Reportage
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Grands Maîtres Le Maître Masaaki Hatsumi, qui va fêter ses 80 ans à la fin de cette année, est à l’évidence l’âme indiscutable du Ninjutsu au Japon et dans le monde. C’est un bon moment pour r epasser son histoire et ses idées à travers d’anciennes conversations avec Salvador Herraiz, cet infatigable voyageur en terres japonaises et dans le monde, maître de Karaté et depuis toujours passionné par le curieux monde du Shinobi. Le Sensei Herraiz a rencontré Hatsumi, il y a longtemps, et a toujours senti pour lui un grand respect en tant que maître d’un art où tout ce qui brille n’est pas or. Texte : Salvador Herraiz, 7e Dan de Karaté Noda Shi, Japón
MASAAKI HATSUMI, LE MAÎTRE NINJA
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ous connaissons l’origine du Ninjutsu actuel, de cet art très complet des guerriers invisibles qui, avec toutes sortes de trucs, de techniques et d’armes, de tromperies, de stratégies et de venins, réalisaient leurs missions parfois en mercenaires, mais généralement au bénéfice du simple village auquel ils appartenaient. Nous pourrions dire que, fréquemment, ils affrontaient les dangereux samouraïs. Saboteurs expérimentés, il furent redoutés au cours du Moyen Âge japonais pour leur rapidité, leur efficacité, leur pertinence, leurs connaissances et leur dangerosité. Leur mission était contre l’oppression militaire bien que parfois certains exerçaient n’importe quel autre type de mission. Vers la moitié du XIX e siècle, les Tokugawa qui avaient gouvernés pendant 200 ans passent au pouvoir de l’empereur, ce qui suppose la fin des samouraïs car l’objectif primordial devient alors l’ouverture du Japon à l’extérieur et le développement culturel. Avec les samouraïs qui avaient existé pendant plus de 700 ans disparaissent les mystérieux Ninjas avec une histoire de près de 900 ans. Ils laissèrent la place à de nouvelles versions du combat plus culturelles. Apparurent Jigoro Kano avec son Judo, Morihei Hueshiba avec l’Aïkio, Gichin Funakoshi avec le Karaté. Les Ninjas continuèrent d’exister dans la clandestinité (comme ils l’avaient toujours faits), tandis que ces autres arts martiaux devinrent de plus en plus populaires. L’un des principaux Ninjas, Takakage Matsutaro Ishitani, 26e grand maître de Kuki Shinden Ryu Happo Hihen, un style expert dans les armes secrètes et que créa Izumo Kanja Yoshiteru, refusa de se consacrer à l’enseignement en masse alors que le courant recherché par les gens était le mouvement zen et l’aspect sportif du combat. Il n’accepta pas cela et resta confiné à de petits travaux qui lui permirent de continuer dans sa ligne. Il se consacra alors à des missions de sécurité dans les usines de la famille Takamatsu, à Kobe, de manière clandestine et sans enseigner son art martial. Ishitani était prêt à détruire ses armes et ses connaissances avant de mourir pour
Takamatsu continua de éviter qu’une information de son style ne tombe dans des mains inadéquates, mais s’entraîner également avec le fils du propriétaire des usines où il son grand-père Toda au travaillait commença à s’intéresser Tokagure Ryu. Ishitani le nomma 27e grand maître de sérieusement à ses techniques. Toshitsugu Takamatsu, tel était son Kuki. Il semble que le Ninjutsu nom, était né en 1888 et pratiquait les arts soit un art extrêmement martiaux de l’école Shinden Fudo Ryu, complet et méconnu ou ce puis un art martial appelé Koto Ryu qui est pire… mal connu Koppojitsu avec son grand-père, parfois. Takamatsu, Shinryuken Masamitsu Toda (superviseur qui après l’invasion des professeurs de l’épée de l’école du jap ona ise au déb ut du gouvernement du shogun des Tokugawa). XXe siècle ét ait parti en À l’âge de 13 ans, il était déjà un véritable Chine (où il fut connu expert et obtint le titre de maître de comme Moko no Tora, Shinden Fudo Ryu Dankentai Jutsu. Toda, « le Tigre de son grand-père, était le 32e grand maître de Mongolie » Togakure Ryu Ninkutsu. Quand il eut reçu pour sa dextérité) revint au Japon son diplôme scolaire, il commença à étudier dans les années 20 et se consacra à le Takagi Yoshin Ryu Jutaijutsu avec le 15e l’hôtellerie. En 1957, il commença à Soke, Mizuta Yoshitaro Tadafusa. Ensuite, à enseigner de manière exclusive à l’usine familiale de Kobe, il rencontra le l’heureux Masaaki Hatsumi. En 1972, maître Ishitani Matsutaro, responsable de la Takamatsu décéda, âgé de 85 ans. sécurité de l’usine avec qui il apprit le Masaaki Hatsumi est né le Kukishinden Ryu Happo Bikenjutsu, le 2 décembre 1931 à Noda Shi et Hontai Takagi Yoshin Ryu, le Gikan Ryu fut l’héritier technique du maître Koppojutsu et le Muso Shinden Ryu. Ishitani Takamatsu. Hatsumi est la tête lui enseigna les secrets de son art qui indiscutable du Ninjutsu mondial et incluent les aspects suivants : l’artisan, il y a déjà de nombreuses • TAIJUTSU : Combat sans arme années, de l’ouverture de cet art • HICHOJUTSU : Techniques de sauts martial à l’extérieur et pour et acrobaties tout le monde « parce que la • NAWANAGE : Descentes de corde grande richesse culturelle • KOPPOJUTSU : Techniques de du Ninjutsu ne peut rester fracture des os secrète », d’après ce • JUTAIJUTSU : Combat au corps à qu’il confessa lui-même. corps Hatsumi est actuellement • YARIJUTSU : Techniques de lance à la tête de plusieurs • NAGINATA JUTSU : Lance courbe traditions ninjas et jouit d’un • BOUJUTSU, JOJUTSU et sérieux et d’une crédibilité totale HANMBOJUTSU : Technique de bâton dans ce monde. Plus de 50 ans • SENBAN NAGE : Lancement de de pratique et d’étude l’accrédite Shuriken (armes de jets) et on peut lui en être • TOKENJITSU : Techniques d’armes reconnaissant pour un art blanches qui, malheureusement, • KAJUTSU : Techniques de feu et afficha à ses débuts à explosifs l’extérieur du Japon • SUIJUTSU : Techniques dans l’eau trop de sujets • CHIKU JO GUNRYAKU HEIHO : obscurs et un Tactiques militaires et stratégie manque de sérieux • ONSHINJUTSU : Art de l’invisibilité de la part de nombreux (camouflage) de ses « maîtres » (entre • HENSOJUTSU : Art du déguisement guillemets), souvent en • HIKE : Épée courte, épée (Ken), lames manque de préparation courtes (Kodachi) et techniques face à et profitant de l’ignorance générale l’épée (Jutte) vis-à-vis de cet art martial. 29
Grands Maîtres « Masaaki Hatsumi a déjà 79 ans et jouit de la sérénité et de la sagesse, récompense des années, de la pratique, de la patience et de l’étude. » Hatsumi n’enseigna le Ninjutsu Takamatsu dont vous être le que dix ans après la mort de principal élève ? Takamatsu et le fit de manière - Et bien, à 7 ans, j’ai commencé populaire, dans le monde entier et à faire du Kendo, à 10 ans du Judo centré sur son dojo de Moda. Il y a et l’année suivante, du Karaté-do et une vingtaine d’années, la télévision de la gymnastique, à 12 ans, japonaise commença à émettre une je me suis également mis au football série sur le Ninjutsu avec les fils de au cours du baccalauréat Hatsumi comme protagonistes. conjointement au Judo. Ensuite à Cette série, avec des costumes l’université, je me suis consacré au spectaculaires, que j’ai eu Judo. Je me suis également l’occasion de voir au Japon, intéressé au Kobudo, les vieilles s’intitula « Jiraija » tout comme une techniques du combat médiéval. - Comment fut alors le contact exposition de peintures de Hatsumi. Mon premier contact direct avec avec Takamatsu Sensei ? Masaaki Hatsumi eut lieu en 1988, il - Je n’étais pas satisfait de ce y a 23 ans, quand il me souhaita que j’avais pratiqué et vu avant de aimablement la bienvenue lors de connaître Takamatsu Sensei, je suis mon deuxième voyage au Japon, donc devenu son disciple. - Et que pensez-vous de lui ? m’invitant à une exposition de ses
LE MAÎTRE NINJA peintures. Nous avons ensuite échangé des lettres pendant un certain temps. Bien que je sois engagé corps et âme dans le Karaté, j’ai toujours eu beaucoup de curiosité pour le monde inquiétant et légendaire du Ninjutsu original. Plus tard en 1994 et à l’occasion de l’obtention de mon 5e Dan de Karaté, Masaaki Hatsumi m’offrit une ravissante peinture qui représentait l’un de ses motifs préférés : Bodhidharma Daruma, le moine hindou du bouddhisme zen qui introduisit les arts martiaux en Chine et qui est aujourd’hui un véritable symbole au Japon. Hatsumi aime particulièrement offrir des peintures de Daruma. Ensuite, après plusieurs années sans contact avec lui et au cours de l’un de mes voyages au Japon, j’ai décidé un jour d’aller le voir chez lui dans la ville de Noda, au nord-est de Tokyo. Cela me fit revenir à la mémoire ce qu’il m’avait raconté quelques années avant. - Maître, quels furent vos début dans le Budo avant de connaître 30
- J’ai énormément d’estime pour lui et je suis très fier d’être son successeur. C’est le maître de toute la vie. Hatsumi, 5e Dan de Karaté Shito Ryu, enseigna le Judo aux soldats américains de l’Occupation après la guerre et ses « vices » sont les arts martiaux, le théâtre et la peinture. Hatsumi s’entraîna avec Takamatsu à Kasiwabana, à l’ouest d’Iga et hérita du titre de grand maître des neuf traditions guerrières. - Maître Hatsumi, combien de temps vous êtes-vous entraîné avec Takamatsu ? - Pendant 15 ans, jusqu’à sa mort. Je me souviens toujours de ses enseignements et je répète les exercices. Maintenant, alors que 40 ans ont passé depuis que j’ai commencé avec lui, je commence à comprendre ses mots un par un. - De quoi vous souvenez-vous particulièrement ? - Ah ! Les souvenirs de lui n’ont pas leur place ici. Ils sont infinis… On ne peut les exprimer avec des mots.
« Hatsumi Sensei vit dans une grande maison près du temple d’Atago. Sa maison ressemble à un véritable musée rempli de peintures, de prix et de souvenirs de ses innombrables voyages à travers le monde. » Hatsumi Sensei vit dans une grande maison près du temple d’Atago. Sa maison ressemble à un véritable musée rempli de peintures, de prix et de souvenirs de ses innombrables voyages à travers le monde. Cette fois, c’est le plein hiver et je tue le temps en attendant le maître avec à côté de moi, mon épouse et mon petit garçon, dans une agréable taverne japonaise de la même rue. Plus tard, une fois avec Hatsumi, le maître a la délicate attention de m’offrir des petites figurines en bois taillé et gravé qu’il signe à l’endroit même. - M. Hatsumi, vous peignez également. Parlez-nous un peu de cela s’il vous plaît. - Salvador, tu es invité à la galerie « Nagai » où sont exposés mes cadres. J’aime beaucoup Picasso. Dans les arts martiaux, il y a beaucoup de monde, mais, comme dans la peinture, un génie comme l’était Picasso apparaît rarement… - J’ai cru comprendre que vous étiez l’ami de l’écrivain Yukio Mishima qui, en 1970, se suicida avec un Harakiri, d’après lui, à cause de la décadence capitaliste dont le Japon était l’objet. C’est vrai ? - Effectivement, j’ai connu Mishima. Nous étions amis. - Que vous rappelez-vous de lui ? - Quand nous bavardions, c’était toujours de littérature. Je le connaissais parce que je suis un genre de directeur du club des écrivains. - Maître Hatsumi, qu’est-ce qui est le plus important dans le Ninjutsu ? - Le plus important, c’est de sentir, de vivre ce que l’on fait et d’être expert dans quelque chose, dans ce que l’on fait. Il faut arriver à être un homme, une personne. Dans les arts martiaux, on peut être fort ou faible… La vitesse ou la force parfois peuvent être un pouvoir positif, mais parfois aussi ça peut être un défaut et être la cause de l’échec. Le tigre et l’ours sont forts, mais c’est pour ça que les Sur la page précédente, Masaaki Hatsumi dans sa maison avec Salvador Herraiz en 2006. En haut, la porte du dojo du Maître, le Bushinden. Au milieu, l’extérieur de la maison de Hatsumi Sensei. En bas, l’intérieur du dojo.
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Grands Maîtres « (…) ses “vices” sont les arts martiaux, le théâtre et la peinture. » hommes les tuent. Pour comprendre ça, il faut très bien analyser la manière de penser dans les arts martiaux. - Maître, quels autres maîtres y a-t-il encore de votre catégorie aujourd’hui ? - Je suis le seul survivant dans le monde entier de ceux qui ont reçu les enseignements de Takamatsu Sensei. Et si quelqu’un affirme avoir été formé par lui… il ment. Masaaki Hatsumi a déjà 79 ans et jouit de la sérénité et de la sagesse, récompense des années, de la pratique, de la patience et de l’étude. Près de chez lui (qui était aussi son ancien dojo) se trouve l’endroit où il donne ses cours de Ninjutsu, un dojo, le Bushinden plein de dessins et de photos intéressantes, mais surtout d’armes. Bien qu’Hatsumi donne cours également au Budokan d’Ayase (qui n’a rien à voir avec le fameux Nippon Budokan de Tokyo), c’est ici que se trouve le dojo du maître.
En haut à droite, dessin de Bodhidharma (Daruma) réalisé par Masaaki Hatsumi et offert à Salvador Herraiz lorsqu’il obtint le 5 e Dan de Karaté en 1994. En bas à gauche, Masaaki Hatsumi en 1987. À droite, Takamatsu Toshitsugu Sensei et Hatsumi Masaaki, très jeune, au cours d’entraînements, et le monument à son Ninjutsu. En bas au milieu, Hatsumi et ses fils parés pour la série de télévision de 1988, « Jiraija ».
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