docteur allemand u Ulmer » qu'interprète Bernhard Wicki appar- au registre grotesque et semi-parodi-tient précisément que qu'affectionne Orson Welles.) Il en va différemment avec Maris's Lovers d'Andrei Konchalovsky (1984), film américain d'un metteur en scène russe, et que l'on rapprochera, en particulier, de The Deer Hunter, qui dépeint, dans la même région (la Pennsylvanie), un milieu ethnique et social comparable. L'inscription dans la tradition du cinéma américain est ici, pour ainsi dire, tangible : Maria's Lovers s'ouvre 5. Sous Ia plume de Michel Sineux, u L'évidence des choses ', n' 283, sept. 1984, p. 5, n. 2. 6. Rôle également dévolu, dans Paris, Texas, au film d'amateur. Des procédés voisins ne sont pas inconnus du mélodrame u classique ,. Dans TheThirdMandeCarol Reed (1950), le secret (le passé criminel de Harry Lime: Orson Welles) est dévoilé à son ami (Joseph Cotten) grâce à un film-à-l'intérieur-du-fi1m. Dans My Son lohn de McCarey (1952),le secret est que John (Robert Walker) est communiste; celui-ci livre sa confession à une bande magnétique (à fonction de flash-back)' 7. Cette musique est due au guitariste Ry Cooder. Pour
Positif,
Remember My Name, Alan Rudolph avait fait appel à la chanteuse de blues Alberta Hunter.
278
b;ptlogue
en effet sur un extrait de Let There Be Light, documentaire de John Huston consacré aux prisonniers libérés des camps japonais et à leurs problèmes émotionnels (1945), et se poursuit brièvement en fac-similé noir et blanc avant de passer à la couleur. Son propos évoque non bien sûr de sentimentales u women's pictures », mais un mélodrame social comme The Best Years ol Our Lives de Wyler, consacré à un sujet similaire. Son originalité consiste à s'attacher, avec précision et humanité, non pas à un, mais à deux personnages principaux " mélodramatiques , : Ivan (John Savage),le soldat traumatisé, impuissant par excès de désir; Maria (Nastassja Kinski), sa jeune épouse frustrée. Une douzaine de personnages secondaires, mais dessinés avec le
même soin qui les rend attachants, composent la fresque cohérente de cette Amérique du Midwest, tout ensemble industrielle et rurale, fidèle à ses racines et patriotique, meurtrie et pleine de sève. Ici encore, les situations mélodramatiques abondent. Ivan est témoin, malgré lui, d'une scène très intime entre Maria et son soupirant Al; plus tard, Maria, de l'extérieur de la maison, verra Ivan devenu son mari
avoir des rapports avec une autre femme ; abandonnée par lui et enceinte d'un autre homme, elle ira pourtant à sa recherche, lui redire qu'elle l'aime et qu'elle attend son retour. Sur ce canevas recélant tant de pièges esthétiques, l'æuvre tire d'abord sa force peu commune d'une direction d'acteurs admirable. Nastassja Kinski (dont le personnage demeurait dans Paris, Texas bien abstrait) évoque ici le frémissement vital et sensuel de la jeune Ingrid Bergman. Enfin, Konchalovsky ne craint pas d'avoir recours à un symbolisme qui renoue, lui aussi, avec le muet. Le contraste entre les motifs naturalistes ou régressifs (les rats, les abattoirs) et ceux du pauvre amou1 fidèle et partagé (la chaise sur la colline, les boucles d'oreilles en forme de croix) opère en effet avec la même évidence que dans les films de Griffith, de Stroheim ou de Murnau.
Conclusion
PLACE DU GENRE DANS LA TRADITION AMÉRICAINE
Hollywood s'est nourri des apports européens (allemand Lt aussi anglais), mais en les assimilant, en les faisant siens. Loin de caractériser le seul cinéma, cette capacitéde l'Amérique à absorber, on est presque tenté de-dire à u digérer r, les influences européennes, trouve sa confirmati-on dans l'histoire de la littérature. Richard Chase a noté que le roman américain, qui était incontestablement, â l'origine, une simple branche du roman anglais, n'en est pas moins défini, de Charles Brockden Bréwn et de Fenimore Cooper à F. Scott Fitzgerald et à Faulkner, par une identité propre, dont la continuité est manifeste àlo.t même que les écrivains empruntent à l'Europe leurs théories artistiques : c'est ainsi que' .o**à le rappelle Chase, Frank Norris épouse le naturalisme de iàla non par souci de réalisme, mais au contraire par réactio, èot t.e le réalisme de Howells, et afin de donner à ses oeuvres une qualité plus véritablement visionnaire I' l.RichardChase,TheAmericanNovelantlltsTrttdition,Gar.
den City, New York: Doubleday,1957, p' 187' Norris lui-même .à".iaéruit que Zola « a êtê quâhfie de réaliste, mais{qu'l il est' au contraire, le premier des romantiques » (« A Plea for Romanii. ii.,i"",i. L"umulgame du naturalisme et d'une forme de ,V*U"fir-. ulsior,naiie caractérise non seulement McTeague de Nor.i., mais aussi son adaptation cinématographique par Stro-
heim (Greed).
280
Conclusion
L'analyse de Chase nous intéresse d'ailleurs directement, car nombreux en sont les aspects qui s'appliquent à la culture américaine en général (et, par conséquent, au cinéma hollywoodien) et non à la seule littérature. Chase utilise l'opposition entre novel (le roman au sens moderne) et romance (le roman au sens médiéval), et démontre que le roman américain tend, le plus souvent, derrière l'apparence réaliste qui distingue l'ensemble du genre du xvrrr au xxe siècle, vers une forme plus « romantique ". La « romance )) attache plus d'importance à l'action qu'au personnage, au symbolisme qu'à l'analyse psychologique, au formalisme qu'à la vraisemblance ; elle est sujette aux ruptures de ton, parfois violentes. Exceptionnelle dans la tradition anglaise (Wuthering Heights), elle domine au contraire la tradition américaine. Elle se manifeste essentiellement soit par le recours à la violence schématique du mélodrame, soit (ou simultanément) par la nostalgie de l'idylle pastorale. Il en va ainsi chez Cooper, Hawthorne, Melville, Mark Twain, Faulkner et Hemingway. Le goût du mélodrame est un legs du puritanisme, du calvinisme (et le naturalisme de Norris et Dreiser ne fait que substituer au u destin cal" viniste un déterminisme socio-biologique, prétendument scientifique), tandis que la pastorale exprime la nostalgie de la o prairie perdue » perdue à mesure que la Frontière reculait sous la poussée de la civilisation « européenne ,. Enfin, et toujours contrairement au roman anglais, la « romance » comporte fréquemment des u intermèdes comiques » qui ont pour effet d'accentuer les ruptures de ton, le burlesque et la farce étant d'ailleurs « à la comédie ce que le mélodrame est à la tragédie 2 u. En résumé, la force et la richesse de la ., romance , reflètent, selon Chase, l'existence d'une culture non pas unifiée, comme la culture européenne, mais marquée
2. Richard Chase, p. 148, à propos de Huckleberry Finn.
Place du genre dans la tradition
américaine
281
par d'inconciliables oppositions entre les pôles de la tradition et du progrès, du passé et de l'avenir, de l'Europe et de l'Amérique. Il est clair que, dans ses grandes lignes, le mélodrame hollywoodien tel qu'on l'a décrit répond à la définition de Richard Chase. Il observe, conformément à la capacité du cinéma à produire un effet de réel, un certain réalisme de surface, mais, à l'inverse d'autres genres cinématographiques, il est davantage caractérisé par le symbolisme de ses images et le formalisme de sa structure narrative que par le souci de la vraisemblance et de la psychologie. La violence, qui n'en est jamais absente, au moins sous la forme d'accidents catastrophiques, apparaît avec un relief particulier pendant la phase tardive du genre, les mélodrames en couleurs et sur grand écran des années 1955-1965, à la gestuelle spectaculaire. Son pastoralisme, dramatisant le conflit entre une Nature souvent nostalgique et une Culture souvent viciée, est une constante, du Griffith de The Birth ol a Nation et de A Romance of Happy Valley au Cimino de The Deer Hunter, en passant par le Sirk d'Al/ That Hea' ven Allows, avec sa référence à Thoreau. Les ruptures de style, et notamment les brusques passages du mélodramatique au comique ou inversement, y abondent, et j'ai noté la parenté profonde entre le mélodrame et la comédie loufoque, dite aussi, tout simplement, comédie américaine. Le goût de l'antithèse, le thème des frères ennemis par exemple, est omniprésent dans le mélodrame; sa métaphysique circulaire, sa croyance à l'éternel retour de l'identique, s'apparentent clairernent au fatalisme calviniste décrit par Chase, et le happy ending qui caractérise souvent le genre apparaît alors, une fois de plus, comme un procédé conventionnel (et non dénué d'ironie) pour rompre un cercle manichéen. Enfin, son refus de résoudre les conflits se traduit par l'oscillation réitérée du genre entre les pôles de la violence et de la sentimentalité, de la critique sociale et du wishlul thinking, du noir et du
282
Conclusion
rose, de la catastrophe et du happy ending providentiel. Il paraîtra peut-être instructif, à cet égard, de rapprocher de The House of the Seven Gables, modèle même de la « romance 3 », un mélodrame hollywoodien comme Dragonwyck de Mankiewiczi oî note, ici et là, la référence liminaire au puritanisme ; l'opposition qu'il n'est pas exagéré de qualifier de « lutte des clasl'aristocratie coloniale et la démocratie ses » - entre yankee,' le thème de la jeune campagnarde innocente introduite dans le manoir maléfique et hanté. Stylisti{uement, les deux æuvres partagent une atmosphère qui confine au fantastique, sans pourtant que se produise aucun événement incontestablement surnaturel ; Iapathetic fallacy de l'orage qui accompagne un décès ; et surtout l'ambiance très u fin de race », avec le motif du portrait ancestral, et celui du fantôme féminin qui joue du clavecin pour annoncer que va mourir un membre de la famille a. Par delà cette convergence très frappante entre le mélodrame hollywoodien et le roman américain, il convient pourtant, sur trois points au moins, de nuancer les affirmations de Richard Chase, et par là même de réaffirmer la spécificité du genre cinématographique, la richesse propre des significations qu'il propose à ses « lecteurs >,. Tout d'abord, le mélodrame hollywoodien, contrairement à ce que Richard Chase assure à plusieurs reprises de la u romance ", ne néglige nullement l'analyse de la société et de l'individu dans ses 3. Hawthorne, au seuil de son æuvre, revendique cette appartenance générique et la licence poétique plus grande qu'elle autorise par rapport au roman dans le sens de novel. 4. A vrai dire, cette dernière « coincidence » est si frappante qu'il est permis de se demander si l'auteur du roman d'où est tiré le film, Anya Seton, ne s'est pas consciemment ou incons- comme Daphne ciemment souvenue de Hawthorne, Du Maurier semble- s'être souvenue de Charlotte Brontë ei d,e Jane Eyre. Il y a d'ailleurs des échos de ce dernier livre dans Dragonwick : le thème de Ia gouvernante qui s'éprend du père de l'enfant dont elle a la charge ; le motif de la tour interdite.
Place du genre dans la tradition
américaine
283
déterminations sociales. Il suffit, à cet égard, de se référer aux films de John M. Stahl, dont la parenté thématique et idéologique avec les romans de Theodore Dreisei est tout à fait remarquable : Irene Dunne, dans Back Street, évoque particulièrement la Jennie Gerhardt de Dreiser 5. Sur ce point, le mélodrame cinématographique tire profit, pai rapport à Ia littérature, de la nature du èi.rér.ra parlant, qui lui permet de multiplier les notations de mæurs, tant pour l'æil (vêtements, décors) que pour l'oreille (accents des personnages). L'utilisation par le cinéma hollywoodien d'u icônes ' à la fois visueliement frappantes et efficacement symboliques (comme les vôitures de sport de Written on the Wind ou le manteau de vison d'Imitation of Life) confère à sa dépourvue sans doute d'un cercritique sociale immédiateté, et donc une une tain ichématisme encore le recours à qu'augmente force, considérables, la couleur. En deuxième lieu, il paraît nécessaire de rappeler la dette considérable (et explicite) de la culture américaine envers la culture britannique, notamment théâtrale et littéraire. Cette dette, en ce qui concerne le mélodrame hollywoodien, prend la forme d'emprunts nombreux à la littérature victorienne, à son répertoire de thèmes, mais aussi à sa technique narrative, voire à ses clichés-images. Il faut insister sur cet aspect, car Richard Chase, cherchant à souligner l'originalité du roman américain, a eu tendance à minimiser les éléments « romantiques » ou u mélodramatiques " indéniablement présents chez les écrivains anglais, chez Dickens par exemple aussi bien que chez les Brontë' Les scénaristes hollywoodiens, eux, ne s'y sont pas trompés, et le cinéma américain est longtemps re-sté, davantage que la littérature, tributaire de modèles bri5. Il existe, par ailleurs, une adaptation cinémat^o.graphique de Jennie Gerhardt par Marion Gering, avec Sylvia Sidney dans le rôle principal (1935).
284
Conclusion
tanniques. On compte, à l'époque du muet, quantité d'adaptations de Hawthorne et de sa Scarlet Letter; mais encore plus nombreux sont les sujets empruntés à Dickens. Le phénomène s'explique, sans nul doute, par la popularité même de l'écrivain anglais, mais aussi,
contradictoirement, par le souci qu'éprouvent les cinéastes d'acquérir des lettres de noblesse. Je renvoie sur ce point à l'attitude de Griffith, humble et fière à la fois, à l'égard de la Bible, de Shakespeare et de Dickens, modèles dont le cinéma devait savoir se montrer digne u ; on peut évoquer aussi le procédé véritable cliché, mais révélateur d'un réel respect du cinéma hollywoodien pour la grande littérature qu'il met en images qui consiste à montrer, au début du film et souvent -de ses principaux " chapitres ,, les premières pages du livre qu'on adapte. Procédé qu'on trouve en particulier dans le David Copperfield de Cukor, dans ,4 Tale of Two Cities de Jack Conway, et dans l'adaptation de Jane Eyre par Robert Stevenson, bel exemple d'anglomanie, non seulement par le choix du sujet, mais aussi par celui dù réalisateur, de l'interprète féminine (Joan Fontaine) et, enfin, d'Aldous Huxley parmi les collaborateurs au scénario. Une dernière remarque. Richard Chase prend soin de distinguer entre deux formes de .. romances , américai-
!. Le. premier carton de The Birth of a Nation porte, avant pê-ç le.générique, I'avertissemenr suivant: u Plaidoyer pour l'art du cinéma. Nous ne craignons pas la censure car nous n'avons pas l'intention d'être ôffensânts par des inconvenances
ou des obscénités, mais nous réclamons, comme un droit, la liberté de montrer le noir versant de l'erreur pour r:ouvoir éciairer la face rayonnante de la vertu cette fiberté qui est - nousm'ême reconnue à I'art d'écrire l'art auquel sommes redevables - de Shakespeare. » L'Avant-Scène de la Bible et des æuvres Cinéma, u Spécial Griffith : La Naissance d'une nation, The Bat1ls », p. 17. Ce texte, qui constitue aussi la conclusion du pamphlet de Griffith " The Rise and Fall of Free Speech in Amerièa , ( t g t O), a manifestement été inséré dans le filÀ après les violentes cont'.overses suscitées par son racisme, et notamment l'interdiction de sa projection dans l'Ohio (1915).
Place du genre dans la tradition américaine
285
nes: la tradition romantique, originale et exigeante, à laquelle appartiennent Hawthorne, Melville, Henry James, Mark Twain, Norris, Faulkner et Hemingway ; la tradition des émules plus ou moins lointains de Walter Scott, de Lew Wallace (auteur de Ben-Hur) à Margaret Mitchell (Gone with the Wind) ou à Kenneth Roberts (Northwest Passage)- tradition pittoresque mais spécieuse, qui, selon Chase, ne rend pas justice à la réalité de l'Amérique, car elle reste fidèle à des recettes européennes. Or, les æuvres qui relèvent de cette deuxième qui recoupe en grande partie celle du besrèatégorie - été, très nombreuses, portées à l'écran ; et ont seller est forte dès lors d'estimer la valeur des la tentation films d'après celle des sources littéraires, et de conclure à l'infériorité du mélodrame cinématographique par râpport à la grande tradition de la u romance, décrite par Richard Chase. C'est de cette tentation qu'il convient de se garder absolument, en ne jugeant jamais de la qualité de l'æuvre cinématographique d'après celle de son prétexte littéraire ou paralittéraire, même si le cinéma luimême, ou plutôt sa publicité, nous y invite parfois avec insistance (ainsi, Fannie Hurst apparaît dans la bandeannonce d'Imitation of Life de Stahl, pour se féliciter de la. fidélité , de cette " adaptation "). Il fuut se rappeler, en effet, que le cinéma hollywoodien, tout en partageant divers schémas narratifs avec la littérature, tout en s'apparentant aussi (ne serait-ce que par la composition dè ses images) aux arts plastiques et (par le truchement de l'acteur) aux arts du spectacle, n'en dispose pas moins de ses techniques, de ses procédés stylistiques, de ses exigences et de ses limitations, donc de sa signi-
fication, spécifiques. Selon le mot de Douglas Sirk: * Les angles sont les pensées du metteur en scène. L'éclairage est sa philosophis 7. » Et, au terme d'une
analyse proprement cinématographique du mélodrame hollywoodien, il semble possible d'affirmer que les
7. Sirk on Sirk, P. 40.
286
Conclusion
Bibliographie
chefs-d'æuvre de Griffith et de Stroheim, de Borzage et de Stahl, de Sirk et de Minnelli, constituent, à l'intérieur du moyen d'expression qu'ont choisi ces artistes, une u grande tradition » qui n'est nullement indigne de celle de la « romance américaine , telle que l'a définie Richard Chase.
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lndex des noms de personnes
Cet index regroupe les noms des personnes effectivement associées à la réalisation de films américains : interprètes, metteurs en scène, techniciens, etc.
Bp,sruran S.N.: 201.
A
BEL GEDDEs
Acln John : 90. At-sRIcHr Ivan Le Lorraine: 130. Arorrcx Robert: 35, 54, 203,266,
l13, 190, 223,
276.
AmnN Robert: 93. AÀascHB Don: 175.
Maxwell: 51, 203.
ANonews Dana : 92, ANNasEu-À
I 57.
l3l,
261.
Anrnun Jean: 53, 73, 166, 172, t74,189. AnzNp,n Dorothy : 50, 9l, 257. Asrerne Fred: 90. Arwttr Lionel: 166, 168. Ay*rs [æw: 45.
B
Bacnl l.auren:
47.
Blocen Clarence :234 n. BflNreR Fay: 167. Berp,n Rov: 58.
Bx-l Lucille:
50,51 n,257,278.
4l
n,
Bemxlnor Curtis: Berrcen Lvle: 108.
185.
Brcxnono Ôharles : I l7-l 18.
Buvru Ann : 79.
ANoEns Merrv: 49. ANpr,nsoN Juâith: 261. ANDERSoN
ll2.
BaNroN Robert: 276. BenclrlN Ingrid: 13, 34, 35, Br,mp,LEv Busby: 246 n.
267.
Arrau l,ewis : 124, 126.
AttpN Woody:
Barbara: 80.
BerI-quy Ralph : 50,94,
172.
BlNrHeAo Tallulah: 74.
BrnNx George :216 n. Bannytrrone Lionel : 184. BlxrEn Anne : 105, 200. BEAVERS Louise : 74,244,
Bor,rrrcnen Budd: 14. Bocanr Humphrey: 34, 56. Bot-es John :75,76, 243. BotlP Ward: 90, 168.
Boonu,u John: 223.
Bonzace Frank : 18, 40, 47 ,53, 56, 58, 59, 60, 66, 72, 73, 77, 78, 87,
lt4, ll5, l2t, t25, 129, 131, 132, t33, t42, 143, 153, 158, 160 n, 163-169, 170, t7t, t74, 176, 190, 199,
88-89,90,94,108,
2t8-219 , 225 , 231 , 232-240, 241 , 242, 250,256,257,286. Bovpn Charles : 39, 53, 63,73,166, 174, 241, 242, 244.
BnrHu John: 200.
Buzzt Rossano: 40. BneNr George: 40,93, 132, 166, 202. BnHN David: 107.
Bnocrweu- Gladys: 164. Bnoox Clive: 74. Bnoors l,ouise: 187 n. Bnoors Richard: 128 n,222,266, 273.
BnowN Clarence: 53, I 13,
t2t,192,194.
BnvlN Jane: 93.
ll4,
1I
Index
294
295
Index F
Yul: 105. Bunxn Billie: 50.
92,95, I 30, 143, 144, 149,
54, 7 4,
BnvNNrn
183, 205, 208, 209, 210, 2ll, 214, 231, 247, 2s6, 272, 273,
Bunn Ravmond: 188.
284. Cunrts AIan : 89. CunrIs Elaine: 167.
BuRroN É.ichard: 106.
c
232, 259 , 261 ,
CHaNpI-sn Helen : 50.
Lon: 43 n. CrnNc Dannv: 168. cHAPuN Chailes : 19,22-25,26,39, 70, 156, 177. CrnpuN Geraldine: 273. CHANEY
CHAPMAN
Edythe:
164.
Cnrnrssr, Cvd:246.
Culuuno Émile: 164. Cuounmu Etchika: 87. CTMINo Michael: 91, 93, 125, 152, 274-27s,281. CLIFr Montgomery: 203. Cr-rvB Colin: 50, 53, 73, 166, 175.
l7l,
CotENat"King»:203.
Gary: 53, 56, 90, 94, t65,235,238. Copr-lxo Aaron: 203. CoopBn
t94, 200, 202, 218, 2s7, 263, DprN James : 47, 152.
:
19.
I 86.
Fosss Bob :223,273. Fnexcrs Kav : 105, 150, 1 66. FnrNxp,NuBiuen John : 264, 27 4. FneNrltN Sidney: 58, 201.
Roy: l9l.
DpMru-e Cecil B. : 18, 27, 60,75, 102, lo3 n, lo5, ll5,149,169,
DtrrpnrpWilliam : 35, 43 n, 51, 58, 86, 89, 126, t3l,142, r49,190, DIETRIcH Marlenel.
tst,
53, 76,
125,
256, 257.
Edward: 260 n.
Gordon:
109.
Kirk: 61, ll8, 129. Melvyn: 41, 72, 167,
169. Dnu Joanne: 130. DUNAwAY Faye: 273. DuNcrN Mary :237. DuNxr, Irene : 38, 63, 79, 204, 241,
242,244,2s7 ,263,283. DUNNr Philip :95, ll9, 152. DURBIN Deanna: 170. DwlN Allan :57,77,I10, I14, 148, 191.
G
tt4, t26, 143, 148, 150, ls2, 177,202,216,221,256.
Curon Georgel. 13,20, 41,51,52,
GrsLB Clark 237.
: 109, 167, 171, 225,
Greta :51,92,107, 1 83-1 84, 187, 194,2s6. Genonrn Ava : l3l, 170, 194. GARBo
Grnrrpr-p John
: 52, 61, I18,
199. Grnr.cNo Judy: 54,273. GenÀaes Lee: 216 n. GenNprr Tay: 125, 133, 149, 195,
ErrtsoN James: 172. ERrcKsoN
Leif:
53.
166.
HlrI-sn Ernest: 209 n. HeurrtoN George : 46, 106. Hrnnrs Jdie: 47, 152. HlnnrsoN Rex: 71.
Hawrs Howard: 103, 260. HevopN Sterling : 117.
Heves Helen : 57,90, 165, 238. HEpnunN Katharine: 46, 50, 185,
2s7,263.
4.
27
Hpsrox Charlton : 71, 105, I15.
r George Roy : 274. HrrcucocK Alfred: 32, 34, 41, 49, Hrt
n,92, ll2, ll4,123,125, l3l, t37, 143, ls3, 169, 193, 194,
88
209 n,258,259,261.
Horopn Houraps
William ll0,
144.
Phillips : 32,96.
HoprtNs Miriam : 93, 263. HonNe Lena: 246.
Gausultrt Russell A. : 250. GrvNon Janet: 18, 67 n,129,164,
HovNrNcsN-HueNe George: 209,
Gevn John: 56, 108.
165,237. Gpnrrc Marion: 283 n. GIsH
Dorothy :43,132.
Grsu Lillian
GoULDINc
:
18, 183.
Samuel: 232.
Edmundl. 40, 93, 132,
202,232, 234 n,257.
GncN
Eounos Blake: 195 n.
Halr Alan:
HouspulN John : 34. Howlno John: 218, 237. Hownno Leslie: 50, 78, 221.
232,2s6,260. GARSoN Greer: 35, 68.
GourzEN Alexander : 250. GonooN Michael : 62,95, 186.
E
Hecrrono Taylor:275. Hacroou Chârles K. : 210.
HBnr-rHv James l,eo :
Gor-owvN
Joan : 13, 35, 41, 48, 52, 55,7 2,77,7 9, 113, 118, 123, 167, 169, 184, 185, 189, 199, 204, 225, 237, 257, 263, 266, 27 3. CRoMwFII John: 7, 41,57, lO5, Cn.lwFoRD
Hees Hugo :9O,203.
HevwoxtH Rita: 90. HernBto Paul: 34, 98, 218.
Dr,«Bn Albert: 167.
DoucLAs
Cnan Jeanne : 47, 126,207,225.
H
Victôr : 62, 206.
Fnr,orp.rcr Blanche : 165. FneuNo Karl: 258 n. Fur-lnn Samuel: 149, 150.
DoucLas
CorreN Joseph: 34, 51, 107, 190, 277 n.
CnuzB James : 235 n.
27 3.
Ds HlvtrrnNo Olivia : 13, 203.
198.
s, 27 8, 281,
165. 145.
FoNol Henry: 108. FoxrlrNe Joan: 13, 33, 38, 40, 51, 54, 92, 169, 198, 199, 284. Fonp John: 46 n,75 n, 108, 185,
DE CARLo Yvonne: 105. Dr,e Frances : 221. DEL RurH
2V
Glenda:
John:
FreLos W.C.
FLEMTNG
Dlvnlos Richard: 47. DAvIs Bette :40,48,58, 61, 93, 98, 107, 132, 184, 185, 190, 193,
DouGLAs
Coppote Francis Ford : 93, 223. Conrez Ricardo: 79, 80 n. ConrBz Stanley : 216-217 n.
223, 224-225, 233,
284,286.
Frrzuaunrcr, George :234 n.
DoucEr Catherine: 166.
ll2,
27, 39, 43, 57, 59, 95, 109, 183,
FIsr Jack: 275.
D
DMYTRYK
CoLaMaN Nancv: 185. CoLMAN Ronalà: 35, 68. CoNNor-r-v Walter: 88, 165.
CoNwav Jack : 43, 60, 284. Coopen Ry:277 n.
FennBI-rFARRow
174,205.
CLIrrono Gruemel.273.
CoraBnr Claudette: 74, 79, 176, 186,202,244,257.
s.
DINIrI-I- Henry: 52, 183. Demeu Linda: 44, 186.
Cennon Madeleine: 185. ClnnoLL Nancv: 97. ClvlNlctt Paul: 52, I 18.
Gnrrrrrt D.W. : 18, 19,21,22,26, Frances: 273. Fennsrr Charles: 67 n, 129, 164, FARMER
Frrznov Emilv: 164.
Clpu Frank : 50, 60, 72,80 n,87, 94,109,127, 159, 17l, 172,173, t76,231,257. Clnmuo Læo: 166.
27
Alfred E. : 61, 170,257, Lorne : 55, I 17,
GREENE
165, 190,237.
Cunnz Michael: 34, 61, 74, 77, 113, l18, 143, t48, 202, 206,
GnepN
Albert:
164.
GnaNr Cary: 39, 53, 63, 76, 105,
120,204.
l2l,
142,
Howln» William K.: 81, 142. 21o,214.
Hur Li Li: 87, 167,219,237. HUDSoN Rock: 47, 48,62,63,92,
118-il9, ls3, 188, 190,211.
HuNrEn Alberta :277 n.
Huxrsn
lan:
167,237.
HuNrr,n Ross : 250, 252,271.
42, 87. HusroN John: 194, 260,278. Huxrev Aldous :34,284. HuNrBn. Tab:.
Hvpn Martha: 227.
lll,
213, 226,
Index
296 I
L
297
Index
o
M.lnttNDean:111.
MlsoN James: 54, 80, 131.
INcp William
: 133, 153,274.
INcnxu Rex (acteur): 133.
INcneu Rex (réalisateur): 46, l 5s. IneL-ANo
John:
[,r Crvr Gregory : 7 4,79, 172, 202,231, 257. IâMARR Hedy : 127, 189,245. Leuoun Dorothy : 219, 237. LANFIELD
130.
Lrttc Fritz:
Ivss Burl : 47.
:90,
Sidney
ll4,
17
6,
Rus Jack: 90,
t77
172.
124, 131, 208,
JAcKSoN Mahalia: 96. JANNINcs Emil : 259.
LETSEN
t75.
JoHNsoN Yar:: 132,247. JoNps Buck: 164.
Mitchell: 87, 150,
t3t, t4t,
170,
143, 149,
192, 201, 257 , 265. LewIN Albert : 130, 131, 194, 205. Lrwts Jerrv: 171 n. L,rrvex Anàtole: 58, 185, 257. l,lovo Frank: 205. LoceN Joshua : 1 33, 1 53.
Jov Leatrice: 75.
LoÀ,tglR.o Carole
K
176,257.
:
105, 150,
172,
Lonnp Peter: 167.
Lustx Arthur: 251. LusIrscH Ernst: 24, 31,96, l4l, 152, 177, 183, 198, 216 n, 256,
Klu'lus Natalie: 207. KeNIn Garson : 172, 177. K"esolN l,awrence : 27 4, Kezm Elia : 47, 121,209,265-266,
274. KparoN Buster: 22.
Luupr Sidnev : 264.274.
l.
: 23, 50, 53,
Johnny: 203.
Mrorer Betty :273. Mtlps Vera: 55. Mrt,l.eR Carll'22. MIr-Lr,n David: 40,72 n, 195. MIEER Patsy Ruth: 43 n.
MrNcrorrl Esther: 89. MTNNELU
Liza
273.
MINNpt-t-t Vincente : 45-46,53, 57, 61,62 n,95, 105-107, 110, 1ll, l18, 120, 122, 123, 127, 143,
t52, 199, 203, 208, 2 lO-21 l, 212'
213, 223 , 226-227 , 231 , 245-248,
252,270,271,277 ,286, Mrrcsrr-l Thomas: 89.
MITcHUM Robert :46, 106. MoNRoE Marilvn: 133.
MoNrcorur,nv Éouglass : 166.
Robert : 264,272.
278.
Munuv Don: 133. Munuv James: 75.
M
P
Mrrrv Russell : 250.
MuLLIGÀN
MAcLATNE
Shirley:
lll,
212, 2r3, 226, 227
Pexuu AlanJ.:222. PnuuceJack: l17. PARKER Eleanor: 106. Plrnrcr Nigel : 194. ParreN Luana: 46.
Pecr Gregory: 55, 148. PEcKTNPAH
PsirN
Sam:
Arthur:
PEPPÀRD PERKTNs
14.
274.
George : 46, 106,
Millie :
152.
Marv: 165. Prcrrono Maiy: 78, l2l, Prrs ZaSu : 149, 164.
PHTLLTPS
142.
PoLIâcK Sydney : 221,272,274. Porten H.C. : 234 n. PowELL Michael : 123 t. PowBI-t- William : 150, 172. Powr.n Tvrone: 57, 60.
Otto: 44, 57, 60, n, 186, 192, 206, 261.
Pnr,rtrrNcËn
l4l
131,
Pnesrev Elvis: I 19,152. PnrsssunceR Emeric: 123 n' PRÉvERr Jacques : 54, 203, Pruce Vincent:. 197 n. PunvIrNcs E,dta 22.
152, 188,
Meucr Terrence:275. MrI-oNe Dorothy : 62,211.
234 n. KINsxr Nastassja: 276, 278.
MAMoULTAN
Rouben
205,215. MaNrtswtcz Joseph 277-
278.
Kosrnr. Henry : 123, 170, 208.
: 123 n, 187, L.: 95, 128,
143, t70,200,266,282. MrNtt Anthony: 14,209 n,260.
MmN Delbert: 264. Mrncu Fredricl'44,91. Mrnsrnr-r Herbert : 4l , 53,7 5, 125, 143.
o
.
KINc Henry: 18, 40, 58, 66, 76, t22, 127, 148, 183, 203,
KnlsNl Norman: 172. Kwtt Nancy: ll0.
89,
120,
166.
Kosur Joseph : 54,203.
MERcER
16O q
204,248. Kern John : 53,248.
Kucsr Patricia: 89. KoNcHALovsKY Andrei: 132,
15
MurNru F.W.: 18, 25, 91, 128,
Ksnn Deborah: 38, 53, 63, Guy:
Victor :
MooRE Cleo: 90. MoRcAN Dennis: 72. Mo*clN Ralph: 89. MontsoN Patricia: 89.
: 127, 167.
Lupruo Ida: 40. LvNI-sv Carol : l4l n.
KreroN Diane: 222,273. KpInr Robert : 47,62. Kerrv Gene: 212. KENNpov Arthur : 46,223. KrNroN Erle C. :234 t.
KIBBEE
2s9. Luxes Paul
n, 71,
Hattie : 148, 167, 169. McGuIne Dorothy : 38, 42.
165.
Vivien: 32, 56, 68, 201,
67, 68, 123,
,
McDANIEL
MeNrou Adolphe
LE RoY Mervyn : 32, 35, 44, 56, 60,
Jottps Jennifer: 35, 71. Joun»rN Louis: 38, 54,199.
2s7
MBI-lon William C.: 219 n.
Lee Rowland V. : 69.
257.
204, 208, 231, 241,
McNlu-v Stephen : 45. METcHAN Thomas: 75.
Charles: 43 n. Llurue Piper: 38. Lsssnsrr lvan: 174. LeIcH
,
McLAcLEN
165.
[-AUcHroN
J
l3l.
Merune Victor : 87, 167,219,237. McCrnp,v Leo : 38, 55, 63, 119,149, 267-269,277 n.
237 n,239 n,258,259. [.eNcB Jessica: 273.
Ll
MarÉ Rudolph: 49,
N
QutNe Richard : I10, 203,271. NecsI- Conrad: 49. NBcnr Pola: 259. NEGULEsco
Jean: 38, 45, 52, 58,
232,234.
NEIIâN Marshall :234 n. Nesstrr Cathleen: 120' NEwMAN
Paul:
38,
Novar Jane: 164.
QuINN
Anthony:
186.
R RrtNs Claude : 44,193. R.rrsrN David : 197 ,261.
298
Index
299
Index WAYNE
98, 125, 198,
192 n,
SlottlN Edward: 251. SutrH C. Aubrey: 68.
WrluueN William: 108,
Srecx Robért: 27, 47, 167, 171,
WENDERS
2tt,247.
62, 7l ,72,7 4,7s, 8t , 82,95-96, 123,
U
257, 258 n, 261, 262, 266, 283,
Ulruen Edear G.: 126, l3l' l4l' 143. 151: 185, 190, 245,259.
126, 132, 142, 143, 158, 186, 193, 198, 200, 206, ztt, 225, 231, 240-245, 250, 2s t, 2s2, 256, 285,286. SrlNrou Harry Dean: 276. SreNwycx Barbara: 20, 50, 76, 107, 110, 158, 257, 263, 264,
: 79, 198 n, 202,
216. SrsN Anna :94, ll2. Srr,nN Isaac : 199.
122, t25,
235,236, 256, 273. Srr,vsNs George :20,91, 185, 188,
SaINr Eva Marie: 105. SrNor,ps George : 44, 169. SlvlcB John: 93, 278.
Slvtu-a Victor: 125. ScrHrznr,x.c 273.
Jerry:
160-161, 223,
Scorr George C.: 38. Scort Zacharv: 79. Serns Heathei :40,123. SBrsrnou Victor : 18, 57 , 256 n. SBLzNrcr David O. : 123 n, 209, 232.
286. SruRGEs
260.
Preston: 81, 142, 177,
Suu-avlx Margaret: 13, 88, 89, 166, 167, 168, 190, 238, 242, 243,257.263. SuNsor Gloria: 77, llÛ, 193. SvusSylvia: ll0.
Snelrlnoy Leon: 207, SHsRMAl.r
SroNBv
Vincent: 109,
193,
Sylvia: 91, 283 n.
T
SIp,cel Don : I 19, l9l. SnroN Simone: 67 n,2O3.
SrNrrnr Frank: 46, 226.
VIN
DnSELEN
lll,
153,223,
Stopuax Robert :38, 126,203. SInx Douglas :7 , 19 , 37 , 39 , 40, 47 , 48, 56, 58, 62, 89,95-96, tO7, l14, 118, 122,124,126 n,127,
128, 132, t43, t44, 145, 152, 153, 159-160,
l6l,
l5l,
189, 198,
200, 203, 208, ztt, 212, 2t3, 221, 223, 224, 231, 247, 248, 249-252, 259, 265, 267, 268-27 0,
271,28t,285,286.
TesnuN Frank:
l7I
n.
Trvron Elizabeth :92, 105, 194. Tayr-on Robert : 32, 46, 52, 56, 67,
88,92, t07, t66, 183, 201.
Tlylon Rod:
92. Tssrcr{ Steve: 274. TrERNpy Gene : 47, 62, 95, 126,
184, 207, 263,264.
TrorrlruN
2rr,
Dimitri:
l3l,
225, 244, 261,
200.
Toreuo Gregg: 217. ToNp Franchot: 61. 89. 167.
Wrlunu Warren: Wrus Chill: 190.
121.
.
Kine: 18, 71, 75' 76-77' 80 n.94,-95, 107, 110, l1l, 190,
Vt»on
231,257,272.
w WeLrsn Robert :277 n. Wrrsu Raoul : 7 1, 141, 195, 260. WrrreRs Charles: lO9, 125, 170' 191.
166.
WnsoN Janis: 98'
ll3.
t77 ,257. woRsLEY Wallace: 43 n.
John:
Vtoon Charles : I 5l
SrewenrJames : 67 n, 89, 150, 167,
172,203,237. SroNE Andrew L. : 58. SrnoHpru Erich von :18,26-27,36, 85, 149, 193,225,278,279 n,
276-277.
Woop Natalie: 272. Wooo Sam :72, 128, 132, 139 n'
v
194,221. SrBvr,NsoN Robert : 33, 34, 7 2, 142, 191,242,257, 258, 284.
S
54, 87,
244,264. Wrlpsn Billy: 144, 195 n, 260.
WIsE Robert:
128,170,189, 201.
tst,
142,
WIt-ps Cornel : 47, 60, 89, l9O, 207,
VIN Dvre Woody S.: 58, 60, 80,
von : 39, 53,75, 170, 2t6, 231,
StpnNasR.c Josef
lffim
42,
81,
Wtcrt Bernhard:277.
Sr*tr John M. : 38, 40, 47,58,
Srrtuen Max
186.
259,277.
Splcr,x Sissv: 275.
273.
John:
WstLL Kurt: 51, 203. WELLEs Orson: 34, 40,
SrtrNpn Frank: 250.
Wnrcsr Teresa: 92.
William : 20, 36, 57 , 67 ,71 , 86, 140, 193, 200, 203, 217, 232,
Wvr-en
2s7,278.
WvueN Jane : 13,36,38,41,45,4849, 62, l15, l19, 129, 153, 186, 267. WyNN Keenan: 37.
Y
YouNc Loretta: 69, 73, 88, 165, 173.239,263. Youttc Robert : 42,89, 167.
f,f,;p, \Etsÿ/
lndex des titres de films
EI
Cetindexregroupelestitresoriginauxdesfilmsaméricainscités, é""héant, le titre français en regard' Il est effectué un "r;;;i;;;t ...ruâi interne du titre français au titre original' All the President's Men (Les Hom'
A Abraham Lincoln (L-a Révolte des esclaves) : 95.
l"*tt
the'tUide Missouri (Au-delà
du Missouri) : 108-109. Adieu au dralieau (L'): v. A Fare' well to Arms.
Adàirabte Crichton (L'): v. Male and Female.
A.dventures ol Robin Hood (Les Àventures de Robin des Bois) : 206. l,i Allair 1o Remember (Elle et luiii 38-39. 63, 99, 119'120, 124'
Tii
130, 132, 149, 177, 190, 204'
208. 241, 267-270.
eite-s-âe l'espérance (Les) : v. Battle A.
Hymn. li recherche de Mr. Goodbar : v'
Lookins'lor Mr. Goodbar.
A I'est d'Ëilen: v. East of Eden. Alice Adams: 185.
Alice Doesn't Live Here AnYmore (Alice n'est Plus ici) : 272.
Iti lbout Eue (Ève) : 200.
Fall Down'(L'Ange de la violence): 274. Alt I Deiire: 20, 107-108, ll4' 127,
Att
250.265. Alt That Heaven Allows (Tout ce oue le ciel Peûnet) : 48-49' 54,
èz-et. ss.
it+, tte-t19,
126'
128-129. l'30, 132, 159, 186, 190, 2oo, 218, 219 n,250, 252' 268' 281. ntt the King's Màn (Les Fous du
roi):
i
130, 223.
mes du President) :222-223. Atnants de CaPri (Les) : v. SePtem' ber Allair.
Amanti' de Salzbourg
(Les)
:
v.
Interlude. Amants du CaPricorne (Les): v, IJnder Capricorn. Atnbre : n. Foreuer Amber.
Amère victoire: v, Bitter Victory' America (Pour l'indéPendance) : 26. An American in Paris (Un Américain à Paris) :210,212' 248.
L'amour cherche un toit: ÿ' Standins, Room OnlY.
Amour délendu: v' Forbidden.
Atnour tàrrog"
: v. Wild in
Coun\ry.
Amour vîent en dansant (L')
the
:
v'
You'll Never Get Rich. Ange: v. Angel.
An'se de ta r"ue (L').: v. Street Angel' An'ge de la violènce (L') : v. All Fall
Down. Ansel (Anse):216 n.
An'soiî s e :"v.' Exp e rimen t P e rilo us' An'na Christie ; i t3, t 17-l I 8. Anna et les Maoris : v. Two Loves'
Anthonv Adverse: 44,60,66'
140-i4r, 22r.
l3l,
Ardente Gitane (L') : v. Hot Blood' Arnaqueur (L') : v. The Hustler' Anêt'd'autobus: v. Bus StoP. À.tturor"" sur la mort: v. Double Indemnitv. A travers i'orage: v' WaY Down Easl.
302
Index
Au-delà du Missouri: v. Across the Wide Missouri. Aurore (L') : v. Sunrise. Autant en emporte le vent : v. Gone with the Wind. Autre (L'): u. In Name Only.
Autumn Leaves (Feîilles
{lqufo-r.nne): 35, 54-È5, 99, 126,
203-204, 266, 267. Aÿentures de Robin des Bois (Le§ :
v.
The Aduentures
Hood..
of
ilobîn
Atteu (L').'v. Summer Storm.
Bhowani Junction (I,a, Croisée des
destins): 125, 143, 144, 209,214.
2Og,
.Big. Chill (Les Copains d'abord\:274. The Big ebck 1I,a Grande Horloge): 145. Bigger than Lile (Derrière le miroir) : 192 n,208.213. The.
The Big Knife (Le ôrand Couteau): 266. The Big Parad.e (La Grande Parade): 231"
The,Big.Sky^\La Captive aux yeux clairs): 103, 108-109.
B
Babes
on Broadway (Débuts
à
Broadwav) :246 n. Baby,Doll (La Poupee de chair) : 266. Baby, the Rain.Must Fal/ (Le Sillage de la violence): 272. Bachelor Mother (Maâemoiselle et son bébé): 177.
The Big Sleep (Le Grand Sommeil) : 260. The Birth. of a Nation (La Naissance d'une Nation) :'26, 224225, 233, 27s. 281. i8q n. The Bitter Tea of General yen : 109,125.
Bitter Victory (Amère victoire)
:
Pl.qrt flrry. (Furie noire) : 275. Blind Husbands (Maris aveugles)
:
213.
27.
Back Str'eel (Histoire d,un Blonde platine: v. plarinum gr_n-our): 72, 8l-83, 127, 142, Blonde. 1!q, rer, 240, 242, 243, 257, Bl21dg _V_enus (Blonde Vénus) 258,283. The Bad and the Beautiful (Les En_sorcelés)
: 6l-62, Ç5,
247,248,270.
143, :
The Band Wagon (Tous en scène) -
:
The te re
:
18,231 .272.
sef Bouleÿard.
Baronne de minuit (La): v. Mid-
night. Ba-s-Fonds ne.w-yorkais (Les) : v. Und.erworld Il.S.A. Bateliers de la Volga (Les) : v. The Volga Boatman.' Baîtle Hytn-n^ 49 _AiJgs de l,espé^(I
rance) : 132,208.250. Becky Sharp : 205-206. Bells Are Ringing (Un numéro du
tonnerre): 210. Be_loved tniidel llln matin comme
_.les_autres) : 127, 148-149, 203. The,Best .Years ol Our Lives (Les plus belles années de notre vie) :
36-37,86-87,92, 278. Beyond the Forest (l-a. Garce) : 95, to7, 127-128, 184. l90.
Caoitaine sans
loi: t.
Cæurs brîtlés: v. Morocco. Comme un torrent: v. Some Cane
PlYmouth
Àdventure.
Captive aux Yeux clairs (La) îhe Bis Skv.
:
Runnine. Comtesse"aux Pieds nus (La): v'
v'
fie--C"Vdiial (Le Cardinal) l4l n.
The Bareloot Contessa.
:
Confidential RePort:
Cargo maudit (Le): v.
Grandet): 155'
Carso.
ciitrebaidiers de
r45.202.259. a Hot Tin Roof (l-a Chatte sur"itun toit brrilant) : 266'
Corde (Ld : v. RoPe.
cisàb1anca: 32,34, 124, l4l-142'
chill.
Corresboidant 17 : v. Foreign Cor'
causht : 80-81, 189, 192, 259.
Celii oar qui le scandale arive : v' Home fiom the Hill'càiarlttô" auc grands Pieds: v' F oreisn C ortes?ondenl
:
resoondent.
Coiiâc" enchanlé (Le): v.
v'
Crime vient à la-lin (Le): v. Mur'
-
ciii-aZlo zon"i
v. Man's Castle' Chained (La Passagère) : 192' ôhant du'Missouri(Le) : v. Meet Me in St. Louis. Chasse à l'homme: v. Manhunt' ônài""" de rêves: t. Ice Castles' Château du dragon (Le): v' Dra' sonwÿck.
der. Mv Sweet. destins (La)
cr"itZi îes
D Dais,t KenYoz (Femme
des sables (Le): v' The Sandpiper. ciiuàrh'a'o, (Les):'t. The Lod-
Ciiiatier
oàmiat' du cæur (Les): v.
Bus_Stop (Arrêi d'autobus): 133, I 53.
Dolt: 56, 87, 90, 132, 133' 107-tos, 169, 219, 233'234' 237'
c
ment Perilous.
Dangerous (L'Intruse):
238. Chirurs,iens : v. DisPuted Passage'
White Sister.
ra"peuses): 118.
oavid C opberlield : 284.
ih"'Circus (Le Cirque) : 22. The citadel'ua citâdelle) : 80 n.
bàyi of tiàar"n (Les Moissons du ciel): 275. oiAuis à BroadwaY: v. Babes on
:
Broadwav.
128'
(Les'Lumières de la
Cabaret: 223. Cabin in the Sky (Un petit coin aux
Cles du r'oYaume (Les) : v, The KeYs
Caltillg (Le loman de Marguerite Ç_agtier): 5l-52, 92, tO1, tB3r84,188.256.272.
208,210.
lirnt", (Voyage au bout de l'enfer) : 91,93:94' 125, 152,
rhe fieer
274-275.277.281.
s'éveille
la nuit) : I 14'
ol the Kinedom. rhé Clock:745. inicoUweb (LaToile d'araignée)
257'
Dark Victory (Victoire sur la nuit) : 40. 132.257.263. Dauehteri Courageous (Filles cou-
ôiin-iiinE Jille)-: 22. 39, 70. ctïiiiÇi Niént (Le démon
cieux) : 245-246.
6l'
oiii l"s laves du Vésuve: v. The
srands Pieds): l7l n. Cfnauièmle colônne: v. Saboteur'
citÿ'Girl (ta Bru):
The
263.
inde"rfeila (Cendrillon aux
citir.en Kanè 0-e CitoYen Kane) 80. 81. 142, 143, 217' 259.
maî-
Godless Girl. Dangereuse exPérience: v. ExPeri'
eer.
Choc:n. Momenl 1o Moment' ôiiittooh", Strons (La Phalène d'arsènt) : 50,257 ,263'
216 n,256.
ou
trésse): i92.
Brg\ery
Bru (La) : v. City Girl.
: v. Bho'
wani lunction. The Crowd (La Foule) : 75. Cynara: 231.
îur un toit brûlant (La) : v' CËatte Càt on a Hot Tin Roof.
C
The
Enchanted Cottagetn7éàiittlrip ol Eâdte's Father (rl fiaut mariei PaPa) : 245.
CËina -
Lys brisé) : ^llo.s19mi'1te 26, tog, 11o,233. Broken Lullaby (L'homme que i,ai fué) : 31-32, 36,96-97, l4i, t98,
Moonfleet
tLed : v. Moonfleet. Càiaihs d'abord (Les) : v. The Big
Cit
Cinderfella.
Mister
The Conquering Power (Eugénie
Strange
Cet homme est un espton
v.
Arkadin.
The Carev Treatment (OPération chndeitine) : 195 n'
Bourreaux meurent aussi (Les) : v. Hangmen Also Die. B_rigadoon : 123, 2lO, 247, 248.
(la Com_ Brqgdyg Mqlody of 1936 (Métonus) : 95, 143, die à Broadwav): l9l.
bareloot Barefoot Çontessa Contessa
te.sle_lUx pieds 144, 170, 188.
Bohème (La)
:
Boulevard du crépuscule: v. Sun-
Ba!.d 9llngels (L'Esclave libre) 71,195.
2t0,212.
53,75-76. 125.256. Bobby Deerlield: 272.
303
Index
:
oi t'aitre' côté' de minuit: v. The Other Side ol Midnieht. »i*."i de la'chair (Le) : v. The Stranse Woman. Démon"s'fueille la nuit (Le) : v' Clash by Night.
304
Index
du diable (Les) Savage Innocents.
Dents
: v.
The
Depuis ton départ: v. Since you
llent Awav.Derri.ère le miroir: v. Bigger than Lrfe.
Des gens comme les autres: v.
Ordinary Peoole. Destin se ioue la nuit (Le) : v. History Is Made aî Nisht. Deux mains, la nuitl v. The Spiral
Staircase. Deux Orphelines (Les) : v. Orphans of the Storm. Diablesse en collants roses (La) : v. Heller in Pink Tishts. Dictateur (Le) : v. fhe Great Dicta' tor.
Dishonored (X 27): l5l. Disputed Passase (Chirursiens) _218-219 ,
233 ,237', 238, 2:41
The Divine Woman divine) :256 n.
Dit
(ta
:
.
Femme
Commandem_ents (Les) : v. The
Ten Commandmenis.
Db, rue Frédérick: v. Ten North Frederick.
Do-uble Indemnity (Assurance sur
la mort) : 260,264.
Doux oiseau de ieunesse : v. Sweet Bird of Youtli. Dragonwyck (Le Château du dragon) : 282.
Empire du Grec (L') : v. The Greek Tvcoon.
''T":;::
(L'): v' of Human Bon-
En avanr la musique : v. Strike up the Band. Enchaînés (Les) : v. Notorious. The Enchanted Couage (Le Cortag_e enchantéJ : 4l , 42, 126, 143 , 192.
Ensorcelés (Les): v. The Bad and the Beautiful.
Ensorceleuse (L') : v. The Shining Hour.
The Duel sans
at Silver Creek (Duel merci): l9l.
Dynamite : 27.
Espions sur la Tamise : v. Ministry of Fear. Et demain ? : v. Little Man, What
.Now?
v. I,ll Be Seeing You. Eugénie Grandet : v. The Conquer-
Experim.ent Perilous (Ang.oisse/D^a n ge reuse eipérience) : 127, l3O.
Easter Parade (Parade
Rings Twice.
: v. The Fantôme de l'Opéra (Le) : v. The Falg§e mystérieuse (La) Uninvited.
tie Opera. A Farewell to Anns (L,Adieu au 911n"9"1: 56-57, 90, t3t, 132, 1g!,-!98, 221, 233, Bs: n7',
temps):
Ea;! 9f _ t2t,
Ecit
l9l.
du prin-
(A l'est d'Eden) : 47, .E_d_en 1s2,209,266.
sur du vent : ÿ. Written on the
Wind.
Elephant Walk (La piste des éléphants): 58.
Ella Cinders: l7O.
lui: v. An Af-fair to Remember, Love Affair.
Elle et
Feuilles d'automne
v.
Flirtation
238-239.
Fate's Turning: 26. Father of the-Bride (Le père de la mariée) : 245, 247. Faucon maltais (Le) : v. The Maltese Falcon. Faux Coupable @e) : v. The Wrong, Man. FemLne aimée.est toujours jolie : v. Mister Skelfington.' Femme au corùeau (La): v. The River.
W
alk
: v. Autumn
(Mad,emoiselle
Général): 232.
Foolish l4riues (Folies de femmes)
18,2t,27,36,
124.
Forbidden (Amour défendu) 72, 173,231,257,263.
:
:
50,
Forbidden Fruit (Le Fruit
défendu): 169. Foreign Correspondenr (Correspondant l7/Cet homme est un espion): 258.
Forever Àmber (Ambre): 44, 57,
60,66, t86,206. The Fortune Cookie (La Grande
Combine): 195 n.
For Whom the Bell Tol/s (Pour qui sonne le glas): 139 n. Foule (La) : v. The Crowd.
Four Daughters (Rêves de jeunesse) : 61, I 18, 126, 148,200. Four Friends (Georgia) : 27 4, 275. The Four Horsemen of the Apocalypse (I-es Quatre Cavaliers de
l'Apocalypse) : 46, 47, 57, l2O121, 125-t26,208. Fous du roi (Les) : v. All the King's Men.
ol Harrow (La Fière :38,62,63,7 l, I 14, 186,
The Foxes Créole)
193,195,241,244.
Frances: 273,
Fruit.
Fureur de vivre (La): v, Rebel
Without a Cause. Furie du désir (La): v. Ruby Gentry.
Furie noire : v. Black Fury. G
Courageous. Fils du pendu (Le) : v. Moonrise. First Love: 170-171.
the Flame.
Fruit défendu (Le): v. Forbidden
Daisy
Leaves.
17,
Phantom of
E
ou maîtresse : Kenyon. Femmes: ÿ, The Women. Femme
Flaming Star (Les Rôdeurs de la plaine) : I19. Flamme sacrée (La) : v. Keeper of
: v. Band ol
A Face in the Crowd (Un homme dans la foule) : 266.' Facteur sonne toujours deux fois LL|' y. The Postman Aliays
: ig-
Femme divine (La): v. The Divine Woman. Femme libre (La) : v. An Unmarried Womon.
, ing Power. Eve : v. All About Eve. Exorcist II : The Heretic (L,Hérétique): 223.
Angels.
Drums \long tle Mohawk (Sur la piste des Mohawks) : 186. The Drunkard's Relormation (Le 19.
Femme au portrait (La) : v. The Woman in the tyÿindow. Femme de quarante ans (La) : v. Smouldering Fires.
Etranges ÿacances:
Esclave. libre (L')
F
Remords de l'aléoolique)
30s
Fière Créole (La): v. The Foxes of Harrow. Fièrtre dans le sang (La) : v. Splendor in the Grass. Fille sans Dieu (La) : v. The Godless Girl. Filles courageuses: v. Daughters
Driftwood (Jenny et son chien):
tt4,191.
Index
Garce (La) : v. Beyond the Forest. Géant: v. Giant. Georgia, Georgia's Friends : v. Four Friends.
Giant (Géart): 9l-92, 126. Gisi: 210,248. Gilda
:
151.
Girls (Les) : 209. The Glass Menagerie (L,a Ménagerie de verre) : 36,49, 129,133. The Glass Slipper (I-a Pantoufle de
verre):
170.
The Godfather (Le Parrain): 93, 223.
The Godless Girl (l-es Damnés du cæur/La Fille sans Dieu) : 27. The Golden Chance: 174,205. Gone to Earth: ÿ. The Wild Heart,
Gone with the l4lind (Autant en emporte le vent) : 62, 63, 71,
195,206,209,257.
Th9 Good Earth (Visages d'Orient): 58.
Grand Alibi (Le) : v. Stage Fright. Grand Couteau (Le): v. The Big Knife. Grande Combine (La) : v. The Fortune CookieGrande Horloge (La) : v. The Big Clock. Grande Parade (La): v. The Big Parade.
Grand Sommeil (Le): v. The Big Sleep. The Great Dicta.tor (Le Dictateur)
:
t77. The Greatest Show on Eartâ (Sous
le plus grand chapiteau monde):
du
60.
Greed (LesRapaces) : 27 , 149,225, 279 n.
The Greek Tycoon (L'Empire du
Grec): 272. Green Dolphin Street (Le Pays du dauphiri vert) : 125.'
The Group (Le Groupe) : 274. Guest in the House: 200.
Index
306 Humoresque: 52,
H
Hangmen Also Die (Les bourreaux meurent aussi) : 258. Haute pègre: v. Trouble in Paradise. Hauts de Hurlevent (Les): v. Wuthering Heights. Heidi: 148, l9l. The Heiress (L'Héritière) : 20, 203 ,
204.
lor Glory: v. Lafayette Escadrille. Heller in Pink Tights (La Diablesse en collants roses) : 20,209. Hell-Bent
Hello,Sister!:149. Her Code of Honor: 132,240.
(L'): v.
Seventh
His Butler's Sisler (La Sceur de son
valet):232.
Histoire de trois amours: v. The
Histoiie'd'un amour: v.
Back
Street.
History Is Made at Night (Le destin seioue la nuit): 53,59,73,166,
t7t,
174-175, 189, 233,
107, 111,247. Homme dans I'ombre (L'): v. Ragsedv Man.
Hômme de la plaine (L'): v. The
Man from Laramie. Homme de l'Ouest (L'): v. Man of the West. Homme que j'ai tué (L') : v. Broken Lullabv. Hommei du Président (Les) : v. All the President's Men.
Homme tranquille Quiet Man.
Honeymoon:
(L'): v.
The
It Happened One Niglzr (New YorkMiami) : 87, 17l. I've Always Loted You (Je vous ai toujours aimé) : 199,2OO.
I
l'ai le droit de vivre : v. You Only
Ice Castles (Château de rêves): 272.
Ice Palace: lO9.
I Confess (La Loi du silence): 209 n, Il était une fois: v. A Woman's
vacances): 149.
Imitation of Life (Images de la
vie/Mirage de la vie) :74,79,96, 122, t4t, 188, 189, 200, 203, 2t t, 212, 221, 240, 243-244, 248, 250, 251, 2s2, 257, 268, 269, 270,283,285. Impératrice rouge (L') : v. The Scarlet Empress. Imoitovable (L') : v. Ruthless. Ini,enàie de Chîcago (L') : v.In
old
Inconnu du Nord-Express (L') :
v.
Strangers on a Train. lnfidèlement vôlre : v. Unfaithlully
Live Once. lane Eyre: 33, 34,35, 40, 42, 58, 124. 142. 192.284.
leanne d'Arc : v. loan the Woman.
Jennie Gerhardt: 283 n. lennÿ et son chien: v. Driftwood. lenny, femme marquée : v. Shockproof. Je retourne chez. Maman: v. The Marrying Kind. leux dangereux: v. To Be or Nol 10 Be,
Je vous
Insoumise (L') : v. lezebel.
Interiors (Intérieurs): 276,277.
ll3,
223,
Interlude (Les Amants de Salzbourg) : 124-125, 198,208,250, 251. Intermezzo, A Love Story (La Rançon du bonheur): 50-51, 98-99,
124, 160, 198,257.
ai toujours aimé: v, I've
Alwats Loved You. tezebel' (L'lnsoumise)
:
57-58,
7
l,
193, 20:O, 257 ,263. loan the Woman (Jeanne d'Arc)
:
27.
lohnny Belinda: 38, 40-41, 45,49,
ll5, ll8,
123.
lohnny Guitar (Johnny Guitare) 192 n,213.
:
luarez:86.
lulia:
Honeyiuckle Rose (Showbus)
:
160-161.
Hot Blood (L'Ardente Gitane): 109. The Hotel New Hampshire
New Hampshire):274.
(L'Hôtel
Intolerance (Intolérance) : 26, 233. Intrigues : v. A Woman of Alfairs. Intruse (L') : v. Dangerous.
Invisible Meurtier
I
(L')
: v.
Take This Woman; 80, 170, 189,
20t.
:
Letter from an Unknown Woman (Lettre d'une inconnue) : 38, 54,
57,75, 124, 143, 144, 145, 199, 231,243,251.
Let There Be Light: 278.
: v. Letter from an Unknown Woman.
Lettre d'une inconnue
Lettre écarlate (La) : v. The Scarlet Letter. Liaisons secrètes: v. Strangers When We Meet. Lien sacré (Le) : v. Made for Each Other.
The Little American (La Petite Américaine): 17, 18. Little Man, What Now ? (Et
demain?): 166,
l7l,
190,
l9l,
: v. Reign of TerThe Lodger (Les Cheveux (Le)
ror.
K
d'or/Meurtres) : 21.
Keeper of the Flame
(ta
Flamme
sacrée): 130. The Keyé of the Kingdom (Les Clés
du royaume): 123, 142, 240, 24t.
Kismet:210. Kitty Foyle: 72-73, 128, 132, 177, 257.
Kramer vs. Kramer (Kramer contre Kramer):276.
Loi du silence (La) : v. I Confess. Loin du ghetto: v. The Younger Generation. The Long Long Trailer (ta Roulotte du plaisir) : 245,247. Lookins for Mr. Goodbar (A la
rechéréhe de Mr. Goodbar): 128 n, 222, 223, 27 3, 27 5.
Lost Hoizon (I-es Horizons perdus): 60. The Lost Weekend (L,e Poison)
:
260 n.
Love Aflair (Elle et lui) : 38-39, 63,
ttg, 124, 130, 132, 177, 204, 241,257,268. Lotte Letters (Le Poids d'un men-
L
The
Unseen.
266. Let's Make Love (l-e Milliardaire) 209.
233,236,238. Living on Velvet (Srlr le velours) : t3t,166, 17t.
272.
v, Once Upon a In This Our Life : 194.
Honeymoon.
The Late George Apley: 128. Laura : l3l, 197 -198, 261. Lazybones (Notre héros) : 88, I 15, 164. Leave Her to Hearten (Péché mortel): 47, 62, 95, 126, 143, 184, 190, 191, 193, 206-208, ztt, 225226, 240, 241, 244-245, 26t-264,
Livre noir
Yours.
In Name Only (L'Autre) : 105, 106, 256,257. In Old Chicago (L'Incendie de Chicago): 58, 221.
Lady Sines the Blues: 272. Lafâyene" Escadille : 42, 56, 87, 88, 108, tts, t22,124, t56. Lame de fond: v. Undercunent. The Last ly' oyage (Panique à borQ : 58.
J
Chicago.
238.
Hitler's Madman : 89, 259. Hold Back Tomorrow; 90, 203. Home from the Hill (Celui par qui le scandale arrive) : 46, 95, 106-
307
The Hustler (L'Arnaqueur) : 38.
Il faut marier Papa: r. The Courlship of Eddie's Father. . I'll Be Seeing Yoa (Etranges
Heaven.
Storv ol Three Loves.
The Hunchback of Notre Dame (Notre-Dame de Paris/Quasimodo) : 21, 43 n, 89.
Face.
Hérétique (L') : v. Exorcist IL Héitière (L') : v. The Heiress. Her Sister's Secret: 151, 185-186.
167,
114, l18,
198, 199.
Hands Across the Table : 87.
Heure suprême
ll3,
Index
Ladies of Leisure 159.257.
: 72,
127, 158-
songe)
:35, 124,142,190,
Love Story: 272.
192.
Index
308 Lumières de la ville (Les) : v. City Lights.
Lust for Lif e (L^a Vie passionnée de Van Gogh): ll8, 208,210.
Lys brisé (Le): v. Broken
Blos-
soms-
Marnie (Pas de printemps pour
Marnie) : 193. Marquis de Saint-Euremond (Le): v. A Tale of Two Cities. The Marrying Kind (Je retourne chezMaman): 247.
Marty: 264.
M
Madame
X: l2l,
124, 125, 148,
186, 193, 207 , 270, 27 t.
Made for Each Other (Le Lien sacré) : 57, 150, 177,256,257. Mademoiselle et son bébé: v.
Bachelor Mother.
Mademoiselle Général: v. Flirta-
tion Walk.
Magicien d'Oz (Le) : v. The Wizard of oz. Magnificent Doll: 58, 143. Magnificent Obsession (Le Secret magnifique) : 40, 48-49, 62, 63, 96 à 98, ll8-119, t24, 127, 153, 159, 200, 223-224, 240, 241, 250, 25t,252,267,268, 269.
A Matter of Time (Nina) : 245. Meet Me in St. Louis (Le Chant du Missouri) : 127, 2lO, 246. Meet Whiplash Willie: v. The Fortune Cookie. Melinda: v. On a Clear Day You Can See Forever.
Mélodie à Broadway : v. Broadway Melody of 1936.
Melody of Life : v. Symphony of Six
Million.
Ménagerie de verre (La):
v.
joyeuse): 225. Meurtres: v. The Lodger.
Crichton):
169.
The Mahese Falcon (Le Faucon
maltais;: 260.
Laramie (L'Homme de la plaine) : 209 n.
The Man from
Manhandled (Tricheuse) I 10.
Manhunt (Chasse 258. The Man
à
:
77,
I'homme):
I Killed:'t. Brcken LulMannequin :77-78, ll4, 189,233. Man of the West (L'Homme de laby.
l'Ouest) :209 n. Man's Castle (Ceux de la zone):
73-74, 88, 165, 168, t75,233, 235, 236, 237, 238, 239, 242.
Manslaughter (Le Réquisitoire)
:
75,99, 149, 169.
Maria's Lovers : 132, 277 -27 8.
Mai de l'Indienne (Le): v. The Squaw Man.
Marie Antoinette (Marie-Antoinette) : 60.
Maris aveugles: v. Blind Husbands.
Moonfleet) : 124,209.
Moonrise (Le Fils du pendu) : 133, 1s3,233. Morocco (Cæurs brûlés) : 53.
The Mortal Storm: 47, 60,89, 90, 108, 132, 167 ,233,235,236-237,
238,239.
MorI aux lrousses (La) : v. North by Northwest. Murder, My Sweet (Le crime vient à la fin) :260 n.
Mt Cousin Rachel: lViy
123.
Darling Clementine (La Pour-
suite infernale): 108.
My Man Godfrey (Mon homme Godfrey) :74, 172, 176. My Son lohn: 277 n.
261-262.
Make
Love.
Ministry of Fear (Espions sur la
Tamise): 258. Miracle in the Rain: 49, l3l, 132. Mirage de la vie: v. Imitation of
Lte-
Mister Arkadin (Dossier secret)
:
277.
Mister Skeffingtor (Femme aimée
est toujours jolie) : 193. Moissons du ciel (Les) : v. Days of Heaven. Moment to Moment (Choc) : 35-36,
t24. Monde de Suzie Wong (Le) : v. The World of Suzie Wong.
: v. The (Le): v. The
Monde selon Garp World According to Garp. Mon Grand: v. So Big. Mon homme Godfrey: v. My Man Godfrey. Mon mai le patron : v. She Married Her Boss.
202,2s7,263.
:
19.
Vieillê Fille) : 93,
On achève bien les chevaux:
v.
They Shoot Horses, Don't Thei
?
On aClear Dav You Can See Forever (Melinda): 245. Once Upon a Honeÿtnoon (Honey-
moon):
177.
(ta Maison dans l'ombre): 40,265. One Way Passage (Voyage sans retour) : 125, 133, 149-150, 195, On Dangerous Ground
232,256, 257.
Only Yesterday (Une nuit
seule-
ment): 72,75,81, 82, 24O,243.
On the Waterfiotl l (Sur les quais) 266.
v.
:
The
Carey Treatmenl. Opinion publique (L') : v. A Wornan
N
ol Paris. Naissance d'une Nation (La) The Birth ol a Nation.
New York Cinderella: v. This Woman.
I
:
v.
Take
New York-Miami: v. It Happened One Night.
New York, New York: 273. Next Time I Marrv : 172. Night to Rernember: 58. Nina: v. A Maller of Time.
Ordinary People (Des gens comme les autres): 276. Orphans of the Stonn (Les Deux Orphelines) : 18, 26, 39, 43.44,
59,66,132.
The Other Side of Midnisht (De l'autre côté de minuit) : 272. Our Daily Bread: v. Citÿ Girl. Out. of ston.
A
the
Night
: v.
Sirang,e
lllu-
Ninotchka: 183.
Nonna Rae: 272. North by Northwest (La Mort aux trousses) : 194,209 n. plus belles années : v. The Way We Were. Nolorious (Les Enchaînés) : 208.
P
Nos
Notre-Darne de Paris
: v.
The
Hunchback ol Notre Dame. Notre héros: v. Lazybones. Now, Voyager (Uné femme cher-
che son destin): 98, 125, 128, 130, 195,200,218. Nuit de bal: v. The Srsrers.
Pandora and the Flying Dutchman
(Pandora):
l3l,194.
à bord: v. The Last Voyage. Pantoufle de verre (La): v. Tlte Panique
Glass Slipper.
Parade du printemps:
v.
Easter
Parade.
Nuits de Chicago (Les) : v. Underworld.
Paris, Texas : 276-277,278, Parnell (La Vie privée du tribun) 82.
o
Parrain (Le) : v. The Godfather. Party Girl (Traquenard) : 13,213. Pas de printetnps pour Marnie : v.
Monde en marche (Le) World Moves On.
The Old-Fashioned Wav The Old Maid (La
Opération clandestine:
The i,lerry Widow (La Veuve
Milliardaire (Le): v. Let's
Male and Female (L'Admirable
Moonfleet (Les Contrebandiers de
Glass Menagerie. Merrilv We Go to Hell: 91.
aux jeunes) : 55, 231, 241.
Dangerous Ground..
Make Way for Tomorrow (Place
309
The
Meurtre sans faire-part : y. Portrait in Black. Midnight (La Baronne de minuit) : 170, 175-t76. Mildred Pierce (l-,e Roman de Mildred Pierce) : 74, 79, I 13, I 14, 143, 144, 185, 195, 198 n,232,
Maison dans l'ombre (La): v. On
Index
An Ol-ficer and a Gentlernan (Offi,cier et Gentleman) : 275. Of Human Bondage (L'Emprise): 221.
:
Marnie. Passagère (La) : v. Chained. Passage to Marseille: 34, 56, 124,
t2s, 142-143,202,259.
Pauvre Arnour (Le) : v, True Heart Sa.sie.
Index
310 Pays du dauphin verl (Le): v.
Green Dolphin Street. Péché mortel: v. Leave Her 1o Heaÿen. Père de la mariée (Le) : v. Father of the Bride. Petite Américaine (La) : v. The Lit-
lle American. Phalène d'argent (La) : v. Christopher Strong. ThePhantom of the Opera (Le Fantôme de l'Opéra) : 250. Picnic : 153.
The Picture of Dorian Gray (Le Portrait de Dorian Gray): 130, 205.
The Pirate (Le Pirate) : 21O,212.
Piste des éléphants (La) : v. Elephant Walk. Place aux jeunes : v. Make Way for
Tomorrow. A Place in the Sun (Une place au soleil) : 20, 188, 194,222.
Platinum Blonde (Blonde pla-
tine):
173.
Plus belles années de notre vie (Les) : v. The Best Years ol Our Lives.
Prisonnier du passé: v. Random
Réquisitoire (Le):
Is Condemned. Pursued (La Vallée de la peur) 141,260.
Rêrtes de :
Puzzle of a Downfall Child (Portrait d'une enlant déchue):223,
273,274,276.
Quasimodo: v. The Hunchback of Notre Dame.
Quatre Cavaliers de l'Apocalypse (Les): v. The Four Horsemen ol the Apocalypse.
Queen Christina (l-a Reine Chris-
tine):
v.
187.
Queen Kelly: 85-86, 193.
The Quiet Man (L'Homme tranquille): 186. Quinæ jours ailleurs: v. Two Weeks in Another Town. Quo Vadis : 265.
Portrail d'une enlant déchue: v. Puule of a Downlall Child. Portrait in Black (Meurtre sans faire-part) : 62,95, 186, 193. Partrait of lennie (Le Portrait de Jennie) : 126, l3l,2OO. Possessed (La Possédée): 185.
dans
Rértolte des esclartes (La) : v. Abra-
ham Lincoln. Rich Man's Folly The Ring: 88 n.
261. Rebel Without a Cause
(la Fureur
de vivre): 192 n, 208, 209
n,
22,281.
Reign of Terror (Le Livre noir)
v. Queen Christina. Rernetnber My Name (Tu ne m'oublieras pas): 273,277 n.
Remetnber the Night
: l5O.
Remords de l'alcoolique (Le) : v. The Drunkard's Reformation. Renarde (La) : v. The Wild Heart.
86,87,88, 124, 132, 133, 158, t59, 164, 168, 203, 232, 233,
234, 235, 236, 238.
Shanghaï: v. The Shanghai Gesture.
Shanghai Express (ShanghaïExpress): 273.
The Shanghai
Ge
sture (Shanghaï)
:
122, 125.
leuse) : 72, 128, 167, 169. Shockproof (Jenny, femme marquée): 89. Showbus: v. Honeysuckle Rose,
des
the Rain Must Fall. Since You Went Away (Depuis ton départ) : 148, 149, 152, 202, 216217. The Sins of Rachel Cade: 109, The Sisters (Nuit de bal) : 58, 185,
Rosita (Rosita, chanteuse
The
:
:
143,
259. S
Sillage de la violenZe (Le) : v. Baby,
257,263.
128.
Saboteur (Cinquième colonne) 41,258.
:
Sally of the Sawdust (Sally, fille de
ciroue):
Matied Her Boss (Mon mari le
patron): 172. The Shining ÀIoar (L'Ensorce-
Smouldering Fires (l"a Femme de quarante ans): 53-54. So Big (Mon Grand): ll3, 127,
19,
The §andpiper (Le Chevalier des sables): 105-106, lll, ll4,122,
Night. The Savage Innocenls ([æs Dents
260.
suprême) : 18, 40, 56,66-67,69,
Mildred Pierce. Ronde de l'aube (La) : v. The Tarnkhed Angels. Rope (la Corde) : 137. The Rose: 273.
:
Reine Christine (La):
Capri): 51, 60-61, 124,198-199,
She
(Le): v. Camille. Roman de Mildred Pierce (Le) : v.
:
r03.
142,
Roman de Marguerite Gautier
127,2t3,245,271-272. San Francisco: 58, 128. Sa nuit de noces: v. The Wedding
213.
ll4, l2l,
238. The Seduction of loe Tynan: 160. September Affair (Les Amants de
200,203.
A Roriance of Happy Valley (Le Roman de la vallée heureuse) :
tnezzo,
Random Harvest (Prisonnier du passé): 35, 68-69, 123,192. Rapaces (Les): v. Greed. Rebecca: 32-34,35, 58, 92, 123, 124, t3t, r43, 169-170, 192,
Secrets: 78, 81,
Seventh Heaven (L'[Ieure
: ll4.
beau) : 190, 232, 237, 238. Rivière rouge (La) : v. Red River. The Robe (La Tunique) : 208. Rôdeurs de la plaine (Les) : v. Flamine Star.
l'ombre) : 275. Rançon du bonheur (La) : v. Inter-
Baby
Doll. Pour l'indépendance : v. America. Pour qui sonne le glas: v. For Whom the Bell Tolls. Poursuite infernale (La): v. My Darling Clementine. The Power and the G/ory (Thomas Garner) : 81,95, 142. Princess O'Rourke : 172.
ieunesse: v. Four Daugh'
Ruthless (L'Impitoyable) Raggedy Man (L'Homme
Red River (La Rivière rouge)
(La): v.
ters,
Lons Lons Trailer. Ruby "Gentrj (L-a Furie du désir) 7t-72.
R
The Postman Always Rings Twice (Le facteur sonne toujours deux fois) : 260.
Poupée de chair
Manslaugh-
rues): 152. Rouloite du plaisir (La) : v.
The Lost Week-
Portrait de Dorian Gray (Le) : v. The Picture of Dorian Gray. Portrait de lennie (Le) : v. Portrail of lennie.
v.
ter.
The River (La Femme au cor-
o
sans loi) : ll4, l2l. Poids d'un mensonge (Le) : v. Love Letters. end.
311
Harvest. Propriété interdite : v. This Property
Plymouth Adventure (Capitaine
Poison (Le):
Index
du diable): 109. Scandale Costello (Le)
: v.
The
Story of Esther Costello. A Scandal in Paris : 153.
The Scarlet Empress (L'Impératrice rouge): 200. The Scarlet Letter (I.a,I-ettre écar'
late): 21,2E4.
Secret magnilique (Le) : v. Magnificent Obsession.
Sæur de son valet (La) Butler's Sister.
: v.
His
Some Came Running (Comme un
torrent) : 46,95,
lll,
132,152-
53, 188, 208, 212-213, 223, 226227 , 246, 247 , 248, 270, 277 . I
Son of the Gods: 205. Soudain l'été dernier: v. Suddenly Last Summer. Sous le plus grand chapiteau du monde : v.The Greateit Show on Earth. The Spiral Staircase (Deux mains, la nuit): 38, 126, 130. Splendor in the Grass (L,a Fièvre
dans le sang):274. The Sauaw Man (Le Mari de l'Indienne/Un cæur en exil)
27, t02-t03,109,
ll0.
Stage Fright (Le Grand Alibi) : 49.
:
Standing Room Only (L'amour cherche un
toit):
172.
312
Index
Stardust Memories : l9O. Star 80 : 273,275. A Star Is Born (Une étoile est née) : 13,54,95, l13, 149, 188, 208, 209-210, 232, 272-273. Stella Dalla.s (Le Sublime Sacrifice de Stella Dallas/Stella Dallas): 76-77, I 10, I I l, 231, 257, 263.
Sweet Bird of Youth (Doux oiseau de jeunesse) : 266.
nuptiale (La) : v.
Syyltpl1o.nie
Wedding Marclt
ol Sb Million I
Symphony
86, 202, 23t, 2s7.
A Story of the London Fog: v. The Lodger. The Story of Three Zoves (Histoire de trois amours) :246 n. Strange Cargo (Le Cargo maudit) : 125, t67, 168, 169, r7t, 22s,
237,238.
Strange
lllusion:
l3l,
190.
Stranger on the Run : l9l. Strangers on a Train (L'Inconnu du Nord-Express): 153, 209 n. Strangers When We Meer (Liaisons secrètes) : 203, 27 I . The Strange Woman (Le Démon de la chair) : 126, 141,245. Street Angel (L'Ange de la rue) : l7-18, 88, 129-130, 133, l6s,
A
232, 236, 237, 238, 239 n.
Streetcar Named Desire (lJn
tramway nommé Désir): 266.
Strike Up the Band (En avant la
musique) :246 n. Sublime Sacrifice de Stella Dallas (Le) : v. Srella Dallas. Suddenly Last Sutnmer (Soudain
79-80,
T Take Me to Town: 19-20. A Tale of Two Cities (Le Marquis de Saint-Evremond) : 20, 43-44,
60, 66,284. The Tarnished Angels (La Ronde de l'aube) : 37,95, 126 n, 142, 1sl, 152, ls3, 159, 250,26s.
Tarnished Lady : 74-75. Taza, Son of C
208,248.
Tempête sur la colline : v. Thwtder on the Hill. Temps d'aimer et le ternps de trtttttrir (Le) : v. A Time to Love und a Time to Die. The Ten Cornrnandment.s (Les Dix Commandements) : 27, 105, I 15. Tender Is the Night (Tendre est la nuit): 122, 124. Ten North Frederick (10, rue Fré-
dérick;:
Suez.:57.
Sullivan's Travels (Les Voyages de ' Sullivan) : 177. Surnmer of 42 (Un étê 42): 272. Summer Stonn (L'Aveu) : 160.
Don't They (On achève bien les chevaux):'274. The Third Man (Le Troisième Homme) : 153,277 n.
Sunrise-A Song of Two Humans
(L'Aurore) : 18, 25-26,91, 105, 106, 158, ls9. Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule) : 144,193. Sunshine: 272. Sur la piste des Mohawks : v. Drums Along the Mohawk.
Sur les quais: v. On the Waterfront.
Sur le velours : v. Living on Velÿet. The Suspect (Le Suspect) : 203.
Suspicious Wives: 240.
reux):
177.
Toile d'araignée (La) : v. The Cob' web.
Too Late
for Love: v.
250,251,26s.
They-Shoo_t Horses,
This Propertv Is Condetnnerl lPropriété interdite) : 272. Thotnas Garner : v. The Porer and
the Glorv.
Three Coinraales (Trois camarades): 88-89, 133, 166-167, 168169,233, 235, 236, 238. Th-unde-r on the Hill (Tempête sur la colline) : 58. Tidal Wave : v. Portrait of Jennie. A Time to Love and a Time to Die (Le Temps d'aimer et le temps
de mourir)
:
37, 56, 108, 122,
132, t44-145, 147,208, 250.
There's
la vie (Le): v.
The
Turning Point.
Tous
lJne nuit seulement : v. Only Yes' terday.
llne plàce au soleil: v. A Place in the Sun.
Unfaithlully Yoars (Infidèlernent vôtre): 260. IJn homme dans la
Always Tomorrow. Tootsie: 221.
ei scène: v. The Band
loule : v. A Face
in the Crowd. The llninvited (La Falaise mystérieuse) :124,126, l3O. Lln mariage : v. A Wedding. An
des.
Beloved Infidel. IJn numéro du tonnerre: v. Bells Are Ringing. Un petit coin aux cieux : v. Cabin in
Tout ée que le ciel peftnet: v. All That Heaven Allows. Traauenard: v. Partv Girl. Tricheuse : v. Manhândled. Trois camarades : v. Three Comra-
Troisième Homme (Le):
v.
The
Third Man.
Trouble in Paradise (Haute pègre): 216 n. Tiue Heart Szrsie (Le Pauvre
U nmanie
d W oman (La Femme
Wason.
libre): 272. IJn matin cotnrne les
auîres
:
v.
the Skv-
The lln'seen (L'Invisible Meur-
trier):
126.
Un tramway nommé Désir: v.
A
Streetc ar" N arned Desire.
Amour):21,233.
Tu ne m'oublieras pas : v. Remernber My Name.
V
Tuniqué (La) : v. The Robe.
TheTurningPoint (Le Tournant de la vie\ : 272. Two Lortes (Anna et les Maoris): 109,125.
Two Weeks in Another Town (Quinze jours ailleurs): 6l-62, izz, zo8, 2to, 246, 247-248, 270.
Vallée de la peur (La)
: v. Pur-
sued. Valse dans l'ombre (La) : v, Water. loo Bridge. Veillée d'amour: v. When Tornorrow Comes. Vent (Le) : v. The Wind.
: I 14, 209 r. Veuve joyeuse (La) : v. The Merry Widow. Vertigo (Sueurs froides)
95.
Thé et sympathie : v. Tea and Swnpathy. There's Always Tomorrou, : 127,
l'été dernier) : 266. Sueurs froides : v. Vertigo.
Titanic:58-59. To Be or Not to Be (Jeux dange-
Tournant de
The Sto.ry of Esther Costello (Le Scandale Costello) :40-41, 123, 195.
The
313
Index
U
Iln Américain à Paris : v. An Ameri' can in Paris. IJn cæur en etcil: v. The Squaw Man.
Under Capricorn (l-es Amants du
Capricorne)
: 34'35, ll2-113,
125.
Undercurrenl (Lame de fond) : 4546, 199,245. under the Clock: v. The Clock.
lJnderworld (Les Nuits de Chi caso): l5l.
Undiriorld
U.S.A. (Les Bas-Fonds
new-yorkais): 149, 150, 184.
lln été 42: v. Summer af 42. Ilne étoile est née: v. A Star Born,
Is
lJne femme cherche son destin: v. Now, Voyager.
Vicloire sur la nuit : v. Dark Vic' torÿ.
Viei(te Fitle (La)
: 'r. The old
Maid. Vie passionnée de Van Gogh (La) : v. Lust lor Life. Vie privée du tribun (La) : v. Par' nell. Visages d'Orient : v. The Good Earth. The Volga Boattnan (Les Bateliers de la Volga) : 27.
Vous ne I'emporlerez pas avec ÿous: v. Yoi Can't Take It with You. Voyage au boul de l'enfer: v. The Deer Hunter.
Voyage sans relour: v. One WaY Passage.
314
Index
Sullivan (Les) :v. Sulliÿan's Traÿels.
Voyages de
w Walking Down Broadwav Hello,-sister !
:
v.
Waterloo Bridee (La Valse dans l'ombre) : 32, 56, 67-68, 69, 86, t 4t, 143, t4s, 1 49, 200, 2s7,258.
201 -202,
Way Down East (A travers
l'orage) : 17, 18, 26,57, 183. The Way We Were (Nos plus belles années): 272. A Wedding (Un mariage) : 93. The Wedd.ing March (La Symphonie nuptide) : 20-2i, 225.
The Wedding Night (Sa nuit noces) : 94, lll-112, 126. What Price Hollywood: 54.
The World Moves On (Le Monde
I 10, I 14. Written on the Wind (Écrit sur du
vent):47,62, 108, I 18, 130, 144, 159-160, 188,
208,
2tt,
267,283.
l9t,
143, 193, 207,
221, 224, 247, 2s0,
Th-e-Wrong Man (Le Faux Coupa-
ble) : 209 n. Wttthering Heights (Les Hauts de Hurlevent) : 67 , 124, 140,217.
x
de
X 27: v. Dishonored.
When Tomorrow Comes (Veillée d'amour) : 58, 193, 198, 240, 241,244.251.
Y
The White Slsrer (Dans les laves du
Vésuve) : 17, 18, 58, 183.
The Wild Heart (La Renarde): 123.
l,ÿild in the Counîry (Amour sauvage): I 19,152. The Wind (Le Vent): 18, 57. The Wizard ol Oz (Le Magicien
d'Oz):206. The Woman in the Window (La Femme au portrait): 131.
A Woman of Affairs (Intrigues):
A
Table des matières
en marche) : 46 n,75 n, 185. The Wgrld of Suzie Wong (Le Monde de Suzie Wong) i 109-
194.
W.oman of Paris (L'Opinion publique) : 22 à 26, 156.'
A Woman's Face (Il était une fois)
:
4t-42.
The Women (Femmes) : 205. The World According to Garp (l-e Monde selon Garp") :274. '
Yolanda and the Thiel (Yolanda et le voleur) : 210. You Can't Take It with You (Yous ne l'emporterez pas avec vous) :
AVANT.PROPOS
7
DÉFINITIONS
9
172.
You'll Never Get Rich (L'amour
vient en dansant): 90. The-Younger Generation (Loin du ghetto): 80 n. You Only Live Once (J'ai le droit de vivre) :237 n,239 n.
Mélodrame hollywoodien Méthode
t2 t4
mélodrame et le cinéma muet Un cas complexe : A Woman of Paris
22
PRoLocuE : Le
t7
PREMIÈRE PARTIE
Z
Ziegfeld Follies : 210. Zoo in Budapesl: 69.
9
Mélodrame .............
Thèmes
l.
Clichés-sltuations Secret et
aveu
.....'.......
Infirmité, cécité Identité problématique, Différence
d'âge
bâtardise
Catastrophes humaines et naturelles Accidents
2. Classes soclales La société européenne ...........'. La société américaine .............
31 31
36 42 47 55
60 65
316
Table des matières
3. Rltuels Mariages, enterrements Substitution des personnages
4. Nature vs. Culture ............. Le thème de l'enfance ............. Le Wildermann Le Paradis terrestre Géographie imaginaire du mélodrame Animaux et talismans
85 87
101
224
Montage Antithèses
116 119
QUATruÈME PARTIE
Genre et auteurs
122
t28
t47 150
3. Happy endings
155
4. Cendrillon
163
Frank Borzage John M. Stahl Vincente Minnelli Douglas Sirk
232
240 245 249
CINQUIÈME PARTIE
L'évolution du genre L'avènement du parlant et les années trente .. 255 Les années quarante : mélodrame et « film 257 noir u Les années cinquante: apogée et agonie du
genre Épn-ocuB :
264
L'éternel retour du mélodrame
?
27
|
pARTTE
Stylistique Clichés-images Visages de femmes La femme à la fenêtre ............. Gestuelle Habillement Nappe à carreaux Stéréotypes visuels
2. Muslque
220
tt4
143
Le Carnaval
l.
205
137
Schémas circulaires
rRolstÈnap
.............
4. Mouvementsdecaméra,effetsdemontage. 215
Structures narratives Flash-backs
3. Couleur
96
oeuxtÈÀ,Iu pARTIE
l.
3t7
Table des matières
coNCLUSIoN:
Place du genre dans
américaine
181
la
tradition 279
182
BrBLrocRApHrE
..........
287
184 188
INDEX DES NOMS
DEPERSONNES
293
189
l9l 19t t97
INDEX DES TITRES DE
FILMS
301