COLLECTION TURCICA
VOL. ix
Syncrétismes et hérésies dans l'Orient seldjoukide et ottoman (XIVe-XVIIP siècle) Actes du Colloque du Collège de France, octobre 2001
Sous la direction de Gilles VEINSTEIN Publié avec le concours du Collège de France
PEETERS PARIS 2005
Denis GRIL
ÉSOTÉRISME CONTRE HÉRÉSIE:
L'hérésie n'est que le rejet par une orthodoxie dominante de croyances et de pratiques jugées hétérodoxes. L'auteur dont nous allons traiter a appartenu, dans la Bursa du XVe siècle, à l'élite intellectuelle et spirituelle proche des milieux dirigeants. Il semble avoir été considéré comme parfaitement orthodoxe. Pourtant son appartenance à l'école d'Ibn 'Arabî ou son intérêt déclaré pour un savoir ésotérique, votre occulte, comme la science des Lettres ou la prédiction des événements à venir, l'aurait certainement voué ailleurs à la vindicte des 'ulamâ'. Luimême n'hésite pas à vouer aux gémonies certains sectateurs des Lettres, classés par lui parmi les pires des hérétiques. Outre l'intérêt propre de son œuvre, le cas de Bistâmî nous rappelle qu'hérésie et hétérodoxie restent des notions relatives. L'essentiel de ce que nous savons sur 'Abd al-Rahmân b. Muhammad b. 'Alî b. Ahmad al-Hanafî al-Bistâmî tient dans la courte notice que lui consacre Tâshkôpriïzâde dans ses Shaqâ 'iq aï-nu'mâniyya '. Il était originaire d'Antioche. Le nom de Bistâmî indique non pas une origine iranienne mais une affiliation spirituelle sur laquelle nous reviendrons. Formé dans toutes les sciences islamiques traditionnelles, il était particulièrement versé d'une part dans la science des Lettres et ses applica1 Beyrouth 1395/1975, p. 31. Sur Bistâmî, voir. Brockelmann, CAL, II, p. 231-2, S, II, p. 323-4 ; Ziriklî, al-A'lâm, IV, p. 91 ; Kahhaleh, Mu'jam al-mu'allifîn V 184-5 ; El 2 ,1, p. 1286 ; Encydop. Iranica, IV, p. 182-183 ; DIA, VI, p. 218-219 : Toufic Fahd, La divination arabe, Paris 1987, p. 228-230.
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lions pratiques, notamment les carrés magiques (khawâss al-hurûf wa 'ilm al-wafq wa l-taksîr) ; d'autre part dans la connaissance des événements à venir (al-jafr wa l-jâmi'a), de l'histoire et de la chronologie (altawârîkh). La recherche de ces sciences «étranges» ou occultes (al'ulûm ai-gharîba) le conduisit à voyager en Syrie, en Egypte et jusque dans l'Occident musulman. Est-ce sa réputation dans ce domaine qui l'amena à Brousse, capitale des Ottomans ; Les savants de la ville lui firent sans doute bon accueil puisque, nous précise la notice, Mollah Shams al-Dîn al-Fanârî2 reçut de lui ces sciences occultes. Il resta à Brousse jusqu'à sa mort en 858/1454, un an après la prise de Constantinople. Tâshkôpruzâde (m. 968/1561) eut l'occasion de consulter une grande partie de ses œuvres, pour la plupart autographes, soigneusement calligraphiées et composées, précise-t-il. Quoiqu'élogieuse, la notice parle de «sciences étranges» pour désigner l'intérêt principal de notre auteur. Cette réserve à l'égard des sciences occultes explique sans doute que jusqu'à nos jours son œuvre soit restée manuscrite, à l'exception d'un ouvrage littéraire peu connu par ailleurs3. Son traité le plus souvent cité, al-Fawâ'ih al-miskiyya fî~l-fawâîih almakkiyya «Les senteurs de musc lors des ouvertures mecquoises», reflète assez bien la personnalité littéraire, intellectuelle et spirituelle de Bistâmî et mériterait une étude approfondie. On se contentera ici d'un aperçu rapide qui nous conduira sur les traces de l'hérésie, telle que l'auteur entend la dénoncer. Les autres traités, plus techniques, relèvent avant tout de la science des Lettres opérative ou du jafr mais n'en contiennent pas moins des renseignements utiles sur l'auteur et son œuvre. Les Fawâ'ih se présentent comme un assemblage de courtes épîtres (risâla} dont le titre comme l'introduction sont rédigés dans une prose rimée assez recherchée. Le corps de l'épître, parfois entrecoupé de courts poèmes, adopte un style généralement plus simple. Pourquoi ce style orné ; L'auteur déclare répondre à la demande d'une haute personnalité qui n'est pas nommée mais ne peut être le Sultan, contrairement à ce qu'affirmait Brockelmann. Quoi qu'il en soit, Bistâmî affirme sa parfaite maîtrise de la langue arabe et déploie une vaste culture. Il perpétue cette tradition de Vaàab qui consiste à briller par l'élégance de son style, la richesse de son lexique et l'étendue de connaissances héritées en partie de civilisations antérieures à l'islam. On comprend qu'il n'eut aucune Ce dernier est mort à Bursa en 834/1431, âgé de 83 années lunaires. Manâhij al-tawassul fî mabâhij al-tarassul, en marge du Jinân al-jinâs de Salâh alDîn al-Safadî, Le Caire, 1299/1882. 2
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peine à s'intégrer dans le milieu des 'ulamâ' et à être introduit auprès des hauts dignitaires de l'État. Par ailleurs l'ouvrage, par son seul titre, s'inscrit dans la continuité d'un auteur dont l'œuvre n'a cessé, depuis le XIIIe siècle, d'influencer l'élite intellectuelle et spirituelle du Bilâd al-Rûm : Ibn 'Arabî, souvent cité, explicitement ou implicitement. Le titre des Fawâ'ih al-miskiyya fîl-fawâtih al-makkiyya ne rappelle-t-il pas en partie celui des Fuîûhât alMakkiyya4, «Les révélations mecquoises» ? Sur le modèle de ces dernières, le livre prend pour point de départ la Ka'ba, Heu de révélation des mystères, point de contact entre le ciel et la terre et centre de la hiérarchie des saints qui veillent sur le monde. L'auteur, à l'instar d'Ibn 'Arabî, annonce son plan en détail ; il avait prévu cent chapitres dont les titres révèlent ses intentions encyclopédiques. Il semble bien qu'il se soit délibérément arrêté au chapitre 30, en 844 de l'Hégire, ayant atteint le «grand âge» de 62 ans3, nous confie-til. Grâce à cette indication, nous savons qu'il est né en 782/1380. Trois orientations principales se dégagent des Fawâ'ih al-miskiyya : - une inspiration soufie, fortement mais non exclusivement inspirée par Ibn 'Arabî, pénétrée des connaissances les plus ésotériques mais non moins soucieuse de définir les voies orthodoxes d'accès à la connaissance et à la sainteté, mettant en garde le lecteur contre certaines déviations et l'instruisant dans les pratiques initiatiques, le dhikr en particulier; - des développements spécifiques sur la science des Lettres, présente par ailleurs dans tout l'ouvrage, sous diverses modalités, théorique ou spirituelle, théurgique et pratique, comme par exemple ses applications médicales; - un intérêt constant, déjà noté par Tâshkôpriizâdeh, pour l'histoire, la chronologie, l'héritage scientifique antique ou encore la classification des sciences. Héritier de Yadab classique, cet ouvrage recueille aussi nombre de traditions d'origines persane, indienne, chinoise et grecque, déjà intégrées dans le savoir islamique.
4 En réalité, le titre s'inspire tout autant des Fawâ'ih al-jamâl wafawâtih al-jalâl de Najm al-Din Kubrâ (m. 618/1221), le grand maître du Khwârezm (cf. l'étude et l'édition de Fritz Meier, Die Fawâ'ih al-jamâl wa fawâ'ih al-jalâl des Najm ad-Dîn al-Kubrâ, Wiesbaden, 1957, et l'étude et la traduction récentes de Paul Ballanfat : Najm al-Dîn Kubrâ, Les éclosions de la beauté et les parfums de la majesté, Nîmes 2001). Quoique l'influence doctrinale d'Ibn 'Arabî soit prépondérante, il faut voir dans la référence à Najm al-Dîn Kubrâ, une allusion à son influence majeure sur le soufisme anatolien ainsi qu'à l'une des voies initiatiques auxquelles était rattaché l'auteur (voir infra). 5 Dans le colophon de l'exemplaire consulté : BN arabe 6520 f. 164, le copiste dit avoir copié le texte sur l'exemplaire autographe, en 1091 H.
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Le projet encyclopédique de Bistâmî était trop vaste pour être mené à son terme. Il faut avouer aussi que la logique de son plan nous échappe parfois. On a un peu l'impression d'une œuvre à tiroirs, constituée à partir de textes précédemment rédigés. C'est ce que suggère la comparaison des Fawâ'ih al-miskiyya avec d'autres traités de Bistâmî, sur la science des Lettres en particulier. L'originalité de cette œuvre réside moins dans son contenu que dans son projet qui consiste à recentrer l'ensemble du savoir autour d'un noyau essentiel : la science des Lettres, clé de toute connaissance, «science des saints» selon l'expression d'al-Hakîm al-Tirmidhî* reprise par Ibn 'Arabî, et donc héritière de l'intérieur de la prophétie. Bistâmî s'inscrit en effet dans une tradition ésotérico-hermétique qui repose simultanément sur le soufisme et la science des Lettres. Reprenant à dessein le titre des Épîtres des Ikhwân al-safâ, il adresse à plusieurs reprises son discours aux «frères de la pureté d'entre les soufis et amis fidèles, adeptes de la science des Lettres» (ikhwân al-safâ min alsûfiyya wa khillân al-wafâ min al-harfiyya1}. Ces deux catégories d'êtres spirituels sont distinguées mais unies par leur inspiration commune, le dévoilement direct (kashf) auquel prépare le cheminement initiatique. «Les maîtres dans la science des Lettres (al-sâdât al-harftyya), écritil, sont comparables aux sûfiyya dans leur mode de réception des connaissances, mais ils s'en distinguent par des connaissances subtiles, de nobles secrets, des connaissances gustatives et une terminologie qui leur est propre. Ils reçoivent la connaissance des secrets du Coran, du bon augure (/a'/), des relations entre les Lettres, les nombres, les tempéraments, les conjonctions astrales, par l'intermédiaire des awfâq («carrés magiques»). Ils possèdent également la science des Noms divins, des invocations et de leurs effets spirituels, des remèdes...8» La suite de ce passage qui correspond à la fin du livre énumère les 68 sciences issues de la science des Lettres, ce qui montre bien qu'elle constitue pour l'auteur l'origine et l'achèvement de toutes les sciences. 6 Cf. Tirmidhî, Khatm al-awliyâ', éd. O. Yahya, Beyrouth, 1965, p. 363 ou Sfrat alawliyâ', éd. B. Radtke, Beyrouth, 1992, p. 58 ; dans ce passage le 'ilm al-hurûfest l'une des quatre sciences qui caractérisent les saints et constituent les principes de la Sagesse (usai al-hikma). Le traité de Tirmidhî intitulé «La science des saints» ('(7m al-awliyâ') commence par évoquer la science des lettres. Sur la place de celle-ci chez cet auteur, voir Geneviève Gobillot, Le livre de la profondeur des choses, Villeneuve d'Ascq, 1996, chap. VII «le langage». 7 II emploie loujours ce terme, positivement ou négativement, mais jamais celui de hurûflyya. H Fawâ'ih at-miski\\a f.!31b.
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Comment et par qui Bistâmî fut-il initié dans les deux voies, celle du soufisme et celle des Lettres ? Il nous renseigne sur la première, non dans les Fawâ'ih al-miskiyya mais dans un autre traité sur la science des Lettres, le Kashf asrâr al-hurûfwa wasf ma'ânîal-2urûf. Dans un passage consacré aux maîtres de la Voie, il mentionne son appartenance à trois chaînes initiatiques. Il a été rattaché par un certain Abu 1-Hasan 'Alî al-Dûrkî (ou al-Dûzkî?) à la voie de Najm al-Dîn Kubrâ, par l'intermédiaire de Nur al-Dîn al-Isfrâ'inî. Son principal maître semble avoir été Shams al-Dîn Muhammad b. Ahmad al-At'ânî, originaire d'Alep et mort en 807 H10, d'après les indications de l'auteur. Ce cheikh appartenait à la Suhrawardiyya, par l'intermédiaire de 'Abdallah al-Balyânî (m. env. 686/1288) " et de quelques maîtres portant la nisba de Bistâmî jusqu'à al-At'ânî. En effet la chaîne initiatique de ces derniers maîtres remontait également à Abu Yazîd al-Bistâmî, rattaché, en mode direct et uwaysî, à l'Imam Ja'far al-Sâdiq. C'est sans aucun doute cette affiliation qui explique le nom de Bistâmî porté par l'auteur et ses maîtres. Enfin, par un certain Shaykh 'Abd al-Hâdî qui avait été l'un des maîtres d'alAt'ânî, Bistâmî avait été initié à une voie remontant au Shaykh Safî alDîn al-Ardabilî, l'ancêtre des Séfévides (m. 735/1334)12. En 'Abd alRahmân al-Bistâmî convergent donc plusieurs voies dont il faudrait étudier en détail les transmetteurs. Certains d'entre eux, comme Balyânî ou d'autres dont al-At'ânî, maître de l'auteur, ont été vraisemblablement le relais de connaissances ésotériques. En ce qui concerne la science des Lettres, Bistâmî ne mentionne que ses deux principaux inspirateurs : Ibn 'Arabî et Shams al-Dîn al-Bûnî13. Comme on l'a déjà signalé, les chapitres 3 à 7 des Fawâ'ih al-miskiyya sont calqués, dans un ordre différent, sur les chapitres 6 à 12 des Futû9 Ms BN fonds arabe 2686, 216 f. Le texte a été composé en 845 H., un an après les Fawâ'ih. 10 En se nommant lui-même à l'aboutissement de cette chaîne, Bistâmî se donne la nisba de Killizî. Killiz est une localité dépendant de 'Azâz, entre Alep et Antioche, cf. Yâqùt, Mu'jam al-Buldân, Beyrouth, 1957, IV, p. 476. 11 Sur lui voir l'introduction de Michel Chodkiewicz à Awhad al-Dîn Balyânî, Épître sur l'Unité Absolue, Paris 1982. Il est intéressant de remarquer qu'un descendant de Balyânî au IXe siècle H. fut réputé pour sa connaissance des sciences occultes. £ur la famille de ce cheikh de Chiraz, voir Denise Aigle, «Le soufisme sunnite en Fars : Shaykh Amîn al-Dîn Balyânî» dans L'Iran face à la domination mongole ( Denise Aigle éd.), Téhéran, 1997. 12 Cf. Kashf asrâr al-hurûf f.110-5. La lecture suivie de ces chaînes de transmission n'est pas facilitée par la composition du texte coupé en plusieurs unités, occupant la page dans différentes directions.
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hât al-makkiyya et d'autres, prévus mais non rédigés, leur empruntent également des titres. Bistâmî a sans aucun doute largement puisé dans les ouvrages de Bûnî qu'il cite souvent14. Il lui doit tout ce qui touche aux applications pratiques de la science des Lettres. Contentons-nous de rappeler ici l'objet de cette science qui repose sur une certaine vision du monde. Les Lettres, dont la prononciation ou l'écriture ne sont que les signes, constituent par leur valeur numérique, leurs relations avec les éléments et les astres, une réalité intermédiaire entre le monde d'en haut et celui d'en bas. En elles se rencontrent les réalités supérieures inscrites dans l'exemplaire céleste du Livre, prototype de la Révélation et les réalités terrestres. Leur rencontre, sur un plan opératoire, s'accomplit par les noms des êtres et des choses qui, par la combinaison de leurs lettres, peuvent être reliés à leurs principes supérieurs, représentés en particulier par les noms divins et angéliques. Les carrés magiques (awfâq) permettent de mettre en relation les propriétés et les sens auxquels renvoient les lettres et de faire agir ainsi les principes supérieurs ou subtils sur les êtres inférieurs ou de dévoiler des réalités cachées dans ce monde mais préexistantes dans le Livre où toutes choses sont inscrites. Les effets de cette science peuvent être physiques : guérison, protection, connaissance de l'avenir mais aussi spirituels, par l'invocation des Noms divins qui élève l'âme vers les mondes supérieurs. La science des Lettres s'inspire aussi bien de la Révélation coranique que d'une multitude de connaissances cosmologiques, héritage des traditions antérieures, déjà largement brassé par les spécialistes des sciences occultes au cours des siècles précédents, dans la tradition alchimique notamment15. Ce fut précisément le rôle d'Ibn 'Arabî d'intégrer un cer13 Sur ïbn 'Arabî et la science des Lettres, on pourra consulter le chapitre VIII du volume collectif sous la direction de Michel Chodkiewicz : Ibn 'Arabî, Les Illuminations de La Mecque, Paris, 1988. On y trouvera une allusion à la relation entre BÛnî et Ibn 'Arabî, p. 615 notes 133 et 134. Contrairement à ce qui est affirmé dans El 2, suppl. 1567, la date de mort de Bûnî ne peut être 622/1225 mais se situe plutôt à la fin des VII-XIIF siècles. On trouvera quelques indications sur l'œuvre de Bûnî dans T. Fahd, La divination arabe, p. 230-2, 237. Sur la science des Lettres, voir Ibn Khaldûn, Shifa' al-sâ'il li-tahdhîb al-masà'il, éd. M. Tanjî, Istanbul, 1958, p. 63-68 ; trad" R. Ferez, La Voie et la Lui ou le Maure et le Juriste, Paris, 1991, p. 184-91 ; voir également le numéro du Bulletin d'Études Orientales sur les sciences occultes sous la direction de Pierre Lory. 14 Sa Durrat aï-âfâqfî 'ilm al-hurûfwa l-awfâq est un commentaire de \&Lam'a nurâniyya fî l-awrâd al-rabbâniyya de Bûnî, cf. GAL suppl. I, p. 910, n° 7 (indication de Michel Chodkiewicz). 15 Cf. Paul Kraus, Jâbir Ihn Hayyân. Contribution à l'histoire des idées scientifiques dans l'islam, Paris, Les Belles Lettres, 1986 ; Pierre Lory, Alchimie et mystique en terre d'islam, Lagrasse, 1989.
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tain nombre de questions d'ordres philosophique et hermétique à une vision universelle de la Révélation où les Lettres par leurs symbolismes phonique, graphique et numérique, permettent une remontée vers les principes non manifestés de l'univers. Bûni, sans négliger la dimension spirituelle sur laquelle il insiste, s'est surtout consacré à développer les applications cosmologiques de cette science. Bistâmî, originaire d'une des grandes villes de l'Antiquité, s'inspire de l'un et de l'autre en y ajoutant une nouvelle intention : faire de la science des Lettres la synthèse du savoir non seulement spirituel, hermétique et scientifique mais aussi historique et littéraire, reprenant à son compte et adaptant à son temps la vocation encyclopédique et universaliste de Vadab. Le style particulièrement fleuri, en prose rimé, par lequel débutent les chapitres des Fawâ'ih al-miskiyya est l'expression de cette ambition. Bistâmi s'est également illustré dans les récits apocalyptiques (Jafr et malâfâm)16, autre genre de littérature ésotérique, étroitement lié à la science des lettres, surtout lorsque ces textes annoncent dans un langage chiffré des événements comme l'avènement ou les vicissitudes de telle dynastie et plus encore la venue du Mahdî. Dès son arrivée en Anatolie, il appliqua ses connaissances dans ce domaine à sa terre d'adoption puisqu'il composa à Akshehir en 810 H. la Sayhat al-bûm fî hawâdîth al-Rûm «Le cri du hibou au sujet des événements de Rûm»17. L'intérêt de l'auteur pour ce type de prédictions s'inscrit dans une vision de l'histoire qui se dégage progressivement du plan des Fawâ'ih al-miskiyya. Inspiré par la première partie des Futûhât, \Q fasl al-ma'ârif «la section des connaissances»18, il expose les débuts et les fins, l'origine du monde et son achèvement, en y ajoutant des traditions sur la prise de Constantinople la Grande et de Rome la Majeure (Qustantiniyya alkubrâ wa Rûmiyya al-'uzmâ) dont la prise par les musulmans doit coïncider avec la venue du Mahdî, la redescente de Jésus et le déferlement final de Gog et Magog. Cette vision eschatologique est tempérée ou mise en attente par la tradition prophétique selon laquelle «Dieu envoie à cette communauté, tous les cent ans, un homme qui rénove pour elle 16 Cf El2 articles Djafr, Malhama et Malâhim (T. Fahd) et T. Fahd, La divination arabe, p. 219-28. 17 Sur ce texte, l'origine du titre et son attribution à Bistâmî, voir D. Gril, «L'énigme de la Shajara aï-nu'mâniyyafî I-dawla al-'uthmâniyya, attribuée à Ibn 'Arabî» dans Les traditions apocalyptiques au tournant de la cnute de Constanlinople (B. Lellouch et S. Yérasimos éd.), Varia Turcica XXXIII, Paris-Montréal, 1999, p. 144-5. 1K Voir l'introduction de M. Chodkiewicz à Ibn 'Arabî, Les Illuminations de La \iecque, p. 46-69.
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sa religion»19. Mêlant perspectives exotérique, ésotérique et eschatologique, Bistâmî, identifie ainsi les rénovateurs : 'Umar b. 'Abd al-'Azîz, al-Shâfi'î, Tabarî, Isfâ'inî, Ghazâlî, Fakhr al-Dîn al-Râzî, Ibn Daqîq al'Id, Ibn Jamâ'a (m. 733 H.)20 ; sans se prononcer prudemment sur le IXe siècle de l'hégire, il annonce la venue du Mahdî pour le Xe. Il rappelle en même temps que le véritable maître du temps à chaque époque est le qutb, le «Pôle» ou chef de la hiérarchie des saints, émanation de l'Esprit de Muhammad, Pôle de toute l'humanité. Il superpose ainsi à dessein les histoires officielle et initiatique de l'islam. Pour rappeler que les traditions apocalyptiques doivent être intériorisées et appliquées par chacun à soi-même, il fait suivre ces traditions d'un chapitre sur le devenir posthume de l'âme et les quatre morts initiatiques21. Le chapitre suivant traite curieusement de deux sujets apparemment sans relation aucune. On y trouve d'abord une sorte de miroir des princes : exhortation à la justice et connaissances nécessaires au bon gouvernement, y compris l'art de la guerre22. Sont relatés ensuite des récits merveilleux sur les villes légendaires. Existe-t-il un rapport entre ces deux parties ? Veut-on ainsi suggérer que depuis ces villes qui représenteraient les centres occultés de la hiérarchie des saints, les véritables vicaires de Dieu surveillent les souverains de ce monde dans leurs capitales et orientent à leur insu leur politique selon la volonté divine? De même, les développements spécifiques sur la science des Lettres sont suivis de deux chapitres fort différents mais complémentaires. Le premier concerne les fondements spirituels de cette science : Le Roseau suprême et la Tablette gardée, son histoire en islam et la connaissance du Nom suprême de Dieu. Le second est une sorte d'histoire de la philoso19 Citée par Abu Dâwûd dans ses Sunan, malâhim 1, éd. M. Muhyî l-Dîn L Abd alHamîd, Beyrouth s. d., I, p. 109, hadîth n" 4291. Sur les autres occurrences de cette tradition, voir al-Sakhâwî, al-Maqâsid ai-hasanz, Beyrouth 1985, p. 203-204. 20 D'après Sakhâwî (voir note précédente), le nom des deux premiers personnages de la liste sont indiqués par Ahmad Ibn Hanbal pour illustrer cette tradition. Les personnages suivants sont principalement des juristes et des théologiens shafi'ites et ash'arites. On trouve une liste à peu près identique chez Sakhâwî, lui-même shâfï'ite. Bistâmî s'inspire sans doute de la même source que ce dernier. Notre auteur, lui-même hanafite, ne manifeste aucun parti pris pour sa propre école juridique et surtout compile toutes sortes de sources. 31 Les morts de couleurs rouge, blanche, verte et noire symbolisent respectivement le fait de contredire les penchants de l'âme, d'endurer la faim, de revêtir le manteau rapiécé des soufis et d'endurer les vexations cf. f. 55b. 32 Nous y apprenons que les carrés magiques comportant 100 divisions conviennent tout particulièrement à la préparation des batailles. Ceci constitue un bon exemple de l'application de la science des Lettres aux domaines les plus variés.
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phie ou plutôt de la Sagesse universelle. Depuis Hermès Trismégiste, en passant par Zoroastre, on retrouve les philosophes de la Grèce réunis sous un titre repris à l'histoire de la médecine : 'Uyûn al-anbâ' fî tabaqâî al-alibbâ' «Les sources des informations sur les générations de médecins»23. En donnant à l'un des chapitres du livre le titre d'un ouvrage connu, Bistâmî signale qu'il s'inscrit dans une certaine tradition littéraire et savante. La science grecque est présentée ici comme devant nécessairement aboutir à la science des Lettres. Au passage, il attire l'attention sur l'importance d'Antioche, sa ville natale, dans la transmission de l'héritage antique. C'est un peu de la même manière qu'il aborde le soufisme, son histoire et ses pratiques, le dhikr en particulier, qu'il ramène à fa science des Lettres. Il s'intéresse aussi dans ce cadre à la vision en rêve et, plus particulièrement à la vision du Prophète, pour souligner son caractère véridique et la différencier d'autres visions où il arrive que l'initié s'illusionne sur lui-même et sur son degré spirituel. Ce type d'illusion ainsi que la réalisation imparfaite de certains états spirituels sont, considère-til, causes de nombreuses déviations. Aussi dénonce-t-il, avec véhémence, les innovations blâmables (bid'a pi. bida') et les sectes déviantes (firqa pl.firaq). Ce parti-pris hérésiographique est nuancé cependant par des critiques plus subtiles, internes au soufisme, pour en dénoncer les déviations. Il passe ainsi en revue non seulement les différentes formes de shi'isme mais aussi les soufis «extrémistes» (ghulât al-sûfiyya), c'est-à-dire, comme les shi'ites pareillement qualifiés, ceux qui tendent à voir en certains êtres, voir en eux-mêmes, une manifestation divine. Il dénonce aussi les antinomistes (al-ibâhiyya), ceux qui se déclarent au delà des interdits ou des mises en garde de la Loi, se permettant par exemple de regarder ou même de fréquenter de plus près les jeunes gens imberbes. L'usage du hachisch par certains derviches est également honni. Quelques ordres comme les Qalandariyya, Haydariyya, Harîriyya et même Rifâ'iyya sont taxés d'hétérodoxie pour leurs pratiques peu conformes à la Loi, Mais surtout il voue aux gémonies les «hérétiques des imposteurs de la science des Lettres» (al-zanâdiqa min makhâriqat al-harfiyyà}, autrement dit les Hurûfis. Les trois derniers chapitres résument de manière significative les orientations doctrirfiales de Bistâmî. Ils comportent tout d'abord une apologie du soufisme orthodoxe, représenté selon l'auteur par quatre voies " D'Ibn Abî Usaybi'a {m. 668/1270), cf. El2, III, p. 715-716.
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spirituelles qui sont en partie les siennes : Bistâmiyya, Junaydiyya, Qâdiriyya, Suhrawardiyya. Les maîtres de ces voies sont porteurs d'une connaissance ésotérique qui est l'esprit de toutes les sciences exotériques et qui trouve son accomplissement dans la science des Lettres. L'élite des soufis ne se distingue pas en définitive des «Maîtres des Lettres» (al-sâdât al-harfiyya). C'est pourquoi l'hérésie des Hurûtis lui semble particulièrement dangereuse. 11 lui consacre en partie l'avant dernier chapitre dont il emprunte pour l'occasion le titre à Ibn Taymiyya : alFarq bayna awliyâ' al-Rahmân wa awliyâ' al-Shayîân «La différence entre les alliés de Dieu et les alliés de Satan». Le fondateur des Hurûtïs est pour lui l'exemple même de l'inversion diabolique de la science ésotérique quand celle-ci prétend pouvoir s'affranchir de la Loi et donc de la Révélation dont la réalité est à la fois extérieure et intérieure. Il s'exprime ainsi, reprenant des critiques déjà formulées par Ghazâlî contre les Bâtiniyya Ismaéliens24 : «...Si bien que le lion de la forêt des faussetés et la hyène des crocs des erreurs qui a tourné la tête aux serviteurs de Dieu et semé la corruption, le nommé Fadl Allah al-Astarâbâdî qui a suivi la voie des Khurramites et la religion des Qarmates, a dit : "les significations intérieures de l'interprétation nous dispensent de nous en tenir aux sens extérieurs de la Révélation et les idées intelligibles nous affranchissent des formes textuelles". C'est pourquoi Satan l'a pris dans le filet des doctrines douteuses sans qu'il ait même dépassé le sens extérieur des versets ambigus.» (f.144)
On désigne sous le terme de Khurramiyya un mouvement néo-mazdakiste qui se développa au début de l'islam en Iran dans la mouvance des partisans d'Abû Muslim. L'activité de cette secte anti-arabe révoltée contre le pouvoir abbasside atteint son point culminant sous la direction de Bâbak, finalement battu et exécuté en 213/838". En assimilant les Hurûfis à cette tendance ainsi qu'aux Qarmates, mouvement proche des Ismaéliens qui menaça le califat abbasside, Bistâmî souligne le double danger d'une secte fondée sur le rejet des rites extérieurs sous prétexte d'interprétation ésotérique et sur une attente eschatologique insurrectionnelle. Sa critique est d'autant plus violente qu'il est conscient de la séduction exercée par les Hurûfîs sur certains esprits. Aussi met-il fortement en garde son lecteur en citant, par exemple, ce vers : 24 En particulier dans le Mustazhirî ou Fadâ'ih al-bânniyya, éd. 'Abd al-Rahmân Badawî, Le Caire, 1964, p. 46-48, ou dans le Mwnqidh min al-dalâl, trad. Farid Jabre : Erreur et délivrance, Beyrouth, 1959, p. 28-34. 25 Voir El2, V, p. 65-77, Khurramiyya.
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«Être près d'une chamelle saine ne sert en rien à la chamelle galeuse mais celle-ci contamine la première.»
Après cette diatribe violente et comme par contraste, Bistâmî revient une fois de plus sur les authentiques représentants de la science des Lettres, depuis les prophètes jusqu'aux descendants du Prophète, détenteurs du Jafr, en attendant la venue du Mahdî, héritier par excellence de cette science. Le dernier chapitre est construit sur une opposition analogue entre vrais et faux adeptes du soufisme : d'un côté les voies orthodoxes déjà vues, de l'autre tous les ordres populaires ou marginaux, en partie cités mais dont il allonge la liste : Malâmiyya, Qalandariyya, Haydariyya, Harîriyya, Yûnusiyya, Jâkiriyya, 'Adawiyya, Khurramiyya (sic), Rifâ'iyya, Hayrâniyya, Sistâniyya, Badawiyya et toutes sortes de soufis incarnationnistes (al-sûfiyya al-hulûliyya). Il leur ajoute les faux maîtres, imposteurs (al-mudda 'iyya) et prétendus médecins des cœurs, alors qu'ils sont eux-mêmes malades, ainsi que les cheikhs héréditaires dont la maîtrise ne repose que sur la réputation de leur père ou de leurs ancêtres et qui n'ont même pas atteint le degré des disciples engagés dans la voie26. Il qualifie ces prétendus guides spirituels de «brigands de grand chemin» (quttâ1 al-tarîq), littéralement «coupeurs de la Voie», car ils empêchent les aspirants sincères d'accéder au cheminement initiatique véritable. L'ésotériste qu'est Bistâmî se double donc d'un critique impitoyable de toute forme d'appartenance au soufisme qui ne serait pas strictement ancrée dans la tradition des grands maîtres reconnus. Aucune sympathie chez lui ni indulgence pour le peuple des derviches réfugiés dans les couvents ou parcourant les routes d'Iran, de Syrie et d'Anatolie. En quoi Bistâmî nous permet-il de mieux comprendre le phénomène de l'hérésie, voire du syncrétisme ? Il se situe de prime abord à l'opposé de ces deUx tendances. Sa critique finale, digne d'un hérésiographe, présente l'intérêt de nous faire sentir la tension qui pouvait régner dans l'Anatolie du XVe siècle entre, d'une part, un soufisme soucieux d'équilibre entre extérieur et intérieur et agréé par les 'ulamâ' et les milieux dirigeants et, d'autre part, des tendances laxistes ou ultra-ésotéristes, attirantes aussi bien pour le peuple peu porté à l'ascèse du corps et de l'âme que pour des milieux plus intellectuels à la recherche d'un compromis entre intellectualité et spiritualité.
Cf. Fawâ'ih miskiyya, f. 160.
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S'il se montre si critique à l'égard des Hurûfis, modèle de toutes les déviations, c'est que la dimension ésotérique et hermétique de sa pensée le rend bien conscient des points communs entre ses propres convictions et connaissances et celles des Hurûfis. Selon la doctrine d'ibn 'Arabî, à laquelle il adhère pleinement, le monde est le lieu d'une théophanie dont l'homme est l'expression la plus parfaite. Le Prophète se trouve au centre, à l'origine et à l'aboutissement de cette théophanie, séparant pur les deux faces de sa réalité les deux présences existencîelles, divine et humaine. La prophétologie, l'hagiologie et la cosmologie qui découlent de cet enseignement reposent sur le principe d'une unité profonde entre les formes manifestées, particulièrement la Loi sacrée qui régit les hommes, et leurs principes supérieurs. Tout laxisme à l'égard de la Loi est donc exclu. Par ailleurs, la croyance dans le gouvernement caché des saints, relativise et légitime tout à la fois le pouvoir temporel. Libre ensuite aux maîtres de se tenir à l'écart complet du sultanat ou de conseiller le prince. Identifier, comme le font apparemment les Hurûfis, la théophanie à un homme particulier - ce qui peut se concevoir sur un plan intérieur - pour en faire l'Imam, c'est confondre individu et fonction spirituelle et mettre en cause l'unité de la communauté des croyants autour de leur prophète. Tant sur le plan spirituel et dogmatique que sur le plan politique, Bistâmî a bien vu le danger du hurûfisme. Que penser par ailleurs de l'organisation de toutes les branches du savoir et de la culture, islamiques et préislamiques, autour de la science des Lettres ? Sa compilation systématique de matériaux plus ou moins anciens ne constitue-t-elle pas une forme de savoir syncrétique ? Il faut distinguer, même si elles sont liées dans son esprit, deux dimensions dans son œuvre. L'une, culturelle, se situe dans le droit fil de Vadah, vaste entreprise de refonte dans un moule arabe, d'éléments de diverses cultures, désormais réunis dans une langue commune et un style classicisant. Bistâmî ne déroge pas à cette tradition et répond à l'attente d'un public cultivé au service de la dynastie ottomane. L'autre dimension, spirituelle, procède elle aussi de traditions multiples. Par l'intermédiaire de la science des Lettres, comme l'avait fait Ibn 'Arabî avant lui, ce maître rapproche la spiritualité islamique issue de la Révélation de courants de pensée et de pratiques hérités de l'Antiquité. Pour être spirituellement opérante, cette science doit être reçue selon le mode prophétique de l'inspiration car elle pren'd sa source à la Tablette gardée où sont tracées les Lettres supérieures du Livre et du Cosmos. Plutôt que de syncrétisme, il convient de parler de synthèse et d'intégration. Si Bistâmî,
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malgré le caractère quelque peu «étrange» des sciences qu'il consignait, s'est si bien fondu dans le milieu des savants de Brousse, c'est que son œuvre reflète remarquablement, dans son domaine propre, l'idée ottomane. Sur le plan religieux, orthodoxie et hétérodoxie s'affrontent, surtout lorsque la cohésion politique est menacée mais elles n'en constituent pas moins, que Bistâmî le veuille ou non, les deux faces d'une réalité religieuse et spirituelle complexe. Les ordres contre lesquels il vitupère ou d'autres qui se développent à son époque, jouent, sur un autre plan, un rôle d'intégration comparable au sien.