DÉCOR
https://fr.wikisource.org/wiki/Pierrot_lunaire#
Les grands oiseaux de pourpre et d’or,
Albert Giraud
Ces voletantes pierreries,
Héros et Pierrots
Breughel les pose, en ses féeries,
Librairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger), 1898 (pp. 73-176).
Sur les arbres bleus du décor. Ils vibrent, et leur large essor Jette une ombre au ras des prairies,
Pierrot Lunaire
Les grands oiseaux de pourpre et d’or,
Ces voletantes pierreries.
(A Iwan Gilkin)
Le soleil perce avec effort De ses jaunes orfèvreries L’azur vert des branches fleuries,
Et sa lumière avive encor Les grands oiseaux de pourpre et d’or.
PIERROT DANDY
THÉATRE
(03 - Der Dandy)
Je rêve un théâtre de chambre,
D’un rayon de lune fantasque
Dont Breughel peindrait les volets,
Luisent les flacons de cristal
Shakspeare, les pâles palais,
Sur le lavabo de santal
Et Watteau, les fonds couleur d’ambre.
Du pâle dandy bergamasque.
Par les frileux soirs de décembre,
La fontaine rit dans sa vasque
En chauffant mes doigts violets,
Avec un son clair clair de métal.
Je rêve un théâtre de chambre,
D’un rayon de lune fantasque
Dont Breughel peindrait les volets.
Luisent les flacons de cristal.
Émoustillés par le gingembre
Mais le seigneur à blanche basque,
On y verrait les Crispins laids
Laissant le rouge végétal
Ouater leurs décharnés mollets,
Et le fard vert oriental,
Pour Colombine qui se cambre.
Maquille étrangement son masque
Je rêve un théâtre de chambre.
D’un rayon de lune fantasque. 1
DÉCONVENUE
LA SÉRÉNADE DE PIERROT (19 – Serenade)
Les convives, fourchette au poing,
D’un grotesque archet dissonant
Ont vu subtiliser les litres,
Agaçant sa viole plate,
Les rôtis, les tourtes, les huîtres,
A la héron, sur une patte,
Et les confitures de coing.
Il pince un air inconvenant.
Des Gilles, cachés dans un coin,
Soudain Cassandre, intervenant,
Tirent des grimaces de pitres :
Blâme ce nocturne acrobate,
Les convives, fourchette au poing,
D’un grotesque archet dissonant
Ont vu subtiliser les litres.
Agaçant sa viole plate.
Pour souligner le désappoint,
Pierrot la rejette, et prenant
Des insectes aux bleus élytres
D’une poigne très délicate
Viennent cogner les roses vitres,
Le vieux par sa roide cravate,
Et leur bourdon nargue de loin
Zèbre le bedon du gênant
Les convives, fourchette au poing.
D’un grotesque archet dissonant.
LUNE AU LAVOIR
CUISINE LYRIQUE
(04 - Eine blasse Wäscherin)
Comme une pâle lavandière,
La Lune, la jaune omelette,
Elle lave ses failles blanches,
Battue avec de grands œufs d’or,
Ses bras d’argent hors de leurs manches,
Au fond de l’azur noir s’endort,
Au fil chantant de la rivière.
Et dans les vitres se reflète.
Les vents à travers la clairière
Pierrot, dans sa blanche toilette,
Soufflent dans leurs flûtes sans anches.
Guigne sur le toit, près du bord,
Comme une pâle lavandière
La lune, la jaune omelette,
Elle lave ses failles blanches.
Battue avec de grands œufs d’or.
La céleste et douce ouvrière
Ridé comme une pomme blette,
Nouant sa jupe sur ses hanches,
Le Pierrot agite très fort
Sous le baiser frôlant des branches,
Un poêlon, et, d’un brusque effort,
Étend son linge de lumière,
Croit lancer au ciel qui paillette
Comme une pâle lavandière.
La Lune, la jaune omelette. 2
ARLEQUINADE
A COLOMBINE (02 – Colombine)
Arlequin porte un arc-en-ciel
Les fleurs pâles du clair de lune,
De rouges et vertes soieries,
Comme des roses de clarté,
Et semble, dans l’or des féeries,
Fleurissent dans les nuits d’été :
Un serpent artificiel.
Si je pouvais en cueillir une !
Ayant pour but essentiel
Pour soulager mon infortune,
Le mensonge et les fourberies,
Je cherche, le long du Léthé,
Arlequin porte un arc-en-ciel
Les fleurs pâles du clair de lune,
De rouges et vertes soieries.
Comme des roses de clarté.
A Cassandre jaune de fiel
Et j’apaiserai ma rancune,
Il dénombre ses seigneuries
Si j’obtiens du ciel irrité
En Espagne, et ses armoiries :
La chimérique volupté
Car sur fond d’azur et de miel
D’effeuiller sur ta toison brune
Arlequin porte un arc-en-ciel.
Les fleurs pâles du clair de lune !
PIERROT POLAIRE
ARLEQUIN
Un miroitant glaçon polaire,
Plus beau que le spectre solaire,
De froide lumière aiguisé,
Voici le très mince Arlequin,
Arrête Pierrot épuisé
Qui chiffonne le casaquin
Qui sent couler bas sa galère.
De la servante atrabilaire.
Il toise d’un œil qui s’éclaire
Afin d’apaiser sa colère,
Son sauveteur improvisé :
Il fait miroiter un sequin
Un miroitant glaçon polaire,
Plus beau que le spectre solaire,
De froide lumière aiguisé.
Voici le mince Arlequin.
Et le mime patibulaire
La vieille, empochant son salaire,
Croit voir un Pierrot déguisé,
Livre Colombine au faquin,
Et d’un blanc geste éternisé
Qui sur un grand ciel bleu turquin
Interpelle dans la nuit claire
Se dessine et chante lanlaire,
Un miroitant glaçon polaire.
Plus beau que le spectre solaire. 3
LES NUAGES
PIERROT VOLEUR (10 – Raub)
Comme de splendides nageoires
Les rouges rubis souverains,
De célestes poissons changeants,
Injectés de meurtre et de gloire,
Les nuages ont des argents,
Sommeillent au creux d’une armoire
Des ors, des nacres, des ivoires.
Dans l’horreur des longs souterrains.
Ils s’irisent devant les gloires
Pierrot, avec des malandrins,
Mourantes des soleils plongeants,
Veut ravir un jour, après boire,
Comme de splendides nageoires
Les rouges rubis souverains
De célestes poissons changeants.
Injectés de meurtre et de gloire.
Mais la Nuit, sur ses barques noires,
Mais la peur hérisse leurs crins :
Lance des pêcheurs affligeants
Parmi le velours et la moire,
Qui dans leurs filets émergeants
Comme des yeux dans l’ombre noire,
Prennent les ondoyantes moires
S’enflamment du fond des écrins
Comme de splendides nageoires.
Les rouges rubis souverains !
A MON COUSIN DE BERGAME
SPLEEN
Nous sommes parents par la Lune,
Pierrot de Bergame s’ennuie :
Le Pierrot Bergamasque et moi,
Il renonce aux charmes du vol ;
Car je ressens un pâle émoi,
Son étrange gaîté de fol
Quand elle allaite la nuit brune.
Comme un oiseau blanc s’est enfuie.
Au pied de la rouge tribune,
Le spleen, à l’horizon de suie,
Il chargeait les gestes du roi :
Fermente ainsi qu’un noir alcool.
Nous sommes parents par la Lune,
Pierrot de Bergame s’ennuie :
Le Pierrot Bergamasque et moi.
Il renonce aux charmes du vol.
J’ai les vers luisants pour fortune ;
La Lune sympathique essuie
Je vis en tirant, comme toi,
Ses larmes de lumière au vol
Ma langue saignante à la Loi,
Des nuages, et sur le sol
Et la parole m’importune :
Claque la chanson de la pluie :
Nous sommes parents par la Lune !
Pierrot de Bergame s’ennuie. 4
IVRESSE DE LUNE
SUICIDE
(01 – Mondestrunken)
En sa robe de lune blanche
Le vin que l’on boit par les yeux
A flots verts de la lune coule,
Pierrot rit son rire sanglant.
Et submerge comme une houle
Son geste ivre devient troublant :
Les horizons silencieux.
Il cuve le vin du dimanche.
De doux conseils pernicieux
Sur le sol traînaille sa manche ;
Dans le philtre nagent en foule :
Il plante un clou dans le mur blanc : En sa robe de lune blanche
Le vin que l’on boit par les yeux
A flots verts de la lune coule.
Pierrot rit son rire sanglant.
Le poète religieux
Il frétille comme une tanche, Se passe au col un nœud coulant,
De l’étrange absinthe se soûle,
Repousse l’escabeau branlant,
Aspirant — jusqu’à ce qu’il roule,
Tire la langue, et se déhanche,
Le geste fou, la tête aux cieux —
En sa robe de lune blanche.
Le vin que l’on boit par les yeux !
LA CHANSON DE LA POTENCE
PAPILLONS NOIRS
(12 – Galgenlied)
(08 - Die Nacht)
La maigre amoureuse au long cou
De sinistres papillons noirs
Sera la dernière maîtresse,
Du soleil ont éteint la gloire,
De ce traîne-jambe en détresse,
Et l’horizon semble un grimoire
De ce songe-d’or sans le sou.
Barbouillé d’encre tous les soirs. Il sort d’occultes encensoirs
Cette pensée est comme un clou
Un parfum troublant la mémoire :
Qu’en sa tête enfonce l’ivresse :
La maigre amoureuse au long cou
De sinistres papillons noirs
Sera sa dernière maîtresse.
Du soleil ont éteint la gloire.
Elle est svelte comme un bambou ;
Des monstres aux gluants suçoirs
Sur sa gorge danse une tresse,
Recherchent du sang pour le boire, Et du ciel, en poussière noire,
Et, d’une étranglante caresse,
Le fera jouir comme un fou,
Descendent sur nos désespoirs
La maigre amoureuse au long cou.
De sinistres papillons noirs. 5
COUCHER DE SOLEIL
ABSINTHE
Le Soleil s’est ouvert les veines
Dans une immense mer d’absinthe,
Sur un lit de nuages roux :
Je découvre des pays soûls,
Son sang, par la bouche des trous,
Aux ciels capricieux et fous
S’éjacule en rouges fontaines.
Comme un désir de femme enceinte.
Les rameaux convulsifs des chênes
La capiteuse vague tinte
Flagellent les horizons fous :
Des rythmes verdâtres et doux :
Le Soleil s’est ouvert les veines
Dans une immense mer d’absinthe,
Sur un lit de nuages roux.
Je découvre des pays soûls.
Comme, après les hontes romaines
Mais soudain ma barque est étreinte
Un débauché plein de dégoûts
Par des poulpes visqueux et mous :
Laissant jusqu’aux sales égouts
Au milieu d’un gluant remous
Saigner ses artères malsaines,
Je disparais, sans une plainte,
Le Soleil s’est ouvert les veines !
Dans une immense mer d’absinthe.
LUNE MALADE
MENDIANTE DE TÊTES
(07 - Der kranke Mond)
O Lune, nocturne phtisique,
Un panier rouge empli de son
Sur le noir oreiller des cieux,
Balance dans ta main crispée,
Ton immense regard fiévreux
Folle Guillotine échappée,
M’attire comme une musique !
Qui rôdes devant la prison !
Tu meurs d’un amour chimérique,
Ta voix qui mendie a le son
Et d’un désir silencieux,
Du billot qu’entaille l’épée :
O Lune, nocturne phtisique,
Un panier rouge empli de son
Sur le noir oreiller des cieux !
Balance dans ta main crispée !
Mais dans sa volupté physique
Bourrèle ! qui veux pour rançon
L’amant qui passe insoucieux
Le sang, le meurtre, l’épopée,
Prend pour des rayons gracieux
Tu tends à la tête coupée,
Ton sang blanc et mélancolique,
Crachant sa dernière chanson,
O Lune, nocturne phtisique !
Un panier rouge empli de son ! 6
DÉCOLLATION
VALSE DE CHOPIN
(13 – Enthauptung)
(05 - Valse de Chopin)
La lune, comme un sabre blanc
Comme un crachat sanguinolent,
Sur un sombre coussin de moire,
De la bouche d’une phtisique,
Se courbe en la nocturne gloire
Il tombe de cette musique
D’un ciel fantastique et dolent.
Un charme morbide et dolent.
Un long Pierrot déambulant
Un son rouge — du rêve blanc
Montre avec des gestes de foire
Avive la pâle tunique,
La lune, comme un sabre blanc
Comme un crachat sanguinolent
Sur un sombre coussin de moire.
De la bouche d’une phtisique.
Il flageole et, s’agenouillant,
Le thème doux et violent
Rêve dans l’immensité noire
De la valse mélancolique
Que pour la mort expiatoire
Me laisse une saveur physique,
Sur son cou s’abat en sifflant
Un fade arrière-goût troublant,
La lune, comme un sabre blanc.
Comme un crachat sanguinolent.
ROUGE ET BLANC
L’ÉGLISE
Une cruelle et rouge langue,
Dans l’église odorante et sombre
Aux chairs salivantes de sang,
— Comme un rayon de lune entré
Comme un éclair érubescent
Par le vitrail décoloré, —
Sillonne son visage exsangue.
Pierrot éclaire la pénombre.
Sa face pâle est une gangue
Il marche vers le chœur qui sombre,
D’où sort ce rubis repoussant :
Avec un regard d’inspiré,
Une cruelle et rouge langue,
Dans l’église odorante et sombre
Aux chairs salivantes de sang.
Comme un rayon de lune entré.
Son corps vertigineux qui tangue
Et soudain les cierges sans nombre,
Est comme un blanc vaisseau hissant
Déchirant le soir expiré,
A son grand mât éblouissant
Saignent sur l’autel illustré,
Son pavillon couleur de mangue :
Comme les blessures de l’Ombre,
Une cruelle et rouge langue !
Dans l’église odorante et sombre. 7
ÉVOCATION
LES CROIX
(06 – Madonna)
(14 - Die Kreuze)
O Madone des Hystéries !
Les beaux vers sont de larges croix
Monte sur l’autel de mes vers,
Où saignent les rouges poètes,
La fureur du glaive à travers
Aveuglés par les gypaètes
Tes maigres mamelles taries.
Qui volent comme des effrois.
Tes blessures endolories
Aux glaives les cadavres froids
Semblent de rouges yeux ouverts :
Ont offert d’écarlates fêtes :
O Madone des Hystéries !
Les beaux vers sont de larges croix
Monte sur l’autel de mes vers.
Où saignent les rouges poètes.
De tes longues mains appauvries
Ils ont trépassé, cheveux droits,
Tends à l’incrédule univers
Loin de la foule aux clameurs bêtes,
Ton Fils aux membres déjà verts,
Les soleils couchants sur leurs têtes
Aux chairs tombantes et pourries,
Comme des couronnes de rois !
O Madone des Hystéries !
Les beaux vers sont de larges croix !
MESSE ROUGE
SUPPLIQUE
(11 - Rote Messe)
(09 - Gebet an Pierrot)
Pour la cruelle Eucharistie,
O Pierrot ! Le ressort du rire,
Sous l’éclair des ors aveuglants
Entre mes dents je l’ai cassé :
Et des cierges aux feux troublants,
Le clair décor s’est effacé
Pierrot sort de la sacristie.
Dans un mirage à la Shakspeare.
Sa main, de la Grâce investie,
Au mât de mon triste navire
Déchire ses ornements blancs,
Un pavillon noir est hissé :
Pour la cruelle Eucharistie,
O Pierrot ! Le ressort du rire,
Sous l’éclair des ors aveuglants,
Entre mes dents je l’ai cassé.
Et d’un grand geste d’amnistie
Quand me rendras-tu, porte-lyre,
Il montre aux fidèles tremblants
Guérisseur de l’esprit blessé,
Son cœur entre ses doigts sanglants,
Neige adorable du passé,
— Comme une horrible et rouge hostie
Face de lune, blanc messire,
Pour la cruelle Eucharistie.
O Pierrot ! le ressort du rire ? 8
VIOLON DE LUNE
NOSTALGIE (15 – Heimweh)
L’âme du violon tremblant,
Comme un doux soupir de cristal,
Plein de silence et d’harmonie,
L’âme des vieilles comédies
Rêve dans sa boîte vernie
Se plaint des allures raidies
Un rêve languide et troublant.
Du lent Pierrot sentimental.
Qui donc fera d’un bras dolent
Dans son triste désert mental
Vibrer dans la nuit infinie
Résonne en notes assourdies,
L’âme du violon tremblant,
Comme un doux soupir de cristal,
Plein de silence et d’harmonie ?
L’âme des vieilles comédies.
La lune, d’un rais mince et lent,
Il désapprend son air fatal :
Avec des douceurs d’agonie,
A travers les blancs incendies
Caresse de son ironie,
Des lunes dans l’onde agrandies,
Comme un lumineux archet blanc,
Son regret vole au ciel natal,
L’âme du violon tremblant.
Comme un doux soupir de cristal.
LES CIGOGNES
PARFUMS DE BERGAME (21 - O alter Duft)
Les cigognes mélancoliques,
O vieux parfum vaporisé
Blanchâtres sur l’horizon noir,
Dont mes narines sont grisées !
Pour scander les rythmes du soir,
Les douces et folles risées
Font claquer leurs becs faméliques.
Tournent dans l’air subtilisé.
Elles ont vu les feux obliques
Désir enfin réalisé
D’un grand soleil de désespoir,
Des choses longtemps méprisées :
Les cigognes mélancoliques,
O vieux parfum vaporisé
Blanchâtres sur l’horizon noir.
Dont mes narines sont grisées !
Une mare aux yeux métalliques
Le charme du spleen est brisé :
Renverse, en son vague miroir,
Par mes fenêtres irisées
— Où du jour qui vient de déchoir
Je revois les bleus Élysées
Luisent les dernières reliques, —
Où Watteau s’est éternisé.
Les cigognes mélancoliques.
— O vieux parfum vaporisé ! 9
DÉPART DE PIERROT
BROSSEUR DE LUNE
(20 – Heimfahrt)
(18 - Der Mondflek)
Un rayon de lune est la rame,
Un très pâle rayon de lune
Un blanc nénuphar, la chaloupe ;
Sur le dos de son habit noir,
Il regagne, la brise en poupe,
Pierrot-Willette sort le soir
Sur un fleuve pâle, Bergame.
Pour aller en bonne fortune.
Le flot chante une humide gamme
Mais sa toilette l’importune :
Sous la nacelle qui le coupe.
Il s’inspecte, et finit par voir
Un rayon de lune est la rame,
Un très pâle rayon de lune
Un blanc nénuphar, la chaloupe.
Sur le dos de son habit noir.
Le neigeux roi du mimodrame
Il s’imagine que c’est une
Redresse fièrement sa houppe ;
Tache de plâtre, et sans espoir,
Comme du punch dans une coupe,
Jusqu’au matin, sur le trottoir,
Le vague horizon vert s’enflamme.
Frotte, le cœur gros de rancune,
— Un rayon de lune est la rame.
Un très pâle rayon de lune !
PANTOMIME
L’ALPHABET
Absurde et doux comme un mensonge,
Un alphabet bariolé,
Le bleu décor italien
Dont chaque lettre était un masque,
Aux mimes du drame ancien
Fut l’abécédaire fantasque
S’ouvre avec le vague d’un songe.
Qu’en mon enfance j’épelai.
Dans les lointains vaporeux plonge,
Très longtemps je me rappelai,
Coiffé de tulle aérien,
Mieux que mes sabres et mon casque,
Absurde et doux comme un mensonge,
Un alphabet bariolé
Le bleu décor aérien.
Dont chaque lettre était un masque.
Pierrot assomme à coups de longe
Aujourd’hui, mon cœur enjôlé,
Cassandre académicien,
Vibrant comme un tambour de basque,
Et le rouge magicien
Rêve un Arlequin bergamasque,
Sur le fond du tableau s’allonge,
Traçant d’un corps arc-en-ciellé
Absurde et doux comme un mensonge.
Un alphabet bariolé. 10
BLANCHEURS SACRÉES
PARODIE (17 – Parodie)
Blancheurs de la Neige et des Cygnes,
Des aiguilles à tricoter
Blancheurs de la Lune et du Lys,
Dans sa vieille perruque grise,
Vous étiez, aux temps abolis,
La duègne, en casaquin cerise,
De Pierrot les pâles insignes !
Ne se lasse de marmotter.
Il vous dédiait de beaux signes
Sous la treille elle vient guetter
Dans la féerie ensevelis,
Pierrot dont sa chair est éprise,
Blancheurs de la Neige et des Cygnes,
Des aiguilles à tricoter
Blancheurs de la Lune et du Lys !
Dans sa vieille perruque grise.
Le mépris des choses indignes,
Soudain elle entend éclater
Le dégoût des cœurs amollis
Les sifflets pointus de la brise :
Sont les préceptes que je lis
La lune rit de la méprise,
Dans le triomphe de vos lignes,
Et ses rais semblent imiter
Blancheurs de la Neige et des Cygnes !
Des aiguilles à tricoter.
POUSSIÈRE ROSE
LUNE MOQUEUSE
Une fine poussière rose
La Lune dessine une corne
Danse à l’horizon du matin.
Dans la transparence du bleu.
Un très doux orchestre lointain
A Cassandre on joua ce jeu
Susurre un air de Cimarose.
De lui dérober son tricorne.
Phœbé, comme une blanche rose,
Le vieillard se promène morne,
Se meurt dans le ciel incertain.
Ramenant son dernier cheveu ;
Une fine poussière rose
La Lune dessine une corne
Danse à l’horizon du matin.
Dans la transparence du bleu.
Devant un Cassandre morose,
Une fantastique licorne,
Fuit un falbala de satin
Dont les naseaux lancent du feu,
Qui traverse — en frôlant le thym
Soudain mouille de son émeu
Qu’une fraîche rosée arrose —
Cassandre assis sur une borne.
Une fine poussière rose.
La Lune dessine une corne. 11
LA LANTERNE
DÉCOR
La claire et joyeuse lanterne,
Le soleil, comme un grand œuf rose,
Où vibre une langue de feu,
Enlumine l’horizon gris,
Pierrot la porte au bout d’un pieu
Et des troncs d’arbres rabougris
Pour ne pas choir dans la citerne.
Raturent le couchant morose.
A tout coin de rue il lanterne
Dans la lente métamorphose
Et sur le sol dépose un peu
Des longs paysages aigris,
La claire et joyeuse lanterne
Le soleil, comme un grand œuf rose,
Où vibre une langue de feu.
Enlumine l’horizon gris.
Il ne la voit plus, — se prosterne,
Une triste lumière arrose
Allume le petit point bleu
Brusquement les cieux assombris :
De son allumette, et, par jeu,
Des oiseaux noirs, à larges cris,
Cherche d’un geste qui consterne
Brisent du bec, dans la nuit close,
La claire et joyeuse lanterne.
Le soleil, comme un grand œuf rose.
PIERROT CRUEL
LE MIROIR
(16 – Gemeinheit)
Dans le chef poli de Cassandre,
D’un croissant de lune hilarante
Qui pousse d’affreux cris de paon,
S’échancre le ciel bleu du soir,
Pierrot enfonce le trépan,
Et par le balcon du boudoir
D’un air hypocritement tendre.
Pénètre la lumière errante.
Le maryland qu’il vient de prendre,
En face, dans la paix vibrante
Sa main sournoise le répand
Du limpide et profond miroir,
Dans le chef poli de Cassandre
D’un croissant de lune hilarante
Qui pousse d’affreux cris de paon.
S’échancre le ciel bleu du soir.
Il fixe un bout de palissandre
Pierrot de façon conquérante
Au crâne, et le blanc sacripant,
Se mire — et soudain dans le noir
A très rouges lèvres pompant,
Rit en silence de se voir
Fume — en chassant du doigt la cendre —
Coiffé par sa blanche parente
Dans le chef poli de Cassandre !
D’un croissant de lune hilarante ! 12
SOUPER SUR L’EAU
CRISTAL DE BOHÊME
En d’alanguissantes yoles
Un rayon de lune enfermé
Au pavillon de bleu turquin,
Dans un beau flacon de Bohême,
Pierrot, Colombine, Arlequin
Tel est le féerique poème,
Font saigner les rouges fioles.
Que dans ces rondels j’ai rimé.
Les femmes ont de lucioles
Je suis en Pierrot costumé,
Diamanté leur casaquin,
Pour offrir à celle que j’aime
En d’alanguissantes yoles
Un rayon de lune enfermé
Au pavillon de bleu turquin.
Dans un beau flacon de Bohême.
Enrichissant ces fanfioles,
Par ce symbole est exprimé
La lune luit comme un sequin,
O ma très chère, tout moi-même :
Et sous un rose baldaquin
Comme Pierrot, dans son chef blême,
Madrigalisent les violes,
Je sens, sous mon masque grimé,
En d’alanguissantes yoles.
Un rayon de lune enfermé.
L’ESCALIER
Sur le marbre de l’escalier,
Un léger froufrou de lumière S’irise en bleuâtre poussière,
Au tournant de chaque palier. La Lune, d’un pas familier,
Fait, dans sa ronde coutumière, Sur le marbre de l’escalier,
Un léger froufrou de lumière. Et Pierrot, pour s’humilier
Devant sa pâle Emperière, Prosterne la blanche prière De son grand corps en espalier Sur le marbre de l’escalier. 13