E T U D E S P S Y C H O L O G IQ U E S
C. G. JUNG J. K R IS HN A M U RT I par
Ram LINSSEN
ÉDITIONS « ÊTRE LIBRE » 20, RUE PÈRE DEDEKEN BRUXELLES
Avertissement Les citations et les interprétations partielles des œuvres de Krishnamurti figurant dans cet ouvrage n’en gagent que l’auteur. Les lecteurs désireux d’approfon dir l'enseignement de Krishnamurti pourront consulter en fin de cette étude la liste complète des œuvres éditées par la « Krishnamurti Writings Inc. », seule société auto risée à publier l’intégralité des textes du penseur indou dans leur forme officielle et revisée par Krishnamurti lui-
INTRODUCTION Nécessité de la psychologie Au seuil de cette seconde moitié du XX* siècle où les progrès de la science et de la technique réalisent chaque jour une conquête nouvelle de l’homme sur le temps et l'espace, les rythmes de l’existence humaine semblent se précipiter encore davantage. Le monde moderne semble danser sur un volcan. Les bouleversements continuels et la rapidité des cou rants d’opinions qui s’affrontent opèrent une sélection parmi les différents types psychologiques de l'espèce humaine. Les phénomènes physiques et psychiques ont sou vent entre eux d’étranges similitudes. La rapidité du déroulement des événements ac tuels nous fait penser aux tourbillons des essoreuses sélectionnant les éléments constitutifs des liquides, met tant ainsi en évidence des composantes de différents types moléculaires. On peut de cette façon voir nette ment les délimitations des zones de composantes sélec
tionnées par ordre de densité, en fonction de la force centrifuge. Les faits innombrables qui agitent les hommes au milieu des périodes critiques de transition comme nous en vivons, ont eux aussi, une action sélective sur le plan psychique. Des types humains appartenant à des « den sités psychiques » différentes sont mis en relief avec une étonnante netteté. Nous pourrions diviser ce» types psychiques en trois catégories ou phases. Premièrement une phase de naissance du « moi », ensuite une phase de maturité du « moi » et finalement une phase de dépassement du « moi ». La première phase est pré-individuelle. Elle orien te l'individu vers son « individuation » effective. La seconde est celle de l'individuation. La troisième, celle de l’accomplissement humain par le dépassement et l'utilisation de l’individuel nu’profit de l’universel. Il existe un parallélisme entre les différentes pha ses de l’évolution psychologique de l’homme en tant qu’individu et les événements extérieurs bouleversant les collectivités humaines. Dans la phase de naissance du « moi » la prise de conscience s’ébauche à peine. Le « moi » ne pense pas encore par lui-même. 11 s’identifie au groupe dont il fait partie. C’est l’esprit de la tribu, du troupeau. L’individu n'agit jamais par lui-même, mais en fonction de mots d’ordre, soit politiques, soit religieux ou moraux. Sa vie est faite de soumission aveugle, d’imitation. Telle était dans un lointain passé l’attitude de l'immense majorité des hommes. Mais telle est encore aujourd'hui la men-
j
i
j '
J , i y *'
talité de ceux qui subissent l'engouement des mouve ments dits « de masse ». Au cours de la phase de maturité du « moi », le sens critique s’éveille. Le « moi » prend plus profondément conscience de lui-même. 11 s’affirme et tend vers une autonomie progressive. 11 ne s’incline plus aussi facilement devant les mots d’ordre. 11 commence à pen ser par lui-même et n’est plus un simple animal de for me humaine soumis aveuglément aux impératifs de sys tèmes standardisés. D’imitateur qu’il était, il devient créateur. L’individu psychologiquement mûr ne se croit plus le centre du monde et perçoit combien il est ridicule et monstrueux de ne tout rapporter qu’à lui-seul. Il tend à s’insérer à la juste place qu’il occupe dans la hiérar chie complexe des êtres et des choses. Il repense plus profondément les valeurs de la civilisation au sein de laquelle il s’est développé. A ce point de vue évidem ment, le langage des faits actuels est particulièrement éloquent. La mission fondamentale des gouvernements était d’apporter la prospérité, la sécurité et la paix. C’est là du moins ce qu’avaient affirmé les représentants de tous les Etats en promettant aux hommes de tous les peuples la prospérité, la sécurité et la paix. En fait, la prospérité est remplacée par des crises économiques, politiques et sociales de plus en plus aigües. Ces crises engendrent un état de tension et des déséquilibres d’une telle envergure, qu’il n’existe plus un endroit sur le monde où l’homme puisse se dire vraiment en sécurité. Quant à la paix promise et souhaitée n’en parlons pasl La guerre n’a jamais cessé véritablement. En vertu des 9
moyens de destruction effroyables et de facteurs éco nomiques évidents, il est prouvé qu'actuellement plus personne n’est réellement victorieux dans une guerre. Les événements le démontrent de façon péremptoire. A l’issue de chaque conflit la situation est plus désas treuse que jamais. Hélas! le monde n’a rien appris! Avec un cynisme effarant les mêmes fautes se commettent, les mêmes zones d'influences se dessinent et préparent les plus grands massacres de l’histoire. De toutes parts, depuis l'après-guerre de 1914-18 d ’abord, depuis l’après-guerre de 1939-45 ensuite, mais surtout depuis les événements de Corée, des légions d’hommes et de femmes de tous les milieux, se rendent compte que les institutions destinées à les aider, loin de les libérer, les écrasent. La duperie est trop évidente. De toutes parts, «les hommes se lèvent et quit tent le troupeau humain dans sa marche .folle vers l’abîme. Ces hommes en 1920 étaient peut-être 50.000. En 1951, ils sont peut-ctre cent-millions, qui se refusent à jouer le jeu diabolique responsable de tant de misères physiques et morales. Les démentis cinglants et douloureux des belles promesses, et la perspective de nouvelles catastrophes évidentes ont contribué à l’EVEIL DES INDIVIDUS. L’homme qui a le courage et l’intelligence de dou ter de toutes les valeurs, de toutes ABSOLUMENT, ac tive en lui-même, l’installation de la phase de maturité psychologique, prélude de sa libération. C’est ainsi que tout observateur attentif peut dis cerner au delà des ruines qui s’écroulent, la naissance
10
d'une ère nouvelle dont les possibilités sont remarqua bles. Une vie nouvelle balaye les structures inadéqua tes à la prodigieuse révolution des faits actuels. Elle brise les cadres trop étroits et désuets. Mais sur le plan de l’esprit les signes annonciateurs d'une renaissance magnifique sont nettement perceptibles. Le travail fécond de l'âme qui vit lucidement les espoirs, les déceptions et les tourments du monde exté rieur, parachève sa maturité. Elle prend conscience, de la fragilité de ses limites. Elle perçoit qu’après avoir conquis richesses matérielles et spirituelles elle reste malgré tout un centre rigidement limité. Se connais sant mieux elle-même, elle commence à mieux connaî tre ce qui l’entoure. Elle s’oriente ainsi vers la percep tion de l’UNITE FONDAMENTALE DÈ LA VIE en dépit de la MULTIPLICITE des formes. Vient ensuite la troisième phase: celle de la libé ration du « m'oi ». Devant l’évidence des catastrophes engendrées par le seul développement du mental, l’homme se demande si le processus habituel de l’ana lyse ne devrait pas être modifié ou dépassé. L’âme tend à mettre en lumière les processus profonds qui président à son existence et l’EMPRlSONNENT. Au seuil de sa libération, l’homme devient suprêmement conscient de son conditionnement. Il parvient à démasquer la comé die qu’il se joue à lui-même et découvre dans un émer veillement d’Amour et de Lumière la réalité éternelle ment présente qui demeure en lui comme en toutes C’est la fusion du « fini humain » dans l'infini di11
vin grâce au dépassement du processus mental ordi naire. Nous remarquerons ici, une fois de plus, que l’es sor inoui de la science et de la technique concourt à l’élargissement du champ de conscience strictement in dividuel, régional ou national des siècles passés. Le développement des moyens de communication, l’aviation, la radio, triomphent des barrières artificielles érigées par l’ignorance et l’intérêt sordide des hommes. Au seuil de cette seconde moitié du XX0 siècle, tout esprit qui n’a pas compris que le MONDE EST UNE UNITE fait preuve de mentalité rétrograde. Les événements, une fois de plus forcent les homLes engins de destruction de l’ère atomique ont mis l'humanité devant cette tragique alternative : S’UNIR OU PERIR. La nécessité impérieuse d’envisager les événe ments à l’ECHELLE MONDIALE entraîne un élargisse ment du champ de conscience des individus, les prédis posant davantage à la compréhension de l'universel et par contraste, à la prise de conscience de la fragilité de leurs limites égoïstes. Les hommes ont subi la magie toute puissante des conquêtes extérieures résultant de leurs développements intellectuels et techniques. Mais l’acuité des crises grandissantes leur fait com prendre que des valeurs essentielles résidant en euxmêmes ont été négligées. 12
Par un curieux paradoxe, plus l’homme triomphe techniquement du temps et se déplace rapidement, MOINS IL A LE TEMPS. 11 a artout de moins en moins de temps pour se connaître et épanouir ses facultés spirituelles. Cette carence du développement spirituel engen dre l’immense abîme existant entre les progrès intellec tuels et techniques d’une part et les progrès spirituels et moraux d’autre part. Cette disparité entre l’évolution morale et les progrès techniques est à l'origine de tous nos déséquilibres. Les événements forcent l’homme, qu'il le veuille ou non, à perfectionner la science de son âme, dont l’évolution avait été mise en veilleuse devant les mira cles prestigieux de la technique. La psychologie à peine naissante à la fin du 19* siècle tient, dès à présent, une place prépondérante dans les préoccupations humaines. L’influence du psychique sur le physique est cha que jour prise en considération par un nombre grandis sant de docteurs pour le traitement des malades, par des industriels pour le rendement de leur personnel, par des ingénieurs et des savants de tous les secteurs. L’évolution prodigieuse de la science et de la technique ayant eu pour point de départ une maturité intellectuelle naissant dans les individus, rebondit sur les individus après mille détours extérieurs et les for cent à mieux se connaître. L'histoire de l'évolution intellectuelle et technique depuis Descartes jusqu'à nos jours est l’objet d’un cycle fermé, de causes à effets très complexes mais particu lièrement intéressant à étudier. 13
L’esprit cartésien par sa technique analytique en gendra tout le processus d'expérimentation scientifique dont les grandes découvertes actuelles sont l’aboutisse ment. L’origine première de ce mouvement se situe dans le développement de l’intelligence. 11 s’agit donc, au départ, d’un facteur d'ordre psychique, individuel et intérieur. L’homme parvint rapidement à capter les poten tialités pratiquement illimitées de la matière. Le déve loppement prodigieux des coefficients de production humaine suite aux découvertes de la machine à vapeur, du pétrole, de l'électricité, engendra rapidement des bouleversements économiques, politiques et sociaux. ” Les théories de Marx naquirent en grande partie de ces modifications EXTERIEURES. L’esprit humain était déjà aux prises avec la révo lution des faits extérieurs qu'il a lui-même engendré, mais qui le forcent à se reconsidérer lui-même. Depuis lors, l’ascension des progrès techniques était foudroyante. La capacité de travail de l’homme par les machines était évaluée à vingt fois celle des ères préhistoriques en 1920. Elle monta au coéfficient 400 en 1943. Le domaine industriel n’était pas encore ouvert aux possibilités extraordinaires de l'ère atomi que. Au seuil de 1951, les progrès techniques, une fois de plus encouragés par le spectre de la guerre, conti nuent leur ascension vertigineuse. Nous sommes très loin de la phase économique dite de « rareté ».Tous les hommes de tous les peuples pourraient vivre dans l’abondance la plus large. 14
Mais nos structures actuelles absurdes, quoique produisant l’abondance, distribuent la misèreLa crise sévit dans l’universalité des activités hu maines, plus grave que jamais. Par ses progrès intellec tuels et techniques, l'homme a mis en mouvement un processus qui l’écrase. C’est l’histoire de l’apprenti sor cier. Les malheurs de notre époque proviennent-ils du seul développement de notre faculté de penser, puisque c’est elle qui engendra l’essor inoui de Ta science et de la technique? Ou bien l’homme est-il victime d’un dé séquilibre entre ses fonctions psychiques ? Nos métho des d’éducation ne pêchent-elles pas de façon fonda mentale en ne laissant aucune place au développement du sentiment et de l’intuition ? Ces questions sont celles que des milliers d’hom mes se posent. Les problèmes devant lesquels se trouve le monde actuel obligent les hommes à mieux se connaître. Ceci met en évidence le rôle de la psychologie dans les con jonctures périlleuses de la seconde moitié du XX* siècle.
Une étude complète des rapports existant entre la psychologie de C.G. Jung et l’enseignement de J. Krish namurti nécessiterait en réalité plusieurs gros volumes. Parmi les richesses inépuisables d’un tel sujet, nous nous bornerons à prendre quelques points épars mais essentiels mettant en relief les similitudes, la complé mentarité et les divergences des deux enseignements.
Le problème mondial est un problème individuel Le problème du monde est le problème de l'indi vidu, nous dit le penseur indou J. Krishnamurti. 11 est de peu d’utilité de modifier les cadres extérieurs, éco nomiques, politiques, sociaux, juridiques, si, préalable ment à ces réformes de surface on ne procède pas à la transformation radicale du cœur et de l’esprit des hommes destinés à utiliser ces structures nouvelles. La crise s’étend à l’universalité des activités humaines. Depuis un siècle elle ne fait que s’aggraver. D’in nombrables spécialistes nous présentent les systèmes, les formules relatives à leurs domaines particuliers,
mais le malaise mondial ne fait qu’empirer. Les seules modifications du milieu extérieur ne sont qu’un emplâ tre sur une jambe de bois. Ainsi que l’exprime Krishnamurti (p. 14 Madras 47) : « Nous sommes dans un état de confusion qui se » manifeste dans le monde extérieur. Chacun de nous » est responsable de cette détresse. Du fait que nous » avons provoqué cette catastrophe, chacun de nous » doit l’affronter. C’est cela que j’appelle engendrer » une nouvelle façon de penser et un nouveau point » de vue. 11 nous faut par conséquent comprendre » L’IMPORTANCE EXTRAORDINAIRE DE L’INDI». VIDU A NOTRE EPOQUE. » P. 16 : « Penser juste me semble la solution du chaos actuel mais une pensée juste ne peut être engen drée par aucune formule ni par aucune adhésion à quoi que ce soit. On ne peut penser juste qu’au moyen de la connaissance de soi. » P. 221: « Mais se connaître soi-même est extrê» mement difficile; il est plus facile de suivre un sys» tème, car il ne nous demande pas de penser beau« coup: il suffit de se donner à un parti de gauche ou « de droite et ainsi de mettre fin à notre processus de « pensée. Pour se rendre compte des activités de notre » existence quotidienne, il faut une réflextion, une » intelligence et une lucidité que très peu de personnes » sont disposées à mettre en œuvre: elles préfèrent » réformer la société plutôt que comprendre leurs pro-
18
» près activités, leurs propres sentiments, qui pourtant » sont la cause de la détresse et de la dévastation. » L’éminent psychologue suisse C. G. Jung exprime lu même pensée dans son ouvrage « Psychologie und Religion, pp. 142 : « Dans la mesure où les collectivités ne sont que » des agglomérations d'individus, leurs problèmes ne » sont également que des agglomérations de PRO» BLEMES INDIVIDUELS. 1 » De tek problèmes ne sauraient en aucune façon » être résolus par une législation et des tours d’adresse. » Ils ne peuvent être résolus que par un changement « général d’attitude. Et ce changement ne s’instaure o pas à coups de propagande par des assemblées de » la masse, ni même par la force. IL COMMENCE » PAR UNE MODIFICATION NAISSANT DANS « LES INDIVIDUS. Il se manifestera dans une transi » formation de leurs prédilections et de leurs répul» sions personnelles, de leur manière de concevoir la » vie, de leurs valeurs. Seule l’accumulation, l’agglo» mération de tels changements individuels amènera » une solution pour la collectivité. » La similitude est ici évidente. Elle nous montre que ^ dans la mesure ou les penseurs sont profonds, la solulion qu’ils préconisent est beaucoup plus spirituelle et psychologique qu’économique et politique. Krishnamurti et Jung ne s’opposent toutefois pas à la réalisation de réformes économiques et sociales, mais celles-ci n’interviennent qu’à titre second et dérivé de vant la transformation spirituelle de l’individu qui est fondamentale.
1
UL
Suite aux bouleversements du monde au seuil de cette seconde moitié du XXe siècle surtout, un nombre grandissant de penseurs s'orientent vers cette concep-
20
L ’ individuel et le collectif C. G. Jung et Krishnamurti s’efforcent de nous acheminer vers la société parfaite par l’établissement dans l'individu d’une attitude nouvelle, où loin de •'exclure, l’individuel et le collectif se complètent. La tâche que nous propose l’œuvre de C. G. Jung, iious dit Jolan Jacobi (La psychologie de C. G. Jung, p. 166) consiste à RELIER LES DEUX CONTRAIRES INDIVIDU et COLLECTIF dans la PERSONNALITE INTEGRALE EN RAPPORT AVEC TOUS LES DEUX. Cette personnalité intégrale ne peut être réalisée que par la connaissance de soi, nous dit Krishnamurti. Et cette connaissance de soi n’est pleinement révélée que dans nos rapports avec nos semblables, par l’étude
liste dans ses conclusions. Si son point de départ est l’individu son aboutissement est la découverte et la réalisation d'une Réalité suprême devant laquelle s’ef fondre le masque de la séparativité et s’affirme l’unité de l’essence profonde des êtres et des choses. « Pour moi, nous dit Krishnamurti (p. 15) l'im» portance de l'individu est suprême, NON PAS DE >» L’INDIVIDU EN CE QU’IL S'OPPOSE A LA SO» CIETE. Lorsque nous considérons l’individu et sa » fonction dans la société, il nous faut voir la totalité » de son être, et NON LE SEUL ASPECT DE SON » ACTIVITE INDIVIDUELLE QUI PEUT ETRE » ANTI-SOCIALE.» et (p. 97, Krishnamurti parle ): « Etre, c’est être en rapport avec les autres, il » n'existe pas d’être isolé. Nos rapports humains sont » un état de conflit intérieur et extérieur: l’extension » du conflit intérieur devient un conflit mondial. Vous » et le monde n’êtes pas séparés, votre problème est » le problème du monde; vous portez le monde en » vous, sans vous il n’est pas. L'ISOLEMENT » N’EXISTE PAS, il n’est pas d’objet qui ne soit relié » aux autres. » L'évolution récente de la physique et de la bio logie nous montre à quel point, tout dans l’Univers est solidaire de tout. Les lois d’interdépendance et d’interaction nous forcent de plus en plus à considérer les anciennes no tions d’isolement comme excessives et arbitraires. Ceci ne peut néanmoins excuser la mentalité qui préside aux mouvements de « masse », l'Unité ne pou-
22
vnnt être découverte que par une prise de conscience profondément individuelle. Le lien qui nous relie à l’universel se situe en ef fet dans l’intimité de notre structure psychique, au delà des couches les plus profondes de la conscience.
23
Le conscient et l’inconscient Pour Krishnamurti et Jung, le conscient ne consti tue qu’un infime fragment de notre « moi total ». Krishnamurti nous enseigne que la partie de nousmêmes que nous connaissons avec une relative clarté ne constitue qu’une couche superficielle et fragmentaire de notre structure psychique. Celle-ci est extraordinaire ment complexe et se trouve formée de couches innom brables portant au plus profond d’elles-mêmes les mé moires obscures d’événements se perdant dans la nuit des temps. (P. 18-Ojai 1944): « La plupart d'entre-nous mal» heureusement, essayent de résoudre leurs problèmes » superficiellement, c’est-à-dire avec CETTE PETITE » PARTIE DE L’ESPRIT QUE NOUS NOMMONS » LE CONSCIENT. OR NOTRE CONSCIENCE EST » SEMBLABLE A UN ICEBERG DONT LA PLUS » GRANDE PARTIE EST IMMERGEE EN PRO» FONDEUR ET DONT UNE SEULE FRACTION SE » MONTRE AU DEHORS. » Nous avons connaissance de cette couche super» ficielle, mais c’est une connaissance confuse TAN» DIS QUE LA PARTIE INTERIEURE, LA PLUS » GRANDE, LE PROFOND INCONSCIENT. NOUS 24
. EST A PEINE PERCEPTIBLE, ou, si elle le devient. » nous en prenons conscience à travers des rêves. » Si nous désirons vraiment comprendre notre » problème, il nous faut d’abord dissiper la confusion « du conscient en la sentant aussi largement que pos» sible, avec compréhension et Impartialité. Ensuite, » dans cette éclaircie du conscient élucidé, l'esprit inté» rieur peut se projeter. » Pour Jung, le conscient n’est « qu’un rejeton tardif de l’inconscient...» La partie de nous-mêmes que nous connaissons est définie dans la terminologie jungienne comme le « Moi ».. Par « Moi », nous dit Jung, j’entends un complexe de notions qui forme « le centre de mon champ CONS CIENT et me SEMBLE d’une grande CONTINUITE et d’une grande identité à soi » (Psychologische Typen, p. 629). Ce « Moi », n’est dans la conception jungienne qu’un aspect périphérique et très superficiel de la tota lité psychique, de la « personnalité intégrale » que Jung désigne comme le « Soi ». Le « Moi » n’est que le conscient. Le « Soi » est la totalité du conscient et de l’inconscient. Pour Jung, l’inconscient est la base de tout psychisme individuel. « L’inconscient, dit-il, a précédé » le conscient. Il constitue le donné primordial, d’où » ne cesse de surgir le conscient ». (Psychologische Typen, p. 690). Les contenus de l’inconscient sont formés par les modes typiques de réaction de l’humanité depuis ses origines dans les situations psychiques les plus variées: lutte contre les forces de la nature, défense contre des 2S
puissances supérieures, relations entre sexes, comporte ment dans la haine et l’amour, attitude devant la mort, peur sous toutes ses formes. Nous ne pouvons nous empêcher de reproduire le passage suivant emprunté à « l’Homme à la découverte de son âme » de C. G. Jung (p. 19) définissant admira blement les fonctions du conscient et de l’inconscient: « L’inconscient perçoit, a des intentions et des » pressentiments, des sentiments et des pensées tout » comme le conscient. 11 n'y a qu’une seule différence » essentielle entre le fonctionnement conscient et le » fonctionnement inconscient de la psyché : le conscient » en dépit de son intensité et de sa concentration, est » purement éphémère, accomodé seulement au présent » immédiat et à son propre voisinage; il ne dispose » par nature que des matériaux de l’expérience indivi» duelle; répartis à peine sur quelques décennies. » Sa mémoire pour le reste est artificielle et com» posée, essentiellement, de papier imprimé. Combien » différent est l’inconscient ! Ni concentré, ni intensif, » mais crépusculaire jusqu'à l’obscurité, il y gagne une » extension immense et il renferme, côte à côte, de » façon paradoxale, les éléments les plus hétérogènes, » disposant, outre une masse inajsignable de percep» tions subliminales, du trésor prodigieux des stratifi» cations déposées au cours des vies des ancêtres qui, » par leur seule existence, ont contribué à la diffé» renciation de l’espèce. » Comme Jung, Krishnamurti évoque fréquemment l’existence des « stratifications déposées au cours du passé », dont l'accumulation en couches successives forme l'immense complexité de l’égo. 26
La mémoire krishnamurtienne ne comprend en effet pas seulement celle du conscient fait de « papier ....primé », mais aussi celle beaucoup plus profonde de toutes nos expériences, de toutes nos réussites, de tous nos échecs, de toutes les victoires et de toutes les défaites des êtres vivants qui nous ont précédé dans la nuit des temps. * « Si l’inconscient pouvait être personnifié », écrit Jung (p. 19), « il prendrait les traits d’un être humain » collectif, vivant en marge de la spécification des » sexes, de la jeunesse et de la vieillesse, de la nais» sance et de la mort, fort de l’expérience humaine à » peu près immortelle de un ou deux millions d’an» nées. Cet être planerait sans conteste au dessus des » vicissitudes des temps. » ... ce serait un rêveur de rêves séculaires, et, » grâce à son expérience démesurée, un oracle aux » pronostics incomparables. Car il aurait vécu la vie » de l’individu, de la famille, des tribus, des peuples, » un nombre incalculable de fois, et il connaîtrait — » tel un sentiment vivant — le rythme du devenir, de » l’épanouissement et de la décadence. » Le conscient et l’inconscient forment une totalité psychique, dont Jung a particulièrement étudié le com portement et les lois. Les principes jungiens de l’énergétique psychique font nettement entrevoir l’existence d’une loi de con servation de l’énergie psychique offrant quelque simili tude avec les lois de conservation connues en physico chimie. C’est en vertu de ces lois que la FONCTION COMPENSATRICE DE L’INCONSCIENT A L’E27
GARD DES ACTIVITES DU CONSCIENT se trouve expliquée. L’activité du conscient n’embrasse qu'un champ d’action, dont l'objet est strictement limité aux exi gences immédiates du « moi » superficiel. Elle s’adapte aux conditions extérieures. Cet excès d'énergies tournées vers l’extérieur et l’égoïsme mes quin est COMPENSE par l’activité de l'inconscient. L'inconscient obéit à des mobiles intérieurs, à des lois issues de l’expérience humaine collective. Nous verrons ultérieurement que cette activité compensatrice oppo sée au conscient par l’inconscient, se manifeste dans le rêve, auquel Jung et Krishnamurti accordent une grande importance. Krishnamurti nous fait également comprendre l’existence d’un principe de conservation psychologi que. Le « Soi » jungien — c’est-à-dire la totalité du conscient superficiel et de l’inconscient profond «— est constamment agi par un instinct de conservation. Au trement dit, le principe de compensation « conscientinconscient » résulte d’une auto-défense de la totalité psychique particulièrement attentive à sauvegarder sa continuité, sa sécurité, en se grossissant à chaque seconde, non seulement de son passé individuel, mais aussi de l'inconscient collectif qui se continue en elle. Le « je » krishnamurtien comprend la totalité des aspects égocentriques de l'existence, depuis le corps physique jusqu’aux émotions, aux pensées, des profon deurs les plus subtiles de l'inconscient. Ainsi qu’on le voit, le « moi » krishnamurtien est assez vaste. Il comprend toutes les fonctions psycho logiques dont les indous et les théosophes ont donné 28
une nomenclature détaillée, depuis le corps physique, le « corps éthérique », le « corps émotionnel », le « corps mental inférieur » (rûpa manas), jusqu’au « corps mental supérieur » (arûpa manas). Pour ceux accoutumés à la psychologie aurobindienne, le « moi » krishnamurtien comprend évidem ment le « sur-mental » et le « supra-mental ». Krish namurti s’opposant à la conception d’un « mental divin ou cosmique ». En un mot, il comprend tout ce qui, dans de nom breuses philosopnies indoues, védiques et bouddhistes formerait « l’individualité relativement permanente mais qui au terme du « cycle du samsara » disparaît. Krishnamurti s’attaque donc à la racine fonda mentale du «m oi». Que celui-ci soit celui d’une vie, ou d’une succession d’existences, il est essentiellement impermanent et illusoire. Le « moi » résulte d’un processus d’association psychologique continuellement à l’œuvre. Ce processus d’association psychologique est commandé par une force apparemment irrésistible : l’instinct de conserva tion du « moi », le désir de durée, la soif de devenir. Le « moi » krishnamurtien (qui correspondrait plutôt au « Soi » jungien), aime se sentir comme une entité réellement durable, douée d’une sorte de solidité psychologique. Ce sentiment de solidité psychologique lui est fourni par l’activité mentale, les émotions, les sensations. C’est la densité et la succession de celles-ci qui confèrent au « moi » l’impression de continuité dans laquelle il se complaît. Tel est, dans ses grandes lignes, l’instinct de con 29
servation qui préside au processus du « moi ». La pre mière tâche à laquelle nous invite Krishnamurti réside dans la prise de conscience de ce processus opération-
L ’équilibre des fo nd ions psychiques Jung classe les fondons psychiques en quatre activités fondamentales : la pensée, l’intuition, le sen timent et la sensation. La pensée et le sentiment sont définis par lui comme fonctions rationnelles. La sensation et l'intuition sont définies comme fonctions irrationnelles. La pensée est la fonction qui, par un acte de connaissance, tend à faire comprendre le monde. Elle est aussi une fonction d’adaptation au monde tendant à expliquer de façon logique ce qu’elle rencontre. Le processus de la pensée est un processus d’évaluation en fonction du connu. C’est aussi un jugement, un choix basé sur les mémoires conscientes et inconscientes du passé. A l’opposé de la pensée qui établit des relations abstraites et tire des conclusions logiques, le sentiment saisit le monde en l’évaluant en fonction de ce qui lui semble agréable ou désagréable. En un mot, comme le fait remarquer Jung, la pensée et le sentiment procèdent par EVALUATION.. La pensée ACCUEILLE OU REJETTE en fonc tion de ce qu'elle évalue comme VRAI OU FAUX. Le
31
sentiment ACCUEILLE OU REJETTE en fonction des impressions de PLAISIR OU DE DEPLAISIR. En opposition par rapport à la pensée et au senti ment qui sont définis comme fonctions rationnelles, Jung désigne l’intuition et la sensation comme fonc tions irrationnelles, parce qu’elles n’utilisent pas de jugements, ne procèdent pas à des évaluations, ni à des choix. L’intuition et la sensation n'interprètent pas. Elles saississent les choses telles qu’elles sont, l'une sur le plan abstrait, l’autre sur le plan concret, sans interven tion du raisonnement. La sensation est une perception qui appréhende l’aspect extérieur des choses, mais ne saisit d’elles que leurs particularités strictes dans ce qu’elles ont de super ficiel et de périphérique. Son champ d’investigation, quoique précis — puis que Janet l’appelait la fonction du réel — est limité à l'aspect extérieur des choses. La sensation ne perçoit que le détail, jamais l'en semble; toujours la partie et jamais le tout. L’intuition est à la fois plus intérieure et plus globale. Comme le dit Carrel « l’intuition perçoit sponta nément sans les artifices du raisonnement, les liens qui unissent entre-elles les parties d’un tout », et en fonc tion desquels ces parties ont une signification. Pour Jung, l’intuition est une perception intérieure des possibilités inhérentes aux choses. Nous passerons sous silence les différentes inter prétations de la fonction d’intuition, chaque auteur 32
envisageant le sujet sous des aspects différents, à tel point qu’ils s’excluent. Retenons dès à présent que Jung met en relief l’existence d’un principe de compensation entre les deux axes « pensée-sentiment » et « sensation-intui tion ». Le fonctionnement de ce principe de compensa tion est considéré comme indispensable à l’équilibre humain. Toute « sur-différenciation » d’une fonction s'ef fectue au détriment des autres et amène le déséqui libre. Krishnamurti insiste également sur la nécessité d ’un équilibre entre nos différentes fonctions psycholo giques. L’enseignement krishnamurtien ne nous incite pas seulement à réaliser l’équilibre de nos fonctions, mais il nous engage à en faire une véritable synthèse. L’amour, nous dit Krishnamurti, est le « lubrifiant de la pensée ». « Un cœur sans amour est comme une rivière qui n ’a plus d’eau pour abreuver ses rives. » L’INTUITION krishnamurtienne se réalise par L’EQUILIBRE DE LA RAISON ET DE L’AMOUR, de la pensée et du sentiment. Cependant, si nous voulons être plus précis, nous dirons que pour Krishnamurti L’INTUITION est aussi le DISCERNEMENT DE LA REALITE PROFONDE DES CHOSES ET DES ETRES.
But profond de l’équiiibre pensée-sentiment L’équilibre de la raison et de l’amour, de la pen sée et du sentiment a pour but profond de permettre leur utilisation par une fonction supérieure. Il va de soi, que si la pensée et le sentiment ne sont pas harmonisés, les tensions qui résultent de leurs différences de direction et d’intensité, rendent impos sible toute réceptivité aux messages d’une fonction plus élevée. De COORDINATRICE QU’ELLE ETAIT, la PENSEE DOIT ETRE COORDONNEE, utilisée par une fonction qui la dépasse. Comme Jung, Krishnamurti considère le sentiment intimement lié à la pensée dans le processus du « moi ». Leurs sur-différenciations sont k l'origine de tous les conflits. La seule solution aux déséquilibres qui sévissent dans l’universalité des activités humaines, réside dans la CONNAISSANCE DE SOI, dont l’inévitable consé quence est le DEPASSEMENT DE SOI et la vie unitive. Mais le dépassement de soi ne peut se faire sans l'équilibre de nos fonctions psychiques. Dans « l’homme à la découverte de son âme », Jung évoque la même nécessité (p. 19). « Il nous faut
» acheminer notre malade vers cette région où naît » en lui l’UNITE, le LIEN AVEC L’UNIVERSEL, où » se produit cette naissance créatrice qui « entredé» chire la mère » et qui est, au sens le plus profond, » la cause de toutes les dissociations de la surface. » Pour Krishnamurti, il n’y a de liberté véritable qu’à partir de cette découverte et de cette expérience du Réel. Encore faut-il dire que les fonctions psychologi ques pensée-sentiment doivent subir, dans l’enseigne ment krishnamurtien, une métamorphose totale. Pour employer une image qui nous est person nelle et ne peut par conséquent engager Krishnamurti, la Réalité suprême est Une, homogène, éternelle. Nous pourrions la com parer à la lumière blanche qui est « une » avant que le prisme ne la décompose dans le spectre coloré.des sept couleurs fondamentales. Chaque homme est une sorte de prisme vivant, érigé en vase clos et limité dans le temps et l’espace, à travers lequel tente de s’exprimer la Réalité Suprême et Unique des profondeurs. Cette Réalité « passe » à travers le prisme vivant que nous sommes et se décompose en un faisceau de « propriétés » et de « fonctions » particulières. Parmi le faisceau de « propriétés » et de « fonc tions » particulières que nous empruntons à l’énergie de la Réalité fondamentale qui nous habite, nous mani festons la fonction « amour », la fonction « intelli gence », etc. De même que la lumière blanche n’est pas spécia lem ent le bleu, le vert, le rouge, le jaune révélés et dissociés grâce à l’intervention du prisme, de même la
35
Réalité profonde n’est pais seulement intelligence, pen sée ou amour tels qu’ils résultent de nos divisions famiDe même que la lumière blanche est en somme la synthèse, l'apothéose indivisée des coloris particu liers, de même la Réalité que nous portons en nousmêmes et au delà de nous-mêmes est, à FORTIORI, l'apothéose HOMOGENE et INDIVISE des « proprié tés » et des « fonctions » qui se trouvent divisées en Ce serait l’une des raisons pour lesquelles Krishna murti ne parle plus jamais de la « pensée » ou du « sen timent » comme fonctions isolées, mais emploie inten tionnellement l’expression « esprit-cœur » ou « pensersentir », ou encore « pensée-sentiment ». L’intuition krishnamurtienne n’est autre que le libre fonctionnement en nous et par nous — malgré nos limites de surface *— de cette plénitude formant l’apothéose de ce que nous nommons « intelligence » et « amour ». Jamais la seule intelligence ne pourra connaître la Réalité, nous dit Krishnamurti. « Que pouvez-vous «connaître», nous demande-t-il? Vous he «pouvez » connaître que ce qui est passé, que ce qui est sta» tique, que ce qui est mort. Vous ne pouvez connaître » la Vérité qui est continuellement créatrice, vivante. » (Sarobia, 1940.) A ia question suivante : « Ne peut-on penser à l’Incréé, à Dieu? Krishnamurti répondait (Krishnamurti parle, p. 186) ; « Cela qui est créé ne peut penser à l’Incréé. Il » ne peut penser qu’à sa propre projection qui n’est
36
» » » » » » » »
pas le Réel. Est-ce qu’une pensée qui est le résultat du temps, des influences, des limitations peut penser à l’incommensurable ? Elle ne peut penser qu’au connu. Ce qui est connaissable n’est pas le Réel, ce qui est connu ne cesse de reculer dans le passé, et ce qui est passé n’est pas l’Eternel. Vous pouvez spéculer sur l'inconnu, mais vous ne pouvez pas y penser. »
11 s’agit donc de nous délivrer de l’immense far deau du PASSE, formé des mémoires innombrables, responsables de la solidité du « moi », si nous voulons nous ouvrir à la spontanéité divine du Réel. Ce serait-là la signification profonde du dépouillement du « vieil homme » évoqué dans les écritures. Le problème central consiste dans la réalisation d’une ADHESION totale au Présent Eternel et sans durée du rythme divin. Cette réalisation nécessite la pleine descente de l’inconscient dans le conscient, l’inconscient étant pré cisément l’édifice le plus considérable du TEMPS ET DE LA DUREE. Comme l’exprime Jolan Jacobi, l’éminent disciple de Jung (p. 27) : « Si les quatre fonctions pouvaient être placées » dans le domaine du conscient, on pourrait parler » d’un individu PA RFA IT »; et plus loin : « quel» qu’un en serait-il capable, il pourrait donc se dé» pouiller du dernier reste terrestre qui se trouverait » encore en lui ». Telle est cependant l’exigence formulée par Krish37
namurti en insistant cependant sur le fait que l’homme « libéré » peut et doit vivre dans le monde. L’essentiel réside dans la liberté intérieure d’un tel homme, se dissociant à chaque instant du fardeau du passé pour réaliser ce que Carlo Suarès appelle la CONTINUELLE PRESENCE AU PRESENT. Jung, Bergson et Krishnamurti se retrouvent ici, comme en d’autres points d’ailleurs. Pour Jung, l’homme ordinaire ne possède pas ses fonctions psychologiques en main; « c’est elles qui nous tiennent ». Autrement dit, ainsi que l’exprimait Bergson, « nous sommes beaucoup plus agis que nous agissons nous-mêmes ». Telle est l’origine de nos servitudes. Nous sommes réellement « agis » par nos fonc tions psychologiques, nous fait comprendre Krishna murti, aussi longtemps que nous ne les connaissons pas et que nous ne nous connaissons pas. La liberté véritable réside dans le fait de ne plus être « agi » par des mots d’ordre, ni extérieurs, ni inté rieurs, par des systèmes de pensées, par des confections mentales. Nous devons être attentifs au « Chant de la Vie », qui ne s’exprime que par l’épanouissement de notre originalité créatrice, en nous-mêmes et par nousmêmes. Ceci diffère un peu de Jung, ainsi que nous le verrons ultérieurement. La découverte de la vérité, nous dit Krishnamurti, ne résulte jamais de l’acte mental. La réalité, dit-il, n’est pas un résultat. Elle existe par elle-même. Elle est autogène. Il n’y a pas d’édifice spirituel à construire. Tout est là... mais un immense travail de clarification,
38
ut que d’entretenir la continuité du « moi » sous le couvert de transformations continuelles, qui ne résol vent jamais le centre du problème.
39
Le rôle du rêve Pour Jung, les activités du rêve forment l’instru ment principal de la thérapeutique. Le rêve est, pour lui, le moyen le plus commode pour accéder aux contenus de l'inconscient. « Sans l’hypothèse de l’inconscient, le rêve n'est » qu’un absurde agglomérat de bribes éparses, déchets » de la vie diurne. » (L’homme à la découverte de son âme, p. 282.) La plupart des psychanalystes accordent une gran de importance aux activités oniriques. La méthode jungienne se différencie cependant des autres par le fait que Jung n’envisage pas les phéno mènes du rêve comme résultant seulement de conflits personnels, mais participant également de l’inconscient collectif. Les seules psychologies du conscient sont inca pables d’expliquer le rêve. 11 s’agit là d’un fonctionne ment particulier, indépendant de la volonté ou des aspi rations du « moi ». Le rêve est nettement dénué d’in tention. Ainsi que l’exprime admirablement Jung : « ON NE REVE PAS, ON EST REVE ». Notre conscient ignore les mobiles profonds qui président à l’activité onirique.
40
L’étude du PRINCIPE DE COMPENSATION de l'énergétique psychique jungienne explique adm irable ment le processus des rêves. L’activité consciente du « moi » est faite dans une tension psychique de tous les instants : tension créée par le va-et-vient des pensées qui naissent et qui meurent, troubles intérieurs de l’émotion, de la pasCette notion de « tension psychique » constante, inhérente à l’activité m entale, est particulièrement mise en relief dans la pensée krishnamurtienne. Le mobile profond de toutes les activités psy chiques est en effet pour Krishnamurti l’instinct de con servation du « moi », le désir de « devenir », la soif de continuité, de durée. Par le sommeil, l’activité mentale consciente se trouve suspendue. Les tensions qu’elle implique étant disparues, les activités compensatrices de l’inconscient peuvent se manifester. C’est toujours dans la DETENTE, que les couches profondes de notre psyché peuvent tendre vers la sur face. Il est impossible dans le cadre d’une étude aussi sommaire, de donner un aperçu du mode d’interpréta tion jungien de l’activité onirique. Rappelons seulement que Jung nous enseigne que les personnages étrangers qui meublent nos rêves révèlent souvent des aspects de nous-mêmes que nous ignorons. Krishnamurti emploie un langage semblable. « La conscience consciente » dit-il (Krishnamurti Madras 1947 p. 202) est activement occupée toute la 41
journée, soit à gagner de l’argent, soit à une routine de travail, soit à une occupation technique. « Lorsque vous vous endormez, qu’arrive-t-il ? » L’esprit superficiel est relativement calme, mais la » conscience ne consiste pas simplement en une cou» che superficielle; ELLE A DE TRES NOMBREUSES » COUCHES. » Chacune de ces couches possède sa propre » conscience. Lorsque la couche superficielle se calme, » ces couches se projettent en elle; c'est alors que vous » Il existe naturellement des rêves superficiels » et des rêves qui ont un sens. Les rêves superficiels » sont engendrés par les réactions du corps, par exem» pie une indigestion. D’autres rêves sont des émissions » des couches les plus profondes de la conscience. » Peut-on comprendre le contenu total de la » conscience, la libérer, de sorte que ce contenu n’ait » nul besoin de se projeter sur la couche superficielle » pendant le sommeil ? En d'autres termes, peut-on » être si lucide, d’une lucidité exclusive de tout choix » que toutes les couches de la conscience transmettent » leurs émissions tout le temps et que la conscience » interne devienne un tout indivisible? » Par cette question fondamentale, découlant d’ail leurs logiquement de l’enseignement jungien, et par la réponse qu’y donne Krishnamurti, le penseur indou nous fait entrevoir une fois de plus l’intéressante com plémentarité des deux enseignements. « Lorsque la conscience consciente est calme, elle » peut se livrer à des occupations superficielles sans » que son calme en soit troublé. Vous verrez alors qué
» plus on est conscient, plus l’observation est passive» ment négative, vive et dépourvue de choix, et PLUS » LES CONTENUS DE L ’INCONSCIENT MONTENT » A LA SURFACE; on n ’a aucun besoin de les inter» prêter, parce que, dès l’instant qu’ils surgissent, ils » sont compris. Si vous faites cette expérience, vous » éprouverez une liberté extraordinaire, parce que » vous réaliserez l’être total. La conscience, qui est » maintenant fragmentaire, sera intégrale; il n ’y aura » plus de luttes dans la conscience et celle-ci sera par » conséquent amour, elle sera totale, non fragmentée. » A ce moment il n’est plus besoin de rêves. » (p. 207). Le rythme de vie simple vers lequel nous oriente Krishnamurti, réalise une condition de détente psychi que continuelle, perm ettant aux contenus de l’in conscient de se révéler au conscient au cours de la vie quotidienne.
43
Le “ dépassement ” des problèmes Les lecteurs ou auditeurs occidentaux des conféfences de Krishnamurti sont souvent désemparés, voire déçus et irrités. Bon nombre d’entre eux critiquent Krishnamurti parce qu’il ne répond jamais aux ques tions qu’on lui pose, qu’il tourne autour du problème sans le résoudre, ou encore qu’il semble échapper «par la tangente » en employant des explications de méta physicien. Comment répond Krishnamurti lorsqu’une ques tion précise relative à un problème particulier lui est posée ? Supposons par exemple que lui soit posé le pro blème de la guerre ? Nous avons tous la conviction, et Krishnamurti peut-être le premier, qu’il est nécessaire d’établir un gouvernement mondial, et de mettre en vigueur un mode d'économie distributive. Le penseur indou ne donnera pourtant jamais la réponse PARTICULIERE inhérente à ce problème. 11 s’efforce de nous faire entrevoir directement la cause première et fondamentale d’où jaillissent tous les pro blèmes particuliers. 11 trahirait la vérité en nous don nant la réponse tant souhaitée car elle ne parviendrait qu'à résoudre les symptômes momentanés mais non la
En un mot, Krishnamurti nous met face à face avec le « fabricant de problèmes » que nous portons en nous: l’égoïsme, l’ignorance. 11 y a la guerre, parce qu’il'y a des frontières, des nationalismes, des nations riches et des nations pauvres, des exploiteurs et des exploités, des distinctions ra ciales, sociales, idéologiques. Mais pourquoi toutes ces barrières existent-elles? Parce que chacune d’entre elles nourrit le « moi », l’en tretient. Si nous parvenons à nous connaître nous-mê mes nous dit Krishnamurti, nous libérerons le «moi» de ses avidités, car nous en aurons compris les conditions de ridicule et d’asservissement. A ce moment, le problè me de la guerre, se trouve pour NOUS, PSYCHOLO GIQUEMENT résolu, non comme problème particulier mais parce que nous connaissant nous-mêmes, nous nous serons DEPASSES. Dès l’instant où l’avidité et la « soif de devenir » du « moi » se trouvent dépassées, tous les problèmes, tels que orgueil, sensualité, jalousie, etc. se trouvent ré solus, NON DANS LEURS RAPPORTS PARTICU LIERS AVEC LE « MOI », MAIS PARCE QUE LE « MOI » QUI LES PRODUIT SE TROUVE PSYCHO LOGIQUEMENT DISSOUS. Jung emploie un langage semblable dans « Das Geheimnis der goldenen Blüte ». p. 21-22 (cité dans Jacobi p. 147). a Les problèmes les plus grands et les plus impor> tants sont au fond tous insolubles; et ils doivent » l’être, car ils expriment la polarité nécessaire, imma> nente à tout système autorégulateur. ILS NE PEU45
>. » » » » » » » » » »
VENT JAMAIS ETRE RESOLUS, MAIS UNIQUEMENT DEPASSES. Toutefois, le fait de pouvoir dépasser les problèmes personnels de l'individu s’est révélé correspondre à une hausse de niveau du conscient. Un intérêt plus élevé et plus vaste est apparu à l’horizon, grâce à quoi le problème insoluble a perdu de son urgence. Il n’a pas été résolu logiquement en soi-même mais il a pâli en face d’une orientation de vie nouvelle et plus puissante. Il n’a été ni refoulé, ni tendu inconscient, mais s’est montré simplement dans une autre lumière, et, ainsi, il est également deComme l’a d’ailleurs écrit Vanderleeuw dans « La conquête de l’Illusion » tous nos problèmes sont au fond des pseudo-problèmes. Qu’il s'agisse du problème de la création, du but de l’univers, de la richesse maté rielle ou intellectuelle, tous sont conditionnés par l’op tique mentale spéciale de celui qui les pose. Le sage indou Ramana Maharishi (Voir « Etudes » collection des Trois Lotus) se demande avec raison « Qui » pose la question, « Qui » sert de support au problème. Telle est l’orientation qu’ont pris de grands penseurs et de grands sages de notre temps.
46
Réalisons-nous, là où nous sommes Les différentes transformations qui résultent de la « descente progressive » de l’inconscient dans le conscient n’impliquent jamais une fuite du monde. Jung nous demande d ’être attentif aux différentes impulsions de l’inconscient, sans nous identifier à elles. C’est précisément ce que recommande Krishnamurti. Dans « Psychologie und alchemie » Jung écrit: notamment, parlant des impulsions de l’inconscient « qu’il ne faut pas s’identifier à elles, ni les fuir; s’iden» tifier à ces impulsions serait donner libre cours à ses » instincts, tandis que les fuir signifierait les refouler; » mais ce qui est dem andé ici est fort différent; il » S’A GIT DE RENDRE CES IMPULSIONS CONS» CIENTES, DE RECONNAITRE LEUR REALITE, » ET ELLES DEVIENDRONT DU MEME COU P » INOFFENSIVES.» » La fuite devant l’inconscient rendrait le but de » la procédure illusoire. Il faut tenir bon et éprouver » dans toutes ses péripéties le processus amorcé par » l’auto-observation, pour le RELIER LE MIEUX. » POSSIBLE AU CONSCIENT. » 11 ne faut donc rien modifier dans le cadre exté rieur au sein duquel se poursuit l’existence matérielle.. 47 '
La profession, les responsabilités familiales, le sport, les exercices ne doivent changer. Un tel langage est familier dans l’enseignement krishnamurtien. « LA PLUPART DES GENS S’IMAGINENT » QUE LA VERITE EST CACHEE, QU’ELLE EST » EN DEHORS DE L’EXISTENCE QUOTIDIENNE. « EN DEHORS DE L’ESPRIT HUMAIN ORDINAIRE » QU’ELLE EST INACCESSIBLE A L’HOMME » DONT LES PENSEES ET LES SENTIMENTS NE » SONT PAS EXCEPTIONNELS. « ON PENSE QUE POUR TROUVER LA VE» RITE IL FAUT SE RETIRER DU MONDE, acqué» rir des qualités, des connaissances, connaître certai» nés douleurs et certaines joies. Au contraire, j’affirme » que DES L’INSTANT OU VOUS COMPRENEZ LA », VIE TELLE QU’ELLE SE DEROULE DEVANT »> CHACUN DE VOUS, VOUS COMPRENEZ LA » VERITE. » L’EFFORT DOIT ETRE FAIT LA OU L’ON » EST, EN SOI-MEME, AU MILIEU DE TOUTES » LES CONFUSIONS, DES IDEES LES PLUS CON>» TRADICTOIRES. » Mais nous ne voulons pas « accepter proprement et simplement les situations dans lesquelles nous nous sommes installés par manque de discernement. Nous préférons fuir. Fuir n’est pas résoudre. Il nous semble plus commode de modifier les circonstan ces extérieures au sein desquelles un conflit s’est révélé, que de transformer notre cœur et notre esprit. Cet entêtement à préférer la transformation du 48
milieu ou nous vivons à celle de notre être profond ne résulte pas seulement d'une paresse ou d’une inertie intérieure. Le « moi » veut se réserver. Ce rythme de l’habitude est une manifestation de son instinct de con servation. Au lieu de nous fuir par des changements de ca dres extérieurs, par notre adhésion à de nouvelles croyances ou à de nouveaux systèmes, ou par de nou velles activités, nous devrions nous affronter, nous voir tels que nous sommes. Là, réside pour Krishnamurti, le premier pas à réaliser. Il faut, nous dit Jung « SE RECONNAITRE SOI» MEME, COMME CE QUE L’ON EST DE PAR » NATURE, PAR OPPOSITION A CE QUE L’ON » VOUDRAIT ETRE » (cité par Jolan Jacobi p. 144). C’est là que réside la grande difficulté. Dès que nous prenons conscience d’un état d’être, ou d ’une vé rité qui nous semble peu flatteuse, nous évitons de la regarder en face et nous nous promettons instantanément dans un état idéal, vers l’opposé de la situation que nous condamnons. Ceci nous entraîne dans la ronde sans fin des pai res opposées qui loin de libérer le « moi » l’asservit de plus en. plus.
49
Les quelques points qui précèdent, relevés de ci, de là, dans les œuvres de Jung et Krishnamurti font net tement entrevoir à la fois des parallélismes frappants, une certaine complémentarité, mais non des identités. Ceci devient surtout évident si nous nous en référons à la totalité des deux enseignements. Comme la plupart des psychologues et psychanalistes, Jung aspire à réaliser l’intégration de la personne; la descente de l’inconscient dans le conscient permet tant au « Soi » de se réaliser intégralement, d'être une entité cohérente, harmonieuse, équilibrée. Si Krishnamurti poursuit à certains moments le même but, ce n’est qu’à titre provisoire. Quoique Jung reconnaisse qu’il raut conduire l’homme vers cette région profonde de lui-même où réside l’universel, la personnalité totale, le « Soi » semble être pour lui l’ultime sommet de l’évolution psy chologique et spirituelle. Dans son ouvrage « Wirklichkeit der Seele » p. 190, Jung envisage cette réalisation totale de la person nalité comme inaccessible. « La personnalité, en tant que réalisation complète » de la totalité de notre être, est un IDEAL INACES-
> SIBLE. Mais LE FAIT D’ETRE INACCESSIBLE » n’empêche nullement qu’on le poursuive...» La divergence est ici assez nette. Non seulement krishnam urti nous invite à réaliser l’intégration de la personne par la descente totale des contenus de l’in conscient dans le conscient, mais l'harmonisation du a Soi » qui en résulte n’est pour lui qu’une étape. Pour Krishnamurti, le « moi » dans son intégralité (c.-à-d. le « Soi » jungien) est le résultat d ’un proces sus d’auto-identification avec le milieu physique, émo tionnel et mental. Il y a, d’autre part, une contradiction entre le « Soi », point particulier, limité, et son essence, qui est Universelle, (voir Comédie psychologique de C. Suares). Dans l’inconscience relative de la norme humaine qui n’est éveillée qu’aux couches superficielles de sa structure psychique, la conscience de cette contradiction n’existe pas. Dès l’instant,ou se réalise la « personnalité totale », les limites du «Soi» se révèlent à elles-mêmes dans ce qu’elles ont d’illusoire, d ’impermanent, d’éphémère. La contradiction de base, jadis inconsciente devient IN TENSEMENT EVIDENTE. Dans la réalisation de l’unification « conscientinconscient », le « Soi » perçoit avec une acuité profon de le déséquilibre existant entre son processus fonda mental d’existence, son «devenir» d’une part, et l’Etre la Réalité divine dans son universalité, d’autre part. L’un est régi par un instinct de conservation, une
soif de continuité de durée, l'autre est complet en luimême, il EST. Dans l’enseignement krishnamurtien, la connais sance de soi oriente l'homme vers cet état de lucidité au cours duquel le « soi » devient CONSCIENT DE SON CONDITIONNEMENT, de son avidité de « deLa claire vision des servitudes innombrables aux- qu’elles l’entraîne sa soif de « devenir » provoque une immobilisation de son processus fondamental d’exis tence. Cette immobilisation ne résulte pas d’un acte de volonté du « Soi » — ce qui serait faux — mais d’une compréhension impersonnelle. Lorsque cesse l’avidité de « devenir » surgit la révélation de la Réalité divine qui est Amour, Lumière, Pure intelligence et béatitude. C’est, comme le dirait Louis Lavelle « un envahis sement » du conscient et de l’inconscient » par un élan qui les dépasse infiniment. » Cependant, très peu de personnes sont conscientes de ce processus d’auto-identification en elles. Cette prise de conscience est cependant indispensable à la libéra tion humaine. Elle n’est atteinte que par la « personna lité totale » du langage jungien. Krishnamurti, contrairement à Jung envisage cette « intégration », cette réalisation de la personnalité tota le comme accessible mais elle n’est pas un but, ni une fin en soi. Nous pourrions préciser le point de vue en insistant 52
sur le fait que la personnalité totale n’est pas pour # Krishnamurti un « état définitif » possédant un carac tère de permanence. 11 s’agit plutôt D’UN POINT CRI TIQUE, d’une acuité de conscience telle, que les limi tes au sein desquelles s’inscrivait le « Soi » s’évanouis sent instantanément comme si elles se trouvaient sou dain volatisées soit par un court-circuit intérieur, soit par une « sur-saturation » de conscience. A ce moment que se passe-t-il ? 11 ne reste plus du « Soi » que son support matériel « le corps », et sur les plans psychiques, une transparence totale de l’émotion et de la pensée, un silence, une sérénité, une détente dans lesquels et par lesquels les rythmes de la sponta néité divine peuvent s’exprimer librement, sans rencon trer de « résistances ». Autrement dit « la personnalité totale », de coordonatrice qu’elle était, devient « coordonnée », dirigée. Et ce langage n’est encore que celui d’une première ap proximation. Dans l’état réel de libération, il n’y a plus de dualité. Nous comprendrons aisément qu’en effet, LA PERSONNALITE TOTALE N’ETANT QU ’UN POINT CRITIQUE RESPONSABLE DE SA PROPRE AUTO-DISSOLUTION, ELLE N'EXISTE QU’UNE FRACTION DE SECONDE. Les penseurs védiques et thibétains considèrent l’hom m e libéré comme une coquille vide. Vide de quoi ? Vide de toute réaction personnelle, de tout « de venir égoïste » mais pleine de la vie divine. A ceux que ce langage surprend nous rappellerons ces paroles de Jésus dans le «Sermon sur la Montagne» : 53
« Heureux les simples en esprit, le royaume des cieux leur appartient ». Cette simplicité n’est évidemment ni incohérence ni absence d’intelligence. Elle est au contraire un état de transparence dans lequel s’expriment les plus hautes formes de l’intelligence et de l’amour. Ce qui étonne l’occidental déifiant la pensée c’est que le sommet de l’intelligence, de la lucidité ne se réa lise que dans un état ou le MENTAL EST DEPOUILLE D ’IDEES. Une autre différence essentielle entre Jung et Krishnamurti réside dans le fait que Jung estime qu’il est très dangereux pour l’homme de s’en rem ettre à soi-même. Nous reprenons ci-après ce passage de l’œuvre de Jolan Jacobi (p. I 19). « C’est pourquoi le dialogue du catholique avec son confesseur est une institution sage de l’Eglise; pour le croyant pratiquant, ces moyens arrivent encore à une profondeur beaucoup plus grande. » Krishnamurti, comme Vivekananda nous incite à «nous tenir debouts tout seuls». Il n’y a pas là présemption intellectuelle, mais simple respect des lois de la nature et accomplissement normal des possibilités hu maines. Certes, Krishnamurti nous enseigne que nous nous connaissons nous mêmes dans nos rapports avec nos semblables. Mais cette connaissance de nous-mêmes ré sulte d’une lucidité de tous les instants au cours de la quelle,nous sommes suprêmement vigilants, alertes, at tentifs aux moindres mouvements de la pensée, de l’émotion, de nos gestes, de nos paroles. 54
Le fait que le processus de la confession offre un certain parallélisme avec les méthodes psychanalytiques libératrices de l’inconscient, n’est pas une raison suffi sante pour encourager l’adhésion aux implications mul tiples de la confession ENVISAGEE COMME SACRENiENT. L’examen de conscience a certes du bon et le fait de nous libérer du fardeau de nos peines, de nos secrè tes difficultés est favorable à l’épanouissement de la vie psychique. Cependant, la détente qui résulte du fait que nous livrons à d’autres ce que nous avons « sur le cœur », peut être réalisée par l’attitude intérieure que nous sug gère Krishnamurti. Elle est très éloignée d’une « rémis sion des péchés », cette dernière étant psychologique ment et métaphysiquement une erreur lourde de consé quences. Lorsque nous vivons simplement, naturellement, sans chercher à briller, sans prendre des masques, nous libérons spontanément les contenus de l’inconscient sans recourir à la confession. Une autre notion, spirituellement et psychologique m ent FATALE est celle de l’indispensabilité des inter médiaires entre l’homme et le divin. Nous rappellerons que la descente des contenus de l’inconscient dans le conscient nécessite une attention et une persévérance considérables et que d’autre part, les couches de l'inconscient se situant dans l'intimité la plus profonde de la structure psychique de chaque individu, ne peuvent se révéler que par un processus profondé ment individuel. 11 y a incompatibilité radicale entre le but lointain 55
et inaccessible (selon Jung) de la personnalité totale et l’adhésion à un système quelconque de pensée ou le cul te des « intermédiaires ». Le premier devoir d’une âme qui désire se connaî tre est un devoir d’autonomie. Le première tâche qui nous incombe est celle du doute. Nous devons repenser tous les problèmes, met tre en doute toutes les valeurs d’une civilisation fausse que nous avons mécaniquement adoptée. Jung reconnaît lui-même le fait que nous sommes plus possédés par nos facultés que nous les possédons. 11 s’élève avec raison contre la psychologie de «masse» ou l’individu est écrasé,' mécanisé, spirituellement inerte. Il tombe sous le sens que toutes les fois que nous donnons notre adhésion à un système d’idées, nous sommes « agis ». Lorsque nous nous plions aux exi gences de dogmes, nous ne sommes plus des individus, ni des « personnalités totales », nous dit Krishnamurti. Avant qu’un esprit puisse se connaître, il faut lui permettre de fonctionner. Et pour qu’un esprit fonc tionne, il lui faut la liberté. Mais cette liberté ne s’acquiert pas sans peine. L’édifice sur lequel repose notre « moi » s’est construit depuis des millions d’années par le travail lent et per sévérant de processus, qui, dans leurs débuts sont en contradiction avec la condition de liberté suprême in hérente à l’essence profonde des êtres et des choses. Découvrir ces processus à l’œuvre en soi, pour s’en li bérer ensuite, telle est la tâche gigantesque que nous devons accomplir.
La réalisation de cet accomplissement nécessite, l’affranchissement de tout le passé, de tous les contenus de l’inconccient. Carlo Suarès nous en donne une compréhension bien nette dans « La comédie psychologique » (p. 236). » » » >. » » » » » » » » » » » » » » » » » » »
« La courbe du subjectif, dorénavant, ne peut plus se résoudre, et parvenir à son accomplissement, en créant sur la planète des espèces nouvelles. Elle ne peut se résoudre que dans des individus humains, disposés à rechercher la PERMANENCE DYNAMIQUE. DU MONDE QU’ILS AVAIENT PERDUE dès L’ORIGINE DE LEUR « MOI ,» ET DISPOSES A DETRUIRE, DANS CE BUT, LA PERMANENCE STATIQUE DE CE « MOI ». » La sève de la Terre ne nous laisse aucun répits Dans une prodigieuse lutte contre la Nature, les coques fermées que sont les «moi», ont construit pendant des siècles un univers fantastique, délirant, essentiellement contradictoire. CETTE LUTTE CONTRE LA NATURE EST UN PHENOMENE NATUREL. CHAQUE MOI ABRITE EN LUI, DANS LE TREFONDS DE SA SUBSTANCE, L’INSTANT ETERNEL DONT IL EST ISSU, CETTE ADHERENCE A L’INSTANT ETERNEL DONT IL EST LA CONTRE PARTIE, DONC LA NEGATION. II l’abrite comme une coquille d’œuf abrite la vie future qui la cassera un jour. Phénomène à la fois collectif et individuel : nous sommes entrés dans une ère, peut-être plus longue et plus douloureuse que celle des guerres des Dieux et des Titans : L'ERE DES 57
» GUERRES ENTRE l’Humain et le divin. ENTRE -» LA CONSCIENCE ET LE MYTHE, ENTRE LE » PRESENT ET LE PASSE. » Si l’Humain est déjà né, le sous-conscient est » loin d'être encore terrassé, et les « moi » en masse » compactes, en congrégations terribles se lèvent par» tout pour lutter contre la vie. De tous temps, les traditions, les dogmes, les pré" jugés ont agi comme principes conservateurs du passé sur lequel s'est édifié le « moi ». Toute la difficulté pour l’homme réside dans le fait qu’il est victime de ses propres créations et qu’au surplus, les principes conservateurs du passé lui confè rent un sentiment de sécurité. « Imaginons un homme débarassé de tout cet » échafaudage statique du moi, nous dit Carlo Suarès » (p. 239). 11 retrouverait un perpétuel état de naissan» ce consciente, l’état plastique, souple, de l’être qui » perçoit la présence de l’instant, et cet état, qui ne » serait plus étouffé à tout moment par les dépôts cris•» tallisés du Temps, serait une résonnance dynamique » de tous les instants à chacun de leurs présences. LA » PERSONNALITE DE L’INDIVIDU SE RECREE» RAIT, elle serait la courbe unique de ses nouvelles » réactions, de ses réactions qui étant dorénavant en ■» harmonie parfaite avec le présent, ne seraient plus à -» vrai dire des réactions, MAIS DES EXPRESSIONS » PARTICULIERES ET IMPERSONNELLES de la vie » créatrice en UN POINT. Cet individu serait à chaque j> instant la consommation de tout son passé, donc du » passé de toute la race, donc du passé de tous les 58
> > > » • > > » »
temps et de tous les univers. IL SERAIT ABSENT A LUI-MEME ET PRESENT AU MONDE EN CONTACT AVEC LES CHOSES DONT IL DISCERNERAIT AVEC CERTITUDE LA VRAIE VALEUR L’ESSENCE LES NOMS QU’ELLES PORTENT AU REGARD DE L’ETERNITE. Mais il serait devenu comme invisible à lui-même, en ce sens qu’il ne pourrait plus se situer dans l’univers des entités qui disent « je suis moi. »
Fonction humaine de création et non d’imitation L’homme est destiné à créer, tant sur le plan de là matière que sur celui de l’esprit. La confusion et l’irresponsabilité existent dans le monde actuel parce que les hommes se sont bornés à copier aveuglément, à obéir, à imiter servilement ce qui leur a été présenté. Ce manque de sens critique, cette absence de ri chesse intérieure est à l'origine de tous les mouvements de masse et des catastrophes qu’ils engendrent. Affirmer que l’homme en tant qu’individu, est à priori incapable de ne compter que sur lui -— comme le font de nombreux dogmes — engendre l’exploitation de ceux qui profitent de sa prétendue faiblesse natu relle. Etant incapable de trouver en lui, les richesses in finies qui résident cependant en lui, l’homme a réclamé les « chefs », les « miracles » extérieurs. Le culte de l’autorité, et les mouvements de masses résultent d’une faute d'éducation fondamentale : celle par laquelle on inculque aux hommes la nécessité de s’en remettre à d’autres qu’eux mêmes pour résoudre leurs problèmes intérieurs. Nous avons vu comment le destin a sanctionné ces 60
faillites de l’homme que nous nommons le culte d ’autrui et les mouvement de « masse ». Là, ou cesse le jugement individuel, là où les fa cultés d'auto-critique se trouvent obnubilées, les hom mes s’identifiant aux idées qu’ils imitent, deviennent les fanatiques d’un système au nom duquel s’excuseront les crimes les plus odieux. L’histoire nous en fournit d’in nom brables témoignages. L’homme ne peut s’épanouir dans la plénitude de ses fonctions psychologiques qu’à la condition d’être libre. Un esprit conditionné ne peut fonctionner libre ment. Les croyances et les dogmes constituent les pires entraves au libre fonctionnement de l’esprit. Krishnamurti respectant scrupuleusement les con ditions de liberté et de spontanéité du Réel, nous incite à nous libérer des cristallisations religieuses, estimant qu’elles immobilisent la pensée de façon négative. Cette notion est très éloignée de Jung. Nous ne citerons que ce passage de Jolan Jacobi (p. 146). Jung n’a rien à ajouter à un conscient qui se » trouve encore à l’abri dans la foi, et dans la symboli» que du dogme; de même il encourage à tout point de » vue celui qui cherche le chemin qui le ramène à » l’Eglise. » Nous savons que les contenus de l’inconscient ne descendent dans le conscient que dans la détente et la souplesse mentale. Loin de donner la souplesse et la dé tente psychiques, le dogme fixe l’esprit, le fige dans une attitude, le cristalise. Les croyances et les dogmes, loin de développer l’âme, la broyent dans un moule rigide ment limité et l’endorment par les consolations faciles auxquelles seuls les faibles donnent leur adhésion.
Le processus de cette faiblesse est clairement ex pliqué par Carlo Suarès dans la « Comédie Psychologi que » p. 207. « Aussitôt que le « je » émerge de sa sous-cons» cience juste assez pour dire « je suis moi », c’est-à» dire, pour se constater, cette constatation qui » est un doute, lui fait peur. 11 a peur parce qu’il a » douté (inconsciemment) de sa réalité, mais il ne se » rend pas compte que cette peur provient d’un doute. » Il ne veut plus perdre pied, il met tout en œuvre pour » se prouver que ce « moi » est réel. Il se réfugie dans » une congrégation, et se sent « sauvé ». Dans les con» grégations chacun a besoin de sentir autour de lui la » foi des autres. Ainsi s'apaisent la peur et le doute. « Mais si ce « moi », rejetant toute peur, ne » craint pas d’en arriver un jour aux pires extrémités, » à se perdre, à danser sur l’abîme, à se précipiter » dans le vide, à n’avoir plus de lieu ou reposer sa » tête, bref, si, poussé par le dynamisme magnifique » du doute absolu, il ne craint pas de dissocier son » être de tout, de tout absolument; d’émerger chaque » fois, de rejeter les nouveaux pièges que lui tendent » tous les objets du monde pour l’associer à eux; de » détruire la nouvelle entité qui se reconstruit sur les » ruines de l’entité qui s’écroule; ce « moi », transfor» mé en une torche incandescente brûle impitoyable» ment tout ce qui est lui, pour se prouver que ce » n’était pas encore lui, alors un jour, devenant su» prêmement conscient, et ne trouvant plus rien à » quoi s’associer; CE QUI RESTE DE LUI SAUTE » TOUT ENTIER DANS LA FLAMME ETERNEL» LE QUI CONSUME TOUT. SAUF L’ETERNEL, 62
» ET, ETANT MORT EN TANT QU’ENTITE, IL » N’EST PLUS QUE VIE. » Pour en arriver à cet accomplissement final, le » « Moi » doit rejeter toutes les vérités qu’on lui offre, > il ne doit obéir à personne, il doit être insoumis, iL » doit s’affranchir de toute imposition, de toute auto» rité spirituelle, de toute croyance, de toute doctrine, » de tout idéal, de tout conformisme et de toute idée » acquise ». Ce n’est jamais en fuyant nos expériences et en prenant refuge dans des consolations, des croyances et des dogmes que nous libérerons l’inconscient. Et n’y a-t-il pas de refuge plus évident que les croyances et les dogmes ? Il est pourtant facile de comprendre que toutes les fois que nous nous en remettons à une autorité extérieure, à un système d’idées, à un préten du intermédiaire entre le divin et nous-mêmes, nous nous évadons et prenons une orientation diamétrale ment opposée à celle qui s’impose et découle simple ment de la nature et de la structure des choses et des êtres. A ce sujet, nous pourrions dire que le monde ex térieur avec sa multiplicité d’apparences est construit sur un monde intérieur plus homogène. Ceci est déjà vrai en physique. L’infiniment grand repose sur l’infiniment petit. Les aspects extérieurs de l’univers interviennent à titre second et dérivé devant les aspects «intérieurs» d’une énergie qui forme la base unique et l’aliment es sentiel des choses et des êtres. Ainsi que l’exprime Jung, le conscient, plus 63 -
extérieur, « n’est qu’un rejeton tardif de l’inconscient.» Dès le point de départ actuel, l’homme vivant est érigé en vase clos ici à la surface. 11 doit s’orienter de profondeur en profondeur, à travers les couches succes sives du conscient et de l’inconscient afin d’en appré hender tous les contenus et de ce fait, s’en libérer. Mais il est entendu qui si cette libération s’effectue par les contacts avec autrui, donc des éléments extérieurs à nous, elle ne peut se faire que par un processus profon dément individuel au cours de ces contacts. Nous de vons être suprêmement attentifs à nous libérer de tou tes les contraintes psychologiques du milieu ambiant, sans quoi nos contacts avec autrui ne sont plus réels, ni révélateurs. Ainsi que l’exprime Krishnamurti, un homme qui en rencontre un autre à travers une croyance, le voit à travers le prisme déformateur de ses préjugés, de ses idées préconçues, de ses clichés dogmatiques. 11 y a là autant de facteurs qui fausseront son optique et lui li vreront des éléments dénués de toute objectivité. Rien n’est plus absurde de prétendre que des contacts profonds et spirituellement vivants peuvent être établis entre deux hommes qui s’abordent en ayant chacun l’esprit chargé d’idées fixes, un mental fossilisé dans le dogme. De tels êtres ne pensent plus. Pour eux les problèmes sont soi-disant résolus. Dans de tels con tacts, nous dit Krishnamurti, il n’y a qu’ajustements, que coercitions, calculs et méfiance. Aucune spontanéité, aucun ouverture d’âir.e, au cune détente, ne sont possibles entre deux esprits dog matiques. L’alternative est claire. Ou bien l'homme se 64
dilivre de l’emprise des dogmes et accède à la sponta néité, ou bien il reste dans l’attitude de réserve que lui commande une prise de position bien précise. La plus haute fonction de l’homme est pour Krishnamurti la connaissance de soi parce qu’elle ou vre la porte à la découverte du divin. En nous laissant embrigader dans un système de pensée nous enlevons toute liberté à l’esprit. Rien ne nous éloigne plus du divin que la fixa- • tion de la pensée. DIEU EST LIBERTE ET SPONTA NEITE. UNE SPONTANEITE NE SE « CONQUIERT PAS PAR UN ACTE DE VOLONTE ET MOINS EN CORE PAR L’IMITATION D’UN MODELE. « LA LIBERTE N’EST PAS UN RESULTAT ». nous dit Krishnamurti (p. 63 Madras 47) qui sous entend par là que la Liberté véritable est celle de Dieu; et que Dieu existant p a r. lui-même, étant « au to-gène », n’est pas un « résultat ». « POUR DECOUVRIR LE VRAI DIEU IL » FAUT QU’IL Y AIT LIBERTE; MAIS VOUS NE »» POUVEZ PAS ETRE LIBRE DE DECOUVRIR » LORSQUE VOTRE ESPRIT A L’HABITUDE DE ,, PENSER DANS DES LIMITES BIEN DETER» MINEES. « Pour recevoir la Vérité, il faut avoir la liberté » de penser clairement, profondément. Il faut une » lucidité sans choix, sans condamnation, sans identi» fication. La discipline empêche la pensée, et CE v N’EST QUE DANS LA SPONTANEITE QUE LA » LIBERTE PEUT ETRE REELLE, QUE L’INCOM> MENSURABLE PEUT ETRE CONNU. » 65
Une autre différence essentielle entre Jung et Krishnamurti réside dans le fait que la base de la mé thode jungienne est une analyse, un travail mental. L’homme étudie le contenu de ses rêves, il les juge, il en tire des conclusions basées sur l'expérience du Le processus krisnamurtien, tout en paraissant in tellectuel; métaphysique et par conséquent très men tal, fait appel à une « certaine » cessation de l’acte mental, ainsi qu’à la libération intégrale de tout le passé : que ce passé soit celui hérité, celui façonné par l’éducation, celui des mémoires obscures inhérentes à l’inconscient collectif, ou encore celui de nos propres expériences. La plus haute fonction de la pensée est de se dé montrer à elle-même le bien fondé de son silence afin d’être utilisée, coordonnée par une Réalité qui la déPour Krishnamurti, la pensée — qu'elle se situe dans le conscient ou dans l’inconscient — est un résul tat du passé. Tout son effort tend à nous faire accéder à l’expérience d’une Réalité divine toujours renouvelée, éternellement présente. 11 existe donc une incompatibilité entre nos mémoires et nos pensées qui sont un résultat du passé, d’une part, et d’autre part la Réalité divine, existant par Elle-même au rythme d’un jaillissement prodigieux qui La fait toujours nouvelle impréfigurable, impensable, incommensurable. C’est ce qu’exprime Krishnamurti (p. 131). Krish namurti parle : « La mémoire est de l'expérience accumulée; ce 66
» » » » » » » »
qui est accumulé est le connu, le connu est toujours du passé. Avec le fardeau du connu peut-on découvrir l’intemporel? Ne devons-nous pas être libres du passé si nous voulons éprouver par expérience l’incommensurable? Ce qui est construit, c.à.d. la mémoire, ne peut pas comprendre ce qui ne l’est pas. LA SAGESSE N’EST PAS UNE MEMOIRE ACCUMULEE MAIS UNE SUPREME VULNERAB1LITE AU REEL...» Cette dernière phrase est essentielle dans la pen sée Krishnamurtienne, car elle résume l'attitude spé cifique de son enseignement. Si Krishnamurti nous incite à nous délivrer de l’emprise de nos préjugés, de nos croyances, de nos dogme3, de nos disciplines extérieures et intérieures, ce n’est pas pour nous transformer en maniaques de la négation, et moins encore pour perm ettre à notre égoïsme de satisfaire ses fantaisies innombrables. Il s’agit que nous nous mettions dans les condi tions telles que la réalité que nous portons en nous puisse s’exprimer librement. Lorsque nous avons pleinement compris le pro cessus fondamental de notre « moi » et toutes les ser vitudes auxquelles nous entraine notre « soif de de venir », cette compréhension est elle-même libératrice et engendre une sérénité profonde, vivante qui ne ré sulte pas d’un acte de volonté. Krishnamurti nous dit à ce sujet (Krishnamurti parle p. 65) : « Cet abandon du « moi » n’est pas un acte » de volonté. Ce voyage vers l’autre rive n’est pas un » acte délibéré. La Réalité naît de la plénitude du 67
» silence et de la sagesse. Vous ne pouvez pas inviter » la Réalité, elle doit venir à vous, vous ne pouvez » pas choisir le Réel, c’est lui qui doit vous choisir. » La majeure partie des divergences entre Jung et Krishnamurti pourrait provenir de leur formation très différente. Jung est avant tout médecin. Sa fonction de psychiatre consistait à ramener l’équilibre chez des malades mentaux. C’est donc en psychothérapeute que Jung aurait constaté l’utilité des dogmes religieux, non pour l’épanouissement des individus normaux, mais pour remédier à des déficiences. C’est ultérieurement qu’il a généralisé ses conclusions et s’écarte nettement de l'attitude krishnamurtienne.
68
L ’ enseignement de J . Krishnam urti Les paragraphes qui suivent n’ont pas la préten tion de donner une vue globale de la pensée krishnamurtienne, et n’engagent que nous-mêmes. Nous con seillons aux lecteurs désireux d’approfondir les œu vres du grand penseur indou, la lecture des ouvrages édités par les soins du « Krishnamurti Writings Incor poration ». Quoique Krishnamurti ne puisse pas être considéré comme un « penseur d’Orient » — s’étant libéré des contenus de l’inconscient personnel et de l’inconscient collectif d ’Orient — . nous reproduirons, à la demande du public, quelques passages offrant une similitude avec certains penseurs d’Orient. L’IMMOBILITE CREATRICE DU REEL. Tout l’effort de Krishnamurti consiste à faire prendre conscience de la stérilité des efforts de l'égo et de ses manifestations dans le domaine de l’esprit aussi bien que dans la matière. Il demande que nous devenions pleinement conscients de nos évasions con tinuelles par lesquelles se satisfait inlassablement notre soif de « durer » et de « devenir ». Ce que l’homme pense, il le devient, nous dit un vieux proverbe indou... En fait, nous pouvons obtenir 69
et devenir ce que nous désirons. Il suffit d’y mettre le Si nous voulons obtenir le pouvoir et les richesses de la matière, nous pourrons nous dépenser jour et nuit par un travail inlassable et, nous aidant de la ruse, nous finirons un jour par récolter le fruit de nos efforts. Si la richesse matérielle n’est plus de nature à nous intéresser,^ notre ambition et notre recherche de prestige peuvent s’exprimer dans le domaine de l'esprit. Là aussi, il suffit de payer le prix, de faire l’effort né cessaire. Si nous désirons briller par l'érudition, par l’ha bileté à résoudre des problèmes mathématiques com plexes, il suffit de faire l’effort nécessaire. Avec volon té, persévérance, unité de direction, noua pourrons •toujours vaincre les obstacles et arriver à nos fins. Et alors? En sommes-nous plus avancés pour au tant) Ne nous apercevons-nous pas que nous sommes toujours un point limité dans le temps et l’espace, né il y a quelques années, mourant dans quelques anII faut que nous sentions que nous tournons en rond, QUE NOUS SOMMES PRISONNIERS. En d’autres termes, Krishnamurti nous incite à nous connaître pleinement, à démasquer en nous la comédie inconsciente que nous nous jouons à nousmêmes à chaque instant. Il nous démontre avec une simplicité et une évidence souvent déconcertantes à quel point la plupart de nos activités prétendues spi rituelles ne servent qu’à satisfaire la soif subtile de de venir de notre égo. Après avoir été déçu sur le plan de 70
la matière, il se met en tête de conquérir celui de l’esprit. La lecture et surtout la mise en pratique de l’en seignement de Krishnamurti nous montrent à quel point notre pensée est influencée, conditionnée par une foule de notions fausses, superficielles, aveuglé m ent acceptées. De plus en plus nous nous rendons compte à quel point les vieilles traditions depuis long temps dépassées par les faits exercent sur la plupart de nos spiritualismes supposés évolués, une magie tou te-puissante dont le prestige est loin d’être éteint. « LA LUCIDITE VIS-A-VIS DE SOI-MEME, dit-il (Kr. parle, p. 36) « PERMET DE DECOUVRIR LE MODELE, L’HABITUDE, LE CONDITIONNE MENT DE LA PENSEE, L’AUTO-LUCIDITE ET LA CONNAISSANCE DE SOI, QUI ENGENDRENT LE PENSER, DEVOILENT L’IMMOBILITE CREATRI CE DE LA REALITE » Dans ses discours récents, Krishnamurti insiste continuellement sur l’immobilité du Réel, sur le calme du « penser-sentir ». Dans d’autres textes, plus anciens, il insistait sur le Mouvement de la réalité suprême, sur le mode d ’existence intense et dynamique de l’essence univer selle, qu’il opposait à l’existence statique de l’égo. Y a-t-il contradiction dans ces affirmations ? Ces contradictions sont plus apparentes que ré elles. Parlant d’un domaine échappant à tous les op posés, mais employant le langage humain inhérent aux opposés, il est inévitable que des affirmations contra dictoires dans la forme expriment une vérité identique quant au fond.
En 1936, Krishnamurti définissait la sagesse de la façon suivante : « complété vulnerability is wisdom ». A ce moment, il évoquait fréquemment l’expression « mouvement de la vie. ou extase du mouvement de la vie ». La sagesse était donc définie comme la par faite vulnérabilité, ou parfaite réceptivité au mouve ment de la vie. Autrement dit, l’état de libération est celui au cours duquel le rythme universel s’exprime librement dans l'individu qui s’est affranchi de toutes les résistances statiques pour se transformer en simple instrument de la Présence Divine. Cette Présence revê tait alors un caractère fluide et dynamique. « Vous ne pouvez connaître la Réalité par la pensée » dit Krishnamurti. Vous ne pouvez connaître que ce qui n’est plus. La réalité est continuellement vivante, créatrice. » D’autre part, en 1944, (Ojai 1944, p. 36). il dé finit la plus haute sagesse « apparaissant avec l’immo bilité CREATRICE du cœur-esprit ». Nous avons souligné avec intention « créatrice » dans l’expression « immobilité créatrice ». Ceci indi que clairement que l’IMMOBILITE DU REEL EST DIFFERENTE DES IMMOBILITES CLASSIQUES RIGOUREUSEMENT EMPREINTES DE STATICITE. Aussi paradoxale que paraisse cette affirmation, il s’agit d’une immobilité vivante et dynamique par contraste à notre « mobilité » creuse et superficielle. Cette affirmation n'est pas unique en son genre. Il y a quelques milliers d’années, Hermès employait un langage semblable en répondant à une question de son disciple Thot : 72
« L’absolu, disait-il, se meut intensément dans sa. stabilité. » Nous pourrions d ’ailleurs faire de nombreuses comparaisons en empruntant les exemples fournis par la nature du monde. Un fragment de marbre est apparem m ent immo bile. En fait, il ne l’est pas du tout. Au delà de son masque figé, les molécules qui le constituent effec tuent des milliers de milliards d'oscillations à chaque «econde. Nous pourrions dire que ce fragment de m arbre se « meut intensément dans sa stabilité. Reprenant l’antique adage : « Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut » et réciproquement, ne pourrions-nous pas transposer l’image du mouvement m atériel se poursuivant au sein d'une apparente stabi lité, dans d’autres domaines ? Autrement dit, ce qui est « en haut » ne serait-il pas SEMBLABLE à ce qui est « en bas » ? Nous avons de profondes raisons de le penser, d'autant plus que pour Krishnamurti, comme pour nous il n’existe ni «haut», ni «bas», ces deux aspects n’é tant que les faces opposées mais complémentaires d’une même réalité : le TOUT. Lorsque Krishnamurti emploie le term e « im mobilité », nous pensons qu’il l’emploie à dessein, pour l’opposer à la mobilité constante de l’égo qui veut « durer » et « devenir ». Dans la libération de l’avi dité de devenir, IL Y A PAR CONTRASTE, UNE SERENITE QUI EST IMMOBILITE, mais immobilité intensément vivante. 73-
A ceux que ce langage déplaît, nous pourrions dire que l'immobilité créatrice de Krishnamurti est au fond, une « mobilité » plus profonde, plus sereine que la mobilité superficielle et bruyante du « moi ». Dans ses causeries de 1945, Krishnamurti dit : « Soyez silencieusement conscient du devenir : goûtez cette lucidité « silencieuse ». ETRE immobile, et DEVENIR immobile sont deux états différents ». Cette phrase met en relief la confusion dange reuse et très subtile qui pourrait s'établir entre deux nuances assez abstraites. L’ETRE immobile du réel EST. 11 n’est pas un résultat. 11 n’est pas fabriqué. 11 n’a pas à être engendré par nous. Nous avons à LE découvrir. Mais cette découverte exige l’abdication pure et simple du règne de l’égo, de ses limites et surtout de son désir de devenir. Par cette pensée : « Etre immobile et devenir immobile sont deux états différents », Krishnamurti met en garde contre la tentation toute naturelle qu’au rait l’égo à s’entraîner à être immobile, après avoir entendu mettre en valeur le mérite d’une certaine im mobilité. Dans ce cas, l’égo n’aurait fait qu’osciller d’un extrême à l’autre. Il irait de l’agitation au calme. De la mobilité à l’immobilité. 11 resterait dans les opposés. Mais il resterait tou jours fondamentalement un égo. Autrement dit, Krishnamurti arrive à la suppres sion de la dualité par l’extinction psychologique du sujet leur servant de support. 74
Le dépassement lucide du «moi» résoud tous les pseudo-problèmes résultant de la position fondamen talement erronée du « moi » lorsqu’il s’imagine être un existant indépendant. Parlant de l’égo qui voudrait devenir immobile, Krishnamuri dit (Krishnamuri parle, p. 36) : « Le dé venir immobile ne peut jamais éprouver par expérien ce l’état d’ ETRE immobile. Ce n’est qu’en l’état im mobile que tout conflit est dépassé. » Cette cessation du devenir de l’égo envisagée avec «•ffroi par la plupart des Occidentaux n’est pas un pur néant. Elle est la réalisation même de l’ETRE; véri table apothéose où se parachèvent les plus hauts som mets de l’intelligence et de l'amour. Nous retrouvons ici aussi la pensée de Jung, rela tive au dépassement des problèmes.
75
L ’éternel présent Il serait difficile d’expliquer complètement ce que Krishnamurti entend par « l’immobilité créatrice » du Réel sans faire intervenir l’une de» notion* les plus fondamentales de son enseignement : celle de l’Eternel Présent qu’il nomme actuellement l'intemporel. 11 est métaphysiquement évident que l’état d’être immobile d’une réalité suprême exclut tout «devenir», tout mouvement, donc toute croissance et, partant, élimine toute notion de Temps, d’Espace, de Causalité. La plénitude de l’état d’être immobile excluant le « devenir », implique automatiquement la notion d’un Présent Eternel. Au point de vue pratique, toute la difficulté pour nous réside dans le fait que nous sommes entièrement régis par les processus du « devenir » qui nous voilent l’éternelle Présence à Laquelle nous voudrions accé der. Krishnamurti le définit en d’autres termes (Krish namurti parle, p. 38) : « Le Présent est l’éternel. Au moyen de la durée, ce qui est sans durée, ne peut pas être perçu. La com préhension ne vient qu’à travers le Présent; remettre 76
au lendemain n’engendre pas la compréhension. Le temps n’est dépassé que par l’immobilité du Présent. » P. S. — La notion de VEternel Présent, trop impor tante pour être étudiée dans cet ouvrage, sera dévelop pée dans une étude ultérieure.
Krishnamurti, les Vedas et le Buddhisme Cette notion nous rappelle certains passages de l'antique Vedânta et du Buddhisme. Du Vedânta d’abord, par la définition de l’Advaïta, « l’Un sans second, l'irremplaçable trésor de meurant enfoui au cœur de toute existence, existant par Lui-même, complet en Lui-même, au delà de tout devenir, suprêmement incréé, sans commencement ni fin ». Du Buddhisme ensuite, par la mise en évidence continuelle de la cessation du « devenir » comme con dition « sine qua non » de la réalisation de l'Etre. L'un des buts fondamentaux du Buddhisme con siste à démasquer en nous les moindres détails du pro cessus du « moi », de ses manœuvres grossières ou subtiles en vue de « durer », de ses avidités, de sa « soif de vivre et de devenir » (Tanha). Pour les Maîtres Tibétains, la condition « sine qua non » de la « Vue Juste » est la suppression des confections mentales. Le plus fameux des adages des Maîtres du « Sentier Direct » dit : « Ne pense pas... n’imagine rien... ne superpose rien à CE qui EST...». Cette ultime transparence de l’émotion et de la pensée est indispensable à la manifestation de CE qui les dépasse. Un Maître advaïtiste comparait le Mental à
«me vaste salle encombrée de meubles. Les meubles -.ont les idées. Il y en a depuis le plancher jusqu’au plafond, de toutes parts, elles nous assaillent et nous obsèdent. Or, disait Dayalshanti Chose, nous atten tions un Grand Visiteur, mystérieux, inconnu et nous devons LE recevoir dans la grande salle. Comment pourrions-nous le faire sans la libérer des meubles innombrables qui l’encombrent? Autrement dit, com ment pourrait-IL nous visiter, nous « choisir », si nous ne LUI faisons pas la place, si nous ne nous dépouil lons pas des innombrables « confections mentales » qui meublent notre esprit et ternissent la splendeur de ea clarté première? C’est ce qu’exprime Krishnamurti, pour qui les traditions et les croyances sont rangées parmi le& « confections mentales » des Buddhistes. « La tradi tion et la croyance » dit-il (p. 44, Krish. parle) « mou lent l’expérience, mais pour éprouver la Réalité qui n’est d’aucune tradition ni d’aucune idéologie, la pen sée ne doit-elle pas aller au-dessus et au delà de son propre conditionnement ? » L’idée de l’activité mentale qui s’oppose au si lence de l’Etre est fréquemment évoquée dans le Buddhisme pour qui la pensée est la manifestation qu'a l’égo de « durer » en vertu de son insatiable soif de « devenir » (Tanha). Pour le Buddha, l’Etre, ou la Base du Monde est l'Incréé. Le Buddhisme est d’ailleurs une des rares religions qui ne soit pas une religion de création. L'Etre profond est incréé, et l’univers lui-même dans son ensemble est incréé. Il n’a ni commencement, ni fin. U se transforme.
La réalisation du Nirvana n’est atteinte que par la cessation des « skanda » ou forces et tendances qui dérivent de l’instinct de conservation du « moi », en chaînant ce « moi » dans le « devenir » et les « créa tions » du « Samsara ». La roue des morts et des renaissances successives du Samsara ne cesse de tourner que lorsque l'homme s’est délivré de la soif de « devenir », lorsqu’il abolit la volonté égoïste par l’acte de compréhension et de VUE JUSTE. Telle est l’une des attitudes les plus caractéristi ques du Buddhisme tibétain du « Sentier Direct ». Nirvana signifie bien annihilation. Mais encore faut-il voir de quoi? Annihilation du faux égo de surface, pris aux pièges innombrables de sa soif de devenir, afin que resplendisse la Lumière infinie de l’Etre. Nir vana est donc un triomphe de l’infini sur le fini, le ré sultat d’une offrande librement et joyeusement con sentie d'un égo ayant soudainement saisi la stérilité de la comédie qu’il se jouait à lui-même. L’esprit réel du Nirvana se trouve admirable ment exposé au cours de ces trois sentences de Dayalshanti Ghôse. (« Divine Féerie », p. 19-21) : Parce que j'a i erré et souffert Parmi ce qui naît et ce qui meurt. J'ai entendu l'appel irrésistible De CE qui n ’est pas né! E t parce que je suis un fanatique de CE qui n'est pas né. Je suis libre..., éternellement libre, Comme seul est libre, Ce qui n'est pas né... 60
lin vérité je te dis avec force : lin cet Incréé Suprême Itéside le secret de l'Im m ortalité, lin Lui, et en Lui seul, Demeure l'éternel triom phe <)i« t'affranchira de la naissance et de la mort, 4) toi qui nais et qui meurs!...
Cette notion de l'incréé est essentielle dans les pensées védiques et buddhistes. Nous la retrouvons de façon très précise dans Krishnamurti («Krish. parle, p- 44): « La Réalité n’est-elle pas toujours l’incréé? Et L’ESPRIT NE DOIT-IL PAS CESSER DE CREER, DE FORMULER, S'IL VEUT EPROUVER PAR EX PERIENCE L’INCREE ? L’esprit-cœur, ne doit-il pas être intérieurement immobile et silencieux pour que le Réel soit? » Ce passage fait à la fois allusion à l’incréé, à la cessation des confections mentales comme conditions indispensables à l’expérience du Réel. Il va de soi, que seule, la cessation des confections mentales per met de mettre fin aux servitudes du « moi » et au cycle du karma.
81
L ’ éternel présent et la cessation du “ Karma „ Pourquoi la cessation du « karma » et du « de venir de l'égo » dérivent-elles de la réalisation de l’Eternel Présent? La réalisation de l’Eternel Présent fréquemment évoquée par Krishnamurti implique le fait, que le chercheur vit intensément au cours de chaque secon de qui passe, la plénitude d’un état d’êlre qu’il est par ticulièrement ingrat de décrire au moyen du langage humain. Toujours est-il qu’un tel rayonnement d’amour, qu’une telle puissance d’intelligence caractérisent cette expérience transcendantale, que l’être qui la vit, se trouve littéralement anéanti par le prestige de la force irrésistible qui l’envahit. Lorsque nous vivons une expérience qui nous rend intensément heureux, l’acuité même du contenu émotionnel de joie éprouvée, projette une sorte d’in terdit sur l’idée évasive. Nous la vivons simplement, spontanément, et dans la mesure où elle nous comble, l’idée d'une évocation du passé ou d'une anticipation se prolongeant vers le futur, ne nous effleure même pas. Nous vivons dans le présent. Peut-être encore un «présent» singulièrement superficiel, mais c’est un pré sent en tout cas.
82
Un processus analogue se poursuit en nous lors que nous nous ouvrons à la découverte de la Réalité suprême. L’acuité de son prestige irrésistible et pro gressivement envahissant projette un interdit total sur l’idée évasive. Nous restons littéralement suspendus à l’infinie suavité du délice qui nous inonde. Chaque se conde pour nous, se suffit à elle-même, car si, d’une part, nous ne sommes plus que l’instrument d ’une for ce et d’un pouvoir infinis, d’autre part, c’est cette force, ce pouvoir, cette plénitude éternelle et complète en Elle-même, qui nous occupe et vit en nous et par nous. Le mental étant, soit immobilisé, soit coordonné par la Réalité Elle-même, il ne sème plus de « karma ». L’égo étant à la fois comblé et dissous, tous désirs de « devenir », de s’« agrandir », de dominer, de possé der se sont éteints. Reprenons la précédente phrase : l’égo étant à la fois comblé et dissous. Il semble y avoir dans une telle affirmation quelque chose d’absurde et de contradic toire. En fait, cependant, l’égo qui a eu le courage et l’audace de briser ses limites, de dépasser les alterna tives de souffrances et de plaisirs inhérentes aux mon des des dualités opposées, parvient à la réalisation d’un état d’être profondément heureux. Certains di ront, non sans raison, qu’un tel homme n’est plus un égo. Nous dirons pour préciser, qu’il est dans son as pect extérieur parfaitem ent semblable aux autres, mais qu’il est psychologiquement et psychiquement totale ment différent. Ainsi que l'exprim ent certains penseurs indous. cet homme est semblable à une coquille vide, dépouillée de son contenu psychologique d’auto-iden
tification. Il SAIT qu’il n’est plus un « moi», quoique sur le plan physique, ce qui reste de son existence se poursuit par vitesse acquise. Mais plus rien dans un tel homme, n’est au point de vue psychologique, dirigé par un quelconque instinct de conservation égoïste. Ni son intelligence, ni sa pensée, ni son amour, ni ses actes, ne sont égoïstes. Lorsque Rom Landau demandait à Krishnamurti s’il avait encore des préférences personnelles ou des inimitiés, ce dernier lui répondait en souriant : « N’a vez-vous pas compris que ce n’est plu» « moi » qui dirige l’amour vers tel ou tel? » Est-ce à dire que la libération humaine consacre la fin des cycles de manifestations sur le plan maté riel? N’est-il pas possible de mener une vie d ’actes gratuits, libres de leurs fruits? Cette question sera dé veloppée ultérieurement. Ce qui importe pour nous n’est-ce pas d’abord la cessation du « devenir » égoïs te et la réalisation de l'intemporel?
84
Le processus du “ Moi „ selon Krishnamurti et le Buddhisme Une très grande similitude existe entre la façon dont le Buddhisme envisage le processus du « moi » et celle que nous expose Krishnamurti. La « vue juste » et l'attention parfaite des Buddhistes Tibétains offrent un parallélisme saisissant avec la lucidité « krishnamurtienne » (awareness). Tout l’enseignement krishnamurtien incite à réa liser un état d’éveil intense, sorte d’observation silen cieuse et concentrée au cours de laquelle le « moi » pre nant pleinement conscience de lui-même découvre le mobile profond de ses actes, de ses émotions, de ses pensées. Ce mobile profond n’est autre que le désir de « devenir », il n’est qu’une avidité fondamentale qu’a l'égo de « durer ». Krishnamurti nous incite à bloquer toutes les issues d’une évasion hors du présent, par la réalisation d’une attention profonde, seule capable de nous révéler l'immobilité créatrice de la réalité suprêL’inexistence de l’égo, sa fragilité, son impermancnce, son instabilité, sa complexité, son ignorance muse de toutes ses misères sont parmi les vérités fon
85
damentales exprimées dans l’enseignement krishnamurtien et le Buddhisme. Dans celui-ci, l’ignorance se trouve dénoncée comme la cause première de la souffrance. Elle forme le premier maillon d’une chaîne appelée « chaîne des origines interdépendantes » (Pratityasamutpada). Pour Krishnamurti, l’ignorance, le manque de connaissance de soi sont à l’origine de tous les erre ments et de toutes les servitudes humaines. Les livres canoniques des Mahâyânistcs et des Hinâyânistes abondent en textes très précieux mettant en relief l’inexistence du « moi », tel que nous le con cevons. « PERSONNE N’ACCOMPLIT I..’ACTION. » PERSONNE N’EN GOUTE LES FRUITS, SEULE » LA SUCCESSION DES ACTES ET DE LEURS » FRUITS TOURNE EN UNE RONDE CONTI»> NUELLE, TOUT COMME LA RONDE DE L’AR» BRE ET DE LA GRAINE, SANS QUE NUL PUIS»» SE DIRE OU ELLE A COMMENCE. » « CEUX QUI NE DISCERNENT PAS CET EN» CHAINEMENT CROIENT A L’EXISTENCE D’UN » EGO. » (Le Bouddhisme, par A. David-Neel, p.33.) De son côté, Krishnamurti répondant à une ques tion au sujet du « moi » exprime une vérité similaire sous la forme différente. Nous lisons en effet (Krishna murti parle, p. I 13) : « Qu’entendez-vous lorsque vous employez le » mot « moi-même » ? Etant donné qu’il y a de nom» breux « moi », en vous, en changement perpétuel, » existe-t-il un «moi» permanent? C’est l’entité mul-
86
» » » »
tiple, le paquet de «mémoires» qui doit être compris et non l’apparente entité unique qui s’intitule le « moi ». Ce n’est qu’en comprenant le processus dans sa totalité, que la pensée ainsi rendue correcte, b ouvre la porte à l'Eternel. » Cette recréation continuelle du « moi » est mise en évidence dans des textes peu connus du Buddhisme Tibétain, où le processus du « moi » est comparé à une flamme. Si nous regardons distraitement la flamme d’une bougie située dans une pièce privée de courant d’air, nous aurons l’impression de voir une forme brillante, immobile, continue. O r nous savons fort bien que la flamme n’est pas immobile. Elle se recrée à chaque instant. Elle est dans un flux continuel. Elle s’alimente des milliards de molécules de stéarine qui fondent et se consument en se combinant à l’oxygène de l’air et donnent la chaleur de la flamme. La notion que nous avons d’une apparente immobilité de la flamme pro vient essentiellement de notre inattention. Le « moi », disent les Buddhistes Tibétains, est semblable à cette flamme. C’est parce que nous man quons d’attention que notre « moi » se révèle à nous sous une forme continue. C’est par ignorance et ab sence de vue juste, que nous avons de notre soi-conscience et de nos censées une impression continue. Ce sentiment de continuité nous incite à nous considérer comme une « entité » toujours identique à elle-même. La réalité est toute autre. Notre « moi » se recrée à chaque instant. 87
Nous brûlons littéralement comme brûle la flam me d’une bougie. Quels sont les aliments de la flamme du « moi » î> Ce sont, en ordre principal, les pensées et les sensaDans la flamme de la bougie comme dans celle du « moi », il y a circuit fermé. La stéarine fond par la chaleur de la flamme et se combine à l’oxygène de l’air. Cette combustion elle-même dégage la chaleur qui l’aide à se continuer. La chaleur de la flamme du « moi » est la « soiconscience ». Nous pourrions dire également que l’énergie qui assure la continuité du processus du « moi »en cycle fermé provient de l’instinct de conservation. Les penséees dont le va-et-vient nous obsède for ment le principal aliment du « moi ». Le « moi » profond sait qu’il ne pourrait continuer à exister sans l’activité mentale. Pour cette raison, poussé par un instinct de conservation puissant, il fait surgir le cor tège incessant des idées. Ce n’est pas sans raison que les indous procla ment que le « mental est le destructeur du Réel ». Lorsque cessent les agitations de la pensée, l’observa teur attentif remarquera leur discontinuité et l’existen ce de vides interstitiels. Mais parce que chacun de ces vides est un danger pour la pseudo continuité de l’égo, celui-ci s’empresse de le combler, de le meubler des objets de son avidité. Ainsi que l’expriment Krishnamurti et le Buddha, les pensées constituent réellement la manifestation de l’avidité qu’a l’égo de se perpétuer. 88
L’activité mentale provient d'une soif de «durer» de « durer toujours et toujours », de « devenir ». 11 s’agit pour nous, de percer le masque de notre apparente continuité. Rien n’est continu dans l’univers manifesté, tant, au point de vue physique que du point de vue psychi que. La discontinuité physique est démontrée de façon péremptoire par les sciences actuelles, tant pour le temps que pour l’espace. La discontinuité psychique a été mise depuis longtemps en évidence par l’enseigne ment des sages tibétains du « Sentier Direct » et par les védântins advaïtistes. De nombreux textes védiques et buddhistes évoquent l’existence de vides interstitiels entre les pensées dont l’élargissement révèle l’état pro fond de « Turya ». Le nirvana provient donc réellement, ainsi que l’indique l’éthymologie, de l’extinction de la flamme du « moi ». Le « moi » ayant perçu dans une clarté sou daine l'absurdité et la stérilité de son « devenir » n’est plus pris au piège des pensées que fait surgir en lui son instinct de conservation. Cette attitude se trouve ré sumée dans une pensée de Krishnamurti : « The art of living is to bring the « 1 » process to an end ». L'art de vivre consiste à mettre une fin aux processus du « moi » (J. Kr. 1937). La plupart des Occidentaux supposent que cette fin conduit au néant. 11 s’agit en réalité d’une apothéose, au cours de laquelle surgit un processus d’expérimentation indicible de beauté, de silence, de clarté et d’amour. Encore faut-il préciser qu’il n’y a plus dualité d’expérimentateur et d’expé rience. Seule, demeure dans Son irremplaçable splen deur, l’incandescence éternelle, fulgurante et silencieu se du divin. 8‘>
Elargissement de l’intervalle entre deux pensées L'élargissement des vides interstitiels entre, les pensées, aboutissant à la conscience profonde de « Turya » ou de Sûnyata, chez les hindous et les Buddhistes est également évoqué par l’enseignement de Krishnamurti. ENCORE FAUT-IL INSISTER ICI. UNE FOIS DE PLUS. SUR LE FAIT QUE L’EXACTITUDE DE L’ETAT REALISE DEPEND DES MOYENS EM PLOYES. LES MOYENS CONDITIONNENT LA FIN. IL SERAIT PAR CONSEQUENT ABSURDE DE PRETENDRE ARRIVER A LA REALISATION DU SUPREME, EN AUGMENTANT LES VIDES IN TERSTITIELS DES PENSEES PAR UNE DISCIPLI NE DE L’EGO. TOUTE DISCIPLINE NEE DE L'EGO NE PEUT QUE RENFORCER L’EGO ET N'ENTRAI NE QU’UNE AUTO-HYPNOSE IMMOBILISANT TOUTE POSSIBILITE CREATRICE. Le cercle vicieux de l’égo, les vides interstitiels entre les pensées, ne peuvent être modifiés que par l’ouverture à la Réalité Elle-même, et cette ouverture ne peut résulter d'un acte de volonté. Cette Réalité est un Présent Eternel, un prin temps perpétuel, un renouveau de tous les instants. Le
rrand obstacle à la perception de ce Présent éternelle ment neuf est la mémoire. Dans son plus récent ouvrage d’avril 1948 («Unrevised notes of group discussions», p. 70), Krishnai*iiirti s’exprimait de la façon suivante : « Aucune réponse de la mémoire, aussi fugitive fut-elle, ne peut produire une régénération véritable. Lorsque vous le comprenez, cette réponse de la mé moire tombe d’elle-même. « Dans chaque mouvement d’une telle pensée il » y a une existence créatrice. Lorsque la mémoire est » vacante l’esprit est paisible. Par une vigilance cons» tante, cet INTERVALLE surgit lorsque la pensée » n’est plus du tout agissante. Qu’arrive-t-il dans cet » INTERVALLE? » Lorsque l’esprit est dans un tel état, il existe » une lucidité naturelle et extensive qui n’est pas ex» clusive; il y a un état de concentration sans concen» trateur. Le processus est le suivant : Je désire con» naître toutes les formes de mémoire et je suis vigi» lant. Lorsqu’une pensée quelconque surgit, elle est » examinée et sa vérité est vue. Alors cette pensée » tombe d’elle-même. AUCUNE DISCIPLINE, NI >» EFFORT, NI LUTTE NE SONT IMPLIQUES » DANS CECI. Le mental compréhensif se dépouille » lui-même de toutes pensées et il y a également » l’EXTENSION DE L’INTERVALLE entre deux » pensées. Qu’arrive-t-il dans cet état? ». Lorsque la pensée s’élève dans cet intervalle, » elle est examinée avec plus de rapidité. L'EXTEN» SION DE L’INTERVALLE entre deux pensées
» confère une plus grande capacité de traiter toute » pensée ultérieure pouvant apparaître. 11 y a de la » vitalité dans cet intervalle. Tout effort y a cessé; » il n’y a pas de choix, pas de condamnation, pas de » justification ni d'identification; il n’y a pas non plus » d'interprétation d’aucune espèce. » Lorsque dans cet intervalle une autre pensée » surgit, je la reconnais. L’esprit sous la forme de cette » pensée affronte maintenant cet intervalle QUI EST » NOUVEAU. LE NOUVEAU OPERE SUR L’AN.. CIEN ET L’ANCIEN NE PEUT ETRE ABSORBE » PAR LE NOUVEAU, PAR CONSEQUENT LA » PENSEE DISPARAIT. Cet intervalle est extraordi» naire par le fait qu’il est absent d'idées, sans effort » Il y a cessation du désir, et immobilisation de la » pensée. Dans cet état, il est impossible de communi» quer ce qui est expérimenté. Il n'y a pas de sensation; » la sensation fait partie du processus de la pensée. En » lui-même, cet intervalle est vivant, il est agissant. » JE N'AI PAS A LE MAINTENIR ET A DIRE » « IL DOIT VIVRE. » AFFRANCHI DE TOUTE » CAUSALITE QUI PROVIENT DE LA MEMOI» RE, CET INTERVALLE VIT PAR LUI-MEME ET » GAGNE EN LONGUEUR (pas en lui-même, mais » pour celui qui le perçoit). Il y a l’expérience d’un » état tel qu’il n’y a ni cause, ni effet et par consé» quent affranchissement de la mort. » Pour résumer : cet état d’être n’est pas exclu» sif, IL N’EST PAS CONFECTIONNE PAR LA » VOLONTE, N’EST PAS LE RESULTAT DU PAS92
SE. NI LA FIN D’UN DESIR, MAIS IL EST UN ETA T D’ACTION REELLE SANS CAUSE, SANS » TEMPS, VIVANT ET SE TRANSFORMANT EN > LUI-MEME, PAR LUI-MEME. Ce n’est pas une • expérience isolée mais un état d’expérience cons■ tant. Par conséquent, la régénération est une con■ > tinuelle révolution à l’intérieur de nous-mêmes. * Cette régénération est nouvelle et affrontera chaque ■problème de façon neuve. SI CETTE EXPERIEN> CE SE REALISE, LE NEUF RENCONTRE L’AN> CIEN SANS ETRE CONTAMINE PAR L’ANCIEN. > PA R CONSEQUENT, UN TEL HOMME PEUT > VIVRE AU MILIEU D ’UN MONDE D’AVIDITE > SANS ETRE AFFECTE PAR CETTE AVIDITE, » MAIS IL CHANGERA LUI-MEME L’AVIDITE » DU MONDE. >. Ce texte que nous avons traduit aussi littérale ment que possible, dans la forme d’un français assez rebutant dont nous nous excusons, est cependant d’une importance considérable. Sa compréhension non seulement intellectuelle, mais surtout sa réalisation effective peut être aidée par le dynamisme de l’Amour. L'am our est réellement, dans l’homme, tout ce qui s’oppose à l’égoïsme et à la staticité de l’instinct de conservation. L’amour est vivant, dynamique. Il est pareil à un flux continuellement agissant et récèle un caractère de spontanéité très précieux. La pleine connaissance de soi et la perception de l’unité fondamentale du m onde se traduisent par un élan d’amour embrassant toutes choses. L’acuité mê 93
me de cet amour, qui pour être réel et profond se tra duit par un état d’être, projette une sorte d’interdit sur l'idée évasive. Les psychologues indous font remarquer qu’il existe une certaine similitude de processus entre l’immobilisation de l’activité mentale créée par l’extase sexuelle et l’intensité de l’expérience du Réel. Encore faut-il dire que l’une et l’autre n’ont que très peu de rapports, la première renforçant le « moi », la seconde dissolvant le « moi » quoique s’exprimant par lui. Le vide interstitiel existant entre deux pensées peut être étendu, non par la volonté de l’égo, ce qui serait faux, mais par la Réalité suprême Elle-même qui est Amour. Mais, dit Krishnamurti, cet amour n’est pas un sentimentalisme ni une émotion. « CET ETAT D’OUVERTURE SE REALISE SEULEMENT LORS QU'IL Y A AMOUR VERITABLE .», dit-il (p. 3, « India 48). Par conséquent, cet amour n'est pas émo tionnel. C’est un état d’être se réalisant lorsque l'esprit est extraordinairement alerte; mai* « vous ne pouvez le capturer, ni y penser ». En d’autres termes, l’intervalle entre les pensées révèle une plénitude inconditionnée, extraordinaire ment vivante par Elle-même, qui n’est ni spécialement intelligence, ni spécialement amour, tels que nous les manifestons dissociés à l’échelle humaine. Cette plénitude qui est l’extase du Réel constitue un état d'Etre continu, homogène, dans lequel l'amour, l'intelligence, résident sous la forme d’une unité fon cière. C’est pourquoi la découverte de ce suprême in connu implique pour nous l’abdication pure et simple du connu. C’est en cela que réside la difficulté du pro blème. 94
Nous désirons absolument avoir des «certitudes», des preuves intellectuelles, une garantie. Toute notre vie est consacrée à la recherche de certitudes, de preu ves. Cependant, jamais le « connu » ne permettra de résoudre l’inconnu. Ne confondons pas ici le domaine pratique, technique, et le domaine de la vie intérieure. Dans le domaine pratique, physique, le « connu » peut, se perfectionner et révéler l’inconnu physique. Dans le domaine fondamental de la vie inté rieure, l’inconnu à découvrir est continuellement nou veau; il n’a donc aucun point de références. Mais notre mental exige continuellement des références. L'obstacle à la découverte du Présent Eternel est la mémoire. Quels sont les aliments essentiels de la mé moire, sinon précisément tous les éléments du coftnu? Ce n’est que par la totale abdication du connu que l’in connu se révèle. En d’autres termes, pour employer un langage européen, nous dirons que la spontanéité du rythme de l’Etre doit s’exprimer librement en nous, ou plus exac tement dans ce qui reste de nous. Tout attachement à la mémoire, au passé, fait office de résistance statiques’opposant à la fluidité du Réel. Nous pourrions em ployer une image poétique utilisée par des Maîtres Tibétains, tout en mettant les lecteurs en garde contre les dangers qu’offrent les clichés tout faits de l’imagi nation et les dualités fausses qu’ils contiennent. NOUS SOMMES COMME DES HARPES VI VANTES. CHAQUE HARPE EST FAITE DE TROIS CORDES : PHYSIQUE, EMOTIONNELLE ET MEN TALE. DANS L’ETAT D’IGNORANCE CES COR DES S’IDENTIFIENT A ELLES-MEMES ET PRO9S
DUISENT DES HARMONIES DISCORDANTES. DANS LA VUE JUSTE, CES CORDES SE SONT AFFRANCHIES DE LEURS ILLUSIONS, ELLES N’EMETTENT PLUS LES SONS DISCORDANTS ET BRUYANTS DE LEUR AVIDITE DE DEVENIR, ELLES SONT HARMONISEES ET LE GRAND AR TISTE S’EXPRIME LIBREMENT EN ELLES ET PAR ELLES. L’essentiel de la révélation réside dans ce qui précède : Le Grand Jeu ne peut être joué qu’à la con dition de ne plus s’identifier aux masques évanescents de la comédie qui fait son objet. Il n’y a pas d’édifice spirituel à construire, tout est là, disent les penseurs indous: seule une transparence d’âme est à réaliser. La Réalité n'est pas un résultat. Elle ne peut être « manufacturée », dit Krishnamurti. Elle existe par Elle-même. Les processus d'approche de Krishnamurti et du Buddha ne sont négatifs qu’en apparence. Ils consistent à nous dépouiller des fausses valeurs qui nous aveu glent. Tous deux dénoncent systématiquement toutes les attaches et les « inattentions » de notre égo. Cette négation de valeurs illusoires, ou plus exactement leur dissolution par la lucidité et la vue juste aboutit à la réalisation d’un état d’être éminement positif. Cette expérience, loin de déshumaniser l’homme, consacre son accomplissement le plus total. Elle lui confère le sens d’un amour incorruptible et d’une miséricorde sans borne. Elle lui donne la faculté de savoir ce qu’il pense, comment il le pense, et pour quoi il pense. Bref, elle en fait un homme fondamen 96
talement responsable. Cette suprême responsabilité résulte d'une intelligence profonde capable à tous mo ments de démasquer les tentatives envahissantes de la mémoire. Elle consiste en une totale adhésion à l’éter nité du Présent. Nous évoquions précédemment l’importance de l’Amour dans la réalisation spirituelle. Ne perdons pas de vue que l’Amour est, à son origine, infini, gratuit et incorruptible. C’est l’homme qui corrompt l’Amour en l’attachant aux formes, aux sensations. L’intellect est le corrupteur de l’Amour.
Identité de la physique et de la psychologie Il y a non seulement identité de la physique et de la psychologie par les lois de conservation de l'éner gétique psychique mises en évidence par Jung, mais aussi identité de .« structure ». En un mot il existe des similitudes « structurales » et « fonctionnel!.-s ». Les notions de solidité, d'homogénéité et de con tinuité du « moi » sont par exemple tout aussi illusoires que celles de solidité, d'homogénéité et de continuité matérielles. Il y a très souvent identité des lois matériel les et des lois psychiques. Les enseignements récents des sciences physico chimiques sont à cet égard particulièrement éloquents. En effet, la notion de solidité a singulièrement évolué. Le diamant par exemple, symbole de dureté, est constitué par des molécules effectuant 19.000 mil liards d'oscillations à chaque seconde. De plus, ces molécules ne se touchent pas absolument entre elles. Si nous allons plus en profondeur, nous constaterons que les atomes dont sont constituées les molécules ont entre eux des espaces, qui, toutes proportions gardées, sont aussi considérables que ceux des immensités in terstellaires. Si l’on entassait les uns contre les autres, les noyaux d’atomes responsables de la masse d’un cube 98
de cuivre d’un mètre de côté, on aurait à peine un mil limètre cube de volume. Ceci suffit à nous démontrer de façon péremptoire l’illusion de l'homogénéité et de la continuité de la matière. De plus, voyons comment se comportent les cor puscules atomiques. A chaque seconde qui passe, les électrons effec tuent autour du noyau central de l'atome, entre 200.000 et 6.000.000 de milliards de tours. Que sont ces corpuscules? Laissons ici la parole aux physiciens. « Par corpuscule, dit Louis de Broglie, on. entend un paquet d’ondes, un centre de forces, une zone d'in fluences. » Voilà comment la physique, science de la matiè re par excellence, arrive à dématérialiser le monde ma tériel et enseigne à quel point la réalité est diffé rente de l’image que nous en livre l’imperfection de Plus de continuité, plus de solidité, plus d’homo généité, mais partout, discontinuité, fluidité extrême, hétérogénéité. Dans la mesure où nous pénétrons au cœur de la matière, nous découvrons des mouvements prodigieux, rapides comme l’éclair, et la ronde folle des électrons autour du noyau des atomes. Nous dirons avec le pro fesseur Ed. Leroy, dans son cours au Collège de Fran ce. (L’exigence idéaliste et le fait de l’Evolution), que « l’univers est un immense édifice d’étages vibra toires, qu’il est fait de mouvements posés sur des mou vements ». Insistons sur le fait qu’une telle vérité n’est pas un 99
simple assemblage de mots, ni une image déformante de la réalité, ni une construction de l'esprit. De même que la matérialité de l’univers, son ap parente solidité, son illusoire immobilité et sa conti nuité, empruntent leurs apparences à la complexité d’un prodigieux entrecroisement de fluides énergéti ques et d’ondes discontinues, de même sur le plan psy chologique, l'apparente solidité du « moi », son aspect continu, homogène résultent de multiples enchaîne ments discontinus, de causes à effets, se déroulant avec la vitesse de l’éclair. Répétons-le, il n’y a pas plus de « moi » continu sur le plan psychologique, qu’il n’y a de solidité et de continuité sur le plan de la matière. Toute la technique de l'entraînement spirituel préconisé par le Buddha consiste à démasquer en soimême, le mode opérationnel de la multiplicité des cau ses et effets parvenant à donner au « moi » et au mon de leurs apparentes continuité et solidité. La pratique de l'attention juste chez les Mâhâyânistes recommande au disciple la contemplation calme du «défilé des pensées et des images subjectives qui. sans qu’il les ait voulues et appelées, surgissent d’ellesmes en lui; se pressant, s’entre-heurtant comme les va gues d’un torrent. Le disciple doit considérer attenti vement cette procession rapide, sans chercher à en arrêter le cours. Il arive ainsi à comprendre graduel lement que le monde est semblable à cette procession qu’il contemple en lui, qu’il consiste en une succession de phénomènes surgissant et s’évanouissant sur un rythme vertigineux. Il VOIT que, comme l’enseignait 100
le philosophe Buddhiste Santarâkcita : « L'essence de la réalité est mouvement. » La similitude avec l'enseignement krishnamurtien est ici saisissante. En effet, Krishnamurti considère le mécanisme mental dans sa grande complexité et re commande la PACIFICATION de la pensée MAIS NON SA SUPPRESSION. 11 compare la pensée à une machine formée de rouages innombrables. Si nous vou lons examiner son fonctionnement, et saisir comment chaque roue s’enchaîne aux autres roues, il est néces saire de laisser tourner la machine au ralenti. Krishna murti nous incite également à cette observaton intense, dans laquelle d’abord nous prenons conscience de nos pensées sans nous identifier à elles, et ensuite, les ayant clairement appréhendées, nous arrivons à l’identité des pensées et du « moi » plus profond qui les observe et les crée tour à tour. Le Buddhisme enseigne que la pratique de cette attention conduit (« Le Bouddhisme », par A. DavidNeel, p. 66) à percevoir les objets environnants et à se percevoir soi-même, sous l’aspect d’un tourbillon d’éléments en mouvement. « Un arbre, une pierre, un animal, cessent d’être vus comme des corps solides et durables pour une pé riode de temps relativement longue, et, à leur place, le disciple entraîné discerne une succession continuelle de manifestations soudaines n'ayant que la durée d’un éclair, la CONTINUITE apparente des objets qu’il con temple et de sa propre personne étant CAUSEE PAR I.A RAPIDITE AVEC LAQUELLE CES ECLAIRS SE SUCCEDENT. « Arrivé à ce point, le disciple a VU que les phé-
nomcnes sont dus au jeu perpétuel des énergies, sans «voir pour support une substance d'où ils émergent; il a VU que l’impermanence est la loi universelle et que le « moi » est une pure illusion causée par un manque de pénétration et de puissance de la perception. » Cette position est entièrement celle qu'adoptait Krishnamurti, plus spécialement dans ses exposés de 1936 et 1937 à Oramen. De plus, l’un des ouvrages les plus importants et les plus profonds de la pensée Tibétaine, le « Tchag Tchen Gyi Zindi » insiste sur l’unité de la partie mo bile de l'esprit et de la partie immobile («Bouddhisme, A.D.-Neel, p. 67). « Cela qui se meut n'est pas différent de cela qui demeure immobile. L'on constate alors c;ue l’observa teur et l’objet observé sont inséparables ». Dans ses causeries de 1945, Krishnamurti expri me en d’autres termes «ne pensée semblable quant au fond (« Krishnamurti parle », p. 109) : « La pensée ne peut aller au-dessus et au delà de » son conflit que lorsque le penseur n’est pas séparé » de sa pensée. Le penseur est-il différent de sa pen» sée? Ne sont-ils pas un seul et même phénomène? » Pourquoi le penseur se sépare-t-il de sa pensée ? » N’est-ce pas en vue de sa propre continuité ? 11 ne » cesse de rechercher la sécurité, la permanence et » comme les pensées sont transitoires, cette perma» nence, il se l’attribue. Il se cache derrière ses pen» sées et sans se changer lui-même, essaie de modifier » les cadres de sa pensée. S’il se cache ainsi derrière
102
» l’activité de ses pensées, c’est afin de se sauvegar» der. Par la connaissance de soi l'intégration du pen» seur et de sa pensée se produit, et ce n’est qu’alors » que le penseur peut aller au-dessus et au delà de » lui-même. Dans une méditation correcte le penseur » et la pensée ne sont pas séparés : au cours de rares » occasions nous éprouvons, par expérience, cette in» tégralité dans laquelle le penseur a entièrement ces» cé d’être; alors seulement y a-t-il création, ETRE »» ETERNEL. » Ce n’est que par cette pleine connaissance de soi que l’homme se libère du cycle infernal de son égoïste devenir. De l’expérience de l’unité du penseur et de ses pensées surgit l'extinction du processus du « moi », car en un instant, le « moi » devient conscient de la comédie qu'il se joue. Ce contact conscient du « penseur » et de ses pensées aboutit à l’illumination. Pourquoi? Parce que le « moi » est fondamentalement une contradiction ^ par rapport à son essence. Mais il en est totalement inconscient. L’intégration du « penseur » et de ses pen sées rend soudainement évidente l’existence de cette contradiction. Son absurdité et ses illusions se révèlent dans une perception revêtant un caractère de grande acuité. Tel est l’essentiel du processus d’approche krishnamurtien. 11 est, par ailleurs, admirablement dé fini par Carlo Suarès dans la COMEDIE PSYCHOLO. GIQUE. Mais il est tout aussi bien défini dans le “ TCHAG TCHEN GY1 Z1ND1 des Maîtres Tibétains où il est dit dans le sûtra intitulé « Les questions de FCaçya-pa ».
103
Par le frottement de deux bâtons l'un contre Vautre, le feu s’est produit.
Et par le feu né d'eux , tous deux sont consumés.
De même, par l'intelligence née d'eux Le couple formé par l'« immobile » et par le « m ouvant » et l'observateur considérant leur dualité, sont égale ment consumés.
Autrement dit, le « penseur » et ses pensées ali mentent le « moi » par leur dissociation. Lorsqu’ils s’intégrent, leur union donne naissance à une ultime conscience du « moi », qui tel un éclair anéantit les éléments qui l’ont formé, se dissipe ensuite à son tour pour ne laisser que l’éternelle vision du suprême. Ainsi s'écroule l’immense forteresse du « moi » élaborée au cours d’âges sans nombre. Et loin d’être une faillite, cet écroulement est une victoire. Le «moi» s’aperçoit ainsi que les remparts psychologiques qui lui conférait une apparente solidité proviennent d’un entre-croissement prodigieux de causes et d’effets, de tourbillons psychiques rapides comme l'éclair. 11 s’a perçoit que les briques de la forteresse ne sont pas soli des, ces «briques» sont faites de conflits qu’il a créés de toutes pièces, ces briques sont ses pensées, ses sensa tions. Il prend finalement conscience que le ciment qui agglomérait ces briques jusqu’à lui donner l’impression d’être un « moi », une « entité », est bien fragile à son tour. Ce ciment quel est-il? C’est l’instinct de con servation du « moi », son désir de « devenir », de durer. De plus, ce « moi » perçoit que toutes choses autour de lui existent dans de semblables conditions. Nulle part existent des égo, nulle part existent des 104
« entités ». Il se sent comme un objet parmi d'autres objets, une pseudo entité parmi d’autres pseudo entités. Mais en son cœur gronde sourdement un message d’u nité au rythme d’un amour irrésistible qui semble com bler le vide créateur embrassant l’univers entier dans son élan. Le « moi » se délivre ainsi de son rêve et déjoue les pièges de la comédie qu’il s’était jouée. A l’évanouissement de sa continuité et de sa solidité psy chologiques succède un vide créateur. Dans ce vide même existe déjà la joie d’une libération partielle.Mais ce vide d'un instant est rapidement balayé par la plé nitude d’une lucidité et d’un amour sans bornes abolis sant toute dualité.
>
Conclusions Pour les Occidentaux dont le « sens pratique » est très développé, l'enseignement de Krishnamurti constitue un apport précieux. « L'homme libéré » nous dit-il, « est le plus pratique qui soit, car il discerne la Réalité profonde des êtres et des chos. s. De plus, il n’existe pas pour Krishnamurti, un problème spirituel à résoudre en dehors du monde matériel. I.’esprit et la matière sont UN. L’homme libéré vit à chaque instant, profondément centré sur le Présent, libéré des préju gés du passé, suprêmement attentif à tout ce qui se passe en lui et autour de lui. Une telle attitude confère une objectivité exceptionnelle. Jointe à la souplesse d’une détente de plus en plus totale, elle donne à ceux qui l’adoptent une rapidité de réflexe, une profondeur de pensée et une intuition que ne peuvent donner les écoles dites « d’entraînement spécialisé. » Loin d’apporter une déshumanisation de l'bumain l’enseignement de Krishnamurti permet de réaliser son accomplissement intégral. Accomplissement intégral, car dans l'expérience krishnamurtienne se réalisent les plus heut# sommets de l’intelligence par les vues de synthèse et l’activité orginale et créatrice d’une vie intérieure se libérant à chaque instant des fardeaux du passé. 106
Accomplissement intégral de l’homme surtout dans la Plénitude de l’Amour. Car le propre de l’Amour n'est-il pas la sponta néité, la gratuité, le don de soi et l'absence du souci de soi-même. C’est à cette plénitude de Vie que Krishna murti nous invite. Nous pouvons la réaliser, là où nous sommes. Au milieu du monde et de son cortège de souf frances, il nous est possible de devenir un foyer de compréhension’ et d’Amour. Maintenant, nous dit Krishnamurti,i nos esprits sont remplis et nos cœurs sont vides. Clarifions nos esprits et remplissons nos cœurs. Nous retrouverons une richesse que le monde semble avoir perdue : la JOIE de VIVRE, car tout être qui s’accomplit pleine ment selon les plus hautes possibilités de sa nature, s’accomplit dans la JOIE.
107
Note bibliographique sommaire Cari Gustav JUNG naquit le 26 juillet 1875 en Suisse, à Kesswil dans le canton de Thurgovie. 11 fit des études de médecine complète à Bâle et commença sa carrière de psychiatre en 1900. 11 fut assistant à l'a sile cantonal d’aliénés, clinique psychiatrique de l'Uni versité de Zurich, ou il fut rapidement nommé médeII se rendit ensuite à Paris ver# 1902 pour com pléter ses connaissances en psycho-pathologie théori que. Il fut élève de Pierre Janet, apr.'s quoi il se ren dit à Zurich pour suivre les cours de E. Bleuler. 11 élabora bientôt lui-même une méthode de test qui lui valut une réputation mondiale. De nombreux pays étrangers l’invitèrent à leur tribune de conféren ces. Il fut nommé docteur honoris causa de l’Univer sité de Clark (Massachusetts). En 1905 il était privatdocent de psychiatrie à l’Université de Zurich. C’est vers 1907 que Jung eut un premier contact personnel avec S. Freud et s’intéressa à la psychana lyse. Mais vers 1912 Jung publia certaines critiques des théories de Freud qui aboutirent à leur séparation en 1913. De plus en plus attiré par l’étude de l’inconscient et de sa phénoménologie Jung entreprit de nombreux 108
voyages d'études afin d'entrer en contact avec les peu ples primitifs. Il séjourna en Afrique du Nord en 1921 puis se rendit chez les indiens Pueblos de l'Arizona au Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis vers 1924-25. Il visita également les régions du Kenia en Afrique Oc cidentale Britannique. Les philosophes et le symbolisme religieux d'extrSme Orient ne tardèrent pas à l’intéresser. Vers 1930 il rencontra Richard Wilhelm direc teur de l’Institut de Chine à Francfort avec lequel il publia un commentaire de textes taoïstes très anciens (Le mystère de la fleur d’or). Il entra en rapport avec l’indianiste Heinrich Zimmer et Karl Kérényi, philosophe et mythologue hongrois. Jung fut ensuite invité à se rendre aux Indes où il reçut en 1937 le D. Litt. de l’Université hindoue de Benarès, de l’Université Mahométane d’Allahabad et le D. Sc. de l’Université de Calcutta. En 1938 il fut nommé D. Sc. de l’Université d’Oxford et Membre de la Société Royale de Méde cine d’Angleterre. Après une activité extraordinaire comme méde cin-psychothérapeute, collaborateur de nombreuses re vues et publications, Jung fut nommé Membre d’Honneur de l’Académie des Sciences Médicales Suisses en 1943 et Docetur Honoris Causa de l’Université de Ge nève en 1945, lors de son 70e anniversaire. Il a publié une bonne centaine d’ouvrages, dont 30 volumes très importants. Ils sont traduits dans presque toutes les langues européennes et dans celles d'autre# continents.
Signalons enfin, qu'à l'initiative de diverses so ciétés suisses et étrangères de psychologie et de nom breux savants, un Institut Jung a été créé à Zurich en 1948. Cet institut est placé sous la direction person nelle de C. G. Jung qui souhaite y former des élèves aptes à continuer l’importante tâche qu’il a entreprise.
110
Krishnamurti ESQUISSE DE SA VIE. Krishnamurti est né dans la ville de Madanapalle, Présidence de Madras (Indes), le I I mai 1896. Son père Jiddu Naraniah était employé au ministère des finances du Gouvernement anglais. Sa mère mourut alors qu'il était tout jeune. On lui donna le nom de Krishnamurti en vertu d ’une coutume de l’Inde qui veut que le huitième en fant, s’il est un garçon, porte ce nom en l’honneur de Krishna, incarnation divine, qui était lui-même un huitième enfant. Le père de Krishnamurti était théosophe depuis plusieurs années; il quitta le service du Gouvernement anglais, étant invité à travailler au quartier général de la Société Théosophique à Adyar, par le Dr. Annie Besant, Présidente de la Société. En 1909, peu de temps après que M. Naraniah eut fixé sa résidence à Adyar, deux de ses fils, Krish namurti et un frère plus jeune, Nityananda, furent spé cialement remarqués par le Dr. Annie Besant et son collègue C. Leadbeater. Ils reconnurent en Krishnamurti des facultés latentes qu’ils crurent susceptibles.
en se développant, de faire de lui un homme dont la maturité spirituelle serait remarquable. Les deux chefs théosophiques offrirent à Krish namurti une éducation lui permettant d’accomplir la haute fonction d’instructeur sprituel. En 1911, le Dr Besant emmena les enfants en Europe et annonça publiquement les possibilités spiri tuelles exceptionnelles qui se trouvaient latentes en Krishnamurti. Dans tous les pays du monde des milliers de per sonnes acceptèrent sa proclamation et se groupèrent en une organisation appelée « Ordre de l'Etoile d’Orient ». Cette organisation avait pour but de réu nir tous ceux qui désiraient étudier les messages que Krishnamurti leur transmettrait. Vers 1911, le père de Krshnamurti, Brahmane orthodoxe, très influençable par les opinions de sa cas te, s’opposa soudainement à l’éducation que le Dr. Besant donnait à ses enfants et exigea qu’ils lui soient rendus. Comme la présidente du mouvement théosophique refusa de donner suite aux désirs du père, ce dernier intenta un procès assez pénible qui lui fut fa vorable dans ses débuts mais défavorable dans son aboutissement. Krishnamurti reçut en Angleterre une éducation privée mais n’entra dans aucune université. Lors d’un séjour à Paris il suivit les cours de français et de sans crit à la Sorbonne. En 1922 il se rendit en Californie, où l’on espé rait que le climat plus favorable améliorerait la santé très délicate de son jeune frère. Vers la fin de 1925, il perdit Nityananda.
112
Ce fut pour lui un grand déchirement mais aussi l'aube d’un tournant décisif dans l’évolution de sa pen sée. « Je souffris, « disait-il » mais je commençais à » me délivrer de tout ce qui me limitait, jusqu’à ce » qu’enfin je m’unis au Bien-Aimé, j’entrai dans » l’océan de libération et l’établis au dedans de moi.» L’attitude très positive de Krishnamurti se révéla rapidem ent après le choc psychologique résultant de la perte de son frère. 11 nous faut donc tout mettre en doute afin que « du paroxisme du doute naisse la certitude. » Ainsi que l’exprime René Fouéré dans sa remar quable étude sur « Krishnamurti l’Homme et sa Pen sée » (p. 9). « Krishnamurti n’avait dit jusque là que de va» gues généralités. Maintenant, il déclare qu’il est po» sitivement l’Instructeur. Quoiqu’il en soit cette nou» velle provoque un déchaînement d’enthousiasme. 11 » reçoit des hommages capables de faire tourner la » tête la plus solide ou de corrompre l’homme le » mieux disposé. » A Trichinopoly, le parquet de son wagon dis» parait sous les lilas et les roses. On lui fait présent » d'un château historique entouré d’un domaine de » 5.000 acres. Tout cet encens qui monte vers lui ne » parvient pas à l’étourdir. Il reste tout à fait lucide et » d’une simplicité déconcertante. Mais de nouvelles » difficultés vont surgir. Non seulement les chefs théo» sophiques avaient annoncé la venue de l’Instructeur » du monde mais encore, si l’on peut dire, ils en » avaient réglé d’avance, tous les détails. Krishna113
-
» murti allait-il endosser ce vêtement confectionné » pour lui? Allait-il en particulier prendre en mains » ces organismes constitués exprès pour le servir, je » veux parler de la Court Masonery, mouvement mix» te d’inspiration maçonnique et de l’Eglise Catholi» que Libérale dont le rituel, calqué sur celui de l’Egli» se romaine, avait été soigneusement expurgé de » toute trace de haine ou de colère? Allait-il consen» tir à monter sur tous ces autels préparés pour lui ? » Question angoissante pour ses adorateurs; et la » simplicité de Krishnamurti, son silence à l’égard des » organismes mentionnés, n’étaient pas faits pour dis» siper les pires inquiétudes. Des pressions commen» cent à s’exercer sur lui, discrètes d’abord, puis de » plus en plus précises. » Finalement l’orage pressenti éclate. Krishna» murti rejette en bloc et les organisations et les céré» monies qui s’y accomplissent. » 11 se trouve placé devant une alternative qui » s’est présentée à bien des hommes au cours de l’his» toire. 11 pouvait : soit conserver à son message tou» te sa pureté, au risque de voir se détacher de lui un » grand nombre de ceux qui l’écoutaient, soit dégra» der ce message, le mettre à la portée de la médio» crité générale, et augmenter ainsi le nombre de ses » partisans. Sans hésiter il s’engage dans la voie dif» ficile et annonce dans un remarquable discours, la » dissolution de l’Ordre de l’Etoile. C’est à Ommen » en 1929 que s’accomplit cet acte décisif. Depuis 1929, Krishnamurti a parcouru de nom breuses fois les régions les plus variées du monde. Des camps se sont tenus tous les ans à Ommen (Hollande) 114
jusqu’en 1938. En 1935 il visitait l’Amérique du Nord l’Amérique du Sud, le Mexique, l’Urugay, le Chili, l’Italie, la Norvège, les Indes, la Nouvelle Zélande. En 1949, il donnait pour la première fois depuis longtemps un cycle de conférences et discussions à Londres, puis se rendit aux Indes anglaises pour de très nombreuses manifestations. De Mars à Mai 1950, il séjournait à Paris ou di verses conférences étaient données à l’Institut Pasteur et dans le grand Am phithéâtre de la Sorbonne. 11 quit tait Paris par la voie des airs fin mai 1950 pour don ner d’autres conférences à New-York et Washington. Ses nombreuses conférences sont publiées, au fur et à mesure, par le « Krishnamurti Writings Inc. » dont le siège est à Ojai (Californie), remplaçant l’ancien « Star Publishing Trust » actuellement dissout. Les œuvres de Krishnamurti sont traduites en français, néerlandais, italien, portugais, espagnol, grec, norvégien, suédois, danois, allemand, indou, roumain, etc. Les traductions françaises sont publiées sous les aus pices du « Krishnamurti Writings Inc. » dont le re présentant est Mme A. Duché: 88bis, avenue Mozart, Paris (16e) et l’éditeur: M. Macrez: Cercle du Livre, 66, boulevard Raspail, Paris. Les Belges peuvent s’adresser : 20, rue Père Dedeken, Bruxelles.
115
Références bibliographiques KRISHNAMURTI (J.). Œuvres éditée* chez Adyar, 4, square Rapp, Paris (7e). : Bulletins de l’Etoile (1930-31-32). Causeries et Discussions : Ommen, 1933 (non éditées). Nouvelle Zélande, 1934. Italie, Norvège, 1935. New-York, 1935. Ojai, 1936. Ommen, 1936. Ommen, 1937-38. L’Immortel Ami. Le Chant de la Vie. Expérience et Conduite. La source de Sagesse. De quelle autorité? Le sentier. Le service dans l'Education. KRISHNAMURTI (J.). autres éditeurs : Ojai (1944) (Editions J. Vigneau, Paris). Krishnamurti Parle (Causeries 1945-46). Editions du Mont-Blanc. Krishnamurti 1947-49 (Causeries Madras-Benarès). Editions Cercle du Livre : 66, boulevard Raspail, Paris.
SUR KRISHNAMURTI : ^ Krishnamurti et l’Uunité Humaine, par Carlo Suarè» (Paris 1950). ^ Editions « Cercle du Livre » : 66, boulevard Raspail, Paris. Krishnamurti : « L’Homme et sa Pensée », par René Fouéré. t Editions Etre-Libre: 20, rue Père Dedeken, Bruxelles. God is my adventure, par Rom Landau (Londres). Krishnamurti (Instructeur du Monde), par L.Réhault. Ifr- Editions « Tables d’Harmonie », 5, place Eglise StBarthélemy, Nice. „ PSYCHOLOGIE - SPIRITUALITE. C. G. Jung : L’homme à la découverte de son âme. wm Jolàn Jacobi : La Psychologie de C. J. Jung. Swami Siddeshwarananda : La méditation selon le Vé| danta. " h Vanderleeuw : La conquête de l’Illusion. * Shri Aurobindo : La Synthèse des Yogas; L’Isha Upanishad. Carlo Suarès : La comédie psychologique (prochaine ment réédité). f ^ Fouéré René : Disciplines, ritualismes et spiritualité. A. David-Neel : Le Bouddhisme. kjt Jean Herbert : Spiritualité hindoue. M C. G. Jung : Psychologie und Religion. C. G. Jung : Psychologische typen.
A c h ev é d 'im p
mil neuf cent cinquante, sur les presse» de l'Imprimerie Belgica (J. Vantrier) rue Thiéfry, Bruxelles