A propos de la méthode du module de réaction pour le calcul des soutènements JEAN-FRANÇOIS CORTÉ Ingénieur Département des sols et fondations Laboratoire central
I. INTRODUCTION L a m é t h o d e du module de réaction, ou modèle de Winkler ou encore méthode des ressorts indépendants, est un modèle d'interaction sol-structure pour lequel la réaction exercée par le sol en un point est directement proportionnelle au déplacement de ce point (fig. 1) : p
= ky .
(1)
Le module de réaction k est traditionnellement pris indépendant de la valeur du déplacement y et, le plus souvent, constant sur toute l'épaisseur d'une même couche de sol.
RÉSUMÉ
L'origine de cette m é t h o d e est, sans doute, à rechercher dans le fait que cette loi d'interaction conduit, pour les poutres élastiques, à une équation différentielle ordinaire aisément integrable : 4
L'utilisation de la m é t h o d e du module de réaction pour le calcul des s o u t è n e m e n t s peut conduire, dans certains cas, à des résultats contestables. Une telle situation est illustrée ici par l'étude d'une paroi en b é t o n de forte inertie, encastrée dans un schiste très résistant. Deux calculs, conduits suivant les errements habituels par la m é t h o d e du module de réaction, en utilisant des d é t e r m i n a t i o n s différentes du module horizontal, sont c o m p a r é s aux résultats fournis par un calcul élastique par la m é t h o d e des é l é m e n t s finis (programme R O S A L I E du L C P C ) . L'examen des résultats montre que, pour de tels p r o b l è m e s , la l o i de réaction normale locale de la m é t h o d e au module de réaction ne saurait représenter correctement le comportement d'un continuum élastique, quelles que soient les valeurs n u m é riques choisies pour évaluer les caractéristiques du sol. M O T S CLÉS : 24- 42 - Calcul - Mur de soutènement - Paroi moulée - Coefficient de réaction du sol - Horizontal - Éléments finis (méthode) Sol - Encastrement - Profondeur - Élasticité.
B u l l , liaison L a b o . P. et C h . - 1 0 4 - n o v . - d é c . 1979 - Réf. 2367
d v
I7
EI
+
k y
=
(2)
m
L a simplicité des résultats a conduit à une multiplication des applications de cette méthode — poutres et dalles posées sur le sol, pieux sollicités horizontalement, soutènements — et la satisfaction de mener un calcul mathématique exactement, jusqu'au bout, semble parfois avoir pris le pas sur la réflexion, sur la validité du -* modèle utilisé. y
S'il est incontestable que la méthode du module de réaction conduit, dans certains cas, à des solutions réalistes et d'une précision acceptable pour l'ingénieur (rails, pieux) [1], il convient d'en reconnaître les limites.
Q
p = ky
Fig. 1. — M é t h o d e d u m o d u l e d e réaction. Loi effort déplacement.
Cet article présente, à ce propos, un exemple éloquent tiré d'une étude particulière faite au L C P C .
49
1
IL PRÉSENTATION DU PROJET Une paroi moulée, simplement encastrée en pied, était projetée pour contenir les déplacements horizontaux de 10,60 m de couches de sols compressibles surmontant du schiste, ayant d'excellentes caractéristiques mécaniques. U n essai pressiométrique effectué dans cet horizon a d o n n é un module de 1 750 M P a (fig. 2). L e torseur des efforts dus à la poussée horizontale des couches argileuses au niveau du toit du schiste avait été estimé à : — Effort tranchant T = 504 k N / m l ; — Moment fléchissant M = 2 360 k N . m/ml.
Soit x le déplacement horizontal en tête de l'encastrement et œ la rotation, les équations de l'équilibre conduisent aux expressions suivantes :
- 1/ X
~
4-
k \ h
2
h
1 (\2 M œ
=
k\
il 6_f 2
h*
h
Le déplacement A au sommet de la paroi A , dû à la rotation de l'encastrement, a pour valeur : A = x + Ica =
I (
6 M
k\
h
(3)
2
D ' a p r è s (3), A est inversement proportionnel à k et est une fonction polynomiale du troisième degré de i .
Influence de la hauteur d'encastrement sur A Afin de s'affranchir du problème de la connaissance de k, Sols compressibles
nous étudierons la variation du rapport 10,60 m M = 2 360 kN — m/ml
o ù z l est le 2
A
2
déplacement correspondant à un encastrement de 2 m. Pour les valeurs numériques de ce problème
T = 504 kN/ml
(T = 504 k N / m l ;
M = 2 360 k N . m / m l ;
/ = 10,6 m ) ,
les résultats sont portés dans le tableau I et sur la figure 3. E
p
=
1750 MPa
Nota
: La prise en compte de l'élasticité
légèrement
Schiste
peut être négligé 2,15 m
de grandeur
augmente
accroissement les ordres
AjA 2
TABLEAU I
Déplacement relatif A / A
Compte tenu de la valeur élevée du module du schiste et de l'importance de la paroi (inertie I = 0,83 m / m l ) , l'appréciation portée sur l'efficacité de cette solution, sa faisabilité et son coût dépendaient évidemment d'une estimation réaliste de l'encastrement nécessaire.
A. Cet
; il ne change pas, de toute façon,
des rapports
Fig. 2. — Exemple étudié. (La paroi en f o r m e de p e i g n e est s c h é matisée ici par u n écran de s e c t i o n c o n s t a n t e et de m ê m e inertie.)
L'objectif étant de limiter au maximum le déplacement en tête de paroi A , i l était nécessaire de choisir une paroi de forte inertie et de réduire autant que possible la rotation de l'encastrement.
de la paroi
la valeur du déplacement
\
h
2
\
1 m
er
1 calcul module constant 6,96 2 calcul m é t h o d e M é n a r d , 4,67 Bourdon, G a m b i n Calcul par éléments finis
2m
3 m
4 m
5 m
1,00
0,34
0,16
0,09
1,00 1,00
0,43 0,96
0,25 0,95
0,16
e
4
L'étude de l'encastrement a été effectuée par un calcul par la m é t h o d e des éléments finis à l'aide du programme Rosalie du L C P C et, bien que jugés irréalistes a priori, pour des raisons explicitées en conclusion, des calculs par la méthode du module de réaction ont été faits à titre de comparaison. Les paragraphes suivants présentent les résultats de l'ensemble des calculs effectués.
A A
2
1
Déplacement du point A pour un encastrement h Déplacement du point A pour h = 2 m
Calcul par la méthode des éléments finis (Rosalie)
0,8
0,6
Méthode de Mé"nard Bourdon - Gambin
0,4
III. MÉTHODE DU MODULE DE RÉACTION 1. Premier calcul. Module constant L a paroi est supposée infiniment rigide par rapport au sol et le module de réaction horizontal k est pris constant sur toute la hauteur de la fiche et indépendant de celle-ci. h
50
0,2
Module de réaction
-X -•o
0
1
2
3
4 5 Encastrement h (m)
Fig. 3. — D é p l a c e m e n t d u s o m m e t A de la paroi en f o n c t i o n d e l'encastrement p o u r trois m é t h o d e s de calcul différentes.
2. Deuxième calcul : Méthode Ménard, Bourdon, Gambin [2, 3]
IV. CALCUL PAR LA METHODE DES ÉLÉMENTS FINIS
L a paroi est supposée infiniment rigide par rapport au sol. Le module de réaction est supposé constant égal à k , sur la partie de la fiche en butée, et égal à Xk , sur la partie en contrebutée (fig. 4). Ici, la valeur du module de réaction est une fonction de la hauteur d'encastrement h ; k est relié au module pressiométrique par la relation : h
h
h
a j + 13(0,09 a)"
k
1. La paroi et le sol sont supposés être homogènes, isotropes et avoir un comportement élastique linéaire On suppose de plus que la liaison sol-paroi est parfaite, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de déplacement relatif ou de décollement.
(4)
h
où a = ^ h et a = coefficient rhéologique ici pris égal à 0,5 (« roche normale »). Nous prendrons par ailleurs l = 3 suivant les errements habituels.
L'étude de l'encastrement a été fait en déformation plane à l'aide du programme Rosalie du L C P C avec des éléments à trois nœuds (déformation uniforme). L a figure 5 présente un détail du maillage. Des calculs ont été faits pour trois valeurs différentes de l'encastrement : h = 2 m, 3 m et 4 m.
p = Xky
Fig. 4 . — M é t h o d e de M é n a r d - B o u r d o n - G a m b i n .
Fig. 5. — Détail d u maillage. ( C a l c u l par la m é t h o d e des é l é m e n t s finis.)
Soit x le déplacement horizontal en tête de l'encastrement et m la rotation, d'après [3]. M 7-|4,7
F
1 (
M
3,61 v h T
Les résultats, interprétés en terme du même rapport — , sont reportés dans le tableau I et sur la figure 3.
Le déplacement A au sommet de la paroi A , d û à la rotation de l'encastrement, a pour valeur :
— ' » = i;i?(« Ep
+
"î)*î(
i l !
L a déformation élastique de la paroi restant faible devant celle du sol, on peut considérer que l'ordre de grandeur du rapport
^
est indépendant de la valeur du module prise A
2
pour le sol.
+ 13(0,06 /Ï)1/2
2. Réaction du sol sur la paroi (5) D ' a p r è s (5), A reste inversement proportionnel à Ep
Influence de la hauteur d'encastrement sur A Ici encore, afin de s'affranchir du problème de la qualité de la mesure de Ep et pour pouvoir comparer les méthodes entre elles, nous étudierons la variation du rapport
où A
2
A
2
est le déplacement correspondant à un encastrement de 2 m. Les résultats sont reportés dans le tableau I et sur la figure 3.
L a figure 6 présente les contraintes normale et de cisaillement créées par les sollicitations r et M et calculées dans le schiste à proximité de la base et des faces latérales de la paroi, pour un encastrement de 2 m (les contraintes sont calculées au centre de gravité des éléments triangulaires). O n notera l'importance des efforts de cisaillement par rapport aux efforts normaux : sur la base : T
0,23 M P a et | a
0,07 M P a
x
— sur les faces latérales : t au voisinage du toit du schiste.
m a x
« 0,70 | c
y
« 1 MPa
51
V. CONCLUSIONS Les calculs par éléments finis effectués donnent une solution exacte pour la schématisation élastique étudiée. Bien que les résultats présentés n'aient pas été vérifiés expérimentalement, les indications données par cette méthode nous semblent a priori plus crédibles que celles tirées des calculs par la m é t h o d e du module de réaction. L'interaction réelle solparoi est, en effet, mieux représentée par le modèle continu que par des ressorts indépendants qui ne peuvent simuler, de toute façon, qu'une réaction normale. Les calculs par éléments finis peuvent donc servir de référence pour l'appréciation des résultats obtenus par la méthode du module de réaction.
Fig. 6. — C o n t r a i n t e s n o r m a l e et de c i s a i l l e m e n t sur les faces latérales et la base de la paroi, e n c a s t r e m e n t h = 2 m. ( C a l c u l par la m é t h o d e des é l é m e n t s f i n i s . )
3. Influence de l'encastrement Les figures 7 et 8 présentent respectivement la variation de la contrainte normale et de la contrainte de cisaillement sur la face avant de la paroi pour trois valeurs d'encastrement dans le schiste : h = 2 m, 3 m et 4 m. On notera que la hauteur d'encastrement a peu d'influence sur la valeur des contraintes. L a réaction du sol aux efforts , appliqués semble être obtenue pour les deux mètres supérieurs ; il ne servirait donc T ,it du schiste à rien de prolonger l'encastrement i au-delà de cette valeur. x ir
Pour des mêmes hypothèses de comportement élastique du sol et du pieu, la figure 3 montre que la m é t h o d e du module de réaction (utilisée couramment sans justification théorique) conduirait ici, en négligeant les efforts de cisaillement sur les faces latérales et la réaction sur la base, à prendre en compte une variation de la rotation du pied de la paroi en fonction de la hauteur de l'encastrement. Ce résultat semble en fait faux, au-delà d'une certaine valeur. Cet exemple tend à prouver que les méthodes de calcul du module de réaction ne doivent pas être appliquées sans discernement à n'importe quel problème. E n particulier, elles peuvent conduire à des résultats contestables dans le cas d'écrans de forte inertie et de faible élancement, ancrés dans des sols de résistance élevée. Nous nous sommes efforcés, dans cette étude comparative, d'éliminer l'influence de la valeur choisie pour le module de réaction. Signalons simplement que les valeurs absolues des déplacements A diffèrent très sensiblement selon la méthode h (m) Toit du schiste
'_/////////////////.
2 h = 2 m Encastrement
{ h = 3 m h = 4 m .
Í h= 2m Encastrement J h = 3 m ( h= 4m
— X —
Fig. 7. — C o n t r a i n t e de c i s a i l l e m e n t sur la face avant de la paroi pour trois hauteurs d ' e n c a s trement. ( C a l c u l par la m é t h o d e des é l é m e n t s finis.)
52
ci-
3 -
IO
.(kPa)
X-
2
10
J
(kPal
Fig. 8. — C o n t r a i n t e n o r m a l e sur la f a c e avant d e la paroi p o u r t r o i s h a u t e u r s d ' e n c a s t r e m e n t . ( C a l c u l par la m é t h o d e d e s é l é m e n t s finis.)
choisie pour estimer la valeur du module de réaction. A titre d'illustration, pour un encastrement de 2 m : — pour le calcul avec un module constant en prenant pour k (sans justification) suivant des errements fréquents, la valeur proposée pour les pieux :
— pour le calcul selon la deuxième méthode, en appliquant la formule donnée par M M . Ménard, Bourdon et G a m bin (4) : k = 362 M P a / m
et
A
2
« 0,092 m
— pour le calcul par la méthode des éléments finis : E = 1 750 M P a aveci? = 1 m, k = 3 114 M P a / m et A
2
TABLEAU
x 0,016 m
E
r e
0,016 m
k
h
2 méthode = 362 M P a / m
0,092 m
A « 0,004 m . 2
La comparaison des trois valeurs (tableau II) n'appelle pas de commentaire.
II
BIBLIOGRAPHIE
Déplacement en tête de la paroi A (pour un encastrement de 2 m) dû au seul mouvement de l'encastrement
l méthode k = 3 114 M P a / m
et
Calcul par éléments finis (programme ROSALIE) 0,004 m (*)
[1] BAGUELIN F . ,
FRANK
R.,
SAID Y . - H . ,
Etude t h é o r i q u e
du
mécanisme de réaction latérale des pieux, Bull, liaison labo. P. et Ch., 92, nov.-déc. 1977, p. 35-56. [2] M É N A R D L . , B O U R D O N G . , GAMBIN M . , M é t h o d e générale de
calcul d'un rideau ou d'un pieu sollicité horizontalement fonction des résultats pressiométriques, Sols-Soils, 22-23.
en
[3] JOSSEAUME H . , M é t h o d e de calcul des rideaux de palplanches. Etude bibliographique. Bull, liaison labo. P. et Ch., 72, juil.-août 1974, p. 177-212.
(*) Y compris la déformation élastique des 2 m de paroi d'encastrement dans le schiste.
[4] DOSSIER F O N D 72. Fondations courantes d'ouvrages d'art, document L C P C - S E T R A , 1972.
53