UN PLURALISME SANS RELATIVISME ?
Théories et pratiques du sens de la justice
Laurent THEVENOT
in AFFICHARD, Joèlle, de FOUCAULD, Jean-Baptiste (eds.), 1992, Justice 1992, Justice sociale et inégalités, inégalités, Paris, Ed. Esprit, pp.221-253.
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1. DES PRINCIPES DE JUSTICE AU JUGEMENT EN SITUATION L'espace des théories de la justice est souvent stylisé à partir de deux pôles. L'un est constitué autour d'une approche communautaire qui met en évidence le poids, sur l'appréciation du juste, d'une culture ou de valeurs partagées par les membres d'un même ensemble social et forgées dans une histoire commune. L'autre est constitué autour d'une approche libérale qui met en avant l'autonomie des individus dans leurs appréciations de ce qui est bon et dans leurs décisions, la visée de justice réclamant avant tout de préserver cette indépendance vis-à-vis de traditions, autorités ou autres sources d'influence menaçant l'autonomie. La première orientation s'attachera à reconnaître une pluralité de définitions du bien alors que la seconde s'intéressera à délimiter un espace procédural minimal permettant de gérer les choix libres et indépendants des individus. individus. Certaines théories cherchent à échapper à cette opposition. C'est le cas des constructions proposées par John Rawls et Michael Walzer (Rawls 1974; Walzer 1983, 1992). Elles amènent à réconsidérer les exigences qui sont mises en avant dans l'une ou l'autre approche pour en proposer des recompositions originales. Rawls introduit dans l'évaluation individuelle les exigences de réciprocité qui sont saisies par la situation originelle de voile d'ignorance. Walzer entend montrer que l'"art de la séparation" qui qu i caractérise le libéralisme doit être entendu comme une séparation de sphères de justice et non d'individus. C'est aussi à une telle recomposition qu'invite l'analyse du sens de la justice que nous avons menée avec Luc Boltanski (Boltanski et Thévenot 1991). Je m'efforcerai d'indiquer ici à grands traits les points de convergence et les écarts par rapport aux théories précédentes, et de tirer quelques enseignements sur l'analyse des politiques sociales. Une différence majeure tient à ce que nous avons abordé la question de la justice en étudiant le sens du juste en situation. situation. Les situations qui se prêtent à l'explicitation de ce qu'il est juste ou non de faire sont telles que la décision ne s'impose pas, qu'il ne s'opère pas une coopération tacite entre des familiers non plus qu'un affrontement violent, mais que les participants sont amenés à s'expliquer sur leur jugement et à l'étayer en puisant dans les ressources de la situation présente. Ce jugement en situation, dans lequel le souci de justice est pris entre les circonstances et la référence à des principes ou à des règles, correspond notamment au moment d'application d'une réglementation, ou d'une mesure. Lorsque la question de la justice est abordée par les principes ou les procédures formelles, le moment d'application est souvent relégué à une étape ultérieure de l'examen, tenue pour empirique et consacrée en propre à l'évaluation des effets pratiques de la règle. Notre démarche nous conduit, à l'inverse, à examiner d'emblée de tels moments. Nous voudrions montrer qu'un abord de la justice en pratique n'est pas le versant empirique d'une théorie de la justice en principe. L'entrée dans la question par le jugement en situation conduit à modifier les modèles théoriques en prenant notamment en
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considération l'élaboration de repères cognitifs et la qualification d'objets communs sur lesquels la justification prend appui. Nous sommes alors amenés à replacer l'évaluation politique de la mesure dans l'éventail des évaluations et jugements que portent les différents acteurs impliqués dans sa mise en oeuvre. L'évaluation statistique, adaptée au jugement des responsables politiques (Desrosières 1992), doit être située dans une plus large gamme de modalités d'évaluation qui engagent des spécifications différentes du juste. Ainsi, un inspecteur du travail peut mettre en doute que la "manière statistique", qui fait équivalence selon le secteur et le niveau d'activité de l'entreprise, soit celle qui convienne à l'évaluation de la situation d'un atelier. Il inclinera à envisager avec prudence d'autres formes d'évaluation et d'autres types de repères pertinents, comme ceux qui permettent d'appréhender un usage local ou un "climat social détérioré" (Dodier 1989, p.302). 1.2. LA RE CONNAI SSANCE D' UNE DI VE RSI TE DE S SPECI F I CATI ONS DU JUSTE Le constat d'une pluralité de spécifications du juste n'ouvre-t-il pas la voie à un relativisme des valeurs, des cultures, voire des intérêts partagés ? Illustrons ce problème à partir de l'exemple du RMI, mesure de politique sociale dont on pourrait dire, de prime abord, qu'elle correspond bien à une vision communautaire de la justice puisqu'elle a emporté un large assentiment auprès des parlementaires et dans les sondages d'opinion. La solidarité ne fait-elle pas partie des idéaux partagés dans les sociétés qui promeuvent un Etat-providence ? Cependant, dès la rédaction de la loi, les arguments avancés à l'appui de la mesure apparaissent au moins de deux ordres, selon que l'accent est mis sur le droit à une allocation minimale, ou sur les démarches d'insertion. Si l'on examine, en suivant notre démarche, le moment d'application de la mesure, la diversité des jugements impliqués dans sa mise en oeuvre apparaît encore plus grande. Soit une commisson locale d'insertion qui réunit les personnes devant arrêter des décisions sur les contrats d'insertion1. Nous voyons un industriel s'étonner que l'on donne le RMI à un invalide 1ère catégorie qui n'est plus employable. Nous voyons une assistante sociale faire valoir la confiance que l'on doit accorder à un homme qui, par le biais de la vie associative, peut aider les autres dans des problèmes d'alcoolisme dont il commence lui-même à se sortir. Nous voyons un prospecteur placier de l'ANPE discriminer un chômeur d'occasion d'un chômeur en dégradation, un diplômé ayant des compétences conversationnelles d'un diplômé qui se laisse aller sur la pente de la déqualification, un offensif d'un judicieux ou d'un frileux. Nous voyons un sous-préfet proposer un stage d'alphabétisation à un travailleur immigré pour qu'il s'insère mieux dans la vie civile et l'industriel lui rétorquer qu'il s'agit encore d'un stage alimentaire pour un centre de formation, qu'on peut vivre très bien sans savoir remplir des imprimés, que des fonctionnaires sont là pour le faire (Astier 1991). 1 Pour une chronique plus complète d'une telle commission, à laquelle j 'emprunte mes illustrations, voir Astier (1991).
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Comment envisager cette diversité de points de vue ? Une première remarque s'impose, à laquelle nous invite Isabelle Astier. Les échanges précédents, pour sommaires qu'ils soient puisque la commission pourra passer en revue jusqu'à 80 dossiers dans la matinée, rompent avec le fonctionnement routinisé d'un service administratif qui reposerait sur des procédures standardisées (id., p.81). Ne sommes-nous pas là dans un cas où seraient satisfaites les contraintes pragmatiques de la discussion que Habermas a examinées dans sa théorie de l'agir communicationnel (Habermas 1987), théorie qui nous invite à prendre au sérieux l'épreuve engagée par cette discussion, sans toutefois nous éclairer sur la variété des appréciations émises par les participants sur les cas examinés ? Même si l'on cherche à reconnaître plus que des opinions individuelles dans les jugements émis, n'est-on pas cependant conduit sur la pente d'un relativisme des jugements de valeurs, caractéristique de la distance entretenue dans les sciences sociales à l'égard de la notion de justice ? On abandonnera alors l'attention au contenu de ces jugements et aux preuves avancées à l'appui par les acteurs, pour maintenir une distance à l'égard des arguments échangés, cette distance étant considérée comme le garant d'une démarche scientifique. On pourra ainsi montrer que, sous couvert de défendre l'intérêt général, les divers participants à la commission s'affrontent en fait sur la défense d'intérêts individuels ou professionnels. Si nous n'empruntons pas cette démarche de dévoilement, ce n'est pas par défaut de pertinence des critiques qu'elle formule. C'est parce que ces critiques impliquent, comme celles des acteurs ordinaires, une visée de justice sous-jacente. Or, ce sens du juste est notre objet d'étude. Pour en mener à bien l'exploration, il nous faut plutôt suivre les arguments et critiques des acteurs que les redoubler par nos propres mises en causes. 1.3. UN PLURALI SME SANS RE LATI VI SME Dès lors que l'on prend au sérieux les arguments échangés et les preuves présentées à l'appui sans les réduire à un masque idéologique, il faut bien rechercher des contraintes qui pèsent sur la justification et qui ne sont pas seulement procédurales, à voir la façon dont les gens expriment des injustices en s'engageant dans des spécifications de ce qui vaut (l'efficacité productive ou l'estime qui fait accorder sa confiance, dans l'illustration précédente). La démarche que nous proposons part du constat que les sociétés complexes reposent sur une pluralité de modes d'évaluation légitimes, inégalement pertinents suivant les situations, qui réclament des acteurs qu'ils passent d'une forme de justification à une autre, en s'ajustant à la situation. Cette capacité d'ajustement n'est prise en compte ni dans l'approche communautaire qui attache une valeur à un groupe social, ni dans l'approche libérale qui l'attache à un individu. Elle ne correspond ni à un conflit de valeurs portées par des groupes différents (ou à la domination de l'une sur les autres), ni au jeu limité à un espace contractuel abandonnant les valeurs à la subjectivité d'une sphère privée. Le double constat d'une diversité dans les facons de justifier ou de critiquer, en même temps que d'une
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capacité des personnes à passer de l'une à l'autre, nous a incités à confronter systématiquement les formes de justification en usage, pour y rechercher ensuite les éléments d'un modèle commun qui expliquerait la capacité des gens à passer d'une justification à une autre. Une conséquence importante de la confrontation des formes de justification est de nous conduire à élargir l'acception courante du terme "justice" pour couvrir une variété d'impératifs qui, tous, soutiennent des jugements communs et déterminent la pertinence des preuves apportées à l'appui de ces jugements. Cet élargissement de la notion de justice met en question l'asymétrie souvent observée, au coeur des débats politiques, dans le traitement respectif des exigences de justice sociale, d'une part, et des impératifs économiques d'efficacité ou de concurrence, d'autre part : les premières renvoyant à un idéal et les seconds à des besoins et des contraintes matérielles. Leur confrontation, dans le fonctionnement d'organisations, réclame plutôt un traitement similaire (Thévenot 1989a, 1989b, 1990b). Ce n'est pas seulement dans la variété de valeurs morales qu'il faut reconnaître la diversité des spécifications du juste, mais aussi dans la confrontation entre des impératifs techniques, économiques, sociaux, etc. L'exploration du sens du juste, tel qu'il est exprimé en situation d'injustice, met aussi en évidence le rôle des repères et des objets communs qui sont engagés dans les argumentations et servent de preuves. Contraintes argumentatives et contraintes réelles sont étroitement imbriquées dans le régime de justification que nous examinons ici. Il y a là une raison supplémentaire de reconsidérer les rapports entre les impératifs de justice sociale et d'efficacité, et d'éviter de tirer le premier vers des principes, alors que le second porterait toute la charge du réalisme ou tout le poids de la critique adressée à la rationalité instrumentale (Habermas 1987). Les relations entre la visée d'un jugement commun et sa mise à l'épreuve des choses rapprochent le justifiable du réaliste. On le voit mieux en considérant les contraintes pragmatiques du jugement commun. L'étude du juste en situation oriente vers l'examen des relations entre jugement et action. Elle incite à replacer les exigences de justification dans la perspective d'une coordination de l'action avec d'autres, la recherche d'un jugement commun caractérisant certaines des modalités de coordination (Thévenot 1990c). Le jugement qui vise à être commun prend appui sur des éléments pertinents qui doivent être saisis dans une forme générale, propice à des rapprochements. Nous avons mis au coeur de notre recherche cette saisie que nous appelons qualification. Les litiges sur la qualification occupent une large place dans les expressions d'injustice et éclairent les liens entre jugement et action.
6 2. TRAITER LES GENS EN GENERAL 2.1. L' OPE R ATI ON DE QUALI F I CATI ON L'approche de la justice en situation met en relief l'opération par laquelle on traite les personnes en général, en procédant à des rapprochements, en constituant des classes, en caractérisant des états, etc. Cette opération est également réclamée dans des évaluations scientifiques qui supposent de sélectionner les éléments pertinents pour la preuve, ou dans l'application d'une loi ou d'une mesure politique qui suppose une mise en forme en amont du travail de la règle2. Ces registres se trouveront souvent mêlés. L'interrogation sur la justice d'une mesure va ainsi conjuguer une qualification juridique des populations auxquelles s'applique la mesure, une qualification statistique nécessaire à des évaluations sur les effets de la mesure, mais aussi la qualification que les acteurs mettent eux-mêmes en oeuvre pour appréhender les autres dans leur expression d'injustice. La base d'un droit à une mesure de protection sociale constituera immanquablement une qualification interférant avec celles dont usent les personnes dans leur jugement, de sorte que l'effet de stigmate ne peut être détaché du droit. Le traitement en général des personnes qui est impliqué par l'idée de justice rejoint, sous certains rapports, le traitement ordinaire des objets. Les rapprochements qu'il suppose entre des personnes différentes, ou une même personne à des moments différents, sont de l'ordre de la "mêmeté" (sous un rapport qui spécifie la qualification), et non de l'"ipséité", pour reprendre la distinction de Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre (Ricoeur 1990). Ce traitement voisin de celui des objets va donc créer une tension avec une appréhension de la personne qui est impliquée dans le maintien de soi au fil d'un cours d'action ou d'une histoire. Nous nous centrons ici sur la question du jugement mais il n'est pas possible de l'aborder sans en mentionner les limites. Le jugement répété, fût-il juste, tend à défaire la personne (Thévenot 1992a) et d'autres façons de traiter les gens évitent cette menace, qu'elles procédent d'une familiarité n'exigeant pas la généralisation du jugement, ou d'une suspension plus délibérée du jugement comme dans l'agapè (Boltanski 1990). L'attention à l'opération de qualification a le mérite de rappeler cette tension entre les états-personnes et les personnes. Dans l'expression du juste, la façon dont la q ualification est attribuée va occuper une place centrale. On distinguera une attribution qui tend à attacher la qualité à une personne, et une attribution qui tend à l'attacher à une situation. Une qualification fortement attachée aux personnes permet de préserver une permanence mais tend à la réduire à une identité et se heurte au exigences de justice. Cet attachement est extrême dans le cas des propriétés, notamment biologiques, considérées comme des dotations de naissance. Mais il se retrouve aussi, quelque peu affaibli, dans une qualification en termes de caractère ou de personnalité. Une qualification fortement liée à la situation et aux événements dont elle est le 2 Sur les rapports avec la notion juridique de qualification et, plus généralement, sur les relations entre justifications
ordinaires et jugement de droit, voir Thévenot 1992a.
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théâtre tendra, en revanche, à détacher la personne d'états qui, tels des rôles, ne seront endossés que pour l'occasion. Une procédure de justice distributive qui va très loin dans le sens d'un détachement de la qualification des personnes et de l'attachement à la situation est l'allocation par une file d'attente, dans l'accès à un guichet par exemple. Une telle qualification, tout à fait circonstancielle, sera inappropriée pour servir à des coordinations d'actions de large portée. Les débats sur la notion de sujet et sa déconstruction nous semblent ainsi éclairés par l'examen des co nfigurations pragmatiques amenant des modalités différentes du traitement des êtres. 2.2. LA R E LATI ON E NT R E QUA LI F I CA TI ON E T AC TI ON: E XC E LLE NC E , ME R I TE , R OLE Sont considérées comme impropres à des justifications légitimes les qualifications qui ne sont pas réévaluées en fonction des actions réalisées. Le sens ordinaire du juste, et les qualités auxquelles il s'adosse et que nous avons baptisées "grandeurs", s'inscrivent-ils dans la notion de mérite ? La vertu comme excellence des gens et des objets La figure antique d'une vertu entendue comme réussite dans l'action, déployée dans l'areté des poêmes homériques et étendue à des actions qui ne sont plus spécifiquement des hauts faits guerriers caractéristiques d'un vertu aristocratique, continue à marquer une approche communautarienne de la justice dans laquelle la réussite dans l'action est jaugée selon des modèles d'excellence. Alasdair MacIntyre lie ainsi la notion de "modèle d'excellence" ( standard of excellence) et celle de "pratique" qui suppose "d'accepter l'autorité de ces modèles et l'inadéquation de mon action (performance) à leur aune". Il souligne que cette liaison "exclut les analyses subjectivistes et émotivistes du jugement" (MacIntyre 1984, p.190). Un autre intérêt de cette tradition est de faire entrer en scène des objets, dont nous souhaitons montrer la place qu'ils occupent dans le sens du juste. Une conception de la vertu qui permet de l'étendre à des objets contribue à défaire l'opposition humienne entre description et évaluation. MacIntyre prend l'exemple d'une montre dont le concept ne peut être défini indépendamment de celui d'une "bonne" montre (id., p.58). Si nous replaçons la justification dans la perspective d'une coordination incertaine d'actions collectives, nous voyons plus nettement la place d'objets communément qualifiés dans l'identification et l'évaluation de l'action des autres. L'engagement des objets dans l'évaluation du juste distribue des qualités au-delà de l'acteur, dans un mouvement qui n'est pas sans rappeler celui des approches cognitives soucieuses de rendre compte d'un savoir distribué dans la situation et dans les objets. Cette distribution n'implique pas nécessairement le déploiement d'une cosmologie dans laquelle la qualité propre des meubles, comme celle des âmes "résulte d'une règle, d'une norme, d'un art, adaptés à chacun de ces êtres" (Gorgias, 506d).
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Le tournant critique des rôles sociaux Le rappel de la construction de l'excellence est également utile pour situer une autre construction de la qualification, très largement diffusée dans les sciences sociales au point qu'elle constitue une des entrées les plus fréquentées dans la question du jugement. Si le vocabulaire de la vertu comme celui de l'excellence n'y est guère prisé (resterait celui du "prestige", comme excellence par l'opinion), il y est fait abondamment référence à des "rôles" en vertu desquels l'action est menée. Comme le remarque MacIntyre, on peut situer cette notion de rôle dans le prolongement de celle de vertu entendue comme excellence. Elle s'apparente aussi à la notion de "caractère", ancrée dans la littérature, "les discussions sur le bien et le juste prenant alors appui sur une réserve de caractères disponibles dans la société à un moment donné, comme celui de l'instituteur ou de l'ingénieur" (MacIntyre 1984, pp.27-28), caractères développés dans la literature sociologique sur les "rôles professionnels" ("occupational roles") qui tient une place centrale dans la sociologie des "professions" (au sens anglo-saxon). MacIntyre marque cependant la différence entre un "caractère" qui sert aux acteurs à comprendre et évaluer les autres, et un "rôle" qui s'inscrit dans une institution. Dans ce mouvement de la philosophie morale vers les sciences sociales, la qualification tend à devenir arbitraire, ainsi que les valeurs3. Se référant à Nietzsche et mettant en cause le "pathos grandiose de l'éthique chrétienne", Weber voit dans les adhésions aux valeurs des affrontements inexpiables entre points de vue personnels (Weber 1959, pp.93-95). Dans la position critique des sciences sociales à l'égard des jugements, statuts ou rôles restent bien des qualifications qui permettent de former des attentes sur les agissements des autres, mais elles sont entachées d'arbitraire par rapport à l'authenticité des individus, ou considérées comme des instruments entre les mains de stratèges. La distance au rôle, à la fois cynique chez l'acteur et critique dans l'analyse de Goffman, contribue à défaire une relation entre action et qualification qui co nduit, dans une direction opposée, à une fusion dans l'idée de mérite. Cette distance est caractéristique du statut du juste dans les sciences sociales : retiré de l'objet désenchanté, il reste enfoui dans le regard critique que porte le chercheur. La critique, par Rawls, de la notion de mérite La critique que Rawls adresse au modèle d'excellence ne coïncide pas avec celle qui a été forgée dans les sciences sociales, puisqu'elle vise à reconstruire une exigence positive de justice. La mise en cause de la notion de mérite est au coeur même de la construction de Rawls et aide sans doute mieux à voir son originalité et son écart avec le sens commun (Rawls 1974, 48, pp.310-315). S'opposant vigoureusement à la relation entre justice, bonheur et excellence qui est au coeur de la tradition rappelée antérieurement, Il entend lui substituer la notion d'attente légitime ("legitimate expectation").
3 Encore que cette relativisation repose souvent, en dernier ressort, sur la force de l'opinion et de croyances collectives.
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Les différences qui servent à qualifier les personnes sont renvoyées à la modalité d'un jugement de fait; le point de vue du juste portera exclusivement sur la distribution d'avantages. Il appuie sa critique d'un exemple destiné à saper les fondements d'une notion de valeur intrinsèque. Dans une économie de marché, note-t-il, la valeur de la contribution productive d'un individu va dépendre et du marché du travail et du marché des biens, or la valeur morale d'un individu ne saurait dépendre de ces éléments extérieurs. Cette illustration est intéressante pour notre propos car la grandeur que nous verrons en oeuvre dans les justifications n'est pas considérée comme une valeur intrinsèque. La critique que Rawls adresse à la notion de mérite le conduit à opérer une distinction radicale entre l'équité d'une distribution et les différenciations d'états qui sont, elles, traitées comme des faits, en rapport avec des contraintes économiques notamment. Cette séparation ne permet pas de voir que la grandeur d'efficacité, sur laquelle repose le raisonnement économique, est construite sur le même modèle que les autres. Elle ne permet pas non plus de rendre compte des conflits de grandeurs qui se manifestent dans les expressions d'injustice. Mais surtout, elle rompt le lien entre justice et action qu'il nous importe de mettre en lumière. C'est la prise en compte de ce lien qui nous conduit à un abord du juste par les exigences pragmatiques de l'action avec d'autres. Notre attention principale va donc se porter non sur une opération de distribution postérieure à des différenciations de fait, mais sur celle de qualification qui nous semble préalable et qui est particulièrement litigieuse.
3. LES EXIGENCES DE LA JUSTIFICATION 3.1. LE S QUALI F I CA TI ONS LE GI TI ME S : ORD R E E T COMMUNE H UMANI TE Les qualifications qui servent dans les justifications sont ordonnées. De nombreuses formes d'appréciation possèdent cependant cette première caractéristique sans convenir à un jugement commun, comme celle mentionnée plus haut qui s'appuie sur la différenciation des "offensifs" et des "frileux". Les qualifications légitimes doivent en outre satisfaire une exigence de "commune humanité"4. C'est une exigence de ce type que le voile d'ignorance de Rawls est destinée à traduire dans 4 Elle dépasse en généralité une formulation courante en termes d'égalité et de solidarité que nous avons rapportée à l'une
des spécifications, civique, de la grandeur. C'est une telle grandeur civique qui justifie une allocation universelle, l'une des composantes du RMI. Comme les autres, elle se prolonge dans des objets, notamment juridiques, qui en instrumentent l'évaluation et qui permettent de construire des équivalences pour faire la preuve de l'égalité ou de l'inégalité. Nous situerons l'exigence de commune humanité en amont de cette expression civique d'égalité, parce qu'elle ne suppose pas déjà une mesure et qu'elle sert de soubassement à d'autres grandeurs qui spécifieront différemment une égale dignité humaine.
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un dispositif imaginaire, en cherchant à concilier, par l'ignorance, une visée kantienne d'universalisation, ou une position surplombante de spectateur impartial, avec une notion d'individu intéressé. Il est clair que cette composante principale de l'idée de justice n'est pas universelle, même si elle vise à l'universalisation, et on peut en marquer les limites historiques ou culturelles. C'est ce que les critiques de Rawls l'ont incité à faire et il a infléchi en conséquence ses formulations initiales pour reconnaître qu'il avait proposé une théorie d'une société démocratique dans des conditions modernes (Rawls 1988; sur ce point, voir Van Parijs 1984). La notion d'équilibre réflexif suppose déjà cet ancrage dans la communauté des lecteurs-citoyens à laquelle Rawls soumet ses arguments. Elle n'implique pas pour autant de rejoindre certaines positions communautariennes, comme on le voit dans la formulation des principes de Rawls. De même, notre exploration du sens ordinaire du juste fait ressortir des exigences communes aux divers ordres de grandeurs qui éloignent d'une appréhension de la justice comme coutume ou morale communautaire5. Les deux exigences d'ordre et de commune humanité limitent les qualifications qui peuvent constituer des ordres de grandeur. La recherche d'une articulation entre elles deux est au coeur du sens ordinaire de la justice et nous avons d'ailleurs montré qu'un même type d'articulation soutenait diverses constructions classiques de philosophie politique. L'inquiétude sur la justification d'inégalités témoigne de la réactualisation permanente de cette tension entre un ordre impliqué dans la coordination d'actions menées en commun, et la référence à une commune humanité. Certaines convergences entre le modèle commun aux différents ordres de grandeurs et le second principe de Rawls sont d'autant plus intéressantes que le cheminement que nous avons suivi est très différent. Les deux modèles mettent l'accent sur la tension entre les exigences d'ordre et de commune humanité. Tous deux en examinent les conditions d'apaisement dans des attentes légitimes, à travers deux contraintes6. Dans les exigences qui pèsent sur les ordres de grandeur, nous trouvons une exigence de bien commun (la grandeur des grands profite aux petits) qui élimine certains types d'évaluations et d'échelles d'états, et une exigence d'ouverture des états de grandeur. Toutefois, l'exigence d'ouverture prend une forme plus générale que l'égalité des chances. Pour ne pas rompre la commune humanité, les grandeurs ne doivent pas être attachées de manière permanente aux personnes, mais subir des 5 Cf. les critiques de Ronald Dworkin adressées au moralisme communautaire de Lord Devlin et aux références à Burke :
Dworkin 1978, chap.10. 6 Chez Rawls, l'une est le principe de différence stipulant que les inégalités sociales et économiques doivent être au plus
grand bénéfice des membres les moins avantagés de la société : il est destiné à transformer des inégalité de faits, qui peuvent être fonctionnelles, en un bien commun. L'autre stipule l'ouverture de l'accès aux états inégaux : les inégalités sociales et économiques doivent être attachées à des fonctions et positions ouvertes à tous dans des conditions d'égalité équitable des chances.
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réévaluations au fil des actions qui les mettent à l'épreuve, et refaire ainsi la preuve du bénéfice du bien commun. Une source majeure du sentiment d'injustice tient à des attachements indus des statuts, qui ne sont plus soumis à épreuve mais qui perdurent sans raison, comme dans la critique du pouvoir ou de la domination. Ce n'est pas l'inégalité des grandeurs qui est visée par les critiques, mais le fait qu'elles ne sont pas réévaluées. Les deux lignes d'argument s'écartent donc dans la façon dont la commune humanité pèse sur les échelles d'états. Dans la théorie de Rawls, les inégalités sont des données de fait et l'auteur fait particulièrement référence aux inégalités productives d'efficacité. L'idée de justice n'intervient pas dans leur construction. Dans les ordres de grandeur, en revanche, les échelles d'états ne sont pas considérées comme factuelles et extérieures à la question de la justice. Le sens du juste pèse sur le type de qualité qui est pris en compte dans les justifications, et sur leur attribution. La différence des deux modèles est sensible dans le traitement de dons, ou de talents considérés comme acquis de naissance. Pour Rawls, une distribution pourrait reposer sur de telles différences pour autant que la distribution inégale augmente la dotation des plus petits. En revanche, les justifications que nous avons examinées ne peuvent reposer sur de telles qualités. Elle sont supportées par des qualités qui doivent être modifiables au gré des actions. Cela ne signifie pas que ces qualités sont absentes dans les appréciations ordinaires, mais que les justifications s'appuyent sur d'autres variables qui ne sont pas aussi rigidement attachées aux personnes. Le sens du juste intervient dès la construction des qualités dont l'inégale distribution est en cause. 3.2. LA MI SE A L' E PR E UVE D E S I NE GALI TE S DE GR AND E UR L'exigence de commune humanité n'opère donc pas seulement une sélection excluant des qualifications illégitimes comme celles impliquées par l'eugénisme (Thévenot 1990a). Elle se retrouve dans la demande de réactualisation des qualifications et de leur mise à l'épreuve. L'attention portée à cette opération, qui n'est guère prise en considération dans les théories de la justice, nous rapproche des théories de l'action et du jugement. La qualification est une épreuve qui engage des objets et des dispositifs qui cohérents avec les ordres de grandeur et servant dans l'évaluation du juste. Les objets techniques, les ressources de l'activité économique, les biens marchands sont ainsi réinsérés dans des ordres et des modalités de coordination, et notre analyse des spécifications du juste conduit à une analyse des différentes formes de coordination qui constituent la trame des organisations (Thévenot 1989b, 1990b). La différenciation de ces formes de coordination permet de disposer d'outils d'analyse plus précis et plus complets que l'opposition entre la coordination par le marché et la coordination par des organisations souvent réduites à des ordres hiérarchiques (Thévenot 1989a). Outre le jugement en terme d'efficacité (grandeur industrielle), ou de concurrence (grandeur marchande), des évaluations par rapport à la confiance (grandeur domestique), à l'intérêret général (grandeur civique), à l'opinion (grandeur du renom), à la créativité (grandeur inspirée), supportent une variété de modes de
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coordination qui correspondent à autant de façons de spécifier le juste par une grandeur (Boltanski et Thévenot 1991).
4. L'INTEGRATION DES SPECIFICATIONS DU JUSTE 4.1. RAPPORTS CRI TI QUE S ET ORG ANI SATI ON DE C OMPROMI S La théorie de la justice de Rawls incite à raisonner sur une échelle unifiée d'états, pour définir notamment "les plus défavorisés" (van Parijs 1984, p.20). Plus généralement, l'interrogation sur les inégalités tend à constituer une échelle unique cumulant des inégalités de diverses natures. D'une autre manière, l'approche libérale contribue à intégrer les expressions subjectives du juste et, pour éviter l'hétéronomie de valeurs, à unifier la question de la justice dans un espace contractuel qui, à bien des égards, est ajusté à une coordination principale par le marché. La démarche de Walzer rompt nettement avec ces différentes approches de la justice. Il cherche à prendre en compte une diversité de sphères de justice sans aller vers une solution qui envisagerait leur intégration systématique. Cette différenciation lui permet de distinguer une source d'injustice qui échappe à l'attention des autres théoriciens, alors qu'elle occupe un place très importante dans les expressions d'injustice que nous observons. Cette injustice est le résultat de la contamination d'une sphère de justice par une autre. Sur ce point important nous suivrons donc sa démarche, tout en optant pour un traitement différent de la pluralité des spécifications du juste. Pour Walzer, les sphères sont des institutions de tailles diverses (marché, institutions d'enseignement, familles, etc.). Cette caractérisation en termes d'institution permet-elle de reconnaître l'"intégrité" (Walzer 1992) de ces spécifications du juste, leur "logique interne" (id.), leur capacité à encadrer une dispute et arrêter un jugement ? L'entrée par des institutions tend à clore chaque spécification sur une communauté particulière, sur des congénères pris dans un même système de règles. Nous avons plutôt cherché une unité d'analyse élémentaire qui ne soit pas une institution mais une modalité de justification, les institutions et organisations étant traitées comme des dispositifs composites nécessitant l'intégration d'une pluralité d'impératifs. Nous nous sommes également efforcés de rendre compte d'exigences communes à tous ces ordres de grandeur, exigences qui n'apparaissent pas dans une caractérisation en termes d'institution et dont certaines se rapprochent, comme nous l'avons vu, de celles explicitées par Rawls. Les ordres de grandeur sont dans un rapport critique les uns avec les autres, le transport de l'un sur l'autre étant dénoncé comme injustice. Sera considéré comme injuste le fait que des gens tirent avantage d'une grandeur dans une épreuve d'une autre nature : le cadre qui doit moins sa position à sa compétence qu'à ses relations, le créateur qui tire moins sa grandeur du génie de ses oeuvres que d'un lancement médiatique, le candidat qui doit sa réussite aux avantages conférés par ses moyens financiers, etc. Il y a là une matrice fondamentale pour des expressions très variées de l'injustice
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(corruption, inauthenticité, privilège), suscitées par une grandeur qui déteint sur une épreuve d'une autre nature. Les inégalités injustifiables résultent de l'extension indue du poids de la richesse, ou de l'opinion, ou de l'autorité. La menace est en effet celle d'un ordre unique et rigide, dans lequel toutes les grandeurs seraient superposées et rigidifiées et qui cumulerait avantages et handicaps. Cependant, aucun des ces ordres de grandeur ne peut assurer à lui seul une coordination et donc une forme de jugement s'imposant sur les autres. La recherche de compromis permettant de dépasser les tensions entre plusieurs ordres est donc au coeur du fonctionnement des organisations, qu'elles soient économiques (comprenant au moins les ordres marchand et industriel) ou politique (comprenant au moins l'ordre civique). Des dispositifs composites ou des intermédiaires humains favorisent le passage d'un ordre à l'autre, tout en restent soumis à une tension critique dès lors qu'est poussé à bout l'un ou l'autre des ordres engagés dans le compromis. L'analyse systématique que nous avons menée par ailleurs des relations entre ordres de grandeur permet de pointer, à partir d'un examen des ressources engagées dans des entreprises, des organisations, des dispositifs institutionnels ou des mesures politiques (Eymard-Duvernay 1990, Exertier et Eymard-Duvernay 1987), les points critiques où risquent de se manifester des tensions entre des impératifs différents, ainsi que les élaborations de compromis qui contribuent à apaiser ces tensions. Je ne reprendrai pas ici l'analyse des instruments d'investigation et de diagnostic ainsi que leur mise en oeuvre dans des enquêtes de terrain (Boltanski et Thévenot, 1989, 1991). C'est à partir d'illustrations relevant des politiques sociales et des thèmes qui leurs sont associés (rôle de l'Etat, décentralisation) que j'aborderai certains de ces ordres et leurs rapports. 4.2. L'E TAT PRODUCTE UR DE ME SURE S : LES ORDR E S CI VI QUE E T INDUSTRI E L Dans la théorie pluraliste de Walzer, l'Etat doit être le gardien des frontières entre sphères de justice. C'est en cela que Walzer peut présenter sa théorie comme une extension du libéralisme, à la différence près que ce n'est pas l'indépendance d'individus qu'il s'agit de préserver mais celle de ces sphères (Walzer 1992). Il est clair que l'Etat français, loin de se limiter à ce rôle, est directement impliqué dans la mise en oeuvre de certains des ordres de grandeur que nous avons identifiés. C'est ce qui pourrait faire dire que ces derniers sont plus "légitimes", avec toutefois le danger d'ignorer que d'autres ordres de grandeur sont également admissibles dans les critiques et les justifications ordinaires. Les formes de qualification qui servent le plus couramment de support au fonctionnement de l'Etat sont de deux ordres, civique et industriel. La grandeur civique est assise sur une visée de volonté générale qui est mise à l'épreuve du vote. Elle doit assurer l'égalité des citoyens et suppose la solidarité. Elle est fortement instrumentée par des formes juridiques. La grandeur industrielle, quant à elle, est orientée vers un impératif d'efficacité et se déploie dans une hiérarchie de capacités professionnelles. Les objets communs qui lui sont
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congruents sont les objets techniques qui constituent toujours des investissements engageant l'avenir. La planification est au coeur de cet impératif industriel. Cette caractérisation à partir d'ordres de grandeur apporte quelques éclairages nouveaux aux débats consacrés à la centralisation de l'Etat. Les délimitations entre un centre et une périphérie, entre un niveau national et un échelon local, entre une sphère publique et une sphère privée, rendent en effet mal compte de certaines similitudes par delà ces oppositions, similitudes que l'on saisira mieux avec des outils d'analyse transversaux mettant notamment en évidence la généralité de liens de confiance domestiques ou leur tension structurelle avec une forme de lien civique (Lafaye 1989, 1990, 1991). La dénonciation de centralisme, qui est une expression d'injustice courante et ne se limite pas au x ouvrages de science politique, peut recouvrir deux types de critiques. La première critique est interne et vise l'absence d'ajustements qui supposeraient la prise en compte d'informations recueillies à la base. L'intérêt de notre cadre d'analyse est de faire porter l'attention non seulement sur les réglements et leurs fondements en justice, mais aussi sur les conditions de leur révision ou de leur ajustement circonstanciel qui réclame l'intervention et la critique des "petits", et non pas seulement le jugement des experts (Choquet 1990). Dans le modèle de Rawls, le sort des petits occupe une place importante dans l'argumentation, mais ces derniers n'ont pas de rôle spécifique dans l'application des principes. Dans celui de Walzer, l'égalité doit être maintenue à l'intérieur de chaque institution, par la voix donnée aux petits. Dans le sens du juste que nous cherchons à appréhender, la justice ne peut être assurée uniquement par la qualité des mesures et des lois, mais suppose une relance de l'épreuve par les personnes impliquées. Lorsque les circonstances et les personnes jugées se font p lus présentes, la position d'expert est plus difficile à tenir. Ceux qui portent le jugement sont soumis au risque d'être eux-mêmes jugés, comme un membre d'une Commission Locale d'Insertion accusé de méconnaître le cas et d'apporter des éléments de jugement qui ne sont pas pertinents. Pour permettre la mise à l'épreuve, encore faut-il que les dispositifs ne soient pas verrouillés comme des systèmes d'objets en relations, et se prêtent à la remise en cause des états de grandeur et des états de chose. Le handicap résultant de l'absence des ressources nécessaires pour faire levier et démonter ces dispositifs rigidifiés constitue une source majeure d'injustice. Les méthodes de management centrées sur la qualité connaissent leur plus grandes réussites lorsqu'elles fournissent à des salariés peu qualifiés (petits dans l'ordre industriel) des instruments de jugements cohérents avec cette épreuve (statistiques, diagrammes de causes, etc) pour relever les défaillances et remettre en cause les routines établies. L'ordre de grandeur de l'inspiration fait souvent figure de dernier recours pour la remise en cause des ordres établis, parce qu'il ne repose que sur l'instrumentation la mieux partagée, celle du corps propre. Mais le risque est alors élevé de sortir du registre de la justification, lorsque le geste inspiré se replie sur une subjectivité ou consume le corps pour faire la preuve. La menace d'immobilisation des grandeurs dans des statuts permanents pèse particulièrement sur les grandeurs civique et industrielle en raison de l'engagement d'objets réglementaires et techniques qui
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offrent des soutiens solides aux jugements et constituent des opérateurs très puissants de généralisation. La dénonciation du pouvoir met en cause la réification de ces ordres et leur immobilisation dans des règles et des outils qui, par leur stabilité, bloquent la possibilité de relance de l'épreuve de réalité. Dans l'ordre industriel, la critique d'injustice porte sur la fixation des états de grandeur dans des hiérarchies de capacités figées qui empêchent la remontée d'informations, les innovations, etc., toutes choses qui supposent la remise en question des jugements antérieurs. La critique du taylorisme vise la dégénerescence de cet ordre industriel, qui procède de l'assimilation des personnes à des objets techniques. L'introduction des méthodes de Taylor fut déjà l'objet de débats qui mettaient bien en évidence, notamment dans la critique adressée par Lahy, les risques d'une objectivation des personnes nuisant à leur initiative et à la reconnaissance de leur capacité à remettre en cause des états de faits (Corcuff 1989, p.311). Les diverses méthodes de gestion de la main d'oeuvre, destinées à accroître la motivation et l'engagement des salariés, passent par la réactivation de cette épreuve de grandeur industrielle. La rigidité des grandeurs industrielles est renforcée lorsque les capacités professionnelles sont sanctionnées par des diplômes. Ils attachent des qualités durables aux personnes, même si l'épreuve scolaire a été réalisée en visant l'égalité civique. L'organisation de l'enseignement relève en effet d'un compromis entre une visée industrielle d'évaluation des capacités et une visée civique d'égalité devant l'enseignement (Derouet 1991). Les travaux sur le fonctionnement des établissements scolaires montrent clairement qu'un tel compromis ne s'élabore pas seulement dans des débats généraux sur l'Ecole, mais qu'il s'inscrit dans des dispositifs locaux appropriés 7. Ce compromis est aussi impliqué dans le dispositif du RMI. On le voit notamment au mode de fixation du niveau d'allocation, calculé pour que le bénéficiaire ait, quelle que soit la composition du ménage, un avantage financier sensible à ce qu'au moins un de ses membres travaille à temps plein, même en ne percevant que le SMIC. Cependant, dans le RMI, les deux impératifs sont assez nettement séparés dans les deux volets du dispositif, de sorte que la tension reste vive, comme on le voit dans les critiques civiques de la notion d'"employabilité" ou dans l'accent mis sur l'insertion professionnelle pour évaluer le dispositif, alors que la qualité de citoyen et son insertion dans la vie publique devraient prévaloir selon l'impératif civique. La seconde critique est externe et vise les formes civique ou industrielle à partir d'autres ordres, notamment celui de la concurrence dans la critique libérale de l'Etat, ou encore l'ordre domestique qui prend appui sur des liens de confiance inscrits dans des relations personnalisées et localisées. Le caractère centralisateur du RMI, dénoncé parce qu'il reviendrait sur le mouvement de décentralisation de l'aide sociale (Legros et Simonin, 1991, p.4), tient ainsi au souci civique d'assurer un traitement égal 7 Jean-Louis Derouet cite l'exemple d'un dispositif de rerépartition régulière par groupes de niveau destiné à maintenir la
compatibilité entre les deux impératifs d'égalité civique et d'efficacité industrielle (Derouet 1989, p.37).
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aux citoyens qui en bénéficient (et qui, dans la perspective d'une allocation universelle, devraient être tous les citoyens) et d'éviter les conséquences des particularismes et inégalités locales. C'est cette seconde critique que nous allons maintenant examiner. 4.3. LA GESTION LOCALE ET DECENTRALISEE : LES ORDRES DOMESTIQUE ET MAR CH AND Les mots d'ordre de décentralisation et d'investissement du niveau local guident aujourd'hui non seulement la confection des mesures politiques, la gestion des organismes publics, mais aussi la transformation des organisations économiques industrielles. Le risque de cette formulation topographique est de laisser penser que c'est le site des institutions qui importe, alors que c'est le fonctionnement des ordres de grandeur impliqués qui est déterminant, quel que soit le lieu où ils sont saisis. Ainsi, sous la référence au local, c'est souvent un autre ordre de grandeur qu'il s'agit de faire prévaloir, comme l'ordre marchand régi par l'impératif de concurrence. Le renforcement de cet impératif est net dans les entreprises qui cherchent ainsi à se rapprocher de leur clientèle et à en intégrer des représentants au sein même de leur fonctionnement. Cet impératif a également pénétré, ces dernières années, les services publics, les collectivités locales (Lafaye 1990) ou les établissements scolaires qui doivent se positionner sur un marché (Derouet 1991). C'est sur un autre de ces ordres impliqués dans le mouvement de décentralisation que je voudrais insister. Sans avoir recueilli autant d'attention que l'impératif de concurrence, il occupe un place importante dans l'évolution des politiques sociales, aussi bien que dans le renouveau des organisations économiques dont la flexibilité est associée au fait qu'elles sont "décentralisées" et reposent sur des liens "locaux", souvent "personnels", appréhendés en termes de "réseaux", de "coopération". Les observateurs reconnaissent bien que ces traits ne recoupent pas le mode de décentralisation par les prix qui caractérise l'épreuve de réalité de l'ordre marchand. Ils se reportent alors souvent sur un vocabulaire qui relèverait d'une autre dimension des phénomènes appréhendés, dite "sociale". L'ordre de la confiance (grandeur domestique), tel que nous l'avons identifié, n'est pas superposable aux liens familiaux ou amicaux. Il prend en compte des personnes et des objets personnalisés mais suppose la généralisation du jugement à des tiers. Cette transformation est nécessaire pour qu'un lien d'amitié, un lien familial ou un lien éthnique servent dans l'établissement d'un jugement de confiance qui satisfasse les exigences des ordres de grandeur. On le voit dans les jugements domestiques qui font valoir la priorité d'un recrutement familial ou local (Lafaye 1991). Un jugement domestique doit être transmissible en dépit des "différences culturelles" et suppose une généralisation par rapport à des idiosyncrasies, des habitudes, des jargons, des coutumes spécifiques locales. La nécessité de remise en cause, de révision, éloigne d'une certaine acception des notions de coutume ou de tradition, en en soulignant la réélaboration (Gadamer 1976). A défaut de généralisation et de mise à l'épreuve, l'ordre domestique se rigidifie dans une communauté fermée et ordonnée selon une hiérarchie intangible.
17 4.4. LE PARTE NARI AT ET LE TRAVAI L DE COMPROMI S L'identification des différents ordres de grandeur permet de préciser la notion de "partenariat", et d'appréhender le travail de mise en relation d'impératifs différents, sans le couvrir du terme très large, et peu approprié par ses connotations marchandes, de négociation. Dans le partenariat, nous verrons plutôt un effort pour composer avec plusieurs ordres de grandeur en élaborant des compromis entre ces ordres. Ce n'est pas tant d'un marchandage entre un chef d'établissement scolaire et un industriel qu'il s'agit que d'un compromis pouvant se manifester en bien des points du dispositif scolaire. La grille d'analyse proposée permet de traiter de la même façon, pour en mettre en valeur les similitudes, des dispositifs comme un comité de crédit d'une banque mutualiste (Wissler 1989), un conseil de classe, ou une commission locale d'insertion. Le travail de compromis peut être effectué essentiellement en personne ou déposé dans des choses. Dans le premier cas, tout le poids de la composition reposera sur des médiateurs, comme les intermédiaires qui transforment la relation bilatérale employeur-salarié en relation triangulaire (Bureau Le Dantec et Nivolle, 1991, p.13). Dans le second cas il reposera sur des dipositifs comme ceux sur lesquels reposent les associations (Marchal 1992). L'attention trop exclusive au premier type de médiation peut conduire à des échecs, comme celui rencontré par un agent de l'ANPE qui, détaché dans un commission d'insertion, perd l'usage des ressources de l'ANPE.
5. LES LIMITES DE L'EXIGENCE DE JUSTICE DANS LE TRAITEMENT EN PERSONNE 5.1. LE S PE R SONNE S DE F AI TE S PAR L E J UGE ME NT L'exigence de justice, en particulier le souci de remise à l'épreuve des ordres de grandeur, conduit à multiplier les occasions de jugement en général. Or la répétition de jugements de ce type comporte le risque de défaire la personne, les qualifications qui les supportent devant justement éviter l'acception de personne. On le voit dans les itinéraires de personnes au chômage ou bénéficiaires du RMI, qui sont des successions de passages d'épreuves, de "bilans" de santé ou de compétences sociales et professionnelles, de bilan diagnostic de l'ANPE, etc. La déroute résultant de la reconduction permanente du jugement sur soi se manifeste dans la demande d'être traité en personne afin de pouvoir se reprendre entre les épreuves, demande exprimée souvent en termes d'"accueil" ou d'"écoute" (Rapport sur l'amélioration de la vie quotidienne des demandeurs d'emploi, p.33). L'évidence d'une identité personnelle est rongée par la répétition des qualifications qui sont endossées et mettent en péril le maintien du soi. En suivant la distinction construite par Ricoeur (1990), on pourrait dire que l'équivalence du juste peut s'accommoder d'une identité définie comme mêmeté, qui est celle de l'objectivation, mais qu'elle
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ne saisit pas l'identité comme ipséité, impliquée notamment dans la reconnaissance d'un engagement personnel dans l'action. Si la personne qui recherche un emploi, ballottée de jugement en jugement, est sans cesse sommée de faire ses preuves - et quand bien même on lui donnerait toutes ses chances - ces preuves ne sont pas des actions qui donnent consistance à la personne. Ceci tient à ce que nombre d'épreuves sont factices au sens où elles ne sont pas faites grandeur nature (Boltanski 1990), épreuves scolaires (Derouet 1991) ou examens de recrutement (Delamourd 1988), mais aussi à ce que les preuves justificatrices cherchées dans des actions passées sont nécessairement conventionnelles en raison des limites pragmatiques d'un jugement commun. Les associations peuvent être des lieux propices à des modes de traitement des autres favorables au maintien d'une estime de soi menacée par le jugement (Pollak 1990b). Des associations impliquées dans l'application de politiques sociales préfèrent à de n ouveaux bilans ou examens, fussent-il justes, ou à une formation qui peut provoquer chez les stagiaires "une perte de confiance en soi" et même occasionner une "rechute" (Bureau, Nivolle et Tuchszirer 1990, p.3), des activités qui feront "prendre des responsabilités". De même, un chef d'entreprise ayant accueilli des bénéficiaires de Contrats de Retour à l'Emploi dira définir les formations par rapport aux compétences particulières de chaque personne embauchée, en mettant en cause certaines formations standardisées (Bureau, Le Dantec et Nivolle 1990, p.3). 5.2. LE VOC AB ULAI R E DU CONTR AT E T L' AUTON OMI E D E L A PE R SONN E Dans les politiques sociales qui rencontrent les exigences d'un traitement en personne, le vocabulaire du contrat tend à se substituer à celui de la règle. Ce vocabulaire s'étend aujourd'hui bien au-delà de l'engagement juridique de volontés dans une convention : contrat pédagogique, contrat d'insertion, contrat par objectif, etc. Comme on le voit aussi bien dans la matrice marchande que dans la matrice juridique qui "exprime une véritable idéologie volontariste des relations humaines" (Ghestin 1990), le contrat constitue un sujet, le contractant. En mettant en avant les exigences d'un tel sujet, la figure du contrat ne repousse-t-elle pas les menaces d'un traitement objectivant qui rapproche les personnes des choses ? Nous voudrions plutôt marquer ici les limites de cette figure du contrat dans le traitement de la personne, limites qui tiennent au modèle sous-jacent de l'action du contractant réduite à une décision. C'est un tel modèle que mettent en avant les mesures sociales cherchant à assurer l'autonomie d'un choix contre la dépendance et la subordination qui accompagnerait une aide. Elles visent "la mise à disposition d'outils et d'informations", "outils d'autonomisation", "techniques de recherche d'emploi", "éléments de connaisance sur le marché de l'emploi" (Bureau, Le Dantec et Nivolle 1991, p.7). Or le maintien de la personne ne relève pas d'un modèle de l'action entendue comme décision ou comme choix, parce que ce modèle suppose déjà acquis ce maintien.
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Etendu bien au-delà de son ancrage juridique, le vocabulaire du contrat brouille les limites qui séparent l'exigence de justice d'autres formes de traitement des autres. Ainsi, le contrat peut servir à parler d'une exigence élémentaire d'engagement (à l'opposé du "j'en ai rien à foutre") qui permet à une autre personne d'attribuer une suite d'actions à un même sujet. Mais n'est-ce pas une relation de familiarité toute différente d'un régime de contrat qui s'engage avec un "tuteur" ou un "catalyseur" ? On le voit à la difficulté que ressentent les travailleurs sociaux pour "restituer publiquement une relation parfois anciennement installée avec la personne ou la famille concernée et la traduire en termes d'insertion" (Astier 1991, p.66). L'amitié n'est pas un traitement de l'autre congruent avec les formes juridiques. Daumat stipulait déjà que "l'amitié n'est pas régie par les lois civiles" et Carbonnier, dans son exploration du "non-droit", s'élève contre la formule de Lacroix selon laquelle le droit est une amitié organisée : l'amitié, écrit-il, implique une volonté de se tenir en dehors du droit, sinon les amis fonderaient "une association, une amicale selon le droit", et ce pourrait bien être la fin de leur amitié (Carbonnier 1988). De même les justifications ordinaires rompent un engagement coopératif dans une action commune qui réclame corrections mutuelles et familiarité (Thévenot 1990b). L'exigence de repères conventionnels impliquée par le contrat8 est rejetée comme "juridisme" par un travailleur social qui cherche à appréhender une personne dans son histoire. Dans sa forme la plus radicale, ce rejet se manifeste dans la mise à l'écart de tout jugement pour un traitement en agapè (Boltanski 1990).
CONCLUSION L'exploration du sens du juste ne fait pas seulement ressortir un pluralisme dont une théorie de la justice doit rendre compte afin de saisir les rapports critiques qu'entretiennent différentes spécifications du juste. Cette exploration a montré également que ce pluralisme du juste ne conduisait pas à un relativisme des valeurs. Ceci tient à ce que le justifiable, tel que nous le voyons dans les disputes ordinaires, est raisonnable. Encore faut-il préciser ce que l'on entend par raisonnable, pour ne pas prêter le flanc aux critiques visant les entreprises rationalistes de fondation du juste. C'est ce que nous avons tenté de faire en montrant que ce caractère raisonnable s'exprimait non seulement par des contraintes argumentatives liées à la visée d'un jugement commun, mais que le raisonnable s'ancrait aussi dans une épreuve de réalité. L'engagement d'objets communément qualifiés, nécessaire pour faire la preuve, lie étroitement des exigences discursives de communication à des exigences d'action et de coordination qui sont elles-mêmes encadrées par la reconnaissance d e limites cognitives. 8 Dans la commission locale examinée par Isabelle Astier, le sous-préfet insiste sur le fait que le contrat doit être "précis"
afin de vérifier plus tard si le bénéficiaire l'a respecté: "du concret, du concret", réclame-t-il, ne mentionnez-pas "gestion équilbrée du budget" mais "contacter une conseillère en économie sociale et familiale".
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On ne retrouve donc pas la distinction webérienne entre des formes irrationnelles d'autorité et une autorité bureaucratique conservant le monopole de la raison, ni la solidité de l'opposition entre des valeurs conduisant à des appréciations subjectives et des faits s'imposant en dehors de l'opération de jugement. Même l'invocation de l'efficacité dans des jugements ne repose pas seulement sur les lois de fonctionnement d'un système mais aussi sur une forme de construction d'un bien commun. On peut certes produire des comptes rendus du monde dans le vocabulaire des systèmes. Les unités pertinentes ne sont alors pas des personnes agissant et interprétant, mais des agents ou, plus naturellement, des agrégats de niveau supérieur (utilisés dans les statistiques sociales et la macroéconomie) et des composants de niveau inférieur (employés en biologie). Les difficultés naissent lorsque ce genre de compte rendu s'insinue dans un jugement sur des actions, qui emprunte nécessairement un tout autre vocabulaire9. La notion d'"effet pervers", dont Albert Hirschman a retracé la génèse (Hirschman, 1991), est une des manifestations de cette juxtaposition pathologique d'éléments empruntés à l'un et à l'autre mode de représentation. Cette figure, dans laquelle Hirschman reconnaît l'un des trois piliers de la rhétorique réactionnaire et dont il suit les avatars, notamment dans la mise en cause des politiques sociales, tente une articulation chimérique entre les deux représentations : l'une, constituée d'un point de vue omniscient en terme de système, et nécessairement étrangère à l'idée de bien ou de juste, est exprimée dans le premier terme ("effet"); l'autre, téléologique, tient compte des évaluations effectuées par des personnes et donne sens au second terme moral ("pervers"). La deuxième figure qu'identifie Hirschman, l'"inanité", est aussi le résultat de la confusion des deux modes de représentation. Elle consiste à dévoiler les lois immuables qui contreviennent aux bonnes intentions et à procéder ainsi à une démystification qui conduit à "arracher les masques, lever les voiles et percer les déguisements" (id., p.135). Hirschman s'élève contre cette deuxième figure en notant que "l'opposition entre les fins annoncées d'un programme social et ce qu'il accomplit en fait est - par la tension qu'elle crée - autrement complexe et riche de possibilités que tout ce que peut évoquer l'opposition entre masque et réalité" (id.). C'est un peu de cette complexité et de ces possibilités que nous nous efforçons de capter, en cherchant un cadre d'analyse propre à intégrer au sens du juste le réalisme de sa mise à l'épreuve.
9 Sur les débats récents concernant le traitement de l'action et du jugement dans les sciences humaines, voir le numéro de la
revue Critique, intitulé "Sciences humaines: sens social" et réalisé sous la direction de Vincent Descombes (n°529-530, juin-juillet 1991).
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