poup{c.>v. Les chefs pcrdirr-aniena evnient été raits prisonniers en Pisidie : la forteresse ost située non loin de Kclninai (d. Diodore, XIX.16. 'Il: clic doit sn trouver en Lyknonic, région parficulièrcment r-it-he «n l'1Irourit1 [Strabon, XIV. 6. J ; -r. Nepos, Dntame 4. 2). 7. Sur la situation de Nora, voir Plutarque, Eum. 10. 1 : è:v tu:Oop(C1> AUXlXOV(CXÇ xcd Kct1t'7tIXÔOXtctÇ, Nepos, Eum. 5. 3 (caslellum Phrygiae) ct Strabon XII. 2. li (cf. 'V. M. Hamsny, l\filitary operations on lite North front oll\folmt Taurus, II', J. Il. S., 42 (1929), p. 7-8). 8. Chôrion (Diodore, Ibid. 41. 1; Plutarque, loc. cit.l i phrourion [Diodore, Ibid. 53. 7; 58.1) i castetlum (Nepos, Eum. 5. 3); munitum castellum (Justin, XIV. 2. 2). 9. Cr. Diodore, XVIII. 40, passim; Nepos, Eum, 5. 2-3 i Plutarque, Eum. 9. 2; .Iuatin, XIV. 2. 1. 10. Stenochôria : Plutarque, Eum. 11. 3 et Diodore XIX. 41. 2 et 42.3. 11. Blé, eau et sel (Plutarque, Eum. 11. 1) i cf. Diodore, Ibid., 48. 3: ... ahou 7toÀÀoü xœ] ~UÀ6)V )(cxt a.Àwv [Fischer]; W. M. Ramsay, art. cù., p. 6, n. 8, transforme ~uÀ(&)V cn UO&:TOOV. Mais cette correction n'est nullement nécessaire : ces phrouria ètnicnt bien l
,,"'l".
(l'l8èv I:v .0u.Otç ",o),u",paY(lovoGv
10. Cr. Al. Baumbaeh, op. cù., p. 54~91 i P. Julien, Zur Verwaltung der Satrapien unter ALuander dem Crossent dies. lena, 1914, pa8sim i H. Berve, Der Alexands"eich au! prolOpographischer Grundlage, l, Münchcn, 1926, p. 253·290.
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de la domination macédoniennes, était dans une situation proche de celle des satrapies d'Asie Mineure en 334/333. Au nord-est, le petit royaume d'Ariarathe, autour de Gazinra 1, n'avait pratiquement pas été touché 2. Alexandre avait simplement reçu soumission de plusieurs tribus des deux rives de l' Ilalys 3 ct avait nommé Sahiktas satrape de Cappadoce ". Mais cette région fut réoccupée quelques mois plus tard (hiver 333/332) par les armées perses rescapées d'Issos, qui tentèrent de reconquérir toute l'Asie Mineure 5; il ..n fut de même de la Paphlagonie. Sans doute lcs efforts conjugués d'Antigonc le Borgne et de Kalas (satrape de Phrygie hellespontique) permirent-ils de reprendre en main la Lykaonie et la Paphlagonie 6; mais, d'une part, l'autorité de Kalas sur cette région resta toujours théorique 7; d'autre part, la Cappadoce, dès cette date, ne pouvait plus être considérée comme une satrapie macédonienne 8. Il est d'autant plus intéressant d'étudie,' les mesures prises juste après la conquête, que Plutarque fait état dl' fonctions administratives dont deux (dikastai ct diuicète.s) sont par ailleurs fort peu et mal connues en Asie Mineure hellénistique. Il convient donc d'analyser avec précision les fonctions dc ecs administrateurs, choisis tous parmi tes amis (philui) d'Eumèuc, ct la nature de leurs relations ave" le satrape. 1. -
Lc satrape et les cités.
A propos de la première mesure prise par Eumène envoi de philoi dans les cités -_. deux questions SI' posent iunnédiatcment: quelles sont ces cités? 'Iucllps SOIlt. l,,, ut.tr-ihutions des amis du satrape? A première vue, ou est t.cnté de penser 'lU" Plutarque fait 1. Th. Heinaeh, Mithridal,' H"/!(llôr, roi du /)/111/, Pal"i~, Jl"~HI, p. 30-:11. 2. Erreur d'Appien, ..\[;lll.~, qui, résumuut mn l l ln-rouytuu- tJp Knrdin (F. (ir, Il. 15'1, F3 (fn)), fait une confusion ;,\'Ct' Iii l'aphlag'flllil~ (AI. B:llllld,:H'!I. of'. ni., l'. /I:l-VI). 3. Arrien, Anahase, II. ft. 2. 4. Arrien, Ibid. j QUillk-Curt'f', III. l,. 1 IAhi,;I;lllli'IlI\l'j. 5. Quinte-Curee, IV. l. :~/t-:l.:-) l't 5., 1:1; d. l)i"dorl', XVII, 'I~. ;l-li -dcs-iue, r-I. Il lUIl Antigone, Irt! partie. ohnpitr.' III. TI!J. 6. Quinte-Curee, iu«, 5. "13, 7. Cf. AI. Baumbach 01" cil, p. Ij 3· /j / j ; Et!. ~r,Yt'I'. J'if' t irenzen tin 1/1'llnu".di.yc/if'f1 Slaatcn in Kleinasien, Zürj,·h-1.'·Îl'zig-, 'I~)~;), l'. H, 8. Le satrape Sabiktus nommé par AII'xall,j/,,· a dil'l'arll dpl'uj!( l'twlll'l' dt' la contreattaque perse (AI. Baumbach, iu«, p. jiO).
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allusion aux cités grecques du littoral du Pont-Euxin 1 situées, d'est en ouest, entre Trapézonte - limite orientale du gouvernement d'Eumène - et Héraklée - sise à la frontière de la Paphlagonie et de la Bithynie 2. Cependant, il semble bien que les plus importantes de ces cités étaient restées indépendantes: Sin ope n'avait pas été châtiée par Alexandre 3 et conserva son tyran jusqu'en 290 4 ; le roi avait restauré le régime démocratique à Amisos 6; quant à Héraklée du Pont, son tyran Denys sut y préserver un pouvoir sans partage malgré les intrigues de Perdiccas 6, On ne sait rien en revanche de l'histoire des plus petites cités du littoral, comme Cotyôra par exemple 7. Rien enfin n'interdit de supposer que le texte de Plutarque fait référence à des villes de l'intérieur qui, sans constituer des poleis, ne pouvaient pas non plus être considérées par un auteur grec comme des villages s. Il est également difficile de préciser quelles devaient être les attributions des « amis & du satrape dans ces villes. Contrairement à ce que semble supposer F. Sehachermeyer dans un ouvrage récent 9, l'expression 'r,xç 7t6ÀELÇ ... m'p
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lement qu'Eumène fit don de ces poleis à ses plus proches amis paradidômi, en effet, n'est pas synonyme de didômi 1 ; d'autre part, le nouveau maître de la Cappadoce - pas plus que Perdiccas d'ailleurs - n'était prêt à se laisser se constituer de petites tyrannies locales. Le verbe paradidômi (remettre) 2 - comme son pendant paralambanô 8 indique au contraire que ces philoi prirent possession de ces cités au nom du satrape. Mais leurs attributions n'ont, semble-t-il, rien à voir avec celles des phrourarques cités aussitôt après. Le texte de Plutarque distingue assez clairement les deux catégories. On doit donc supposer que ces philoi ont joué dans les cités le rôle de délégués satrapiques : soit à titre temporaire «1 prise de possession ,) : paralepsis) , soit à titre permanent. Dans ce dernier cas, leur mission devait être proche de celle dont étaient revêtus les fonctionnaires hellénistiques connus sous le nom de : oi épi tès poleôs 4. Il est évidemment regrettable que, dans sa sécheresse, le texte de Plutarque ne permette pas d'aller plus avant, ni donc d'apporter des précisions sur les rapports noués entre les diadoques et les cités grecques immédiatement après la mort d'Alexandre 9. Makedonien, dias. Leipzig, 1934, en particulier p. 22 sqq.) qui ne sont plus admises aujourd'hui (cf. Aymard, Études, p. 144 et n. 2) j il est en outre abusit et même inacceptable d'employer l'expression de « régime féodal. en parlant de la Macédoine (cf. P. Briant, Remarques 8U1' « laoi • et esclave8 ruraux en ABle Mineure heLUnistiqlle, lIe CoUoque de Besançon sur l'esclavage (mai 1971), 1973). 1. Le terme didômi se rencontre assez fréquemment dans les textes traitant de don, de villes (cf. Hérodote, V. 94) ou de terres [en Macédoine: l neer. [ur, gr., nO XXV; Plutarque, Alexandre, 15; en Asie Mineure: Welles, Royal correepondence in the heUeni.tic period, New-Haven, 1934, n? 10, ligne 2 i 11, ligne. 3, 8, 9, 10 15, 18; 12, ligne 4, etc ..• ). 2. Voir Je passage très caractérique de Diodore, XVIII. 16. 3 : (aprèa la victoire lur Ariarathe], [IIEpab()(l'Lç] =péaOl)(E orl)v al'LTpl'Lm:!o
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D'ALEXANDRE LE GUAND AUX DIADOQUES
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Les phrourarques.
Quant aux phrourarques cités par Plutarque, ils ne paraissent pas être des commandants de garnisons installées dans les cités grecques, tels qu'on les connaît à l'époque hellénistique J. Ce sont plutôt les gouverncurs de places fortes disséminées sur le territoire de la satrapie. Un tel dispositif est bien connu dans la Cappadoce de Mithridate le Grand 2, grâce aux descriptions de Strabon 3. Ces forteresses (phrouria), commandées par des phrourarques, et perchées sur des rochers isolés, étaient abondamment pourvues de réserves d'eau 4 et de bois, de manière à pouvoir soutenir un long siège 5. Ccs dizaines et dizaines de places fortes 6 « formaient une sorte de ceinture continue autour du royaume 7 ». Un certain nombre d'entre elles constituaient des dépôts du trésor royal (gazophylacies) 8. La majeure partie de ces phrouria remontaient certainement à l'époque de la domination perse. Lors de la conquête de l'Asie, Cyrus en avait fait installer systématiquement dans toutes les satrapies pour contrôler les populations et pour faciliter la perception régulière du tribut 9. Certains de ces phrourarques dépendaient directement du roi 10. Un certain nombre de phrouria faisaient également office de gazophylacies 11. n est donc très compréhensible que les diadoques aient repris à leur compte une méthode d'occupation particulièrement inpartir de ces textes épars, de distinguer la cohérence de la politique de tel ou tel diadoque à l'égard des cités grecques. En fait, chaque diadoque Il cu de!' uu.itudos différentes selon les circonstances (O. G. 1. S. 4, lignes 12~14, montre que, oontrniremcnt à cc qu'on dit souvent, Antipater a su faire preuve, à l'occasion, de Il libéralisme 1). Il serait donc abusif d'utiliser le texte de Justin (XIV. 1. 6) sur les brutalités d'Eumène dans les cités éoliennes en 321, pour conclure que le Kurdicn mit toujours en œuvre une politique de coercition à. l'égard des cités grecques. 1. Cf. E. Bikermann, Institutions des Séleucides, Paris, 1938, p. 53~55; H. Kortenbeutel, R. E. (19411,8. v. Phroururchos, col. 773·781. 2. Cf. T. Reinach, Mithridate, p. 259-260, 266. 3. XlI, 3. 31, 37, 38-40; XII, 5. 2 (Galatie) ; XIV. G. 1 [Lykannic] : XIV. G. 4 [Pisidie]. 4. Cf. Ibid. XII. 3. 38 {Pompée fait boucher les puits}. 5. nu; 3, 28. 6. Il Y en avait soixante-quinze dans la seule Cappadoce pou tique aux dires de Strabon (Ioc. cit.). 7. T. Heinacb, op. cù., p. 261. 8. Strabon, wc. cil. (dans ces 75 phrcuria était entreposée la plus grande partie du trésor royal) j cf. aussi XIII. 5. 2, etc ... 9. Xénophon, Cyr. lII. 1 passim, II. 4; Ill. 2; VI. 1; VII. 4 (Petite-Phrygie). 10. Ibid., VIII. 6; Id., Econ. IV. G. 7,10; cl. Polyen, VII. 29. 1 (eppoupux I3cxaV1Ol~). 11. C'est ce qu'implique la ruse de Datame : Polycn, Ibid. = Ps. Arist., Econ. 24 a j cf. aussi Nepos, Datama, 4. 2.
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diquéc pour un conquérant dont les effectifs militaires étaient très réduits. En Cappadoce même l, deux passages de Diodorc, sc rapportant à l'année 320/319, sont l'illustration de cettc politique. Après leur défaite devant Antigone le Borgne, en 3202, cinq chefs perdiccaniens - dont Attalos, Polémos et 00cimos - furent enfermés dans une place forte (phrourion) extraordinairement escarpée 3, commandée par le phrourarque Xénopeithès. Cette citadelle possédait d'abondantes réserves de blé ct d'autres produits de première nécessité 4, qui pcrmirent aux chefs pcrdiccanicns révoltés de tenir un an et quatre mois 6 ; clic était située dans une région particulièrement riche en phrouria puisque, à l'annonce de la rebellion, des renforts arrivèrent dc toutes les places voisines 6. C'cst dans cette même région qu'était situéc Nora 7, place fortc rcmarquablcmcnt fortifiée s, où se réfugia Eumène après sa défaitc des Champs-Orcyniens devant Antigone au printemps 320 9 • Ce fort, où les quelques centaines de soldats qui avaient accompagné leur chef se trouvaient à l'étroit 10, disposaient d'abondantcs réserves de blé, d'eau et même de bois !", Ces descriptions correspondent tout à fait à celles que fait Strabon des forteresses de Mithridate, ou à cc qu'on connaît des forteresses et gazophylacics perses. Eumène, en 322, a donc repris ce système d'occupation, mais prit soin d'installer comme phrourarques des hommes dont il était sûr. 1. En dehors dl' la Cappadoce, voir en Cilicie la gnzophylaeic rlc Kyindn [Strnbon, XIV. 5. 10; l'f. R. IL'Bimpson, A note on Gyinda, Historia, 1967, p. 503·50'.), et lm MYllie colle de Pcrgnme [Strabon, XIII. 4. i).
2. Diodore XVHI. 45. 3·4. 3. Ibid., XIX. 16. 1 (!v "t"LV' 'l'poupl
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D'ALEXANDRE LE
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GRAND AUX DtADOQl'ES
Les juges.
La mention, par Plutarque, de la nomination de juges (diIrastai) par Eumène en Cappadoce revêt un caractère beaucoup plus exceptionnel. Si l'on se réfère en effet au royaume séleucido, on se rend compte, avec E. Bikermann, que la justice est « le chapitre le moins connu des institutions de la monarchie 1 », Le document le plus célèbre est un court passage de Démétrius de Scepsis, indiquant qu'Attale de Pergame institua un juge dénommé : SL""aT~ç ~""LÀL"W" TW' "Epl ~" A!oÀ!S,,2. Mais l'interprétation du texte fait problème : on peut comprendre tôn basililcôn comme le génitif du neutre ta basililca et, en ce cas, on traduit par « le juge des affaires royales en Éolide 3 » ; ou bien, comme la majorité des modernes, on sous-entend laôn après tôn. basililsôn, et on considère alors cet officier comme le juge des laoi basilikoi d'Éolide 4, dont la fonction serait proche de celle des laocrites égyptiens 5. Beaucoup voient même dans cette décision d'Attale la preuve de la volonté royale d'améliorer le sort des populations soumises 6. Les deux autres références à des juges en Asie Mineure hellénistique ne permettent pas de dissiper l'incertitude : on connaît un archidikaste royal en Carie 7 et un basilikon dikasteriori à Doura 8. Mais, il y a lieu de distinguer entre les juges installés par le roi dans des cités et le juge d'Éolide qui paraît bien au pourvus ct J'cau ct Je bois (d. Strabon, XII. 3. '2~ : ... e:üu8p6ç 'TE OUO'iX XiXt uÀ(~81jç; voir aussi Nepos, Dafame, Il. 2 : ... eaùuoeam rcgionem cnstcüisque munitnm. ill/·lill'TIS). 11 Ill' fait guère de doute que le bois etait lui aussi un produit (le première néccssit (d. Plutarque, Eum. 9. 2 à rapprocher de Thucydide, II. H. 1). 1. Institutions des Séleucides, p. 207. 2. Apuâ Athénée, XV. 697 D. 3. Ainsi Bikermann, op. cit., p. 207 (avec des réserves). 4. M. Hostoweew, Studien zur Geechiclüe des râmischen Kotonatee, Leipzig-Borlin, 1910, p. 258·259 j G. Cardinali, Il regno di Pergame, Roma, 190G, p. 18G n. '1; 'V. 'V. Tarn, Tite Greeks in Bactria arul l ndia, 26 èd., Cambridge, 1~J!t1, p. 33 j T. R. S. Brough ton, Roman Asia Minor, dans An economie ,çurvey of ancien! Home, IV (193~), p. G33; A. B. Halluwistch, Der Hellenismue und seine geselliclttiche Rolle, trad. all., Ber-liu 1H5H, p. 1':.!7 ; V. Vavrinek, La révolte d'Arieunücoe, Prague, 1957, p. 10. 5. Cf. Hostowzew, loc. dt G. Ainsi Tarn et Vavrinek, lee. cu, 7. SB Wien Akad., 132-2 (189 /1), lignes 12 sqq. : [Apollophancs] ~{)..oç 6JV 'toü ~cxC'tÀéwç, 8tXiXO''T1)p(OU 'Toi.i tv Kcxp((xt &pXt8txexO'-r1)ç {cité par Blkcrmann, op. cit., p. 207 n. 2, ct par IL Bcngtson, Strategie, II, p. 52, n. 1). 8. C. il. 'Velles, Dura PergnmPnt 21. l/ypothek und Exekution am Euphrotuler im J. Jhdt n. Chr., Z. R. G. 56 (1936), p, 99-1:15 (ligne 5 : ... 8tœ TOÜ iXù'To6t ~iXC'tÀLXOÜ ô~xiXO''t1jplou i Welles, p. 106-107, rapproche cet exemple du texte de Démétrios de Sccpcia ct des laocritcs égyptiens). è
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contraire officier dans la chôra (quelle que soit la traduction que l'on admette) 1. Il est tentant de rapprocher le texte de Plutarque du texte de Démétrius de Scepsis 2 : il semble indiquer en effet que ces juges, nommés par le satrape, rcndent la justice dans la chôra. Si ce rapprochement est justifié, on doit en conclure que l'institution de tels juges par Attale n'est pas une nouveauté. Il est même raisonnable d'admettre qu'elle ne remonte pas aux Macédoniens, mais que ceux-ci l'ont empruntée à l'empire achéménide, puisque la présence de juges, à côté d'autres officiers, est attestée en Samarie, au début du règne de Xerxès 8. L'immensité du territoire administré par Eumène avait peut-être rendu nécessaire leur multiplication 4? Dans ces conditions, il ne paraît pas non plus fondé de voir dans la mesure d'Attale la preuve de l'amélioration des masses paysannes indigènes 6. De même que les phrourarques et les dioicètes, ils étaient la marque de la dépendance de ces masses vis-à-vis de l'administration macédonienne: tous, d'une manière ou d'une autre, avaient pour charge d'améliorer ou de faciliter la perception régulière du tribut 6.
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Les dioicètes.
Dernier type d'administrateurs nommés par Eumène : les dioicètes. Cette courte information est d'autant plus intéressante que les mentions de ce titre sont fort peu nombreuses dans le royaume séleueide '. En 281, Seleueos [er envoya Aphro1. La nécessité de cette distinction entre cité et ehôra a été justement soulignée par J. Touloumakos, t.lKA~TAI = Judie.al Historia 18 (1969), p. 410 et n. 10-13. 2. Ainsi A. il. Hanowistch, op. cù., p. 127; cf. aussi :M. Rostovt:r.efT, Social and economie hislory of the ketlenietic n'orU, III (1941), p. 1429, n. 2't1 {mais sans distinguer, parmi le. exemples qu'il cite, juges dans les cités et juges dana la cIJôral. 3. Esdras 1. 4. 7 sqq : une lettre est envoyée il. Xerxès par. le gouverneur, le aecrétnire ct leurs autres collègues, les juges, les légats, Conctionnaires perses l, Il s'agit bien là d'un texte faisant allusion à l'organisation judiciaire dans une satrapie (A l'échelon central, on connaît les. juges royaux 1) nommés par le roi lorsqu'un satrape ou haut dignitaire elt mis cn accusation: cr. M. Ehtcchum, L'Iran 80U8 le8 AchAmAnides. Contribution " l'~tude de l'organisation sociale et politique du premier empire des Per8eJ1, thèse droit, Fribourg (Suisse), 1946, p. 81-8'*, avec références aux textes greee]. A Euscbeiu, l'nn-hidioicète et le gouverneur jugent en appel pour un litige entre un particulier ct la cité d'Hanisn (cl. L. Robert, Noms indigènes, p. 1.70 eqq.]. 5. Cf. mes Remarques sur. laoi •.. -, article cité, paeeim; 6. Cf. Xénophon, Eeon. IV. 8. 11 : la mission de protection de la campagne s'intègro dans la nécessité de lever et d'augmenter le dosmos. - Dans les cités grecques, l'lnstallntion d'un juge (ou d'un dioicète] royal a également pour but de limiter l'autonomie [cf. RostovtzelT, S. E. li. li. W. I, p. 664, et Ill, p. 1476, n. 56). 7. Bikcrmann, op. cù., p. 129 i welles, R. C., p. 328; cf. J. et L. Roùert, La Carie, Il, Paris, 1954, p. 291, 299-300.
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D'AI.EXANDHE LE
GHAND
AUX
DIADOQUES
disias comme dioicète dans les cités du Pont et les territoires avoisinants l ; une inscription de 243/242 indique, dans l'échange de lettres entre Antiochos Hiérax et Samos, la présence d'un phrourarque et d'un dioicète qui sont intervenus pour que la cité récupère des terres dont elle avait été spoliée par des amis du roi 2; une lettre d'Antiochos, au début du ne siècle, à Nysa, atteste l'intervention d'un dioicète 3. OII doit y ajouter la présence d'un archidioicète en Cappadoce, à Eusebeia, dans la deuxième moitié du ne s.4, et l'envoi en Colchide, par Mithridatc le Grand, d'un ami commc « hyparque et dioicète du pays 5 », Pour E. Bikermann « les fonctions de ce dioicète séleucide et son rang dans la hiérarchie financière restent inconnus « », Cependant, dans l'empire perse, les satrapies avaient des officiers généraux chargés en particulier de la perception du tribut 7, mais aussi « des trésoriers-payeurs, des inspecteurs de travaux, des gardiens des domaines ct des intendants 8 », Dcs leveurs d'impôts, à l'époque d'Alexandre, sont connus à Sardes 9 et à Babylone 10 : on peut supposer qu'il en était de même dans chaque satrapie 11. Il faut donc prcndre le terme dioicète dans le sens très général d'officier de finances 12, dont certains s'occupaient de la levée des impôts?", d'autres de la gestion des domaines royaux 14 ... La rareté des mentions de ces fonctionnaires dans 1. Memnon F 11 : LtÀEUXOC; 'A
2. S. E. G. l, 366, lignes 16~17 (pouilloux, Choix d'Inscri ptions grecques, l'nri«, 19(,0, nO 3). 3. 'Vcllcs, n. C., li3,lignc 3. 4,. L. Hebert, Noms indigènes, p. li5B (inscription d'Hnnisn], li~lIl' 13. C'est la seule mention connue d'un archidioicètc (L. l lohcr t, lbiü., p. 1175). 5. Strabon, Xl. 2. 18 (il s'agit de Mouphcmo, l'onl'il' de Strabon). 6. Loc. cil. 7. Xénophon, Econ. It:. 9 (&.U' ol (.Liv &PX,OUGt TWV Xa.TOLXOUVTWV TE xa.l. T(;YIJ èpya.TG", XIXI 81X0'[Loùç éx TOOT"" éxÀtyo\)O'wi ; d. Ibid. 10. 10. S. Id., Cyrop. VIlI. 1. 13 sqq. [adminiatru t ion l'('ntrall' sur
Il' modèle ,If' laquelle r-st. copiée I'udministrutiou provinciale). 9. Arricn, An.ab., 1. 17. 7. 10. Ibid., III. 16. It . tt. Cr. Ps. Aristotc, Beon. II. 1. Il. 12. Cr. Bcugtson, Strategie, Il, p. 53 ut u. 1 ; on retrouve l'époque sèleucidc les termes J'oikoTWmos et d'epi Mn prosodûn (Ibid., p. 1~ti-121J). 13. Sur les impôts dans la Cappudoce d'Eumène, d. Pluturquo, Eum: 4. 2: lXVEtcrCPOp(a.ç 8~ôoùç Xa.l. ChEÀdlXÇ: terminologie très vague (d. aussi Diodore XVIII. 111. 2 et 53. 11, sc rapportant peut-être à tous les impôts sut.rupiquvs cunnus pnr- Ps. Aristote, Econ, 11.1.4 ; sur la terminologie grreque appliquée IH fi~I'alité uehèurènide, pt ses upproxiruntiona IpilOros!dasmo'i, cl. O. Murray" '0 'APKAIO~ t>A~MO~ " Historia 15 (I%G), p. 142-1GG). 14. Cr. Plutarque, Eum. S. 3: à l'été/aulomne 321, Eumène réquisitionne des chevaux tians les haras royaux de l'Ida, ct en donne décharge aux préposés (épinullètes). Les paradei.
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le royaume séleueide tient probablement à l'ineertitude de la terminologie des sourees littéraires et à l'insuffisanee de la documentation épigraphique 1. On peut supposer que le cas de la Cappadoce d'Eumène n'est pas isolé, mais que chaque satrapie comprenait un ou plusieurs dioicètes 2.
Ce texte semble donc révéler tout d'abord une assez remarquable continuité dans l'administration satrapique, entre la période achéménide et la période des diadoques 3. Aucun des officiers installés dans la satrapie d'Eumène en 322 n'est inconnu dans l'empire achéménide (phrourarque, dioicète, juge). Seul le personnel fut renouvelé; les Grecs et les Macédoniens y prirent la place des Perses 4. Mais l'insistance apportée par Plutarque à mentionner la grande latitude laissée par Perdiccas à Eumène dans le libre choix de ses subordonnés peut laisser planer un doute sur le caractère exemplaire de ce texte. Ainsi, I3erve 6 et Schachermeyr 6 pensent que Perdiccas a concédé à Eumène une autonomie dont ne jouissaient pas les autres satrapes, particulièrement dans le domaine financier. Cependant, à considérer les (rares) textes donnant dcs indications sur les pouvoirs des satrapes après 323, on se rend rapidement compte que le Kardien ne fut pas Ic seul à contrôler les finances de sa satrapie. Deux autres cas peuvent être cités : a) en 316, Seleucos, satrape de Bahylonie depuis le partage Néhémie 2. 8 : Il: Asaph, inspecteur du parc royal " voir M. Ehtoelmm op. cit., p. 100-101). 1. cr. Ph. Lockhardt, The Laodice inscription [rom Didyma, A. J. Ph. 82 (1961l. p. 190 Il. 2, qui pense que le destinataire de la lettre welles, R. C., 18 (édition plus récente, A. Hchm, Dùlyma. Il. Die lnschriften, Berlin, 1958, HO 492). l'lit un dicic ètc opérant Cil Ionie. (.\I"is, sur cet article, cf. L. ot J. Rohert Bull., 1962, 288; voir IlUNNi O. Musli, Üsservazinni in margine a documerüi delle cancellerie rllrnisliclte ., Ann. Sc. Sul" Piea, sel', :! u, vol. 26 (1957), p. 257-267, et Id., Aepetti tirll'nrg(lTlizzazione seleucidica in ABia Minore «-u nr secolo, P. P., XX (1965), p. 151.). 2. Dans le royaume de Cappadoce, le mention d'un nrchidioicètc il Eusebciu (inscription d' I-Ianisa) semble indiquer qu'il avait plusieurs dioicètes 80UII SCli ordres? 3. Cf. déjà G. Cohen, dans Histoire génüale Glotz, IV (1938), p. 232, suivi pur Ehtccham, op. cit., p. 99 {a Alexandre... ne changea rien aux principes Iondameutnux ètablia par les Achéménides .J. Voir aussi Bikermanu, l nstitutione, p. 128 eqq4. Au moins dans Ia Cappadoce d'Eumène, somblo-t-il [cru-ore qu'il sem hie compter certains Perses parmi ses philoi : Diodore XIX. 47. 1 ct 4) ; duns d'nutrea aatrupica, IC8 Macédoniens ne refusèrent pas de faire appel à des Perses, suit pomme sntenpca (dans 1('8 satrapies orientales), soit comme administrateurs financiers (sur cc dernier point, voir CI. Préaux Sur les origines des monopoles lagides, C. E. 1954, p. 324-327). 5. Alexanderreich, l, p. 281, n. 3. 6. Zu Geechichte und Staatsrecht der [rûhen Diadochenzeit, Klio, 1l) (1~2;,), p. V,S, n. 1. «
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de Triparadeisos en 321, fut prié par Antigone le Borgne de lui présenter les comptes de sa satrapie. Le satrape répondit qu'il n'était pas tenu de sc plier à une enquête sur l'administration d'une région « que les Macédoniens lui avaient donnée en reconnaissance des services qu'il avait rendus du temps d'Alexandre 1 ». Cette réponse montre clairement que Seleucos avait la charge de l'administration financière de sa satrapie; b) cette même satrapie de 13abylonie avait été attribuée en 323 à Archon 2. Or, au printemps 321, Perdiccas, alors en Cilicie, envoya contre Archon une force d'élite commandée par Dokimos, qui avait pour mission de chasser Archon et de gouverner à sa place la Babylonie. Or, dans le compte rendu d'Arrien, il apparaît très nettement qu'Archon était chargé de la perception des revenus 3. Nous avons donc là le deuxième cas d'un satrape contrôlant l'activité financière de sa satrapie 4. Il n'y a donc pas de raison de supposer que les pouvoirs d'Eumène en matière de finances revêtaient un caractère exceptionnel. Est-ce à dire que le texte de Plutarque peut s'appliquer également à l'administration satrapique sous Alexandre? Contre cette hypothèse s'est élevé G. T. GriŒth qui, tout en reconnaissant aussi le caractère exemplaire de ce texte, y voit au contraire la preuve d'une modification des pouvoirs des satrapes après la mort d'Alexandre 5. Pour lui, en effet, la réorganisation administrative effectuée par le roi à son retour d'Égypte en 331 a enlevé aux satrapes le contrôle des finances; celles-ci furent désormais confiées à un dioicète satrapique directement responsable devant un contrôleur régional des finances; ces mesures, poursuit Griflith, furent appliquées seulement dans les satrapies occidentales; dans les satrapies orientales au contraire, Alexandre, pour des raisons politiques, laissa aux satrapes (iraniens) le soin de lever les impôts 6. Ces quelques lignes sur le texte de Plutarque que nous étudions sont donc intégrées dans 1. Diodore, XlX. 55. 3. 2. Diodore, XVIII. 3. 3 (Dexippe, F. Gr, Il. 100, F (8), 6, éerit Séleucos, mais il s'agit certainement d'une confusion avec le pur-tage de 'I'riparadoieos]. 3. Arrien. Suce. F 10 (A. 3-5), en par-ticulier 3 (... "Apxww1. 81: "ov 7tp6crO"" [8uv,,]"""IV t7tl Tii[" d,,7tp"~] EWÇ "wv 7tpo,,68wv... ). 4. Contra F. Schachermcyr, article cité, p. 448, n. 3, qui tire de cc texte la conclusion que les {onctions de gouvernement gônèrnl ct les {onctions financières Re sont pas réunies dans la même main. Mais la destitution d'Archon par Perdiccas ne prouve pas, à mon SChS, que le satrape n'avait pas de fonctions financières, ruais plutôt qu'il les avait outrepassées, Cil gardant pour lui, par exemple, le produit des impôts. 5. Article cité, P. C. P. S. 1964, p. 28-29. G. passim, p. 23-39.
tu«,
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le cadre plus général d'une démonstration sur les pratiques administratives d'Alexandre et sur leur disparition après la mort du roi. Il est hors de question de reprendre ici tous les points du raisonnement si subtil de Griffith 1. Je voudrais indiquer simplement - avant d'en revenir à Plutarque - combien les hypothèses du savant anglais sur l'Économique du Ps, Aristote me paraissent sujettes à caution 2. Griffith, d'une part, admet que le premier livre de l'Économique date du dernier quart du IV· siècle 3, et qu'il semble donc confirmer la permanence des structures administratives achéménides dans l'empire d'Alexandre, puisque les satrapes y sont désignés sans ambiguïté comme les responsables de la levée des impôts 4. Il en vient cependant à supposer, en s'appuyant apparemment sur le passage de Plutarque 5, que ce livre s'applique exclusivement et très précisément à la période des diadoques, et qu'il révèle donc un changement avec la situation existant sous Alexandre qui, lui-même, avait rompu avec les pratiques achéménides. Mais cette datation paraît terriblement arbitraire; il me paraît plus raisonnable d'admettre que l'imprécision de la chronologie de l'Économique est l'expression d'un fait; que l'Économique s'applique tout aussi bien à la période d'Alexandre qu'à celle de ses successeurs immédiats, c'est-à-dire qu'il est l'indice d'une continuité dans les structures administratives. En outre, Griffith, tout comme Herve et Schachermeyr, a mal compris, me semble-t-il, la nature des relations nouées entre Perdiccas et Eumène après la conquête de la Cappadoce en 322. Il est bien vrai que cette période d'après 323 est une période de désagrégation de l'unité impériale: ainsi, dès 323, Antigone, satrape de Grande-Phrygie, avait refusé de souscrire aux ordres de Perdiccas; Léonnatos avait manifesté autant d'indépendance 1. Voir, ù propos des pouvoirs de Philoxénos ct de Koiranos, les remarques critiques d'E. Badinu « Alexander the Greai and the Greeks 01 Asia t, Studiee Ehrenberg, Oxford (19661. p. 54 sqq. ~. Ibid., p. 26-28. Il est clair que ces pages sur le Ps. Aril'lolc constituent lu pierre angulaire du raisonnement de l'auteur (cf. p. 28 : c If the king' und the eutrupa reîcrrcd tu in the Il. introduction II wcrc Alexander himseIr and his govcrnor!l, rheu any notion lhat Alexander look away the flnnncial functions of the western satrape is retutcd 'l. 3. Sur cette date, cf. B. Van Groningco, Aristote. Le second livre da l'Écorwmique, éditd aoec une introduction et un commentaire e:cplicatil, Leyde, 1933, p. 37 Ilqq. i cf. aussi M. Rostovtzeff, S. E. II. II. W., I. p. 441.
4. Ps. Aristote, Écon; II. 1. 4. tiu., p. 28.
5. Griffith,
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GHANH
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à l'égard du Grand Vizir 1; inutile d'insister enfin sur le caractère purement personnel de la politique appliquée par Ptolémée en Égypte, en Cyrénaïque et à Chypre 2. Mais rien ne permet, à partir de ce simple constat, de conclure à une transformation des structures administratives ni à l'abandon volontaire, par Perdiccas, des mesures prises par Alexandre. Dien au eontraire, il est patent que, jusqu'à sa mort en Égypte en 321, le Grand Vizir tenta de restaurer à son profit la cohésion de l'empire, en châtiant en particulier les satrapes coupables de désobéissance 3. En outre, en Cappadoce, dans l'été 322, Perdiccas est dans une exceptionnelle position de force. Pour la première fois, il vient de conduire personnellement l'armée royale 4; le roi Philippe l'accompagne 6. II faut souligner le fait: il s'agit là de la première conquête d'un territoire barbare après la mort d'Alexandre; - d'une région au surplus que le roi avait renoncé à soumettre lui-même 6. Perdiccas pouvait en quelque sorte considérer la Cappadoce comme sa chôra doriktétos 7. II est d'ailleurs tout à fait symptomatique que Diodore mette clairement dans une relation de cause à effet, d'une part cette campagne contre Ariarathe à la tête de l'armée royale, d'autre part l'affirmation des ambitions royales et macédoniennes de Perdiccas 6. Replacé dans sa chronologie, le texte de Plutarque ne peut donc en aucune manière être considéré comme révélateur de la faiblesse ct des abandons du pouvoir central après la mort d'Alexandre. On doit donc comprendre autrement qu'on ne le fait habituellement la phrase de Plutarque selon laquelle Eumène eut le libre choix de ses subordonnés et que « Perdiccas ne sc mêla en rien de ces affaires », Ce faisant, le Grand Vizir ne modifiait pas l'organisation d'Alexandre, mais il ne concédait pas non plus à Eumène une autonomie exceptionnelle. Tous les satrapes possédaient leur « staff .> et confiaient à leurs philoi des missions 1. Supra, p. 35. 2. Sur Ptolémée, voir maintenant J. Seiber-t, Uru.rsuchungrn zur Geechiclue Ptoiemaios'L (Münch. Boit. 56), 1969, en particulier p. 27-128. 3. Cr. les mesures prises par Perdiccas en 322 contre Antigone (Diodore XVIII. 23.3-4; Arrien, Suce. 20), et en 321 contre Archon (Arrien, Ibid. F 10. A. 3-5; supra, p. 45 n. 4) ct contre Ptolémée (cr. Arrien Suce., 28 et mon Antigonc, app- 2 8 partie, I. C). 4. cr. l'insistance de Plutarque, Eum. 3. G : o:.ù't'oü I1Ep8txxou 1to:.p6v't'oc:; xat (J"t'pa"nrfoüv't'oc:; i voir Diodore, Ibid. 1G. 1 (basililrè dunamis). 5. Diodore, Ibid. 6. tu«, et F. Gr. Il. 154. F 3 Il .J. 7. Sur ce terme, voir J'nlra, p. 66 n. 4. 8. Diodore, Ibid., 23. 2 (cf. mon Antigone, Appendice à la deuxième partie, 1. n. 1).
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de confiance '. La phrase de Plutarque indique donc plutôt que Perdiccas, compte tenu de sa puissance en Cappadoce à l'été 322, aurait pu, s'il l'avait voulu, y nommer les administrateurs de son choix. Eumène-n'aurait pas pu s'y opposer: il était à celle date entièrement dépendant du Grand Vizir, depuis que le refus d'Antigone et le départ de Léonnatos l'avaient empêché de conquérir lui-même sa satrapie. Ces «( amabilités 1) faites par le Grand Vizir à Eumène, loin de donner au Kardien une impression d'indépendance, avaient plutôt pour but de lui faire sentir que le Grand Vizir était la seule source de l'autorité 2. En définitive, il me semble plus justifié de voir dans celle nomination d'Eumène une répétition de ce qui s'était passé du temps d'Alexandre. Avant la conquête, comme après la mort du roi, le satrape est à la fois responsable de l'administration générale, de la justice, de la perception du tribut et de la surveillance des cités, c'est-à-dire qu'il doit contrôler l'activité des juges et des dioicètes 3. La dissolution du pouvoir central après 323 et surtout après 321 ne tient pas à une transformation des structures administratives de l'empire : c'est bien plutôt l'inverse qui est vrai! Il Y a lieu au contraire d'insister à cet égard sur la remarquable continuité des pratiques administratives, de la période achéménide à la période hellénistique. Ce passage de Plutarque suggère même que, malgré le caractère dispersé et disparate de notre documentation, les royaumes hellénistiques doivent encore beaucoup à l'organisation achéménide '. Dans 1. Cf. par exemple Diodore, XVIII. 23. 4, sur IC!J plulai d'Antigone après douze années d'administration aateapique (cf. CI. Préaux, article citA, C. R. t 1954, p. 324-327). Il ('st d'ailleurs dommage que nOU8 n'ayons paB de détails sur ces' cours eatrapiquea ., 2. D'ailleurs Diodore, Ibid.1G. 3 (xlXl [II&p8(lOOX~1 XIXTIX"rIj"lX~ Ta XIXTa Tl)v KIXTCTCIX3m<.(lXv). indique clairement que Perdiccas ne sc désintéressa pas de ln remise en ordre des affaires dans cette satrapie qu'il venait de conquérir. Le seul droit laissé à Eumène rut de choisir les titulaires des fonctions, non de créer les fondions clics-mêmes. 3. Cc qui ne veut pas dire que le satrape est un roi dans sa province (cf. note précôdente). En particulier, les plus importantes des gnzophyhn-ice restent en delil/fK de lia juridiction. Seul un ordre royal peut permettre il un satrape ou il tout autre oûb-ice d'y puiser (cC. Diodore, XVIII. 58. 1 : ordre de Polypcrchon uutorisaut Eumène de Knrdiu il s'approvisionner à Kyinda]. S'emparer de ces trésors était faire la preuve de ses ambitiuns sécessionnistes (cf. Diodore, lbid., 52. 7-8, ct Polyen, IV. 6. tl : Antigone). Toutes lm, précautions étaient prises: dans la gazophylacie, les pouvoirs financiers Ign;wphylaqucB ou thésaurophylaquos] et les pouvoirs militaire [phrournrquea ou IIégémdn,.,) ètuiont distincts. (Diodore, XVIII. 58. 1 et XIX. 173 ct 18. G; cr. 80US Alexandre, il Sarde", (Arrien, Anab., 1. 17. 4) et il Babylone (Ibid., III. 16. "')1 - Mais, prêcieémcnt, ('es régie. mcntations n'étaient pas originales, et remontaient au temps de l'empire pel"8l'l : d. Xénophon, Cyrop. VIII. 6 (Il Cette organisation de Cyrus dure cm-ore aujourd'hui: les gnrnisons des citadelles relèvent du l'oit les chiliarquee des gardiens sont nommés par lui et imlcritfl sur ses états ») ; cf. aussi Polyen VII. 21. 1 et 29. 1 (rebellion de Datame). 4. Rappelons que, pour CI. Préaux (artick: citA, C. E., 1954, p. 312-326) la pratique du monopole a été empruntée par Antigone le Borgne aux Adléménide8.
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cette optique, ce témoignage de Plutarque, malgré sa brièveté et son caractère allusif, doit être considéré comme un maillon non négligeable.
II. -
EUMÈNE ET LA LEVÉE n'UNE CAVALEHIE IHANIENNE EN CAPPA nOCE EN 322 (Plutarque, Eum., 4.2-3) : SEUL HÉRITIER D'ALEXANDHE, OU
UN DIADOQUE PAUl\II LES AUTRES?
Il est temps d'en venir maintenant à la deuxième partie du texte de Plutarque 1, qui écrit: « Pal' ailleurs, trouvant l'infanterie macédonicnne (T~V
Polyen, 4. 2-3. La signiflcation de ce terme eat précisée, infra, p. ct n. 1. Ale.xandre et l'Asie. Histoire d'un legs epirituri. tr. Ise., Pnrls, 1~.lt)fl, p- 19'1-1lJ7, Cf. Diodore. XVIII. 60. 4·6 et 61. 1-3; Polycn, Sirat., V. 8, 2 (sur cet épisode, voir Ch, Picard, Le trône vide d'Alexandre dans 1(1 cérémonie de Gyinda et le wlte du trdne vide à trueere Le monde gréco-romain, G. Arch., VII (1964), P. 1-17). En fail,)1 est évident qu'cu l'da Eurnèm•. s'intègre parfaitement dam; le courant de propngnndo de l'époque des diucloques [cî. mon Antigone, Ile pnetie, chapitre t, Aj. a. tu«, p, 194.
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ciens, Eumène donc.x avait repris l'idée du grand Macédonien et l'avait développée 1 ')0 F. Altheim soulignait en particulier le fossé qui séparait les conceptions d'Eumène de celles de Néoptolème 2 qui, dans un pays (l'Arménie) dont les conditions sociales étaient identiques à celles de la Cappadoce, préféra s'appuyer uniquement sur des Macédoniens 3 En outre, ces quelques pages sur Eumène entraient dans le cadre plus large d'Un raisonnement tendant à démontrer que les Séleucides « avaient abandonné le plan d'Alexandre consistant à souder les Macédoniens et les Iraniens pour en faire un seul peuple 4 », contrairement aux « maîtres de la Bactriane» qui « continuaient l'œuvre d'Alexandre 5 », Dans son récent traité, Éd. Will - tout en exprimant les plus vives réserves sur l'interprétation anti-iranienne de la politique des Séleucides 6 - a, lui aussi, relevé le caractère original de la politique d'Eumène de Kardia, en des termes plus prudents que ceux d'Altheim il est vrai 7 Pour lui, après la mort d'Alexandre, « à cette sorte de condominion macédono-iranien sur l'Asie... se substitua aussitôt le pouvoir des seuls conquérants .. Sur le moment toutefois, Eumène semble 6 avoir été le seul, une fois installé dans SOn gouvernement (.00) à poursuivre 0
0
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1. Alexandre et l'Asie, p. 197. tout en reconnaissant (p. 197-199) que Pcukestas suivit une politique analogue en Pereide. 2. Sur la position administrative de Néoptolème SOU8 Alexandre, cr. Berve, A",xanderreicù, II, n. 548. Diodore, XVIII. 29. 2, lui donne le titre de 8tratège. En 331-330, l'Arménie avait été confiée à Mithrènèa (Arrien, Anab., III. 16. 5; Diodore, XVII. 64. G; Quinte-Curee, V. 1. 44); mais on sait aussi qu'en 317, l'Arménie restait indépendante et
dirigée par Orontès, l'ancien satrape d'Arménie
80US
Darius III [Diodore, XIX. 23. 3;
Polycn, IV. 8. 3). Perdiccas lui avait peut-être ordonné de soumettre 10 region aprêt lui avoir conflè mission de poursuivre Ariarathe (Beloeh, G. G., IV 1., p. 313; UI. Kühler, Das asiausche Reich des Antigonos, S. D. A. IV., 1893, p. 832, n. 1). 3. isu., p. 195.
4. iiu., p. 203. 5. lbiâ., p. 205. 6. Histoire politique du monde hellénistique, l, Nancy (1966), p. 243 sqq. [I'nuteur souligne qu'il n'y eut pas de volonté délibérée des Séleucides de rompre avec les Orientaux, muis que les Séleucides ne surent pas choisir entre l'Orient et Je « mirugo occidental 1 i rien ne prouve en outre (Ibid., p. 249) qu'ils n'aient pas utilillo- à l'e,' - la cavalerie iranienne. En revanche, c'est par les nèccasitès de la lutte contre les nomades que s'explique ln politique des rois gréco-bac tri en s, sans qu'on doive en conclure qu'i1s ont lItil plus proches J'Alexandre que ne Je furent les Séleucides). Sur cee problèmes, cf. aussi Id., Il., 'a99 (1971), p. 148-149, et E. Bikcrmann, The Seleucide and Achaemenids, Alti del conYesno sul tema : la Pereia e il mondo greco-romano, Roma 11-14 aprile 1965, Ace. dei Lincei, CCCLXIII (1966), p. 87-117 (utilisation abondante des Couilles d'U. R. S. S., maie dans un sens bien différent des interprétations soviétiques, puisque l'auteur conclut (p. 96) que la désintégration de la monarchie eéleucide ne s'explique pas par dei révoltes indigènes, mais par l'insubordination des généraux grecs). 7. Ibid., p. 24 (tout en indiquant qu'Eumène 'y Cut contrniut]. 8. Souligné }l'Ir l'uutour.
n.
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n'ALEXANDRE LE
GHAND AUX DIADOQUES
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cette politique, favorable aux Iraniens, d'Alexandre... Partout ailleurs, les Macédoniens paraissent manifester leur volonté de s'instituer en « Herrenvolk » '>. L'intérêt du texte de Plutarque - par les comparaisons explicites ou implicites qu'il a pu suggérer - dépasse donc largement le cadre de la seule personnalité du Kardien. Il pose en réalité tout le problème de l'orientation qu'ont donnée les diadoques à ce qu'il est convenu d'appeler le monde hellénistique, dans ce domaine capital des rapports entre Macédoniens et Orientaux. Peut-on admettre que les nécessités qui avaient conduit Alexandre à lever des Iraniens se sont brutalement évanouies, et que, par exemple, les diadoques ont pu réellement compter sur les seuls Macédoniens, qui avaient opposé une très vive résistance au projet asiatique d'Alexandre? Dans cette hypothèse, comment expliquer historiquement les mesures prises par Eumène en Cappadoce? C'est à l'examen de ces différents problèmes que sont consacrées les pages qui suivent.
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Alexandre, Eumène et l'appel aux Iraniens.
Remarques sur la politique iranienne d'Alexandre. Pour pouvoir juger sainement de la valeur de la comparaison établie entre Eumène et Alexandre, il convient tout d'abord de préciser les modalités, les étapes et les buts des mesures prises par l'Argéade pour intégrer les Iraniens dans la cavalerie et dans la phalange macédoniennes. A cet égard, les travaux récents 1 ont considérablement rabaissé la date de naissance d'une cavalerie mixte d'Iraniens et de Macédoniens. Berve, en effet, datait de 329 les premières mesures d'intégration des cavaliers iraniens', mais il se fondait pour cela sur un texte mal interprété d'Arrien 3. De son côté, W. W. Tarn pensait que l'intégration de la cavalerie iranienne 1. -
1. En particulier: P. A. Brunt, Alexander'8 Macedonian cavalry, J. Il. S., 83 (1963), p. 27-46, suivi (sur ce point seul) par G. T. Griffith, A Tlote on the hipparchies 01 Alexander, iu«, p. 68~74, et par E. Badiun, ûrietuals in Alexander's army, J. Il. S., 85 (1965), p.160161. - Soulignons cependant que ces études étudient la naissance d'une cavalerie mixte, mais ne disent pratiquement rien des problèmes de la phalange. 2. Alexanderreich, l, p. 107 sqq., tout en admettant quc pour l'infanterie les réformes fondamentales se placèrent seulement au retour de l'Inde (Ibid., p. 119).
3. Anab., III. 30. 6 : 'AÀt!;lXv8poç 81: &vlX7tÀl)p,"alXç "b hrmx6v b< "wv lX,h66EV !1tit'(a)v (après la disparition de Bessos] ; mais, on le voit, Arricn parle seulement d'une réquisition de chevaux et non d'une levée de cavaliers (cf. W. W. Tarn, Alexander, Il (1950), p. 163, n. 4; P. A. Brunt, article cité, p. 29 n. 11, et p. 441.
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était réalisée en 326, au moment de la campagne en Inde 1. En fait, il convient de distinguer deux étapes : d'une part, la levée de cavaliers iraniens comme auxiliaires, qui a commencé en effet avant la campagne en Inde ê, et d'autre part, l'intégration de ces cavaliers orientaux dans la cavalerie macédonienne. Or, en Inde, les contingents hactriens et sogdiens combattent encore en unités séparées 3. Ce n'est donc qu'au retour de l'Inde que doit être placée cette naissance d'une nouvelle cavalerie mixte décrite par Arrien 4, plus précisément en 324, peu avant la mutinerie d'Opis 5. Pendant toutes les campagnes d'Iran ct d'Inde, Alexandre a donc limité qualitativement et quantitativement les levées de cavaliers iraniens. II fit preuve de la même prudence avant de décider l'intégration des jeunes Iraniens (epigonoi) destinés à combattre dans la phalange. Bien qu'ils apparaissent pour la première fois à Suse (324) dans les récits de Diodore et d'Arrien 6, le compte rendu de Quinte-Curee 7, que l'on n'a pas de raison de suspecter 8, montre que c'est dès 327 que le roi avait ordonné la levée et l'entraînement de cette nouvelle troupe. Mais c'est simplement en 323, à Babylone, que fut créée une phalange nouvelle, mêlant intimement Macédoniens et Iraniens, après que Peukestas eut amené vingt mille nouvelles recrues 9. 1. W. W. Tarn. Al"",ander, Il (1950), p. 163·167. 2. Cf. Badian, article citd, p. 160-161. 3. Voir le récit de la bataille de l'Hydaspe : Arrien, V. 11. 3; 12. 2 i V. 16. 4 (cr. P. A. Drunt, Ibid., p. 44-45 j G. T. Griffith, tsu., p. 72-73, cn S6 Iondent sur Arrien VII. 8. 2, juge au contraire que, dès la campagne de l'Inde, une première intégration avait peut-être eut lieu, par la constitution d'iiai d'Orientaux à côté des ilai macédoniennes j mais, lUI' ce point, voir les remarques critiques d'E. Badian, article cité, p. 160-161, qui conclut qu'Arrien, VI. 6. 2 et VII. 8. 2, sont des doublets de Ptolémée) ; cf. déjà Droyscn, Histoire de l'hellénîsme, l (1883), p. 645 (Cl corps auxiliaires de second ordre .). f•• VII. 8. 2 (civcil-',ç,ç TWV ciUa
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n'ALEXANI>HE LE
GHAN])
AUX
DIAJ)O<)t'ES
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Dès lors se pose toute une série de questions. Pourquoi Alexandre n' a-t-il pas procédé à l'intégration des epigonoi dans la phalange dès leur arrivée à Suse en 324, c'est-à-dire à la même
c'est-à-dire : (' il constitua cette unité de Perses pris dans la même classe d'âge, et capables de servir comme un antitagma à la phalange macédonienne », L'expression dont use Diodore pour définir cette décision du roi est étonnamment proche de celle qu'emploie Plutarque 7 pour décrire ct expliquer la levée d'une cavalerie iranienne par Eumène en 322 : {,\.,1tEP &'"T(TIXYI-'IX )(IXTE""EUOC~ev aùtij [= T'ii 'l'''ÀIXYYL TW" MIX)(E36"","] 36"IXI-'L" t1t1tL)(~", Précisément, cette identité de formulation semble révéler à première vue une continuité, ou plus sûrement une analogie, entre les deux pratiques. Mais, d'un autre côté, le rapprochement entre les deux textes amène à
5u""l-'evo" 5è &."ThIXYI-'IX' yev,,,SIXL T'ii MIX'
par erreur epigorwi les enfants laissés en Asie f1"r les vétérans macédoniens (d. Arrien, VIL 12, 2, ct Diodore, XVIL 110, 3). 1, Supra. p, 51-52, 2, VIL 11, 3, 3. Voir ainsi G. Glotz-R. Cohen, Il. c-., IV-l, p. 181, qui, il rropo~ de la constitution d'une phalange mixte à Babylone (Arrir", VU. 23. 1-4), écrit: Il pour incorporer tant de conscrîta, Alexandre modifie, une fois cTicorr (je souligne), la composition de la phalange. Q 4, XVII. 108, 1-3. 5, Ibid,. 110. 2, G. Plutarque (Alex., 71. 1) décrit de façon identique les sentiments d'Alexandre. 7. Eum. 4. 2-3 (cité in extenso, supra p. 49).
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préciser, en réduisant Ba portée, l'un des termes de la comparaison. En effet, il ne s'agit plus de discuter sur les rapports entre la « politique iranienne ,) d'Eumène de I
ilè 'ltpo""",eo'ltÀ!a",ç M"'"eilOVL"Wç &vTh",yf"" TO'Ç 'It"'p' 'AVT,y6vou Àtu",xa"LaLv,,, Ces 2000 hommes ont suivi un entraînement spécial el ont reçu un armement macédonien, qui les rendent aptes à s'opposer aux leucaapidea agriancs et galatcs d'Antigone DOlon (cC. M. Daubics, Cléomène III, les hilot88 el SeUasie, Historia, XX 11971), p. 670, 675, 687). 2. VII. 11. 3. 3. Ibid. 4. Diodore, tu«, 108. 2. 5. Ibid., et Plutarque, Alez., 71. 1: cf. aussi Polyen, IV. 3. 7. 6. Arrien, VII. 8. 3 j Plutarque, uu., 71. 1-3 j Diodore, XVII. 109. 2 j Justin, XII. 11. 7-S ; Quinte-Curee, X. 2. 30. 7. Quinte-Curee, Ibid., 3-5; Plutarque, Loc. cù, S. Quinte-Curee, Ibiâ.« ... il fait convoquer l'assemblée des soldats pérégrinsl tout en maintenant les Macédoniens à l'intérieur du camp 1 j Id. Ibid., 3, 7-14 (discours d'Alexandre); Justin, tsu., 12, 1-3. 9. Cr. Arrien, VII. 6. 2-5; Plutarque, uu., 71. 1.
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mens, face à une phalange macédonienne et contre elle 1. Or, même si l'on doit raisonnablement admettre une évolution dans la politique iranienne d'Alexandre depuis 327 2 , on doit aussi supposer qu'en 324 il avait d'ores et déjà décidé l'intégration des Orientaux dans la phalange, qu'il ne rendit effective que l'année suivante. On est alors tout naturellement conduit à se demander pourquoi le roi - au lieu de constituer une armée orientale parallèle - n'a pas cherché à constituer dès 324 une phalange mixte, alors que l'ordre de recruter et d'entraîner les epigonoi remontait à plusieurs années, et que la sédition de l'Hyphase lui avait clairement démontré qu'il ne pourrait mener à bien son (, projet asiatique » avec le seul appui des Macédoniens? En outre, comment comprendre le retard de la fusion au sein de la phalange par rapport à celle qui a été réalisée dans la cavalerie? Précisément, c'est, me sem ble-t-il, dans un contexte purement macédonien que l'on doit interpréter l'attitude d'Alexandre à Suse comme à Opis. A cette date en effet, l'opposition se manifestait non pas tant, à mon sens, entre les Macédoniens et les Orientaux, qu'entre les .Macédoniens et leur roi. Les soldats désiraient de toutes leurs forces rentrer en Macédoine - et cela depuis longtemps, puisqu'ils avaient pensé que la mort de Darius allait signifier la fin de la campagne macédonienne et le retour dans leur patrie 3. Mais cette volonté exacerbée de 1. Voir l'épisode particulièrcment suggestif rapporté par Polyen (IV . .3. 7) : pour vider la querelle avec les Macédoniens, Alexandre dispose les deux armées, macédonienne et perse, en ordre de bataille (6 al: 'ltpoahlXl;ev 6'1t,,
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revoir les rives de l'Égée s'était surtout manifestée en Inde: là, malgré son dépit, Alexandre avait été obligé de céder l, car il ne disposait d'aucune argumentation propre à modifier l'état d'esprit des Macédoniens 2. Mais, dans son esprit, ce recul n'était que temporaire. C'est donc sur un malentendu fondamental que s'était effectué ce voyage de « retour. : pour les Macédoniens, il annonçait en effet le retour définitif dans leur patrie, alors que le roi n'entendait nullement quitter l'Asie. C'est pourquoi cette crise de l' Hyphase avait clairement révélé à l'Argéade sa trop grande dépendance à l'égard de son armée macédonienne. La création d'une « contre-armée • orientale lui permit de renverser le rapport des forces en sa faveur. C'est ce que démontrent clairement, à mon avis, les différentes étapes de la « sédition d'Opis •. Il est tout à fait frappent de constater en effet que la crise éclata lorsqu'Alexandre annonça le retour des invalides et des blessés en Macédoine s, mesure qui aurait dû logiquement être interprétée comme une concession par les Macédoniens. Alexandre, dans son discours, ne manque pas d'ailleurs de souligner l'incohérence des désirs de ses compatriotes 4. En réalité, la position des Macédoniens était très claire : ils voulaient revenir en Macédoine, mais à deux conditions : revenir tous ensemble 6, et revenir avec leur roi 6, dans les promesses duquel ils n'ont manifestement plus confiance 7. Le renvoi des vétérans fut donc interprété par les Macédoniens comme la preuve que le roi « établirait pour toujours en Asie le centre du royaume 6 », ce dont ils ne voulaient à aucun prix. Dans une position qu'ils estimaient aussi forte que la leur sur l'Hyphase 9, ils entendaient, par leur attitude résolue, forcer Alexandre à quitter l'Asie. Mais précisément, entre l' Hyphase et Opis, la création de 1. Mutinerie de I'Hyphaae : Arrien, V. 25-28: Justin, XII. 8. 9·17 i Plutarque, Alez. 72; Quinte-Curee, IX, 2-3; cf. Diodoro, Ibid., 108. 3 (cn confondant Hyphaee ct Gange). 2. Cf. Arrien, V. 28. 4. 3. Arrien, VII. 8. 1 ; Justin, XII. 11. 4·8 i Diodore, XVII. 109. 8 i Quinte-Curce, X. 2. 8. 4. Quinte-Curce, tu«, 2, 2-12. 5. Cf. J uetin, XII. 11. 5. 6. Ils ne veulent pas être considérés comme d'indignes dèserteura (QtÙnto-Curce, X. 2. 28) ; ils veulent revenir avec leur roi (cf. Ibid. 5. 12; 8. 10). 7. Alexandre, dans son discours (Quinte-Curce, X. 2. t 71, promot de revenir plue tard avec le reste des soldats. S. nu; X. 2. 12. 9. tu«, 2, 13-14.
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l'antitagma constitua pour le roi une arme nouvelle et décisive 1. Elle lui permit de faire croire aux Macédoniens que désormais il pouvait se passer d'eux ", Ainsi, il est tout à fait significatif de constater qu'Alexandre concéda à ses phalangites iraniens le titre de pezhetairoi 3 : c'était par là même les mettre sur un pied d'égalité totale avec les Macédoniens. Une telle mesure était, mutatis mutandis, aussi lourde de signification que celle qu'Alexandre [er avait prise de donner aux phalangites macédoniens le titre d'hetairoi, jusqu'alors réservé aux cavaliers nobles 4. En s'appuyant uniquement sur cette armée parallèle 5, le but d'Alexandre était clairement défini : il entendait susciter « le dépit et la crainte » chez les Macédoniens 6. Au milieu de son antitagma couvert d'honneurs 7, il voulait amener les Macédoniens à résipiscence complète. Il put même se permettre d'être violent 8 et intransigeant 9. Enfermés dans leurs contradictions, machiavéliquement préparées par leur roi, les phalangites macédoniens vinrent se présenter sans armes devant lui, en le priant humblemcnt de leur permettre - comme aux Perses! - de lui donner le baiser rituel 10, tout en considérant comme une victoire 11 ce qui était en fait une totalc soumission 12. Désormais, le roi pouvait tout se permettre. Les mesures d'intégration prises à Babylone ne soulevèrent apparemment aucune opposition 13. Cet épisode est tout à fait révélateur d'une méthode de « gouver1. Diodore (XVIi. 10S. 3) indique bien la relation de cause il effet entre l'attitude séditieuse des Macédoniens ct l'institution d'un antitagma ; voir aussi Pol yen IV. 3. 7 (supra, p. 55, n. 1). 2. cr. Arrien, VII. 10. 5-7, alors que telle n'était certainement pas l'intention du roi: en libérant les vétérans, il donne l'ordre d'nmener des recrues Imtches de Macédoine (Arrien, VIi. 12. ft, i Justin, XI. 12. 91 i il est symptomatique d'autre part que, dans la phalange mixte, les rangs d'Orientaux soient encadres par des rangs de Macédoniens IA,,;en, VII. 23. 3-4). 3. Arrien, VIL 11. 3. 4. Anaximène, F. Gr. Il., Il A, n" 72, F 4; j'adopte là la dutution défendue par A. Momigliano, Athenaeum, XIII (1935), p. 8 Id. mon Antigone, Appendice à la Ile partie, IL C. 2). 5. Supra, p. 53-54. 6. Plutarque, Alex., 71; cf. Arrien, VII. 6. 2 : en voyant les épigones, les Macédoniens craignent qu ' 1 à l'avenir Alexandre se passe de leurs services J. 7. Arrien, VII. 11. 3-4. i Diodore, XVII. 109. 3. 8. Il rait mettre à mort les meneurs (Arrien, VII. 8. 3; Quinte-Curee, X. 2. 30 i Justin, XII. 11. S-9; Diodore, XV II. 109. 2), cc qu'Il n'a pas osé faire à J'Hyphusc. 9. Il refuse, pendant plusieurs jours après l'asscrublée, de recevoir les Macédoniens (Quinte-Curee, X. 3. 5; Plutarque, Alex., 71). 10. Arrien, VII. 11. 6. 11. tu«, 11. 7. 12. Justin, XII. 11. G. 13. Cf. Arrien, VII. 23. 1-4 A Opis même, le départ des vétérans s'est finalement opéré dans le calme (Id., VII. 12. 1; Plutarque, Ibid.; Justin, XII. 12. 7-8).
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nement » chère à Alexandre, déjà utilisée lors du procès monté contre Philotas ! : dresser l'une contre l'autre deux parties de l'armée pour recréer la concorde (homonoia) autour de sa personne 2. En constituant cet « épouvantail » de l'antitagma, le roi voulait forcer les Macédoniens à accepter l'idée de rester en Asie et de collaborer avec les Orientaux dans une phalange nouvelle. Dans ces conditions, les mesures d'intégration décidées à Babylone apparaissaient aux Macédoniens, non plus comme une aggravation de la situation, mais comme le résultat heureux d'une opposition déclarée à. une armée purement iranienne. On voit donc qu'en l'occurrence, les epigonoi de l'antitagma n'ont constitué, à Suse, que des pions sur un échiquier où se jouait une partie autrement importante entre les Macédoniens et leur roi; - que, d'autre part, dans l'esprit d'Alexandre, la création d'une phalange iranienne parallèle était seulement une étape sur la voie qui menait à la mise sur pied d'une nouvelle armée irano-macédonienne. 2. -
D'Alexandre à Eumène.
Il est temps d'en revenir maintenant à Eumène. En Cappadoce en 322, le Kardien avait lui aussi des problèmes avec ses phalangites macédoniens, qui n'étaient guère disposés à se ranger à son autorité. Là, réside l'analogie avec la situation d'Alexandre en 324 : la mise sur pied d'un antitagma iranien, dont les modalités de levée accentuaient le caractère d'armée personnelle du recruteur 3, fit une profonde impression sur les fantassins macédoniens littéralement stupéfaits '. L'année suivante, au cours de son combat contre Néoptolème, Eumène n'eut aucune trahison à regrettera. De ce point de vue, il n'est pas interdit de 1. Sur cet épisode, voir mon Antigone, App., 2 e partir, II. C. 3. A celte date, Aloxandre utilise l'opposition traditionnelle entre les payaana-phalangitcs ct los noblee-cuvullcrs, pour venir à bout de l'opposition de ces derniers, ou, mieux, d'une partie d'entre eux (fi veut en faire restaurer une autorité sans partage). A Opis, au contraire, l'opposition viril! des phalangites, ce qui peut permettre peut-être de comprendre le retard mis à réaliser l'intégration des Orientaux dans la phalange. 2. CI. Polyen, IV. 3. 7 (supra, p. 55, D. 1L 3. Eumène concède des exemptions de taxes ct d'impôts. 4. Plutarque, Eum., 4. 3 : è:X7t'ÀcxYliVlXt (cr., à titre de compnruison, Id.. Ibid., 13. 4 : les Macédoniens retrouvent leur courage en voyant I'Importnnoc des contingents amenés par les satrapes des Hautes-Satrapies). 5. Au contraire, il intégra dans son armée la phalange de Néoptolème, après la Iuitc de cc dernier (Diodore, XVIII. 29. 5).
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penser qu'Eumène avait su tirer les leçons de l'attitude d'Alexandre à Suse et à Opis 1. Mais la réserve des Macédoniens à l'égard d'Eumène ne tenait pas à une opposition irréductible entre des Macédoniens et un Grec 2. Les Macédoniens d'Eumène, en vérité, étaient surtout effrayés de la supériorité numérique de la phalange de Néoptolème 3. A cet égard, la levée d'une cavalerie iranienne, loin de les irriter, leur redonna courage avant le combat contre le gouverneur de l'Arménie 4. De son côté, le satrape de Cappadoce n'entendait nullement se passer de Macédoniens 6. Mais, il savait aussi qu'il ne pouvait pas s'opposer à Néoptolème dans un combat d'infanterie. C'est pourquoi il choisit dès cettè date de lutter contre les armées macédoniennes ennemies en leur opposant une cavalerie supérieure 6 : cette force iranienne lui permit de surmonter l'infériorité de sa phalange macédonienne, aussi bien contre Néoptolème 7 que contre Cratère et Antipater en 321 8 • S'il organisa ces levées parmi les Cappadociens et les Thraces 9, c'est que toutes ces populations, traditionnelles pourvoyeuses de cavaliers 10, étaient les seules qu'il eût sous son contrôle. Il serait donc tout à fait abusif de voir dans ces mesures prises par Eumène en 322 une continuation pure et simple de la poli1. Eumène est présent à Babylone (cC. Bcrve, Alexanderreich, II, n? 317, avec références aux sources anciennes). 2. Contrairement à la thèse défendue complaisamment par Iliéronymos de Kardia IcI. l'étude critique de H. D. Westlake, article cité, B. R. L. 37-1 119541, p. 316-319). Ce problème sera étudié dans un article à paraître dans le prochain fascicule de la R. É. A .. 3. Plutarque, Eum., 5. 3; Diodore, XVIII. 29. 4. 4. Plutarque, lbiâ., 4. 3 : 6"'PP'ii
uu.,
Ibid. 9. D'après Plutarque, Ibid., 7. 3, Cratère fut tué par un Thrace, selon Arrien (Ibid.) par quelques Paphlagoniene. - Ce passage de Plutarque est omis par M. Launey, Rech6rches, l, p. 483-485, dans sa revue des contingents paphlagoniens et cappadociens des armées hellénistiques (Launey, p. 483, n. 2, cite seulement Arrien). 10. Selon Quinte-Curce {III. 2. 61, la Cappadoce pouvait fournir au Grand Roi 40.000 fantassins et 7. 000 cavaliers; Ariarathe, en 322, put mettre en ligne 30. 000 fantassins et 15. 000 cavaliers (Diodore, XVIII. 16. 2); en 333, les généraux perses rescapés d'Issos avaient etabli la conscription en Cappadoce et en Paphlagonie (Quinte-Curce, IV. 1. 34; Diodore, XVII. 48. 6; cr. mon AnligoTUl, 1 re partie, chap. III. Ill, où références à des faits Anterieurs). Sur l'élevage des chevaux en Cappadoce dès la plus haute antiquité, voir Huge, R. E., X-2 (1919), 8. v. Kappadokia, col. 1913.
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tique d'Alexandre. be Kardien ne leva jamais, autant qu'on le sache, de fantassins iraniens; jamais il ne tenta d'opérer une fusion entre éléments macédoniens et éléments iraniens. Au contraire, les contingents locaux servirent toujours à part 1. Dans ces conditions, on doit bien admettre qu'il y a un énorme fossé entre la politique d'Eumène et la politique d'Alexandre (même celle' de 324). Cette levée d'une cavalerie iranienne se rapproche seulement de l'enrôlement par Alexandre, dans les années 330-325, de contingents de cavalerie orientale qui, jusques et y compris la campagne de l'Inde, servirent uniquement comme auxiliaires 2. En définitive, il me paraît donc (lue F. Altheim s'est fié à une simple analogie extérieure, qui ne résiste pas à l'analyse.
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Eumène et les autres diadoques
Dès lors on ne peut qu'être pris de doute sur l' « originalité ,) de la conduite d'Eumène, telle que la rapporte Plutarque a sous ses deux aspects: bienveillance à l'égard des (c indigènes 1) (exemption de tribut; dôreai ...), levée de troupes dans la population de la satrapie. En premier lieu, il apparaît rapidement que tous les diadoques, dès leur arrivée dans leur satrapie ou gouvernement, ont cherché à s'appuyer sur les forces locales traditionnelles. Cette bienveillance (eunoia; philanthrôpia), accompagnée de cadeaux (dôreai), est indiquée par Diodore, pour Ptolémée en Égypte dès 323 4 , pour Séleucos en Babylonie dès 321 5, pour Peukestas en Perside dès 325/324 6 , pour Alketas dans une situation un peu spéciale - en Pisidie dès 321 7• Tous imitaient en cela Alexandre qui avait précisément montré avec force combien il approuvait la « politique iranienne 1) de Peukestas 8. Le roi, en effet, avait 1. Cf. Plutarque, Eum., 7. 1 i cr. aussi Ibiâ., 6. 4 [Pigrès, peut-être transfuge de I'nrmée d'Eumène?). 2. Cf. supra, p. 51-52. 3. Eum., 4. 2-3 (cité supra, p. 49). 4. XVIII. 14. 1 ("",t -ro,ç iU<ùpto,ç 'l"À"'V6P6>7t<ÙÇ ;:poa''l'~pno). 5. Ibid.• XIX. 90. 1 ( ... 8,&. -ri)v 1tpoUmxpxoua",v .ilvo,,,,v hotfL<ÙÇ ",0-r"'1. 91. 1·2 [ol
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n'ALEXANURE LE GHAN]) AUX DL\nOQl:gS
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parfaitement compris la nécessité de s'appuyer - non pas sur les « indigènes »1, mais sur les anciens maîtres, les anciennes aristocraties", qu'elles fussent civiles ou religieuses 3. Il en fut de même de Séleucos cn Dabylonie, qui fut le seul chef macédonien à conserver sa femme iranienne 4, ou de Ptolémée qui couvrit de bienfaits le clergé égyptien 6. En cela, au moins, il n'y a pas rupture entre Alexandre et les diadoques: Eumène ne peut pas être considéré comme un cas particulier 6. Mais une chose est de favoriser les classes dominantes, autre chose est de lever une armée dans les populations de la satrapie. Témoin Ptolémée: dès son arrivée en Égypte, il utilisa les 8000 talents amassée par Cléomène, et fit recru ter des mercenaires 7. On sait en revanche que ce n'est que tardivement, en 217, que les Égyptiens furent intégrés dans l'armée lagide B, et plus tardivement encore qu'ils furent admis aux bénéfice de la clérouquie 9. per!;oes (Arrien, Anab., VI. 30. 3 i VII. 6.3) ; n Suse, il fut récompensé d'une couronne d'or (Ibid., VII. 5. 4); c'est lui qui conduisit à Babylone Un contingent de vingt mille jeunes Pei-ses, qu'il avait levé de sa propre initiative (Diodore, XVII. 110. 2 i Arrien, VII. 23. 1). Alexandre voyait dans cette pulitique le seul moyen de \[ garder la nation (etJmQs) soumise en toutes choses D (Diodore, XIX. 14. 5). 1. Cf. Ed. Will, li. P. 1\1. JI., r, p. 235, qui souligne justement que l'expression Il popu~ la tions indigènes ", est une sirupliflcnticn fnllncicusc. 2. Ibid., p. 24ft-2/t?; voir, dans le même SCllS, E. Bikermunn, article cité, Accademia dei Lincei, CCCLXlIt (19ü6), p. 87-117, passim, en particulier p. 90~92; cf. aussi G. T. Grinith. article cité, P. C. P. S. (1964), p. 35-38. 3. Voir, par exemple, Arrien, VI. 27. 4 : Clèandrc et Sitalkès, laissés en commandement des troupes de Médie, sont accusés près d'Alexandre, pur les egkôrioi ct par leur propre armée, d'avoir pillé les temples, violé les tombes et d'avoir perpétré toutes sortes d'injustices contre les populations soumises. Le jugement d'Alexandre révèle qu'il veut éviter que les gouvernés (archômcrwi) soient injustement écrasés par les gouvernants (archôntes) (Arrien, Ibid., 27. 5). Il est donc assez probable qu'cil l'occurrence les dénonciations venaient de la caste des prêtres. - Sur l'appui trouvé par Pcukestns dans I'nriatocrat!e de Persidc, voir en particulier Diodore, XIX. 4-8. 5 : lors de la destitution de Peukeatus par Antigone en 316, les Perses protestent par la voix de Thoapios décrit comme : [EtÇ] 8è TWV &1tLq:>
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Mais, précisément, des deux diadoques, Eumène et Ptolémée, n'est-ce pas plutôt le second qui constitue un cas à part? En effet, lorsqu'on étudie les luttes entre diadoques dans les dix années qui suivent la mort d'Alexandre, on est rapidement amené à constater que le geste d'Eumène n'est pas isolé. Trois cas sont particulièrement significatifs: celui de Séleucos en BabyIonie en 312, celui de Peukestas en Perside, celui d'Alketas en Pi sidie en 320/319 : a) le premier exemple est celui du retour de Séleucos en BabyIonie en 312 1 • Pour pallier son infériorité numérique 2, il se tourna lui aussi vers les populations de la satrapie, dont il s'était acquis le soutien par la bienveillance qu'il avait manifestée à leur égard entre 321 et 316 3 . II s'empara tout d'abord de la citadelle de Babylone 4 : « Cela fait, il leva des troupes, acheta des chevaux, et les distribua à ceux qui savaient les monter. Enfin, il se montra si affable et si bienveillant envers tout le monde, qu'il fit naître de bonnes espérances, et la population était prête à défendre sa cause à tout événement 6 », Une simple comparaison avec le texte de Plutarque relatif à Eumène montre combien étroites sont les analogies, à la fois dans les buts et les modalités, avec les décisions du Kardien en Cappadoce en 322; b) dans sa satrapie qu'il contrôlait depuis 325/324 6 , Peukestas s'appuya de même sur une armée essentiellement iranienne. Ainsi, en 317 7 , ses forces se composaient de dix mille archers et frondeurs 8, de trois mille hommes « de toutes provenances » équipés pour servir à la macédonienne 9, de six cents grecs, de cavaliers thraces, et de quatre cents cavaliers perses; il put, à la même date, lever dix mille archers supplémentaires dans sa satrapie?", qui avait d'énormes ressources humaines lI. Le cas de Peukestas même n'est pas isolé; tous les satrapes orientaux se 1. Après sa rupture en 315 avec Antigone (Diodore, XIX. 55. 2-9; Appien, Syr., 53; Pausanias, 1. 6. 4), Séleucos se réfugia auprès de Ptolémée (Diodore, l bid., 56. 1; Appien et Pausanias, lee. cU.); il revint en Babylonie en 312 (Diodore, Ibid., 90. 1; Chronique babylonienne des diadoques, R. F. J. C., 1932, reclo ligne 5). 2. Diodore, Ibid., 90, passim. 3. Ibid., 91. 2. •. I u«, 91. 3-•. 5. Ibid., 91. 5 (trad. F. Hoefer], 6. Arrien, Anab., VI. 30. 2-3. Il conserva Ba eatrnpie en 323 (Diodore, XVIII. 3. 3) et en 321 (Ibid., 39.6). 7. Diodore, XIX. 14. 5. 8. Cf. tu«, 27. 6. 9. Cf. Id., XVII. 110. 2. 10. ta., XIX. 17. 6. 11, tiu., 21. 3; d. 22. 3.
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présentèrent à cette date à la tête d'armées levées dans les populations de leurs satrapies 1 ; c) c'est à un procédé analogue que recourut Alketas en Pisidie, en 320 1319~. Attaqué par Antigone, dont la supériorité numérique était écrasante, il subit une déroute complète, perdit sa phalange macédonienne et ses principaux lieutenants 8 et, entouré de son agéma et de ses six mille alliés pisidiens 4, réussit à se réfugier dans la cité de Termessos 6. Ces Pisidiens, il les avait levés dès au moins la mort de son frère Perdiccas, en Égypte, en mai 321 6 , car il avait compris qu'isolé comme il l'était, il devait se constituer une armée dans cette population belliqueuse; au surplus, la Pisidie était hérissée de places fortes faciles à défendre 7. C'est pourquoi il combla de cadeaux 6 ses auxiliaires, en leur permettant en particulier de garder pour eux la moitié du butin 9. De cette manière, il réussit à se constituer une armée d'une loyauté indéfectible 10. Mais Ù trouva des partisans particulièrement actifs et fanatiques parmi les « jeunes (ne6teroi); en revanche, les Anciens (presbuteroi) préférèrent traiter avec Antigone et précipitèrent ainsi la défaite du diadoque U. Après sa mort, les jeunes de Termessoa lui firent de magnifiques funérailles 12, et déposèrent ses restes dans une splendide tombe rupestre 18.
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1. Diodore, 14. 6-8, Plutarque, Eum., 13. 4 (voir aussi Diodore, XVIII. 7. 3·5). 2. Sur la carrière d'Alketas pendant l'expédition d'Alexandre, voir Berve, Alezanderreich, II, nO 54; sur sa carrière après 323, cr. Kaerst, R. E., 1 (1894), s. Y. Alketas (nO 5), col. 15141515, où les sources littéraires sont rassemblées. 3. Diodore, XVIII. 44, passim, 45. 1-3 (sur le destin des chers, cr. Ibid., XIX. 16, passim); sur la bataille, voir Polyen, IV. 6. 7.
4. Diodore, XVIII. 45. 3. 5. Ibid. - Sur TermeBSOS (l'ancienne), voir R. Heberdey, R. E., VI·A (1934), •. Y. (no 2), col. 732-775 i Ch. Lanckoronski-E, Petersen, op. eù., p. 69 sqq. i G. Radet, Lu viUu de la Pieiâie, R. A., 3' aéeie, XXI (1893), p. 189-191. 6. Diodore, Ibid., 46. 1. Alketas était en Pisidie depuis 322; au début de 321 il avait reîusè de se soumettre à Eumène malgré les ordres de Perdiccas (Plutarque, Eum., 5. 2; cf. Justin, XIII. 6. 15; Diodore, Ibid., 29. 2); à la fin de 321, il résolut à nouveau de ne pas collaborer avec le Kardien (Plutarque, Ibiâ., 8. 4 i Arrien, Suce., F 11. 41). Il apparatt donc qu'Alketns s'était réservé en Pisidie une sorte de principauté personnelle, sans doute avec l'accord tacite de son frère, après que celui-ci eut conduit une expédition victorieusc contre les villes rebelles d'Isaura et de Laranda (Diodore, Ibiâ., 22, passim i Justin, XIII. G. 2-3, avec une confusion (Ibid., 6. 1) avec la campagne précédente en Cappadoce) (322). 7. Cr. Arrien, Anab., 1. 24. 5-6; 28. 2-3. 8. Diodore, tu«, 46. 1 (euergetein j même terme en 4.7. 3) i 46. 2 (d6rean. 9. Ibid. 10. Ibid., 3. 11. Ibid., 3-7 et 47. 1-3. Sur cet épisode, voir P. Roussel, ~tude SUT le principe de l'ancienneté dans le monde helUniqu6 du va siècle 4 l'époque romaine, Mém. Inst. Ir. Acad. l nscr., 43~2 (1951), p. 207-208, et infra, p. 64, n, 3. 12. Diodore, Ibid., 47. 3. 13. Sur cette tombe, voir la description clans Lanr-koronski-Potersen, op. cit., p. 69-72,
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On pourra juger que cet exemple diffère profondément des précédents puisque l'armée d'Alketas n'était. pas composée d'Orientaux, mais d'une population très largement hellénisée 1. Mais il s'agit .Ià, peut-on dire, d'une différence purement circonstancielle. Il prouve précisément qu'aux yeux des diadoques, l'essentiel n'était pas d'être étroitement fidèle à la politique iranienne d'Alexandre. Au fond des choses, les moyens et les buts de ces conscriptions sont identiques chez tous les chefs macédoniens : a) ces levées sont organisées par les diadoques dans le territoire qu'ils contrôlent, soit à titre officiel (satrapes), soit à titre personnel (Alketas) ; b) ces régions sont de traditionnelles pourvoyeuses d'hommes. Les Macédoniens ne font que reprendre à leur profit des institutions militaires préexistant à la conquête : levées satrapiques en Iran, en Cappadoce et en Babylonie', organisation de ne6teroi à Termessos 3; ct l'article de Ch. Picard, Sépuftwu du wmpagMns de guerre ou ,mC6IBeur' macédonitlll d'Ale=ndr., J. S., 1964, p. 215-228 (à propos de G. Kleiner, Diadoch.ngrliber, Site, Wi4,. GeseU. Johnnn Go.IM, Uni•. Frank/urt/Main, 1 (1962), p. 67-87). - Soulignons qu'il s'agit là du premier exemple de l'inhumation q'UD diadoque en terre asiatique; d'autres en revanche (Cratère, Archon de Pella) furent 1 rapatriés' en Macédoine. Comme il elt raisonnable de supposer qu'Alketas n'avait pas ignoré le projet des Termcseiene, on peut (peut-être) voir dans cette politique l'affirmation de la destinée asiatique du diadoque et une volonté de s'enraciner dans Bon territoire [les restes d'Eumène furent également convoyés en Cappadoce: Plutarque, Eum., 19. 1. Nepos, Eum., 13. 4). 1. Voir R. Heberdey, loc. cù., col. 737-738. 2. Voir en particulier Diodore, XIX. 13. 7 et 14. 4 et 15. 5. La distribution de chevaux par Séleucos (Diodore. XIX. 91. 5) peut paraître plus curieuse, puisqu'elle semhlerait indiquer que la Bahylonie n'avait pas d'organisation de cavalerie, ce qui n'est manifeetoment pas le cas (cf. G. Cardascia, Le fiel dam la Bahylonie achAmAnide, ReclUil.. de la Société J. Bodin, II : Les liem de va88alith el lu immunith, Bruxelles, t 958, p. 56 Iqq. : traduction d'un contrat cunéiforme de 422 avant J.-C., montrant l'existence d'un .. fonds de cheval», qui, à mon sens, n'est pas sans offrir certaines analogies avec le kl.erOlhippiko. hellénistique). La comparaison avec la conduite d'Eumène en Cappadoce [Plutarque, Eum., 4. 3) peut permettre de comprendre celle de Séleucos: lee Cappadociens qui eont appelés possèdent déjà leur cheval (Eumène, pour se les attacher, leur concède dee exemptions de tribut) ; en outre, il achète des chevaux, mais les donne simplement il ceux en qui il a toute confiance, et se crée ainsi une sorte de garde personnelle. On peut supposer la même chose pour Séleucos. (Dans l'empire achéménide, certaines satrapies devaient fournir des chevaux, en guise de tribut (Xénophon, Anah., IV. 5. 24)). 3. P. Roussel (article cité, p. 208), tout en affirmant qu'on ne sait rien sur lee institution. de Termessos hellénistique, note justement: « De son côté, la jcuneaee a ICB cadres tout prêts; la solidarité des groupements militaires ou .. paramilitaires» leur permet une nction unanime d'une terrible efficacité. » On sait qu'il existait une glfrousia à l'époque 'romaine (T. A. M., 3 A; 29; 590) ; Lanckoronski-Peteeeen (up. cù., p. 33, n. 1, de l'édition allemande) ont mis en relation cette geroueia et les preebiueroi qui s'opposent à Alketas ; R. Heberdey (loc. cù., 763) s'cst fermement élevé contre l'hypothèse, en Ialaent valoir que Diodore donne également à ces Anciens l'appellation de gami. (Ibid., 46. 3), ce dont il déduit que la lutte ne s'est pas engagée entre ".ne organisation d'anciens et une organisation de jeunes, mail entre Ica parents (lion mobilisa bles] ct les enîants [aoldnts]. P. Housael (lh,'d., p. 208, n, 1)
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c) en instituant ces recrutements, les grands chefs macédoniens n'ont pas pour objectif de réaliser une fusion des races. Ils y sont contraints par les nécessités de la guerre : Alketas, après sa déroute devant Antigone, est privé de troupes macédoniennes; Séleucos, en revenant en Babylonie, en a fort peu l, et les garnisons macédoniennes de la satrapie montrent peu d'enthousiasme à le suivre 2; Eumène est, de ce point de vue, en état d'infériorité par rapport à Néoptolème 3. Ces levées devaient donc compenser le manque de soldats macédoniens, considérés à cette date comme les combattants d'élite 4; d) ces chefs macédoniens comptent ainsi faire progresser leurs ambitions personnelles: juste après la mort de son frère, Alketas entend bien participer à la lutte pour le pouvoir 5 et après sa défaite, il espère conserver intacte sa puissance en Pisidie 6 ; Peukestas, de son côté, utilise la force de son armée pour disputer la première place à Eumène 7; quant à Séleucos, son but est évidemment de se faire reconnaître une autorité sans partage sur la Babylonie 8. La constitution de toutes ces armées locales est tout à fait jugeait déjà cette rèfutation e trop sommaire s ; j'ajoute qu'elle me paraît erronée, puisque dana la cité sont restés également Il les citoyens dans la force de l'âge (... 't'wv &.K(J.IX~6v't'{l)V Tt'oÀt't'wv)J, qui peuvent donc aussi être des e parents s (Aristote, Pol., VII. H.11.1335 b. 3ft, place l'akmè vers la cinquantième année; ct. P. Roussel, Ibid., p. 200). Il paraît donc bien que presbuteroi et neôteroi forment des groupes institutionnellemont distincts, qu'on est tenté de rapprocher d'institutions crétoises (rapprochement fait allusivement par P. Houasel, Ibid., p. 208-209, à. propos de la etaeie entre neôteroi ct preebuteroi il. Gortyne: Polybe, IV. 54. 6-9 i 55. 6). A cet égard il est important de constater qu'on connait, dans Termessos hellénistique, l'institution de l'irénarque (L. Robert, Études anatoliennes, Paris, 1937, p. 105), qui accompagne normalement d'autres institutions comme les peripoloi, les
éphèbe, [cf. L. Robert. Ibid.• p. 107; P. Vidal-Naquet, P. G. P. S., 194 1196B). p. 49-64; Ch. Pélékidis Histoire de l'éphébie attique, Paris, 1962, p. 39-49) i on connaît également en Lycie-Pisidie des corps de neaniskoi (cf. l'expédition d'Ürthagcrae contre Termesaoa au Ile siècle: S. E. G., 18, 570, ligne 39 j L. et J. Robert BuU., 1950.183); il ne fait donc guère de doute, à mes yeux, que ces nedteroi de Termessos constituent bien un groupement militaire civique. Rien n'interdit de penser, dans cette hypothèse, toises, par l'intermédiaire de la Lycie (cf. Hérodote, I. 173 i cf. H. Courèiee, Lille, 1939. p. 465-466). 1. II avait reçu de Ptolémée huit cents fantassins et environ trois dore, XIX. 90. 1 ; chiffres légèrement différents dans Appien, Syr., 2. Diodore, ua., 91. 1.
à des influences cré.Jcanmaire, Oourot et
cents cavaliers [Dio-
54).
3. Supra, p. 59. 4. Diodore, XVIII. 14. 3. 5. Ibiâ., H. 1 (...
8.1v lX"'v -r/jv TWV 7t
YEfLovtlXV) ; 22-23.
B. Ibid., 91. 2 1...
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caractéristique de la désagrégation rapide de l' « unité impériale », - notion qui, il est vrai, ne tenait guère qu'à la personnalité d' Alexandre 1~ Le proeessus de la sécession a déjà été décrit pour l'Est séleucide au Ille siècle : pour faire pièce à la ruée nomade, des chefs macédoniens (des satrapes), - également soucieux de leur ambition personnelle, - prirent le titre de roi et s'appuyèrent sur des armées iraniennes 2. Dans les provinces occidentales, en revanche, les sécessions ne sont pas dues à l'incapacité de l' « armée royale 'l à défendre le territoire, mais aux luttes pour le pouvoir. On constate partout cet éclatement des structures unitaires, dès la mort d'Alexandre. L'ambition de nombre de chefs macédoniens est, dès cette date, de fonder une dynasteia 3. Pour ce faire, chacun d'entre eux comprit qu'il fallait disposer d'une base territoriale et d'une armée qui lui Iüt tout acqurse x a) il est frappant de constater que beaucoup de satrapes ne considèrent pas leur pouvoir comme un pouvoir délégué, mais comme un pouvoir personnel. Ainsi, Antigone put-il, en 319, accuser Arrhidaios de gérer sa satrapie (la Phrygie de l' Hellespont) eomme son bien propre 4. Pour fonder cette nouvelle légitimité, certains font appel au « droit de la lance 'l5, d'autres à la proteetion privilégiée d'Alexandre 6. C'est ainsi qu'après 323 et surtout 1. La manière dont le roi avait imposé à ses phalnugitcs de rester l'Il Asicl ct de (Driller une phalange mixte avec les Iraniens (supra, p. 51-58) laissait llIal augurer de l'évolution des sentiments profonds des soldats après 323 (Cc point sera repr-is tians UII deuxième article à paraître dans le prochain fascicule de la R. É. A.). 2. Ed. Will, Ii. P. M. tt., J, p. 243 sqq. (8upra, p. 50, n. 6).
3. Diodore, XVIII. 7. 4 (Pithon en 323 cn Iran) j Ibid., 52. 3 (Arrhidaio8, eutrupc de Petite-Phrygie, en 319). 4. Ibiâ., 52. 3. 5. Cr. Ibid., XVIII. 39. 5 : Ptolémée considère sa satrapie connue tÙJrikteto8, cc qui empêche Antipater (s'il l'avait voulu) de la lui enlever lors du partage de Tripnrndcisoa à l'été 321 (cr. aussi Arrien, Suce. F 9. 34). A cette date, Ic terme n'est Ilssur6 que pour Ptolémée i mais d'autres satrapes ont conquis leur gouvernement les armes il la main: ainsi Lysimaque contre Scuthès (Diodore, Ibid., 14. 2-4; Arrien, Ibid., F1. 10, avec une erreur), et à Triparadeisos il est considéré par Antipater comme lndèlcgnublc llleid. Epitome, F. Gr. II., n? .155, Ft. 4). F. Schachcrmeyr (Alexamler in Babylon, 01'. cit., p. 185200), partant des succès d'Antigone en Grande-Phrygie en 333·332 (d. mon Antigone, 1 re partie, chap. III. III), estime que le Borgne pouvait lui nusai considérer Ma eutrupin comme chôra doriktetoe i mais c'est oublier que ces succès avaient été reruport.ée au nom dIt roi. (Il est vrai qu'après juin 323 cet aspect dcs choses a pu rendre Anli~ono plus rétif à l'autorité de Perdiccas; on peut faire la même reflexion pour Eumène en Cappadoce après la mort du Grand Vizir en 321). Sur ce terme de ctôm doriktet08 t voir en dernier lieu W. Sehmitthenner, Ueber cine Formoerdnderung der Monarchie seit Alexander d. Gr., Saeculum, 19 (1968), p. 32-46, en particulier p. 32-38. 6. Cet appel au souvenir d'Alexandre est un fait bien connu à l'époque des diadoques (cf. mon Antigone, 20 partie, chap. 1. A; J. Seibert, Plolemaio8, p. 152-156 i R. A. Hadley, Deified kingship and propaganda coinage in the early beilenietic age (323-280 B. C.) di...
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après 321 se constituèrent des territoires pratiquement autonomes ou indépendants (Égypte, Thrace, Grande-Phrygie, Babylonie... ), dans lesquels les satrapes avaient su s'attirer l'appui des dirigeants, voire même des « techniciens 1 Il. Pour certains, ce territoire n'était qu'une base d'opérations propre à faciliter la conquête d'une empire beaucoup plus vaste 2; pour d'autres, il s'agissait seulement de se transformer en dynastes locaux 8 ou en tyrans 4; b) il leur fallait aussi une armée puissante et sûre. Or, en 323, l'essentiel des troupes macédoniennes était sous le commandement de Perdiccas (et d'Antipater en Europe); après 321, ë
microf. Univ. Penns.1964, p. 19 sqq.l- Pour Séleucos, par exemple, voir Diodore, XIX. 55. 3 et 90. 3-5. 1. Seule la collaboration des techniciens locaux - des spécialistes de l'hydraulique en particulier - permet de comprendre, à mon avis, comment "Ptolèmée en 321 (Diodore, XVIII. 33-35) et Séleucos en 317 (Id. XIX. 12-13) purent utiliser les systèmes de canaux pour protéger respectivement I'Êgypte et la Babylonie, contre les attaques de Perdiccas [Êgypte] et d'Eumène (Babylonie). Sur l'enrôlement des techniciens des finances, cf. CI. Préaux C. E. 195~, p. 312-326. 2. Ptolémée ne tarda pas à s'étendre vere. la Cyrénarque (cf. Diodore, XVIII. 19-21; Arrien, Suco., 16-19 j Justin, XIII. 6. 18), puis, après 321, vers la Koilè-Syrie (Diodore, Ibid., 43.1-2). Il est intéressant de constater qu'en 321 Antigone conserva sa satrapie de Grande-Phrygie (Ibid., 39. 6; Arrien, Suce., 37), qu'il gouvernait depuis le printemps 333 (Arrien, Anab., 1. 29. 3) (hormis une interruption d'un an, entre l'automne 322 et l'été 321) ; Kelainai resta sa capitale jusqu'en 306-305, date de fondation d'Antigoneia (Diodore, XIX. ~7. 3-~; cf. DI. Kôhler, S. D. A. W., 1893, p. 8351. 3. La bibliographie la plus récente sur les dynastes se trouve dans J. Crampa, Labraunda. III. 1. The greek inscriptions, Part I, Lund 1969, p. 86-96 i voir aussi G. Bockisch, Die Karer und ihre Dynasten, Klio, 51 (19G9), p. 117-175. - Même si la plupart des dynastes connus en Asie Mineure datent du Ile siècle, beaucoup de dynasties. remontent certainement à une époque bien antérieure (cf. M. Hollcnux, Études, III, p. 362). Le meilleur exemple en est Eupolémoa de ThéangeJa, dont le pouvoir est déjà bien établi cn 314 (Diodore, XIX. 68. 5 i Schmitt, Vertriige, nv 429 j M. Rostovtzert, R. S. A., 1931, p. 7-21; L. Robert, Collection Froehner. Inscriptions grecques, p. 69 sqq., en particulier p. 72, n. 5 : à mon avis, Eupolémos, peut-être citoyen de Théangéla ct probablement officier macédonien, s'était établi, après la mort d'Alexandre, à Mylasa comme tyran ou dynaste de la ville..••). Or, tout permet de supposer que ce cas n'est pas isolé et que, de cc point de vue, la conquête macédonienne-ne constitua pas une rupture dans les pratiques administratives et politiques de J'Asie Mineure. Cette continuité est clairement démontrée par l'emploi de la formule « dynastes, rois, cités, peuples " qui fleurit à l'époque eéleucide (Schmitt, Vertriige, nO 192, ligne 11 i n? 551, lignes 64~65; Diodore, XIX. 57. 3 i Polybe, IV. 48. 12 i cf. à une époque plus tardive Appien, Milh. 94), mais qui est connue dès là période achéménide (Nepos, Agesila8, 7. 3). La naissance de ces dynastes s'intègre parfaitement dans le processus de désintégration de l'empire que nOU8 essayons d'expliquer: nul doute qu'un certain nombre de « diadoques mineurs» (tel Eupolèmoe} ont trouvé là matière à assouvir leur modeste» ambition. 4. Comment caractériser le pouvoir et les méthodes d'Alketas en Pieidie, sinon comme ceux d'une tyrannie, d'où peut-être l'opposition des Anriens (autre exemple de tyran s'appuyant sur les Jeunes: Hérodote, V. 71 ; cf. P. Roussel, articu citA., p. 211)7 On sait que ces régions de Pisidie et de Lycie ont toujours constitué des terres d'éjection des tyrannies (Strabon, XIII. 1. 17 t L. et J. Robert, BuU. 1950. 183; H. Berve, Die Tyranni4 bei den Griedxen, 1967, p. ~27-430). 5. Il dirige la b..ilik. dunami. (Diodore, XVIII. 16. 1; 22. 1; 23. 2; 29. 1; Arrieo, Suce., 28). 1[
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l'ancienne armée royale passa sous le commandement d'Antigone le Borgne 1. Dès lors, il ne restait plus aux ambitieux que deux solutions: soit l'appel' à des mercenaires, soit l'enrôlement de la population de la satrapie. Or, dans les années qui suivent immédiatement la mort d'Alexandre, la plupart des satrapes n'avaient pas les moyens financiers de recourir au premier procédé. Seul Ptolémée le put, parce qu'il disposait d'un trésor considérable (huit mille talents) 2, et qu'il communiquait facilement par mer avec les cités grecques 3. Restait, pour les autres, la solution d'une armée « indigène 0, constituée autour d'un noyau plus ou moins important de Macédoniens. Mais ce n'était pas là une solution absolument désespérée. La supériorité avérée des phalangites macédoniens 4 pouvait être sérieusement mise en défaut, dès lors qu'on lui 1. Arrien, Ibid., Diodore, tu«, 39. 7. 2. Diodore, Ibid., 14. 1. Il convient de souligner en effet que la richesse du sat.rape d'Égypte est tout 4 fait exceptionnelle dans ces années. Une partie du tréaor d'Alexandre (cinq mille talents) avait été emportée par Harpale (Diodore, XVII. 108. 6 j cr. E. Badian, Harpalus, J. H. S" 1961, p. 23-24) i à Triparadeisoa, en 321, Antipater eat démuni d'argent, malgré les contributions levées sur les cités asiatiques 10. G.I. S., 4), à tel peint qu'il ne peut pas verser aux Macédoniens les dons promis par Alexandre (Arrien, Suce., 32 ; Polycn, IV. 6. 4) i il est tout aussi désargenté à son retour en Europe (Arrien, l biâ., 44) à l'automne 321, car l'inventaire des trésors royaux n'a pas encore été fait (Ibid., 32). Avant sa carupagne contre l'Égypte en 322, Perdiccas n'était sans doute pas mieux loti: ainli l'explique peut-être les mesures drastiques qu'il prit contre ArchOn, satrape de Babylonie, qui Il'ctait, semble-t-il, rendu maître des trésors (cf. .upra, p. 45, n. 4). Ce fut Antigènès, chef des Argyraspides et nouveau satrape de Susiane, qui fut chargé par Antipater, en 321, de convoyer vers la mer les trésors de Suse (Diodore, XVIII. 39. 6 j Arrien, Suce., 35 et 38) ; il accomplit en partie seulement cette mission (en 317 Eumène puisa encore dans les trésors de Suse: Diodore, XIX. 12. 3; 15. 5; cf. 17. 3). Désormais, cette masse considérable de métal précieux fut stockée à Kyinda (Strabon, XVI. 5. 10) - dont l'opulence était renommée jus. qu'en Grèce (cf. Ménandre Les p~CheU1'8, F24, dans J.-M. Edmonde, Altie. Com., III A, p. 555) -et d'où des convois de c galions li le transportaient vers la Macédojpe (Diodore, Ibid.• 52. 7; Polyen, IV. 6. 9). Le premier a utiliser une partie de ces richesse pour recruter dea mercenaires fut Eumène qui, en 319, reçut la pennission d'utiliser les ressources de Kyinda (Plutarque, Eum., 13. 1·3; Diodore, Ibid.• 58, 1-2) ; son exemple fut suivi l'année suivante par Antigone, mais d'une manière illégale, puisque le Borgne, tel un pirate, captura un convoi à destination de la Macédoine (Diodore, Ibid., 52. 7 j cr. Polyen IV. 6. 9). De tout cela il apparaît que, pendant au moins quatre ans après la mort d'Alexandre, les eatrapee ne purent bénéficier de sa c moisson de l'Asie.; Antigone dut même attendre la conquête de Suse, en 316, pour voir S8 trésorerie déflnivement « assainie 1 [Diodore, XIX. 55. 1 ; 58-59, 60. 1-5). De 323 à 319 au mieux, les satrapes n'curent donc d'autre ressource que de détourner (éventuellement) à leur profit le tribut dea provinces. - Seul pourrait être comparé à Ptolémée, le condottiere Thibron, qui s'était emparé de l'argent et des mercenaires d'Harpale (Diodore, XVIII. 19. 2) ct qui put procéder ainsi à de nouveaux enrôlements au cap Ténare (Ibid., 21. 1-2); mais ce n'était pas un diadoque à proprement parler. - On ne saurait donc trop insister, je le répète, sur le poids dei contraintes financières dans les luttes des diadoques juste après la mort d'Alexandre, et dans le choix dei stratégies. 3. Ptolémée, dès son installation en Êgypte, se procura une floue et noua dei relation. symmachiques avec plusieurs rois de Chypre lcf. E. Moser, Unler.uchungen über die Politik Ptolemaeoa l' in Griechenland, dies, Breslau, 1914, p. 16 sqq.). 4. cr. Diodore, XVIII. 14. 3.
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opposait une force de cavalerie: ce qu'avait parfaitement compris Eumène de Kardia '. D'autre part, la levée de telles armées coûtait beaucoup moins cher que l'enrôlement de milliers de mercenaires grecs. Enfin, cette collaboration entre le satrape et les populations locales lui permettait de disposer d'une armée d'un dévouement à toute épreuve, ce qui n'était le cas ni avec les mercenaires ni avec les Macédoniens '. La distribution de cadeaux (dôreai) 3 de toutes sortes faisait des soldats, et principalement de leurs chefs, les obligés personnels du diadoque. II est certainement apparu indispensable aux chefs locaux de prendre parti pour l'un ou pour l'autre compétiteur macédonien, puisque de toute façon les populations seraient engagées de gré ou de force dans ces combats 4; mais au moins, en choisissant de leur propre volonté de combattre sous un diadoque plutôt que sous un autre, les dirigeants locaux pouvaient espérer en retour, en cas de victoire du <, protecteur », conserver une autonomie interne plus ou moins grande ou, à tout le moins, sauvegarder le patrimoine matériel de leur communauté". Il ne me paraît donc pas déraisonnable de conclure que la constitution de telles armées révèle l'existence d'un certain consensus entre les successeurs d'Alexandre et les aristocraties locales.
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Si nous en revenons maintenant à Eumène de Kardia, rien dans son action politique ou militaire ne prouve clairement que ses objectifs à long terme aient différé de ceux de ses adversaires. II est bien vrai qu'Hiéronymos de Kardia met constamment en exergue le loyalisme dynastique de son compatriote : mais ces 1. Cf. 8upra, p. 59. ?-. Ce problème scru traité dans le deuxième article à puruttrc dans le prochain fascicule de la Revue des Éludes anciennes. 3. Cf. supra, p. 60·61. 4. Ainsi, en 312, Seleukoa et Nikanôr Be livrent bataille à la tête d'armées presque entièrement composées d'Orientaux. (Diodore, XIX. 91. 5; 92. 1-4,). 5. Le problème est posé avec une remarquable netteté dans les discussions qui ont lieu entre les Mdteroi et les preebuteroi de Termcasos sur J'attitude à adopter face à Antigone. Les seconds jugent que cc serait prendre un risque disproportionné que de transformer le territoire civique et la cité en objets de pillage pour défendre le sort d'Alketas (Diodore, XVIII. 46. 4) ; ils préfèrent traiter avec Antigone (Ibid., 4G, 4-7) pour éviter la guerre et les destructions (Ibid., 47. 1). Après la mort d'Alketus les neôteroi se muèrent en bandes de pillards qui ravagèrent le territoire d'Antigone ilbiâ., 47. 2). Mais, au fond, toutes les cités grecques (et autres communautés) d'Asie hellénistique sc sont trouvées confrontées à cos problèmes, ln neutralité étant un luxe Je citée riches [ex, Rhodes).
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louanges excessives sont pour le moins sujettes à caution 1. Ainsi, il est tout à fait caractéristique que, dans le parallèle qu'il établit entre Eumène et Sertorius - là même donc où il exprime son sentiment personnel - Plutarque dénonce avec force l'ambition du Kardien 2. Les refus qu'Eumène opposa successivement aux propositions d'entente de Cratère en 321 3 ct à celles d'Antigone en 320/319 4 sont présentés par Hiéronymos comme des preuves de la pistis d'Eumène envers Perdiccas ct envers les rois. En vérité, il paraît plus réaliste de les interpréter comme l'expression d'un calcul politique habile 5. Même si elle emprunta parfois des voies originales, l'ambition personnelle d'Eumène Ile peut guère être mise en doute. Or un trait commun avec les autres diadoques sc dégage d'une analyse de ses choix politiques et stratégiques: c'est son souci constant de faire de la Cappadoce sa base d'opérations et de recrutements personnelle. Sa satrapie, lors du partage de Triparadeisos 6, avait été confiée à Nicanôr 7. Cela n'empêcha pas le Kardien de s'y réinstaller à la fin de l'hiver 321/320 8• Après sa défaite aux Champs Orcyniens, il prit soin, en se réfugiant à Nora, de garder avec lui des otages cappadociens, en échange desquels, après sa « libération », il sc fit livrer des chevaux, des bêtes de somme et des tentes 9. Rentré en Cappadoce, il s'empressa, en utilisant son prestige sur les populations, de réunir une nouvelle armée « indigène 1); en quelques jours, il réussit à 1.
cr. II.
D. Westlake, Eumenee of Cardia, B. R. L., 37-1 (1951,), p. 319-32G, avec ré-
férences aux textes anciens.
2. Comp. 2. 1 (cptÀ01t'6ÀE(.lOC:; .. , xocl qU.À6VELXOC:;); 2. 2 (1 car Antigone sc ecrnit volontiers servi d'Eumène, si celui-ci, au lieu d'entrer en lice pour lui disputer la souveraineté (... T&V ô1t'èp TOi) 1t'PWTEUEI.\1
Eum., 11. 3. 1,). 3. Arrien, Succ., 2G i Plutarque, tu«, 5. 4. 1,. Plutarque, tu«, 12. 1; Diodore, XVlll. '.1. G-7 (320); tu«, 50. 1, ct 53. 5 (319). 5. La réaction d'Eumène facc Cratère s'explique surtout pur l'antipathie profonde que le Kardien vouait à Antipater, qui la lui rendait bien [Plutarque, Ibid., 3. 5; 5. 5), et ù
pnr la certitude d'obtenir une place de premier choix dana le 1 nouvel empire 1 après la victoire de Perdiccas sur Ptolémée, victoire qu'à, cette date chacun prévoyait, semble-t-il (cl. Diodore, XVIII. 1,3. 1). 6. Rappelons qu'Eumène Il étè condamné par une ASlI.emblOe des Mueèduniena après la mort dc Perdiccas [Diodore, XVIII. 37. 2; Plutarque, Eum., 8. 2 i Justin, XIII. 8. 10 i Nepos, Eum., 5. 1; Arrien, Succ., 30; Appien, Syr., 53, ct ftlith., 8). 7. Diodore, XVIII. 39. 6; Arrien. Suce., 37. 8. Diodore, Ibiâ., 40. 2; il Il pris ses quartiers d'hiver à Kelninai, capitale de la GrandePhrygie (Plutarque, Eum., 8. 4). 9. Plutarque, tu«, 12. 3.
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rassembler autour de lui entre mille et deux mille cavaliers 1, et bien d'autres lui promirent de se joindre à lui rapidement 2. Antigone sentit parfaitement le danger et chargea son ami Mé· nandre d'empêcher Eumène de parfaire sa réinstallation en Cappadoce, si bien que le Kardien dut quitter en hâte sa satrapie pour gagner la Cilicie 8. Entre temps, des instructions écrites de Polyperchon l'avaient remis à la tête de la Cappadoce 4. On lui ordonnait également de mener la guerre contre Antigone, au titre de strtüégos autocratôr 5. Pour ce faire, il fut autorisé à retirer des fonds dans la gazophylacie de Kyinda 6. A cette occasion, Hiéronymos fait une extraordinaire apologie du loyalisme et du désintéressement d'Eumène, tout en soulignant son handicap d'être Grec 7. Il semble bien en fait qu'Eumène a hésité à obéir aux ordres de Polyperchon. Il voyait en effet les difficultés de la tâche et en était quelque peu effrayé s. Pour la première fois, il se trouvait devant une redoutable alternative: soit poursuivre la lutte contre Antigone pour la première place 9; soit chercher à reconquérir sa position privilégiée en Cappadoce: ce n'est pas sans hésitations ni sans arrière pensées qu'il choisit la première voie 10. 1. Plutarque, Eum., et Diodore, XVIII. 53. 6-'; sur les contradictions entre les chiffres dc Diodore et ceux de Plutarque, d. R. Engel, Anmerkungen zur Schlacht von Orkynia, M. II., 28-4 (1971), p. 227-231. 2. Diodore, Ibid., 59. 1. 3. Ibid., 59, 1-3. 4. Plutarque, Eum., 13. 1. 5. Diodore, Ibid., 58.1; à cc propos, Beugtson, Strategie, 18 p.119-123, souligne (p. 121) que, comme Antigone après 321, Eumène cumula son poste satrapiquc, base de sa • Hausmucht " et un commandement général (d. supra, p. 67, n. 2). 6. Plutarque, Eum., 13. 1 i Diodoro, Ibid., 58. 1-2 et 60, passim, 7. Diodore, tu«, 60. 8. Ibid., 60. 1-3. 9. Cf. Ibid., 60. 3 (avec une interprétation très tendancieuse d'Hièronymos], "10. Les hésitations d'Eumène sont clairement indiquées par Diodore, Ibid., 59. 4-G (avec les inévitables réflexions sur les caprices de la Tychè) et 60. 1-3. Mais Diodore no présente que très indirectement les termes de l'alternative sur lesquels devait ee décider Eumène. Cependant, l'analyse des lettres de Polyperchcn montre que le stratège d'Europe Caisait une claire distinction dans les Ionda con fiés au Kardien - une partie devait, être consacrée Il: à la guerre. [Plutarque, Ibid., 13. 1), c'est-à-dire à la levée de mercenaires (Diodore, Ibid., 58. 1); Polyperchon, d'autre part, avec un réalisme qu'il convient de souligner, mettait à part une somme (cinq cents talents) qui était donnée à Eumène à Litre personnel (plutarque, loc. cil. : dç -r1]V 't'wv t8(w\I tn"/X\l6p6wCH\I; Diodore, lbiâ., 58. 1, et 60. 2 : elç rb&.À"t)~L\I xœ] xoc't'/Xaxe:ul)\I). Cette répartition, me semble-t-il, correspond aux deux aspects des pouvoirs d'Eumène: la stratégie d'Asie d'une part, la satrapie de Cappadoce d'autre part. Plutarque affirme sans autre précision (Ibid., t3. 3) qu'Eumène abandonna ces cinq cents talents. En fait, Diodore montre bien qu'Eumène hésita beaucoup (Ibid., GO. 1) i dans un premier temps, écrit-il, Eumène refusa parce-qu'Il n'aspirait à' aucun poste de commandement, Ce qui implique que, dans un deuxième temps, il l'nccepta. C'est donc que tout en 'commençant la guerre contre Antigone, il
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Le même problème, se posa de nouveau à lui avant la bataille de Gabiène en 316, mais en des termes beaucoup plus aigus cette fois. Ayant appris que les Argyraspides méditaient de le trahir en faveur d'Antigone 1, il fit son testament et détruisit ses papiers. « Après avoir pris ces dispositions ~ - écrit Plutarque 2 - « il se demanda s'il laisserait la victoire aux ennemis ou s'il s'enfuirait à travers la Médie et l'Arménie pour rentrer en Cappadoce ... Mais, après avoir repassé dans son esprit tous les aspects divers de la situation, il finit par ranger son armée en bataille 'l. Ce texte montre clairement qu'Eumène ne perdit jamais de vue l'intérêt que pouvait présenter pour lui sa base cappadocienne. Il ne semble pas en effet que le Nicanôr nommé à Triparadeisos ait jamais pris position dans la satrapie 3. Quant à Antigone, après l'expédition de Ménandre 4, il ne voulait probablement pas y distraire une partie de ses forces au moment de la lutte décisive contre le Kardien. D'ailleurs, en 316, la femme et les enfants d'Eumène se trouvaient encore' en Cappadoce 6, preuve, semble-t-il, qu'il comptait bien y revenir 6. Après la défaite, plusieurs de ses lieutenants cherchèrent à réaliser le plan qu'il avait songé un moment à choisir, c'est-à-dire regagner la Cappadoce, en traversant la Médie et l'Arménie, mais ils échouèrent 7•
• Malgré son handicap d'avoir été nommé en 323 à la tête d'une n'abandonnait pas pour autant ses ambitions personnelles, et ne négligeait pas de ee préparer une position de repli (cr. Diodore, 60. 1. : 1tPOOpwllevo~ "tijc; TÛX"'lt; xa,c.voTO!'-(IXVj.
"ril"
1. Plutarque, tu«, 1.6. 1·2. 2. Ibid.• 16. 3. 3. Nous n'entendons jamais parler de ce NikanOr en Cappadoce. Un Nikanôe C8t connu pour avoir combattu contre Seleukos en 312 [Diodore, XIX. 92 i 100. 1-3) ; est-cc le même personnage? (ainsi Bouchè-Leclercq, Histoire des Séleucides, 1 (1913), p. 22). Le deuxième Nikanôr en 312 est stratège d'Arménie et atratêge des Hautes satrapies [Bengtson, Slra· tegie, 13 , p. 183-186). En fait, l'envoi de Ménandre contre Eumène en Cappadoce en 319 montre que le commandement de Nikanôr en Cappadoce en 321 eat resté fictif Icf. Diodore, XVIII. 59. 1-2) - en raison probablement de la trop forte position personnelle d'Eumène dans sa satrapie. 4. Diodore, wc. cil. 5. Nepos. Eum., 13. 4; cf. Plutarque, Eum., 19. 1. 6. En règle générale, les soldats emmènent leur famille avec eux da ni lei campagne. (d. M. Holleaux, Éludes, III (1942), p. 15-26). Au contraire, Antigone, par exemple, lors de l'expédition contre Eumène en Babylonie et en Médie, a laissé aa famille à Kelainai (cf. Diodore, XIX. 16. 4), car ses ambitions ne sont pas celles d'une simple chef de merconnires errants; il en est de même d'Eumène. 7. Diodore, Ibid., 47. 1-4. -
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satrapie insoumise, Eumène, très rapidement, se retrouva dans une position comparable à celle des autres compagnons d'Alexandre. Jusqu'en 321, le soutien privilégié de Perdiccas lui permit d'espérer le premier rôle dans l'empire après celui qui méditait de se conduire en roi 1. En outre, dès cette date, il fit en sorte de se constituer, en Cappadoce, une principauté personnelle et une armée locale toute dévouée. Après 321, il se trouva confronté à l'alternative que connurent tous les diadoques: s'ériger en (e dynaste .) ou participer à la lutte pour l'hégémônia. Pas plus que les autres il n'était à l'abri des tentations de la pleonexia : il prit constamment tous les risques pour s'imposer, plutôt que d'accepter une position de brillant second 2; comme beaucoup, il y perdit tout. Mais il ne fait guère de doute que s'il avait réussi en 319 à mener à bien son objectif de lever en Cappadoce une nouvelle armée 3, il aurait disposé d'un atout considérable pour lutter contre Antigone. Cette armée iranienne lui aurait à tout le moins permis de s'ériger en dynaste indépendant de Cappadoce. Au total, je ne vois donc aucune raison de conférer à l'action et à la pensée d'Eumène de Kardia un caractère d'exception dans le monde des diadoques. Sa « politique iranienne» sc rapproche de celle de ses compétiteurs qui ont tous adopté, à l'égard des populations locales, une attitude « réaliste .). Dans ces conditions, rien ne permet non plus de faire du Kardien le dépositaire privilégié des idéaux d'Alexandre. En effet, le double objectif de dominer sans partage une principauté personnelle et de constituer une armée locale devait nécessairement conduire à la naissance et à la multiplication des états territoriaux. C'est dire que cette évolution dans laquelle Eumène, à côté des autres, a sa part de responsabilités, allait radicalement contre la volonté d'Alexandre de rassembler les terres au sein d'un empire unifié et de rapprocher les peuples au sein d'une armée mixte. En ce domaine, comme dans d'autres, la des,tinée d'Eumène de Kardia s'insère donc parfaitement dans l'histoire tourmentée des successeurs d'Alexandre. (A suiore.} PIERIIE
BRIANT.
1. Rappelons que I'umhi tion de Perdiccas, après la défait!' (escomptée) de Ptolémée, était de se rendre en Macédoine (d. mon Antigone, ~e partie, chup. III ct IV). Eumène était tout désigné pour diriger l'Asie cu son absence. 2. Cr. les réflexions de Diodore sur la Tyché, XVIII. 42. 1 (à Nora en 320); Ibiâ., 59. 4-6 [on 318), elc..• 3. Cf. Plu turque, l;;um., 12. 3; Diodore, tu«, 53.6-7; 59. 1-2.
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D'ALEXANDRE LE GRAND AUX DIADOQUES LE CAS D'EUMÈNE DE KARDIA
III. -
LES SOLDATS MACÉDONIENS EN ASIE APRÈS LA MORT n'ALEXANDRE.
Dans l'article précédent l, les modalités du passage de l'Empire d'Alcxandre aux États (ou embryons d'États) des diadoques ont été envisagées uniquement du point de vue des diadoques eux-mêmes. Mais ce serait faire un grave contresens que d'admettre implicitement que les troupes macédoniennes n'ont joué aucun rôle après 323. Au contraire, en 323, à Babylone en particulier, les phalangites macédoniens ont pris une part déterminante dans la mise au point du règlement final. Jusqu'en 321, les Macédoniens d'Asie ont manifesté à plusieurs reprises une hostilité très nette ù certaines initiatives ou entreprises de Perdiccas, et l'Assemblée de l'armée a siégé une fois en Égypte pour condamner à mort les chefs perdiccaniens, dont Eumène de Kardia '. Le problème qui se pose est précisément celui de savoir dans quelle mesure et selon quelles modalités les soldats macédoniens ont continué (ou non) à infléchir réellement l'histoire des diadoques - de savoir donc s'ils adoptèrent à l'égard de leurs chefs une position originale - de savoir, en fin de compte si, après plus de dix ans (334-323) passés hors de leur pays, leur attachement à leur patrie et à leur(s) roi(s) est toujours aussi fort, ou si au contraire ils sont définitivement «( mercenarisés 1); dans cette dernière hypothèse, il convient enfin de se demander comment et jusqu'où s'est effectuée cette évolution, et quelle idéologie du chef s'est dégagée· dans ces armées issues de la grande armée d'Alexandre. L'enquête est parfaitement légitime pour la période qui nous intéresse ici, c'est-à-dire la première période des diadoques (323-316), précisément dominée en Asie, après la mort de Perdiccas, par la lutte entre Antigone et Eumène. En 323, il y avait en effet en Asie plusieurs dizaines de milliers de Macédoniens, au sens strict du mot s. En 317, ils repré1. Voir R. É. A., 1972, p. 32·73. 2. Sur les staseis de la phalange entre 323 et 321, cf. P. Briant, Antigone le Borgne (1973), appendice il la Ile partie: (( Armée et phalange, de Babylone à Triparadeieoa : contribution il l'étude de I'aeaemblèe macédonienne », p. 240-279. 3. G. T. Griffith, The mercenaries of the hellenistic woriâ, Cambridge, 1935, p. 39·41, évalue à 50000 Je nombre des Macédoniens, chiffre ramené en deçà par M. Launey, Recherches sur lee armées helléniBtiqlUs, 1 (1949), p. 295·296; selon P. A. Brunt. Alexanâcr'e Maceâonicn c(walry, J. 1/. S., LXXXIII (1963), p. 39, Alexandre a reçu un fort contingent de recrues fraîches en 324. _ Lora de la première bataille qui a'est livrée en Asie après 321, la bataille des Champs Orcyniens (320), Antigone disposait de 5000 Iantaeains
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sentent encore 20 % des effectifs d'Eumène et près de 25 % de l'armée d'Antigone'. En revanche, après 316 surtout, il devient de plus en plus difficile d'assigner un sens ethnique à l'appellation de (c Macédonien », qui devient en fait un terme technique : soldat armé « à la macédonienne. '. Pendant cette période 323-316, on peut considérer que les soldats macédoniens restent les soldats d'élite', dont chaque diadoque juge nécessaire la présence au cœur de son armée '. D'autre part, c'est à nouveau Eumène de Kardia et ses troupes qui seront au centre de cette étude, et ceci pour la même raison que précédemment : l'abondance et la qualité documentaire de la tradition hiéronymienne 5. Au surplus, Hiéronymos propose une interprétation spécifique des rapports noués entre Eumène et ses soldats; pour l'historien de Kardia, en effet, l'ancien secrétaire d'Alexandre souffrit d'un lourd handicap, celui d'être d'origine grecque, donc étrangère.". C'est un aspect du problème qu'il ne faut pas perdre de vue lorsqu'on essaie d'analyser des textes de Diodore ou de Plutarque en particulier. A. -
Eumène et ses troupes en Grande-Phrygie en 321 (Plutarque, Eum., 8. 5).
1. -
Le texte et les interprétations modernes. En mai 321, après la mort de Perdiccas, Eumène fut condamné à mort par une assemblée de l'armée, et considéré COmme « ennemi 1) (polemio8) des Macédoniens 7. Le Kardien, depuis la défaite et la mort de Cratère (début du printemps 321), se trouvait en Asie Mineure 8. Après avoir tenté, sans succès, de rallier à sa cause Kléopatra, la demi-sœur d'Alexandre, pour livrer combat à Antipater dans la plaine de Sardes (automne 321)·, Eumène fit retraite vers l'intérieur, et prit ses quartiers d'hiver dans la région de Kelainai, macédoniens (Diodore, XVIII. 40. 7 j la nationalité des 3000 cavaliers n'est pas précisée); Eumène, de son côté, en avait certainement plusieurs milliers sur les 20000 fantassins qu'il mit en ligne (ibid.), car, au printemps 32'1, il avait enrôlé dam son armée la phalange macédonienne de Néoptolème vaincu (ibid., 29.5 : J1akedonôn agathôn andrôn pléthos) j il faut y ajouter l'armée d'Alketas en Pisidie qui comptait également des .Macédoniens (cf. Plutarque, Eum., 5. 2; Diodore, ibid., 44.3-5; 45. 1) - les forces rescapées de l'expédition de Perdiccas en ~gypte qui, sous la conduite d'Attale, sont revenues en Asie Mineure après une attaque manquée sur Cnide, Caunos et Rhodes (Arrien, Suce., F 11. 39 et 42), sans oublier les 3 000 Argyraspides (Diodore, XVIII. 59. 3 et XIX. 28. 1). 1. M. Launey, Recherches, r, p. 96. 2. Ibiâ., p. 293. {Diodore, XIX. 14. 3, semble indiquer que pendant la période 321-316, au contraire, il convient de préciser encore « armé à la macédonienne II teie tén l'v1akedonikén taz'in) , et donc que le terme « Macédonien» conserve alors son sens ethnique). 3. Cf. Diodore, XVIII. 14. 3. 4. Cf. par exemple ibid., 29. 5. 5, Ce qui n'exclut pas une volonté constante d'avantager Eumène (cf. infra, pa.,sim). 6, Cf. là-dessus H. D. West.lake, Eumenee 0/ Cardia, B. R. L., 37-1 (1954), p. 316-319, où les textes anciens sont rassemblés. Sur l'attitude d'Hièronymcs face à Eumène et face à Antigone, voir en dernier lieu R. Engel, Zum Geschichtshild des Hieronyrrws von Kurdia, Athenaeum, n. S., 1972, p. 120-125. (Dans son ouvrage, Les anciene Macédoniene. Êtl,de linguistique et historique, l, Athènes, 1954, p. x, J. N. Kallérie annonçait pour le tome II un chapitre sur la situation d'Eumène en Macédoine et face aux Macédoniens; malheureusement. ce volume, à ma connaissance, n'est jamais paru.] 7. Diodore, XVIII. 37. 2 et 59.4; Plutarque, Eum., 8. 2 j Justin, XIII. 8.10; Appien, Syr., 53, et Milh., 8 j Arrien, Succ., F 11. 39 i Nepos, Eum.. 5. 1; cf. mon Antigone, p. 273. 8. Défaite et mort de Cratère: Arrien, Succ., F 9. 27 j Diodore, XVIII. 30·32, passim; Nepos, ihid., 3.3-6 i 4 j Justin, XIII. 8. 6-7 (avec une confusion de noms entre Polyperchon et Cratère) i P. S. J., XII-1, ne 1284. 9. Justin, XIV. L 7-8; Plutarque, ibid .. 8. 4 j Arrien, Suce., F 11. 40.
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LE CAS D'EUMÈNE DE KARDIA
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capitale de la Grande-Phrygie d'Antigone 1. C'est là que se place un texte particulièrement important de Plutarque 2 : Comme il [Eumène] avait promis aux soldats de leur payer la solde (misthol) sous les trois
jours, il leur «vendit» (btbtpœ
« butin
Ce passage a suscité un nombre considérable de commentaires. Plusieurs savants, en particulier M. Rostowzew 3 et W. M. Ramsay', ont voulu en tirer des conclusions sur la structure de la société phrygienne, considérée (à la fois!) comme féodale (cf. tetrapyrgia compris comme « châteaux forts l}) et comme esclavagiste (cf. • ômata). Je ne m'étendrai pas longtemps sur ces hypothèses que j'ai déjà eu l'occasion d'étudier en détail ailleurs S : à mon sens, les termes sômata et tetrapyrgia ont été mal compris; le premier ne s'oppose pas ici brutalement à {( hommes libres )) 6; le second, dans le contexte de l'Asie Mineure et de la Grande-Phrygie en particulier, peut fort bien faire référence à des villages fortifiés 7. Mais, ce qu'il reste à analyser, ce sont les conséquences de la politique d'Eumène, à court ou à long terme. Beaucoup de modernes considèrent en effet que cette {C vente. a abouti à l'installation permanente d'officiers macédoniens sur la terre asiatique, en remplacement des {( anciens maîtres », les « barons iraniens l) 8. Ce qui revient à dire qu'on aurait là le premier exemple de « cession ) de terre royale u. Plusieurs savants, en particulier les premiers commentateurs W. H. Buckler et D. M. Robinson 10, ont fait le rapprochement avec la fameuse inscription de Mnésimachos; d'autres avec les dons de terre par les rois macédoniens P. Pour tous ces auteurs, Eumène a agi là en représentant des rois: ainsi s'explique qu'il ait pu distribuer la terre royale". Cette « vente» aurait donc abouti à la constitution de grands domaines aux mains des « acheteurs », en l'occurrence les hégémônes de l'armée du Kardien. 1. Plutarque, ibiâ., 8. 5 : i:~i)À«O'EV d,; T1jv &VW I1lpuyta,v Ka,l8Lcxe((l.lll:cv èv Kù.cuvœ!c;; cf. Justin, ibid., 1. 9 : cum reeersue in castra esset... 2. Plutarque, loc. cii, - Je laisse volontairement dans cette traduction plusieurs termes grecs, et plusieurs mots entre guillemets, dont le développement qui suit permettra de cerner la signification. 3. Studien Iiur Geschichte des romischen Koloruues, Leipzig und Bei-lin, 1910, p. 253·256. 4. Cilies and bieboprics 01 Phrygia, l, Oxford, 1897, p. 419-420. 5. Remarques sur « laai » et esclaves rurau;z: en A"ie Mineure hellénistique, 116 Colloque d'histoire socÎ.4Je (Besançon, 10-11 mai 1971), Paris, 1972, et Antigone le Borgne, p. 80-89. (où bibliographie antérieure). 6. Sur ce point, voir aussi infra, p. 49, n. 3. 7. Voir en particulier mon Antigone, p. 86 et n. 5. 8. Cf. P. .Iouguet, L'impérialisme macédonien et l'hellénisation de l'Orient, éd. revue, Paris, 1961, p. 421 ; E. Bikermann, The Seieucids and the Achaemenids. Atti dei convegno sul tema c La Persia e il mondo greco· romano », Ace. Lincei, CCCLXIII (1968), p. 96 et n. 46. 9. Sur les « dons» et « ventes» de terre royale, voir mes Remarquee sur li laoi.s, " art. cù., passim. 10. Greek inscriptions of Sardis, A. J. A., 1912, p. 53 ; voir aussi H. Bengteon, Die Slrategie in der !&ellenistischen zeu, Ill, München, 1964, p. 174, n. 1. 11. H. Bengtson, ibid. et n. ~; voir aussi F. Schachermeyr, Alexander in Babylon und die Reich80rdnunB nach eeinem Tod, Wien, "1970, p. 20"1-202. 12. H. Bengtson, ibid.; T. R. S. Broughton, dans An economicsurveyof Ancient Rome, IV (1938), p. 630; M. Hostowzew, Kolonat, p. 255.
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ÉTUDES ANCIEXNES
Avant de reprendre le commentaire du texte lui-même, il convient d'opposer à ces interprétations quelques objections qui viennent s immèdiatement à l'esprit: a) il paraît tout d'abord hasardeux d'assigner d'aussi vastes objectifs à Eumène, à cette date et dans ces circonstances. l'ombreux sont les cas, à l'époque hellénistique, de chefs qui ont dû recourir à des expédients pour payer leurs troupes l, A première vue, il semble bien s'agir ici d'un geste d'aussi faible portée 2, Il est vrai qu'un acte isolé peut avoir des conséquences inattendues; cependant, après le pillage, Eumène quitta assez rapidement la Grande-Phrygie pour la Cappadoce, chargé d'un énorme butin 3, et rien n'indique qu'il ait laissé derrière lui de « nouveaux grands propriétaires » j
b) le Kardien est bien loin d'avoir agi au mieux des intérêts des rois. Il s'agit là du pillage d'une « terre ennemie Il, non de l'administration du domaine royal', qu'Alexandre avait cherché à agrandir au contraire 5; c) les rapprochements avec les ({ dons de terre )l en Macédoine sont, à mon avis, sans valeur. Cette interprétation est manifestement héritée en droite ligne de la thèse de F. Hampl qui considérait que, dans les régions qu'il avait conquises (l personnellement 1), le roi macédonien distribuait les terres à ses amis « personnels 11 6, les hetairoi, et qu'Alexandre a agi de la même manière en Asie 7. Mais cette thèse est pour le moins contestable, et très généralement et justement contestée 8. 1. Voir M. Launcy, Recherches, II, p. 734-735. et P. Ducre y, Le traitement des prisonniers dl' guerre ... Paris. 1968. p. '136. 2. Cf. D. VV. S. Hunt. Feudal survivais in Ionie, J. H. S., 67 (1947,\, p. 72, n. 29, en s'opposant explicitoment sur ce point à 1\1. Hostowzew et à W. M. Ramsav. 3. Cf. Arrien. Suce., F 11. 41 : xcd ),etctv 1toÀÀ~v y.ct[ ZP~!l';(,,:"'l O"J),ÀIX~WV "àv OlX.EtoV O'1:'pct'TOV X.IXTZ1tÀOVTEL. 4. Autres exemples de pillages dam Il'S villages dAsie .'Iinf'lIrf', cf. Diodore, XYIII. 3~. 3 (Eumène permet aux soldats ennemis ralliés de « se cantonner dans les villages voisins el de s'y procurer des vivres », trad. Hoefer), Plutarque, Euni.. 9. 2 (Eumène fait briser toutes les portes dans les villages environnants pour élever des bûchers) (.'320): voir aussi en Hahylonic Diodore, XIX. i2. t , el Polyen , IY, 8. 4. (hivernage) ; Diodore, XIX. :!1. 3 (pillage de troupeaux par Peukestas en Pcrside]. - Voir également. quelques semaines avant l'épisode de Kelainai, dans les villes éoliennes: « il [Eumène] réquisitionna dr l'urgent dam les cités (pl'eltnt:as cifJitatilms imperat) et pilla en ennemi (hoN/ai/l'r) celles qui refusèrent d'r-n donner 1) (Justin, XIV. 1. 6) j pour H. Hengtson, op. cù., p. 175, Je Kardien a levé ces contributions conformément aux ordres de Perdiccas. ce qui ne me semble nullement evident (Perdiccas est mort r-ntro temps) : même l'Ii la délimitation entre le pillage et la levée de « contributions n n'est pas facile à tracer (pas plus que celle entre pillage et etaüunoe par exemple}, il n't'Il reste pas moins que le texte de Justin suggère plutôt le pifloge. A cet égard. le terme ho.<;tilili'r me paraît important. car il R une valeur quasi diplomatique (cf. à l'opposé philia) : déclarer une terre « ennemie )1, c'est par là même lui appliquer le droit de la guerre grec (cf. Ju~. tin, Xl. 5. 10 : Alexandre débarque en Asie, ~. plante l'a lance, el la déclare ennemie (hm.tl,lis terra) ; vurr aussi Ps. Aristote. Econ., II. 2. 24 a : rebelle, Dat amès pi]]l' les aun-es sau-apies 'l'l'il traite comme une terre ennemie (poll'm/:a[ehôral) j Diodore, XVI JI. 47. 2 : pillage des .Ieunes de Pisidie contre la Grande-Phl';ygi~ d'Antigone, potemia ehôm; telle est J'attitude d'Eumène en Grande-Phrvgie}. H. Bengt son amène à l'appui de sa thèse Plutarque, Eum., 8. 3 (EUmène prend des chevaux dans 'cs haras royaux du mont Ida, ('1 en donne décharge aux épimélètes] ; mais ce texte, à mon sens. ne prouve nullement qu'Eumène tenait de P~r diccas le droit de prendre ces chevaux j cet épisode (1 ubuesque )) montre sui-t out la force dt' la hureaucrut.ie , et la méfiance des bureaucrates qui entendent prendre les précautions habituelles dans les circonstances les plus exceptionnelles, en l'occurrence pour ne pas être tenus par Antipater comme complices du Kardie~ (cf. la réaction de même nature de Kléopatra: Plutarque, ibiâ., 8. 4, et Arrien, Suce. F 11. 40). - Cf. aussi infra. 5. Ce que 1\1, Rostowzew, Kolonat, p. 2!tG. souligne lui-même. . 6. F. Hampl , Der Kc'int'g der Makedonen ; diss. Leipzig, 1034, p. 56-6i; sur cet ouvrage, voir aussi infra. p. 59 et n . 4. 7. Ibid., p. 46 sqq. (Plutarque, Eum., 8, est cité p. li6, n. 2). F. Schachermeyr-, qui se réfère constamment à l'ouvrage de F. Hampl , conclut même que, dans le domaine asiatique, les forrnes macédonienne et iranienne du fief se sont confondues (Alexander in Babylon. p. 201). 8. Voir P. de Francisci, Arcana imperii, II (1948), p. 372-373, et A. Aymard, Études d'histoire ancienne,
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AUX DIADOQUES: LE CAS
D'EUMÈNE DE
KARDIA
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Aucune de ces interprétations n'a donc éclairé de manière satisfaisante le texte de Plutarque. C'est à lui qu'il faut revenir, pour tenter de comprendre le mécanisme de la « vente ,) à laquelle il fait allusion,
2. -
(l
Vente
»
et {( achat ».
a) L'objet de la vente, Si l'on considère le texte dans son ensemble, on saisit facilement les objectifs du Kardien : le pillage de la chôra va lui permettre de payer aux troupes la solde en retard. On peut rapprocher ce texte d'autres textes parallèles : 1) ainsi, lorsque Seuthès eut engagé les mercenaires rescapés de l' « Anabase ), il se réserva le butin pour payer la solde!; c'est à cette fin que devait servir le bénéfice de la razzia sur les villages 2; 2) de même, en 371, son coup de main sur les côtes de l'Attique permit à Sphodrias d'avancer un mois de solde à ses soldats". Dans les deux cas précédents donc, ce sont les chefs eux-mêmes qui mettent en vente le butin, car le misthos se paie en espèces, non en nature 4.. Souvent même, le butin est convoyé jusqu'à une cité côtière pour y être monnayé 5. Dans tous les cas, c'est le chef qui prend cette opération sous sa responsabilité. Dès lors, se posent plusieurs questions: pourquoi Eumène n'en fit-il pas autant? Cela paraît d'autant plus curieux que Kelainai était une ville commerçante 6 et que, de toute façon, l'armée du Kardien était certainement accompagnée de marchands 7; pourquoi d'autre part Eumène ne conduisit-il pas lui-même ses troupes à l'assaut des fortifications, alors qu'il disposait de machines de siège? La fin de l'épisode n'est pas sans soulever également quelques problèmes d'interprétation. On peut supposer que le « butin » a été mis dans une caisse commune 8, et que la répartition a été organisée sous J'autorité des hégémônes. Mais les soldats, après la prise des villages et des fermes, pouvaient légitimement réclamer leur salaire et le butin (ou du Paris, 1968, p. 144. - Rien ne montre qu'en :\lacédoine, il y eut abandon total des terres i les textes que l'on cite habituellement ne sont pas très probants, ainsi Plutarque, Alexandre, 15 (cité par llengtaon, op. cù., p. 174, n. 2) : il s'agit précisément de la concession des revenus et non des villages eux-mêmes, et encore moins des villageois {sur les exagérations de Plutarque et de Justin, XI. 5. 5, cf. J. R. Hamilton, Plutarch « Alexander». A commeruartj, Oxford, 1969, ad loc., p. 37). Il en est de même des Il dons de cites l): cf. par exemple Plutarque, Phocion, 18 (cité également par Bengston, ibid.) : Alexandre n'offre certainement pas à Phocion les cités en pleine propriété, mais simplement leurs revenus; de même sous l'Empire achéménide (cf. Nepos, Thémistocle. 10. 3 : les revenus de ){agnésie, li donnée li à Thémistocle, doivent lui assurer c le pain 1) (cf. apanage), ceux de Lampsaque: le vin. et ceux de )lyous : Il le reste des vivres l); id., Alcibiade, 9. 3 : Pharnabaze «( donne» à Alcibiade la place de Gr-ynium, qui fournit 50 talents de revenus par an (vtcfigal = p/wros) ; voir aussi Xénophon, Anab., II. 4. 27: les li viJlages de Parysatis» (... c~ 1'cXt; nœpootX't't8ol; X6>tJ.CtC;) n'appartiennent pas à la mère de Cyrus: les revenus seuls lui sont versés] ; - de même à l'époque des diadoques: Diodore, XVIII. 52. 3 {Antigone ordonne à Arrhidaios de quitter sa latrapie, et tUI onre une cité etc; xcx"t'œ(3LwO't\l [« pour son entretien lI), expression dans laquelle F. Schachenneyr, op. eii., p. 201, n. HJ2, voit à tort la preuve de l'existence de ce qu'il appelle le _ régime féodal 1). 1. Xénophon, Anab., VII. 3. 10 : (\lCX ~IXÜ't'CX 8tcx't't6é/lSVoC; Û!.t!v 't'(1\I j.ttC16o\l 1tOp(~w. 2. Ibiâ., 4. 2 : 51twç l_I.tC16àc; yb/Ot't'o 't'ote; O''t'plX't'tW'TŒtC;. 3. Id., Helléniques, V. 1. 24 : xiXt &:.1toa6[.WJOC; 't'à. :>.a.
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moins une partie de celui-ci). Si la vente du butin sert uniquement à Eumène pour payer le misthos, on ne voit plus très bien ce que les soldats ont gagné à un tel arrangement. Mais précisément, si on reprend le texte de Plutarque, on se rend compte que le misthos provient des seuls aliskomenoi ([stratidtai] 8t~éi-Lov't'o ,.6)\1 ciÀ~xo!Û'Jwv). Or, ce terme, comme P. Ducrey l'a clairement démontré l, désigne exclusivement les personnes. C'est dire que dans l'expression s8mata kai boskemata, le premier terme s'applique à la part qu'Eumène s'est réservée, à la part du chef, le second au butin dont pouvaient jouir les soldats san. aucune restriction. Plusieurs exemples confirment, me semble-t-il, que cette interprétation correspond à la pratique et à la théorie des partages des profits de la guerre 2 entre le chef (ou l'employeur) et ses soldats: a) lorsqu'un chef d'armée s'empare d'une ville (ou d'un camp), la vente de la population destinée à être réduite en esclavage lui est réservée; il laisse en revanche à ses soldat. le droit de piller la ville (ou le camp)'; h) cette distinction apparaît clairement dans l'accord passé entre Tissapherne et les mercenaires grecs après la mort de Cyrus, au sujet des villages de Parysatis :« [Tissapherne] donna ces villages à piller aux Grecs, avec défense toutefois de prendre les habitants comme esclaves. II y avait là beaucoup de blé, de bétail et d'autre butin« .; c) on retrouve très probablement cette division entre le butin proprement dit (8pheleia) et les prisonniers (aichmalatoi) dans un règlement militaire macédonien". Elle est donc bien générale, d'où certainement la fréquence de l'expression s8mata kai hoskemata (thremmata, chremata), que ce soit dans les textes littéraires ou dans les textes épigraphiques s. Concluons : 1) dans le passage considéré, la vente portait uniquement sur les personnes, les prisonniers, considérés comme constituant la part exclusive d'Eumène de Kardia, le chef, et non pas sur le butin au sens large', qui revenait normalement aux soldats après la chute des villages et des fermes; 2) après le siège, les prisonniers furent répartis 1. Prùonniere, p. 36~39. 2. Ici plus que jamais l'expression li' profits de la guerre» est préférable au terme 0: butin _ (cf. A. Aymard, Études, p. 500-501). 3. Les chefs « homériques» se réservent toujours les captives (P. Ducrey, ibid., p. 113-114) i de même Alexandre après Issos (A,rrien, Anab., Il. 12. 3-8; Diodore, XVII. 35. 5-38; Quinte-Curee, III. 11. 24; 12. 17; Plutarque, Alex., 24. 1). Prise d'une IJiUe : Diodore, XIX. 57. 6 (Eumachos, stratège d'Agathoklès, donne la cité à piller à ses hommes, après avoir réduit la population en esclavage) i id., XIX. 79. 6 [Ptelèmèe en Syrie en 313, vend les prisonniers i le butin proprement dit (ôpheleia) va aux soldats) ; Plutarque, Aratos, 31-32 : les chefs étoliens S6 réservent les captives, les soldats s'emparent du reste; Tite-Live, XLIII. 19. 12 : Persée, à Oineum, fait massacrer les hommes en état de porter les armes; les femmes et les enfants sont emmenés en captivité i le reste est abandonné aux soldats. - Un dépouillement systématique des textes produits par H. Volkmann, Die MassenslJerslr:ùwungen der Einwolmer eroberter Sttidte in der heUenistisch-riJmischen Zeit, Wiesbaden, 1961, pp.128, permettrait sans aucun doute d'allonger la1istedes exemples. 4. Xénophon, Anab., II. 4. 27 (trad. H. Masqueray) : TCXUTŒC; [xwJL«C;] TtO'O'cxcpépV'l'lc;... 8LCXPUO'ŒL "roie; ·EÀÀ~""
l"tTp.
5. Cf. M. Feyel, R. A., 6e eérie, V (1935), p. 58. 6. Voir les nombreux exemples cités P. Ducrey, Prisonniers, p. 26-28. - A noter que l'on retrouve cette même distinction dans la Genèse, X V. 21 : « Donne-moi les personnes et prends les biens pour toi », dit le roi de Sodome à Abraham (cf. A. Aymard, Études, p. 507~508). 7. Le texte de Plutarque ne cite que les troupeaux; mais on peut supposer que les villages et les fermes avaient également des réserves de blé et d'autres vivres (cf. Xénophon, wc. eu., et Arrien, Suce., F.11. 4'1).
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GRAND AUX DIADOQUES: LE
CAS D'EUMÈNE DE KARDIA
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entre les soldats, au prorata du misthos qui leur était dü-, sous la surveillance des IuIgémônes; 3) tout cela n'a donc rien à voir avec une ~ vente de terre royale t.
b) Forme et type de pente. On doit se demander dès lors pourquoi Eumène et ses troupes en sont venus à une telle procédure. Il est donc important de comprendre la forme qu'a revètue la vente. Ce qui est clair, tout d'abord, c'est que le Kardien et ses soldats considèrent comme leur propriété les villageois et leurs troupeaux. Cela n'a rien d'extraordinaire si on Be BOUvient du principe fondamental du droit de la guerre, tel qu'il est formulé par le Cyrus de Xénophon : « C'est une loi éternelle chez tous les hommes que, quand on prend une ville, tout ce qui s'y trouve, corps et biens (8Ômata kai chrémata), appartient au vainqueur 2. t Le texte de Plutarque va mème encore plus loin et indique que, dès lors qu'une ville (ou un village) est investie, ses assiégeants peuvent se considérer comme propriétaires des personnes a et des biens 4. Eumène met donc en vente les villageois, ceux qui vont devenir les aliskomenoi, avant même d'en avoir pris possession. De leur côté, les Mgémânes ne versent évidemment pas de prix d'achat, bien qu'ils soient considérés comme les acheteurs (oi priamsRoi). Il ne faut pourtant pas s'empresser de conclure à une vente et à un achat purement fictifs - . terme qui d'ailleurs ne pourrait constituer à lui seul une explication. En fait, les soldats ont déjà versé à Eumène le « prix d'achat •. En effet, la part de profits qu'ils ont achetée (i. e. les prisonniers) va servir à payer le salaire dû (0 opheilomenos mis/hos) : c'est donc le temps de travail (déjà fourni) qui constitue, à mon sens, le véritable ~ prix d'achat •. 1. Ce qui implique une estimation de la valeur marchande des captifs (sur ces estimatioI1l, cf. M..Feyel, R. A., 1935, p. 5"1-53; voir aussi M. Launey, Recherches, II, p. 739-740). 2. Xénophon, Cyropédi., VII. 5. 73 (trad. E. Bikermann, R.~. G., 47 (1934), p. 356; P. Duerey, Prisonniers, p. 108, traduit: « et les personnes ... et les biens J; A. Aymard, Studel, p. 512 : « le. oorp' de. habitants, et leurs biens .). Autres textes anciens cités par Y. Garlan, La gU6"8 ilana l'AntiquitA, Pari.,
1972, p. 45. 3. Je vois là le moyen de me rapprocher de l'opinion de M. I. Finley, lequel considère que le-terme sôma(ta), à l'époque hellénistique, doit être traduit systématiquement par (( esclave. (HilrorÛJ, VII (1956), p. 146 = Slavery in classical antiquity (réimpr. 1968), p. 54 j contra P. Ducrey, Prilonniel's, p. 27, n. 4, et P. Briant, Remarques sur li: laoi .... , en partant de l'expression sdmata haï. bo,kematlJ). Je maintien. qu'en l'occurrence le terme sôma ne peut être considéré comme une preuve de t'existence des eaclavea dan. 181 tetrapyrgia de Grande-Phrygle en 321 i les sômata, ici, désignent les laoi, les paysans, qui ne lont pu esclaves (cf. P. Briant, ibiâ., passim). En effet, le texte les considère uniquement du point de vue des a'laillants qui, pal' avance, voient dans ces paysans une population destiMe à être réduite en eeclevage, dès la prise des villages et des fermes, ce qui permettra aux soldats de toucher leur miatlw. j cf., pour comparaison,
Xénophon, II. 4. 27 (er. supra, p. 48, n.4), (Tissapherne) 8"'pnMu' -roi, "IDJ.~aLV t"trpcoj>c "À~v
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C'est dire que nous avons là l'exemple d'une vente au mécanisme assez complexe, qui se rapproche par bien des points de la catégorie que E. Pringsheim a appelée les ventes de « choses futures. (future goods) sans « paiement immédiat. (c,,",h payment) " d'un type de vente qu'on ne rencontre guère qu'en Égypte, à une époque plus tardive 2. Il est d'autant plus intéressant de relever cet exemple que le texte - qui n'est pourtant qu'un pâle reflet de l'original d'Hiéronymos de Kardia - ne laisse nullement supposer que l'exemple est exceptionnel. Il suggère plutôt d'une part que ce droit commercial était pratiqué sans difficulté par les chefs de troupes; d'autre part, que des ventes de ce type étaient pratiquées en Asie Mineure avant leur apparition en Égypte a. Cette familiarité des hégémônes et du diadoque avec ces formes juridiques peut se comprendre, si l'on veut bien considérer qu'au fond des choses, un contrat de vente de ce type n'est pas d'une nature différente de celle d'un contrat d'embauche ". En tout cas, la conclusion d'un tel contrat indique que les soldats d'Eumène, et surtout les hégémônes, n'avaient qu'une confiance très limitée dans le Kardien. En prenant eux-mêmes d'assaut les villages et les fermes, ils étaient sûrs qu'Eumène ne pourrait violer l'accord qui stipulait l'abandon de sa part pour payer le misthos, 3. -
Les relations entre Eumène et ses troupes à travers cet épisode. a) L'interprétation d'Hiéronymos de Kardia.
L'épisode suggère donc tout d'abord une interprétation fort différente de celle d'Hiéronymos de Kardia sur les relations établies entre Eumène et Ses troupes depuis la condamnation du Kardien par l'Assemblée de l'armée après la mort de Perdiccas 6. Selon Justin', dès l'arrivée des nouvelles d'Égypte, Eumène tint une harangue à aes soldats qui, toujours selon l'abréviateur, «( l'engagèrent eux-mêmes à faire la guerre, et affirmèrent qu'ils déchireraient par le fer les décrets des Macédoniens 7 •• Une telle réaction spontanée s'explique difficilement, car la condamnation portée contre Eumène l'excluait de la communauté 1. E. Pringaheim, The Greek law of sale, Weimar, 1950, p. 269 sqq.; sur cet ouvrage, cf. 1... Gernet, Le droit €le la vente et la notion de contrat en Grèce (1951) = Droit et société en Grèce ancienne, Paris, 1964, p. 201-224, en particulier p. 207 sqq. 2. Voir en particulier, P. Hibeh, 84 a, commenté par E. Pringsheim, ibid.: vente d'une récolte Bur pied (plusieurs textes anciens (Arrien, Anab., VII. 9. 7 i Plutarque, Apopht. Am., 1) assimilent le pillage à une «moisson li). - Cf. aussi le système de la ferme en Égypte, qui est assimilée à une vente et à un achat, vente de « choses futures D, mais avec « paiement immédiat (dans les Revenue LaW8, les fermiers sont plusieurs fois dénommée les « acheteurs D (oi priamenoi : cf. 50. 18 j 54. 15; 56. 14) ; voir aussi Josèphe, Ant. Jud., XII. 169 : (= -re dÀ~)" .•"("pœ""",, 6 ~œa'MU,). 3. Cette constatation débouche sur le problème plus large des continuités entre la Grèce classique et le monde hellénistique (cr. CL Préaux, De la Grèce classique à l'Égypte hellénistique. Note 8ur les contrats à valeur exécutoire, C. E., 33 (1958), p. 102-112). 4. A cet égard, il faut rappeler que Il la rétribution des soldats ne se distingue en rien de celle des autres corps de métiers Il (M. Launay, Recherches, II, p. 728-729) j cf. Platon, Lois, 921 a, qui met sur le même plan les contrats de vente de marchandises et les contrats d'entreprise, et qui, par ailleurs (ibid. 921 d), range, parmi les hommes de métiers, les généraux et les soldats (n!pt 't'W\I XlX't'tX nÔMfJ,oV 311lLtouPYoov). _. F. Pringsheim, op. eii., p. 57, 374-375, n'étudie pas les contrats de travail des mercenaires, qui, il est vrai, étaient le plus souvent des contrats oraux. -. 5. Voir supra, p. 44, n. 7, les références aux textes anciens. 6. XIV. 1. 1·5. 7. tu«, 1. 5. 1)
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macédonienne 1 et visait tous ceux qui continueraient à le servir. Or, une bonne partie de son armée, à cette date, était composée de Macédoniens 2. A Kelainai même, Eumène se trouva à nouveau en danger. Des lettres d'Antigone circulèrent dans le camp, qui promettaient une forte récompense à qui tuerait Eumène'. Pour parer à ce danger, le Kardien convoqua ses soldats en assemblée'" et réussit, par un discours habile, à leur insuffier un enthousiasme irrépressible pour sa cause a. Selon Plutarque 6, les Macédoniens, exaspérés par les tentatives d'Antigone, prirent une décision ferme (36Yf'Œ ",''où,,,,,,.), aux termes de laquelle une garde permanente de mille soldats d'élite devait veiller sur la vie d'Eumène 7. On ne peut manquer, là encore, de marquer quelque étonnement devant la réaction des soldats, si on la compare au type de relations que révèle l'accord passé entre Eumène et les hégémônes à Kelainai même, et si, au surplus, on veut bien considérer qu'à cette date la situation du Kardien était très peu encourageante. Il allait devoir combattre en effet contre une armée très supérieure en nombre à la sienne 8; d'autre part, lors de son séjour dans la capitale de la Grande-Phrygie, les autres chefs perdiccaniens (Alkétas, Polémon, et Dokimos) refusèrent de se ranger à son autorité 0. Eumène était donc à la fois proscrit, diminué (militairement), désargenté, isolé: rien vraiment qui pût susciter l'enthousiasme de ses soldats! En vérité, on reconnaît bien dans tous ces comptes rendus le portrait d'Eumène tel que voudrait l'imposer Hiéronymos 10 : Eumène est beaucoup plus habile que ses compétiteurs (Antigone en particulier) 11; malheureusement, il a contre lui le lourd handicap de ses origines grecques, ce qui le place dans une situation de faiblesse à l'égard de ses troupes macédoniennes 12 j SOD action ne s'explique que par sa loyauté indéfectible envers 1. Sur le terme polemioe-hoetie, cf. K. Hosen. Die Reich80rdnung pon Bahylon (323 P. Cbr.}, A Cuue., X (1967), p. 10~, n. 65, et mon Antigone, p. 273 n. ~. 2. Après sa victoire sur Néoptolème, au début du printemps 321, il a enrôlé la phalange du vaincu (Plutarque, Eum., 5. 3; Diodore, XVIII. 29. 5) qui comprenait un grand nombre de Macédoniens (Diodore, iëiâ., 4-5). Si, par ailleurs, après Triparadeisos, Eumène vint à Sardes, près de Kléopatra , f( pour qu'elle affermît par ses paroles les centurions et les officiers supérieurs, car ils croiraient voir la majesté royale du côté où se tenait la sœur d'Alexandre» (Justin, XIV. 1. 7), c'est évidemment que lee lieutenants d'Eumène sont macédoniens (sur l'expression eenturionee principesque, cf. infra, p. 56, n. 11). 3. Plutarque, Eum., 8. 6; Justin, XIV. 1. 9. 4. Justin, ibid .. 1.10 (voeatis ad eontionem militibua). 5. Ibid., 1. 10-13. 6. Ibid.• 8. 6. 7. Cf. aussi Justin, ibid., 1. 14 : (l Tous offrirent donc à l'envi de veiller sur sa pel'flonne. " 8. Antigone a été mis à la tête de l'armée qu'avait commandée Perdiccas de 323 à 321 (Diodore, XVIII. 38. 7; Arrien, Suce., F 9. 38). Avant de partir en Europe, Antipater confia en outre au Borgne huit mille cinq cents Macédoniens et autant de cavaliers des hetairoi, ainsi que soixante-dix éléphants (Arrien, Suce .• F 11. ~3). 9. Plutarque, Eum., 8. 4; Arrien, Suce., ibid., 41. Au printemps 321, AJketal avait déjà refusé de S6 soumettre à Eumène, malgré les ordres de Perdiccas (Plutarque, ibid., 5. 2; cf. Diodore, XVIII. 29. 2). Les chefs perdiccaniena, condamnés par l'Assemblée de l'armée sur Je Nil. combattirent donc en ordre dispersé (Arrien, ibid., 39 et 42; Diodore, ibid., 37. 3-4.; 4.3~47, passim; cf. id., XIX. 16, passim). 10. Cf. H. D. Westlake, Eumenee, passim. 11. Cf. le discours à ses soldats après 'I'riparadeisos : Justin, XIV. 1. 11 sqq. (Eumène rail croire à se9 soldats CI qu'il a lui-même supposé ces lettres pour éprouver leurs sentiments 1). 12. Cf. Plutarque, Eum., 8. 1 : CI un immigré. un étranger, avait employé les armes et les mains des Macédoniens pour tuer le premier et le plus illustre d'entre eux [= Cratère} JI; mais voir le passage contradictoire, ibid., 10. 4.
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la famille royale 1; il se considère comme le représentant naturel des intérêts des rois. Or, ce portrait est rien moins que probant. Eumène avait été appelé dès le règne de Philippe II à la cour de Pella 2 ; dès le règne d'Alexandre le Grand il faisait partie des hetairoi royaux.", et on peut supposer que, comme Néarque, il avait été «( naturalisé ))". Il avait d'autre part rempli auprès d'Alexandre des fonctions très importantes à la tête de la chancellerie 5 j il avait même succédé à Perdiccas à un commandement dans la cavalerie 6 et, en 323, il était doué d'un grand prestige militaire auprès des troupes maeédoniennes '. Les règlements de Babylone ne l'avaient pas désavantagé: il avait été mis à la tête d'une satrapie, sans doute encore insoumise, mais immense et particulièrement importante également 8; en tout cas, il n'était pas à cette date dans une situation inférieure à celle d'Antigone le Borgne 9. On peut donc conclure qu'après la mort d'Alexandre le souvenir de ces origines grecques était en grande partie eflacé !", et que ces origines ne l'empêchèrent pas de nourrir de grandes ambitions personnelles 11. Il faut souligner également qu'Eumène ne fut pas le seul à devoir déplorer des défections de troupes macédoniennes; en 321, la position de Perdiccas, lors de son attaque contre l'Égypte, avait été amoindrie par les nombreuses trahisons en faveur de Ptolémée 12 ; à plusieurs reprises, Antigone lui-même en fut victime 18, une fois au moins au hénéfice d'Eumène ". On voit mal enfin comment, proscrit, Eumène aurait pu être considéré comme le représentant des intérêts royaux 10. Ce n'est certainement pas sur ces seuls critères que les troupes macédoniennes décidaient de suivre ou de ne pas suivre leur chef 16. 1. Cf. H. D. Westlake, Eumenee, p. 319·326. 2. Plutarque, ibid., 1. 1. 3. Cf. Berve, Alea:andcrreich, I, p. 31, et F. Carrata Thomes , Il problema degli eteri nella nwnarchia di Ale..andro MagM (Pub!. Fac. T'orino, VII), 195'<, p. 44. 4. Pour Néarque, cl. Berve, II, ne 544. 5. uu., ne 317. 6. Plutarque, ibid., 1. 2. 7. Ibiâ., 1. 3 : « Aussi, lorsque Néoptolème, le premier écuyer, dit, après la mort d'Alexandre, que lui-même avait suivi le roi avec un bouclier et un javelot, et Eumène avec un stylet et des tablettes, les Macédoniens se moquèrent de lui»; présentation différente et déformée chez Arrien, Suce., F 9. 27. - Cf. aussi Diodore, XVIII. 42. 2. 8. Cf. R. É. A., 1972, p. 34 .qq. 9. Sur la situation d'Antigone par rapport à celle des autres diadoques après Babylone, cf. mon An· tigone, p. 126·1Ii3. 10. Cf. Plutarque, Loc. cit. (sauf lorsque le Kardien lui-même veut en tirer avantage: cf. Plutarque, tu«, 3. 1). 11. Cf. H, D. Weetlake, Eumenes, p. 320-326, et M. J. Fontana, Le Loue (op. cit.), p. 196; cf. l'article précédent dans R. lt. A., 1972, passim. 12. Diodore, XVIII. 33. 2, et 5 i cf. Arrien, Succ., F 9. 28. 13. Cf. Polyen, IV. 6. 6 (.ur ce texte, cl. infra, p. 64). 14. Diodore. XIX. 26. 115. Contra H. Bengtson, Strategie, Il, p. 174-175, qui juge que c'est en se fondant sur le pouvoir que lui a conféré Perdiccas, qu'Eumène a « assigné des terres à ses troupes », a levé des contributions sur les villes éoliennes (Justin, XIV. 1. 6; cr. supra, p. 46, n. 4), a distribué des « honneurs» (timai) « comme les philoi en reçoivent des rois 1) et a distribué « des chapeaux macédoniens et des chlamydes, ce qui était le don royal par excellence (dôrea basilikôtaté) chez les Macédoniens li (Plutarque, ibid., 8. 7). Mais, là comme ailleurs (supra, ibid.), H, Bengtson fait à mon avis un contresens: la pratique d'Eumène ne prouve nullement que Perdiccas lui avait donné de tels pouvoirs; elle prouve plus simplement qu'Eumène entendait agir de luimême comme un chef indépendant, en se créant une armée, une garde, et une cour personnelles, comme les autres diadoques {sur cette évolution, cf. F. Schacbermeyr, op. eit., p. 200-202). 16. A deux reprises déjà, au début 321, à une date où il était donc investi réellement de pouvoirs apé-
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GRAND AUX DIADOQUES: LE CAS
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b) Eumène et la prétendue « Assemblée de l'armée ».
L'interprétation moderne de F. Granier' est tout aussi peu satisfaisante. Selon l'érudit allemand, en effet, les relations entre les diadoques (Eumène tout particulièrement) et leurs armées s'expliquent par référence à l'institution macédonienne de l'Assemblée de l'armée, qui aurait survécu en Asie après 321. Je ne reprendrai pas ici l'examen détaillé de la thèse générale de l'auteur, car j'ai essayé de prouver longuement ailleurs qu'elle était erronée 2. Mais, en ce qui concerne la période postérieure à 323, on a là l'illustration d'une interprétation encore largement répandue selon laquelle chacune des armées des diadoques aurait recueilli les pouvoirs de l'Assemblée de l'armée; comme A. Aymard l'a déjà souligné avec force 3, cette interprétation est insoutenable. En outre, dans cette partie comme dans .tout le reste de son ouvrage, F. Granier fait un contresens permanent entre ce qu'il appelle l' {( Assemblée de l'armée ) et les réunions de troupes; or ces convocations de troupes par leur chef sont fréquentes dans n'importe quel type d'armée: le chef tient une harangue soit pour expliquer la situation, soit pour remonter le moral de ses soldats". Contrairement donc à ce que prétend F. Granier 5, les relations entre Eumène ct ses soldats, à Kelainai, ne sont plus régies par les anciennes institutions macédoniennes 6.
c) Eumène et ses troupes: un chef et ses mercenaires. En revanche, les analogies sont frappantes avec certains traités passés, à l'époque hellénistique, entre un roi (ou un dynaste, ou une cité) et des mercenaires révoltés. Trois exemples en particulier offrent des points de comparaison fructueux 7 : le traité passé entre 309 et 305 entre Iasos et les mercenaires envoyés par Ptolémée 8; la convention conclue, vers 310, entre le dynaste Eupolémos et ses mercenaires 9; l'accord juré par Eumène 1er de Pergame et ses troupes entre 263 et 241'0. Les conditions et les termes dans lesquels ciaux par Perdiccas en Asie Mineure, Eumène avait connu des défections. Les troupes qui gardaient l'Heileepont passèrent du côté de Cratère et d'Antipater (Arrien, Suce .. F 9. 26) i quelques semaines plus tord, après la défaite et la mort de Cratère, la phalange macédonienne, qui venait de s'engager par serment aeevir eoua les ordres du Kardien, rejoignit Antipater (Diodore, XVIII. 32. 2-3). 1. F. Granier, Die Makedonisehe Heereeversammiung. Ein Beitrag zum antiken Staatsrecht (Mümh. Beù., XIII), 1931, en particulier p. 75-85 : « Eumenes von Kardia und die Heeresvenammlung.• 2. Cf. mon Antigone, Appendice, Ile partie, passim, en particulier p. 286-297. 3. Études, p. 15:J.~153. Sur le cas spécial de l'Assemblée de Tyr en 315 (Diodore, XIX. 61), voir P. Briant, uu., p. 299-302. 4. C'est le cas de la presque totalité des assemblées tenues pendant la campagne d'Alexandre (voir par exemple sur J'Hyphase ou à Opis) i à l'époque des diadoques, cc. (entre autres exemples] Diodore, XVIII. 31. 2 (Cratère en 321), XIX. 81. 2-6 (Démétrios en 312). - Dans un tout autre contexte, cf. Thucydide, VII. 75 sqq. (là-dessus, cf. Cl. Mosaé, R. É. A., LXV (1963), p. 290-297) i voir aussi les nombreuses allemblées chez les Dix Mille (cf. G. B. Nussbaum, The Ten Tboueanâ. A study in social organisation and adion in Xenophon:e Anabasis, Leiden, 1967, en particulier p. 48-68). 5. Ibid., p. 76-77 (cf. aussi p. 79-81 à propos de Diodore, XVIII. 62-63; infra. p. 58, Q. 11). 6. Cf. déjà les réserves de H. Bengtson, op. cit., p. J23-124 (qui pourtant adopte en général la thèse de Granier). 7. Autres exemples de révoltes de troupes, cf. surtout O. G. l., 229 = Schmitt, Vertrdg8, 492 (cf. surtout M. Launay, Recherches, II, p. 669·674). 8. A. Pugliese CarratteIli, Supplernento epigrafico di l ceoe, A. S. A. A., 45~46 (1967-1968), p. 439 aqq., ne 1 (cf. L. et J. Robert, BuU., 1971,621). 9. Schmitt, Vertrage, nO 429; cf. M. Rostovtzeff, R. É. A., 33 (1931), p. 5-25, et L. Robert, CoU~ction Froehner, I : Inscriptions grecques, Paris, 1936, p. 75-9110. Schmitt, Vertriige, nO It 81 ; sur ce texte, voir en particulier A. J. Reinach, Les mercenaires et le, cotonies militaires de Pergame, R. A., 4 e série (1908), p. 174-248 i 1909, p. 55-70 et p. 102-1'19 (article inachevé), M. Launey, Recherches, II, p. 738-746 i cf. aussi Y. Garlan, Guerre, p. 69-70. à
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sont conclus ces accords ont de nombreux points communs avec ce que l'on sait maintenant des relations d'Eumène et de son armée à Kelainai en 321 : IX) dans tous les cas, les mercenaires se sont révoltés sur des problèmes de salaire qui ne leur a pas été versé par leur employeur 1 ; ~) la conclusion de tous ces traités s'explique par un rapport de forces qui est en faveur des soldats; il s'agit toujours de concessions du chef, obligé de céder s'il ne veut pas
voir ses mercenaires l'abandonner 2. Dans deux cas, les soldats ont pris des gages qui renforcent considérablement leur position 3. Ces conventions sont d'une nature comparable à celle des traités passés entre des puissances internationales 4, Le choix d'une telle pro·
cédure suppose qu'une très grande méfiance régit les rapports du chef et de ses troupes'; y) ces conventions (homologiai) ne sont pas conclues directement entre le dynaste (ou le roi) et les simples soldats (stratiôtai); les intérêts de ces derniers sont représentés par les hégémônes, les chefs de détachement 6. De même à Kelainai, où la convention de vente est passée entre Eumène et les hégémônes 7. Il ne fait donc aucun doute, à mon sens, que c'est sur ce plan qu'il convient de placer
les rapports du Kardien et de ses troupes. Il est évidemment dommage que le texte de Plutarque élague les informations d'Hiéronymos. Cependant, la formule introductive : 't'ote; 8è a't'F-Ot't'LWTCtL~ u1toax6ILt.loc; ev 't'ptO'lV ~lLép(XLC; 't'OV lLur6o'J lÎ1t08t:>oE:LV suggère non pas
seulement une (1 promesse », mais un engagement formel à verser le misthos dans le délai fixé 8. Manque dans ce passage de Plutarque une mention des serments qui s'échangent toujours à la fin d'une convention de ce type 9, Cependant, plusieurs textes antérieurs 10 ou postérieurs 11 à cet épisode montrent que des serments furent échangés à de nombreuses reprises entre Eumène de Kardia et ses soldats 12, serments qui étaient prêtés au nom des divinités qui apparaissent dans les autres conventions 18.
On est donc loin de l'image qui se dégage des récits de Plutarque et de Justin. Même 1. A. S. A. A., 1967-1968, ligne 12 : cX.1to8watt\l, ligne 14 : Joue; ocptLÀO!J.É:\Iou,; (je propose !J.(a61ouç pour le mot incomplet) i Schmitt, no 429, ligne 8 : cX.1to8067jvœt 't'à: boIOcptLÀ6IJ.t"[œ œÙToic; ôr,JJW\lta. ... J; ibid., ne 481, lignes 12-14 (opsônion). 2. Cf. M. Launey, Recherches, II, p. 738-739. 3. A. S. A. A., 1967~1968, ligne 17, et Schmitt, Vertrage, ne 429, ligne 20: les soldats se sont emparé de la cité et des citadelles (pour le deuxième texte, cf. L. Robert, op. ca., p. 81-86).
4. CI. H. H. Sohmitt, ibid., p. 147. 5. Cf. A. J. Heinach, art. cit., R. A., 1908, p. 217. 6. A. S. A. A., 1967~1968 : Machaon, Hiéron et Sopôlis (cf. ligne 19) i Schmitt, Vertrage, uc 429 : Philippe, Damagathos et Arlstcdémos i ibid., ne 481, lignes 19-20 : Paramoncs, et les hégémônes et les soldats
sous leurs ordres. 7. Cf. Plutarque, Eum., 8. 5. 8. La formule à.1to8wattv 't'O\l !J.La6èl'J est fréquente dans ces traités (Schmitt, Vertriige, nv 429, ligne 8; A. S. A. A., 1967-1968, lignes 15-16) i le terme umaX\ltLa6œL est lui aussi très fréquent dans les accords entre un chef et des soldats (cf. l'accord entre Antigone et les ArgYl'aspides, Plutarque, Eum., 17. 1, cf. aussi Polyen, IV. 6. 6); il est vrai que ce terme a perdu en grande partie sa valeur d'obligation (cf. L. Gernet, Droit et société, p. 212) ; enfin, notons qu'une clause temporelle est également souvent incluse dans les traités (Quinte-Curee, III. l. 8; F. Gr. H., ne 532 D; Diodore, XXI. 18. 3 = Schmitt, Vertriige, ne 464). 9. A. S. A. A. l 1967-1968, lignes 3l.t-55; Schmitt, Vertriige, ne l.t29, lignes 22-30, et ne 481, lignes 19-63. 10. Justin, XIV. 1. 10; cf. Diodore, XVIII. 32. 2·4, et Plutarque, Eum., 5. 5. 11. Nepos, Eum., 10. 2: Justin, XIV. 4. 3 et 7. 12. Voir infra, p. 58·61. 13. Cf. Plutarque, Eum., 17. 4 : « par Zeus St.ratios et les dieux garants des serments Il, Justin, XIV. 4.10: dii perjuriorum vindicee i sur ces divinités, voir surtout L. Heber-t, op. cù., p. 81.
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l'épisode des lettres envoyées dans le camp d'Eumène trouve son pendant dans le traité passé entre Eumène 1er de Pergame et ses mercenaires révoltés. Ceux-ci jurent en effet de combattre pour leur chef jusqu'à la mort 1 et de ne pas ourdir de complot contre lui', deux clauses que l'on retrouve dans les serments échangés entre le Kardien et ses troupes au cours de la période 321-316 3 ; en outre, le serment porte: li Je n'accueillerai de ses adversaires aucune lettre ni ne recevrai aucun envoyé et je n'en députerai jamais vers eux. Si l'on vient m'apporter des lettres, je les livrerai toutes scellées et j'en trainerai le porteur le plus vite que je pourrai devant Eumène, fils de Philetairos ' ... » Un texte du même genre a-t-il été juré par les soldats d'Eumène à Kelainai? Cela semble probable, si l'on se souvient qu'après la bataille de Gabiène (316), il traita les Argyraspides de II parjures ,)', précisément parce qu'ils avaient échangé des ambassades avec Antigone et monté un complot contre leur chef s. Mais c'est dès après l'annonce de la mort de Perdiccas que les soldats ont prêté pour la première fois un tel serment 7. Les agissements d'Antigone lors du séjour d'Eumène à Kelainai incitèrent Eumène à requérir un nouveau serment. La réunion de ['armée que cite Justin Sfut probablement ['occasion solennelle de la prestation de ces serments: les troupes s'engageaient à servir et à défendre Eumène 9, celui-ci à verser leur misthos aux soldats selon des modalités définies auparavant avec les hégémônes. d) Les diadoque. et leurs soldats.
Cet exemple particulièrement fécond de Kelainai n'est pas sans susciter quelques réflexions sur l'organisation de l'armée d'Eumène, et sur la nature de son pouvoir. L'enquête présente d'autant plus d'intérêt que les conclusions que l'on peut en tirer peuvent être étendues, sur plusieurs points, aux cas des autres diadoques.
œ] Diadoques et « hëgémônes ,) : le problème du commandement. Il est tout d'abord remarquable que dans le contrat de vente de Kelainai - qui est au fond un contrat de travail - comme dans les autres traités de cette nature, l'accord soit conclu entre le chef (ou le dynaste, ou la cité) et les hégémône. 1o. Une telle procédure 1. Schmitt,Vertrage, nO 481, lignes 28-30. 2. tu«, ligne, 25-28. 3. Cf. Nepos, Eum., 10. 2 : cum eaercitue ei [Eumène] ter ante separatia temporibus jura8set se eum th· fcnsurum neque umquam deserturum j Justin, XIV. 4. 3 : « ••• qui ter ante hune annum in men verbe jure [urondo obetrieti eetie », et 6 : «( ••• quotiens vos sacramento mihi devovistie J. - Ici, le terme devovere est évidemment à rapprocher du terme grec eunoesein; cf. Schmitt. Vertrage, ne 481, lignes 27-28: CÙ\lo;,ow lXUTW' xcd ['t'ore; s]xe;(vou, ligne 30 : e:ùv6wc;; de même dans le serment d'Eumène de Pergame aux soldats (ibid., ligne 53 : wvo-ljO'w IIlXpo:fJ.[6vwL] x't'À); cf. Schmitt, index s. v. tùvoéw {'t'LVO et CUVOLlX (p. 427). - Sur ce terme, cf. également Diodore, XVIII. 63. 5 : Eumène de Kardia fait un discours à ses troupes, après un nouvel essai d'Antigone de fomenter un complot dans son cam.f (&:>J..œ xa;l Tb 1tÀ'ij60ç cL; tÔV014V jLC{~ovcx 't"ijç 1rpoiklpXooO'l)e; '1ttlpeO't"l]O'lXTo) ; voir aussi Plutarque, Eum., 12.... 4. Schmitt, Vertrage, ne 481, lignes 40-44 (trad. A. J. Reinach). 5. Justin, XIV. 4.10; Nepos, Eum., 10. 2 j cf. Plutarque, Eum., 17. 3·5. 6. Sur ce complot. voir Justin, ibid., 3.6-12; Nepos, Eum., 10.1-2 i Plutarque, Eum., 17. 1·3; Diodore, XIX. 43. 8·9; Heid. Epitome. F. Gr. H., ne 155, F 3 (4); Polyen, IV. 6. 13. T. Justin, XIV. 1. 10 (après que les lettres d'Antigone eurent circulé dans le camp, Eumène remercie les soldats d'avoir été fidèles à leur serment). 8. Ibid. 9. Nepos, Eum., 10. 2, et Justin, ibid., 4. 3. 10. Schmitt. Vertrdge, nO 429, lignes 7-8; nO 481, lignes 19-23, 53-54; A. S. A. A., 1967-1968, lignes 6· 7, 14-15,19,32-33,41-42,44-45.
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implique en effet que le tagma l, le détachement, est une unité pratiquement autonome, et que l'hégémôn est l'employeur des stratiôtai qui sont sous ses ordres 2, c'est-à-dire qu'il n'est pas soumis institutionnellement au diadoque: l'obéissance est fonction de l'application d'un contrat. On "oit donc que l'armée d'Eumène est une mosaïque de contingents de toute provenance, ce qui n'est pas sans faire penser à la constitution de l'armée des
Dix Mille·. Cette armée du Kardien est composée en efTet de corps de différentes nationalités 4 : il y R, côte à côte, des contingents de mercenaires 5, d'Iraniens 6 (cavalerie) et de Macédoniens 7, Chaque contingent, apparemment, est dirigé par un chef de même nationalité: Grec, Iranien ou Macédonien 8. Ce qui est frappant justement, c'est que les divers contingents ont une autonomie aussi grande, aussi bien les Macédoniens qui proviennent de l'ancienne armée royale, que les mercenaires et les Iraniens qui, eux, avaient pour chefs leurs propres recruteurs 9. Cependant, la hiérarchie macédonienne 10 s'est extérieurement maintenue, en partie au moins, dans l'armée des diadoques 11. Mais, après la mort d'Alexandre, de nombreux chefs macédoniens ont voulu faire du détachement qui leur avait été confié, une base de 1. Ce terme n'est d'ailleurs pas d'une extrême précision (cf. dans les papyri, M. Feyel, R. A .. 1935, p. 41·42, et M, Launey. Recherches, Il'll.124-125 et 219). C'est un « corps de troupe» (cf. Xénophon, Mém., III. 1. 1'1) qui, chez Polybe (VI. 24. 5), appliqué à l'armée romaine, prend le sens de Il manipule»; dans l'armée aéleucide, cl. Schmitt. Vertrage, ne ,*92, ligne 'i6 : oi grammateis t6n tagmatôn, c'eat-è-dire « les secrétaires des unités» PL Launey, ibid., p. 672), sont chargés de la tenue des registres militaires; autres exemples d'emploi du mot tagma dans un sens aussi vague, cf. ~f. Launey. ibid" p. 833, 883-884, 1025, 1031, 1061-106~. Ce terme cependant appartient au vocabulaire militaire macédonien (M. Launay, ibid., l, p. 363). - Sur le terme ontùagma, cf. P. Briant, R. É. A., 1972. p. 54 et n. 1. 2. Expressions typiques, cf. Schmitt, Vertràge. ne ,*~9, ligne 7 : CI: Philippes. Damagathos, Aristodémos et les soldats placés sous leurs ordres»; ibid., n« 481, lignes 19·22 : « Paramonoa, les officiers (hegemônes) et leurs soldats de Philetaireia... Polylaosç ses officiers et soldats d'Attaleia»: A. S. A. A., 1967-1968, ne 1, lignes 14, 19, 33-34: Il Machaon, Hiéron, et Sopôlie et leurs soldats D. Cf. aussi infra, p. 57, n. 4. 3. Voir la manière dont Cyrus a levé ses mercenaires; il s'est mis en contact avec des condottieri, en leur fournissant les fonds nécessaires (Xénophon, Anabase, 1. 1. 9-11: 2. 9); le recruteur garde le commandement du corps qu'il a levé (cf. H. W. Parke, Greck mercenary eoldiers, Oxford. 1933, p . .24-27, et surtout J. Roy. The mercenoriee of Cyrus, Historia, XVI (1967), p. 287-323, en particulier p.287-296). 4. Cf. Diodore, XVIII. 30. 5 : ... n«v't'o8rt7t'oùC; 't'o!C; yéveaLv. 5. Cf. Plutarque, Eum., 8. 5 : œenagos (SUl' ce terme, voir M. Launoy, ibid., I, p. 33-34). 6. cr. P. Briant. R. É. A., 197~, p. 49 sqq. 7. Sur la présence de Macédoniens, cf. supra, p. 51, n. 2. Le texte de Plutarque (loc. cit.) distingue bien d'ailleurs les hegemônes tagmatos des xenagci, ce qui prouve que les premiers sont des Macédoniens. 8. Les Iraniens sont les plus facilement reconnaissables; cf. ainsi Pi grès (Plutarque, Eum., 6. 7), Pharnabeze, fils d'Artabaze (ibid., 7. 1), Ocranèe le Mède (Diodore, XIX. 47. lt). 9. Les Iraniens ont été levés par des chefs locaux, sous le contrôle d'Eumène (cf. R. É. A., 1972, wc. cit.). 10. SUI' cette hiérarchie dans l'armée d'Alexandre, cf. Berve, I, p. 201-208. 11. Les stratèges et les hegemônes restent les officiers de plus haut rang, les seconds étant subordonnés aux premiers: cf. en particulier Diodore, XIX. 22. '1-3, et. sur ce texte, les commentaires de M. Holleaux, Études, III, p. 9-14, de H. Bengtson, Strategie, l'l, p. 169-171, et de M. Feyel. R. A., 1935, p. 48-50 (sur les hegemônes). Sur la persistance des traditions militaires macédoniennes chez les diadoques et chez les Séleucides, voir aussi M. Launey, Recherches, I, p. 362-365. Le texte de Diodore s'applique à l'armée d'Eumène au moment où il a été rejoint par l'armée de Peukeataa et celles des satrapes orientaux, c'est-à-dire en 317; sur les stratèges (ou hipparques) et les hegemônes, à une date plus haute, voir Plutarque, Eum.. 6. 7 (ces officiers siègent dans le synedrion du diadoque) (321), à rapprocher de Justin, XIV. 1. 7, qui traduit l'expression grecque par centurionee principesque! Cf, aussi Plutarque, ibid., 7. 1 : Pharnabaze et Phoinix de Ténédos ont le commandement d'une hipparchie d'Orientaux (321) ; Diodore, XVIII. 40. 2-4 : Perdiccas, qui a fait sécession, doit être un stratège, car sa troupe compte également plusieurs begemônee (320) (ct. pour comparaison Schmitt, Vert/'agc, ne 481, ligne 19, où Paramonos , nommé devant les /wgemônes el les stratiôtai, porte certainement aussi le titre de stratège: cf, M. Feyel, R. A., 1935, p, 48-49), Mais, hien sou-
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leur puissance personnelle'. Les facteurs d'unité étaient donc rares: certains stratèges, proches d'Eumène, n'étaient pas attachés à une troupe particulière 2; à deux reprises, Eumène réussit à mélanger les contingents, mais dans des circonstances exceptionnelles '. C'est peu, on le voit. Cette situation exprime assez bien, me semble-t-il, la disparition de toute structure étatique dans ces armées 4. On conçoit donc la difficulté de commander à de telles armées. A cet égard, il faut souligner que le Kardien, en 318, fut placé dans des conditions particulièrement difficiles. A cette date, en effet, il reçut le commandement des vétérans macédoniens, les Argyraspides, qui avaient derrière eux une longue tradition d'insubordination 6, et dont les chefs, Antigènes et Teutamos, n'entendaient certes pas se soumettre à Eumène : d'où l'essai quelque peu désespéré du Kardien de se faire apparaitre comme le porte-parole d'Alexandre mort et divinisé &. L'année suivante, les armées des satrapes orientaux, et celle de Peukestas en particulier, si elles apportèrent à Eumène un renfort considérable 7, introduisirent aussi dans son armée de nouveaux éléments de divisions 8, ce d'autant que Peukestas vent, il apparaît que chez Hiéronymos de Kardia (ou ses utilisateurs), hBgerrlÔne, a Je leol trM général d' c officiers XI et peut donc comprendre également les stratèges (cf. Diodore, XVIII. 59. 3; 62. 4-5 i XIX. 47. 4; Plutarque, Eum' J 9. 2, ce dernier passage étant également intéreeaant aur le senl de la hiérarchie: après la bataille des Champs Orcyniens, en 320, Eumène fait élever deux bûchera, l'un pour brûler le. cadavres des hegem6nea, l'autre les cadavres des simples soldats (oi pol/ai)). Notons enfin que les troupes di..identes confient généralement le titre de stratège au chef qu'elles élisent (Polyen, IV. 6. 4 ; Diodore, XVIII. 7.2). 1. Voir dès 323 l'exemple de Pithon (Diodore, XVIII. 7. 3·9; sur ce texte, cf. infra, p. 62-631. A cet égard, il faut rappeler que, dans l'armée macédonienne originelle, les contingents aont levés régionalement et que certains commandements sont réservés à de grandes familles (cf. Berve, I, p. 104-116; p. 202, n. 3). Il n'est pas impossible que l'attachement d'une troupe à son chef immédiat, après la mort d'Alexandre, Boit encore fondé sur ces attaches régionales (cf. Diodore, XVIII. 62.4: désirant nouer un complot à l'intérieur du camp d'Eumène, en 318, Antigone y envoie Philotas, porteur d'une Jettre adressée aux Argyras· pides et autres Macédoniens; il lui adjoint trente autres "lacédoniens chargés de persuader ceux des Macé· doniena qu'ils connaissaient le mieux (gnârizomenoi) et ceux qui étaient leu" u concitoyens a (paUla;'), tenne qui est peut-être une référence à ces liens régionaux (un certain nombre de chef. et de contingents, dana l'armée d'Alexandre, sont dénommés par leur lieu d'origine ou de recrutement: c de Pydna a, c d'Amphipolis»; cf. Berve, I, p. 109)). 2. Ainsi Phoinix de Ténédos (Plutarque, Eum., 7. 1, et Diodore, XVIII. 40. 2.4). 3. Pour intégrer des éléments de l'armée adverse vaincue (Diodore, ibid., 29. 5) ou pour disperser de. soldats qui s'étaient rebellés (ibid., 40. 4: ; les chefs SODt exécutés). 4. Lorsqu'un roi hellénistique écrit à une armée ou à une garnison, il s'adresse aux. stratèges, hipparques, hegemônee de fantassins, simples soldats D (cr. Welles, R. C., 39, lignes 1-4) ; mais, si on retrouve bien là les mêmes catégories que dans les traités roi {dynaste)-mercenaires, H y a une trèl importante difJé· rence : les soldats ne sont pas dénommés « les soldats sous les ordres de ... » (cf. Schmitt, Vertrdge, nO 429, lignes 7-8; ne 481, lignes 20-24; A. S. A. A., 1967-1968, nO 1,.lignes 14-15, 24, 34-35 ... li: leurs soldat. 1) : c'est là un eigne, me semble-t-il. que, dans une organisation étatique, l'autorité suprême (royale ici) s'exerce sur tous, chefs et soldats, indistinctement et immédiatemen~. 5. Cf. Justin, XIV. 4. H, et Arrien, F 9. 38. 6. Voir les justes remarques sceptiques de L. Cerfaux et J. Tondriau, Le culte des ,ouverai,.. da,.. le monde gréco-romain, Paris-Tournai, 1957, p. 148 i oontra Ch. Picard. Le trône vide d'AlP:&andre CÜJM la c~r~ manie de Gyinda et le culte du trône vide à travers le monde gréco-romain, C. Arch., VII (1964), p. 5, n. 1. 7. Diodore, XIX. 14. 2-8; Plutarque, Eum., 13. 4. 8. Déjà les Argyraspides, en 318, tinrent une assemblée séparée, hora de la présence d'Eumène (Diodore, XVIII. 63. 2) (à comparer avec l'assemblée de ses propres troupes que réunit Cléarque au début de l'expédition des Dix Mille (Xénophon, Anaba.ve. 1. 3. 2 ~qq.)) ; les satrapes orientaux. de leur côté, conservent une mainmise totale sur Jeun armées satrapiquea (Diodore, XIX. 15. 5; cr. aussi ibid., ·15. 1 : I'aaaemblée générale est convoquée par Eumène et par les autres satrapes) ; comme tout au long de l'expédition narrée par Xénophon (cf. en particulier Anabase. VI. 1. 17-18), le problème du commandement se pose 10US l'alternative suivante: commandement unique ou commandement col!ectif (cr. Plutarque. Eum., 16. 1, l\ opposer à Diodore, XIX. 15. 3-4, et à Plutarque, tu«, 13. 4).
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entendait bien prouver lui aussi ses liens privilégiés avec le Conquérant défunt ", Le pouvoir d'Eumène était donc d'une extrême fragilité et d'une extrême précarité. Lorsqu'un chef de détachement voulait déserter, il entraînait tous ses hommes avec lui. Eumène eut souvent à subir de telles trahisons 2. Le cas des Argyraspides est le mieux connu a, mais il n'est pas isolé. Dès le début de 321, Pi grès l'avait abandonné avec ses cavaliers iraniens 4; en 320, un des chefs les plus fameux, Perdiccas, quitta le camp d'Eumène avec trois mille fantassins et cinq cents cavaliers li; quelque temps plus tard, Apollonidès, soudoyé par Antigone, quitta le camp d'Eumène pendant la bataille des Champs Orcyniens, à la tête de la cavalerie 6; après cette défaite des Champs Orcyniens, le Kardien fut abandonné à nouveau par de nombreux soldats qui passèrent à Antigone '. Ce qui conditionne la bonne marche de l'armée, c'est la victoire, génératrice de butin et garante du misthos. Macédoniens ou mercenaires? La différence, de ce point de vue 8, devient de plus en plus insaisissable. Pour s'en convaincre, il n'est que voir le souci des soldats et des Argyraspides en particulier de sauver à tout prix leur aposkeuè 9, même si cette hantise les amène à passer dans l'autre camp. Ses essais pour gouverner au nom d'Alexandre n'ayant pas eu les résultats escomptés, Eumène imagina d'emprunter de l'argent aux chefs dont il se méfiait le plus; « de la sorte, il eut le bien d'autrui pour garde du corps, et, quand les autres donnent d'ordinaire de l'argent pour prix de leur sécurité, lui seul en reçut pour garantie de la sienne 10 ». Cette réflexion désabusée de Plutarque est incomparablement plus proche de la réalité que la peinture qu'il fait ailleurs de l'enthousiasme« spontané» et «( désintéressé ) des soldats à défendre Eumène jusqu'au bout l l . ~)
L'échange de serments.
Il est vrai que l'attrait des profits financiers ne constitue pas à proprement parler une nouveauté. Des espoirs de cette sorte agitaient aussi les Macédoniens lors du débarquement d'Alexandre en Asie 1 2 ; le butin amassé pendant plus de dix ans de campagne fut assurément considérable 13 : en 316, les Argyraspides reprochèrent à Eumène de leur 1. 2. 3. 4.
Cf, Diodore, XIX. 22, passim (sur ce texte, cf. infra, p. 68, n. 4).
Cf. supra. p. 52,
n.
16.
Cf. M. Holleaux, &tudes, III, p. 16-22, et M. Launoy, Recherches, p. 297-300. Plutarque, Eum., 6. 4. 5. Diodore, XVIII. .0. 2-•. 6. Ibiâ., 5-8; cf. Plutarque, Eum., 9. 2 (prodosia). 7. Ibid.,41. 8-42. 1 (plus réaliste que Plutarque, Eum., 10. 1, qui présente ces départs comme suscités volontairement par Eumène, dans l'intérêt des soldats et dans le sien propre). 8. ln/ra. p. 67 'qq. 9. M. Holleaux, loc. cit. 10. Plutarque. Eum., 13. 6 (cf. Diodore, XIX. 2•. 1-.3). 11. Même présentation déformée des faits en Diodore, XVIII. 62·63: en 318, Ptolémée et Antigone essaient, par des lettres et des ambassades, de persuader les Argyraspides de mettre Eumène à mort; là aussi Eumène vient parler devant les soldats (ibid., 63. 5), Diodore concluant (ibid) : « il parvint non seulement à se délivrer des dangers qui le menaçaient, mais encore à se concilier plus que jamais l'affection (euooia) des soldats II (trad. Hoefer) ; on suspecte que, là comme à Kelainai, Eumène fit prêter un serment à ses troupes, et en particulier aux A,rgyraspides dont il venait de prendre le commandement (SUl' eunoia, cf. supra, p. 55, D. 3). 12. Voir par exemple Justin, XI. 6. 9. 13. Cf. Arrien, Anabase, VII. 9. 6-9.
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avoir fait perdre tous ces profits '. En outre, Alexandre combla de cadeaux ses soldats'. Il est vrai enfin que les soldats macédoniens touchaient une solde s. n serait néanmoins tout à fait erroné, en partant comme F. Hampl de ces constatations, de conclure que l'armée d'Alexandre n'était rien de plus qu'une armée de mercenaires 4. En fait, les relations nouées par les Macédoniens avec leurs chefs après 323, et surtout après 321 5, sont d'une nature différente des liens qui les unissaient à Alexandre. L'Argéade, en effet, était leur roi, choisi et acclamé par les Macédoniens réunis en assemblée primaire à Aigai 6; ses fonctions religieuses étaient, aux yeux des Macédoniens, la meilleure garantie de victoire '. Malgré le caractère de plus en plus personnel donné à son pouvoir, Alexandre, en pleine Asie, a conservé son caractère de roi national, de même que l'armée macédonienne est restée une armée nationale 8. L'attachement des Macédoniens à leur roi dépassait la seule personnalité de leur souverain 9; l'échange de serments, au début du règne, entre le roi et l'Assemblée du peuple, sanctionnait officiellement ces liens, non pas fondés sur des prestations financières, mais sur le respect mutuel du nomos ' O. Au surplus, en début d'expédition, les soldats ont prêté à Alexandre, en tant que strcaégos, un autre serment qui valait, lui, pour la durée de la campagne 11. Extérieurement, une forme de ce deuxième serment subsiste après la mort du roi et après le départ des rois en Europe. Mais il n'a plus rien de spécifiquement macédonien. Il prend au contraire un caractère de plus en plus personnel et, comme tel, est de moins en moins respecté 12. Ce caractère personnel est très nettement marqué dans un traité tel que celui qu'ont passé Eumène 1er de Pergame et ses mercenaires 13. Mais, précisément, 1. Justin, XIV. 3. 8. 2. Cf. Berve, I, p. 195-196. En 321, les Macédoniens réclament bruyamment à Antipater les don. promis par Alexandre (Arrien, Suce., F 11. 44-45; Pol yen, IV. 6. 4). 3. Ber-ce, 1, p. 193~194; M. Launey, Recherches, II, p. 748. 4. F. Hampl, op. eit., p. 48-49, qui juge que les :Macédoniens sont des mercenaires parce qu'Ha touchent une solde et reçoivent des dons {cf. les remarques critiques de A. Momigliano, lie e popolo in Macedonia prima di Alessandro Magna, Athenaeum; n. s., XIII (19351, p. 9 aqq.], C'est là oublier en effet que le soldatcitoyen touchait lui aussi une solde et une part du butin et donc que « la solde n'était pas l'apanage des mercenaires» (cf. Y. Garlan, Guerre, p. 69) ; les critères de définition du mercenaeiat sont beaucoup plua nombreux; « le mercenaire» - suivant l'excellente définition qu'en a donnée Y. Garlan, ibid., p. 67 - Cl est un soldat professionnel dont la conduite est avant tout dictée, non pas par son appartenance à une communauté politique, mais par l'appât du gain: c'est la conjonction de ces trois aspects, de spécialiste, d'apatride et de stipendié, qui fait l'originalité de ce type humain II. 5. Sur cette réserve, cf. P. Briant, Antigone, JI. 240-255; 279-286; 330-331 : de 323 à 321 en effet, le. phalangites macédoniens continuent d'adhérer pleinement aux ta patria; en 323, ils ont imposé Philippe Arrhidée. 6. Là-dessus P. Briant, ius., p. 331 sqq. 7. Textes partic':llièrement caractéristiques: Quinte-Curce, X. 7. 2 j Justin, VII. 2. 9-12; id., XXIV. 5. 9 (cf. P. Briant, ibid., p. 326, n. 2). 8. C'est ce que prouvent en particulier les circonatancea de la condamnation de Pbtlotee, où renalt., en pleine Asie, l'union indissoluble entre la dynastie et le "ulgua macédonien représenté par la phalange macédonienne (cf. P. Briant, ibiâ., p. 338-345). 9. Voir par exemple à Babylone, où les phalangites imposent l'élection d'un roi (Arrhidée) diminué mentalement; de leur côté, les nobles choisissent un nourrisson (à rapprocher de Justin, VII. 2. 9·12). 10. Cf. P. Briant, ibiâ., p. 311-322. 11. Cf. Justin, XII. 11. 5, à rapprocher de Justin, XXIV. 5. 14 (cf. P. Briant, ibid., p. 323-325). 12. Voir déjà là-dessus P. Herrmann, Der r amische Koieereid. Untersuchungen zu eeiner Herkunit und Entwicklung (Zetemata, 20), Gôttingen, 1968, p. 25 sqq. 13. Schmitt, Vertriige, n« 481, lignes 19-63; sur les rapprochements que l'on peut établir avec le! serments prêtés par les soldats du Kardien, voir supra, p. 54-55 (cC. aussi P. Herrmann, ibiâ., p.29, n. 32 al.
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il est intéressant de constater que l'évolution s'est faite extrêmement rapidement, dès l'époque des premiers diadoques en Asie, dans des armées où pourtant l'élément macédonien constituait une part non négligeable de l'effectif. Ce qui frappe tout d'abord, en effet, c'est que ce serment entre Eumène de Kardia et ses troupes a été renouvelé très fréquemment. Le premier échange avéré de serments a eu lieu dans l'été 321 1 ; il fut très probablement renouvelé à Kelainai quelques mois plus tard'. Plus significatif encore : en 316, après la défection des Argyraspides, Eumène de Kardia exprima son amertume d'avoir été trahi par des soldats qui, trois fois au cours de l'année, s'étaient engagés par serment à lui être fidèles". Il me parait assez raisonnable de supposer que ces serments ont été prêtés à chaque versement de solde, c'est-à-dire à chaque prolongation du contrat d'embauche'. On comprend dès lors que l'attachement des soldats à Eumène (et à d'autres diadoques) soit d'ordre financier', et donc que la perte de leur aposkeuè amène les Argyraspides à trahir leur chef en faveur d'Antigone, qui non seulement leur promettait de leur rendre leurs « bagages >, mais également leur faisait miroiter le versement de nombreux cadeaux 6. Dès lors, ce serment, pourtant juré au nom des divinités traditionnelles 7, ne pouvait être que fragile. Le terme même de « désertion» n'a plus exactement le même sens avant et après la mort d'Alexandre. En 324, au roi qui venait de délier les vétérans de leur serment prêté au début de la campagne, les soldats macédoniens demandèrent d'être libérés tous ensemble 8. Il n'était pas question de partir sans qu'il y ait eu auparavant un accord entre les deux parties contractantes; aucune ne pouvait s'en dégager de sa propre autorité j les Macédoniens savaient que, dans le cas contraire, ils seraient considérés, lors de leur retour en Macédoine, comme d'indignes déserteurs et, comme tels, rejetés par les hommes et par les dieux". Dans les luttes constantes de, diadoques pour affaiblir l'adversaire, la désertion devint au contraire un moyen de promotion et (J'enrichissement pour les chefs qui entendaient profiter de ces guerres : les diadoques achetèrent la trahison de corps de troupes entiers; en échange, les soldats prêtaient un nouveau serment à leur nouveau chef 10, serment tout aussi peu solide d'ailleurs ll. Pour ces soldats, il n'est plus question d'attendre que 1. Justin, XIV. 1. 10. 2. Cf. supra, p. 55. 3. Justin, XIV. 4. 3: Nepos, Eum.; 10. 2. 4. Même s'il ne s'agit peut-être pas là d'une règle générale, plusieurs textes semblent indiquer que Ja périodicité la plus courante du miethoe était en effet de trois ou quatre mois (cf. textes cités par M. Launey, Recherches, Il, p. 726-727, 732 (= Schmitt, Vertrage, n' ~2~, ligne. 9·10), p. 73~ (= Diodore, XX. 108. 2). II est vrai qu'Eumène avait versé six mois d'avance aux Macédoniens en 317; mais les textes cités sur les serments se rapportent à l'année 316; en 317, au contraire, il avait pu profiter d'une rentrée extraordinaire, grAce aux trésors de Suse (Diodore, XIX. 15. 5) qui, entre temps, est tombée aux mains d'Antigone (ibid., 19. 1). 5. Eumène, à cet égard, n'est pas dans une situation originale: cf. Diodore, XX. 113. 2 [Ies soldats de Lysimaque passent à Antigone, qui leur paie le miethoe en retard). 6. M. Holleaux, ~tudes, III, p. 18~22. 7. Cf. supra, 54 et n, 13. 8. Justin, XI . 11. 5. 9. Cf. Quinte-Curee, X. 2. 28, et Arrien, Anab., VII. 10. 7. 10. CI. Diodore, XIX. ~3. 8. 11. Voir Diodore, XVIII. 32. 3-4; cf. aussi ibid., 7. 8·9.
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leur chef les délie de leur serment, s'ils jugent que la « trahison> peut leur être profitable '. On voit donc bien ce qui a changé. Au temps de la monarchie macédonienne, les serments prêtés au basileus et au stratégos l'étaient à la fonction plus qu'à la personne qui en était revêtue '. A partir de 321, date à laquelle les rois ont regagné l'Europe, le titre de stratégos autocralôr qui se transmet d'Antigone à Eumène au gré des décisions prises en Europe et même au gré des ambitions personnelles, n'est plus qu'un pâle reflet du pouvoir royal, et n'a plus qu'une audience très relative. En vérité, le pouvoir de ces diadoques n'est plus fondé sur d'aussi pauvres continuités; il revêt au contraire un caractère de plus en plus personnel. Le serment, à l'époque des diadoques comme à la fin de la République romaine, <' devient alors un élément essentiel de l'union de la « HeeresgefolgschaCt • et du chef de guerre S », D'une forme de serment national, on est passé à une forme de serment purement personnel. C'est un des symptômes de la désintégration de la notion d'armée royale (et donc nationale) en Asie', et de la naissance corrélative des armées personnelles, où les notions de fidélité, de loyauté envers une cause et un chef nationaux disparaissent au profit d'une idéologie du chef caractéristique de l'époque hellénistique '. C'est aussi le signe que, depuis le départ des rois pour l'Europe surtout, la coupure devient de plus en plus accentuée entre l'Europe et l'Asie, entre la «( nation J) et l' « armée », selon un pro· cessus qui n'est pas sans rappeler, mutatis mutandis, celui qu'a décrit Cl. Mossé pour la cité grecque du IVe siècle 6. B. -
Les Macédoniens d'Asie face à la Macédoine d'Europe.
Restent cependant plusieurs problèmes à envisager avant de pouvoir porter un jugement global sur l'attitude et sur les réactions des Macédoniens d'Asie après la mort d'Alexandre. Les pages précédentes ont permis en effet d'analyser l'évolution des rapports entre les soldats et les diadoques. Mais, qu'en fut-il des rapports entre les Macédoniens et l'Europe, c'est-à-dire entre les Macédoniens et leurs rois? Peut-on par exemple parler d'une double « allégeanee > : à l'égard de leurs chefs immédiats, et à l'égard du gouvernement royal? On sait, tout d'abord, que déjà pendant l'expédition d'Alexandre, les soldats avaient manifesté à plusieurs reprises leur lassitude, et leur volonté de revoir leur patrie. Dès 330, le roi avait dû convaincre ses soldats de le suivre, car beaucoup d'entre eux « considéraient la mort de Darius comme la fin de l'expédition, et ils s'étaient mis en tête de retourner dans leur patrie (... fUttwpouç ~VfŒÇ "p/)ç -rljo s!ç -rljv "'''pl&< l1t"00800) 7 >. En 326 sur l'Hyphase 1. Cf. Justin, XIV. ~. 7. 2. Cf. P. Briant. toc. cit., p. 320·325. 3. La comparaison et la formule sont de P. Heermann , Kaieereiâ, p. 62. 4. La seule véritable armée royale, à partir de 321, est l'armée macédonienne d'Europe, conduite en principe par les rois (cf. Diodore, XIX. 23. 2). 5. Cf. aussi infra, p. 80-81. 6. En dernier lieu, Le rôle politique des armées dans le monde grec à l'époque classique, dana Problèmes de la guerre en Grèce ancienne [publ. sous la direction de J.-P. Vernant), Paria-La Haye, 1968, p. 222-229, passim; sur cette comparaison, cf. P. Briant. loc. cit., p. 348. 7. Diodore, XVII. 74. 3 (trad. F. Hoefee}. - Voir également la réaction des Macédoniens, quelques
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puis en 324 à Opis, cette volonté s'était exprimée avec une force encore accrue 1. On peut donc légitimement se demander comment les Macédoniens firent connaître cette volonté
après la mort d'Alexandre, et dans quelle mesure cette nostalgie put déterminer certaines de leurs attitudes ou de leurs réactions face aux diadoques, à côté de leur volonté déjà reconnue de s'enrichir. D'autre part, à partir de 321, les rois ont regagné la terre des ancêtres ('A"""",po, ... n-po1jytv !1tt MlX:Kt8ovtlX\I )(a.'t'â:~wv TOÛÇ fjctO'LÀe:iç; l:1t't T"1jv 7ttx't'ptS'lX) 2. Dès lors, la coupure s'accentua, surtout à partir de 318, date à laquelle les victoires navales d'Antigone s, et les succès de Cassandre en Grèce 4 interdirent la jonction projetée entre l'armée royale menée par Polyperchon et l'armée d'Eumène 6, celui-ci étant désormais obligé de se replier vers l'intérieur de l'Asie 6. Donc, à partir de 321, Antigone puis Eumène tinrent leur pouvoir de strategos d'Antipater et de Polyperchon, c'est-à-dire des rois '. Il Y a là une deuxième question qu'il convient de se poser: les soldats macédoniens d'Asie continuèrent-ils à tenir compte des ordres royaux? Si oui, dans quelle mesure et pourquoi?
Les Macédoniens d'Asie et le retour en Macédoine. Il ne fait guère de doute que, pour nombre de phalangites macédoniens, le fait de rester en Asie après le choix de Philippe Arrhidée constitua une lourde déception. Leur 1. -
action déterminée pour imposer un roi né de Philippe s'explique en partie, en effet, par leur désir de revenir en Macédoine, non pas en déserteurs, mais au contraire guidés par un roi investi de ses fonctions religieuses 8. Déjà, la défection de l'armée chargée d'amener Eumène dans sa satrapie, au printemps 322, révèle à la fois le désir des soldats de revoir la Macédoine et leur répugnance à recommencer l'entreprise de conquête en Cappadoce 9.
Plusieurs autres textes sont l'illustration de cet état d'esprit après 323 et après 321 : a) Diodore, XVIII. 7 (323). Juste après la mort d'Alexandre, les Grecs installés par Alexandre dans les SatrapiesSupérieures se révoltèrent, car ils voulaient rentrer en Grèce. Pour faire face à cette rebellion, Perdiccas confia à Pithon 10 un corps d'élite macédonien de trois mille fantassins et semaines plus tôt, lors de l'incendie de Persépolis: « ... les autres Macédoniens qui apprenaient la nouvelle accouraient tout joyeux avec des torches: ils pensaient qu'Alexandre trahissait son regret du pays natal et sa volonté de ne pas se fixer chez les Barbares ... li (Plutarque, Alex., 38 ; i)).,1n~O\l yetI' ot'~ t'ote; otKm npoaqovt'6e; i:at'~ t'èw VOÜ\I K«t W~ t'éÀÀo\lt'oe; bJ ~lXp~apoL<; otXeL\I... ; trad. B. Lataarus]. 1. Voir P. Briant. R. É. A., 1972, p. 51,-58. 2. Diodore, XVIII. 39. 7. 3. tu«, 72. 5-9, et Polyen, IV. 6. 8-9. 4, Diodore, ibiâ., 68~71. 5. Ibid., 63. 6. 6. nu; 73. 2. 7. Sur les pouvoirs conférés à Antigone à 'I'riparadeiaos , voir surtout H. Bengtson, op. cit., p. 94-106 (et p. 106-117 sur ses usurpations après 319) ; sur les pouvoirs de stratégos autocratôr tés Asias donnés à Eumène par Polyperchon. voir ibiâ., p. 119-124. 8. Cf. supra, p. 59~61. 9. Cf. P. Briant. R. É. A., 1972, p. 35. 10. Diodore, XVIII. 7.3 : t'où 8~ n).,1)60u<; ~M!ie\loe; at'pctt'ljyo\l IH6,ù\llX. En modifiant tÀolJ.é\lo~ en èxeIJ.tvOU, H. Bengtson (ibid., p. 178, n. 2) juge .que Pithon a été choisi, non pas par Perdiccas, mais par l'Assemblée de l'armée. Mais cette interprétation me paraît insoutenable: après les difficultés considérables qu'il venait de rencontrer avec les phalangites, Perdiccas n'était pas assez fou pour susciter une nouvelle
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de huit cents cavaliers; Pithon, en outre, emportait avec lui des lettres de Perdiccas qui requéraient l'aide des satrapes orientaux. Pithon, homme ambitieux, vit tians cette expédition le moyen de se constituer une dynasteia dans les Satrapies-Supérieures 1, en utilisant les Grecs à son propre service. Mais Perdiccas, qui suspectait sa loyauté, lui donna des ordres formels de massacrer les rebelles et de partager le butin entre les soldats macédoniens vainqueurs. Après la défaite des troupes grecques, Pithon échangea des serments avec elles et leur ordonna de retourner dans leurs colonies respectives. Mais les rèves de Pithon ne devaient pas se réaliser car, écrit Diodore, (1 les Macédoniens, se rappelant les ordres de Perdiccas, violèrent la foi du serment i ils attaquèrent à l'improviste les Grecs qui étaient sans armes, les passèrent tous au fil de l'épée et se partagèrent leurs biens. Déçu dans ses espérances, Pithon revint avec les Macédoniens auprès de Perdiccas 2 1). La réaction des soldats s'explique, me semble-t-il, par plusieurs considérations. L'obéissance aux ordres de Perdiccas, n'en doutons pas, ne pesa pas d'un poids déterminant 3 i ou, du moins, les soldats y voyaient-ils seulement - ce sur quoi Perdiccas avait précisément compté 4 - l'occasion de faire du butin conformément aux ordres du Grand Vizir. En l'occurrence, les objectifs de Perdiccas et ceux des soldats de Pithon se rejoignaient: rien de plus. Mais on ne peut pas refuser une autre interprétation, qui n'est d'ailleurs pas en contradiction avec la précédente: c'est la grande répugnance manifestée par les Macédoniens après 323 à retourner dans les satrapies orientales, après avoir forcé Alexandre à en revenir en 326. En appuyant les ambitions de Pithon, ils auraient pu, en effet, espérer un enrichissement et une puissance encore plus grands, mais il leur aurait Iallu, pour cela, accepter l'idée de s'établir presque définitivement dans les Hautes-Satrapies, dont Pithon voulait prendre le contrôle. Cette interprétation prend une certaine réalité si on souligne que les membres de ce corps d'élite confié à Pithon furent désignés au sort (I1.p8lxxa~... bù.1)p(ù(JEV he 't"WoJ M(Xxe86",(ù",... ) 5; le recours à un tel procédé confirme bien, me semble-t-il, que l'idée d'une expédition aussi lointaine ne soulevait aucun enthousiasme parmi les soldats macédoniens qui, à Babylone en 323, se considéraient déjà sur Je chemin du retour en Macédoine. Ils étaient mus en cela par des sentiments analogues à ceux qui agitaient les Grecs 'de Bactriane; les colons grecs s'étaient en effet révoltés parce qu' (1 ils regrettaient les mœurs et la manière de vivre de leur patrie 6 ». opposition; c'est d'autre part donner une importance qu'elle n'a pas eu à l'Assemblée de l'armée (cf. P. Briant, ibid., p. 255-256). II appartenait hien au Grand Vizir de choisir les troupes el leur cher (cl. pour comparaison, Plutarque, Eum., 3. 2~3). L Diodore, ibid., 7. 4 : ... t8Lonpœyer", ... 8uva:auUet"" - Pithon reprit après Tripuradeieoe see tentatives personnelles (cf. H. Bengtson, op. cù., p. 179). 2. Diodore, ibid., 7. 8 (trad. P. Hoefer). 3. Voir l'attitude des soldats de l'armée d'Eumène qui, nu printemps 322, passent en Europe avec Léonnatos, malgré les ordres de Perdiccas (cf. en particulier Plutarque, Eum., 3. 3-6). 4. Cf. Diodore, ibid., 7. 5. 5. 7. 3. 6. Ibid., 7. 1 (trad. F. Roefer) : Tt'o6oüvuC; ~ ,",'" 'EÀÀ~"'L)(~') ay(J,}~'" Kœl 8(Œ~Tœ'" [c]. ld., XVII. 99. 6 , -riJv el, olxcv &""KOf,,8~v).
uu.,
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b) Polyen IV. 6. 6 (320-319). Alors qu'il hivernait en Cappadoce, en 320-319', Antigone fut abandonné par un corps de troupe de trois mille hoplites. Craignant que Cette défection ne profitât à ses ennemis, Antigone envoya vers les déserteurs l'un de ses hégémânes, Léonidas. Feignant d'adhérer à leur rebellion, celui-ci fut élu stratège par les mutins. Ce poste de commandement lui permit de convaincre les soldats de ne pas passer dans le camp d'Alketas, et (sans leur dévoiler ses objectifs) de les emmener dans un endroit où la cavalerie était susceptible de manœuvrer. Ce stratagème permit à Antigone de bloquer la troupe rebelle. Après avoir conféré avec les instigateurs de cette trahison, le Borgne accepta de laisser la vie sauve à l'armée dissidente et à ses chefs. Ce sont les termes de cet accord qui sont intéressants: «( Il promit de les laisser partir, s'ils retournaient dans le calme en Macédoine. Ils s'entendirent sur ces conditions et s'éloignèrent. Antigone ordonna à Léonidas de prendre le commandement de ces soldats, jusqu'à la Macédoine, pour les conduire en sûreté dans leurs foyers'. » Cet épisode est riche d'enseignement, si l'on n'oublie pas le caractère de J'œuvre de Polyen ; ici, comme dans tout le chapitre consacré à Antigone 8, cet abréviateur 4. entend illustrer et l'habileté et la grandeur d'âme d'Antigone '. il présente donc l'accord comme un cadeau désintéressé du Borgne. En fait, à cette date, celui-ci préparait l'expédition contre Alketas s, qui disposait en Pisidie de forces tout à fait considérables 7. Antigone voulait donc éviter à tout prix de voir Alketas se renforcer 8. Il préférait voir partir ces trois mille hoplites, et s'assurer ainsi qu'ils ne passeraient pas du côté de ses ennemis. Autrement, il est bien évident qu'il aurait châtié les rebelles avec la dernière énergie 9. Cet accord, comme tous les accords, était donc l'expression d'un troc: les rebelles s'engageaient à ne pas se ranger sous les ordres d'Alketas; Antigone s'engageait à les laisser regagner leur patrie, en leur fournissant même un chef de valeur pour faciliter leur retour. Il apparaît donc que ce sont les soldats eux-mêmes qui ont réclamé cette clause. Il paraît plausible de supposer que le désir de regagncr la Macédoine fut à l'origine de cette désertion; s'il s'agissait en effet d'un problème de misthos, l'accord ne serait pas tel que nous le rapporte Polyen, 1.
cr.
ibid.• 44. 1.
2. Polyen, IV. 6. 6 ; 'O aè: à'il1ïatLV TOUTOUÇ UTt'tO'XtTO, el 1JE't'cX. YjouXtlX<; d~ MlXXe:8o'oltlXV èTt'lX'oItÀOOe:t'ol. 'Ent TOUTOL~ iom:{Oct'olTO xlXl a'olexwPl1actv. 'AVTtyO'olO; Ae:W'oI(8lX'oI T(;,W àv8pw'ol ~rIlolXa8lXL !L~:XPL MlXXe:8o'ol(lX<; [b
tXO'lpocÀwç lXÙTOÙ<; et<; T1l'ol OlXt(lX'oI 7tOCpOC7té!L~O'olTOC. 3. Certains li: stratagèmes» s'appliquent en fait à Gonatae {ibid., 1, 3,6, 1ï·18, 20; peut-être aussi 2). 4. Les correspondances étroites que l'on peut établir, pour la plupart des épisodes, avec des récits de Diodore, de Nepos et de Plutarque montrent clairement que Pol yen a utilisé la tradition héronymienne (cf. par exemple Polyen, IV. 6. 7 = Diodore, XVIII. 45; IV. 6. 11 et IV. 8.4 = Diodore, XIX. 37 = Nepos, Eum., 8 (2-7)-9 = Plutarque, Eum., 15. 3-7, etc... ). 5. Sur les Il qualités morales» d'Antigone, voir aussi ibid., IV. 6. 5.
6. Cl. Diodore, XVIII. 44. 1. 7. iu«, 44-46; cl. P. Briant, R. F:. A., 1972, p. 63-65. 8. Cf. Polyen, IV. 6. 6 : ['A'oIT(YO\lOÇ] !8e8of.xe:L Bè: f.l.~ npoa80t'olTO l'Ote; noÀe:f.l.(otC;, 6W 'A).xbr«<; oJjPXtv.
9. Cf. ainsi le châtiment qu'il infligea aux Argyraspides après la li défaite» d'Eumène (Polyen, IV. 6.15 i Plutarque, Eum., 19. 2). -. Autre déformation analogue, cf. Diodore, XVIII. 40. 4 : après la défection d'un de ses lieutenants, Perdiccas, Eumène mit à mort les hegemânes, mais répartît les simples soldats dans son armée, par philanlhrôpia selon Hiéronymos (Diodore, loc. cil.) : en fait, cela se pabse juste avant la bataille des Champs Orcyniena, pour laquelle Eumène sait qu'il aura besoin de tous ses soldats (cf. Dio-
dore, ibid., 40. 5 eqq.).
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c) Justin, XIV. 3. 8·10; 4. 14 (316).
Cette volonté de revoir l'Europe s'exprime enfin avec une particulière netteté dans les reproches amers que firent les Argyraspides à Eumène, en 316, après que les troupes d'Antigone eurent capturé leur aposkeuè, Justin 1 décrit ainsi la scène: « Ils vont même jusqu'à le [Eumène] huer, parce qu'après tant d'années de service, au moment même où ils retournaient chez eux (redeuntes domum) avec le butin de tant de guerres, à l'instant même de leur libération, ils les a rappelés pour de nouveaux combats et des guerres sans fin, et les a emmenés loin de leurs foyers (a laribus suis) et du seuil même de leur patrie (ab ipso limine patriae), en les trompant par de vaines promesses. A présent même qu'il les voit dépouillés de tous les profits d'une heureuse carrière et qu'ils sont vaincus, il ne leur permet même pas de se reposer dans une vieillesse misérable et dénuée de resacurces. » Ce texte, confirmé par celui de Plutarque', est assez clair pour ne pas demander de longs commentaires. Il est complété cependant par le texte de la réponse d'Eumène qui, désespérant de retourner l'armée en sa faveur, s'écrie à l'adresse des Argyraspides : ce Je vous maudis et vous exècre: puissiez-vous, sans biens, sans patrie iinopes extorresques, passer toute votre existence exilés dans un camp (in hoc castrensi exilio) 8. ) Cette malédiction montre qu'Eumène avait parfaitement compris quelle hantise était celle des Argyraspides. Il est vrai que, l'année précédente, elle avait failli faire échouer ses plans. En 317 en effet, lorsque le Kardien fit sa jonction avec les armées des satrapes orientaux, les Argyraspides s'étaient opposés violemment à ces satrapes, qui entendaient combattre dans leurs territoires; les Argyraspides au contraire, « et tous ceux qui venaient de remonter de la mer (ol T'i}v «7tà 6œÀ&a"'J~ &v&{lœaw ='~fdvo') jugeaient qu'il fallait redescendre vers la mer (t"l ~",.. xGt't't't~(\let\l) 4). Eumène « se rangea à l'avis des satrapes qui venaient de l'intérieur (
1. 2. 3. ft. 5. 6.
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cas n'était pas isolé. On doit souligner enfin que les textes b) et c) révèlent que les diadoques ont dû, dans certaines circonstances au moins, tenir compte de la volonté des Macédoniens de quitter l'Asie. L'exemple des Argyraspides en particulier montre assez clairement que ce n'est qu'avec les plus grandes réserves qu'ils suivirent Eumène dans les satrapies orientales. C'est un élément d'explication qu'il ne faut pas oublier lorsqu'on essaie de comprendre les difficultés insurmontables que rencontra Eumène à se faire obéir. Il est d'autre part un terme qui revient comme un leitmotiv dans tous ces textes j c'est celui de patrie. Il convient de se demander quel était le contenu de ce terme pour les Macédoniens d'Asie séparés depuis si longtemps de la Macédoine: 0:) les textes précédemment cités indiquent tout d'abord que la patrie est conçue, quasi physiquement, comme une réalité spatiale; le retour vers la patrie, c'est le retour vers la «( mer hellénique )1, d'où la volonté des Argyraspides de ne pas s'éloigner des rivages de l'Égée. La situation des Macédoniens, à cet égard Comme à bien d'autres, n'est pas sans rappeler celle des Dix Mille, littéralement perdus 2 et saluant des cris d'enthousiasme que l'on sait la vue de la mer, après leur marche harassante et désespérante à travers l' Anatolie 8. Les Macédoniens sont apparemment tout aussi affolés par l'espace asiatique, surtout après 321. Au temps d'Alexandre en effet et de Philippe Arrhidée, la fonction de grand-prêtre dont était revêtu le basileus était pour eux une garantie de la protection des dieux 4. Une armée sans roi n'est rien, rappelle brutalement Alexandre à ses soldats à Opis 5. Telle est donc la situation des Macédoniens en Asie après le départ des rois. fi leur faut le concours d'un chef pour rentrer dans leur patrie. D'où probablement la facilité qu'eut Léonnatos à emmener en Europe l'armée qui devait marcher contre la Cappadoce 6; d'où peut-être aussi le fait qu'Antigone prêta l'un de ses lieutenants aux trois mille hoplites révoltés pour leur permettre de rentrer en toute sécurité en Macédoine '. Cette référence permanente à la patrie illustre bien en tout cas le désir quasi physique des Macédoniens de retrouver la terre des ancêtres; 13) cette patrie est aussi et en même temps perçue comme une réalité sociale. Les Macédoniens entendent retrouver leurs foyers 8. Beaucoup d'entre eux ont probablement laissé en Macédoine leurs femmes et leurs enfants 9; tous y ont encore des parents. Ce sencertains même avaient dépassé soixante-dix ans; cf. aussi Justin, XI. 6.4-7. - Sur les Argyraspides pendant la conquête d'Alexandre, voir A. Spendel, Untersuchungcn zum Heerwesen der Diadochen, dias. Breslau, 1915, p. 42-45, qui les compare à la « vieille garde » de Napoléon j cf. aussi Tarn, Alexander, II, p. 116-118 et 151-152 (pense que le terme même d'Argyraspides a été forgé par Hiéronymos de Kardia). 1. cr. Plutarque, Bum., 18. 1, il rapprocher de Diodore, XVIII. 7.1. 2. Voir la fréquence des sacrifices il Zeus Sauveur (Anab., 1. 8. 16; III. 2. 9 j IV. 8.25; VI. 5. 25) et à Heeaklèe Conducteur (ibid., IV. 8. 25; VI. 2. 15; VI. 5. 24 sqq.). 3. IV. 7. 23-25. 4. Sur les sacrifices offerts par Alexandre au cours de la campagne {dont plusieurs il Zeu8 Sauveur et il Heraklès], cf. Berve, I, p. 85 sqq. ; sur les fonctions religieuses du roi, cf. supra, p. 59, n, 7. 5. Quinte-Curee, X. 2. 29. 6. Cf. supra, p. 62. 7. Pclyen , IV. 6. 6. 8. Oikeia (Polyen, ibid.); domus (Justin, XIV. 3. 8); lares (ibid., 3. 9.) 9. Justin, XI. 5. 9. - Les Argyraepides , il est vrai, se révoltent à l'idée que leurs femmes et leurs enfants ont été capturés (Justin, XIV. 3. 3. 7; Polyen, IV. 6. 13 j Plutarque, Eum., 18. 1) j mais il peut s'agir de leurs concubines (cf. M. Holleaux, Études III., p. 20) (sur ces Cl unions libres _, cf. par exemple le texte très clair de Justin. XII. 4, passim; voir auasr Arrien, VII. 12. 2, et Diodore, XVII. 110. 3).
nu.,
j
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timent révèle qu'un certain nombre de soldats macédoniens n'entendaient pas faire carrière en Asie. Il serait nécessaire là de faire des distinctions : peut-être entre les jeunes et les vétérans j certainement entre les soldats et les chefs 1 j y) enfin, il me semble que ce terme de patrie recèle également une dimension politique. Il y a, en effet, dans le discours d'Eumène aux Argyraspides, une opposition qu'il convient de souligner entre la patrie et le camp iextorres ... in hoc castren8i e;,:ilio) 2. Pour saisir les implications de cette opposition, il faut tout d'abord comprendre que la conquête d'Alexandre en Asie a transformé de fait l'État macédonien (c'est-à-dire le roi et les Macédoniens) en un « royaume itinérant 'J, qui se déplaçait donc au gré de la progression de la marche d'Alexandre et de l'armée 3. Dans ce contexte tout à fait exceptionnel, l'armée est le substitut du peuple macédonien'. Mais, en 326 puis en 324, les Macédoniens ont clairement manifesté leur volonté de mettre fin à cette situation; ce qu'ils ont refusé à Opis, c'est que ce « royaume itinérant a se fixât pour toujours en Asie 5. Le départ des rois pour l'Europe, en 321, a aggravé le mal pour ces soldats qui se sentent toujours des Macédoniens : la coupure s'est accentuée entre la patrie et le camp (l'armée). C'est dire que, dons le cadre macédonien, l'évolution des rapports entre l'Europe et l'Asie depuis 334, et surtout depuis 321, a abouti à créer ce que l'Archidamos d'Isocrate considérait comme un idéal, à savoir la séparation totale entre la cité (la nation ici) et I'armée s, Le rapprochement peut surprendre, mais je le crois justifié et éclairant, au plan de la nature des rapports qu'il établit entre la cité (la nation), l'espace civique (national), et l'armée civique (nationale). A défaut d'organisation civique, les Macédoniens ont de. institutions traditionnelles (ta patria) " qui régissent en Macédoine leurs rapports avec le roi et auxquels ils sont passionnément attachés: les phalangites l'avaient prouvé avec éclat à Babylone en imposant Philippe Arrhidée contre la volonté de la cavalerie, c'està-dire des nobles 8. L'accentuation de la coupure entre l'Europe et l'Asie ne pouvait au contraire que favoriser les amhitions des grands chefs macédoniens, de même que les propositions d'Isocrate devaient aboutir inéluctablement à rétablissement d'un pouvoir personnel D, en rendant l'armée « indépendante de tout régime organisé 10)) et en la transfor1. Cf. infra. p. 79-80. 2. Voir aussi Justin, XII. 4. 3 (Alexandre permet à ses soldats d'épouser Jeun concubines) : c il espérait qu'ils auraient moins envie de retourner dans leur patrie (in patriam reditus) s'ils trouvaient dans le camp (in castris) une image de leurs lares et de leurs dieux domestiques (imaBinem ... [amm /1C domesticae sediA).• 3. Là-dessus cf. P. Briant, Antigone, p. 328, où comparaison avec la notion de K cité ambulante 1 dégagée par CI. Mossé, R. É. A .• 1963, p. 280 sqq., à propos de Thucydide, VII. 77. 4-5. 4. Sur le caractère exceptionnel de l'Assemblée de l'armée, et normal de l'Assemblée du peuple, cf. P. Briant, ibiâ., p. 327-330. 5. Quinte-Curee, X. 2. 12 : (après le renvoi des vétérans) • les soldats estimèrent qu'Alexandre établirait pour toujours en Asie le siège de son royaume» (trad. H. Bardon) i cf. aussi Justin, XII. 4. 2-6 (Alexandre veut enraciner les Macédoniens en Asie). 6. Cf. Isocrate, Archidamos, 71 sqq., avec l'analyse de Cl. M08sé, Sur un pa88age de l' • Archidamos 1 d'Isocrate, R. É. A., 1953. p. 29-35. 7. Sur cette expression dans Je contexte macédonien, cf. Plutarque, Alex., 47, et Eum' l 6. 2; Arrien, Anab., III. 16. 9 tpotrios nomos) j Quinte-Curee, VI. 10. 23 (Macedonum mores) j - à rapprocher de l'expression theoi patrioi (références aux textes anciens dans Berve, l, p. 87, et F. Hampl, op. eit., p. 17, n. 1). S. Cf. P. Briant, loc. cit., p. 240-252. 9. CI. )fossé, art. cit., p. 34. 10. Isocrate, Arch., 76 (Cl. Mossé, ibid., p. 33-34).
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mant de fait en une armée de meroenaires '. Il est vrai que, pour Isocrate, le but théorique, c'est «la restauration de la cité et le retour des êtres chers )2; mais, de même, pour les diadoques, l'objectif officiellement avoué reste la défense des rois, c'est-à-dire le maintien des ta patria. Mais il ne s'agit plus que d'une fiction commode; le véritable objectif, c'est évidemment l'établissement d'un pouvoir personne] 8, Dans cette mesure, mais dans cette mesure seulement, la coupure subsiste après 321 entre les phalangites et les nobles 4. Les premiers désirent rentrer en Macédoine. Les seconds au contraire entendent pousser jusqu'au bout cette évolution qui aboutira tout naturellement à la naissance d'un nouveau type de monarchie sur le sol asiatique. La position des phalangites, en revanche, est plus ambiguë. S'ils se sentent toujours Macédoniens, le type de guerres dans lesquelles ils se trouvent engagés de gré ou de force les transforme
de plus en plus en mercenaires. S'ils conservent toujours le souvenir aigu de leur patrie, il n'est plus question pour eux de manifester une opposition unanime et résolue, comme à Babylone, aux objectifs personnels des diadoques; il est vrai que la situation, en 321-316, était loin d'être aussi claire qu'à Babylone: les camps n'étaient pas aussi nettement définis. En outre et surtout, ils entendent tirer le maximum de profits de la rivalité des grands, en monnayant leur appui et en faisant sentir son caractère précaire. En même temps, ils espèrent que la fin de la guerre décidée à Triparadeisos leur permettra de rentrer en Macédoine, dans leurs foyers, pour y profiter de leur butin asiatique'. 1. Isocrate, 76.
2. uu., 85 (Cl. Mossé, ibid., p. 32). 3. L'opposition est d'ailleurs plus apparente que réelle: l'application, à Athènes, des principes définis :par Isocrate aurait abouti inéluctablement à la fin des ta patria, tels au moins que les entendait le démoB (cf. CI. Mossé, ibid., p. 34-35). Au surplus, il eat bon de souligner que c'est Hiéronymos de Kardia lui-même qui a établi le premier des comparaisons entre l'armée d'Eumène et une cité démocratique i décrivant l'armée après la jonction avec les armées des satrapes orientaux, il dénonce les agissements de ces satrapes qui font Il de l'armée un foyer de manœuvres électorales pour ou contre les généraux, comme dans les démocraties (ldO"Tt'tp !v TlX!Ç al'}flO)(pŒT(I.X~Ç) » (Plutarque, Eum., 13. 5); Hiéronymos n'a manifestement que mépris pour lea « bavardages démocratiques » (cf. aussi Diodore, XIX. 15. 3); il ne cache pas qu'il préfère de beaucoup le pouvoir d'un seul (of. Plutarque, Eum., 16.1), qu'il juge beaucoup :plus efficace, tout comme Isocrate (par exemple, outre l'Archidamos, voir Philippos, 13-15) ou Démosthène {Amb., 150 sqq.). Hiéronymos de Kardia, qui écrit à la cour de Gonatas (cr. T. S. Brown, Hieronymus 0/ Cardia, A. H. R., 1947, p. 690~691), se situe dans le même courant de pensée qu'un Isocrate (Hiéronymos est né vers 364 : Berve, II, ne 383). 4. F. Sohachermeyr, op. cù., p. 203, voit dans Diodore, XIX. 22. 2-3, l'indice du maintien d'une opposition de classes entre la noblesse et l'infanterie, telle qu'elle s'est manifestée à Babylone en 323 (sur cette opposition, voir aussi P. Briant, loc. cit., p. 330-345) : à Persépolis, en 317, Peukestas dispose l'armée en quatre cercles ooncentriques autour des autels des dieux et de Philippe et d'Alexandre, le cercle le plus étroit étant formé des « stratèges, des hipparques et des Perses les plus .honorée li, le cercle le plus large contenant les meroenairea et les auxiliaires. L'interprétation de F. Schachermeyr ne me paraît pas décisive; la plaoe de chacun dans l'espace ainsi défini exprime surtout un rapport hiérarchique (of. sur ce texte M. Holleaux, Études, III, p. 9-24; H. Bengteon, Strategie, Ill, p. 169·171 ; voir aussi le texte particulièrement signifioatif, Plutarque, Eum., 9. 2) i même si les deux hiérarohies sociale et militaire sont le plus souvent confondues, il est clair qu'ici o'est le deuxième terme qui est mis en évidence (rien ne prouve par exemple que les hegem6nes exô ta:&eôn, les deuteroi hegemônes ou les hipparques, qui composent le deuxième cercle (en partant des autels), aient un statut social inférieur aux gens qui composent le premier cercle). En vérité même, la véritable hiérarchie ne se situe pas par rapport aux grades, mais par rapport aux honneurs (Diodore, 2), c'est-à-dire qu'elle se définit par rapport à Alexandre: la volonté de Peukestas de se relier à Alexandre en reproduisant les dispositions du banquet d'Opta (cf. Arrien, Anab., VII. 11. 8) me paraît évidente i - sur les honneurs (timai; à rapprocher de Plutarque, Eum., 8. 7, supra, p. 52, n. 15) décernés par Alexandre, cf. par exemple Arrien, ibid., VII. 5. 5, Inde, 42. 9, Quinte-Curee, IX. 1. 6 (à de hauts officiers); Arrien, VII. 10. 3 (à de simples soldats). 5. Cf. Justin, XIV. 4. 14 : inopes eatorreeque.
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LR CAS
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d) Conclusion.
Il semble donc apparaître que, dans la mentalité des Macédoniens d'Asie, la notion de patrie est beaucoup plus liée à leur désir de revoir la terre natale et leur famille, qu'à une volonté farouche de ne pas vivre en dehors des institutions traditionnelles et de défendre l'existence de l'État macédonien en Asie. Mais, précisément, en ce domaine, leur réaction n'est pas fondamentalement différente de celle des mercenaires hellénistiques, qui continuèrent, eux aussi, à se rattacher fictivement à leur patrie d'origine, mais dans un rapport beaucoup plus sentimental que jur-idique ê, C'est dire que les Macédoniens d'Asie, en 316, sont sur la voie rapide de devenir des apatrides, tout en conservant (pour certains d'entre eux au moins), l'espoir de revoir leur pays. A cet égard, il est important de souligner que leurs contradictions ne sont pas de leur fait, mais qu'elles révèlent plutôt la contradiction fondamentale du système dans lequel ils vivent et se battent: je veux dire par là qu'en Asie, l'État macédonien est devenu rapidement une fiction. C'est cette contradiction même, en effet, qu'ont développée et utilisée les diadoques, pour asseoir leur pouvoir personnel sans rompre ouvertement (jusqu'en 306) avec la continuité macédonienne 2.
2. -
Les Macédoniens d'Asie et les ordres royaux: la « libération « d'Eumène du siège de Nora (Plutarque, Eum., 12. 2) (319).
Cependant, la multitude des références aux rois dans les paroles et les décisions d'Eumène, telles que les rapporte Hiéronymos de Kardia du moins, peut laisser planer un doute: la force et la permanence de cette propagande « légaliste « signifient-elles que les Macédoniens y sont encore sensibles ou même qu'ils sont prêts à tout sacrifier pour la défense des rois? Il peut paraître oiseux de poser une telle question après les analyses qui pré' cèdent. Si je reviens sur le problème, c'est d'une part qu'il n'est pas interdit de supposer, a priori, que les Macédoniens, tout en perdant la notion d'État, restent attachés sentimentalement à leurs rois; - c'est d'autre part qu'un épisode de la vie d'Eumène semble contredire les conclusions que j'ai cru pouvoir tirer tout à l'heure. Il s'agit de sa « libération « du siège de Nora, en accord avec les Macédoniens assiégeants, dont la tradition hiéronymienne présente la décision comme résultant directement de leur attachement indéfectible à la cause royale, incarnée évidemment dans Eumène. L'importance du problème invite à une analyse serrée des sources anciennes. a) Les textes et interprétations antiques.
En 320, après sa défaite des Champs Orcyniens 3, Eumène, qui avait échoué à rassem1. Là-dessus, voir M. Launey, Recherches, H, p. 675-682, en particulier p. 676 : Il une chose elt aeeurée : en dépit du temps écoulé et de tous les croisements faciaux possibles, le politique de l'ancêtre hellénique se conserve en principe »: - (il en est de même de l'ethnique j,\1akedIJfl, même s'il y a eu des C ulurpationa ., ibiâ., l, p. 290) ; - voir aussi ibid., H, p. 679 : « il [le mercenaire] peut conserver à son politique, outre S8 signification géographique, tout le contenu religieux, sentimental qu'il désire, mais, juridiquement, le fait qu'il est Athénien, Corinthien ou Milésien est dépourvu de signification •. 2. Jusqu'à cette date, certains diadoques n'ont pas abandonné, en principe, l'espoir de s'emparer de la royauté traditionnelle en Macédoine (cf. Léonnatos : Nepos, Eum., 2. 4; Plutarque, Eum., 3. 5; - Perdiccas : Diodore, XVIII. 23. 1-3, 25. 6, 29. 1 ; Justin, XIII, 6. 10-13, etc ... ). 3. Diodore, XVIII. 40. 5-8 i Plutarque, Eum .. 9. 2 j Justin, XIV. 2. 1-2; Nepos, Eum., 5. 3. - Sur cette bataille et la tradition ancienne, voir en dernier lieu R. Engei, Anmerkungen zur Schlacht"on Orkynia, M. H., 28-4 (1971), p. 227-231.
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hler une armée.', s'enferma dans la place forte de Nora, située aux confins de la Lykaonie et de la Cappadoce 2, Antigone vint l'y assiéger et, au cours d'une conversation privée, lui proposa tout d'abord une réconciliation et une entente d'action commune (koinopragia)·. Mais les négociations échouèrent, car Eumène exigeait beaucoup plus : il voulait retrouver les satrapies qui lui avaient été confiées 4, et être lavé de toutes les accusations
qui pesaient sur lui". Antigone décida d'en référer à Antipater, et plaça une garde puissante autour de la forteresse
6.
Les choses restèrent en l'état jusqu'au printemps suivant 7. Au début de 319, Antigone défit Alketas dans son réduit pisidien 8. C'est à son retour vers la Phrygie qu'il apprit d'Aristodémos de Milet la nouvelle de la mort d'Antipater D. Dès lors, sûr de lui, le Borgne fit de nouvelles propositions à Eumène, par l'entremise d'Hiéronymos de Kardia 10 j il offrit à Eumène « d'oublier la guerre qu'il lui avait faite en Cappadoce, de devenir son ami et son allié (philos kai symmachos), d'accepter des présents ... de recevoir une satrapie plus grande et enfin de faire, comme le premier de ses amis, cause commune, pour s'emparer de l'autorité souveraine 11 .>. L'accord devait être sanctionné par un serment. Citons Plutarque 12 : « Antigone proposait une formule de serment à prêter par Eumène. Mais Eumène la corrigea et proposa de soumettre sa formule et celle d'Antigone aux Macédoniens, pour savoir quelle était la plus juste (dikaioteros). Car Antigone, par convenance, faisait au début mention des Rois, après quoi le reste de serment ne s'appliquait qu'à lui. Eumène, au contraire, écrivit en premier lieu dans le serment le nom d'Olympias et des Rois; puis, il jurait de ne pas être dévoué (eù\lCJ~atw) seulement à Antigone, et d'avoir pour amis non seulement ceux d'Antigone, mais ceux d'Olympias et des Rois. Ces stipulations étant manifestement plus justes (dikaioteros), les Macédoniens firent prêter ce serment à Eumène et levèrent le siège. Puis, ils envoyèrent une députation à Antigone, pour lui demander d'échanger le même serment avec Eumène. » Furieux, Antigone ordonna aux Macédoniens de resserrer le blocus, mais il était trop tard: Eumène commençait déjà de lever une nouvelle armée en Cappadoce 1•. 1. Diodore, ibid., 41. 12. Voir P. Briant. R. J!:. A .• 1972, p. 40. 3. Diodore, ibiâ., 41. 6. 4. Ibid.,41. 7 (cf. aussi ieiâ., 4) ; Plutarque, Eum., 10. 3, Le pluriel (Il les satrapies D) indique qu'Eumène n'entend pas récupérer seulement la satrapie de Cappadoce qui lui avait été confiée à Babylone, mais toutes les satrapies (Grande-Phrygie, Petite-Phrygie, Arménie, Lydie, Carie) dont Perdiccas lui avait donné le commandement après le débarquement de Cratère et d'Antipater au début du printemps 321 (Justin, XIII. 6. 14, avec une confusion entre Lydie et Lycie; Nepos, Eum., 3. 2; cf. P. Briant, Antigone le Borgne. p. 192-202). 5. Diodore, XVIII. 41. 6, et Plutarque, Eum., 10, 2-4. - Il s'agit évidemment de la condamnation prononcée par l'Assemblée de l'armée en ~gypte, après la mort de Perdiccas (cf. supra, p. 44, n. 7). 6. Diodore, ibid., 41. 7; Plutarque, ibid;, 11. 1. 7. Cf. Nepos, Eum., 5. 7 (sur la chronologie, voir Vezin, Bumenee, p. 73, n. 2) Î sur la vie à l'intérieur de la forteresse, cf. Plutarque, ibid., 11. 3·5; Diodore, ibid., 42. 3~5 Î Nepos, ibid., 5. 4-6 i Frontin, Strat., IV. 7. 3~ {tous ces comptes rendus proviennent évidemment d'Hiéronymos de Kardial. 8. Diodore, ibid., 44~46; 47. 1·3; Polyen, IV. 6. 7. Sur la bataille, voir en dernier lieu R. Engel, Die Uberlieferung der Schlacht bei Kretopotis, Historia, XXI-3 (1972), p. 501·507. 9. Diodore, ibid., 47. 4; cf. Plutarque, Eum., 12. 1 (très imprécis sur le plan chronologique). 10. Cf. Schmitt, Vertriige, 418. 11. Diodore, ibid., 50. 4; Cf. Plutarque, Eum., 12. 1 (philos kai synergos). 12. Ibid., 12. 2 (trad. B. Latzarus). 13. Ibid.
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A suivre donc Plutarque, la loyauté des soldats macédoniens d'Antigone envers les rois était suffisamment puissante pour que la seule mention des Rois les ait amenés à laisser partir Eumène, sans attendre le serment d'Antigone'; l'épisode implique également que les soldats considéraient le Kardien comme le défenseur naturel de la maison royale. Mais une telle présentation n'est pas convaincante. A cette date, Eumène restait marqué par la condamnation à mort qui le frappait depuis l'été 321'; d'autre part, au début du siège de Nora, les soldats lui avaient manifesté bruyamment leur hostilité a; enfin, jusqu'à l'époque de cette « libération a, tout indique qu'ils ne relâchèrent jamais leur surveillance '. On comprend donc fort mal les raisons de ce brusque changement d'attitude. Selon Plutarque, en effet, Eumène a joué sur deux arguments: 1) il était le défenseur le plus loyal des rois; 2) le texte du serment qu'il proposait était plus juste. Mais si vraiment il suffisait d'avancer une argumentation d'une telle nature pour berner les soldats macédoniens, on peut se demander pourquoi Eumène n'en a pas profité plus tôt? Les récits de Diodore et de Nepos sont beaucoup moins circonstanciés, mais aucun ne confirme complètement celui de Plutarque. Pour le premier, ce n'est qu'au hasard d'un retour en arrière, dont il est coutumier, qu'il en vient à dire quelques mots sur la fin du siège de Nora: (, Antigone ... changea ses plans, invita Eumène à conclure une koinopragia avec lui, et, la proposition ayant été garantie par des serments réciproques, il le libéra du siège 5 »; mais, en l'occurrence, Diodore résume si mal la source hiéronymienne, que son compte rendu en devient presque inutilisable. De son côté, Nepos a écrit: .... il [Eumène] fit semblant de se rendre et, pendant qu'on débattait des conditions, il trompa les lieutenants d'Antigone et se tira de leurs mains, lui et les siens, sans perdre un soldat. ,Ce compte rendu confirme, contrairement à Diodore, qu'Eumène s'est enfui avant la réponse d'Antigone j il ajoute, en outre, que le Kardien a sciemment trompé les soldats de Nora - ce qui n'apparaît nullement dans le récit de Plutarque. Au total, le récit de Plutarque reste le plus détaillé. Mais il vise aussi à faire l'apologie du Kardien. Or, si l'on veut se représenter les choses d'une manière réaliste, il faut admettre qu'avant le printemps-été 319 7 Eumène n'avait pas d'argument propre à agir de façon décisive sur les soldats assiégeants et, en même temps, que le changement d'attitude de ces derniers ne peut s'expliquer que par référence à un fait extérieur que ne mentionnent ni Plutarque, ni Nepos s ni Diodore. Reste Justin qui, lui, met en relation la fin du siège et les nouvelles venues d'Europe. 1. Ainsi F. Granier, Heereeoersammlung, p. ï7·7S; l'auteur juge en effet que l'armée assiégeante e'eet. montrée là d'une fidélité inconditionnelle aux rois, et a refusé d'être un moyen d'action des plan. ambitieux d'Antigone j que, d'autre part, elle s'est substituée au diadoque pour apporter une modification capitale au texte du traité. 2. Cf. supra, p. 44. 3. cr. Plutarque, Bum., 10. 4. 4. Cr. Nepos, Eum., 5. 7. 5. Diodore, ibid., 53. 5. 6. Nepos, loc. cLt. 7. Diodore, ibid., 53. 5, et Nepos, loc. cit. S. Nepos, ibid., insiste surtout sur j'arrivée du printemps j mais cette explication de la déci. ion d'Eumène est évidemment très insuffisante.
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b) Antigone, Eumène et Antipater (Justin, XIV. 2. 4). Justin' écrit, en effet: « Puis, il [Eumène] envoya des ambassadeurs à Antipater, qui semblait seul être égal en forces à Antigone. Antipater lui envoya effectivement des secours (supplices mittit). Quand Antigone apprit que des seeours avaient été envoyés à Eumène (auxilia Eumeni missa), il leva le siège (ab obsidione recessit). , Le texte fait donc une référence explicite à un rapprochement entre Eumène et Antipater à la fin de la vie de ce dernier, et, par voie de conséquence, à une rupture entre Antigone et le stratège d'Europe. Ce texte, on le conçoit, a suscité un nombre considérable de commentaires et d'analyses. Deux auteurs seulement, à ma connaissance, W. Schur et K. Rosen 8, admettent qu'Antipater avait toute raison de se méfier d'Antigone, et que l'appui aeeordé à Eumène lui permettait de créer un contrepoids au Borgne. Les autres commentateurs jugent, avec des nuances, que ce passage de Justin est erroné: soit qu'il provienne d'une source autre qu'Hiéronymos de Kardia 01, soit que Justin ait fait une confusion entre Polyperchon et Antipater', voire même entre Antipater et Arrhidaios de Phrygie hellespontique ", soit plus simplement que le passage soit à rejeter purement et simplement sans examen approfondi '. Mais ces argumentations ne me paraissent pas décisives. Le début (envoi d'une ambassade) et la fin de l'épisode (levée du siège; impossibilité pour Eumène de lever une armée en Cappadoce après sa « libération ») sont confirmés, en des termes très proches, par le récit de Diodore 8 : Ces rapprochements contredisent formellement la thèse des sources différentes •. n arrive à Justin, il est vrai, de faire des erreurs de noms 10. n est vrai aussi que cet auteur résume trop souvent avec une coupable négligence l'œuvre de Trogue-Pompée j ici, par exemple, il faut évidemment prendre le terme auxilia dans un sens très large. Mais cette critique externe ne suffit pas à enlever toute créance au passage considéré, pas avant, ê
1. XIV. 2. 4. 2. Das Ale:eanderreich nach Alwander, Rh. M., 83 (1934), p. 151·152 (Antipater fournit à Eumène une assistance plus que morale). 3. Die Bandnisformen cler Diadochen und der Zerfall de8 Alwanderreiches, A. Class., X (1968), p. 199, qui, sans Be référer à Justin (!J, juge que l'ambassade envoyée par Eumène réussît apparemment, car Anti· pater désirait certainement un contrepoids à Antigone en Asie. 4. Ainsi 1\1. J. Fontana, Le lotte... (op. cë.}, p. 293-294. 5. Droysen, Histoire de l'hellénisme, II, p. 178, n. 1 (pense que le a quo se rapporte à Polypercho.n) ; D. Kanatsulis, Antipatros als Feldherr und Stoaum uuv nach dem Tode Ale:canders des Grossen, Makedontka, 8 (1968), p. 179, n. 3 (tout en admettant cependant que devant l'ambition croissante d'Antigone, Antipater en vint à une bonne intelligence avec Eumène, qu'il soutint moralement, mais sans rompre avec Antigone) ; voit aussi Vezin, Eumenee, p. 75, n. 2; II. Kallenberg, Die Quellen far die Nachrichten der aUen nistoriker aber die Diadochenkiimpf bis zum TOM des Eumenes und des Olympias, Philologus, 36 ("1877), p. 642. 6. Cr. Diodore, ibid., 52. 4 : Arrhidaioa, révolté contre Antigone, envoie une armée, avec mission de joindre Eumène, de lever le siège de la place de Nora et de conclure une alliance avec Eumène (symmachos) ; voir en ce sens H. Kallenberg, loc. eit., et Vezin, Eumenes, p. 75, n . 2. - Cet épisode se place entre l'ouverture des négociations engagées entre Antigone et Eumène (après la mort d'Antipater) et la fuite d'Eumène
(Diodore, ibiâ., 50. 4 et 53. 5). 7. Cr. H. Bengtson, Strategie, pa, p. 105, n. 2, suivi par R. IL Simpson, Abbreyiation of Hieronymus in Diodorus, A. J. Ph., 80 (1959), p. 372; n. 8. 8. Ibid., 42. 1 (envoi d'une ambassade conduite par Hiéronymos de Kardia), 53. 5 (levée du siège: tijç 1TOÀ~Op)((œç œmÀuat i cf. ab obeidione recessit), 59. 1 let Plutarque, Eum., 12. 3). 9. Cf. H. Kallenberg, lac. eit. 10. Voir XIII. 8. 5 : Polyperchon à la place de Cratère.
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en tout cas, de voir si la thèse de la rupture entre Antipater et Antigone est logique ou si elle est inexplicable. On a pu remarquer", à cet égard, qu'Antipater haïssait Eumène', alors qu'il était lié d'une vieille amitié avec le Borgne t. Mais c'est oublier qu'un homme d'État de la valeur d'Antipater savait passer par-dessus ses préférences personnelles", Il ne faut pas non plus accorder trop d'importance à la confiance manifestée par le stratège d'Europe à Antigone lors des conférences de Triparadeisos : en vérité, dès cette date, Anti· pater avait parfaitement conscience du danger que pouvait représenter l'ambition personnelled'Antigone Il ne me parait donc pas incroyable qu'Antipater ait voulu, à la fin .de sa vie, redresser la situation en Asie, s'il a été informé de ce qu'y tramait Antigone - de la même façon qu'en Europe il prit les mesures propres, pensait-il, à réfréner l'ardeur juvénile et l'ambition personnelle de son ms Cassandre, en donnant le pouvoir à Polyperchon ". C'est là précisément que nous retrouvons l'un des protagonistes, Hiéronymos de Kardia, qui est d'une rare discrétion sur son rôle, sauf pour s'octroyer des brevets de vertu et de loyauté '. Or c'est lui qui a joué le rôle d'intermédiaire entre Eumène et Antipater. Après . avoir repoussé en effet les premières offres d'Antigone au début du siège, Eumène avait envoyé son compatriote à la tête d'une ambassade en Europe s, Hiéronymos était donc arrivé près d'Antipater à peu près en même temps que l'ambassade qu'Antigone avait envoyée de son côté, pour demander l'avis du stratège d'Europe sur les exigences d'Eumène ê. Quelle était la mission confiée à Hiéronymos? Selon Diodore 10, il était chargé de discuter les termes de la reddition ". Justin, on l'a vu, apporte une précision sur les buts réels de l'ambassade du Kardien : demander des secours à Antipater, ce qui veut dire qu'Eumène avait chargé Hiéronymos de retourner Antipater en sa faveur, et donc de le pousser contre Antigone. Je ne vois aucune raison de suspecter ce témoignage: au contraire, ce qui serait étonnant, c'est que le Kardien n'ait pas tenté cette manœuvre, au moment même où Anti.. gone tentait de cacher encore à Antipater ses véritables buts 12. D'ailleurs Diodore IS, aussitôt après avoir mentionné le départ de l'ambassade conduite par Hiéronymos, précise qu'Euê.
1. Ainsi R. H. Simpson, Zoe. cit. 2. Plutarque, Eum., 3. 5. 3. Diodore, XVIII. 23. 3 (non cité par Simpson). 4. Sur la valeur d'Antipater, cf. sa réputation après Ba mort (Diodore, XIX. 59. 5). - Sur son sent politique, cf. Arrien, Suce., F 9. 26, Plutarque, Eum., 5. 4 : conjointement avec Cratère, il fait des offres mirifiques à Eumène, au début du printemps 321, pour l'inciter à quitter Je camp de Perdiccu. Il ne faut pas se faire trop d'illusion sur le mot philia, qui est à la fois une union personnelle et une relation diplomatique, l'existence de la première n'empêchant pas la détérioration de la seconde (cf. l'exomple d'Antigone et d'Eumène: Diodore, XVIII. 41. 7, Plutarque, Eum., 10. 3; Justin, XIV. 4. 21). 5. Diodore, XVIII, 39. 7 (Antipater place son fils Cassandre près d'Antigone pour surveiller les manifestations d'idiopragia du second). 6. Diodore, ibid., 48. 4 : Polyperchon, presque le plus vieux des anciens combattants de la campagne d'Alexandre, fut nommé épimélète des rois et BtratAgoB autokratdr (cf. Bengtson, op. cit., p. 82-87). 7. Diodore, ibid., 50. 4. 8. Ibid., 42.1 (mentionne que l'ambassade d'Eumène est partie plus tardivement que celle d'Antigone). 9. tu«, 41. 7. 10. lbiâ., 42. 1 : mpt T(;)V 6fLO).,0Y'(;)v. 11. Contra R. Schubert, Die QueUen Plutarchs in dem Lebenschreibungen du EU11UJMI, De11UJuio, und Pyrrhos, J. KI. Ph. Supp., 9 (1877-1878), p. 813-819, en particulier p. 814 (mai. Schubert ne cite nulle part le texte de Justin). 12. Diodore, ibid., 41. 5. 13. nu; 42. 2.
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mène espérait bien que le sort lui sourirait à nouveau, et il rapporte, en style indirect, les arguments qui se présentaient à l'esprit du diadoque: (, Il voyait d'une part que les rois macédoniens ne constituaient qu'une apparence vide de la royauté, et d'autre part que de nombreux hommes ambitieux se succédaient à l'hëgémonia, et que chacun d'eux entendait agir dans son propre intérêt {idiopragein}. Il espérait donc, ce qui en fait arriva, que beaucoup auraient besoin de lui, à cause de son intelligence et de son expérience militaire, et même à cause de son extraordinaire fidélité à la parole donnée. 1) Or, à travers Diodore, c'est Hiéronymos qui écrit ici. Étant donné la place de ces phrases dans le récit de Diodore - après la mention du départ de l'ambassade d'IIiéronymos -- il me paraît probable que ces arguments sont précisément ceux-là mêmes qu'Eumène avait demandés à son compatriote de développer devant Antipater. Les dénonciations contre Antigone prenaient un relief d'autant plus grand que les offres de koinopragia que le Borgne avait faites à Eumène au début du siège dépassaient assez largement la mission qu'Antipater lui avait confiée à Triparadeisos 1, et qu'elles rendaient dès lors crédibles les dénonciations relatives à son objectif à long terme de rompre avec Antipater. Aucun autre texte que celui de Justin ne donne de précisions sur la fin de l'ambassade d'Hiéronymos : cela n'est pas une raison pour affirmer qu'elle demeura sans effet! On sait qu'Hiéronymos est rentré en Asie au moins dans le courant du printemps 319, puisqu'à cette date Antigone l'utilisa comme intermédiaire avec Eumène 2, Il est donc justifié de penser qu'avant cette date, Hiéronymos a ramené à Eumène d'excellentes nouvelles d'Europe : à savoir qu'il avait gagné l'appui d'Antipater, et même, sans doute, que la mort du stratège d'Europe ne changerait rien à l'attitude du gouvernement royal à l'égard d'Antigone 3. On conçoit dès lors qu'avant même de recevoir la lettre de Polvperchon et des Rois (voir ci-dessous), Eumène n'a pas hésité à parler haut à Antigone, et à refuser à nouveau ses offres de coopération.
c) Les soldats de Nora, Olympias et l'Europe. Mais si le contenu des nouvelles venues d'Europe permet de comprendre la hâte mise par Eumène à quitter Nora, il ne me paraît pas susceptible d'expliquer, à lui seul, le changement brutal de l'attitude des soldats macédoniens d'Antigone. Selon Plutarque, en effet, ce sont les modifications apportées par le Kardien au texte du serment qui amenèrent les 1. Tout en faisant mine de prendre l'avis d'Antipater (ibid., 41. 7). 2. Ibid., 50. 4, et Plutarque, Eum., 12. 1. Cela se place immédiatement après la campagne de Pisidie qui a été très courte (Diodore, ibid., f!4-47) , et qui a commencé juste après la levée Ùf'S qum-tiers d'hiver. - M, J, Fontana (LQUe, p. 187) date la mort d'Antipater de la fin de l'été 31H, et (ibid" p, ~OO) fa fln du siège de Nora de l'été 318, Mais cette chronologie est. fondée sur les reconatructions de E. 'Ianni qui a de té de mai 320 la mort de Perdiccas (R. A. L., sel', VIll, vol. IV, faso. 1-2 (19!!9), p. 5:l-jï, el Dcmen io Poliorcele (1952), p. 70-78, suivi récemment sur ce point par R?lL Errington , J. lI. 5., '19ïO, p. ï:l-ïï), alors qu'à mon avis la date de mai 321 doit être conservée (cf, mon Antigone, P: 216-228, en particulier p. :!16-~::!O), Au surplus. il ne s'est certainement pas écoulé un an entre la mort d'Antipater - connue par Antigone au retour de sa campagne de Pisidie au printemps 319 (Diodoj-e , XVIII. ft 7 , 4) - et la fllilp d'Eumène dn ;";01'3.. dont le siège se termine à la belle saison 319 [cf. surtout Nepos, Eum., 5, 7), quelques semaines seulement donc après la mort d'Antipater. 3. Polyperchon était considéré depuis longtemps COmme un homme de confiance; en :l:H, il avait gouverné la Macédoine et l'Europe en l'absence d'Antipater (Diodore, ibid" ;}8, 6); sa nomination par Antipater, qui était malade depuis quelque temps déjà (ibid" 48.1}, révélait la volonté d'Antiputer de voir sa politique se poursuivre (ibid" 4·5).
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soldats à prendre leur nouvelle position. Le texte modifié du serment devrait donc, pour le moins, contenir une allusion à la nouvelle situation. Or, il n'en est rien. Le Kardien a ajouté en effet le nom d'Olympias; or, si quelqu'un devait figurer auprès des rois, c'était Polyperchon, successeur d'Antipater dans les fonctions de Régent, et non pas Olympias qui, à cette date, était toujours en exil en Épire.'. La solution de ce problème passe par l'examen des rapports établis entre le Kardien et Polyperchon d'une part, et Olympias de l'autre. Selon les auteurs qui suivent la tradition hiéronymienne, Eumène, dès après sa fuite de Nora 2, reçut deux lettres, l'une de Pol yperchon (et des Rois), l'autre d'Olympias précisément. Mais ces correspondances ne sont pas sans poser de nombreux points d'interrogation
0:) Lettre(s) Poiqperchon-Eumène. Diodore parle à deux reprises d'une lettre envoyée par Polyperchon à Eumène : en XVIII. 57. 3-4 et en XVIII. 58. 1. Ce deuxième passage confirme le texte de Plutarque 3, à savoir que le Régent et les rois lui ordonnaient de faire la guerre contre Antigone et, pour cela, lui permettaient de puiser dans le trésor de Kyinda et de prendre le commandement des Argyraspides qui, par ailleurs, étaient prévenus de ces mesures par des lettres spéciales 4. Tout cela est parfaitement crédible. Ce qui l'est moins, c'est le contenu de la lettre tel qu'il apparaît dans le premier passage de Diodore (XVIII. 57. 3-4). En effet, dans cette lettre écrite au nom des rois, Polyperchon engageait Eumène «( à ne point cesser les hostilités contre Antigone, à embrasser tout à fait le parti des rois, soit qu'il voulût revenir en Macédoine, où il partagerait avec lui, Polyperchon, la tutelle des rois, soit qu'il préférât rester en Asie, où il recevrait des troupes et l'argent nécessaire pour combattre Antigone qui s'était ouvertement révolté ... Enfin, il terminait sa lettre en disant que si Eumène avait besoin d'une plus grande armée, lui, Polyperchon, quitterait la Macédoine avec les rois et viendrait le rejoindre à la tête de toutes les troupes royales 5. )} Si quelques mots de ce texte «< troupes et argent nécessaires pour combattre Antigone ... )) constituent une claire allusion aux ordres royaux officiels donnés à Eumène, relatifs aux Argyraspides et à Kyinda, il n'en est pas de même du reste du passage qui est en contradiction formelle avec la lettre de Polyperchon, telle qu'elle apparaît à la suite dans Diodore XVIII. 58. 1. Admettrait-on, contrairement à la présentation de Diodoee s, l'existence de deux lettres différentes 7, que cela ne résoudrait pas le problème j d'une part en effet, le contenu de la lettre 57. 3-4 est incompréhensible: comment admettre que Polyperchon ait offert à Eumène le choix de la décision et lui ait permis de rentrer en Macédoine, qui plus est pour y partager la tutelle? Pourquoi Polyperchon presse-t-il Eumène de ne pas cesser l'hostilité avec Antigone, à un moment où le Kardien avait précisément montré qu'il n'entendait nullement faire la paix avec le Borgne? - D'autre part, s'il y 1. Gf. Diodore, ibid., 49. 4. 2. Plutarque, Eum., 13. 1 j cf. Diodore, ibiâ., 58.1. 3. Ibid. 4. Plutarque, Eum., 13. 2; Diodore, ibid., 58. 1. 5. Trad. F. Hoefer. 6. Ibid., 1 : relie le texte de la lettre II (reçue par Eumène en Asie) à celui de la lettre 1 (envoyée par Polyperchon d'Europe). 7. Voir K. Rosen, Political documents in Hieronymus 0/ Cardia, A. CltU8., X (1967), p. 69-70.
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avait deux lettres, la première (XVIII. 57. 3-4) serait parvenue au Kardien apant son départ de Nora: mais aucun auteur ancien n'en parle; de plus, une telle hypothèse est inacceptable sur le plan chronologique. On doit conclure qu'autour de quelques indications véridiques, la lettre de Polyperchon transmise par Diodore XVIII. 57. 3-4 n'est pas authentique. Telle était déjà la conclusion qu'avait développée R. Schubert il y a près d'un siècle' : partant de certains das arguments que je viens de présenter, il jugeait en effet que cette lettre était un faux, fabriqué par Eumène et Hiéronymos, pour peser sur la décision des Macédoniens assiégeants, en leur faisant espérer en particulier la proximité du retour en Macédoine. Bien que cette hypothèse n'ait rencontré aucun écho, elle me parait fondée. ~) Lettre Olympias-Eumène. Quant à la lettre d'Olympias à Eumène, dont parlent Diodore', Plutarque s et Nepos', elle parait encore plus incompréhensible. La vieille reine, tout d'abord, y affirmait qu'Eumène était le seul chef sur la loyauté duquel la maison royale pouvait compter - affirmation déjà complaisamment étalée dans la fausse lettre de Polyperchon ê, D'autre part, Olympias posait au Kardien la question de savoir s'il était préférable pour elle de rentrer en Macédoine ou de rester en Épire 6; enfin, selon Plutarque', « Olympias l'engageait à venir prendre le jeune enfant d'Alexandre et de l'élever, car la vie de ce pauvre petit était menacée .); selon C. Nepos s, le Kardien « devait le plus tôt possible mettre sur pied les armées qu'il amènerait à son aide ». Ajoutons, pour être complet, que, selon un passage ultérieur de Diodore', Olympias, comme Polyperchon, avait par ailleurs écrit aux Argyraspides pour leur donner l'ordre de se ranger à l'autorité d'Eumène 10, M. J. Fontana" a déjà noté que cette lettre d'Olympias était difficilement explicable. Pourquoi, en effet, demander conseil sur son retour en Macédoine? La mère d'Alexandre avait déjà montré qu'elle savait faire preuve d'esprit de décision. Pourquoi poser une telle question à Eumène? Pourquoi lui demander de venir défendre le jeune Alexandre, qui était sous la garde de sa mère Roxane, et qui n'était donc menacé en rien par Polyperchon? A ces réflexions de l'érudite italienne, qui d'ailleurs ne conteste pas la réalité de la lettre, j'en ajouterai d'autres. Sur le plan chronologique tout d'abord, l'affaire est rien moins que claire". Selon Plutarque '8 et Diodore ", en effet, Eumène a reçu les lettres d'Olym-
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
Art. cù., p. 817-819 (mon accord avec J'article de Schubert porte uniquement sur ce point). Ibid., 5B. 2-4 (et 5 pour la réponse d'Eumène). Eum .• 13. 1. Eum., 6, passim (y compris la réponse d'Eumène). Diodore, ibiâ., 57. 4. Ibiâ., 58. 2-3: Nepos, Eum., 6. 1. Loc. cit, Ibiâ., 6. '•. 9. tu«, 62. 1. 10. A relier sans doute à Nepos, Eum., 6. 4-: Il •• , car elle avait envoyé à tous les gouverneurs (praefecti) restés fidèles une lettre leur ordonnant de lui [Eumène] obéir et de suivre ses directions Il. 11. Lotte. p. 205. 12. Les multiples retours en arrière de Diodore, ses doublets, ne sont pas faits pour faciliter l'établissement de la chronologie (cf. les justes remarques de M. J. Fontana, ibid., p. 197, n. 481. 13. Eum., 13. 1. H. tu«, 58. 2.
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pias et de Polyperchon en même temps, ce qui implique qu'elles sont parties d'Europe en même temps également.". Or les termes de la question qu'Olympias pose à Eumène - doitelle ou non rentrer en Macédoine? - supposent qu'elle a déjà reçu les propositions de retour que lui adressa Polyperchon ê, ce qui est impossible, car la requête du nouveau régent est postérieure à la fuite de Cassandre s. Si Eumène a reçu une lettre d'Olympias, ce ne peut être qu'à une date beaucoup plus tardive que le départ de Nora. D'autre part, les ordres donnés par Olympias à Eumène s'expliquent mal. Ils sont en contradiction avec les ordres de Polyperchon : celui-ci lui ordonnait de reprendre la guerre en Asie, celle-là de rentrer en Europe. En revanche, il y a des rapprochements frappants et troublants avec la lettre (ausse de Polyperchon. Les deux « documents ~ concordent parfaitement sur deux points: - Eumène est le défenseur privilégié de la famille royale; - Olympias lui demande de rentrer aoec l'armée en Ivlacédoine ; Polyperchon lui en laisse la possibilité. On ne peut donc manquer de constater combien cette lettre d'Olympias et la lettre (XVIII. 57. 3-4) de Polyperchon répondaient étroitement aux objectifs du Kardien ovan: son départ de Nora. Or, comme j'ai essayé de le montrer, cette lettre d'Olympias est inexplicable à la date et dans les termes que nous présente la tradition. D'autre part, il est difficile de recourir à l'hypothèse d'une commune erreur de Plutarque, Diodore et de Nepos, sana admettre préalablement une erreur chronologique ou une déformation pure et simple d'Hiéronymos de Kardia, leur commun inspirateur'. Comme celui-ci était sur place lors de cette affaire, il me parait plus justifié de conclure que la lettre d'Olympias, comme la lettre de Polyperchon XVIII. 57. 3-4, est un (aux, fabriqué par Hiéronymos et Eumène pour faire basculer l'armée assiégeante de leur côté. Cette conclusion, qui rejoint celle de R. Schubert sur la lettre de Polyperchon, ne constitue pas une échappatoire commode. Elle est en accord avec une pratique courante de l'Antiquité, de l'époque hellénistique en particulier, où les fausses lettres ont fleuri après la mort d'Alexandre 5. Comme l'a écrit fort justement L. Pearson, (( c'est une routine normale que d'être sceptique au sujet de lettres attribuées à des personnages historiques .... 1. Cf. d'ailleurs Plutarque, loc. cù. : « on lui envoya des lettres de la part des gens de Macédoine qui craignaient l'avènement d'Antigone. Olympias l'engageait ... Polyperchon et lei Rois lui ordonnaient ... » 2. Diodore, ibiâ., 57. 2 (cf. aussi 48. 4 : anticipation). 3. Départ de Cassandre: ibiâ., 54. 3-4; cette lettre A Eumène serait une réplique A l'alliance entre Cassandre et Antigone, selon K. Rosen, art. cù., A. CIM8., X (1967), p. 69. 4. Cf. ainsi H. Kallenberg, art. eë., PhilologU8, 1877, p. 646-648, qui relève plusieurs 1 confusions » des auteurs anciens: entre le contenu de la lettre de Polyperchon à Olympias [Diodore, ibid., 49. 4 et 57. 2) et celui de la lettre d'Olympias à Eumène (Plutarque, Eum., 13. 1), ou entre les ordres donnés par Polyperchcn à Eumène (Diodore, iblâ., 58. 1) et les ordres d'Olympias (Nepos, Eum., 6. 3-4). Il semble plutôt que ces contradictions proviennent d'Hiéronymos de Kardia qui, en écrivant ses Histoires plusieurs décennies après ces événements, a inclus « maladroitement» toutes ces lettree, y compris lee Iaueaee, dans le cours de son récit(selon un autre texte hiéronymien, Heiâ. Bpu., F. Gr. H., 155. F. 3 (2), Eumène reçut également une lettre de Roxane). Les contradictions entre les sources secondaires révèlent, me semble-t-il. les contradictions internes de la source primaire, c'est-A-dire Hiéronymos. 5. Sur les lettres incluses dans l'Alexandre de Plutarque, cr. W. W. Tarn, Alexander. II, p. 300 sqq. SUl'la propagande après la mort d'Alexandre, cf. en dernier lieu A. B. Bosworth, The ,kath Dt Alezarnkr the Great: rumour and propaganda, C. Q., n, S., XXI·1 (1971), p. 112·136. 6. The diary and the teuere of Alexander the Great, Historia, III (1954). p. 444 (~ G. T. Griffith (ed.), AIe3lander the Great (1966), p. 16).
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En général, c'est un principe plus sûr de supposer qu'une lettre qui est en contradiction avec les historiens n'est probablement pas authentique? 1). Tel est le cas ici. On sait par ailleurs qu'Eumène a recouru sans scrupule à ce procédé. Lorsqu'en 321 des lettres d'Antigone circulèrent dans son camp à Kelainai, le Kardien affirma à ses soldats réunis qu' « il avait lui-même supposé ces lettres pour éprouver leurs sentiments 2 », preuve du caractère courant de ces falsifications. Plus significatif encore : en 317, pour lutter contre l'influence croissante de Peukestas sur la troupe, Eumène «( ..• eut recours à des lettres supposées. Ces lettres avaient pour objet de rendre les soldats' plus disposés au combat, d'apaiser l'orgueil de Peukestas et d'élever Eumène au-dessus de ses rivaux. Le sens de ces lettres était qu'Olympias, après avoir fait périr Cassandre, s'était saisi du fils d'Alexandre et régnait en maîtresse absolue sur la Macédoine ... Eumène fit circuler la lettre dans tout le camp, et montrer aux chefs, ainsi qu'à un très grand nombre de soldats. Toute l'armée changea de sentiments ('t'o 8è O'TPOCT67tc8ov &7tIXV (.U't'e't'é6l') 't'a.tç 8L(1vota,ç)· ... » Le changement d'état d'esprit des soldats de Nora s'explique, à mon avis, d'une façon analogue. Le prestige de la vieille reine, d'une part, était certainement considérable auprès des Macédoniens 4; elle représentait, beaucoup mieux que Roxane, la continuité de la dynastie argéade 6 : la teneur de la fausse lettre de 317 montre à l'évidence qu'Eumène avait parfaitement compris que la protection d'Olympias était pour lui un argument de poids auprès des soldats macédoniens; - en outre, à Nora même en 319, si l'on admet que la lettre d'Olympias est un faux, la présence du nom de la reine sur la formule de serment proposé par Eumène, signifiait autre chose, puisqu'elle demandait à Eumène de revenir en Macédoine avec l'armée. Ce fut là, je crois, l'argument qui convainquit les Macédoniens. On comprend dès lors le sens des modifications proposées par Eumène au texte du serment, et leur acceptation par les soldats macédoniens d'Antigone. Le nouveau texte leur garantissait en effet de rentrer en Macédoine à brève échéance, car il signifiait une réconciliation générale entre Olympias, Eumène et Antigone, c'est-à-dire la fin de la guerre décidée à Triparadeisos contre Eumène et les autres chefs perdiccaniens. En s'effaçant habilement derrière Olympias, le Kardien laissait croire aux soldats qu'après l'échange des serments, il les ramènerait dans leur patrie. C'est donc en utilisant cette ruse assez cynique qu'Eumène a réussi à endormir la vigilance de ceux qui devaient le garder 6.
d) Conclusion. Cet épisode confirme donc la conclusion que l'analyse précédente avait dégagée 7 : il n'est pas possible de séparer, dans les désirs de retour des soldats macédoniens d'Asie, 1. Ibid.• p. H6 f= Griffith. p. 18] (souligné par l'auteur). 2. Justin, XIV. 1. 11 ; cf. ibid., 13 : « il sut ainsi, pour le présent, retenir dans le devoir les espr-its chancelants et, pour l'avenir, prendre ses précautions, pour que, si le cas se renouvelait, ses soldats crussent, non pas que l'ennemi voulait les corrompre, mais que leur général les mettait à l'épreuve ». 3. Diodore, XIX, 23. 1~3 (trad. F. Hoefer). 4. Ibiâ., 11. 2·3; 51. 3·5. 5. Cf. M. J. Fontana, Lotte, p. 206. 6. Cf. Nepos, Eum., 5. 7 : «il fit semblant de se rendre (simulata deditione) et, pendant qu'on discutait des conditions, il trompa les lieutenants d'Antigone tproeieais Aruigoni imperuit) ». 7. Cf. 8upra, p. 69.
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leur volonté de défendre les Rois et la dynastie, et leur souhait de revoir la terre de leurs ancêtres et leurs foyers. L'appel à leur loyauté dynastique n'était pas déterminant à lui seul; il ne pouvait l'être que dans la mesure où il allait de pair avec la certitude de retourner en Europe. Ces événements de Nora montrent également que les initiatives des soldats macédoniens d'Asie ont pesé parfois d'un poids non négligeable dans l'histoire des diadoques; ils prouvent enfin, s'il en était besoin, qu'Eumène de Kardia ne fut pas le seul à souffrir des «( trahisons l) des soldats.
IV. -
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
1. L'analyse de la période 323-316 montre donc assez clairement qu'Hiéronymos de Kardia n'a pas hésité, à plusieurs reprises, à déformer volontairement certains faits pour rendre plus crédible la peinture qu'il voulait faire de son ami Eumène: soit en participant lui-même, comme à Nora, à l'élaboration de faux documents; - soit, lors de la rédaction, en interprétant la carrière d'Eumène de manière à en faire une victime de la fatalité, de la mauvaise foi des autres diadoques (Antigone en particulier), et de la trahison des soldats macédoniens (surtout les Argyraspides). En vérité, ni ses origines grecques, ni sa loyauté envers les rois ne constituent une explication satisfaisante de la carrière du Kardien 1. Dans les années qui suivirent la mort d'Alexandre, les diadoques cherchèrent tous à faire progresser leurs ambitions personnelles. Seuls les moyens ont différé: la plupart choisirent, brutalement ou peu à peu, de s'affirmer en dehors ou contre les cadres unitaires; d'autres, Perdiccas le premier, ont cherché au contraire à prendre la tête du mouvement de «( restauration impériale )). De même Eumène: en 322, le départ pour l'Europe de l'armée qui devait (, pacifier .) la Cappadoce, le força à revenir demander aide et protection à Perdiccas 2; en 320-319, enfermé dans Nora, le Kardien, on l'a vu, se trouva placé devant la même alternative; s'il choisit d'obéir à Pol yperchon, ce fut bien avant tout par intérêt personnel. Son tort fut de surévaluer l'audience des Rois en Asie, et d'échouer là où réussirent ses principaux compétiteurs. S'il échoua, c'est aussi qu'à partir de 319-318, il eut sous ses ordres les Macédoniens les plus rétifs (les Argyraspides)·, et qu'il dut combattre, loin de ses bases, avec des satrapes dont le seul objectif était de conserver intacte leur principauté personnelle 4. 2. Mais, ce qui fait l'intérêt essentiel de cette première période des diadoques, c'est l'étude du passage d'une institution d'État à une autre, de la royauté macédonienne « classique ') à la royauté hellénistique, qui naît en 306 lors de la proclamation royale d'Antigone le Borgne 0. Or l'enquête précédente sur la naissance et la vie des armées des diadoques L Cette conclusion ne fait que confirmer et parfois préciser sur certains pointa celle de H. D. Weatloke,
Eumenee, passim. - Sur un aspect particulier, voir Ch. Picard, Les trophées romaine (B. E. F. A. R., H5ï), Paris (1957), p. 66~68, qui démontre le caractère erronné de la thèse avancée par A. Reinach, Trophées macédoniens, R. É. G., 26 (1913), p. 372, n, 3, selon laquelle Eumène, en tant que Grec, aurait été le seul des diadoques à élever des trophées. 2. Plutarque, Eum., 3. 5·6. 3. Voir supra, p. 57. 4. p. 65. 5. Sur les modalités de la proclamation royale d'Antigone, voir P. Briant, Antigone, p. 303-310.
iu«,
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peut aider, je crois, à la compréhension de ce phénomène. Cette période est, en effet, dominée par le fait de la guerre; c'est au sein de cet univers militaire qu'il convient de chercher les étapes de l'évolution des institutions. Or, cette évolution, en Asie, Be caractérise par un double mouvement de désintégration du nomos macédonien et de surgissement parallèle d'une nouvelle idéologie monarchique. En 334, avec Alexandre et l'armée macédonienne, c'est tout l'~tat macédonien qui est passé en Asie'. C'est dire que, de facto, l'État macédonien est devenu un État militaire, un roi et un peuple en armes (au sens strict du terme), ce qu'il n'était pas auparavant 2. Cette situation paradoxale ne devait pas se perpétuer en principe: en 321, les rois regagnèrent l'Europe avec Antipater, renouant ainsi avec le cours d'une histoire que la conquête d'Alexandre avait fait dévier hors de l' « espace national» a. Mais cette « restauration nationale )'. voulue et entreprise par Antipater 4, était à la fois tardive et incomplète. De 323 à 321, des armées personnelles s'étaient déjà créées', et la mort de Perdiccas ne pouvait que favoriser l'idiopragia des chefs macédoniens. En outre, des milliers de Macédoniens restèrent en Asie, pour lutter en principe contre Eumène et les autres chefs perdiccaniens. En fait, ces affrontements facilitèrent la survie et même le développement des structures militaires nées de la conquête. Elle. furent récupérées et utilisées par les anciens lieutenants d'Alexandre, qui voulurent en faire les instruments de leur puissance personnelle, en faisant appel indistinctement à des Orientaux, à des Macédoniens et à des mercenaires. En changeant de chef - d'Alexandre aux diadoques - ces armées ne sont pas restées des armées ({ macédoniennes» (au sens juridique du terme), contrairement à l'idée développée par F. Granier tout au long de son ouvrage sur «( l'Assemblée de l'armée macédonienne 6». Comme j'ai essayé de le montrer, le pouvoir des diadoques sur leurs troupes est d'une nature différente de celui du roi macédonien (Alexandre) : il ne s'agit plus d'une armée nationale, mais d'armées de mercenaires; le principe d'unité n'en est plus l'attachement aux ta patria et à la dynastie, mais la " dévotion à un chef personnel; le serment qui lie les soldats à ce chef est prêté à un individu, et non pas à une fonction, que ce chef fasse sécession ou qu'il soit revêtu de la charge de stratège par le gouvernement royal. Parallèlement se crée une idéologie du chef, bien différente de l'idéologie monarchique macédonienne. Le chef devient avant tout un chef d'armée, qui est lié personnellement aux soldats qu'il a levés lui-même, et dont la puissance et le prestige dépendent de la Victoire. C'est autour de S8 seule personne que naissent peu à peu de nouvelles structures étatiques (armée; cour; hiérarchie; diplomatie, etc ... ), qui relaient puis remplacent l'ancien État macédonien moribond en Asie. C'est en ce sens que l'on peut considérer que la prise du titre de roi par Antigone le Borgne constitue une date charnière: elle est bien évidemment
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1. Voir déjà supra, p. 67. 2. Sur ce point contesté, of. P. Briant, ibid., p. 323-331. 3. Cf. Diodore, XVIII. 39. 7 (" AV"t'tmt't'po~ ..• npdijycv bd Maxc8ov!«v xtX1'ci~C/,)" 't'où.; [3aO'LÀl:ic; ml 'tirJ '7t«.ptao ). 4. Cf. aussi W. Schur, Dae Alezanderreich nach Alezander, Rh. M., 83 (1934), p. 151. 5. Cf. l'expression dont use Diodore (wc. cit.) pour désigner J'armée conduite par Antipater à l'automne 321 lœvoÀO<~':'v Kott <~v tatov a""ol'w), 6. Cf. 8upra, p. 50.
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le point de départ d'une époque nouvelle; mais elle clôt aussi une longue période d'incertitudes et d'hésita lions sur les destinées de l'~tat macédonien, que les luttes des diadoques avaient contribué tout à la fois à faire dépérir et à maintenir artificieJ1cment en vie tm Asie. Dans une certaine mesure, la décision d'Antigone en 306 répond au rel our des rois en Europe en 321. Comme le second avait marqué la fin de la période d'errance pour la Macédoine d'Europe, la première consolida sous une forme définitive les institutions nées de la conquête. Mais, entre temps, une nouvelle conception du chef s'était imposée dans les armées des diadoques, si bien que la cérémonie d'Antigoneia en 306 marque aussi et surtout la séparation entre deux conceptions monarchiques: la royauté nationale (Macédoine) et la royauté personnelle (Asie)'. PIEaaE BRIANT. Novembre 1973.
ADDENDA 1. R. E. A., 1972, p. 39-40 (et n. 1). - Sur la permanence de l'implantation des forteresse. et gazophylacies, voir J. D. Bing, A [urther note on Cyinda/Kundi, Historia. XXII-2 (1973), p. 346-350 j l'auteur montre que la fonction de trésorerie que jouait Kyinda au temps d'Alexandre et des diadoques lui était déjà assignée à l'époque assyrienne et très probablement aussi sous la domination achéménide, puisque cette forteresse est devenue gazophylacie sous le règne du roi assyrien Esarhaddon en 679/678.
2. Ibid., p. 61. - Sur les relations entre Ptolémée et le clergé égyptien, voir maintenant W. Swinnen, Sur la politique religieuse de Ptolémée 1er (Lea syncrétiames dam les rBligiona grecque et romaine, Paris, P. U. F., 1973, p. 115-123), en particulier p. 130:
« ... en éehange de son titre
de satrape, Ptolémée a consacré une large part de son budget au service des dieux et du clergé égyptiens, s'assurant ainsi par leur intermédiaire la loyauté de ses sujets égyptiens 0, et p. 131 : ~ ... le pouvoir du clergé était resté intact et... l'ancienne aristocratie indigène a continué d'occuper de hauts postes dans la vie publique de la chôra, voire dans I'armée •. [Sur ce dernier point, cf. Diodore XIX. 80. 4 (312) - que j'ai omis de citer - qui montre que Ptolémée a également levé des troupes (auxiliaires) dans la population de sa satrapie - ce qui n'enlève rien à ID nou-
veauté qui consista avant Raphia à lee intégrer dans la phalange.] 3. R. E. A., 1973, p. 46, n. 8. - Dans une étude récente (Politische und wirt8chafl.liche G••chichie, dans Beitrâge zur Achâmenidengeschichse (ed G. Walser), 1972, p. 29-31), l'historien eovié\ tique M. A. Dandamayev, éminent spécialiste des problèmes achéménides, affirme que les dons de terre faits par le Grand Roi l'étaient sans restriction aucune; mais, quelle que soit la validité des documents babyloniens et araméens amenés à l'appui - (je ne me permettrai pas d'en dis-
cuter) - l'exemple du « don» de ville à Thémistocle, qu'il cite également (p. 31), ne me parait pas susceptible de renforcer l'argumentation, bien au contraire. 1. Sur cette distinction maintenant classique, je renvoie évidemment aux études d'A. Aymard (cf. en particulier Études d'histoire ancienne, p. 73-135; également p. 409-473).
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REMARQUES SUR « LAO!» ET ESCLAVES RURAUX EN ASIE MINEURE HELLENISTIQUE
INTRODUCTION Parmi les problèmes relatifs à l'organisation de l'Asie Mineure hellénistique, aucun, sans doute, n'a été aussi discuté que celui du statut des laoi et laoi basilikoi qui travaillent sur les terres royales. Les réponses les plus diverses ont été données: tantôt on les considère comme des hommes libres (1), tantôt commedes populations dépendantes proches de l'esclavage (2), ou encore comme des «demi-libres» (3). On les a très souvent assimilés aux serfs médiévaux (4) ; mais on les a comparés parfois aux pelatai du royaume du Bosphore (S), également aux coloni romains (6), ou bien encore aux oikees crétois (7). La diversité de ces rapprochements - établis souvent par le même auteur - révèle assez la difficulté que l'on ressent à classer ceslaoi dans les catégories sociales connues; tout montre en vérité qu'on ne sait si on doit définir leur statut par rapport à des degrés de liberté ou à des degrés de servitude (8). . L'ouvrage monumental de M. Rostowzew (9), fondé en partie sur les recherches de M. Weber (10), a longtemps fait autorité sur la question et continue bien souvent de le faire. Depuis la publication de l'étude capitale d'E. Bikermann (11), d'ailleurs plus clairvoyant sur certains points que M. Rostowzew (12), -qui a consacré des pages importantes au régime de la terre et des personnes en Asie mineure séleucide-, plus rien d'important n'est paru sur ce problème dans les pays occidentaux (13). La question a été reprise et partiellement renouvelée par les chercheurs soviétiques(14), parmi lesquels il faut surtout signaler I. S. Svenciskaja avec ses études sur « Esclaves et affranchis dans les localités rurales de l'Asie mineure» (1 S) et «La condition de la population asservie aux Ve et IVe s.av.n.è.» (16) ; -E.S. Goloubtsova et son étude sur «Lesformes d'asservissement du peuplement rural de l'Asie mineure du Ille au 1er s.av.n.è.» (17) ; -et surtout A.B. Ranowitsch (18) qui a mené la contre-attaque la plus vigoureuse contre la position dominante de M. Rostowzew. Notre but, ici, n'est évidemment pas de présenter une synthèse sur la condition des terres et des personnes en Asie mineure hellénistique (19). Nous voudrions plutôt rendre compte de l'orientation des recherches soviétiques récentes (20) et, par là-même, ré-examiner les problèmesen suspens, proposer donc lUI état de la question susceptible -du moins l'espérons nous- de relancer la discussion sur un aspect essentiel des structures socio-économiques du monde hellénistique.
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1- LES DOCUMENTS ET LES PROBLEMES POSES Les termes de laoi et de laoi basilikoi apparaissent crès rarement dans la documentation relative à l'Asie mineure séleucide (21). Nous disposons seulement de quatre documents épigraphiques qui donnent des renseignements brefs. et d'un texte littéraire (où le terme laoi n'est pas employé). Trois de ces documents épigraphiques sont bien connus et accessibles, le quatrième a été découvert plus récemment. Nous ne faisons que les présenter succinctement et, à la suite, regrouper les principaux renseignements dans un tableau, selon des rubriques dont le choix sera justifié par la suite du développement. On peut distinguer trois groupes de documents: 1) Le premier groupe comprend trois dossiers qui ont trait à des ventes ou dons de terre faits par les premiers Séleucides,ou à des privilèges concédés aux concessionnaires. a) Le premier dossier donne les modalités d'un don de terre fait par Antiochos 1er à un certain Aristodicide d'Assos (22) ; les deux premières lettres sont adressées à Méléagre,gouverneur de Phrygie hellespontique, et précisent le lieu et les conditions de la concession ; la troisième lettre est adressée par Méléagre à Ilion, et fait savoir qu'Aristodicide a décidé de rattacher la terre concédée à la cité. b) La deuxième inscription rend compte d'une vente de terre faite par Antiochos II à sa femme Laodikë (23). Le dossier comprend trois lettres: la première est envoyée parle roi à Métrophanès, gouverneur de la satrapie de Phrygie hellespontique (24), où les conditions de la vente sont précisées; la seconde est un compte-rendu de mission établi par Métrophanès ; dans la troisième, l'hyparque confirme qu'il a fait remise de la concession à Arrhidaios, intendant de Laodikè, et précise les modalités selon lesquelles a été établi le bornage de la terre. c) Plus récemment (1960) a été découverte, près de Skythopolis (Beth Shean), une inscription regroupant huit documents émanant d'Antiochos III ou adressés à lui. Ces lettres et ordres royaux ont trait à des privilèges (exemption de stathmos en particulier) concédés par le roi aux villages relevant de Ptolémée, stratège et archihiereus de Koilê-Syrie (25). 2) Nous mettrons à part la célèbre convention passée, sous forme de prasis epi lysei (26), entre un certain Mnésimachos et le temple d'Artémis à Sardes. Dans ce texte, dont le caractère officiel n'exclut pas une grande obscurité, et dont la date n'est pas fixée avec certitude (27), Mnésimachos est amené à détailler les différents éléments de ses revenus, tirés de différentes terres, qui lui ont été concédées par le roi. 3) A ces textes épigraphiques, on doit joindre UR passage de Plutarque (28), non pas tant pour des renseignements précis (qu'il ne donne pas), que pour les rapprochements, souvent abusifs, que l'on a établis avec les textes précédents. Ce passage décrit la conduite d'Eumène de Kardia à Kelainai dans l'hiver 321 10: «Comme il (Eumène) avait promis de leur payer leur solde dans les trois jours, il leur vendait les fermes (epauleis) et les tetrapygia de la chôra, qui étaient pleins de sômata et de bestiaux (boskemata) . . .1)
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Welles, 10-13
Plutarque -~-----------------
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Welles, 18-20
Sardes, VlI,l,l
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A considérer le tableau.on ne peut manquer d'être frappé par la rareté des renseignements sur la condition des laoi, en égard surtout aux nombreuses clauses qui ont trait à la terre et aux revenus. Les seuls renseignements concordants se rapportent à leur situation économique: ils possèdent un bien personnel,1eur maison, probablement aussi les instruments de labour, peut-être des troupeaux (29). Mais est-ce le cas de tous les laoi d'Asie Mineure? En outre, de cela on ne peut voir immédiatement s'ils sont libres ou non. Ils paient également un phoros. On ne sait pas non plus sûrement si leur statut se modifie lorsque le roi concède la terre à un particulier. La différence de terminologie, laoi basilikoi et laoi, révèle-t-elle une différence de statut? Cette question est liée à d'autres, relatives en particulier au mode de concession de la terre: s'agit-il d'un droit de propriété entier et sans discussion? les laoi sont-ils vendus ou donnés avec la terre, en toute propriété, ou restent-ils dépendants de l'administration royale? Ces questions amènent à envisager les différents réseaux de dépendances dans lesquels se trouvent les laoi. Ils sont en effet dépendants à la fois ou successivement du roi et des concessionnaires; ils sont à la fois inclus dans les kômai traditionnels, dans les ressorts de l'administration (satrapie, hyparchie, topoi), et dans les limites de la concession. Selon qu'on insiste sur le lien de dépendance à l'égard du concessionnaire, du roi ou du village, leur statut personnel est différemment évalué, du servage à la liberté. La solution du problème passe donc en bonne part par l'examen des rapports établis entre le roi et le concessionnaire. Au surplus, l'inscription de Mnésimachos incite à comparer leur situation avec celui des oiketai, les esclaves. La mise sur un même plan de ces deux catégories peut conduire à insister sur l'opposition entre les deux termes, ou bien à conclure que les laoi sont dans une situation finalement proche de l'esclavage, et que le statut des paysans indigènes évolue, en quelque sorte, vers un esclavage généralisé. II - LES LAOI : «LIBRES» OU « SERFS» ? A - Plutarque, Eum. 8, et les soi-disant structures féodales de l'Asie mineure séleucide.
A l'égard du problème du statut deslaoi envisagé par rapport à la société hellénistique en général, on peut considérer qu'il s'est formé une opinio communis, surtout en Occident, fondée sur les études de M. Rostowzew qui luimême, dans son Kolonat, s'est appuyé sur les recherches de M.Weber, et, dans ses publications postérieures (30), sur le commentaire de l'inscription de Mnésimachos donné par Buckler et Robinson. Tous ces auteurs ont apporté leur contribution à l'édification et à la diffusion de la notion de féodalité hellénistique (31). C'est surtout le Kolonat qu'A.B. Ranowitsch prend pour cible. La
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majeure partie du raisonnement de Rostowzew porte en effet sur la condition de la terre; il Yaffirme en particulier que les don (ou ventes) faits par le roi à Aristodicide et à Laodikè le sont en pleine propriété (<
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mentaire de Rostowzew et de Ramsay si , les tetrapyrgia de K elainai a égaIement fourni le point de départ de l'étude de D. W.S. Hunt sur les pyrgoi de Téos, définis comme les fiefs d'une aristocratie terrienne, caractéristiques d'un régime féodal qui, selon l'auteur, s'est poursuivi en Asie mineure depuis la plus haute époque jusqu'à l'époque hellénistique, où une nouvelle féodalité s'est créée, à preuve, dit-il, le domaine de Mnésirnachos (54) ! La publication du commentaire de Buckler et Robinson a amené Rostowzew à durcir sa position dans ses plus récentes études. Désormais If.. •aoi sont caractérisés sans nuances de «villeins », de «bondsmen » attachés à la terre (adscripti glebae ) ; les concessionnaires sont des «feudal proprietors», munis d'un «fief» par le roi (55). Plus grave,la prudence qu'il manifestait dans son Kolonat à l'égard des généralisations dans le temps et dans l'espace (56) a complètement disparu: la féodalité est devenue une réalité permanente de toute l'Asie mineure aussi bien que du Bosphore (57). Dans son Kolonat d'autre part, il présentait l'acte d'Eumène comme annonçant la vaste politique séleucide tendant à casser la féodalité, par la transformation des serfs en laoi basilikoi, et par l'urbanisation du territoire (58). Cette politique constituait, à son avis, la seule possibilité de transformer les structures féodales et créer un Etat moderne. Ce n'est plus du tout ce qui apparaît dans les autres ouvrages où il semble bien plutôt qu'une féodalité à succédé à une autre, sans donc que la structure des relations entre «seigneurs» et «serfs» ait été modifiée (59). Mais, à la vérité, cette thèse de la continuité féodale en Asie mineure n'est pas fondée. La documentation sur les structures sociales de l'Anatolie achéménide est d'une rare indigence (60). On sait bien que le roi perse pouvait concéder des terres à des amis (61) ; on a l'exemple du pyrgos perse d'Asidatès décrit par Xénophon (62). Mais en fait, la structure féodale achéménide est déduite encore et toujours du passage de Putarque, lui-même «éclairé» par les inscriptions de Mnésimachos et de Laodikè (63). C'est à dire qu'on a rendu complémentaires des documents qui ne l'étaient pas; en conséquence, contradictoire est l'argumentation qui veut prouver à la fois l'existence de la féodalité en Asie mineure hellénistique et les efforts des rois séleucides pour venir à bout de la féodalité achéménide. Or, pris seul, le passage de Plutarque n'apporte pas beaucoup de renseignements. Le terme de sômata, surtout dans le contexte où il est employé, ne permet aucune conclusion sur la situation des laoi, ni sur l'emploi d'esclaves dans l'agriculture (64). Quant au terme tetrapyrgia, il est bien vrai qu'il peutêtre lié à un système social et politique, mais un type d'architecture peut fort bien se conserver par-delà un changement de régime: ainsi la construction, par Démétrios I, d'un tetrapyrgion près d'Antioche (65), signifiait plus !'affennissement du contrôle royal que l'abandon du pouvoir aux mains d'une féodalité. Que les tetrapyrgia de K elainai aient donc constitué le moyen de protection d'une classe sociale aux revenus fondés sur une terre exploitée par des populations dépendantes (66), c'est possible. Mais rien ne permet de déclarer ce
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texte comme complémentaire d'inscriptions de pleine époque hellénistique, ni de parler sans nuance de continuité féodale. Il est clair en vérité que les tenants de cette théorie font une référence permanente -quoique le plus souvent implicite (67)- à la féodalité européenne. T{. Boutruche a mené avec suffisamment de force un juste combat contre l'abus de l'emploi de ce terme dans n'importe quelle société pour que nous jugions inutile d'y revenir en détail (68). Il est manifeste en tout cas que pour la société séleucide, les conclusions des tenants de la féodalité ne reposent pas sur une comparaison raisonnée avec le Moyen-âge européen. On s'est fié trop rapidement à de simples analogies. Le commentaire de Buckler-Robinson est à ce titre « exemplaire» ; on y retrouve tous les tenues médiévaux: le fief, le seigneur, la réserve domaniale, les villains, les baillis, les corvées etc... , sans qu'à aucun moment les auteurs ne prennent la peine de justifier cette terminologie. Or, si l'on suit bien la filiation du raisonnement, on se rend compte que tout cela provient du premier commentaire de Plutarque par Rostowzew, qui a crée de toutes pièces pour l'Asie mineure, la notion de «château-fort féodal» : la suite est venue, peut-on dire, tout naturellement. Il ne s'agit pas d'une simple querelle de mots (69). Cette théorie féodale a en effet fixé le statut des laoi, considérés naturellement dans ce contexte comme des «serfs attachés à la glèbe». Or, cette terminologie qui ne peut même pas se suffire à elle-même si on veut l'appliquer au Moyen-âge européen, fausse résolument la perspective des recherches sur les paysans indigènes hellénistiques. Finalement A.B. Ranowitsch n'a pas tort d'affirmer, en partant du seul cornmentaire de Plutarque, que «les feudataires et barons en Asie mineure hellénistique existent seulement dans l'imagination de M. Weber, de M. Rostowzew . et de leurs épigones» (70). Mieux vaut donc ne pas donner une importance démesurée à ce document. 1:J - Les taot,
le rOI et les concessionruures
1) Attache à la terre et attache au village Il est temps d'en revenir aux quatre inscriptions déjà présentées, et dont les principales informations ont été rassemblées dans des tableaux (71). Si nous résumons brièvement ces informations, on voit que ces laoi possèdent une maison, ainsi probablement que les instruments de culture; -qu'ils vivent, semblet-il, en villages qui paient eux-mêmes un phoros. Ces paysans travaillent sur des terres qui ont été concédées, soit sous forme de vente à Laodikë, soit sous forme de don à Aristodicide, soit sous une forme ou une autre à Ptolémée et à Mnésimachos. Comme l'a montré la discussion précédente, leur statut est lié en bonne part au statut de la terre. Or, aux laoi Rostowzew applique à plusieurs reprises la dénomination romaine d'adscriptiglebae (72) ; de même C.B. Welles, qui écrit que «les paysans royaux étaient liés à la terre un peu plus que des serfs» (73). C'était déjà l'opinion de B. Haussoulier (74) ; elle est à nouveau défendue par I.S. Svenciskaja (75) et E.S.Goloubtsova (76). Haussoulier s'appuie sur les lignes 7-9 de l'inscription de Laodikè, qu'il
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traduit ainsi (77): «(Elle a acheté) pareillement tous ceux des manants du-dit village, s'il y en a, qui se sont transportés ailleurs». Pour lui ces «manants» se sont probablement enfuis par crainte du nouveau maitre ; c'est pourquoi une clause spéciale prévoit que les manants fugitifs ne cessent pas de faire partie du lot: «ils sont ressaisis et ramenés à la kômë qu'ils ont quittée» (78). Cette conclusion est en accord avec l'interprétation que beaucoup d'auteurs donnent de la concession de terres faite par le roi à ses proches. L'inscription de Laodikè porte en effet: peprakamen, «nous avons vendu» le village de Pannos ... et les laoi qui en dépendent». Pour Haussoulier (79), «la vente est faite purement et simplement, sans aucune réserve. .. Elle devient propriétaire de toutes les localités ... et de tous les manantsy établis». Pour Rostowzew également, il s'agit d'un droit de propriété sans restriction (80). De même pour E.S. Goloubtsova, «il n'y a aucun doute que les paysans sont vendus avec la terre» (81), et que le roi a donc donné à Laodikè le droit souverain (82) de disposer des laoi (83). Selon cette interprétation, les taoi ne peuvent pas être considérés comme libres (84). E.S. Goloubtsova aboutit logiquement à la conclusion que les laoi n'ont aucune liberté personnelle, et qu'ils sont finalement dans une situation proche de l'esclavage (85 l. A cette position, E. Bikermann a été le premier, à notre connaissance, à apporter de sérieux correctifs, en remarquant combien ce terme d'adscripti glebae était peu adapté à la réalité des laoi (86). A.B. Ranowitsch a,lui aussi, porté vigoureusement la contradiction (87). Tous les deux utilisent quelques remarques de Rostowzew dans son Kolonat, par ailleurs si succint sur la situation des laoi (88). Des lignes 7-9 de l'inscription de Laodikè, Rostowzew avait en effet tiré, comme allant de soi, une tout autre conclusion que celle d'Haussoulier. A son avis, la présence de laoi hors du territoire du village prouve au contraire que «la liberté de mouvement ne leur est nullement enlevée; ils peuvent quitter librement leur kômë: (89). De même pour Bikermann, rien ne prouve qu'ils soient fugitifs (90). Cela est d'ailleurs conlirmé par l'inscription d'Aristodicide où le roi prévoit que les laoi, «s'ils le veulent», pourront venir se réfugier à Petra (91). Haussoulier, en vérité, sollicite considérablement le texte pour conclure que le roi a ordonné le retour des «manants fugitifs». Ce sur quoi ont justement insisté en revanche Bikermann et Ranowitsch, c'est que si attache il ya, ce n'est pas à la glèbe, mais au village. Les laoi dépendent des villages (92). Comme l'avait déjà bien marqué Rostowzew (93), on a là, en Asie mineure, l'illustration du principe de Yidia, que l'on connait en Egypte (94). Ce que prouvent donc ces quelques lignes de l'inscription de Laodikè, c'est que les laoi continuent de dépendre du village de Pannos, c'està-dire que «le changement de domicile ne rompt pas le lien d'origine» (95). L'affirmation par l'administration royale de cette permanence du village, constitue plutôt une restriction qu'un élargissement des droits du concessionnaire sur la terre et les personnes (96). Il en est de même pour Aristodicide, dont la concession a été définie non par rapport au territoire du village. mais par
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rapport à la qualité de la terr.e (97) ; cependant, même dans ce cas, les laoi basilikoi continuent d'avoir le droit de résider à Petra; le principe de l'idia n'a pas disparu (98). Plus qu'adscripti glebrre, les laoi doivent être considérés comme adscripti vici (99), ce qui est bien différent. 2) - Vente, don et transfert de revenus Ces premières conclusions ne règlent cependant pas toute la question de l'éventuelle transformation du statut des laoi, lorsque les villages avec la terre qui leur appartient a été concédée à un proche ou à un ami du roi. La différence de terminologie tlaoi basilikoi et laoi) que l'on relève parfois comme révélatrice (100), n'est pas assez significative, car aucun texte n'emploie les deux expressions . Pour pouvoir parler d'une marche vers le servage, il faut en particulier prouver que le concessionnaire est investi de toute ou une partie de l'autorité publique et cela dans différents secteurs: militaire, judiciaire, financier, c'està-dire qu'il existe une organisation domaniale et qu'en quelque sorte ce domaine constitue une immunité. Or, il ne semble pas que ce soit le cas en Asie mineure hellénistique. Ce qui frappe au contraire dans nos documents, ce sont les interventions multiples de l'administration royale (101). Ce sont les fonctionnaires qui président à la délimitation des terres concédées à Laodikè et à Aristodicide. Cette intervention n'est pas négligeable. Le bornage de la concession de Laodikè est en effet enregistré à Sardes, dans les archives, par le bibliophylax (102) ; il s'agit certainement d'une règle habituelle (103), ce qui revient à dire que le satrape devra intervenir si le concessionnaire tente d'agrandir sa concession aux dépens des villages limitrophes. De même le roi continue de se préoccuper du sort des laoi en leur permettant de venir se réfugier à Petra. Th. Zawadski y voit la meilleure preuve que les paysans continuent de dépendre du roi (104). Conclusion juste, mais fondée sur une documentation insuffisante, car il s'agit ici des laoi basiiikoi, c'est-à-dire ceux des paysans qui travaillent sur des terres situées à la périphérie de la concession d'Aristodicide (105). Ce que prouve en revanche cette clause, c'est que Petra, de par l'acte de donation, ne devient pas ipso facto une forteresse personnelle d'Aristodicide, mais que leroi continue d'en disposer pour la défense des laoi. Rien ne permet ici de parler de château féodal (106) : il s'agit plus probablement d'un village fortifié, comme on en rencontre beaucoup en Asie mineure. On retrouve ces mêmes préoccupations royales dans la correspondance échangée entre Ptolémée et Antiochos III d'une part, Antiochos III et ses fonctionnaires de l'autre. Ptolémée a en effet demandé au roi l'exemption dustathmos et autres privilèges pour les villages et les villageois (lignes 20-26) ; il demande en particulier que les soldats n'aient pas le droit d'expulser les laoi (ligne 26). Le roi envoie des instructions en ce sens à un fonctionnaire, Marsyas, et c'est à l'administration que les contrevenants auront à payer l'amende du décuple (lignes 27-33).On voit donc que même sa position de stratège n'autorise pas Ptolémée à intervenir personnellement sur les villages concédés, et qu'on
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ne peut en aucune manière prétendre que cette concession jouit d'un privilège d'exterritorialité (107). Le territoire concédé ne jouit non plus d'aucune immunité judiciaire. Rien sans doute n'apparaît là-dessus dans la plupart des documents: on vient de voir cependant que, sur la concession de Ptolémée, les contrevenants sont directement justiciables des fonctionnaires royaux, et non du concessionnaire. En outre, un texte littéraire tardif semble montrer que le roi dispose dans la campagne, de juges, peut-être itinérants, et donc que les laoi continuent d'être justiciables du roi (108). Sans doute ce renseignement s'applique-t-il à la royauté attalide ; mais on a, semble-t-il, la preuve de l'existence de ces juges dès les débuts de l'occupation macédonienne, dans un passage peu utilisé de Plutarque (109). Reste le problème essentiel du statut fiscal de la concession. Quels impôts paient les paysans? et à qui, au roi ou au concessionnaire? Les charges publiques sont-elles grevées de charges privées'! Le concessionnaire paie-t-il lui-même des impôts? L'état de la documentation rend difficiles les réponses à ces questions. Les inscriptions d'Aristodicide sont en effet muettes sur le sujet. L'inscription de Laodikè n'est pas très détaillée non plus. On sait cependant que dans la vente étaient compris «les revenus de la cinquante neuvième année» (110), et qu'à l'avenir on lui concédait une atélie générale (III) ; elle n'aurait rien à verser au trésor royal (112), preuve, semble-t-il, qu'il en était tout autrement dans les autres cas. On lui avait concédé d'autre part une immunité financière: nous y reviendrons. Le seul document qui donne des précisions, est aussi le plus difficile à interpréter. La concession de Mnésirnachos est composée de terres différentes, dont on ne connaît pas exactement le statut: en particulier les kleroi (lots militaires ? ) (113), et l'aulè qui a été concédée d'une manière séparée à Pythéas et à Adratos, inconnus par ailleurs (114). Cependant quelques conclusions fermes peuvent être proposées. Voici le détail des revenus de l'oikos (115) établi par
Mnésimachos : - lignes 3-10 Y figurent le nom et l'emplacement des villages, dont chacun paie un phroros ; il en est de même des deux kleroi. Donc le village continue d'être lunité fiscale de base. Fait capital: le phoros continue d'être versé directement à l'administration royale, au chiliarque en l'occurrence, très probablement sous la surveillance de l'oikonomos de la satrapie, ce qui revientà dire que Mnésimachos n'intervient pas dans l'opération et que les !aoi des villages continuent de dépendre directement du roi (116). - lignes JO-13 Les lignes suivantes sont plus obscures: «Ur, de tous ces villages, et de ces kleroi et des oikopeda (117) y attenant, et des laot panoikioi avec leurs biens et des vases de vin et du phoros en argent et en travail (phoros leitourgikosï et de tout ce qui provient (ta ginomena) des villages, et ce qu'il peut y avoir en sus de cela, Pythéas et Adrastos ont reçu ... », De ce passage, E.S. Goloubtsova
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(118) veut conclure que les laoi paient un pharos différent de celui des villages. En fait, nous semble-t-il, il s'agit là d'un récapitulatif; il ne faut pas oublier en effet que, dans la situation de débiteur où il-est, Mnésimachos a tout intérêt à grossir ses revenus, quitte à répéter, sous une autre forme, ce qui a été déjà exposé. Ce qu'on voit en revanche, c'est qu'une partie du pharos était' payé en nature (cf. vases de vin) ; cela n'a rien d'extraordinaire; on possède d'autre preuves d'un tel pharos dans plusieurs textes hellénistiques (119). A propos du pharos leitourgikos plusieurs auteurs parlent de « corvées» (120), ou de «charges seigneuriales» (121), terminologie féodale qui introduit une notion de dépendance personnelle des laoi à l'égard du concessionnaire ( « seigneur»). Rien n'est moins sûr; il nous semble plutôt qu'A.B. Ranowitsch a raison d'y voir une partie du pharos payé directement au roi; il est tout à fait possible en effet qu'il s'agisse de travaux que devaient effectuer les laoi pour l'entretien des routes par exemple, ou autres travaux publics (122). Il ne parait donc pas qu'on puisse parler de «pleine propriété» sur la terre ni les personnes. Le seul droit souverain (kurios) que le roi accorde à Laodikè, c'est celui d'adjoindre la terre à la cité de son choix (123) ; il s'agit là d'une obligation qui limite les droits du concessionnaire (124). Ce que donne ou vend le roi, ce ne sont ni les terres ni les personnes, ce sont les revenus : (125) encore ne permet-il pas au concessionnaire de lever ni de fixer lui-même les impôts. L'administration royale reste souveraine. Il s'agit d'une rente. Cette concession de terre n'a donc rien à voir avec un fief; on peut plutôt l'assimiler à un bénéfice, sans qu'il y ait démembrement de la puissance publique (126), ni l'établissement de biens vassaliques entre le roi et le concessionnaire. Ce bénéfice est concédé sous forme de don ou de vente. Le don est révocable à tout moment (127). La concession sous forme de vente parait plus curieuse. On affirme souvent qu'elle donne des garanties à la personne récompensée (128), parce-qu'elle est gravée sur des stèles qui sont déposées dans des temples fameux (129). Encore faut-il ajouter qu'elle ne donne aucun droit supplémentaire sur la terre ou les personnes, et que le roi y trouve également son compte. Même dans ce cas, le roi conserve le droit de reprendre la terre concédée; la différence avec le don c'est peut-être que dans ce dernier cas, la reprise peut se faire à n'importe quel moment, mais que dans le cas de vente, le concessionnaire a l'assurance de jouir de son revenu pendant tout le règne; mais à l'avènement du nouveau souverain il lui faudra demander un renouvellement, comme il est d'usage (130). Cette méthode présente de gros avantages pour le roi : le concessionnaire verse d'un coup une grosse somme (131), que l'on peut considérer en quelque sorte comme une avance sur les revenus à venir (132). Il est probable que lors du renouvellement, le roi demandait un nouvel effort financier (133). Ces ventes et dons constituent donc, en quelque sorte de simples opérations comptables, qui n'entraînent de prise de contrôle directe ni de la terre ni des personnes. On peut même dire qu'il n'y a pas constitution de domaines avec une organisation domaniale régentant la vie des laoi , comme voulaient
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le voir Buckler et Robinson (134).; ces concessionnaires sont le plus souvent absents (135). Ce qui parait certain, c'est en tout cas que les laoi ne sont ni donnés ni vendus. S'ils sont cités dans l'inscription de Laodikè ou dans l'inventaire de Mnésirnachos, c'est, nous semble-t-il, que les revenus des concessionnaires dépendent directement de la richesse de la terre (136), mais aussi et surtout du nombre et du travail des laoi (137). Ce que vend ou donne le roi, ce n'est ni la terre ni les paysans: c'est le produit de la première que permet le travail des seconds. 4) - La force de l'organisation villageoise Ces transferts de revenus n'entament donc pas obligatoirement la réalité du village (138). Outre les trois inscriptions que nous avons ptises comme références, bien d'autres textes nous montrent la présence de villages, aussi bien sur la terre des cités (139) que sur la terre royale (140). La majeure partie de l'Asie mineure est précisément caractérisée par son habitat en kômai (141), ainsi la Grande-Phrygie, région essentiellement agricole (142), était, lorsqu'Alexandre la traversa au printemps 333, « plus riche en villages qu'en villes» (143). Pour mieux comprendre le statut des villageois, on aimerait évidemment savoir quelle était l'organisation interne de leurs communautés. Les documents qui donnent quelques détails ne datent malheureusement pas de l'époque séleucide. Un passage de Xénophon (144) montre qu'au Ve siècle, en Arménie, il existait des villages fortifiés, dirigés par un kômarque, et payant collectivement tribut au roi. Un autre document (145), datant du 1er ou 2e siècle de notre ère (146), est encore plus significatif; il s'agit du décret pris par l'assemblée (ecclesia) de tous les comètes convoqués par les Anciens (gerousia), relatif à la répartition des terres du village (roll lnrapX01l7l1 alnui, a'YPoll), entre tous les cultivateurs appartenant à la communauté: preuve manifeste de l'autonomie interne du village et de la liberté de décision des villageois (147). La continuité de l'institution du Ve siècle aV.J .C. au IIès ap.J .C. donne à penser qu'elle était également en vigueur à l'époque séleucide. Ce qui est frappant en effet dans les inscriptions étudiées, c'est la cohérence du village en tant qu'unité de production et unité de prestations fiscales. Le village possède un territoire qui en dépend (148). C'est par rapport aux villages que sont découpées les concessions des terres. Quel que soit le concessionnaire, le village reste «une unité constante et indépendante, même pour le cadastre» (149). D'autre part le village paie collectivement le phoros (150). Cela se conçoit aisément; l'essentiel des impôts séleucides provient de la terre (151). Or la terre appartient au village; c'est celui-ci qui est taxé. C'est d'ailleurs, comme le note Bickermann (152),
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11·13 de l'inscription de Laodikè:· OfJOiWç 0 € w,ai El TWEÇ EX TÏ")Ç XWfJ1)ç lllV1T/e: 'Oll'ree: Àaot' fJE'reÀEÀ iiJaaw E iç 'aÀÀ1)Àollç T07TOlle:, qu'Haussoulier traduit ainsi: «(Elle a acheté) pareillement tous ceux des manants du-dit village, s'iJ y en a, qui se sont transportés ailleurs... » (153). Nous avons déjà vu qu'il ne s'agit ni d'une obligation de retour pour les « manants fugitifs», ni d'une vente de population. Ce que concède le roi ce sont les revenus que produit le travail des villageois. Ce qu'indique donc cette clause, à notre sens, c'est que la kômè doit payer le pharos prévu « même si certains de ceux qui appartiennent au village se sont installés dans d'autres topai». Si cela est précisé, c'est pour garantir à Laodikè une rente fixe. L'administration royale avait également tout avantage à cette responsabilité villageoise: en temps normal, c'est à dire quand le pharos était versé régulièrement, elle n'avait pas' à intervenir directement. Le droit éminent du roi étant marqué par l'impôt. Mais tout Indique que les kômètes avaient la disposition des terres communes. Peut-être la répartition entre les différentes familles se faisait-elle périodiquement à l'intérieur du village (154). Mais tout cela suppose un gouvernement interne, ne serait-ce que lors du paiement du pharos (55). Dans l'inscription de Laodikè (56), on voit que l'hyparque, chargé du bornage de la concession, ignore les limites exactes du village. Il est venu s'informer auprès de trois kômètes : Ménécratès, fils de Bacclùos, du village de Pythès ; Daos, fils d'Azarétos et Medeios, m~ de Metrodoros, tous deux du village de Pannos. On ne sait qui sont ces gens. Il est possible que ce soit des Anciens qui sont seuls capables de rappeler les limites ancestrales fixées entre les deux villages (57). CONCLUSION 11 se confirme donc que le terme « serf» traduit fort malle statut réel des laoi et laoi basilikoi. Ce ne sont ni des serfs ni des esclaves, écrit Ranowitsch (158). On ne peut guère refuser une telle interprétation, après analyse des textes épigraphiques. C'est par rapport au roi et à son administration que l'on doit juger la position des /aoi, leurs rapports s'établissant cependant à travers l'institution villageoise. C'est pourquoi Ranowitsch ajoute qu'à son avis les /aoi sont «personnellement libres». Ajoutons cependant: libres, mais dépendants d'une royauté née de la conquête (159). III- LAO! ET ESCLAVES: LIBRES ET NON-LIBRES OU ESCLAVAGE GENERALISE? A - Le problème de l'évolution de la situation des laoi
Cela étant, les renseignements tirés des inscriptions permettent de dresser un tableau statique, bien incomplet d'ailleurs, auquel on ne peut se tenir pour évaluer lùstoriquement la place des laoi dans la société hellénistique. Le monde hellénistique est un monde en mouvement: la guerre et la destruction y font rage, les frontières se modifient, les sécessions politiques
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s'y multiplient, et surtout l'urbanisation y fait des progrès considérables. On ne peut guère admettre que les lao; aient traversé sans transformation tous ces bouleversements. Hais, dans quel sens s'est faite cette évolution? On soutient encore fréquemment que l'urbanisation a apporté des améliorations sensibles au statut des paysans indigènes, par la transformation des communautés villageoises en cités, ou par la promotion des indigènes habitant sur les terres des nouvelles cités. Ainsi, pour Tarn (160), il s'agit d'une politique systématique des Séleucides qui, sans supprimer totalement le « servage», contribuèrent puissamment à transformer la condition des laoi : «sous la domination grecque» - écrit-il (161) -
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1J - L'esclavage rural.' problèmes quantitatifs
On conçoit que la réponse à la question suppose un ré-examen des documents anciens mentionnant ces esclaves. La recherche est facilitée, peuton dire, par l'extrême minceur de la documentation (167), mais rendue très délicate par le caractère équivoque de la terminologie grecque. 1) - Oiketai Un seul document, celui de Mnésimachos donne un renseignementchi!fré . Dans un passage -par ailleurs assez obscur (168)- on cite auprès de laoi la présence de six oiketai, dont on donne le nom. On admet d'une façon générale qu'i! s'agit bien d'esclaves (169), ce qui semble justifié par le large emploi du terme en ce sens (170). Pour les tenants de l'importance de l'esclavage rural en Asie mineure séleucide, ce document, avec deux inscriptions de Priène (171), constitue un appui essentiel. Ainsi, pour Rostowzew (172): «dans toute l'Asie à l'époque hellénistique, il y avait certainement de grandes quantités d'esclaves (à côté des serfs) qui étaient employés pour cultiver les champs et les jardins des «Iandlords» (le plus souvent absents). Cela est attesté, pour la période séleucide, par l'inscription de Sardes bien connue, et par quelques inscriptions de Priène». Or, même en supposant que le cas de Mnésimachos n'est pas isolé (173), on doit bien remarquer que face à plusieurs villages de laoi, ne sont mentionnés que six oikétai, ce qui est manifestement insuffisant pour conclure à l'importance de l'esclavage rural. A s'en tenir à ce document au contraire, on ne peut manquer de penser que l'essentiel des revenus de Mnésimachos provenait du travail des laoi. 2) - Sômata a) Plutarque, Eumène 8 et Strabon, XII, 2,9. Plutarque dit que les tetrapyrgia et epauleis de Kelainai étaient pleins de sômata et de bestiaux. On traduit généralement ce terme par esclaves (174). Tout en traduisant par «esclaves», Rostowzew (175) pensait que le terrne s'appliquait à la fois aux esclaves et aux paysans indigènes qui, ensemble cultivaient les grands domaines. W . M. Ramsay (176) a cru distinguer dans les sômata ce qu'il appelle «les basses classes», c'est-à-dire les paysans indigènes et la plebs de Kelainai ; pour lui, le geste d'Eumène doit être considéré comme une ébauche de la politique des Attalides hostiles àl'aristocratie. C'est là faire preuve, nous semble-t-il de beaucoup d'imprudence. En fait le terme sôma, quoi qu'on en ait dit parfois (177), ne s'applique pas obligatoirement à des esclaves (178). Il est bien souvent employé dans le sens général de «personnes», aussi bierr dans les textes épigraphiques (179) que papyrologiques (180). C'est pourquoi, pour distinguer l'homme libre, on précise ordinairement eleutheron sôma (181). I! est donc nécessaire de faire une sévère critique du contexte pour déterminer le sens de sôma qui peut parfois, employé seul, signifier esclave (182). Or, ici, le terme apparaîtdans une situation particulière. Eumène, apparemment démuni de fonds, vend les fermes aux chefs; les simples soldats tstra-
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tiôtai) se paient en vendant les sâmata et boskemata. Il s'agit là, comme nous essaierons de le montrer ailleurs (183), d'une convention de partage du butin. Or les exemples sont nombreux où on rencontre la même expression pour parler du butin: «hommes et bêtes», aussi bien dans les textes épigraphiques (184) que littéraires (185). C'est le cas ici : les soldats vont gagner leur misthos en vendant les «hommes et bêtes» (186) capturés après le siège des fermes. SÔmata ici ne s'oppose donc pas à «libres». On ne doit tirer aucune conclusion de ce texte sur l'emploi d'esclaves sur les terres de Grande-Phrygie. C'est à la même conclusion que nous amène l'examen d'un passage de Strabon (XlI, 2,9,). Celui-ci écrit qu'en cas de danger, les maisons tortifiées des rois cappadociens servaient de refuge à leurs propriétaires ainsi qu'aux sômata. Il s'agit là certainement de toute la population de la terre plaine; comme le montrent bien d'autres exemples, en premier lieu celui de Petra dans l'inscription d'Aristodicide, ces fortifications servaient de refuge aux paysans. Il n'y a donc aucune raison de traduire ici sôma par esclave. b) Inschr. Priene, 18 et 19 Le terme apparait également dans deux inscriptions de Priène, fréquemment citées comme témoins de l'importance de l'esclavage rural en Asie mineure (187). L'une, des débuts de l'époque séleucide (188), est un décret honorifique pour Larichos, où figure une clause d'atélie concédée au récipiendaire : atélie sur les troupeaux et sur les sômata qui sont en sa possession sur ses propriétés personnelles (ta ktemata ta idia) et dans la cité. Un ne peut en effet douter qu'il s'agisse ici d'esclaves (189). L'autre inscription (190), plus tardive (191), relate le siège de la cité et la capture de beaucoup de richesses iktemataï. Suit une précision, malheureusement le texte est très abîmé. Si l'on choisit la restauration: sômata idiôtica te kai demosia il s'agit certainement des esclaves privés et publics (192). En revanche, la restauration de Hicks adoptée par Dittenberger, est bien différente: sômata kai thremmata. . . sia. Hicks se tonde sur Polybe (193), ou l'auteur parle de la dévastation de la chôra priénienne, en précisant en effet que beaucoup de sômata et de thremmata avaient été enlevés. Si l'on accepte cette restauration, on retrouve la formule «hommes et bêtes» qui s'applique au butin (194). Cet exemple nous parait particulièrement révélateur des lacunes de la documentation, et de la fragilité des conclusions qu'on veut en tirer (195). En tout état de cause, s'il s'agit là d'esclaves, il faut souligner le fait qu'ils vivent dans une cité grecque (Priène en l'occurrence) - et que beaucoup d'ailleurs ne travaillaient même pas la terre civique (196). On ne peut donc absolument pas en tirer la preuve de la présence de troupes d'esclaves sur toute la chôra basilikè asiatique. 3) - Les esclaves de Pergame Reste la situation de l'Asie Mineure vers 133, lors de la révolte d'Artstonikos, exemple.pris fréquemment pour montrer l'importance de l'esclavage rural. Ainsi, pour Rostowzew (197), les esclaves y constituent «la source prin-
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cipale du travail rural» ; V. Vavrinek, mêlant les conclusions de Rostowzew et celles de Ranowitsch, est encore plus affirmatif (198) : « L'état créé par les Attalides êtait un état de type antique, c'est-à-dire il s'appuyait sur le système esclavagiste. La vie êconomique de l'Asie mineure ne put être ranimée que par les méthodes employées en Grèce et qui supposaient l'exploitation intensive des esclaves. L' extension de l'esclavagisme dans l'agriculture et surtout dans l'industrie désagrégea complètement la vie patriarcale ... » Si cette interprétation dégage la réalité des faits, on aurait là la preuve de l'évolution telle que la voit Ranowitsch. Il n'est évidemment pas de notre propos de reprendre la question des rapports sociaux dans le royaume de Pergame. Nous voudrions simplement noter combien fragiles nous paraissent ces affirmations péremptoires, eu égard à l'extrême pauvreté de la documentation. Pour la période antérieure à Aristonicos nous n'avons aucun document précis sur l'esclavage, si l'on met à part quelques inscriptions de Priène sans intérêt (199). A suivre en vérité les raisonnements que l'on tient fréquemment, on a bien l'impression que la thèse de l'esclavage rural est en bonne part fondée sur le recours au développement de l'esclavage industriel, lui-même affirmé avec force (200), comme si l'un ne pouvait pas aller sans l'autre (201). Qu'il y ait eu des esclaves à Pergame, c'est ce que personne ne songera à nier; le célèbre décret de la cité donne le droit de paroikoi à certains des esclaves royaux et aux esclaves publics (202). Mais le texte ne traite pas -ou peudu travail sur les immenses territoires royaux (203). Strabon écrit qu'Aristonicos, après ses défaites sur la côte, fit retraite vers l'intérieur où il réussit à grouper autour de lui une foule «d'hommes pauvres et de douloi» (204). Or, on s'entend maintenant pour affirmer qu'Aristonicos n'était pas soutenu seulement par des esclaves -ce que montre à l'évidence le décret- mais que son royaume tirait sa force d'autres appuis, telles les colonies militaires de l'intérieur (205). En vérité le terme doulos peut s'appliquer à n'importe quel type d'asservissement (206), ou même de dépendance. On peut tout aussi bien supposer que, joint à "pauvres hommes», il révèle l'appauvrissement des laoi basilikoi (207). L'affirmation de la présence de troupes rurales sur les terres royales nous paraît d'autant plus paradoxale qu'on a l'habitude d'affirmer ou de supposer que la condition des laoi ne s'est pas modifiée de la domination séleucide à l'époque attalide (208), et que les Attalides ont cherché à agrandir le domaine royal (209). On sait d'autre part que les rois attalides ont pris des mesures relatives aux laoi (210). La conclusion la plus logique n'est-elle pas que l'essentiel de la production agricole de l'Asie attalide continue de provenir du travail des laoi et non de celui des esclaves? d) Conclusions Ces sondages, pour aussi rapides et décevants qu'ils soient, nous semblent prouver qu'il est illusoire d'affirmer la prééminence du travail servile sur les terres royales (211) : les laoi continuent d'être les producteurs essen-
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tiels, même s'ils sont parfois aidés par des esclaves ( mais quels esclaves? ). Parler de troupes d'esclaves sur les terres asiatiques, c'est assimiler l'Asie à la Sicile, comme le fait abusivement Diodore (212). Mais c'est aussi affirmer, sans preuve décisive, une liaison directe entre deux faits: l'augmentation globale du nombre des esclaves à l'époque hellénistique d'une part, la transformation du statut des laoi d'autre part. Qu'il y ait eu augmentation du nombre d'esclaves, c'est hors de doute (encore conviendrait-il là de faire des études régionales (213». Que des laoi aient été transformés en esclaves, c'est probable. Mais de quelle manière? Si l'on veut dire par là que, par suite des guerres et des invasions, des paysans ont été vendus comme esclaves (214) sur des marchés extérieurs (215), on ne peut parler - sans jouer sur les mots - de «transformation du statut». Ce qui seul nous intéresse ici, ce sontles cas où, éventuellement , des laoi deviennent esclaves sur place. Or nous devons bien remarquer que les sondages que nous avons effectués ne nous incitent guère à croire à une généralisation de l'esclavage de type classique dans les campagnes de l'Asie mineure. C - L'esclavage rural: laoi et oiketai Cependant, la minceur de la documentation ne peut suffire pour clore la discussion. Il reste un problème concret à envisager: comment éventuellement les laoi peuvent-ils tomber dans l'esclavage, et dans quel esclavage? C'est malheureusement une question que Ranowitsch ne traite pas, pas plus que les «standard-books» d'histoire hellénistique. Le seul document qui permette d'apporter des éléments de réponse est l'inscription de Mnésirnachos, où sont cités côte à côte des laoi et des oiketai. Voici ce passage (Mnésirnachos a énuméré ses revenus, c'est-à-dire les phoroi des villages et des kleroi, puis a tout récapitulé (216»: «Pythéas et Adraostos ont reçu en propriété séparée (? ) (217) : - à Tobalmoura : une aulè, et, en-dehors de Yaulè sont les maisons des laoi et des oiketai et deux paradeisoi requérant 15 artabes de semence ; - et à Périosastra, deux oikopeda requérant 3 artabes de semence et des paradeisoi requérant 3 artabes de semence, et des oiketai qui sont installés dans cet endroit (oixéTat oi xaTOlXOÜI'7eC; El' TOUTWt TWt T61rWt) : - à Tobalmoura : - Ephesos Adrastou -Kadoas Adrastou - Herakleides Beletrou - Tuios Maneou K aikou - à Periosastra : oi katoikountes : - Kadoas Armandrou - Adrastos Maneou Si nous résumons les informations, nous voyons que ces esclaves sont des indigènes, comme l'indique l'onomastique (218) ; - qu'ils habitent dans des maisons, à côté de certains laoi, en-dehors de l'aulè à Tobalrnoura ; - qu'ils semblent être occupés surtout à cultiver les jardins; - enfin qu'ils sont enregistrés dans un lieu de résidence précis, à Tobalmoura ou à Periosastra. Mais
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qui sont-ils '? d'où viennent-ils ? quel est leur statut par rapport aux laoi ? Ces laoi eux-mêmes ont-ils un statut différent de celui des laoi cités aux lignes 11-12 qui habitent des villages (219) ? Les premiers commentateurs de l'inscription, Buckler et Robinson, ne se sont guère posé de problèmes. Pour eux les oiketai sont des esclaves « of high class», agissant sur le « domaine», comme « baillis» et chargés de diriger le travail des laoi (220). Pour eux donc les laoi sont dans une situation sociale inférieure à celle des oiketai ; ils les considèrent d'ailleurs comme « une paysannerie non-libre comme les coloni et les villains médiévaux» (221). Mais cette interprétation est par trop liée au caractère féodal que les auteurs ont assigné au « domaine » de Mnésimachos, pour qu'on puisse l'accepter. Ces oiketai n'ont certainement rien à voir avec les intendants, les pragmateutai, que l'on connait en revanche dans les grands domaines de l'Asie mineure et de la Macédoine romaines (~~~). E.S. Goloubtsova, au contraire, insiste sur le fait que, placés côte à côte, les laoi et les oiketai sont dans une situation économique semblable. De cette première observation elle tire d'importantes conclusions: « De génération en génération ils habitaient et travaillaient les mêmes parcelles. Il est possible que ces esclaves étaient des esclaves domestiques élevés et éduqués dans la maison du maitre et qui avaient reçu ensuite quelques lots et maisons dans lesquelles ils vivaient de génération en génération. Entre la situation sociale et juridique des laoi et celle des oiketai on ne peut observer de différences véritables. Visiblement, dans une localité rurale, un oiketes ayant sa maison et son bien, était en fait l'égal d'un laoi» (223). A cette interprétation on ne peut manquer d'opposer plusieurs remarques: a) s'il s'agissait d'esclaves élevés dans la maison du maitre, on attendrait plutôt le terme de threptoi (224). b) en outre, constater une égalité économique ne peut permettre de conclure à une égalité juridique (225). c) dans la description de l'aulè on mentionne seulement les maisons des esclaves; tout semble indiquer au contraire que les oiketai ne travaillent pas sur des lots qui leur appartiennent. En fait l'interprétation de Goloubtsova est liée à deux affirmations contestables: a) tout d'abord, que les laoi de l'inscription de Mnésimachos n'habitent pas en villages. En fait, il faut probablement distinguer deux types de laoi : nous y reviendrons (226). b) Elle adopte d'autre part l'interprétation donnée par Buckler et Robinson de la présence du patronyme après le nom de l'esclave. Pour eux, il s'agit du nom du père de l'esclave; pour l'un est même précisé le nom du grandpère (227). Or, en règle générale, à notre connaissance, le nom des esclaves est donné sans patronyme (228). La présence ou l'absence d'un patronyme peut même permettre, dans certains cas, de distinguer un libre d'un esclave dans des
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listes de noms (229). Pour fonder leurs affirmations, Buckler et Robinson renvoient seulement à BCH, XV (1891), p. 365 sqq. (230). La référence est malheureusement erronée, car rien n'y apparaît sur le sujet (231). Dans ces conditions, -si nous excluons la possibilité que ces oiketai soient des hommes libres (232)-, il ne peut y avoir que deux solutions à ce problème: a) Très souvent, lorsque le nom de l'esclave est suivi d'un nom au génitif, celui-ci ne désigne pas le père, mais le maître: ainsi dans la liste des esclaves athéniens enrôlés dans la marine en 406 (233), ou dans certaines inscriptions tardives relatives aux gladiateurs (234). Ce serait évidemment la solution la plus simple, parce que la plus conforme à une règle générale: il y aurait ainsi à Tobalmoura deux esclaves appartenant à Adrastos, un à Beletros : à Periosastra, deux esclaves, l'un à Adrastos, l'autre à Manès; le Kaikos cité en deuxième rang après Tuios ne serait donc pas le nom du grand-père de l'esclave, mais celui du père du propriétaire, Manès qu'on voudrait distinguer du Manès qui possède également un esclave à Periosastra. Mais cette hypothèse d'esclaves privés suscite des difficultés considérables. Comment expliquer la possibilité d'esclaves privés dans un inventaire où, par exemple, les laoi qui sont mis sur le méme plan ne sont pas propriété privée mais font partie des revenus de l'oikos ? On pourrait penser évidemment que l'Adrastos qui possède deux esclaves à Tobalmoura est l'un des concessionnaires de Yaulè (1,14) ; mais ce nom est tellement répandu que rien n'est moins sûr; et puis pourquoi l'autre concessionnaire de ïaulè , Pythéas, n'en posséderait-il pas'! On ne peut pas tirer parti non plus du caractère asianque des noms des « propriétaires» pour penser que les oiketai sont des esclaves des laoi. Envisager l'hypothèse, c'est la refuser aussitôt, car comment imaginer que dans une communauté villageoise solidaire, des iaoi puissent devenir les esclaves d'autres laoi? Il ne semble donc pas que cette hypothèse d'esclaves privés puisse être retenue. b) On en revient donc à l'interprétation de Buckler-Robinson, mais en marquant très nettement qu'il s'agit là d'une exception, exception qu'ils n'ont pas expliquée, pas plus que Goloubtsova. En revanche celle-ci en a déduit manifestement l'hypothèse de « lots héréditaires, cultivés de génération en génération». Pourquoi avoir pris la peine de dresser une liste nominative des esclaves, en précisant pour chacun le nom du père? Telle est la question essentielle, à nos yeux: nous en revenons directement ainsi au problème de l'origine de ces esclaves. A ce problème, 1.S. Svenciskaja est la seule, à notre connaissance à avoir présenté une solution. Pour elle, les oiketai sont d'anciens laoi réduits en esclavage pour dettes. Nous reproduisons in-extenso son raisonnement: « Dans la mesure où les esclaves vivent dans la campagne au voisinage des paysans, et où leurs parents sont connus du seigneur, on peut penser que ce sont les paysans eux-mêmes qui, pour quelques raisons que ce soit ont été réduits en esclavage par le possesseur de la terre. Il est facile d'imaginer ces raisons: les paysans étaient obligés de payer à Mnésirnachos une taille en espèce et d'effec-
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tuer des travaux obligatoïres. La forme pécuniaire de la taille conduisait inévitablement à des arrérages et ces derniers, à leur tour, conduisaient à une transformation des paysans en esclaves léonins» (235). Cette hypothèse séduisante, qui fait au fond des oiketai une sorte d'hektémores, aurait mérité d'être développée plus longuement par son auteur. Avant que d'insister sur un point de désaccord, nous remarquerons que l'hypothèse permet sans doute d'expliquer quelques obscurités du texte: a) les oiketai doivent être domiciliés (katoikountes) dans un lieu déterminé. Le fait que l'expression soit répétée avant chaque liste semble indiquer qu'elle définit en partie le statut des oiketai : ils continuent d'habiter près des laoi mais ne font plus partie de la communauté villageoise; ils sont probablement liés à la terre qu'on les contraint à cultiver, terre qui ne fait pas partie de l'ager publicus villageois. b) Si le nom du père -et du grand-père pour Tuios- est indiqué, c'est d'abord nous semble-t-il, pour les distinguer des laoi auprès desquels ils habitent, ce qui tendrait à confirmer que la frontière entre les deux statuts est extrêmement ténue: cette présision est rendue nécessaire par la cohabitation des laoi et des oiketai. Enfin, cela indique peut-être et même probablement dans le cadre de l'hypothèse, que le tils est responsable des dettes de son père, peut-être même que le père avait mis son lïls en gage (236). En revanche, nous ne croyons pas à une mise en esclavage de la part de Mnésimachos : celui-ci n'est pas le « seigneur », les villages paient directement leur phoros à l'administration royale. Si « dettes» il y a, c'est à l'égard du roi. Le problème se trouve alors déplacé: peut-on penser à une généralisation du processus qu'on entrevoit dans l'inscription de Mnésimachos. Dans ce cas de quel esclavage s'agit-il ?
D - Les laoi et le roi: dépendance, servitude, esclavage. 1) Désagrégation de la communauté villageoise et esclavage. On voit bien où se situe la difficulté: pour pouvoir penser à une généralisation de l'esclavage pour « dettes», il faut pouvoir prouver la désagréga• de la communauté villageoise. tion Celle-ci, on le sait, est affinnée par Ranowitsch, qui, malheureusement, n'apporte pas beaucoup de preuves (237). Partons donc des inscriptions déjà étudiées qui, sans doute prouvent surtout la force de cette communauté (238), mais dont certains passages peuvent peut-être être considérés comme des ébauches de désagrégation: a) Inscription de Laodikè . Nous avons vu, que, antérieurement à la concession, certains paysans de Pannos ont été s'établir ailleurs (239). Pour quelles raisons? On peut penser à une surpopulation qui entrainerait une réduction des lots alloués à chaque famille, en tout cas une paupérisation d'où la recherche de terres nouvelles. Même si le principe de l'idia se maintient (24û), on peut cependant considérer que nous avons là un indice de rupture volontaire de la communauté (241).
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Un tel exode, s'il se généralisait, conduisait inévitablement les laoi restant à ne pas pouvoir payer le pharos. Soulignons bien cependant qu'il s'agit d'un exemple isolé, et que rien ne permet de parler à cet égard d'anachorésis comme en Egypte. b) Inscription d'Aristodicide La concession de lots a probablement cassé parfois les villages, non par la diffusion de la propriété privée, mais parce que dans certains cas ( contrairement à celui de la concession de Laodikè et de celle de Ptolémée ), le découpage n'a pas suivi la limite des villages. C'est ce qui s'est passé pour la concession d'Aristodicide qui a divisé le village de Petra. Certains laoi continuent de cultiver la terre royale, les autres cultivent la terre concédée. Mais puisque le village ne disparaît pas, puisque les laoi basilikoi conservent la possibilité de venir habiter à Petra, on peut se demander dans quelle mesure on peut parler véritablement de désagrégation de la communauté. Pour E. Bikermann en tout èas (242), le principe de Yidia ne disparaît pas. c) Inscription de Mnésimachos Le commentaire de la troisième inscription est encore plus difficile. E.S.Goloubtsova (243) pense que les!aoi n'habitent pas dans le village; mais les premières lignes de l'inscription ne laissent aucun doute sur la responsabilité solidaire du village devant l'impôt; le fait que les villages et les laoi soient cités séparément dans le récapitulatif ne prouve rien (244). Et cependant, Il ne fàit aucun doute qu'ici les oiketai sont esclaves à titre personnel. Il faudrait pouvoir dire qui sont ces laoi cités près des oiketai. Est-ce une partie de la po. pulation qui a été retirée de la communauté? A-t·on ici un statut intermédiaire entre laoi communautaires libres et esclaves? Une gradation donc telle que: libres, « endettés», « esclaves pour dettes» ? L'obscurité du texte rend pratiquement impossible, nous semble-t-il, d'apporter une réponse assurée à ces questions. Il n'en reste pas moins qu'à partir de ces documents on ne peut songer à généraliser; si au contraire l'inscription de Mnésimachos date bien du 2e s., on voit que la communauté du village est encore bien vivante. Les exernpies ne manquent pas : nous avons déjà analysé (2,45) le décret du village de Philadelphia qui date du 1er ou 2e s. ap. J.,c . , où le terroir communautaire est encore administré par la communauté. Précisons en outre que le village reste l'unité de base lorsque les revenus sont concédés à un temple: lorsqu'Annochos (1 ou II) fait une telle concession à un temple de Zeus, c'est hi village de Baitokaikè qui la définit, avec' ses terres et ses propriétés, dont les limites sont connues (246). Il ne faut pas non plus se faire d'illusion sur les conséquences immédiates de l'urbanisation: les laoi ne deviennent pas brutalement esclaves (247) : ils restent laoi (248), et conservent leurs structures communautaires (249), au moins dans la plupart des cas (250). Les terres du village ne deviennent pas obligatoirement terres civiques (251) et ne tombent donc pas obligatoirement dans le régime de la propriété privée. Les villes, comme les rois, ont avantage à conserver la structure communautaire : c'est le village tout entier
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qui devient « sujet» de la cité (252), sans que cela entraîne automatiquement un esclavage personnel. Mieux vaut donc avouer notre perplexité sur les 6 oiketai de l'inscription de Mnésimachos et abandonner par le méme coup une liaison devenue inutile entre l'asservissement et la désagrégation du village (253). Si asservissement il y a eu, c'est dans le cadre communautaire qu'il faut l'envisager. 2) Asservissement et paupérisation Revenons-en donc à l'hypothèse de Svenciskaja, dont nous nousétonnons qu'elle n'ait pas pensé à poser cette simple question: que se passe-t-il si le village ne peut pas payer le phoros qu'il doit verser au roi? Qui dit phoros payé collectivement dit par là-même responsabilité collective face au non-paiement de l'impôt. Il ne s'agit pas d'une hypothèse d'école. Qu'au contraire, à un moment ou à un autre, les /aoi se soient trouvés dans l'impossibilité de payer l'impôt, c'est ce qui ne saurait étonner. Le phoros est en effet extrêmement lourd; il l'est d'autant plus qu'il est fixé une fois pour toutes: il n'y avait pas d'abattement, même après une mauvaise récolte (254). Or les rois sont devenus de plus eh plus exigeants (255) ; la permanence de l'état de guerre, les dévastations dues aux armées (256), ont très certainement amené une diminution de la production, si bien que le phoros est devenu de plus en plus lourd pour les laoi (257). Or, en cas de non-paiement, l'administration royale prenait forcément des mesures. Nous disposons d'un exemple très précis, mais pour une cité (258) -Apollonia du Rhyndakos peut-être- dont les habitants connurent la triste situation, sous l'administration attalide (Eumène II ou Attale II), de ne pouvoir acquitter leurs obligations à l'égard du trésor royal. Des mesures de rétorsion furent prises à son encontre: le roi confisqua « les domaines sacrés qui dépendaient (259) de la cité», supprima les subventions pour les fêtes et les jeux; en outre, plusieurs citoyens connurent le risque d'être dépouillés de leurs bienfonds, ce qui semble indiquer qu'ils étaient endettés à l'égard des trésoriers royaux. Mais le processus ne peut s'appliquer brutalement à un village. Quel intérêt aurait eu le roi à transformer les /aoi en esclaves de type classique? Au contraire, une telle mesure aurait fait baisser immédiatement la productivité et donc le phoros : on peut supposer plutôt que les rois séleucides, comme les Ptolémées (260), ou les souverains orientaux, leurs prédécesseurs lointains (261), cherchèrent à conserver une main-d'oeuvre « libre », c'est-à-dire étroitement dépendante du roi. Une confiscation de la terre? Mais cela ne correspond à aucune réalité, puisque le roi en était déjà propriétaire; on ne voit pas quel intérêt il aurait eu à en enlever la jouissance aux laoi. « Esclavage pour dettes » alors? Dans une certaine mesure seulement. Le retard du. pharos ne peut être assimilé en effet à une dette, sous peine de déformer la réalité de royaumes nés de la conquête. C'est le phoros lui-même qui est une « dette», c'est une dette contractée par le vaincu par rapport au vainqueur, c'est le signe de la soumission (262). En quelque sorte la conquête a imposé aux laoi une
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dette perpétuelle.: ils ne peuvent pas s'en acquitter, ce qui revient à dire que la « liberté» des laoi ( à l'intérieur de la communauté villageoise) avait été frappée dès le départ d'une « dépendance perpétuelle» à l'égard du gouvernement royal, dépendance d'ordre essentiellement fiscal (263). Dans ces conditions, les mesures prises par l'administration royale contre un village incapable de payer le phoros ne pouvaient pas modifier la nature de la dépendance: les «libres» ne devenaient pas brutalement «esclaves». En revanche, l'administration se devait de veiller à rendre régulière la perception du phoros et donc à transformer le travail des laoi en une masse accrue d'imposition. Par quels moyens? On en est réduit là aux hypothèses, dont certaines cependant apparaissent logiques. 11 n'est pas interdit de penser tout d'abord que l'administration royale « prêtait» des semences aux villageois (264) ; il est probable qu'on chercha également à fixer le paysan à sa terre, c'est-à-dire que le statut des laoi évolua sans doute vers le colonat (265) ; enfin, on ne peut douter qu'en certains cas (qui durent se multiplier au fur et à mesure de l'appauvrissement), on augmenta globalement l'imposition du village jusqu'à un taux qui devint certainement insoutenable pour les villageois (266). Pour tout dire, l'exploitation du travail des laoi fut poussée à un stade jamais égalé encore en Asie. Au total, des deux notions, liberté-dépendance, qui définissaient le statut des laoi, la première a fini par perdre toute réalité. Hypothèse sans doute, mais hypothèse qui permet dans une certaine mesure d'expliquer un passage de Varron (267) qui compte, parmi les catégories de travailleurs libres, « ceux qu'on nommait chez nous obaerati [obaerarii) et crui existent encore en grand nombre en Asie, en Egypte et en Illyrie». Qui sont ces gens? 11 est nécessaire d'interpréter le terme, car Varron appelle ici «esclaves pour dettes» à la manière de l'ancienne Rome tous les paysans dépendants dont il connaissait l'existence (268). Pour l'Asie mineure en tout cas (269) ,il pourrait justement s'agir de ces laoi pressurés et asservis par le gouvernement royal, au nom d'une « dette» dont nous avons tenté de dégager la signification. L'existence d'un tel asservissement collectif pourrait également permettre de comprendre l'état explosif de l'Asie mineure que révèlent les succès de la propagande d'Aristonicos. Sous les « pauvres et douloi » de Strabon, il ne faut pas forcément voir deux catégories différentes de population. Même si le terme doulos n'est pas dénué d'ambiguité, il exprime au moins que les laoi étaient tenus en sujétion. Le premier terme précise l'origine et la nature de cette sujétion: l'appauvrissement continuel sans aucun espoir de sortir de cette condition. La lutte d'Aristonicos, ce n'est pas seulement la révolte des esclaves (au sens classique du terme) contre les maitres (270), c'est aussi et surtout -nous semble-t-il-Ia révolte des pauvres contre les riches, à l'occasion de la disparition du pouvoir royal (attalide) qui, précisément, était le principal oppresseur des laoi.
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CONCLUSIONS Comme nous l'indiquions dès le départ (271), une définition du statut des paysans indigènes sur les terres royales asiatiques, ne peut être tentée qu'à travers une analyse globale des structures sociales et économiques des royaumes. A cet égard, on a eu trop tendance à privilégier un élément d'explication et d'interprétation, à savoir l'urbanisation, phénomène sans doute important, mais non pas déterminant. Cette diffusion de la cité grecque, en effet. n'a pas « libéré» les /aoi comme le voulait (ainsi) Tarn (272). Mais elle n'a pas non plus, contrairement à la démonstration de Ranowitsch (273), introduit brutalement en Asie l'esclavage de type classique. Il y a lieu au contraire de distinguer (274) : a) les cités, dont la survie et le développement sont fondés en effet sur le recours à l'esclavage b) la terre royale (ou tributaire (275», peuplée essentiellement de paysans indigènes, les laoi, en principe libres à l'intérieur de leur communauté villageoise, mais dont la force de travail est exploitée jusqu'à l'asservissement par un roi puissant et son administration. Nous pensons que la notion marxiste de mode de production asiatique définit exactement les rapports sociaux et économiques qui existent dans ces royaumes autocratiques (276). On peut dès lors se demander si, au fond des choses, l'Asie séleucidë et attalide n'est pas très proche de l'Egypte lagide. L'originalité de celle-ci a été maintes fois affirmée (277). Dans une étude récente ainsi, Cl. Préaux (278) énumère un certain nombre d'éléments de diversité: l'Egypte avait des traditions d'unité, contrairement à l'Asie multiforme; celle-ci a été urbanisée, contrairement à l'Egypte; le nomadisme n'a pas disparu complètement dans l'empire séleucide, et la « féodalité» s'y est conservée ( en Iran au moins). Mais plusieurs de ces caractères de diversité nous paraissent contestables; pour l'essentiel au moins, la terre royale séleucide et attalide reste « hors-cité» ; la notion de féodalité asiatique ne nous paraît pas soutenable ; l'opposition entre les paysans asiatiques, qualifiés de « serfs», et les paysans égyptiens « libres) (279) est plus apparente que réel1e. Les éléments de rapprochement nous paraissent en revanche plus nombreux et plus fondamentaux: l'organisation économique est dominée par un roi tout puissant, elle obéit à des préoccupations d'exploitation fiscale. Le fondement de l'une et l'autre organisation, c'est la politique royale (280). Nous avons à faire dans les deux cas, au même mode de production, le mode de production asiatique. Nous avons d'ailleurs noté au passage un certain nombre de rapprochements : la force de la communauté villageoise, la responsabilité solidaire devant l'impôt, peut-être le prêt de semences aux villageois... Ces rapprochements ne peuvent pas être interprétés comme des coincidences si l'on admet l'identité des structures sociales et économiques (281). L'impression de diversité provient surtout de l'inégale répartition de la documentation.
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Une comparaison systématique permettrait sans doute de préciser et de nuancer notre connaissance de l'Asie et de l'Egypte hellénistiques, et en particulier de mieux définir -en les rapprochant- le statut de leurs populations rurales indigènes, pour lesquelles la conquête macédonienne s'est certainement soldée par une dégradation de leur situation sociale et économique.
Pierre BRIANT
1. Voir en particulier A.B. Ranowitsch, Der Hellenismus und seine geschichtliche Rolle, Berlin,l958 (traduction allemande d'un livre paru à Moscou en 1950), en part. p. 130 sqq., suivi par V. Vavrinek,la rëvolre â'Anstonicos, Prague,! 957, p. 9-10 (beaucoup plus flou cependant). 2. Ainsi E.S. Goloubtsova « Formes d'asservissement du peuplement rural de l'Asie Mineure du l1Ie au 1er s. av. n. è,», VDl, 1967 - 3, p. 25 - 44 (en russe). 3. Ainsi Komemann, RE, Supp. IV (1924),s.v.« Dornànen », col. 229; V. Vavnnek, Aristonicos, p. 5 ( « laboureurs dépendants et seml-libres »). 4. Là-dessus, cf. la discussion infra, p. 14· 5. Cf. M. Rostowzew,SEHHW, III, p. 1515. 6. Voir en particulier B. Haussoulier,Etudes sur l'histoiTe de Milet et du Didymeion, Paris,1902, p. 106 n. 2 , 7. Ibid ., p. 106. 8. Voir par ex. Cl. Mossé La tyrannie dans la Grèce antique, Paris, 1969, p. 200 ( « paysans théoriquement libres... en fait réduits à une condition proche du servages). 9. Studien zur Geschichte der romischen Kolonates. Leipzig und Berlin, 1910 . 10. Agrarvemàltnisse im A ltertum, dans Gesammelte A ufsiitze zur Soziltl und WiTtschaftsgeschichte, réirnp. Tübingen, 1924, p. 1 sqq. 11.1nstitutions des Séleucides, Paris,1938 (en part. P. 176 - 185). 12. Mérite que lui reconnaft Ranowltsch p. 139 n. 3· 13. Nous n'ignorons pas l'ouvrage récent de F. Carrata-Thomes,La rivolta di Aristonico e le origini della provincia romana d'Ana, Torino,1968 ; mais il est bien évident que l'auteur n'a pu consacrer au problème que quelques courtes pages (p. 18-23) - Dans son intervention à la l1Ie Conférence d'histoire économique (Munich, 1965), Mouton, Paris-La Haye,1969, t. 1 : The ancient empires and the economy, CI: Préaux (Epoque hellénistique, p. 41-74), n'aborde pratiquement pas le problème des laoi (ce terme n'est pas utilisé une seule fois), sauf pour opposer (p. 45) ce qu'elle appelle les « serfs» des grands domaines d'Asie mineure (dont celui de Mnésimachos) aux paysans libres de la dôrea d'Apollonios-opposition qui ne nous semble pas fondée (voir infra, passim). Il n'y a pratiquement rien non plus dans D. Musti « La Stato dei Seleucidi : dinastia, po po li, citta, da Seleuco 1 ad Antiocho III», seo XV (1966), p. 61-197, -si ce n'est une fugitive comparaison entre le statut des colons militaires et celui des Iaoi (p. 184-185).
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mais sans que le statut de ces derniers ait été préalablement défini 14. Nous n'avons pas pu consulter Th. Zawadski"Some problems connecred with social and agrarian structures of countries in Asta minor in the period of early heuenism, Poznan, 1952 (en polonais, avec résumé anglais p. 67·77). 15. VDI, 1963-4, p. 127·139· 16. VDI, 1967-4, p. 80·86. 17. VDI, 1967·3, p. 25-44. 18. Ouvrage cité supra p. 2 n. 1. 19. Nous n'aborderons pas le problème de la condition des personnes SJ1t la terre des temples, • qui est traité par P. Debord. 20. Nous tenons ici à remercier Mlle Th. Deroo qui a bien voulu se charger de la traduction des articles soviétiques pour le compte de l'Institut d'Histoire ancienne de Tours. 21. Outre les inscriptions citées, cf. Polybe/IV, 52, 7, où il s'agit de laoi installés sur les terres de Byzance; peut-être Polybe a-t-il désigné sous ce terme les. Byzantins» que Phylarque (PGrH, 81 F8) oompare aux hilotes lacédémoniens (cf. D. Lotze,Metaxu eleutherôn kai doulôn. Studien zur Rechtsstellung unfreier LandbevOlkerungen in Grie· chenland bis zum 4. Jahrhundert v. Chr.,Berlin,1959, p. 57-58). Le terme laoi se renoontre très fréquemment dans l'Iliade et l'Odyssée, y signifiant. les gens », parfois civils, parfois soldats (Od.,ll, 13 ; XVI, 375·6 ;ll, 17,145; 24, 37 ; etc ... ; cf. Hérodote, l, 22; 8, 136 ; Thuc, l, 6, 3) ; il prend le sens de 'paysans» si on y joint un qualificatif (Od.,XI, 676, laoi agriâtai .. Aristoph., Paix 920 :ge6rgikos leôs) ; ce n'est plus le cas à l'époque hellénistique, où le terme s'applique sans équivoque aux paysans indigènes.
22.0GIS, 221 ; Haussoulier, Milet, p.101-103 ;Welles,RC, n? 10-13. 23. OGIS, 225 (incomplet); B. Haussoulier, Milet, p. 76 sqq. (texte, traduction et commentaire) ; C.B. Welles,RC, nO 18-20 et p. 89·104. 24. Le titre exact n'est pas donné mais se déduit du contexte (Welles, p. 92). 25. Y. H. Landau. A greek inscription foundneat Heafzibah »,lEJ,16 (1966), p. 54·70 (texte, traduction, commentaire), analysé et corrigé par L et L. Robert, Bull, 1970 -(1971), 627 (p. 469-473). Ce Ptolémée était déjà connu par Polybe.V, 65, 3 et OGI, 230. li est passé à Antiochos III au début de la cinquième guerre de Syrie (cf. Landau, p. 66). 26. Sur cet aspect, cf. LV.A. Fine «Horoi. Studies in mortage, real security and land tenure in ancient Athens», Hesperia, Supp. IX, 1951, p. 163-164 ; R. Bogaett,Banques et banquiers dans les cités grecques, Leyde,1968, p. 163, n. 184. 27. Dans leur première publication (AJA, 1912, p. 22-26) ,Buckler et Robinson tenant compte que la concession avait été attribuée à Mnésimachos par un Antigonos (1,2), appelé roi (11,13), concluaient que l'inscription remontait à Antigonos 1er; ils en voyaient confirmation dans le style qu'ils dataient de la fm du IVe s. Très vite plusieurs savants prirent position contre cette datation, l'examen de l'écriture les amenant au contraire à conclure à la fin du Ille s.(P. Roussel, REG,1914, p. 463 ; G. Klaffenbach, Gnomon, 1936, p. 212). Dans leur deuxième édition (Sardis, VII, l , n°l) Buckler et Robinson ont tenu compte de ces critiques, mais ont maintenu qu'on disposait là d'un exemplaire tardivement regravé vers 200 d'une inscription bien antérieure. Aujourd'hui la datation basse est couramment acceptée: Ch. Picarq,Ephèse et Claros, Paris 1922, p. 81 n. 3 ; Swoboda
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«Kômé»,RE.Supp.IV,I924, col. 963 (2e sicle) , Rostowzew,C4HVlI, p. 171 suivi par E. Bikerrnann, Institutions, p. 177 n. 3 ; Th. Zawadski"La date de l'inscription de Mné· simachos, dans Charisteria Th. Sinko ob Iota, Varsovie,195 1, p. 395·401 (cf. J. et L. Robert, Bull. 1952,143) ; E. Cavaignac,Populotion et capital dans le monde antique, Strasbourg 1923, p. 122·128 ; P.R. Franke « Inschriftliche und numismatik Zeugnisse für die Chrono-
logie des Artemistemples», A M.76 (1961) (1962) p. 197·198 ; R. BogaertlOp. cit., p. 263 n. 186 • Pour Antigonos Ier, voir surtout H. BengtsoryJie Strategie in der hellenistischen Zeit, 13, München, 1964, p. 174 n. 1 ; également, mai, sans discussion, ESoGoloubtsova, p. 36; A.B. Ranowistch, p. 135 ; V. Vavrinek, Aristonicos, p. 10 ; Welles,RC, p. 96 n, 16. 28. Eumène 8. 29. Sur ce sens de l'expression: ta uparchonta autois, voir Haussoulier, p. 105 ; Welles, p. 94 ; Buckler-Robinson, p. 58 ; E.S. Goloubstova p. 37·38. 30. Voir en part. SEHHW l, p. 507·512; III, p. 1515, et C4H. VII (1954), p. 180·183 (utilisation abondante de l'inscription de Mnésimachos)· 31. La liste des auteurs serait trop longue. Mentionnons: Kornemann « Dornanen», loc. cit ... Swoboda «Kôrne» RE, Supp.IV, 960 sqq. ; W. W. Tarn)The Greeks in Bactria and India, .le éd., Cambridge, 1966, p. 31-33 ; Tarn-Griffith,Hellenistic Civilisation, 3e éd. 1952, p. 134 sqq. ; P. Jougue;L 'impérialisme macédonien et l'hellénisation de l'Orient, 2e éd., Paris,1961, p. 410 sqq ; en dernier lieu Cl. Préaux, loc, cit. 32. p. 249· 33. Ces conclusions sont pour la plus grande part empruntées à M. Weber (cf. Kolonat , p. 259 n. 1), 34. p. 259 «... diese lao! basilikoi eine Bevôlkerungklass Kleinasiens waren, welche ais solche auch irï der Gesetzgebung hervortrat » (pour ce dernier point, il se fonde sur Athénée, XV, 696 B : cf. infra. p. 19). 35. P. 258:« diese laoi basilikoi werden durchaus ais Leibeigene behandelt » (Il ne peut y avoir ambiguité - comme dans la traduction française « serf» . car Rostowzew emploie aussi bien les termes «Hôrig» que «Leibeigene»)· 36. P. 259. 37. P. 253·256.
38. Supra, p. 6. 39. The cities and bishoprics of Phrygia, I, Oxford,1897, p. 419-420. 40. Voir en part. Procop<;.Aed., I, p. 266· 41.Plutarquejloc. cit. 42. Y. Garlan « Fortifications et histoire grecque» dans Problèmes de 10 guerre en Grèce ancienne, publié sous la dir. de J.P. Vernant, Mouton, Paris-La Haye. 1968, p. 257. 43. Cappadoce: Bevan,The house of Seleucus, Londres 1 (1902), p. 78·79 ; Pont-Euxin : Rostowzew,CAlI; IX, p. 214 sqq. ; Troade: Xénophon, Anab., VII, 8,7 ; Lydie: T.R.S. Broughton, dans Economie survey of an cient Rome, IV, (1938), p. 871·872 ; Ionie: D. W. S. Hunt «Feudal survivais in 10ni3» , JHS,67 (1947), p. 68·75. -Sur ce développement, cf. aussi L. Robert0EPHE. IVe section, 1968/69 p. 180-181. Ce passage de Plutarque a donné lieu, on le voit, à un très grand nombre de commentaires: nous nous permettons de renvoyer également à notre Antigone le Borgne (à paraitre l.Tère Partie, chap. Ill.
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P. BRIANT 44. Rostowzew, Kolonat, p. 253. 45. P. 253'S4 ; • Grosse Güter», 46. P. 253. 47.P.254. 48. Jbid.
49. Ibid. où il explique le renouveau de ce type d'architecture en Syrie au IVe ap. J.-c. par cc qu'il appelle. die neue Feudalisierung des Lebens im Osten in der spàteren Kaiserzeit». 50. P 53 . 51. P. 58. 52. RC, p. 91 ; cf. p. 320-321 . 53. Ibid ., p. 65, avec une comparaison avec baris 54. Art. cit., p. 70-75 . 55. Dans les études citées supra p. 10 n. 1 . 56. Kolonat, p. 250, 260 etc... 57. Voir en part.SEHHW, Ill , p. 1515 et CAH, VIl, p. 176-177. 58. P. 255-6 . 59. SEHHW, p. 507-508 . 60. Rostowzew, SEHHW, l, p. 507 le constate lui-même . 61. On cite toujours l'exemple du don fait par Pharnabaze à Alcibiade (Nepos,
Ale 79,
n. 62. Loc. cit,
63. Exemple d'utilisation abusive des sources: voir en particulier W.W. Tarn-G.T. Griffith,HellenisticCivilisation, p. 134-5. 64. Voir infra, p. 27-28 . 65. Jos .. Ant. Jud., XIll, 36. 66. Y. Garlan, ibid, p. 258. 67. Voir cependant Tarn-Griffith Ibid. p. 134 ; Buckler-Robinson, page 58.
68. Seigneurie et féodalité .J- Le premier âgedes liensd 'homme il homme, AubierMontaigne, Paris 1968, p. 18 sqq ( «Eblouis par les rivages méditerranéens, des historiens ont cherché en Egypte et en Asie mineure les antécédents du régime que nous venons de décrire»), p. 256 ; « L' «organisation de la Grèce homérique, puis celle de l'empire séleucide
ont fait surgir dans les cervelles érudites l'oiseau magique» ; (cf. déjà J. et L. Robert, Bull. 1958,173 à propos de l'article de Hunt; « et la notion de féodalité européenne que l'on compare peut difficilement éclairer la chose. l. D'autre part, notons que le recours à l'histoue de l'Orient ancien est tout aussi peu satisfaisant, car ià encore on a abusé du terme «féodalité» qui ne correspond pas aux structures de ces Etats (cf. P. Garelli, Le ProcheOrient asiatique, PUF, Paris,I969, p. 339-345, qui propose le terme de régime. palatial »),
69. Cf. les réflexions de R. Boutruche, ibid. p. 25 ( ... « c'est s'abandonner à la routine et encombrer la science de scories») . 70. P. 133 (sur la finalité du raisonnement de Ranowitsch, cf. infra, p. 25-26. 71. Supra, p. 7-8.
72. SEHHW, i, p. 507 ; CAH, VIl, p. 183. 73.RC,p.96.
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LAO! ET ESa..AVES R VRAUX 74. Milet, p. 105-106.
75o(La population sur les terres des villes de l'Asie mineure occidentale à l'époque de l'Hellénisme», VD/ 1957-3. 76. P 38·
77. P. 78 (cf. également CI. Préaux, foc. cit.). 78. Ibid., p. 105.
79. Ibid., p. 101.
80. Kokmat, p. 249 ( « das voile Eigentum ») ; cf. aussi Welles,RC, p. 64 ( « the gift is of full title») (à propos d'Aristodicide). 1
8l.Art. cit., p. 38. 82. Goloubtsova, de même qu'Haussoulier (foc. cit.) et Rostowzew (Ioc. cit.), utilise en ce sens le terme Kunos (inscr.Laodikè ligne 12 et 9) en le rapprochant d'OG/S, 335 ligne 139 (vente de terre à la cité de Pitanè). 83. Goloubtsova, p. 26. 84. La position d'Haussoulier (p. 104-105) n'est pas très claire; il appelle successivement les laoi, «manants», «colons», les compare aux oikees crétois, tout en affirmant qu'ils n'ont rien
à voir avec les esclaves.
85. P. 39-42. 86. P. 176 sqq. 87. P. 137 sqq. 88.Supra, p.lO.
89. P. 258. 90. P. 178. 9l.
sc: 11 lignes 21-25·
92. Cf. inscription de Laodikè. 93. Kolonat, p. 258.
94. Voir CI. Préaux,L 'économie royale des Lagides, Bruxelles, 1939,p. 509 ; plus récemment H. Braunert Die Binnenwanderug, Studien zur SozÛllgeschichte Aegyptens in der
Ptolemâer- und Kaiserzeit (Bonn Hist. Forsch., 28), 1964, p. 22-23 et index, s.v. 95. Bikermann, p. 178. 96. Ainsi Ranowitsch, p. 138-139. 97. Welles,RC, nO 10,4-6 ;n o 11-12,passim. 98. Bikermann,loc. cit. ; Ranowitsch, p. 137-138. 99. Bikermann, ibid. 100. Ainsi Goloubtsova, p. 39-41 ; F. Carrata-Thomes, Aristonico, p. 18 n, 34. 101. C'est particulièrement net dans les inscriptions de Ptolémée, où interviennent,
à un moment ou à un autre: 1 stratège, 1 économe, 2 diocètes, les phrourarques, les préposés aux topoi. 102.RC, 18, lignes. 27-28, et nO 19, lignes 14-15.
103. Cf. Welles, RC, comm. ad foc. 104. Structures agraires. . . Poznan,1952, p. 73 sqq, (cité par Goloubtsova, p. 34)..
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105. Comme le remarque justement 1. S. Svenciskaja dans une étude citée par E. S. Goloubtsova, p. 34. 106. Voir supra, p. 12.
107. Contra Landau, ibid., p. 66 n. 14, reprenant une suggestion d'A.G. Woodhead qui, pourtant, (ibid. p. 67 n. 18) a bien compris que pour d'autres affaires (civiles. cf. Robert, ibid.. p. 472), Ptolémée n'a aucun pouvoir de décision pour quelque viUage que
ce soit. 108. Athénée/XV, 697 B ; cf. Rostowzew, Kokmat, p. 248 qui compare avec les laocrites égyptiens.
109. Eum.4 (Eumène obtient de Perdiccas, après la conquête de la Cappadoce (printemps-été 322) le droit d'y nommer des phrourarques, des diocètes et des jU\les (dikastal) ; cf. Bengtson, Strategie, 1,J, p. 187 n. 1 ; Ranowitsch, p. 127, est le seul auteur, à notre connaissance, à noter l'intérêt de ce passage, sur lequel nous reviendrons dans une étude à parame dans REA. 1972. 110. RC, 18, lignes 9-11.
111. Ibid., ligne 13·
1I2.lbid., : to basillkon . 113. On ne sait pas très bien ici ce que désignent ces kleroi. Le terme est souvent employé dans le sens de lots concédés à des militaires (cf. Oertel « Katoikoi »RE, XI·I (1921), 1 sqq.). C'est peut-être le cas ici (Buckler -Robinson, p. 25 : « soldiers' allotments», Bikerrnann, p. 83-84.).
114. Les hypothèses de
Buckler-Robinson, p. 29-30 sur l'identification d'Adras-
tos sont trop liées à la datation heute de l'inscription pour pouvoir être acceptées. 115. Sur ce terme, cf. inscr. l, ligne 4. 116. cf. Haussoulier, p. 99·100. 117. E. Cavaignac,op. dt. , p. 123 traduit ce terme par « maison avec jardins» ; pour W.K. Pritchett (e The Attic stelai», Hesperia, 25 (1956) p. 264), le mot, ici, se réfère clairement à un lot de terre, bien que peut-être on le destine à une construction.
na. P. 37.
ns. Welles,RC,
3,lignes 90 sqq ; Polybe,v, 89, 9; Diodore,XXXI, 36 ; cf.
également Welles,RC, 70 et M. Holleaux, Etudes II, p. 102 sqq. 120. Buckler-Robinson, p. 57 ; Cavaignac, loc. cit. 121. Bikermann,lnstltutwns, p. 179. 122. Ranowitsch, p. 138-139.
123. Ligne 13. 124. Ranowitsch, p. 138. 125. Bikermann, p. 178 ; Ranowitsch, p. 137-8. Cf. d'ailleurs Welles, Re; 70. 126. Comme le remarquait déjà Droysen, Histoire de l'Hellénisme, I, p. 782, suivi par Haussoulier, p. 104-105, le roi n'avait ainsi aucunement l'intention de faire d'Artstodicide une sorte de dynaste. 127. Sur la mobilité des concessions, cf. Welles/RC : II, lignes 4-5 et 70, lignes 6-7
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128. Ainsi Haussoulier, p. 106 ; Welles, RC, p. 96-97. 129.lnscr. Laodikê, lignes 28-31 ; voir aussi OG/S,335,1ignes 138-139 (vente de terre à la cité de Pitanè) . 130. Rostowzew, Kolonat, p. 252 qui, en revanche, pense qu'Il en était ainsi chez les Lagides et en Macédoine. Il s'appuie pour cela sur Syll. 2, 178' !JG I, 2e série (1898), nO XXV: renouvellement, par Cassandre, d'un don d'un kleros, don qui remontait à Philippe Il, qui montre en effet que le caractère héréditaire de la concession ne supprime pas la propriété éminente du roi. Mais l'opposition avec les Séleucides ne nous paraft plus devoir être soutenue depuis la découverte de l'inscription de Mnésimachos : celui-ci s'engage pour ses descendants, mais prévoit en même temps la possibilité de reprise par le roi. 131. Pitanè dut ainsi payer 380 talents. 132. Dans la vente à Laodikè sont compris les revenus de la 5ge année ()?C, 18, lignes 9-11) .
133. Dans l'inscription de Ptolémée, on semble distinguer deux catégories de villages: -ceux que Ptolémée tient
E')'
XTT7U€t .et elc
riJ 1ra7p()(Qv (ligne 23)· et d'autres
qui lui ont été attribués, probablement lors de son passage dans le camp séleucide (cf. Landau ibid. p. 67n. 14). Nous ne pensons pas cependant qu'à propos de la première catégorie on puisse parler de «pleine propriété sans restriction» (contra, Landau, p. 67 ; Robert, ibid. p. 472). La concession eis to patrikon ne supprime pas la propriété éminente du roi
(cf. supra, p. 21 n. 8), comme le montre la puissance de l'administration royale dans ces villages ~mme dans les autres. (L. et J. Robert,loc. cit. renvoient à une inscription séleucide de Failaka (Bull., 1967, 571) où il semble que certaines personnes tiendront eis petrikon des terres, si elles les ont plantées et cultivées). Il nous semble d'autre part que l'ex-
pression E')' XTT7U€t ne peut prendre véritablement le sens de propriété pleine et entière que si elle s'applique à une portion de chôra polittkè et que si le propriétaire est citoyen. Probablement avons-nous là un exemple de la difficulté (pour nous) à saisir le sens d'un vocabulaire civique employé dans une économie et des institutions royales. 134. P. 57-58. 135. a. justement Rostowzew, III, p. 1521. 136. Voir l'insistance d'Aristodicide à se voir concéder de la terre mise déjà en culture. 137. Sur l'absence de détails sur les laoi dans l'inscription d'Aristodicide, cf. Goloubtsova, p. 34-36. 138. Sur l'évolution, cf. infra p. 25. 139. Pour Cyzique, voir
Hasluc~JHS/1904,
p. 22 sqq. et Goloubtsova, p. 39.
140. Voir en part./nsch. Priene 1 ( 'Tod, 185), lignes 11-13 (cf. Rostowzew, Kolonat, p. 247 ,SEHHW,
r, p. 503; Broughton, ESAR,
IV, p. 628J,
141. Rostowzew, Kokmat, p. 247 ; SEHHW, l, p. 503 ; Broughton, ESAR, IV, p.628. 142. Voir par ex. Dion Chrysostome, Or. ,XXV (in Celaenis), passim. 143. Quinte-Curce.Jll.Lf .
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P. BRIANT
144.Altab., IV, 5, 9-10, 24. 145.0GIS,488 (village de Philadelphia). 146. Cf. L. Robert,Etudesanatoliennes, Paris, 1937, p.157-158. 147. Rostowzew, Kokmat, p. 262; Ranowitsch, p. 139. 148. Insc. Laodlkè, lignes 2-3. 149. Bikermann, p. 177 . 150. Cf. supra, p. 20. 151. Bikermann, p. 106 sqq, 152.P.179· 153. Haussoulier, p. 78; cf. supra, p. 15· 154. Cf. OGIS, 488. 155. Voir Bikermann, p. 109 ; « le tribut était payé au nom de la communauté par ses chefs» (le terme «communauté» désigne ici une ville, un peuple autonome aussi bien que le village) . 156. Welles, RC, 19, lignes 11-14 .
157. Contra, Welles,p. 105: «men who seem in no way distinguishedbeyond their fellows», qui par ailleurs voit dans l'onomastique la preuve de l'hellénisation croissante des indigènes. 158. P. 139· 159. Voir infra, p. 39-42.
160. The Greeks in Bactria and India, 2,1951, p. 32-33. 161. Ibid., p. 33; cf. Hell. Civ., p. 135. 162. Cf., par exemple Ch. Parain, Caractères généraux du féodalisme, dans le recueil du CERM intitulé Sur le féodalisme, Paris, Editions sociales (1970), p. 13 sqq. Ch Parain critique fort, sans le nommer, la position de R. Boutruche qu'il considère comme un « formalisme dangereux» (p. 14). Le féodalisme est donc... «tout.système où le travailleur des champs, ayant cessé d'être esclave, est cependant soumis à toutes sortes de contraintes extra-économiques, limitant sa liberté et sa propriété personnelle, de telle sorte que ni sa force de travail ni le produit de SOn travail ne sont encore devenus de simples objets d'échanges libres, de vraies «marchandises». 163. P. 141. 164. P. 141 et 146. 165. P. 141-144 . 166. P. 145-146. 167. Soulignée justement par Goloubtsova, p. 42 ; I. S. Svenciskaja, lI.'DI, 1963-4, p. 127 fait preuve de trop d'optimisme en parlant de «toute une série de témoignages sur l'esclavage », Il s'agit en fait d'une bien courte série. 168. Cf. supra, p. 20 et Infra, p. 33-37. 169. Buckjer-Robinson, p. 58 ; Westerman,Slave systems, p. 31 ; Broughton,
ESAR, IV, p. 631-2 ; Bickermann, p. 178 ; Cavaignac/Capital, p. 123 ;Ranowitsch,. p. 135 ; Goloubtsova, p. 41-42 ; I.S. Svenciskaja,VDI,1963-4, p. 127.
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170. Westermann, Slave systems, p.5 note que le terme ne sianiflo pu forcément esclave. On en a un exemple épigraphique: OGIS.).29,ligrte 35, où 01 allol olutal dMI· gnent le reste de la population par rapport aux lcatolkol, c'est à dire aux militaires (M. Launey,Recherches sur les armées hellénistiques, Il, Paris, 1950, p. 670). Voir en revanche Strabon,VII, 304 ; Thuc1 vm, 40 ; Diodore,XVII, Il, 2 et XVIIl, 5l, 3 ; Paul&Jllas,VII, 15, 7 ; H. Van Effenterre .Querelles crétoises», REA, XLIV (1941), p. 35,l(rne, 48-49 (sômata eleuthera ; olutaO, etc•.. 171. Cf. Infra, p. 29. 172.
m. p. 1521 (n. 76).
173. Ainsi Svenclskaja, VDI.1963-4, p. 126. 174. Launey Il, p. 736 ; Ranowitsch, p. 133-134 ; Rostowzew,K%nat, p. 254. 175. ibid. 176. Citlesand bl,hopr/cs, p. 419-420. 177. M.l. Finley .Was greek clvilization bued on slave labour? " Hlnor/iz, VIII (l959), p. 146: Slavery ln classlcalAntiqulty, p. 54 (utlll another general word came into use in the hellenistlc period, when s3ma (ebody» carne to mean ulave> if not otherwise
qualified by an adjectives}; , 178. Westermann,Slave systems, p.5 citant en part. Pollux 3,78 179. Cf. en part. P. Ducrey Le traitement des prisonniers de guerre dan, la Griœ antique, Paris 1968, p. 26-29. 180. Cf. Bouché-Leclercq Hlltolre de, Laglde" IV, P. 121 n. 2; CI. Pr6aux Economie royale, p. 304 n. S. 181. P. Ducrey p. 27 avec les exemple, cités aux notes 5-6. 182. Ainsi les inscriptions de manumission de Delphes (Ducrey, p. 28 n. 1) • 183. Dans une étude sur Eumène de /Cardia ,à paranre dans REA, 1972 • 184.Ad. Wilhelm,Jahreshefte de, oest. arch. Inst., VlIl, 1905, p. 280,ligrte 56 : IlÔmata kal thremmat« (cité par Ducrey, p. 27 n.I) . 185. Polybe/IV, 52, 4; 73, 6 (IIÔmata 1cIlIlcatlllkeuè,) ; 75, 2 (IIÔmata lcal thremmata) ; XXIII, I, 11 (sômata. . . thremmataï , 186. Ainsi Ducrey, p. 136 - (sans besoin de justification) . 187. Rostowzew, SEHHW, lIl, p. 1521 n. 76 ,Ranowitsch,p. 142 ; Svenclskaja, VDI, 1963, p. 127. 188.lnsch. Priene, 18: OGIS, 215. 189. On peut difficilement supposer qu'il s'agit de la capitation citée par Ps. Arist.Econ; Il, I, 4 à côté des taxes sur les troupeaux (oo,umata). 190.ln,i:h. Priene, 39 : OGIS 351. 191. Vers 155 av. J.C. 192. Ainsi Rostowzew, Kokmat, p. 250 n, 1 ; cf. SEHHW, /oc. clt. 193. XXXl1l, 6, 6 sqq. 194. Cf. supra p. 28. 195. Cf. en part. SEHHW (/oc. clt.) où l'auteur, citant lesolketal de l'inscription de MnMlmachos, les inscriptions de PrIène et OCI$, 326, précise : dhese referenees will
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sufnee» : il n'en est rien! 196. Voir ùtfra, p. 32 n. L 197. SEHHW. Il, p. 806· 198. Arl"on/llCl'. p.S. 199. SupM, p.29. On ne peut pas non plus utiliser l'insaiption d'Amyzon publiée par L. Robert (Elud......,oU."M•• p. 3119) dont Rostowzew (SEHHW. lll, p. 1521. n. 76) a voulu tir.. lifte preuve du malai.. ciel esclaves et d'un premier pas vers la révolte (cf. les julles remuques critiques de J. C. Dumont cA propos d'Aristonioon, Elrene, V (1966), ".190 a. ',suivi pu Cl. Mossf,TyNllnle, p. 198n. 2). ~O. On ~it très .énéralement lue la production industrielle de Pergame 6tait concentr6e dans des atellers royaux où travaillaient des peuples d'esclaves. La docu-
mentation est là encore ind.ente. Ainsi,on a tenté fréquemment d'utiliser une inscription de Delphes (Sy/L2., 846), où Attale 1eraffranchit une esclave royale, et où son représentant Dam6as est appelé: 0 epl lô" .".,,, lô" bariUkô". De très nombreux auteurs (Haussoulier, Corradi, Foucart, Tun) y ont vu un surintendant cie. ateliers royaux et ont conclu que les rois de Pe"ame avaient employéen srand nombre des esclaves, SUl'tout 1er femmes. dans les ateliers royaux et dans lesdomaines. alors qu'il s'aaissait d'un cpréposé à la construction des monuments royaux» (cf. L. Robert,.Et. A"al., p. 86·88 avecréférences aux auteurs cités). La remuque serait d'ordre archéolo.ique .i on ne s'aperœvait, à lire lesouvrages récents,que l'erreur, en tout ou en partie, continue de se transmettre: cf. ainsi Vavrinek, p. 8 : «toute la production industrielle du royaume de Pergame était fondée sur le travail des esclaves, 'IIIOut 1er femmes . .. Ji en continuant de voir en Daméas un surveillant des esclaves. Il renvoie à Rostowzew qui donne le titre exact de Daméas (Ill, p. 565) maiscontinue d'affirmer (Ill, p. 1228) qu'il y avait surtout des femmes .. cf. aussi E.V. Hansen/The AI/a/Idsof Pe'lamD". 1947, p. 197 : most/y women. 201. Type de raisonnement: Foucart, p. 306 ; Hansen, p. 197; Rostowzew et Vavrinek /oc. clt. 202. DG/S, 338, lianes 21·26. 203. Nousrevenons à plusieurs reprises, dans le cours de cette communication, sur la nécessaire distinction entre terre civique et terre royale. Le cas de Pergame requiert, à cet élard, une attention particulière. C'est en effet le seul exemple de royaume, dont la capitale et le centre soit une cité, pourvueIlestraditionnelles institutions civiques, (même si celles·ci sont contrôlées par des stratèges), L'appellation même de Pergame est donc ambigüe, car elle s'applique aussibien à la cité qu'auroyaume. Il y a donc lieu, lorsque l'on parledes Attalides, cie préciler très nettement si l'on entend, par exemple, châra politllcè ou chôra bllSilikè.
204. XIV, i, 3S. 20S. Cf. surtout L. Robert,Vil/esd:Asie mlneure, 2, Paris,,1962, p. 264 sqq. 206. Cf. M.l. Finley «La servitude pour dettes •• RHD, 1965, p. 168. 207. Cf. infra p. 39-42. 2011. cr. Rostowzew SEHHW, l, p. 562 et CAH. Vlll (1954), p. 603 ; Vavrinek, Aril/onicos, p. 6, 10 ; Cl. Mossé, Tyrannie, p. 200 (prudemment) ; Swoboda, s. v. «Kôme»,
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LAO! ET ESCLAVES RURAUX REJSupp.IV, col. 962; Kornemann, ibid., s.v. «Dornânen», col. 236. 209. Voir par ex. Hansen, Attalids, p. 196 sqq.
210. Supra, p. 19. 211. Les esclaves étaient-ils d'ailleurs employés en grand nombre même sur les terres civiques? Le cas de Cyzique permet d'en douter: en 319, Arrhidaios, satrape de Phrygie hellespontique, vint y mettre le siège; son attaque brusquée lui permit de surprendre toute une foule tochlos) d'hommes qui se trouvaient alors dans la chéra; or ce sont des citoyens (Cyziceni) ; la majorité (sinon la totalité) des esclaves se trouvent dans la cité qui les arme contre le satrape, preuve qu'ils ne travaillaient pas la terre (Diodore,XVlll, 51) ; en outre, une partie de la terre qui dépend de Cyzique est cultivée par des Phrygiens «libres» (cf. Hasluck, JHS,1904, p. 22 sqq.). Ce seul exemple ne permet sans doute pas de généraliser. 11 faudrait faire des sondages cité par cité (là au moins où les documents existent), qui révéleraient peut-être une différence entre les cités peu évoluées et les cités ouvertes au commerce et à l'artisanat. Mais il ne serait pas extraordinaire que le travail de la terre ait conservé son prestige auprès des citoyens de l'époque hellénistique, et que les esclaves aient été assez peu nombreux dans les exploitations agricoles (au moins dans les cités dont la puissance était fondée sur le commerce et l'artisanat). 212. XXXIV - XXXV, 2-26. 213.Ranowitach (p. 141-142) ainsi amène à l'appui de l'affirmation des documents de natures très diverses: les comptes-rendus de la procession de Daphnè (Polybe/XXX, 30,16 ;Athénée,V,194 sqq.), une inscription de Priène (OG/S, 215) ; mais surtout les sources papyrologiques égyptiennes, sur le commerce d'esclaves entre la Palestine et l'Egypte, en notant simplement (p. 142) que la fluidité des frontières des possessions ptolémaiques en Asie mineure permettent pleinement d'étendre les renseignements à l'empire sé· leucide ! 11 donne d'autre part un relief important à la célèbre ordonnance de Ptolémée Il, sans préciser que ce document prouve aussi la volonté royale de limiter l'extension de l'esclavage résultant de l'exécution personnelle (cf. Cl. Préaux,Econ. roy.,p. 540, et infra, p. 40). 214. Plutarque,Eum. 8,en est la vivante illustration. 215. Cf. ainsi le «Bouclier» de Ménandre, où le héros (défunt), qui a été mercenaire en Asie, a réussi à amasser une grande quantité d'esclaves et de richesses. 216. Voir supra, p. 18-20. 217. On ne sait pas bien comment interpréter ce terme d'exairema. Pour BucklerRobinson (p. 20), Mnesimachos a un plein droit de propriété sur /'auli qui. à un moment où à un autre, aurait été transmise à Mnesimachos, après avoir appartenu à Pythéas et à Adrastos, Cavaignac, Capital. p. 123 traduit «préciput», ce qui reste obscur. 218. Cf. Buckler-Robinson, p. 29-41, suivis par Goloubtsova, p. 43. Voir en dernier lieu O. Masson «Un nom pseudo-lydien à Sardes: Beletras» ,Athenaeum,1969, p. 193-196. 219. Sur ces laoi panoikioi, cf. supra, p. 20. 220. P. 58-59· 221. P. 58. 222. Sur ces esclaves, cf. L. Robert,Et. Anat., p. 241, 310-311; ces intendants
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sont désignés par leur titre suivi du nom de leur maftre. 223. P. 43. 224. Cf. par ex. S. Zebelev «L'abdication de Pairisades et la révolution scythe dans le royaume du Bosphore», REG,XLlX (1936), p. 30-32 (à propos de Saumachos) ;
cf. aussi A. Cameron» ePErITO~ and related terms in the inscriptions of Asia miner»
Anatol. St. Buckler, Manchester 1939, p. 27-62; cf. aussi l.S. Svenciskaja,VD41963-4, p. 128/ n. l , 225. A moins d'adopter un type de raisonnement proche de celui du Ps, Xénophon,
Rep. Ath.,l, 10·12 ! 226. Infra, p. 38. 227. P. 59. 228. Voir en part. la liste d'esclaves de Chias (fin Ve s.) publiée par Ch. Picard et A. Plassart (BCH, 1913, p. 221 sqq.) complétée et commentée par L. Robert,Etudes
épigraphiques et philologiques,Paris/1938, p. 118-126. 229. Voir ainsi L. Robert,Et. Anat.,p. 107-108. 230. P. 30 et P. 59. 231. Il s'agit d'une·publication de décrets athéniens par Homolle. 232. Supra, p. 27.
233./G, 11 2,1951 (cf. Robert, Etudes épigraph., p. 124 n, 1). A propos de la date et des circonstances de la gravure de cette inscription, mentionnons qu'une étude américaine récente semble montrer que cette liste, rédigée en fait au début du IVe s., est relative à la bataille d'Algos-Potamos, et honore ceux des combattants athéniens -dont des esclaves- qui, refusant de se rendre aux Spartiates, auraient trouvé refuge à Chypre pour y poursuivre la résistance (là-dessus, cf. Y. Garlan «Le rôle militaire des esclaves dans les cités grecques», dans Ier Colloque de Besançon sur l'esclavage(mai 1970), Les Belles Lettres, Paris,1971). 234. L. Robert,Les gladiateurs dans l'Orient grec, Paris, 1940, p. 52, 286.
235. VDI, 1963-4, p. 126. 236. Cf. dans l'empire néo-babylonien, M. l. FinleY,RHD., 1965, p. 176-177. 237. 11 cite simplement p. 141, comme particulièrement révélatrice,lGRR, 111, 403, inscription d'époque romaine provenant de Lycie, de la petite cité de Pola, où apparaissent les deux mots kotnônia et politeia. Il en conclut: «Der Ubergang von der koinônitl zur politeia, von der altorientalischen zur antiken Form der Sklavenhaltergesellselaît, ist der Grundlinie, auf der sich die Agraverhaltnisse im hellenistischen Osten entwickelt habens.
238. Supra, p. 23·25. 239. Supra, p. 15-16. 240. Ibid. p. 16. 241. Ainsi Ranowitsch, p. 139 n. 1 (sans insister). 242. P. 178. 243. P. 36-37. 244. Voir supra, p. 19·20.
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245.lbld., p. 23·24. 240. Re. 70. Welles datait cette inscription d'un des derniers Séleucides. Mais le style de l'inscription d'Hefzibah confirme une hypothèse de Seyrig,qui proposait de rementer la datation de Welles, RC. 70 à Antiochos 1er ou aux débuts du règne d'Antiochos II (cf. J.et L. Robert,BuIL.1970,p. 471). 247. Cf. d'ailleurs les remarques en ce sens de Ranowistch, p. 138, à propos de Welles,RC. 70. 248. Cf. Polybe. IV, 52, 7. 249. Comme semble le prouver le très Brand nombre de documents tardifs qui mentionnent l'existence de villages (cf. Swoboda,loc. cit.). 250. Cf. Rostowzew, Kokmat, p. 260. 251. Ainsi les Phrygiens de Zélée (SyIL 2, 3 sqq. ; cf. Rostowzew, p. 260; Ranc· witsch, p. 138 ;Goloubtsova. p. 31 sqq.), 252. Cf. Dion Chrys., Or. XXV, 14 qui, s'adressant aux habitants de Kelainai· Apamée, dit qu'ils ont beaucoup de k6T1'11li prospères qui sont «sujets» (upekoof) et qui paient un pboro« important. 253. A notre avis, Ranowitsch -tout comme Tarn, mais dans l'autre sens· a eu tort de mettre au centre du débat les conséquences de l'urbanisation. En premier lleu, toute l'Asie mineure n'a pas été urbanisée, loin de là ! Des régionsentières sont restées très retirées, telles par exemple la Mysie (cf. L. Robert, VU., 2, p. 266), ou la Grande-Phrylie (cf. Ranowistch lui-même p. 132) : il nous paraft plus probable que dans de telles contrées la communauté villageoise est restée vivante. De plus, rien ne prouve qu'en pusant sous la sujétion d'une cité, les Iaoi changeaient de statut (cf. d'ailleurs les remarques en ce sens de Ranowitsch, p. 144 à propos de Welles, RC,70). On doit bien remarquer enfin que les mentions de villages se font de plus en plus nombreuses au fur et à mesure des armées: elles le sont surtout à l'époque romaine (cf. Swoboda s. v. «k6mé., RE, Supp. IV; 964-965) . 254. Bikermann, p. 107. 255. Voir par ex. Plutarque.Phocion.29 : un paysan de Phrygie (liner qrolko,) soupire devant l'accroissement des impôts depuis la disparition d'Antigonos. 256. Qu'on songe ainsi à la lourdeur du stllthmos : Welles,RC, nO 70 ; Landau, lES, 1966/lgne, 25 sqq. Cette dernière inscription révèle clairement les excès auxquels
pouvaient se livrer les troupes en temps de guerre : logement par force, domm.,es de toutes sortes, expulsion des villageois... 257. Ainsi justement Ranowitsch p. 146-147. 258. Les détails de l'affaire sont exposés dll!'s un décret trouvé à Brousse, édité et magistralement commenté par M. Holleaux (ptude,. II, 1938, p. 72-125), dont nous reprenons les principales conclusions. 259. A noter: uparkein, même terme que pour les terres, qui dépendent d'un village.
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P. BRIANT 260. Cf. Rostowzew, SEHHW, III, p. 1342-1343; Cl. Préaux, Ec. Roy., p. 537 sqq. 261. M.I. Finley, ibid., p. 181-182. 262. Cicéron.11l Verr., 6, avec le commentaire de Bikermann, p. 108-109.
263. Cf. aussi note suivante, (in fine). 264. Différents indices nous y convient: dans l'inscription de Mnésimachos (l, lignes 15·16) les jardins sont évaluésen artabes de semence, et non en mesusesde susperficie (comme dans l'inscription d'Aristodicide par exemple: plèthres). Dans l'inscription trouvée à Brousse,d'autre part, (Holleaux, Etudes Il, p. 102), on voit que l'administration royale, par l'intermédiaire du stratège Korragos, fousnit du blé «pous les semailles (eis sperltUl) et pour l'alimentation» (lignes 16-18). On ne peut manquer de faire des rapprochements avec l'Egypte (cf. d'ailleurs Buckler-Robinson,AJA, 1912, p. 55 pour l'inscription de Mnésimachos, et M. HoUeaux, p. 103 pour la seconde inscription). Remarquons que, dans le cas d'AppoUonla du Rhyndakos -et peut-être aussi pous les olkétai (et certains /Dai? ) de l'inscription de Mnésimachos : cf. supra, p. 38 .j\ s'agit de paysans incapables de payer le phoros(pay-
sans-citoyens à Apollonia, mais dans une cité contrôlée de très près financièrement et économiquement par l'administration royale: cf. Holleaux, p. 122·125). Insistons en outre sus le fait que ce système est tout à fait compréhensible si l'on admet comme beaucoup de documents nous y invitent que le roi avait la disposition (en monopole) de la production des céséales (entre autres productions) : cf. là-dessus le remarquable article de CI. Préaux .Sur les origines des monopoles lagideu, CE,1954, p. 312-326 ; voir également HoUeaux, ibid. p. 103. Si cette hypothèse peut se vérifier, on aurait là VIl autre aspect de la «dette»
contractée par 'les lao! à l'égard du roi. 265. Nour retrouvons l'hypothèse déjà proposée par de Sanctis (ap. Haussoulier, p. 106 n.2). 266. Voir ainsi le taux imposé aux Juifs par Démétrios 1 en 152 : «le tiers de la récolte des grains et la moitié des fruits des arbres» (cf. Bikermann, p. 179-180)· cf. d'ailleurs l'expression d'«esclaves léonins» employée par ILS. Svenciskaja, ibiâ., p. 126.
267. De re rustica, I, 17, 2 •
268. Voir le commentaire de Finley, ibld., p. 174. 269. Finley (ibid. n. 51) ne pense pas que le terme puisse s'appliquer aux laoi égyptiens. 270. Comme l'affirme ainsi Ranowitsch, p. 148. 271. Supra, p.4. 272. P. Debord et P. Vidal-Naquet nous font remarquer que la population de certaines cités nouvellement fondées n'a pu être formée qu'à partir d'éléments indigènes, étant donné le tarissement rapide de l'immigration grecque. C'est en effet probable. Mais ce que nous voulons dire, c'est que l'immense majorité des laoi n'a certainement recueilli aucun bénéfice de la domination gréco-macédonienne, et qu'au contraire sa situation n'a fait qu'empirer. 273. Il est nécessaire de préciser que le livre de Ranowistch est paru dans une période où la notion de mode de production asiatique avait été bannie des discussions so-
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viétiques (cf. par ex. J. Pecirka, EiTene,1II (1964), p. 147-169) et où au contraire r.nalt en maftre le dogmatisme des «cinq staden. (Remarque de P. Vidal-Naquet aux millesau point duquel nous renvoy.ons : cf. par ex. Annales. ESC. 1966). 274. Sans pour autant affirmer que ces deux .aires> (civiques et royale) vivent côte à côte sans interpénétration, comme nous l'avions dit trop schématiquement dans notre exposé oral (remarque de P. Vldal-Naquet) 275. Welles, RC,3 (Chôra phorologouménè) 276. Sur cette notion, voir par ex., M. Godelier «La notion de emode de production asiatique» et les schémas marxistes d'évolution des sociétés>, dans Sur le modede pro. duction asiatique~(Recueildu CERM, Ed. Sociales, 1969, p. 47 sqq.) 277. Cf. (entre autres auteurs) Cl. Préaux eLes raisons de l'originalité de l'Egypte> MH. 1953, p. 203-221.
278. Dans l'étude citée (supra. p. 3 n, 5) p. 41-46. 279./bid., p. 45.
280. CI. Préaux (ibid. p. 46 sqq) met elle aussi en valeur cet élément d'unité. 281. On pense en particulier à la pratique du monopole, bien connue pour l'Egypte, qui est également à la base de l'exploitation de l'Asie par Antigonos 1er comme CI. Préaux (CE, 1954, p. 312-326) l'a lumineusement démontré. Les Séleucides ont très certainement suivi cet exemple (cf. supra. p. 41 n. 3).
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VILLAGES ET COMMUNAUTÉS VILLAGEOISES D'ASIE ACHÉMÉNIDE ET HELLÉNISTIQUE
L'étude des structures rurales de l'empire achéménide et des royaumes hellénistiques orientaux continue de poser de grands problèmes, malgré des études récentes consacrées au régime des terres dans l'Orient hellénistique 1). Toutes les sources, - dont nous reprenons ici l'examen, - montrent qu'il existe une "structure permanente" - (au moins dans la terminologie) -: c'est le village. Il m'a donc semblé intéressant de proposer ici quelques réflexions sur le problème des villages et communautés villageoises dans l'Orient achérnénidc Ct hellénistique 2). Deux remarques préliminaires: 1) l'article qui suit traite autant des villages (étude régionale, densité, groupements ... ) que des communautés villageoises proprement dites, dans la mesure olt hl nature des sources permet trop rarement de voir fonctionner Je l'intérieur la
1) Je pense en particulier aux études de ]-1. Kreissig: "Das Vcrhâltnis der hcllcnistischcn Stadt zur ;(Wpo: T;'JÀt-;tx-/j und ihren Bewohncrn", Die Krise der .~riecbiscbell Polis (hrgg. von O. Jurewiez und H. Kuch), Berlin, 1969. p. 57-6z; "Anrike" Produktionsformen im hellenistischen Asien, "Orientalische" Produktionsformen in der klassischen Agais", Acta COIIIJelltllS XI (Eirene), 197', p. 4z-41; "Fragon der Sozialokonomischcn Basis irn Hellcnisrnus des Ostcns", lb. [. IFirtscbalt.~rJcbicbt< 1971jII, p. 119-1 z8; également les deux communications de H. Krcissig aux Colloques de Besançon 1973 ct 1974. z) Cet article reprend, avec quelques modifications et compléments, le [l'l'te d'une communication présentée au VIè ('oll.~rèJ internationat d' Histoire écollollliqlle (Copellba.~lIe, 19-2}ao:Ît 1974), dans le cadre du Thème B. 1 consacré il "Lu conuuuunuré villageoise dans l'Autiquité". (Une version allemande puraitra dans le }lIhriJfltb //Ïr If'/irtHhaJisJ!.mbicbte, Berlin).
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société villageoise; 2) c'est pour la même raison (narure des sources) que la période hellénistique est relativement privilégiée; mais, dans le même temps, l'analyse des sources littéraires en particulier invite à ne pas distinguer l'époque achérnénide de l'époque hellénistique, car nombre de textes s'appliquent à des campagnes militaires grecques dans l'empire perse: plusieurs documents se réfèrent donc en réalité à des villages "achéménides", et il v a tout lieu de penser qu'en ce domaine les continuités sont fortes.
1. Sonrces et doCtlJJlents Cela dit, les spécialistes de l'Asie achérnénide et hellénistique ne disposent pas d'une masse de documents comparable en nombre et en homogénéité à celle que peuvent mettre en œuvre les historiens de' l'Orient le plus ancien 3).
1. A. Tout d'abord, en ce domaine, l'arclJéologie est encore d'un faible secours et les trouvailles ne concernent pas directement l'époque hellénistique. On doit souligner l'intérêt des fouilles menées par R. Ghirshman 4), qui a mis au jour, près de Suse, un village perseachérnénide fondé, selon l'illustre .savant, par les Perses qui, émigrant de la province de Parsuah, s'établirent en Susiane à partir du VIIè s.; les renseignements que l'on peut tirer de cette fouille sur la structure sociale du village sont très importants: existence d'une maison-bloc olt vivent tous les éléments d'une grande famille, - mais il s'agit là, il ma connaissance, d'unc fouille exceptionnelle. On peut y ajouter les résultats des fouilles des archéologues soviéti3) Voir par exemple l'utilisation des archi vcs cunéiformes par N. 13. ] anko wska, "Communal sclf-governmcnt and the king of the Sratc of Arrapba". jEJFIO I ! (19"9),233-282. Pour l'époque hellénistique, seule l'Egypre présente une documentation (papyrologiquc ) importante, à partir de laquelle ont pu être menées des études sur les villages ct les institutions de villagc icf. A. Tornsin, "Etude sur les "p~()' ~'h~po, des villages de la Ztopo< égyptienne",13I1II. CI. Lertrcs el Sc. Mor. Pol., lé série, t. XXXVIII (1912); p. 95-130 ct .t"7-5 z R; E, van 't Dack, "Recherches sur les institutions de village en Egyprc ptolémaïque", ,\'llIdi" Helleniflic(/, 7 (1951). p. \-3 8. 4) R. Ghirshman, f'ïll".~e pel'Jl"(/c!J<'III':lIide (l\IDFl, t. XXVI), Paris. '<)14.
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VILLAGES n'ASIE ACHÉ~[ÉNIDE ET HELLÉNISTIQUE
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ques dans l'ancienne Bactriane, qui montrent l'existence de villages fortifiés, avec de nombreuses tours, où se réfugiaient hommes et bêtes du plat-pays lors d'un danger 5). A l'autre bout de la chaîne chronologique se situent les travaux de G. Tchalenko sur les villages syriens 6). Mais, les résultats des fouilles s'appliquent surtout à l'époque romaine impériale. Môme si certains vestiges "témoignent de la plus ancienne organisation ru raie, celle des communautés paysannes qui descendaient sans doute des laoi séleucides" 7), il n'en reste pas moins que ces recherches archéologiques - (avec publication de nombreuses inscriptions) -, n'offrent qu'un intérêt très limité pour notre étude. 1. B. Dans l'ensemble des sources écrites, les inscriptions sont d'une importance particulière. 1. B. 1. On doit souligner tout d'abord l'intérêt d'une série d'inscriptions grecques d'époque hellénistique 8). Les plus longues et les plus importantes traitent de dons ou de "ventes" de terre royale à des particuliers, à des cités grecques, à des temples 9) ou à des colons militaires gréco-macédoniens 10). Dans la vente ou le don sont compris les villages (kôlJlai) et ceux qui y habitent et en travaillent la terre: 5) Cf. E. Bikerrnan, "The Seleucids and the Achacrncnids", dans I.a Persia e il »rondo greco-romano, Roma, 1966, p. 104-105 (où références à des études soviétiques). 6) G. Tchalcnko, Villages antiques de la Syrie du Nord. Le Mtluif dl/ Bi/us fi Npoql/' romaine, Paris, 3 vol., 1953-58. 7) Ibid., 1,379-381. 8) Présentées par P. Briant, "Remarques sur !aoi et esclaves ruraux en Asie Xlincurc hellénistique", Actes d« Colloque 197' sur l',sc/avage (BeS"I/(M, 10-11 II/tli 1971), Paris. 1973, 93- 133, en particulier 94-97. 9) C. B. Welles, Roya! correspondeuce in tbe bellmistie period (RC). New-Haven, '934, n" 70 (don de village à Baitokaikë), Sur le problème des terres des temples, voir T. R. S. Broughton, "New evidence on temple estatcs in Asia Minor", Jtl/dir; [obnson, Princeton, 1959; Id., AI/ econooria SUrtlf} of Auom: ROII/e, IV: ./lsia Miuor, 641 sqq.• 675 sq
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les faoi. De nombreux autres documents épigraphiques, en général plus courts ct plus mutilés, ont trait à l'existence de villages sur les terres des cités grecques de la côte anatolienne 11). Il convient de noter enfin que les mentions de villages ne cessent de se multiplier à l'époque de la domination romaine en Asie 12). L'intérêt essentiel de cette documentation est qu'elle permet parfois d'aller plus loin dans une recherche sur les communautés villageoises. Le village, en effet, n'est pas seulement mentionné; plusieurs caractéristiques internes en sont données ou suggérées. Elles ont permis également de définir avec assez de précision le statut juridique et social des populations rurales dépendantes en Asie, les taoi et laoi basi/ikoi ("paysans royaux") 13). Mais ces sources ont également leurs limites. En particulier, elles se réfèrent à un seul domaine géographique: l'Asie Mineure, et même à la frange la plus occidentale, c'est à dire la plus anciennement hellénisée. Si la découverte la plus récente à Skythopolis (Beth Shean) autorise à étendre l'analyse à la Palestine séleucide (et lagide) 14), le problème reste posé d'une généralisation à d'autres satrapies achéménides et hellénistiques, par ailleurs si différentes l'une de l'autre, selon que l'on prend par exemple la Bactriane ou la Babylonie. 1. B. 2. Là encore, on peut penser qu'il serait utile de mener une étude comparée avec le statut des villageois asiatiques, tel qu'il peut être établi à l'aide de sources antérieures, des inscriptions néo-babyloII) Cf. I. S. Svenciskaja "Esclaves et affranchis dans les localités rurales de J'Asie Mineure" (en russe), V DI 1')63(..), 127-138; "Conditions de hl population asservie en Asic Mincurc aux Vvl Vès", VDI, 1967(4),80-8\. 12) Swoboda, Sot'. "kôrnè", Real-EIIC)'c/opùdie. 13) Outre les travaux de H. Kreissig ct de P. Briant (cités snpr«, n. 1 ct 8), voir lé. S. Goloubtsova "l'ormes d'asservissement du peuplement rural de l'Asie Mineure du Illè au Icr s.av.n.è." (en russe), VDI 1967(3), et 1. S. Svcnciskaja, "La condition des laoi dans Ic royaume sélcucidc" (ell rllssc), VDI '97', ;-16; T. Zawadsky, SOllle problellls connected !l'ilhsocial antl a,~rtlriall structures of countries ill As/" JIillor (en polonais). Poznan, 1952 (résumé anglais, p. 67-77). Plus anciennement M. Rostowzew, J/lldmi ,-lIr Geschichle der rdllliJchen Kolouates, Leipzig-Berlin, 1910; sur cet ouvrage. cf. I.i contre-attaque de A. B. Runowistch, Der HeilfII"'''JIIJ' /llId seine ,geschichllitü Rolle. Berlin, 1958 (--= Moscou, 1')50), ct de P. Briant, RClllarqllcJ'.97-100. 14) Israelhxploralion/ollrl/lli. 1(, (Il)G6). 1.1'70.
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niennes en particulier. Je pense là évidemment aux remarquables travaux que mène M. A. Dandamayev sur le statut des paysans babyloniens 15). 1. C. Il reste un dernier type de sources, - les textes littéraires, grecs en particulier, - qui n'ont jamais été traitées de manière systématique, sauf pour l'Asie Mineure 16). 1. C. 1. Pour l'essentiel, les œuvres grecques sont des récits de campagnes menées par des armées helléniques dans l'empire achéménide: l'expédition de Cyrus le Jeune puis des mercenaires grecs contée par Xénophon (Al1abase); la campagne d' Alexandre le Grand (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, livre XVII; Arrien, .Anabase et Inde; Quinte-Curee, Histoires d'Alexandre; Plutarque, .Alexandre; Justin, Epitomè, livres XI-XII); les guerres menées dans les régions mésopotamiennes entre 321 et 316 par Antigone le Borgne contre Eumène de Kardia (Diodore de Sicile, livres XVIII-XIX; Plutarque, Eumène ; Justin, livres XIII-XIV; C. Nepos, El/mène; Polyen, Stratagemata, IV, 6); les différentes expéditions menées par des rois hellénistiques (séleucides surtout) ou par des consuls romains, telles que Polybe les rapporte. A priori, ces sources présentent un double avantage. - 1) S'agissant pour beaucoup de récits de campagnes contre les Perses, elles permettent de tirer des renseignements sur les terres et les campagnes d'Asie sous la domination achéménide, et donc dc compléter harmonieuse~ ment les inscriptions hellénistiques; - 2) mais elles sont également suffisamment étalées dans le temps pour mener à des recherches ou 15) M. A. Dandamayev, "The legal status of cultivators in nco-babylonian documents of the VII-IVth centuries B.C.". XXVII Iutern. COI{~. Orieut., Papers presented by Ibe [J.S.S.R. Deleeatio», Moscou, '967; Id., L' t1Sclal'(~~e lIéo-/Ja/'}'!oIlÎeIl (en russe), Moscou, 1974, chap. IV "GJebae adscripri", l'. Ht s'Iq. (Je remercie Mr Dandamaycv de m'avoir aimablement envoyé plusieurs de ses études, et en particulier l'ouvrage cité ici). 16) Pour cette région, voir T. R. S. Broughton, Liconomic slIrp~)', IV, 599,607 (conditions naturelles), 607-620 (productions agricoles), 6Z7-(qS (villages sur les grands domaines, villages concédés à des soldats, villages sur les terres des cités, villages sur les territoires des temples, villages des elbllè ...). Il
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à des observations sur les continuités ou discontinuités entre le Vè et le IIè s av. n. Il convient de noter cependant que ces sources ont également leurs limites et leurs caractéristiques d'exploitation: a) le vocabulaire n'est pas toujours d'une grande clarté. En principe le terme grec pour désigner le village est kômè; mais on peut rencontrer aussi, surtout à la basse époque hellénistique, le terme katoikia qui, dans un autre contexte, peur se rapporter il une colonie militaire D). En outre, le contenu social du terme kômè reste vague; en principe, selon Aristote 18), la kÔlllè est la première communauté, formée par plusieurs familles pour les besoins qui débordent la vie quotidienne, et où les habitants sont liés par des rapports de parenté, la charge royale étant confiée au plus âgé, - alors que la cité (polis) est née de la fusion de plusieurs villages dans le but d'atteindre il l'autarcie; d'autre part, contrairement à la polis, le village est en principe dépourvu de fortifications 19). Mais ces définitions théoriques valent surtout pour la Grèce propre 20); on doit donc souligner qu'en décrivant l'Asie achérnénide, les auteurs grecs et latins ont eu du mal à rendre compte, dans leur vocabulaire, des réalités socio-politiques des satrapies asiatiques: c'est ainsi qu'ils emploient fréquemment kÔlllè et polis l'un pour l'autre 21), ne serait-ce que parce-qu'on y rencontre des villages forè.
17) Cf. par exemple Polybe, V, 77-78: katoikia tôn Ml/sÔIl, en fait "les villages des Mysiens" (L. Robert, Iltndes anatoiiennes, Paris. 1937, 191-194). 18) Aristote, Politique, l, II, 1-8. Cf. aussi Diodore de Sicile, II, 38 (la naissance de l'agriculture mène à la fondation de villes; dans une étape précédente, les hommes vivaient épars dans les villages: kÔllledoll). 19) Cf. Thucydide, l, 5, 1; II, 8G-8; III, 94,4; IV, 43, 1, zo) Ou pour les régions de l'Anatolie littorale très hellénisée; sur les rapports ville-village, cf. les différentes étapes de j'histoire d'Ilion chez Strabon, XIII, 1, '5sqq; voir là-dessus les réflexions de L. Robert, Etudes de Illllllis/llatique grecque, Paris (1951), p. I2sqq., sur les "disparitions" de villes ct leur transformation en villages, ce qui veut dire en fait que l'agglomération "n'est plus qu'un village dépendant d'une polir; .•. certains de ces villages peuvent être vivants, on peut y élever beaucoup de constructions, comme dans une "ville", gravcr beaucoup d'inscriptions; on a parfois besoin d'un document très précis pour distinguer d'une "ville" un rd village" (ibid., p. 45). '1) Cf. E. Bikerrnan, art, cit. (slIpra, n. s): voir aussi P. Briant, AIIII~~olle le Borgne, Paris, 1973, p. HG, n. 1,
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tifiés 22): selon les critères qu'ils choisissent, les auteurs anciens, décrivant la même région, peuvent parler de villes ou de villages 23). Il serait donc hasardeux, à partir de la seule terminologie, de tirer des conclusions sur l'organisation interne de ces communautés asiatiques. A cet égard, il est bon de noter également que les spécialistes de l'histoire de l'Orient hésitent parfois à traduire certains termes par villes ou par villages 24). Il convient donc de se demander aussi si l'imprécision de la terminologie des auteurs gréco-latins ne résulte pas de l'ambiguïté, en Orient même, du rapport ville-village 25). J'ajoute enfin que les textes littéraires sont tout aussi imprécis en se référant (trop rarement) aux populations paysannes. A une exception près 26), aucun texte n'emploie le terme Iaoi, connu par les sources épigraphiques. Il est bon de rappeler en particulier que les textes littéraires qualifient souvent d'''esclaves'' des populations dont le statut est fort éloigné de celui des esclaves des cités grecques. b) Deuxième remarque d'ordre général: ces textes ne visent pas à la description géographique des régions que traversent les armées. 22) Voir par exemple en Arménie: Xénophon, .Anabase, IV, 4, 2; IV, 5,9; chez les Chalybes: ibid., IV, 7, 17: en Drangiane: Arrien, .Anabase, Ill, 27, 3 (Amyntas. acquirté à l'issue du procès monté contre Philotas, est tué lors du siège (poliorkôn) d'un village (kômè)). 23) Ainsi, à propos des Ouxiens du Zagros, Arrien (Anab., III, 17, 3) parle de kônJal, Diodore (XVII, 67) de poleis (cf. Quinte-Curee, V, 3: IIrbs). - Dans les Paraparnisades, Strabon (XV, 2, 10) et Diodore (XVII, 82) citent des kÔIJJai. :i la différence de Quinte-Curee (VII, 3, 6sqq.) frappé par le caractère archaïque et "barbare" des habitations enfouies dans le sol. 24) Cf. par exemple M. Rowton, "The physical environ ment and the problem of the Nomads", XVe Rencontre assyriologiqne internationale (Lit~~e, 4-8 juillet I966), Paris, 1967, p. 109: "1 will folJow Akkadian usage in not distinguishing bcrween town and villagc, the terrn "town" is intended to cover both". 25) Sur ce point, cf. l'étude de B. Brcntjcs, citée ill/ra, n, 96. 26) Polybe, IV, 52,7: laoi travaillant une partie dela terre de la cité de Byzance. (Cf. P. Briant, Remarques, n. 21). Sur les laoi dans les documents papyrologiqucs, voir en dernier lieu CI. Vandcrsleyen "Le mot 1.00aç dans la langue des papyrus grecs", Cliron. hg. 48 (1973), p. 339-349: l'auteur a relevé 26 exemples, dont 16 du jè siècle av. J. c.; l'auteur conclut que ces laoi forment "la couche supérieure de la population égyptienne, existant aussi bien ,i l'époque pharaonique 'lu',', l'époque ptolémaïque" (p. 347). Cette interprétation me parait devoir èrrc remise en question: en tout état de cause, en Asie Mineure hcllénisriquc, le terme laoi s'applique sans ambiguïté .i toute la population rurale dépendante.
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Les soldats grecs, - et donc les textes -, considèrent les territoires avec les yeux de conquérants, de prédateurs. Pour eux, les régions de l'Asie se divisent en deux grandes catégories: les pays riches et habités qui peuvent nourrir une armée, et les régions pauvres que les armées doivent éviter 27). On sait en effet que les armées grecques et hellénistiques sont dépourvues de service d'intendance: elles vivent sur le pays 28). Cetre nécessité de trouver des vivres conduit bien souvent des chefs militaires à choisir une route plus longue mais bien pourvue en vivres, de préférence à une route plus courte traversant une région désolée 29). Pour les auteurs grecs, un pays "civilisé" s'oppose par sa richesse à une région "barbare" ao): le premier est habité (oikotlméllè) , la seconde ne l'est pas 31). C'est donc dans ce contexte qu'apparaissent les nombreuses références aux villages d'Asie. Les armées recherchent en effet deux choses essentielles: du ravitaillement et des abris (temporaires), ce que pouvaient leur "offrir" les villages. La description des villages est donc bien souvent très sommaire: ils sont "pleins de vivres" ou pauvres: aux yeux de Xénophon et des mercenaires grecs, les villages sont synonymes de ravitaillement 32). Plus intéressants sont en général les textes 27) Cf. Diodore, XIX, )7, r (territoire de Gamarga en Médie qui peut nourrir une grande armée) à opposer à Diodore, XIX, 93, r (le désert des Arabes est dépourvu de points d'eau, si bien que les armées ennemies ne peuvent pas y subsister). Cf. aussi Strabon, XI, 9, r : la Parthie est évitée par les rois, car elle est incapable de nourrir des soldats. 28) Cf. M. Launey, Recherches sur les armées hellénistiques, II, '949, et E. Bikerman, Institutionsdes 5i/ellcides, Paris, '9,8. 29) Exemples très nombreux: ainsi Diodore XIV, 25 (les mercenaires grecs, après la mort de Cyrus le Jeune, ne peuvent pas revenir en arrière parce-qu'ils ont déj à dévasté les régions traverséesl): Diodore, XIX, '9: diilicultés de traverser le pays des Cossécns. Le choix d'une route empruntant une région désolée ne peut se concevoir que par le désir de surprendre un ennemi (Diodore. XIX, 37, 1). - Lors de la campagne d'Alexandre, cf. Arrien,/llltlb., III, 7,3-4; III, 16,2; III, 21,7 etc ... 30) Cf. par exemple Quinte-Curee, IV, 6, 12Sqq. (Perse). 3') Pour Hiéronyrnos de Kardia, fidèle témoin des guerres entre Antigone et Eumène en Asie entre 321 et 316, un pays civilisé se caractérise par des constructions. des rivières, des sources abondantes susceptibles de ravitailler une armée (Diodore. XIX, 94). 32) Cf. .Anabase, 1,4, '9; II,4, z7;III,4, 18; III, 5,1-,;1\',1.8; IV,4,7; IV, 6, z etc ..•
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traitant des haltes courtes ou longues (quartiers d'hiver) des armées: ils permettent parfois de se faire une idée assez précise sur le nombre, la densité, les groupements de villages (voir infra), car les troupes se dispersent dans de nombreux villages. D'autre part, dans un cas au moins, l'auteur décrit de l'intérieur le village et donne quelques informations sur son organisation. 1. C. 2. A ces récits militaires, il faut ajouter les comptes-rendus de voyageurs, dont le plus intéressant est Strabon, auteur grec de l'époque romaine (contemporain d'Auguste), qui décrit l'Asie dans plusieurs livres (XII-XVI). Les remarques d'ordre général qui précèdent valent aussi pour Strabon, qui, fréquemment, décrit ou rappelle les expéditions grecques qui ont traversé la région ou la satrapie décrite. Strabon donne surtout beaucoup de détails sur les ressources agricoles des différentes régions, et se réfère souvent au temps de la domination achéménide. A Strabon, on peut ajouter un curieux roman grec de Philostrate, La vie d'Apollonios de 7)al18, d'une date tardive; le voyage d'Apollonios en Babylonie contient quelques indications utilisables sur les villages de cette région 33).
II.
L'habitat vtllageois en Asie
II. 1. La première conclusion, - déjà exprimée 34)_, que l'on retire d'un examen des sources littéraires en particulier, c'est que les populations paysannes d'Asie vivent en villages. Parfois, les auteurs grecs eux-mêmes soulignent la diffusion extrême de l'habitat villageois et l'inexistence de structures urbaines 35). La conquête macédonienne n'a pas modifié brutalement la situation; certaines régions, situées à l'écart des grandes routes, sont restées habitées en villages (J..~rJllledoll): l'urbani33) Sur cet ouvrage, cf. F. Grosso, "La Vitn di Apollonio di Tiana come fonte storica", ACII/e, VII-3 (1954); voir aussi Id., RIFC R6 (19IR), p. 351-375. 34) Pour J'Anatolie, T. R. S. Broughton, ROll/ail /lsin .slinor, p. 628. 35) Ainsi Quinte-Curee, III, 1, 1: au moment où Alexandre la traverse de Kclainai à Gordion au printemps 333, la Grande-Phrygie était "plus riche en villages qu'en villes"; V APolI., l, 19 (Mésopotamie); I, 24, 1 (Babylonie),
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sation n'y a véritablement débuté qu'avec la conquête romaine 36). Les inscriptions hellénistiques confirment le fait: le village est le cadre naturel des populations rurales asiatiques 37). Cela est vrai non seulement pour les cultivateurs, mais aussi pour des tribus qui vivent surtout des produits de l'élevage, certaines tribus des Xlts Zagros par exemple 38). D'autre part, la lecture des œuvres grecques prouve que ce fait est valable pour tout le territoire de l'empire achéménide. Il suffit, pour s'en convaincre, de rassembler dans un tableau les textes particulièrement évocateurs: Habitat villageois en Asie achéménide et hellénistique Région, satrapie ou peuple Textes principaux Arménie Babylonie
Bactriane Cappadoce Cardouques Carie Commagène Cosséens Dmngiane Gabiène Hyrcanie Lydie Médie
Mysie Ouxicns
Xénophon, Anab., IV, 4, 2Sqq. Hérodote, l, '92, '96; Xénophon, .Anab., II, 2-4; Quinte-Curee, X, 8, 11-14; Philostrate, V Apoll., 1,21-24. Quinte-Curee, VII, 4, 21; VII, 6, la. Diodore XVIII, 32, 3; Plutarque, J~'I11)/., 9, 2; Appien, Mu»; IX, 65. Xénophon, .Anab., IV, 1-8. Strabon, XIV, 2, '3-'5. (Cf. J. et L. Robert, La Carie, Il, n" 167). Cf. jalabcrt-Mouterdc, JCLS, l, I. Arrien, Anab., VII, '5, 1-3. Arrien, AIIl/b.,IU, '7, 3. Diodore, XIX, 37, l - l ct 39, I. Diodore, XVII, 75,3; Arrien, /111<1b .• Ill, z r, 6. Cf. "1Iller.Jollnl. Arcb., 19". (Sardes) Strabon, XI, 9, 1; Hérodote, I, 96-98; ['4-11 j ; Diodore, XIX, 44, 4; 46, 1; 46, 3; Plutarque, EUIJI., 15, 12. Hellenica Oxyrrynchia, XXI, z, (cd. ll:Irtolctti).
Arrien, Auab., III, 17, 3.
36) Grandc-Phrygie: Quinte-Curee, ibid.; Mysie: L. Robert, L/IIi!,..r anatolienne», p. 194 ct Ville.r ,l'Arie Mineure, zè éd., Paris, 1962, p. 264scrq.; Carie: D. Magic, Roman Rnie in .Asia l1Ii.'/or, l, p. IH-q6, ct J. ct L. Robert, LI Carie, Il, '954, p. 334. 37) Cf. P. Briant, RI'III(lrqIleJ. p. 95-96,105-106.114-1 [(J. 38) Ainsi les Cossécns (Arrien, /llla/J., VII, [5, [-,) ou les Ouxicns (lNd.. Ill. 17, [-3)· - (Je prépare "cruellement une étude sur Cl'S peuples pasteurs, il p.iraltrc dans DÙt!ogllC.rd'llis/oir,e'lIIciellnc, Il, 1975.)
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Paraparnisades Perside
Phrygie (Grande-) Phrygie (petite-) Sogdiane Syrie Syrie (Koile-)
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Strabon, XV, Z, 10. Quinte-Curee, V, a, 14; V, 6,17; Polyen, Stral., VII, 39-40; Arrien, Inde, 38, j-6; Strabon, XV, 3, 5 (Sur les mentions de villages sur les tablettes de Persepolis, cf. M. A. Dandamayev, V DI, 1973, p. 3-z6, tableau p. 6-8). Quinte-Curee, III, r, 1; Dion Chrys., Oratio XXV, 14; Strabon, XII, 5, 3. Cf. C. B. Welles, Royal Correspondena, nO 10-13 (Troade) et nO i S-ao (près de Cyzique). Quinte-Curee, VIII, z, q. Xénophon, Anab., I, ..h 9. Cf. Landau, Israel Exploration }ollrna/, 16 (1966), p. 54-70. (environs de Skythopolis).
II. 2. L'étude des déplacements des armées grecques en Asie donne également l'impression de la très grande densité des établissements villageois. Les précisions chiffrées sont rares mais impressionnantes: selon Poseidonios, cité par Strabon (XI, 9, 1), il Y avait 2000 villages dans la seule éparchie de Rhagai en Médie; - on sait également qu'en un seul raid, en 82, Murena mit au pillage 400 villages dans une région de Cappadoce 39). Les allers et venues des armées grecques dans la vallée du Tigre témoignent également d'une extraordinaire concentration de villages 40). On peut relever, en outre, que les études, par M. A. Dandamayev, des tablettes de Persépolis (PFT) ont montré que les kllrtas (artisans et paysans royaux) étaient répartis dans 108 villages ou villes de Perside et d'Elam 41). II. 3. En revanche, nous n'avons que des indications indirectes et incertaines sur le nombre d'habitants de tel ou tel village. On connaît parfois le nombre de soldats cantonnés dans un groupe de villages: 3000 dans les villages des Cariens en Babylonie en 31712), 3000 également dans un groupe de villages en Persidc 13). Selon les recherches de Dandamayev, le nombre de kt/rias placés dans les villages et villes de 39) Appien, su»; 9, 65. 40) Cf. Xénophon, .Anab., III, 4-5, passim. 41) VDI, 1973(3), 3-z6. 4Z) Diodore, XIX, ra, 1 (il s'agit des Argyraspidcs), 43) Pol yen, Strat., VII, 40.
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Perse et d'Elam varie de rations 44).
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à 4363, selon l'importance des agglomé-
II. 4. Enfin, les villages asiatiques ne sont pas isolés dans la campagne, mais groupés en hameaux. On peut en trouver un premier indice dans le fait que les textes littéraires n'individualisent presque jamais un village. Plus probants sont les textes portant sur le stationnement des troupes: a) en Gabiène, pendant l'hiver 317/6, l'armée d'Eumène de Kardia se dispersa en plusieurs "quartiers" (mérè); chaque méros était séparé d'un autre par 6 jours de marche, ce dont essaya de profiter Antigone, l'ennemi d'Eumène. Là, dans chaque méras, les soldats étaient répartis dans les villages (kata kômas): il semble donc que là, méros peut se traduire par "groupe de villages" 45); b) en Médie, en 317/6 (après la mort d'Eumène), Antigone prit ses quartiers d'hiver dans l'éparchie de Rhagai, - dont on sait par ailleurs qu'elle était fort riche en villages (2000). Là également, les chefs de détachements se dispersent dans les différents mérè comprenant chacun plusieurs villages .16); c) la répartition des quartiers d'hiver par régiment apparaît également dans un récit de Xénophon s'appliquant à l'Arménie: chaque taxis, commandé par un stratège, occupe un ou plusieurs villages (kata kômas) 47); d) dernier exemple: Polyen (VII, 40) rapporte que des Macédoniens cantonnèrent dans un endroit de Perside nommé Kômastos qui comprenait des villages nombreux et rapprochés, habités par une population abondante, et pourvus de nombreux quartiers (stathmoi) 48) pour les soldats. Ce terme Kômastos, - formé sur le radical kômè -, 44) VDI, 1973, p. 6-8. 45) Diodore, XIX, 37, I-Z et 39, I. (Cf. Plutarque, EIII/I., 15, 1: précise que les villages étaient éloignés de 1000 stades). 46) Diodore, XIX, 44, 4-6. 47) Xénophon, Anab., IV, 4, 7-14 (les villages sont tirés au sort entre les stratèges: IV, 4, zz). 48) Sur le terme stathmos, cf. J. Lesquier, Institutions militaires de l'E,g)'Ple p. Z 10Z 11, ct L. Robert, Hel/mica, III (1946), p. 8z-85, qui citc plusieurs inscriptions ct textes (dont Pol yen).
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peut être rapproché d'autres termes indiquant une unité de plusieurs villages: ainsi Pentachôra, Trikômia, Tetrakômia, Pentachôria, Pentakéomla . etc. ... 49) . Les origines des groupements sont sans doute différentes selon le~ conditions géographiques: il est possible que la répartition des points d'eaux et l'organisation du réseau de canaux ait joué un rôle en BabyIonie 50); on peut également supposer que l'insécurité des campagnes a joué en faveur du regroupement des villages en méros 51).
III.
Villages, commllnall/és villageoises et administration royale
Il convient évidemment de ne pas se limiter à la description extérieure de ces villages d'Asie. Les habitants de ces villages sont des paysans dépendants dont l'exploitation est organisée au bénéfice d'une "communauté supérieure": à l'époque achéménide comme à l'époque hellénistique, c'est le roi qui est en théorie' le maître de la terre et donc des productions sur lesquelles il prélève le tribut (phoros); il peut concéder la terre à titre précaire à des particuliers, à un temple ou à une ville 52). Plusieurs textes mentionnent des dons de villages: il s'agit en réalité du don des reoenas du village, et non du village lui49) Cf. T. R. S. Broughton, op. cit., p. 6,8-6'9; M. Rosrovtzeff, REA 33 (1931), p. 19. Sur tetrapyrgia, voir P. Briant, Antigone le Borgne, p. 81-87. - Sur les groupements de villages, voir également les Ligues de villages connues en Carie (O. Magie, Roman Rille, r, 1'.144-145, et II, p. 10,8-1°3°; L. et J. Robert, l_a Carie, p. 9'95; en dernier lieu, G. Bockisch, "Die Karer und ihre Dynasten", Klio 51 (1959), 1,8-13Z: la Ligue des Cariens, d'origine très ancienne, était formée de communautés villageoises autonomes, regroupées autour du sanctuaire de Zeus, le sanctuaire constituant à la fois un lieu de réunion et un centre religieux). 50) Sur le problème de l'eau dans les villages babyloniens, voir par ex. Philostrate V Apoll., l, '3. - Par ailleurs, il est frappant de constater que, dans la description qu'il fait des villages arméniens, Xénophon (AI/ab., IV, 5, 9) précise que la fontaine à laquelle viennent puiser les jeunes filles est située il l'extérieur du retranchement: cette fontaine était-elle commune à plusieurs villages? 51) Il semble bien même que l'unité de ce groupement soit aussi une réalité administrative (cf. Diodore, XX, 109, 4: kata mcros) il rapprocher peut-être des ha/ru babyloniens (Cf. G. Cardascia, Les arcbires des Murash», Paris, '9ll). Sur les dangers de l'habitat dispersé, cf. Diodore, 67, 4 (Etolie); cf. aussi Diodore, XIX, 37-39· 52) Cf. P. Briant, Remarques, 1'.1°5.
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même et de ses habitants 53). Que représentent les villages au sein de cette "économie royale", pour reprendre la terminologie des Economiques du Pseudo-Aristote?
III.
1.
III.
2.
Il apparaît tout d'abord d'une manière très claire que le village est une Imité fiscale. Dans le royaume séleueide, le tribut est payé collectivement par chaque village à l'administration royale 54): il semble même qu'y existait le principe de la responsabilité collective des villageois; en effet, un passage d'une inscription hellénistique suggère que, si un groupe de villageois quittent le village, le reste de la comnunauté doit verser intégralement le tribut prévu 55). Il en était très probablement de même sous l'administration achéménide 56). Le tribut tiré de certains villages est parfois affecté à des besoins spéciaux 57). Lorsque des villages étaient concédés à des particuliers, ils continuaient de verser collectivement le phoros, soit à l'administration royale directement 58), soit en partie au concessionnaire 56). Le village forme-t-il aussi une Imité économique? C'est ce que semble suggérer un texte épigraphique tardif (rer ou z siècle de n.è.), è
53) Id., '°4-'°5, et RÉA, LXXV, '973, p. 4G, n. 8 (textes s'appliquant aussi il l'époque achéménide). Je me sépare sur cc point de l'opinion de M. A. Dandamavcv qui juge que les dons par les rois achéménides étaient faits sans restriction aucune (Cf. Beilr({ge zur Achamellidellgeschichtc, '972, p. 3'-jZ; là-dessus, voir RÉA 1973, p. 81). 54) P. Briant, lac. cil. 55) Ibid., p. lOG. (\'V'elles, Re, ne IS, lignes 1r-IJ). 5G) Cf. Xénophon, .Anab. IV, ): les villages d'Arménie élèvent des poulains en guise de dasmos royal (ibid. IV, 5, 24 et 34); chaque village verse sa part au satrape (IV, 5, 24), Cf. aussi III, 4, 3'-jZ sur les rapports entre le satrape et les villages de la haute vallée du Tigre. n) Selon Hérodote (1, '92) 4 villages de Babvlonie devaient fournir la nourriture aux élevages de chiens indiens, moyennant quoi ils étaient exempts des autres taxcsj-à rapprocher de Philostratc, V Apoll., l, 38: villages de Babylonie chargés de nourrir les bètes sauvages capturées par les rois parthes, Cf. aussi Strabon, XVI, t , 3: les revenus du village de Gaugarnèles avaient été affectés par Darius 1 il la nourriture du chameau 'lui l'avait aidé dans son voyage si diilicilc il travers les déserts de Scythie, 58) Cf. P. Briant, Remarques, p. 103-loG. 59) La reine perse recevait des villages pour ses dépenses (cf. Hérodote, II, 98; Xénophon, II, 4,27; 1, IV, 9; Platon, A"'- 1, l23bc): le procédé n'est pas fondamentalement différent de ceux 'lui sont indiqués dans la note 13: dons de revenus, et non des villages eux-memes, (Cf. P. Briant, RE·] 1973, p. 46, n. 8).
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Il s'agit d'un décret de la kôtnè de Kastolos, trouvé en Lydie Katekauménè, à une trentaine de km. de Philadelphia 60). Il Yest fait mention de la réunion de tous les villageois (kôtnetai) sur l'invitation des Anciens (gerousia); le problème débattu est celui de la répartition (dia/estai) du territoire qui dépend du village. Il semble donc faire une référence directe à un terroir communal 61): je suis tenté d'y voir une répartition périodique des soles entre les différentes familles qui composent le village. Le témoignage est tardif; mais cela n'incite-t-il pas justement à étendre le cas aux villages hellénistiques 62)? D'autres indices nous y invitent: - le village formant une unité fiscale, il paraît logique de supposer qu'il constitue aussi une unité économique. En effet, l'essentiel des impôts pèsent sur la terre à l'époque achéménide et hellénistique 63). Or chaque village possède un territoire et des frontières qu'il défend contre les empiètements de ses voisins 64): l'ensemble terre, village, villageois forme un tout indissociable 65). Il ne fait donc guère de doute, à mon avis, que le village forme une unité de production 66). 60) Dittenberger, Orientis graeci inscriptiones se/eetae (OGIs), n" 488. Sur la date, cf. L. Robert, Etudes anatoliennes, p. 159-160. 61) Cf. Dittenberger, o GIS, 488 n, 4: "Ager paganorum cornmunis, sirus inrra territorium l'agis". 62) Ainsi D. Magie, Roman Rule, J. p. 143. Cc n'est pas le seul cas où, pendant longtemps on n'a disposé que de documents d'époque romaine pour étudier des institutions qui, à coup sûr, remontent il une période antérieure: voir, par exemple, à propos des "villages sacrés", les réflexions de L. Robert, La Carie, p. 29' ct n. 12. Il faut tenir compte en effet de deux choses: 1) beaucoup de sites hellénistiques ont disparu, recouverts par des couches postérieures (romaine, byzantine ou turque); 2) il l'époque romaine, les mentions de villages se multiplient, peut-être parce-tlue les villages reçoivent des institutions de type grec ct. avec les progrès de l'alphabétisation, transcrivent sur pierre leurs décisions; il est évident, qoc pour un historien, une civilisation de l'écrit est plus facile à étudier qu'une civilisation de l'oral; mais, de l'absence d'écrits, on ne peut pas conclure ipsofacto il l'absence d'institutions délibératives. 63) P. Briant, Remarques, p. 1°5, 115. 64) Sur les frontières des villages, cf. Welles, Re. n" 10-'3, 18-20; voir également Philostrate, VApoll., J, 36-39 (disputes entre villages). 65) Dans les inscriptions hellénistiques, villages, terre ct habitants (/'lOi) sont "donnés" en même temps (cf. P. Briant. Remarqnes, p. 102-101). Les /,lOi sour adseripti uici (cf. Bikcrrnann, Inst, Sél., p. qR: "le changement de domicile ne rompt pas le lien d'origi ne"). 66) Contra H. Krcissig, Colloqlle Je Besanio» 1 974, n. 24.
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III. 3. L'existence de la communauté se marque aussi dans les textes par un got/vernement interne, et par les rapports qu'établit le village avec l'autorité supérieure (monarchique, urbaine). L'un des textes de base date de l'époque achéménide: il s'agit des villages arméniens décrits par Xénophon. Dans chaque village est attestée la présence d'un chef de village (kômarqtle), avec l'autorisation duquel les troupes grecques peuvent prendre leurs quartiers 67). Aucune mention de kômarque n'est connue pour l'époque hellénistique; en revanche, elles se multiplient à l'époque romaine 68). Tout conduit à supposer que l'absence de textes hellénistiques est dûe au hasard 69). On a vu également que, d'après un décret d'un village d'Asie Mineure romaine, ce village de Kastolos comprenait un Conseil des Anciens (Gerot/sia) et une assemblée générale des villageois, celle-ci prenant des décisions sur les affaires intéressant le village: les problèmes de terre, ou les affaires cultuelles par exemple 70). Rien n'est dit sur la manière dont est choisi le kômarque. Peut-être s'agit-il de plus ancien des chefs de famille? Il est vrai que la réponse à cette question suppose connue la stratification sociale à l'intérieur de la société villageoise. On en est loin! L'une des fonctions de ce gouvernement interne est de dialoguer avec l'administration royale. Chez Xénophon 71), le kômarque semble être chargé de réunir le tribut et de le verser au satrape; le village payant collectivement le tribut, il fallait bien que les administrateurs financiers (dioicètes ou économes ou eclogistes) royaux trouvent devant eux des interlocuteurs reconnus et par les villageois et par les autorités satrapiques 72). On peut également penser que ce gouvernement 67) Xénophon, Anab., 1'1,5,10 et 24. 68) Relevé par D. Magie, ROH/an Rille, Il, p. 1026-1027. 69) nu; l, p. '43. 70) Cf. Hasluck, jHS, XXIV (1904), p. 22 (cité par I3roughton, ROll/an Asia Minor, p. 6,7): consécration d'une stèle par les villageois d'un village thrace (Thrakiokôrnetai) pour se procurer une bonne récolte. Le texte donne le titre (dioieète) d'une fonctionnaire communal qui a restauré la stèle à ses frais. - Sur les problèmes posés par ces textes, cf. Rostowzew, SllIdien, p. 263. 7 1 ) Allab.,IV, 5,24. 72) Cf. E. Bikerman, Inst, Sel., p. 109: "le tribut était payé au nom de la communauté par ses chefs".
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interne intervenait lorsqu'il s'agissait d'affaires de bornage 73). Un décret hellénistique de 188 av. n.è, fait même une allusion très claire à l'ambassade envoyée par des villages cariens auprès des légats romains; les ambassadeurs viennent défendre les intérêts des villages contre les prétentions de la cité d'Apollonia H); il est probable que les villages avaient déjà envoyé une ambassade auprès du roi Antiochos III quelques années plus tôt pour une raison analogue 75). Peut-être ces ambassadeurs avaient-ils été désignés par l'assemblée des kômètes? III. 4. Il est beaucoup plus difficile de connaître de manière précise l' organisatio» sociale de ces communautés villageoises. Il est probable que, dans les premiers temps, le village était formé par la juxtaposition de plusieurs unités familiales, liées entre elles, et gouvernées par un patriarche: c'est ce que semblent démontrer les résultats des fouilles menées par R. Ghirshman dans un village susien des VIIè- Vlè s 76). La conquête perse puis la conquête macédonienne ont-elles modifié la cohérence interne des communautés villageoises? Selon V. O. Tiurin 77), les kt/rtal des tablettes de Persépolis formaient la couche la plus basse de la population perse libre, c'est à dire les membres des communautés rurales qui avaient perdu leur lot de terre et qui travaillaient sur les domaines des rois et des nobles en grand nombre. Mais, comme M. A. Dandamayev l'a montré 78), c'est là une hypothèse qui n'est pas corroborée par une étude sur l'origine ethnique des kt/rtal, dont 73) Cf. Welles, RC, n" '9, lignes 11-14: l'hyparque royal vient s'informer auprès de 3 villageois de deux villages sur les frontières reconnues entre les deux villages; j'ai déjà supposé ailleurs (Remarq/les, p. 106) qu'il s'agissait d'Anciens des villages, seuls capables de rappeler les limites ancestrales fixées entre les deux villages. Pour comparaison, cf. L. Robert, La Carie, p. 307, n. 3: appel des autorités (romaines) à la connaissance que les "indigènes (egkorioi)" ont du tracé des frontières. - Sur les interventions du roi parthe dans les conflits de frontières entre deux villages voisins, cf. Philostratc, VApoll., I, 39, 2. 74) L. Robert, La Carie, n 167 et commentaire p. 3°3-312. 75) Ibid., n° 166, ct la remarque p. 307, n. 4. 76) Cité supra, n. 4. 77) VDI, 19jI(3), p. 21. 78) "Esclaves et étrangers sur les domaines des rois achéménides et de leurs nobles" (en anglais), .Actes du XXV. COI/grès des Orlrntalistes, Moscou, 196o. Il. 147- 154. ù
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le plus grand nombre (et de loin) ne sont pas des Perses, mais des prisonniers de guerre venant de plusieurs régions de l'empire achéménide. La description que fait Xénophon 79) des villages arméniens à la fin du Vè siècle indique l'existence de liens familiaux entre membres de villages voisins: le témoignage, il est vrai, est trop allusif pour être considéré comme véritablement probant. Pour l'époque hellénistique, si l'on admet notre hypothèse sur la résponsabilité collective des villageois et sur la rotation périodiques des soles familiales, on doit aussi admettre que la structure ancienne de la communauté villageoise n'a pas disparu complètement: mais s'agit-il d'une véritable survie ou d'une simple survivance? En tout cas, il convient de ne pas exagérer les conséquences de la conquête macédonienne: pour l'essentiel, la communauté villageoise y a survécu; il n'y a pas eu transformation générale et brutale des terres communales en terres privées, ni réduction en esclavage de type classique des paysans dépendants (laoi) 80). Cependant, la question des rapports sociaux à l'intérieur de la communauté reste posée. L'égalité théorique entre les familles n'a pas dû être complète, et cela pour raison: - beaucoup de villages ne som pas à l'écart des grandes voies de communications: hommes et marchandises circulent à travers l'Orient achéménide et hellénistique; on peut donc supposer qu'une classe de marchands est née 81); - il existait aussi très certainement des artisans dans les villages; on sait en effet que les laoi séleucides possèdent leurs instruments de culture 82), des éléments de confort domestique 83), parfois aussi des 79) Anab., IV, j, '4sqq. Le kômarque est accompagné d'un fils ct de nombreux parents qui vivent avec lui; les villages voisins comprennent des hommes qui SOnt liés à lui par des rapports de parenté (synggeneis). 80) Sur ce point, voir P. Briant, Remarques, p. 10j -106, 114-115. 81) Plusieurs villages sont devenus des étapes (statlJmoi) des grandes routes royales (Elien, Nat., XX, ,6; Vll, 1, )2; cf. Diodore, XIX, 9',3; voir l'exemple d'Arbèles cité dans un papyrus araméen d'Egypte comme une étape sur la route vers la Babylonic. cf. P. Grelot, Pnpyrnsaraméens d' J1.~)'Ptc, Paris (1972), n 67). 8') Cf. l'expression "ta uparchonra autois" dans les inscriptions hellénistiques. 83) Ils possèdent leur maison. Voir aussi Xénophon, ,-inab., 1\', 1-8, IV, 4, '7.
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armes ou des matériaux bruts 84). Tout cela suggère que des différenciations sociales se sont fait jour assez rapidement, en particulier dans les communautés villageoises les plus ouvertes. (La situation était différente dans les régions reculées); - on peut même se demander dans quelle mesure le gouvernement royal n'avait pas intérêt à jouer des antagonismes naissant à l'intérieur des communautés, et à s'appuyer sur une micro-classe dominante. Ce processus de récupération des institutions villageoises par les conquérants est discernable assez nettement à l'époque romaine: malheureusement, rien ne permet, à ma connaissance, de mener l'enquête pour les périodes achéménide et hellénistique. IV.
Villages et villes
Mais, l'Asie n'est pas peuplée uniquement de paysans royaux travaillant la terre royale ou la terre concédée. D'autres types de communautés autres que la communauté villageoise existent, en particulier les villes. Un grand nombre de villages sont implantés sur les terres des temples ou des villes. C'est sur cette dernière catégorie que je voudrais faire maintenant quelques remarques, en opérant, dans un premier temps, une distinction entre cités grecques et villes orientales (babyloniennes en particulier). IV. 1. Dès la première vague de colonisation grecque sur le littoral anatolien (début du Ier millénaire), les conquérants ont été confrontés, - souvent brutalement, - au problème des antiques communautés villageoises. Les textes épars que l'on possède assimilent le statut de ces populations, - qui continuent à vivre en villages 85), - à celui des hilotes lacédémoniens ou des pénesres thessaliens 80): les anciennes communautés villageoises de "libres" sont devenues sujettes de la cité, Cette sujétion se marque essentiellement par le versement d'un tribut 84) Ibid., Ill, 4. '7. 85) Par exemple les Pèdes sur le territoire de Priène (l/lSch. Prient, n" 1: lettre d'Alexandre où il est question de "ceux qui habitent dans les villagcs'") 86) Cf. Svenciskaja, VDI,. '967 (4), Ho-RI. Cf. aussi la communication de Cl. Mossé au Colloque de Besançon '974.
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à la cité: c'est à dire que, par leur travail, les populations' soumises participent à l'accomplissement de l'idéal d'autarcie de toute cité grecque; la territoire de la cité et les populations qui le travaillent (en dehors des citoyens eux-mêmes) sont indispensables pour la survie même des citoyens. Il est probable que cet état de dépendance ne s'est pas modifié avec la conquête macédonienne 87). Le problème est ailleurs: la cohérence interne de la communauté villageoise fut-elle brisée et le statut des paysans changé par une politique systématique d'urbanisation menée par les rois hellénistiques? C'est là une thèse couramment professée: pour certains savants en effet, les dons de terre aux cités d'Asie Mineure ou les fondations de villes nouvelles auraient conduit à l'insertion progressive des anciens laoi dans les cadres civiques ou para-civiques; pour d'autres, la conséquence de la conquête aurait été la diffusion de la propriété privée et du mode de production esclavagiste en Orient. En vérité, l'une et l'autre interprétations sont insoutenables 88). La discussion des principes et des conséquences de l'urbanisation hellénistique mériterait une étude à part; je voudrais donc seulement ici faire quelques remarques: a) un grand nombre de documents déjà étudiés montrent que la communauté villageoise est restée vivante, y compris sur les terres des cités; b) le don de terre et de villages par le roi ne modifie pas la nature de la dépendance des paysans; au lieu de payer leur pioros directement au roi, les villages le versent aux cités, ou aux temples, ou parfois peut-être aux colons militaires. L'organisation interne de la communauté n'en est pas affectée: les laoi restent des laoi, c'est à dire des paysans dépendants 89); c) bon nombre de régions d'Asie Mineure et d'autres parties de l'Asie sont restées sans cité pendant tout l'époque hellénistique; li plus qu'ailleurs la conquête macédonienne n'a pas été profondément 87) Principaux textes sur les villages sur les territoires des cités. dans Broughron. ,vlinor,p. Gn'('40. 88) Là-dessus, cf. P. Briant. Remarques. 107S'1'1' 89) Sur les bierodouloi, voir J'étude de P. Dcbord, citée s/lpr", n. 9.
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ressentie, elle n'a apporté aucun changement de fond dans l'organisation traditionnelle des populations paysannes 90); d) c'est une erreur d'affirmer que la politique des rois hellénistiques a été systématiquement de favoriser l'extension des villes aux ,dépens des villages. On a l'exemple vivant de la politique inverse dans une inscription grecque du début du IIès av. n.è, qui transcrit un décret de la cité carienne d'Apollonia de la Salbakè: ce décret prouve que, dans un litige opposant la cité aux villages sacrés des Saléens (populations indigènes), en principe dépendant de la cité, l'administration royale intervient dans le sens des représentants des villageois. "Ainsi, le roi ... n'a pas supprimé les villages sacrés indigènes en les intégrant dans une cité grecque. On a l'impression qu'ici les indigènes sont, d'une certaine façon, protégés par les (fonctionnaires royaux] contre la ville" 91). Il convient donc, au total, de marquer nettement les limites quantitatives et qualitatives de la politique d'urbanisation hellénistique. Cette politique est restée d'une ampleur relativement restreinte à l'échelle des territoires royaux; elle n'a pas abouti à la disparition brutale des anciennes communautés villageoises ni à un démembrement des états sacerdotaux d'Asie Mineure 92). On comprendrait d'ailleurs assez mal que les rois, par ailleurs si soucieu."{ de leurs intérêts matériels, se soient évertués à s'appauvrir au profit des cités. Il était bien préférable pour eux, à tous points de vue,. de s'appuyer sur les villages; ainsi le principe de la responsabilité financière collective du village constituait un gros avantage et une garantie sérieuse pour le roi. Si l'on en juge à la situation que révèle la révolte d'Aristonikos en 133 av. n.è., on se rend compte que dans le royaume attalide l'essentiel de la terre est royale, et que les laoi continuent de fournir l'essentiel de la force de travail sur cette terre 93). La conquête macédonienne n'a pas apporté de modifications fondamentales dans le mode de production 90) 91) 92) 93)
Voir supra, n. 36. L. Robert, La Carie, nO 166, et p. 297. Sur ce point, cf. la mise au point et la bibliographie de L. Robert, ibid., p. 296. Voir P. Briant, Remarques, p. \°9- 1 I l .
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dominant (que l'on peut qualifier du terme marxiste de MPA), ru dans la stratification sociale. IV. 2. En outre, à insister avec autant de force sur la politique d'urbanisation des rois hellénistiques, on oublie que le problème des rapports entre le village et la ville se posait en Asie avant la conquête macédonienne. De nombreuses régions, telles la Cappadoce 94) ou la Mésopotamie, possédaient un réseau urbain très ancien. Ces villes ne constituaient pas seulement une unité architecturale, mais leurs habitants réunis disposaient aussi d'un certain droit de décision dans la gestion de leurs propres affaires 95): sans nier la spécificité historique de la Polis grecque, on peut bien dire que, dans leurs rapports avec l'autorité royale, villes orientales et cités hellénistiques se trouvaient dans une situation comparable de dépendance. Il ne fait aucun doute qu'en Babylonie comme en Asie Mineure, le problème des rapports entre la ville et le village se posait en termes de dépendance du second par rapport à la première: c'est un point sur lequel a tout particulièrement insisté B. Brentjes, dans une étude ambitieuse et suggestive 96). A cet égard, je voudrais citer un texte de Quinte-Curee qui décrit de manière très explicite Babylone et son territoire en 323. A la mort d'Alexandre le Grand, une stasis (sécession) se produisit entre la phalange et la cavalerie macédoniennes 97). Les cavaliers quittèrent la ville (tlrbs) et s'établirent dans la campagne (in cmnpis) 98). Ils occupèrent les champs de blé autour de la ville, ce qui amena les citadins babyloniens et les phalangires macédoniens au bord de la famine 99). En conséquence, "ceux de la campagne, par 94) Cf. L. Robert, Noms ÎlldZ~illles dans l'Asie Mineure grëco-romaiue, Paris, [96" p. 457-523; voir aussi P.13riant, REA 1972, p. 37. 95) Voir les différentes études parues depuis plusieurs années (cf. RAu. 1965) sur la "primitive dcrnocracy", 96) 13. Brentjes, "Zum Verhâltnis van Dorf und Stadt in Altvordernsicn", Wiss. Zeitscbr, Univ. Ha!!e, Cesellsch. R., 17 (1968), p. 9-41: campagne exploitée par une classe dominante urbaine. 97) Cf. P. Briant, AlItZ~o11e!e Borgne, p. 24°-252. 98) Quinte-Curee, X, 7, 20. Cf. Justin, XIlI, 3, 5. (P. Briant, ibid., p. 247). 99) Quinte-Curee, X, 8, JI-I 3.
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crainte de voir leurs fermes (villac) et leurs villages (vici) ravagés, se réfugièrent dans la ville, et les citadins, devant l'insuffisance du ravitaillement, dans les campagnes, chaque catégorie jugeant la résidence de l'autre plus sûre que la sienne" 100). Le récit de Quinte-Curee donne de Babylone l'image d'une ville vivant en autarcie sur son territoire 1b1). Celui-ci est, semble-t-il, organisé selon deux types d'exploitation différents: - les villages: sans doute s'agit-il de paysans dépendants, qui versent une partie de la récolte aux citadins, ou aux temples 102); - les grands domaines privés (villac) aux mains de riches Babyloniens, qui possèdent également une résidence en ville, tels certains propriétaires de l'Athènes classique: l'existence de cette classe de propriétaires citadins est confirmée par des inscriptions néo-babyloniennes 103). Le cas de Babylone n'est probablement pas isolé. La présence de villages sur le territoire des grandes villes de l'époque achéménide est attestée à plusieurs reprises: dans la capitale de l'Arménie, à Marakanda, à Xenippa (Sogdiane), à Ecbatane de Médie, à Kelainai de GrandePhrygie, à Gordion en Phrygie 101) ••• Tous ces rapprochements incitent à conclure que le problème des rapports ville-village, ville-roi, village-roi, ne se pose pas différemment à l'époque hellénistique et à l'époque achéménide. Cette observation n'implique pas, de ma part, une volonté de gommer les différenciations régionales; l'Asie ne constitue pas une entité sociale homogène: il est hautement probable, par exemp le, que le régime des terres en Babylonie présente des caractéristiques spécifiques. Cependant, je plaide pour des études comparées, menées conjointement par des 100) Ibid., X, 8, 13. 101) Cf. aussi Hérodote, I, 190. 102) Cf. M. A. Dandamayev, "Temple et Etat en Babylonie", VDI, 1967, p. 17-39. 103) Voir E. Szlechter, "Les lois néo-babyloniennes", RIDA, 3ès., XIX (1972), p. 44sqq., où l'on peut souligner la fréquenee, dans les dons matrimoniaux, de l'expression "tous ses biens en ville et à la campagne". 104) Xénophon, Anab. IV, 4, 7 (Arménie); Quinte-Curee, VII, 6, 10 (Marakanda), Quinte-Curee, VIII, 2, 14 (Xenippa); Diodore, XIX, 46, 4 (Ecbatane) (cf. aussi Hérodote, I, 96-98); P. Briant, Anf~~one, p. 80s'1q. (Kclainai): Strabon, XII, j, 3 (Gordion).
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spécialistes des sources "orientales" et spécialistes des sources "classiques" 10'). En effet, on doit admettre que la conquète d'Alexandre n'a pas apporté de moclifications fondamentales dans les modes et les rapports de production de l'Asie achéménide 10'), et bien au contraire que les continuités (administratives, politiques, sociales) sont très grandes entre l'empire achéménide et les états hellénistiques 107), ou bien encore, pour dire bref, que l'histoire des états hellénistiques d'Orient fait partie intégrante de l'Histoire de l'Orient. De telles études permettraient de comparer, éventuellement en les opposant, le statut des populations rurales dans différentes régions et à différentes époques, et pourraient mener, sans doute, à l'ébauche d'une vision globale de l'histoire rurale de l'Asie ancienne du Ier millénaire av. n.è, 105) Voir aussi G. Cardascia, RHD, 1967, p. 297-300: u . . . l'Assyriologie est devenue une discipline 'classique' en ce sens qu'elle peut alimenter des synthèses effectuées par des non orientalistes". J'ajouterai que la démarche inverse est tour aussi féconde. 106) Sur ce point, voir en particulier H. Kreissig, "L'esclavage dans les villes d'Orient pendant la période hellénistique", IVè Colloque de Besançon (l1Ial 197;): "les prétendus états hellénistiques d'Asie constituent une phase particulière dans le développement de la formation orientale ancienne et non dans la formation antique" (cf. ibid., n. 9, références aux travaux antérieurs de H. Krcissig ; y ajouter "Propriété foncière et formes de dépendance dans l'hellénisme oriental", Vè Colloque de Besançon (2-; mai 1974)). 107) Sur les rapports entre les Economiques du Pseudo-Aristote (fin IVès) et les renseignements tirés des tablettes élamites de Persépolis, cf. déjà F. Alrheim, Gnon/on zJ, '95 r 19zsqq., et G. C. Cameron,lNES, XVII (1958), 168sqLl'Sur les continuités administratives, voir aussi P. Briant, "D'Alexandre le Grand aux diadoques: le cas d'Euméne de Katdia", REA, LXXIV (197Z), 34-49.
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LA CAMPAGNE D'ALEXANDRE CONTRE LES OUXIENS (DÉBUT 330) (*) A)· Deux traditions. Les historiens d'Alexandre constituent notre source la plus documentée sur les Ouxiens du Khuzistan (1)*. C'est en janvier 330 que le roi, venant de Susiane, se heuna à ce peuple. Les faits nous sont connus par Arrien (J.II.I 7), Quinte-Curee (V.3.1-l7) et Diodore (XVlI.67). Si les récits des deux derniers se rejoignent sur l'essentiel, ils divergent profondément du compte-rendu présenté par Arrien. Il semble que l'origine en soit l'emploi de sources différentes (2). D'une façon générale, les auteurs modemes- suivant une fâcheuse habitude (3) . ont choisi de paraphraser Arrien, et d'ignorer purement et simplement les informations transmises par Quinte-Curee et Diodore (4). Il faut donc en revenir aux textes. Le récit d'Arrien se présente de la façon suivante: 1 . Alexandre quitte Suse, traverse le Pasitigre, et arrive à la «terre des Ouxiens» (eis tèn Ouxiôn gèn) (; 1) ; 2 - Les «Ouxiens de la plaine», soumis au satrape, font aussitôt leur reddition à Alexandre (; l) ; 3 . L'essentiel du récit est alors consacré à la lutte menée par les Macédoniens contre les «Ouxiens de la montagne» (; 1-6) : Alexandre fait mine d'accepter le principe du versement d'un «droit de passage» ; rendezvous est pris avec les Ouxiens ; Alexandre surprend les habitants dans leurs villages ; Cratère massacre ceux qui réussissent à s'échapper vers les montagnes ; 4 . Les Ouxiens conservent leur territoire, mais doivent verser un lourd tribut en nature (; 6) ; 5 - Parménion prend la route vers la Perse, tandis qu'Alexandre se dirige vers les Pyles Persiques (11I.18.1). Quinte-Curce présente ainsi la succession des opérations : 1 - Description du Pasitigre. Alexandre le franchit et parvient dans le «pays des Ouxiens» (in regionem Uxiorum) (; 3) ; 2 . Entre la Susiane et la Perside uniquement une «étroite entrée» [artum aditum) (; 3) ; un Perse, Médatès, est chargé de sa défense ( regionis praefectus) ; il a une année avec lui, et s'enferme dans la «ville» (; 5 : urbs), munie d'une citadelle (; 11 : arx ..cf. , 8 : castellum exiguum et ignobile), dont Alexandre doit faire le siège (; 4 sq. obsidio). Un mouvement tournant permet de surprendre Médatès par les hauteurs (; 5, 10) ; 3 - L'intervention de Sisygarnbis permet aux défenseurs d'éviter le massacre ; la population du nays obtient l'exemption de tribut (; 15) ; la région est rattachée à la satrapie de Suse (; 16). 4 . Parménion est mis à la tête du gros de l'armée et des bagages et doit rejoindre la Perse par la «route de plaine» (campestre iter} ;Alexandre, de son côté, mène une expédition dans les montagnes, il dévaste toute la région (; 16-17) ; 5 . Au bout de cinq jours, il arrive aux Portes Persiques (; 17). Le récit de Diodore est bâti sur le même modèle que celui de QuinteCuree, mais il est moins développé et surtout moins précis:
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(...) Sur "ensemble du problème posé par les rapports établis entre les peuples pasteurs du Zagros • et le grand Roi puis avec Alexandre, voir maintenant P. Briant, Etat et pasteurs au Moyen-Orient ancien, Paris - Cambridge, 1981.
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1 . Description du cours du Pasitigre et de la riche chôra des Ouxiens, située dans la plaine (chôra pediada}, Alexandre passe le fleuve (j 1·3) ; 2 - Alexandre trouve les passages [parodous} gardés par Médatès (ef ~ 5), qui dispose d'une armée importante et d'une place forte (j 4). Mouvement tournant qui surprend la garnison (j 4.5) ; 3 - Après cette victoire Alexandre «se rend maître de toutes les citées (poleis) de l'Ouxiane» (j 5) ; 4 - Puis, en 5 jours, le roi parvient aux Pyles Persiques (XVII. 68.1).
B) - Deux campagnes. Quinte-Curee (Diodore) et Arrien ne peuvent donc pas faire référence aux mêmes affrontements. La seule solution, c'est d'admettre que la campagne s'est déroulée en deux phases successives et distinctes. Arrien affirme en effet que les Ouxiens de la plaine (oi ta pedia oikountes), soumis au satrape, n'ont pas résisté. C'est possible (5) ; mais ce ne fut certainement pas le cas du «satrape», terme sous lequel on doit reconnaître le praefectus regionis, c'est à dire Médatès, qui s'était engagé personnellement auprès de Darius à défendre les défilés (6). La «ville» (7) et la citadelle sont situées à l'entrée de l'Ouxiane, en venant de Suse et du Pasitigre ; elles commandent le passage qui mène dans le «pays des Ouxiens» , c'est-à-dire dans la plaine (8). Il me paraît donc certain que Quinte-Curee et Diodore décrivent la campagne du roi contre la «plaine», et Arrien l'assaut mené contre les «montagnes des Ouxiens», là où se trouvent les sources du Pasitigre (9). La division en deux expéditions distinctes n'a d'ailleurs pas échappé à Quinte-Curee qui écrit qu'après la soumission de Médatès et les ordres donnés à Parménion, Alexandre se lança dans les montagnes, qui s'étendent jusqu'en Perse : «II dévasta toute la contrée» (omni hac regione vastata], expression dans laquelle on peut reconnaître les massacres et pillages perpétrés chez les Ouxiens de la montagne (10). C'est ce que rend (fort mal) Diodore en écrivant qu' Alexandre s'empare de «toutes les villes de l'Ouxiane», allusion probable aux menées des Macédoniens contre les villages [kômai} des Ouxiens de la montagne (11). C). Deux «traités». Au surplus, seule cette interprétation permet de comprendre les divergences irréductibles existant entre les renseignements d'Arrien et ceux de Quinte-Curee sur les conditions imposées par Alexandre aux Ouxiens : Arrien.III.l7.5 : «Ce fut seulement avec difficulté que [les Ouxiens1 obtinrent d'Alexandre le droit de conserver leur territoire [chôra}, moyennant le versement de phoroi annuels à Alexandre. Selon Ptolémée, fils de Lagos, la mère de Darius implora le roi en leur faveur, pour qu'il leur donnât leur territoire pour y habiter ( ôoüvot.. (](jJlocrlo TnV xwpexv O~)(e:t:v). Le tribut fut fixé, pour chaque année, à 100 chevaux, à 500 animaux de transport, et à 30 000 moutons. En effet, les Ouxiens n'avaient ni argent (ehrémata), ni terre arable ( y fi 0 Lex É p y &. ç e: cr \)ex lo ), mais ils étaient pour la plupart [oi polloi) des pasteurs (nomeis)», Quinte-Curee. V.3.15-16, qui rapporte lui aussi l'intervention de Sisygambis (voir ci-dessous), écrit : « ... Non content de pardonner à Médatès, Alexandre octroya la liberté et l'immunité à tous ceux qui s'étaient rendus et
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à tous les prisonniers ; il laissa la ville intacte, et autorisa les gens à cultiver le pays sans payer de tribut ... Après l'avoir soumise, Alexandre réunit la nation des Ouxiens à la satrapie de Susiane». Il est donc clair que les deux traditions sont rigoureusement incompatibles, en particulier sur la question essentielle du tribut (12). La solution tombe sous le sens : le texte d'Arrien est applicable aux Ouxiens de la montagne qui avaient opposé une résistance désespérée à Alexandre ; à un peuple de pasteurs, le roi impose tout naturellement un tribut en bétail. Le texte de Ouinte-Curce fait référence aux Ouxiens de la plaine, qui, seuls, pouvaient profiter d'une exemption de tribut pesant sur les productions du sol (agros sine tributo colere permisit j. On a vu qu'Arrien fait allusion à une information qui - dit-il- provient de Ptolémée : l'intervention de la mère de Darius en faveur des Ouxiens de la montagne ; à le lire, il semblerait que, dans un premier temps, Alexandre aurait songé à les expulser de leur territoire. Mais on ne comprend pas très bien pourquoi une princesse achéménide serait intervenue en ce sens. La solution de ce problème vient de Quinte-Curee qui, une nouvelle fois, présente une explication beaucoup plus cohérente et beaucoup plus acceptable. Quinte-Curee précise en effet que l'intervention de Sisygambis . alors en «résidence surveillée» à Suse (13) - fut requise, non par les montagnards ouxiens, mais par Médatès, «préfet de la région» (des Ouxiens de la plaine), qui, retranché dans sa citadelle, avait opposé une résistance farouche aux assauts macédoniens. Le sens de la requête qu'il fait secrètement à Sisygambis est clair; - d'une part, il avait épousé une nièce de la reine (14), il est donc proche parent du Grand Roi (15) ; • d'autre part, dans un premier temps, Médatès avait proposé à Alexandre de se rendre, mais sous conditions; aux trente parlementaires, Alexandre avait répondu qu'il n'était pas question de «pardonner» (sc. la résistance) (16). Seule l'intervention de I~ reine fit revenir Alexandre sur son premier mouvement. C'est pourquoi, le «traité» imposé par le Macédonien comprend deux parties distinctes, mais non clairement distinguées par Quinte-Curce : a) des clauses en faveur de Médatès et des survivants de la garnison perse: Médatès obtint la vie sauve, les derniers résistants et les prisonniers reçurent la «liberté et l'immunité» (libertate et immunitate donavit) ; de plus, Alexandre «laissa la ville intacte» (urbem reliquit intactam}. Le sens de ces dispositions est évident: le roi a accepté, à titre tout à fait exceptionnel, étant donné la résistance qu'il a rencontrée, de ne pas appliquer à Médatès et aux Perses le «droit grec de la guerre», qui l'autorisait à :. tuer les résistants, - vendre les prisonniers en esclavage, - piller ou même détruire la ville ou la forteresse (17) ; b) des clauses en faveur des Ouxiens de la plaine, dont tout laisse supposer qu'ils n'ont pas pris part directement à la lutte contre Alexandre; il semble même que certains d'entre eux se sont rangés du côté des Macëdoniens contre les Perses (18). C'est la raison pour laquelle le roi leur concède, non moins exceptionnellement, l'immunité de tribut. En même temps, Alexandre décide de rattacher à la satrapie de Suse cette région des Ouxiens qui jusqu'alors, semble-t-il, formait un gouvernement particulier. D) - Deux routes. La confrontation des deux traditions permet donc de proposer une reconstitution logique et plausible. Cependant, il reste une question capitale
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à envisager : qui, d'Arrien ou de Quinte-Curee, doit-on suivre pour apprécier l'importance relative des deux campagnes, contre la plaine et contre la montagne? On est bien obligé de souligner, dès l'abord, que des soupçons graves pèsent sur la tradition rapportée par Arrien. En effet, si Quinte-Curee ne donne pas beaucoup de détails sur l'assaut donné par Alexandre dans les montagnes, il ne le passe pas complètement sous silence (19). En revanche, Arrien nie purement et simplement l'existence d'un pôle de résistance menée par les Perses de Médatès dans la plaine, puisqu'il écrit (je le rappelle) : «Parmi les Ouxiens, certains habitent la plaine, sont soumis au satrape perse, et se rendirent à Alexandre à son arrivée». La conséquence, - sinon même l'objectif, - d'une telle présentation, c'est de laisser entendre que, depuis Gaugamêles, les Perses et Darius sont en déroute complète (20). Au contraire, le récit de Quinte-Curee montre que le Grand Roi avait demandé aux «gardiens des portes» d'opposer la plus vive résistance à l'avancée d'Alexandre, en Ouxiane comme aux Portes Persiques (21). D'ailleurs, que cette campagne contre l'Ouxiane ait revêtu une grande importance, c'est ce qui ressort, me semble-t-il, d'un passage ultérieur d'Arrien (22) ; dans son discours d'Opis, Alexandre rappelle à ses soldats que, tous ensemble, ils ont vaincu les Perses, les Mèdes, les Bactriens et les Saces, et réduit les Ouxiens, les Arachosiens, les Chorasmiens et les Hyrcaniens de la Caspienne. Selon Arrien, le but de la campagne dans les montagnes des Ouxiens était d'ouvrir la grande route, que contrôlaient les montagnards grâce à des défilés (23). Dans son récit, ce n'est qu'après cette campagne qu'Alexandre envoie Parménion par la «route carrossable» (amaxitos] qui mène vers Persépolis tandis que lui-même prend la route des Pyles Persiques par les montagnes (24). Dans ces conditions, la campagne contre les montagnards est en effet capitale, puisque la route royale Suse-Persépolis la traverse. C'est également ce que laisse entendre Strabon (25). On peut considérer que cette interprétation n'a jamais été contestée (26). Or la séquence chronologique présentée par Quinte-Curee est bien différente : 1 - Alexandre doit faire beaucoup d'efforts pour emporter la position tenue par Mëdatès ; 2 - Après sa victoire sur Médatès, il envoie Parménion en Perse par «la route de plaine» (iter campestre) (27) ; 3 - lui-même gagne les montagnes : il dévaste toute la contrée,sc. le pays des Ouxiens de la montagne, et au bout de trois jours entre en Perse, puis au bout de cinq jours dans les gorges dites «Portes de Suse» (28). Dans cette hypothèse, ce qu'on peut appeler les «Portes Ouxiennes» se situent à l'entrée de la plaine en venant de Suse. Ces Portes franchies, on peut suivre sans difficulté la grande route qui mène à Persépolis; les Ouxiens de la montagne ne la contrôlent pas ; Alexandre doit donc faire un détour pour attaquer ce peuple. 11 me semble que la tradition rapportée par Quinte-Curee doit être préférée. Etant le seul à distinguer deux campagnes militaires, sa séquence chronologique est tout d'abord plus acceptable. Niant au contraire la réalité des combats dans la plaine, Arrien repousse tout naturellement après la soumission des montagnards l'envoi de Parménion par la route directe. Mais le trajet d'Alexandre, - et donc celui de la prétendue route royale -, paraît tout à fait curieux, puisque successivement, à lire Arrien, : - il s'empare sans coup férir de la plaine, - puis gagne les montagnes contre les Ouxiens «d'en
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haut» (29) redescend dans la plaine pour donner des ordres à Parrnénion (30), • enfin regagne les montagnes pour rejoindre les Portes Persiques (31). fi paraît tout à fait illogique d'admettre qu'Alexandre se soit embarrassé des bagages pour mener l'assaut contre les Ouxiens de la montagne. En vérité, tout s'éclaire si l'on adopte la présentation de Quinte-Curce : la «route carrossable» (Arrien) prise par Parménion, c'est la route de plaine (le campestre iter de Quinte-Curee) ; elle traverse la plaine de l'Ouxiane, elle évite la haute montagne où vivent les Ouxiens de la montagne. Cette interprétation est corroborée par le récit que fait Diodore du voyage qui, en 317, conduisit Eumène de Kardia du Pasitigre à Persépolis (32) Le diadoque emprunta la même route suivie par Alexandre (33) puis par Parrnénion en 330. Or, à une date où pourtant Diodore souligne qu'ils restent indépendants (34), les Ouxiens de la montagne ne s'opposèrent en rien à sa progression. La route se divise en plusieurs sections: 1 . à partir du Pasitigre, la route est encaissée, torride et nue ; on est encore dans le climat étouffant de la Susiane (35) ; 2 . l'aspect change à partir de «ce qu'on appelle l'Echelle [Klimax]» (36). Sous ce terme, il convient de voir, me semble-t-il, la position tenue par le Perse Médatês en 330, décrite ainsi par Diodore (37) : «Alexandre trouva les passages (tous parodous) gardés par Médatês, parent de Darius, qui avait pour lui une armée considérable ; le roi examina avec soin la force de la position ( dl v ô Xu p (h a r a r Wv r cl 11 W v) ; les défilés étaient impraticables (& 11 0 p 0 ô e: Û'( W v ô' ë v r W v Xp n IJ v Wv (38). A l'époque d'Eumène, en 317, il n'y a évidemment plus de garnison perse; 3 . dès lors, jusqu'à Persépolis, la route traverse une riche région (39) : c'est une description analogue que fait Diodore (XVII) du «pays des Ouxiens», c'est-à-dire de la plaine (chôra pediada} (40). La route traverse une région plus élevée, le climat y est plus frais et plus sain (41). Le pays est riche en tous les fruits de la terre (42), est arrosé par des sources abondantes (43). fi s'agit donc bien, en partie, de la même «région des Ouxiens», que traversait la Grand-Route avant d'obliquer vers le Sud, vers Persépolis. Cette Route royale· comme il est logique d'ailleurs· était donc tenue d'une main ferme par les Perses. En témoigne· outre la présence de la forteresse du Klimax . l'existence d'un système de signalisation que l'on voit fonctionner en 317, mais qui remontait certainement au temps de la domination achéménide. Sommé par Eumène et Antigène de convoquer 10 000 archers perses (44), Peukestas, alors sur les bords du Pasitigre, fit parvenir cet ordre en une journée à des endroits éloignés par une marche de 30 jours (45),«grâce à la disposition ingénieuse des postes [phylakai} .,. La Perse est un pays garni de nombreux vallons et de collines élevées ; sur ces collines on a établi des sentinelles très rapprochées, choisies parmi les indigènes (egk6rioi) qui ont la voix la plus forte. Les distances sont calculées à portée de voix, et les ordres sont ainsi transmis d'un poste à l'autre jusqu'à ce qu'ils arrivent aux limites de la satrapie» (46). La grande route de Suse à Persépolis était donc bordée sur toute sa longueur (47)· et en partie en Ouxiane - d'un grand nombre de petits postes de transmission. Essayons de rassembler les résultats acquis et d'en donner une traduction toponymique : 1) dans sa première partie, le trajet de la Route Royale achéménide est relativement bien connu depuis les recherches d'A. Stein (48) ; c'est une
»)
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LA CAMPAGNE D'ALEXANDRE CONTRE LES OUXIENS (Début 330) Phases A
Déplacementset trajets d'Alexandre
Références
Alexandre quitte Suse, passe le Pasitigre et arrive au «pays des Ouxiensi . Ce pays désigne la «plaine», très riche,
. .
par opposition aux «montagnes des Ouxiensi où naît le Pasitigre,
.
et où vivent les Ouxiens «de la montagne»
A.III.l7.1 ;D.XVII. 67.1·3 ;C.V.3 .1-3. A.l7.1;D.67.2. D.67.2·3(D.xlX.21 2-3). D.xVII.67 .2{XIX.17. 3) C.V.3.1. D.67.4;C.V.3.3;Cf·
A.III.l7.1. B
C
L'entrée de Ia plaine ouxienne est barrée . par d'étroits défilés,
C.V.3.3.;D.XVII.67. 5(cf.XIX.21.2).
où est construite une «ville», munie d'une forteresse et d'une garnison perse importante, dirigée par Médatès, praefectus regionis . Difficultés d'Alexandre pour emporter le position . «Honneurs de la guerre» accordés à Médatès et à la garnison grâce à Sisygambis .. Exemption de tribut concédée à la population . Plaine ouxienne rattachée à la Susiane .. Parménion envoyé par la Route royale vers Persépolis . .
C.V.3.16;[cf.A.l8.1.]
Alexandre se lance contre les montagnards ouxiens .
C.V.3.16;cf·D.67.5 ;
Ravage et pillage dans les villages . . . . . . Tribut imposé aux montagnards . Alexandre poursuit immédiatement vers Pyles Persiques . Après la déroute des Perses, redescend dans la plaine et arrive à Persépolis .....
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C.V.3.5sq.,D.67.5. C.V.3.4;cf.D.67 .4.
[A.l7.1 :satrape1 C.V.3.5sq .,D.67,4-5. C.V.3.15. C.V.3.15 C.V.3.15·16.
A.l7.1. A.l7.3 ;D.etCloc.cit. A.l7.6. C.V.3.17;cf·A.18.2, D.68.1 A.IlI.l8.1 O;C.V., D.69.1-2.
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route de plaine et de piémont qui, de Suse, se dirige vers l'Est, franchit le Copratas (Abd-é-Diz), puis le Pasitigre (Karun) (probablement à Shustar) (49), puis oblique vers le Sud-sud-est (50) par Ram-Hormuz et Behbéhan, ville à partir de laquelle elle remonte vers les montagnes par la vallée de l'Hindiyan : c'est sans doute la partie de l'itinéraire décrit par Hiéronymos (51) comme brûlant et dépourvu de ravitaillement; 2) comme l'a confirmé récemment une étude de S. Hansman (52), la route divergeait en deux branches au Sud du bassin de Fahliyun (Telespid)
(53) : a) la grande route carrossable (c'est-à-dire Yamaxitos d'Arrien et l'iter campestre de Quinte-Curee) gagnait Persépolis via Nurabad, Kazerun et Shiraz (54), et évitait donc les Portes Persiques. C'est le trajet emprunté par Parménion après la soumission de Médatès ; b) la route parcourue par Alexandre est plus courte ; à partir de Fahliyun, elle suivait une piste de montagne qui permettait d'atteindre les Portes Persiques (55) - que l'on reconnaît aujourd'hui dans l'impressionnant défilé du Tang-i-khas situé quelques kilomètres à l'Ouest de Maliyun (56) : de là, le roi redescendit dans la plaine vers Persépolis (57) ; 3) dès lors, on peut proposer des localisations relativement précises pour les Ouxiens : a) les défilés tenus par les Ouxiens de la montagne se situent au Nord-nord-est de Fahliyun en allant vers le Tang-i-khas (Portes Persiques) (58) ; je propose de les identifier avec le défilé de Gerden-a-Nigel (1227 m) aux abrupts impressionnants, reconnu par E. Herzfeld qui (59), lui-même, a parcouru l'itinéraire de Telespid au Tang- i -Khas, Cette localisation s'accorde parfaitement avec la tradition ancienne, c'est-à-dire : - les défilés des Ouxiens se situent sur le trajet d'Alexandre venant de la plaine de l'Ouxiane et allant vers les Portes Persiques; le territoire des Ouxiens de la montagne voit naître le Pasitigre (Karun) (60) ; b) dans ces conditions, on ne peut manquer de conclure - me semble-t-il, - que la plaine de l'Ouxiane (cultivée par les Ouxiens «de la plaine») se confond avec l'actuel bassin de Fahliyun, Cette localisation en entraîne une autre, celle de la ville et la citadelle tenues par Médatès en 330 au débouché de la route royale venant de Bast : les défilés surveillés ainsi par Médatès sont probablement reconnaissables dans le Kotal-i-Sangar, puissante «Porte» située à 12 km au Nord-Ouest de FaJùiyun (61). Conclusion. En 330, c'était donc dans les «Portes Ouxiennes» défendues par Médatès et non aux Portes Persiques que s'ouvrait toute grande la grande route carrossable qui menait sans difficulté majeure à Persépolis (62). Il se confirme ainsi que la source de Quinte-Curee a eu parfaitement raison d'insister sur la résistance de Médatès ; c'est sur lui autant et plus que sur Ariobarzanès (chargé des Portes Persiques) que reposaient les espoirs de Darius en une immohilisation d'Alexandre en seuil de la Perside (63). La plaine de l'Ouxiane était bien une position stratégique de première grandeur. L'expédition contre les Ouxiens de la montagne ne revêtit en revanche qu'une importance secondaire, puisque la Route Royale évitait leur territoire (64). A la vérité, on ne peut même pas parler, stricto sensu, d' «expédition» : le detour d'Alexandre s'explique uniquement par l'objectif qu'il s'était fixé, disperser les forces perses concentrées dans les Pyles Persiques. Quinte-Curee (65) ne s'y est d'ailleurs pas trompé; il ne distingue pas une campagne parti-
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culière contre les Ouxiens puisqu'il écrit : «... Avec des troupes légères, Alexandre _prit la crête des montagnes dont la chaîne Ininterrompue s'avance jusqu'en Perse. li dévaste toute la région [des Ouxiens) et, au bout de trois jours, entre en Perse, au bout de cinq, dans les gorges dites «Pertes de Suse». En définitive, si Arrien apporte des renseignements précieux sur les Ouxiens de la montagne, il n'en reste pas moins que Quinte-Curce constitue notre source la plus complète et la plus cohérente qu'il convenait de réhabiliter. Lui seul et Diodore (issu manifestement de la même source) font part de l'existence d'une forte armée perse à l'entrée de la plaine ouxienne en janvier 330. C'est là et non dans la montagne qu'Alexandre rencontra la résistance la plus forte et la mieux organisée : d'où peut-être l'importance que revêt cette victoire sur les Ouxiens • en fait sur les Perses d'Ouxiane . dans le discours d'Alexandre à Opis (66).
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Cf. supra, p. 180-18l. Cf. m.17.6 : Ptolemaios de a Lagou lege; ..., • expression sous IaqueUe on sent une certaine réserve d'Arrien. En tout état de cause, l'existence de deux traditions divergentes sur les Ouxiens apparaît également dans Anab .. V.19.6 ; Arrien place la capture de Bucéphale lors des affrontements contre les Ouxiens, alors que les autres auteurs (DIODORE, XVU.76.7-8 ; QUINTE-CURCE, VI.5.18·21 ; PLU·
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TARQUE, Alex. 44) rapportent l'épisode lors de l'invasion du territoire des Mardes de la Caspienne. Cf, mon Antigone le Borgne, Paris (1973), p. 102-103,241-243, 339, 354. Par exemple UI. WILCIŒN, Alexandre le Grand, 1932, p. 149 ; R, COHEN, Glotz IV·I, 1938, p. 106 ; P. JOUGUET, L'impérialisme macédonien et l'helléniration de t'Orientl-, 1961 , p. 4042 ; C.B. WELLES, Alexander and the hellenistic worlâ, 1970, p. 35 ; P. GREEN, Alexander ofMacedon, 1974, p. 311,•. H. BERVE, Alexanâerreich Il, n, 741 (Tauron) note l'opposition entre QuinteCurce et Arrien ; il ne repousse pas le récit du premier, mais ne propose pas de solution au problème (cf, aussi ibid., p. 243, n. 4). Sir A. STEIN, Old Routes of Ancient Iran, 1940, p. 39 sq, suit pour l'essentielle récit d'Arrien; il note (p. 42, n, 3) que Quinte-Curee a peut-être réuni deux opérations distinctes d'Alexandre. Cf, infra, p. 216. Cf, QUINTE-CURCE, V.3.4 : pro fide, à rapprocher de QUINTE-CURCE, 1Il.1.6 : pro fide morituros (défenseurs de Kelainai ; cf, mon Antigone le Borgne, p. 104). Sous ce terme. il faut sans doute entendre la résidence du satrape, c'est-à-dire un château et des villages attenants, peut-être aussi un paraâeiso« (cf, pour comparaison XllNOPHON, Anab., 1.2.9. 1.4.10, 11.4.14 ; QUINTE-CURCE, VII.2.22 ; VIII.1.11-19. etc •.• Cf, aussi L. DlLLEMANN, Haute-Mësopotamie orientale (1962), p. 169-170 et 244-245). DIODORE, XVII.67 .2. (Sur leur localisation possible, cf, ci-dessous). Ibid.. ; QUINTE-CURCE, V.3.1 ; DIODORE, XlX.I7.3. ARRIEN. 111.17.3. DIODORE emploie fréquemment polis et kômè l'un pour l'autre (cf, supra, p. 200 n. 86 ). P. JULIEN, Zur Verwaltung ..., p. 71, n, 1 résout la difficulté selon la méthode habituelle: «Cette contradiction directe de [de Quinte-Curee 1ne peut absolument pas faire le poids face aux informations précises d'Arrien ••. Quinte-Curce a probablement voulu rendre tout à fait évidente l'efficacité des prières de Sisy· gambis» ! QUINTE-CURCE. V 2.17-22 ; DIODORE, XVII.67.1. (Cf, BERVE, Il. n, 711). QUINTE-CURCE. V.3.12. Ibid. Dareum propinqua cognatione contingens ; DIODORE, XVII.67.4 : syg· geneis Dareiou; (Sur le personnage. cf, BERVE, Il, n,483 : Madatès). QUINTE-CURCE. V.3.11. Cf, XllNOPHON. Cyrop., VII.5.73. Cf, QUINTE-CURCE, V.3.5 et DIODORE. XVII.67.4 ; la manœuvre d'enveloppement de la ville défendue par Mèdatès est rendue possible gnlce aux indications des «indigènes» qui connaissent particulièrement bien les lieux (periti locorum) ; c'est un guide ouxien [Ouxios to génos, empeiros tôn topôn)qui conduit la troupe du stratège Tauron (QUINTE-CURCE, V.3.6 et 10) au-dessus de la citadelle, par un chemin secret. • Sur cet épisode, cf, BERVE, Il, p. 372, n, 1 et 2, qui essaie (à tort) de combiner ces passages avec ARRIEN, 111.17.4 : Alexandre envoie Cratère se saisir des hauteurs; en fait, le texte d'Arrien s'applique à l'expédition contre les Ouxiens des montagnes, et n'a donc rien à voir avec la lutte contre Médatès. Remarquons que lors de sa marche contre les montagnards, Alexandre utilise des guides susiens (ARRIEN, 111.17.2), et non des guides ouxiens comme dans la plaine. V.3.16-17; cf, DIODORE, XVII.67.5. Déformation du même type en 1.29.1-3, que l'on peut démasquer (là-aussi) grâce à QUINTE-CURCE, 1Il.1.6-8. (Cf, mon Antigone, p. 101-118, en particulier p. 110-112).
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Sur la résistance perse aux Portes Persiques, cf. ARRIEN, m.18.2·9 ; QUINTE· CURCE, V.3.17·23 ; V.4, passim; DIODORE, XVII.68 passim; PLUTARQUE, Alex•• 37.1-3.
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VII.10.s~.
m.17.2-5. m.18.1: ek de toutou ... STRABON, XI.13.6 ; XV.3.6 (Voir supra. IV.C.1). Ainsi A. STEIN. Old Routes. p. 3943 ; plus récemment voir aussi l'étude de S. HANSMANN CIran. X, 1972), l'auteur suivant Arrien en plaçant la division des forces entre Alexandre et Parrnénion après l'expédition contre les Ouxiens (p. 118-119), sans confronter Arrien à Quinte-Curce ; il est vrai que tel n'était pas l'objet essentiel de la démonstration qui, pour le reste. est très convaincante. V.3.16. Ibid•• et DIODORE, XVII.68.l. m.17.2.
m.is.i. m.18.2 :dia tôn orôn. DIODORE XIX.21.2-3, très certainement inspiré d'Hiéronymos de Kardia. Cf. G. LE RIDER, Suse. p. 270, n, S. XIX.17.3. Cf. STRABON, XV.3.1O. XIX.2l.2. (Terme classique pour décrire un déÏ11é ; cf. par exemple PUNE. NB. VI.26 : Climax Megale, sur la route de Bushir à Shiraz selon Stein, Old Routes, p. 2). XVII.67.4. Cf. aussi QUINTE-CURCE, V.3.3 (artum angustum} et 7 (angustias). DIODORE, XIX.21.2·3. XVII.67.2-3. XIX.2l.2-3. XIX.21.3 et XVII.67.3. XIX.2l. 3 et XVII.67.3. XIX.17.4. Ibid•• 17.6. Ibid., 17.7. Diodore décrit tout le parcours du Pasitïgre à Persépolis. Suivi par G. LE RIDER, Suse, p. 270. Sur cette route Bagdad-Shiraz, voir aussi le compte-rendu de voyage de E. IiERZFELD, Eine Reise durch Luristan, Arabistan und Fars, Petermanns Mitteilungen. 53 (1907), p. 49-03. 73-90. avec plusieurs cartes hors-textes en couleurs. (NB : Arabistan : autre nom pour Khuzistan). Sur la première étape, c'est le trajet suivi par Assurbanipal lors de la 7è campagne : à partir de Suse, qu'il vient d'occuper, l'Assyrien traverse la plaine sur 32 km jusqu'au Copratas (Ab-é-Diz) qu'il franchit à Dur-Untashi puis, au bout d'une cinquantaine de km, parvient SUI le Pasitïgre (Karun) à Shushtar (Sostrate) où Cyrus Ier, venant lui-même de Masj-i-8ouieiman située à une quarantaine de km, vint lui rendre hommage: cf. R. GIDRSHMAN, Syria, 27-28 (19501951), p. 217-220, avec la Planche VIII (pont sur le Karun à Shustar construit par des prisonniers romains sous le roi Chapour 1er). Le passage par Masj-i-8ouleiman n'est qu'hypothétique (G. LE RIDER, loc. cit). On peut aussi bien supposer en effet que la route obliquait vers le Sud dès après le passage du Pasitigre ; c'est ce que suggère en tout cas la description de Shustar
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par R. GHIRSHMAN, lac. ctt., p. 219-220 : la ville occupait «Une situation géographique de premier plan, étant située sur le Karun qui, sorti des gorges dans une plaine très fertile, devient navigable depuis cette ville ( ... ). Celle-ci est un nœud de routes partant dans plusieurs directions». Apud DIODORE, XIX.21.3. Iran, X (1972), p. 118-120. Sur l'étape de Fahliyun, voir aussi R. GHIRSHMAN, Syria, 24 (1944-1945), p. 175-193 et Mèdes·Perses ... p. 224 : découvertes d'importantes ruines achéménides, parmi lesquelles on distingue les restes d'un pavillon royal (sur les contreforts du Zagros) sur la route qui menait de Suse à Persépolis. (Cf, aussi L. VANDEN BERGHE, Archéologie de l'Iran ancien (1959), p. 57). Sur l'étape de Shiraz, voir R.T. HALLOCK, PFT, p. 162 etS, HANSMAN, lac. cit., p. 119. Cf, QUINTE-CURCE, V.3.16 : après avoir confié le gros des troupes à Parménion, «Alexandre, avec des troupes légères, prit la crête des montagnes dont la chaine ininterrompue s'avanoe jusqu'en Perse». Voir déjà Mr D. KlNNEIR, GeographiclllMemoirs on the Persian Empire, London 1813 ; et, depuis, cf, A. STEIN, O/d RQutes, p. 18-27, et plus récemment S. HANSMAN, lac. cit, Excellente description (la meilleure) du site dans E. HERZFELD, Reise, p. 85-86. Je précise qu'une récente publication de l'archéologue M.B. NICOL (Reoent excavations near Dorudzan, East and West, 20 (1970), p. 245-285, en particulier p. 280-281) propose l'identification avec la passe d'Ishtahr située à 8 km environ au Nord-est de Persépolis; mais la démonstration est fort peu convaincante ; l'auteur renvoie à OLMSTEAD, Peman Empire, p. 519, dont le texte est en réalité d'une rare négligence (<
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P. BRIANT laquelle subsistant les décombres d'un mur qui en barrait l'entrée, Sangar-iNadiri, A travers la Porte de Sangar, on pénètre dans la vallée de Telespid - (..•dont le fleuve principal est le Falhliyun qui vient du Sud ...) - qui se situe à peu près à égale distance de Behbehan et de Shiraz ... De là la route de Kazerun par Nurabad est ouverte». - Le site a également été visité et décrit par STEIN, O/d Routes, p. 39-43 (avec photographie 10-1l), qui donne la traduction du nom persan sous l'appellation «Passe du mur de pierre» ; par ailleurs et surtout, SteIn identifie le Kotal-i-Sangar avec la position tenue par les Ouxiens de la montagne en 330. Travaillant uniquement sur des textes (anciens et modernes) j'ai quelque scrupule à m'opposer sur ce point à Stein. Cependant, même un voyageur doit se préoccuper des contradictions existant entre les textes, et éviter de fonder sa reconslruction sur un seul document; or, il est clair que Stein s'est appuyé essentiellement sur Arrien, en jugeant en outre que le récit de Diodore conforte celui d'Arrien et s'oppose à celui de Quinte-Curee, Diodore faisant de Médatès le défenseur de défilés, Quinte-Curee le mettant à la tête d'une ville et d'une garnison : selon STEIN (p. 42, n, 3) Quinte-Curee a mêlé deux expéditions distinctes d'Alexandre. Toute cette reconstruction et l'argumentation qui la soutient sont ruineuses pour toutes les raisons que j'ai déjà indiquées ci-dessus. On peut évidemment se demander pourquoi Alexandre a jugé bon d'attaquer par les Portes Persiques. A. STEIN (Routes, p. 18-19) pensait qu'A1exandre était pressé de s'emparer des trésors perses: mais cette réponse est quelque peu paradoxale, car ce que risquait Alexandre c'était précisément d'y être immobilisé. En fait, il était plus prudent d'anéantir les très fortes concentrations de troupes perses: 40 000 fantassins et 700 cavaliers selon ARRIEN, 111.18.2. L'ampleur des chiffres montre qu'il ne s'agissait pas d'une simple garnison permanente, comme il en existait certainement en temps normal : HANSMAN, lac. cit•• p. 119-120, - mais bien d'une véritable armée de réserve qui risquait de prendre l'offensive sur les arrières d'Alexandre et (éventuellement) de couper ses communications avec la Susiane, ou bien (ainsi P. GREEN. Alexander o[Macedon, 1974, p. 310) d'arriver avant l'armée macédonienne à Persépolis. L'orientation générale de la documentation ancienne ne nous permet pas d'élucider complètement la stratégie perse, . qui, en tout état de cause, ne pouvait pas compter sur une résis-
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tance indéfinie de Médatès aux Portes Ouxiennes, - On est tenté de qualifier d'absurde un dispositif qui consistait à masser toutes les forces de Perside en un seul endroit situé sur un itinéraire détourné (cf, HANSMAN, lac. cit.). Mais, il faut prendre garde que les auteurs anciens, soucieux avant tout d'exalter les exploits personnels du roi, ne nous donnent aucune information sur le voyage de l'armée conduite par Parménion ni même sur son arrivée à Persépolis: de ce silence des sources, on ne peut pas conclure évidemment qu'il n'existait pas de garnisons perses sur la route royale Fahliyun-Kazerun-5hiraz-Persépolis. Cf, QUINTE-CURCE, V.3.4 : (Médatès) ... homo, quippe ultimo pro [ide experiri decreverat, - E. HERZFELD, Persian Empire, p. 176-177 a d'ailleurs proposé de voir dans le Kotal-i-Sangar, - (appelé ici «Portes Ouxiennes») -, le défilé qui dans deux tablettes d'Ur du 2è millénaire reçoit les deux appellations, manifestement synonymes, de «Clef du pays d'Anshan» et «Clef de l'EIaJ1l»; contra S. HANSMAN, Iran, 1972, p. 118-120 qui localise Anshan dans le bassin de Maliyun, et qui considère donc que les deux expressions s'appliquent au Tang-i-Khas dénommé Portes Persiques par Arrien et Portes de Suse par Quinte-Curee (Roches Susiennes par Diodore), ce qui correspond très exactement, selon Hansman, à la double appellation des tablettes d'Ur. Et donc, pour leur verser des phroroi et des «cadeaux. le Grand Roi devait faire un détour qui l'éloignait de la grande route (supra, IV.C.l). V.3.16-17. ARRIEN, VlI.10.5-{j.
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Contrainte militaire, dépendance rurale et exploitation des territoires en Asie achéménide Pierre Briant
« Riche je suis, par ma grande lance, mon épée et le beau bouclier qui protège la peau. Avec lui, je laboure, avec lui je moissonne, avec lui je foule le doux raisin de la vigne, avec lui je suis salué comme maltre de la gent servile. Ceux qui n'ont pas l'audace d'avoir lance et épée et le beau bouclier qui protège la peau, ceux-là s'inclinent, ils tombent à mes genoux, ils m'appellent leur maître, ils m'appellent Grand Roi JO. (Scholion d'Hybréas le Crétois: Athénée x,. 69,f-696al.
L'étude présentée ici doit être mise en étroite relation avec une cornmunication discutée lors de la Table Ronde de Besançon de 1977 et consacrée à « Forces productives, dépendance rurale et idéologies religieuses en Asie achéménide » 1. L'une et l'autre s'insèrent dans un débat théorique autour des positions - largement convergentes sur ce point - de M. Godelier et de S. Amin relatives au rôle de la « violence organisée» et du «consensus idéologique» dans le processus de domination. J'y exprimais quelques réserves, considérant que M. Godelier avait tendance à sousestimer le rôle de la contrainte militaire. Depuis lors, l'auteur est revenu à plusieurs reprises sur ces problèmes. Il s'est d'abord vigoureusement défendu « d'ignorer ou de nier l'existence de la ' violence organisée' au service de la reproduction des rapports de domination: violence dans le discours, violences physiques, répressions psychologiques... Nous voyons comment intervient dans les sociétés sans classes la violence physique à côté de la domination idéologique» la. En même temps M. Godelier a réaffirmé très clairement le primat du consensus idéologique: « L'exemple des Baruyas fait apparaître que la force la plus forte du pouvoir, ce n'est pas la violence, c'est le consentement, le consentement des dominés à leur domination» 2, ou bien: «Ces composantes [de tout pouvoir de domination et d'oppression] sont la violence et le consentement, et le paradoxe semble bien résider en ceci que de ces deux forces qui composent le pouvoir de domination d'une caste ou d'une classe sur une autre, le consentement est une force plus forte que la violence. Comment donc interpréter la naissance des classes et de l'Etat? » 3. Si je cite longuement M. Godelier, ce n'est évidemment pas pour introduire une étude purement théorique (comment d'ailleurs une étude historique pourrait - elle être purement théorique?), encore moins pour engager une polémique, même au sens le plus positif du terme. C'est bien plutôt que les nombreuses études de M. Godelier ont eu et ont l'immense mérite de réintroduire l'instance idéologique dans l'étude des sociétés pré. capitalistes, en l'articulant avec l'analyse de l'Etat et des structures socio-
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économiques 4. Si je suis globalement d'accord avec lui sur la fonction de l'idéologie comme élément fondamental de structuration et de reproduction d'une société 5, il reste que les termes dans lesquels il pose le débat font problème: une étude historique concrète peut permettre, je crois, de vérifier la valeur et les limites éventuelles de la théorie, voir de l'enrichir. Cette réflexion s'organisera à partir de l'étude d'un empire tettitorial, l'Empire achéménide qui a dominé l'Asie pendant un peu plus de deux siècles (v. 550-330). Empire immense, constitué de régions extrêmement diverses et spécifiques, et dont on doit dire d'entrée qu'il a été construit par la conquête militaire. G. Gnoli écrit par exemple: «La monarchie de Cyrus était essentiellement une monarchie militaire soutenue par la force guerrière d'un peuple surgi depuis peu dans l'histoire, lequel tenta de l'imposer aux différents peuples de l'empire sous le vêtement des diverses monarchies traditionnelles »6. On ne peut manquer non plus de souligner la composante militaire de l'idéologie monarchique achéménide 7 etc. Il ne s'agit donc pas de prouver l'existence de la contrainte militaire dans l'Asie achéménide: elle relève de l'évidence. Reste à montrer comment elle s'exerce concrètement. Il ne s'agit donc pas non plus de mener un raisonnement alternatif: consensus idéologique ou contrainte militaire, mais bien plutôt de tenter de saisir l'articulation dialectique des instances. Le problème précis posé et étudié ici sera celui du rapport entre la contrainte militaire et la dépendance rurale, celle-ci étant manifestement le support essentiel de la domination achéménide. Une telle étude se confond pour une part avec celle de l'organisation des territoires royaux: à la base, les villages tributaires, au sommet l'administration satrapique collectant le tribut 8. Dans quelle mesure, selon quelles modalités les troupes d'occupation et les garnisons (ou colonies militaires) jouent-elles un rôle (et quel rôle?) dans le maintien et le fonctionnement de cette dépendance rurale? Tel est le problème.
I CONQUÊTE MILITAIRE ET MAIN-MISE SUR LES FORCES PRODUCTIVES HUMAINES 1. [Profits économiques de la conquête de l'Asie]. Il ne fait d'abord aucun doute que le but de la conquête, c'est la sujétion politicomilitaire des peuples d'Asie et la levée du tribut: comme l'indiquent inscriptions et représentations figurées achéménides, le tribut représente le symbole et la réalité première de la domination politique et de l'exploitation économique des populations de l'Empire, et en premier lieu des populations rurales 9. Le Cyrus de la Cyropédie exprime à plusieurs reprises cette réalité: les Perses devront s'enrôler dans l'armée « s'ils veulent devenir les maîtres de l'Asie et jouir de ses richesses », proclarne-t-il ", A ses satrapes, il
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fixe comme tâche de lui envoyer « ce que chaque sol produit de beau et de bon, afin que même en restant ici [en Perse], les Perses aient part à ce qu'il "U YU èxo.O'''Tl xaÀ.è'll1] o.1'a60'll) » Il. « Et ses y a de bon partout (ë "L sujets lui étaient si dévoués que chaque nation croyait se faire tort, si elle ne lui envoyait ce que le pays produisait, nourrissait, fabriquait de beau
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paysans, éleveurs et artisans de l'Empire doivent donc travailler pour le profit et le luxe du Grand Roi et de son peuple de soldats conquérants. 2. [Conquête de la Chaldée et soumission de l'Arménie]. Le récit de la conquête de la Chaldée et de la soumission de l'Arménie - tel qu'il nous est fait par Xénophon - est très révélateur d'une politique consciente qui vise à enrôler tous les paysans d'Asie dans le système de la dépendance généralisée 13. Le roi d'Arménie avait contrevenu aux obligations que lui avait imposées Astyage: payer tribut, envoyer des contingents, ne pas posséder de forteresses (...xat Èpù(.1a"a (.11] ~!;ELV) 14. Tout le récit de l'expédition en Chaldée montre qu'aux yeux de Cyrus le contrôle des points hauts est la condition première du maintien de la domination perse. Dès son entrée dans le pays, le roi lui-même partit en expédition de reconnaissance « pour voir où il construirait un fort» 15. Avant l'attaque, il tint cette harangue à ses troupes: «Mes amis, ces montagnes que nous voyons sont aux Chaldéens. Si nous nous en emparions, et si nous avions un fort (phrourion) à nous sur leur sommet, les Arméniens et les Chaldéens seraient obligés, les uns et les autres, de se montrer raisonnables avec nous» 16. Dès que le Chaldéens furent mis en déroute, Cyrus « fit construire immédiatement un fort, car il avait constaté que les postes d'observation des Chaldéens se trouvaient dans une position solide et bien pourvus de points d'eau. Il donna ordre à Tigrane d'envoyer quelqu'un auprès de son père [roi d'Arménie] pour lui demander de venir avec tout ce qu'il y avait de charpentiers et de tailleurs de pierre» 17. L'occupation des hauteurs contraignit les Chaldéens à faire la paix avec Cyrus, qui présida lui-même à la , réconciliation' entre Arméniens et Chaldéens: l'un des articles essentiels du pacte prévoyait que les Chaldéens pourraient travailler les terres du roi d'Arménie, et que les Arméniens pourraient faire paître leurs troupeaux sur les pâturages des Chaldéens 18. Pour permettre aux uns et aux autres de travailler dans la sécurité (asphalôs) 19, Cyrus décida de conserver les hauteurs: «Dès que le traité eût été conclu, des deux côtés on se mit avec ardeur à construire une forteresse, la regardant comme commune aux deux peuples, et à y porter tout ce qui était nécessaire» 20. En réalité, le pouvoir appartient au seul Cyrus qui, avant son départ, « munit la forteresse d'une garnison suffisante et de tout le nécessaire, et y laissa comme chef le Mède dont il jugeait que le choix serait le plus agréable à Cyaxare» 21. Ce panégyrique royal fait donc de Cyrus le restaurateur de la sécurité et de la paix, et le bienfaiteur (évergète) des peuples vaincus par la force
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des armes 22. Si nous analysons la réalité de la conquête, nous constatons qu'elle" est organisée autour de deux principes complémentaires: monopole militaire des Perses (et des Mèdes), renforcement de la dépendance tributaire des peuples conquis et/ou soumis: en effet, d'une part, les Perses contrôlent désormais tous les points hauts, et défense est faite au roi d'Arménie de posséder des fortifications: il a même dû fournir les artisans qui ont élevé le fort! ~1 Par ailleurs, toutes les forces militaires sont mises au service de la Perse: un grand nombre de Chaldéens sont levés comme mercenaires 24; le roi d'Arménie envoie lui-même un contingent plus important que précédemment: au total, Cyrus quitte le pays avec 4000 hommes supplémentaires (Arméniens et Chaldéens) 25. Cet enrôlement massif avait pour conséquence et pour objectif d'enlever aux uns et aux autres les moyens d'un soulèvement contre la domination perse; grâce à la paix et à la sécurité offertes par les citadelles et garnisons perses 26, Arméniens et Chaldéens purent contribuer à l'augmentation de la production agricole et pastorale. En effet, à son entrée dans le pays, Cyrus avait constaté « qu'une grande partie du territoire arménien était déserte et inculte à cause de la guerre » 27. Le pacte entre Chaldéens et Armé. niens devait permettre de cultiver les terres arméniennes dépeuplées et en friche, et d'utiliser les pâturages des montagnes chaldéennes 28. Cette extension des surfaces cultivées allait grossir les revenus du roi d'Arménie 29. Mais, entretemps, Cyrus a doublé le montant du tribut dû par l'Arménie 30. En d'autres termes, l'intensification de la production agricole et pastorale allait profiter en bonne part au conquérant lui-même. L'ensemble du récit rend bien compte que la présence de garnisons perses constitue une condition première du maintien de la domination politique perse et de la dépendance tributaire des peuples soumis - quel que soit par ailleurs le statut politique des peuples conquis (royaume' vassal', intégration etc...). 3. [Conquête, fortifications et travail en Carie]. - On retrouve un schéma identique dans le récit de la conquête de la Carie opérée par Adousios, Celui-ci se trouva face à deux partis cariens, dont chacun tenait des forteresses 31. Grâce à sa rouerie diplomatique, Adousios réussit à berner les deux partis et à prendre possession de leurs fortifications 32. Comme Cyrus en Chaldée, Adousios est présenté comme le restaurateur de la paix, comme en fait foi le discours qu'il tient aux Cariens: «Si je rétablis la paix entre vous, si j'assure aux uns et aux autres la sécurité dans le travail des champs (l'at aO'CjJriÀEtaV Èpyri~EO'eat ri[J.CjJo"tÈpOt<; "t7]V yTjV) , je croirai être venu ici pour votre bien. Je veux donc que dès aujourd'hui vous viviez entre vous comme des amis, que vous cultiviez vos champs sans crainte (Èpyri~EO'eat "tE "t7]V yTjv àÔEW<;) et que vous unissiez vos familles par des alliances » 33. Le premier résultat de ce pacte fut la réactivation des travaux agricoles: «Les champs se couvrirent de travailleurs ... La joie régna partout »34. Cette notice doit évidemment être mise en relation avec le versement du
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tribut. Il faut souligner enfin qu'avant son départ, Adousios «laissa des garnisons dans les citadelles » 35. Il agit de la même manière en Phrygie 36.
4. [Conquête, dépendance rurale et paix en Babylonie]. - Cette liaison organique entre conquête militaire et exploitation de la dépendance rurale se manifeste d'une manière particulièrement claire dans le récit de la conquête de la Babylonie (appellée Assyrie par Xénophon). En premier lieu, Cyrus envoie en éclaireurs des cavaliers hyrcaniens. A leur retour, le Roi leur posa des questions très précises sur les richesses du pays. Il apprit avec joie que « tout le pays était peuplé et plein de brebis, de chèvres, de boeufs, de chevaux, de blé et de toutes sortes de denrées» 37. Parmi toutes les forces productives, l'accent est mis par Cyrus sur les forces productives humaines: «En effet, - dit-il - un pays peuplé (oikouménè chôra) est une richesse d'un grand prix; vide d'habitants, il est aussi vide de biens » 38. Cette déclaration s'inscrit parfaitement dans la politique menée par les Achéménides pour augmenter la population de travailleurs dans leur Empire 39. En conséquence, il convient de ne pas massacrer les prisonniers « sauf ceux qui résistent les armes à la main »40. Il faut en effet « se rendre maître de ceux qui possèdent ces biens [troupeaux, blé...], et faire en sorte qu'ils restent chez eux, car un pays peuplé est une richesse d'un grand prix »41. Cyrus définit donc la politique à suivre à l'égard des populations conquises: «Ceux qui se rendaient, vous les avez faits prisonniers et arnenés ici. Si nous les relâchions, je prétends que nous y trouverions notre intérêt: d'abord, nous n'aurions pas maintenant à nous garder d'eux, ni à les garder, ni non plus à les nourrir (car assurément, nous n'allons pas les faire mourir de faim); ensuite, en les renvoyant, le nombre de nos prison. niers augmentera: si en effet nous nous rendons maîtres du pays, c'est tous ceux qui l'habitent qui seront nos prisonniers (7tcbl'rE<; l)~rV ot tv ~ù"fl otXOÜV"E<; ~txIUiÀ.w"o~ MO'o'll"~~); en les voyant vivants et libres, les autres seront plus disposés à rester où ils sont et préféreront se soumettre plutôt que de se battre » 42. Ce discours de Cyrus représente une illustration exceptionnellement concrète de la formule « dépendance généralisée » (« tous seront nos prisonniers »): celle-ci est bien l'objectif de la conquête, car elle est la condition de la levée du tribut sur les productions agricoles. Il convient donc que la conquête militaire permette aux habitants de « rester chez eux» 43. C'est cette politique que Cyrus vient exposer devant les prisonniers assyriens: «Assyriens, aujourd'hui, pour m'avoir obéi, vous avez la vie sauve; si vous faites de même à l'avenir, il n'y aura rien de changé pour vous, sinon que vous n'aurez pas le même maître qu'auparavant: vous habiterez les mêmes maisons, vous cultiverez le même sol, vous vivrez avec les mêmes femmes et vous aurez sur vos enfants la même autorité qu'aujourd'hui. Seulement vous ne nous ferez pas la guerre ni à personne d'autre» 44. Le maintien des structures sociales antérieures représente donc à la fois un objectif et un moyen de la domination politique et économique. La per-
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manence de la domination est fondée sur le monopole militaire des conquérants: les Assyriens devront en effet « livrer leurs armes de guerre» 45 et pourvoir à l'entretien des troupes d'occupation et des garnisons 46.
II GUERRIERS ET PAYSANS: IDÉOLOGIE ET RÉALITÉ DE L'ÉCHANGE 1. [Citadelles, dépendants et tribut]. Si le pillage de la «terre ennemie» permet de ravitailler l'armée de conquête 45, l'objectif premier n'est manifestement pas d'instituer un pillage général et permanent. Il s'agit bien au contraire d'étendre la « terre amie» ou « terre tributaire» ou « terre royale»: dès la prise en main d'un pays, il convient de maintenir ou de remettre les populations rurales - ainsi que les artisans 46 - au travail. Dans cette vaste stratégie - qui dépasse largement la notion de « maintien de l'ordre » - les garnisons et les troupes d'occupation remplissent une fonction très importante. Un célèbre passage de Xénophon 47 nous apporte là-dessus des informations et une interprétation idéologique sur lesquelles il nous faut revenir: a) une distinction y est opérée entre le travail de la terre (ge6rgia) et l'art de la guerre (polemikè technè): au premier sont voués les habitants qui rendent le territoire productif (§ 9) et qui fournissent le tribut (§ 5 et 9). Les travaux de la guerre sont le fait des troupes d'occupation et des garnisons perses. Les paysans tributaires doivent également nourrir les garnisons (§ II); b) la distinction guerre/paix apparaît également dans les fonctions des représentants du Roi dans la satrapie. Les uns (phrourarques, chiliarques) « commandent aux troupes et aux garnisons » (§ 9); les autres (gouverneurs: archontes) « commandent aux habitants et prélèvent sur eux des tributs» (§ 10). Ces fonctionnaires civils doivent « présenter un territoire bien peuplé, une terre en pleine production, remplie des arbres et des récoltes qui lui sont propres » (§ 8). La tâche des chefs militaires est double: «Maintenir ·Ies sujets dans l'obéissance et défendre le pays contre toute agression de l'ennemi» (§ 5). En réalité, les uns et les autres participent à (et de) la même tâche: maintenir au travail et exploiter les dépendants ruraux. En effet, « si le phrourarque ne défend pas le pays comme il faut, le gouverneur chargé des civils et qui veille aux travaux agricoles accuse le phrourarque parce-que, faute de protection (dia tèn aphulaxian), le travail aux champs est impossible. Mais si, malgré la paix (eirenè) assurée par le phrourarque, le gouverneur laisse le pays mal peuplé (oliganthr6pos) et improductif, c'est au tour du phrourarque de l'accuser» (§ 10). De ce rapport étroit entre contrainte militaire et dépendance, nous trou-
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vons une confirmation a contrario dans un texte de Pol yen 48 traitant de la rebellion de Datames contre le Grand Roi: devenu ennemi (polemios) 49, le satrape mène son offensive contre: a) les forteresses royales (phrouria basileôsï; h) les villages (kômai); c) les tributs (phôroi). Les termes employés par Nepos 50, dans un texte issu manifestement de la même source, sont quasiment identiques: castella (= phrouria) et regis provinciae (= cbôra basilikè). On retrouve un groupement très proche dans un passage de Tite-Live 51 relatif aux territoires donnés à Rhodes en 188: oppida, uici, castella, agri qui ad Pisidiam vergunt. Enfin, non moins clair est le texte du traité passé entre Prousias de Bithynie et Byzance: le premier « rendra aux Byzantins sans rançons leurs terres (chôra), leurs forteresses (phrouria), leurs gens (laoi) et leurs prisonniers de guerre » 52. Tout territoire étant destiné à être exploité fiscalement, les termes qui le définissent renvoient tout naturellement aux forces de travail agricoles (villages et paysans dépendants), aux terres, aux rentrées fiscales (tributs) et aux moyens militaires (places-fortes et garnisons) nécessaires à l'établissement et au maintien de la dépendance rurale. Posséder une terre sans travailleurs ne présente aucun intérêt 53', mais détenir un droit à lever le tribut sans disposer de moyens militaires représente un pouvoir largement fictif. 2. [Monopole militaire et dépendance rurale]. En définitive, tous ces textes supposent ou affirment que la mise en culture des territoires royaux implique une spécialisation des tâches entre populations conquises et peuples conquérants: aux premiers «les travaux de la terre », aux seconds « les travaux de le guerre », En quelque sorte, la dépendance rurale est liée au monopole militaire de l'ethno-classe dominante.
2.1. [Paix dans les campagnes et dépendance rurale]. Cette image d'un empire composé exclusivement et complémentairement de guerriers et de paysans apparaît avec un relief saisissant dans le pacte conclu entre Cyrus et le roi d'Assyrie [Babylonie ]. Le premier fit dire à son adversaire « qu'il était disposé à laisser en paix, sans leur faire de mal [sans les piller] ceux qui travaillaient la terre, s'il consentait lui-même à laisser travailler les cultivateurs qui étaient passés dans son camp» 54. En effet - poursuit Cyrus - , «s'il y a guerre, c'est le vainqueur qui profite des récoltes» 55. Le roi d'Assyrie se laissa convaincre: «On fit donc une convention, selon laquelle ce serait la paix pour les travailleurs des champs et la guerre pour les hommes en armes ('t'OLe; IJ,Èv ÈPY(l~OIJ,ÈVOLe; Etp'l')V1]V Elv(lL, 't'OLe; /i'Ô7tÀ.6cpo-
pOLe; 7tOÀ.EIJ,OV) » 56
Cette convention édicte donc une sorte d'asylie générale dans les campagnes disputées entre les deux adversaires. Ce traité un peu surprenant n'est pas sans faire songer aux institutions de l'Inde maurya telles que les rapportent les auteurs grecs à la suite de Mégasthène: « La seconde classe est celle des agriculteurs, qui sont les plus nombreux des In-
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diens; ils n'ont pas d'armes de guerre et ne s'exercent pas au combat, mais ce sont eux qui travaillent la terre; ils paient des tributs aux rois ou aux cités indépendantes. Si par hasard survient une guerre entre les Indiens, les soldats n'ont pas le droit de toucher à ceux qui travaillent la terre, ni de ravager les campagnes; mais ils font la guerre et s'entretuent, au gré des événements, tandis que les agriculteurs, à côté d'eux, labourent tranquillement, cueillent les fruits, taillent les arbres, font la moisson» 57. De la part du roi maurya, il s'agit là d'un intérêt bien compris. Les paysans versent un tribut et, comme l'indique Kautilya avec son cynisme habituel: «C'est de la détresse des villages et de l'obligation où sont les paysans de se consacrer entièrement à leurs champs que naît l'accroissement du revenu pour le trésor royal: c'est ainsi que les paysans fournissent plus de corvées, plus de grains, plus d'huile... »58. De même en Asie achéménide, où le travail de la terre représente la source la plus importante des revenus royaux 59: le souci prioritaire du Grand Roi est donc de s'emparer par la force de régions riches et bien peuplées qui pourront verser une partie de leurs productions dans les greniers royaux. Le maintien de cette sujétion politique et de cette dépendance tributaire est réalisé grâce au monopole militaire des conquérants: les populations rurales doivent se consacrer exclusivement au travail de la terre; elles sont désarmées 00, les forces vives du pays sont enrôlées dans l'armée du Grand Roi et les points hauts sont contrôlés par les forteresses royales. Il est donc à la fois remarquable et significatif qu' Hybréas, aristecrate crétois du IV' siècle (?), compare sa position à celle du Grand Roi: pour l'un comme pour l'autre les armes de guerre sont les moyens de domination sur les populations dépendantes: «Riche je suis, par ma grande lance, mon épée et le beau bouclier qui protège la peau. Avec lui je laboure, avec lui je moissonne, avec lui je foule le doux raisin de la vigne, avec lui je suis salué comme maître de la gent servile. Ceux qui n'ont pas l'audace d'avoir lance et épée et le beau bouclier qui protège la peau, ceux-là s'inclinent, ils tombent à mes genoux, ils m'appellent Grand Roi »61. 2.2. [Sécurité, prospérité et tribut]. Doit-on pour autant conclure au rôle décisif voir exclusif de la contrainte militaire? Je ne le pense pas. Ce type de contrainte ne peut avoir de réelle efficacité à long terme, me semble-t-il, que si elle est acceptée par les paysans asiatiques qui, dès lors, ne la perçoivent plus uniquement comme une contrainte. En d'autres termes, il y a une idéologie de la contrainte militaire, idéologie qui intervient comme partie constitutive du processus de domination. En effet, si nous reprenons le texte de l'Economique de Xénophon, on constate que les forces d'occupation doivent remplir une double mission auprès des paysans dépendants: «Maintenir les sujets dans l'obéissance et défendre le pays contre toute agression de l'ennemi» 62. Ces ennemis, ce sont éventuellement des envahisseurs venus de l'extérieur de l'Empire. Ce sont surtout les 'brigands de l'intérieur' qui vivent dans les montagnes
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et qui pillent la terre royale, tels «les Mysiens et les Pisidiens qui, sur la terre royale (en tè basileôs chôra), occupent des places très fortes et qui, armés à la légère, sont en mesure, par leurs incursions, de faire beaucoup de mal à ce territoire et de préserver leur propre liberté» 63. En cas d'invasion ou de raids, la réalité du danger contribue à donner des garnisons perses l'image de défenseurs des paysans 64. Dans tout le passage de Xénophon, les mots de sécurité et de paix reviennent à plusieurs reprises: si le phrourarque ne fait pas régner la sécurité, les paysans ne peuvent pas travailler ni donc s'acquitter du tribut ni nourrir les garnisons 65. Celles-ci sont donc les mainteneurs de la paix, condition première du travail des champs. Au niveau de la satrapie, il y a répartition des tâches entre les administrateurs civils et les chefs militaires: «Les uns commandent aux habitants et prélèvent sur eux des tributs, les autres commandent aux troupes et aux garnisons» 66. Cette séparation des pouvoirs répond au souci royal de conserver la haute-main sur les citadelles, bases de sa domination territoriale 67. Seul le Grand Roi se voue également aux travaux de la guerre et aux travaux de la terre. Ainsi, « le Grand Cyrus s'entendait très bien à cultiver la terre, tout comme à défendre les cultures» 68. Tout ce développement de Xénophon correspond admirablement à la double nature de l'idéologie monarchique achéménide. Les inscriptions royales insistent en effet sur les qualités de guerrier du Roi 68a. Mais - comme l'indique également «défendre les cultures ») - cette mission militaire Xénophon (guerre est subordonnée à la mission de défense de la terre et des paysans: avec l'aide d'Ahurah-Mazdah et des autres dieux, le Grand Roi doit « protéger cette terre de l'armée ennemie, de la mauvaise récolte et du mensonge» 69. Par sa relation privilégiée avec la divinité, il est celui qui assure la prospérité aux campagnes, comme le montre avec éclat la Fête du Nouvel An à Persépolis, et comme en font foi les paradis dans chaque satrapie 70. Représentant du Roi dans sa province, le satrape doit lui aussi protéger des ravages (a populationibus vindicare) le territoire qui lui a été confié 71: dans le cas contraire, il est châtié et déposé par le Grand Roi 72. De cette manière, celui-ci montre aux yeux de tous qu' «il veille avec autant de soin à voir la terre rendue productive par le travail de ses habitants qu'à la voir bien gardée par les garnisons » 73. L'ensemble de la documentation - grecque et achéménide - tend donc à représenter sous la forme d'un échange égalitaire les rapports d'exploitation réels entre le Roi et les paysans dépendants. Le premier offre aux seconds la médiation divine et la sécurité des biens et des personnes; les seconds, ' en retour " lui doivent tribut et obéissance. Le tribut trouve donc sa justification idéologique dans la fonction militaire des conquérants, et celle-ci est justifiée à son tour par la prospérité qui naît de la sécurité, celle-ci enfin permettant aux paysans « de verser le tribut et d'entretenir les garnisons », Cet échange pourrait être représenté schématiquement de la façon qui suit:
=
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'7
Entretien de l'armée d'occupation et des garnisons
1 sécurité des champs
dépendance
~ll~~~~=='::::'~-.J Travail dépendant
prospérité , tribut ----., ROI médiation divine
reproduction interne des communautés de base.
Cette justification idéologique de la dépendance n'est d'ailleurs pas propre à l'Etat achéménide. Voici par exemple comment Tansar - qui se donne pour contemporain du fondateur de la dynastie des Arsacides présente les rapports entre guerriers et paysans dans le royaume arsacide: Ardaslr avait confére « un rang honoré aux gens de guerre, comme ils sacrifiaient sans cesse leur vie, leurs biens et leurs familles à la classe populaire et à son bien-être et qu'ils étaient à combattre les ennemis du pays pendant que les gens du peuple, dans le repos, l'aisance et la sécurité restent tranquillement à leur foyer avec leur femme et leurs enfants» 74. On ne peut manquer non plus de citer à nouveau Kautilya, lorsqu'il parle du rôle des agents secrets dans la ville et la campagne. « Ils se mettront par exemple à discuter entre eux dans un endroit de grande affluence: lieu de culte, assemblée de village ou autre. L'un dira: 'On prétend que nous avons un bon roi, mais en fait il écrase d'impôts et de taxes les gens des villes et des campagnes'. L'autre le contredira en rappellant cette doctrine: 'Autrefois, les hommes, accablés par la loi de la jungle, ont fait roi Manu, fils de Vivasvant, et ils ont décidé de lui attribuer le sixième des récoltes, ainsi qu'un dixième des produits de l'argent; le roi ainsi rémunéré assure la prospérité et la sécurité des sujets. Ceux qui ne paient point leurs impôts sont responsables des fautes du roi, et le roi qui n'assure pas à ses sujets prospérité et sécurité devient respo-isable de leurs fautes. C'est pourquoi même les habitants des forêts versent le sixième de leur cueillette, comme part du roi 75 en échange de leur protection. Tel est l'office d'Inda et de Yama, dont se manifestent le colère ou la faveur. Leur châtiment divin frappe ceux qui tuent les rois. Il ne faut pas tuer les rois '. Il retiendra ainsi le peuple, et ils rendront compte des rumeurs qui circulent parmi les sujets» 76. Tous ces textes concordent et se recoupent: le pouvoir du Roi et la dépendance des masses rurales sont justifiés par un contrat qui lie dominants et dominés, chacune des deux parties devant en retirer des avantages
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dans son domaine propre. On comprend que tant de textes présentent les grands conquérants comme des hommes luttant contre le pillage et la vendetta TI, et rétablissant la sécurité et la justice - tout en donnant une impulsion décisive aux forces productives agricoles 78. 3. [Contrainte militaire et idéologie de la dépendance-contrat]. - La diversité des textes étudiés ou cités indique que le témoignage de Xénophon ne peut être écarté brutalement sous prétexte qu'il présente une interprétation grecque d'une réalité asiatique: les nombreuses concordances que l'on peut relever entre des passages de Xénophon et une documentation d'origine achéménide (inscriptions, représentations figurées) montrent que les informations de l'Athénien ne sont pas à écarter, quelle que soit la part du ' mirage perse' et de la sophistique dans l'inspiration et la cornposition de la Cyropédie et de l'Economique. Les références à des exemples asiatiques ne sont d'ailleurs par rares dans la littérature politique grecque. Ainsi, Aristote 79 invoque I'Egypte (et la Crète) pour justifier que «la classe des guerriers doit être séparée de la classe des laboureurs. En Égypte, cet état de choses existe même en· core aujourd'hui, ainsi qu'en Crète on en fait remonter l'origine à la législation de Sésôstris pour l'Egypte, et à celle de Minos pour la Crète ... ». Hérodote 80, déjà, précisait que, parmi les' sept classes' d'Egyptiens, il y avait « une classe de guerriers ... à qui il n'est permis d'exercer aucun rnétier, sinon le métier de la guerre, où ils se succèdent de père en fils », Platon 81, de son côté, reprenait la même tradition et invoquait le témoignage de Solon et de son voyage en Égypte. Il ne peut être question ici de mener une analyse exhaustive de la vision (ou des visions) qu'ont eue(s) et véhiculéeïs) les auteurs classiques des sociétés asiatiques. Hérodote 82 avait déjà posé le problème et jugeait fort opportunément que convergences ou ressemblances ne présupposent pas obligatoirement une influence des sociétés asiatiques sur les sociétés européennes, ou inversement. Il écrit en effet: « Est-ce des Egyptiens que les Grecs ont appris entre autres choses, cette coutume, je ne puis le décider avec certitude, quand je vois que les Thraces, les Scythes, les Perses, les Lydiens, et autant dire tous les peuples barbares tiennent pour moins honorables que les autres ceux de leurs concitoyens qui apprennent le métier d'artisans, eux-mêmes et leur descendance, et considèrent comme nobles ceux qui sont affranchis des professions manuelles, principalement ceux qui se sont consacrés à l'art de la guerre (,,(XL (J.ciÀ.~er't(X 'toùe; le; -rèv 7tOÀ.E(J.O'll a'llE~(J.É'IIOVe;) », Il est indubitable en particulier que chez les Pero ses, l'éducation des élites était axée sur l'entraînement à la guerre 83: toutes les traditions iraniennes donnent la première place aux guerriers 84. La relation entre domination militaire et dépendance (ou esclavage) n'est donc pas spécifiquement asiatique. Les auteurs grecs pouvaient se référer, en Grèce même, au précédent de l'esclavage hilotique. On connaît par exemple la phrase fameuse de Théopompe (contemporain de Philippe II de Macédoine): «Lacédémoniens et Thessaliens ont, comme on le
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verra, constitué leur catégorie servile (douleia) à partir des Grecs qui habitaient avant eux le pays qu'ils occupent maintenant... » 85. L'historien de Chios explique donc l'origine des hilotes et des pénestes par « une théorie de la conquête » 86. Les Grecs avaient également présent à l'esprit l'exemple des cités grecques d'Asie, qui avaient réduit en dépendance nombre de peuples anatoliens 87. Dans sa longue discussion sur la Cité idéale, Aristote, par exemple, ne manque pas de citer le cas d'Héraclée du Pont, qui avaient enrôlé ses dépendants comme rameurs 88. D'une cité à l'autre, les conditions étaient variables. Il ne peut cependant faire de doute que la contrainte militaire a joué un rôle important. On connaît par exemple plusieurs révoltes des Pèdes de Priène à l'époque hellénistique 89. Athénée cite également le cas des Gergithes massacrés, à une époque plus haute, par les habitants de Milet 90. Plutarque 91, de son côté, conte la guerre menée par les habitants de Tralles contre les Lélèges et les Minyens révoltés. Les Mariandyniens se soulevèrent à plusieurs reprises contre les Héracléotes 92 etc. Les très nombreux phrouria installés sur le territoire des cités d'Asie 93 jouaient certainement un rôle dans la surveillance des populations dépendantes 94: ils leur offraient « des places de sûreté en cas d'invasion » et « ils tenaient en obéissance les populations soumises » 95. Cette dépendance se marquait par le versement d'un tribut à la cité 96. On peut donc dire, avec P. VidalNaquet, que «le mode rural de dépendance dont les Grecs constateront la présence en Asie, et dont leurs cités et leurs royaumes vont largement bénéficier, n'est pas fondamentalement différent de ce que les Grecs ont connu directement avec les hilotes et les pénestes » 97. Et, pour les théoriciens du Ive siècle, le dépendance rurale est une des conditions et un des objectif de la conquête et de la colonisation en Asie: ' « Les barbares doivent devenir les hilotes des Grecs '>, proclame Isocrate 98. D'autre part, à la théorie de la conquête est liée la théorie du contrat: la dépendance de certains peuples conquis est présentée comme le résultat d'un accord passé avec leurs vainqueurs 99. Que ce soit pour les pénestes ou pour les Mariandyniens, les clauses du contrat sont à peu près semblables: les Mariandyniens obtiennent le droit de ne pas' être vendus en dehors de leur territoire: ils pourront rester sur place 100; les Béotiens (pénestes) deviennent «esclaves contractuels (douleuein kat'homologias ». Ils ne pourront être tués, ni être chassés de leur territoire 101. En échange, les dépendants cultiveront le sol et verseront un tribut à leurs maîtres 102. On voit donc que « les partisans de la théorie du contrat représentaient la population asservie comme des gens sans valeur, incapables de vivre dans l'indépendance, exigeant de la part de leurs maîtres une tutelle constante» \03: la dépendance est un bienfait pour les populations conquises 104! Cette théorie est « fondée sur le postulat à valeur universelle selon lequel ceux qui sont incapables de se gouverner se dévouent eux-mêmes au service des plus intelligents qu'eux en échange de leur protee-
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tion » 105. Théories et postulats sont donc traversés par une idéologie de la force et de la contrainte: la défaite et la faiblesse justifient la dépendance des peuples vaincus 106. Tel est exactement le sens de l'orgueilleuse déclaration d'Hybréas le Crétois qui se compare au Grand Roi: les forts dominent et exploitent les pleutres 107! Or, si l'on reprend le texte de Xénophon relatant le discours de Cyrus aux paysans babyloniens, on se rend compte qu'il est conduit sur une trame discursive analogue. II y a accord et échange entre les conquérants et les paysans: Cyrus désarme les paysans et leur interdit de faire la guerre à quiconque; si quelqu'un leur cause du tort, c'est l'armée perse qui viendra les défendre. Cyrus est reconnu comme leur chef 108; en échange: Cyrus s'engage à ne pas massacrer les prisonniers 109 - sauf les rebeIles - et à laisser vivre les paysans comme auparavanr: « Vous habiterez les mêmes maisons, vous cultiverez le même sol, vous vivrez avec les mêmes femmes, et vous aurez sur vos enfants la même autorité qu'aujourd'hui» 110. Cette clause est identique à ceIle qui est consentie aux pénestes et aux Mariandyniens: ni massacres, ni déportation ou vente à l'extérieur. Le fait que la théorie de la dépendance/contrat se rencontre également dans des textes asiatiques interdit de conclure que Xénophon a tout simplement plaqué une interprétation grecque sur des réalités asiatiques. D'une façon générale, cette théorie apparaît extrêmement suspecte par son caractère d'auto-justification. Je ne crois cependant pas qu'on doive exclure qu'eIle était partagée, en partie au moins, par les populations dépendantes. 11 semble bien au contraire que cette idéologie de la protection était solidement ancrée dans la conscience collective des paysans asiatiques. C'est même là l'une des conditions de l'efficace d'une idéologie qui ne peut être conscientisée uniquement par la classe dominante: « L'exploitation ne peut se maintenir que si la société dans son ensemble (classes dirigeantes et classes exploitées) partage une même philosophie idéologique qui justifie aux yeux des unes et des autres leur inégalité de statut» Ill. Inutile de revenir ici sur les termes d'un débat que j'ai essayé de mener en détail ailleurs 112. Pour en rester à la théorie de la dépendance / contrat, il faut souligner tout d'abord que le Roi (ou le satrape) et l'armée perses peuvent apparaître réellement et concrètement comme les défenseurs des paysans - ne serait-ce que par la fonction de refuge que remplissent les citadelles. Le choix d'Arsitès en 334 - refus de la terre brûlée - représente aux yeux de l'historien une illustration remarquable du souci des satrapes d'utiliser ce potentiel idéologique contre Alexandre 113; nul doute qu'il constitua pour les populations soumises une nouvelle preuve que les Perses faisaient tout pour assurer la sécurité des terres et des personnes: en d'autres termes, que les Perses appliquaient loyalement les clauses du , contrat '. . Par ailleurs, il faut considérer que les avantages que consent Cyrus aux paysans babyloniens étaient certainement tenus comme non négligea.
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bles par les intéressés. Ce qu'il leur permet en effet, c'est de continuer à vivre dans leurs communautés villageoises, en conservant leurs structures familiales, leurs us et coutumes etc. Ils ne seront pas déportés - de même que les pénestes et les Mariandyniens reçoivent des Thessaliens et des Héracléotes l'assurance de ne pas être vendus comme esclaves sur un marché étranger. Que le Roi retire un avantage de cette stratégie est suffisamment clair: la stabilité des anciens rapports de production au sein de l'Empire lui offre la disposition d'une immense force de travail (« tous seront nos prisonniers »)114. En même temps, cette conduite lui assure l'appui - certainement très important 115 - des dirigeants des communautés dont l'autorité interne est officiellement reconnue; elle lui assure également l'adhésion des membres des communautés de village. Un exemple comme celui-ci montre donc, à mon sens, les limites d'une notion comme « contrainte militaire» prise isolément: il ne s'agit évidemment pas de la sous-estimer et les développements qui suivent le prouveront. Mais, elle ne peut jouer tout son rôle que si elle n'est pas perçue comme une oppression par les populations soumises. En quelque sorte, avec Cyrus nous voyons se développer une stratégie du consensus. J'ai essayé de montrer ailleurs 116 que le ' statut ' de paysans royaux hellénistiques se définissait autour de deux notions en réalité complémentaires: dépendance tributaire et liberté d'organisation au sein de la communauté villageoise. Tels sont exactement les termes de l'accord' passé' entre Cyrus et les paysans babyloniens. Ceux-ci reconnaissent la souveraineté du Grand Roi et donc le bien-fondé du prélèvement tributaire; en retour Cyrus leur concède une liberté - limitée mais réelle - au sein de leurs formes d'organisation (sociale, familiale, économique, politique ...) traditionnelles. L'idéologie de la dépendance/contrat n'est donc pas extérieure à la structure de la dépendance; elle est une des conditions de son fonctionnement 117, car elle crée et suppose tout à la fois un consensus indispensable au fonctionnement du système de la dépendance généralisée. En d'autres termes, la dépendance rurale ne peut s'analyser uniquement en termes économiques ou sous forme d'un rapport de forces (militaires). Il faut y joindre indissolublement la dimension idéologique, qui en constitue certainement un maillon essentiel, parce-que probablement le plus durable. Et l'on comprend par ailleurs qu'aux yeux d'un souverain asiatique - qui n'hésite pas à recourir aux déportations de peuples si le besoin s'en fait sentir - le maintien du système de la communauté villageoise constitue un élément central de la domination: en quelque sorte, la liberté représente une condition objective et subjective de la dépendance.
III QUADRILLAGE MILITAIRE ET ORGANISATION DES TERRITOIRES
On pourra juger - à bon droit - que quelques uns des développements qui précèdent restent un peu généraux, ou, tout au moins, qu'ils
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ne permettent pas de rendre compte de tous les aspects de la question posée au départ. Si le schéma général et la logique du système se distinguent assez nettement, on peut se demander en effet selon quelles modalités pratiques il a fonctionné, à telle ou telle époque, dans telle ou telle région. La documentation existante, il est vrai, ne permet guère de mener une enquête de géographie historique: les historiens de l'Empire achéménide manquent en particulier de fouilles systématiques qui aideraient considérablement à la compréhension des informations écrites actuellement disponibles 118. Le problème peut s'énoncer de la manière suivante. L'efficacité d'une contrainte militaire n'est pas liée seulement au nombre de postes militaires de tous types - encore que cet aspect des choses ne soit pas négligeable. Elle est également fonction de la nature des rapports organiques qui lient l'ensemble des garnisons au système général de la contrainte politico-administrative qui pèse sur les régions et les populations soumises, et qui trouve sa finalité dans la perception du tribut sur le travail des paysans dépendants. Les forteresses et postes militaires organisent-ils d'une manière ou d'une autre la terre tributaire 119? Telle est la question à laquelle tentent de répondre les pages qui suivent. L'enquête sera menée à partir de l'étude de trois cas régionaux bien individualisés: l'Asie Mineure, l'Iran oriental et le Fars, ce qui, bien entendu, n'excluera pas des rapprochements ponctuels. Elle sera fondée en premier lieu et prioritairement sur des textes traitant spécifiquement de l'Asie achéménide, mais elle prendra également en compte une documentation d'époque hellénistique. Bien que les permanences achéménides en Asie hellénistique aient été soulignées déjà à plusieurs reprises 120, il reste évidemment que le recours à des sources hellénistiques devra être justifié à chaque fois, car permanence ne suppose pas obligatoirement immutabilité, et le maintien de structures institutionnelles ne préjuge pas d'éventuelles transformations apportées à un système général d'administration et d'exploitation impériales. Dernière remarque préliminaire: malgré le respect de ces précautions méthodologiques - parfois difficile à observer - , il demeure que plusieurs interprétations proposées ici revêtent nécessairement une part d'hypothèse que je ne cherche pas à nier; j'espère que des analyses contradictoires permettront de faire progresser la recherche dans un domaine encore peu exploré. 1. [Places-fortes et terre royale en Asie Mineure]. 1.1. [Nombre et densité des forteresses royales]. - Le réseau de postes fortifiés en Asie Mineure achéménide était certainement très dense, comme il le fut l'époque de la domination hellénistique. Quelques faits et quelques chiffres peuvent être rassemblés à titre d'exemples: le cas de la Cappadoce est particulièrement net puisque, selon Strabon 121, le royaume de Mithridate Eupatôr ne comprenait pas moins de soixante-quinze phrouria. La richesse en forts des régions cappado-
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ciennes est amplement confirmée par des textes classiques se référant au début de l'époque des diadoques 122; la Cataonie était également fort bien pourvue (regio... castellis munita) 123; il en était de même de la Phrygie 124; I'Eolide 125 et la Mysie 126 étaient protégées par un réseau serré de places-fortes etc. 1.2. [Circonscriptions militaires]. Certains textes indiquent par ailleurs l'existence d'une organisation hiérarchisée: lorsque les soldats de Xénophon attaquèrent la tursis d'Asidatès en Mysie, « les assiégés poussaient des cris, allumaient des signaux; Itaménès accourut à la rescousse avec sa troupe, de Comania arrivèrent des hoplites assyriens, des cavaliers hyrcaniens, eux aussi à la solde du Roi, quatre-vingt environ, puis des peltastes, près de huit cents, puis des gens de Parthénion, d'autres d'Apollonia et des places voisines (ek tôn plesiôn chôriôn) » U1; lorsque, en 319, des prisonniers se révoltèrent contre la garnison d'un fort cappadocien, ils furent rapidement contrés par « des soldats venus des forts du voisinage (ek tôn sunnegus phrouriôn) » 128. Les postes voisins les uns des autres sont reliés par des signaux optiques ou/et sonores: c'est ainsi que les défenseurs de la tursis d'Asidatès alertent les garnisons des alentours 129. Ce système de collaboration entre garnisons voisines étaient certainement général: lorsqu 'Alexandre fonda six oppida en Margiane, il les établit « sur des collines élevées... Une faible distance les séparait, afin qu'ils pussent s'entraider sans chercher au loin du secours» 130. Una telle organisation suppose, semble-t-il, une hiérarchie - tel commandant ayant une autorité sur ses collègues pour coordonner les opérations 131. C'est bien ce que paraît signifier un texte de Polyen 132, selon lequel, au début du IV· siècle, un certain Alexandros portait le titre de: Cj}poupapxoiO 'tWV 7tEpL 'tT]V AtoÀ,(Iia xwpLwv. Ce titre même et le récit transmis par Polyen indiquent avec une quasi certitude que ce personnage avait la haute main sur un groupe de fortins disséminés sur une certain portion du territoire. Ici, le terme « phrourarque » doit donc être compris comme ' commandant d'un groupe de postes fortifiés'. Il y avait donc plusieurs phrourarques dans chaque satrapie 133. L'existence de 'circonscriptions militaires' trouve confirmation à une date plus basse, dans une région très différente, à travers une inset trouvée dans les environs cription hellénistique datée de 193 av. n. de Kermanchah dans le Zagros. L'inscription reproduit une lettre du satrape Ménédémos à un certain Thoas, qui reçoit ordre « de faire transcrire l'édit royal sur une stèle de pierre, et de le consacrer dans le plus illustre des sanctuaires de la phylakè ». Donc, ce Thoas « est à la tête d'une phylakè. C'est une grande nouveauté» - commente L. Robert qui poursuit: « Ce n'est pas un toponyme, mais une consignation topographique, la mention d'une organisation administrative soumise au gouverè.
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neur, comme l'hyparchie. Le sens est du domaine militaire, ( garde, poste '. Mais, ce n'est point une forteresse, car elle comporte un territoire qui a plusieurs sanctuaires... C'est apparemment un • district militaire, confins militaires'... Le chef de la phylakè devait avoir sous ses ordres des phylakitai, ces gendarmes bien connus dans l'Egypte, dont on a un témoignage dans l'empire séleucide... à Eriza [Carie ] » 134. Ailleurs, J. et L. Robert établissent un rapprochement avec un phylakarque connu en Carie 135. I.3. [Forteresses et cadastre]. - Les termes les plus fréquemment utilisées par les auteurs classiques sont chôrion et phrourion - employés d'ailleurs l'un pour l'autre dans plusieurs cas 136, de même que chôrion et cbarax 137. Dans son sens le plus fréquent de ' place-forte, forteresse' 138, le cbôrion domine une partie du territoire qui s'organise autour de lui. L'exemple des nombreux postes disséminés sur les territoires des cités d'Asie Mineure offre un parallèle suggestif 139: le poste de Karion - rendu célèbre par plusieurs inscriptions de Priène - rend compte expressément de cette réalité, puisque dans l'arbitrage rendu par Rhodes entre Milet et Priène, on parle du « pbrourion appelé Karion et du territoire qui l'entoure ([ "to CPpOUpLO\l 8 xa]À.EL"taL KâpLO\l xa[ t "t]à.1J. [1tEpt aù"to xw] pa\l 140»), ou «du. phrourion et du territoire» 141. Ces places-fortes défendent les frontières. Elles jouent également un rôle (implicite) à l'intérieur du territoire civique vis à vis des paysans dépendants à qui elles offrent « des places de sûreté en cas d'invasion» 142. Une forteresse de ce type «ne vit pas strictement isolée sur elle-même, une petite population est nécessaire à sa subsistance et des habitants de la région viennent facilement mettre leurs demeures sous sa protection» 143. Plusieurs indices conduisent à conclure que les territoires royaux étaient rigoureusement organisés sur un schéma très proche: l'usage du cadastre par l'administration achéménide est attesté par un célèbre passage d'Hérodote, relatant les mesures • pacifiques' prises par Artaphernès dans les cités d'Ionie après l'écrasement de la révolte: « Ces accords imposés, il mesura leur territoire en parasanges - les Perses appellent ainsi une longueur de trente stades - et, d'après cette mesure, fixa les tributs que devait payer chaque cité... » 144; une inscription hellénistique montre qu'un tel cadastre existait sur les territoires royaux. Il s'agit du célèbre texte relatant la • vente' d'un territoire et des dépendants (taoi) à la reine séleucide Laodikè 145: la la lettre d'Antiochos au satrape Metrophanès précise en effet que la vente doit être inscrite sur des stèles disposées dans des sanctuaires célèbres mais également enregistrée dans les archives royales de Sardes (xat -.1)\1 W\l1)\1 à.\IaypâljJaL Et<; "tà.<; ~a(nÀ.Lxà.<; ypacpà.<; "tà.<; t\l :ta.pSeow) 146; le roi - c'est à dire la chancellerie royale - détaille le nom des localités vendues et les limites de la concession (un territoire civique et une ancienne route royale mise en culture 147), et il demande à Métrophanès de donner des ordres pour qu'il « soit procédé à la délimitation et au bornage
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de la terre, et que l'acte de délimitation soit gravé sur les stèles sus-dites» 148. Suit une lettre de Métrophanès à l'économe satrapique Nicomachos, dans laquelle le satrape précise qu'il a « écrit à Timoxenos le bibliopbvla» d'enregistrer la vente et la délimitation (periorismos) dans les archives royales de Sardes» [49. Suit enfin la copie de la délimitation et du bornage effectués par les bons soins de l'hyparque [---]cratès 150. D'autres donations ou ventes de terres royales sont connues, sans qu'il y soit explicitement question du bibliopbyla» ni des archives royales. Cependant, la composition même de ces chartes de donation ou de ces actes de vente implique un periorismos mené à bien par les autorités satrapiques de différents échelons [51. D'une façon générale, c'est le Fisc royal (to basilikon) - au sens large - qui gère les terres royales et qui enregistre toute concession de terres royales à des particuliers ou à des communautés 152: cette gestion implique l'existence d'archives où sont tenues à jour les limites des terres royales et des terres concédées: autrement dit, un cadastre. Par ailleurs, un bibliopbylax est également connu en Babylonie séleucide où eurent lieu plusieurs donations de terre royale 153: il parait donc extrêmement probable, voire certain, que le bibliopbylax de Sardes était chargé du cadastre où étaient enregistrés tous les éléments de la terre royale d'Asie Mineure - encore que l'existence de cadastres satrapiques ne soit pas absolument sxclue, On ne peut nier que ce cadastre remontait au temps de la domination achéménide, au cours de laquelle les dons de terre furent également fréquents; en outre, il y a un lien évident entre l'établissement d'un tel cadastre et la détermination de l'assiette du tribut 154: on peut donc supposer avec vraisemblance que ce cadastre fut organisé par Darius et mis à jour par Alexandre 155 puis au début de la domination séleucide en Asie Mineure 156. On sait enfin avec certitude que chaque village et son territoire constituaient ensemble une circonscription territoriale et fiscale de base [57, et que le nom de chaque village et les limites de son territoire étaient enregistrés dans la cadastre royal 158• Après ce détour nécessaire, ou peut revenir au problème des placesfortes royales et à celui de leur répartition et donc de leur fonction dans le plat-pays royal. En effet, dans au moins trois des cinq textes hellénistiques traitant - directement ou non - de terres royales concédées à des particuliers 159, est mentionnée la présence d'une place-forte désignée sous des noms différents: petra l(,O, baris [6[ et neoteichos 162. J'ajoute qu'on voit les phrourarques royaux intervenir dans les villages concédés par Antiochos III à un Ptolémée dans les environs de Scythopolis (Galilée) 163, et qu'il y avait peut-être aussi un point fort au lieu dit Perlasôstra de la concession de Mnesimachos 164: le terme petra de la concession d'Aristodicide n'est pas ambigü: il renvoie à un point fortifié (naturellement pour un part) [65; le terme baris est connu par de nombreux textes 166: il est fort intéressant de remarquer que Flavius Josèphe l'emploie pour traduire (ou rendre) le terme araméen byrt' 167 - lui-même emprunté à l'akkadien 168 - qui s'ap-
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plique sans discussion à une forteresse 1(9; - le terme (neo) teicbos enfin est lui aussi très fréquent: il est traduit fréquemment en latin par le terme très vague de castellum 170, et il s'applique à « des établissements d'origine militaire, si nombreux dans les régions OÛ la pénétration grecque se heurtait aux barbares et marquait un temps d'implantation» 171. Or, ces forteresses entretiennent des liens fonctionnels avec le platpays et ses habitants : elles jouent d'abord le rôle de place-refuge pour les paysans. Nous lisons en effet dans le lettre d'Antiochos à Méléagre la clause suivante: « Si des paysans royaux (laoi basilikoi) de la région où est située Petra veulent habiter à Petra pour leur sécurité (asphaleias eneke), nous avons donné ordre à Aristodicide de leur permettre d'y résider» 172. Il est probable - comme le suppose C. B. Welles 173 - que cette clause doit être mise en rapport avec les incursions celtes dans les campagnes d'Asie Mineure 174. Il ne fait guère de doute qu'originellement 175 baris et teicbos remplissaient également le double rôle de défense et de surveillance des territoires et des populations tributaires: de cette fonction de défense des forteresses royales, nous avons la preuve dès l'époque de la domination hittite 176. La petra de la concession d' Aristodicide est donc une forteresse royale dans laquelle, à l'occasion, les paysans du plat-pays peuvent, s'ils le veulent, venir se réfugier 177: la petra ne constitue donc pas leur résidence permanente; en temps de sécurité et de paix, ils habitent dans les localités du plat-pays 178; ce plat-pays est clairement défini dans la topographie administrative. I;à encore, c'est l'inscription d'Aristodicide qui fournit les indicstions les plus explicites. La: charte de concession porte en effet sur « Petra ... et la cbôra de Petra (xat "fic; xwpac; "fic; IIE"pL[ô]oc;) »179; il s'agit de terres déjà mises en culture, d'une superficie de 1500 plèthres. D'autres passages de l'inscription sont également très clairs: Petra a un territoire qui l'entoure et qu'elle contrôle; seuls les paysans de la région de Petra pourront venir s'y réfugier en cas de danger. Cela suppose qu'à une certaine distance de Petra se trouve une autre forteresse royale qui, elle, contrôle une autre partie du territoire et des villageois dépendants. Si nous examinons la vente de terre à Laodikè, nous voyons qu'elle porte sur « Pannoukômè et la baris et la terre qui appartient au village »181. La concession correspond à un lot du cadastre qui avait' déjà été enregistré à l'époque achéménide 182. A cette époque, la baris jouait le rôle de la petra dont il vient d'être question: protection et surveillance des dépendants. La baris a donc sous sa juridiction un territoire qui en dépend, et qui comprend village(s) et paysans 183. Les concessions de terre à Aristodicide et à Laodikè sont toutes les deux situées en Phrygie hellespontique: le lot de Laodikè s'étend entre le territoire de Zélée et celui de Cyzique 184; Aristodicide reçoit la 'permission' de rattacher sa terre à Ilion ou à Scepsis 185: il choisit finalement la première cité 186. D'autre témoignages rendent compte de l'importance de la cbôra basilikè dans cette région d'Asie Mineure: ainsi la vente de
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terres par Antiochos 1er à la cité de Pitane 187; au siècle, Korragos, «chargé des territoires de l'Hellespont », est mandaté par le roi (attalide?) pour donner des terres du domaine royal à des citoyens d'une ville qui est peut-être Apollonia du Rhyndakos 187.. La terre royale de cette région remontait certainement aux Achéménides [88. Il y a donc tout lieu de supposer que c'est au hasard des chartes de concession (ou de vente) que nous devons quelques connaissances sur l'organisation des terres royales: la petra d'Aristodicide, le baris de Laodikè et le (neoiteichos d'Achaios devaint être tenus, à l'époque achéménide, par des garnisons royales chargées «de maintenir les sujets dans l'obéissance et de défendre le pays contre toute agression de l'ennemi» 189. On comprend dès lors que ces phrouria fussent si nombreux dans chaque satrapie. Les inscriptions hellénistiques permettent donc, semble-t-il, d'interpréter le titre porté par Alexandros en Eolide au début du Ive siècle: phrourarchos tôn epi tèn Aiolida cbôriôn 190. Le ' module cadastral' se définit par un cbôrion et un territoire, celui-ci pouvant comprendre un ou plusieurs villages, chacun d'entre eux possédant lui-même son territoire dont les frontières sont officiellement reconnues. Le groupement de villages que révèle certains textes littéraires correspond donc à une réalité administrative 191. Alexandros est à la tête d'une subdivision territoriale satrapique, subdivisée elle-même en plusieurs 'modules cadastraux' autour d'un chôrion: de ces chôria nous avons des témoignages hellénistiques dans les petra, baris et (neoïteicbos [92. 1.4. [Colonies militaires, fiscalité et dépendance rurale (Babylonie, Un autre aspect de la liaison occupation militaire/dépendance rurale/exploitation des territoires peut être analysé dans un type de ' settlement' qui n'est pas à proprement parler la garnisonforteresse: ce sont les colonies militaires 193. L'examen de l'institution en Asie Mineure requiert un détour par la Babylonie et par l'Égypte. Plusieurs études de G. Cardascia permettent de bien comprendre la fonction et le fonctionnement du batru babylonien 194 - terme « qui possède deux valeurs, intimement liées: il désigne un groupe et le territoire dont il a l'usufruit» 195. «Sur une soixantaine de batru, les deux tiers ont [un] caractère militaire et le doute subsiste pour un tiers seulement »196. Les termes qui désignent les lots attribués aux bénéficiaires renvoient manifestement à une réalité militaire; ils sont en effet appelés le plus souvent «fonds d'arc» et «fonds de cheval ». Ces hatru « correspondent selon toute vraisemblance à des contingents militaires... Ces garnisons sont [presque] toutes formées de mercenaires provenant de tous les horizons de l'Empire» 197. Ce système fut très probablement introduit en Babylonie dès la conquête de Cyrus, à la suite de laquelle de grosses modifications furent introduites dans le régime des terres (extension de la terre royale, concessions aux nobles conquérants) 198. Le système du hatru présentait pour le Roi un double avantage, militaire et fiscal. Tout d'abord, en effet, les
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concessionnaires devaient le service militaire, et ils jouaient le rôle de garnisons dans un pays nouvellement conquis: la diversité ethnique des contingents, que l'on constate également en Égypte 199 et en Asie Mineure 200, avait certainement pour but - parmi d'autres - d'empêcher toute connivence entre les troupes d'occupation et les populations soumises :ail. Par ailleurs, les concessionnaires sont soumis au versement des impôts d'Etat, désignés le plus souvent sous l'énumération « impôts complets, le soldat du Roi, la farine du Roi, le bârra et toutes sortes de redevances pour la maison du Roi» 2ll!. Les impôts de chaque hatru sont rassemblés par un prévôt (saknu) et reversés par celui-ci à l'administratione royale sous forme d'argent 203: le hatru constitue donc aussi une circonscription fiscale» 204. Dans quelle mesure peut-on considérer le sytème comme exclusivement babylonien? A cette question fort importante, G. Cardascia 2115 apporte une réponse prudente mais ferme: «Le régime décrit a une implantation locale d'après les seules sources disponibles. Il est impossible de dire s'il a eu d'autres applications dans l'Empire, mais une réponse affirmative est hautement probable: on conçoit mal qu'il ait été imaginé seulement pour une région aussi limitée que la banlieue de Nippur. L'hypothèse qui attribue à l'institution une plus large diffusion conduit à une autre recherche. La hatru babylonien évoque, par certains traits, la clérouchie lagide. Celle-ci a probablement des origines grecques ou hellénistiques, mais il n'est pas exclu que l'expérience du hatru - surtout si elle n'a pas été confinée à la Babylonie centrale - ne lui ait pas apporté quelques éléments », Il me semble en effet que l'examen des lots rnilitaires en Egypte et en Asie Mineure achéménides ne peut que renforcer l'idée de l'extension d'un système proche de celui du hatru à de nombreuses provinces de l'Empire; ces rapprochements permettent également de mieux mesurer l'importance de l'héritage achéménide en Asie hellénistique. En Egypte, on sait que les rois saïes ont fait venir des mercenaires grecs qu'ils ont allotis 206: ces mercenaires sont donc « à moitié colons, à moitié soldats» 2i1l. Les archives d'Eléphantine permettent de préciser pour la période perse. L'ensemble des contingents (araméens, juifs) « tout en ayant des centres de regroupement distincts, constituent un ensemble militaire unique, sous la direction d'un commandant de garnison (rab haylô) qui réside à Syène et qui porte un titre analogue au phrourarque ou à I'acrophylax des troupes grecques» 208. Ces garnison étaient chargées de surveiller les frontières du Sud et de garantir l'ordre à l'intérieur du pays 1!J9. Les garnisaires ont reçu des tenures (mnt = kleros) 210: il y a donc « une certaine anticipation sur les clérouquies grecques, bien que les mercenaires et leurs familles reçoivent également des salaires en argent et des allocations en nature» .211. En Asie Mineure, la présence de colonies militaires achéménides est largement attestée 212. On sait en particulier que les Perses avaient transplanté des colons hyrcaniens dans une plaine lydienne qui prit le nom de
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plaine hyrcanienne 213, et que dans la calIée du Caïque s'établirent des Hyrcaniens et des Bactriens 214. Un récit bien connu de Xénophon 215 fait référence à des hoplites assyriens [babyloniens] et à des cavaliers hyrcaniens tenant garnison en Mysie. Les établissements achéménides étaient particulièrement nombreux dans les vallées proches du Mont Tmôlos, sur lequel les Perses avaient établi un observatoire 215•• Nous ne disposons pas d'une documentation directe nous permettant de connaître dans le détail le fonctionnement de ces colonies. Il nous faudra recourir à des textes d'époque hellénistique qui, d'une façon générale, attestent d'une grande continuité de l'héritage perse. Dans le texte bien connu d'un traité de sympolitie passé entre Smyrne et Magnésie du Sipyle (peu après 243?), figurent des clauses relatives aux soldats en garnison dans le cbôrion de Palaimagnésie: il y est précisé en particulier que les soldats non lotis (aklerouchetoi) recevront un « tenure du cavalier» (kleros hippikos) 216. Ce terme - que l'on connaît par ce seul texte en Asie Mineure - ne peut pas ne pas faire songer immédiatement au « fonds de cheval» (bît-sisî ou bit-aspatu) connu dans certains hatru babyloniens 217, Il est tentant de voir dans le Heros hippikos d'épeque séleucide l'héritage d'une pratique diffusée par les Perses dans leurs établissements d'Asie Mineure m., Cette hypothèse parait d'autant plus plausible que les fondations perses furent particulièrement nombreuses en Lydie, et que le traité Smyrne-Magnésie du Sipyle précise que la citoyenneté et l'exemption fiscale sont conférées à « Omanès et aux Perses qui sont sous ses ordres ainsi qu'à ceux [des Perses] qui ont été envoyés de Smyrne pour la défense du fort» 218, Sans exclure que ces contingents perses aient pu être installés par un Séleucide, on peut supposer avec une égale vraisemblance que leur présence dans la région de Magnésie re- . monte à l'époque de là domination achéménide, L'exemple des Macedones Hyrcanii prouve que des colonies macédoniennes ont repris à leur compte d'anciens' settlements' achéménides 219, Que des communautés perses se soient reproduites sur place n'a rien qui puisse étonner: la persistance de l'onomastique iranienne en Asie Mineure constitue un autre témoignage de cette vitalité 220; par ailleurs, l'exemple du hatru babylonien 221 et des soldats lotis de Syène-Éléphantine 222 prouve que garnisaires et colons s'installaient avec leurs familles. Enfin, le cas babylonien indique que le lot est transmissible héréditairement ID, Or, on doit souligner les analogies de fonctionnement entre les Heroi hellénistiques et les lots des hatru babyloniens: nombre de kleroi sont des lots communautaires: c'est le cas par exemple des deux lots que ' possède' la ' communauté militaire' de Palaimagnésie: «c'est ainsi la colonie qui reçoit la dotation» 224, Le kleros - dans cette acception au moins - recouvre donc la double signification du hatru: «groupe et territoire dont il a l'usufruit» 225; les tenanciers des kleroi paient des impôts au roi: le texte du traité Magnésie-Smyrne prouve en effet que les tenures sont exemptées de la dîme ma - ce qui manifestement constitue un privilège; - de même
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dans une lettre d'un roi attalide à des clérouques P, L'inscription de Mnésimachos apporte une précision supplémentaire: parmi les revenus du personnage figurent non seulement des villages mais également deux kleroi m: il semble bien s'agir là de terroirs collectifs concédés à des groupes installés par l'administration royale 227a. Comme dans le cas des Perses de Palaimagnésie, il paraît assez probable que ces kleroi n'ont pas été créés de toutes pièces par un roi hellénistique, mais plutôt qu'ils remontent à l'époque achéménide 228. Si cela est, on soulignera que, à l'instar des concessionnaires babyloniens, les kleroi (proches de Sardes) paient un impôt (phoros) en argent à l'administration royale; outre les avantages financiers, le roi retire de l'institution d'appréciables avantages militaires: soit qu'il s'agisse de paysans qui doivent le service militaire en échange du lot 229, soit que la terre soit concédée à un groupe de garnisaires en récompense de leurs services 230. Dans ce dernier cas, le terroir concédé était forcément cultivé par des • civils', et très certainement pour une part par des paysans dépendants (laoi) concédés avec la terre qu'ils cultivaient de génération en génération 231, C'est dire que nous avons là encore une situation assez proche de celle du batru, dont les concessionnaires « entendent tirer des revenus sans avoir à se soucier de leur exploitation »: d'où l'importance des Murashû qui «servent d'intermédiaires entre les maîtres des terres et les cultivateurs »232 - ceux-ci pouvant être des libres, des dépendants ou (dans une moindre mesure) des esclaves 233. La création de colonies militaires participe donc elle aussi de la stratégie d'exploitation économique des populations rurales. En définitive, comme dans le cas des garnisons-forteresses, on retrouve là une liaison étroite entre contrainte militaire, fiscalité, exploitation du territoire et dépendance rurale. La différence, c'est que, parfois, les colonies ne sont pas implantées dans des sites de défense naturelle - (pas plus que les hatru de Nippur d'ailleurs) - mais en plaine, tels les colons hyrcaniens en Lydie 234. Garnisons et colonies ne constituent donc pas des • ilôts militaires' dans le plat-pays: c'est bien au contraire par rapport à elles et autour d'elles que sont organisés les territoires et les populations dépendantes. 2. [Modèle «dynastique» d'organisation militaire de l'espace]. Tous les territoires de l'Empire ne sont pas contrôlés immédiatement par l'administration royale. En-dehors des cités, des etbnè et des royaumes vassaux (Arménie par exemple), il y a de nombreux' dynastes' qui dominent une portion de territoire tout en restant en principe politiquement dépendant du pouvoir central (versement d'un tribut). Parmi ces dynasties, celles d'Iran Oriental sont les plus fameuses, mais leur étude peut être complétée et enrichie par des rapprochements avec des dynasties d'un modèle dessez proche.
z .r . [Les territoires des hyparques de Sogdiane-Bactriane). -
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petites principautés d'Iran Oriental sont surtout connues par les récits que les auteurs classiques ont consacrés aux difficiles combats menés par Alexandre pour mettre à la raison ceux qu'Arrien appelle les hyparques 235. Le pouvoir de ces princes est matérialisé dans le paysage par une Roche (petra), place-forte naturellement fortifiée. Vis à vis du plat-pays, ces Roches jouent plusieurs fonctions: ce sont d'abord des places de refuge: lors de l'arrivée d'Alexandre, trente mille personnes s'étaient mises à l'abri sur la Roche d'Ariamazès 236. Ces réfugiés, ce sont surtout des paysans qui, en temps de paix, vivent et travaillent dans leurs villages 137. S'y sont réfugiés également le prince et toute sa cour 138. Les paysans doivent à l'hyparque le service militaire 239. Forteresse et villages environnants forment donc une unité politico-militaire; ils constituent également une unité d'exploitation. Dans les Roches, des magasins ont été en effet aménagés dans le roc; y sont stockées d'énormes quantités de produits alimentaires (blé, vin, viande séchée) qui permettaient d'envisager avec confiance un très long siège 240. L'existence de ces magasins suppose la levée d'un tribut en nature sur les villages dépendants: Quinte-Curee 241 qualifie très symptomatiquement de clientes les paysans levés en milice par les hyparques qui se sont mis, pour un temps, sous le commandement de Bessos 242. Ces princes sont donc à la tête d'un territoire dominé par une forteresse-magasin. D'une manière générale, le terme d'hyparque utilisé par Arrien s'applique « à tout responsable terrritoriai qui n'est pas le roi »243. Plusieurs textes de Quinte-Curee confirment très nettement que Roche et plat-pays ne peuvent être disjoints: après le défaite et l'exécution d'Ariamazès et de sa cour 244, Arbataze - nommé entre-temps satrape de Bactriane 245 - reçut «la tutelle de la Roche et de la région attenante (petrae regionisque, quae adpositae esset ei, tutela relictus'ï » 246. Quinte-Curee emploie une expression analogue pour qualifier l'Aornos qui fut munie d'une garnison macédonienne et confiée à Sisicottos: petrae regionisque ei adjunctae Sisicotto tuteZa permissa 247. On retrouve les mêmes termes pour qualifier une ville et son territoire, comme Sidon (...regionem quoque urbi adpositam) 248. Cette expression correspond très exactement au grec 'tè q>pOUP~OV ... x~t 'tàp. 1tEpt ~ù'tè XWP~V 249, ou ...x~t 'tTlV xwp~v 'tTlv 1tpèç 'tfi~ 1tÉ'tpq: 2490. Toutes ces formulations confèrent une position de centre à la petra, et le terme , centre' ne doit pas être entendu seulement dans son sens topographique 250; Oxyarthès, qualifié de ' satrape' par Quinte-Curee 251 et d'hyparque par Arrien 252, est lui aussi à la tête d'un territoire (...regionem cui Oxyarthes satrapes nobilis praeerat) 253. Quinte-Curee décerne également le titre de satrape à Sisimithrès qui est à la tête d'une regio autour de Nautaca 254. Alexandre promet à l'ancien 'satrape' une provincia encore plus vaste 255; enfin, au nobles qui se rallient, Alexandre « fit attribuer les villes
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et les terntoires (urbes agrosque) de ceux qui avaient persévéré dans la défection» 256. Dans ce texte comme dans bien d'autres 257, le terme urbs doit être compris dans un sens large: il renvoie à une résidence fortifiée servant de centre politique, militaire et économique à un plat-pays dépendant 258• . 2.2. [L'exemple de Gobryas]. On retrouve une organisation du même type dans la principauté tenue par Gobryas en Elam vers 546259: il possède une forteresse (teichos), qui commande à un vaste territoire (chôra), et il est à la tête d'une armée de plusieurs milliers d'hommes 260. Cette forteresse est tellement imposante que Cyrus lui-même la juge imprenable 261; ce point fort n'est pas seulement la résidence de Gobryas. Elle sert également de place de refuge aux paysans du plat-pays 262 et à leurs troupeaux puisque « l'on voyait aussi un grand nombre de boeufs et une quantité énorme de petit bétail amenés au pied des remparts» 263; la forteresse comprend également des magasins où sont stockées d'imposantes quantités de vivres: en effet, « il y avait à l'intérieur aSSe2 de provisions pour suffire à la garnison pendant une génération e P'. On doit en conclure qu'à l'instar des clients des hyparques sogdiens, les paysans du plat-pays versent des taxes en nature à Gobryas - à charge pour celui-ci d'en reverser une part sous forme de tribut au roi de Babylonie 265. La conquête du pays et la soumission volontaire de Gobryas conférèrent à ce château fort une fonction royale 266. Le mariage entre la fille de Gobryas et un ami de Cyrus 267 accroit encore la similitude avec la politique menée par Alexandre en Iran oriental pour récupérer à son service les hyparques, leurs places-fortes et la paysannerie dépendante. 2.3. [Le territoire des Tobiades en Transjordanie]. A ces exemples, on peut ajouter celui de la fameuse famille juive des Tobiades 268 installée en Transjordanie au moins depuis l'époque de Darius 269. Le centre de leur pouvoir territorial se situait à Arâq el-Emir, la même ou Flavius Josèphe décrit la puissante baris érigée (selon lui) par Hyrcan vers 175 av. n. è. Sous le terme baris, il convient de voir la forme hellénisée du terme araméen byrt' qui signifie forteresse 270: le terme est transcrit birtha dans un papyrus ptolémaïque du milieu de Ille siècle 271. Des chambres y étaient creusées à même le roc: «Le unes, disposées avec soin, éclairées par de larges fenêtres, sont des salles d'habitation; les autres, avec leurs mangeoires et leurs anneaux taillés dans la pierre, sont des écuries; d'autres, plus grossières, ont servi de magasins... Tout cet établissement a donc les caractères d'un lieu de refuge... capable de contenir une nombreuse maison avec une suite de cinquante chevaux au moins et des provisions pour un long siège» 272. Cette description d'un archéologue fait irrésistiblement penser à ce que les textes nous apprennent des petrai d'Iran Oriental. Dans l'un et l'autre cas - ainsi que dans celui de Gobryas - le terme 'forteresse' est inapte à rendre
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compte des fonctions de ces puissantes résidences: la birtba des Tobiades - écrit justement L. H. Vincent 273 - «n'est ni une forteresse, ni un camp retranché au sens moderne du terme ». Il ne fait guère de doute que les premiers Tobiades - qui l'avaient aménagée sous les premiers Achéménides 274 - fondaient leur puissance sur le travail des paysans: un papyrus cite la « cbôra de Tobiah »275, et cette région est très vaste et très riche 276. 2.4. [« Modèle dynastique» et pouvoir royal]. - De ces trois exemples semble donc se dégager un ' modèle dynastique' d'organisation militaire de l'espace, comparable au ' module cadastral' qui a été étudié ci-dessus: dans l'un et l'autre cas, on retrouve une unité territoriale composée d'une forteresse, d'un territoire et des paysans dépendants, la forteresse jouant le rôle de contrainte militaire et de protection-refuge. Le problème, pour le Roi, réside dans le fait que ces petits princes peuvent utiliser leur puissance contre lui, et donc que le 'modèle dynastique' apparaît comme contraire aux intérêts et au pouvoir du gouvernement central m. Si l'on prend en effet le cas des hyparques, il semble bien apparaître à première vue qu'ils exercent dans leurs territoires une autorité sans limite qualifiée d'imperium par Quinte-Curee 278. La dépendance des masses paysannes joue à leur profit, car les prestations en nature «présupposent l'existence d'un oikos seigneurial, organisée sur le même plan que l'oikos royal et son concurrent efficace dans l'est lointain» 279 etc. Il convient pourtant d'apporter des nuances à ce tableau un peu schématique: tout d'abord, l'analyse ne vaut au mieux que pour la période 330-327: or, à cette date, Darius a disparu et l'autorité impériale dont vient de se parer Bessos-Artaxerxès n'est acceptée que du bout des lèvres par ses pairs, dont chacun conserve une autorité pleine et entière sur le contingent qu'il a levé chez ses propres clients 280. En temps' normal " le pouvoir central est représenté par un satrape - de très haut rang - et Bactriane et Sogdiane versent un tribut 281: ce qui implique, semble-t-il, qu'à l'instar de Gobryas 282, les hyparques reversaient au Roi une part de leurs prélèvements. Ils doivent en outre mettre leurs contingents à la disposition du Grand Roi, lorque celui-ci convoque l'armée royale 2113; par ailleurs, on doit souligner un fait qui, à mon sens, est très important: la totalité du territoire satrapique n'est pas divisée en territoires dont chacun serait dirigé par un hyparque 284. On trouve également en Sogdiane-Bactriane des régions de cbôra basilikè administrée immédiatement par le Roi et son administration. C'est très probablement le cas de certains territoires irrigués: ainsi celui d'Aï-Khanoum, où les travaux permirent de mettre environ 7500 hectares en culture à l'époque de la domination achéménide 285. La présence d'une «ville ronde» « plutôt le siège d'une garnison qu'une capitale régionale» 286 - constitue peut-être un indice de l'emprise royale sur ce territoire nouvellement mis en valeur 287.
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Il ne s'agit évidemment pas de nier la spécificité des sociétés est-iraniennes: un trait distinctif est la possibilité dont disposent les hyparques de lever en milices leurs paysans dépendants - ce qui à la fois crée et suppose des liens de dépendance directe entre les masses rurales du territoires et les maîtres des Roches: dans ces conditions, les expressions « contrainte militaire» et «monopole militaire» ne peuvent pas recouvrir les mêmes réalités que dans d'autres régions de l'Empire. Le problème est de saisir la nature du rapport entre ces petites unités territoriales et l'autorité centrale. Et, à cet égard, on ne peut nier que ces liens sont ambigüs voire contradictoires, à tel point qu'il est difficile de distinguer où commence et où se termine le marge d'indépendance de ces princes. Par exemple, les paysans sont-ils dépendants du Roi ou des hyparques? La dépendance directe, visible, quotidienne et vécue comme telle par les intéressés est incontestablement celle qui s'exerce au profit du prince local: c'est lui qui lève et qui stocke les prestations en nature; c'est lui qui défend et protège les paysans contre les incursions des nomades et contre l'invasion d'une armée ennemie; c'est lui qui lève et qui commande l'armée de conscrits paysans; on peut supposer, sans grand risque d'erreur, qu'il jouissait également de pouvoirs judiciaires etc. De ce point de vue, le ' territoire dynastique' apparaît comme un véritable état dans l'Etat. Cependant, le problème reste posé du reversement éventuel d'une partie du tribut dans les caisses royales: ce devait être la règle théorique, appliquée avec fermeté pendant les périodes où le pouvoir central était suffisamment fort pour la faire respecter. C'est peut- être au niveau idéologique que la souveraineté du Grand Roi se faisait sentir avec une efficacité particulière, ou mieux: qu'elle transparaît le plus clairement à travers les textes classiques. A cet égard comme à bien d'autres 288, la « communauté iranienne» n'est pas un vain mot: «Chez ces peuples, le prestige du Roi est extraordinaire: le nom suffit à rassembler les Barbares; et la vénération pour sa fortune passée suit le roi dans l'adversité» - écrit Quinte-Curee 289. Il est tout à fait caractéristique que Bessos ait revêtu le vêtement royal et ait pris le nom "d'Artaxerxès 289a: c'était le meilleur moyen pour lui de faire accepter une vaste conscription en Bactriane et en Sogdiane 289b, et de résister à l'offensive idéologique qu'Alexandre développait sur des thèmes dynastiques depuis la mort de Darius 2890. En dernière analyse, « il n'est pas exclu que l'autorité perse en Asie centrale ait trouvé profit à favoriser un 'développement propre' en s'appuyant sur les maîtres locaux de manière à mieux contenir avec eux les populations nomades qui continuaient à menacer les intérêts des uns et des autres» 289<1. En d'autres termes, si l'on admet avec E. Bickerman 2890, que - mis à part le satrape et son entourage - il n'existait probablement pas d'administrateurs perses en Sogdiane-Bactriane, les petra; dynastiques jouaient le rôle organisationnel que jouaient directement ailleurs les forteresses royales: défendre le territoire et les populations con-
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tre les dévastations et assurer le fonctionnement et la survie du système de la dépendance rurale, moyennant quoi les hyparques jouissaient d'avantages politiques et économiques appréciables qui, en temps de crise, risquaient de jouer contre les intérêts du pouvoir central. La conquête d'Alexandre ouvrit incontestablement une phase de reprise en main et de renforcement de l'autorité royale et de la contrainte militaire 21l9f. Tous les efforts du Macédonien tendaient à dominer et à exploiter directement les masses rurales dépendantes: soit en supprimant purement et simplement l'hyparque et sa cour et en concédant son territoire et les populations paysannes à des villes nouvellement fondées 289', soit en récupérant à son profit les territoires et l'organisation para-étatique d'autres hyparques, car il savait bien - tout comme les Achéménides - que le ralliement des chefs lui assurerait la tranquillité de l'ensemble de la population 289'. Des garnisons macédoniennes furent installées sur les petrai 2891, et les villes elles-mêmes exercèrent une fonction de surveillance et d'exploitation des territoires .et des populations pour le plus grand profit du conquérant et des colons. Si l'on prend maintenant l'exemple des Tobiades, la situation paraît encore plus claire mais également très comparable. Ils ne sont manifestement pas indépendants du pouvoir central achéménide: il est probable au contraire que Tobiah combinait sa position de dynaste local avec une fonction officielle, celle de gouverneur d'Ammonitide à l'époque d'Artaxerxès I'" 2893. La conquête macédonienne ne modifia pas fondamentalement cet état de choses. Un papyrus ptolémaique de 259-8 transcrit une vente d'esclave réalisée à Birtha de l'Ammonitide; l'un des témoins est un Cnidien «clérouque d'entre les cavaliers de Tobiah ». Ce papyrus et d'autres montrent que Tobiah a «une situation de haut fonctionnaire dans sa province ... Il est une notabilité locale choisie par Philadelphe comme gouverneur responsable de la nouvelle province [ptolémaïque] »200. Ainsi, d'Artaxerxès 1er à Ptolémée II, la position des Tobiades vis à vis du pouvoir central ne s'est pas modifiée en substance 291. Comme dans le cas précédent, il paraît évident que le pouvoir central perpétuait une situation qui était avantageuse pour lui. Les Ptolémées ont installé des clérouques militaires dans la birtha des Tobiades, On peut considérer que cette installation représente un renforcement du pouvoir central, soucieux de consolider le loyalisme de Tobiah m. Mais, il faut tenir compte également du souci royal de protéger le pays contre les incursions des bédouins 293. Tobiah et Ptolémée tiraient donc également profit de la fondation d'une clérouquie, et il n'est pas exclu qu'une colonie militaire ait été installée dès l'époque achéménide. En fin de compte, la politique suivie ici par les Ptolémées se rapproche, par certains côtés, de celle que mena Alexandre en Iran oriental. 3. [Trésoreries, forteresses et exploitation du terrttotre dans le Fars]. 3.1. [Trésoreries et garnisons]. - La Pers ide proprement dite (Fars) était hérissée de nombreux postes militaires: c'était en effet
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«un pays vallonné, avec des postes de garde (phylakai) haut-perchés a peu de distance les uns des autres» 294. En-dehors de ces postes de surveillance et de transmissions, on y comptait plusieurs résidences royales ibasileia) et gazopbylacies 295, et sur celles-ci les tablettes des fortifications de Persépolis [PFT.] nous apprennent beaucoup. Dans ces trésors venaient s'accumuler l'or et l'argent provenant de toutes les satrapies 296, mais également des produits en nature. Citons Polyclète de Larissa via Strabon 297: «Mais il est d'autres particularités, que relate Polyclète, et qui mériteraient peut-être qu'on les rangeât également au nombre des coutumes nationales de la Perse. A Suse, par exemple, dans la citadelle, chaque roi se fait construire un bâtiment séparé, avec trésors itbesauroi) et magasins de dépôt i paratbeiseiss, bâtiments destinés à recevoir les tributs levés pendant son règne, et qui doit doit rester comme un monument de son administration. C'est en argent (argurion), que se perçoivent les tri~uts levés sur les territoires de la côte, mais, dans l'intérieur, l'impôt se paie en nature avec les produits même de chaque province, substances tinctoriales, drogues, crins, laine etc., voire en têtes de bétail ». Les sources classiques donnent les noms de quelques unes des résidences et gazophylacies: outre Persépolis, on connait Pasargades 298, l'une et l'autre faisant fonction de résidences et trésoreries royales. Parmi les autres palais royaux, on peut citer Gabai en Haute-Perside (Paraitacène), et Taokè sur la côte du Golfe Persique 299. Dès son arrivée dans le coeur de la puissance perse, Alexandre se soucia prioritairement de mettre la main sur les points fortifiés, en particulier sur les Trésors « où étaient venus s'accumuler pendant tant d'années les tributs levés par les Perses sur l'Asie entière» 300. Persépolis et Pasargades étaient protégées par une garnison qui veillait sur les trésors 301. L'une et l'autre étaient sous les ordres d'un représentant personnel du Roi, qui remplissait (peut-être) conjointement les fonctions de gouverneur et celles de trésorier 302. Les tablettes de Persépolis permettent d'apporter des précisions extrêmement utiles sur le nombre et la densité de ces trésoreries-forteresses. En-dehors du Trésor de Persépolis, les tablettes nous livrent les noms de sept Trésors dont les emplacements ne sont pas tous connus avec précision: Gaufriya, Vrantus, Hiran, Hunan, Rahân, Matezzis (vp, Hvâdaicaya) et Schiraz, et cette liste n'est probablement pas complète lOl. Ces trésoreries sont installées sur des sites fortifiés, et protégées par des gar· nisons: d'après les listes de rations, on connaît parfois le nombre de gardes du Trésor (en grec: thesaurophylaques) de tel ou tel site (20 en 495 à Vrantus, IO à Schiraz en 494) 305. Aux trésoreries proprement dites, il convient d'ajouter les' villes-étapes' sur la grande route carrossable SusePersépolis, telle Hidalu 306. 3.2. [Trésoreries et organisation du travail dépendant]. - Contrairement à ce que laissent entendre les textes classiques, ces Trésoreries ne sont pas simplement des lieux de stockage des tributs JffI. Elles entretiennent des rapports organiques avec le plat-pays qui les entoure, et c'est
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sur ce point capital que les tablettes permettent d'apporter des éclairages extrêmement neufs. Rappelons tout d'abord que la Perside comprend des districts très riches. « La Perse regorge de tout ce qui touche au luxe et au plaisir », affirme Hieronymos de Kardia 308, témoin oculaire, en 317 av. n. è. La région située entre l'Ouxiane (bassin de Fahliyun) et Persépolis «est en altitude, et l'air y est tout à fait sain et les fruits de saison y abondent 309 ... Elle comporte des parcs aux plantations variées, ainsi que des taillis naturels d'arbres de toutes espèces et des eaux vives» 310. La richesse des forêts a beaucoup impressionné les conquérants macédoniens. La Perse intérieure « passe pour l'endroit le plus sain de toute l'Asie» 311; « aux pieds des monts, s'étend la pente d'une vaste plaine, de sol fertile, peuplée de bourgs et de villes nombreux (vicis atque urbibus Irequens) »312. Hieronymos souligne également l'exceptionnelle densité humaine de la Perside par rapport à celle d'autres satrapies 313. En bref, il s'agit d'un pays remarquablement doué- pour les activités agricoles, et plus encore peut-être pour l'élevage 314. La majeure partie du territoire utile était directement administrée et exploitée par l'administration centrale au sein d'une gigantesque « économie royale », Les travailleurs dépendants (kurtas) étaient déplacés au gré des besoins d'un district à l'autre, les productions agricoles et pastorales livrées et délivrées sur ordre écrit des administrateurs royaux de tout rang lIS. La gestion de l'ensemble des produits en nature de la couronne était dirigée par un 'majordome' qui avait sous ses ordres cinq hauts fonctionnaires dont chacun avait la haute main sur un département, soit (par ordre d'importance décroissant): les céréales, le petit et le gros bétail, le vin et la bière, les fruits, les volailles 316. Or, et c'est qui nous importe ici, il parait extrêmement probable que l'exploitation du territoire et la surveillance des kurtas étaient décentralisées par ' districts' dont chacun était organisé autour d'un centre fortifié. Ainsi, pour s'en tenir à l'année 500, les tablettes citent 48 lieux où on a délivré divers produits: la plupart de ces toponymes ne sont pas identifiés 317. Parmi les toponymes figurent des Trésoreries. Nous avons déjà indiqué que ces ' capitales' étaient fortifiées et munies de garnisons. Mais, leur fonction ne doit pas être réduite à celle de forteresse au sens restreint du terme: comme le note Polyclète repris par Strabon, qui distingue les trésors (thesauroi) des magasins (paratheiseis) lIS, ces Trésoreries comportent des aires de stockage de produits venus des alentours 319. L'administration de la Trésorerie de Rahân est dirigée par trois hauts fonctionnaires: le gardien du trésor, le secrétaire, l'administrateur des magasins 320. Les produits stockés sont délivrés comme' rations' soit à des kurtai, soit à des hauts fonctionnaires. Elles peuvent être fournies également à titre de rations de voyage, car plusieurs de ces Trésoreries sont également des étapes sur les grandes routes (ainsi' Matezzis sur la route de Persépolis à
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l'Inde 321, ou Schiraz sur la grande route Suse-Behbehan (Hidalu? )-Nurabad-Persépolis); une partie de ces produits est également consommée sur place. Les tablettes montrent en effet qu'un nombre très important de kurtas est employé dans ces centres: à Matezzis, dans trois années successives, des rations sont données à 694, 702 et 677 kurtas 322; à Vrantus, en 495, le personnel comptait 90 travailleurs 323; en 494, à Schiraz, on dénombre r Sr kurtas 324; à Rahân, en 494, 3II kurtas sont répertoriés 325. Le plus souvent, ces gens sont désignés sous le terme général de kurtas (' travailleurs royaux ') sans précision sur leur spécialité: seuls le sexe et la classe d'âge sont indiqués. Cependant, quelques tablettes permettent d'atteindre à une plus grande précision - quelles que soient encore les difficultés de traduction de l'élamite persépolitain. Parmi les travailleurs, on peut opérer une première distinction entre ceux qui s'occupent de la surveillance et de la maintenance, et ceux qui sont employés dans la production: parmi le premier groupe: les garde-meubles, les gardiens des dépôts, auxquels ont doit évidemment ajouter les gardiens du trésor qui ne sont pas des kurtas mais des soldats perses. On notera également à Vrantu la présence de gardes-forestiers 326. Cette fonction donne une image extrêmement concrète des rapports entre la trésorerie-forteresse et le platpays; l'entretien et l'exploitation des richesses naturelles s'organise à partir de la Trésorerie; dans le second groupe, il y avait certainement des travailleurs du bâtiment: ainsi, à Matezzis, ou 20 Egyptiens sont envoyés de Suse 327; on peut supposer avec une grande probabilité qu'il s'agit de tailleurs de pierre 328. Mais, l'essentiel des kurtas de ce groupe est constitué d'artisans qui transforment les produits du plat-pays, et on y rencontre une écrasante proportion de femmes et de filles. Parmi les métiers les plus représentés, on note: les orfèvres - et l'on ne manquera pas de rapprocher Strabon 329 qui écrit à propos des gazophylacies perses: «En général, l'or et l'argent sont convertis en pièces d'orfèvrerie, et l'on n'en monnaye que la moindre partie. On juge que ces métaux précieux, artistement travaillés, ont meilleure grâce, soit pour être ·offerts en cadeau, soit pour figurer dans les trésors et les dépôts royaux »; des tailleurs (?) de vêtements; et surtout des «travailleurs d'art» 330 et des «travailleurs de précision » 331. enfin, parmi les femmes artisans, un certain nombre étaient certainement spécialisées dans le travail du cuir, et dans la fabrication du parchemin 332. En effet, vingt tablettes enregistrent la livraison de peaux (moutons, chèvres, bovins, chameaux) à cinq Trésoreries (Hiran, Schiraz, Batrakatas, Rahân, Matezzis) 332a• Il ne fait pas de doute que les peaux y étaient travaillées. En d'autres termes, la trésorerie-forteresse compor-
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tait également des manufactures royales, dont d'administration et la gestion étaient supervisées par le trésorier de Persépolis 332b. En définitive, ni le terme ' forteresse' ni même le terme ' trésorerie • ne peuvent rendre compte de la complexité des fonctions de ces véritables capitales de districts territoriaux. Prenons l'exemple de Matezzis, caractérisé de la manière suivante par S. Hansmann 332e ; «C'était un très important centre administratif. Le Roi y séjournait de temps en temps; i! devait donc y avoir une résidence royale. Cela pourrait expliquer l'arrivée d'Egyptiens, supposés être des travailleurs du bâtiment: c'était pour construire, ou aménager les quartiers royaux. Il y avait aussi une trésorerie à Matezzis: elle devait être situées dans un bâtiment sûr et isolé. Comme l'a noté Hallock, Marezzis doit sans doutre être recherchée sur une route vers l'Inde. L'entretien d'un très important groupe de travailleurs (700 environ), peutindiquer une activité agricole ». Toutes ces conditions - explique l'auteur - justifient l'identification qu'il propose entre Matezzië et Pasa. En effet, ce site - fouillé par les archéologues « avait une puissante citadelle, qui a pu servir de forteresse et de trésor. Il y a une base de colonne achérnénide qui suggère l'emplacement d'une importante construction royale », Ajoutons y les ateliers de transformation des produits du plat-pays (Matezeiè fait partie des cinq trésoreries qui reçoivent des livraisons de peaux; voir ci-dessus). C'est pourquoi, je suggère que le terme « ville» employé à plusieurs reprises par les auteurs anciens 332' est finalement plus apte à rendre compte des fonctions de ces centres habités dont chacun domine et organise un plat-pays peuplé et mis en culture. 3.3. [Le cas de la ville-forte de Madatès en Ouxiane]. - Les renseignements tirés de l'examen des tablettes éclairent, me semble-t-il, un cas uniquement connu par des sources littéraires classiques. Il s'agit de l'ethnos des Ouxiens de la plaine 332e • Cette plaine (pedias) 332', c'est le bassin de Fahliyun 332', à travers lequel court la « route royale» on «route . carrossable» 332b qui va de Suse à Persépolis 3321 Ce bassin constitue ce que les textes appellent «le territoire des Ouxiens de la plaine» iregio Uxiorum-Ouxiôn cbôra-Ouxiôn gè) 332J. Le mot ' territoire' renvoie à une triple réalité: économique, administrative, militaire: cette région est particulièrement bien douée pour les activités agricoles: «Tout pousse dans cette contrée généreusement arrosée par les eaux, et elle produit à foison des fruits de toutes sortes», écrit Diodore 3321 corroboré par d'autres textes 333. Ce terroir est mis en culture par les paysans ouxiens, qui versent aux Perses un tribut prélevé sur leurs productions 334; sur le plan administratif, ce territoire ne fait pas partie de la Perside proprement dite 335, ni de la Susiane 336: elle est en dehors du ressort du satrape de Suse et de celui de Perse 337. En 330, le pays des Ouxiens est gouverné par Madatès, proche parent du Roi 338, auquel Quinte-Curee
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donne le titre de praejectus regionis 339, et il semble bien qu'il relève directement du Roi 340; Madatès réside dans une puissante place-forte, située dans d'étroits défilés qui commandent l'entrée en Ouxiane pour qui vient de Suse 341. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une forteresse au sens restreint du terme: Quinte-Curee la qualifie même du terme urbs 342, munie d'une citadelle (arx) 343 et de tours (turres) 344. Sous ce terme urbs, il faut très probablement voir un puissant complexe, comprenant: un palais (basileion) , muni de fortifications, une acropole, peut-être aussi un paradis - bref une résidence satrapique au plein sens du terme. Cette puissante place-forte joue un double rôle: elle constitue l'un des maillons de cette chaîne de fortifications et de postes qui jalonnent la route royale et qui protègent l'accès à la Perside 345; elle remplit certainement aussi une fonction vis à vis des populations ouxiennes soumises. A cet égard, deux faits doivent être relevés, qui semblent bien prouver que l'obéissance des Ouxiens était étroitement liée à la contrainte militaire. Tout d'abord, c'est un Ouxien qui indique à Alexandre un chemin détourné par lequel la garnison commandée pat Madatès est surprise 346: en revanche, lors de l'offensive du Macédonien contre les Ouxiens de la montagne, le guide est Susien 347. Plus significatif: il est très remarquable qu'Alexandre ait consenti aux Ouxiens de la plaine une exemption de tribut 348. Il s'agit là en effet d'une décision tout à fait exceptionnelle au cours de la campagne d'Asie 349, liée à une aide militaire contre les Perses. La reddition de la garnison perse et de Madatès entraîne pour les Ouxiens la suppression de la dépendance tributaire. En revanche, la « ville» continue de jouer son rôle de défense des communications 350; la place-forte faisait-elle également office de Trésorerie? Il est fâcheux pour l'historien qu'Alexandre ait « laissé la ville intacte », car les descriptions de pillage constituent généralement l'un des témoignages les plus éclairants sur les ressources d'une ville ou d'une région! Il ne paraît cependant pas douteux que la capitale de l'Ouxiane doit être rapprochée des capitales de districts de Perside. En effet, le bassin de Fahliyun est exactement situé dans.la zone à laquelle se réfèrent les tablettes des fortifications (l'axe Suse-Persépolis). Traversée par la grande route carrossable, la 'ville' de Madatès faisait donc certainement partie de cette série de villes étapes munies d'abondants magasins de vivres, telle Hidalu (Behbehan?): ces magasins étaient très probablement approvisionnés, pour une part au moins, par les prélèvements tributaires effectués sur les productions des paysans ouxiens dépendants. 3.4. [L'exemplarité de l'organisation de la Perside'ï, - On doit se poser la question de savoir si - malgré la très réelle spécificité de la Perside dans l'Empire achéménide - les informations (ou certaines d'en-
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tre elles) tirées des PPT. peuvent être utilisées pour compléter les analyses menées ci-dessus pour d'autres régions de l'Empile. Une objection méthodologique vient immédiatament à l'esprit: le champ d'application de ces archives est limité dans le temps et dans l'espace 351. Elles datent en effet entre la 13" année et la 28" année de Darius (509-494); elles ont été rédigées dans une série de sites qui bordent l'axe Suse-Persépolis. Quant aux tablettes du Trésor de Persépolis (PTT.), elles sont datées entre la 30" année de Darius et la 7" année d'Artaxerxès 1"r (492-458); elles ont trait à des opérations comptables qui ont pour cadre Persépolis et ses environs immédiats. Il convient pourtant de se méfier de cet argument a silentio: un très grand nombre de tablettes PPT. restent inédites: un millier au moins peuvent fournir des renseignements utiles et complémentaires. 352 • Il paraît tout à fait impossible que cette organisation minutieuse ait disparu brutalement après 458. C'est manifestement au hasard des circonstances que nous devons la conservation de tablettes datées entre 509 et 458: je suis personnellement convaincu qu'une telle organisation - en tout ou en partie - existait encore en Perside à l'arrivée d'Alexandre 353. Il faut tenir compte également du fait que nombre d'enregistrements étaient faits sur des matériaux (parchemins) qui n'ont pas résisté au temps 354; d'autre part, l'extension d'un tel système d'enregistrement à tout l'Empire peut être admise avec certitude pour un secteur des PPT, à savoir l'administration des étapes et caravansérails de la Route Royale - dont on connaît la célèbre description qu'en a fait Hérodote 355. Sur cette artère qui allait de Sardes à Suse - et qui se poursuivait jusqu'a Persépolis et même au-delà - des garnisons étaient réparties, et des gîtes d'étape à des intervalles réguliers permettaient aux hommes et aux bêtes de trouver repos et restauration 356. Les PPT permettent de se faire une idée assez précise du mode de fonctionnement de cette administration. Chaque place d'étape comprend des stocks considérables de produits alimentaires. Ainsi, à Hidalu on trouve: sésame (PPT. 1848), grains (PPT. 35, 200, 738, 1259, 1271, 1851, 1994), farine (PPT. 738, 1251, 1398, 1399, 1400, 14 02-1403, 14 07, 1597) bière (PPT. 749, 84 2, 874, II84, 1276, 1542), moutons (PPT. 2057). Ces stocks sont gérés d'une manière extrêmement précise voire tâtillonne. Les tablettes impliquent en effet un système élaboré de transfert de crédits. Les textes étaient inscrits à la station de ravitaillement et envoyés à Persépolis 357, mais un double restait évidemment à la place où les marchandises avaient été délivrées. Là, les produits (sous forme de rations de route) étaient crédités sur le compte du livreur et débités sur le compte de l'officier qui avait muni les voyageurs d'un « document scellé» ou d'une « autorisation» 358. Comme il est normal, des régions fort éloignées de l'Elam et de la Perse (Asie Mineure, Égypte 359, Arachosie, Inde etc.) sont concernées par ce type d'archives. Ainsi, deux tablettes citent Artaphernès, bien connu par Hérodote pout être ~Q.trape de Sardes 360: en 19?, il a donné à un certain
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Dauma un 'document scellé '; ce Dauma dirige un convoi qui compte hommes et 12 garçons, et qui est parti de Sardes (manifestement pour Persépolis); grâce au document scellé fourni par Artaphernès, Dauma put obtenir des rations de voyage à Hidalu (PFT. 1404). Une autre tablette, moins précise, fait état de la fourniture de rations à une ' caravane' en voyée par le même satrape «vers le roi» (Suse ou Persépolis donc) (PFT. 1455). En d'autres termes, cet exemple prouve de façon indubitable qu'il y avait à Sardes un ou des dépôts d'archives qui comprenaient non seulement le relevé du cadastre, mais également des enregistrements de tous les actes officiels et en particulier de toutes les réceptions et livraisons de produits (et métaux précieux). Il en était ainsi dans toutes les 'villesétapes' sur la route royale. Il en était de même également dans chaque capitale satrapique 361, où étaient conservés les doubles des expéditions de produits en nature envoyés au Roi ou reçus de l'administration centrale 362. Un texte - datant de 321 - montre ou plus exactement confirme que les archives ' pullulaient' dans les satrapies perses, et que les intérêts du Roi étaient gérés d'une manière « paperassière» par l'innombrables fonctionnaires agissant non seulement au niveau de la capitale satrapique mais également au niveau de subdivisions territoriales inférieures. Après la mort de Perdiccas en 321, Eumène de Kardia prit des chevaux dans les haras royaux près de l'Ida « et en envoya décharge par écrit (,,1]'11 ypacp1]'11 ~'ltE~IjJE) aux épimélètes. On dit qu'à ce propos Antipatros se mit à rire et dit qu'il admirait la prévoyance d'Eumène, qui s'attendait donc à leur rendre ou à leur demander compte des biens royaux» 363. Il est évident que de telles pratiques bureaucratiques sont un héritage achéménide. Enfin, les papyrus araméens montrent de façon éclatante que la couverture administrative de l'Egypte n'avait rien à envier à celle de la Perse. Un papyrus, par exemple, a trait à une livraison de produits alimentaires à des militaires cantonnés à Eléphantine: «Les marchandises ne sont délivrées que contre remboursement, à tous le stades de leurs manipulations. Au coeur des garnisons militaires, le Magasin du Roi est un entrepôt où des fonctionnaires [scribes du Magasin...] délivrent chaque mois des rations en nature sans compter les traitements en argent» 364. Dès que les marchandises sont arrivées - manifestement ici d'un autre dépôt royal (de la province de Thèbes).l65 - toutes les distributions sont minutieusement comptabilisées par les scribes, comme en fait foi le reste d'un livre de comptes du Magasin d'Eléphantine (ou de Syène) 366. Enfin, un rapport mensuel doit être adressé au satrape pour justifier la répartition des vivres dans le Magasin du roi 31>7. Dès lors, on peut revenir au problème de la liaison entre fonctions fiscales (tributaires) et fonctions militaires dans les circonscriptions militaires d'Asie Mineure, dont il a été question plus haut (III 1.3). Les multiples rapprochements entre sources de différents types (textes classiques, tablettes élamites, papyrus) et d'origine différente amènent à poser la question suivante: par qui et où étaient stockés et archivés les pro23
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duits en nature ou l'argent provenant de la levée du tribut et d'autres taxes sur les paysans? En Perse, nous l'avons vu, les Trésoreries comprenaient également des magasins où étaient rassemblés les produits agricoles et pastoraux dont une partie est fournie par le tribut (bazis) 368. La présence d'un Magasin royal dans les garnisons est également attestée en Égypte achéménide. Les cas des petrai sogdio-bactriennes, du teicbos de Gobryas en Elam et du baris des Tobiades en Transjordanie ne sont pas structurellement différents. La présence de gazopbylacies est abondamment attestée en Asie Mineure également 369: à Sardes, la phrourarque Mithrénès a, semble-t-il, la haute-main sur le Trésor 370: on peut supposer qu'il s'agissait là du plus important dépôt d'Asie Mineure 371. Pour autant, il n'est pas le seul: on connaît la gazophylacie de Kyinda 372 ou celle de Pergame 373. Selon Strabon 374, Mithridate le Grand avait déposé ses trésors dans 75 phrouria cappadociens. Il apparaît que, comme en Perse ou en Egypte, le terme gazophylacie doit être compris comme l'ensemble: Trésor igaza-tbesauross, dépôts de produits en nature (paratheiseis) et personnels militaires (phroura). Plusieurs textes montrent en effet que des phrouria disposaient de reserves de blé et d'autres produits de première nécessité qui permettaient aux défenseurs de résister à un siège de longs mois:r15 - telles les petrai sogdiennes ou le teicbos de Gobryas. En 3I9, Eumène reçut de Polyperchon un document écrit lui permettant de prélever de l'argent dans la gazophylacie de Kyinda pour payer ses soldats 376: or une partie de la solde était très généralement versée en nature (grains par exemple); on peut donc supposer qu'à côté du Trésor, Kyinda comptait aussi un Magasin royal. En Asie Mineure, une partie du tribut était levée en nature, et l'on sait que l'administration fiscale du roi (to basilikon) J77 devait gérer d'énormes stocks de blé l'na, sur lesquels occasionnellement on pouvait prélever Yopsônion (rétribution en nature) des sol. dats et mercenaires 378. N'est-il pas logique de supposer que les produits en nature stockés dans les phrouria représentaient, pour une part au moins 379, le tribut d'une circonscription militaire de la satrapie 380, nonobstant la centralisation de la gestion au niveau de la satrapie voire de l'Asie Mineure? C'est ce que semble indiquer une inscription hellénistique 381, dont l'original remonte probablement à la fin du IV· siècle 3!l2. Il y est précisé que les villages et les kleroi - dont il a été question plus haut 383 doivent livrer leur tribut à la chiliarchie 384. Selon l'interprétation des premiers commentateurs de l'inscription, le sens de 'chîliarchîe' est celui de « districts organisés par les Perses originellement pour des motifs militaires », Les tributs (en argent) étant versés à la chiliarchie et non au chîliarque, Buckler et Robinson concluent qu'il y avait dans chaque circonscription un collecteur civil chargé de rassembler et de gérer tributs et taxes de toutes sortes, et que ce collecteur était responsable devant le Trésorier de Sardes JaS. L'existence d'une administration civile et militaire décentralisée au
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niveau des circonscriptions de chaque satrapie est quasiment explicite dans le texte déjà souvent cité de l'Economique de Xénophon: à côté d'un satrape - qui réunit dans ses mains pouvoirs civils et pouvoirs militaires 386 - il y a plusieurs phrourarques et plusieurs fonctionnaires financiers chargés de la levée du tribut sur les paysans. L'homologie entre circonscriptions militaires et circonscriptions « civiles» est également fortement suggérée par un passage bien connu de Démétrios de Scepsis écrivant qu'Attale de Pergame installa un juge dénommé: dikastes basilikôn tôn peri tèn Aiolida 387 - terminologie administrative qui fait aussitôt songer à Alexandros, phrourarchos tôn peri tèn Aiolida cbôriôn 388. Tous ces textes sont eux-mêmes éclairés par un passage de Plutarque 389 indiquant que chaque satrapie comprenait - sous l'autorité d'un satrape plusieurs phrourarques, plusieurs juges et plusieurs dioicètes (administrateurs financiers). En d'autres termes, chaque' sous-satrapie' 390 a été définie au départ selon des critères et des nécessités militaires: chaque phroul'arque d'Eumène en Cappadoce commande à plusieurs chefs de postes et il correspond donc à l'Alexandros de Polyen. Il y a donc aussi une hiérarchie de phrouria dans chaque subdivision satrapique, le poste principal faisant également office de gazophylacie et de capitale de district, où est rassemblé le produit du tribut de la ' sous-satrapie' 390&. D'après Xénophon 391, le commandement des garnisons échappait aux satrapes et relevait directement du Roi, c'est à dire d'une administration centrale. Cette réglementation - encore en vigueur au IV· siècle d'après Xénophon - peut difficilement s'appliquer, me semble-t-il, aux centaines de fortins disséminés dans tout l'Empire: elle prend tout son sens si l'on admet qu'elle vaut uniquement pour une catégorie dénommée phrouria basiléôs (cf. ai upo basilei phylakai), qui désignent sans doute exclusivement les gazophylacies 392. C'est une situation administrative que l'on retrouve au début de l'époque des diadoques: seul un ordre écrit (grammata) autorise un satrape/stratège à retirer des fonds (ou des produits en nature) d'une gazophylacie, et le thésaurophylaque à fournir les fonds 393: nul doute que le bénéficiaire doit donner décharge aux gardiens du Trésor ou aux administrateurs du Magasin royal (comme en Égypte). Une texte épigraphique d'époque hellénistique prouve également qu'un gouverneur satrapique doit exciper d'un ordre royal pour retirer du blé des greniers royaux 394. Ce statut des gazophylacies confirme donc la très grande centralisation des pouvuirs dans l'Empire. Cette centralisation suppose elle-même un échange très fourni de lettres et d'ordres écrits de toutes sortes entre l'administration centrale, la satrapie et les principaux centres de la domination militaire et tributaire des Perses 395. Cette constatation, à son tour, confirme que les dépôts d'archives devaient être extrêmement nombreux dans l'Empire, y compris même au niveau des capitales de districts où étaient confondues fonctions militaires et fonctions fiscales: contrainte militaire et dépendance rurale sont donc bien deux aspects indissolublement liés du pouvoir impérial.
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PIERRE BRIANT CONCLUSIONS 1. Quelles que soient les incertitudes et discussions actuelles sur le découpage des satrapies, on peut donc dire que l'organisation et l'administration de l'Empire achéménide sont restées profondément marquées par les origines d'un Etat construit par la conquête et perpétuée par la domination militaire. Et, l'on pourrait reporter sur l'Empire achéménide nombre des analyses et conclusions proposées par H. Bengtson dans son grand ouvrage sur la stratégie dans les royaumes hellénistiques 396. Un quadrillage militaire très serré permet de structurer les territoires, à tel point que - quelles que soient les particularités régionales - c'est à partir de critères et de fonctions militaires que sont définies les circonscriptions territoriales. La disposition hiérarchisée de multiples places-fortes vise à assurer au Roi le maintien de sa domination territoriale. Mais, ces places-fortes ne sont pas seulement des 'forteresses' au sens étroit du terme: les plus importantes d'entre elles remplissent aussi les fonctions de Trésorerie et de Magasin. Cette pluri-fonctionnalité - sous la dorninance de la fonction militaire - rend compte de l'objectif fondamental du système qui est d'organiser et d'exploiter les populations rurales: la domination militaire permet la levée du tribut sur les communautés villageoises - même si l'obéissance de celles-ci n'est pas exclusivement liée au monopole militaire des conquérants. A cet égard comme à bien d'autres, la stratégie achéménide préfigure la politique de colonisation d'Alexandre, dont l'Empire est lui aussi fondé sur et par la conquête: celle-ci, en quelque sorte, redonne vigueur à des structures impériales achéménides dans lesquelles elle se moule. L'enrôlement et le contrôle de l'immense force de travail rendue disponible par le 'droit de la lance' sont au centre des préoccupations du Macédonien: objectifs militaires et objectifs économiques sont indissolublement liés dans ses fondations. Une « faible armée» devait d'abord lui « assurer la tranquillité de l'Asie» 3!17. Le réseau de villes et de garnisons lui donnait en même temps la possibilité de réactiver à son profit le système de la dépendance rurale. Colonisation et dépendance sont deux pratiques et deux réalités qu'on ne saurait disjoindre sans appauvrir l'analyse historique 398. En fin de compte, dans sa triple activité de rassembleur des terres du Grand Roi, de restaurateur de la 'terre royale' et de dominateur des populations rurales dépendantes, Alexandre apparaît en quelque sorte comme « le dernier des Achéménides »,
2. Il reste cependant un aspect de la politique d'Alexandre qui apparaît comme résolument novateur et transformateur: c'est la fondation de villes grecques. Nul doute en effet qu'à bien des points de vue cette urbanisation introduisit en Asie des' facteurs d'évolution à long terme. Pourtant - et sans vouloir cultiver systématiquement le paradoxe - je crois qu'en ce domaine également Alexandre a ré-utilisé des structures préexistantes. En effet, la notion de 'ville' mériterait une étude spéci-
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fique - sur laquelle je reviendrai ailleurs. Mais, pour s'en tenir à un point dégagé par l'analyse qui précède, on ne manquera pas de souligner à nouveau que certains des centres de la domination militaire et tributaire des Achéménides constituaient en 334 un réseau pré-urbain déjà très dense et bien élaboré. Certaines capitales de districts présentent en effet presque toutes les caractéristiques de la vie urbaine, avec ses fonctions militaires (fortifications, acropole, garnisons) et économiques (zone résidentielle, ateliers de production artisanale et de transformation des produits du plat-pays, activités d'échange etc.), qui leur permettent d'organiser le plat-pays indissolublement liés à ces ' villes'. A ces fonctions, il convient de joindre les fonctions politiques et idéologiques (résidences du Roi et/ou des satrapes, sanctuaires...) 3988. Or, il ne fait pas de doute qu'Alexandre a disposé ses garnisons et fondé ses villes sur des sites déjà occupés à l'époque achéménide. Par ailleurs, toutes ses fondations - à quelque type qu'elles appartiennent remplissent prioritairement une fonction militaire articulée avec une mission de surveillance du territoire et d'encadrement des dépendants qui les nourissent 399. La plus grande spécificité que l'on pourrait mettre en exergue, c'est l'introduction d'institutions politiques grecques en Asie. Encore convient-il de souligner avec force l'apparent paradoxe qui veut que la diffusion du modèle politique grec s'est faite au moment même où il était vidé de l'essentiel de son contenu. Les villes gréco-macédoniennes ne peuvent pas - sous peine de jouer sur les mots - être considérées comme des cités au plein sens du terme: elles sont sous la surveillance et l'autorité d'un représentant du roi 400; elles font partie de la 'terre conquise à la pointe de la lance' directement administrée par le conquérant et ses agents 401 etc. De ce point de vue, la spécificité des villes gréco-macédoniennes perd beaucoup de réalité par rapport aux villes orientales: elles sont dans un égal état de dépendance par rapport au maltre des terres et des personnes 402. On comprend mieux dès lors que des auteurs de l'époque hellénistique ou romaine aient qualifié de 'ville' (urbs-polis) les centres de la domination politique, militaire et économique des Achéménides, car ces centres ne sont pas des forteresses au sens étroit du terme: il est logique que ces auteurs utilisent le terme , ville' dans l'acception qu'il revêt à leur époque. En Asie achéménide et dans l'Empire d'Alexandre, la politique d'urbanisation et de colonisation n'entre pas en contradiction avec la politique royale: elle en est contraire partie constitutive. Cette politique vise avant tout autre chose à assurer au ' despote' le contrôle des territoires et l'exploitation du travail de la «dépendance généralisée». Toulouse.
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I. Table Ronde sur les idéologies religieuses, sous presse. [Ci-après: - Forces productives]. (ra) M. Godelier, Pouvoir et langage. Réflexion sur les paradigmes et les paradoxes de la • légitimité' des rapport de do-
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mination et d'oppression, Communication 28 (r978) 2r-28 (p. 25). 2. O.c. 23. 3. Id., Le part' idéelle' du réel, et le problème des fondements de la dominance des structures non-économiques, L'Arc 72 (r978) 49-56 (p. 56). 4. Cf. Id., Du caractère fantasmatique des rapports sociaux, Horizon IF (r977) 225 ss. 5. Faut-il rappeller tout ce que chacun doit à L. Althusser, Idéologie et appareils idéologiques d'Etat, repris 6. G. Gnoli, Politique religieuse dans Positions (Paris r976) 67-r25? et conception de la royauté sous les Achéménides, Acta Iranica II (r974) 7. Voir textes et anar83. (Cf. P. Briant, Forces productives VL3). lyse dans P. Briant, Conquête territoriale et stratégie idéologique: Alexandre le Grand et l'idéologie monarchique acbéménide, Colloque de Cracovie 1977: L'idéologie monarchique dans l'Antiquité (sous presse), II 2.1. 8. Cf. P. Briant, Villages et communautés villageoises d'Asie acbéménide et hellénistique, ]ESHO r8 (r975) r65-r88 (r77-r83). 9. DB. I r9; DPe. 9 ss. (ed. Kent). Voir G. Walser, Die Volkerschaften auf den Reliefs von Perse polis (Berlin r966); plus récemment M. Roaf, The subject peoples on the base of the statue of Darius, Cahiers de la D.A.F.I. 4 (r974) r r , Ibid. 8.6.6. r z, Ibid. 73-r59. ro. Xénoph. Cyropédle 4.5.r6. 8.6.33. r j , Voir déjà P. Briant, dans DHA. 2 (r976) r79-r80. r5. 3.2.1. r6. 3.2.4. r7. 3.2.rI. Cf. 3.2.14. r4. Cyr. 3.I.ro. r8. 3.2.r8-24. r9. 3.2.20-21. 20. 3.2.24. 21. 3.3.1. 22. 3. 24. 3.2.25-26. 25. 3.3.1. 26. 2.20-22. 3.2. 23. 3.2.rr et r4. 27· 3. 2.2. 28. 3·2.r7-23· 29· 3·2.r9· 30. 3·1.34· 31. 7·4·1. 33· 7+5· 34· 7+ 6. 35· 7+7· 36. 7·4· r o. 32. 7-4+ 39· Voir P. Briant, Forces productives 11.2. 37· 7·4·4 38. 7+5· et IILI. 40. 4.4.6. 41. 4-4·5· 42. 4.4. 6-8. 43· 4·4·5. 45. Xénophon Cyr. 44. Cf. Econ. 4.rr et Cyr. 7.5. et Hérodote r.r çz. 3·3-15-r6. 46. Ibid. 7.4.6. 47. Econ. 4.4-25. Cf. DHA. 2 (1976) 48. Strat. 7.29.1. 49. Voir Ps. 187, et Forces productives IILr-2. 50. DataAristote Econ. 2.2.24a; cf. P. Briant, REA. (r973) 46 nt. 4. mes ro.r-j. 5r. 37.56. 52. Polyb. 4.52.7. 53. Cf. les précisions données sur ce point dans la vente de terre à Laodikè (Welles, Royal correspondence in the bellenistic period (r934) n" r8, lignes r r-r j ): P. Briant, Actes du Colloque 1971 (Besançon r973) r06. 54. Xéno55. 5.4.25. 56. 5.4.27. 57. Arrien Inde phon Cyr. 5.4.24. r r.ç-r o; cf. Diodore 2.36.6-7 igeôrgoi bieroi kai asyloi) et 40-4-5; également Strab. r5.I.40. 58. Arthasastra 2.1.35, cité par D. Kosambi, Culture et civilisation de l'Inde ancienne (Paris r970) r87. 59. Cf. Ps. Aristote Econ. 2.1.4, et mon analyse dans Communautés de base et Economie royale en Asie acbéménide et hellénistique, Rec. Soc. J. Bodin XLI/r: Communautés rurales. Antiquité [sous presse]. 60. Cf. Xénophon Cyr. 4+rr: les paysans assyriens doivent livrer leurs armes de guerre iapopbérein ta opla ta polemika); à Babylone même, cf. ibid. 7.5.: Cyrus fait proclamer l'ordre aux Babyloniens de livrer leurs armes, qui sont déposées dans le forteresses royales par le vainqueur; voir également Plutarque Apopht. Reg., Xerxès 2: après la soumission des Babyloniens
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révoltés, le Roi leur interdit de porter des armes (opla mè pherein) et « il les obligea à jouer des instruments de musique, boire, se divertir et porter de longues robes» ou: comment le luxe et l'oisiveté inhibent la cons61. Athénée 15.695f-696a: traduction dans M. Aucience nationale! stin- P. Vidal-Naquet, Economies et sociétés en Grèce archaïque (Paris 63. Platon Mém. 5.26: 197 2) 285-286. 62. Xénophon Econ. 4.5. d. DHA. 2 (1976). 64. Cf. Arrien Anab. 1.24.6: P. Briant, Stratégie idéologique 1.2.2. 65. Voir Xénophon Econ. 4.10-11. 66. Ibid. 9. 67· Sur ce point, voir infra § III.3.4. 68. Xénophon Econ. 4.16. 68a. Cf. P. Briant, Stratégie idéologique II.2.1. 69. DPd. 13-24. 70. P. Briant, Forces productives IV.2 et 4. 71. Quinte-Curee 3.4.5. et Stratégie idéologique 1.3.2. 72. Xénophon Econ. 4.8. 73. Ibid. 9. 74· Cité par N. Adontz, dans Recueil Soc. ]. Bodin: Le servage (r937) 15 2. 75· Bbaga, à rapprocher du perse baii-rencontré dans les inscriptions achéménides et dans les tablettes de Persépolis (cf. R. T. Hallock, Persepolis Fortification Tablets [Chicago 1969] 677, s.u. « bazil »; également F. Altheim - R. Stichl, Die aramdiscbe Spracbe unter der Acbaimeniden 1 [1963] 20-21,36,140); on retrouve la même notion de' répartition' dans le grec dasmos (sur ce rapprochement voir O. Murray, Historia 15 [1966] 154). On retrouve une expression comparable dans certains textes babyloniens d'époque achéménide: ziti larri, c'est à dire la « part du roi» (G. Cardascia, Les archives des Murashû [Paris 195r] 99: « taxe en nature consistant en une quote-part de la récolte»). 76. Arthasastra 1.12.8, trad. M. Dambuyant, L'Arthasastra. Le traité politique de l'Inde ancienne (Paris 1971) 87-88. 77. Cf. en particulier Deiokes: Polyen 7.1 et Hérodote 1.96.97. 78. Cf. P. Briant, DHA. 2 (1976) 201 ss. 79. Politique 7.1328 a-b, 80. II.164 et 166. 81. Timée 24 a-b. 84. Voir 82. 2.167. 83. Voir P. Briant, Forces productives IV.3. là-dessus les études de G. Dumézil et celles de E. Benveniste; en dernier lieu O. Bucci, Caste e classi sociali net!'antico diritto iranico, Apollinaris 45 (1972) 741-760 (où l'on trouvera la bibliographie antérieure). 85. Athé86. P. Vidal-Naquet, Réflexions sur l'historiographie née 6.265 b-e, grecque de l'esclavage, Actes du Colloque 1971 (Besançon-Paris r973) 25-44. 87. Voir I. S. Svenciskaja, Condition de la population asservie en Asie Mineure aux ve et Ne siècles av. n. è., VDI (1967)4 80-85 [en russe]; P. Debord, Populations rurales de l'Anatolie gréco-romaine, Atti Ce.R.D.A.C. VIII (1976-77) 43-69, en particulier p. 47-51. 88. Pol. 7.1327b. 89. Cf. Inschr. Priene n' 14 et 15 (Welles, RC. n' 6), n' 17: révolte des Pèdes à l'occasion d'une incursion des Galates sur le territoire de la cité (H. van Gaertringen, comm. ad loc. 26). 90. Athé91. Quaest. Gr. 46. née 12.523 a-b. (cf. P. Debord, a.c. p. 47). 92. Platon Lois 776; Athénée 6.264 d-e: tout en précisant que les révoltes furent moins nombreuses que chez les hilotes. 93. On trouvera l'ensemble de la documentation relative à cette question dans J. et L. Robert, Une inscription grecque de Teos en Ionie. L'union de Teos et de Kyrbissos, Journ. Sao. (1976) 153-235. 94. Cf. l'association des mots
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icbôra, laoi, phrouria) dans Polybe 4.52.7. 95. E. Bikerman, Institutions des Séleucides (1938) 160 (époque hellénistique). 96 Cf. le qualificatif de dôrophoroi appliqué aux Mariandyniens d'Héraclée (Athénée 6.263 d: cf, Svenciskaja, a.c. 84-85 et D. Lotze, Metaxu eleutberôn kai doulôn [I959] 56ss.). 97. A.c. 39. 98. Panég. I31 et Lettre à Philippe 3.5; également Xénophon Anab. 6.4.6 et Aristote Pol. 1329a et 99. Strabon 1330a. Sur ces textes, cf. P. Briant, Klio (1978) p. 78-79. 12.3+ (sumbenai) et Athénée 6. 263d (Mariandyniens), 164b (douleuein IOO. Strabon l.c. et Athénée 6.263d. kat'homologias) (Pénestes). 101. Athénée 264d (Pénestes). 102. Ibid. 263 d-e. 103. Svenciskaja, a.c. 81. 104. Voir en particulier Posidonios cité par Athénée 6. 263 cod. 105. P. Debord, a.c. 48. I06. Cf. Plutarque Apopht. Reg. Xerxès. 2 cité supra nt. 60. 107. Athénée 15.695 f - 696 a. 109. Ibid. 10. IIO Ibid. III. S. 108. Xénophon Cyr. 4.5.IO-II. Amin, Le développement inégal. Essai sur les formations sociales du capitalisme périphérique (Paris 1973) 19. II2. Forces productives, passim, en II3. Arrien 1.12.10: cf, Stratégie idéologique 1.2.2. particulier V. II4· Xénophon Cyr. 4.4.8. II5. Cf. P. Briant, ]ESHO 18 (1975) 183II6. Actes du Colloque 1971 106, II7. 117. Voir les justes 185. II8. Les spécialistes réflexions de J. P. Digard, DHA. 2 (I976) 269.
de l'Occident sont plus heureux (mais ne disposent que de sources écrites insuffisantes): cf. par exemple G. Barruol, Les peuples préromains de la Gaule du Sud-est. Etude de géographie historique (Paris 1969). On verra également - à titre d'exemple méthodologique - M. Jessen - D: Hill. [ed.], The Iron Age and its hill-forts (Papers pres. to Sir M. Wheeler) , où des méthodes mathématiques (e polygone de Theissen ') sont utilisées pour reconstituer les territoires potentiels des forts (cf. carte p. 40; cf. aussi p. 53-69). Alors que mon manuscrit était achevé, j'ai reçu l'étude de P. Leriche, Problèmes de la guerre en Iran et en Asie centrale dans l'Empire perse et à l'époque hellénistique, dans Le Plateau iranien et l'Asie centrale des origines à la conquête islamique. Leurs relations à la lumière des documents archéologiques (Paris 1978) 297-312. II9. Sur ce terme de chôra pborologouméne, cf. Welles, Re. n? 3 ligne 83. 120. Voir Cl. Préaux, CE. (1954) 312-326; P. Briant, REA. (I972) 34-49 et ]ESHO. 18 (1975) 165-188. 121. 12.3.28. 122. Cf. sources et analyses 123. Nepos Datames 4.2. 124. Cf. Diodore dans REA. (1972) 40. 20.108.5-7. 125. Polyen 6.IO (voir ci-après). 126. Xénophon Anab. 7.8.15. 127. Ibid. 128. Diodore 19.16.3. 129. Xénophon l.c.; cf. Diodore 19.17.7 (Perside). 130. Quinte-Curee 7.IO.I5. 131. Cf. Diodore 19.16.3: les troupes venues des place voisines à la défense d'un fort proche de Kelainai se choisissent un chef (strategos): le phrourarque Xénopeithès a en effet été tué par les prisonniers révoltés (ibid. 1). 132.6.10. 133. Sur ce point, la discussion est reprise infra, § III. 3.4. 135. Bull. (1968) 563. V. égale134· L. Robert, CRA!. (1967) 292. 136. Cf. REA. (1972) ment Villes d'Asie Mineure z (1962) II2 nt. 4. 40 nt. 7. 137. Sur ce terme, voir L. Robert, Collection Froebner (1936)
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Il7-Il8; Id., dans P. Devambez, Bas-relief de Teos (1962) 5 et nt. 6. 139. Sur 138; Id., Etudes épigraphiques et philologiques (1938) 210. 140. Insces fortins, cf. J. et L. Robert, [oum. Sav. (1976) 153-235. cbr. Priene n" 37 lignes 26-27. 141. Ibid., lignes 82-83. 142. E. 143. L. Robert, Gnomon (1970) 589; cf. J. et Bikerman, IS. 160. L. Robert, JS. (1976) 200 nt. 185. 144. Hérodote 6.42. 145. Sur cette vente, cf. P. Briant, Actes (1971) 100-105; interprétation divergente de D. Musti, dans Storia e civiltà dei Grecs. IV. La società ellenistica, ed. R. Bianchi Bandinelli (Milan 1977) 238-239. 146. Welles, R.C. n" 18 148. Ibid. lignes 33-36. lignes 27-28. 147. Ibid. lignes 2-4. 150. Welles, Re. n' 20. Sur 149. Welles, Re. n' 19 lignes 13-16. tous les problèmes liés aux identifications d'administrateurs, on verra la 151. Cf. en particudiscussion de D. Musti, PP. 101 (1965) 153-160. lier Welles, Re. n' 10-12: cf. W. L. Westermann, Land registers of Western Asia under the Seleucids, CPh. 16 (1921) 12-19 avec l'importante 152. Sur cette acception du terme correction de l'auteur ibid. 391-392. to basilikon, voir M. Holleaux, Etudes d'épigraphie et d'histoire grecques II 109. En Babylonie achéménide, on connaît les « terres du Trésor. royal (nakkandu iarriï » (cf. G. Cardascia, Archives 51). 153. Voir M. Rostovtzeff, YClS. 3 (1932) 70-71; cf. Id., Studien zur Geschichte des romischen Kolonats (1910) 247-248 (sur le cadastre en général). 154 Cf. Hérodote 6.42. 155. Sur la récupération de terre royale en Asie Mineure par Alexandre dès 334, cf. Lnscbr. Priene n' 1 (cf. Rostowzew, Kolonat 243-248). 156. Voir la vente de terre à la cité de Pitanè par Antiochos 1 vers 280: le roi procède à une dianomè, c'est à dire à la « délimitation du domaine royal» (B. Haussoulier, Etudes sur l'histoire de Milet et du Didymeion [Paris 1902] 98). L'enquête menée par I'hyparque auprès des villageois prouve cependant que cette mise à jour du cadastre achéménide n'a pas été menée de façon systématique ni exhaustive (Welles, Re. n' 20): il est vrai que 1'« ancienne route royale» a été mise en culture! 157. E. Bikerman, IS. 177; P. Briant, Actes (71) 105-108 et JESHO. 1975 177-181. 158. Cf. par exemple Welles, Re. n' 18 lignes 1-8. 159. Textes présentés dans Actes 71 95-97; y ajouter depuis lors l'impor160. Weltante publication de M. WorrIe, dans Chiron 5 (1975) 59-87. 161. RC. n' 18 et n' 20. 162. Chiron (1975) les, Re. n' Il-12. 59-60. 163. V. H. Landau, lE]. 16 (1966) 59, ligne 15. 164. Buck165. Sur le terme petra en Iran let-Robinson, AJA. 16 (1912) 47. oriental, voir infra, § III. 2.1. Cf. Welles, Re. n' 12, ligne 2: petra to cbôrion. 166. Cf. Welles, o.c. 320. 167. Josèphe, Ant. [ud. 12.4.Il: cf. L. H. Vincent, Rev. Bib. 29 (1920) 189-190. 168. Sur ce point, voir J. D. 169. Le terme apparaît égaleWhitehead, JNES (1978) 132 et nt. 84. ment dans la version araméenne de la stèle trilingue de Xanthos, et s'applique à Xanthos qualifiée de polis dans la version grecque: cf. J. Teixidor, JNES. (1978) 181. 170. Nepos Alc. 7.4. 171. L. Robert, Gnomon (1970) 601; d. Bull (1976) 667; cf. aussi M. WorrIe, Chiron (1975) 84. 173. Ibid. 67. 174. Sur les 172:Welles, Re. n'II, lignes 22-25.
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ravages des Celtes dans les campagnes (de Priène), cf. Inscbr. Priene n° 17. 175. C'est à dire à l'époque achéménide - un certain nombre de forteresses ayant pu se transformer en villages (voire en cités) à une époque plus tardive, et un terme technique comme petra ayant pu se transformer en toponyme (Petra). Le Neoteichos de la dôrea d'Achaios renvoie probablement à un établissement gréco-macédonien (cfr. Worrle, Chiron [1975] 84), mais il est assez logique de supposer que cet établissement s'est fait sur un site militaire déjà occupé (cf. le préfixe néo) à l'époque achéménide (voir réflexions en ce sens de J. et L. Robert, Bull. 667 [1976] 554). L'exemple des Makedones Hyrcani! (près de Magnésie) montre clairement comment une colonie macédonienne a succédé à une colonie militaire perse, et comment d'autre part un tel établissement a acquis le statut de cité à l'époque romaine (cf. 1. Robert Hyrcanis, Hellenica 6 (1948) 16-26; voir aussi Bickerman, IS. p. 80-83). Sur Neoteichos, voir aussi J. Keil - A. von Premerstein, Bericht über eine Reise in Lydien und der südlicben Aiolis [Denkschr. Kais. Akad. Wien, Phil. Hist. Kt. LIlI] (1908) 9.3-94. 176. Cf. les «instructions pour le commandant des forteresses des frontières (bel Madgalti) » (éd. trad. E. Von Schuler, Hetbiscbe Dienstanuieisungen für hôbere Hot-und Staatsbeamte, AfO, Beibeit 10.[r957]41 S5.; sur ce texte, voir: A. Goetze, lCS. 14/2 (1960) 69-73, et C. F. del Monte, SCO. 24 (1975) 127-139). Chaque soir, les travailleurs des champs et les animaux regagnent l'enceinte que l'on verrouille soigneusement (cf. J. Da177. Là-dessus, voir également l'intéresrnanville, RRA. [1973] 9). sante discussion de P. Julien, Zur Verwaltung der Satrapien unter Alexander der Grosse (1914) 94-117. 178. Sur le statut de Petra après la donation, cf. Actes 71 r02 (où j'ai compris le terme comme «village fortifié », alors que « forteresse royale» convient mieux, même si, ce qui est probable, une petite agglomération a pu s'ajouter (ou préexister) à la forteresse achéménide}; voir P. Julien, o.c. 101-104 [que je ne connaissais 180. Re. pas]. 179. Welles, Re. n° II, ligne 5; n" 12, lignes 6 et II. n" II, ligne 10: xcxt 'dIV XWPCX\l "i]\I 7tpè<; "ijL 7tÉ"PCXL; cf. ligne 16; n" 12, ligne 2: "è xwpio\l xcxt "i]\I XWPCX\l "i]\I crvyxupovcrcx\l; ligne 18: "W\I 7tEpt "i]\I 7tÉ"PCX\l. 181. Re. n" 18, ligne 2-3. 182. Ibid. 93. 183. Re. n" 20, ligne 2-3: Ilœvvoj v XW~T] xcxt 'li~iiPL<; 1 xcxt'li 7tpocrovcrcx Xwpcx xcxt ot IJ7ta.Pxo\ln]<; À.cxo[L. 184. Cf. Re. n" 18, ligne 3-4, et n" 20: cf. B. Haussoulier, Milet 106-IIO. 185. Welles, Re. n° 10. 186. Re. n" 13. r87. aGIS. n" 395. 187a. M. Holleaux, Etudes II 72-125. 189. Xénophon Econ. 4.5. 190. Po188. B. Haussoulier, Milet III. 191. Voir IESHO. 18 (1975) 176-177 lyen VI. 10 (voir supra, p. 16). (ou le terme « hameau» est un regrettable lapsus). Sur le terme méros dans des sources littéraires classiques, on verra également W. Vollgraff, Ann. Inst. Phil. Hist. Orient. Univ. Bruxelles, 9 (1949) 608-615. Parmi les textes hellénistiques, on verra par exemple Diodore, 20.109.4: dieilë kata mérè tèn dunamin, où méros renvoie certainement à une réalité de la géographie administrative (comparer avec 20.II0-4: dunamin dielomenos kata poleisi. D'autre part, une inscription de Thrace nous apprend l'exis-
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tence d'un mérarque (cf. 1. Robert, Hellenica 10 [1955] 26 et nt. 4; cf. Gnomon [1963J 79). Selon H. Bengtson, Die Strategie in der bellenistiscben Zeit II (1944) 26-29, les satrapies orientales (et la Palestine) séleucides étaient subdivisées en merides ou meridarcbies (terme inconnu selon lui au contraire en Asie Mineure: mais voir Diodore 20.109.4). Sur le terme topos, on verra la discussion de M. Wërrle, Chiron (1975) 72-77. Sur les chiliarchies, voir infra, § III.3+ 192. Infra, ibid. 193. J'emploie cette expression par pure commodité, sans méconnaître la valeur des réserves justifiées exprimées par E. Bikerman, 15. 81-83. 194. Sur ce problème: Les archives des Mursabû (Paris 1951); Le fief dans la Babylonte acbéménide, Rec. Soc. ]. Bodin J2 (1958) 55-88; Armée et fiscalité dans la Babylonie acbéménide, dans Armée et fiscalité dans le monde antique, (paris 1978). A compléter par les importantes analyses de M. Dandamayev, Die Lebensbeziebungen in Babylonien anter den ersten Achiimeniden, Festscbrijt W. Eilers (Wiesbaden 1967) 37-42. 195. Cardascia, Armée et fiscalité 3. 196. Ibid. 4. 197. Ibid. 4-5. 198. Voir la démonstration de Dandamayev, l.c. 199. Cf. P. Grelot, DAE. 455-508. 200. On trouve des Perses, des Hyrcaniens, des Bactriens etc.: infra p. 21. 201. Cardascia, Armée et fisca/jté 4. 202. Id., Archives 98. 203. Ibid. 98-106. 204. Ibid. 103. 205. Armée et fiscalité 10. 206. Cf. Hérodote 2.30 et 152 ss. 207. M. Austin, Greece and Egypt 208. P. in the archaïc Age [PCPS. Supp. 2] (1970) 18 (cf. p. 15-22). Grelot, DAE. 45-46. 209. Ibid. 44-45. 210. Id., CE. (1970) 52 212. Voir 1. Robert, Hellenica 6 (1948) n. 90. 211. Ibid. 34. 16-26; cf. Rev. Num. (1976) 37-38. 23. Strabon 13.6.29. 214. 1. Robert, Hellenica 6. p. 9. 215. Voir Xénophon Anab. 7.8.15. 215 a. Strabon 13+5. 216. H. H. Schmitt, Die Vertriige des griechiscbe-rômiscben Welt von 338 bis 200 v. Ch. (1969) n' 492 lignes 103-104. 217. Cardascia, Fief 60-63. 217 a. J'avais déjà établi allusivement le rapprochement dans REA. (r972) 64 n. 2. 218. Schmitt, l.c. n' 105106. 219. Supra, nt. 175. 220. Voir L. Robert, CRAI. (1975) 322-323, 328-329; Id., Rev. Num. (1976) 31, 38-39, Villes d'Asie Mineure 57, Noms indigènes 349, 519, 539, Opera Minora Selecta III 15321533 etc. 221. Cardascia, Fief 68-71. 222. P. Grelot, CE. (1970) 34. 223· G. Carda scia, Fief 72-74. 224. E. Bikerman, 15. 84. 225. Cardascia, Armée et fiscalité 3. 225 a. Schmitt, n' 492, ligne 101 (adekateutous) et 102 (ateleia). 226. Welles, Re. n' 51. 227. AJA. (1912): I lignes 7-9. 227 a. Buckler-Robinson, AJA. (1912) 25: «soldiers' allottments »; Bikerman, 15. 84. 228. Surtout si l'on admet avec les premiers commentateurs que l'original remonte à Antigone le Borgne; sur la date, cf. P. Debord, Actes 71 258-259 qui donne des arguments très forts pour la datation haute. Buckler-Robinson, p. 23, pensent que ces lots on été créés par Antigone, mais rien n'assure qu'ils n'ont pas été repris par le roi. 229. Bikerman, 15. 84. 230. Cf. B. Bar-Kochva, The Seleucid Army (Cambridge 1976) 213 nt. 12. 231. Cf. Welles, RC. n' 16 C. 7 (restitutions), et les commentaires de
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H. Kreissig, EAZ. (1975) II II2-113, repris dans Eirenè 15 (1977) 23. 232. Cardascia, Fief 72. 233. Sur le statut des travailleurs ruraux en Babylonie achéménide, cf. M. Dandamayev, Actes du Colloque 1974 [sous presse] et L'esclavage en Babylonie aux 7'-4' s. [en russe] (Moscou 1974), résumé anglais: 477-486. 234. Voir, à ce sujet, les réflexions de Bikerman, IS. 81. 235. Cf. sourees et référenees dans mon étude de Klio (1978) 71-84. 236. Quinte-Curee 7.II.I. 237. Ibid. 4.2I. 238. Ibid. II.28; voir Arrien Anab. 4.2I.8. 239. Quinte-Curee 4.21.8. 240. Quinte-Curee 7.II.I; Arrien 4.2I.IO. 24I. Quinte-Curee 7.4.21. 242. Cf. E. Bikerman, The Seleucids and the Achaemenids, Atti dei Convegno sul tema: la Persia e il mondo greco-romano, Ace. Lincei 368 (1966) 89 nt. 12. 243. J. M. Bertrand, Les byparques dans l'Empire d'Alexandre, Mélanges W. Seston (Paris 1974) 27. 244. Quinte-Curee 7.II.28 (Arrien 4.19-20 ne souille mot de tout eela). 245. Quinte-Curee 7.5.1 et Arrien 3.29.I. 246. Quinte-Curee 7.II.29. 247. 8.12.25. 248.4. I.26. 249. Inschr. Priene n° 37, lignes 26-27 (je n'ai pas fait figurer les crochets de restitution): cf. supra § III.I.3. 249a. Welles, Re. n' II ligne 10. 250. Sur ee terme' eentre " cf. Klio (1978) 81-82. 25I. 8.4.2I. 252. Cf. 4.2I.I. 253. Quinte-Curee l.c. 254.8.2.19. 255. Ibid. 32. 256. Ibid. 8.12. 257. Voir en particulier Justin 4I.I.8. et 4.5: la Bactriane « aux mille villes », 258. Là-dessus, voir infra, § IIL3.2. 259. Cf. V. Scheil, Le Gobryas de la Cyropédie, RAss. I ! (1914) 165 ss. C'est le Gubaru qui entre à Babylone avec Cyrus triomphant en 538 (cf. S. Smith, Babylonien Historical Tests [1924] chap. III). 260. Xénophon, Cyr. 4.6.2; 5.1.22. 26I. Ibid. 5.2.2-4. 262. 5.2.5. 263. 5.2.2. 264. 5.2-4. à rapprocher de Quinte-Curee 7.II.I. (Ariamazès), et Arrien 4.2I.IO (Sisimithrès). 265. Voir Xénophon Cyr. 4.6.9. 266. Ibid. 5.I.22; 5.2.1 sqq. 267. 4.6.9. et 5.2.7-13. 268. Le rapprochement est déjà proposé allusivement par E. Bikerman, Seleucids and Achaemenids 89 nt. 12. 269. Voir B. Mazar, The Tobiads, lE]. 7 (1957) 137-145 et 229-238. 270. F. Joséphe, Ant. Jud. 12+II; sur le terme byrt', voir supra § IILI.3 27I. P. Zen. 59003. Cf. L. H. Vineent, Rev. Bib. 29 (1920) 182-202 (texte et traduction, p. 182183). 272. Ibid. 192 (citant de Vogüe). En dernier lieu, cf. Ern. Will, L'édifice dit Qasr el-Adid à Arâq el-Emir (Jordanie), CRAI. (1977) 69-85. 273. Vincent 199. 274. Selon B. Mazar, a.c. 141-142, l'inscription araméenne « Tobiah », gravée sur le roc près de la birtha, remonte à la fin du VI" ou au début du V" siècle. 275. Ibid. 140. 276. Ibid. 142. 277. Sur ee problème en général dans l'Empire achéménide, on verra l'intéressant article de J. P. Weinberg, Zentral-und Partikulargewalt im acbâmenidiscben Reich, Klio 59/1 (1977) 25-43 (à partir du cas du «templecommunauté [Tempel-Gemeinde l » de Jérusalem). 278. 8.2.32 et 4.21: cf. Klio (1978) 7I. 279. F. Altheim, Alexandre et l'Asie (Paris 1954) 74280. Quinte-Curee 7-4.20-21. 281. Cf. Berve, Alexanderreicb l 267. 282. Xénophon, Cyr. 4.6.9 283. Berve, l.c. 284. La formulation de M. Rostovrzefl, YClS. 2 (1931) 55 est trop peu
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nuancée: «The Iranian satrapies of the Persian empire (e. g. Sogdiana) were subdivided into Iorrified casties with hyparchoi as commanders ». 285. Voir J. P. Gardin - P. Gentelle, L'exploitation du sol en Bactriane antique, Colloque E.F.E.O. (avril I976), sous presse. .286. P. Bernard, CRAI (1975) 196. 287. P. Briant, Klio (1978) 77. Dans un sens contraire, voir J. C. Gardin - P. Gentelle (ibid.) qui mettent en doute « l'hypothèse d'une contribution du génie ou du pouvoir perses à la mise en valeur des terres dans la plaine d'Aï-Khanoum avant la phase grecque de son développement », Les auteurs poursuivent: « Les raisons ne manquent pas au contraire d'écarter cette hypothèse pour laisser à la Bactriane seule, où à une entité géo-politique plus vaste ... la paternité d'un essor économique et technique parallèle, voire antérieur à l'ascension des Achéménides, mais auquel ni les Perses ni les Mèdes ne semblent guère avoir été mêlés ». Cette appréciation me parait ambiguë. En effet, que l'antiquité et l'ampleur des travaux révèlent « un savoir-faire proprement bactrien, fondé sur une longue tradition de l'irrigation artificielle en Asie centrale» - personne ne pourra le mettre en doute. Mais cette juste remarque n'exclut nullement l'intervention du pouvoir achéménide, qui a très certainement su, comme les rois hellénistiques (cf. REA. [1972] 67, nt. 1), attirer à lui la collaboration des techniciens locaux sous la maîtrise d'oeuvre de l'administration du Grand Roi. Ce ne serait pas le seul cas où le pouvoir central a su utiliser à son profit et développer les traditions et techniques hydrauliques d'origines diverses qui préexistaient à la conquête: cf. làdessus P. Briant, Communautés de base et Economie royale en Asie achéménide et hellénistique, Rec. Soc. [, Bodin, t. 41/1: Communautés rurales. Antiquité, [sous presse]. Et, dans ce cas, il me parait évident que l'initiative appartient au pouvoir politique (central) et non au savoir technique (local); autrement dit, celui-ci est intégré à celui-là et contribue à son affermissement. 288. Voir B. G. Gafurov, Les relations entre l'Asie centrale et l'Iran sous les Achéménides, Atti dei Convegno sul tema ..., 289. 5.10.2. 289 a. Diodore Ace. Lincei 363 (1966) 199-212. 17.74.2; Arrien 3.25.3; Quinte-Curee 6.6.13. 289 b. La relation de cause à effet est très nettement marquée dans Quinte-Curee 5.10.2-3 et dans Diodore 74.2-3. 289 c. Voir P. Briant, Stratégie idéologique III.4. 289 d. Voir A. Cattenat - J. C. Gardin, Diffusion comparée de quelques genres de potterie caractéristiques de l'époque achéménide sur le Plateau iranien et en Asie centrale, Colloque ' Le plateau iranien et l'Asie centrale' (Paris 1978). 289 e. Seleucids and Achaemenids 89 - sauf sur les portions de cbôra basilikè (voir ci-dessus). 289 f. Voir Klio (1978) 70-77. 289 g. Quinte-Curee 7.11.28-29. 289 h. Cf. par exemple ibid. 7.10.9. 289i. Cf. Berve 1 268. 289 j. B. Mazar, lE]. (1957) 144-145. 290.1. H. Vincent, Rev. Bib. (1920) 187. 291. Mazar, l.c. 292. Vincent 189. 293. V. Tscherikower, Hellenistic Civilization and the [etos (1959) Paperbacks (New York 1975) 64. 294. Diodore 19.17.7. 295. Strabon 15.3.3. 296. Ibid. 3.21. 298. Pour Pasargades, voir Strabon 15.3.7, Quinte-Curee 5.6.10 et Arrien
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300. Ibid. 3.6. Cf. Diodore 17.71.1: 3.8.10. 299· Strabon 15.3-3le Trésor de Pasargades « regorgeait d'or et d'argent car, depuis Cyrus, le premier roi des Perses, on avait accumulé jusqu'à ee jour les revenus de 301. Persépolis: Arrien 3.18.10 (phylakè); Quinte-Curee l'Etat etc. ». 5.4.34 (custodes). 302. A Persépolis, Tiridatès est kurios tès poleôs (Diodore 69.1) ou custos pecuniae regiae (Quinte-Curee 5.5.2); à Pasargades, Gobares qui rend la ville à Alexandre, porte le titre (vague) de praejectus (Quinte-Curee 5.6.10). Cf. (début IV· s.) Nepos Datames 5.3.: Pandantes, gazae custos regiae, ee titre correspond en grec à thesaurophylaque ou gazophylaque (cf. Diodore 18.58.1 et·I9.I8.I etc.) et au v.p. ganza-bara (W. Hinz, ZAss. [1972] 261 ss.). 303. W. Hinz, Acbâmenidiscbe Hoiueruialtung, ZAss. 61 (1972) 260-3II, en particulier 265. 304. Voir J. Hansman, An Acbaemenian Strongbold, Acta Iranica 2 (1973) 289-312, qui identifie la Trésorerie de Hvadaiéaya (élamite: Matezziâ) à un site de la plaine de Fasa à 130 km au Sud-est de Schiraz, là où des fortifications imposantes ont été découvertes. 3°5. Hinz 266-267. 306. W. Hinz, Zu den Persepolis Tâielcben, ZDMG. IIO/2 (1961) 250251 l'identifie à la moderne Behbehan. Su ses fonctions d'étape entre Suse et Persépolis, voir PFT. 1398, 1400, 14°2-4, 1406 etc. Voir également 307. Sur le transport de métaux précieux à la TrésoHallock, PFT. 6. rerie de Matezzis en 500, cf. PFT. 1342 (Hinz, ZAss. [1972] 269). 308. Ap. Diodore 19.22.3. 309. Ibid. 21.2. 310. Ibid. 3. 3II. Quinte-Curee 5+9. 312. Ibid. 4.6. 313. Ap. Diodore 19.21.3. 315. Voir 314. Cf. P. Briant, dans Etbnozootecbnie 21 (1978) 53-64. l'étude de M. Dandamayev dans VDI. (1972) f. r p. 3-26 [en russe]; sur 316. Hinz 279-280. les hurtai, voir Id., VDI. (1973) f. 3 p. 3-24. 317. Dandamayev, VDI. (1972) 8. 318. Sur ee terme, voir Welles, Re. 352-353; cf. aussi F. Maier, Griecbiscbe Mauerbauinschriften I (1959) n" 25, lignes 3-6, et la très importante inscription émanant de la chaneellerie de Philippe V de Macédoine et publiée par C. B. Welles, AJA. 42 (1938) 252 (trad. fr. dans Y. Garlan, La guerre dans l'Antiquité [Paris 1972] 166): on y peut voir les mesures techniques prises pour la conservation de produits périssables (blé, vin). 319. A propos des ovins, 320. Hinz 320. 321. PFT. 137 1-73, 1394. cf. P. Briant, a.c. 56-57' 322. PFT. 959-961. 323. Hinz 267. 324. Ibid. 269. 325. Ibid. 326. Ibid. 267. 327. PFT. 1547. 328. Ainsi Hansman, a.c. 306. 329. 15.3.21. 330. Hinz 267 nt. 30. 331. Hinz 266 nt. 24. 332 a. PFT. 58-77. 332. Sur ee problème, cf. Hallock, PFT. p. 14. (Toutes les tablettes ne mentionnent pas le lieu de livraison). 332 d. Voir 332 b. Hinz 268. 332 c. A.c. 306-307 [Italiques: P.B.]. en particulier Quinte-Curee 5-4.6: multisque vicis atque urbibus [requens; également Diodore 17.73.1 (campagne d'Alexandre en Haute-Perside avant l'ineendie de Persépolis: erreur chronologique de Diodore): «Alexandre parcourut les villes de Perside (kata tèn Persida poleis), soumettant les unes de vive foree et ralliant les autres par la mansuétude »; cf. également Quinte-Curee 5.6.10 (urbs: Pasagardes), 5.5.2,5; 6.1 etc. (Persépolis) etc.
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332 e. Diodore 17.67.4 et Quinte-Curee 5.3.16 (gens). 332 f. Arrien '332 g. Cf. DHA. 2 (1976) 180-181 et 214-221 3.17.1; Diodore 67.2. 332 i. Cf. (où carte). 332 h. Arrien 3.18.2; cf. Quinte-Curee 5.3.16. Diodore 19.21.2-3; 22.1. 332 j. 17.67.3. 333. Hieronymos de 33+ Quinte-Curee, 5.3.16 (tributum). Kardia apud Diodore 19.21.3. En effet, l'exemption accordée par Alexandre aux Ouxiens de la plaine (cf. DHA. 2 [1976] 215-216) prouve qu'ils versaient tribut aux Perses. 335. Plusieurs jours de marche le séparent de la Perside: Quinte-Curee 3·3 et 3. 17; Diodore 17.68.1. 336. Quinte-Curee 5.3.3: finitissima Susis est [regio Uxiorum]. 337. Cf. Quinte-Curee 5.3.16: Uxiorum dein gentem subaetam Susianorum satrapae contribuit [Alexander} - ce qui indique qu'il n'en était pas ainsi avant Alexandre. 338. Cf. Berve n' 483, 339. Quinte-Curee 3+ 340. Cf. ibid.: pro fide, à rapprocher de 3.1.6 (pro fide): parole donnée à Darius lui-même de résister 342. 3.5.7 et 16. jusqu'au bout. 341. Cf. DHA, 2 (1976) 220-221. 343. Ibid. II. 344. Ibid. 7. 345. Cf. Diodore 19.6.7 et infra § III. 3·4 3'46. Diodore 67·4 et Quinte-Curee 5·5· 347. Arrien 3.5.15. 348. Quinte-Curee 5.15. 349. Voir le cas de la Paphlagonie, mais cette région ne le versait déjà pas aux Perses: Quinte-Curee 3.1.23 et 4.5.13. Voir également l'exemption concédée aux Evergètes (Ariaspes), qui lui ont fourni des vivres (Diodore 17.81.1-2; Quinte-Curee 7.3.1-2). On peut signaler enfin le cas des Grecs employés dans les' ergastules' de Persépolis, libérés par Alexandre, qui leur donne des lots de terre et leur concède une exemption totale de tribut (Diodore 69.8; Quinte-Curee 5.5.5-24; Justin II.14.II-I2). 350. Quinte-Curee 5.3.15: urbem reliquit intactam: cf. Diodore 19.21.2 (DHA. 2 [1976] 218). 351. Voir R. T. Hallock, The eoidence of the Persepolis Tablets [pré-publication de la Cambridge History of Iran II] (Cambridge 1972) 10-II. 352. Ibid. 10 nt. 1 et Orientalia 42 (1973) 320 et nt.!. 353. A travers certains textes classiques, on peut en effet deviner l'existence de kurtas d'origine grecque à Persépolis en 331: voir d'abord le berger issu d'un père lycien et d'une mère perse (? ou indigène au sens large), et qui indique un sentier à Alexandre (cf. textes rassemblés dans mon étude de Etbnozootecbnie 21 [1978] 57); voir également les Grecs déportés par le Grand Roi et qui travaillent dans les' ergastules' (Quinte-Curee 5.5.15) de Persépolis; cf. Etbnozootecbnie 63 nt. 59): sous le terme' ergastule' il convient de voir, me semble-t-il, des ateliers où travaillent ceux que les tablettes appellent des kurtas (pour d'autres ateliers dans d'autres sites de Perside, voir supra, § 111.3.2). Si cette interprétation est exacte, une question reste posée: que devint toute cette organisation après 330? La destruction des palais entraîna-t-elle la ruine de tout le système? Il y a là tout un problème passionnant, pour la discussion duquel les sources directes manquent complètement, malheureusement. 354. Cf. Hallock, Ürientalia 42 (1973) 321322. 355. 5.52.54; cf. également Xénophon, Cyr. 8.6.17-18. 356. Hallock, PFT. 6; également S. Mitchell, ]RS. 66 (1976) 121-122. 357. Hallock, l.e. 358. Ibid. 359. Voir aussi P. Grelot, DAB.
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n" 67 (cf. 310: ce document « n'est pas seulement le sauf-conduit de voyage; c'est un bon de vivres... Il existe donc dans l'empire achéménide une intendance générale qui gère des Magasins d'Etat échelonnés au long des grandes routes »: ici: d'Elam en Égypte, via Arbèles, Damas...). 360. 5.25-3°, 31, 73, 96, 100, 123; 6.1,4, 3°,42. 361. Sur les archives satrapiques à l'époque d'Alexandre, cf. Plutarque Eum. 2.6-7, qui apporte la preuve de l'existence de deux jeux d'archives conservés l'un dans 362. Voir la capitale satrapique, l'autre par l'administration centrale. Ps. Aristote Econ. 2.1.3. - dont les tablettes de Persépolis permettent de mieux saisir le sens (cf. F. Altheim, Gnomon [195I] 192 et surtout G. C. 363. Plutarque, Eum. 8.5. Cameron, JNES. 1713 [1958] 161-172). Cf. P. Briant, REA. [1973] 46, nt. 4). 364. P. Grelot, DAE. 266-27°. 365. Ibid. n" 55 col. III.37 (p. 55). 366. Ibid. 271-273. 367. Ibid. 280-283. 368. PFT. 267-273 et 2025 (Hal1ock p. 16). 369. Cf. 370. Arrien 1.17.3; Diodore, 17.21.7 lui P. Briant, REA. (1972) 38. 371. C'est le seul Trésor que citent donne le titre de satrape (à tort). les sources anciennes pour l'Asie Mineure (Cf. Altheim-Stiehl, Aramiiische Spracbe 120-121). 372. Voir J. D. Bing, Historia 22/2 (1973) 346-35°. 373· Strabon 13.4·1. 374· 12.3.21. 375. Par exemple: Diodore 19.16.2; 20.108.5-7; Plutarque Eum. II.l; également Diodore 18.48.3. 376. Diodore 18.58.1; Plutarque Eum. 13.1-2. 377. Sur ce terme, cf. M. Holleaux, Etudes II 106-107 et Welles, Re. p. 321. 377 a. Voir en particulier Welles, Re. n" 3/4, lignes 72-76, 80-84, avec le commen378. Schmitt, Vertriige taire de Cl. Préaux, CE. (1954) 312-327. n" 492, lignes 106-108. 379. Il faut également penser aux domaines royaux. Voir par exemple les stocks de bois connus dans plusieurs placesfortes (REA. [1972] 40, nt. II); or, les tablettes de Persépolis montrent l'existence de gardes-forestiers dans la Trésorerie de Vranrus (cf. Hinz, ZAss. (1972) 267; supra § III.3.2.): si le rapprochement est fondé, on doit conclure que dans les régions bien pourvues de bois, une administration royale veillait à leur mise en valeur. (Sur la fourniture de bois par certaines 380. Outre le satrapies, cf. junge, Klio 34 [1942] 42 nt. 7 et p. 47). blé on notera la présence de réserves de sel (Plutarque Eum. II.l): or, une ' gabelle' est connue en Babylonie et en Palestine séleucides (Bikerman, 15. p. II2-II4). Si la relation entre les deux faits est fondée, on aurait la preuve de l'existence d'un impôt sur le sel en Asie Mineure aché381. Sardes 7.1. ménide; mais il peut s'agir aussi de salines royales. 382. Sur la datation haute, voir P. Debord, Actes 71 p. 258-259, aux con383. Supra, § III. 1.4. 384. l lignes 3-10. clusions duquel je me rallie. 385. Buckler-Robinson, AJA (1912) 67-69; cf. aussi P. Debord,l.c. 259: « Il n'y a donc rien d'invraisemblable à penser qu'Antigone avait donné à son royaume une administration plus ou moins calquée sur celle de son armée et en ce sens, les chiliarchies dont dépendaient les kômai pouvaient être non seulement des unités de perception de l'impôt mais aussi des unités de recrutement », Sur les chiliarques dans l'empire perse, voir par exemple Xénophon Eeon. 4.II et Cyr. 8.6.1 et 9; dans les garnisons en
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Égypte achéménide, voir P. Grelot, DAE. 45: au Vè S., la garnison de Syène-Eléphantine est « divisée en compagnies (degel), correspondant aux , milliers' des anciennes armées israëlites et, plus tard, des armées grecques... La compagnie porte le nom de son commandant (analogue au chiliarque grec) ». C'est également le cas dans l'inscription de Mésimachos. 387. Athénée 15.697 D; cf. REA. 4r-42. 388. Po3 86. Eeon. 4.II. Iyen 6.ro: supra § III.I.2. 389. Eum. 3.r4, que j'ai longuement discuté 390. Expression de Haussoulier, Milet 93 dans REA. (r972) 34-49. à propos de l'hyparchie. 390 a. Voir déjà Buckler - Robinson, l.c.: «In Persian times, then, the chiliarch of Sardes, who was himself its phrourarch, or else had a phrourarch as is second in command, probably controlled the phrourarchs of several neighbouring fortresses, while others chiliarchs commanded other groups of phrourarchs with their garnisons. Thus the satrapy of Lydia was probably subdivided into several districts - not more than five or six in aIl, if we may judge from the size of our three - each known as a chiliarchy because containing a group of for39I. Cyr. 8.6.r4: ai upo tresses under the command of a chiliarch ». basilei phylakai. 392. Cf. Polyen 7.29.r à rapprocher de Ps. Aristote 393. Diodore r8.5I.I. Eeon. 2.2.24 a (cf. REA. [1972] 39 et nt. IIr). Cf. REA. (r972) 48, nt. 3. 394. M. Holleaux, Etudes II r03-r04. 395. Cf. .déjà les remarques de P. junge, Klio 34 (194 2) 49-54. 396. Voir le long compte-rendu que lui a consacré A. Aymard, Esprit militaire et administration hellénistique, REA. (1953) = Etudes d'Histoire ancienne (Paris r967) 46r:473. 397. Quinte-Curee ro.2.8. 398. Cf. mon étude dans Klio (r978) 57-92, en particulier 78-82. 398 a. Inutile de revenir ici sur la fonction poIitico-reIigieuse de Persépolis. Sur Pasargades, cf. P. Briant, Stratégie idéologique, III.2. La présence de sanctuaires dans les Forteresses-magasins est certainement générale: cf. Vincent, Rev. Bib. (r920) r89 ss. (Birtha des Tobiades); P. Briant, Forces productives V.I.4 (Asie Mineure). Les tablettes de Persépolis attestent qu'à Persépolis et dans d'autres villes de Perse et d'Élam, les entrepôts impériaux fournissaient des produits (vin, oeufs, grain etc.) pour alimenter non seulement le culte d'Ahurah-Mazda et d'autres dieux iraniens, mais aussi des dieux élamites Humban et Simut et du dieu akkadien Adad (cf. M. Dandamayev, dans Monumentum H. S. Nyberg I [1975] 196): on doit en conclure, semble-t-il, que des sanctuaires (sous forme de temple ou non) existaient dans 400. Cf. par tous les centres habités. 399. Cf. Klio (1978) 7r-82. 40I. Voir en parexemple Arrien 4.22.4-5 (Alexandrie du Caucase). 402. Cf. ]ESHO. r8 (r975) ticulier Arrien 7.6.r: Klio (r978) 73. [P. B.] r86-r88.
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Colonisation hellénistique et populations indigènes La phase d'installation
Sommaire Introduction I. Colons gréco-macédoniens et populations rurales asiatiques A. Fondations hellénistiques et activités agricoles 1. Richesse des territoires 2. Abondance des populations rurales indigènes B. Conséquences de l'implantation européenne 1. Les villes neuves de Syrie du Nord a) Délimitation et organisation des ch6rai
b) Citoyens et dépendants 2. La colonisation gréco-mecédonienne en Iran oriental
a) Les paysans dépendants sur les terres des hyparques b) Déportation en masse et dépendance: l'exemple d'A1exandrie·sur·Iaxs.rtee c) Le cas d'Ai-Khanoum Conclusion 3. Conquête, colonisation, hilotisation
a) Crise sociale grecque et dépendance asiatique b) Conquête et dépendance rurale en Orient c) Colonisation hellénistique et dépendance ll. Gréco-Macédoniens et indigènes dans les fondations hellénistiques A. L'introduction d'une population mixte 1. Les fondations d'Alexandre 2. Les fondations des successeurs B. Les rapports eocio-ethniquee 1. Données numériques 2. Terminologie
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3. Peuplement/dépeuplement 4. Répartition spatiale et ségrégation sociale 5. Organisation des rapports sociaux de production 6. Neissence d'une ethno-clesse
Introduetwn Lorsqu'on envisage dans son ensemble le thème qui nous est proposé au cours de ce Colloque. on se trouve immédiatement confronté au problème de la colonisation et de l'immigration européenne en Asie à partir d'Alexandre. Il n'est évidemment pas question ici de traiter de façon exhaustive de cet immense problème. L'étude qui suit s'attache à analyser les conséquences sociales et économiques de l'implantation de communautés étrangères conquérantes dans des régions cultivées, habitées et parcourues par des populations urbaines et rurales préexistant à la conquête. Il me semble en effet, d'une part, que le réexamen d'une telle question peut contribuer à
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reprendre sur des bases plus objectives Je problème de la conquête et de l'occupation gréco-macédoniennes de l'ancien empire achérnénide ; il apparaît d'autre part qu'aucune étude d'ensemble n'a été proposée depuis l'ouvrage de V. Tscherikower r, dont on peut dire, - sans .nier ses réels mérites -, qu'il n'aborde pas de front les problèmes qui sont au centre de nos discuesions.ê • Le véhicule de l'Hellénisme et le moyen essentiel de sa diffusion est la Cité grecque.• Cette phrase d'Edo Meyer ' résume assez bien une thèse qui dourine dans l'historiographie occidentale depuis Plutarque et Droysen, - th.se calquée sur un topos antique du passage de la Barbarie il.la Civilisation par le biais de l'urbanisation ',_, il. savoir que la conquête macédonienne a permis aux « Orientaux. d'accéder à. une forme supérieure de culture. Il serait fastidieux et inutile de dresser une liste de références aux ouvrages modernes défendant ou véhiculant cette vision de l'histoire. Je m'en tiendrai à. l'œuvre de W. W. Tarn, dont l'influence avouée ou occulte reste importante de nos jours. Pour Tarn en effet, la conquête macédonienne a ouvert en Asie une ère de progrès (matériels et culturels), grâce aux fondations de cités par Alexandre et ses successeurs. L'historien britannique insiste en particulier sur la promotion sociale apportée aux indigènes par l'urbanisation: «Lorsqu'une cité grecque avait acquis la terre et avec elle la paysannerie [composée de serfs], les conditions ont souvent été modifiées, soit par un affranchissement délibéré des serfs, soit par évolution naturelle, on ne sait; les paysana pou vaient parfois être encore serfs ..., mais généralement ils devinrent ktuoikoi héréditaires libres, payant des taxes il. la cité, et leurs villages parfois acquirent une espèce de vie communautaire; ils étaient alors dans une catégorie différente de celle des cultivateurs d'Etat (comme ceux de Laconie par exemple). La cité grecque fut donc une faveur faite au paysan asiatique et tendait à. élever son statut (The Greek city then was a boon to the Asiatic peasant and tended to raise his statua). ,p Tarn, il est vrai, traite là. de l'accroissement du territoire des anciennes cités grecques d'Asie Mineure, mais il est tout aussi catégorique pour les fondations nouvelles: «La même chose eut lieu certainement dans les territoires des nouvelles cités grecques. 6 - et il réitère ses vues concernant l'évolution des villages indigènes vers la forme civique, puis conclut: « Si le temps n'avait pas manqué, le résultat final, en Asie Mineure et en Syrie du Nord, aurait été un royaume composée entièrement de cités avec des territoires contigus et jouissant chacune de l'autonomie interne.• 7 i V. Tscherikower, Die hellenistischen Stiidtegründungen von Alexander dem Groûen bis au! die Rômerzeit., Leipzig 1927 (Philologue Suppl. Bd. XIX, 1). (Désormais cité ici BOUS le seul nom de l'auteur): voir surtout le chapitre III de la Hfè partie consacré au peuplement des nouvelles cités (190-209). Les conclusions de l'auteur relatives il. Alexandre ont été adoptées pour l'essentiel par V. Chapot, Alexandre fondateur de villes (Simples réflexiona), dans Mélanges G. Glotz l, Paris 1932, 173-181. 2 Voir H. KreiBig, Die Polis in Griechenland und im Orient in der hellenistischen Epoche, dans: HeUenische Poleis III, 1074-1084. 3 Meyer Blüte: "Der Trliger des Hellenismus und des Hauptmittel seiner Verbreitung iet die griechisohe Stadt. U , Voir là-dessus P. Br-iant, e Brigendege », dissidence et conquête en Asie achéménide et hellénistique, dans: Dialogues d'Histoire Ancienne [DHA] II (1976) (=Briant DRA II). 5 W. W. Tarn, Hellenistic Civilisation, ârd. cd. rev. by the euthor and G. '1'. Griffith, Londres 1952, Univ. Peperbecka (1966) p. 135. 6 Ibid. 154. 7 Ibid. 156.
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Se trouve donc là exprimée, - là et ailleurs _s, une sorte de liaison mécanique entre colonisation européenne et transformation (positive) de la situation des populations locales, - ce que C. B. Welles appelait naguère la • politique humanitaire. des rois hellénistiques.? La question qui reste posée, - au-delà de la terminologie tarnienne -, est celle de la fonction des villes dans la formation économique et sociale de l'Orient hellénistique. Un certain nombre d'aspects du problème ont déjà été traités ailleurs-en particulier la permanence du mode de production oriental (asiatique) en Asie hellénistique 10 -, et je n'y reviendrai pas. La faiblesse de la thèse générale de Tarn a également été soulignée," ainsi que sa tendance à surinterpréter les textes pour les faire entrer dans une thèse construite en réalité sur un postulat idéologique.tt Il reste cependant à tenter d'apporter une réponse positive à une question réelle et essentielle: les fondations hellénistiques ont-elles constitué ou non un cadre d'intégration? La documentation, - en grande partie littéraire -, est lacunaire et dispersée, mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras. 13 TI sera moins question ici d'ailleurs de présenter une synthèse générale que d'essayer de dégager une problématique 14. L'étude sera menée selon les préoccupations méthodologiques suivantes, qui revêtent à mes yeux un caractère impératif: 1. ne pas restreindre l'installation des communautés européennes au seul aspect de l'urbanisation proprement dite, c'est à dire à la fondation de 'villes neuves. On peut distinguer bien d'autres types de settlements l5 : introduction de Gréco-MacédoS
Voir également The Greeks in Bactria and .Indie, Cambridge 21951, 33.
u Welles ne 96. Cf. aussi M. Rostovtzeff, CAR VII, 183. 10
Je renvoie à l'ensemble des travaux de H. KreiBig depuis "Zwei Produktionsweisen
,die der kapitalistischen vorhergehen' (Thesen)", dans: EAZ 10 [1969], 361-368, jusqu'à (1
L'esclavage dans les villes d'Orient pendant la période hellénietique e, dans: Actes du
Colloque 1973 sur l'esclavage, Besançon-Parie 1976, 237-250. 11 Sur Ïe problème des paro1koi, voir les remarques critiques très fermes de K. M. T. Atkinson, The Seleucids and the Greek Cities of Western Asia Minor, dans: Antichton 2 [1968],32-57 (en particulier 37 eqq.). •, Cf. Briant DRA II (1976). J3 J'exprime un désaccord total avec le point de vue négatif et stérilisant de P. Goukowsky (Alexandre le Grand et la conquête de l'Orient, dans Le monde grec et l'Orient II, 1976, 321) qui, il. propos des fondations d'Alexandre, écrit: 41 Ces fondations ont-elles fa· vorisé le commerce, et quel commerce? Quelle influence ont-elles exercée sur les indigènes t Questions auxquelles il est impossible de répondre, et faute de documents, et parce-que l'expérience fut trop brève... De teUes déclarations ne risquent pas de susciter les vocations ni d'ouvrir la voie à un renouvellement de la problématique. Malgré son caractère plus que séculaire, je préfère la position de Droysen qui, s'avouant incapable de prouver l'hypothèse
(qu'il propose) de l'arrivée de contingents de Sicile en Asie à l'époque de Pyrrhos, ajoute: (, ... Pour quiconque ne parvient pas à retrouver dans un fait isolé la pyramide de condit iona dont il est le point culminant, à reconnaître dans des indications fortuites le réseau de connexités et de présuppositions auquel elles appartiennent, pour celui qui ne voit autre chose dans l'histoire qu'une mceerque de passages tirés de leurs auteurs respectifs, pour celui-là, l'histoire reste muette, inféconde: ce »'est plus qu'un squelette. (Histoire de
l'Hellénisme r, 775). " Voir déjà les propositions éclairantes de Monique Clevel-Lévêque, Structurss urbaiIles et groupes hétérogènes, dans, Atti V-Ce.S.D.I.R. 1973-74, 7-28 (et 28-39 pour les
discussions). 15 Cf. 'I'aoherikower 113-129: distingue six cas de figure dans les fondations hellénistiques.
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niens dans une ville orientale, colonies militaires, garnisons etc ... C'est pourquoi, malgré ses imperfecbionstê, le terme «colonisation, m'apparaît plus adéquat que celui d' 'urbanisation' .17 Toute fondation s'intègre dans une stratégie globale de la conquête et de ·Ia colonisation dont il importera précisément de rechercher les tenants et les aboutissants; lS 2. ne pas traiter l'Asie comme un bloc socio-économiquement homogène, mais au contraire régionaliser les analyses, là où la documentation le permet. Cette démarche est indispensable, car, pour être crédible, une réponse au problème posé doit tenir compte des niveaux différents de développement des populations indigènes 19; 3. renoncer aux généralisations ou extrapolations chronologiques. Mais distinguer au contraire les grandes phases de l'histoire des établissements gréco-macédoniens. La phase d'installation des colonies est à cet égard exceptionnellement importante: c'est à ce moment historique, et à lui seul, qu'est consacrée l'étude qui suit. Le problème de l'évolution ne peut être abordé 20 sur des bases saines qu'une fois bien établies les caractéristiques fondamentales de la fondation; 4. enfin, éviter systématiquement de mettre ce qu'on nomme habituellement «hellénisation. au centre du débat. Non pas que ce processus soit négligeable; mais, comme le terme «acculturation " le terme « hellénisation, forgé par Droysen tend à déformer, à obscurcir et à réduire la réalité sociale. 21 Les rapports Grecs-indigènes ne se limitent pas à la diffusion de la langue des conquérants ni à l'adoption, par ceux-ci, de motifs architecturaux ou de cultes orientaux, même si les échanges de cette nature peuvent (et doivent) être analysés par référence à. des rapports socio-économiques qui les sous-tendent. En d'autres termes, il convient de replacer constamment la recherche dans une perspective globale.
1. Colons gréco-macédoniens et populations rurales asiatiques A. Fondations hellénistiques et activités agricoles 1. Richesse des territoires
Un point doit être souligné d'entrée: c'est la place que continue à tenir J'activité agricole dans les cités et établissements grecs de l'Asie hellénistique. A cet égard, une anecdote transmise par Vitruve peut servir de point de départ. A l'architecte Deino16
Cf. quelques remarques sur le sujet dans J. Bérard, L'expansion et la colonisation
grecques jusqu'aux guerres médiques, Paris 1960, 12-14. 17
Voir également M. Rostovtzeff, Social and Economie History of the Hellenistic
World (SEHHW) III p. 14-35-1436 (n. 262), en notant que l'Asie était déjà urbanisée avant Alexandre, ce qui est tout à fait juste. En revanche, je n'adhère pa.s à la deuxième raison (apparemment la plus importante pour lui) donnée par M. Rostovtzeff, qui veut distinguer nettement la colonisation menée par les Gréco-Macédoniens et l'urbanisation poursuivie par Rome dans son empire: selon lui, la première aurait des buts uniquement politiques et milite.ires, et la seconde des objectifs socio-éeonorniques. Distinction factice comme j'essaie de la montrer tout au long de cette étude. 18 Voir infra, 1. B.3. c. en particulier. Hl Voir ainsi justement Olevel-Lévêque 9. 20 J'y reviendrai dans une autre étude. 21 Cf. KreiJlig, dans: Hellenieohe Poleis 1074-1075.
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cratès, qui venait de lui proposer un aménagement colossal du Mont Athos, Alexandre, alors en Egypte, demanda si la ville projetée était entourée de champs capables de suffire à ses besoins alimentaires. 22 Comme il apparaissait que ce ravitaillement ne pouvait se faire qu'en recourant aux importations par mer,23le roi déclara à l'illustre architecte que ce serait une erreur d'implanter une colonie sur un tel site,2 /, et il poursuivit: «Je retiens la remarquable conception du plan et j'en suis charmé ... Mais, de même qu'un enfant sans le lait de sa nourrice ne peut se nourrir ni franchir les étapes de la vie croissante, ainsi une ville sans champs et sans leurs produits affluant dans ses murs ne peut se développer, ni sans avoir une nourriture abondante une population nombreuse, ni protéger ses habitants sans ressources.• 25 Comme le souligne R. Martin 26, ce dialogue rend bien compte des soucis pratiques, très actuels à la fin du IVè siècle, très débattus par les historiens et les géographes qui complétèrent « les spéculations théoriques par les données techniques des architectes •. La signification générale de l'anecdote peut donc être retenue. Quel qu'ait pu être le développement ultérieur, commercial en particulier, des fondations hellénistiques, il n'en demeure pas moins que leurs assises sont essentiellement agricoles et que les rois fondateurs ont eu profondément conscience de cette nécessité. Ce souci est parfois exprimé directement dans les textes. Ainsi, en Egypte, Alexandre, au dire de Plutarque 27, fut frappé par les possibilités agricoles du site de la future Alexandrie, car les devins avaient estimé « que la cité fondée par lui abonderait en ressourcea, et nourrirait les hommes de tous pays. ("al nayrobanwy &YiJewnow At70/AWqy reoq>6lo); tradition reprise par Arrien 28, qui rapporte ainsi le compte-rendu des devins: • La cité serait prospère dans tous les domaines, mais en particulier sur le plan de la pro. duction agricole (ra rs /lUa "al rwv i" yijç "aenwy eZys"a) . • Il en est de même des fondations babyloniennes, appelées elles aussi à devenir de grands centres commerciaux. « Les Macédoniens y créèrent des villes à cause de la fertilité du sol (propter uberlalem soli) », affirme Pline 29, qui note par ailleurs, comme caractéristique de Séleucie du Tigre, que « son territoire est le plus fertile de tout l'Orient .•. L'analyse du site des fondations et de la disposition de leur chôra confirment ces appréciations. Cela est particulièrement vrai de la • Nouvelle Macédoine. syrienne. Strabon insiste tout particulièrement sur l'excellence des territoires des cités.•Laodlcée ... est une ville maritime magnifiquement bâtie, et qui, à l'avantage de posséder un excellent port, joint celui d'avoir un territoire d'une extrême fertilité, mais particulièrement riche en vin (xweay Te ëxoVt7a ",oÀVOtyOV neàç rfi /lÀÀlI eV"aen{~) .•30 • Apamée 22 Vitruve, De Arch. II, Préface § 3: ... ai uaent agri oirca, qui p08aint frumentario ratione eam ci'Ditatem tueri. 23 Ibid.: ... ni8i transmarinis aubveotionibU8. 2' Ibid.: Sed animadverto, ai qui deduxerit eo loco coloniam, forte ut judioium eiU4 vituperetur, 25 Ibid.: ... sic civitaa aine agria et eorum IructibU8 in moenibua allluentibU8 non po",' crescere nec sine abundentia oibi frequentiam habere populumque aine copia tueri. 26 R. Martin, L'urbanisme dans la Grèce antique, Paris 1956, 25. Sur tous ces problèmes voir le chapitre l dé cet ouvrage, consacré à .. Naissance et developpement des théories., p. 13-29. 27
Plutarque, Alex. 26. 10.
2. Arrien, Aneb. III. 2. 2. Cf. aussi Vitruve loc. cit. qui, parmi les avantages du site d'Alexandrie (port, Nil ... ) note: ... campoa circa totam Aegyptum frumentario8.
"Pline, N. H. VI. 117. Strabon XVI. 2. 9.
2.
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PIEltRE BRIANT
possède un territoire à la fois très étendu et très fertile ("ai ;cweaç 'V1tOeEÏ 1tap.1toU1]ç eV6aip.ovoç). »31 Les études plus récentes corroborent ces descriptions enthousiastes et montrent qu'il en est de même des autres cités. Laodicée (Lattaquieh) est située dans une des plaines les plus riches de la Syrie maritime, écrit J. Weurlesse 32 qui, ailleurs, a vanté le territoire d'Antioche 33 ; la basse vallée de l'Oronte «est un des territoires les plus riches de Syrie. Le sol profond et fertile en lui-même y a été encore enrichi par les alluvions de l'Oronte. Le climat, pluvieux et qui reste humide même au cœur de l'été y favorise la végétation. L'irrigation enfin est facile grâce il. l'Oronte, aux torrents descendus du Kizil-Dagh, et aux sources puissantes qui jaillissent au pied du Kosséir ... Dans l'ensemble, un pays d'eaux courantes et de verdures, d'un charme unique en Syrie. ,34 Le territoire de Séleucie-de-Pîérie est également très fertile.35 Polybe 36 vante IlL richesse des cll6rai de Scythopolis et de Philoteria de Galilée. On peut en dire autant du plat-pays de la cité fondée sur le sité actuel d'Aï-Khanoum (Afghanistan). La mission archéologique française a commencé d'explorer le territoire de la ville antique, c'est il. dire la riche plaine de lœss qui s'étend au nord du site sur 40 km de long et 15 km de largeP Les différentes campagnes de fouilles ont permis de montrer que ce territoire était déjà mis en valeur et irrigué à. l'époque achéménide,38 et qu'on assiste à. un nouvel essor de l'activité agricole il. l'époque helléniatique.w Comment nier que ces choix de sites agricoles résultent d'une politique délibérée des rois fondateurs 1 Si j'insiste sur des considérations somme toute banales, c'est pour réagir contre une fâcheuse tendance il. négliger l'aspect agraire des fondations hellénistiques. Or, comment traiter objectivement des relations entre colons gréco-macédoniens et paysans indigènes, si l'on oublie cette réalité fondamentale rappellée en ces termes par L. Robert 4o: «Une »cité« antique doit toujours être considérée avec le territoire, champs
32
Id. XVI. 2. 10. Le pays des Alaouites, Tours 1940, 267 sqq,
33
Parmi les descriptions antiques, voir surtout celle de Libenius dana l'Ant'iochicho8
31
(Oratio XI); cf. A.:r. Festugière, Antioche perenne et chrétienne, Paris 1959 (BEFAR 194), où l'mi trouvera. une traduction et un commentaire archéologique (dû à R. Martin) d'une partie du discours de Libeniue. 3' J. Weurlesse, Antioche, ESBBi de géographie urbaine, dans: Bull. Et. Orient. {Inat., fI'.
Damas) 4 [1934], 27-79 (la citation est de la p. 31). Sur les conditions naturelles, cf. aussi G. Downey, A History of Antiooh from Seleucua to the Arab Conquest, Princeton 1961 (=Downey Antioch), 15-23 (et 20 n, 23 pour les permanences olimatiques de l'Antiquité il. nOB jours). 35
Voir A. :riihne, Klio 56 [1974], 509-510. Polybe (V. 59. 5) fait allusion
il.
la Seleukeôw
chôra.
V. 70. 5. P. Bernard, CRAI, avril-juin 1975 p. 195. Sur Aï-Khanonm, voir maintenant J. C. Gerdin-P. Gentelle, Irrigation et peuplement dans la plaine d'Aï-Khnnoum de l'époque echéruénide à l'époque musulmane, dans: Bulletin de l'Ecole Irsnçaise d'Extrême-Orient JO
3;
[Paris] (=BEFEO) 63 [1976], 59-99 et Planches XVIII-XXXIII; des mêmes auteurs, voir la mise au point plus récente: L'explcitet.ion du sol en Bactriane antique, dans: Colloque de l'Ecole française d'Extrêrne-Orçenc, Paris [sous presse]. 38 Résultats des fouilles 1975 (encore inédit; je remercie P. Bernard de m'en avoir communiqué la teneur). . J9
P. Bernard, CRAI 1974, p. 281-286, et CRAI 1975, p. 195-197.
L. Robert, Villes d'Asie Mineure, Paris 21962, 371. Voir aussi J. et L. Robert, Bull. Epig. 1958 p. 275: il convient ~ de se poser comme première question sur un site antique ou devant une carte: où étaient leurs champs? que mangeaient-ils? quo cultivaient.ils? _.. » 40
C'est la même réalité qu'exprime
:r. Weurlesae (art. cit., Bull. Et. Or., 4 [1934], 30)
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il.
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et forêts, qui la nourrit et sur lequel vit une partie de sa population; le territoire (xwga) est inséparable de la >, cité «. » Dans sa célèbre description par exemple, Strabon ne manque pas de donner les limites du territoirc d'Antioche de Syrie. U 2. Abondance des populations rurales indigènes Mais, par ailleurs, les chôrai des nouvelles cités ont été découpées dans des régions déjè. habitées et cultivées. Si l'on met à. part le cas des communautés grecques introduites dans des villes déjà. existantes, on se rend compte que toutes les fondations hellénistiques sont implantées à. proximité immédiate d'habitats indigènes. C'est le cas tout d'abord des villes de Syrie du Nord, région «où l'existence d'aucune cité plus ancienne ne faisait obstacle à. la distribution de lots de terre à. des colons ... Il est probable que toutes ces étendues dénuées de cités constituaient une terre royale • .'.2 Antioche, Laodicée et Apamée furent fondées sur le site d'établissements villageois syriens;43 une tradition, transmise par Strabon, Libanius et Malalas, rend même compte d'une colonisation grecque pré-macédonienne sur le territoire d'Antioche.w Les environs de Doura-Europos étaient déjà peuplés de paysans avant Séleukos. 45 L'urbanisation en Mésopotamie et Babylonie se fit dans des régions abondamment pourvues d'établissements villageois.w Ptolémaïs de Thébaïde fut fondée sur un village égyptien. 47 La bourgade de Rhakhôtis constitua le noyau topographique d'Alexandrie d'Egypte. 48 Le territoire d'Ai-Khanoum comprenait de nombreux établissements agricoles avant l'arrivée d'Alexandre 4" ••• On pourrait multiplier les exemples et les citations puisque les régions agricoles de l'empire achérnénide, choisies par les rois fondateurs, étaient toutes couvertes par un réseau très dense de villages. 5O propos de l'Antioche moderne: fi Si l'on veut comprendre la ville actuelle, il faut tout d'ebord renoncer à. toutes les généralisa.tions faciles sur.Ie site prédestiné de la cité et BUr la prééminence dans l'ordre international aux divers points de vue poJitique, commercial et stratégique: modeste capitale régionale, Antioche ne peut être étudiée et comprise qu'en fonction de la petite région par laquelle et pour laquelle eUe vit. C'est danal'analyse préalable de la vie rurale qui l'entoure que nous trouverons les raisons d'être de la vie urbaine et la substance même dont elle est faite .• Pour qui est tenté de surévaluer la. fonction commerciale des fondations cl'Alexandre à leurs débuts, jo rappeUe enfin cette juste remarque de Cl. Préaux, Les villes ct'A lexandre suscitent et attirent le commerce: elles ne naissent pas de lui (Les villes hellénistiques, dans: Recueils de la. Soc. J. Bodin, VI Bruxelles 1954, 93). " Strabon XVI. 2. 6-8. 42 H. Seyrig, Seleucue 1 et la fondation de la monarchie syrienne, dans: Syria 47 [1970], 290-311 (citation 300-301). "'.T. Malalus, Chronog. (Bonn) VIII p. 200(14-15),203(1-2),203 (12-13); cf. Tscherikower 60-62. Cf. aussi Ammien Marcellin XIV. 8. 5 ... [SeleucU8] ex açreetibu» habitaculis 'Urbe8 conetruxit muuis opibns jirmas et viribue, 44 Voir Downey Antioch 49-53 (juge que ces histoires out un fond de vérité). <5 Cf. F. Cumont, Fouilles de Doura-Europos (1922-1923), Paris 1926 (=Cumont, Fouilles Doura), p. XV-XVI. 40 Pline, N. H. VI. 117 (vicatim dispersa). "P. J'ouguee, BCR 1897, p. 184 n. 1. 1,8 Voir P. M. Fraser, Ptolemuïo Alexendriu I, Oxford 1972,5-6. '9 P. Bernard, CHAI 1975, p.196 (à nuancer et à compléter evec les résultats des fouilles de 1975). co Cf. P. Briant, Villages et communautés villageoises on Asie echéméuidc et hellénistique, dans: .TESRO 18/2 [1975], 165-188.
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B. Conséquences de l'implantation européenne Dès lors, les questions que l'on doit se poser sont fort simples dans leurs intitulés: comment furent organisées les chôrai des nouvelles cités! Qu'advint-il des populations rurales indigènes incluses désormais sur ces territoires! En réalité, on le sait, la réponse à ces questions suppose que soit résolu un redoutable problème préalable: quel était le statut des terres et des personnes en Asie «pré-hellénistique .!51 Disons mieux: les statuts. L'empire achéménide présente en effet des caractéristiques régionales extrêmement spécifiques: qu'y-a-t-il de commun par exemple entre les sociétés pastorales du Zagros 52 et les communautés villageoises dépendantes en Sogdiane-Bactriane !53 Au niveau politique, ces différenciations dans les modes de production s'expriment dans la formule «dynastes, rois, cités, peuplea », dont l'emploi est fréquent encore à l'époque séleucide. 54 Le pôle d'unité politique est le pouvoir du Grand Roi, qui représente donc la « communauté supérieure s, qui « fédère _ (ou tente de le faire) ces différents modes de production sous un mode de production dominant et conquérant (le MPA), au sein de ce qu'on pourrait appeler la «formation économique et sociale achéménide •. Ces considérations préliminaires, - pour gépérales qu'elles sont -, imposent une démarche: l'étude du fonctionnement de la dépendance sur les terres allouées aux fondations doit nécessairement se faire suivant un plan régional. La répartition de la documentation m'a donc amené à choisir deux grands ensembles, dont la cohérence interne ne peut guère être mise en doute et dont le contraste l'un par rapport à l'autre apparaît fortement marqué: le groupe des villes neuves séleucides de Syrie du nord d'une part, et les fondations (de tous types) implantées par Alexandre en SogdianeBactriane d'autre part. 1. Les villes neuves de Syrie du Nord
La situation des terres et des personnes avant les Séleucides n'est pas connue avec précision. Mais, on peut supposer, avec H. Seyrig 55 , que cette région constituait une terre royale achéménide 56 et qu'elle conserva ce statut après la conquête macédonienne, «si bien que Séleukos put en disposer librement pour en faire des lots ». a) Délimitation et organisation des chôrai Nous manquons presque totalement de documentation pour savoir comment s'effectua concrètement la délimitation des territoires civiques. On peut simplement supposer à bon droit qu'elle fut opérée par les rois fondateurs,57 et que les nouveaux 51 Sur cette expression et son contenu, voir J. P. Weinberg, Bemerkungen zum Problem "Der Yorhelleniemus im Vorderen Orient", dans: Klio 58 [1976], 5-20. 52 Sur celles-ci, voir Briant DRA II (1976). 53 Cf. infra, 1. B. 2. a. "Cf. P. Briant, REA 1972, p. 67 n. 3. 55 Syria 47 (1970), 301. 56 Cf. Xénophon, Anab. 1. 4. 9 (cité par Seyrig, ibid., n. 1). Y ajouter Ammien Marcellin (originaire d'Antioche), XIV. 8. 5: ... ex agreatibu8 habitaculis urbes construxit (Seleucus). 57 A Doura-Europos, à défaut d'un héritier légal, le kléros revient au domaine royal (P. Du-
'1', 5: .. .fJaa').'~~
~
oëola .an,,); on peut donc supposer que le fondateur (Seleukos NiJmtor:
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citoyens furent gratifiés d'un certain nombre d'avantages matériels (atélie de plusieurs années sur les récoltes, distribution d'animaux et d'instruments de culture par exemple) propres à. favoriser leur instaliation. 5S Une partie du territoire, située à. proximité immédiate de la ville,59 était divisée en lots (kléroi), répartis aux premiers habitants gréco-macédoniens. Ainsi, un passage de l'empereur Julien nous apprend l'existence de 10000 de ces lots à. Antioohe de Syrie;60 - un parchemin daté de 195 avant n.è, prouve que le territoire de DoursEuropos avait été divisé en ekades (signification précise inconnue) subdivisées ellesmêmes en kléroi, ces lots continuant un siècle après la fondation de porter le nom du premier clérouque macédonien (lot de Conon, dans l'ekade d'Arybbas, vendu par Aristonax, fils d'Ariston):61 - enfin, une inscription tardive de Suse indique que des kléroi avaient été distribués aux premiers occupants macédoniens lors de la s refondation, de la ville sous le nom de Séleucie-de-I'Eulaioe.ët Bien que les témoignages directs soint réduits au nombre de trois, on peut considérer qu'il s'agit là. d'un processus général. Un certain nombre d'indices invitent à. adopter ce point de vue:
11-12; voir au ssi Welles RC, ne 3-4; Josèphe, AJ XII. 149; Schmitt Vertrage nO 492 lignes 101-102 etc. "Cf. déjà E. Bikerman, Institutions des Séleucides, Paris 1938 (=Bikerman IS), 161-162. 60 Julien, Misopogon 362c. Cf. Bikerman IS 87 (où la traduction de kUro. par. fief, est particulièrement malheureuse) et p. 161; P. Petit, Liberuus et la vie munioipale & An-
tioche au IVè s. ap. J. C., Paris 1955, 87 et 97-99. Surprenante lacune de Downey Antioch 79-82, qui fait seulement une fugitive allusion (73) à. la concession de lots urbains, et une référence extrêmement confuse au passage de .Julieu (389 fi. 56). 61 Cumont, Fouilles Douce 286-296.
6' F. Cumont, CRAI 1931 (SEG VII, 13). Sur les discussions relatives à l'origine et à la nature des lots, cf. mise au point dans G. Le Rider, Suse sous les Séleucides et les Parthes,
Paris 1965 (MDAI XXXVIII), 281. 63 Préaux, Les villes hellénistiques (voir n. 40) 92. Elle souligne égo.lement 10. filia.tion possible entre les théories platoniciennes et la pratique des fondations hellénistiques; là· dessus, cf. également Downey Antioch 82, et il. propos de lu.distribution de lots, C. B. Welles, The Greek City, dans, Studi in onore di A. Calderint e R. Paribeni, Milan 1956, 81-99.
"Hypothèse de F. Cumont, JRS 1934, p. 188 (cité par Bikorman IS 162 n. 1), ce qui expliquerait, à mon avis, pourquoi on ne trouve que 0000 eletUheroi (citoyens) & Sé-
leucie de Piérie en 220 (Polybe V. 61. 1). 65 5
Voir discussion dans Bikerrnan IS 79 sqq,
Klio 60/1
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(J) par ailleurs, les recherches de J. Sauvaget à Damas, Laodicée, Beroia (Alep) ont montré l'adoption d'un plan en damier dans toutes les villes séleucides.w L'adoption d'un tel plan relevait pour l'essentiel de dispositions pratiques: «seul importait un système équitable de répartition des terres et des maisons, le plan en damier favorisait les opérations de lotissement •.67 Or, celles-ci étaient menées conjointement intra muros et extra ",,,r08: dès lors, le caractère général des kléroi ne semble pas devoir Iltre mis en doute. 68 On peut môme supposer que cette distribution revêtait un caractère égalitaire:' ce qui ne veut pas dire évidemment que la micro-société européenne était une société sans classe: certains colons venaient avec un pécule, d'autres avaient une qualification artisanale, d'autres enfin (la plupart sans donte) n'avaient que leurs mains de paysans ruinés; et pour ces derniers le kléros représentait une sorte de «minimum vital •. La véritable unité de la nouvelle communauté se faisait en opposition aux indigènes, comme nous le verrons tout à. l'heure. Le statut de ces kléroi pouvait sans doute différer selon le type de la fondation. Dans le cas des villes nouvelles créées ex nihilo, il semble que le roi conservait une sorte de propriété éminente, puisqu'à. Dours-Europos, si l'on vend ou si l'on achète librement les lots, ces kléroi reviennent au roi s'il n'y a pas d'héritier l'égal. Le clérouque n'a donc qu'un droit de «quasi-propriété .;69 .. l'Etat se réservait la nue propriété des lots distribuées aux colons .,70 Le roi gardait probablement en réserve une partie de la ehôr« pour la distribuer sous forme de lots à. de nouveaux colons installés à. son initiative. 7! On peut supposer enfin que la cité possédait des terres publiques pour assurer les ressources financières de la collectivité. 72 A l'extérieur de cette première zone, - la châra politikè au sens strict -, s'étendait •• J. Sauvaget, Le plan de Laodicée sur mer, dans: Bull. Et. Or. 4 [1934], 81-114; id., Le plan antique de Damas, dans: Syria 26 [1949], 314-358; id., Alep, Paris 1940, 30 sqq, Voir aussi L. Robert, CRA! 1951, p. 255-256. Des villes orientales anciennes ont également été remodelées selon ce plan, ainsi Edesse (J. B. Segal, Edeasa, the "Bleeaed City", Oxford 1970, 7), Karka de Bet Selok (Chronique syriaque, tr. dans N. Pigulewakaja, Les villes de l'Etat iranien aux époques parthe et seaeanide, Paris (tr. fr.) 1963,47: Seleukoe «élargit la ville et la couvrit de rues ... Il Ie divisa en soixante-douze rues ... Douze rues furent appelées d'après les noms des métiers »). Il semble qu'il en fut de même à. Séleucie du Tigre: G. Gullini, New Excavations at Séleucie on the Tigris, dana: Proceedings of the XXVII'h Congo of Orientaliste Ann Arbor 1967, Wiesbaden 1971, 77. 67 Martin Urbanisme (voir fi. 26) 175. 68 Cf. Ammien Marcellin XIV. 8. 6.: (Seleucus) urbes construxit, multis opibus lirmas e'
viribua .
•• Bikerman lS 87. 70 Ibid. 162. Dans la. cité cappadocienne de Hanisa, les biens d'un citoyen mort sans héritier (akleronômos) reviennent à l'Etat (L. Robert, Noms indigènes dans l'Asie Mineure gréco-romaine, Paris 1963, 473). il Cf. par exemple Libanius, Oratio XI, 111, 120. Contru.iremen t il. ce qu'écrit Bikerman 18161, je ne crois pas que les 10000kléroi dont parle Julien, Misopogon, 3620 soient «primitifs» (cf. déjà les doutes de P. Petit, Libanius 97), car Antioche a reçu à plusieurs reprises des renforts de colons aux llIè et llè 8. i2 C'est là une habitude dans les cités antiques. Voir par exemple la situation il. Cberaonc80S qui possédni t une terre à blé, le Pedion, « apparemment partagée en lots concédés 0. des pertdculicrs qui, pour prix de leur exploite.rion, fournissaient à ln. cité des quantités de céréales sans doute appréciables ... Les kléroi de la. Plaine ont dû constituer une réserve de terres publiques périodiquement affermées ... t) (D. M. Pippidi, Main-d'œvro agricole dans les colonies grecques de la. Mer Noire, dans: Problèmes Je la terre en Grèce ancienne, Perie 1973,74-75). - C'est une situation qui se transmet, mutatis mutandis, dens l'Antiocbc du Bas-Empire romain (cf. P. Petit, Libanius 96 aqq.).
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une zone plus vaste peuplée de paysans indigènes, vivant et travaillant dans leurs villages et sur leurs territoires traditionels. Aucun témoignage ne nous renseigne avec précision sur cette zone; mais les inscriptions hellénistiques traitant du rattachement de terres royales à des cités d'Asie Mineure constituent un parallèle fort acceptable.73 b) Citoyens et dépendants C'est la raison pour laquelle il convient d'être prudent sur Je sort des populations rurales. On peut rappeler la phrase d'E. Bikerman:« Les paysans indigènes labourèrent maintenant la terre pour les nouveaux maîtres. à des conditions qui nous restent inconnues et qui, probablement, n'étaient pas les mêmes partout.• 74 En d'autres termes, autrefois dépendants du Roi, ils le sont maintenant de la cité, Essayons de préciser. Une distinction s'impose entre les deux zones grossièrement définies oi-dessus. Dans la zone« externe. on peut considérer en effet que ni Je statut ni la condition économique des paysans indigènes n'ont subi de réelles modifications. Ils ont conservé leurs maisons, leurs villages, leurs familles; ils continuent de cultiver les terres qui dépendent de leurs villages; le régime de la communauté vilJagoise n'a pas été briéé. 75 Dono, une très grande permanence, tout comme dans le cas des laoi rattaohés à une cité grecque: ni marche vers la libération, ni aggravation du statut,76 Du moins peut-on proposer cette interprétation pour des populations qui, tels les paysans de Syrie du Nord, faisait partie des laoi basilikoi sous la domination achéménide, Il faudrait évidemment pouvoir nuancer: on peut supposer que dans certains caa, des villages indigènes dépendaient (financièrement) d'une ville hellénistique, sans faire partie intégrante de la oité et de son territoire.t? La dépendance restait en tout état de cause collective. Elle se marquait essentiellement par le versement d'un tribut (phOros) à la cité, tribut très probablement versé pour l'essentiel en nature 7. : c'est dire que pa.r leur travailles paysans indigènes contribuaient puissamment à la reproduction physique de la population urbaine dominante, la production des citoyens sur leurs klérm restant oertainement insuffiï3 Cf. P. Briant, Remarques sur laoi et esclaves ruraux en Asie Mineure hellénistique, dans: Aotes du Colloque 1971, Besançon-Paris 1973,93-133; H. Kreillig Boden und Abhângigkert im Orient in der hellenistischen Epoche, dans: JWG 2/1976, 101-116. - Autre parallèle possible, les cités de la Mer Noire: en effet le royaume du Bosphore est un 1 exemple d'un royaume hellénistique avant la lettre t, où « une masse bigarrée d'indigènes ... est gouvernée et exploitée par une minorité du Grecs habitant pour la plupart les villes l, et où le régime des terres (gè basilikè, gè politikè, d6rea) semble analogue à ce qu'on eonnaît dans les royaumes hellénistiqnea d'Orient (Pippidi Main·d'œuvre 69-71). 'il, Bikerrnan IS 161. Rostovtzeff SEHHl,,,, I, 481 est encore plus pessimiste: "What huppened to the native population of the city terri tory, to t hoir viUages and harnlete, and to their temples, we cannot say." -s Cf. Briant JESHü 18/2 [1975], 165-188, en p ..rticulier 183-186. 76 Cf. Atkinson Antichton 2 [1968], 37-40. tt Cf. les relations entre Apollonia de la Salbakè et les hierai k6mai indigènes qui 1 dépendent de la ville d'Apollonia, 1) mais (t ne font point cependant partie intégrante de la cité et de 'son territoire. L'administration séleucide peut les enlever à la cité ou modifier leur statut 1); la ville lève sur eux des taxes. (cf. J. et L. Robort, La Carie II, Paris '19154, 294 sqq., en particulier 296). 78 Cf. Ines il Remarques sur Ieoi ... 1) 115-116.
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sante. Il semble d'ailleurs que le territoire des cités (de certaines d'entre elles au moins) était parsemé de postes de garde (phrooria),79 qui dépendaient soit, de la ville elle-même soit de I'administrabion militaire royale. 80 Ces postes étaient chargés d'abord de donner aux paysans indigènes e des places de sûreté en cas d'invasion ,Sl: en d'autres termes, d'assurer la conservation des forces de travail; d'autre part, de tenir «en obéissance la population soumise »,S2 car l'éventualité d'une révolte (active ou passive) pouvait difficilement êore éludée par les Gréco-Macédoniens. 83 On peut supposer que ces garnisons étaient installées dans des Iocalités indigènes. B4 La nature des rapports entre ces villages et la ville ne me paraît pas devoir autoriser l'hypothèse présentée par plusieurs auteurs de la participation des dépendants à l'effort de guerre des cités grecques 85: si l'hypothèse peut être vérifiée éventuellement dans quelques cas,B6 il me semble difficile de la généraliser. Les diffioultéa se multiplient et paraissent insurmontables sur le problème de la zone «interne ». Nous ne disposons pas de documentation directe, et il faut recourir soit à des fragments d'inscriptions d'Asie Mineure, - dont I'interprétation est fort contestée -, soit à des comparaisons et rapprochements, toujours dangereux, avec la situation du territoire d'Antioche au IVè siècle de n. Soulignons cependant tout de suite la différence fondamentale entre les deux zones: dans la zone «externe" le droit de contrôle sur le travail (ou plus exactement le surtravail) des paysans est exercé collectivement (par les magistrats de la cité) sur des terres qui ellemêmes sont gérées collectivement (par les communautés villageoises); dans la zone «interne» au contraire, la colonisation a entraîné la création de lots privés (ou quasi-privés dans certains cas). Comme cette zone interne était certainement cultivée avant l'arrivée des colons, on doit admettre que la situation des indigènes y vivant a è,
7' Tite-Live XXXIII. 18.4 (Stratonicée de Carie); Strabon XVI. 2. 10 (Apamée de Syrie. 80 Bikerman IS 79. 81 Ibid. 160. 82 Ibid. 83 Cf. le document publié et commenté par Robert La Carie II n" 167 (§ 2: n{?oç TOVÇ dVTlxel· Ilévov, nov, èyXCJ){?(cuv): opposition des indigènes des «villages sacrés. oontre la domination
de la ville d'Apollonia de la Salbakè (fondation séleucide de Carie remontant à Seleucos 1 ou Antiocbos 1 (p. 312), à une date où la ville a échappé à la domination séleucide et où donc la garnison royale (cf. texte n" 166) a disparu. «Ce n'est presque pas faire une hypothèse que les indigènes voyaient une oocasion de faire sécession, d'être affranchis, grâce aux bouleversements politiques de 190-188, de la domination ou de la tutelle de la ville - proche.
présente et détestée - et qu'ils espéraient être rattachée directement aux Rhodiens, lointains et encore inconnus par expérience directe> (Robert 307). Cf. également les révoltes des Pèdee contre Priène (OGIS 11). 8. Cf. Strabon XVI. 2. 10: Tryphon est né à Casiana (.,. Kasianois), «forteresse du pays d'Apamée ('l'eooe(cp TLvi rijç •Ana,deuv yijç). et l'une des « bourgades dépendantes (... ~ai TWV neelO"xt,swv) •. 85 .Iëhne Klio 56 [1974], 511 (à Séleucie de Pierie: sans justification), et surtout Atkinson Antichton 2 [1968], 50-51 (villes d'Asie Mineure). 86 Cf. à Istras au IIè siècle: cf. Pippidi Main-d'œuvre 81-82, qui commente: « •.• autochtones établis à. demeure dans la. cbôra et dans eee environs et, en dépitde leurs infériorité politique, prête il. défendre un état de chose qui ne leur offrait pas que des désava.ntages 1),
L'alliance des Pèdes avec Magnésie contre Priène (OGIS Il) au début du Illès suggère qu'ils étaient armés et entraînés. Mais, on remarquera. que ces deux exemples se réfèrent à une phase relativement tardive des rapports entre la cité et les paysans dépendants, et qu'ils ne sont pas transposables à la période des débuts.
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été profondément modifiée, à la différence de leurs voisins de la zone externe. C'est à cette seule zone interne que peut s'appliquer le grand débat (cf. Ranowitsch/Rostowzew) sur l'évolution des paysans indigènes, vers la liberté (Rostowzew, Tarn ...) ou vers l'esclavage (Ranowitsch), débat qu'il ne saurait être question de rouvrir globalement ici,s7 si ce n'est pour remarquer qu'au moment môme de la fondation, l'évolution n'a pu se faire que dans le sens d'une aggravation de leur situation économique: la distribution de lots aux colons en effet s'est faite à leurs dépens; elle a signifié pratiquement la confiscation de terres qu'ils cultivaient de génération en génération: activité qui se faisait pour une part au bénéfice du Roi par le versement du phôros, mais qui également permettait la reproduction de la société villageoise. On peut donc difficilement écarter l'hypothèse de la mise en dépendance personnelle (et non plus collective) d'un certain nombre d'ex-paysans royaux contraints désormais de travailler sur les kléroi des colons européens. Mais, il faut le préciser, ce processus n'a joué (ou n'a pu jouer) que dans une zone limitée, et ne pouvait modifier profondément la. nature du mode de production, même si l'évolution a pu aller jusqu'à la. création d'esclaves privés: il ne peut s'agir en effet que d'un phénomène marginal, qui ne met pas en . cause l'ensemble des rapports sociaux. Ce qu'il m'apparaît important de souligner, c'est qu'il ya entre la. ville et la. zone interne une homogénéité SS qui n'existe paa avec la zone externe. En effet, cette homogénéité procède des modalités mêmes de la fondation, où ont été découpés simultanément lots urbains et lots ruraux. 59 D'autre part, je suis tenté d'appliquer aux fondations séleucides ce que D. M. Pippidi 90 a. écrit des cités grecques du Pont « ••• il ne faut pas s'imaginer non plus les Grecs détenteurs de "J.iieo, comme des 'landlords' fainéants, bons tout au plus à veiller à la rentrée des récoltes que d'autres faisaient pour eux. Ma conviction est qu'une partie importante de la popula.tion des diverses ànooda« non seulement» vivait de la terre < en ce sens qu'elle en percevait le produit, mais contribuait effectivement à le faire fructifier .• Pour les fondations syriennes, cela. est vrai surtout, peut-on penser, des plus pauvres des c1érouques, pour lesquels la productivité du kléro« était vitale. DI Il y a môme tout lieu de supposer que ces citoyenspaysans, ou du moins une partie d'entre eux, habitaient à demeure à la. campagne dans la zone suburbaine. La présence de fermes est attestée sur le territoire de nombreuses villes de l'époque classique, en Grèce et en Asie Mineure. D2 Ce type d'exploitation se multiplie également sur le territoire d'Ai-Khanoum, ville neuve elle aussi, au cours du IIIè siècle. D3 Pour Antioche, les preuves archéologiques manquent; quant aux té. moignages littéraires ils sont tardifs: on peut noter cependant que Liba.nius!l4 va.nte 1.. 87
Pour la simple raison que ni une thèse ni l'autre ne sont acceptables (cf. H. Krei.oig.
Klio 56 [1974], 521-527)! 88
Sur cette notion, cf. E. Sereni, Villes et campagnes dans l'Italie préromaine, dans:
Annales ESC 1967, 23-49, en particulier 27-30. • 9 Cf. Martin Urbanisme 175 (supra, I. B. 1. a.). Main-d'œuvre 66. Cf. supra, p. 66. 92 Voir J. Peëirka, Homestead Farms in Classical und Hel1enistic Relias, dans: Problêmes de la terre (voir n. 72) 112-147. 93 Bernard, CRAI 1975, p. 196: « ••. la plaine se couvre de fermes et de hameaux dont nous avons retrouvé les traces par dizaines, non seulement aux abords d'At-Khenoum, mais aussi au pied des collines qui s'élèvent à. 10 ou 20 km de lo.,loi.l\ de tout point d'eau ...• "' Oratio XI, 230. 90
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richesse des "",pat pey,Hat qui constituent « comme la ceinture dorée de la métropole» ;95 c'est iL leur propos que Libanius conseille de ne pas trop étendre les constructions urbaines, sous peine « de priver nombre de gens ...d'une masse de terres cultivables ",06 Le problème reste posé évidemment de la date iL laquelle s'est opéré le peuplement de la zone suburbaine: on peut tout aussi bien supposer qu'au moment de la fondation, les clérouques travaillaient leur terre tout en habitant en ville, et que la situation décrite par Libanius correspond il. une évolution des rapports sociaux qui n'est pas il. inscrire au compte de la période séleucide.ë? Si l'hétérogénéité est totale avec la zone externe, l'homogénéité avec la zone interne, indéniable au plan socio-éconornique, est simplement partielle au plan ethnique, 2. La colonisation gréco-macédonienne en Iran oriental Si l'on met il. part le cas d'A1exandrie/laxartes, - dont il sera question ci-après 9S - , peu d'informations nous sont données sur le peuplement des villes nouvelles ou des colonies de Sogdiane-Bactriane. TI est nécessaire pourtant d'envisager le problème car, d'une part, les satrapies d'Iran oriental présentent des structures socio-économiques spécifiques dans l'Empire a.chéménide, - d'autre part, les récits des cempagnes d'Alexandre le Gra.nd posent directement le problème des rapports avec les indigènes. enfin, un texte négligé de Quinte-Curce permet de présenter une interpréta.tion sur le sort des populations rurales. A côté de régions désertiques, la Bactria.ne et la Sogdiane possédaient des districts très riches,09 dans lesquels trava.illaient des populations villageoises actives et denses. Ainsi, le pays proche de Xenippa en Sogdiane «est occupé par quantité de gros bourgs (pluribu8 a.c trequentibus vici8) car la fertilité du sol, 'qui fixe les indigènes (non indigenas modo detinet), constitue en outre une invita.tion aux étrsngers •. 100 On peut, sans grand risque, affirmer en première approximation que ces pa.ysans étaient dépendants; mais l'on sait qu'un tel qualificatif reste trop vague en luimême,lol Ce qu'il faut souligner, dans le cas de la Sogdiane-Bactriane, c'est que la. «communauté supérieure, qui les assujettissait n'était pas partout la. même: les grandes villes possédaient des villages sur leur territoire ;102 d'autres populations dépendaient directement de I'adminiatration royale a.chéménide; 103 d'autres enfin étaient dominées par de petits princes locaux. C'est iL cette dernière catégorie que je voudrais m'arrêter en premier lieu. Petit, Libaniua 307. Loc. cit. 229. 9i Sur les faubourgs des villes syriennes, cf. Strabon XVI. 2. 10, et Polybe V. 60! - mais ces textes sont extrêmement vagues. • 8 Infra, 1. B. 2. b. 99 Sur ce contraste, cf. Quinte·Curce VII. 4. 26. 100 Quinte-Curce VIII, 2. 14: cf. ausai id., VII. 4. 20-21: VII. 6. 10; VIII. 1. 3; Arrien, Anab. 111.25.7 ... Sur la richesse du territoire d'AI-Khanourn, cf. Bernard, CRA! 1975, p.195-197. tOI Voir K. Zelin, Principes des cla.ssification morphologique des formes de dépendance (VDI 2/1967,7-30), tr. fr. dans: Formes d'exploita.tion du travail et rapports sociaux dans l'Antiquité classique, Paris 1976 (Recherches internationales à la. lunuère du marxisme ne 84, 1975), 45-77. 10' Cr. Briant, JESHO 18/2 [1975], 187 n. 104. 103 Le Roi contrôlait une grande partie du réseau d'irrigation: Hérodote III. 117; Po· ly be X. 28; of. F. Alt.heim-R. Stiehl, Geschichte Mittelasiens im. Altertum, Bernn 1970, ilS
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a) Les paysans dépendants sur les terres des hyparques Ces princes, appelés hyparques par Arrien,IO~ étaient elix-mêmes dans un état de très lointaine dépendance par rapport au Grand Roi, auquel ils fournissaient un contingent lors de la levée de l'armée royale; on peut dire qu'à l'arrivée d'Alexandre leur pouvoir ne connaissait pratiquement aucune limite dans le territoire qu'ils contrôlaient. lOS Alexandre se heurta à plusieurs d'entre eux (Sisimithrès/Choriènes lO6, Ariamazès, Oxyarthès) qui, pour échapper à l'envahisseur, se réfugiaient dans des nids d'aigle (PetTai) considérés par eux comme imprenables. 107 Ces Roches dominaient topographiquement et économiquement un plat.pays plus ou moins vaste: petra et plat-pays (petTa et Tegio) constituaient les bases du pouvoir de ces princes. lOS Leurs territoires comprenaient une population abondante: en Arie, une foule de paysans qui avaient soutenu la rebellionde Satibarzanès se réfugièrent sur une Roche;IOV le nombre d'hommes sur la petru de Sisimithrès était également très élevé;uo Ariamazès, quant à lui, rassembla trente mille hommes dans son réduit. 1I1 Ces paysans cultivaient le plat-pays au profit des princes. m On sait en effet qu'Aria. rnazès avait accumulé des vivres pour deux ans et pour 30000 hommes.tü De même, après sa reddition, Sisimithrès ravitailla l'armée macédonienne: «TI donna du blé et du vin tirés de ses réserves creusées dans le roc, et distribua par tente une ration de viande séchée .;I1~ non content de fournir deux mois de vivres à, l'armée macédonienne il ajouta s qu'il n'avait pas dépensé le dixième de ce qu'il avait préparé pour le siège •. U5 Il faut en conclure que la dépendance des paysans se marquait essentiellement par le versement de prestations en nature,UG la Petra jouant également le rôle de grenier du prince, qui entretenait autour de lui une véritable cour.U? Les paysans dépendants 169, et surtout maineenene O. Bucci, Note di poliuce ugrerie echemenidet a.propositodel passo, 10,28 1 3 di Polibio, dans: Studi in memorie, iu G. Donatuti l, Milan 1973, 181-190. 101i. Ce terme ne revêt pas une signification technique chez Arrien: voir en dernier lieu J. M. Bertrand, Sur les hyparques de l'empire d'Alexandre, dans: Mélanges 'N. Seston, Paris 1974, 25-34 (en particulier 27-29). - Quinte·ClIrce (VIII. 4. 21) donne le titra de t satrape. à Oxyarthès: on ne doit évidemment en tirer aucune conclusion d'ordre juridicoadministratif. 105 A deux reprises, Quinte-Curee emploie le terme imperium pour qualifier ce pouvoir: VIII. 2. 32 (Sieimiehrèsj : VIII. 4. 21 (Oxyurthès}, cf. Altheim-Suiehl 167. 106 Le premier nom lui est donné par Quinte-CurctI. le second par Arrien, sans que l'on puisse expliquer cette divergence (H. Berve, Das Alexeuderreich auf prosopographiecher Grundlage II (1926), ne 708, p. 354 n. 2). Par la suite, j'utiliserai (arbitrairement) le nom Sieimichrèe. HJi Sur ces Roches, cf. Altheim-Stiehl 166-167. 10. Quinte·Curee VII. 11. 29 (AriamazèB), cf. VIII. 4. 21, VIII. 12.25. 10. Arrien III. 25. 7; Quinte-Curee VI. 6. 23-24; Diodoro XVII. 78. 2. 110 Arrien IV. 21. 1 (polloi baTbaTan). III Quinte.Curee VII. 11. 1; cf. Arrien IV. 18.4 (polloi tan Sogdianan). Il:! Ainsi Altheim-Stiehl 168-169. 113 Quinte·Curce VII. 11. 1. tH Arrien IV. 21. 10. 115 Ibid. 116 cr. aussi F. Altheim, Alexandre et l'Asie (trad. fr.), Paris 1954, 74: Il • • • ceols. présuppose l'existence d'un oikoe seigneurial, organisé sur le même plan que l'oiko8 royal et son concur-rent, efficace dans l'est lointain.• 117 Voir Quinte·Curce VII. 11. 28 (... oum propinquis nobilissimis que gentis suae); également Arrien, IV. 21. 8 ("ai nov olxekov Ttvèç xai é"ra{Qwll athov) .
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devaient également le service militaire: les 30000 hommes qui sont rassemblés sur la Roche d'Ariamazès sont armès; IlSles Ariens qui ont soutenu Satibarzanès contre les Macédoniens proviennent des villages,1l9 de même que les contingents levés par les petits princes bactriens qui ont répondu (pour un temps) li l'appel de Bessos. l 20 On peut donc considérer au total que, derrière les analogies indéniables (versement du surproduit), les populations d'Iran oriental travaillant sur les terres des princes sont dans une situation différente de celle des paysans royaux, puisque, entre le village et le Grand Roi (ou le satrape), se situait un intermédiaire ou mieux 121: un écran, l'hyparque, dont les liens de dépendance politique vis à.vis du Roi n'avaient cessé de se relâcher. On peut donc admettre qu'à. côté (ou à. l'intérieur) du Mode de production asiatique (e économie royale s) s'était développé un mode de production que, faute de mieux, on qualifiera de e féodal.,122 En tout cas, l'imbrication de plusieurs modes de production apparaît certaine. Un texte négligé de Quinte-Curce 123 permet de présenter une hypothèse sur ce qu'il advint de ces populations rurales lors de la conquête et de la colonisation macédoniennes. Le passage se rapporte à. la reddition d'Ariamazès: e Ariemazès désespéra avant d'avoir tout perdu; il descendit au camp [d'Alexandre 1 avec ses proches et les plus nobles de ses compatriotes; Alexandre les fit tous battre de verges et crucifier au pied même de la Roche. Le. masse de ceux qui avaient capitulé, ainsi que l'argent saisi constituèrent un présent d'Alexandre aux habitants des villes nouvelles. (Multitudo deditorum incolis novarum urbium oum peeumia capta donc data est). On laissa sous la tutelle d'Artabaze la Roche et le plat-pays (Artabazus in petrae regionisque, quae adposita esset. ei, tutela relictus) .• Ce texte, - unique dans son genre à. ma connaissance -, apporte donc des renseignements précieux et relativement précis sur les modalités de la mise en dépendance collective et massive (30000 paysans) l:M au profit des cités et colonies militaires nouvellement créées en Sogdiane-Bactriane.rzë Il est à. peu prés certain en effet que Ces 11S 119
Quinte-Curce VII. 11. 1 (oum XXX militibus armatorum). Arrien III. 25. 7. - Quinte-Curee (VII. 6. 24) qualifie oette foule d', incapable de
laire la. guerre. (... multitudinem imbellem), mais c'est par opposition à l'armée constituée autour de Satibarzanès (ibid. 23). 129 Quinte-Curee VII. 4. 21: les soldats, s'éparpillèrent dans leurs différents villages (in 81.'08 qUisqU6 viooe dilapsi) t, QuinteaCurce leur donne le nom de clientu, équivalent du grec pelâtai, c'est à. dire paysans dépendants. 121 Il existe une Assemblée (sYllogo.) des nobles, dont on peut penser qu'elle pouvait peser d'un grand poids face au Roi (cf. Arrien IV.!. 5). Il est tout à. fait caractéristique que Bessos, - qui se présente comme le successeur des Achéménides (Quinte-Curee VI. 6. 13; Arrien III. 25. 3; Diodore XVII. 74. 2) -, soit abandonné par les princes qui renvoient leur propre armée (Quinte·Curce VII. ,4.20) et laissent le nouvel Artaxerxès continuer avec sa. propre troupe de clients (VII. 4. 21: cum clientium manu); chaque chef a donc gardé le commandement du contingent qu'il a.vait levé de sa propre autorité dans son propre territoire (cf. E: Bikerman, Acced. Linoei CCCLXIII [1966], p. 89 n. 12). 122 Ce n'est pas le lieu de reprendre le problème du féodalisme dans l'ancien Iran, terme dont on a tendance à abuser. Je crois cependant que, globalement au moins, ce terme est le seul il. rendre compte des rapports socle-économiques tels qu'on peut les dégager des textes anciens. 123 VII. 11. 28-29. 12'Chiffre donné par Quinte-Curee VII. 11. 1125 Cf. la mission donnée à. Hephestion: :tÔM:1Ç t1VlI01~lCet." (Arrien IV. 10.3: avant la red-
dition de la Roche des Sogdiens).
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populations furent astreintes à.cultiver les terres des établissements gréco-macédoniens, - même si l'on ne peut exclure J'hypothèse qu'une partie fut introduite à. l'intérieur môme des cités.!26 Je ne crois pas non plus qu'on puisse parler, ici 127, de déportation en masse. Je suis plutôt tenté de croire que les trente mille prisonniers regagnèrent leurs villages d'origine qui, eux-mêmes, furent assignés aux territoires des cités fondées dans la région naguère contrôlée par Ariamazès. Deux indices directs incitent il. choisir cette solution.
Cf. infra, p. 83.
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Infra, p. 87.
t2. Arrien III. 129 La Roche
29. 1; Quinte-Curee VII. 5. 1. d'Aornos (Pir-Bar) et son territoire (Quinte-Curee VIII. 12.2.5: Petrae regioni8que ei adjunctae ... ) est munie d'une garnison, et l'ensemble (Roche et territoire) est mis sous le commandement d'un noble bactrien rallié, Siaicottoe (Quinte-Curee loe. cit., et Arrien IV. 30. 4). 130 Voir en particulier l'exemple d'Alexandrie du Caucase, dirigée (d~'Y<ÏaDa') d'abord par un ehyparque e bri Tii, "&À''''" puis par Nikanôr (Arrien IV. 22. 4-5: T»V ,,&À.v aÙ'l»v ..oal'<Ïu , .."Àeua,: cf. H. Bengtson, Die Strategie in der hellenistischen Zeit III, Munich '1967, 130). 13t Cf. surtout Arrien VII. 6. 1 (il. Suse en 324): •H..ov 6i aÙ'l .. ai 01 aaT2d"a. 01 d.. TWV
nôÀewv Tt TCÜV veo"T{aTo,)V" "ai "t'ijç aÀÀ7J; yijç Tijç oOevaÂ.WTOV •.. 132 Voir mon étude dans DHA II (1976) (et la discussion qui suit avec Monique Lévêque et J. P. Digard). 133 Quinte-Curee VIII. 4. 21.
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forte et sa fonction d'hyparque; 134 Quinte·Curce 1"" précise même qu'Alexandre« rendit
à Sisimithrès son autorité (i1nperium), et lui laissa espérer une province plus vaste s'il cultivait loyalement son amitié •. Ariamazès et Oxyarthès virent donc confirmée, au moins sur le moment et extérieurement, leur domination sur les populations rurales dépendantes. Mais, désormais, l'un et l'autre tenaient leur pouvoir du conquérant. Les concessions du roi s'expliquent évidemment par son souci de ne pas s'éterniser dans une «pacification, de plusieurs années. l36 Il préférait laisser une part des terres conquisee en dépôt il. leurs anciens maîtres, ou même transférer il. des nobles ralliés les territoires de ceux qui refusaient de se soumettre. 137 Mais, dans le même temps, il prenait toutes les précautions nécessaires pour limiter l'indépendance (d'ailleurs fictive) de ses «protégés " il. savoir: - prise d'otages 138, - utilisation et exacerbation des rivalités internes il. la noblesse 139, - mise en place d'un réseau serré de villes et de garnisons. 140 A terme, on peut considérer que l'appel fait aux anciens princes d'entrer au service (même déguisé) du roi signifiait leur effacement en tant que potentats 10caux. 141 D'une certaine manière, en effet, 1.. promotion d'un ex-hyparque dans l'administration satr..pique 142 aboutissait il. un résultat il. peu près analogue il.celui qu'avait obtenu Alexandre en exécutant Ariamazès et sa suite, c'est il. dire: supprimer, - dans la réalité des choses au moins -, les écrans entre les populations rurales dépendantes et l'administration royale, et les remplacer par des intermédiaires en voie d'intégration rapide dans la nouvelle classe dominante impériale mscédono-iranîenne. Colonisation et «iranisation , sont deux aspects d'une même stra tégie: réserver aux conquérants, - d'abord au roi -, et il. 1.. mince couche sociale ralliée 1.. disposition de .l'immense force de travail a gricole rendue disponible par-Ie «droit de la lance l•• H3 b) Déportation en messe et dépendance: l'exemple d' Alexandrie-sur-l'Iaxartes
Les satrapies de l'est-lranien possédaient également un réseau urbain pré-hellénistique, dont une partie remontait aux Achéménides. Au cours de son expédition contre les nomades, Cyrus avait fondé plusieurs villes, parmi lesquelles la célèbre Cyropolis Arrien IV. 21: 9. VIII. 2. 32. 136 Cf. P. Briant, Alexandre le Grand, Paris 1974, 55-65.
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137 Voir Quinte·Curce VIII. 1. 2 i reddition de plusieurs nobles sogdiene: « A ceux-ci il fit attribuer les villes et les terres (urbes agr08q'U6 j'U88it attribui) de ceux qui avaient persévéré dena la défection s; (le terme urbB renvoie en réalité il. petra: cf. Alëbeim-Stiehl 165-167). t38 Voir la levée de 30000 jeunes iraniens assimilés judicieusement par Quinte-Curce (VIII. 5. 1) il. des otages. Oxyartbès dut donner deux de ses fils qui accompagnèrent Alexandre en Inde (VIII. 4. 21); il en fut de même de Sieimithrês (VIII. 2. 23). La présence de Roxane près d'Alexandre était pour le beau-père une raison supplémentaire de se tenir tran-
quille! 13. Cf. Quinte.Curce VIII. 1. 2. , 14. Id. X. 2. 8. 14'1 Voir par exemple le ralliement de 30 nobles eogdiene et le pardon accordé par Alex. andre: «Ceux qui furent renvoyés chez eux assurèrent, par leur loyalisme, I'obélsaance de leurs compatriotes. (Quinte-Curee VII. 10.9): autrement dit, ils firent régner l'ordre macédonien. 14.2 Oxyarthès fut nommé satrape des Paropamisades à la fin de 326 (Arrien VI. 15. 3). 1113 On peut supposer en effet qu'Alexandre exigea des nobles ralliés on soumis (Sieimithrès par exemple) le versement à la caisse royale d'une partie du tribut qu'ils avaient l'habitude de lever sur e leura e paysans dépendants: c'est à dire qu'ils fonctionnaient ni plus ni moins comme percepteurs impériaux.
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appeJlée à devenir" la frontière de l'empire perse> face aux nomades. 1Io1, C'est àla même stratégie que répondit la fondation d'Alexandrie/laxartes, implantée dans un lieu (1 favorable pour une poursuite des Scythes, s'il le fallait, et pour la défense de la région contre les incursions des Barbares qui habitaient au 'delà du fleuve .,145 Arrien affirme que la ville nouvelle fut peuplée par « des mercenaires, des barbares du voisinage qui se montraient désireux de participer à la fondation ("al RUT', nQV :tQoao,,,oWrwv flaaflaawv lIJeÀovn}ç fI,réaxe rfi, a'llVo,,,[aew,), des Macédoniens de l'armée qui étaient déj à licenciés •. H6W. W. Tarn 147 et CI. Préaux 14S yontvu, tort selon moi,I4g la preuve de l'application d'une politique de sédentarisation des nomades. A côté d'erreurs de perspective, les deux auteurs ont eu le tort de s'appuyer exolusivement sur Arrien, alors que Justin et Quinte-Curee présentent une autre version. Le premier écrit en effet: "Alexandre y fit passer la population de trois villes fondées par Cyrus »,ISO et le seoond: «On peupla la ville nouvelle avec des prisonniers qu'Alexandre libéra en les rachetant à leurs maîtres ».151 Cette seconde explication doit être évidemment préférée à la thèse du volontariat indigène complaisamment avsncée par Arrien. 1S2 En effet, au moment où il choisissait le site de la future Alexandrie, le roi avait été rappelé en arrière par une révolte en Sogdiane. 153 La guerre de siège contre les sept 154 grandes villes achéménides avait été menée a veo une extrême brutalité. Tous les hommes de Gaza avaient été passés par les armes,l55 et des milliers de fuyards avaient été massacrés.l58 Alexandre avait ramené des dizaines de milliers de prison. niers lors.de son retour sur le site précédemment choisi. 157 Ce sont certainement les prisonniers dont parle Quinte-Curee, qui constituent les débris des c trois villes fondées par Cyrus. (Justin). On peut supposer que ces prisonniers avaient été distribués aux soldats comme butin, 158 - d'où probablement ce curieux rachat par Alexandre. Tous ces prisonniers n'étaient cependant pas d'origine urbaine: beaucoup, sinon même la plupart, venaient des campagnes sogdiennes. La révolte en effet avait été générale l59 : les populations rurales s'étaient réfugiées dans sept villes fortifiées,l60 qui à
Strabon XI. Il. 4: oa'ov T'Ï' IIEaawv daX'Ï,; cf: A1theim·Stiehl 125-126. Arrien IV. 1. 3 (Tr. CI. Préaux). Ibid. 4. 1. '" Alexander the Great II, 244 n. 1. ". Les villes hellénistiques (voir n. 40), 91-92. ,.. Voir mon étude dans DRA II (1976), en particulier V. C. 3. (J'avais adopté la position de Tarn et Préaux dans mon Alexandre le Grand, Paris 1974, 79-81). '50 Justin XII. 5. 12: ... tra1l8latis in eam trium civilatum populis, g~ OIlt"U4 condidertU. '44
1<5 1<.
151 Quinte~Curce
VII. 6. 27: l ncolae novae urbi dati captiv-i, quo. rsdd-ito pretio dominu
liberavit. rsa Voir 1'3
déjà Tseherikower 192 sqq., suivi par Chapot (voir n , 1) 177. Arrien IV. 1. 4; Quinte-Curee VII. û. 13.
1~"
Chiffre donné par Arrien IV. 2. 1.
Ibid. 2. 4; cf. Quinte·Curee YII. û. 16. ". Arrien IV. 2. 6. rsr Arrien IV. 2. 4, IV. 3. i, IV. 3. 5....
155 158
Cf. Arrien IV. 3.5:
xaraJlûf..Wt .. . avrov
[Alexa.ndre]
ToV,"
dvOeam01Jç'
Tfi
uTeanq (Cr.
ôeOe/ûvovr;.).
Arrien IV. 1.5 (.. ."ai TWV Eoydmvwv 01 "o.Uoi); cf. aussi ibid. IV. 3. 5; Quinte.Curee 13: Sogdianorum defectio ; cf. auasi id. VII. 9. 17: ... deficienlem magna ez parle Aeiam (après la campagne contre les Scythes). Des Baetriens se joignent à la révolte (Quinte·Curee VII. 6. 13; Arrien IV. 1. 5). Les nobles sogdiens ont lancé un véritable appel à l'insurrection (Quinte.Curce VII. 6. 15: ad arma concitaverunt), comme Besses l'avait fait précédemment Diodore XVII. 74. 1: "aae,,")''' rd ,,).~IJ7J T'Ï, ii.evlJeQla, dVTixe"lJa.). iœ Arrien IV. 2. 1: l, yda bTà ,,6).. ., oVI'''E'I'wyb·a. iUyoVTo 01 i" Til, x"'ea, pdepaeo.· 159
VII.
û.
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jouaient donc dans cette région le rôle que les Peirai remplissaient chez les hyparques. lGl C'est Cyropolis qui avait accueilli dans ses murs le plus grand nombre de paysans. 162 Le châtiment d'Alexandre fut terrible: Cyropolis fut rasée jusqu'au sol,163ce que tait Arrien. 164 Le roi ordonna en outre une véritable déportation en masse, «afin de ne laisser derrière lui aucun de ceux qui avaient pris part à la révolte ,,165 C'est toute cette masse de population qui constitua l'essentiel de la force de travail rurale et urbaine d'A1exandrie/Iaxartes édifiée au retour de cette meurtrière (et rentable) campagne. iœ Je ne crois pas forcer le sens des textes ou des événements en établissant un rapprochement. avec la conduite et la politique d'Alexandre il. l'égard des maîtres des Roches. L'explication psychologique (colère d'Alexandre) présentée à deux reprises par QuinteCuree n'est pas sat.isfaisante 167: les décisions d'Alexandre répondent en réalité à une analyse rationnelle de la situation. La destruction de Cyropolis correspond à l'élimination physique "d'Ariamazès et de Sa cour; l'une et l'autre • libérèrent » une grande masse de population, c'est à dire la rendirent disponible pour le roi; dans les deux cas, les indigènes (ruraux et non-ruraux) sont donnés aux villes nouvelles. ws Les anciens rapports sociaux ont été détruits au profit des Gréco-macédoniens: arrachés à leurs anciens villages (ou y renvoyés pour les paysans d'Ariamazès) qui dépendaient soit des villes,IG9 soit de potentats locaux,170 les paysans sogdiens durent cultiver désormais le territoire alloué aux colons européens;171 arrachés à leurs habitations urbaines, les habitants de l'ex-Cyropolis furent introduits dans Alexandrie selon des 161 Les ouvrages de défense des villes avaient été renforcés au début de la révolte (Arrien IV. 1. 4).
•62 Arrien IV. 2. 2; c'était la ville la plus grande et la mieux fortifiée (id. IV. 3. 1). 163 Quinte-Curee VII. 6. 23:
't'o
,,-r{,1f.tŒ
TOi1l"O,
en ajoutent que Cyropolis ne fut pas la seule à subir le châtiment suprême
(ce que sous-entend clairement Justin XII. 5. 12: trois villes). 164 IV. 3. 1-4. "5 Ibid. 3.5 .
•68 Quinte-Curce VII. 6. 25-27; Arrien IV. 4. 1. .61 VII. 6.21 (Cyropolis), VII. 11. 27 (Ariamezèa). Cette explication ne doit évidemment
pas être niée totalement: il est probable en effet qu'Alexandre aurait préféré aboutir au même résultat Bans perte" de temps et cl'hommes (à Cyropolis, il avait décidé dans un premier de temps de faire grâce [id. VII. 6. 20), puis de la mettre iL aec [ibid. 22), enfin de la raser [ibid. 23]). Entre deux solutions, le roi préférait la récupération à la. destruction; mais, lorsqu'une forte opposition l'exigeait, il savait prendre des mesures drastiques pour imposer son pouvoir politique et sa domination économique directement et non pas à travers des intermédiaires. 168 Quinte-Curce VII. 11.29: Multitudo deditorum incolis novarum urbittm ... dono data est (Ariamazès), VII. 6. 27: Inoolae nova. urbi dati oaptivi (de Cyropoiis iL Alexandrie/ Eaxartes) . ••• Quinte-Curce VII. 6. 10 (Merskanda), VIII. 2. 14 (Xenippa): cf. JESHO 18/2 [1975), 187. 170 C'est à l'appel de la nobleas a que les paysans Be soulèvent en masse (Quinte·Curce VII. 6. 15; Arrien IV. 2. 5). 171 Il est possible qu'il y eut déjà une population paysanne vivant et travaillant autour du site d'Alexandrie, - ce qui justifierait en partie Arrien IV. 1. 3 (sauf pour le volontariat): la richesse agricole de la région est implicite chez Arrien (IV. 1.3); elle est prouvée par la fréquence des raids lancés par les Scythes d'Outrc-Iaxartcs (ibid. IV. 1. 4). Etant donné le grand nombre de Sogdiens faits prisonniers, on peut supposer qu'une partie d'entre eux furent installés sur les territoires d'autres colonies macédoniennes fondées dans cette région.
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modalités et à des conditions qui seront étudiées ultérieurement mais dont on peut dire qu'elles ne furent pas plus favorables que celles qui furent imposées aux populations ruralcs. 1ï 2 c) Le cas d'Aï-Khanoum Il paraît d'autant plus intéressant d'aborder le cas des populations rurales qui dépendaient directement de l'administration royale achéménide. Malheureusement 1.. documentation écrite existante ne nous donne pss de renseignements susceptibles d'éclairer le sujet. Pourtant,les derniers résultats desfouilles d'Aï-Khanoum (au confluent de l'Oxus/ Amou Daria et de la Kokcha) et les interprétations qu'ils ont suscitées méritent d'être relevés et intégrés dans l' ..nalyse tentée ici. La découverte d'un réseau d'irrigation achéménide,173 de même que l'existence d'une forteresse de cette période 174 permettent de supposer, me semble-t-Il, que la mise en valeur de la plaine avait été entreprise et réalisée sous l'égide de l'administration achéménide. 175 En d'autres termes, la chôra de la cité fondée par Alexandre 176 sur le site actuel d'AJ-Khanoum fut découpée sur la terre royale: c'est dire aussi que les conditions de départ étaie)]t beaucoup plus proches de celles des villes séleucides de Syrie que de celles des villes fondées sur les territoires des ex-hyparques et des princes ralliés de Sogdiane. Or, on assiste au IIIè siècle av. n. à un remarquable essor de l'agriculture qui est «l'effet d'un plan de développement régional s, -écrit P. Bernard. 177 Lors des campagnes de fouilles 1972 et 1973 a été dégagé ce que P. Bernard appelle un « manoir hors-Ies-murs », à 150 m. du rempart sud, non loin de l'Oxus. 17S «Les analogies du plan avec celui de la maison du quartier sud de la ville, la présence des salles d'eau caractéristiques de l'habitat grec, l'absence de toute particularité propre à l'habitat oriental ..., tout concourt à montrer que le propriétaire était un colon .• L'interprétation historique de P. Bernard est la suivante: «Comment imaginer que les Grecs n'aient pas exploité eux-même, en se les appropriant, les riches terres de 1.. pl..ine de loess que contrôlait leur ville et qu'un vaste réseau d'irrigation ... avait contribué à mettre en valeur1 Dans ces conditions, la monumentale demeure en cours de dég ..gement pourrait bien être le manoir d'un riche colon grec, grand propriétaire terrien, qui vivait sur son domaine et l'exploitait à J'aide d'une main-d'œuvre locale, dont le statut devait être analogue à celui des ?aot dans les monarchies hellénistiques du Proche-Orient .» 179 Cette hypothèse extrêmement séduisante sera peut-être infirmée, è.
172 Infra, p. 83-92. 173 Résulta.t de la. campagne de fouilles 1975. (Encore inéditj je remeroie bien vivement P. Bernard de m'en avoir communiqué la teneur). 114 Bernard, ORAl 1975, p. 196: t:•• • fonction essentiellement militaire ... Plutôt le siège d'une ga.rnison qu'une capitale régionale.• 175 Sur le rôle du Roi dans J'irriga.tion, cf. supra, p. 70 Il. 103. 176 L'attribution de la. fondation il. Alexandre repose pour le moment sur une hypothèse très séduisante de P. Bernard, Fouilles d'At-Kbanoum 1 (Campagnes 1965, 1966, 1967, 1968), Rapport préliminaire publié sous la. direction de P. Bernard, Paris 1973, (Mémoires DAFA, XXI) 105-107 -, qui propose (p. 107 et n. 4) d'identifier la ville à l'Alexandrie Oxiane de Ptolémée (VI. 12. 8). 177 CRAI 1975, p. 195-197. 178 CRAI 1974, p. 281-287. 179 Ibid. p. 286.
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plus probablement confirmée par les fouilles présentes et il. venir dans la chôra de la ville: mais, en l'état actuel de nos connaissances, elle est extrêmement cohérente et éclairante. Conclusion En définitive, élimination physique de nobles sogdiens, destruction totale de villes achéménides rebelles et récupération de la chôra basiliké participent de la môme politique globale définie et appliquée par Alexandre: uniformiser en Sogdiane-Bactriane les statuts des terres et des personnes pour mieux les contrôler et les exploiter, c'est à. dire étendre partout ce que le Pseudo-Aristote appelle • l'économie royale .,180 tâche que les Achéménides avaient été incapables de mener à. bien. 3. Conquête, colonisation, hilotisation Bien .que les analyses qui précèdent ne couvrent pas tout le champ thématique, chronologique ou régional du problème posé au départ, il me parait indispensable, il. ce point, de dresser un premier bilan. Trois remarques préliminaires cependant: 1. l'étude des rapports socio-ethniques intra murQ8 est liée indissolublement aux développements ci-dessus, et elle pourra nuancer et compléter mais non pas remettre en cause le sens général de ce premier bilan; 2. il reste bien entendu que ces premières conclusions ne concernent que la période d'installation des Gréco-Macédoniens; 3. enfin et surtout il s'agit moins pour moi de résumer les principales conclusions intermédiaires que de les insérer dans une analyse globale de la stratégie de la conquête: car c'est bien cela qui est au centre des discussions. a) Crise sociale grecque et dépendance asiatique Les conditions de répartition des terres et l'organisation du travail sur le territoire des fondations correspondent tout à. fait il. ce que l'on sait des rites de fondation, des institutions nouvelles etc ... Tout cela rend parfaitement compte du caractère européen des nouvelles cités. Les populations rurales indigènes n'apparaissent que pour autant qu'elles constituent la force de travail nécessaire il. la survie et à. la perpétuation d'une minorité conquérante. Or, ces conditions et ces modalités répondent de façon précise et frappante aux besoins des classes dominantes grecques et aux aspirations des paysans ruinés en Europe. On sait en effet que pour Isocrate la conquête de l'Empire achéménide apparaissait comme la seule issue il. la grave crise socio-politique qui secoue les cités greques vers le milieu du IVè S.IS1 Dès 380, il proclamait que le but d'une expédition dans les riches territoires du Roi, c'était d'exploiter sans risque toute l'Asie (âu
182
Panégyrique 166.
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vie suffisante !J, ceux des Grecs qui sont dans le besoin et que l'indigence fait vagabonder »;183 pour réaliser ces objectifs, il conviendra de fonder des villes (olkiBai poleis).UV. Ce projet est réaffirmé avec une vigueur nouvelle en 346; la conquête doit aboutir !J, «fonder des villes dans ce pays et !J, y établir (katolkisai) ceux qui errent maintenant faute de moyen de vivre et qui font du mal à. tous ceux qu'ils rencontrent. »185 C'est pour Isocrate le moyen d'utiliser les« forces de l'ordre» macédoniennes pour expulser de Grèce les «classes dangereuses» qui menacent l'ordre établi et qui risquent un jour de se révolter contre les privilèges de la classe dominante. lss Le caractère de classe des propositions d'Isocrate est donc d'une extrême netteté. Quant au sort des populations rurales asiatiques, il est très facilement réglé. Déjà., chez Xénophon,IS? il était bien clair que les nombreux villages inclus sur le territoire de la future cité travailleraient pour les Grecs. Aristote,ISS de son côté, propose que les terres de sa Cité soient cultivées par «des esclaves ou par des périèques de race barbare •. La solution proposée par Isocrate est parfaitement cohérente avec ses projets de conquête. Dans son Panégyrique, il conseille «de faire de tous les barbares les périèques de toute la Grèce (lÏ:7lavm; TOU; Po.epueov; 'JtEe.ol"ovÇ ôJ.1]; Tij; 'E)•.M6oç"aTaC1Tijua.) •. I~ Dans Une Lettre à Philippe qui lui est attribuée, il demande à.son illustre correspondant « de forcer les barbares être les hilotes des Grecs (.. .ôTavTOU; l'Sv PaeP&eovç dvay"uf111ç ElJ.WTEVE
b) Conquête et dépendance rurale en Orient
Mais on doit considérer également que sur place, c'est à. dire en Asie achéménide, le terrain était préparé à une telle stratégie. La liaison conqUête/urbanisation/dépendance n'y apparaît pas comme une nouveauté. Un curieux document peu connu en offre un témoignage saisissant. Il s'agit d'une chronique syriaque qui retrace l'histoire de 1& ville nommée Karka-de-Bet Selok (Kirkourk!) depuis sa fondation par le roi d'Assyrie en passant par sa refondation par Seleukos (Selok).191 Je cite le passage relatif à la fondation de 1. ville:« Opprimée par le royaume d'Arbak, Garmayl92 ne pouvait verser la taille à l'Assyrie, aussi lui a-t-il envoyé de ce royaume un gouverneur pour diriger le royaume, des administrateurs pour ses biens et un aide de camp pour être à la tête de son armée. Après quoi Sargon ordonna qu'il fût construit dans cette terre 183
Paix 24.
1'" Ibid. 185
Philippoe 120, cf. '122.
186
Cf. l'association significative entre pauvreté, vagabondage et brigandage (Paix 24 et
surtout Philippos 120-123). 187 Anabase VI. 4. 6. 188 Politique 1329a, cf. 1330a. 18. Panégyrique 131. 100 Lettre Il. Philippe III, 5. 191 On trouvera une traduction. française dans N. Pigulewekeje, Les villes de l'état iranien aux époques parthe et sasaanide, Moscou-Leningrad 19.56, (trad. îr., Paris 1963),. 46-47. - Sur l'intérêt historique de ce document, voir J. 1\1. Fley, Vers la réhabilitation de l'Histoire de Karka d'Bé~ Slôh, dans: Annalecta Bollandiana 82 (1964), 189-222. 192 C'est à. dire ~ le roi des Garaméena s, selon Fiey 191.
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du royaume de Garmay une ville portant son nom, en qualité de ville principale en cette terre de gouverneur auquel était soumise toute la région comme au chef représentant le roi en personne. La ville fut édifiée pour être la résidence principale du gouvernement du dit royaume. La ville fut construite par Sargon qui appella la ville qu'il construisit de son nom, la libéra (webar khêrê 'abdeh) et lui donna toute la région en qualité d'esclaves •. Il édifia un palais dans la ville qu'il avait élevée ...• Nous avons donc sous les yeux le récit extrêmement schématique de la mise sous administration directe assyrienne d'un royaume incapable de payer le tribut. Il est bien clair que la fondation de la ville - acte royal par excellence - est la pierre angulaire de la. conquête, de l'administration (résidence du gouverneur), de l'occupation (envoi d'un aide de camp) et de l'exploitation économique du royaume (eadminiatrateurs pour ses biens s}, Résidence du représentant du roi, place d'armes, la ville reçoit un territoire (sa chôra) qui la fera vivre grâce au travail des populations indigènes données à. elle en qualité d'. esclaves " c'est à. dire d'hilotes au sens où l'entend Isocrate. C'est une stratégie que l'on retrouve, amplifiée et systématisée, dans l'empire aohéménide, dont la survie est fondée en grande partie sur de multiples places fortes et colonies militaires,'93 qui ont pour mission de permettre aux administrateurs civils et financiers de lever le tribut sur les populations paysannes dépendantes. ' 94 c) Colonisation hellénistique et dépendance Comme tous les conquérants,'9S Alexandre a repris cette stratégie à. son compte. La quasi-totalité de ses fondations répondent à. un souci militaire évident. ISO Mais, cet objectif militaire est lié directement aux possibilités de rassembler et de dominer une force de travail agricole tirée des populations vaincues. En effet, cette fonction de maintien de l'ordre macédonien, les garnisons, colonies et cités ne peuvent l'assumer victorieusement que si les populations rurales indigènes les font vivre. C'est là.un point essentiel qui guide les choix d'Alexandre. C'est pourquoi, on l'a VU,197 il n'hésite pas à. assigner plusieurs. milliers de paysans sogdiens aux habitants des villes nouvelles; c'est pourquoi aussi le site idéal d'une ville ou d'une garnison est celui qui allie les avantages naturels de défense et les capacités agricoles propres à.assurer l'autarcie alimentaire. ISS 193 Colonies militaires achéménides en Asie Mineure: L. Robert, Hellenice VI (1948), 19, et Noms indigènes 359. 194 Voir en particulier Xénophon, Econ. IV. 5. 11-16, et mon étude dans DHAII (1976). 195 Cf. Polybe VI. 7, à propos du «roi ancien l>: «Il fortifiait et enveloppait d'une enceinte tel endroit bien choisi. Il annexait. de nouveaux territoires. Il s'agissait pour lui d'eesurer la sécurité de Bas sujets et de leur procurer de quoi subvenir largement à leurs besoins. * Cf. aussi Justin XLI. 5. 1-5, à propos des Parthes: Arsaces .. . regnum parthicum format, militem legit, caBtella munit, civitates jirmat. 196 Point déjà souligné par Tscherikower 148-150. (Y compris pour de. villes dont on privilégie la. fonction commerciale, comme Alexandrie d'Egypte: R. Oavenetle, Antiquité classique 41 [1972], 102-111). 191 Supra, p. 71-77. 198 Arrien IV. 28. 3: Aornos est une citadelle naturelle formidable, et bien pourvue en sources, et qui en outre possède assez de bonne terre pour qu'un millier d'hommes s'y livrent aux travaux agricoles ("ai ,,~v àya8'~v èflya.al.f10v 6<17]v "ai XtÀ'OL~ àvi1(lwnot; ùnoxewO'GV âv elva. ÉeydCe"iklt). Cf. aussi Strabon XI. 11. 4: le sommet de la Petra de Sisimithrès est plan et peut nourrir 500 honunes (.. . 0aol1 nivTaxocnovr; avdeaç T(létpel.v dtJvap.Év1]v). Egalement
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S'il dispose une garnison dans le capitale du roi indien Muslkanos, c'est qu'il avait beaucoup admiré la ville et son territoire ("al ni' no).,. UJU1J!,aat:V ' AÂéça'~eoç "al T~' zwea.).199 Le souci royal de disposer de main-d'œuvre apparaitavecunreliefsaisissant dans le cas de la ville de Pattala dans le delta de l'Indus: Il. l'annonce de l'arrivée des Macédoniens, le gouverneur de la ville (0 TW' IlaTTâJ.w. ;;naQzoç) avait fait évscuer la ville et déserter le territoire (dno,!",';'. T~' ZWQa. ée'l!'o,), si bien qu'Alexandre trouva la région vide de sa population urbaine et de ses agriculteurs. 200 Son premier soin fut d'envoyer des messagers vers les fugitifs et des les inviter de façon pressante de revenir habiter leur ville et cultiver leurs terres comme auparavant (el.a, yàe aVToiç T~' Te no,!.. ol"ei. wç neOf11Jev "al T~' ZWea. eeyâl;eat'ia,).WI Nul doute que les besoins de maind'œuvre dans la ville (constructions de toutes sortes) et dans la campagne expliquent sa conduite exceptionnellement bienveillante à l'égard de populations qui s'étaient dérobées à sa domination. Les nécessités de ravitaillement des troupes étaient tellement pressantes qu'Alexandre, non content de remettre les paysans indigènes au travail, fit creuser des puits par ses soldats pour mettre en culture des terres jusque là en friche. w2 Dans ce cas comme dans les autres donc, l'exploitation éoonomique des populations rurales indigènes constitue l'une des conditions de la poursuite de la conquête et de l'établissement ferme de la domination des Gréco·Macédoniens.:m Mais en retour, si la conquête se nourrit des forces vives du pays, elle permet l'exploita. tion économique des hommes et des terres: il est donc tout Il. la fois vain et réducteur de distinguer, voire d'opposer, buts militaires et buts économiques dans les fondations d'Alexandre. Le vocabulaire employé par certains auteurs est très révélateur de la représentation que les conquérants eux-mêmes se faisaient des rapports ville/campagne. Dans la très rare documentation dont nous disposons, on remarque d'abord l'emploi du terme perio. ikoi pour désigner les populations habitant et travaillant dans la région où s'installe la nouvelle communauté européenne.ëx Comme dans de nombreux textes grees,206 le terme perioikoi ne revêt ici aucune signification technique: on peut le traduire par «ceux qui habitent a u t o u r », c'est à dire autour de la ville. C'est la même idée qu'expriment des termes et expressions comme PT08k6Toi 2OlJ ou prosoikôunte« bârJustin XLI. 5.3: la fondation d'Arsace (cf. M. L. Chaumont, Syria 50 [1973], 199-201) est .. entourée de tous côtés des rocs escarpés. si bien que la place n'a pas besoin de défenseurs et le sol qui l'entoure est assez fécond pour suffire seul à ses besoins .). 199 Arrien VI. 15. 7. 200 Ibid. VI. 17. 5. 201 Ibid. 17. 6. A rapprocher sans doute de Quinte-Curee IX. 9. 5: c Alexandre débarque sur la rive quelques soldats chargés de découvrir les paysans disséminés (qui agrutu vagos 82:ciperent); il espéraient qu'ils le renseigneraient avec plus de précision. En inspectant les cabanes (omnia teguria). on finit par en découvrir qui se cachaient.• 202 Arrien VI. 18. 1. 203 Alexandre et son armée demeurèrent pendant 6 mois à Patëele, où d'énormes travaux (fortifications, docks, ports ... ) furent entrepris et réalisés (Arrien VI. 18. 1; 20. 5). Une garnison y fut certa.inement laissée (cf. id. VI. 18. 1 et 20. 1). mais on ignore s'il s'agit d'une colonie militaire à proprement parler (Tscherikower 105). 20< Arrien II. 27. 7, IV. 22. 5. 205 Voir F. Gschnitzer, Abbângige Orte im griechischen Altertum, München 1958, 146-153. En dernier lieu, cf. H. Metzger, CRAI 1974. p. 88. à propos du mot perioikoi dans le texte grec de la stèle trilingue de Xanthos. (E. Laroche, ibid. 188. traduit le mot lycien par« leurs voisina t e). 206 Arrien IV. 24. 7; IV. 29. 3. 6 Kilo 60/I
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baroi207 : «ceux qui habitent auprès [de la ville] ». Tout aussi caractéristiques sont les termes employés pour définir la mission de surveillance des nouvelles cités et garnisons: ainsi la capitale de Musikanos parut à. Alexandre très bien placée pour surveiller les populations des alentours (éç rà "aTtXEa,Jat Tà ",)"À'I' lD-v'1).208 Ce vocabulaire rend bien compte, me semble-t-il, de la conscience qu'ont les Gréco-Macédoniens de la relation que la conquête établit entre domination polttico-adminiatrative et exploitation économique: la. majorité de la population (les indigènes) est rejetée dans le discours vers la «périphérie " la minorité (européenne) s'arroge la position de « centre. (ou récupère à. son compte une domination déjà. établie en ce sens). Cette subordination dans le vocabulaire topographique représente la domination politique militaire et économicc-sociale due à. la conquête et à.l'assujetissement des terres et de ceux qui les travaillent.2O!I En définitive, intérêts du roi et intérêts des immigrants grecs se rejoignent. Dans une construction étatique où la puissance se mesure à. l'importance du tribut levé sur les masses paysannes,210 il est vital pour le pouvoir royal de disposer des moyens militaires (et autres) nécessaires au maintien, au transfert oulet à l'affermissement de la dépendance rurale: processus que je caractériserais volontiers sous le terme h i l otisation, pour reprendre l'expression d'Isocrate. 211 Les cités proprement dites, les garnisons ... constituaient un réseau de postes de surveillance destinés à. dominer le plat pays et ses populations. 212 C'était donc un léger sacrifice que consentait le roi en concédant aux immigrants et aux soldats la jouissance d'une portion, SOmme toute réduite, de la chôra ÉJasiliké. Pour dire bref, il est clair que colonisation et hilotisation sont deux pratiques dialectiquement liées, comme le sont conquête et exploitation économique.
Il. Gréco·macédoniens et indigènes dans les fondations hellénistiques Pour que les analyses et interprétations présentées ici puissent éventuellement être considérées comme globales, il convient évidemment de traiter l'autre aspect, d'ailleurs concomitant; du problème, c'est à. dire l'introduction d'indigènes dans les villes nouvelles ou de Gréco-Macédoniens dans des villes déjà existantes (Suse, Babylone etc.]. Les questions que l'on se pose au début de l'enquête sont identiques à celles qui ont été abordées ci-desaus: dans quelles circonstances, en quel nombre, à quel titre les populations indigènes ont-elles été introduites, et finalement comment se sont établis les rapports socio-ethniques entre Gréco-Macédoniena et indigènes? Arrien IV. 1. 3-4. Arrien VI. 15. 7. 209 Cf. aussi Hérodote 1. 134: représentation concentrique que se font les P~rscs de l'espace impérial. 210 Je renvoie encore et toujours au texte capital du Ps. Aristote, Econ., II. 1. 3-4. 211 Isocrate, Lettre à Philippe III, 5: elÂClJTeVBLV. 212 Voir Quinte-Curce X. 2. 8 (en 324) ... « Puis Alexandre ordonna de choisir treize mille fantassins et deux mille cavaliers pour les maintenir en Asie: il estimait que cette faible armée lui assurait la tranquilité de l'Asie, parce-qu'il avait installé ses garnisons, et qu'il avait rempli les villes de fondation récente avec des colons qui ne songeaient QU'àS6 rétablir (... quia pl1l,ribus loeis prœsidia disposuÏ8set nuperque conditas urbes colonie replesset, rea novare eupientibus) .• 207
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A. L'introduction d'une population mixte 1. Les fondations d'Alexandre
Lorsqu'on rassemble les maigres informations données par les auteurs anciens sur le peuplement des villes fondées par Alexandre,213 on s'aperçoit qu'il introduit en proportions variables: des vétérans macédoniens, des mercenaires grecs et des indigènes. Ainsi, dans l'Hindou-Kouch, la nouvelle Alexandrie recut en 327 un renfort (7
Voir Tscherikower 190 sqq.
VII. 3. 23. 215 Arrien IV. 22. 3-6. 216 XVII. 83. 1-2. 217 Quinte-Curee VII. 6. 27; Justin XII. 5. 12. Voir supra, p. 75. 218 Arrien IV. 4. 1. 219 Arrien IV. 24. 7. 220 Arrien V. 29. 3. 221 Diodore XVII. 102. 4. 222 Pline, N. H. 117. 223 Arrien II. 27. 7. '" PB. Aristote, Econ. II. 2. 33c; Quinte-Curee IV. 8. 5. etc. 2H
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Voir Downey Antioch 78-79, où l'on trouvera les références aux textes antiques.
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G. Downey affirme à. plusieurs reprises que la ville reçut également un contingent de Syriens ;226 on peut évidemment le supposer non sans quelque vraisemblance, mais le seul texte de Strabon 227 cité par G. Downey ne me paraît pas constituer une preuve déterminante. On ne sait pas non plus si la colonie juive fut ,introduite dès le règne du fondateur. 228 b) Le peuplement de SéJeude/Tigre par Séleukos n'est pas sans faire songer au peuplement d'Alexandrie/laxartes par Alexandre. En effet, Séleukos y établit une colonie de Macédoniens, et y déporta en outre des indigènes de la proche Babylone 229 malgré l'opposition des prêtres chaldéens. 230 Un document cunéiforme nous apprend également qu'Antiochos Ier procéda en 275 à. un nouveau transfert de population babylonienne vers Séleucie. 231 Quant à. la plupart des autres villes, nous ne savons rien de leur population originelle. Tout ce que nous pouvons dire, malgré le silence des textes, c'est de toute façon que chaque fondation reçut obligatoirement un contingent macédonien ou/et grec. En effet, le roi «fondait une ville grecque, et non un rassemblement de villagois indigènes ...• 232 B. Les rapports socio-ethniques
Reste bien sûr à. interpréter cette situation. Sur quelles bases furent introduits c côte à. côte. ces différents contingents! Pour quelles raisons les rois fondateurs ont-ils fait appel aux indigènes, et à.quels indigènes etc.! Autant de questions qu'il faut maintenant aborder. ". Ibid. 78, 80, 115. 221
XVI. 2. 4: les premiers habitants. devenus trop nombreux à leur tour, se divisèrent
et fonnèrent un second quartier (Td dt deVTeeov TO;;
,,).7j~ov\,
TCÔV ol"'T'"oeœv laT! "Tla/la). , Le
commentaire de Downey Antioch 115 est le suivant: "The way in which Strabo describes the second quarter suggests that this wee the dwelling place of the native Syrians whoro the king had brought to the new city": j'avoue ne rien voir de tout cela. dans le texte de Strabon. (Mais je n'ai pas pu consulter G. Downey, Strabo on Antioch: Notes on His Method, dans: TAPA 72 [1941], 85-95.) 228 Ls-deseua Downey Antioch 79-80, qui, à mon sens, accorde une trop grande confiance
.. FI. Joseph. qui affirme que les Judéens d'Antioche ont reçu le droit de cité du fondateur Séleukos (cf. C. Apion II. 39). 229 Pline, N. H., VI. 117; Diodore II. 9. 9; Pausanias 1. 16.3. "JO Appien, Syr., 58. Cf. S. K. Eddy, The King is Dead, Studies in the Near·Eastern Resistance ta Helleniem, Lincoln, Nebraska 1961, 114-115. 231 S. Smith, Babylonien Historieal Texts Relating ta the Capture and Downfall of Babylon, Londres 1924, 150-159 (texte transcrit et commenté p. 156-157). S. Smith (p. 153 et n, 1) juge que Pausanias (1. 16. 3) fait erreur en at.tribuunt .. Séleukos une dé}tOrtation que le dooument cunéiforme attribue à Antiochos. En réalité, il n'y a pas contradiction, car les' deux documents (littéraire et cunéiforme) Be réfèrent à deux mesures identiques mais chronologiquement distinctes: cf. justement ainsi G. Kh. Sarkisian, City Land in Seleucid Babylonia (VDI 1953), trad. ang, dans: 1. M. Diakonoff (ed.), Anciens Mesopotamia., Socio-oconomic History, Moscou 1969, 319. 232 L. Robert,dans: Laodicée du Lykos, Québec-Paria 1969, 329 n. 1.
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1. Données numériques
Il est impossible de donner le rapport numérique Européens/indigènes. On connait très rarement le nombre de ceux-ci dans le peuplement primitif. 233 Les informations sur les Gréco-macédoniens ne sont pas beaucoup plus fournies 234: le chiffre donné par Diodore de 23000 colons gréco-macédoniens révoltés en Bactriane doit être conservé, semble-t-iJ.235 V. Tscherikower conclut, sur de maigres indices, que la population européenne par cité était en moyenne de 2500 à 3000. 230 Le chiffre de 10000 kléroi à Antioche 237 M signifie pas pour autant que 10000 colons y furent introduits par le fondateur; rien ne prouve en effet, contrairement à ce qu'écrit E. Bikerman,238 qu'il s'agisse des lots «primitifs $, puisque la ville a reçu à plusieurs reprises des renforts grecs au cours de l'époque hellénistique et que ces nouveaux colons bénéficiaient eux aussi de kléroi 239 ; dans ces conditions, le chiffre de 5300 donné par Malalas doit peut-être être préféré: il est proche en tout cas du nombre de 6000 ele'Ûlheroi (citoyens de plein droit) que compte Séleucie/Piérie en 220.2~O En tout état de cause, ces chiffres ne concernent que les hommes: il faut y ajouter les femmes 2~1 et les enfants pour a voir une idée de la population européenne originelle; pour Antioche, par exemple, on peut estimer celle-ci entre 17000 et 25000 âmes selon G. Downey.2~2 Ce que l'on peut supposer, c'est qu'en règle générale le rapport numérique fut défavorable aux Gréco-Macédoniens, et qu'il le resta malgré l'arrivée de renforts. Les fondations représentèrent dès le départ des communautés minoritaires, mais dominantes grâce à la force des armes. 233 7000 à Alexandrie du Caucase et autres établissements proches selon Diodore XVII. 83.1; 10000 à. Alexandrie de l'Acésine selon le même Diodore XVII. 102.4, mais il s'agit peut-être de la. population totale: le texte n'est pas très clair. 23< 7000 soldats macédoniens 1t. Alexandrie du Caucaee (Quinte-Curce VII. 3. 23), 3000 Grecs et Macédoniens dans les colonies prochea (Diodore XVII. 83. 2). Selon Malalas Chrono 201. 12-16, le nombre primitif des habitants d'Antioche de Syrie était de 6300
(Grecs et Macédoniens): chiffre acceptable si l'on admet qu'il s'agit des adultea mâles (cf. Downey Antioch 81 [et n. 124] et 82); 1t. rapprocher des 6000 eieu/hero' que compte Séleucie de Piérie en 220 (Polybe V. 61. 1; Downey Antioch 82). 235 Cf. Bernard, Fouilles d'Ai-Khanoum 1 (voir n. 176), 106 n. 1 bis. '36 Tscherikower 198. Julien, Misopogon 362 c. Contra Bikerman 18 161. Cf. Libanius, Oratio XI. 111, 120. ". Polybe V. 61. 1. 2U La. thèse couramment soutenue (sans preuve) selon laquelle l'immigration grecque n'aurait concerné que les hommes ne me parait pas réaliste (cf. en ce sens, C. B. Welles, The Population of Roman Dur-a, dans: Studies in Honor of A. C. Johnson, Princeton 1967, 263-264; voir aussi Cl. Vatin, Recherches sur le mariage et la condition de la femme mariée à. l'époque hellénistique, Paris 1970, [BEFAR 216],136 sqq.). Je reviendrai ailleurs sur ces problèmes démographiques: je voudrais simplcment faire observer ici que, lorsqu'un roi prend l'initiative de demander à une cité grecque d'envoyer un contingent de colons dena une de ses villes (cf. OGIS 233; Libanius, Oratio XI, 111 sqq.), il me parait évident que ce contingent n'est pas seulement masculin: il en fut certainement de même lors dvs fondations, en particulier en Syrie du Nord r-iveraine de l'Egée. ,,, Antioch 82. 237
,3S
'3'
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2. Terminologie L'étude de la.terminologie du peuplement ne fa.it pas beaucoup progresser la.recherche. Deux termes ont la. préférence des auteurs a.nciens: synoikizein (aynoikism6a) et katoikizein (katoikiaai). En règle générale, aynoikizein-aynoikism6a-aynoikizeatai «sont des termes techniques pour le repeuplement et la reconstruction d'une ville construite ou abandonnée •.2(3 Mais, eu éga.rd au contexte des fondations (et non reconstructions), le terme aynoiklzein renvoie à. une réalité déjà. soulignée; à.s avoirle rassemblement de populations venues d'horizons divers (au sens géographique ou/et ethnique). Il est souvent employé avec le nom de la. ville à. l'accusatif sans précision sur la composition de la population. TI s'a.git fréquemment d'une mission confiée à. un lieutenant d'Alexandre: peupler les cités fondées par le roP": donc une mission purement technique qui ne préjuge pas du mode d'introduction des diverses ca.tégories: On trouve plus rarement le même terme suivi d'une courte information sur la. population (à. l'accusatif) et du nom de la. ville (ea+a.ccusatif).:M5 Mais une teUe construction ne permet en rien de conclure que les divers contingents ont été installés sur un pied d'égalité. 2(6 On peut même ajouter que la.présence d'un tel terme n'autorise pas à. affirmer il. coup sûr que les indigènes ont été introduits in/ra mur08: il peut se référer au peuplement de la. ville et de son territoire, les deux éléments formant une unité indissociable. Le terme katoikizein (katoiki8a~) est plus rare. Il se réfère en principe il. I'établisaement (considere) 2(7 de populations. Pour Isocrate, il ne fait aucun doute que l'emploi du terme implique une a.ttribution de terres 2(s. Or, on se rend compte que les auteurs anciens l'utilisent non seulement pour une population gréco-macédonienne.ë? tuais aussi pour une population mixte. 250 Cependant, il serait hasardeux d'en conclure que des indigènes ont reçu des lots de terre. Ce serait en effet accorder il. la terminologie grecque une valeur technique universelle qu'elle n'a. jamais eue. 251 Par ailleurs, même au sens d'Isocrate, le terme peut renvoyer à. une attribution collective de terres, et n'exclut donc pas que les Gréco-Macédoniens jouissent des revenus agricoles que permet le travail des paysane indigènes. 2<3
J. et L. Robert, Bull. Epig. 1958,251; L. Robert, Collection Froehner, Paris 1936,
98-99 où l'on trouvera exemples et références. . .
'" Rephestion en Sogdiane (Arrien IV. 16. 3) ou à Rha.mbakia (Arrien VI. 21. 5); Pithon dans les cités de l'Inde moyenne (Arrien VI. 17.4); Léonnatos .. Alexandrie des Orites (Arrien VI. 22. 3). ,.. Arrien IV. 24. 7 (Arrigaion), V. 29. 3 (Alexandrie de l'Acésiue), IV. 4. 1 (Alexandrie! Iaxertea). :!(6 Le cas d'AlexandriefIaxartes est Buffisamment net (supra, p. 74--77).
'" Quinte.Curee VII. 3. 23 (Alexa.ndrie du Caucase). "s Isocrate, Philippos 120 (... ktiBai ... ka. katoikiBai). ". Arrien VII. 21. 7 (Alexandrie du Pallacopas); Syncelle, Dindorf J, 496 (Samarie); of. Diodore XIX. 91. 1 (colons macédoniens de Carrhes, dénommés Jlakedon6n apoikoi par Dion. Cassius XXXVII. 5). 250 Arrien IV. 22. 5 (pro8katoiki8a8: renforts introduits à Alexandrie du Caucase);
Arrien V. 29. 3 (Alexandrie de l'Acésine).
.
Sur les diverses significations, cf. Liddel-Scott s. v. - Dans le seul passage (Arrien V. 29. 3) où synoikiz6 et katoikizBstai sont employés concurremment, chaque terme s'epplique à une phase de l'opéra.tion: LIe rassemblement de populations: 2.le peuplement proprement dit. 251
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3. Peuplement/dépeuplement Il est temps de prendre en compte un élément d'analyse plus objectif. à. savoir les conditions concrètes dans lesquelles est intervenu l'appel à. l'élément indigène. Cette approche du .problème permet de dresser une typologie ternaire: a) dans un très grand nombre de cas, les textes parlent seulement des« indigènes des environs •. Ce terme, on l'a vu,252 ne préjuge en rien de leur statut juridique préhellénistique non plus que du statut imposé par la conquête. Un certain nombre de ces paysans sont certainement restés sur place, continuant de travailler pour la cité les terres qu'ils travaillaient de tout temps. D'autres ont été introduits dans la. ville c'est à. dire qu'ils ont été arrachés à leur «Iabora.toire naturel. ;253 b) dans un cas au moins (Alexandrie/Iaxartes), les indigènes viennent d'une ville achéménide détruite ainsi que des vi1lages environnants, tous à la suite d'une déportation en masse;254 c) enfin, dans trois et peut-être même quatre cas,n:; les indigènes sont tirés de villes anciennes voisines qui, sans être détruites comme Cyropolis, subirent les conséquences néfastes de cette brutale dépopulation: ainsi,les habitants de la ville royale de Durine furent transférés à. Alexandrie/Charax; 25G Cléomène transféra à Alexandrie les prêtres et habitants de Canope; 257 de très nombreux babyloniens peuplèrent Séleucie du Tigre. 258 Le cas de Babylone est le plus surprenant puisque qu'un mouvement inverse (introduction de Grecs dans la vieille ville) y conduisit à. la naissance d'une organisation civique; 259 par ailleurs, il est à. peu près certain que le transfert toucha également, - comme à Cyropolis -, des populations paysannes travaillant la terre autour de Babylone. 200 '" Supra, p. 81-82. Cf. Arrien II. 27. 7 (Gaza de Phénicie).
25'
254
Pour Alexandrie, cf. supra, p.
7~77.
Il n'est pas exclu que l'on retrouve W1 processus
assez proche en Inde moyenne, ou le peuplement des cités (Arrien VI. 17.4: oynoiki.ai) intervient après la destruction totale de plusieurs villes indiennes et la réduction des habi-
tants en esclavage (Arrien VI. 17. 1; Diodore XVII. 102.5-6; Quinte·Curce IX. 8. 9-16; Plutarque De Alex. Fort. II, 344F): je suis tenté de considérer les deux évéaéments comme deux phases successives d'un processus unique (et cohérent). 255 Ce «peut-être .. vaut pour Al-Mina, dont l'activité commerciale, en lorte reprise depuis la conquête macédonienne, s'arrête brusquement au moment même de la londation
de Séleucie de Piérie: ce pourquoi L. Wooley (AI·Mina, JHS 1936,26-27; id., Un royaume oublié, Paris 1964, 232) a supposé que la population de l'emporium avait été transférée dans la capitale de Seleukos. 256 Pline, N. H. VI. 138 (affirme que la ville de Durine disparaît: ce qui peut vouloir dire pu'elle est réduite au rang d'une simple bourgade). 257 Ps. Aristote, Econ. II. 2. 33.c (met6ki.en); cf. aussi Quinte·Curce,. IV. 8. 6 (Ez fin-itimia urbibu8 commigrare Alexandriam jU88i8, nOt!am urbem ma!7na mtdtitudine implevit). 2:;8 Cf. supra, p. 84.
esu
Cf. B. Haussoulier, Klio 9 [1909], 353-363; Tscherikower 92; A. Aymard, Etude.
d'Histoire ancienne, Paris 1967, 203 n. 3. Sur la date voir Le Rider, Suse 37 n, 3 (rien ne prouve qu'il s'agisse d'Antiochos IV). 260 Pline, N. H., VI. 117 affirme que le choix des sites de Séleucie du Tigre (et d'autres villes de la. région) a été fait par les rois fondateurs en raison de la fertilité du sol. Il est remarquable qu'en 275, les ordres donnés par Antiochos concernent, - à quelques jours d'intervalle -: 1. une nouvelle déportation de Babyloniens il. Séleucie (Smith [voir n, 231) 156, §. 16-17), 2. le retour iL la couronne de terres Il. blé et de troupeaux que le roi avait
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On remarque immédiatement que la majorité, et même la quasi-totalité, des cas analysés iej261 présentent un élément commun: les populations indigènes ont été introduites à la suite d'une déportation (sur une courte ou sur une longue distance: le résultat est le même). Il s'agit là d'une méthode largement répandue dans l'Antiquité,262 qui a pu toucher également des populations grecques: ainsi le transfert de la population grecque d'Antigoneia de Syrie à Antioche et à Séleucie, accompagné du démantèlement des murs de l'ex-capitale d'Antigone le Borgne. 263 Ces déportations ont casaé les liens spatiaux, familiaux, sociaux qui cimentaient les communautés villageoises ou urbaines d'Asie, et ont permis aux conquérants de remodeler le « tissu social» à leurs convenances et selon leurs propres besoins. Il paraît donc clair que la thèse du volontariat indigène est à rejeter globalement 264: tout au plus pourraitelle être acceptée, sous forme hypothétique, pour une frange.2 05 Le moins que l'on puisse conclure, c'est, avec, S K. Eddy266, que "this process of town-building was something that must have created inconvenience for the established population" t En revanche, les Gréco-Macédoniens y trouvèrent des avantages qu'il faudra analyser.
4. Répartition spatiale et ségrégation sociale L'analyse de la répartition des différentes communautés dans l'espace urbain confirme que l'introduction de populations d'origines diverses s'est faite sur le principe de la ségrégation, • . a) A. Foucher 261 a bien montré que la fondation de quatre Alexandries en Arie, Drangiane, Arachosie et Paropamisades n'a nullement abouti à la création de nouvelles communautés intégrées. Bien au contraire, <••• les places fortes créées par Alexandre étaient nettement séparées des villes indigènes qu'elles prenaient en tutelle.' De même qu'aux trois autres coins du massif afghan ..., l'Alexandrie d'Arie, celle de Drangiane (surnommée Prophtasia) et celle d'Araehosie surveillaient respectivement les capitales de ces trois provinces, Artakoana, Zarangai et Arachôtoi, de même dans les Paropanisades Alexandrie-sous-Caucase parait à toute tentative de soulèvement donnés à Babylone cinq ans auperavant (§ 17-19). Les deux mesures sont presque nécessairement liées (cf. Sarkiaien [voir n. 231] 317-319, qui présente une explication différente de celle qui est proposée ici) i il me semble que la population déportée en 275 devait être surtout composée de paysans: ce qui expliquerait que les terres qu'ils cultivaient furent
enlevées à Babylone. '61 J'y ajoute Quinte-Curee IX. 10. 8 (fondation d'Alexandrie des Oriles): ... deduclique s'Unt in eam Arachosii i si la déportebion est explicitement indiquée, ce cas est difficilement classable et utilisable, tant la mention s Arechoeii • reste vague: d'ou venaient-ils exactement? dans quelles conditions ont-ils été déportés? Cf. Tscherikower 193. 262 Cf. en Macédoine, J. H. Ellis, Population-transplants by Philipp II, dans: Mekedonike9 [1969], 9-17. 263 Malalas 201. 4-18; Libanius, Oratio XI, 92; Diodore XX. 47. 6. '64 Tscherikower 194-195. 265 Mais aucun texte, à. ma connaissance, ne permet d'assurer que des indigènes de 1'« élite l) sont venus de leur plein gré s'installer dans les villes nouvelles (cf. en revanche Strabon III. 2. 1: /
isolé). '61 CRAI 1939, p. 439.
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et d'obstruction de la part de Kâpiçi. » Selon le même auteur, Y'episcopo« macédonien résidait à Alexandrie, le satrape perse dans la vieille ville de Kâpiçi;268 b) cette séparation existe aussi à l'intérieur même des villes nouvelles. Ainsi, à. Alexandrie-Charax, « Alexandre avait même fondé un • bourg« appellé Pella, du nom de son lieu de naissance, et qu'il avait destiné exclusivement aux Macédoniens (pagumque Pellaeum, a patria sua, quem proprie llfacedonum jecerat) •. 269 On ne saurait être plus clair: les conquérants étaient logés dans un « dème. 270 réservé et ne se mêlaient pas aux populations de Durine introduites de force dans la fondation. Cette division par quartiers selon' des critères ethniques est également connue dans Alexandrie hellénistique;271 le cas d'Antioche de Syrie est moins net ;272 c) les plans des villes séleucides confirment cette politique systématique de ségrégation et d'exclusion. Prenons le cas de Beroia (Alep), tel qu'il a été étudié par J. Sauvaget 273. La fondation de cette ville neuve n'entraina pas la disparition immédiate de la vieille agglomération agricole syrienne. Celle-ci fut môme incluse dans Je périmètre des remparts hellénistiques. Elle ne fut pas pour autant intégrée réellement à la ville gréco-macédonienne édifiée à l'est du tell, au pied de la citadelle: les deux agglomérations restèrent juxtaposées.274 L'ancienne agglomération fait «ainsi figure d'un simple quartier indigène à côté des quartiers neufs peuplés de Macédoniens •.275 Or, c'est une disposition que l'on retrouve à Damas, Aréthuse, Laodicée du Liban, Epiphanie de l'Oronte (Hama) 276 etc ... Le sens de cet « apartheid. est évident: comme l'écrit justement J. Sauvaget, «ce sont les nouveaux venus qui commandent, et qui gèrent la cité créée pour eux et par eux, ;277 d) l'introduction de communautés gréco-macédoniennes - douées ou non du statut civique - dans une ville orientale ancienne eut également pour conséquence d'isoler un quartier peuplé d'Européens.278 Ibid. 438. 26. Pline, N. H. VI. 138.
268
~70
Terme employé par S. Nodelmen, A Prehrninary History of Cha.racene, dans:
Berytus 13/2 (1960), 84-85. 2il Cf. le quartier Delta réservé aux Judéens: A. Bernaud, Alexandrie la Grande, Paria 1966,241-257. 272 La présence de quatre quartiers (TetrapoIe) 8~paré8 les uns des autres par des murs est attestée très clairement par Strabon XVI. 2. 4. l\Iais contrairement à ce qu'écrit Downey (Antioch 115; cf. supra, p. 84 n. 227), il n'apparalt pas que chacun de ces quartiers ait été peuplé par un groupe ethniquement défini: bien au contraire, l'ensemble du paasage donné l'impression que ces quartiers se sont ajoutés les uns aux autres au fur et à mesure de l'accroissement du peuplement grec. 273 Alep (voir n.66) 48 sqq. 274 Ibid. 50.
275 Ibid. 51. 276
Ibid. 50 n. 128; lIartin Urbanisme 174-175.
277
Alep 51.
278
Cf. Tscherikower 127. Je n'insiste pas sur ce cas de figure, qui reste très spécifique
par rapport aux problèmes traités ici. (Sur le cas d'Orchoi/Uruk, cf. B. Funck, Das Uruk der Seleukidenzeit, Zur Geschichte der Stadt im Reich der Seleukiden (à paraltre en 1978), dont l'auteur a bien voulu me faire parvenir un résumé: je l'en remercie très chaleureusement). 1
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5. Organisation des rapports sociaux de production Si Alexandre et ses successeurs ont fait appel aux populations locales, ce n'~st donc évidemment pas par souci de promouvoir une «fusion des races, - (quels que fussent les contacts établis par la suite). En réalité, intra mur08 comme extra muros, les conquérants, peu nombreux, ont eu besoin de main-d'œuvre. Le premier travail était d'élever des murailles et des bâtiments: les rois firent appel à. la troupe lorsqu'elle les accompagnait,279 mais cela ne pouvait suffire aux besoins sans cesse croissants de communautés en expansion. Lorsqu'Alexandre fit édifier un port, des docks et des fortifications à. Pattala, il réunit toute la main-d'œuvre locale disponible;280 de même en Babylonie, où les paysans royaux étaient astreints à. fournir des journées de travail à l'administration royale. 281 Les Macédoniens n'avaient pas seulement besoin de manœuvres: le développement des secteurs artisanal 282 et commercial dans les villes hellénistiques suppose l'appel relativement massif à. une main-d'œuvre spécialisée. 283 Or, comme l'a justement noté H. KreiBig 284, «les villes orientales ... offraient une main-d'œvre indigène relativemenf bon marché et dont la qualification artisanale était à. peine inférieure à. celle des Grecs •• C'est une des raisons 285 pour laquelle, à. mon avis, les fondateurs prirent soin si souvent de transférer dans les villes gréco-macédoniennes une partie (ou toute) de la population de grandes villes anciennes où l'artisanat existait déjà. et donc aussi une 279 Meilleurs exemples: construction d'Alexandrie/Iaxartes en quelques jours par les soldats d'Alex..ndre (20 jours selon Arrien IV. 4. 1; 17 jours au dire de Quinte·Curce VII. 6. 25-27); également Séleucie du Tigre dont les remparts sont élevés par les eold ..ts (Appien, Syr. 58). Mais, l'abondance de 1& lusin-d'œuvre locale laisse supposer qu'on y recrut.. des manœuvres pour hâter 1.. réali...tion. Il .st fréquent également que 1.. tâche de constructeur soit laissée à un lieutenant (Arrien IV. 15.2, 18.1; 20. L, 24.7, 27.7 etc.). Lorsque Cratère reçut l'ordre d'élever et de fortifier Bucephali.. et Nicée (en Inde) (Arrien IV. 20. 2, cf. 29. 3), il est prob..ble qu'il .. fait appel à la mein-d'œuvre indigène (cf. Dio. dore XVII. 89. 6: TaX" M. TWV le)'wv ..aTao"evao/livrwv ~,à T~V :roÀvx«eiav). 280 Arrien IV. 11-20; supra, p. 81. 281 Cf. Arrien VII. 21. 5: • le' satrape employait pendant trois mois plus de 10000. Assyriens «à. ce travail en partie Infructueux (dragage des oana.ux) • (cf. KreiJ3ig, L'esclavage dans les villes d'Orient pendant la përiode hellénistique [voir n. 10] 245). Sur les énormes besoins en main-d'œuvre d'Alexandre en Babylonie, voir aussi Strabon XVI. 1. 9-114 (polyoheiria), Diodore XVII. 115. 1 (réquisition. d'architectes et d'une foule d'habiles artisans. pour élever le bûcher d'Hephestion). En 275, les tra.va.ux de reconstruction de l'Esagila requirent certainement la levée de nombreux briquetiers (Cf. Smith [voir n. 231] p. 157 ligne 19). 282 Il est tout il. fait caraotéristique que le réaménagement séleuoide de la ville de Karku de Bet-Selok aboutisse à la création d'un quartier d'artisans: sur les 72 rues, «douze furent appellées d'après les noms des métiers. (Chronique syriaque, trad. fr. dans Pigulewskaja [voir n. 191]47, dernier paragraphe). 283 Cf. le texte très clair de Diodore XVII. 115. 1. 284 L'esolavage à l'époque hellénistique, dans: Formes d'exploitation du travail et l'apports sociaux duns l'Antiquité classique, Paris 1976, 105. 285 Il y a aussi évidemment une raison politique: la destruction (ou la réduction il. l'état de bourgade) de la capitale du ooncurrent vaincu est un acte politique: ainsi la décadence d'Antigoneia au profit de Séleucie et d'Antioche; cf. aussi les déplacements successifs de capitale en Bebylorue, rapportés par Pline, N. H. VI. 117: de Babylone à Séleucie (Seleukos); puis, « pour la dépeupler à son tour », fondation de Ctésiphon par les Parthes; nouveau déplacement. sur le site de Vologocerte!
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main-d'œuvre déjà formée: je suppose, sans pouvoir le prouver, que le choix de ces populations n'a pas été le fait du hasard mais que, bien au contraire, il a été opéré en tenant compte de critères bien précis, à savoir le degré de qualification dans des métiers particulièrement utiles au développement des villes nouvelles. Les populations paysannes, sans aucune qualification, introduites parfois intra mur08, fournirent la main-d'œuvre la plus grossière 28G • On he doit pas pour autant en conclure au développement de l'esclavage dans les villes hellénistiques d'Orient. Certains artisans, - à Babylone par exemple -, travaillaient déjà sous l'autorité des prêtres des grands temples: d'où sans doute l'opposition des prêtres chaldéens à la fondation de Séleucie/Tigre,287 d'autant plus que parmi la population transférée figuraient également des dépendants paysans. 288 D'une façon générale, en Orient, «la dépendance et l'assujettissement envers l'entreprise étaient répandus depuis des siècles, si bien qu'il n'était pas nécessaire de les imposer •. :189 Enrôlés de gré ou de force dans des ateliers contrôlés par des Grecs, les indigènes devinrent en quelque sorte des dépendants urbains qui travaillaient au profit de la couche de Gréco-Macédoniens tout comme leurs congénères assignés aux territoires des cités. 6. Naissance d'une ethno-classe Un ultime élément d'analyse doit être pris en considération. La fondation d'une cité,au plein sens du terme -, suppose non seulement la construction de murailles, d'édifices, la délimitation d'un territoire etc ...., mais aussi et en même temps l'établissement d'un corps ci viq u e. En effet, les villes neuves séleucides reçurent des institutions de type grec ou/et macédonien 200: on connait en particulier de fréquentes mentions de tribus et de dèmes. 291 Je ne veux pas exclure a priori l'hypothèse de l'introduction de quelques indigènes «de l'élite. sur les listes civiques dès la fondation: mais aucun texte ne le montre ni même le suggère. 292Se crois plus raisonnable et plus fondé d'admettre que les privilèges civiques furent réservés aux Gréco-Macédoniens, et même que probablement la jouissance des privilèges civiques était liée à la "6 Cf. Eddy, The King is dead 115, IL propos du peuplement de Séleucie du Tigre, qui entraîna "the moving of Babylon's lower classes to form the menial and working population of the new city". 281 Sur cette opposition, voir Appien, Syr. 58.
2" Cf. supra, p. 87 n. 260. 289 290
K.reiBig, loc. oit. 105. Sur ce dernier point, voir P. Roussel, Décret des Péliganes de Laodicée-eur-mer,
dans: Syria 23 (1942/43], 21-32 (cf. p. 28-30). 2" M. Holleaux, Etudes III, 19~-254 (p. 247-252) (Séleucie/Piérie}; DowneyAnnoch 115 (Antioche de Syrie); Segal Edessa (voir n. 66) 17 (Edesse); L. Robert, dans Laodicée du Lykos 328 (Laodicée du Lykos};: Bikerman IS 246 (Antioche du Méandre); Cumont, Fouilles Doura p. XXII n. 8 et p. 317 (Doura-Europos; avec des doutes); pour Alexandrie d'Egypte, voir discussion dans Fraser I (voir n. 48), 38 sqq. 292 Je ne crois pes qu'on doive accorder beaucoup dt' confiance à FI. Josèphe, C. Apion II, 39, à propos des Judéens d'Antioche: « Le droit de cité leur {ut donné par Bon fondateur
Seleukos e (cf. aussi Aut . .Tuc!. 12. 119; Bell. 7. 43 sqq): contra, Downey, Antioch 80 qui, tout en jugeant exagérée I'effirmebion de Josèphe, pense cependant que le droit de s'Inscrire sur les listes civiques fut concédé individuellement à des Juifs (les ex-soldat.a par exemple).
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possession d'un kléro8.'];J3 L'établissement d'un corps de citoyens, clos sur lui-même (sauf aux renforts grecs), était le couronnement de tout un processus qui tendait à fermer la communauté sur ses privilèges et à exclure les indigènes. C'est dire qu'à. une ségrégation spatiale correspondaient une domination socio-économique et un monopole politique. Le rapport dominants/dominés s'y confond avec le. rapport Grecs/indigènes et même, pour une très large part, avec le rapport ville/campagne. En d'autres termes, les villes et les fondations en général représentent un élément fondamental des nouveaux rapports de classes qu'imposent la conquête et la colonisation gréco-macédonienne: c'est la naissance d'une ethno-classe dominante. Dès lors, il me paraît tout à. fait justifié de conclure que, loin d'être un cadre d'intégration, la fondation hellénistique, à. ses débuts '];J" fonctionne dans l'espace et dans la société comme un noyau de ségrégation et de domination socio-ethnique. 293
Hypothèse de F. Cumont, JRS 1934, p. 188.
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Le problème de l'évolution, depuis la fondation, sera envisagé dans une seconde étude.
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Lors d'un Colloque organisé par H.Kreissig à Hartenstein/RDA 130.3.·1.4. 1976-Actes dans Klio 60/1 : 1978), j'avais présenté une communication sur "Colonisation hellénistique et populations indigènes. La phase d'installation" (p.57-921. C'est donc à douhle titre que les pages qui suivent représentent. à mes yeux, un témoignage d'estime scientifique et d'amitié personnelle pour H.Kreissig. qui ft tant apporté et qu continue à tant apporter à tous ceux qui s'intéressent de près à l'Hellenismus asiatique et. plus largement, aux historiens des sociétés antiques.
Dans mon étude de 1976 [1978], je concluais que, d'une manière très générale, les fondateurs avaient été conduits par le double souci d'utiliser des sites et des populations rendus disponibles par le "droit de la lance", et de réserver les privilèges liés à l'urbanisation à une petite couche ethniquement homogène de colons grécomacédoniens: ce que j'appelais une ..ethno-c1asse dominante". Ce qui, bien entendu, n'implique pas que les fondateurs n'ont pas fait appel aux populations proche-orientales: bien au contraire, mais elles furent introduites (ou laissées en place le plus souvent) dans les chôrei des cités ou dans les cités elles-mêmes dans une position de dépendants, sous forme de main-d'oeuvre rurale et urbaine dont les colons avaient le plus urgent besoin pour, la reproduction du système. J'y insistais également (p. 60 et 92) sur le fait que ces conclusions ne valaient (éventuellement) que pour la phase d'installation proprement dite, mais que le problème de l'évolution dans une phase ultérieure restait ouvert. Ces problèmes ont été également abordés par G.M.Cohen dans une étude publiée indépendamment en 1978 (Il. L'auteur oppose l'exemple des colonies à celui des cités (tout en reconnaissant, pAO, qu'il n'est pas facile de distinguer institution.nellement colonie et cité). Dans les colonies, les Séleucides ont tenu à installer et à
(}) G.M.Cohen, The Seleucid colonies. Studies in founding, administration and orKsnil,at;on (Hi!'!· toria Eineelechr.Sûl, Wieshaden 1978.
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préserver une "exclusive population" : "Both for security and reasons of social stability, a uniforme population was preferred when founding a colony" (p.30). "It is likely that the founding colonists functionned as an exclusive group, Le. they did not mix with the local population" (p.33). En revanche, selon l'auteur (p.37-4l), la population des cités est "inclusive", c'est-A-dire : "At the very least it is clear that heterogeneity of population was one of the distinguishing characteristics of the great Seleucid cities" (p.37)- le terme de l'évolution étant "l'apparition de beaucoup de cités neuves qui étaient grecques de caractère mais distinctement cosmopolites par leur population" (p.41l ; en même temps, l'auteur insiste sur l'effort constant des Séleucides pour conserver aux Gréco-Macédoniens les privilèges de la citoyenneté, les indigènes n'étant admis dans le cadre urbain qu'en tant que citoyens de seconde zone (p.Bô], Tel est le thème d'étude et de recherche qui sera au centre de l'article qu'on va lire. La question centrale pourrait, je crois, être formulée en termes simples: étant bien entendu que les rapports de domination ne disparaissent pas, ces rapports continuent-ils de recouper une division ethnique (Gréco-Macédoniensl"indigènes") ou bien l'accession d'indigènes (en nombre et qualité significatifs) conduit-elle Ala naissance et Al'affermissement d'une nouvelle classe dominante mixte et intégrée ? Bien entendu, une réponse A la fois détaillée et globale exigerait pratiquement un nouveau livre, car c'est l'évolution globale des Etats et sociétés hellénistiques qui se trouve être mise en cause (21. Je me limiterai ici Aaborder l'un des aspects du problème : celui de la survie ou de l'anéantissement progressif et relatif de l'élément européen dans les villes hellénistiques du Proche-Orient, dans la mesure où l'on peut admettre que, si ethno-classe dominante il y a, le maintien de la domination grécomacédonienne dépend, même pour une part, de ses capacités de reproduction (biologique, sociale, politique). En d'autres termes, se trouve aussi posé le problème de la démographie des cités hellénistiques.
1. ANTHROPONYMIE ET SOCIÉTÉ: SUSE, DOURA-EUROPOS, URUK L'une des méthodes d'enquête -là où l'abondance relative de la documentation écrite la rend possible et scientifiquement justifiable- c'est de rassembler tous les noms propres (et aussi les toponymes) et de traiter ces listes. A ma connaissance, seuls trois sites hellénistiques ont permis une telle enquête. Il s'agit de trois villes dont seule la seconde est une ville neuve: Suse, Doura-Europos et Uruk. Les divergences des conclusions que nous allons rappeler montrent bien les incertitudes et les ambiguïtés de la méthode.
(21 Sur ces problèmes, on lira avec profit la dernière mise au point de C1.Préaux, Le Monde hellénlstique [Coll. "Nouvelle Clio", 6bis/2], Paris 09781. IVe Partie: La culture. Critique de l'idée d,· civilisation mixte cf. également mon étude dans DHA 5 09791. p.283-292. Pour des raisons méthodologiques aisément compréhensibles, le cas de l'Égypte ptolémaïque est exclu du champ df' l'enquête: sur les éludes onomastiques en Egypte, cf. la mise au point-bilan de H.Hauben dans Onoma XIX/3 (975) [1976], p. 541-554 ; voir également plusieurs études sur le sujet dans H. Mach1er und V.M. Stocka Ihg.I, Des ptoiemeïeehe AegYl'ten, Mainz 1978.
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1.1. Le cas de Suse/Séleucie de l'Eulsios Dans son monumental ouvrage, C. Le Rider 131 a dressé une liste de 61 noms relevés sur des inscriptions de la ville datées entre le Ille siècle av.n.è, et le début du 1er siècle de n.è, On remarquera d'entrée que le cas de Suse est cl 'autant plus intéressant que c'est une ville orientale très ancienne, "refondée " par Sélelleos 1er: "La métonomasie [Suse/Séleucie] indique évidemment l'installation à Suse cl 'une population grecque à qui revient l'administration de la cité" (p.21l0). Le diadoque y introduisit en effet une population de Macédoniens et de Grecs, comme 1«' montrent anthroponymes et toponymes Œulaios en particulier est typiquement macédonien )141 : certains grecs sont venus d'Ionie (p.285,n.6I, d'autres plus précisément de Ma/{nésie 151. Or, les conclusions de Le Rider sur la liste danthroponymos fp.282-21l5) sont particulièrement nettes fp.285-2861 : "On constate la part déterminante. sinon exclusive. que tient J'('I{>ml'nt &Cff'C' dana Ijl \if' munk-ipule d" la cité ... On ne connaît qu'un 8Pl11 cas où un personnage portant lin nom ~rf'C' n 'nit pu~ lin prrf' ~rl·l· ••• 1.,4'''' anthroponymes autres que GrpcR. en-dehors de Geras. sont d'une extrême rureté ... <:1' qui luilolSl' f'nt"mlrl' qu'à l'époque hellénistique le reste de la population demeure 8i'l!'lf'l, à l'écurt df' lu r-nltun- l·t df'lol moeurs des Grecs et des Macédoniens. Ceux-ci, inversement, paraissent non seulement avoir t'onl'lt'rvl> h-ur rôl,' dirigeant mais aussi avoir maintenu l'originalité df' I..ur r-ivilisut ion jU1'i({Il'à lu ('onqn;'tf' II,' lu viII" pur I,·~ rois cl 'Elymaïde... La constitution demeure profondément I{rf'('qUf', Grl'l'CJuf', lu dti> l'f'.~1 l''~ul('nwnl pur ses institutions. son calendrier 1... 1. son droit. L 'étude df' t01l1'4 ('f'!oO dor-ument-, 00111'4 montre dom- ({tu' Ic'~ descendants des premiers colons macédoniens et g'rf'('"'' dl> Sm... ont pu. tout IIU I()o~ de lu pi>rioclf' hellènistique. pt environ jusqu 'au milieu du Ier siècle de notre ère. demeurer II' ~roul)l1 dlrigeam delu c'ill'. et prèeerver If' caractère grec Of' leurs institutions".
Ce qui ne veut pas dire que tous contacts entre immigrés 1'1 habitants am-iens d,· Suse aient été inexistants (comment d'ailleurs l'imaginer 'n "C'est dans 1.. domaine de la religion ...que ces contacts apparaissent avec Il' plus dl' netteté", ""ril G. IR Rider fp.287). Encore faut-il remarquer que I'influenee oriental.. rest.. diserNp puisqu'aussi bien jusqu'en 141l17, "sauf une exception sous Antioehos IV. lous I.,s dieux représentés sur les monnaies font partie du panthéon grpe" (p.288). En riMinitive, "si l'on s'en tient au seul témoignage des monnaies. les cult..s /{rf'('S or-r-upent officiellement à Suse une place à peu près exclusive, le seul type 'llll' nous rent-ontrions étant dû selon toute probabilité autant à l'initiative dAntioehos IV qu'à 1'.. 11" de la cité" (p.293). C'est simplement à l'époque parthe qu'une évolution SI' dessin,' : " ... Des dieux locaux orientaux font désormais partie du panthéon offid,'l de la eit". d'autre part l'image d 'Artémis se modifie SOU" Finf'lucnr-e d" Nanaia " fp.2(4).
1.2. Le cas de Dours-Europos C'est une tout autre image que F. Cnmont Ihl a dégagée (le l'examen «I«,s quelques parchemins et des nombreuses inscriptions trouvés à Doura-Europos. L'ur examen révèle à la fois la permanence de I'usag» de la langue gr ..nque et I'introdurtion (3)
Suse sous les Séleucides et les Parthe.'1IMi'moirp de le Mi1'ishm llr('hi>ol()~iCJlIf' en Iran XX XVIIII. Paris, 1965.
(4) Voir L. Robert dans Opera Minora Selerta II 119691. p.977-9H7. et ihid p,9H()-H7 If'.~ r"rrf'",ion.~ sur l'intérêt des études onomastiques pour l'histoire de la colonisatlon macédonienne l'n Ori.'nl.
(5) Voir en dernier lieu Lfiobert dans Laodicée du
l~,.ko,••
(6) Fouilles de Doure-Europos (1922-2,1/. Paris 1926.
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Qu{>hf'f'-Pari!ol 11f)()9t. p.:l:lU. n.IU,
d'un nombre croissant de Syriens dans la population: "Un afflux constant de sang indigène métissait de plus en plus les vieilles familles macédoniennes", écrit Cumont (p. XLIV 1qui poursuit: "Des alliances répétées avec les héritières du pays avaient produit une lignée qui était arabe, araméenne ou même perse plutôt qu'hellénique". Dans le même temps "les inscriptions nous montrent la noblesse de la colonie fort entichée de sa qualité et très férue de sa généalogie et de ses alliances" (p.XLVI. Il convient donc de ne pas accorder une importance hors de proportion au grand nombre d'anthroponymes grecs ou macédoniens, car "même les indigènes traduisirent souvent leurs noms dans une langue qui était celle de l'aristocratie" (p.XLIVI. Au surplus, on voit "se multiplier les appellations sémitiques. On voit ainsi combien l'élément indigène avait pénétré jusque dans l'aristocratie de la colonie macédonienne. Le sang barbare dominait dans la noblesse plus encore que l'onomastique n'en témoigne, car les descendants des premiers colons, même si leur mère était de la race autochtone, tenaient à marquer leur supériorité en rappelant par leurs noms leur origine hellénique et (... ) les fils de Syriens tendent à les imiter. Mais le type des personnages qui se sont faits peindre au premier siècle dans le temple des dieux palmyréniens est nettement sémitique" (p.343). Il n'est pas question d'opposer brutalement les conclusions et observations de G. Le Rider et celles de F. Cumont. Rien n'indique avec certitude a priori que l'évolution a été identique dans toutes les fondations gréco-macédoniennes: par exemple, concernant les dieux orientaux, G. Le Rider oppose Suse et son "indifférence officielle à l'égard du panthéon oriental" à Séleucie du Tigre "où, à partir du règne d'Antiochos IV, à côté des émissions où figure la déesse nicéphore assise, on peut citer une autre série montrant une déesse (probablement la même 1debout, coiffée d'un polos, et tenant une corne d'abondance... L'on en conclura que les cultes orientaux ont fait à Séleucie du Tigre beaucoup plus tôt qu'à Suse partie du culte officiel" (p.2921. Par ailleurs, la documentation de Doura est bien postérieure à celle de Suse/Séleucie : les 134 textes épigraphiques analysés par F. Cumont se rapportent à la période entre 6 av.n.è, et l'époque des Sévères (cf.p.3391 ; sur les 9 papyri présentés, un seul (n? II date de la période séleucide (195 av .n.è.] et aucun des autres n'est antérieur au 1er siècle av.n.è., voire au 1er siècle de n.è. (cf.chap.V}, En toute rigueur, les conclusions de F. Cumont -sur lesquelles on reviendra en détail plus tard- ne s'appliquent qu'à Doura parthe puis romaine (cf.p.XXV sq.ï, L'une des erreurs de Cumont a été de généraliser cet exemple, puisqu'il écrivait : "Cette décomposition intérieure... se reproduisit certainement dans beaucoup d'autres cités, et l'histoire de cette ville de l'Euphrate nous fait mieux comprendre quelle fut la destinée des colonies grecques semées en pays sémitique ou iranien". Qui plus est, Cumont n'hésitait pas à préciser que cette évolution fut rapide (p.XLV et XLVI).
1.3. Le cas d'UruklOrchoi L'exemple d'Uruk -quant à lui- présente de fortes spécificités: il convient de rappeler en particulier que "rien n'atteste la qualité de colonie ou de polis grecque trop aisément attribuée à Orchoi". Ce qui est sûr, c'est que "des Grecs sont venus se fixer" et qu'ils s'y sont peut-être constitués en politeuma l71• G.Kh. Sarkhisian (8) a (7) Voir A.Aymard, "Une ville de la Babylonie aèleuoide d'après les contrats cunéiformes" dans Etudes d'Histoire Ancienne, Paris 119671, p. 178-21J. (81 "Greek personnel names inUrnk and the Greeco-Bebyloniece prohlem ". AAH 22 (1974). p.495-503.
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dépouillé plus d'une centaine de documents d'affaires d'Uruk séleucide ; les noms grecs sont présents dans quinze contrats et dans deux inscriptions de construction ; ces noms grecs, au nombre de quarante-huit, désignent soixante-neuf personnes. Ils commencent à apparaître dans la période 224-191. Sarkisian a distingué quatre êtapes : 1 0) Début: les Grecs vivent probablement en colonie séparée sous ses propres lois; 2°) Règne d'Antiochos III : rapprochement avec la classe dominante locale et intégration dans l'organisation urukite. Mariages mixtes. Adoption de noms grecs par des Urukites ; 3°) Milieu Ile s. : arrivée de colons grecs à Uruk. Abondance de noms grecs chez les Urukites ; 4° Epoque arsacide : amenuisement du nombre de noms grecs, puis disparition quasi totale à partir des années 130.
II. ONOMASTIQUE, DÉMOGRAPHIE, ÉMIGRATION Il est connu depuis longtemps que l'utilisation des listes danthroponymes pose problème. Dans quelle mesure les noms grecs de Suse (et d'ailleurs) désignent-ils réellement des émigrants grecs (ou des descendants directs d'èmigrantal puisqu'aussi bien l'hellénisation se marquait (9) -ou pouvait se marquer 1101. pour les Orientaux par l'adoption d'un nom grec (parfois accolé à leur nom origineIl ? Par exemple, à Uruk on voit même un roi séleucide intervenir pour conférer un nom grec à un haut fonctionnaire babylonien (1). De même à Doura-Europos où, selon F. Cumont, "des enfants d'indigènes prennent des noms grecs que n'avait certainement portés aucun de leurs ancêtres". Dans ces conditions, précise A. Ayrnard, "aucune hésitation n'est permise lorsque le porteur d'un nom grec a des ascendants babyloniens et se rattache à l'un des grands ancêtres communs à la plupart des habitants d'Uruk nommés par les tablettes... Tous les autres critères sont plus ou moins suspects." 1121
(9) Sur les problèmes méthodologiques posés par l'étude de l'onomastique en Babylonic 8()U~ domination achéménide, voir en particulier R. Zadok dans Israël Oriental SlUdies VII 119771, p.89.91 Ivoir également C.Cardascia, Les Archives des Murashu !Paris 1951), p.ô, M. Sigrist dans Rev.Rib. 1977. p.459 et E. Lipinski dans Ribliotheca Orientalis XXXVII/l-2 09801. p.3·121. Selon L.Rohert. OMS II, p.528, le grand nombre de noms macédoniens n'est pas l'effet "d'une simple mode" ; "ils ont essaimé à mon avis toujours par des descendants des Macédoniens".
no) Sur cette restriction, voir le cas d'Hanisa en Cappadoce étudié par L.Robert, Nomll indiKènell danlJ l'Asie Mineure gréco-romaine I, Paris (963), p.485 sq : l'onomastique d'Hanisn révèlf~ un milieu "ethniquement homogène "l'anthroponymie exclut une colonie grecque à Hanlsa" fr.505) alors même que l'hellénisation y est très marquée, ce qui d'ailleurs confirme leM vues exprimées ailleurs {voir note précédente} selon lesquelles la diffusion d'une onomastique grèco-macèdonlenne est liée à la diffusion d'un peuplement gréoo-macédonien.
{Ll] Aymard, p.206 et Sarkhisian, p.49B : il s'agit d'Annuballit.ûis d'Annisu, qui, dena une inscription. affirme que son second nom (Nikarchos] lui a été personnellement conféré par Antloehos III.
1121 Aymard 201.
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1°) Tout d'abord, bien qu'il en connaisse parfaitement les dangers (cf. par exemple 1,275), Launey recourt explicitement ou implicitement à l'argument a silentio : affirmer que l'immigration grecque se tarit vers 200, c'est extrapoler à partir d'une documentation qui devient muette. Si l'on suit au contraire maintenant les analyses de Sarkhisian (17), on observera que l'exemple d'Uruk conduit à des conclusions radicalement opposées, puisque vers le milieu du Ile siècle av .n.è., "les Grecs qui s'étaient installés à Uruk antérieurement furent rejoints par un renfort considérable". D'ailleurs, Launey doit bien admettre que cette date c.200 est loin d'être générale, et il note ce qu'il appelle arbitrairement une exception, la Crète: "Il paraît hors de doute que ,pendant la période qui nous occupe, la Crète a possédé une puissance démographique considérable. Dans un monde qu'épuise la dépopulation, la Crète échappe à cette maladie; elle n'aurait pas fourni tant de soldats sans un fort excès de population" (l, p.2751. Sans doute, mais cette 'exception' crétoise n'est-elle pas due pour une part également à une abondance exceptionnelle de la documentation 1 Il est de même insuffisant de faire référence à la nostalgie des Crétois pour "la vie rude et libre" qu'ils menaient dans leur île pour conclure que leur émigration était presque toujours temporaire (18) ! Cette même règle générale posée au départ amène Launey à considérer comme inexplicable ce qu'il croit être une dépopulation très brutale de l'Etolie : "brutalité étolienne", commente Launey (I, p.298) en reprenant un stéréotype polybien, 2°1 D'autre part, nombre des explications couramment avancées procèdent d'une vision mécaniste des déplacements de populations: le 'sous-peuplement' ou le 'surpeuplement' de l'Europe ne doivent pas être analysés du seul point de vue de la démographie quantitative (ce d'autant que personne n'ignore les lacunes de la documentation), mais bien plutôt du point de vue de la démographie sociale. Je veux dire par là qu'il est absurde de raisonner comme si un 'trop-plein' de population en Europe était attiré -comme par gravité- par les vastes étendues d'Asie (considérées comme l'espace vital de l'Europe 1). Si la Grèce a fourni tant d'émigrants à l'époque archaïque, ou avant et après Alexandre, ce n'est évidemment pas en raison d'un surpeuplement absolu, c'est en raison d'une très grave crise des rapports sociaux qui a touché de nombreux paysans et qui les a rendus disponibles pour l'émigration. C'est pourquoi il convient de prendre avec beaucoup de précautions le passage si souvent cité de Polybe (XXXVI.17.5.-8) parlant de l'oliganthropie générale en Grèce: si tant de terres sont laissées incultes, ce n'est pas en raison d'un manque de bras ; en d'autres termes, les friches s'expliquent moins par une dénatalité que par la concentration des terres (9)... Le rapport direct entre crise socio-politique et émigration avait déjà été clairement exposé par Isocrate à Philippe (20). Or, le moins que l'on
(17) Art.cit., p.497-8; 501-2. (l8) Voir là-dessus les justes remarques critiques de P.Brulé, La piraterie crétoise hellénistique, Besançon-Paris (1978), p.162-3.
(9) Voir justes remarques en ce sens d'Edo Will, op.cit., p.514-5. (20) Cf. Klio 60/1 (19781, p.78-79.
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puisse dire, c'est que les cités de la Grèce hellénistique continuent d'être traversées par les luttes de classes, dont témoigne par exemple la fréquence du slogan du "partage des terres" : que l'on songe à la crise sociale qui secoue l'Etolie en 206/4 1211 0u à celle que connaît la Béotie entre 213 et 188 (22), ponr ne citer que deux cas parmi d'autres. Bref, la chute du taux de reproduction supposer qu'elle pat être prouvéene pourrait pas être considérée à elle seule comme une preuve. Deux éléments, à mon sens, sont déterminants en réalité pour comprendre la dynamique de l'émigration grecque en Orient : -à
- d'une part, dans les cités d'Europe et d'Asie Mineure 1231, la présence d'une masse de population (appauvrie, exilée, déchue des droits politiques, proscrite... 1 prête (résignée, contrainte... ) à tenter l'aventure de l'émigration définitive outremer;
- d'autre part, en Orient, la volonté politique des rois de continuer à faire appel à l'immigration grecque. Qu'il y ait eu des émigrations "sauvages" ne saurait faire de doute. Mais, d'une façon générale, lorsqu'un roi (ou une cité) avait besoin d'un contingent de colons, il s'adressait à une cité 1241 ou à un chef. L'enrôlement d'un contingent de colons ne devait pas être très différent du rassemblement d'une troupe de mercenaires effectué par un xénologue royal (251. Des isolés n'auraient jamais pu s'établir en squatters sur des terres royales ou sur des terres civiques: c'est le roi qui concède des lots de terres (26), c'est lui aussi qui concède des exemptions d'impôts aux nouveaux colons (27), etc ... En bref, c'est la conjonction des deux réalités (population grecque prête à l'exil, appel royal) qui crée la dynamique des flux d'émigration en Orient, beaucoup plus que les taux de natalité et de mortalité en Europe et dans les cités micrasiatiques. L'un des textes les plus remarquables est le décret bien connu d'Antioche de Perside (Bushir?) qui nous apprend l'arrivée dans la cité d'un contingent de
(21) Polybe XIII.l·2.
(22) Id. XX.6.1.3 ; cf. M.Feyel, Polybe et l'histoire de la Béotie au Ile s.eu.n.ë., Paris 1942. (23) A propos de l'origine sociale des colons venus de Magnésie à Antioche de Pereide [voir el-dessous],
cr.
les remarques d'Edo Will, RPh LIlI (1979), p.322 : .....On peut se demander si des conditions sociales particulières. que nous ignorons, ne lui firent pas accueillir avec faveur cette ponction opérée Mur son corps civique". Ed. Will parle "cl 'un ramassis de prolétaires, pour lequel la déportation en Perside représentait en fait une promotion économique et sociale". (24) Le meilleur exemple est le décret analysé ci-dessous. A propos des relations entre Antiochos et Magnésie, voir les remarques d'Edo Will, loc.cit. sur les interprétations proposées par W.Orth. Koniglicher Machtsanspruch und stëdischer Freiheù, Mllnchen 1977.
1251 Voir aussi le texte cité par Ferguson, HeUenistic Athen», London (1911), p.112, n.I. (26) Sur le kleroe, cf. Cohen, Seleucid colonies, Chapter IV ("Tbe distribution of the kleroe"]. Cf. aussi Klio 60/1 (978), p.66, n.71. A propos du texte de Julien (Misopognon 362cl. on verra en dernier lieu la discussion de J.Gascou·,KAHPOI A1JOPOI llIFAO 77 (977), p.235·255. (27) Cf. Klio 60/1 (1978), p.65 et n.58 ; Cohen, Colonies 63-64.
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Magnètes du Méandre. Cet exemple présente un intérêt d'autant plus grand qu'il se réfère non pas à une première installation, mais à un renfort envoyé dans une cité neuve pleinement constituée. Le texte porte en effet: "Auparavant, Antiochos Sôter ayant eu à coeur d'accroître notre ville qui porte son nom, et ayant envoyé une ambassade chez eux au sujet de l'envoi de colons (peri apoikiasl, ils ont voté des résolutions belles et glorieuses, et après avoir fait des voeux et des sacrifices, ils ont envoyé des hommes en nombre suffisant et distingués par leur valeur, dans leur zèle pour contribuer à augmenter le peuple d'Antioche" (281. Ce texte suscite quelques réflexions dans le cadre du thème qui nous occupe ici : - les émigrants ne viennent pas seulement de Grèce d'Europe: les cités d'Asie (pour ne pas parler des îles) ont fourni également un courant d'émigration important; Strabon (29) nous apprend par exemple qu'Antioche de Pisidie a été peuplée par des colons venus de Magnésie du Méandre. Lors de la fondation de Laodikè du Lykos -par Antiochos 1 ou Antiochos II - on connaît la présence non seulement de Macédoniens, mais aussi d'un contingent envoyé par les villes d'Ionie (30). Il est également probable que la colonie grecque de Suse installée par Seleucos 1 est venue d'Ephèse (3]) ; - même les cités les plus éloignées, les plus "excentriques" (par rapport à la Mer Hellénique] ont pu maintenir voire renforcer leur population d'origine grecque. Il est même probable qu'un contingent athénien s 'est établi dans cette cité des bords du Golfe Persique (321 ; - lorsque, pour une raison ou une autre (33) (épidémie, tremblement de terre ou volonté stratégique du roi), une cité a besoin de renforts, on voit qu'il n'est pas question de faire appel à la population indigène. Ici, comme lors de la fondation, l'initiative du peuplement/repeuplement est venue du roi. "Ces textes -commente L.Robert (34)_ sont caractéristiques de la volonté des Séleucides de créer des villes grecques, et d'installer des citoyens de vieilles villes grecques en Phrygie, et en Pisidie et jusque dans la région du Golfe Persique ", En effet, les cités grecques constituant l'un des supports essentiels de la domination du roi, il est logique que
(28) OGIS 233, lignes 14·20; traduction L.Robert, Laodicée, P.330. (29) XII.8.14:
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(30) LcRobert, Laodicée, p.328-330. (3])
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(32) Ibid., : "Je crois pouvoir montrer un jour qu'Athènes envoya des colons dans ces lointains parages". (33) Le décret emploie l'expression: O'UvaUE"oa.L .6" rëv . Av"t LOXt.wV 6f'1u.ov Cf. pour comparaison le décret trouvé à Brousse (M.Holleaux, Etudes Il, p.7J~i25) : "Les citoyens se trouvant par l'effet de la guerre, dans le dénuement", le stratège Korragoe fi '8 cessé "cl 'appliquer ~f'~ soins et sa bonne volonté à accroître la prospérité du peuple e t c ,0 OU"UUE€a8UL "CO" 51'I\!O'" (34) Laodicée, p.330 (Italiques L.R.)
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l'intérêt des rois et celui des minorités européennes se rejoignent dans leur commun souci de maintenir leur commune domination et celle-ci passait, pour une part, par l'existence d'un flux constant (quoique d'importance quantitative valable] de nouveaux émigrants. 3°) Ces mêmes raisonnements mécanistes sont produits tant par F. Cumont que par M. Launey pour expliquer l'affaiblissement relatif de la population grécomacédonienne face aux Orientaux. Qui plus est, ils sont souvent sous-tendus par des considérations européocentriques d'où un certain racisme n'est pas exclu. On retrouve d'abord une représentation chère aux auteurs de l'Antiquité: les barbares constituent "une masse innombrable", d'où l'attirance pour les comparaisons entre les mouvements des populations orientales et l'inlassable mouvement des mers: 'L'Océan asiatique", "le flux des allogènes", ont fini par "submerger les i1ôts européens" ; face à la "marée indigène", les rois doivent élever des "digues", mais les colonies macédoniennes ne résistèrent pas à la "submersion". Inutile de multiplier les citations aquatiques (35) : ce type de raisonnement est irrecevable : non seulement parce qu'il est conduit sur des présupposés idéologiques présentés comme des preuves' mais ausi parce qu'il fait l'impasse sur une réalité fondamentale, à savoir que le caractère minoritaire des communautés européennes était un fait structurel dès le début de la conquête et de l'occupation armée. Si 'reconquête indigène' il y eut, elle n'est donc pas explicable par les lois de la physique newtonienne! M.Launey souligne par ailleurs l'impossibilité des communautés grécomacédoniennes d'Orient et d'Egypte d'assurer leur reproduction biologique. Mais, aucune preuve déterminante n'est avancée, l'auteur se réfugie derrière des affirmations parsemées de poncifs coloniaux et racistes hérités de l'Antiquité: "Dans les colonies militaires fondées en Egyple et en Orient par Alexandre et ses successeurs, les Grecs disparaissent graduellement des documents, ou parce que ces Européens ne sont pas doués pour proliférer sous des climats trop chauds, ou parce que les unions inévitables avec les Orientales diluent el effacent peu à peu les qualités propres de la race et de la culture, et jusqu'à la conscience ethnique" fil. 1088). Au mal physiologique qui atteint les Européens fixés SOU8 un ciel plus chaud, cl 'un type à demi colonial déjà [ital.P.B.], qui se traduit à la fois par une diminution de fécondité et par un accroissement de la mortalité, sans parler d'un recul général de l'activité et d'un alanguissement de l'individu et de la race, il n'était sans doute donc possible d'apporter nul remède" (II. p.1089)
Une exception cependant, d'après Launey : les Macédoniens purent résiter plus longtemps que d'autres aux "altérations raciales". La raison? Parce que "plus vulnérables sans doute sous le rapport de la culture [i.e, plus proches de l'état de barbarie: P.B.], ils semblent avoir gardé, peut-être un siècle de plus que les Grecs une résistance physiologique capable de maintenir tant bien que mal leur importance numérique, fût-ce au prix de multiples métissages" (JI.,p.10881 ! De telles interprétations suscitent bien des critiques. Je n'insisterai pas ici sur l'évidente assimilation entre la situation des Gréco-Macédoniens dans le ProcheOrient hellénistique et celle des Européens dans les colonies afro-asiatiques des XIXe (35) Cf. discussion dans le Chapitre 1 de mon livre Etat et Pasteurs au Moyell.Orient ancien, Ed. de la M5H (Paris) et Cambridge V.P. (sous-presse).
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et XXe siècles (36), si ce n'est pour remarquer que la dégénérescence d'un Civilisé plongé dans un milieu barbare est un topos antique récupéré par une certaine littérature coloniale contemporaine (37). Quelques remarques supplémentaires cependant ne sont pas inutiles : al l'isolement des communautés européennes "insulaires" dans l'''océan asiatique" est une image fantasmatique qui ne correspond pas à la réalité (ou du moins pas à une réalité universelle : la situation des Grecs de la chôre égyptienne n'est pas celle d'un Grec d'Alexandrie). A l'époque hellénistique comme à l'époque achéménide, les déplacements et les voyages mettent en contact l'Egée et l'Orient profond : ne trouvet-on pas une communauté athénienne à Antioche de Perside (38) ? De cette circulation des Grecs jusqu'aux régions les plus reculées rend compte une inscription trouvée à Aï-Khanoum et commentée par L.Robert (39). On y trouve, gravées, des maximes delphiques copiées à Delphes. Y est nommé Cléarque, le fameux philosophe de Soles, qui a vécu fin IVe-début Ille, et qui s'est intéressé en particulier aux cultures des peuples d'Asie. Cléarque a donc traversé tout l'Orient séleucide, visitant certainement d'autres communautés grecques, après un débarquement probable à Séleucie. D'ailleurs, la vigueur du mouvement de colonisation en Asie Centrale pendant la première moitié du Ille siècle (40) témoigne elle aussi que les villes les plus éloignées restèrent irriguées par un flux d'immigrants, au moins pendant les périodes où les rois eux-mêmes contrôlent les territoires en question ; - les liens entre la Grèce d'Europe et d'Asie Mineure et les communautés grecques de l'Asie profonde se manifestent d'autres façons. L'envoi de contingents fait naître des rapports très étroits, de même nature que ceux qui ont existé à l'époque archaïque entre colonie et métropole. On voit par exemple, dans le décret d'Antioche de Perside, que les colons amènent leurs dieux dans la cité qu'ils viennent renforcer, puisqu'il est écrit que le peuple d'Antioche "vénère les dieux communs de lui-même et des Magnètes". Ceux-ci sont qualifiés de "parents et amis du peuple d'Antioche". C'est mieux qu'une simple formule (41). Beaucoup de cités d'Asie se sont rattachées à des cités-soeurs d'Europe grâce à des "légendes de fondations" bien agencées (42) ; - on notera également, parmi les manifestations d'attachement des émigrés à la mère-patrie, la volonté de conserver les traditions culturelles grecques
(361 Cf. P.Briant DHA V(979), p.283·292. (37) La thèse de la dégénérescence des sociétés européennes en contact avec les "indigènes" (ce que
Cumont, p.XLIII appelle "l'altération de la race dominante") est développée 'par L.de Saussure (Psychologie de la colonisation française dans ses rapports aeec les sociétés indigènes, Paris 1890) et par le Dr G.Le Bon (La psychologie politique et la défense sociale, Paris 1910) : cl. R.Girardet, L'idée coloniale en France 1871-1914, Paris 1972. (38) L. Robert, Laodicée, p.330. (391 "De Delphes à l'Oxus. Inscriptions grecques nouvelles de la Bactriane", CRA11968, p.416·457. (40) P.Bernard dans Fouilles d'AI'Khanoum 1 (MD AFA XXII, Paris (973), p.l08. (41) L.Robert Laodicée, p.330·33I. (421 Là-dessus, voir en dernier lieu L.Robert, BCH 101 (977).
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(langue et écriture par exemple). Par exemple dans des régions très éloignées de la Grèce :à Aï-Khanoum, "ce n'est pas un hellénisme des confins, isolé, qui s'étiole ou s'asphyxie. Il est largement, librement irrigué" (43) ; l'hellénisme de l'Arachosie'' participe à la vie générale de l'Hellénisme ; il ne s 'est pas confiné sans relations dans un coin perdu, où il se ratatine et se sclérose" (44) ; même à Doura-Europos, le grec reste exceUent (45). Bien entendu, toutes ces observations n'ont pas la même valeur. Le cas d'Hanisa en Cappadoce montre que langue, écriture et institutions grecques ont pu prospérer sans qu'il y ait eu apport de population grecque par colonisation (461 ; d'autre part, nombre de documents cités se rapportent à la haute époque hellénistique. Il n'en reste pas moins qu'il paraît excessif de parler de l'isolement des communautés européennes du Proche-Orient, surtout pour des villes proches ou relativement proches des rivages méditerranéens. D'autant que les rares documents dont nous disposons n 'ont trait qu 'aux opérations de colonisation officielle (à l'initiative du roi ou d'une ville) : on peut supposer aussi qu'à l'appel de membres d'une famille qui s'est installée dans une cité orientale, d'autres membres de cette même famille ont pu s'embarquer et venir grossir le contingent européen. b) L'un des arguments de Cumont, Launey et d'autres est que le "dépérissement" des communautés européennes était inéluctable en raison de la nécessité des mariages mixtes, ceux-ci étant rendus nécessaires par l'absence de femmes lors de la colonisation. Mais, cette thèse doit être pour le moins nuancée (471. Rien ne permet d 'affirmer ni de laisser entendre que les colons grecs viennent s'installer en Orient sans femmes. C'est même une telIe situation qui serait curieuse: nous l'avons vu, beaucoup de contingents viennent à l'appel des rois, ils sont rassemblés selon des critères définis par des recruteurs royaux: peut-on imaginer que les rois et leurs recruteurs n 'étaient pas intimement persuadés que des femmes et des filles grecques devaient venir elles aussi pour permettre la survie de la nouvelle cité? C'est même là, à mon sens, une proposition qui a à peine besoin d'être prouvée, même si les femmes sont le plus souvent absentes des documents de colonisation (mais sont-elles plus présentes ailleurs?) (481. En tout cas, nous avons au moins un texte qui lève toute (43) L.Robert, CRAI 1968, p.455. (44) ta; JA 1958, p.12. (451 C.B. WeIles dans Studies Johnson (951) p.262, n.80 s'opposant explicitement à Cumont: "There is no evidence of progressive vernacularisation or iIletaracy even in the third century", (46) Voir L.Robert, Noms indigènes, p.455 sq.
(47) Même si, bien entendu, il n'est pas question de nier la réalité des unions entre soldats grécomacédoniens et femmes prises dans les populations proche-orientales conquises: le texte le plus clair est incontestablement le prostagma de Ptolémée II sur J'ordre de recensement des indigènes asservis
(M. T.Lenger, Corpus des ordonnances des Ptolémées, Bruxelles 1962, nO 22, lignes 16·20) : "Les soldats et autres catoeques établis en Syrie et en Phénicie, qui vivent avec des captives indigènes. n'auront pas à les déclarer".
(481 Voir sur ce sujet C.B.Welles, "The population of Roman Dura", dansStudie. in Roman economic and social History in honor of A.Ch.Johnson Princeton (1951), p.25J-274, en particulier p.263 : Cl. Vatin, Recherches sur le mariage et la condition de la femme mariée à l'époque helléni.tique, Paris (1970), p.136-140 : cf. aussi Cohen, Colonies, p.34-37.
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ambiguïté, c'est celui des Crétois de Milet: aux mercenaires crétois venus en 228/7, Milet accorde la citoyenneté et le droit de propriété foncière; à la fin du décret, figure une liste d'une quarantaine de noms de colons: leur famille est présente: femmes, fils, filles et soeurs. Nouvelle politographie de Crétois à Milet en 223/2 : là encore les hommes sont accompagnés de leurs familles; ce sont au total peut-être 3 à 4000 personnes qui ont quitté la Crète sans espoir de retour (49). Il est probable que ces femmes, filles, soeurs et fils accompagnaient partout les mercenaires dans les "bagages" (SOl. Les rois, sans nul doute, n'avaient pas une politique différente: lorsque, par exemple, Antiochos décide d'installer une colonie judéenne en Asie Mineure, il précise bien dans sa lettre à Zeuxis que ce sont deux mille familles (oikial qui seront déportées en Asie Mineure (511.
III. L'EXEMPLE D'ANTIOCHE DE SYRIE Il me semble donc que ni les résultats ni les interprétations de Launey et de Cumont ne peuvent être utilisés pour infirmer d'entrée les résultats de l'enquête onomastique de G.Le Rider pour Suse, ni celle de Sarkhisian pour la communauté grecque d'Uruk: le premier a montré que les Grecs de Suse étaient restés une communauté homogène, et le second a montré que la survie de la communauté grecque d'Uruk s'explique pour une part par l'introduction d'importants renforts grecs vers le milieu du Ile s., soit bien après la date limite fixée par les études de Launey, Il me semble que l'exemple d'Antioche de Syrie conduit également à penser que l'immigration européenne (ou micro-asiatique) ne s'est pas tarie brutalement au cours du Ille siècle, mais qu'elle s'est maintenue jusqu'en plein Ile siècle grâce à une politique constante des rois séleucides.
IlI.1. L'installation de cultes chypriotes à Antioche sous Antiochos Il (261-247/6) correspond très probablement à l'arrivée d'un contingent venu de la grande île voisine (52). Plusieurs indices conduisent à cette interprétation. Selon Libanios (XI.lll) (531, les dieux de Chypre, bien qu'implantés fermement dans l'île, avaient été pris du désir violent d'aller s'installer à Antioche ( "0 ""Ilo ue rot anocv 1. Sur leur demande pressante, Antioche envoya consulter l'oracle de Delphes, dont la réponse fut apparemment favorable. Dès lors, les modalités du transfert
(49) Excellente analyse du texte par P.Brulé, Piraterie, p.165-170 qui souligne (p. 162-1631 les faiblesse de la thèse de Launey sur le caractère temporaire de l'émigration crétoise.
(50) Ibid., p.168. (SI) Texte et commentaire dans Cohen, Colonies, p.5-9 ; cl. p.34. (52) Downey, Antioch, p.88-89 (sans envisager l'interprétation proposée ici) juge que l'histoire se.rapporte au peuplement chypriote pré-macédonien. (53) Sur ce texte, voir L. Hugi, Der Antiochikos Libsnios. (Eingleitet, ûbersetzt und kommentiert),
disa. Freihurg 1919.
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(particulièrement difficile et délicat) furent prises en charge par le roi lui-même 1541. Tout le récit fait irrésistiblement penser aux modalités de l'envoi d'une apoikia. Que Lihanios l'ait déguisé sous forme d'une légende aitiologique religieuse n'a rien qui puisse étonner: l'histoire est insérée dans un long développement (§ IlO-1l7J de cette nature: on pourra rappeler à cet égard le précédent de la VIle Olympique de Pindare, où l'installation des dieux à Rhodes est décrite sous forme d'une répartition de lots coloniaux 1551. Au surplus, il est normal que les nouveaux colons amènent leurs dieux avec eux (56). Enfin, la consultation de l'oracle de Delphes est habituelle, même à l'époque hellénistique (57).
III. 2. - L'extension de la ville et l'édification d'un nouveau quartier dans une île de l'Oronte sous Seleucos II (246-226) (58) rend compte certainement de l'accroissement de la population d 'Antioche (59), sans que l'on puisse dire avec certitude d'où venait ce nouveau peuplement. On peut simplement noter que les candidats-colons ne devaient pas manquer, puisque à peu près à la même date (entre 22817 et 223/2), Milet accueillit plusieurs milliers de Crétois (hommes, femmes, enfants) sur son sol, et leur concéda des terres (60). Ce nouveau quartier fut probablement terminé par Antiochos III qui y poursuivit l'accueil des immigrants. Lihanios f§ 119J écrit en effet: npOOKQTQOKEOOC;E:TaL v évoc uèv 'EÀÀnVLKOV dodywv... . La phrase est claire, et je n'arrive pas à bien comprendre I'hypercriticisme de Downey jugeant que Libanios a simplement voulu assigner à ses compatriotes l'origine la plus noble (62).
III.3. -
(223-187)
(61)
(54) Ibid., 112-113. (55) Voir l'excellente analyse d'A.Bresson, Mythe et contradiction. Analyse de la Vile Olympique de Pindare, Besançon-Paris 0979), p.17-2I. (56) Cf. L.Robert, Laodicée, p.331 : "Les colons, au Ille siècle, apportaient leurs dieux dans la nouvelle ville et s'assuraient de leur protection par la continuation du culte,tout comme le faisaient à l'époque de la colonisation archaïque, les Milésiens, les Mégariens, les Pariens et les autres", (57) Id., dans P. Bernard, Fouilles d'Aï-Khenoum 0973), p.225. Il convient d'ajouter qu'Apollon est également le dieu de la dynastie séleucide et qu 'Antioche elle-même a été fondée il la suite d'un oracle de j'Apollon de Delphes: "Ce recours il Delpbes entre bien dans la politique de. fondations de ville. par les Séleucides ... Pour un Séleucide, Apollon était il la fois l'ancêtre divin de la famille et le dieu archégète traditionnel de la colonisation par son oracle de Delphes" IL.Robert, Laodicée, p.295-296 et tout le développement des p.293-309). (58) Strabon XVI.2.5. (59) Downey, Antioch p.9I. (60) Voir P. Brulé, Piraterie, p.165-168. (61) G.Downey, p.91, n.19, résolvant ainsi la contradiction existant entre Strabon XVI.2.5 [Seieukos Il) et Libanios 119 (Antiochos III). (62) Downey, p.92 : même s'il est vrai que Lihanios cherche à rehausser le prestige de ses compatriotes. c'est là l'une des règles du genre de l'Eloge, mais on ne doit pas en conclure qu'il n 'y ft pas un fait réel à l'arrière-plan.
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Il n'y a pas de raison contraignante pour repousser les informations de Libanios (quel que soit l'usage que voulut en faire l'orateur l, à savoir que d'une part les immigrants proviennent de pays et cités grecs (Etolie, Crète, Eubée), et d'autre part que l'initiative est venue du roi qui, probablement soucieux de conserver et d'affermir le caractère grec de sa capitale, a introduit lui-même des nouveaux contingents européens 1631. 111.4. - Enfin, un nouveau quartier, Epiphaneia, fut édifié par Antiochos IV (175-163) sur les pentes du Mt. Silpios 1641, ce qui correspondait très prohablement à un nouvel accroissement de population (65). G. Downey juge que ces nouveaux colons ont dû venir d'Asie Mineure, à l'exclusion de l'Europe car, écrit-il "l'Empire séleucide était coupé de l'Egée, et aucun colon ne semble être venu en Syrie" (66). Raisonnement spécieux, car aucune clause du traité d'Apamée n'interdit l'arrivée de colons dans les villes séleucides de Syrie. On notera au contraire l'accentuation des crises sociales en Grèce à cette époque, en particulier en Béotie entre 213 et 188 ou la reprise de la guerre civile en Etolie en 174/3 : il ne fait pas de doute qu'il y avait en Grèce une masse de déracinés prêts à s'embarquer pour un royaume dont la renommée de richesse et de fertilité devait être toujours aussi vivace (67). Ce qui n'exclut pas évidemment également une origine micro-asiatique partielle des dits colons.
IV. BREF BILAN DE LA DISCUSSION Faut-il le redire, l'étude présentée ici n'avait pas pour objectif de proposer des réponses fermes et complètes aux questions posées au départ et dont beaucoup restent ouvertes. On a surtout voulu montrer que les documents actuellement disponibles ne permettent pas de considérer que les villes hellénistiques d'Orient sont passées progressivement (et encore moins rapidement] sous la domination d'une couche sociale ethniquement mixte. En réalité, il faut admettre que l'immigration venue d'Europe, des îles et des villes d'Asie Mineure a continué d'irriguer les cités du royaume séleucide tout au long du Ille siècle et pendant une grande partie du Ile siècle. On pourrait même suggérer que, paradoxalement, la tâche des Séleucides fut facilitée par le rétrécissement spatial (à partir de 188) de leur royaume qui devint exclusivement sis sur les rivages méditerranéens. Il ne fait pas de doute non plus que la permanence de ce courant d'émigration est dû pour une large part à une politique appliquée consciemment par les rois séleucides avec pour objectif de conserver aux
(63) G. Downey, p.93-94 Ide même Launey l, p.684 n.2) juge qu'il s'agit de vétérans des campagnes d'Antiochos III contre Rome j mais le texte de Libanios n'impose pas cette datation. (641 Strabon XVI.2.5 (65) Downey, p.91 (66)
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(67) Cf. le texte de la "procession de Daphné" en 167 (Downey p.97 avec références (n.521 aux textes anciens),
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Gréco-Macédoniens la domination sur les cités du royaume. On peut rueut-être rapprocher cette politique de la pratique de concession de terres aux cités 681. Un décret de Séleucie de Piérie de 186 av.n.è. (691 montre qu'à cette date l'accès à la citoyenneté n'est pas chose aisée, et que les autorités civiques restent très vigilantes. Il faut que le roi lui-même intervienne directement pour que l'un de ses "amis". Aristolochos, obtienne la politeia, car il a rendu de grands services au roi et à la cité et qu "'il a pris la résolution de venir y [Séleucie] habiter tkatoikeseinï", Il est possible qu'en même temps Séleukos IV ait concédé des terres à la cité (70). Toujours est-il qu'à cette date, on voit encore se manifester clairement cette communauté d'intérêt entre les rois séleucides et les élites grecques de leurs villes syriennes. Cette constatation n'implique pas -évidemment- que les "élites indigènes" ont été complètement laissées à l'écart de l'exercice du pouvoir: mais. la documentation actuellement disponible laisse supposer qu'elles ont tout au plus tenu un rôle d'appoint (711.
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(68) Voir l'article très suggestif deK.M.T. Atkinson "The Seleucids and the Greek cilies 01 Western Asia Minor", Antichton 2 (1968), p.32-57. (69) Publication, traduction française et commentaire par M.Holleaux, Etudes III, p.I99·254. (70) Hypothèse présentée par Atkinson, p.55. (71) Il est bien clair également qu'il faudrait pouvoir mener des études régionales. car les propositions que l'on peul faire pour les cités de la "Macédolne syrienne" ne peuvent être étendues mécaniquement à tous les cas. Sur les Iraniens à Ar-Khanoum voir mes remarques dans ASNP IX/4 (1979).
p.1401-1402.
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IMPÉRIALISMES ANTIQUES ET IDÉOLOGIE COLONIALE DANS LAFRANCE CONTEMPORAINE: ALEXANDRE LE GRAND MODÈLE COLONIAL Nous présentons cet article sous une forme inhabituelle dans notre revue, avec un apparat critique très réduit. Il avait été commandé et accepté par la rédaction de L'Histoire, qui finalement n'a pas cru devoir le publier. La Rédaction I. LA MISE EN PLACE D'UN NOUVEAU MODÈLE
Tous les manuels de colonisation qui fleurissent en France aux XIxe et XXe siècles consacrent quelques pages aux précédents antiques, parmi lesquels surtout: les Phéniciens, les Grecs et les Romains, voire les Egyptiens et les Assyriens. «Les origines de la colonisation remontent au berceau même du genre humain», proclame 1. Duval en 1864, et l'Abbé Raboisson, en 1877, travaille à montrer «l'influence des colonies sur la grandeur et la prospérité des empires d'après l'expérience». Les enseignements de l'Histoire prouvent que la France doit se lancer dans une hardie politique d'expansion coloniale, comme le souligne le célèbre Leroy-Beaulieu dans un article de la Revuedes-Deux-Mondes en 1912. En 1931, au Congrès de la Ligue des Droits de l'homme, M. Violette ressort le même argument face à ses opposants : la colonisation «est un phénomène aussi ancien que l'humanité». En France, publicistes et historiens œuvrent à exalter le précédent romain, pour des raisons et selon des modalités que l'on n'étudiera pas ici. Disons que la place que tient l'Algérie dans la politique française y est pour beaucoup, et un historien de l'Antiquité romaine comme Gaston Boissier se fait le héraut d'une France rendant à l'Algérie et à la Tunisie la paix et la prospérité romaines. De même, les tenants de l'expansion coloniale exaltent l'œuvre de Rome en Gaule, les défenseurs des indigènes au contraire soulignent Ia richesse et la diversité de la civilisation celtique. Face à l'omniprésente référence romaine, les rappels de l'œuvre colonisatrice d'Alexandre le Grand en Asie sont fort rares. Parmi tous les manuels de colonisation, un seul à ma connaissance, celui de M. Dubois (professeur de géographie coloniale à la Sorbonne), fait une rapide allusion à la colonisation menée par Alexandre en Iran oriental : il est vrai que l'auteur était un remarquable connaisseur des textes anciens. De son côté, Droysen, véritable ·Voir no-tes p. 291.
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créateur de l'hellénisme, ne dédaigne pas le dialogue entre le présent et le passé, car, écrit-il vers 1880, «il y a dans les événements de l'époque hellénistique plus qu'un aliment pour les loisirs laborieux de l'érudition» ; il porte un regard sans complaisance sur «les désolantes monstruosités dues aux systèmes de colonisation où se sont essayées depuis trois sièclesles nations chrétiennes de l'Europe», et il loue au contraire la grandeur et la générosité de la politique d'Alexandre en la matière. Les références positives à Alexandre restent également très minoritaires dans les manuels scolaires des débuts de la me République (1). Jusque vers 1890 en effet, ce qui y domine, ce sont les jugements sur la personnalité d'Alexandre. D'une manière générale, les manuels portent un regard critique au nom d'une certaine morale bourgeoise: «Alexandre magnanime et généreux aurait servi d'exemple, si le vice ne l'avait pas corrompu... U mérite plus de blâme que d'éloge». Un manuel de 1883 condamne même les guerres menées par le Macédonien contre certains peuples «dont le crime, à ses yeux, était de vouloir conserver la liberté qu'ils avaient reçue de leurs aïeux». Puis, vers 1890-1000 environ, ces jugements sur l'homme prennent moins d'importance au profit de l'exaltation de son œuvre constructive : en effet, si «on peut lui reprocher plus d'un acte de violence et de cruauté,... il n'en mérite pas moins une place très élevée parmi les civilisateurs». Enfin, à partir des années 20 en particulier - où l'histoire de la Grèce et de l'Orient est enseignée en Sixième - les jugements restrictifs sur la moralité d'Alexandre disparaissent. On exalte au contraire son œuvre de transformation positive de l'Asie. En effet, «il n'est pas un conquérant vulgaire». Il est le «soldat (pionnier, champion) de la civilisation». Cette œuvre est présentée sous trois rubriques: politique, économique, géographique. Tous les auteurs, à la suite de Droysen, louent la volonté du conquérant de promouvoir une politique de fusion entre vainqueurs et vaincus. Parallèlement, on insiste sur sa politique de mise en valeur des territoires conquis, grâce à : -l'extension de l'irrigation, -l'essor du commerce, - la fondation de villes qui «restent aujourd'hui les métropoles de l'Asie». Dernier volet, lié très étroitement aux précédents : c'est l'œuvre d'explorateur et de géographe. La conquête macédonienne «marque une étape dans l'histoire de la géographie». D'une manière très significative, les manuels associent constamment géographie, commerce et colonisation. Or, cette évolution de la thématique ne s'explique pas par un bouleversement des connaissances. La plupart des thèmes avaient déjà été mis en place par Droysen dans son Histoire d'Alexandre le Grand, qui parut en allemand en 1833, et dont une édition postérieure fut traduite en français en 1883 sous le titre Histoire de l'Hellenisme. Droysen y insistait sur les immenses répercussions économiques de la conquête, sur «le travail pacifique qui, plus difficile que la victoire des armes, devait les justifier en en consolidant les résultats et assurer leur avenir». Ce sont là des mérites reconnus non seulement par un admirateur de la Macédoine comme l'était Droysen, mais aussi par un partisan de la démocratie athénienne, comme l'était l'historien britannique Grote, dont l'œuvre est traduite en France en 1867. Les interprétations de ces auteurs sont largement diffusées dans le public, comme le montre le petit livre sur Alexandre écrit par un certain Van den Berg dans la Bibliothèque des Ecoles et des Familles (<
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en Asie, le développement des relations commerciales, l'extension de la civilisation grecque et les progrès de la science. En réalité, si des thèmes déjà connus sont repris et ressassés à partir du début du xxe siècle surtout, c'est qu'ils s'intègrent heureusement dans l'idéologie coloniale en voie de constitution, en même temps qu'ils la structurent. C'est assez tardivement en effet, vers 1890-1900, que l'«idée coloniale» prend corps en France, non sans opposition, et que se fait «la conquête de l'opinion» autour de quelques thèmes simples (2). C'est à travers ce prisme idéologique qu'Alexandre est réinterprété et inséré dans l'enseignement, d'où la volonté d'en faire un «soldat de la civilisation», expression particulièrement suggestive : la guerre et la conquête ne sont pas un but en soi, mais un moyen d'étendre la civilisation - de même que l'épée de Bugeaud permet le travail de la charrue. La colonisation favorise l'expansion économique et commerciale (entendue selon les normes de l'économie libérale) : avant Alexandre, l'Asie était «immobile», car les Perses «laissaient dormir leurs trésors» ; le Macêdonien «réveille» l'Asie, il représente le «progrès». En même temps, l'histoire de l'Antiquité - prise comme référence et exemple qui s'imposent à tous sans discussion - renforce la cohérence du discours colonial. Tous les précédents - et non plus seulement celui de César et de Rome - deviennent opératoires pour prouver que la France, elle aussi, est désintéressée, et qu'elle veut favoriser, par la colonisation, l'élévation du niveau matériel et moral des peuples soumis. Au fond, Alexandre est considéré comme le promoteur d'une généreuse politique d'assimilation, à tel point qu' «il pourrait encore aujourd'hui servir de modèle à nos coloniaux» écrit Marcel Griaule en 1946. L'œuvre d'Alexandre a été reprise et poursuivie par Rome, et, «par l'intermédiaire de Rome, nous en avons nous-mêmes recueilli l'héritage». Ainsi, Alexandre est intégré dans une histoire continue de la civilisation, c'est-à-dire de l'Occident. De cette attention nouvelle accordée au précédent d'Alexandre, nous trouvons une confirmation éclatante dans un article consacré à «Alexandre le Grand colonisateur», paru sous la plume du Commandant Reynaud dans une publication de grande diffusion, La Revue Hebdomadaire, en date du Il avril 1914 (p. 195-212). L'objet de l'article est ainsi défini par son auteur: «Nous demanderons au héros macédonien une leçon de colonisation qui, pour être vieille de plus de deux mille ans, est néanmoins, pour nous, aujourd'hui surtout, d'une brûlante actualité». L'argumentation s'appuie sur une thématique déjà traditionnelle : fusion des races, construction de routes, fondation de villes, extension du commerce, voyages d'exploration, etc. En définitive, il est clair qu'Alexandre a choisi «la méthode la plus humaine consistant à associer les habitants de l'exploitation à leur propre territoire, à en faire des collaborateurs». Le Macédonien est donc présenté comme un précurseur de «la solution la plus sage et la plus durable dans ses effets : le protectorat... Et, seul de tous les peuples européens, nous allons la mettre en pra tique au Maroc». II. LE RENFORT DE LA GEOGRAPHIE COLONIALE
Dans ce processus de récupération idéologique, la géographie et les géographes ont joué un rôle spécifique qu'il convient de définir et de préciser. La conquête macédonienne de l'Asie est en effet présente également dans l'enseignement de la géographie, dont une part est consacrée à «La découverte du Monde» : cn classe de Seconde (Programmes 1902), puis en Sixième (Programmes 1937). Ces programmes établissent, dans la pratique au moins,
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une coupure à la fois factice et efficace, entre la guerre-conquëte (histoire) et l'exploration-mise en valeur (géographie). Cette séparation des tâches entre historiens et géographes répond parfaitement aux objectifs que, selon Albert Demangeon, (3) doit se fixer la discipline qu'il définit sous l'expression de géographie coloniale : «Il ne s'agit ni de raconter la conquête, ce qui est la tâche de l'Histoire, nt de décrire les pays, ce qui est la tâche de la géographie régionale. Il s'agit avant tout d'étudier le contact de deux types de peuples appelés à s'associer dans une colonie: l'un avancé,... l'autre isolé... ». D'où la place focale accordée à l'expansion commerciale, car «la vocation coloniale est fille de l'esprit commercial» et «le marchand est le pionnier de la colonisation». Puis, analysant les «armes de la colonisation britannique», A. Demangeon étudie successivement: - les moyens de transport (<
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vulgarisation à l'ouverture de routes par Alexandre en Asie. D'une manière très générale, les auteurs insistent sur l'aspect novateur de ce réseau de communications, quitte à nier l'existence de routes dans l'empire perse : «Pour éviter que les provinces continuassent à vivre dans l'isolement, il développe largement le réseau routier qui, sous Darius, se limitait à quelques pistes essentielles ... Les routes de caravanes furent coupées de relais d'étapes, de caravansérails, de postes de garde pour écarter les nomades pillards. Des ponts de pierre remplacèrent le passage à gué des rivières capricieuses» (4). Une série de termes parlants - soulignés ici - rythment et orientent la lecture: tous visent à enraciner l'Idée selon laquelle, avant Alexandre, l'Asie était à la fois désunie et en léthargie économique, et donc que la construction d'un réseau routier protégé par l'armée permit d'anéantir le brigandage. Au sommeil (piste-isolement) succéda le progrès (routes-étapes) ; au désordre (nomades pillards-rivières capricieuses) succéda l'ordre (postes de garde-ponts de pierre). . Or, cette antithèse pistes/routes est présente égaiement tout au long de l'enseignement de l'histoire dans les classes primaires. Les manuels opposent systématiquement les sentiers gaulois «étroits et raboteux», aux «voles romaines, larges, pavées de dalles», et ils soulignent l'intérêt des routes pour le commerce et la pacification. Le même type de présentation est adopté dans le chapitre traitant de l'œuvre de Gallieni au Tonkin. De César à Gallieni, il n'y a donc pas de solution de continuité, surtout si l'Instituteur prend soin d'établir le rapprochement. Si l'enfant passe en Sixième, la présentation que les manuels donnent d'Alexandre s'intègre donc tout naturellement dans un schéma d'explication d'autant plus acceptable qu'il est présenté comme universel par l'histoire et par la géographie : les conquêtes coloniales sont tout à la fois inéluctables (puisque de tous les temps et de tous les pays) et bienfaisantes pour les peuples conquis (puisqu'elles leurs procurent la paix et le progrès).
Le thème de l'exploration géographique Si l'on considère maintenant le thème de l'exploration géographique, on se rend compte mieux encore qu'Alexandre est de plus en plus accaparé par les géographes coloniaux. A la déclaration de Demangeon : «L'art de coloniser... suppose encore qu'on prenne possession du domaine colonial par l'esprit», fait écho celle de René Grousset: «Alexandre se rend maître du monde en le découvrant». Conception politico-rrulitaire de la géographie directement héritée de Strabon, qui écrivait sous Auguste : «La géographie tout entière est orientée vers la pratique du gouvernement... Il serait plus facile de prendre en main un pays si l'on connaissait ses dimensions, sa situation relative, les particularités originales de son climat et de sa nature». On ne saurait être plus clair: dès l'Antiquité .Ia géographie fut au service des impérialismes. Il n'est pas étonnant que M. Dubois, ancien disciple de Fustel de Coulanges, passé à la géographie sous l'Influence de Ritter, auteur de nombreux ouvrages sur la colonisation et professeur de géographie coloniale à la Sorbonne, ait publié en 1891 une étude remarquée sur Strabon. Le renouveau des études géographiques s'inscrit en effet dans une perspective de redressement militaire et d'expansion coloniale. «Le goût des études géographiques, chez les nations, dépend le plus souvent de l'importance de leurs relations extérieures», écrit Emile Levasseur dans un mémoire
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sur «L'étude et l'enseignement de la géographie» rédigé en janvier 187l. Dans une adresse à L. Drapeyron, fondateur de la Revue de Géographie (Explorations-Colonisation-Géographie scientifique et économique), (1, 1877), le sénateur E. Picard salue «les maîtres de cette science qui s'impose avec une égale autorité aux chefs de nos armées, aux directeurs de notre commerce, aux ministres de notre diplomatie». Dans ces conditions, on comprend cette déclaration de l'illustre Vivien de Saint-Martin en 1873 : «Les expéditions d'Alexandre ... ne servirent pas moins la science que la civilisatlon ... La guerre a d'ailleurs des exigences qui profitent tout particulièrement à la géographie» ! L'ouvrage de Vivien de Saint-Martln n'est que le premier d'une longue série d'Histoires des grandes découvertes (ou -des explorations, ou -des colonisations), qui, toutes, consacrent quelques pages voire un chapitre à Alexandre. En effet, «il y a dans l'histoire des découvertes géographiques cinq ou six époques capitales qui ont particulièrement contribué au progrès de la connaissance du globe chez les peuples civilisés. Les expéditions d'Alexandre marquent une de ces grandes époques, «et ce n'est pas la moins importante» (Vivien de Saint-Martin). C'est donc surtout grâce à la géographie qu'Alexandre devint partie intégrante, au même titre que Rome, de l'histoire de la colonisation européenne. Les auteurs de ces ouvrages présentent la conquête macédonienne comme une «exploratton« ou «un voyage de découvertes». Ils louent «la curiosité scientifique» d'Alexandre ou «ses préoccupations géographiques», et ils le comparent volontiers à Christophe Colomb. On insiste sur «l'admirable état-major de savants» ou sur «la pléiade d'érudits» qui l'accompagnent Il est tout à fait caractéristique que les auteurs modernes, historiens et géographes confondus, soulignent avec insistance le rôle joué par les bérnatistes. Ces officiers relevaient les distances, étaient chargés des études préliminaires avant les batailles et les expéditions, etc. D'une façon quasi générale, leur fonction militaire est passée sous silence : on les baptise des noms de «géographes», de «géomètres» ou de «topographes». L'essor de la géographie après 1871 s'explique en bonne part en effet par des considérations militaires, le service topographique de l'armée prussienne ayant démontré sa supériorité. C'est pourquoi L. Drapeyron proclame en 1877 : «La topographie est le roc et l'argile sur lesquels doit être élevée une géographie sérieuse», ou bien (en 1879) : «Nul n'est explorateur, au sens pratique du terme, s'il n'est pas géographe». Tous les grands conquérants doivent donc être de bons «géographes» au sens où l'entendait Strabon, ce qu'indique d'ailleurs l'exemple de Gallieni, qui se flattait lui-même d'être «un fervent de la géographie». Or, à ce titre également, Alexandre peut être considéré comme un précurseur, puisque «déjà il se faisait suivre en Asie par un corps d'ingénieurs chargés de dresser la carte des pays conquis» . li est clair que le thème «Alexandre, homme de science» rejoint le thème «Alexandre, rénovateur de l'Asie». «li n'a jamais été un destructeur, mais au contraire, un colonisateur», proclame le géographe E.F. Gautier dans une monographie sur Alexandre en 1939. La conquête coloniale est justifiée par les «retombées bienfaisantes» sur les peuples soumis, ce que rend admirablement R. Grousset dans une phrase digne de figurer dans une anthologie de la littérature coloniale : «C'est comme fondé de pouvoir de la science grecque qu'Alexandre s'avance toujours plus loin». L'insertion du Macédonien dans la thématique de la géographie coloniale permet encore de surévaluer son exemplarité et d'en revendiquer l'héritage. En effet, «il est une grande différence entre les objets des explorateurs
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anciens et ceux des explorateurs modernes. Ceux-ci ont été, dans une large mesure, des idéalistes, tandis que leurs prédécesseurs recherchaient des résultats presque exclusivement matériels... L'amour de la science ne comptait que peu pour les Romains et aucunement pour les Phéniciens» ; chez les Grecs «le voyageur scientifique est une exception...». Alexandre au contraire «comptait parmi les fruits de sa victoire la connaissance des faunes et des flores nouvelles» (5). On comprend mieux dès lors pourquoi et comment Alexandre est élevé au rang de modèle pour les coloniaux. Par certains aspects, il constitue même un modèle plus efficace que Rome, puisque pour les Romains
m. HISTOIRE-GIlOGRAPHIE/IDIlOLOGIE 1- Ainsi s'est élaborée une image d'Alexandre d'une remarquable cohérence et d'une grande efficacité, répondant aux impératifs idéologiques de la France coloniale, et historiens et géographes se sont donné la main pour contribuer, dans l'unité et la différence, à l'élaboration et à la diffusion de ce nouveau modèle colonial. Pour l'essentiel, les matériaux ont été puisés chez Droysen qui déjà mettait l'accent sur les conséquences heureuses des conquêtes d'Alexandre. Mais, d'une part, ces matériaux ont été utilisés pour illustrer une cause à laquelle Droysen était loin de s'identifier. D'autre part, dans les thèmes privilégiés, deux ont été imposés par les géographes coloniaux : celui de la route, et plus encore celui de la découverte géographique pratiquement absent chez Droysen. li est d'ailleurs probable que le renfort de la géographie a permis aux historiens d'acquérir une «caution scientifique». Telle était du moins l'opinion de nombreux géographes sur les rapports entre la géographie et les «autres sciences», si l'on en juge aux propos triomphalistes d'un L. Drapeyron qui écrivait en 1877 : «Sans la géographie, l'histoire militaire et politique des peuples, leurs institutions politiques et sociales, les modifications des races et des langues, les formes variées de la civilisation et de la religion, sont presque inintelligibles». 2 - Mais, si des générations d'historiens ont repris globalement les thèmes droyséniens, c'est aussi que ceux-ci paraissent procéder d'une lecture attentive des textes anciens, donc sur des documents historiques qui leur conféraient une autorité. li est remarquable par exemple que Droysen cite si souvent le petit opuscule de Plutarque, Sur la Fortune d'Alexandre. Les manuels manifestent eux aussi une grande prédilection pour les citations de Plutarque. De leur côté, les géographes, nourris d'Antiquité, sont les héritiers directs des conceptions de Strabon. Or, Strabon dans sa Géographie comme Plutarque dans la Fortune d'Alexandre comptent parmi les plus actifs diffuseurs de l'idéologie impérialiste macédonienne puis romaine. L'efficace de leur discours repose essentiellement sur une structure binaire qui oppose un avant et un après de la conquête : la conquête et la colonisation permettent aux peuples soumis de passer de la barbarie à la civilisation. Tel est bien le schéma général sur lequel fonctionne la géohistoriographie d'Alexandre. On ne doit donc pas s'étonner de la permanence des thèmes depuis l'Antiquité. Dans l'opuscule déjà cité, Plutarque veut présenter l'image d'un roi-philosophe qui, malgré de lourds handicaps matériels, a remporté d'éclatants succès sur des peuples sauvages. Il vient surtout «civiliser les rois barbares, constituer des colonies grecques, au milieu des nations sauvages, établir la paix au milieu d'elles ... Il sème l'Asie d'institutions grecques, et il triomphe de ces mœurs grossières et sauvages». li veut «étendre sur les Barbares l'influence du commerce des Grecs, civiliser dans une course l'univers entier,
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découvrir les limites des mers et des terres pour appuyer la Macédoine contre l'Océan, semer la Grèce en tous lieux, répandant sur les nations des germes de
justice et de paix». Finalement, la conquête constitue un bien et un progrès pour les populations indigènes : «Ceux qui ont fui devant ses conquêtes ont été moins heureux que ceux qui se sont laissés soumettre par lui: car les premiers n'ont eu personne pour les arracher à leur déplorable existence, les seconds ont été forcés par leur vainqueur à devenir heureux» ! 3 - On ne peut pas ne pas être frappé par l'extraordinaire stérilisation qu'impose à la recherche et à l'enseignement le recours à des modèles officiels. Non pas que rien n'ait été écrit sur Alexandre pendant un siècle (v. 1850 . v. 1950) ; bien au contraire, des travaux spécialisés ont fleuri en grand nombre, en Allemagne particulièrement. Mals, au plan de l'interprétation globale, on en est resté à Droysen et on est donc revenu à Strabon et à Plutarque, pour des raisons tenant fondamentalement à des préoccupations politico-idéologiques contemporaines. En défuùtive, des historiens et des géographes ont joué un rôle non négligeable dans une vaste entreprise visant à nourrir et à cautionner l'idéologie coloniale contemporaine par la récupëration d'une idéologie antique fonctionnant sur des procédés discursifs analogues. C'est dire que les préoccupations idéologiques rendent compte fondamentalement des contre-sens historiques sur Alexandre. Elles ont en effet enraciné l'idée selon laquelle le «conquérant-géographe» a tout apporté à l'Asie, alors même que par exemple l'expansion de l'agriculture irriguée sur le plateau iranien ou l'ouverture de voies terrestres et maritimes (liaison Méditerranée - Golfe Persique) remontent à Darius le Grand (522486). «L'Égypte et une partie de l'Asie entrèrent dans l'histoire grecque», écrivait Seignobos en 1911, adoptant en cela l'opinion conunune de son temps: les pays colonisés n'entrent dans l'Histoire que par l'intermédiaire de la conquête européenne. Aujourd'hui, le renversement des perspectives commence à s'opérer, et l'idée fait son chemin selon laquelle la conquête de l'Asie n'a pas modifié fondamentalement les structures antérieures, et donc qu'en quelque sorte l'histoire des Etats hellénistiques fait partie intégrante de l'Histoirede l'Orient. Renversement des perspectives qui doit beaucoup aux luttes anticolonialistes et à l'affermissement du Tiers-Monde. C'est assez dire que le préalable absolu d'un renouvellement en cours est dans un décryptage idéologique minutieux des textes anciens et de l'historiographie contemporaine. Le changement de perspective procéde essentiellement de l'élaboration d'une problématique nouvelle. Il est évident par exemple que l'étude de l'empire d'Alexandre et des royaumes hellénistiques ne peut être menée à bien sans une analyse parallèle des structures politiques, économiques et sociales de l'Empire achéménide. Or, il est caractéristique que chez beaucoup d'orientalistes l'Empire perse est encore classé dans les mondes «périphériques», et que pour la plupart des historiens «classiques»,l'histoire perse n'existe que par les rapports qu'elle a entretenus avec l'histoire grecque. Il n'est donc pas excessif d'affirmer que la décolonisation de l'histoire de l'Empire perse - fort peu prisée en France - reste un impératif du renouvellement de l'histoire d'Alexandre et de l'Asie hellénistique. 4 - Dernière remarque : malgré les progrès réels enregistrés par la recherche, on doit constater que l'Alexandre des mass media reste fondamentalcment celui du héros colonial et celui d'une histoire faite par les «grands hommes». J'en veux pour preuve l'orientation «héroïque» de deux livres réccnunent parus sous les plumes notoires de Jacques Benoist-Méchin ct de Roger Peyrefitte, dont chacun a donné lieu à une recension dithyrambique
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dans Le Monde, le premier ayant même droit à la une. Ginette GuitardAuviste (22.xU.l976, p. 14) voit dans le premier une «interprétation fulgurante» , un «livre admirable introduisant à l'Histoire par la grande porte, celle des poètes». Le compte rendu publié par Gabriel Matzneff sur l'ouvrage de Peyrefitte est encore plus élogieux ; l'auteur y est présenté «la tête ceinte de laurier» (comme son héros), et on peut y lire des phrases surprenantes telles que : «C'est le livre des rêves et des passions adolescentes», ou bien: «Cette nature balsamique d'Alexandre adolescent est aussi celui du livre que R. Peyrefitte lui a consacré». libre à chacun bien sûr d'écrire ce qu'Il veut sur le sujet qu'il a choisi de traiter. L'historien doit bien remarquer cependant que le compte rendu de G. Matzneff est paru sous la rubrique «Histoire» dans un quotidien "culturel" par ailleurs fort discret sur des livres publiés par des historiens de l'Antiquité. Les autres mass -media continuent également de véhiculer une vision proche. Deux émissions de télévision sur Alexandre le Grand ont littéralement escamoté le débat de fond et ont offert à l'opinion publique une image caricaturale de l'Histoire en général, de l'Histoire de l'Antiquité en particulier. Enfin, - et ce n'est pas le moins important - l'orientation des nouveaux programmes de Sixième (1977) redonne vie à des conceptions périmées en privilégiant outrageusement les périodes d' «apogée» et les «grandshommes», si bien qu'à feuilleter les «nouveaux» manuels scolaires on retire l'impression que l'Histoire de l'Antiquité se réduit à une série de cartes postales représentant les Pyramides ou le Parthénon, César ou Alexandre. J'espère pour conclure que les pages qui précèdent contribueront, dans leur modeste mesure, au travail en cours de démythification d'une Histoire polarisée sur les problèmes psychologiques et les ambitions des «héros», d'une histoire manipulée comme une arme et un soporifique idéologiques. Pierre BRIANT
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Une collection de vingt-quatre manuels d'Histoire et de cinq manuels de géopa. phie a été dépouillée. Voir R.GIRAULT,L'idéecolonlDleenFrtlnce {J87J·J962j, Puis 1972. A. DEMANGEON, L'Empire britœuJique. ttude de géofIrtlphie coloni4ie. Puis 1923. M. PERCHERON, Lesconquénlnts de l'Asie, Paris (1951), p. 29. P. CARY - E. WARMINGTON, Les explOrtlteun de l'Antiquité, Puis (1932), p. 9-11. G. GUITARD-AUVISTE, Vu par Benoist·Méchin. Le météore Alexandre, Le Monde, 22.XII.1976, p. 1 et 14 ; G. MATZNEFF, Alexandre ressuscité par R. Peyreffitte. Une biographie dionysiaque et passionnée, Le Monde, 23.XII.1977, p.22.
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Pour en savoir plus: M. SEMIDEI, De l'Empire à la décolonisation à travers les manuels scolaires français, Re•. fr. Sc. Pol., XVI, 1966, p. 56-87. Y. LACOSTE, La géographie ça sert, d'abord, à [aire !Il gue"e, Paris 1976. Dialogues d'Histoire Ancienne, Besançon, l, 1974, p. 75-83, et Il, 1976, p. 163-279. P. BRIANT, Alexandre le Grand (= Que sais-je 7) nO 622), 2e éd., Paris 1977.
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1 Il ne sera peut-être pas inutile de commencer par un bref rappel historiographique du thème' continuités et ruptures " pour mieux en situer l'enjeu historique et théorique. 1.1. On peut considérer que la thèse de la rupture historique née de la conquête d'Alexandre en Asie remonte à J.G. Droysen, véritable' père-fondateur' de l'Hellénisme en tant que période historique. « Le nom d'Alexandre - écrit-il 1 - marque dans l'Histoire du monde la fin d'une période et le début d'une ère nouvelle », Et, tout au long de son oeuvre monumentale, il opposa systématiquement l'état de l'Asie sous la domination du • despotisme achéménide ' à la situation nouvelle née de la conquête macédonienne. Sur le plan politique et culturel, 334 marque en effet pour lui la naissance d'un Etat fort et puissant et d'une civilisation unique née de la fusion des peuples: Tandis que l'empire des Achéménides n'était qu'un agrégat de pays dont les populations n'avaient de commun entre elles que Communication présentée au VIIè Congrès de la F.I.E.C. (Budapest, 3.9.79). Le terme' Bilan' doit s'entendre en un double sens: un essai de prise en compte globale (mais non point exhaustive) des publications récentes touchant au thème en discussion (d'où la densité des notes infrapaginales); également, bilan de plusieurs années de recherches personnelles (d'où le grand nombre de références à celles-ci) dont les résultats partiels sont exposés dans des articles parus (ou à paraître) dans des revues et recueils dispersés. Les • Propositions' seront reprises sous une forme plus élaborée (et éventuellement réélaborée) dans le cadre plus large d'un livre en préparation sur l'Asie de Cyrus à Alexandre (à paraître chez A. Michel, Paris). 1 Histoire de l'Hellénisme (traduction française sous la direction de A. Bouché-Leclercq) Paris (Histoire d'Alexandre le Grand), 1883, J, 3.
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la même servitude, il resta dans les contrées assimilées par l'Hellénisme, alors même qu'elles se furent séparées en plusieurs royaumes, l'unité supérieure de la civilisation, du goût, de la mode 2. D'autre part, Droysen soulignait tout particulièrement l'ampleur des « succès économiques d'Alexandre» 3, dus surtout, selon lui, à la mise en circulation des trésors perses. « Peut-être, sous ce rapport, n'a-t-on jamais vu depuis l'influence d'un homme produire une transformation si soudaine, si profonde, sur une étendue aussi immense »4, et Droysen précisait: Un des ferments les plus énergiques qui travaillaient ce monde en voie de formation dut être la masse immense de métaux précieux que la conquête de l'Asie mit aux mains d'Alexandre ... Quand [celui-ci] donna la volée à ces richesses jusqu'alors ensevelies, lorsqu'elle les laissa déborder de SOR sein, comme le coeur projette le sang, il est facile de comprendre que le travail et le commerce les répandirent, par une circulation de plus en plus rapide, à travers les membres longtemps ligaturés de l'empire; on voit comment, par ce moyen, la vie économique des peuples, dont la domination perse avait sucé les forces comme un vampire, dut se relever et prospérer s. On pourrait multiplier les citations ... Ce qu'il m'apparaît utile de signaler, c'est que tous ces thèmes sont repris presque littéralement au petit opuscule de Plutarque «De Fortuna Alexandri », que cite fréquemment Droysen dans les pages auxquelles je viens de faire référence 6. Le schéma du discours plutarchéen est très simple: - les victoires militaires d'Alexandre ne doivent pas être sous-estimées, car le conquérant était dans une situation d'infériorité tragique en hommes et en argent; - mais, les grandes réalisations du Macédonien ne dolvent pas s'analyser en termes militaires. S'il a triomphé, c'est Ibidem, 696. (Voir tout le développement des p. 692·700). Ibidem, 689-692. 4 Ibidem, 690. 5 Ibidem, 687-688. 6 On verra en particulier p. 690, où Droysen écrit, à la suite d'un développement sur les échanges et les dépenses royales: «En voilà assez pour faire remarquer quelle importance eurent les succès d'Alexandre du point de vue économique", en renvoyant (n. 4) simplement à PLUTARQUE, De Alex. Fort., 1.8 que je cite: «En effet, ce n'était pas en brigand qu'il avait parcouru l'Asie. Il ne voyait pas là une capture, une dépouille d'un bonheur inespéré, dont il songeât à se saisir et à emporter les lambeaux ... Non, il voulait assujettir à un seul mot d'ordre, à une seule forme de gouvernement l'univers entier...Or, ce passage constitue une accumulation assez exceptionnelle de stéréotypes impérialistes gréco-romains: cf. mon étude dans DHA, II, 1976, 163-258, en particulier 201-203, et le chapitre 1er de mon livre Etat et Pasteurs au MoyenOrient ancien (à paraître en 1980). 2
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qu'il était un roi-philosophe. Il n'est pas venu rapiner, mais pour lutter contre des peuples injustes. Son objectif était de civiliser les peuples barbares et sauvages, «mêler les choses barbares aux choses de la Grèce, semer et répandre dans chaque nation la justice et la paix grecques ». Il voulait l'unification du monde: le moyen en était l'urbanisation. En bref, la conquête d'Alexandre est analysée par Plutarque comme une oeuvre immense de dressage et d'acclimatation de populations barbares, grâce aux bienfaits répandus par l'Aufkliirung hellénique. Cette conquête « des corps et des esprits» (1.8) devait déboucher sur une rupture brutale avec le passé achéménide. La regrettée Cl. Préaux écrivait donc avec raison de la thèse de Droysen: «C'est du Plutarque coulé dans un moule hégélien » 7: 1.2. Mais, si les thèses de Droysen ont eu l'immense écho que l'on sait, c'est aussi qu'elles furent récupérées - contre les intentions de leur auteur - par l'historiographie impérialiste de l'Europe conquérante, comme j'ai essayé de le montrer ailleurs 8. Si l'on étudie en effet de près les manuels d'enseignement en France sous la IIIè République, les ouvrages de vulgarisation et les manuels de géographie coloniale de la même époque, on se rend compte que s'est diffusée pendant des décennies une thématique d'Alexandre fondée sur des stéréotypes coloniaux. Alexandre devient un précédent au service de l'idéologie coloniale européenne. Et cette historiographie a encore accentué les ruptures qu'impose à l'Asie la conquête macédonienne assimilée par Plutarque à la conquête romaine et par l'historiographie européenne aux conquêtes coloniales et à l'expansion dévorante du capitalisme libéral. Ces ruptures sont particulièrement marquées sur le plan économique: le Macédonien apparaît de plus en plus comme le prototype du grand héros colonial, ouvrant des routes, creusant des canaux d'irrigation, déversant une masse énorme de numéraire en Orient, étendant les limites du monde connu, fondant des 7 Réflexions sur l'entité hellénistique, CdE, XL, 1965, 129-139 (citation 136). Sur j'influence hégélienne chez Droysen, voir déjà Bouché-Leclercq, AvantPropos à la traduction française de l'Histoire de l'Hellénisme, I, III-XXXVI. en particulier X-XIII et, d'une manière plus argumentée, B. BRAVO, Philologie, Histoire, Philosophie de l'Histoire. Etude sur J.G. Droysen historien de l'Antiquité, Wroelaw-Varsovie-Cracovie (1968), en particulier le chapitre V. 8 Impérialismes antiques et idéologie coloniale dans la France contemporaine: Alexandre. le Grand 'modèle colonial', DHA, V, 1979.
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villes nouvelles, sédentarisant des populations nomades belliqueuses ... en bref: le premier conquérant venu d'Occident à éveiller l'Asie (somnolente et léthargique) au progrès économique. Sa politique de collaboration avec les élites indigènes est également citée en exemple: un publiciste français de 1914 y voit même une justification du protectorat français sur le Maroc 9! Il serait fastidieux et inutile de citer tous les spécialistes de l'Histoire hellénistique qui ont contribué à la diffusion de l'idée selon laquelle la conquête de 334 a permis à la civilisation grecque, considérée comme moderne et • up-to-date ', de supplanter les civilisations orientales qualifiées de 'réactionnaires' et 'archaïques' 10. Il suffit également de lire les ouvrages de vulgarisation pour se rendre compte que cette présentation garde une très grande audience 11. Je relèverai simplement - comme singulièrement éminent - le rôle joué en cela parW.W. Tarn, dont l'Alexandre - pour reprendre l'heureuse expression d'E, Badian 12 - « est le conquérant pénétré d'une mission civilisatrice ..., un mélange de Cecil Rhodes et du Général Gordon », Parmi d'autres thèmes plutarchéens - (dont certains ont été mis à mal depuis lors: celui de 1'« unité de l'humanité» en particulier) - , Tarn a insisté sur la rupture apportée au statut et à la situation des paysans asiatiques par le biais de l'urbanisation, considérée comme l'élément moteur de 1'« acculturation »; il écrivait par exemple: «Les cités grecques furent une faveur faite au paysan asiatique et tendirent à élever son statut» 13. 1.3. Ces rappels historiographiques ne s'inscrivent pas seulement dans un passé révolu. De cette actualité des thèmes plutarchéens dans la recherche récente, je trouve une manifestation dans les pages que H. Bengtson a naguère consacrées à Alexandre 14. Celui-ci y est non seulement présenté comme 9 Cf. G. REYNAUD, Alexandre le Grand colonisateur, Revue Hebdomadaire, 11 avril 1914, 195-212. 10 Les expressions sont de A. H. M. JONES, The Greek cities [rorn Alexander to Iustinian, Oxford 1940, 32.
11 Voir également l'image d'Alexandre dans la récente intervention du Président V. Giscard d'Estaing devant un cercle d'intellectuels à Mexico. 12 CI. World, LXV, 1971, 45. 13 Cf. là-dessus P. BRIANT, DRA, II, 1976, 205·208 et Klio, LX, 1978, 58-59. 14 H. BENGTSON (éd.), The Greeks and the Persians. New York 1968, éd. allem. 1965; sur cet ouvrage, voir aussi infra, 1387.
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le rénovateur d'une économie asiatique stagnante 15, mais aussi comme le héros d'une Europe chrétienne. Je cite d'abord un passage de l'introduction du livre (2): Sans Alexandre, il n'y aurait probablement pas eu de culture mondiale grecque; sans l'Hellénisme, pas d'Imperium Romanum, car dans la civilisation de l'Empire romain les contributions hellénistiques furent d'une importance considérable. Elles ne le furent pas moins en préparant la voie à la victoire finale du Christianisme en des communautés s'étendant de l'Irlande il l'Inde. Bengtson revient sur cette idée centrale dans la conclusion du chapitre consacré à « Alexandre et la conquête de l'Empire perse» (329): La montée du Christianisme et la diffusion de la civilisation islamique présupposent l'existence des efforts d'Alexandre. Sa vie et ses réalisations sont à la base de beaucoup de choses qui existent encore aujourd'hui.
Cette présentation fait donc d'Alexandre le deus ex machina et tout à la fois l'objet d'une histoire quasi-eschatologique. Dans cette optique, Alexandre est considéré comme le point de départ d'une phase nouvelle de l'histoire de l'humanité centrée sur l'Europe. La parenté est évidente - à mon sens - avec la téléologie hégélo-droysénienne 16: L'hellénisme est en fin de compte le mélange de l'élément hellénico-macédonien avec la vie locale et ethnique des autres pays. Or, il s'agit de savoir, à ce qu'il semble, lequel des deux facteurs l'emportera, qui aura la prépondérance définitive; mars, c'est dans cette lutte même que se produit l'élément nouveau, celui qui s'affirme même dans les régions où ne peuvent se réaliser les formes de civilisation élaborées par la race grecque. Puis Droysen insiste sur la rencontre de l'hellénisme et du judaïsme: C'est maintenant que commence le dernier travail, le travail décisif de l'Antiquité en train d'accomplir sa destinée. La carrière 15 P. 329: «Economie stagnation now was at end, and an extraordinary degree of prosperity followed '. 16 Les passages de Droysen cités ici sont empruntés à CL PRÉAUX, Réfle· xions sur l'entité hellénistique, CdE, XL, 1965, 129-139, repris dans Les catégories en Histoire, Bruxelles, s.d., 17-27.
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s'achève quand le temps fut accompli dans l'apparition du dieu fait homme. /.4. Bien entendu, il s'agit là d'une analyse tendancielle de la production historique. Elle aurait donc besoin d'être complétée et nuancée. Pour être sûr (ou presque sûr!) d'être bien compris, je voudrais faire deux observations complémentaires: 1) D'abord, pour souligner combien cette vision de la conquête macédonienne d'une Asie despotique et somnolente s'intègre parfaitement dans l'histoire des mentalités collectives occidentales depuis au moins la Renaissance: mentalités traumatisées par la peur du Barbare qui vient de l'Est, et dominées par deux représentations fantasmatiques de l'Orient: la fiction du despotisme asiatique 17 (qui remonte au moins à Aristote) 18 et le mythe de la stagnation orientale 19; 2) D'autre part, il serait naïf et simplificateur d'affirmer ou de laisser entendre que le problème des continuités n'a été posé que dans une période très récente. Droysen lui-même n'a pas été insensible à quelques continuités, surtout d'ordre administratif, mais elles n'ont jamais revêtu, à ses yeux, de caractère déterminant.". On relèvera comme plus important le souci exprimé par M. Rostovtzeff de la situation achémé17 Sur le sujet, voir le livre incisif et stimulant d'A., GROSRICHARD, Structure du sérail. La fiction du despotisme asiatique dans l'Occident classique, Paris 1979. Sur le mythe du 'despotisme asiatique', on verra les articles de R. KOBBNER, Despot and âespotism: vicissitudes of a political term, Journal of the Warburg and Courtauld Institute, XIV, 1951, 275-302, et de S. STELLING-MICHAUD, Le mythe du despotisme oriental, Schweiz. Beitr. z. Allg. Gesch., XVIII, 19601961, 328-346; également F. VENTURI, OrientaI Despotism, JHI, XXIV, 1963, 133-142; P. CRISTOFINI, Il âispotismo occidentale, Critica Marxista, 1978, 71-89; CH. DELACAMPAGNE, Orient et Perversion dans: En Marge. L'Occident et ses , autres', Paris 1979, 137-150 (peu d'information solide sur les recherches récentes). 18 Ce point est bien souligné par A. Grosrichard et R. Koebner dans les études citées à la note précédente. Voir également R. BomWs, Le premier cours occidental sur la royauté achéménide, Ant. Class., XLII, 1973, 458-472. A propos d'Aristote, Stelling-Michaud (art. c., 329) écrit: « ... Aristote ouvrait la porte à la malheureuse confusion entre gouvernement despotique et monarchies orientales qui passera dans I:habitus mental de l'Européen, depuis les Croisades contre l'Infidèle •. A Aristote, il convient de joindre Platon (cf. en particulier Lois, 3, 693 sgg., sur les deux «espèces mères. des institutions politiques) et Isocrate (dont la responsabilité est écrasante). Dès l'Antiquité, l'Empire Perse est choisi et présenté comme l'exemple-type du despotisme: cf. par exemple J. C. CARRIÈRE, DHA, III. 1977. 239 et n. 16. 19 J'ai essayé de faire le point là-dessus dans Forces productives, Etat et mode de production tributaire dans l'Empire achéméniâe, dans Die Entwick. lung der Proâuktivkrâite und die gesetzmassige Abfolge der Gesellschaitjormationen (Berlin, 14-16 nov. 1978), sous presse. :li) Voir par exemple Hist. Hell., l, 197, 686-7.
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nide. A cet égard, je relèverai d'abord une phrase de son article fameux de 1938: «Ce n'est pas Alexandre qui découvrit l'Orient ... Il n'est en aucune manière le C. Colomb de l'Antiquité. Les relations commerciales entre l'Orient et la Grèce avaient existé pendant des siècles. La création de l'Empire perse rendit régulier et actif l'échange de marchandises entre les mondes» 21. En d'autres termes, Rostovtzeff posait là avec lucidité le problème de ce que J.P. Weinberg appelle le Vorhellenismus 1.2. Dans ce cadre, on le sait, Rostovtzeff a été conduit à interpréter l'économie royale des Lagides comme une économie d'Etat planifiée. Rostovtzeff était également convaincu que l'époque hellénistique était caractérisée par l'expansion du capitalisme commercial en Orient et par le rôle économique moteur de la bourgeoisie grecque. En réalité - on le sait - cette thèse procédait surtout de la vision que Rostovtzeff avait de l'évolution du monde contemporain Zl: d'où sa fragilité, malgré l'ampleur impressionnante de la documentation (toujours fondamentale) mise en oeuvre.", D'ailleurs, aujourd'hui, cette thèse est fortement mise en cause, y compris par des savants qui l'avaient un temps reprise à leur compte 2:5. On sait également que, dans plusieurs de ses ouvrages, Rostovtzeff a soutenu la thèse des continuité féodales en Asie Mineure 26 mais en tenant un raisonnement dont le caractère fragile et contradictoire n'est plus à démontrer 11. 21 M. ROSTOVTZEFF, The Hellenistic world and ifs economie development, AHR, XLI, 1938, 231-252 (251). 1.2 Klio, LVIII, 1976, 5-20: voir infra, 1393. 23 Voir H. KREISSIG dans Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques (Colloque de Besançon 1971/), Paris 1979, 202. :14 Ce sont des préoccupations du même ordre qui sont à la base de l'Oriental Despotism (1957) de K. Wittfogel: cf. le très intéressant Avant-propos qu'avait donné P. Vidal-Naquet à la traduction française (Paris 1964); il est fort regrettable que ses pages aient disparu du nouveau tirage (1977) au profit d'une' Introduction' de K. Wittfoge!. 2S Voir en particulier CL. PRÉAux, Le Monde hellénistique, Paris 1978, 376 et n. 1. 26 M. ROSTOWZEW, Studien zur Geschichte des rômischen Kolonates, LeipzigBerlin 1910; M. ROSTOVTZEFF, SEHHW, III, 1515; CAB, VII, 176-177. Dans tous ces ouvrages l'auteur accordait une importance considérable (et erronnée) à PLUTARQUE, Eum. 8: cf. mes remarques dans Actes 1971, Paris 1973, 97-100; Antigone le Borgne, Paris 1973, 80-89; REA, LXXV, 1973, 44-50. Dans une autre étude (Notes on the Economie policy of the Pergamene. Kings, dans «Anato!. Stud. Buckler " Manchester 1923, 359-390), c'est plutôt XilNOPHON, Anab., 7.8.7 ss que Rostovtzelf prend comme référence de base pour reconstruire une société de nobles perses vivant dans des châteaux-forts et dirigeant de vastes exploitations, et pour conclure à la continuité depuis la période achéménide jusqu'à la période attalide: cf. 373-375. T! Cf. P. BRIANT, Actes 1971, 97-100.
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1.5. On peut dire que la prerrnere mise en cause globale de l'interprétation dominante est venue des historiens marxistes. Il faut d'ailleurs préciser que leur intervention dans le champ de l'histoire hellénistique s'insère dans le cadre théorique beaucoup plus vaste d'une discussion qui s'est développée dans les années 50 et 60 sur le concept de Mode de Production Asiatique (MPA) 28, dénommé par Kreissig «Mode de production de l'Orient Ancien (Altorientalische Produktionsweise) » 29, que, pour ma part, je caractérise sous le terme Mode de production tributaire (MPT), pour des raisons que j'ai exposées ailleurs JO. Le premier historien à analyser les royaumes hellénistiques à l'aide des concepts de rapports sociaux de production et de mode de production fut le soviétique Ranovié qui, en 1950, publiait à Moscou un livre traduit à Berlin en 1958 sous le titre Der Hellenismus und seine geschitliche Rolle, dans lequel l'auteur prenait fermement position contre la thèse du panféodalisme (achéménide et hellénistique) développée en particulier par Rostowzew à la suite de M. Weber 31 et popularisée par ses épigones. Ranoviè concluait - partiellement mais non moins paradoxalement en accord avec Tarn 32 - que 28 Voir la remarquable mise au point de G. SOFRI, JI modo di proâuzione asiaticoi, Torino 1974; Sur le mode de production asiatiques, (Recueil du CERM), Paris 1974. Il semble d'ailleurs que depuis la publication. du recueil du CERM (1ère éd. 1970), le problème est beaucoup moins à l'ordre du jour (voir cependant L. KRADER, The Asiatic mode of production, Assen 1975), en France en particulier. En revanche, la question a fait l'objet d'importants travaux en URSS: voir J. KACANOVSKIJ, Rabovladenie, [eoâalizm ili aziatskii sposob proizvodstvaê, Moscou 1971 et Problemy âokapitalistëeskicn ob'c estv v stranacn Vostoka (V.N. Nikiforov, ed.), Moscou 1971. (Ces deux ouvrages ont donné naissance à deux importantes recensions dans EAZ, XIV, 1973, 171·189, et dans JfW, 1975, 185-205). Voir également B. FUNCK, Einige Bernerkungen. zum altorientalische Despotismus, EAZ, XVI, 1975, 289·298. Je mentionne également que des sociologues et historiens iraniens s'intéressent de près au problème: E. ABRAHAMIAN, Oriental despotism: the case of Qajar Iran, Int. Joum. Middle East Studies, V, 1974, 3-31; ID., European [euâalism and Middle Eastern Despotism, Science and Society, XXXIX, 1975, 129-156: égaiement M. MASSARAT, Gesellschaftliche Stagnation und die Asiatische Produktionsweise dargestellet am beispiel der iranischen Geschichte. Ein Kritik des Grunâsiormationen, dans H. ASCHE - M. MASSARAT, Studien. über der Dritte WeU (Geog, Hochschulmanuskript, Heft 4), Gôttingen 1977, 5-125. Voir également les contributions de B. Montazami, R. Rarntin, K. Vafadari et F. Hâmèd dans le nr. 1 (1979) de la revue Zamân (Paris). Enfin, contrairement à ce que pourrait laisser croire son titre, il est fort peu question du MPA dans Marxisme, mondo antico e terza monâo (Inchiesta a cura di E. Flores), Napoli 1979. 29 Voir en particulier Zwei Proâuktionsweisen 'die der kapitalischen vorgehen ' (These), EAZ, X, 1969, 361-368. JO Dans l'étude citée supra, 1380, n. 19. 31 Voir Kolonat, 258, n. 1. 32 Là-dessus, cf. P. BRIANT, Actes 71, 107.
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la conquête macédonienne marquait le début d'une rupture profonde avec la situation précédente, en raison du développement en Asie de la propriété privée (liée à l'urbanisation) et des rapports de production esclavagistes. Malgré le progrès incontestable que constituait le livre de Ranovië, on doit reconnaître que toute sa démarche restait profondément marquée par la fort peu dialectique théorie des « Cinq Stades» substituant le panesclavagisme au panféodalisme. H. Kreissig vient de faire heureusement le point làdessus dans un livre qui constitue la synthèse la plus achevée sur tous ces problèmes 33. Je n'ai pas à résumer ici les travaux de H. Kreissig que connaissent bien tous ceux qui s'intéressent à l'Asie hellénistique. Je rappellerai simplement sa conclusion (avec laquelle je suis en accord global): la conquête macédonienne n'a pas entraîné une' grécisation ' des infrastructures mais, bien au contraire, dans l'Asie hellénistique continue de dominer le Mode de Production de l'Orient ancien (Le. MPA ou MPT). J'ai moi-même essayé de montrer dans plusieurs études depuis 1971 la permanence du régime de la communauté villageoise en Asie achéménide et hellénistique 34. Pour Kreissig donc, l'Etat séleucide est un Etat de type' Orient ancien' et non de type grec, et l'époque hellénistique une phase particulière de l'Histoire de l'Orient (et non de l'Histoire de la Grèce). /.6. On voit donc le chemin parcouru depuis Droysen. C'est même un renversement complet des perspectives historiques qui est proposé. Précisons cependant qu'à une thèse rnonolithique des ruptures ne s'est pas substituée brutalement une thèse monolitique des continuités. Je veux dire qu'il ne s'agit pas de nier les conséquences de la conquête d'Alexandre sur l'Histoire de l'Orient ni de rejeter toute idée de rupture. En revanche, au plan du fonctionnement de la société globale, ce sont les continuités qui sont déterminantes, et au plan quan33 Wirtschaft und Gesellschaft im Seleukidenreich. (Die Eigentums- und die Abhangigkeitesverhdltnisseï, Berlin 1978. (Voir mon compte-rendu dans Klio, LXII, 1980, s.p.). 34 Actes 1971, 105-107, 114-119; Villages et communautés villageoises d'Asie achéménide et hellénistique, JESHO, XVIII, 1975, 165·188; Communautés ru· raies, forces productives et mode de production tributaire en Asie, achéménide, Zamân, II, 1979 (sous presse); Communautés de base et 'Economie royale' en Asie achéménide et hellénistique, Rec, Soc. J. Bodin (sous presse depuis 1976! L'étude de Zamân constitue une version modifiée et mise à jour).
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titatif et au plan qualitatif. Mais, une fois posées ces premières conclusions - qui elles-même sont constamment en procès de révision - , il reste beaucoup de travail à faire: reste en particulier à mesurer le rythme et le poids des ruptures selon les temps et selon les lieux; également à rechercher si la conquête macédonienne n'a pas introduit de facteurs de dissolution qui agissent sur le long terme. Bref il ne s'agit pas d'opposer d'une manière simpliste et mécaniste continuités à ruptures tant le réel historique est multiple, complexe et contradictoire. Il convient donc d'abord de distinguer emprunt et convergence 35. D'autre part, un élément emprunté par une société A à une société B peut avoir une fonction différente en A et en B (les célèbres' bricolages '). Il ne suffit donc pas de décrire isolément des 'structures élémentaires' communes à A et à B: il faut les replacer dans une globalité historique qui a sa cohérence. Dans le cas contraire, on risque d'aboutir, par exemple, à une histoire de l' idée monarchique' dans l'Antiquité de Sumer à Rome, dans laquelle chaque étape est définie tautologiquement comme empruntant à celle qui la précède et léguant à celle qui la suit 36. Traitant des problèmes des continuités en Egypte Iagide, B. Menu écrivait fort lucidement 37: Je crois qu'il faut faire une distinction entre, d'une part, certaines formes de détention et d'exploitation qui apparaissent 3S Voir, par exemple, les convergences idéologiques entre la monarchie macédonienne et la monarchie perse: le rite de lancement du javelot (ou de la lance) comme prise de possession d'un territoire; les dons royaux, en particulier le don de vêtements. Sur le problème de la terre royale, voir l'étude de B. FUNCK, Klio, LX, 1978, 45·56. On voit donc les précautions qu'il convient d'observer avant de parler d'. emprunt »: et, pour ne prendre que l'exemple du lancement du javelot, on notera également des similitudes avec le rite des fétiaux à Rome - ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il faille assimiler rigoureusement tous ces rites; en effet - comme je l'ai écrit ailleurs - • on ne peut pas historiquement isoler une structure d'un système global de représentations idéologiques, et un système n'est pas une addition de structures »: cf. Colloque de Cracovie 1977: L'idéologie monarchique dans l'Antiquité (sous presse). 36 Je pense en particulier à l'étude récente de J. R. FEARS, Princeps a diis electus: The divine election of the Emperor as a politicaJ concept at Rome, Papers and Monographs of the American Academy in Rome, XXVI, Rome 1977, ou à F. DVORNIK, Early Christian and Byzantine political Philosophy. Origins and Background, Washington 1966, 1. 37 Dans Terre et paysans dépendants ... (1979), 189. Voir également les saines réflexions de P. Lévêque et de F. Dunand, ibiâ., 194-196.
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à des intervalles parfois très éloignés, simplement parce que certaines conditions favorables se trouvent réunies ou parce qu'elles correspondent à la configuration de l'Egypte et, d'autre part, les institutions qui, au contraire, procèdent les unes des autres ou bien ont continué à exister après la conquête macédonienne, respectées par les souverains lagides.
Ce qui impose, à l'évidence, de bien connaitre l'Asie dans laquelle s'est effectuée la conquête macédonienne.
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Mais, si l'on doit analyser - comme je viens de le faire trop rapidement - les apports très novateurs des discussions récentes (et moins récentes), U convient aussi de mettre en lumière leurs lacunes et leurs insuffisances: ou, si l'on veut, à partir de ce bilan très largement positif, de tracer quelques perspectives de recherche. A mes yeux, la lacune la plus évidente et la plus paradoxale dans l'historiographie contemporaine - toutes écoles de pensée confondues - réside sans aucun doute dans la coupure qui continue d'exister - au plan de la recherche - entre les études achéménides et les études hellénistiques. Cette coupure devient encore plus préjudiciable aux progrès de la recherche dès lors que l'on admet, avec H. Kreissig, que la période hellénistique en Asie est une phase particulière de l'Histoire de l'Orient. Le paradoxe est d'autant plus apparent qu'il est reconnu depuis longtemps li qu'une bonne connaissance des structures achéménides est indispensable à une bonne compréhension des réalités hellénistiques (et vice-versa d'ailleurs). Au début de sa SEHHW (I, 77-90), par exemple, M. Rostovtzeff n'a pas manqué de dresser un tableau de l'Empire perse en 334. On retrouve un tableau, plus ou moins sommaire, au début de toutes les monographies consacrées à Alexandre. Mais - il faut bien le constater - d'une manière générale, il s'agit d'une sorte d'alibi méthodologique plus que d'une véritable analyse
Il.I,
li
Voir par exemple P.
JUNGE,
Klio, XXXIII, 1940, 1.
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nourrie d'informations puisées à la source 39. On peut ajouter que - mis à part l'intéressante introduction du livre de A.R. Burn «J - les tableaux de l'Empire perse à la veille des Guerres Médiques sont tout aussi sommaires 41. Rostovtzeff - incontestablement le mieux informé et le plus soucieux de l'héritage achéménide - donnait l'explication suivante [III, 1321, n. 77]: «Je n'ai trouvé dans les ouvrages modernes aucune tentative pour analyser en détailla vie économique de la Perse et de ses différentes satrapies », et il ajoutait - non sans lucidité - que pourtant la documentation ne manquait pas. Il est peut-être encore plus paradoxal de constater que si l'on met à part l'important article de J.P. Weinberg (Klio, 1976) sur lequel on reviendra - les études marxistes traitant des continuités orientales dans l'hellénisme consacrent en général fort peu de place aux réalités achéménides. Or, il est bien clair que la thèse des continuités socio-économiques ne peut prendre sa véritable dimension et acquérir une crédibilité nouvelle que si la démonstration est constamment articulée avec une analyse des réalités achéménides. Sans vouloir développer exagérément ce point qui, sur le plan épistémologique, offre pourtant ample matière à réflexion, on notera que cette situation procède du statut singulièrement marginal des études achéménides, laissées en friche (ou si l'on préfère: vouées à l'araire) jusqu'à une date relativement récente aussi bien par les orientalistes que par les classicistes. Les premiers, en effet, ont développé leurs études autour de la Bible puis de la Mésopotamie 42, si bien que l'on a privilégié pendant très longtemps les rapports entre les rois perses (Cyrus surtout bien sûr) et la communauté judéenne 43, et que l'on voit encore l'Empire achéménide rangé 39 Parmi lei ouvraaes récents, M. A. LBvI (AlesS4ndro Magno, MilaDo 1977) me paralt avoir mieux mis en relief les • facteurs acbéménides' de la ceequête macédonienne. «J A.R. BtlIN, Persia and the. Greeks, London 1962, 20-139. 41 Voir par exemple l'ouvraae récent d'ED. WILL, Le Monde grec et l'Orient. Le Vê siècle (5J().t(}Jl, Paris 1972, et les remarques de C. G. SrARR, Iran. Ant., XI, 1976, 40 et n. 2. 42 Comme l'indiquent si clairement les titres des recueils édités par J. B. 1'JlI'I'CIURD, Ancient Near Eastern Texts relating to the O/d Testament2, Princeton 1955, et The Ancierlt Near East in Pictures rel4ting to the Old Testament, Princeton 1954. Je note éplement que la synthèse récente de G. WIDBNGIlBN, The Persians, a paru dans le livre édité par D. J. WISEMAN, Peoples of Old Testament Times, Oxford 1973, 312-357. 43 Pour un exemple typique d'une histori0KI'llphie eschatoloJÏque (l'em-
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parmi les mondes • périphériques' 44: suprême paradoxe pour le premier empire unifié en Asie! Ce qualificatif provient d'une distinction opérée par H. Frankfort à partir de critères • artistiques " eux-mêmes fort contestables 45. La seule exception notable était la vieille, mais toujours très utilisable, Geschichte des Altertums d'Edo Meyer qui consacrait une partie importante et fort bien documentée à c l'Orient sous la domination des Perses» 46. La publication plus récente de l'ouvrage édité par H. Bengtson - fort décevant 47 - ne l'a pas entièrement remplacé. L'ouvrage de Meyer contraste de façon saisissante avec la Geschichte de Beloch presque exclusivement centrée sur le monde classique 41. Du côté des classicistes, en effet, on remarquera que l'histoire perse ne les intéresse le plus souvent que dans la mesure où elle' recoupe' l'histoire grecque: en d'autres termes, dans les ouvrages d'histoire grecque, l'Empire achéménide n'apparaît que dans les parties traitant des Guerres pire perse comme étape dans la preparatio wangelica [sic] du monde), voir R. MAYIlII, Das achiimenidische Weltreiche und seine Bedeutung in der politi. schen und religiOsen Geschichte des anticken Orients. Blb. Zelts<:h., NF, XII. 1968, 1-16. Ces défonnations sont un héritage direct des traditions judéennes antiques et médiévales: cf. par exemple C. C. TORIlIlY, JAOS, LXVI, 1945, 1-15 et A. NIltZIlR, Acta Iranica, II, 1974, 35-52. 44 P. GARIlLLI - V. NWI'ROWIn'ZKY, Le Proche'()rient as/4tique, Paris 1974, 10 et 31 (avec l'Elam, l'Urartu et le Proche.()rient à l'exception d'Iarai!l). 45 H. FRANJaloRT, The Art and architecture qf the Ancient OrientZ, London 1977 [1954]. 11-12 et 2fJl. suivi par S. Mos<:ATI, Il volta di potere. Arte imperüJ1istica nell'Antichitll, Roma 1978, 85. H. Frankfort subordonne à l'ElYPte et à la Mésopotamie (les • centres ') les autres civilisations (' périph6riques '): Il part de la constatation obvie que les premiers Etats pleinement consti~ sont apparus dans la vallée du Nil et en M~potamie, et que c'est là et alors que la sculpture et l'architecture monumentales firent leur apparition; ces deux pôles restèrent donc, selon lui, les centres d'inspiration jusqu'en 500, date à laquelle -la Grèce prit la tête. (11). De cette manière, la ~riode achéménide de l'histoire de l'Asie (384 sgg.) est pour une large part court-circuit6e, car l'un des problèmes les plus débattus, et pourtant surestimé, devient ~ lors celui des Influences grecques sur l'art achéménide (cf. les saines remarques de C. G. STARK, Iran. Ant., XII, 1977, 56-59). Cet exemple typique montre clairement comment et pourquoi l'histoire de l'Empire achéménide a rarement été trait6e sous une forme autonome: l'Insistance est surtout mise sur les Influences extérieures qui l'ont marquée, si bien qu'elle est restée longtemps dominée voire écrasée sous les hégémonies successives et/ou conjuguM de l' _ Orient millénaire. et de la _ Grèoe éternelle »! 46 Dritter Band. lst Buch: Das Orient unter der Herrschaft du Perser [7. Auli. 1975]. Cet ouvrage reste irremplacé, par la connaissance Intime que l'auteur avait des sources classiques et des sources orientales. 47 The Greeks and the Persians, 1968: cet ouvrage souffTe de graves lacunes achéménides, sauf dans les chapitres 16-18 et 20. Voir remarques de C. G. STARK, Iran. Ant., XI, 1976, 40, n, 2. Voir également supra, 1378-1380. 41 Justement remarqué par P. JUNGB, KlIo, XXXIII, 1940, l, n. 2.
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Médiques, de l'or perse, de la Paix du Roi ou de la conquête d'Alexandre (celle-ci permettant aux classicistes de 'kidnapper' l'histoire du Moyen-Orient!). Ce qui est bien normal pour des historiens de la Grèce antique, dira-t-on: ce qui l'est moins, c'est la manière dont on traite (ou dont on ne traite pas) 49 des rapports entre les Etats Grecs et l'Empire achéménide - analysés sous l'angle des seules préoccupations grecques. Or, comment nier que cette orientation européocentrique 1lO héritière d'une historiographie de type cclonial " - mutile la recherche? Comment en effet traiter sérieusement des rapports Grecs/Perses sans connaître de l'intërieur " le monde achéménide, et non pas un monde achéménide fantasmatique sorti de la camera obscura du voyageur européen 53 ? Observations banales et de bon sens? Certes! Mais, on doit bien constater, pour le déplorer, qu'elles ne sont guère mises en pratique par les historiens. Les tentatives en ce sens sont restées longtemps isolées: je pense en particulier à l'ouvrage pionnier de G. Nenci ", qui proposait une nouvelle voie d'ap49 Tout à fait caractéristique à cet égard est le livre de syn~e récent d'ED. WILL, .Le Monde Grec et l'Orient (1972) qui - après une introduction sur l'Empire perse (13-52) - devient exclusivement un manuel d'histoire grecque (cf. 53, il. 1). Contrairement à ce que laisse espérer le titre, il n'est pratiquement pas question dès lors de l'Empire Perse - sauf de ses relations diplomatiques et militaires avec les Etats grecs. Les justifications avancées par l'auteur (9-10) ne sont guère satisfaisantes: il affirme que «l'Empire perse tend à devenir pour nous une enüté brumeuse» presque impossible à connaltre. C'est là gravement sous-estimer (voire même Iporer) l'Importance de la documentation récemment mise au jour et publiée, tout autant que le renouvellement en cours de l'histoire achéménide. (J'ai fait preuve de la même ignorance dans Actes 71, 99). 1lO De ~ qu'il existe une • Histoire perse' fabriquée selon les prëoccupatlons politlco-Idéolol!ques de la communauté judéenne antique (et médiévale: cf, supra, 1386 et n. 43): et cette tradition n'est pas sans présenter des rapports avec 1" Histoire perse' grecque (dans l'exaltation de la fiBure de Cyrus par exemple), Cette hypertrophie des traditions judéennes est justement soull~ par ED. WILL, o. C., 26-32: mais, la question mérite d'6tre PI*!e (en des termes dilférents bien entendu) pour l'étude des rapports Grecs/ Empire achéménide. SI Voir là-dessus O. BUCCI, Apollinaris, 1973, 563-588 et 1974, 196-220 (en particulier 206-220 et la note 144) qui analyse .les implications idéolOlliQues de l'opposition entre Europe et Asie: « ... per g1ustlficare, da parte della storlOgrafia coloniallsta dell'Europa dei secolo scorso e dei primo quarto di questo secolo, l'interesse delle potenze occidenta1l per 1 territori dell'Oriente Mediterraneo e dell'Asla Centrale, se non dell'Mia lntera» (220). Cf. éla1~ ment P. BRIANT, DHA, II, 1976, 2CJ6.2IJ1 et DHA, V, 1979, ainsi que C. G. STAIUl, Iran. Ant., 1976, 39-41. . 52 Cf. justement O. BUCCI, RIDA, 1978, 14, n. 4 et n. n. 22; C. G, STAIUl, Iran. Ant., XII, 1977. 38-42, 53 Cf. F. HAMIlD, De la 'camera obscura' du voyageur' europien " ZamAn, r, 1979. 95-109. 54 G. NBNCI, Introâuzione aile guerre persiane, Pisa 1958.
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proche du vieux problème des Guerres Médiques, y incluant en particulier une analyse de la situation envisagée du point de vue achéménide. On ne peut que regretter que cet ouvrage soit resté longtemps une exception 55. Je dois également mentionner l'importance du vigoureux plaidoyer en ce sens de l'Iranien Amir Mehdi Badi' 56: on pourra juger que ses ouvrage sont typiquement ceux d'un «amateur »; il n'en reste pas moins que le problème de la déformation de l'histoire achéménide par l'historiographie européenne est encore un vrai problème, et l'on ne peut que regretter que cet essai soit aussi peu connu par les classicistes ", Quant aux iranistes enfin, ils se sont surtout consacrés, jusqu'à une date relativement récente, à la philologie et à l'archéologie des palais: toutes recherches extrêmement importantes, voire fondamentales, qui, pour prendre leur véritable sens, doivent déboucher nécessairement sur une prise en compte de la problématique historique. Rostovtzeff n'avait donc pas tort de déplorer, il y quarante ans, l'absence d'études socio-économiques sur l'Empire achéménide, et l'on peut bien dire, sans nier leurs réels mérites, que les ouvrages d'A.T. Olmstead 58 et de R. Ghirshman 59 n'ont pas comblé la lacune. /lol. Les choses, heureusement, ont commencé de changer. On remarquera d'abord que le problème des rapports entre les Grecs et l'Empire achéménide a été abordé et réexaminé à plusieurs reprises dans les quinze dernières années s", Du 579, n, 56: nella storiografia moderna e contemporanea, la quale à visto nelle ' guerre mediche' la sola aggressione persiana alla Grecia •. (Je note en passant que l'ouvrage de Burn porte en sous-titre: «The detence of the West. [italiques P.B.]). On notera également l'intérêt de l'article de V. MARTIN, La politique des Achéménides: l'exploration prélude de la conquête, MH, XXII, 1965, 3348. 56 Les Grecs et les Barbares. L'autre face de l'Histoire, Lausanne, 1 (1963), Il (1966), III (1968). st Cf. mon Alexandre le Grand (1974 et 19n), 50 et n. 1; l'intérêt de cet ouvrage est également souligné par C. G. STARR, Iran. Ant., XII, 1977, 108, n. 14, et cité par W. KNAUTH, Das altiranische Fûrstenideal von Xenophon bis Firdousi, Wiesbaden 1975, 2, n. 4. A ma connaissance, il n'a donné lieu à aucun compte-rendu dans les revues • savantes ', 58 History of the Persian Empire, Chicago 1948. 59 L'Iran des origines à l'I slamë, Paris 1976. ~ Voir Atti dei Convegno sul tema: la Persia e. il mondo greco-romano, Roma 1966; La Persia e il mondo classico, n. spécial de PdP, 1972; O. BUCCI, Apollinaris, XLVI, 1973 et XLVII, 1974; A. MOMIGLIANO, Alien Wisdom. The limits of hellenization, Cambridge 1975 (Chap. V, Iranian and Greeks); G. WALSER, 55 Ce que constate justement O. BUCCI, Apollinaris, 1973, « ••• unico (.•.) si è opposto alla teoria universalmente accolta
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côté des classicistes, des études récentes CJ .M. Balcer 61, P. Briant 62, O. Bucci 63, D. Lewis 64, G.G. Starr 65 en particulier) montrent que l'état d'esprit s'est modifié. Ces recherches publiées pratiquement indépendamment les unes des autres-, prenant en compte les données classiques et les données achéménides, paraissent constituer, par leur convergence même, un signe majeur du mouvement en cours de réexamen de l'histoire du 1er millénaire en Egée orientale et au ProcheOrient. Elles prouvent que les historiens • classiques' se rendent compte que l'ignorance du monde achéménide est un héritage idéologique de l'anthropologie antique du Barbare et du Perse. D'autre part, ils sont de plus en plus conscients qu'une connaissance aussi précise que possible de l'Empire achéménide est une exigence scientifique impérative. Enfin, Zum griechische-persische Verhdltnisse vor âem Hellenismus, HZ, CCXX, 1975, 529-542 (trop restrictif à mon sens); C. G. STARR, Iran. Ant., XI, 1976 et XlI, 1977; également J.M. BALCER, The Greeks and the Ancient NearBast, Indiana Social Studies Quarterly, XXXlI, 1979, 11-27. On soulignera également tout l'intérêt du travail de F. HOFSTETTER, 'Die Grieohen in Persien. Prosopographie der Griechen im Persischen Reich vor Alexander (AMI, Erg. Bd. 5), Berlin 1978 qui certainement permettra des études plus spécifiques comme celle de F. SE18T, Griechische Sôldner im Achaimenidenreich, Bonn 1977. 61 Voir par exemple ses études sur l'expédition scythdque de Darius dans HStClPh, LXXVI, 1972, 99-132 et dans Actes du IIè Congrès international des études du Sud-est européen (Athènes 1970) [1972] (The Persian occupation of Thrace (519-491 B.C.), 241-258) - dont les conclusions adoptées avec enthousiasme par G. C. CAMERON dans Acta Iranica, V, 1975, 77-88, viennent d'être fortement contestées (pour le moins) par J. Harmatta dans AAH, XXIV, 1976, 15-24. De J. M. Balcer, on verra également The Athenian episcopos and the Achaemeniâ King' s Bye, AIPh, 391, 1977, 252-263. 62 L'élevage ovin dans l'Empire achéménide, JESHO, XXlI, 1979, 136-161; Forces productives, dépendance rurale et idéologies religieuses dans l'Empire achéménide dans Religions, Pouvoir, Rapports sociaux (s.p.); Contrainte militaire, dépendance rurale et exploitation des territoires en Asie achéméniâe, Index, VlII, 1978-79, 48-98; Communautés rurales, forces productives et mode de production tributaire en Asie achéménide, Zamân, Il, 1979 (sous presse); Forces productives, Etat et mode de production tributaire en Asie achëméniâe, Congrès de Berlin 1978 (sous presse). 63 O. Bucci - qui d'ailleurs a une formation beaucoup plus large et plus complète que celle d'un' classiciste ' - a écrit de très nombreuses études qui - publiées en général dans des recueils ou des revues assez peu connus sont parfois ignorées et des classicistes et des iranistes. Je ne cite que les articles qui sont en rapport étroit avec les problèmes traités ici: 1 rapporti fra la Grecia e l'antica Persia: appunti storico-giuriâici per un âibattito sulla pretesa contrapposizione fra Oriente. ed accidente, Apollinaris, XLVI, 1973, 563·588 et XLVlI, 1974, 196-220; Note di politica agraria achemeniâe: a proposito dei passo la, 28, 3 di Polibio, Stuâi in memoria di G. Donatuti, Milano 1973, I, 181-190; L'attività legislativa dei sovrano achemeniâe et gli archivi reali pero siani, RIDA, XXV, 1978, 11-93. 64 Sparta and Persia, Leiden 1977. 65 Greeks and Persians in the [ourth. Century B.C. A study in cultural contacts beiore Alexander, lranica Antiqua, XlI, 1976, 38·99 et XIlI, 1977, 49-115 (et Pl. I·XVI).
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contre l'avis de quelques uns, l'idée commence à faire son chemin que les sources grecques sur l'histoire perse méritent un nouvel examen attendif et systématique 66. Ce renouveau d'intérêt, de la part des classicistes, accompagne un profond renouvellement des études achéménides - re nouvellement illustré, il y a peu, par la publication d'un ouvrage collectif d'iranistes 67. Ce renouvellement va incontestablement dans le sens d'une prise en compte des problématiques d'une histoire globale. Il s'explique pour une bonne part - me semble-t-il - par la mise au jour d'une documentation nouvelle et par sa confrontation avec les données déjà connues (dont les sources classiques). En effet, la publication en 1948 et en 1969 d'une importante partie dés archives élamites de Persépolis 68 a ouvert un champ immense à la recherche d'histoire économique et sociale, comme le montrent en particulier les études de M. Dandamayev (IJ et la synthèse 66 Ce dédain pour les sources classiques est professée et par des iranistes et par des classicistes: il est assez courant de présenter les ouvrages de Xénophon (en particulier la Cyropédie) comme un roman sans intérêt documentaire autre que les informations que donne cet ouvrage sur les idées politiques de Xénophon. Cette lecture de Xénophon est effectivement possible (cf. P. CARLIER, L'idée de monarchie impériale dans la Cyropédie de Xénophon, Ktema, III, 1978, 133-163). Mais, l'apport de la Cyropédie n'est pas réductible à la lecture grecque, comme vient de le montrer W. Knauth (in Verbindung mit S. Nadjmabadi), Das altiranische Fürstenideal von Xenophon bis Firdousi, nach den antiken und einheimischen Quellen dargestellt, Wiesbaden 1975. Sur la vaieur des sources grecques, cf. R. BODÉUS, AC, XLII. 1973. 451-456 et surtout O. BUCCl, RIDA, XXV, 1978, 11-93 avec en particulier la note 58 (45); voir aussi P. BRIANT, DHA, II. 1976, 274. Je crois que ce dédain s'inscrit dans le cadre plus générai d'un raisonnement sur ce qu'il est convenu d'appeller l'. épuisement» des sources auxquelles on aurait' fait dire' tout ce qu'elles ont à dire. Ce qui fait naître un doute; à quoi doit-on attribuer cet épuisement? Au contenu des sources ou aux capacités d'innovation et d'interrogation des utilisateurs? II est facile de montrer, à partir d'exemples précis, qu'une relecture de sources réputées épuisées par des dissections successives peut permettre de renouveler complètement une question. II me semble donc que les iranistes auraient le plus grand tort de croire que les sources classiques n'ont plus • rien à dire ': cf. les remarques en ce sens de Cl. Herrenschmidt dans Abstracta Iranica (Suppl, à Stud. Iran. 1978), 8. n. 21. 67 G. WALSER (ed.), Beitrdge ZUr Achaimenidensgeschichte, Wiesbaden 1972. On souligne égaiement tout l'intérêt des volumes de mélanges publiés depuis 1974 sous le titre d'Acta Iranica (I-XVIII, 1974-78, Téhéran-Liège, diff. Brill, Leiden). 68 G. C. CAMERON, Persepolis Treasury Tablets [PTT]. Chicago 1948; R. T. HALLOCK, Persepolis Fortification Tablets [PFTJ, Chicago 1969. Sur les sceaux, voir récemment R. T. HALLOCK, The use of seals on the Persepolis Fortification Tablets, dans MAc GUIRE-BIGGS (edd.), Seals and sealings in the Ancient Near East. Undena Pub. 1977, 127·133. (IJ Nouveaux documents d'économie royale en Iran (509494), VDI, 1972, 3-26; Les ouvriers de l'exploitation royale en Iran (fin 6è·2è moitié du 5ès), VDI, 1973, 3-24: Voir déjà Persien unter den ersten Achâmeniden, trad. allem., Wiesbaden 1976.
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provisoire de R.T. Hallock 70. Parmi les sources nouvellement découvertes, on notera également des inscriptions grecques trouvées en Asie Mineure: la trilingue (gréco-lyco-araméenne) de Xanthos 71, et la très belle inscription de Sardes publiée par L. Robert 72. Ajoutons y les résultats fascinants des prospections archéologiques menées par l'équipe de J.C. Gardin sur le territoire d'Aï-Khanoum et plus largement en Bactriane orientale 73. En définitive, et contrairement à une idée encore largement répandue, les sources portant sur l'Empire achéménide sont incomparablement plus nombreuses et plus diversifiées que les sources spécifiquement hellénistiques. Aux sources classiques en effet, s'ajoutent les inscriptions royales (dont un nouveau commentaire est en préparation par Cl. Herrenschmidt) 74, les tablettes de Persépolis, des inscriptions et des papyrus araméens, des archives babyloniennes, des sources bibliques, des sources démotiques et hiéroglyphiques, sans oublier l'Avesta (d'utilisation délicate); il convient d'y ajouter les documents archéologiques de toute sorte et les documents numismatiques. Dans ces conditions, il appartient aux classicistes d'unir leurs efforts à ceux des iranistes et des orientalistes 75, pour décloisonner enfin une aire historique qui a son unité: l'idéal étant sans doute la constitution d'équipes de recherches intégrées travaillant sur des projets communs 76. Mais, il appartient aussi aux classicistes d'utiliser les sources orientales, éventuellement en traduction: ce faisant, je le sais d'expérience ", on prend le risque d'erreurs, quelles que soient les précautions dont on s'entoure, mais le plus grand risque pris 70 The Evidence of the Persepolis Tablets (pré-publication de la Cambo His/ory of Iran, II), Cambridge 1972. 71 Dont la publication finale vient d'avoir lieu: Fouilles de Xanthos. VI: La stèle trilingue du Létôon, Paris 1979. (Etudes de H. Metzger, E. Laroche, A. Dupont-Sommer, M. Mayrhofer, et un Avant-Propos de P. Demargne). 72 CRAI, 1975, 306-330. 73 Voir infra, lIA. 74 Cf. déjà ses importants articles dans Studia Iranica, V, 1976, 33'65 et VI, 1977, \7·58. 75 Cr. déjà JESHO, XVIII, 1975, 187-188. Voir également B. Menu dans Terre et paysans dépendants . . . (1979), 191 à propos de l'Egypte: «Il est souhaitable que les échanges se fassent plus nombreux entre papyrologues et égyptologues », 76 Voir par exemple E. BICKERMAN' H. TADMOR, Darius I, Pseudo-Smerdis and the Magi, Athenaeum, LVI, 1978, 239-261. 77 Cf. JESHO, XXII, 1979, 138·139 et n. 15. On peut d'ailleurs admettre qu'après une' imprégnation' de plusieurs années de recherches, un historien de formation est à même de connaître au moins les difficultés philologiques
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par un chercheur n'est-il pas d'ignorer une aussi riche documentation en raison d'une excessive division du travail intellectuel ? En tout cas, mon sentiment est que la prise en compte directe de la documentation achéménide est un préalable des progrès à venir sur le problème des continuités achéménido-hellénistiques. Il s'agit là en effet d'un de ces territoires de l'historien où l'ultraspécialisation freine plus qu'elle ne suscite l'innovation. ë
II.3. L'article récent de J.P. Weinberg 79 montre bien en effet tous les enrichissements que de telles études apportent à la thèse des continuités orientales dans l'Orient hellénistique - thèse que l'auteur soutient à la suite de Kreissig. Par Vorhellenismus, l'auteur entend une période de deux siècles qui, au Proche-Orient, précède la conquête d'Alexandre: période au cours de laquelle s'élabore tout un ensemble de conditions préalables qui tout à la fois précèdent et préparent la période hellénistique. L'auteur montre que certaines réalisations que l'on assigne en général à la période hellénistique sont en germe, en puissance ou en développement à la période pré-hellénistique ou, en d'autres termes, remontent à l'époque de la domination achéménide. Entre autres réalisations, l'auteur souligne, dans cette période du Vorhellenismus, le remarquable essor des forces productives, l'accentuation des échanges monétaires, l'étroite imbrication des syncrétismes et de l'universalisme, le très actif mouvement d'urbanisation. On voit donc que le champ de recherches achéménidohellénistiques est pratiquement illimité. Tous les thèmes, toutes les régions pourraient servir de support à de telles recherches. L'exigence commune en est la confrontation systématique ro des sources et des problématiques gréco-achéménides. majeures dont débattent les spécialistes, et d'en saisir également les tenants et les aboutissants. Dès lors, sans pouvoir résoudre par lui-même un problème philologique, il peut en tenir compte: je dirai même que dans certains cas son interprétation peut aider le philologue. J'ajoute qu'une collaboration suivie ou occasionnelle avec des spécialistes des langues orientales anciennes permet de réduire les risques d'erreurs grossières. 78 Sur ce problème terriblement actuel, on verra les fortes et saines réflexions d'O. Longo dans Marxismo, manda antico e terza manda, Napoli 1979, 137-141. 79 Bemerkungen zum Problem 'der Vorhellenismus im Varder Asien', K1io, LVIII, 1976, 5-20. Voir infra, 1405 mes réserves sur le terme proposé par Weinberg de Yorhellenismus. 80 J'insiste sur le qualificatif: sur un thème choisi, c'est la totalité de la
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Je ne prendrai qu'un exemple, choisi parmi les problèmes les plus débattus actuellement, celui du(des) statutts) des terres et des personnes, et plus précisément le problème des dôreai. Deux études de M. Dandamayev et de J. Harmatta ont montré en effet tout le profit que l'on peut retirer d'une confrontation des sources d'origine différente: elle permet en effet de prouver l'enracinement achéménide de l'institution et surtout d'en préciser le mécanisme et le fonctionnement: 1) On sait que les auteurs classiques mentionnent de nombreux dons de villes et de villages faits par le Grand Roi à ses proches ou à des Amis 81. Cette documentation classique pose des problèmes d'interprétation sur le statut des donations - problème qui se pose d'ailleurs en des termes sensiblement analogues pour les donations hellénistiques. M. Dandamayev 82 a bien montré que les PFT permettent d'apporter des éléments de solution. Nombre de tablettes se réfèrent en effet à des versements de ' rations' 83 à des fonctionnaires et à de hauts personnages (dont une princesse achéménide) 84. Ces , rations' sont exprimées en nature: on sait par exemple que Farnak - haut personnage s'il en fut 85 - recevait, entre autres marchandises, 2 brebis/jour. Or, ces produits proviennent de différentes localités du Fars. Dandamayev rapproche ces renseignements des dons connus par les sources classiques, et il précise: « Les documents des Fortifications ... mettent en lumière le statut des populations et des villes données en cadeau. A la différence des propriétés qui sont des propriétés personnelles, les gens y sont libres: ils devaient (en plus du tributftaille) dû au Roi?) supporter durant un certain nombre de jours par an les dépenses de l'un ou l'autre des grands dignitaires ou leur fournir des vêtements selon des normes établies». Dans ces conditions, la continuité avec les (certaines?) donations hellénistiques (dons des revenus et non de la documentation disponible (' classique' et • orientale ') qu'il faut traiter. Sinon, le recours à une seule référence 'exotique' risque d'apparaître comme un alibi (ou une coquetterie) sans valeur scientifique opératoire. 81 Un certain nombre de textes sont cités par En, MEYER, GdA, III, 61-63. Je reviendrai aill.eurs sur cette documentation. ~ ~I, 1972, 21·22. 83 Cf. R. T. HALLOCK, o. C., 1972. Cf. aussi P. BRIANT, JESHO, XXII, 1979, 155·156. 84 Voir JNES, r. 1942, 216. 8S Cf. D. LEwIS, Sparta and Persia, 7·11.
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terre et des paysans) 86 me paraît à la fois évidente et riche d'enseignements; 2) C'est la correspondance araméenne d'Arsâma que J. Harmatta ~ prend comme base d'une étude sur les dôreai et sur le statut des producteurs directs en Egypte achéménide. De' cette étude minutieuse, il ressort tout d'abord qu'on connaît en Egypte achéménide la pratique des dôreai 88, des dons (v.p. diiSna). Les • terres en don' sont dénommées -bâga, couramment traduit par ' domaine' 89: en réalité, il y a dans ce terme la notion de répartition (comme dans le terme bazi~ par exemple ou dans le grec dasmosî") qui doit être soulignée. Le -bagâ n'est pas un domaine personnel: c'est une 'partie' du domaine royal qui est détachée en don précaire; à la mort du détenteur, il doit revenir au domaine du Roi ou de son 86
Voir P. BRIANT, Actes 71, 102-104 et REA, LXXV, 1973, 46 et 81.
AAH, 1%3, 199-213. . 88 L'auteur utilise le document n. 8 de G. R. DRIVER, Aramaïc documents trom the fiith. Cent. B.C., Cambridge 1957, dont on trouvera une traduction française et un commentaire dans P. GRELOT, Documents araméens d'Egypte, Paris 1972, n. 69, 316-317. 89 Voir par exemple P. GRELOT, DAE, 316 qui semble ignorer l'article de J. Harmatta: dans son n. 68 (314 = Driver n. 7) il continue de traduire (à propos des travailleurs): « ... et tatouez-les de ma marque» et, par conséquent, d'y voir des esclaves ruraux; il s'agit en réalité de grd' (kurtai des PFT) et PTT: cf. DANDAMAYEV, art. C., VDI, 1973), et J. HARMATTA (207) démontre que oette traduction provient d'une mauvaise lecture de Driver. Le personnel du • domaine' n'est donc pas composé d'esclaves mais de dépendants comparables aux laoi et laoi basilikoi hellénistiques (ibid., 207-208). L'interprétation de J. Harmatta me fait douter que les lieux situés entre l'Elam et l'Egypte (Arbèles, Damas ...) où des subordonnés d'Ar§lIma peuvent faire valoir leurs o bons de route' (Grelot, n. 67), sont bien des «domaines que le satrape possède dans les provinces traversées. (P. Grelot, 310); l'analogie avec le système de relais routiers et de • bons' que l'on voit fonctionner dans les PFT est telle qu'on a bien l'impression qu'il s'agit là aussi d'étapes sur une route royale, où les voyageurs officiels peuvent recevoir des rations sur présentation d'un document scellé délivré par le satrape qui les a envoyés en mission (cf. PFT 1404 et 1455, et mes remarques dans Index, VIII, 1978-79, 81-82). C'est ce que semble supposer P. Grelot qui écrit également (et contradictoirement): «II existe donc dans l'Empire achéménide une intendance générale qui gère des Magasins d'Etat échelonnés le long des grandes routes, et qui peut se faire rembourser auprès de fonctionnaires officiels •. L'interprétation de ces o domaines' comme propriété personnelle' d'Arëârna est également défendue par M. DANDAMAYEV, Esclaves étrangers sur les domaines des rois achéménides et de leurs nobles, Actes du XXVè Congrès lnt, de Orient. (Moscou, 1960) [en anglais], Moscou 1963, II, 147-148 - mais je remarque que plusieurs textes classiques amenés à l'appui (n, 3) se réfèrent à des paradis: n'aurait-on pas là un nouvel exemple d'une confusion assez répandue entre terre de fonction et propriété personnelle? Je me permets de poser la question. 90 Sur ce rapprochement, voir déjà O. MURRAY, Historia, XV, 1966, 154; sur les conclusions que l'on peut en tirer, voir mes remarques dans Index, VIII, 1978-79,56-57 et la n. 75, st Das Problem der Kontinuitdt im [rilhhellenistischen Agypten,
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gouverneur satrapique. Il apparaît donc clairement - comme le souligne J. Harmatta - que ces documents nous prouvent l'enracinement' achéménide ' de la terre royale en Egypte: la vision s'élargit encore si l'on admet, avec B. Menu 91, que nombre d'aspects du régime des terres en Egypte ptolémaique se distinguent dès l'époque pharaonique 92. Ces deux études - trop brièvement présentées - mon· trent donc bien l'apport des' recherches intégrées '. Dans le cadre du thème' Terre et paysans dépendants', je souligne aussi l'intérêt de la solution proposée par M. Wërrle 93 de la mention des perioikoi dans la version grecque de la trilingue de Xanthos, en partant d'inscriptions grecques d'Asie Mineure méridionale 94. J'ajoute que ces études ne doivent pas être conduites uniquement selon un plan thématique: il importe aussi de mener des études régionales car, à l'intérieur de l'Empire achérnénide, de l'Empire d'Alexandre et des royaumes hellénistiques, toutes les régions n'évoluent pas selon le même rythme 95 et ne sont pas régies par le même mode de production, même si toutes les régions et tous les modes de production sont dominés par un appareil d'Etat central et par le mode de production tri91 Dans Terre et paysans dépendants... (o. c.), 189-192: intervention présentée à la suite de la communication de J. MODRZEJEWSKI, Régime foncier es statut social dans l'Egypte lagide (163·188) qui insiste sur les aspects' grecs' de l'exploitation: «La conquête n'a pas non plus abouti simplement à renforcer le mode de production asiatique» (177). On lira également les importantes interventions de P. Lévêque et de F. Dunand (193-196). Sur l'interprétation de J. Modrzejewski, voir H. KREISSIG, Probleme des Grundeigenturns im hellenistischen Orient, communication présentée au Congrès de la F.I.E.C. à Budapest (septembre 1979). Je cite également comme particulièrement suggestive l'importante étude de J. BINGEN, Le papyrus Revenue Laws. Tradition grecque et adaptation hellénistique, Rheinische-westfâliche Ak. Wiss. (Vortrâge G. 231), 1978, 5-32, qui privilégie les aspects grecs. 92 Sur. le continuités achéménido-hellénistiques dans le domaine des kleroi militaires (en Égypte et ailleurs), voir G. CARDASCIA, Armée et fiscalité dans la Babylonie achéménide, dans Armées et fiscalité dans le monde antique, Paris, CNRS, 1978, 1·10 et en particulier 10, et P. BRIANT, Index, VIII, 1978-79, 67·70. 93 Chiron, VIII, 1978, 236-246 avec les réserves de H. METZGER, Fouilles de Xanthos VI (1979), 37·38. 94 Voir Chiron, VII, 1977, 43-56. 95 Pour l'Egypte, voir par exemple F. A. KIENITZ, Die politische Geschichte Aegyptens vom 7. bis zum 4. Ihât. v.d.z., Berlin 1953, en particulier 140-149; également W. SCHUR, Zur Vorgeschichte des Ptolomiierreiches, Klio, XX, 1928, 270-302. Sur le problème des continuités/ruptures en Egypte (saïte, achéménide, lagide), on verra également les intéressantes réflexions et propositions de CL. BARROCAS, Les statues' réalistes' et l'arrivée des Perses dans l'Egypte stüte, dans Gururâiamaiiiarika. Studi in onore di G .Tucci, Napoli 1974, 113-161, en particulier 155·161.
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butaire. Je précise également que ces études thématiques et régionales doivent être conduites sur une trame diachronique car, pour ne prendre que deux extrêmes, il y a, entre l'Empire achéménide à l'époque de sa plus grande extension et le royaume attalide à ses débuts, des différences qui ne s'analysent pas seulement en termes quantitatifs. Enfin, on notera que - sans préjuger de ce qui est • continuité ' - il est souhaitable, au moins sur le plan méthodologique, de remonter assez haut dans le temps 96. On sait par exemple qu'A. Archi a récemment établi des rapprochements entre certaines populations dépendantes d'Anatolie hittite et les laoi hellénistiques '11. Je mentionne également - comme particulièrement éclairantes pour nos problèmes - les discussions en cours entre les spécialistes de l'Orient ancien sur des questions comme: la • féodalité' assyrienne et hittite 98, la notion de terre royale et le concept de propriété 99, la place des communautés villageoises 100, le rôle de l'Etat et des ternpIes dans l'économie 101, la part respective de l'esclavage et de l'hilotisme 102 etc. Dans la longue durée, certaines régions sont privilégiées, comme l'Egypte et la Babylonie; certains thèmes aussi, en particulier les idéologies religieuses lm, 96 Plus haut, mais aussi plus bas jusqu'à l'époque romaine: cf. P. DEIIORD, Populations rurales de l'Anatolie gréco-romaine, Atti Ce. R.D.A.C., VIII, 19761977, 43·58. [Les études citées dans les 6 notes suivantes ne le sont qu'exempli gratial. '11 Città sacre d'Asia Minore. II problema dei Laoi e l'antefatto ittita, PdP, CLXIV, 1975, 329-344. 98 P. GARELLI, Le problème de la 'féodalité' assyrienne du XV.! au XII.! siècle av. J.C., Semitica, XVII, 1967, 5·21; A. ARCHI, Il "[euâalismo ' ittita, SMEA, XVIII, 1977, 7·18. 99 Cf. B. MENU, Le régime juridique des terres en Egypte pharaonique. Nouvel et Moyen Empire, RHDFE, 1974-75, 555-585, et sa thèse Le régime iuridique des terres et du personnel attaché à la terre dans le papyrus Wilbour, Lille 1970. 100 Voir la mise au point de M. Liverani dans OA, XVII, 1978, 63·72. 101 Cf.!. J. GELB, On the alleged temple and state economy in the Ancient Near East, Studi E. Volterra, VI, 1971, 139·153. 102 1. M. DIAKONOFF, Slaves, helots and serfs in early Antiquity, AAH, XXII, 1974, 45·78; 1. J. GELB, From [reedom to slavery, XIIIè RAI = München Ak. Abh. phil. KI., 1972, 81·92. Voir également l'important article de B. MENU, Les rapports de dépendance en Egypte. à l'époque saïte et perse, RHDFE, LV, 1977, 391-401. 103 Voir mon étude dans Religions. Pouvoir. Rapports sociaux (1979), où des éléments bibliographiques sont donnés. Voir également A. ARCHI, Fêtes de printemps et d'automne et réintégration rituelle d'images de culte dans l'Anatolie hittite, Ugarit Forschungen, V, 1973, 8-27 (qui marque, 8-9, les continuités avec les cultes connus en Anatolie par des sources classiques). Sur le problème théorique très important des rapports idéologies/rapports sociaux, voir également le livre stimulant de CL. BARROCAS, L'antico Egitto. Ideologia e lavoro nella terra dei [araoni, Roma 1978.
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IIA. De ce point de vue, les années récentes ont vu la mise au jour d'une documentation archéologique d'une richesse exceptionnelle: je veux parler des prospections menées par l'équipe de J.C. Gardin 104 sur le territoire de la ville hellénistique d'Aï-Khanoum, puis plus largement dans la Bactriane orientale 105. Les principaux résultats méritent d'être brièvement exposés, car ils suscitent nombre de réflexions et d'hypothèses dans le domaine traité ici. Lors de la première campagne de prospection, en 1974, les archéologues découvrirent dans la plaine d'Aï-Khanoum un réseau d'irrigation d'époque hellénistique, construit manifestement avec l'aide de techniciens iraniens (au sens large) utilisant des techniques bien connues en Asie Centrale (comme l'avaient montré depuis longtemps les archéologues soviétiques). En revanche, les auteurs 106 du rapport insistaient sur l'absence de réseau achéménide. Ils en concluaient à une opposition entre les deux périodes: à une période achéménide caractérisée par l'absence d'irrigation et par une économie fondée sur la culture sèche et un élevage pratiqués par une population nomade ou serni-nomade, ils opposaient une période grecque où « la plaine est irriguée et se couvre de sites nombreux », Les auteurs soulignaient également: « A la tradition asiatique, les Grecs ont ajouté en l'espèce une géométrie appliquée dans laquelle ils devaient être passés maîtres », En d'autres termes - (c'est moi qui commente) - à ce stade de la prospection et sur ce site au moins, les découvertes semblaient en quelque sorte confirmer la thèse du • miracle grec en Orient', la thèse des profondes transformations apportées à l'économie et à la société par la conquête d'Alexandre et de ses successeurs. La campagne de prospection 1975 - complétée par les campagnes des années 76-78 - infirma totalement cette pre104 URA, n. 10 du CNRS: «Le peuplement antique de la Bactriane orientale e , Je dois à l'amicale générosité de J. C. Gardin d'utiliser ici des résultats encore inédits: je l'en remercie très chaleureusement. lOS Je remercie également très vivement H. P. Francfort qui a bien voulu me communiquer des informations sur la fouille qu'il a dirigée à Shortugaï: sur ce site, cf. H. P. FRANCFORT - M. H. POTrIER, Arts Asiatiques, XXXIV, 1978, 29-79. 106 J. C. GARDIN et P. GENTELLE, Irrigation et peuplement dans la plaine d'AïKhanoum de l'époque achéméniâe à l'époque musulmane, BEFEO, LXIII, 1976, 59-99 et Pl. XVIII·XXXIII.
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miere interprétation. Fut découvert en effet à cette date un réseau d'irrigation d'époque achéménide, précédé - qui plus est - par un réseau qui remonte en plein âge du bronze. Dès lors - comme le soulignent J.C. Gardin et P. Gentelle dans une étude sous presse 1111 - il apparaît « que la région approchait déjà, sous la tutelle des Grands Rois, la prospérité que célébrèrent plus tard les visiteurs de la Bactriane hellénisée ». Les auteurs du rapport en tirent les conclusions historiques suivantes: « Cette découverte éclaire d'un jour nouveau la nature de la colonisation grecque, au moins dans la région considérée: il ne s'agit aucunement d'un défrichement de terres vierges mais plus modestement d'une extension des surfaces cultivées obtenues par des techniques d'irrigation déjà pratiquées de longue date par les habitants du pays. Et (poursuivent-ils) -lorsque nous évoquions plus haut la science des ingénieurs qui surent à l'époque hellénistique résoudre les différents problèmes de topographie et de terrassement que posait la mise en eau de la plaine d'Aï-Khanoum, ce n'est pas au génie grec qu'il fallait nécessairement songer 1011, mais aussi bien à un savoir faire proprement bactrien, fondé sur une longue tradition de l'irrigation artificielle en Asie Centrale ». Ces découvertes et les interprétations proposées par J.C. Gardin et P. Gentelle suscitent évidemment quelques réflexions sur le problème des continuités/ruptures Il>>: 1) D'abord sur les méthodes de la colonisation hellénistique: les auteurs suggèrent en effet, à juste titre, que «les chefs macédoniens furent attirés peut-être par la fertilité de cette grande oasis aux confins orientaux de la Bactriane ». Je crois que cette interprétation peut être étendue à l'ensemble des sites hellénistiques 110: les fondateurs, en effet, choisirent consciemment et systématiquement des sites déjà habités et déjà cultivés, voire déjà urbanisés. La raison en est simple: les nécessités immédiates de l'accès à des ressources alimentaires et le besoin, pour le présent et pour l'avenir, d'une mainL'exploitation du sol en Bactriane antique, Colloque EFEO 1976. Italiques: P.B. Les interprétation proposées ici n'engagent pas la responsabilité des archéologues dont j'utilise les travaux en cours. . 110 Voir mon étude dans Klio, LX, 1978, 57·92: Colonisation hellénistique et populations indigènes. La phase d'installation. 1111 1011 109
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d'oeuvre urbaine et rurale. Même .s'il a pu conduire, comme à Aï-Khanoum, à une extension des surfaces cultivées, le mouvement de colonisation hellénistique n'a pas pour objectif premier en effet de mettre en culture des terres en friche; il a pour principe de récupérer - au service des conquérants le système de la dépendance rurale, qui est la condition première de sa survie et de son succès; 2) D'autre part, cet exemple confirme la nécessité déjà soulignée de replacer la période hellénistique dans la longue durée orientale. Si l'on considère en effet le graphique - dressé par J,C. Gardin et P. Gentelle - des cycles de peuplement dans la plaine d'Aï-Khanoum, on se rend compte qu'un des temps forts du peuplement s'étend sur une longue durée englobant (approximativement) les périodes achéménide, hellénistique et kushane. Cette continuité n'exclut évidemment pas des variations d'amplitude variable à l'intérieur de cette vaste unité chronologique: la 'période hellénistique est caractérisée en particulier par un déplacement Sud-Nord (vers la plaine d'Aï-Khanoum) du centre de gravité socio-économique, c'est à dire par une régression relative sur certains sites et par l'intensification de l'irrigation sur les sites les plus proches d'Aï-Khanoum 1II; ville
3) J'ajoute enfin que d'autres découvertes faites dans la 112 témoignent de ces continuités:
a) quelle que soit la part indéniable des modèles grecs (dans le gymnase ou le théâtre par exemple), il est clair, comme l'avaient déjà montré les archéologues soviétiques travaillant sur d'autres sites et comme vient de le préciser justement P. Bernard, « que les colons grecs en arrivant en Asie Centrale ont trouvé sur place une architecture locale pleinement développée, représentant l'aboutissement d'une tradition distincte de celle de l'Iran achéménide mais qui a pu aussi, dans une certaine mesure, être marqué par celle-ci durant les deux siè111 Là-dessus j'ai utilisé les résultats des prospections de la campagne 1978 dans le Haut-Tokharestan. nz Sur la date et le nom de fondation. on verra en dernier lieu la discussion de P. Bernard dans P. BERNARD· H. P. FRANCFORT, Etudes de géographie historique sur la plaine d'Aï·Khanoum (Afghanistan), (Pub. de l'URA n.10, Mémoire n. 1), CNRS, Paris 1978, 3·15.
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des de la domination perse » IIJ. L'un des édifices les plus récemment fouillés - appellé • Trésorerie' par P. Bernard - est un bon témoignage de cette continuité, puisqu'il est construit sur un plan que l'on retrouve, sans parler de Persépolis, en Asie Centrale même dans la Trésorerie de Nisa et - ajoute P. Bernard - dans un édifice découvert dans l'oasis de Bactres par les archéologues soviétiques (qui, eux, pensent plutôt à un palais) 114; b) dans l'une des pièces de cet édifice (' Trésorerie ') ont été découvertes plusieurs inscriptions en langue grecque de caractère économique. P. Bernard Ils commente la découverte de la façon suivante: « Malgré le laconisme des documents on entrevoit une administration financière complexe, héritée ellemême de l'administration financière séleucide, malheureusement elle-même fort mal connue », Je suis porté à croire que cette administration financière séleucide est un héritage achéménide. Tout d'abord, en effet, la similitude est frappante entre ces inscriptions et les documents de Nisa 116; et la continuité n'est pas niable entre ceux-cï et l'archivistique achéménide 117. D'autre part, il est un fait à souligner: c'est la mention, à Aï-Khanoum, de plusieurs fonctionnaires portant des noms iraniens 118. On peut donc supposer que les Macédoniens ont fait travailler à leur profit non seulement la masse de la population dépendante, mais aussi les techniciens de l'hydrauli113 P. BERNARD, Les traditions orientales dans l'architecture gréco-bactrien. ne, JA, 1976, 246-274 (247). 114 P. BERNARD, CRAI, 1978, 447-450. Ils Ibidem, 454. 116 Ibidem. Voir également CRAI, 1972, 631~32 sur l'ostracôn en écriture araméenne trouvée en 1970 à Aï-Khanoum dans le sanctuaire à redans; cette écriture - selon Diakonoff et Livshitz (cités par P. Bernard) - véhicule une langue' bactrienne '. (Sui oe problème, voir également B. J. STAVlSKU, Kusanskaja Baktriia, Moscou 1977, Chapitre 8). 117 O. Bucer, RIDA, XXV, 1978, 93, n. 163 bis (la destruction des archives de Persepolis n'a pas marqué une rupture dans la transmission des tradltions archivistiques). Voir également J. A. DELAUNAY, L'araméen d'empire et les débuts de l'écriture en Asie Centrale, Acta Iranica, II, 1974, 224: «Alors que les Parthes émettaient des monnaies en grec et se prévalaient de titres honorifiques en cette langue, ils conservaient dans l'est de leur domaine [cf. Nisa] les habitudes héritées de l'empire achéménide, habitudes que ni Alexandre ni la superiicielle domination des Séleucides n'avaient entamées •. [On voit au contraire qu'à Aï·Khanoum - où la domination grecque n'a pas été' superficielle' - la langue grecque est employée pour transcrire des formules d'administration fiscale qui remontent certainement à une date bien antérieure à la conquête d'Alexandre]. 118 Voir P. BERNARD, CRAI, 1978, 454.
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que et des finances 119 - ces techniciens étant peut-être intégrés, même sous une forme subordonnée, à la classe dominante. Tous ces témoignages réunis semblent bien prouver que la conquête et la colonisation macédoniennes ont abouti à la perpétuation, voire même à l'affermissement l2ll de l'ensemble organique des structures socio-économiques mais aussi de l'appareil d'Etat de type tributaire mis en place par la conquête achéménide 121 qui, elle-même, avait su récupérer à son profit les traditions hydrauliques nées en Asie Centrale.
III A l'issue de ce bilan - au sens très large du terme - il paraît clair qu'on ne peut pas esquiver un problème aussi fascinant que délicat, c'est à dire la place et le rôle d'Alexandre dans l'histoire du Proche et du Moyen-Orient, dont tout montre aujourd'hui qu'ils méritent un réexamen. C'est à ce problème que je voudrais consacrer les pages qui suivent, pour proposer une interprétation, quelles que soient les difficultés et les risques de l'entreprise dont je suis bien conscient. III.l. L'affirmation répétée de l'ancrage oriental de l'hellénisme asiatique ne clôt pas la discussion et elle ne constitue pas, en elle-même, une réponse à la question posée: elle facilite et éclaire la discussion. Elle risque même d'être source d'ambigüités et de confusions, surtout si on étend - sans la préciser - la longue durée asiatique. A lire des études récentes proposées par des iranistes (ou plus largement par des spécialistes du Proche-Orient), on est rapidement frappé par une très remarquable unanimité: en effet, l'idée est admise et exprimée - comme allant de soi d'une continuité globale entre les Achéménides et Alexandre 119
Cf. déjà là-dessus REA, LXXIV, 1972, 67, n. 1.
l2ll Cf. KIio, LX, 1978, 7(l.82. 121 Mais voir J. C. GARDIN· P. GBNTELLE,
L'exploitation du sol en Bactriane antique, et ma discussion dans Index, VIII·IX, 1978, n. 287, dans Zamân, II, 1979 et ma communication au Congrès de Berlin 1978 (sous-presse). Le problème s'articule sur une question trop vaste (et en partie encore ouverte) pour être abordée ici: celle des conséquences de la conquête achéménide en Iran Oriental et de la place des satrapies de Sogdiane-Bactriane dans I'Empire: cf. Index, VIII·IX, 1978, 70 sgg.
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(et ses successeurs). L'historien soucieux de considérer aussi le point de vue asiatique de l'histoire ne doit cependant pas conclure hâtivement que cette convergence entre orientalistes et classicistes est en elle-même source d'autorité. Quelques exemples montreront au contraire - je crois - que l'interprétation ' iraniste ' d'un Alexandre successeur de Cyrus n'est pas exempte de confusions européocentriques ni de connotations téléologiques. Dans une longue et très passionnante étude consacrée à la politique religieuse des Achéménides 122, G. Gnoli aborde le problème dans les termes suivants: Nous voyons une poussée vers une intériorisation toujours plus accentuée du culte, qui fut à l'origine des religions à mystères et du gnosticisme, et, dans la cause qui la produisit - c'est à dire l'empire cosmopolite - nous pouvons apercevoir une prémonition de ce qui devait advenir avec la ~otaLÀc(ot 'rii~ •AaLot~ fondée par le Macédonien (184-185); et l'auteur précise ailleurs (139): ... Il paraît vraisemblable que, si l'on veut découvrir le stimulant authentique qui aura poussé les Rois à accepter et adopter des idéologies et des pratiques qui leur étaient étrangères, il faut précisément penser à la raison d'Etat. Ce fut justement, en somme, avec la politique religieuse des Achéménides que, indépendamment de ce qu'elle se promettait, le Proche et le Moyen-Orient purent s'engager dans la formation d'une vaste koinè spirituelle, préparant le terrain sur lequel devait naître l'hellénisme.
La constatation - fondamentalement juste et nécessaire de la fréquence et de l'intensité des échanges et des processus d" acculturation' en Asie achéménide amène B.G. Gafurov 123 à la conclusion suivante: On n'ignore pas qu'Alexandre le Grand formait des projets pour l'union des Grecs et des Orientaux en une sorte d'union culturelle et politique. Il y a lieu de souligner qu'une telle synthèse culturelle des différents peuples avait déjà été amorcée deux cents ans avant les conquêtes du grand Macédonien. On serait donc l2Z
Politique religieuse et conception de la royauté chez les Achéménides,
Acta Iranica, II, 1974, 116-190. 123 Les relations entre l'Asie centrale et l'Iran sous les Achéménides, Atti del Convegno sul tema ... (1966), 2Œ.
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autorisé à croire que ses projets n'étaient que la continuation de la politique des Achéménides, ses illustres prédécesseurs. Nous retrouvons une idée connexe chez J. Elayi 124 traitant de la Phénicie et des contacts entre Phéniciens et Grecs à l'époquè achéménide: D'autre part, [les Phéniciens] ont assimilé peu à peu une culture puissante [grecque], ce qui a provoqué en Phénicie, et plus particulièrement à Sidon, un renouveau culturel qui constituait le prélude à la civilisation gréco-orientale que fut la civilisation hellénistique. c'est toujours cette idée d'unification culturelle à l'échelle du Proche-Orient qui amène H. Tadmor 125 à remonter plus haut dans le temps, jusqu'à l'époque néo-assyrienne. Il juge en effet que la politique de conquête, de colonisation et de déportation menée par les rois néo-assyriens a abouti à la création d'une « culture impériale hybride» (4l). D'autre part, la diffusion de l'écriture et des influences araméennes a créé, selon lui, une « koiné araméo-assyrienne »; et H. Tadmor poursuit: Ce fut cette koinè. " qui continua d'exister au Proche-Orient pendant la période perse, devenant une composante sous-jacente de la koinè du monde hellénistique. Il semble donc bien que tend à se constituer - au moins empiriquement - une sorte de consensus sur un Alexandre à la fois héritier et catalyseur des civilisations du ProcheOrient, et plus particulièrement d'une • civilisation achéménide '. Ce qui n'est pas sans susciter quelques réflexions ni sans poser quelques problèmes. Pour qui connaît un peu de l'intérieur l'Empire achéménide, la constatation est simple: les échanges de biens, de personnes et d'idées y sont extraordinairement actifs et développés 126 et, de ce point de vue, assy124 L'essor de la Phénicie et le passage de la domination assyro-babylonienne à la domination perse, Bagd. Mitt., IX, 1978, 25·38 (citation p. 36). 125 Assyria and the West: the ninth century and its aitermath, dans H. GoEDICKE - J. M. ROBERTS (edd.), Unit y and âiversity, Essays in the History, Literature and Religion of the Ancient Near East, Baltimore 1975, 36-48. 126 Voir les articles de C. G. STARR, dans Iran. Ant .• 1976 et 1977; également L. ROBERT, CRAI, 1975, 3CJ6.330 et mon étude dans Religions, Pouvoir, Rapports sociaux (1979). Sur les rapports inter-ethniques, cf. par exemple R. ZADOCK, On
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riologues et iranistes n'ont pas tort de souligner les continuités achéménido-hellénistiques. L'article de J.P. Weinberg est l'expression la plus achevée de cette thèse des continuités achéménides. Cette interprétation de l'histoire du Proche-Orient est donc séduisante et je la crois en partie fondée par les liens qu'elle institue (ou suppose) entre les Achéménides et Alexandre. Elle n'en suscite pas moins quelques réserves, voire quelques inquiétudes. Le terme Vorhellenimus ne me paraît pas très heureux. Il s'agit en effet pour Weinberg 1Z1 de " caractériser l'ensemble des fondements et des conditions préalables qui précédent l'hellénisme, qui le préparent et qui le conditionnent », et "plusieurs phénomènes qui au Proche-Orient du 1er millénaire av. J.C. qui, dans leur totalité, précèdent l'hellénisme dans ce territoire en le préparant ». L'on a vu également que les termes de 1 prémonition', 1 préparer', • prélude' revenaient fréquemment sous la plume des auteurs cités ci-dessus. Par un curieux retournement, Alexandre qui était présenté par Droysen comme l'Alpha de l'histoire judéo-chrétienne devient, chez plusieurs iranistes, l'Omega de l'histoire proche-orientale. La tentation est grande d'en faire l'Alpha et l'Omega, comme l'iraniste (très droysénien en l'occurrence!) A. Pagliaro qui écrit 128: La solide structure de l'état fondé par Cyrus et perfectionné par. Darius continua à exister, même quand le principe animateur y défaillait. Et sa grande ombre continua à menacer la vie de la grécité, jusqu'au moment où la miraculeuse aventure d'Alexandre le Grand la détruisit comme structure politique, mais fit en sorte, en même temps, que les valeurs culturelles survivantes, fondues avec celles de la grécité, créassent les connotations et l'atmosphère d'une nouvelle grande civilisation.
En s'étendant (mais aussi en se restreignant) aux dimensions et aux catégories d'une Histoire (idéelle) des Civilisations', cette interprétation d'un Alexandre concrétisant les virtualités achéménides perd beaucoup de sa force de persua1
the connections between Iran and Babylonia in the sixth Cent. B.C., Iran, XV, 1976, 61-78; sur le • creuset babylonien " voir H. v. HILPRECHT· A. T. CLAY, Business documents of Murashû sons of Nippur dated in the reign of Artaxerxes I (464-424 B.C.) (The Bab. Exp. Univ. Penns., IX), Philadelphia 1898, 26-29. 1Z1 K1io, LVIII, 1976,7. [Italiques: P.B.]. 128 Cyrus et l'Empire perse, Acta Iranica, II, 1974, 3-23 (23).
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sion, puisqu'elle est fondée, pour une part que je crois déterminante, sur l'idée plutarchéo-droysénienne de la fusion des peuples. En effet, à lire attentivement certains des auteurs cités, on retire la conviction que les processus - réels mais contradictoires 129 - de syncrétismes/acculturations en Asie achéménide ont été analysés et interprétés à l'aide d'une grille plutarchéenne dont le caractère périmé n'est plus à démontrer: celle qui fait du Macédonien un conquérant travaillant à l'unification du monde, Dans ces conditions, on est amené à émettre les plus vives réserves sur un raisonnement tendant à considérer qu'une koinè achéménide « préfigure» ou même « prépare » une koinè hellénistique, alors même que l'existence de la première est, pour une très large part, induite de la seconde (elle-même surestimée, voire mythifiée) \30, En outre, une telle vision unilinéaire de l'histoire risque de conduire rapidement à admettre, au moins implicitement, que l'Asie « attendait» Alexandre: dès lors, celui-ci rie serait plus que l'instrument incon129 Comme le montre par exemple l'étude d'l. EPH'AL, The. Western mino· rities in Babylonia in the sixth and fifth cent. B.C. Maintenance and cohesion, Orientalia, XLVII, 1978, 74-90, les contacts n'aboutissent pas obligatoirement en des prooessus de • fusion ': il constate au contraire la remarquable cohésion des groupes ethniques. Ceux-ci sont très généralement regroupés en quartiers dotés de structures politiques (politeumata) et nommés d'après l'origine ethnique de la majorité de leurs habitants: voir M. DANDAMAYEV, dans The Memorial Volume of the Vth Intern. Congo of Iranian Art and Archeology (1968), Téhéran 1972, 258-264 (cf. 261): également et d'une façon plus générale E. BIKERMAN, J. Bib. Lit., LXIV-LXV, 1945-46, 261-262. Quant à la diffusion de l'araméen, il s'agit de l'écriture et non de la langue (v. remarques en ce sens de PH. GIGNOUX, St. Iran., IV, 1975, 271), de telle sorte que cette diffusion va de pair avec une non moins remarquable diversité des langues régionales (O. BucCI, RIDA, XXV, 1978, 71-73): l'araméen administratif ne survécut pas à l'empire achéménide «dans les régions où une culture ancienne ou originale avait précédemment fleuri» (J. A. DELAUNAY, art. C., Acta Iranica, II, 1974, 221-22). Enfin, la vie religieuse dans l'Empire ne peut s'analyser uniquement en termes de syncrétismes ou d'unité: la permanence des cultes locaux (<< tolérance ») est bien plus saisissante, en particulier en Perside, coeur de la puissance perse (voir M. DANDAMAYEV, La politique religieuse des Achéménides, Mon. H. S. Nyberg, 1975, 193-200). 130 On soulignera que pour C. G. STARR (Iran. Ant., XI, 1976, 43; cf. XII, 1977, 107) «la conquête d'Alexandre a interrompu plutôt qu'elle n'a consolidé» les prooessus de contacts gréco-iraniens en cours en Asie Mineure. Je note également que l'observation et l'analyse de multiples contacts entre' aires culturelles' est une chose, qu'en déduire l'existence d'une koinë en est une autre. Ce terme est couramment employé comme si sa signification était tellement évidente qu'elle n'a pas besoin d'être explicitée, alors même que c'est son imprécision qui est flagrante (du point de vue de l'analyse historique, j'entends). Les processus de contacts dans l'Empire achéménide - d'ampleur et de signification très différentes selon les régions - doivent être situés et analysés à l'intérieur d'un éventail de possibilités très vaste, défini et délimité par la koinè et par la • tour de Babel '!
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scient d'une Histoire supra-humaine qui devait nécessairement engendrer le Macédonien. L'article de J.P. Weinberg n'échappe pas totalement aux risques d'une 'histoire des nécessités', mais il les dépasse très largement. Récusant les interprétations traditionnelles de l'Hellénisme, récusant également la vision d'une histoire faite par un 'Titan' (cf. F. Schachermeyr), J.P. Weinberg veut montrer qu'aucune des grandes réalisations d'Alexandre et de ses successeurs n'est compréhensible ni donc explicable sans la référence à l'histoire du Proche-Orient. Cette position - appuyée sur une importante documentation - paraît globalement peu contestable 131. Par ailleurs et surtout, Weinberg ne pose pas le problème sur le seul terrain d'une « unité spirituelle du Proche-Orient» (mythique pour une très large part); c'est l'ensemble des éléments constitutifs d'une société (rapports sociaux, forces productives, échanges, idéologies, Etat ... ) dans leur totalité dialectique (mode de production) que l'auteur prend en compte.
III.2. Pour autant, il ne suffit pas non plus d'affirmer la permanence -' indiscutable à mon sens - du mode de production dominant (en l'occurrence' tributaire '), si on n'en marque pas les rythmes dans la chronologie: en d'autres termes, si on ne tente pas de définir des phases qui renvoient à des formations économiques et sociales spécifiques mais qui toutes s'insèrent dans le monde de production tributaire. Dans le cas contraire, on risque de revenir, par des voies détournées et inattendues, au postulat de l'Asie immobile et stagnante 132. IlI.2.1. Isolées de leur contexte, certaines formulations de Marx paraissent procéder de l'idée de • stagnation asiatique ', Par exemple, lorsqu'il écrivait à propos de l'Inde antique et des communautés villageoises 133: La simplicité de l'organisme productif de ces communautés qui se suffisent à elles-mêmes, se reproduisent constamment sous la même forme et, une fois détruites accidentellement, se reconstituent au même lieu et avec le même nom, nous fournit la clef de Cf. Klio, LX, 1978, passim. Voir là-dessus mon étude déjà citée (Congrès de Berlin 1978) s.p. 133 K. MARx, Le Capital, Ed. Soc., 1976, I, 259 = Sur les Sociétés prëcapitalistes, Paris 1970, 253. !JI 132
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l'immutabilité des sociétés asiatiques, immutabilité qui constraste de façon si étrange avec la dissolution et la reconstitution incessante des Etats asiatiques, les changements violents de leurs dynasties. La structure des éléments économiques fondamentaux de la société reste hors des atteintes de la région politique. Pour reprendre l'heureuse expression de M. Godelier 134, la 'stagnation orientale' doit être rangée dans les « parties mortes» de l'oeuvre de Marx. Il est admis en effet aujourd'hui par tous les historiens que les Etats et sociétés tributaires ont connu (et supposent) un très grand essor des forces productives 135: ce ne sont pas des sociétés 'immobiles', même si la stabilité des rapports sociaux peut en donner l'impression. J.P. Weinberg note lui aussi ce développement des forces productives en Asie « pré-hellénistique ». J'ai moi-même essayé d'en faire la démonstration pour l'Empire achéménide. Cet essor des forces productives suppose et crée tout à la fois une dynamique interne des sociétés tributaires: c'est à dire des paliers, des étapes dans leur mouvement 136. Pour autant, l'opposition marquée par Marx entre' sociétés' et 'Etats' ne me paraît pas devoir être totalement rejetée. Marx veut souligner que l'histoire de la société indienne n'est pas rythmée par les conquêtes ni par les change. ments de dynastie, car ni les. unes ni les autres n'entament profondément la cohésion interne des communautés villageoises - fondement du système tributaire. Cette conclusion me paraît être fondamentalement juste - même si elle doit être nuancée à la lumière de la diversité des voies d'évolution. On voit bien en tout cas cette permanence des communautés villageoises en Asie achéménide: de ce point de vue, on peut dire que, dans le vécu quotidien de la majorité des laoi asiatiques, Alexandre n'a pas existé. III.2.2. Mais une société tributaire ne se réduit pas à l'horizon des communautés villageoises ni à l'idéologie ou aux représentations de leurs membres: c'est bien plutôt dans les rapports de domination entre ces communautés et l'Etat cenHorizon, trajets marxistes en anthropologies, Paris 1973, II, 7 sgg. Voir par exemple S. AMIN, Sociétés précapitalistes et capitalisme, dans A. G. FRANCK, L'accumulation dépendante, Paris 1978, 311·312. 136 Voir, à propos de I'Egypte, les réflexions de P. LWWUE dans Terre et paysans dépendants, 193-194. 134
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tral 0'« unité rassembleuse ») que se définit et se manifeste la dynamique interne du système 131. Une société ne se définit pas non plus seulement par sa base économique: les « superstructures » y jouent un rôle fondamental 138. Cela est particulièrement vrai d'une société tributaire dans laquelle l'exploitation des communautés de base par l'Etat se fait par la contrainte extra-économique et où le prélèvement du surproduit est transparent (non médiatisé par la marchandise) 139: dans ces sociétés, la distinction souvent opérée entre infrastructures et superstructures apparaît comme largement factice voire trompeuse, et plus encore une subordination des secondes aux premières. Un élément - rangé habituellement dans la catégorie ' superstructurelle ' - tient une place stratégique dans le fonctionnement et la dynamique du MPT, c'est l'Etat, sous toutes ses formes et manifestations: Roi, administration centraIe et provinciale, armée, justice, appareils idéologiques 1«1 etc. Il me semble donc que pour repérer des paliers dans le développement du MPT au Proche-Orient, il importe d'accorder une attention toute particulière à la • variable ': appareils d'Etat.
III.3. III.3.1. Les continuités, récupérations et bricolages entre l'Etat néo-assyrien (analysé par P. Garelli dans le cadre du MPA) 141 et l'Etat achéménide ont été fréquemment soulignés: - l'idéologie monarchique achéménide doit beaucoup à l'idéologie assyrienne et plus largement assyro-babylonienne 142; - les archives de Persépolis - les PFT surtout - semblent avoir de nombreux points communs avec certaines archives de Nimrud 143; - l'opposition, souvent soulignée, entre la • férocité' des Assyriens et la • tolérance' achéménide semble surtout pro131 Cf. mon 138 Cf. mon 139 S. AMIN,
étude dans Zamân, II, 1980 (sous-presse). étude dans Religions, Pouvoir, Rapports sociaux (1979). 1. c. 140 Là-dessus, cf. ibidem, 306. 141 Le Proche-Orient asiatique, o. c., 279-280 (avec prudence). 142 Voir surtout J'étude de G. GNOL! dans Acta Iranica, II, 1974. 143 Cf. J. V. KINNEIR WILSON, The Nimrud Wine Lists. A study of men and administration at the Assyrian capital in the eighth Cent. B.C., 1972, 4.
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céder d'une surinterprétation de la première et de la seconde: en réalité, la politique des Assyriens et celle des Achéménides à l'égard des dieux des régions vaincues (ou à conquérir) relève des mêmes principes et participe des mêmes croyances 144; - la création de provinces ipâ-]pï!Jatu) administrées par des officiers assyriens nommés par le pouvoir central marque une accentuation indiscutable de la couverture administrative de l'Empire 145; - le système très perfectionné de routes et de relais de postes est déjà connue à cette époque 146; - la politique proche-orientale des rois néo-assyriens est marquée en particulier par le souci d'obtenir l'accès à la Méditerranée 147 - d'où les facilités laissées aux marchands grecs et chypriotes dans la région syro-phénicienne 148. Etc. Toutes ces continuités ou ressemblances ne sont pas niables: le mode de production tributaire n'est pas né en Asie avec la conquête achéménide. II n'en reste pas moins, à mon sens, que celle-ci marque le début d'un nouveau palier, d'une nouvelle phase historique au Proche et au Moyen-Orient. Cette phase se définit surtout par: - l'affirmation d'un Etat fortement structuré à ambitions intercontinentales 149. C'est désormais à l'échelle de l'Asie tout 144 Voir surtout M. COGAN, Imperialism and Religion: Assyria, ludah and Israël in the eighth and seventh. Cent. B.e. (Soc. of Bib. Lit., Monographs Series, 19), Univ, of Montana 1974. Sur le problème de la «tolérance religieuse» des Achéménides, on verra en dernier lieu M. DANOAMAYEV, art. c., Mon. H.S. Nyberg, I, 1975, 193-200, et P. TOZZI, Per la storia della politica religiosa degli Achemenidi: âistruzioni persiane di templi greci agli inizi deI V Secolo, RSI, LXXXIX, 1977, 18-32. 145 Cf. P. GARElLI, Le Proche-Orient asiatique, Paris 1974, 135 sgg.; 230-234. 146 B. OOBO, JNES, XXIX, 1970, 182, n. 41: «The empires that followed merely developped and perfected this system », (Ce qui est à mon sens un peu simplifier le problème: B. Oded prend uniquement pour exemple la route qui relie la Mésopotamie au Proche-Orient et, plus spécifiquement encore, la « King's Highway » qui va du Golfe d'Akaba à Damas par la Transjordanie. Avec la création de l'Empire achéménide, c'est désormais à l'échelle de l'Asie tout entière que le problème se pose et qu'il est résolu (les apports des PFT sur ce point aussi sont essentiels): c'est plus qu'un changement quantitatif. 147 Voir J. ELAYI, L'essor de la Phénicie et le passage de la domination assvro-babylonienne à la domination perse, Bagd. Mitt., IX, 1978, 25-38. 148 Voir J. ELAYI - A. CAVlGNEAUX, Sargon Il et les Ioniens, DA, XVIII, 1979, 59-75. Sur les conditions du commerce entre Chypre et la Babylonie à l'époque néo-babylonienne, on verra le passionnant article de A. L. OPPENHEIM, Essay On overland trade in the first millenium B.e., JCS, XXI, 1967, 236-254. 149 Je ne veux pas forcément parler ici d'ambitions territoriales.
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entière et de I'Egée orientale que se définissent les stratégies ISO. L'insertion dans l'Empire des zones méditerranéennes en est un élément capital 15l; - la généralisation du système tributaire et du module satrapique 152; - l'affermissement et l'extension de la puissance royale sur les terres 153 et sur les temples 154; 150 Un simple coup d'oeil sur des cartes de géographie historique montrera qu'entre les territoires contrôlés par les Assyriens et les territoires achéménides il y a une formidable différence d'échelle (cf. en particulier l'insertion de tout le plateau iranien et de l'Anatolie). Alors que les intérêts directs des Assyriens ne dépassaient pas Dilmun (Bahrein), c'est désormais tout le Golfe Persique jusqu'à l'Inde qui devient une 'Mer Perse '; dans le même temps (sous Darius Ier), a lieu la circumnavigation de l'Arabie: cf. H. SHIVEK, Der Persische Golf ais Schiffahrts- und Seehandelsroute in Achdmeniâischer Zeit und in der Zeit Alexanders des Grossen, Bonner Jahrbücher, CLXII, 1962, 4-97, en particulier 5-20. Cette politique est évidemment à mettre en relation avec la nouvelle mise en eau, à l'époque du même Darius, du canal de Nechao: cf. G. POSENER, Sur le. canal du Nil à la Mer Rouge avant les Ptolémées, CdE, XXV, 1938, 259-273; également S. MAZZARINO, AAH, VII, 1959, 89 sgg., et F. MILTNER, Saeculum, III, 1952, 522-555. 151 Voir O. BUceI, Apollinaris, XLVI, 1973, 567: nécessité absolue pour les Rois achéménides de contrôler les débouchés des grandes routes venant de l'Asie Centrale. Ce n'est évidemment pas un hasard si la période perse est une période de très grande prospérité pour les cités ioniennes (C. G. STARR, Iran. Ant., XI, 1976, 80-87) et pour les cités phéniciennes (J. ELAY!, Bagd. Mitt., IX, 1978, 25-38; cf. aussi H. J. KATZENSTEIN, Bib. Arch., XLII, 1979, 23·34; M. DUNAND, Bull. Mus. Beyrouth, 1973, 7-25). Sur cette relation entre la création de l'Ernpire et l'expansion du commerce, on verra déjà M. Rostovtzeff, AHR, 1938, 251: « La création de l'Empire Perse rendit régulier et actif l'échange des marchandises entre les mondes », Il est bien clair en effet que les cités d'Ionie (où domine le mode de production 'antique ') contribuent puissamment au développement du MPT: on aurait intérêt, me semble-t-il, à réexaminer les relations cités grecques/administration achéménide à la lumière des interprétations de Cl. Préaux dans son très remarquable article: «Sur l'origine des monopoles lagides », CdE, 1954, 312-326. L'inscription de Téos commentée par Cl. Préaux permet de répondre partiellement à la question (posée par Ed. Will, REA, LXII, 1960, 268-274 à propos de l'Egypte) de la ' transmutation' en métal précieux des tributs en nature (étant bien entendu, comme le montrent les PTT et PFT, qu'une bonne part de ces naturalia sert à la reproduction interne du système). 152 Voir évidemment Hérodote, 3, 89-96, qui distingue (§ 97) quelques peupies (Ethiopiens, Colchidiens, Arabes) qui ne versent pas le phoros mais qui livrent des dons. A l'époque assyrienne, on distingue également le tribut annuel régulier (maddattu) du don exceptionnel (tlImartu) (cf. J. N. POSTGATE, Taxation and conscription in the Assyrian Empire, Rome 1974), et le second paraît avoir (au moins) autant d'importance que le premier: cf. H. TADMOR, art. c., dans H. GoEDICKE - J. M. ROBERTS, Unit y and diversitv, Baltimore 1975, 37 - ce qui n'est manifestement plus le cas à l'époque de Darius. Sur le passage d'un système fondé sur le don et le pillage à un système pleinement tributaire. voir également J. P. WEINBERG, Klio. LVIII, 1976, 8-9. 153 Voir (pour la Babylonie) M. DANDAMAYEV, Die Lehensbeziehungen in Babylonien tinter den ersten Achiimeniden, in «Festchr. W. Eilers », Wiesbaden 1967, 37-42. 154 ID., Temple et Etat en Babylonie, VDI, 1966, 17-39 et surtout 37·39.
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- le développement sans précédent des forces productives 155; - la généralisation et l'intensification de la dépendance rurale dans le maintien du régime de la communauté villageoise 156. En tenant compte du rôle des appareils d'Etat dans le développement des forces productives 157, et de la liaison étroite entre appareils idéologiques d'Etat, prélèvement du surproduit tributaire et dépendance rurale 158, je propose de dénommer t impériale-tributaire ' 159 la formation économique et sociale achéménide, qui intègre - sans les faire disparaître - des modes de production divers (mode de production antique dans les cités grecques) qui contribuent à l'affermissement du mode de production tributaire. IIl.3.2. Dès lors, il m'apparaît qu'au regard d'une période hellénistique (dont il reste à mesurer les rythmes internes), la période 334-323 - qui se clôt avec l'éclatement accéléré des structures impériales - tient une place spécifique dont les caractères fondamentaux procèdent pour l'essentiel de la phase impériale-tributaire. Alexandre apparaît en effet comme le restaurateur du système, et ceci dans de nombreux aspects de son activité: - rassemblement de toutes les terres achéménides au sein d'une construction impériale 100; lSS Cf, P. BRIANT, JESHO, XXII, 1979, 136-161; Zamân, II, 1979; Congrès de Berlin 78: Proâukiivkrdite. [Sur l'irrigation, ajouter H. GoBLOT, Les qanats. Une technique d'acquisition de l'eau, Paris-New York-La Haye 1979J. 156 Voir P, BRIANT, Index, VIII, 1978-79, 48·98 (60-61: sur la nécessité de la , liberté' à l'intérieur des communautés villageoises dans le développement du système de la dépendance). 157 Voir en particulier P, BRIANT, Congrès de Berlin 78 (§ V), 158 P, BRIANT, dans Reliigons. Pouvoir, Rapports sociaux, Besançon-Paris 1979, 159 Sur le concept de formation économique et sociale • impérlalo-esclavagiste ' pour l'Empire romain, voir M. CLAVEL'~UE, Impérialismes, âéveloppemen et transition: pluralité des voies et universalisme dans le modèle im· pérlal romain, La Pensée, CXCVI, 1977, 10-27; voir également son intervention dans France Nouvelle, n. 1721 (6.11.78), 45-50. . 100 On rappellera par exemple que cette continuité (de Cyrus à Alexandre) est l'un des thèmes de la propagande iranienne face aux ambitions romaines: voir Tacite, Annales, 6, 31: «En même temps, Artaban parlait des anciennes limites des Perses et des Macédoniens, et menaçait, avec jactance, d'envahir ce qu'avaient possédé Cyrus, d'abord, et, ensuite, Alexandre (seque invasurum possessa primum Cyro et post Alexar1ra) »,
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reprise en main des appareils d'Etat (administration centrale et satrapique ...), y compris même souvent des pero sonnels achéménides; - récupération voire extension à son profit de la terre royale, du système tributaire et de l'organisation de la dépendance rurale 161; 161 Cf. déjà P. BRIANT, Alexandre. le Grand2, Paris 1977, et l'étude citée à la note suivante. De ce point de vue, le principal problème - jamais évoqué à ma connaissance: cf. Index, VIII, 1978-79, 81 et n. 353 - est celui de l'évaluation des conséquences socio-économiques du sac de Persépolis et de l'incendie des palais par l'armée d'Alexandre en 330. [A la date où j'achève mon manuscrit, je ne dispose pas de l'article de J. M. Baker devant paraltre dans Iran. Ant., XIII, 1978]. On sait que les traditions iraniennes postérieures présentent Alexandre comme le destructeur des Archives royales, et singulièrement des livres sacrés qu'elles contenaient (cf. O. BUCCI, RIDA, XXV, W78, 9192, n. 162). Mais ces 'informations' ne répondent pas à la question posée: comme le note également O. Bucer (ibidem, n. 163 bis) la destruction des archives n'a pas empêché la transmission des traditions archivistiques achérnénides jusqu'aux Parthes et aux Sassanides. J'ai du mal à croire que les évènements de 330 marquèrent une rupture totale avec le passé achéménide, et cela pour plusieurs raisons: I. la destruction des palais ne marque pas la fin de l'offensive idéologique menée par Alexandre sur des thèmes achéménides: il continue au contraire de la mener contre Besses, et à son retour de l'Inde il manifieste une nouvelle fois sa volonté de se rattacher au souvenir de Cyrus à Pasargades, tout en montrant son regret (politique) d'avoir détruit les palais persépolitains (voir surtout Arrien, Anab., 6, 29.+11; 30.1; et mon analyse détaillée dans l'étude citée à la note suivante); 2. Je note qu'il n'existe pas de preuve absolue de l'interruption définitive des archives après 330; les tablettes PTT et PFT connues s'étalent dans le temps de 509 à 458: dira-t-on que l'économie royale disparaît après 458? Non, évidemment! Plusieurs textes classiques (cités dans JESHO, XXII, 1979, 148-149, n. 70 et 73) montrent qu'elle était encore en activité à l'arrivée d'Alexandre; 3. La destruction des Archives est une chose, la disparition du vaste complexe économique fonctionnant dans le Fars achéménide en est une autre! Comment penser que les milliers de kurtas travaillant dans les champs, les pâturages ou les ateliers aient brutalement disparu? (Il est clair que la libération de certains d'entre eux par Alexandre est causée par leur origine grecque: cf. textes dans JESHO, XXII, 1979, 149, n. 73). Les profits tirés de l'exploitation étaient aussi nécessaires à Alexandre qu'aux Achéménides; 4. Rien de ce qu'on connaît des mesures administratives prises par Alexandre ne suggère un bouleversement, bien au contraire: un Perse, Phrasaortès, est nommé satrape de Perside (cf. Berve, n. 813); d'autre part, le Perse Tiridatès est confirmé dans ses fonctions de Trésorier (thesaurophylaque: v.p, ganzabara) qu'il détenait sous Darius III (Ouinte-Curce, 5, 6, 11). Or, à l'époque achéménide, le Trésorier de Persépolis (qui relève directement du satrape) ne se contente pas de gérer le Trésor, et la Trésorerie n'est pas seulement un lieu de stockage des métaux précieux (cf. BRIANT, Index, VIII, 1978·79,75-79): ce Trésorier et ses' subordonnés interviennent au plus haut niveau dans l'organisation du travail dans les ateliers où travaillent les kurtas (cf. W. HINZ, ZAss., LXI, 1972, 261·272; J. A. DELAUNAY, Acta Iranica, II, 1974, 212); 5. la grande noblesse perse du Fars paraît y avoir conservé toute sa puissance économique et son statut privilégié (cf. en particulier Ouinte-Curce, 10, I, 22 sg.), au point qu'on y connaît des tentatives de soulèvements' achéménides' a«, 9, 10, 19 et 10, l, 9; Arrien, 6, 27, 3). En définitive, tout cela suggère le maintien (total ou partiel) de l'organisation sociale et économique achéménide dans le Fârs du vivant d'Alexandre.
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investissement de l'intérieur des appareils idéologiques de l'Etat achéménide 162. Je crois devoir ajouter et préciser que je ne me réfère pas ici au rôle historique (' objectif ') que peut jouer un personnage sans même qu'il en ait conscience: il s'agit bien au contraire en l'occurrence d'une politique développée consciemment et systématiquement par Alexandre en vue de faire fonctionner (voire même mieux fonctionner) 163 à son profit l'ensemble organique du système achéménide. C'est pourquoi il me semble que les années 334-323 font partie intégrante d'une période de l'histoire de l'Asie ouverte par les conquêtes de Cyrus et de Cambyse et leur organisation par Darius, même si ces années revêtent, à l'intérieur de cette vaste période de plus de deux siècles, une indéniable spécificité. Premier d'une longue lignée de rois hellénistiques? Certes! Mais je crois qu'au regard de l'histoire du Proche et du Moyen-Orient du 1er millénaire, Alexandre peut être considéré aussi comme «le dernier des Achéménides». PIERRE BRIANT
[Note additionnelle: l'étude de J. C. GARDIN et P. GENTELLE, citée
p. 1399, n. 107, vient juste de paraître dans le BEFEO, LXVI, 1979, 1·29].
supra,
162 Voir mon étude Conquête territoriale et stratégie idéologique: Alexandre le Grand et l'idéologie monarchique achéménide, Colloque de Cracovie 19n: L'idéologie monarchique dans l'Antiquité. 163 Cf. Klio, LX, 1978, 74; Index, VIII, 1978-79, 85-86.
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L'ÉLEVAGE OVIN DANS L'EMPIRE ACHÉMÉNIDE VIe-IVe siècles avant notre ère *)
1. Remarques préliminaires 1.
L'Empire perse dans le Moyen-Orient ancien
Fixés depuis le premier tiers du 1er millénaire dans le Fars (perside), le peuple perse conquiert les Etats asiatiques pré-existants sous les règnes de Cyrus (559-53°), de Cambyse (530-p2) et de Darius (522486). C'est surtout sous le règne de ce roi qu'est mis en place le système d'administration et d'exploitation fiscale de cet empire qui s'étend de la Méditerranée à l'Indus, et de la Caspienne au Golfe Persique. Il s'agit d'une immense construction étatique, dont chaque grand ensemble (Egypte, Babylonie ... ) reste profondément marqué par ses propres traditions. Dans le cadre étroit de cette communication, il est exclu d'envisager l'étude de l'élevage ovin dans chacune des régions de l'empire. Nous donnerons quelques coups de projecteur sur certaines régions plus favorisées par la répartition de la documentation. Par ailleurs, l'élevage ovin est implanté dans toute l'Asie bien avant la formation de l'empire perse: il est pratiqué en Mésopotamie depuis au moins le 5e millénaire 1), voire depuis les débuts du 7e millénaire "). *) Cet article reprend, avec quelques modifications et révisions, le texte d'une communication présentée le 26 novembre 1977 au Colloque d'Ethnozootechnie d'Alfort sur Les dibllts de l'élevage du mouto« et publiée dans Ethnozooterhnie 21 (1977), p. j 3-64- Je remercie bien vivement Mr R. Laurans, Président de la Société d'Ethnozootechnie [2j, boulevard Arago, 7jOl3 Paris, France], de m'avoir autorisé à reprendre le texte pour le JESHO. 1) B. Brentjes, "Die Schafzucht im A1ten Orient", ~AZ 4 (1963), p. 1-22. 2) Voir P. Ducos, "Les débuts de l'élevage du mouton au Proche-Orient",
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On connaît également la prospérité de l'élevage dans le royaume d'Urartu vers les ge-8e siècles 3). Ce qui fait l'intérêt essentiel d'une étude centrée sur l'Empire perse, c'est l'analyse du rôle que joue l'Etat dans l'organisation et le développement de ces activités, tant on sait que les Rois ont été soucieux d'impulser les productions agricoles dans leur empire '). La part des produits de l'élevage dans le tribut et dans les taxes levées par les Achéménides rend compte déjà de l'importance du secteur pastoral dans de nombreuses satrapies .). Une enquête ponctuelle comme celle-ci permet également d'aborder par un biais concret le problème passionnant des emprunts faits par les créateurs de l'Empire à des modèles pré-existants, babyloniens surtout, où l'intervention de l'Etat dans l'organisation économique était souvent déterminante 8). 2.
Soun»:
Trois types de sources peuvent être employées: - les écrits des historiens, voyag~urs et géographes gréco-romains, en particulier Strabon et les historiens d'Alexandre et de ses Successeurs. Leurs limites d'utilisation ne sont pas niables '): ils apportent néanmoins des renseignements irremplaçables sur les conditions écoEthnozootechnie, 11 (1977), p. 33-;8; également R. Laurana, "L'élevage du mouton à l'époque des premières civilisations urbaines", ibid., p. ;9-j2. ;) B. Piotrowskij, Il regno di Van Urartu, trad. ital., Rome (1966), p. 2Ij-219. 4) Sur ce problème, cf. P. Briant, "Communautés de base et Economie royale en Asie achéménide et hellénistique", Rsc, Soc. J. Bodin, t, 41/1: Communautés rurales. Antiquité: Id., "Force. productives, dépendance rurale et idéologies religieuses en Asie achéménide", Table Ronde de Besancon 1977: LBS idéologies religieuses (sous presse). 5) Voir Ps. Aristote, Economiques, II. r. 4; Strabon, Géog., XV. III. 21: " ... dans l'intérieur l'impôt se paie en nature avec les prodnits mêmes de chaque région, substances tinctoriales, drogues, crins, laine etc., voire en têtes de bétail". 6) Sur le problème du rôle de l'Etat en Mésopotamie, voir récemment M. de J. Ellis, Agriculture and the State in Andent Mesopotamia, Philadelphie, 1976 (compte rendu par F. R. Kraus, Bi. Or. XXXIV (1977), p. 147-15;): N. Yoffee, The Economie Role of the Crown in the OM Bab.Ylonian Period, Chicago, 1978. Sur le sujet précis traité ici, on verra surtout F. R. Kraus, Staatliche Viehhaltung im Altbalrylonische Lande Larsa (Med. Kon. Ned. Akad., NR 29/5, 1966, p. 117-179)' 7) Voir mes remarques dansJESHO, XVII (1975), p. 169-17;. .0
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logiques des grandes régions de l'Asie ancienne et en particulier des régions vouées au pastoralisme; - les représentations figurées de Persépolis (en particulier la 'Prise des tributaires') S); - enfin et surtout les archives: archives des temples babyloniens tout d'abord, les temples figurant parmi les plus grands propriétaires fonciers de l'Orient ancien. Nombre de ces archives portent sur l'élevage 9). On peut y ajouter les textes des baux privés babyloniens 10). Ensuite, les archives élarnites de Persépolis récemment publiées Il). Le recueil le plus récent des tablettes des fortifications (PFT) fournit des indications très précises et assez nombreuses sur les activités pastorales en Perside, mais l'utilisation de ce matériau en est encore à ses débuts 12) (nombre de termes et de toponymes restent inexpliqués 19): seul le travail d'équipes interdisciplinaires pourra faire progresser la recherche historique d'une manière significative 1&). Autant dire que la
8) Cf. G. Walser, Die Valkerschaften auf dtn Reliefs von Persepolis, Berlin, '966. 9) Elles sont réunies par M. San Nicole, "Materialen zur Viehwirtschaft in den neubabylonischen Tempe1n", Orientalia, '7 (1948), p. '73-'93: 18 (1949), p.•88306: .0 (195'), p. IZ9-150; '3 (1954), p. 35'-382; '5 (1956), p. '4-38. 10) Voir G. Cardascia, Les archives des Muralli. Unefamille d'hommes rI'affaires babyloniens à l'époque perse (4JJ-40J av.j.-c.), Paris (1951), en particulier p. 148. Pour une époque antérieure, on consultera J. N. Postgate, "Sorne Old Babylonian shepherds and their flocks",jCS .0 (1975), p. r-z r. II) G. C. Cameron, Persepolis Treasury Tablets [PTT], Chicago, '948; R. T. Hallock, Persepolis Fortifications Tablets, Chicago, 1969. D'autres tablettes ont été publiées depnis lors dans diverses revues, en particulier dans le jNES. De nombreux fragments ou tablettes restent également inédits (cf. R. T. Hallock, Orientalia 4' (1973), p. 3zo, n, 1). IZ) Première synthèse (sommaire) par R. T. Hallock, The Eviden.. of the Pmepolis Tabless, pré-publication de la Cambridge History of Iran, 197',31 p. Voir surtout les deux études (en russe) de M. A. Dandamayev, "Nouveaux documents d'économie impériale en Iran (5°9-494)", VDl, '97'/', p. 3-.6, et "Les ouvriers de l'exploitation royale en Iran (fin du ëe-ae moitié du Ve s. av. n.è.)", VDl, '973/3, p. 3-'4: égaiement du même, "Forced labour in Achaemenid Iran", .Altorientalisd» Forschungen, II (1975), Berlin, p. 7'-78. Une étude de J. A. Delaunay sur le sujet est annoncée (cf. G. Cardascia dans Armées el fiscalité dans le monde antique (paris, '977), p. 6, n, 1). 13) Sur les difficultés de cet ordre, voir par exemple F. Grillot, RAss., 68 (1974), p. 179-183. 14) R. T. HalIock,jNES, '9 (1960), p. 90.
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contribution présentée ici doit être considérée comme une très modeste ébauche 16).
3. Problèmes de vocabulaire L'exploitation de ces sources présente une difficulté commune: celle de la terminologie. Le terme grec le plus fréquemment utilisé, probata, ne s'applique pas spécifiquement ni exclusivement aux moutons, mais peut être compris comme 'petit bétail', voire comme 'bétail' (à quatre pattes) au sens large 16). Il en est de même de l"'idéogramme" UDUNITA employé dans les tablettes de Persépolis, qui s'applique au petit bétail incluant ovins et caprins, si bien que certaines traductions par chèvres ou par moutons peuvent paraître arbitraires en l'absence de précisions supplémentaires et univoques "). Dans les archives des temples babyloniens enfin 18), le terme sénu englobe ovins et caprins: plusieurs textes distinguent heureusement petit bétail 'blanc' et petit bétail 'noir' 19). Cette ambiguïté est totalement levée dans certaines archives traitant de recensements, où la race, le sexe et l'âge sont très clairement répertoriés 20). La difficulté ne tient donc pas à l'absence de termes techniques précis. En revanche, l'existence et l'emploi d'un terme commun rend compte d'une réalité factuelle, à savoir que, sauf exception 21), ovins et caprins sont mêlés dans les troupeaux, comme 15) D'autant plus que j'ai travaillé sur les seules traductions des textes élamites et babyloniens. 16) Voir E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, l, Paris (1969), p. 37-45. A propos du terme gai9ii- dans l'inscription de Behistoun, cf. M. Dandamayev, Persien unter den ersten Achiimeniden (1976), p. 187-188; la traduction de Bartholomae par "biens meubles" (bewegliche habe) se rapproche très clairement de l'explication donnée par Benveniste de l'origine de probata: c'est en tant que "richesse marchante" par excellence, opposée aux biens qui reposent dans les coffres, que le mouton s'appelle "'probaton". 17) Voir Hallock, PFT, p. 16. Pour une époque antérieure, voir J. Bottéro, ARM, VII (1957), p. 248. 18) Pour les termes animaliers dans les inscriptions royales assyriennes, voir D. Marcos, Orientalia, 46/1 (1977), p. 86 sqq: sur sinu, cf. p. 92-93. 19) San Nicola 1948, p. 275 et n, 3. 20) Id. 1949, p. 3°2-3° 5; PFT, 20°7 et ss, ar) Un seul exemple est connu d'un chevrier distinct des bergers de petit bétail: San Nicola 1948, p. 285, n. 1.
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le montre par exemple le décompte des troupeaux dans neuf baux privés de Babylonie achéménide 00); Ovins
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Dès lors, en isolant les ovins et leurs productions, on risque de mutiler quelque peu la réalité historique et la réalité technique. C'est là un point qu'il conviendra de garder constamment à l'esprit. Il faudra également se rappeller que bien d'autres animaux sont élevés en Babylonie ou en Perside achéménides: bovins, chevaux, camélidés, ânes, volailles etc. Disons cependant que l'organisation technique et administrative qui régit l'élevage ovin paraît régir également d'autres types d'élevages 22).
II. Les grandes régions de production. Problèmes d'orgamsation Asie jj;fineure O') et Anatolie De nombreux passages de Strabon vantent la richesse et la variété pastorales de l'Asie Mineure antiques. Presque toutes les zones du 1.
11) D'après J. Augapfel, "Babylonische Rechtsurkunden aus der Regierungszeit Artaxerxes 1. und Darius III", Kais. Akad. Wien Denlesehr., 59/3 (1917), p. 86. '3) Sur les haras royaux de Médie, voir Hérodote, 1. 189, III. 106, VII. 40; Strabon, XI. 13. 7 (50000 juments du temps des Perses); Polybe, X. '7. 1; Diodore, XVII. 110. 6; Arrien, Anab., VII. 13. 1 (IjOOOO tètes à l'origine). D'autres haras royaux sont connus ailleurs, ainsi en Eolide (plutarque, Eumène, 8. j). '4) Voir sources dans T. R. S. Broughton, Roman Asia, dans Tenney-Frank, An eronom;e survry of Aneient Rome, IV (1938), p. 617-618.
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plateau sont favorables à l'élevage: les nombreuses rivières et les précipitations y permettent même l'existence de l'agriculture pluviale 2.). Presque tous les pays pourraient être cités. La laine de certaines contrées était particulièrement réputée 20). La richesse en troupeaux de la Phrygie était proverbiale, de même que celle de l'Arménie 27). La composition du tribut annuel versé par la Cappadoce rend compte de l'importance des. produits de l'élevage puisque, en sus de l'argent, cette satrapie versait au Grand Roi l 500 chevaux, 2000 mulets et 50000 'moutons' (probata); la Médie était deux fois plus imposée 28). L'examen d'une des représentations de la Frise des Tributaires est particulièrement riche d'enseignements: sur les six membres qui composent la Délégation VIII, quatre ont un rapport direct avec l'élevage ovin: deux d'entre eux conduisent deux béliers magnifiquement lainés à queue grasse, l'un porte des vêtements (de laine très probablement), le quatrième enfin a deux petites peaux de mouton dans les mains. Nous avons là l'image extrêmement concrète de la production ovine et lainière d'une satrapie et des prélèvements tributaires opérés chaque année par l'administration achéménide: 'il s'agit peut-être de la Cilicie 29). Une autre délégation offre d'épaisses étoffes de laine: peut-être s'agit-il des Ioniens dont l'industrie lainière était particulièrement réputée 30). 2.
Peuples pasteurs du Zagros
Deuxième grand zone: le Zagros (de la Médie au Golfe Persique), particulièrement favorisé quant aux conditions écologiques 31): la '5) Cf. X. de Planhol, Les fondements géographiques de l'Histoire de l'Islam, Paris (1968), p. 197-198. z6) Strabon, XIII. 3. 13: XII. 8. 16: Pline, Nat. Hist., VIII. 90 etc. '7) Hérodote, V. 49• • 8) Strabon, XI. 13. 8. '9) G. Wal.er, op. eit., p. 81-83. (D'autres historiens pensent aux Sogdiens). 30) Ibid., p. 87. 31) Je résume ici deux précédente. études: '''Brigandage', dissidence et conquête en Asie achéménide et hellénistique", Dial. Hist. Anc,, II, 1976, p. 163-'58: "Sociétés pastorales du Zagro. achéménide", Cahiers du CERM, n° 133 (1977), p. 1-9.
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pluviosité y est relativement élevée, d'importantes rivières pérennes (Karun, SaimarrehfKerkha) y coulent, la couverture végétale est très adaptée à l'élevage. Toutes ces régions constituaient dans l'Antiquité des zones de fort peuplement, et elles étaient habitées par des peuples dont il ne subsiste souvent que le nom, mais dont on peut dire que le mode de vie était uniformément basé sur l'alliance d'un élevage très important et d'une agriculture de subsistance. Parmi ces peuples, quatre sont mieux connus car ils entretenaient des rapports spéciaux avec le Grand Roi 32): Cosséens (Louristan), Elyméens (Khuzistan), Ouxiens (Louristan/Fârs), Mardes (Fars). L'importance déterminante de l'élevage ovin est clairement révélée par la composition du tribut dont Alexandre le Grand frappa les üuxiens au début de 33 0 SS): 100 chevaux, - 500 animaux de transport (probablement boeufs porteurs) U), 30000 moutons (probata), chiffres considérables pour un seul peuple, si l'on veut bien mettre en parallèle le montant annuel du tribut animal de la vaste satrapie de Cappadoce. Il est extrêmement probable que sous le terme probata il faut entendre essentiellement 'moutons' 16), même si l'élevage caprin est connu également dans le Zagros antique chez les Mardes de Perside s.). A l'époque achéménide, ces peuples sont autonomes et ne versent pas de tribut. Il ne s'agit pas de peuples nomades au vrai sens du terme: ils vivent en villages situés au fond des vallées, les pâturages s'étalant à mi-pente, la haute-montagne fournissant des ressources complémentaires (chasse, cueillette (champignons), bois ... ). Il est probable que s'y pratiquait un semi-nomadisme à court rayon d'action de vallée à vallée. 32) Sur ce point précis, cf. Brigandage, p. 189-194. 33) Arrien, Anab., m. 17. 6. 34) Voir Brigandage, p. 2%9, n, 44. 35) a. les résultats des fouilles à Kordlar dans le Kudistan (Iran, XIV, J 976, p. 159): sur 4600 ossements, on trouve 50% d'ovins, .0% de gros bétail et environ 10% de caprins. 36) Voir références dans Brigandage, p. 176, n. '7 (= p. 2%8): selon une légende du fondateur, la mère du Grand Cyrus élevait des chèvres chez les Mardes de Perside,
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3. Le Fars (Perside)
Une place particulière doit être réservée au Zagros méridional, le Fars, c'est à dire à la Perside antique, où s'étaient fixés les Perses à l'issue de leur longue errance à partir du Caucase (vers le début du Ier millénaire) 87). Il s'agit en effet d'une région décrite comme extrêmement fertile par les voyageurs anciens venant de j'étouffant Khuzistan (Suse) ou de la côte du Golfe Persique: ces auteurs soulignent l'abondance des eaux (rivières et sources), la fraîcheur et la douceur des températures, la variété de la végétation herbacée et arborée, la richesse des productions du sol et la très forte démographie humaine s.). Voici comment, par exemple, Néarque SS), amiral d'Alexandre le Grand, présente cette contrée: ". .. Le climat est tempéré, le pays est couvert d'herbages, de fraîches prairies, de nombreuses vignes et de toutes espèces d'arbres fruitiers sauf l'olivier; des jardins de toutes sortes y fleurissent, des fleuves limpides et des eaux dormantes l'arrosent; elle nourrit toutes les espèces d'oiseaux qui vivent autour des fleuves ou au bord de l'eau, les chevaux, les bêtes de somme; on y trouve beaucoup de forêts et de gibier". La région proche de Persépolis passait pour "l'endroit le plus sain de toute l'Asie" 40) et un témoin oculaire peut affirmer, en 317 av. n.è., que "la Perside regorge de tout ce qui touche au luxe et au plaisir" 41). Parmi les productions, l'élevage tenait une place de choix. Dès le début du règne de Darius le Grand (52.2. av. n.è.), l'inscription de Behistoun (§ 14) témoigne de la richesse en troupeaux et en pâturages 42). L'un des aspects de l'éducation des jeunes Perses témoigne de l'enracinement des traditions pastorales puisqu'on les habituait (entre autres exercices) "à faire paître les troupeaux, à passer la nuit dans les champs, et à se contenter pour seule nourriture des 37) Voir R. Ghirshman, Terras", sacrée; d, Bard-è Nerhand,h ,t Madid-i So/,iman (Mémoire! de /0 DAFI, XLV), Paris (1976), p. 149-161. 38) Diodore, XVII. 67. 3; XIX. 21. 3; Strabon, XV. 3.6. 39) Apud Arrien, Inde, 40. 3-4. 40) Quinte-Curee, IV. j. 21. 41) Diodore, XIX.•1. 3 (Hieronymos de Kardia), 4') L'interprétation d'une partie du paragraphe a donné lieu et donne lieu encore à des débats passionnés: cf. par exemple M. Dandamayev, Persien, p. 186-188.
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fruits sauvages du térébinthe, du chêne et du poirier" 48), bref à vivre comme des bergers. L'accent mis sur l'élevage (gros et petit bétail) dans certaines parties de l'Avesta constitue une autre preuve de l'importance de l'élevage. A côté de l'élevage bovin, équin ... , l'élevage du petit bétail (ovin en particulier) prenait une place de choix, comme l'indique par exemple un témoignage grec de 317 av. n.è, "). Les archives élamites de Persépolis, surtout les PFT, confirment totalement la place de l'élevage dans l'économie royale de la Perside achéménide, et elles permettent surtout d'apporter des précisions rarement atteintes. L'administration de l'ensemble des produits en nature de la Couronne était dirigée par un 'majordome', qui avait sous ses ordres cinq haute fonctionnaires dont chacun avait la haute main sur un département, soit (par ordre décroissant d'importance): les céréales, le petit et gros bétail, le vin et la bière, les fruits, les volailles U). Quelques chiffres partiels peuvent donner une idée de l'importance numérique du petit bétail en Perside: un document (PFT, 144') nous donne le montant des rations allouées aux bergers qui conduisent de Persépolis à Suse un troupeau de petit bétail; on a pu estimer (approximativement) qu'il y avait au moins 700 bergers chargés de veiller sur à peu près 100 000 têtes 46). Une tablette de l'an l j de Darius (PFT, .007) fait état de 16843 têtes (dont 9.6j ovins), dont plus de 8600 ont été distribuées sous forme de rations alimentaires. Les troupeaux royaux étaient dispersés dans toute la Perside, confiés aux soins d'un nombre considérable de bergers, comme l'a déjà montré le document cité ci-dessus (PFT, 144'), Une autre tablette (PTT, jO), de l'année 466 (avril-mai), fait été de salaires (en argent) versé à des bergers des environs de Persépolis: il s'agit d'un groupe de 370 individus, répartis par âge et par sexe, chaque catégorie recevant un salaire différencié. Un fonctionnaire perse, Uratinda, en a la charge; 4~) Strabon, XV. ~. 18. 44) Diodore, XIX. 21. ~: "II y avait également une grande quantité de petit bétail de toute sorte". 45) Voir W. Hinz, "Achiimenidisch Hofverwaltung", ZAJJ. 6. (197')' p.• 60~'I, en particulier p. '75-'9°. [= Hinz 197', dans la suite de cet article]. 46) tu«, p. '91, et Hallock, PFT, p. 406.
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le même Uratinda contrôle un autre groupe de IF individus bergers de moutons (hommes, femmes, enfants) (PTT, 61). Il est donc possible que ce soit une sorte de chef de district, de même que les 15 personnages qui livrent des moutons à différentes Trésoreries où on les abattra (PFT, 58-74). Ces Trésoreries (gazophylacies), dont les tablettes nous livrent une liste (incomplète) de noms en-dehors de Persépolis 47), étaient réparties dans toute la Perside 48), et jouaient également le rôle de 'magasins généraux' 49); c'étaient aussi des centres de productions artisanales élaborées à partir des produits bruts collectés dans les environs 60): ainsi, les 15 'chefs de districts' (?) livrent des ovins à 5 Trésoreries (Hiran, Shiraz, Batrakatas, Rakkan, Matezzis) qui sont également des centres de traitement des peaux. Les gîtes d'étape (stathmoi) sur les grandes routes - dont certains se confondaient avec une Trésorerie - possédaient eux aussi d'énormes stocks de vivres, dont des moutons 61). Il est donc possible que le territoire situé autour de chaque Trésorerie était divisé en plusieurs districts de production agricole et pastorale 62). Il est probable que pendant la plus grande partie de l'année les moutons paissaient dans la montagne, où ils trouvaient facilement leur nourriture 63). Cependant, l'hiver est rude en Perside, les pentes sont couvertes de neige 6'): on peut donc penser que pendant plusieurs mois 47) Hinz 197', p.• 65· 48) Strabon, XV. 3 a. 49) Ibid. 11. 50) Hinz 197', p.• 65-.68. Sur des ateliers à Persépolis, cf. J. A. Delaunay, "A propos des 'Aramaïc ritual texts from Persepolis' de R. Bowman", Arta Iranica, II, p. 193-117. 51) Ainsi Hidalu (la moderne Behbehan? Hallock, p. 40, n, 35 à la suite de Hinz, ZDMG 1961, p. z j o-z j t}: centre administratif, dépôt d'archives (PFT, 666), étape entre Suse et Persépolis (PFT, 1398, 14°°, 140'-4, 1406 ...), où sont stockés sésame (1848), grains (35, '00, 738,1159,1171, 18j1, 1994), farine (738, 11j1, 1398, 1399, 1400, 140', 14°3-7, 1597), bière (749, 84', 874, 1184. 1176, 154')' moutons ('057). 5') Cf. Xénophon, Beon., IV. 5-11. J'ai étudié ce problème dans "Contrainte militaire, dépendance rurale et exploitation des territoires en Asie achéménide", Colloque de Camerino '978 (à paraître dans Index). 53) Cf. Quinte-Curee, V. 4. 11 sqq.; Polyen, Stras., IV. 3. 17 (près de Portes Persiques). 54) Diodore, XVII. 68.6 et Quinte-Curee, V. 4. 18 (janvier); Quinte-Curee, V. 6. 11-13 (mars/avril). v
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les troupeaux descendaient dans la plaine ou le bassin 66). Ils devaient être abrités dans des bergeries (baribataf) disposées dans chaque district S6). En d'autres saisons on y rassemblait le produit des taxes versées en têtes de bétail"). Ajoutons que les ovins - moins fréquemment d'ailleurs que d'autres animaux (volailles et chevaux en particulier) - recevaient des allocations de grains 66): en moyenne un qa (0,94 litre) par mouton et par jour. Ces distributions ne concernent qu'un nombre réduit d'animaux, le chiffre maximum étant de 80 moutons (PFT, 1714); d'après la traduction (hypothétique) de R. T. Hallock, il s'agit d'animaux alors sur les pâturages: peut-être donc des brebis qui viennent de mettre bas SO)? Le département de l'élevage était coiffé par un "Directeur des troupeaux royaux" (v.p. gaitastana), dont le plus connu est Aryâvana, qui fut en fonction au moins de 506 à 5016°). Comme les chefs des quatre autres départements, il était sous les ordres de l'intendant général, Farnak 61). Il doit donc: contrôler le nombre des bêtes requises par l'administration royale à titre de tribut (bazif) (PFT, 271, 2008), surveiller les décomptes de cheptel (PFT, 2009), livrer (sur ordre de Farnak) des ovins à différentes catégories de personnes haut placées (PFT, 1791-94), Ycompris même une fois à la reine 6S); c'est également sur ses dépôts d'ovins que sont pris les animaux donnés à Farnak luimême comme salaire (PFT, 654 sqq.). Il est probable qu'Aryâvana avait un ou plusieurs vice-directeurs sous ses ordres, dont Harbezza (Ar55) Le berger lycien fait prisonnier par Alexandre se trouve manifestement dans la plaine, alors que normalement (à la bonne saison) il est dans la montagne avec ses troupeaux (Quinte-Curee, V. 4. 4 sqq.), 56) Sur ce terme, voir Halloek, PFI', p. 675, s.u, 57) PFI', 2025 et 2070. 58) PFI', 17IZ-1716, '946 (lignes 57, 59,65,69)' 59) Sur le sujet à une époque antérieure, on verra D. Charpin - J. M. Durand, "Réflexions sur la documentation écrite concernant l'élevage dans l'Iraq ancien", dans L'archéologie th L'Iraq, du déhut du néolithique à JJJ av.j.-c. Perspectives et limites th l'interprétation anthropologique des documents archéologiques (Colloque 58o du CNRS, Paris '3-'5 juin '978). 60) Cf. Rinz '972, p. 288-289. 61) Sur le personnage, voir Dandamayev, VDI '972/1, p. [7-20. 62) fNES 1 (1942), p. 216 (Cameron).
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pâyaça) 63) qui s'occupait de la livraison du salaire en nature (têtes de bétail) à Farnak (PFT, 654 sqq.). Au-dessous venaient très probablement les chefs de districts (?) dont j'ai dit un mot ci-dessus. Le département de l'élevage était donc hiérarchisé de la manière suivante 84): Intendant Général 1 Majordome
BÉTAIL
céréales
vin-bière
fruits
volailles
~dépa~ vice-directeur (bovins)
[
vice-directeur (ovins)
~'"
do districts
bergers
Si tous les fonctionnaires responsables, du haut en bas de la hiérarchie, sont manifestement Perses ou Mèdes, qu'en est-il des bergers? Comme plusieurs documents l'attestent 68), ils sont rangés dans la catégorie des kurta! ('travailleurs') 66). Sauf cas exceptionnels mis à part (PFT, 871 et I I 37), les mta! sont étrangers à la Perse: ils proviennent de toutes les régions de l'Empire achéménide; ils sont pour beaucoup employés dans les grands chantiers de Persépolis, mais également dans l'artisanat et l'agriculture, et habitent dans une centaine de localités d'Elam et de 6~)
Cf. Hinz 1971, p. 189. 64) Cette reconstruction contient évidemment une part d'hypothèse. 65) PTT, ~o: paiements aux kJirfal qui gardent des moutons à Ramidda, près de Persépolis; PTT, 61 (même chose); PFT, 2.010: décompte du cheptel caprin et ovin mis à la disposition de Karkis, chef des kurtal (ligne 49), qui les répartit parmi les kJirtal, dont des bergers (lignes 18, 2. r, 2.4). 66) Sur les kJirfaJ, voir Dandarnayev, VDI 197~f3, p. ~-34, et Persien, p. 189-194.
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Perside. Ils travaillent sur les domaines royaux. Parmi cette catégorie, bon nombre étaient des prisonniers de guerre réduits en esclavage, d'autres étaient 'libres' ou 'demi-libres'. Tous recevaient des rations en nature puis en numéraire (à partir de 490). Si l'on part des PTT (paiements à des km"fal gardiens de troupeaux d'ovins), les informations sont les suivantes: pour un mois, la moitié du salaire (autre moitié en nature: ovins) s'élève pour les hommes à 3,3 ou 3,j shekels, pour les garçons à Z,j shekels, pour les femmes à Z,j, et pour les filles à I,Zj shekels, -le prix officiel du mouton étant de 3 shekels (PTT j et 61) O'). Ils touchaient également des allocations en nature, dont de la viande d'ovins (PFT, ZOIO, lignes 10 et 18). Il est délicat de juger si le statut des bergers présentait des caractères spécifiques par rapport à celui d'autres kurtal. Ce qu'on peut voir dans PTT jO et 61, c'est que l'ensemble d'une communauté de familles était voué à la garde des troupeaux de moutons, puisque les kurtal bergers sont distingués par âge et par sexe. Le premier ensemble comprend IZ7 hommes, 6 (?) garçons, 91 femmes et j j jeunes filles; l'autre groupe compte: 38 hommes, 3Z garçons, 3j femmes et 1j filles. Ces chiffres semblent indiquer que les kurtal-bergers vivaient en famille 00) dans des villages spécialisés dans les activités pastorales. Certains de ces bergers étaient peut-êtres des 'libres' - c'est à dire des dépendants - qui travaillaient contre salaire o.): ce qui pourrait contribuer à expliquer ce fait étrange que de nombreux bergers sont désignés par leur nom propre (d'origine perse manifestement) (PFT, 693-3, 1987, ZOZj, z070, ZOII-IZ). Mais, il y avait aussi certainement des esclaves, à preuve ce berger engagé par Alexandre comme guide près de Persépolis. Son père était un Lycien fait prisonnier par les Perses et avait fait souche sur place avec une femme perse; le berger est bilingue '0). Il s'agit donc d'un de ces nombreux kurtal prisonniers
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67) Sur le prix du mouton, voir aussi Hinz, ZDMG, 110/. (1961), p. '37-139. 68) Voir en général Dandamayev, VDI, '973/3, p. 9. 69) Ainsi Dandamayev, Persien, p. '94. 70) Textes (avec quelques divergences mineures): Quinte-Curee, IV. 4. 10-11: Plutarque, .Alex., 37. 1-'; Diodore, XVII. 68. l-6: Polyen, Strat., IV. 3. '7.
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de guerre originaires de Lycie "): Le texte semble confirmer qu'un nombre plus important qu'on ne croit de kurta! sont d'origine perse 72), ou issus de mariages mixtes entre Grecs et Perses 78). Le statut d'esclave du père se transmettait donc aux enfants 74). Si tel est le cas également dans PTT jO et 61, nous aurions l'image d'une communauté de bergers se reproduisant sur place pour le plus grand profit du Roi. En-dehors de ces bergers royaux gardant et soignant des troupeaux royaux dont la gestion leur échappe, il existait peut-être aussi une catégories de paysans perses libres qui s'adonnaient en partie à l'élevage. Une dizaine de tablettes (PFT, 167-171) traitent en effet de levée de tribut (bazi! = grec dasmos) sur le petit bétail (PFT 167-173, 1018) ou sur l'orge (PFT, 443, 4j 1, j67). Il ne peut pas s'agir des domaines royaux. Par ailleurs, Hérodote (III, 97) affirme que seule de toutes les régions de l'Empire la Perse était exempte de tribut; les tablettes de Persépolis conduisent à nuancer cette information 76). Il est possible que l'exemption portait uniquement sur le tribut en argent à l'exclusion du tribut en nature 76). Mais on peut se demander aussi si les domaines des nobles - qui avaient 'été particulièrement favorisés par Darius après sa victoire sur Gaumata 77) - n'étaient pas les seuls à profiter de cette exemption, et si en revanche les petits paysans perses, plus ou moins dépendants, ne devaient pas verser un tribut en nature sur leurs productions agricoles et pastorales. Une fois rassemblés par le fisc, ces 71) Voir les kurta! originaires de Turmirya, rapprochés par Hallock, PH, p. 29 des Termiles d'Hérodote, 1. '73. Voir aussi (pour la Babylonie) Cardascia, MtIt'aIii, p. 92, n. 3. (Dans la stèle trilingue de Xanthos, "Lycie" est rendu en lycien par "Termisa" et en araméen par "Termila" (voir publication dans CRAI, '974, p. 8293, IIj-I2j, 132-149) - ce qui justifie le rapprochement opéré par Hallock, et confirme la qualité de la documentation asianique d'Hérodote). 72) C'est la thèse de V. O. Tyurin, VDI, '9j '/3, p. 21. 73) Voir Quinte-Curee, V. j. j-24 et Diodore, XVII. 69. 2-8: des Grecs déportés par les Rois travaillent dans des 'ergastules' près de Persépolis; ils ont épousé des femmes indigènes dont ils ont eu des enfants (Quinte-Curee, V. j. Ij). 74) Voir les avantages accordés aux femmes kurtal qui viennent d'accoucher (VDI, '973/3, p. j, '4 et 22). 7j) Voir Hinz '972, p. 289-290. 76) Ainsi Dandamayev dans Beitrage Ztlt' Achamenidensgeschichte (ed. G. Walser), Wiesbaden (1972), p. 43. 77) Id., Persien, p. 204 et 210-214.
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ovins et caprins sont gérés comme les troupeaux royaux: ils sont confiés à des bergers royaux (PFT, 2008, 2025) et peuvent être distribués sous forme de rations.
4. La Babyloni« achlmlnide De tout temps les temples babyloniens (l'Eanna d'Uruk, l'Ebabbara de Sippar etc.) ont géré de vastes terroirs agricoles et d'immenses troupeaux de gros et de petit bétail. Ces troupeaux étaient administrés par des 'préposés aux troupeaux' (rab biili) (on en connaît trois à Eanna), sous les ordres desquels on trouve les éleveurs (ndqidu) spécialisés soit dans le gros soit 'dans le petit bétail, de nombreux bergérs étant chargés de la garde des bêtes lorsque celles-ci paissent dans la steppe. On estime qu'à l'époque de Cambyse 150 éleveurs s'occupaient de 150000 têtes de petit bétail du temple d'Eanna. Tel éleveur administre par exemple un cheptel de 500 boeufs et de 20000 têtes de petit bétail; tel autre: 2050 moutons et chèvres 78). Ces troupeaux étaient marqués à l'emblème du dieu ou de la déesse: une étoile par exemple pour les bêtes appartenant à la "maîtresse d'Uruk", c'est à dire Ishtar 70). Les troupeaux du temple sont affermés aux éleveurs. Le bail englobe le plus souvent terre et troupeau: ainsi, un certain Iqisa, éleveur (ntiqidu) de l'Eanna, prend à bail 2000 têtes de petit bétail et 500 vaches adultes ainsi qu'un terrain sis à la ferme de Til-Hurasi 80). Les obligations annuelles du preneur sont de 400 kNrs (env. 60000 litres) d'orge, 1 boeuf sans défaut (?) et 10 moutons. En revanche la location d'un troupeau sans terre est rarissime: tel cet éleveur qui prend à ferme 2050 moutons et chèvres contre un fermage en nature (croît et laine) 81). Pendant la plus grande partie de l'année, les troupeaux paissaient en-dehors du territoire du temple, dans des pâturages, des marais et parfois dans des prairies, qui appartenaient au temple lui-même ou 78) Voir San Nicola '948, p. '84-1. 79) Ibid., p. '89' 80) Ibid., p. '78-'84. 81) Ibid., p. '9"
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au Roi 82). On connaît aussi l'existence d'étables et de bergeries situées à l'intérieur du domaine sacré ou à proximité immédiate: y était rassemblé gros et petit bétail, soit à l'occasion de la tonte soit avant les grandes fêtes. Un personnel important y était employé 8.a). Le temple devait pourvoir également à la nourriture et à l'entretien de troupeaux royaux 84). Le contrôle de l'administration du temple était très sévère et très tâtillon, Chaque année avait lieu une inspection (amirtu) des personnels dépendants et des biens, donc des troupeaux. Le cheptel était recensé minutieusement d'après la race et l'âge. Ces recensements servaient de base à l'établissement du montant des fournitures en nature à verser au temple 85). Les éleveurs devaient faire des déclarations écrites en cas de mort de bêtes à eux louées - ne fût-ce que pour un bélier ou quelques volailles a.). L'administration du temple était elle-même contrôlée et même coiffée par des fonctionnaires royaux, surtout à partir de la conquête achéménide (538) qui marqua un accroissement considérable de la main-mise du Roi sur les temples et sur leurs biens 8'). Souvent les esclaves du temple s'occupaient du bétail appartenant au roi; ainsi un certain Bel-Brech est envoyé tondre les moutons du Roi: il doit le faire consciencieusement et faire parvenir la laine au palais 88). Les temples doivent verser au Roi ou à ses administrateurs des prestations en nature, dont des moutons: pour ne prendre qu'un exemple, l'Banna devait approvisionner 3 fois par mois le "panier du Roi" qui comptait entre autres produits une brebis engraissée 89). Les renseignements tirés des baux privés ne modifient pas le tableau général. Les troupeaux comprennent des ovins et des caprins, les 8.) nu; p. '7783) p.•86. 84) Voir M. Dandamayev, "Temple et Etat en Babylonie" (en russe), VDI 1966/4, p. '7-39: ici, p. 30. 8l) San Nicola '949, p. • 88-3°6 (p. 3°4-3°6: décompte du cheptel bovin) et '95', p. "9-13' (recensement d'une basse-cour), 86) Id. '9l4, p. 311-317. 87) Dandamayev, VDI 1966/4, p. '7-39' 88) Ibid., p. 3°-31. 89) Ibid., p•• 6.
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premiers étant de beaucoup les plus nombreux (cf. 1. J.). L'effectif moyen est de 300 à 500 têtes avec un maximum de 1333 bêtes. Le preneur doit faire paître et soigner les bêtes, une perte fortaitaire de 10% du troupeau étant admise. Il doit fournir annuellement au bailleur le croît et divers produits (laine, lait, peaux ... ). Il est intéressant de noter que le croît est fixé à 2'3 pour les brebis, à 100 % pour les chèvres 90).
III. Produits et utilisations La représentation de la délégation cilicienne (?) (cf. 11. 1) sur la Frise des Tributaires rend bien compte que la peau et la laine constituent deux produits particulièrement prisés par l'Etat. Il faut y joindre les produits laitiers (dans une mesure minime) et surtout la viande pour l'alimentation et les sacrifices. 1. Il ne fait pas de doute que le travail de la laine constituait un débouché essentiel de l'élevage ovin: plusieurs textes soulignent par exemple la renommée de certains centres lainiers d'Asie Mineure (Milet, Sardes). L'importance du travail de la laine en Mésopotamie ancienne est également bien attestée 91). Les baux privés donnent des renseignements précis sur la productivité: on sait en effet que pour chaque mouton loué, le preneur devait fournir annuellement au bailleur un poids d'une mine et demi de laine, soit 0,760 kg 92). Dans les contrats passés par les administrateurs des grands temples, les quantités de laine à fournir étaient fixées avec une précision moindre 9S): ainsi, une tablette récapitulative de l'Eanna (535(4) nous apprend que 66 éleveurs, qui avaient loué II pz têtes de petit bétail doivent fournir 90) Baux analysés par Cardascia, op. sit., p. 148 (un bail est traduit p. 1j6); égaIement J. Augapfel, op. cit., p. 82-86. 91) Voir L. Oppenheim,jCS 21 (1967), p. 244-245. D'une manière plus systématique, voir synthèse dans C. Zaccagnini, Le terhnirhe et le srien"e, dans /' Alba del/a Cioi/tà (ed, S. Moscati), Torino (1976), p. 343-356. 92) Augapfel, p. 85-86: jj6è de mine (0,420 kg) de poils par chèvre. Le poil de chèvre était surtout utilisé pour la fabrication des tissus grossiers et des cordages (L. Oppenheim, art. cit., p. 245). 93) San Nicola 1954, p. 3 p.
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8670 kg de laine et 784,5 de poils de chèvres 04). L'administrateur royal chargé des domaines et taxes royales s'occupait également de la tonte, pour laquelle il y avait des travailleurs spécialisés OS), et de la laine: ainsi, ce n'est qu'après la tonte que le berger principal d'Eanna doit abattre les moutons et chevreaux à livrer à la table royale en 528 00). La laine est stockée dans la "caisse du Roi", et celui-ci peut, s'il le désire, y prélever des dons en nature "). L'intérêt marqué des administrateurs royaux pour la laine babylonienne tout autant que le grand nombre d'ovins en Perside rendent surprenante l'absence de toute référence à la laine dans les tablettes de Persépolis. Il est pourtant probable que les kt/rIa! recevaient des allocations de vêtements 00), tout comme les travailleurs royaux en Mésopotamie depuis le 3è millénaire 00). Les Perses eux-mêmes portaient des vêtements de laine 100). L'absence de fourniture de laine aux dépôts royaux 101) paraît d'autant moins explicable que les fournitures de peau.x sont fréquentes (voir ci-dessous), et que laine et peaux sont souvent prélevées ensemble par l'administration (voir les baux babyloniens). Il est vrai qu'il faut tenir compte également du fait que la tonte et le dépouillage des bêtes constituent deux opérations chronologiquement distinctes 102): cette lacune est donc peut-être due au hasard des découvertes 103). Il serait d'ailleurs fort étonnant, voire in94) Ibid., p. 363-365. 95) Id. 1948, p. 28 5-287. 96) Dandamayev, VDI 1966/4, p. 26 et n. 90. 97) Ibid., p. 34: Nabonide, dernier roi de la dynastie néo-babylonienne, donne 30 kg de laine pour confectionner les vêtements du dieu Shamash. 98) Des gloses araméennes à 3 tablettes (PFT, 857, 858, '587) font référence à des "articles de ravitaillement et d'habillement ('ptt')": Dandamayev, VDII973/3,
p.
II.
99) Cf. 1. J. Gelb,jNES 24 (1965), p. 230-243; rations de laine: Jacobsen, AJA 57 (1953), p. 127 (Ur III); J. D. Simmons,fCS 13 (1959), p. 109 (Diyala); à Mari: Bottéro, ARM VII, p. 1°5-106. 100) Strabon, XV. 3. 19. 101) Il faut d'ailleurs souligner qu'une partie du tribut en nature pouvait être versée au Grand Roi sous forme de laine (Strabon, XV. 3. 21). 102) Pour les troupeaux royaux de Lagash, v. 24°°-235°, voir les textes sans équivoque produits par M. Lambert, RAss., 51/3 (1957), p. 141-143. 103) Voir en ce sens R. T. Hallock, Orientaiia 42 (1973), p. l'3: "The workers Il
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explicable, que l'organisation étatique de l'élevage n'ait pas son couronnement dans l'existence de grandes manufactures royales telles qu'on en connaît par exemple en Crète minoenne 104) ou en Mésopotamie 10"): ce d'autant que l'activité de nombreuses manufactures, peuplées de nombreux ouvriers et de nombreuses ouvrières (kHrtaf), est attestée en Perside achéménide 106). 2. Par ailleurs, 17 tablettes (PFT, 58-74) montrent que les administrateurs royaux devaient faire livrer chaque année des peaux d'animaux (ovins, caprins, bovins, chameaux) dans certaines Trésoreries où elles étaient traitées et travaillées. Le décompte partiel en notre possession porte sur 191 (+ x) têtes de petit bétail dont: 30 boucs, 67 chèvres, 29 béliers, 39 (+ X) brebis, 4 agnelles et 22 moutons (indéterminé). Les baux privés babyloniens prévoient également la fourniture de peaux: pour chaque bête morte, le preneur doit donner au bailleur une peau et 2 sicles et demi (0,024 kg) de tendons 107). De même pour les éleveurs de moutons des temples: tel éleveur doit livrer par exemple en 527/6 1000 peau.'C d'animaux gras 108); une autre tablette 100) fait état de la livraison de deux lots: le premier comprend 1364 peaux de béliers et de brebis, 600 - agneaux et agnelles, 13 - chèvres adultes, 16chevreaux et chevrettes (total: 1993); le second: 70-brebis, 74agneaux et agnelles, 6 - chèvres adultes (total: 150). 3. En revanche, les mentions des produits laitiers sont plus rares. Seuls les baux babyloniens nous donnent quelques indications à ce had to be clothed; presumably records of clothing issuance formed ail or part of another archive". 104) Voir J. T. Killen, "The wool industry of Crete in the last bronze Age". Annuals of the British Scboo! at Athens, 1964, p. 1-14; également L. Bodart, "Les ressources des palais mycéniens de Cnossos et Pylos", Les Etudes dassiqlles, XLVI [ (1977), p. 31-42. 105) A Sumer, voir: H. Waetzoldt, Untersllçhllngen ZIIr nellsllmer;sehen TextilindNstrie, Roma (1972) - Pour Mari, voir les interprétations et hypothèses de J. Silva Castillo, "El ganado ovino en los textos de Mari. Problemas metodo16gicos", Estudios Orientales, 9 (1974), p. 45-60. 106) Voir Hinz 1972, p. 266-269. 107) Cardascia, p. 148 et Augapfel, p. 86. 108) San Nicol6 1954, p. 359-360. 109) Ibid., p. 360-361.
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sujet. Les produits laitiers constituent parfois une livraison à fournir par le preneur, en sus du principal (croît et laine). Il ne s'agit pas de lait en général, car il ne pouvait pas être conservé ni transporté, surtout si les pâturages se situaient à une certaine distance du temple ou de la ferme. Il était donc probablement consommé en partie par les bergers eux-mêmes. Une autre partie était transformée en beurre (?Iait caillé?) et en fromages, livrés au bailleur à raison de t qa (0,84 litre) de beurre (lait caillé) pour 100 brebis, et d'I fromage pour chacune, ce qui est fort peu 110). 4. La majeure partie des tablettes de Persépolis ont trait à des distributions de rations alimentaires de toute nature: céréales, farine, vin, bière, animaux (ou portions d'-). Une tablette récapitulative partielle (PFT, 2.007) fait état du recensement, par un berger en chef, de 16843 têtes de petit bétail, dont 8653 ont été consommées sous forme de rations pour l'année 17 de Darius. On nourrissait en effet environ r 5°0 travailleurs par jour à Persépolis 111): il faut y ajouter les courriers, les transporteurs, les kurtaf agriculteurs et éleveurs, les fonctionnaires de tout rang, la maison royale et les maïsons princières, l'armée .... Il ne fait pas de doute que la viande constituait un élément important voire essentiel de l'alimentation des Perses, au moins de la classe dominante-v"), En règle générale, les kurtaf reçoivent du grain, du sésame et de la bière (ou du vin). Une minorité d'entre eux seulement sont pourvus de rations de viande de mouton; y avaient droit les artisans qualifiés et les chefs de groupe 118): ainsi 5 femmes qui dirigeaient des escouades dans cinq villages (PFT, 1790)' Une autre tablette (PFT, 1791) indique que 1634 moutons ont été distribués pour 5 mois à des artisans de Persépolis; les rations individuelles sont inégales: % de mouton, %, 1l0) Voir Cardascia et Augapfel, IeG. GIt. Ill) G. C. Cameron,fNES '9l8, p. '7Z, n. 'l'. 111) Strabon, XV. 3. 18-19: "en temps ordinaire", les jeunes Perses de l'aristocratie reçoivent pour leur nourriture "un pain, une galette de froment, du cresson, du sel en grain, et un morceau de viande rôtie Ou bouillie". "... On aime en Perse les repas somptueux: dans ces repas, il y a toujours grande quantité et grande variété de viandes; on y sert même quelquefois des animaux entiers". "3) Dandamayev, VDI '973/3, p. '3·
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'!oè, '!.è, '!"è. Les 'lads' des écuries royales et princières ont droit à r mouton pour ID hommes (PFT, 1793). Les courriers royaux font eux aussi partie des allocataires, bien que l'essentiel de leur alimentation soit fournie sous forme de farine (PFT, r j7Z, r j73, ZOj7). Les travailleurs ont droit parfois à des rations supplémentaires: il est question une seule fois de viande (PFT, 1794). Les hauts fonctionnaires reçoivent des 'rations' tout à fait exceptionnelles. Une dizaine de tablettes font référence à des fournitures de moutons à l'intendant Farnak; les bêtes sont prélevées dans différents élevages de Perside (PFT, 654-663): ce très haut personnage a droit en moyenne à 2 brebis par jour, auquelles s'ajoutent 9 marris de vin (env. 75,5 litres) et 18 bar de farine (soit. IZO à 180 fois la ration normale: 0,84 à 1,2 litre 114). Son collègue Ziâsawis a droit à 1,5 mouton! jour (PFT, 678). Il s'agit plus de rétribution que de rations: il est probable en effet que ces hauts personnages nourrissaient les gens de leur suite 115). La cour et l'armée sont elles aussi d'énormes consommatrices. La princesse Rtastürâ (Artystone) est par exemple gratifiée de 100 moutons royaux par le Roi en avril 503110). Les dizaines de milliers de têtes de petit bétail conduites (à une date inconnue) de Persépolis à Suse (PFT, 1442) sont probablement destinées aux besoins de la Cour alors en résidence dans la grande capitale administrative de l'Empire. Des réquisitions brutales et énormes de produits alimentaires par l'armée pouvaient même faire grimper le prix de ces produits 117). Les temples sont eux aussi soumis à réquisition pour la "nourriture royale". Ainsi, les bergers de l'Eanna reçoivent l'ordre d'amener 200 agneaux de lait et chevreaux pour la table royale dans le palais de la ville d'Abanou; quelques jours plus tard, ordre est donné de livrer à Abanou, après la tonte, les moutons et chevreaux du temple, afin de les égorger pour la table royale 116). Ibid., p.•0 et Hallock, PFT, p. '3. 115) Hallock, ibid. 116) jNES, l (194')' p. ,,6. 117) Hallock,jNES, '9 (1960), p. 94-95· 118) Dandamayev, VDI 1966/4, p.•6. 114)
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5. Il faut enfin ajouter les animaux sacrifiés chaque année pour les dieux: cette rubrique se confond d'ailleurs dans une certaine mesure avec la précédente, car la chair des victimes, en tout ou en partie, étaient répartie entre les prêtres et les participants 119). Plusieurs tablettes de Persépolis font mention de fournitures en nature à des prêtres: grains et vin (PFT, 336-351), mais également des moutons, fréquemment acquis d'ailleurs par les prêtres en échange d'une allocation de grains (PFT, 362, 363, 364, 367, 376). On sait par ailleurs que des distributions régulières avaient lieu: ainsi, les mages chargés de la garde du tombeau de Cyrus à Parsagades recevaient un moutonf jour, une allocation de farine et de vin, ainsi qu'un cheval à sacrifier chaque mois à Cyrus 120). De même, les rois de la dynastie néo-babylonienne donnaient parfois des animaux (et autres produits) à des temples pour les sacrifices 121). Il faut souligner que certaines fêtes et sacrifices requéraient d'énormes quantités d'animaux. On pense ,par exemple aux 1000 boeufs immolés par Xerxès à Pergame 122). La fête du Nouvel An consommait certainement aussi des milliers d'animaux en sacrifices et festins 123). Lors des funérailles d'Hephestion à Babylone (324), "Alexandre fit sacrifier dix mille victimes variées et régala splendidement l'assistance" 124). En 317, le satrape Peukestas, alors à Persépolis, offrit un grand sacrifice et, pour ce faire, "fit venir en abondance de presque toute la Perse des victimes et ce qui était utile pour le banquet et la fête religieuse, et il régala l'armée" 125). Dans les temples babyloniens, la charge d'administrateur du "troupeau du sacrifice régulier" se transmettait dans la même famille de génération en génération. Les effectifs de ce cheptel atteignaient des 119) Pour là Perse, voir Strabon, XV. 3· q. IZO) Id. 3, 7, et Arrien, .Anab., VI. 29· 7. IZI) Dandamayev, VDI, 1966/4, p. 33-34. (profond changement avec Cyrus:
p. 37)' IZ2) Hérodote, VII. 43. IZ3) Voir, à une époque antérieure en Babylonie, R. Labat, Le caractère religieux
de la royaaté assyro-babylonienne, Paris (1939), p. 160 sqq. IZ4) Diodore, XVII. 11 5. 6. IZ5) Id., XIX. 22. 1.
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chiffres importants: ainsi, en 53 8/7, Sûzubu, administrateur du-dit troupeau à l'Eanna d'Uruk, pouvait recenser 7°36 moutons et 19 boucs adultes 126).
IV. Cane/usions et perspectives Le court essai de synthèse proposé ici aura convaincu peut-être les spécialistes de l'élevage ovin de l'intérêt considérable des archives des temples babyloniens et surtout de celles de Persépolis. Beaucoup de travail reste à faire, qui ne pourra être mené à bien que par une collaboration interdisciplinaire 127). J'espère seulement que cette contribution ouvrira la voie à des études plus fouillées qui, sans doute, remettront en cause certaines des interprétations que j'ai cru pouvoir proposer ici. En même temps, cette documentation revêt une importance primordiale pour les historiens des sociétés asiatiques. Beaucoup de points importants ont déjà été dégagés par M. Dandamayev dans plusieurs études récentes que j'ai abondamment utilisées. Ce qui me frappe surtout, c'est qu'une analyse ponctuelle comme celle-ci corrobore et précise les conclusions que l'on peut tirer par ailleurs sur le rôle du Roi et de l'Etat -largement confondus - dans la vie économique de l'Empire 128). Il ne fait pas de doute que l'élevage en constitue un élément très important, que ce soit dans les transports ou dans l'agriculture (labours et élévation de l'eau) 129). Les archives montrent que les produits de l'élevage jouent un rôle important dans la reproduction physique de la force de travail rassemblée par les Rois en Perside ou contrôlée quasi-directement dans les temples babyloniens. L'importance des troupeaux livrés à l'armée et offerts en sacrifice révèle corn126) San Nicola 195I, p. 139-145. 127) Cf. Hailock,JNES 19 (1960), p. 90. 128) Sur le contrôle de l'eau par l'administration achéménide, voir mon étude
dans Rec. Soc.], Bodin, t. 4I/ I: Communautés rurales. Antiquité. 129) Dans les baux babyloniens, figurent parfois les instruments d'élévation et les boeufs dressés à les faire fonctionner (Cardascia, op. eit., p. 132, n. 1; p. 154- 5, 178 etc.), Sur l'utilisation de boeufs dans les paradis achéménides, voir Elien, Nat. An., VII. 1. .
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ment et combien cette production tenait une place focale également dans la perpétuation de la domination militaire et dans la reproduction idéologique du pouvoir impérial. Par là-même, on revient au problème théorique essentiel que constitue l'articulation dialectique forces productives/rapports sociaux/idéologie 130). Dernier problème (lié au précédent): à partir de quel(s) modèle(s) les Achéménides ont-ils créé de toutes pièces en Persidejf'ârs un élevage d'Etat aussi hiérarchisé et aussi minutieusement organisé? Il est évident que les pages précédentes ne peuvent suffire à elles seules à résoudre un problème qui, par ailleurs, dépasse largement le cadre même de l'économie pastorale. Pourtant, une étude partielle comme celle-ci suggère un élément de réponse, qui peut s'énoncer en une formulation double: a) nonobstant les importantes modifications apportées en Babylonie par la conquête perse au régime des terres 131) et les restrictions imposées à l'autonomie des temples 132), on peut admettre que - globalement - les Achéménides ont repris à leur compte et à leur profit des structures anciennes de production et de transformation; b) en ce qui concerne le Fars, le problème se pose, me semble-t-il, en des termes bien différents. N'est-ce pas en effet plutôt un 'modèle mède' qu'aurait copié les créateurs de l'élevage d'Etat 133)? En tout cas, plusieurs indices conduisent à penser qu'un élevage de ce type existait déjà en Médie avant la création de l'Empire achéménide: - c'est en Médie que se trouvent encore les plus grands haras royaux à l'époque perse: on y élevait des dizaines de milliers de chevaux aux qualités exceptionnelles, et, selon toute probabilité, cet élevage était conduit sur des techniques de reproduction très élaborées 134). 130) Cf. mon étude dans la Table Ronde de Besançon 1977: Les idéologies religieuses (sous presse). 13') Voir M. Dandamayev, "Die Lehensbeziehungen in Babylonien unter den ersten Achâmeniden", Festschrift W. Eilers, Wiesbaden (1967), p. 37-42. 132) Id., VDI 1966/4, p. 17-39. 133) Ce qui n'exclut pas les influences mésopotamiennes par l'intermédiaire mède. 134) Voir surtout la précision donnée par Strabon (XI. 13.7): "cinquante mille juments".
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Cette race conserva toujours l'appellation de "race mède, appelée nésaéenne" 135) du nom d'une vaste plaine, le Néséon 136), située entre Behistoun et Ecbatane 137). S'étendait là une immense pâture remarquablement propice à l'élevage chevalin 138). On doit souligner l'intérêt d'une remarque de Strabon 139) qui écrit: "Rappelons aussi que l'herbe qui nourrit le mieux les chevaux est connue chez nous sous le nom spécial d"'herbe des Mèdes" parce-qu'elle croît en abondance chez eux". Enfin Polybe 140) --- qui écrit au IIè siècle avant notre èrenote de son côté: "Ce sont les Mèdes qui, à cause de l'excellence de leurs pâturages, ont la charge des haras royaux". JI paraît donc évident que les Achéménides ont repris à leur compte l'organisation mède de l'élevage chevalin - fréquemment cité dans les PFT 141) - et que ce secteur de la production a conservé probablement un vocabulaire technique et un personnel d'origine mède 142); - d'autre part, la légende de Cyrus rapportée par Hérodote rend compte qu'un élevage bovin existait également dans le royaume mède et que cet élevage était également contrôlé par l'administration royale. En effet, le bouvier Mithradatès, à qui est confié Cyrus, est "un des bouviers d'Astyage" 143): Hérodote caractérise son statut sous l'appellation d' "esclave" (dou/os) 144), terme qui, dans le contexte, renvoie
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135) Hérodote, Hl, 1 5. '36) Id., VII. 40. 137) Diodore, XVII. 110. 6. 138) Strabon, XI. '3· 7. 139) Ibid. '40) X. 27. 1. 141) Voir en particulier PFT, '793: distribution de rations (de moutons) aux "lads" chargés des chevaux et mules du Roi et des princes à Karakusan. Les mentions de chevaux sont particulièrement nombreuses dans les textes traitant de rations délivrées à des animaux (Hallock, Evidence, p. 29). Sur l'importance des chevaux dans le système de la poste achéménide, voir Hallock, PFT, p. 6-7. 142) Cette hypothèse - tirée de l'examen des sources classiques - ne pourra être éventuellement vérifiée que par une étude onomastique menée par des spécialistes. (Je pense en particulier aux études de M. Mayrhofer). Notons ici cependant que la forme aspa- (cheval) est mède: "C'est vraisemblablement la célébrité des "(A. Meilletchevaux mèdes qui a introduit aspa- dans le vocabulaire perse E. Benveniste, Grammaire du vieux-perse, 193 r , p. 9)' 143) Hérodote, 1. 110. 144) Ibid. et 114.
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au régime de la "dépendance". Par ailleurs, Mithradatès n'est pas un simple berger: il a sous ses ordres plusieurs bergers qui "mènent paître les troupeaux" 145). Ces troupeaux royaux sont disséminés dans toute la Médie, et leur localisation est enregistrée, semble-t-il, au niveau de l'administration centrale 146). Des districts d'exploitation devaient être définis autour de "villages" comprenant habitations pour les bouviers royaux et étables pour les troupeaux 147). Voilà donc une organisation qui suggère un rapprochement avec l'économie royale de Pers ide, et qui s'oppose en revanche à un autre type d'élevage pratiqué chez certaines tribus perses, tels les Mardes de Perside, puisque, selon une autre légende du fondateur, la mère de Cyrus élevait des chèvres et que son père s'était fait brigand, "poussé par la pauvreté" 146). C'est pourquoi, on peut supposer que c'est au temps de la domination mède que remonte l'origine de l'élevage royal achéménide 149). 14j) 1. 1I3. 146) Cf. 1. 110: "Cela dit, Harpage envoya aussitôt un messager à celui des bouviers d'Astyage qui, à sa connaissance, faisait paître ses troupeaux dans les pâturages les plus convenables pour son dessein ...". 147) 1. 1I4. 148) Apollodore de Damas, dans Jacoby, Die Fragmente der Griecbiscber Historiker, n° 90, F66. 3. 149) Sur le problème plus général des influences mèdes sur l'organisation étatique achéménide, voir J. Harmatta, "The tise of the Old Persian Empire. Cyrus the Great", AAH 19 (1971), p. r-r j •
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CONQUtTE TERRITORIALE ET STRATÉGIE IDÉOLOGIQUE: ALEXANDRE LE GRAND ET L'IDÉOLOGIE MONARCHIQUE ACHÉMÉNIDE
Contenu: Introduction, 37. 1. Conduite de la guerre el idéologie de la paix, 40, A, Main-mise d'Alexandre sur la terre royale ct le. dépendants ruraux. 40. B. Souveraineté territoriale et justifications idéologiques, 42, 1. Les contradictions d'Alexandre, 42, 2, La pro' c1amation d 'Arsitès, 43. C. Contre-offensive idéologique macédonienne, 45. 1. Conquête et respect du pays et des habitants, 45, 2, La condamnation portée contre Arsarnès de Cilicie, 46. 3. La disqualification idéologique de Darius. 47. D. Ampleur et persistance du débat idéologique. 49. E. Conclusions. 50. II. Guerre, religion et légitimité, 51. A. L'échange de lettres après Issos, 51. 1. Problèmes, 51. 2. Le débat sur la souveraineté, 52. B. Les justifications idéologiques d'Alexandre, 53. 1. Le principe de la victoire. 53, 2, La protection d'Ahurah-Mazdah el des autres dieux, 55. 3. L'illéguimué de Darius III; le principe dynastique, 60. a. Refus de légitirnué à Darius, 61. b. Accent porté sur les droits d'Alexandre, 61. c, Respect pour les coutumes perses. 63, III, L'affaire de Persépolis, 64. A. Sources et problèmes, 64. B. Alexandre el Cyrus, 66. l , Propagande dynastique. 66. 2. Pasargades et l'investiture royale. 69. 3. Rallachement à Cyrus. 71. 4. Pasargades, lieu de l'investiture royale. 72. e. Les résistances en Perse: l'échec d'une strategie idéologique. 13. 1. L'insuffisance du prétexte pan-hellénique, 73. 2. L'idéologie royale et l'idéologie impériale. 74. 3. L'impovtibihté du consensus uJéoln~ gique, 76. 4. L'échec et la décision finale. 7.9, D. Les lendemains de Persépolis, RI
Introduction
Dans son opuscule bien connu, Sur la Fortune d'Alexandre, Plutarque écrit d'Alexandre: "Pendant qu'il soumettait les corps (rri'JILiXTiX) par les armes, il s'attirait les coeurs ('~uxoc[) par sa manière de se vêtir" '. Ce faisant. Plutarque exprime une réalité qui s'est imposée à tous les fondateurs d'empire dans l'histoire, comme le montre également cette phrase d'un des premiers théoriciens français de l'expansion coloniale féru d'antiquité: "C'est ainsi 1
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3S que Rome étendit sa domination sur le monde entier. par l'épée, sans doute, mais surtout par 1;1 colonisation. qur lui fournit des bras pour soutenir l'épée ct de" coeurs pour animer ces brus" ". Magnifiques racrnurcrs sur la Iillll'tloU de l'idéologie impérialiste au cours des conquêtes! Tout conquérnnt dnlt accompagner la victoire des armes d'une offensive idéologl(lUl' propn' ;'1 lui attirer les énergies ou la bonne volonté des peuples conquis, C'est 1:'1 un problème devant lequel s'est trouvé placl' Alexandre dès .\.14 (ct même avant), ct le problème ne sc réduit pas, comme le suggère Plutarque. :\ l'adoption de la "rohe mède", L'empire achéméuid« l'tait en efret une Immense coust ruet ion l'la t Iq uc. l'nusllt ué de nom breux pa ys dnnt chacun (1 'gypll', Hnhylonic cic.) conservait des tr.uliuous spécifiques cxtrênn-mcnt vivantes. Il ne fait pas de doute que l'id épingle royale et impériale achérnénidc rcprésentait l'élément unificateur ct fédérutcur ess~'nti;d autour d'Ahurah·M;i7(lah ct du Grund Roi, et que l'ctlicacc de cette idéplogic l'tait encore très IHlis~;ant en 334 ", On a déjà Iréqucmuicut analysé les tcnr.uivcs t:Jill's p:lr Alexandre, surtout ;'J partir de ,no, ppur s'assurer la collabor.nion cllccuvc de laristorr.uic irunicnnc. On a fréquemment souligné également la volonté du conquérant de s'attirer les faveurs des dieux locaux <, l'ar suile sans doute. ;IU morus en partie, d'une coupure dépassée entre l'histoire de l'Orient achhnl'l1idc ct l'histoire de l'Orient hellénistique n on s'est beaucoup moins penché sur la récupération g l o b a Ic par Alexandre de l'idéologie royale achl'ml'nl(!c dans SOli ensemble organique: ce processus n'est pas réductible ;'1 l'; If Lure (importante) de la prosk ynèsc. C'est :'1 l'examen de cc problème qu'est consacrée l'étude qUI suit. "Ik est organisée autour de deux thèmes: comment Alexandre, bien que conquérant ct chef de guerre, a-t-il tenté de récupérer ;'J son profit le t hcmc IdéolOt~I(IUe central de la défense de la terre ct des paysans'! Ou.md ct sclou quelle» nHlll:ihtés a-t-il prétendu :'1 l'ensemble des justifications idéologiques de la sOllverallll'lé nchéménidc sur l'Asie? L'élude débouche sur un récxnrncn de l'afl.urc de l'ersépolis, dans la mesure oit l'elle-ci constituc la l'OIS le point d'ahoutissl'mcut d'un processus de récupération entamé dès mai 334, ct un échec part icl de la stratégie de récupération globale des attribut» idéologiques du Grand Roi. l'our aborder l'analyse sur des hases concrètes, il convient dès l'abord, de souligner la position spécifique d'Alexandre parmi les conqérauts anciens de l'ASie. L'uléologic impériale achérnénide est le résultat de symbioses et de syncrétismes nombreux entre l'héruugc iranien ct les apports mésopotamicns: qu'on songe par exemple aux continuités extraordinaires entre l'Akl1ti méù
, M. Ra hoi S li; on: lrud« sm' Ir.\' colonies et la colonisation au reeard tif' la France, Par '" 1M77. p. 'l, Il
Là-dessus, voir mon étude l'orres productives. (M(lCl1dt1l1f'C rurulr el idroloJ:'1t"J ,'r!ij!irllw'.\· rn
Asir arhéménide, Tahle Ronde de Besançon. 11.)77 (sous presse): (lié désormais l'ln'l'C.\' productives • Cf. H. Herve: Alr xnnderreirh ...• Leipzig 192\ p. '111·'19. • Cf. P, Br i a n t, JFSHO, XVIII, t975. p. tIl7·11111 el IlHA. 11. t'm" p. 274 .
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sopotamien et le Nowruz iranien 8. Ces symbioses, explicables par l'histoire des Perses dans le Proche Orient, ont certainement favorisé les transitions et récupérations idéologiques, en même temps que la conquête accélérait symbioses et syncrétismes 7. Pour Alexandre, le problème se posait en des termes très différents. Malgré des convergences idéologiques 8, dont beaucoup sont de tous les temps et de tous les pays ("roi-bienfaiteur" par exemple), il est clair que l'idéologie monarchique macédonienne est éloignée de l'idéologie monarchique achéménide 9. Ces différences s'analysent également aux niveau des appareils d'Etat, quelles que soient les transformations très importantes introduites par Philippe II 10. Pour une part au moins, Alexandre reste en pleine Asie le roi des Macédoniens: l'armée et le roi y constituent ce que j'ai appelé ailleurs un "royaume itinérant" 11. Dès lors vont se poser des problèmes spécifiques à Alexandre. Ses attributs idéologiques, par ailleurs, sont polysémiques, puisqu'il est à la fois roi des Macédoniens et ~yefl.wv de la Ligue de Corinthe: comment intégrer les éléments achéménides sans renier ses attributs antérieurs? Ajoutons que l'idéologie impériale achéménide est ellemême polymorphique: elle a récupéré des structures pré-existantes (babyloniennes, pharaoniques ...), mais elle est également unitaire et unificatrice telle qu'elle est exprimée dans les inscriptions royales. D'où la nécessité de ne pas adopter une approche statique. Le danger est grand en effet d'isoler des éléments ou des structures qui auraient été empruntés par Alexandre: c'est ainsi que s'enlisent nombre de débats sur les origines de la monarchie hellénistique. On ne peut pas historiquement isoler une structure d'un système global de représentations idéologiques, et un système n'est pas une addition de struétures. Il convient au contraire d'étudier le problème par une approche dynamique, tel qu'il se pose en des temps et des lieux déterminés. La stratégie idéologique d'Alexandre a pu varier ou de sa propre volonté ou de par le jeu des contradictions dans lesquelles il s'est trouvé. C'est pourquoi l'étude qui suit est organisée à la fois sur une trame logique et sur une trame chronologique. Dans un premier temps en effet (334/3), les propagandes macédonienne et perse mettent l'accent sur le thème de la défense des terres et des paysans: il s'agit manifestement d'un enjeu essentiel et considéré comme tel de part et d'autre - même si ce thème est • Voir G. Gnoli: Politique religieuse et conception de la royauté sous les Achéménides, Acta Iranica, Encyclopédie permanente des études iraniennes. Premiere série: Commémoration Cyrus, I. Téhéran-Liége 1974, p. 117-190, en part. p. 122-125. , Cf. M. Dandamayev: La politique religieuse des Achéménides. Monumentum H. S. Nyberg, J, Téhéran-Liège 1975, p. 193-200. • Voir infra, p. 53 et suiv. • Cf. P. Briant: Antigone le Borgne. Les débuts de sa carrière et les problèmes de l'Assemblée macédonienne. Paris 1973, p. 316-330. •• Voir D. Kienast: Philipp Il und das Reich der Achâmeniden. Milnchen 1973. 11 Antigone, p. 348, et REA, 1973, p. 67 et suiv.
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40 encore largement présent jusqu'à Gaugamèles (331). A partir de la victoire d'Issos (novembre 333), les ambitions idéologiques d'Alexandre s'élargissent à l'ensemble des justifications du pouvoir du Grand Roi: c'est le problème de la souveraineté globale qui est posé dans la lettre de Marathos. Dans le développement de cette stratégie idéologique, l'incendie de Persépolis constitue manifestement un tournant, sur la signification et la portée duquel il convient de s'interroger. '
I. Conduite de la guerre et idéologie de la paix
A. Main-mise d'Alexandre sur la terre royale et les dépendants ruraux
Diodore 12 décrit ainsi le débarquement d'Alexandre en Asie au printemps 334: "Lui-même accosta en Troade avec soixante vaisseaux de guerre. Du navire, il jeta sa lance et l'ayant fichée dans le sol, il fut le premier Macédonien à sauter à terre déclarant recevoir l'Asie des dieux comme un bien conquis à la pointe de la lance (7tOCpdt orwv &ewv cX7terpoctveoro or~v 'Acr[ocv /l:x.ecr&oc~ /loptXT'trrov)". Nous retrouvons chez Justin 13 un écho de cette tradition: "Quand ils touchèrent au rivage, Alexandre le premier lança un javelot, comme sur une terre ennemie (velut in hostilem terram), et sauta du vaisseau, tout armé et bondissant de joie". La signification générale des gestes et des paroles ne fait guère de doute: Alexandre considère que toutes les conquêtes à venir le sont à titre définitif v, Le rite de lancement du javelot signifie en effet qu'Alexandre prend possession du sol de l'Asie 16. Ce que confirme le texte de Justin: déclarer une terre "ennemie" 18, c'est en effet lui appliquer le droit grec de la guerre 17; âmes et choses appartiennent au vainqueur lB. Cette volonté de prendre possession des terres et des personnes, Alexandre la confirme très clairement dans les semaines qui suivent. Deux textes particulièrement importants, de ce point de vue, doivent être cités et brièvement " XVII.17.2. XI.5.IO. .. Cf. mon Alexandre le Grand, 2" éd. Paris 1977, p. 37. " Voir H. U. Inst i ns k y: Alexander der Grosse am Hel/espont. Bad Godesberg 1949,p. 29-40 dont l'interprétation est cependant trop restrictive. Voir aussi H. Schmitthener: Über eine Formverânderung der Monarchie seit Alexander der Grosse, Saeculum 1968, 19, p. 31· 39. " Cf. aussi Justin, XIV.1.6. " P. Briant, REA, 1973, p. 46, note 4. " Voir par exemple Xénophon, Cyr., VII.5.73. Sur la notion de x,wpot 8oplx't'll'ro<; en Macédoine, voir l'article de B. Funck, Klio, 1978, 1. 13
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commentés. C'est d'abord, dès après la victoire du Granique, la nomination d'un satrape macédonien (Kalas) dans la satrapie de Phrygie hellespontique, auparavant détenue par le Perse Arsitès, Cette nomination était accompagnée de la déclaration suivante: ,,11 ordonna aux habitants de payer les mêmes tributs qu'ils avaient l'habitude de payer à Darius (xot! 'l'OUç q>6pouç 'l'OOç «Ô'l'OOç &7to
K1io, 1978, 1. .. Ps. Aristote, Econ., II.1.2. I l Ibid., II. 1.4 et 7. -
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historiens marxistes analysent sous le terme mode de production asiatique 27. Les inscriptions achéménides et les. représentations figurées de Persépolis marquent bien la liaison entre souveraineté territoriale et levée du tribut 28. Il y a donc une continuité manifeste et délibérée entre les pratiques des Achéménides et celles d'Alexandre.
B. Souveraineté territoriale et Justifications idéologiques 1. Les contradictioDs dtAlexandre
Ce n'est pas à ce niveau que se situe la contradiction, mais au niveau idéologique, ou, plus exactement, entre l'infrastructure et la superstructure. Dans l'idéologie impérialiste achéménide en effet '9, la souveraineté du Roi sur la terre et les personnes (et donc sur le tribut) est justifiée par un discours qui met en exergue les qualités royales de protecteur des terres et des paysans. Darius le Grand s'écrit dans une célèbre inscription: "Qu'Ahurah-Mazdah me porte aide avec tous les dieux, et qu'Ahurah-Mazdah protège cette terre de l'armée ennemie, de la mauvaise récolte (famine), du mensonge (drauga); que sur ce pays, ne vienne ni armée' ennemie, ni mauvaise récolte ni mensonge. Je le demande en faveur à Ahurah-Mazdah et à tous les dieux" 30. Le Roi doit donc lutter contre les ennemis, c'est-à-dire ceux qui menacent l'Empire sur ses frontières, mais aussi contre le mensonge (drauga) , c'est-à-dire contre les rebellions et les usurpations dynastiques 31. Mais, cette mission militaire elle même insérée dans une mission de nature religieuse - ne constitue pas un but en soi, elle a pour finalité la paix et la prospérité des campagnes a•• L'activité du Roi et la protection d'Ahurah-Mazdah doivent permettre d'assurer de bonnes récoltes, en favorisant la sécurité et la paix. Entre les deux aspects du Grand Roi, chef d'armée et protecteur des terres et des paysans, il n'y a donc pas contradiction, mais complémentarité dialectique. Dans le discours idéologique achéménide - que les textes classiques permettent d'analyser et de décrypter - le Roi est avant tout, comme Ahurah-Mazdah, le défenseur des cultures et des paysans. Cette idéologie de la paix et de la pro" Voir mon étude Communautés de base et Economie royale en Asie achéménide et hellénistique, Rec. Soc. J. Bodin, t. XLI-I; Communautés rurales. Antiquité. 1978. 28 DB, l, 19; DPe, 9 et suiv, (éd. Kent) . .. Cf. P. Briant: Brigandage, dissidence et conquête en Asie achéménide et hellénistique, DHA, II, 1976, p. 163-258, en particulier p. 185-189, et, d'une manière plus détaillée, Forces productives, passim. •0
DPd, 13.24.
•, Sur drauga, voir infra II.2.3.2. .. Textes et analyses dans Forces productives. A propos du terme otxl", dans le texte d'Arrien, cf. la dénomination que donnent plusieurs textes hellénistiques des paysans dépendants: Mol lt",vob
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43 tection avait un efficace d'autant plus grand qu'elle était en adéquation avec l'attente religieuse des masses paysannes, particulièrement en Asie Mineure 33, Face 'à un système aussi globalisant et cohérent, les justifications idéologiques d'Alexandre sont non seulement faibles mais surtout contradictoires. Comme le montrent en effet les textes de Diodore et de Justin cités plus haut, elles se fondent pour l'essentiel sur le droit de la guerre, sur la victoire militaire, sur le "droit de la lance". Nous l'avons vu, les qualités militaires ne sont pas absentes de l'idéologie monarchique achéménide 3\ mais elles sont subordonnées au devoir de la protection des campagnes et des paysans. Alexandre ne pouvait reprendre ce discours à son profit, Il ne pouvait évidemment pas non plus apparaître face à Darius comme mandé par Ahurah-Mazdah. Face au lieutenant sur terre du grand dieu achéménide, Alexandre représente bien plutôt "l'armée ennemie", le "mensonge", qui apporte la "famine", Il venait mettre en cause l'ordre impérial, et donc aussi l'ordre cosmique régi par Ahurah-Mazdah. Tel était, me semble-t-il, le problème qui se posait à Alexandre en 334: capable de prendre en main militairement les territoires achéménides et les masses de dépendants ruraux, et mis en difficulté pour justifier et donc pour asseoir ses conquêtes. D'assez nombreux textes - que je vais maintenant étudier - permettent de voir qu'Alexandre était parfaitement conscient de ces contradictions, et que la protection des terres et des paysans constitua le thème majeur d'une offensive idéologique menée par la propagande perse et par la propagande macédonienne. 2. La proclamation dtAnitès
La première manifestation de cette bataille de propagande, nous la trouvons dans la réponse faite par Arsitès, satrape de Phrygie Hellespontique, aux propositions de Memnon. Dans le conseil de guerre tenu avant le Granique par les chefs perses d:Asie Mineure, Memnon avait conseillé en effet "de faire fouler aux pieds de la cavalerie et de détruire le fourrage, d'incendier toutes les moissons, de manière à laisser Alexandre dans un pays dépourvu de tout moyen de subsistance" 35. Arsitès répliqua qu'il n'accepterait pas que "fût brûlée une seule maison appartenant à ceux qui étaient sous son administration (-t'wv 67t'0 o] 't'E't'iXYIJ.ÉVWV &.v&pùmwv)" 36, Ces paroles d'Arsitès qu'à ma connaissance on n'a jamais analysé du point de vue achéménide me paraissent extrêmement importantes. On peut discuter en effet sur le bien-fondé de la stratégie proposée par Memnon, ou sur le caractère surprenant de la tactique choisie par les satrapes au Granique 31: nul doute qu'au sein 33 Cf. Forces productives, V. " Analyse plus détaillée infra, p. 53 et suiv.
ae
Arrien, I. 12.9.
Ibid., 12.10. " Voir par exemple P. Green: Alexander of Macedon, 1974, p. 489-512. as
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du conseil de guerre, les chefs perses échangèrent des arguments fondés sur des appréciations différentes des conditions logistiques et tactiques. Mais, et c'est ce qui est précisément remarquable, Arsitès place le débat sur un tout autre terrain, à savoir sur le terrain idéologique. Image vivante du Roi dans sa province, le satrape doit apparaître en effet comme le protecteur des populations, en particulier des travailleurs des champs et donc comme le défenseur des récoltes et des habitations 38. Si, au contraire, "le territoire est improductif et mal peuplé par suite de leur dureté, des violences commises, de leur incurie, le Roi les châtie, les dépose et nomme d'autres gouverneurs" 39. La paix est un élément essentiel de l'augmentation des forces productives et du maintien de la dépendance rurale, et l'idéologie de la paix constitue un élément fondamental du système idéologique impérialiste 40. De ce point de vue, on peut considérer que la proclamation d'Arsitès avait trois destinataires: - le Grand Roi 41: le satrape montrant qu'il était respectueux de ses devoirs vis-à-vis du Roi, et au-delà vis-à-vis d'Ahurah-Mazdah, gardien de l'ordre (arta) contre le mensonge (drauga) 42; -les populations soumises, ou plus précisément les chefs des communautés. puisque Arsitès réaffirme qu'il se considère avant tout comme leur protecteur, De cet engagement, il donne des preuves puisqu'il préfère prendre des risques militaires plutôt que de mettre en péril les terres et les cultures. Cette prise de position peut donc être considérée comme un appel à résister contre "l'armée . ennemie", qui apporte avec elle ruine et destruction, la "famine" de l'inscription de Darius 1; - Alexandre et les Macédoniens enfin. Le Macédonien, on l'a vu, a proclamé dès le débarquement son droit souverain à disposer des territoires achéménides, c'est-à-dire de leurs productions, de leur tribut, et donc des populations rurales dépendantes. Or, dans le discours impérialiste achéménide, la justification idéologique de la levée du tribut, c'est la protection assurée aux travailleurs des champs. La propagande d'Arsitès visait donc à mettre à nu les contradictions d'Alexandre, qui ne pouvait à la fois apparaître comme un destructeur et comme un souverain juste à la manière des Achéménides. Cette liaison directe entre 'protection des sujets et souveraineté fut d'ailleurs très clairement exprimée par Parménion à Persépolis au printemps 330 43, lorsqu'il tenta de dissuader Alexandre de détruire le palais du Grand Roi: "Il ne semblait pas très heureux de détruire ce qui était maintenant son bien ((Xu't'ou x't1j!J.(X't'(X), et les habitants de l'Asie (c] X(X-r:X 't'~v 'Aa((Xv èlV&pW1tOL) ne seraient pas portés à le suivre, s'il apparaissait décidé non pas 38
.. .. " " ..
Cf. déjà Brigandage, p. 187, et Forces productives, III.2. Xénophon, Econ., IV.8. Cf. Forces productives, passim. Cf. Brigandage, p. 189. Voir aussi infra, II.2.3.2 . Sur J'incendie du palais, voir l'analyse menée infra, III.
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45 à tenir fermement la souveraineté de l'Asie (l«(I(-rtXE~'/ '"it; 'Aa((I(t; 't'1)'/ &PX~'/); mais simplement à la traverser en vainqueur" u. C'est bien ainsi en effet que les soldats interprétèrent la décision d'Alexandre: "Tous ceux des Macédoniens qui l'apprirent accoururent tout joyeux avec des torches, car ils pensaient que si le roi voulait brûler et détruire le palais, c'était le signe qu'il songeait à retourner dans son pays, et non à rester chez les Barbares" 46. En d'autres termes, la proclamation d'Arsitès - dont on peut penser qu'elle fut largement diffusée par les soins de la propagande perse ·18 - constituait une réponse au lancement du javelot par Alexandre: le droit de la lance invoqué par le Macédonien ne pouvait justifier ses prétentions à la souveraineté sur la terre et les personnes, Bien plus, ce faisant, Alexandre se rangeait parmi les ennemis de l'ordre et d'Ahurah-Mazdah. Par ses implications politiques, cet échange de "gestes idéologiques" annonce les négociations diplomatiques engagées par Darius après Issos, qui achoppèrent précisément sur le problème de la souveraineté impériale 47. On comprend mieux dès lors le refus opposé par Arsitès à la stratégie de la terre brûlée. Choisir la tactique proposée par Memnon, c'était avouer une défaite grave dans la guerre idéologique menée contre et par Alexandre, c'était admettre le bien-fondé des exigences territoriales du Macédonien. Le fait qu'Arsitès mette en avant cette explication de son choix prouve en outre que l'idéologie de la protection de la paix possédait encore en 334 une vertu d'efficacité tant chez les classes doIninantes perses qu'auprès des populations soumises et de leurs chefs 48.
C. Contre-offensive Idéologique macédonienne 1. Conquête et respect du pays et dei h.bitantl
Plusieurs textes montrent qu'Alexandre était parfaitement conscient de la nécessité de mener une stratégie idéologique dans 1<1 même temps qu'il poursuivait ses conquêtes territoriales - stratégie dont l'objectif était de détacher les populations asiatiques de leurs maîtres perses. Cette nécessité de faire "Ia conquête des coeurs" - pour reprendre une expression chère aux textes impérialistes anciens et contemporains 48 - Justin l'expose très clairement. Après avoir souligné en effet l'appétit de butin des soldats macédoniens 60, .. Arrien, IIU8.11. •• Plutarque, Alex., 38.6-7. 4' Il est d'ailleurs remarquable que nous ayons par Arrien un écho des discussions qui ont agité le conseil de guerre perse. 47 V. infra, II. •• Cf. Forces productives . •• Cf. supra, notes 1 et 2. •• Justin, XI.5.8-9 (9: "[00.1 tous les soldats regardaient déjà comme un butin assuré l'or des Perses et les trésors de tout l'Orient et ils ne songeaient ni à la guerre ni à ses périls, mais aux richesses").
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46 Justin 51 écrit que - lors de son débarquement en Troade - Alexandre "fit égorger des victimes et pria (les dieux), pour que ces contrées l'acceptassent comme roi de leur plein gré". Le même auteur précise également: "En marchant à l'ennemi, il défendit à ses soldats de ravager l'Asie: ils devaient - disait-il respecter leurs propres biens (parcendum suis rebus) et ne pas ruiner un pays dont ils venaient prendre possession" 52. Si l'on rapproche cette déclaration des conseils donnés par Parménion à Persépolis (o:u't"oü x't"~I.l.O:'t"o: = suis rebus), et si l'on considère qu'elle est située par la tradition à la même date que le lancement du javelot (rite de prise de possession) 53, on doit conclure que, dès le début de l'expédition, Alexandre sentait la difficulté de mener une stratégie idéologique qui était en contradiction avec sa pratique militaire. 2. La condamnation portée contre Arsamès de Cilicie
Dans cette guerre de déclarations et de communiqués, dé gestes et d'attitudes, la propagande macédonienne sut utiliser les contradictions des dirigeants perses, bientôt contraints d'appliquer une tactique (terre brûlée) condamnée par l'idéologie impériale. Nous trouvons en effet dans les textes classiques - porteurs des thèmes de la propagande macédonienne -plusieurs échos des discussions qui eurent lieu après 334 entre dirigeants perses. Il est certain - comme l'a montré l'exemple d'Arsitès - que, dans un premier temps, Darius et ses conseillers avaient choisi de ne pas adopter la stratégie proposée par Memnon. Il est non moins évident que cette décision avait été prise après de rudes discussions M. On peut juger de ces affrontements par les reproches (tardifs) faits par Bessos à Darius (défunt) 55: "II les [Macédoniens] avait attaqués dans les gorges encaissées de Cilicie, tandis qu'en reculant il pouvait les attirer, à leur grande surprise, dans une région naturellement protégée, où ils se seraient heurtés à tant de fleuves et dans les montagnes, à tant d'embuscades que, dans leur désarroi, ils n'auraient pas eu les moyens de fuir ni, à plus forte raison, de se défendre" 56. C'est effectivement la tactique de la terre brûlée que Bessos résolut d'appliquer face aux Macédoniens en 330/329 5 ' . En réalité, c'est dès avant Issos qu'un satrape perse, Arsamès de Cilicie avait choisi de s'opposer à la progression de l'armée macédonienne en repre" XI.S.ll: ,,[...1 precatus ne se regem iIlae terrae invitae accipiant". .. XI.6.1.: "militem a popuJatione Asiae prohibuit, parcendum suis rebus praefatus, nec perdenda ea quae possessuri venerint". .. Cf. ibid., 5.10. .. Sur la violenee des discussions, cf. en particulier Diodore, XVII.30.I-S (après la mort de Memnon au printemps 333). .. Hiver 330{329. •• Quinte-Curee, VII.4.3-4 . .. Arien, 111.28.8.
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47 nant le plan de Memnon 58. "Par le fer et par le feu, il dévaste la Cilicie ("Ciliciam vastat"), afin de faire le vide devant l'ennemi; tout ce qui peut servir, il le détruit, résolu à laisser stérile et dénudé un sol qu'il était incapable de défendre (sterile ac nudum solum, quod tueri nequibat relicturus)" 58. Il fit mettre le feu à Tarse, afin que l'ennemi ne s'emparât pas de cette place opulente" 60. De la sorte, la propagande macédonienne put se donner libre cours, accusant Arsamès d'être "le ravageur d'une terre qu'il devait protéger des ravages(populator terrae quam a populationibus vindicare debebat) 61, et présentant Alexandre comme le sauveur et le mainteneur de Tarse 62. Ce qui est remarquable et qui doit être souligné ici, c'est que la propagande macédonienne mène son offensive sur le terrain même de la logique impérialiste achéménide: Alexandre n'apparaît plus dès lors comme un conquérant destructeur, mais au contraire comme celui qui vient défendre les populations contre les exactions d'un mauvais satrape, c'est-à-dire un satrape dont "la dureté, les violences commises et l'incurie rendent le territoire improductif et mal pel1t>lé", et qui, en conséquence, doit être "châtié et déposé" par le Grand Roi 63. Ce qui transparaît donc dans ce magnifique morceau de propagande, c'est une mise en cause globale dela souveraineté perse: les Perses se sont disqualifiés eux-mêmes en violant leurs propres justifications idéologiques. Dans ce texte de Quinte-Curee, on voit également apparaître en filigrane un thème qui sera cher à la propagandemacédonienne, celui d'un Alexandre restaurateur de l'ordr; impérial troublé par ceux-là mêmes qui étaient chargés de le faire régner. c'était par là-même justifier ses prétentions à dominer la terre et les habitants 3. La di.quaWlcatioa id60lopque de DariUl
Ce fut bientôt contre le Grand Roi lui-même que la propagande put lancer ses accusations. Lors de l'avance d'Alexandre vers la Haute-Mésopotamie, Darius donna ordre à Mazée, satrape de Syro-Mésopotamie 64, de garder les passages du fleuve, mais également de "ravager par le fer les contrées que l'ennemi devait. nécessairement traverser't ". Darius "espérait triompher d'un ennemi qui ne possédait que le produit de ses pillages; lui, en revanche, il recevrait ses approvisionnements soit par terre soit par le Tigre" 56. Jusqu' alors en effet, les ressources du pays avaient permis au Macédonien de trouver .8 Quinte-Curee, 111.4.3: "Arsamès se rappella les conseils de Memnon au début de la guerre et décida, trop tard, d'exécuter un plan qui, plus tôt, elit été salutaire" . .. Ibid. 8. Ibid., III.4.15. I l Ibid., 111.4.5. BI Ibid. 111.4.15: ,,[... 1 urbem a se eonservatam intrat". BI Xénophon, Econ., IV.S. 8' Sur le personnage, cf. Berve, II, n° 484. f i Diodore. XVII.55.!. Il Quinte-Curee, IV.9.S.
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sur place son ravitaillement 67. L'ampleur des destructions opérées par Mazée est soulignée par les auteurs anciens. "Partout où il venait de passer, Mazée, tel un ennemi, mettait le feu [... J" 68. "Après avoir dévasté un immense territoire, celui-ci pensa que le manque de vivres le rendrait infranchissable à l'ennemi" 69. Il ne fait pas de doute que ces destructions systématiques mirent Alexandre dans une situation difficile. Aussi, "il détacha des cavaliers en observation, en les chargeant d'éteindre le feu dans les villages que les Barbares avaient incendiés; car, tout en fuyant, ils s'étaient dépêchés de jeter des brandons sur les toits et les meules à blé [...]. L'ennemi brûlant et dévastant le pays, il fallait se presser de peur qu'il ne mit le feu à toute chose avant l'intervention [des troupes macédoniennes]" 70. La décision que prit Darius de ranger ses troupes en ordre de bataille fut donc un soulagement pour Alexandre, tant il avait craint d'avoir à poursuivre les Perses "dans la solitude et le dénuement du désert" 71. D'où son calme dans la nuit précédant la bataille de Gaugamèles: "Quand Darius brûlait le sol, ravageait les bourgs, détruisait les approvisionnements, je n'étais pas maitre de moi; mais maintenant qu'il cherche la décision par la bataille, qu'ai-je à craindre?" - répond-il à ceux de ses proches qui s'étonnent de son apparent détachement 78. Si donc, sur le plan strictement militaire, la tactique appliquée par Darius mit temporairement Alexandre dans une situation critique, elle offrit en retour à la propagande macédonienne de nouvelles armes pour poursuivre son offensive idéologique. La meilleure illustration en est un passage du discours mis dans la bouche d'Alexandre avant la bataille. Parmi les arguments propres à renforcer le courage de ses troupes, le roi insiste sur la faiblesse réelle de leurs adversaires perses 78: "La meilleure preuve de leur démoralisation était qu'ils incendiaient des villes et des champs à eux, avouant ainsi que tout ce qu'ils n'auraient pas détruit appartenait à l'ennemi 74". Ce qui est non moins signifiant, ce sont les termes qu'emploie Quinte-Curee pour (dis)qualifier les destructions opérées par Mazée: "Partout où il venait de passer, Mazée, tel un ennemi, mettait le feu (quippe Mazaeus, quaecumque adierat, haud secus quam hostis urebat) 76". Ce faisant, la propagande macédonienne poursuivait un double but: d'abord, faire oublier qu'Alexandre et ses troupes survivaient en Asie des produits de leurs pillages 78. En outre et surtout, la propagande " Arrien, IlI.7.2. OB Quinte-Curee, IV.9.14; cf. 10.12-13. OB Diodore, 55.2. ,. Quinte-Curee, IV.10.ll-14. Cf. Polyen, Strat., IV.3.18. 71 Quinte-Curee, IV.9.13. " Ibid., IV.13.23·24; cf. Plutarque, Alex., 32.3. .. Cf. aussi Arrien, II.7.4-5. " Quinte-Curee, IV.14.2. " Ibid., IV.9.15. " Ibid., IV.9.8... 1...1 nisi quod rapiendo occupasset".
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menait son offensive idéologique en reprenant à son profit le discours impérialiste achéménide: c'est désormais Alexandre qui empêche les destructions 77 et qui fait tout son possible pour conserver les villages et les paysans à l'abri de la guerre 78. L'ennemi (hostis) des populations rurales, ce n'est donc plus le Macédonien, c'est Darius lui-même 79. Darius en effet a failli à la mission qu'il tenait d'Ahurah-Mazdah: protéger le territoire impérial de l'armée ennemie, de la famine et du mensonge 80. Les perspectives de la guerre idéologique étaient donc complètement renversées depuis la proclamation d'Arsitès: c'était Alexandre qui était présenté comme le mainteneur de l'ordre impérial, le défenseur des terres et des paysans, face à Darius "leur ennemi". Ce n'était donc plus seulement le droit de la lance qui justifiait les prétentions d'Alexandre à la souveraineté, c'était l'idéologie achéménide elle-même!
D. Ampleur et persistance do débat Idéologique
Dans l'historiographie antique (et contemporaine) 81 l'attitude d'Alexandre envers les populations conquises constitua l'un des thèmes polémiques les plus fréquemment utilisés. L'opuscule de Plutarque, Sur la Fortune d'Alexandre 1 82 , en constitue l'un des meilleurs témoignages. C'est une oeuvre de rhéteur, où l'on ressasse, comme dans les écoles de rhétorique, des thèmes "écoulés. C'est en cela que l'oeuvre de Plutarque est paradoxalement utile aux historiens, en ce qu'il permet de répertorier et d'analyser les thèmes majeurs (etreconnus comme tels par l'idéologie impérialiste) de la propagande. L'objectif général de Plutarque est de présenter Alexandre comme un roi philosophe venu civiliser l'Asie barbare et sauvage. Plutarque souligne la valeur exceptionelle des victoires d'Alexandre remportées malgré des difficultés majeures et des handicaps nombreux (§ 1-3). Parmi les preuves de sa volonté de civiliser l'Asie, Plutarque développe l'idée qu'Alexandre n'est pas un vil soudard. Il mène une guerre "propre": féroce envers ceux qui commettent "l'injustice", il est bienveillant envers des ennemis malheureux mais valeureux, tels Poros ou Darius et sa famille. Alexandre est donc un combattant chevaleresque, qui mène Une guerre juste et qui apporte la paix (§ 4). Le roi n'est donc pas un pillard, et en cela il se dif" Ibid., IV.10.11, ,,[...] equitesque praemisit speculatum, simul ut ignem, quo Barbaricrema-
verant vicos, extinguesent". .. Polyen, IV.3.18: [...] ori)v Xc:,p
Prace Wstoryezne 63
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férencie profondément d'autres conquérants: "En effet, ce n'était pas en brigand (ov yacp Àqtcrt"p~)(W~) qu'il avait parcouru l'Asie. Il ne voyait pas là une capture (&p7tocy!J.oc), une dépouille (Mepupov) d'un bonheur inespéré, dont il songeât à se saisir et à emporter en lambeau, comme plus tard Hannibal considéra l'Italie, ni comme auparavant les Trères avaient considéré l'Ionie, ou bien les Scythes, la Médie" (§ 8) 88. Ce texte de Plutarque a eu succès considérable dans l'historiographie d'Alexandre jusqu'à l'époque contemporaine 84, parce que l'historiographie impérialiste européenne pouvait s'y mouler sans difficulté aucune 85, et qu'elle y puisait une nouvelle autojustification. Ce que je voudrais noter ici, c'est que la démonstration de Plutarque est, peut-on dire, de nature défensive: il défend Alexandre contre des accusations de pillage de l'Asie. Cette observation conduit à penser que dès l'antiquité ces accusations n'étaient pas rares, comme le montre parfaitement le discours mis dans la bouche d'un ambassadeur scythe s'adressant au Macédonien: "Mais toi qui te vantes d'aller à la poursuite des brigands (latrones) pour tous les peuples où tu es parvenu, c'est toi le bandit (latro)" 86. Insister au contraire sur le caractère pacificateur et bienfaisant de la conquête, c'était rattacher Alexandre à l'image de Cyrus, "père de ses sujets" 87, et "bienfaiteur et non spoliateur" 86.
E. Conelastons
Tous ces textes ne laissent aucun doute, à mon avis, sur la réalité d'une guerre idéologique développée autour du théme du roi protecteur des terres et des paysans. L'existence de cette tradition ancienne prouve également que la nécessité de développer une stratégie idéologique était ressentie consciemment par Alexandre tout autant que par les dirigeants perses. Il apparaît aussi très clairement que de nombreux textes relatifs à la conquête d'Alexandre ne peuvent être compris totalement que par référence à des textes et à des réalités achéménides. Cette propagande montre enfin, a contrario, l'importance de l'idéologie dans la .construction impérialiste achéménide 89; elle montre également que dès 334 Alexandre connaissait les articulations de l'idéologie achéménide: il savait que pour lutter efficacement contre la domination du Grand Roi, il ne suffisait pas de conquérir des territoires, mais qu'il fallait Trad. V. Betolaud (Paris 1870). .. Rappelons par exemple que c'est ce seul passage que Droysen cite en référence (Hist. Hell., I, p. 690, note 4) pour "asseoir" sa démonstration relative aux "succès économiques d'Alexandre". .. Cf. Brigandage, p. 185 et 202-207. .. Quinte-Curee, VIl.8.19. " Herodote, 111.89; cf. Xenophon, Cyr., VIII.2.9. SB Xenophon, ibid.: 'l"OÜ'l"O 8t 'l"oQvo!-,'" 8ijÀov ,6'1"' .ù.PYE'l"ouV'I"6~ i""" !-'éilÀÀov li œ'P""pou!-,ivou. Sur Alexandre et Cyrus, voir infra, 111.2. s. Cf. Forces productives. Ba
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51 également non pas détruire mais récupérer les bases idéologiques du pouvoir impérial, car le maintien de la dépendance rurale - source du tribut et de la puissance - ne pouvait pas être acquis par les seuls moyens militaires, mais nécessitait également une action persuasive de nature idéologique.
II. Guerre, religion et légitimité
A. L'échange de lettres après Issos
L'analyse des contacts diplomatiques engagés entre Darius et Alexandre après Issos montre que dès cette date, Alexandre développe une stratégie qui ne prend pas en compte seulement le thème étudié ci-dessus, mais bien l'ensemble organique des éléments de l'idéologie monarchique achéménide. Dès avant la bataille, Alexandre déclara à ses lieutenants que l'affrontement serait décisif, car "le Grand Roi était là en personne"; ce qui était en jeu c'était "la domination sur toute l'Asie (Kpot't"ltrV -rijç 'Aatotç ~UfL7t,xa7)<;)" 90. 1. Problèmes
Sucees premiers contacts entre les deux rois, les sources divergent, on le sait. Le récit le plus détaillé se trouve chez Arrien: Alexandre, alors à Marathos 9t, reçut une lettre de Darius apportée par des conseillers perses 91. Alexandre répondit quelques jours plus tard par une fin de non-recevoir 98: l'affrontement devait aller jusqu'à son terme 94. Les doutes de plusieurs historiens sur l'authenticité de tout ou partie de cette correspondance procède de deux constatations: tout d'abord, d'une façon générale, il convient de se montrer soupçonneux, car les faux ont abondé dans l'antiquité, particulièrement à l'époque hellénistique 95. D'autre part, Diodore 98 affirme que la lettre de Darius lue par Alexandre devant ses conseillers était un faux fabriqué par le roi et "répondant à ses intérêts". Il ne me paraît pas utile de tG Arrien, II. 7.6. .. Ibid., II.14.1-9; cf. Quinte-Curee, IV.l.6-7. .. Arrien, II.14.1-3; Diodore, XVII.39.1 (cf. 54.1); Quinte-Curee, IV.l.7-IO; Justin, XI.12.1. Les textes s'accordent sur les offres de rançons des prisonnières perses et sur la proposition d'arrêt des hostilités . .. C'est ie sens général de la lettre-réponse d'Alexandre. .. Arrien, II.14.4-9; Quinte-Curee, IV.1.10 et 14; Diodore, 39.2; Justin, XI. 12.2. Arrien et Quinte-Curee s'accordent sur le nom (Thersippos) du messager d'Alexandre; Thersippos devait remettre sans discuter aucun point avec le Grand Roi (Arrien, II.14.4). .. Cf. L. Pearson: The diary and the letters of Alexander the Great, Historia, III [1954], p. 444. tG Diodore, 39.2.
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52 reprendre ici l'ensemble des arguments pour ou contre l'authenticité 9?t si ce n'est pour remarquer les convergences entre Arrien et Quinte-Curee. L'existence d'un échange de lettres entre. Darius et Alexandre après Issos ne peut être niée. Si, par ailleurs, des passages des lettres ont été falsifiés ou recomposés par la propagande macédonienne, cela n'enlève rien, au contaire, à l'intérêt historique de ces textes sous l'angle choisi ici: celui des thèmes majeurs de la guerre idéologique entre Perses et Macédoniens. Or, il apparaît très clairement que le débat fondamental qui se développe entre Darius et Alexandre est celui de la souveraineté sur l'Asie 98. C'est en cela que l'analyse de cette correspondance est fondamentale, car elle doit permettre de dégager les justifications idéologiques qu'Alexandre et la propagande macédonienne voulaient imposer. 2. Le d'bat lur la 101IYerllioIU
Parmi les griefs invoqués par Alexandre dans sa réponse, trois ne sont pas nouveaux: le Macédonien vient venger les destructions faites en Grèce par les ancêtres de Darius 111 99, ainsi que les attaques perses contre Périnthe et la Thrace; au surplus Darius est accusé' d'avoir fomenté le complot qui causa l'assassinat de Philippe II 100. Alexandre s'exprime donc là dans deux aspects de son pouvoir multiforme: en tant qu'~yefLw',l des Hellènes 101, et en tant que roi des Macédoniens. Il rejette toutes les responsabilités de la guerre sur Darius et les Perses 102. Par ailleurs et surtout, Alexandre réaffirme avec une autorité jamais égalée ses droits sur l'empire perse. Il exige de Darius qu'il le considère comme "le souverain (XUptOc;) de l'Asie tout entière" t et comme "le Roi d'Asie (~
et On verra essentiellement G. T. Griffith: The letter of Darius at Arrian 2.14, PCPS, 194, 1968, p. 33-48 (fausse lettre de Darius); W. B. Kaiser: Der BrtefAlexanders des Grossen an Dareios nach der Schlucht bel Issos, Mainz, diss. (dactyl.), 113 p., correspondance authentique: l'analyse de la lettre d'Alexandre est menée de façon systematique, p. 29-53. Pa Outre Arrien (II 14.7-9), voir Quinte-Curee, IV.!.7 et 1~ (débat autour du titre de roi). .. Arrien, II.14.4; Quinte-Curce, IV. 1.10-11. 100 Arrien, II.14.5; Qùinte-CuJ.:ce, IV. 1.12. lOt Arrien, II.14.4. 182 Cf. Quinte-Curee, IV.1.13: "Donc, je me défends, je n'attaque pas". lea Arrien, Il.14.8-9; cf. Justin, XI.12.2: omne regnum. lM Arrien, 11.14.9. ' toi Quinte-Curee, IV.!.14: "A l'avenir, quand tu m'écriras, rappelle-toi que tu n'écris pas seulement à un roi, mais à ton roi".
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Il franchit donc un nouveau pas: sans prendre ouvertement le titre de Grand Roi, il affirme très clairement qu'il est plus digne que Darius d'être considéré comme tel. B, Les justifications idéologiques d'Alexandre
Alexandre, en effet, ne se contente pas d'affirmer sa puissance souveraine. Il entend en démontrer la légitimité en reprenant à son compte l'ensemble organique des attributs idéologiques achéménides, à savoir le principe militaire, le principe religieux et le principe dynastique. En d'autres termes, la lettre du Macédonien ne peut pas être analysée seulement en référence aux conceptions politico-idéologiques grecques ou macédoniennes; elle ne prend toute sa signification qu'à travers l'idéologie monarchique perse lOS. 1. Le principe d. 1. rietoire
Tout d'abord, évidemment, Alexandre fait référence à ses victoires militaires: "J'ai d'abord vaincu tes stratèges et tes satrapes", écrit-il à Darius, "puis toi-même et l'armée que tu commandais" 107, A mon avis, il ne s'agit pas là d'une simple référence au droit de la lance 108. Ce qu'Alexandre veut mettre en exergue, c'est autant la défaite personnelle de Darius que la victoire macédonienne, car la propagande macédonienne entend tirer tous les profits idéologiques de cette défaite militaire, Darius - affirme ou laisse entendre Alexandre - s'est déconsidéré par sa défaite et par sa fuite, lui, Grand Roi, dont l'un des devoirs est de combattre à la tête de ses armées. La bravoure physique représente en effet une vertu royale perse fondamentale. Darius le Grand s'en enorguellit particulièrement dans ses inscriptions 108. Plusieurs textes grecs indiquent même qu'il existait une relation directe entre la bravoure au combat et le droit au titre de Roi 110. La propagande 'macédonienne ne manqua pas d'exploiter le thème de la couardise de Darius III, "homme par-dessus tout faible et incapable dans la conduite de la guerre" 111, L'existence d'une version opposée, présentant Darius comme "surpassant tous les autres Perses en bravoure" 112, confirme l'importance de ce thème idéologique et la vigueur de la bataille de propagande 118, C'est sur ce ,point que portent mes divergences avec l'analyse de W. B. Kaiser. Arrien, II.14.7; cf. Quinte-Curee, IV.1.l3: "te ipsurn acie vici", 108 Contra H. U. Instinsky: op. cit., p. 35 et suiv. 10' Voir par exemple DNb, 31-49: ,)e suis un bon combattant [oo.J, n bon cavalier [oo.J, un bon archer, [oo.J un bon javelotier". 110 Strabon, XI.l3.1; Diodore, XVII.6.1-2; Justin, X.3.3·6. 111 Arrien, 111.22.2. 118 Diodore et Justin, loc. cit, 110 Dans sa lettre, Alexandre écrit à Darius que s'il veut s'affirmer comme roi souverain face à lui, il doit se battre. Arrien (11.14.15) emploie les mots suivants:
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54 Ce qui est grave pour Darius, et ce qui est souligné complaisamment par tous les auteurs anciens, c'est que, pour fuir, il a abandonné "honteusement les insignes du pouvoir (imperium) qui risquaient de trahir sa fuite" 114, c'est-à- d're: son manteau royal (kandys), son bouclier, son arc et son char m. Or .ces ar mes et vêtements étaient liés indissolublement à la royauté, à tel point que les princesses perses prisonnières crurent à la mort de Darius lorsqu'elles virent les dépouilles royales dans les mains d'Alexandre 116. Le Roi combattait en effet sur un char 117 qui "le haussait dans les airs" 118 et "d'où il dominait tout" 11'; au char est donc attachée une valeur idéologique évidente 120. Il en est de même bien sûr du vêtement royal 121. Enfin, comme le montrent inscriptions, monnaies et représentations figurées, le Roi est un archer 122. Darius et ses successeurs figurés sur les tombeaux de Naqsh-i connaissaient la tradition du combat singulier destiné à vider un différend. On rappellera l'exemple de Satibarzanès qui, dans une bataille contre des troupes macédoniennes en Arie, "lança un défi à quiconque voudrait se battre contre lui, d'homme à homme" (Quinte-Curee, VlIA.33). Erigyos releva le défi et le combat eut lieu dans un espace libéré entre les deux armées (ibid., 35). Cette monomachie (Diodore, 83.5) ayant abouti à la mort de leur chef, les troupes de Satibarzanès se rendirent aux chefs macédoniens (Arrien, 111.28.2-3), On sait par ailleurs que cette tradition aristocratique n'était pas inconnue en Grèce archaîque (cf. A. Brelich: Guerre, agoni e culti in Grecia arcaïca, Bonn 1961). On peut donc se demander si, dans sa réponse, Alexandre ne veut pas dire explicitement que le débat de souveraineté peut se vider en combat singulier sur le champ de bataille: on sait que, d'après une tradition (Diodore, XVII.6.1-2; Justin, X.3.2·5; Strabon, XI.I3.I), Darius lui-même avait acquis ses droits à la royauté en soutenant une monomachie victorieuse contre un chef cadusien. Par ailleurs, selon une tradition rapportée par Callisthène (ap, Polybe, XII.22.2), à Issos, "Alexandre rangea son dispositif de façon à offrir le combat à Darius en personne, et celui-ci avait eu primitivement la même pensée à l'égard d'Alexandre": tradition reprise par Diodore (33.5) montrant Alexandre chercher des yeux Darius pour "être personnellement l'instrument de la victoire". Charès de Mitylène allait plus loin dans l'"extravagance" (cf. Polybe, loco cit., à propos de Callisthène), puisqu'il affirmait que cette monomachie eut effectivement lieu et qu'Alexandre fut blessé à la cuisse par le Grand Roi (Plutarque, Alex., 20.9; De Alex. Fort., II.9.341C = FGrH, 125.F.6). On peut donc conclure, me semble-t-il, que le terme &ywv(a"" employé par Arrien se rattache à cette tradition de la propagande macédonienne, qui visait à légitimer les prétentions du roi par référence aux conceptions achéménides. En tout cas, c'est à coup sûr un défi que lance Alexandre à Darius dans la lettre de Marathos: le Perse, s'il se dérobe, aura montré qu'il accepte la supériorité du Macédonien. '" Quinte-Curee, III.I1.12. '" Arrien, III.ll.5; Quinte-Curee, III.I1.12; Diodore, 34. 3-6. u. Arrien, III.l!.6; Plutarque, Alex., 21.1; Quinte-Curee, III.I2.5 et suiv.; cf. Diodore, 37.3. 117 Diodore, 34.3-4. 118 Quinte-Curee, IV.!.!. 119 Ibid., III.3.15; cf. IV.14.26. 12. Voir P. Calmeyer: Zur Genese der altiranischen Motive. II. Der Leere Wagen, AMI, NF, 1974, 7, p. 49-77. 121 Voir Quinte-Curee, III.3.17·18. Cf. P. Beck: A note on the reconstruction of the Achaemenian Robe, Iran. Ant., 1973,9, p. 116-122; A. Roes: The Achaemenid Robe, BO, 1951,8, p. 113·141; G. Thompson: Iranian dress in the Achaemenid period. Problems concerning the Kandys and others gumments, Iran, III, 1965, p. 121-126. '" Cf. DNb, 40-45. -
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55 Rustam sont debout devant un autel du feu et sous l'image d'Ahurah-Mazdah, et ils tiennent un arc, symbole de leur puissance. Le relief de Bisutun évoque également la valeur idéologique de l'arc, posé sur le pied de Darius 1 qui écrase Gaumata à terre. Tous les Rois achéménides sont imagés sur leurs émissions monétaires avec une lance (symbole de la conquête) dans la main droite et un arc dans la main gauche. L'arc évoque la souveraineté et la puissance 123. Or, c'est Alexandre qui désormais détient les insignes du pouvoir lU. Le Macédonien s'est également emparé de la tente royale, au-dessus de laquelle se trouvait l'image du Soleil (Mithra) qui étincelait dans une chasse de cristal" 126. Elle fut préparée pour Alexandre revenant de la vaine poursuite contre Darius fugitif: "Quand il trouverait prêt tout le mobilier de Darius, il verrait là le présage d'une hégémonie étendue à toute l'Asie" 128. En fuyant, Darius s'est donc dérobé à ses devoirs royaux 127, il n'a pas déployé dans le combat les vertus royales traditionnelles; en somme il a fait la preuve de son indignité. En abandonnant sur place les insignes du pouvoir, il a résigné de fait de la royauté. Alexandre est devenu le dépositaire de ces insignes. Le Macédonien dispose donc, face à Darius, de preuves tangibles des justifications d'une souveraineté sur l'Asie, telle qu'il la définit dans sa réponse de Marathos. C'est dans cette logique que l'on doit comprendre la suite du texte: "Je me suis considéré comme responsable de tous ceux qui combattaient avec toi et qui n'ont pas péri au combat; en fait, ils sont avec moi de leur propre volonté et combattent volontairement avec moi" 128. On ne saurait trouver des mots plus durs pour condamner la fuite de Darius. L'ensemble du raisonnement d'Alexandre est donc clair: Darius s'est disqualifié en tant que Roi achéménide: désormais c'est lui, Alexandre, qui est le porteur reconu des valeurs perses, à preuve le ralliement volontaire des soldats de Darius, et l'abandon par celui-ci des insignes du pouvoir et son mépris des vertus royales. 2. La protection dtAburab-Mudab et de. autres dieux
Cette première justification va très loin, car elle est très clairement articulée sur une justification de caractère religieux. Le texte porte en effet: "Je possède le pays (xoct 't~v ;(WPOCV ~;(w): les dieux me l'ont donné ("t"wv &EWV !k0' Il6v"t"wv). Une question, à la fois naïve et fondamentale, se pose immédiatement: Alexandre invoque-t-illes dieux grecs (macédoniens) ou les dieux perses? 123 R. Ghirshman, dans: [H. Temporini, réd.): Aufstieg und Niedergang der Rômlschen Weil' IX-!. Berlin-New York 1976, p. 217-218 . ... Arrien, II.11.6; Plutarque, Alex., 21.1; cf. Quinte-Curee, 1II.12.5. "6 Quinte-Curee, 1II.3.9. 128 Diodore, 36.6; cf. Quinte-Curee, 1II.11.23 (dominus). '" Diodore 34.6; Quinte-Curee, I1I.11.12. 128 Arrien, '11.14.7. Sur cette phrase, voir aussi W. B. Kaiser: op. cit., p.46-47: mars JC ne crois pas que, ee faisant, Alexandre se proclame le libérateur des peuples soumis aux Perses,
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62 Roi: ce sont les "ennemis" du Roi 180. Le satrape doit faire régner la justice dans le pays, en luttant contre les brigands qui dévastent le pays 181. Les peuples "justes" aident le Roi 182. La "justice" s'oppose donc au brigandage et aux ravages 183, et, en cela, peut parfaitement s'appliquer à un contexte grec 184. Le terme peut caractériser la guerre "injuste", car non fondée en droit 185. Dans ce contexte, le terme ressortit au domaine du droit des gens, au domaine du droit international. Mais, d'autre part, à l'intérieure de l'empire perse, et dans la logique du raisonnement d'Alexandre, &3LY.[OC recouvre une autre realité. L'accusation lancée contre Darius ne se réduit pas à celle du pillage, ou, plus exactement, l'action de piller la terre royale renvoie à des principes de nature politicoreligieuse 186. C'est par rapport à la légitimité et à l'Etat que le terme prend tout son sens. Les fondateurs d'Empire étendent le règne de la 3[y.1j 187: attenter à la 3[x1j. c'est donc mettre en cause la légitimité du pouvoir. ou bien c'est plus simplement usurper le pouvoir royal 186. En d'autres termes. la justice. c'est l'ordre impérial et impérial. Darius est accusé de l'avoir violé par son usurpation. Or. il y a dans les inscriptions royales achéménides un terme qui. me semble-t-il, correspond assez exactement à &3LX[OC. Il y est écrit en effet: "Qu'Ahurah-Mazdah me porte aide avec tous les dieux. et qu'Ahurah-Mazdah protège ce pays de l'armée ennemie, de la mauvaise récolte et du mensonge (drauga)" 188. Le terme drauga revêt une signification politico-idéologique certaine: "II se réfère avant tout à toute tentative de rebellion et d'usurpation, Le verbe duruj désigne l'activité des rebelles et des usurpateurs. laquelle avait plus d'une fois représenté le danger majeur de l'autorité de Darius" 190. Donc. "du point de vue du souverain, drauga est avant tout naturellement. le manque de loyalisme envers lui-même 191 ... Lorsque Cambyse partit en campagne contre I'Egypte, alors le peuple fut infidèle 'il y eut drauga en quantité dans le pays' "192. Drauga s'oppose donc à arta, ce dernier terme pouvant être Ibid., p. 186-187. Voir Philostrate, Vie d'Apollonios, 1.24: [...] 8. SLXIX;o,,,. 't"I)v J[o,pIXV; cf. Arrien, III. 25.2: 't'ai) fl'iJ
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compris comme justice et ordre, et interférant dans les sphères politique et religieuse 193. Si, comme je le crois, le rapprochement est fondé, on doit admettre que le terme &8~x(1X ressortit au domaine politico-idéologique. Ce qui permet de comprendre qu'Alexandre menace de considérer Darius comme &8~xwy, c'est-à-dire comme rebelle, si celui-ci ne reconnaît pas le vainqueur comme son souverain. Dès lors, la lutte n'est plus celle du roi macédonien et du stratége des Hellènes contre le Grand Roi, elle est celle du défenseur des coutumes et lois perses, porteur des valeurs achéménides, contre un usurpateur - telle la lutte acharnée de Darius le Grand contre Gaumata et Vahyazdata qui, tous les deux, s'étaient présentés faussement comme fils de Cyrus 194. Dans ces conditions, Alexandre conduit une guerre conforme aux coutumes des Perses 196: Darius est complètement disqualifié. Il faut ajouter que cette partie de la lettre d'Alexandre se comprend mieux encore si on la rattache à toute une série des gestes spectaculaires - et voulus comme tels - accomplis en direction des princesses prisonnières depuis Issos. Selon la coutume ancestrale des Perses, les femmes de la famille royale, celles des parents et des amis, accompagnaient l'armée 196. Tous les textes anciens - à quelque tradition qu'ils appartiennent 197 - insistent sur les vertus déployées par Alexandre à l'égard des princesses, en particulier à l'égard de Sisygambis, mère du Grand Roi 196, avec laquelle - affirme la propagande macédonienne - il noua des rapports filiaux 199. Il lui laissa tout "l'apparat royal" (richesses, vêtements, domesticité) 200 et lui permit d'ensevelir les nobles perses patrio more 201. Tous ces gestes - amplifiés par des propagandistes zélés - tendaient donc à donner d'Alexandre l'image qui convient à un homme voulant respecter les lois perses 202. On doit souligner, à cet egard, les liens d'affection qui attachent Alexandre au fils de Darius. A cet effet, il lui fait donner une éducation royale, comme à son propre enfant 203. Lorsqu'il le serre dans ses bras, Alexandre, "ému par l'intrépidité de l'enfant", s'écrie à l'adresse d'Hephestion:
e, Respect
pour les coutume. pe.....
'113 Sur «arta», cf. O. Bueei: Giustizia e /ecce nef diritto persiano antico, Apollinaris, 45,1972, p. 157-172. lO' DB, 1,35-43; III,21 et suiv, '" Cf. Arrien, II.12.5 et 14.5. '" Diodore, 35.4; cf. Quinte-Curee, III.3.22-23. '" Cf. Arrien, II.12.6-8. lOS Cf. H. Berve, II, n" 711. ,.. Diodore, 37.6; Quinte-Curee, III.I2.25 et V.2.18-22. ,•• Diodore, 39.1; Arrien, II.I2.5; Plutarque, Alex., 21.2; Quinte-Curee, III.12.23. ,., Quinte-Curee, III.12.13; cf. Plutarque, Alex., 21.4; Justin, XI.9.14. ,., Cf. Quinte-Curee, V.2.21: "Les usages de ta nation, je pense les avoir amplement observés, quand je les connaissais". (Alexandre s'adressant à Sisygambis en 331, lorsqu'il la laisse à Suse avant de gagner le Fars). 'OI Diodore, 38.1.
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64 "Comme je voudrais que Darius eût pris quelque chose de ce caractère! 204". En effet, l'enfant "montrait un courage au-dessus de son âge et vaudrait bien mieux que son père" 205. L'ensemble de ces anecdotes - comme la lettre de Marathos - vise donc à démontrer que Darius a failli, et que la conduite d'Alexandre constitue un signe supplémentaire de sa capacité à reprendre le trône déchu ce que "reconnaît" plus tard Darius lui-même 206! Alexandre n'appelle-t-il pas "mère" Sisygambis, et "fils" le fils de Darius? C'était là affirmer que sa lutte contre Darius était mené au nom des principes du clan achéménide: son combat pour la domination est légitime 207, c'est-à-dire conforme aux lois perses. En même temps, la propagande macédonienne tend à infliger à Darius une damnatio memoriae. Alexandre cherche à fonder ses droits dynastiques, en se parant du prestige idéologique des princesses royales, en particulier de celui de la reine-mère, véritable garante du sang royal 20 B•
III. L'affaire de Persépolis
A. Sources et problèmes
C'est tout auréolé de ses nouveaux succès (conquête de la Syre-Phénicie et de l'Egypte, victoire de Gaugamèles 209, main-mise sur Babylone et Suse etc.) qu'Alexandre arrive à Persépolis. Les événements qui s'y étaient déroulés dans les premiers mois de 330 ont donné lieu à de nombreuses hypothèses et spéculations dans l'antiquité et de nos jours 210. La problématique définie et suivie ici peut permettre, je crois, de jeter un jour nouveau sur ce très important problème historique. Or, de ce point de vue, le problème se pose très clairement et, à mon avis, Alexandre en connaissait parfaitement les données: la prise de Persépolis devait constituer un objectif très important dans le déroulement de la stratégie idéologique analysée dans les pages précédentes. Persépolis représentait en effet - au moins depuis Darius 1 21l - un haut-lieu idéologique
,o. Quinte-Curee, 1II.12.26. 'o. Diodore, 38.2. '0' Cf. par exemple Plutarque,
Alex., 30.13. Voir infra, p. 81 et suiv. ... Arrien, 11.12.5. IO' Sur ce point, voir S. K. Eddy: The King Is dead. Univ. of Nebraska Press: 1961, p. 62·63. ,.. Cf. Plutarque, 34.1. IlO Cf. J. R. Hamilton: op. cit., p. 99-101; J. Seibert: Alexander der Grosse, 1972,p. 132-134. III Pour Cyrus, voir Xenophon, Cyr. VII1.3.1-4. -
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de l'empire perse 212. Tous les ans, au printemps (fin mars-début avril), s'y déroulait la fête du Nouvel An, le Nowruz 218• Au cours des cérémonies ....;.. calquées sur l'Akitu mésopotamien 214 - le Roi tenait le rôle prlncipal w. Comme grand-prêtre, il attirait sur les terres et les récoltes les faveurs de dieux 216; par ailleurs, tous les peuples tributaires de l'Empire venaient faire acte d'hommage et de soumission 217. En d'autres termes, son arrivée à Perséplis offrait à Alexandre l'occasion de réaliser son objectif déjà fixé: ayant dénoncé Darius comme ravageur des terres et usurpateur du pouvoir royal, ayant proclamé son alliance avec les dieux tutélaires du clan achéménide et de l'empire, il restait à Alexandre à recevoir l'investiture royale. Or, la date du Nowruz était proche. Dans un livre récent, P. Green a supposé - mais sans étayer une hypothèse émise allusivement - qu'Alexandre avait l'intention de célébrer la fête du Nouvel An à Persépolis 218. Bien qu'aucune certitude ne puisse être atteinte, cette hypothèse me paraît vraisemblable. Outre les démonstrations précédentes sur la stratégie idéologique d'Alexandre, on peut proposer des interprétations sur le déroulement chronologique des événements qui aboutirent à l'incendie des palais. Alexandre est arrivé il Persépolis vers la mi-janvier, et est resté quatre mois en Perside 219; ce n'est que vers la fin de son séjour (vers la mi-mai) qu'il prit la décision de détruire les palais 220. Selon une tradition ancienne, l'idée serait venue de la courtisane Thaïs au cours d'une fête dionysiaque 221; selon une autre version 222, il s'agit au contraire d'une décision mûrie par Alexandre, d'une décision politique. Cette version doit être certainement retenue: l'enjeu politico-idéologique de cette décision était en effet trop lourd de conséquences pour qu'on puisse croire à l'improvisation ou à la seule influence de la boisson. Mais le long délai entre l'arrivée du roi et l'incendie, de même que les regrets politiques exprimés plus tard 228, montrent qu'il a longuement hésité avant d'enflammer le palais de Xerxès et que cette décision lui a politiquement coûté. Deux questions doivent donc être abordées: pourquoi ce délai de quatre mois? Pourquoi la décision finale?
Cf. A. U. Pope: Persepolis as a ritual city. Archeology, 1957. 10, p. 123·130. Cf. S. K. Eddy: op. cit., p. 50 et suiv. t14 G. GnoIi: Politique religieuse.... p. 123·125. ... Ibid .• p. 125. ... Cf. Forces productives. IV.2. Zl7 Voir G. Walser: Die Vôlkerschaften ouf den Reliefs von Persepolls, Berlin 1966; en dernier lieu. M. Roaf: The subject peoples on the base al the statue 0/ Darius. Cahiers de la Dafi, 1974. 4, p. 73-160. 218 Alexander of Macedon. Londres 1974. p. 318. 219 Voir E. N. Borza: Fire from Heaven: Alexander at Persepolis, CPh. LXVII. 1972.4. p. 237. "0 Plutarque. 37.6. 221 Diodore. XVII.72; Quinte-Curee, V.7.1 et suiv. Plutarque, 38.1·7. 122 Voir Plutarque. 38.8; Arrien. III.18.11-12. '" Quinte-Curee. V.7.11; Plutarque, 38.8; Arrien, VI.301. III
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66 B. Alexandre et Cyrus
Entre-temps (mi-avril/mi-mai) 224, Alexandre a conduit une expédition d'un mois 225 vers la Haute-Perside. Ni Quinte-Curee ni Diodore ne donnent d'explications très précises sur ce fait. Le premier parle du "but fixé", et l'essentiel de son récit a trait à l'affrontement entre les Macédoniens et la tribu perse des Kardes 226. Diodore 227, quant à lui, écrit d'une manière plutôt vague: "Alexandre parcourut les villes de Perside, soumettant les unes par la force, et ralliant les autres par la mansuétude". Cette expédition avait manifestement des buts militaires et financiers: s'emparer des palais, résidences et trésors du Roi 228. Les objectifs idéologiques n'en étaient pas absents. C'est en effet à cette date 229 qu'Alexandre vint pour la première fois à Pasargades 230, Or, cette ville constituait également un haut lieu idéologique perse. 1. Propalande dynastique
C'était en effet la ville de Cyrus, qui l'avait fondée pour commémorer sa victoire décisive sur Astyage 231, Selon Hérodote 232, Parsargadai était le nom de la tribu perse la plus noble, celle dont été issu le clan achéménide 233. C'est de l'époque de Cyrus que datent le palais et le temple 2M, Malgré le choix de Suse comme capitale - dans une situation plus centrale 235 - et la construction de Persépolis, la ville de Cyrus était restée une résidence royale et une capitale religieuse, où les travaux n'avaient jamais cessé 239, II< Sur la chronologie, voir E. N. Borza, art. cit., p. 237 (et note 29: erreur chronologique de Diodore, 73.1, qui place l'expédition après l'incendie de Persépolis). ... Quinte-Curee, V.6.19. ... Ibid., 6.11·20. 111 Loco cit. ... Strabon, XV.3.6: ,,[...l diversesreconnaissances pour observer les positions les plus fortes du pays et pour rechercher ces gazophylacies, ces trésors où étaient venus s'accumuler pendant tant d'années les tributs levés par les Perses sur l'Asie entière"; cf. XV.3.3.: "II y avait d'autres palais, d'autres résidences royales: il y en avait à Gabai dans la Haute-Perse (cf. Quinte-Curee, V.6.12: [...l regionem Persidis interiorem) et à Taokè sur la côte [...l- "Arrien, IIUS.10: "I1 s'empara aussi du trésor de Cyrus, du trésor de Pasargades" - à rapprocher de Qulnte-Curce, V.6.10 et de Strabon, XV.3.7. Sur ces trésoreries, voir W. Heinz, ZAss., 1972, 61, p. 265. C'est à ces résidences, forteresses et trésoreries que font référence les poleis de Diodore, 73.!. ... Cf. Arrien, HUS.l 0 et Quinte-Curee, V.6.10; cf. également Strabon, XV.3.7. (mais en plaçant à tort - comme Diodore, 73.1 - ce déplacement après l'incendie des palais). ... Nouvelle visite au retour de l'Inde: Arrien, VI.29.1-S. • Ol Strabon, XV.3.7. ... Herodote, 1.125. ... Cf. Strabon, XV.3.!. ... R. Ghirshman: Perse. Proto-iraniens. Mèdes. Achéménides. Paris 1963, p. 130-136. IS' Strabon, XV.3.2. ... Cf. ibid., 3.3.
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67 L'attrait marqué d'Alexandre pour la ville était motivé par la présence du tombeau de Cyrus 237, dont Aristobule et Onesicrite nous ont laissé des descriptions divergentes 238, et que les fouilles nous ont révélé 289. Alexandre ne modifia en rien les coutumes du lieu: il y laissa la garde permanente de mages 240; les sacrifices continuèrent de s'y dérouler selon la tradition 2U. Au surplus, Alexandre prit soin de montrer combien il vénérait Cyrus: en effet, "Aristobule raconte comment, sur l'ordre d'Alexandre, il franchit cette étroite entrée (de la chambre sépulcrale) et donna ses soins à la tombe" 242. On doit reconnaître d'abord dans cette démarche le signe et la manifestation de l'extrême popularité de Cyrus dans le monde grec, où il était le parangon de toutes les vertus royales, et à qui sa sagesse assurait l'amitié des dieux 1". Mais, plus important sans doute, ces légendes du fondateur de l'empire perse - calquées pour une part sur un modèle antérieur, même si les traits iraniens sont importants 2U - étaient largement diffusées parmi les populations de l'empire. Des indigènes de Gédrosie, par exemple, conservaient des tra.ditions sur les expéditions de Sémiramis et de Cyrus 246. C'est surtout dans le peuple perse lui-même que le souvenir de la figure de Cyrus - père et bienfaiteur du peuple 248 - était pieusement conservé et entretenu: au cours de leur &Y<ùn, les jeunes nobles "écoutent d'ingénieuses fictions des récits et des chants, dans lesquels ils célèbrent l'oeuvre des dieux et des grands hommes" 247; ces chants exaltaient la beauté, l'intelligence, la générosité et le courage de Cyrus 248. Il ne fait pas de doute que ces légendes - largement diffusées dans le peuple - étaient un élément important de l'idéologie monarchique perse, et contribuait à donner à la monarchie un caractère charismatique m. Il me paraît donc qu'on ne peut pas échapper à la conclusion qu'en accomplissant son "pélérinage" de Pasargades, Alexandre a voulu utiliser à son profit le prestige de Cyrus dans le peuple perse. Une brève analyse de la figure 131
Cf. Arrien, VI.29.9:
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... Strabon, XV.3.7. ... Synthèse récente dans C. Nylander: Ioniens in PasargadM. Uppsala 1970, p. 91.102. ... Strabon, XV.3.7; Arrien, VI.29.1. lU Strabon, loc. cil. (1 cheval par mois); Arrien, VI.29.7. ••• Strabon, ibid. ••• Eschyle, Perses, 768 et suiv. Sur la légende de Cyrus, voir A. Cizek: From the htstortcal trutb /0 the literary convention: the life of Cyrus the Great viewed by Herodotus, Ctesias and Xenophon. AC, XUV, 1975,2, p. 531·552. . ... Cf. G. Widengren: La légende royale de l'Iran antique, Hommages d G. Dumézil. COU. Latornus, XLV, [Bruxelles] 1960, p. 215-237. ... Arrien, VI.24.2: ~À"'Y0v ol i7rLX6>PLOL• •" Cf. Herodote, 111.89 et Xénophon, Cyr., VlII.2.9. on Strabon, XV.3.18. !" Xenophon, Cyr., 1.2.1. ••• Voir R. N. Frye: The chartsma of kingshlp in Ancien/Iran, Iran. Ant., IV, 1964, p. 36.54, en particulier p. 41-45: l'auteur souligne (p. 44-45) le rôle des 'ménestrels' dans la diffusion des légendes parmi le peuple. S·
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68 de Cyrus chez les historiens d'Alexandre montre que l'intérêt politique d'Alexandre était double. Cyrus y apparaît d'abord et avant tout comme le fondateur de l'empire perse, celui qui a ôté la domination aux Mèdes pour la transférer aux Perses 260. Il a conquis l'Inde, dont il a fixé le tribut 261. Les souvenirs et le précédent de Cyrus sont présents tout au long de l'expédition indienne, témoin cette notice d'Arrien: "Personne d'autre (que Dionysos) n'a envahi le pays des Indiens pour y porter la guerre, pas même Cyrus, fils de Cambyse, bien qu'il se soit avancé jusque chez les Scythes et qu'il ait été le plus entreprenant des monarques d'Asie" 262. Le désir affirmé par Alexandre dans un premier temps d'épargner Cyropolis de Sogdiane 268 fait naître sous la plume de Strabon l'étonnante épithète de Cfl\Mxupo~ appliqué à Alexandre 264. Cyrus est le prototype du grand conquérant chevaleresque 266, sur lequel Alexandre veut prendre exemple, "car nul autre roi de ces contrées ne lui inspirait autant d'admiration que Cyrus et Sémiramis" 266. En définitive, la propagande macédonienne veut faire d'Alexandre le continuateur, voire le restaurateur de l'empire conquis par Cyrus 267. Beaucoup de textes cités, il est vrai, se réfèrent à des conquêtes ultérieures d'Alexandre 268. Cela prouve simplement - comme le montre la deuxième visite d'Alexandre à Pasargades au retour de l'Inde 269 que ce thème de propagande continua d'être exploité. Mais, je crois que c'est à Pasargades en 330 qu'il fut mis au premier plan. Par ailleurs, il faut souligner qu'à cette date Alexandre est dans une situation "dynastique" difficile: même si, en effet, la propagande macédonienne présente Darius comme "idéologiquement mort", le roi reste physiquement vivant et il prépare même une nouvelle armée 260. Alexandre trouve donc dans l'exaltation de la figure de Cyrus un élément important de sa propagande. De nombreux textes de l'époque d'Alexandre présentent Cyrus comme le fondateur de la grandeur perse, on l'a vu: Darius a usurpé le trône de Cyrus ([...] in sedem Cyri) 261; Orxinès prétendait descendre de l'illustre Cyrus (ad Cyrum quoque nobilissimum regem originem sui referens) 262: cette qualité ... Quinte-Curee, IV.14.24; cf. IlIA.l.; Arrien,'Anab., V. 4.5 et Inde, 1.3; 9.10; Diodore, 71.1 81.1 etc. m Arrien, Inde, 1.3. ... Ibid., IX.I0. ... Cf. Quinte-Curee, VII.6.20. ... XI.ll.4. ... Cf. M. Mal1owan: Cyrus the Great, Iran, X, 1972, p. 12·13 . ... Quinte-Curee, VII.6.20; cf. aussi Arrien, VI.24.2·3. m Cf. par exemple Strabon, XI.l1.4: en dépit de son intention première, Alexandre détruit Cyropolis "limite de l'empire perse"; sur un site proche, il fonde Alexandrie (Eschatè) dans un objectif stratégique analogue (Arrien, IV.1.3-4) . ... Voir cependant Quinte-Curee, III.4.l: allusion à la conquête de la Lydie par Cyrus, et V.6.l0: fondation de Pasargades. ... Arrien, VI.29.4-11; Quinte-Curee, X.l.22. ... Quinte-Curee, V.7.2. SOl Ibid., V1.3.l2. ... Ibid., IV.12.8. -
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69 légitima certainement - au moins à ses yeux - la prise de gouvernement de la Perside après la mort de Phrasaortès 288. Aucun homme plus qu'Alexandre au contraire n'est digne de s'asseoir sur le trône de Cyrus, fait dire à Darius la propagande macédonienne 284. 2. Pasargad.. et 1'ÏD1'estitan ra,.••
La meilleure preuve de l'utilisation de Cyrus par la propagande macédonienne, nous la trouvons, à mon avis, dans le texte des inscriptions que les accompagnateurs d'Alexandre affirmèrent avoir copiées sur le tombeau de Cyrus à Pasargades. Strabon tient 'des informations d'Aristobule et d'Onésicrite qui, en désaccord sur l'architecture du tombeau, le sont aussi sur le texte des inscriptions. Selon Aristobule, le texte portait: "Passant, je suis Cyrus; j'ai donné aux Perses l'empire du monde; j'ai régné sur l'Asie: ne m'envie donc point cette tombe" 266. La même tradition est reprise par Arrien, qui ajoute que cette inscription était écrite en "lettres perses" 288. On retrouve une phrase très proche chez Plutarque 287. Selon Onésicrite, on lisait sur le tombeau: "C'est ici que je repose, moi, Cyrus, le Roi des rois", cette inscription étant écrite en grec mais gravée en "lettres perses". Le même auteur ajoutait qu'il y avait une autre inscription à côté en langue perse "disant absolument la même chose" 288. Cette tradition avait été reprise par Aristos de Salamine 289. En soi, la présence d'inscriptions sur le tombeau de Cyrus n'est pas à exclure, bien que les archéologues n'en aient pas retrouvé 270. On a en effet découvert à Pasargades quelques inscriptions: dont plusieurs iranistes jugent qu'elles remontent effectivement à Cyrus 271. Ce sont des inscriptions trilingues (vieux persan, élamite, babylonien) portant: "Moi, Cyrus, roi achéménide" (CMa) et "Cyrus, grand roi achéménide" (CMc). Cepedant, contrairement à ce qu'affirme P. Lecocq dans sa remarquable étude 272, l'authenticité desinscriptions - sur laquelle il insiste - ne donne aucun poids au témoignage des auteurs grecs. En effet, d'une part, un faux est d'autant mieux réussi qu'il ... Cf. Arrien, VI.29.2. et 30.2. ... Plutarque, 30.13. ,.. Strabon, XV.3.7. ... VI.29.7. .., Plutarque, 69.4. ... Strabon, XV.3.7. ,•• Ibid. ". Des inscriptions ont en effet disparu depuis que des voyageurs du siècle dernier les ont copiées. 211 Ce problème a divisé (et divise encore) les iranistes. On verra une remarquable mise au point par P. Lecocq: Le problème de l'écriture cunéiforme vieux-perse, Acta Iranica. Commémoration Cyrus. Hommage universel, II, 1974, p. 25-107. L'auteur conclut pour l'authenticité (cf. p. 52-63). '" Ibid., p. 99: "Le témoignage des auteurs grecs ne saurait être décisif à lui seul, mais l'authenticité des inscriptions de Pasargades, sur laquelle nous avons insisté, lui rend tout son poids". -
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70 est construit sur un des modèles existants 273. On peut donc en effet relever "une certaine ressemblance" entre le texte d'Onésicrite et "le style lapidaire de CMa" 274. On ne manquera pas de relever également l'analogie entre l'inscription "copiée" par Onésicrite sur le tombeau de Darius et une inscription du même Darius 275; l'une et l'autre mettent l'accent sur les vertus de cavalier, d'archer et de chasseur du Roi. Mais tout cela était parfaitement connu des Grecs bien avant les conquêtes d'Alexandre 276, si bien qu'en puisant seulement dans ses souvenirs, un Onésicrite pouvait parfaitement élaborer un faux. Enfin, certains détails conduisent à se montrer circonspects. Une formule telle que "Ne m'envie donc point cette tombe" est grecque et rion pas perse 277. D'autre part, contrairement à ce qu'affirment Onésicrite ~t Aristos de Salamine, il est tout à fait exclu évidemment que l'une des versions fût rédigée en langue grecque 278. Or, Onésicrite est un témoin oculaire, qui a accompagné Alexandre à Pasargades. Il a donc inventé ce détail de toutes pièces. Si l'on ajoute à ces considérations que, d'une façon générale, un Onésicrite ou un Aristobule ne répugnent pas aux affabulations 279, on peut conclure qu'en tour ou en partie leurs informations sur les inscriptions du tombeau de Cyrus sont à verser au dossier de la propagande macédonienne 280. La diffusion et le contenu de cette tradition épigraphique confirment bien plutôt la réalité et la vigueur de l'offensive idéologique menée par Alexandre '" Cette proposition peut évidemment apparaître comme peu encourageante. car comment. dès lors, reconnaitre un document authentique d'un document falsifié. puisque ce dernier est d'autant plus faux qu'il paraît vrai? Ces difficultés expliquent les longues discussions autour d'inscription de Trézène. Ce qui est décisif. c'est une analyse minutieuse des conditions de l'apparition et de diffusion dudit document - ce que j'essaie de faire plus bas. Ce qui est certain. en tout cas, c'est que la "propagande épigraphique" fut assez largement employée en Grèce. '" P. Lecocq: op. cit., p. 98 - qui d'ailleurs note (note 348) que M. Dandamayev: Persien unter den ersten Achâmeniden, trad. ail .• Wiesbaden 1976. p. 29. y voit précisément une raison de mettre en doute l'authenticité de CMa. '" P. Lecocq, op. cit., p. 99. '" Cf. p. ex. Herodote, 1.136; voir aussi L. Robert: Crai, 1976. p. 328-330. m Comme le reconnait justement M. Dandamayev: Persien .... p. 28-29. '" Selon Plutarque. 69.4. l'inscription grecque aurait été gravée sur l'ordre d'Alexandre. P. Lecocq: (op. cit .• p. 98. note 349) écrit: "Mais une version en langue et en écriture grecque ne serait pas à exclure: Hérodote, IV.87 rapporte que Darius fit élever près du Bosphore deux stèles portant un texte en caractères 'assyriens' et un autre rédigé en grec". Certes. mais le problème se pose en des termes tout différents pour le site de Pasargades! Il me semble que M. Dandamayev (Persien.... p. 29) voit à bon droit dans les mots de Plutarque une confirmation de son scepticisme. '" Sur ces auteurs. voir L. Pearson; The lost histories of Alexander the Great. New- YorkOxford 1960, chap. IV (Onesicrite), et VI (Aristobule). '" Dans ce sens, voir aussi M. Ma l lowan, Iran. X. 1972. p. 16-17 - mais sans replacer ces falsifications dans leur contexte historique précis. - J'ajoute. pour ôter toute ambigüité, que J'interprétation proposée ici. si elle est exacte, n'enlève rien à la force de l'argumentation générale de P. Lecocq, car les témoignages des auteurs grecs ne peuvent de toute façon représenter qu'un élément accessoire de sa démonstration (cf. sa remarque en ce sens. p. 99).
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71 en 330 en direction des Perses. Il est remarquable, par exemple, que dans les inscriptions "recopiées" par Aristobule, Cyrus soit présenté comme celui qui "a donné aux Perses l'empire du monde": ce texte "officiel" donnait du poids aux arguments analysés plus hauts. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles furent publiés ces textes devaient conduire à la conclusion que c'est Alexandre qui a "restauré" la figure de Cyrus. 3. Rattachemoo. l Cy....
Nous retrouvons là un processus fréquemment employé par un conquérant: se rattacher à une dynastie ou un roi antérieurs pour mieux condamner les actes du dynaste qu'il vient de vaincre: ce qu'avait fait Cyrus lui-même à Babylone en se rattachant à Assurbanipal 281. Dans le cas présent, cette démarche permet à Alexandre de recueillir l'image d'un Cyrus "père de ses sujets", par opposition à Darius le Grand "trafiquant" et à Cambyse "despote" 282, mais aussi par opposition à Darius III, accusé d'avoir été "injuste" envers les Perses 283. Comme Alexandre 284, Cyrus est "un bienfaiteur, non un spoliateur" 285. Se rattacher par ses paroles et par ses actes à Cyrus le Grand, c'était aussi effacer deux siècles d'histoire "officielle" achéménide dominée par la stature de Darius 1 28 6 , dont les prétentions dynastiques n'étaient pas au-des'Us de tout soupçon 287 - ce que n'ignorait pas Alexandre 288. C'était imposer ridée que la conquête macédonienne permettait une restauration achéménide, sur la base des limites territoriales 289 et des principes de gouvernement qu'avait donnés Cyrus. C'était, en fin de compte, faire l'impasse sur un obstacle irritant '81 Voir I. Harmatta: Les modèles littéraires de l'édit babylonien de Cyrus. Acta Iranica, 1. 1974. p. 29-44. ea, Hérodote, III. 89. asa Arrien. II. 14.5. ... Cf. Plutarque. De Alex. Fort.• 1.8. ... Xenophon.. Cyr., VIII.2.9. 288 Dans son inscription triomphale de Behistoun, Darius se montre d'une rare "discrétion" sur les exploits et les conquêtes de Cyrus; le nom de Cyrus ne s'y trouve mentionné qu'une fois (par allusion). "Dans le passage où Darius parle des huit rois qui l'ont précédé aucun nom n'est avancé; en revanche il est fier d'annoncer ceux de ses ancêtres. et le souligne à la fin de la colonne IV sans faire la moindre allusion à Cyrus. Bien plus il écrit (lV.50-52): "Ceux qui étaient rois avant moi n'ont pas fait (au cours de leur vie) autant que ce qui fut fait par moi au cours d'une seule année" (R. Ghirshman: INES. 1965. 24. p. 246). '" Voir en particulier M. Dandamayev; Persien .... p. 118-126 et 205-210. 288 La version de Bardiya-héritier légitime est connue d'Eschyle: Perses, 774-777 (M. Dandamayev: ibid., p. 119-120). ... Cf. Tacite: Annales. VI.31: "En même temps. Artabaze parlait des anciennes limites des Perses et des Macédoniens, et menaçait. avec jactance. d'envahir ce qu'avait possédé Cyrus d'abord, et ensuite Alexandre (possessa primum Cyro et post Alexandre); Cyrus est considéré par les Ar· sacides comme le vrai fondateur du premier empire iranien (cf. J. Wolski, Syria. XUll, 1966, p. 72 et 77).
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72 que la propagande à elle seule ne pouvait pas lever: l'impossibilité dans laquelle se trouvait Alexandre de faire état de liens de sang avec le clan achéménide, 4. Pasare.des. lieu de l'iDvestiture royale
Enfin, la ville de Pasargades avait des liens directs avec l'investiture royale. Elle est restée la métropole religieuse 290. Son sanctuaire - dont nous trouvons une réplique parfaite à Naqsh-i Rustam 291 - était peut-être dédié à la triade royale: Ahurah-Mazdah, Anâhitâ, Mithra 292. C'est à, Pasargades que se déroulait le rite d'investiture 293, plus précisément dans le sanctuaire d'Anâhitâ, dont le culte avait été largement répandu dans l'empire par Artaxerxès II dans un but politico-religieux 294: confirmer l'autorité et la souveraineté du Grand Roi 295. Anâhitâ était donc une "dispensatrice de l'investiture royale" 298. Le texte de Plutarque 297 sur l'investiture d'Artaxerxès II mérite d'être cité, tant il montre que, dans les périodes de troubles dynastiques c'est non seulement à l'investiture divine mais aussi à l'héritage de Cyrus le Grand que le roi 298 ou un prétendant 299 fait appel pour légitimer (ou faire confirmer) son pouvoir ou ses ambitions: "Le roipartit pour Pasargades afin de recevoir des prêtres de Perse l'initiation royale. Il y a là un temple de la déesse de la guerre (Anâhitâ) [...]. Il faut que l'initié y passe pour dépouiller sa propre robe et revêtir celle que Cyrus l'Ancien portait avant d'être roi" 300. En rappelant ces données des institutions monarchiques et donc des pratiques idéologiques achéménides, je n'entends pas affirmer ou laisser entendre qu'Alexandre s'est fait "initier" dans le temple d'Anâhitâ de Pasargades. En revanche, il est évident qu'il savait très certainement quels étaient en Perse le prestige de Cyrus et la valeur du rite d'investiture. Sa visite à Pasargades, tout autant que le rang élevé des historiographes officiels emmenés avec lui, démontrent sa volonté de frapper les esprits en Perse. C'est donc aussi qu'à cette date (avril 330), il n'a pas perdu espoir de se voir reconnu comme Grand Roi légitime. Pourquoi donc décida-t-il, au retour de la Haute-Perside, d'incendier le palais de Persépolis? R. Ghirshman: Perse ...• p. 136. Ibid., p. 134; cf. p. 228-229. ... En dernier lieu. voir L. Trumpelmann: Das Heillgtums von Pasargadae, Stud. Iran.• VI, 1977. 1, p. 7·16. 1.. G. Wi den gren, dans: La Regalità sacra. p. 253-354. ... Cf. Clément d'Alexandrie. Protrep, V. 65.3. ... G. Gnoli: Politique religieuse.... p. 129. 1" Ibid., p. 127. '" Plutarque. Artax., 3. 1.1 Dans son discours prononcé avant la bataille de Gaugamèles, Darius invoque non seulement les dieux perses, mais aussi "le souvenir impérissable de Cyrus" (Quinte-Curee. IV.14.24). ... Il est possible que la révolte de Bardiya (Gaumata) soit partie de Pasargades (M. Dandamayev: Persien, p. 133, note 553). 100 Sur ce costume, voir G. Widengren: op. cit., p. 254. 1.0
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73 C. Les résistances en Perse: l'écbec d'UDe stratégie Idéologique 1. L'insuffisance du pr'texte pu-beU'nique
Strabon 301 écrit: "Alexandre incendia le palais de Persépolis pour venger les Grecs de l'injure que les Perses leur avait faite naguère en dévastant par le fer et le feu les temples et villes de Grèce. "C'est là un point sur lequel s'accordent tous les textes anciens, à l'exception d'un seul 302, qu'ils appartiennent à la version "dionysiaque" 303 ou à la version "politique" 304. II n'est évidemment pas question d'occulter cette tradition concordante, ni de nier les nécessités de la propagande vers la Grèce 306, surtout après les troubles dus à la révolte d'Agis de Sparte. On a d'autant moins de raison de la refuser que, dans sa lettre de Marahtos, Alexandre lui-même présentait les destructions opérées par Xerxès comme l'une des causes de son expédition contre Darius 808, Reste à savoir de quels poids cet aspect des choses a pu peser dans la décision d'Alexandre. II me paraît difficile d'admettre que les préoccupations européennes occupaient alors tout l'esprit du roi 807. Jusqu'alors en effet, le slogan de "guerre de représailles" n'avait guère constitué qu'une commode couverture idéologique pour le Macédonien 808. D'ailleurs, la composition de la lettre de Marathos indique bien que, dans l'esprit d'Alexandre, la référence aux représailles est plus rituelle que lourde de menaces précises: l'essentiel, comme on l'a vu, porte sur le combat idéologique entre Alexandre et Darius 809. II paraît évident qu'après sa victoire de Gaugamèles 810, la prise de Suse 311 et la libération triomphale de Babylone 812, Alexandre caressait des projets idéologiques et politiques qui le détournaient bien au contraire de la Grèce et de la Macédoine.
3., XV.3.6. Diodore, 71.3 (cf. infra, III.3.3.). Plutarque, 3804; Quinte-Curee, V.7.3; Diodore, 72.3·6 (cf. 70.1). 3.4 Arrien, III.19.12. ,•• Sur ce point voir en dernier lieu: H. Bellen: Das Rachgedanke ln der griechisch-persischen Auseinandersetzung, Chiron, 1974, 4, p. 44-67, en part. p. 60 sqq.; également: G. Dobesch: Alexander der Grosse und der korintische Bund, Grazer Beitrâge, 1975, 3, p. 73-149 (115-117). ,.. Arrien, II, 15A. '.7 Contra E. Badian, Hermès, XCV, 1967, p. 170·192, en particulier p. 188-189, voulant démontrer (p. 188-190) qu'Alexandre n'a pas reçu de nouvelles de la défaite d'Agis de Sparte (fin septembre 331) avant son arrivée à Ecbatane (fin mai 330) - ce qui paraît difficilement admissible, comme le souligne E. N. Borza, CPh, LXVII, 1972, 4, p. 233·245. (J'ai suivi à tort l'interprétation de Badian dans mon Alexandre, p. 55). 3.8 Cf. par exemple mon Alexandre, p. 30- 35. 3.8 Supra, p. 52 et suiv. 303
303
atO
Cf. Plutarque, Alex., 34.1.
311
Voir l'épisode du "trône royal": Diodore, 66.3-7. Quinte-Curee, V.l,17 et suiv. Arrien, III.16.3·5.
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74 2. L'idéologie royale et l'idéologie impériale
W. W. Tarn 313 voyait dans l'incendie de Persépolis un "signe à l'Asie". Cette interprétation a été récemment reprise par E. N. Borza 314 : sans nier la réalité d'un "signe à la Grèce", Borza considère également qu'aux yeux des peuples soumis à la domination perse, la destruction de Persépolis marquait la fin de l' "ancien régime": il n'y aurait jamais plus de fête du Nouvel An, symbole de leur sujétion 316. Cette interprétation contient certainement une part de vérité, mais elle reste insuffisante. En effet, depuis 334, Alexandre avait pris soin de traiter spécifiquement chaque région ou satrapie soumise aux Perses, proclamant partout sa volonté de leur restituer leurs "coutumes nationales" en Lydie 316, sur la côte d'Asie Mineure 317, en Carie 318, en Egypte P" ou en Babylonie 320. Ce faisant, il avait multiplié les "signes" à l'Asie, car ces gestes étaient dirigés contre les Perses: qu'on pense par exemple à l'accueil triomphal que lui réservèrent les' Egyptiens 321 et les Babyloniens 322. Alexandre apparaissait aux Egyptiens comme celui qui venait les délivrer des occupants perses détestés 3'3. A Babylone, il rompt brutalement avec la politique des derniers Achéménides 324, en redonnant tout leur lustre aux temples et resuscitant le culte de Bel-Marduk 326. En 330, l'Egypte et la Babylonie sont calmes, elles n'ont pas besoin de nouveau signe. Là n'étaient point les préoccupations majeures du Macédonien en avril-mai 330. En réalité, c'est à mon avis, dans un contexte perse (au sens strict du mot) que la décision d'Alexandre peut prendre toute sa signification. Sa situation à Persépolis n'a rien à voir en effet avec sa situation à Péluse ou à Babylone. La Perse - le Fars constituait le berceau de la dynastie achérnénide, et le coeur de l'empire perse, ce dont les Perses étaient parfaitement conscients, comme le montre un texte célèbre d'Hérodote 326: "I1s estiment entre tous, après eux-mêmes, les peuples qui habitent le plus près d'eux; en seconde ligne, ceux qui sont au second degré d'éloignement; puis, graduellement, ils mesurent leur estime en proportion de la distance, et font le moins de cas de ceux qui habitent le plus loin d'eux; leur pensée est qu'ils sont eux-mêmes W. W. Tarn: Alexander the Greatç L. London 1948, p. 54. Art. cit., CPh, 1972, p. 244. Cf. également, S. K. Eddy: op. eit., p. 7. 310 Page 243. 318 Arrien, 1.17.4. 317 Ibid., 1.18.2. 318 Ibid., 1.23.7.8. 318 Quinte-Curee, IV.7.5: ,,[...] ita ut nihil ex patrie Aegyptiorum more mutaret". 330 Arrien, 111.16.3.5. 331 Quinte-Curee, IV.7.1-2; Diodore, 49.1. '" Arrien, III. 16.2; Quinte-Curee, V. 1.17-23; Diodore, 64.1. 333 Quinte-Curee, IV.7.1; Diodore, 49.1-2. 331 Voir S. K. Eddy: op. cit., p. 101-106. m Arrien, 111.16.5; Strabon, XVI.1.5. 330 1.134 (cf. DHA, II, 1976, p, 235 et note 126). Voir ici même la remarquable étude de J. Harmatta. 813
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75 les meilleurs des hommes sous tous rapports, que les autres tiennent à la vertu dans la proportion que nous disons, et que les plus éloignés sont les pires". Cette conscience d'appartenir au peuple élu se révèle également dans la composition des listes de satrapies incluses dans les inscriptions royales, qui suivent "un ordre rayonnant à partir de la Perse vers les frontières"; La Perse y apparait comme "le moyen de la roue de l'empire" 327. Cette représentation concentrique de l'espace impérial correspond à une réalité économique. Seul de tous les pays, la Perse ne paie pas tribut 328. Vis-à-vis des peuples soumis, la nation perse profite donc du système d'exploitation impériale, même si en réalité c'est la noblesse qui surtout depuis Darius 1 én retire l'essentiel des bénéfices matériels et politiques 329. C'est en cela que l'idéologie impériale agit en contrecoup pour la perpétuation de l'ordre social perse. Mais, précisément, le cas spécifique de la Perse nous amène à préciser cette notion d'idéologie monarchique. La représentation concentrique proposée par Hérodote et par les inscriptions royales n'est pas seulement spatiale, elle est également idéologique. Selon les pays, l'idéologie impériale est à la fois unitaire et polymorphique, comme en fait foi la titulature de Darius 1330: "Roi des pays", "Roi de nombreux pays", "Roi des pays de toutes races" etc., Darius se proclame egalement "Achéménide", "Perse", "Fils de Perse", "aryen de race aryenne", et ne manque pas de rappeler que sa royauté s'est d'abord exercée en Perse: "Le royaume (xëaça), c'est l'entité politique perse, la royauté en Perse, la société perse" 331. En d'autres termes, en Perse, ce qui est fondamental c'est moins l'idéologie impériale que l'idéologie monarchique, celle-ci préexistant à celle-là. D'où la situation particulièrement délicate d'Alexandre à Persépolis: s'il lui était relativement aisé de revêtir les attributs impériaux de la royauté achéménide, la tâche devenait beaucoup plus ardue dès lors qu'il s'agissait d'apparaître et d'être reconnu comme un roi perse en Perse. La première raison - qui n'est pas forcément la plus déterminante - c'est que Darius III est toujours vivant 332. D'autre part, Alexandre devait se faire reconnaître et accepter par la nation perse: c'était là une condition sine qua non d'une éventuelle investiture officielle, qui supposait en effet l'accord explicite ou tacite de la noblesse, du clergé et du peuple. La propagande la plus habile ne pouvait pallier un refus de consensus. A mon avis, c'est à la recherche de ce consensus que s'appliqua Alexandre pendant les longues semaines du début 330, et qu'il échoua . ." C. Herrenschmidt: Désignation de l'empire et concepts politiques de Darius le' d'après ses inscriptions en vieux-perse, Stud. Iran., V, 1976, 1, p. 33-65 (citations: p. 56-57 et p. 59, note 29). 328 Herodote, III.97-que les tablettes de Persépolis conduisent à nuancer (cf. par exemple W. Heinz, ZAss., 1972, 61, p. 288-290). 329 Cf. la passionnante analyse de M. A. Dandamayev: Persien ... , p. 210-214. 33. Sur ce point, j'emprunte beaucoup à la très fine analyse de C. Herrenschmidt: art. cit., passim. 331
Ibid., p. 44.
aaa Cet aspect des choses est souligné par Quinte-Curee, V.7.2.
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76 3. L'impossibilité du consensus idéologique
Plusieurs textes concordants démontrent en effet la réalité, la fermeté et la constance des résistances perses à l'offensive idéologique d'Alexandre. En liaison étroite avec l'affaire de Persépolis, Quinte-Curee écrit: "La soumission des vaincus était récente et ils méprisaient cette autorité nouvelle (nuper subactis quos vicerat novumque imperium aspernantibus)" 333. Un passage de Diodore - peu étudié ou relevé - est encore beaucoup plus clair: "En très mauvais termes avec les indigènes et plein de méfiance à leur égard, il désirait en effet détruire la ville complètement" 334. Texte lumineux, puisqu'il met dans une étroite relation de cause à effet l'hostilité de la population perse 335 et la décision de sang-froid d'Alexandre. Ces textes très nets, voire décisif pour celui de Diodore, et l'interprétation générale proposée au cours de cette étude, permettent sans doute de comprendre parfaitement la signification historique d'un ouvrage publié sous le titre (trompeur) de Lettre d'Aristote à Alexandre sur la politique envers les cités 336. Je n'entrerai pas ici dans les détails du débat relatif à l'authenticité ou à l'inauthenticité de texte 337, Le débat n'est certes pas négligeable, et j'ai peine à croire avec M. Plezia que, globalement, le texte a été rédigé en été ou en automne 330 33B. Mais, le document contient un chapitre relatif aux Perses qui, à mon avis, ne peut se comprendre que s'il se place lors de ,l'attente d'Alexandre en Perse entre janvier et mai 330, avant l'incendie des palais royaux 339. Il s'agirait de conseils donnés par Aristote à Alexandre sur la politique à voir avec tous ces problèmes, mais je suis convaincu que le faussaire a utilisé des renseignements authentiques sur l'état d'esprit des Perses face à l'Alexandre et d'Alexandre face aux Perses: le texte de Diodore cité plus haut montre que ces informations existaient, même si elles ont été largement occultées par la
Ibid. 71,3: l:cp68p", ycl:~ &ÀÀOTp(",. ~X"'v 7tpO~ TOU~ !YX"'p(ou~ iJ7t(GTE' TE "'UTOi:~ xal T'ljv TIEp"I:7tOÀLV Et~ TI:ÀO; ~,,7tEu8E X"'T",cp&Ei:p",'. ",' Population qui avait déjà été fâcheusement impressionnée par certaines initiatives d'Alexandre avant son arrivée en Perside ,(cf. Diodore, 66. 3-6). '30 Ed. J. Bielawski, commentaire M. Plez ia, Archiwum Filologiczne, XXV, WroclawWarszawa-Krak6w 1970. 337 Je renvoie à M. A. Wes: Quelques remarques à propos d'une «Lettre d'Aristote à Alexandre», Mnern., 1972, 25, p. 260-295. eae Ibid., p. 164, aas Dont il n'est pas fait mention dans le document - ce qui parait (à juste titre) très suspect à M. A. Wes, art. cit., p. 277-278. J'ajoute que c'est une erreur de méthode de croire qu'une date unique doit être assignée à la Lettre, M. A. Wes n'a pas manqué de souligner que certaines lacunes ou allusions sont incompatibles avec la date proposée par M. Plezia. Il me semble en réalité que tout autre datation se heurterait aux mêmes obstacles. Il me paraît plus raisonnable d'admettre que l'auteur (tardif) de la Lettre a assemblé comme bon lui semblait des informations ou des réflexions dont beaucoup ne sont pas datables avec exactitude. Dans cet ouvrage confus et général qui ressemble de fort près à une besogneuse dissertation 7tEpl ~"''''ÀEt",;-le chapitre 9 fait exception par sa cohérence et par la précision de son information. 833
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77 suite. La politique de collaboration macédono-iranienne activement poursuivie plus tard par Alexandre suffit peut-être à expliquer que ces renseignements n'aient pas été plus largement utilisés ni même répercutés par l'historiographie officielle. L'auteur propose à Alexandre de prendre des mesures énergiques, voire drastiques, contre les Perses: "J'estime aussi qu'il serait bon pour ton règne [commandement] et contribuerait à affermir le souvenir [que tu laisseras] et ta grandeur, si. tu transfères obligatoirement la .population de Perse de ses domiciles paternels - s'il n'est pas possible [de les déplacer] tous, tout au moins de nombreux d'entre eux avec les détenteurs du pouvoir ----' et si tu les établis dans les pays de Libye et d'Europe" (§ 9.1; cf. § 9.4; § 9.7-8). Seuls de tous les peuples conquis (§ 9.10) les Perses sont désignés à la vengeance d'Alexandre. Deux raisons sont invoquées par l'auteur pour justifier une telle dureté. D'abord, "venger les Grecs" (§ 9.8). En effet, "les Perses firent émigrer de nombreux Grecs de leurs domiciles paternels et en peuplèrent plus d'une ville, comme par exemple les Milésiens et les Erétriens, et d'autres villes en plus dont les noms nous parvinrent. Tu dois surtout tâcher de renvoyer [dans leur patrie] ceux qui habitent dans ces villes" (§ 9.3). Mais, la raison essentielle - qui est au coeur du raisonnement de l'auteurc'est de lutter contre un peuple qui refuse d'obéir au nouveau maitre: ;,Car la droiture parmi le peuple et l'affermissement du respect dans le coeur des chefs afin qu'ils s'unissent pour t'obéir, est une chose difficile qui ne se consolide qu'avec le temps et à travers les générations. Et s'ils remarquent quelque négligence et si l'occasion se présente, ils se révoltent et trouvent de nombreux qui les y aident volontiers" (§ 9.5). Il s'agit donc avant tout autre chose de la survie de la domination d'Alexandre: "Tu y mettras fin si tu punis par l'exemple ceux chez qui tu découvres cette velléité et leur appliques un châtiment et une grand' peine. Cela servira d'avertissement et préviendra des cas semblables" (§ 8.9). "C'est donc une question de prudence et de vigilance pour faire durêr la droiture et (assurer) la protection de l'Etat contre l'agitation et la sédition, que tu les transfères [...]" (§ 9.7). Non seulement ce texte confirme amplement les informations de Diodore sur l'hostilité des Perses, mais encore il donne quelques indications fort précieuses permettant, me semble-t-il, d'analyser les bases politiques et sociales de cette sédition (§ 9.7) généralisée. D'une part, en effet, l'auteur presse Alexandre "de punir pour l'exemple ceux qui s'approchèrent de toi par mensonge et contribuèrent à un conflit parmi les gens. Les habitants de la Perse ont eu en ce domaine une belle tradition (loi = v6!J.oç) et une chose belle d'être imitée" (§ 8.7). On pense aussitôt évidemment à ce qu'affirme Hérodote de l'éducation des jeunes Perses, qui apprennent trois choses: monter à cheval, tirer à l'arc et dire la vérité. Le terme mensonge - opposé ici à droiture (§ 9.7) - est à rapprocher du terme drauga des inscriptions achéménides, "qui se réfère avant tout à toute tentative de rebellion et d'usurpation. Le verbe duruj désigne l'activité des rebelles et usurpateurs, laquelle avait plus d'une fois -
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78 représenté le danger majeur pour l'autorité de Darius" 340. Il en est de même ici, car la référence explicite à la "loi perse" n'est pas innocent. Alexandre représente la "justice" (§ 9.2) et la "droiture" (§ 9.7), c'est à dire l'arta 341; il doit appliquer la "loi perse" contre les menteurs: ce faisant, il se conduit en roi légitime face à des rebelles (cf. § 9.7) qui, eux-mêmes, le considèrent comme un usurpateur. D'autre part, le texte montre à l'évidence que l'hostilité était générale dans toutes les couches de la société perse. L'auteur indique bien la possibilité de déporter seulement "les détenteurs de pouvoir" (§ 9.1) ou "les détenteurs d'honneurs et de puissance" (§ 9.7). Mais, il s'agit là manifestement d'un pis-aller imposé par les difficultés matérielles d'une déportation en masse qui reste bien l'objectif avoué (§ 9.1; 9.7). La conjonction de l'hostilité du peuple et de celle de la noblesse (et du clergé) ne fait donc aucun doute (cf. § 9.5). L'alliance de ces classes sociales antagonistes 342 s'est faite sur des bases idéologiques. En d'autres termes, Alexandre s'est trouvé confronté en Perse (Fârs) à une résistance de type national et monarchique, les deux éléments étant intimement liés tout au long de l'histoire du peuple perse. Il ne me paraît donc pas exclu qu'Alexandre ait songé à un moment ou à un autre à appliquer aux Perses le traitement conseillé par l'auteur du texte: des rapprochements avec d'autres témoignages antiques rendent l'hypothèse envisageable 343. En tout état de cause, on a là une confirmation très claire de l'extrême irritation politique d'Alexandre devant l'hostilité résolue et durable des Perses 844, dont fait état Diodore. C'est bien pour punir les Perses de leur refus de le reconnaître comme leur roi qu'Alexandre a donné ordre ... G. Gnoli: Politique religieuse .... p. 166. note 167. - Dans les Res Gestae Divi Saporis, § 10. le terme grec tY,.UO""'TO ("mentit") est rendu en partie par le terme KDB·. qui lui-même correspond au moyen-perse «droy» (i.e. drauga): cf. A. Mar ic q, Syria, XXXV, 1958. p. 308, note 2. .., Cf. supra. p. 44. 62. t III Sur les antagonismes sociaux en Perse à la fin de la période achéménide, voir les réflexions de M. Dand amayev, Persien .... p. 213-214 . ... Arrien. III.l7.6; Diodore. XVIII.4.4. (justement cités par M. Plezia, p. 122): cf. DHA, II. 1976. p. 208-209 . ... Je suis là en total désaccord avec l'interprétation générale que Plezia (p. 121) donne du chapitre 9. L'auteur écrit en effet: "Cette politique [de réconciliation avec les Perses] [...] se heurtait cependant à une opposition bien marquée dans l'entourage gréco-macédonien du roi. Le chapitre suivant (9) présente une expression presque programmatique des idées qui animaient cette opposition". En réalité, les textes ne font pas état. à cette date, d'une opposition marquée de la noblesse macédonienne (connue plus tard après la mort de Darius). Le seul fait que l'on puisse verser au dossier. c'est la hâte des soldats de revoir leur patrie, d'où leur joie de voir flamber le palais: ils y voyaient la preuve que le roi allait prendre le chemin du retour (Plutarque, 38.6-7); mais cette attitude d'esprit des soldats n'explique certainement en rien la décision d'Alexandre. Ce que l'on peut dire, c'est' que certains membres de son entourage l'encouragèrent dans la voie choisie (cf. Plutarque, 38.5: mtpoL; Diodore. 72.3: tT",tpO'; Quinte-Curee, V.7.4.: "un ou deux assistants, gorgés de vin, l'approuvement''!). En revanche, les objections avancées par Parménion (Arrien, III.l9.12) - vieux-macédonien s'il en f(lt - montrent que l'enthousiasme était loin d'être général dans l'entourage noble du roi.
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79 d'incendier les palais. C'est bien ce que laisse entendre également QuinteCuree 845 qui, notant les regrets (politiques) d'Alexandre après l'incendie, écrit: "II prétendit que les Perses auraient subi, de la part des Grecs, un plus rude châtiment, s'ils avaient été obligés de le voir sur le trône et dans le palais de Xerxès". Lès Perses ne pouvaient que se soumettre ou refuser leur appui. Face à la situation créée par la sédition des Perses, Alexandre pouvait user de deux armes: la terreur et la persuasion, Il est certain que dès avant mai il n'hésita pas à recourir à la première: témoin par exemple les ravages exercés contre les villages et campagnes de Perse en avril 330 848 • Mais, à cette date, la persuasion politique restait, nous l'avons vu, son arme de choix. Dans cette optique, il me paraît que l'expédition d'un mois en Haute-Perside 847 doit être interprétée comme l'ultime tentative du Macédonien pour mener à bien sa stratégie idéologique. Elle lui prouva en réalité qu'une tribu perse - celle des Mardes - n'hésita pas à lui résister les armes à la main 848. La décision finale prouve que sa campagne de persuasion idéologique n'avait eu que peu d'effets chez les Perses. On doit donc admettre également que les ralliements de nobles perses connus à cette date constituent un fait minoritaire 848: ils sont à la fois l'expression de contradictions internes à la noblesse 860 et une conséquence de l'affaiblissement politique de la royauté. En revanche, la quasiunanimité et la vigueur de la résistance à Alexandre prouvent a contrario que le ciment idéologique qui garantissait la survie de l'ordre social perse était toujours solide et actif. 4. L'6cbec
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L'incendie de Persépolis marque donc non pas une rupture mais un tournant important dans la stratégie idéologique développée par Alex.andre depuis 334 et surtout depuis Issos. Parménion souligna le risque qu'avait pris Alex.andre: apparaître comme un ravageur et non comme le maître ... V.8.ll. Ibid., V.6.17. .., Supra, p. 66. 14. Quinte-Curee, V.7.13-20 (cf. DHA, II. 1976, p. 170-172, 178, 196-200). Les Mardes constltuent une des tribus perses auxquelles Cyrus fait appel (Herodote, I.I25-126). J'ajoute que, selon une légende du fondateur, Cyrus lui-même était originaire de la tribu des Mardes (yt\lo, M
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durable de l'Asie 361. Ce que confirme Quinte-Curee 852, soulignant combien la décision d'Alexandre était inopportune, "au moment même où son ennemi et rival (hostis et aemulus regni) se préparait à une nouvelle guerre et alors que la soumission des vaincus était récente et qu'ils. méprisaient cette autorité nouvelle". En d'autres termes, cette décision d'Alexandre offrait une arme de choix à la propagande du Grand Roi, l'accusant de venir rapiner l'Asie aos. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que la contre-propagande perse utilisa à fond cette arme nouvelle. On en a la preuve dans l'abondante littérature politico-religieuse issue des milieux cléricaux du vivant même d'Alexandre du moins dans son inspiration 854. Parmi les oeuvres les plus marquantes figurent les Oracles de la Sibylle, le Rahman Yast et l'Oracle d'Hystaspes. Alexandre y apparaît comme l'envahisseur et le destructeur de la religion. Deux idées sous-tendent toute cette littérature: le déplacement des notables et l'interruption de l'Etat et de la royauté protégés par les dieux, deux réalités qui, en effet, sont celles de la politique d'Alexandre. Alexandre est l'anti-roi, celui qui apporte la désolation: alors que le roi iranien doit amener la pluie sur la terre, qu'il protège la terre et les hommes, qu'il prend soin de l'Arbre de la Vie, l'envahisseur amène avec lui la sécheresse: les pluies cessent; les sources se tarissent, les champs deviennent incultes sous le coup de chaleurs et de froids excessifs, les moissons ne mûrissent pas, les troupeaux meurent, de même que les humains etc. Alexandre représente donc l'image exactement inverse du Grand Roi célébrant les rites de fertilité au Nowruz de Persépolis. Toute cette littérature, en bref, prêche la résistance contre l'occupant impie, et annonce la réapparition d'un empire perse sur le monde. Il est certain que les Mages - au moins certains d'entre eux - ont joué un rôle de premier plan dans l'élaboration et la diffusion de ces oeuvres de propagande. La destruction des palais de Persépolis constitue donc un échec partiel pour Alexandre, dans la mesure où il n'a pas réussi à atteindre son objectif de récupération globale des structures socio-politiques perses. Plusieurs textes anciens montrent d'ailleurs que le roi fut conscient et amer de cet échec 855. Mais, Alexandre est un réaliste: l'hostilité durable des Perses au moment même où Darius préparait une nouvelle armée 858 ne laissait guère le choix des moyens au Macédonien. L'offensive idéologique se révélant insuffisamment opératoire, il en vint à utiliser l'arme de la violence et de la terreur, au risque de faire croître encore l'hostilité des Perses. Ce faisant, il visait surtout à annihiler la fonction idéologique de Persépolis: ni Darius ni un autre Perse ne pourrait s'en prévaloir pour lutter contre l'occupation macédonienne 807. 36. Arrien, 111.18.19. ... V.7.2. ... Supra, 1.2., 1.4. 3" En ce qui coneerne eette littérature, j'ai suivi S. K. Eddy: op. cit., p. 9 et suiv.; cf. p. 69-71. '" Quinte-Curee, V.7-11; Arrien, VI.30.1; cf. Plutarque, 38.8. ... Quinte-Curee. V.7.2. m Cf. A. Shapur Shahbazi; Persépolis illustré, Institute of Achaemenid Research Publications, V, 1976, p. 73.
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81 C'est en cela que l'incendie constitue un signe: non pas à l'Asie, mais aux Perses: il leur indiquait en effet que l'heure de la grandeur impériale était révolue, sauf s'ils se ralliaient aux vainqueurs. Les nobles pourraient ainsi continuer de profiter en partie, comme ils le faisaient depuis Darius J, du système d'exploitation impériale.
D. Les lendemains de Persépolis
Pour autant, l'incendie de Persépolis ne marque pas une rupture totale dans la stratégie idéologique du Macédonien: dans les mois suivants Alexandre continua à chercher à se parer du prestige du Grand Roi. La raison de cette continuité - visible dans la permanence des thèmes majeurs de la propagande - est simple à saisir: en dépit de l'incendie, il se trouve dans l'absolue nécessité d'amener à lui un grand nombre de nobles perses, et cela alors que Darius est toujours vivant. Alexandre connaît en effet la résolution de Darius qui, depuis plusieurs mois, constitue une nouvelle armée 868 et "se prépare ~ combattre plutôt qu'à fuir" 869. C'est pourquoi, dès après l'incendie des palais, Alexandre s'empresse de marcher contre Darius 380, qui résolut de se retirer dans l'Iran oriental, en faisant le vide devant le Macédonien de façon à stopper sa progression 381. L'objetif d'Alexandre était au contraire de livrer bataille au Grand Roi 382, dont il veut s'emparer. Commence alors une poursuite de plusieurs semaines, au cours de laquelle Darius est trahi par Bessos et ses amis et conjurés 3bS. Ce qui est intéressant, c'est la présentation que donne la propagande macédonienne de la mort du Grand Roi et de la conduite d'Alexandre. Selon une version ancienne, Darius est mort avant l'arrivée d'Alexandre>". Mais "certains ont écrit qu'il trouva Darius respirant encore, et compatit à ses malheurs: que, le Grand Roi l'ayant exhorté à venger sa mort, il promit de le faire et se lança à la poursuite de Bessos" 388. Même dans la version - historiquement plus crédible - de la mort de Darius précédant l'arrivée d'Alexandre, on insiste sur cette transmission du pouvoir par Darius à Alexandre. D'après Plutarque, Darius aurait fait venir le Grec Polystratos près de lui, et lui aurait dit: ,,[...] Je lui [Alexandre] donne la main droite par ton intermédiaire" 381. La destruction des palais de Persépolis permet de comprendre que la propa... Diodore, 65.5. Quinte-Curee, V.8.2. ,.. Ibid., V.7.12; Diodore, 58.1; Arrien, 111.19.2. ... Arrien, 111.19.1. , .. Ibid., 19.3. a.. Cf. H. Berve, II, nO 212, où les sources sont rassemblées. ... Arrien, 111.21.10; Diodore, 73.4. , .. Diodore, 73.4. ... A/ex., 43.4; cf. Justin, XII.IU5. lOt
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82 gande macédonienne met désormais la figure de Darius III en relief: désormais c'est de Darius lui-même qu'Alexandre tient la légitimité d'un pouvoir légué. Alexandre prit soin de faire convoyer à Persépolisla dépouille du Roi et de l'y faire inhumer dans les tombes royales 367, faisant une nouvelle fois la preuve de son attachement aux coutumes ancestrales des Perses 368. Cette "dévotion" à Darius et aux usages achéménides était destinée avant tout à frapper les nobles iraniens qu'on pressait de se rallier à celui qui, bientôt, introduit des usages perses à sa cour, nonobstant une opposition de ses Macédoniens 369. Elle est aussi destinée à justifier la suite de l'expédition aux yeux de soldats qui jugeaient que la mort de Darius signifiait le retour en Europe 370. Elle s'explique enfin et surtout par les nécessités de la propagande à destination des populations iraniennes. "Chez ces peuples, en effet, le prestige du roi est extraordinaire; le nom suffit à rassembler les Barbares; et la vénération pour sa fortune passée suit le roi dans l'adversité" 371. Or, Bessos s'est fait proclamer Grand Roi sous le nom d'Artaxerxès 372, et soulève les populations bactrienne puis sogdienne contre Alexandre 373. Le Macédonien et Bessos sont donc dans une position de concurrents idéologiques: le premier ne peut laisser le second s'emparer du' prestige du Grand Roi. La campagne contre Bessos est donc présentée comme une vengeance menée au nom de Darius contre' un "parricide" 374. "C'est la cause de tous les rois qu'il faut défendre" 376; "il faut donc poursuivre ceux qui ont fait défection au royaume (de Darius)" 376. C'est en défenseur de la légitimité achéménide qu'il poursuit Bessos et les meurtriers" 377. C'est une véritable "guerre sainte" qu'entend mener Alexandre, pour des raisons qu'il explique dans un discours tenu(?) à ses troupes: "Une fois ceci achevé, ne croyez-vous pas que les Perses seront bien plus obéissants, quand ils auront compris que vous n'entreprenez que des guerres saintes (pia bella), et que votre colère vise le crime de Bessos, et non leur nation à eux"? 378. D'ailleurs, après sa capture, Bessos fut déféré devant un tribunal à Bactres sous l'accusation de "trahison" '" Arrien. III.22.1; cf. Plutarque, 43.7 (fait revêtir le corps des ornements et l'envoie à la mère de Darius); Justin. XI. 15.15.: "Il célébra ses funérailles avec une pompe royale et fit porter ses restes au tombeau de ses, pères". ... Sur l'obligation faite au successeur d'ensevelir le Roi selon les coutumes royales, voir par ex. Ctesias, Persika (ed. Henry), 9,45; également: Quinte-Curee, III. 12.13 et Plutarque, 21.4. Nous avons là un autre exemple de "convergenee idéologique" (supra, p. 53 et suiv.; sur le successeur et les funérailles royales en Macédoine, cf. P. Briant: Antigone le Borgne, p. 318-319). ••• Cf. Diodore, 77.4-7; Plutarque, 45.1-4; Quinte-Curee, VI.6.I-l0 etc. 87. Cf. Diodore, 74.3. ' m Quinte-Curee, V.IO.2. '" Diodore, 74.2; Arrien, 1II.25.3.; Quinte-Curee, VI.6.13. 818 Diodore, ibid. m Quinte-Curee, VI.3.9. ~ VII.5.38. ." Justin, XI.l5.12. no Ibid., XII.3.3; cf. Quinte-Curee, VI.3.l4. an Cf. Quinte-Curee, VI.4.14. .,. Ibid., VI.4.18. -
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83 (ltpo8oatœ) envers Darius" 379. Il fut condamné à avoir les oreilles et le nez coupés, à la manière perse 380, et, ultérieurement, conduit à Ecbatane 381 pour y être mis à mort devant l'Assemblé (O'VÀÀoyoç) de la noblesse perse et mède 382. Au cours des mois et années qui suivirent la destruction des palais, Alexandre n'oublia donc pas Persépolis (où est inhumé Darius) ni les Perses, au nom desquels il prétend conduire la "guerre sainte" contre Bessos. Au retour de l'Inde, le roi vint une nouvelle fois à Pasargades; il y restaura le tombeau de Cyrus violé et pillé 383. Puis, il se rendit à Persépolis, et c'est à cette occasion qu'Arrien nous fait part lui aussi des regrets qui habitaient encore Alexandre d'avoir détruit les palais à84. La résistance des Perses l'avait en effet contraint à une décision qui lui avait interdit en 330 et lui interdisait en 325 de prendre légitimement le titre et les fonctions de Grand Roi. ." Arrien, IV.7.3. Ibid., IV.7.3.-4; cf. Quinte-Curee, VII.S.40; Diodore, 73.9. '" Cf. Quinte-Curee, VII.IO.IO. ... Arrien, IV.7.3. ... Arrien, VI.29.9-11 . ... Ibid., 30.1. as.
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COMMUNAUTES RURALES, fORCES PRODUCTIVES ETMODE DE PRODUCTION TRIBUTAIRE EN ASIE ACHEMENIDE •
"Le capital n 'a point inventé le surtravail. Partout où une partie de la société possède le monopole des moyens de production, le travail/eur, libre ou non, est forcé d'ajouter au temps de travail nécessaire à son propre entretien un surplus destiné à produire la subsistance du possesseur des moyens de production" (K. Marx, Le Capital, Livre J, t. J,231-232)
• Cet article constitue une version à la fois modifiée et mise à jour du texte d'une communication destinée à être présentée au Congrès de la Société Jean Bodin (Varsovie, mai 19ï6) et à être publiée dans les Recueils de la Soc. J. Bodin: les retards successifs de l'impression m'ont incité à répondre favorablemen t à la Rédaction de Zamân. J'ai tenu compte de la bibliographie récente, et j'ai intégré les résultats de mes propres recherches publiées (ou sous presse) dans des recueils et des revues dispersés. La modification du titre s'explique moins par les modifications apportées au texte original que par l'évolution de ma réflexion sur les sociétés tributaires. Si je n'ai pas fait figurer ici la dernière partie (IV; Problèmes et direction; de recherche), c'est d'une !?art pour ne pas étendre la pagination, d'autre part parce que mes dernières etudes contribuent à répondre aux questions posées: mais, à mes yeux, les problèmes que j'y abordais restent d'actualité.
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1.1. Rassemblés par Cyrus puis par Cambyse, organisés par Darius I, les territoires de l'Empire achéménide (v. 550-v. 330) constituent un ensemble spatial, politique et social immense à l'époque de sa plus grande extension: de la Méditerranée à l'Indus, de la Mer d'Aral à l'Arabie et à l'Égypte. Cet Empire fut conquis à partir de 334 par Alexandre de Macédoine, qui lui donna un second souffle, en récupérant à son profit les bases socio-économiques et idéologiques du pouvoir des Achéménides - jusqu'à ce que, vers la fm du IVe siècle, ces territoires fussent à nouveau morcelés entre plusieurs Etats monarchiques: les royaumes hellénistiques (séleucide et lagide principalement en Orient). Beaucoup d'études - trop à mon sens - sont consacrées à l'histoire diplomatique et militaire de l'Asie pendant ces périodes: ces recherches incitent parfois à un scefticisme raisonné, quelle que soit par ailleurs leur valeur intrinsèque . Cependant - à la suite surtout des études de H. Kreissig2 - de grands progrès ont été faits dans la connaissance des structures socio-économiques de ces Etats hellënistiques, en particulier du royaume séleucide. Beaucoup reste à faire dans le même sens pour l'Empire achéménide, alors même que la publication des tablettes de Persépolis ne peut qu'orienter la recherche dans ce sens", Bien des efforts, enfin, restent à accomplir pour mieux poser le problème des continuités et des discontinuités, ces dernières ayant été pendant trop longtemps - (depuis Plutarque! ) - surestimées à partir de la seule conquête militaire d'Alexandre'' .
1. Cf. par exemple P. Ducrey, dans Athenaeum, n.s.56 (1918), 430: ..... Le sentiment d'une sorte d'impasse s'empare du lecteur. Et puisque la réponse aux questions classiquement posées depuis un demi-siecie ne peut être apportée, ne devrait-on pas poser d'autres questions, '}ui s'éloigneraient d'une histoire événementieUe ou diplomatique au sens etroit et mettraient en 'évidence une problématique nouveUe, plus fructueuse? ". Il est heureux pour l'avenir de l'Histoire de l'Antiquité que ces réflexions épistomologiques se multiplient. 2. Voir
en
dernier
lieu
H. Kreissig,
Wirtschaft
und
Gesellscnoft im
Seleukidenrelch, Berlin, 1918.
3. Voir les études et analyses de M, Dandamayev dans Vestnik Drejnev Istorii (Moscou), 1912/1, 3-26 et 1913/3, 3-24. Première synthèse par R.T. HaUock, "The Evidence of the Persepolis Tablets", pré-publication de la Comb. Hist. Iran, 1/ (Cambridge, 1912). Voir également W. Hinz, ..Achiimenidische Hofverwaltung", Zeits.]. Assyr., 61 (1912),260-311. 4. Voir mon étude: "Impérialismes antiques et idéologie coloniale dans la France contemporaine: Alexandre le Grand 'modèle colonial''', Diol. Hist, Anc. (Paris-Besançon), V. 1919.
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J'ajoute qu'une étude globale de ces Etats ne saurait sans graves dommages se restreindre à l'analyse des "infrastructures" : le politique et l'idéologique (les "superstructures") y ont une fonction essentielle en articulation dialectique avec les premières s . Si l'on s'entend pour admettre l'importance de la dépendance rurale dans ces Etats, il est nécessaire tout en même temps d'affirmer que le problème ne peut pas être envisagé sous la seule approche juridique. Il convient plutôt de descendre vers ou plutôt de partir des unités spatiales et sociales dans lesquelles vivent, se reproduisent, travaillent et sont exploités les paysans d'Asie - (dénommés laoi par les sources épigraphiques hellénistiques) -, c'est-à-dire les villages. L'entreprise est difficile, mais elle n'est pas désespérée, à condition: 1) de ne pas sous-estimer l'intérêt de la documentation disponible; 2) de toujours replacer ces communautés de base dans le cadre de l'analyse globale de la société impériale.
1.2. Une série d'inscriptions d'Asie Mineure et de Palestine hellënistiques'' ainsi que les descriptions de l'Asie par les auteurs classiques montrent de manière frappante la diffusion spatiale et la permanence chronologique des communautés rurales en Orient achéménide et hellénistique 7 . En outre, plusieurs études indiquent clairement que l'existence de ces communautés s'enracinent dans l'histoire de l'Asie prë-achëmënldeê. Il s'agit le plus souvent de communautés territoriales de village, chacun des multiples villages possédant un territoire bien délimité par des frontières officiellement reconnues et enregistrées par l'administration du cadastre. Du moins s'agit-il du schéma le plus répandu sur la terre royale [chôra basilikè}, celui que l'on peut isoler à partir de documents
5. Ce que j'ai essayé de montrer dans "Forees productives, dépendance rurale et idéolofies religieuses de l'Empire achémenide", Table Ronde de Besançon : Les Ideologies religieuses (Qv,111977j, Besançon-Paris, 1980. 6. Cf. mon étude: "Remarques sur IDOls et esclaves ruraux en Asie Mineure hellénistique", Actes du Colloque 1971, Besançon-Paris (1973), 93-133. Voir aussi H. Kreissig, op. cit., en part. 17·19 (sur les villages). Aux textes cités dans ces études, ajouter depuis lors l'importante publication de M. Wonle, dans Chiron 5 (1975),59-87. 7. Voir P. Briant, "Villages et communautés villageoise d'Asie achéménide et hellénistique",JESHO 18/2 (1975), 165-188. 8. On verra en particulier M. Liverani, "Communautés de village et palais royal dans la Syrie du ne millénaire", JESHO 18/2 (1975),146-154, et les travaux de la Société Jean Bodin à Varsovie en 1976, sur lesquels (en attendant la publication) on lira avec profit les réflexions de M. Liverani, "Sulle tracee delle cornmunitâ rurali. ln margine ai lavori della Società J. Bodin", Oriens Antiquus 17/1 (1978), 63-72.
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hellénistiques surtout. La communauté rurale peut également déborder largement le cadre du village. Ainsi des conununautés du Zagros achéménide et hellénistique, peuplé par des tribus (ethnè) plus ou moins importantes, vivant essentiellement de pastoralisme (petit bétail) et secondairement (mais complémentairement) d'une agriculture de fond de vallée: les Cossëens du Louristan, les Elymëens (à l'est de Suse), les Ouxiens et les Mardes de Perside (Fars) en sont les représentants les mieux connus grâce aux textes classiques? Chaque vallée est semée de plusieurs villages (kômai] qui, ensemble, constituent la communauté. Même si chaque village conserve une certaine autonomie, il existe manifestement un "gouvernement" commun ~ui agit par exemple lorsqu'il faut entrer en rapport avec le Grand Roi o. Nul doute que les contraintes de la production pastorale explique pour l'essentiel l'extension spatiale et politique de ces communautés rurales, qui présentent des traits originaux dans l'ensemble socio-ëconomique achéménide et hellénistique II Dans la plupart des cas, c'est plus le village (aspect spatial) que la communauté rurale (aspect socio-politique) que les témoignages permettent d'appréhender: nul ne saurait s'en étonner, étant donné la nature de notre documentation. Cependant, on peut admettre, me semble-t-il, l'existence de cette communauté, ne serait-ce que parce que les villages entrent aussi en relation avec l'administration satrapique (cf. infra II). Le caractère communautaire de ces villages se marque par l'existence d'institutions propres: chef de village (k6marque), Assemblée générale des villageois, terres communes peutêtre redistribuées à l'intérieur des unités familiales qui, ensemble, constituent la communauté rurale 12. De cette vie politique interne des villages - si difficile à saisir - une inscription hellénistique récemment publiée donne une illustration remarquablement concrète 13. Les villageois de deux villages voisins, Néoteichos et Kiddioukôrnè, se sont réunis en Assemblée (ecclesia) et ont voté un décret construit sur le
9. Voir mon étude "Brigandage, conquête et dissidence en Asie achéménide et hellénistique", Dial. Hist, Anc., Il (1976), 163-258 - suivie d'un dialogue avec l'historienne M. Clavel-Lévêque (258-262) et l'anthropologue J.P. Digard (263-271) el de ma réponse (271-279). 10. Voir par exemple, Arrien, Anabase, III. 17.2.5; cf. J.P. Digard, ibid., 267. 11. Voir ma brève analyse dans "Sociétés pastorales du Zagros achéménide", dans Etudes sur les sociétés de pasteurs nomades. IV, (Cahiers du CERM, n? 133, 1977), 1-9. L'ensemble du problème est repris dans un livre; Etat et sociétés pastorales en Asie achéménide et hellénistique (à paraître). 12. Cf.JESHO 18/2(1975),178-179.
13. Publication par M. Wôrrle dans Chiron 5 (1975), 59-85. Le texte et le contexte posent au demeurant de nombreux problèmes historiques qui sont exceUement traités par M. Wonle.
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modèle politique grec. Ce décret confère des honneurs particuliers à deux fonctionnaires séleucides qui se sont distingués pendant une invasion ga!ate dans les campagnes d'Asie Mineure Occidentale. Il est intéressant de noter en outre que l'un des deux villages au moins, celui de Kiddioukômè, est manifestement indigène: en d'autres termes, la diffusion spatiale de la langue grecque permet à l'historien de disposer de la preuve documentaire de la vie interne de ce village qui, à l'époque de la domination achéménide, existait également en-dehors de toute manifestation écrite 14 . Quelles que soient les formes de ces communautés rurales, il apparaît à l'historien que leur étude doit être replacée dans la perspective de la formation économique et sociale: or, à l'époque achëménide comme à celle d'Alexandre et de ses successeurs, l'unification politique des territoires, toujours fragile, est loin d'être totale et uniforme; la formule de la diplomatique achéménide et hellénistique "Rois, cités, dynastes et ethnè" rend bien compte de la variété des statuts et des situations à l'intérieur d'une même construction étatique. Cette diversité renvoie à une pluralité des voies d'évolution des différentes régions historiques composant l'Empire. Elle rend compte en même temps d'une diversité des modes de production, les formes politiques et idéologiques de la royauté unitaire et unificatrice étant l'expression et l'une des composantes de la domination d'un mode de production, à savoir celui que l'on retrouve sous l'expression antique d'Economie royale (dont l'Economie satrapique est partie intégrante), distincte et de l'Economie politique (celle des cités) et de l'Economie privée: telle est en effet la classification adoptée et systématisée dans un opuscule d'inspiration aristotélicienne, les Economiques, dont on s'entend aujourd'hui pour admettre qu'il date du dernier quart du Ive siècle av.n.è 1 S . Or, les communautés rurales se retrouvent dans chacune de ces "économies". Le problème est donc d'analyser leur fonctionnement et leur fonction dans chacun des modes de production au-delà des analogies indéniables mais largement déformantes. C'est à l'analyse des rapports communautés/économie royale (i.e. mode de production dominant) que sont consacrées les pages qui suivent.
1.3. Les caractéristiques de l'économie royale sont présentées de façon très schématique par le Pseudo-Aristote 16 : ce n'est pas un
14. Voir sur ce problème de méthode mes réflexions dans IESHO 1975, 179, n.62. 15. Cf. REA 1972,46-48 et IESHO 1975, 188 et n. 107 où l'on trouvera la bibliographie antérieure. Sur les rapports existant entre ce texte et les tablettes de Persépolis, voir en particulier G.C. Cameron, INES 17/3 (1958), 168-169. 16. Ps. Aristote, Economiques, Il. 1.
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désavantage, car le caractère très dépouillé de l'opuscule permet d'isoler très rapidement la charpente même de l'édifice et d'en défmir la logique interne. Dans les territoires divisésen satrapies par Darius et contrôlés directement par l'administration royale, la terre est considérée comme "royale" ; c'est l'exploitation de cette terre dite aussi tributaire, ou plus exactement l'exploitation des communautés rurales qui la travaillent, qui fournit une grosse partie des ressources que les Rois prélèvent sous forme de tribut et qu'ils thésaurisent ou conservent dans leurs Trésoreries et leurs Magasins. Sur ce point, les Economiques du Pseudo-Aristote tout comme l'Economique de Xénophon sont sans aucune ambiguïté, et leur témoignage est la~ement confirmé et précisé par les tablettes élamites de Persépolis' . Ajoutons que l'auteur aristotélicien prend soin d'affirmer que le Roi dispose d'un pouvoir absolu. En revanche, le village n'est jamais' cité dans le texte du PseudoAristote. mais cette constatation ne doit pas conduire à un scepticisme total' 8, car il est évident que la plus grande partie de notre documentation est d'origine étatique, alors même que - mis à part l'exemple des habitants de Neoteichos et de Kiddioukômè (cfl2) - les villageois n'ont pas la parole. Par ailleurs, les documents d'époque hellenistique permettent de conclure que les villages - définis chacun par ses frontières - y constituent les unités d'exploitation et de perœption'9. Ils sont le plus souvent groupés par deux ou trois autour d'un point fortifié tenu par une garnison royale, et l'ensemble de la forteresse et des villages attenants constitue ce qu'on peut appeler le "module cadastral" de base2 0 . C'est donc bien au sein des innombrables villages que s'organise le procès de travail et à partir de ces villages que s'opère le prélèvement royal du surproduit. . En analysant le fonctionnement de cette économie royale, un historien marxiste ne peut manquer de la rapprocher de ce qu'il est convenu d'appeler le Mode de ProductionAsiatique (MPA), que Marx et Engels ont individualisé à partir de l'exemple de l'Inde prë-britannique. Ce n'est pas le lieu ici de reprendre une analyse détaillée et argumentée du concept marxiste de MPA 2 , • Ce qu'on peut relever en
17. Voir en particulier mon étude "Contrainte militaire, dé1,"'ndance rurale et exploitation des territoires dans l'Empire achéménide', Index (Naples) 1979. 18. Voir les justes remarques en ce sens de M. Liverani dans Oriens Antiquus, 17{1 (1978), 63·72. 19. JESHO 1975.178-179.
20. Voir là-dessus mon étude dans Index 1979, passim. Sur les groupements de villages, voir déjà JESHO 1975, 176-177, dont les conclusions sont pour l'essentiel reprises par Kreissig, op. ctt. p.,19 21. Voir sur le 'mode de produf,tion asiatique' (Recueil du CERM), Paris, 2e éd. 1974 [cité désormais 1l1PA, et Sur les Soçiétés précapitalistes (Recueil du
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revanche~ c'est l'importance donnée par Marx aux communautés villageoises 2 : - elles constituent les commautés de base, coiffées immédiatement par un Etat tout puissant, qui intervient et agit dans tous les domaines de la vie socio-ëconomique : "Dans la plupart des formes asiatiques fondamentales, l'unité d'ensemble qui est au-dessus de toutes ces petites entités communautaires apparaît comme le propriétaire supérieur ou le propriétaire unique, les communautés réelles n'al?ya. raissant par suite que comme possesseurs héréditaires", écrivait Marx 3; - en même temps, elles représentent l'élément stable, voire immuable, de l'histoire de l'Asie. Marx a (beaucoup) tro~ insisté sur ce qu'il a appelé "l'immutabilité des sociétés asiatiques", 4 en écrivant par exemple à propos de l'Inde: "Ses conditions sociales sont restées invariables depuis l'Antiquité la plus reculée jusqu'à la première dëcennie du XIxe siècle,,2s ou bien: "Ces petites communautés indiennes, dont on peut suivre les traces jusqu'au temps les plus reculés, et qui existent encore en partie, sont fondées sur la possession commune du sol, sur l'union immédiate de l'agriculture et du métier, et sur une division du travail invariable, laquelle sert de plan et de modèle toutes les fois qu'il se forme des communautés nouvelles ..."2 6 Ailleurs, Marx souligne "la simplicité de l'organisme reproductif de ces communautés qui se suffisent à elles-mêmes (durchaus self.sustaining),,2 7 : ce qui est quelque peu excessif, car l'existence de l'artisanat dans les campagnes
CERM), Patis (1970) [cité désormais SPCI; voir également E. Mandel, La formation de la pensée économique de K. Marx, Paris (1972),109-131. Sur les discussions relatives au MPA, on verra le livre incisif et polémique (dans le meilleur sens du terme) de G. Sofri, Il modo di produzione asiatico. Storia di une controversia marxista, 2e éd., Turin, 1974. Je souligne également tout l'intérêt des thèses que S. Amin a développées dans plusieurs livres et en dernier lieu (sous forme synthétique) dans un livre d'A.G. Franck, L'accumulation dépendante, Paris (1978), 278-400 (Sociétés précapltalistes et capitalisme). Voir également l'important article de R.A.L.H. Gunawardana, "The analysis of pre-colonial social formations in Asia in the writings of K. Marx" .Indian Historical Review, 11/2 (1976), 365-388. 22. Voir également R. Ramtin, "Asiatic village communities and the question of exchange", Zamân 1 (1979),45-79. 23. SPC, 183.
24. Sur ce problème de la "stagnation asiatique", voir mes remarques dans mon étude, "Forces productives, Etat et mode de production tributaire en Asie achérnénide", Congrès de Berlin (novembre 1978) s.p, 25. SPC, 174. 26. Ibid. 253.
27. Ibid. 255; cf. aussi 269-270.
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n'implique pas une autarcie totale des communautés villageoises ou une absence d'échanges 28 . L'importance des communautés rurales dans les sociétés asiatiques est également mise en relief par les auteurs marxistes d'aujourd'hui. Ainsi, M. Godelier écrit 2 9 :" L'essence même du mode de production asiatique est l'existence combinée de communautés primitives où règne la possession commune du sol et organisées, partiellement encore, sur la base des rapports de parenté, et d'un pouvoir d'Etat qui exprime l'unité réelle ou imaginaire de ces communautés, contrôle l'usage des ressources économiques essentielles et s'approprie directement une partie du travail et de la production des communautés qu'il domine". Réalité. exprimée d'une manière non moins nette par J. Chesneauxê? :" Si l'on regroupe les indications données par Marx à ce sujet, le mode de production asiatique semble bien se caractériser par la combinaison de l'activité productrice collective des communautés villageoises et de l'intervention économique d'une autorité étatique qui exploite ces communautés en même temps qu'elle les dirige; cette exploitation, de caractère global et non individuel a été nommé par Marx "esclavage généralisé". Le caractère central des relations entre communautés rurales et Etat central explique qu'on ait pu proposer l'appellation de "mode de production despotico-villageois,,3 . Je préfère personnellement le terme "mode de production tributaire") 2 , pour des raisons que j'ai brièvement exposées ailleuiSH et sur lesquelles je reviendrai plus en détail dans une étude spéciale. Quoi qu'i! en soit, il apparaît clairement qu'une étude sur les communautés villageoises en Orient ne peut se concevoir en dehors de la discussion sur le mode de production tributaire, même si celle-ci ne peut ni ne doit ëtre réduite à celle-là. L'historien H. Kreissig a été le premier a réexaminer l'histoire de l'Asie hellénistique d'un point de. vue marxiste; toutes ses études
28. Même s'il reste fondamentalement vrai - dois-je le préciser? - que les structures socio-économiques liées à la communaute villageoise peuvent rester (et restent souvent) intactes au-delà des changements de régime politique: cf. SPC, 255. Tel est bien, en effet, le problème essentiel lié à l'interprétation que l'on peut donner des conséquences de la conquête d'Alexandre (voir brièvement mon Alexandre /e Grand, 2e éd., 1977, 66ss). 29. MPA 49-50, avec les remarques critiques d'E. Mandel, Formation. 117-120. 30. MPA. 24; voir aussi 25-28. 31. Proposition rappelée et rejetée par Chesneaux, ibid. 38-39.
32. Cf. déjà Chesneaux, 24 (rappelant les propositions de S. Hoy okawa en 1934 puis de 1. Banu en 1966) : ..... Le tribut est le rapport original, distinct et de l'esclavage et de la dépendance féodale. qui existe entre les communautés rurales et le pouvoir asiatique". Cette proposition est également celle de S. Amin. mais dans le cadre d'une interprétation différente, car pour lui le féodalisme n'est qu'un sous-ensemble du mode de production tributaire. 33. Voir mon intervention ~u Congrès d~ Berlin 1978.
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récentes ont montré que fa conquête macédonienne ne marquait pas une coupure, mais bien au contraire que le mode de production de l'Orient Ancien (Altonentalische Produktionweise) y restait dominant 34 . C'est une conclusion à laquelle j'ai abouti indépendamment dans une étude de 1971 35 . Sauf exception, les historiens n'ont guère repris sous cet an*le l'étude des structures socio-économiques de l'Empire achéménide 6, alors même que la cohésion des communautés rurales que l'on voit se manifester en pleine époque hellénistique était déjà une réalité à l'époque de la domination perse, et que l'opuscule des Economiques montre que l'Economie Royale hellénistique emprunte les traits de l'Economie royale achéménide : en d'autres termes que, au-delà de la conquête d'Alexandre, les sociétés de l'Empire restent régies par le mode de production tributaire.
II Vis-à-vis du Roi, les membres des communautés rurales sont dans un rapport bien différent de celui qui assujettit les esclaves à leur maître - (et, de ce point de vue comme à bien d'autres, la terminologie §recque de l'esclavage ne doit pas être prise au pied de la lettre) 7: la communauté est autonome et ses membres en sont 'libres,38, en ce que la collectivité n'entre en relations avec l'Etat central que par l'intermédiaire des institutions communautaires (kOmarque, ecclesia...) ; il n'y a pas d'individu isolé: par exemple, à l'époque hellénistique, inscriptions et textes littéraires caractérisent la paysannerie indigène sous le pluriel collectif Zaoi. En outre, la communauté a un accès direct aux moyens de production, à savoir la terre dont elle a l'usage et le Roi le contrôle (ce terme me paraissant plus juste que celui de 'propriété éminente', créateur d'ambigüitës) - les instruments de culture, leurs maisons etc ... Même le don de villages par le Roi à l'un de ses proches ne rompt pas les liens entre les communautés de base et l'unité supérieure: il s'agit en effet d'un
34. Voir en dernier lieu Wirtschaft und Gesselschaft.... déjà cité. 35. Actes du Colloque 1971. Besançon-Paris (1973), 93-133.
36. Voir cependant - mais sous une forme Ansuffisamment élaborée J. Harmatta, "Der Problem der Sklaverei im Altpcrsischen Reich", dans Neue Beitriige zur Gesehiehte der Alten wett, l, Berlin (1964), 3-11. Voir aussi Cl. Herrenschmidt, dans Studia Iranica 6/1 (1977), 47-58 (dans le cadre de la réflexion conceptuelle wittfogélienne). 37. Sur le terme dou/os appliqué (dans des tex tes d'origine achéménide mais connus en version grecque) à un satrape, voir Bull. Corr. Hellénique, XIII (1889), 533-534 (lettre de Darius à Gadatas) ; voir aussi JESIIO 22/2 (l979), 16().161 (Hérodote.L 110et 114). 38. Cf. mes "Remarque, sur laoi .;".
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transfert (le plus souvent temporaire) de revenus (c'est-à-dire du surproduit tiré des communautés) et non pas d'une aliénation définitive de terres et de personnes sous la forme d'une propriété privée des moyens de production et des forces productives humaines (esclaves).39 Cependant, cette autonomie est liée dialectiquement à la dépendance qui s'exprime avant tout sur le plan fiscal: chaque communauté doit verser collectivement un tribut (pharos], elle constitue une unité tiscale 4 0 . Ce tribut et autres taxes pèsent pour l'essentiel sur les productions agricoles et pastqrales'' 1, dont le Roi encourage, ·favorise et anime le développement 42 . C'est la raison pour laquel1e le tribut est très généralement versé en nature (grains, tëtes de bétail laine, épices...)43. Les villages constituent donc les unités productrices de base. Et, mis à part le cynisme dont fait preuve Kautilya dans l'Arthaçastra 4 4 , on pourrait appliquer à l'Asie Achérnénide: ce qu'il écrit des
39. Pour l'Asie hellénistique, cf. P. Briani, ibid., 102-103. Pour l'Asie achéménide, voir aussi Dandamayev, VD/1973, 20-21, et P. Briant, REA 75 (1973), 46. n. 7 (=p.47). Cf. également A. Archi, "Citta Sacre d'Asia Minore; il problema dei Laoi e l'antefatto ittita", Par. d. Passato, 164 (1975), 329-344. 40. Voir déjà très nettement en ce sens E. Bikermann, Institutions des Séleucides. Paris (1948), 109; également mes Laoi, 105-106. 41. Voir Ps. Aristote, Il. 1.4. 42. Sur le rôle de l'Etat dans le développement des forces productives voir mon étude (déjà citée) du Congrès de Berlin 1978. 43. Strabon, XV.3.21 (pour les satrapies "de l'intérieur" distinguées des satrapies de la côte qui, selon Strabon, versent leur tribut en argent) ; Xénophon, Anab, IV. 5.24, à rapprocher de Strabon, X1.l3.8 et 14.9.Cf.les fournitures livrées par les villes et villages du Fars dans les tablettes de Persépolis (mais où il ne s'agit pas exclusivement de tribut proprement dit) : Dandamayev, VDI 1973, 3-26. Sur le tribut (bazis) versé par certaines exploitations en Perside achéménide, voir R.T. Hallock, Persepolis Fortification Tablets, Chicago (1969), nOs 267-273, 2025; voir aussi P. Briant, "L'élevage ovin dans l'Empire achéménide" ,JESHO 22/2 (1979), 136-161, en particulier 149-150. 44. Je ne peux entrer ici dans le détail d'un rapprochement qui mériterait d'être justifie plus longuement. Rappelons donc tout d'abord que de l'avis de la majorite des spécialistes, le contenu (sinon la rédaction) de l'ouvrage s'applique à l'Inde Maurya et remonte probablement au conseiller du roi Chandragupta à la fin du Ive siècle: ainsi D. Kosambi, Culture et civilisation de l'Inde ancienne, Paris (1970), 178-179; W. Ruben, Die Gesells-chaftliche Entwicklung im Alten Indien, VI Berlin (1973), pp. 164·166. M. Darnbuyant, Kautilya. L'Arthasastra. Le traité politique de l'Inde ancienne, Paris (1971), 14-22; E. Ritschl et M. Schetelitch, Studien zum Kautiliya Arthasastra, Berlin (1973), 9ss. Contra R.P. Kangle, The Kautiliya Arthasastra : a study, Bombay (1965) .' cf L. Renou "Politique et économie dans l'Inde ancienne", Journ. Sav, janv. mars 1966, 28-40, en particulier 31-33. Par ailleurs, le sens général de l'ouvrage se déduit du titre même:
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villages de l'Inde maurya: "C'est de la détresse des villages et de l'obligation où sont les paysans de se consacrer entièrement à leurs champs que nait l'accroissement du revenu pour le trésor royal: c'est ainsi ~e les paysans founissent plus de corvées, plus de grains, d'huile etc .;" s. L'Etat apparaît dans l'un et l'autre cas essentiellement ,comme le collecteur - également le thésaurisateur/redistributeur - du surproduit tributaire des communautés rurales.f 6 De ce simple fait 4 7 , l'autonomie communale est considérablement réduite, dans la réalité des faits sinon dans l'ordre des institutions communautaires. Bien que nous ne possédions que fort peu de renseignements sur les modalités de la perception, on peut faire un certain nombre d'observations sur les implications du versement du tribut sur le fonctionnement concret de la dépendance rurale:
"Science des affaires publiques" (Renou, 20), "Science du profit" ÇDambuyant, 35), "Sciences du gain matériel" (Kosambi, 179); voir egalement L. Dumont Homo hierarchicus, Paris (1966), 365·368. C'est assez dire déjà les analogies avec les Economiques ("Science de la gestion du domaine") du Pseudo-Aristote réd~é à la même date en Asie et ce d'autant plus que l'Inde Maurya s'est efforcee d'imiter son voisin iranien (W. Ruben, op. cit. 165; sur l'accueil d'artistes iraniens à la cour maurya après la conquête d'Alexandre, voir Sir M. Wheeler "The transformation of Persepolis architectural motifs into sculpture under the Indian Mauryan dynasty", Acta lranica, 11 (1974), 248-261. (Dois-je préciser également qu'une partie de l'Inde du Nord a été sous contrôle achéménide sous Darius? ). Enfin, la parenté de l'Etat kautilyen avec les sociétés asiatiques analysées par Marx a été soulignée avec force et persuasion par M. Dambuyant. "Un Etat à haut commandement économique, l'Inde de Kautilya", La Pensée 1970, 67-87, repris dans MPA, 369·385. Finalement, ce texte, dont Marx ne pouvait connaître l'existence (il fut découvert en 1908 dans une petite localité de l'Inde du Sud), confirme nombre de ses réflexions sur l'Inde ancienne que certains affectent de considérer comme complètement dépassées. (Sur la communauté villageoise, voir E. Ritschl et E. Schetelitch, op. cit., 81·136). 45. Kautilya 11.1.5 cité par Kosambi, op. cit., 187. 46. Dans les Economiques, le satrape apparaît exclusivement comme un leveur d'impôts. Tout comme l'Etat kautilyen, l'Etat achéménide (et hellénistique) apparaît fonctionner d'abord comme une machine à faire de l'argent à partir du travail-des masses paysannes, (Cf. à ce propos les réflexions d'Engels reprises par Marx: SPC, 170 et 173). De ce point de vue, la principale différence s'analyse au niveau de l'idéologie: id,ologie de la protection et de la paix chez les Achéménides, cynisme total chèz Kautilya. Il est vrai que les statuts des textes ne sont pas identiques: les textes "achéménides" donnent à voir le roi dans une image qu'ils veulent imposer; chez Kautilya, les processus d'exploitation des producteurs sont décrits sans fards: mais, l'image que le Roi entend donner de son pouvoir bénéfique auprès de ses sujets n'est pas différente: cf. Arthas. 1.12.8 en particulier (voir sur ce passage mon étude dans Index 1979,11.2.2.2.). 47. Là-dessus, voir les justes réflexions de L. Dumont (dont je n'adopte pas toutes les conclusions), "La 'communauté de village' de Munro à Maine", dans La civilisation indienne et nous, 2e éd. Paris (1974), 111-141, en particulier 138·139 ; cf. p. 139 : "Un degré aussi élevé de dépendance de fait ne peut pas ne pas se réfléter, au moins de temps à autre, dans la constitution du village et même dans l'idélogie de ses membres".
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86 1 - les droits du Roi sur la terre sont supérieurs à ceux de la communauté: par son contrôle sur la terre et les producteurs c'est-à-dire sur le surtravail - il contrôle également la répartition du surproduit (part des récoltes), et son intervention influe donc directement sur le niveau de vie des comrnunautës'" . Que la perception de la rente foncière s'accroisse, et c'est la survie même de la communauté qui est menacée, dès lors que la part réservée à sa reproduction biologique est diminuée; 2 - dans ghaque satrapie, le responsable de la levée des impôts est le dioicète 9, qui a des délégués dans chaque subdivision satrapiqueS 0 . Il ne semble pas qu'il dispose d'un représentant direct au niveau du village, contrairement à ce que l'on connaît par exemple dans les communautés syriennes de l'âge du bronzef 1. C'est le chef de village qui est chargé du versement du tributS 2, à charge pour lui sans doute avec l'aide et la collaboration de l'Assemblée des villageois et/ou des Anciens - de répartir le fardeau (sens étymologique du terme grec phoros, à rapprocher peut-être de bâra, et de l'akkadien bi/tu) entre les diverses unités familialesS3 . D'une manière générale en effet, l'administration centrale jugeait préférable de rendre les communautés de base collectivement responsables du versement de tribut S4 : cette responsabilité jouait contre la liberté de chacune des unités qui composaient la communauté, puisque les habitants devaient verser la part des membres défaillants. C'était par là-même un mode d'intervention indirect mais déterminant de l'Etat central dans la vie interne des communautés de base; 3 - par ailleurs, le souci du satrape de veiller à la bonne rentrée des levées tributaires allait de pair avec un contrôle militaire très strictS 5 . Xénophon en particulier exprime d'une manière très élaborée
48. Voir par exemple Bikermann, op. cit., 131-132. Sur l'évolution de la situation économique des laoi a la fin de la période hellénistique, voir mes interprétations et hypothèses dans Actes 1971. 116-117. 49. Cf. P. Briant, REA 1972,42-45. 50. Sur les noms de fonctionnaires financiers séleucides, voir J. et L. Robert, La Carie, Il, nO 166. A l'époque achéménide, voir Hinz, ZAss. 1972. 51. Ce sont les hazanu nommés par le palais dans chaque village: M. Liverani, JESHO 1975, 153-154; Cf. plus récemment, M. Heltzer, The rural community in Ancient Ugarit, 1976. 52. Voir Xénophon, Anab., IV.5.34 Pour l'époque hellénistique, voir Bikerman, op. cit., 109. 53. Sur ces rapprochements, voir G. Cardascia, Les archives des Murashu, Paris (1951),99. 54. Voir P. Briant, Actes 71. 105-\06 (époque hellénistique), et Idéologies religieuses, II. 3. (époque achéménide). 55. Sur ce paragraphe, voir P. Briant, Index. 1979.
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87 cette relation dialectique entre la dépendance rurale et la contrainte militaire. La présence de citadelles royales et de garnisons constituait une limite permanente (dans le temps) et universelle (dans l'espace impérial) à la 'liberté' des paysans, même si les points forts représentaient aussi - et pas seulement au niveau des représentations fantasmatiques - un lieu de refuge en cas d'invasion de la terre royale; 4 - plus important encore: le simple fait que les villages constituent des unités fiscales rendait obligatoire une intervention directe de l'administration centrale dans la détermination de l'assiette de l'impôt. On peut supposer en effet que le tribut était pro~rtionnel à l'étendue et à la richesse du terroir de la communauté 6, peut-être aussi au nombre de paysans-producteurs. Les limites des territoires villageois étaient enregistrées par l'administration satrapique dans un cadastre S 7 , et l'administration intervenait &our régler des conflits territoriaux entre deux villages limitrophes . En d'autres termes, vues du côté des intérêts tributaires du Roi, les communautés de base reprësentent d'abord de simples unités cadastrales groupées dans un sousensemble satrapique (le "module cadastral")s 9. Dans ces conditions le role et la place du chef de la communauté sont ambigüs et contradictoires: représentant des Intérêts de la communauté auprès de l'administration, il est aussi de fait, qu'il le veuille ou non, le porteparole des exigences royales auprès des propres membres de la cornmunauté. On peut supposer - sans disposer évidemment de preuves formelles - que le chef et les membres. les plus aisés de la cornmunauté - ce que j'ai appelé ailleurs la "micro-classe dominante,,60 furent tentés dans certains cas de se rallier aux intérêts du Roi: cette, récupération des institutions communautaires pourrait contribuer à expliquer en partie le calme (apparent) des campagnes asiatiques pendant la domination achéménide et la plus grande partie du pouvoir hellénistique 6 1 ; 5 - il est enfin un autre aspect - dialectiquement lié aux précëdents - qu'il convient de ne pas négliger: c'est ce qu'on pourrait
56. Cf. Hérodote, VI. 42 (cités grecques d'Asie Mineure sous domination achérnénide ). 57. Cf. Briant, Laoi, 104et/ndex. 1979. 58. JESlfO 1975, 179 et 181.
59. Cî.Jndex 1979 (lIU.3). Sur les, différenciations sociales (riches(pauvres) à l'intérieur d'une communauté 'primitive', voir par exemple Xénophon. Anab .. V. 4.32 (Mossynèques),
60.JESlfO, 1975, 183. -
61. Il fau t attendre 133 av.n.è. pour voir une grande insurrection paysanne dans notre documentation: révolte d'Aristonikos de Pergame el des paysans royaux (cf. Acles 1971, 110et 117.).
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88 appeller la dépendance idéologique 6 2 , qui ne peut pas être isolée historiquement de la dépendance tributaire. Dans le système idëologique Impériale-tributaire achéménide - lequel s'arrime très étroitement sur les représentations fantasmatiques du monde dans les cornmunautés rurales asiatiques - le roi remplit aussi une fonction biologique: il est celui qui, par sa relation privilégiée avec la (les) divinité(s), assure la fertilité des champs et des femmes. Dès lors, le tribut n'apparaît plus comme une contrainte, mais comme le juste remerciement du par les paysans asiatiques au protecteur des terres et des producteurs. Ce que nous considérons comme le prélèvement autoritaire fait par le Roi sur le travail des communautés rurales, est pré. senté comme une répartition et un échange opérés par des partenaires égaux et solidaires : telle est bien en effet la réalité qui s'exprime à travers les termes dasmos (grec), bazis (vieux-perse) et ziti sarr! (akkadien), ainsi que dans le terme bhaga - (sanscrit). Il est bien clair que cette idéologie de la paix, de la protection et de la fertilité royales masque en même temps qu'elle fait fonctionner de l'intérieur les rapports d'exploitation qui lient les communautés de base au Roi et à l'aristocratie auliqué 3 . Pour autant, il n'y a pas de véritable opposition qui exclue rait l'un des deux termes: liberté (réelle mais limitée/limitée mais réelle) et dépendance tributaire. fi s'agit plutôt d'une contradiction dialectique créatrice (et issue) d'un type de rapports tributaires, dans lesquels la liberté (Le. organisation optimale du procès de travail à l'intérieur des communautés rurales) est la condition subjective (Le. vécue comme telle par les paysans) et objective (Le. du point de vue des intérêts financiers du Roi) du fonctionnement de la dépendance.
III III. 1. L'intervention de l'Etat sur les communautés rurales ne se fait pas seulement à l'aval de la production (prélèvement de la rente foncière) : l'unité supérieure intervient de différentes manières pour favoriser la croissance, voire les débuts, de l'activité agricole, par la mise en œuvre de grands travaux en particulier. Pour reprendre l'expression si suggestive de Ch.E.Welskopft, l'Etat dispose d'un haut commandement économique':":
62. Sur ce qui suit, voir mest études dans Table Ronde de Besançon 1977 et dans Index 1979. 63. La récupération des fonctions tributaires et des fonctions idéologiques du Grand Roi ('protecteur des paysans') constitue un seul et même processus chez Alexandre: cf. P. Briant "Conquête territoriale et stratégie idéologique: Alexandre le Grand et l'idéologie monarchique achéménide", Actes du Colloque de Cracovie 1977 (sous presse). 64. Cité par J. Chesneaux, MPA, 26. Expression reprise par M. Darnbuyant, MPA. 369·395 à propos de l'Inde de Kautilya.
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Contrairement en effet à une opinion encore largement répandue - qui, pour une part, mais pour une part seulement, a été exprimée et diffusée par Engels et Marx - l'idée d'une "stagnation aslatique" appartient plus au domaine d'un postulat idéologique du caili. talisme conquérant de l'Occident qu'à celui de l'analyse historique 5. En réalité, de nombreux exemples prouvent que l'extension et l'approfondissement du mode de production tributaire ne peuvent aIler sans un spectaculaire développement des forces productives: c'est un mouvement historique que l'on peut constater en particulier dans l'Asie sous domination achëmënide, Cette conclusion s'impose de l'analyse destextes anciens d'origine aussi bien grecque que proprement amé· ménide, à condition de tenir présents à l'esprit deux principes d'analyse et d'explication, à savoir: 1 - le développement des forces productives n'est pas réductible au progrès des techniques de production : celui-ci ne constitue en effet qu'un des composants de celui.là, et il peut jouer au surplus un rOle différent et inégal selon la formation économique et sociale envisagée; 2 - dans les formations de type tributaire, l'expansion des forces productives humaines représente un élément constitutif déterminant du problème, à la fois sous ses aspects quantitatifs (croissance démographique) et organisationnels (procès de travail à l'intérieur de la communauté et à l'échelle de l'Empire). D'une manière générale, l'idéologie monarchique achëménide - on l'a vu (cf. 01,/5) - donne à voir le Roi.comme le proteeteur des paysans et des cultures: le Roi lutte contre les mauvaises récoltes, la famine et contre les ennemis de l'ordre ('les menteurs') divin et donc aussi impérial66. De même, la fonction militaire du satrape et de ses subordonnés s'intègre dans une mission politico-économique, dans la mesure où la paix constitue un l!lément décisif de l'augmentation de la production agricole (et donc du tribut mais aussi de la capacité de travail à venir des dépendants)67 et de la population paysanne (et donc du développement quantitatif des forces productives humaines)68 Le satrape intervient aussi de façon plus directe: il doit, à l'image du Roi, prendre soin de faire cultiver les terres royales; c'est l'un des motifs de satisfaction que Darius fait connaître à son
65. Sur ce qui suit, voir mon intervention au Conpès de Bertin 78. 66. Voir l'inscription achéménide DPd. 12-24 (ed. R. Kent). Egalement Arrien, 1.12.9-10 que j'ai longuement commenté dans "Conquête militaire el stratégie ideologique .... (cf. déjà DHA, Il, 189). Cf. Aussi Xénophon, ECOII, IV. 5. 16, à rapprocher de Kautilya, Arth. 1.13 (recours aux 'Lois de Manu' pour justifier le pœlèvement tributaire, le shad·bh/llfa: la sixième partie de la récolte), 67. Voir en particulier Xénophon,loc. cit. 68. Sur la politique 'nataliste' des Rois, voir le Fargard 3 de l'Avesta (sur lequel mon analyse dans Idéologies rellgfeules, II) : également Hallock. PFT, p. 37 et DalldafllilJ'ev, VDI, 1973/3, 5, 9, 14 et 22. Dans la société perse proprement dite, voir Hérodote 1. 136 et Strabon, XV. 3.17 (pdmes royales aux famllies nombreuses).
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90 satrape Gadatas ; au surplus, celui-ci a transplanté en Anatolie occidentale des espèces venant de la satrapie d'Outre-Euphrate'' 9. Les paradis disséminés sur les territoires royaux de l'Empire représentent les modèles (économiques et idéologiques~ du développement des forces productives dans l'empire achéménide o. Il est un domaine d'intervention de l'Etat qui doit être analysé avec une attention particulière, car il tient depuis toujours une place centrale dans les discussions sur le MPA (MPT) : c'est le rôle de l'Etat dans les grands travaux d'irrigation. Dans une lettre à Marx en date du 6 juin 1853, Engels écrivait: " ...L'absence de la propriété foncière est la clef de tout l'Orient.; Je crois que cela tient principalement au climat, allié aux conditions du sol, surtout aux grandes étendues dësertiques qui vont du Sahara, à travers l'Arabie, la Perse, l'Inde et la Tatane, jusqu'aux hauts plateaux asiatiques. L'irrigation artificielle est ici la condition première de l'agriculture; or, celle-ci est l'affaire, ou bien des communes, des provinces ou bien du gouvernement central. En Orient, le gouvernement n'avait jamais que trois département ministériels: les finances (pillage du pays), la guerre (pillage du pays et de l'extérieur) et les travaux publics pour veiller à la reproduction,,7! . Pour une part, cette formulation fut reprise par Marx, qui mit en relief "la fonction économique incombant à tous les gouvernements asiatiques, la fonction d'assurer les travaux publics", en particulier "la fertilisation artificielle du sol" 72 . Pour autant, Marx ne réduisait pas l'analyse à un simple déterminisme géographique, mettant clairement en rapport la nature des rapports sociaux dominants et les formes d'organisation des systèmes hydrauliques, en évitant donc de recourir à un simple déterminisme géographique 73. La parution, en 1957, du livre de K. Wittfogel, Oriental Despotism, rouvrit un grand débat sur ce point74, dans la' mesure où l'au-
09. Texte édité et commenté par G. Cousin et G. Deschamps, dans Bull. Corr, Hell., XIII (1889), 59ss., et plus récemment dans W. Brandestein et M. Mayrhofer, Handbuch des Altpersischen, Wiesbaden (1964), 91-98. 70. Voir mon analyse dans Idéologies religieuses, IV. 4. Sur le paradis de Pasargardes, voir maintenant D. Stronach, PaSilrgadae (1978), 107-112. 71. SPC, 17()'171.
72. .sPC, 173. 73. Voir sur ce point, F. Tokei, "Le mode de production asiatique dans l'œuvre de K. Marx et F. Engels", La Pensée 114 (1964), 7-32 et du même, Sur le mode de production asiatique, Budapest, 1966. 74. Voir l'Avant-Propos, dû à P. Vidal-Na9,uet (p. 7-44), de la traduction française parue en 1964 aux Editions de MIDUit. On peut regretter que le texte de Vidal-Naquet ait disparu de la deuxième édition française parue en 1977 chez le même éditeur. - Sur ces problèmes, on verra également l'importante discussion théorique de B. Montazarni, "L'irrigation en Iran: éléments pour une approche matérialiste", Zamân 1 (1979), 2144.
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teur - caricaturant et réduisant la pensée de Marx à des fins polémiques - jugeait qu'à la base des sociétés orientales despotiques se trouvait l'extraordinaire importance des travaux hydrauliques, les types les plus achevés de "sociétés hydrauliques" ou "agro-directoriales" se situant dans la vallée du Nil et en Mésopotamie. Dans cette construction étatique - juge Wittfogel (p. 183 ss.) - la liberté interne des communautés de base était fort réduite vis-à-vis de la toute puissance de l'Etat centralisateur. Par ailleurs, l'auteur établit une distinction entre sociétés hydrauliques 'concentrées' - là où "l'agriculture hydraulique occupe une position d'hégémonie absolue ou relative (p. 241)" - et les sociétés hydrauliques 'sporadiques' - là où "l'agriculture hydraulique sans posséder la supériorité économique, est sufflsante pour assurer à ses dirigeants l'hégémonie organisationnelle et politique absolue" (p. 242) : selon Wittfogel, la Perse achéménide "à l'apogée de son extension", appartenait à ce second groupe, au même titre que les empires babylonien et assyrien, les grands empires de l'Inde, le califat arabe, la Turquie ottomane, l'empire inca, et la fédëration du Mexique aztèque (p. 243). Chacun sait que la thèse de Wittfogel a soulevé d'immenses controverses chez les marxistes et plus encore peut-être chez les marxologues : le point a été très bien fait là-dessus par G. Sofri, et je n'y reviendrai pas directement ici. Par ailleurs, le point de vue général de Wittfogel (naissance du totalitarisme d'Etat déterminé par les conditions climatiques et les besoins hydrauliques ) a été contesté par de nombreux orientalistes marxistes et non-marxistes. Parmi les critiques apportées à la démonstration de Wittfogel, on peut au moins en souligner deux : - d'une part il est abusif de prétendre qu'il y a une liaison mécanique entre la nécessité des grands travaux hydrauliques et le développement de l'Etat dit 'despotique' - (ce dernier terme n'ayant d'ailleurs pas uri contenu scientifique très clair). Bien souvent, en effet, l'Etat s'est développé avant la mise en œuvre de grands travaux 7S et, d'une façon plus générale, les rapports entre appareils d'Etat et forces productives ne peuvent s'analyser dans une vision linéaire de l'histoire ; - d'autre part, - et c'est ce qui nous intéresse directement ici-plusieurs auteurs ont remarqué, à partir de cas précis et concrets, que les travaux hydrauliques étaient parfois décentralisés au niveau des communautés rurales de base 7S. C'est ce que P. Vidal-Naquet et
75. Et - dialectiquement - la mise en œuvre de grands travaux accroît et multiplie les capacités d'intervention de J;Etat. Là-iessus, voir également S. Amin, op. cit., 306 : "Au second palier [tributaire correspond un niveau de développement des forces productives qui permet l'Etat, et en même temps l'exige" ; cf. ibid., 286. 75. Voir surtout E.R. leach, "Hydraulic society in Ceylon", Post and Present 15 (1959),2-26, qui se présente ouvertement (cf. 2-16) comme une critique des thèses de Wittfogel.
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E. Mandel affirment à propos de l'Empire achéménide 76. L'importance du débat invite à un réexamen de la documentation disponible.
IIl2.l. Si l'on met à part l'Anatolie où s'est développée dans l'Antiquité l'agriculture pluviale 77, et les chaînes de montagnes relativement bien arrosées de l'Elbourz et du Zagros, la majeure partie des territoires achéménides requièrent des aménagements hydrauliques (captage des eaux ou domestication des grands fleuves) pour être mis en culture. On peut opérer une distinction entre deux grandes zones: l'une, où il s'agissait de canaliser et de répartir les eaux de surface, l'autre où l'on dut utiliser les eaux souterraines. La première zone comprend les grandes vallées (Mésopotamie, Nil en tout premier lieu) où les Achëménides ont pour l'essentiel récupéré l'héritage des Etats antérieurs, même s'ils n'ont pas hésité à le faire fructifier 7S. Il ne fait guère de doute que dans ces pays traditionnellement irrigués, l'administration des grands canaux d'irrigation revenait aux fonctionnaires royaux 79, qui les entretenaient en coordonnant les efforts (requis! ) des communautés de base s o. Un texte fameux d'Hërodotef 1, que ne manque pas d'utiliser Wittfogel S2 , permet de se rendre compte dans le concret que du début
76. Vidal-Naquet, loc. cit., 15, et Mandel, op. cit.. 127. 77. Cf. X. de Planhol, Les fondements géographiques de l'histoire de l'Islam. Paris (1968), 204-205. Ce qui, évidemment, n'exclut pas la possibilité d'aménagements hydrauliques: seuls des 'surveys' archéologiques systématiques permettraient de répondre à la question. 78. Voir Hérodote, I. 189, avec le commentaire de G.C. Cameron dans Acta Iranica, 1 (1974), 4548. Voir également R.Mc Adams et H.J. Nissen, The Uruk countryside. The natural setting of urban societies, Chicago-London (1972),57. 79. Voir Strabon XVI.l.IO, qui exprime l'une des composantes essentielles des idéologies monarchiques du Proche-Orient, dans laquelle le creusement et l'entretien des canaux a toujours figuré parmi les devoirs les plus importants du Roi: cf. e.g, E. Sollberger et J.R. Kupper, Inscriptions royales sumériennes et akkadiennes. Paris (1971),95,244.245 etc. Voir également R. Labat, Le caractère religieux de la royauté assyro-babylonienne, Paris (1939), 287-289. 80. Voir Arrien, Anab. VII.21.5 : prestations de travail fournies par dix mille paysans "assyriens" (Le. Babyloniens) pour l'entretien des canaux. Sur les corvées paysannes voir aussi M. Dandamayev, VDI. 1973/3 et VDI1966/4, 17-39: le roi intervient directement dans l'utilisation de l'eau par les temples babyloniens. 81. 1II. 117: trad. Legrand: Voir aussi 1. Khlopin, OLP. 2 (1971),137-152. 82. Despotisme. 110-1 i l, en rapprochant de Mégasthène [ap. Strabon, XV.1.50) à propos de l'Inde (maurya) et d'un code de gouvernement chinois: "Megasthène et Hérodote sont formels sur ce point: c'est le gouvernement qui distribue l'eau d'irrigation".
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(construction d'ouvrages) à la fin (distribution de l'eau) le contrôle du Roi était total. Dans une région du Charezm antique qui faisait partie de la terre royale, "le Roi avait fait élever plusieurs barrages permettant de créer un vaste lac de retenue: c'est pourquoi "les peuples qui auparavant profitaient de cette eau en sont désormais privés et se trouvent dans la pire détresse: en hiver, le ciel leur envoie de la pluie, tout comme ailleurs, mais en été, quand ils 'sèment leur millet et leur sésame, ils ont besoin de cette eau, comme elle leur est refusée, ils s'en vont en Perse, avec leurs femmes manifester et pleurer aux portes du palais; le Roi ordonne alors d'ouvrir les écluses qui fourniront de l'eau à ceux qui en ont le plus besoin; lorsque la terre a bu suffisamment, on ferme ces écluses et le Roi en fait ouvrir d'autres pour qui en a ensuite le besoin le plus urgent. Mais, ai-je entendu dire, il exige pour les ouvrir de fortes sommes qui s'ajoutent au tribut normal". Ce texte extrêmement clair permet un certain nombre de conclusions: 1 - la conquête perse étend la terre royale; 2 - sur cette terre nouvellement conquise, la distribution de l'eau est érigée en monopole royal; 3 - dans ces territoires irrigués, la dépendance économique des communautés de base est totale puisqu'en plus du tribut prélevé sur leurs productions les :paysans doivent verser une taxe spéciale pour l'utilisation de l'eau S : le texte fait sentir avec une grande force combien et comment la survie physique des communautés de base étaient dans les mains du Roi et de son administration; la seule autonomie des communautés consiste - éventuellement - à procéder au partage de l'eau à l'intérieur des différentes unités; 4 - l'extension de l'empire n'aboutit donc pas au sens strict à la mise en culture de régions arides: en l'occurrence, l'extension du pouvoir achéménide amène l'édification de grands ouvrages royaux qui rendent parfaite. ment inopérantes les petites installations auparavant décentralisées au niveau des petites unités de production. La conquête aboutit donc à une véritable spoliation des communautés de base par le pouvoir centraI. Ce texte est d'autant plus intéressant que les Achéminides ont certainement cherché à développer l'équipement hydraulique des fleuves et rivières d'Iran oriental: en d'autres termes, le texte d'Hérodote ne renvoie pas à un exemple isolé et atypi que S'4 . Une confirmation archéologique éclatante vient d'en être donnée par les très rernarquables résultats de la pro~ection menée par l'équipe de J.C. Gardin dans la Bactriane antiqueS . Dès l'époque achéménide, l'eau prise par
83. Cf. F. A1theimet R. Stiehl, Aramiiische Sprache, 148. 84. Cf. aussi Quinte-Curee, VII.IO.I-3, avec les commentaires de A.l'agliaro, Alessandro Magno. Turin (1962), 265-266. Voir également G. Gnoli, Ricerche storiche sul Sistan antico, Torne (1962),113·114. 85. Une partie des résultats utilisés ici est encore inédite, et je remercie bien vivement J.C. Gardin de m'en avoir tenu informé. Voir J.C. Gardin et P. Gentelle , "Irrigation et peuplement dans la plaine d'Aï-Khanoum de
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94 dérivations sur la Kokcha servait à irriguer la plaine d'Aï-Khanoum sur plusieurs milliers d'hectares, et les travaux d'aménagements continuérent d'être développés après la fondation de la ville hellénistique. Au surplus, il est remarquable de souligner que des travaux hydrauliques avaient été entrepris dès l'âge du bronze, bien avant la conquête achéménide donc. Il semble donc que là comme dans le cas précédent, le pouvoir central!6 a su récupérer à son profit les techniques et techniciens locaux, tout en donnant une impulsion très probablement décisive au développement des surfaces irriguées, non seulement sur le territoire proche d'Ai-Khanoum mais aussi, plus largement, dans tout le Haut-Tokharestan (bassin de l'Amu Darya et de la Kokcha, rivière de Taluqan-Khanabad-Kunduz et ses affluents) où, au surplus, plusieurs sites d'implantation politico-rnilitaire achéménides ont été mis au jour.
IIl2.2. Deuxième zone : le plateau iranien, particulièrement aride, où les' Achéménides, tout en réutilisant des techniques et certaines réalisations connues dans l'Urartu! 7 , ont étendu considérablement I'agriculture irriguée: l'Avesta fait foi de cette prëoccupanonê ". Les conditions climatiques et géologiques conduisirent à capter les eaux souterraines grâce à des forages horizontaux de galeries, les qanats, à l'étude
l'époque achéménide à l'époque musulmane", BEFEO 63 (1976), 60-99 (et PI,XYIII-XXXIII); des mêmes auteurs: "L'exploitation du sol en Bactriane antique", Colloque EFEO 1976 (sous-presse), Egalement P. Gentelle, "Quelques observations sur l'extension de deux techniques d'irrigation sur le plateau iranien et en Asie centrale", dans Le Plateau iranien et l'Asie centrale des origines à la conquête islamique (Paris, CNRS, 1978),249-262 et (du même) Etude géographique de la plaine d'A I-Khanoum et de son irrigation depuis les temps les plus antiques (CNRS, Pub. de l'URA nO 10, Mémoire nO 2), 1978. 86. Sur le rôle organisationnel de l'Etat achérnénide - (point sur lequel je me sépare de l'interprétation de Gardin-Gentelle) - voir déjà Klio, 60/1 (1978), 77 et, d'une fa~on plus argumentée dans Index, 1979 /II1.2.4.I) et dans mon intervention dejà citée au Congrès de Berlin 1978, note 81 (où je propose une interprétation de la découverte faite à Ai-Khanoum d'inscriptions grecques de caractère économique d'époque hellénistique: publication par P. Bernard dans CRAI 1978, 450ss.). 87. Sur les qanats en Urartu voir surtout 1. Lasse, "The irrigation system al' Ulhu, 8th. Cent. B.e.", Journ. Cunei. Stud., y (1951), 21-32. Cf. aussi R. Ghirshman, dans Iran. Ant., 111 (1963), 70-71 (analyse de l'ouvrage de B. Piotrowskij, depuis lors traduit en italien). 88. Voir surtout Vendidad, Fargard III (1.4): ".,.là où l'homme amène d'eau dans une terre sans eau et retire l'eau d'où il y en a trop" : cf.J. Darmesteter, Le Zend-Avesta II, 34, n. 10, et mon étude dans' Idéologies religieuses. Egalement F.A. Cannizaro, II capitolo georgico dell'Avesta Vendidad III, Messine (1913), 12-27.
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desquels s'est voué H. Gobot'' 9. Par rapport à la technique des barrages ou des canalisations apparentes, celle des qanats présente une différence importante du point de vue de l'organisation sociale du procès de travail: elle ne suppose pas la concentration de moyens matériels et humains considérables; le forage d'un qanat est l'œuvre de quel- . ques spécialistes (les moqanis) qui œuvrent au niveau local 90. C'est la raison pour laquelle plusieurs auteurs jugent que les rapports entre l'Etat central et les communautés de base sont très différents de ceux qui existent dans les sociétés de type 'asiatique'. C'est le cas de P.,Vidal.Naquet 9 1 qui écrit - un peu imprudemment à mon sens - : .....Et les Perses eux-mêmes - ce que l'on sait de leur religion et de leur structure sociale le prouve abondamment - ne furent que très imparfaitement soumis au système 'asiatique' ". Il poursuit - en se référant aux études de H. Goblot: "Le système d'irrigation qui fut employé très anciennement par les Perses sur leur plateau serni-aride, n'imposait nullement une intervention globale de l'Etat", car les qanats "présentent un caractère local, dont l'entretien incombe au seigneur plutôt qu'à l'Etat". Telle est également le point de vue d'E. Mandel~2 qui écrit (en renvoyant à P. Vidal-Naquet et à Goblot): "Et lorsque' ces travaux s'effectuent essentiellement au niveau du village - comme dans le système des qanats en Iran - le despotisme n'en résulte point nécessairement". Avant de reprendre l'analyse du texte fondamental de Polybe, je voudrais faire trois remarques d'ensemble sur les analyses que je viens de citer: 1 - concernant le caractère 'asiatique' de la société 'perse' : P. Vidal-Naquet - comme beaucoup d'autres auteurs d'ailleurs - fait une assimilation implicite entre deux termes qui ne se recouvrent nullement: la structure sociale de la société perse (prise isolément) est une chose, le mode de production dominant dans l'Empire aché-
89. "Dans l'ancien Iran. Les techn~ues de l'eau et la grande histoire" Annales ESC, m'!i-j'!,in 1963, 499-520 ; • Note sur l'in terréaction de! techniques dans leur genese .Rev, P4liosoph. 155 (1965), 207-216, et sa thèse IParis J979 : parution imminente J, Histoire d'une des techniques d'acquisition de l'eau. Les qanats (dont j'al consulté l'exemplaire dactylographié, Paris (1973). Sur ~ s~jet, y'0ir au~si D.J. Flower d~s Comb. Hist, Iran 1 (1968), 599-610, et 1article qanat' dans Encyclopedie de l'Islam IV ï (1975) 551-556 et l'article déjà cité de P. Gentelle (1977),251-255.' ' , 90. H. Goblot, Annales (1963), 508. Ces moqanis constituent de véritables corporations, l'dont les membres n'exerçaient que rarement et accessoirement une. autre profession" (Id. Histoire d'une technique). A rapprocher des kullankati de Ceylan, auxquels les villageois faisaient appel pour les travaux hydraulique~ qui dépassaie.nt les possibilités techniques (et sociales) de la stricte cooperation villageoise : cf Leach, art. cit.,8.
91. Loc. cit. 92. Loc. cit.
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96 ménide en est une autre. Les structures sociales existant dans le Fars la Perse proprement dite - n'ont pas été étendues à l'ensemble de l'Asie sous domination achéménide. On pourrait dire au contraire, à partir des sources élamites de Persépolis, que le mode de production tributaire a fortement entamé - sans les détruire - les formes d'organisation et de hiérarchisation de la société perse telles qu'elles existaient lorsque "la Perse était encore en Perse". En d'autres tennes,les textes classiques (Hérodote, Strabon...) sur la religion perse - auxquels se réfère implicitement P. Vidal-Naquet - n'apportent pas d'ëlëments susceptibles d'alimenter la discussion sur la nature du mode de production dominant en Asie achéménide ; 2 - le rôle et les modalités d'intervention de l'Etat dans l'Anti· quité et plus précisément dans les sociétés tributaires ne peuvent pas s'analyser à l'aide de la seule référence aux planifications contemporaines mises en œuvre dans les pays se réclamant du socialisme. En se situant sur le mëme terrain que Wittfogel - qu'il discute - P. VidalNaquet se laisse entraîner dans un débat mal engagé. J'ajoute qu'on aimerait savoir ce que signifie le terme 'seigneur' dans un contexte achéménide... ; 3 - enfm, chez Vidal-Naquet et Mandel on note une propension à établir des liaisons mécaniques entre technique et société. Il me semble en effet que, par leur conclusion et par leur raisonnement, ils donnent une importance détenninante et mécaniste à la forme d'une technique (qanat) au détriment des conditions histori~ues qui ont permis et favorisé sa mise en œuvre et son développement 3 Nous avons la chance de disposer d'un texte de l'historien hellënistique (Ile s.av.n.è.) Polybe 9 4 - texte inconnu de Wittfogel - qui permet de se rendre compte que Darius lui-même a donné une impulsion décisive à l'extension décisive du réseau de qanats sur le plateau iranien: "L'eau n'y [Hyrcanie 1apparaît nulle part à la surface du sor, bien qu'il existe des canalisations souterraines alimentant des citernes dont l'emplacement est ignoré de ceux qui ne connaissent pas le pays. Suivant une tradition véridique qui s'est transmise parmi les habitants, les Perses, à l'époque où ils étaient les maîtres de l'Asie, concédèrent pour le temps de cinq générations le droit de cultiver les terres jusque-là arides à ceux qui parviendraient à les irriguer... Les gens du pays, au prix de grandes dépenses et de rudes travaux, amenèrent cette eau de fort loin en creusant des canaux souterrains, en sorte que de nos jours ceux qui utilisent cette eau ne savent plus où commencent des canalisations". L'examen attentif du texte conduit à quelques observations: 1 - les territoires nouvellement irrigués sont inclus dans la terre royale, et la concession de terres aux nouvelles communautés ne fait
93. Sur ce point, voir ma démonstration dans Congrès de Berlin 1978. 94. X. 28.3 (Trad. D. Roussel). Texte apparemment inconnu de Wittfogel.
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97 pas disparaître les droits éminents du Roi 9 S : seule est concédée la jouissance d'une partie de la terre royale; 2 - moyennant le creusement des galeries [qanats}, les indigènes obtiennent le droit de cultiver les terres irriguées: il s'agit d'une vëritable politique de colonisation agraire sur le plateau iranien. UA chaque nouveau qanat, en effet, correspondait un nouveau groupe humain absorbant les excédents démographiques".96 Il y a donc création de nouvelles communautés rurales dont chacune s'inscrit dans la topographie, au débouché d'un qanat9 7 ; 3 - il est assez probable que le contrOle de l'eau à l'intérieur des terres du village était laissée à la communauté et à ses chefs 9S ; 4 - il me paraît en revanche hasardeux d'affirmer - comme on le fait habituellement 99 - que le Roi avait accordé IUle exemption totale aux nouvelles communautés. Le 'texte de Polybe porte uniquement qu'en échange des travaux effectués par les indigènes, les agriculteurs obtiendront la jouissance (ka rpeusai} des terres autrefois incultes: il n'est donc pas question d'atélie générale, mais simplement d'un droit à cultiver la terre royale 10 0. D'ailleurs le nombre et la variété des taxes pesant sur les communautés rurales étaient 101 tels que l'éventualité d'une exemption totale paraît difficilement admissible; il faut ajouter que, si tel était le cas, on ne voit plus bien ce que gagnait le Roi 1 0 2 , ce d'autant qu'au bout de cinq générations il ne resterait
95. Point sur lequel insiste à juste titre O. BUCCI, "Note di politica agrlllia achemenide : a proposito dei passe, 10,28,3 di Polibio", Studt in memona di G. Donatuti, l, Milano (1973), 181-190. 96. H. GOBLOT, Anna/es ESC, 1963,508 - sans référence spécifique à l'époque achéménide. 97. Cf. D. J. FLOWER, dans Cambo Hist.Tmn, 1 (1968), 599-610. 98. Cf. H. GOBLOT,/oc. cit., 508 et 510 sur la situation dans l'Iran moderne. 99. Ho GOBLOT, ibid., 510 (sans connaissance directe du texte de Polybe. Id. Histoire d'une des techniques... Ile Partie, Chap. I. a. 3 (en citant le texte) ; très nettement dans ce sens également O. BUCCI, art. cit., 182, 189-190 (sans référence aux études de H. Goblot). 100. Cf. pour comparaison le texte du contrat passé (fm Ive) entre l'entrepreneur Chaerophanès et la ville d'Erétrie pour l'assèchement du marais de Ptechae: l'entrepreneur, moyennant l'achèvement des travaux (creusement de galeries souterraines et de puits), obtient la jouissance du terrain public pour dix ans (Karpizesthai) : mais cette jouissance est liée au paiement d'un loyer de 30 talents et à l'observation stricte des conditions imposées par la cité (cf. DARESTE-HAUSSOULIER-REINACH, Recueil d'inscriptions juridiques grecques, IX). 101. cr, Ps. ARISTOTE, Econ., 11.1.4. 102.1uste réflexion de Ho GOBLOT, Histoire•. , le Partie, ch. Il (sans référence à l'Antiquité): "Pourquoi un Roi plus tard un seigneur ou un grand propriétaire aurait-il fait construire un qanat, si ce n'est pour avoir ensuite a sa disposition la possibilité d'établir un village, de retirer un profit des recoltes obtenues par le travail des paysans qu'il avait installés sur des terres qu'il s'était appropriées ou bien qu'il s'était fait concéder par le Souve-
rain? n.
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98 rien de ses droits. En réalité, l'expression de Polybe se comprend si on la rapproche du texte d'Hérodote précédemment commenté: le Roi reconnaît aux communautés le droit de contrôle sur les qanats ; c'est donc pour la taxe sur l'eau, dont Hérodote dit qu'elle est versée en sus du tribut, et pour cette taxe seule, que vaut l'exemption courant sur cinq générations: au bout de ce laps de temps, l'eau sera considérée à nouveau comme royale. et donc susceptible d'être taxée. Le recours à de telles formules procède, me semble-t-il, de considérations à la fois techniques et financières. L'établissement d'un réseau de qanats - contrairement à l'élévation de digues et de barrages - ne suppose pas I'enrégimentement d'une foule de paysans. Seuls quelques artisans étaient spécialisés dans ce travail. il était donc plus efficace et plus rentable de laisser à chaque communauté le soin d'amener l'eau: "les grandes dépenses et les rudes travaux" (polybe)103 occasionnés justifient l'exemption de taxe sur l'eau. Financièrement, l'intérêt du Roi est évident: l'administration n'engage aucune dépense, elle n'en recueille pas moins, sous forme de taxes diverses, le fruit des travaux des communautés de base; enfin, le 'contrat' conserve le Roi dans ses capacités de contrôle ultime des terres et des productions, et réserve ses droits sur l'eau; 5 -,du moindre contrôle direct de l'administration sur l'eau, il ne faut pas conclure à une plus grande autonomie des communautés rurales, dont la dépendance tributaire est maintenue. N'est-ce pas en effet sur les villages neufs, créés ex nihilo en vertu d'une charte royale et en application d'une politique systématique de colonisation, que le contrôle royal peut jouer avec le maximum d'efficacité' 04? Il me semble que la comparaison avec le chapitre (II. 1.19) de l'Arthasastra traitant de la colonisation des terres neuves peut être éclairant: - là aussi, l'initiative vient du roi: "Le conquérant suscitera l'établissement d'un nouveau territoire, autrefois peuplé ou ne l'ayant jamais été, en y faisant venir des habitants de l'étranger ou en y transférant le surplus de population de son r0l,aume. Il créera des villages peuplés surtout de sudra agriculteurs... 10 " ;
103. Le creusement de grands qanats peut demander plusieurs années de travail (D.l. FLOWER, loc. ctt.).
104. A propos de l'''immutabilité des sociétés asiatiques", K. MARX (Le Capital, Livre J, Ed, Sociales 1976, 26) écrit: "Quand la J1opulation augmente, une communauté nouvelle est fondée sur le modèle des anciennes et s'établit dans un terrain non cultivé". Cette réflexion est juste en ce sens que les nouvelles communautés adoptent certainement les institutions (politiques, religieuses) internes traditionnelles. Mais, dans le cas traité ici, il Y a lieu de faire intervenir un élément capital, à savoir l'intervention de l'Etat central qui suscite la colonisation par scissiparité et organise quasidirectement la production des nouvelles unités. Celles-cisont installées sur une terre royale alors que les anciennes communautés pouvaient se I!révaloir, face à l'administration royalel d'us et coutumes remontant a une époque antérieure à la conquête acheménide. 105. Les spécialistes admettent d'une façon générale que le statut des sudra est comparable à celui des hilotes: ce sont donc des paysans libres mais
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- "il accordera celles des facilités et détaxes qui finalement rempliront le trésor public et il évitera celles qui la videraient... Il accordera des exemptions au moment de l'installation du village ou de l'arrivée des habitants... i oe.. ; - "il fera faire des travaux d'irrigation soit à partir des sources existantes soit par adduction d'eau. Ou, si d'autres ont entrepris de tels travaux, il y contribuera en fournissant des emplacements des routes, du bois et autres équipements.:", On retrouve ici et là les différentes étapes de la mise en exploitation d'un nouveau territoire: conquête militaire/installation de nouvelles communautés et travaux de mise en valeur (irrigation et autres) augmentation de la production et donc des rentrées fiscales/croissance de la puissance politique du Grand Roi qui, elle-même, permettra de nouvelles conquêtes etc .. Dans cette vaste stratégie, les communautés rurales ne représentent que des pions et leur autonomie relative y perd beaucoup de substance. Les fouilles archéologiques ont montré que les Achéménides avaient diffusé le système des qanats dans plusieurs régions de leur empire: en Arabie probablement, dans l'oasis égyptienne de Kharga certainement 1 07. Il y a donc une véritable politique de l'eau. Quelle que soit la technique utilisée, le contrOle royal (direct ou indirect) sur les communautés de base ne connaît guère de limites: il ne fait guère de doute que le contrôle de l'eau a constitué un élément essentiel du pouvoir du Roi, surtout si l'on tient présent à l'esprit' qu'il permettait de dominer plus étroitement les satrapies les plus productives. Au total, l'autonomie (indéniable) des communautés de base ne pouvait pas mettre en péril l'existence et la diffusion de l'économie royale, puisqu'elles en constituaient la base meme : ce qui est parfaitement logique dans un système où la puissance politique dépend du montant du tribut l oa , qui lui-même est fonction de l'activité productrice des communautés rurales 1 09 , activité qui elle-même évolue en fonction des interventions du pouvoir central dans diffë-
dépendants au même titril gqe les laoi hellénistiques par exemple (cf. M. DAMBUYANT, MPA2 39J-394). 106. Les exemptions concédées au moment de l'installation d'une communauté sont fréquentes également à l'époque hellénistique (cf. APPIEN, Syrtaca, 1; DIODORE, XVI1.69.S; QUINTE-CURCE, V.S.21.24; JUSTIN, Xl.14.11 ; WELLES, Royal correspondence... nOs 34 etc ...). 107. Voir H. GOBLOT, Histoire•. Pour l'oasis de Kharga, voir déjà OLMSTEAD, Persian Empire. 224. IDS. Point tres nettement mis en valeur dans les inscriptions royales achéménides. 109. Cf. KAUTILYA, Arthasastra, VIII.1.127 : "La possibilité de construire des fortifications, les finanœs, les travaux d'irrigation et les activités de subsistance, tout cela repose sur la population des campagnes" (Tr. M. Dambuyant, op. cit., 8Œ-81).
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rents domaines: croissance démographique, augmentation des superficies cultivées, paix dans les campagnes... En d'autres termes, nous retrouvons là les caractéristiques fondamentales du Mode de Production Tributaire.
Pierre Briant (Université de Toulouse-Le Mirail)
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FORCES PRODUCTIVES, DÉPENDANCE RURALE ET IDÉOLOGIES RELIGIEUSES DANS L'EMPIRE ACHÉMÉNIDE
1. INTRODUCTION: INFRASTR UCTURES/SUPERSTR UCTURES 1.1. L'étude qui suit s'appuie à la fois sur une réflexion théorique relative aux rapports dialectiques entre infrastructures et superstructures, et sur une expérience pratique, à savoir des recherches en cours sur les structures socio-économiques de l'Asie achéménide et hellénistique (1). Le problème théorique général a été abordé à plusieurs reprises par M. Godelier, qui s'est élevé en particulier contre la distinction fréquemment opérée d'une manière schématique et mécaniste entre infrastructure et superstructure : "Font partie des forces productives, et donc des infrastructures, les représentations de la nature qu'une société exploite, la représentation des outils, leurs règles de fabrication et d'usage ... La pensée et le langage fonctionnent ici comme éléments des forces productives et donc comme composants de l'infrastructure. La distinction entre infrastructure n'est donc pas une distinction entre matériel et immatériel. .. c'est une distinction de fonction et non d'institutions (2) ... De façon générale, un rapport social ne peut être reproduit sans que les hommes aient une représentation de ce rapport. Et cette représentation, bien loin d'être un reflet du rapport, est une des conditions internes de son existence. Donc, on trouve des idées, des représentations à tous les niveaux de fonctionnement de la société, non pas comme une des conditions de leur reproduction. Dans cette perspective, il y a de l'idéologie à tous les niveaux, et l'idéologie n'apparaît pas comme un niveau particulier, une instance séparée des autres instances" (3). Et, prenant appui sur l'exemple des Incas, M. Godelier poursuit: "La religion se trouve ici être la source d'une contrainte sans violence; elle constitue en quelque sorte la plus grande force de l'Etat et de la classe dominante, puisqu'elle oblige de l'intérieur les dominés à consentir à leur domination (4).
(Il Remarques sur Lao; et esclaves ruraux en Asie Mineure hellénistique, Actes du Colloque 1971, Paris 1973, p.93-113 (ici : Laoi) ; Villages et communautés villageoises d'Asie achéménide et hellénistique, JESHO, XVIIII2, 1975, p.165·188 (ici : Villages) ; Communautés de base et économie royale en Asie achéménide et hellénistique, Rec. Société J.Bodin, T. XLI-l (sous presse 1 (ici: Communautés) j Brigandage, conquête et dissidence en Asie achéménide et hellénistique, DHA 2, 1976, p.163-258 et 273-279 (ici: Brigandage) : Colonisation hellénistique et populations indigènes. La phase d'installation, Klio, 1978 (sous presse) (ici: Colonisation) ; L'élevage ovin dans l'Empire achéménide, Colloque d'Ethnozootechnie : les débuts de l'élevage ovin (sous-presse) (ici: Elevage) ; Sociétés pastorales du Zagros achémènlde, Cahiers du CERM, n? 133, 1977, p.l·9 (ici: Zagros) ; également Alexandre le Grand, 2e éd., Paris 1977, en particulier p. 80·93. (2) Le Marxisme dans les Sciences humaines, Raison Présente, 1.37, p.65-77 (ici p.67). (3) Ibid., p. 74.
(4) lbid., p.77. Voir également ID., Horizon, trajets msrxistes en anthropologie, 2e éd., Paris, Maspero, 1977, II, p.237-240, et 243 sq., où l'auteur donne une place plus importante (et à mon avis plus réaliste) au rôle de la guerre et de la couquête (cl. p.252-253l. Je traite de ce problème dans ma communication au Colloque de Camerino [janvier 1978) sur "Contrainte militaire et dépendance rurale dans l'Empire aehéménide" j voir également infra, p.40-42.
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Ce problème fondamental de l'articulation des instances dans les sociétés précapitalistes a été également abordé par l'économiste égyptien S. Amin en des termes finalement très proches de ceux de M. Godelier : "Dans tous les modes de production pré-capitalistes, la génération et l'emploi du surplus sont transparents. Les producteurs ne peuvent donc accepter la ponction de ce surplus que s'ils sont "aliénés" et croient cette ponction nécessaire pour la survie de l'ordre social et "naturel" (51. Donc, dans ces sociétés, "l'instance idéologique est dominante, bien que l'économique soit évidemment, comme toujours, déterminant en dernière instance... " En effet, "l'exploitation ne peut se maintenir que si la société dans son ensemble (classes dirigeantes et classes exploitées) partage une même philosophie idéologique, qui justifie aux yeux des uns et des autres leur inégalité de statut. L'idéologie occupe une place dominante dans la reproduction de la société". Etant donné par ailleurs le faible développement des forces productives, "l'idéologie est nécessairement religieuse" (6 ). Si nous en revenons maintenant aux écrits de K. Marx, - point de départ et de référence des deux auteurs cités ci-dessus, - nous constatons que, dans les Formen, en particulier, il avait ouvert la voie aux recherches sur la forme et le rôle des idéologies dans les sociétés de type asiatique. Traitant des communautés, Marx y écrit en effet: " ...Rien ne s'oppose à ce que, comme dans la plupart des formes asiatiques fondamentales, l'unité d'ensemble qui est placée au-dessus de toutes ces petites entités communautaires apparaisse comme le propriétaire supérieur ou le propriétaire unique, les communautés réelles n'apparaissant par suite que comme possesseurs héréditaires... Une partie de son [communauté villageoise] surtravail appartient à la collectivité du niveau supérieur qui existe finalement comme personne et ce surtravail est mis en valeur tant dans le tribut etc. que dans les travaux en commun accomplis à la gloire de l'unité, pour une part du despote réel, pour une part de l'entité tribale imaginaire, le dieu... " (7).
/.2. Partant de l'expérience (8) d'une part, s'appuyant d'autre part sur l'état de la réflexion théorique, M. Godelier, S. Amin et d'autres ont le mérite de poser le problème dans toutes ses dimensions, et de proposer en même temps des voies de recherches susceptibles de mener à la constitution d'une théorie marxiste des idéologies, en particulier des idéologies religieuses. Mais la théorie elle-même se nourrit (ou devrait se nourrir) de l'étude minutieuse de sociétés historiquement situées. C'est seulement
(5) Le développement inégal. Essai sur les formations sociales du capitalisme périphérique, Paris. Ed. de Minuit, 1973, p.19. (6)
Ibid. Voir également ID., L'impérialisme et le développement inégal, Paris, Ed. de Minuit. 1976. p.47, 87-89, 167-173.
(7) Sur les sociétés précapitalistes, Recueil du CERM, Editions Sociales, 1970, p.183-184.
(8) Indirecte chez GODELIER qui utilise surtout (cf. Horizon, II, p.245 sq.) la "thèse très remarquable" (ibid., p.245) de J. MURRA, The Economie Organi,."tion in the Inca Sate. Une
telledépendance limite forcément le champ de la réflexion théorique.
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en procédant ainsi que l'on évitera les généralisations abusives et déformantes (91, et qu'au contraire on analysera les spécificités de telle ou telle société, en observant que l'idéologie peut avoir une place et un rôle différents dans la structuration et la reproduction des sociétés "asiatiques" : ainsi de la royauté syrienne de l'âge du bronze dont M. Liverani - si soucieux par ailleurs de l'instance idéologique ne) - écrit: " ...royauté humaine, utilitariste, administrative, ... plutôt étrangère aux idéaux de justice ou à des modèles sacrés qui auraient pu réaliser la liaison avec les intérêts et l'attente de la population. Sa solidité se fonde d'une part sur la solidarité de la noblesse, d'autre part sur l'incapacité des communautés villageoises de s'organiser et de réagir" (11). L'exemple étudié ici est celui de l'Asie unifiée par et pour les rois achéménides : Etat fondé essentiellement sur l'exploitation immédiate des masses paysannes groupées dans leurs communautés de village, Etat intervenant de façon régulière et massive dans la vie économique (12). Le rôle de l'idéologie -en particulier de l'idéologie politique- ne peut être nié (13). Le problème reste de l'apprécier dans toutes ses manifestations et de répondre à la question essentielle à mes yeux : y a-t-il réellement adhésion des dominants et des dominés à une même idéologie religieuse ? Si oui, comment celle-ci s'est-elle élaborée et comment s'est-elle (a-t-elle été] diffusée au niveau des communautés villageoises ? La question est d'autant plus délicate que la formation économique et sociale achéménide est d'une extrême complexité, même si le Mode de Production Asiatique (MPA) peut être considéré comme le mode de production dominant (14) : une mëme idéologie a-t-elle pu. vraiment avoir un impact identique dans des régions aussi diverses que l'Anatolie, l'Egypte ou l'Iran oriental ? Pour tenter de répondre à des questions aussi fondamentales, il convient d'utiliser les sources et documents de nature et d 'origine très diverses, soit : les récits et interprétations des auteurs classiques (Xénophon surtout, mais aussi Hérodote et Strabon), les inscriptions et monnaies grecques (d'époque tardive), les inscriptions
(9) Je pense en particulier aux outrances de K. WITTFOGEL, Le despotisme oriental. Etude comparative du pouvoir total, 2e èd., Paris, Ed. de Minuit, 1977. (On regrettera que cette nouvelle- édition -sane modification du texte- soit démunie du très intéressant AV8nt~PrOp08 qu'avait donné P. VIDAL· NAQUET dans la première traduction française). Ce que nous appelons la "contrainte idèologique" est le plus souvent réduit par Wittfogel à ce qu'il appelle (p.I77) "le gouvernement par la trique" : cf. tOU8 les développements des chapitres IV et V, où, il est vrai, il est moins réellement question de Sumer ou de l'Egypte que de Staline (cf. p.169 ... ). (10) Cf. par exemple son étude, La struttura politica, dans L'Alba della civiltà (ed. S. Moscatil, Torino 1976, p.277-414. (11) La royauté syrienne de l'âge de bronze, dans Le palais et la royauté. Archéologie et civilisation,
Paris, 1974, p.356. (12) Cf. mes analyses des Villages et Communautés, passim. (13) Voir déjà sur ce thème, mon Brigandage, p.185-189. (14) Cf. mon étude dans Communautés; cf. également Colonisation.
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royales achéménides OS) où les Rois parlent à la première personne, également le livre religieux par excellence, l'Avesta (6). C'est d'ailleurs par le commentaire d'un passage très important et bien connu de l'Avesta que commence l'enquête (Il) ; nous essaierons ensuite d 'analyser les rapports existant entre l'idéologie avestique et l'idéologie politioo-religieuse achéménide (IIII ; puis, la réflexion portera sur les véhicules et représentations de cette idéologie (IV) ; nous pourrons alors revenir (V) aux mentalités religieuses des paysans asiatiques, étudiées en rapport étroit avec lès chapitres précédents.
Il. TRAVAIL AGRICOLE ET PRATIQUE RELIGIEUSE DANS LE FAR· GARD III DE L'AVESTA IVENDIDID) 11.1. L'un des textes d'origine perse les plus intéressants est certainement le Fargard III de l'Avesta. Cet extrait constitue avec vingt et un autres Fargard l'ensemble du Vendida-a, c'est la "loi anti-démoniaque" : il comporte vingt sections (Fargardl de règlements introduits par deux sections qui racontent comment la loi a été donnée aux hommes (17). Il est bien difficile de déterminer à quelle date cette partie a été rédigée, peut-être sous les Arsacides (8) ? Quoi qu'il en soit, la tradition orale remonte certainement à une antiquité beaucoup plus haute, et le contenu du Fargard III corrobore et précise des informations données par des sources d'époque achéménide (9). On peut donc admettre que ce document peut être utilisé - avec toutes les précautions d'usage - pour analyser les relations entre l'idéologie religieuse et le travail de la terre en Asie sous la domination achéménide (20).
Le sujet du Fargard III est le travail de la terre ou, plus précisément, le devoir qui incombe aux paysans de tenir la terre pure et de pratiquer l'agriculture selon les prescriptions sacrées (21). Le chapitre est construit en oppositions autour de questions posées à Ahurah-Mazdah :
OS) Citées d'après l'édition de R.G. KENT, Old Persisn, Grammar, texte, lexieon, 2e éd., 1953. (6) Citée d'après la traduction de J.DARMESTETER, Le Zend-Avesta, Paris, 1892-93, réimp. anast. 1960, 3 volumes. (7) Ibid., II, p.V-XXIV ; J.DUCHESNE-GUILLEMIN, La religion de l'Iran ancien, Paris 1%2, p.35. (8) Ainsi A.CHRISTIENSEN, Etudes sur le zoroastrisme de la Perse antique, Copenhague 1928. p.43·45. (9) Textes épigraphiques et littéraires cités et utilisés ci-après: selon DARMESTETER, II, p.32, "Le Fargard III est le commentaire de ces textes". (20) Voir aussi F.A. CANNIZARû, Il eapitolo georgieo dell'Avests Vendidad 11/, Messine 1913. en particulier p.12-17. Il n'est pas possible d'aborder ici l'ensemble des problèmes liés à l'utilisation de telle ou telle section de l'Avesta: je ne suis d'ailleurs pas compétent pour cela. Selon J. DUCHESNE-GUILLEMIN, p.46, le Vendidiül"paraÎl être le seul des livres légaux qui se soit conservé tel quel dans l'Avesta qui nous est parvenu ", Sur les interpolations. cf. CANNIZARO, p.S.
(21) Ibid,
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5 - les lieux "où la terre se sent le plus heureuse" (§ 1-6) ; - les lieux "où la terre a plus de chagrin" (§ 12-14 ; 22-35) ; - (la figure antithétique est incluse: § 14-21 ; 24 ; 28-29). Le Fargard III se réfère donc à un monde de paysans. L'agriculture qui y est pratiquée est fondée sur les céréales (§ 4, 23, 32), mais d'autres eultures Jarbres fruitiers: § 231 y tiennent une place non négligeable. On notera également l'importance des travaux d'irrigation ou d'assèchement (§ 4, 23). On soulignera enfin que le secteur pastoral joue un rôle de premier plan, tant le gros que le petit bétail (§ 2, 5-6). Dernière remarque préliminaire : on est frappé par la liaison permanente, voir l'assimilation, entre trois notions ou réalités que sont: la Terre, la Religion, la Femme. La religion est comparée à un enfant que le bon paysan doit nourrir et élever (§ 31) ; le paysan féconde tout aussi bien la femme que la terre (§ 24-251. Il est donc clair dès l'abord, que richesse et prospérité sont liées à l'activité religieuse, et que ces conceptions relient l'idéologie du Fargard III à des mentalités très anciennes en Asie (et ailleurs] (22).
11.2. La nécessité de l'augmentation des forces productives est au centre du discours avestique. L'accent est mis sur la croissance dès le début (§ 2) : "C'est là qu'un fidèle élève une maison avec prêtre, avec bétail, avec femme, avec fils, avec bon troupeau; et qu'ensuite dans cette maison croit le bétail, croit la vertu, croit le fourrage, croit le chien, croit la femme, croit l'enfant, croit le feu, croissent toutes les bonnes choses de la vie". De même en § 4 : "C 'est là où l'homme sème le plus de blé, d'herbe, d'arbres fruitiers", ou en § 5 : "C'est là où se multiplient le plus petit bétail et gros bétail". Parmi ces forces productives, trois sont particulièrement citées avec faveur: - le bétail dont deux utilisations sont fondamentales: l'engrais (§ 6), et les labours (§ 24) ; - l'irrigation (§ 4 : .....où il amène de l'eau dans une terre sans eau et retire l'eau d'où il y en a trop") ; - en fin de compte, le plus décisif ce sont les forces productives humaines. Tout le Fargard représente un encouragement vibrant à la natalité. Les forces productives humaines doivent s'accroître au même titre que le bétail (§ 2). L'augmentation de la production agricole vise donc d'abord à reproduire et à multiplier le nombre de bras; en effet, "qui ne mange point n'a point de force, ni pour faire vaillante oeuvre de religion, ni pour cultiver avec vaillance, ni pour engendrer avec vaillance. C'est en mangeant que tout l'univers corporel vit; en ne mangeant pas, il périt" (§ 33). D'où cette assimilation de la Terre et de la Femme: de même qu'il ne faut pas prolonger les jachères, il ne faut point laisser une jeune fille sans mari et sans enfant (§ 24). Labours et coït constituent donc deux devoirs indissociables du paysan: "on dirait de l'époux bien-aimé, couchant sur son lit avec l'épouse bien-aimée: elle porte ou un fils ou des fruits" (§ 25) • le ..elle "désignant indifféremment la femme ou la
(22) Voir infra p.35·36.
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terre (231. La femme doit donc se nourrir; dans le cas contraire, elle ne peut pas concevoir (241. Le rapprochement joue évidemment dans l'autre sens aussi: la Terre personnifiée entretient des rapports quasi charnels avec le paysan : "Car la Terre n'est point joyeuse qui gît longtemps en jachère, au lieu d'être ensemencée du semeur: elle désire un bon labour" (§ 24). En dernier ressort, le travail du paysan permet à l'homme et à la femme de procréer. La vie des masses paysannes est donc conduite autour de trois préceptes fondamentaux et complémentaires : Travailler - Produire - se Reproduire
II.3. Dans l'Avesta, ces règles de vie ne sont pas imposées par une autorité civile (au sens où nous pourrions l'entendre), quelle qu'elle soit. Le monde des campagnes est dominé et habité par les grandes divinités, en particulier ici Ahurah-Mazdah, le dieu suprême de l'Empire, désigné sous l'appellation "Créateur du monde des corps", mais également Mithra "maître des vastes campagnes" (§ Il. C'est sous leur invocation que s'ouvre le Fargard : "Créateur du monde des corps, saint! Quel est le premier lieu où la terre est la plus heureuse? Ahurah-Mazdah répondit: c'est là où prie un fidèle, ô Spitama Zarathoustra, la bûche en main, le Baresman en main, le lait de vache en main, levant la voix en bon accord avec la Religion, et priant Mithra, maître des vastes campagnes, et à Râma Hvâstra" (§ Il. Le travail du paysan constitue donc avant tout une pratique religieuse. C'est "en semant le blé avec ardeur" que l'on nourrit la religion de Mazda" (§ 301. Et donc, "qui sème le blé, sème le Bien"; il fait marcher, marcher [régner] la Religion de Mazda ; il allaite la religion de Mazda ; comme le feraient cent pieds d'hommes, mille seins de femmes, dix mille formules de Yasna" (§ 3I). Les encouragements donnés par Ahurah-Mazdah à la mise en culture et au travail agricole représentent un aspect important de la lutte qu'il mène contre les"démons qui se précipitent hors du terrier de la Druj [mensonge]" (§ 7). En effet, "quand le blé fut créé, les Daêvas sautèrent ; quand il grandit, les Daêvas perdirent coeur ; quand les noeuds vinrent, les daêvas pleurèrent; et, quand l'épi vint, les Daêvas s'enfuirent" (§ 321. Au contraire, "dans la maison mi le blé périt, les Daêvas habitent. Mais, on dirait un fer chaud que l'on retourne dans leur bouche, quand le blé vient en abondance" (§ 33). Travailler la terre et engrosser la femme représentent donc la participation du paysan à la lutte du Bien contre le Mal, à la lutte de la Vérité contre le Mensonge (Druj), car la vertu croît en même temps que les humains, les plantes, les animaux et "toutes les bonnes choses de la vie" (§ 2). Le bon paysan est donc un "fidèle" (§ 2 ; 15-16) : il est en accord avec les hornmes, la terre, les dieux, avec l'univers entier. Dans ce monde dualiste, il va de soi que
(23) DARMESTETER, II, p.4I, n.45.
(24) Ibid., p.44, n.61.
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les fidèles sont récompensés, les méchants sont punis. C'est la Terre elle-même qui l'affirme au fidèle qui travaille "avec le bras gauche et le bras droit" (§ 26) : "J'irai toujours portant pour toi, portant tous les aliments, portant des amas de blé pour toi d'abord" (§ 27). En revanche, à l'homme qui ne travaille pas, la Terre dit: "Tu te tiendras toujours appuyé à la porte de l'étranger, parmi ceux qui mendient leurs aliments ; on t'apportera le rebut du pain, les miettes de la table, que t'envoient des gens qui ont tous bien à profusion." L'opprobre pèse donc sur ce paysan, car la famine qui le touche lui est imposée par la divinité en raison de son manquement envers des préceptes d'origine divine. Quelques paragraphes plus loin (§ 34-351 pourtant, apparaît un commandement qui, à première vue, semble entrer en contradiction avec le sort promis au paysan "qui ne travaille pas avec le bras gauche et le bras droit". Le texte porte en effet : "Quel est le cinquième lieu qui réjouit la terre de la joie la plus grande ? C'est celui qui en toute piété et bonté, ô Spitama Zarathoustra, fait la charité au fidèle qui travaille la terre. Celui qui en toute piété et en toute bonté, ô Spitama Zarathoustra, ne fait pas la charité au fidèle qui travaille la terre, celui-là, Spenta Aramiti le précipitera dans les ténèbres, dans le monde de douleur, dans le monde infernal, elle le fera tomber jusqu'au plus profond de l'abîme".
En réalité, il n'y a pas contradiction, mais bien plutôt opposition entre deux paysans qui se trouvent l'un et l'autre dans le besoin: alors que l'un n'a pas travaillé la terre (§ 28-291, le second, "fidèle qui travaille la terre", n'a pas pu joindre les deux bouts pour une raison purement conjoncturelle. Le code de conduite sociale que définit le Fargard III renvoie au cadre socio-économique des activités des paysans asiatiques, à savoir la communauté villageoise: y règne la solidarité ("charité", "piété et bonté" envers les membres dans le besoin, sauf envers ceux qui, par leur "nontravail", ont insulté la divinité et se sont exclus de la communauté: ces derniers n'ont plus droit à la solidarité communautaire, mais doivent, pour survivre, recourir à la mendicité à la porte de l'étranger (§ 29). Il sont à l'écart de la communauté villageoise et donc dépossédés de leur droit à l'accès au terroir collectif. On doit probablement voir dans ce code de conduite sociale l'une des raisons fondamentales de la solidité des structures communautaires asiatiques; on comprend aussi, de l'intérieur, les avantages, pour l'administration royale, de la responsabilité collective devant le versement de l'impôt; en même temps, cette solidarité fiscale ne pouvait que renforcer les liens intra-communautaires et durcir les attitudes de la communauté face aux membres défaillants.
Il.4. En définitive, le Fargard III représente à lui seul un système idéologique d'une remarquable cohérence. Le travail et la productivité y apparaissent en effet comme la condition première de l'accomplissement, humain et religieux, personnel et collectif, des paysans. Leur action sur la terre -elle-mêrne personnifiée et divinisée
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[Terre]- est constamment médiatisée par leurs rapports aux dieux 1251. Ce sont bien sûr les bras du paysan qui labourent, mais ils agissent par la volonté divine et pour la plus grande gloire des dieux (§ 25-27) : si certains ne travaillent pas, c'est que leur cerveau est paralysé par les démons (§ 281. On ne saurait trouver meilleure illustration de l'erreur qui consiste à séparer brutalement infrastructures et superstructures ; en agissant sur la volonté des paysans, l'idéologie religieuse agit sur leurs capacités de producteurs ("bras gauche et bras droit") et peut donc être considérée comme étant partie constitutive des forces productives qu'elle contribue puissamment à développer. Reste cependant à aborder le redoutable problème des conditions historiques dans lesquelles cette idéologie a pu historiquement être développée et agir concrètement. Le problème présente deux aspects, que l'on distinguera par commodité: comment cette idéologie a-t-elle pu être utilisée, voire manipulée par l'appareil d'Etat achéménide ? Par quels canaux, sous quelles formes a-t-elle été diffusée et reçue par les masses paysannes asiatiques ? En bref, dans quelle mesure l'analyse menée à partir du Fargard III correspond-elle à une réalité historiquement située ?
Ill. IDÉOLOGIE AVESTIQUE ET IDÉOLOGIE MONARCHIQUE ACHÉMÉNIDE IlLI Dans l'Empire achéménide, les ressources du Roi proviennent pour l'essentiel de la terre et donc de l'effort des masses paysannes (261. C'est ce que de nombreux textes expriment sans ambiguïté : la souveraineté sur les terres est liée indissoluhlement au tribut et donc à la dépendance rurale, c'est là une réalité qu'exposent avec force de nombreux textes classiques (271 tout autant que les inscriptions royales achéménides 1281. Certaines satrapies perses versaient même tout
(25) Le rapprochement avec les Travaux et les Jours d'HESIODE vient immédiatement à l'esprit; voir M.DETIENNE, Crise agraire et attitude religieuse chez Hésiode, Coll. Latomus 63. BruxellesBerchem 1963, en particulier p.32-51 : "Le travail agricole comme pratique religieuse" : "Par le travail de la terre, l'homme se soumet il l'ordre divin. Il est donc clair que pour Hésiode le travail agri-
cole prend une valeur religieuse" (p.341. Chez HESIODE également (TJ, 3021. "la faim est partout la compagne de celui qui ne fait rien" ; il devra s'en aller "mendier, indigent. il la porte d'autrui" (TJ, 394-5 ; cf. 399-4001. On pourrait multiplier les rapprochements. Mais ils n'auraient rien de spêcüique ; "le statut religieux du travail agricole n'est pae propre il la Grèce", remarque justement M.DETIENNE, p.34, n.ô, en renvoyant à X.de PLANHOL, Le monde islamique. Essai de géographie religieuse, Paris 1957, p.45-46 : "La croissance des récoltes n'apparaît jamais comme le fruit du travail humain mais comme la simple expression de la volonté divine". On pourrait sans doute amener à l'appui toutes les sociétés prèeapitalietes où le niveau des forces productives ne s'est pas considérahlement développé depuis le néolithique, et où donc la médiation divine apparait comme une assurance et comme un recours: cf. infra, p.34-35. (261 Outre l'Economique, IV, de XENOPHON, voir Ps. ARISTOTE, Econ., II. 1,2·4. (27) Cf. Brigandage, p. 199-200.
(281 DB, 1,19 ; DPe, 9 sq., etc. Voir aussi les représentations figurées de Persépolis ("Frise des tributaires", "Porteurs du trône").
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ou partie de leur tribut en nature (29). Ce qu'il est important de noter ici, c'est que les Rois se sont toujours efforcés de favoriser le développement quantitatif et qualitatif des forces productives. En tout premier lieu, les forces productives humaines qui, comme l'affirme Cyrus à plusieurs reprises, constituent la richesse fondamentale d'un Etat; en effet, "un pays peuplé est une richesse.d'un grand prix; vide (érémé), il est aussi vide de-biens" (30). La tâche de satrape est d~nc de maintenir la terre en production (energos) et le territoire bien.peuplé (synoikouménen chôranl ; les satrapes seront punis, si les campagnes meurent par manque de bras (oliganthropie) (31). On peut même parler à cet égar d'une véritable politique nataliste. Hérodote (32) affirme en effet que "les Per es regardent comme un grand mérite d'avoir un grand nombre d'enfants: le Roi do ne des prix chaque année à ceux qui en ont plus". Informations reprises par Strabo (33) à propos de la polygamie chez les Perses, dont l'existence est justifiée par le souci"d'avoir le plus grand nombre d 'enfants possible. Il faut dire que les Rois en ouragent les naissances par des primes ou récompenses qu'ils proposent chaque an ée". Ces informations des auteurs classiques ont trouvé une confirmation éclata te dans les tablettes de Persépolis récemment publiées: plusieurs tablettes prouve t en effet que les femmes kurta'! ("travailleurs dépendants") (34) qui venaient d' ccoucher recevaient une ration alimentaire spéciale, double en cas de naissance d' n garçon (35). Ces documents précisent donc d'une manière irréfutable que la po itique nataliste des Rois ne s'appliquait pas seulement aux Perses. Les Rois se soyciaient autant de l'augmentation de la force de travail dépendante qu'ils contrôlaient et exploitaient. Voilà des faits qui jettent un jour nouveau sur l'appel à la natalité dans le Fargard III et qui confèrent une historicité certaine à ce remarquable document! De nombreux documents gréco-romains, mais surtout élamites et babyloniens, confirment également l'intérêt pris par l'administration royale pour le développement de l'élevage (36). De même, dans une lettre célèbre, Darius le Grand félicite Gadatas (satrape?) qui a fait cultiver la terre royale et qui a transplanté en Anatolie des espèces végétales originaires d'Outre-Euphrate (37). Enfin, plusieurs textes, en (291 STRABON, XV, 3, 21. (30) XENOPHON, Cyr., IV, 4, 4 sq. (31) ID., Econ., IV, 4, 4 sq. (32) HERODOTE,
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(33) XV, 3, 17. (341 Sur les kurt:'s, voir les études de M.DANDAMAYEV, VDI, 1973, p.3·25. (35) Voir R.T.HALLOCK, PersepolisFortification Tablets, Chicago 1969, p.37 : "Obviously the payments reflect an interes of the state in the increase of the work force", -suivi par DANDAMAYEV, VDI, 1973, p.5, 14 et 22. (36) Cf. Elevage. (37) Dernière édition dans W.BRANDESTEIN - M.MAYRHOFER, Handbuch des Altpersischen, Wieshaden 1964, p.91·98.
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particulier l'un de Polybe (38), prouvent que les Rois ont défini une véritable politique de l'eau dans leur empire, en favorisant la construction de qanat8 sur le plateau iranien: on peut même parler à cet égard d'une politique de colonisation agraire 1391. Les incitations du Fargard III à "amener l'eau dans une terre sans eau", à faire croître les troupeaux, à augmenter la production et à multiplier les forces de travail... correspondent donc remarquablement aux objectifs de la politique menée par les Rois achéménides dans tous ces domaines. Il ne peut s'agir de coïncidences 140).
III. 2. Par ailleurs, ces rapports de production sont sous-tendus et obnubilés tous à la fois par une idéologie de la paix et de la protection qui fait du Roi et de son administration les défenseurs et les bienfaiteurs des paysans. C'est ce qu'exprime avec force un passage bien connu de l'Economique de Xénophon, traitant des rapports entre "travaux de la guerre" et "travaux de la paix". La disposition de placefortes et de garnisons est présentée comme une garantie de paix et de sécurité pour les travailleurs de champs (41) : "Si le phrourarque [commandant de citadelle] ne défend pas le pays comme il le fait, le gouverneur chargé des civils et qui veille aux travaux agricoles accuse le phrourarque, parce que, faute de protection (dia tèn aphylaxian), le travail du champ est impossible. Mais, si malgré la paix (eirenè) assurée par le phrourarque, le gouverneur laisse le pays mal peuplé (oliganthrôponl et improductif, c'est au tour du phrourarque de l'accuser. En général, ceux qui travaillent mal la terre ne nourrissent plus les garnisons et ne peuvent s'acquitter des tributs" (42) ! Ailleurs, Cyrus définit ainsi leurs tâches aux satrapes qu'il vient de nommer; ils devront: lever le tribut, payer leur solde aux garnisons, veiller à la productivité des terres et à la sécurité (phylakè) des habitants 143). Le satrape doit donc "protéger des ravages (a populationibus vindicare)" le territoire qui lui a été confié 1441. Cette idéologie est si puissante et si bien assimilée par ceux-là mêmes qui sont chargés de la diffuser qu'en 334, le satrape Arsitèsjustifia ainsi son refus de la tactique de la terre brûlée; il refusait "que fût brûlée une seule maison appartenant à ceux qui étaient sous son administration (tôn upo oi tetagmenôn snthrôpônt" 1451. Il faut bien voir en effet que cette mission de protection est présentée (et vécue comme telle) comme la (38) POLYBE, X, 28, 3 ; Cf. HERODOTE, III, 117. (39) J'étudie ce problème dans Communauté•. (40) Cf. DARMESTETER, II, p.32, et CANNIZARO, op.cit., p.12-17. (41) Cf. Brigandage, p.187-188. (42) XENOPHON, Econ., IV, 10-11. (43) ID., Cyr., VIII, 6, 4 et 16. (44) QUINTE-CURCE, III, 4, 5. (45) ARRIEN, Anab., l, 12, JO : sur ce texte, voir mon étude Conquête territoriale et stratégie idéologique: Alexandre le Grand et l'idéologie monarchique achéménide, Colloque de Cracovie ,ur "idéologie monarchique dans
l'Antiqui~é, à
paraître.
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justification idéologique fondamentale de la perception du tribut, et plus largement de la souveraineté sur la terre et sur les personnes (461.
III. 3. Le satrape est comme le représentant permanent, le lieutenant du Roi dans sa province : ce que nous pourrions appeler l'idéologie satrapique n'est donc qu'une manifestation, voire un reflet, de l'idéologie monarchique, de la même façon que l"'économie satrapique" s'insère dans le champ universel de l'''économie royale" (47). Cependant, c'est au niveau de l'idéologie royale que se manifeste le plus clairement la liaison dialectique entre la composante politique et la composante religieuse du système idéologique impérial. La royauté achémênide est justifiée par deux principes de base (48) ; l'un, de caractère dynastique, ne nous intéresse pas directement ici. Il est plus essentiel de souligner la liaison indéfectible entre le Grand Roi et la divinité suprême, à savoir Ahurah-Mazdah. C'est d'Ahurah-Mazda que le Roi tient son pouvoir et les terres: Darius et ses successeurs aiment à le répéter (49). C'est grâce à la protection d'Ahurah-Mazdah que Darius a vaincu ses nombreux ennemis qui sont aussi les ennemis du dieu (50). Bien qu'en retrait, les "autres dieux", c'est-àdire Mithra et Anilhitil, jouent un rôle important, surtout Anilhitil à ~artir d'Artaxerxès II (511. En bref, la royauté aehéménide est une royauté sacrale ( 2). Lieutenant d'Ahurah-Mazdah sur la terre, garant de l'ordre divin, le Roi doit en même temps aide et protection à ses sujets. Un passage d'une inscription de Darius est à cet égard digne d'être cité et commenté: "Qu'Ahurah-Mazdah me porte aide avec tous les dieux et qu'Ahurah-Mazdah protège cette terre de l'armée ennemie, de la mauvaise récole [famine], du mensonge (draugal ; que sur ce pays ne vienne ni armée ennemie, ni mauvaise récolte, ni mensonge; je le demande en faveur à Ahurah-Mazdah et à tous les dieux" (53) ! Ces paroles de Darius -que G .Dumézil a rapprochées d'une réplique mise par Eschyle dans la bouche de la reine perse Atossa (541_ permettent de bien saisir les articulations entre deux aspects (46) Cf. ARRIEN, III, 18, 11, et PLUTARQUE, Alex., 38 (cf. Brigandage, p.189 et n.621. (47) Cf. Ps. ARISTOTE, Econ., II, 1. (48) Voir G.GNOLI, Politique religieuse et conception de la royauté sous le, Achéménides, Acta Irenics, Encyclopédie permanente des Etudes iraniennes. Première série: Commémoration Cyrus, Téhéran-Liège 1974, p.117-190, en particulier p.158 sq. (49) Cf. la formule "Arurah-Mazdah m'a remis (donné) le royaume" : GNOLI, p.158-159. (501 Cf. les grandes inscriptions de Darius à Behistoun : KENT, p. 116·134. (SI) C!st seulement à partir d'Artaxerxès Il que Mithra et AOhits8ont expressément nommés (A 2Sa,
A Sd: KENT. p.164·165) ; auparavant, on ne citait que "les autres dieux" : cf. G. WIDENGREN, Les religions de l'Iran, tr.fr., Paris 1968, p.163 sq. Voir aussi infra p.29-30. (52) Voir G. WIDENGREN, The Sacral Kingship of Iran, La Regalità sacra, Leiden, Brill, 1959, p.242-257. (53) DPd, 13-24. (54) G.DUMEZIL, Les trois fonctions dans le Rgveda et les dieux indiens du Mitani, Bull. Acad. Royale de Belgique, 1961, p.265 sq.
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en apparence contradictoires, en réalité complémentaires du Grand Roi: chef d'armée et protecteur des campagnes. Il doit en effet lutter contre l'ennemi, c'est-àdire contre ceux qui menacent l'Empire sur ses frontières, mais aussi contre le "mensonge" (drauga), c'est-à-dire contre les rebellions internes et les usurpations dynastiques (55), et donc veiller à maintenir l'ordre impérial assimilé à l'ordre divin défini par Ahurah-Mazdah (56) ; mais, cette tâche militaire -elle-même insérée dans une mission de nature religieuse- ne constitue pas un but en soi, elle a pour finalité la paix et la prospérité: l'activité du Roi et d'Ahurah-Mazdah doivent permettre d'assurer de bonnes récoltes, en favorisant la sécurité et la paix dans les campagnes. A l'inverse, un roi qui "rend les champs incultes" insulte Ahurah-Mazdah et, comme tel, tombe dans la catégorie des tyrans châtiés par les dieux (571. On retrouve donc là l'idéo-logique qui sous-tend le Fargard III où l'activité de la Druj (le drauga des inscriptions) amène la stérilité de la terre, alors qu'AhurahMazdah, "créateur du monde des corps", est l'ami du bon paysan (le "Iidèle"] et le protecteur des bonnes récoltes, et que Mithra, "maître des vastes campagnes", met toute son énergie à courir sus aux démons "qui sortent du terrier de la Druj" (58). C'est le même dualisme qui caractérise les inscriptions royales et le texte avestique (59). Les inscriptions permettent en outre d'établir la liaison directe et pero manente entre idéologie religieuse et idéologie politique: c'est par l'intermédiaire du Roi qu'Ahurah-Mazdah et les autres dieux incitent les paysans au travail et assurent "leur" prospérité. Comme le simple paysan, le Roi doit oeuvrer en accord avec les commandements divins. Dès lors, le tribut apparaît comme un juste remerciement dû au Roi, de même que l'ardeur au travail (garante du tribut!) apparaît comme une action de grâces en direction de la divinité. Il y a donc bien là -comme dans l'exemple des Incas pris par M. Godelier- relation dialectique entre la dépendance rurale et l'idéologie: "L'idéologie religieuse n'est pas seulement la surface, le reflet fantasmatique des rapports sociaux. Elle constitue un élément interne du rapport social de production, elle fonctionne comme une des composantes internes du rapport économico-politique d'exploitation de la paysannerie par une artistocratie détentrice des pouvoirs de l'Etat" (60).
(55) Sur le sens de drauga, cf. GNOU, p.I66, n.283. (56) GNOU, p.l58 Bq. Voir par exemple Xph, § 4<0, 35-41 (KENT, p.151) : "1 worshipped Ahuramaz-
dah and Arta reverently". (57) Ya_na 32, § 10 : cf. DARMESTETER, I, p.240, n.39 ; voir aussi Ya_na 12, § 2 : lutte d'AhurahMazdah contre "les larrons et les brigands" : "Ma louange repousse des villages mazdéens désastres et désolations", i.e. la désolation de la terre inculte et déserte (DARMESTETER. I, p.119, n.101. (58) Cf. Ya_ht 10. (59) Ce dualisme ("terre amie-terre ennemie") est même perceptible à travers les textes c1assiqucM : Br;·
gandage, p.185. (60) Horizon, 11, p.238.
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IV. VÉHICULES ET REPRÉSENTATIONS IDÉOLOGIQUES IV.I. A ce point de la discussion, la réalité d'une idéologie de nature politicoreligieuse à soutenir et à illustrer la politique royale de développement des forces productives et de mise en dépendance rurale ne semble pas faire de doute. Ce qui reste posé, c'est le problème de l'efficace de cette idéologie, même si les rapports établis entre le Fargard III et l'idéologie monarchique ont déjà ouvert le champ de la réflexion: il subsiste en effet hien des points d'interrogation. Le problème peut luimême être posé à deux niveaux, au moins pour la commodité de la réflexion et de l'exposé: celui de la diffusion de l'idéologie, et donc aussi de la propagande idéologique, du haut (Roi) vers le bas (paysan) ; celui aussi, non moins important, et probablement même décisif, des mentalités paysannes propres (ou impropres} à accueillir et à accepter les messages et signes idéologiques venus de l'appareil d'Etat tout puissant. L'analyse de l'envoi des messages se confond largement avec l'étude des véhicules idéologiques. D'une manière générale, ceux-ci présentent des caractéristiques propres, extérieures ou internes: messages oraux, messages écrits, messages figurés. Il est clair que le véhicule varie institutionnellement (sinon fonctionnellement 1selon le destinataire du message ou selon la fonction même de celui-ci. Je distinguerai donc trois types de messages, selon leurs destinataires, leur[s] vecteurts] et selon leur diffusion relative dans l'espace et dans la société, à savoir: la Fête du Nouvel An persépolitain, l'éducation des élites impériales, et les paradis royaux. La suite de l'exposé montrera, je l'espère, que cette énumération apparemment disparate est porteuse d'un projet idéologique cohérent.
IV.2. C'est au cours de la Fête du Nouvel An, célébrée lors de l'équinoxe de printemps à Persépolis, que le Grand Roi, devant la foule assemblée, "prouvait" ses liens avec la divinité, en accomplissant des rites propres à réveiller les forces de la nature et à susciter la fécondité universelle. Malheureusement pour l'historien, les seuls témoignages contemporains que nous possédons sont des documents iconographiques (sceaux, sculptures, monuments... } 1611 ; pas ou peu de textes, si l'on met à part un court mais fort intéressant passage de Xénophon (621. Le commentaire des représentations figurées de Persépolis doit donc être mené en recourant à des textes antérieurs: les textes sur la fête indienne du Nouvel An d'une part (63), les textes
1611 Voir surtout R. GIR5HMAN. Perses. Proto-Iraniens. Mèdes. Achéménides. L'Univers des Formes, Paris 1963, en particulier p.l54sq. L'auteur souligne justement (p.157) ilia valeur narrative" du décor figuré qui "s'adressait aux spectateurs, car il n'était pas question que tOU8 montent sur la terfasse",
(62) Cyr., VIII, 3, 1-4.
(63) Voir surtout G. WIDENGREN, Stand und Aufgabe der irenisehen Religionsgeschichte, Leiden 1955, p.51-55, repris pour l'essentiel dans Les religions de l'Iran, 1968, p.58·67 ; voir aussi son étude dans Regalità sacra, p.252·253.
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portant sur l'Akitu mésopotamien d'autre part, tant on sait les continuités extrêmemeut prégnautes entre l'Akitu et le Noioru» (64) ; on y ajoutera la littérature perse post-alexandrine qui, dénonçant la destruction de Persépolis et la conquête .macédonienne, donne une image saisissante de l'anti-roi et du règne du Chaos (65). La partie la mieux connue de la cérémonie consistait en un défilé que le Roi et son entourage regardaient de la "loge royale" : il s'agit du défilé composé par les délégations venues de chaque satrapie apporter au Roi le tribut (ou sa représentation symbolique: moutons, chameaux, étoffes... ) dû au maître des terres et des personnes (66) : le Nouvel An peut donc être considéré comme une fête de l'Empire, une fête exaltant la puissance souveraine du Roi que concrétisait le versement du tribut (67). C'était en même temps la fête du Roi et de la Royauté, fête de caractère politicoreligieux (68). Au cours de toutes les cérémonies, de tous les sacrifices (69), le Roi se montrait comme le serviteur et le lieutenant d'Ahurah-Mazdah, dont il tenait vertu militaire, pouvoir politique et toutes autres qualités propres à un souverain délégué pour faire régner l'ordre et la justice (arta) contre le Mensonge (70). Il est donc probable que le Nowruz constituait aussi une sorte de ré·investiture annuelle du Roi par Ahurah-Mazdah (71). Fête du renouveau de la Royauté et de l'Empire, le Nowruz comprenait égaiement des rites et des cérémonies de renouveau de la nature, et c'est ce qui nous importe au premier chef ici, bien que tous les aspects soient intimement liés à l'intérieur d'un système idéologique. Plusieurs documents prouvent que le Roi était engagé dans une lutte sans merci contre le Chaos représenté par un dragon. Nous en
(64) Cf. S.K. EDDY, The King is Desd, Studies in the Near-Eastern Resistance to HeUenism 33431 B.C., 1961, p.51-58. Sur ces continuités, voir également toute la démonstration de G.GNOU, art. cit., passim, en particulier p.123-126, et C.J.GADD. Ideas of Divine Ru/e in the Ancient East, Londres 1948, p.90-91. (65) Voir surtout EDDY, King, p.ll sq., 58-59, et 344-349.
Persepolis, Wiesbaden 1966, qui souligne (p.1l-19) les continuités avec des représentations de même type dans l'Orient préachéménide.
(66) Voir G. WALSER, Die ViJ/kerschaften auf den Reliefs von
(67) Cf. Les représentations des "Porteurs du trône", avec les commentaires de H.~P. L'ORANGE, Stu-
dies in the lconography of Cosmic Kingship in the Ancient World, Oslo, 1953, p.80-87. (68) Cf. H.V. POPE, Persepolls as a Ritual City, Arche%gy, X, 1957; p.123 sq. ; GNOU, P.125 : "La fête de l'An, en Mésopotamie comme en Iran, était une fête de la royauté". (69) Cf. XENOPHON, Cyr., VIII, 3,1-4: le Roi, monté sur un char, suivi des dignitaires Acheval, puis par la cavalerie perse; -sacrifices dans les enclos sacrés; -taureaux sacrifiés il Zeus (AhurahMazdah), hoeufs en l'honneur du Soleil (Mithra) ; -concours et courses de chevaux, de chars. Cf. EDDY, p.53, qui souligne la remarquable concordance entre le récit de Xénophon et les représentations figurées de Persépolis. (70) EDDY, p.54. (71) Cf. le texte (tardif) d'Al-Birûni cité et exploité par L'ORANGE, op.cit., p,B7.
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trouvons une première illustration dans le "schéma mythico-rituel sur lequel repose l'antique fête indienne du Nouvel An", tel que l'expose G. Widengren : "Au point de départ, on suppose qu'un dragon est maître de la Vie, et que la sécheresse règne dans le pays. Un héros divin apparaît, prend la forteresse où se retranche le dragon, et triomphe du monstre. Cela libère les eaux retenues dans la forteresse, et la captivité des femmes que le dragon avait enfermées dans son harem prend fin. Alors la pluie coule à nouveau et fertilise la terre, de même que le jeune dieu se livre à l'hiérogamie avec les femmes délivrées. Dans le plan de cette fête, il y a deux séries parallèles de rites : une série personnelle, une impersonnelle. On peut les résumer dans le tableau suivant... " : 1721
Eléments impersonnels la. 2a. 3a. 4a.
Elements personnels lb. 2b. 3b. 4b.
Sécheresse La prise de la forteresse La libération des eaux Le commencement de la pluie
La domination du dragon La victoire sur le dragon La libération des femmes L'hiérogamie
Or, le combat du Roi contre le dragon -déjà présent dans les rites et mythes mésopotamiens (73), présent également dans l'Avesta (74)_ est représenté sur des sculptures de Persépolis. Le monstre a une tête, un corps et les pattes arrières d'un oiseau et une queue de scorpion. Il s'agit très certainement du démon du Mal (75) que le Roi doit rituellement vaincre chaque année pour assurer la fertilité des terres et des femmes. Il est possible également 1u'une hiérogamie ait pris place au cours du Nowrus, mais cela reste hypothétique 76). (72) Religion. de l'Iran, p.59 Iy compris le tableau). (73) Sur la lête du Nouvel An en Mésopotamie, cf. H. FRANKFORT, La royauté et les dieux, tr, Ir., Paris 1951. p.401-425 ; sur le roi mésopotamien garant de la pluie el de la prospérité des campagnes, cf. R.LABAT, Le caractère religieux de la royauté assyro-babylonienne, Paris 1939, p.161-176 et 277 sq. (74) G.WIDENGREN, Religions, p.59-60, 63-65. (75) EDDY, p.51-53 (Plate IVI. (76) Admises sans discussion par EDDY, p.54 et p.63, n.62. Cf. GNOU, p.129 [renvoyant à Wikander sur "la possibilité d'un hiéros gamos royal en Iran") ; WIDENGREN, ibid., p.65, remarque que "dans les textes indiens, le fait de répandre l'eau est généralement étroitement lié au fait que le roi se livre à l' hiérogamie; autrement dit, pluies et fécondités ne sont que deux aspects du même acte mythico-rituel" ; il souligne en revanche le silence des textes iraniens sur ce point, en notant toutefois : "On peut se demander en outre, si la prostitution sacrée de prêtresse d'Anahita ne se justife pas par l'idée qu'elles jouent le rôle de partenaires du héros de la hiérogamie".)1 est possible en effet qu'en Babylonie, le rôle de la déesse lOt joué par une prostituée sacrée IR.LABAT, op.cit., p.250). Par ailleurs, il semble y avoir, en Mésopotamie, une liaison directe entre les facultés horticoles et arboricoles du roi et le hièros gamos (cf. E.CASSIN, La splendeur divine, 1968, p.33, n.191. Tous ces précédents mésopotamiens rendent donc vraisemblable l'hypothèse d'un hiéros gamos au cours du Nowru% persépolitain (suggestion de P.LEVÊQUE).
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Certains textes apocalyptiques perses d'époque hellénistique montrent bien ce qu'est I'anti-roi et donc ce que doit être un vrai lieutenant d'Ahurah-Mazdah. La conquête macédonienne amène une période de désolation pour la terre et pour les hommes, car les conquérants règnent sans loi, sans justice ni merci. La stérilité de la terre est totale en raison de l'absence de pluies et du tarissement des sources ; les froids et les chauds excessifs empêchent les moissons de venir jusqu'à maturité; les animaux et les enfants meurent; l'humanité est réduite des 9/lOe de sa population initiale, etc ... L'ensemble de ces maux est mis en relation directe avec l'effacement d'Ahurah-Mazdah (77). L'importance du thème du roi-agriculteur se révèle également par la liaison établie entre le Roi et les arbres, plus précisément l'Arbre de Vie, dont on connaît la fonction idéologique en Inde ancienne par exemple (78). Le songe de Mandane 179) marque bien les liens entre la Femme, le Pouvoir et l'Arbre, et plus précisément la vigne, elle-même symbole du Pouvoir (80). Le grand nombre d'arbres (pin us prutia 1 représentés sur les reliefs de Persépolis et plantés au pied de la terrasse (81) doit être mis certainement en rapport avec une sorte de culte de l'Arbre lié à la Royauté (82). S.K. Eddy en trouve la preuve dans un certain nombre de textes classiques: ainsi le don d'un platane d'or par Pythies le Phrygien à Darius 183) ; également le platane rencontré par Xerxès sur la route de Kolossai à Sardes, "auquel, en raison de sa beauté, il fit don d'ornements en or et qu'il confie à la garde d'un des Immortels" (84). On retrouve ici le thème du roi-jardinier, tel qu'il est exposé par exemple par Xénophon (85). Le récit que donne Elien 186) de l'''amour fou" (871 de Xerxès pour son platane est plus détaillé que celui d 'Hérodote et mérite d'être commenté. Selon Elien, le platane poussait dans un endroit de Lydie, alors que la région d'alentour, où le Roi avait posé son camp, était désert et stérile; Elien décrit égaiement les nombreux bijoux offerts par le Roi, et insiste sur la beauté de l'arbre,
(77)
EDDY, p.18 et 344-349.
(78) ü.VIENNOT, Le culte de l'Arbre dans l'Inde ancienne, Paris 1954. Pour tout ce qui concerne la royauté perse, voir EDDY, p.26-28. (79) HERODOTE,
r, 108, et JUSTIN,
I. 4-5. Cf. EDDY, p.26·27.
(80) Voir aussi A.TOURRAIX, La femme et le pouvoir chez Hérodote. Essai d'histoire des mentalités antiques, DHA II, 1976, p.369·386. (81) R.GHIRSHMAN, op.cù., p.I58. 182)EDDY, p. 27 (83) HERüDüTE, VII, 27. (84) tus., 31 (EDDY, p.27).
(85) Econ., IV, 22-24 : voir infra p.24. (86)
Varia Historia, II, 14 [texte ignoré de EDDY).
(87) Ibid. : geloios ; cf. ID., 39 "parmi d'autres 'amours ridicules et absurdes" : Elien n '8 manifestement
compris le sens de lbistoriette qu'il rapporte sur le mode ironique.
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sur l'ampleur de son feuillage, sur la solidité de ses racines, sur l'amplitude de l'ombre portée, et ajoute que cela était rendu possible par l'abondance des eaux provenant soit des pluies, soit de l'irrigation. En d'autres termes, nous avons là l'image en réduction d'un paradis (881, où l'on rendait un culte à l'Arbre, symbole du Pouvoir et de la prospérité, symbole également de la victoire sur l'aridité des alentours grâce à l'intervention personnelle du Roi et à une intervention cachée, mais néanmoins présente de la divinité. Il est assez probable que des sacrifices à l'Arbre de Vie étaient rendus lors de la Fête du Noumiz 1891. Dans ce domaine également, les continuités avec les rites mésopotamiens sont remarquables 1901. En définitive, aux yeux de la foule immense assemblée à Persépolis (91) et composée de représentants de tous les peuples de l'Empire, le Grand Roi apparaissait bien comme le grand ordonnateur des rites de fertilité et le garant de la protection d'Ahurah-Mazdah et des autres dieux sur la terre et sur les femmes. Revenus dans leur pays d'origine, ces délégués -peut-on supposer- pouvaient faire des rapports (éventuellement enjolivés l sur la richesse du Roi sur sa puissance. Bien que difficile à saisir, le rôle de la diffusion orale ne doit pas être sous-estimé en effet: c'est de cette manière que durent se répandre les légendes sur l'origine de la famille royale et sur les hauts faits d'un Cyrus par exemple 192) ; le grand nombre d'historiettes mettant en scène le Roi et des paysans ne peut être tenu non plus comme un fait négligeable (931. Il convient également de remarquer que nombre d'historiettes rapportées par Elien se situent lors de voyages et tournées qu'effectue le Roi en Perse: c'est à cette occasion que les paysans apportent au Roi les meilleurs fruits de leur travail : les uns conduisent des moutons ou des boeufs, les autres offrent du blé, d'autres du vin, les plus pauvres du lait et du fromage; tous doivent (nomosl au Roi les prémices (aparchèl de leurs productions 194): l'emploi d'un vocabulaire
(881 Voir infra p.20-25. (89) Lors de la capture de la citadelle de Suse, Antigone le Borgne trouve "l'arbre d'or portant une vigne" (DIODORE, XIX, 48" 7) ; celui-ci était hien connu des Grecs (cl. PLUTARQUE, De Alex. Fort., I, 11) et a été décrit par XENOPHON, Hell., VII, 1,38 1"... le plateau d'or dont on faisait tant d'histoires ne serait pas assez grand pour donner de l'ombre à une cigale"). Sur l'interprétation du décor arboré à Persépolis, voir EDDY, p.28. Sur la probabilité d'un paradis à Persépolis, voir E.BENVENISTE, 70urn. As., 1954, p.309, et 1958, p.58.
(901 Cf. G.WIDENGREN, The King and the Tree of Life in Ancient Near Eastern Religion, Uppsala-Leipzig-Wieshaden 1951. (911 Cf. XENOPHON, Cyr., VIII, 3, 19. Voir également le texte d'Al-Birilni cité par H.-P .L'ORANGE, op. cit., p.87 : "When the ray of the sun fell on hlm and people sax him, they did homage to him and were full of joy and made that day a feast day (Nowruxl ... He rose on that dey like the sun, the light heaming forth from him, as though he shoke like the sun. Now people were astonished at the rising of two suns". (92) Cf. ARRIEN, VI, 24, 2 (elegon oi epichôrici... ), également ELlEN, VH, 1,32: cf. R.N.FRYE, Iran. Ant., IV (1%4, p.36-54), qui souligne (p.44-45) le rôle des "ménestrels" dans la diffusion des légendes dans le peuple. (93) En particulier chez Elien qui tient ses histoires de Dinon ou de Ctêslas, qui ont pu s'informer sur place: EUEN, VH, r, 31 (PLUTARQUE, Art. 5), 32-34, XII, 40.
(94) Ibid., I., 31 ; cf. 33.
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de nature religieuse et sacrificielle iepreehè) ne doit probablement rien au hasard. Par ailleurs, ces tournées permettaient au "bon peuple" de voir ou d'apercevoir le Roi (95), ou tout au moins d'être impressionné par son luxe et donc par sa puissance,
IV.3. L'éducation perse -telle que nous la décrivent les auteur!' classiques (Hérodote, Xénophon, Strabonl-e- s'adresse exclusivement aux enfants de la nation perse, au sens strict du terme, c'est-à-dire aux futurs cadres de l'administration et de l'armée d'Empire. Comme toute éducation, elle comporte à la fois I'apprentissagr- de techniques et l'acquisition d'un savoir, l'ensemble étant conduit sur une trame idéologique. Comment l'élite transmettait-elle l'idéologie dominante à ses enfants, telle est la question qu'il nous faut maintenant aborder. Selon Hérodote et Strabon, l'éducation perse peut se résumer en peu dl' mots; de quinze à vingt ans, les jeunes Perses apprennent seulement trois choses: monter à cheval, tirer à l'arc, et dire la vérité (961. Nous retrouvons là deux des caractères fondamentaux de l'idéologie monarchique achéménide. Inutile d'insister sur l'évidente insistance mise à développer la vertu militaire des jeunes par l'entraînement militaire proprement dit ou par la chasse, véritable école de la guerre. Quant à la vérité, l'aletheia, elle ne peut être comprise, me semble-t-il, que par référence antithétique au "mensonge" perse, c'est-à-dire ce que les inscriptions perses nomment drauga et l'Avesta la Druj (97). En d'autres termes, les jeunes Perses sont élevés dans le devoir de loyauté envers l'ordre divin et l'ordre monarchique. Y concourrent également les "récits et chants dans lesquels ils célèbrent l'oeuvre des dieux et l'histoire des grands hommes" : ces grands hommes sont certainement les représentants héroïsés de la dynastie achéménide. Ce qui est fort intéressant, c'est également que l'éducation comprend des exercices propres à faire d'eux des défenseurs de la terre et des cultures. En effet, "le travail de l'après-midi consiste pour eux à planter des arbres, à cueillir des simples, à fabriquer des armes et des engins de chasse..;" /9BI. Par ailleurs -au cours de ce qu'on peut appeler la cryptie perse (991_ "on cherche à les rendre insensibles
- (95) PLUTARQUE. loc.cit. : "Mais, ce que le peuple voyait avec le plus de plaisir, c'était le char d«'!"IB femme Stateira, qui, toujours sans rideau laissait aux femmes du peuple toute liberté de saluer pl d'aborder la Reine; aussi était-elle populaire", Sur les placets présentés au Roi lors du Nowru%. cf.
XENOPHON, Cvr., VIII, 3, 19.
rs, qui pourtant utilise largement Hérodote. écrit : "De cinq à vingt-quatre ans" et ajoute "lancer le javelot", Sur l'éducation perse, voir éJ(ult'ment XENO·
(96) HERODOTE, I. 136. STRABON, XV, 3, PHON, Cyr. J, 2, 2·14.
(97) Sur drauga, cf. supra p.II. Sur l'équivalence proposée ici, on verra par exemple Res Gestae Divi Saporis, § 10 (A.MARJCQ, Syria, 35, 1958, p.308·3091 : "Et le César à nouveau mentit et fil tort à l'Arménie ", où est clairement exprimée la relation mensonge/déloyauté/guerre/dév8s1ation.
(981 STRABON, loc.cit., (phytourgein). (99) Le rapprochement entre le système d'éducation spartiate et l'éducation
par ARRIEN, Anab., V, 4, 5.
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pf'rKe
est fait expressément
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au chaud, au froid, à la pluie... " ; pour cela -à côté des entraînements à finalité militaire (" .. .franchir des torrents sans mouiller ni leurs armes ni leurs vêtements"l- leur est imposée une activité d'un type très différent: "on les habitue... "faire paître des troupeaux" (100). On pourra voir là, sans doute à bon droit, une survivance et un souvenir lointain de l'errance nomade du peuple perse; d'autres voudront y voir une illustration nouvelle de la thèse dumézilienne de la trifonctionnalité indo-européenne. Mais l'important est ailleurs: l'éducation des cadres de l'Empire obéit strictement aux impératifs politiques et idéologiques de l'appareil d'Etat auquel les jeunes gens sont ou vont être intégrés: défendre le territoire impérial, lutter contre les ennemis de la dynastie et d'Ahurah-Mazdah, assurer la prospérité agricole, c'est-à-dire assurer le bon fonctionnement de la dépendance rurale. En d'autres termes, nous nous trouvons là au coeur d'un problème théorique extrêmement important, celui de "la reproduction des conditions idéologiques de la société", pour reprendre l'expression de S. Amin (l01l. Celui-ci a fort justement souligné la fonction centrale de l'éducation dans les sociétés pré-capitalistes, en particulier dans les sociétés qu'il nomme "tributaires" (102). S. Amin écrit notamment: "Toutes ces sociétés traditionnelles sont caracté;isées par la transparence du phénomène économique... Dans ces sociétés, l'exploitation ne peut se maintenir que si la société dans son ensemble (classes dirigeantes et classes exploitées) partage une même philosophie idéologique, qui justifie aux yeux des uns et des autres leur inégalité de statut... L'idéologie occupe une place dominante dans la reproduction de la société... Cette idéologie constitue le contenu essentiel de l'éducation des classes dirigeantes qui, autant que les classes exploitées, doivent être aliénées en elles; elles doivent y croire pour la mettre en oeuvre d'une manière efficace. D'où le caractère de l'éducation élitiste axée sur la religion" (l03). Au sortir de cette longue agôgè -qui englobait l'enfance et l'adolescence par paliers de classes d'âge-les jeunes Perses de l'aristocratie adhéraient parfaitement à l'idéologie dont ils devenaient eux-mêmes les meilleurs représentants et les vecteurs les plus efficaces dans les hautes charges auxquelles leur naissance et leur formation les destinaient. Ils devenaient dans leur satrapie des modèles idéologiques, que tentaient d'imiter les aristocraties locales, si l'on en juge par une poésie écrite au début du IVe siècle en l'honneur d'un dynaste Iycien, Arbinas, qui s'est distingué, "comme le font les hommes sages (sophoi)", dans le tir à l'arc, la vertu militaire (arétèl et les chevaux (104). Leur parfaite adhésion à l'idéologie du protecteur des terres permet sans doute de mieux comprendre la réponse négative opposée par Arsitès à Memnon en mai 334 Il 05) : la stratégie à mettre en oeuvre face à Alexandre ne peut se (100) STRABON, loc.cù., (poimanein).
11011 Le développement inégal, p.I69. (102) Tout le chapitre IX (p.167 à 183) est consacré à Education, idéologie et technique. (103)
Ibid., p.170-171.
(104) Voir L. ROBERT, CHAI, 1975, p.328-329. (105) Voir .'"pra, p.IO.
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20 définir uniquement par référence à des analyses de type militaire; elle doit également prendre en compte les impératifs de l'idéologie impériale; SOIIS peine de détruire lui-même l'image de la classe-Etat dominante, le satrape ne peut pas souscrire à une tactique (terre brûlée) qui, sans doute bien adaptée aux conditions logistiques, risquerait de détourner les masses paysannes et leurs chefs de la royauté achéménide. Choisir la tactique proposée par Memnon, c'était avouer une défaite grave dans la guerre idéologique menée alors par Alexandre et les Perses 1101», c 'était admettre le bien-fondé des exigences territoriales du Macédonien. Si cette analyse est exacte, on comprend que Xénophon regarde la décadence de l'éducation traditionnelle comme l'une des raisons de la désagrégation de l'empire perse IHI7I.
IV.~. Au niveau des satrapies, les satrapes étaient donc tout "naturellement "les représentants et les véhicules de l'image royale, et cela dans toutes leurs attitudes, décisions... Dans ce qu'on peut appeler cette mise en scène idéologique, les peredi« tenaient très certainement une place de premier plan : il s'agissait là en effet d'un élément permanent et concrètement situé dans le paysage 0081.
Chaque satrapie comptait au moins un paradis: les textes anciens permettent de l'assurer (109). Mais en réalité, le satrape, comme le roi lui-même (10), déplaçait sa résidence au cours de l'année, pour effectuer des tournées d'inspection ou pour conduire des chevauchées Oll), également pour réunir les tributs (12). On peut donc supposer que chaque satrapie comprenait plusieurs résidences satrapiques Ol~' et donc plusieurs pnradeisoi 0 141. Ceux-ci étaient constitués de plusieurs
(106) Cf. mon étude (à paraître) sur Conquête territoriale et stratégie idl>oloKiqUf·..•
(107) XENOPHON, Cyr., Vlll, 8, 12-13. (108) A la date (décembre 1977) où j'achéve la rédaction de cette étude. l'article annoncé de W.FAUTII n'est toujours pas paru ("Der Kônigliche Gëstner und Jager im Paradeisos. Beobacbtungen zur
Rolle des Herrschers in der Vorderasiatischen Hortikuitur", annoncé dans AnHttl/;("H, IV. 1973-751. (109) XENOPHON, Ansg., 1,2,9 (Kelainai de Grande-Phrygie) ; mOOORE. XIV. 80 el PLUTAHQUE, .a«, 24, 7 (Sardes de Lydie; cf. aussi XENOPHON, Econ., IV. 20-24) ; 1/)., H,'II., IV. 1 15-16 (Daskyleion de Petite-Phrygie); STRABON, XIII. r, 17 IZélée du Ponti; XENOPHON. An., IV, 4, 1-2 IArméuie} ; ibid., 1,4, 10 (Syrie) ; DIOOOHE. XVI, 41, 5 IPhéniciel ; NEII~;' MIE, 2, 8 (Palestine) ; PLINE, N.H., VI, 30 [Haute-Mésopotamie] ; APPIEN. Bel. Milh., 84 [Tîgranocerte} ; PLUTAHQUE, Art., 25 et QUINTE-CURCE, VII, 2. 22.,/. (M&lie) ; XENOPHON, An., II, 4, 14 et STHABON, XVI, 1. ll!Babyloniel ; ELlEN, NA., VII. 1 [Susiane] ; AHHIEN, Anab., VII, 8 (Pasargades l ; Ibid., IV, 6, 1 [Sogdiane] ; QUINTE-CUReE. VIII. 1. ll-19 {Bactriane}, (1l0) Cf. mon Brigandage, p.191.
nin Ibid., p.188. (12) PLINE, N.H., VI, 30 : ... quo tributs conferebanlur. (113) Ainsi justement H.DILLEMANN, Haute Mésopotamie orientsle et !Jays adjal'fmts, Pnris 1962. p.169-170 et 244-246. (1l4) Voir d'ailleurs PLUTARQUE, Ale., 24, 7 : Tissapherne dispose manifestement de plusieurs poradis j cf. aussi ELlEN, N.A., VII, 1 tpolloi peredeisoi à SURe).
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éléments (115) : - la résidence de satrape, appelée "palais royal" (basileion, basileia, regie satraparuml dans les textes anciens (1161. Ce palais pouvait éventuellement être fortifié 11171 ; - un domaine, en général très vaste 11181, qui lui-même comprenait: . des villages, où travaillaient des paysans dépendants, dont les productions affluaient très probablement à la table du satrape (119). Le domaine constituait donc aussi une unité de production agricole, et l'on doit supposer que son exploitation était dirigée par une administration spécialisée (120) ; . une réserve de chasse, située parfois dans des espaces ouverts (121), mais le plus fréquemment dans un espace clos de murs (122), tel ce paradis bactrien : "En ces contrées, le faste barbare se traduit essentiellement par les magnifiques fauves qu'on enferme en bandes dans des parcs et des terrains boisés de vaste étendue. Pour cela, l'on choisit de vastes forêts, que parent des sources nombreuses, aux eaux éternelles; ces parcs sont entourés de murs (muris nemore cingunturl et des tours (turresl y comportent des abris pour les chasseurs" (123). Ces murs pouvaient parfois se confondre pour une part avec l'enceinte qui enserrait l'ensemble du "domaine paradisiaque" (1241. (115) En ce domaine également, on doit souligner les emprunts mésopotamiens: cf. A.L. OPPENHEIM, On Royal Gardens in Mesopotamia, JNES, 1965, p.326-333, et les très intéressantes analyses de P. ALBENDA, Landscape Bas-Reliefs in the Bit-Hilimi of Ashurbanipal, BASOR, 224, 1976, p.49-72 ; et 225, 1977, p.29-45 (les travaux de la paix sont représentés près des scènes guerrières). Ajouton5 que des chasses royales existaient en Lydie avant la conquête perse : STRABON, X III, l , 17. (116) XENOPHON, Aneb., l, 2, 8; l, 4, 10; IV, 4, 2 ; Hell., IV, l, 15; PLUTARQUE, Art., 25, PLINE, VI, 30 (satraparum regia, traduction latine de basileia, ce mot grec rendant lui-même le perse apadna : H.DILLEMANN, op.cit., p.159). (1171 XENOPHON, Anab., l, 2, 8 : PLINE, VI, 30. (118) Il est assez fréquent que des rois ou des chels d'armée y fassent une revue de troupes ou y logent leur armée: XENOPHON, Anab., I, 2, 9 (13000 h.] ; IV, 4, 2, (l'armée des Dix-Mille : qui ne sont plus 10 000 l ] ; ID., Hell., IV, l , 16. (Agesilas et ses troupes prennent leurs quartiers d'hiver) : PLUTARQUE, Art., 25 (l'armée d'Artaxerxès y campe) etc ...
(119) XENOPHON, Hell., IV, l , 15 (Daskyleloul : "grands et beaux villages aux alentours de la résidence" ; ID., Anab., IV, 4, 7 (Arménie) : "résidence royale entourée de nombreux villages". 11201 Cf. NEHEMlE, 2, 8 : "Asaph, inspecteur du parc royal".
uan XENOPHON, n-u; IV,
l, 15.
11221 Ibid. (1231 QUINTE-CURCE, VIII, l, 11-12 IAlexandre et ses amis y tuent 4000 bêtes !) (124) Cf. ID., VII, 2, 29 : murum circumlstum nemori (paradis et résidence du satrape de Médie, où a lieu l'exécution de Parmènion] ; des gardes sont disposés "à l'entrée du parc" (ad aditum nemoris). Il semble que ce soit là un cas général: cf. A.PAGLIARO, dans Asiatiea, IX·I, 1943, p.39 ; égaIement K.GALLING, RE, 18-2, 1949, s.e. Peredeisos, 1131, selon lequel le terme se rapporte originellement aux murailles, et E.COTHERET, Supp. Diet. Bible, t.VI, 1960, p.lI77 sq. lA propos du terme partetas dans les tablettes de Persépolis. cf. en dernier lieu R.T. HALLOCK, PFT, p.15). ~ Je signale en passant que cette disposition me fait supposer que les tetrapyrgia et epauleis de Kelainai (PLUTARQUE, Eum., 8) doivent peut-être être rapprochés du paradeisos de cette même ville connu par XENOPHON, Anab., l, 2, 9 (interprétation quelque peu différente dans mon Antigone le Borgne, 1973, p.86-87). .
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22 . enfin, des jardins, des vergers 0251 et des bois 0261, c'est-à-dire le paradis au sens restreint du terme; des pavillons de repos pouvaient y être aménagés 11271. Par rapport au territoire qui l'entoure, le paradis représente une sorte d'enclave, de territoire à part, et c'est sur un double caractère d'exception et de modèle qu'il fonctionne en tant qu'élément d'un système sémiologique idéologique. On peut considérer en effet que le paradis remplit une triple fonction: al résidence du satrape, il constitue le centre politique et administratif du territoire, lorsque le satrape y réside. La vie de luxe et de jouissance 02S1 que permettent les aménagements du paradis est réservée aux satrapes et aux rois 02 91. Le paradis représente donc d'abord la domination du Roi sur le plat-pays et sur les producteurs directs: c'est à la résidence satrapique que l'on apporte les tributs Il:lUI ; b) le paradis représente également une sorte de modèle de prospérité agricole et horticole. Cette prospérité est obtenue grâce à un développement rationnel, voire scientifique, des forces productrices, à savoir: - utilisation rationnelle de l'eau. "Tous les paradis sont situés dans des régions riches en sources et rivières (BII. Lorsque les conditions l'imposent, on y pratique l'irrigation, soit par gravité (]:l21, soit par élévation à l'aide de machines actionnées par des boeufs (]:l:l1 ; - réquisition de main-d'oeuvre dépendante provenant des villages assignés au domaine du satrape 0341 ; - sélection d'espèces, destinée à améliorer et à augmenter la productivité
0251 DIODORE, XIV, 80, et XENOPHON, Econ., IV. 22 sq. (26) Voir infra, p.2:l. (27) PLUTARQUE, Alc., 24, 7. -Sur la présence de tels pavillons dans les paradis de. Surgonide•. cf. OPPENHEIM. JNES, 1965, p.331-333 (lieux de banquets]. A Paeargades, cf. E.SCHMIDT. Persépolis, l, Cbicago, 1953, pl.21 et 24, et fig.S. (28) DIODORE, XIV, 80: cf. PLUTARQUE, ibid. Selon E.BENVENISTE,JA, 1955. p.5S.le paradis de Persépolis portait le nom de "Toute Félicité" (mais voir R.T.HALLOCK. PFT, p.151. 0291 PLUTARQUE, loc.cit. : basilikôs; QUINTE-CURCE, VII, 2, 22: r"Kum satra[Jarumque voluptae. (30) PLINE, VI, :l0 : ... quo tributa conferebantur m.DILLEMENN, op.cù., p.2451. 0311 Le paradis de Kelainai est situé prés des sources du Mar.yasIXENOPHON. Anab., J. 2, SI. celui de Belesys de Syrie près des sources du Dardas (ibid., 1.,4, 10) ; un des paradis de Tissapherne t'Mt parcouru par "des eaux rafraîchissantes" (PLUTARQUE, loc.cit.) ; un paradis de Sogdiane est situé dans la vallée du Polytimétos (ARRIEN, Anab., IV. 6, 1) ; en Bactriane, le paradis décrit par QUINTE-CURCE "est paré de sources nombreuses en eaux éternelles" IVIII, 1. 121. Voir aussi H.DELLEMANN, op.cit., p.170 (l'LINE, VI, 301, et 247 sq. {Tigranocerte : sources du Gharbl. O:l2) Cf. ARRIEN, VI, 29, 2 [Pasargades : peut-être à l'aide d 'un qanat?1 ; cf. aussi (sur ce texte, voir supra, p.16-17). 11331 ELlEN, N.A., VII, 1 Iâuse]. 11341 XENüPHON, Hell., IV, 1. 15, et Anab., IV, 4, 7.
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~;LIEN.
VU, Il. 14
23 des plantations tl351. Il ne fait pas de douté que certains paradis constituent des réserves de bois de construction [conifères] dont étaient dépourvues de nombreuses régions de l'Empire (1361. Le résultat de ces efforts, c'est une exceptionnelle richesse qui a frappé tous les auteurs anciens, en particulier ceux qui ont voyagé et combattu dans de nombreuses satrapies (cf. Xénophon} : les villages dépendant du paradis de Daskyleion étaient "pourvus en abondance de toutes les ressources" (1371 ; dans un paradis arménien, "les vivres abondaient" (1381 ; celui du satrape de Syrie "donnait tous les fruits que font naître les saisons" 0391 ; celui de Sittakè (Babylonie l, "vaste et magnifique, était rempli d'arbres de toutes espèces" (140 1. L'extraordinaire profusion et la variété des bois plantés ont tout particulièrement retenu l'attention des auteurs anciens (1411.
cl On comprend facilement dès lors que, modèle du développement des forces productives agricoles, le paradis représente également et en même temps un élément important du discours idéologique sur le roi (ou le satrape J, protecteur de la terre et des paysans et garant de la fertilité et de la prospérité. Cette fonction idéologique résulte surtout de sa place d'exception dans le territoire qui l'entoure. Tout d'abord, en effet, il s'agit en quelque sorte d'un modèle inaccessible. C'est ainsi que les auteurs anciens opposent fréquemment la richesse et l'abondance des productions des paradis à la pauvreté d'un pays qu'ils viennent de traverser ou de décrire. En Babylonie, Strabon insiste sur la richesse en cyprès d'un paradis, alors que le pays aux alentours en est totalement démuni (1421. De même tel paradis de Médie, "qui possédait des jardins merveilleux et splendidement ombragés dans le pays sans arbres et nu d'alentour" (1431. La densité de la pelouse du paradis de Persagades éblouit les compagnons d'Alexandre 0 441. Xénophon oppose la richesse des villages des paradeisoi au dénouement des régions que les troupes grecques viennent
(135) ELlEN, N.A., XIII, 18 (paradis des rois indiens où sont rassemblées des espèces venant de l'Inde entière; l'opposition marquée avec les paradis achéménides ne porte pas sur le principe de telles expérimentations mais SlU leur ampleur relative en Inde et à Suse J. (1361 Voir STRABON, XVI. i, Il ; NEHEMIE, Il, 8 ; XENOPHON, Econ., IV, 22·24. (137) XENOPHON, Hell., IV, l, 15. (138) ID. AIlab., IV, 4, 1-2.
(139) Ibid.,
r, 4,
10.
(140) Ibid., Il, 4, 14. (1411 DIODORE, XIV, 80 I'tarbree de toutes espèces") ; XENOPHON, AIlab., Il, 4, 14 ("arbres de toutes essencestl : STRABON, XVI, i, Il; QUINTE-CURCE, VII, 2, 22, ET VIII, i, 12; DIODORE, XVI, 41, 5 ; PLUTARQUE, Art., 25 ; XENOPHON, Emm., IV, 22·24. (1421 XVI, l, Il ; cf. aussi ELlEN, VH, V, 6. (1431 PLUTARQUE, loc. cit. ; cl. ELlEN, VH, XXX, Il, 14. (144) ARRIEN, VI, 29, 8.
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de parcourir (45) etc... Cette opposition entre le paradis et le plat-pays s'explique évidemment par le choix rationnel et délibéré de sites particulièrement riches en eau ou favorables à l'irrigation; il n'en reste pas moins que, dans la conscience des paysans, cette exubérance ne pouvait que les conforter dans leur confiance dans les capacités du Roi à dominer la nature et à l'apprivoiser. Car, s'il est vrai, bien évidemment, que le développement des forces productives n'était pas restreint au périmètre des paradis, il est non moins certain que leur développement dans le plat-pays -c'est-à-dire sur la terre royale- ne pouvait être le fait que du Roi, soit qu'il prenne directement à charge les grands travaux, soit qu'il contrôle et unifie les travaux décentralisés au niveau des communautés villageoises 0401 : et, dans ce cas, l'idéologie jouait un rôle fondamental dans ce processus d'unification (en partie imaginaire t des communautés sous "l'unité rassembleuse ". Autant que des modèles, les paradis peuvent donc être considérés comme des vitrines idéologiques. L'efficacité du thème idéologique analysé ci-dessus devait être d'autant plus grande qu'à lire Xénophon, la propagande représentait volontiers le Roi comme travaillant lui-même la terre (47). A Lysandre qui admire le bel ordonnancement. du paradis royal de Sardes, Cyrus le Jeune réplique en effet: "Eh bien, c'est moi qui ai tout dessiné et arrangé, il y a même des arbres, ajoute-t-il, que j'ai moi-même plantés". Devant le septicisme manifesté par Lysandre, Cyrus précise: "Tu t'en étonnes, Lysandre? Je te jure, par Mithra, que, lorsque je me porte bien, je ne vais jamais dîner sans m'être mis en sueur à peiner à quelque travail guerrier ou champêtre, ou sans me mettre de tout coeur à quelque autre exercice" 11481. On rejoint là le thème. illustré au Nouiruz, du Roi protecteur de l'Arbre de Vie 11491, ainsi qu'un des exercices imposés aux cryptes perses: planter des arbres 11501. Il n'est pas inutile non plus de souligner l'invocation que fait Cyrus à Mithra 115l l, dont on sait par l'Avesta qu'il est "le maître des vastes campagnes". On peut d'ailleurs se demander si ces paradis ne comprenaient pas également des sanctuaires ou des oratoires dédiés aux dieux perses, en particulier à Mithra et à Anâhita (déesse des eaux), et si des fêtes ne s'y déroulaient pas qui répercutaient dans chaque satrapie les échos assourdis des fastes de Persépolis 0521. Entre le paradis et le plat-pays, l'articulation opposition/modèle joue également sur le registre guerre/paix. Oasis de verdure, le paradis est également un hâvre
(45) Ansb., IV, 4,1-2. (146) Sur le Roi et l'irrigation, cf. mes Communautés.
(47) Sur le roi-jardinier en Babylonie, cf. R.LABAT, op.cit., p.280-281.
(48) Econ., IV, 21-24.
(49) Supra, pA sq. 0501 Supra, p.18.
05!) Cf. aussi ELlEN, VH., II, 33. (52) Supra, p.17.
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de paix. Les jardins de Tissapherne près de Sardes "étaient arrangés pour le luxe et la jouissance des bienfaits de la paix", écrit Diodore (53). Le paradoxe, c'est que la nature de notre documentation nous apprend souvent l'existence d'un paradis par les actes de guerre qui s'y déroulent: rassemblements de troupes (54) ou ravages (55). Mais il ne fait guère de doute que Cyrus le Jeune ne grandit pas sa réputation en incendiant le palais du satrape de Syrie, de même que, sous la plume de Diodore, on sent un blâme contre la conduite d'Agésilas dans le paradis de Tissapherne. Un paradis doit rester à l'écart des "travaux de la guerre", il est voué aux "travaux de la paix" : il doit demeurer "intact" (56). Ravager un paradis constitue un véritable acte de guerre contre le Grand Roi (57). Celui-ci est "donc" bien le défenseur de la paix et le proctecteur des campagnes, de même que le satrape défend sa province contre tous les ravages. On comprend dès lors la paralysie des soldats d'Artaxerxès recevant l'ordre d'abattre les arbres d'un paradis mède pour en faire du bois de chauffage : "Comme ils hésitaient à y toucher en raison de leur beauté et de leur grandeur, le Roi prit lui-même une hache et donna le premier coup au plus grand et au plus beau" (58) !
V. IDÉOLOGIE DOMINANTE ET MENTALITÉS PAYSANNES Dressons un premier bilan de la discussion ci-dessus menée : - on a mis en évidence une idéologie dominante, où sont réunies, sous le sceau de la complémentarité, travaux de la guerre et travaux de la paix, pour reprendre l'expression de Xénophon. Cette idéologie du Roi protecteur des paysans -:-comme l'est Ahurah-Mazdah-e- imprègne toutes les fêtes et toutes les activités de représentation du Roi et de l'aristocratie perse. Elle est en accord, voir en symbiose, avec l'idéologie du Fargard II de l'Avesta, où les dieux s'adressent directement au paysan et l'exhortent à travailler et à produire ; - pour autant, l'étude des véhicules et représentations idéologiques ne répond pas totalement au problème posé au départ : celui de l'efficace de cette idéologie. Celle-ci ne se diffuse pas dans le conscient et l'inconscient (individuel et
0531 XIV, 80. (54) Supra, p.21, n.Il8. (55) DIODORE, XVI, 41,5 ; XENOPHON, Anab., l, 4, 10; DIODORE, XIV, 80. (56) QUINTE·CURCE, VIII, I, 13 : "On savait qu'un de ces terrains boisés était resté intact pendant quatre générations successives" Hntact=non ravagé). Que la chasse constitue aussi une préparation à la guerre (cf. par exemple XENOPHON, Cyr., 1,2, 10·11) ne va pas contre notre interprétation: cette chasse se pratique en effet dans des endroits réservés et ne met donc pas les récoltes en péril par ailleurs, protecteur des cultures, le roi reste un chef de guerre.
j
(57) DIODORE, XVI, 41, 5 : lors de la révolte des Phéniciens contre Artaxerxès, "le premier acte d'hostilité fut de couper les arbres et de ravager le paradis royal où les rois perses avaient l'habitude de se délasser",
(58) PLUTARQUE, Art., 25.
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26 collectif) d'une mamere purement physique ou mécanique comme, par exemple, l'eau circule dans les canaux et les rigoles. De même que l'adoption d'une technique nouvelle par une société est fonction du niveau de développement des forces productives et de la nature des rapports sociaux qui dominent dans cette société, de même, me semble-t-il, une idéologie de type impérialiste ne peut être véritablement opératoire chez des peuples conquis que s'il y a, d'une manière ou d'une autre, une certaine adéquation entre cette idéologie et les formes préexistantes de la conscience sociale et des mentalités religieuses chez les peuples soumis. En d'autres termes, il faut que se développe un mouvement idéologique des dominés vers les dominants, et des dominants vers les dominés, le syncrétisme ne se réalisant que si ce mouvement est dialectique. Partant, l'analyse du problème peut se faire en deux temps: l'étude de la diffusion des cultes grecs et donc aussi des valeurs représentées dans le Fargard III d'une part, leur accueil et leurs modifications éventuelles chez les communautés rurales d'autre part. Pour aborder ce délicat problème, je prendrai le cas de l'Anatolie, et tout particulièrement de l'Anatolie occidentale. La répartition de la documentation a déterminé ce choix. Dans cette région, en effet, la diffusion de la langue grecque à l'époque romaine, la diffusion également des signes monétaires ont laissé des traces matérielles que sont les inscriptions (provenant souvent de villages] et les monnaies: les unes et les autres, par leur contenu et par leurs types, permettent, dans une certaine mesure, de mener une analyse des mentalités. Il faut ajouter que deux écrivains grecs d'époque romaine, deux voyageurs et "géographes", Strabon et Pausanias, sont originaires d'Anatolie et qu'ils nous donnent des renseignements extrêmement importants sur les cultes dominants en Asie Mineure, en n'hésitant pas à remonter à l'époque de la domination perse. Cette documentation présente un désavantage et un danger : elle est tardive, d'époque romaine. Même si l'on peut et doit admettre de très grandes continuités et même un très grand conservatisme dans les mentalités, il n'en reste pas moins que ces documents sont aussi la résultante de la succession de plusieurs strates culturelles: "indigène", perse, grecque, macédonienne, romaine. Il convient donc d'être prudent en analysant les rapports entre idéologie religieuse perse et mentalités indigènes à partir de documents dont certains peuvent donner lieu à double, voire à triple lecture (59).
v.t. V.l.l. Si la conquête militaire et l'appropriation par le Roi des moyens de production et des forces productives humaines sont deux phénomènes indissociables, il en est de même de la conquête et de la colonisation. On a même pu parler d'une "diaspora iranienne analogue à celle des Israélites" 0601. Sous la domination perse,
(159) En particulier, certains documents révèlent à la lois des influences perses et deK influences grecques, qui ont pu jouer éventuellement à une même période. Il y ft manifestement des interréactions extrêmement complexes entre cultes perses, anatoliens et grecs: d'où la nécessité d'éviter toute explication de type linéaire et mécaniste.
(1601 F. CUMONT, Les religions orientales dans le paganisme romain, 4e éd.• Pari. 1929, p.129.
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la circulation des hommes et des idées est intense en Asie Mineure 11611. Cette colonisation perse s'effectue sous trois formes principales: - installation d'administrateurs satrapiques en nombre très important, dont beaucoup se fixent dans le pays; on y joindra les très nombreuses garnisons installées systématiquement par Cyrus et par ses successeurs dans toutes les satrapies (162) ; - colonies militaires etlou rurales, telles celles de la plaine d'Hyrcanie en Lydie ou celles de la vallée du Caïque (163) : un Dareiou Kômè est même connu dans une vallée lydienne (164) ; - grandes familles perses pourvues de bénéfices en terres par les rois achéménides conquérants, tels Asidatès de Pergame (165) ou l'aristocratie iranienne de Cappadoce et d'Arménie (166). La diffusion et la densité de l'onomastique iranienne fait foi de cette diaspora en Asie Mineure, du nord au sud, de l'ouest à l'est (167).
V.1.2. Ces colons perses amènent leurs dieux avec eux (168) : il y a bien souvent concordance entre la densité des sanctuaires dédiés à des divinités perses et la fréquence des noms d'origine perse ou iranienne (169). Un texte fréquemment allégué de Bérose (170) montre que la diffusion des cultes perses constitue, pour une part au moins, un acte politique: il s'agit de l'ordre donné par Artaxerxès II de répandre partout le culte d'Anàhità, et d'élever des statues à la déesse (dénommée Aphrodite Ananis] à Babylone, Suse, Ecbatane, en Perse, en Bactriane, à Damas et à Sardes.
11611 Voir L. ROBERT, CHAI, 1975, p.322-323. (162) Cf. Brigandage, p.187. (163) L.ROBERT, Hellenica, VI, 1948, p.16-20. (164) BCH, 1885, p.397 (inscription d'époque romaine citant la Dereioukômetôn katoikia). (165) XENOPHON, Anab., VIl, 8, 9-22. (166) Th.REINACH, Mithridate Eupetôr, roi du Pont, Paris 1890, p.23·24. (167) Voir F.CUMONT, Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mithra, Bruxelles, II, 1896, p.75·85 j voir surtout les nombreuses remarques et études de L.ROBERT, en dernier lieu Hec. Num., VIe a., t.XVlll, 1976, p.31 (Lydie) ; ID., Noms indigènes dans l'Asie Mineure gréco-romaine, Paris 1963, p.349 (Phrygie) ; ibid., (Amyzon en Carie: également OPP, 111. p.1532-1533), p.539 (Pont), 519 (Cappadoce: "vrai conservatoire des noms iraniens") ; CHAI, 1975, p.322-323, 327-328 (prés de Dareion Kôrnè en Lydie) ; Villes d'Asie Mineure, 2e éd., Paris 1962, p.57 (Lycie).
(168) L.ROBERT, Reo.Num., 1976, p.37, n.60 (p.38), -tout comme les colons macédoniens plus tard (ID., Hellenica, VI, p.25·26). (169) Le cas des vallées lydiennes autour du Tmôlos et de Sardes est tout à fait caractéristique: supra,
p.26-27. (170) BEROSE, sp, Clément d'Alexandrie, Propret., 5 (déjà cité par DARMESTETER, Il, p.364 et n.3 ; également L.ROBERT, CRAl, 1975, p.316 et n.31).
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28 Cette déesse était en effet "dispensatrice de l'investiture royale" 11711 : il s'agissait donc de confirmer l'autorité et la souveraineté du Grand Roi contre toute tentative d'usurpation (172). De la présence de temples ou de sanctuaires dédiés aux grandes divinités de l'Empire, deux inscriptions récemment publiées constituent deux témoignages particulièrement éclairants et décisifs. L'une reprend, en grec, un ordre de l'administration perse interdisant aux néocores ("sacristains") du temple de Zeus Baradatès de s'initier aux mystères de Mâ et d'Agdistis : or, ce Zeus, c'est manifestement AhurahMazdah, auquel on rendait donc un culte à Sardes 11731. L'autre document, du IVe siècle également, vient de Xanthos en Lycie : dans cette inscription trilingue, déjà célèbre, le texte grec fait référence à "Léto et à ses descendants [Artémis-Apollon) (]74), le texte lycien à "la Mère Létô... et ses enfants" 11751, le texte araméen à "Lato, Artémis et ID'atrapati" (171)1 : sous cette dénomination, A. Dupont-Sommer (177) vient de démontrer avec brio qu'il convient de reconnaître "le Seigneur du Pouvoir", en d'autres termes Mithra, ici confondu avec Apollon, comme à Sardes Ahurah-Mazdah l'est avec Zeus 11781. Plusieurs témoignages rendent compte que cette implantation de cultes perses remonte à la conquête. Selon une tradition rapportée par Tacite (179), le sanctuaire d'Anaitis à Hiérocésarée était dû à une initiative de Cyrus: contrairement à ce que supposent S. Wikander (180) et M.-L.Chaumont 118)), il n'y a pas lieu de mépriser les informations données par Tacite dans ce chapitre (182). Selon Strabon, par (]7)) Cf. PLUTARQUE, Art., 3. (172) G.GNÜLI, Politique religieuse, p.127-129. (173) Texte publié et commenté par L,ROBERT, Une nouvelle inscription grecque de Sardes. Hl-golf'Olpnt de l'autorité perse relatif à uu culte de Zeus, CHAI, 1975. p.301>-330.
(]74) H.METZGER. CHAI, 1974, p.90-91. (]75) E.LARüCHE, ibid, p.121. (171)) A.DUPÜNT-SÜMMER, ibid., p.145-147, (177) L'énigme du dieu "satrape" et le dieu Mithra, CHAI, 1971>, p,648-660. (178) Assimilation très fréquente: par exemple HERüDÜTE, l, 131.
(179) Annales, III, 1>2. (180) S.WIKANDER, Feuerpriester in Kleinasien und Iran, Lund, 1946, p.85 : "Dies iSI offenbar ein wertlose Legend".
(181) Le culte de la déesse Anâhità (Anahit] dans la religion des monarque d'Iran el d'Arménie au Icr si'cle de notre ère, lA, 253, 191>5, p.168-181 (p.11>9 : Traditions locales vraisemblablement suspectes), (182) Cf. déjà F.CUMüNT, Monuments, II, p.lO, n.ô. La lettre de Darius à Gadalas (BCH, 1889, p.5321, de même que l'inscription de Sardes récemment publiée (CHAI, 1975, p.30H et 3101 prouvent que des actes remontant à une époque très ancienne ont été regravèe à l'époque romaine. Le témoignage de Bérose allégué par S. Wikander et M.-L.Chaumont ne prouve pas que le culte d'Anahita n'était pas répandu avant Artaxerxès: même si Anihiti et Mithra n'apparaissent nommément dans les inscriptions qu'à partir de ce roi, on sait en effet que les inacripticns antér-ieures M'Y
réfèrent implicitement ("les autres dieux"],
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29 ailleurs 11831, la fondation du sanctuaire dAnàhità à Zélée doit être assignée à l'époque de Cyrus, et plus précisément en remerciement d'une victoire remportée par les stratèges perses de Cappadoce sur les nomades saces. C'est donc dès le VIe siècle que les grandes divinités du panthéon royal (Ahurah-Mazdah, Mithra, Anàhitê l ont été implantées en Asie Mineure (1841. V.1.3. Parmi les témoignages, les plus nombreux, et de loin, concernent les sanctuaires d'Anàhità. Il s'agit essentiellement de témoignages "classiques": auteurs grecs, inscriptions, monnaies. De cette documentation et des études qui l'ont prise en compte, il ressort tout d 'abord que la Lydie possédait de nombreux sanctuaires dédiés à la déesse, connue sous des noms divers (Anaïtis, Méter Anaïtis, Artémis persique) et d'autre part que ces sanctuaires ont fonctionné jusqu'en pleine époque romaine: ainsi un décret d'Hypaipa d'époque romaine montre que la prêtrise d'Anaïtis se transmet encore de père en fils (185) ; un paysage bien connu de Pausanias (186) confirme la permanence des cultes et des rites perses en Lydie (187). J.Keil (188) avait pu dénombrer 45 inscriptions et dédicaces en Lydie et en Phrygie; les découvertes faites depuis lors (189) les ont rendues encore plus nombreuses, le centre de ce culte se situant indiscutablement dans les environs de Sardes et du Tmôlos (1901. Pour autant, le culte dAnàhità n'est pas inconnu dans le reste de l'Anatolie: il est particulièrement actif en Arménie, en Cappadoce et dans le Pont (l91l ; on en possède également des témoignages à Apamée [Kelainai] de Grande-Phrygie (192), à Amyzon de Carie (1931, etc ...
V.1.4. Le culte de Mithra est beaucoup moins bien représenté dans notre documentation. Deux raisons à cela sans doute: cela tient d'abord sans doute au hasard des fouilles, comme vient de le montrer a contrario la découverte de (1831 STRABON, XI, 8, 4. (184) Ainsi A.DUPONT-SOMMER, CRAI, 1976, p.659. (1851 S.REINACH, RoA., 6. 1885, p.105·106 (OGIS, 4701; cf. L.ROBERT, Rev.Num., 1976, p.30-31. (1861 PAUSANIAS, V, 27, 5·6. (1871 Cf. S.WIKANDER, Feurpriestern, p.83 ; L.ROBERT, Ioc.ca., p.28-29.
(1881 Anatolien Studies RRmsRY, 1923, p.250-251. (189) Cf. P. HERMANN, Ergebniese einer Reise in Nordost Lydien, Denkschr. Aked. Wien, 80, 1962, où 5 dédicaces à Anaïtis des années 209-210 (J. et L.ROBERT, Bull., 1963, n? 225 et 233). (190) WIKANDER, p.79-85. (191) lbid., p.86 sq., où les sources sont répertoriées.
(192) L. ROBERT, Noms indigènes, p.349.
(193) Ibid., et OPM, Ill, p.1532·1533.
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30 Mithra dans le texte araméen de Xanthos. De plus et surtout, le culte de Mithra se cache souvent sous des noms locaux [Sabazios, Apollon, dieu ..satrape "v., / 0 941, ce qui d'ailleurs est en soi un élément important d'analyse qu'il faudra prendre en compte. Le grand nombre de noms théophores formés sur Mithra semble constituer un indice de diffusion du dieu en Asie Mineure dès l'époque perse 0951, de même le fait que, selon un passage bien connu de Plutarque, le culte de Mithra soit passé aux Romains par l'intermédiaire des pirates qui lui vouaient un culte sur l'Olympe de Lycie (96). On peut même se demander si le culte de Mithra n'était pas aussi diffusé que celui d'Anàhità. Voici les considérations sur lesquelles repose l'hypothèse que je me permets de présenter ici : - comme Anàhità 0971, Mithra est une divinité polymorphe. Nous avons déjà vu qu'il est le "maître des vastes campagnes" et donc le protecteur des récoltes et des paysans. Ce caractère apparaît également dans le Yssht 10 qui lui est consacré dans l'Avesta. En effet, il est "secourable et protecteur" (§ 46/ ; il proclame lui-même: "le suis le bon protecteur de toutes les créatures; je suis le bon conservateur de toutes les créatures" (§ 54/. "A la maison où on le réjouit, il donne troupeaux de boeufs et d'enfants mâles; il brise en pièces celle où il est offensé" (§ 28/ ; "il donne faveur à son gré, donne campagne à son gré, ne fait point de mal au laboureur" (§ (0) ; "il donne accroissement, donne la graisse, donne les troupeaux..;" (§ 651 ; donc "brillantes sont les voies de Mithra, les voies par lesquelles il se rend au pays quand il est bien traité, les voies larges et profondes, qui font de fertiles campagnes, et troupeaux et hommes y vont à leur gré, en liberté" (§ 112). - mais le Yasht le présente surtout en guerrier, car il doit se battre en permanence contre les "démons-menteurs". Il est donc "le redoutable et le victorieux" (§ 5/, "le guerrier dont les bras ont la force" (§ 45), "le plus robuste des dieux, le plus fort des dieux, le plus impétueux des dieux, le plus rapide des dieux" (§ 987 ; "la vaillance virile" est sa compagne (§ 66/ ; il lève les armées (§ 35/ et les conduit à la bataille contre la Druj (passim) ; - cette fonction de maintien de l'ordre divin (et donc aussi impérial), Mithra peut la mener à bien parce qu 'également il est celui"qui a large connaissance" (§ 7/ : jusque dans le moindre village (§ 27-18/, il sait tout (§ 36/. La raison en est qu'il tient les hauteurs. "Il a huit amis qui, sur les hauteurs, sur tous les postes, servent d'espions à Mithra, observent le Mithra-Druj, contemplant les hommes, faisant le compte des hommes qui mentent à Mithra et veillant sur le chemin de ceux qui en veulent au Mithro-Druj, et les méchants meurtriers du juste" (§ 44).
(94) F.CUMüNT, Monuments, J, p.212-213.
(95) Ibid, II, p.75-85. avec les remarques de prudence J, p.45-46; cf. L.ROBERT. Noms indigènes, p.217 (Lydie), 349 (Apamée de Phrygie), 439 (Pontl, 519 (Cappadoce). (96) PLUTARQUE, Pompée, 24, 7 (= CUMONT, Monuments, Il, p.35-3bl sur ce lexIe, voir en dernier lieu R.TURCAN, Mithras Platonicus. Recherches sur l'hellénisation philOimphique de Mithra ŒPRO, 47), Leyde 1975, p.I-13.
(97) Infra, p.31·36.
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On rapprochera d'abord ces textes des textes classiques affirmant que les Perses sacrifient à leurs dieux sur le sommet des montagnes (98). C'est également dans les montagnes de Perside que s'est déroulée la retraite de Zarathoustra 099 1. Le culte de Mithra a été effectué pendant des siècles dans les cavernes des montagnes: ce n'est que peu à peu que le temple s'est détaché des lieux hauts (200). Les pirates de Cilicie, à l'époque de Pompée, sacrifient encore à Mithra dans un sanctuaire qui se confond avec leur phrourion de montagne (2011. Par ailleurs, dans la figure de Mithra luttant contre le mensonge (Druj) et surveillant les hommes et les villages du plat-pays, il est particulièrement tentant de voir une représentation des garnisons perses, 8erchées sur tous les points hauts pour tenir les paysans dépendants en obéissance 202). On sait par exemple que les Perses avaient disposé un observatoire sur le sommet de Tmôlos pour surveiller les vallées adjacentes (203). Un site comme Hypaipa, sur les pentes du Tmôlos, revêtait une valeur stratégique de première importance (204). Or, toute cette région avait vu s'établir de nombreux Perses, tant colons que garnisaires, paysans, prêtres et administrateurs. C'est pourquoi on peut se demander si chaque garnison perse, sur les lieux hauts anatoliens, ne rendait pas un culte à Mithra, dieu de la guerre et "dieu de la dépendance rurale", pourrait-on-dire. On comprendrait mieux ainsi que Mithra ait été immédiatement le dieu des soldats à l'époque romaine. Cette hypothèse -si elle pouvait être vérifiée- plus que le passage de Plutarque déjà cité, permettrait de comprendre8ourquoi la tradition place l'origine du culte mithriaque en Asie Mineure 205). Ajoutons enfin que, de cette manière, les Perses pouvaient récupérer à leur profit les anciens cultes anatoliens qui, tous, étaient des cultes de sommet.
V.l.S. Les prêtres du feu s'installèrent en Asie Mineure en même temps que les soldats, colons et administrateurs (206). De véritables colonies (apoikiai) de mages s'implantèrent en même temps que les sanctuaires d'Anàhità (207). Un basrelief de Daskyleion (fin Ve siècle) représente exactement le sacrifice décrit
(98) HERODOTE,
r, 131 ; STRABON, XV, 3, 1 ; APPIEN,
Mith., 66.
(99) Eubule cité par PORPHYRE, De antro nympharum, II, pAOet D.CHRYS., Urst., XXXVI, 40 (CUMONT, Monuments, l, p.55 et R. TURCAN, op.cit., p.24). (200) F. CUMONT, Monuments, II, p.35. (2011 PLUTARQUE, loc.clt. (R.TURCAN, op.cit., p.I-2) (202) XENOPHON, Econ., IV, 5 sq. (cl. REA, 1972, p.39-401. (2031 STRABON, XIII, 4, 5. (204) L.ROBERT, Reo.Num., 1976, p.35 et n.51 ; cf. p.37, n.50 in fine. (205) F. CUMONT, Religions orientales, p.132. (206) Ibid, p.129.
(207) Cf. le témoignage de St. Basile cité par CUMONT, Monuments, I, p.IO, n.S,
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32 fréquemment par l'Avesta (208 1. Le témoignage de Pausanias enfin rend compte de la pérennité des rites "maguséens" en Lydie romaine (2091. Un épigramme de la cité de Hypaipa fait référence à un archimage ; le terme apparaît dans un autre texte épigraphique (2101. L'enseignement de ces mages pouvait être d'autant mieux diffusé dans le peuple qu'il n'était pas donné en langue perse, mais en araméen, langue véhiculaire de tout le Moyen -Orient ancien (2111. En définitive, conquête militaire, disposition de garnisons, installation d'une administration, dépendance rurale et diffusion de cultes et de prêtres iraniens représentent les éléments essentiels d'une stratégie globale, qui joue à tous les niveaux, infrastructurel et superstructure!. De même que l'on parle de couverture administrative et de couverture militaire des pays conquis, on peut parler de "couverture idéologique". Reste à examiner comment et combien elle joue son rôle auprès des populations indigènes.
V.2. V.2.1. La quasi-totalité des sanctuaires dédiés à Anaïtis ne sont connus que par une ou plusieurs dédicaces trouvées in situ. Ce qu'il importe de souligner tout de suite, c'est que ce sont pour la plupart des sanctuaires campagnards(2121, qui n'ont malheureusement pas été fouillés (213). Ces inscriptions sont d'époque tardive, où la langue grecque s'était considérablement diffusée dans les campagnes d'Asie Mineure occidentale, et où, par exemple, les décisions prises par les organes délibératifs villageois sont connues par des décrets qui ne les distinguent plus, ou presque, d'une cité (214). De cette constatation, il convient de tirer des conclusions sur l'inégale répartition de la documentation écrite: tout d'abord, ils sont forcément plus nombreux dans les régions occidentales où l'hellénisation remonte plus haut dans le temps (215) ; mais de l'absence de telles dédicaces dans d'autres régions, on ne peut pas conclure que des sanctuaires n'y existaient pas; je suis personnellement tenté, au contraire, de supposer que toute nouvelle communauté rurale fondée au débouché d'un qanat sur le plateau iranien (216) vouait un culte à Anâhità en tant que déesse
(208) F.CUMONT. Religions orientales, p.135. (2091 PAUSANIAS, V, 27, 5-6 : cf. L.ROBERT, Rev. Num., 1976. p.29. (2101 WIKANDER, p.83. (211) F.CUMONT, Religions orientales, p.135-136 ; c'est ce que Pausanias entend par "langue barbare".
(212) L.ROBERT, loc.cu., p.39·45.
(213) ID., Hellenica, VI, pA6 ; L. et J.ROBERT, Bull., 1963. p.225. (214) Cf. par exemple DGIS, 488 (Laoi, p.I05). (215) Voir le décret publié par M.WORRLE, Chiron, 5, 1975, p.59-85.
(216) Cf. mes Communautés.
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33 des eaux. Par ailleurs, nous ne disposons pas de témoignages écrits pour l'époque antérieure à la diffusion du grec, sauf, nous l'avons vu, pour les sanctuaires urbains (Sardes, Xanthos) ; il est vrai que la plupart de ces sanctuaires rustiques devaient être d'un extrême dépouillement, autour d'Une source ou d'une fontaine, voire d'un simple tas de pierres (cairn).
V.2.2. Il y a une très grande permanence dans les sites des villages et des sanctuaires campagnards (2171. Ce qui est non moins remarquable, ce sont les permanences dans les mentalités religieuses paysannes, telles que les a récemment étudiées l'historienne soviétique E.S.Golubtsova à partir des dédicaces en particulier (218). Les divinités les plus fréquemment invoquées sont des divinités topiques, liées au village : tout membre de la communauté priait les dieux "pour la santé de la communauté", pour tous les villageois, pour la santé de la kôme ; quels que soient les dieux, les prières et invocations restent limitées au cadre géographique du village et au problème de la survie alimentaire, d'où la fréquence d'adjectifs tels que karpophoros et eukerpos par exemple 1219 1. A l'époque romaine impériale, la Grande Mère "reste la dame tutélaire des modestes bourgs et des plus humbles villages" (220). Dans son étude, E.S. Golubtsova conclut que, contrairement à une idée tenace, les cultes et la mythologie grecque n'ont pas été adoptés mécaniquement par les indigènes, mais que bien au contraire "les éléments de la culture grecque étaient transformés et assimilés aux conditions locales d'une manière créatrice. L'appel des paysans aux dieux grecs avait un caractère utilitaire: Zeus n'était pas par exemple un dieu-tonnant, mais un défenseur du bétail, de la récolte, une divinité agricole" (2211. Il en fut certainement ainsi des cultes d'origine perse, en particulier Anàhità. Celle-ci présente en effet trois aspects : déesse de la guerre, elle préside à l'intronisation du nouveau Roi (222) ; mais, si l'on se rapporte au Yasht 5, on voit qu'elle est aussi l'Humide et la Sans-tache. Elle est donc aussi la déesse des eaux et de la fertilité, également de la santé. Elle "multiplie les troupeaux, ... les biens, ... la richesse, ... tout le pays" (§ 1) ; "elle donne un bon enfantement à toutes les femelles" (§ 2) etc ... Elle est également la Dame des fauves. Or, ce qui est remarquable, ce sont les concordances que l'on peut relever entre l'Anêhità du Yasht 5 et les représentations de la déesse dans les documents d'époque tardive (223). Si les vertus de victorieuse (217) Hypaipa , par exemple, est un vieux site indigène, auquel des textes tardifs ont tenté de donner une étymologie à la grecque: L.ROBERT. Rev.Num., 1976, p.27, n.Ll ,
(218) E.S.GOLUBTSOVA, L'idéologie et la culture de lB population d'Asie Mineure au ler-Lle s. de notre ère, Moscou 1977 (en russe, avec un résumé français, p.213-222).
(219) Ibid, p.216. 12201 H.GRAILLOT, Le culte de Cybèle Mère des Dieux Il Rome et dans l'Empire romain, (BEFAR. 107), Paris 912, p.361. (221) E.S.GOLUBTSOVA, op.cit., p.215-216. (222) PLUTARQUE, Art., 5; cf. supra, p.28. (223) Sur ce rapprochement, cf. déjà S.REINACH, RA., 1885, p.109 ; voir maintenant L.ROBERT, Reo.Num., 1976, p.38 sq.
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de la déesse ne sont pas ignorées, c'est plus la déesse "attentive et toujours secourable" (224) que les paysans invoquent. Si donc une divinité iranienne comme Anàhitâ a pu se diffuser si rapidement et si largement en Asie Mineure, ce n'est pas seulement qu'elle est la divinité des colons perses, c'est aussi parce que, dans sa nature agraire et fécondante, elle s'est confondue, dans les mentalités paysannes et traditionnelles, avec une très antique divinité, à savoir Cybèle, (225) (qui peut porter d'autres noms). Les dédicaces nomment d'ailleurs assez fréquemment Méter Ananis (226/. Il est remarquable également que, dans les sanctuaires campagnards, elle soit associée à des dieux indigènes, tels Sabazios et le dieu-lunaire Mên (227/. Comme la Cybèle-Mère des Dieux (228), elle est la Dame des Fauves: en témoigne par exemple une monnaie de Philadelphie de Lydie, où la Cybèle au cervidé est "une combinaison originale entre Cybèle au lion et l'animal d'Artémis... Il y eut là un syncrétisme entre la Mêter et Anal'tis" 1229/, Comme l'antique Rhéa-Cybèle (230/, Anaïtis est la Dame du Tmôlos (23)), En d'autres termes, si Anàhità a connu ce succès, c'est non seulement qu'elle était à la fois la déesse des conquérants perses et une déesse comparable à l'Artémis des Grecs tout proches, mais aussi et en même temps qu'elle réussit à se fondre presque entièrement dans une vieille divinité agraire de la fertilité et des eaux : cette confusion était rendue possible non seulement par l'identité des caractéristiques fondamentales, mais aussi par l'implantation des sanctuaires d'Anàhità sur de vieux sites sacrés anatoliens, comme par exemple toute la région du Tmôlos.
V.2.3. On voit donc, ou l'on devine, où et comment a pu se faire l'adéquation entre les messages idéologiques venus d'en haut et l'attente religieuse des paysans, dont les structures idéologico-mentales remontent pour l'essentiel à plusieurs millénaires (232). Pour la plupart d'entre eux l'horizon est limité au village
(224/ L.ROBERT, Hellenica, VI, p.108-1I0. (225) Cf. H.GRAILLOT, Cybèle, p.371-372. (226/ J.KEIL-A.VON PREMERSTEIN, Bericht über eine Heise in Lydien und der südllcbo Aiolis, Deuksehr, Akad. Wien, 53, 1908, p.25. 1227) L.ROBERT, CRAl, 1975, p.336, n.69. (228) Cf. GRAILLOT, Cybèle, p.2 sq. ; également P.DECHARME, Die'. [)ar.·Sal(/in, col. 1677 sq.
'.1'.
CybNe,
(229) L.ROBERT, Monnaies grecques (Types, légendes monétaires el1(Po/(rsphi4'), Genève-Peris
1967, p.74·75. (230/ GRAILLOT, Cybèle, p.9. (23]) ATHENEE, Deipnosoph., XIV, 38, 636 A, cité par S. WIKANDER, p.M; cf. également L.ROBERT, Re». Num., 1976, p.30, n.24, in fine. (232) Voir l'article stimulant de P.LEVEQUE. Formes et structures méditerranéenne" dans la genèse dl'
la religion grecque, Prselectiones Pntnvinae, Rome 1972, p.14S·180.
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et à la communauté: ils continuent de vivre traditionnelIement, à tous les niveaux. Si souplesse et adaptation il y eut, c'est au compte des conquérants perses qu'il faut les inscrire. Il ne fait pas de doute que les cultes anatoliens exercèrent une profonde fascination sur les conquérants perses: on sait par exemple qu'existait à Sardes un temple de Cybèle (233), et l'inscription récemment étudiée par L.Robert montre que se déroulaient dans ce grand centre des cérémonies en l'honneur de Mâ et d'Aggistis ; l'interdiction faite par l'administration perse aux néocores du temple d'AhurahMazdah de se faire initier révèle que la "concurrence" entre le dieu suprême et les divinités anatoliennes ne tournait pas toujours au bénéfice du premier (234). De même, c'est le plus souvent sous un "habillage indigène" que se diffusent Anâhitâ et Mithra. L'adéquation put se faire d'autant plus facilement que, par son caractère naturiste, (Terre-mère, fécondité, eau... ) tel qu'il est révélé par le Fargard III ou exposé par les auteurs classiques (2351, la religion iranienne (dans son noyau primitif] était d'une remarquable plasticité, et que le Roi avait repris à son profit le vieux mythe du héros fécondant. Les conjonctions se situaient même au niveau du calendrier, puisque de grandes fêtes se déroulaient en Asie Mineure, surtout en Phrygie, lors de l'équinoxe de printemps: "on coupait l'arbre sacré, le pin qui était le symbole d'Attis, dont l'image y était attachée... L'image du jeune Phrygien était portée dans le sanctuaire de la Mère des Dieux.,; Là le pin était orné de bandelettes et couronné de violettes printanières... " (2361. On ne peut que souligner les convergences entre certains rites anatolico-phrygiens (culte de l'arbre en particulier} et des caractères d'Anàhità (2371, ou bien des rites du Nouru» persépolitain qui se déroulait à la même date. Il n'y a pas là concurrence, me semble-t-il, mais bien plutôt effet idéologique cumulatif: la raison fondamentale, c'est que "Cybèle n'est qu'une des formes de cette grande déesse qui, en Asie, suivant les régions où elIe était honorée, portait des noms différents et était douée d'attributions diverses, mais ce que l'on adorait partout, c'était le principe féminin, source de toute vie dans la nature" (238). Cette terre-mère, c'est celIe que l'on rencontre à Catal-Hüyük aux VIle et VIe miIlénaires (239), c'est également celIe qui est omniprésente dans le Fargard III. Mais continuité n'équivaut pas à l'immobilité: c'est bien au contraire aux emprunts, bricolages, récupérations et syncrétismes que l'on doit ces permanences dans le mouvement de l'Histoire. En dernière analyse, la permanence fondamentale, (233) HERüDüTE, V, 102. (234) CHAI, 1975, en particulier p.325.
(235) Voir par exemple HERüDüTE, J, 131 : "Ils sacrifient au soleil, à la lune, à la terre, au feu, à l'eau, aux vents".
(2361 P. DECHARME, loc.cit., p.1682 (a). (237) Boie sacrè d'Anàhitâ (.1808) : ATHENEE,loc.cil. ; cf. aussi S.REJNACH, HA, 1885, p.108·109. (238) P. DECHARME, loc.cit., p.I682 (b). (239) P. LEVEQUE, art. cit., p.167-169.
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36 dans les campagnes asiatiques, tant au niveau socio-économique qu'au niveau idéologico-religieux, c'est la communauté villageoise qui subsiste et perdure à travers et au-delà des conquêtes militaires. Il ne fait guère de doute, à mon sens, que le pouvoir impérial achéménide a été parfaitement conscient des avantages de toutes sortes offerts par ce cadre traditionnel (2401. En témoigne ce discours tenu par Cyrus aux prisonniers assyriens (habyloniensj : "Assyriens, aujourd'hui, pour m'avoir obéi, vous avez la vie sauve; si vous faites de même à l'avenir, il n'y aura rien de changé pour vous, sinon que vous n'aurez pas le même chef qu'auparavant: vous habiterez les mêmes maisons (oikias), vous cultiverez le même sol khôranl, vous vivrez avec les mêmes femmes et vous aurez sur vos enfants la même autorité qu'aujourd'hui. Seulement vous ne ferez pas la guerre ni à personne d'autre" (2411. Cette harangue exprime avec une force peu commune les deux composantes indissociables du "statut" des populations paysannes soumises: "liberté" à l'intérieur dl' leurs communautés villageoises, puisque celles-ci conservent leur territoire, leur organisation interne et leurs coutumes (et donc leurs cultes 1,et "dépendance généralisée" à l'égard du despote (2421.
VI. BILAN ET PERSPECTIVES Au cours de cette étude -qui n'entendait pas être exhaustive- beaucoup dl' questions ont été posées, quelques éléments de réponse ont été donnés ou proposés, bien des points d'interrogation subsistent. Les doutes critiques et les réserves que j'ai été amené à apporter à mes propres explications et propositions ne proviennent pas uniquement des lacunes de la documentation. Les progrès viendront d'un approfondissement théorique du problème général des idéologies, et ce pro/{rès sera rendu possible non seulement par un élargissement de la documentation, mais aussi et en même temps par une collaboration sans cesse plus intime entre les représentants des secteurs spécialisés des Sciences Humaines et Sociales. Il est d'autant plus nécessaire de dresser des bilans partiels.
VI.1. Se trouvent d'abord globalement confirmés -et dans le détail précisésle rôle et la fonction de l'idéologie du roi-protecteur des terres et des paysans dans les sociétés de type "asiatique" dominées par l'économie royale (ou palatiale 1. J'ai déjà cité à plusieurs reprises les remarques et suggestions de M. Godelier sur "Etat inca. Si nous prenons maintenant le cas des royaumes de l'Orient ancien, une étude comme
(240) Cf. mes Laoi, p.105-106, et Communautés. (241) XENOPHON. Cvr., IV, 4, 10. (242) Voir les paroles que prononce Cyrus à ses troupes pour les inciter à nf' pus musaecrer Il.J.I habitants des pays conquis: "Si, en effet. nous nous rendons maîtres du paYM, (""NI 'OUN ,','UX qui Thnbitont qui seront nos prisonniers" (IV, 4, 8), à relier aux préoccupations exprimées plu", hunt IIV. 4.51 : .....car un pays peuplé est une richesse d'un grand prix ; vide cl'habitants, il Nil aussi viti(· dt· biens".
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37 celle de I. Banu (243) a bien mis en valeur 'ce que l'auteur appelle fort justement la fonction biologique de la royauté (244). A ce titre, le Roi achéménide -quelles que soient ses spécialités réelles- ne représente pas un cas isolé en Asie. Bien au contraire, sa fonction idéologique se comprend d'autant mieux qu'on la relie aux royautés qui l'ont précédée, en premier lieu à la royauté babylonienne. J'ai déjà souligné au passage quelques emprunts directs ou bricolages (Fête du Nouvel An, culte de l'Arbre, roi protecteur des cultures et des eaux, roi-jardinier... } : ils sont multiples et prégnants, et G. Gnoli a pu montrer -de façon fort convaincante- que l'idéologie politico-religieuse achéménide devait plus à l'idéologie babylonienne qu'à une évanescente "idéologie indo-européenne" 12451. C'est même par l'intermédiaire de la Babylonie que l'Anatolie connut les "maguséens" (2461. Il y a donc un double mouvement qui se développe avec la conquête perse : élaboration d'une idéologie politico-religieuse à vocation unitaire et universitaire autour d'Ahurah-Mazdah et du Grand Roi, et récupérations et/ou assimilations de formes idéologiques pré-existantes, pour autant qu'elles ne fussent pas en contradiction avec la première. C'est là un processus bien connu que l'on a baptisé "tolérance religieuse des Achéménides", termes sous lesquels on entend une politique caractérisée fondamentalement par ce respect pour les divinités des populations conquises. Mais ce "respect" est lui-même un acte politique 12471 : c'était le meilleur moyen de ne pas susciter de révolte contre la domination perse ; c 'est dire que cette "tolérance" peut être comprise comme une Reelpolitik bien menée (248). On peut d'autant mieux comprendre que les Rois n'hésitèrent pas à détruire les temples et à déporter les divinités des peuples rebelles, en Babylonie ou chez les Grecs par exemple 12491. Même en Perse, les travailleurs de l'économie royale continuèrent d 'honorer leurs dieux, et ceux-ci (Hurnban et Simut d'Elam ou Addad d'Akkad 1reçurent pour leur culte des produits des dépôts royaux au même titre que les dieux iraniens; certains de leurs desservants sont même d'origine iranienne (250). Pourtant, le terme Reslpolitik est dangereusement anachronique, en ce sens que le rationnel des Rois achéménides n'est pas celui de Bismark ! A cet égard, (243) La formation sociale "asiatique" dans la perspective de la philosophie orientale antique, tr. fr. dans Sur le mode de production aSÎBtique 2, Paris, Editions Sociales, 1974, p.285-307.
12441 Ibid., p.291. (245) G.GNOLI, Politique religieuse, passim. Sur les théories duméeiliennes, on verra aussi O.BUeeI, La pretesa unita religiosa e giuridica dei popoli cosidetti indoeuropaei. A proposito di una recente pubblicazion, RIS G, XIII, 1969, p.327-355.
12461 F.CUMONT. Religions orientales, p.136-137 ; cf. GNOU. ibid., p.148. 12471 Cf. par exemple J.DUCHESNE-GUILLEMIN, Religion et politique; de Cyrus à Xerxès, Persica, 1lI. 1967-1968, p.I s q. (248) G.GNOLl, op.cit., p.150-156. (249) Voir là-dessus en dernier lieu P.TüZZI, Per la storia delle politica religiosa degli Aehemenidi : distruzioni persiane di templi greci agli inizi dei V eecolo, RSI, LXXXIX/l, 1977. p.IS-32.
12501 Cf. M.DANDAMAYEV, La politique religieuse des Achéménides, Monumentum H.S. Nvberg, I, Téhèran-Liège Idiff. Brill, Leidenl. 1975, p.193-200, en particulier p.I96.
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on ne peut qu'être d'accord avec ce qu'écrivait récemment M. Dandamayev : "Lorsque Cyrus, Cambyse ou' Darius 1er vénérèrent, en Babylonie, en Egypte ou en d 'autres lieux, les dieux locaux, ce n'était pas seulement par clairvoyance politique : les Achéménides étaient évidemment persuadés que, par exemple, Marduk était le maître céleste de la Babylonie, Amon celui de l'Egypte, etc ... , et que par conséquent il était indispensable, sur le territoire de la souveraineté de ces dieux, de les vénérer... En détruisant les temples babyloniens ou en emmenant les statues divines, Xerxès s'efforçait de priver de l'appui des dieux locaux une population hostile" ,/250. Il est de même fréquent que des Perses, en mission ou en résidence chez des nations soumises, adoptent les dieux locaux, sans pour autant renoncer aux dieux perses l252). Il y a donc à la fois diffusion des cultes perses, maintien des dieux locaux, et assez fréquemment syncrétismes (253) ou tout au moins assimilations : le cas de l'Anatolie doit donc être replacé dans le cadre général de la domination achéménide.
VI.2. C'est en cela que l'on peut dire avec S. Amin "que l'exploitation ne peut se maintenir que si la société dans son ensemble (classes dirigeantes et classes exploitées) partage une même philosophie idéologique qui justifie aux yeux des uns et des autres leur inégalité de statut" (254). En des termes différents, M.Godelier (255) exprime une idée connexe, lorsqu'il écrit: "L'erreur n'a pas été inventée pour contraindre les dominés à consentir à leur domination, mais elle existe de telle manière qu'elle entraîne leur consentement" : il est vrai, par exemple que Cyrus "croit" aux vertus souveraines de Marduk, et Darius à celles de Rè (256). Il convient pourtant de nuancer : si peuple conquis et peuple conquérant sont habités par les "mêmes" croyances dans les vertus "biologiques" de la royauté, il n'en reste pas moins que les uns et les autres ne "croient" pas de la même manière: ainsi la diffusion des cultes perses en Asie Mineure répond à la fois aux besoins religieux des Perses qui y sont installés et aux objectifs politiques et financiers de l'appareil d'Etat achéménide dont fait partie l'aristocratie perse. Si donc l'on peut dire que les peuples soumis et dépendants sont aliénés dans cette idéologie, la situation des Perses est plus complexe : pour eux le terme"aliénation" réduit plus qu'il n 'explique la réalité. Dans leur cas, l'idéologie est à la fois préexistante à la conquête et façonnée par elle. La spécificité de leur statut idéologique provient de leur double statut politique: à la fois sujets du roi perse et auxiliaires du Grand Roi (Etat-classe) dans le processus de domination et d'exploitation de l'Empire, les Perses sont, dans une certaine
(251) Ibid., p.1'98 et 199. (252) Ibid., p.197-198. (253) Ibid., p.198 : "Il est donc indubitable que la période des Achéménides se caraclérise par des processus intenses de syncrétisme entre les cultures et les conceptions religieuses des différents peuples",
(254) S. AMIN, Le développement inégal, p.19.
(255) Raison Présente, 1.37, p.77. (256) Cr. l'inscription publiée par J.YOYOITE dansJ.A., 1972.
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:w mesure, à la fois dominés et dominants. En dernier ressort, et au moins sur le plan théorique et idéologique, le seul dominant total est le Grand Roi qui ne rend compte qu'à Ahurah-Mazdah. Au reste, ces réflexions amènent à poser un autre correctif: les peuples soumis ne constituent pas une entité sociale homogène, ils sont traversés par des réalités de classes. Par exemple, la situation du clergé égyptien par rapport au Grand Roi pharaonisé est bien différente de celle du peuple paysan, à la fois dépendant du Roi et de ce même clergé: celui-ci est donc utilisé comme relais par le pouvoir impérial. Dans le cas contraire (refus et rebellion) le pouvoir achéménide n 'hésite pas à prendre des mesures drastiques contre le clergé et les temples (cf. en Babylonie sous Xerxès ou en Egypte sous Cambyse) (257) et à assurer quasi directement sa domination idéologique. La "tolérance religieuse" va de pair avec une reprise en main de la vie économique des temples par l'administration royale (258). Enfin, ces réalités de classes ne sont pas absentes dans le peuple conquérant luimême. Parler indistinctement "des Perses" n'est pas loin de sous-entendre un contresens historique. En effet, c 'est l'aristocratie qui a tiré des avantages des conquêtes et de l'organisation impériale de Darius, avantages d'ordre économique et idéologique (259). Seuls les enfants de l'aristocratie sont admis aux bénéfices de l'agôgè, les fils des familles pauvres restent à l'écart de l'Etat-classe dominant (2601. L'idéologie monarchique remplit donc aussi une fonction de domination à l'intérieur de la société perse, où subsiste une classe de paysans "libres" qui ne bénéficient pas des profits de la conquête (2611. On peut donc penser qu'il y a en Perse même deux strates idéologico-religieuses : la strate ancienne -de caractère naturiste- qui reste celle de la classe paysanne, et la strate achéménide qui est celle de la classe dominante et qui fonctionne comme masque des contradictions de classes. La domination politique, économique et idéologique de la classe-Etat joue donc à la fois à l'intérieur de la société perse et au niveau impérial. L'analyse menée au cours de cette étude gagnerait donc beaucoup à être régionalisée. Il est probable par exemple que l'idéologie avestique -qui en quelque sorte exprime la strate naturiste de la religion iranienne primitive (pré-achéménide)- a fonctionné sans intermédiaire et avec une efficacité maximum au sein de la société perse. Elle était inutile en Egypte ou en Babylonie, où les Grands Rois se contentèrent (en un temps au moins) de récupérer les attributs biologiques de l'idéologie pharaonique et babylonienne. Elle joue en revanche un rôle important en Anatolie par
(257) Voir S.K. EDDY, The King i. dead, p.101-I07 et 261-265. (258) Voir l'exemple très net des temples babyloniens à partir de la conquête de Cyrus, tel qu'il a été étudié
par M.DANDAMAYEV, Temple et Etat en Babvlonie, VDI, 1966/4, p.17-39. (259) ID., Persien anter den erstern Achiimeniden, Wiesbaden 1976, en particulier p.213-214.
(260) XENOPHON, Cvr., 1,2, 15. (Il Y a là tout un sujet d'étude). (261) Ce sont les paysans mis en scène à plusieurs reprises par ELlEN, V.H., I, 30-34.
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les rapports qu'elle entretient avec les idéologies religieuses pré-existantes qu'elle contribua paradoxalement à faire survivre, dans le même temps qu'elle les utilisait comme vecteurs et media.
VI.3. Pour autant, il convient de ne pas surévaluer ou du moins de ne pas privilégier exclusivement la fonction de l'idéologie comme mainteneur de l'ordre impérial. J'ai peine à adhérer aux vues de M. Godelier 1262) selon lequel "la religion se trouve ici être la source d'une contrainte sans violence, car elle constitue en quelque sorte la plus grande force de l'Etat et de la classe dominante, parce qu'elle oblige de l'intérieur les dominés à consentir à leur domination". Cette interprétation peut être acceptée -et l'analyse menée ici le montre- à condition de lier cette contrainte sans violence à la contrainte militaire 12631 : c'est par celle-ci que la conquête s'étend et que la domination se maintient, même si, ce qui est indéniable, les Achéménides ont su mener aussi une conquête idéologique. C'est bien ce qu'exprime Xénophon par exemple: que les garnisons perses soient entretenues par les masses paysannes 12641 représente assez exactement la relation étroite entre dépendance rurale et contrainte militaire. Sans vouloir systématiquement cultiver les formules à l'emporte-pièce, je suis donc tenté d'admettre que, d'une manière comparable (mais non identique) à l'idéologie, l'armée fait partie des forces productives, dans cette mesure qu'elle contribue objectivement à maintenir la paix et la sécurité, garantes du travail dépendant et donc du tribut. Car, pour qu'une idéologie soit pleinement efficace, il faut que, d'une manière visible, elle corresponde pour une part à une réalité vécue par les dominés. C'est à ce titre que l'idéologie de !a paix et de la protection n'est pas une simple invention contredite par les réalités quotidiennes, du moins pour la période d'apogée de la domination perse en Asie. Il est vrai -comme l'écrit G. Gnolo 12651_ que "la monarchie de Cyrus était essentiellement une monarchie militaire soutenue par la force guerrière d'un peu ple surgi depuis peu dans l'histoire, lequel tente de l'imposer aux différents peuples de l'Empire sous le vêtement des diverses monarchies traditionnelles". Mais, dans son désir (légitime) de ne pas se laisser aller aux illusions duméziliennes 1261>1, G. Gnoli n'a pas vu, me semble-t-il, que les réalités incontestables du Roi chef d'armée s'insèrent dans le cadre plus large (et apparemment contradictoire) du Roi dispensateur dl' la paix et de la prospérité. Il faut tenir compte du fait, en effet, que l'oeuvre de conquête a été relativement courte, eu égard à la remarquable longévité de la domination achéménide en Asie, et qu'elle s'est définitivement arrêtée après l'échec dl',
12621 Loc. cit., p.77. 1263) Ce que fait mieux M.GODELIER, Horizon, II, p.252-253. Cf. ma communication au Colloque d,· Camerino : Contrainte militaire et dépendance rurale dans l'Empire achéménide. (264) XENOPHON. Econ., IV, Il ; Cyr., VII, S, 69.
1265) Politique religieuse, p.183. (2661 Cf. ibid., p.166, n.283.
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expéditions en Europe. Le travail essentiel des Rois fut d'organiser et de stabiliser leurs immenses possessions et l'idéologie politico-religleuse de la paix et de la protection représente un élément essentiel de cette structuration impérialiste. C'est pourquoi, on pourrait -dans une certaine mesure et en les adaptant aux réalités achéménides- rappeler ici les remarques de G. Duby sur l'arrêt des conquêtes dans l'Europe carolingienne au début du IXe siècle : "La morale retentit encore d'une autre manière sur l'évolution de l'économie: la royauté devint à ce moment pacifique ... Ces réalités matérielles suscitèrent l'avènement, dans le cercle très restreint d'intellectuels d'Eglise qui environnaient l'Empereur, d'une idéologie de la paix: la dilatation du royaume avait fini par réunir quasiment toute la chrétienté latine sous une même autorité, pour réaliser de la sorte la cité de Dieu; la préoccupation première du souverain ne devait-elle pas être désormais de maintenir la paix au sein du peuple? A l'exemple du Basileus, l'empereur ne devait pas songer à conduire des attaques, mais à défendre le troupeau des baptisés contre les incursions païennes. Ces considérations, diffusées par la propagande ecclésiastique, renforcèrent les tendances naturelles qui, par un retournement saisissant, tenaient maintenant sur la défensive les bandes franques si longtemps conquérantes" 12671.
C'est probablement à ce niveau que l'on peut distinguer la rupture majeure introduite par la conquête d'Alexandre et surtout par l'établissement des royaumes rivaux des diadoques, même si la conquête macédonienne s'est déroulée dans une Asie où les réalités de la paix achéménide n'étaient plus ce qu'elles avaient été (2681. Au contraire de celles du Roi achéménide, les qualités militaires du roi hellénistique sont mises en exergue, elles sont privilégiées (269). Les royautés hellénistiques sont nées en effet dans une période de tourmente et de guerres qui imprima sa marque sur les appareils d'Etat nés du démembrement de l'Empire achéménide (2701. La guerre constitua dès lors une réalité quasi permanente des champs et des villages. Les réalités se trouvèrent en contradiction de plus en plus évidente avec l'aspect du roibienfaiteur (évergète) dont le monarque hellénistique prétendait également se
(267) G.DUBY, Guerriers et paysans, Paris 1973, p.127. (268) A noter également les tentatives de reprise en main idéologique, telle que celle que mène
Artaxerxès Il en propageant le culte d'Anàhità : GNOU, loc.cü., p.129. (269) Voir par exemple P.LEVEQUE, La guerre à l'époque hellénistique, dans Problèmes de la guerre en Grèce ancienne (éd. J.·P, Vernant 1, Paris-La Haye 1968, p.261-287, en particulier p.276-282. (270) J'ai étudié ce problème dans mon étude: D'Alexandre le Grand aux diadoques: le cas d'Eumène de Kardia, REA, 1972, p.31-73, et 1973, p.13·81. C'est pourquoi je reste sceptique sur la filiation que propose GNOLI, loc-cu., p.I84, 0.370, entre l'institution monarchique achéménide et l'institution monarchique hellénistique, en partant de la constatation que l'une et l'autre ont pour caractère d'être "personnelle" et "militaire". Ce sont les conditions mêmes de leur genèse et de leur apparition qui ont exacerbé les caractères militaire et personnel des monarchies des diadoques: si filiation il y a, il serait sans doute plus judicieux de faire appel à la royauté macédonienne dans laquelle l'élément militaire -même s'il n'est pas idéologiquement privilégié (cf. mon Antigone le Borgne, 1973.
p.323·327)- est présent et est devenu premier au cours de la conquête de l'Orient.
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parer (271). On peut supposer avec quelque vraisemblance que le niveau de vie des populations rurales se ressentit durement des ravages et des massacres (2721. Ces contradictions expliquent en bonne partie (2731, à mon sens, la genèse souterraine, puis l'explosion de la révolte d'Aristonikos en 133 av.n.è., première grande révolte paysanne menée de manière organisée en Asie: il est non moins important de souligner que cette révolte était elle-même traversée et soutenue par une idéologie religieuse de la justice et de la paix propre aux communautés rurales de l'Asie Mineure (274). L'adéquation idéologique entre dominants et dominés (2751 n'était plus qu'un souvenir. Pierre BRIANT
(271) Il conviendrait là d'opérer des distinctions entre les différentes monarchies hellênistiques, dont certaines [Iagide en particulier mais aussi séleucide pour une part) ont su intégrer des éléments idèolcgi-
ques pré-existants (pharaoniques et babyloniens1.Je mènerai ailleurs. d'une façon plu. argumentée. l'analyse de cette rupture idéologique.
(272) Voir déjà mes Laoi, p.Il6-Il7.
(273) Ibid., p.Il7. (274) Voir en dernier lieu sur ce problème E.S.GOLUBTSOVA. op.cit., p.218-219.
(275) Sur cette notion, cf. supra, p.25.
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APPAREILS D'ETAT ET DEVELOPPEMENT DES FORCES PRODUCTIVES AU MOYEN-ORIENT ANCIEN: LE CAS DE L'EMPIRE ACHEMENIDE par Pierre BRIANT *
U NEte vision historique large du thème de l'Etat impose de prendre en comple cas des Etats monarchiques de l'Orient ancien. Il paraît néanmoins illusoire de proposer une synthèse mêlant des données qui s'étalent sur plusieurs millénaires : le risque serait grand en effet de nourrir la thèse moribonde de 1'« immutabilité asiatique », Mieux vaut prendre un exemple clairement situé dans l'espace-temps historique: en l'occurrence celui de l'Empire achéménide (VIe-Ive siècles avant notre ère), 1 et choisir un axe de réflexion privilégié : celui des rapports existant entre l'affermissement d'un Etat impérial et le développement des forces productives. 2
L'ETAT IMPERIALO-TRIBUTAIRE ACHEMENIDE L'Empire achéménide a été créé par les conquêtes de Cyrus Il (dit « Le Grand' ») (558-529) qui, à partir d'un modeste royaume sis dans le Fàrs, s'est emparé successivement des royaumes mède, lydien et babylonien, et a posé les premiers jalons de la domination achéménide sur le plateau iranien et l'Asie centrale. Son fils Cambyse (530-522) agrégea l'Egypte à ce qu'on doit déjà appeler l'Empire. Enfin, le règle de Darius (522/1-486) est marqué par une no.. professeur d'histoire de l'anuquuè à
rumversuë de
Toulouse Il • le MiraiL
t. Synthèse récente (avec formules parfois paradoxales) paf CI. Herrenschmidl : L'Empfrt pnw 1IdNtNw1ch. dan' Ptt Du· verger (èd.], Le concept d'Empire. Parts. 1980. pp. 69-102. 2. Une première version (assez différenlc) de ce texte parail en allemand masslge AbfollC der Sozialoekonombclw FornwliGDen. Berlin tsous presse).
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dan~
le recueil
OMo Prod_IcII"krl"e . .d d_
~7.
PIERRE BRIANT
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table avancée vers l'Asie Centrale, l'Inde et le Golfe Persique, et par un accroissement de la couverture administrative et tributaire des territoires conquis. La création de l'Empire marque une date importante dans l'histoire du Moyen-Orient ancien: pour la première fois, une seule construction étatique réunit l'ensemble des territoires depuis le Syr-Darya jusqu'à l'Arabie et l'Egypte. depuis l'Égée jusqu'à l'Indus. Les territoires sont divisés en gouvernements provinciaux (les satrapies) dirigés par des représentants directs du Roi, et la terre royale (ou terre tributaire) est surveillée par de multiples garnisons chargées de « protéger» les populations rurales dépendantes soumises au prélèvement tributaire. Pour autant, l'unification des territoires ne fut jamais complète. Bien des pays échappent à l'emprise de l'administration directe. C'est le cas par exemple des populations pastorales ou nomades du Zagros, d'Arabie et d'Asie Centrale, qui sont à la fois dans et hors l'Empire. 3 C'est le cas également des cités grecques de la côte d'Asie Mineure. Par ailleurs, héritier et « fédérateur» des royaumes qui l'ont précédé, l'Empire inclut plusieurs pays qui ont conservé une très forte spécificité: c'est le cas en particulier de l'Égypte (où le Grand Roi est salué comme un pharaon), de la Babylonie, également des satrapies d'Iran oriental (Sogdiane-Bactriane). En bref, le Grand Roi règne partout, mais son pouvoir ne revêt pas partout la même force et ne s'exerce pas selon les mêmes modalités, quelles que soient par ailleurs les mesures qui contribuent à la progression de l'intervention centrale (extension du système satrapique et tributaire, réseau de routes impériales etc.), Il serait néanmoins très exagéré de considérer cette construction impériale comme « un colosse aux pieds d'argile» : à preuve, sa longévité (plus de deux siècles) et la récupération globale des structures impériales par Alexandre le Grand et les rois hellénistiques. 4 Unité et diversité sont deux réalités qui ne s'excluent pas. Bien au contraire, la formation économique et sociale achémènide unit dans une combinaison dialectique très complexe un Mode de Production dominant (le Mode de Production « Asiatique» (MPA) ou « Tributaire» (MPT)) et des modes dé production subordonnés qui participent à la survie et à l'affermissement du mode de production dominant. Par exemple, les sociétés pastorales et nomades d'Arabie et d'Asie Centrale permettent l'établissement de courants d'échanges fructueux avec les mondes « extérieurs» (Arabie du Sud, Inde, Asie Centrale, Sibérie, Chine). De la même façon, les cités grecques - fondées sur la dominance des rapports de production esclavagistes remplissent une fonction essentielle dans l'écoulement des surplus accumulés par l'administration royale à partir des prélèvements tributaires effectués sur les communautés rurales. En d'autres termes, la construction impérialotributaire achérnénide - à l'instar de la construction impérialo-esclavagiste ro-
3. P. Brianl : Etat et hltttln au Moyen-orlRtt Andtn. éd. de la MSH et Cambridae U.P. (sous pRsle).
n,.
4. P. Briant : Alnudre le Grand. deuxième èdtuon Paris. 1977; id, Del Ac.............. rail ~ C.U.IIS et hnB. (BI". et P...........). ÂMali della Scuota Norm. Sup. Pisa. IX...., 1979. pp. 1375-1414 ; éplement P. Uvlque : L'E-.pfre d'Alnandre. dans M. Duveraer. op. cil .. pp. ,103-120.
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APPAREILS D'ETAT. FORCES PRODUCTIVES ET EMPIRE PERSE
Il
maine - suppose et crée une « dialectique complexe entre le singulier et l'universel », s LA « STAGNATION ASIATIQUE» : UNE FICTION Depuis les premiers écrits d'Engels et de Marx, le problème des forces productives a été au centre du débat sur les sociétés « asiatiques ». Il n'est pas utile de reprendre l'analyse historiographique de la discussion sur le MPA (dénommé ici Mode de Production Tributaire: MPT). • On se contentera de rappeler que certaines thèses de Marx sur la « stagnation asiatique » ont été ruinées par les progrès des connaissances. En 1969, J. Chesneaux pouvait écrire à ce propos: « Marx était littéralement hanté, le mot n'est pas trop fort, par le problème de la « stagnation orientale» (MPA. p. 40). Pour M. Godelier, cette idée doit être rangée dans les « parties mortes » de l'œuvre de Marx: « L'image d'une Asie stagnante de façon millénaire dans une transition inachevée entre sociétés sans classes et sociétés de classes, entre barbarie et civilisation, n'a pas résisté aux progrès de l'archéologie et de l'Histoire de l'Orient et du Nouveau monde ... Dans ses formes originaires, le mode de production asiatique signifierait non pas la stagnation, mais le plus grand progrès des forces productives accompli sur la base des anciens rapports communautaires de production et d'existence sociale. Le mode de production asiatique n'implique donc pas nécessairement stagnation et despotisme» (MPA, p. 52). Telle est également la conviction de J. Chesneaux qui écrivait: 7 « Tout d'abord, et c'est là un point fondamental, le mode de production asiatique ne s'identifie pas du tout nécessairement à la stagnation ». et il poursuit (p. 40) : « L'étude des origines de la société « asiatique» doit surtout porter sur le développement des forces productives. Celles-ci accomplissent, semble-t-il, un bond en avant très remarquable », C'est une thèse développée également sur S. Amin dans de nombreuses études consacrées au problème des rapports centre-périphérie dans le monde contemporain. Pour S. Amin, le mode de production tributaire correspond à ce qu'il appelle « le deuxième palier du développement des forces productives ». Il écrit: « Au second palier correspond un niveau de développement des forces productives qui permet l'Etat et en même temps l'exige: c'est-à-dire exige le dépassement de la dominance de la parenté (qui peut subsister mais alors comme vestige soumis à une autre rationalité). Les formes de propriété qui correspondent à ce second palier sont celles qui permettent à la classe dominante de contrôler l'accès au sol agricole et d'extraire par ce moyen un tribut aux paysans producteurs. L'extraction de ce tribut est commandée par la dominance de l'idéologie qui revêt partout la même forme: religion ou quasi-religion d'Etat ». La « stabilité» ou « l'immobilisme» des sociétés tributaires n'est qu'« une apparence trompeuse inspirée par le contraste réel avec le capitalisme ... Fondée sur la valeur d'usage, le mode de production tributaire ne connaît pas d'exigence interne semblable au plan de sa base économique, Et pourtant, les sociétés tributaires ne sont pas immobiles... Elles ont toutes réalisé des 5. Voir M. Clavel-Lèvêque : Irnpérll.lisnH!. développement et: transition: plaraHlê des veNes el ...Ift,..,..,. . . . If rnodèlll..pe. rial romain, La Pensée. n'' 1%. 1977. pp. 10-27.
6. Voir les cahiers du CERM : Sur le mode de production capitBUltes. 1973. Voir également G. Sofri : Il modo dl produzfone:
Ique. 2" éd. 1970 lcilt ici MPAI el Sur ln toeJttn priuee. StOlia dl un. toftlrownl. manW.. 2' ed. Tonna. 1973
7. Ibidem. pp. 22-23.
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progrès prodigieux dans le développement de leurs forces productives, que ce soit l'Egypte, la Chine, le Japon, l'Asie du Sud, l'Orient arabe ou persan, l'Afrique du Nord et le Soudan ou l'Europe méditerranéenne ou féodale. Est-il nécessaire de le préciser ? Des progrès qui n'impliquent pas un changement qualitatif des rapports de production tributaires ». 8
A ce point de la discussion, il convient d'ailleurs de remarquer que la parution en 1957 d'Oriental Despotlsm de K. Wittfogel a sans aucun doute relancé le débat chez les orientalistes marxistes et non-marxistes, car il mettait bien le problème des forces productives en pleine lumière, en particulier dans les sociétés qu'il qualifiait de « despotisme hydraulique », Les critiques qui ont été adressées à ce livre sont nombreuses et variées, on le sait. 9 Il n'empêche que la polémique qui s'est développée à son propos a été historiquement féconde: comme l'a justement écrit G. Sofri : 10 « il n'est pas niable que les recherches de Wittfogel sont de celles qui ont le plus contribué, en ce siècle, au changement de perspective de l'orientalisme, de la philologie traditionnelle vers l'histoire économique et sociale », Mais, cette phase étant dépassée, il convient maintenant de reprendre le problème des forces productives en prenant en compte les progrès réalisés par la théorie marxiste et les apports extrêmement nouveaux de l'histoire du Moyen-Orient du I'" millénaire, tant il est vrai que la discussion sur le mode de production tributaire ne doit pas devenir le monopole des marxologues. Comme l'écrivait si justement J. Chesneaux (MPA, op. cit. p. 43), « le marxisme est une méthode qui permet de tirer un meilleur parti de ces connaissances techniques; mais il ne nous dispense nullement des efforts d'érudition; bien au contraire, il les rend indispensables »,
« STAGNATION ACHEMENIDE» ET « REGENERATION EUROPEENNE»
Chez Engels et Marx, les sociétés orientales prises comme exemples étaient surtout l'Inde, l'Egypte, l'Arabie, la Tatarie. 11 La Perse, citée à plusieurs reprises, était celle de Tavernier et de Bernier, non point celle de Darius et d'Hérodote. Le désintérêt persistant pour l'histoire économique et sociale de l'Asie achéménide résulte de nombreuses causes. Disons que le postulat de la stagnation orientale a joué un rôle important dans cet oubli relatif. A cet égard, comme à bien d'autres (plus positifs), la lecture de l'Histoire de l'Hellénisme de Droysen (I, traduit en français en 1883) est fort instructive. Il souligne en particulier l'ampleur des « succès économiques» d'Alexandre: 8. SocUUt ~..... et ~ dans A,O. Frank. L'~"" ~. êd. Anthropos. Paris. 1978. p~. 306-311-312. Je pri'c'isc que dans l'acCepltoR (qui n'est pu la mienne) du concept de MPT par S. Amin, le mode de production cs-
claVqislc n'est quO
te
une exceplion-Înlcntitiellc. le plus souvent," dans le MPf ; de même. selon lui. le féodalisme CIl «une forme
périphérique ~ du mode de production tributaire. Ici. au ccnnasre. le MPT recouvre asscz exactement ce qu'on entend habituellement sous le sille MPA : l'adoplion de celte formulation reeose pour l'essennel sur des al'Juments qui onl dejl ete exposes (maî!i
non retenus) par J. Chesneaux. MPA, op. cil.. pp. 38-39 et 45. 9. Cf. Avant-Propos de P. Vidal-Naquet qui filure dans le premier linlle de la traduction française: K. Witlfoael : Le De!lpoor".", éd. de Minuit. Paris 1964: éplement G. Sofri. op. cit .. PP. 133-147.
dIMe
10. Op. cil.. pp. 146-147. Il. L. Krader. 1.'he A.u& Modf. 01 produdjœ. Assen. 1975: R.A.L.H. Gunawardana. 1" md... or K. Man. Indian Hist. Rev.• 11/1. 1976. pp. 365-388.
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The....,.
of pn-eolonlal form"lons ln
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« Peut-être sous ce rapport, n'a-t-on jamais vu l'influence d'un homme produi-
re une transformation si soudaine, si profonde et sur une étendue aussi immense ». A la stagnation de l'Asie sous la domination achéménide s'oppose l'expansion économique et commerciale due à la conquête macédonienne. Toute l'historiographie impérialiste occidentale a repris et utilisé ce thème à ses fins propres pour faire d'Alexandre le « rénovateur» de l'Asie: étendant l'agriculture irriguée, ouvrant de nouvelles voies de commerce, fondant des villes, généralisant l'usage de la monnaie. En d'autres termes, Alexandre est présenté comme le premier conquérant venu d'Occident à éveiller l'Asie au progrès économique. 12 Il ne fait guère de doute que celte double conception de la stagnation asiatique et des bienfaits de la conquête européenne a bloqué pendant longtemps toute recherche sur la nature, l'étendue et l'éventuel développement des forces productives au Moyen-Orient sous la domination achémènide. Par ailleurs, pour aborder le problème sur des bases saines, il importe de ne pas perdre de vue que le développement des forces productives n'est en aucune manière assimilable ni réductible aux progrès des techniques de production. 13 En tout état de cause, ceux-ci sont la résultante (complexe) d'une précédente phase de développement des forces productives et d'une évolution des rapports sociaux de production qu'ils contribuent eux-mêmes à transformer. D'autre part, dans des sociétés comme celles de l'Orient ancien en particulier, où la puissance de l'Etat se mesure au tribut levé sur les producteurs paysans directs, les progrès techniques ont été fort lents, voire même inexistants dans certaines régions, dans certaines périodes et/ou dans certains secteurs de la production. En d'autres termes, il m'apparaît que stagnation technique et développement des forces productives sont deux réalités qui ne s'excluent pas nécessairement. L'analyse du procès social de production et/ou des interventions des appareils d'Etat peut en revanche singulièrement éclairer le problème. Encore convient-il de mener de telles analyses au sein d'une formation économique et sociale historiquement située: en l'occurrence le Moyen-Orient dominé par l'Etat impérialo-tributaire achéménide.
LES INCITATIONS DE L'ETAT AU DEVELOPPEMENT DES FORCES PRODUCTIVES HUMAINES A cet égard, il m'apparaît que la caractéristique première des forces productives dans l'Orient achéménide est le primat des forces productives humaines. L'analyse de ces forces productives humaines ne doit d'ailleurs pas être menée seulement d'un point de vue quantitatif (taux de natalité par exemple), mais également (surtout ?) d'un point de vue organisationnel (division sociale du travail, coopération, rapports Etat/communautés rurales, etc.), l:!. P. Briant. Impérialismes antiques et IdioloRie coloniale dans 1. Frllnce conlemporalne: Alnandre Je. Grand, ~ coIonI8l. Dialoglles d'Hi.Hoire Ancienne. Cahier n" 5. 1979. pp. 283-192.
13. Voir l'importante discussion de J.P. Digard. L81KhnolOiie en anlhropoloale: lin ck parcoun ou nouWIIU JOUrIIt '!. L 'Hllmme XIXII. 1979. pp. 73-104.
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De nombreux textes et documents prouvent que la nécessité de dominer et d'exploiter une nombreuse population de travailleurs dépendants était ressentie consciemment par l'administration du Grand Roi. Citons simplement les. textes les plus démonstratifs. Ce sont d'abord les témoignages d'Hérodote (1. 136) et de Strabon (XV.3.11) relatifs aux honneurs concédés par le Roi aux familles nombreuses en Perse proprement dite (Fàrs) : « Les Perses regardent comme un grand mérite d'avoir un grand nombre d'enfants» (Hérodote). « Il faut dire que le Roi encourage les naissances par des primes ou des récompenses qu'il propose chaque année » (Strabon). Cette politique renvoie très clairement au souci royal d'avoir toujours à sa disposition suffisamment de jeunes Perses de l'aristocratie capables de suivre l'éducation traditionnelle qui, elle-même, prépare et conduit aux plus hautes charges de l'administration et de l'armée impériales. Il ne faut aucun doute que la démographie de la Perside (Fàrs) achéménide était florissante, comme en fait foi cette observation d'un témoin oculaire grec (Hiéronymos de Kardia) de la fin du IV" siècle avant notre ère : « Cette région est habitée par les plus belliqueux des Perses, tous des archers et des frondeurs, et sa population est bien supérieure à celle des autres satrapies ». Les informations transmises par Hérodote et par Strabon prouvent que cette richesse en hommes n'est pas seulement explicable par les conditions climatiques favorables du plateau iranien occidental (par opposition à l'étouffante Babylonie), mais qu'elle est due à la mise en œuvre d'une politique nataliste consciente et organisée. Une telle politique n'est pas connue simplement pour permettre la reproduction des cadres des appareils d'Etat. Certaines tablettes de Persépolis récemment publiées prouvent en effet que l'Etat s'intéressait de près au renouveHement biologique des travailleurs dépendants (dénommés Kurtas) assemblés dans le Fàrs. Ces travailleurs - de conditions juridiques et économiques diverses - provenaient de tous les horizons de l'Empire. On doit au passage souligner les continuités évidentes avec la politique de déportation et de transfert de populations menées par les rois néo-assyriens (VIII-VII" siècles avant notre ère), dans le but de regrouper dans les centres impériaux la maind'œuvre (spécialisée) qui y faisait défaut. 14 L'examen des archives de Persépolis laisse apparaître que les femmes kurtàs qui viennent d'accoucher reçoivent une ration alimentaire spéciale, et celle-ci est doublée en cas de naissance d'un garçon. Il paraît difficile de ne pas suivre le commentaire du premier éditeur : « Ces paiements reflètent manifestement un intérêt de l'Etat pour l'accroissement des forces de travail ». 15 Par ailleurs, de très nombreux passages d'auteurs classiques, de Xénophon en particulier, montrent qu'au cours de la conquête du Moyen et du ProcheOrient, le Roi ne perdait jamais de vue la nécessité de reprendre en mains, de remettre au travail les forces de travail agricoles. 16 Avant la conquête de la Ba14. B. Oded : Mua-œpo....lioru and deportet's ln the Nfo.. .yrlan Empire, Wie5~n. 1979; J.N. Pontait! : The EconomIcSlruc:ture of the Alsyrlan Empire, dans M.T. Larsen (èd.}, Power and ProtNlIUldtI: _ .ymposium on A.lldellt Empira. Copenhque. 1979, pp. 193·221.
15. R.T. Hallock: Pel"HlJOlli Fordfkatton T.blets. Chicago, 1969. p. 37. 16. Les citations qui suivent sont extraites de deux ouvrages de Xénophon. la C'!'ropédi, etl'Economiqut.
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bylonie par exemple, Cyrus envoie des éclaireurs qui, à leur retour, lui font un rapport très favorable: le Roi apprend en effet avec une évidente satisfaétion, « que tout le pays était peuplé, et plein de brebis, de chèvres, de bœufs, de chevaux, de blé. et de toutes sortes de denrées », A ses troupes, le Roi ordonne de ne pas massacrer les prisonniers; bien au contraire, il convient de « se rendre maître de ceux qui possèdent ces biens et faire en sorte qu'ils restent chez eux, car un pays peuplé est une richesse d'un grand prix ; vide d'habitants, il est aussi vide de biens ». Mieux vaut donc relâcher les prisonniers et les renvoyer chez eux; en effet, « en les renvoyant, le nombre de nos prisonniers augmentera: si, en effet, nous nous rendons maîtres du pays, c'est tous ceux qui l'habitent qui seront nos prisonniers », Cette formule (Iibèration de prisonniers = augmentation du nombre de prisonniers) n'est paradoxale qu'en apparence: en réalité, elle rend conipte avec une clarté exceptionnelle du contenu de la « dépendance généralisée », condition première de la levée du tribut sur les producteurs. (« Tous ceux qui habitent le pays seront nos prisonniers »), Il convient donc de remettre les populations conquises au travail sans rien changer à leurs formes d'organisation antérieures. D'où le discours que Xénophon prête à Cyrus devant les paysans babyloniens : « ... Vous habiterez les mêmes maisons. vous cultiverez le même sol. vous vivrez avec les mêmes femmes et vous aurez sur vos enfants la même autorité qu'aujourd'hui », En d'autres termes, le maintien des structures familiales et communautaires et la permanence de J'organisation de la production à l'intérieur du cadre de la communauté villageoise représentent aux yeux du conquérant la garantie du maintien des forces productives humaines au niveau existant, ainsi que leur éventuel développement ultérieur: non seulement sur le plan quantitatif [« libération » de prisonniers), mais aussi sur le plan organisationnel (forces productives humaines optimisées par les rapports sociaux et familiaux intracommunautaires). En définitive, la raison fondamentale de ce primat des forces productives humaines est aisée à comprendre, et elle n'est pas spécifique en Orient ancien de la période achéménide: quelles que soient les tentatives (réussies) pour mettre en valeur par l'irrigation des terres restées jusqu'alors parfois incultes (voir ci-dessous), il n'en reste pas moins qu'en dernière analyse, l'effort physique des paysans (hommes, femmes, enfants) au sein des communautés rurales traditionnelles continue d'être la source d'énergie essentielle pour labourer, semer, récolter, engranger et même irriguer et arroser. Tel est bien le sens d'un texte égyptien du Nouvel Empire: «Ce sont les hommes qui produisent ce qui existe; on vit de ce qui est dans leurs bras; quand on en manque, la misère règne », D'où les efforts du pouvoir d'Etat en Egypte (à toutes les époques) pour lutter contre la fuite des paysans; d'où également le recours, en Égypte mais aussi en Orient achéménide et hellénistique, à la solidarité villageoise devant le versement du tribut: ce système permettait en effet à l'Etat d'imposer aux membres de la communauté restant sur place une augmentation de la productivité destinée à compenser l'amoindrissement numérique de la collectivité des paysans soumise à tribut.
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FORCES PRODUCTIVES HUMAINES ET IDEOLOGIES Le poids déterminant des forces productives humaines améne logiquement à s'interroger sur une autre caractéristique fondamentale des rapports sociaux de production dans les formations économico-sociales tributaires: c'est l'importance de la fonction que joue l'idéologie (religieuse) en liaison dialectique avec le développement des forces productives. J'ai déjà eu l'occasion de mener ailleurs l'analyse de la liaison: forces productives/dépendance rurale/idéologies religieuses/appareils d'Etat. 17 Je voudrais souligner ici qu'à mon sens, primat des forces productives humaines et caractère dominant (mais non déterminant) de l'idéologie sont deux composantes indissociables des rapports sociaux de production tels qu'ils fonctionnent au sein du MPT. M. Godelier pouvait écrire: « Font partie des forces productives, et donc des infrastructures, les représentations de la nature qu'une société exploite, la représentation des outils, leurs régies de fabrication et d'usage... La pensée et le langage fonctionnent ici comme éléments des forces productives et donc comme composants de l'infrastructure », 18 C'est une position théorique identique qu'exprime V. de Magalhaes-Vilhena en écrivant: « Forme de la conscience sociale, la science l'est certainement. Mais pas seulement ou pas simplement cela. La science est, pour une part essentielle, directement liée à la production, elle est aussi une force productive. Mais il n'est pas dit pour autant qu'elle n'est rien de plus qu'une activité productrice ou qu'elle ne s'en distingue en rien ». ,. Cette position théorique prend tout son efficace, me semble-t-il, dans l'analyse d'une société dont le développement est fondé sur le recours premier aux forces productives humaines. Dans l'Empire achérnénide, la ponction tributaire dépend de la quantité de travail fournie par les paysans dépendants : mais l'ardeur au travail de ceux-ci, la productivité de leur effort si l'on veut, à quelles règles, à quelles motivations, à quels impératifs obéit-elle, en dehors de la fonction que l'on doit légitimement reconnaître à la contrainte militaire? zo Pourquoi des millions de paysans groupés dans leurs communautés de village acceptent-ils de verser une quote-part de leurs récoltes à une petite couche de conquérants exploiteurs? Il n'est évidemment pas aisé de répondre à des questions qui plongent au plus profond de l'inconscient collectif: c'est, je crois, une analyse des rapports travail/idéologie qui peut permettre de proposer des éléments de réponse. Certains livres de l'Avesta présentent l'exemple remarquable d'un texte religieux (iranien) dont la logique (ou plutôt une des logiques) profonde(s) est de susciter le développement des forces productives, en particulier des forces 17. Forces productives. d.ndlllKe ru..... et ldéoloaln Besançon-Paris. 1980. pp. 16--68.
~lllieu!lel
dans l'Empire .. hérnénide. dans Relif(ionlPOIH'oirIRappnrt.f
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CilUH,
18. Raison présente. 1. 37, 1971. p. 67. 19. Essor scienllflque et tfthnlque et obIlKles SŒlaux • la fin de l'Antiquité. Hetikan. 1971-1972. pp. 12o-16.li (12()'1211.
20. P. Briant: Conlnlnle mllltaJre. dépenchance rurale el exploUanon des terrirohu en A.sie ..himénlde. tnâex. Napoli. 8, 1978-1979, pp. 48-98.
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productives humaines. La vie des paysans y est réglée autour de trois préceptes fondamentaux: travailler/produire/se reproduire. Le travail et la productivité - au sein de la communauté villageoise - apparaissent bien comme les. conditions premières de l'accomplissement humain et religieux, personnel et collectif, des paysans. On peut ainsi admettre qu'en agissant sur leurs capacités de producteurs, l'idéologie religieuse avestique peut être considérée comme fonctionnant dans l'ordre « infrastructurel » des forces productives qu'elle contribue puissamment à développer. Cette idéologie religieuse paysanne recèle un efficace d'autant plus grand qu'elle est en symbiose parfaite avec l'image que les appareils idéologiques de l'Etat central donnent la fonction du Roi dans l'Empire et dans le Cosmos. Le Roi est donné à voir en effet comme le protecteur des terres cultivées et des paysans: il est le mainteneur de la paix, paix qui permet aux producteurs directs de vouer toute leur énergie à mettre la terre en culture et par là-même à rendre grâce à la gloire d'Ahurah-Mazdah, ou aux dieux locaux, assimilés ou confondus fréquemment avec le grand dieu de l'Etat achéménide. Comme dans l'exemple des Incas pris par M. Godelier, « l'idéologie religieuse n'est pas seulement la surface, le reflet fantasmatique des rapports sociaux. Elle constitue un élément interne du rapport social de production, elle fonctionne comme une des composantes internes du rapport éconornico-politique d'exploitation de la paysannerie par une aristocratie détentrice des pouvoirs de l'Etat », Par ailleurs, élément interne du rapport social de production, l'idéologie fonctionne également et non contradictoirement comme masque et justification du processus de domination. Comme l'a en effet justement souligné S. Amin, 21 « dans tous les modes de production pré-capitalistes, la génération de l'emploi de surplus sont transparents. Les producteurs ne peuvent donc accepter la ponction de ce surplus que s'ils sont « aliénés» et croient celle ponction nécessaire pour la survie de l'ordre social et « naturel ». De la même façon, dans les terres contrôlées par l'administration tributaire achéménide, où l'idéologie de la paix et de la protection justifie la perception d'un tribut sur les masses paysannes. En effet, l'ensemble de la documentation tent à représenter sous la forme d'un échange égalitaire et contractuel les rapports d'exploitation imposés par l'Etat impérial sur les communautés de base. Le Roi offre aux paysans la sécurité et la médiation divine; les seconds - « en retour » - lui doivent tribut et obéissance. La croyance générale - établie bien antérieurement aux Achéménides - dans les fonctions biologiques du Roi 22 et dans ses capacités à être le lien entre le monde du travail agricole et le monde divin pouvait être d'autant plus opératoire qu'elle se moulait avec aisance dans des structures organisationnelles et mentales très anciennes. Il y eut par exemple assimilation entre une Anahita, déesse iranienne de la fertilité et des eaux, et des divinités locales, en particulier la Grande Mère que l'on retrouve sous des formes diverses de l'Anatolie à "Asie Centrale.
21. Le développemenl Înt-gal. Essai sur les formallons soclaks du capU.Usme peripherique. Pam. 1973. p. 19 22. Voir l'étude de 1. ganu dans MPA. op. cil" pp. 285-.308.
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ET AT ACHEMENIDE ET POLITIQUE DE L'EAU Plusieurs tex tes - classiques et iraniens - ainsi que des témoignages archéologiques rendent compte avec force de l'intervention multiforme de l'Etat dans un secteur qui a toujours tenu une place centrale (et excessive) dans les discussions sur les sociétés «asiatiques»: les travaux d'adduction d'eau et d'irrigation. Deux textes grecs, l'un d'Hérodote, l'autre de Polybe, sont particulièrement importants à cet égard. Je ne reviendrai pas ici de façon analytique sur des textes que j'ai eu l'occasion de commenter en détail ailleurs. 23 Je voudrais plutôt proposer quelques réflexions sur les modalités et les implications des interventions des appareils d'Etat dans ce secteur de la production. L'extension de l'agriculture irriguée n'implique pas obligatoirement un bouleversement dans les techniques de construction des ouvrages, grands ou petits. Il est fort important de constater au contraire que les Achéménides ont su faire fonctionner à leur profit des ouvrages existants et/ou su développer des techniques antérieures. 1) - C'est d'abord bien entendu le cas des travaux d'irrigation dans la vallée du Nil où la conquête perse n'a pas apporté de modification perceptible; de même, dans les régions babylonniennes où l'administration achéménide a poursuivi l'œuvre de ses prédécesseurs. Un texte d'Hérodote (1. 189) montre par exemple que dès le début de la conquête, Cyrus prit des mesures propres à étendre le réseau de canaux dans le bassin de la Diyala. Hérodote écrit en effet: « ... Cyrus divisa son armée en deux parties et, ainsi divisée, la disposa en lignes, indiquant par des cordes tendues sur chaque rive du Gyndès le plan de 180 tranchées orientées en tout sens; puis, les troupes mises en place, il leur ordonna de creuser ».
En cela, Cyrus poursuit l'œuvre des rois néo-babyloniens, comme l'indiquent également les recherches de R. Mc Adams et de H.J. Nissen sur Je territoire d'Uruk: « Il est tout à fait possible que l'introduction de ce nouveau modèle (« pattern ») implique un élément considérable de planification centralisatrice et d'organisation des forces de travail », 2. Comme à des époques antérieures, des milliers de paysans babyloniens sont requis pour curer les canaux. L'entretien et la gestion des canaux et réservoirs sont confiés à des fonctionnaires royaux qui peuvent « louer l'eau royale» à une entreprise privée, la « banque» des Murashû. " La conquête achéménide n'aboutit donc pas obligatoirement à la mise en valeur de régions autrefois incultes: il faut se défaire en l'espèce d'un schéma simplificateur - appliqué depuis des décennies à la conquête macédonienne - schéma unissant mécaniquement conquête et progrès de la « Civilisation ». Le texte d'Hérodote relatif aux travaux d'irrigation menés dans la Chorasmie antique montre de façon éclatante qu'avant la conquête perse - qui fait de la 23. Communautés rurales. forces productives et mode de production tributaire en Asie achêmênlde, Zamân. Paris. 2-3, 1980. pp.
7~-IOO.
24, The Uruk countryslde. The n.tunll seUloR of urblln sodetle. Chicago-London. 19n. p. 57 2~.
M. Stolper: Man.aemenland PoUtlnln laler Achaemenld a.bylonl•. diss. University of Michigan. 1974. 1. pp. hI·8f1.
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région une « terre royale» l'irrigation était déjà pratiquée: ce qui, d'ailleurs, est amplement confirmé par les fouilles soviétiques en Turkménie méridionale. En l'occurrence, - si l'on suit la logique de la présentation d'Hérodote -, la conquête aboutit à la mise en place d'une administration satrapique perse: la terre est dénommée « terre royale» (i.e. tributaire). Le texte d'Hérodote montre que c'est moins au niveau technique que dans le rapport forces productives/rapports sociaux que joue historiquement l'initiative du pouvoir central. En effet, la conquête a abouti à une spoliation des communautés de base qui, avant la conquête achéménide, avaient su construire de petits ouvrages: la mise en œuvre sous l'égide de l'Etat d'ouvrages beaucoup plus importants rendit inopérants les ouvrages locaux, et en même temps elle utilisa des techniques locales. Dans ces conditions, la conquête perse, accompagnée de la construction d'une vaste retenue d'eau, rendit les communautés locales (quelles qu'aient été leurs formes) entiérement dépendantes du bon vouloir du Roi, ce que rend admirablement Hérodote en écrivant: « les habitants se rendent chez les Perses, eux et leurs femmes, et, se tenant aux portes du Roi, ils se lamentent à grands cris: le Roi ordonne alors d'ouvrir, pour ceux qui en ont le plus besoin, les écluses allant de leur côté... », Dans une certaine mesure, on peut considérer que l'édification d'une vaste retenue d'eau traduit un saut non seulement quantitatif mais également qualitatif des forces productives, L'important me semble surtout résider dans le fait que l'intervention du « haut commandement économique» modifia les rapports sociaux de production, Avant la conquête, en effet, les petites communautés de base avaient un accés direct à l'eau d'irrigation captée de leurs mains: désormais, au contraire, elles durent verser une taxe spéciale - en sus du tribut proprement dit pour utiliser une eau qui, comme la terre, est devenue royale: à travail égal, la part de l'effort humain consacrée à la reproduction biologique des paysans fut donc amputée d'un pourcentage représenté par le tribut et par la taxe sur l'eau. Autrement dit, dans ce cas précis, la main-mise royale sur la terre et sur l'eau permit une exploitation sans précédent des dépendants ruraux, à l'intérieur d'un mouvement historique plus ample, à savoir l'extension du mode de production tributaire, qui implique le contrôle immédiat des moyens de production par l' « unité rassembleuse ». 2) - La non-concomitance entre innovation technique et développement des forces productives apparaît également avec une force singulière dans le texte du Polybe (X. 28) relatif au forage de qanats sur le plateau iranien (ParthieHyrcanie). 26 Dans ce cas également, la technique a été mise au point bien antérieurement à la conquête achéménide. Qui plus est, l'Etat central n'intervient même pas pour rassembler une immense force de travail qui, en revanche, est indispensable à la construction et à l'entretien des canaux. En effet, les travaux de forage des qanats sont décentralisés au niveau des communautés de base et effectués par des spécialistes (les moqanis). « L'instrument de forage est simple et millénaire: un pic d'abattage à manche court, un 26. H. Goblot : Les qanats. Une technique d'8CqulsUlon de
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"qU,
Paris-la Haye. 1979
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sac en peau de mouton, une corde longue, un treuil en bois facilement démontable, deux lampes (... ) » : on a là « l'exemple assez frappant d'un développement technique basé beaucoup plus dans le « souvenir » que par la « seule métamorphose de l'instrument technique» pour reprendre l'expression dt Gramsci. 27 Il n'en reste pas moins que cette politique de colonisation agraire - à laquelle fait allusion Polybe - aboutit à des résultats sensiblement analogues du point de vue de l'Etat achéménide : - les terres conquises sur l'aridité sont déclarées « royales » : seule en est concédée la «jouissance» (et non pas la propriété) aux paysans qui ,consacrent « de rudes dépenses et de durs travaux » (Polybe) au forage des qanats ; - de nouvelles communautés agricoles sont implantées sur les terres neuves qui, auparavant, étaient d'un rendement tributaire nul; - tous les investissements humains et techniques sont fournis par les « colons » ; bien que le Roi leur concéde en retour des avantages (exemption de la taxe sur l'eau), l'administration centrale n'en recueille pas moins, sous forme de tribut et de taxes diverses, des profits considérables. En l'occurrence, l'intervention de l'Etat s'est faite selon les modalités suivantes: - incitations matérielles données à des artisans locaux et à des populations rurales à venir construire des qanats et des villages sur le plateau iranien; - mise en œuvre d'Un savoir technique local; - déplacement de populations. Il me semble que cet exemple confirme que l'important, c'est moins la forme d'une technique que les conditions historiques qui ont permis et favorisé sa mise en œuvre et son développement. 3) - Les campagnes de prospection menées entre 1974 et 1978 en Bactriane orientale (Afghanistan) par une équipe du CNRS dirigée par J.e. Gardin ont permis de mettre en évidence que les travaux d'adduction d'eau et d'irrigation (parfois gigantesques) qui y furent menés dans l'Antiquité ne doivent pas être attribués au « miracle grec» : 28 la colonisation macédonienne ne constitue « aucunement un défrichement des terres vierges, mais plus modestement une extension des surfaces cultivées obtenues par des techniques d'irrigation déjà pratiquées de longue date par les habitants du pays », Le début des travaux lui-même n'est pas non plus contemporain de la conquête achéménide : la conception du système remonte à la seconde moitié du III" millénaire. L'ampleur et la hardiesse des travaux ont conduit les archéologues à penser qu'une telle maîtrise « témoigne d'une maîtrise politique » : « On ne se jette pas dans une pareille aventure, en quelque temps que ce soit, sans avoir l'assurance que l'on pourra mobiliser la main-d'œuvre nécessaire, l'entretenir pendant la durée des travaux (certainement plusieurs années) et régler ensuite par des voies autoritaires les inévitables différends liés à l'entretien du canal [de l'Age du Bronze] ou à la distribution de l'eau ». 27. B. Montazami : De la multl(Oft(lionnIIlUé de l'HWeloaie: rituels m,.ltlqUft. rapporu de proprlétt et InstrulMlltl de 1... "all, Za-
mân 2.), 1980, pp. 65-84. 28. Dernière mise au point par J.c. Gardin et B. Lyonnet : La prospection ardtéolollque de lai klrlane orimtale. 1974-1978: premiers résultats. Mesopotam;Cl XIII-XIV, 1978-1979. pp. 99·IS4.
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Dans ces conditions, se trouve posé le problème de l'intervention de l'administration centrale achérnénide dans le développement très notable des réseaux de canaux à l'époque « pré-hellénistique », En l'état actuel de la documentation, les éléments de réponse ne peuvent être proposés qu'avec prudence. J.C. Gardin, quant à lui, émet de fortes réserves sur l'hypothèse « d'une contribution du génie ou du pouvoir perse à :a mise en valeur des terres... ». Il est vrai que les techniques elles-mêmes doivent être attribuées « à un savoir-faire proprement bactrien, fondé sur une longue tradition de l'irrigation artificielle en Asie Centrale ». Cette observation est parfaitement fondée, mais elle ne résout pas, à elle seule, le problème de l'intervention du pouvoir centraI : les exemples évoqués plus haut montrent en effet qu'il n'y a pas obligatoirement contradiction entre le rôle du pouvoir central (satrapique) et la permanence des techniques et des techniciens locaux; les savoirs techniques locaux sont (ou peuvent être) intégrés à l'appareil d'Etat central et contribuer à son affermissement. Il est vrai aussi que les satrapies est-iraniennes de l'Empire, héritières d'un long passé bactrien autonome, ont toujours conservé de très fortes spécificités socio-culturelles. On soulignera en particulier que nombre de territoires sont dominés par des « seigneurs» locaux (les hyparques) qui lèvent tribut sur les paysans dépendants, et qui peuvent constituer des contingents militaires dont ils conservent le commandement. Il est néanmoins excessif de supposer que la conquête achéménide a été sans effet: la Sogdiane et la Bactriane réunies forment une satrapie dirigée par un homme nommé par le Roi; les maîtres de l'Empire ont fondé plusieurs villes royales et ont certainement disposé des garnisons royales : une partie du tribut levé par les hyparques était certainement reversée au Trésor Royal; en temps de guerre, les hyparques doivent mener leur contingent au satrape qui les met sous les ordres du Grand Roi et de ses généraux etc. Il n'y a donc pas forcément une contradiction irréductible en tre le pouvoir du Grand Roi et la puissance des maîtres locaux : ceux -ci ont pu collaborer avec celui-là, même si les structures socio-politiques « bactriennes » leur donnaient des facilités notables pour s'affranchir, même temporairement, de l'emprise du pouvoir central. Même si certains travaux d'hydraulique ont été (probablement) lancés à l'initiative des maîtres bactriens, il n'en reste pas moins que: a) certains programmes particulièrement ambitieux ont pu également être menés à l'initiative des représentants satrapiques du pouvoir central; b) celui-ci recueillait de toutes façons - sous forme de tribut - une partie des bénéfices liés au fantastique investissement en forces de travail. Le cas bactrien ne peut pas pour autant être purement et simplement assimilé aux exemples précédemment évoqués: il n'y a pas un " modèle de développement» qui serait repérable de l'Asie Centrale, de la Méditerranée à l'Indus. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement dans une construction impérialo-tributaire à l'intérieur de laquelle les différents pays avaient atteint des niveaux de développement différenciés au moment même de la conquête achéménide ? Au surplus, comme on l'a déjà souligné, la conquête n'a pas mécaniquement conduit à l'absorption par le MPT (MPA) des divers mo-
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des de production (maintenant « subordonnés » selon des arrimages et articulations complexes et diversifiés). D'ailleurs, la documentation écrite disponible montre bien qu'au moment de la conquête macédonienne (330-327 avant notre ère), les sociétés est-iraniennes (qui empruntent certains traits externes d'une société féodale) ont conservé leurs caractères originaux: ce qui ne veut pas dire - à l'inverse - que les appareils d'Etat achéménide n'y tenaient qu'une place négligeable. ETAT CENTRAL ET « HAUT COMMANDEMENT ECONOMIQUE»
En tout état de cause, les éléments présentés ici montrent qu'on ne saurait sous-estimer la fonction de « haut commandement économique» qu'a jouée l'Etat achéménide dans l'histoire du Moyen et Proche-Orient du premier millénaire. Ce d'autant que d'autres secteurs pourraient être exposés, tels que (par exemple) : l'acclimatation en Asie Mineure de plantes originaires de Syrie du Nord; la mise en place, à partir d'éléments pré-existants, d'Un réseau de voies impériales géré de façon minutieuse; la mise en eau par Darius d'un canal du Nil à la Mer Rouge, à partir d'un modèle déjà réalisé par le pharaon Néchao; les déplacements de populations à l'échelle de l'Empire et l'utilisation des compétences spécifiques de chaque pays; l'organisation rationnelle de l'espace impérial et des populations rurales... Dans de nombreux secteurs et activités, les Achéménides recueillent l'héritage des royaumes antérieurs, en particulier celui de l'Empire assyrien. Il n'en reste pas moins que le développement des .forces productives au Moyen-Orient achéménide n'est pas mécaniquement lié à l'introduction de nouvelles techniques de production, il est dialectiquement lié à la constitution d'un puissant appareil d'Etat qui a pu coordonner et impulser les savoirs locaux au profit de l' « unité rassembleuse ». Il serait donc réducteur de ranger les appareils d'Etat dans des « superstructures » qui seraient schématiquement distinguées des « infrastructures » : les appareils d'Etat fonctionnent dans les unes et dans les autres en même temps qu'ils les font fonctionner à leur profit, grâce à un effort organisationnel plus que technique. C'est cette réalité - en partie projetée dans le fantasmatique - qu'exprime la « Charte de Fondation» du palais de Suse sous Darius : ce texte constitue « une démonstration de propagande sur les vastes ressources en matières premières et en forces de travail humaines de l'Empire et une glorification de son maître, une carte éloquente de la richesse et de la variété du Cosmos achéménide ». 29 L'utilisation coordonnée des ressources techniques et humaines de l'Empire va de pair avec la stratégie idéologique qu'on a pris l'habitude malheureuse de baptiser « tolérance religieuse» des Achéménides. Ceux-ci, en effet, savaient à la fois imposer une idéologie unitaire et universaliste autour du Grand Roi et autour d'Ahurah-Mazdah, ,d' Anahita et de Mithra, et 'récupérer, laisser vivre et utiliser des idéologies religieuses locales, pour autant que celles-ci contribuent à l'affermissement de celle-là. Dans tous les cas, les différences
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c.
Nylander : dans Ad.- lrankll. Monumentum 8.S. Nybe.... 197.5. pp. 317·323
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sont tolérées, voire utilisées dans la mesure qu'elles participent (d'une manière ou d'une autre) au pouvoir et au prestige du Grand Roi. C'est la combinaison dialectique forces productives/rapports sociaux/appareils d'Etat/idéologies qui donne sa spécificité au mode de production tributaire dans l'Empire achérnénide. De cette intégration dialectique, les paradis sont comme la représentation idéelle et concrètement fixée dans le paysage. Modèles de développement des forces productives sous l'initiative du Roi, les paradis représentent également des « vitrines idéologiques» par l'image de la puissance fécondante du Roi qu'ils donnent à voir aux populations tributaires de l'Empire. Oasis de verdure (utilisation de l'irrigation dans un plat-pays aride), ilôts de productivité maximum (utilisation optimisée de la dépendance rurale), havres de paix (interdiction des ravages), les paradis sont également des lieux d'entraînement à la guerre pour la noblesse dirigeante (chasse). Mais il n'y a pas contradiction entre la paix et l'entraînement guerrier, pas plus qu'il n'y a opposition entre les fonctions militaires du Roi et ses fonctions de protecteur de la campagne et des paysans. Ahurah-Mazdah, de son côté, est le dieu qui conduit le Roi à la victoire sur les faux rois et les « menteurs» (rebelles) et qui étend la paix et la justice dans ses Etats. La distinction opérée par les textes entre les fonctions militaires de l'ethno-c1asse dominante et les fonctions productrices des populations tributaires véhicule une idéologie qui masque en même temps qu'elle fait fonctionner les rapports de domination entre Guerriers et Paysans: la paix procurée par le Roi, Ahurah-Mazdah et les troupes d'occupation permet le travail des paysans et donc la levée du tribut. En définitive, il serait tout à fait erroné de continuer à considérer que la domination achérnénide a plongé le Moyen-Orient dans la « stagnation économique » ; contrairement à ce que pouvait écrire Droysen, l'Etat achéménide ne peut être assimilé à un « vampire» qui aurait « sucé les forces des peuples de l'Empire ». Les prélèvements tributaires n'ont pas été entièrement immobilisés par la thésaurisation royale (Olmsteadt), JO et Alexandre ne doit pas être considéré comme le rénovateur d'une Asie stagnante. Bien entendu, il convient de ne pas substituer une thèse du « miracle achéménide » à celle du « miracle grec ». Les Achéménides s'insèrent dans la longue durée orientale. Il n'en reste pas moins que la création d'un Etat impérial unitaire a ouvert une phase nouvelle dans l'histoire des formations tributaires du Proche et du Moyen-Orient de l'Antiquité.
JO. Cette thèse de Olmsteadt a été ruinée par les analyses de M. Srclper, op. cil.. pp. 200-210.
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SOURCES GREÇQlJ.ES ET HISTOIRE ACHEMENIDE 1. PROBLÈME: LA
CIRCULATION DES INFORMATIONS ET DES
TÈMOIGNAGES La démonstration globale de l'importance des sources grecques comme documentation d'histoire achéménide n'est plus à faire, même si, ponctuellement, chaque témoignage grec doit être passé au crible de la critique et doit être soumis, en particulier, à un minutieux décryptage idéologique (1). Il serait donc peu efficace de consacrer l'espace disponible au problème des déformations apportées par les auteurs grecs aux réalités achéménides. Non pas que le problème soit inintéressant ou réglé définitivement, mais souligner les limites (indéniables) et les risques [réela] de l'utilisation des textes grecs ne clôt pas la discussion. Somme toute, le récit d'Hérodote (111.6188) sur l'avènement de Darius constitue un document d'histoire achéménide tout autant que le récit autobiographique de Darius: l'un et l'autre appellent, de la part de l'historien, la même vigilance critique. Quant à l'argument d'autorité selon lequel les sources grecques n'ont plus rien à dire sur l'Empire achéménide, il procède d'une conception singulièrement étroite du rôle de l'historien. Faut-il redire ici qu'un texte souvent lu n'est pas un document "épuisé" ? Un document ne parle que pour autant qu'on l'interroge. Si on lui pose toujours les mêmes questions, les réponses seront également invariables. Observation vient d'en être faite par C. Nylander (2) à propos des reliefs de Persépolis: ces documents iconographiques, scrutés depuis des décenies, peuvent néanmoins aujourd 'hui être considérés comme une "source neuve", car de nouvelles questions ont été posées à partir d'une problématique el d'une méthode d'analyse renouvelées. Il en est de même des documents littéraires, et de nombreux exemples de relectures de textes grecs réputés "épuisés" pourraient être produits. Pour employer une formule à l'emporte-pièces, ce sont parfois moins les sources elles-mêmes que les capacités d'interrogation des historiens qui sont menacées d 'épuisement. Ces prémisses étant posées, il a paru plus fécond de limiter le champs d'analyse et de réflexion à un type de problèmes: à savoir la nature, la provenance, la 0) Cf. P. BRIANT, Des Achéménides aux rois hellénistiques. Continuités et ruptures. !Bilan el propositions), ASNP IX/4 (979) : 1375-1414. (2) Achaemenid Imperial Art, dans M.T. LARSEN Ied.], Power and PmpaKanr/a. A symposium.1U
Ancient Empires, Copenhague (979) : 345-359.
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circulation et l'utilisation des matériaux achéménides par les auteurs de langue grecque des Ve et IVe siècles (3). Ont·ils pu avoir accès à des documents officiels achéménides ? Ou bien, pour employer une terminologie qui élargit le champ d'investigation, ont-ils capté des signaux informatifs émis à partir des territoires achéménides 't Si oui, comment les ont-ils reçus, traités, transmis et!ou occultés ? Dans quelle mesure le repérage, dans un texte grec, de signaux achéménides, permet-il de lui accorder une crédibilité supplémentaire? Telles sont les questions qui ont suscité des réflexions qui n 'ont d'autre objectif que d'attirer l'attention des historiens sur un cas particulier mais exemplaire d'entrecroisements de témoignages et de documents.
2. LE POIDS DE L 'HISTOIRE ORALE 2.1. La collecte des témoignages Une première observation s'impose dès l'abord: sous le terme de "document", on ne peut pas entendre seulement textes d'archives ou Annales royales. Il convient également de se référer. aux témoignages visuels et oraux collectés par les auteurs grecs dans leurs cités ou!et au cours de leurs voyages dans l'Empire ou de leurs séjours à la Cour. On ne saurait en effet, sans grave dommage, sous-évaluer, encore moins oublier, la part de la transmission orale dans les civilisations grecque et orientales (4), Un texte de Polybe (X.28 ; voir ci-dessous 3.3.) témoigne par exemple que pendant deux ou trois siècles, les habitants de l'Hyrcanie s'étaient transmis de génération en génération le texte (ou le contenu) des mesures prises par l'administration achéménide ("selon une tradition véridique qui s'est transmise parmi les habitants"] ; il est vrai que ces mesures avaient signifié la naissance même de ces communautés rurales au débouché des qensts ("Les Perses concédèrent pour le temps de cinq générations le droit de cultiver les terres jusque-là arides à ceux qui .parviendraient à les irriguer"). Ce texte, en même temps, rend compte des limites de la transmission orale (" ...de nos jours [fin Ile s.av.n.è.] ceux qui utilisent cette eau ne savent plus où commencent ces canalisations"], On sait d'ailleurs que les édits des Grands Rois circulaient non seulement sous forme écrite, mais aussi qu'ils étaient largement diffusés dans les populations de l'Empire par des proclamations publiques (Chron. 36.22 ; Esdras 1.1. ; Hérodote III. 61-63,67). Il en était de même certainement de nombreuses anecdotes rapportées de la Cour par des voyageurs grecs et!ou par des nobles perses sur les faits et bienfaits du Grand Roi : on songe en particulier aux historiettes relatées par Elien dans ses Histoires Variées (1.21-22 ; 31·34 ; II.14,27 ; VI. 7 ; IX.42 ; X.20 ; XII.40,42,62). N'oublions pas non plus le rôle des conteurs dans la diffusion de récits populaires dans tout le Moyen-Orient (5), ou celui de ceux que R.N. Frye nomme les "ménestrels" dans la popularisation des (3) A une exception près (cf. § 2.1 et 3.3), les témoignages postérieurs à la conquête d'Alexandre n'ont pas été utilisés, car la conquête et la prise de pouvoir macédoniennes modifient la problématique. Pour les mêmes raisons, on n'a pas pris en compte les oeuvres polémiques athéniennes. (Ce serait là un autre sujet). (4) Voir maintenant O. LONGO, Techniche della communicBzione nella Grecia antiea, Naples (198]). (5) Voir E. BENVENISTE, La légende de Kombastos, Mél.Dussaud 1 (1939) : 249-258.
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légendes liées aux origines de Cyrus (6), bien que leur intervention soit en général difficile à saisir dans le détail: l'exemple de la lutte de Darius contre Bardiya/Gaumata semble bien indiquer en tout cas que le pouvoir politique savait éventuellement utiliser les thèmes folkloriques pour répandre de fausses nouvelles dans le peuple perse (7). Parmi les informateurs qui circulaient largement dans toute l'Egée orientale, on fera une place spéciale aux marchands, tel cet Hérôdas de Syracuse (mis en scène par Xénophon, Hell. 111.4.1) qui, voyant les grands préparatifs navals perses lors de son séjour à Tyr, "monte sur le premier navire en partance pour la Grèce et vient faire son rapport à Lacédémone". Il convient en effet de rappeler que de très nombreux Grecs ont voyagé, combattu, travaillé en grand nombre au Proche-Orient sous domination achéménide, et que chaque Grec de retour au pays était un informateur en puissance, et que les plus influents d'entre eux (exilés politiques, ambassadeurs, chefs de mercenaires) pouvaient rapporter des témoignages oraux et visuels sur la Cour du Grand Roi. La collecte des informations orales dans les cités grecques d'Asie Mineure était particulièrement aisée, tant les Iraniens étaient nombreux dans les villes et campagnes d'Ionie, de Phrygie, de Lydie ou de Lycie (8). Des liens étroits rapprochaient souvent grandes familles perses et aristocraties grecques. Un passage de Plutarque (Lysandre 3.3) fait sentir combien une ville comme Ephèse, par exemple, était un lieu de rencontres privilégié entre les Grecs et les Perses : certains renseignements sur le culte d'Artémis d'Ephèse confirment l'attirance que jouaient la ville et le sanctuaire sur les nobles iraniens des cours satrapiques (9). Il est probable que de génération en génération les grandes familles grecques se transmettaient des récits sur la conquête perse de 546. En même temps, nul mieux qu'un Grec d'Asie Mineure n'était en mesure de recueillir la tradition orale des grandes familles perses installées en Anatolie depuis Cyrus ou Darius (10). Par ailleurs, les cours satrapiques reconstituaient dans les provinces le modèle royal (cf. Xénophon, Cyr., VIII.6.10.10-14) ; certains reliefs sculptés de Xanthos de Lycie se rapprochent étonnamment de certaines frises de Persépolis ; c'étaient souvent à des artistes grecs que les Perses faisaient appel pour graver des reliefs OU des gemmes sur des sujets typiquement perses dans leur inspiration... Bref, les Grecs d'Asie Mineure avaient un accès privilégié aux documents et aux messages oraux et visuels émanant des Perses eux-mêmes. Ce n'est pas un hasard si la quasi-totalité des auteurs des Persika sont issus des cités asiatiques : Milet [Hécatée, Dionysos), Lesbos [Hellanikos}, Lampsaque (Charon), Colophon [Dinon}, Cnide [Ctésias], Halicarnasse (Hérodote)... (6) R.N. FRYE dans Irsnics Antiqua IV (1%4) : 44-45; cf. également P. BRIANT. Forces produetives, dépendance rurale et idéologies religieuses dans l'Empire achéménide, dans ReligionslPouvoirs/Rapports sociaux, Paris (1980) : 16·67 (p.Sl ). Voir aussi P.R. HELM dans Iran XIX (1980) : 85-90. (7) Cf. H. TADMOR-E. BICKERMANN dans Athenaeum 1978 : 239-261. (8) Sur les Iraniens en Anatolie, il faut consulter les études (malheureusement très dispersées' de L. ROBERT (Cf. P.BRIANT, Idéologies religieuses : 33·46). (9) Voir E. BENVENISTE, Titres et noms propres en iranien ancien, Paris (1966) : 108-115. Parmi les textes anciens, cf. THUCYDIDE VIII.105 et XENOPHON, Hell. 1.2.6. (10) Voir R. DREWS, The Greek Accounts of Eastern History (1973) ; 7.
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Selon son abréviateur Photius (§ li, Ctésias "prétend avoir vu de ses propres yeux la plupart des faits qu'il rapporte ou les avoir entendus des Perses eux-mêmes quand il n'en a pas été le témoin direct; c'est d'après ces sources qu'il aurait composé ses histoires". De son côté, Hérodote affirme très clairement et très souvent (Cf. II. 91) qu'il a utilisé son propre témoignage visuel, ses réflexions et ses enquêtes, mais également des témoignages oraux. Il donne parfois le nom même de son informateur (lX.15-161. Parfois aussi, il émet des réserves sur les informations qu'il reçoit oralement: ainsi les témoignages des prêtres d'Egypte (11.123), qu'il compare parfois à ceux des Grecs (III.16,30,32). Qu'Hérodote ait interrogé des Perses sur l'histoire de leur nation, c'est tout-à-fait certain: parfois, il oppose plusieurs versions perses du même événement (1.95; 1.1401. Il a certainement fait des enquêtes chez des familles perses d'Asie Mineure, et il a pu interroger à Athènes Zopyros qui s'est exilé en Grèce vers 441 (lI). De même, dans le long récit qu'il donne de l'avènement de Darius, il paraît évident qu'une partie de la relation transmet les traditions orales des familles perses qui avaient aidé Darius à s'emparer du pouvoir (l2).
2.2. Histoires orales et histoire L'utilisation effrénée des témoignages oraux ne laisse pas de mettre l'historien dans l'embarras, car la dépendance des auteurs anciens est quasi-totale par rapport à des informateurs qui, bien souvent, étaient impliqués (directement ou indirectement, personnellement ou collectivement] dans l'événement relaté. La critique interne opérée par l'historien d'aujourd'hui peut lui permettre de formuler une hypothèse sur le degré de vraisemblance du témoignage, Mais, les doutes ne peuvent être éventuellement levés que lorsqu'il est possible d'établir une confrontation avec des documents écrits (eux-mêmes incontestables J. L'un des exemples les plus nets est le récit d 'Hérodote sur Cambyse, présenté comme un fou furieux et comme le destructeur de la religion égyptienne. Hérodote indique lui-même à plusieurs reprises dans les livres II et III qu'il tient l'essentiel de ses informations des prêtres égyptiens, dont il met parfois le témoignage en doute (II.123 ; III.32 J. Il n'empêche que, dans ce cas précis, il a repris sans nuance une thèse présentée et diffusée par un clergé ulcéré par les mesures fiscales de Cambyse, mais qui aussi exprimait une hostilité anti-perse largement répandue dans la population égyptienne: la confrontation avec les sources hiéroglyphiques montre en fait très clairement que cette thèse est irrecevable (l3). Encore faut-il bien souligner que l 'historien, dans ce cas précis, ne peut mener à bien et à bout son travail d'analyse critique qu'en raison d'une conjoncture documentaire exceptionnelle : - on connaît par Hérodote lui-même l'identité de ses informateurs. Celle-ci est indirectement confirmée par une analyse de la littérature et du théâtre égyptiens qui [l I] Sur les informateurs d'Hérodote, voir ibid, : 81-84.
(l2) Voir en dernier lieu F, GSCHNITZER, Die Sieben Perser und de« Klinigtum des Dereios : ein Beitrag zur Achaimenidengeschichte und %urHerodotenanalyse, Heidelberg 1977. (l3) Voir la démonstration de G, POSENER, La première domination perse en Egypte, Le Caire 11936) : 170-175,
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n'ont pas de mots assez durs pour condamner Cambyse et, plus généralement, les occupants perses (4). On peut ajouter -en partant des déclarations d'Hérodote luimême (111.89)- que, de leur côté, les informateurs perses lui ont fait un portrait détestable de Cambyse pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec celles du clergé égyptien. On peut supposer que la convergence des témoignages oraux perses et égyptiens a paru décisive à Hérodote; - on dispose de sources écrites égyptiennes dont la diversité même (Chronique Démotique, autobiographie d'un noble égyptien (Oudjahorresmel rallié à Cambyse, épitaphes des Apis) renforce la valeur documentaire collective. Qui plus est, si le texte de la Chronique Démotique n'était pas tronqué, il serait permis de faire une hypothèse sur l'origine des prêtres qui ont "informé" Hérodote, puisque la Chronique cite les noms (un seul est sûr: Memphis) des trois temples exclus du champ d 'application des mesures fiscales prises par Cambyse ; - les déclarations de Darius lui-même -figurant sur une statue du Roi découverte à Suse en 1972- confirment sans ambiguïté pour Darius ce que les déclarations d'Oudjahorresme montraient pour Cambyse: à savoir leur commune volonté de se poser en Egypte comme héritiers de la tradition pharaonique. En revanche, si l'on évoque à nouveau l'exemple de l'avènement de Darius, on voit que la confrontation entre Hérodote 111.61.88 et Darius lui-même n'aboutit pas à une reconstitution certaine : - s'il paraît évident qu'Hérodote a recueilli des témoignages oraux venant des grandes familles perses qui ont aidé Darius, il est également certain qu'il a mêlé plusieurs versions, y compris une version reprise partiellement à la version officielle imposée par Darius ; - quant à celle-ci, elle est extraordinairement suspecte: omissions et falsifications ont pu y être repérées. Qui plus est, l'un des paragraphes dont l'interprétation est historiquement décisive, est compris très différemment selon les spécialistes. L'apport des sources grecques est loin d'être négligeable, mais il ne peut pas, à lui seul, forger une conviction raisonnablement fondée.
3. SOURCES GRECQUES ET DOCUMENTS ARCHIVISTIQUES ACHÉMÉNIDES 3.1. L'accès aux documents d'archives Les inscriptions royales, les tablettes et sceaux de Persépolis, les archives babyloniennes, les papyri araméens d'Egypte et plusieurs textes bibliques (Esdras 6.1-51 et grecs (Hérodote 111.127·128) attestent de l'importance de l'écrit dans une construction étatique aussi élaborée que l'était l'Empire achéménide OS). II paraît (4) Cf. J. SCHWARTZ, Les Conquérants perses et la littérature égyptienne, BIFA048 (949) : 65·80 ; E. DRIüTüN, Le nationalisme égyptien au temps des pharaons, dans Page. d'Egyptologie, Le Caire (957): 382-386; cf. aussi p.307-327 ; S.K. EDDY, The King i. dead (961) : 261-263. (15) Sur le sujet, voir Ü. BUCCI, L'attivitâ legislative del sovrano achemenide e gli Archivi reali persiani, RIDA XXV (978) : 11-93.
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légitime de se demander si des auteurs grecs ont pu utiliser cette tradition archivistique, ne serait-ce que par bribes. Il est vrai que la circulation et l'archivage d'innombrables actes administratifs n'impliquent pas qu'un statut de document historique (comme nous disons] se soit substitué ou surajouté à leur statut éminemment politique, ni donc que les Grecs d'Asie Mineure aient eu la possibilité ou même l'ambition de les consulter. Notons tout de suite cependant (on y reviendra plusieurs fois) que le témoignage de Ctésias (cité par Diodore II.32) semble indiquer que pour un Grec du IVe siècle familier de la cour achéménide, il n 'y avait rien de répréhensible (y compris donc aux yeux de ses protecteurs perses) à considérer les archives royales comme une source de documentation historique. Parmi les arguments que l'on peut opposer a priori, deux méritent une attention particulière: l'argument géographique (la plupart des Grecs n'ont pas eu accès aux archives centrales), et l'argument linguistique (le grec n'a jamais constitué un instrument de communication très utilisé par les scribes royaux). Mais, aucun de ces deux arguments ne paraît dirimant. Tout d'abord, il est bien clair que l'existence des archives de Persépolis, de Suse ou d'Ecbatane est connue dans tout l'Empire (cf. Esdras 6,1-5). D'autre part, on l'a vu, un homme comme Ctésias, qui a vécu dix-sept ans à la cour perse, affirme les avoir consultées; il connaissait également le site de Behistoun (§ 151, même si la signification du relief sculpté lui échappe (Diodore II.131. Plus important: il existait dans chaque satrapie plusieurs dépôts d'archives, dont le plus important en Asie Mineure était celui de Sardes. L'administration satrapique était extraordinairement "paperassière", comme le confirme un texte de Plutarque (Eumène 8.5) ; elle conservait un double des actes officiels reçus de l'administration centrale (cf. Plutarque ibid" 2.71 ou émis par le satrape (textes réglementaires, lettres, ordre de mission, remise de fonds, état des troupes, cadastres... ) (16). Par ailleurs, c'est certainement en Asie Mineure que l'on rencontrait le plus de Grecs et de Perses bilingues. Plus important: les déclarations royales et les actes administratifs (à l'exception sans doute des rapports internes) étaient proclamés et/ou transcrits dans la langue (l'écriture) du pays concerné: cette pratique achéménide est attestée dans de nombreuses satrapies par de très nombreux témoignages qu'il est inutile de citer une nouvelle fois ici. En Asie Mineure même, on en connaît un exemple fameux: une inscription grecque qui retranscrit (non sans parfois en préciser les termes 1une lettre de Darius à Gadatas (peut-être un satrape). Ce document très célèbre a été maintes fois commenté, et son authenticité ne fait aucun doute (17). Dans cette lettre, une partie (interdiction rappelée à Gadatas de soumettre au tribut les 'jardiniers sacrés' d'Apollon et de leur faire cultiver une 'terre profane ') intéressait directement les intérêts matériels et moraux du temple d'Apollon d'Aulai (proche de Magnésie du Méandre). C'est pourquoi elle fut traduite et transcrite dès cette date (puis regravée à l'époque romaine). Ce sanctuaire n'était certainement pas le seul à disposer d'une concession d'un roi achéménide: lorsque, sous Tibère, une (16) Cf. P.BRIANT dans Index 1978179 : 64-84. (17) En dernier lien L. BOFFO, La léttera di Dario a Gadata, 1 privilegi nel tempio di Apollo a Magnesia sul Meandro, Boil. dell'Ist.dir.rom, LXXXI (1978): 267-303 ; sur l'identification du temple d'Aulai, voir L. ROBERT dans BeR 104 (1977): 77-88.
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commission vint enquêter sur les privilèges des villes et des temples, plusieurs firent état d'actes officiels remontant à Cyrus et à Darius (Tacite, Annales, 1II,61-63). Un autre document -plus récemment publié"":'" prouve même que l'administration perse (de Sardes) avait fait transcrire en grec un règlement relatif au culte du dieu perse par excellence, Ahurah-Mazdah (transcrit en grec: Zeus! l, alors même que ces destinataires étaient moins des Grecs que la communauté perse de Sardes (8). On rappellera enfin l'exemple non moins fameux de la stèle trilingue [gréco-araméo-lycienne] de Xanthos gravée au IVe siècle. On voit donc par tous ces exemples que des documents écrits en grec (araméen, babylonien, élamite... ) sont en fait des documents archivistiques achéménides, même si la traduction n'est pas toujours d'une exactitude parfaite. Il est frappant de constater que c'est le document "grec" de Sardes qui a apporté ces dernières années les révélations les plus remarquables sur les pratiques cultuelles perses. En d'autres termes, les arguments de vraisemblance incitent à observer que les auteurs grecs d'Asie Mineure ont eu la possibilité matérielle et technique d'utiliser (d'une manière ou d'une autre] des documents archivistiques achéménides. Mais, l'ont-ils fait?
3.2. Références et citations explicites La réponse à cette question et d'autant plus délicate que les références et citations sont particulièrement rares dans les textes grecs. Le passage le plus célèbre est celui de Diodore de Sicile (11.321 qui écrit en parlant de sa source: "Ctésias consulta scrupuleusement, ainsi qu'il nous l'apprend lui-même, les diphtères royaux dans lesquels les Perses ont consigné leur histoire conformément à une certaine loi; il compose avec ces matériaux l'ouvrage qu'il apporta avec lui en Grèce". Mais Photius (cité ci-dessus en 2.1.1, son abréviateur, ne fait pas mention de ce travail d'archives: il ne cite de Ctésias que l'enquête orale, non sans émettre des réserves sur sa crédibilité. On peut se demander si cette référence explicite ne permettait pas surtout à Ctésias de donner un caractère ou une apparence scientifique à sa polémique contre Hérodote "qu'il accuse souvent de mensonge et qu'il traite de faiseur de contes". Le cas est d'autant plus embarrassant que, mis à part une trame annalistique qui privilégie récits militaires, intrigues auliques et crises dynastiques, on ne décèle guère de traces archivistiques dans les Persike. Le problème est très probablement différent pour deux ouvrages perdus de Ctésias : l'un traitait des routes royales achéménides, l'autre des tributs. Les citations d'actes officiels achéménides (inscriptions et lettres) sont plus fréquentes mais elles ne sont guère plus significatives. Si nous mettons à part les citations d'inscriptions qui remontent au temps de la conquête d'Alexandre, on relèvera essentiellement trois passages d 'Hérodote se référant à des inscriptions de Darius: l'une gravée après son avènement sur une statue équestre (1I1.88), une seconde sur laquelle étaient portés les noms des contingents qui l'accompagnaient en Scythie (IV.87), la troisième célébrant l'Hèbre (Maritza) et les vertus royales (lV.9ll. Dans (8) L. ROBERT, Une nonvelle inscription grecqne de Sardes. Règlement de l'autorité perse relatif il un culte de Zeus, CRAI 1975 : 306-330.
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le premier et le troisième cas, Hérodote transmet le texte même des inscriptions, mais les guillemets (comme nous dirions] ne constituent pas à eux seuls un brevet d'authenticité, tant le texte rend un son plus grec que perse. La seconde référence (sans guillemeta] inspire plus de confiance, car les précisions données par Hérodote sonnent vrai: le caractère bilingue de l'inscription (grec et 'assyrien', i.e, cunéiforme 1 renvoie à une pratique bien connue des Achéménides dans leurs provinces (dans un pays grec en l'occurrence) ; qu'il ait existé un registre officiel des troupes est également hors de doute; enfin, le réemploi des stèles dans des temples grecs ne saurait étonner. Pour autant, le bénéfice documentaire qu'a pu en tirer Hérodote est nul : il n'en a manifestement consulté le texte grec puisqu'il écrit: "Les contingents énumérés s'élevaient, sans compter la flotte, à sept cent mille hommes y compris la cavalerie... ". Ce chiffre, comme bien d'autres chez Hérodote (19) et d'autres auteurs grecs, ne peut certainement pas être retenu; ce n'est pas la mention de l'existence de stèles officielles qui lui donne une crédibilité quelconque. Il paraît donc clair qu'Hérodote n'a pas fait d'enquête épigraphique réelle: les "on-dit" et une tendance grecque générale à gonfler les contingents achéménides expliquent seuls une mention qui n'a rien d'une donnée archivistique. Même si l'on met à part les faux évidents (une lettre de Darius à Héraclite par exemple], la citation de lettres achéménides n'apporte pas non plus de preuve absolue de consultation préalable d'archives. Certaines citations, cependant, montrent la transmission de formules typiques de la diplomatique achéménide, comme la lettre de Xerxès à Pausanias citée par Thucydide (1.126-1291 (20). Cela ne prouve pas pour autant que Thucydide a eu entre les mains le texte original. On fera la même observation à partir des textes cités par Hérodote en 111.128. Dans ce cas comme dans le précédent, il est probable qu'entre le document original et l'historien grec s'est intercalé un témoignage oral recueilli près des protagonistes (voire même également une première élaboration grecque pour ce qui concerne Thucydide ) : de même pour les inscriptions citées par Hérodote 111.88 et IV. 91. Il n'avait certainement eu aucune difficulté à recueillir en Ionie des témoignages sur l'expédition de Scythie, puisque les contingents navals ioniens y avaient joué un rôle essentiel (lV.87 ; 136-1421. Devant cet ensemble de témoignages qui reconstituent une chaîne documentaire telle que : sources écrites achéménides, témoignages oraux (grecs et perses), texte grec (source primaire l, texte grec (ou latin) (source secondaire), on en vient à se demander si Ctésias n'a pas consulté les archives royales par l'intermédiaire oral de ses informateurs perses : solution qui permettrait en outre de résoudre la contradiction existant entre Photius et Diodore sur ses méthodes de documentation. Ce serait là un mode d'enquête analogue à celui qu'avait adopté Hérodote en Egypte, puisqu'il écrit (11.100) : "Après lui [Min), les prêtres m'ont cité, d'après un livre, les noms de trois cent trente autres rois" (cf. 111.42). Assez paradoxalement donc, l'examen des citations et références nous ramène à la primauté de la transmission orale.
(19) T. CUYLER YOUNG Jr .• 480/479 B.C.-A Persian Perspective, Iranica Antiqua 1980 : 213·239. (20) Voir A T. OLMSTEAD, A Peraien letter in Thucydides, AJSL XLXX (19331 : 154-161 ; également H.D. WESTLAKE, dans Cl.Q. 27 (19771 : 95-110.
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3.3. Documents écrits et histoire orale Pour autant, ces observations ne doivent pas engendrer un scepticisme général sur l'authenticité du contenu même des mesures administratives et réglementaires attribuées par des auteurs grecs à des rois et à des satrapes. En effet, l'absence de "notes inîrapaginales" n'autorise pas à déclarer le texte grec sans valeur documentaire. On prendra comme exemples deux textes, l'un d'Hérodote (Ve siècle), l'autre de Polybe (Ile siècle), qui ont en commun de transmettre une donnée officielle introuvable dans la documentation achéménide d'origine archivistique.
Hérodote VI.42 L'auteur des "Histoires" rapporte deux mesures prises par le satrape de Sardes Artaphernès à l'issue de la révolte de l'Ionie. L'une (obligation du recours à l'arbitrage pour les cités) est confirmée par une inscription grecque d'Ephèse du IVe siècle, qui en est l'illustration concrète. La seconde (recensement des terres selon une unité de mesure (parasange] perse pour déterminer l'assiette du tribut] est certainement elle aussi authentique, quelles que soient les discussions qui subsistent avec les méthodes tributaires imposée plus tard par les Athéniens (21). La mention d'un tel cadastre relevé à l'initiative des autorités est également assurée en Babylonie achéménide par les sources babyloniennes (22). On ajoutera que l'administration du cadastre en Asie Mineure séleucide se situe en continuité manifeste avec les pratiques achéménides (23). La manière plutôt indirecte et allusive qu'emploie Hérodote semble bien indiquer qu'il n'a pas consulté lui-même les archives, ni les archives de Sardes ni les archives des cités, alors même que l'ordre d'Artaphernès et le recensement des terres avaient été inévitablement consignés par écrit (y compris en grec). C'est bien plutôt à l'enquête directe et aux témoignages oraux qu'Hérodote doit cette information. PolybeX.28 Dans ce texte l'auteur hellénistique nous donne des renseignements irremplaçables (un véritable "scoop") sur les qanats en Hyrcanie, et rapporte les mesures prises par le Grand Roi pour favoriser le forage de ces galeries souterraines (cf. ci-dessus 2.1). La précision même du texte, l'exactitude technique de la description (comparaison avec des qensts existants) excluent une falsification. On peut également juger que le témoignage de Polybe est d'autant plus crédible qu'on peut le replacer dans une série de témoignages (littéraires et archéologiques) qui permettent de parler d'une véritable politique de l'eau menée par les Achéménides (24). Par ailleurs, (21) Cf. J.A.S. EVANS, The seulement of Artaphrenes, CPh 71/4 (978) : 344-348. (22) M. STOLPER, Management and Politics in later Achaemenid Baby/onia, disa. Univ, of Michigant, 1 (974) : 41-55. (23) Cf. P.BRIANT, Index 1978179 : 65. (24) Sur les qanats, voir H.GOBLOT, Les qanats. Une technique d'acquillition de l'eau en Iran, Paris-La Haye, 1979. Sur la politique achéménide, voir P.BRIANT, Commnnautés rurales, forces productives et mode de production tributaire en Asie achémémde, Zamln 2·3 09801 : 75-100. et Appareils d'Etat el développement des forces productives au Moyen-Orient ancien: le cas de l'Empire achéménide, La Pensée 217/218 (981) : 9-23.
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Polybe indique qu'à l'origine de l'information il y a transmission orale: "Selon une tradition véridique qui s'est transmise parmi les habitants... ". D'après le contexte même (expédition d'Antiochos III contre le Parthe Arsakès] on est tenté de conclure que cette tradition a été recueillie par l'un des accompagnateurs du roi séleucide en 209 et utilisée par Polybe par l'intermédiaire d'une source grecque difficile à identifier. La présence même de ce paragraphe dans le récit militaire présenté par Polybe fait supposer que les paysans hyrcaniens, par la voix de leurs chefs, ont da rappeler les privilèges fiscaux accordés par le Grand Roi. On est dès lors amené à penser que, pour se concilier l'appui des Hyrcaniens exaspérés par les destructions opérées par les Parthes contre leurs qanats, Antiochos III a confirmé les privilèges achéménides dont on lui avait transmis la teneur. C'est dire que nous aurions là un scénario assez proche de celui que textes littéraires et épigraphiques font connaître pour l'époque séleucide et pour l'époque romaine en Asie Mineure et en Syrie (cf. ci-dessus 3.1.), mais avec une différence essentielle pur notre propos: alors que les temples (ou les cités) pouvaient produire le texte même des concessions achéménides lors d'une négociation avec les nouvelles autorités, c'était à leurs archives orales que les communautés rurales iraniennes faisaient appel pour fixer leur passé, transmettre leur héritage technique et pour affirmer leurs droits ancestraux. C'est donc en définitive à une série assez exceptionnelle de circonstances que nous devons la transmission écrite si tardive d'une information achéménide qui avait survécu dans la mémoire villageoise plus d'un siècle après la disparition du pouvoir du Grand Roi.
4. CONVERGENCES ET DIVERGENCES Ces exemples (bien d'autres pourraient être produits] indiquent déjà qu'il convient de traiter avec la plus grande prudence des convergences et divergences entre sources grecques et documents (écrits ou figurés) achéménides. Une convergence ne signifie pas obligatoirement emprunt ou consultation : la rencontre peut être fortuite et partielle. Le constat d'une divergence ne doit pas mener à la conclusion immédiate que le texte grec est fautif. Quelques exemples serviront à illustrer ces propos un peu généraux.
4.1. Hérodote IIl.61-87 On a très fréquemment relevé les convergences entre une partie du texte d'Hérodote et une partie du texte de Darius à Bisotun, Selon M. Dandamayev (25), Hérodote a mêlé plusieurs versions : d'une part, il a recueilli des témoignages oraux venant de nobles perses (ce point est hors de doute) ; d'autre part, il aurait consulté en Asie Mineure une traduction grecque de Bisotun. Qu'un tel document ait existé, cela relève de la plus haute vraisemblance, comme l'attestent une déclaration de Darius lui-même (§ 70) et la découverte d'une version araméenne en Egypte et d'un relief sculpté à Babylone. Mais, si Hérodote avait réellement consulté un tel texte, on comprendrait mal qu'il subsiste des divergences dans les passages les plus proches de
(25) Persien unter den ersten Achiimeniden (trad. all.L Wiesbaden (976) : 122-123.
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la version de Darius: pourquoi par exemple y-a-t-il une divergence dans la liste (par ailleurs exacte) de la liste des conjurés? En réalité, tout laisse supposer qu'Hérodote a bien eu connaissance de la version officielle, mais rien ne prouve qu'il a consulté des archives officielles. Convergences et divergences s'expliquent par le fait que, là comme ailleurs, Hérodote a exclusivement utilisé les témoignages oraux, contradictoires en l'occurence : à partir de ces informations, il a "reconstitué" un récit continu qui a une valeur documentaire intrinsèque aussi notable que celui de Darius, mais qui ressortit au domaine de la création littéraire plus qu'à celui des archives ou des annales (26).
4.2. Hérodote 111.97 A l'issue d'un long passage (111.89-96 : réforme tributaire de Darius) qui soulève constamment des problèmes méthodologiques analogues à ceux qui sont abordés ici, Hérodote consacre un chapitre spécial (111.97) aux peuples qui n'ont pas un statut de tributaires. Y figurent les Perses d'une part, les peuples donateurs de l'autre (Ethiopiens, Colchidiens, Arabes). Voici ce qu'il écrit des premiers: "La Perse est le seul pays que je n 'ai pas cité au nombre des tributaires ; car, le territoire habité par les Perses jouit d'une immunité". Or, plusieurs tablettes de Persépolis montrent sans discussion que l'administration royale prélevait tribut et taxes en nature en Perse. La solution la plus rassurante à cette contradiction apparemment irrémédiable, c'est de raisonner par exclusion : Hérodote ou les tablettes. Dans ces conditions, la conclusion est inscrite dans le mode de raisonnement qui postule qu'un document archivistique ne "ment" pas, alors que erreurs et approximations abondent chez Hérodote: et l'on refuse toute valeur au témoignage d'Hérodote (27). Mais, n'est-ce pas trop rapide, n'est-ce pas trop simple? Il faudrait expliquer comment un renseignement aussi net a pu se glisser aussi subrepticement dans un développement consacré aux techniques administratives achéménides. De toute façon, avant de condamner Hérodote sans autre forme de procès, il convient d'examiner s'il n 'existe pas une autre interprétation qui permet à la fois de considérer Hérodote comme porteur d'information et de tenir compte des données archivistiques des tablettes. Or, dans un premier temps, la seule conclusion qui s'impose de la confrontation, c'est que le texte d'Hérodote n'est pas globalement recevable dans sa formulation. Mais, une telle observation ne clôt pas la discussion : une recherche complémentaire paraît d'autant plus légitime et nécessaire que le témoignage d'Hérodote est en accord avec les propres déclarations des Grands Rois qui reconnaissent à la Perse et au peuple perse une place et un rôle privilégiés dans l'Empire (28). Ce ne serait pas le seul exemple de passage hérodotéen (26) Voir également A. MARTORELLI. Storia persiana in Erodoto : echi di version! uIficiali, RLIL, III (977) : 1I5-l2l. (27) Telle est la conclusion de R.SCHMITT dans un article par ailleurs important: Steuern in der Achai·
meniden Persis i, ZAso. 70/1 (981) : 105·137. (28) Voir là-dessus les études de CI. HERRENSCHMIDT ; en dernier lieu dans Pad Mm i Ya.dan (Travaux de l'Inst. d'Etudes Iraniennes 9), Paris (979) : 5·33.
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qu'il faudrait patiemment décortiquer de manière Amettre Anu le "noyau achéménide" ; les exemples abondent dans tout son développement sur les tributs. Il est vrai que le processus d'investigation est lentet long (l'exposé en sera abrégé ici) ; mais, d'une part, l'investissement est justifié (y compris pour le lecteur !) lorsque le problème posé est historiquement important (c'est le cas) ; d'autre part, il s'agit d'nn cas exemplaire qui permet une réflexion sur la notion de document. Le type d'information que transmettent les tablettes est bien spécifique: ces pièces d'archives ne se réfèrent qu'A quelques cantons du Fârs ; en bonne méthode, rien n'autorise A étendre sans examen A toute la Perse les conclusions que l'on tire de l'analyse d'un petit nombre de tablettes, Amoins d'admettre (avec Hérodote!) que l'ensemble du territoire de la Perse constituait un ensemble indifférencié et homogène du point de vue fiscal. Or, quelles que soient les immenses lacunes de la documentation, quelques observations s'imposent sur la diversité des situations sociopolitiques : - certains peuples (qui appartenaient A la communauté ethnique persel restaient pratiquement indépendants dans leurs montagnes; d'autres populations au contraire étaient soumises Al'autorité royale et au prélèvement tributaire (29) ; - une partie des terres (cultivées ou pâturées 1mises en valeur en Perside constituaient les domaines royaux ; - l'existence d'une catégorie de petits paysans perses ne fait pas de doute. Pour autant les statuts de cette paysannerie devaient être fort variés, de la liberté A la dépendance. Un certain nombre de paysans libres(30) versaient des dons au Grand Roi (3 11. Plusieurs tablettes, par ailleurs, paraissent montrer que des paysans cultivaient des terres selon un contrat de fermage (ou de métayage) qui les liait soit au Roi soit Ades propriétaires privés (32) ; - et puis il y avait les domaines certainement immenses de clans familiaux. On voit donc se dessiner une hypothèse (33) qui ne va pas contre les renseignements des tablettes: Asavoir que l'exemption fiscale n'avait pas été accordée Atous les Perses sans distinction. On rappellera que ces mesures tributaires ont été prises par Darius très peu de temps après son avènement (cf. 111.89.11 : or, pour parvenir au pouvoir, l'Achéménide avait dû accepter de faire de fortes concessions politiques, honorifiques et économiques aux nobles qui l'avaient soutenu (cf. 111.83-841. Il parait tout-A-fait exclu que ces clans nobiliaires aient admis de voir leurs propriétés foncières en Perside frappées du prélèvement tributaire: Hérodote (111.831 l'exclut (29) Voir l'exemple particulièrement net des Ouxiens : cf. P. BRIANT dans DHA 2 (1976) : 214-221. (30) XENOPHON (Cyr. Vll.5.671Ies qualifie du terme trèssignificatif d'autourgoi, ceterme renvoyant à une exploitation de type familial que l'on voit également à l'arrière-plan de plusieurs historiettes
rapportées par ELlEN (par exemple 1.33-341. (3Il Voir les rapprochements établis par P. CALMEYER entre les textes classiques (Elienl et certains reliefs de Persépolis : Textual sourees Ior the interpretation of Achaemenian Palace decorations, Iran
(1979) : 55-63, en particulier 56·57.
(32) R.. SCHMITT, ert.cit. (33) Je l'avais déjà proposée (sans la détailler) dans JESHO 22/2 (1979) : 149.
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formellement pour la famille d'Otanès, mais c'est certainement le cas des autres clans sans l'appui desquels le pouvoir de Darius risquait d'être balayé en Perse même (34). Un texte de Quinte-Curee (X.1.22-24,27,381 montre bien que les grandes familles perses (de la région de Pasargades en l'occurrence) étaient encore à la tête d'immenses fortunes et propriétés à l'époque d'Alexandre. En définitive, le texte d'Hérodote n'est que partiellement erroné, mais il constitue en même temps un document important d'histoire intérieure achéménide qui complète, sans les recouper absolument ni sans les contredire, les informations archivistiques : aussi bien n'a-t-il aucune idée de la "complexe économie royale" de Perside connue par les tablettes, et aussi bien tient-il peut-être son information d'un noble perse pour lequel 'Perses' veut dire tout naturellement 'nobles perses'. En quelque sorte l'erreur d'Hérodote provient du fait qu'il a pris la partie (noblesse persel pour le tout [Perses] : mais qui peut s'en étonner? On remarquera d'ailleurs qu'un autre renseignement donné par Hérodote dans le même chapitre (111.97) suscite exactement le même commentaire critique. Parlant des peuples donateurs, il écrit en effet: "Les Arabes lui envoyaient tous les ans mille talents d'encens". Or, il est bien clair que, ce faisant, Hérodote réduit la diversité à l'unicité, car une analyse en profondeur montre la diversité des statuts politiques et administratifs qui régissent les rapports entre l'Etat achéménide et les peuples arabes dispersés de l'Euphrate au Nil. L'information d'Hérodote n'est pas pour autant à rejeter, à condition de la rapporter à un peuple arabe bien déterminé (les Arabes situés entre Gaza et I'Egypte] (35).
4.3. Pline, Hist.
s«, XXXIV.19.68.
L'étude des convergences et divergences est peut-être encore plus délicate dès lors qu'on prétend interpréter une massive documentation iconographique à l'aide de textes classiques elliptiques et partiels. Un cas particulièrement éclairant est l'interprétation hellénocentrique que l'on a donnée, surtout depuis certains articles de G.Richter et de H.Frankfort parus en 1946, du rôle des artistes et artisans grecs dans l'élaboration de l'architecture et de la sculpture sur les grands sites achéménides. Il ne s'agit pas ici de reprendre en détail une discussion que l'on trouvera menée avec compétence, méthode et clarté dans les études pionnières de C.Nylander (36) et dans la pénétrante synthèse de M.C.Root (37), mais beaucoup plus simplement d'en rappeler brièvement les attendus et les conclusions méthodologiques.
(34) Voir surtout DANDAMAVER, Persien : 210-211. 135JP. BRIANT, Etat et Pasteurs au Moyen-Orient ancien, Paris-Cambridge (1981). (36) Ioniens in Pasargadae, Uppsala 0970 J, en part. p.1I -21 et 145-149 ; en dernier lieu son article cité ci-dessus n.2. (37)
The King and Kingship in Aehsmenid Art. Essays on the creation of an iconol(ra[,hy of Empire (Acta lranica, .. r.III. vol.IX), Leiden (979) : 1-42.
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Parmi les documents écrits achéménides, la Charte de construction du palais de Darius à Suse, dont la première version a été publiée en 1929, a été utilisée surabondamment et partialement, pour la raison que Darius y fait état de travailleurs de la pierre ioniens et lydiens (mais aussi d'artisans égyptiens, babyloniens et mèdes). En réalité, la Charte de Suse est un texte de propagande sur la variété des ressources en hommes et en matériaux de l'Empire et sur la puissance illimitée du Grand Roi; ce n'est pas un état descriptif ni une étude statistique des satrapies achéménides (381 : dès lors, la "convergence" avec les données classiques et d'autres données ne peut pas être présentée comme une preuve ni même comme un indice. On remarquera également que, parmi les travailleurs assemblés à Persépolis, Cariens, Ioniens et Sardiens sont beaucoup plus rarement cités que les Skudriens, les Egyptiens, les Cappaodociens, les Sogdiens, le Babyloniens et les Assyriens dans les documents archivistiques de Persépolis (391. Mais, le plus important est certainement le contre-sens qui a été fait quant à la nature même des documents iconographiques, ou mieux: quant aux conditions mêmes de leur production. Ce qui importe en effet avant tout pour comprendre la genèse et la fonction des monuments achéménides, ce n 'est pas l'origine ethnique ou géographique des artistes et artisans. Il ne s'agit donc pas de dresser un catalogue des éléments ioniens, égyptiens ou babyloniens; un discours iconographique est un tout, et le tout ne résulte pas de l'addition ou de la juxtaposition de différents composants, mais de leur combinaison raisonnée. Or, celle-ci a été élaborée non par les chefs d'équipes (qu'ils fussent ioniens ou égyptiens) mais bien par l'autorité politique (c'est-à-dire par le Grand Roi et ses conseillers) qui, à partir d'éléments existants (proche-orientaux et grecs), a façonné une forme et un contenu nouveaux en fonction d'un programme idéologique d'exaltation du Roi et du Pouvoir: en d'autres termes, l'art achéménide existe, de même qu'il existe des archives d'Etat achéménides où l'on emploie différentes langues et écritures. Dès lors, affirmer, en se référant à un passage allusif de Pline, que le Grec Téléphanès dirigea les travaux de Persépolis, relève de ce que Nylander a appelé "une vision pan-grecque plutôt grotesque", car on a voulu, à tout prix, assigner à ce texte une valeur documentaire qu'il n'a pas et qu'il ne prétend pas avoir. Preuve que pour rapprocher sources classiques et documents achéménides, il convient de comprendre de l'intérieur les unes et les autres : les premières ne doivent pas servir d'alibi méthodologique (érudit ?) à une interprétation erronée des seconds, ni les seconds d'alibi exotique à des olassicistes en mal de références orientales. Dans le domaine de l'interprétation des monuments achéménides, ce sont les monuments achéménides euxmêmes qu'il faut interroger: les sources classiques doivent être considérées comme un appoint d'une portée somme toute limitée (40). (38) C. NYLANDER, Anatolians in Susa -and Persepolis?, Acta lrsnice, Ser. J, Vol.III (1975): 317· 323. (39) Voir l'important article de M.ROAF, Texte about the sculptures and sculptors at Persepolis, Iran 1979 : 65·74. (401 Cf. l'utilisation qu'en fait P. CALMEYER, art.cit., Iran (1979), 55·63 - sans échapper tout à fait au risque de surinterpréter des textes classiques lacunaires et elliptiques pour renforcer ses interprétations des reliefs.
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5. UN BILAN PARTIEL Dans le stock de données qui permet aujourd 'hui à l'historien de traiter des problèmes achéménides, les sources grecques continuent de tenir une place fondamentale. Celle-ci rend compte et tout à la fois procède du mode de constitution du corpus documentaire achéménide, tel qu'il existe de facto actuellement. En effet, c'est paradoxalement grâce au maintien des traditions culturelles locales que l'historien doit de pouvoir aborder les problèmes liés à la genèse et à l'affermissement d'un puissant état unitaire au Moyen-Orient. Si l'on met à part l'inscription de Darius à Behistoun, l'inscription dite des daivâs de Xerxès et les stèles de Suez, nous ne disposons pas de récits de campagnes ni de citations d'actes législatifs provenant des Grands Rois euxmêmes. C'est dans les provinces et dans les langues régionales que l'on trouve mention ou copie de leurs édits: en démotique (édit de Cambyse sur les revenus des temples égyptiens; édit de Darius sur la constitution d'un code de lois égyptien), en araméen (édits de Cyrus et de ses successeurs relatifs aux privilèges de Jérusalem et des Juifs d'Eléphantlne l, en grec (lettre de Darius à Gadatas, édit d'Artaxerxès sur le culte d'Anâhitâ, ordre satrapique concernant le culte d'Ahurah-Mazdah à Sardes] - quand il ne s'agit pas de décisions transmises ou transcrites simultanément en plu. sieurs langues (les inscriptions royales elles-mêmes, la stèle trilingue de Xanthos, édit de Cyrus proclamé en hébreu à Jérusalem et transmis par écrit en araméen). C'est donc à la diffusion du grec sur une longue période (y compris l'époque romaine) que l'on peut disposer de traces écrites de la présence achéménide en Asie Mineure: présence d'un peuplement iranien (étude de l'onomastique dans l'épigraphie grecque), présence des cultes iraniens (à travers l'épigraphie, la numismatique, la sculpture et des passages de Strabon et de Pausanias). Ainsi, l'Asie Mineure, grâce au grec, constitue une des provinces achéménides les mieux pourvues en témoignages écrits achéménides, avec la Judée (livres bibliques), l'Egypte (documents démotiques, araméens, hiéroglyphiques), la Babylonie (documents en aceadien] et la Perse (Fars) elle-même (tablettes élamites de Persépolis) - par opposition aux satrapies d'Asie Centrale et du plateau iranien où l'hégémonie incontestée des témoignages archéologiques posent des problèmes spécifiques d'interprétation. Dans ces conditions, pour que les potentialités offertes par les sources grecques (i.e, documents écrits en grec) soient utilisées de façon optimale, l'historien de l'Empire achéménide doit s'efforcer constamment d'opérer de multiples rapprochements raisonnés avec des sources d'origines et de langues différentes. Un seul exemple particulièrement significatif: longtemps connu exclusivement par des témoignages grecs (et des allusions bibliques), le système de routes et de relais achéménide (qui ne se réduit pas au trajet Sardes-Suse d'Hérodote] ne peut plus aujourd'hui donner lieu à une étude d 'ensemble sans mobiliser une documentation très diversifiée : sources grecques et bibliques, inscriptions royales, 'travel texts' de Persépolis, papyri araméens d'Egypte, ostreke araméens d'Arad, sans oublier quelques (minces) témoignages archéologiques et des rapprochements avec des textes néo-assyriens. C 'est dire que les spécialistes de sources grecques (les"classlcistes"] se doivent de ne pas ignorer les publications des orientalistes (411, et ceux-ci de ne pas considérer (411 Il est typique par exemple qu'un historien des rapporta Grecs/Empire achéménide comme Ed. Will (Le Monde grec et l'Orient, Paris, 1972, en particulier les p.13-52 sur la situation de l'Empire achêménide v.480) ait dû attendre la publication du livre de D.M.Lewis en 1977 (Sparta and Per.ÜJ) pour apprendre l'existence des Persépolis Fortification. Table'. publiées par R.T. Hallock en 1969 à Chicago: cf. Ed. Will, Rev.Phii. 1979/2, p.315.
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SOS-
les sources grecques avec un mépris condescendant (42). Dans le problème de l'histoire achéménide -comme dans bien d'autres, mais plus encore sans doute- la constitution d'équipes de recherches intégrées (horizontalement et verticalement) devrait permettre de surmonter ou de contourner l'irritant obstacle créé par une spécialisation sans cesse plus inévitable et sans cesse plus mutilante.
Pierre BRIANT
(42) Telle est malheureusement la position affirmée (sans justification 1 par l'iranîste W. Hinz dans une mise au point sur les sources de l'histoire achéménide (dans G. Walser (ed.I, Beitrëge %urAchaimenidensgeschlehte, Wiesbaden (1972), p.S-14, cl. p.14).
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INDEX GENERAL akk, ar. él. gr. sk, v.p,
=
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akkadien
= araméen = élamite
= grec = sanscrit = vieux-perse
aceulturationls] : 230, 294, 322 Adousios : 178, 179 adscripti : glebae : 101, 102 ; vici : 104 Agdistis : 459, 466 Agis de Sparte : 393 Ahurah-Mazda : 225,358,362, 363, 364, 365, 369, 375, 378, 379, 392, 435 sq., 442, 443, 445, 447, 459, 460, 466, 483, 489, 497. . Aigai: 71 Aï-Khanoum : 200, 221, 232, 233, 247-248, 274, 275, 279, 308, 314, 315, 316, 424 Akitu (Nouvel An mésopotamien) : 358,445 Alexandre 1er de Macédoine : 38 Alexandre le Grand : - roi des Macédoniens: 78, 92, 376-377 ; - conquêtes: débarquement en Asie Mineure: 360-361, 376 ; et les satrapes d'Asie Mineure: 187,363-367; en Ouxiane : 161-173,206-207; et les peuples du Zagros: 8-9 [P. Briant, Etat et Pasteurs au Moyen Orient ancien, Paris-Cambridge 1982] ; aux Portes Persiques: 172-173 ; à Persépolis: 329, 364-365, 384-400; à Parsagades: 386-392, 403, 454; en SogdianeBactriane: 198-199, 240-248, 388 [A.B.Bosworth, "A missing year in the history of Alexander the Great", JHS 101 (981) : 18-39] ; en Margiane : 190 : [sur l'ensemble des conquêtes, voir aussi l'ouvrage (souvent décevant) de D. W.Engels, Alexander the Great and the logistic of the macedonian army, University of California Press, 1978, et Id., "Alexander's Intelligence system", CQ 30 (980) : 327-340] - et les Achéménides: et la légitimité achéménide : 357-403 ; et les dieux perses: 375-380 ; et Cyrus le Grand: 366, 370, 391-392 ; et Bessos : 401-403 ;et les Iraniens: 32-41, 51-60, 73 [voir A.B.Bosworth, "Alexander and the Iranians", JHS 100 (980) : 1-21] ; etla terre royale: 58, 329, 361-362 ; récupération des structures achéménides : 10-12, 291-330, 357-403, 406 ; - organisation des conquêtes: fondations: 190, 212-213, 227-262 ; archives: 224 n.361 ; colonies militaires: 250-251 ; - et les diadoques: 13-93 ; • Cet index a été dressé en collaboration avec E.GENY - Pour quelques entrées (une vingtaine). j'ai ajouté [entre crochets] une ou deux références à des études récentes que je n'avais pas pu prendre en compte
lors de la préparation des articles publiés ici. Ces ajouts ne prétendent en rien être exhaustifs: ils se réfèrent presque exclusivement à des études non citées dans le texte, et ils portent uniquement sur des sujets
ou des thèmes qui tiennent une place importante dans le recueil. [P.B.]
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- représentations idéologiques: A. "géographe": 282, 287-289; A.modèle colonial: 281-289, 293-294, 479 ; - rôle historique: 11-12, 294-296, 318-330. Alexandre IV : 88 Alexandrie: A.d'Arie: 258; A.de l'Acésine: 253; A.d'Arachosie: 258; A.Charax : 253, 257, 259 ; A.de Drangiane : 258 ; A.d'Egypte : 231, 253, 257, 259, 268 ; A.llaxartès : 245, 253, 254 ; A.-sous-Caucase : 258. Alkétas (diadoque) : 41, 44-46, 48 n.d, 50 n.5, 63, 76, 82. Amisos : 18. Amu Darya : 424 snechôresis (gr.fuite des paysans): 117 [voir G.Posener, "L'anachôresis dans l'Egypte pharaonique", Hommages Cl. Préaux, Bruxelles (l979} : 663-669) Anâhita : 378, 392, 442, 455, 458, 483 ; en Asie Mineure: 460 sq, , 483. Anaïtis (voir Anilhitill : 459, 460, 463. Antigénès : 69 Antigone le Borgne: 13, 16, 17, 19 n.5, 21, 26, 27, 47, 49,51,52,53,55,63,64,70, 74, 76, 82, 84, 85, 86, 87, 90, 91, 92, 93. Antigoneia (de Syrie) : 253, 258. Antioche: de Perside : 271 et n.23, 274 ; de Pisidie : 272 ; de Syrie: 232-233, 253, 255, 258-259, 276-278. Antiochos 1er : 96, 194, 254. Antiochos II : 96, 272, 276. Antiochos III : 96, 153, 191, 192, 277, 500. Antiochos IV : 265, 278. Antiochos Hiérax : 24. Antipater (diadoque} : 40, 48, 82, 84, 85, 86, 92, 209. antitagma (gr. contre-armée) : 30, 49, 53-54, 57-58 [voir Bosworth, ert.cit.,«;», 'Alexandre et les Iraniens', p.17-20) Apamée : 231, 233. Apollonidès : 70. aposkeuè (gr. "bagages"] : 72 appareille] d'Etat (tributaire) : 325 sq, Arabie!Arabes: 8 n.5, 144 n.27, 503. Arachosie : 77, 208, 275. Arbinas (dynaste lycien] : 450: Arbre de Vie: 447-448, 455. arehidikaste (voir juges 1: 22. archives (voir bibliophylaxl : 333, 495 sq. ; royales: 104, 191, 192, 209 ; dépôts d'archives: 211. Archon: 26. Aréthuse : 259 Argyraspides (Boucliers d'Argent) : 67, 69 et n.8, 70, 72, 77, 78, 87, 91, 147 n.42. Ariamazès (hyparque sogdien] : 198, 241, 242, 243, 244, 246. Ariarathe : 15, 16, 17. Ariobarzanès : 167. Aristodémos de Milet : 82.
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Aristodicide : 96, 192, 193. Aristonikos : Ill, Il2, Il9, 157, 473. Arménie: 31, 53, 146, 148, 177, 336. Arrhidaios : 19 n.5, 47, 84. Arsamès (de Cilicie) : 366-367. Arsamès (d'Egypte ) : 3Il = ASNP 1979, 1395 Arsitès : 187, 361, 363-365, 441, 450-451 arta (v.p, "justice") : 364, 382, 445. Artabaze : 243. Artaphernès : 191, 208, 209, 499. Artaxerxès Ier : 202, 208. Artaxerxès II : 442, 458. Artémis : 493 ; persique (voir Aniihitil) : 460. artisanat (voir manufactures royales, laine) : 260, 342. Aryiivana : 341. Asidatès : 101, 190, 458. Asie Centrale: 8 n.5, 221, 274, 314, 315, 316,318 [voir H.P.Francfort, Les fortifications en Asie Centrale de l'lige du bronze à l'époque koucha ne, Paris (1979) ; G.Gnoli, Zoroallter'lI time and homeland, Napoli, 1980] Asie Mineure (voir Alexandre, domination aehéménide, Gadatasl : 189, 208, 210, 335-336, 363-365, 458 IIq., 492 IIq. assemblée macédonienne : 55, 56, 62, 65, 71. Astyage : 177. asylie (dans les campagnes) : 181-182. Attale III de Pergame: 22. Attalides : IlO, Il2. Babylone : Alexandre à Babylone : 34, 384, 393-394 ; et colonisation hellénistique : 254, 257, 268 ; règlement de 323 : 39, 55, 64, 80, 158 ; territoire civique: 158-159. Babylonie : achéménide : 45, 140, 146-147, 150 n.57 , 158, 187, 194-195,231,313, 335, 345-347, 394, 480-481, 484, 499 ; des diadoques: 26, 41, 45, 48. Bactres : 317. Bactriane: 31, 75, 139, 140, 146, 197-202, 234, 240, 255, 308, 314, 423-424, 486-488. - bAga [v.p, "terre en don") : 3Il. Baitokaikè (sanctuaire syrien) : Il7 bsris (lieu fortifié) : 100, 192, 193, 194, 199 [Sur ce terme et des termes connexes, voir maintenant C .Zaccagnini, "Calchi semantici e persistenze istituzionali : a proposito di "terri" nel Vicino Oriente", Vieino Oriente 3 (19801 : 139-151]. {to] Basilikon (Trésor royal) : 192, 210. baziS (él "tribut") : 210, 215, 3Il, 341, 344. Behbéhan (Khusistan] : 167 Bergers (voir élevage) : 339, 342, 356. Beroia (fondation syrienne) : 259. Bessos : 198, 200, 201, 366, 401-403 [Cf.aussi, P.Briant, Etat et Pssteurs, 1982].
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bhaga (sk, "part du roi"] : 215 bibliophylax (gr. "archiviste" ; voir archives] : 104-192. bornage (voir archives, frontières) : 104, 108, 153, 191, 192. brigands: 8, 182, 381. byrt' (ar."point fortüié ; voir baris) : 192, 199. cadastre (voir archives, bibliophylaxl: 107, 191-194, 209, 217, 407, 417, 496, 499. Calque : 196. Cambyse (voir Hérodote) : 330, 331, 345, 406, 494-495. canaux (voir irrigation] : en Bactriane: 221, 486 [J.C.Gardin, "L'archéologie du paysage bactrien", CRAI juillet-octobre 1980 [1981] : 480-501] ; en Babylonie: 149 [voir D.Briquel dans BAGB octobre 1981 : 293·306; R.Mc Adams, Heartland of Cities. Surveys of ancient settlements and land use of the Central Floodplain of the Euphrstes, Univ, of Chicago Press 1981, en part. p.185 sq.]. Cappadoce: 14, 16, 17, 19,20,21,30,31, 32, 39-40, 42, 45, 51-54, 76, 78, 82, 84, 91, 146, 158, 189, 211, 336. Cardouques : 146 Carie: 146, 178 Cassandre (diadoque) : 74, 89, 90. Cataonie : 190 Champs-Orcyniens : 21, 51, 70, 81. charax (point Iortifié] : 191 chiliarchie : 210. chiliarques : 180. chôrs : 23, 199 : basilikè : Ill, 181, 193, 200, 243, 248, 252, 407 ; doriktétos : 28, 47 n.5, 61 n.4 ; oikouménë chôre : 144, 179 ; polemie ehôr« : 58 n.4, 360 [M.Corsaro, "Oikonomie del re e Oikonomia del satrape. Sull'amministrazione della chôr« basilikè d'Asia Minore dagli Achemenidi agli Attalidi", ASNP 10/4 (19801 : 1163-1219]. chôrion. (voir barisl : 191, 194, 196. Chypre: 276-277. Cilicie : 15, 336, 367. cités grecques (côte anatolienne 1 : et le Grand Roi: 327 ; et Alexandre: 361 ; et les diadoques: 17-20. classe-Etat: 451, 469-470. Cléarque : 274 Cléomène (de Naucratis) : 42 clergé égyptien: 42, 93 n.â, clérouque : 236. clérouquie : 42 ; lagide : 195, 202. clientes (Bactriane) : 198. colonat : 119 colonies militaires (voir clérouque, hatru) : achéménides : 194-197, 202, 218, 458 ; macédoniennes: 13, 75, 112, 156, 202, 218 ; et cités [hellénistiqueal : 263-
264. colonisation (voir dépendance, urbanisation) : agraire achéménide : 427, 441 ; et
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dépendance rurale: 212, 227-252 ; hellénistique: 10, 11,227-279,315-316. Commagène: 146. communautés villageoises (voir villagefs], Marx, responsabilité collective) : continuité : 8, 137-160, 313, 324, 467; et fonctionnement de la dépendance rurale: Il ; maintien et évolution à l'époque gréco-romaine: 116-117, 237 ; empire séleucide/royaume lagide : 120 ; et la conquête achéménide : 188, 328; 467,481 ; et les villes neuves macédoniennes: 156-159, 237, 258 ; dans le système Impérialo-trihutaire achéménide : 405-430, 433-434, 438, 481 ; et les travaux d'irrigation: 420-430; dans l'Avesta: 438; organisation interne: 152-155, 408-409 ; chez les peuples pasteurs: 408. consensus idéologique: 175-225, 395, 396-401. continuités: assyro-achéménides : 93, 320, 325, 445, 448, 452 n.115, 453 n.127, 468; achéménido-hellénistiques : 7, Il, 13-81,99-102, 160, 189, 195-197, 202, 249-250, 288, 291-330, 357-403, 464-467, 472-473. contrainte militaire et dépendance: 175-225, 250-252, 417, 471, 482. Copratas (Abd-é-Diz) (fi.) : 167. Cosséens : 144 n.29, 146, 337. Cotyôra : 18. Cratère (diadoque) : 40, 51, 56, 161. Crète/Crétois: 270, 276-278. Ctésias (de Cnide) : 496·497. cultes perses en Asie Mineure (voir Ahurah-Mazda, Anllhitll, Anaïtis, Meter Anïtis, Mithra) : 458 sq., 497, 505. Cybèle (voir Anilhitil Grande Mère) : 465-466. Cyropolis : 244, 246, 257, 388. Cyrus II : 176, 187, 199, 302, 321, 330-331, 352, 386-392, 403, 406, 481, 484, 493, 505. Cyrus le Jeune: 60, 455, 456. Cyzique : 193.
Damas: 259. Darius 1er le Grand: 9, 192, 199,208,288,330,331, 344, 361, 383, 391, 395, 401, 406, 410, 488, 493, 494, 500, 501, 505. Darius III : Il, 73, 162-164, 167,200,201,361,363,366,368,369,371,372,373, 380, 381, 391, 401, 402. Daskyleion : 454, 462. dssmos (gr. "tribut") : 215, 311, 344. Datamès : 181. démographie: Proche-Orient achéménide : 147-148 ; Perside : 204, 480 ; cités hellénistiques d'Orient: 267-269. dépendance rurale (voir colonisation, laoi, serfs) : Il, 212, 328, 360, 361, 364,414, 431-473; personnelle: 239 ; généralisée: 177, 179, 188,213,481 ; et cités grecques: 101, 109, 120, 131 n.211, 155-158, 186-187, 212-213, 237-252, 258-263, 294 ; et contrainte militaire: 175-225 ; et liberté: 119, 188, 418, 467 ; et mentalités religieuses: 435-439 ; 456-467 ; et idéologie: voir Grand Roi [jardinier, protecteur des paysans),
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idéologie monarchique achéménide, tribut (justifications idéologiques]. dépendance urbaine: 261 déportation en masse: 242, 244-247, 257, 258, 397-398, 480. «despotisme asiatique» : 296. diadoques (voir serment) : 7, 13-93, 265, 269, 472. Diyala (fI.1 : 484. düférenciations sociales: en Perse (Fars) : 153-154,344,395,398-399,426,449-451, 470, 502, 503 ; dans les villages: 154-155, 438 ; dans les fondations hellénistiques: 258-259, 262-264. diffusion orale: 151 n.62, 448, 492 sq, (basilikon) dikastèrion (voir juges) : 22: dioicètes : 16, 23-25, 152, 211, 416. Dokimoa : 63 don/contre-don: 8 n.S dôrea/dôreai (voir -bAga, terre, villages [donal] : 41, 310, 311. Doura-Europos : 235, 264 sq., 275. Drangiane : 146. drauga [v.p. "mensonge") : 362, 364, 378, 382, 397, 442, 443, 449. Droysen (J.G.1 : 282, 283, 288, 291, 292, 293, 295, 299, 321, 478-479. Durine : 257, 259. dynasteia (voir diadoques) : 47, 75.
Eanna (temple babylonien) : 345, 347, 348, 351, 353. Ebabbara (temple babylonien] : 345. Ecbatane: 159, 355, 403, 496. économie royale: 9, ISO, 204, 242, 248, 339,361, 409, 467, 503. éducation perse: 185, 338-339, 387, 449. Egypte : 41, 42, 44, 48, 120, 195, 208, 300, 311, 313. Elam : 208, 210, 342. Elbourg [monts] : 422. Eléphantine : 195, 196, 209, 505. élevage (voir bergers] : Asie Mineure: 335-336 ; Babylonie achéménide : 345-347 ; Empire achéménide : 331-356, 440 ; Fars: 204, 338-345 ; dans le Zagros: 162-163,336-337,408 ; dans l'Avesta : 436 [T.Kawase, "Sheep and goats in the Persepolia Royal Economy" Acta Sumerologics 2 0980l : 37-51). Elyméens : 337. Empire achéménide/diversités régionales (voir Mode de Production dominant) : 159, 176, 230, 234, 312-313, 476; pouvoir central/pouvoirs locaux: 200202, 221, 420 ; pouvoir central/techniciens locaux: 48, 221, 317. Eolide : 22, 190. Ephèse : 272. epigonoi (voir Alexandre et les Iraniens) : 33, 34, 36. Epiphanie de l'Oronte: 259. Epire: 87, 88.
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ergastule (persépolis) : 223. esclaves: dans un contexte oriental: 143, 250, 313, 355 IJ.Elayi, "La révolte des esclaves de Tyr relatée par Justin", Baghd.Miu. 12(19811: 139-150]; ruraux: 95-133 ; urbains: 261 ; hilotiques : 185-186. esclavagisme (voir Mode de Production Esclavagiste) : 112. ethno-classe : 261-262, 263, 489. ethnos/ethnë i 197,206,408. Etolie : 270, 271. E uiaios (fi.) : 265. Eumène de Kardia (diadoque) : 13-81 passim, 96, 1l0, 148, 165, 209, 210, 211 ; et les Iraniens : 30-54. Eumène 1er de Pergame: 65, 71. eunoia : 41. Eupolémos (dynaste) : 65. Fahliyun (voir Fars, Ouxiane] : 9, 204, 206, 207. Farnak [Pharnakes] : 310, 341, 342, 351. Fars (Peraide] : 202, 331, 338-345. féodalité/féodalisme (voir Mode de Production Iéodal] : 99-102, 120, 313. forces productives (voir irrigation) :405-430, 431-473, 475-487 ; humaines (voir démographie) : 10, 176-180,353,436,440,479-481 ; développement des forces productives: 10, 176-180, 185,328,419; et idéologies: 431-473, 482-483. formation économique et sociale: achéménide : 234, 328,476; hellénistique: 229. Gabai : 203. Gabiène : 53, 67, 146, 148. Gadatas : 361, 420, 496. gai9à- (v.p. "biens meubles", troupeau) : 334 n.16. garnisons achéménides (voir colonies) : 178- 180, 183. Gaufriya : 203 Gaugamèles : 164, 360, 368. Gaumata : 344, 375, 383, 493 [Voir l'article de Cl.Herrenschmidt dans Annales ESC 1982].
Gaza: (Phénicie) : 253 ; (Sogdiane) : 245. Gaziura : 17. gazophylacies (voir Trésor) : 20, 29 n.B, 52, 93 n.I; 203, 210, 211, 340. Gergithes : 186. Gobryas : 199, 200. Gordion : 159. Grand Roi: 8, 9 ; chef d'armée: 373-375, 378-379 ; et les dieux: 362-365, 375-380, 445, 447, 458-459, 470 ; «jardinier» : 183, 447-488, 455, 468 ; «protecteur des paysans» : 183-185, 362-370, 400, 418-419, 441-443, 483. Grande Mère (voir Anaïtis] : 464, 483. greniers royaux (voir magasins) : 211.
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Halys (fI.) : 17. Hanisa : 18 n.8, 23 n.4, 24 n.d, 275. haras royaux: 24 n.l4, 209, 335 n.23, 354. hetra (akk : groupe de colons allotis en Babylonie] (voir colonies, klérosï : 194-197. hektémores : 116. Héraklêe du Pont/Héracléotes : 18, 186, 188. Hérodote: 9, 11 n.I, 491-503 [I.Hofmann-A.Vorbichler, "Das Kambysesbild bei Herodot", AfO 37(1980l : 86-105 ; P.R.Helm, "The Medikos Logos of Herodotus", Iran 19(1980) : 85-90]. hétsiroi : royaux macédoniens : 38, 64. Hidalu : 208. Hiérocésarée : 459. hiérogamie : 446. Hiéronymos de Kardia : 13-81 passim, 50-52, 56, 62, 80 n.3, 81, 82, 85, 86, 88, 91, 204,480. hilotes : 155, 185-186 ; hilotisation : 248·252 ; hilotisme : 313. Hindiyan (fI.) : 167. Hindou-Kouch: 253. Hiran : 203. homonois : 39. Hunan: 203. Hypaipa : 460, 462. hyparquels] : (Séleucides) : 191-192, 241-244 ; (Iran oriental) : 197·202, 241-244, 487. Hyphase (fi.) : 37, 73. Hyrcanie/Hyrcaniens : 146, 196,426,492 [Sur des sites irrigués de l'époque aehémênide, voir R. Venco Riccardi, "Archeological survey in the Upper Atrek Valley [Khorassan, Iran], Preliminary report", Mesopotamia 15(1980) : 51-72]. Ida [mont] : 209. idéologie (voir Alexandre modèle colonial, consensus, dépendance rurale et mentalités religieuses, forces productives, Grand Roi, monarchie, paix, satrapes et paysans, sécurité, superstructures, tribut, urbanisation l : - monarchique macédonienne : 92, 359 ; - "royale" des diadoques: 55, 73, 92 ; - monarchique achéménide : 325, 357 sq., 370, 373-384, 389-392, 394-403, 419, 439 sq. ; - impêrialo-tributaire achéménide : 175·188,362-370,395,400,418·419,431473, 482-483. idiopregi« (voir idéologie "royale" des diadoques] : 92. Ilion: 96, 193. lmmunitéls] : 105, 163. Inde: 33, 181, 208. infrastructures: 407, 432 sq.. institutions macédoniennes (voir monarchie macédonienne, serment) : 79, 81 [Voir la mise au point de G.T.Griffith dans A History of Macedonia, II, 1980].
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Iraniens: et Alexandre: 32-41, 51-60, 73 ; et Eumène de Kardia : 30-54 ; et Peukestas : 41, 43 ;et Séleucos [Ier] : 42·43, 46 ; et les Séleucides: 31 ; dans AïKhanoum : 279 n.71. irrigation (voir canaux, forces productives, paradis] : 200, 282, 284, 436, 453, 455 ; en Bactriane: 221, 232, 247, 314-318, 420-430, 481. Isocrate: 248-249, 256. Issos: 17, 360, 365, 399. juges royaux (voir archidikaste, (basilikon) dikastèrionl : 16, 105, 211. Kalas : 361. Kastolos : 151, 152. katoikia/katoikoi : 142, 228. katoikizein (gr. établir des populations) : 256. Kautilya : 182, 184, 414. Kazerun: 167. Kelainai : 56, 63, 66, 67, 90, 96, 100, 101, 159. Kermanchah: 190. Kharga (oasis) : 429. Kiddioukômè : 408, 410. kléros (kléroi) (voir colonie) : 105, 195, 210, 235, 239, 255, 262 ; hippikos : 45 n.2,196. Kokcha (fl.] : 424. kômarque (chef de village) : 107, 152, 408, 413. Kômastos: 148. kômè (kômai) : 142, 181. Kotal-i-Sangar (Portes Ouxiennes] : 167. kurtas [él. travailleurs dépendants) : 147, 153, 204, 205, 343, 344, 348, 349, 350, 440,480 ; grecs: 223, 413 n.161. Kyinda : 52, 87, 210. laine (travail de la) : 347. Laodicée (du Lykos] : 272 ; (Syrie) : 231, 233, 259. Laokikè (reine séleueide] : 96, 102, 191, 193. moi (voir communautés villageoises, dépendance rurale) : 61 n.S, 95-133, 139, 140, 143, 154, 156, 157, 181, 191, 197, 237, 324, 407, 413 ; basilikoi : 22, 95, 96, 99, 104, 140, 193, 237. Lélèges : 186. Léonnatos (satrape) : 16,27,29, 78. lettres royales: 63, 69 n.I, 75, 86-90, 211, 498. Lydie: 146, 197, 460. Lykaonie : 17,82. Mâ : 459, 466. Macédoine: 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 87, 88, 89, 90, 269. Madatès: 161·173,206-207. Magasins (dépôts, entrepôts, stocks) royaux: 198-199,203,207,209,210,211,212, 340,410. mages: 352, 400, 462. Magnésie : du Méandre : 272 ; du Sipyle : 196. manufactures royales (voir ergastule) : 206, 347-349. Marathos : 360, 371. Mardes (de Perside] : 337, 356, 386, 399.
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Margiane : 190. Mariandyniens : 186, 188. Marx (K.) (et les sociétés asiatiques) : 323-324, 411·412, 419-420, 433. Matezzis : 203, 205, 206. Mazée : 367, 368. Médatès : voir Madatès. Médie: 53, 146, 147, 148, 336, 354. Mégasthène : 181. Méléagre: 96. Memnon: 363, 365, 367. Mên : 465. Ménandre : 53. mentalités paysannes (voir Grand Roi "protecteur" des paysans) : 435-438, 464-467. mercenaires (voir serment) :49, 50, 65, 92. méros (gr. "quartier") : 148, 149, 218. Méter Anaïtis (voir Anilhità) : 460, 465. Métrophanès : 96. Milet :277. Minyens: 186. misthos [solde] : 59-61, 62, 70, 76. Mithra: 375, 378, 379, 392, 437, 442, 455, 459 ; en Asie Mineure: 460-462. Mithridate: 20, 24, 189. Mnésimachos : 57, 96, 100, 101, 110, 113, 192, 197. Mode de Production Asiatique: 7, 12, 120, 158, 229, 234, 242, 243, 298, 299, 362, 410 sq., 434, 476, 477 [Voir maintenant la mise au point fondamentale par C.Zaccagnini, "Modo di produzione asiatico e Vicino Oriente antico. Appunti per una discussione", DdA 3(1980) : 3-65.]. Mode de Production dominant (voir Empire achéménide/diversités régionales) : 12, 312-313,328,409,425·426,434,476,487-488. Mode de Production Esclavagiste (voir esclavagisme) : 109, 156. Mode de Production Féodal (voir Iéodallté/Iéodalisme] : 18, 19 n.9, 242, 243, 488. Mode de Production Tributaire: 12, 298, 299, 312-313, 323, 325, 328, 405·430, 476, 477,482. monarchiels] (voir idéologie monarchique] : achéménide : voir Grand Roi; macédonienne : 58, 71, 73, 78, 79, 81, 83, 87, 91·92 ; hellénistiques: 13, 55-93. monopole militaire (des Perses) (voir contrainte militaire et dépendance] : 178, 181188. . moqenis (persan: techniciens des qanatsl : 425, 485. Murashû : 197. Musikanos : 251. Mysie/Mysiens : 146, 183, 190, 196. Néarque: 64, 338. Néoptolème: 31, 39, 40. Néoteichos (néoteichosl : 192-193, 194,218,408,410. néôtéroi (à Termessos] : 45. Nicanôr : 51, 53.
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Nippur : 197. nomos (macédonien) (voir institutions macédoniennes) : 71, 92. Nora: 21, 51, 81-91. Nouvel an (à Persépolis) (voir Akitu, Nowruz) ; 183, 352, 385, 394, 444-449, 468. Nowruz (Nouvel An iranien) : 359, 400, 455, 466. Nurabad : 167.
oiketai : 99, 110, 113. Olympias: 82, 87, 88, 89, 90. onomastique: dans les cités hellénistiques: 264 sq. ; iranienne (Asie Mineure) (voir cultes iraniens en Asie Mineure) : 196, 458, 505 [Cf. aussi R.Zadok, "Iranians and individuals bearing iranian names in Achaemenid Babylonia", Isr.Or.Stud, 7(1977) : 89-138J. Opis : 33, 34, 37, 40, 74. Oronte [Il.] : 232 Oudjahorresme : 495. Ouxiane (voir Fahliyun) : 204, 206, 207. Ouxiens : 9, 143 n.23, 146, 161-169, 206, 337. Oxyarthès : 198, 243, 244. paix achéménide (voir sécurité) : 178, 180, 181, 183,362,364,419,441,455-456. Palaimagnésie : 196, 197. Paletine : 140. Pannoukômè : 193. Paphlagonie: 15, 17. paradidômi (gr. remettre) : 19. paradis: 43 n. 14, 113,448,451-456,489 [W.Fauth, "Der kënigliche Giirtner und Jâger im paradeisos, Beobachtung zur Rolle des Herrschers in der Vorderasiatische Hortikultur", Persice 8(1979) : 1-53 ; P.Gentelle, "Un Paradis hellénistique en Jordanie: étude de gëo-archéologie", Hérodote 1981/1 : 69101J. psrelembenôrpsrelepsis (gr. prise de possession) : 19. Parapamisades : 143 n.23, 147. parasange : 191, 499. Parménion : 161 sq., 364, 399. Parysatis (reine perse): 60 [Cf.M.Stolper, Management and Politics in lster Achaemenid Babylonia, diss.Chicago (174) : 93-94J. Pasargades : 203, 352, 386 sq. [D.Stronach, Pasargadae, Oxford, 1979J. Pasitigre [Karun] [fl.] : 161 sq., 167. pasteurs (peuples) : du Zagros: 146, 162, 163, 336-337, 408 ; nomades d'Asie Centraie: 8 n.S, 201, 245, 314 ; sédentarisation: 245 [Cf.P.Briant, Etat et Pasteurs au Moyen-Orient ancien, Paris-Cambridge 1982J. patrie macédonienne (attachement à laj : 77-81. Pattala : 251, 260. Pausanias de Sparte : 498. paysages ruraux: Moyen-Orient: 14, 143-145, 161-169,240,422 ; Perse: 204, 338339 [Sur ce thème, l'ouvrage d'Engels 1978 (cité s.v. Alexandre le Grand)
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est utile, mais il doit être utilisé avec précaution, car l'information est parfois incomplète, en particulier sur l'écologie antique de la Perside]. Pèdes: 186. pénestes : 155, 186, 188. Pergame: 109, 210. perioikoi [gr.] : 251, 253, 312 (Xanthos). Peroiccas (diadoque) : 16, 18, 26, 27, 28, 44, 48, 51, 55, 56, 62, 64, 70, 91, 92, 209. Perse/Perside (Fars) : 147, 161, 165, 167, 169, 202, 204, 206, 208, 210, 394-401, 425-426. Persépolis (voir Nouvel An) : 9,10,165,167,203,205,206,208,209,333,338,350, 360, 384 sq., 403, 444 sq., 455, 491, 504. Petra (petra) (point fortifié et toponyme) : 100, Ill, 192, 193, 194, 198,241. Peukestas (diadoque) : 33, 69, 352 ; et les Perses: 41, 43. pezheteiroi (fantassins macédoniens) : 34-35. phalangites macédoniens (voir Argyraspides] : 55·93. Phéniciens: 320. Philadelphie de Lydie : 465. philsnthrôpie : 41. Philippe II : 64, 359, 372. Philippe Arrhidée : 28, 74, 78. philoi: 17-19. Philotas : 39. phoros (phoroi) (voir bazi'S, bhaga, dssmos, tribut) : 99, 102, 118, 149, 156, 162, 181, 197,237,414,416 : leitourgikos : 106. phrourarquels] : 16, 19,39-40, 180, 183, 190, 192, 195,210,211. phrourion. {phrouris] : 20, 177, 186, 189, 191, 210, 211, ,238 ; phrouris basileôs : 181. Phrygie: 179, 460; Grande Phrygie: 16, 48, 63, 82, 107, 147, 190, 336; Petite Phrygie/Phrygie hellespontique : 5, 17, 47, 96, 147, 193,361. phylakai (postes de gardes] : 165,203. Pigrès : 70. Pisidie/Pisidiens : 41, 44-46, 48 nA, 50 n.5, 183. Pitane : 194. Pithon: 74-75. Plutarque (et Alexandre 1: 287, 292-293, 365-366. polis/kômè : 142, 143, 162. Polémon : 63. politique de l'eau (voir canaux, développement des forces productives, irrigation, paradis] : 9, 441, 484 sq., 499. politique nataliste [achéménide] (voir démographie) : 440. Polyperchon : 52, 74, 87, 88, 89, 91, 210. population des cités hellénistiques: 253-254, 264 sq. Portes Ouxiennes [Kota-i-Sangar] : 167. Portes Perslques/Pyles Persiques (Tang-i-khaal : 9, 161, 162, 164, 167. Priène: 110, 191,361. probata (gr. petit/gros bétail] : 334. propriété: 100, 101, 106, 236, 313 ; éminente (voir terre royale) : 413.
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proskynèse : 358. Prousias : 181. Ptolémée (diadoque) : 28, 41, 42, 49, 64, 65, 93 n.2. Ptolémée II : 202. pyrgos :voir bsris, tetrspyrgie
qanats (voir colonisation agraire, développement des irrigation) : 424-429" 485, 492, 499, 500.
forces
productives,
rab haylli (ar. : commandant de garnison) : 195 [Cf. B.Porten, Archives from Elephantine : the life of an encient Jewish military colony, Berkeley (19681 : 28 sq.]. Rahân : 203, 204. Ram-Hormuz : 167. rations: alimentaires: 204, 310, 350-351, 480 ; de route: 208. responsabilité (solidarité) collective: 107-108, 117, 120, 150, 154,416,438,481. Rhagai : 147, 148. routets] royalelsl : 163-169, 191, 203, 206, 208-209, 506 ; étapes: 204, 207, 208, 340. Roxane: 88, 90. Rtastüra (Artystone) (princesse achéménide] : 351. Sabazios : 461, 465. Sabiktas : 17. Saléens : 157. Samarie: 23. Sardes: 56, 192, 209, 210, 455, 456, 460, 496. Satibarzanès : 241, 242. satrape (voir archives, cadastre, contrainte militaire, Gadatas, paradis) : représentant duGrand Roi: 442, 451-456 ; et les paysans: 187, 363-367, 411-442, 451 sq, ; et le tribut: 152, 176-177,441,499; et les cités hellénistiques: 1719. satrapie (voir archives, cadastre, contrainte militaire, Gadatas, paradis) : réforme de Darius 1er: 192, 410, 501-503 [Cf.P.Briant, Abstracta Irsnice 3(1980) nO 197] ;organisation financière: 23-30, 82 sq., 211, 416; organisation militaire: 20-23, 30 sq., 190 sq., 211, 416-417 ; et pouvoir personnel: 39-73. Scepsis : 193. Schiraz : 167, 203, 205. Scythes (Asie Centrale) : 245, 246 [Cf.P.Briant, Etat et Pasteurs (19821 et S.Parlato, "La cosidetta campagna scitica di Dario", AJON 198112 : 213-250). Séleucie : de l'Eulaios : 235, 265 ; de Piérie : 232, 258, 268, 279 ; du Tigre: 231, 254, 257, 261. Séleucos (diadoque) : 25, 41 ; et les Iraniens: 42-43, 46. Séleucos 1er: 23, 253, 265. Séleucos II : 277. sécurité/insécurité des campagnes (voir contrainte militaire) : 149, 177-178, 183, 185, 193.
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sênu. (akk. «petit bétail» l (voir-probata) : 334. serfs: 95, 100, 120, 228. serments (armées hellénistiques) : 65, 70-73, 82 sq., 86, 87, 90. Shustar : 167. Sibyrtios : 77 signaux (optiques, sonores] : 165, 190. Sinope: 18. Sisimithrès (hyparque sogdien] : 198, 241, 243. Sisygambis (reine persel: 161 sq., 383. Skythopolis (Beth Shean] : 96, 140. Smyrne : 196. Sogdiane: 147, 197-202, 234, 240, 487. sômet« : 57, 61 et n.3, 101, 110 ; ksi boskemsts : 60. sources grecques et histoire achéménide (voir Ctésias, Hérodote, Plutarque, Strabon) : 8-9, 141-145, 159-160, 185-188, 206-207, 332-333, 389-391, 491506 [P.Briant, Abstrecta Irenice 3(1980), n? 167, 169, 189, 195, 197,205, 231]. stagnation achéménide : 8, 10 ; asiatique: 477-479 ;orientale : 296, 324. stethmos/stethmoi (voir routes royales) : 96, 104, 148, 340. Strabon (et Alexandre) : 287. strstègo« sutokrstôr (voir diadoques) : 52, 73. superstructures: 325, 407, 432 sq. Suse: 34, 40, 138, 161, 162, 163, 205, 206, 207, 209, 235, 264 sq., 272. Susiane: 138, 165, 206. synoiki%ein (gr. repeupler une ville) : 256. Syrie: 147, 231-240, 258, 259, 266 ; Koilé-Syrie : 147. tablettes êlamites de Persépolis: 9, 147, 203, 331-356, 410, 501-503, 505-506 [R.T.Hallock, "Selected Fortification Texts", Cahier DAFI (l978l: 109136 ; D.M.Lewis, Spert« and Persis (1977) : 1-26]. Tang-i-khas (portes Persiques) : 167. Taokè : 203. Tarse: 367. teichos (gr. point Iortiîié] : 193, 199. temples babyloniens: 333, 345-347. Termessos : 44, 45. Termiles [Turmiyira] : 344 n.71. terrels] (voir -bAga, dôres, kléros, villages) : amie: 180 ; civique: 156, 158-159, 230 ; ennemie (voir polemis chôra) : 58, 180 ; royale: 57, 95-133, 180, 183, 194, 233, 234, 312, 360, 361, 423, 426, 485 ; tributaire: 120, 180 ; concessionfs] de terre: 95-133, 194, 279, 426; donla] de terre: 57, 106, 139, 149, 156, 192 ; ventels] de terre: 103, 106, 139 [voir H.Kreissing, Wirtschaft und Gesellschaft im Seleukidenreich, Berlin, 1978 ; cf.P.Briant, Klio 62 (1980) : 577-582]. tetrapyrgia : 57, 100, 101, 1l0. Teutamos : 69. Thémistocle: 93 n.3.
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thésaurophylaque (gardien de Trésor] : 203, 211. Thessaliens: 188. Thrace/Thraces : 40, 48. Tissapherne: 60, 456. Transjordanie: 210. Trapézonte : 15. Trésortst/Trésoreriefs} (voir (to) besilikon, gazophylacies) : 49 n.2, 87, 202 sq-, 210, 212, 316-317, 340, 410. Tmôlos (mont) : 196, 460, 462, 465. Tobiades : 199, 202, 210. «tolérance religieuse» achéménide : 325, 468, 470, 488·489. tribut (voir bazis, bhaga, desmos} : 11, 149, 150, 161, 163, 178, 179, 183, 189, 198, 199,201,203,210,252,327,331,361,410,417,439,443,445,481,499,501; versé à une cité: 155·156, 186 ; (exemptions de) : 207, 344, 501·503 ; (justifications idéologiques) : 182·185,362·371,431·473,482·483. Triparadeisos : 26, 51, 53, 80, 85, 86, 90. Turkménie : 485. tursis (domaine fortifié) : 190. urbanisation (voir colonisation, différenciations sociales, terre civique) : aehéménide : 213 ; hellénistique: 10·11, 101, 109, 117, 145·146, 156·158,212,227279, 282, 294. Uruk : 244 sq., 270, 484. Vahyazdata : 383. villages (voir :communautés villageoises, différenciations sociales, komë, responsabilité, terre) 101, 106, 107, 137·160,233,242,246,356,407 ; fortifiés: 57, 104, 107, 142·143 ; sur terre des cités: 155·156, 159 ; (dons de) : 58, 59 n.B, 149, 310, 413-414 ; (groupements de) : 148·149, 194, 410 ; gouvernement interne: 105-106, 180·181, 188,408-409 ; frontières (voir bornage) : 151,407. villes : achéménides : 244-245, 257 ; hellénistiques: voir urbanisation; dons de ville: 58, 59 n.B, 93, 310. Wittfogel (K.l : 420 sq., 434 n.9, 478. Xenippa : 159, 240. Xerxès: 23, 352, 498. Zagros [monts] : 8, 146, 190,234,336·337,408,422. Zarathoustra : 462. Zélée: 193. Zopyros : 494.
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521-
INDEX DES SOURCES I. Sources littéraires classiques Aristote, Politique, I, II, 1-8 : p.142 et n.18 ; VII, 1327 b : p.l86 ; VIII, 1328 a-b : p.185. [Aristote), Economiques, II : p.9, 27, 409-413. [Aristote) Lettre à Alexandre, ch.9 :p.396-399. Athénée, 6, 265 h-e : p.185-186 ; 15, 695f-696a : p. 175, 182, 187 ; 15, 697 d : 22 n.2, 211. Arrien, Anab.., I, Il, 7 : p.376 ; l, 12, 9-10 : p.363-367, 441 ; r, 12, 10 : p.187 ; l, 17, 1 : p.361 ; II, 14, 1 : p.375 ; II, 14, 5 : p.380-381 ; II, 14, 7 : p.373, 375 ; II, 14, 15 : p.373, 374 ; III, 17 : p.161-169 ; III, 17,6: p.337 n.33 ; III, 18, Il : p.364-365 ; III, 30, 6 : p.32 n.3 ; IV, 4, 1 : p.245 ; VI, 15-17: p.251 ; VII, 10, 5-6 : p.I64, 169 ; VII, 21, 5 : p.422 n~80 ; Inde, Il, 9-10, p.181-182 ; Succ., F 10 (A.3-5), p.26 n.S, Bérose, sp, Clément d'Alexandrie, Propret. 5 : p.458.
Ctésias, Persiks 1 : p.494 ; 15 : p.496. Diodore,
II, 13 : p.496 ; 32 : p.496, 497 ; XVII, 17, 2 : p.61 n.4, 376 ; 67 : p.161-169 ; 71, 3 : p.396 ; 108, 1-3 : p.34 et n.4 ; XVIII, 7: p.74-75; 7,3-9: p. 69,74-75 ; 14, 1 : p.41 n.4 ; 39,7: p.74 n.2 ; 42, 1-2 : p.85-86 ; 46,2: p.41 n.7 ;
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523-
52, 3-4 : p.19 n.S ; 53, 5 : p.83 et n.5 ; 57, 3-4: p.87-88 ; 58, 1 : p.87-88 ; 59, 4-6: p.52 n.Iü ; 60, 1-3 : p.52, n.l0 ; XIX, 14, 5 : p.41 n.ô ; 16 : p.21 n.3 ; 16, 3 : p.29 n.2 ; 17,7: p.165; 21, 1·2 : p.77 n.4 ; 21, 2·3 : p.165 ; 23, 1·3 : p.90 n.B ; 37, 1·2 : p.148 n.45 ; 39, 1 : p.148 n.45 ; 44, 4-6 : p.148 n.46 ; 55,3: p.26 n.I ; 80,4: p.93 n.2 ; 90, 1 : p.41 n.5 ; 91, 5 : p.43, n.5. Elien, N.A., l, 31-33 : p.448, 492 ; V.H., II, 14 : p.447·448, 492. Hérodote,
l, 134: p.394-395 ; 136 : p.440, 449-450, 480 ; 173: 344 n.71 ; 189 : p.9, 484 ; II, 164: p.185 ; 166 : p.185 ; 167 : p.185 ; III, 17 : p.422-424, 428, 484-485 ; 61-87 : p.500 ; 61·88 : p.491, 495 ; 88 : p.497-498 ; 89·96 : p.327 n.152 ; 97 : p.344, 395, 501·503 ; 107 : p.9 ; 128: p.498; IV, 87 : p.497-498 ; 91 : p.497-498 ; V, 52: p.208 ; VI, 42 : p.191, 499.
Isocrate, Archidamos, 71 sq, : p.79 n.6 ; Phil., 120-122: p.249, 270.
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524-
Fl.Josephe, A.J., XVIII, 373 : p.268. Justin, XI,
5, 10 : p.58 n.4, 61 n.4, 360 n.13, 376 ; 6,1 : p.366, 376 ; XII, 5, 12 : p.245 ; XIV, 1,6: p.64 D.15 ; 2, 4 :p.84 sq. ; 3,8-10: p.77·81 ; 4, 14: p.77-81 ; XVII, 17, 2 : p.360 n.12 ; XIX, 23, 1-3 : p.90 n.3.
Libanios, XI, III : p.276·277 ; 119 : p.277-278. Nepos, Datamès, 10, 1-3 : p.181 ; Eum., 5, 7 : p.83 et D.4 et 6. Pausanias, V, 27, 5·6 : p.460, 463. Philostrate, La vie d'Apollonios de Tyane, p.145 sq. Platon, Timée, 24 a-h : p.185. VI, 38 : p.259 ; Pline, N.H., 122: p.268 ; XXXIV, 19, 68 : p.503-504. Plutarque, Alex., 5, 1-3 : p.11 n.11 ; De fortune Alexsndri, p.292-293, 369·370 ; Art., 3: p.392 ; 25: p.456 ; Comp.Sert.Eum., 2, 1 : p.51 D.2 ; Eum., 2, 7 : p.496 ; 3, 7: p.16 D.9, 16·30 ; 14: p.211 ; 4, 2-3 : p.34-35, 49-60 ; 8, 3 : p.24 D.14, 58 D.4 ; 8, 5: p.56-73, 96, 99·102,110-111,209,496 ; 8, 7 : p.64 D.15 ; 12, 2 : p.81-81 ; 16, 1·2 : p.53 n.I ; Lysandre, 3, 3 : p.493. Polybe, Histoires, IV, 52, 7 : p.181 ; X, 27, 1 : p.355 ; 28 : p.9, 426, 429, 485-486, 492, 499·500 ; XXXVI, 17, 5-8: p.270. Polyen, Strst., IV, 3,7: p.36 n.I ; 6,6: p.76 ; VI, 10: p.190, 211 ; VII, 29, 1 : p.181 ; 40: p.I48.
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525-
Quinte-Curee, III,
3: p.379 ; 4, 3-15 : p.367 ; 4,5 : p.183 ; V, 3, 1-17 : p.161-169 ; 10, 2 : p.201 ; VII, 4, 3-4 : p.366 ; 6, 27 : p.245 ; Il, 28-29 : p.202, 221, 242-244 ; Il, 29 : p.198 ; VIII, l, 11-12 : p.452 ; 4, 21 : p.198 ; 5, 1 ; p.36 n.2 ; 8, 12 : p.199 ; 12,25: p.198 ; i, 22-24 : p.503 ; X, I, 27 : p.503 ; l , 3& : p.503 ; 7, 19-20 : p.158-159 ; 8, 11-13 : p.158-159.
Strabon, XI,
8,4 : p.459-460 ; 13, 17: p.355 ; XII, 2, 9 : p.llO-lll ; 3, 28 : p.189 ; XIV, i, 38: p.1l2, 119 ; XV, 3,6: p.393 ; 3, 17 : p.387, 440, 480 ; 3, 18 : p.449-450 ; 3, 21 : p.203-205 ; XVI, 2, 4 : p.254 ; 2, 5 : p.277 n.58, 278 n.64.
Tacite, Annales, III, 61-63 : p.497 ; VI, 31; p.71 n.289 ; 42 : p.268, 459. Thucydide, l, 126-129 : p.498. Tite-Live, XXXVII, 56 : p.181 ; XXXVIII, 17, 10: p.268. Varron, De Re rustice, l, 17,2 : p.1l9. Vitruve, De Arch., préface, § 3 : p.231. Xénophon, Anab., II, 4, 27 : p.60 n.4 ; IV, 4, 7-14 : p.148 n.47 ; 5, 10 : p.152 n.67, 154 ; 5, 24 : p.152 n.67, 154 ; VII, 8, 15 : p.190 ;
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526-
Cyr.,
III, IV,
2-3: p.I77-178 ; 4,6-8; p.179-180, 187-188 ; 4, 10 : pA67 ; V, 1-2 ; p.199 ; 4, 24-27 ; p.181 ; VII, 4: p.178-179 ; 5, 73 ; p.61 n.2 ; VIII, 6, 14 : p.21I ; Econ., IV, 4, 25 ; p.IO, 180 sq., 21I ; 8, Il : p.23 n.6 ; 10-1I ; p.441 ; Hell., III, 4, 1 : p.493.
II. Sources épigraphiques grecques AJA (1912) : p.197 ; .. 67-69 : p.210
ASAA, 45-46 (1967-1968), n? 1 : p.65-67, 69 nA. lE], 16 (1966), 54-70 : p.95-133, 192.
Holleaux, Etudes, II, 72-125 : p.1I8, 194 ; 103-104 ; p.21I ; 199-245 : p.279. Insch.Priene, n? 1 : p.361 ; n? 18-19 : p.1I1 ; n037 : p.191-194.
OGIS, n? n? n? nO
4 ; p.19 n.5 ; 233 ; p.271-272 ; 387 ; p.194-195 ; 488 ; p.107, 151 n.60.
Robert, La Carie, n? 166 : p.153 n.75, 157 n.91 ; n? 167 : p.153 n.74 ; CHAI (19671; p.190-191 ; (1975) ; p.459, 466, 497. Serdis, VII, i, 1 ; p.95-133.
Schmitt, Vertrëge, n? 429 ; p.65-66, 68 n.2, 69 n.4 ; n? 481 ; p.65-66, 68 n.2, 71 n.13 ; n? 492 : p.196-197.
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527-
SEG, 1,366, lignes 16-17 : p.24 e.z.
Trilingue de Xanthos: p.459, 461, 497. Welles, R.C., n? n? n? n? n? n? n? n? n?
10-13 : p.95-133 ; 11-12 : p.192-193, 198 ; 18 : p.191-193 ; 18, lignes 7-9 : p.102-103 ; 18, lignes 11-13 : p. 150 n.55, 181 et n.53 ; 18-20 : p.95-133 ; 19 : p. 192 ; 20 : p.192 ; 43, ligne 3 : p.24 n.3.
Worrle, Chiron 5 (975),59-87 : p.192-193, 408-409.
III. Inscriptions royales achéménides CMa, CMc : p.389-391. DB, § 14 : p.338 ;
§ 50 : p.391 n.286 ; § 70: p.500. DPd, § 13-24 : p.l84, 362 n.30, 382, 442-443.
IV. Avesta Vendidàd, Fargard III : p.435-439, 441, 444, 456. YaBht 5: p.464 ; " 10: p.461-462.
V. PFT : 50 : p.339, 443 ; 58-74 : p.340, 349 ; 61 : p.340, 343 ; 267-273 : p.344 ; 271 : p.341 ; 336-351 :p.352 ; 443: p.344; 451: p.344; 567: p.344; 654 Bq. : p.341 ; 871 : p.342 ; 1137 : p.342 ; 1404 : p.209 ; 1442 : p.339, 351 ; 1455 : p.209 ;
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528-
1714 : p.341 ; 1790 : p.350 ; 1791 : p.350 ; 1791-1794 : p.341 ; 1793 : p.351 ; 1794 : p.351 ; 2007 : p.339, 350 ; 2008 : p.341, 345 ; 2009 : p.341 ; 2010 : p.343 ; 2025 : p.345 ; 2028 : p.344.
VI. Grelot,
DAE, n? 55 : 209 ; n? 67-68 : 223-224 n.359, 311 n.89.
VII. Kautilya, Artheçsstre, l, 12,8: p.l84 ; II, i, 5 : p.415-416 ; i, 19 : p.428-429 ; i, 35 : p.182.
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TABLE DES MATIÈRES SOMMAIRE...................................................... INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . D'ALEXANDRE LE GRAND AUX DIADOQUES: LE CAS D'EUMÈNE DE KARDIA (REA 1972 et 19731.........................
Pages 5 7 13
1. Eumène, satrape de Cappodoce (322) : la mise en place d'une administration macédonienne (Plutarque, Eumène, 3, 71. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Le satrape et les cités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les phrourarques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les juges. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Les dioicètes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15 17 20 22 23
II. Eumène et la levée d'une cavalerie iranienne en Cappadoce en 322 (Plutarque, Eum., 4.2-3) : seul héritier d'Alexandre, Ou un diadoque parmi les autres? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Alexandre, Eumène et l'appel aux Iraniens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1) Remarques sur la politique iranienne d 'Alexandre. . . . . . . . . . . . . . . 2) D'Alexandre à Eumène..................................... B. Eumène et les autres diadoques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
30 32 32 39 41
III. Les soldats macédoniens en Asie après la mort d'Alexandre. . . . . . . . . . . . . A. Eumène et ses troupes en Grande-Phrygie en 321 (Plutarque, Eum., 8.5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il Le texte et les interprétations modernes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2) ««Vente» et «achat»........................................ a) L'objet de la vente. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b) Forme et type de vente. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Les relations entre Eumène et ses troupes à travers cet épisode. . . . . a) L'interprétation d 'Hiéronymos de Kardia . . . . . . . . . . . . . . . . . . bl Eumène et la prétendue «Assemblée de l'armée». . . . . . . . . . . . cl Eumène et ses troupes: un chef et ses mercenaires. . . . . . . . . . d) Les diadoques et leurs soldats. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Les Macédoniens d'Asie face à la Macédoine d'Europe. . . . . . . . . . . . . . Il Les Macédoniens d'Asie et le retour en Macédoine. . . . . . . . . . . . . . a) Diodore, XVIII.7 (323). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . b) Polyen, IV.6.6. (320·319). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . cl Justin, XIV.3.8-10 ; 4.14 (3161. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . d) Conclusion........................................... 2) Les Macédoniens d'Asie et les ordres royaux : la «libération» d'Eumène du siège de Nora (Plutarque, Eum., 12.2) (319). . . . . . . a) Les textes et interprétations antiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . blAntigone, Eumène et Antipater (Justin, XIV.2.41. . . . . . . . . . . cl Les soldats de Nora, Olympias et l'Europe. . . . . . . . . . . . . . . . .
81 81 84 86
IV. Conclusions générales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
91
-
531-
55 56 56 59 59 61 62 62 65 65 67 73 74 74 76 77 81
Pages REMARQUES SUR •LAO],) ET ESCLAVES RURAUX EN ASIE MINEURE HELLÉNISTIQUE. , :............................ (Actes du Colloque 1971 sur l'esclavage, Paris 1973)
95
1. Les documents et les problèmes posés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
96
II. 'Les lsoi : «libres» ou «serfs» ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Plutarque, Eum, 8, et les soi-disant structures féodales de l'Asie mineure séleucide............................................ B. Les leoi, le roi et les concessionnaires "
99
99 102
III. Lsoi et les esclaves : libres et non -libres ou esclavage généralisé ? A. Le problème de l'évolution de la situation des lsoi B. L'esclavage rural; problèmes quantitatifs C. L'esclavage ruai: laoi et oiketei D. Les leoi et le roi: dépendance, servitude, esclavage
" " " " "
108 108 110 113 116
Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
120
Notes
'......................
121
VILLAGES ET COMMUNAUTÉS VILLAGEOISES D'ASIE ACHÉMÉNIDE ET HELLÉNISTIQUE " (JESHO, 1975).
137
1. Sources et documents
"
138
II. L'habitat villageois en Asie
"
145
III. Villages, communautés villageoises et administration royale
"
149
IV. Villages et villes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
155
LA CAMPAGNE D'ALEXANDRE CONTRE LES OUXIENS (Début 3301 (DHA 2, 1976)
161
A. B. C. D. Carte: Notes.
161 162 162 163 168 169
Deux traditions , " Deux campagnes " Deux traités , " Deux routes " Trajet d'Alexandre en 330 de Bast aux Portes Persiques " . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
532-
Pages CONTRAINTE MILITAIRE, DÉPENDANCE RURALE ET EXPLOIT ATION DES TERRITOIRES EN ASIE ACHÉMÉNIDE. . . . . . . . . . . . .. (Index 8, 1978179) 1.
175
Conquête militaire et main-mise sur les forces productives humaines. . . .. Il Profits économiques de la conquête de l'Asie. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Conquête de la Chaldée et soumissionde l'Arménie " 3) Conquête, fortifications et travail en Carie. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 4) Conquête, dépendance rurale et paix en Babylonie. . . . . . . . . . . ..
176 176 177 178 179
II. Guerriers et paysans: idéologie et réalité de l'échange. . . . . . . . . . . . . . . . . Il Citadelles, dépendants et tribut " 2) Monopole militaire et dépendance rurale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 3) Contrainte militaire et idéologie de la dépendance - contrat. . . . . ..
180 180 181 185
III. Quadrillage militaire et organisation des territoires. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1) Places-fortes et terre royale en Asie Mineure. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Modèle «dynastique» d'organisation militaire de l'espace. . . . . . .. 3) Trésoreries, forteresses et exploitation du territoire dans le Fàrs. ..
188 189 197 202
Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
212
Notes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
213
COLONISATION HELLÉNISTIQUE ET POPULATIONS INDIGÈNES
I. LA PHASE D'INSTALLATION................................... (Klio 1978)
227
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Colons gréco-macédoniens et populations rurales asiatiques. . . . . . . . . . .. A. Fondations hellénistiques et activités agricoles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1. Richesse des territoires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2. Abondance des populations rurales indigènes. . . . . . . . . . . . . . . . .. B. Conséquences de l'implantation européenne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1. Les villes neuves de Syrie du Nord. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. a) Délimitation et organisation des chôrsi . . . . . . . . . . . . . . . . . .. b) Citoyens et dépendance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2. La colonisation gréco-macédonienne en Iran oriental. . . . . . . . . . .. a) Les paysans dépendants sur les terres des hyparques. . . . . . .. b] Déportation en masse et dépendance: l'exemple d 'Alexandrie-sur Iaxartes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. c] Le cas d'Aï-Khanoum. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
227 230 230 230 233 234 234 234 237 240 241
-
533-
244 247 248
3. Conquête, conlonisation, hilotisation. . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . .. a 1Crise sociale grecque et dépendance asiatique. . . . . . . . . . . . .. b) Conquête et dépendance rurale en Orient. . . . . . . . . . . . . . . .. cl Colonisation hellénistique et dépendance. . . . . . . . . . . . . . . . ..
Pages 248 248 249 250
II. Gréco-Macédoniens et indigènes dans les fondations hellénistiques. . . . . .. A. L'introduction d'une population mixte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1. Les fondations d'Alexandre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2. Les fondations des successeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. B. Les rapports soeio-ethniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1. Données numériques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2. Terminologie. . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 3. Peuplement/dépeuplement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 4. Répartition spatiale et segrégation sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 5. Organisation des rapports sociaux de production. . . . . . . . . . . . . .. 6. Naissance d'une ethno-classe , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
252 253 253 253 254 255 256 257 258 260 261
II.
RENFORTS GRECS DANS LES CITÉS HELLÉNISTIQUES D'ORIENT. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . ... (Klio 19821
263
1. Anthroponymie et société: Suse, Doura-Europos, Uruk
, Il Le cas de Suse/Séleucie de l'Eulaios , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Le cas de Doura-Europos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . .. . . . . . . . .. 31 Le cas d'Uruk/Orchoi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
264 265 265 266
II. Onomastique, démographie, émigration. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
267
III. L'exemple d'Antioche de Syrie....................................
276
IV. Bref bilan de la discussion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
278
IMPÉRIALISMES ANTIQUES ET IDÉOLOGIE COLONIALE DANS LA FRANCE CONTEMPORAINE: ALEXANDRE LE GRAND MODÈLE COLONIAL............................................. (DHA5, 1979) I.
281
La mise en place d'un nouveau modèle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
281
II. Le renfort de la géographie coloniale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. - Le thème de la route. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. - Le thème de l'exploration géographique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
283 284 285
III. Histoire - Géographie/Idéologie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
287
Notes.............................................................
289
-
534-
Pages DES ACHÉMÉNIDES AUX ROIS HELLÉNISTIQUES: CONTINUITÉS ET RUPTURES : . . . . . . . . .. (BILAN ET PROPOSITONS) (ASNP 1979)
1. Rappels historiographiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1) Droysen et Alexandre
, 2) Alexandre, Plutarque et l'historiographie coloniale. . . . . . . . . . . .. 3) Histoire et eschatologie , , 4) Ruptures et continuités. " , 5) Histoire hellénistique et Mode Production Asiatique 6) Histoire hellénistique et histoire achéménide. . . . . . . . . . . . . . . . . .. II. Perspectives de recherches 1) Le paradoxe historiographique achéménide 2) Sources grecques et histoire achéménide 3) Donations achéménides et donations hellénistiques 4) La longue durée: l'exemple bactrien
291
291 291 293 294 296 298 299
, , , , ,
301 301 305 309 314
III. Alexandre et l'histoire du Proche-Orient , 1) Ambiguïtés de la notion de continuité , 2) Etat et modefs] de production. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 3) Le «dernier des Achéménides» ,
318 318 323 325
L'ÉLEVAGE OVIN DANS L'EMPIRE ACHÉMÉNIDE. . . . . . . . . . . . . .. (JESHO 1979)
331
1. Remarques préliminaires
21 Sources. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 3) Problèmes de vocabulaire ,
331 331 332 334
II. Les grandes régions de production. Problèmes d'organisation , 1) Asie Mineure et Anatolie , 2) Peuples pasteurs du Zagros .. , , 3) Le Fars [Perside}, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 4) La Babylonie achéménide. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
335 335 336 338 345
III. Produits et utilisations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
347
IV. Conclusions et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
353
,
1) L'Empire perse dans le Moyen Orient ancien. . . . . . . . . . . . . . . . ..
-
535-
Pages CONQUÊTE TERRITORIALE ET STRATÉGIE IDÉOLOGIQUE: ALEXANDRE LE GRAND ET L'IDEOLOGIE MONARCHIQUE ACHÉMÉNIDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Colloque de Mogilany 1977, Varsovie Cracovie 1980)
357
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
357
I. Conduite de la guerre et idéologie de la paix. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. A. Main-mise d'Alexandre sur la terre royale et les dépendants ruraux. .. B. Souveraineté territoriale et justifications idéologiques. . . . . . . . . . . . . .. 1) Les contradictions d'Alexandre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 21 La proclamation d'Arsitès. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. C. Contre-offensive idéologique macédonienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1) Conquête et respect du pays et des habitants. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) La condamnation portée contre Arsamès de Cilicie. . . . . . . . . . . .. 31 La disqualification idéologique de Darius. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. D. Ampleur et persistance du débat idéologique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. E. Conclusions.................................................
360 360 362 362 363 365 365 366 367 369 370
II. Guerre, religion et légitimité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. L'échange de lettres après Issos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1) Problèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Le débat sur la souveraineté. . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. B. Les justifications idéologiques d'Alexandre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1) Le principe de la victoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 21 La protection d'Ahurah-Mazdah et des autres dieux. . . .. . . . . . .. 3) L'illégitimité de Darius III : le principe dynastique. . . . . . . . . . . ..
371 371 371 372 373 373 375 380
III. L'affaire de Persépolis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. A. Sources et problèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. B. Alexandre et Cyrus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1) Propagande dynastique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Pasargades et l'investiture royale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Rattachement à Cyrus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 4) Pasargades, lieu de l'investiture royale , C. Les résistances en Perse: l'échec d'une stratégie idéologique. . . . . . . .. 1) L'insuffisance du prétexte pan-hellénique " 2) L'idéologie royale et l'idéologie impériale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31L'impossibilité du consensus idéologique " 4)L'échec et la décision finale " D. Les lendemains de Persépolis "
384 384 386 386 389 391 392 393 393 394 3% 399 401
-
536-
Pages COMMUNAUTÉS RURALES, FORCES PRODUCTIVES ET MODE DE PRODUCTION TRIBUTAIRE EN ASIE ACHÉMÉNIDE.............
405
(Zamân 1980)
1. Villages, économie royale et Mode de Production Tributaire
, 1) Introduction............................................. 2) Les villages , 3) Economie royale et Mode de Production Tributaire ,
II. Communautés et Rois
406 406 407 409
,
413
III. Etat et "haut commandement économique" , 1) Mode de Production et Forces Productives , 2) Etats, communautés et travaux d'irrigation. . . . . . . . . . . . . . . . . ..
418 418 422
FORCES PRODUCTIVES, DÉPENDANCE RURALE ET IDÉOLO· GIES RELIGIEUSES DANS L'EMPIRE ACHÉMÉNIDE. . . . . . . . . . . . .. (Table Ronde de Besançon 1977, Paris 1980)
431
1.
,
432
II. Travail agricole et pratique religieuse dans le Fargard III de l'Avesta [Vendidâd] ,
435
III. Idéologie avestique, et idéologie monarchique achéménide. . . . . . . . . . . ..
439
IV. Véhicules et représentations idéologiques , 1) Introduction............................................. 2) Fête du Nouvel An. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . .. 3) L'éducation perse......................................... 4) Les paradis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
444 444 444 449 451
V. Idéologie dominante et mentalités paysannes , 1) Conquête achéménide et peuplement iranien. . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Cultes iraniens, cultes grecs et cultes anatoliens ,
456 457 463
VI. Bilan et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
467
Introduction: infrastructures/superstructures
-
537-
Pages APPAREILS D'ETAT ET DÉVELOPPEMENT DES FORCES PRODUCTIVES AU MOYEN-ORIENT ANCIEN: LE CAS DE L'EMPIRE ACHÉMÉNIDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (La Pensée, février 1981)
475
- L'Etat impériale-tributaire achéménide. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. - La «stagnation asiatique» :une fiction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. - «Stagnation achéménide» et «régénération européenne». . . . . . . . . . .. - Les incitations de l'Etat au développement des forces productives humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - Forces productives humaines et idéologies. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. " . . . . . . . .. - Etat achéménide et politique de l'eau - Etat central et «haut commandement économique» . . . . . . . . . . . . . . ..
475 477 478
SOURCES GRECQUES ET HISTOIRE ACHÉMÉNIDE. . . . . . . . . . . . . ..
491
479 482 484 488
(Annales ESC 19821
1. Problème: la circulation des informations et des témoignages. . . . . . . . . . ..
491
2. Le poids de l'histoire orale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. Il La collecte des témoignages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Histoires orales et Histoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
492 492 494
3. Sources grecques et documents archivistiques achéménides. . . . . . . . . . . . .. Il L'accès aux documents d'archives. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2) Références et citations explicites. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 31 Documents écrits et histoire orale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
495 495 497 499
4. Convergences et divergences. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. Il Hérodote III. 61-87. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 21Hérodote III. 97. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 3) Pline, Bist.Nat., XXXIV.19.68. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
500 500 501 503
5. Un bilan partiel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
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CARTES - Le Moyen Orient achéménide et la conquête d'Alexandre hors texte - Trajet d'Alexandre en 330 de Bâst aux Portes Persiques. . . . . . . . . . . . . . . .. 168 Table des matières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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