Mythes et cultes du serpent chez les Soninkés et les Peuls: étude comparative IDRISSA BA Mythes et cultes du serpent chez les Soninkés et les Peuls: étude comparative Oráfrica, revista de oralidad africana, nº 8, abril de 2012, p. 159-169. ISSN: 1699-1788 Entregado:14/11/2011. Aceptado:13/03/2012
Mythes et cultes du serpent chez les Soninkés et les Peuls: étude comparative1 IDRISSA BA UNIVERSITÉ CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR
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Introduction De nombreuses études et synthèses, pour ne citer que celles de G. Dieterlen, Y. K. Fall, H. Gravrand et L. Kesteloot2, permettent aujourd’hui d’appréhender différemment les croyances des peuples africains, en substituant, pour les nommer et les qualifier, les termes de religions africaines, ou religions du terroir ou encore religions traditionnelles, avec une possibilité de les préciser en ajoutant comme épithète un ethnique – religion bambara ou sérère – à ceux négativement connotés et on ne peut plus péjoratifs, car forgés pour la plupart par le regard extérieur et colonial, de paganisme, fétichisme ou autre animisme. Des mythes et cultes, divers et variés, car englobant entre autres les mânes des ancêtres, les forces et les éléments de la nature, les animaux et les animaux totémiques, sont au cœur de ces croyances et pratiques et leur impulsent vie et sens. Parmi ces mythes et cultes, celui du serpent a une forte valeur rétinienne en ce qu’il se retrouve chez plusieurs peuples africains, dont les Soninkés et les Peuls. Les mythes et cultes du serpent propres à ces deux derniers peuples seront mis en exergue pour être étudiés dans une sorte de jeu de miroir, puisque les uns éclairant les autres et vice versa dans une triple perspective historique, descriptive et comparatiste, tout en élargissant le champ d’étude à d’autres aires, pour ne citer que l’ajatado.
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Cet article est la version remaniée d’une communication présentée au colloque sur “sources orales et histoire africaine: bilan et perspectives“ tenu à l’Université de Lomé du 24 au 26 mai 2011. 2 H. Gravrand, 1983 et 1990; G. Dieterlen, 1996; Y. K. Fall, 1992, pp. 312-4 et L. Kesteloot, 2010. Oráfrica, 8, Artículos
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Chez les Soninkés: le culte du biida Chez les Soninkés3, peuple soudanais implanté en Mauritanie, au Mali et au Sénégal, avec une forte diaspora africaine, européenne et américaine, le serpent objet du culte est connu sous différents termes: daminange (python); biida, saba ou siyaba (serpent tutélaire du Wagadu / Ghana); ou encore samama qui est dérivé du pulaar caamaba ou du fulfulde caanaba et qui est un synonyme des termes précédents. Dans la légende du Wagadu recueillie par C. Monteil auprès de Tudo Yaresi biida signifie noir et le reptile est décrit comme “présentant… une sorte de collerette rougeâtre… quand il gonfle le cou“. On l’appelle aussi le “Tembo bida (le bida du puits)“4. Aux termes déjà énumérés on peut adjoindre celui de bande qui renvoie à un serpent noir qui est aussi objet de culte chez le même peuple5. La version la plus anciennement connue du mythe du biida nous est rapportée par al-Bakrî dans son “kitâb al-msâlik wa’l-mamâlik (livre des itinéraires et des royaumes)“ en date de 1068. Il situe ce culte non pas au Wagadu (Ghana), mais dans le Jâfûnu, un royaume soninké du HautSénégal. Deux niveaux de lecture et d’analyse permettent d’apprécier cette information. Le premier niveau consiste à considérer que bien avant ce qu’on pourrait qualifier de dispersion historique des Soninkés, certains lignages de ce peuple vivaient déjà bien au sud du Wagadu (Ghana) et pratiquaient eux aussi le culte du biida. Le deuxième niveau tient en une hypothèse: al-Bakrî, qui est un historien et un géographe de chambre, 3
En langue soninké, Soninké au singulier donne Soninko au pluriel, mais cet ethnique étant passé au français nous préférons le transcrire Soninké au singulier et Soninkés au pluriel. L’ethnique soninké est le dérivatif du toponyme Sonna, localité identifiée par G. Dieterlen, D. Sylla, Y. T. Cissé et W. Kamissoko à Assouan en Egypte et située par L. Kesteloot au Mali. Les Soninkés s’y installèrent durant l’exode qui les mena de la Palestine au Sahel ouest-africain. En plus de Soninkés, ce peuple est connu sous d’autres ethnonymes: Wakoré, Sarakhollé, Marka, Assouanik, Azer… Voir C. Monteil, 1953, p. 397; Y. T. Cissé et W. Kamissoko, 1988, p. 199; G. Dieterlen et D. Sylla, 1992, pp. 50, 77; B. Diallo, 1993, p. 134 et L. Kesteloot, 2008, p. 91. 4
C. Monteil, 1953, pp. 365, 374 et 377.
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Le terme soninké biida qui est passé au pulaar et au wolof désigne, selon les contextes, sacré, tabou, interdit, superstition et “paganisme“ dans ces trois langues. Voir L. Kesteloot et al., 1985, p. 36; I. Bâ, 2007, pp. 646-7; L. Kesteloot, 2008, pp. 93 et 95 et Y. T. Cissé et W. Kamissoko, 2009, pp. 154-5. 160
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aurait, en exploitant ses fiches de notes, inséré dans le Haut-Sénégal des informations qui concerneraient en vérité al-Ghaba (le bosquet), la capitale secrète et royale du Ghana. Cette hypothèse est d’autant plus plausible que le repère du biida, par la description qu’il nous en offre, s’intègre harmonieusement dans al-Ghaba qui est un bois ou un bosquet qui abrite entre autres les lieux de culte du souverain ainsi que les hommes qui en sont les préposés. Après al-Bakrî, de nombreuses autres versions ont suivi et L. Kesteloot nous en fait un récapitulatif précis et précieux dans ses Dieux d’eau du Sahel6. La trame généralement admise du mythe du biida met en scène l’exode qui, sur le temps long de l’histoire, mena les Soninkés, sous la direction de leur chef, Dinga, d’un point d’origine (Palestine, Perse, Yémen ou Egypte) à un point d’arrivée (Wagadu), en passant par différentes étapes et péripéties (Algérie…). C’est à partir de ce moment qu’intervient le biida, un grand serpent à sept têtes qui est le maître des lieux. Comme autorisation d’installation, il demande au peuple soninké le sacrifice, selon une périodicité d’un ou de deux ans, d’une fille noble (ou vierge), la plus belle possible, parée de ses plus beaux habits et bijoux et qu’il se réserve le droit lui-même de choisir parmi toutes celles qui lui sont proposées. Cette offrande est complétée par une pouliche et une génisse. Certaines versions de la tradition soninké, notamment celle recueillie par Badoua Siguiné, en 1982, aux environs de Matam, auprès de Tiondi Magassouba, offrent des précisons par rapport à cette trame essentielle. En fait, une fois au Wagadu, Dinga aurait lutté contre et vaincu le maître des lieux qui n’est autre qu’un djinn. Fort de cette victoire, il obtient le droit de se marier avec la fille de son ancien adversaire avec qui il a désormais pactisé. De cette union naîtront deux jumeaux: le biida et Dyaabé Cissé. En contrepartie des cadeaux ainsi reçus, le biida s’érige en génie tulélaire du Wagadu (Ghana.) Il est le dispensateur de la pluie et de l’or et partant le garant de la prospérité du pays. La tradition nous parle, en effet, d’un pays “grand et prospère, tellement prospère que l’on disait que ses pluies faisaient tomber de l’or”7. Mais, un jour, un jeune soninké dont l’anthroponyme et le patronyme se déclinent sous différentes variantes d’une version de la tradition à l’autre (Mamadou Koté, Mamadi Sakho, Mamadou Fisuru, Mamadi Duggu 6
Voir al-Bakrî, trad. J. M. Cuoq, 1975, pp. 97-9; trad. N. Levtzion et J. F. P. Hopkins, 2000, pp. 78-80 et L. Kesteloot, 2008, p. 83. 7
Voir L. Kesteloot et al., 1985, pp. 63 et 65; I. Bâ, 2007, p. 649 et L. Kesteloot, 2008, pp. 88 et 92-3. Oráfrica, 8, Artículos
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Xoore, Mamadi Séfé Dokaté, ie le taciturne ou Amadi Kurunte), dont la fiancée (Asiyan Nqerente ou Asya Yatabere) était promise au biida, se rebella8. Au moment fatidique, il enfourcha son cheval blanc, se rua sur le repaire du biida et de son sabre lui trancha la tête. Il en repoussa successivement six, soit un total de sept, qu’il trancha toutes. Le biida vaincu s’affaissa mort, non sans avoir maudit le Wagadu. Sa mort marqua le début de la fin: une longue période de sécheresse s’installa obligeant le peuple soninké à migrer plus au sud. A ce qu’on raconte, chacune des têtes du biida alla retomber dans une région qui sera connue pour sa richesse en or: Guidimaxa, Gajaaga, Bundu, Bure... Ce mythe est riche d’images et de métaphores comme les sept têtes du biida et les régions où elles retombèrent, comme pour souligner la durée progressive avec laquelle s’installa la sécheresse et les différentes destinations prises par les lignages qui furent alors obligés de quitter le Wagadu. La tradition réussit surtout le tour de force de sublimer dans le meurtre du biida des raisons objectives telles que la menace almoravide, la désertification et le déplacement des routes transsahariennes qui expliquent, en réalité, le déclin du Wagadu et la dispersion des Soninkés. Aussi Boubacar Diallo invite-t-il à voir en Mamadi (un anthroponyme typiquement musulman puisque dérivé de Muhammad) chevauchant un cheval blanc, le sabre à la main, une métaphore du danger constitué par les Almoravides qui participèrent non pas à détruire le Ghana, mais à l’affaiblir, en prenant en 1054 Awdaghost, en razziant Kumbi Saleh en 1076-7 et en arrivant à contrôler au détriment du Tunka tout l’axe occidental du commerce transsaharien9. A. Bathily, pour sa part, voit dans ce geste l’aboutissement d’un conflit au sein de Kumbi même entre une classe gagnée à l’islam, à ses avantages et à son prestige et une autre restée fidèle à la religion symbolisée par le culte du biida10.
Chez les Peuls: le culte du caamaba Tout comme le culte du biida celui du caamaba renvoie chez les Peuls à un python, varan ou autre reptile. On le retrouve aussi bien dans le mythe 8
Voir A. Bathily, 1975, pp. 77 et suiv.; C. Monteil, 1953, p. 379 et I. Bâ, 2007, p. 435, n. 1058. 9
Voir B. Diallo, 1993, p. 138, n. 54.
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A. Bathily, 1989, pp. 157-8; A. Bathily et C. Meillassoux, 1990, pp. 794-5.
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du même nom que “dans d’autres créations poétiques; les aventures des pêcheurs subalbe tout comme l’épopée de Samba Guéladio évoquent le génie ou ses substituts (Diom Mayo, Ngari Niawlé, etc.) au cours de leur trame singulière”11. La trame essentielle du mythe présente le caamaba comme le frère jumeau d’Ilo. Sa naissance et son entretien, puisqu’il faut le nourrir de lait et le cloîtrer pour l’éloigner et le protéger des regards curieux, prodiguent à sa famille et à toute la communauté paix et prospérité symbolisées par ses excréments qui sont en or, l’abondance de l’eau et la multiplication du bétail. Comme l’écrit L. Kesteloot, “ce Tyamaba… est un porte-chance. Les familles où il s’installe voient leurs troupeaux prospérer, l’or affluer, leur savoir augmenter, en fonction des occupations principales de leurs membres”12. Mais l’interdit fait à toute personne autre qu’Ilo et sa mère de voir le caamaba sera bravé par la belle-sœur de ce dernier. En réaction, le caamaba sort de sa cachette et se dirige vers le cours d’eau le plus proche (lac Débo, Jaalañol…) emportant, avec lui, une bonne partie du bétail. Seuls resteront sur la terre ferme les bêtes que son frère, sur ses conseils, aura touchées de son bâton magique taillé dans une branche de nelbi13. Une fois dans le cours d’eau, ce qui en plus de la logique du mythe, relève aussi et surtout d’une nécessité physique, puisque le caamaba était devenu par sa nature, trop disproportionné pour vivre avec les hommes, son culte continue de plus belle. Il est en effet formellement interdit à toute personne, plus particulièrement aux membres de sa famille, de polluer, soit quelque forme que ce soit, le cours d’eau dans lequel demeure le caamaba. En plus d’être l’objet d’un culte, le caamaba détermine chez les Peuls, des routes de migration, au moins du Sahara, à l’époque de son humidité, jusqu’aux différents Fouta (Fuuta) actuels, peintures rupestres et cartographie du mythe aidant, notamment au travers d’une mystérieuse route alluviale faisant la jonction entre le Sénégal et le Niger. Faisant allusion à cette route, L. Kesteloot rapporte un adage peul qui dit:
11
L. Kesteloot et al., 1985, p. 3; I. Bâ, 2007, p. 646; L. Kesteloot, 2008 et 2010, p. 100. 12
L. Kesteloot, 2010, p. 100.
13
Comme le notent L. Kesteloot et al. (1985, p. 3, n. 4): “[le nelbi est] l’un des principaux bâtons du pasteur. Il constitue en même temps que le kelli, le commbi et le gelooki les principaux végétaux dont on se sert dans le pastorat”. Voir aussi I. Bâ, 2007, p. 648. Oráfrica, 8, Artículos
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“Tyamaba suit le fleuve qui s’enfuit, les vaches suivent Tyamaba, et le berger suit ses vaches qui suivent l’eau”14.
Eléments de jonction entre le biida et le caamaba Les éléments de jonction entre le biida et le caamaba ne manquent pas. Les deux mythes se rejoignent, avant tout, en ce qu’ils sont des mythes à trois visages: un mythe aquatique, un mythe de fécondité et un mythe de migration. Par l’habitat et par la forme du génie, on voit qu’on est en face d’un mythe aquatique: le biida vit dans un puits, le caamaba dans un cours d’eau; tous deux, en tant que serpents, peuvent facilement représenter le pictogramme de l’eau et cela est tellement vrai que le caamaba, comme on l’a déjà vu, symbolise une mystérieuse route des migrations qui fait la jonction entre le Sénégal et le Niger. Du mythe aquatique on passe au mythe de fécondité et de prospérité en ce que le biida et le caamaba sont aussi et surtout des êtres dispensateurs de fortune: or, bétail, pluie, savoir… Même dans la contrepartie qui leur sont dus par les hommes il y a identité: s’il est vrai que le biida se nourrit d’une jeune fille vierge, éventuellement complétée par une pouliche et une génisse et le caamaba de lait et de bétail; il est aussi vrai, qu’à titre exceptionnel et d’une manière tout à fait symbolique, le caamaba peut réclamer, lui aussi, une jeune fille pour sa pitance. En effet, dans la version du mythe recueillie par Couro Niang auprès de sa mère, à Baroobé, sur le marigot du Doué, près du fleuve Sénégal, le caamaba demande, juste avant de disparaître dans l’eau, que “désormais toute fille nubile de Baroobé, au moment de son mariage, garde la chambre et le voile en son honneur et pendant douze mois” 15. Le mythe de migration enfin est bien résumé, comme on l’a déjà vu, avec force images et métaphores, d’un côté par les sept têtes du biida qui ont chacune une direction et une destination différentes et de l’autre par la route mystérieuse du caamaba. Le plus important réside dans la parenté entre ces deux mythes par le biais de la filiation et de l’affiliation. La filiation d’abord: une tradition recueillie auprès des Sall de Guédé considère que Boutôr, l’un des 14
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L. Kesteloot et al., 1985, pp. 57 et 67-8.
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ancêtres des Peuls originaire d’Egypte, serait aussi celui des Soninkés et des Wolof. “Il avait trois fils: Yellé Boutôr, Barka Boutôr et Birom Boutôr. Yellé Boutôr resta chez les Soninké et fut l’ascendant de Dinga Koré… il… eut pour fils Diabé Cissé fondateur du royaume du Wagadou. … Birom Boutôr avait eu pour jumeau le Tyamaba. … Le troisième frère Barka fut l’ancêtre des Brak du Walo...”16 L’affiliation ensuite: la tradition mallinké de Kirina insiste sur le compagnonnage de So Labâti dit So Labâta, un des ancêtres des Peuls, avec les Soninkés durant l’exode qui les mena des bords du Nil au cœur du Sahara. “So Labâti [finit par] s’installer à So-O’kolo, localité située aux portes de Wagadou, au nord de Koumbi, à la lisière du Sahel”. Son épouse “mit [alors] au monde un garçon qu’il prénomma Saba, du nom du serpent sacré du Wagadou-Bida, encore appelé Saba ou Siyaba“17.
Permanence, actualité et diversité des mythes du serpent Autres peuples du serpent Pour reprendre l’heureuse expression de L. Kesteloot “d’autres peuples du serpent” sont connus et attestés en Afrique18. Dans l’entourage immédiat des Soninkés et des Peuls, le mythe et le culte du serpent sont attestés entre autres chez les Sérères qui le connaissent sous la dénomination de pangool et chez les Wolof dont l’ancêtre mythique et éponyme est associé au culte du tamba “génie bénéfique (pluie, récoltes) ou maléfique (sécheresse, épidémies, feux de brousse) selon la façon dont on exécutait ses recommandations” 19. Le culte du Dangbé Mais, c’est avec le culte du python royal dans l’aire ajatado (sud Ghana-Togo-Bénin), notamment à Ouidah, que les cultes du biida et du caamaba, en particulier le premier, offrent le plus de ressemblances. Dans l’aire ajatado, “le Dan (le serpent) est l’esprit [le vodun] qui habite
16
Voir L. Kesteloot et al., 1985, pp. 57 et 67-8 et I. Bâ, 2007, pp. 650-1.
17
Y. T. Cissé et W. Kamissoko, 1991, pp. 154-5 et I. Bâ, 2007, p. 653.
18
L. Kesteloot, 2008, p. 97.
19
Voir H. Gravrand, 1990, pp. 305 et suivantes et L. Kesteloot, 2008, p. 127.
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l’espace et dont le déplacement détermine les cyclones” 20. A Ouidah, de nos jours encore, tout comme naguère au Wagadu, le Dangbé (python royal) est, en quelque sorte, le garant de la prospérité du pays et de la royauté; d’où la nécessité de l’entretenir par le biais d’un culte constant et régulier, exécuté aussi et surtout en cas de besoin par la personne du roi lui-même. La rupture dans l’ordonnancement et la pratique de ce culte est comprise comme étant la cause directe des malheurs pouvant frapper le pays ou la royauté: sécheresse, famine… Tout aussi intéressant est le sacrifice symbolique des femmes qui lui est consacré. On croit, en effet, que le python sacré peut apparaître aux belles filles du pays et les rendre folles, à moins qu’elles n’acceptent de se mettre à son service et à son office, dans la maison sacrée qui lui est consacrée21. Le vaudou d’ailleurs a marqué les esprits par les nombreux et sanglants sacrifices humains qu’il impose à ses adeptes22. Permanence et actualité des cultes du serpent Dans tous les cas exemplifiés ici on remarque la permanence et l’actualité du culte du serpent. Comme le notent L. Kesteloot et ses collaborateurs “le Tyamaba est encore aujourd’hui l’objet d’un culte affectif toujours en activité dans plusieurs villages fluviaux du Sénégal et le long d’une route mystérieuse qui aboutit au delta intérieur du Niger” 23. Il en est de même pour le biida, le bandé, le pangool, le Dangbé24…
Conclusion A l’analyse, les cultes du biida et du caamaba s’intègrent l’un dans l’autre, s’auto-éclairent pour finalement former un culte unique, permanent et actuel. Bien mieux ils offrent des similitudes et des constantes troublantes avec d’autres cultes du serpent, dont celui du
20
M. Balard, 1998, p. 53.
21
W. D. Hambly, 1931, p. 9.
22
M. Balard, 1998, p. 49 et L. Kesteloot, 2008, p. 99
23
L. Kesteloot et al., 1985, pp. 3, 32-3 et 44.
24
Voir I. Bâ, 2007, p. 652; L. Kesteloot, 2008, pp. 93 et 144 et 2010, p. 78.
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Dangbé est loin d’être le moindre25, qui parsèment l’Afrique dans tous les sens, rendant leur mise en rapport difficile, tellement il est vrai que la connaissance des religions africaines dites encore religions du terroir ou religions traditionnelles en est encore à ses débuts puisque jusqu’à présent encore certains continuent à les qualifier, victimes en cela du regard extérieur, qu’il soit européen, missionnaire, colonial ou les trois à la fois, de paganisme, idolâtrie ou autre fétichisme26. Cette pluralité et cette diversité transparaissent d’ailleurs dans la carte des cultes du serpent proposé en début d’ouvrage par W. D. Hambly. La tentation est alors grande de rattacher tous ces mythes et cultes à l’Egypte ancienne, puisqu’aux yeux de la tradition elle apparaît comme la patrie d’origine des cultes du biida et du caamaba et que son pays et son arrière-pays connaissent une floraison de cultes et de légendes relatifs au serpent: l’ureus des anciens Egyptiens, le conte du naufragé, le mythe du roi serpent Aroué27… Mais, à ce niveau aussi, la prudence doit être de mise tellement il est vrai, comme le soulignait J. L. Triaud à l’habilitation de B. Hirsch, qu’à une autre échelle, la dispersion de ce mythe à travers le monde, surtout aux périodes antiques, fait penser ni plus ni moins à un archétype universel28.
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On pense encore et aussi, en ce qui concerne l’Afrique, à différents mythes du serpent. Le Ningiri, connu encore sous les termes de Ninkinanka, Niniganné, Landouman, Ninger, Rianséou et Encantado, de la Casamance à la Côte de Guinée, en passant par le Fouta Diallon, “est un serpent mythique [un python pour être plus précis]… en relation avec l’arc-en-ciel, l’eau des sources, le cours du Niger et les filons aurifères. Il est sensé se nourrir de fer mais a le pouvoir de transformer ce dernier en or”. Certains récits le présentent d’ailleurs comme pourvus de deux cornes en or ou encore de deux têtes dont l’une en or et l’autre en argent. Il aurait aussi sur sa tête un diamant et des cauris. Il dispenserait la fortune à ceux qui lui vouent un culte. En ce qui concerne l’Afrique du nord, J.H. Probst-Biraben note différents cultes du serpent en tant que “génie ou esprit protecteur fécondateur”. Voir J.-H. Probst-Biraben, 1933, pp. 289-209, surtout p. 289; B. Appia, 1944, pp. 33-4, 37 et 1965, p. 322, n. 1. 26
Y. K. Fall, 1992, p. 314.
27
Voir J. H. Probst-Biraben, 1933, p. 290; J. Doresse, 1957, Vol. I, pp. 18-21 et 244-245 et I. Bâ, 2007, p. 643. 28
Pour sa part, J. H. Probst-Biraben (1933, p. 293) considère “les cultes de ce genre [comme] universels”. Les exemples abondent: le nahash de la Kabbale; les serpents sacrés dans les temples de Carthage; l’Esculape qui apparaît réellement ou en rêve aux femmes désireuses d’enfants, en prenant, le plus souvent, l’aspect d’un serpent, dans son sanctuaire d’Epidaure, faisant penser à maints peuples Oráfrica, 8, Artículos
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