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Ir,rÊun AUTEUR
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5II
GILBERT SIMONDON
3 ooË Du Mod.e d'existence des objas techniqur-r, Paris, Aubier, l9y8 (réimpr. 1989, zoor). L'Indiuidu et sa genèse physico-biologique, Paris, PUF, ry6+ (rééd. Grenoble, Millon,
rs9). L'Indiuiduation psychique et collectiue, Paris, Aubier, 1989. Deux leçons sur I'animal et l'homme,Paris, Ellipses, zoo4. L'Inuention dans les techniques, Cours et conférences, Paris, Le Seuil, zoo5. L'Indiuiduation à la lumière des notions dz forme et d'informatioz, Grenoble, Millon, 2OO5.
Cours sur la Perception
Gg6+-rç6), Chatou, La Transparence, zoo6.
IMAGINATION ET INVENTION (t965-r966)
Edition établie par Nathalie Simondon et présentée
par Jean-Yues Chateau
* LES EDITIONS DE r-A TRANSPARENc' I
nHrlos""Jr?à
,
PRESENTATION Une théorie de l'image à la lumière de k notion d'inuention et dr I'inuention à Ia lumière de k notion d'image
r. srTUATroN DU COURS nr. 1961-1966 OÂNS L'ENSETGNEMENT
t'c,uvnn
ET
DE GILBERT sIMoNDoN
Imagination et Inuention ' est un cours professé en 196;-1966, à Ia Sorbonne (à I'Institut de Psychologie de la rue Serpente), dans le cadre du certificat de psychologie générale qui, dans I'organisation des études alors en vigueur, constituait la base des licences de psychologie et l'un des quatre certificats obligatoires de la licence d'enseignement de philosophie. Ce système, dont nous avons eu la chance de bénéficier juste avant sa suppression à la fin de I'année suivante, ry66-r967, fut remplacé, en philosophie, par une licence en trois années, dont tout enseignement de psychologie fut supprimé. Ce cours est donc un ultime témoignage de ce qui, vers la fin de cette époque, pouvait se faire dans cet enseigne-
rsBN 978-2-3to5r-q7-8 Dépôt légal : zoo8, octobre @ Les Éditions de La Transparence, zooS 8, avenue des Pommerots, 784oo Chatou
www. latrans parence. fr Assistante éditoriab :
Nathalie David
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t. Le cours sv Imagination et Inuention a été publié sous forme de polycopié distribué aux étudiants, puis dans le Bulletin dz Psychologie entre novembre 1965 et mai ry66. Nous en avons édité certains passages, qui correspondaient à l'invention dans le domaine des techniques, dans : Gilbert Simondon, L'Inuention dans les techniques, Cours et conférences, Paris, Le Seuil, zoo5, édition établie et présentée par Jean-Yves Chateau. Pour ce qui est d'une présentation simple de I'ensemble de la pensée de Simondon, on pourra consulter none Vocabulaire dz Simondoz (Paris, Ellipses, zoo8 ; première édition dans Le Vocabukire d.es philosophes, vol. V, Paris, Ellipses, zoo6). Dans la suite de cette présentation, quand nous nous réftrerons au Cours sur Imagination et Inuention, nous donnerons seulement I'indication de la page sans rappeler le titre.
VIII IMAGINATION
pnÉspNrettoN rx
ET IN
ment de psychologie générale, qui constituait une part importante de la formation des philosophes, du moins de ce que Gilbert Simondon y faisait, car il ne faut pas méconnaître la force de sa personnalité et son originalité. Le Cours de ry65-r966 porte sur l'imagination et I'invention. D'un certain point de vue, cela limitait par principe I'ampleur du développement et le degré de détail des analyses qu'il était possible de consacrer à chacune des deux notions, même si, on le verra, c'est une théorie réunissant organiquement les deux qui est présentée ici, et oir, par principe, aucune des deux ne peut pâtir de la place consacrée à I'autre. Mais, de plus, divers éléments Peuvent être considérés en complément de ce cours, tant en ce qui concerne I'imagination que I'invention, qui étaient disponibles à l'époque pour les étudiants, outre ceux qui nous sont accessibles aujourd'hui dans les cours ultérieurs de Simondon. a) En ce qui concerne I'irnagination, Simondon avait donné I'année précédente (1964-196), à la Sorbonne, un cours sur la perception', dans
il
abordait les relations entre perception et imagination, d'une façon qui anticipe, nous y reviendrons, la perspective et les thèses du .o.rrc d. ry65-t966, en ce qu'elles ont de plus novateur et de plus radical. Dans la deuxième partie (à proPos de n I'image intra-perceptive dans la percepdon des formes ) et du ( contour subjectif o, p' 8z), il se
lequel
réftre explicitement à ce passage de son cours sur la perception. D'autre part, dans son cours sur lrnagination et Inaention (notamment dans les n lectures conseillées ) et dans la troisième Partie, p- r27 et r3o), Simondon renvoie à un cours sur I'imagination qui avait été fait en ry62-r961 par un autre professeur de psychologie, Juliette Favez' Boutonier, et publié au CDU (en 1965). Ce cours présentait les principales théories classiques de I'imagination que l'on trouve chez des philosophes ou des psychologues proches de la philosophie' notamment depuis Taine (comme Ribot, Bergson, Sartre, Husserl, Freud, Jung, Eliade, Lacan, Ortigues, Bachelard, Piaget). Simondon considère comme acquise, grâce à ce cours récent, la connaissance de base de ces doctrines, atrxquelles il se réftre sans les réexposer dans leurs éléments et leurs détails, et il caractérise son proPre cours, à la première phrase de son Préambule, comme la présentation d'une < théorie (p. l). Ce cours, en
"
r. Ce cours, qui avait été distribué aux étudiants sous forme de polycopié, puis avait dans le Bulletin d.e Prychologie (de janvier à mai 1965), a été édité en z0o6 aux éditions de La Transparence, avec une préface de Renaud Barbaras, sous le titre : Cazrrs sur la Perception Q964-ry6). été
publié
effet, si on le compare à celui qui avait été proposé aux étudiants trois ans auparavant, à la fois est nourri de réftrences internationales très nombreuses à des travaux spécialisés de psychologie scientifique et présente une conception d'une grande originalité, oir les autres doctrines, notamment philosophiques, interviennent non pas tant pour être exposées, mais examinées, discutées, analysées, situées. Ce coprs est ainsi, en même temps, plus scientifique et technique par I'information qu'il expose, et plus théorique et philosophique par la conception d'ensemble qu'il propose. Des diverses doctrines étudiées, scientifiques ou
philosophiques, c'est
la portée philosophique qui est avant tout
et
constamment recherchée, la manière dont elles permettent de construire
non pas une théorie au sens d'une doctrine exclusive des autres, mais une perspective d'ensemble qui, sans chercher à discuter le détail des autres doctrines si ce n'est pas utile au propos essendel, les présente surtout pour faire apparaître par leur moyen les problèmes qu'on ne peut manquer de se poser à propos de I'imagination. Simondon ne fait pas une grande confiance à la dialectique ou à la discussion réfutative pour avancer vers la vérité, ni même pour I'exposer. Bien sûr tout ne se vaut pas, et sa ( théorie , disqualifie un certain nombre de thèses, mais il cherche toujours avant tout ce qui peut être positif en elles et, chaque fois que cela est possible, un point de vue suscepdble de faire apparaître les thèses en conflit comme des positions qui ont quelque chose de juste mais qui sont partielles, et qui se complètent lorsque I'on trouve le point neutre par rapport auquel elles se répartissent. La théorie recherchée est celle qui permet de prendre les choses de façon suffisamment globale pour que les diverses réalités et les divers niveaux d'analyse, qu'il faut savoir distinguer sans nécessairement les séparer, puissent être mis en relation. C'est ce que I'on peut rapporter à la méthode < génétique, de Simondon.
Or
ce cours se caractérise précisément par l'ampleur de la conception
qui se fonde sur la psychologie scientifique, telle qu'on I'entend ordinairement, la psychanalyse, la psychologie génétique, la psychologie animale, mais aussi la biologie, la zoologie, l'éthologie, la littérature, I'esthétique, la sociologie, autant que sur la philosophie. Dans la perspective retenue, la connaissance des travaux scientifiques d'actualité exposés n'empêche pas Simondon de reprendre et de justifier certaines des analyses des psychologues anciens, tels que Taine ou Ribot, loin du mépris oir certains, pourtant moins savants, avaient tendance à les tenir en les déclarant o dépassés o (attitude fréquente de Sartre). L'ampleur de la conception se manifeste aussi par le fait qu'elle se préproposée,
X IMAGINATION
pnÉsBxrerroN xr
ET INVE
sente, ainsi qu'il est habituel chez Simondon, comme rendant compte de manière homogène, bien que sans éviter de souligner les différences, des vivants animrux aussi bien qu'humains, enfants ou adultes, de la
psychologie individuelle autant que des comportements de grouPes, d.r faits de culture et de civilisation, des divers niveaux biolo-
"olr. giques
et psychologiques d'analyse du vivant, des fonctions psychiques q.tè I'o.r isole d'ordinaire, comme la motricité, la sensorialité, la perception, I'imagination, et les fonctions intellectuelles (qu'on appelle parfois n supérieures ,). Notamment, il ne s'agit ni de tenir n imagination > et u invention ) pour des termes à peu près synonymes' ni I'imagination pour une faculté intervenanr de I'extérieur dans le domaine de I'inveniion, ni, généralement, d'étudier les rapports entre elles par la voic d'une des notions, mais d'établir leurs relations efFectives simple
"n"lyr. comme déterminées dans le cycle d'une genèse.
En ce qai concerne l'inuention, notamment dans les techniques, outre les couis qui seront réalisés les années suivantes et dont la lecture peut compléter àujourd'hui celle du cours de ry65-r966 ', les étudiants po.t'rraient lire Du Modz dbxistence des objets techniques', publiédepuis
chapitre, plus précisément, présentent de façon très synthétique les relations entre imagination et invention dans une perspective qui correspond à celle que développe le cours de ry61-r966: unité génétique fondée sur un dynamisme transductif de I'image.
Ainsi, des compléments utiles et éclairants pouvaient être trouvés, au moment même oir ce cours fut donné, dans d'autres textes concernant aussi bien I'imagination que I'invention et leurs relations. Mais surtout, on le voit, pour des raisons de principe, I'association de ces detx notions dans le cours ne constitue en rien un alourdissement ni même une extension véritable de son objet, et il n'aurait pas été possible pour Simondon de séparer les deux, même si l'intitulé de son cours ne s'était rapporté qu'à I'une ou à l'autre : il présente une théorie qui, de manière décisive, sans les confondre, les rend solidaires comme des moments successifs dans le développement
d'un même organisme.
b)
i958, et auquel Simondon se réftre brièvement dans son cours. Cet ouvrage (sa thèse secondaire) présente une rhéorie de I'invention des objets techniques et précisément aussi des relations entre I'invention et I'imagination. Le premier chapitre de la première parrie Du Mode d'existence du objex techniques étudie (c'est son titre) le ( processus de concrétisation ) caractéristique de Ia genèse de I'objet technique: il est ce qui
exisre au terme d'une u genèse spécifique procédant de I'abstrait au concrer > ,. Le second chapitre, étudiant n l'évolution de la réalité technique n dont le mode d'existence a été ainsi caractérisé, monrre les relations entre processus de concrétisation (point de vue technologique objectif) et invention (point de vue de I'inventeur, relevant, en un sens' de la psychologie), qui sont deux points de vue en quelque sorre solidaires ei même èquivalents : u I'invention est l'aspect mental' psycholopropre d'existence > n. Les S II et III de ce second gique, de ..
-ôd.
r. ce sont ces coufs dont nous avons publié et présenté les principaux dans: (1. Simondon, L'Inuention dans les techniques, op. cit. z, Publié chez Aubier-Montaigne (Paris, 1958, rééditions en ry69, 1989 et zoor)' t, (i. Simondon, Du Modz d'existence des objets tecbniques, P- 23, 4c. 4, L'lnucntion dans les techniques, cours de 1968 intitulé : L'Inuention et le déueloppemrnt da uchniqucs, p.84. Telle est, de manière brève, la justification de cette insertion, tpri pcut paraîti" éronnanre d'abord, dans un cours de psychologie, de considérations de
z. L'uNlrÉ cÉNÉrrque DE L'IMAGINATIoN ET DE L'ItnrENTIoN
Le but du cours n'est pas d'analyser les relations entre ces notions, mais d'étudier chacune à la lumière de l'étude de I'autre, car c'est la seule voie pour découvrir la nature de chacune d'elles, toutes deux pouvant être considérées comme phases d'un même processus cyclique de genèse, celui de I'image.
Il
s'agit de faire aussi bien une vraie théorie de
I'imagination suscepdble de rendre compte de l'invention (de la possibilité et du fait de I'invention), qu'une vraie théorie de I'invention apportant une lumière sur la nature de I'imagination et de I'image mentale ; non pas une théorie de I'imagination et de I'image dont on pourrait tirer secondairement des conséquences à propos de la création, voire de l'invention, ni une théorie de la création et de I'invention qui envelopperait ou supposerait sans examen suffisant une représentation de l'imagination et de I'image. Or ce risque de partialité est bien réel : <
imagination ) est un terme qui présente une certaine ambiguïté (Simon-
don note que son usage possède pour cela avantages et inconvénients), car on peut, pour en faire la théorie, soit considérer surtout l'imaginé et construire la représentation de I'activité imageante ou imaginante qui est censée y correspondre, soit considérer surtout I'activité imageante ou imaginante et ( tirer quelques conclusions, sur Ia nature et le statut de I'objet imaginé. La théorie que présente Simondon ne joue pas de cette technologie. De manière générale, sur les rapports de la psychologie et de la technologie chez Simondon, on pourra consulter la présentation que nous avons faite de l'ouvrage cité.
XII IMAGINATION
pn-É,srNtetroN xrrr
ET INVENTION
ambiguité, elle est de part en part théorie de I'imagination et de I'image son titre sur -..rà., même dans la quatrième partie, qui porte selon l'inuention', et théorie du -ouvement et de I'activité conduisant à la création et à I'invention, même dans les trois premières parries, qui portent explicitemenr sur I'image selon des points de vue différents cor,.rpotJ"rrt à trois stades de son dévelopPement. Simondon note en conclusion que, s'il ne s'agit évidemment pas de confondre une chose
inventée et une image, p"t.. q,r. I'invention fait sortir fimage de I'intérieur de l'être vivant pour se réaliser dans le milieu (difftrence de nature ontologique : elles n'ont pas le même u mode d'existence '), cependant cetie < tendance à dépasser l'individu sujet qui s'actualise dJns I'invention est (...) virtuellement contenue dans les trois stades antérieurs du cycle de l'image o (p. 186). Pour le dire rapidement avant de I'expliquer dans la suite, l'image sous toutes ses formes tend, indépendam*int et en dehors du moment de I'invention, à se dépasser et à sortir d'elle-même comme dans I'invention, et l'invention proprement dite prolonge ce mouvement essentiel de I'image, toujours possible dans I'image même la plus statique, révélant ainsi ce qui est porentiel dans toutJ image et ce qui esi le régime général du développement de I'image.
Llnvention, dans les differents domaines oir elle est éildiée, et surtout dans celui des techniques, n'est pas une conséquence, une application dans des conditions parriculières, de I'activité d'imagination que I'on aurait pu considérer èn général et sans prêter attention à ces diÊ révèle er permer de comprendre dans sa réalité ftrences ; son "nalyse effective, vivante, génétique, concrète, la nature de I'imagination et de I'image. L'imaginaiion et I'image mentale ne sonr pas non plus étudiées sans tenir compte du fait qu'elles ne se rapportent pas toujours à un objet déjà p.tçn, dont on se souvient et que I'on " reproduit u de façon plus ou -àitt déformée et recomposée, ni à un objet que I'on imagine àe façon créative (u productrice D' et non plus o reproductrice >), mais parfois à un objet que I'on va réaliser matériellement dans l'extériorité et qui, parfois (à la difference d'un objet ou d'une æuvre d'art), est zusceptible de fonctionner techniquemenr : comment penser I'image .men-
tale, pour què cela soit possible ? L'imagination reproductrice et I'imagination pràductrice ne sont ni opposées ni confondues, de même que fimagin"iio.r productrice ou créatrice en général et I'imagination qui r. un titre (ou un sous-titre) envisagé pour ce coufs paf Simondon, sur un manuscrit, est : n Images mentales et inventions ,.
inyente des réalités techniques effectives : il s'agit de penser l'image de telle manière que I'on puisse comprendre sa possibilité dans ces divers cas, mais sans non plus confondre ses différents régimes. Ainsi peut-on caractériser de la façon la plus générale la problématique du cours de ry61-r966, mais aussi, on le verra, de la façon la plus décisive : il traite de la nature de l'imagination en relation avec celle de I'invention : c'est tenir compte, dans la position du problème qu'il se donne, de la nécessité pour la théorie de l'imagination et de I'image de pouvoir rendre compte de I'imagination créatrice, productrice d'æuvres. En cela, il reprend, à certains égards, la manière dont les psychologues classiques français, en général, à partir de la seconde moitié du XIX. siècle ', ont posé le problème de I'imagination en liant l'étude de sa nature à celle de la création, voire de I'invention, même si Ia réponse qu'il apporte, toujours soucieuse de comprendre ce qui peut être intéressant chez les auteurs les plus anciens, est cependant d'une grande r. Taine (De l'intelligence,Il) étudie l'imagination des artistes; Ribot, dans son.6sraz sur limagination créanice (Alcan, rgoo), également celle des invenreurs, dans le domaine des sciences et des techniques ; Bergson se réfère à cet ouvrage dans son article sur
L'effort intellectuel, (r9oz, recueilli dans L'Énergie spirituelle, édition du Centenaire, Paris, PUF, r9j9, p.9+6), au cours de son analyse du rapporr du schéma dynamique à o
l'image dans I'effort d'invendon, oir
il prend
l'exemple de
la construction d'une
machine. Sartre dira de façon un peu cavalière er sans avoir vraiment cherché peut-être à comprendre Bergson, que ce dernier ne dit pas u clairement ) ce que c'est que ce schéma dynamique et comment il fonctionne (L'Imaginaire. Psychologie phénoménolagique dz l'irnagination, Paris, Gallimard, ry4o, rééd. coll. u Idées o, r97r, p. tzz; voir aussi p. rzotz1 et L'Imagination, Paris, PUF, 1936, z" éd,.,r948, notammenr p.6z-g). Or, il est notable que Sartre construit une théorie de l'imagination sans prendre vraimenr en considération la création artistique, sinon dans ses résultats (d'un point de vue de la réception), encore moins I'invention rechnique, et peut-être cela fait-il partie des conditions de son incompréhension, voire de son injustice à l'égard de Bergson. Si l'on peut dire que Bergson ne développe pas I'analyse de I'imagination dans I'invention technique de façon suffisamment détaillée et précise pour qu'elle se monrre justifiée, explicative, convaincante, elle n'est pas sans intérêt, même si elle est simplement esquissée. Simondon va, d'une certaine manière, la reprendre, la développer, lui apporter de Ia précision et, ce faisant, lui apporter une justification qui n'était pas jusque-là aussi apparente ou effective. On peut bien sûr considérer que Simondon, comme souvenr, rectifie profondément la doctrine b'ergsonienne par un tel apport de précision et que c'en est une contestation ; mais on peut aussi considérer que, moyennant les précisions apportées, il en âit apparaître I'intérêt et la profondeur, en tout cas la capacité de trouver des renforts dans la science la plus instruite et la plus inventive et de résister à des critiques rapides. Telle est toujours l'ambiguité de l'apport de précision en philosophie, mais, quand la critique prend cette forme, c'est une manière éminemment bergsonienne de critiquer et de philosopher (voir la première page de La Pensée et le mouaant: u Ce qui a le plus manqué à la philosophie, c'est la précision n).
XIV IMAGINATION
ET INT
originalité par rapport à eux. D'une part, plus que tout autre, il accorde une place éminente et une attention excePtionnellement détaillée et instruite à l'invention technique, prenant ainsi en comPte des contraintes très exigeantes pour la théorie de l'imagination, qui doit pouvoir valoir pour elle aussi bien. D'autre part, les relations de l'imagination et de I'invention ne sont pas seulement plus équilibrées, leur liaison est intime, radicale, décisive, ne relevant de façon dernière ni de I'identité ni de la difference, mais d'une unité organique, génétique, transductive. 3. L'IMAGE MENTALE ET L'ltllAGINATIoN : PRoBLÈMES
Le souci d'étudier I'imagination et I'invention comme une totalité organique génétique et cyclique ne détourne donc pas Simondon de traiter, à sa manière et dans le cadre de son ample conception, mais de façon détaillée et comme pour eux-mêmes, Peut-il sembler au moins dans un premier temps, des problèmes de l'image et de I'imagination', et notamment celui, qu'affrontent et sur lequel s'affrontent les psychologues et les philosophes, surtout depuis la fin du xIX" siècle, de leurs rapports, difficiles à déterminer de façon juste, avec la perception. Notons qu'il ne s'agit pas, pour Simondon, de donner à ce traitement, comme tâche prioritaire, la forme d'une discussion de définitions possibles conduisant à l'élaboration de celle qui permettrait de rendre compte de ce que I'expérience semble nous aPprendre. Ici, on suit d'abord ce que l'expérience la plus large, telle qu'en témoignent les uns et les autres de manière multiple et pas toujours cohérente, prétend nous apprendre ; on revendique, par méthode, de s'instruire avant tout de I'expérience elle-même, avant toute construction systématique et toute définition préalable qui serait censée garantir une fois pour toutes de I'errance. C'est par une auscultation fine de I'expérience, de toutes les ramifications que suggère d'abord I'expérience, que la nature de I'image peut être déterminée sans exclure des variations qui lui seraient propres'
évolution, car une définition de I'image qui interdirait I'hypothèse d'une évolutivité génétique qui lui serait essentielle relèverait, sans même y songer peut-être, du préjugé métaphysique aussi bien qu'une définition de son essence qui en exclurait une variété
ni la possibilité de son
r. Il n'est pas possible, on le voit, de considérer que ce qui intéresserait surtout Simondon serait la question technologique de l'invention, les considérations sur I'image n'étant que prétexte de psychologie pour les aborder: les trois substantielles premières parties traitent de l'image, et, redisons-le, l'image, telle qu'elle y est analysée, donne un fondement génétique et transductif à la compréhension de I'invention.
pnÉsnNterroN xv possible ou qui ramènerait de force à I'unité une forme hétérogène. Les problèmes de définition des notions ne paraissent pas, pour Simondon, ge qu'il y a de plus importanr, en tour cas pas ce qui peut se régler et se
fixer d'abord. Pour des raisons de principe, il ne comm..r.. p", p", chercher à établir une définition, qu'on pourrait utiliser ensuite .o--. un instrument sans revenir sur sa valeur, mais il commence (dès le Préambule et l'Introduction) en soulignant les problèmes que posenr er que risquent de cacher les définitions er les simples significations arrachées aux mots comme < image o, u symbole ,, n perception ), (( désir o, etc. (p. 4) ou u imagination , (p.ù. Certaines définitions peuvent correspondre à des consrructions habiles et cohérenres mais qui barrent I'accès au réel dans sa complexité effective au lieu de le favoriser, parce qu'elles ne suivenr pas, malgié une apparence er une argumenration parfois très élaborée, les articulations du réel (comme on pourrait dire de façon platonicienne), er surtour son dynamisme génédque (or, c'esr seulemenr ainsi que ces articulations se révèlent réellement). Le grand risque est que les définitions les plus rigoureuses et les plus serrées détournent par narure de suivre .. q,ri .rt le plus caractéristique et le plus essentiel de la réalité: son évolurivité, son caractère génétique (sur ce point, quelque critique qu'il puisse être amené parfois à formuler à l'égard de Bergson, il y a chez Simondon une position de principe et ce qu'on serait tenté d'appeler un o narurel , profondément bergsonien). Cela ne dispense en rien évidemment de la tâche d'élaboration des définitions, cela accroît sa difficulté : il faut détnir en tenant compre de la possibilité que ce que I'on définit de façon peut-être juste à tel momenr comprenne en soi des potentiels propres qui le feront échapper à cette définition. Le risque est aussi bien de tout ramener (par exemple tout ce que I'on nomme u image u dans la langue commune) à une seule déûnition, à un seul modèle, I une ,eule essence, à quoi I'on cherche alors de force à réduire toute la diversité, que de multiplier inutilement les entités (par exemple , juger absolument hétérogènes les images menrales et les images matérialisees, les images perceptives et les images mentales, etc.). En somme, le n rasoir d'Occam u doit être manié avec délicatesse er surtout de façon récurrenre, ou plutôt transductive. Ce qui caraoérise la recherche de Simondon, ici càmme souvent' en sorte d'échapper autant que faire se peut à cette difficulté de principe, esr de reconnaître la plus grande quanriré de differences dans la réalité telle que la propose I'expérience et de lui faire son droit en Ia
recueillant non pas (seulement) dans I'unité du concept et de la définition, mais dans I'unité transductive (c'est-à-dire qui opère de place
pnÉsBNrerroN xvrr
XVI IMAGINATION ET INVENTION en place) de ce dont on suit finement la genèse, l'évolution, voire la dispaàtion : on a sans doute intérêt à appeler-n images o des réalités assez àiffér.rr,.., car on cacherait sinon un air de famille réel entre elles et une continuité génétique effèctive, mais dont il serait difficile ou stérilisant de fixer la riotion à"r, ,rn genre commun (il serait rrès pauvre du fait de sa généralité) ; il faut donà suivre les differences entre elles tout en faisani apparaître leur liaison, non Pas comme de genre à espèce ou d'espèce à espèce d,un même genre, mais comme des phases d'un processus de développement quasi organique. simondon avait abordé la question des rapports de l'imagination et de la perception dans son cours de I'année précédente sur la perception', avec lequel le cours sur lrnagination et Inuen'tion présente une grande conrinuité. C'est que I'on ne peut séparer percePtion et imagina' "tior, ,r, même si on ne les confond pas, il faut les Penser ensemble' C'est une thèse importante de ce cours, qui avait déjà été exposée dans celui de I'année précédente sur la perception. cette thèse contredit frontalemenr noramment I'idée principale que
Sartre (auteur encore très en vue à l'époque de ce cours' notamment pour sa théorie de I'imagination) soutient comme un des fondements de sa doctrine : n I'image et la perception, loin d'être deux facteurs psychiques élémentaires de qualiié semblable er qui entreraient simplement da.rs des combinaisons diftrentes, représenrent les deux grandes attitudes irréductibles de la conscience. Il s'ensuit qu'elles s'excluent I'une I'autre o'. C'est qu'o exister en image, s'oppose absolument à < exister en fait > r. Pour le redire de façon netre : o la formation d'une conscience imageante s'accompagne (...) d'un anéantissement d'une conscience p.r.l.pti',r. et récipioquement > o. Sartre définit l'imagination, dès les pr.-ièt.t lignes âe i'Imaginaire, comme n la grande fonction "irréar. G. Simondon, Cours sur la Perception, op. cit' L'année 1966'1967, Simondon fit cours sur La Sensibilité et sur SensibilitJ et Perception, dans le cadre d'un cours d'Initia' tion à la psychologie moderne (Bulktin dr Ps\cholngie de décembre ry66 ù mai 1967). L'intérêt â. Si-o'"do" pour les problèmes de perception, dont témoignent les cours donnés à la sorbonne q.r. no,r, venons de citer (et il y en a d'autres encore), apparaissait (n déjà dans sa thèse principale sur L'Indiuiduation, dont la troisième partie L'individuaperceptives unités des par un chapitre sur l'individuation tion psychique o) "o--in.. de dcs notions lumière à la L'Indiuiduation : voit forme et .t d'"blrd leur ségrégation. d.'information, G.ÀoËI., Millon, zoo5, dont la première édition (partielle, sous le titre : L'I;diuidu et sa genèse physico-biologique, Paris, PUF) date de ry64' z. J.-P. Sartre, L'Imaginaire, p. z3t. 3. L'Imagination, p.3. 4. L'Imaginaire, p. z3r.
lisante" de la conscience ), dont I'imaginaire esr le n corrélatif noématique >'. C'est par réference et opposition à Ia o fonction du réel , de Pierre Janet que certe caracrérisation originaire de l'imagination et de I'image prend le sens d'une opposition er d'une incompatibilité radicales evec la perception.
Or, selon Simondon, on ne peut ainsi séparer réellemenr imagination et perception, même si l'on peut en distinguer les notions : n La capacité de percevoir esr peu éloignée de la force d'imaginer, sans que
I'on donne à ce mot le sens d'une construction fictive o ,. La perception et I'imagination ne sonr pas identiques (est significative la diftrence indiquée par les rermes choisis pour les caracrériser ; capacité et force), mais, dès que I'on n'envisage pas exclusivemenr le pouvoir de fiction de I'imagination, on verra qu'elles ne sonr pas très diftrentes I'une de l'autre, tant elles sont étroitement liées I'une à I'autre en dcte. Percevoir, ce n'est pas si diftrent que cela d'imaginer, dans la mesure otr il est impossible de percevoir sans imaginer, er or) I'imagination enrretienr des rapports multiples avec la perception, qu'il ne faut pas commencer par chercher à réduire. Encore faut-il avoir une conceprion juste de la perception autant que de l'imagination, pour saisir cette grande proximité et cette liaison intime, sinon cerre identité. Sartre peut opposer I'image à la perception dans la mesure oùr celle-ci est analysée comme conscience de passivité, conscience de quelque chose
qui s'impose, conscience d'une cerraine objectivité qui se donne. L'objet de I'imagination n'est pas vraiment un objet réel : < I'image est une conscience > r, cela veut dire notamment que ce n'est qu'une conscience, pas une réalité objective. L'image esr ( une cerraine façon qu'a I'objet de paraître à la conscience, ou, si I'on préftre, une certaine façon qu'a la conscience de se donner un objet > +. Mais, précisément, cette façon se caractérise par le fait que l'objet s'y donne comme ne s'y donnanr pas en chair et en os, il s'y donne comme absent : on ne peut pas vraiment I'observer, il ne peut être I'objet que d'une u quasi-observarion > '. Tandis que n I'objet de la perception déborde constamment la conscience ; l'objet de I'image n'est jamais rien de plus que la conscience
qu'on en
a; il
r
se
définit par c€tte conscience
lbid., p. n. z. G. Simondo n, Coars sur la Perception, p. zz9. 3. J.-P. Sartre, L'lmaginaire, p. 15. 4. Ibid., p. t9. 5.
Ibid., p. zo.
6. Ibid., p.25.
> u.
L'image n'est pas une
XVIII IMAGINATION
pnÉsnNrerroN xrx
ET INVENTION
perception, on n'y trouve que ce qu'on y met, c'est cela qui fait sa ( pauvreté essentielle ), pauvreré en réalité objectiue. On peut dire ainsi que n la conscience imageante pose son objet comme un néant o ' : elle le vise comme irréel, elle l'irréalise. Pour Sartre, ce n'esr pas une simple propriété observée de l'image, c'est sa définition nécessaire et essentielle.
Pour lui,
il y a nécessité de trouver
n
dans
[]a
nature intime [de
I'image] un élément de distinction radicale ) par rapport à la perception', un peu comme s'il y avait un danger vital de confusion (l'hallucination, la maladie). Toute sa théorie semble reposer là-dessus. La o spontanéité , de I'image r n'est qu'une < espèce de contrepartie indéfinissable du fait que I'objet se donne comme un néanr > +.
Ainsi, pour Sartre, I'imagination est fonction o irréalisante >, néanrisante. Elle s'oppose à Ia fonction de réel, dont la perception est la forme majeure. S'efforçant de monrrer que rous les philosophes et psychologues ont fait la faute de penser I'imagination à partir de la perception et par difiërence avec elle (diffërence de degré), Sartre semble en prendre le contre-pied de façon radicale et systématique. Mais peur-être s'en-
ferme-t-il lui-même dans cette problématique trop exclusive. Cela le conduit aussi, dans L'Imaginatioz ', à s'opposer avec nerteté à Bergson (qui avait pourtant affirmé clairement, dans Matière et Mémoire, chapitre III, qu'il n'y avait pas, entre souvenir er perception, une diffërence seulement de degré), dans la mesure oir il fait de l'image, dans Matière et Mémoire, chapitre I, une réalité existant dans le monde extérieur (toute réalité est image, dans la mesure oir elle est susceptible d'être perçue, même si elle ne I'est pas actuellement).
Q".
I'image puisse exister dans
I'extériorité objective, indépendammenr de I'activité d'une conscience, autrement que comme une conscience, une < conscience imageante ,, cela paraît, à Sartre, impossible, voire absurde, et il en parle comme d'une bévue, d'un archaisme philosophique et psychologique. C'est précisément sur ce point fondamental, que Simondon, rour en reconnaissant clairement de grands mérites à son analyse, refuse de suivre Sartre. Il rappelle tranquillement que la thèse de Sartre correspond en un sens à un usage courant aujourd'hui, mais non entièrement justifié: < Le mot d'image est généralement compris comme désignant un contenu mental dont on peut avoir conscience ; là est la principale
r lbid., p.28. z. Ibid.,
p. 293c..
Ibid., p.13. a. Ibid., p. 3a. 5. Yoir L'Imagination, p. 4t-7o. 3.
difficulté, car en cerrains cas, pour le sujet humain, une telle apparition consciente de I'image est ef[ectivement possible, paftiellement dans la situation d'anticipation, er surrout dans celle du symbole-souvenir ; mais rien ne nous prouve que même dans les cas les meilleurs la prise de conscience épuise toute la réalité de cetre acriviré locale. On peut supposer au contraire que les aspects conscients de I'activité locale sont des cas d'affleurement presque exceptionnels qui se rattachent à une trame contin,r. o (p. 4). Simondon approuve sartre de lier essentiellement fonction imageante et fonction symbolique', contrairement à certains psychanalystes, dit Sartre, er notarnment à l,acan, précise Simondon, auquel il consacre quelques pages; et il trouve que n I'interprétation de Sartre est extrêmement intéressante , dans la mesure oir o elle met I'accent sur le rapport d'existence et d'action entre I'objet et le sujet qui se tisse à travers image ou symbole et non, comme la plupart des doctrines, y compris celle de Husserl, sur les rapporrs de signification permettant de rapprocher plus ou moins images et symboles des signes o (p. tlo). Cependant, c'esr la conceprion de la n conscience imageÀte o, comme consriturive du problème tel que le pose Sarrre, qui lui paraît discutable. c'èst donc I'insrrument même de la réfutation iadicale de la théorie de Bergson qui est contesré et rerourné conrre sartre. si le mot < imagination ,,, qui renvoie à la n psychologie des facultés ), a un intérêt, c'est dans la mesure oir n il suppose que les images menmles procèdent d'un cerrain pouvoir, expriment une activité qui les forme, er supposent peut-être l'existence d'une fonction qui les emploie , (p. ù. c'est dans cette mesure aussi que les analyses de sartre sont intéressantes. Mais sa conception de la * co.rs.i.rrce imageante, (à laquelle il réduit l'image) le conduit, en accordanr une n spàntanéité, abcolue à I'image (c'est-à-dire à la conscience imageante), à refuser du même geste toute réalité objective des images. cerre conception de Ia o conscience imageante ) permer de donner roure sa parr au caractère subjectif des mais c'esr trop puisque, en même remps, elle fonde I'impossiimages,. bilité de reconnaître aux images un mode d'existence suffisammenr consistant et autonome.
Comme souvent, Simondon ne s'oppose pas ranr à telle ou telle thèse : il cherche plutôt à montrer que les thèses en présence ont toures quelque chose de vrai, mais qu'elles sont insuffisanres ; il faut chercher un point de vue oir elles puissent se compléter, ou plutôt tel que la réalité apparaisse de façon complète. Or, il faut bien reconnaîtrè une r. Yoir L'Imaginaire, p. r89.
)O( IMAGINATION
ET INVENTION
extériorité et une sorte d'objectivité aux images, sous peine de nier leur réaIité, telle que nous en faisons communément I'expéiience. Simondon fait donc porrer sur la théorie sarrrienne une critiquè comparable, sur ce point, à celle que l'on peut opposer à une n psychologie des facultés o : faire une parr trop importante, par principe, à la subjectivité. Tel est, dit-il, le défaut du terme n imagination o : il risque d'induire en erreur, dans la mesure où il conduirait à rattacher exclusivement les images au sujet qui les produit er n à exclure l'hlpothèse d'une extériorité primitive
des images par rapporr au sujet , (p.ù, Voici donc restaurée la thèse bergsonienne de I'extériorité de I'image : elle n'a rien d'absurde en ellemême et correspond à I'expérience la plus commune; il suffit de la compléter par la caractérisation de ce qui est subjectif dans I'image, si I'on veut rendre compte de sa nature complète ,, nous le ve.ions. Simondon ne procède pas à une réfutation pointilleuse de Sarrre, comparable à celle à laquelle ce dernier se livre contre ses adversaires, mais il relativise l'argument sartrien du caractère ancien et dépassé de la tentative bergsonienne : refuser toute objectivité et toute force propre au monde des images, ce serait aller contre le sens commun fondé sur une expérience fort ancienne de I'humanité. Certes, u [c]'est une attitude courante chez les penseurs contemporains pour qui I'image renvoie à une "conscience imageante", selon I'expression de Sartre (ibid.), que " de rejeter I'extériorité des images. À cette mode intellectuelle récenre, en somme, Simondon oppose I'ancienneté de l'expérience humaine (depuis
Homère) : o fl]'aspect d'indépendance et d'objectivité de I'image a f.pnl les Anciens , (ibid.). Ce n'esr guère qu'à partir du xVII. siècle que ,..
la description des images en termes de subjectivité s'est imposée o s).À Sartre qui ptopoi., à la première ligne âe sa méthode ,, â'aban-
(p.
r.Ce qui n'esr pas l'objet premier de Bergson dans Matière et Mémoire: il s'agit pour lui d'abord de caractériser non pas tant la nature générde de l'image (comme réalité matérielle), que la réalité matérielle comme image pour aurenr que nous pouvons la percevoir (que ce soit actuellement ou non). < La marière, po.r, .rorrr, est un Àsemble d"'images". Et par "image" nous entendons une cerraine .*irt.rr.. qui est plus que ce que l'idéaliste appelle une représentation, mais moins que ce que l. èdirt. appelle une chose une exisrence située à mi-chemin entre la "chose'i la "représentarion" , - et Mëmoire, édition du Centenaire, p. 16r). Simondon et (Matière ,r. ..pr..rà pas vraiment la thèse de Bergson, dans la mesure où. il ne reprend pas son problème, mais il va montrer que la formule bergsonienne qui fait de I'image un intermédiaire est tout à fait justiûable si I'on veut caractériser sa nature : une o réalité intermédiaire entre sujet et objet, concret et abstrait, passé et avenir, (titre de la première section de I'Introduction
du cours, p. 7). z. Voir J.-P. Sartre, L'Imaginaire, p. r1-r5.
pnÉsnNrerroN xxr
donner les préjugés, de o décrire o les images et de < laisser de côté les théories o (propos qui rappelle précisément celui de Bergson au début du premier chapitre de Matière et Mémoire), Simondon demande de ne pas commencer par altérer et simplifier l'expérience : < pourquoi exclure comme illusoires les caractères par lesquels une image résiste au librearbitre, refuse de se laisser diriger par la volonté du sujet, et se présente d'elle-même selon ses forces propres, habitant la conscience comme un intrus qui vient déranger I'ordre d'une maison oir il n'esr pas invité ? > (p.Z). O" reconnaît bien ici la manière habituelle de Simondon : il ne s'agit pas, pour lui, de polémiquer et de réfuter dans le détail les analyses de Sartre, mais il fait porter son difftrend sur le principr que constitue le recueil de l'expérience ; c'est I'ampleur séculaire de cette expérience, qu'il invoque, qui le dispense d'avoir davantage à discuter et à dialectiser. Notons que si, malgré la force propre de l'argument fondé sur le témoignage de l'expérience humaine la plus ancienne, Simondon avait voulu trouver un appui chez un penseur conremporain célèbre pour ses écrits dans ce domaine, il aurait pu évoquer, par exemple, la conception de l'imagination de Gaston Bachelard, q"'il prés.rrte pas lui-mème' "e mais qu'il cite dans sa bibliographie, en recommandant de lire roure ses æuvres (et o particulièrement La Psychanalyse du ft, ,). Sans doute, en un sens, Bachelard peut sembler proche de Sartre et l'avoir compris, quand il dit dans LAir et les Songes: n percevoir et imaginer sonr aussi antithétiques que présence et absence. Imaginer, c'est s'absenter ) 2. Mais c'est pour préciser dans la fin de sa phrase : u c'est s'élancer vers une vie nouvelle r. Sans doute, ( souvent cette absence est sans loi, cet élan est sans persévérârrc€ )), cependant I'imagination poétique véritable inaite au uolage vers un autre monde, certes, mais un vrai monde, même s'il est désormais enseveli ,, et elle établit un rapport effectif avec ce qui s'y trouve : o Que de fois I'univers m'a soudain répondu... ô mes objets ! comme nous avons parléo !o Ce monde imaginé n'esr pas sans existence et sans force sur le rêveur, car o alors, s'impose le réalisme de
r. Cela, sans doute, parce que le cours de Madame Favez-Boutonier sur I'imagina-
tion avait présenté
assez longuement la conception bachelardienne. z. Gaston Bachelard, LAir et les songes. Essai sur l'inagination du mouuement, Paris, Corti, 1943, p. ro. 3. Ibid., p. t2: << Que de fois au bord du puirs, sur la vieille pierre couverte d'oseille sauvage et de fougère, j'ai murmuré le nom des eaux lointaines, le nom du monde enseveli... o
+. Ibid.
XXII
pnÉsnNrR:troN xxrrr
I'irréalité >'. C'est qu'on ne peur pas séparer la u fonction de l'irréel , de réel o, affirme Bachelard en réponse à Sartre : n un trouble de la fonction de l'irréel retentit sur la fonction du réel n'. C'est que parfois o le rêve est plus fort que l'expérience ) r ; mais c'est qu'il précède depuis toujours toute expérience objective, qui doit se gagner sur et contre lui. Plutôt que de chercher à penser I'imagination à partir de la perception (envisagée comme répétition de la perception, ou dans sa diftrence avec la perception, qu'elle soit de degré ou de nature), il faut montrer n le caracrère primitif, le caractère psychiquement fondamental de I'imagination créatrice o, tel est I'objet que se donne Bachelard au début de La Terre et les rêueries de la uolonté.. Car, quand le réel est présent dans toute sa force, comme dans la perception, on est porté à oublier rout ce qui est inconscient et qui s'épanche dans la vie consciente, et il faut u redoubler d'attention si nous voulons découvrir I'activité prospective des images, si nous voulons placer I'image en avanr même de la perception, comme une aventure de la perception >r. Les images ne sont pas toutes répétition ou représentation de ce qui a été perçu ; il y a aussi des images qui précèdent et informent la perception,
la o fonction du
toute sa place à la puissance de I'imagination créatrice, mais sans que cela ne conduise à négliger la force des images, de I'imaginaire comme monde. Tandis que la psychologie sarrrienne de l'imagination, enrière-
ment centrée non pas seulement sur son opposition à la perception, mais sur son incompatibilité avec elle, semble ne pas envisager véritablement (autrement que selon ses æuvres, ou plutôt ses résultats, une fois qu'ils sont donnés à percevoir, ou mieux à recevoir) la possibilité d'une imagination créatrice et encore moins d'une imagination - effectif; comme dans les techniques : le inventive d'un fonctionnement réel objectif, pour elle, est objet de perception, de réceptivité, de passivité ; il ne semble jamais envisagé comme le produit possible d'une réalisation, d'un devenir-réel à paftir de I'imagination'. La considération de I'imagination comme n fonction irréalisante o (par opposition à la n fonction du réel > que serait essendellemenr la perceprion) semble empêcher qu'on puisse la comprendre comme fonction de réalisation.
des images créatrices.
Le monde imaginaire ainsi décrit est bien loin de la n néantisation o sartrienne et de sa conception de I'imaginarion comme n fonction irréalisante >. On a affaire à deux atmosphères intellectuelles er de sensibilités diftrentes. Ici, les images dépendent de la force de l'imaginarion, mais
elles s'imposent aussi avec leur force propre, elles font rêver, elles constituent un monde que I'on peut contempler et explorer, dans lequel on peut vivre et avec lequel il faut compter il y a de la n névrose, à vouloir y échapper, diagnostique Bachelard- : dans sa description, la conscience n'est pas n imageante ), comme chez Sartre, elle est o imaginante ), si I'on peut dire, elle peut être créatrice véritablement, er I'imagination créatrice (et non pas reproductrice) est ce qui précède toute perception et peut I'informer: elle est prospective du réel. n Le psychisme humain se formule primitivement en images o 6. Bachelard fait
t
lbid., p.
13.
z. Ibid., p. t4. 3. G. Bachelard, La Psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, ry38, rééd. coll. n Idées o, 1965, p. 4o. 4. Id., La Tene et les rêueries dz la aohntë. Essai sur I'imagination des forces, Paris, Corti, 1947, p. 3. 5. Ibid., p. a. 6. Ibid., p. 5.
r. Quand il thématise le rapport à l'æuvre d'an comme telle (à I'exrême fin de L'Imaginaire, dans la seconde partie de sa conclusion : o il semble qu'il soit temps de tirer quelques conclusions ,, p.162), Sartre organise son propos comme une polémique contre I'idée qu'elle pourrait être considérée comme une réalisation: o On pense qu'il y a eu passage de I'imaginaire au réel. Mais cela n'est point vrai. o n [l]l ne faut point se lasser d'affirmer r, dit-il, que ( ce qui est réel ), ce ne sonr que o les résultats des coups de pinceau, I'empâtement de la toile, son grain, le vernis qu'on a passé sur les couleurs >, mais que l'æuvre d'art comme telle, ce qui est o "beau", au contraire, c'est un être qui ne saurait se donner à la perception >, er Sarrre pousse sa systématisation jusqu'à dire qu'il est n dans sa nature même, isolé de I'univers , (p. 16ù. Si I'on veut définir le < type existentiel de l'æuvre d'art ,, de o I'objet d'art, (problématique qui consonne bien avec celle du o mode d'existence , des objets techniques de Simondon, et des images dont le rycle y conduit), il faut dire que n I'ceuvre d'art est un irréel , (p. 16z). Est-ce cette conception de I'image et de l'imagination, consrruite par opposition notionnelle exclusive, massive, métaphysique, en tout cas essentielle, avec la perception, qui interdit de penser une imagination n réalisante o, même dans le domaine artistique (mais qu'en serait-il si on envisageait le domaine de l'objectivité technique !) ? Ou bien est-ce plutôt I'absence de considération pour la possibilité de l'imagination inventive dans le domaine technique (où ce n'est pas seulement I'objectivation matérielle, mais le fonctionnement effectif, qui est requis), qui rend possible cette conception opposanr absolument le perçu et l'imaginé, le réel et I'image (contre Bergson qui, en revanche, andyse, même si c'est moins clairement et précisément que Sartre ne le souhairerait, I'invention technique d'une machine dans n L'effon intellectuel ,, in L Energie spirinelb, édition du Centenaire, p. 946 ) ?
pn-ÉssNt{rroN )ocv
)OOV IMAGINATION ET INVENTION
en des sens diftrents : image mentale, image matérielle, schéma' etc. ; et, note Simondon, plutôt qu'image, il faudrait Peut-être parfois dire n symbole )), ( perception o, voire u désir ), etc. Or, il ne s'agit pas de ramener ces diverses formes à I'identité, mais de montrer qu'en un sens,
4. I.A THÉORIE: LE PRIMAT DE L'IMAGÊ. LË CYCLE DE L'IMAGE ET DE L'INVENTIoN
Ainsi donc, si I'on veut décrire la réalité et son expérience, en mettant de côté d'abord préjugés et théories, on est bien conduit, selon Simondon, à reconnaltre la n relative indépendance des images )) r ( on
I'image mentale qui ont fourni matière aux discussions et aux études déjà publiées ne correspondent pas à diftrentes espèces de réalités, mais à des étapes d'une activité unique soumise à un processus de d&eloppement " (p. l). Il ne s'agit Pas non plus, cependant, de ( rernener toute l'activité mentale à I'image en cours de genèse, mais de montrer que, dans I'anticipation, puis au cours de la relation perceptivon les aspects de
ne peut les gouverner que de manière indirecte o ; o elles conservent une certaine opacité D ; ( contenant en quelque mesure volonté, appétit et mouvement, elles apparaissent presque comme des organismes secondaires au sein de l'être pensant: parasites ou adjuvantes, elles sont comme des monades secondaires habitant à certains moments le sujet et le quittant à d'autres o. On peut être hanté, possédé par certaines images et on ne s'en délivre pas toujours facilement. Au total, il faut refuser de
motrice,, enfin dans le souvenir, et ultérieurement dans I'invention, existe une activité locale faisant du sujet un véritable générateur de signatx servant à anticiper, puis à recevoir, enfin à conserver et à "recycler" dans I'action les signaux incidents venant du milieu " (p. +). L'image est alors conçue comme un n quasi-organisme (...) habitant le sujet et se développant en lui avec une relative indépendance par rapport à I'activité unifiée et conscient., (P. 9). Les images mentâles seraient ( comme des sous-ensembles structuraux et fonctionnels de
choisir entre la thèse de la subjectivité radicale des images et I'affirmation de son caractère simplement objectif ; il faut dire que I'image a un caractère à la fois objectif et subjectif, à la fois concret et absnait; ou bien, parfois, elle paraît réalité intermédiaire entre I'objectif et le subjecti[ entre le concret et I'abstrait, entre le moi et le monde (p.tl). Les images peuvent être purement mentales ou bien matérialisées en n objets-images, (institutions, produits, richesses). Ainsi, n les images imprègnent les civilisations et les chargent de leur force o. L'image n'est pas seulement une
n
résultante
D
" (p. r8). Ainsi les qui semblent parfois contradictoires, peuvent trouver leur compatibilité et leur cohérence dans le cadre de cette conception qui semble dissoudre les oppositions traditionnelles
cette activité organisée qu'est l'activité psychique caractères observés des images, mais
(comme si elle dépendait
entièrement d'une pure n conscience imageante spontanée o), elle est aussi un ( germe o : les images ont ( un mode complexe d'existence et de proliferation ,. On ne peut les ramener toutes à un seul statut, par exemple celui d'être la reprise et la reproduction plus ou moins déformée ou recomposée de ce qui a déjà existé ; il faut distinguer les images qui sont tournées vers le passé (souvenir), celles qui sont tournées vers le futur (anticipation, attente, invention), et celles qui sont tournées vers ce qui est présent (la perception), sans se laisser conduire pour cela à oublier qu'elles se forment et se développent en étroite relation entre
en changeant le sens et la valeur de bien des formules utilisées jusqueJà
on peut dire maintenant que I'image dépend du sujet et, en
:
même
temps, qu'elle a son propre dynamisme, qu'elle semble se confondre parfois avec la conscience elle-même dans son rapport à un objet extérieur, mais parfois aussi qu'elle semble être dans le sujet et qu'on peut l'observer comme un objet extérieur. Dans son développement quasi organique, (r) I'image est d'abord, au début de la vie, un faisceau de tendances motrices, anticiPation à long terme de I'expérience de I'objet. C'est le comportement programmé génétiquement, qui conduit le jeune vivant dans son milieu, avant toute expérience et reconnaissance d'objet, dans une pure spontanéité motrice, en quoi consiste alors I'image. (z) Ensuite, I'image devient un mode d'accueil des signaux et informations venant du milieu et une source de schèmes de réponses à ces stimulations, les diverses images s'organisant progressivement en sousensembles sous I'effet de I'expérience (c'est la phase de la perception). (3) Enfin, les images s'organisent et se slttématisent en n un véritable
elles, en général. Dans ces conditions, pour ne pas être conduit à réduire toutes les sortes d'images à une seule essence, pour faire droit à la diversité polymorphe et sans cesse évolutive de la réalité des images et de l'imagina-
tion, mais sans pour cela confondre et négliger les
diffërences, la méthode consiste à examiner dans quelle mesure on peut en former une conception génétique, à suivre de place en place la manière dont chaque moment ou phase rend possible le suivant en constituant des conditions en partie originales pour sâ genèse (cela correspond à ce que Simondon nomme u démarche transductive o). Car le mot n image ) peut être pris
monde mental , (notamment sous I'influence de Ia résonnance affectivoémotive), par lequel u le sujet possède un analogue du milieu extérieur >.
,il&i
)OC\[ IMAGINATION
ET INVENTION
pnÉsnNrerroN rc
(4) L'inuention peut alors survenir comme un cltangement d'organisation du système des images, permerranr au sujet d'aborder le milieu avec de nouvelles anticipations : elle marque la fin d'un cycle et le début d'un nouveau. n Ce qui caractérise l'image, c'est qu'elle est une activité locale, endogène, mais cette activité existe aussi bien en présence de I'objet (dans la perception) qu'avant I'expérience, comme anticipation, ou après, comme symbole-souvenir , (p. +). La crainte de voir associer la notion d'image à celles d'anticipation, de mémoire ou de perception, tient à des réflexes anti-associationnistes, mais c'est surtout la n psycho-
proviennent des mouvements spontanés, et, pour ce qui est de leur rapPort aux perceptions, elles les précèdent et les informent. Il faut donc, si l'on ne veut pas défendre coûte que coûre, contre les faits, une conceprion qui refuse le primat de la vie et du mouvemenr par fPport à la conscience et la perception, chez l'être vivanr, y compris l'être humain, acceprer I'idée que les premières images ne sonr donc pas conscientes, pas au sens, en tout cas, où la perception est consciente, puisqu'elles précèdent la perception (réception des signaux venanr du milieu), elles sont motrices, liées aux conduites les plus simples par lesquelles le vivant prend possession du milieu .t pto.èd. à la première identification des objets (vivants ou non) qu'il y rencontre. Maii cela ne v-eut pas dire que les conduites motrices primitives sont accompagnées
logie des facultés > qui constitue une difficulté, < parce que les facultés ont été définies d'après les tâches dominantes : anticiper, percevoir, se rappeler
; aux trois moments du
temps correspondent perceprion,
mémoire, imagination , (ibid.). Or, s'il ne faut pas confondre imaginer et percevoir, er si n fp]armi les souvenirs, tous ne sont pas des images r, I'image joue ou peut jouer un rôle, chaque fois diftrent, dans ces fonctions. C'est parce que Sartre pense I'image comme conscience et comme une essence avant tout déterminée par rapport et contraste avec la perception, que sa conceprion ne peur que paraître insuffisante à Simondon'. Or, non seulemenr on peur dire avec Bachelard que I'imagination est plus primitive que la perception (l'imagination reproductrice n'érant pas le modèle ou I'essence de I'imagination, seulement un cas parriculier), mais, plus radicalement encore, il faut reconnaître que la sensorialité n'est pas première, elle est précédée par la motricité (p. z93r)': la perception et, généralemenr, les conduites de réaction au milieu ne sont pas premières ; ce sont les conduites motrices spontanées qui sont primitives, ce que I'on méconnaît quand on fait de la perception une essence sui generis exclusive de toute influence de I'imagination et, plus originairement, de toure sponranéité motrice : Ies images ne proviennent pas d'abord de perceptions antécédenres, et le souci de ne pas les confondre avec des perceptions n'est pas décisif pour les détnir ; elles
d'imaçs (considérées comme des représenrations conscienres qui, par exemple, pourraient motiver et orienter ces mouvements, leur donner un but, comme ce pourra être le cas ultérieurement, quand la perception, le souvenir, I'expérience seronr là) ; les images morrices primitivis n'ont d'autre contenu que ces mouvements eux-mêmes (mouvements autocinétiques non finalisés), tels qu'ils s'organisenr conformément à des programmes spécifiques de I'individu et en fonction des renconrres qui s'opèrent aléatoiremenr dans le cadre du milieu où il se trouve. r L'organisme est un ensemble de schèmes de conduite aussi nettement définissables er ayant une valeur taxonomique aussi nerte que la forme des phanères, le nombre de griffes, erc. Ces schèmes d'action existent
donc dans l'être vivant comme anticipation des conduites possibles, Comme programmes partiels des comportements, et ils peuvent, virtuellement utilisés, fournir un contenu aux anticipations, sous forme de préparation des situations de renconrre de I'objet et d'anticipation des réponses; I'organisme peut, plus ou moins complètement, jouer à vide ses conduites avant de les appliquer à un objet réel ; se lever, artaquer, se cacher, fuir, faire face, ce sonr des séquences dont l'être vivant posèd. l. programme en lui-même, comme il possède son propre corps ) (p. lù. Les objets (vivants ou non) qui sont identifiés dans le milieu .r. .orrr p", d'abord perçus, donnés sur le mode de ce qui peut être r.ç,r, pt.ri, progressivemenr reconnus (comme selon I'explication empiriste) ; ils
r. Sartre a aperçu n le rapport d'existence et d'action entre I'objet et le sujet, qui se ravers image ou symbole >, ainsi que I'importance de I'action, du mouvement, de l'affectivité et du savoir, dans I'image; mais la condition pour que le mouvement, I'action ou I'affectivité puissenr êrre sources d'images et analogon pour elles, c'est qu'ils aient été d'abord objets de conscience, d'expérience, de vécu, de perception, par où s'est formé un savoir. Faisant de l'image une conscience et la considéranr comme incompatible avec la perception, refusanr toute possibilité d'inconscient, ignorant le problème de la réalisation d'une æuvre à partir de I'imagination, Sarrre ne conçoit pas que le mouvemenr puisse être origine première des images, images premières, par lui-même. z. Cf. G. Simondon, Cours sur la Perception, p. roo. tisse à
sont distingués, constirués, institués, identifiés, soit en très pèu de temps (c'est le cas, par exemple, de la n prégnation >, < Priigungr, du rôle maternel, p.%), soit progressivement et de façon différentielle, par lhctiuité motice d'exploration autocinétique, dont le sujet est capable en fonction de son équipement organique et des aléas de la découverte du milieu. Cette activité locale venanr du sujet, par laquelle il constitue, en
{*,
pnÉsexterroN xxrx
INVENTION
les recrutant au cours des rencontres occasionnées par ses autocinèses, les objets que ses programmes comportemenraux rendent possibles pour lui (bons ou mauvais objets, proies ou prédateurs, lieu de repos, figure maternelle ou substitut, c'est la même chose), ne peut correspondre à une perception (réception de signaux provenanr d'un objet du milieu), tant que ce recrutement et cette constitution ne sont pas suffisamment avancés : elle se présente comme une activité anticipatrice, une activité de l'imagination.
motrices à partir de cette source unique et première qu'est I'organisme avec ses schèmes moteurs rayonnant à partir du schéma corporel ,
(p.+r). Il y a ici une réforme profonde qui
est suggérée, non seulement de la psychologie traditionnelle, mais aussi au moins d'une certaine phénoménologie : la perception n'est pas première, la conscience non plus, mais la vie, le mouvement, et quand le mouvement est organisé, I'image.
La donation de l'objet dans la perception a comme condition
de
possibilité dans le sujet une activité locale, d'origine endogène, qui n'est rien d'autre en quelque sorre que la vie, la vitalité, le mouvemenr un peu organisé et constanr: c'esr la première forme de I'image. C'est par elle que la rencontre avec I'objet propremenr dit, ce qui s'appelle perception, est possible : c'est elle qui le recrute. Si I'on a compris que I'image dans la situation motrice primitive pré-perceptive, otr, par principe, elle ne peut être confondue ni avec la perception ni avec la conscience, peut les précéder et faire advenir son objet par anticiparion et Proprement recrutement, peut-être sera-t-on moins étonné de voir maintenant que I'image peut avoir sa place inévitablemenr, essentiellemenr, dans la perception (n images intra-perceptives >), cela même qui paraît absurde et impossible pour la phénoménologie sarrrienne. Il ne s'agit toujours pas de confondre perceprion et imagination, ni de reprendre un point de vue n associationniste ,, mais de tenir compte du fait que la perception, que ce soit la conduite perceptivo-motrice la plus simple ou la perception la plus élaborée, n'esr pas rapport statique à l'objet mais sans cesse susceptible d'évoluer, en fonction de I'activité du sujet selon toutes ses dimensions ; dans ces conditions, comment l'activité anticipatrice de I'imagination, que I'on a observée avant I'existence même de la perception, pourrait-elle être éliminée durant la perception, que roure activité du sujet peut faire évoluer ? Y compris dans les perceptions les plus simples (conduites perceprivo-motrices progressives), u les images apparaissent sous forme d'anticipation perceptives de potentialités, dans la mesure où u elles sont plus générales que les objets individuels o (p. 66) au point qu'existe la possibilité de leur comparaison avec des - Mais surtout, I'image intra-perceptive joue un rôle dans o I'effet concepts. de constance >, qui assure le sentimenr que l'objet ne change pas de forme lorsqu'on fait varier sa position er donc ce qui ..r àt o lru o, comme un cercle que I'on fait pivoter sur l'axe d'un de ses diamètres continue d'être perçu comme un cercle et non comme une ellipse b.ù.Mais il ne s'agit pas seulemenr de consrater que la perception d'un objet suppose les faces qui en restenr inaperçues (qu'o.t peur rap-
consistance par rapport à elle-même, une forme , (p. lz). L'activité motrice, en tant qu'elle n'est pas purement essai et errance, mais qu'elle se trouve être organisée et strucrurée avec un minimum de constance et qu'elle conduit à I'identification d'un objet (c'est alors seulement que la
possibilité de la perception sera atteinte), mérite bien, dans ces conditions, d'être appelée u image >. L'image, dans ce cas, précède la perception et la conscience (en tout cas, la conscience qui caractérise la perception comme présence à ce dont la présence s'impose de façon irrécusable) ; elle n'est pas déterminée par l'objet (perçu ou quasi perçu), puisque I'on se situe avant la perception et la conscience (et I'on échappe aux problèmes embrouillés traditionnels concernanr les relations entre imagination et perception). C'est, pour ainsi dire, I'image qui fait advenir l'objet pour le sujet, qui le constitue en objet susceptible d'être perçu, identifié, reconnu, recherché. Elle est produite par une activité locale du système neryeux, capable, lors de la rencontre avec le milieu, de n faire naître perpétuellement des ébauches de mouvements qui ne sonr pas des réponses à des stimulations, er qui constituent ainsi le postulat de toutes les conduites nouvelles (p. lr) ; elle est o anticipation de I'objet ,, " o ébauche de perception r, peut-être < catégories de perception u. On devra dire qu'elle ne reçoit pas son objet comme dans une donation, mais qu'elle Ie recrute (elle le rencontre, le retient, l'élit, de fait) au cours de la conduite motrice et de I'activité de génération de signaux en direction du milieu qui I'accompagne, sans laquelle il n'y aurait aucune ségrégation des signaux qui peuvent exister dans le milieu er, donc, aucun signal provenant du milieu ne serait reçu comme tel. L'image, dans ce cas, est ( une première forme de l'image a priori, dont le contenu est essentiellement moteur (p. lo). Les images morrices se " réfèrent au o schéma corporel ), rayonnent à partir de lui et lui sont inhérentes (p.+o). < [L]a source primordiale de l'a priori paraît bien être, sous forme d'anticipations de mouvement, I'organisme. Cette anticipation prend la forme d'une projection dans le milieu d'images
n
pnÉspNtarroN
d'imaginer, si on I'analyse d'assez près, au-delà des distinctions notion-
porter à la mémoire ou à un savoir général sur la structure de I'espace). Certaines perceptions peuvent o d'un seul coup d'æil n renseigner sur une situation complexe otr le nombre et I'enchevêtrement des facteurs est trop grand pour pouvoir être perçu (ce qu'on appelle parfois o intuition o) ; c'est le cas de la mère qui < voit que son enfant couve quelque chose ,, ou celui du berger qui, sans compter, voit qu'il manque une ou plusieurs bêtes à son troupeau. Ce sont des cas de n perception différentielle (p. Z8) : il y a une image riche et complexe, qui sert de fond à " Ia figure de ce qui est perçu et fait apparaître immédiatement la différence par rapport à ce qui est attendu. Mais, surtout, la considération du ncontour subjectif u ou de nl'image associée, (p.82) fait apparaître que I'on ne peut sans artifice séparer perception et image dans I'expérience. On ne peut rendre compte de ce qu'est effectivement percevoir sans faire intervenir
la
puissance
et I'activité de I'imagination et
nelles de base.
On peut dire que, dans la perception, l'image est encore ce qui fait que celleJà n'est pas pure passivité, mais activité différentielle, qui recrute de quoi tendre à sortir du donné, ou du moins pouvoir en sortir I tout moment. Elle participe à la vitalité de la perception. Elle n'est pas un germe de néant au sein de la perception, elle ne détruit pas nécesSairement son rapport au réel. La possibilité de se souvenir, de symboliser, d'anticiper, constitue les formes majeures de cette tendance de I'image à se dépasser. Or, dans la symbolisation, cette tendance prend la forme d'un analogon du milieu, qui rend possible dele simuler ' de façon rédiste et efûcace, condition de I'invention technique. Le âit et la puissance de la symbolisation et de l'invention technique sont une prcuve irréfutable que I'imagination peut être une fonction de réel, de rédisation. On voit l'importance décisive de la prise en compte de I'invention et de sa liaison étroite avec l'imagination dans la théorie de l'image. Si I'on doit rendre compte de la possibilité d'une imagination véritablement créatrice, productrice d'æuvres, et plus encore capable d'inventer des objets techniques fonctionnant effectivement, alors on ne peut attribuer à l'image, dans son essence universelle, la nécessité d'avoir
de
I'image, c'est un point sur lequel Simondon avait déjà insisté dans de
fort belles pages du Cours sur la Perception de I'année précédente, auquel il renvoie ici : quand, dans la perception, la relation figure-fond apparaît, I'efFet de contour apparaît, même quand ce contour n'est aucunement matérialisé dans la réalité objective. La ségrégation des unités perceptives, leur classement, leur organisation en une figure et son contour ressemblent à n une induction intra-perceptive >, mais instantanée, o ne nécessitant pas un travail après la perception sur des images o, mais opèrant o à I'intérieur du champ percepdf lui-même, pendant I'activité perceptive. Il serait encore correct de dire que le contour subjectif est une véritable image intra-perceptiue; cette image n'est pas un élément, elle n'est pas non plus donnée par les éléments pris un par un, mais I'activité perceptive la suscite comme exprimant une configuration conforme à la distribution et à la valence des éléments o (on voit clairement que I'analyse n'a rien d'associationniste, mais est gestaldste, et même telle qu'un phénoménologue n'aurait rien d'essentiel à lui reprocher). < [L]'image intra-perceptive est suscitée dans I'activité perceptive ) avec facilité et spontanéité, elle est isomorphe à la représentation du sujet, à la dimension du sujet de la perception, ordre de grandeur intermédiaire entre le monde, qui enveloppe tout et échappe à la manipulation, et les éléments, qui sont manipulables, elle est ce en quoi apparaît une structure de I'objet répondant directement au sujet de la perception. Cette page du Cours sur la Perception ', qui mérite d'être relue attentivement, fait apparaître la difficulté de séparer l'activité de percevoir et celle r. Voir G. Simondon, Cours sur la Perception,
>oo
tvec son objet une relation déréalisante, en quelque sens qu'on I'entende. Les premières conduites sont motrices, spontanées, et l€s images sont d'abord motrices, conduisant à recruter dans le milieu des objets rcmplissant ses attentes programmées. Ensuite, dans la deuxième phase du cycle de la genèse des images, elles jouent un rôle décisif comme images n intra-perceptives ). Enfin, elles s'organisent entre elles comme un système de symboles, auquel on peut se rapporter efficacement comme
I un analogue du monde.
C'est ce qui rend possible à I'invention d'advenir. À tout.s les phases de ce cycle de l'image, il y a possibilité de nÊcrutement de réalité, I'image étant ainsi un processus potentiel d'amplification du donné actuel à tout moment: lors de la phase de la rymbolisation, il y a passage à une universalisation de cette possibilité : le symbolisation permet de reconstruire tout le réel de façon objective et calculée et elle peut êffe communiquée comme telle à tous les autres. lors de I'invention, c'est à un changement d'ordre de grandeur qu'on a rffaire : dans I'invention effective d'un objet technique, c'est un être effectivement inédit qui peut êûe recruté, même s'il doit pour cela être d'abord possible (dimension ontogénétique de I'invention). On saisit la
r
p.46-47.
*
Cf. L'Inaention dans les techniques, p. z3o.
pnÉsBNretroN xrorrrr
forme de l'unité de I'image, de l'imagination et de I'invention que pro-
et qui deviennent dans des organismes plus complexes I'objet de fonc-
Pose cerre théorie. n Selon cette théorie
tions régulières n (ibid.)'. Le Cours sur la Perception fait apparaître la perception ( comme une modalité privilégiée du rapport vivant et donc actif de I'homme à son monde >, comme le dit fort justement Renaud Barbaras, à la première page de sa préface. Le cours sur Imagination et Inuentioz montre qu'on pourrait en dire autant de I'imagination, et même plus radicalement, pour les raisons qu'on vient de rappeler brièvement, puisque, dans une ccrtaine mesure, la fonction vitale de la perception et son rapport aux ttructures motrices premières, dont elle provient, passe par l'image. Cctte théorie fait apparaître I'imagination et I'image comme une fonction vitale fondamentale, comme la voie par laquelle le psychisme vient tu vivant (pas seulement humain). C'est la radicalité et la cohérence de m signification biologique qui s'expriment dans le fait que I'image y rpparaît elle-même comme une sorte d'organisme en développement.
du cycle de I'image, imagination reproductrice et invention ne sont ni des réalités séparées ni des termes opposés, mais des phases successives d'un unique processus de genèse, comparable en son déroulement ar.rx autres processus de genèse que le monde vivant nous présente (phylogénèse et ontogénèse) n (p. l). Cependant, dans I'invention, il s'opère à I'intérieur des images et entre elles o un changement de structure qui est aussi un changement d'ordre de grandeur, (p. r8y; : < I'invention se distingue des images qui la précèdent par le fait qu'elle (...) r. reste pas dans l'être vivant, comme une paft de l'équipement mental, mais enjambe les limites spatio-temporelles du vivant pour se raccorder au milieu qu'elle organise, (p. 185-186). Toutefois, il faut noter que la ( tendance à dépasser I'individu sujet qui s'actualise dans I'invention est d'ailleurs virtuellement contenue dans les trois stades antérieurs du cycle de I'image ; la projection amplifiante de la tendance motrice, avant I'expérience de l'objet, esr une hypothèse implicite de déploiement dans le monde ; les classes perceptives qui servent de système subjectif d'accueil à I'information incidente postulent une application universelle ; enfin, le lien symbolique des imagessouvenirs, s'il exprime, dans le sens centripète, I'attachement du sujet aux situations ayant constitué son histoire, prépare aussi et surtout I'usage de réversibilité qui le convertit en voie d'accès vers les choses. À aucun des trois stades de sa genèse, I'image mentale n'est limitée par le sujet individuel qui la porte (p. 186). L'image, à tous ses stades, avanr " même celui de I'invention, tend à se dépasser et à sortir d'elle-même, et I'invention proprement dite prolonge ce mouvement en révélant objectivement ce qui est le régime général du développement des images : n [l]a véritable invention dépasse son but; I'intention initiale de résoudre un problème n'est qu'une amorce, (p.ry1), elle recrute plus que ce qu'elle prévoit, et auec l'inuention réussie, c'est de l'être qui est recruté, le changement d'ordre de grandeur a une portée ontologique (n ontogénétique o). < Si l'invention était seulement I'organisation d'un donné, sans création d'un objet, cette incorporation à I'univers des choses productibles d'une surabondance d'être n'aurait pas lieu, car l'organisation se limiterait à la résolution du problème ; mais dès qu'apparaît un objet séparé, les contraintes de cet objet impliquent un plus long détour, une mesure plus large qui réalise une incorporation de réalité, à la manière dont procède l'évolution vitale selon Lamarck, incorporant aux organismes des propriétés qui étaient laissées aux effets aléatoires du milieu,
[e
théorie de I'imagination et de I'invention présentée ici permet de reisir de façon particulièrement claire et synoptique l'unité thématique ct problématique de la pensée de Simondon.
Jean-Yues Chateau
t. Cette présentation s'est attachée principalement aux problèmes des rapports entre lmegination et invention. Pour ce qui est de ceux qui sont propres à I'invention, notammcnt dans les techniques, on pourre se reporter à notre présentation du volume de cours ct conférences de Simondon consacrés à L'Inaention dans les techniques, op. cit.
rtr*
IMAGINATION ET INVENTION fte65ee66)
PREAMBULE
Ce cours présente une théorie : les aspects de l'image mentale qui ont fourni matière aux discussions et aux études déjà publiées ne correspondent pas à diftrentes espèces de réalités, mais à des étapes d'une activité unique soumise à un processus de développement. L'image mentale est comme un sous-ensemble relativement indépendant à l'intérieur de l'être vivant sujet ; à sa naissance, I'image est un faisceau de tendances motrices, anticipation à long terme de I'expérience de I'objet ; au cours de I'interaction entre I'organisme et le milieu, elle dwient système d'accueil des signaux incidents et permet à I'activité perceptivo-motrice de s'exercer selon un mode progressif. Enfin, lorsque lc sujet est à nouveau séparé de I'objet, I'image, enrichie des apports cognitifs et intégrant la résonance affectivo-émotive de I'expérience, devient symbole. De I'univers de symboles intérieurement organisé, tendant à la saturation, peut surgir I'invention qui est la mise en jeu d'un système dimensionnel plus puissant, capable d'intégrer plus d'images complètes selon le mode de la compatibilité synergique. Après I'invention, quatrième phase du devenir des images, le cycle recommence, per une nouvelle anticipation de la rencontre de l'objet, qui peut être sa production. Selon cette théorie du rycle de l'image, imagination reproductrice et invention ne sont ni des réalités séparées ni des termes opposés, mais des phases successives d'un unique processus de genèse, comparable en son déroulement aux autres processus de genèse que le monde vivant nous présente (phylogénèse et ontogénèse). l,a principale difficulté que rencontre cette théorie du cycle de I'image provient de deux sources :
4 IMAGINATION
pnÉetvlnulr
ET INVENTION
r. Le même mot d'image paraît être appliqué à des réalités différentes lien entre elles, il faudrait dire, selon les cas, n symbole o, ou (( perception ), cfu ( désirr... En fait, il ne s'agit pas de ramener toute I'activité mentale à l'image en cours de genèsè, mais de monrrer que, sans
dans l'anticipation, puis au cours de la relation perceptivo-motii.., enfin dans le souvenir, et ultérieurement dans l'inrrentiôn, existe une activité locale faisant du sujet un véritable générateur de signaux servanr à anticiper, puis à recevoir, enfin à conseryer et à ( reclrcler o dans laction les signaux incidents venant du milieu. c'est la psychologie des facultés qui crée un barrage conceptuel, parce que les àcultés ont été définies d'après les tâches dominantes *nii.ip.r,-percevoir, se rappeler; ' aux trois moments du temps correspondent perception, mémoire, imagination. ce qui caractérise I'image, c'est qu'elle est une activité locale, endogène, mais cette activité existe aussi bien en présence de I'objet (dans la perception) qu'avant I'expérience, comme aniicipation, o,,
çomme symbole-souvenir. Parmi les souvenirs, tous
,r. ,orrt p","pér, d.,
images.
z. Le mot d'image est généralement compris comme désignant un contenu mental dont on peut avoir conscience; là est la principale diÊ ficulté, car en cerrains cas, pour le sujet humain, ,rrr. tËll. apparition conscienre de I'image est effectivement possible, partiellemeni-dans la
situation d'anticipation, er surrout dans celle du symbole-souvenir;
mais rien ne nous prouve que même dans les cas les meilleurs la prise de conscience épuise toute la réalité de cette activité locale. on peut supposer au conrraire que les aspects conscienrs de I'activité locale sont des cas d'affleuremenr presque exceptionnels qui se rattachent à une trame conrinue ; ils se rattachenr à un soubassement qui les porte après les avoir préparés, comme la partie visible du champignon, pàrtée par le mycélium plus durable, et aussi plus essentiel, et plus unirreisel, .rt ""iil d.e des champignons qui ne produisenr pas certe partie visible, sortanr terre ; ils n'en prolifèrenr pas moins, leur action sur le milieu n'en a pas moins de force.
Enfin, un point important de terminologie mérite d'être éclairé pour éviter des confusions : celui du rapporr entre signe et symbole. Le signe est, par rapport à la réalité désignée, un terme supplémentaire, qui s'ajoute à cette réalité; le tableau noir existe .t .rt .o-p1.t par lui-même sans le mot qui le désigne ; on peur laisser de côté la-question du Cratyle, relative à la rectitude des dénominations, qui peuvent être soit arbitraires, d'institution conventionnelle, soit fond?es par une ressem-
5
blance intrinsèque ou une analogie entre la structure du signe et celle de I
{. I * i8,,
:
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:J,
Ia chose nommée, ce qui ferait du signe le chiffre, la formule de la chose. Le symbole, au contraire, entretient avec le symbolisé une relation analytique ; les symboles vont par paires, ce qui veut dire qu'un symbole est un fragment d'un tout primordial qui a été divisé selon une ligne accidentelle ; par rapprochement, les deux symboles, qui sont complémentaires, reconstituent I'unité primitive ; chaque symbole tend vers I'autre symbole, il prend sens par la réunion avec son complémentaire. Initialement, les symboles étaient les deux fragments d'un objet unique scindé par rupture, comme dans le rite des relations d'hospitalité, où I'on brisait une pierre; chaque famille conservait et transmettait à ses descendants le fragment reçu; sa réunion sans vide à I'autre fragment authentifiait la relation. Le rapport qui existe entre la clef et la serrure est de cette espèce. Une clef sans serrure, ou une serrure sans clef, ne sont pas des réalités complètes ; elles prennent sens par leur réunion. La relation du couple humain est ainsi interprétée par Platon comme reconstituant I'unité primitive de I'androgyne complet (mythe du Banquet). Ce sens primitif, qui est aussi le sens fort, se retrouve quand le mot de symbole signifie critère de ralliement, permettant l'authentification de tous ceux qui appartiennent à un groupe ; le Symbole des Apônes ou le Symbole de Nicée sont des professions de foi réalisant la coïncidence mentale d'une pluralité d'hommes et écartant I'hérésie.
Dans l'étude de la genèse des images, nous nommerons symboles les images-souvenirs qui résultent d'un échange intense entre le sujet et une situation; le sujet, ayant participé avec force à une action, à une situation, a donné quelque chose de lui-même à cette réalité ; en revanche, il conserye une image qui est assez intense pour être comme un fragment de la réalité de la situation, et permettre en quelque mesure de la réactiver ; tel est le souvenir d'un combat, d'un grand danger, ou.encore d'une maison dans laquelle on a vécu ; le symbole est nostalgique, tend vers le milieu où se situe son répondant; il implique une tendance à la reconstitution de I'unité primitive. L'image-symbole peut emprunter le secours de la matérialité des objets : un n souvenir ), ne serait-ce qu'un fragment de métal venant d'un champ de bataille, un reste, une relique (la partie vaut le tout), est un mode d'accès au tout ; elle permet de le susciter; par là on peut comprendre la valeur des objets symboliques qui concrétisent I'image-souvenir, comme un drapeau pour un ancien combattant. Ils tirent leur sens de I'image-souvenir mentale, qui est réellement le symbole. Plus matériellement, les symboles, fragments d'objets
6 rrraecINetIoN ET INvENTION en lesquels la partie vaut le rout et communique avec lui, sont la base des voults seryant aux opérations magiques ; une simple mèche de cheveux, un lambeau de vêtement pris à une personne sont un fragment de sa réalité et permettent d'agir sur la personne, à distance, par
l'intermédiaire de la relation symbolique. Même sans matérialisation adjuvante, les images mentales peuvenr être employées comme voults. Le symbole n'est jamais flatus uocis ; il suppose un réalisme implicite. Cette rédaction se présente comme symbole du cours.
INTRODUCTION
A. L,IMAGE CoMME
nfuulÉ
INTERMÉDIAIRE ENTRE OBJET
ET SUJET, CONCRET ET ABSTRAIT, PASSÉ ET AVENIR
I.
OBJET ET SUJET
Le mot d'n imagination cependant,
il
,
est précieux, car
renvoie à la
il
o
psychologie des facultés o ;
suppose que les images mentales procè-
dent d'un certain pouvoir, expriment une activité qui les forme, et supposent peut-être I'existence d'une fonction qui les emploie. Par contre, le terme n imagination ) peut induire en erreur, car il rattache les images au sujet qui les produit, et tend à exclure I'hypothèse d'une extériorité primitive des images par rapport au sujet. C'est une attitude courante chez les penseurs contemporains pour qui I'image renvoie à une n conscience imageante D, selon l'expression de Sartre. Mais pourquoi exclure comme illusoires les caractères par lesquels une image résiste au libre-arbitre, refuse de se laisser diriger par la volonté du sujet, et se présente d'elle-même selon ses forces propres, habitant la conscience comme un intrus qui vient déranger I'ordre d'une maison où il n'est pas invité ? L'aspect d'indépendance et d'objectivité de l'image a frappé les
YI de l'Odyssée, représente le songe se tenant au chevet du lit de Nausicaa, au moment où Athéna apparaît à la jeune princesse pour I'inciter à aller laver les vêtements sur le rivage oil Ulysse
Anciens : Homère, au livre
8
rrrmcrNenoN ET INvENTIoN
TNTRODUCTTON 9
aborde en naufragé. Le songe, avec les figures de rêve qui I'animent, n'est pas seulement ce que nous nommerions un événement subjecdf ; il manifeste un pouvoir, une intention, une réalité qui n'a pas sa source dans le sujet mais qui, au conrraire, vient à lui et le recherche. L'image qui envahit le sujet esr une apparition; elle peut être plus forte que lui et changer sa destinée par un averrissemenr ou une interdiction. Elle n'est pas non plus du réel vulgaire et quotidien, mais a une charge de présage ; elle révèle, manifeste, déclare, au-dessus de I'ordre des réalités quotidiennes ; elle est du o numineux ,, à mi-chemin entre I'objectif et le subjectifl La croyance aux fantômes er aux spectres esr peut-êrre un vestige dégradé de la relation au u numineux > ; mais elle traduit bien et concrétise cer aspecr de relative extériorité de l'image. Toute image forte est en quelque mesure douée d'un pouvoir ântomatique, car elle peur se surimposer au monde de la représenrarion objective et de la situation présente, comme le fantôme esr dir passer au rravers des murailles. Les rites d'évocation (néhuia), la représentation des disparus par des images, le remplacement temporaire des absents par leur colosse, statue qui était honorée comme celui qu'elle représentait, renforçaient par des perceptions
la densité des images du monde numineux. Mais il
est
important de noter que les plus rationalistes des philosophes anciens onr essayé d'expliquer par des causes physiques ce caracrère d'extériorité de l'image plutôt qu'à le nier. Lucrèce (De Rerum Natura, livre I$, explique par des causes physiques commenr de nombreuses images se for-
ment sponranément dans I'atmosphère (vapeurs, nuages semblables à des géants ou à de hautes montagnes). Les simulacres émis jadis par des objets ayant cessé d'exister peuvent se conseryer et s'unir les uns aux autres selon les hasards de leurs courses vagabondes ; comme des toiles d'araignée ou des feuilles d'or, ils se soudent les uns aux autres, donnant des Centaures, des Cerbères, des Scyllas : le Cenraure provient de la soudure des simulacres provenant d'un cheval et d'autres simulacres provenant d'un homme. Dans le calme de la nuit, ces simulacres, faibles et anciens, peuvent émouvoir l'âme, qui ne reçoit pas de stimulation intense ; la vision de l'esprit est semblable à celle des yeux. Les simulacres qui produisent les rêves existent réellement, bien que les êtres dont ils sont issus aient disparu ; I'erreur du rêve consiste ieulement à attribuer une vie actuelle à I'objet qu'ils représentenr; si nous croyons voir bouger les figures de rêve, .. ,r'.it p"r p"t.. qu'elles vivent actuellement (IV, Z6Z-IZ6), mais parce que nous recevons un grand nombre de simulacres successifs représentant des attitudes progressivement variées, ce qui restitue I'impression de mouvement. Une telle explication,
-
cntièrement objective et objectiviste, respecte Ia charge d'extériorité et de relative indépendance des images par rapport au sujet. C'est seulement à partir du XVII'siècle que la description des images en termes de subjectivité s'est imposée. En fait, les images ne sont pas aussi limpides que des concepts ; elles n'obéissent pas avec autant de souplesse à I'activité de la pensée; on ne peut les gouverner que de manière indirecte ; elles conservent une certaine opacité comme une population étrangère au sein d'un état bien organisé. Contenant en quelque mesure volonté, appétit et mouvement, elles apparaissent presque comme des organismes secondaires au sein de l'être pensant : parasites ou adjuvantes, elles sont comme des monades secondaires habitant à certains moments le sujet et le quittant à certains autres. Elles peuvent être, contre I'unité personnelle, un germe de dédoublement, mais elles peuvent aussi apporter la réserve de leur pouvoir et de leur savoir implicite au moment oùr des problèmes doivent être résolus. Par les images, la vie mentale contient quelque chose de social, car il oriste des groupements, stables ou mouvants, d'images en devenir. On
pourrait supposer que ce caractère à la fois objectif et subjectif des images traduit en fait ce statut de quasi-organisme que possède I'image, habitant le sujet et se développant en lui avec une relative indépendance Par rapport à I'activité unifiée et consciente
2. CONCRET ET ABSTRAIT
L'image n'est pas une réalité sans forces, sans efficacité ni conséquences ; dans la méditation et le recueillement, les images que la conscience admet peuvent n'être pas virulentes, et ne posséder qu'un faible < pouvoir idéo-moteur ,. Mais, dans l'action, dans les situations contraignantes, intenses, pleines de danger, de besoins, de désirs ou de crainte, les images interviennent avec force. Montaigne, Pascal, avaient noté combien la pompe des grands apporte de prestige à ceux qui s'entourent de gens d'armes et de tumulte. L'intensité des stimulations sensorielles et des réactions spontanées apporte un pouvoir moteur à I'image de la justice, de la force armée, etc., même quand ces aspects concrets sont seulement évoqués et non perçus. Malebranche se défiait du pouvoir des imaginations fortes, car il savait combien l'image intervient dans la conduite de la vie. Spinoza a décrit la servitude humaine et a trouvé dans la connaissance inadéquate que donnent les images un des principes de cette servitude (voir l'analyse de la jalousie, en particulier).
IO IMAGINATION
ET INVENTION
Le cheminement vers la liberté commence avec la connaissance selon l'ordre
des causes.
Dans les situations d'urgence et d'inquiétude, ou plus généralement d'émotion, les images prennent tour leur relief vital er amènenr la décision ; ces images ne sont pas des perceprions, elles ne correspondent pas au concret pur, car, pour choisir, il faut être à une certaine distance du réel, ne pas se trouver déjà engagé ; le semi-concrer de I'image comporre des aspects d'anticipation (projets, vision de l'avenir), des conrenus cognitifs (représentation du réel, de certains détails vus ou entendus), enfin des conrenus affectifs et émotifs ; I'image est un échantillon de vie, mais elle reste partiellemenr abstraite à cause de l'aspect lacunaire et partiel de cet échantillon. Dans le choix d'une profession, l'échantillon de vie que donne I'image de chaque profession envisagée possède des éléments d'anticipation (élan vers les voyages, recherche du pouvoir...) qui sont des amorces d'activité en suspens, des données cognitives
(exemple de ceux
qui
exercenr certe profession, modèles), enfin un
retentissement affectif (impression de sécurité, de pureté...). En ce sens, I'image, comme intermédiaire entre I'abstrait et le concret, synthétise en quelques traits des charges morrices, cognitives, affectives; er c'esr pour cela qu'elle permer le choix, parce que chaque image a un poids, une certaine force, et que I'on peut peser et comparer des images, mais non des concepts ou des perceprions. Grâce à cene synrhèse qu'opèrent les images, les moyens deviennent homogènes aux fins, tandis que la pensée conceptuelle les en sépare. On peut choisir une activité en pensanr à I'image du train ou de I'autorail qui nous permettra d'aller dans la ville où I'on doit exercer cette activiré. La pensée abstraite est surtout un frein, un moyen de refus : elle calcule et montre les inconvénients, les conséquences lointaines ; les perceptions provoquent un enrraînement par la situation ; seule I'image est en fait régulatrice, car elle est assez abstraite pour dégager le sujét des situations prégnantes et assez concrète pour fournir un échantillon ayant chance d'être fidèle. La meilleure situation pour le choix est celle qui permet la formation et I'usage d'images réellement mixres, également
abstraites et concrères, ce qui implique, par rapporr à I'objet, une distance moyenne. Chez I'enfanr se constiruent de telles représentations semi-concrètes des personnes qui vivent à moyenne distance (les éducateurs, les camarades), et de telles représenrations jouent un rôle déterminant dans I'organisation de la conduire, en devenant des modèles. Les réalités trop purement quotidiennes er concrères ne peuvent devenir aussi ôrtement normatives : nul n'est prophète en son pays.
NII Dans les rapports entre nations et ethnies interviennent les clichés ou images stéréotypées que I'on nomme en anglais < stereotypes o (voir cnquête de I'UNESCO). En temps de paix, ces représentations semiooncrètes expriment de manière statique des allures perceptives assez caricaturales : le Français est en Allemagne un n Monsieur décoré qui ne
rait pas la géographie, ; l'Anglais est pour un Français un voyageur en @stume à carreaux, avec de grandes dents; le Français, pour I'Anglais, cst mangeur de grenouilles et d'escargots. En fait, ces images expriment différents degrés de la distance sociale : le degré imaginaire de saleté corespond à l'éloignement; les peuples proches (par exemple les Anglais vus par les Américains) sont considérés comme propres ; elles expriment lussi des attitudes, des craintes: les Français, en cçrtaines régions des États-Unis, sont perçus comme des n Don Juan o. En cas de guerre ou de conflit, la charge affectivo-émotive de ces images devient prépondérante; I'image de I'ennemi se pose sur n'importe quel individu dont
un trait de physionomie ou un détail vestimentaire attire l'attention : ctcst I'espion, I'agent secret. Fauconnet, dans son ouvrage sur La Responsabilité, a montré comment s'efFectue (surtout dans les sociétés primidves) l'attribution de la responsabilité; I'auteur cite également des Ertes du Moyen Âge énonçant comme présomptions supplémentaires dc culpabilité < la mauvaise mine , d'un accusé, son air taciturne, ou n le vilain nom qu'il porte >. En certains cas, il se produit un phénomène de causalité cumulative qui finit par faire exister comme attitude réelle et étet social objectif le contenu d'une image stéréotypée, purement mentde et subjective à l'origine : c'est ce que montre Gunnar Myrdal dans l'importante enquête sur le statut des Noirs aux États-Unis ; les préjugés qu'ont les employeurs ou logeurs Blancs sur les qualités et défauts des Noirs prédéterminent la possibilité ou I'impossibilité de telles ou telles conduites (par exemple les professions) ; à leur tour, et cette fois de manière objective, les choix professionnels prédéterminent un certain mode d'éducation des enfants, un certain niveau d'instruction, et des idéaux définis ; au bout de quelques rycles d'échanges récurrents allant de I'image au réel et du réel à I'image par la perception, I'image primitive s'est réalisée et trouve dans l'état social assez de justifications pour se stabiliser. Ce phénomène de causalité cumulative a joué un rôle important dans l'établissement des stéréotypes des diverses minorités, comme les Juifs dans les pays chrétiens d'Occident, Ies Femmes dans les civilisations patriarcales, actuellement les adolescents dans nos sociétés : la crainte et la haine des adultes les immobilise dans un rôle étroit, et matérialise n l'image du jeune ) que se font les adultes. C'est aussi un
12 IMAGINATION
TNTRODUCTION r3
ET INVENTION
phénomène de causalité cumulative qui a stabilisé pendant des siècles I'image de I'esclave antique, jusqu'à la forte prise de conscience de Sénèque.
Si I'on peut considérer comme action I'ensemble des
échanges
économiques, le rôle joué par I'image dans la décision apparaît aisément ; un produit ou un objet sonr tour habillés d'images (niveau social, provenance étrangère) qui se surajoutent à leurs caractères propres. Volontairement, le commerce crée des conditionnements donnant une existence imaginaire à des produits qui ne portenr pas en eux de caractères assez nets pour déterminer le choix; quand le produit est vendu emballé, c'est I'emballage qui est porreur d'images (cas des poudres à laver) ; si le produit est vendu au distributeur, comme I'essence, il reste possible de le colorer (Azur) ou de charger d'images le distributeur luimême (le tigre Esso, avec un ruban tigré enroulé autour du tuyau, et des queues de tigre à accrocher aux voitures). Chacune de ces images se développe en éléments moteurs et affectifs ; l'azur esr couleur du ciel, le tigre que I'on met symboliquement dans le moreur, pour bonasse et pacifique qu'il soit, est capable de bondir, quand il le veut. Des phénomènes collectifs, tels que la mode, impliquent I'existence du caractère semi-abstrait de I'image. En adoptant une mode définie, une personne choisit un groupe d'attitudes, de limites, de possibilités, un certain style de vie ; I'allure de la mode féminine selon Courrèges n'implique pas les mêmes valeurs que celles de Chanel ; par la coupe des vêtements, I'individu esr perçu comme moderne ou traditionnel. Par ses traits particuliers, chaque personne apporre les données concrètes qui la rendent reconnaissable; mais par I'usage qu'elle fait de la mode en tant que faisceau d'attitudes manifestées et rendues perceptibles, la même personne affirme son appartenance à un groupe er son adhésion à un ensemble de normes partiellement conceprualisables et abstraites. Le vêtement intervient comme sélecteur, car il adapte à certains gestes,
interdit d'autres gestes, préserve conrre la pluie ou le froid, ou, au contraire, rend vulnérable ; ce rôle prothétique restreint le nombre des possibilités, mais développe et amplifie les possibilités retenues, comme le masque de théâtre qui immobilise I'expression de la physionomie mais donne à la voix une grande portée. Le vêtement, le masque, le personnage mettent I'organisme à une distance moyenne des choses et stabilisent le rapport au monde physique et social en le médiatisant. En ce sens, tout ce qui intervient comme intermédiaire entre sujet et objet peut prendre valeur d'image er jouer un rôle de prothèse à la fois adaptatrice et restrictive. De nos jours, les particularités du langage, les
déformations professionnelles ) attirent moins I'attention qu'au XVII' siècle (comédies de Molière) ; les costumes des corps de rnétiers tendent aussi à disparaître. Mais la valeur imaginale de I'intermédiaire entre sujet et objet se reporte sur les indices de niveau de vie, cur le véhicule, et sur des détails tels que la coiffure. En effet, I'image, comme réalité intermédiaire entre I'abstrait et le concret' entre le moi et lc rnonde, n'est pas seulement mentale : elle se matérialise, devient institution, produit, richesse, est diffusée aussi bien par les réseaux commerciaux que par les o mass media n diffusant I'information. Son caractère intermédiaire, fait de conscience mais aussi ob.iet, lui donne une intense epecité de propagation ; les images içnprègnent les civilisations et les chàrgent de leur force ; en un senc, lles images expriment des faits gociaux et économiques (par exemple, l'emploi des matières plastiques dans les vêtements), mais dès qu'elles sont matérialisées et objectivées, cllcs constituent aussi une charge et introduisent une tension qui détermine partiellement le devenir social. Pour cette raison, des phénomènes rcls que l'évolution de la mode ne sont nullement superficiels;'on ne pcut les ûaiter comme une pure résultante, une expression' un épiphéàomène, un aspect transitoire de superstructure ; I'image est une résulttnte, mais elle est aussi un germe : elle peut devenir une amorce de @ncepts et de doctrines. La causalité circulaire, Qui va du mental au réel objectif par les processus sociaux de causalité cumulative, va aussi du r{cl objectif au mental. Toute image est suscepdble de s'incorporer à un processus de récurrence matérialisant ou idéalisant; déposée dans la t[ode, I'aft, les monuments' les objets techniques, I'image devient source dc perceptions complexes éveillant mouvement, représentation cognitive, rffections et émotions. Presque tous les objets produits par I'homme tont en quelque mesure des objets-images ; ils sont porteurs de signifiGttions latentes, non pas seulement cognitives, mais aussi conatives et rffcctivo-émotives ; les objets-images sont presque des organismes' ou tout au moins des germes capables de revivre et de se développer dans le rujct. Même en dehors du sujet, à travers les échanges et I'activité des groupes, ils se multiplient, se propagent et se reproduisent à I'état néotdnique, jusqu'à ce qu'ils ffouvent l'occasion d'être réassumés et déployés jusqu'au stade imaginal en se trouvant réincorporés à une invention tccents, les
o
nouvelle.
L'étude de l'imagination doit opérer une recherche de sens des objetsimages, parce que I'imagination n'est pas seulement I'activité de production ou d'évocation des images, mais aussi le mode d'accueil des images concrétisées en objets, la découverte de leur sens, c'est-à-dire de la
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,r
ET INVENTION
perspective pour elles d'une nouvelle existence. Les objets-images æuvres d'art' vêtements, machines entrent en obsolescence et Jevien- du passé qui s'amenuisent avec les nent des souvenirs larvaires, fantômes vestiges des civilisations disparues. L'analyse esthétique et I'analyse technique vont dans le sens de I'invention, car elles opè..nt une redécouverte du sens de ces objets-images en les percevant comme organismes, et en suscirant à nouveau leur plénitude imaginale de réalité inventée et produite. Toute véritable et complète découverte de sens est en même temps réinstallation et récupération, réincorporation efficace au monde ; la prise de conscience ne suffit pas, car les organismes n'ont pas seulement une srrucrure connaissable, ils tendent et se développent. C'est une tâche philosophique, psychologique, sociale, de sauuer Li phA nomènes en les réinstallant dans le devenir, en les remettant en invention, par l'approfondissemenr de I'image qu'ils recèlent. Le concret de la réalité inventée n'esr pas, en effet, arbitraire et subjectif comme un mouvement de fantaisie individuelle; il tend vers I'universel parce qu'il est plurifonctionnel; I'objet-image, esthétique, prothétique, ou technique, esr un næud d'actualité [é1u réseau des réalités conremporaines ; le moins stable en apparence, la mode vestimentaire par exemple, est invention réelle dans la mesure où le vêtement intègre en unité des disponibilités économiques et des normes opératoires_ou perceptives : les bottes blanches d'hiver et les manteaux imperméables de même couleur correspondent à la disponibilité de matières plastiques synthétiques teintées dans la masse, ce qui assure la stabilité chromatique, mais aussi à la recherche d'un haut àegré de perceptivité dans de mauvaises conditions d'éclairage ; il existe ,rni p"r..rté.rrrr..., vêtements et ceux des ouvriers travaillant sur les routes, une analogie entre les vêrements bordés de blanc et les balisages ou repères que lùn emploie en aviarion, en asrronautique ; les vêtemènts sonin opticalisés, plus ou moins timidement, ce qui veut dire qu'ils se déclarent comme objets prothétiques pour I'extérieur, pour tous les rerrains et tous les ciels, non comme vêtements de ville ou d'intérieur. C'est cetre charge d'invention qui peut revivre quand I'objet-image est redécouvert et analysé, au moyen, éventuellemént, d'une-transposition : ce qui, dans la parure ou le vêtement, a servi à la perceptior à., rangs sociaux et des grades, pour le vêtement de ville et d'intérieur, pourrait être repensé selon des normes de perceptivité ayant un sens fonctionnel pour la circulation sur les ro,tt.r, le tiavail en usine ou sur les chantiers. L'objet-image esr un véritable intermédiaire enrre concrer et abstrait quand il condense plusieurs fonctions en unité (s'il corres-
I5
pond à une seule fonction, il reste abstrait) et emploie des solutions qui h rattachent au réseau des réalités contemporaines ; sa réalité d'image Get alors paradigmatique : elle permet de comprendre d'autres réalités connexes avec lesquelles elle s'articule et dont elle est solidaire. L'existence des différentes catégories d'objets-images, tierce réalité cntre I'objectif et le subjectif; appelle un mode particulier d'analyse que I'on pourrait nommer, au sens propre du terme, phénoménologique, puisque ce genre de réalité a pour sens de se manifester et d'imposer sa nâture d'image. 3. nessÉ, ET AvENIR
Le mode complexe d'existence et de proliferation des images signalé par de nombreuses métaphores appartenant aussi bien au domaine viwnt qu'au monde non-vivant (cristallisation) fait des images, soit purement mentales, soit matérialisées en objets-images, des intermédiait.t entre passé et avenir, pour le sujet individuel comme pour les tlouPes.
Pour la vie individuelle, I'image, en effet, peut tendre vers le souvonir, et se manifester surtout comme une réftrence au passé, sous les Ëpèces d'une reviviscence de sensations complexes. Cet aspect a été rndysé par Taine, dans I'ouvrage intitulé De I'intelligence: :une image Gtt une sensation spontanément renaissante, ordinairement moins énergique et moins précise que la sensation proprement dite; tous les sens ônt leurs images. L'image et la sensation correspondante ont des effets égaux et semblables. Si I'image est différente de la sensation, ce n'est pas dens son contenu ou son mode propre d'apparition, c'est-à-dire en ellemême, mais par I'effet des réducteurs de I'image, rectiûant Promptement I'illusion qui accompagne I'image et se développerait en hallucination.
L'image comporte toujours une hallucination plus ou moins longue, mais dans les cas les plus fréquents cette hallucination est détruite par les ænsadons antagonistes, ainsi que par les souvenirs et jugements généraux, qui forment par leur cohésion un corPs de réducteurs auxiliaires, tandis que la sensation antagoniste est le réducteur spécial' Le polypier d'images qu'est I'esprit est ainsi comparable au polypier de cellules qu'est le corps : les cellules sont en interaction les unes par rapport rux autres ; les images aussi ; elles aboutissent dans l'état de veille raircnnable à un équilibre mutuel. L'image est le substitut de la sensation, instrument d'activité mentale plus maniable que la sensation elle-même'
16 IMAGINATION
ET INVENTIoN
manière.opposée, l'image est la base de I'anticipation, permet la _De prefiguration d'un avenir proche ou lointain, et l'.ssai syrrrbàftque de solutions aux problèmes prévus. L'activité d'andcipation .rt didr.rrt.,
par son sens er son mode de déploiement, de l,emploi de I'image comme souvenir: dans I'anticipation, les réducteut, ,orri moins effiàces, et il peut se produire une proliferation amplifianre comparable à celle que La Fontaine décrit dans la fable oùr pirrette voit àe,l ( veaux, .,r".h.r, cochons, couvée o, jusqu'au bris du pot-àJait, qui agit brutalement comme réducteur. L'imagination des artistes et des écrivains peut préformer un nouvel état social, un nouveau visage de la vie, comme nous le trouvons dans les romans d'anticipation. À llrrr forte raison, l'invention est si fortement tendue vers I'avenir qu'elie donne l'existence, hors du sujet, à un mode nouveau de réalité. _ Cependant, il est rrès rare que I'imagination soit puremenr repro_ d'ctrice ou purement créatrice. L'érrocatln du passé .r, u.r. nouvelle vie, schématisée autremenr que I'ancienne, polià et formalisée par le souvenir actif, comme les estampes qui repréienrent des scènes h'istoriques,. ou_les images d'Épinal qui proclament la légende de l'épopée napoléonienne. cette évocation préiente des idéaux] véhicules d., .,r"leurs, et se projette vers I'avenir .à-*. exemple à suivre pour les autres générations :_l'image-souvenir veut se réincarner .a ,. p.rpé,,rer, elle apporte avec elle la sous-jacence d'une anticipation, et fait en une certaine mesure violence au présent pour I'amenei à s'ouvrir vers un avenir de reviviscence. L'anticipation, à son tour, reprend de vieux rêves, condent l'écho d'aspirations anciennes, déjà matérialisées dans d.'anciennes images-objets, comme les anticipations du vol humain et d.u voyage
,< jusque ès signes célestes )), gui répondent aux légendes d'Icare et à I'aventure prométhéenne. L'aile, pàur l'homme, esr souvenir autant qu'invention, mémoire autant qu'anticipation. Pour la vie collective, et.précisém.nid"nr la mesure où I'image mentale se matérialise non seulemenr par les processus de causalité" cumu-
lative, mais aussi selon les voies d. I'in.rr..rtion créant des objets-images esthétiques, prothétiques, techniques, l'image incorpore du passé et peur le rendre disponible pour le travail prospàctif. L" prorp..tive dans le domaine collectif (entreprises, voire natiâns) corresponà l t" fonction des projets et des anticipations rationnelles à court, moyen, ou long terme : il existe des-spécialistes en prospective spéciarisée, selon la ponée envisagée... cet efFort de rationalisation collective du regard leié sur I'avenir esr une des caractéristiques du monde .orr.-por"in : au siècle dernier, le recours à I'avenir était empreint d'une fortË ch"rge affective
TNTRODUCTTON r7
G émotive, coloré de I'idée sociale, gonflé d'espérance; la dimension dtrvenir restait mythique et recélait un recours voilé à la transcendance, un rcfuge pour le désir d'éternité. Seul le passé, avec les historiens scienthtes, était devenu matière de science. Les nécessités de la prévision à bng term. pour I'action ont introduit la rationalisation dans la dimendon d'avenir et en ont chassé le mythe, tout au moins en domaine écotromique et démographique; le temps commence à s'organiser comme Itopace ; le futur est annexé par le savoir, il n'est plus le champ privilégié & I'optatif, du désir, ou du vouloir. Et, cependant, I'image retrouve sa dcnsité et sa force qui la porte vers I'anticipation de I'avenir collectif, en &hors et au-dessus des rationalisations prospectives, qui sont surtout des drapolations, mais non de véritables inventions. Ia fiction scientifique est une des voies par lesquelles I'image tltrouve son pouvoir d'avenir, c'est-à-dire sa fonction prophétique; elle Glt I'image du monde réel saisi dans sa tendance et poussé plus loin, r*llement anticipé, saisi par avance selon I'aspect cognitif et émotif, non pes seulement supputé. Ce qui manque à la prospective pour être
Urc réelle anticipation, c'est ce pouvoir qualitatif
cette physis
qui donne
I I'avenir sa véritable dimension comme développement en cours. Pour prévoir, il ne s'agit pas seulement de voir mais d'inventer et de vivre : la t{ritable prévision est en une certaine mesure praxis, tendance au développement de I'acte déjà commencé. L'image, réserve d'émotion orienlê liée à un savoir, assure cette continuité de l'acte fidèle à son progrès ; dlc ajoute à la prospective une force u proactive D' Une forme bien ancienne et oubliée de I'image est celle des religions, prticulièrement dans I'acte prophétique, ainsi que dans _ I'opération ircrificielle. Les religions sont pourtant des modes d'être selon lesquels prrsé et avenir, à travers I'image constituée, communiquent et se prêtent brcc. Ce qui est détruit reviendra, ce qui meurt renaîtra, ce qui se Gorrompt refleurira en un immense cycle. Dans le livre des Macchabées, ûn des premiers témoins, au moment oir, prêt à mourir, déjà exsangue, il a jeté sur la foule ses intestins arrachés, s'écrie que Dieu lui rendra la vie et le fera renaître. Et I'on peut penser à la parole n si le grain ne meurt... ,. La douloureuse consommation du passé prépare une renaishnce. La mort prépare une naissance; I'image complète de la mort déclare et prophétise I'annonce d'une naissance. Le sang des martyrs est tcmence. La prophétie comme image verbale accompagne et exprime ce cycle souterrain qui va du passé à I'avenir comme d'un Automne à un Printemps.
I8
IMAGINATIoN ET INVENTIoN
INTRODUCTION r9
Cet ordre de tierce réalité n'est ni pleinement perceptible ni entièrement conceptualisable: l'étude de I'image doit en ce domaine se compléter par l'évocation des mythes du devenir, comme le chemin vers le haut et le chemin vers le bas chez les philosophes grecs anciens, le rythme de conflagration et de déflagration, le rerour de la Grande Année, et même la notion de Némésis. Une part de la réalité des groupes est faite d'images, matérialisées sous forme de dessins, de statues, de monuments, de vêtements, d'outils et de machines, et aussi de rournures de langage, de formule comme les proverbes qui sont de véritables images verbales (comparables aux slogans) : ces images assurent la continuité culturelle des groupes, et sonr
perpétuellement intermédiaires entre leur passé et leur avenir: ils sont aussi bien des véhicules d'expérience et de savoir que des modes définis d'attente.
B. HypoTHÈsn
ou DyNAMrsMr
cÉrvÉrrquE DE L'TMAGE:
PHASES ET NIVEATIX Les études d'ontogénèse ont montré que les processus de croissance ne couvrent pas de manière uniforme tous les organes et systèmes fonc-
tionnels d'un être vivant: il existe des déphasages de chacune de ces croissances partielles par rapporr aux aurres, et des vitesses diffërentes, surtout chez les organismes complexes, si bien qu'il est malaisé de préciser le momenr où un organisme arrive à l'état adulte complet ; paiailleurs, croissance er développement manifestenr des étapes èt des cycles, transition ou s'effectue une dédiftrenciation suivie d'une réorganisation. De tels processus sont très apparents au séparés par des périodes de
cours des métamorphoses de certaines espèces vivantes, mais ils existent
aussi dans le développement organique tement humain.
et I'ontogénèse du compor-
Ne peut-on supposer, dans ces conditions, que les images menrales sont comme des sous-ensembles structuraux et fonctionnels de ceme activité organisée qu'est I'activité psychique ? Ces sous-ensembles pourraient ainsi posséder un dynamisme génétique analogue à celui d'un org?nç ou système d'organes en voie de croissance, et il serait possible de distinguer essentiellement trois étapes : d'abord celle de la croissance pure et spontanée, anrérieure à I'expérience de I'objet à laquelle I'activité fonctionnelle
se
préadapte; ce serait, dans l'image, l'équivalent des étapes
: 'i{
t, i
cmbryonnaires de la croissance organique; chaque image, embryon d'activité motrice et perceptive, se développe ici pour elle-même, comme une anticipation non contrôlée par la référence externe à l'expérience du milieu, et à l'état libre, c'est-à-dire sans corrélation étroite avec les autres sous-ensembles de I'organisation psychique. Elle montre des pré-adaptations mais non des adaptations. Ensuite, l'image devient un mode d'accueil des informations venant du milieu et une source de schèmes de réponses à ces stimulations ; dans I'expérience percePtivo-motrice, les images deviennent effectivement et directement fonctionnelles ; elles s'organisent et se stabilisent en groupements intérieurement corrélés celon les dimensions du rapport entre I'organisme et le milieu. Enfin, après cette étape d'interaction avec le milieu correspondant à un tpprentissage, le retentissement affectivo-émotif achève I'organisation dci imag.s selon un mode systématique de liaisons, d'évocations et de cornmunications ; il se fait un véritable monde mental oir se trouvent des régions, des domaines, des points-clefs qualitatifs par lesquels le sujet possède un analogue du milieu extériear, ayant lui aussi ses contraintes, ir topologie, ses modes d'accès complexes. Autrement dit, les images rubiraient des mutations successives qui modifieraient leurs relations llutuelles en les faisant passer d'un statut de primitive indépendance mutuelle à une phase d'interdépendance au moment de la rencontre de l'objet, puis à un état final de liaison systématique et nécessitante où les éncrgies primitivement cinétiques sont devenues des tensions d'un sys!èrne. L'invention pourrait alors être considérée comme un changement dbryanisatioz du système des images adultes rarnenant, par un changpment de niveau, I'activité mentale à un nouvel état d'images libres renaisPcrme$ant de recommencer une genèse: I'invention serait une noude nnce du cycle des images, permettant d'aborder le milieu avec vtlles anticipations d'où sortiront des adaptations qui n'avaient pas été possibles avec les anticipations primitives, puis une nouvelle systématilrtion interne et symbolique. Autrement dit, I'invention opère un chan-
gement de niveau; elle marque la fin d'un cycle et le début d'un nouu.",, cycle, chaque cycle comportant trois phases : l'anticipation,
l'cxpérience, la systématisation. Chacune des phases de la genèse de l'image peut être mise en rapPort lvec une activité ou o fonction o dominante :
Avant l'épreuve de I'objet apporté par le milieu, I'image, tnticipation, est riche en éléments moteurs endogènes ; elle port evec les coordinations héréditaires de mouvements éthologiques ont révélées ; son intensité peut donc varier a
co1g
20 IMAGINATION
ET INVENTION
de motivation, jusqu'au mode hallucinatoire d'apparition et d'action (cas des Leerlaufreaktion en éthologie : ce sonr des aitivités à vide). c'est en ce sens que I'on peut parler d'images a priori, et la prédominance des éléments moteurs primaires dans cette activité est à rapprocher du fait que, dans le développement des espèces, comme peut-êtrè dans celui des
individus, la motricité précède la sensorialiré, comme anticipation
INTRODUCTIOI\
t;
à
long terme des conduites. Dans la relation directe au milieu, l'image fournit I'activité locale qui est un mode d'accueil des informations incidentes. Cetre anricipation à court terme, perpétuellemenr appropriée et réadaptée à la situation, ajustée à la strucrure des objets sous forme de schème pré-perceptif ou intra-perceptif, est marquée par la prédominance des contenus cognitifs. Par analogie er extension de vocabulaire, on pourrait parler d'irnages a lraesenti qui peuvenr, en cerrains cas, se manifester à l'état séparé sous forme d'erreurs ou d'illusions mais qui, habituellemerrt, p"rr.rrt inaperçues parce qu'elles sont au service de I'activité perceptive. Après la perception, c'est l'efFet affectivo-émotif, la résonance, qui prend la place prépondérante ; I'image est alors le point remarquable qui se conserve quand la situation n'exisre plus ; on pourrait dire qu'il s'agit ici, dans cette irnage a posteriori, d'un souvenir, et efFectiv.-.Àt la catégorie des images-souvenirs, avec la capacité de reviviscence des situations à partir de l'évocation de I'image, n'esr pas nouvelle en psychologie. Mais on doit noter que tout souvenir n'est pas une image. ùn souvenir est une véritable image a posteriori quand il se manifeste avec une prégnance er une intensité qui lui conftrent un pouvoir organisateur ; ce souvenir particulier est un point remarquable qui a un sens pour une topologie du système de l'expérience passée en train de s'organiier ; il est une source de réactivation des attitudes, il a un pouvoir qualitatif, et se présente comme échantillon d'une situation plutôt que comme souvenir d'une expérience. Par cette image qui conserve une densité objective et contient une référence à I'altérité du réel éprouvé, le sujet conserye er détient en lui un analogon de la réalité extérièure qui peui se matérialiser en caricature, en voult, en æuvre d'art. La densité émotionnelle et le faisceau de nuances qualitatives qui s'incorporent à ce souvenir particulier constituent une charge, un état de système oir se conserveni., ,. condensent à la fois le mouvement spontané endogène de I'anticipation à long terme qu'était I'image a priori et la pluralité hétérogène du,perçu afipoitée par I'expérience. Cette synthèse à proportions égales d'énergie endogène morrice et d'information venue du milieu est un symbole concret de la relation enrre le sujet et le milieu; ce mixte particulier
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représente un point d'insertion de l'activité mentale dans le milieu; il condense une situation, la conserve avec son réseau de forces et de tendances, p€rmet de la faire renaître. En ce sens, le monde des imagessouvenirs réalise un véritable univers mental, ou plutôt constitue les bornes et les voies d'un univers mental polarisé et tendu. Cet univers oir les mouvements, liés à des structures exogènes, sont devenus des forces et des énergies d'état en suspens selon le mode potentiel, est une organisation analogique de symboles ; c'est lorsqu'il est saturé, ne pouvant plus accueillir d'expérience nouvelle, que le sujet doit modifier sa structure pour trouver des dimensions d'organisation plus vastes, plus o puissantes >, capables de surmonter les incompatibilités éprouvées. L'échec du changement de structure de I'univers des symboles se manifeste dans des modalités pathologiques lorsque I'invention, comme changement de niveau, ne peut se produire et développer
un nouveau cycle.
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Une telle hypothèse générale de la genèse des images pourrait conduire à une interprétation dialectique (l'image a posteriori a les caractères d'une synthèse), mais I'aspect dialectique des rapports entre I'organisme et le milieu n'est qu'un aspect partiel du processus de genèse; la phase thétique, antérieure à I'expérience, traduit la spontanéité de l'organisme et la préexistence d'une activité d'anticipation se déployant avant l'expérience; I'expérience est déjà la phase antithétique correspondant à la relation la plus serrée entre I'organisme et le milieu. Autrement dit, on peut penser qu'une étude approfondie des rapports entre I'organisme et le milieu permettrait de comprendre I'origine du schème dialectique et par conséquent conduirait à le situer, à le relativiser, au lieu de le conserver comme principe inconditionnel d'intelligibilité du devenir. Si l'idée d'une évolution dialectique peut être conservée, c'est surtout comme affirmation d'une succession progressive des modes d'organisation des images à travers les diftrentes phases, ces modes d'organisation étant autant de n logiques u qui peuvent fournir des points d'appui à la pensée réflexive et systématisente. Si I'invention opère un changement de niveau, il devient nécessaire de définir les principaux niveaux auxquels peut se situer la genèse dynamique des images. Le niveau primaire peut être nommé biologique, ou vital : c'est celui qui implique la participation de tout I'organisme comme moyen d'ac$alisation, et qui engage cet organisme dans les situations selon des catégories telles que la relation au prédateur, à la proie, au partenaire; I'anticipation est en ce sens une préexistence des coordinations héré-
22 IMAGINATION
ET IN\'ENTION
INTRODUCTION 2J
ditaires d'actes instinctifs comme I'agression, la fuite, impliquant une participation de tout I'organisme. L'expérience perceptive est dirigée par des formes ou < patterns o innés correspondant à la saisie du r*r à., situations selon les modes primaires du danger, de I'aliment, de la rencontre du partenaire, de I'attitude d'ascendance ou de soumission pour les espèces sociales. La résonance est faite surrour d'apprentissages intenses mais limités à des situations rypiques comme les réalise le
cession ou de l'évolution ; il remonte idéalement à l'origine absolue de I'existence actuelle et de I'expérience, et opère une anticipation pure. Ce même niveau formel d'activité se manifeste selon la modalité de I'expérience présente par une schématisation abstraite de la classification, animée par un transfert analogique de niveau en niveau, comme on la
phénomène de Prâgung étudié par les éthologistes. Le niveau secondaire, que I'on peur nommer psychologique, bien que ce terme ne soit pas pleinemenr satisfaisant, implique dans I'activité locale constiruanr les images une participation plus spécialisée du système nerveux ; au lieu d'engager directement I'organisme dans chaque situation de rapport au milieu, il développe un analogue mental de ce
manente dualité des deux principes hétérogènes saisis ensemble ; la situation réciproque de la matière et de la forme est comparable à celle de I'apport exogène d'information incidente, venant du milieu, informé par l'activité locale qui lui confère I'unité. Enfin, si la logique implicite des images a priori fournit le modèle primitif d'une réflexivité intuitive
rappoft primaire. L'anticipation, au lieu d'être l'éveil d'une activité instinctive, se manifeste sous forme de motivation er d'anricipation consciente, de désir, d'état de besoin éprouvé, de plan d'action, avec un enchaînement d'images qui préparenr la rencontre de l'objet. Dans l'expérience, I'activité locale produisant les images ne serr plus de mode d'accueil à des catégories primaires d'exisrence, mais à la reconnaissance et à l'analyse de I'objet, à la perception de son étar présenr, à I'appréciation des variations et des differences, à la saisie diftrentielle ûne des signaux incidents ; l'image sert ici d'insrrument d'adaptation à l'objet; elle suppose qu'il existe un objet, er non pas seulement une situation. Après I'expérience, I'image proprement psychique est le symbole affectivo-émotif de I'objet, conrenant I'association d'un trait représentatif et d'une modalité de réaction du sujet. Par exemple, d'une conversation, il subsiste comme image quelques mots, une expression rypique avec une certaine intonation de I'interlocuteur, unie à une valence affectivo-émotive définie. Ce complexe mémoriel est un repère pour I'organisation de la représentation du milieu, avec ses valences, chez le sujet. Il peut exister enfin un troisième niveau de I'activité des images que I'on devrait nommer formel ou, en un certain sens, réflexif; p"r-. q.,'il opère des systématisations effectuées du point de vue du sujet dominant son rapport au milieu. Comme anticipation, l'image a priori apparaît sous forme d'intuition motrice, de schème de projection p"rt"ni d'r.rrt centre actif de spontanéité er rayonnant vers la pluralité des situations ou des objets. De telles intuitions se rrouvent au principe de doctrines philosophiques comme le platonisme, la doctrine de Plotin, ou celle de Bergson avec I'idée d'élan vital ; le sujet, par I'intuition réflexive, s'identifie à la source unique et inconditionnelle de la projection, de la pro-
voit à I'Guvre, par exemple, dans l'application du schème hylémorphique ; au monisme de I'intuition a priori s'oppose en ce cas la per-
tandis que celle des images intra-perceptives est I'amorce d'une systématisation inductive ou déductive, le monde des images a posterizri paraît bien être le principe des réflexivités amplifiantes, capables de refaire idéalement la genèse des événements et de I'histoire à partir d'un nombre limité de repères dotés d'une valence particulière I c'est ce tyPe d'organisation des image s en analogoz de l'univers qui intervient dans les pensées philosophiques de rype dialectique ; elles supposent comme source d'intelligibilité et de développement un éprouvé complexe, ayant son origine dans des situations historiques. L'esquisse d'un rattachement des modes réflexifs à I'activité des images, pris comme exemple non limitatif du niveau formel de cette activité, ne vise pas seulement à faire apparaltre la relativité de l'intuition, du discours, ou de la pensée dialectique, mais à montrer qu'aucune de ccs trois systématisations ne recouvre de manière complète I'activité d'invention, trop peu stable pour servir de paradigme. À un niveau de formalisation moins élevé, l'activité a priori des images se déploie dans lcs différentes espèces de pensée initiatique, tandis que I'usage a posteriori
dimente la structuration des figurations et des mythes à signification collective large ; en ce sens, il serait possible d'orienter l'étude de l'image vers une analyse des contenus culturels.
24 IMAGINATION ET INVENTION
INTRODUCTION 25
C. CHAMPS D,APPLICATION DE I.A NOTION DE CYCLE
CÉT.TÉ-
TIeuE DE L'IMAGE; L'IMAGE À r'ocrÉRIEUR DE L,rNDr_ VIDU Dans la Narure, on observe que les activités rycliques tendent à se synchroniser, c'est-à-dire à se màttre en accord phénomènes "rr..'1., récurrenrs qui sont susceptibles d'interftrer avec eiles. peut-on observer
des synchronisations dans le devenir génétique des images mentales
r. syNcHRoNrsATroN
AVEC LE RyTHME
?
NycrnÉ,uÉner
L'alrernance des jours et des nuits module plus ou moins profondément (selon le type de vie, le degré d'urbanisatiàn...) I'activitéïumaine. Chaque journée prend partieileÀent l'apparence d'un cycle complet qui entraîne une variation conrinue de la prédominance de telle àu telle catégorie d'images. Les images du soir, uitr"rrt après l'inrense activité du jour, sont celles du souvenir; l'évocation invâlontaire du passé peut prendre assez de relief pour faire surgir comme spectres I'imaç des êtres disparus ; les situations ancienne-Jrrt o,, .éc.Âment éprorirées s'évoquent et reprennent vie; la journée et, plus largement, la vie, se récapitule quand I'action cesse ou se relâcÀe. Les"chapitres en sonr des
images et des visages' et le passé se systématise, s'ordànne en ensembles selon une topologie affectivo-émorive nuancée de regret ou de satisfaction. Au contraire, la première lueur de l'aube chassJtoute cette foule des images du passé; après le repos et avanr le début de l'action dominent les anticipations du mouvemenr, les images qui sont des projets, des amorces de réalisation ; c'est le moment oir-l'iniividu r.ss.rrt^I. plus fortement les motivations qui le portent à l'action, er senr quii ..t I'origine de ses conduites, éprouvant ,r.,. impression de liberté dans la phase inchoative du ."ppoir aux objets ; 1., ligrr., de la journée se projettent comme les rayons qui divergent à partlr d'u., cent.e unique, foyer et source : I'action futur. e-rt ima[i.ré. ,Ë1o., l. n priori, & l^ rencontre des objets réels se profile et stordonne dans ^od.I'expansion
amplifiante du projet. L'unité de I'intuition morrice ,,r.r.,rrâ l'anticipation de l'activité. La relation directe au milieu, tele qu'elle existe d'ans le tlavai], correspond au contraire aux images les plus directemenr insérées "temps dans. la perception ; enfin. la nuit est le d,, .h"rrg.-ent de cycle où s'opèrent parfois les changements de ,,À.,,rr. qui iont des inventions majeures ou mineures, conduisant à voir les situations sous un
conseil, parce four nouveau; c'est pourquoi on dit que la nuit porte qU,elle fait apparaître des solutions qui ne paraissaient pas contenues dtns I'univers de la veille. 2. LA vIE coMME cYcLË DE r,t ceNÈsn DES IMAGEs est comparée à une journée dont la jeunesse serait le matin, c'cst parce que le caractère de liberté illimitée du pouvoir moreur, principe àes aniicipations, est commun à ces deux phases- Le développe-
si la vie
rnent de I'individu fait apparaître et successivement diverger à partir d'une commune origine une pluralité de pouvoirs qui sont autant de pOstulats de rencontre des objets, autant d'anticipations -de.s situations âc h vie, imaginée selon les lignes du désir. Dans l'élan de l'être jeune, I'illimité du vàuloir projette pour la vie entière I'enveloppe de toutes les réditgs possibles. Plus tard, dans I'expérience du réel éprouvé comme limite ei comme obstacle, le faisceau des actes potentiellement projetés æ diffirse, se réfléchit ou se réfracte; I'objet apparaît avec une organisation dont la ligne ne prolonge pas toujours celle du projet anticipateur; lc meilleur ."i d"nr 1'adaptation réussie de la maturité, esr celui d'un parallélisme au moins partiel de I'ordre des événemenrs et de celui de i'activité du sujet. Le sujet organise sa relation au réel comme un territoire où tout n'est pas construit, voulu, prémédité, fait selon un plan, mais oir le plan du ionstruit tient compte du donné. L'image que le lujct a de son activité et même de ses projets est le reflet d'une situation, cc.qui implique une réfërence au réel er une prépondérance des éléments cogttitifr. L.ioir de la vie, au momenr où le sujet renonce partiellement à I'activité insérée, laisse la première place aux images-symboles, prenant, sous forme d'honneurs et de titres, une dimension sociale, mais eussi une résonance subjective et une force magique dans la conscience de soi, comme moyen de communicarion et de réévocation postfacto des rctes fondamentaux de la vie. Et pour aller jusqu'au bout de I'hypothèse analogique, il faudrait dire que la vieillesse correspond à la possibilité de l,invention, du renouvellement. Il n'en va pas ainsi dans nos sociétés,
mais le rôle prophétique du vieillard s'ajoutait dans I'Antiquité à la possession de-la iagesse, fruit d'une longue expérience._ Les patriarches Savai.nt conduire leur tribu vers la terre promise. Le déclassement actuel des vieillards a pour corrélatif un affaiblissement des modes prophétiques de l" p.niée collective et de I'usage officiel et public de la divination, remplacée par une pluralité de prospectives pratiques.
26 IMAGINATION
ET INVENTION
TNTRODUCTION 27
3. L'IMAGINATToN ET LEs sAIsoNs
forte charge d'images mentales ; les sciences pures ont bien une nais-
Dans.les régions tempérées et plus encore dans les régions circumpolaires, la vie collective a subi dans le passé et conrinue a-ctuellement à subir le contrecoup des saisons soit selàn le rphme du travail agricole soit selon I'alternance du travail et des loisirs. Mauss a indi[ué la manière dont la vie des Esquimaux est changée lorsque la longue nuit polaire ramène la vie collective avec ses rires et ses cérèmonies, Jors que l'été est le temps de I'isolement et de I'activité individuelle, correspondant à une vision positive du monde. Dans norre mythologie, le printemps.est le.temps du renouveau, du désir, de l'élan, de, pÀ1.,, ;1,Été, celui du réalisme du travail, de l'action en rrain d. ,'"..oÀplir, au midi de l'année, quand les cultures sont dans toute leur for.Ë. p,rir, "rr.. I'Automne, l'action se détend, I'année vieillit, le travail se roralise sous forme de récolte faite; I'année a été bonne ou mauvaise, elle est consommée. Alors.s'évoque le souvenir des morts. Enfin l'Hiver apporte en sa dormance I'aftente d'une renaissance, comme la nuit .r,trË d..r* 1o.r.nées. Jadis, le début de l'année était à pâques, qui est comme re matin du rycle de I'année. Le 15 aofit esr comparable au momenr de midi et à la pleine maturité de la vie, à Ia forci de l'âge : c'esr la culmination dans I'image poétique de nMidi, roites étés... o. La mytho3a1lu.ee logie des saisons rejoint celle des âges de la vie et des heures du jour, parce que ces cycles ont plus ou moins profondément synchronisé _rous .
la genèse des images er sonr vus à rravers la pÉdomin"rr..
,.*poraire
l'une des trois phases du rycle des images.
de
4. LE CYCLE DES IMAGES ET LE DEVENIR DES CIVILISATIONS
En faisant un pas de plus vers le caracère collectif de la genèse des images, on peur se demander si la notion de cycle ne permer pl"s d. ,.rrdre compte de la succession d'étapes qui se manifer,. à"r, le àéveloppement du conrenu des cultures. Des expressions telles que u I'auror. âË t" science gr€cque ) ou ( le crépuscule des idoles n ,emblent supposer que
.
les.métaphores analogiques du jour et de la nuit, de l" jeuness. et de la vieillesse, s'appliquent en une certaine mesure aux successions historiques_de phases (archa'r'que ou primitive, classique, puis décadente) par lesq_uelles passenr les differentes modalités culturelles, sans qu'il y ait d'ailleurs une coÏncidence nécessaire entre chacune des moàalités en évolution (religion, arts...). ceci signifie sans doure que les formes de culture soumises à un devenir cyclique sont celles qui impliquenr une
sance, mais elles sont plus progressives, plus cumulatives, comme le note
Pascal comparant I'humanité
à un homme unique qui
apprendrait
toujours et n'oublierait jamais. Par contre, les processus de croissance, de maturation, puis de déclin correspondent directement au fonds commun d'images constituant les cultures, et servant de normes à la connaissance et à l'action individuelles. Dans la succession des phases primitive, classique, décadente, on peut trouver deux traits dominants. læ premier est la prépondérance, dans la phase primitive, des images a priori, tendues vers I'action, célébrant I'acte, I'exploit, et introduisant à une connaissance initiatique, ésotérique, de valeurs élevées, selon une logique de la participation; cett. .,rlt.tt. est à dominante aristocratique et sacrée, comme I'art de Pindare et d'Eschyle ou comme nos Chansons de Geste ; elle consacre la gloire des héros et pousse à I'action élevée, comme les poèmes de Tyrtée. D.rr.ntr. classique, une culture trouve dans les images de la légende des situations actuelles et communes, perpétuellement présentes dans la vie comme sens des rapports humains au niveau moyen; elle se désacralise,
tend vers I'unité du hic et nunc approfondi qu'on nomme I'universel ; au lieu de célébrer les hauts faits ou de susciter les forces qui poussent à agir, elle donne le spectacle de I'action en train de s'accomplir ; elle est rèaliste parce que sa modalité est le présent de I'actuel complet. Enfin, la période post-classique recherche les images affectivo-émotives intenses, poignantes ; I'art n'y est plus spectacle mais substitut de la réalité sous forme de symboles qui sont des pseudo-objets ; les formes culturelles se détachent de la vie réelle comme un double qui la masque. Les valeurs
un univers complet, un achèvement selon la subjectivité; c'est le monde du roman, du
esthétiques deviennent dominantes et constituent
romantisme, de I'imaginaire comme un second réel, selon une logique de l'identification. Autrement dit, les cultures archarques sont centrées eutour de I'action, selon une perspective de projection vers l'avenir, les cultures classiques posent des perceptions, elles sont essentiellement plastiques, constructrices d'un réel objet, alors que les cultures à leur àé.lin, au lieu d'inciter à I'action ou d'instaurer des perceptions d'un
réel ordonné
et
aménagé, mais
non doublé, produisent un univers
d'images qui habille et masque le monde sans adhérer à lui; il se crée dors une esthétique, c'est-à-dire non Pas une manière de percevoir, mais une façon d'éprouver les images apportées par I'art, ou même de traiter le monde comme une réserve d'images. Tout ce qui, dans le monde, est permet d'échapper luins' allure historique I'emorce d'une fissure
-
-,
28 IMAGINATION ET II\TVENTION à la perception pour entrer dans I'univers affectivo-émotif ; les symboles prennent sens selon la perspective d'une vie antérieure imaginaire. L'art esthétique, par opposition à I'activité plastique, mer au passé ce qu,il produit: il construit des ruines. C'est cet p.od,r.t.,r. a'i*"g., qrr. "ri Platon chasse de la cité. .. A;tio1, perception, souvenir symborique seraient ainsi res trois modalités fondamentales du contenu d'images constituant la base des cultures, diftrentes en cela des sciences, cai la troisième étape n'est pas celle de la positivité qu'Auguste comre découvre dans ra loi àes troir lt"t, l.
; savoir esr progressif et continu alors qu'après chaque rycre les cultures se désorganisent, changent de structure^, .i ,..r"irràt ,éro., d., priicipes nouveaux.
pnBvrrÈns PARTIE
CONTENU MOTEUR DES IMAGES ,)r-
L-IMAGE AVANT L EXPERIENCE )
DE L OBJET
A. DONNÉES BIOLOGIQUES: COMMENT I-A MOTRICITÉ PRÉcÈpn I-A SENSoRIALITÉ r. AspECT pHvLocÉuÉrleuE : LE oÉvnroppnurNT DE r-e uornrcrrÉ pnÉcÈns cELUI DE I-A sENsoRIArrrÉ ; lrnrueLISATIoN
Dire que la motricité précède la sensorialité, c'est affirmer que le rchème stimulus-réponse n'est pas absolument premier, et qu'il se réfère à une situation de rapport actuel entre I'organisme et le milieu qui a déjà été préparé par une activité de I'organisme au cours de sa croissance. Les recherches de Jennings sur les organismes les plus simples montrent que les réactions (conduites en présence d'un objet) sont précédées par des spontanéités motrices existant avant la réception de signaux caractéristiques d'un objet. La notion d'objet mériterait d'ailleurs d'être analysée avec précision, car elle correspond à un mode de relation entre I'organisme et le milieu assez élevé d'organisation de la réception des signaux. Chez les espèces les plus simples, c'est à I'occasion d'activités
qui suppose un degré
lo
IMAGTNATION ET TNVENTTON
spontanées, non-réactionnelles, que les perceptions d'objets peuvenr apparaître' chez les espèces supérieures, il se peut que les'.o-port.-.rrt, de réponse à un objet soient beaucoup plus fréquents q.,. i., activités spontanées, mais chez les espèces inftrieures, c'est I'inverse qui se produit; les conduites spontanées sont une anticipation p.r-"n.ra. ., nécessaire des perceptions.
De telles conduites manifestent I'existence
d'une activité locale qui, même si elle disparaît ultérieurement d.errière d'objet,iontinue à fournir la base des anticipations. Et I'on peut supposer que chez les organismes supérieurs c€tte sponranéité anticipatrice se conserve mais est intégrée à factivité du système nerveux sous forme d'une source d'iniltiatives, d'une fonction de nouveauré endogène, base de l'invention, moteur des changements de structure que l'être vivant peut apporrer à son organisation les activités finalisées de recherche
ill..r:.de la représentarion analogique du milieu; selon ce-tte hypo_ thèse, l'activité qui se manifeste dani les mouvemenrs browno'rdes àes organismes inferieurs, ou dans les conduites d'essais et d'erreurs, four-
nirait I'aspect le plus primitif de ce que deviendra la genèse d'images anticipatrices dans les organismes possédant un systèrne .rerveu* hi,rtement centralisé et fortement télencéphalisé. Le hasard ne se manifeste pas seulement, en effet, dans I'occurrence des stimuli provenant du milieu et apportanr des informations, il se déploie aussi, e^fficacement, à partir d'une source endogène, celle des initiaiives de I'organisme qui va à la rencontre du milieu. La relation perceptivo-mo.rt. .r, alà t. second acte d'un drame dans lequel les déux piotagonistes, organisme er milieu, existaient chacun comme source primordiJe d. ,ronà,rté et de hasard. c'est la rencontre de ces deu* nourreautés qui fait la relation perceptive: au faisceau de signaux, nouveauré exogèné, correspond I'acdvité local^e, l'anticipation endogène venue de I'organisme, et qui est la première forme de I'image a priori, dont le .orrt..ru .st errentiellemenr moteur.
. Nous supposons donc que la première forme de I'anticipation avant la relation de I'organisme à I'objet est I'ensemble d'activitès faisant de I'organisme un système auto-cinétique ; sans directivité marquée dans
les mouvements brownoTdes (comme le montrent les observations de Viaud sur le mode de dispersion d'une population dans un milieu
homogène, le centre de gravité restant fixe), cette activité est seulemenr ralentie ou accélérée par les conditions du milieu (thermocinèses, photocinèses), mais non polarisée par le milieu ; les mouvements brownoides et les cinèses sont plus primaires que les tropismes, et aussi plus constants ; les tropismes eux-mêmes, encore très primitifs, manifestent
CONTENU MOTEUR DES IMAGES 3r
une orientation, mais ne réalisent pas une adaptation. Ils constituent une réaction à des agents plus qu'à de véritables objets,.et_conservent donc une pan impoit"t t. d,t caracère autocinétique de la conduite primaire dË I'org"nir-e. C'est seulement avec les pathies, ou avec les conduites l-ro--é.r par Jennings " auoiding reactions o, qu'apparaît une Véritable réaction à un objet, adaptée, sur le modèle des conduites perccptives.
Dire que la motricité précède la sensorialité dans le développement des espècËs, c'esr affirmer que les êtres vivants les plus primitifs font un grand- nombre de mouvements qui n'aboutissent à rien, parce que Iéq.rip.-.t t perceptif est beaucoup plus pauvre q-u'il ne faudrait pour dirig.; .., -o.rrr.Âenrs er leur permettre de s'effectuer utilement, de manière finalisée et économique; l'équipement moteur est en avance rur l'équipemenr sensoriel. cela conduit à penser que cette avance de l'équipe-e"t moteur se conserve avec le développement- du système
mais se trouve intégrée à I'organisme sous forme d'une capacité possédée par le système ,rà-.,r* de faire naître perpétuellement des ib".r.h., à. -o.rrr.-ents qui ne sonr pas des réponses à des stimulations, et qui constituent ainsi le postulat de toutes les conduites nouVelles, de toutes les tentatives Provenant de I'organisme et lui permettant d'aborder activemenr l. rappà.t au milieu avec une série complexe de possibilités de conduites déjà prêtes ; les images de mouvements seraient .. ,..r, des schèmes de conduites prêtes à se réaliser, mais encore
na*.,o,
"n Contenues
dans le système nerveux au lieu d'être effectivement réalisées
les unes après les autres.
Natur.lle*.nt les conduites autocinétiques sont dangereuses puisqu'elles peuvent porter I'organisme à.la rencontre d'un prédateur; elles ne constituent un moyen efficace de recherche que dans un milieu supposé homogène sur de grands parcours, comme le sont en général les ,iti."* des oiganismes tres élémentaires, de petite taille_;_ dès. qu'interviennent des-discontinuités, dès qu'apparaissent de véritables objets et non de simples gradients, les conduites spontanées d'anticipation ne peuvent être adaptatives que si elles resrent virtuelles, comme tentative ,.ra"rr, à I'intérieur de I'organisme, essai fictif qui ne conduit à I'acte qu'après la réception de repères perceptifs permertant d'assurer l'ajustement au milieu réel.
,2
CONTENU MOTEUR DES IMAGES
IMAGTNATTON ET rN-TENTrON
2. LE sysrÈME D'ACTroN coMME BASE oNTocÉNÉrrqur DEs TMAGEs MOTRICES
l'
3. LES cooRDINATIoNS rrÉnÉonernns D'ACTIoNS DANS LES TMAGES MOTRICES
une anticipation ne peut être seulement une initiative; elle esr une initiative organisée, ayant une structure, une consistance par rapport à elle-même, une forme. Existe-t-il une base biologique d. .., ,tr-.r.t,rr., en ce qui touche à I'anticipation des conduites morrices ? Oui, sous les espèces drr système d'action, qui est l'équivalent dynamique et cinématique de ce qu'est, comme structure, I'anatomie d'un orgaÀisme. Une espèce esr reconnaissable non pas seulemenr par la foime des grganes, leur taille relative, le mode de leur agencemenr, mais aussi par les schèmes de comportemenr: manière de boire, façon de progresser, de sauter, de ramper, de saisir un objet. L'organisme.r, ,rt ..r..Àbl. d. schèmes de conduite aussi nertement définissables et ayanr une valeur taxonomique aussi nerre que la ôrme des phanères, le nombre de griffes,
etc. Ces schèmes d'action existent donc dans l'être vivant .ô--. anticipation des conduites possibles, comme programmes partiels des comportements, et ils peuvent, virtuellement utilisés, fournir un contenu aux anticipations, sous forme de préparation des situations de renconrre
de I'objet et d'anticipation des réponses
;
I'organisme peut, plus ou conduites avant de les appliquer à
moins complètement, jouer à vide ses un objet réel ; se lever, attaquer, se cacher, fuir, faire fa.r, cà,o.rt d., séquences dont l'être vivant possède le programme en lui-même, comme
il possède son propre corps ; il y a là une base pour I'activité locale d'anticipation, qui peut aller jusqu'à un jeu -ot.rr gratuit, les situations étant improvisées, mais le fondement de I'activité étant fourni par ces schèmes que l'être possède et qu'il peut à rour momenr susciter, comme s'il était dans une situation. De tels schèmes moteurs soulignent les rêves, au cours desquels on note, en particulier, des mouveÀ.rrr, oculaires. Lucrèce les a notés au cours du sommeil chez les chiens. Même pendant la veille, I'action imaginée avec force est accompagnée d'anticipations motrices qui sont son conrenu organique lè plus constant : phonation esquissée, contractions musculaires, maiche, poirrg, serrés... Les émotions, gui ne sont pas seulement un retentissemenr, mais aussi une préparation à I'action, comportent des anticiparions motrices mettant en jeu des éléments du système d'acrion, comme Darwin I'a montré : rétraction des lèvres qui découvre les dents pour préparer à mordre, dans la colère, etc. Il existe ainsi une séméiologie dei corporelles propres à chaque espèce, selon son système dtaction. "ttitudet
Aux séquences élémentaires du système d'action s'ajoutent des coordinations héréditaires faisant partie des activités instinctives telles que I'observation courante, puis les études éthologiques, les ont découvertes' Or, si les éléments du système d'action, assez Particuliers à chaque espèce, ne peuvent guère fournir la base d'une saisie directe du sens des conduites par d'autres espèces, les coordinations héréditaires dépassent souvent en généralité l'espèce qui les manifeste, si bien qu'elles peuvent non seulement alimenter des anticipations, mais servir d'instrument à un mode primitif de communication par les mouvements, espèce de langage naturel interspécifique. Le cri d'alarme, le rassemblement agressif; les rites de pariade, la conduite des parents envers les jeunes comPortent des coordinations d'actions qui font image et peuvent être compris par
d'autres espèces. De plus, ces processus mettent en valeur très particulièrement la spontanéité du système nerveux et le jeu de la motivation. Lorenz et
Tinbergen ont montré que les coordinationqhéréditaires ne sont
Pas
nécessairement des réactions à des objets ou à des situations réelles ; si la
motivation est fort€, une faible stimulation externe suffit, et si la motivation est très forte, il n'est besoin d'aucune stimulation pour que le programme instinctif se déroule. Enfin, après déclenchement par un itimulus, I'action instinctive peut continuer à se dérouler en vertu d'un ordre complètement endogène. Il manque seulement à cette action les composantes taxiques qui l'adaptent à l'obiet réel lorsqu'il est présent (cas du roulage d'æuf chez I'Oie grise). Ces découvertes sont importantes pour une recherche de I'origine des images de mouvement' car elles montrent que l'organisme possède une réserve de schèmes complexes de conduite pouvant être activés de manière endogène, lorsque les motivations sont suffisantes ; il existe donc une véritable base biologique de I'imaginaire, antérieurement à I'expérience de I'objet. Genz a observé de jeunes Bondrées apivores qui, cn captivité, sans présence d'aucun nid d'Abeilles à déterrer, accomplissaient à vide, comme sur un nid imaginaire, les mouvements propres à la capture des abeilles. Le mouvement, préadapté à un objet, est une véritable anticipation pratique de sa présence et même de sa structure ; il postule I'objet. Les modalités de I'objet correspondant aux coordinations héréditaires ne sont pas précises; pourtant' il existe une certaine préfiguration de I'objet spécifique correspondant au déclenchement des activités instinctives. Râber l'a étudié chez le Dindon mâle élevé dans
J4
IMAGINATION ET INVENTION
CONTENU MOTEUR DES IMAGES
I'isolement; un chiffon noir suspendu er agité par le vent déclenche la conduite agressive ; un objet noir aplati sur le sol amène au contraire la conduite précopulatoire. Il existe donc certains
-o1.rrr,
images peuvent avoir un conrenu antérieur à une perception définie, même si ultérieurement ce contenu est transformé par une élaboration complexe. Au sujet des images du vol, on peut norer, d'après les récits anciens des tentatives réelles de vol, que des schèmes de mouvement inessentiels chez les oiseaux, mais très importants dans la locomotion humaine (le saut et l'élan) étaient incorporés à ces anticipations ; les premiers essais de vol ont utilisé le saut dans I'air, préparé par une course, et soutenu par des ailes battantes. Ceci montre que I'homme imagine partiellement le vol à partir de l'élan de la course èt du saut en longueur, qui fait partie de son système d'action et intervient dans ses coordinations héréditaires. L'importance des coordinations héréditaires est d'aurant plus grande que la relation au stimulus spécifique peut être relativement aléatoire. Les études de l'école éthologique ont montré qu'il se produit, chez
3'
certaines espèces, le phénomène de Prâgung (imprinting); une conduite définie, par exemple I'ensemble d'attitudes du jeune Oiseau par rapport à la mère, est préformée ; mais la perception du stimulus o mère o n'est pas du tout sélective ; un chien, un homme, pourvu qu'ils se présentent un certain nombre de jours ou d'heures après la naissance des jeunes,
sont pris comme u être à suivre o ; ultérieurement, la relation devient plus sélective (la n mère, doit répondre à certains signaux spécifiques). Cependant, il importe de noter que I'image de la mère, en ce cas, est surtout I'anticipation d'une conduite ; elle est l'être que I'on peut suivreCet apprentissage qui se fait complètement et en une seule fois est nommé n Prtigungo par l'école éthologique; sa force et sa rapidité montfenr le rôle de I'image comme anticipation essentiellement motrice des situations, dans le cas des coordinations instinctives ; un comportement est déjà virtuellement prêt; il demande seulement un support objectif. On peut se demander si de telles périodes sensibles où se réalise une < Prliguag o n'existent pas aussi chez I'homme dans le cadre des conduites instinctives (passions, coup de foudre, sentiment d'élection définitive, de prédestination du partenaire). Ce serait l'origine des differences individuelles dans les catégories primordiales de la représentadon des parents, des éducateurs' et peut-être du socius en général, consé-
quences d'expériences primitives faites sur la base d'anticipations ins-
tinctives. 4, sloNreNÉIrÉ oBs ANTIcIIATIoNS MoTRIcES AU couRs DE t'oNTocÉ,NÈsB
Les études des embryologistes (Coghill, Carmichael) montrent que le
développement moteur peut être contemPorain du déveloPpement perceptif mais qu'il ne lui est ni postérieur ni subordonné étape par étape ; t dit, la mise en jeu du développement perceptif sous forme ".rit.-.t d'exercice et d'apprentissage impliquant réftrence aux objets, n'est pas nécessaire pour que le développement moteur fasse apparaître des schèmes organisés ; I'anticipation motrice des conduites se produit en vertu du développement endogène; I'organisation des mouvements' au cours de I'ontogénèse, n'est pas une séquence de réactions ; elle a ses lois propres, qui ne sont pas tirées de la perception, et ne résultent pas de I'influence du milieu. Cette réalité autonome des conduites virtuelles est une base organique d'anticipations, et constitue I'une des bases des images motrices.
IMAGINATION ET INVENTIoN
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coghill a étudié l'ontogénèse du comportemenr de la natation chez les Urodèl^es, apparaissanr comme une forme progressivement développée et diftrenciée de manière endogène. carmichael, sur un matérÈl expérimental analogue, a montré qu'une immobilisation de plusieurs jours par I'action d'une substance chimique ne rerarde pas I'accès à la pleine capacité motrice. \feiss, toujours sur des UrodÈles, a montré I'inhérence à I'organisation nerveuse et à la structure du corps des schèmes organisés de mouvements : la transplantation des membres perturbe les réactions actrices au point qu'aucun apprentissage, même au bout d'une année, ne peut compenser les effeti de I'inve"rsion des membres. Des résultats analogues ont été obtenus par Grohmann étudiant expérimentalement I'apparition des mouvemints de vol chez les pigeons (par immobilisation d'un groupe-témoin). parmi toutes ces recherches, celles de Kortlandt sont particulièrement importantes, car elles montrenl que, dans un comporrement complexe, les iéquences qui apparaissent les premières au cours de I'ontogénèse sont lis activiiés d'exécution, correspondant à la phase de consommation qui, dans le comportement complet, est la dernière; ainsi, de jeunes Cormorans possèdent le mouvement qui leur permet de construire un nid par fixation de brindilles avant de savoir porter les brindilles, les prendre, les rechercher; I'activité d'exécurion, la plus purement motricè et la plus stéréorypée,
ne peut donc, au début, s'exercer sur un objet, cai
les
phases préparatoires de recherche et de rransporr de l'objet font défaut;
l'anticipation commence par la fin du comport.ment réei complet. À partir de cette obsèrvation, qui a u.re portée générale, on peut saisir une des causes de I'activité imaginaire d'anticipalion ; I'organisme jeune est en possession d'un savoir-faire qui n'aurait de sens que si le problème de la recherche de l'objet était résolu ; un tel pou.,roi. opératoire suscite comme supporr objectif un substitut. Les conduites de jeu et les activités à vide peuvent s'interpréter au moins partiellement à partir de cette genèse à rebours des séquences de comportement; quand la phase d'exécution des comportements est prête,. elle peut s'actualiser à propos d'un objet-substitut, c'est-à-dire possédant seulement les caractères de support de I'opération motrice. Un jeune Chat, capable de saisir avec ses griffes et de mordre, mais non de chercher des proies et de les détecter, piend pour substitut de la proie un objet- presque quelconque : une bobine sur li plancher, une peloie de laine; c'est que I'image de la proie est encore i.r.to.rt un faisceau de mouvemenrs de capture; le même objet presque quelconque peur d'ailleurs être I'occasion de difftrenrs ( jeux ) moreurs ,i"pt.,r., mise en
garde avec attitude d'intimidation, etc. Chez l'être humain, les conduiies instinctives apparaissent aussi de manière inversée, et recrutent des objets substitutifs pour le jeu, qui est l'exercice préalable des activités d'exécution au moment oir les activités de préparation et de recherche sont encore impossibles. Ainsi, le jeu de la poupée correspond à la fin des séquences de compoftement de la reproduction, à un moment oir I'immaturité sexuelle rend impossible les phases préalables de ce comportement; il demande seulement un objet mès élémentaire et à peu près quelconque : un ourson en peluche, une boule de chiffons, un animal familier ; I'essendel est que cet objet puisse être pris dans les bras, bercé, transporté ; il est support et but de mouvements préformés, constituant tn K Pattern r. La ressemblance perceptive joue ici un rôle beaucoup moins accentué que Ia convenance motrice comme substitut ;
de là vient I'erreur des adultes qui, non-motivés, fabriquent pour les enfants des poupées qui sont des objets d'art, de véritables automates mimant I'enfant véritable d'un point de vue perceptif : pour le jeu, de telles constructions ne valent pas plus que la poupée de chiffons, informe selon les normes perceptives, mais conforme aux ?dtterns moteurs de
I'enfant. L'essentiel du jeu est pré-perceptif. Le jeu primaire et instinctif n'a pas besoin de figurations perceptives, mais seulement d'une grande variété d'objets quelconques Pouvant être recrutés par les tendances motrices groupées en configurations. Si I'on ajoute à cette manière de voir I'idée que des capacités motrices créent un besoin quand elles arrivent à l'état de plein développement, on peut comPrendre I'existence, chez I'adulte, de pouvoirs spécifiques de recrutements d'objets quelconques comme supports moteurs de tendances motrices (agression,
protection...), quand ces tendances ne sont pas absorbées par les situations intégrées à I'existence quotidienne ; telles sont les adoptions d'animaux traités de manière maternelle par des adultes, ou bien la chasse et la mise à mort ritualisée; en chaque cas, il se constitue une image non pas à partir des caractéristiques objectives de l'objet-substitut, mais à partir de la configuration des tendances motrices préalables. Les êtres humains eux-mêmes peuvent être recrutés comme suPports de jeu moteur, c'est-à-dire devenir des images de ce qui doit être combattu, rejeté du groupe, sexuellement recherché, etc. Des phénomènes collectifs se greffent sur cette activité de recrutement à partir des tendances motrices pré-perceptives, mais la condition première de possibilité de ces phénomènes est I'existence de motivations préalables ; or, un foyer de motivations est constitué par l'inhérence à I'individu de montages
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ET II{VENTION
moteurs organisés, correspondanr à un besoin d'agir selon une direction définie par ce montage moreur. Ces occasions de fonctionnemenrs séparés, insulaires en quelque façon, ne se produiraient pas si le développemenr ontogénétique du comportemenr s'accomplissait selon un plan de simultanéité absolue de la croissance des sous-ensembles. Mais en fait, les études de Gesell ont montré que I'ontogénèse du comportement est semblable à la croissance : non seulement elle se fair selon des principes de polarité, d'orienration, selon des gradients, er non pas de façon homogène comme un ballon que I'on gonfle, mais de plus elle s'efFecrue selon des cycles successifs séparés par des dédiftrenciations préparant de nouvelles structurarions. Chaque étape (voir u Prone progression in human infant aboutit en fin ") de cycle à un comporremenr défini, qui pourrait se suffire à lui-même s'il n'était seulement un momenr d'une genèse plus vasre; provisoirement abandonné, il sera réincorporé dans ses lignes essentielles au < pattern " définitif plus complexe, synthétique. C'esr cetre existence des lignes essentielles d'un comportemenr que I'on peut considérer comme fournissant le contenu des images motrices d'anticipation des conduites. Ce sont elles également qui permerrenr le jeu, qui n'est pas seulement une dépense motrice incoordonnée, une agitation, mais une organisation o gestaltisée > de mouvemenrs, généralement appuyés sur un sup-
port objectif (poupée, ballon...). Le rôle joué par les apprentissages dans les conduites définitives peut être considérable sans rien enlever au caracrère primitif d'images motrices correspondant à des systématisations partielles du comportement; les apprentissages peuvent, chez I'homme, modifier de manière très importante les adaptations sensori-motrices, avec une grande plasticité, (expériences sur les effets du port de lunettes prismatiques déformantes), mais ces apprentissages interviennent surtour dans le cadre des relations perceptivo-morrices, non dans la réorganisation de la < Gestah > motrice ; or, c'est la disponibilité de la Gestah morrice, avec les besoins correspondant à l'exercice de cette disponibilité constiruée, qui est la base du recrutement d'objets quelconques comme supporrs d'images. D'ailleurs, les phénomènes adjuvants d'apprentissage, servant à insérer une configuration de mouvements dans le milieu perceptivo-moteur réel et concret' existent aussi chez les animaux en liaison avec les stéréotypies motrices les plus nettes et les plus stables : le schème du vol est inné chez les Oiseaux, mais ce schème a priori ne rienr pas compte de l'inclinaison du sol, de Ia nécessité pour l'Oiseau de compenser pour se poser l'effort du vent, etc. L'insertion du schème dans le milieu dem"nde det
apprentissages, très diftrents de tout jeu, et impliquant un recours à I'information perceptive, au lieu de I'image. Ces remarques ne permettent pas de résoudre le problème, évoqué plus haut, de I'origine de schèmes moteurs a priori (en apparence au moins), comme celui qui donne chez I'homme des images de vol, avec d'assez fortes motivations. Peut-être s'agit-il de schèmes moteurs extrêmement primitifs, comme ceux des réactions ou mouvements libres de I'enfant flott".rt, avant la naissance, dans le liquide amniotique, qui le libère des effets contraignants de la pesanteur Par I'effet de la poussée hydrostatique ; à cause de son carâctère très primitif et très large, un tel schème -ot.ttt pourrait animer des images allant jusqu'à I'intuition du vol orbital avec une liberté relative par rapPort à I'habitacle ; mais il ne faut voir Ià qu'une conjecture, parmi d'autres possibles, sur l'origine des images de mouvement.
LES IMAGES MOTRICES ET
'.
L'IMITATION; PTTÉUOUÈNCS O'TNOUCTION
SYMPATHIQUE
Les phénomènes dits n d'imitation o sembleraient devoir faire penser que la perception d'un mouvement est nécessaire pour que ce mouve-.trt p.titt. ètre reptoduit par un autre individu de la même espèce ; il s'agirait donc d'une forme d'apprentissage ne suPposant pas de sPontanéiié ni la préexistence d'une image motrice chez le sujet qui reproduit un mouvement, une attiûde caractéristique. En fait, des notions telles que celle de u singerie ,,' supPosant la possibilité chez les animaux de l;imitation servile des mouvements perçus, ne rePosent sur aucun fondement sérieux. Certains faits d'imitation existent chez les Oiseaux (mots du langage humain, airs musicaux, perfectionnement du chant spécifique) ; mais de tels faits sont rares et entrent plutôt dans la catégorie gZnérale des perfectionnements d'un schème inné que dans celle à'une l-itation pure. Il n'a pas été possible d'apprendre à écrire à des singes en guidant leur main pendant de longues heures. Ces animaux ne p..rn trt non plus apprendre à se servir d'un dispositif comme la serrure
à'une boîte en voyant agir un de leurs congénères qui sait la faire
fonctionner. Les phénomènes pris pour des faits d'imitation sont généralement des cas d'induction sympathique : Katz et Revesz ont découvert ce phénomène en observant des Poules d'abord nourries solitairement jusqu'à refus de la nourriture ; mises avec d'autres Poules à.ieun, en présence de la même espèce de nourriture, les premières' pourtant rassasiées, recom-
'T 5T
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mencent à manger dès que les secondes se jettent sur la nourriture ; le mouvement et le bruit de picorage exercenr une induction sympathique qui équivaut à la renaissance de la motivation qui avait disparu ; il ne s'agit pas d'imitation, car la conduite de picorage, chez les Poules, est innée absolumenr ; au sortir de l'æuf, le poussin sait picorer ; I'induction sympathique suppose la préexistence d'une image motrice ayant valeur de motivation. De tels effets d'induction existent chez I'homme, en particulier pour les activités les plus instinctives ; la détection des difftrents rypes d'induction sympathique pourrait servir de mode d'investigation des conduites instinctives ; cet effet est sensible pour la prise de nourriture, pour des conduites telles que se rassembler, se mettre à fuir, entrer dans une salle, se lever et partir. .. Il est plus sensible encore pour les rites de pariade (films dits érotiques) et pour la manifestation de la violence (phénomènes dits o de foule , jadis étudiés par Le Bon), utilisée par la propagande des régimes totalitaires. Tous les modes de reproduction et de transmission de séquences temporelles peuvent susciter I'induction sympathique : télévision, films, mais aussi discours, chanrs, musique (discours de Hitler, chants révolutionnaires, marches militaires) ; la u force de l'exemple o s'exerce par les effets de l'induction sympathique ; elle intervient essentiellement dans les domaines où il existe des conduites instinctives, c'est-à-dire selon les catégories primaires des conduites. 6. rNrrÉnrNcE DEs TMAGES MorRrcEs eu scHÉue coRpoREL
On nomme schéma corporel la représentation que chacun se fait de son corps, et qui sert de repère dans I'espace. Cette représentation schématique constante et nécessaire à la vie normale peut subir des altérations, soit en fonction de lésions du cerveau (lobe pariétal), soit par suite d'amputations ou d'incapacités motrices de divers ordres ; sans doute, le schéma corporel intègre des données sensorielles de divers ordres, extéroceptives er proprioceptives, mais la part des anticipations morrices dans I'organisation du schéma corporel est considérable. En reprenant la notion de système d'action déjà présenrée, on pourrait dire que le schéma corporel contient I'intuition du système d'action de chaque individu. Il correspond au fait que l'individu sair se servir d'emblée de l'ensemble de ses organes, non seulement lorsque I'ensemble du corps est intact, mais après une mutilation. Goldstein, dans I'ouvrage intitulé La Stntcture de l'organisme, a accordé une importance particulière aux phénomènes de récupération des fonctions par réorganisation d'ensem-
,i
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ble après lésion. Goldstein cite une expérience au cours de laquelle des cobayes, anesthésiés, sont amputés des quatre membres ; quand I'anesthésie cesse, ces animaux aussi gravement mutilés n'essayent pas de se traîner sur les moignons de leurs membres ; ils adoptent d'emblée un mode de reptation comparable à celui des animaux qui n'ont pas de pattes ; la motricité est réorganisée comme un tout à partir des possibilités fonctionnelles restantes de tout I'organisme ; il s'effectue une restructuration complète. Naturellement, cette interprétation est conforme au principe holistique de Goldstein, développé en théorie générale de I'organisme et de ses fonctions, selon une doctrine qui généralise le rapport figure-fond énoncé par la Psychologie de la Forme ; mais, sous cet aspect particulier, I'organisme traduit bien la correspondance entfe I'intuition motrice, image semi-concrète des possibilités du corps, et I'organisation du corps. La base primordiale des differentes images motrices, c'est l'intuition des mouvements possibles dans leur organisation et leur enchaînement. La modalité des images motrices est le possible, parce qu'elles sont issues d'un système d'action d'abord éprouvé comme le réseau organisé des mouvements du corps ProPre. En fait, une image concrète de mouvement implique toujours en quelque mesufe une réference au schéma corporel du sujet. Avoir l'intuition concrète du mouvement d'un objet, c'est en quelque mesure se mettre à sa place et dans sa situation, comme si notre corps était cet objet. Par exemple, imaginer un avion qui décolle, selon I'intuition motrice, c'est développer en soi-même cette Progressive application de toutes les forces à l'élan, de plus en plus vite, en éprouvant I'impression qu'on libère son énergie sans réserve et en risquant le tout pour le tout, sans hésitation ni ralentissement, ni recul, ni déviation possible, Parce qu'il faut s'élever en bout de piste et franchir, à force de vitesse, les obstacles sur lesquels on se précipite. Cette image motrice Peut se développer avec une assez bonne précision analogique parce qu'elle est du et -ê-. ordre que celle de la course à grande vitesse pour prendre élan bien correspond qui ruisseau, haie, un franchir un obstacle, comme une à un usage des possibilités motrices humaines. Par contfe' il est beau.otrp -oi.rs aisé d'imaginer un avion qui va atterrir, parce que ce ralentissemçnt, cette approche de la piste sous un angle défini ne correspondent pas à un usage du schéma corporel humain. Le schéma corporel intervient comme un sélecteur dans l'anticipation imaginative des diÊ férents mouvements. Les mouvements qui Peuvent être imaginés sont ceux qui correspondent à une mise en æuvre possible du schéma corporel humain, résumé exhaustif et organisé des intuitions motrices.
T; :
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IMAGINATION ET INVENTION
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Il est probable que certaines pressions culturelles interviennent chez l'adulte humain pour limiter l'emploi des images motrices comme moyen d'intuition de la réalité ; par ailleurs, le plein développemenr des conduites intègre les spontanéités motrices à des séquencei-organisées, ce qui réduit leur disponibilité pour le jeu, mais on doir norer iombien I'utilisation motrice du schéma corporel est étendu e, chez les enfants, pour mimer des objets en mouvement; un enfant qui joue n'esr pas seulement automobiliste ou cavalier, mais aussi en même remps automobile et cheval; le schéma corporel s'étend jusqu'à I'animation inrerne des objets d'usage les plus immédiatement liés .o-portement. L'in"., tuition motrice, sous forme d'anticipation du comporrement, réalise un animisme implicite. Plus tard, les catégories de la perception I'emportent peu à peu sur celles de I'image motrice ; la gesticulation, comme mode d'expression, recule devant I'emploi de la parole ou de l'écrit. Mais une étude de l'origine des modes de I'expression verbale devra très probablement restiruer les conditions primitives d'une sémantique du geste, impliquant la projection sur le réel des images du mouvemenr selon la logique du schéma corporel humain, et des iéq,r.rr.., d'activité dont il est le principe. En résumé, la source primordial e de l'a priori paraît bien être, sous forme d'anticipations de mouvement, l'organis-è. c.tt. anticipation prend la forme d'une projection dans le milieu d'images motiices à partir de cette source unique et première qu'est I'organisme avec ses schèmes moteurs rayonnant à partir du schéma.orpor.l.
B. LES IMAGES DANS LES PATION
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Érers D'ATTENTE ET D'ANTICI-
I.'évocation précédente des conditions organiques de I'anticipation
de la perception et de I'acrion montre qn., pô,tr I'ensemble de
la
conduite, les lignes de l'avenir postulé onr autanr d'importance que les données du présent ou le retentissement de l'expéri.r.. ,ous forme de souvenir. Ce même caracrère d'une logique projective de I'anticipation apparaît dans la dynamique des états d'arrenre et d'anticipation du sujet, à un niveau qu'on peur nommer psychique. Le terme n psychique o, pour caractériser un niveau, est délicat à employer; peut-êrre vaudrait-il mieux dire o secondaire ) par opposition à primaire. Pour éviter des confusions, on peut admettre que le niveau psychique correspond à un
d
fonctionnement de l'organisme qui n'engage Pas cet organisme tout entier dans la situation, mais qui fait appel surtout au système nerveux et aux organes des sens ; comme tel, le niveau psychique de l'activité se réÊre à un milieu déjà exploré et organisé selon le mode biologique, c'est-à-dire à un territoire ; les catégories et les activités psychiques ne s'opposent pas à l'ensemble des activités primaires : elles viennent après, et supposent que le milieu soit déjà inventorié et classé selon les catégories primaires (défense, attaque, proie, prédateur...) pour pouvoir s'exercer. Devant une situation inconnue, le sujet est ramené d'abord à une activité de niveau primaire ; puis, quand le milieu est devenu territoire, ce monde déjà organisé est traité selon le mode secondaire, psychique, ce qui veut dire que le sujet passe des situations aux objets ; enfin, le mode logique (ou formel) apparaît quand les objets sont pris comme cadres ou supports de relations, ce qui suppose qu'ils aient déjà été identifiés au niveau secondaire, selon les catégories percePtivomotrices de I'action courante. r. pHoBIEs nr BxecÉnerloNs coMPULsrvEs: cARAcrÈRE AMPLIFIANT ons Érnrs D'errENTE
On nomme phobie, au sens propre du terme, la peur morbide
de (agoraphobie, situations de certaines certains objets, de certains actes, ou claustrophobie). Toutefois, ce phénomène existe de manière atténuée dans le psychisme courant : les coordinations héréditaires d'actions relatives à la fuite, au dégofit, aux mouvements de rejet et d'évitement, recrutent, au cours de I'ontogénèse, des objets qui peuvent être sélectionnés soit par certaines conditions de l'expérience individuelle, soit par des modalités culturelles. Ainsi, pour nos ancêtres, le serpent et le crapaud étaient des occasions de manifestation de dégoirt très accentué ; Perrault, dans le conte intitulé La Belle au Bois dormant, imagine un supplice ordonné par une ogresse : faire.ieter la reine et ses enfants dans .rrr^.^.rrrr. pleine o d. .r"p"tdt, d. vipères, de couleuvres et de serpents ,- À la suite d'une heureuse péripétie, l'arrivée inopinée du roi, l'ogresse, enragée de ne pouvoir faire exécuter sa vengeance, se jette elle-même la tête la première dans la cuve, et est n dévorée en un instant par les vilaines bêtes qu'elle y avait fait mettre ,. De telles croyances ne Peuvent évidemment s'appuyer sur I'expérience perceptive. Elles peuvent seulement résulter d'une activité mentale d'anticipation pré-perceptive Prolongeant les catégories primaires des coordinations héréditaires et se déploypt à vide, sans contrôle ni limite perceptive, Provenant d'un
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IMAGINATION ET INVENTION
objet réel. L'élaboration psychique suit ici les lignes du système d'action de I'organisme ; dans le bestiaire imaginaire, il n'existe pas seulement des animaux repoussants correspondant au dégoût, au vomissement - dévorants et agressifs correspondant à la mais aussi des animaux -, réaction d'évitement er d'aurres enfin à l'étouffemenr, au manque d'air : c'est, en particulier, le o souffle ), cette salamandre imaginaire qui suffoque celui qui respire son exhalaison toxique ; il existe aussi, selon les mêmes catégories imaginaires, un ( souffle , qui est une grosse chenille, mortelle pour le bétail, quand elle est cachée dans I'herbe. Il est probable que ces croyances ne sonr pas absolument gratuites : le crapaud a en effet, dans la peau, un venin, mais c'est surtout chez lui un moyen de défense, tout à fait passive, et d'ailleurs peu efficace, contre des agresseurs ; I'intervention de l'activité imaginaire se manifeste ici par une véritable projection amplificatrice de cette propriété d'avoir du venin ; le crapaud imaginaire a aussi une ( bave n empoisonnée, et de plus il lance à ceux qui I'approchent des jets d'urine qui brûlent les yeux. On assiste donc ici à une amplification par projection en divers sens et selon diverses modalités de I'action vénéneuse. Quant aux n souffles o, salamandres ou chenilles, il est possible que des accidents réels aient été causés ; certaines chenilles peuvent faire des piqûrres venimeuses dans l'æsophage, lorsqu'elles sont absorbées par les ruminanrs, et I'enflure peut gêner la respiration ; mais la grande crainte des bouviers vise la météorisation du bétail, qui a une origine très differente ; la malfaisance imaginaire des n souffles , résulre de I'amplification et de la projection en divers sens du pouvoir de faire enfler et d'étouffer. Les images motrices, comme schèmes de comportement ou comme intuitions du déroulemenr interne des phénomènes, sonr amplifiées par une activité psychique qui les agrandit, les systémarise, er surrour les projette sur les choses supposées objectives et réelles. Ces choses, en fair, sont avant tout des résultats de I'activité de projection amplifiante caractéùsant le fonctionnement psychique a priori, illimité, sans frein objectif et stimulé de manière endogène par la force des morivations. Ces automatismes de I'amplificarion et de la projection pourraient sans doute être découverts dans les différenrs aspecrs des mythes collectifs ou des croyances individuelles ; selon les lieux et selon les temps, les objets offerts par le monde comme écran de cette projection amplifiante sont differents ; mais les dimensions fondamentales de l'activité qu'il projette restent les mêmes, parce que le réseau de motivations change peu. Tout au moins, ce réseau de motivations exprime des conditions qui ne se modifient que lentement au cours du remps ; de nos jours et
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dans nos sociétés, les mythes de mangeurs d'hommes et de dévoreurs d'enfants tendent à disparaître : c'est que la hantise de la faim, comme motivation de base, tend à s'efFacer. L'ogre, le monstre carnivore, la Bête mangeant troupeaux et bergers, comme celle du Gévaudan, ce sont des images du passé. Pour bien imaginer l'ogre, il faut avoir faim, et être hanté par le désir de dévorer ses semblables, comme cela s'est produit dans le siège de certaines villes, au cours des guerres. Rejetée comme horrible hors de la personnalité, cette tendance sert Pourtant de germe à I'image de I'ogre, quand elle est amplifiée et projetée à I'extérieur, sur un être ayant forme humaine mais qui est supposé chercher à se nourrir toujours et par élection de chair humaine fraîche. Le Minotaure, le Morhout de la légende de Tristan et Yseult, les Goules, etc., représentent le résultat à diftrentes époques et dans diffërents contextes culturels, de la même projection. Mais en d'autres cas le processus d'amplification continue à s'exercer sans produire une projection ; autrement dit, le mythe n'apparaît pas, il n'y a ni crapaud mangeur ni ogre dévorant, seulement une exagération compulsive de certains aspects de protection, de préparatifs, de précautions. Ombredane, dans le cours sur la motivation et le problème des besoins, analyse un certain nombre de cas d'exagérations compulsives. La compulsion est une conduite que l'individu accomplit sans autre motivation que d'écarter I'angoisse ou la culpabilité qui s'élèveraient si l'acte n'était pas accompli ; l'exagération compulsive est I'amplification démesurée d'une activité pouvant, à l'origine, être une précaution raisonnable. L'exagération traduit cet effet d'amplification lié à I'aspect a
priori de l'anticipation motrice dans I'imagination en exercice ;
la
crainte de manquer de nourriture, au lieu de se projeter en images d'ogres ou de monstres, peut s'exprimer par I'amassement indéfini de réserves alimentaires (sucre, sel) ; certains aspects de I'avarice peuvent être interprétés comme exagérations compulsives ; Ombredane cite les personnes qui ne partent jamais sans un ( en-cas )), Petit rePas portâtif permettant de lutter contre une brusque privation de nourriture, même si un trajet purement urbain rend cette précaution totalement inutile ; Ombredane cite aussi les exagérations des soins de propreté, la lutte contr€ les microbes, etc. Naturellement, ces conduites ont bien été notées dans les maladies mentales, mais elles existent aussi dans la vie courante non-pathologique, et peuvent prendre une tournure collective, au point d'être de véritabl es patterns of culture, : chaque civilisation amplifie certains modes de défense, avec les exagérations correspondantes : contre la pauvreté, contre la maladie, contre la transgression de <<
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certaines normes, etc. Ceci équivaut à une projection imaginaire collective sous forme d'images mythiques, complémentaires de ces conduites d'anticipation exagérée (le Juif errant, le Diable comme renrareur er séducteur...). Des phénomènes comme la course aux armemenrs sont, au moins partiellemenr, de I'ordre de I'amplification par exagération compulsive ; ils ont pour corrélatifs des images mphiques de l'ennemi : le péril jaune, les rouges, etc. Mac Laren, dans le film Neighbours (les voisins) a traduit ces phénomènes d'amplification et d'accélération des conduites rivales et opposées. (Jmbredane indique Ombredane rndrque par par ailleurs ailleurs comment la la montée de de I'anxiété recrute des indices de plus en plus précoces d'une situation objective pouvant conduire à un manque, bien avant le moment où le manque est réel : la peur de manquer d'air sous un runnel, liée à la claustrophobie, fait ressentir vivement les ffaces de fumée, de poussière, qui indiquent le caractère confiné de l'atmosphère du lieu ; une psychose des n pauvres gens privés d'air pur ) commence à se développer dans les grandes villes, alors que la composition chimique de I'atmosphère est loin d'indiquer un danger d'asphyxie. Peut-on considérer certaines allergies comme comparables à ces processus d'amplificadon d'une activité de défense ? Oui sans doute, en ce qui concerne les ef[èts, mais I'aspect psychique d'activité est voilé, dans le cas des allergies, tandis qu'il est ner er conscient pour les exagérations compulsives, qui s'accompagnent d'une multitude de justifications et de raisonnemenrs. 2. ASPECTS PARTICULIERS DES IMAGES
DE rA CRAINTE;
rn nÉoou-
BLEMENT
L'attente négative, la crainte, a son mode particulier d'organisation qui a voulu faire de la pensée philosophique, avec I'esprit critique, un moyen de délivrer I'humanité des effets de la crainre, c'est-à-dire des images qu'elle engendre et des exagérations qu'elle produit. Selon Lucrèce, la crainte fondamentale qui afflige l'homme est celle de la mort. Toutes les craintes annexes, par exemple celle de la maladie, de la pauvreté, ne sont que des aspects détournés er mineurs de la réaction devant la menace de la mort. La crainte de la mort a pour caracrère essentiel que, dans cet effet de I'imagination, I'homme se dédouble : il se voit debout à côté de son propre cadavre et se lamente sur ce pauvre mort qui est lui-même, un peu comme lorsqu'on voit un ami mort. Ce dédoublement imaginaire et illusoire conduit à ressentir par anticipation une grande doudes images. Elle a été attentivemenr étudiée et décrite par Lucrèce,
leur, car on suppose qu'il y aura un moment où l'on sera ce cadavre et oir, pourtant, conscience et sensibilité seront conservées. Ce dédoublement, Lucrèce le combat et le réfute, car selon le matérialisme atomistique strict, dès que l'homme meurt, les atomes (molécules) qui le composaient se dispersent ; l'âme, qui n'existe que sous la forme du rassemblement des atomes légers contenus dans l'enveloppe corporelle, se disperse, et il n'y a plus de conscience ; les forces de liaison qui faisaient le composé vivant ayant cessé d'exister, rien ne subsiste de ce composé que des éléments aussi dispersés après la mort qu'avant la naissance ; le néant d'après est tout à fait analogue au néant d'avant ; avent notre naissance, nous ne sentions ni n'avions conscience ; après notre mort, nous ne sentirons ni n'aurons conscience de rien. Mais il ne suffit pas de décrire I'illusion de l'imagination stimulée par la crainte ; il faut encore analyser ses effets pour les combattre. L'animal, quand il éprouve la peur, absorbe sa peur dans la réaction de fuite. L'homme connaît d'avance I'inutilité de la fuite quand le danger est omniprésent, comme la tempête ou I'orage. Privé de tout refuge dans le monde physique, I'homme invente alors un recours transcendant en un être plus puissant: il forge I'image des dieux pour pouvoir les supplier. En fait, c'est encore à partir de lui-même que I'homme opère un dédoublement en posant à I'extérieur de lui l'image d'un être analogue mais plus puissant. Le malheur est que, après le danger, I'image dédoublée, réalisée, matérialisée, demeure, et menace l'homme du haut du ciel : il faut lui rendre un culte, l'honorer, lui offrir, pour apaiser son courroux, des sacrifices honteux, sanglants, criminels comme celui d'Iphigénie. En somme, par ce dédoublement qui lui a permis d'apaiser momentanément sa crainte, I'homme a perdu sa liberté. Il s'est aliéné, pour employer une expression qui sera reprise plus tard par Feuerbach. La religion est la crainte superstitieuse liée à cette image réalisée, ritualisée, et aux rites qui s'y rattachent. L'analyse de Lucrèce (reprise chez Horace) conduit à voir le surnaturel comme un ensemble d'images tirées du réel et de la vie humaine, puis illusoirement agrandies et séparées pour servir de support au geste de supplier, de but aux sacrifices et aux rites auxquels l'homme est conduit par la peur. De manière accessoire, Lucrèce propose des méthodes destinées à lutter contre le pouvoir de I'imagination, avec ses prestiges et ses illusions qui enlèvent à I'homme sa liberté, en particulier dans les passions amoureuses ; on voit s'ébaucher une sorte de médecine des passions par I'intermédiaire de la représentation objective de la nature. La sagesse épicurienne vise à donner à I'individu la connaissance exacte de ses
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limites et aussi de ses besoins réels, qui sont très modestes (il suffit d'éviter la douleur et de satisfaire les besoins naturels et nécessaires). On pourrait dire que la sagesse épicurienne consiste à donner au présent toute sa plénitude en ne le laissant pas dévorer par les forces de I'imagination qui perpétuellement anticipe et arrache l'homme au présent pour le lancer à la recherche de tout ce qui n'est pas actuellement donné. Au lieu de rester en repos dans les limites de son présent, I'homme va courir les mers, essaye de s'emparer du pouvoir, veut des richesses, et dilapide ainsi sa seule richesse : un peu de temps pour vivre. L'imagination est une force qui arrache au présent, empêche le repos dans l'état d'ataraxie, tire vers l'avenir anticipé er vers des réalités que I'actuelle sensation ne donne pas. L'imagination a le pouvoir de rendre I'homme étranger à la situation présente et indiftrenr à ce qui lui est donné réellement, comme si ce n'était pas à lui. En rermes actuels, ou tout au moins récenrs, on pourrait dire que l'image altère la sensation, la dénature, diminue la force du présent, base de la sagesse. Pour lutter contre I'image en ranr que pouvoir d'anticipation, Lucrèce a effectivement éré amené à bien reconnaître I'effet de projection qui la caructérise. Mais le dédoublemenr paraît très particulièrement lié aux érats d'aftenre négatifs, impliquant une crainre ; I'indépendance apparente de I'image, séparée du sujet bien qu'elle I'exprime, correspond à une barrière que le sujet instaure entre lui-même et la réalité posée par le dédoublement. Dans la crainte, le sujet se met à I'intérieur d'une espèce de camp retranché, édifié avec les moyens qu'il a à sa disposition ; I'avenir est étranger parce qu'il est à I'extérieur ; le monde se dichotomise en intérieur et extérieur parce que I'apparition de la barrière est le résultat du mouvement de défense, d'expulsion ; les dieux eux-mêmes qui sont imaginés pour lutter conrre les réalités menaçantes sont étrangers à l'ordre humain actuel du sujet, parce qu'ils sont au-delà de cette barrière défensive. Ce qui esr au point de départ, c'est le geste défensif qui sépare le proche du lointain, installe des défenses pour conserver la réalité proche, et dédouble en quelque manière le sujet pour envoyer un émissaire de lui-même, sous forme d'un Dieu plus fort, combattre l'adversité menaçante dans le camp extérieur. Le sujet a envoyé combaftre hors du camp retranché un autre moi qui emporte un peu de sa réalité, et ainsi crée le point de départ de l'aliénation, qui est, en fait, une dualisation.
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3. I'IMAGE DANS LEs
Érars D'errENTE posITIFs
les états d'affente sont positifs, impliquant désir et recherche active, I'image correspond bien aussi à une projection amplifiante, mais il ne se crée pas un dédoublement, parce que la dichotomie du proche et
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du lointain n'est plus postulée ; l'état d'attente positive agit comme par une suppression des obstacles et des distances réelles. Le désir positif constitue des images selon une relation d'immanence, à l'inverse de la transcendance constituée par la crainte.
L'analyse de Lucrèce ne s'applique peut-être pas à tous les dieux des Anciens: ils n'étaient pas tous au même degré ceux que l'on invoque dans la crainte et à qui on offre des sacrifices sanglants ; sous la religion lointaine et ofÊcielle de la cité se développaient des cultes initiatiques ayant davantage de sens pour l'homme intérieur dans le recueillement de ses pensées quotidiennes que pour les cérémonies collectives. De plus, la crainte n'est pas le seul motif puissant qui puisse stimuler le désir de s'adresser à une image ; le regret de la perte des disparus, la volonté de les retrouver, de continuer à vivre avec eux, est une motivation aussi puissante ; passer de l'état d'actuelle séparation à une nouvelle réunion future, c'est chercher le chemin qui conduit aux Enfers pour aller, comme Orphée, chercher Eurydice et la ramener à la lumière. Voyage, cheminement, passage, purifications et attentes ont pour sens de renouer ce qui a été rompu, de retrouver une médiation 1à où la mort a porté son glaive. L'espérance cherche des voies et prépare un voyage ; les images de I'espérance ne visent pas à écarter pour se défendre ; elles ne posent pas de transcendance, mais tracent le chemin d'une continuité entre les rivages de la vie et de la mort ; c'est le sujet qui doit se ffansformer et se purifier pour être digne du voyage ; I'au-delà commence dès maintenant et dès les premiers pas. Médiation, immanence de la révélation, destinée du divin à travers l'humanité et sous la forme de I'existence humaine, c'est ce qui se trouve dans la religion d'espérance qu'est le Christianisme naissant. L'idée même d'incarnation et f image de la nativité résument ce mouvement qui est le contraire de I'aliénation : le divin peut être là, hic et nunc, dans la paille et sur le bois, comme sur cette planche oir nous posons nos mains. La nativité est l'image de I'absence de distance du divin ; comme la vie d'un enfant, le divin commence là. Le mot d'immanence ne convient d'ailleurs pas parfaitement pour exprimer cette genèse sans hiatus, car l'immanence paraît enfermer et contenir ce qui est immanent. L'anticipation selon I'espérance amène une continuité par rapPort au présent qui est comme une naissance.
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La dimension d'éternité prend elle aussi un sens diftrent, comme anticipation de l'avenir personnel, dans les religions individuelles de I'espérance ; l'éternité personnelle est une nouvelle vie, une résurrection, symbolisée par le matin et par la flamme, comme on le voit dans les lanternes des morts surmonrées d'un Coq (cimetière de Germigny près d'Orléans). Palingénésie et résurrection se rrouvenr dans des modÀ d'anticipation où la réalité présente n'est jamais définitive, jamais irréversible : la mort même n'esr pas un obstacle absolu, une barrière ; I'anticipation de la réincarnation ou de la résurrection dépasse la morr, et renàue la continuité du temps avec la première existence.
Il n'est pas possible d'évoquer, même sommairemenr, roure la richesse et la diversité des images par lesquelles les diftrents peuples ont évoqué la vie future ; il existe, au moins pour les croyances de l'Antiquité, un ouvrage beau et profond : Lux Perpetua, deFranz Cumont.
4. LEs IMAGES D'ANTrcIpATroN DANS rns Érers MIxrEs; LE MERvEILLEtrx coMME carÉconrn DE L'ANTTCIpATIoN MIxrE La projection amplifianre apparaît toujours dans l'æuvre de l'image anticipatrice, soit avec la direction centrifuge du geste qui écarte pour éloigner, dans la crainte transcendantalisante, soit avec la recherche immédiate de communication initiatique, de communion, qui caractérise I'anticipation du renouvellement selon l'espérance. Le dédoublement suivi d'aliénation est le contraire de I'introduction initiatique. Mais ces cas purs, visibles surtour dans les images religieuses, sont rares ; le cas mixte des états d'attente, oir crainte et espérance se mêlent en proporrions variables, esr bien plus fréquent. L'Amour, dit Platon, est fils de Poros et de Pénia (Abondance et Privation) ; il est fils, aussi, de crainte et d'espérance mêlées. En ce cas, la projection amplifiante continue à exister, mais elle ne prend ni le sens exclusif d'un mouvement vers I'extérieur, posanr le rranscendantal de I'image dédoublée devenue idole, ni celui de la participation intérieure selon le monde de la naissance dans le hic et nunc immédiat : par rencontre de ces deux mouvements tendant I'un vers la transcendance et I'autre vers l'immanence, il se produit une espèce d'immobilisation des images projetées à une distance intermédiaire entre celle de la vraie rranscendance et celle de I'immanence par rapport au sujet : ainsi se consrirue un monde imaginaire des images d'anticipation, flottant enrre I'extrême distance et la parfaite proximité, immobile, comme I'arc-en-ciel qui est toujours entre nous-mêmes et l'horizon. Il s'agit là d'une n rierce réalité ,, selon
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I'expression qu'Edgar Morin a employée pour caractériser certains phénomènes culturels et de transmission d'information. Un exemple de cette tierce réalité est fourni par le merveilleux actuel des princes, artistes, actrices : ces personnages ne sont pas parmi les plus importants, mais ils entourent les plus importants, ont commerce avec eux : c'est la cour et non le souverain ; la cour tend vers la ville, se rapproche du quotidien, tend vers une médiation qui s'arrête à michemin ; pour tisser le voile de merveilleux actuel, les princesses sont supérieures aux reines, parce qu'elles sont moins installées, moins éloignées, et surtout plus virtuelles, car elles peuvent devenir des reines. La participation au merveilleux est rendue possible par la presse (surtout les hebdomadaires à grands tirages photographiques) et aussi par la radiodiffusion et la télévision ; ces moyens constituent précisément un écran intermédiaire, flottant entre les réalités de fond et le sujet. Les moments d'accès à ces écrans sont ceux du loisir, qui fait partie d'une catégorie intermédiaire entre I'engagement dans le présent des situations et I'absence, le voyage.
On peut noter que la participation à ce monde intermédiaire
est
rendue possible par le fait que les personnages merveilleux sont décrits, photographiés, filmés, dans des circonstances relativement communes de leur vie, comparables à celles de I'existence quotidienne et vulgaire que chacun mène ; il s'ensuit un effet de rapprochement subjectif ; mais par ailleurs, ces personnages portent des signes d'appartenance à un monde éloigné, supérieur, non-accessible, en raison des barrières de la naissance, de l'étiquette, de l'extrême richesse, ou encore de l'éloignement spatial. La participation au merveilleux historique comme monde intermédiaire s'établit de la même manière, par la description des aspects quotidiens de l'existence des personnages historiques les plus prestigieux: amours des rois, chronique de la n petite histoire ,. Le déversement des désirs dans le monde intermédiaire du merveilleux a pour corrélatif un appauvrissement de l'horizon du réel ; le recours au merveilleux, né des limites éprouvées dans la vie quotidienne, e pour effet de priver cette vie réelle, intégrée au corps social, d'une part de ses motivations ; le recours au merveilleux traduit l'existence de fortes limites et de la monotonie des situations ou des tâches, comme celles de la ménagère ou de la dacrylo, qui n'ont pas grand espoir de voir leur condition, éprouvée comme limitée et déterminée, se transformer. Le roman a été longtemps le support de I'activité d'imagination comme pouvoir d'évasion ; il opère un déploiement imaginaire du pouvoir personnel par la participation à la geste d'un héros. Sous la forme du feuil-
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leton, il alimente très directement les états d'attenre et d'anticipation par le suspense qu'il crée entre les épisodes, surrout dans le feuilleton. Cette modalité temporelle, qui est ici essentielle, se traduit dans la perte d'intérêt qui intervient quand la fin est dévoilée prématurément. La conservation de l'état d'aftente après la fin du roman peut susciter des suites multiples, des enchaînemenrs illimités d'épisodes, comme on le voit dans les romans du XIX. siècle. chaque type d'état d'arrenre suscite un merveilleux qui lui correspond : Cendrillon rêve au Prince ; les guerriers, dans I'insécurité et le danger, au milieu de la confusion des menaces de bataille, pensenr aux grandes actions claires et illustres oir I'on a pour soi la netteté d'une juste cause et le soutien du surnaturel. Les qualités du merveilleux sont le contretype de celles du réel vécu. En d'autres cas, cet aspect complémentaire de I'imaginaire par rapport au réel, au lieu d'être figuré dans le déroulement de I'action du héros (ce qui autorise la participation du sujet), réside dans I'objet ; chargé d'aftente, pofteur des chances du désir, I'objet reçoit un pouvoir de métamorphose, comme dans LÂge d'or, ou comme dans lei conres et mythes. Souvenr, l'animal esr en fait un être humain en disgrâce qui doit être racheté et sauvé par beaucoup d'amour et de .o,.rr"gè, parfois même par un véritable sacrifice ; la clef de I'avenir est dans l'intensité de l'état présent de désir, porté sur un objet apparemmenr ignoble mais transfigurable : le crapaud peut redevenir un prince, mais seulemenr pour celle qui aura eu le courage de le mettre dans son lit. L'oiseau Bleu aussi est un prince, enchaîné par un sort dans son état animal. Parfois, l'objet n'a pas été métamorphosé, mais il esr en un état voisin de la mort, et seule l'intensité du désir peut lui rendre la vie ; la Belle au Bois dormant, blessée par un fuseau, a certes conservé ses couleurs vermeilles, mais elle est dans un château entouré de ronces et de buissons, que I'on dit hanté ou habité par un ogre ; il faut I'ardeur d'un prince qui se sent ( tout de fsu , pour que tous les grands arbres, les ronces et les buissons s'écartent d'eux-mêmes, et se referment dès que le prince a passé. L'extrême désir se projette dans l'objet qu'il suscite et transfigure : la princesse attendait, elle aussi : n Esr-ce vous, mon prince ? lui dit-elle ; vous vous êtes bien fait attendre. , on doit préciser la diftrence importante qui existe entre I'objet métamorphosable, support de l'attenre chargée de désir er de crainte, et I'objet-symbole, qui ne subit pas de métamorphoses, mais reste l'analogon d'une aurre réalité; la pantoufle de vair (zibeline) perdue par cendrillon est un analogon, un symbole qui permer d. tètrou.rei la
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') jeune fille. Dans un autre conte de Perrault, LAdroite Princesse, la quenouille de verre de Finette, de Nonchalante et de Babillarde est un analogon de leur virginité ; Finette seule conserve sa quenouille intacte. [,a bague d'or de Peau d'Âne, trouvée par le prince dans le gâteau, joue aussi un rôle d'analogon qui permet de retrouver, dans la souillon que tous méprisent, la véritable princesse. Dans ce dernier conte, la baguesymbole sert d'amorce à la métamorphose de la souillon en princesse, en même temps qu'à I'exacerbation du désir par I'attente : la bague a déi\ été vainement essayée à toutes les femmes du pays, en allant des hautes classes aux classes inftrieures et de la ville aux campagnes, lorsqu'enfin il faut faire venir la gardeuse de dindons. Le lien symbolique qui existe, selon la catégorie de l'anticipation, entre des objets, n'est pas I'expression d'une communication perceptive entre les deux réalités ; la pantoufle ou la bague ne sont pas perceptivement liées à la femme désirée ; ce sont les modes du devenir qui fondent I'analogie, parce que I'objetsymbole suscite, en miniature, les mêmes désirs et les mêmes craintes que le symbolisé ; la bague, or et diamant, est précieuse ; elle peut être perdue ; elle est cachée dans la farine et se trouve tout à coup découverte, comme Peau d'Âne, cachée sous son manteau et sous la suie qui couvre ses joues, se révèle dans la splendeur de sa robe blanche lorsque glisse la peau d'âne, au moment de l'essai de la bague. La quenouille de verre est un symbole de la virginité parce qu'elle se brise d'un seul coup et de manière irréversible. Il existe aussi des symboles perceptifs, que la psychanalyse a étudiés, mais ceux du merveilleux existent selon la dimension des modes du devenir anticipateur, anté-perceptif qui impliquent des catégories d'action, non de perception. L'accès au merveilleux peut parfois se nuancer de surnaturel, quand la métamorphose des objets est une métamorphose demandant le concours d'un pouvoir surnaturel ; il s'opère en ce cas une conversion de I'objet devenant, de figuration, réalité, ou de cadavre, être vivant. Un tel changement de nature prolonge et amplifie le mouvement des sentiments humains, qui apparaissent alors comme un appel à un pouvoir surnaturel pour qu'il réalise ce que l'être humain peut seulement appeler de ses væux et attendre. C'est le miracle qui vient après l'attente extrême. Il en est ainsi dans la légende o De l'Enfant qu une femme tendit à h Vierge Marie, pour I'amour du sien qu'elle auait perdu o. Ici, le plus fort des sentiments humains, I'amour maternel, franchit la barrière de la sacralité et appelle un miracle. On peut évoquer encore LAnnonce faite à Marie de Claudel, otr l'enfant de Mara, mort et déjà froid, reprend vie en se métamorphosant au moment où Violaine l'allaite ; ici, le miracle
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'4 est muldple, car il est aussi la métamorphose de la jeune fille, lépreuse, solitaire et délaissée, en mère qui allaite son enfanr, et en épouse spirituelle de Pierre de craon, qu'elle a fidèlement aimé. plus simplemenr mais aussi plus généralemenr, des légendes supposent la présènce du surnaturel dans les métamorphoses qu'on pourrait nommer amplifiantes : là où il n'y avair rien, quelque chose se manifeste, ce qui éiait desséché reverdit, i. cadarrr. laisr. pi".e au vivanr ressuscité ; ainsi, le Chevalier au barillet, qui n'avait pu puiser une seule gourre d'eau dans son baril, sent son cæur se fendre et pleure au souvenir de ses fautes passées ; une larme tombe sur la bonde ouverte du baril, et aussitôt cette larme se multiplie et bouillonne ; le baril déborde et donne naissance à un ruisseau d'eau vive; après Pénia, Poros, venant de I'excès même de Pénia. Telles sonr aussi les légendes hagiographiques où les Bâtons de pèlerin' secs et noueux, jettent racines, feuilles .t fl.,rrr, redevenant des arbres vivants. Dans la métamorphose, la présence du surnaturel permet à l'irréversible d'être délié de son irréversibilité, et à ce qui n'a plur de vie de la rerrouver. Le saint est celui qui renverse le cours dé I'irréversible, grâce à lui, I'irrémédiable n'exisre plus : saint Nicolas, arrivant un soir chez le boucher qui a tué trois petits enfanrs, pose la main sur le bord du saloir où ils reposenr, et les enfants reviennent à la vie. Grâce au surnaturel, regret et remords peuvent se transmuer en repentir, parce qu'il existe à nouveau ce sens de I'ouverture et cette dimetrrion illimitée d'avenir selon laquelle aucune action particulière ne peur créer un irrémissible n jamais plus ,. En ce sens, I'image cohérenie du possible comme anticipation pensée selon I'avenir et la crainte intervient dans ce que I'on nommait en philosophie u la vie morale r, er I'on peur se demander si elle ne joue pas un rôle aussi essentiel que celui q.ri e,e " accordé à l'obligation. Bergson a ressenri profondémenr cerre nécessité d'ouverture pour la vie morale, et il l'a liée à I'intuition du mouvemenr, alors que l'obligation se ratrache àla uis a tergl, à la force déterminante et nécessitante selon I'ordre des causes qu'exerce sur le sujet la pression sociale. Quand le devenir n'esr pas conçu comme amplificateur (soit par I'intervention de la grâce, pouvoir amplifiant du surnaturel, soit p"i l. mouvement de la vie et de l'évolution créatrice), l'image de I'avenir comme destinée individuelle ou collecdve rencorrrr. d., limites et éprouve une cerraine fermeture ; elle peut être jugée et se rrouve prédéterminable, comme les vies que choisissent les âmes dans le mythe platonicien, au moment où le héraut a annoncé que n le Dieu dégagi sa responsabilité , ; c'est alors en fonction des seuls désirs et des reul.,
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" souffrances éprouvées au cours de la vie antérieure que la plupart des âmes se réincarnent dans un corps de lutteur, de ryran, ou de Paon. Ces images de l'avenir, précisément Parce que le Dieu dégage sa responsabilité, ne comportent pas d'élément créateur ; elles sont seulement le contre-type de situations réellement éProuvées ou perçues. L'image elle-même de la cité idéale est pleinement déterminée et limitée, dans une conception ryclique du temPs qui revient sur lui-même au bout de la Grande Année. Le recours au merveilleux, au surnaturel, n'est pas la seule voie qui permette à l'anticipation imaginaire de l'avenir d'exercer son pouvoir amplifiant, facteur de réalité dans le temps projeté. Il existe aussi dans I'individu humain des forces productives qui, plus modestement, Peuvent construire un monde réservé où s'exerce et se concrétise le schème moteur: c'est le travail de l'amateur, c'est-à-dire de I'homme qui agit par amour de ce qu'il fait. Le postulat initial de I'amateurisme est une relative dichotomie qui isole du temps et du lieu de I'obligation collective le théâtre et I'objet de la passion constructive. Parfois cependant, les amorces du monde imaginaire se trouvent dans les moments de moindre tension de l'activité obligatoire et collective ; le facteur Cheval, qui a construit pendant de longues années le palais idéal à Hauterives, découvrait au cours de sa tournée les pierres aux formes singulières qu'il organisait en ensembles fantastiques ; si elles étaient assez légères, ces pierres étaient ramassées aussitôt ; les plus lourdes étaient prises plus tard et ûansportées au moyen d'une brouette. Cet homme, travaillant seul pendant de longues années, a donné corps, selon son récit, à un rêve qu'il avait eu. Parmi les formes ainsi créées, plusieurs (en particulier celles des grandes statues) appartiennent à la catégorie de o l'imagination reproductrice n ; elles s'inspirent des temples du Cambodge, que Cheval avait vus pendant son service militaire ; mais d'autres, surtout les arrangements non-figuratifs de pierres, expriment véritablement ce pouvoir amplifiant, proliftrant, du geste de construire qui se diversifie en allant de I'avant, dirigé seulement par I'intuition primordiale d'une ligne, d'un thème moteur. Les Surréalistes ont accordé beaucoup d'importance à cette manifestation de I'imagination humaine qui s'exerce en dehors des voies de I'imitation. Un film intitulé Violons dTngres présente le palais idéal, avec d'autres exemples des produits de ce même genre d'activité chez d'autres amateurs. Le développement du bricolage dans les sociétés industrielles contemporaines ne correspond pas seulement à certaines nécessités socio-économiques (raréfaction des serviteurs, coirt élevé des réparations
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'6 et de I'entretien des principaux objers d'usage) et à I'utilisation d'un équipement complexe dans un habitat décentralisé ; le bricolage apparaît aussi comme l'organisation d'une disponibilité opératoire permanente d'outils et de matières ouvrables, en régime de loisir et de liberté, pour I'individu ; c'esr la réinstallation d'un artisanat d'honneur, désintéressé, dans le cadre du loisir laissé par les occupations de la société industrielle ; I'atelier privé restitue la dimension à. production locale indépendante de l'économie domaniale et manoriale; grâce à lui, I'ouvrier, le salarié, l'employé, le fonctionnaire, retrouvent l'accès immédiat à des instrumenrs de producrion, er ils deviennent maîtres de I'ensemble de l'æuvre, depuis la première ébauche selon I'intuition de l'image jusqu'à l'achèvemenr concrer de la réalisation. L'imagination comme anticipation n'esr plus ainsi une fonction qui détache de la réaliré et se déploie dans I'irréel ou le fictif ; elle amorce une activité effective de réalisation, parce que le sujet qui projette I'image est le propriétaire des instrumenrs de production et le détenteur de la matière ouvrable nécessaire. La modalité de l'imaginaire est celle du potentiel ; elle ne devient celle de I'irréel que si I'individu est privé de faccès aux conditions de réalisation. En analysant de près les caractères de l'équipement destiné aux bricoleurs, on retrouve cette préoccupation de la disponibilité de l'opérarion fabricatrice par rapport à l'intention imaginante, poussée parfois jusqu'à un excès non-fonctionnel ; les machines destinées aux amateurs se présentent volontairement et systématiquement comme parfaitemenr convertibles, adaptables à toutes les tâches, à tous les matériaux, pouvant être alimentées avec toute espèce de courant électrique... En fait, la flexibilité esr souvent plus apparente que réelle, et I'impression de liberté peut n'être qu'apparenre, ou compensée par une grande perte de remps quand il faut changer, d'une tâche à I'aurre, les montages et combinaisons d'outillage ; de tels équipements paraissent avoir été pensés selon le sentiment de la liberté illimitée d'un usage virtuel (donc selon la logique du projet, dans une perspective d'arr.ni, pur), plutôt que selon la préoccupation d'un usage fonctionnel. Ces machines à tout faire réservent abstraitemenr une parfaite liberté selon I'anticipation à long rerme, mais elles exigent ensuite la non-simultanéité des différentes opérations d'usage, ce qui nuit à l'anticipation à court terme et à I'adaptation dans le présent qui caractérise l'organisation intra-perceptive des tâches d'exécution. La rhétorique de la virtualité est l'indice d'anticipation imaginaire caractérisant I'activité de bricolage, née partiellement comme un mode de compensation de la régularité contraignante, du manque d'autonomie, et du caractère par,
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cellaire des tâches de la vie courante, dans un n travail en miettes ,, selon I'expression de Friedmann. On peut noter l'importance du développement de ce genre d'activité dans utte société comme celle des Ét"tsUnis, à niveau économique élevé, avec une participation importante des Classes aisées, sans rapport direct avec le o travail noip des classes laborieuses, vestige des emplois de "factotttm>>, où il y a indépendance de la conception et de la réalisation, le factotum devant à tout instant répondre, selon le hasard des urgences, à des demandes imprévisibles non préparées par un projet. En résumé, on peut dire que I'image, comme anticipation motrice, cc déploie selon diftrents contextes culturels en apportant une métamorphose amplifiante de I'objet, soit par l'identification à un monde imaginaire oir d'autres agissent à la place du sujet, dans un décor où se multiplie la splendeur du réel, soit par le recours au merveilleux ou au surnaturel, soit enfin par une action véritable sur une matière ouvrable en situation de loisir ; mais, dans tous les cas, I'effet de I'anticipation comme image a priori est une prolifération amplifiante à partir d'une origine unique située dans le sujet ; cette proliferation multiplie dans l'avenir les voies et les formes ; elle est I'analogue d'une croissance, d'une maturation, d'un développement comportant differenciation et supplément d'être ; elle opère vers I'avenir la projection amplifiante des potentidités du présent du sujet.
C. L,TNTUITION COMME IMAGE A PRIORI PURE, PRINCIPE DE CONNAISSANCE NÉ,PTBXTVB r. rn, scHÈME DE I-a pRoJEcrIoN DANs LE PI-AToNIsME; nôrs pn L'INTUITION
L'intuition de la projection amplifiante à partir des potentialités actuelles peut servir de base à une opération réflexive par laquelle le sujet
s'installe dans I'unicité du mouvement-source pour accomPagner intuitivement la différenciation dans le multiple et dans le devenir successif de cette intention ou force initiale. Une telle vision est, partiellement au moins, initiatique ou mystique, même si elle emploie comme relais le pouvoir de structures conceptuelles. Comme principe d'une pensée philosophique, I'image a priori est idée, non pas concept; elle est même plus purement inconditionnelle et plus parfaitement unique que les
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'8 idées ; les idées, multiples sous un cerrain aspecr, jouent dans la projection amplifiante un rôle qui n'esr pas celui de la source de la projection ; derrière les idées, comme origine première de la projecrion, existe, audelà de I'essence et de I'exisrence, la source une de toute projection, analogue au soleil qui, dans le monde des sensibles, éclairant les objets,
leur permet de porter ombre, ce qui les amplifie, les multiplie, mais aussi les dégrade.
Dans la doctrine platonicienne, l'excellence er la supériorité du Bien par rapport au multiple et au devenir ne pourraient se comprendre sans un postulat essentiel : le Bien esr source de l'intelligibilité et de la participation dans le monde des intelligibles; il est le Soleil du monde intelligible ; il éclaire les idées-archérypes ; l'exisrence esr une projection des essences, directe dans le monde des intelligibles, démiurgique lorsqu'on passe des intelligibles aux sensibles ; la connaissance fait à I'envers le chemin suivi par la projection ou par I'imitation démiurgique. C'esr ce qui donne sa portée au mFthe de la caverne, à partir des ombres et des reflets du monde de génésis et pbtora, c'est-à-dire à partir des images les plus multipliées et les plus inconsistanres de la projection, il est possible, à qui se retourne d'un effort violent, de voir les modèles euxmêmes et la source de la projection ; cerre méthode de conversion, employée analogiquement à partir du paradigme des sensibles, peur encore s'appliquer au cheminemenr de la connaissance dans le monde intelligible, ce qui permet, par étapes successives de purification et d'initiation, d'arriver au terme de l'une des dialectiques dans le vestibule du Bien. La connaissance remonte en sens inverse de cette projection par degrés successifs qui donne l'existence sensoriellement perceptible. Il peut paraître paradoxal de considérer la théorie platonicienne de la participation comme exprimant une image primordiale de mouvemenr pur, puisqu'elle apparaît avant tour comme un exemple de théorie contemplative. Cependant, il faut saisir cerre théorie de la connaissance à partir de I'expérience de la dégradation progressive d'un modèle original (archérype) à travers les diftrentes images, plus ou moins éloignées, qui peuvent le représenrer, et qui deviennent d'aurant plus imprécises qu'elles sont plus éloignées de la réalité première, comme les copies de copies, ou les reflets de reflets. Dans la projection d'ombres (thaumaturgie), I'ombre est d'autant plus grande qu'elle est éloignée du modèle portant ombre, mais elle devient aussi plus floue, parce que la projection à partir d'une source de lumière se fait selon le principe des triangles proportionnels ; les Anciens ne connaissaient pas les sysrèmes d'optique qui permettent d'obtenir la ponctualité ; ils ne connaissaienr pas non
plus de source de lumière assez petite Pour Pouvoir être traitée comme un point géométrique, ce qui aurait rendu la netteté indépendante du npport d'agrandissement. La relation de modèle à copie est la base de la participation ; cette relation est assimilable à celle de l'être Par raPPort ru devenir, de l'Un par rapport au multiple, et finalement de I'essence per rapport à I'existence dans le sensible. Sensible, imprécis, multiple, se trouvent du côté de la copie alors que le modèle possède I'unité de l'unicité et la perfection de I'essence intelligible ; le passage de I'essence intclligible parfaite à l'existence selon la génération et la corruption est lndogue, comme copie démiurgique, à la projection qui dégrade et éloigne. La dialectique philosophique, qui remonte vers les intelligibles, pcrmet d'assister à la démiurgie qui projette les existences comme si un Spectateur, au lieu de rester entre les thaumaturges et l'écran, les yeux tournés vers le mur oir se portent les ombres, venait se placer entre la tource de lumière et l'estrade où les thaumaturges brandissent les cilhouettes qui portent ombre. Le savoir philosophique est un regard qui accompagne la projection en train de se faire, la démiurgie en train de s'accomplir, en étant non plus parmi les copies et dans les existences en devenir, mais tout près de la source même d'où partent les rayons en lcur unité. La contemplation philosophique n'est pas une participation à I'activité démiurgique, mais elle est I'intuition du mouvement des rayons qui projettent ; elle installe donc bien I'esprit, comme il est dit du Bien, au-delà de l'essence et de l'existence, c'est-à-dire à la source, bien avant les ombres portées (existences) et même avant les modèles (essences). Dans I'illuminisme, le regard contemplatif va dans le sens des rayons qui projettent l'existence ; le sujet du regard coïncide avec I'unité de la source d'où ils émanent. L'initiation philosophique la plus haute n'est donc pas seulement une connaissance des modèles (Idées) mais un mode d'être qui fait coïncider le philosophe avec la source absolue des formes et des existences ; c'est bien l'intuition de l'anticipation à l'état pur qui est cherchée dans cette remontée au principe le plus inconditionnel, à l'a priori le plus complet et le plus radical, le plus antérieur à tout mode d'être. Ce n'est pas le mouvement, mais I'intuition de toute projection vers I'existence et le multiple.
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IMAGINATION ET INVENTION
2. PROCESSION ET CONVERSION
une seconde voie est possible dans l'usage de I'intuition d'anticipation : celle que Plotin emploie pour monter vers I'Un, supérieur à toutes les hypostases ; la contemplation, préparée par I'exercice (lectures des textes, conversation), se fait dans le recueillement et le silence ; après la contemplation, qui est comme une extase, I'esprit exprime ce qu'il a vu en paroles et en discours. Plotin compare la contemplation au moment oir les géomètres, après avoir cherché, voient ; après avoir vu, les géomètres écrivent, tracent la figure de la solution. Autrement dit, la contemplation révélatrice est le point de départ du discours, de I'explication, du geste de communication. La connaissance est une conversion qui amène au point où il est possible de saisir la procession qui organise les existences à partir de l'Un. Dans cette doctrine encore, l'intuition donne la connaissance parce qu'elle s'efFectue au terme d'une remontée qui permet de
retrouver une anticipation absolue, et de saisir le monde selon la procession, dans un état qui est un complet a priori par rapport à tout déploiement de l'expérience sensorielle et de I'existence temporelle.
3.
INTUITIoN DU MoLTvANT ET coNNAIssANcE DE t'ÉvoturIoN cnfurnrcp
Une intuition pure du mouvant permet, selon Bergson, de saisir en sa nature profonde la vie sans l'obstacle des concepts, qui ont un rôle pragmatique et utilitaire mais pluralisent et immobilisent le réel ; la pensée logique et conceptuelle correspond à une connaissance de ce qui e$ partes extra partes, selon l'ordre du quantitatif et du statique. Par un violent effort de torsion sur soi-même, le philosophe peut se détacher des habitudes du langage et des servitudes mécanisées de la pensée conceptuelle pour saisir par intuition les continuités qualitatives et dynamiques du moi profond, qui est liberté et unité. On trouve, en ce sens, chez Bergson, une âttitude dualiste qui reflète assez bien celles de Platon et de Plotin. Mais ce n'est pas toute l'existence, toute la temporalité, qui se trouvent rejetées au profit de la source unique connue par intuition et participation. Ce qui, chez Bergson, est l'équivalent de la participation et de la procession n'est plus une dégradation obligeant le philosophe à s'attacher à la contemplation de I'unité en son origine ; I'unité du jaillissement primordial se conserve dans la continuité du mouvement de la vie qui va se diversifiant à travers la matière ; la matière elle-même est comme un mouvement qui se défait ; l'intuition du
CoNTENU MoTEUR DES IMAGEs 6t
mouvant n'est plus contrainte de s'absorber dans la pure anticipation du geste créateLû a priori; quittant la source, elle accompagne le fleuve à trevers son cours, suit l'évolution dans son développement, car l'élan Vital est un perpétuel a priori, il reste source à travers l'existence; la Création n'est pas localisée à l'origine, elle reste présente à travers les étapes du devenir, car I'intuition permet de saisir l'évolution comme créatrice. fæs automatismes et les aspects de fermeture s'ordonnent selon ce mouvement unique qui les dépose au cours de sa marche : instincts et Sociétés closes sont comme les eaux qui tournent en rond pendant que lc front d'eau du fleuve poursuit sa marche. L'origine est toujours présente, le mouvement n'éloigne Pas de l'origine, il n'est jamais isolé de son passé, car il n'y a pas de dégradation. Selon une telle doctrine, I'intuition est une participation au mouvement créateur de l'évolution ; la connaissance est rendue possible Parce que le sujet est dépositaire de l'élan vital : il retrouve en lui ce qui existe au dehors ; ce qui est en lui n'est pas autre chose que l'élan originel qui maintenant se prolonge à travers le sujet, comme une phrase unique que l'on aurait commencée depuis longtemps, et qui, toute couPée d'incises, serait pourtant toujours la même en train de durer. À n'importe quelle étape de son développement, le mouvement est toujours inchoatif ; on pourrait dire que le mouvant est une perpétuelle origine qui se prolonge, une Permanente anticipation de lui-même. Aussi bien, I'image, en ce cas, n'est pas simple métaphore ; l'intuition n'est pas, non plus, pure subjectivité ; le sujet, découvrant la manière dont il particiPe, prolonge et continue sa Participarion ; il continue l'évolution, il anticipe. Teilhard de Chardin a ajouté à la dimension individuelle ou personnelle de cette participation à un devenir créateur celle du collectif, car l'aboutissement à l'épanouissement de la personne lui paraît une limite arbitraire, reflétant un certain aspect de la civilisation. Les doctrines philosophiques de I'intuition diftrent selon les époques si I'on s'attache aux idéaux normatifs : celle de Platon propose des ,irr.r.t,rr., fixes que la projection amplifiante a seulement pour rôle de multiplier et de faire exister ; celle de Plotin invite à l'extase dans la saisie mystique de I'lJn, au principe de la procession ; la conversion n'est pas nécessairement suivie d'une redescente vers l'existence temporelle, comme chez Platon qui veut faire du philosophe le magistrat d'une cité aux lois fixes, images des nombres ; au contraire, Bergson et plus encore Teilhard de Chardin font de I'intuition le point de départ d'une participation réelle au devenir de la vie à travers I'humanité. Mais Pourtant' le caractère primordial du contenu moteur en toute image d'anticipation a
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
priori, malgré la fixité des archérypes, était latent chez Platon ; la philosophie est aussi une connaissance des mixtes, de la dyade indéfinie, de la génésis eis ousian, selon la métrétique philosophique des idées-nombres. Aussi, cette doctrine philosophique riche en images a priori a-t-elle pu devenir très naturellement l'inspiratrice de la plus haute école de philosophie politique du monde antique, et le modèle des plus audacieux des réformateurs. Les images a priori sont ftcondes, même et surtout lorsqu'elles se réinsèrent dans le monde comme des anticipations à long terme, après la longue route tèn mahran hodon de la pensée philosophique.
DEI.IXIÈME PARTIE
CONTENU COGNITIF DES IMAGES IMAGE ET PERCEPTION
A. DONNÉES BIOLOGIQUES SUR LES FONCTTONS
PERCEPTTVES
r. cerÉconrEs BIoLocIeuEs IRIMAIRES ET cATÉcoRIEs PsYcHIQUES sEcoNDAIREs. nôrn DU MILIEU oRcANIsÉ EN TERRIToIRE
On peut considérer comme biologique la relation au milieu qui s'efFectue selon les catégories primaires de valence et de signification ; la première prise d'information que l'être vivant doit effectuer est celle qui
permet de répondre à des questions telles que o s'agit-il d'un prédateur, d'une proie, d'un partenaire sexuel, d'un jeune de la même espèce... ? o. À chacune de ces catégories de situation corresPond une mobilisation définie du système d'action de I'organisme, donnant l'adaptation globale à une situation ainsi qualifiée ; ici, I'objet n'est Pas encore identifié en tant qu'individuel, reconnu comme étant cet objet-ci, déjà saisi dans I'expérience ; la catégorie informationnelle du biologique est celle de la première adaptation dans un milieu qui n'est Pas encore organisé, reconnu et classé, oùr par conséquent n'importe quoi peut apparaître n'importe oir et n'importe quand ; c'est l'état d'alerte et de vigilance qu'un être vivant est obligé de conserver hors de son territoire-
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
Dans le territoire, c'est-à-dire dans un monde où il n'y a plus de nouveauté selon les carégori€s vitales de I'attaque, de la défense, etc., l'être vivant peut déployer une activiré proprement psychique, c'esr-àdire postérieure à I'identification de I'objet après ce premier dégrossissage qu'est le classement selon les catégories vitales. Il ne s'agit pas d'opposer I'animal à I'homme, mais de situer la fréquence des conduites de rype biologique ou psychique; or, plus I'organisation du milieu est poussée, plus aussi la nécessité préalable d'efFectuer, dans les occurrences de signaux, le dégrossissage préalable selon les catégories primitives est réduit ; après un très court repérage catégoriel, le champ est libre pour I'activité psychique, car il n'y a pas de doute sur la classe de l'objet. Quand le système nerveux est moins développé, quand les possibilités de concentration plurisensorielle de l'information sont plus faibles, I'activité d'organisation primitive prend plus de place ; à la limite, on peut supposer que les animaux ne peuvenr avoir d'activité propremenr psychique qu'à I'intérieur de leur territoire, er que ce territoire est d'autant moins vaste et fortement organisé que I'animal a moins de capacités perceptives et de possibilités d'intégration. Ceci a pour conséquence, en particulier, que les résolutions de problèmes impliquant une imagination inventive comme celle que I'homme déploie (détour, instruments) réussissent beaucoup mieux lorsqu'un animal se rrouve dans son territoire que lorsqu'il est dans une situation oùr il n'a pas pu organiser le milieu. On a noté, en particulier, que le Jaguar, capable de grands détours compliqués quand il chasse, se monrre d'une grande inertie quand on lui propose en captivité un problème qui se résoudrait aisément par un détour simple. C'est que, dans ce monde nouveau et inorganisé, il vit selon un régime biologique de perceptions, s'attendant à trouver des ennemis ou des proies, ou encore des partenaires, mais il ne voit pas les choses comme des objets permertanr des conduites intelligentes. L'homme, d'ailleurs, agit de même, et ce que I'on nommait jadis régression peut parfaitement se comprendre comme une mise en æuvre de catégories perceptives de type biologique, par suite de la nouveauté ou du caractère émouvant de la situation. Toute situation entièrement nouvelle, toute rupture intense dans une situation normale, constituent une occasion de repriseà.2éro de la classification perceptive, qui commence par le dégrossissage selon les valences primaires.
2. L'IMAGE coMME ANTrcrpATroN rvuÉoIATE DANS I'IDENTIFICITIoN
Dn
r'oB;nr.
IMAGE ET coNcEPT
Les éthologistes ont défini avec précision, au moyen d'expériences et d'observations, des conduites de rype percepdf primaire où la prise de position par rapport au milieu ne peut attendre que l'information soit complète ; il faut parler, c'est-à-dire commencer à agir, prendre une attitude active et se rapprocher, ce qui est une véritable conjecture opératoire sur la nature possible de l'objet comme appartenant à I'une des catégories auxquelles s'applique le système d'action de l'individu. Ainsi, le Philanthe qui chasse les Abeilles domestiques n'a pas assez de capacité de synthèse sensorielle et d'intégration de l'information prise à distance pour masser toute la prise d'information avant de commencer à se jeter sur sa proie ; s'il attendait d'avoir réuni assez d'information pour attaquer à coup sfir, il manquerait toutes les occasions. Ici, la conduite est perceptivo-motrice en ce sens qu'elle est faite de vagues successives de prises d'information et de réactions motrices qui modifient le rapport entre l'organisme et le milieu, rapprochant le Philanthe de I'Abeille et lui permettant de mettre en æuvre un sens diftrent du précédent. Chaque vague de données sensorielles est le " releaser o (déclencheur) d'une réaction définie qui permet de recevoir une nouvelle vague d'informations fournies par un autre s.nr. À la fin de I'action, autant d'informations sont recueillies pour identifier I'objet que si la synthèse sensorielle avait été possible à partir de la position primitive d'observation, mais avec cette conduite perceptivo-motrice progressive, il n'est pas possible d'éviter I'erreur, car l'insuffisance de I'information unisensorielle des premières étapes, de la première surtout, laisse de grandes chances d'erreur, par exemple 9 sur ro. Ces conduites sont cependant possibles et fëcondes selon leur logique d'erreurs et d'essais de plus en plus engagés, en fonction des erreurs évitées, parce que les premiers essais engagent relativement peu d'activité et sont parfaitement réversibles ; se rapprocher pour rien d'une proie possible, se cacher pour rien dans son terrier à la moindre alerte, ce sont des conduites qui se défont aussi rapidement qu'elles s'accomplissent, à la diffërence des actions consommatoires intervenant en fin d'opération, au contact direct de I'objet, après la perception massée ou après les étapes successives de conduite d'approche. Or, dans les conduites perceptivo-motrices progressives, le rôle des images intra-perceptives est primordial : comme la perception n'est donnée qu'en fin d'activité, au moment de la consommation, chaque étape qui précède se fonde sur une ébauche de perception qui est préci-
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
sément I'image ; l'image est I'anticipation de l'objet à rravers des caractères potentiels plus riches que la saisie de I'objet identifié ; I'objet volant qui déclenche I'approche du Philanthe peut être Abeille domestique, Bourdon, Abeille sauvage... C'est une classe entière qui déclenche la poursuite ; ultérieurement, les apports des autres sens viendront réduire cette anticipation riche de possibles, supposant la compatibilité primordiale nécessaire pour qu'une attitude effective de réponse soit amorcée et permette de continuer I'approche. Dans le cas de I'homme, il est possible de donner des exemples de ces images supposant une vaste compossibilité et amenant une attitude définie; quelque chose de terrible, ou de menaçant, avant que I'on ait vu ce que c'est, comporte une vaste compossibilité et amène une attitude, soit de fuite, soit de défense, soit de prise d'information prudente et détournée. L'impression qu'il se passe quelque chose, qu'un évènement important vient d'arriver est la plus riche de toutes, bien qu'elle ne comporte aucune précision informationnelle. Cet intérêt du nouveau arnenant un haut niveau de vigilance peut ensuite se diversifier selon des catégories définies : arrivée de personnes amicales ou hostiles, bonne ou mauvaise nouvelle, surgissement d'une obligation... ; par vagues successives, la situation se referme sur I'identification d'un objet, avec laquelle commence I'activité proprement psychique. Un rassemblement autour d'un accident, une émeute, la bousculade de gens qui fuient sont d'abord perçus de manière primitive, même par I'homme, quand le sujet esr dans une situation où les données sensorielles arrivent de manière nouvelle et imprévue. Les images apparaissent ainsi, sous forme d'anticipations perceptives de potentialités, comme plus générales que les objets individuels. Faut-il les considérer comme analogues aux concepts, et comme base des concepts ? Elles sont diftrentes des concepts en ce qu'elles sont des a priori permettant I'insertion de l'être vivant dans son milieu, non pas les résultats d'une expérience inductive, donc des constructions a posteriori résumant I'expérience. Mais on peut les considérer comme la base de certains concepts qui sont en fait des images enrichies et précisées par I'expérience, parfois en une seule fois (Prligung). En fait, ces catégories u priori de la perception sont une des bases des associations et évocations spontanées qui interviennent après la perception ; elles prolongent les images d'anticipation à long terme et s'insèrent dans la relation au milieu même si les motivations sont moins fortes que celles qui permettent aux images complètement pré-perceptives de s'exprimer. Les images de classes sont gestaltisées, comme I'ont montré les expériences
de l'école éthologique sur la perception du prédateur par les Oiseaux de basse-cour; pour que la réaction d'alarme intervienne, il faut non seulement que le leurre présente le stimulus ( cou court >, mais encore que le bec soit situé en avant, dans le sens du déplacement ; il y a donc liaison a priori, dans cette configuration, de la forme et du mouvement. Dans d'autres configurations, il y a liaison a priori de la couleur et du pattern, de mouvement, par exemple dans les réactions de poursuite so
3. CenecrÈREs PARTTCULTERS DES IMAGES DANS LES PERCEPTIONS
rNsrrNcrrvEs sELoN rns nspÈcrs. AspEcrs soclALrx
L'éthologie a mieux analysé les o releasers, dans les conduites animales que dans les conduites humaines, parce que les faits d'apprentissage jouent un rôle masquant dans les conduites humaines. Le type de figurations varie selon le sens dominant de chaque espèce ; pour les Oiseaux, il s'agit souvent de groupements de stimuli visuels, si précis que, sous forme de phanères, ils peuvent assurer l'évitement des croisements entre variétés de la même espèce (cas des plumes colorées et r. Le cours sur l'Instinct a paru dans le tome Psycbologie.
(N. D. É.)
XVIII ft964-r96) du Bulletin
de
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IMAGINATION ET INVENTION
arrangées en étendards que les Canards
ont sous les
ailes
; la cour du
mâle comporte des battements d'ailes qui montrent ces groupements de plumes) ; les chants, les mouvements, peuvent aussi jouer le rôle de stimuli-clefs du comportement ; prédateurs, proies, parents, correspondent, pour un très grand nombre d'espèces, à des images intra-perceptives. Tinbergen suppose que la même fonction existe chez I'homme, qui perçoit certaines allures et configurations ayant un sens pour les conduites instinctives. Ainsi, il existe une configuration caractéristique de l'enfant perçu par les parents (front bombé, menton effacé); cette image se retrouve dans les ersatz animaux permettant de combler un besoin de satisfactions instinctives ; une femme qui n'a pas d'enfant, quand elle adopte des animaux, choisit ceux qui ont les caractères de I'image de I'enfant ; les poupées, fabriquées par les adultes, sont des ersatz d'enfants ; l'enfant optimum, sélectionné pour les besoins de I'industrie du film (jadis Shirley Temple) incarne I'image qui est le n releaser o des conduites instinctives. Un Oiseau à long bec pointu n'appelle pas les sentiments maternels, tandis que le Moineau ou le Rouge-gorge sont traités maternellement. On peut noter aussi que l'industrie du film réalise parfois des groupements, des condensations de configurations perceptives (par exemple, I'image de la femme-enfant, ayant d'une part des caractères correspondant aux n releasers o sexuels, d'autre pan les traits de I'enfant). Ces condensations sont possibles parce que chaque image, étant seulement une configuration, un groupement de traits, et non un objet déterminé, ne pose nullement de principe du tiers exclu. Shirley Temple, en plus de son allure de bébé optimum, était sexualisée par des danses, des chants, des situations oùr elle était le partenaire d'adultes masculins. Brigitte Bardot, qui correspond à I'allure féminine optimum, est aussi, en certains de ses rôles, sinon I'enfant, tout au moins la o gamine o. Enfin, certaines circonstances collectives ont réalisé d'autres groupements, tels que celui du petit soldat, qui est à la fois l'enfant à protéger et le héros viril, le n poilu o. Les images biologiques correspondant aux conduites instinctives sont-elles constantes pour une même espèce à travers le temps ? C'est une question délicate, en particulier pour l'espèce humaine ; les n idoles schématiques o, rycladiques ou minoennes, manifestent une allure de la femme qui n'est pas conforme aux canons des sociétés européennes modernes. Les statuettes stéatopyges préhistoriques sont encore plus surprenantes ; on peut donc supposer que les images intervenant dans la perception sont ou bien soumises à évolution, ou bien assez indétermi-
nées
pour recevoir des formulations differentes quand elles intervien-
nent dans les formes d'art ou les représentations magiques et religieuses. Tinbergen estime enfin que les déclencheurs des conduites instinctives ne peuvent agir que dans une situation perceptive concrète ; Particulièrement, il existe une régulation des conduites qui intervient à trevers les changements de configuration que la situation concrète et complète comporte ; une luffe, si elle est stimulée au début par la vision de I'adversaire, est au contraire freinée dès que I'adversaire est vu à terre, blessé, sanglant ; la perception du sang versé inhibe très fortement I'agressivité ; elle correspond à une image instinctive. (Effectivement, on peut noter l'existence, au cours des combats entre animaux, d'attitudes de soumission ou d'abandon qui inhibent l'agressivité de l'adversaire, même avant toute blessure.) Tinbergen estime que les guerres contemporaines sont devenues très meurtrières non seulement à cause de I'augmentation du pouvoir des armes, mais aussi parce que les armes frappent au loin, sans qu'il soit possible d'avoir I'image des ennemis blessés ou morts ; la situation est devenue boiteuse, car la stimulation des conduites agressives se fait autant ou plus qu'avant par l'image de I'adversaire, tandis que le frein instinctif du déploiement de la conduite n'sxi51s plus. Parfois, les journalistes I'image du cadavre agressive ou photographes de guerre jouent le rôle de capteurs de I'image inhibitrice ; au moment de la guerre de Corée, les journaux du monde entier ont publié la photographie d'une petite coréenne de 4 ou 5 ans, pleurant sur le champ de bataille ses parents morts, toute seule au milieu d'un terrain chaotique. Le même fait s'est produit en France assez récemment lorsqu'une petite fille nommée Delphine a été victime d'un attentat terroriste. En fonction du développement de chaque individu, les images intraperceptives élémentaires apparaissent les unes après les autres, rendant possible la perception des réalités avec un sens défini ; c'est ce que l'on pourrait nommer la n conscience possible o de l'individu ; il ne s'agit pas ici d'un développement perceptif ou intellectuel global, mais de la capacité de saisir perceptivement le sens d'une situation ; ainsi, un enfant, non encore éveillé sexuellement, pourra percwoir comme bataille la parade sexuelle des animaux. À la représentation d'une pièce de théâtre classique, un enfant perçoit mal les situations qui se rapPortent aux sentiments amoureux; ces scènes sont Pour lui sans structure, vides ; au contraire, une dispute comme celle du début du Cid, pour un modf d'injustice subie, est parfaitement saisie par un enfant jeune, parce que les situations de compétition correspondent à sa relation au milieu.
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IMAGINATION ET INVENTTON
La notion de conscience possible concerne bien la perception des situations selon un mode primitif pourtant, il est difficile d'en rendre compte à partir des notions de gestaltisation définies par l'éthologie, car elle implique un aspect collectif : à une certaine époque et dans une situation déterminée, un groupe défini est capable de saisir le sens de certaines situations, alors que d'autres situations n'ont pas de sens pour lui. Par exemple, au moment de la Révolution russe, les paysans ont saisi immédiatement le changement de propriété de la terre, mais non le fait que l'autorité politique n'était plus détenue par le Tsar ; la conscience possible agit comme un sélecteur d'informations incidentes, accueillant certains traits, refusant d'autres traits ; dans la genèse des mythes et Ia déformation des nouvelles, la propagation des rumeurs, la conscience possible joue un rôle de premier plan ; ainsi, le Christianisme a été vu à Rome comme une religion initiatique qui faisait des sacrifices humains de jeunes enfants, parce que cette conception correspondait à la représentâtion de cultes initiatiques réels dans certaines religions de pays éloignés ; la conscience possible est ici celle du ( nonRomain o, mêlant tout ce qui est exotique et barbare. Naturellement, puisqu'il s'agit de représentations conscientes et appartenant par un biais aux contenus culturels, on pourrait dire qu'il n'y a rien de biologique dans ces manières de percevoir. Pourtant, elles sont bien primaires, quoiqu'il s'agisse d'un primaire collectif ; elles se modifient selon les conditions collectives (sentiment du danger, pression dans le sens de I'uniformité) et constituent la base des régulations psychosociales ; la représentation de l'étranger, du déviant, est en fait une véritable perception ; le socius est perçu immédiatement, de façon aussi primaire et aussi gestaltisée que le partenaire ou le parent nourricier ; I'idée que le domaine des réalités sociales est celui des apprentissages tandis que les catégories directement biologiques selon les instincts seraient spontanées est très théorique. Sur le plan des phénomènes, il y a des images intraperceptives qui ont un sens pour les situations psychosociales ; elles ne sont pas moins spontanées et moins primaires que celles qui permettent l'adaptation primordiale aux situations de danger, de rapport aux parents ou aux jeunes ; le visage humain vu de face, en tant que familier ou inconnu, est sans doute une des premières perceptions gestaltisées de I'enfant ; la valence de familiarité ou d'étrangeté est impliquée dans la saisie perceptive comme celle du prédateur ou de la proie. Ceci laisse prévoir I'importance du caractère perceptif et primaire des stéréorypes (clichés) culturels, avec les réactions qui leur correspondent. L'Homme est zoon politikon.
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L'existence d'images constituant les catégories primitives de la perception, avant d'être affirmée de manière définitive et universelle, mériterait des recherches plus précises. En effet, il n'est guère douteux que des possibilités de qualifier d'emblée des groupements de stimuli selon les catégories instinctives existent chez de nombreuses espèces, surtout dans le registre de la sensibilité dominante de chaque espèce ; par exemple, chez le Vairon, il existe une substance, contenue dans le sang, qui se répand dans I'eau dès que I'un des individus du groupe de Vairons est blessé ; cette substance porte la terreur dans le groupe entier ; dès que les différents individus détectent sa présence dans I'eau, ils ont une réaction de fuite immédiate; il ne s'agit pas d'un dressage, d'un apprentissage. Le sens visuel étant dominant chez les Primates, des psychologues (en particulier ceux de l'É,cole de la Forme) ont tenté de ffouver des structures visuelles jouant ce rôle de signal d'derte ou possédant un pouvoir d'appel; un jeune Chimpanzé est effraÉ par une poupée dont les yeux sont faits de boutons de bottines ; ce serait une structure visuelle < pithécophobogène n ; mais Guiraud critique cette interprétation, affirmant que la poupée effraye le jeune singe parce qu'elle est nouvelle dans son expérience, inattendue ; selon Guiraud, les structures innées servant de base à la perception ne pourraient atteindre un pareil degré de sélectivité et de précision, si toutefois elles existent. Il est effectivement très difficile de dire quel est le degré de généralité (donc la richesse de potentialité en formes compossibles) que recèle une perception primaire. Y a-t-il une perception réellement primaire de I'effrayant, du dangereux, ou bien les deux seules catégories primaires sont-elles celles de la répulsion et de l'appel ? Mais la nouveauté est-elle répulsive ou attrayante ? Elle est répulsive comme danger possible, présence d'un prédateur éventuel, mais elle est aussi attrayante comme présence possible d'un objet quelconque qui peut être proie ou partenaire, il paraît donc assez malaisé d'affirmer que le nouveau est par lui-même répulsif ou attrayant ; le nouveau est une catégorie qui contient en elle toutes les possibilités de réactions ; la mobilisation préalable des réactions est l'état de vigilance exaltée ; cet état, après la première vague de prise d'information, pourra être aiguillé vers la mise en jeu du système d'action pour la fuite ou pour I'approche ; toutefois, cet état primaire absolu n'existe que lorsque I'arrivée d'information est trop faible pour que la dichotomisation en réactions de fuite ou d'approche soit possible I c'est fréquemment le cas pour le jeune, qui a des adaptations sensorielles imparfaites ; la réponse est alors la vigilance, la curiosité. Mais en certains cas les réactions orientées paraissent être imposées à l'organisme par la
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TMAGTNATTON ET rN'TENTrON
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structure du stimulus ayant un sens immédiat ; une Tourterelle ayant toujours vécu en cage réagit par la fuite à la présentation d'un Serpent, sans réaction préalable de vigilance ou de curiosité. De jeunes Singes ont des réactions d'effroi devant un être humain habillé de grands voiles noirs correspondant à l'image du fantôme. Dans ces conditions, il est difficile de dire si toute perception commence par des étapes très générales telles que la réaction à la nouveauté, pour se dédoubler ensuite selon un plan dichotomique en attitude de fuite ou d'approche, et continuer ainsi jusqu'à l'activité de consommmation-exécution, ou bien si certaines perceptions commencent d'emblée par la réception d'un signal déjà fortement orientant, sélectivement reçu sans apprentissage, et entraînant une réaction définie appropriée, comme dans un fonctionnement automatique. Il est probable que les deux modalités perceptives existent, avec une importance differente selon les espèces, et avec des conséquences diftrentes pour I'introduction d'apprentissages, car la réponse stéréotypée à un stimulus-clef manque de plasticité et d'adaptabilité, parce qu'elle n'est pas progressive. 4.
nôrr
DE L'IMAGE INTRA-pERcEprIvE DANS LEs
cHolx; vICTIMo-
LOGIE ET PSYCHOLOGIE DES PROFONDEURS
On pourrait dire, en résumé, que l'image, dans les perceptions primaires de rype progressif, comportant des dichotomies successives, joue un rôle de déclencheur d'attitudes et de sélecteur d'informations, mais non de déclencheur d'une activité de consommation ou d'exécution ; ceci expliquerait le caractère de large compatibilité des images, ne comportânt point de logique du tiers exclu : ce sont les principes d'une logique des classes comme système de compossibilité. Mais à côté de cette image de compossibilités en régime de perception progressive, il faut faire une place à des configurations spécifiques ayant un sens prédéterminé, et capables de déclencher directement une activité de consommation ou d'exécution, comme la vision d'un Serpent par un Oiseau. Cette fonction de déclencheur direct d'une réaction d'exécution est d'autant plus effacée que les conduites fondées sur l'apprentissage remplacent plus complètement les conduites instinctives autonomes ; cependant, la coexistence dans le même être vivant des deux emplois de I'image intra-perceptive (comme classe potentielle ou comme déclencheur) peut être l'occasion de changements du régime de corrélation entre perception et activité amenant, après une réception d'information
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ælon le régime progressif, un passage direct et abrupt à une activité d'cxécution ; une telle réaction a formellement les caractères d'une réaction instinctive (réponse directe et immédiate à un stimulus configurationnel), mais elle n'est pas une véritable réaction instinctive, car elle a commencé comme une perception de régime progressif et a dévié vers une réaction spontanée, comme si l'image des compossibilités avait été confondue avec un déclencheur spécifique. Certains faits de délinquance paraissent bien pouvoir être interprétés selon ce schéma du passage brusque à l'activité d'exécution, particulièrement dans les cas où la préméditation intervient peu ; par analogie avec l'étude des procédés d'orpression, on pourrait dire qu'il s'agit d'anacoluthes du comportemcnt; ainsi, voir une femme, comme première perception selon le régime progressif, c'est se diriger vers une identification progressive qui aboutit à la reconnaissance de la personne, ou tout au moins à une différenciation de type social et collectif (une jeune bourgeoise, une élégante, une employée...); les attitudes possibles (salut, indiftrence) apparaissent seulement comme conclusion de la perception progressive; au contraire, l'intervention d'une séquence de comportement instinctif, comme celui de cour, à partir de la simple perception de classe initiale, marque un saut brusque dans le régime de la perception, et n'est pas conforme aux normes collectives ; ce saut brusque est délictueux, et non pas seulement inconvenant, s'il franchit les étapes des séquences instinctives elles-mêmes, réversibles au début, et enchaîne directement l'activité consommatoire (tentative de viol). Les disputes et les coups sont de même type et marquent la bifurcation des séquences progressives de comportement vers des réactions instinctives. Mais ce schéma général de I'anacoluthe de comportement reste trop sommaire ; la bifurcation vers les activités brusques d'exécution n'est probablement pas complètement aléatoire; on ne peut pas en rendre compte en invoquant seulement I'impulsivité du sujet, son manque de contrôle des émotions. Il faut tenir compte aussi de la présence des stimuli configurationnels qui amorcent le court-circuit opératoire, et induisent, partiellement au moins, le comportement du sujet; autrement dit, les victimes sont en certains câs porteuses de n Patterns ) percepdfs qui stimulent telle ou telle catégorie de réactions instinctives, comme s'il y avait chez la victime un certain pouvoir d'appel des gestes délictueux. Selon Mendelssohn, de Jérusalem, c'est la sffucture du couple agresseur-victime qui explique les actes délictuetx, et non le délinquant seul ; cet auteur préconise des mesures de prévention et de cure s'adressant aux victimes, car les victimes possèdent un ( potentiel victi-
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TMAGTNATTON ET TNVENTTON
mal o qui stimule les agresseurs éventuels. Effectivement, il s'opère une certaine concentration de délits de même espèce sur certaines personnes (par exemple les tentatives de viol), ce qui permet de supposer que les victimes émettent une certaine information orientant les actes délictueux. Il faudrait cependant un supplément de recherches, avec une méthodologie rigoureuse, pour valider l'hypothèse de base de la victi mologie. Szondi, dans un ordre de recherches voisin, également conjectural, mais qui mérite d'être cité, a pensé que la perception permettait des choix correspondant à des pulsions très sélectives du sujet, pulsions qui prédisposent à telle ou telle catégorie d'actes (par exemple, tendance à étrangler) ; I'interprétation théorique de Szondi s'appuie sur la distinction des caractères dominants et des caractères récessifs ; elle aboutit, dans la pratique, à I'usage de tests de choix de photographies de differentes catégories de criminels ; la non-indifftrence à telle ou telle catégorie de photographies indiquerait sélectivement I'existence dans le sujet d'une pulsion capable d'orienter sélectivement vers une catégorie définie d'actes, en laissant toutefois la liberté des diverses sublimations socialement admises. La théorie de Szondi est contestée, mais elle présente formellement l'intérêt d'une hypothèse audacieuse qui attribue le déterminisme des choix personnels profonds à des perceptions complexes décelant chez les autres sujets des tendances qui ne s'expriment pas dans I'action quotidienne et courante ; cette hypothèse se comprend mieux si I'on admet une structure de la personnalité en couches et niveaux (psychologie des profondeurs) ; les tests projectifs de perception prennent un relief intense dans la perspective de la théorie des pulsions de Szondi.
B. ROLE DE L IMAGE INTRA.PERCEPTIVE DANS I-A D'INpoRMATIoN
PRTSE
Quand les perceptions de type instinctif n'ont pas lieu d'exister, par exemple quand la réception d'informations se fait dans un territoire où l'objet est identifié et où les domaines d'apparition de chaque catégorie de données se trouvent déjà classés et ordonnés, l'activité locale du sujet est avant tout différentielle, ce qui veut dire que le signal utile est I'indice de la diftrence entre ce que I'on sait déjà de I'objet (quiddité, formes, dimensions, couleurs) et ce qui est effectivement nouveau par
rapport à ce savoir. L'information n'est plus en ce cas relative à la classe ou à I'identité de l'objet, qui est le terme extrême de la prise d'information selon les classes et le passage à la saisie diftrentielle, qu'on peut nommer de niveau secondaire, proprement psychique. L'image intra-perceptive ,oue toujours le rôle du modèle, du < pattern, de plus grande généralité auquel est rapporté I'ensemble des signaux incidents ; mais, dans une perception de rype secondaire, la diftrence entre les données sensorielles et I'image est interprétée comme un état de l'objet ; I'image est le système de compossibilité des états ; I'information incidente intervient comme élément de décision dans cette compossibilité. Enfin, comme I'objet peut évoluer pendant la perception elle-même, I'activité locale permet la sélection d'une information relative à cette variation actuelle ; cette fonction peut être nommée dérivation. Il convient d'étudier successivement l'identification de I'objet, la prise d'information différentielle, enfin la dérivation ; ces trois activités sont de plus en plus fines et prolongent la prise d'information progressive du régime primaire. r. nôrn DE L'TMAGE INTRA-pERcEprrvE DANS L'IDENTIFICATIoN L'oB;ET. coNsrANcE pERcEpTIVE ET ADAPTATIoN
On nomme constance un effet général de la perception qui
DE
assure la les malgré faisceaux propriétés absolues comme des de saisie des objets rapports variables et changeants qu'ils entretiennent avec le sujet au cours de leurs déplacements et malgré les changements de conditions de milieu (éclairement, proximité d'autres objets, angle sous lequel I'objet est vu). Le principe de constance se décompose en plusieurs aspects particuliers, par exemple celui de la constance des formes ; un objet circulaire continue à être perçu comme circulaire même si le plan du cercle n'est pas perpendiculaire au rayon visuel ; cependant, la constance des formes a des limites ; quand le plan du cercle est presque parallèle aux rayons visuels, la constance peut être en défaut ; il existe une constance des couleurs, une constances des tailles, une constance des degrés de gris, etc. En chaque catégorie, la constance a des limites ; par exemple, la constance des couleurs se maintient malgré les changements de composition chromatique de l'éclairage, tant qu'il s'agit d'un spectre continu de radiations dans le visible, même si la température de couleur de la source varie dans de larges limites (de celle du Soleil, vers 6yoo" K, à celle de la flamme d'une bougie). Par contre, les couleurs sont altérées si la structure du spectre de radiations devient discontinue, comme c'est
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TMAGTNATTON ET INVENTION
le cas avec les sources électroluminescentes à vapeur de mercure. Très généralement, pour étudier la constance percePtive, on fait appel à la perception réduite, c'est-à-dire à une situation de l'objet où le champ dimensionnel (ou qualitatif) est limité; par exemple, la vision à travers une lunette de visée, qui découpe une petite plage sans entourage, permet de saisir un objet en vision réduite. L'activité PercePtive, relativement à la constance, est comparable à un calcul implicite rapide de l'échelon dimensionnel ou chromatique, donc de la situation sur un continuum, d'un objet connu. L'information reçue est comparée à ce < pattern, de situation sur un continuum ; c'est par raPPort à ce masque prédéterminé, actuellement anticipé, que les signaux incidents sont reçus et interprétés comme donnant connaissance d'une personne grande ou petite, en fonction de la distance et des objets qui I'entourent. Si les conditions imposent spontanément une percePdon réduite (par exemple lorsqu'une personne apparaît au sommet d'une falaise, sans objets de
dimension connue dans I'entourage immédiat), la perception de la taille reste aléatoire ; on ne saurait s'il s'agit d'un adulte ou d'un enfant, sans le rapport intrinsèque de la dimension de la tête par rapport à la dimension du corps. L'image, ici, est comme un objet virtuel dont I'apparition en tel ou tel lieu est anticipée à partir de I'entourage, anticipée sur le continuum de la taille, de la couleur, de la forme ; quand I'objet apparaît, c'est par rapport à ces images qu'il est saisi ; la réception est donc, déjà en ce cas, differentielle, comparative. S'il s'agit d'un unique objet qui se déplace, I'anticipation imaginaire des changements de ses dimensions et aspects permet, si les données perceptives cadrent avec ces anticipations, de saisir I'objet comme constant. La constance, impliquant activité d'anticipation, production d'images, contient réftrence à I'expérience, et n'est pas universelle ; il y a des univers de constance pour un objet déterminé, c'est-à-dire des rypes d'entourage permettant I'anticipation dimensionnelle et I'activité comparative. Entre deux univers de cette espèce, il peut exister une discontinuité d'ordre de grandeur provoquant, quand l'objet sort de son entourage habituel, une impression de non-constance (agrandissement, rapetissement, couleurs changées...). L'univers des toits n'est pas celui de I'intérieur des maisons; une poterie de cheminée, posée dans un escalier, paraît énorme, de taille nettement supérieure à celle des autres qui sont sur les massifs de cheminées ; c'est qu'il n'y a pas d'image des poteries de cheminées dans les maisons. Un isolateur de ligne téléphonique, posé sur une table, paraît beaucoup plus gros que sur le poteau ; un morceau de rail de chemin de fer, pris comme enclume dans un atelier,
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paraît plus gros que les rails fixés aux traverses. Inversement, des objets de maison, mis à I'extérieur, paraissent plus petits ; pendant la guerre, les maisons éventrées laissaient voir à la lumière du jour et à l'extérieur des meubles, des papiers peints : tout cela paraissait different de ce que l'on voit quand on pénètre dans un appartement, et très sale sous la lumière du soleil. La fonction perceptive de constance implique la mise en jeu d'une activité d'anticipation à court terme comParable à celle des servomécanismes et des prédicteurs qui assurent la poursuite des objets en pointage automatique ; elle comporte des postulats relatifs à un type déterminé d'objets, et pouvant être modifiés par l'éducation ; ainsi, pour presque tous les objets mobiles d'abord détectés par le son, la recherche visuelle est dirigée vers le point de I'espace où I'objet paraît émettre un son ; objet sonore et objet visuel sont supPosés être en coincidence spadale ; mais avec les avions rapides, cefte anticipation à court terme est déçue : visuellement l'avion est en avant du point d'oùr provient le son, pârce que le son qui arrive en ce moment-ci est celui qui a été émis par I'avion une ou deux secondes plus tôt; au bout de quelques essais, I'anticipation est réadaptée, quand on entend le son d'un avion à réaction au-dessus de la tête, on cherche à le voir plus loin ; I'image intra-perceptive de l'avion à réaction tient compte du décalage entre la localisation sonore et la localisation visuelle. La constance au sens habituel du terme est un cas Particulier de I'activité d'anticipation à court terme permettant I'identification de l'objet et la réception permanente des signaux permettant de le suivre; l'image supPose donc un code de ffansformation de l'objet, une formule de potentialité permettant de prévoir les transformations des signaux reçus en fonction de l'entourage et de l'action en cours. 2. L'TMAGE DANS LA pERcEprIoN plrpÉnnNTTELLE
Quand, par le jeu de la constance, les données sensorielles sont reçues de manière stable et normalisée, le schème de I'objet constituant son image en tant que système de compossibilités intrinsèques Permet la perception de l'état actuel comme une figure sur le fond des compossibles intrinsèques. Ainsi, un homme que I'on connaît, identifié malgré la distance, le mouvement, I'entourage, l'éclairement, apparaît secondairement comme fatigué, gai, tendu... La sensibilité à l'état demande une image perceptive riche et précise. Ce que I'on nomme u intuition ) ou o pressentiment )), comme celui d'une mère qui saisit avant le médecin que son enfant est malade, qu'il n couve quelque chose )' peut être attri-
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rMAcrNATroN ET nwENTroN
bué à la richesse de I'image de la compossibilité des états de I'enfant que seule la mère possède ; le médecin ne peut comparer cet enfant qu'à d'autres enfants du même âge, et l'image tirée inductivement de I'expérience d'autres enfants du même âge (il s'agit d'ailleurs plutôt d'un concept) ne peut pas être aussi bien adaptée à la perception diftrentielle que celle qui vient des différents états de cet enfant lui-même, organisée en système de n masques o, de clichés auxquels est comparée la manière d'être actuelle. Les personnes qui ont longtemps veillé un malade savent percevoir avec une grande finesse le moment où son état s'améliore ou bien, au contraire, se détériore ; c'est qu'elles ont pu former un schème interne qui permet de percevoir l'état actuel par rapport au modèle particulier du sujet. Cette dimension de l'individuel comme système de compossibilité d'un certain nombre d'états liés entre eux se trouve illustrée et mise en valeur par la méthode clinique d'observation, dont l'essence est de dwelopper chez I'observateur une représentation concrète du sujet, assez fine pour servir de base à une perception de l'état actuel dans la signification qu'il prend pour le sujet. Cette représentation concrète est une image. La perception difftrentielle des états de l'objet ne s'adresse d'ailleurs pas seulement à un être humain ; elle apparaît aussi dans les techniques et plus généralement dans I'intuition du connaisseur assez familiarisé avec une réalité organisée pour connaître concrètement la compossibilité de tous ses états ; cette perception déborde parfois sur l'état actuel, comme I'intuition de la mère devant son enfant qui commence à être malade ; un amateur de montagne est plus capable qu'un profane de percevoir l'état qui précède un orage, une chute de neige ; parfois même le pressentiment d'une avalanche peut précéder l'événement qui paraît aléatoire et imprévisible. Ce genre de perception de l'état demande une connaissance singulière du lieu en tous ses détails ; il faut que le lieu soit devenu un territoire, et non pas seulement un champ d'activité ; c'est pourquoi les animaux qui habitent un territoire défini sont souvent les premiers à percevoir un changement irréversible, un état alarmant ; avant l'éruption de la Montagne Pelée, on a vu les Serpents quitter en masse le lieu où allait se produire le cataclysme et aller se noyer dans la mer. Les réactions des Oiseaux ou des Insectes sont parfois utilisées pour prédire le temps par les personnes qui les ont longuement observées ; ces réactions sont appropriées à l'état perçu de I'ensemble de l'atmosphère, de I'humidité, de la lumière. Dans le cas de la perception différentielle, I'image qui sert de fond à la perception est comparable à celle qu'un berger a de son troupeau ;
il voit qu'il manque une ou plusieurs bêtes ; pourtant, il ne pourrait pas compter mentalement ses moutons au moyen de
sans compter,
l'image ; cette image ne joue son rôle que dans la perception, et c'est le décadrage entre I'image et les données de la percepdon qui apparaît avec netteté ; il n'y a pas de représentation indépendante de I'image comme réalité énumérable et manipulable. Par exemple, un cas souvent cité est celui de l'image des colonnes du Panthéon; l'image mentale ne permettrait pas de compter les colonnes, mais elle rendrait sensible un changement s'il était possible de modifier en une seule nuit le nombre des colonnes de cet édifice; un grand nombre d'images mentales, en particulier celles des voyants, présentent ce caractère de masque nondétaillable, non-manipulable, et par conséquent non-descriptible ; sans la présence de I'objet perçu, ces images restent des schèmes, des tendances qui donnent au sujet une impression définie, mais elles ne peuvent remplacer I'objet; en fait, elles sont un mode d'accueil de I'objet, une anticipation à court terme de ses états possibles, qui permet au sujet, après identification de I'objet, d'avoir une perception de son état. Le mot d'intuition est souvent employé quand la perception d'un état implique que le sujet tienne compte d'un grand nombre de données à la fois, sans se livrer à aucune opération discursive et à aucune exploretion ; c'est ce que Pascal nomme le cæur, répondant aux problèmes à résoudre qui comportent un très grand nombre de principes très subtils ; la disposition de difftrentes personnes dans une salle, la diversité de leurs conditions, la nécessité de les saluer sans froisser personne et sans oublier de saluer d'abord les personnages les plus importants, voilà des exemples d'application de I'esprit de finesse ; l'esprit de géométrie ne pourrait résoudre ces problèmes en un temps assez court, carla mise en équation de ces ordres préftrentiels interftrant avec une topologie complexe serait fort ardue. Mais en fait, il s'agit de la perception d'un état ; pour pouvoir résoudre le problème de l'esprit de finesse, il faut avoir une image assez précise de cette société pour qu'elle puisse être vue non comme une pluralité discrète de personnes, mais comme un véritable organisme dans telle ou telle attitude, contracté, étiré, étalé... Le mode opératoire découle naturellement de cette perception d'état ; l'esprit de finesse habite celui qui possède déjà une image de l'organisme qu'il aborde. Le bon président de séance perçoit l'état de I'assemblée comme on saisit les attitudes successives d'une bête ; un orateur a aussi une perception d'état de son public, lorsqu'il le connaît bien ; Pourtant, l'image qui permet cette perception ne serait pas assez mobilisable pour
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
permettre l'énumération, après la réunion, de tous les présents ; I'image seule est aussi obscure que la perception sans le secours de l'image. Ce rôle joué par I'image intra-perceptive permet de rendre compte la de capacité énorme de réception sensorielle d'information, alors que la faculté d'appréhension attentive d'éléments discrets et nouveaux est limitée à quelques unités binaires par seconde ; à quoi servent les millions de points distincts que la vue peut recueillir en un court laps de temps ? ils alimentent précisément cette activité réceptrice diftren- reçoit les données extérieures comme on corrige des réponses tielle, qui codées en appliquant une grille ; seules les erreurs, c'est-à-dire les noncoïncidences entre l'image (jouant le rôle normatif de la grille) et les données actuelles incidentes (les réponses), sont transmises au véritable récepteur, au sujet de la perception. Si les données sensorielles sont trop pauvres pour équilibrer l'image, mais sufÊsantes cependant pour la susciter, c'est I'image qui structure le message reçu par le sujet; tel est le phénomène de la boule de cristal, où les reflets suscitent les images, mais ne les saturent pas, car ils sont plus pauvres que les images, moins précis qu'elles ; une personne vue à travers le brouillard, ou dans la pénombre, est ( comme un fantôme, parce que les données sensorielles sont juste suffisantes pour susciter des images ; une photographie floue, un tableau seulement esquissé peuvent avoir une force d'évocation plus grande que des æuvres précises et achevées ; le caractère mystérieux de la Joconde, et de tous les tableaux qui paraissent regarder le spectateur, ne viendrait-il pas d'une certaine imprécision mêlée à des traits qui appellent les images mentales ? Un grand nombre d'arts utilisent la suggestion, qui est essentiellement un appel d'images avec des données perceptives inachevées, moins riches que les images.
3.
nôrr
DE L'IMAGE DANS I'ADArTATIoN AU CHANGEMENT. pERcEpTroN DE r-a. nÉRrveuoN
On peut assister à une mise au point de I'activité réceptrice pendant la perception elle-même, lorsque les données apportées par les signaux incidents présentent une régularité, par exemple une loi d'occurrence itérative ; en ce cas, après quelques secondes d'adaptation, les rythmes et variations continues font partie du système d'accueil des signaux incidents, et seuls les décadrages par rapport à ces modèles sont effectivement perçus au sens propre du terme, c'est-à-dire saisis comme nouveaux et capables de déclencher une attitude nouvelle ou une action
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dans le sujet. On pourrait dire que I'image interne des rythmes et des régularités neutralise les occurrences de signaux, en tant que porteurs de nouveauté possible, contenu de réception psychique. Tout un ensemble de phénomènes d'habitudes, au sens où I'on entend le mot d'habitude quand il s'agit d'une adaptation diminuant la vigilance, aPPartient à cette genèse de modèles de neutralisation des occurrences Perceptives ; on s'adapte au passage régulier des trains la nuit, au bruit des machines, etc., par contre, une irrégularité dans le régime des signaux incidents déclenche une véritable réception psychique, qu'il s'agisse d'une occurrence surnuméraire ou d'une absence, assez forte pour éveiller un sujet endormi. (On peut citer aussi I'exemple ancien du tic-tac du moulin.) L'efficacité de ces masques subjectifs des incidences est telle qu'elle peut, lorsqu'elle porte à faux, créer des illusions PercePtives intenses ; dans I'expérience du mouvement consécutif visuel, l'arrêt de la courroie raÉe ou du disque porteur de spirale crée un effet consécutif de mouvement illusoire, en sens inverse du mouvement primaire; cet effet peut d'aillcurs se produire sur n'importe quel fond (par exemple un visage humain), pourvu qu'il porte quelques amorces de structure, quelques détails. En ce cas, l'image interne du mouvement reçu, jouant le rôle d'un négatif Cinématique des occurrences perceptives, possède une certaine inertie ; il faut à peu près zo secondes pour la constituer pleinement, et, quand le tnouvement primaire cesse, le négatif des signaux externes continue à agir pendant plusieurs secondes ; comme rien ne lui fait équilibre, il cause, par effet diftrentiel et dérivation, une impression illusoire de mouvement inverse du mouvement primaire. Ce sont les mêmes images d'incidences régulières qui permettent de receuoir les accélérations et les ralentissements comme réalité nouvelle sur un fond de mouvement déjà donné ; la perception fonctionne en ce cas comme un comparateur qui envoie à la réception proprement psychique les signaux de dérivation. L'image est asservie aux incidences, mais avec un retard, nécessaire et essentiel pour que la comparaison puisse s'effèctuer. C'est ce retard qui permet à I'image de surgir sous forme de signal différentiel envoyé illusoirement à la réception psychique, quand la variation des occurrences perceptives est trop rapide ; un arrêt brusque du bruit fait percevoir le silence comme un véritable signal positif, sous forme d'un coup d'arrêt du bruit. Seules les occurrences complètement aléatoires ne Peuvent être neutralisées par l'image, auxiliaire de la perception.
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IMAGINATIoN ET INvENTIoN
C. L,IMAGE INTRA-PERCEPTIVE DANS I-A PERCEPTION DES FORMES. TMAGES CÉOVIÉTRIQUES
r. coNTouR suBJEcrIF
ET IMAGE essoclÉn
L'existence d'images intra-perceptives a été découverte au cours des études sur la perception visudle des formes, et mise en lumièrer particulièrement, par Schumann, dans I'expérience du contour subjectif (voir le cours sur la Perception, dans le Bulletin d'e Psychologie de mai t965, 'Woodworth emploie pour désigner cette catégorie p. n84 et suivantes) '. de phénomènes perceptifs l'expression d'u image attachée o, considérée comme étant d'origine purement centrale. Des effets, centraux et psychologiques, non périphériques, intervenant comme un pouvoir de modification des dimensions et des rapports des sous-ensembles perceptifs, correspondent bien à la théorie dynamique de Lipps G8gù, qui nomme Einfthlung (empathie) cette introduction dans I'objet perçu d'une tendance, éprouvée par le sujet en présence du spectacle des choses, et introduite dans les objets, où elle Provoque élargissement, rétrécissement, élévation, contraction, expansion de I'une des parties par rapport aux autres. L'objet se modifie dans la représentation perceptive de manière conforme à la tendance implicitement introduite par le sujet. Les architectes constructeurs de vastes monuments (temples, théâtres) corrigent d'emblée les lignes, les espacements, les dimensions, pour que ces déformations induites par le sujet soient harmonieusement compensées ; c'est pour cette raison que les colonnes des temples ne sont ni parallèles ni également espacées, et que les vastes plans horizontaux sont affectés d'une certaine courbure, comPensant d'avance la déformation perceptive qui les ferait paraître gauches. Selon Lipps, un carré, primitivement isolé, puis inséré dans une pile de rectangles et de carrés verticalement superPosés où il apparaît comme une pierre supportant le poids de tout l'édifice, manifeste une déformation qui exagère sa dimension vefticale, au point que le carcé apparaît comme un rectangle quand il est vu dans la situation d'une pierre qui supporte du poids ; cet effet, expliqué selon la théorie del'Einf)hlung, serait causé par la force verticale de réaction élastique que le sujet imagine dans la pierre.
r. Voir G. Simondon, Cours sur zoo6, p.216 s4. (N. D. É.)
h Perception (ry64-ry6),
Chatou, La Transparence,
Si les déformations perceptives proviennent de l'introduction
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de
forces imaginaires dans la conûguration des objets, et non d'effets proprement optico-géométriques, on doit découvrir une diftrence entre les illusions perceptives produites avec un matériel non-significatif et celles que produit un matériel significatif ayant les mêmes propriétés géométriques. C'est ainsi que I'illusion de Poggendorf a été montée par Filhene en version significative ; la bande venicale à bords parallèles devient un frt de colonne antique dans un décor de ruines, et l'oblique interceptée est une corde que tendent deux diables. Éliane Vurpillot a égdement comparé différents montages de l'illusion de Poggendorf en version non-significative ou en version significative ; ici encore, I'oblique devient une corde ou un filin tendu sur une poulie par un ouvrier qui soulève un sac. Piéron a proposé que l'on monte cette configuration dans un ensemble non seulement significatif mais concret et réel, par exemple avec un homme tirant l'eau du puits au moyen d'une corde passant derrière une planche. Effectivement, c'est bien dans ce sens qu'il faudrait conduire la recherche si l'on veut détecter et mesurer avec précision et objectivité I'influence sur la perception de I'imaginaire actuel ; dans un grand nombre d'expériences sur des représentations géométriques ou des maquettes réalistes, il se produit un changement d'ordre de grandeur de l'objet perçu lorsqu'on passe de la version nonsignificative, n peinture muette sur un tableau o, à la version significative, qui est le symbole graphique de réalités de grande taille comme un monument ou des êtres humains; il est malaisé en ce cas d'éviter les interftrences venant de I'adaptation perceptive à l'échelle du phénomène perçu (effets de perspective, représentation du schéma corporel dans la situation...). Pour faire des expériences concluantes sur ces effets dc I'image intra-perceptive, il faudrait que les figures géométriques non significatives aient la même taille que les figures significatives réelles, c'est-à-dire celle des portes, des barrières, des colonnes qui constituent les éléments significatifs. On arriverait peut-être à montrer que les effets de l'Einf;hlung ne sont nullement exceptionnels ou rares, et qu'il existe, sinon un animisme implicite, tout au moins un organicisme latent de la perception qui suppose des tensions, des forces, des résistances, des actions dans les formes des choses. On pourrait peut-être en effet résumer aussi bien les phénomènes de contours subjectifs que ceux del'Einfihlungen disant que le sujet de la perception a tendance à saisir dans les configurations du réel des sousensembles ayant non seulement la taille moyenne de I'organisme humain vivant, mais encore les propriétés de base de tous les organismes, c'est-à-
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TMAGTNATToN ET rNvENTroN
dire la capacité de se mouvoir, la polarité, I'orientation des mouvements et du schéma corporel. Les groupements percepdfs ne se font Pas au hasard, ni non plus en vertu des seules symétries et des seuls équilibres géométriques ; un contour enveloppe un sous-ensemble qui pourrait être un organisme vivant, se mouvoir en bloc, tendre tout entier dans le même sens ; il n'y a pas de contour subjectif quand les détails à grouper n'existent pas ou ne sont pas apparents. Contrairement à I'erreur habituelle des amateurs de technique photographique en grandes masses violentes et contrastées, ce n'est pas l'opposition toute simple des blancs et des noirs qui découpe des régions dans un ensemble ; il faut aussi de la précision, du n piqué o dans la vue prise pour que des ensembles se détachent ; un aft totalitaire d'oppositions violentes, anéantissant les détails par un développement et un tirage n durs r, donne I'impression d'un dessin à l'encre de Chine, mais ne présente pas réellement I'effet de masses de la réalité. Un contour est la frontière active d'une population d'éléments, d'une république de détails ; elle a un sens fonctionnel comme le tégument d'un organisme par rapport aux organes qu'il recouvre et dont il manifeste la pluralité groupée. L'Einf:ihlung pevt être rapprochée de ces effets de saisie de sous-ensembles organisés et organiques comme intermédiaires entre l'ordre élémentaire des microstructures et l'ordre des configurations d'ensemble ; percevoir une corde comme droite parce qu'elle est tendue par une force, c'est se mettre soi-même comme organisme à la place de cette corde ; c'est faire de la corde le prolongement du bras, ou I'imaginer comme le corps qui s'étire dans I'effort de tension, se dilate pour soulever un fardeau. L'ordre de grandeur des contours et des images attachées est le même que celui oir se manifestent les effets habituels de l'Eiffihlung parce qu'il correspond à une des catégories les plus primaires de la perception, la rencontre de répondants vivants du sujet dans l'univers. De semblables groupements en unités organiques sont possibles avec des sons, par exemple à partir d'un bruit blanc offrant, à cause de son caractère aléatoire, des chances multiples de structuration subjective. 2. LEs nÉvpnsrsrrrrÉs
Un deuxième argument important en faveur du caractère métastable des équilibres perceptifs est l'existence de réversibilités ; ces effets de réversibilité ne seraient guère concevables si I'on supposait que la perception définitive correspond à l'état le plus probable, au minimum d'énergie potentielle du système, donc à un état dégradé. Si des réversi-
bilités, impliquant changements spontanés au cours de la perception qui prolonge, peuvent apparaître, c'est que la potentialisation continue à s'accomplir pendant la perception elle-même ; autrement dit, le régime de la perception comportant des configurations réversibles est formellement semblable à celui d'un basculeur, qui bascule de lui-même lorsque le condensateur gouvernant l'élément inactif atteint la diftrence de potentiel convenable pour que cet élément devienne conducteur. Les réversibilités apparaissent particulièrement avec les figures géonrétriques pouvant être vues selon une perspective spatiale, comme I'escalier de Schrôder; comme il n'y a pas de lignes de fuite, le point de vue subjectif est tantôt au-dessus de I'escalier, tantôt au-dessous ; au moment du basculement perceptif, un saut brusque fait passer de l'une des configurations à l'autre. Le même phénomène se produit avec la croix de Rubin, ensemble de deux croix de Malte imbriquées, l'une en arcs de cercle, I'autre en rayons ; quand I'une est figure, I'autre est fond et paraît se prolonger sous la figure. Les inversions se font d'ellesmêmes, mais elles peuvent aussi être induites par I'attention volontaire, au moins en une certaine mesure, ce qui montre que l'équilibre figurefond n'est pas assimilable à un équilibre stable. Ce qui correspondrait à l'équilibre stable, ici, ce serait l'état dégradé d'une configuration désordonnée oir se mélangeraient simultanément, en se superposant l'un à I'autre, les divers types possibles de configurations perceptibles. ee
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L'ruecE coMME srNGUr-ARrrÉ ou svsrÈME pRrvILÉcIÉ os coMpA-
flsrtrrÉ
pERcEprrvE ENTRE oRDREs DE GRANDEUR
Il est possible de redonner un sens au principe d'isomorphisme de la Psychologie de la Forme en I'appliquant au niveau intermédiaire et moyen d'ordre de grandeur des réalités perçues ; ce qui fait image, dans un ensemble perceptif ce n'est ni les microstructures ni les configuradons d'ensemble, si parfaites et géométriques qu'elles soient, mais la correspondance, la compadbilité, toujours précaire et tendue, entre I'ordre moléculaire et I'ordre solaire des réalités. Ainsi, la n bonne forme o des nids d'abeilles correspond à un système de compadbilité, rare et précieux, entre les alvéoles individualisées et le rayon qui les groupe, d'une part grâce à la structure hexagonale, d'autre part en raison du mode d'adossement des cellules les unes contres les autres par l'imbrication des fonds ; c'est la formule du maximum de contenance et de solidité avec le minimum de cire employée; il s'agit d'un équilibre, en un certain sens, mais de cet équilibre particulier et rare que réalisent les
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
inventions humaines, ou bien les compatibilités d'organes dans un corps vivant, ou encore les æuvres d'art qui instituent une harmonie entre la structure de chacun des éléments et celle du tout ; cet équilibre, gagné sur la menace du désordre et du chaos, n'est évidemment pas le même que celui qui, au terme de I'amortissement de toutes les oscillations par dégradation de l'énergie, donne la surface plane et horizontale des eaux ou la surface sphérique de la goutte en suspension dans un liquide isotonique ; ce qui, cependant, rattache ces structures de systèmes en état stable aux formes prégnantes (ligne droite, sphère), c'est que sous certains aspects ils réalisent des minima dimensionnels, comme la ligne droite qui est le plus court chemin d'un point à un autre, ou la sphère qui est la plus petite surface permettant d'enfermer un volume déterminé; ces minima deviennent des optima, non en tant que systèmes dont l'énergie est dégradée, mais quand ils sont pris comme solutions d'un problème, donc quand, au lieu d'être la formule du système d'ensemble, ils sont des moyens, des sous-ensembles apparaissant comme jouant un rôle de médiateurs et d'intermédiaires, entre une configuration plus vaste et une matière élémentaire ; la forme sphérique est une bonne forme quand c'est une structure intermédiaire telle que la citerne, le ballon, I'ampoule en verre mince qui enferme un filament et le soustrait à I'action de I'atmosphère ; le bathyscaphe, par exemple, est I'enveloppe d'un univers au sein d'un autre univers ; il est fonctionnellement le système de compatibilité entre deux milieux inclus I'un dans I'autre. Le cas des figures géométriques comme images prégnantes ne signifie donc pas que la prégnance s'attache aux états d'équilibre stable et aux formes les plus probables d'après les lois du hasard, car il y a des cas où les formes géométriques sont au contraire des solutions d'exception au problème de maxima et de minima que pose le rapport entre deux ordres de grandeur de la réalité. a. Les singukrités sont plus prégnantes que les régularités
Dans la perception la plus courante, ce qui fait image et se détache, ce n'est pas la régularité, le caractère géométrique pur et constant. Sur la route bien plane et droite, ce qui saute aux yeux, c'est le nid de poule, I'irrégularité, l'amorce de virage après la longue monotonie des parcours sans détail ; ce qui est prégnant, au milieu d'un visage lisse et régulier, c'est la cicatrice ou la tache. Et de manière générale, l'information apporte la connaissance de la nouveauté, donc de I'imprévisible, de I'accidentel, du singulier. Une personne se diftrencie d'une autre parce que les régularités et les symétries de I'organisme s'ordonnent selon une
certaine formule singulière qui caractérise chaque personne en tenant compte de certains aspects accidentels. Dans I'existence et dans les diverses situations, ce qui est prégnant, c'est la source de nouveauté qui fait piège pour une action continue (scandale signifie u piège ,) ; c'est I'imprévisible qui s'impose et devient figural sur le fond des régularités. Il est vrai pourtant qu'en certains cas les régularités sont éminemment remarquables et deviennent prégnantes, mais ces cas sont précisément ceux oir I'apparition d'une régularité sur un fond de chaos ou de confusion aléatoire est une singularité qui marque que I'on change de domaine ; elle cause un état d'alerte et un sursaut de la vigilance comme un véritable signal de changement de régime ou d'imminence d'une rencontre; les cercles parfaits et les carrés, les triangles sont rares dans la nature sauvage. Si, au milieu d'une lande et de terres inhabitées, on rencontre tout à coup un cercle bien découpé sur le sol, cette forme est prégnante et saute aux yeux; elle est nouvelle en ce lieu, rare et imprévisible : elle indique que I'Homme a passé par là, et qu'on se trouve sur un fond de hutte préhistorique ou sur quelque trace d'une activité humaine plus récente, comme les fondations d'une tour de guet. Les formes géométriques sont habituellement artificielles ; leur rencontre est prégnante dans la nature sauvage ; ce ne sont pas les formes elles-mêmes qui sont prégnantes, mais leur présence insolite comme signal, source possible d'information, occurrence d'originalité. Même produites par la nature, comme un cercle de champignons, elles sont interprétées au moyen de croyances légendaires, et deviennent les cercles des fees ou les pas de danse des sorcières ; dues à l'érosion, les n cheminées des ftes , qui se dressent sur les sols friables recouverts de grosses pierres plates surprennent par la finesse de leurs lignes verticales et minces, au milieu d'un décor chaotique de ravinement. Dans un milieu de configurations déatoires une forme géométrique est prégnante parce qu'elle est forcément potentialisée comme signal virtuel. Derrière elle se profilent les interdits, les dangers, les clôtures des lois et des institutions humaines ; la plus simple de toutes les formes géométriques, la ligne droite, est déjà le signe de la frontière, du fossé qu'il ne faut pas franchir sous peine d'être abattu par son frère, comme dans I'antique et dure légende de la fondation de Rome. b. Des formes géométriqaes peuaent deuenir prégnantes
par lcurs
rapports
mutuels
Un arc en plein cintre, dans un monument qui est tout entier
de
style homogène, n'a pâs une particulière prégnance ; cette prégnance n'est
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IMAGINATION ET INVENTION
coNTENU cocNrrrF DES TMAGES 89
pas due aux caractères intrinsèques de I'arc en demi-cercle pur, car, si l'on représente géométriquement sur une feuille de papier ce genre d'arc, il n'est pas particulièrement prégnant ; pourtant, il peut le devenir, quand il est comme le médiateur d'autres formes qui, par rapport au plein-cintre, s'éloignent également de part et d'autre de cette proportion moyenne. C'est le cas de la cathédrale d'Orléans (Sainte-Croix) vue du cloître de la cathédrale, c'est-à-dire à partir du Sud : un ârc en pleincintre est surmonté d'un arc surbaissé et encadré par deux fenêtres en ogive, le tout étant saisi d'une seule vue ; dans cet ensemble, qui est comme un dialogue des trois formes, le plein-cintre joue un rôle médiateur intense ; il est comme le centre actif à partir duquel se dédoublent et s'opposent les caractères extrêmes des formes surbaissée et ogivale. Il serait possible sans doute de trouver des exemples analogues dans les arts du son, oùr les formes prégnantes ne sont effectivement pas toujours les plus singulières, mais celles qui jouent dans un ensemble le rôle du médiateur entre des termes extrêmes de hauteur ou de timbre ; en ce cas, le caractère prégnant s'attache aux qualités moyennes non parce qu'elles sont I'effet d'une dégradation tendant vers I'homogénéité, mais parce qu'elles sont comme la mesure unique qui rend compadbles les termes extrêmes : elles représentent la singularité réussie de cette compatibilité. c. L'image intra-perceptiue est
le style commun de
k
texture et de la
confguration Une pareille médiation est une rencontre rare, tendue, et qui peut ne pas se produire dans les occasions courantes. Entre la matière et la forme peut exister un rapport violent et arbitraire, la forme découpant et maîtrisant la matière avec la dureté artificiellement normative de la géométrie à travers la nature, comme ces ifs que le jardinier découpe selon la fantaisie pauvre en formes du maître des lieux ; la forme naturelle de I'arbre est remplacée par la monstruosité de cubes ou de boules végétales (Musset a décrit les ifs ( en rangs d'oignon o de Versailles ; on peut voir aujourd'hui le jardin du château de Villandry). Or, il existe des formes élémentaires dans la matière, comme les lignes du bois ; chaque bois a ses lignes, les fibres du chêne n'ont pas le même dessin que celles du châtaignier ou de l'érable. Une forme géométrique violente, comme celle que donne le tournage en imposant une figure de révolution au bois, ne respecte pas, ne prend pas en charge, ne prolonge pas les formes implicites et muettes de la matière brute devenue matière ouvrable. Plus I'outil est primitif, mieux on peut suivre les lignes réelles de la matière ; telle est la plane, ce ( couteau à deux mains o des tonneliers qui se laisse gui-
der par les fibres, par opposition au rarabiscot, instrument de torture des formes implicites: ce rabot ûace des moulures, aussi fines et nombreuses que le désire I'artisan, sans rapport défini avec la sûucrure matérielle. - L'art a été longtemps de type synthétique, ajoutant aux objets des objets supplémenraires, comme un tableau qu'on suspend devant le mur quand la maison esr consrruite. Mais il commence à se dégager un arr analytique, qui ne produit pas des objets supplémentaires eisàcondaires venant masquer les objets de base, primitifs ; cer art consisre à traiter du premier coup la matière pour qu'elle apparaisse avec la texture et l'aspect qui s'intégreronr directement à la configuration, sans peinture et sans plâtre. Une muraille construite en blocs bien ajustér .t ti.n taillés de granit ou de porphyre n'aurair besoin d'aucun plâtre, d'autre peinture. Chaque matériau possède déjà les microstrucrures, la texrure originelle que la taille, le polissage, le ffaitemenr au jet de sable peuvàt manifester sans rien ajouter ou cacher. Les textures peuvent d'ailleurs être produites de manière artificielle, volontairement ou involontairemenr ; ainsi, une plaque de métal sorrant du laminoir se plie de façon diftrente selon la direction du pli par rapport au sens de la déformation causée par le laminoir ; plus .r.it.ment encore, les tôles nervurées devant résister à la déformarion, comme celles dont on revêt les wagons des trains rapides ou cerrains immeubles modernes (rue Croulebarbe à Paris), ne peuvenr être posées de manière arbitraire par rapport à la configuration de l'ensemblè dans lequel elles jouent un rôle ; on accepterait mal un wagon dont les tôles seraient nervurées verticalement, et non horizontalement, c'est-à-dire dans le scns de la longueur du wagon, de la longueur du train conforme à I'horizontalité des voies, des caténaires, des ouvrages d'arr, et au sens générd du mouvement du train, qui est comme l'essence petceptivJ de la configuration. De même encore, il serait contraire à I'harmonie perceptive de disposer sur un immeuble les tôles nervurées dans le sens hoiizontal, quand I'immeuble comme celui de la rue Croulebarbe a la - très élevée. on peut consrarer - que brme d'une tour élancée et d'ailleurs cctte esthétique analytique correspond à une perception implicite de I'opération des choses : les nervures verticales, sur un irain, amorceraient une multitude de petits remous et seraient contraires à I'aérodynamisme des surfaces ; une disposition horizontale, sur une maison, ne correspondrait pas au meilleur écoulement possible des filets d'eau ; enfin, dans tous les cas, des nervures parallèles à la plus grande dimension d'un objet correspondent à la meilleure résistance à la torsion er au flambage, lorsque les surfaces elles-mêmes, devenues plurifonctionnelles, ne sonr pas
"ç
!I
90 IMAGINATION ET II.IVENTION
seulement des revêtements, mais jouent un rôle dans la rigidité de I'ensemble (technique de construction des véhicules sans châssis, selon le principe de la poutre, employé pour certains autocars). En ce dernier cas, le sens de la n rationalité intra-perceptive o demande que la direction des nervures soit parallèle à la plus grande dimension de chacune des plaques de tôle, lorsqu'elles sont rectangulaires. On peut nommer image ce style commun à la configuration d'ensemble et à l'élément; I'image n'est pas donnée par les seuls éléments, qui en créent seulement le besoin chez le sujet; elle n'est pas non plus imposée par les lignes de l'ensemble, capables de créer seulement, par effet totalitaire, de fausses fenêtres ; l'image est la rencontre réelle du postulat des éléments et du postulat de I'ensemble en une axiomatique perceptive de compatibilité. Le baroque au moins dans ses développements les plus automapourrait se définir par I'indépendance des microtisés et vulgarisés structures par rapport aux configurations, ce qui laisse flottante et indéterminée I'image intra-perceptive ; n'importe quel détail peut être ajouté f1uis5, fleurs, à la configuration d'ensemble, et cet apport de détails rocailles est illimité en surcharge et complexité. Un baroque contemporain apparaît et se développe avec les automatismes proliftrants de l'Optical Art, des modfs microstructuraux, géométriques et contrastés, sont développés pour eux-mêmes, puis servent à habiller des objets ayant déjà leur forme et leur sens ; par exemple, des rouleaux de ruban adhésif o opticalisé ) peuvent être collés sur des voitures automobiles, sur des meubles, sur divers objets. Le corps humain lui-même peut être n opticalisé ,, c'est-à-dire surchargé selon le mode baroque par le bijou ou des modfs peints ou collés: camées en forme d'échiquier, boucles d'oreilles ,eproàuisant en noir et blanc le dessin du signal à'arrêt absolu des chemins de fer (un carré divisé en quatre carrés blancs et rouges) ; peintures et tatouages de diverses espèces montrent que le vêtement est remplaçable, dans ses fonctions perceptives, par un apport de microstructures qui se surimposent à la forme du corps humain de manière relativement arbitraire, jouant un rôle de masque. Naturellement, il ne faut pas confondre avec cette prolifëration automatique des microstructures perceptives des recherches oir les microstructures sont intégrées à la configuration de manière à souligner les articulations de cette configuration, à exdter leur perceptivité, par un véritable balisage en réseau (chaussures blanches, ourlets de couleur vive à un vêtement) ; en fait, il n'est pas impossible que la mode de I'opticalisation elle-même s'inspire de techniques de balisage (pistes, routes, cibles, mires, drapeau utilisé dans les courses d'automobiles) ; mais elle s'est emparée de ces modfs à
CoNTENU COGNTTTF DES IMAGES
gl
haute perceptivité pour en faire un usage rhétorique, détaché de la fonctionnalité, arbitraire par rapport à la configuration, donc irritant et vain au sens propre de ces deux termes. Une recherche logique et mathématique sur les textures a été faite par César Jannello, de Buenos Aires : un point, un rectangle, une ligne peuvent se dwelopper selon la formule d'une progression définie d'avance selon un réseau pluridimensionnel, engendrant des impressions de courbure, de gonflement, de creusement des surfaces. De telles formules sont intéressantes pour I'architecture, particulièrement lorsqu'on dispose de l'ordonnance de vastes surfaces et de grands volumes où I'on peut organiser selon une progression définie le réseau des fenêtres, des cheminées, et l'étagement des plans en hauteur. Le Corbusier a été très sensible au rapport des microstructures à la configuration. Cet architecte ne dissimule pas ses matériaux, n'emploie pas de plâtrage; le ciment apparaît comme ciment, les tuyaux et câbles, au lieu d'être cachés dans les coins et noyés sous les revêtements, s'alignent, bifurquent, se rassemblent, progressent avec de longues lignes de fuite dans les couloirs, suspendus géométriquement à des T renversés en cornière. Comme dans un organisme vivant, chaque ligne de la configuration d'ensemble est plurifonctionnelle ; un couloir est un lieu de passage ; ce collectif est un collecteur et distributeur, non seulement d'êtres humains pour les différentes pièces, mais encore d'énergie, d'air, d'eau, d'informations ; ce qui est plurifonctionnel reste ouvert, non saturé ; sur les T renversés des couloirs du couvent dominicain de I'Arbresle, on pourrait faire passer d'autres canalisations, si des formes encore inconnues d'énergie devaient un jour être distribuées. On pourrait aussi, grâce à la conception modulaire, prolonger sans rupture le couvent pour I'agrandir, à I'opposé de la chapelle. Enfin, on peut noter que cet art analytique est le plus accueillant, le plus capable d'intégrer des réalités nouvelles, précisément parce que son unité est celle de I'image qui n'est pas matérielle et qui fait le pont entre les textures et la configuration. Il n'existe sans doute pas beaucoup de couvents au monde dont le style pourrait admettre que l'on dépose une citerne métallique de propane tout près des bâtiments, à quinze mètres de la chapelle ; cela est possible avec le style de Le Corbusier. Enfin, la non-dissimulation du matériau permet de faire converser en image les textures et les configurations ; au couvent de l'Arbresle, l'intérieur des cellules a été crépi d'un revêtement dur à base de ciment, soufflé en vagues et crêtes par un ( canon o qui projetait latéralement I'enduit; dans ces longues cellules, la lumière accentue le relief de I'enduit, et I'on éprouve un peu I'impression d'être dans une
*tl' 1
92 IMAGINATION ET INVENTION caverne en roc brut, comme s'il y avait un lien d'unité profonde et substantielle entre la nature et la technicité. Dans I'art analytique, le lien entre la narure et la technicité apparaît lorsque la configuration se rattache à la réalité géographique sur laquelle I'ouvrage d'art a été construit ; un cours d'eau à franchir, une dénivellation à vaincre peuvent suffire pour créer ce couplage (qui est I'image intra-perceptive) entre la dimension de I'ensemble intégré au monde er les microstructures de l'ouvrage humain ; tel est le segment d'autoroute par lequel, en venant de Paris, on arrive à Clermont près de Montferrand, avec ses hauts lampadaires, son revêtement granuleux, et le paysage de fond des montagnes et de la ville ; tel est aussi le segment du nouveau parcours de la route traversant Châtelleraulq en déviation à travers le quartier neuf. Cette stabilité de I'image comme opération commune de la texture et de la configuration ne se limite pas à un effet perceptif fermé sur luimême ; elle est l'amorce de I'expression concrète de forces, de rendances, de significations qui se dégagent de I'acte perceptif et donnent à un monument sa portée. Tel est le sens de ce monument aux morts de tous les maquis, érigé au Mont Mouchet. Ce bloc massif et simple, devant le vaste horizon ouvert, est comme le prolongement de la- pierre de la montagne ; il n'est entouré d'aucune limite, d'aucun décor; il est en quelque façon la dernière des pierres tumulaires qu'on rrouve au long de la route, sur ce plateau âpre et sauvage. En redescendant vers Saugues, on trouve de ce même granit riche en quarrz, la pierre du pays, taillé à grands éclats, et servant de suppons aux clôtures, ou de bornes. Étant né du sol et restant attaché au lieu comme la mémoire qu'il perpétue, le monument prend sens parce qu'il est la sûucrure de singularité qui collecte et concentre la force des choses. En résumé, la prégnance des formes est l'expression de l'inhérence de I'image intra-perceptive ; cette image n'est pas donnée, et ne résulte pas d'un état d'équilibre stable. Elle est l'acte du sujet qui rrouve sens à tous les ordres de grandeur du réel perçu, dans la compadbilité tendue et pensée des matières les plus élémentaires et des vasres configurations insérant cette part de réel dans le monde. L'équilibre qui s'exprime dans I'image intra-perceptive est celui du vivant par rapport à un milieu, non celui du plus bas niveau d'énergie d'un système ; il ne s'agit pas de l'état de repos d'un système unique, mais du couplage de deux systèmes, suier et monde ; I'image intra-perceptive est le point-clef d'insertion dans le monde de ce couplage; elle est symétrique de l'exisrence de I'organisme du sujet par rapport à la limite qui sépare Ie sujet du monde.
I
TROISIÈME PARTIE
CONTENU AFFECTIVO-ÉUOTIT' DES IMAGES IMAGE A POSTERIORI, OU SYMBOLE
A. NIVEAU DES CONDITIONNEMENTS ÉTÉVTENTAIRES PRÂGUNG ET PÉRIoDES SENsIBLES r.
:
r-e pnÉcNATroN (r,nÀcuNc, rnannrNrrNc)
Lorcnz a décrit en r9j, un mode d'acquisition consisranr en une sorte d'imprégnation très brève et très précoce. Ce mode d'acquisition engendre des modes d'activité et de réactions aux stimuli pris pour des instincts congénitaux alors qu'il s'agit en fait d'apprentissages d'une espèce particulière. Lorenz a découvert ce mode de conditionnemenr parce qu'il a estimé que I'impératif catégorique des chercheurs, en éthologie, était de vivre avec des animaux dans un cadre narurel, en les laissant libres de conserver le tempo de leur exisrence spontanée. De même, Lorenz a perfectionné cette méthode d'observation par participation en apprenant les gestes, les émissions vocales, les attitudes qui permettent à l'être humain d'intervenir en formant avec I'animal observé un groupe naturel ; par exemple, I'Homme peut jouer, par rapport à un Oiseau né en incubatrice artificielle, le rôle de la mère, s'il sait répon-
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IMAGINATION ET INVENTION
dre aux diftrents cris du jeune Oiseau comme le ferait sa mère. Lorenz a étudié I'ensemble des conduites de l'oison Martina en apprenanr ce que veut dire le n wiwiwiwi , de I'oison (n je suis ici, où es-tu ? ,), le n wirrrrr, wirrrrr ), etc., et les difftrents cris de I'adulte, ( gangangangang )), ou bien n gangingang ), ou encore ( ran ). En instituant ainsi une relation très précoce entre le jeune animal et I'observateur, Lorenz a noté qu'il se produit des apprentissages en très peu de temps ; un certain nombre d'heures ou de jours après sa naissance, un jeune Oiseau (Oie grise, Canard) fixe en lui l'image de l'être-parent, qu'il s'agisse du parent naturel ou d'un parent adoptif, Homme ou animal d'une autre espèce; pour cela, un certain nombre de signaux et de réponses sont nécessaires ; la prégnation s'effectue, ou tout au moins se fixe selon un régime d'échanges entre le jeune et son entourage ; ainsi, un oison peut commencer par suivre un chien, mais il abandonne bientôt ce parenr adoptif qui ne répond pas à ses signaux caractéristiques, alors que la relation avec un parent nourricier humain peut être parfaitement durable si l'être humain a appris à répondre selon la sémantique de I'espèce. Ces observations ne sont pas isolées ; on peur les rapprocher de plusieurs catégories de faits, qu'il s'agisse des animaux ou des hommes. Particulièrement, on a remarqué que les variétés parasites de I'espèce Coucou, celles dont les femelles pondent leurs æufs dans les nids d'autres Oiseaux, sont dotées du pouvoir de reconnaîrre I'espèce des parents nourriciers ; le jeune Coucou, devenu adulte, est capable de reconnaître le nid de l'espèce qui lui a servi d'hôte, er c'est dans le nid de cette espèce qu'il pond de préférence ; I'apprenrissage équivaut ici à une ( seconde nature n, puisque les descendants du Coucou né, par exemple, dans un nid de Fauvette, continuent à pondre dans des nids de Fauvette. Sans faire d'hypothèses sur les représenrarions chez les animaux, on peut donc dire que pratiquement le fait d'être né dans un milieu déterminé permet la reconnaissance de ce milieu à certains stimuli caractéristiques et crée la tendance à choisir ce milieu de préférence à d'autres. Chez l'Homme, les cas observés d'enfants-loups onr montré la prédilection de ces enfants pour le genre de nourriture (par exemple de la viande crue) qu'ils avaient eu à manger chez leurs parents nourriciers animaux ; ces faits sont remarquables parce qu'ils apparaissent comme une interference du non-humain avec l'humain, et ils ont attiré I'attention sur I'irréversibilité de ces apprenrissages fondamentaux. Mais un très grand nombre d'autres apprentissages, qui paraissent être des traits de caractère et des caractéristiques innées de la personnalité, sonr probablement aussi des apprentissages reçus de manière très précoce
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(habitudes alimentaires, préférence pour tel ou tel genre d'habitat, et peut-être aussi réaction de symparhie ou d'antipathie à l'égard de personnes ayant telle ou telle allure, répondant à telle ou telle image ; les réactions de défense ou de sympathie peuvent porrer la marque déterminante d'apprentissages précoces et irréversibles, aussi bien que les préftrences alimentaires ou les autres réactions de choix; les apprentissages ne sont pas seulement représenrarifs ou moteurs ; ils impliquent association d'une certaine modalité du comporrement à un ensemble caractéristique de stimuli ayant fait partie du milieu, et ayanr acquis une valence déterminée. On peut d'ailleurs aller plus loin ; selon certaines recherches, il semble que les réactions de choix devant des configurarions du milieu puissent non seulement faire l'objet d'apprentissages individuels, mais aussi de conditionnements héréditaires, transmissibles aux descendants. Des chercheurs américains ont capturé des rongeurs d'une même espèce, les uns dans un milieu de rase campagne, sans arbres, les autres en forêt. Ces rongeurs étaient ensuite élevés en laboratoire, dans des conditions identiques ; puis, les descendants de chacun des deux groupes étaient amenés dans un dispositif expérimental constitu é par un souterrain débouchant à la limite enrre un espace boisé et un espace découverr, avec possibilité pour les sujets de se diriger aussi bien vers le bois que vers le terrain découvert ; parmi les descendants des rongeurs ayant vécu en terrain boisé, la proportion de ceux qui choisissaient le même habitat que celui de leurs parents était plus élevée que celle des sujets âisant le choix contraire. Naturellement, cerre expérience globale ne permer pas de dire quel est le siège de ce principe de choix qui s'est transmis ; il peut s'agir, par exemple, d'une disposition organique (développement plus ou moins grand des surrénales) modifiant le régime des besoins, l'équilibre thermique, la sensibilité à la lumière, et le choix diftrentiel peut être I'effet d'une recherche de preferendum. Cependanr, le fait reste ; la valence des diverses configurations de stimuli peur êrre modifiée par I'apprentissage individuel précoce, peur-êrre en cerrains cas par I'expérience héréditairement ûansmise. D'ailleurs, le support de I'information dans les organismes n'esr peur-être pas exclusivement cérébral, ce qui expliquerait que le remplacemenr d'un système nerveux par un autre (transmission héréditaire des seules strucrures de I'espècc), s'il cfface les n traces o mnésiques nerveuses, peut laisser place à unc rransmission d'information ou de dispositions réactionnelles par unc voie chimique non-nerveuse (expériences sur les Planaircs) ; lcs rrrorlllités réactionnelles, de type affectivo-émotif, qui jouent un si grantl rirlc tllrrs
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IMAGINATION ET INVENTIoN
les choix, définissent et fixent la valence des images, qui sont une des bases de I'organisation du comportement. 2. AspEcrs HUMATNS DEs coNDrrroNNEMENrs ÉrÉupNTArREs
Les études de psychanalyse ont insisté sur I'importance des expériences précoces de I'enfant en présence de la mère, puis des éducateurs, et plus généralement de l'entourage. En outre, le processus d'introjection, incorporation imaginaire d'un objet ou d'une personne aimée ou hai'e dans le moi ou le surmoi du sujet, constitue une base très durable de réactions affectivo-émotives à des situations déterminées ; ce sont des images complètes qui sont ainsi introduites dans le psychisme élémentaire (voir les études de Mélanie Klein) et qui servenr de modèles aux choix et aux réactions ultérieures du sujet. Mais on peut dilater cerre interprétation, et considérer cette acquisition de valences affectivoémotives comme pouvant s'instituer toutes les fois que le sujet se trouve dans une situation neuve, où l'éveil des motivations est intense, et où le manque de structures préalables laisse à la conduite une certaine marge d'indétermination. Stekel a étudié sous cet angle la sexualité humaine, dans les deux ouvrages intitulés L'Homme impuissant et Ld Femme frigide, oit I'auteur analyse les causes d'un grand nombre de cas de dyspareunie. Les conduites d'une vie entière apparaissent comme dirigées par les composantes affectivo-émotives de certains moments fondamentaux de I'histoire du sujet, qui ne se rapportent pas nécessairement à l'enfance. La nécessité, au cours de l'ontogénèse, de la constitution de réactions affectivo-émotives définies fait apparaître des périodes privilégiées que I'on peut nommer périodes sensibles ; ainsi, un enfant abandonné a besoin de constituer en lui I'image de la mère à un âge déterminé ; lorsque cet âge est dépassé, même si I'enfant est bien traité dans une famille adoptive, il peut continuer à présenter les caractères de la conduite des abandonniques (indifférence affective, mise à l'épreuve permanenre de I'affection de ceux qui I'entourent) qui rendent l'adaptation difficile et souvent provoquent le rejet : il manque l'image complète de la mère, incluant une réponse affectivo-émotive à un groupement défini d'images, d'attitudes, de perceptions offertes par les adultes. Mais toutes les images ne concernent pas les êtres humains ; il existe aussi une relation primitive aux objets, et I'entourage comporte des objets privilégiés aussi bien que des êtres privilégiés comme la mère.
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3. LES IMAGES DE r'oB;ET
Il
est assez probable que les premières expériences ne comporrenr pas
de difftrenciation accenruée entre les images d'êtres vivanis (p"r.nts, congénères) et les objets ; mais il se produit ensuite un dédoublement qui sépare les images de la relation aux êtres vivants de celles qui représentent le milieu comme base du territoire peu à peu organisé. Éthologie et psychanalyse onr mis I'accent sur les phénomènes d'apprentissage irréversible relevant de la relation primitive aux parenrs et aux autres êtres vivants. L'autre catégorie, celle des objets, a été analysée avec beaucoup moins d'attention ; souvent, elle n'a été envisagée qu'à rravers le rattachement symbolique à la première. Mais on peur se demander s'il
ne s'agit pas là d'une vision quelque peu anthropocentrique des diftrentes situations. Même dans le cas de I'Homme, la réalité n'est probablement pas aussi simple ni aussi homogène. En ce qui concerne les animaux, le caractère très précoce de la relation aux objets sans rapport direct avec le parenr ne fait pas de doute, tout au moins pour certaines espèces. Pour les Oiseaux, par exemple, les parents sont les intermédiaires nécessaires entre le jeune et le monde dans le cas des nidicoles, complètement dépendants de leurs parents pour la nourrirure ; seul le nid est une réalité non vivante ayanr rang d'objet ; mais pour les nidifuges, le parent a surrour une valence de protecteur, de guide ; la nourriture esr recherchée et prise dès la naissance par le jeune, qui a déjà des adaptarions sensorielles et les automatismes coordonnés du système d'action rendant cette activiré autonome (tendance à picorer, à gratter le sol, à déterrer les nids d'insectes souterrains comme chez les Bondrées); le rapporr à I'objet esr aussi primitif que le rapport au socius ou au parenr ; enfin, dans certaines catégories, le parent est absent ou déjà mort (Reptiles, Insectes) au moment de la naissance du jeune. Dans tous ces cas, les prégnations concernent le milieu, et on peur supposer qu'il se produit des élections d'objets privilégiés ayant la même valence que le parenr dans les cas cités par Lorenz. La nourriture n'est d'ailleurs pas le seul rype de fonction pouvanr provoquer des prégnations qui définissent des images primordiales ; I'abri, le refuge, sont des réalités aussi primordiales, car les réactions de fuite devant le signal indiquant I'approche du prédateur spécifique peuvenr être aussi précoces que celles de recherche de nourrirure. Ce domaine permettrait de nouvelles recherches pour une éthologie plus générale, peut-être moins intéressante pour une comparaison avec I'homme, mais permeftant d'analyser les déterminants des conduites d'espèces placées moins haut dans l'échelle des vivants.
TT.
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
Et pour l'homme, il n'est pas que I'humain qui soit réel. Une éducatrice de génie, Maria Monressori, a compris l'importance du rapport direct entre I'enfant er les objets ; elle a voulu faire un o milieu révélateun d'objets autour de l'enfant, parce qu'elle a pensé que I'enfant avait besoin de trouver des objets manipulables, préhensibles, stables, autant qu'il a besoin de trouver des présences humaines aimantes et généreuses. La Casa dei Bambini est un milieu riche en objets stimulants et non-trompeurs, non-décevants, ne provoquant pas d'expériences affectivo-émotives négatives. Pour emprunter une métaphore à I'ornithologie, on pourrait dire que Maria Monressori a voulu ne pas faire de l'enfant un être artificiellement nidicole, ou rour au moins un nidicole artificiellement prolongé ; elle a mis à la mesure des prises de l'enfant les objets qui sont les points-clefs de son univers matériel : des lavabos qui ne soient pas à la taille de l'adulte, des boutons de porte qui obéissent atx forces et au type de préhension des jeunes enfants, des boutons en
clef de barrique qui se laissent saisir en préhension palmaire (1" préhension digitale vient plus tard et manque de force pendant longtemps). La pédagogie de Maria Montessori est un beau travail de physiologie des fonctions perceptivo-motrices chez I'enfant, permeftanr à I'enfant d'organiser lui-même son territoire d'objets sans avoir recours de manière permanente à I'adulte soigneur pour s'habiller, se laver, satisfaire ses besoins organiques. La civilisation américaine de l'époque, très ouverte aux objets, se développant dans des pays où la densité humaine était faible et le personnel peu nombreux, a fait un large accueil à ce principe de la méthode Monressori. Nous ne cherchons pas à développer ici les aurres aspecrs de cette méthode pédagogique, mais il est évident qu'à partir de telles bases une place aussi importante que possible est faite à la découverte sponranée par la manipulation et I'observation, et que I'aspect didactique ou autoritaire est réduit d'autant ; mais il ne suffirait pas de dire qu'il s'agit d'une méthode acrive, car une méthode peut être acrive tour en faisant appel à des réalités essentiellement humaines ; ici, il s'agit d'activités centrées sur les objets. En dehors de cet aspect systématique et cohérenr, on peut considérer le jouet (ou I'objet familier recruré par I'enfanr sans intention de I'adulte) comme correspondant à des prégnations relatives âux choses. En effet, le jouet est le répondant du moi dans le milieu, pour le meilleur et pour le pire; il forme couple avec lui, comme le symbolon avec I'autre symbolon, moitié du tout dorigine dont les symbolà proviennent par division aléatoire. De là résulte ce lien profond er essentiel dans la vie de I'enfant avec I'objet élu, qu'on peur nommer jouet, bien qu'il ne
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soit pas toujours ce que I'adulte entend par ce mot. En eftèr, ce peut être un animal, un arbre, des pierres, un vieux réveil. .. le symbolon admet des remplacements ; une poule jaune, élue comme objet préféré, et nommée u Jaunette ), peur être remplacée par une autre poule jaune, considérée, à tort ou à raison, comme la fille de la première, et baptisée u Jaunette 2 ,. C'est toute une dynastie d'objets élus qui peur se succéder ainsi, un peu comme l'adulte choisit des voitures selon une série, habilement éditée par le construcreur, qui sait ménager des successions et filiations dans les noms et les formes, pour que le nouveau prolonge affectivement I'ancien ; ceci ne signifie pas malgré l'interprétation - du Moi en rant que psychanalytique que I'objet soit le symbole - image du Moi. Il en est le répondanr er I'associé, représentant du Moi, sans confusion avec le Moi (sauf en certains cas exrrêmes où les apparrenances deviennent comme une enveloppe, un épiderme du Moi); l'objet est l'autre, par rapport au Moi, er non le même, mais un autre en couplage serré avec le Moi, son meilleur ami. En ce sens et dans cette mesure, on peut saisir toute I'importance normative et pédagogique de la consrruction des jouets, qui constituent, dans les centres urbains, une des sources majeures des objets d'élection pour les enfants ; ces jouets, occasion de la formation des images, sont ainsi les protofypes de la relation à I'objet, et leurs caractères sonr occasion de prégnation dans l'enfant. Laissons de côté les poupées, arsenal des jeux de rôle, faux objets par lesquels I'enfant rrouve un plus petit que soi qui lui permet d'être semblable à un adulte dans un monde de convention et d'artifice ; d'ailleurs, le jeu de la poupée se déroule partiellement en présence de l'adulte, de la mère surtout, quand il est jeu de rôle et non première expression des activités d'exécution de I'instinct parental. Les normes de I'adulte restent à I'extérieur de I'objet d'élection : le modèle réduit, reproduction à l'échelle de véhicules ou d'engins, esr encore une occasion de jeu de rôle par laquelle l'enfant peur jouer à être comme adulte, capitaine attaquanr le fort Alamo, chef de l'équipe lançant les missiles ou les satellites, ou plus simplement chef de gare ; ce sont des jouets-accessoires, à moins qu'ils ne deviennent semblables à des instruments (modèles réduits d'auromobiles utilisés comme automobiles de courses lancées à la main). Ces normes adultes, outre qu'elles enchaînent la liberté de choix dans l'élection de l'objet-symbole, impo, sent un caractère déjà socialisé à ce choix, qui passe par I'intermédiaire d'un achat, donc de barrières économiques, de ritualisations (achat à NoëI, cadeaux), et de relations avec les adultes représentatifs ou de troc
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IOO IMAGINATION ET INVENTION avec les camarades, ainsi que de formes d'imagination traduisant les traditions et les goûts d'une population définie (série Mickey Mouse). De plus, le mythe du jouet chez I'adulte amène assez généralement le mépris des normes de fiabilité : le jouet n'esr pas sérieux ; il suffit donc qu'il fonctionne au moment de la vente, sur le comptoir du magasin. Cela réserve de cruelles et amères déceptions lorsque l'objet a été réellement élu et qu'il se casse entre les mains de I'enfant, au lieu de I'accompagner fidèlement dans sa croissance, en résistant à I'usure et aux chocs, et en ne se détruisant pas si I'enfant l'ouvre. Un très grand nombre de jouets sont comme la soupière d'un conre d'Auvergne : les hôtes du Dauphin d'Auvergne ne devaient pas I'ouvrir sous peine d'être chassés. L'objet-symbole, cet associé parfait du moi, ne doit pas être une réserve de secret, une enceinte mystérieuse qu'il ne faut pas ouvrir, une clef de Barbe-Bleue devant des parents qui, eux, n'ouvrenr jamais les objets dont ils se servent, même quand ce serait utile. Nous ne prétendons pas faire une analyse du retentissement sur I'enfant des avatars du jouet devenu objet d'élection, mais le seul fait que le jouet puisse devenir
objet d'élection souligne l'imporrance de sa consrrucrion selon des normes de fiabilité élevée; un jouet, pour assurer et remplir pleinement son rôle élémentaire de point-clef du monde objet, devrait durer toure une enfance, peut-être toute une vie, et n'avoir ni secret ni faiblesse ; il est, pour I'enfant, le protorype du monde. Il resterait à dire selon quels caractères perceprivo-moreurs s'effecruenr les apprentissages irréversibles de la relation entre l'enfanr er les objets ;
quelques observations sur la préftrence marquée pour les objets présentant des couleurs saturées er vives plutôt que des teintes délavées aux couleurs atténuées, chez les jeunes enfanrs, semblent indiquer que la netteté des catégories sensorielles intervient dans la prégnation. Cet effet peut être rapproché du rôle joué, dans la prégnation chez les animaux, par les motifs (n panerns r) très inrenses, conrrasrés, vivemenr colorés qui servent de stimuli spécifiques et interviennenr comme de véritables clefs de la prégnation ; tels sont les motifs de l'intérieur du bec et du gosier des jeunes Oiseaux ouvrant le bec dans I'attente de la nourriture ; l'ouverture du bec du jeune au moment de I'approche du parenr est un stimulus-clef sélectif qui conditionne le don de nourriture. Dans ce cas précis, on peut dire qu'il n'y a pas besoin de prégnations, I'image du jeune demandant la nourriture étant spécifiquement prédéterminée; mais il y a continuité entre ce cas d'extrême sélectivité et d'aurres cas où la prégnation peut intervenir à I'intérieur d'une marge d'indétermination. Par exemple, le grand Pluvier, devant une situation de choix où se
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ror
trouve sa couvée normale à côté d'une couvée ( supra-normale o comportant soit un plus grand nombre d'æufs, soit des æufs plus gros, soit enfin des æufs dont le motif tacheté est plus vigoureusement dessiné, avec un plus fort contraste, choisit la couvée supra-normale artificielle ou étrangère et délaisse la sienne ; le stimulus supra-normal joue donc un rôle en certains cas dans les choix suivis de prégnations. Les élections d'objets peuvenr faire sentir leurs effets, chez l'être humain, à l'âge adulte, sous des formes multiples, dans les choix. En certaines civilisations qui laissent subsister une certaine continuiré entre I'enfance et l'âge adulte, comme la civilisation américaine conremporaine, le conditionnement (emballage) des produits de consommation couranre manifeste une recherche des couleurs vives et des contrastes ; les civilisations qui opposent les valeurs d'enfance à celles de l'âge adulte n'agissent pas de même ; pour les produits de qualité, elles offrent un emballage discret, en demi-teintes, s'adressant à des connaisseurs, avec une rhétorique du signe de reconnaissance, de la signature du fabricant... En résumé, les divers aspecrs de l'élection des objets sous forme de prégnation restent à étudier de manière méthodique et objective, mais on peut relever d'assez fortes présomptions en faveur de I'existence de tels effèts.
B. NIVEAU DES PROCESSUS PSYCHIQUES : L,IMAGE MENTALE, LE SYMBOLE r. L'IMAGE coNsÉcurrvn Si I'on entend par n image > une représentation concrète à contenu sensoriel construite en I'absence de stimulations sensorielles ou apparaissant en I'absence de ces stimulations le phénomène nommé -, son nom, car la stin image consécutive ) ne mérite que paftiellement mulation sensorielle y joue un rôle, bien que l'objet ne soit plus présent. Cependant, comme il y a une transition presque continue entre les effets d'images consécurives et les véritables images-souvenirs n'impliquant pas de stimulation périphérique récenre, il importe d'envisager I'image consécutive. Le sens de la vue est chez I'homme celui qui peur convoyer (au moins dans les récepteurs périphériques) le plus d'information ; à cette prééminence correspond une aptitude élevée des organes ou des voies
IO2 IMAGINATION ET INVENTION nerveuses, peut-être aussi des centres, à faire réapparaître après un court intervalle la stimulation réelle causée par les objets ; cerre réapparition,
intermédiaire entre la perception er le souvenir, est nommée n image consécutive o ; elle peur se produire par vagues et selon diftrentes modalités, d'où les noms d'images consécutives primaires, secondaires, tertiaires. . . L'image consécutive visuelle primaire esr nommée image de Hering; elle se produit après stimulation de l'æil par une plage lumineuse; loÀque la stimulation cesse er se trouve remplacée par I'obscurité, la plage lumineuse paraît renaître après un bref intervalle, et cette impression subsiste pendant quelques centièmes de seconde. Si la plage est très brillante (il s'agit d'une plage blanche), on observe dans I'image consécutive une fuite de couleurs (vert, jaune, rouge, pourpre, bleu, vert, etc.). Après un second intervalle, I'image naît une seconde fois, généralement avec une coloration complémentaire si la plage stimulante était colorée ; cette image secondaire se nomme image de Purkinje, ou satellite de Hamaker, ou encore < ghost o (fantôme, revenanr) de Bidwell ; l'image secondaire est de courte durée ; enfin, après un intervalle assez long se présente I'image tertiaire (image de Hess), durant plusieurs secondes, et parfois une image quaternaire ou image négative de Hamaker. on peut obtenir certains de ces effets (au moins les deux premiers) en fermant brusquement les yeux après avoir fixé une plage colorée, ou blanche, une fenêtre par exemple ; mais les paupières sonr translucides et la lumière continue à passer à travers la peau en se coloranr par rransmission à travers le sang, ce qui donne en général une teinte pourpre persistante qui se surimpose aux effets proprement consécutifs et interfère avec eux. L'interftrence des effets consécutifs avec une stimulation lumineuse diffirse à travers les paupières produit des résultats qui sont d'une grande richesse esthétique ; on peut les obtenir en fixant d'abord ,rn. régiort lumineuse du ciel (pas le soleil lui-même, car cela peut détruire des éléments rétiniens), puis en fermant les paupières sous le soleil, et en les serrant plus ou moins, ce qui fait varier à la fois la quantité de lumière transmise et sa composition chromatique. Les images consécutives peuvent d'ailleurs se superposer aux perceptions, si la stimulation a été assez forte ; si, après avoir fixé une figure de couleur vive, on porte son regard sur un écran blanc, on y voit I'image consécutive sous forme d'une figure de même forme teintée de la couleur complémentaire; ce phénomène se produit aussi pour des figures à
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contraste en blanc et noir; les images consécutives surimposées aux objets sont alors en gris, parfois légèrement teinté. Les premières images consécurives sont vraisemblablement dues à des phénomènes rétiniens, car elles suivent les mouvemenrs des yeux et changent de grandeur selon que l'écran sur lequel on fixe les yeux est plus ou moins éloigné (Cuvillier, Manuel dz Philosophie, tome r, page r9o) ; c'est la raison pour laquelle Cuvillier refuse à ces phénomènes le nom d'images, et propose celui de n sensations consécutives r. On ne peut cependant affirmer qu'il s'agisse seulemenr de phénomènes de fatigue des différentes parties de la rétine ; les oscillations de phases positives et négatives des images consécutives (phases de Hess) peuvenr être rapprochées des ondulations de prééquilibre observées par Broca er Sulzer; or, ces phénomènes appartiennenr à la catégorie de I'inhibition adaptative active bien plutôt qu'à celle de la fatigue. Les images consécutives appartiennent-elles seulement à la vision, ou bien peut-on parler, par exrension du rerme, d'images consécutives sonores, tactiles, olfactives ? Théoriquemenr, si les images consécutives se rattachent aux phénomènes d'adaptation sensorielle active, on peut s'attendre à trouver des images consécutives d'autant plus nettes qu'un sens est plus largement adaptable ; I'audirion, rour en étant moins largement adaptable que la vision, qui possède plusieurs régimes (photopique, mésopique, scotopique), couvre cependant une étendue considérable dans les rapports d'énergie (rzo à r3o décibels) et les rapporrs de fréquence (rz octaves) ; et effectivement, après I'audition d'un son intense, on peut observer un son consécutif, si les récepteurs onr été vivement stimulés sans possibilité d'adaptation préalable, par exemple par une explosion ; mais le son-image n'esr pas la répétition du stimulus ; que le stimulus soit continu ou transitoire, le son-image se présente comme un faible son continu, en général de fréquence élevée (on dit que o les oreilles sifflent o). Les effèts consécutifs paraissent être d'aurant moins marqués que la capacité d'adaptation er la capacité de réception d'information d'un sens sont moins grandes. En résumé, il semble judicieux d'accepter la distinction qu'établit Yves Le Grand dansl'Optique physiologique, tome II, page 3r3 : les effets de contraste consécutif (ou contraste successif) sont nommés à tort images consécutives : ce sont des images consécutives de fatigue, c'est-àdire des effets d'adaprarion qui, selon Yves Le Grand, n'onr rien à voir avec les images consécutives véritables ; les images consécutives véritables sont des phénomènes de persistance, mais, dans la pratique, l'image n de fatigue ,, résultant d'un phénomène d'adaptation, peut se super-
IO4 IMAGINATION ET INVENTION
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poser à une véritable image de persistance et I'annuler ; dans le cas des stimulations lumineuses intenses, d'après les recherches de Roberrson et Fry, l'équilibre entre le contraste successif et l'image se produit au bout de deux minutes environ, avec une stimulation initiale de roo b/m'et un champ d'observation ultérieure de roo b/m'. 2.
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rvuÉnrerBs
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ErnÉrrques
On donne le nom d'image immédiate à un mode de persistance plus complexe, acceptant un délai plus grand que celui de la persistance sensorielle à caractère périphérique, er apparaissanr comme la persistance ou la répétition d'une donnée déjà structurée, donc d'une perception et non d'une simple donnée sensorielle, pour autant que la distinction entre sensation et perception puisse être adoptée comme désignant de manière pratique une activiré périphérique d'une activité centrale plus intégrée. Egger, dans La Parole intérieure, p. to6 (cité par Cuvillier), décrit les cas d'audition lointaine d'une cloche ou d'une horloge : n Plusieurs fois, il m'est arrivé d'écouter les sons lointains d'une cloche ou d'une horloge. Je remarquais bientôt qu'ils se répétaient indéfinimenr, et la chose me paraissait invraisemblable. C'est que mon imagination en prolongeait la série après que mon oreille avait cessé de percevoir. Comme les sons perçus étaient très faibles et aussi peu localisés que possible, le dernier entendu et le premier imaginé avaienr présenté les mêmes caractères et je n'avais pu les distinguer à temps. , Les images immédiates sont celles qui, chez le sujet normal, peuvent être le plus aisément confondues avec la perception réelle d'un objet, lorsque les organes récepteurs sont stimulés de manière juste liminaire ; cette stimulation liminaire peur se produire d'ailleurs de diftrentes manières, soit par suite de la faible énergie des signaux, soit parce que le n bruit de fond , des récepteurs ou des centres (si toutefois on peut admettre qu'il existe un n bruit de fond o des voies nerveuses et des centres) constitue par lui-même une source de signaux. Le cas des faibles signaux extérieurs est celui qui est cité par Egger ; il se retrouve dans le registre visuel, et aussi dans le registre racdle : si I'on projette une lumière sur un écran, en la faisant décroître de manière progressive, il arrive un moment où le sujet ne peut plus dire si l'écran est encore faiblement éclairé, ou s'il paraît être éclairé ; plus le sujet est motivé, plus il fait effort, plus aussi les images peuvent être prises pour des stimulations réelles et objectives, et ceci de manière progressive à partir des conditions initiales d'une vision correcte (expérience de vision
rot
tachistoscopique) ; ce n'est d'ailleurs pas seulement l'image immédiate qui intervient, mais aussi des souvenirs plus anciens et éventuellement des normes collectives. Dans le cas de la perception du mouvement autocinétique (Charpentier, Aubert), les suggestions venant d'autres personnes sont très efficaces. Dans le registre tactile, on peut citer parmi d'autres l'expérience suivante : on montre à une personne un disque, comme une pièce de monnaie, qui adhère légèrement à la peau quand on I'applique en appuyant, mais qui peut se décoller au moindre mouvement ; ensuite, on applique sur le front du sujet, en appuyant, un disque semblable, mais on l'enlève en cessant d'appuyer, et on invite le sujet à faire tomber le disque sans s'aider de ses mains : la personne essaye effectivement de faire tomber un disque imaginaire, qu'elle continue à sentir collé à son front, alors qu'il n'y a rien. Un très grand nombre de ( tours , de prestidigitateurs et de jeux de société utilisent cette confusion de I'image immédiate et des données sensorielles. Le bruit de fond des organes des sens apporte une stimulation qui interfère avec les signaux effectivement apportés par le milieu et qui peut alimenter I'image immédiate ; si ce bruit de fond était un bruit blanc, il conduirait seulement à une élévation des seuils ; mais, généralement, il n'est pas équiénergétique ; plus il est sélectif (ou u coloré ,), plus il peut soutenir la confusion entre des images immédiates et des perceptions objectives. Dans le registre auditif, la courbe des seuils inferieurs indique que, pour les sons faibles, la sensibilité des récepteurs est plus grande entre 6oo et Sooo Hertz, ce qui est précisément l'étendue du registre de la voix humaine avec ses harmoniques ; plus les sons sont faibles, plus l'oreille fonctionne comme un sélecteur et éventuellement un générateur sélectif de bruits endogènes ; cette sélectivité disparaît pour les énergies plus élevées (courbes de Fletcher) ; aussi bien, les images immédiates auditives les plus courantes sont des paroles, des chants, des bruits se situant dans la bande de fréquences que sélectionnent les récepteurs auditifs quand ils reçoivent des sons faibles. Les récepteurs visuels ne manifestent pas chez l'homme le même changement de sélectivité en fonction du niveau des signaux, malgré le phénomène de Purkinje, assez peu accentué, ce qui ne prédétermine pas le < brouillard de fond, visuel à alimenter telle catégorie d'images immédiates plus qu'une autre. Quel est le degré de précision de l'image immédiate ? Il semble très diftrent selon les sujets, selon le sens considéré, et aussi selon l'âge; on nomme image eidétique une image surtout visuelle qui a un degré de précision comparable à celui de la perception directe et qui se prête à
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
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l'exploration mentale ; par exemple, un mot, vu écrit, peut être épelé
à
I'envers ; des nombres peuvent être soumis à des opérations, comme s'ils
étaient écrits sur un tableau ; le développemenr de l'eidétisme passe par un maximum chez les enfants de ro à 14 ans ; il permet I'apprentissage rapide de I'information mise sous forme concrère, comme d.i ."rt.r à. géographie, des diagrammes, des schémas. On peur norer que certe capacité coïncide avec le maximum d'activité perceptive (produisant le maximum d'illusions optico-géométriques de ro à 14 ans). Taine, dans De I'intelligence (r,8o) rapporte le cas des jeunes calculateurs prodiges, en particulier de Colburn, ne sachant ni lire ni écrire, mais o .rroy".rt clairement devant lui, ses calculs. Taine, dans le même ouvrage, cite le cas des joueurs d'échecs qui peuvent conduire une partie d'échecs les yeux fermés, la tête tournée conrre le mur : u On a numéroté les pions et les cases ; à chaque coup de I'adversaire, on leur nomme là pièce déplacée et la nouvelle case qu'elle occupe ; ils commandent eux-mêmes le mouvement de leurs propres pièces, et continuent ainsi pendant plusieurs heures ; souvenr ils gagnent, er conrre de très habiles ,ior'r.urr. Il est clair qu'à chaque coup la figure de l'échiquier tout entier, avec l'ordonnance des diverses pièces, leur est présente, comme dans un miroir intérieur, sans quoi ils ne pourraient prévoir les suites probables du coup qu'ils viennent de subir et du coup qu'ils.,ro.rt .o-Àander. , Pour Taine, et selon la description de l'un de ses amis, américain, qui a cette faculté, le sujet voit simuhanément tout l'échiquier et to,.rt.i 1., pièces telles qu'elles étaient en réalité au dernier coup joué. n Et au fur et à mesure qu'on déplace une pièce, l'échiquier m'apparaît en enrier avec ce nouveau changement. Et lorsque j'ai quelque doute dans mon esprit sur la position exacte d'une pièce, je rejoue mentalemenr rour .. q,ti été joué de la partie, en m'appuyanr particulièremenr sur les mouve-" ments successifs de cette pièce. Il est bien plus facile de me uomper lorsque je regarde l'échiquier qu'aurrement... Je vois la pièce, l" case .t la couleur exactement telles que le rourneur les a faites, c'àst-à-dire que je vois l'échiquier qui est devant mon adversaire, ou tour au moins j en ai une représentation exacre, et non pas celle d'un autre échiquier o (ouvrage cité, p. 8r). ce joueur affirme qu'avant de commencer if commence par bien regarder l'échiquier tel qu'il esr au début, afin de pouvoir se rattacher et revenir mentalement à certe première impression ; d'ordinaire, il ne voit ni le tapis verr, ni I'ombre des pièces, .ti l.t très petits détails de leur srructure ; mais, s'il veut les voir, il le peut. Taine ajoute que ces représentations se répètent ou durent involoniairement, revenant, par exemple, pendant les insomnies.
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S'agit-il d'une aptitude élevée ou assez primitive ? Taine affirme que ( ce ne sont pas les plus profonds joueurs qui poussent le plus loin ce tour de force u ; certains joueurs peuvent mener simultanément, en vision eidétique, plusieurs parries, avec une étendue er une lucidité d'imagination tout à fait prodigieuses ; mais les très grands joueurs, comme La Bourdonnais, ne peuvent jouer mentalemenr que deux parties ensemble ; cette remarque irait dans le sens des observations faites sur les jeunes calculateurs prodiges, qui sont parfois très ignorants et arrivent malaisément à se perfectionner dans la théorie mathématique. Devant de tels cas, Essertier (Les Formes inferieures dc lbxplication, p.81) a émis I'hypothèse d'une nature primitive des images eidétiques : elles seraient une survivance ( de cette mémoire prodigieuse que l'on rencontre parfois chez le primitif... les derniers témoins d'un univers mental aujourd'hui disparu o. Cette hypothèse est peut-être exagérément
conforme à une théorie de l'évolution unilinéaire, enveloppant les mentalités en même temps que les formes sociales. Elle est intéressante dans la mesure oir on peut ratracher le phénomène des images eidétiques à un régime défini de I'activité mentale er à un niveau de vigilance diftrent de celui qui donne la pensée réflexive ou I'attitude critique; tout sujet, en efFet, peut avoir I'expérience des images eidétiques lorsqu'il se ffouve dans une situation de violente stimulation émotive; certains traits concrets de la situation se fixent et peuvenr faire réapparaître plus tard la scène de manière presque hallucinatoire, avec une très ferme prégnance des détails. Et même s'il fallait admettre que l'eidétisme est un aspect de la pensée sauvage, ce ne serait pas une raison pour considérer cette activité mentale comme une simple survivance ou un signe de < régression o. L'eidétisme peut au contraire apparaître comme une des racines de I'imagination artistique, et peut-être de I'imagination inventive en général ; une activité de rype assez primitif, intégrée au développement d'un symbolisme intellectuel, donnerait une base à la créativité, qui suppose à la fois une vue directe, neuve, concrète du réel, et une aptitude symbolique abstraite très développée, nécessaire à la construction ordonnée et organisée d'une æuvre nouvelle ; la créativité suppose, comme aptitudes réunies dans le même sujet, les termes extrêmes de I'ancien et du nouveau, de la pensée sauvage er d'un symbolisme abstrait. En ce sens, Taine note qu'une mémoire concrète riche en images comparables aux images eidétiques existe chez de nombreux arrisres : certaines images bien plus irrégulières, plus nuancées, plus difficiles à rappeler que celles des joueurs d'échecs se présentenr avec une précision
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
ou statuaires qui, après avoir considéré attentivement un modèle, peuvenr faire son portrait de mémoire. ( Gustave Doré a cette faculté ; Horace Vernet I'avait; Abercrombie cite un peintre qui, de souvenir et sans I'aide d'aucune gravure, copia un marcyre de Saint-Pierre par Rubens, avec une imitation si parfaite que, les deux tableaux étant placés I'un près de I'aurre, il fallait quelque attention pour distinguer la copie de l'original. o Taine cite également le cas de Mozart qui, ayant entendu deux fois le Miserere d'Allegri, à la chapelle Sixtine, le nota tour entier de mémoire : n il était défendu d'en donner copie, et l'on crut le maître de chapelle infidèle, tant le tour de force était grand >'. De même, Balzac revoyait les objets en lui-même, éclairés et colorés comme ils l'étaient au moment où il les avait aperçus ; Testut, anatomiste, allait à ses cours en ayant devant les yeux ( la vue imaginaire de la région à décrire o. Ces deux derniers cas, cités par Cuvillier, sont à rapprocher d'une expérience d'apprentissage égale, chez certains peintres, dessinateurs
de Brière de Boismont, cité par Taine ; Brière de Boismonr s'esr exercé à imprimer en lui la figure d'un de ses amis, er esr arùvé à avoir une représentation mentale visible, paraissant exrérieure et o placée dans la direction du rayon visuel ), avec la grandeur et les attributs du modèle ; o I'image est vâporeuse et d'une autre nature que la sensation objective..., mais limitée, colorée ,. Taine affirme que des écoles de dessin de Paris entraînent leurs élèves à reproduire de mémoire un ensemble d'objets vus pendant peu de temps ; cerre aptitude se développe : au début, les élèves éprouvent de la difficulté ; l'image disparaît dès que I'objet est voilé ; ensuite, I'image revient et peur être maintenue pendant un temps suffisant pour permettre le dessin. On peut ajouter que les prestidigitateurs développent ce mode de mémoire par image eidétique ; après avoir vu le public d'une salle pendant quelques secondes, cerrains sont capables, les yeux bandés, de décrire les personnes qui composent le public, comme s'ils étaient doués de perception exrra-sensorielle ; en fait, ils utilisent I'image eidétique. L'image immédiate se distingue de I'image eidétique par le fait que l'image immédiate, très proche de la sensarion et de la perception, conserve des caractères concrets dépounnrs de significarion ; dans I'image eidétique, les caractères, tout en restant concrets, sont déjà sélectionnés dans le sens de leur fonction typique et significative (absence des ombres et des détails de sculpture des differentes pièces dans le jeu d'échecs, r.
Il
faut avoir entendu soi-même ce Miserere pour apprécier l'ampleur et la pré-
cision d'une telle mémoire musicale.
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mais conservation des déplacemenrs, des directions, des positions) ; les caractères conservés par I'image eidétique consriruenr comme autanr de points de soudure entre le sujet et son enrourage ; ces points de soudure réservent les voies d'accès ultérieures du sujet aux objets du milieu ; ils offrent aussi des éléments pour une activité combinatoire. D'ailleurs, plusieurs auteurs, observant I'eidétisme, ont noté la plasticité de ces images ; le point de départ est bien fourni par l'état initial d'une situation effectivement perçue ; mais le sujet peut ensuite agir mentalement sur I'image eidétique en lui imposant des transformadons, comme s'il agissait effectivemenr sur des objets (écrire un nombre à la craie sur un tableau imaginaire, modifier la position des pièces sur l'échiquier imaginé en vision eidétique) ; quand la représentarion devient incerraine, I'image eidétique, d'après les témoignages des joueurs d'échecs étudiés par Taine, peut être restaurée par une récapitulation des différentes modifications successives qui onr eu lieu au cours de la partie. \floodworth cite les recherches d'Urbantschitsch (rgoù sur les images eidétiques, ainsi que celles de Jaensch, er estime, à l'inverse de I'opinion de Taine, que l'image eidétique est notablement diftrente de la perception ; elle ne ressemble pas à une photographie, parce que ses détails ne sont pas tous simultanémenr présents ; elle se développe progressivement ; lorsqu'une question relative à un détail est demandée, il peut se Passer un certain temps avant que ce point s'éclaircisse suffisamment Pour permettre une réponse. o De petits détails se révèlent, alors que des parties adjacentes de I'image resreronr en blanc (Kltiver r9p). La quantité de détails signalés ne correspond en aucune façon à la somme de ce qu'on pourrait trouver dans une image réelle. o La plasticité de I'image eidétique est telle que certains sujets peuvenr la modifier délibérément ou sous l'influence de la suggestion ; les objets peuvenr changer de forme ou de couleur, er se mouvoir à I'intérieur de l'image. EnfiÀ, chez les enfants, on nore que les sujets n'obdennent de bonnes images que des scènes qui les intéressent; les images eidétiques fixent les objets significatifs d'une siruarion, et les traits significatifs de ces objets particuliers ; elles sonr en ce sens très diftrenres des photographies ou des tableaux des peintres qui s'intéressent aux rapports des masses d'ombre et de lumière sans dégager les lignes saillantes des objets remarquablcs (\Woo dwor th, Psy c h o lo gi e exp é r im enta le, p. 6 z- 61) . Pour \(/oodworth, I'image eidétique esr un phénomène dc nrérrrrirc beaucoup plus que de perception ; elle possède les caracre\r'cs dcs innl;,cs mnésiques, et non pas ceux de la perception. Cette conclu.sion sc rlrl)proche assez de celle de Binet, étudiant la mémoire du jouctrr d'i.chccs
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I IIO IMAGINATION ET I}iN/ENTION
et découvrant qu'elle contient la représentation du mouvement que la pièce peut faire (n le Fou n'est point telle pièce de forme baroque, c'est fTspnux du essentiellement une pièce qui a une marche oblique v, laboratoire d.e psychologie d.e k Sorbonne, t892, page 44).On peut dire que I'image eidétique est déjà, en un certain sens très élémentaire, le symbole, parce qu'elle découpe la perception et la stylise en fonction du sujet conservant le souvenir. Le fait que l'image eidétique mérite d'être étudiée comme phénomène mnésique n'enlève d'ailleurs rien au caractère particulier de son acquisition. Et I'on pourrait peut-être noter, sous réserve de recherches ultérieures, qu'il existe une certaine continuité entre les phénomènes d'empreinte et ceux d'eidétisme ; les situations intenses, amenant un haut degré de vigilance, favorisent I'acquisition d'une image eidétique qui peut d'ailleurs ne pas concerner directement I'objet créant l'émotion et suscitant la vigilance élevée. Ainsi, au cours d'une conversation téléphonique apprenant une nouvelle importante et demandant des réponses attentives et précises, il peut arriver que l'on acquière en vision eidétique le souvenir d'un détail visuel sans rapport logique avec le contenu de la communication, qui ne demande aucune activité perceptive visuelle : image du filetage d'une vis de l'appareil de téléphone, d'un détail du mobilier, etc. Le plus souvent, les images eidétiques acquises au cours d'une situation intense sont liées à l'objet central et significatif autour duquel s'organise cette situation ; mais si la situation est abstraite et symbolique, intéressant un seul sens, comme dans une conversation téléphonique, I'image fixée peut ne pas être liée à l'objet central et significatif, ce qui montre que la situation n chaude o suscite pour les diftrents ordres d'activités perceptivo-sensorielles un état comparable aux périodes sensibles favorisant I'empreinte. 3. LEs IMAcEs-souvENrRS LES
( TypEs
; NorIoN D'IMAGINATIoN REIRODUCTRICE; ) ; LES IMAcES cÉNÉnlquns
TMAGTNATTFs
L'image-souvenir est celle qui peut réapparaître un temps quelconque fin de la situation perceptive à laquelle elle se rapporte ; l'image est alors I'occasion d'une représentation, d'une reviviscence, caractérisant l'état secondaire et le distinguant de l'état primaire, qui se prolonge plutôt qu'il se représente dans I'image consécutive et dans l'image immédiate. Une question théorique se pose: en quelle mesure faut-il distinguer I'image-souvenir de I'image eidétique ? En fait, le noyau d'image éidétique peut servir de centre actif à une image-souvenir complexe. L'exemple célèbre de la madeleine de Proust pourrait être analysé après la
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DEs TMAGES
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selon la perspective de I'eidétisme, car rien ne permer, théoriquement, de restreindre à la seule catégorie visuelle ces phénomènes d'empreinte perceptivo-sensorielle ; on rrouve d'ailleurs chez Prousr d'autres images eidétiques olfactives, comme celle de I'odeur de pétrole d'une auromobile, noyau d'une multitude d'impressions visuelles, sonores, relatives aux voyages, aux horizons des routes, aux paysages traversés. La reviviscence, selon la description de Proust, se produit par I'intermédiaire de cette odeur, de longues années plus tard, et dans une situation bien difftrente de celle du voyage, puisque le sujet senr I'odeur de pétrole qui monte de la rue alors qu'il se réveille dans un hôtel parisien. (Nous employons le mot n eidétique , en opéranr une cerraine généralisation, car ce terme, à l'origine, ne s'appliquait qu'à la catégorie visuelle.) L'existence d'un centre eidétique actif dans I'image-souvenir se heurte à un argument souvent présenté et devenu classique, celui de I'impossibilité de l'énumération des éléments de I'objet représenté ; en particulier, si I'on demande à une personne déclarant qu'elle n voit , bien le
Panthéon en imagination, de compter les colonnes qu'elle o voit,,, l'énumération est généralement impossible ; à partir de l'épreuve de cette incapacité, certains auteurs ont contesté le caractère concret des images-souvenirs er ont considéré les descriptions d'images comme un pur bavardage. En fait, une telle épreuve n'est nullement concluante ; les chercheurs qui ont étudié les difftrentes opérations d'analyse perceptive (en particulier le Professeur de Possel, pour consrruire une machine à lire), onr reconnu I'importance des supporrs concrers, des points d'arrêt qui permetrenr au regard qui analyse d'avoir des repères dans I'objet. Il est à peu près impossible, en effer, de compter les barreaux d'une grille, les rangs de briques d'un mur, sans prendre des repères. Quand les hétérogénéités naturelles de I'objet offrent d'ellesmêmes ces repères (un barreau rouillé, un auffe plus mince, erc.), I'analyse perceptive est aisée. Dans un objet réel vu en situation concrère, les hétérogénéités locales peuvenr être importantes er progressives, accompagnant et guidant I'activité perceptive : les colonnes du Panthéon, disposées en cercle, sonr roures éclairées de manière difftrente par la lumière ; de plus, les intervalles apparents qui les séparent, du point de vue de I'observateur, sont en progression ascendante, par I'effet de la perspective, des extrêmes vers le centre. La résistance de ces repères, points d'appui de l'activité perceptive analysanre, n'exisre plus dans I'image, parce que l'image est déjà plus abstraite et plus ( pure u que la perception ; sur I'image menrale du Panthéon, il ne reste plus les ombres ni les détails, les diftrences de reinte, qui individualisent les
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ET INVENTION
colonnes, donnant une structure interne à la série. Par contre, l'énuméretion des éléments d'une image eidétique reste possible quand ces éléments sont differenciés par leur fonction significative, comme c'est le cas pour un mot écrit (les lettres, en tant que leffres, sont différentes les unes des autres, non seulement dans la perception, mais dans I'image). Les chercheurs de la deuxième moitié du XIX' siècle ont été sensibles aux diftrences individuelles en matière de vivacité et de précision des images-souvenirs ; d'abord, on peut se demander si toutes les personnes ont à un même degré cette capacité de représentation mentale semiconcrète ; mais les descriptions et analyses subjectives sont délicates à interpréter, si on cherche à les utiliser comme base d'estimation absolue pour mesurer le degré de u concrétude , des images des différents sujets. Par contre, une rypologie a des chances d'être moins arbitraire quand il s'agit de comparer, chez une même personne, le degré de vivacité et de précision des images relevant des différentes catégories sensorielles. Cet aspect diftrentiel, d$ù noté dans la littérature et dans les arts, a été signalé par Fechner en 186o et étudié par Galton (r88o). Fechner, demandant à ses sujets d'évoquer l'image d'un objet défini, notait des différences d'aptitude dans cette évocation. Galton avait constitué un questionnaire de la n table à déjeuner o : les sujets étaient invités à évoquer I'image de leur table à déjeuner au moment où ils prennent leur repas du matin, en précisant le degré de définition des objets, l'éclat plus ou moins vif de la scène, le caractère des couleurs (distinctes, naturelles...). Les érudits et les savants interrogés par Galton avaient tendance à répondre qu'ils n'avaient pas d'images mentales; mais d'autres réponses montraient que certains objets (un ou deux, par exemple, de ceux qui étaient posés sur la table) restaient nets dans I'image-souvenir de plusieurs sujets ; après avoir cherché à établir une corrélation (inverse) entre la vivacité de I'imagination et les dons intellectuels, les investigateurs continuant les recherches de Galton se tournèrent vers l'étude des types imaginatifs, selon la diversité des aptitudes de chaque sujet pour I'imagerie visuelle, auditive, etc. Les études de Charcot sur l'aphasie ont montré que telle ou telle classe d'images prédomine selon les individus considérés ; en systématisant ses observations, Charcot a ramené à quatre les ( types imaginatifs ) : type uisuel, type audit$ type moteur, Vpe mixte. Le n visuel o se rappelle un texte en se représentant la page où il est imprimé ; au moment de I'apprentissage, il a recours à des schématisations spatiales, emploie les gravures, les repères colorés, les graphiques ; il a de plus tendance à convertir en représentations visuelles des données
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relevant d'autres sens, et trouve, s'il est poète, des métaphores exprimant dit : n les dentelles du son que le fifre découpe o). Hugo employait la gravure, le dessin à I'encre de Chine, avec de fortes oppositions d'ombre et de lumière, pour traduire sa vision de scènes et de situations complexes oir interviennent aussi des éléments non-visuels (par exemple: un orage sur un château accroché au flanc d'une colline escarpée). Il déclarait que les idées abstraites évoquaient en lui des images concrètes : la loi, c'est I'image de juges en robe rouge, la couleur, I'opposition du vert d'une plante et du rouge d'une draperie, la forme, o un bloc rond, une épaule de femme > (cité par Cuvillier, d'après Ribot, Idees généralrt, p.ry).Le type visuel peut d'ailleurs se diversifier selon la prédominance des représentations concrètes des formes, des couleurs, des rapports géométriques, des signes typographiques. Michel-Ange, devenu presque aveugle, employait le toucher pour reconnaître et admirer les statues. Un peintre comme Delacroix accorde la primauté, dans son æuvre, à la recherche des couleurs intervenant non seulement comme éléments, mais comme image, parce qu'elles donnent I'atmosphère de la scène (voir p{ exemple le tableau intitulé < Femmes d'Alger ), tout inondé d'une lumière blonde baignant les objets et les personnages) ; un autre tableau de Delacroix s'intitule o Bataille entre un cheval bai et un cheval bai-brun dans une écurie o. Naturellement, il faut tenir compte de la culture romantique de l'époque (la couleur est un manifeste contre le classicisme de la ligne ; Hugo dit : n je mis un bonnet rouge au vieux dictionnairs o), mais la couleur a chez Delacroix une force significative qu'elle n'a pas chez tous les peintres de la même époque. La mémoire visuelle géométrique concrète correspond à des performances telles que celles des joueurs d'échecs. Quant au type n visuel typographique ), il se trouve chez les personnes qui voient mentalement imprimé chaque mot qu'on prononce ; Bourdon, dans L'Intelligence, p. 44, cite le cas d'un étudiant qui voyait ses propres paroles écrites ou imprimées, n généralement en plus gros caractères que celles des autres o. Fernald (tgo) a montré que I'image proprement ( photographique o d'un mot est très rare ; il n'a jamais trouvé, au cours de ses expériences, un sujet réellement capable de lire les lettres d'un mot d'arrière en avant, sur I'image mentale ; généralement, les sujets à qui on demande ce travail se plaignent que les lettres ne restent pas toutes à leur place, quand ils essayent de lire à I'envers ; les sujets qui ont de bonnes aptitudes pour évoquer les images visuelles arrivent à lire à I'envers quand ils ont trouvé un procédé consistant à décomposer le mot en plusieurs groupes de syllabes et à renverser séparément chaque syllabe. Au contraire, cette conversion (Hugo
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les sujets qui n'ont pas de bonnes images visuelles ont finalement recours à un procédé moins efficace, tel que d'épeler le mot d'un bout à I'autre à plusieurs reprises, et d'éliminer chaque fois une lettre (cette méthode séquentielle unidirectionnelle est comparable à celle que I'on pourrait employer sur une image auditive ; les séquences sonores sont très malaisément réversibles par travail sur l'image mentale ; ce n'est qu'abstraitement qu'on peut renverser le cours du temps). Les rares cas où des sujets, généralement des enfants, se montrent capables de lire à long et inhabituel, par exemple dans une langue l'envers un mot efl vision eidétique, doivent être considérés étrangère inconnue -, comme illustrant les propriétés de I'image eidétique proprement dite ; ces propriétés, dans I'image mentale courante, sont réduites, généralement et pour les sujets les mieux doués en imagerie visuelle, à la vision neffe d'un groupe inversible de deux ou trois lettres au maximum. On doit noter d'ailleurs que la supériorité du n visuel o ne s'étend guère au-delà du retournement de la séquence allant de gauche à droite en séquence inverse ; l'image visuelle n'est pas assez complète pour permettre de lire dans toutes les directions, même si le sujet a une tendance visuelle très marquée ; c'est ce que montre l'épreuve du cané d.e lemes, composé de 16 ou 25 lettres disposées en carré, et qu'il faut apprendre, dans l'acquisition, en lisant à la manière habituelle. Binet, Fernald, Mûller, ont constaté que le sujet qui a appris ainsi le carré éprouve d'importantes difficultés à le réciter de bas en haut, et de plus importantes encore à le réciter en suivant les lignes obliques. Selon Mùller, la méthode employée pour vaincre cette difficulté est la même chez le n visuel ) ou ( I'auditif o ; elle consiste à utiliser des groupements et des localisations ; tous les sujets travaillent de la même façon. Le type o auditif o est décrit par Binet comme correspondant à la traduction en noms et mots des signes utilisés pour une opération faite mentalement, sans support graphique : pour faire de tête une addition, les auditifs se répètent verbalement les noms des chiffres (Psychologie du raisonnement, p. zr, cité par Cuvillier). Binet note aussi que les personnes de ce type, pour apprendre un texte, se gravent dans l'esprit le son de leurs paroles. Il existe un ensemble considérable de procédés mnémotechniques qui utilisent les images sonores : liste des noms des empereurs romains, liste des paires de nerfs crâniens... La structuration des séquences (rimes, assonances, rythme) facilite la mémorisation et permet de reprendre l'évocation à I'un des points d'articulation (strophe, vers) sans recommencer à réciter tout le texte ; I'existence de blocs indissocia-
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bles qui se répètent dans le texte, comme les noms suivis de l'épithète de nature, est favorable à la fixation des images sonores ; on la trouve surtout dans les textes composés aux époques où l'écriture était peu répan-
due : ce n pharmahon >>, comme dit Platon, c'esr-à-dire cette drogue contre l'oubli, a fait perdre I'usage des procédés de mémorisarion sans support matériel, au nombre desquels se rrouvaienr rous les aspects récurrents des séquences sonores, si nets en poésie et en musique. D'ailleurs, dans un texte dit, dans une séquence sonore complexe, tout n'est pas également source d'image mentale : il existe des structures privilégiées que même les sujets les moins doués pour les images auditives retiennent sans déformation, comme n Rodrigue, as-tu du cæur ? ) n Tout autre que mon Père l'éprouverait sur I'heure ! , ; cette aptitude- à devenir image n'est pas directement liée à la significadon théorique, abstraite, conceptuelle ; le titre du poème de Hugo o Oceano nox ) constitue facilement une image auditive sans que I'on songe à la signification : n Nuit sur I'Océan ,. Egger, dans La Parole intérieure, affirme que route pensée s'accompagne d'une sorte de bruit intérieur, qui est comme une parole mentale. Sans reprendre I'exemple de Mozart, déjà cité, il est possible de citer celui de Beethoven qui, devenu sourd, se répétait intérieurement d'énormes symphonies, et celui de Mendelssohn, qui était capable dès l'enfance d'accompagner de mémoire des opéras enriers. Dans la littérature, le sort fait aux bruits, aux sons, est plus ou moins important selon les auteurs, et aussi selon les écoles. Daudet a une grande tendresse pour les bruits, les sons, les mots n pittoresques , qui font image ; les onomatopées sont assez nombreuses dans les Contes, et on y rrouve ce que l'École de la Gestalt nommait des u significations implicites o incluses dans la structure des noms des personnes et des lieux : Tistet Védène, Pampérigouste... Le rype imaginatif moteur est parfois associé, selon certains chercheurs, au type auditif, parce qu'il existe un lien entre la représentation auditive et les mouvements permetrant de prononcer un mot ou d'émettre un son ; on peut cependant norer que l'étendue du registre de la voix humaine n'est pas aussi considérable que celle de I'audition, bien que le maximum de sensibilité de I'audition corresponde aux sons habituellement présents dans l'expression verbale et le chant ; le couplage n'esr donc pas total entre la phonation et I'audition. Stricker a particulièrement étudié le rype moreur, dans I'ouvrage intitulé Du langage et de la musique. Stricker affirmait être lui-même un cas typique ; ses mots-images, au lieu d'être visuels ou auditifs, étaient
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presque tous kinesthésiques, faits d'images et peut-être aussi de sensations de mouvements articulatoires. Stricker avait défini une épreuve permettant de montrer I'importance de l'élément moteur d'une image verbale si l'on essaye de penser des mots ne pouvant être prononcés qu'en fermant la bouche (comme n bubble>>, << mutter>>, << utisp r), en se contraignant d'avance à maintenir la bouche ouverte, certains sujets n'arrivent pas à imaginer ces mots, ce qui prouve que leurs images verbales sont essentiellement motrices. Au contraire, un o auditif n peut imaginer les mots cités en conseryant la bouche ouverte. On pourrait ajouter que la part motrice de certaines images comme celles des mots, des chiffres, peut être importante chez certains sujets ; pour retrouver I'orthographe d'un mot, certaines personnes ont besoin de l'écrire, après avoir mobilisé ce registre de représentations kinesthésiques concrètes par quelques mouvements arrondis du poignet, sans écrire, un peu comme on s'éclaircit la voix avant de chanter. Naturellement, en ce cas, on peut parler d'habitudes ; mais comment distinguer exactement I'habitude motrice de I'image motrice ? La véritable question qu'il faudrait se poser, en fait, c'est celle de la légitimité du parallèle établi ainsi entre le contenu acteur des images et les contenus percepdfs ; il existe évidemment des réceptions liées au mouvement et permettant de I'adapter aux objets, à la situation (contrôle moteur et perceptivo-moteur) ; mais la perception n'épuise nullement la réalité du mouvement du corps propre ; le mouvement perçu est, beaucoup plus essentiellement, le mouvement des objets dans le champ perceptif ; à ce titre, il peut y avoir des images de mouvement dans la catégorie visuelle, d'autres dans la catégorie sonore, d'autres encore dans la catégorie tactile. Ce n'est pas essentiellement I'organe des sens recevant l'information qui détermine à lui seul une classe d'images mentales, mais plutôt d'autres caractères relevant de la situation : configuration stable et simultanée, séquence irréversible, séquence réversible, récurrences ; il serait important d'analyser les caractères de I'imagerie de manière moins sensorielle et plus formalisée, plus logique, en traitant les images comme des groupements de signaux; on verrait alors que I'indice de mouvement (stabilité, durée, altération, changement de configuration de la situation) affecte un très grand nombre d'images. L'étude de la perception de la causalité par Michofte permet de discerner quelques cypes d'images de mouvement (reptation, choc, poursuite) qui apparaissent dans les catégories perceptives et peuvent aussi se conserver dans la représentation mentale. L'image kinesthésique du mouvement est cependant nette dans la représentation de certains objets dont l'usage implique un geste très défini,
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comme un robinet, un boulon, un écrou, le disque d'appel de I'appareil de téléphone, un bouton de sonnette ; la vivacité des images de mouvement liées à ces objets apparaît dans la tendance à agir sur ces objets, sans besoin réel, qui porte les enfants à toucher aux robinets, aux appareils de téléphone, aux sonnettes, etc. Charcot ajoute à ces trois types purs un type mixte : selon leur origine, leur acquisition, les images sont, chez le même sujet, tantôt motrices, tantôt auditives, tantôt visuelles. Selon 'W'oodworth, le rype mixte est en fait le rype le plus commun ; les types purs sont rares. Il est d'ailleurs possible que certaines personnes représentent une tendance vers un type olfactif ou gustaûf : Zola, étudié par Toulouse en 1897, serait de rype olfactif : la représentation de personnes, de rues, de maisons, évoquait pour lui des odeurs. Dans l'æuvre de Baudelaire, les notations olfactives sont fréquentes, insistantes, sans cependant représenter une inépuisable variété comparable à celle des images sonores ou visuelles ; en fait, le phénomène le plus courant est le pouvoir remarquable d'évocation d'images des autres registres que possèdent les stimulations olfactives ou gustatives : odeur de goudron des routes, saveur de résine d'une aiguille de pin mise dans la bouche... Cuvillier estime que chez un gourmet comme Brillat-Savarin, auteur de la Physiologie du goût, devaient exister de riches images gustatives. Enfin, le registre tactile ne paraît pas avoir été jugé digne, par les anciens chercheurs, de constituer à lui seul un rype d'imagination. C'est que nos civilisations ne sont guère manouvrières ; les mots du registre tactile sont peu nombreux si I'on sort de la catégorie des tissus et de I'ameublement (soyeux, velouté...). Pourtant, il existe des images tactiles; ce sont elles qui permettent d'évoquer telle matière, sable, poussière, bois, terre de telle ou telle consistance, et constituent un des aspects de l'attachement aux détails concrets du monde et à certaines modalités du travail. La dominance de tel ou tel type d'imagerie chez un sujet peut être étudiée par des ( tests objectifs d'imagerie > progressivement perfectionnés depuis Binet par Angell, Fernald, Mtller, Davis, Bowers. Le Manuel pratique de Psychologie expérimentalc de M. Paul Fraisse expose la méthode la plus complète et la plus récente, celle de la comparaison systématique par paires entre les images de registre diftrent ; le sujet doit estimer quelle image est la plus nette et la plus vive. Au terme de ces estimations, le classement correspondant à toutes les réponses du sujet est comparé à la manière dont il estime lui-même appartenir à tel ou tel type imaginatif, et des divergences assez sensibles peuvent apparaître,
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main, le nez, mais c'est toujours une main particulière, un nez particulier, avec forme et couleur particulières ; n de même, I'idée que je me forme d'un homme doit êffe d'un homme blanc, noir, basané, droit, courbé, grand, petit ou moyen. Aucun effort de pensée ne pourra me procurer l'idée abstaite r. On ne peur, selon Berkeley, imaginer séparément d'un objet des qualités qui ne peuvenr exister qu'incarnées dans cet objet ; I'objet ne peur pas être imaginé sans ses qualités. Cette affirmation est contraire à la conceprion de I'induction chez Aristote ; dans le passage des sens particuliers au sens commun s'effecrue déjà un travail de généralisation et d'abstracrion, er ce travail se continue dans le passage de l'intellect patient à l'intellect agenr. Taine (De I'intelligence,ll, z6o) montre comment s'efFecrue le passage des perceptions particulières aux images génériques, par un processus de fusion. Quand un sujet a vu vingt ou rrenre araucarias, aucune de ces images particulières n'a survécu complètemenr dans son esprit : < les vingt ou trente résurrections se sont émoussées les unes les autres ; ainsi délabrées, agglutinées par leur ressemblance, elles se sont confondues, et ma représentation actuelle n'esr que leur résidu o. Huxley pense que les images génériques se consriruenr comme les portraits génériques obtenus par photographies composites selon le procédé mis au point par Galton vers r88o. Galton, prenanr plusieurs membres de la même famille, arrive à dégager les traits communs, constituant I'air de famille reconnaissable, par un procédé purement physique d'atténuation des détails individuels et de conservarion des caractères se présentant chez un grand nombre de sujets du groupe considéré. Après avoir bien centré et cadré l'appareil (pour que les yeux er la ligne du nez de tous les sujets coïncident sur la plaque sensible), on photographie sur la plaque unique chacun des sujets pendant une fraction du remps de pose total correspondant à la somme de toutes les prises de vues successives ; s'il y a dix sujets, et si la prise de vue, éranr données les conditions d'éclairage, doit durer une seconde, on photographie chaque sujet pendant un dixième de seconde ; ainsi, le temps total d'exposition de la plaque sensible est bien d'une seconde en rour. Après développemenr, fixage, er tirage en positif, on voit que seuls apparaissent nerrement les traits présents chez sept, huit, dix sur dix sujets, les aurres détails sonr flous, ou, plus exactement, ayanr été photographiés dans des conditions de surexposition telle qu'ils n'apparaissenr que faiblement chacun, en se superposant de façon aléatoire à d'autres détails individuels, si bien que les détails fortement marqués sonr ceux qui ont bénéficié d'un processus physique de sommation des quantités de lumière successivemenr appor-
comme I'avait constaté Betts en r9o9, en étendant le questionnaire de Galton. Ç's51 Les images mentales sont-elles génériques ou Particulières ? joué la connaissance théorie de rôle en là une question qui, en raison du par la réponse qu'on lui donne, a mérité longuement I'attention et l'étude de la philosophie. Considérer les images mentales comme particulières, c'est faire remonter I'origine de leur acquisition à une circonstance, historiquement bien déterminée dans l'existence du sujet, comme dans le cas de I'empreinte. Les considérer comme génériques, c'est affirmer qu'il se produit o dans la mémoire ), entre une pluralité de circonstances perceptives d'acquisition et la réapparition d'une imagesouvenir unique, un travail de condensation, de sommation, de simplification, d'organisation qui donne à I'image une signification générique compatibilisant une pluralité d'expériences concrètes ; I'image est en ce cas le résultat d'un processus d'induction primaire et concrète ; ce processus ne s'arrête pas à un premier degré, et il est alors possible de chercher à expliquer toute I'activité mentale à partir de cette activité dont l'image générique est un premier résultat. Taine, dans le tome II de l'ouvrage intitulé De l'intelligence, a étudié la possibilité de cette interprétation générale de l'activité mentale. Le problème est de savoir si l'on peut passer graduellement des perceptions aux idées abstraites, sans
hiatus marquant une difference de nature entre
le contenu des
perceptions et celui des idées, ou bien si, au contraire, la pensée abstraite est radicalement differente de la n pensée concrète , (o abstrait o ne signifie pas ici o résultant d'un processus d'abstraction o mais hautement
formalisé, comme les théories scientifiques). C'est la question qui oppose I'empirisme (affirmant la continuité) à I'idéalisme qui, même quand il admet I'origine perceptive du contenu des images, refuse la continuité entre ces contenus percepdfs et la pensée théorique hautement formalisée, pour laquelle il faut alors chercher une origine et une source non-percePtive (innéité, vision en Dieu). Descartes a affirmé avec vigueur la discontinuité entre la perception et les principes du savoir théorique (idées innées) ; le doute méthodique conduit à rejeter aussi bien les idées adventices que les idées factices. Berkeley, dans les Principles of Human Knowledge, a nié également la continuité, et a déclaré ne pas posséder o I'admirable faculté d'abstraire ses idées o ; Berkeley ne se reconnaît que la faculté d'imaginer, de se représenter I'idée des choses particulières qu'il a perçues, de les composer et de les diviser de diverses manières (homme à deux têtes, centaure), mais toujours avec une forme et une couleur particulière ; on peut bien imaginer détaché du corps la
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tées sur les mêmes régions de la plaque par les dix prises de ,rues. À l'époque, le procédé fut appliqué non seulement aux différents membres d'une même famille, mais à des groupes ethniques $uifs, Anglais), professionnels, etc. Ce procédé n'a pas été systématiquement exploité, mais on pourrait le perfectionner ; il constitue, par un système analogique, un véritable mode de calcul automatique, quoiqu'il soit un peu rigide, car il exige des coïncidences euclidiennes alors que les êtres vivants ont plutôt une structure topologique. Avant de rejeter en bloc la thèse empiriste, il faut comprendre sa
portée, et voir que l'affirmation d'Aristote selon laquelle
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la première expérience, er le cheminement du savoir concret a plutôt une srructure d'arbre se développant en ramifications de plus en plus complexes qu'une structure de sommation, c'està-dire au fond de concentration du multiple en unité. C'est ce qui explique la dichotomie fréquente en n bons ) er ( mauvais o, vrais et faux : il a fallu rajouter des sous-classes, ramifier I'arbre ; quand on connaît le cèpe, le bolet Satan devient un n faux o ; les dichotomies viennent d'empreintes secondaires, non-superposables aux données de I'empreinte primitive, origine de la classe, mais pourranr rattachées à cette ligne de savoir par une sorte de greffe ; s'il ne s'agissait pas d'empreintes successives venant s'embrancher sur une expérience primordiale, il serait difficile d'expliquer la grande généralité de la dichotomie dans la pensée concrète; la dichotomie provient simplement de ce qu'il faut rajouter, à une classe déjà constituée, I'apport d'un savoir nouveau ; ce qui est dichotomique, c'esr le nouveau par rapport à l'ancien, le réel est habituellement beaucoup plus complexe et plus simultané ; une refonte théorique du savoir conserve raremenr les cheminements dichotomiques de la découverte. C'est l'image qui, de I'empreinte primitive aux étapes successives, divise et subdivise une classe en sous-classes, comme I'arbre qui, recommençant chaque année son processus initial de germination manifesté par le tronc, se subdivise progressivemenr depuis les maîtresses branches jusqu'aux ramuscules. La connaissance inductive par les images a été efficace dans I'Histoire naturelle ancienne, peut-être à cause d'une connaturalité des processus de croissance ou d'évolution des vivants et des modes de développemenr des images. On peut noter en effet que la connaissance inductive qui servait de base à Aristote par son adéquation avec la réalité objective est celle qui porte sur le monde vivant considéré comme objet d'investigation taxonomique ; or, les diftrentes variations du rype d'une espèce végétale ou animale à partir d'une souche primitive s'efFectuent selon un processus de réactions adaptatives à des conditions nouvelles (altitude, climat, interaction avec les autres espèces) qui présente une importante analogie formelle avec celui de I'image-souvenir s'enrichissanr er se diftrenciant à partir d'une empreinte primitive, au cours des expériences successives qui apportent des caractères nouveaux. Autrement dit, la sffucture d'embranchement est commune à la taxonomie du naturaliste, qui travaille sur le résultat actuel d'un processus d'évolution des êtres vivants, et à I'activité de l'image qui, au cours de la vie du sujet, reçoit à partir de la souche première (l'empreinte initiale) des embranchemenrs manifestant les empreintes ultérieures venues s'ordonner par apporrs succesclasse est donnée dans
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pense jamais sans image n'est pas seulement la reconnaissance d'une infirmité impliquant nécessité d'extraire et d'apprendre ; elle contient aussi I'idée que le savoir progresse à partir de l'expérience, en se tota-
lisant. L'image est déjà un procédé de connaissance partiellement formalisé et permettant la généralisation par systématisation analogique. Quand Aristote dit avec audace qu'une plante est comparable à un animal qui vivrait tête en bas, la bouche dans le sol, comme l'arbre y a ses racines, il fait peut-être partiellement une erreur sur le rôle trophique des racines, mais il exploite énergiquement les possibilités de systématisation et de découverte de I'image, en essayant de former par superposition mentale, après inversion de r8oo, l'image générique des animaux et celle des végétaux. En fait, I'empirisme contient et affirme, à travers le véhicule qu'est I'image, la possibilité de progrès indéfini de la pensée. Il resterait pourtant à savoir si l'induction s'efFectue selon le processus de totalisation par sommation dont les portraits composites sont l'équivalent physique (assez peu différent du processus physiologique de frayage des voies invoqué pour expliquer la formation des habitudes de manière uniquement mécanique chez Descartes), ou bien si la dynamique des images se rapproche plus de la croissance des êtres vivants. En fait, malgré la théorie de Ribot qui adopte Ia conception de Taine et de Huxley sur les images génériques, on peut noter que le nombre de présentations des objets n'intervient qu'indirectement dans la formation d'une image; on peut avoir vu des milliers d'arbres sans avoir aucunement une image précise de ces arbres, même s'ils appartiennent à une espèce unique dont les diftrents individus sont très semblables. Par contre, il suffit d'être tombé une seule fois dans une touffe d'orties pour en conserver une image précise, et pour former aussitôt, à partir de cette première empreinte, la classe de ce qui ressemble aux orties, avec ou sans poils urticants : le lamier blanc, le lamier rose, etc. Les classes inductives, pratiquement, ont un germe, une origine absolue dans l'expérience ; la
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T22 IMAGINATION ET INVENTION
sifs partiellement divergents autour du tronc premier. Cette structure d'arbre, d'embranchements, est beaucoup moins nette lorsque les processus de formation, dans la nature, n'impliquent pas une évolution à étapes successives à partir d'une souche, mais de multiples interactions selon un mode de simultanéité;la classification des roches, avec tous les phénomènes de métamorphisme, est moins perméable à I'induction taxonomique que les espèces d'animaux ou de plantes, oùr la connaissance courante a déjù reconnu, avant le travail scientifique, des familles, des variétés, des groupes, des lignées. Tout en cherchant à expliquer les raisons qui ont permis la réussite épistémologique d'une connaissance par images, encore peu formalisée, il importe de se demander si le schéma de I'empirisme rend bien compte du devenir des images, particulièrement dans I'image-souvenir. En effet, le schéma empiriste devenu traditionnel semble bien supposer qu'il s'opère une réduction progressive de plusieurs cas à une notion plus commune et plus abstraite (compréhension de la classe) ; les differents cas concrets observés sont ainsi théoriquement simultanés et aussi importants les uns que les autres, ils sont équivalents en ce qui concerne leur apport informatif à la compréhension de la classe vers laquelle ils convergent ; pour abstraire la définition du chien à partir des différents chiens effectivement rencontrés, tel chien, petit et roux, a la même importance que tel autre, grand et blanc ; tous sont également, dans la même mesure et simultanément, des chiens ; tous les individus sont logiquement équivalents comme source d'information ; il n'y a pas de privilège ni d'antériorité par rapport à d'autres cas ; I'induction efface I'historicité des apports d'information, qui ne peuvent être que successifs dans I'expérience du sujet. Il en va de même, d'ailleurs, dans le processus de déduction exploitant les résultats de I'induction (déduction n formelle ,) : les conséquences sont au même niveau les unes que les autres ; les divergences déductives, allant de l'unité des principes à la multiplicité des conséquences, sont symétriques aux convergences inductives. Mais il s'agit là d'une systématisation idéale, vraie peut-être lorsqu'on parle d'une connaissance conceptuelle, non lorsqu'on veut décrire la genèse de I'image et le mode de connaissance qu'elle donne : les divergences et les convergences des images sont marginales, adventives ; elles sont asymétriques. Pour reprendre l'exemple de I'araucaria choisi par Taine, tous les araucarias que nous avons vus ne sont pas sur le même plan ; il y a un premier araucaria, une image originelle de cet arbuste régulier aux aiguilles vertes et drues, qui restera la plus vraie, la plus authentique, la plus éminente dans le souvenir, et qui sera source
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des normes pour toutes les empreintes successives. Si cet araucaria de notre première expérience était petit et verr foncé sur un terreau noir, un autre plus grand et jaune sera vu comme o un grand araucaria jaune ), et un troisième comme un araucaria au tronc lisse ou aux branches non recourbées ; autremenr dit, les expériences successives (en tant que sources d'images-souvenirs) s'inscrivent comme des variantes par rapport à un texte de base dont l'antériorité est respecrée comme un terme de réftrence absolu er une source inépuisable de normes compâratives. L'origine des classes esr contenue dans une empreinte jouant un rôle archérypal de premier modèle, de principe. C'est en ce sens que la maison paternelle est le modèle de toutes les maisons, que la Mère ou le Père sont le modèle de l'autorité ou de la source des biens, du recours en cas de détresse. Les expériences ultérieures se définissent par des apports de divergence ayant un sens par embranchement secondaire sur la source archérypale originelle: la mauvaise mère, la belle-mère, onr un sens par rapport à la mère donnée à l'origine, devenant la bonne mère de façon explicite seulement quand les expériences ultérieures onr révélé l'existence de mauvaises mères ; mais il n'y a pas, malgré les apparences du langage, symétrie entre la bonne mère et la mauvaise mère, selon les images ; la mauvaise mère et la belle-mère sonr moins fondamentales que la bonne mère, qui est la mère selon I'empreinte originelle. Cette manière de présenter le cheminement de l'image dans le souvenir par des embranchements asymétriques s'écarte donc assez notablement d'une ligne inducdve rassemblant dans la compréhension de la classe le contenu commun aux différenrs câs individuels concrets anrérieurement rencontrés ; selon l'image, la classe est déjà donnée avec la première empreinte ; elle sert de souche aux apports ultérieurs qui modifient I'extension de la classe sans remanier complèremenr sa compréhension, dans laquelle les traits primitifs continuenr à jouer un rôle majeur. Pour prendre un exemple plus âcile à analyser que celui de la bonne mère et de la mauvaise mère, on sait que les Cygnes ont été considérés comme des Oiseaux nécessairement blancs jusqu'au jour où I'on a trouvé des Cygnes noirs en Australie ; logiquement, et selon l'induction, le caractère de blancheur aurait dû disparaître de la compréhension du Cygne ; en fait, et de manière assez paradoxale, l'exrension s'esr effectivement étendue, mais la compréhension ne s'esr pas appauvrie de la caractéristique de la blancheur du plumage ; pour la compréhension, le contenu de I'image du Cygne comporre encore la blancheur, er le Cygne noir d'Australie apparaît comme marginal, un peu aberrant, une exception en ce qui concerne la couleur. De même, la mauvaise mère est
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( contre nature )), une espèce de monstre, de contrefaçon de la mère, qui ne peut être connu et pensé que par réference à la mère originelle et authentique. La caractéristique épistémologique la plus importante de
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I'image-souvenir est l'indépendance de l'extension par rapport à la compréhension ; la connaissance selon I'image est donc differente de la connaissance inductive classiquement décrite. On doit d'ailleurs noter que Taine, qui fait sortir toute la vie mentale des images et de leurs relations, dans le tome II de l'ouvrage intitulé De I'intelligence, a recours en fait à I'idée d'un processus de développement analogue dans le cas des phénomènes naturels et dans celui des images mentales; il s'agit plutôt de ce que l'on nommera plus tard isomorphisme (Théorie de la Forme) que d'une véritable induction impliquant réception passive des données reçues par la perception. Enfin, à parrir d'une conception de la constitution de I'image-souvenir par embranchement d'empreintes successives sur un tronc commun et primitif provenant de la première empreinte, fondatrice de la classe, on peut prévoir le processus de saturation de l'image et de formation du symbole ; un ( arbre , d'images-souvenirs développées à partir d'une première empreinte tend à devenir un symbole quand les tendances opposées des empreintes successives amènent la structure primitivement asymétrique (la mauvaise mère comme cas aberrant de la mère primitive) à un état de symétrie où I'image est un couple de qualités incompatibles et pourtant liées ensemble (la mère qui est à la fois bonne et mauvaise, nourricière et captative, source de vie et menace d'absorption niant I'individu-enfant). Ce couple de qualités incompatibles et pourtant liées exprime l'état de sursaturation de l'image-souvenir, état métastable qui est la condition nécessaire de I'invention, c'est-à-dire d'un changement de structure, restituant la compatibilité dans un système nouveau. L'image devenue symbole condense une expérience contradictoire ; elle se présente sous cette forme avec I'opacité d'un véritable objet, irréductible à toute ( attitude de conscience ), et partiellement réfractaire même à une élucidation par la conscience ; I'image-symbole attache le sujet aux événements dont il a le souvenir complexe, et le fait dépendre de ces événements dont il conserve un fragment réel et représentatif; équivalent de l'objet comme concret, et des situations comme enveloppantes ; inversement, le symbole est aussi le chemin vers I'objet, en ce sens qu'il est un moyen pour le susciter, le restituer, à partir des traces. Et les ffaces sont efficaces pour susciter I'objet quand tous les diffërents aspects de I'objet sont simultanément représentés dans le système des
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empreintes relatives à cet objet, avec un équilibre inrerne qui constitue la cohérence mais aussi en même remps la tension de ce système. Ainsi, pour que I'image-souvenir puisse évoluer au point de devenir un symbole, il faut qu'elle condense une expérience intense, accenruée, liant énergiquement l'être vivant au milieu, er se développanr à travers une série d'empreintes successives qualitativemenr difftrentes, irréductibles les unes aux autres ; c'est I'hétérogénéité des empreintes rattachées à une même source qui donne au symbole sa rension interne, et qui le rend difftrent d'une totalisation comparable à celle du portrait composite. Nous ne prétendons nullemenr que I'hypothèse de la constitution des images génériques par un procédé de totalisation ne rend pas compte d'un certain nombre de processus ; il est possible que la totalisation intervienne dans les cas où il n'existe pas d'empreinte, c'est-à-dire dans les cas où l'acquisition des souvenirs se fait avec des motivations relativement faibles et resre près du fonctionnemenr de la mémoire immédiate; mais les souvenirs lointains, forrement accentués émotivement' et par ailleurs relativement pauvres en information, n'attendent pas pour trouver leur organisation que toutes les n prises de vues o successives et partielles aienr pu avoir lieu ; pour prolonger la métaphore photographique, on peut dire que I'action du révélateur a lieu après chaque apport de I'expérience, et que le souvenir, au lieu de rester à l'état d'organisation latente jusqu'à la fin de la série, est corrigé er remanié à chaque nouvel apporr d'une expérience inrense, surchargé par les empreintes successives qui constituent ainsi une série dans laquelle les aPPorts nouveaux peuvent entrer en conflit avec les apports anciens sans les effacer. Enfin, le processus de totalisation décrit par Taine, Huxley, Ribot, peut exister à l'intérieur de la constitution progressive de l'image en progrès vers l'état de symbole : quand les dichotomies principales sont efFectuées, les expériences, homogènes les unes par rapport aux autres dans I'une des voies dichotomiques, peuvenr se recouvrir et effacer ainsi partiellement leur individualité historique : la liste des bienfaits, d'une part, et des méfaits, d'autre part, d'une même personne, ouvre le registre de deux images génériques séparées de totalisation ; si les bienfaits er les méfaits interftraient dans un unique registre, ils s'effaceraient les uns les autres ; or, I'image d'une personne aureur d'une longue liste de bienfaits et d'une aussi longue liste de méfaits n'est pas du tout la même que celle d'une personne qui ne fait ni bien ni mal, resrant perpétuellement neuffe ; pour que les totalisations puissent s'effecruer, il faut que les dichotomies préalables, consriruant les classes de totalisarion, soienr
ro 126 IMAGINATION ET II.IVENTION
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Lacan (tome VIII de l'Encyclopédiefançaise) nomme Imago I'entité paradoxale, représentation inconsciente qui est sous le complexe et constitue I'un des organiseurs du développement psychique : I'Imago organise des images et des pensées ; elle rend compte d'attitudes manifestant le næud de forces contradictoires qu'est tout complexe, et est ainsi à la base de certaines structures dont le complexe est un facteur concret. Telle est, par exemple et en particulier, l'Imago du sein maternel qui est à la base du complexe du sevrage. La situation d'origine de I'enfant humain est la relation d'extrême dépendance vis-à-vis de la mère ; le sevrage correspond à la naissance de I'autonomie, apportant d'autres satisfactions mais faisant perdre la sécurité et les satisfactions rattachées à la dépendance. Pour reprendre les expressions employées plus haut, on pourrait dire qu'une dichotomie se produit au moment où la possibilité d'autonomie vient se greffer sur la relation primitive à la mère ; tant que la possibilité d'autonomie reste asymétrique, occasionnelle, vraiment marginale par rapport à la relation à la mère, il ne se crée pas une Imago ; l'Imago se constitue comme une figure d'équilibre tendu qui, revenant sur le caractère absolument premier du rapport à la mère, met cette relation sur le même plan et au même niveau que I'indépendance; I'Imago est la figure d'équilibre qui rend symétriques I'indépendance et la liaison à la mère, en faisant après-coup, et par rattrapage, de cette liaison, une dépendance éprouvée comme menace et danger d'absorption, retour à une existence intra-utérine ; la représentation inconsciente qu'est I'Imago du sein maternel correspond à la dualité simultanée de la liaison étroite avec la mère, objet d'aspiration, et du désir d'affranchissement correspondant au développement personnel de I'enfant ; la simultanéité tendue de ce couple divergent d'aspirations s'exprime symboliquement dans le désir de la mort lié aux formes précoces de lien avec autrui ; la mère est représentée comme une espèce de lieu de repos, de nirvana, de renoncement à I'individualité séparée (voir le cours de Madame Favez-Boutonier sur L'Imagination, p. 8S-S9). L'Imago réunit donc en un équilibre tendu et symétrique deux situations qui, en fait, se sont manifestées I'une après I'autre dans leur pleine expression, et de manière asymétrique. L'Imago est symbole parce qu'elle renvoie à une réalité autre que celle du moi, et elle peut renvoyer à cette réalité autre parce qu'au lieu de résumer et de condenser linéairement les expériences successives, elle les concrétise et les condense en une entité paradoxale qui est Ia manifestation, au sein du moi, du rapport réel avec autrui comme source d'altérité. Le symbole induit des
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primitif de mémoire, celle les processus décrits par les théories qui correspond aux empreintes ; empiristes correspondent à des mémoires partielles ; I'image est antérieure à la répartition des tâches entre ces mémoires partielles, et au cours de l'expérience, le passage progressif de l'image au symbole se fait par interaction entre ces mémoires partielles : I'image est antérieure aux empirismes partiels et elle se développe en allant plus loin que leurs effectuées par un mode plus implicite et plus
c. L'TMAGTNATRE coMME MoNDE
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oBJETS-SYMBOLES L'image-souvenir, selon la perspective qui vient d'être évoquée, peut donc avoir les propriétés d'une image générique, et même de plusieurs images génériques en relation d'interaction, sans que la source de l'information soit constituée par une pluralité d'individus de la classe envisagée : ce peut être un individu aussi bien que la pluralité d'individus constituant une famille, un groupe ethnique, une nation ; c'est pourquoi le développement de I'image dans la direction du symbole s'efFectue de la même manière, que l'image soit celle d'une personne unique ou d'un groupe ; la connaissance selon I'image confond I'individu et le groupe ; I'image de I'Anglais, de I'Américain, de l'Italien, pour tel individu, a un contenu mental analogue à celui de l'image d'une personne : le caractère générique de la portée d'une image disparaît quand I'image est constituée ; aussi la connaissance selon les images entraîne-t-elle la substitution possible d'un individu à un autre comme support de la responsabilité (otages, etc.). La tendance du symbole à se développer en action manifeste la tension interne que recèle le groupement de caractères divergents ; mais cette action peut soit s'exprimer directement, sans construction intermédiaire, par des conduites et des attitudes, soit employer le corps comme ob.iet intermédiaire (imitation, mimique expressive), soit recruter ou même construire de nouveaux objets qui sont des analogues de la réalité représentée par I'image.
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qui rejoignent autrui de manière bivalente; la dualité, la bivalence contenues dans I'Imago expriment la dualité réelle d'autrui et du sujet, parce qu'elles résument les changements de situation provoqués par le développement du sujet dans son rapport à une même personne ; I'Imago maternelle est la réunion en couple simultané des deux perspectives successives du rapport avec la mère, du point de vue de l'enfant. L'Imago est symbole parce qu'elle ramène à I'objet dans toute l'étendue de ses manifestations possibles, qui sont comprises entre les termes extrêmes inclus dans I'Imago (ici, la mère
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pensées, des images, des attitudes
comme source de toute subsistance et la mère comme anéantissement de I'individualité de l'enfant) ; I'Imago, tension entre des termes extrêmes, contient virtuellement tout l'éventail des situations possibles par rapporr à un être déterminé ; elle est par avance le résumé exhaustif des rapports concrets, et constitue donc aussi un mode d'accès à la réalité symbolisée, à partir du sujet. L'Imago n'est pas seulement le résumé de l'éprouvé ; elle marque le début de la réversibilité vers I'action. Lacan cite d'autres complexes et I'Imago correspondante : au complexe de I'intrusion correspond l'aber ego, qui est à la fois une réplique du moi, vivement attirante, et le rival, puis le complexe d'CEdipe. Dans la perspective de Lacan, il existe une difference entre I'image et le symbole, le symbole apparaissant au niveau des complexes où il y a trois termes (complexe d'CEdipe), alors que les images expriment une dualité de personnes. Toutefois, même s'il faut admettre que la réalité du symbole est plus complexe que celle de l'image, I'Imago comme organiseur est bien déjà un symbole élémentaire, parce qu'elle contient en représentation, consciente ou non-consciente, une gamme de possibilités qui la rendent capable de correspondre à toutes les situations réelles du rapport à une réalité : la mère, l'intrus, etc. ; l'Imago, grâce à la dualité des termes extrêmes, déploie un large spectre de relations possibles jalonnées par des situations effectivement éprouvées. L'Imago est symbole parce qu'elle fait passer du spectre discontinu de I'expérience historique au spectre continu des possibles contenus entre des termes extrêmes antithétiques ; elle condense et réordonne l'expérience pour en faire un mode d'accès universel à une réalité donnée. Elle formalise la série aléatoire des empreintes. Mais il ne semble pas qu'il y ait de diftrence de nature entre une formalisation de type primaire, comme celle du spectre des qualités et attitudes entre deux termes extrêmes opposés (comme la vie et la mort, la dépendance et l'autonomie) et une fôrmalisation formalisation plus plus complexe complexe faisant fâisant intervenir une structure ternaire, comme celle du complexe d'G,dipe. Simplement, une formalisation bi-
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naire ouvre une classe plus large pour I'interprétation de I'expérience qu'une formalisation ternaire; le mode binaire répond à la succession temporelle de l'hétéro généité des attitudes et des rapporrs dans une situation qui se modifie, tandis que la formalisation rernaire implique une simultanéité objective et une pluralité dans le champ des objets (par exemple le père et la mère simultanément présents par rapport à I'enfant et en rapport entre eux comme couple en même temps qu'ils sont individuellement en rapporr avec I'enfant). Plus une formalisation est élémentaire, plus elle peut accueillir d'expériences, le rapport bipolaire entre la vie et la mort enveloppe rout ; il peut tour contenir, parce qu'il marque les termes extrêmes de I'expérience. Naturellement, il peut paraître étrange de considérer des modes primaires de pensée comme des formalisations; pourrant, c'est bien d'une formalisation qu'il s'agit dans les images et les symboles faisant le fond commun d'une culture, en particulier selon la perspective des études de Mircea Eliade. Mircea Eliade reprend à peu près l'idée d'archérype de Jung: l'archétype est comme un schéma de I'imagination, un moule d'images appartenant au passé de I'humanité (et peur-êrre à des étapes pré-humaines du devenir de I'espèce). Pour Mircea Eliade, le symbole est surtout religieux, alors que les images se réêrent à l'existence individuelle ; cette distinction revient à peu près à dire que les images sont plus primitives que les symboles, les symboles formalisant des rypes d'empreinte où intervient, en plus des variations de la relation à autrui formalisables en spectre continu, la présence efficace d'un tertium quid (le Père, la Loi, la Société, la Nature ...) qri ne peur être formalisé par la simple bipolarité d'un spectre qualitatif continu, mais nécessite une structure au moins ternaire. Les structures ternaires permettent effectivement aux individus d'un même groupe de communiquer, parce qu'elles formalisent I'expérience de l'interaction et donnenr un terrain d'universalité correspondant à l'expression intellectualisée, adulte, vigilante et consciente. Mais les srrucrures binaires aussi permettent la communication, selon des modalités moins universellement collectives, moins insérées dans I'action du groupe, er n'impliquant pas le même degré de vigilance : les contes et légendes, les myrhes, présentent parfois des structures binaires (l'ogresse, la marâtre ; richesse et pauvreté, orgueil et humilité, oscillations de la Némésis). Enfin, il existe un cerrain raccordement qui rattache au sein d'une même culture les srructures binaires individuelles aux structures ternaires impliquanr la présence de la Société, de la Loi, de la Divinité : tel est, en particulier, le salut individuel dans une religion ; la dichotomie de la vie et de la mort individuelles s'y
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I3O IMAGINATION ET INVENTION
retrouve dans un contexte de surnaturel, puisqu'il s'agit d'une vie et d'une mort éternelles ; la conversion du binaire en rernaire est rendue possible par une structure intermédiaire (sacré-profane, créé-créateur, temporel-éternel) qui est, si l'on peut dire, à double enrrée, car elle n'est dichotomique qu'à l'un de ses termes extrêmes, celui du rappoft au moi, mais elle s'insère dans une structure plus complexe du point de vue du terme privilégié (le sacré, le créateur, l'éternel) qui est supérieur et antérieur à l'autre; ces structures de rattrapage sont aussi des structures de conversion. Les actions éthico-religieuses de passage et de transformation de soi, comme le sacrifice, ne peuvent recevoir leur formalisation que dans de telles structures de conversion entre la forme binaire et les formes plus complexes.
Donc, quelle que soit sa portée, I'image-souvenir peut déjà recevoir une formalisation, même quand elle concerne l'individu seul ou son rapport très primitif au parent ; il vaudrait donc mieux parler de n symbole binaire )) ou o symbole ternaire o plutôt que d'image dans le premier cas et de symbole dans le second, car il y a symbole dès qu'il y a formalisation des empreintes ; si les symboles binaires n'étaient pas formés, serait-il même possible d'acquérir des symboles ternaires permertant la communication avec autrui sur un mode universel ? Le monde de I'imaginaire individuel prépare l'accès au registre habituellement nommé symbolique ; I'imaginaire individuel reflète des conditions très universelles d'existence dans la mesure où il exprime la vie et la mort, la santé et la maladie, la joie et la tristesse, le plaisir et la douleur; le registre de l'individuel est binaire, mais il comporre bien une formalisation des expériences, une symétrisation des empreintes, er par là même un pouvoir symbolique. (Pour une étude des diffërenres carégories de I'imaginaire et une discussion de la terminologie, voir le cours sur L'Imagination par MadameFavez-Boutonier, p. 92 et suivanres, et particulièrement le commentaire de la thèse de M. Ortigues sur Le Discours et le symbole.) Sartre, dans L'Imaginnire, nie la distinction entre la fonction imaginaire et la fonction symbolique: il s'agit de la pensée irréfléchie, qui vise la possession de l'objet. Bien que la définition de la n conscience imageante n de Sartre puisse être discutée, I'interprétation de Sartre est extrêmement intéressante, parce qu'elle met l'accent sur le râpport d'existence et d'action entre l'objer et le sujet qui se risse à travers image ou symbole et non, comme la plupart des doctrines, y compris celle de Husserl, sur les rapporrs de signification permetrant de rapprocher plus ou moins images et symboles des signes. Enfin, il importe de signaler la théorie de Piaget qui, dans La Formation du symbole
chez I'enfant, rattache la distinction entre image et symbole à celle qu'il établit entre les fonctions d'accommodation et les fonctions d'assimilation ; mais il existe, déjà dans I'image, une activité de construction qui fait qu'elle n'est pas le simple prolongement de la perception : n l'image simple est une imitation intérieure de I'objet auquel elle se rapporte, de même que l'imitation extérieure est une copie directe du modèle au moyen du corps propre ou de mouvements projetant les caractères imités en une reproduction matérielle o. La distinction entre image simple et symbole correspond à I'accès au niveau de la représentation : quand les images admettent l'établissement de correspondances af;Fectives entre elles, le passage au niveau symbolique s'efFectue ; le jeu, particulièrement, utilise des symboles manifestant I'affectivité (intentions, désirs) ; plus tard, les symboles stabilisés par les conventions, en particulier par le langage, font la transition avec les concepts ; le propre de la fonction symbolique est la connexion entre des signifiants et des signifiés ; selon Piaget, elle n'apparaît vraiment qu'à un niveau oùr il y a au moins le jeu, permettant, comme le rêve, I'assimilation du réel au moi, et donnant la signification. La théorie de Piaget, tout en maintenant dans une perspective génétique la distinction entre I'image et le symbole, n'exclut pas la possibilité de formes de transition entre images et symboles, les images étant plus primitives que les symboles. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il s'opère une véritable formalisation implicite des images selon les dimensions les plus simples, correspondant à la vie individuelle, c'est-à-dire sous forme d'un spectre continu de rype binaire, permettant les correspondances ; cette formalisation donne déjà aux images une signification et une portée symboliques.
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Le cas pur de l'image ou du symbole comme réalités mentales ne pourrait être entièrement étudié qu'en faisant appel à l'analyse de la rêverie et des rêves, nécessitant une étude spécialisée qui est laissée de côté dans ce cours, faute de temps. Par contre, il est nécessaire, dans la perspective d'une étude ultérieure de I'invention et de la création, d'envisager quel rôle jouent les objets employés comme supports ou instruments de la formalisation symbolique. L'apparition de l'invention dans I'activité humaine n'est pas une nouveauté absolue et brusque ; elle se fait de manière progressive par le recours à des objets qui, simples adjuvants au début, prennent de plus en plus de relief et d'indépendance en concrétisant, condensant et organisant en système de compa-
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IMAGINATION ET INVENTION
tibilité une pluralité de fonctions simultanées et successives. On peut
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nommer objets intermédiaires ou analogues. _ Le premier, le plus facilement utilisable de tous les objets intermédiaires est le corps, dans I'imitation expressive. La fonction symbolique de l'imitation, quand elle est employée de façon inrense, .orr.rporrd bien à la reviviscence du souvenir ; elle suscite l'objet mimé et le fait vivre par évocarion, comme si l'objet mimé prenait possession de celui qui mime. Dans les funérailles de la Rome anrique, le cortège était précédé de mimes qui évoquaient la mémoire du disparu en repioduisant sa manière de marcher, ses tics, tout ce qui constituait la caricature motrice et les attitudes individuelles appartenant en propre à cette personne. Cette activité du mime avait le même sens que les portraits, lés star.r.r, les imagines des ancêtres. De nos jours .r.oi., l'évàcation des disparus s'accompagne d'un certain effet d'induction de leurs habitudes, des choix qu'ils auraient faits, des paroles qu'ils auraient prononcées dans telle ou telle circonstance ; la mémoire fournit, à rravers l'image, des normes, et elle induit l'imitation mimétique prenanr le corps comme objet intermédiaire. Notre culture restreint I'aitivité mimétique, considérée comme vulgaire; pourranr, dans la fonction de souvenir et d'évocation, on voit le corps propre servir d'objet intermédiaire quand il s'agit, entre anciens élèves du même professeur, de faire revivre non seulement l'enseignement du professeur, mais toute I'ambiance du temps où cette promotion écoutait ses leçons : rous ceux qui symbolisent ainsi en imitant sont membres d'un groupe, liés par une espèce de rituel : le ton de voix, I'accent, les gestes habituels, les tournures expressives, les concepts les plus fréquemment utilisés par le maître dont le souvenir esr en même temps consacré et profané par I'imitarion, tous ces éléments interviennent dans la célébration du passé; il s'agit bien d'une caricarure multiforme plutôt que d'une photographie uniforme ; c'est le spectre entier du souvenir qui se réincarne, avec le meilleur et le pire, la remémorarion des bonnes et des mauvaises notes, des triomphei et des humiliations ; c'est le bon et mauvais maître qui revit p"r.. qu'il est joué. on peut noter d'ailleurs combien les significarions sont [éàs à des conditions concrères d'activité, combien elles adhèrent aux symboles ; telle ou telle manière d'utiliser les schémas dialectiques peur resrer indissociable de I'image du professeur qui les a enseignês, si bi.r, qu'ort peut éprouver I'impression non de penser par soi-même mais de s'exprimer à la manière de ce professeur lorsqu'on emploie les mêmes schémas : I'activité d'expression, et en particulier I'activité verbale, prêtent
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leur substrat concret à ces aspects abstraits d'une évocation intégrale à travers le corps propre comme objet intermédiaire le plus disponible. En dehors du corps propre, les objets intermédiaires les plus facilement mobilisables sont ceux qui peuvent être détachés, manipulés, emportés, conseryés, comme des fragments de vêtement, un éclat de pierre, une boucle de cheveux, un peu d'eau d'un fleuve, comme celle que Chateaubriand rapporta du Jourdain. On nomme < souvenirs , ces objets symboliques, et la croyance en leur force opérante est si forte qu'elle peut produire des mouvements collectifs puissants: au moment oùr Lindbergh se posa au Bourget après avoir traversé l'Atlantique, la foule se précipita sur le héros pour le porter en triomphe, mais aussi sur le Spirit Of Saint-Louis pour en arracher des morceaux afin de les conserver comme souvenirs. Prendre un souvenir-symbole, c'est retenir quelque chose de la réalité à laquelle on l'emprunte, car cette réalité est privée de I'une de ses parties, si minime soit-elle, et il s'effectue ainsi partiellement une assimilation au sujet, par l'intermédiaire du lien de propriété ; le souvenir est un analogon de la réalité sur laquelle il a été prélevé, et il constitue un mode d'accès à cette réalité, mode d'accès par le savoir conscient, mais aussi mode d'accès selon une opération d'influence qui prend sens dans I'opération magique. Selon les catégories du souvenir devenu image-symbole, les appartenances d'une personne sont en une certaine mesure en relation symbolique avec elle. Un auteur ancien se moque de I'admirateur d'un sage qui, après la mort de ce sage, acheta sa lampe d'argile, persuadé qu'il pourrait, en étudiant à la lueur de cette lampe, s'imprégner du savoir du philosophe ; le ffait est sans doute inhabituel en matière de pensée philosophique ; les sectateurs des grands maîtres sont en général moins matériellement idolâtres. Mais la recherche des appartenances est courante, selon le mode de la participation par possession d'objets, dans des conduites moins purement réflexives : certaines maisons, de nos jours et en France, revendent des robes ou des manteaux ayant appartenu à des actrices ; notre culture est pourtant globalement défavorable à l'emploi d'objets achetés d'occasion ; mais la recherche de participation à la vie d'une personne célèbre et admirée, par usage d'un symbolon matériel, est plus forte que la répugnance à porter des vêtements qui ne sont pas neufs. De la même manière, les demeures jadis habitées par un personnage célèbre ûouvent plus âcilement des acheteurs à un prix élevé. Chaque culture définit d'ailleurs la classe d'objets permettant la participation selon le mode du transfert d'appartenances ; les vêtements et les maisons occupent une place éminente comme objets intermédiaires, sans doute parce qu'ils
I34 IMAGINATION ET INVENTION
coNTENU errBcrrvo-ÉMorrF DES TMAGES
sont comme des enveloppes du corps propre ; ils sont suivis par les objets d'usage comme les meubles, puis les objets de collection. Dans une catégorie voisine, on rrouve les objets directement produits par une personne : leftres manuscrites, dessins, travaux d'amateurs... Ces objets sont des points remarquables, des rermes extrêmes de la réalité ; ils expriment les < points chauds , des situations et des êrres, ce par quoi ils s'articulent de manière efficace er remarquable avec le mode naturel et social, selon un mode ( sauvage , de perception et d'action ; I'idée que les cheveux et les ongles détiennent de la force vitale, même détachés du corps, est à peu près comparable à la croyance selon laquelle la corde de pendu porte bonheur ; les cheveux et les ongles ont la vertu des extrémités ; ils expriment l'insertion du corps dans le monde extérieur, ils matérialisent et expriment ses limites, ses frontières acrives ; tout ce qui est mobile, visible, est déjà virtuellement détachable de I'individu pour continuer à exprimer sa force, ses possibilités d'action ; ce qui, du corps, est assez souple et mobile pour servir à I'expression, comme les cheveux et l'extrémité des membres, a tendance à être choisi comme objet intermédiaire conservanr des propriétés absolues ; la fonction symbolique est en conrinuité avec celle des phanères dans les diftrentes espèces, car les phanères manifestenr une capacité relationnelle de I'organisme, et existent pour l'extérieur et vers I'extérieur, comme organes de manifestation. Il existe ainsi une catégorie de réalité intermédiaire entre I'organisme comme Éalité autosuffisante et nécessaire, avec les organes de base, et les objets du monde extérieur soumis à manipulation, organisation, et qui forment des instruments ou un territoire : c'est la catégorie des organes ou mouvemenrs de manifestarion, liés à I'extérieur et chargés d'expression plus que les organes nécessaires à la vie. Ce sont précisément ces organes de manifestation qui sont recrutés en premier comme symboles, parce qu'ils sont détachables sans nuire à la vie, et aussi parce que leur relative extériorité leur permet d'être surchargés artificiellemenr de vernis, de couleur, de parures et bijoux, et d'être traités dans le sens d'une intensification ou d'une spécialisation de leur fonction perceptive (ongles longs, diftrents rypes de coiffirres) ; les organes de manifestation se raccordent de manière continue au vêtement et à la parure (perruques) ; par là, ils se raccordenr au monde, d'une manière très différente de celle des organes essenriels, dans des fonctions telles que la respiration ou la nutrition ; ce sonr des effecteurs qui ne portent pas sur des objets, qui n'opèrent pas sur le monde, mais qui manifestent et affichent un mode d'être, un étar, une attitude, généralement plus durables qu'une simple acrion, et parfois liés de manière
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profonde à une fonction, à un rang; dans cette même mesure, le mode d'être des organes de manifestation peut, dans les espèces dont les phanères ne sont pas aisément modifiables, appeler un complément instrumental prothétique qui fixe et immobilise en symbole matérialisé (donc détachable) le médiateur de la manifestation ; le sceptre est une figuration matérialisée de la u main de gloire o à I'index étendu. Les armes d'un guerrier, le sceptre d'un empereur sont des appartenances très directement symboliques parce qu'elles prolongent de manière prothétique les organes de manifestation, et aussi parce que, dans la liaison prothétique, la suppression de l'objet-instrument enlève au corps l'un de ses pouvoirs. Naturellement, ce fait que la perte de I'objet prothétique soit comme une mutilation pour celui qui savait l'employer n'amène pas comme conclusion selon une logique conceptuelle la possibilité d'un transfert de force ou de pouvoir à n'importe quelle autre personne ayant pu s'emparer de I'objet, sans apprentissage préalable ; mais la logique implicite des images permet précisément cette croyance au transfert du pouvoir par le moyen de I'objet prothétique, car la manifestation du pouvoir apparaît dans les attitudes et les phanères, et non pas, strictement, dans les organes moteurs proprement dits ; c'est aussi la manifestation qui forme I'amorce du souvenir tendant à restituer I'objet et la situation ; la manifestation, parce qu'elle déborde vers I'objet le sujet qui manifeste, peut être perçue comme indépendante de ce sujet. Ce statut intermédiaire entre celui d'un organisme et celui d'un objet du milieu rend possible la formation du symbole à partir de la manifestation perçue à travers un objet. La manifestation, en effet, n'est univoque que lorsqu'elle est orientée, portée par un organisme comme le sceptre au bout du bras ; elle devient un système tendu et métastable quand le même objet prothétique, détaché de tout organisme, est en même temps celui qui, porté par autrui, s'adresse au sujet, et celui que le sujet charge de transmettre au monde le pouvoir de son propre organisme ; l'objet prothétique est alors aussi bien centripète que centrifug. t le sceptre perçu est dirigé en un seul sens ; mais le sceptre devient symbole quand il est à la fois dirigé contre le sujet et dirigé par le sujet vers le monde ; les deux sens, les deux orientations se croisent et déploient entre elles le spectre continu des occasions imaginaires d'expérience, remplaçant la série linéaire et discontinue du souvenir. L'image-souvenir, à I'origine vivement asymétrique, devient ainsi progressivement symétrique, parce que le porteur du sceptre s'évanouit alors que le sujet le prend en main ; de même, I'arme symbolique est à la fois une menace contre le sujet et un objet qu'il peut prendre en main pour menacer autrui. Le symbole
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TMAGTNATToN ET rNvENTroN
coNTENU eprEcrrvo-ÉMorrF DEs IMAGEs
est une apPartenance ayant srmultanement est simultanément plusieurs plusleurs propnétalres propriétaires et plusieurs orientations vers I'objet. Par là, en devenant symétrique, I'image-souvenir tend vers le sratur de l'objet, mais de manière complètement différente des objets du milieu, qui ne sonr pas faits de l'équilibre entre deux orientarions opposées se neutralisant provisoirement. Le symbole n'est qu'un pseudo-objet, chargé de toute l'énergie potentielle d'un système métastable, prêt à amorcer un changement de structure. Comme exemple supplémentaire, on peut prendre celui de la croix : elle est souvenir tant qu'elle perpétue la mort du Christ ; mais elle devient symbole à I'intérieur de la Chrétienté quand elle devient en plus le signe dtr kbarum ou celui des Croisés, car son sens esr alors renversé quand il est dit : n in ltoc signo uinces ) ; ce passage à la fonction de symbole est d'ailleurs I'indice d'un changemenr de la portée du Christianisme par rapport à la réalité temporelle. L'évolution de l'image-souvenir vers l'état de symbole esr un certain processus d'abstraction, au sens où n abstraction ) signifie o extraction à partir de , ; mais il s'agit d'une extraction des éléments de manifesrarion à partir des situations complères ; ces rermes extrêmes des situations, sortes de points-clefs porteurs des forces, se concrétisent pendant que le souvenir des organismes porteurs et des circonstances particulières se fond et s'estompe. L'image-souvenir est devenue un symbole quand l'orientation, la direction particulière de la manifestation a perdu son univocité originelle devant la dualité possible des orientations. Le souvenir de I'arme tenue en main par le sujet, tout comme celui de I'arme menaçante dans la main d'un autre, ne donnent que des images. Mais ces images forment un symbole quand l'arme esr en même remps saisie comme pouvant menacer le sujet er être prise en main par lui pour menacer autrui ; ces deux directions de I'arme marquent les termes extrêmes de I'attaque et de Ia défense ; I'arme-symbole n'est ni tenue en main par le sujet ni brandie conrre lui par autrui ; elle est la tension entre ces deux images, comme une arme vue de profil qui contient potentiellement le geste qui la tournera vers aurrui ou contre le sujet ; on pourrait dire, en langage héraldique, Que le symbole est toujours ( passant > et jamais o issant ,, tandis que l'image est issante et non passante. La formalisation du souvenir qui donne le symbole est I'opération qui transforme les objets < issants o, sirués par rapport au sujet et à la situation, en objets ( passants o qui attendent d'être repris en main selon le projet ori ils reffouveront une orientarion. De manière concrète, on pourrait dire que le monde mental des symboles est celui des objets n vus de profil ,, alors qu'ils sonr pourranr
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des points-clefs des situations, des objets ou organes de manifestation, chargés de sens et de force ; le relatif détachement de ces objets significatifs les mobilise, les rend disponibles, âit d'eux les pierres d'attente de I'imagination inventive ; les symboles sont des o objets absolus ,, détachés des circonstances empiriques de leur apparition, mais ayant conservé leur pouvoir, leur capacité d'expression, leur capacité d'indiquer des potentiels. Le sujet en qui la majorité des images se convertit en symboles perd partiellement ses souvenirs en tant qu'historiques, datés, particuliers, avec des objets orientés ayaît un sens défini et univoque par rapport au sujet lui-même ; dans le symbole, le successif devient simultané, l'individuel prend une portée universelle, ce qui était aux autres commence à appartenir virtuellement au sujet, en même temps qu'il perd ses propres appartenances ; les symboles ne sont pas situés par rapport au moi, ce qui fait qu'ils ne peuvent adapter le sujet comme organisme agissant à son milieu, à son territoire ; ils traduisent aussi bien la force des choses que les virtualités d'action du sujet ; ils sont des pouvoirs sans support, sans sujet aussi bien que sans milieu extérieur pour les insérer. Le monde des symboles est une espèce de pandémonium flottant entre la situation d'objet et celle de sujet, s'interposant entre le vivant et le milieu. Dans les maladies mentales, les symboles peuvent être pris pour du réel objectif; ou bien ils peuvent habiter le sujet qui se sent possédé et qui perd sa liberté et son pouvoir d'initiative dans I'action ; les arts pratiquent un certain exorcisme qui, au lieu de laisser flotter I'univers des symboles entre le monde des objets et le sujet, le fixe en le représentant, en le ritualisant, en I'insérant dans le monde objectif et dans la régularité sociale ; la magie puise dans l'imaginaire des moyens d'évocation ou d'influence en matérialisant des symboles qu'elle réindividualise, baptise d'un nom propre, façonne à la ressemblance d'un être vivant, pour l'employer comme mode d'accès dans I'opération analogique d'invocation ou d'envoûtement ; le voult est un analogon de l'être à envoûter, mais il est pétri d'imaginaire, construit avec le plus grand nombre possible d'objets-symboles empruntés à l'être réel. Tous ces emplois de l'imaginaire symbolique sont naïfs en une certaine mesure, car ils reprennent un contenu formalisé, celui de symbole, en essayant de le rendre à nouveau concret sans continuer le cycle de l'image qui s'est formalisée en symbole en perdant les attaches du souvenir daté et personnel. Mais le cycle de l'image ne peut être inversé ; ce n'est pas de l'intérieur et sans opération constructive, productive, créatrice, modificatrice des structures, que l'insertion dans l'univers peut être retrouvée
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
lorsque la formalisation s'est accomplie; le symbole est un mixte de sujet et d'objet qui a valeur instrumentale pour I'invention ; dans la magie, le rêve, la fantaisie, il ne peur que se dégrader er consrruire illusoirement un faux concret, un monde artificiel d'apparences; la critique platonicienne des arts comme fauteurs d'illusion s'applique essentiellement aux arts qui cherchent à rerrouver une existence à partir de symboles, en inversant un devenir dont l'achèvemenr ne peut être que dans I'invention, et dans le recommencement d'un nouveau rycle de rapport avec le réel, non dans une inversion du cycle déjà accompli. Le souvenir, sous sa forme la plus condensée, celle du symbole, n'esr qu'un momenr du devenir de I'image, qui a auranr de sens fonctionnel par rapport à I'action à entreprendre après l'invention que par rapporr à I'action déjà accomplie. Dès qu'une action est accomplie et une expérience faite, le souvenir, en se formalisant en symbole, propose des instruments pour une action nouvelle ; le symbole absorbe la manifestarion, mais la manifestation ne s'épuise pas en elle-même ; elle ne s'épuise pas non plus dans l'imaginaire, qui n'est qu'une étape, au rerme de laquelle devient possible un nouveau cycle d'action à rravers I'objet inventé. Il serait certes intéressant d'étudier pour eux-mêmes les emplois directs de I'imaginaire comme modes d'expression, de communication ou d'influence dans les arts, la rhérorique, la magie ; toutefois, comme il s'agit d'emplois qui interrompent le cycle de I'image et I'empêchent d'arriver à son état d'achèvement, l'étude de ces modalités présente plus d'intérêt pour I'histoire des groupes et des cukures que pour I'explicitation du devenir complet de I'image considérée comme une quesrion de psychologie u générde o. Mais il importe de noter que le cycle de l'image est une genèse marquée en chacune de ses étapes par une décantation, par une réduction du nombre des élémenrs conservés et proposés finalement comme matières d'invention ; roures les tendances motrices ne reçoivent pas la confirmation d'une expérience perceptive ; seules subsistent celles que fixe I'empreinte d'une situation intense ; et parmi les images-souvenirs ainsi collectées, quelques-unes seulement se formalisent en symboles pour organiser le monde de l'imaginaire servanr de base à I'invention. Ainsi s'explique le fait que le monde imaginaire puisse paraître plus riche que celui de I'invention : les images sont plus nombreuses que les symboles, quand elles sont seulemenr des images-
QUATRIÈME PARTIE
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À quelle situation correspond I'invention ? À un problème, c'est-àdire à I'interruption par un obstacle, par une discontinuité jouant le rôle d'un barrage, d'un accomplissemenr opératoire continu dans son projet. Est problématique la situation qui dualise I'action, la tronçonne en la séparant en segments, soit parce qu'il manque un moyen terme, soit parce que la réalisation d'une parrie de I'action détruit une aurre partie également nécessaire ; hiatus et incompatibilité sont les deux modes problématiques fondamentaux; ils se ramènent à I'unité sous les espèces d'un défaut d'adaptation intrinsèque de I'action à elle-même dans ses diftrentes séquences et dans les sous-ensembles qu'elles impliquent ; les solutions apparaissent comme des restitutions de continuité autorisant la progressivité des modes opératoires, selon un cheminement antérieurement invisible dans la strucrure de la réalité donnée. L'invention est I'apparition de la compatibilité extrinsèque entre le milieu et l'organisme et de la compatibilité intrinsèque enrre les sous-ensembles de l'action. Le détour, la fabrication d'un instrument, l'associarion de plusieurs opérateurs sont diftrents moyens de rétablir la compatibilité
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I4O IMAGINATION ET INVENTION ;
intrinsèque et extrinsèque. Quand le problème est résolu, la dimension de I'acte final du résultat englobe, dans ses caractères dimensionnels, le régime opératoire qui I'a produit; par exemple, selon le thème d'une fable classique, le rocher qui a roulé au milieu d'un chemin encaissé arrête successivement plusieurs voyageurs, car il est trop lourd pour un seul homme, mais il est aisément mis de côté par rous les voyageurs unissant leurs efforts ; le problème, ici, est insoluble selon les données de départ, qui font du chemin le lieu de passage de plusieurs itinéraires individuels sans couplage muruel ; par conrre, le groupe des voyageurs existe virtuellement selon le résultat, car c'est au même instant qu'ils peuvent tous reprendre leur voyage, bien qu'ils soient arrivés devant I'obstacle à des moments diftrents, dérerminés par chaque voyage p{ticulier. Le couplage des effons, visible dans I'unité du résultat, régresse vers l'acte de résolution er vers I'invention ; d$à, dans les conditions du problème se manifestent négativemenr les lignes possibles d'une solution ; I'accumulation de gens arrêtés par le rocher les uns après les aurres constitue progressivement une simultanéité des attenres et des besoins, donc la tension vers une simultanéité des départs quand l'obstacle sera levé ; la simultanéité virtuelle des départs imaginés régresse vers la simultanéité des efforts, en laquelle gît la solution. L'anticipation et la prévision ne suffisent pas, car chaque voyageur est parfaitement capable d'imaginer tout seul commenr il continuerait à marcher si le rocher était déplacé ; il faut encore que cerre anticipation revienne vers le présent en modifiant la structure et les conditions de I'opération actuelle ; dans le cas choisi, c'est I'anticipation collective qui modifie chacune des actions individuelles en construisant le système de la synergie. Il s'effectue ainsi un rerour structuranr du contenu de l'anticipation sur la formule de l'action présente ; il s'agit là d'un rerour d'information, ou plutôt d'un retour d'organisation dont la source est I'ordre de grandeur du résultat, le régime de I'opération pensée comme achevée et complète. L'invention établit un certain rype d'action en retour, d'alimentation récurrenre (feed-back) qui va du régime du résultat complet à I'organisation des moyens et des sous-ensembles selon un mode de compatibilité. Dans l'exemple du rocher, I'organisation de la compatibilité sous la forme de la synergie revient à mettre en balance la force de chacun des voyageurs avec une fraction du rocher à déplacer ; comme le rocher n'est pas divisible, cette mise en balance ne peut avoir lieu que si le tout du rocher est poussé au même instant par tous les voyageurs. La racine de la solution est la communication entre deux ordres de grandeur, celui du résultat (le chemin ouverr pour tous) et celui de l'événe-
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ment-problème (un barrage sur le passage de chacun), dont les données ,. tro.r.r..rt modifiées : dans la nouvelle persPective du résultat collectif (et non plus individuel) I'opération devient le déplacement Pâr chaque voyageur d'une fraction du rocher ; or, le résultat collectif est comPatible avec le résultat individuel, le chemin étant ouvert à chacun quand il est ouvert au groupe ; de même, I'action individuelle de pousser est compatible avec la somme des actions des autres individus grâce à la simultanéité additive des poussées parallèles ; c'est cette comPatibilité intrinsèque qui rend possible la compatibilité extrinsèque du rapport entre la force d'un homme et le poids d'une fraction du rocher. Dans un cas semblable, I'invention est facilitée par le fait que les sujets sont en même temPs des opérateurs virtuels ; I'interruption de I'action causée par l'évènement-problème amorce le passage à I'ordre de grandeur du résultat, qui est celui de la compatibilité : les diftrentes interruptions des voyages primitivement indépendants créent la collectivité des voyageurs arrêtés, réalisant ainsi par un effet négatif le champ dans lequel peut se déployer I'action compatible; l'association par communauté d'intentions au sein d'un groupe homogène est un cas privilégié, car il ne demande pas de médiation instrumentale ni de division du travail. Dès que le problème ne Peut trouver sa solution que dans un ordre de grandeur très diftrent de celui de l'individu et du geste élémentaire par la taille ou la complexité, le recours à des médiations hétérogènes est nécessaire, et la tâche d'invention, portant sur ces médiations, est plus considérable ; mais l'invention conserve sa place fonctionnelle de système de transfert entre des ordres différents ; les machines simples, comme le levier, le treuil de carrier, ou même le plan incliné, le cabestan, manifestent dans leur structure Ia fonction de ûansfert essentielle que ces dispositifs matérialisent. Avec un treuil ou un palan, un opérateur unique, à chacun de ses gestes, agit comme s'il âéplaçait une infime fraction de la charge, comPatible avec ses forces ; en fait, il déplace toute la charge indivisible, mais sur un trajet infime. L'invention consiste en ce cas, tout en respectant le principe de la conservation du travail, à faire varier les deux facteurs, intensité de la force et déplacement, de manière à les adapter aux capacités de I'organisme de I'opérateur. Le problème est résolu quand une communication est établie entre Ie système d'action du sujet pour qui se pose le problème et le régime de réalité du résultat ; le sujet fait partie de l'ordre àe réalité en lequel le problème est posé ; il ne fait pas parrie de celui du résultat imaginé ; I'invention est la découverte de médiation entre ces
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IMAGINATION ET INVENTION
deux ordres, médiation grâce à laquelle le système d'acrion du sujet peut avoir prise sur la production du résultat par une action ordonnée. Pour les problèmes de déplacemenr des fardeaux (il y a problème quand le système d'acrion et les forces corporelles ne sonr p"i dir..t.ment efficaces), les inventions les plus élémentaires consistent en l'usage d'un médiateur adaptatif qui relie le régime du résultat aux aptitudes àe I'op_érateur; ainsi, pour transporrer un liquide, le corps humain est inefficace ; il faut un solide intermédiaire, outre o., torrrè"r, qui est, par au liquide, comme une enveloppe, er par rapport à lbrganisme Japport humain, comme un solide manipulable; il en va di même pour les corps pulvérulents ou les petits objets, qu'il faut mettre dans un sac, ou mieux dans une besace, bien appropriée au porrage sur l'épaule. euand c'est le volume du fardeau qui crée le problèm., I'obj.t médiateur est une barre,, un plateau, comme dans le porrage des grandes pièces de gibier. Enfin, quand le problème vient de la diqproporiion de la force de I'opérateur et de la masse du fardeau, l'objet médiateur renrre dans la catégorie générale des adaptateurs d'impédance, dont quelques cas concrets ont été cités plus haut. Ces diftrentes médiations ont une essence commune comme système d'adaptation ; les molécules de liquide ou les grains de poudre sonr d'un ordre de grandeur qui ne les rend pas efficacement manipulables par le corps humain sans un objet intermédiaire qui les rassemble par milliards ; les fardeaux solides, s;ils ne peuvent être divisés, sonr manipulés par I'intermédiaire de machines qui réalisent I'adaptation des forces ; dans les deux cas, I'organisme de I'opérateur, en agissant sur I'objet intermédiaire, opère comme s'il s'adressait à un objet solide d'un ordre de grandeur hàmogène au sien, et de caractéristiques physico-chimiques comparibles avec la conservation de l'organisme (température moyenne, prises non coupanres, composition ni toxique ni corrosive...). Des objets intermédiaires sonr nécessaires pour sauvegarder I'intégrité du corps dès que I'objet esr rrop fortement hétérogène par rapport à I'organisme sèlon I'une de ses caractéristiques (température extrême, acidité, causticité, toxicité). Par l'invention, la compatibilité intrinsèque de I'organisme s'étend à une situation qui, primitivement, comme problème, ne réalise pas cette compatibilité; mais il existe difftrents niveaux de découverie de la médiation réalisant la compatibilité; si la médiation consiste seulemenr en un mode opératoire modifié ou supplémenraire, elle est moins complexe que si elle fait intervenir un objet intermédiaire dont la sélection et l'usage demandent des modes opératoires médiats ; le détour par I'instrument, en efFet, n'est pas seulement un détour opératoire ; il
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un détour cognitif, une subordination de la chaîne actonale de sélection ou fabrication de I'objet à la poursuite du but, avec substitution temporaire de l'objet-instrument à l'objet-but ; un cas intermédiaire entre I'invention de détour et la médiation instrumentale est l'usage, comme objets intermédiaires, d'animaux ou plus généralement d'êtres vivants, qu'il n'est pas nécessaire de construire, mais seulement de choisir, de capturer, de dresser, de déveloPper : la classe considérable des animaux domestiques et des plantes cultivées a été sans doute une des premières dépositaires de l'activité inventive de l'espèce humaine, en un temps où les instruments étaient encore peu nombreux et rudimentaires. Cette catégorie de l'être vivant modifié, conservant sa spontanéité et son pouvoir d'auto-reproduction, est comParable à un objet intermédiaire aux multiples propriétés ; le dressage est I'institution d'un détour de comportement, chez I'animal, mais c'est I'homme qui suppose aussi
est bénéficiaire de ce détour.
L'étude des situations impliquant un détour a été faiæ généralement pour mesurer I'intelligence dans les différentes espèces animales ; il est cependant nécessaire de noter que les diftrentes situations expérimentales ne permettent la mesure que si les conditions de base sont comparables ; or, pour un très grand nombre d'espèces, la poursuite d'un but, par rapport à laquelle peut intervenir une conduite de détour, ne peut être dissociée de l'organisation préexistante d'un territoire ; c'est selon les lignes différenciées de ce territoire que le détour est possible, sous forme d'un changement d'itinéraire, d'abandon d'un itinéraire principal très fréquenté pour un itinéraire secondaire plus rarement pris, mais pourtant non quelconque, et déjà marqué, comme I'itinéraire principal. Autrement dit, les détours possibles font partie de manière actuelle du territoire ; ils ont été prédéterminés au moment de la reconnaissance, et existent comme résultat d'un apprentissage généralement précoce, qui a formé des images dirigeant l'action. En dehors du territoire, Ia conduite de détour peut ne Pas aPParaître parce qu'il n'y a pas eu d'organisation préalable ; tout au moins, le détour réalisable sans organisation préalable du territoire est un détour à courte distance du but, le but étant déjà perceptible mais ne pouvant être directement atteint, ce qui correspond seulement à la phase terminale d'un comportement. À cette première réserve sur la généralité de la conduite de détour comme invention s'en ajoute une seconde : le détour' Pour une espèce déterminée, fait partie d'une conduite définie, correspondant à une motivation déterminée, à un certain niveau de vigilance' etc. : conduite de prédation, fuite, etc. Parfois, le détour est sPontané dans
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I44 IMAGINATION ET INVENTION
une situation définie et fait réellement parrie du système d'action de I'animal, avec des transitions insensibles depuis les schèmes moteurs simples (comme le saut tortillé du Lapin, lié à la course) jusqu'aux comportements spécifiques plus complexes (la fuite en zigzagdu Lièvre) et aux ( manæuvres , des femelles qui entraînent le prédateur loin de leur petit (caille, Phoque) ; le détour apparaît aussi bièn comme modalité de la fuite ou de la défense que comme aspecr de la poursuite des proies, permettant au prédateur de s'approcher sans être vu ou éventé ; en ce cas, le détour n'est pas exactement un détour par rapport à un but, mais un mode d'action spécifique ; c'esr seulement dans la phase terminale du comporremenr près du refuge, ou à faible distance de la proie I'on peut parler- de détour au sens anthropomorphique du terme -_que ; il s'agit alors en fait, pour I'animal, d'une véritable substùution d'un mode d'action à un aurre, par exemple du remplacement du bond terminal du prédateur par un prolongement de I'approche lente en reptation. C'esr donc, de manière générale, en rermes de flexibilité du
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comportemenr que se posent les problèmes de détour correspondant à la majorité des situations expérimenrales, plutôt qu'en termes d'invention
d'un trajet nouveau; pour pouvoir faire un détour, I'animal doit d'abord arriver à la catégorie de compomement dans laquelle le détour existe, malgré le rype de stimulation pouvant déclencher une conduite ne comporranr pas le détour mais, par exemple, le bond ou le vol rectiligne ; c'est ce changement de catégorie, de classe de comportem.en!, qui n'est pas toujours possible ou qui demande un apprenrirr"g.. Ainsi, un détour possible dans I'explorarion, peur ne plus l'ètre dans la fuite, parce que la classe de comporrement est changZe. peut-on, dans ces conditions, considérer le détour comme une invention dans les conduites animales ? Oui, mais à condition de préciser qu'il s'agit du détour impliquant une représentarion, une image, plus qu'une perception directe ; ce type de détour est celui qui implique la représenration àes effets éloignés des actes (n foresight ,) et le maintien prolongé d'une direction d'activité, selon les expériences de Hobho.rr. èt de Bierens de Haan ; la perception du but inhibe les actes qui détournent de ce but. Lewin a signalé la difficulté qu'éprouvent les jeunes enfants à s'approcher d'un but à reculons. (par exemple pour s'asseoir sur une chaisei alors que la marche à reculons fait partie de la conduite de défense, dans les ,it,r"tions créant la crainte ; par conrre, la marche à reculons esr une conduite spontanée chez cerraines espèces rransporrant un fardeau (Fourmis, Pompiles), en le tirant. De ce point de vue, on doit norer qu'il existe
détour, selon que le parcours implique des alternances de rapprochement et d'éloignement par rapport au but ou bien au contraire possède un caractère progressif et continu ; un grillage disposé en spirale autour d'un but, l'animal partant de l'extérieur, constitue un détour progressif et continu, alors que le même grillage, quand le but est à I'extérieur de la spirale, l'animal partant du centre, est au contraire un obstacle impliquant des maxima et des minima de plus en plus importants dans la distance par rapport au but ; un Chat réussit à résoudre un problème de détour progressif mais non un problème impliquant des oscillations de distance par rapport au but. 'W'. et K. Mac Dougall attribuent les succès dans les problèmes de détour à une intuition anticipatrice comparable à l'Einsicht remarquée par Kôhler dans diftrents types de tâches, et particulièrement dans les apprentissages de labyrinthes avec repères visuels ; la présence de l'Einsicht se manifeste par une augmentation brusque des succès, donc par une discontinuité dans la courbe des erreurs en fonction des temps. Les expériences de détour ont été tentées sur un grand nombre d'espèces animales ; les expériences sur les Singes sont devenues classiques, ainsi que les observations sur les Poules, qui éprouvent beaucoup plus de difficultés que les Singes ou les Chiens devant un problème de détour. Fischel a posé à des Tortues un problème de détour en leur donnant un morceau de Lombric derrière une paroi de celluloid ; la réussite apparaît d'un seul coup. On peut rapprocher de ce dispositif celui que Piéron a employé pour le Poulpe, ainsi que des expériences de Bierens de Haan sur le même animal. Bierens de Haan donne à un Poulpe la possibilité de uoir à petite distance un Crabe ; une plaque de verre, invisible dans I'eau, barre à mi-hauteur I'aquarium dans lequel se déroule cette tentative de capture du Crabe par le Poulpe ; or, la stimulation ayant été visuelle, le Poulpe est arrêté par l'obstacle tactile et moteur de la plaque de verre ; même si par hasard un tentacule du Poulpe vient à rencontrer le Crabe, il n'y a pas intégration de cette donnée sensorielle tactile au problème initialement posé en termes de stimulus visuel ; la donnée tacdle est pourtant une indication qui pourrait amorcer la solution du problème de détour : le tentacule a effectué le détour qui permettrait la capture du Crabe. Cette observation présente un intérêt très grand pour l'étude théorique du détour comme invention ; elle montre que l'intégration perceptive des données de plusieurs sens est un adjuvant important pouf la découverte des solutions ; le concret perceptif unisensoriel doit être dépassé par une activité centrale de synthèse pour que I'intuition de la solution apparaisse ; nous retrouvons ici, même au sein de la
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situation perceptive, cette actiuité locale servanr de système récepteur aux signaux sensoriels ; le contexte cognitif dans lequel peut apparaître la situation de détour est plus complexe que le fonctionnement des organes des sens comme récepteur ; l'image, sysrème actif de réception des données sensorielles, quand elle peut se développer comme mode de compatibilité plurisensorielle, est une réserve de solutions pour l'invention concrète, un peu comme une carte routière est une réserve toujours prête d'itinéraires. On comprend pourquoi I'organisation préalable d'un territoire avec explorations multiples et variées esr une des conditions de la résolution des problèmes de détour, car c'est l'occasion du développement d'images compatibilisant les données des divers sens ; les détours possibles préexistent dans l'image, er ils sont d'auranr plus rapidemenr découverts que cette image est plus précise. Le détour comme invention concrère a d'ailleurs sa réciproque sous la forme du raccourci, qui apparaîr comme une amélioration des conduites, par exemple dans les cas d'apprentissages de labyrinthes admettant plusieurs solutions, et qui survient aussi comme invention brusque. z. re uÉontroN TNSTRUMENTALE
Le recrutement d'un objet appartenanr primitivemenr au milieu extérieur et son emploi comme instrumenr a été considéré longtemps, particulièrement chez les philosophes et moralistes, comme une manifestation propre de I'intelligence humaine, d'où le nom d'n Homo faben choisi pour désigner notre espèce. Les Stoi'ciens onr fréquemment repris le développement du thème suivant : chaque espèce animale possède sous forme d'organes spécialisés son équipemenr propre pour la défense, l'attaque, la construction du nid...; I'homme, au contraire, ne possède ni ces organes-outils (pince, tarière) ni le savoir opératoire inné pour les employer sans apprentissage préalable ; il doit façonner des outils et apprendre à s'en servir; mais alors que l'équipement et le savoir-faire inné des animaux se trouvent limités, donnés une fois pour roures comme un caractère de l'espèce, les capacités humaines ne sonr pas limitées ; ce qui fait I'infirmité initiale par défaut d'équipemenr tour constitué assure aussi la supériorité finale. Ces idées se rrouvent aussi chez les Sophistes et chez Lucrèce, avec une idée plus générale du progrès étroitement lié aux capacités inventives et à leur retentissement sur la société. C'était donc un lieu commun réflexif important dans I'Antiquité classique ; on pourrait le retrouver même dans la mythologie, avec Icare, Prométhée.
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Pourtant, l'usage des instruments se trouve chez les espèces animales, dans des conditions qui tantôt indiquent une activité stéréorypée se retrouvant généralement chez les differents individus d'une même espèce, tantôt sont plus rares et paraissent bien devoir être attribuées à une invention individuelle. En r9o5, les Peckham ont observé une Guêpe, Ammophih urnaria, en train de damer la surface du sol au-dessus de son nid avec un petit caillou tenu entre ses mandibules. Mais s'agit-il d'une invention individuelle ? Minkiewicz, en r93j, a observé des Ammophiles polonaises en train de faire la même opération avec des écailles de fruits de bouleaux, ce qui implique une certaine plasticité et adaptabilité aux données du milieu dans la sélection de l'instrument ; malgré cela, Piéron estime qu'on ne peut en ce cas parler d'invention, d'innovation individuelle, mais plutôt d'une confusion analogique ou d'une extension de I'instinct; il s'agit d'une manæuvre habituelle à tous les individus de I'espèce, propriétaire de la recette. La Fourmi rouge des tropiques, Oecophylk smaragdina, qui vit dans les manguiers, rapproche plusieurs feuilles les unes des autres, six ou sept Fourmis les tirant, puis les fixe bord à bord en utilisant comme navette une larve sécrétant un fiI. Ridley, Doflein, Bugnion, Hingston, ont observé cette construction des nids de feuilles, qui se retrouve chez d'autres espèces de Fourmis, du genre Pofurhachis, ou chez Camponotus senex. Là encore, ce comportement impliquant usage, comme outil ou instrument, d'un être vivant, est une recette appartenant à I'espèce, ce qui permet un comPortement collectif avec division du travail (certaines ouvrières maintiennent les feuilles bord à bord pendant que d'autres manient les larves). On peut donc parler d'organisation, mais non d'invention individuelle, bien qu'il y ait usage d'une médiation instrumentale semblable à celles qu'emploie I'activité artisanale humaine. Lansiaux et Roussy ont noté chez des Araignées I'utilisation d'une petite pierre comme poids tenseur de la toile quand I'ancrage de I'un des rayons inferieurs était rendu impossible par l'absence de support ; ce cas est comparable à celui des différentes utilisâtions d'instruments citées plus haut, mais il apparaît dans des conditions oir l'instrument remplace comme fragment détaché des autres objets une occasion convenable que la situation aurait pu offrir d'ellemême ; la petite pierre transportée correspond à une réorganisation du milieu ; ce cas établit la continuité entre les simples organisations (aplanissement du sol, creusement, etc.) et I'usage d'un instrument bien détaché du milieu et rattaché à I'organisme comme une prothèse.
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Krihler a étudié I'emploi de médiations instrumenrales chez
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Un aspect voisin de I'instrument pour atteindre un but éloigné est celui du problème de I'instrument servant à attirer un objet hors de portée directe, particulièrement sous la forme de la ficelle ou du fil
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Singes dans des situations où, ne pouvanr atteindre directement un but (par exemple un fruit suspendu au-dessus de la cage), ces animaux uti-
lisent soit des bâtons emmanchés les uns dans les -"r.rrr.r, soit un échafaudage de caisses ou une échelle qu'on laisse à leur disposition dans la cage parmi d'aurres objets; la conduire que l'on observè met en æuvre surtour une sélection perceptive, I'objet recruté en premier lieu comme instrumenr étant un objet long (planche, bâton). i" .orrt.,rction proprement dite d'un instrumenr demande une capacité d'intégration plus :1."î et une expérience préalable sous forme àe manipulàorrs ; *.r1, les Singes supérieurs qui manipulent spontanément le, tâton, emmanchables qu'on met à leur disposirion, avanr roure conduire finalisée, arrivent à emmancher ensuite les segmenrs pour résoudre le problème du fruit suspendu au-dessus de la cige ; on pourrait dire q,r., d*, .. cas, c'est l'image de I'emmanchement (réalité perceptivo-motric.) qui est recrutée au moment de la difficulté, er que I'emploi de l'instrument à reconsrruire est découvert à ûavers I'image mentale déjà constituée au cours de cet apprentissage ouverr, .o-p"àble à une e*ploration pour la structurarion du territoire. On voit ici toute l'import".r.. du rôie joué par la spontanéité des conduites conrenant à l;origine des éléÉnts moteurs (n besoin , d'exploration, jeu de manipulatiàn) qui servent de système d'accueil à des données perceptives ; cLst grâce à ces éléments moteurs qu'il se constitue une image mentale active pouvant servir de solution à un problème. La simple enquête perceptive au moment où le problème est posé conduit bien à des sélections d'objets comme médiateurs, mais sans discernement adéquat de leurs propriétés opératoires complexes ; ainsi, des caisses or.t ,rné échelle, données^toutes faites à des linges' sont choisies en verru de leurs qualités perceptives pour servir d'éléments d'échafaudage, mais ,"rr, ,.ip..t des règi.s de l'équilibre dans la superposition ou dans l'appui contre les parols (qui correspondraient.au forçage dans l'.mmanihemenr des bâtons) ;'le sing.'-., aussi. bien une grande caisse sur une petite qu'une petite ,ù, ,r.r. grande ; il place l'échelle verticalemenr conûe unè paroi ians l,incliner ; dans ces conditions, s'il atteint le but, c'est en ,. ,.*"rr de ces objets comme point d'agpui instantané pour sauter, er non pour grimper, ce qui demanderait des conditions mécaniques d'équilibrË stable. Linvention instrumentale demande non pas séul.meni une perception, mais une image mentale complète formée grâce aux élémenti -oi.trrc impliqués dans la manipularion et l'exploration.
attaché à cet objet, avec ou sans obstacles (barreaux) rendant la saisie des rapports plus complexe. Bierhens de Haan a trouvé des Chardonnerets capables de résoudre ce problème du premier coup, alors que d'autres doivent apprendre la manæuvre ; Erhardt affirme que de tels actes de traction sont normalement utilisés dans les conditions naturelles de vie de plusieurs espèces d'Oiseaux (Mésanges, Chardonnerets), comme aussi l'acte de coincer un fruit pour le manger dans des creux d'écorce d'arbre (chez les Sitelles). Les Bouvreuils agissent de même pour câsser les écailles des pommes de pin. Goélands et Corbeatx brisent les coques dures en les laissant tomber sur des rochers, de haut. Il y a, en un certain sens, continuité entre le détour, le recrutement dans le milieu d'un instrument, et les conduites indirectes comme celle qui consiste, pour un Oiseau, à élever dans les airs une coque et à la laisser tomber sur un rocher oir elle se brise ; ces conduites indirectes abondent dans les modes opératoires des diffërentes espèces ; nous avons observé chez la Fourmi rousse de nos contrées l'utilisation de la pesanteur pour transporter des charges ; au lieu de Porter les charges une à une d'une planche en bois oir elles se trouvaient, à r,5o m du sol, la Fourmi a fait basculer dans le vide successivement les charges (il s'agissait de cadavres de Fourmis) et est descendue ensuite sur le sol pour achever le transport, après avoir décroché les quelques Fourmis mortes qui avaient été retenues au bord de la planche par des fibres de bois provenant du sciage brut; la Fourmi n'a cependant Pas récupéré un certain nombre de cadavres qui, déviés dans leur chute par le vent, étaient tombés sur le bord d'une table au lieu d'aller jusqu'au sol ; cette conduite peut être rapprochée de la découverte du raccourci, car la longueur totale des déplacements et le temps de travail se trouvaient à peu près divisés par quinze par rapport à ce qu'auraient demandé des montées et descentes successives complètes. Mais s'agit-il bien d'une invention individuelle ou plutôt d'une conduite spécifique ? Il s'agit à coup sûr d'une conduite bien adaptée à la situation, efficace et rapide, expéditive, quoiqu'elle ait conduit à un certain gaspillage de la charge ; mais nous n'avons pu faire assez d'observations pour savoir si l'emploi de la chute libre pour faire descendre des fardeaux est courant chez les Fourmis ; en tout état de cause, il s'agissait ici d'une conduite parfaitement individuelle et à I'extérieur de la fourmilière, ce qui prouve que des conduites qu'on peut dire, par application de normes humaines
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d'organisation des tâches, ingénieuses, ne sonr pas seulement collectives
représentation du problème ; la découverte de solutions pratiques (de la praxi) est très analogue aux simplifications et structurations qui interviennent au cours d'un apprentissage ; pour qu'un problème puisse être résolu, il faut d'abord qu'il soit posé en termes cohérents, c'est-à-dire homogènes, faisant partie du même système, de la même axiomatique; les modes opératoires avec leur contenu moteur constiruent par euxmêmes la plus élémentaire des axiomatiques qui n'a pas besoin d'être construite, parce que c'est l'organisme qui la donne. Mais encore faut-il que tous les termes du problème aient auParavant été convertis en termes opératoires, eu'une distance entre objets soit un Parcours effectivement accompli, qu'une masse soit ce qui a été soulevé avec un effort défini, ou ce qui a résisté à tout effort de déplacement. Voilà pourquoi la condition des inventions concrètes est I'exploration, la manipulation, I'organisation préalable du territoire oir se posera le problème et oùr seront trouvés les instruments de la solution ; à travers I'activité s'effectuent des traductions en termes homogènes d'opération des dimensions et Propriétés des choses, comme en une algèbre implicite ; les rapports éprouvés des objets avec les capacités d'action effectuent la plus primitive des formalisations.
chez les Insectes.
D'ailleurs, I'argument le plus courant pour refuser à de telles réussites chez les animaux le nom d'invention consiste à dire que les conduites en question se trouvent communément dans une espèce; c'est ce que Piéron nomme une recerre spécifique ; si le comporrement est stéréotypé, il ne s'agit effectivemenr pas d'invention, mais le fait qu'un comporrement se rencontre fréquemment dans une espèce ne prouve pas qu'il ne résulte pas d'une multitude d'inventions concordanres er parallèles ; I'extrême complexité des conditions de I'acrion humaine fait que les inventions se signalent habituellemenr par une dispersion des modes opératoires, alors que l'emploi d'une formule apprise d'une recerte conduit à I'uniformité; mais, si l'on tient compte- des cadres plus -pauvres et du sysrème d'action beaucoup plus limité de la plupart des espèces animales, I'uniformité des modes opératoires ne prouve pas que le processus d'invention soir absent : le nombre de possibles est limité. C'est pourquoi il est raisonnable de considérer comme un crirère d'adaptation inventive la réponse, par une conduite organisée et économique, à des facteurs aléatoires qui surviennent dans I'exécution d'une tâche, soit pour les utiliser s'ils sont favorables, soit pour les neutraliser s'ils sont défavorables ; le problème de la capacité d'invention chez les animaux coïncide ici avec celui de leur intelligence. Des observations et des expériences ont été faites, en particulier celle de Fabre sur les Nécrophores essayant d'ensevelir une Taupe que I'expérimenrateur a attachée à une baguette l'empêchant de descendre (les Nécrophores finissent par venir voir ce qui se produit ; ils découvrent les liens et les coupent) ; cette expérience est commentée par Viaud qui, à I'inverse de Fabre, voit dans la réaction des Nécrophores une marque d'intelligence ; Viaud ajoute des observations qu'il a faites dans la plaine d'Alsace sur des Nécrophores essayant d'enfouir un Campagnol dans des crevasses du sol, explorant la forme de la crevasse, puis orientant et inclinant le cadavre plat du Campagnol pour qu'il glisse le mieux possible dans la crevasse de dimension convenable. Dans la vie humaine comme dans la vie animale, il existe une nécessité permanente de faire face à la nouveauté partielle des situations par une activité d'organisation des modes opératoires ; plus I'image mentale de la situation et des objets est riche et précise, plus les chances de découverte d'une organisation adéquate sont élevées ; l'invenrion la plus simple est celle qui porte sur les modes opératoires, parce qu'il y a homogénéité entre ces modes, impliquant des schèmes moreurs, et la
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Dans les deux cas, il s'agit du recrutement sélectif de certaines données de l'expérience passée par la représentation actuelle du but concret à atteindre. L'invention, comme organisation, est ici un détour par le passé ; dans I'expérience passée, au cours des explorations et des manipulations, ont été établies, parfois fortuitement, des relations de continuité entre l'organisme et l'objet qui constitue le but ; dans la situation problématique, caractérisée par une discontinuité, la proximité du but et I'intensité de la motivation créent une forte Pente, un champ gradient important qui entre en interaction avec toute la population d'images mentales condensant l'expérience passée. Cette interaction entre le chamP de la finalité (gradient de but de l'action anticipée) et le champ de l'expérience permet paradoxalement à une situation simple, mais intense à cause de la tension vers un but proche, de moduler une population d'images mentales portant le résultat d'explorations et de manipulations ayaint demandé une très longue et très complexe activité ; il s'opère une organisation parce que la sûucture la plus simple et la plus petite (un but à atteindre dans I'action actuelle) gouverne un ensemble plus vaste
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et plus complexe, mais à plus faible gradient. Cette condition esr formellement la même que celle d'une amplification par interaction de champs. Si les processus d'acquisition étaient aussi fortement polarisés que les situations problématiques, I'invention organisatrice ne serait pas possible, parce que sa condition, à savoir ce recrurement amplifiant des images déjà constituées antérieuremenr par le champ de finalité immédiate du problème, manquerait de sa condition de base : un gain supérieur à I'unité, grâce à un couplage aussi irréversible qu'il se peut entre I'actuel et le passé ; pour que l'amplificarion exisre, il faut que les images condensanil'.*péri.nce passée ,ài.rr, aussi près q,.r. porrùI. d. l'état neutre, sans être pourtant complètement neutres, car elles n'oÊ friraient plus alors aucune prise au champ modulant développé par la situation finalisante ; on comprend dans ces conditions, pourquoi les situations violemment stimulantes (émotion intense, excès de la récompense ou de la punition), ne laissent pas des images aisément utilisables, mobiles, coordonnables, dans une situation problématique ultérieure, alors que l'acquisition désintéressée, c'esr-à-dire faiblement polarisée, prépare de manière optimale l'organisation inventive; pour que l'invention ait les meilleures chances d'exisrer, il faut donc une alternance de longues durées (exploration, manipulation libre) oir I'activité est faiblement motivée, faiblement finalisée, er de courres durées (situations problématiques) à fort gradient de but ; on peut nommer gain le rapporr des mesures de ces durées entrant en relation d'interaction et se faisant équilibre sous forme de champ d'expérience et de champ de finalité dans la situation problématique. Ce n'est donc pas la seule association de souvenirs, ou évocation d'images mentales qui permet l'invention organisatrice ; si une image actuelle, développée par la situation finalisante, fait surgir une seule image du passé, porteuse d'expérience, assez fortement polarisée pour faire équilibre à I'image actueilè et la neutrafiser, le rapporr est de tl4 ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'amplification ; des images rrop accentuées ne permettenr pas I'invention, mais seulement I'itération, la persévération ; pour que les images soient des instruments d'invention obéissant à la situation finalisée où elles s'organisent, il faut qu'elles soient dans un état voisin de la neutralité tout en restant faiblement chargées ; cet état de faible polarisation correspond au résultat du processus de saturarion décrit plus haur, er qui se produit après I'expérience de I'objet ; I'image fortement polarisée du schème ou du projet, du désir ou de la crainte, ne peur être matière de véritable invention pratique porranr sur le réel, mais seulement un contenu de phantasmes; les images qui expriment le désir de voler n'ont guère
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contribué à I'invention de l'avion. La plus modeste des inventions pratiques est aussi le résultat d'un acte d'amplification qui tire en quelques instants profit de longs apprentissages antérieurs, peu finalisés, c'est-àdire engendrant des images mobiles, détachables, obéissant aux lignes de force d'un champ de finalité.
B. L,I}. TENTION PORTANT SUR LES SIGNES ET LES SYMBOLES r. I-a
FORMALTSATTON Ir{ÉTROTOCIQUE OBJECTIVE: DES TECHNIQUES
AI''X SCIENCES
Comment a pu s'effectuer, particulièrement dans le cas de I'Homme, le passage des situations concrètes à une formulation symbolique permettant de résoudre non seulement I'infinie diversité des problèmes
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pratiques en chaque situation, mais aussi des problèmes généraux et théoriques par rapport auxquels les difficultés réelles apparaissent comme des cas particuliers (comme ce fut le cas, dès I'Antiquité, pour bon nombre de problèmes de mécanique ou d'hydrostatique) ? On peut supposer que ce passage des cas particuliers concrets aux cas généraux et théoriques s'est effectué, à partir de I'action, par I'intermédiaire de la formalisation partiellement théorique et abstraite que demande I'emploi des auxiliaires vivants dont il âut organiser I'action en vue d'une fin, au moyen d'ordres et d'un système univoque et cohérent de données directrices pour I'exécution des tâches. Tant que chaque individu imagine, invente et exécute, la pensée pratique peut rester implicite, parce qu'elle ne sort pas de I'opérateur qui est le milieu de la formalisation et de I'exécution, du projet et de la réalisation. L'emploi d'animaux domestiques pour effectuer une tâche demande déjà à celui qui les dirige une représentation plus théorique de I'activité des opérateurs, de I'application des forces, de la résistance des masses et de la direction des outils ; toutefois, le conducteur restant à côté des auxi-
liaires animaux, l'effort de symbolisation n'est pas contraint de se déployer en un système indépendant de signes. Lorsque, au contraire, I'homme fait appel à d'autres hommes, serviteurs ou esclaves, Pour exécuter une tâche, la transmission des ordres ne Peut rester un assujettissement pas-à-pas ; pour rendre cohérents les efforts finalisés d'une équipe, pour synchroniser les activités et harmoniser les exécutions fragmentaires, une conception communicable et Par conséquent exprimable
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donc formalisable de I'ensemble du projet esr nécessaire. Le recours à la représentation abstraite commence avec l'usage des animaux domestiques et prend sa pleine extension avec I'esclavage ou avec des formes du travail impliquant subordination, donc formulation de la tâche de manière univoque à rravers un système d'ordres. L'architecture (construction par une équipe ayant un chef), la consrruction des navires, la navigation, sont des techniques qui ont tôt développé des positions abstraites de problèmes ; on senr leur influence dans la stéréométrie des Anciens et dans les formulations oir il s'agit, en termes opératoires, de construire à partir d'un élément donné, de ûacer, de mener une ligne ayant telles propriétés ; la forme de I'ordre donné est resrée dans le style de la géométrie pendant des siècles, probablemenr parce qu'elle a incorporé à son contenu un ensemble d'énoncés qui jouaient un rôle dans la transmission des ordres d'exécution rationnels. La règle et le compas sont des instruments d'exécution, même si, à un stade ultérieur de la recherche, le géomètre est pour lui-même, en une seule personne, celui qui donne I'ordre et celui qui cherche à I'exécuter avec sa propre règle et son propre compas. Ordre et organisation, ordre donné et structure de I'exécution se ûouvent être des formalisations de la tâche selon les exigences de la transmission d'information de celui qui sait et veut à celui qui exécute et obéit. Un aspect particulier de la formalisation des tâches aux fins de transmission des ordres s'est manifesté avec I'apparition des machines automatiques complexes capables de recevoir tous les ordres avant le début de I'opération, sous formes de données et de règles ; il a fallu réinventer logiquement de manière explicite les activités pratiquées par I'homme selon des règles mi-implicites, mi-explicites ; par exemple, une des premières machines à jouer aux échecs obéissait à toutes les règles codifiées du jeu d'échecs, mais mertait deux ou plusieurs pions I'uniur l'autre dans la même case : cetre règle, faisant partie du savoir implicite et pratique, n'avait pas été insérée dans le système donné comme ordre au joueur automatique ; c'est seulement après réussite de la transmission complète des règles du jeu d'échecs à une machine automatique que I'on a pu considérer ce système comme complètement formulé. Le recours à une médiation instrumentale sous forme d'un autre être vivant ou d'une machine provoque, par le recrurement des effets supplémentaires imprévus qui apparaissent, la traduction en termes uniformément explicites des tâches et des problèmes, ce qui esr une réinvention des modès opératoires achevant de les rendre indépendants du sujer, et préparant l'existence d'un monde indépendant de réalités inventées. Les formula-
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dons abstraites des problèmes de géométrie en analyse se sont universalisées à l'époque oir l'on a cherché à construire des machines capables de ffacer toutes les courbes. Un aspect supplémentaire de la nécessité de formalisation des modes opératoirès impliquant leur réinvention explicite et préparant leur oÈjectivation est celui de l'enseignement à des enfants ou à des adultes non par I'apprentissage direct par pratique et manipulation mais sous formè d'e"prèssion claire ; la recette doit se convertir en modalité logique, exprimable en nombres et figures. cette difficulté est si grande qu'elle àonduit souvent à des formalisations n théoriques ,, c'est-à-dire simplifiées, et à des représentations qui ne sont que pédagogiques. Tout.fois, la prise de conscience de la valeur logique des inventions et de la possibilité de représenter clairement les modes opératoires dans un i"ttg"g. universel coihcide bien, dans nos civilisations, avec le mouvent.n,t,t progrès au siècle des Lumières (voir en particulier l'Enryclopédie de Diderot ei d'Alembeft comme exemple d'une expression explicite des modalités opératoires des métiers). La recherche de modes d'expression précis et iniégraux des techniques a conduit à l'universalisation (à des hns d'homogénéité et d'univocité) des unités de mesure et du système interne qui lés rattache les unes aux autres (système métrique décimal) ; la métroiogie n'est pas encore la science comme symbolisme universel des opérations de conversion, mais elle lui prépare des instruments et lui ouvre un domaine fonctionnel. En particulier, l'universalisation métrologique permet de mesurer des grandeurs et de découvrir des constances par conversion d'une forme concrète en une autre' ce qui est une Source à'in rention. L'idée que rien ne se perd et rien ne se crée, qu'il s'agisse de matière ou d'énergie, traduit d'abord un idéal métrologique étendu à I'ensemble de l'univers. Un grand nombre d'inventions apparaissent comme une organisation des conditions de la constance, de la conservation de l'énergie ou de la matière malgré les changements de signe ou d'état physique. Ainsi, les funiculaires oir le câble est fixé, à l'un des bouts, à ung voiture montante et à I'autre bout à une voiture descendante, réalisent une invention par maintien d'une quantité constante d'énergie potentielle du système pour des voitures supposées- également chargéés ; il reste seulement, pour la machine' à vaincre les frottements et à assurer les accélérations et décélérations des départs et arrêts, qui ne se neutralisent pas d'une voiture à l'autre. Plus est parfait le développement du système symbolique de mesure, plus la compatibilité peut s'efFectuer par mise en rapport de réalités percePtivement hétérogènes. Ainsi, le schème du funiculaire, oùr la compatibilité est directement
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percepdble sous forme de mouvement de montée et de descente, peut donner naissance à celui des ffamways ou des trains électriques couplés par le circuit électrique d'alimentation ; les machines de Gramme de l'un des véhicules fonctionnenr en réceptrices (donc comme moteurs) pendant que celles de I'autre fonctionnenr en génératrices (donc comme frein), ce qui donne la même conservarion d'énergie mécanique, par conversion en électricité, que dans le cas des funiculaires, et étend de plus la compatibilité aux accélérations et décélérations synchronisées ; un troisième seuil pourrait être franchi par une seconde conversion en énergie chimique dans des batteries d'accumulareurs, car la synchronisation de la montée de I'un des véhicules avec la descente de I'aurre, ou du ralentissement de I'un avec le démarrage de l'aurre, ne serait plus nécessaire. Le symbolisme métrologique, en s'érendanr, permet de comprendre et d'inventer des compatibilités de plus en plus vasres ; avec le funiculaire, il faut non seulement le synchronisme mais le parallélisme et la proximité des voies; avec les machines de Gramme, il faut encore le synchronisme mais la proximité n'esr plus nécessaire ; avec les batteriestampon' il n'est besoin ni de synchronisme ni de proximité pour que la compatibilité soit conservée. Ce cas cité des funiculaires et des machines de Gramme des tramways est seulement pédagogique, c'esr-à-dire simplifié ; mais il contient malgré tout des schèmes d'inventions réelles du )ox siècle rentrant dans le cadre des applications du principe de la conservation de l'énergie. Quant à la conservation des masses, condition de possibilité des mesures employant comme instrument la balance (par I'intermédiaire des poids) ou plus directement les systèmes élastiques, elle a permis de formaliser la métrologie de base de la Chimie au remps de Lavoisier, après avoir rationalisé l'étude technique des combustions pour l'éclairage puis des autres oxydations (respiration de I'Homme). Ainsi, les formalisations d'opérations, utiles au point de départ comme moyen de communication pour donner des ordres ou opérer un dressage éducatif lorsque I'opérateur délègue à un tiers la fonction d'exécution tout en gardant la direction du travail, se détachent progressivement de cette fonction asymétrique de communication pour devenir une symbolique universelle et homogène qui sert de base aux opérations abstraites, donnant un niveau plus élevé d'expansion, hors des situations homogènes et concrètes, à I'activité d'invention. Nécessaire pour franchir la distance et I'hétérogénéité entre la conceprion et l'exécution, la formalisation symbolique tisse un monde abstrait de représentations d'objets et de formules de relations qui est la réserve
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universelle de détours et de médiations dans I'exercice de l'activité inventive. Ce premier niveau de formalisation, en continuité avec les procédés opératoires des techniques, prépare I'invention scientifique et développe une représentation du monde où le savoir et le pouvoir sont mutuellement convertibles l'un dans I'autre. On pourrait dire que ce mode de formalisation est objectif aussi indépendant que possible des réferences à un sujet ; il tend vers l'exécution des tâches par un opérateur impersonnel, non-humain ou même non-vivant; c'est une formalisation pour un opérateur quelconque qui offre un terrain au développement du savoir scientifique comme système universel des compatibilités. 2. FoRMALTsATIoNs DE TypE suBJEcrrF
(Nonu,rrrvrs
ET ARTISTrquns)
Mais un autre mode de formalisation est possible, se séparant du premier par une dichotomie nécessaire pour que I'homogénéité des modes opératoires soit conservée i tout ce qui n'est pas opératoire, c'est-àdire ce qui, dans le rapport avec le monde, est affectivo-émotif, peut aussi se formaliser et s'exprimer selon des catégories subjectives autorisant la participation et l'action par communication d'un sentiment, d'une émotion, d'un mode défini de retentissement ou d'une motivation. En ce sens, l'action, individuelle et collective, se distingue de I'opération ; elle a, elle aussi, ses modes de compatibilité, qui sont des normes et des ritualisations mais non des procédés. Les arts et les
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modalités religieuses de la vie collective correspondent à la formalisation de l'action par opposition aux opérations, selon une dichotomie qui se traduit par la séparation du loisir et de l'activité de travail, même si les célébrations ponctuent les grandes phases de changement du travail au cours des saisons. Très exactement d'ailleurs, c'est la formalisation artistique qui est le pendant de celle des modes opératoires du travail (le temps de l'art est celui du loisir), tandis que la formalisation religieuse est le principe et le garant de cette dichotomie et du rythme d'alternance entre temps de loisir et temps de travail, soulignant les transitions, les changements de régime, ritualisant les moments-clefs de début et de fin des travaux et des jeux, servant à la propitiation des débuts du travail par les prémices offertes, donc à la séparation mais aussi à la compatibilité des modes de travail et de loisir : le calendrier est religieux, avec les structures complexes du faste et du néfaste selon les temps et les lieux, selon une logique implicite des commencements et des fins, des arrêts et des reprises.
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IMAGINATION ET INVENTION
empirique de chacun des sujets. L'invention, dans Ie domaine normatif aussi, tend vers I'universel. forQuant à I'invention artistique, dans la mesure oir elle opère la mafiùtion du loisir, elle produit aussi une représentation complète et universalisable, ayant la logique proPre de chacun des genres et de chacune des formes d'art ; les inventions successives de formes symboliques recrutent par élargissement des effets et des modes d'apparition de la réalité qui n'avaiettt p"t primitivement droit de cité en domaine artistique ; ù formalisation va dans le sens de I'extension' de la découverte d. .o*p"tibilité entre des données à I'origine hétérogènes. Si I'on prend seule-ént la cinématographie, encore récente, on Peut voir que cet art' considéré à I'origine comme une formalisation de la vision du mouvement, rrr...rri*ment admis le son, puis la couleur, en découvrant des " modes de compatibilité de leur emploi simultané; à chaque nouvelle incorporatiorr, Ln. réaction de puristes, au nom de I'homogénéité.de .h"q.t. att, a proclamé le vrai cinéma détruit ; cet art' pourtant, s'est développé; il èst en train de découvrir en ce moment la logique de sa .o*p",ibilité avec le mode nouveau de transmission et de production qrr'.r, la télévision, et avec une technique autorisant cette compatibilité éiroite, celle de I'enregistrement d'images sur une bande magnétique. La clef de ces extension, ,,r...rrives, c'est qu'un nouvel élément n'est plus, après incorporation, ce qu'il aurait été à l'état isolé, comme moyen d^'expression unique ; ainsi, le son a d'abord été parole au cinéma, c'està-diie apporr du rôle des acteurs ; et en cela, évidemment, il doublait I'image t"tt t. fondre avec elle ; le film devenait une tribune de disde tirades, d'argumentations ; puis, avec l'élargissement de la "o.rri nodon et de la technique de la bande sonore' le son a incorporé aussi des bruits, et les parol.i ,. ,orrt mises au même niveau que les bruits et sons, devenant parfois non-compréhensibles ou insignifiantes ; sous cefte nouvelle foime, tantôt en exergue et tantôt accessoires, les paroles par rapport à l'ensemble du contenu sonore et par râpport à l'image rotrt dèrr.ttues compatibles ; la couleur aussi sera complètement comPatible avec les autres asPects composants quand elle sera, en alternance avec ces composants, iantôt remarquable et tantôt à peine visible, au cours de h mème æuvre, au lieu d'être une occasion de choix de sujets hauts en couleurs. ce qui esr vraiment I'invention d'une époque, dans le domaine du symboliime artistique, c'est un mode de compatibilité entre des formes précédemment isolées. Au XVII' siècle, c'est I'architecture qui a joué ce rOl. d. panégyrie permanente et universelle des arts' parce qu'elle per-
Cette modalité religieuse de formalisarion, dans nos sociétés, correspond au rFhme des fttes et des commémorations, des cérémonies d'inauguration, de baptême de promotion, aux rites d'initiation ou d'exclusion, à tour ce qui opère une action comme origine absolue ou fin d'une existence, à ce qui institue, anéantit, ou .orrrroait de manière essentielle. En toutes ces occasions, l'invention donne des modes d'expression et de communication nécessaires à la participation collective et opère une découverte de compatibilité avec I'ensemble des idéaux du groupe. Une déclaration de guerre ou la signature d'un traité sont des actions qui existenr comme manifestations formalisées, communicables, et qui tendent vers une expression universelle. Les révolutions aussi, er une grande part de la pensée politique théorique se déploienr en inventant à chaque étape un système de compatibilité ro.rrr.".r, créateur de normes et d'une systématique complète des rapporrs enrre les individus et entre les groupes ; le droit, avec I'ensemble d'un univers juridique, est un des développemenrs contemporains de la formalisation de l;action. chaque nouvelle extension du domaine de l'action humaine se marque par une invention qui autorise une systématique de compatibilité englobant ce domaine (droit international, puis droit spatial). À chaque éloque, les inventions normatives opèrent une découverte de compatibiiité pour des modes d'existence qui n'avaient pas de sens ni àe point d'insertion dans les srrucrures normatives pié.éd.nt.s. Elles donn.nt une symbolique de I'action en produisanr un univers exprimable de normes, et répondent à des problèmes ; ainsi, le Christianisme a offert des normes pour les rapports entre ceux qui avaient des droits er ceux qui n'avaienr pas de droits selon les cités anciennes ; il a donné une cité des normes résolvant le problème de la compatibilité entre les empires, les nations, les individus, er dépassant, ,.i.r de la cité, les limites des "., l'Homme er interdits religieux (le sabbat est âit pour non I'Homme pour le Sabbat), et la barrière juridique coutumière (que celui qui est sans faute jette la première pierre), ou les normes dei rapporrs entre riches et pauvres, hommes du même pays et étrangers. Les formalisations axiologiques s'adressenr aux points-clefs et mo-.nts-clefs de I'action, principalemenr sous forme d'un système ".rr d'axiomes de décision entraînant une représentation universelle du monde et des hommes, et s'exprimant par une symbolique de I'action pouvanr être enseignée et propagee. Cette symbolique établit un système de conversion des àctions les unes dans les autres, permet de les comparer et de les metffe en rapport même si elles se déploient dans des conditions hétérogènes et concrètement dissemblables selon les lieux, les moments, et I'enlourage
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IMAGINATIoN ET II.WENTIoN
mettait I'intégration de la sculpture, de la peinture, de l'ébénisterie, de l'art du jardinier et du fontainier, dans des ensembles synthétiques organisés comme les palais ou les hôtels particuliers. L'Italie de la Renaissance avait montré la voie en ce domaine. Plus anciennement, l'architecture religieuse avait aussi constitué le milieu et le système symbolique universel intégrant sculpture, peinture, musique et chant. À la fin iu xvIII'et surrout au XIX siècle, ce fut la littérature qui offrit un domaine ouvert aux modalités particulières, s'efforçant de faire voir et enrendre, absorbant à la mesure de ses moyens les arts plastiques, la peinture, le dessin (illustrations, gravures) et faisant du livre le milieu àe la compatibilité des arts, grâce au développement de la diffusion du texte imprimé. Le cinéma, puis la télévision, ont pris le relais du livre et du journal comme véhicule des arts ; ce serait une erreur de vouloir les traiter comme des arts à part, comparables à la musique, à la sculpture, au théâtre; ils sont plutôt des systèmes symboliq,.t.r d. .o-p"ribilité reposant sur une invention technique en voie de développemenr, comme était naguère I'imprimerie s'adjoignanr la lithographie et les gravures à grand tirage; chaque progrès de I'invention technique servanr J. ,,rpport permet un élargissemenr de la compatibilité entre les pa.ti.uliers, "rts dans la mesure où cinéma et télévision sont comme I'architecture âu XWI' siècle et le livre au XIX' siècle, une maison des arts er non un arr cherchant à se fermer sur lui-même sous la poussée d'un groupe professionnel inhibant I'ouverrure de I'invention permanente. Les formalisations s'accompagnent toujours de dominances ; dans le domaine normatif, ce fut tantôt la pensée religieuse, tantôt la théorie politique, tantôt la recherche juridique qui offrit aux ( valeurs o un groupement compatible en constituant un système complet d'après le problème dominant de l'époque qui devenair comme une vasre demeure pour tous les aurres problèmes ; au système juridique du temps de la Révolution de ry89 a fait suite un système économiio-social q.ti in.orpore à son rour les autres aspecrs de la normativité en les situant par rapport à ses catégories. Cette démarche esr comparable à celle que nous voyons à l'æuvre dans les arts, où se manifeste à chaque époqui un arr dominant servant de système de référence et de conrenant âux autres. Pour cette raison, les symboliques de I'acrion et les symboliques artistiques sont affectées de relativité historique ; leur capacité ry.rthétiq,;. .rt celle d'une dominance organisante plutôt que d;une absolue universalité : chaque système s'insère dans une chaîne d'inventions.
3. LEs pRocnssus D'AMPLIrICATIoN DANS I-A' FoRMALISATIoN
La source de compatibilité dans les inventions de formalisation est aussi un processus d'amplification, de recrutement' Paf lequel une structure petite et simple go.rlr.tt. et module des réalités plus vastes, plus .o-pl.".r, plus puissantes. Dans la formalisation métrologique, la compatibilite esi réalisée par la découverte' en ayant des réalités complexes Lo--. les volumes, les densités, d'une structure simple qui est la base du système (unités fondamentales) et leur mode de combinaison (par e*.Àple l'ordre décimal avec les préfixes déca, hecto, kilo...). Les relations les plus complexes entre grandeurs à mesurer trouvent ainsi une possibilité de réduction et de commutation ; elles deviennent commensurables.
Dans le domaine axiologique, il en va de même ; inventer une morale, par exemple, c'est trouver un système des unités fondamentales assez ii-ple, assez près du sujet pour qu'il soit antérieur à tout cas complexe soumis à la décision normative ; les morales de chacune des classes ou des castes, dans les cités anciennes, n'avaient pas de point commun' n'étaient pas compatibles entre elles ; l'invention d'une morale de compatibilité, avec le stoicisme, consiste à installer comme source de normativité une image fondamentale, primordiale, plus simple que celle de toute activité déjà codifiée, et donc capable de moduler ces activités : celle du rôle, de la persona, qui peut être aussi bien rôle de soldat que d'empereur, .t porrède une normativité intrinsèque comme rôle (jouer jusqu bo,.rt, bie., jouer). Quand les Anciens onr découvert que les "u es.l".res étaient des hommes et non des biens ou des outils qui parlent, ils ont donné une structure normative à la relation du maître aux esclaves en la modulant au moyen du modèle de la relation plus simple et plus primordiale entfe le père et ses enfants (justice, Protection...): .'.rt l* plus petit. réalité, et la plus simple, qui sert de paradigrye à la plus gr"nde, it l" gouverne. Dans la morale chrétienne, la règle de réciautres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous prociie (ne faites ["t ",t* ht), et de façon pl.r, .orr.tète le modèle de la fraternité comme base de toutes les relations humaines donnent à une situation très simple et très dépouillée, moins chargée de formalisation sociale que la relation du pèie aut enfants, le pouvoir de modeler l'infinie diversité des relations
à',r.. ; la fraternité est la situation-étalon, Pure et simple, qui "rr.r,rien gouvefnant les relations avec autrui selon la morale de la s'amplifie chariié. De cètte manière, une morale plus récemment inventée s'installe, par sa normativité plus fine, dans I'intervalle d'indifference qui restaiiau-dessous du seuil des morales précédentes ; elle ne contredit pas
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T62 IMAGINATIoN
L'INvENTIoN r6J
ET INVENTIoN
d.is,lagenèse des images, jusqu'à l'état sursaturé qui suit la rencontre de I'objet, produit po.ti l.r synthèses mentales un contenu disponible .o-p"r"-ble à celui que les Processus d'assimilation procurent à I'organis-. en voie de croissance ; des molécules en état métastable sont, dans
ces morales mais évite d'avoir recours à elles, résolvant le problème lvant que la normativité ancienne enrre en jeu. Ainsi, dans l'épisode de la femme adultère qui allait être lapidée, le Christ fait porter ia mor"le
de la charité sur I'intervalle d'indiftrence qui sépare ia lapidation en elle-même du jet de la première pierre pat l" phr"se n que Ëelui qui est ' sans faute jette la première pierre o, il crèe dans I'exam..t d. .orrrii.rr.. la situation de réciprocité entre le jugement de soi et le jugement d'autrui ; pour pouvoir jeter la pierre à la femme adultère, il fauàrait se la jeter aussi à soi-même ; et ainsi, la première pierre ne fut jamais jetée, parce que la nouvelle norme s'installait en deçà de la loi, dans l,inter_ valle entre le jugement de soi et la décision d;agir conrre auûui, entre I'homme intérieur et le geste. Kant a proposé ,irr. ,ror-"tivité encore plus universelle, parce qu'elle ne retient pas même l'être concret avec toute son affectivité, mais seulement la volonté bonne et le respect de la raison en soi-même et en autrui, ce qui revient à considérer la personne humaine comme une fin er non comme un moyen. ce sont àinsi des structures de plus en plus simples qui servent de base à la formalisation normative, constituant autant d'inventions. Les diftrentes formalisations apporrenr la compatibilité sous forme d'interaction enrre les diftrenm oodr., de grandùr d'une réalité qui s'échelonne (famille, cité, terre habitée entière) ; l'invention d'une.rùvelle formalisation revienr à découvrir un modèle plus petit, plus simple, plus rapproché du sujet, et servanr de paradig-. ordr., à. g."rrd.,r, plus considérables ; la formalisation dànne ainsi ".r* une valeur a"Ëlogique exemplaire à un acte. de plus en plus puremenr inchoatif, ce qui ..rriË.rt à augmenter la sensibilité et en même temps I'universalite de h formalisation, grâce à la structure interne d'ampliâcation. sous certe forme, l'invention, prarique ou symbolique (formalisation) est le résulrar d'une interaction enrre un champ de finalité er un ".rrr.l champ_ d-,expérience accumulée. L'acte d'inveniion n'esr pas essentiellement diftrent des modes de croissance avec organisation qui canctérisent les organismes : au cours de la croiss"r.., .n. structure recrure et répanit pour un résultat amplifiant des ressources fournies par le milieu ; la réalité endogène faible et minime gouverne et distribu e la réalité exogène. Pour que I'interaction organisatrice puisse s'exercer, il faut que les matériaux organisés soient homogènes et sensibles aux champs qui les répartissent en modulant leur flux ; or, tandis que les donrrees d. la perception conservenr une hétérogénéité relative et adhèrent aux objets, les images résultant de I'expérience et I'exprimant possèdent un. homogénéité relative er une fluidité qui les rendent -otil.r. Mutatis mutan-
leurs rapports externes, presque neutres' ce qui les rend faciles à distribuèr au moyen de forces de faible niveau; mais, intérieurement, elles recèlent une énergie potentielle élevée, qui devient disponible quand elles sont distribuées dans I'organisme constitué ; I'organisation est possible parce qu'elle s'opère pendant l'état de latence des réalités soumises à ltorganisation. La genèse des images, saturadon progressive au cours d.s ph"ses, donne une réserve de contenus en état de latence, extérieurement presque neutres, mais intérieurement' intrinsèquement' riches en possibilités de transformation. Telle est I'Imago avec son caracrère dè plurivocité ; à I'intérieur de I'Imago complexe, l'expérience condensée cônstitue un système potentialisé comparable aux grosses molécules de la chimie organique ; I'Imago, qui peut être suscitée Par un champ faible, apporte avec elle une réserve considérable d'expérience accumulée ; tels-sont aussi les résultats de I'exploration, de la manipulation libre, de n I'expérience Pour voir > ; autour de chaque centfe fourni par la réference PercePtive et motrice à l'objet s'est construit un système plurivoque de-propriétés des choses et de modes d'accès de l;organisme, exré;ieurement plus près de l'état neutre que ne l'étaient I'iniliative motrice spontanée ou la rencontre percePtive. L'organisation se produit quand le simple dirige un flux de réalités complexes ; et ceci est possible parce que les réalités complexes peuvent être provisoirement .n ét"t de latence, ce qui leur permet de se manifester extérieurement
comme faiblement polarisées, et de libérer leur contenu lorsqu'elles ont été mises en place.
C. L,INVNNTION COMME PRODUCTION D'UN OBJET CREÉ OU D'UNE CEUVRE Le processus d'invention se formalise le plus parfaitement quand il produii un objet détachable ou une æuvre indépendante du sujet, transmissible, pouvant être mise en commun' constituant le support d'une relation de participation cumulative. Sans vouloir nier la possibilité théorique ou l'existence actuelle de cultures dans certaines espèces animales, on p..r, noter que la principale limite de ces cultures réside
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L'INvENTIoN r6t
IMAGINATIoN ET INVENTIoN
dans la pauvreté des moyens de transmission successive, faute d'un objet constitué comme détachable des êtres vivants qui l'ont produit, mais pourtanr interprétable par d'aurres êtres vivants qui le réutilisenr en prenant pour point de départ le résultat de I'effort terminal de leurs prédécesseurs. Autrement dit, ce n'esr pas rant la capacité de spontanéité
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cRfurIoN
DEs oBJETS TEcHNTQUES
La continuité du créé, avec sa double dimension d'universalité spatiale et d'éternité temporelle, n'apparaît nettement que si l'on fait atrtraction de la destirr"tiott d'utilité des objets techniques ; une définition par I'utilité, selon les catégories des besoins, est inadéquate et
organisatrice qui manque aux sociétés animales que le pouvoir de création d'objets, si I'on entend par création la constitution â,.rr. chose pouvant exister et avoir un sens de manière indépendante de I'activité du vivant qui I'a faite. La création d'objets permet le progrès, qui est un tissu d'inventions prenant appui les unes sur les lJ, plus récenres englobant les précédenres. L'organisation d'un ".r,r.., nid ou d un territoire s'efface avec le couple ou le groupe qui l'a constitué ; tout au moins, c'est dans les formes les plus élémentaires que la conservation de I'objet constitué ou sécrété par les générations précédenres esr la plus .ffi.ace comme support organisé des générations suivantes (coraux, humus des forêts) ; ces effets de causalité cumulative ne réapparaissenr guère ensuire, de manière nefte et décisive, qu'avec I'espèce^humaine er sous forme d'objets créés ayant un sens pour une .ultur.. Il n'y a pas de progrès assuré ranr que la culture, d'une parr, er la production dbbjets, i'"i,r. part, restent indépendanres l'une de I'autre ; l'objet créé est précisément un élément du réel organisé comme détachable p"... qu'il a été produit selon un code contenu dans une culture qui peÀet dË I'utiliser loin du lieu et du temps de sa création. Le caractère d'universalité et d'intemporalité de l'objet créé est susceptible de se manifester à des degrés pl,rr o.t moins élevés, car les cultures se modifienr avec les sociétes ; chaque objet et chaque æuvre ont à une époque donnée une aire de diffusion limitée; cependant, il existe dans I'objet créé une universalité et une éternité virtuelles, correspondant au senriment intérieur du sujet créareur qui pense produire un n htéma es aei )', selon I'expression de Thucydid., o,, âé.1".".r, comme le poète latin : < non omnis moriar rr, ,, j, ne mourrai pas tout entier r. Cette virtualité consisre en une possibilité permanenre de réincorporations à des æuvres ou à des créations ultérièures sous forme de schème ou d'élémenr, même si l'individualité de l'objet créé n'est pas conservée au cours des inventions successives. Le processus de création d'objets apparaît en divers domaines, mais il est particulièrement net, au moins pour nos civilisations, dans le domaine des techniques er dans celui des arrs.
inesseniielle, parce qu'elle attire l'attention sur ce par quoi de tels objets sont des prothèses de l'organisme humain ; or, c'est précisément sous ce rapport que l'universalité et I'intemporalité sont le plus directement entia,oées, dans la mesure oùr tout ce qui s'adapte à l'être humain court le risque de devenir un moyen de manifestation et d'être recruté comme phanères supplémentaires. Un grand nombre d'objets techniques sont irabillés .tt ôbj.tt de manifestation, ce qui leur ajoute des significations locales et transitoires qui surchargent le contenu technique, le dissimulent, et parfois lui imposent une distorsion. En prenant comme exemple l'a,rtomàbile dite de n tourisme o (bien que ce mot n'ait plus grand sens par rapport à la majorité des usages actuels), on tfouve diftrentes couàh.r q"1 vont de l'objet de manifestation (à l'extérieur) à I'objet technique à peu près purement créé (dans les parties peu visibles ou inconnues de la majorité des utilisateurs, les engrenages, la transmissio n, la. génératrice d'électricité) ; la couche intermédiaire de réalité, mi-technique et miJangage, est aussi celle des organes partiellement visibles et descriptibles, càmme le moreur, qui affiche sa cylindrée, son taux de comPression, le nombre de paliers, et les solutions employées pour les circuits annexes (filtre d'huiË, etc.) ; il y eut l'époque des longs moreurs à grand nombre de cylindres en ligne, puis les moteurs à cylindres en V, d'autres en nflat-twinr, depuis peu le moteur incliné, sans parler de l'incorpor"iio.,, fréquente en Italie, de la mesure de la cylindrée à la dénomination du rype ou de la série. Les variaiions sur la couche externe sont à la fois infinies en nombre et assez limitées ; infinies, parce qu'elles sont continues' sans saut nécessairement imposé par la nature des choses ; tous les coloris, toutes les modificatio.tr d. for-., sont possibles, comme dans le domaine du vêtement ; toutefois, ces modifications sont limitées par la compatibilité avec I'emploi, tout comme celles du vêtement se trouvent limitées par la forme du, corps, la nécessité de ménager une relative liberté de mouvements, et de conserver une suffisante utilité ; s'il y a création dans le domaine de la couche externe de manifestation, c'est comme invention d'une compatibilité entre l'automobile de tourisme et d'autres productions techniques (par exemple la carrosserie unique pour voitures commerciales et pour n breals , de type familial) ou entre I'automobile et
r. Chose acquise pour touiours.
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IMAGINATIoN ET INVENTIoN
apprentissages durables et fait rayonner des normes perceptives :t op"ér"toir.rl la maison à vastes surfaces vitrées a imposé à I'automobile ses grandes glaces presque planes, comparablgs à d1s baies, victorieuses d. ii*tody"-"misme d.i foi-.r; comme le placard intégré aux murailles, le .off. à bagages de l'automobile, jadis rapporté à la carrosserie de l'exrérieur, fait Àaintenant partie de I'ensemble et reçoit un grand développement. Chaque objet créé participe ainsi à factivité contemporairre^de création selon d.s modalités générales unifiant les solutions et les alignant soir sur les techniques de pointe soit sur les réalisations dont l'uàge constant impose des normes communes à I'ensemble d'une populatioÀ, par exemple l'habitation moderne. Cette communication .rrir. 1., corrch.s moyennes des objets créés fait qu'il existe à chaque moment non pas seulement des collections parallèles des objets créés, répartis selon 1., catégories d'usage, mais un monde des objets créés,
d'autres catégories d'objets, selon un cype défini de lignes er de volumes, qui n'est pas non plus sans influence sur le vêtement (angles vifs ou formes arrondies et amples, tendance vers les grandes ou les petites dimensions) ; cette esthétique des objets créés, qui les fait appàraître comme le produit d'une époque er d'une civilisation, esr plus une sémantique qu'une esthétique ; elle se manifeste simultanément dans un très grand nombre de catégories de la production, er esr déjà plus profonde que la simple manifestation exrerne ; elle enregisrre et incorpore
aux objets un certain mode de communication entre I'homme et les choses, en explorant à chaque momenr les possibilités les plus récentes, comme s'il fallait que l'homme ûouve en chaque objet une occasion d'explorer l'effet des plus récentes découvertes, participant ainsi, dans la mesure oir il le peut, à toute l'activité contemporaine, selon une norme d'actualité. Par là, on quitte la couche de manifesrarion externe de la réalité technique pour passer à la couche intermédiaire de la communication avec I'utilisateur, discontinue, plus réservée, s'adressant partiellement au connaisseur. Cette sémantique de I'actualité du créé se traduisait, dans l'auromobile de r9zr, par I'emploi visible d'alliages légers ou d'aluminium ayant un sens fonctionnel dans la construction aéronautique, au moment oùr la toile était remplacée par des surfaces métalliques ; au même momenr, on trouve les alliages légers dans les appareils médicaux, dans les agrandisseurs photographiques, dans un très grand nombre d'appareils ménagers, et jusque dans I'ameublement (boutons de portes, poignées). L'utilité du choix de I'aluminium en petites quantités, par exemplè pour un tableau de bord d'automobile, est à peu près nulle, car I'ensemble est ainsi allégé de manière inûme ; mais l'apparition de ce métal au pointclef qu'est le tableau de bord permer à I'auromobile de parler, dans la communication avec son conducreur, le langage de l'avion ; à ce moment, en raison du caractère n pilote u de I'aviation progressant à pas de géants, I'aluminium était un métal plus u technique o qr.l., autrË, ; après la Seconde Guerre mondiale, on vit sur l'auromobile de rourisme une proliftration d'automatismes mineurs et d'asservissements ùyant une utilité dans la marine et l'aviation, où les masses à mouvoir dépassent la force d'un homme, et oùr les instruments de bord sont nécessaires. L'emploi d'un matériau manifestant I'actualité ne reflète d'ailleurs pas seulement, au sein d'une technique définie, le prestige d'une technique triomphante en laquelle le matériau a une utilité fonctionnelle; cet emploi correspond aussi à la transposition en tous domaines d'une tendance qui s'est affirmée dans un secreur si général qu'il institue des
une création.
Toutefois, dans la couche interne et la couche moyenne, il ne s'agit encore que d'une organisation de compatibilité extrinsèque, comparable aux règLs d'une langu. tendant à devenir une koinè. Au contraire, l'organîation de la couche interne et Proprement technique fait de I'objet crééle produit d'une véritable invention qui le formalise concrè,.-..,, en lui donnant les caractères d'un organisme, par la recherche des conditions d'une compatibilité intrinsèque : il ne s'agit plus ici d'un acte de manifestation ni à'rrt. relation sémantique avec I'univers des techniques en voie de progrès, mais d'une adéquation directe et immédiate entre l'acte d'inv.ntion et I'objet créé ; I'objet créé est un réel institué par l'invention, en son essence ; cette essence est première et peut exister sâns manifestation ni expression. Lamanifestation (couche externe) et I'expression (couche moyenne) ne pourraient exister si elles n'étaient portées par. la couche interne, .roy"., de technicité productive et résistante, sur laquelle les couches externe er moyenne se développent en parasites, avec une importance variable s.lon i.s circonstances sociales et psycho-sociales. Les situations de danger, de difficulté extrême, de guerre, réalisent un décapag: q. l'inesseitiel faisant apparaître I'objet inventé à l'état fondamental ; la version primitive d',t.t. invention est aussi plus n sauvage _> que la productiàn ultérieure à grande diffi.rsion ; la réaction des couches exter.r., ,.rr l'objet inventé peut en certains cas causer une régression, comme cela s'est produit récemment dans le domaine de la photographie, oir I'usage d'appareils dont les caractéristiques I'on voit se généraliser "très au-dessous des possibilités actuelles de production, optiques sont
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loisir, dont ils sont une manifestation' et à laquelle ils se ffouvent négativement adaptés par le fait que leurs automatismes n'ont pas d'é"tendue ,,rffir"ri. po.r, ,'"ppliquerà des conditions éloignées de celles
mais qui possèdent en revanche quelques automarismes assez limités, permeffant d'éviter de grosses erreurs sur les temps d'exposition, et ouvrant sans apprentissage l'usage de la photographie à un large public ignorant tout de l'optique et de la photométrie. En s'éloignant du lieu et du momenr de I'invention, I'objet technique peut d'ailliurs subir un c_hy-aSe selon les différentes couches, qui prennenr une importance difftrente selon les usages et les milieux sociaux ; ainsi, la photàgraphie s'est d'abord développée chez les amateurs savanrs et les piofessiànnels, sachant non seulement utiliser correcremenr un appareil de prises de vues, mais aussi développer et rirer les éléments sensibles ; un premier clivage s'est produit quand la grande majorité des amateurs a abandonné à des artisans le soin de développer er tirer les pellicules ; à ce momenr, I'appareil d'amareur est devenu un appareil à pellicules roulées, faciles à transporter et à expédier, alors que I'appareil professionnel conservait le système de la plaque sensible sur support de verre ou en plan-fiIm. La troisième dichotomie s'esr produite avec le lancement industriel du développemenr er du tirage qui ne permet plus le contrôle ni I'adaptation unitaire de chaque tirage aux écarrs du temps d'expositio.r, ,,.rrtout pour les vues en couleur qui tolèrent peu d'erreurs ; c'est à cette industrialisation que correspondent les appareils de prise de vue utilisant des chargeurs fermés, avec une optique très élémentaire er un réglage automatique de I'ouverrure du diaphragme, sans mise au poini àe distance. L'ancien appareil d'amareur n'a pas disparu, mais il s'est spécialisé dans la fonction de reportage en se perfectionnant. Ces deux dichotomies successives onr donné une tripaitition finale au rerme de laquelle on rrouve, pour la couche purement technique, la chambre photographique équipée de plan-fiIm, dans les emplois scientifiques, géographiques, er la prise de vue professionnelle ; la couche intermédiaire, correspondant à la prédominance de l'expression, se concrétise dans les appareils de reportage, pourvus de tous les réglages optiques et photométriques; enfin, la couche exrerne de manifeit"iiott i'exprime dans la grande diffirsion des appareils simplifiés mais automatiiés et fermés. On peut norer que certe tripartition correspond à des fonctions nettement séparées de l'usage de la photographie par les diftrents opérateurs ; la chambre photographique est dans les mains d'un homme dont la fonction essentielle, au moment où il opère, est de prendre une photographie ; l'appareil de reportage appartient à un journaliste qui prend des photographies à l'occasion d'une enquête ou d'un .t oy"g. il" prise de vue a une valeur professionnelle, mais de manière auxifiaire; enfin, les appareils à grande diffusion correspondent à une fonction de
d'un jour lumineux èt de sujets situés à plusieurs mètres de I'opérateur.. Itblet technique comme produit de l'invention se caractérise de manière essentielle par son caractère organique, que I'on pourrait nomstructurale et fonctionnelle, s'opposant à mer aussi ,r.t. ".rto-iorrélation la divergence de l'évolution adaptative qui spécialise le produit selon les catégorËs d'utilisateurs. Particulièrement, dans l'exemple qui a été .hoËi, le soubassemenr de la photographie comme invention ne doit pas être cherché seulement d"ns I'appareil de prises de vues, mais dans la compatibilité entre cette réduction de chambre noire qu'est un appareil .. ..ï. surface chimique photo-sensible ; les chambres noires et les produits photo-chimiques tels que le bitume de Judée étaient connus I'invention de la photographie ; l'invention a consisté à faire tra"lr"rr, vailler directement et automatiquement la lumière sur une matière photo-sensible à I'intérieur d'une petite chambre noire formant une i-"g. réelle des objets ; les différents perfectionnements successifs ont appàrte les conditions d'une compatibilité plus parfaite entre le phénophysique, surtout par -Érr. photo-chimique et Ie phénomène d'optique h déàuverte d'unle prépaiation conservant longtemps sa sensibilité après la fabrication, .i.o.rr.*ant également sans altération I'effet de la lumière après exposition sous forme d'image latente jusqu'au développement ; i" .o-p"tibilité réside dans la mise en suspens de l'activité .hi-iq,t. du materiau sensible entre la fabrication et le développement' ce qui permet d'insérer la prise de vue dans cet intervalle temporel. Et, .r ,.p*."nt les spécialisations divergentes selon diftrentes couches, on peut ïoir q.r. l',.rr*ge donnant la première place à la couche la plus essentielle .rt a.rssi ielui qui maintient le degré le plus élevé de compatibilité entre les processus oPtiques et les Processus_ chimiques : avec un appar.il professiànnel utilisant des plaques ou du plan-fiIm, et même plus perfectionnés des appareils de rePortage' il est possib]e de "rr..^1., de".loppement vue par vue. Le système Polaroi'd Land, qui passer ",t p.r-.. le développement et le tirage quelques secondes ou dizaines de ,..ord., après la prise de vue, aPPorte une comPadbilité temporelle et locale ent; les dàu" processus dont I'interaction constitue la photographie comme inveniion ; or, ce sysrème met en æuvre un appareil IoÂp"t"ble à une chambre photographique professionnelle, au moins en ce qui concerne le grand fot-"t employé et le dispositif du soufflet' L'appaieil Polaroid Laid, au lieu de continuer l'évolution divergente qui
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écarte l'aspect de manifestation
et l'aspect d'expression de la chambre photographique fondamentale, rassemble en unité ces faisceaux diver-
liferer les bouilleurs autour du corps de la chaudière ; mais ce dispositif ne peur être appliqué, en particulier, à un véhicule rerrestre, à cause de sorgrand poiàs et de son encombrement, ainsi que de sa fragilité, et de la nécessitè d'un bâti réftactaire pour canaliser la flamme autour des bouilleurs. Marc Seguin a rendu compatibles la chaudière simplement cylindrique et une multitude de bouilleurs en inversant le schéma des bouilleuis et en les mettant dans la chaudière' ce qui non seulement accroît la surface de chauffe, mais aussi diminue la masse d'eau à échauffer; l'inversion du schéma des bouilleurs consiste en ce que ce n'est plus l'eau qui est dedans et les gaz chauds au dehors, mais les gaz dans àes tubes tia't.rsant la chaudière parallèlement à son axe et I'eau autour des tubes. De cette manière, l'entourage réfractaire est supprimé, le foyer envoyant directement la flamme et les gaz chauds dans les tubes tr"rré.r"n, la chaudière ; ces tubes deviennent ainsi plurifonctionnels, car ils acheminent I'air chaud, d'une part, et servent d'autre part à l'échange thermique ; il n'y a rien d'autre que ces tubes entre le foyer et la boîte à fumée, situés atx deux extrémités de la chaudière. De manière Presque paradoxale, l'enveloppe extérieure de la chaudière peut être calorifugée, lout l'échange thermique étant condensé à I'intérieur. Le caractère plurifonctionnel se complète par le fait que le foyer, plus réduit, effectue ier.rl.-.nt une part de la combusdon, qui se prolonge à I'intérieur des rubes, tout le long de la chaudière, lorsqu'on emploie des charbons fournissant beaucoup de gaz; ainsi, l'invention apporte une vague de condensations, de concrétisations qui simplifient l'objet en chargeant chaque structure d'une pluralité de fonctions ; non seulement les fonctioni anciennes sont conservées et mieux accomplies, mais la concrétisation apporte en plus des propriétés nouvelles, des fonctions complémentaires qui n'avaient Pas été recherchées, et qu'on pourrait nommer o fonctions surabondantes ), constituant la classe d'un véritable avènement de possibilités venant s'ajouter aux propriétés attendues de l'objet. amplifiant, I'invention est occasion de découverte en Par cet "tp..t matière ,..h.riq.r.,- car les propriétés de I'objet dépassent l'attente ; il serait partiellement faux de dire que l'invention est faite pour atteindre un bui, réaliser un effet enrièrement prévisible d'avance ; l'invention est réalisée à l'occasion d'un problème ; mais les effets d'une invention dépassent la résolution du problème, grâce à la surabondance d'efficacité de l'objet créé quand il est réellement inventé, et ne constituent pas seulement une organisation limitée et consciente de moyens en vue d'une fin parfaitement connue avant la réalisation. Il y a dans la véritable invention un saut, un pouvoir amplifiant qui dépasse la simple
gents et couvre route l'étendue des emplois possibles, depuis I'usage pro-
fessionnel jusqu'à celui des loisirs, en passanr par le i.pot,"g.1.r l.t emplois analogues, comme la mise en place des personnages avanr une prise de vue cinématographique, avec rétro-action des photographies sur I'attitude des acteurs. cette nouvelle vague d'inventiàn en-màtière de photographie augmente à ce point la compatibilité entre le processus physique et le processus chimique qu'elle rend possible la rétro-action à I'intérieur de la prise de vue, une première photographie servant à améliorer le cadrage, la disposition des sujets et le réglagè optique de la photographie suivante. Naturellemenr, I'invention d" diiporiti' pokroid Land est un fruit de I'industrialisation très poussée ; mais, selon un effet courant en matière technologique, certe véritable invention, qui porte sur l'essentiel, et qui apporte un progrès majeur, restirue ceri"ini d.s aspects de l'activité des amareurs, en particulier la décentralisation extrême de I'activité d'exécution, et d'indépendance opératoire complète par rapport à un univers industriel concentrarionnaire. Dans cette même mesure, le franchissemenr d'un échelon de progrès essentiel a le pouvoir de faire reconverger en unité de base les difftrentes branches d.u1e technique primitivement unique, que des progrès mineurs d'adaptation sociale ou économique avaient superficiellement diftrenciées.
D'autres exemples pourraient être pris, s'il s'agissait d'étudier en euxmêmes les faits d'évolution des objets techniques ; mais il importe avant tout de noter pour la présente étude le fait que I'inventio., o,., ,.rrt progrès majeur revenant sur un dispositif déjà inventé pour le perfectionner est un acte instituant une compatibilité entre des processus primitivement incompatibles ; pour la photographie, il s'agit du proceisus physique de formation d'image réelle et du process.tr photo-Àimique, compatibilisés par le phénomène de I'image latente; cetre compatibilité appartient à la catégorie des états d'équilibre, autorisant la succession temporelle des phases par la mise en suspens d'une activité. En d'aurres cas, la compatibilité est d'ordre topologique ; telle est I'invention de llarc seguin qui a créé la chaudière tubulaire propre à la production d'énergie thermique à poste mobile (locomotives, navires, loàomobiles). A poste fixe, pour augmenter le rendement du rapporr foyerlchaudière, la surface de chauffe avait été accrue par I'adjonction de bouilleurs extérieurs au corps rylindrique de la chaudière ; ce dispositif aurait naturellemenr pu être généralisé, car on pourrait imaginer de faire pro-
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finalité et la recherche limitée d'une adaptation. Les fonctions surabondantes peuvenr parfois être secondaires, simplement utiles comme adjuvantes_; elles peuvenr aussi devenir primordiales, si bien que la découverte l'emporre sur l'intention initiale ; comme exemple de fonction seulement adjuvante, on peur prendre, à l'occasion du à"s déjà évoqué, le fait que la paroi externe d'une chaudière tubulaire per.rt rempl".., ,r., châssis, en raison de sa grande rigidité et de sa forme géométrique parfaitement rectiligne que ne surcharge plus aucune adjo=nction dè bouilleur; cette aptitude a été utilisée dans les locomobiles, ce qui apporte un allègement et un gain de place. Par conrre, lorsque ree de For.r, introduit une grille de commande entre cathode eianode dans la valve" primitive à effet thermoélecrronique, il n'a pas seulement rendu réglable le flux électronique, ce qui fournit un interiupteur à une infinité j;état, intermédiaires enûe la fermeture totale et la pleine ouverrure : la triode à vide est devenue en quelques années la pièce cenrrale de l'amplificateur pour courants téléphoniques, dans la bande des fréquences musicales, puis elle a manifesté ses très remarquables propriétés pour les fréquences correspondant aux ondes hertziennes, non seulemeni dans les -à.rt"g., amplificateurs ou oscillateurs, mais dans les fonctions modulatrices et détectrices. LJne nouvelle vague de propriétés du tube électronique s'esr manifestée avec l'inrroduction (à des fins d'isolement électrosiatique) d'une grille-écran enrre la grille de commande et l'anode; la grille-écran, en^accomplissant sa fonction d'écran électrostatique, produiien plus un effet accélérateur du flux d'électrons, augmenrant la résistance inrerne du tube et rendant le flux à peu prei independant de la tension instantanée d'anode ; I'introduction d'une troisième grille, tout près de I'anode, comme suppresseur d'émission secondaire, ,r. ..-piit pas seulement cette fonction de barrage à sens unique, mais apporre en outre une possibilité de modulation par voie électronique I chaqu. invendon, au lieu de se borner à résoudre un problème, le gain "ppott. d'une surabondance fonctionnelle'. Il n'est d'ailleurs pas du tout nécessaire, pour décrire les caractères principaux de I'invention comme formalisation, de prendre exclusivement des exemples dans les objets techniques du monde industriel ; I'objet technique industriel fait partie de la catégorie plus générale des objets artificiels qui représenrenr en divers do-aines les réussites d'une formalisation conduisant à la surabondance fonctionnelle. Si I'on prend, r' Un exemple plus récent est fourni par la turbine Guimbal, incluse avec I'alternateur dans la conduite forcée.
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par exemple, la voûte comme procédé de construction, on s'aperçoit du caractère plurifonctionnel des divers éléments, intervenant d'une part comme maillon d'un transfert de forces de compression et d'autre part comme partie d'une surface de couverture ; chaque pierre est partiellement toiture et muraille et même la clef de voûte reçoit et transmet les forces provenant des autres éléments ; cette communication des forces fixe les uns contre les autres les éléments par le seul fait de leur taille en tronc de pyramide, sans nécessité de cheville ou ciment ; la pesanteur, qui crée la difficulté et pose le problème de l'équilibre, est employée comme moyen de cohésion de l'édifice terminé ; la pesanteur est intégrée à la voûte, elle travaille dans l'édifice ; une partie de voûte serait, prise seule, en déséquilibre ; roures les parties d'une voûte, prises eniemble, se font mutuellement équilibre, si bien que non seulement l'ensemble est en équilibre, sans élément plan pouvant fléchir, comme les poutres, mais que, de plus, les déséquilibres comPensés apportent des fories qui rapprochent les unes des autres les diftrentes parties de l'édifice, principalement vers le haut : cette surabondance fonctionnelle pefmet d'employer la voûte pour Porter une autre voirte au-dessus t,tp.tposition de plusieurs étages, comme on le voit dans le à'eile, "rr.. Pont du Gard. Les forces développées dans I'ensemble formalisé et plurifonctionnel qu'est la voûte dépassent son ordre de grandeur ; la iésolution du problème par formalisation crée un objet artificiel possédant des propriétés qui dépassent le problème. La véritable invention dépasse son but ; l'intention initiale de résoudre un problème n'est qu-'une amorce, une mise en mouvement; le progrès est essentiel à l'invintion constituant un objet créé parce que I'objet, en possédant des nouvelles en plus de celles qui résolvent le problème, amène propriétés -déparrement des conditions qui étaient celles de la position du un problème.
Si I'invention était seulement I'organisation d'un donné, sans créadon d'un objet, cette incorporadon à I'univers des choses productibles d'une surabondance d'être n'aurait pas lieu, car l'organisation se limiterait à la résolution du problème ; mais dès qu'apparaît un objet séparé, les contraintes de cet objet impliquent un long détour, une mesure plus large qui réalise une incorporation de réalité, à la manière dont procède l'évolution vitale selon Lamarck, incorPorant aux organismes des propriétés qui étaient laissées aux effets aléatoires du milieu, et qui deviennent datts des organismes plus complexes l'objet de fonctions régulières. Cet enjambement amplifiant dépassant les conditions du problème est nécessité, dans la création d'objets par invention, par les obstacles
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que suscite une organisation limitée à une finalité directe et stricte ; ainsi, lorsqu'on a voulu remplacer la construction en pierres par du béton, on s'est heurté à des effets négatifs qui empêchaient le remplacement direct, non-amplifiant (possibilité de fissures, jeu de la dilatation, mauvaise résistance des blocs aux efforts de traction) ; il a fallu armer le béton en lui adjoignant des barres métalliques ; ces éléments élastiques, travaillant en traction, jouaient au mieux leur rôle s'ils restaient perpétuellement en traction, d'oir résulte la technique du béton non seulement armé mais précontrainr, réalisant l'enjambement amplifiant caractéristique de I'objet inventé : le béton précontraint permet de réaliser non seulement ce que I'on aurait pu construire en pierres, mais aussi des poutres et des porte-à-faux que seuls le bois ou le métal auraient permis de réaliser, avec le gain de raccordements homogènes à l'ensemble de la construction, er avec le bénéfice de I'identité des coefficients de dilatation; le bâtimenr en béton précontraint dépasse celui qui aurait été possible en pierre, bois, et fer. Un effer secondaire nocif dont il faut bien tenir compte dans la recherche de compatibilité exigée par la formalisation de I'objet créé (auto-corrélation structurale et fonctionnelle), d'abord limité par des palliatifs, devient ensuire une partie positive du fonctionnement d'ensemble. Ainsi, dans les tubes électroniques, l'émission secondaire d'électrons par l'anode a d'abord été un inconvénient, limité par I'emploi de la troisième grille (suppresseur) dans la structure penthode ; ensuire, cet effet a été positivement incorporé au fonctionnement d'ensemble dans la cellule dite photomultiplicateur, où l'effet d'émission secondaire est systématiquement provoqué en cascade, de dynode en dynode, pour provoquer l'amplification d'un faible flux initial de photo-électrons. L'objet créé, pour être complètement organisé, doit être plus complexe et plus riche que ne le suppose le projet strict de résolution du problème ; il possède alors des propriétés nouvelles qui lui permettent de résoudre, par surabondance d'être, d'aurres problèmes. Il incorpore, involontairemenr, d'aurres effets de I'univers, car il n'existe généralemenr pas de solution parfaitemenr sur mesure à un problème particulier. L'incorporation dans un ensemble qui esr non seulement logiquement mais aussi réellement et matériellement formalisé, comme un organisme, d'effets non recherchés par I'intention finalisée de résolution du problème par organisation conduit à un dépassement des conditions du problème en puissance et en universalité d'applications. Cet accroissement est comparable à une plus-ualue fonctionnelle due au travail des réalités naturelles incorporées à I'objet créé pour qu'il soit entièrement
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compatible avec lui-même ; de cette manièfe, par la nécessité du progrès des techniques, le groupe des objets créés incorpore de plus en plus de réalité naturelle. lJne vue superficielle, non-dialecdque, pourrait faire croire que la technique capitalise une somme toujours plus grande de réalités naturelles, appauvrissant l'univers de ces réalités ; mais en fait, le groupe des objets créés, incorporant toujours plus d'effets ( sauvages ))' est de moins en moins arbitraire, de moins en moins artificiel en chacun de ses éléments ; la nature se recrée comme formalisation nécessitante et concrétisation à l'intérieur de l'univers des techniques. Plus les techniques se font objet, plus elles tendent à faire Passer la nature dans le créé ; ltévolution progressive des techniques, grâce à la plus-value amplifiante de chaque invention constituant un objet, fait passer les effets naturels dans le monde des techniques, ce qui a pour résultat le fait que les techniques, progressivement, se naturalisent. L'invention créatrice d'objet est ainsi la dernière phase d'un processus dialectique qui passe parla perception ; la perception correspond à la phase en laquelle I'effet dépend du milieu, se produit devant le sujet i par la plus-value de I'invention, l'efFet entre dans le système de l'objet créé ; l'invention tient compte de la nature comme supplément nécessaire à la simple finalité pratique et anthropocentrique, qui opérerait seulement, selon la voie la pl,.tr .o.ttt., une orgânisation ; ce supplément, nécessaire pour que I'objet créé soit compatible avec lui-même, opère un recrutement imPrévu dans le projet de résolution du problème, et amène une solution plus grande que le problème. Le progrès, au sens majeur du terme, est la conséquence des actes d'invention ; il va au-delà des perfectionnements visés par I'inventeur, et de ses intentions, parce que, selon l'expression de Teilhard de Chardin, n les pièces sont plus grandes que la maison u que I'on voulait construire. L'invention complète la perception non seulement pârce qu'elle réalise en objet ce que la perception saisit, mais aussi parce qu'elle ajoute des effets aux conditions primitives au lieu de sélectionner des effets pour une prise d'information, comme fait la perception, qui choisit parmi les possibles offerts par la situation. Pour cefte raison, les inventions créatrices d'objets, grâce à ce recfutement d'efFets, apportent à la découverte scientifique des données que I'observation perceptive ne Peut extraire du réel. Par ailleurs, cet effet d'amplification Paf recrutement d'effets nâturels dans l'invention technique a des conséquences pratiques et sociales parallèles aux conséquences théoriques. Le mécanisme de la plus-value économique que Marx a décrit dans Le Capital exprime dans le monde du travail humain une des conséquences de la mise en æuvre des
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inventions techniques ayant permis la révolution industrielle ; cela signifie que le travail des opérateurs ouvriers était incorporé dans le schème des inventions, et était recruté comme un effet naturel ; mais l'effet d'amplification ne se limite pas au domaine du travail des opérateurs ; il est seulement visible de manière privilégiée dans ce domaine qui est un cas particulier touchant de près la société humaine. L'évolution dialectique amplifiante n'est pas non plus seulemenr humaine, sociale et politique ; elle caractérise tout le domaine des objets créés par invention, non seulement dans leur rapporr avec la société humaine, mais aussi dans leurs rapports avec la narure ; par I'intermédiaire des objets créés, c'esr le rapporr de l'homme à la nature qui est soumis à un processus d'évolution dialectique amplifiante dont le fondement actif est dans l'invention, exprimant efficacement le rycle de I'image, par I'expansion hors de l'individu de la phase terminale d'invention créatrice. La recherche complète des applications de cerre conception de l'objet technique créé par invention dépasserait une étude de psychologie < générale ), car non seulement les conséquences mais aussi les conditions de la genèse d'une invention impliquent des contenus collectifs et des aspects historiques, avec la manière particulière dont le savoir et le pouvoir se transmerrenr sous forme d'objets constitués ou de procédés de production, er avec I'exigence des conditions d'accueil, qui ne sont pas seulement économiques mais culturelles (vok Du Mod.e d'existence des objets techniqaes, Paris, Aubier, r9t8). Leroi-Gourhan a étudié les phénomènes de diffusion, de transmission, de rransposition des techniques dans le cadre de I'ethnologie, avec des phénomènes complexes comme ceux qui se produisent lorsqu'une population esr mise en présence d'objets manifestant un développemenr plus avancé que le sien (outils de métal importés dans un pays qui emploie des outils de pierre) dans les ouvrages intitulés L'Homme et la Matière et Milieux et Techniques. A ce point de vue, nos sociétés voienr se poser le problème du rapport d'information récurrenre entre le producteur er le consommateur, qui est en fait un utilisateur-opérateur et non pas un consommateur, lorsqu'il s'agit d'objets techniques ; une étude complète de marché, en ce domaine, doit comporter l'étude des voies de diffusion d'une invention, car un objet technique véhicule avec lui une information implicite et explicite sur ses conditions d'emploi er sur le choix des modèles ; inversemenr, la mise au point des caractéristiques d'un modèle par le consrrucreur esr une étude de compatibilité non seulement intrinsèque mais aussi extrinsèque, puisqu'elle implique I'adapta-
L INVENTION t77
tion de l'objet à un système d'usages virtuels qui ne correspondent pas du tout à un concept univoque; ainsi, dans le monde rural français de la petite propriété, de la polyculture, de l'élevage, la production efficace de machines agricoles s'est longtemps heurtée à un manque d'adaptation des machines aux fonctions réelles pour le travail ; ces machines' et particulièrement les tracteurs, étaient conçues à partir d'un emploi idéal en régions planes de monocultures sur de grandes surâces continues, parce que ces régions avaient franchi les premières le seuil économique de I'accès au machinisme industriel ; le ffacteur agricole a été réinventé après r95o, en France, pour les régions de polyculture et de petite ou moyenne propriété, et sa diffirsion a été rapide, ce qui montre qu'il ne s'agissait pas, pour I'essentiel, de préjugés à vaincre ou de conditions économiques à attendre ; sous sa nouvelle forme, le tracteur n'est plus seulement agricole (fait pour remorquer une charrue), mais il devient à la fois un générateur de force motrice à poste fixe, un tracteur routier monté sur pneumatiques et pouvant rouler vite, et un porteur universel d'outils alimentés directement en énergie mécanique par le moteur, ce qui crée la compatibilité étroite de l'effet de remorquage et de I'effet de source d'énergie: l'invention du mode intrinsèque de compatibilité entre ces deux effets a rendu possible la compatibilité extrinsèque par adaptation du ffacteur multifonctionnel à une gamme continue d'usages entre I'emploi comme tracteur et l'emploi comme moteur, en Passant par I'emploi comme tracteur et moteur. Une étude analogue pourrait être faite sur le marché de I'automobile en France ; l'échec de certains modèles (Frégate de Renault) ne tient pas à des défauts techniques, mais à un défaut de connaissance des compatibilités extrinsèques nécessaires, en particulier de la double destination (transport des personnes et des choses) ; le succès du modèle 4L répond au contraire à une bonne étude de la pluralité des besoins. Plus généralement, Ie perfectionnement d'un objet technique dans le sens de la concrétisation et de l'élévation du niveau de la compatibilité interne produit une adaptabilité externe que l'on désigne en Amérique par I'adjectif
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termes extrêmes comme le tracteur et le moteur, I'automobile devant transporter des personnes et I'automobile devant transporter des marchandises. L'objet peut totaliser er condenser les prises d'informations exprimant les besoins, les désirs, les atrenres ; la circulation récurrente d'information entre la production et I'utilisation virtuelle fait communiquer directement I'image et I'objet créé, permettanr l'invention compatibilisante, alors qu'une définition concepruelle selon la finalité réalise seulement une abstraction unifonctionnelle, et élude l'invention. Pour la même raison, une étude puremenr économique de la genèse et de I'emploi des objets techniques est insuffisante, parce qu'elle ne tient pas compte de leur mode d'existence, qui est de résulter d'une invention condensant en objet un faisceau d'informations contenues dans la réalité d'une image parvenue au terme de son devenir. Il ne s'agit naturellement pas de réduire routes les techniques à des productions d'objets ; de nombreuses techniques ont consisté et consistent encore en découvertes de procédés, c'esr-à-dire en organisation d'une action efficace, selon le postulat de la praxéologie ; routefois, c'esr quand la technique rencontre I'objet et le façonne qu'elle se constitue comme réalité spécifique et indépendante, pouvanr dépasser les barrières temporelles et culturelles. De I'immense empire romain qui fut un cheÊ d'æuvre d'organisation en de multiples domaines, ce qui est parvenu jusqu'à nous et agit encore, c'est ce qui a été créé comme objet, aqueducs, voies, po'ts, demeures. Si tous les chemins mènent à Rome, -'est parce que les Romains de I'Antiquité ont inventé la consrruction des routes comme objets stables, concrétisant la technique des communications, des voyages rapides, du commerce, des ffansports, et formalisant toute l'étendue de l'image d'un pouvoir dont le siège était à Rome mais qui tirait sa subsistance des provinces, par la circulation continue des choses et des êtres humains. ce réseau d'objets a survécu à I'empire, parce qu'il dépassait par l'invention la finalité particulière de chacun des actes, et incorporait une nature. 2. AUTREs cerÉconrns
o'on;nrs
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nsrrrÉrrqun L'existence de plusieurs couches autour d'un objet répondant à des images mentales n'est pas une caractéristique exclusive de l'objet technique ; on la trouve aussi dans le domaine du sacré, rattaché au profane par différentes zones qui médiatisent et protègent, mais cachent àussi en une certaine mesure ce qu'il y a d'essentiellement sacré, ce qui constitue
la source, le noyau résistant de sacralité (voir l'étude sur Tecltnicité et saualité, partie d'un cours de psychologie sociale fait à la Faculté des Lettres d. Lyon, publié danr le Bulletin de l'École prarique de Psychologie de l'Université de Lyon)'. Sans doute, l'objet sacré n'est pas multipliable comme I'objet technique inventé ; mais la sacralité se Propage en une certaine mesure par contact et intention, ou par fragmentation d'un objet primitif unique ; enfin, la ritualisation du sacrifice consritue une réticulation spatiale et temporelle qui universalise la sacralité et crée entre nature et sacralité une interaction formellement comparable à celle qui caractérise le développement des objets techniques. Peut-être même le processus dialectique décrit plus haut peut-il se produire aussi avec la diffirsion du sacré, selon des voies analogues à celles qu'emPrunte la technicité. Ceci permettrait de dire que Pour une Part la sacralité correspond à une activité de création concrétisant une genèse d'images, avec incorporation d'effets qui ne sont contenus ni dans I'intention finalisée ni dans le projet de ritualisation, à la manière dont procède I'amplification concrétisante des techniques, et avec la même opacité par rapport à une analyse conceptuelle en termes d'univocité. La catégorie des objets esthétiques se prête, dans nos sociétés, plus facilement à I'observation, sinon à I'analyse ; le mode d'existence de ces objets âit apparaître une pluralité de couches plus ou moins profondes, c'est-à-dire plus ou moins rapprochées du résultat de I'invention, avec les modes, de rype superficiel, et les sryles, qui impliquent la diffusion au sein d'un groupe d'amateurs Partiellement initiés et parfois capables de reproduire, d'imiter, d'organiser un monde limité selon les normes tirées de I'objet créé, comme on dispose un mobilier en fonction des objets d'art qu'il doit mettre en valeur et dont il sera le milieu. Toutefois, les analogies topologiques entre les diftrentes couches des objets ne constituent pas l'essentiel des effets de l'activité d'invention comme terme de la genèse des images ; l'essentiel, c'est I'effet d'amplification par recrutement de réalités primitivement non prévues et inclusion de ces réalités, avec des pouvoirs nouveaux dépassant l'origine, dans un système formalisé ; le déveloPPement de cette formalisation, conséquence du caractère cumulatif des inventions, entraîne I'incorporation de réalités d'abord non humaines à un monde ayant sens Pour l'homme. Or, c'est bien ce qui se produit aussi dans l'évolution des r. Cours publié sous le titre Psycbosociologie de la Tecbnicité dansle Bullztin de lEcole pratique dc Psychohgie et de Pédagogie, Lyon, en trois numéros : novembre-décembre t96o,,4spects psycho+ociaux dz la genèse dz l'objet dhsage; janvier-fevrier 196r, Historicité dc I'objet technique; mars-juin :96r, Tecbnicité et saualité. (N. D. E')
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differents arts, dans la mesure où ils produisent des æuvres indépendantes de leur créateur et plus vastes que les conditions de leur invention. Une æuvre est moins vaste que les conditions de son invention quand elle est dirigée par une finalité prédéterminée et prédéterminanre qui se donne la possibilité de choisir un objet à modifier en le détachant des conditions de son existence naturelle. Ainsi, choisir un paysage, une maison, des arbres, pour les peindre, en fonction du caractère déjà pittoresque de ces objets, c'est extraire par sélection un aspect déjà constitué, en restant dans la couche superficielle du réel, modifié selon les remps er les lieux. Cette activité, au lieu d'amplifier, capre et réduit ; elle épuise son sujet comme on épuise une énergie naturelle, parce qu'elle prend dans le monde des réalités homogènes ; I'obsolescence de ces formes d'art est comparable à celle des objets techniques en lesquels prédomine la couche superficielle qui fait d'eux les accessoires d'une attitude définie ; l'objet décoratif et la chanson à la mode font partie de cette catégorie superficielle ; comme exemple actuel, on peut prendre celui des objets opticalisés, sans rapport avec le sens, I'usage, ou la narure, depuis les vêtements et les bijoux jusqu'aux automobiles er au mobilier ; ce qui manque le plus en ce cas pour qu'il y ait invention est la découverte de compatibilité ; le motif opticalisé est produit à part, et se rrouve imposé de manière violente à des formes dont la genèse ne prévoyait pas cette rencontre ; le commerce livre des rubans adhésifs opticalisés que I'on peut coller sur n'importe quel objet de n'imporre q.r.ll. manière. L'art agit ici par apport d'une pellicule superficielle préétablie sur des choses qui ne sont pas modifiées selon leurs caracrères essentiels ; il n'est pas créateur parce qu'il n'est pas démiurgique, mais seulemenr masquant, additif sans activité d'incorporation. Naturellemenr, les motifs optiques peuvent avoir un sens et être intégrés, lorsqu'ils soulignent les points remarquables d'un objet, comme une fusée, une cible, une mire, une bouée, une borne ; mais en ce cas précisément, ces motifs sont de forme, de taille et de couleur adaptées à I'objet et à la situation. Cet usage superficiel n'est pas récent : à d'autres époques, ce furent les profusions de rubans ou de fleurs, sur les vêtements, les meubles, etc. La couche moyenne de la production d'objets créés esthétiques est celle où l'activité n'est ni un plaquage aléatoire ni une invention amplifiante mais une élaboration qui reste sur place, sans accroissement ni diminution des limites, sans perte ni profit, dans un univers fermé et choisi de connaisseur qui opère en chapelle. Une manière d'agir er un ensemble de procédés se conservent et se transmettent à travers le temps sans apprendre, ni oublier ; cette modalité représenre, comme dans le
l'attitude et la tendance de ceux qui, sans être des créateurs, emploient les arts comme un auxiliaire de leur activité principale, sous la forme du n violon d'Ingres o pratiqué avec goût et distinction, mais de manière relativement marginale par raPPort à l'activité centrale, comme le journaliste emploie la photographie ; le journaliste demande à la photographie d'être techniquement réussie et satisfaisante comme auxiliaire de sa recherche ou de sa découverte, qui est celle d'une réalité exprimée, pour I'essentiel, dans le texte écrit. De même, un amâteur éclairé demande à I'objet d'art d'être satisfaisant et réussi dans un univers marginal et limité, producteur de ses propres normes ; pour cette raison, l'amateur d'art a tendance à être conservateur, c'est-à-dire à apprécier des techniques raisonnablement anciennes ; de nos jours et en France, selon une remarque de M. Ignace Meyerson, un public assez cas des objets techniques,
étendu de gens cultivés apprécie les toiles impressionnistes. Conformément au schéma de ce retournement dialectique, I'activité des créateurs en matière d'art devrait être archaïsante, ou tout au moins elle pourrait apparaître comme primitive. Et cela est vrai. La musique de Xenakis (par exemple télé-tecteur présenté en avril ry66 par I'ORTF) déconcerte les musiciens professionnels ; une violoniste de I'orchestre montrait avec une tristesse sensible les objets qui lui avaient été donnés comme instruments : un n sifflet à bouche ), un autre objet en forme de coloquinte, toutes choses qui sont habituellement confiées o aux collègues de la batterie o ; cette violoniste se résignait à utiliser ces objets n selon le rythme imposé n, mais n'acceptait pas que I'on nomme cela n musique ,. Or, malgré la noblesse de cette attitude de refus selon des normes élevées, le morceau de Xenakis est Pourtant une æuvre qui intègre des sons et des bruits très primitifs produits par des instruments faciles à construire, existant depuis des millénaires ; on Pourrait dire qu'il s'agit de sons bruts aussi bien que de sons musicaux ; cette æuvre intègre les effets d'une matière sonore ( sauvage u, l'incorpore à une formalisation si complète qu'elle détermine, au cours de I'exécution, des déplacements de la source localisable du son dans la masse des exécutants, comme faisant partie de la PercePtion esthétique. Dans le domaine de I'architecture, nous avons cité le pouvoir de découverte de la pensée de Le Corbusier, et le caractère à la fois futuriste et sauvage de son emploi des matériaux, bruts ou industriels, sans dissimulation : ce qui sort du travail industriel, comme le ciment, est brut d'une certaine façon ; les marques de l'activité humaine constructrice, comme les traces des planches de coffrage, peuvent être conservées pour le mode percepdf définitif de la construction ; l'æuvre définitive intègre en modalités
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perceptives les moments de sa fabrication qui restent ainsi perpétuellement présents, comme en train d'être actuellemenr accomplis, dans l'æuvre constituée. L'amplification esthétique recrute des effeis acruels, comme l'empreinte d'un bois de coffrage dans le ciment emplissant les vides, et les consritue en système compatible pour toure la durée de
l'æuvre. L'æuvre donne une dimension d'avenir au geste transitoire ; elle l'universalise temporellemenr; elle donne aussi une dimension d'universalité spatiale à une réalité locale en I'insérant dans un ensemble oir elle joue un rôle plein, éminent, seule de son espèce en certe place ; les galets roulés et polis de la rivière la plus proche ànt été incorptrés à la façade du couvent de I'Arbresle, donna.ti",.t bâtiment le pouvoir de manifester la réalité aurochrone en sa matérialité perceptiblé; seule au monde de son espèce, certe matérialité formalisée par llnvention, dans la relation de compatibilité qu'elle enrretient avec I'univers des autres æuvres d'art, conêre I'universalité spatiale à ce qui la consrirue, comme si elle avait pour sens d'être une manifestation du caractère local des choges en tanr qu'elles sont I'aspect particulier unique d'un univers multiforme, comme un mot ou une tournure dans unè langue indéfiniment enrichissable ; archai'sme de la réalité sauvage er caracrère local de la manifestation perceptive de la matière, telles sànt les sources d'effets que l'art majeur, c'est-à-dire invenreur d'objets créés, recrute et manifeste en les dilatant vers le temps à venir et I'universalité d'un espace. Tout inventeur en matière d'art est futuriste en une certaine mesure, ce qui veut dire qu'il dépas se le hic et nunc des besoins et des fins en enrôlant dans l'objet créé des sources d'effets qui vivent et se multiplient dans l'æuvre ; le créateur est sensible au virtuèI, à ce qui demand., d., fond des remps et dans I'humilité étroitement située d'un lieu, la carrière de I'avenir et I'ampleur du monde comme lieu de manifestation ; le créateur sauve les phénomènes parce qu'il est sensible à ce qui, en chaque phénomène, esr une demande de manifestation amplifiante, le signe enjambement postulé vers I'avenir. Il est celui en qui la _d'un genèse des images révèle le désir d'exister des êtres ; d'exist.i, or', - univers signiplutôt d'exister une seconde fois en renaissant dans un ficatif où chaque réalité locale communique avec l'universel et où chaque instanr, au lieu d'être enseveli dans le passé, est I'origine d'un écho qui se multiplie er se nuance en se diversifiant.
art). Les avions-cargos contemporains sont adorés par les indigènes de Fort Moresby (n cargo-cuhr), qui construisent dans leurs villages des aires d'atterrissage et une tour de contrôle sommaire pour les inviter à se poser parmi eux ; or, ce déplacement de catégorie est possible parce que les indigènes attribuent à leurs ancêtres la création de ces avions, et considèrent les Blancs comme de simples voleurs et détenteurs, non comme les constructeurs véritables des avions. Le passage de la technicité à la sacralité, sans aucune modification de l'objet, est rendu possible par le rejet dans le passé de I'origine de l'objet, non Pas dans un passé historique, mais dans le passé absolu des sources originelles ancestrales et mythiques. La catégorie du sacré est celle du passé absolu et originel, c'est-à-dire impliquant et portant l'existence actuelle du sujet individuel f
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existe une relation logique entre les trois types de formalisation de l'objet, si_bien qu'un même objet peut, au cours à.r t.-p, ou en passanr d'une culture à une aurre, changer de catégorie (sacralité, technicité,
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et collectif ; la maison paternelle, le domaine des ancêtres, comme objet construit et organisé par les êtres primordiaux par rapPort à notre existence, est revêtue de sacralité. À l'itrrer.e, I'objet esthétique n'est complètement cohérent par rapport à lui-même et au monde que selon une perspective dont le point de fuite est dans un avenir indéterminé; la sacralité échappe vers I'indéfini du passé à toute causalité historiquement assignable, comme la véritable essence esthétique échappe à toute finalité assignable vers I'indéfini de l'avenir ; le sacré est au-delà du causal et le caractère artistique au-delà du fonctionnel ; dans I'objet technique qui, par contre, est au présent, l'interaction étroite du causal et du fonctionnel produit le plus grand rapprochement possible de I'objet créé et de la réalité naturelle, qui divergent dans la sacralité et la catégorie esthétique. L'invention technique se perfectionne par la résonance interne de I'objet produit, c'est-à-dire par la situation en laquelle chaque sousensemble est modulateur de tous les autres ; une invention ( naïve ) ordonne selon la finalité et de manière uni-directionnelle, en vue d'un résultat, les differents sous-ensembles qui sont ainsi comme des auxiliaires recrutés et situés ; la finalité reste ainsi provisoirement supérieure aux relais de causalité qu'elle asservit ; mais le perfectionnement consiste à élever le niveau de compatibilité intrinsèque en resserrant le couplage entre les sous-ensembles, ce qui revient à donner à chacun d'eux un pouvoir modulateur sur la sûucture des autres, comme dans un organisme, selon un processus d'individuation. Il serait possible d'étudier les conditions qui facilitent I'invention chez les individus et dans les groupes ; d'assez nombreuses techniques de facilitation de I'invention (ou d'augmentation du niveau de créativité) ont été présentées, par exemplele o brainstormingo d'Osborn. Ces techni-
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ques s'énoncent souvenr sous forme de règles négatives : refus des préjugés, des coutumes, de la relation hiérarchique, de l'attirude systématique et critique (n think ap or shut up, d'Osborn) ; les règles positives sont plus floues (essai de solutions inverses de celles qui existent, tentative de suppression d'un élément, etc.) ; en fait, I'esprit de ces méthodes, en plus d'un aspect général de recherche ouverte, tend à éliminer les modes d'activité mentale produisant des représentations strictement univoques, comme la déduction systématique, pour laisser la place à la genèse (sous forme d'images) de représentations complexes et non univoques, par transposition, inversion, changement d'échelle. L'invention technique peut ainsi servir de paradigme à des processus de création s'exerçant .n â'",r,r., domaines r pl.tr gZnéralement, la résolution des problèmes dans les groupes est âcilitée par rour ce qui augmente la plurivocité des représentations et la pluralité des attitudes en chaque participant membre du groupe; le changement de rôles est un des moyens pour substituer progressivement à une strucrure de finalité hiérarchisante un état de résonance interne du groupe ; le groupe devient organisme dans la mesure où chaque membre module les autres ; c'est à ce moment que le groupe devient capable de création, au lieu d'être un système hiérarchisé d'exécution. Il existe un couplage possible entre la créativité dans le groupe et I'attitude inventive chez I'individu : la dialectique socratique en esr un
CONCLUSION
nÉceprrur-arroN
des plus illustres exemples.
[æ groupe découvre des significations er arrive à résoudre un problème
en s'inventant lui-même comme organisme. La distribution concrère des doctrines, des attitudes et des spécialités parmi les membres du groupe donne en quelque manière des supports vivants aux représentations : chaque état des rapporrs entre les personnes matérialise un essai de combinaison des principes. Un groupe s'organise dans la mesure où, par les échanges, chacun des membres n module ) tous les autres.
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Les trois premières parties du cours étudient la genèse de l'image à travers les étapes du cycle direct de la croissance, du développement et de la saturation d'un élément sous-individuel de I'activité mentale considéré, mutatis mutandis, comme un organisme ou un organe au sein d'un organisme plus vaste. La dernière veut montrer comment, lorsque le point de saturation de cet élément est atteint (point de saturation qui dépend des capacités d'organisation de l'information possédées par chaque être vivant), il s'opère, au cours d'un processus critique globalement désigné sous le nom d'invention quand ses résultats sont positifs, un changement de structure qui est aussi un changement d'ordre de grandeur, par l'établissement d'une réciprocité entre les éléments sousindividuels (images à l'état de symboles) et les lignes directrices d'un sur-ensemble qui, au cours des trois étapes précédentes, n'existait pas à l'état d'actualité, mais seulement sous forme de contraintes, de limites, ou de sources d'information extérieures à l'être vivant. Ceci signifie que I'invention, induite par un besoin de compatibilité interne, s'opère et s'exprime dans la position d'un système organisé incluant comme sousensemble l'être vivant par lequel elle advient. Formellement comparable à un changement de milieu (le désir de changer de milieu est d'ailleurs I'un des substituts de I'invention manquée), I'invention se distingue des images qui la précèdent par le fait qu'elle opère un changement d'ordre de grandeur ; elle ne reste pas dans l'être vivant, comme une pârt de l'équipement mental, mais enjambe les limites spatio-temporelles du vivant pour se raccorder au milieu qu'elle
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organise. La tendance à dépasser l'individu sujet qui s'acrualise dans I'invention est d'ailleurs virtuellement conrenue dans les trois stades antérieurs du cycle de I'image; la projection amplifiante de la tendance motrice, avant I'expérience de I'objer, esr une hypothèse implicite de déploiement dans le monde ; les classes perceptives qui servent de système subjectif d'accueil à l'information incidente postulent une application universelle; enfin, le lien symbolique des images-souvenirs, s'il exprime, dans le sens centripète, I'attachement du sujet aux situations ayant constitué son histoire, prépare aussi et surtour l'usage de réversibilité qui le convertir en voie d'accès vers les choses. À aucun des trois stades de sa genèse, l'image mentale n'est limitée par le sujet individuel qui la porte. c'est cette relative extériorité qui se réalise dans l'invention par la position d'objets créés servanr d'organiseurs au milieu. Un objet créé n'est pas une image matérialisée et posée arbitrairement dans le monde comme un objet parmi des objets, pour surcharger la nature d'un supplément d'artifice ; il est, par son origine, et resre, par sa fonction, un système de couplage enrre le vivant er son milieu, un point double en lequel le monde subjectif et le monde objectif communiquent. Dans les espèces sociales, ce point esr un point triple, car il devienr une voie de relations entre les individus, organisant leurs fonctions réciproques. En ce cas, le point triple est aussi organiseur social. Pour ces raisons, le système des objets créés, dans la double perspective de la relation avec une nature tendant, par l'æuvre de ce système, à devenir le sur-ensemble organisé des territoires compatibles, et de la relation avec le social, sur-ensemble de fonctions organisables en synergie, constitue l'enveloppe de I'individu.
PoRTÉE DE I-A coNcEPTIoN PRoPosÉn
Il convient de préciser d'abord
le caractère relatif de l'objet créé ; l'objet créé est en fait un point du milieu réorganisé par I'activité orientée d'un organisme. On ne peut opposer ni I'opération constructive humaine à la pratique animale, ni la fabrication d'instruments, plus petits que I'organisme et portés par lui, à la mise en place de routes, de chemins, de remises, de limites à l'intérieur d'un territoire servant de milieu à l'organisme, donc plus grand que lui. L'outil et I'instrument font, comme les chemins et les protections, partie de I'enveloppe de
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I'individu et médiatisent son rapport avec le milieu. C'est topologiquement qu'il faut caractériser cette médiation. Instrument, outil, ou structure particulière d'un territoire, I'objet porteur du résultat d'une activité d'invention a reçu un supplément de cohérence, de continuité, de compatibilité intrinsèque et aussi de compatibilité avec le reste non-élaboré du milieu et avec l'organisme. Ces deux compatibilités externes, avec le milieu ( sauvâge ) et avec l'individu vivant, sont le résultat de la compadbilité intrinsèque qui permet à un même objet d'accomplir une pluralité simultanée de fonctions. Une voie de passage, pour exister selon la compatibilité interne, doit être douée de cohérence et de stabilité en tant qu'objet physique (imperméabilité, répartition égale des charges sur le terrain...).t la recherche de cette compadbilité interne est ce qui apparaît en premier lieu comme le but de I'invention consciente et volontaire : il peut exister plusieurs formules de compatibilité selon les matériaux employés ; la voie romaine est fondée sur le système de la rigidité des assises ; elle est fondée comme un édifice ; les routes actuelles sont, bien plutôt, des ensembles relativement élastiques mais qui doivent être très imperméables et parfaitement drainés ; leur formule est la continuité souple de la bande de surface, beaucoup plus que la résistance bloc par bloc des assises. En vieillissant, la route romaine se dénivelle dalle par dalle tandis que la route contemporaine se déséquilibre en longues ondulations ou en plis. La compatibilité externe par rapport au sujet se résume dans la viabilité pour un mode de parcours et d'opération défini (traction par chevaux qui proscrit les fortes pentes mais autorise les virages, portage à dos de mulet, véhicules rapides à moteur...): c'est la caractéristique d'adaptation à l'être vivant, directe ou à travers une nouvelle médiation plus petite (véhicule). La compatibilité externe par rapport au milieu général est faite du tracé de la route, selon le relief et la cornposition des terrains, selon même les possibilités d'avalanches, de glissements de terrain... ; la route, en tant que chaussée, développe autour d'elle, pour se raccorder au milieu sauvage, des médiations supplémentaires telles que ponts, viaducs, tunnels, haies d'arbres, dispositifs contre les avalanches, plantations préventives, parfois à de grandes distances, comme des postes avancés. La compatibilité interne qui fait de la route une construction consistante apparaît ainsi comme un système de transfert dans les deux sens entre l'être vivant et le milieu ; quand elle est établie, elle permet à l'individu de se mouvoir à travers le milieu d'une manière continue; mais inversement, elle permet aussi la conservation et l'amélioration des défenses, des sécurités, des ouvrages d'art. Ce caractère auto-constituant de I'objet créé est tellement fort que l'invention est
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chaussée
ou le fouissage d'un terrier, et plus généralement la constitution d'un territoire. L'objet créé existe dès qu'une activité définie surdétermine le monde naturel et lui confère une topologie qui exprime la présence des êtres vivants selon un mode sélectif de conduites. Le simple marquage olfactif ou visuel constitue déjà un bornage cohérent, lui-même en rapport avec les emplacements fonctionnellement rattachés aux autres activités (repos, emmagasinage de la nourriture, retraite...). Du même coup, le marquage a un sens pour les relations sociales intra-spécifiques
parfaitement nivelée. L'objet créé est cumulativemenr organisé par des opérations liées de manière cohérente, rapprochant I'ordre de grandeur du milieu ( sauvage o de celui de l'opérateur individuel. La catégorie du créé est donc plus large que celle de I'invention, car elle commence à exister dès qu'il y a un effet cumulatif et cohérent d'organisation de rapports entre I'individu et le milieu, faisant exister un mode de médiation intermédiaire ; mais elle peut aussi intégrer des inventions, à cause du caractère de cohérence interne, de compatibilité multiple de l'objet créé, qui se développe au mieux quand on peur employer la méthode du o problème résolu o. Le progrès de I'objet créé consiste en un développement de la compatibilité intrinsèque de I'objet qui étend la portée du couplage enrre le milieu et l'être vivant : rel esr, par exemple, le développement de tous les objets créés que sont les moyens de cdmmunication d'origine humaine, dérivés des voies de passage naturelles jadis employées, mais tendant de plus en plus vers des modes internes de compatibilité qui permerrenr une pénétration plus étendue et plus universelle du milieu naturel. Ce n'esr pas chaque objet créé qu'il faut considérer à part des aurres, mais I'univers de médiation qu'ils forment et en lequel chacun sert partiellement de moyen aux aurres. Si l'on considère I'objet créé comme un médiateur du rappoft enûe les êtres vivants et le milieu, il est moins malaisé de trouver le lien entre I'invention dans les espèces animales et chez I'homme ; en effet, I'usage d'instruments est assez rare chez les animaux ; mais rien n'oblige à considérer la construction et la fabrication des insrruments comme I'occasion principale de I'invention ; I'insrrumenr et I'outil ne sont qu'un relais de la création d'objets, une médiation de plus entre l'objet créé et l'être vivant qui le crée. Comme un très grand nombre d'animaux sont pourvus soit d'organes spécialisés, soit de modes opératoires eux-mêmes très spécialisés, en rapport avec l'usage de ces organes, la médiation instrumenrale n'est pas nécessaire, en raison de cette préadaptation. Il existe un rapport direct des modes opératoires et des organes à I'activité créatrice d'objets, comme la construction d'un nid
et interspécifiques. Les objets créés les plus concrets et les plus complets comme les nids, les terriers, sont également des næuds de relations intra-spécifiques et interspécifiques, ainsi que des médiateurs de la relation entre les êtres vivants et le milieu. En certains cas, l'objet créé est hautement plurifonctionnel, comme la termitière qui, en plus de toutes les fonctions habituelles du nid poussées à un degré élevé (thermorégulation) est en plus une voie d'accès aux objets sur lesquels les termites travaillent. L'objet créé est d'abord le monde comme réalité organisée en territoire ; il est aussi l'enveloppe des existences concrètes individuelles, de manière si étroite que pour certaines espèces il se confond presque avec l'organisme, comme chez les Coraux. Le cænosarque est-il objet créé ou organisme ? On saisit ici la continuité entre les fonctions de croissance et I'activité de création, genre dont I'invention est une espèce ; croissance et invention convergent dans la production du réseau des objets créés. On ne saurait nier pourtant qu'il existe une diftrence, au moins de degré, entre les capacités actuelles de production d'objets créés chez l'homme et chez les mieux doués des animaux sous ce rapport. Une des raisons principales de cette difference réside dans la multiplication des médiations qui existe chez I'homme entre I'objet créé et la nature, d'une part, et entre I'objet créé et l'opérateur, d'autre part ; le réseau de moyens d'accès dans les deux sens, de la nature vers l'homme et de I'homme vers la nature, est indéfiniment anastomosé et comporte une multitude de relais ; aussi les ordres de grandeur mis ainsi en communication et en interaction sont-ils beaucoup plus importants que dans le règne animal, même dans les meilleurs cas (sociétés de Termites), où I'activité de I'opérateur ne peut disposer d'un enchaînement complexe de médiations. Le seul biais par lequel un équivalent de la pluralité humaine de médiations se déploie dans les espèces animales est la spécialisation anatomo-physiologique des individus travaillant en coopérâtion ou I'enchaînement des spécialisations successives des individus au cours de leur vie (Abeilles) : par là se retrouve la pluralité des phases de
généralement une manière de supposer le problème résolu par un biais non-tautologique ; si la route était déjà faite, il ne serair pas difficile d'en construire une autre à quelques mèffes, grâce au transport aisé des machines, des hommes, des matériaux ; la solution consisre à faire équivaloir à ce n problème résolu D une gradation d'opérations qui se rendent possibles les unes les aurres jusqu'à l'achèvement : nivellemenr, empierrement de base, erc., jusqu'à la dernière couche de revêtement
pour laquelle le travail du profileur demande déjà une
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développement, le caractère de cycle organisé que l'on voir à l'æuvre dans le devenir de l'image mentale tendant vers l'invention. Selon cette perspective fournie par l'analyse de l'objet créé, l'étude de rI'image rmage mentale menfale pourrait oevenlr un pourrarr devenir un cas partrcuiler particulier de oe l'étude I etude d'un c un ensemble plus vaste de phénomènes ; c'esr par la phase finale d'invention que le cycle de I'image menrale révèlerait son apparrenance à la catégorie générale des processus d'auro-organisation de l'activité, dont un des aspects ma.ieurs est dans la société humaine I'organisation du travail. On comprendrait pourquoi, guidée à son origine par la ligne des tendances motrices projetant la rencontre des objets, I'image mentale se charge d'information extéroceptive puis se formalise en symboles du réel avant de pouvoir servir de base à I'invention organisatrice. En ce sens, à côté des cirs exceptionnels où une réorganisation spectaculaire et de grande envergure se propage à travers une société er fait date, il exisre un tissu continu de réorganisations implicites, intriquées dans le travail, qui ne sont pas généralisées, ne se propagenr pas en dehors du champ d'application pour lequel elles ont été faites ; or, ces réorganisations mineures sont aussi des inventions, et un effort d'inventions distribuées au cours d'une tâche, chacune étant trop minime pour pouvoir se propager à I'extérieur de la situation, peut êrre aussi imporranr qu'un acte dtinvention massé qui réorganise d-'un coup une situation .t tàrlt., les situations analogues. Tel est en particulier le cas de l'activité animale de création d'objets, ajustant dans le détail er en cours d'exécution les tâches à elles-mêmes et au milieu ; tel est aussi le cas de la production artisanale. Chaque tâche comporre un certain nombre d'actes d'organisation ; si la portée de chacun de ces actes esr inftrieure à la dimension de la tâche, I'objet créé reste essenriellement dépendanr des conditions particulières de son insertion dans le milieu, de sa destination, des moyens concrets de sa réalisation ; les inventions ne se manifestenr pas en dehors de l'opérateur, qui peut les répéter à l'occasion de tâches analogues, mais non les formaliser comme un absolu; c'est le cas de I'activité animale ou de type artisanal, en lesquelles I'invention est distribuée au long de I'exécution. Si au conrraire I'acre d'invention est massé, couvrant plusieurs tâches, il se formalise en invention détachable des conditions d'exécution, comme dans le travail industriel. Enfin, un cas particulier remarquable est celui de I'adéquation dimensionnelle entre une æuvre et une invention organisatrice : I'objet créé est tout entier organisé en un seul acte, sans résidu ni zone floue, mais cet acte ne déborde pas en dehors des limites de I'objet créé, qui reste ainsi particulier et unique : c'esr I'objet d'arr, intermédiaire stable entre la
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facture artisanale et I'opération industrielle comme objet complètement organisé, et à ce titre absolu, mais pourtant singulier. Dans I'objet artisanal, I'invention reste à I'intérieur des limites de I'exécution, opérant des raccords partiels d'organisation ; dans I'objet industriel, I'invention déborde I'exécution ; dans I'objet d'art, invention et exécution sont contemporaines I'une de I'autre et de même dimension. L'étude de l'image mentale et de I'invention nous conduit ainsi à la praxéologie, ( science des formes les plus universelles et des principes les plus élevés de I'action dans I'ensemble des êtres vivants ,, selon la définition donnée en r88o par Alfred Espinas dans l'article intitulé Les Origines dz h technologie, paru dans la Reuue philosophique d.e k France et de I Étranger. La praxéologie, avec les recherches de Slutsky, puis de Bogdanov (Tecnlogie, Moscou, rgzz), s'est développée dans le sens de l'économie et de I'organisacion de I'activité humaine. Hostelet a également confirmé cette tendance vers l'étude de l'activité humaine, ainsi que Thadée Pszczolowslct (Les Principes dz l'action fficace, Varsovie, 196o, cité par Kotarbinski dans Les Origines dz h praxéologie) '. Mais on est en droit de penser qu'après avoir séparé I'homme des animaux et I'action utile de I'action en général, la praxéologie pourrait devenir une praxéologie générale, incorporant l'étude des formes les plus élémentaires de I'activité, ce qui serait d'ailleurs assez conforme aux autres recherches d'Espinas. À .. -ott ent, le cycle de l'image mentale Progressant vers l'invention apparaîtrait peut-être comme un degré élevé de I'activité de l'être vivant considéré, même dans les formes les plus primitives, comme un système autocinétique en interaction avec un milieu. Le caractère autocinétique, qui se manifeste par I'initiative motrice dans les formes les moins élevées, se ûaduit, chez les formes à système nerveux complexe, par la spontanéité de fonctionnement qui amorce, avant la rencontre de I'objet, le cycle de I'image, et qui s'achève dans I'invention.
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,. (N. D. É.)
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BIBLIOGRAPHIE 19'
ET INVENTION
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Cinq Leçons sur
k
à
k
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Monnrrr
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Pascer 8., PevNs P.
Paris, Stock,
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TNDEX DES NOMS PROPRES Antiquité
Épicure | 47-48. Eschyle:27.
6r-62, rt1, r38.
Plotin : zz,6o-6r.
Homère: 7. Horrce:.47.
:8,
Moym Age
Pindare 27. Platon : j, 22, 28, fo, J4,58, 6o,
Aristote iug,r2o,rzr.
Lucrèce
et
Sénèque: rz. 12, 46-48, 49, 146,
Macchabées: ry.
Thucydide:
164.
Tyrtée:27.
Âge clnsique et Telnps modemes
Abercrombie J. : Io8. d'Alembert J. Le Rond : ryJ.
Allegri G. : ro8. Angell J. R. : rr7. Auben H. R. : roy. Balzac
H. de: ro8.
Bardot B. : 68. Baudelaire C.: t7. Beethoven L. van : rr5. Bergson H. t zz, j4,6o,6t. Berkeley G. : rr8-u9. Betts G. H. : u8.
Brillat-Savarin J. A. : rr7. Broca A. : ro3. Bugnion E.: r47. Carmichael L.:71,36. Chanel G. : rz. Charcot J.-M . , rrz, rr7.
Charpentier A. : ro5. Chateaubriand F.-R. de : 41. Claudel P. : g.
Coghill G.8.t15,36. Colburn Z.: rc6. Comte A. : 28.
A.: n.
Bidwell S. : roz. Bierens de Haan J. A. : r44, r41.
Courrèges
Binet A. : ro9-rro, rr4, rr7. BogdanovA. : r9r. Bourdon B. : n3. Bowers P. E. : rr7. Brière de Boismont A. : ro8.
Cuvillier A. : ro3, ro4, ro8, rr1, tr4,
Cumont F. : yo. rt7-
Darwin C. R. :32. Daudet A. : rr5.
Davis: rr7.
I98
IMAGINATIoN ET II.TVENTIoN
De Forest L. : r7z. Delacroix E. : rr3. Descartes R. : rr8, rzo.
rNDEx r99 KarzD. t 39. Klein M. : 96.
Diderot D. : r5y. Doflein F.:47. Doré G. : ro8.
Klûver H. : ro9. Kohler'W'. : r4y, r48. Kordandt A.: g. Kotarbinski T. : r9r.
V. : ro4, rrt. Eliade M.: n9.
l-a Bourdonnais L.-C. Mahé Lacan J. : n7-r28.
Egger
Erhardt
A.:49.
r3o-rjr. Piéron H. : 83, r45,r47,rto. Possel R. de: rrr. Proust M. : rro-ur. Pszczolowski T. : r9r. PoggendorfJ. C. : 83.
Stekel'Sf. : 96. Stoïciens : 146, r6t. Stricker S. : 115-116.
Purkinje J. E. : roz, ro5.
Taine H.
Piaget J. :
de rc7.
H. : 33.
Râber
La Fontaine J. de : 16.
Revesz
Espinas A. : r9r. Essertier D. : rc7.
LamarckJ.-B. de Monet de: ryy Lansiaux: r47.
Ribot T.
H. : r5o. Fauconnet P. : u.
Lavoisier A. : ry6. Le Bon G. : 4o. Le Corbusier : 9r, r8r. Le Grand Y. : ro3.
Roussy: r47.
Fabre J.
Favez-Boutonier J. : rz7, r42. Fechner G. T. : rrz. Fernald M. R. : rrJ-Lr4, rr7. Feuerbach L.t S9. Filhene \7. : 83. Fischel'W. : r4y. Fletcher H. : ro5.
Leroi-Gourhan A.: ry6. Lewin K.:44. Lindbergh C. A.: ry3. Lipps T. : 82.
P.: u7. Friedmann G.t FryG.A. : ro4.
Mac Dougall \7. et K. : r4y. Mac Laren N. : 46.
Fraisse
SZ.
Galton F. : rrz, rr8, u9.
Genz
31,.
Gesell A. L.
:
38.
Goldstein K. : 4o-4r. Gramme Z.T.: ry6. Grohmann I.t 16. Guiraud P.:7r. Hamaker H. G. : roz. Hering E. : roz. Hess C. von : ro2, ro3.
Hingston R.I7'. G. : r47. Hitler A. : 4o.
Hobhouse L.T.:44 Hostelet G. : r9r. Hugo V. : rr3, rrt. Husserl E. : r1o. Huxley 1 rr9, rzo, tz1. Jaensch E. R. : ro9.
Jannello C. : 9r. Jennings H. S. : 29, 3r. Jung C. G. : 14, rz9.
Lorenz K. t
J1,,
Malebranche
9J-94, 97.
N. , 9.
Sulzer D. : ro3. Surréalistes: ;5. Szondi L.,14.
: t1, to6-ro9, rt8,-tt9, tzo, tzr.
122, t24,
G. , J9.
i rrj, rzo, rzj. Ridley: r47. Robenson V. M. : ro4. Rubens P. P. : ro8. Rubin E. : 85.
Teilhard de Chardin P. : 6r, t71. Temple S. : 68. Testut L. : ro8. Tinbergen N. r 33, 68,69. Toulouse E. : v7. Urbantschitsch V. : ro9. Vernet H. : ro8.
Sanre J.-P. i 7, r1.o.
Viaud G. : 3o, ryo.
Schrôder E. : 85. Schumann F. : 82. Seguin M. : t7o-r7t. Slutsky E. : r9r. Sophistes : 146. Spinoza B. de: 9.
Vurpillot E. : 83. 'Weiss
A. P. :36.
'Woodworth Xenakis
R. S. : 82, ro9,rt7.
I. : r8r.
ZoIaE.: tr7.
Marx K. : r7y. Mauss M.:26. Mendelssohn B. ,23. Mendelssohn J. L. F. : rry. Meyerson I. : r8r.
Michel-Ange: rr3. Michotte A. : 116. Minkiewicz R.: r47. Molière : 13. Montaigne M. de : 9. Montessori M. : 98. Morin E. : yr.
A. : ro8-rr5. Mtiller G. E. : rr4,rt7. Musset A. de : 88. Myrdal K. G.: u. Mozart'\ù7'.
Ombredane A.
t
45-46.
Ortigues E. : r3o. Pascal B. t
9,27,79. Peckham G. \f. &.8. G.: t47. Perrault C.t 4), j1,.
INDEX DES PRINCIPAI.IX CONCEPTS Abstrait i ro, r2-t1,, zj, ro7, rro, rrr, rr3, rr8-rr9, r2z, tt4-rtr.
4
concret.
Action
i j,
12, 28,
126,
rj9, t58, r78.
--â
réaction.
j4, j7, 8r, 87,
Amateurisme: 28, r8r. Analogon
+
i zo, zJ, jz-j), rjt, rj7.
image, Imago, mémoire,
souvenir.
Animisme :42,83.
-)
organicisme.
Anticipation i T4, ro, r6-t7, t9-z1, to-36, 4c, 4t-57, 6o-62, 6j-67, 76-77,79, r4o. ---+ initiative. Archérype
i t8, 62, rz9.
An : 28, 84,89-9r, t59-t6o,
+
r81.
sacralité, technicité. Axiomatique : 90, rtr.
Baroque: 90, rro. Causalité/finalité : u-r3, 16, l:.6, r5rrjl, 162, t64, r7z, r74, r7S, r77r78, r8o, r83-r84.
Cinèse: 3o.
J
tropisme.
Compatibilitél.
l,
66,85-86, 88, 9o,
rjj-t62, t65, 167, r69-t7r, t74-r78, r8o, 92, tr&, rz4, r)9-r43, 146,
r8z, r83, r85, r87-r88. Concret : 9-ro, r1-tt, zo, 83, ro8, rrr, rr7, r24, r33, r17-ry8, r45. ---+ abstrait.
2OO IMAGINATION ET INVENTION Concrétisation r7r, t7t, r77. Constance | 7r-77,
rtj.
Corps
INDEX 2OI image eidédque : rot-ro6, ro8-rr2,
Machine: 14, r8, 16, t4r-t42, t14-
rr4.
t16, t77, t88. Magie : 25, 6g, rj1, rj7-rJ8.
image immédiate : ro4-rot, ro8,
:
4r, u6, ryr-rj4. schéma corporel : 4o-42,83-84. Créateur : 6r, r3o, t64, r8o-tïz,
IIO.
Décision : ro, 12, 7J, rJ8, t6t-t62, Détour : 64, t39, r4z-t46, r49, rtr,
image
corps propre
obstacle.
Dialectique : zr, z7, 18-19, ry2, 176, t79-r8r.
Divin :
ryy
49, rz9.
Einf)hlung (empathie) : 8z-84. Einsicht: 45.
-+
intuition.
É,motion : ro, r3, 17, zo,
Itz, rt7. Ensemble
i
1.z,
73, rro,
24, jz, 47, 15, 81-86,
88, 89-92, rrr-rjz, 16o, t71-t74, r8z.
9
motrice
image-objet:
:
72,
7J,
19-42, rt6.
sous-ensemble, sur-ensemble.
Figure/fond ro4.
:
Formalisation
4r, 77, 83, 81-86, roz-
i
23,
rz}-rjt,
image-souvenir: y, 16, rto-rtl, r2r-rzz, tz4-t26, ryo, ry5-ry6. image-symbole: S, rz4, r33. image tactile : to3, ro4-to5, rt6,
II7.
Imaginaire
. 27-28, )6,
to-rz, jr-r7,
44, 46-47,
83, ro8, r1o, r37-r78.
merveilleux.
Imagination imagination créatrice : 16, t17. imagination reproductrice i j, t6,
,r. Imago : rz7-r29, 161.
136, r38,
rrr, rtj-r6j, t72-r7r, r79, r8r, t8z. Forme (Geçah) : t6, zz-27, j2,34j5, 37-)8, 51, 66-67, 7o-7r, 7j, 8z-83, 85-92, roz, 1c,6, to9, rri,, rr;, rr8-rr9, r)o, rrt, r59, 161-166, r8o. bonne forme : 8y-86. --+ information, structure.
Habitude :8r,95, 16, rzo, r3z. Idée : 17, 57-18,tli,, rr8-rr9. Image cycle de I'image ; 3-4, tr, 19, 2628, t37-r18, t76, 185-186, r9o-r9r. image anticipatrice : 5o. image a posteriori : zo-zr, 66. image a priori: zo, zz,3o, 17-58. image attachée: 82. image auditive : rr4, rr5. image consécutive : ror-ro3, rro.
-)
analogon, image, mémoire,
souvenir.
Imitation
i
t9-4o, 55, 58, ro8, rz6,
r3r-r32.
Information ; r9-zo,30, i19, jr, 6]66, 7o-76, 8o, 86-87, 9J, ro1, 116, r2z, tlt, ï26, t4o, t71-t76, r78, 185-186, r9o. --+ forme, sémantique, signe, simulacre, symbole.
Initiative : 3o,32, rj7, r6j, r9r.
--+ anticipation. Institution i 4, r1,, 86, 87, 96, r4j, rS8,
r66-t67, t7o.
Intuition; zz-24, 40-42,
44, ,4, j6,
57, 59-62,77-8o, r41.
-+
Pensée
4
voult. Mémoire : 4, 16, ro7-Lto, rrJ, rrr, tt8, tz5-t26, t3z.
+
analogon, image, Imago,
Einsicht.
Jeu: 3639, 42, 99, rlr, rj4. Jouet : 98-roo.
pensée
+
Perception: 4, ro, rr, rJ, 2c, 24, 27-28, Jo, )43j, 42, 53, 63-86,
toz,
6j-66,69,
Prascis
]g-4o, 44-4J, 49, 1r, 66, 96, r2t, r43, rtr, rt7.
l/t
87-88, 92, 9t-94, r22, r24, r2g, rJ4, t74-t76, t79r8o, r83, 186, r89. -+ milieu, organisme, territoire. Nouveau : t6, t9, zL, 26, 28, 3c., 64, 66, 7r-72,8r,86-87, 99, ro7, r2r, r24, r3t-r32, r38, rto, 158-159.
Objet objet-but : r43. objet-instrument
i tJj, r4J.
142-r4t.
objet-symbole : 12, 99-roo, rJt. Obstacle i zt, 4r, 49, r39-r4o, r4j,
---) solution. Progrès : 17, rzo, t46, t51, t6o, 164, 167, t7o, t73, t75, t88. Psychisme i 43, g6.
Psychologie Psychologie de la Forme i 4r,8i, rlt, t24. psychologie des facultés I /, 20, t77. pqychologie des profondeurs : 74.
l,
+
â
t), r79, r8z-r83. art, technicité.
{/,
49, 52,70, r?'o, r7g.
sauver les phénomènes
) : 14, r82.
42,94, r66-t67.
2r-
22, 2g-j3, 40-43, 79,8t-84, 95, rJ4-r3r, r37, r42, t5t, t6z-r63, milieu, nature, territoire.
Sacralité i
Sémantique (ou séméiologie): 32,
animisme.
167, r83-r89.
action.
Réalisme:6. Résonance i J, zo, zz, 2r, r83-r84. Rêve:8, )z,rjj, r3r, r38.
(
détour. Organicisme :81, r9r.
: J, )t r3-r4, r8-r9,
i g,22,
zg, )t, jJ, jJ-J6, 6t, 67,70-74,78, 9?, 44, 46-47, 9t-97, r2r, rro.
Réaction
Sacrifice |
r49, r73-r74.
+
rtr.
: g, 16, 64, 79, 86, 49146, t48-r49, rtr-rrt, ry8, 16o, 16z,r7t-t76, r84, r88.
J
objet intermédiaire : tz6, tlz-r34,
-*
: 17,
Prégnation | 93-94, g7-rot.
g4-91,
+
Organisme
66.
Problème
97-98, rzt, rJ7, r3g, r81-tgt. nature, orga.nisme, territoire. Motivation I zo, 22, 24, j3-34, j7,
: 2{t
31,
Praxéologie: r78.
Milieu (relation au) : 3, rg-zt, zg-
Nature
ro8-rr2, 116, rr8-
Pnigung (irnpinting) : zz,
Métastabilité :84, tz4, t15-ry6, 163. Microstructure : 84, 85,89-92. --+ forme, structure,
41,,
1c.4-1c,6,
rrg, rr4, t6z, t75, t8z.
imaginaire.
Jt, j8-19,
pratique: rt3.
pensée sauvage : ro7.
Merveilleux i jr-j7.
suPerstructure.
image visuelle : rr4. -+ anabgon, Imago, mémoire, souvenir.
+
76, too.
souvenir.
16.
image olfactive : ro3, rrr.
r57, r73.
J
image intra-perceptive 77,80,83, 9o, 92.
Pattern. zz, )4, 17-j8, 4j, 67, 74-
-+
information, signe,
simulacre, symbole.
Signe: 4-J, jr, 87, ror, ro7, rt4, r)o, r53.
-+
information, sémantique, simulacre, symbole.
ZO2 IMAGINATION ET INVENTION Simulacre:
8.
---+ information, sémantique, signe, symbole. Socius
: 3j, 70, 97.
Solution
:
rS, 16,
6o, 64, 86, ry9r7L, r7)-r7r,
t4r, t4y-r46, r48, ryr, r84.
+
problème.
:
Sous-ensemble 3, r8-r9, 1,8, 82, 83-84, 86, r1g-r4o, r83, r8y.
--*
l, J, t1-t6, zo, 24, 28, 42, rO2, rO5, rO8, rr}, rz2-r25,
Souvenir:
rj}-ul, r15, 46-118, t5z. souvenir-symbole : r33. -+ analogon, image, Imago, mémoire.
: rr,16,18,70,72,
r47,
rto. Structure
jj,
i j,
14, zo-zr,24, 1,o, Jz,
6t, 69, 7t-72, 73-74, 8o,8586, 96, ro4, rrr, r2o-r22, rz4, rz7-t)o, 136, t4o, ri:-r52, t6tt6z, r74 r83,
18y.
---) forme, microstructure, superstructure.
Superstition : 47.
174.
Sur-ensemble : 18y-r86. ensemble, sous-ensemble. Symbole i j-6,2o-zz, z7-28, Sz-51, 99, rro, tz4-t38, r8y, r9o.
+
TABLE DES MATIÈNTS
symbole-souvenir: 4.
---) information, sémantique,
ensemble, sur-ensemble.
Stéréotype
Superstructure: r3. -) forme, structure, microstructure. Surabondance (fonctionnelle) : r7r-
signe, simulacre.
Technicité i 92, 167, t79, r83. ---+ art, sacralité. Téléologie --+ causalité. Territoire i zt, 43, 63-64, 78, 97,
98, t34, rJ7, r4j, 146, r48, t1t,
164, t86-r89.
+
milieu, nature, organisme.
Tropisme
-)
:3o3r.
cinèse.
[Jn : 6o, 6r. Usage: ro, rz, zJ, 4r-42, 16, rt6, r)j-r)4, r4z-t4j, r47, r54, t67r7o, r77, r8o, r88.
Voult : 6, zo, r37.
+
magie.
pnÉsnNtlrloN,
par Jean-Yves Chateau,
vII
PRÉAMBULE,3 TNTRODUCTTON,7 A. L'TMAGE coMME nÉ,c.rrrÉ TNTERMÉ,DrArRE ENTRE oBJET ET suJET, coNcRxr ET ABSTRAIT, PASSÉ, ET AVENIR, 7
r. Objet et sujet, 7 z. Concret et abstrait, 9 3. Passé et avenir,
rt
B. I{YPOTHÈSE DU DYNAMISME GÉNÉTIQUE DE L'IMAGE; P}IASES ET NTVEAIIX, I8
c. clrAMps D'AppLrcATIoN DE Ij. NorroN DE cycl,E cÉNÉrtqun DE L'TMAGE; L'IMAGE À r'nxrÉp.rnuR DE L'INDTvIDU, 24
r. Synchronisation avec le rythme nycthém&d,, z4
z.I-avie comme cycle de la genèse 3.
des images, z5
L'imagination et les saisons, z6
4.Le qcle
des images et le devenir des civilisations, z6
PREMIÈRE PARTIE
CONTENU MOTEUR DES IMAGES ; L'IMAGE AVANT
t'nxpÉntnNcE DE t-'on1nr, z9
A. DoNNÉEs BIoLoGIQUES; COMMENT I-A MOTRICITÉ pNÉCÈOB I-A SENSORTALTTÉ, 2g
r.
: le développement de celui de la sensorialité ; virtualisation,2g
fupect phylogénétique
la motricité
précède
z. [æ système d'action comme base ontogénétique des images motrices, 3z 3. Les coordinations héréditaires d'actions dans les images motrices, tJ
2O4 IMAGINATION ET INVENTION
TABLE
4. Spontanéité des anticipations motrices au cours de l'ontogénèse, 35 y. Les images motrices et l'imitation; phénomènes d'inducdon sympathique, 39
Érers D'ATTENTE ET D'ANTIcrpATroN,42
r. Phobies et exagérations compulsives d'attente, 43
;
z. fupects particuliers des images dans la crainte ; le dédoublement, 46 7. L'image dans les états d'attente positifs, 49
r. Contour subjectif et image associée, 8z
L'image comme singularité ou système privilégié de compatibilité perceptive entre ordres de grandeur,
85
a) Les singukrités sont plus prégnantes que les régul"arités,86 b) Des formes géomëniques ?euaent deaenir prégnantes
CoNNAISSANCE
r. Le schème de la projection dans le platonisme ; rôle de I'intuition,
57
z. Procession et conversion, 6o
Intuition du mouvant et connaissance de l'évolution créatrice, 6o
par leurs rapports
mutuels, ST c) L'image inta-perceptiae est le slyle commun de
4. Les images d'anticipation dans les états mixtes ; le merveilleux comme catégorie de I'anticipation mixte, yo
3.
cÉor"rÉrnrquEs, 82
3.
caractère amplifiant des états
c. L'INTUITToN coMME IMAGE A pRIoRI puRl, pRINcIpE DE nÉrunxwr,57
C. L'IMAGE INTRA-PERCEPTIVE DANS LA PERCEPTION DES FORMES. IMAGES
z. Les réversibilités, 84
6. Inhérence des images motrices au schéma corporel, 4o B. LEs IMAGES DANS LEs
ors uerlÈn-es 2ot
k
textare et de la confgu-
ration,88
CONTENU AFFECTIVO_ÉMOTIF DES IMAGES
TROISIÈME PARTIE
- ou syMBoLE), (rvrecr A posrERIoRI,
93
A. NTVEAU DES CoNDITIONNEMENTS ÉrÉueNreIRES SENSTBLES,
:
PRÀcUNG ET PÉRIODES
9l
r. La prégnation (Prtigung, imprinting),
93
z. fupects humains des conditionnements élémentaires, 96
DEI.IXIÈME PARTIE PERCEPTION, 63
-
CONTENU COGNITIF DES IMAGES; IMAGE ET
e. ooNNÉns BrolocreuEs suR LEs FoNcrIoNs pERcEprrvns, 63
r. Catégories biologiques primaires et catégories psychiques secondaires. Rôle du milieu organisé en territoire, 63 z.L'image comme anticipation immédiate dans l'identification de I'objet. Image et concept, 65 3. Caractères particuliers des images dans les perceptions instinctives selon les differentes espèces. fupects sociaux, 67
4. Rôle de I'image intra-perceptive dans les choix; victimologie et psychologie des profondeurs, 72 s. nôrr
DE L'IMAGE INTRA-pERcEprrvE DANS LA pRrsE D'INFoRMATIoN, 74
r. Rôle de l'image intra-perceptive dans I'identifiiation de I'objet. Constance perceptive et adaptation, 7y z. L' image dans la perception différentielle, 7 7 3.
Rôle de I'image dans l'adaptâtion au changement. Perception de la dérivation, 8o
3. Les images de
I'objet, 97
B. NTyEAU DES pRocEssus psycHleuEs : L'IMAçE MENTALE, LE 5YMB6LE' ror
r. L'image consécutive, tot z. Images immédiates et images eidétiques, ro4 n 3. Les images souvenirs ; notion d'imagination reproductrice ; les types imaginatifs , ; les images génériques, rro
c. L'IMAGINATRE coMME M6NDE onceNrsÉ; voulTs
ET oBJETs-s\Mnotæs,
rz6
r. Notion d'Imago; en quel sensl'Imago est un symbole, rz7 z. L'objet-symbole, r3r
eUATRIÈME PARTIE
-
1'111vBNTION, r39
A. L'TNyENTION ÉLÉMENTAIRE
; nôrn
DE L'ACTIVITÉ rrsRx DANS I-A oÉCOu-
VERTE OBS l"rÉOrerloNs, r39
r. Les difftrentes espèces de compatibilité ; la conduite élémentaire du détour, r39 z. La médiation instrum ennfe, 146
2c,6 IMAGINATIoN
ET INVENTIoN
3. Propriétés communes
de la conduite de détour et de la médiation
instrumentale, ryr B. L'INvENTIoN noRTANT suR LEs SIGNES ET LES syMBoLEs, rt3
r. [a formalisation métrologique objective : des techniques arrx sciences, ry3 z. Formalisations de rype subjectif (normatives et artisriques), r57 3. Les processus
d'amplification dans la formalisation, 16r
c. L'INVENTIoN coMME pRoDUcrIoN D'uN oBJET cnÉÉ ou D'UNE c,rrvnr, r. La création des objets techniques,
165
2. Autres catégories d'objets créés ; paniculièremenr,
coNclusroN,
163
I'objet esthétique, r78
r85
nÉceprrurl,troN, r8y poRTÉE DE LA coNcEprroN pnonosÉr, 186
BIBLIOGRAPHTE,
I93
rNDEX DES NOMS PROPRES, rg7 rNDEX DES pRrNCrpAIrx coNcEpTs, rgg
Cet ouvrage a été achevé d'imprimer en octobre zooS dans les ateliers de
Normandie Roto Impression (6nyo Lonrai - France)
N'd'édition : rr7 N" d'impression : o83127
Imprimé en France
s.a.s.