BIBLIOTHEQUE DES SCIENCES HUMAINES
Court traite du paysage par
ALAIN ROGER
Bibliothèque des Sciences humaines
ALAIN ROGER
COURT TRAITÉ DU PAYSAGE
ALAIN ROGER
AVANT-PROPOS
Ce livre essaie de combler combler une lacune. En dépit de la prolifération prolifération des ouvrages, le plus souvent collectifs, dont le paysage fait l'objet depuis une vingtaine vingtaine d'années, d'années, nous manquons, manquons, en France, France, d'un véritable véritable traité traité théorique et systématique sur la question. Pour deux raisons, raisons, d'ailleurs contraires. La première première est une une certaine certaine carence conceptuelle. Personne, sauf peut-être peut-être Augu Augustin stin Berque, n'a tenté d'élabore d'élaborerr une doctrine du paysage. On s'en tient, d'ordinaire, à des points de vue spécialisés - celui du géographe, de l'historien, du paysagiste, etc. -, souvent stimulants, mais jamais décisifs. La seconde est le manque d'informations historiques, ici indispensables, si l'on ne veut pas produire un discours exsangue, arbitraire ou frivole. frivole. Le paysage, paysage, ou plutôt les paysages paysages sont des acquisition acquisitionss culturelles et l'on ne voit pas comment on pourrait en traiter sans bien connaî connaître tre leur genèse genèse.. Il existe existe,, certes certes,, d'exce d'excell llent entss ou ouvra vrages ges sur «l'invention » de la campagne (Piero Camporesi), de la montagne (John Grand-Carteret) Grand-Carteret) ou de la mer (Alain Corbin). Mais ces études n'ont jamais été rassemblées, intégrées et, si j'ose dire, digérées dans un tout organique, où l'histoire nourrit la théorie, qui, à rebours, l'éclaire. Je me suis suis effo efforc rcéé de rési résist ster er à deux deux tent tentat atio ions ns.. Cell Cellee de l'encyclopédisme, d'abord. abord. Il est vrai que la brièveté brièveté décidée de ce Court
traité m'en protégeait ; et j'ai déjà cédé à cette tentation en publiant, naguère, une grosse anthologie - La Théorie du paysage en France. 19741994 -, qui présente les grands courants de la recherche française en ce domaine domaine depuis un quart de siècle. siècle. Celle de l'éclectis l'éclectisme, me, ensuite, ensuite, du manuel manuel de vulgarisa vulgarisation tion,, un genre qui envahit envahit le champ éditorial. éditorial. Ces produits ne sont sans doute pas inutiles, mais l'honnêteté alimentaire des auteurs ne suffit pas à voiler l'absence de toute ambition théorique. Court traité: il ne s'agit pas simplement de parler du paysage, d'y flâner au hasard, en une sorte de promenade plus ou moins pittoresque ; il s'agit d'en traiter, systématiquem systématiquement, ent, ce qui exige exige un dispositi dispositiff conceptue conceptuell rigoureux. C'est pourquoi j'ai proposé proposé d'emblée la «double articulation articulation » : payslpaysage, d'une part, artialisation in situl artialisation in visu, d'autre part, qui, loin de verrouiller la théorie, permet au contraire d'embrasser, dans sa plus grande extension, le champ du paysage, et de réduire au silence (du moins je l'espère) l'espère) les prétentions prétentions naturalistes. La valeur d'une théorie se mesure aussi à sa capacité polémique. On verra que je n'esquive aucun débat et que ce traité est intransigeant avec la Deep Ecology, pour ne citer qu'un seul exemple. Court traité : je crois, avec les mathématiciens, que «l'élégance » d'une démonstration n'est pas un luxe. luxe. J'aime la concision, j'abhorre j'abhorre la pléthore, l'obésité des thèses, ces sommes assommantes, cette adiposité que sécrète, trop souvent, notre Université, délayant en mille pages ce qui pourrait se condenser en cent, pour le plus grand bénéfice du lecteur. lecteur. On ne trouvera donc pas, ici, une histoire exhaustive des jardins (il en est d'excellentes), mais une réflexion sur leur fonction millénaire. On ne trouvera pas davantage une histoire de tous les paysages, mais une réflexion sur la « grandeur des commencements », c'est-à-dire la naissance d'une sensibilité paysagère paysagère en quelques lieux lieux et temps privilégiés. privilégiés. On ne trouvera pas, enfin, cet étalage d'érudition, qui vise à intimider le lecteur, bien plus qu'à l'informer. Les références indispensables se concentrent dans les notes, comme autant d'incitations à poursuivre l'investigation. À chacun d'en user à sa guise. Ce livre est un outil, que j'ai voulu discret et maniable, « sans rien en lui qui pèse ou qui pose ». Mon maître est Oscar Wilde, qui, dans La Décadence du mensonge (1890), et sous la forme d'un paradoxe - c'est la vie qui imite l'art -, réalisa avec humour la révolution copernicienne de
l'esthétique. Sous un tel patronage, il m'était forcément interdit interdit de recourir au style style austèr austère, e, obèse, obèse, ou univer universit sitair aire, e, aussi aussi bien bien qu qu'au 'au jargon jargon philosophique, même si j'ai dû, parfois, forger quelques néologismes. Mon expérience de romancier ne m'a pas été inutile dans la recherche d'une écriture efficace. J'aurais pu sous-titrer ce traité : «Pour une métaphysique du paysage ». Mais ce sous-titre risquait de de prêter à confusion. La théorie du paysage que je propos proposee n'est n'est pas « métaph métaphysi ysique que », au sens sens que l'on donne communément à ce terme, et qui suppose la croyance en quelque instance transcendante, Dieu, les Idées, l'Esprit absolu, la Noosphère, l'Âme du Monde, ou je ne sais sais quoi. Si je recours, néanmoins, néanmoins, à ce vocable, c'est c'est pour souligner qu'un paysage n'est jamais réductible à sa réalité physique les géosystèmes des géographes, les écosystèmes des écologues, etc. -, que la tran transf sfor orma mati tion on d'un d'un pays pays en pays paysag agee supp suppos osee touj toujou ours rs un unee métamorpho métamorphose, se, une métaphysique, métaphysique, entendue entendue au sens dynamique. dynamique. En d'autres termes, le paysage n'est jamais naturel, mais toujours «surnaturel», dans l'acception que Baudelaire donnait à ce mot quand, dans Le Peintre Pei ntre de la vie moderne, il faisait l'éloge du maquillage, qui rend la femme «magique et surnaturelle», alors que, laissée à elle-même, elle resterait «naturelle, c'est-à-dire abominable» (Mon coeur mis à nu). Je me situe donc à mi-chemin de ceux qui croient que le paysage existe en soi - un naturalisme naïf, que l'histoire des représentations collectives ne cesse de démentir, comme j'aurai maintes fois l'occasion de le vérifier et de ceux qui s'imaginent que « tant de beautés sur la terre » ne peuvent s'expliquer, sinon par quelque intervention divine - ce bon vieil argument physico-théologique, physico-théologique, démantelé par Kant, comme toutes toutes les autres preuves de l'existence de Dieu. Mais si le paysage n'est pas immanent, ni transcendant, quelle quelle est son origine ? Humaine, et artistique, telle est ma réponse. L'art constitue le véritable véritable médiateur, le « méta « de la métamorphose, le « méta » de la métaphysique métaphysique paysagère. La perception, historique et culturelle, de tous nos paysages - campagne, montagne, mer, désert, etc. - ne requiert aucune intervention mystique (comme s'ils descendaient du ciel) ou mystérieuse (comme s'ils montaient du sol), elle s'opère selon ce que je nomme, en reprenant un mot de Montaigne, une «artialisation », dont ce livre s'attache à démonter les mécanismes. Voilà toute ma métaphysique. métaphysique. Elle se veut légère, sinon ludique, ludique, à l'image de son modèle, la révolution wildienne, et loin, du moins, de ce
margouillis philosophico-religieux, philosophico-religieux, gluant de moraline, que certains nous infligent. je n'ai aucune foi: je crois au « Gai Savoir ». Et si j'ai su montrer qu'une théorie peut allier cette «gaieté » à l'efficacité, et rester rigoureuse sans devenir ennuyeuse, j'aurai le sentiment de n'avoir pas écrit en vain ce Court traité du paysage.
CHAPITREPREMIER
NATURE ET CULTURE
La double artialisation
Voilà plus de deux millénaires que l'Occident est victime d'une illusion, érigée en dogme: l'art est, doit être une imitation parfaite ou parachevée de la nature. Telle serait sa fonction, sa dignité, sa raison raison d'être. Je n'envisage n'envisagerai rai pas les avatars avatars d'un tel principe, principe, depuis les Grecs jusqu'à la fin du XIXème et je me bornerai à rappeler que ce «concept usé de l'imitation de la nature 1 » s'énonce et s'inscrit s'inscrit dans une ère et une aire au demeurant demeurant limitées. limitées. Les autres cultures l'ignorent ou le dédaignent, et c'est, précisément, la découverte et l'exploration des sociétés préhelléniques, orientales, «archaïques », etc., qui nous ont permis et contraints de revisiter notre propre passé artistique et de réviser ce préjugé millénaire. Même en Occident, si l'on excepte la peinture et la sculpture, les arts arts ne fure furent nt jama jamais is imit imitat atif ifs, s, à moin moinss de supp suppos oser er,, cont contre re l'évidence, que le langage, poétique ou non, est mimétique, pour ne point évoquer l'architecture et la musique. La peinture, d'ailleurs, dément son propre dessein, alors même qu'elle se prétend «réaliste » ou «naturaliste». Commentant les maîtres maîtres hollandais du XVIIème', XVIIème', chez chez lesque lesquels ls la figura figuratio tionn semble semble avoir avoir attein atteintt sa perfection mimétique, Hegel souligne justement que cette représentation est travaillée par la négativité, ne serait-ce que par l'abolition de la troisième dimension et le transfert de l'objet - nature morte ou paysage - dans un élément 1. Heinrich WÔLFFLJN, WÔLFFLJN, Incises fondamentaux de l' histoire de l'art, 1915, trad. fr. Paris, Gallimard, 1952, p. 18.
abstrait, la toile. toile. Le seul fait de la représenter suffit représenter suffit à arracher la nature à sa nature. Si fidèle qu'elle se veuille, veuille, l'image picturale est «une «une sorte de raillerie et d'ironie, si l'on veut, aux dépens du monde extérieur 2 ». Il n'y a plus guère que les peintres du dimanche et les amateurs de chromos pour évaluer leur ouvrage à l'aune de la ressemblance. L'artiste, quel qu'il soit, n'a pas à répéter la nature quel ennui, quel gâchis ! -, il a pour vocation de la nier, de la neutraliser, en vue de produire les modèles, qui nous permettront, à rebours, de la modeler. « je « je rature le vif », écrivait Valéry 3' : il s'agit, d'abord, de raturer la nature, de la dénaturer, pour mieux la maîtriser et nous rendre, par le processus artistique aussi bien que le progrès scientifique, « comme maîtres et possesseurs de la nature ». L'art, selon Lévi-Strauss, «constitue au plus haut point cette prise de possession de la nature par la culture, qui est le type même des phénomènes qu'étudient qu'étudient les ethnologues 4 ». LA RÉVOLUTION COPERNICIENNE DE WILDE
Tout Tout se passe, passe, au fond, fond, comme comme si l'art l'art nou nouss parlai parlaitt hyp hypocr ocrit itemen ementt : «Larvatus prodeo. » Moi aussi, je m'avance masqué. masqué. Oui, je feins parfois parfois de l'imit l'imiter, er, cette nature nature,, mais mais c'est c'est pou pourr mieux mieux la limite limiterr dans dans ses prétentions exorbitantes, en contenir l'exubérance et les désordres-, sa tendance entropique, et lui imposer, en retour, par la médiation du regard, la sentence de l'art, les modes et les modèles de son appréhension. «La nature est chaque fois une fonction de la culture 5 », et «chaque fois qu'animée d'une aspiration à la Rousseau elle [la conscience] cherche à revenir à la nature, elle la cultive 6». Cela signifie qu'il faut retracer une .Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Leçons d'esthétique, L’Idée du Beau, Paris, Aubier, 1964, 2 vol., 1, pp. 120-12 1. 2
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VALERY, Monsieur Teste, Paris, Gallimard, 1947, p. 19. .Paul VALERY, Monsieur
4 Georges CH@ONNIER, Entretiens CH@ONNIER, Entretiens avec Lévi-Strauss, Paris, Plon, 1969,p.130.
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OswaldnSPFNGLFR, Le Le Déclin de l'Occident, Paris, Gallimard, 1964, 2 vol., I, p. 167. Souligné par l'auteur. l'auteur. 5
histoire philosophique, théologique, épistémologique 7 de cette nature, mais aussi son histoire esthétique 8. Cette Cette idée idée d'une d'une mode de la nature nature ne surprendra que ceux qui s'obstinent à croire que cette dernière, régie par des lois stables, est elle-même un objet immuable, alors que l'histoire et l'ethnologie nous montrent à l'évidence que le regard humain est le lieu et le médium d'une métamorphose incessante : « A-t-on remarqué que cette indéfinis indéfinissabl sablee "nature" "nature" se modifie modifie perpétuel perpétuellemen lement,t, qu'e qu'elle lle n'est pas la même au salon de 1890 qu'aux salons d'il y a trente ans, et qu'il y a une "nature" à la mode - fantaisie changeante comme robes et chapeaux 9 » Cette Cette interr interroga ogatio tionn n'est n'est pas une bou boutad tade, e, pas plus plus qu quee le fameux fameux aphorisme, en forme de paradoxe, qu'Oscar Wilde, en cette même année 1890, propose à ses lecteurs, réalisant ce que je n'hésite pas à nommer la révolution copernicienne de l'esthétique « La vie imite l'art bien plus que l'art n'imite la vie. [ ] À qui donc, sinon aux impressionnistes, devons-nous ces admirables brouillards fauves qui se glissent dans nos rues, estompent les becs de gaz, et transforment les maisons en ombres monstrueuses ? À qui, sinon à eux encore et à leur maître [Turner, ajouté par moi], devonsnous les exquises brumes d'argent qui rêvent sur notre rivière et muent en frêles frêles silhou silhouett ettes es de grâce grâce évanes évanescen cente te pon ponts ts incurv incurvés és et barqu barques es tangu tanguant antes es ? Le chang changeme ement nt prodig prodigieu ieuxx surven survenu, u, au cours cours des dix dernières années, dans le climat de Londres, est entièrement dû à cette école école d'art. d'art. Vous Vous souriez souriez ? Con Consid sidére érezz les faits faits du po point int de vue scientifique ou métaphysique, métaphysique, et vous conviendrez que j'ai raison. Qu'estce, en effet, que la nature ? Ce n'est pas une mère féconde qui nous a enfantés, mais bien une création de notre cerveau; c'est notre intelligence qui lui donne donne la vie. Les choses sont sont parce que nous les voyons, voyons, et la réceptivité aussi bien que la forme de notre vision dépendent des arts qui nous ont influencés. [... ] De nos jours, les gens voient les brouillards, non 6 Carl Gustav JUNG, Problèmes JUNG, Problèmes de l'âme moderne, Genève, BuchetChastel, 1960, p. 122. Souligné par l'auteur.
Serge Moscovici, Essai Moscovici, Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1968, et François DAGOGNET, Une épistémologie de l'espace concret, Paris, Vrin, 1977. Robert LENOBLE, Histoire LENOBLE, Histoire de l'idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969. Étude limitée au domaine littéraire. Maurice DENIS, Théories, Paris, Hermann, 1964, p. 35. 7
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parce qu'il y a des brouillards, mais parce que peintres et poètes leur ont appris le charme mystérieux mystérieux de tels effets. Sans doute y eut-il à Londres Londres des brouillard brouillardss depuis des siècles. C'est infinime infiniment nt probable, probable, mais personne ne les voyait, de sorte que nous n'en savions sa vions rien. Ils n'eurent pas d'existence tant que l'art ne les eut pas inventés. [...] Cette blanche lumièr lumièree frémis frémissan sante te que l'on l'on voit voit mainte maintenan nantt en France France,, avec avec ses singulières taches mauves et ses mobiles ombres violettes, c'est la dernière fantaisie de l'art, que la nature, nature, il faut l'avouer, reproduit reproduit à merveille. Où elle composait des Corot et des Daubigny, elle nous offre maintenant d'adorables Monet et des Pissarro enchanteurs 10 » Le narrateur proustien ne dit pas autre chose, lorsqu'il expose à Albertine sa concep conceptio tionn de l'art l'artist istee oculis oculiste te :«Les :«Les gens gens de goû goûtt nou nouss disent disent aujourd'hui que Renoir Renoir est un grand peintre peintre du XVIII ème siècle. Mais en disant cela ils oublient le Temps et qu'il en a fallu beaucoup, même en plein XIXème, pour que Renoir fût salué grand artiste. Pour réussir à être ainsi reconnus, le peintre original, l'artiste original procèdent à la façon des oculistes. Le traitement par leur peinture, par leur prose, n'est pas toujours toujours agréable. Quand il est terminé, le praticien nous dit: maintenant maintenant regardez. Et voici que le monde (qui n'a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l'ancien, l'ancien, mais parfaitem parfaitement ent clair. clair. Des femmes passent passent dans la rue, différentes de celles d'autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous nous refusions refusions jadis à voir des femmes. femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l'eau, et le ciel : nous avons envie de nous promener dans la forêt pareille à celle qui, le premier jour, nous semblait tout excepté une forêt, et par exemple une tapisserie aux nuances nombreuses mais où manquaient manquaient justement justement les nuan nuances ces propres propres aux forêts. forêts. Tel est l'univers l'univers nouveau et périssable qui vient vient d'être créé. Il durera jusqu'à la prochaine prochaine catastrophe géologique que déchaîneront un nouveau peintre ou un nouvel écrivain originaux 11 » Dira-t-on Dira-t-on qu'il s'agit s'agit là d'un esthétisme esthétisme élitiste, élitiste, supposant supposant une culture culture réservée à quelques amateurs «(les gens de goût »), assez riches et oisifs Oscar WILDE, Le WILDE, Le Déclin du mensonge, dans OEuvres, Paris, Stock, 1977, 2 vol., vol. 1, pp. 307-308. Marcel PROUST, Ie PROUST, Ie Côté de Guermantes, dans À la recherche du temps Perdu, Paris, Gallimard, (4 Bibl. de la Pléiade », 1953, 3 vol., vol. II, p. 327. 10
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pour fréquenter les galeries d'art ? je n'en crois rien. Notre regard, même quand nous le croyons pauvre, est riche, et comme saturé d'une profusion de modèles, latents, invétérés, et donc insoupçonnés : picturaux, littéraires, cinématographiques, cinématographiques, télévisuels, publicitaires, etc., qui oeuvrent en silence pour, à chaque instant, modeler notre modeler notre expérience, perceptive perceptive ou non. Nous sommes, sommes, à notre notre insu, une intense intense forgerie forgerie artistique artistique et nous serions stupéfaits si l'on nous nous révélait tout ce qui, qui, en nous, provient de l'art. l'art. Il en va ainsi du paysage, l'un des lieux privilégiés où l'on peut vérifier et mesurer cette puissance esthétique. esthétique. Tel est l'objet de ce livre.
LA DOUBLE ARTIALISATION
Il convient toutefois de distinguer deux modalités de l'opération artistique, deux façons d'intervenir sur l'objet naturel, ou, comme j'aime à le dire, en repren reprenant ant un mot de Charle Charless Lalo Lalo 12 1, qu quii le deva devait it luilui-mêm mêmee à 13 Montaigne , d'artialiser la nature. nature. La première première est directe, directe, in situ; la seconde, indirecte, in visu, par la médiation du regard. J'userai ici d'une analogie, à laquelle j'ai recours depuis Nus et Paysages14 Si l'on prend l'exemple du corps féminin, il y a effectivement deux façons pour l'art de convertir en objet esthétique une nudité, qui, en ellemême, est neutre: ce que les Caduveo Caduveo de Lévi-Strau Lévi-Strauss ss appellent appellent avec mépris mépris «l'indiv «l'individu idu stupide». stupide». L'une L'une consiste consiste à inscrire inscrire le code artistiqu artistiquee dans la substance substance Charles LALO, Introduction LALO, Introduction à l'esthétique, Paris, Armand Colin, 1912, p. 131. «La nature, sans l'humanité, n'est est ni belle, ni laide. Elle est anesthétique » (p. 133). « La beauté de la nature nous apparaît spontanément à travers un un art qui lui est étranger» (p. (p. 128). Il n'est sans doute pas indifférent qu'une thèse voisine soit exposée, en cette même année 1912, par Benedetto Croce, dans son Bréviaire d'esthétique, et par Georg Simmel dans sa Philosophie sa Philosophie du paysage. Cette idée d'une nature esthétisée par l'oeil artiste n'est d'ailleurs d'ailleurs pas absolument nouvelle. Haller, Voltaire, Diderot, l'abbé Delille l'avaient déjà suggérée. MONTAIGNE, Essais, MONTAIGNE, Essais, III, 5, « Sur des vers de Virgile », où apparaît, dans un contexte différent, l'expression « nature artialisée ». Alain ROGER, Nus ROGER, Nus et Paysages. Essai sur la fonction de l'art, Paris, Aubier, 1978. 12
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corporelle, in vivo, in situ, et ce sont toutes ces techniques, réputées archaïque archaïques, s, que conn connaisse aissent nt bien les ethnolog ethnologues, ues, peintures peintures faciales, tatouages, scarifications, qui visent à transformer la femme en oeuvre d'art ambulante, tour à tour bariolée, ciselée, sculptée, selon que la sentence de l'art s'applique, s'applique, s'imprime, s'incruste, s'incruste, s'incarne. Il en va de même pour notre notre maquillage maquillage,, dont Baudelaire Baudelaire soulignait soulignait déjà qu'il « rapproch rapprochee immédiatement l'être humain de la statue », enduit sur nature, sur naturel. sur naturel. La seconde procédure est plus économique, mais plus sophistiquée. sophistiquée. Elle consiste consiste à élaborer élaborer des modèles modèles autonomes, autonomes, picturaux, picturaux, sculpturau sculpturaux, x, photographiques, photographiques, etc., qu'on range sous le concept générique du Nu, par oppositio oppo sitionn à la nudité. nudité. Mais un relais supplémen supplémentair tairee est désormais requis, celui du regard, qui doit en effet s'imprégner de ces modèles culturels, pour artialiser à distance et, littéralement, embellir par l'acte perceptif celle que Musil Musil nommait « la mince bête blanche ». Il en va de même pour la nature, au sens courant du terme. À l'instar de la nudité féminine, qui n'est jugée belle qu'à travers un Nu, variable selon les cultures, un lieu naturel n'est esthétiquement perçu qu'à travers un Paysage, qui exerce donc, en ce domaine, la fonction d'artialisation. À la dualité Nudité Nu je propose d'associer son homologue conceptuel, la dualité Pays Paysage, que j'emprunte, entre autres, à l'un des grands jardiniers paysagistes de l'histoire, René-Louis de Girardin, le créateur d'Ermenonville: «Le long des grands chemins, et même dans les tableaux des artistes médiocres, on ne voit que du pays; mais un paysage, une scène poétique, est une situation choisie ou créée par le goût et le sentiment15. » Il y a <@ du pays », mais des paysages, comme il y a de la nud nudité ité et des nus. nus. La nature nature est indétenindéten-nin ninée ée et ne reçoit reçoit ses déterminations que de l'art : du pays ne devient un paysage que sous la condition d'un paysage, et cela, selon les deux modalités, mobile (in visu) et adhérente et adhérente (in situ), de l'artialisation. l'artialisation. Cette distinction distinction lexicale lexicale récente récente (elle ne remonte remonte pas au-delà du XVème se retrouve dans la plupart des langues occidentales : landlandscape en anglais, anglais, Land-Landschaft en allemand, allemand, landschap en néerlandais, landskap en suédois, landskal en danois, pais-paisaje en espagnol, paese-paesaggio en italie italien, n, mais mais aussi, aussi, en grec grec modern moderne, e, topos-topio, ainsi, semble-t-il, qu'en arabe classique, mais sans radical René-Louis de GiRARDiN, De GiRARDiN, De la composition des paysages, Seyssel, Champ Vallon, 1992, 1992, p. 55. Souligné par l'auteur. l'auteur. 15
commun, bilad-mandar. Le pays, c'est, en quelque sorte, le degré zéro du paysage, ce qui précède son artialisation, qu'elle soit directe (in situ) ou indirecte (in visu). Voilà ce que nous enseigne l'histoire, mais nos paysages nous sont devenus si familiers, si «naturels », que nous avons accoutumé de croire que leur beauté allait de soi ; et c'est aux artistes qu'il appartient de nous rappeler cette vérité première, mais oubliée : qu'un pays n'est pas, d'emblée, un paysage, et qu'il y a, de l'un à l'autre, toute l'élaboration de l'art. Telle est donc la «double articulation » : Pays/Paysage, in situlin visu, que je voudrais mettre à l'épreuve tout au long de cet essai, l'hypothèse heuristique qui me servira de de fil conducteur. Faute de modèles et de mots pour le dire, le pays reste dans l'indifférence l'indifférence esthétique ou, au mieux, l'approximation linguistique, quand l'émotion, elle-même soumise à des conditions culturelles, culturelles, commence à balbutier. balbutier. C'est ce que nous confirme confirme plaisamment l'invention de la Beauce par Beauce par Gargantua: « Ainsi joyeusement passèrent leur grand chemin, chemin, et tousjours grand chère, chère, jusques au dessus de Orléans. En quel lieu estoit une une ample forest de la longueur longueur de trente et cinq lieues, et de largeur dix dix et sept, ou environ. Icelle estoit horriblement horriblement fertile et copieuse en mousches bovines et freslons, de sorte que c'estoit une vraye briguanderye briguanderye pour les pauvres jumens, asnes et chevaulx. Mais la jument de Gargantua vengea honnestement tous les cultrages en icelle perpétrées sur les bestes de son espèce par un tour duquel ne se doublaient mie. Car, soubdain soubdain qu'ilz qu'ilz feurent feurent entrez en la dicte forest et que les freslons freslons luy eurent eurent livré l'assault, l'assault, elle desguaina desguaina sa queu queuee et si bien s'escarmo s'escarmouscha uschant nt les esmoucha qu'elle qu'elle en abatit tout le boys. A tord, à travers, deçà, de là, par cy, par là, de long, de large, dessus, dessoubz, abatait boys comme un fauscheur faict d'herbes, en sorte que depuis n'y eut ne boys ne freslons, mais feust tout le pays pays reduict en campaigne. Quoy voyant, Gargantua y print plaisir bien grand sans aultrement s'en vanter, et dist à ses gens : "je trouve beau ce", dont fut depuis appelé ce pays la Beauce16 » Il est notable notable que Rabelais, Rabelais, en 1534 1534,, ne semble pas disposer disposer du terme « paysage », dont la première mention officielle figure dans le dictionnaire latin/fran latin/français çais de Robert Robert Estienne Estienne (1549), (1549), même si l'on a pu signaler quelqu quelques es occur occurren rences ces antéri antérieur eures, es, toujou toujours rs au sens sens d'un d'un « tablea tableauu représentant un pays » (Molinet, 1493), sans doute sur le modèle du 16
RABELAIS, Gargantua, XVI.
néerlandais landschap17 , attesté dans le moyen néerlandais, mais avec l'acception non esthétique d'une délimitation territoriale territoriale (il en va de même, semble-t-il pour Landschaft, pour Landschaft, en allemand), et « réinventé » à la fin du XVème, pour désigner un tableau. tableau. Quoi qu'il en soit, Gargantua Gargantua invente joliment la «Beauce » pour désigner le seul paysage, d'ailleurs récent (voir plus loin), qu'apprécie l'homme occidental, un pays défriché, apprivoisé, un pays paisible, un pays sage, bref un paysage... Mais le mot tarde à s'imposer. Montaigne en disposera, quelques quelques décennies plus tard. LE GÉNIE DU LIEU
«Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse .L'étroite prairie de Lourdes, entre un rocher et son gave rapide ; la plage mélancoliqu mélancoliquee d'où les Saintes-Ma Saintes-Maries ries nous orientent orientent vers la SainteBaume ; l'abrupt rocher de la Sainte-Victoire tout baigné d'horreur dantesque, quand on l'aborde par le vallon aux terres sanglantes l'héroïque Vézelay, en Bourgogne ; le Puy-de-Dôme. [...Et, n'en doutons pas, il est de par le monde infiniment de ces points spirituels qui ne sont pas encore révélés, pareils à ces âmes voilées dont nul n'a reconnu la grandeur. Combien de fois, au hasard d'une heureuse et profonde journée, n'avons-nous pas rencontré la lisière d'un bois, un 17
Tel n'est pas l'avis de Jean-Pierre LE DANTEC, dans la remarquable anthologi anthologiee qu'il i l vient vient de publier: publier: <@ C'est C'est en français (langue (langue vulgaire vulgaire la plus développée à cette époque) que le mot de paysage, dont la construction à partir du mot pays va servir de modèle à toutes les langues européennes, est apparu pour la première fois : en 1493 très précisément, selon le Dictionnaire étymologique et histo@ue du français de J. Dubois, H. Mitterand et A. Dauzat, qui attribue cette innovation à un poète originaire de Valenciennes (donc de Flandre) : jean Molinet (mort en 1507), qui l'utilise pour désigner un "ta bleau représenta nt un pay s" » (7ardins et paysages, Paris, Larousse, Larousse, 1996,, p. 93). J'inclin 1996 J'inclinee à croire que le (4 Flamand » Molinet n'a fait que traduire le landschap néer landais, landais, et je me rallie à l'opinion de Jeanne NURTINF-T: «Tout donne donc à penser que le mot français est, sinon forgé sur le modèle néerlanda islandschap, islandschap, du moins adopté comme son calque ou son équivalent. équivalent. I-a notion de paysage elle-même pourrait pourrait bien nous avoir été proposée Par la vision des peintres, et l'intérê t se serait finalemen t porté d e la représenta tion au modèl e » «i Le paysage : signifiant et signifié », dans Lire le paysage, lire les paysages, université université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 1984, p. 64). Au reste, comme le note luimême J.-P. Le Dantec, notre désaccord n'est qu'un point «de détail @> (op. cit., p. cit., p. 606).
sommet, une source, une simple prairie, qui nous commandaient de faire taire nos pensées et d'écouter d'écouter plus profond que que notre coeur! Silence! les dieux sont ici 18 » « D'où vient la puissance de ces lieux ? », se demande aussitôt Barrès. Qui sont ces dieux mystérieux ou, pour descendre d'un degré dans la hiérarchie religieuse, qui sont les génies silencieux de ces lieux ? Comme j'ai peu d'inclination pour la mystique incantatoire de Barrès, j'avancerai plutôt une hypothèse profane : ces bons génies ne sont ni naturels ni surnature surnaturels, ls, mais culturels. culturels. S'ils hantent hantent ces lieux, lieux, c'est parce qu'ils habitent notre regard, et s'ils habitent notre regard, c'est parce qu'ils nous viennent de l'art. L'esprit qui souffle souffle ici et «inspire» ces sites n'est est autre que celui de l'art, qui, par notre regard, artialise le pays en paysage 191. Revenons sur les exemples de Barrès, celui de la Sainte-Victoire en particulier. Nous sommes en 1912. Cézanne est mort en 1906 et, depuis lors, sa renommée n'a fait que croître. croître. Barrès connaissait-il son son oeuvre ? On peut en douter, puisque ce « rocher » est, pour lui, « tout baigné d'horreur dantesque », alors que nous voyons désormais la Sainte-Victoire avec les yeux, non de Dante, Dante, mais de Cézanne. Cézanne. Comme l'écrit l'écrit Charles Charles Lapicque: « La butte Montmartre ressemble à Utrillo, le port de Rouen à Marqu Marquet, et, la campag campagne ne d'Aixd'Aix-enen-Pro Proven vence ce à Cézann Cézanne. e. Que dis-je, dis-je, ressembler: la montagne Sainte-Victoire finit par n'être qu'un Cézanne 20 . Cézann Cézannee était était d'ail d'ailleu leurs rs tout tout à fait fait consci conscient ent du fait fait qu que, e, pou pourr ses contemporains, à commencer par les paysans de Provence, aucun «esprit » ne «soufflait » sur la SainteVictoire, rien d'une « montagne inspirée », puisque, comme il l'écrit à son ami Gasquet, ils ne la « voyaient » même pas ! «Avec des paysans, tenez, j'ai douté parfois qu'ils sachent ce qu'est un paysage, un arbre. arbre. Oui, ça vous paraît paraît bizarre. J'ai fait des des promenades parfois. J'ai accompagné derrière sa charrette un fermier qui allait vendre des pommes de terre au marché. Il n'avait jamais vu, ce que nous nous appelons 18 Maurice BARRES, La BARRES, La Colline inspirée, début du premier chapitre, « Il est des lieux où souffle l'esprit. » 19 - Je rejoins donc le point de vue d'Augustin BFRQUE En luimême, le génie du lieu n'existe pas » Etre » Etre humains sur la terre, Paris, Gallimard, « Le Débat », 1996, p. 187. 20 Charles LAPICQUE, Essais sur l'espace, l'art et la destinée, Paris, Grasset, 1958, p. 135.
vu, avec le cerveau, dans un ensemble, il n'avait jamais vu la SainteVictoire. » Et pour cause : c'est précisément au génie au génie de Cézanne que nous devons la Sainte-Victoire, son « inspiration», son artialisation de pays en paysage. Sur l'autoroute l'autoroute A7, qui traverse traverse le massif, massif, on vous somme, somme, par voie d'affiches, d'admirer la Sainte-Victoire et les « Paysages de Cézanne », on vous nomme le génie du lieu, comme si, sans cette référence, le paysage risquait de retomber dans l'indifférence - nullité du pays, lieu sans génie. Autre signe révélateur: naguère ravagée par un incendie, la Sainte-Victoire sera restaurée «à la Cézanne », comme un tableau., telle qu'en elle-même enfin Cézanne l'a changée... D'une artialisation (in visu) à l'autre (in situ). Cette restauration, où le génie de l'art en impose à la nature aveugle, me rappelle une anecdote, à la fois drôle drôle et édifiante. Elle a trait au mont Fuji, «montagne inspirée» s'il en fut, aux yeux des Japonais, et sujet obligé pour tous les peintres, même abstraits. abstraits. Je ne crois pas qu'aucun qu'aucun lieu au monde ait fait l'objet d'une telle dévotion esthétique et d'autant de représentations codifiées, puisqu'il existe une véritable cartographie des points de vue, que tout artiste artiste et tout amateur amateur se doivent doivent de respecter. respecter. Or, voilà quelques quelques années, je me trouvais à Tokyo, à l'occasion d'un colloque sur le paysage. je prononce ma communication, et quelle n'est pas ma stupeur d'entendre, en traductio traductionn simultanée, simultanée, cette question question déconcert déconcertante ante : « Hono Honorable rable collègue, nous aimerions connaître connaître votre avis sur le destin du Fuji. Il est malade, il se fissure, il se délite. Faut-il laisser faire la nature, nature, ou devonsnous intervenir, la technologie technologie nous le permet. Qu'en pensez-vous pensez-vous ? » Ce que j'en pense... Le mont Fuji... 3 800 mètres... je me demande s'il ne s'agit pas d'une plaisanterie japonaise, et je regarde autour de moi, non, mes hôtes ont l'air des plus sérieux... Alors, pendant cinq minutes, peut-être davantage, j'exalte le Fuji, cette oeuvre d'art, oeuvre d'art ancestrale, création d'Hokusaï et de générations de peintres, éminents ou obscurs, mais qu'importe, puisque tous participent à cette gloire gloire du Fuji, et puisque puisque le Fuji, c'est eux! Je n'oublie n'oublie pas les poètes, les haïkus, paysages concis, modèles réduits à quelques mots, je n'oublie pas les romanciers, non, le Fuji n'est plus un être naturel, mais la création millénaire de ces mille génies de la culture japonaise, je vois un sourire s'esquisser sur le visage de mes hôtes, oui, le Fuji est un monument à sauvegarder, et donc à restaurer, au même titre que Versailles ou Venise, ce serait un crime contre l'esprit que de le sacrifier à l'érosion naturelle, de
l'abandonner à cette nature, stupide et taciturne, dès que le souffle de l'art cesse de l'inspirer... J'ai fait plus, dans les cinq minutes de cette harangue improvisée improvisée,, qu'en une heure heure de communicat communication, ion, pour conv convaincr aincree mes auditeurs du bien-fondé de l'artialisation. Le génie du lieu relève, pour l'essentiel, de l'artialisation in visu, qui insuffle son souffle, inspire son esprit. Je franchis en fredonnant les ponts d'Avig d'Avignon non « on y danse, danse, on y danse. danse..... », mélanc mélancoli oliqu quemen ementt le pon pontt Mirabeau, avec Apollinaire «(Sous le pont Mirabeau coule la Seine/ Et nos amours, faut-il qu'il m'en souvienne... »), et de nouveau gaiement le pont des Arts, en compagnie de Brassens «< Si par hasard/ Sur l'pont des Arts... ». J'ai un ami qui ne veut Clermon Clermontt que sous la neige, parce parce qu'il qu'il l'a découverte et ne l'entre-voit plus, au sens littéral, qu'à travers le film de Rohmer, Ma Rohmer, Ma nuit chez Maud, Ce qui montre montre que le génie génie du lieu lieu peut peut être être despot despotiqu iquee et évince évincer r abusivement, les autres prétendants. La Sologne de mon enfance, enfance, ce fut, d'abord, Le Grand Meaulnes Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, puis Raboliot, de Maurice Genevoix, génies génies jumeaux de mon mon regard. Le Livradoix, c'est Gaspard des montagnes, d'Henri Pourrat. Pourrat. On nous l'indique l'indique d'ailleurs, toujours toujours par voie d'affiches, sur la route d'Ambert; et Les Copains de jules Romains ne sont pas loin... Double bonheur: celui de la lecture d'abord, de l'aventure ensuite, ensuite, quand, allant par les chemins chemins sur les traces de Gaspard, Gaspard, on sent passer le souffle de l'esprit... l'esprit... Barrès lui-même nous offre de beaux exemples de cette « inspiration » par artialisation, qui, sans contredire sa propre thèse, permet de l'éclairer d'une lumière profane. La Colline inspirée, celle de Sion, en Lorraine, n'estelle pas, pour beaucoup, son oeuvre, e t n'est-ce pas son esprit, qui, désormais, y souffle ? Aiguemortes et sa tour de Constance ont également inspiré à Barrès un beau roman, Le Jardin de Bérénice, qui, à son tour, - pour qui, bien sûr, a lu ce livre - inspire à ce lieu un génie poétique, colorant de mélancolie la puissance historique de la vieille cité médiévale.
encore, il déclare enfin: "Es brave lo pais, on dit". je viens de comprendre: le mot paysage n'existe pas en occitan (il n'apparaît d'ailleurs dans la langue française qu'à la fin du XVI ème siècle). siècle). 'incompré 'incompréhensi hension on de départ n'était pas seulement due l'habituelle difficulté de langage, mais à hension du concept même de paysage. paysage. Le paysage paysage pour l'incompré-hension
lui, pour les gens, c'est le pays 21» Es brave lo païs: réponse étonnante et, dans sa cohérence, très significative, puisque, par deux fois, en quatre mots - brave au lieu de beau et païs au lieu de paysage -, elle élimine le point de vue esthétique esthétique.. Le paysan paysan de Cueco n'est nullement nullement exceptio exceptionnel. nnel. Michel Conan signalait naguère, lors d'un colloque à Lyon, que, selon une enquête effectuée dans le Finistère, la notion même de paysage semble échapper aux paysans, qui, plus proches que quiconque du pays, seraient d'autant plus éloignés du paysage22'. C'est pourquoi je ne peux souscrire aux propos de Michel Corajoud, lorsqu'il lorsqu'il évoque « une connivence connivence obligatoire obligatoire entre entre paysage paysage et paysan23« ; à moins d'admettre, d'admettre, comme le contexte contexte y invite, qu'il qu'il s'agit d'une complicité laborieuse, par l'intermédiaire de l'outil, mais on ne devrait plus, alors, parler de «paysage ». Cueco le dit fort bien: «Le paysage n'existe pas, il nous faut l'inventer. » Et l'on pourrait multiplier les témoignages. Kant: « Ce que, préparés par la culture, nous nommons sublime, apparaîtra à l'homme grossier, sans éducation éducation morale, simplement simplement comme effrayant. effrayant. [... ] Ainsi le bon paysan savoyard (dont parle M. de Saussure), qui n'était pas sans Henri CUECO, «Approches du concept de paysage », Milieux, 7/8, 1982,réédité dans La dans La Théorie du paysage en France, 1974-1994, 1974-1994, Seyssel, Champ Vallon, 1995, pp. 168-169. Michel CONAN, dans Mort dans Mort du paysage ?, Seyssel, Champ Vallon, 1982, p. 186. Michel CORAJOUD, «Le paysage, c'est l'endroit où le ciel et la terre se touchent », dans Mort dans Mort du paysage ?, op. cit., réédité dans La dans La Théorie du Paysage en France, 1974-1994, 1974-1994, op. cit., p. 147. 21
22
PAYS,PAYSANS,PAYSAGES
23
«Louis, comment dis-tu : il est beau ce paysage ? Il me regarde et je comprends que je lui pose un problème problème difficile. Après un long silence
bon sens, traitait de fous tous les amateurs des montagnes de glace, sans hésiter 24» Ce « bon paysan» n'est pas sans sans rappeler le vieux pâtre, pâtre, qui tente de dissuader Pétrarque et son frère de poursuivre leur fameuse ascension du Ventoux (1336) : « Sur les croupes de la montagne, nous rencontrâmes un pâtre d'âge très reculé qui, après bien des discours, s'efforça de nous détourner de notre notre ascension. Cinquante ans auparavant, auparavant, disait-il, la même ardeur juvénile l'avait porté à gravir le pic culminant, et il n'en avait rappo rapporté rté qu quee regret regret et fatigu fatigue. e. » Wilde Wilde le résume résume en qu quelq elques ues mots mots savoureux: «Où l'homme cultivé saisit un effet, l'homme inculte attrape un rhume25. » Et Cézanne, déjà cité, qui doute que les paysans provençaux «sachent ce qu'est un paysage »... C'est ce que confirment plusieurs enquêtes récentes, même s'il convient de nu nuan ance cerr leur leurss conc conclu lusi sion ons, s, dans dans la mesu mesure re où les les «rur «rurau auxx » d'aujourd'hui ne sauraient être assimilés au pâtre de Pétrarque, pas plus qu'au bon Savoyard de Horace Benedict de Saussure ou aux paysans de Cézanne, puisqu'ils bénéficient désormais, à l'instar des citadins (qu'ils sont d'ailleurs de plus en plus), d'une culture massivement diffusée par l'ense l'ensembl mblee des médias. médias. On n'en constat constatee pas moins moins un réel déficit déficit esthétique dans la perception de leur propre pays, qui demeure, pour l'esse l'essenti ntiel, el, le lieu lieu du labeur labeur et de la rentab rentabili ilité, té, comme comme l'att l'attest estee l'investi l'investigatio gationn à laquelle laquelle s'est livré livré Martin Martin de la Soudière Soudière auprès auprès des paysans de la Margeride : «Le paysage, c'est l'aspect des lieux, c'est le coup d'oeil, c'est une distance que l'on prend par rapport à sa vision quotid quotidien ienne ne de l'esp l'espace ace.. Le travai travaill agrico agricole le étant étant le plus plus souven souventt incompatible avec cette disponibilité de temps et d'esprit, l'environnement est rarement "paysage" "paysage" pour ces agriculteurs. agriculteurs. En fait,, le terme terme paysage est pour pour eux le plus souvent inadéquat. [... ] Le registre esthétique semble phagocyté par l'utilitaire, le beau, défini par l'utile. La plupart des réponses réponses recueilli recueillies es vont dans le même sens. Autre Autre indice, dont dont tout chercheur de terrain a fait l'expérience : le quiproquo à propos du sens du
mot beau lui-même. Moi: "Il est beau, ce pré." pré. " Le fils Fage : "Oui, il donne mille bottes [de foin] 26» La perception d'un paysage, cette invention de citadins, comme on le verra bientôt suppose à la fois du recul et de la culture, une sorte de reculture en somme. Cela ne signifie pas que le paysan est dépourvu de de tout rapport à son pays et qu'il n'éprouve aucun attachement pour sa terre, bien au contraire; mais cet attachement est d'autant plus puissant qu'il est plus symbiotique. Il lui manque, dès lors, cette dimension esthétique, qui se mesure, mesure, semble semble-t-t-il, il, à la distan distance ce du regard regard,, indisp indispens ensabl ablee à la perception et à la délectation paysagères. Le paysan est l'homme du pays, non celui du paysage, et peut-être faudrait-il opposer, avec la prudence requise, le paysan et le paysageant, c'est-à-dire l'homme de la ville, et, probablement, ce même paysan, quand il visite un autre pays que le sien et adopte, à l'occasion, avec plus ou moins d'aisance, l'oeil désoeuvré du touriste. «Aujou «Au jourd' rd'hui h ui encore encore les paysan paysanss sont sont la seule seule classe classe social socialee qui n'éprouve guère d'enthousiasme pour les beautés naturelles 27 » ; à cette précision près que ces beautés ne sont jamais « naturelles », sinon les paysans les percevraient et « s'enthousiasmeraient » tout comme les citadi citadins. ns. C'est C'est même là un argumen argumentt déterm détermina inant nt en faveur faveur de l'hypothèse culturaliste, qui trouve « sur le terrain » l'occasion d'une contre-épreuve décisive, dont Armand Frémont nous offre un nouveau témoignage avec les paysans normands: «Les agriculteurs évoquent à peine les paysages. Cette attitude paraît très profondément significative. On parle fort peu de ce qu'on vit quotidiennement, surtout lorsqu'on est normand. Les valeurs prêtées aux lieux sont sont celles du travail, de la terre et de la famille, éventuellement éventuellement du progrès agricole agricole et de l'emploi. Face à ces réalités de tous les jours, le "paysage" évoqué par les urbains, des étrangers, apparaît au pire menaçant et aliénant, au m ieux dérisoire 28. » Martin de la SOUDIÈRE, «Regards «Regards sur un terroir et ailleurs. ailleurs. Le paysage à l'ombre des terroirs terroirs », Paysage et aménagement, septembre 1985, pp. 21 et 23. Kenneth CLARK, L'Art CLARK, L'Art du paysage, Paris, Gérard Monfort, 1994, P. 9. Armand FRÉMONT, « Les profondeurs des paysages géographiques. Autour d'Ecouves, dans le Parc régional Normandie-Maine », L’Espace géographique, 2, 1974, réédité dans La Théorie du paysage en France, op. 26
27
Emmanuel KANT, Critique de la faculté faculté de juger, Paris, Vrin, 1974, § 29. 0. WILDE, Le WILDE, Le Déclin du mensonge, op. cit., p. cit., p. 307, traduction modifiée. modifiée.
24
25
28
Un dessin, fort drôle, de Pierre Samson, nous le dit autrement. autrement. On y voit deux paysans, Ange et Luce Millet, dans la posture obligée du célèbre Angélus, et qui échangent ces propos édifiants. édifiants. Ange : «Ce qu'il y a, c'est qu'onn manque de recul. Mais je sens qu'on passe à côté d'un vrai filon qu'o filon touristique. » Luce : « je ne vois pas, Ange. » Ange: «Je le sens, Luce 29. » Sophie Bonin, qui a étudié les applications du fameux article 19 de la Politique agricole commune (1985), souligne avec raison l'imprécision et l'ind l'indéci écisio sionn du législ législate ateur ur quand quand il s'agit s'agit de distin distingue guerr les valeur valeurss écologiqu écologiques es (environ (environnemen nementales tales)) et esthétiqu esthétiques es (paysagèr (paysagères), es), alors alors que cette distinction est essentielle (voir plus loin), si l'on veut inciter les agriculteurs à sauvegarder leur cadre traditionnel, «les zones sensibles du point de vue de l'environnement l'environnement », c'est-à-dire « les zones revêtant surtout un intérêt reconnu du point de vue de l'écologie et du paysage ». Sophie Bonin dénonce à bon droit le caractère «flou » d'une telle disposition: «Le paysage apparaît comme le poisson que l'on noie. [... Mais comme les mesures de l'article 19 cherchent avant tout à toucher les agriculteurs, on en arrive à orienter le projet "paysager" vers une gestion minimale, un "entretien "entretien", ", qui est en fait le maintien de l'espace l'espace dans une certaine certaine "propreté" : un paysagisme d'aménagement actif, efficace, dans de telles conditions, avec de tels outils, ne peut aboutir. » Et Sophie Bonin signale à son tour - mais son étude a le mérite de transcrire et de vérifier dans la pratique la plus concrète et la plus actuelle l'hypothèse théorique que je propose - le caractère utilitaire, de rentabilité immédiate, de la vision paysanne : «Le visuel est en effet quelque chose qui est très important pour les agriculteurs. Mais il ne s'agit pas alors d'un visuel cartographique ou photographique, mais plutôt d'un visuel de signes, attaché aux éléments qui ont du sens au niveau niveau agricole agricole (en particulier particulier fonction fonctionnel) nel).. Un agriculteur ne se promène pas dans la campagne (ou rarement) : son appréhension la plus courante est la "tournée du propriétaire", où son attention s'attache d'abord aux limites du parcellaire, ou à celles entre ses terres et celles du voisin, et aux "événements" visuels qui ont un sens pour la pratique agricole. [... ] J'ai pu ainsi relever la fréquente réaction en termes d'environnement et de pollution, lorsqu'on parle aux agriculteurs de paysage, en particulier dans les zones peu touristiques. touristiques. Le mot de paysage cit., p. cit., p. 34. Pierre SAMSON, dans C.I.V.A.M., Le C.I.V.A.M., Le Tourisme de pays, A.D.I.R., décembre 1994. 29
évoque dans ce cas la pression extérieure exercée sur les agriculteurs dans ce domaine des normes (pour les bâtiments, les conditions d'élevage, l'usage des produits chimiques). » Il n'est guère étonnant, dès lors, que les «néoruraux », d'origine citadine, soient les plus favorables à une application active et concertée de l'article 19. Ils dispose disposent nt en effet effet «d'un «d'un recul recul importan importantt par rapport rapport à leur leur profession » et « par rapport à leur espace ». «J'ai pensé que le fait qu'ils n'aient pas vécu leur enfance dans le milieu agricole pouvait jouer aussi en faveur de ce recul. » Quoi qu'il en soit, « ils sont les seuls à m'avoir parlé
de "paysage agricole magnifique30». On vérifie, une fois de plus, qu'une contre-épreuve contre-épreuve concrète est toujours toujours indispensab indispensable, le, sinon décisive, décisive, quand il s'agit s'agit de valider une hypothèse théorique, théorique, que le lecteur, spontanément naturaliste en ce domaine, risquerait de juger téméraire.
Sophie BONIN, « Agriculture, paysage, espace de montagne. Représentations et politiques de développement rural », Mémoire de D.E.A., jardins, D.E.A., jardins, paysages, territoires, E.H.E.S.S. et Ecole d'architecture de Parisla-Villette, 1995, pp. 65, 67, 78, 81, 82, 106, 108. 30
CHAPITRE Il
DU JARDIN AU LAND AU LAND ART
Avant d'inventer des paysages, par le truchement de la peinture et de la poésie, l'humanité a créé des jardins, qui correspondent à ce que Pauline Cocheris, décrivant les techniques de tatouage et de scarification, appelait «les parures primitives ». Ils sont les vêtements, ornements et tourments que l'homme impose au «pays », le bariolant, le tatouant, le scarifiant en paysage, éprouvant, dès les commencements, ce «plaisir superbe de forcer la nature », dont parle Saint-Simon à propos de Versailles.
LE BESOIN D'ENCLORE ET LE MODÈLE, PARADISIAQUFL'analogie ne doit pourtant pas nous abuser : cette volonté de paysager directement le pays se présente d'emblée comme un équivalent de l'art, ou plutôt comme un art, nullement archaïque; ce dont témoigne la présence des jardins suspendus de Babylone parmi les sept merveilles du monde. Le jardin s'offre au regard, tel un tableau vivace, contrastant avec la nature environnante. D'où le besoin d'enclore. d'enclore. On entend par par jardin un espace fermé, séparé, intérieur, cultivé par l'homme pour son propre plaisir, loin de tout propos utilitaire utilitaire immédiat. L'étymologie de jardin jardin a une racine racine indoeuropéenne (ghorto) commune à toutes les langues du groupe (clos, clôture)31'. » « La nature, dans son ensemble, est encore le domaine du désordre, du vide et de la peur; la contempler conduit à mille pensées dangereu dang ereuses. ses. Mais, Mais, dans cet espace sauvage, sauvage, on peut enclore un jardin jardin Antonella PIETROGRANDE, « Le jardin imaginé », dans Paysage méditerranéen, Milan, Electa, 1992, p. 74. 31
(man may enclose a garden) 32' . » Il s'agit, comme dans l'activité artistique, de délimiter un espace sacré, une sorte de templum, à l'intérieur duquel se trouve concentré et exalté tout ce qui, hors de l'enceinte, diffuse et se dilue, livré à l'entropie naturelle. naturelle. Le jardin, à l'instar du tableau, se veut monade, partie totale, îlot de quintessence et de délectation, paradis paradigme. Pairidaeza, en ancien persan, signifie un enclos, de paire, «autour », et daeza, «rempart ». Paradeisos, attesté chez Xénophon, dans l’Anabase, pour désigner un parc, un lieu planté d'arbres, où l'on entretient des animaux, sera repris dans la traduction des Septante, à propos de l'Éden. Le texte de la Genèse est instructif : s'il ne fait pas mention d'une clôture 33 - l'interdiction d'y retourner est consécutive à la « faute » -, il souligne que le jardin est, à l'origine, un lieu idéal, une «plantation » divine. « Yahvé Dieu planta un jardin en Éden, à l'orient, et il y mit l'homme qu'il avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toute toute espèce d'arbres séduisants séduisants à voir et bons à manger, et l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d'Éden d'Éden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre quatre bras. » Pishôn, Gihôn, Tigre et Euphrate, ce qui permet de localiser cette vaste oasis en Mésopotamie. La suite est énigmatique : «Yahvé Dieu prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Éden pour le cultiver et le garder. » On peut en effet se demander en quoi consistait cette «culture », en l'absence d'outillage et hors de tout labeur (la « sueur» est la sanction du «péché»). Quoi qu'il en fût, cet Éden se présente, à l'origine, comme un jardin des délices, lieu d'une félicité indéfinie, un Tiergarten « parc zoologique »), dira Hegel, stigmatisant d'ailleurs ce « morne état d'innocence sans intérêt », dont Adam, Dieu merci, se trouve exclu par sa «felix culpa ». Cette image de l'oasis, le Coran la reprend de façon récurrente : «Ceux qui auront cru et pratiqué les oeuvres pies, Nous les ferons entrer en des Jardins sous lesquels couleront les ruisseaux; là, immortels en éternité, ils auront des épouses purifiées et Nous les ferons entrer sous une ombre dense» dense» (sourate (sourate IV). Et le Prophète, Prophète, non sans cruauté, cruauté, oppose cette cette fraîcheur paradisiaque (l'oasis) au feu infernal (le désert), qui frappe les K. CLARK, L'Art du paysage, op. cit., p. 15. Le besoin d'enclore est cependant si fort que Milton, dans Le Paradis perdu (1674), qui, au livre IV, chapitre v, décrit l'intrusion de Satan dans le jardin d'Eden, évoque son «vert enclos » et «la muraille verdoyante du paradis ». 32
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damnés : « Et les Hôtes du Feu crieront aux Hôtes du Jardin : "Répandez sur nous de l'eau et de ce qu'Allah qu'Allah vous a attribué!" attribué!" » (sourate VII). En vain. Il arrive même que le Coran, plus voluptueux voluptueux que la Bible, distingue les liqueurs de ces quatre «ruisseaux » : « Voici la représentation du Jardin qui a été promis aux Pieux: il s'y trouvera des ruisseaux d'une eau non croupissante, des ruisseaux d'un lait au goût inaltérable, des ruisseaux de vin, volupté pour les buveurs, des ruisseaux de miel clarifié » (sourate XLVII). XLVII). Canaan Canaan ne promettai promettaitt que du miel et et du lait. La sourate sourate du Prophète Prophète annonce une oasis aphrodisiaq aphrodisiaque, ue, avec houris et éphèbes, éphèbes, à volonté et pour l'éternité... Le jardin islamique, en sa clôture, n'est que la réplique, ici-bas, du modèle coranique. « Que le jardin soit associé à un palais ou à une simple demeure, il est antithèse du désert, espace clos de hauts murs et bruissant de vie. Représentation sur terre terre du Paradis promis par Allahcar, l'eau bienfait rare et précieux - recueillie dans une vasque, marque la convergence de chemins, transcription des quatre fleuves de l'Éden. [... ] Le "ryad",, palais-jardin intérieur, expression particulière au Maghreb, constitue un havre de sensualité, de plaisir, mais aussi de paix, une paix si recherchée pour oublier les agressions du monde extérieur 34 » Il semble, d'ailleurs, que le jardin islamique doive beaucoup au jardin persan, qui l'a historiquement précédé. Le modèle du «ferdows», élaboré dès l'époque des Sassanides (224651), instaure, en particulier, la structure du jardin à quatre parties, soulignées par une allée ou une ligne d'eau, avec, au point de rencontre des deux axes, axes, soit un pavillon, soit un bassin. Cet art des jardins, dont la fermeture et la fertilité (fruits, fleurs, fraîcheur) sont comme la dénégation de la sécheresse et de la stérilité extérieures, se redouble dans celui des tapis-jardins, parfois immenses - celui du palais de Khosrow (VIème siècle) ne mesurait pas moins de 140 mètres de long sur 27 de large -, accédant ainsi à la dignité de modèles presque autonomes, relevant de l'artialisation in visu. Cette Cette clôture clôture bénéfiqu bénéfique, e, assurant, assurant, contre la nature nature austère, austère, hostile hostile et entropique, l'ordre, l'abondance et la délectation, nous la retrouvons dans la tradition tradition helléniqu hellénique. e. Ainsi Ainsi du jardin jardin d'Alkinoo d'Alkinoos, s, au chant chant VII de l'Odyssée: « Et, au-delà de la cour, auprès des portes, il y avait un grand A. AUDURIFR-CROS et A. QUIOT, «Les jardins de l'Islam», dans Paysage méditerranéen, op. cit., p. 100. 34
jardin de quatre arpents, arpents, entouré de tous côtés par une une haie. Là, croissaient de grands arbres florissants qui produisaient, les uns, la poire et la grenade, les autres, autres, les belles belles oranges, oranges, les douc douces es figues et les vertes olives. olives. Et jamais ces fruits ne manquaient ni ne cessaient, et ils duraient tout l'hiver et tout l'été [... ]. Et il y avait deux sources, dont l'une courait à travers tout le jardin, tandis que l'autre jaillissait sous le seuil de la cour. » Il en va de même dans la tradition du jardin médiéval ou hortus conclusus, qu'il soit «de cloître » ou «courtois », et dont la symbolique paraît, à l'origine, se rapporter au Cantique des Cantiques (selon l'interprétation l'interprétation qui fait de la Sulamite une préfiguration de la Vierge) : «jardin bien clos, source scellée ». On en trouve de belles illustrations, profanes et tardives (XVème siècle) : «Jardinet du Paradis », du Maître d'Oberrhein, dit aussi « Maître du jardin clos (ill. 1), Éden érotique à l'abri de remparts crénelés « Maulgr Maulgris is et Oriand Oriandee la belle belle » (ill. 2), de Renaut de Montauban; « Amoureux dans un jardin », dans Le Rusti can de Pierre de Crescens ; ou bien encore « L'Auteur accueilli par Nature au Verger désiré », dans le Livre des échecs amoureux d'Évrard de Conti. La littérature affectionne, elle elle aussi, aussi, ces jardins jardins clos et délici délicieux eux.. Boccac Boccace, e, au début début de la «Troisième Journée » du Décaméron, se plaît à nous décrire un paradis profane, avec son enceinte, ses arbres fruitiers, ses fleurs, sa verte prairie centrale, comportant une source source en son centre. Même délectation dans Le dans Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris: «Le verger, bien dessiné, formait formait exactement exactement un carré, carré, aussi long long que large. Tous les arbres arbres fruitiers, sauf ceux qui seraient trop laids, s'y trouvent représentés par un ou deux spécimens, ou même davantage. » Suit l'énumération de ces arbres : grenadiers, grenadiers, noyers, amandiers, figuiers, figuiers, dattiers. Puis toutes les épices : clous de girofle, réglisse, zédoale, anis, cannelle... On revient aux « arbres de notre pays » : néfliers, pruniers, cerisiers, sorbiers, oliviers, cyprès, ormes, charmes, hêtres, etc. Et « sachez que les arbres sont plantés à bonne distance les uns des autres, à environ cinq ou six toises... » Toujours cette exigence d'ordre, contre l'anarchie naturelle. L'Orient n'échappe évidemment pas à la règle, selon le témoignage de Marco Polo, qui ne cesse de s'extasier sur les réalisations gigantesques de ses hôtes, tel « le Vieil de la Montagne », Aloadin : «Il avait fait enclore, en une vallée, entre deux montagnes, le plus grand et le plus beau jardin qu'on vît jamais, plein de tous les fruits du monde. [... ] Il y avait des canaux canaux qui transportaie transportaient nt du vin, du lait, du miel et de l'eau. l'eau. Et c'était
plein de dames et de demoiselles les plus belles du monde, qui savaient jouer de tous les instruments, chanter à merveille et si bien danser que c'était un délice de les voir. voir. Et leur faisait croire, le le Vieil, que ce jardin était le Paradis. » Tout y est en effet: les quatre «ruisseaux», devenus des « canaux ») dans le récit du voyageur, et les houris indispensables à la félicité. Même magnificence dans la description du jardin jardin du «grand khan » Koubilaï: «Autour de ce palais, il y a un mur qui enferme au moins seize milles de terre, en quoi il y a fontaines, fleuves et rivières, et beaucoup de belles prairies... » Enclos colossal, dont on trouve un écho onirique dans le Kubla Khan de Coleridge: «Ainsi deux fois cinq milles de terre fertile furent encerclés de murs et de tours. » Le fantasme ne peut déployer ses fastes, « ravin profond et mystique», «halètements rapides et rauques rauques » (fast thick pants), « océan sans vie » (lifeless ocean), «cavemes de glace » (caves of ice), «vierge d'Abyssinie » et «lait du paradis » (milk of paradise) - qu'à l'intérieur d'une enceinte sacrée, si measureless qu'en soit soit le périmètre. périmètre. Il faut d'abord tabuler le tabuler le pays pour y inscrire un paysage, si fantastique soitil. Et, pour rester dans les jardins mythiques, c'est encore et toujours toujours cette même clô-ture que l'on retrouve, chez Rousseau, dans « l'Élysée » de Julie: «L'épais feuillage qui l'environne ne permet point à l'oeil d'y pénétrer [... 1. Vous savez que l'herbe y était assez aride, les arbres assez clairsemés, donnan donnantt assez assez peu d'ombr d'ombre, e, et qu'il i l n'y avait point point d'eau. d'eau. Le voilà maintenant frais, vert, habillé, paré, fleuri, arrosé », allégorie de l'Éden, dont M. de Wolmar, l'époux de Julie, serait le Dieu débonnaire 35 Autre allégorie, celle du «Paradou » dans La Faute de l'abbé Mouret, de Zola, immens immensee jardin jardin clos, clos, où Serge Serge retrou retrouve, ve, l'inst l'instant ant de la felix culpa, l'innocence et l'intégrité d'Adam (voir plus loin). Mais c'est sans doute dans le jardin japonais que s'illustre le mieux la fonction monadique de l'art, qui consiste à concentrer un maximum dans un minimum. Ce désir, si souvent exprimé par les artistes - «le torrent du monde dans un pouce de matière» (Cézanne), «all world in a nutshell» (Joyce) -, n'est jamais mieux réalisé que dans ces jardins miniatures, où l'artialisation in situ, à force de réduction, finit par s'abstraire de sa propre matière, pour se transformer en tableau. « La vocation de Ruysdael, de Corot, de Claude Monet ou de Cézanne n'est pas très éloignée de celle de l'ikébana, qui, dans un bouquet de quelques fleurs ou dans un jardinet J.-J. ROUSSEAU, Julie ROUSSEAU, Julie ou la Nouvelle Héloise, IV' partie, lettre XI.
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minuscule, concentre et résume la totalité de l'univers 36. » «Le jardin nain, plus il est petit, plus vaste est la partie du monde qu'il embrasse 37 » On peut en dire autant, à une autre échelle, des «jardins secs », ceux de Ryoan-ji ou de Daisen-in, Daisen-in, à Kyoto. Nul végétal, sinon quelques quelques mousses, quelques groupes de pierres savamment répartis sur un tapis de gravier. La matière, à nouveau, s'exténue, et le jardin, dépouillé de toute suggestion et séduction naturalistes, impose à l'oeil son austérité de toile abstraite 38.
UT PICTURA HORTUS
On pourrait objecter que cette interprétation ne saurait être étendue à l'ensemble des jardins, que le XVIII ème siècle, en particulier, se caractérise par le refus de toute clôture et se réclame d'un retour à la nature, qui contredit la volonté d'artialisation en laquelle j'ai cru déceler déceler la fonction fonction du jardin. L'objecti L'objection on paraît forte et pourtant, pourtant, loin d'invalider l'hypothèse, elle la vérifie au contraire, dans la mesure où ce prétendu retour à la nature S'est toujours effectué sous le signe de l'art. Contrairement à ce que l'on a pu dire, ou croire, la réaction aux symétries françaises ne s'est pas traduite par une naturalisation du paysage, mais par une picturalisation picturalisation du pays. Lorsque Joseph Addison, Addison, dans le Spectator du 25 juin 1712, s'insurge contre la manie de mutiler les arbres pour les réduire à des «cônes, globes et pyramides », ce procès du géométrisme traduit traduit seulement seulement un changemen changementt de référenc référencee artistiq artistique ue : au modèle modèle architectural, représenté par Le Nôtre, se substitue un modèle pictural, bientôt symbolisé par Claude Lorrain. C'est ce que souligne Girardin, quelques décennies plus tard : « Le fameux Le Nôtre, qui fleurissait au Gilbert DURAND, Structures anthropologiques de l'imaginaire, Grenoble, Grenoble, Allier, 1960, p. 297. Michel TOURNIER, Les TOURNIER, Les Météores, Paris, Gallimard, 1975, p. 468. Cette picturalisation abstraite du jardin a séduit quelques-uns des plus grands paysagistes contemporains. « Mon idée de ce que devrait et pourrait être un jardin, jardin, du point de vue esthétique, esthétique, vient de la peinture abstraite» (Roberto Burble-MARX, « Jardins au Brésil», Brésil », Techniques et architecture, n' 7/8, 1947). On retrouve la même idée chez Russel Page et Geoffrey Jellicoe, qui se réfèrent volontiers à Burle-Marx. 36
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siècle dernier, acheva de massacrer la nature en assujettissant tout au compas de l'architecte ; il ne fallut pas d'autre esprit que celui de tirer des lignes et d'étendre le long d'une règle celles des croisées du bâtiment ; aussitôt la plantation suivit le cordeau de la froide symétrie ; le terrain fut aplati à grands frais par le niveau de la monotone planiinétrie ; les arbres furent mutilés, de toute manière, les eaux furent enfermées entre quatre murailles ; la vue fut enfermée par de tristes massifs ; et l'aspect de la maison fut circonscrit dans un plat parterre découpé comme un échiquier. [... ] Ce n'est donc ni en Architecte, ni en jardinier, c'est en Poète et en Peintre qu'il faut composer des paysages, afin d'intéresser tout à la fois l'oeil et l'esprit 39 » Ut pictura hortus 40 «telle pourrait être la devise des jardiniers anglais, de Kent à Shenstone, en passant passant par Henry Hoare. Hoare. Chez William Kent, par par exemple, le jardin est conçu à l'imitation des tableaux «romains » de Claude Lorrain et de Gaspard Dughet. Dughet. Ainsi, à Stowe ou à Rousham, Rousham, le jardin s'offre à l'amateur comme une succession de tableaux tridimensionnels, où l'artiste, travaillant sur nature, peut faire l'économie du trompe-l'oei trompe-l'oeil.l. Même picturalis picturalisme me à Stourhead, Stourhead, création création de Hoare, grand admirateur de Claude et de Gaspard Dughet, et aux Leasowes de Shenst Shenstone one,, l'un l'un des plus plus remarq remarquab uables les théori théoricie ciens ns du landscape gardening: « Je crois que le peintre de paysage est le meilleur dessinateur du jardinier. » D'où son utilisation du Claude glass, appareil d'optique à miroir ovale convexe permettant de découper dans le « pays » des « paysages » à contour claudien. claudien. Les écrits théoriques théoriques confirment ce picturalisme. picturalisme. Pope déclare, dès 1734, 1734, que «tout l'art des jardins relève de la peinture de paysage [ ] tout comme un paysage accroché » (All gardening gardening is landscape landscape painting [ ] [ ] just like landscape hung up) 41. Et si Horace Walpole, dans une page fameuse de R.L. de GIRARDIN, De GIRARDIN, De la composition des paysages, op. cit., pp. cit., pp. 12 et 21 J'ai utilisé cette formule dès 1982 dans « Ut pictura Hortus », Mort du paysage; op. cit. je cit. je constate avec plaisir que que John Dixon HUNT, emminent spécialiste, y recourt à son tour dans son article : « Ut pictura poesis, Jardins et pittoresque en Angleterre. 1710-1750», dans Histoire des jardins, Paris, Flammarion, 1991, p. 227. Cité par Marie-Madeleine MARTINET, dans Art et nature en Grande Bretagne au XVII ème siècle, Paris, Aubier, 1980, p. 10. 39
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ses Anecdotes ses Anecdotes on Painting, rend un hommage appuyé au « naturalisme» de Kent « Le coup de maître, le pas qui qui conduisit à tout ce qui qui a suivi, ce fut la destruction des enceintes murées et l'invention des fossés. [ ] Il franchit la clôture (he leaped the fence) et vit que toute la nature est un jardin» -, il s'empresse d'apporter un correctif artistique à cet apparent naturalisme : «Ainsi le pinceau de son imagination prodigua tous les artifices (arts) d'un beau paysage aux scènes qu'il dessina. Les grands principes sur lesquels il travaillait étaient la perspective et le clair-obscur (light and shade). C'est ainsi qu'il "réalisa les compositions des grands peintres 42» William Mason est encore plus catégorique lorsque, dans son poème, The English Garden (1772), (1772), il enjoint au jardinier de prendre modèle sur la peinture, sa soeur aînée : «Apprends combien ton art doit tirer secours de la peinture; la peinture est la soeur du jardinage : instruis-toi de ses règles » (and learn how much on Paintings aid thy sister art depends, learn now its laws)43 Et l'une de ces règles est justement celle des trois plans de la perspective atmosphérique (ocre, vert, bleu), inventée et codifiée par les peintres du XV ème siècle (voir plus loin). Humphrey Repton, dans ses Sketches Sketches and Hints on Landscape Landscape Gardening Gardening (1794), contestera cette consanguinité. L'alliance est plutôt plutôt conjugale : «Ce ne sont pas pas des arts frères, nés de la même souche, mais plutôt des natures qui ont des
affinités, réunies comme mari et femme » (brought together like man and wife)44. Mais l'artialisation reste fondamentale. Il s'agit d'instaurer un juste milieu entre l'anarchie (la nature sauvage) et le despot despotism ismee (le jardin jardin frança français) is),, « de même même que la consti constitut tution ion anglaise est un juste milieu (happy medium) entre la liberté des hommes primitifs et les contraintes du gouvernement despotique ». Cette subordination au modèle pictural n'est pas moindre chez RenéLouis de Girardin, comme on peut en juger par son traité, De la composition des paysages, où la comparaison du «tableau sur le terrain » avec le «tableau sur la toile45» est constante. « C'est en 42 43 44 45
Cité par M.-M. MARTINET, ibid., pp. ibid., pp. 184 et sq. Cité ibid., p. ibid., p. 203. Cité ibid., p. ibid., p. 245. DE GIRARDIN, De GIRARDIN, De la composition des paysages, op. cit., p. cit., p. 23.
Poète et en Peintre qu'il faut composer des paysages 46 » « Or, pour composer un paysage et le rapporter sur le terrain, le tableau est la seule manière d'écrire son idée pour s'en rendre un compte exact avant de l'exécuter 47 » Le tableau constitue donc un schème de composition, qui, appliqué au pays, le schématise en paysage et «opère dans la nature le même effet que dans votre tableau48 ». Et Girardin de détailler toute une technique de fabulation, de fabulation, permettant d'inscrire « le cadre d'un tableau sur le terrain 49». Il est vrai que les références aux modèles arcadiens ne sont pas aussi explicites que chez chez Kent Kent ou Shen Shenst ston one. e. Mais Mais cett cettee disc discré réti tion on n'au n'auto tori rise se certainement pas à soutenir, comme le fait Michel Conan, dans sa Postface, Postface, d'ailleurs d'ailleurs remarquable, remarquable, que Girardin aurait pris «à sa manière le contre-pied des Anglais » et qu'il «propose de créer un art du paysage qui ne devrait rien qu'à lui-même et à la nature, de telle sorte que les spectacles créés par cet art puissent à leur tour inspirer des
peintres50' ». S'il en était ainsi, on comprendrait mal pourquoi Girardin se serait assuré les services des peintres Meyer et Hubert Robert pour la réalisatio réalisationn d'Ermenonvill d'Ermenonville. e. Et Michel Conan convient convient lui-même lui-même que Girardin s'est « souvenu » du Et in Arcadia ego de Poussin. Poussin. C'est ce que confirme le continuateur et commentateur de Girardin, l'auteur anonyme de Promenade de Promenade ou itinéraire des jardins d’ermenonville: « L'art des jardins [... ] consiste uniquement à exécuter des Tableaux sur le terrain, par les mêmes règles que sur la toile; [... ] C'est ainsi qu'on a vu le séjour le plus triste se métamorphoser en un superbe tableau », c'est-à-dire, littéralement, le «pays » devenir «paysage ». Et, dans son zèle pédagogique, le bon guide guide ne craint craint pas, lui, de prodigue prodiguerr les références références picturales, picturales, pour indiquer au néophyte quels tableaux «réels » ont présidé à la composition du paysage: ici, c'estun tableau composé dans le genre de Claude Lorrain 51
là, « un tableau parfaitement bien composé dans le genre Robert 52» ; un peu plus loin « une chaîne de rochers rochers couronnés de pins forme forme le devant de ce tableau de Salvator 53» ; plus loin encore c'est un «paysage qui rappelle le genre de Ruysdaal [sic] et de Vangoyen54». PAYSAGER LA PLANÈTE...
Ce désir d'artialiser matériellement la nature, tel qu'il se réalise dans l'art des jardins, Goethe en a donné une version à la fois romanesque et didactique dans Les dans Les Affinit és électives, électives, particulièrement au chapitre VI, où Édouard et le capitaine consultent des (4 descriptions de parcs anglais accompagnés de gravures », avant de réformer le domaine. « Ils ouvrirent des livres où l'on voyait chaque fois le plan de la contrée et son aspect champêtre, dans son état de nature primitive et sauvage ; puis, sur d'autres feuilles, les changements que l'art y avait apportés. » C'est-à-dire, vis-àvis, pays et paysages, selon la technique des Red des Red Books de Repton. Repton. Et l'on sait que Goethe fut influencé par le jardin à l'anglaise de Wôrlitz, près de Dessau. Dessau. Mais c'est assuréme assurément nt Edgar Poe qui a donné, de «ce plaisir plaisir superbe de forcer la nature», la parabole la plus impressionnante, dans ce Domaine d'Arnheim55 , don dontt le propri propriéta étaire ire,, Elliso Ellison, n, est animé animé d'une d'une vocation antinaturaliste, qui nous est désormais familière: « Il n'existe dans la nature aucune combinaison décorative, telle que le peintre de génie la pourrait produire. On ne trouve pas dans la réalité des paradis semblables à ceux qui éclatent sur les toiles de Claude Lorrain 56 [... ]. Il n'existe pas un Ibid., p. 137. Ibid., p. 160. Ibid., p. 164. Titre original : The Landscape Garden. L’influence des modèles classiques, claudien en particulier, reste forte aux États-Unis pendant le XIX ème siècle. « Les feux de nos cavaliers éclairaient le ravin et jetaient de fortes fortes masses de lumière sur des groupes dignes du pinceau de Salvator Rosa. [... ] Le feuillage avait déjà une teinte dorée qui donnait au paysage le ton harmonieux et riche des tableaux de Claude Lorrain » (Washington IRVING,, Dans les prairies du Far West, 1832). Mais l'influence de de « ces vieux modèles européens» va peu à peu décliner, comme le montre John John Dixon HUNTdans son article article « 52 53 54 55
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P. 21. Ibid, p. Ibid, p. 29. Ibid., p. Ibid., p. 3 1. Ibid, P. 39. Ibid., p. 239. Ibid., pp. 129,137,160,164.
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lieu sur la vaste surface de la terre naturelle, où l'oeil d'un contemplateur attentif ne se sente choqué par quelque défaut dans ce qu'on appelle la compo composit sition ion des paysag paysages. es. » Bref, Bref, on n'a que du pays, pays, jamais jamais de paysages... D'où le projet d'Ellison, ce Koubilaï yankee: paysager tout paysager tout son domaine, le picturaliser de fond en comble, tâche gigantesque, que sa fortune lui permet de mener à bien, comme si le grand khan se réincarnait en Gatsby le Magnifique 57. Ce que veut Ellison ? Rivaliser dans son domaine avec le Créate Créateur, ur, ou plutôt plutôt,, répare réparerr ses erreur erreurs, s, réfor réformer mer sa nature nature,, car, car, contrairement à ce que croient les âmes simples et les théologiens, son sens physicothéologique physicothéologique laisse fort à désirer. Ellison occupe donc donc une position moyenne entre les jardiniers humains, qui paysagent un pays restreint, et l'Être divin, qui, hélas, a bâclé la planète. «Supposons que cette expression du dessein du Tout-Puissant soit abaissée d'un degré, soit mise en harmonie, soit appropriée avec le sentiment de l'art humain de manière à former une espèce d'intermédiaire entre les deux [... ], l'art nouveau, nouv eau, dont l'oeuvre l'oeuvre sera pénétrée, pénétrée, lui donn donnera era l'air d'un d'unee nature nature interm intermédi édiair airee ou second secondair airee - une nature nature qui n'est n'est pas Dieu ni un unee émanation de Dieu, mais qui est la nature telle qu'elle serait si elle sortait des mains des anges qui planent entre l'homme et Dieu.» Il en résulte résulte un spectacle spectacle d'une « merveille merveilleuse use propreté propreté ». «Pas une branche morte, pas une feuille desséchée ne se laissait apercevoir; pas un caillou égaré, pas une motte de terre brune. » On songe à cette description du bois sacré abritant le tombeau de Confucius : « l'eau et les arbres paraissent si propres et si beaux que les voyageurs qui parviennent en ce lieu se croient presque au paradis ». « À Trianon, disait Le Nôtre, on ne voit jamais une feuille morte... » Mais la réformation d'Ellison ne s'arrête pas à ce nettoyage : « C'était une symétrie mystérieuse et solennelle, une uniformité émouvante,
une correction correction magique... magique... » Comment Comment ne pas appliquer appliquer à ce visage paysage les formules presque contemporaines de Baudelaire dans son Éloge du maquillage? « La mode doit [ ] être considérée comme [ ] une déformation sublime de la nature, ou plutôt comme un essai permanent et successif de réformation de la nature. [ ] Qui ne voit que l'usage de la poudre de riz, si niaisement anathémisé par les philosophes candides, a pour but et pour résultat résultat de faire disparaître disparaître du teint toutes les taches que la nature y a outrageusement semées et de créer une unité abstraite dans le grain et la couleur de la peau, laquelle unité, comme celle produite par le maillot, rapproche immédiatement l'être humain de la statue, c'est-à-dire d'un être divin et supérieur 58. » Ce que l'esthéticie l'esthéticienne nne réalise sur ce modeste support qu'est le visage féminin, Ellison l'opère sur un vaste pays. La cosmétique cosmétique est devenue devenue cosmologiq cosmologique, ue, cosmétolog cosmétologie ie angé angélique lique... ... C'était déjà le rêve de Michel-Ange, tel que nous le rapporte Condivi: « Un jour qu'il parcourait le pays à cheval, il vit un mont qui dominait la côte. Le désir le saisit de de le sculpter tout tout entier. Il l'eût fait, s'il en avait eu le temps, et si on le lui avait permis...» Le rêve est devenu devenu réalit réalité. é. Dès le XV ème siècle, Vicino Orsini, duc de Bomarzo, sculpte, avec l'aide de Pirro Ligorio, le jardin dit «des Monstres », qui porte désormais son son nom. Même ambition colossale chez chez Fillipo Bentivegna Bentivegna,, qui, pendant trente trente ans, près de Sciacca, en Sicile, Sicile, s'est acharné à tailler, dans le roc et les arbres, plus de trois mille visages, comme pour humaniser, envi sager envi sager une nature aveugle, et chez Adolphe julien Fouéré, qui, vingt-cinq années durant, sculpta, face à la mer, les rochers granitiques de Rotheneuf, en Bretagne 59. Mais l'imagination peut se déployer davantage, et presque à l'infini. C'est ainsi que Saint-Simon, dans L'Organisateur (1819), envisage fort sérieusement de jardiner la France entière : «La totalité du sol français doit devenir un superbe parc à l'anglaise, embelli de tout ce que les Beaux-arts peuvent ajouter à la nature..... 60 » Et Gilles Clément étend encore cette
Le Paysage américain est-il devenu non européen ?», Le Débat, n° 65, 1991, pp. 60 et sq. Le jardin de Gatsby ne compte pas moins de « vingt hectares ». La même démesure se retrouve dans Citizen Kane d'Orson Welles. Welles. Kane s'est fait aménager un jardin, dénommé « Xanadou », et le début du film cite le début du Kubla du Kubla Khan de Coleridge. Mais les modèles picturaux d'Ellison d'Ellison ont disparu, pour laisser la place à l'éclectisme hétéroclite du parvenu.
Charles BAUDELAIRE, Le BAUDELAIRE, Le Peintre de la vie moderne l'iconographie, voir Michel RANDOM, L'Art visionnaire, Paris, Pour l'iconographie, Nathan, 1979. Peut-être un écho du constat euphorique de Horace WALPOLE dans son Essai sur l'art des jardins modernes (1 7 70) : « Voyez comme la surface de notre pays est devenue riche, riche, gaie et pittoresque. On voyage partout partout à travers une succession de tableaux. »
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ambition, lorsqu'il déclare qu'on « va jardiner la planète 61 ». N'est-ce pas aussi, à une moindre échelle, le projet des Land Artists américains, et le secret secret de leur leur prédi prédilec lectio tionn pour pour les grand grandss espaces espaces,, de préfér préférenc encee désertiques ? À moindres frais sans doute, et sans entraves pour leurs interventions in situ, mais aussi parce que rien ne doit échapper à la sentence de l'art. l'art. Michael Heizer: Dissipate, 1968, Nevada; Complex I, 1972-1974, Nevada; Nevada ; Double Negative, Nega tive, 1969-1970, Nevada; Five Conic Displacements, 1969 1969,, Mojave Mojave Desert; Desert; Primitive Dye Painting, 1969, Mojave Desert; Isolated M assICircumflex, 1968, Nevada; Rift, 1968 (ill. 3), Nevada. Walter De Maria: Cross, 1968, Nevada; The Lightning Fields, 1977, Nouveau Nouveau Mexique. Mexique. Nancy Holt: Sun Tunnels, 1973-1976, Utah. Utah. Charles Charles Ross: Star Axis, 1988. Christo: Running Fence, 19721976,, Califomie. 1976 Califomie. Robert Robert Smithson: Smithson: Spiral Spiral Jetty, 1970 1970,, Utah62. On pourrait même se demander si, au lieu de « landscape », il n'eût pas mieux valu forger « landart » (en un seul mot), soulignant ainsi l'origine et la dimension artistiques de tous les paysages (ou « paysarts »), en tant que pays artialisés, in situ ou in visu. Volonté de peindre la nature, de la badigeonner, besoin de la cribler de signes, d'étendre à l'infini la sentence artistique, afin que son emprise s'égale aux limites du monde et, pourquoi pas, au-delà, faire de l'univers un champ de paysages ...
Gilles CLÉMENT, «La Planète, objet d'art», Architectures, d'art», Architectures, n°36, juin n°36, juin 1993. Pour un commentaire savant et une iconographie impressionnante, impressionnante, voir Gilles TIBERGHIEN, Land TIBERGHIEN, Land Art, Paris, Carré, 1993. 61
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LES PROTO-PAYSAGES
LES QUATRE CRITÈRES D'AUGUSTIN BERQUE
Dans Les Dans Les Raisons du paysage, Augustin Berque énumère les « critères de l'existence du paysage comme tel; à savoir: » 1) des représentations linguistiques, c'est-à-dire un ou des mots pour dire "paysage" ; » 2) des représ représent entati ations ons littér littérair aires, es, orale oraless ou écrite écrites, s, chanta chantant nt ou décrivant les beautés du paysage; » 3) des représentations picturales, ayant pour thème le paysage ; » 4) des représ représent entati ations ons jardin jardinièr ières, es, tradui traduisan santt une appréc appréciat iation ion esthétique de la nature (il ne s'agit donc point de jardins de subsistance). » Tel ou tel des trois trois dernie derniers rs critèr critères es peut peut se retrou retrouver ver dans de nombreuses sociétés ; mais c'est seulement dans les sociétés proprement paysagères, qui sont aussi les seules à présenter le premier, que l'on trouve réuni l'ensemble des quatre critères63. » J'ai longtemps soutenu cette thèse radicale, qui conduit à n'accorder le titre de « société société paysagère» paysagère» qu'à la Chine Chine ancienne, ancienne, au moins moins depuis depuis la dynast dynastie ie Song Song (960-1 (960-1279 279), ), et sans sans dou doute te bien bien avant, avant, et à l'Euro l'Europe pe occidentale, à partir du XVème siècle. Il n'est guère douteux que l'absence des qu quatr atree condit condition ionss désign désigne, e, comme comme en creux creux,, une sociét sociétéé no nonn paysagère. C'est le cas du paléolithique supérieur, dont l'art pariétal, riche en figurations animalières, est dépourvu de toute représentation végétale et environnementale. Le milieu du chasseur magdalénien est désormais désormais bien connu, grâce à l'anthracologie et à la palynologie, et josette RenaultAugustin BERQUE, Les BERQUE, Les Raisons du paysage. De la Chine antique aux environnements de synthèse, Paris, Hazan, 1995, pp. 34-35.
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Miskovsky a consacré à cette question un ouvrage exhaustif 64 Mais cet environnem environnement ent n'intéresse n'intéresse pas le peintre. Lorsque Lorsque les préhistor préhistoriens iens interprètent la frise des cerfs de Lascaux comme représentant « la traversée d'une rivière », parce que seules les têtes sont figurées, semblant émerger du courant, il ne s'agit que d'une hypothèse invérifiable, dans la mesure où aucun signe, signe, même discret, discret, ne suggère suggère la rivière. Nous nous trouvons trouvons donc, en l'état actuel de nos découvertes - et celles, récentes, des grottes Cosquer et Chauvet corroborent cette conclusion -, en face d'une société non paysag paysagère ère,, et c'est c'est évidem évidemmen mentt par néglig négligenc ence, e, ou projec projectio tionn anachronique, que Josette Renault-Miskovsky emploie le terme «paysage »65, pour désigner des géosystèmes, la dyade «forêt-steppe «forêt-steppe » par exemple. Faut-il, pour autant, accorder à toute société un « proto-paysage », au sens où l'entend Berque ? «Ce proto-paysage, c'est le rapport visuel qui existe nécessairement entre les êtres humains et leur environnement 66 » Peut-être, mais je préfère réserver cette dénomination aux cultures qui remplissent au moins l'une des quatre conditions conditions posées par Berque. Dès lors, les sociétés antiqu antiques es et médiév médiévale aless mérite méritent nt d'être d'être appelé appelées es proto proto-pa -paysa ysagèr gères, es, puisqu'on y trouve des jardins (condition 4) et, plus ou moins, des représentations littéraires littéraires et picturales picturales (conditions 2 et 3). 3). On pourrait même même consti constitue tuerr une typolo typologie gie hiéra hiérarch rchisé isée, e, selon selon le nombre nombre des condition conditionss remplies. remplies. Toute Toute société société productrice productrice de jardins d'agrément d'agrément (artialisation in situ) serait dite protopaysagère protopaysagère de degré un. un. Quand s'y ajoutent ajoutent des représent représentatio ations ns littérair littéraires es et/ou et/ou pictural picturales, es, elle serait serait dite protopaysagère de degré deux ou trois. Si, enfin, le nom apparaît, elle serait dite paysagère à part entière. LA BIBLE, LA GRÈCE ET ROME
La plupart des spécialistes sont catégoriques. «Il n'y a qu'en Chine, selon Berenson, qu'il semble qu'on ait cultivé le paysage à une date aussi ancienne que celle du premier millénaire, c'est-à-dire cinq siècles au moins Josette RENAULT-MISKOVSKY, RENAULT-MISKOVSKY, L’Environnement L’Environnement au temps de la préhistoire, Paris, Masson, 1985. Ibid., pp. Ibid., pp. 97, 98, 168. A. BERQUE, Les BERQUE, Les Raisons du paysage, op. cit., p. cit., p. 39. 64
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avant que nous, Européens, nous eussions suivi la même voie 67. » C'était déjà l'opinion de Victor de Laprade, dans sa somme monumentale, Le Sentiment de la Nature 68 , qui souligne en particulier cette carence dans la Bible, malgré le goût des métaphores. métaphores. Mais est-ce aussi simple et devonsnous dénier toute sensibilité paysagère à de telles sociétés, pour la raison que le mot n'existe pas dans leur langue et que leurs représentations sont concises, à l'opposé des descriptions élaborées et des vues panoramiques qui nous sont familières ? je n'en suis plus aussi sûr. Le Cantique Cantique des Cantiques Cantiques,, par exemple, n'est-il que métaphori métaphorique, que, lorsqu'il associe la bien-aimée au renouveau printanier? «Viens donc, ma bien-aimée/ Ma belle, viens/ Car voilà l'hiver passé/ C'en est fini des pluies, elles ont disparu/ Sur la terre les fleurs se montrent/ La saison vient des gais refrains/ Le roucoulement de la tourterelle se fait entendre/ Sur notre terre/ Le figuier forme ses premiers fruits/ Et les vignes en fleurs exhalent leur parfum. » Sans doute s'agit-il d'une nature jardinée, mais elle s'étend au-delà de l'artialisation in situ. Il en ira de même en Occident, à la fin du Moyen Age, lorsque le regard esthétique s'élargira à la campagne environn environnante. ante. La sensibilité sensibilité biblique biblique ne s'accompagn s'accompagne, e, il est vrai, d'aucune représentation picturale, ce qui s'explique par l'interdit sur les images. On dira donc, avec avec la prudence requise, requise, qu'il s'agit d'une d'une société proto-paysagère proto-paysagère de degré deux, répondant répondant aux critères deux et quatre. quatre. Il en va de même pour la Grèce. «De prime abord, écrit Dauzat, le sentiment sentiment de la nature paraît paraît absent de la littératur littératuree grecque. grecque. On en chercherait à peu près en vain des vestiges chez les prosateurs, et chez les poètes bucoliques eux-mêmes. Lorsqu'on relit par exemple Théocrite à ce point de vue, on est frappé par l'indigence des descriptions, lâches, flottantes, où un paysage flou est à peine indiqué en quelques lignes 69. » Mais « quelques lignes » ne peuvent-elles suffire à décrire, ou plutôt circonscrire un véritable paysage ? Ainsi, dans Les Thali sies de Théocrite (,,le siècle avant J.-C.) «Au-dessus «Au-dessus de nous, nombre de peupliers peupliers et d'ormes frissonnaient et inclinaient leurs feuilles vers nos têtes tout près, Bemard BERENSON, Esthétique BERENSON, Esthétique et histoire des arts, Paris, Albin Michel, 1953, p. 186. Victor DE LAPRADE, Le LAPRADE, Le Sentiment de la nature, 3 vol., Paris, 1866, 1868, 1882. Albert DAUZAT, Le DAUZAT, Le Sentiment de la nature et son expression artistique,Paris, artistique,Paris, Alcan, 1914, p. 177. 67
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une eau sacrée tombait en murmurant d'un antre consacré aux Nymphes. Contre Con tre les branc branches hes ombreu ombreuses ses,, les cigale cigaless brûlée brûléess par le soleil soleil se donnaient donn aient grand'peine grand'peine à babiller; babiller; la grenouill grenouillee verte, verte, au loin, loin, faisait faisait entendre entendre son cri dans les fourrés fourrés de ronces ronces épineuses épineuses ; les alouettes alouettes chantaient, et les chardonnerets ; la tourterelle gémissait ; les abeilles jaune d'or voletaient à l'entour des fontaines. fontaines. Tout exhalait l'odeur l'odeur de la belle saison opulente, l'odeur de la saison des fruits. » Paysage visuel, sonore, et olfactif De même dans Le Cyclope: «Il y a des lauriers, il y a de sveltes cyprès, il y a du lierre noir, il y a une vigne aux doux fruits, il y a de l'eau fraîche, divin breuvage que l'Aitna couvert d'arbres laisse couler pour moi de sa blanche neige. Qui préférerait préférerait à cela d'habiter la mer et les flots flots ? » Dans Hylas Dans Hylas «Bientôt il remarqua une source, dans un lieu bas autour, des joncs poussaient en abondance, la sombre chélidoine et la pâle adiante, l'ache au feuillage opulent et le chiendent à la sinueuse racine. » Dans Les Dioscures, enfin : « Ils trouvèrent une source vive au pied d'un rocher lisse, pleine d'une onde limpide; les cailloux de son lit brillaient du fond de l'eau comme cristal et argent; auprès, avaient poussé des pins élevés, des peupliers blancs, et des platanes et des cyprès à la cime feuillue, et des fleurs odorantes chères au labeur des abeilles velues, toutes les fleurs qui, sur la fin du printemps, foisonnent dans les prairies. » Obsession de l'eau «douce », opposée à la mer écumante... Si l'on remonte dans l'histoire littéraire de la Grèce, la sensibilité paysagère n'est pas moins vive. Homère ne décrit pas seulement les jardins de Laerte et d'Alkinoos, il multiplie les suggestions « naturelles ». Rien ne prouve, en effet, que la métaphore récurrente de «I'Aurore aux doigts de rose» (au début du chant XII de l'Odyssée, par exemple) n'est pas une formule paysagère. Un cliché ? Sans doute, mais d'autant plus efficace si Homère, comme l'assure Platon, est « l'éducateur de la Grèce ». On n'en finirait pas d'énumérer pareils clichés, telles les « grottes creuses », celle de Calypso en particulier, dont Homère nous décrit, de surcroît, les abords, au début du chant V : « Et une forêt verdoyante environnait la grotte, l'aulne, le peuplier et le cyprès odorant, où les oiseaux qui déploient leurs ailes faisaient leurs nids : les chouettes, les éperviers et les bavardes corneilles de mer qui s'inquiètent s'inquiètent toujours toujours des flots. flots. Et une jeune vigne, dont dont les grappes mûrissaient, entourait la grotte, et quatre cours d'eau limpide, tantôt voisins, tantôt allant çà et là, faisaient verdir de molles prairies de violettes et d'aches. » Encore une nature « jardinée », avec le thème,
décidément archétypique, des «quatre cours d'eau », nous confirmant que l'artialisation in situ tend à s'étendre à la nature « naturelle » (artialisation in visu), selon une évolution que nous retrouverons bientôt dans l'Occident chrétien. Même les paysages hostiles, de par la malédiction malédiction de Poséidon, ne sont pas absents de l'Odyssée: Scylla, «plongée dans la caverne creuse jusqu'aux reins », et Charybde: «Il y croît un grand figuier figuier sauvage, chargé de feuilles, et, sous ce figuier, la divine Charybde engloutit l'eau noire» (chant XII). La sensibilité grecque n'en reste pas moins bucolique, comme l'atteste Platon, lorsqu'il se plaît à décrire, au début du Phèdre (230 b, c) le décor du dialogue, comme pour nous inviter à entendre parler de l'amour: «Par Héra! le charmant asile ! Ce platane est d'une largeur et d'une hauteur étonnantes. Ce gattilier si élancé fournit fournit une ombre délicieuse, et il est en pleine floraison, si bien que l'endroit en est tout embaumé; et puis voici sous le platane une source fort agréable, si je m'en rapporte à mes pieds. [... ] Remarque en outre comme la brise est ici douce et bonne à respirer; elle accompagne de son harmonieux chant d'été le choeur des cigales ; mais ce qu'il y a de mieux, c'est ce gazon en pente douce qui est à point pour qu'on s'y couche et qu'on y appuie confortablement sa tête. Tu serais un guide excellent pour les étrangers, mon cher Phèdre. » Polysensorialité. L'ombre, la brise, le gazon et la philosophie... Il ne manque qu'un mot, pour dire le paysage, mais était-il était-il indispensable ? Les arts plastiques ne sont pas en retrait et Gérard Siebert, dans un article stimulant, où il évoque les «paysages rêvés » des vases attiques, souligne que «c'est une peinture de citadins pour des citadins 70 ». Il en ira de même en Orient et en Occident, Occident, quelques siècles plus tard. Cette tradition protoproto paysagère e st d'ailleurs fort ancienne, si l'on en juge par les fresques de Santorin (deuxième millénaire avant J.-C.), qui nous offrent d'authentiques paysages, même si la représentation n'obéit n'obéit pas - mais pourquoi le devraitelle ? - à nos canons modernes, ceux de la perspective en particulier: «Le Printemps», avec ses rochers semés de lis et ses hirondelles, « Les Trois Papyrus », «Le Paysage semitropical », avec son chat et son canard au
bord du fleuve, et la célèbre frise de «La Flotte », avec son fond montagneux 71. La civilisation romaine, surtout à l'époque impériale, présente les mêmes caractères caractères proto-paysa proto-paysagers gers : des jardins, des fresques fresques et une poésie elliptique, celle de Virgile, par exemple, dont les spécialistes se boment, de nou nouvea veau, u, à soulig souligner ner les décors décors vagues vagues et non locali localisab sables les.. Pour Pourqu quoi oi ? A-tA-t-on on beso besoin in de loca locali lise serr le débu débutt de la prem premiè ière re Bucolique ? «Tityre, tu patulae recubans sub tegmz'ne fagi ... » (Tityre, toi qui te reposes à l'ombre d'un vaste hêtre... ») Tout y est dit, en quelques mots, comme chez La Fontaine: « Dans le courant d'une onde claire » (Le Loup et lagneau), « Le moindre vent qui d'aventure/
Fait rider la face de l'eau [... ] Sur les humides bords des royaumes du vent » (Le Chêne et le Roseau). J'incline aujourd'hui à penser que la concision pourrait être le mode d'expression de la sensibilité paysagère dans les sociétés qui n'ont pas, comme la nôtre, une vision panoramique - en largeur et en profondeur - du paysage ; ce qui n'est d'ailleurs pas le cas de la Rome impériale, qui produit une authen authentiq tique ue peintur peinturee de paysag paysage, e, comme comme en témoig témoignen nent, t, tout tout particulièrement, les célèbres fresques pompéiennes du Musée archéologique de Naples. je me garderai d'entrer dans l'analyse des styles et de me prononcer sur la pertinence des déterminations «réalisme »., «illusionnisme», «impressionnisme » - auxquelles les spécialist spécialistes es ont parfois parfois recours. je renvoie, renvoie, sur ce point, à l'étude l'étude que Willem Willem Peters Peters a consac consacrée rée au «Paysa «Paysage ge dans dans la peintu peinture re murale, de Campanie72 » je n'essaierai pas davantage d'aborder à mon tour l'épineuse question de la perspective antique, dont a traité Panofsky dans le second chapitre de son livre, aussi célèbre que
Voir aussi les fresques minoennes dites « des perdrix », « des lys », « de l'oiseau bleu», et, en Égypte, les « fleurs de nénuphars avec canards », datant de la XVIIIème dynastie.
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Willem PETERS, « Le paysage dans la peinture murale de Campanie», dans La dans La Peinture de Pompéi, Paris, Hazan, 1993, pp. 277-29 1. Voir aussi Erich LESSING et Antonio VARONE, POMPEI, Paris, Terrail, 19951. 72
Gérard SIEBERT, « Paysans et paysages attiques », in Tranquillitas. Mélanges en l'honneur de Tran tam Tinh, Québec, Éditions Hier pour Aujourd'hui, 1994, p. 528. 70
contesté, La contesté, La Perspective comme forme symbolique; mais je rejoins son opinion, lorsqu'il souligne que « dans les peintures des Anciens conservées jusqu'à nos jours, on ne peut en déceler aucune qui possédât un point de fuite unique73». Les effets effets de profondeur profondeur n'en sont pas moins évidents, comme on peut s'en convaincre devant les fresques de la «maison du Verger », de la « maison des Vetii», de la «maison des Pygrnées » (ill. 4), de la «maison de l'Amour fatal», de
la « maison de Méléagre », du temple d'Isis, de la «maison de Poppée ». Dira-t-on que la première condition de Berque n'est pas remplie, puisque le mot n'existe pas ? Rien n'est moins sûr, si l'on en juge par ce témoignage de Pline l'Ancien: « Nous devons rendre justice à Studius, de l'époque du divin divin Aug August uste, e, lequel lequel,, le premie premier, r, inaug inaugura ura un genre genre raviss ravissant ant de décoratio décorations ns murales, murales, constitué constitué de villas, villas, portiques portiques et divers divers genres genres de paysages (ac topiaria opera) : bois sacrés et forêts, collines, piscines, fosses, fleuves, plages, tout ce que chacun peut désirer; et des hommes au travail qui se promènent ou se rendent vers leurs villas sur un âne ou en carrosse ; ou bien encore pêchent, visent des oiseaux, partent à la chasse ou vendangent vendangent74. » Est-ce solliciter le texte latin que de le traduire par «genre «genress de paysag paysages es » ? Il apparaît apparaît plutôt plutôt que nou nouss avons avons là des représentations artistiques (opera), de pays (topiaria), « topiaires », et donc « paysagères ». S'agit-il d'un cas isolé ? Non, puisque «topia» , «topia» , au neutre pluriel, est présent chez Vitruve, qui, décrivant les «premiers décors pariétaux », souligne que cette décoration était fondée «sur la diversité des paysages » (varietatibus topiorum) et évoque, quelques lignes plus loin, les « errances d'Ulysse à travers les autres paysages et tous les autres ceteraque, décors décors créés créés par la nature nature » (Uixis errationes per topia ceteraque, quae...)75. Topiaiia désigne déjà, chez Cicéron, l'art du jardin décoratif, tandis que topiarius nomme le jardinier. jardinier. On aurait donc un phénomène phénomène Erwin PANOFSKY, La PANOFSKY, La Perspective comme forme symbolique, Paris, Ed.de Minuit, 1975, p. 71. Panofsky n'en évoque pas moins moins les «représentations «représentations authentiquement perspectives de ce qu'on appelle le deuxième style pompéien » (p. 83). 83). Voir également son analyse analyse de la « scénographie » de Vitruve (pp. 68-69). PLINE L'ANCIEN, Histoire L'ANCIEN, Histoire naturelle, XXXV, 1 1 6, 117, cité et traduit par W. PETERS, art. cité, p. 279. VITRUVE, De VITRUVE, De Architectura VII 5 2. 73
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artistique et linguistique comparable à celui qu'a connu l'Occident quinze siècles plus tard : l'apparition d'un néologisme (ici un hellénisme), pour désign désigner er à la fois fois car il est malaisé malaisé de détermin déterminer er la priori priorité té - la représentation artistique et l'objet naturel. On serait même tenté d'aller plus loin, au témoignage de Pline le jeune, qui, dans sa lettre à Domitius, où il dépeint sa villa de Toscane, témoigne d'un regard qui n'est pas très éloigné de ce que j'ai nommé l'artialisation in visu: «Le pays est très beau (Regionis forma pulcherrima). Représentezvou vouss un immens immensee amphit amphithéâ héâtre tre (Imaginar (Imaginaree amph amphitheatr itheatrum um aliquod aliquod immensum). [ ... ... ] Vous aurez le plus vif plaisir à apercevoir l'ensemble du pays depuis la montagne, car ce que vous verrez ne vous semblera pas une campagne, mais bien un tableau de paysage d'une grande beauté.» On peut, certes, contester la traduction, assez ancienne, des Belles Lettres, qui abuse un peu du «paysage » ; mais comment résister à cette tentation, quand, quelques lignes plus loin, Pline s'émeut au «jucundum prospectum », le charmant spectacle des vignes qu'il voit de sa fenêtre ? Voilà bien des raisons d'accorder à la Rome impériale et aristocratique, celle des villas pompéiennes et de leurs peintres, la dignité paysagère. Mais, quoi qu'il en fût, c'est l'occasion d'une remarque méthodologique: ne pas avoir l'obsession du lexique, comme si l'absence des mots signifiait toujours celle des choses choses et de toute émotion. Sans doute la dénomination dénomination est-elle essentielle ; mais la sensibilité, paysagère en l'occurrence, peut se frayer d'autres voies, s'exprimer par d'autres signes, visuels ou non, qui requièren requièrent,t, de l'interp l'interprète, rète, une attention attention scrupuleuse scrupuleuse : ni suspicion suspicion ni superstition à l'égard du langage. LA «CÉCITÉ » MÉDIÉVALE
Cette Cette vigilance, vigilance, il nous faut l'exercer l'exercer à l'égard du Moyen Moyen Âge. Une lecture rapide conduit en effet à conclure qu'il aurait évincé, avec le paganisme, toute représentation naturaliste, et donc paysagère. Il n'en est rien, et l'on constate que l'art byzantin s'est plu, au contraire, à multiplier les signes profanes, mais pour les assujettir à des scènes sacrées, dont ils sont les emblèmes, et donc donc les satellites. Ainsi, à Ravenne, au mausolée de Galla Galla Placid Placidia, ia, la «Lunet «Lunette te du Bon Bon Pasteu Pasteur» r» (Vème (Vème siècle siècle), ), à Sant Sant'A 'Apo poll llin inar aree Nuov Nuovo, o, «Les «Les Rois Rois Mage Magess » (VIè (VIème me sièc siècle le), ), à Sant'Apollinare in Classe, « Le Pré mystique» mystique» (VIème (VIème siècle). siècle). Il n'y a donc pas, à strictement parler, de paysages, même si l'édification des
fidèles, en ces lieux prestigieux, ne peut pas ne pas induire une sensibilité «proto-paysagère «proto-paysagère », par le truchement de scènes récurrentes : « La Fuite en Égypte » (baptistère de SaintJean, Florence, XII siècle), « Création d'Ève » (San Marco, XII ème siècle), etc. La littérature semble semble parfois plus audacieuse. audacieuse. Outre la description description des jardins (voir plus haut), elle témoigne d'une sensibilité croissante à la campagne, dans le Perceval de Chrétien de Troyes par exemple: « Ils avaient autour d'eux la plus belle campagne qu'on puisse imaginer, et bientôt ils entrèrent dans la plus belle des villes. La mer baigne ses murs, et son port est plein de bateaux qui viennent des plus lointains pays du monde. monde. Les forêts forêts d'alentour d'alentour sont superbes superbes et giboyeus giboyeuses es ; les coteaux coteaux sont couverts de vignes ; on peut voir jusqu'à l'horizon des labours, des jardins, des vergers de riche apparence76. » Mais, si vive que soit cette sensibilité au « pays» environnant (et jardiné), elle n'autorise certainement pas à la traduire par le mot «paysage », évidemment anachronique: « Il lui prend l'envie d'aller voir le paysage du haut de la tour. Il monte m onte avec le nautonier par l'escalier l'escalier à vis sous la voûte, et ils arrivent au sommet. sommet. Ils voient le pays d'alentour, plus beau qu'on ne pourrait le dire 77. » Une telle sensibilité est d'ailleurs rare, sinon exceptionnelle, et Marco Polo, au long de ses pérégrinations, pourtant fabuleuses, qui le conduisent jusque dans les contrées et les îles les plus exotiques, ne s'extasie que devant les jardins. Du reste du pays, aussitôt recensé «( ci devise... »), il n'y a rien à dire. D'autres voyageurs voyageurs nous le confirment. Christiane Deluz a montré montré que les pèlerins du XIV ème siècle, s'ils ont, à l'occasion, un sentiment de la nature, n'ont pas, à strictement parler, le sens du paysage, même lorsqu'ils découvren découvrentt les hauts lieux de la Bible. Bible. Si, d'aventure, d'aventure, ils emploient emploient l'épithète pulcher, l'épithète pulcher, c'est toujours à propos propos de jardins ou de vergers. vergers. Ainsi Jacques de Vérone, redescendant du Sinaï et parvenant à cette vallée, « in qua est unum pulchrum jardinum seu hortus, qui inigatur ab uno fonte et est plenus vineis, arboribus, oliveis ». Il ne faut pas s'en étonner : le seul pays alors paysagé (in situ) est le jardin jardin,, frais, frais, humide humide,, paisib paisible le et nourricier. Les lieux de délices ne pouvaient pouvaient être que que des jardins [ ]. Le désert n'est jamais dit beau, non plus que la mer », ni la « haute montagne. CHRÉTIEN DE TROYES, TROYES, Perceval Perceval ou le Roman du Graal, Paris, Gallimard, 1974, p. 313. Ibid., p. Ibid., p. 191. 76
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» Ne soyons pas injustes, ni naïfs, nous qui avons dû attendre le XVIII ème siècle pour y être être sensib sensibles les (voir plus loin). loin). « C'est C'est,, dit encore encore Christiane Deluz, un regard au ras du sol, au bord du chemin 78. » Il faudra, précisément, se modeler un autre regard, distant, panoramique, pour inventer le paysage.
LE PAYSAGE EN CHINE
On mesure mieux cette « cécité », si on compare la société médiévale, assurément assurément proto-paysa proto-paysagère, gère, à celle de la Chine Chine ancienne ancienne qui réunit, réunit, plusieurs siècles avant elle, les quatre conditions de Berque. Le paysage, genre réputé inférieur, jusqu'à une date récente, dans la hiérarchie des académies académies occidental occidentales., es., bénéfici bénéficiee au contraire contraire,, aux yeux des lettrés lettrés chinois, d'une position éminente, qui serait originairement liée à l'influence du taoïsme79. Ce qui n'empêche pas ces figurations paysagères d'apparaître profanes, dans la mesure où les scènes ne comportent aucune référence religieuse explicite, comme ce sera le cas en Europe jusqu'au début du XVI ème siècle. 1) La langu languee chino chinoise ise poss possède ède un un mot, mot, et même même deux, deux, pour pour désig désigner ner le paysage: shanshui, paysage: shanshui, littéralement «montagne-eau », et fengiing, « formé du caractère "vent" et d'un caractère qui signifie "scène", avec une forte connotatio conno tationn de luminosité luminosité [... ] fengiing évoq évoque ue plutôt plutôt l'ambiance l'ambiance du paysage, et shanshui et shanshui plutôt plutôt ses motifs. Au demeurant, comme en français,
Christiane DELUZ, « Sentiment de la nature dans quelques récits de pèlerinage au XIV ème siècle siècle », dans Études dans Études sur la sensibilité au Moyen Àge, Paris, C.T.H.S., 1979, pp. 74, 75, 76. Même cécité chez le le chroniqueur de Saint Louis : « Joinville a beau s'embarquer à Aigues avec Saint Louis, assister à la prise de Damiette, à la crue du Nil, combattre les mameluks à Mansourah, subir la dure captivité musulmane; du Nil, il ne voit que les eaux jaunes, responsables responsables du désastre. Rien sur les villes égyptiennes, sur les moeurs des habitants, sur le climat, la faune, les sables... » (Roger AUTHÉ, L‘Exotisme, AUTHÉ, L‘Exotisme, Paris, Bordas, 1985, p. 49). James CAHILL, La CAHILL, La Peinture chinoise, Genève, Skira, 1995, p. 25 78
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ces deux termes peuvent désigner aussi bien la chose que la représentation de la chose80. » 2) La cultur culturee chin chinois oisee multi multipli pliee les les repr représe ésenta ntatio tions ns littér littérair aires. es. Il n'est n'est pas rare que les peintres calligraphient sur leurs rouleaux des commentaires plus ou moins poétiques et, surtout, les écrits sur le paysage abondent au fil des dynasties. Nicole Vandier-Nicolas Vandier-Nicolas 81en dresse une liste impressionnante : Introduction : Introduction à la peinture de paysage, de Tsong Ping (V ème siècle), Houa chan-chouei louen, attribué à Wang Wei (VI ème siècle), Chan-chouei k'iue, attribué à Li Tch'eng (X ème siècle), Chanchouei tchoen ts'iuanki, de Han Tchouo Tchouo (XI ème ème siècle), siècle), etc. Ce qui frappe, à la lecture de ces traités, sans équivalent en Occident, c'est leur caractère hautement intellectuel, ainsi que la précision méticuleuse des codes et des préceptes. Nicole Vandier-Nicolas Vandier-Nicolas insiste en particulier particulier sur l'util l'utilisa isatio tionn systém systémati atique que,, au niveau niveau de la techni technique que pictu pictural rale, e, de l'opposition du yin du yin et du yang du yang 82. Il serait sans doute téméraire de prétendre dégager une unité thématique en ces textes, qui s'échelonnent sur plusieurs siècles, mais on est impressionné par l'exigence spirituelle qui les anime, et qui tient sans doute au fait que «l'intérêt pour la peinture paysagiste paraît surtout s'être développé dans l'intelligentsia 83», au moins sous la dynastie des Song du Nord. «Quand on peint un paysage l'idée (yi) précède (yi) précède le pinceau84. » D'où une conséquence, qui nous est désormais familière: «En Asie orientale comme ailleurs, le paysan est en effet dans le paysage qu'il élabore ; il n'est pas censé le voir, et du reste, effectivement, il ne le regarde pas comme paysage85. » Quoi qu'il en soit, on reste émerveillé devant la rigueur et la subtilité des prescriptions de Kouo Sseu, dans ses Commen Commentair taires es sur le paysag paysage: e: « Mettre Mettre trop trop l'acce l'accent nt sur les figur figures es humaines, humaines, c'est pécher pécher par vulgarité vulgarité ; donn donner er trop d'importance d'importance aux pavillons et aux temples, c'est pécher par confusion; trop s'attacher [à la représentation] des pierres, c'est ne montrer que l'ossature [du paysage] ; trop insister sur [la représentation] de la terre, c'est lui donner trop de cit., p. 73. A. BERQUE, Les BERQUE, Les Raisons du paysage, op. cit., p. Nicole VANDIER-NICOLAs, VANDIER-NICOLAs, Esthétique Esthétique et peinture de paysage en Chine (des origines aux Song), Paris, Klincksieck, 1982. Ibid., pp. Ibid., pp. 12, 34, 37, 50, 53, 57. Ibid., p. Ibid., p. 4 1. Ibid., p. Ibid., p. 3 1. A. BERQUE, Les BERQUE, Les Raisons du paysage, op. cit., p. cit., p. 80.
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chair. [... ] La montagne a les cours d'eau pour artères, les herbes et les arbres pour chevelure, les brumes et les nuages pour teint. teint. C'est pourquoi la montagne doit à l'eau la vie qui l'anime, aux herbes et aux arbres sa beauté, aux fumées et aux nuages son charme. L'eau a la montagne pour visage, les kiosques et les pavillons comme sourcils et yeux, la pêche comme source d'animation. Aussi l'eau doit à la montagne montagne sa séduction, aux kiosques et aux pavillons sa clarté et sa gaieté, à la pêche sa poésie. Ainsi sont agencées les montagnes et les eaux 86» 3) Les Les repr représ ésen enta tati tion onss pictu pictura rale les, s, dont dont cer certa tain ines es,, comm commee La Nymphe de la rivière Lo, remonteraient au IV ème siècle, confirment l'éminence et, bientôt la prépondérance prépondérance du genre sous les Tang, les «Cinq dynasties », les Song et les Yuan. Si la perspective linéaire linéaire n'est pas pas toujours respectée, respectée, aux yeux d'un Occidental formé à la discipline albertienne, dans la mesure où l'horizon se situe beaucoup trop haut, à l'instar des enluminures du «Calendrier » des Très Riches Heures du duc de Beny (voir plus loin), il arrive qu'elle soit assez bien maîtrisée Première neige sur le fleuve de Kao K'o-ming (XI ème siècle), Un village au bord du fleuve (anonyme, XI ème' ou XII ème siècle) (ill. 5), Lumière du soir sur un village de pêcheurs, attribué à Mouk'i (XI ème siècle) (ill. 6), Habitation dans les monts Foutch'ouen, de Houang Kong-wang (xrv'siècle) - ce qui semble prouver que la « perspective ascendante », si l'on peut user d'un tel concept, n'est pas une maladresse, mais un parti pris esthétique. esthétique. Au reste, la technique technique du lavis, chez Kouo Hi par exemple, en échelormant les taches dont la clarté augmente en fonction de l'éloignement par rapport au spectateur, permet de produire une perspective atmosphérique analogue, en son genre, à celle qu'inventera, au xv ème siècle, la peinture occidentale, avec la profondeur des trois plans, ocre, vert et bleu. 4) Il s'y ajou ajoute te,, enfin, enfin, l'art l'art des des jardi jardins ns,, à comm commen ence cerr par celu celuii de Koubilaï (voir plus plus haut). Il est, à cet égard, notable notable que Marco Polo, qui s'extasie devant l'oeuvre du grand khan, ne fait jamais mention de la peinture de paysage, restée florissante sous la dynastie Yuan, avec Ts'ien Siuan, Tchao Mong-fou, Kao K'o-kong, pour ne citer que quelques noms. Nouveau signe de la « cécité » occidentale. occidentale. Il faudra attendre attendre les XIVe et XV ème siècles pour que l'Europe, si jalouse de ses priorités esthétiques, Kouo Sseu, Commentaires sur le paysage, cité par N. VANDIER NICOLAS, Esthétique NICOLAS, Esthétique et peinture de paysage en Chine, op. cit., pp. 92 et sq. 86
accède enfin, et fort laborieusement, ainsi qu'on va le voir, au statut de société paysagère...
CHAPITRE IV
NAISSANCE DU PAYSAGE EN OCCIDENT
Vico prétendait que «1es sciences doivent prendre pour point de départ le commencement de l'objet dont elles traitent», et Lévi-Strauss, à la fin de Tristes Tropiques, Tropiques, évoqu évoque, e, dans dans une page page célèbr célèbre, e, «la grand grandeur eur des commencements ». Or le commencement du paysage européen, c'est le XV ème siècle, et je me propose de dégager les traits essentiels du modèle pictural, tel qu'il s'élabore à cette époque, bien avant de recevoir son nom et de modeler, artialiser in artialiser in visu, des siècles de perception occidentale. Ce n'est évidemment pas un hasard si, avec la perspective picturale et sa codification albertienne, se constituent simultanément le « cube scénique » (Francastel), le Raumkasten (Panofsky), d'une part, et le fond de paysage, d'autre part. Cette solidarité n'autorise n'autorise pourtant pas à parler, parler, avec Anne Cauquelin, d'une «naissance conjointe du paysage et de la peinture » et moins encore à décréter que la « question » de la peinture « dès sa naissance a été la question du paysage, au point que l'un ne peut se passer de l'autre87 ». Il est vrai que le paysage occidental, en tant que schème de vision, est originairement pictural, comme, d'ailleurs, le shanshui chinois, et qu qu'il 'il est resté resté durabl durableme ement, nt, même même en littér littératu ature, re, essent essentiel iellem lement ent tabulaire ; mais la réciproque réciproque est spécieuse. Ce n'est pas la peinture qui qui a induit le paysage, mais cette peinture-là, qui, inventant un nouvel espace au Quattroc Quattrocento, ento, y a inscrit, inscrit, progressi progressivemen vementt et laborieu laborieusement sement,, ce paysage-là. J'ai dit « Quattrocento » par mauvaise habitude, car notre paysage nous est venu du Nord, et non de l'Italie. Il ne faut pourtant pas forcer ce constat. On est allé allé jusqu' jusqu'à préte prétendr ndree que le paysag paysagee était était une inventio inventionn « protestante ». je ne vois pas pourquoi «l'éthique du protestantisme » aurait produit la représentation paysagère. paysagère. De toute façon, une telle référence est anachronique, si l'on remonte aux commencements, c'est-à-dire au début Anne CAUQUELIN, L’Invention CAUQUELIN, L’Invention du paysage, Paris, Plon, 1989, pp. 79 et 131. 87
du XV ème siècle. L'interprétation, L'interprétation, autrefois proposée par Humboldt et Schlegel, pour qui le paysage serait la création de «l'homme urbanisé du Nord88 », paraît déjà plus plus plausible. Mais pourquoi les villes villes flamandes furentelles, plus que celles d'Italie, inspiratrices, instauratrices de paysages ? On peut méditer à l'infini sur cette propension du Nord à la peinture de paysage. Est-elle d'origine géographique, géographique, climatique, sociologique sociologique ? je me rallierais rallierais volontiers volontiers à cette dernière dernière hypo hypothèse thèse,, mais sans pouv pouvoir oir la valid valider. er. Quo Quoii qu'il i l en soit, soit, les grandes grandes écoles écoles du paysag paysagee sont septentrionales : flamande au XVème, néerlandaise au XVI éme anglaise aux XVIII et XIX ème française, enfin, au XXe, avec l'école de Barbizon, puis les impressionnistes, ce chant du cygne de la peinture de paysage, qui va décliner quelques décennies après avoir été reconnue comme genre majeur. LA NATURE NATURE LAÏCISÉE. LAÏCISÉE. LE TACUINUM SANITATIS ET SANITATIS ET LES CALENDRIERS L'histoir L'histoiree de l'art l'art est énigmatiqu énigmatique. e. Pourquoi Pourquoi la peinture peinture italienn italienne, e, si novatrice au Trecento, n'a-t-elle pas inventé le paysage ? Pourquoi l'audace d'un Lorenzetti reste-t-elle sans lendemain ? On s'accorde à voir dans Les Effets du Bon Gouvernement (vers (vers 1340 1340)) l'un des premiers premiers paysages paysages occidentaux. On mentionne moins souvent, souvent, sans doute en raison de leur format, deux minuscules tableaux du même Lorenzetti, conservés à la pinacothèque de Sienne, Château au bord du lac et Ville sur la mer (ill. 7 et 8), dont la profondeur est assurément défectueuse, selon les règles des perspectives linéaire et atmosphérique, mais qui témoignent d'une volonté de laïciser le pays, en le libérant de de toute référence religieuse. religieuse. On aperçoit même, dans l'angle inférieur droit du second tableau, une petite scène, éminemment profane : une femme nue, qui baigne ses pieds dans l'eau Voir Roland RECHT, La RECHT, La Lettre de Humboldt, Paris, Bourgois, 1985, pp. 52-53. Cette thèse serait d'origine italienne et remonterait remonterait au XVI ème siècle (Paolo Pini, 1545). 88
d'une crique... Mais, comme le souligne Kenneth Clark, ces paysages «demeurent sans postérité pendant presque un siècle 89 ». Il en va de même des herbiers, à finalité médicinale, auxquels Otto Pâcht a consacré un important chapitre de son livre Le Paysage dans l'art italien. Leurs qualités qualités naturalis naturalistes tes sont impression impressionnant nantes, es, mais sans véritable véritable influence sur la représentation picturale, encore inféodée à la commande religieuse «Ce n'est pas l'Italie qui recueillit les fruits de ces prouesses exception exceptionnelle nelless qui, au prix d'efforts d'efforts acharnés, acharnés, ouvrirent ouvrirent de nouv nouvelles elles dimensions au monde de l'expérience visuelle. À l'exception de Pisanello, les peintr peintres es italie italiens ns du Qua Quattr ttroce ocento nto tirère tirèrent nt rareme rarement nt parti parti de la découverte du monde animal et végétal, traitant les immenses ressources de ce nouvea nouveauu matéri matériau au comme comme une curios curiosité ité servan servantt à rehaus rehausser ser l'ornemen l'ornementati tation on et les éléments éléments secondaire secondaires. s. Ce fut dans le Nord, Nord, en France, et surtout dans les Flandres et aux Pays-Bas, que les peintres assimilèrent la leçon implicite du naturalisme descriptif et différenciateur découvert par les artistes de l'Italie septentrionale à l'époque du Trecento. Et ce sont eux également qui produisirent, presque immédiatement, un style naturaliste homogène. homogène. Les écoles du Nord envisagèrent en effet le problème sous un angle totalement différent: dans leurs études ou leurs peintures, ces artistes ne représentaient pas les spécimens botaniques comme des objets isolés, ainsi que le faisaient les spécialistes italiens, mais concevaient l'animal ou la plante comme étant inséparable de son environnement naturel, naturel, de son espace vital, de son milieu. Par conséquent, dans dans le Nord, Nord, la décou découver verte te de la natur naturee ne pou pouvai vaitt qu'abouti a boutirr à la découverte de la peinture peinture de paysage. Qu'il faille mettre cette réussite réussite au crédit de l'art du Nord est un fait indiscutable, qui fait partout l'unanimité. Mais, comme dans le développement du graphisme des figures et de la représentation de l'espace, là non plus, il ne faut pas négliger l'apport de l'Italie. l'Italie. En fait, toute recherche recherche impartial impartialee montrerait montrerait que ce sont les Italiens qui furent les premiers à individualiser les décors de paysage et que c'est sous leur influence que l'on poursuivit des expériences similaires dans le Nord, où la peinture de paysage finit par se constituer en un genre indépendant90. » 89
K. CLARK, L'Art CLARK, L'Art du paysage, op. cit., p. cit., p. 13.
OTTO PÀCHT, Le PÀCHT, Le Paysage dans l'art italien. Les premières études d'après nature dans l'art italien et les premiers paysages de calendriers, Saint-Pierre de-Salerne, Gérard Monfort, 1991, pp. 66-68.
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La question question des Tacuina (ou Theatra) sanitatis, également égale ment soulevée par Otto Pâcht, apparaît encore plus complexe, dans la mesure où ces traités, à la différenc différencee des herbiers, herbiers, expriment, expriment, incontesta incontestableme blement, nt, une volonté volonté paysagère, qui va bien au-delà des légendes hygiéniques. « Tacuinum est un nom forgé de l'arabe que l'on n'a pas cherché à traduire mais auquel on a ajouté une terminaiso terminaisonn latine. Le titre arabe arabe était Taqwim as-sihha, Taqwim signifiant "table des matières" et as-sihha, "de la santé". santé". Le dessein était donc clair: il s'agissait de proposer, de façon intelligible et très visuelle, une synthèse synthèse des conn connaissa aissances nces médicales de l'époque l'époque touchant soit aux aliments, soit à tout ce qui pouvait influer sur la santé : la vie dans la maison et au-dehors, les activités diverses, les émotions et les humeurs, jusqu'au choix des vêtements et à l'influence des saisons 91. » Le text texte, e, trad tradui uitt de l'ar l'arab abe, e, offr offree un unee rece recens nsio ion, n, au deme demeur uran antt passionnante, de préceptes et de recettes. « Quant aux illustrations, elles reflètent, avec une étonnante fidélité, la vie en Italie du Nord à la fin du XV ème siècle92 », ce qui a sans doute conduit les éditeurs à publier l'intégralité du Tacuinum sanitatis de la Bibliothèque nationale d'Autriche sous un titre d'allure sociologique: L'Art sociologique: L'Art de vivre au Moyen Âge. On est impressionné par la qualité de ces planches et par leur volonté de laïcisation, comme si l'artiste, en ce domaine a utorisé, pouvait donner libre cours cours à son inspir inspirati ation on profan profanee et paysag paysagère ère,, sous sous le couver couvertt de la pharmacopée, d'origine arabe, mais d'inspiration hippocratique (la théorie des humeurs) et galienne «L'idée qui était à la base des illustrations de ce Tacuinum était de représenter l'objet mentionné dans le texte (plante, animal, etc.) non pas comme un "spécimen de musée" isolé, mais dans son environnement naturel 93. » «Il s'agit donc d'un manuel de diététique, accompagné de tous les préceptes qui permettent de vivre en bonne santé, et qu quii pren prendd égal égalem emen entt en comp compte te ce qu quee no nous us appe appell ller erio ions ns l'environnement94. » «Autour de chaque arbre s'ébauche une scène de Daniel POIRION et Claude THOMASSET, L'Art de vivre au Moyen Âge. Codex Vindobonensis Series Nova 2644 conservé conservé à la Bibliothèque nationale dAutriche, Paris, Editions du Félin, 1995, N. d. É., p. 7. D. POIRION et C. THOMASSET, ibid., N. ibid., N. d. É., p. 8. 0. PÂCHT, L-e PÂCHT, L-e Paysage dans l'art italien, op. cit., p. 76 D. POIRION POIRION etC. THOMASSET, L'Art THOMASSET, L'Art de vivre au Moyen Âge, op. cit., p. 49. 91
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genre, parfois préromantique 95», épithète évidemment anachronique, mais qui exprime bien la surprise et l'émerveillement du lecteur devant une telle scénographie, qui n'ignore pas toujours la profondeur, si elle ne maîtrise pas la perspective : la récolte des melons doux, celle des choux (ill. 9), celle celle des épinards, épinards, « poisson frais » (ill. 10 10), ), la planc planche he de l'eau l'eau alumineus alumineuse, e, la chasse chasse aux animaux terrestre terrestress 96, dont la perspectiv perspectivee «ascendante» n'est pas sans annoncer celle, moins fruste, du « Calendrier » des Très Riches Heures du duc de Berry. On reste perplexe : pourquoi ces Tacuin Tacuinaa et Theatr Theatraa sanita sanitatis, tis, de Vienne Vienne,, de Rome Rome (bibli (biblioth othèqu èquee Casanatense) ou de Paris (Bibliothèque nationale) n'ont-ils pas influencé l'art italien, l'engageant, avant le Nord, dans la voie paysagère ? J'incline à croire croire qu'il s'agit s'agit là d'un d'unee question de genres. genres. La «grande «grande » peinture, peinture, d'inspiration religieuse, religieuse, se déploie en d'autres lieux et sur d'autres supports, à l'écart des représentations profanes, réduites aux traités spécialisés et sans doute doute réservées réservées à un public public restreint. restreint. Quoi qu'il il en soit, on a le sentim sentiment ent qu quee le paysag paysagee se cache, cache, ou se glisse glisse discrè discrètem tement ent,, sinon sinon subreptic subrepticement ement,, dans des production productionss mineures, mineures, formats formats réduits réduits de Lorenzetti, planches médicinales ou «calendriers » des enlumineurs. Avec le recul, nous pouvons dire que l'invention du paysage occidental supposait supposait la réunion réunion de deux conditio conditions. ns. D'abord, D'abord, la laïcisation laïcisation des éléments éléments naturels, naturels, arbres, rochers, rochers, rivières, rivières, etc. Tant qu'ils qu'ils restaient restaient soumis soumis à la scène religieuse, religieuse, ils n'étaient n'étaient que des signes, distribués, distribués, ordonnés dans un espace sacré, sacré, qui, seul, leur conférait une une unité. C'est pourquoi, au Moyen Âge, la représentation naturaliste naturaliste n'offre aucun intérêt : elle risquerait de de nuire à la fonction édifiante édifiante de l'oeuvre. l'oeuvre. Il faut donc que ces signes se détachent de la scène, reculent, s'éloignent, et ce sera le rôle, évidemment décisif, décisif, de la perspective. En instituant une véritable véritable profondeur, elle met à distance ces éléments du futur paysage et, du même coup, les laïcise. Ils ne sont plus des satellites satellites fixes, disposés autour autour des icônes centrales, ils forment l'arrière-plan de la scène (au lieu du fond doré de l'art byzantin), et c'est tout différent ; car là ils se trouvent à l'écart et comme à l'abri du sacré. Mais les voilà condamnés à se forger forger leur unité. Telle est la seconde condition: il faut désormais que les éléments naturels s'organisent eux-mêmes en un groupe autonome, au risque de nuire à l'homo l'homogén généit éitéé de l'ense l'ensembl mble, e, comme comme on peut peut le consta constater ter dans dans de Ibid., p. Ibid., p. 29. Successivement : ff" 21 r' , 23 r' , 27 r' , 82 r' , 90 r' et 96 r' .
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nombreux tableaux du Quattrocento italien, où le disparate entre la scène et le fond est manifeste. Cette double opération, nous en trouvons l'ébauche chez les miniaturistes français. Comme l'a montré Jirina Sokolova, l'atelier l'atelier de Jacquemart Jacquemart de Hesdin met en place, dès la seconde moitié du XIV ème siècle, les éléments du futur dispositif paysager: « L'espace des scènes de paysage commence à s'approfondir [... ] à l'aide de la multiplication des plans du paysage, d'une part, et de la diminution de leurs détails é loignés, d'autre part97. » je ne crois pas que l'on puisse vraiment parler d'une «construction en perspective 98», mais il est incontestable que la profondeur s'élabore, éloignant et désacralisant les éléments paysagers, selon ce qu'on pourrait appeler une loi de laicisation croissante. je ne crois pas non plus que l'on puisse soutenir, avec Panofsky, que la miniature « même sans Gutenberg, serait morte d'une "overdose" de perspective 99 ». Mais le grand historien a raison de souligner que, dans les «Mois » de Jean Pucelle, «nous n'avons plus sous les yeux que des paysages, avec des arbres dénudés en janvier, une forte pluie en février, des branches en bourgeons en mars, des fleurs en mai, un champ de blé mûr en juillet, des feuilles qui tombent durant les mois d'automne. [... ] Si schématiques et rudimentaires qu'ils soient, ces petits paysages - surmontés, chacun, d'une arcade au-dessus de laquelle le soleil se déplace de gauche à droite au cours de l'année annoncent un transfert d'intérêt, véritablement révolutionnaire, de la vie de l'homme à la vie de la nature; ils sont les modestes ancêtres des miniatures du calendrier des Très Très Rich Riches es Heur Heures es du duc duc de Berry Berry,, de Chanti Chantilly lly,, et, plus plus lointainement, des Saisons de Pieter Bruegel 100 » On doit, par ailleurs, au Jirina SOKOLOVA, Le SOKOLOVA, Le Paysage dans la miniature française à l'époque gothique (1250-1415), (1250-1415), Prague, 1937, p. 297. Ibid. Erwin PANOFSKY, Les PANOFSKY, Les Primitifs f lamands, Paris, Hazan, 1992, p. 62.v Ibid., pp. Ibid., pp. 71-73. De même, dans les Heures les Heures de Bruxelles, « on assiste à la naissance du naturalisme dans la peinture de paysage septentrionale. Les rochers italianisants, naguère simples accessoires de décor, se transforment en panoramas de pentes ou de chaînes montagneuses» (pp. 100-101). Le livre monumental de Panofsky Panofsky n'en est pas moins décevant. Le souci érudit des attributions empêche le célèbre historien d'accorder aux peintres flamands du XV ème siècle siècle l'importance qu'ils qu'ils méritent quant à l'invention du paysage, dont, à vrai dire, Panofsky ne s'occupe guère, ce 97
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Maître de Boucicaut une invention considérable: «En observant qu'aux approches de la terre le ciel perdait de sa substance et de sa couleur, il observa que les objets perdaient également de leur substance et de leur couleur en s'enfonçant dans le lointain: les arbres, les hauteurs et les constructions les plus éloignées prenaient des allures fantomatiques, leurs contours se dissolvaient dans l'atmosphère, et leur couleur locale se noyait dans une brume brume bleuâtre bleuâtre ou grisâtre. grisâtre. Bref, le Maître Maître de Boucicaut Boucicaut découvrit la perspective atmosphérique, et l'on peut apprécier ce que cela représentait au début du XV ème siècle, si l'on songe que Léonard de Vinci dut encore combattre la croyance erronée selon laquelle un paysage s'assombrit, au lieu de s'éclaircir, en proportion de sa distance par rapport au spectateur 101. » Une étape, plus spectaculaire encore, est franchie avec Pol de Limbourg. Dans le «Calendrier » des Très Riches Heures du duc de Berry (début du XV ème), la laïcisation spatiale, mais aussi temporelle, puisque le cycle des saisons se substitue à la chronologie liturgique - paraît acquise et la plupart des éléments, empruntés à la réalité historique (châteaux de Lusignan, de Dourdan, île de la Cité, etc.), sont intégrés dans un tout autono autonome, me, auquel auquel ne manqu manquee qu quee l'orga l'organis nisati ation on rigour rigoureus eusee de la profondeur, en raison de ce que j'ai appelé la perspective « ascendante », comme on peut le constater dans le mois de février (ill. 11), où les scènes supérieur supérieures, es, dans un souci souci de visibilité visibilité,, fort séduisant séduisant d'ailleur d'ailleurs, s, sont situées trop haut, et donc trop près, par rapport au premier plan, où un couple impudique se réchauffe le bas-ventre devant une cheminée; ou dans le mois d'août (ill. 12), dont les baigneurs, pareils à des grenouilles, ainsi qui ne laisse pas d'étonner. d'étonner. On peut en dire autant autant de Svetlana ALPERS et de son livre, au demeurant stimulant, L'Art stimulant, L'Art de dépeindre. La peinture hollandaise au XVI ème,( siècle, Paris, Gallimard, 1990. 1990. L'ouvrage, il est vrai, traite d'une période postérieure, mais, dans la mesure où l'auteur n'hésite pas à remonter jusqu'au XV ème siècle, on était en droit d'espérer une analyse des origines du paysage paysage néerlandais. Espoir déçu. La double hypothèse d'un rôle décisif de la «chambre obscure» (pp. 47, 69 et sq., 91, 97, 105, etc.) et d'un modèle képlérien ne saurait évidemment être appliquée à l'art septentrional du XV ème siècle. E. PANOFSKY, Les PANOFSKY, Les Primitifs flamands, op. cit., pp. Il 5-116.
que les moissonneur moissonneurs, s, surplomben surplombentt le cortège, cortège, qui, au premier premier plan, s'ajuste mal au paysage. C'est pourquoi je ne partage partage pas l'avis de jirina Sokolova, quand elle prétend que «le paysage du retable de Gand, ou celui de La de La Vierge au chancelier Rolin (il l. 13), [s'il] surpasse, bien entendu, à maints égards, les scènes de paysage du Calendrier de Chantilly, [... ] n'en est pas moins essentiellement semblable 102 ». Le jugement vaudrait, à la rigueu rigueur, r, pou pourr le retabl retable, e, don dontt le pannea panneauu centra centrall - «L'Adorat A doration ion de l'Agneau » - est, du point de vue de la construction spatiale, et en dépit de sa vision panoramiq panoramique, ue, quelque quelque peu archaïque archaïque à nos yeux. Il est, en revanche, fort discutable, quant à la veduta du «chancelier Rolin », dont l'orga l'organis nisati ation on est tout tout à fait fait différ différent entee et représ représent entee un progr progrès ès considérab considérable. le. Paradoxe Paradoxe : en un sens, les Très Riches Heures vont plus loin, puisque le paysage, totalement laïcisé, accède à l'autonomie. l'autonomie. Mais ces miniatures vont moins loin dans la mesure où, dans ses vedute, Van Eyck produit de véritables véritables paysages. Il suffit de regarder «par «par la fenêtre » pour mesurer la différence. différence. L'INVENTION DE LA FENÊTRE
Car l'événement décisif, que les historiens ne me semblent pas avoir assez souligné, est l'apparition de la fenêtre, cette veduta intérieure au tablea tableau, u, mais mais qui l'ouvre l'ouvre sur l'ext l'extéri érieur eur.. Cette Cette trouva trouvaill illee est, est, tout tout simplement, l'invention du du paysage occidental. occidental. La fenêtre est en effet ce cadre qui, l'isolant, l'isolant, l'enchâss l'enchâssant ant dans le tableau, tableau, institue le pays en paysage. Une telle soustraction - extraire le monde profane de la scène sacrée est, en réalité, une addition : le age s'ajoutant au pays. Le Quatt Quattroc rocent ento, o, qui crée crée le cube cube scéniq scénique, ue, c'estc'est-àà-dir diree un volume volume quadrangulaire pour y inscrire, en perspective, une scène, se heurte à un obstacle : la clôture de de ce cube. On en sort, certes, par le le devant, du côté du peintre et du spectateur spectateur,, mais cette issue est fictive fictive puisque, par principe, on ne voit rien, sauf si l'insertion d'un miroir - autre trouvaille flamande, à ce qu'il semble introduit un effet de reflet à l'intérieur du tableau. Mais la véritable solution, c'est évidemment évidemment la fenêtre, qui troue, éclaire et laïcise la clôture clôture sombre de la scène. Pourquoi cette seconde seconde veduta, si le tableau, selon la formule d'Alberti, est lui-même une «fenêtre
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J. SOKOLOVA, Le SOKOLOVA, Le Paysage dans la miniature française..., op. cit., p. 312. 102
ouverte » ? Ne peut-il pas s'ouvrir directement sur un paysage, proche ou lointain ? Sans doute, mais on constate, chez les peintres italiens qui adoptent cette solution, Piero della Francesca par exemple, que leur fond de paysage s'ajuste mal à la scène, qu'il tombe comme un décor de théâtre103, sans véritable profondeur, ou bien, quand celle-ci est construite, qu'il se dispose maladroitement le long des lignes de fuite. On mesure, mesure, a contrario, contrario, la supériori supériorité té de la fenêtre fenêtre flamande flamande104 : le paysage peut s'y organiser librement, indifférent qu'il est aux personnages qui occupent le premier plan. plan. Mieux que le fond de paysage, paysage, la fenêtre réunit les deux conditions que je posais pour commencer: unification et laïcisatio laïcisation. n. Il suffira suffira de la dilater aux dimensions dimensions du tableau, tableau, où elle s'insère encore, telle une miniature, pour obtenir le paysage occidental 105. On s'en convainc chaque fois qu'on examine ou reproduit isolément ces fenêtres, exécutées avec une minutie extrême, signe que le peintre est tout à fait conscient de produire un tableau dans le tableau. Prenons Prenons l'exemple l'exemple de Campin, le Maître de Flémalle. Flémalle. Voici Voici d'abord d'abord sa Madone à l'écran d'osier (il l. 14). Isolons la fenêtre (ill. 15) : on relève quelques gaucheries, sans doute, dans la construction de l'espace, mais c'est un véritable véritable paysage. Considérons maintenant maintenant la Nativité du musée des Beaux-Arts de Dijon (ill. 16) : pas de fenêtre, fenêtre, mais mais un fond. fond. Dans l'angle l'angle supérieur supérieur droit, la représent représentatio ationn est soignée, soignée, la perspectiv perspectivee élaborée ; mais ce paysage s'ajuste maladroitement à la scène qui, du coup, semble rapportée; et le malaise s'accentue si l'on observe les éléments naturels qui occupent l'angle supérieur gauche et semblent provenir du
siècle précédent (on note un phénomène semblable dans L'Agonie au jardin des Oliviers de Mantegna). Là se lit, comme en creux, la fonction fonction instauratrice de la fenêtre ; et l'on ferait le même constat, les mêmes comparaisons, chez Van Van Eyck, Bouts ou Memlinc. Memlinc. On peut sans doute doute l'évolution de la peinture italienne dans la seconde moitié du XV ème siècle l'atteste - améliorer le fond de paysage, c'està-dire son intégration à la scène, selon les règles de la codification albertienne, mais cette solution est laborieuse et, finalement, finalement, bien moins satisfaisante. Seul le passage par la veduta, paradoxal veduta, paradoxal en apparence, puisqu'il se paie d'une réduction, voire d'une miniaturisation du pays, permet, en isolant celui-ci, de l'instituer en paysage. D'où je conclus que ce dernier est vraiment entré par la petite porte, ou, pour mieux dire, par la petite fenêtre... fenêtre... Cette minutie se redouble d'ailleurs d'ailleurs quand les peintres peintres flamands poussent poussent le raffinem raffinement ent jusqu'à jusqu'à représenter - refléter - la fenêtre dans le miroir, qui, tel un oeil globuleux, condense cond ense et « globalise globalise » le paysage extérieur. extérieur. Ainsi, Ainsi, dans Les Époux Amoeni de Van Eyck, le Saint Jean-Baptiste de Campin, Saint Éloi et les fiancés de Christus, et, plus tardivement, Le Banquier et sa femme de Metsij Metsijs. s. Il arrive arrive même que la fenêtr fenêtree se reflète reflète dans dans l'oeil l'oeil des personnages, chez Dürer par exemple : Les Quatre Apôtres, Vierge à l'enfant avec sainte Anne, Madone à l'oeillet ... ...
Pierre FRANCASTEL le souligne à propos de l'Allégorie du triomphe du duc d'Urbino de Piero della Francesca : «Le paysage tombe [... ] à angle droit contre le sol comme un rideau de fond» (Peinture et Société, Lyon, Audin, 1951, 1951, rééd. Paris, Gallimard, 1965, 1965, p. 88). « Une fenêtre ouverte se rencontre dans plusieurs miniatures du Maître de Boucicaut, où elle ne laisse voir cependant que le ciel et pas encore de cit., p. 297). paysage » (E. PANOFSKY, Les PANOFSKY, Les Primitifs fl amands, op. cit., p. Voir aussi, pp. 1 19-120, la reproduction de «La Naissance de la Vierge », qui figure dans le Lectionnaire le Lectionnaire du duc de Berry. On ne saurait prétendre, avec Jacob BURCKHARDT, que «les grands maîtres de l'école flamande, Hubert et Jan Van Eyck, trouvent tout d'un coup le secret de la fidèle description de la nature » (La Civilisation de la Renaissance en Italie, Paris, Gonthier, 1958, 2 vol., vol. 11, p. 18).
Il est d'usage, chez les historiens, d'accorder à Patinir (1475-1524) le titre de premier premier « paysagist paysagistee » occidental occidental.. Si l'on entend par là qu'il qu'il fut le premier à peindre des paysages autonomes, ce titre est doublement usurpé. D'abord parce qu'il y a toujours une scène, même réduite, chez Patinir. L'extension du paysage à la quasitotalité du tableau est d'ailleurs acquise, dès la fin du XV ème siècle, chez Geertgen Tot Sint Jans, avec son Saint Jean-Baptiste dans le désert (ill . 17) par 17) par exemple, un petit format (42 x 28 cm), où la double perspective est maîtrisée, tandis que le personnage paraît surajouté. Ensuite parce que le premier à avoir avoir produit des paysages sans personnages n'est pas Patinir, mais, à ma connaissance, Dürer, dans ses aquarelles et gouaches de jeunesse (dans les années 1490), si singulières et novatrices que la comparaison avec Cézanne vient spontanément à l'esprit.
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DÜRER ET PATINIR
Car « nulle part encore on n'avait trouvé des images comme celle de Innsbruck vu du nord, Vue du val d'Arco, L’Étang dans la forêt f orêt (il l. 18), Montagne welche (ill. 19) et Refuge en ruine. jamais ruine. jamais on n'avait réalisé avec une telle économie de moyens, de manière aussi vigoureuse, des vues topograp topographiqu hiques es aussi justes, qui gardent gardent néanmoins le caractère caractère de la vision106». Il s'agit toujours de petits formats, dont certains n'excèdent même pas celui de nos cartes postales, nouveau signe que le paysage restait restait un genre genre mineur. mineur. Ces aquarelles aquarelles furent d'ailleurs d'ailleurs inconnues inconnues du public contemporain et Dürer abandonna bientôt ce « tachisme » (le macchiato), si séduisant et moderne à nos yeux, mais qui ne convenait pas aux oeuvres nobles. L'originalité de Patinir - «der gute Landschaftsmaler », le bon peintre de paysage, ainsi que l'appelait Dürer tient évidemment à sa spécialisation, sans précédent, dans l'histoire de la peinture occidentale, puisque toutes les oeuvres qui lui sont aujourd'hui attribuées sont des scènes religieuses, ma is insérées, enserrées et quelquefois perdues dans de grands paysages, dont la superficie excède celle des personnages. personnages. On pourrait dire que Patinir s'est contenté - mais ce fut décisif - de dilater la veduta, de l'élargir aux dimensions du tableau, inversant ainsi le rapport de la fenêtre et de la scène. scène. Celle-ci Celle-ci ne trône plus, majestueuse, majestueuse, à l'avant de celle-là, celle-là, elle y entre et s'y loge, modestement. Élargir: le verbe doit être pris au sens strict. strict. Non seulement seulement la fenêtre s'est s'est agrandie, agrandie, mais elle a élargi sa largeur, tandis que sa hauteur hauteur diminuait d'autant. d'autant. D'où l'avènement d'une d'une vision panoramique, particulièrement spectaculaire, même dans les petits formats, qui restent nombreux. Cette représentation n'en conserve pas moins les caractéristiques de la fenêtre fenêtre flamande: flamande: même vue «à vol d'oiseau », même découpage découpage de l'espace en trois plans, brun-ocre pour le premier, vert pour le plan médian, bleu pour le lointain, même absence de dégradés, puisque, quelle que soit la distan distance, ce, les détails détails sont sont figuré figuréss avec avec la même même minuti minutie, e, la même même luminosité que dans les vedute de Van Eyck Eyck ou Campin. Campin. Tout se passe passe comme si «le bon paysagiste », conscient d'offrir à l'oeil une surface proche (le tableau), avait à coeur d'y figurer figurer tous les détails de son pays (le paysage). Alors même qu'il réduit la taille des objets, il en sauvegarde la visibilité. Le premier paysage est scrupuleux, méticuleux, méticuleux, comme pour Friedrich PIEL, Albrecht PIEL, Albrecht Dürer. Aquarelles et dessins, Paris, Adam Biro, 1990, p. 25. 106
mieux s'imposer s'imposer au regard, regard, qui veut du vrai, même invraisemb invraisemblable lable.. Habitu Hab ituons ons-no -nous us à cette cette idée idée que l'inv l'invent ention ion du paysag paysage, e, malgré malgré les apparences, ne fut pas réaliste, ni naturaliste, même si l'on a pu prétendre que Patinir avait voulu représenter les versants de la Meuse dans les reliefs tourmentés de ses toiles. Reste le statut des personnages. personnages. En dilatant la fenêtre, fenêtre, Patinir retrouve, retrouve, mais retourné, retourné, le problème problème des peintres peintres italiens italiens au siècle siècle précédent précédent.. Tandis que ceux-ci ne savaient comment ajuster leur fond de paysage à la majesté obligée de la scène, Patinir, lui, éprouve quelques difficultés à instal installer ler ses person personnag nages es dans dans cet immens immensee paysag paysage, e, qu quii paraît paraît peu hospitalier. Deux solutions : ou bien plaquer la la scène, de toutes pièces, pièces, comme en surimpression, surtout dans les grands formats, où l'on dirait parfois qu'ils s'y sont mis à deux; de fait, c'est Quentin Metsijs qui s'est chargé des personnages dans La Tentation de saint Antoine du musée du Prado (155 x 173 cm) (ill. 20). L'effet est d'ailleurs prodigieux et l'on ne sait ce qu'il faut admirer davantage, ces femmes, au buste lumineux, ou ce paysage, sombre et marécageux. Sinon, éliminer la scène, ou du moins la réduire, réduire, la miniaturis miniaturiser, er, solution solution lilliputi lilliputienne, enne, qu'affect qu'affectionn ionnee Patinir Patinir 107. Il n'est pas le seul. On l'a vu avec Geertgen Geertgen Tot Sint Jans et Dürer. Tout se passe comme si le paysage autonome, ou quasi autonome, une fois faite la part de la commande - scène religieuse ou allégorie -, devait se faire discret pour obtenir droit de cité. La langue italienne, au début du XVI ème siècle siècle,, ignor ignore, e, semble semble-t-t-il, il, le mot paesaggio et emploie emploie volontiers un diminutif diminutif pour désigner désigner les tableaux de paysage. paysage. Dans son article, « La théorie artistique de la Renaissance et l'essor du paysage » (in L’Écologie des images, Paris, Flammarion, 1983, p. 18), Ernest GOMBRICH cite Marcantonio Michiel, qui notait en 1521 «qu'il y avait moite tavolette de paesi dans la collection du cardinal cardinal Grirnani,». On désignait alors La alors La Tempête de Giorgione sous le terme de paesetto. « Un "paesetto", terme que Michel Conan, dans s on bel article [... ] "Généalogie du paysage" traduit (à tort, me semble-t-il) par "petit paysage" » (J.-P. Le DANTFC, Jardins DANTFC, Jardins et Paysages, op. cit., p. cit., p. 93). Le Dantec a raison: il eût mieux valu traduire paesetto traduire paesetto par par «petit pays». Mais on peut aussi supposer que les Italiens, avant de forger le terme paesaggio, terme paesaggio, auraient traduit le «bout de pays » (landschap) par paesetto, le suffixe italien correspondant assez bien - mieux que le age français, le schaft le schaft allemand, allemand, et le scape le scape anglais -, au schap néerlandais. Il faudrait donc traduire 107
Ainsi, dans Paysage avec saint Jérôme (36,5 x 34 cm, Londres, National Gallery), où le malheureux saint se trouve relégué dans un coin du tableau, déjà fort exigu, et surtout dans L’ Extase de sainte Marie-Magdeleine (26 x 36 cm, Kunsthaus, Zürich) (ill. 21), qui se présente à nous comme une devinette : où est la sainte ? Du côté de l'énorme rocher ? On cherche en vain, et qu'importe après tout, puisqu'elle est en extase, donc ailleurs, ou partout, exit Marie-Madeleine, Marie-Madeleine, le paysage est né. LA CAMPAGNE
À vrai dire, et quelle que soit leur importance aux yeux des historiens de l'art, ni Dürer ni Patinir ne semblent avoir influé sur la vision de leurs contemporains. Car le paysage qui s'installe s'installe dans le regard du XVI ème siècle, c'est la Campagne, un pays sage, voisin de la ville, valorisé et comme apprivoisé par des décennies de peinture flamande, puis italienne, et bientôt bientôt relayée par la littérature littérature.. On l'a vu avec « l'inventi l'invention on » de la Beauce par Rabelais par Rabelais (la forêt transformée en « campaigne »). Montaigne
nous le confirme un peu plus tard dans son Journal de voyage en Italie: « Delà nous trouvâmes un vallon d'une grande longueur au travers duquel passe la rivière d'Inn, qui va se rendre à Vienne dans le Danube. [ ] Ce vallon sembloit à M. de Montaigne représenter le plus agréable païsage qu'il eust jamais veu ; tantôt se resserrant, les montaignes venaient à se presser, et puis s'eslargissant à cette heure, de nostre costé, qui estions à mein gauche de la rivière, et gaignant du païs à cultiver et à labourer dans la pente mesme des mons qui n'estoint pas si droits ; tantost de l'autre part ; et puis descouvrant des plaines à deux ou trois étages l'une sur l'autre, et tout plein de belles meisons de gentil'homes et des églises ; et tout cela enfermé et emmuré de tous costés de morts d'une hauteur infinie. [ ] À la paesetto par « par « petit pays », ou, tout simplement, « paysage». Les oeuvres conternporaines conternporaines d'Altdorfer, d'Altdorfer, Paysage du Danube (30 x 22 cm), Paysage cm), Paysage avec pont (42 pont (42 x 35 crn), Paysage crn), Paysage avec saint Georges (28 x 22 cm), sont également des petits formats. Je ne sais pas ce qui autorise Gombrich à soutenir que « c'est à Venise, et non pas à Anvers, qu'on appliqua pour la première fois ce terme : "un paysage", paysage", à une peinture particulière particulière » (ibid.).
descente de ce mont, il se présentait à nous une très belle et très grande pleine, dans laquelle court le Tibre [] prospect représentant assez bien celui qui s'offre en la Limaigne d'Auvergne à ceux qui descendent du Puy de Domme à Clermont108 » La même sensibilité paysagère, c'est-à-dire campagnarde, artialisée derechef par la pastorale antique, s'exprime, au début du siècle suivant, chez Honoré d'Urfé, qui décrit ainsi, au début de L'Astrée, le cadre de ses «bergeries » : « Auprès de l'ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forez, qui, en sa petitesse, contient ce qui est de plus rare au reste des Gaules, car, étant divisé en plaines et en montagnes, les unes et les autres sont si fertiles, et situées en un air si tempéré que la terre y est capable de tout ce que peut désirer désirer le laboureur. laboureur. Au coeur du pays est le plus beau de la plaine, ceinte, comme d'une forte muraille, des monts assez voisins et arrosée du fleuve de Loire, qui, prenant sa source assez près de là, passe presque par le milieu, non point encore trop enflé ni orgueilleux, mais doux et paisible. paisible. Plusieurs Plusieurs autres autres ruisseaux ruisseaux en divers lieux la vont baignant de leurs claires ondes, mais l'un des plus beaux est Lignon, qui, vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source, va serpentant par cette plaine [... ]. » Le phénomène phénomène paraît européen européen.. C'est ainsi ainsi que Piero Camporesi Camporesi a pu consacrer à l'invention de la campagne italienne au XVI ème siècle un ouvrage remarquable, Les Belles Les Belles Contrées. Naissance du paysage italien. Même s'il ne fait pas allusion aux phénomènes d'artialisation in visu, c'està-dire au rôle décisif des artistes dans la transformation du regard collectif - Camporesi s'intéresse surtout à la « base économique » et ignore c e que MONTAIGNE, Journal de voyage en Italie, dans OEuvres complètes, Paris, Gallimard, «Bibl. de la Pléiade », 1962, pp. 1164 1164 et 1258. Sur la prédilection de Montaigne Montaigne pour la fertilité fertilité et les «prairies très-plesantes très-plesantes », voir également pp. 1129, 1163, 1163, 1243, 1284, etc. La montagne, en revanche, ne suscite que la répulsion. répulsion. C'est du mauvais pays (voir plus plus loin) : «L'Apennin, le prospect du païs mal plesant, bossé, plein de profondes fandasses, incapable incapable d'y recevoir nulle nulle conduite de gents de guerre en ordonnance : le terroir nud sans arbres, une bonne partie stérile » (p. 1203). Voir aussi p. 1330. 108
j'ai appelé naguère «la fonction socio-transcendantale socio-transcendantale de l'ar t l'ar t109 », comme condit condition ion de possib possibili ilité té de la vision vision et de l'expé l'expérie rience nce collec collectiv tives, es, retentissa retentissant, nt, à rebours, rebours, sur cette cette même base économique économique,, la fameuse fameuse «action réciproque » des marxistes -, il n'en rappelle pas moins, dès son premier chapitre, opportunément opportunément intitulé «Du pays au paysage », que, « au XVI ème siècle, on ne connaissait pas le paysage au sens moderne du terme, mais, le "pays", quelque chose d'équivalent à ce qu'est pour nous, aujourd'hui, le teatorio et, pour les Français, l'environnement, lieu ou espace espace considéré considéré du point point de vue de ses caractéristi caractéristiques ques physiques, physiques, à la lumièr lumièree de ses formes formes de peuple peuplemen mentt humain humain et de ses ressourc ressources es économique économiques. s. D'un D'unee matériali matérialité té presque tangible, tangible, il n'ap n'appart partenait enait à la sphère sphère esthétique esthétique que de façon tout à fait secondaire secondaire.. "L'acquisit "L'acquisition ion culturelle du paysage, a noté Eugenio Turri, naît lentement et péniblement de la réalité naturelle et géographique." L'estimation économique, pourraitpourraiton ajouter, ajouter, a la priorité priorité absolue sur l'exploit l'exploitation ation esthétique esthétique 110. » Et Camporesi montre fort bien qu'en Italie - mais il en va de même en Europe septentrionale -, à l'opposé du «pays stérile » et «fort sauvage » 111 , l'image bientôt prépondérante dans la sensibilité esthétique est celle du « pays jardin112 », c'estc'est-à-d à-dire ire une extens extension ion de ce derni dernier er à la campag campagne ne envi enviro ronn nnan ante te.. « Appe Append ndic icee de la vill ville, e, la camp campag agne ne deva devait it être être domestiquée, colonisée, annexée à la vie urbaine 113 » Toujours le pays sage, apprivoisé de proche proche en proche. De multiples citations soulignent soulignent l'obsession du thème paradisiaque, avec l'omniprésence, en Italie, de la vigne «Paradis terrestres artificiels, façonnés plusieurs millénaires après la création d'Adam par les les innombrables bras de ses descendants. descendants. Ici, comme en bien des endroits, l'histoire du paysage rencontre celle du travail, et en particulier l'histoire du vin et de la culture de la vigne dont, on l'a dit, l'histoire humaine est un provignement 114 » Alain ROGER, Nus ROGER, Nus et Paysages. Essai sur la sur la fonction de l'art, Paris, Aubier, 1978, p. 37. Piero CAMPORESI, Les CAMPORESI, Les Belles Contrées. Naissance du paysage italien, Paris, Gallimard, « Le Promeneur », 199 5, pp. 1 1- 1 2. Ibid., p. Ibid., p. 47. Ibid., p. Ibid., p. 85. Ibid., p. Ibid., p. 143. Ibid., p. Ibid., p. 190. Voir aussi pp. 144, 160, 172 et sq., et sq., 180, 189. 109
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Tel est le paysage qui, pendant deux siècles, va habiter le regard, y régnant sans partage, jusqu'à ce que l'âge des Lumières, et toujours sous le signe de l'art, invente de nouveaux paysages, la mer et la montagne, ajoutant au beau la catégorie du sublime, et transformant de fond en comble la sensibilité occidentale. 1 « Le Jardinet du Paradis», Maître d'Oberrhein, d'Oberrhein, XV ème siècle. Francfort, Kunstinstitut. Photo Blauel/Gnamm-Artothek. 2. «Maulgris et Oriande la belle,», Renaut de Montauban, XV ème siècle. Paris, bibliothèque de l'Arsenal, ms. 5072, fl 71 V'. Photo Bibliothèque de France. 3. Michael Heizer, «Rift,), 1969 (détérioré), Déplacement n' 1 (sur 9), 1,5 tonne de matériau sur le fond d'un lac asséché, 15,60 x 0,42 x 0,30 m , jean Dry Lake, Nevada. 4. « Maison des Pygmées», fresque. Naples, Musée archéologique. archéologique. Photo A. Suzuki. 5. « Un village au bord du fleuve,», section d'un rouleau horizontal, anonyme, XI ème ou XII ème siècle. Taichung (Formose), collections collections du musée du Palais. 6. « Lumière du soir sur un village de pêcheurs », tiré du rouleau horizontal «Huit vues de la région du Siao et du Siang,», attribué à Mou-k'i, milieu du XIIIème siècle. Tokyo, Musée d'art d'art Nezu. 7. Château au bord du lac, Ambrogio Lorenzetti. Sienne, Pinacothèque. Photo @c, S,.I.. 8. Ville sur la mer, Ambrogio Lorenzetti. Sienne, Pinacothèque. Photo , Photo , Scala. 9. « La récolte des choux », Tacuinum sanitatis, f' 23 r'. Vienne, Bibliothèque nationale d'Autriche. d'Autriche. Codex Vindobonensis series nova 2644.
10 «Poisson frais», frais », Tacuinum sanitatis, f' 82 r'. Vienne, Bibliothèque nationale nationale d'Autriche. Codex Vindobonensis Vindobonensis series nova 2644. 11. «Calendrier » : Février, Très Riches Heures du duc de Berry, début du XV ème siècle.Chantilly, musée Condé. Phot. Giraudon. 12. «Calendrier »: Août, Très Riches Heures du duc de Berry, début du XV ème siècle.Chantilly, musée Condé. Phot. Giraudon. 13. La Vierge au chancelier Rolin, Jan Van Eyck, vers 1433. Paris, musée du I-ouvre. Photo. RMN-Jean. 14. La Madone à l'écran d'osier, Robert Campin, le «Maître de Flémalle», vers 1420-1425. Londres, National Gallery. Photo Artephot/Bridge... Art Library. 17. Saint,Jean-Baptiste dans le désert, Geertgen Tot Sint Jans, vers 14901495.Berlin, Staatliche Museum Preussischer Kulturbesitz. Photo Jôrg P; Anders,,. i8. L’Étang dans laforêt, Albrecht Dürer, Dürer, vers 1495. Londres, British Museum. 19. Montagne welche, Albrecht Dürer, vers 1495. Oxford, Ashmolean Museum of Art and Archeology. 20. La Tentation de saint Antoine, Joachim Patinir, 1515. Madrid, musée du Prado. Photo G. Dagli Orti. 2 1. L’Extase de sainte Marie-Magdeleine, Joachim Patinir, vers 15121515,Zurich, Kunsthaus.
VERS DE NOUVEAUX PAYSAGES
La plup plupar artt des des spéc spécia iali list stes es s'ac s'acco cord rden entt po pour ur reco reconn nnaî aîtr tree qu quee la transformation de la montagne en paysage s'est produite au XVIII ème siècle. Il y eut, certes, des précédents, précédents, mais isolés, sans postérité, postérité, et l'on mentionne mentionne toujours toujours deux ascensions ascensions fameuses, fameuses, celle du Ventoux Ventoux par Pétrarque en 1336, et celle du mont Aiguille par Antoine de Ville en 1492. Les récits de ces premiers «alpinistes » sont d'ailleurs fort différents au regard de la sensibilité esthétique, assurément plus développée chez le poète que chez le soldat. Le texte de Pétrarque n'en trahit pas moins un certain certain embarras. embarras. Tout se passe, en effet, effet, comme si cette sensibilité sensibilité naissante se trouvait contrariée, contrariée, d'un bout à l'autre l'autre de l'ascension. D'abord par le vieux pâtre, qui, comme on l'a vu au chapitre premier, veut dissuader les voyageurs (Pétrarque et son frère) de se lancer dans une entreprise qui ne peut leur apporter que «regret et fatigue » ; puis, lors de l'escalade qui, effectivement, se révèle fort pénible, mais la lassitude est surmontée et comme sublimée par la comparaison des tribulations de l'existence, dont elle devient la métaphore : « Après avoir été maintes fois déçu, je m'assieds m'assieds dans une combe. combe. Là ma pensée s'envole, s'envole, rapide, rapide, du monde des choses matérielles vers celui des choses immatérielles et je m'apostrophe moi-même en ces termes : les épreuves que tu as endurées tant de fois aujourd'hui dans l'ascension de cette montagne, sache bien que tu les rencontr rencontres es aussi, aussi, toi comme tant d'autr d'autres, es, sur le chemin chemin du bonheur»; enfm, au terme des « épreuves », quand le « bonheur» advient, sous la forme d'une vision grandiose, qui embrasse la totalité du pays environn environnant. ant. La jouissance jouissance est incontestab incontestablemen lementt esthétique, esthétique, mais il convient de remarquer qu'elle est moins liée à la montagne elle-même qu'au panorama que le sommet permet de découvrir, et la voilà bientôt refoulée par une méditation religieuse, inspirée des Confessions de saint Augustin, dont Pétrarque ne se sépare jamais, et qu'il ouvre au hasard: «
Le sixième livre s'offrit à ma vue. Mon frère, désireux d'entendre entendre de ma bouche quelque parole d'Augustin, d'Augustin, se tenait debout, l'oreille attentive. J'en prends Dieu à témoin et mon frère lui-même lui-même qui était là: le passage où mes premiers regards sont tombés contenait ces lignes : "Les hommes s'en vont admirer les cimes des montagnes et les flots immenses de la mer et les vastes cours des fleuves et les circuits de l'océan et les révolutions des astres et ils se délaissent eux-mêmes." Je demeurai interdit, je l'avoue; et priant mon frère, impatient de m'entendre lire, de ne pas me déranger, je fermai le livre. J'étais irrité contre contre moi-même d'admirer encore encore les choses de la terre quand depuis longtemps j'aurais dû apprendre des philosophes, même des Gentils, que rien n'est admirable que l'âme et que pour l'âme, lorsqu'elle est grande, rien n'est grand 115. » Le récit d'Antoine de Ville n'est pas moins instructif. L'écuyer de Charles VIII est ici en mission, accompagné de quelques hommes, dont un « eschelleur » - la paroi verticale du mont Aiguille est escaladée comme celle d'une forteresse -, avec pour objectif d'accomplir un exploit exploit en l'honneur l'honneur de son roi. Le rapport rapport adressé adressé au président président du parlement de Grenoble en témoigne : « C'est C'est le plus plus horrib horrible le et épouvantable passage que je vis jamais. » Mais la récompense est au bout de l'épre l'épreuve uve,, non pas, pas, comme comme chez chez Pétrar Pétrarque que,, dans dans la délect délectati ation on panoramique du pays, mais dans la découverte d'un lieu hospitalier et presque bucolique: «Pour vous deviser de la montagne, elle a par le dessus une lieue française de tour, ou peu s'en faut, un quart de lieue de longueur et un trait d'arbalète de travers, et est couverte d'un beau pré par dessus et avons trouvé une belle garenne de chamois, qui jamais n'en pourront partir, et des petits avec eux de cette année, dont dont s'en tua un malgré nous, à notre entrée116. » « Un beau pré », «une belle garenne », voilà les seules notations notations esthétiqu esthétiques es du rapport. rapport. Il y a, tout là-haut, là-haut, comme un enclos enclos Sur l'ascension du mont Ventoux par Pétrarque, voir Philippe Joutard, L’Invention du mont Blanc, Paris, Gallimard/julliard, 1986. 115
J'ai transcrit en français français moderne le texte texte du rapport. Sur l'ascension du mont Aiguille par Antoine de Ville, voir Jack LESAGE, «Pour l'amour du nom du Roy ». Le mont Aiguille, Grenoble, Publialp, Ed. du Grésivaudan, 1992. 116
paradisiaque, et plusieurs commentateurs, Serge Briffaud en particulier, ont émis émis l'hyp l'hypoth othèse èse qu quee de Ville, Ville, à l'inst l'instar ar de son contem contempo porai rainn Christophe Colomb, était en quête de l'Éden, selon une vieille croyance qui plaçait ce dernier au sommet d'une montagne montagne inaccessible. Quoi qu'il en fût, force est de constater que l'émotion esthétique, loin d'être novatrice, revêt revêt ici un unee forme forme tradit tradition ionnel nelle, le, celle celle que procur procuree un jardin jardin,, ici providentiel, et d'autant plus apprécié que sa révélation a été précédée d'une ascension plus périlleuse.
DU « PAYS AFFREUX »
AUX «SUBLIMES HORREURS
Les premiers signes, discrets, d'une sensibilité nouvelle, apparaissent dès la fin du xvii'siècle, avec John Dennis et M" de Sévigné (voir plus loin). Mais, pour l'essentiel, c'est-à-dire pour le regard collectif, la montagne reste un «pays affreux ». Cette formule revient sans cesse dans les récits des voyageurs, pressés de s'éloigner de ces « monts sourcilleux ». Certes, on s'y aventure, aventure, par nécessité, nécessité, parfois parfois par intérêt, la minéralog minéralogie ie par exemple, mais jamais pour pour le plaisir esthétique. esthétique. Grand-Carteret évoque ces amateurs de «mines», « qui ne notèrent pas le plus petit coin de paysage, quoi qu'ils aient vu du pays117 ». L'exemple le plus étonnant, et le plus drôle, est celui d'un certain Le Pays - un nom prédestiné - qui, dans une lettre du 16 mai 1669, adressée de Chamonyen-Fossigny (sic) à sa cruelle maîtresse, n'hésite pas à la comparer à ce « païs affreux », «cinq montagnes qui vous ressemblent, comme si c'estoit vous-même [... ] cinq montagnes, Madame, qui sont de glace toute pure depuis la teste jusqu'aux pieds; mais d'une glace qu'on peut appeler perpétuelle ». Et de conclure : «Mais pourtant, s'il faut mourir de froid, il vaut encore mieux que ma mort soit causée par la glace de votre votre coeur que par celle des montagnes. De sorte, Madame, que je suis résolu de me tirer le plutôt que je pourrai de ce païs affreux, pour m'en aller mourir à vos pieds 118. » Prodigieu Prodigieuse se rhétorique, où la montagne ne prend sens aux yeux de l'amoureux « transi» John GRAND-CARTERET, La GRAND-CARTERET, La Montagne à travers les âges, 2 vol., Grenoble, 1903-1904, reprint Genève, Slatkine, 1983, vol. 1, p. 313, souligné par moi. Cité par J. GRAND-CARTERET, GRAND-CARTERET, Op. cit., pp. cit., pp. 301-302. 117
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que comme métaphore dela femme «de glace », qu'on espère du moins n'être pas «perpétuelle »... À l'aube des Lumières, l'expérience de la montagne est toujours aussi négative, comme en témoigne le Journal de Montesquieu: « On est bien étonné, quand on quitte quitte la belle Italie pour entrer entrer dans le Tyrol. Vous ne voyez rien jusques à Trente que des montagnes. [... ] Tout ce que j'ai vu du Tyrol, depuis Trente jusques à Insbrück [sic] m'a paru un très mauvais pays. Nous avons toujours été entre deux montagnes. [... ] On arrive de Trente à Bolzano, toujours entre deux montagnes 119. » On ne saurait donc prétendre, avec J. Chouillet, que « Montesquieu n'a même pas remarqué qu'il y eût des montagnes dans le Tyrol 120 », puisque, au contraire, il n'a vu qu'elles ! Mais, s'il perçoit du pays, du «très mauvais pays », il n'aperçoit aucun paysag paysage, e, d'où son accablem accablement. ent. Cette Cette orophobie orophobie est tenace. tenace. En 1748, dans sa Physique de la beauté - une apologie des courbes, dont on trouve une autre version dans L'Analyse de la beauté de Hogarth (1753), qui définit la beauté par la ligne onduleuse, et la grâce par la ligne serpentine -, Morelly recommande de laisser « les rochers escarpés » aux « amants malheureux, aux hypocondriaques et aux ours», et de leur préférer «le penchant arrondi d'une colline », «le creux d'un beau vallon » et « le cours serpentueux serpentueux d'une rivière», rivière», c'est-à-d c'est-à-dire ire de s'en tenir à la vision vision traditionn traditionnelle, elle, qui ne conn connaît aît que la campagne, campagne, ici féminisée, féminisée, sinon sinon érotisée, selon l'esprit du temps. Les causes de cette orophobie ne sont pas seulement objectives - rigueur du climat, climat, stérilité stérilité (l'argument (l'argument est constant), constant), difficultés difficultés et dang dangers ers du voyage. De même que pour la thalassophobie thalassophobie (voir plus loin), il s'y ajoute des raisons religieuses, qui, comme l'a souligné Alain Corbin, sont liées au thème du Déluge. Déluge. «On comprend comprend que l'océan, l'océan, relique relique menaçante menaçante du Déluge, ait pu inspirer de l'horreur, tout comme la montagne, autre trace chaotique chaotique de la catastrop catastrophe, he, "pudenda de la nature nature", ", déplai déplaisan sante te et agressive verrue poussée à la surface des nouveaux continents 121. » La malédiction peut d'ailleurs d'ailleurs se préciser et se localiser. Ainsi, à propos des MONTESQUIEU, Voyage de Gratz à La Haye, [17131, dans OEuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », t. 1, 1949, p. 803. J. CHOULLET, L’Esthétique des Lumières, Paris, P.U.F., 1974, p. 116. Alain CORBIN, Le CORBIN, Le Territoire du vide. L'Occident et le désir du rivage. 1750-1840, Paris, Aubier, 1988, p. 16. 119
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glaciers glaciers : « Les lieux où ils s'étendent s'étendent actuelleme actuellement nt étaient étaient autrefois autrefois cultivés et riches ; ils auraient été recouverts par la glace à la suite d'une punition divine. Telle serait l'origine de la mer de Glace 122. » Saussure nous le confirme : «Le petit peuple de notre ville et des environs donne au mont Blanc et aux montagnes couvertes de neige qui l'entourent le nom de montagnes maudites ; et j'ai moi-même ouï dire dans mon enfance à des paysans que ces neiges éternelles étaient l'effet d'une malédiction que les habitants habitants de ces montagnes s'étaient s'étaient attirée par leurs leurs crimes crimes 123 «Les Lumières ont, à cet égard, exercé une fonction purgative en dissipant les ténèbres de la superstition. superstition. Non sans peine, et cela pourrait pourrait expliquer, au moins partiellement, pourquoi il a fallu près d'un siècle pour conquérir ces « montagnes maudites », au prix d'un alpinisme à la fois athlétique et esthétique. « Dans ses aspirations vers la nature, la société duXVIII ème siècle procédera en effet par évolutions évolutions successives. D'abord, avec Haller, elle se tournera vers la montagne par opposition à la plaine, puis, avec Rousseau, elle se fixera sur les bords du Léman en face de ce décor complet, donnant au premier plan les hauteurs riantes et fertiles, au second plan, dans un lointain suffisamment éloigné pour qu'aucune impression de crainte n'en résulte, les monts arides arides du Valais, aux cimes sourcilleuses. sourcilleuses. Puis enfin, peu à peu, avec Pezay, avec Boufflers, avec Bourrit, avec de Saussure, avec De Luc, avec Dusaulx, elle s'approchera de ces sublimes horreurs que dis-je ! -, elle ne verra plus qu'elles 124. » Haller d'abord, toujours cité cit., p. 21. Ph. JOUTARD, L’Invention JOUTARD, L’Invention du mont Blanc, op. cit., p. Horace Benedict de SAUSSURE, Voyages dans les Alpes, cité par Ph. JOUTARD, op. cit., pp. cit., pp. 21-22. J. GRAND-CARTERET, La GRAND-CARTERET, La Montagne..., op. cit., p. 384. Serge BRIFFAUD, dans un article remarquable («Découverte et représentation d'un paysage. Les Pyrénées du regard à l'image, l'image, XVIII-XIX éme siècles siècles », dans Pyrénées: dans Pyrénées: un paysage à la croisée des regards, XVIII-XIX éme siècles, Ville de Toulouse-Ascode, 1989, repris dans La Théorie du paysage en France, 19741994, 19741994, Seyssel, Champ Vallon, 1995), montre que les Pyrénées ont fait l'objet d'une ascension similaire, quoique plus tardive. «Le paysage pyrénéen est d'invention récente» (p. 224), c'est-à-dire postérieure de «plusieurs «plusieurs décennies » (p. 225) à celle celle des Alpes. Et Briffaud souligne à son tour que, «au XVII ème siècle, les Pyrénées étaient 122
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comme l'inventeur des des Alpes. Les quarante-neuf quarante-neuf strophes de son poème, Die Alpen (1732), furent en effet traduites dans toutes les langues (dix éditions en France, de de 1749 à 1772). Pour la première fois, fois, semble-t-il, «l'affreux pays » devient un paysage, comme en témoignent ces sous-titres de la traduction française : Paysage des Alpes. La Nature montrant à un berger un beau paysage. On a coutume de lui associer Gessner, poète et peintre, et, surtout, le Rousseau de La Nouvelle Héloïse, dont le succès fut également également considéra considérable. ble. Grâce Grâce à lui, le Valais, Valais, de modeste pays, pays, est devenu un paysage, peu « sourcilleux », il est vrai. « Le "mélange étonnant de la nature sauvage et de la nature cultivée", voilà tout ce que Saint-Preux vit dans le Valais et il n'est pas besoin pour cela de dépasser les hautes vallées125. » L'intérêt de la célèbre lettre XXIII de Saint-Preux à Julie est triple. 1) Elle Elle nous nous fait fait assist assister, er, part partici iciper per à la la métamo métamorph rphose ose du du pays pays en paysage, par la mé diation de l'écriture. D'abord, au début de la lettre: « À peine ai-je employé huit jours à parcourir un pays qui demanderait des années d'observation. » Puis, au terme de la description : «J'aurais passé tout le temps de mon voyage dans le seul enchantement du paysage, si je n'en eusse éprouvé un plus doux encore dans le commerce des habitants 126. » Suit l'évocation de ces repas, où il « s'enivrait par reconnaissance » et de « ces jeunes beautés timides », qui le choquaient toutefois par «l'énorme ampleur de leur gorge », pudiquement opposée à celle de Julie. 2) Ce pays paysage age,, inter interméd médiai iaire re et et contr contrast asté-, é-, est nettem nettement ent circon circonscr scrit: it: «Tantôt d'immenses roches pendaient en ruines au-dessus de ma tête. Tantôt Tantôt de hautes hautes et bruya bruyante ntess cascad cascades es m'inon m'inondai daient ent de leur leur épais épais brouillard. Tantôt un torrent éternel ouvrait à mes côtés un abîme dont les yeux n'osaient n'osaient sonder sonder la profondeu profondeur. r. Quelquef Quelquefois, ois, je me perdais perdais dans l'obscurit l'obscuritéé d'un bois touffu. touffu. Quelquefo Quelquefois, is, en sortant sortant d'un gouffre, gouffre, une agréable prairie réjouissait réjouissait tout à coup mes regards. Un mélange étonnant un pays avant d'être un paysage paysage (p. 234). La transformation de l'un un en l'autre fut également progressive «Le premier grand site des Pyrénées n'est pas le cirque de Gavarnie, Gavarnie, mais la vallée de Campan» (p. 235). De la campagne à la montagne, via les vallées... Daniel MORNET, Le MORNET, Le Sentiment de la nature en France, de Jean Jacques Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, Paris, Hachette, 1907, p. 273. Pays et paysage, soulignés par moi. 125
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de la nature sauvage et de la nature cultivée montrait partout la main des hommes où l'on eût cru qu'ils n'avaient jamais pénétré : à côté d'une caverne on trouvait des maisons ; on voyait des pampres secs où l'on n'eût cherché que des ronces, des vignes dans des terres éboulées, d'excellents fruits sur des rochers, et des champs dans des précipices. » Tout se passe comme comme si la sensib sensibili ilité té paysag paysagère ère,, tradit tradition ionnel nellem lement ent attach attachée ée à la campagne, s'étendait, de proche en proche, aux versants montagneux, sans pourtant s'élever jusqu'aux sommets neigeux. «La neige me chasse», dit SaintPreux SaintPreux au début début de sa lettre. Rousseau Rousseau « n'est pas l'homme l'homme des sublimes horreurs 127». 3) Le pict pictur ural alis isme me,, alor alorss prép prépon ondé déra rant nt dans dans la repr représ ésen enta tati tion on paysagère128, préside à la métamorphose, la peinture informe l'écriture, qui en adopte adopte les valeur valeurss optiqu optiques, es, pou pourr produ produire ire un tablea tableauu po poéti étique que:: «Ajoutez à tout cela les illusions de l'optique, les pointes des monts différemment éclairées, le clair-obscur du soleil et des ombres, et tous les accidents de lumière qui en résultaient le matin et le soir; vous aurez quelqu quelquee idée idée des scènes scènes contin continuel uelles les qui ne cessèr cessèrent ent d'atti d'attirer rer mon admiration, et qui semblaient m'être offertes en un vrai théâtre ; car la perspective des monts, étant verticale, frappe les yeux tout à la fois et bien plus puissamment que celle des plaines, qui ne se voit qu'obliquement, en fuyant, et dont chaque objet vous en cache un autre. » On se gardera d'ailleur d'ailleurss d'ou d'oublie blierr ceux qui, autant que les poètes, ont joué un rôle important important dans l'inventio l'inventionn de la montagne, montagne, en particuli particulier er auprès auprès des voyageurs anglais, de loin majoritaires, je veux parler des dessinateursgraveurs, Aberli, Rieter, Caspar Wolf, Wolf, les frères Linck, etc. C'est eux qui vont poursuivre l'ascension, inaugurant ce que Grand-Carteret appelle «la période des glacières129, « les glacières et non les sommets 130 ». J. GRAND-CARTERET, La GRAND-CARTERET, La Montagne..., op. cit., p. 378. Un signe presque caricatural de cette prépondérance nous est fourni fourni par l'article l'article «Paysage «Paysage » de l'Encyclopédie (vol. (vol. XII), XII), dû dû au au chevalier de Jaucourt, et qui ne traite que de tableaux : « C'est le genre de peinture qui représente les campagnes et les objets qui s'y rencontrent. » Double réduction:le paysage n'est plus qu'une campagne peinte. J. GRAND-CARTERFT, Op. cit., p. cit., p. 445. Ph. JOUTARD, L’Invention JOUTARD, L’Invention du Mont Blanc, op. cit., p. cit., p. 98. 127
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Le goût a changé et la consultation de l'Encyclopédie est, à cet égard, fort instructive. L'article « Glaciers ou Gletschers » (vol. VII), probablement probablement dû à d'Holbach, exprime bien l'avènement d'une nouvelle sensibilité, qui se hausse de plus en plus. Aucune définition, définition, mais, d'emblée, un jugement jugement esthétique : «Il n'est peut-être point de spectacle plus frappant dans la nature que celui des glaciers de la Suisse. » Suit la description de celui de Grindelwald, alors le plus célèbre (les « glacières » du Faucigny ne seront fréquentée fréquentéess que plus tard), que l'auteur, l'auteur, toutefois, toutefois, n'a jamais jamais vu. Il travaille en effet de seconde main et son article n'est, pour l'essentiel, qu'un résumé résumé enthou enthousia siaste ste de l'ouvr l'ouvrage age de J.G. J.G. Altman Altmannn (encor (encoree un nom prédestiné), «un traité des montagnes glacées et des glaciers de la Suisse» (1753). Voilà, selon notre encyclopédiste encyclopédiste en chambre, «un des plus beaux spectacles que l'on puisse imaginer dans la nature, c'est une mer de glace [... ]. Cet amas de pyramides ou de montagnes de glace ressemble à une mer agitée par les vents, dont les flots auraient été subitement saisis par la gelée, gelée, ou plutôt plutôt on voit voit un amphit amphithéâ héâtre tre formé formé par un assemb assemblag lagee immense de tours ou de pyramides hexagones. [... ] Cela forme un coup d'oe d'oeil il d'un d'unee beau beauté té merv mervei eill lleu euse se.. » L'ar L'arti ticl clee méri mérite tera rait it un long long commentaire, mais je me contenterai d'en relever les traits essentiels : le dithyrambe, qui prouve que la haute montagne e st devenue, fût-ce par oiiidire, une mode esthétique; et cette fusion de la montagne et de la mer, figées dans leur sublimité naissante ; la métaphore, enfin, des « pyramides » (à dix reprises dans l'article), un cliché architectural désormais récurrent, puisqu'on le retrouve chez Saussure - « de hautes pyramides » et de « grands obélisques » - et chez Kant qui, par oui-dire lui aussi, exalte la sublimité des Eispyramiden. des Eispyramiden. À ce degré degré de l'asce l'ascensi nsion, on, il semble semble bien que l'esprit l'esprit de conqu conquête ête,, scientifique et sportive, ait pris le relais de la sensibilité poétique. poétique. Il paraît que Haller, qui n'avait jamais parcouru le Faucigny, aurait conseillé à Saussure de s'y rendre. rendre. Le geste est symbolique. Au poète des Alpes, la nature, bienveillante, bienveillante, off-rait quelque quelque beau paysage. Au savant, qui s'est hissé beaucoup plus haut, elle fournit le plus sublime des laboratoires : «Le physicien, comme le géologue, trouve sur les hautes montagnes de grands grands objets d'admiratio d'admirationn et d'étude. d'étude. Ces grandes grandes chaînes, dont les sommets percent les régions élevées de l'atmosphère, semblent être le laboratoire de la nature et le réservoir dont elle tire les biens et les maux qu'elle répand sur notre terre, les fleuves qui l'arrosent, et les torrents qui la
ravagent, les pluies qui la fertilisent fertilisent et les orages qui la désolent. Tous les phénomènes de la Physique générale s'y présentent avec une grandeur et une majesté, dont les habitants de la plaine n'ont aucune idée 131 » On a laissé les peintres dans la vallée, ou à mi-pente. jusqu'aux glacières, ils pouvaient «composer », selon les modèles modèles consacrés. On le voit bien avec Aberli: «Vous ne savez pas encore combien et quels trésors la Suisse renferme pour nos pinceaux et nos crayons. [... ] D'un côté des scènes sauvages, plus terribles que partout ailleurs, à cause de la plus grande élévation de nos montagnes ; de l'autre, des belles plaines, assez étendues pour rappeler la vue des Pays-Bas, et même des marines sur les grands lacs, de sorte qu'un paysagiste peut trouver facilement des modèles pour des compositions dans tous les genres. Aussi, dans notre course, nous estil arrivé de nous écrier écrier tous les deux à la fois : Salvator Salvator Rosa! Poussin! Savari! Ruisdal [sic] ou Claude 132 1 » Étranges références, s'agissant de la montagne, mais qui confirment bien l'hégémonie de ces modèles picturaux dans la culture occidentale occidentale (voir plus haut). Et il suffit de lire les légendes, légendes, souvent bilingues, tourisme oblige, qui accompagnent les estampes, pour consta constater ter que ce pictur picturali alisme sme demeur demeuree prépon prépondér dérant ant aux yeux yeux des amateurs de paysages. Ainsi, pour cette View of the Source of the Arve, Drawn of the Spot and Painted by L. Belanger, Engraved by S. Meii got: « Les montagnes de neige qui sont celles d'Argentières d'Argentières et du Col Ferret, d'où sort l'Arve, ne sont pas les plus hautes du pays, mais elles se présentent de la manière la plus importante et forment avec les rochers du devant du tableau et les différentes différentes chutes, l'amphithéâtre le le plus magnifique. Il y a dans l'ensemble de cette scène, comme dans ses détails, une richesse et une grandeur qui surpassent tout ce qu'a produit l'imagination des Salvator Rosa et des Ruysdael [sic], et l'on y trouve cette proportion heureuse entre les parties du paysage, paysage, qui les fait ressortir ressortir mutuellement. Les glaciers donnent le caractère du pays, mais ne sont pas assez près de l'oeil pour nuire à l'harmonie du tableau, et après s'être livré à l'enthousiasme qu'une pareille scène ne peut manquer d'exciter sur tout homme sensible aux beautés de la nature, le spectateur, s'il est peintre, peut considérer cette vue vue d'après les règles de son art, et trouver un nouveau sujet d'admiration 133 » H.B. de SAUSSURE, Voyages dans les Alpes, cité par Ph. JOUTARD L'Invention du Mont Blanc, op. cit., p. cit., p. 126. Cité par J. GRAND-CARTERET, GRAND-CARTERET, La La Montagne..., op. cit., p. cit., p. 440. Cité ibid., p. ibid., p. 423 131
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Scénograp Scénographie, hie, fabulation, fabulation, picturalism picturalisme. e. Et toujours toujours cette distinction, distinction, fondamentale, du pays et du paysage. Mais il faut, justement, être peintre, pour passer de l'un à l'autre, intégrer le pays dans le cadre d'un paysage. Ces modèles, modèles, hélas, vont bientôt bientôt faire faire défaut. défaut. Sans doute, doute, comme le souligne Starobinski, « le souvenir des tableaux pittoresques, à la Salvator Rosa, a joué un rôle important important dans la découverte de de la montagne. L'oeil avait été instruit par la peinture 134 » ; mais tous ces noms, Salvator Rosa, Poussin, Savari, Ruysdael et Claude, invoqués par Aberli, sont désormais «surpassés», dès qu'on s'approche de la région supérieure. Il en va de même des peintres contemporains, incapables de paysager de paysager de tels pays, et Grand-Carteret, impitoyable, constate « la faillite de Vernet », « la faillite de la peinture 135 ». Une autre légende d'estampe - Vue de la Source du Trient et du glacier d'où il sort - est, à cet égard, significative, puisque le peintre s'y donne à lui-même congé «Les montagnes majestueus majestueuses es qui terminent terminent l'horizon l'horizon sont celles celles derrière derrière lesquelles lesquelles la Drance Drance prend sa source. source. Si on avance plus loin, loin, on ne voit plus que montagnes et vallées de neige et rocs de granit, et sans les traces de chasseurs de chamois on serait entièrement séparé de ce qui rappelle l'homme : alors les scènes, quoique sublimes, ne sont plus de nature à être rendues par le peintre 136 » Jean STAROBRNSKI, L’Invention STAROBRNSKI, L’Invention de la liberté, 1700-1789, Lausanne, Skira, 1964, p. 160. J. GRAND-CARTERET, La GRAND-CARTERET, La Montagne..., op. cit., pp. 466 et 490. S.Briffaud fait le même constat pour les Pyrénées : «L'artiste ne pourra ici que marcher sur les traces du savant. savant. Il est en retard dans ce monde monde neuf, que ses pinceaux ne sont pas exercés à rendre.» Gustave Doré «signe le renoncement quasi définitif de la peinture à servir de prolongement au regard du naturaliste» (art. cité, pp. 243 et 254). Cité par J. GRAND-CARTERET, GRAND-CARTERET, La La Montagne..., op. cit., p. 517. Même abdication, un peu plus tard, chez Pierre-Henri DE VALENCIENNES, dans ses Réflexions ses Réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage : « Les glaciers des Alpes et des Pyrénées sont très curieux pour les savants et les naturalistes. Ils n'offrent pas le même avantage avantage au peintre. Nous conseillons néanmoins aux jeunes artistes de les voir et même d'en faire quelques études, dont les détails pourront leur être utiles dans certaines occasions. Mais nous le répétons, c es phénomènes sont plus admirables que 134
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Cette faillite semble définitive, et c'est un événement considérable dans l'histoire des arts. Les peintres, sans doute, ne capitulent capitulent pas aussitôt, et l'on verra Tôppfer (en 1832) les rappeler à leurs devoirs : «Que cette poésie de la zone supérieure alpestre soit accessible à l'art, qui ne touche encore que bien timidement à ces scènes d'en haut... » Un an auparavant, dans ses Neuf ses Neuf Lettres sur la peinture de paysage, Carus assigne même au peintre une mission messianique, à la fois artistique et scientifique : révéler « l'histoire des montagnes ». «Avec quelle clarté cette histoire ne s'exprime-t-elle pas dans certaines strates et dans certaines formes de montagnes, montagnes, au point point d'imposer d'imposer,, même à l'ignora l'ignorant, nt, l'idée l'idée d'un d'unee telle telle histoire ! L'artiste n'est-il pas libre libre alors de mettre l'accent sur tout cela et de donner, en un sens supérieur, des paysages historiques ? Cet artiste viendra, j'en suis sûr! Un jour paraîtront des des paysages d'une beauté plus grande et plus significative que ceux qui ont été peints par Claude et par Ruysdael. Ce seront de purs tableaux de la nature, nature, mais de la nature vue avec l'oeil de l'esprit, apparaissant en eux dans une vérité supérieure, et la technique, toujours plus parfaite, leur apportera un éclat dont n'étaient pas capables les oeuvres antérieures. » Ce que veut Carus, c'est, dans l'esprit de Saussure et des Lumières, « un paysage véritablement géognosique » ou, comme il dit encore, « une physiognomonie des montagnes » 137 Combinons Combinons les deux voeux: accès à la zone supérieu supérieure re (Tôppfer) (Tôppfer) et «géognose » (Carus). C'est la photographie que que nous obtenons, et non pas la peinture de montagne qui, malgré le talent des Diday, Calame, Hodler et Segantini, ne cessera de décliner, avant d'être définitivement évincée par sa rivale rivale dans les publications publications scientifiq scientifiques ues et touristiques touristiques.. Les vrais disciples disciples de Saussure Saussure sont Braun, Bisson, Bisson, Martens, Martens, Civiale. Carus recommandait au « jeune peintre paysagiste» de « respecter les rapports qui harmonisent nécessairement certaines formes montagneuses avec la structure interne interne de leurs masses». Civiale souligne qu'il qu'il « recherchait recherchait naturellement les points les mieux placés pour faire ressortir la structure des roches roches,, la dispos dispositi ition on réguli régulière ère ou anorma anormale le des couche couches, s, les brisements ou plissements qu'elles présentent [... ], enfin toutes les
circonstances qui rendent aussi fructueux au géologue qu'intéressant pour le touriste le parcours des Alpes 138 ». Comment expliquer la séduction de ces photographies ? Paradoxe : c'est parce qu'ils se donnaient des objectifs scientifiques et se détournaient des modèles picturaux que les photographes de haute montagne sont devenus d'authentiques artistes, des inventeurs de paysages, même s'ils ont souvent - à commencer commencer par Civiale Civiale - prétendu prétendu le contraire. contraire. Nous qui avons avons les yeux grevés d'images, films, affiches, cartes postales, etc., nous avons peine à imaginer que les contemporains de Martens et Bisson n'avaient jamais vu ça. Certains pouvaient avoir aperçu la montagne, mais personne ne l'avait vue comme ça. Prenons Le Prenons Le Pic dazpiglia de Civiale (ill. 22). De Caspar Caspar Wolf à Calame Calame,, des dizain dizaines es de peintr peintres es ont représen représenté té des sommet sommets. s. Et voici cette cette pho photog tograp raphie hie qui les relègu relèguee tous tous dans dans la préhistoire des musées. Que s'est-il donc passé ? Ceci, tout simplement: la naissance du « paysage historique», où se perçoit, pour la première fois, la poussée du relief. Double impression: que le paysage vient à notre rencon rencontre tre,, qu'il i l surgit surgit sous sous nos yeux, yeux, par une sorte sorte de didact didactism ismee orographique, mais aussi que l'objectif a traversé la croûte du massif, pour le percer percer à jour. Géog Géognose. nose. Radiograph Radiographie ie du roc. roc. jamais jamais le le verbe verbe percevoir n'a pris un sens aussi actif, aussi aigu : percer pour voir. Qui oserait encore parler d'enregistrement routinier, d'«archives de la mémoire », selon la formule que Baudelaire, dans son Salon de 1859, applique à la photographie ? Si, comme j'essaie de le montrer, la fonction de l'art est d'instaurer, à chaque époque, des modèles de vision (et de comportement), alors Bisson (ill. 25), Civiale, Soulier (ill. 23 et 24), Donkin sont des artistes, puisque notre regard dépend encore, pour une large part, des « paysages historiques », qu'ils qu'ils ont créés, voilà plus d'un siècle.
pittoresques. Il faut par conséquent en user user avec modération. » Carl-Gustav CARUS, Neuf CARUS, Neuf Lettres sur la peinture de paysage, suivies de L’Esquisse d'une physiognomonie des montagnes, trad. fr. dans De dans De la peinture de paysage dans l'Allemagne romantique, Paris, Klincksieck, 1983, pp. 104-105 et 134-136.
Aimé CIVIALE, Rapport CIVIALE, Rapport présenté à l’académie des sciences et relatif à des études photographiques sur les Alpes, faites au point de vue de l'orographie et de la géographie physique, 1866. J'ai analysé analysé cette conquête finale de la montagne dans Montagne. Photographies de 1845 à 1914, Paris, Denoël, 1984.
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L'INVENTION DE LA MER 138
J'évoquerai plus rapidement l'invention de la mer, dont Alain Corbin, dans Le Tenitoire du vide139 , a retracé retracé les les étapes. étapes. De même même que la montagne s'échelonne en niveaux - hautes vallées, glaciers, sommets dont la conquête a été progressive (extension verticale), de même la mer se diversifie en figures - la grève, la dune, les falaises, le port., le grand large, la tempête, etc. -, dont l'appréciation esthétique suppose des regards variés, c'est-à-dire des modes d'artialisation différents. Le XVII ème siècle, orophobe, n'a pas ignoré ni abhorré abhorré la mer. Mais il s'ag s'agit it d'un d'unee mer mer proc procha hain ine, e, pais paisib ible le et comm commee appr appriv ivoi oisé sée, e, un prolongement de cette campagne, qui plaît au regard cultivé. Ainsi, précisément, de la Campanie, tôt visitée, surtout par les Anglais, et qui deviendra, au XVIII ème siècle, l'étape obligée de l'un de ces voyages pittoresques et pédagogiques, dont se délectent les Lumières. Là encore, e ncore, l'artialisation picturaliste picturaliste est de
22. « Pic d'Azpiglia d'Azpiglia »,Aimé Civiale, 1865, in Fr. Guichon, Montagne,p. 71.Collection, Socièté française de photographie 23. «Cabane des Grands-Mulets », Charles Soulier, vers 1860, ibid., p. ibid., p. 7 5 Collection Gerard Levy 24. « Le Welhorn et Wetterhorn à Rosenlaui », Charles Soulier, vers ibid., p. 74. Collection Gerard Levy 1860, ibid., p. 25. « Les séracs des Bossons», frères Bisson, 1862, ibid., p. ibid., p. 6 1 Collection, Socièté française de photographie règle, avec des noms qui nous sont désormais familiers, Poussin, Claude et Salvator Rosa, mais souvent enrichis de références littéraires, virgiliennes en particuli particulier. er. Il en va de même pour les Pays-Bas, Pays-Bas, où Scheveningen Scheveningen constitue, dès le milieu du XVII èmesiècle, un paysage, une mer artialisée
A. CORBIN, Le CORBIN, Le Territoire du vide, op. cit. La critique de P. CAMPORESI, Les Belles Contrées, op. cit., « La mer et le littoral », pp. 1 1 3 et sq., me paraît peu pertinente. 139
par une picturalisation intense, les marines de Van Goyen, Ruysdael, et bien d'autres. Ce que le XVIII ème siècle apporte, c'est, pour l'essentiel, une autre autre vision vision de la mer, mer, violen violente, te, sauvag sauvage, e, grandi grandiose ose,, d'un d'un mot: mot: sublime. Elle suppose une autre modélisation, où le peintre, peintre, en haute mer comme en haute montagne, découvre ses limites et doit céder la place au pouvoir de l'écriture l'écriture et, plus tard, de la photographie photographie et du film. À la fin du XVI ème siècle et au début du XVIII ème siècle , hormis quelques sites pittoresques, comme ceux que l'on vient d'évoquer, la mer en est encore encore à ce que j'ai j'ai nommé le degré degré zéro du paysage paysage.. Les témoignages abondent et Corbin leur a justement consacré son chapitre initial, « Les racines de la peur et de la répulsion ». « Dans le Télémaque, qui n'est que succession de scènes de rivages, la plage, lieu de la fuite, des naufrages, des pleurs nostalgiques, est aussi le théâtre privilégié des adieux et des plaintes déchirantes [ ... J. À l'aube du XVII,ème siècle, Daniel de Foe synthétise et réaménage ces images néfastes du rivage. [... ] La plage n'est plus ici que le théâtre des catastrophes dont elle conserve la trace 140» À l'ennui de Montesquieu, traversant les Alpes, et qui, décidément accablé, souffre d'un «mal de mer épouvantable » entre Gênes et Porto Venere, fait écho, en 1739, l'abattement du président de Brosses, parti d'Antibes pour rallier Gênes, un «abattement de l'esprit tel que l'on ne daignerait pas tourner la tête pour sauver sa vie 141 ». Cette répulsion n'est est pas seulement physique. physique. Elle s'autorise de de raisons religieuses. Comme la montagne, et plus encore sans doute, la mer est liée à la malédiction. Visage et vestige du Déluge. «L'océan «L'océan apparait alors, alors, selon selon les auteur auteurs, s, comme comme l'inst l'instrum rument ent de la pun puniti ition on et, dans dans sa configuration actuelle, comme la relique de la catastrophe 142. » De même que pour le «pays affreux », la conquête esthétique de cette mer maléfique suppose suppose donc une opération opération négative négative et purgative purgative,, la dissolutio dissolutionn des A. CoRBiN, CoRBiN, Le Territoire du vide, op. cit., pp. 24 et 26. Le Télémaque de Fénelon est de 1669, Robinson 1669, Robinson Crusoe de 1719. 140
Président DE BROSSES, Journal du voyage en Italie, cité par A. CORBIN, ibid., p. ibid., p. 29. 141
Ibid., p. Ibid., p. 29.
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préjugés qui grèvent le regard. regard. Dans cette double histoire - ascension ascension de la montagne, extension de la mer - deux dates ont valeur de symbole. 1761 : La Nouvelle Héloïse, mais aussi les poèmes d'Ossian-Macpherson, Fingal et Temora (1760-1763). « Le rivage calédonien s'oppose radicalement à la scène arcadienne. arcadienne. En Occident s'opère opère un renouvellement renouvellement complet des images de la mer 143» 1787: ascension du mont Blanc par Saussure et Balmat, mais aussi Paul aussi Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. Tout se passe comme si l'artialisation cheminait de conserve, ou plutôt au même rythme, dans les deux dimensions, l'altitude et le large, avec, faut-il s'en étonner, la même passation de pouvoir pouvoir de la peinture à l'écriture. l'écriture. On a vu la «faillite » de Vernet Vernet dans la haute montagne. Elle est moindre en haute mer. Ses Tempêtes, comme celles de Loutherbourg, ont joué un rôle incontestable dans l'éducation des regards. «Leurs marines, clairs de lune, soleils couchants, tempêtes et naufrages accoutumèrent les visiteurs des Salons à unir les beautés violentes ou lumineuses des vagues à "l'horreur sublime" sublime" des montagnes montagnes144. » Cette Cette influence influence ne saurait saurait pourtant pourtant être comparée à celle de Bernardin de Saint-Pierre, qui annonce, au siècle suivant, les grands écrivains écrivains de la mer, Chateaubriand, Hugo, Hugo, Melville. Là aussi se dessine, bien avant l'invention de la photographie, le déclin de la peinture figurative, évincée de ces paysages où elle se sent, en quelque sorte, dépaysée, ou plutôt dépaysagée, et comme condamnée à la nature proche, et bientôt l'abstraction, seule en mesure, sans doute, de rivaliser avec les mots.
et la préfigure dans le regard cultivé, et, plus précisément, comment le sublime a été produit, dans ce même regard, par la rencontre des deux paysages récents, la montagne et la mer, comme le suggèrent l'article « Glaciers » de l'Encyclopédie et le commentaire de Mornet sur les marines de Vemet et Loutherbourg. Il y a une histoire histoire du sublim sublimee occid occident ental, al, que les spéciali spécialiste stess font font commencer commencer en 1674 1674,, date de la traduction traduction par Boileau Boileau du traité traité Du Sublime, du Pseudo-Longin. Pseudo-Longin. Même si l'on peut contester la distinction distinction traditionnelle d'un sublime rhétorique (Longin-Boileau) et d'un sublime « naturel145 », il n'en demeure pas moins qu'une mutation s'est effectuée au XVIII ème siècle. siècle. «lm 18. Jahrhunde Jahrhundert rt erweitert erweitert sich der Begriff Begriff des Sublime auf das Sublime dans les choses (Marmontel)146»: Le concept du sublime s'élargit au « sublime dans les choses ». J. Chouillet n'a donc pas tort d'affirmer que l'esthétique des Lumières « a gagné l'acquisition d'une catégorie nouvelle, le sublime » - même si le mot n'est pas nouveau -, mais on ne saurait saurait soutenir soutenir que « l'initiati l'initiative ve [... revient revient à Burke Burke 147», qui recueille, en effet, l'héritage d'une assez longue tradition, dont l'origine remonte à la fin du siècle précédent, avec l'apparition d'une sensibilité paradoxale, une sorte de fascination mêlée de répulsion en face de la montagne. Ainsi, chez Madame de Sévigné, Sévigné, qui, d'ordinaire, exprime exprime son aversi aversion on pou pourr tout tout ce qu quii n'est n'est pas la campag campagne, ne, celle de Livry Livry en particulier (toujours la proximité de la ville). Le Rhône, tumultueux, et d'autant plus périlleux pour la navigation, lui est odieux (lettre à M" de Grignan du 3 mars 1671). Elle redoute les les « grosses vagues », de même Le traité du Pseudo-Longin fait déjà mention d'un sublime naturel : « De là vient que, par une sorte de penchant naturel, notre admira tion, par
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DU BEAU AU SUBLIME
Chaque Chaque paysage paysage a son langage langage.. Si l'idylle l'idylle arcadie arcadienne nne trouve trouve normalement le sien dans les compositions claudiennes, la défection de celles-ci est manifeste dès qu'il s'agit d'exprimer le sublime, qui fut, dans les dernières décennies du siècle, le paysage par excellence, mais aussi la catégorie catégorie dominante dominante de l'esthétiq l'esthétique ue nouv nouvelle, elle, au point point d'y supplant supplanter er parfois le beau. Genèse exemplaire : on voit comment l'invention d'une notion, ou sa réinvention, dépend d'une gestation artistique, qui la précède
Zeus, ne va pas aux petits fleuves, en dépit de leur transparence et de leur utilité, mais au Nil, au Danube ou au Phin, et bien plus encore à l'Océan 3 la petite flamme allumée par nous, qui conserve la pureté de son éclat, nous frappe moins encore que les feux célestes, bien que souven souventt l'obsc l'obscuri urité té les atteig atteigne, ne, et elle elle mérite mérite moins moins notre notre admiration que les cratères de l'Etna» (Du Sublime, XXXV, 4). Peter-Eckhard KNABE, Schlüsselbegriffe des kunsttheoretischen Denkens in Frankreich, Düsseldorf, Schwann, 1972, p. 452. cit., p. 169. J. CHOULLET, L’Esthétique des Lumières, op. cit., p. 146
Ibid., p. Ibid., p. 150. D. MORNET, Le MORNET, Le Sentiment de la nature..., op. cit., p. 290.
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que les Alpes, « dont les chemins chemins sont plus étroits que vos litières litières »
(lettre à Mme Mme de Grignan du 2 juin juin 1672). Et pourtant, à la fin de sa vie, elle manifeste une émotion étrange et prémonitoire : «Nos montagnes sont charmantes dans leur excès d'horreur; je souhaite tous les jours un peintre pour bien représenter l'étendue de toutes ces épouvantables beautés » (lettre à M. de Coulanges du 3 février 1695). Mais ce sont les Anglais qui vont s'engager résolument dans cette voie condui conduisan santt au sublim sublimee et à sa théori théorisat sation ion par Burke, Burke, don dontt le vrai vrai précurseur est John Dennis, dans sa fameuse lettre de Turin, du 2 octobre 1688, qui relate sa traversée de la Savoie et son franchissement du mont Aiguebele Aiguebelette tte : un « spectacle spectacle horribl horriblee » (a honid prospect), mais qui procure « une horreur délicieuse » (a delightful horror), «une « une joie terrible » (a terrible joy), deux oxymores qui feront feront bientôt fortune. D'abord avec Addison, qui évoque à son tour, en 1702, « l'agréable horreur » des montagnes, et, dix ans plus tard, dans le célèbre Spectator, « l'exquise horreur » de l'océan puis avec Shaftesbury 148 ; avec Burke, Burke, enfin, qui, en 1757,, conceptual 1757 conceptualise ise l'oxymore l'oxymore,, pou pourr mieux opposer opposer la catégorie catégorie du sublime, sublime, alors naissante, naissante, à celle du beau, encore prévalent prévalente. e. Le beau procure du plaisir (pleasure), plaisir (pleasure), le sublime une délectation (delight) : « Non pas du plaisir, mais une sorte d'horreur délicieuse, une sorte de tranquillité teintée de terreur 149 » (not pleasure, but a sort of delightful hor-ror, a sort of tranquility tinged with terror). Il ne Il ne s'agit pas d'une différence de degré, mais d'une d'une opposition opposition de nature. La campagne campagne est belle, « plaisante plaisante », «Dans Les «Dans Les Moralistes, Rhapsodie philosophique, Shaftesbury s'avoue conquis par le sublime des lieux sauvages, les hautes montagnes et les gouffres et explique l'étrange plaisir qu'ils nous donnent à la fois par leur beauté intrinsèque, par l'attestation d'une finalité supérieure de la nature, par le sentiment de la présence du temps qui laisse les traces de son déploiement à travers la diversité des couches géologiques, et enfin par les symboles qu'ils nous présentent de la puissance divine. » (Baldine SA@ GIRONS, Avant-propos à sa traduction de la Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau de Bu@, Paris, Vrin, 1990, p. 30). Le texte de Shaftesbury est de 1709. 1709. E. BURKE, Recherche BURKE, Recherche philosophique..., op. cit., p. cit., p. 179. 148
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l'océan est sublime, « terrifiant ». « Une plaine très unie et d'une vaste étendue n'est assurément pas une médiocre représentation ; la perspective peut s'en étendre aussi loin que celle de l'océan; mais remplirat-elle jamais l'esprit d'une idée aussi imposante ? Des nombreuses causes de cette grandeur, la terreur qu'inspire inspire l'océan est la plus importante. La terreur est en effet dans tous les cas possibles, d'une façon plus ou moins manifeste ou implicite, le principe du sublime 150 » Cette distinction sera aussitôt reprise par Kant dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1 7 64) : « L'aspect d'une chaîne de montagnes, dont les sommets enneigés s'élèvent au-dessus des nuages, la description d'un ouragan ou celle que fait Milton du royaume infernal, nous y prenons un plaisir mêlé d'effroi. effroi. Mais la vue de prés parsemés de fleurs, de vallées où serpentent des ruisseaux, où paissent des troupeaux, la description de l'Élysée ou la peinture que fait Homère de la ceinture de Vénus nous causent aussi des sentiments agréables, mais qui n'ont rien que de joyeux et de souriant. souriant. Il faut, pour être capable capable de recevoir recevoir dans toute sa force la première impression, posséder le sentiment du sublime, et pour bien goûter la deuxième, le sentiment du beau151. » C'est pourquoi, tandis que les femmes ont le sentiment du beau, les hommes ont celui du sublime. sublime. Car ce dernier dernier ne réside pas dans l'objet l'objet naturel, naturel, mais dans la disposition subjective de celui qui qui le juge, d'où sa fonction éthique. éthique. Quoi qu'il en soit, il me semble que les commentateurs de Kant n'ont pas assez souligné souligné la fonction fonction génétique génétique et générique générique des exemples. Il est, à cet égard, remarquable que les deux passages les plus spectaculaires de la Critique de lafaculté de juger (1791), ceux où la doctrine kantienne du sublime trouve ses formules les plus fortes, associent justement la mer et la montagne, désormais inséparables et comme confondues dans la même vision, mer de glace et montagnes houleuses : «D'où l'on voit que le vrai sublime n'est-qu'en l'esprit de celui qui juge et qu'il ne faut point le chercher dans l'objet naturel, dont la considération suscite suscite cette disposition disposition du sujet. Qui appellerai appelleraitt donc sublimes des masses montagneuses sans forme, entassées les unes sur les autres en un sauvage désordre, avec leurs pyramides de glace (Eispyramiden), ou bien encore la sombre mer en furie (die düstere tobende See) ? [... ] Des rochers Ibid., pp. Ibid., pp. 98-99. KANT, Observations sur le sur le sentiment du beau et du sublime, Paris,Vrin, 1969, pp. 18-19.
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se détach détachant ant audacieu audacieusem sement ent et comme comme un unee menace menace sur un ciel ciel où d'orageux nuages s'assemblent et s'avancent dans les éclairs et les coups de tonnerre, des volcans en toute leur puissance dévastatrice, les ouragans que suit la désolation, l'immense océan dans sa fureur (der grenzlose Ozean in Empôrung gesetzt), les chutes d'un fleuve puissant, etc., ce sont là choses qui réduisent notre pouvoir de résister à quelque chose de dérisoire en comparaison de la force force qui leur appartient. appartient. Mais, si nous nous trouvons trouvons en sécurité, le spectacle est d'autant plus attrayant (anziehend) qu'il est plus terrifiant (furchtbar) ; et nous nommons volontiers ces objets sublimes, parce qu'ils élèvent les forces de l'âme au-dessus de l'habituelle moyenne et nous font découvrir en nous un pouvoir de résistance d'un tout autre genre, qui nous donne le courage de nous mesurer avec l'apparente toute puissance de la nature152. » NAISSANCE DU DÉSERT DÉSERT
On pourrait multiplier multiplier les exemples de telles inventions. inventions. Notre siècle les prodigue et sa fécondité, en ce domaine, est presque sans limites, puisqu'il n'est guère d'en d'entités tités géographiqu géographiques es qui n'aient n'aient accédé accédé ou n'accèden n'accèdentt aujourd'hui à la dignité paysagère. À commencer par la forêt, longtemps hostile dans l'imaginaire occidental, mais que l'hygiénisme du XIX 153 ème et l'écologisme du XX ème ont idéalisée avec, comme toujours, le renfort décisif des représentations artistiques (l'école de Barbizon pour la forêt de Fontainebleau, etc.), au point que, selon une enquête récente., elle est en passe de supplanter la mer et la haute montagne dans la prédilection des Français. Mais aussi d'autres lieux, lieux, qui ne bénéficient pas, comme la forêt, de la plus-valu plus-valuee chlorophylien chlorophylienne ne du « vert » (voir plus loin), tel le marais154, naguère jugé malsain, au point d'être systématiquement asséché, et qu'on réhabilite à présent, pour des raisons non seulement écologiques, - KANT, Critique de la faculté de juger, op. cit., §§ 26 et 28. Voir les travaux de Bemard KALAORA, en particulier Le Le Musée vert. Radiographie du loisir enforêt, Paris, Anthropos, Anthropos, 198 1, rééd. rééd. Paris, L'Harmattan, 1993 .Voir .Voir le magnif magnifiqu iquee ouvrag ouvrage, e, pub publié lié sous sous la direct direction ion de Pierre Pierre DONADIEU,Paysages de marais, marais, Paris, Jean-Pierre de Monza, 1996. 152 153
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mais esthétiques. Jusqu'à la friche, qui, qui, aux yeux de certains, certains, est en passe d'acquérir une valeur paysagère... Sans oublier, bien sûr, tous les paysages que la microphysique et l'exploration spatiale nous découvrent, ou plutôt nous inventent, et qui, sans doute, relèvent, pour l'essentiel, des progrès technologiques, mais ne s'inscriraient jamais dans le regard collectif s'ils n'étaient pas médiatisés, artialisés, comme le montrent à l'évidence, pour les paysages sous-marins, les films de Cousteau et Le Grand Bleu de Luc Besson, Besson, ou, pour les paysages paysages planétaires, planétaires, les productio productions ns du space art américain américain et les oeuvres de science-fi science-fiction ction.. Pour ne pas évoquer les « paysages virtuels », dont les premières applications pratiques peuvent sembler décevantes, mais dont l'avenir, en revanche, paraît illimité. On doit, dès lors, se demander ce que peut bien signifier la question, chère aux Cassandres écologistes, de la «mort du paysage », alors que nous assistons au contraire à sa prolifération pléthorique, au point qu'il faudrait plutôt redouter la saturation et s'interroger sur la capacité de nos pauvres regards à absorber tous les modèles qu'on lui fournit. J'y reviendrai à la fin de ce chapitre, mais je voudrais, auparavant, me pencher sur un dernier exemple, exemple, celui du Désert, Désert, qui illustre, d'une façon façon particul particulièrem ièrement ent didactique et spectaculaire, la transformation d'un pays en paysage. Partons, comme d'habitude, de ce que j'appelle le degré zéro du paysage, en l'occurrence le pays le plus ingrat, inhospitalier et justement déserté, hormis par les nomades et quelques quelques fous érémitiques. Chantal Dagron et Mohamed Kacimi ont magnifiquement décrit la répulsion dont le désert a, depuis l'aube l'aube des temps, temps, fait l'objet: « D'Hérodo D'Hérodote te à Flaubert, Flaubert, de Strabon à Nerval, quiconque foulera le pays regardera seulement ce que l'index pharaonique lui enjoint, depuis trois mille ans, de voir: le Nil, le Nil seul. jamais le désert qui l'entoure 155» Le regard biblique n'est pas foncièrement différent, même si le désert s'y voit investi d'une fonction initiatique et purificatrice, étrangement attachée au nombre quarante : la traversée du désert par par le peuple hébreu dure quarante quarante ans. Le jeûne de Jésus au désert dure quarante jours (le désert aquatique du Déluge avait déjà déjà duré duré quaran quarante te jours jours ... ). La vision vision islamiqu islamiquee est encore encore plus plus négative. On l'a vu avec le paradis paradis coranique, qui qui exalte l'ombre et les les liqueurs, tandis qu'il relègue les damnés dans la foumaise du désert. « Le Coran, comme s'il voulait cacher à sa terre natale, l'Arabie, à quel point Chantal DAGRON et Mohamed KACIMI, Naissance KACIMI, Naissance du désert, Paris, Balland, 1992, p. 38. 155
son sol était stérile, taira l'existence du désert. "Nous avons fait de l'eau toute chose vivante", dit Dieu Dieu à son Prophète. Prophète. Né du désert, désert, l'islam l'islam s'affi=era complètement complètement amnésique au désert. Il s'agissait de libérer les les Arabes de l'emprise des sables, de leur donner une terre promise, envers abso absolu lu de la leur leur.. [... [... ] L'is L'isla lam m aura aura do donc nc réus réussi si à exor exorci cise ser r spirituellement le désert, et temporellement à le dépasser. À peine le Prophète Prophète était-il était-il mort, que La Mecque Mecque se vidait. vidait. Ce qu'il redoutait redoutait le plus était, disait-il, que son peuple ne retournât un jour au désert. L'islam s'empressa alors de quitter son berceau et alla s'établir sur les rives de l'Euphrate, du Tigre et du Guadalquivir. À Bagdad, Damas et Grenade156 » Cette érémophobie, analogue analogue à l'orol'oro- et à la thalassop thalassophobi hobie, e, nagu naguère ère évoquées, va perdurer au fil des siècles. «Pays affreux », », s'il en fut. La colonisati colonisation on française française ne lance, lance, au Sahara, Sahara, que de rares rares expéditio expéditions, ns, toujours aventureuses, souvent malencontreuses, et parfois malheureuses (l'épopée pathétique pathétique de René Caillé). Il faudra attendre le xx' siècle, siècle, avec les progrès de la mécanisation (la célèbre « mission Citroën ») et, surtout, la décou découver verte te des gisemen gisements ts pétrol pétrolifè ifères res,, puis puis l'esso l'essorr du touris tourisme me « ascétique», pour que le Sahara, emblématique pour le regard occidental, de pays qu'il était, réservé aux nomades et aux « aventuriers » (Ch. de Foucau Foucauld, ld, Psicha Psichari, ri, Peyré, Peyré, SaintSaint-Exu Exupér péry, y, etc.), etc.), devien devienne ne enfin enfin un paysage. Pas n'importe lequel, il est vrai. Michel Roux a parfaitement démontré que le pays qui fut élu en paysage n'est pas prépondérant au point de vue géographique, géographique, bien au contraire : alors que le reg, « une surface surface plane, de faible faible déclivité, déclivité, couverte couverte d'un dallage de cailloux cailloux mélang mélangés és avec avec du sable sable gross grossier ier,, du limon limon ou de l'arg l'argile ile », «est «est incontestablement la forme dominante des déserts 157», il est supplanté, dans l'imaginaire occidental, par l'erg, une formation sableuse, souvent barrée de sioufs, dunes à arêtes sinueuses, importante, certes (80 000 km2 pour le grand erg occidental), mais nullement prépondérante. C'est ainsi que «la dune est devenue la forme paysagère emblématique 158 ». « Le Le Ibid., pp. Ibid., pp. 46-47. On ne peut cependant exclure exclure une certaine mystique mystique du désert, si «Sahara » (AI-sahra) signifie «désert », « ocre», «brûlant », mais aussi « vérité ». ». Michel Roux, Le Roux, Le Désert de sable. Le Sahara dans l'imaginaire des Français (1900-1994), (1900-1994), Paris, L'Harmattan, 1996, p. 8. Ibid., p. 1 0. 156
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sable est une métonymie du Sahara 159». «Il n'est de désert que de sable 160 » Le reg est resté un pays tandis que l'erg devenait un paysage (il convient cependant de lui adjoindre les reliefs tabulaires, hamadas et tassilis, qui ont bénéficié, eux aussi, dans une une moindre mesure, d'une « promotion » paysagère). Comment Comment expliquer expliquer cette hégémonie hégémonie du sable sable 161, qui caractér caractérise ise non seulement seulement les catalogue cataloguess touristiq touristiques ues «I-es «I-es prix des randonné randonnées es sont pratiquement proportionnels proportionnels à la quantité de sable 162 » -, mais aussi les ouvrages pédagogiques et scientifiques, tant pour l'iconographie que pour le texte texte ? J'incl J'incline ine à croire croire,, comme comme Michel Michel Roux, que la sélect sélection ion,, l'élection de l'erg au détriment du reg, même chez les géographes qui n'ignoren n'ignorentt pou pourtant rtant pas la prépondérance prépondérance du second second sur le premier, premier, s'effectue par la projection esthétique du modèle marin (dune et vague), déjà en place dans le regard occidental, une artialisation sans doute plus ou moins consciente dans la littérature savante, mais tout à fait délibérée dans le discours touristique. «Lorsque l'on recense les métaphores marines, on est frappé par leur nombre, leur constance et leurs similitudes chez tous les auteurs. [...L'erg est pour tous un océan de dunes ; avec ses îles, ses archipels, avec ses rivages battus par les flots 163. » Ibid., p. 1 1 Ibid., p. Ibid., p. 67. Michel Roux rapporte les résultats d'une enquête qu'il a effectuée auprès de trois cents élèves d'un lycée : «Tous étaient censés avoir étudié le milieu désertique. La première question les invitait invitait à énumérer des types paysagers du Sahara. Le dépouillement s'est révélé révélé particulièrement particulièrement significatif: les mots erg, dune et sable représentaient 79 % des références lexicales, alors que le mot reg et reg et les expressions qui peuvent y faire allusion comme plaine caillouteuse n'en représentaient que 4,3 % » (op. cit., p. cit., p. 8). Un étudiant chilien, chilien, Daniel Pardo, m'a relaté naguère naguère une anecdote symptomatique, à propos propos du désert d'Atacama. Si l'on interroge les enfants et les adolescents des villes éloignées sur la représentation qu'ils s'en font, ils évoquent des dunes, des oasis et des palmiers, totalement absents de ce désert. Ibid., p. Ibid., p. 14 1 Ibid., p. Ibid., p. 49. Voir aussi les tableaux des pages pages 124 et 125, particulièrement édifiants. édifiants. Même hypothèse «marine ») chez chez Virginie COSTANZA, dans son mémoire de D.E.A.: Le D.E.A.: Le Désert, premier voyage, 159 160
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On pourra pourrait it effect effectuer uer une enquêt enquêtee compar comparabl ablee à propo proposs du désert désert améric américain ain.. «Ce «Ce n'est n'est qu'au a u XIX ème siècle siècle qu quee l'esp l'espace ace sauvag sauvagee (wilderness), aux États-Unis, en est venu à être célébré comme paysage 164 » John Dixon Hunt souligne, de son côté, que la transformation de ce pays en paysage ne s'est pas faite d'un coup et que l'Amérique a dû se forger ses propres modèles d'artialisation, aussi bien in visu qu'in situ (voir plus haut la prédilection du Land Art pour Art pour le désert), et renoncer, peu à peu, aux modèles hérités de la vieille Europe (Poussin, Claude, Salvator Rosa), de plus en plus obsolètes au fur et à mesure qu'on s'avançait vers l'ouest. « Dans la vallée de l'Hudson, au nord de la ville de New York, des peintres s'évertuèrent à réaliser le paysage en des termes empruntés à la peinture paysagiste européenne - à Poussin, voire à Salvator Rosa - mais, et c'est signif significa icatif tif,, face face au paysag paysagee immens immense, e, démesu démesuré, ré, irréd irréduct uctibl ible, e, leur leur tentative a échoué. échoué. Plus loin, bien sûr, sûr, les plaines du Centre-Ouest, Centre-Ouest, les déserts occidentaux, les montagnes Rocheuses, tout surpassait même le sublime européen dans la colossale imprécision, imposant ainsi au peintre un défi impossible 165 » « Robert Frost et Wallace Stevens évoquent un paysage sans ordre, stérile, gris, désertique, informe, un pays "qui se vaguely ely realising realising westwards, westwards, "sans réalise réalise vagu vaguement ement vers l'ouest", l'ouest", vagu histoire, sans art, sans parures", unstoiied, artless, unenhanced 166 . » Là encore, on trouve de beaux exemples de ce que j'appelle l'artialisation dernier paysage, École d'architecture de Paris-la-Villette Paris-la-Villette et E.H.E.S.S. , 1992. Augustin BERQUE, 3Paysage, milieu, histoire », dans Cinq propositions pour une théorie du paysage, Seyssel, Champ Vallon, 1994, p. 28. Berque renvoie au livre livre de R. NASH, Wilderness and the Ameiican Mind, New Mind, New Haven et Londres, Londres, Yale University Press, 1973. J. D. HUNT, « Le paysage américain est-il devenu non européen ? », art. cité cité (p. 43 n. 2), p. 64. Yves BERGER BERGER renoue renoue avec la tradition tradition européenne lorsqu'il artialise les mesas américaines : « Celles qui, dans le désert de sable plissé comme vagues, vagues, sont des amers. Celles qui, près de Chama Chama à la fronti frontière ère du Colora Colorado, do, s'écar s'écarten tentt pou pourr qu quee le voy voyage ageur ur découvre des prairies de soleil inondées, où paissent des vaches agrestes, et vous traversez alors, dans l'Amérique soudain abolie, un tableau de Daubigny... » (La Merre et le Saguaro, Paris, Grasset, 1990, p. 23). 164
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Article cité, p . 61.
« perver perverse se » - ce qui n'enlève n'enlève rien à son efficac efficacité ité et ne saurai sauraitt la condamner au nom de je ne sais quelle éthique, dont l'esthétique n'a que faire -, quand l'art, contre toute objectivité (mais laquelle ?), impose sa sentence sentence à la réalité. C'est C'est ainsi que le désert du western, western, ce paysage paysage emblématique, est une pure invention hollywoodienne : «Les lieux où se sont déroulés les événements qui sont les arguments du western et qui sont ceux qui ont marqué la formation de la nation américaine ne sont pas situés là et ne correspondent pas à ceux qui ont été utilisés comme décor naturel. [... 1 Autrement dit, le paysage type, devenu modèle de référence sans cesse repris et imité, en somme la convention, correspond à des lieux et à des paysages qui ne furent pas le théâtre des événements de la conquête conqu ête de l'Ouest l'Ouest167 » Quelles Quelles raisons raisons commerciale commerciales, s, culturelle culturelles, s, esthétiqu esthétiques, es, ont inspiré le choix choix des producteurs producteurs et réalisate réalisateurs urs ? je l'ignore. Quoi qu'il en fût, c'est ce paysage-là, paysage-là, qui, par le truchement truchement de l'illusion cinématographiqu cinématographique, e, s'est imposé au regard planétaire. MORT DU PAYSAGE ? Que veut dire «mort du paysage ? » Ce fut, voilà une quinzaine d'années, le titre, interrogatif, d'un ouvrage collectif, désormais historique 168 J'ai déjà partiellement répondu à cette question, dans la mesure où je suis convaincu que, loin de s'appauvrir, notre vision paysagère ne cesse de s'enrichir, au point que cette exubérance - chaque décennie nous livre désormais son lot de nouveaux paysages, où l'art et la technique se prêtent un mutuel appui - risque de nous crever les yeux et de provoquer, avec la satiété, la nostalgie d'un temps où, seule, la campagne bucolique, chère à certains écologistes, avait droit de cité (j'allais dire de cécité) dans notre regard esthétique. Mais je voudrais reprendre reprendre cette question de façon plus plus radicale en recourant, une fois encore, à l'outil théorique dont je me suis muni, la doub double le articulat articulation: ion: pays/paysa pays/paysage, ge, d'un d'unee part, artialisa artialisation tion in situlin visu, d'autre part. Michel FOUCHER, « Du désert, paysage du western », Hérodote, 7,1977 7,1977,, pp. 131-132, 131-132, repris dans La Théorie du paysage en France (19741994), op. cit., p. cit., p. 74. 167
Mort du paysage ? op. cit. (supra chap.I )
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1) In si situ. Le consta constatt de décès décès signif signifier ierait ait qu quee nou nouss avons avons effectivement détérioré, sinon détruit nos paysages traditionnels, réduits, par nos agressions et notre incurie, à l'état de «pays ». L'entretien du territoire rural est de moins en moins assuré par les agriculteurs, malgré quelques incitations, au demeurant équivoques (voir plus haut), avec, à l'horizo l'horizon, n, l'extension l'extension de la friche. Il en va de même pour nos villes, villes, et surtout leurs abords, zones industrielles saturées de panneaux publicitaires, malgré la loi de 1979, banlieues sinistres, «mitage », «r-urbanisation », litanie habituelle. 2) In visu. vi su. La question se pose tout autrement: disposons-nous des modèles qui nous permettraient d'apprécier ce que nous avons sous les yeux ? Non, semble-t-il. semble-t-il. Nous serions, serions, devant devant nos villes et même nos campagnes, dans le même dénuement perceptif (esthétique) qu'un homme du XVII ème face à la mer et la la montagne. C'est un « affreux pays », qui ne suscite que la répulsion. C'est de la conjonction de ces deux facteurs - détérioration in situ, déréliction in visu - que procède la crise crise actuelle du paysage. paysage. Mais est-elle aussi grave ? je crois qu'elle trahit surtout la sclérose de notre regard, qui veut du vieux (rappelons-nous le beau texte de Proust sur l'artiste oculiste), et le recours nostalgique à des modèles bucoliques, plus ou moins périmés, des paysâge paysâges, s, des paysâg paysâgés. és. Nou Nouss ne savons savons pas encore encore voir nos complexes industriels, nos cités futuristes, la puissance paysagère d'une autoroute. À nous de forger les schèmes de vision, qui nous les rendront esthétiques169 Pour l'heure, nous nous complaisons dans la crise, mais c'est peut-être de cette délectation délectation critique que sortiront les modèles de demain. Je suis suis,, à cet cet égar égard, d, très très impr impress essio ionn nnéé par par le vo volu lume me Paysages Photographies - naguère publié par la Datar 170. Ce bilan des années quatre-vingt est symptomatique : peu de paysages ruraux, ou «naturels », mais, en revanche, revanche, une prédilect prédilection ion insistante insistante pour la décrépitu décrépitude de : décharges, gravats, terrains vagues, banlieues ouvrières, cités sinistrées,
usines usines désaffectées désaffectées,, etc. Même les dunes sont sont souillées souillées de déchets. Paysages Paysages du dé, de la déception déception,, de la déjection. déjection. Faut-il Faut-il imputer imputer aux responsab responsables les de l'ouvrag l'ouvragee une volonté volonté délibérée délibérée de dé-payser dé-payser,, de dé paysager, au sens violent, brutalement défectif, du préfixe ? J'ai demandé son avis à Lucien Lucien Chabason Chabason,, alors alors chef chef de cabine cabinett du minist ministre re de l'Environnement. Il m'a répondu: « C'est l'anti-chromo. anti-chromo. Mais il n'y a pas lieu de se choquer quand les artistes expriment quelque chose d'aussi fort. C'est leur rôle. Ils sont, comme toujours, en avance sur nous, ils anticipent anticipent notre expérience171» J'admets volontiers, avec Lucien Chabason - mais aussi quelques autres: Adorno, Francastel, Mac Luhan, etc. -, que l'art exerce cette fonction d'anticipation172. Mais je crois plutôt que les photographies de la Datar sont des paysages critiques, au double double sens sens du terme. terme. Oui, Oui, mort du paysage traditionnel: l'anti-chromo, l'antiCorot. À cet égard, le bilan est loin d'être aussi négatif qu'un survol de l'ouvrage pourrait le laisser croire, n'y voyant qu'un étalage de l'abjection l'abjection contemporaine. La laideur n'est jamais définitive, jamais irréparable, irréparable, et l'histoire nous montre que l'art peut toujours toujours la réduire, réduire, la neutralise neutraliser, r, la métamorpho métamorphoser ser 173. E.S. Casey Casey n'évoque n'évo que « l'insistan l'insistance» ce» et « la rudesse rudesse du prosaïqu prosaïquee » - « Without shadows, without magnificence / Theflesh, the bone, the dirt, the stone » que pour mieux souligner combien «ces "choses" mêmes peuvent devenir poétiques ; n'importe quel visage de la nature a la possibilité permanente d'être vu comme poétique, surtout lorsqu'il est visé à travers le poème 174 ». La chair, l'os, la crasse, la pierre, comment ne pas songer à nos banlieues lépreuses, et aux corps humiliés qui s'acharnent à survivre ? Ce qui ne signifie pas qu'il faut laisser la crasse et la pierre en l'état et se contenter de la «poétiser». «poétiser». Le constat, constat, dans sa gravité poétique, poétique, dit au contraire contraire l'urgence d'élaborer un nouveau système de valeurs et de modèles qui nous permettra d'artialiser in situ, comme in visu, « l'affreux pays » que nous sommes voués à habiter. Reste à savoir s'il ne s'agit s'agit que d'un voeu pieux, pieux,
Faut-il aller jusqu'à forger les schèmes du chaos, comme j'ai cru pouvoir m'y aventurer, aventurer, dans un autre contexte, contexte, il est vrai, avec « Éloge du désordre», Chaos-Harmonie-Existence, École d'architecture de ClermontFerrand, 1992 ? KASUO Shinohara vantait, naguère, « la beauté du chaos », dans «Villes, chaos, activités », Cahiers du C.C.I, n' 5, 1988. Paysages Photographies. En France les années quatre-vingt. Mission photographique de la Datar, Paris, Hazan, 1989.
Lucien CHABASON, « Entretien avec Alain Roger», dans Maîtres dans Maîtres et protecteurs de la nature, Seyssel, Champ Vallon, 1991, p. 319. Alain ROGER, Art ROGER, Art et anticipation, Paris, Carré, 1997. J'ai développé cette thèse thèse d'une « rédemption» de la laideur laideur par l'art dans Nus dans Nus et Paysages, op. cit., chap. VI,, « La laideur», pp. 217-269. E.S. CASEY, « Le poétique», Revue poétique», Revue d'esthétique, 1966, p. p. 321. Les deux vers cités sont de Wallace Stevens.
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ou s'il s'il nous nous est possib possible le de décele décelerr les signes signes avantavant-cou coureu reurs rs d'une d'une modélisati modélisation on prochaine, prochaine, bref, bref, si nous sommes en mesure mesure de prévoir l'avenir. je ne m'y hasarderai pas et me contenterai, modestement, de rassembler quelques indices, de relever quelques traces, de suivre quelques pistes. La première est celle qu'a ouverte Francastel, voilà plus de quarante ans. À la place de l'espace euclidien, il voyait chez les peintres (d'où les limites de sa prospe prospecti ctive) ve) la gestat gestation ion de nou nouvea veaux ux espace espaces, s, au demeur demeurant ant hétérogènes : espaces-courbes, espaces-forces, espaces polysensoriels, etc. « Notre Notre époqu époquee s'efforce s'efforce d'acquér d'acquérir ir une sorte sorte d'ex d'expéri périence ence directe directe des forces forces de la nature. nature. On cesse de considérer considérer que l'univers l'univers soit fait pour pour l'homme-roi, à son image, et que la figure de la terre soit, par hypothèse, la figure du monde. On abandonne l'idée l'idée que l'univers est l'agrandissement l'agrandissement à l'infini du cube scénographique au centre duquel se déplace l'hommeacteur. La figuration de l'espace cesse d'être une une description pittoresque et décora décorativ tivee pour pour deveni devenirr un enregi enregistr streme ement nt de gestes gestes ou d'act d'action ionss élémentaires et de sensations éprouvées sur le plan de la conscience, en fonction de l'accord des différents sens. [... ] Qui ne voit que nous sommes tout près de parvenir à exprimer des sensations familières à l'homme qui vole, à l'homme qui fait surgir jusqu'au contact de la raison les jeux complexes de son inconscient ? Figuration spatiale moderne, figuration spatiale fondée sur l'analyse de réflexes, figuration psycho-physiologique et non plus optique au sens euclidien du terme 175 » Cette analyse me paraît tout à fait transposable à celle du paysage. L'invasio L'invasionn de l'audiov l'audiovisuel isuel,, l'accélér l'accélération ation des vitesses, vitesses, les conq conquêtes uêtes spatiale et abyssale nous ont appris et obligés à vivre en de nouveaux paysages, souterrains, sous-marins, aériens : on trouve déjà de belles pages, chez Nadar, sur l'ivresse de la «photographie «photographie aérostatique » ; des paysages plus dynamiques : Proust, voilà près d'un siècle, découvrait [inventai [inventaitt ... ] le paysage « en voiture voiture » ; des paysages sonores sonores (les soundscapes de Murra Murrayy Schafe Schaferr et les créati créations ons de JeanJean-Fra Franço nçois is Augoyard) ; olfactifs (Nathalie Poiret), et bien d'autres registres, encore inexplorés, sinon insoupçonnés ; des paysages plus agressifs aussi, que le P. FRANCASTEL,Peinture et Société, op. cit., pp. cit., pp. 198-199. «Il semble probable que notre notre époque ouvre l'âge d'une une exploration polysensorielle polysensorielle du monde», ibid., p. ibid., p. 212 175
cinéma nous impose, à l'opposé du mythe arcadien, chère à la vieille Europe. La seconde piste est celle du palimpseste. je suis frappé par la récurrence de ce thème aujourd'hui. aujourd'hui. François Dagognet Dagognet le développait naguère au centre centre GeorgesPompi GeorgesPompidou. dou. Michel Michel Conan fait, à son tour, « l'élo l'éloge ge du palimpseste », qu'il oppose au «panoramique », mis en place par la Renaissance: «Les formes modernes d'appréciation du paysage font une part croissante à cette exploration de la nature construite ou plus ou moins cultiv cultivée ée en l'abo l'aborda rdant nt comme comme un palimp palimpses seste te surcha surchargé rgé d'écri d'écritu tures res multiples 176. » Et c'est, de nouveau, cette idée que l'on retrouve chez Bemard Bemard Lassus, celle d'un « paysage paysage mille-feuil mille-feuilles les », détenant détenant mille couche couchess et mille mille profon profondeu deurs, rs, optiqu optiques, es, haptiq haptiques ues,, kinest kinesthés hésiqu iques, es, coenesthésiques, mémorisées, imaginaires, etc. 177 Comment Comment nommer nommer cette concrétio concrétionn dynamique, dynamique, cette cette condensati condensation on polysensorielle, cette constellation virtuelle ? Il me semble parfois que, si je l'inventais, ce vocable, je serais, avec humour, humilité, pareil à celui qui, jadis, quelque part dans les Flandres, réinventa Landschap, et que ce court traité pourrait changer de titre ou, du moins, s'enrichir d'un petit essai d'art-fiction paysagère ... VOYAGE ET PAYSAGE
Le dépaysement
Michel CONAN, « Éloge du palimpseste», dans Hypothèses dans Hypothèses pour une troisième nature, Londres, Coracle Press, 1992, p. 51. Bemard LAssus, « Pour une poétique du paysage. Théorie des failles », dans Maîtres dans Maîtres et protecteurs de la nature, ap. cit., p. cit., p. 253. « Le Paysage doit être interprété comme un palimpseste» un palimpseste» (Marcel RONCAYOLO, « Le paysage du savant », dans Les dans Les Lieux de mémoire, t. II, La II, La Nation, Paris, Gallimard, 1986, p. 517). 176
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Exilé au bord du Pont-Euxin en 8 après J.-C., pour avoir (c'est le chef d'accusation officiel) écrit son scandaleux Art d'aimer, sans doute aussi pour avoir été l'amant de Julia, fille d'Auguste, et pour bien d'autres raisons encore, Ovide se lamente en ces termes : « Exercent illi sociae commercia linguae «(Ils usent ensemble d'une langue commune») Per gestum res est significanda mihi »(je »(je dois me faire faire comprendre comprendre par gestes gestes ») Barbarus hic ego, qui non intelligor ulli « (Le barbare ici, c'est moi, qui ne suis compris de personne »)178. Cette formule d'Ovide - Barbarus hic ego -, il convient, me semblet-il, de l'étendre au voyage, quand celui-ci est vécu comme exil, dépayseme dépaysement, nt, déréliction. déréliction. On se sent perdu, à l'abandon, l'abandon, privé de ses repères habituels, condamné à une sorte d'autisme, cette perte du contac contactt vital vital avec la réalit réalité, é, don dontt parlen parlentt les psychia psychiatre tres. s. La « barbarie » n'est pas seulement, ni essentiellement linguistique : même même si nou nouss maîtri maîtrison sonss à peu près la langue langue indigène indigène,, nou nouss pouvons nous sentir rejetés, tel un corps étranger, faute des modèles cultur culturels els qui nous permet permettra traien ientt d'appr d'appréci écier er le pays pays ou, tout tout simplement, de l'appréh l'appréhender ender.. C'est ce dépaysement dépaysement que je voudrais voudrais évoquer brièvement, car il constitue la contre-épreuve (douloureuse) de la thèse exposée dans ce livre, et comme le revers de l'artialisation.
L,'AUTISME DU DÉNUEMENT
La première forme d'autisme d'autisme est celle du dénuement. Nous espérions un paysage et ne trouvons trouvons que du pays, c'est-à-dire l'ennui, ennui, ou l'inquiétude, l'inquiétude, sinon l'hostilité. l'hostilité. Dépaysés ? Mieux vaudrait dire « empaysés », réduits réduits à ce pays, ce sale pays sans paysage. Nous ne sommes pas dépaysés, mais dépaysagés. Rappelons-nous la lassitude de Montesquieu, traversant le Tyrol, et cet « affreux païs » (Chamonix), (Chamonix), stigmatisé par le malheureux malheureux Le Pays, dans sa lettre du 16 mai 1669. D'où l'importance du tourisme, tourisme, cet art de voyager, puisque l'itinéraire est organisé, artialisé à coups de modèles
picturaux, littéraires, littéraires, etc. Dès le XVII ème, le voyage en Italie Italie est un pèlerinage, où l'on doit doit retrouver les poètes latins latins (Virgile) et les peintres peintres «romains » (Claude Lorrain). Lorrain). Au siècle suivant, le voyage dans dans les Alpes sera (voir plus haut) inspiré inspiré de Rousseau, Aberli et Saussure. Il en va de même du « voyage pittoresque », tel qu'il est organisé par Gilpin 179, dans les dernières années du siècle. Le guide touristique est d'abord abord un viatique artistique, un manuel d'artialisation. d'artialisation. On comprend, dès lors, l'étonnement l'étonnement de ces voyageurs cultivés, quand ils se heurtent au béotisme local, j'écrirais volontiers volontiers bé-autisme, l'autisme du regard vide, celui du «bon paysan savoyard (dont (dont parle M. de Saussure) qui n'était pas pas sans bon sens et traitait de fous tous les amateurs de montagnes de glace, sans hésiter. 180 »
L'AUTISME DU DÉPLACEMENT
Il existe une seconde forme d'autisme, plus complexe et plus irritante. Le regard n'est pas vide, mais incongru, l'artialisation n'est pas déficiente, mais inadéquate. je me suis déplacé, mais, ironie du voyage, tous mes modèles sont... déplacés, en porte à faux, un malentendu, ou plutôt un malvu incessant. Me voilà, tel un benêt découvrant découvrant avec stupeur que que ses devises n'ont plus cours ou que ses chèques de voyage ne sont pas deviser avec ce pays-là! négociables. Non, je ne peux deviser avec pays-là! Tel Rimbaud, dans « Adieu », « je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! 181 ». Oui, paysan: celui qui ne voit rien, rien d'esthétique en tout cas, voué qu'il est au labeur taciturne. «Mais pas une main amie! et où puiser le secours?», Barbarus hic ego, «je ne sais plus parler 182 », c'est-à-dire dialoguer avec le paysage. Qui n'a souffert cette infortune, cette injustice, à l'idée qu'on avait tout prévu, alors qu'on ne voit rien, en tout cas rien qui corresponde à ce qu'on envisageait, qu'on exigeait en quelque sorte, comme un dû culturel ? je me William GILPIN, Trois Essais sur le beau pittoresque, Paris, Éd. du Moniteur, 1982. Kant, Critique de la faculté de juger, op. cit., § 29 . Arthur RIMBAUD, Une saison en enfer, « Adieu ». Ibid., « Matin » 179
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OVIDE, Tristes, livre V, x, 37.
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souviens souviens de mon premier séjour séjour en Flandre. Flandre. C'était C'était en juillet 1976, 1976, journées caniculaires, j'aurais dû me méfier, différer ce voyage... Bruges, chauffée à blanc, éclatante au soleil, n'avait évidemment rien à voir avec Bruges-laMorte, le roman de Rodenbach, qui était mon viatique, et que je recherchais en vain, abruti de chaleur, dans l'eau sans âme des canaux. Ostende ensuite, cauchemar cauchemar esthétique. Rien à voir, là non plus, plus, avec la chanso chansonn de Léo Ferré, Ferré, «comme «comme à Ostend Ostende, e, sous sous la pluie. pluie..... ». Ville Ville asphyxiée, calcinée, sinistrée, et toute la Belgique Belgique se réduisait au « plat pays » de Brel, mais au sens indigent de cette cette locution. J'ai un illustre devancier, Théophile Gautier, accourant en Flandre, «au pourchas du blond », à la recherche d'un Rubens incarné (La Toison d'or). « Voilà qui est convenu, se dit-il dit-il en sortant de la galerie, j'aimerai j'aimerai une Flamande. Comme Tiburce était l'homme l'homme le plus logique du monde, il se posa ce raisonnement tout à fait victorieux, à savoir que les Flamandes devaient être beaucoup plus communes en Flandre qu'ailleurs, et qu'il était urgent pour lui d'aller d'aller en Belgique, au pourchas du blond. Ce Jason d'une nouvelle espèce, en quête d'une autre toison d'or, prit le soir même la diligence de Bruxelles. [ ] Mais pas une seule blonde; s'il avait fait un peu plus chaud, il aurait pu se croire à Séville. [ ] Voyant que Bruxelles n'était peuplée que d'Andalouses au sein bruni, ce qui s'explique du reste aisément par la domination qui pesa longtemps sur les Pays-Bas, Tiburce résolut d'aller à Anvers. [ ] Il s'enfonça bravement au coeur de la vieille ville, cherchant le blond avec une ardeur digne des anciens chevaliers d'aventures. [ ] Tiburce, espérant trouver dans la classe inférieure le vrai type flamand et populaire, entra dans les tavernes et les estaminets.» En vain, et le lendemain, à l'auberge: «Mein Herr, voilà le déjeuner de vous, dit une vieille négresse hottentote, servante de l'hôtel, en posant sur un guéridon un plateau chargé de vaisselle vaisselle et d'argenterie. A,h ça ! j'aurais dû aller en Afrique pour trouver des blondes, grommela Tiburce en attaquant son beefsteak d'une façon désespérée. [ ] Il ne fut pas plus heureux que la veille veille ; de brunes ironies, ironies, débo débouchan uchantt de toutes les rues, lui jetaient jetaient des sourires sournois et railleurs.
impatience et condense son « lyrisme transcendantal transcendantal », avant qu'il ne rencontre enfin Gretchen, Madeleine incarnée, qu'il se hâte d'enlever, pour l'installer à Paris, c'est plus sûr. Mais, «devinant entre elle et son amant une rivale invisible », elle acceptera de poser, se transformant ainsi en un «tableau vivant », selon l'heureuse expression de Gautier, et rejoignant ainsi, dans l'histoire littéraire, la Gillette de Balzac (Le Chefdoeuvre inconnu) et la Christine de Zola Zola (L'Oeuvre). Certes, il s'agit là d'un visage plus que d'un paysage, mais la mésaventure est analogue, quelle quelle qu'en soit l'issue, l'issue, heureuse heureuse ici, par la grâce du romancier. romancier. J'ai éprouvé la même déception, lors de mon premier pèlerinage à Illiers, le Combray de Proust. J'avais prévu la Vivonne, Vivonne, les trajets légendaires, et je n'apercevais qu'un ruisseau pas très propre, je suivais tristement un circuit « Marcel Marcel Proust », lequel lequel n'avait, n'avait, hélas, hélas, plus grand-ch grand-chose ose « à voir » avec les deux « côtés » de Méséglise et de Guerinantes. Guerinantes. Descendons d'un degré, pour évoquer le tourisme contemporain, qui mise, plus que jamais, sur l'exotisme l'exotisme et le dépaysement. dépaysement. En réalité, réalité, ce qu'on vend au client, n'est, le plus souvent, qu'une camelote frelatée, un paysage de pacotille, made in Europe. Il est convenu qu'on trouvera là-bas la « terre promise » (par l'agence), du prêt-à-vivre et prêt-à-voir, paysage assuré, lagon et cocotiers (ou leurs équivalents), pour plus de sûreté on le fabrique et l'isole sur place (le club), un ghetto touristique, dehors c'est danger dangereux eux,, c'est c'est du sale sale pays, pays, avec avec des mendia mendiants nts,, des voleur voleurs, s, la poussière, la misère. On vous y conduira, si vous le désirez, en car climatisé, pour faire quelques emplettes, mais soyez vigilants et retour à seize heures. Il faut parfois beaucoup beaucoup de courage et d'ascèse pour récuser ce néo-colonialisme touristique et revenir au «pays», dans ce qu'il peut avoir de plus pauvre à nos yeux: se barbariser en quelque sorte et se purger le regard, au risque de la cécité, pour essayer de voir ou, du moins, d'entrevoir un autre paysage, tout en sachant qu'il nous faudra toujours quelque modèle, exotique ou indigène, pour paysager ce pays-là.
L'Inde, l'Afrique, l'Amérique défilèrent devant lui, en échantillons plus ou moins cuivrés... » Rassurons-nous : Tiburce sera bientôt ébloui par la « Madeleine » de la Descente de Croix de Rubens, nouvelle médiation artistique, qui fixe son
Il existe enfin une troisième forme d'autisme, non plus par défaut, ni déplacement, mais par excès, pléthore, pléthore, intempérance esthétique. esthétique. Pourquoi partir, si je risque de ne trouver, en Flandre, que de «brunes ironies » ? Pourquoi ne pas rester chez moi, où l'art me prodigue à l'envi et sans
L'AUTISME DU RENONCEMENT
efforts les plaisirs les plus fins, sinon les plus forts ? Pourquoi m'exiler, quand quand je peux peux voyage voyagerr à domici domicile le et me délect délecter, er, sans sans dommag dommages es (I'indigêne), de tous les paysages ? je connais un esthète qui ne va plus à Rouen : la cathédrale est tellement plus belle dans les épiphanies de Monet! De cet autism autismee parado paradoxal xal,, puisqu puisquee l'excè l'excèss condui conduitt à l'abs l'abstin tinenc ence, e, Huysmans nous a donné la figure emblématique : des Esseintes, le héros d' À À rebours, cloîtré dans son fortin de Fontenay et entouré de ces essences enceintes, ces esseintes183 que sont sont les oeuvres oeuvres d'art. d'art. Anémié, Anémié, il doit pourtant se résoudre à sortir et choisit l'Angleterre, sous l'influence de Dickens. Dickens. Il n'ira n'ira pas très très loin: loin: jusqu'à jusqu'à la la « Bodega Bodega « , une taverne taverne anglaise, mais rue de Rivoli. « Il rêvassait, évoquant, devant devant la pourpre des portos remplissant les verres, les créatures de Dickens qui aiment tant à les boire, peuplant imaginairement la cave de personnages nouveaux, voyant ici les cheveux blancs et le teint enflammé de monsieur Wickfield; là, la mine mine flegma flegmatiq tique ue et rusée rusée et l'oeil l'oeil implac implacabl ablee de monsie monsieur ur Tulkinghom, le funèbre avoué de Bleakhouse. [... ] La ville du romancier, la maison maison bien bien éclair éclairée, ée, bien bien chauff chauffée, ée, bien bien servi servie, e, bien bien close, close, les bouteilles lentement versées par la petite Dorrit, par Dora Copperfield, par la soeur de Tom Pinch, lui apparurent naviguant ainsi qu'une arche tiède, dans un déluge de fange et de suie. » À quoi bon poursuivre ce voyage, dont il ne peut résulter que de «cruelles désillusions », comme lorsque des Esseintes « avait quitté Paris et visité les villes des Pays-Bas, une à une. [... ] Il s'était figuré une Hollande d'après les oeuvres de Teniers et de Steen, de Rembrandt et d'Ostade, se façonnant d'avance, à son usage, d'incomparables juiveries aussi dorées que des cuirs de Cordoue par le soleil; s'imaginant de prodigieuses kermesses, de continuelles ribotes dans les campagnes ; s'attendant à cette bonhomie patriarcale, à cette joviale débauche célébrée par les vieux maîtres. » D'où cette décision fort sage : «En somme, j'ai éprouvé et j'ai vu ce que je voulais éprouver éprouver et voir. voir. je suis saturé de vie anglaise depuis mon départ; il faudrait être fou pour aller perdre, par un maladroit déplacement, d'impérissables sensations 184. » J'ai tenté d'analyser cette étonnante condensation dans Nus dans Nus et Paysages, op. cit., pp. cit., pp. 288 et sq., et dans « Glose pour des Esseintes », dans Huysmans, Cahiers de l’Herne, Paris, 1985. Joris-Karl Huysmans, À rebours, chapitre XI, souligné souligné par moi. Ce «maladroit déplacement » serait aussi celui que j'ai évoqué dans la section 183
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J'avais commencé tristement ce chapitre, avec Ovide, se lamentant au loin. je le termine plaisamment avec Huysmans, se régalant at hom homee de l'Angleterre. Et pour y demeurer quelques quelques instants encore, je conclurai conclurai avec cette cette jolie jolie réflex réflexion ion d'Osca d'Oscarr Wilde, Wilde, qui s'y connai connaissa ssait it en voy voyage agess domestiques : «Les japonais sont, comme j'ai dit, tout simplement une forme de style, une une exquise fantaisie artistique. artistique. Et ainsi, si vous désirez désirez voir des effets japonais, vous ne vous ferez pas voyageur, vous n'irez pas à Tokyo. Tokyo. Au contraire, contraire, vous resterez resterez chez vous, et vous vous plongerez plongerez dans l'étude de certains artistes japonais ; puis, quand vous aurez assimilé l'esprit de leur style et bien assimilé leur méthode imaginative de vision, vous irez quelque après-midi vous asseoir dans le Parc ou encore dans Piccadilly; et si vous ne pouvez voir là des effets absolument japonais, vous n'en verrez nulle part 185. » PAYSAGE ET ENVIRONNEMENT
On consid considère ère comme allant allant de soi que le paysag paysagee fait fait partie partie de l'environnement, dont il constituerait l'un des aspects, l'une des espèces, et qu'il i l mérite mérite donc, donc, lui aussi, aussi, d'êtr d'êtree protég protégé, é, comme comme on se doit doit de sauvegarder l'environnement. l'environnement. Cette position, qui paraît de bon sens, est aussi fallacieuse dans son principe que pernicieuse dans ses effets. À strictement parler, le paysage paysage ne fait pas « partie » de l'environnement. l'environnement. Ce dernier est un concept récent, d'origine écologique, et justiciable, à ce titre, d'un traitement scientifique. scientifique. Le paysage, quant à lui, est une notion plus ancienne, d'origine artistique (voir plus haut), et relevant, comme telle, telle, d'un d'unee analyse analyse essentiellemen essentiellementt esthétiqu esthétique. e. Lorsque Lorsque le biologist biologistee Haeckel (1 866) invente le mot Oekologie, c'est un concept scientifique qu'il i l veut produire produire.. Lorsqu Lorsquee Môbius Môbius (1877) (1877) forge forge le concept concept de précédente. Oscar WILDE, Le WILDE, Le déclin du mensonge,op;cit., mensonge,op;cit., pp 310-311 185
biocébose-, et Tansley (1935) celui d'écosystème, d'écosystème, qui va bientôt féconder toutes toutes les théor théories ies de l'envi l'environ ronnem nement ent,, ce sont sont des préocc préoccup upati ations ons scientifiques qui animent ces pionniers, et l'on ne voit pas comment de tels concepts seraient applicables au paysage, sinon par une réduction de ce dern dernie ierr à son son socl soclee natu nature rel. l. Il convie convient nt donc donc de distin distingu guer er syst systém émat atiq ique uemen mentt ce qu quii a trai traitt au pays paysag agee et ce qu quii relè relève ve de l'environnement. l'environnement. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas articuler ces deux termes termes,, bien bien au contra contrair iree ; mais mais cette cette articu articulat lation ion passe par leur dissociation préalable. préalable. Tel est l'objet de ce chapitre. chapitre.
LA « RÉDUCTION » DU PAYSAGE PAYSAGE Partons de cette confusion, confusion, pour mieux la dissiper. Mon propos n'est pas pas d'instruire le procès de ceux qui, en toute bonne foi, l'entretiennent, faute de temps, d'attention ou d'outils théoriques théoriques appropriés. Les analyses qui suivent, si critiques soient-elles, n'ont qu'une fonction didactique, exempte de toute intention polémique. Prenons pour premier exemple le Plan national pour l'environnement, publié en juin 1990 par Lucien Chabason et Jacques Theys, un travail d'ailleurs remarquable, mais qui traduit la difficulté, pour les « hommes de l'enviro l'environneme nnement nt », nourris nourris d'écolog d'écologie, ie, de s'élever s'élever à ce qu'o qu'onn pourrait pourrait appeler l'autonomie paysagère : PROTECTION DE LA NATURE ET POLITIQUE DU PAYSAGE
Les textes votés depuis vingt ans, les structures créées pour les appliquer appliquer ont singulièr singulièrement ement rapproché rapproché ces deux notions, l'une l'une biologique, l'autre esthétique. esthétique. Ainsi les parcs nationaux et naturels régionaux, le conservatoire du littoral visent à protéger et à gérer à la fois biotopes et paysages remarquables. Les lois de protection votées votées après la décentralisation, décentralisation, loi sur la montagne et loi sur le littoral, opèrent également cette articulation. Enfin la recherche scientifique scientifique avec le développement développement de « l'écologie du paysage» va dans le le même sens186. Lucien CHABASON et Jacques THEYS, Plan THEYS, Plan national pour l'environnement, l'environnement, 1990, p. 95. 186
1. Ce texte est tout à fait symptomati symptomatique. que. Il n'ignore n'ignore pas (et c'est déjà beaucoup) la distinction des valeurs biologiques et esthétiques. Mais tout se passe comme s'il voulait la réduire au profit, bien sûr, des premières, plus objectives. C'est sans doute ainsi qu'il faut comprendre la référence finale et «scientifique » à « l'écologie du paysage », une vieille connaissance, puisque ce monstre conceptuel apparaît - et ce n'est peut-être pas un hasard - sous la plume du bio-géographe allemand Troll en 1939 (Landschaftôkologie), avant d'essaimer dans les pays de l'Est et dans la pensée anglo-saxonne (landscape ecoloe). J'ignore, quant à moi, ce que veut dire « écologie du paysage », sinon ceci : l'absorption l'absorption du paysage dans sa réalité physique, la dissolution de ses valeurs dans les variables écologiques, bref sa naturalisation, alors qu'un paysage n'est jamais naturel, mais toujours culturel. culturel. Dès lors, et si positives que soient les propositions du Plan, elles restent prisonnières d'une conception patrimoniale du paysage: ce qu'il faut sauvegarder. Il est manifeste que le ministère ministère de l'Environnement, lorsqu'il lorsqu'il se soucie soucie du paysage, ne peut guère développer développer une autre autre stratégie : « De nouveaux instruments financiers financiers devraient concourir à la préservation des paysages187 . » Préserver quoi ? Pourquoi ? Au nom de quoi ? Faut-il figer la France en un musée du paysage ? Mon second exemple est emprunté emprunté au « rapport Carrère Carrère » - Transports destination 2002. Le débat national -, dans la version qui m'a été remise en 1992. Ce rapport rapport sur les transports transports avait été commandé commandé à Gilbert Carrère par le ministre de l'Équipement (alors Paul Quilès), dont la lettre était fort explicite, puisque tout un paragraphe y recommandait la plus grande grande attention attention à l'environn l'environnement ement et au paysage. paysage. Or, si le « rapport rapport d'étap é tapee » (avr (avril il 19 1992 92)) po port rtee enco encore re qu quel elqu ques es trac traces es de cett cettee recommandation, au chapitre VI «Transport et environnement »), qui fait allusion au fameux 1 % affecté au paysage sur les tronçons d'autoroutes non concédées concédées (dispositi (disposition on élargie élargie depu depuis is lors) lors) et se demande, demande, avec pertinence, «comment mesurer une atteinte au paysage » (alors qu'une atteinte à l'environnement est au contraire quantifiable), le rapport final, Ibid., p. Ibid., p. 155. Souligné dans le texte.
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dans ses « Recommandations pour l'action », au demeurant excellentes à bien des égards, reste totalement muet sur le problème du paysage, qui s'est en quelque sorte volatilisé au souffle du printemps. je n'ai, en effet, rele relevé vé qu qu'u 'une ne seul seulee appa appari riti tion on du mot mot « pays paysag agee », et elle elle est est significative : Le débat national a été dominé par l'idée générale que la tarification ne jouait pas son rôle d'équilibre et que l'ensemble du secteur des transports était sous-tarifé : elle ne prend en compte ni les coûts sociaux (sécurité, santé, qualité de la vie ... ), ni les coûts à long terme de la prés préser erva vati tion on du patr patrim imoi oine ne natu nature rell (cli (climat mats, s, éner énergi gies es renouvelables, qualité de l'air, de l'eau, des paysages ... ), ni parfois même le véritable coût classique 188. Pauvre paysage, exilé entre parenthèses, en queue de liste, et noyé dans le souci conservateur et naturaliste de l'environnement: la préservation du patrimoine naturel. Mais qu'en est-il est-il des définitio définitions ns « officiell officielles es » ? La consultati consultation on des dictionnaires et encyclopédies est, à cet égard, instructive. instructive. Prenons, par exemple, l'article l'article « Paysages » de l'Encyclopedia Universalis. Première indication : cet article porte en sous-titre et entre parenthèses le mot «environnement». «environnement». Il est clair que, d'emblée, le paysage paysage est postulé comme sous-ensemble de l'environnement, et que la réduction écologique ne va pas tarder. C'est ce que confirme la première section de l'article, « Paysages et écologie. Ambiguïtés du paysage », due due à deux spécialistes éminents, Patrick Blandin et Maxime Lamotte, qui ne manquent pas de « regretter » ces «ambiguïtés». «ambiguïtés». Comment s'en débarrasser? débarrasser? En évacuant les valeurs subjectives, liées à la perception, pour se réfugier dans l'écologie, ce havre d'objectivi d'objectivité. té. D'où la référence référence obligée aux pères fondateurs, fondateurs, Tansley et Lindeman, et au concept d'écosystème, bientôt relayé par celui d'écocomplexe, forgé par nos deux auteurs: «Ce terme évite les ambiguïtés du mot "paysage", car il désigne une catégorie de systèmes écologiques considérés sans aucune référence aux phénomènes de perception. » On reste confondu. confondu. Certes, les « ambiguïtés » sont levées, mais à quel prix ! L'escamotage du paysage. Qu'en subsiste-t-il, subsiste-t-il, en effet, quand on l'a séparé de sa perceptio perceptionn ? Toute l'histoire l'histoire du paysage paysage occidental, occidental, aussi bien Rappor-t Carrère, p. Carrère, p. 61.
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qu'extrême-oriental, le montre à l'évidence : le paysage est d'abord le produit d'une opération perceptive, c'est-à-dire une détermination socioculturelle. On apprécie d'autant plus le correctif apporté par Jean-Robert Pitte, dès le début de la section suivante, « Paysages et géographie » : « En se situant à l'encontre de toute position naturaliste et quantitative, on peut dire que le paysage est la réalité de l'espace terrestre terrestre perçue et déformée déformée par les sens et que son évolution repose entièrement entre les mains des hommes qui en sont sont ses ses héri hériti tier ers, s, ses ses aute auteur urs, s, ses ses resp respon onsa sabl bles es.. » Il s'agit a git malheureusement d'un «concept flou » (les «ambiguïtés » ... ) et, comme on le sait, les géographes sont divisés, d'où la « nécessité d'une synthèse », dont la géographie culturelle fait ordinairement les frais, parce qu'on veut toujours en revenir aux «valeurs sûres » (entendez : objectives), celles de la géographie physique. Contre les écologues, je dirai qu'un paysage n'est jamais réductible à un écosystème. écosystème. Contre Contre les géog géograph raphes, es, qu'il ne l'est pas davantage davantage à un géosystème. Si décevante, en apparence, que que soit cette proposition, proposition, il faut pourtant la soutenir sans faiblesse : le paysage n'est pas un concept scientifi scientifique. que. En d'autres d'autres termes, il n'y a pas, il ne saurait saurait y avoir de science du paysage, ce qui ne signifie pas, bien au contraire, qu'aucun discours cohérent ne peut être tenu à son sujet. UN PEU D'HISTOIRE...
Il ne suffit pas de dénoncer cette confusion réductrice, il faut se donner les moyens d'y remédier, et deux décennies de réflexion théorique m'ont convai convaincu ncu qu'uune ne généal généalogi ogiee des concep concepts ts était, était, en ce do domai maine, ne, indispensable. Elle nous révèle en effet effet que le paysage et l'environnement l'environnement ont des origines et des histoires différentes, qui devraient assurer leur autonomie respective. Le fait que, depuis près d'un d'un siècle, au nom de la rigueur scientifique, la géographie et l'écologie aient voulu s'approprier, et comme phagocyter le paysage, n'enlève rien à l'irréductibilité esthétique de celui-ci, et nous impose, au contraire, de réfuter cet écolonialisme et cette géophagie, si l'on me permet ces néologismes, et de contenir l'écologie, comme la géographie, dans les limites de leur compétence.
Il convient d'abord de rappeler que le paysage, nos paysages, sont des acquisitions relativement récentes. je n'y reviendrai pas, puisqu'elles ont fait l'objet l'objet des précédents précédents chapitre chapitres. s. Quelle Quelle que soit la modalité modalité de l'artialisation, in situ ou in visu, le paysage est toujours une invention historiqu historiquee et essentiell essentiellement ement esthétiqu esthétique, e, comme l'attesten l'attestentt tous les dictio dictionna nnaire iress jusqu' jusqu'à la fin du XIX ème siècle siècle : « Sur tous les qualificatifs rattachés à paysage, les plus fréquents sont: beau (19 fois sur 33 définition définitions), s), riche, riant, riant, agréable, agréable, délicieux. délicieux. L'on trouve trouve aussi quelques mentions très rares de paysages à connotations négatives : affreu affreux, x, désert, désert, triste. triste. Le paysage paysage est un objet objet qui ne laisse laisse pas indifférent, et qui très généralement est perçu comme positif ; ainsi la citation la plus fréquente est: "je suis entouré du plus beau paysage du monde" (attribué à Voltaire). [... ] Le paysage, pendant deux siècles, n'a pas été considéré comme un bien géographique. géographique. C'est ce que l'on voit, dans certaines conditions de situation et de sentiment du spectateur. C'est une sélection d'objets parmi ceux qui s'offrent à la vue, qui sont pourtant regardés comme composants de paysages dans les seuls cas où l'ensemble vu plaît ou satisfait 189. » Au regard de cette histoire du paysage occidental, placé, dès l'origine, sous le signe de l'art, qu'en est-il de l'environnement ? Le mot lui-même n'est pas récent. Il est attesté dès le XVI ème, chez Bemard Palissy par exemple, exemple, mais il désigne alors alors un « circuit circuit ». Littré (1 8 7 7), dans un article de cinq lignes, ne donne qu'un seul sens: «action d'environner, résultat de cette action ». Il faut attendre le XX ème siècle pour que le vocable prenne le ou, plutôt, les sens qui nous sont devenus familiers : «Environnement, n. m. (de environner). 1. Ce qui entoure de tous côtés: un village dans son environnement de montagnes. - 2. Ensemble des éléments (biotiques ou abiotiques) qui entourent un individu ou une espèce, et dont certains contribuent directement à subvenir à ses besoins : protection de l'environnement. - 3. Ensemble des éléments objectifs (qualité de l'air, bruit, etc.) et subjectifs (beauté d'un paysage, qualité d'un site, etc.) constitua constituant nt ensemble ensemble le cadre cadre de vie d'un individu. individu. - 4. Atmosphère, Atmosphère, François-Pierre TOURNEUX, «De l'espace vu au tableau, ou les définitions du mot paysage dans les dictionnaires de langue française du XVII ème au XIX XIX ème siècle », Revue », Revue géographique de l’Est, n°4, 1985, pp. 336 et 345 ; repris dans La dans La 7héorie du paysage en France (1974(19741994), op. cit., pp. cit., pp. 198 et 208. 189
ambiance, climat dans lequel on se trouve; contexte psychologique et social... » (Grand (Grand Dictionnair Dictionnairee encyclopéd encyclopédique ique Larousse). Larousse). On aura aura remarqué que ce réseau de définitions permet, une fois encore, de capturer le paysag paysagee comme comme « élémen élémentt subjec subjectif tif » de l'envi l'environ ronnem nement ent,, en sauvegardant sa valeur esthétique, il est vrai. Si la notion de paysage est d'origine artistique, le concept d'environnement est, quant à lui, d'inspiration scientifique. scientifique. On le voit bien avec Haeckel et sa définition de l'écologie l'écologie : « Par Oekologie nous entendons la totalité de la science des relations de l'organisme avec l'environnement, comprenant, au sens large, toutes les conditions d'existence 190. » Mais c'est surtout avec Tansley et sa théorie des écosystèmes, que l'environnement, enrichi de déterminations abiotiques, se pose en concept scientifique, synthétique et conquérant, prêt à tout absorber, absorber, le paysage compris. On se gardera ici de toute polémique quant à la prétention de l'écologie à s'ériger en science de l'environnement. je conviens volontiers qu'une telle prétention est justifiée, que l'écologie, bien menée, peut être une science à part entière, et c'est précisément pour cette raison que que je lui dénie le droit de s'ériger en science du paysage, sous le nom de landscape ecology, ou de tout ce qu'on voudra. Et je camperai sur mes positions aussi longtemps qu'on ne m'aura pas démont démontré ré qu'uune ne scienc sciencee du beau beau est po possi ssible ble,, que ce dernie dernierr est quantifiable, et qu'il existe une unité de mesure esthétique, ou quelque autre étalon, analogue analogue au décibel des nuisances phoniques. phoniques. Cela ne veut pas dire qu'une étude géographique ou écologique du lieu - ce que j'ai appelé le pays le pays par par opposition au paysage - est superflue. superflue. La connaissance connaissance des géosystèmes et des écosystèmes est évidemment indispensable, mais elle ne nous fait pas avancer d'un pas dans la détermination des valeurs paysagères, qui sont socioculturelles. L'analyse objective d'un biotope, la mesure du degré de pollution d'une rivière n'ont, littéralement, rien à voir avec le paysage, comme le soulignait naguère Bemard Lassus, dans un article décisif: « Il y a une différence, une irréductibilité irréductibilité d'une eau propre à un paysage. On peut très facilement imaginer imaginer qu'un lieu pollué fasse fasse un beau paysage et qu'à l'inverse un lieu non pollué ne soit pas nécessairement beau191. » Ernst HAECKEL, Generelle Morphologie der Organismen, Berlin, 1866, t. II, p. 286. Bemard Ussus, « Les continuités du paysage », Urbanismes et architecture, n' 250, p. 64. 190
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LA VERDOLÂTRIE
Je voudra voudrais, is, à ce propos propos,, dénon dénoncer cer un préju préjugé gé l'obse l'obsessi ssion on du vert, vert, entr entret eten enue ue par par les les écol écolog ogis iste tess et de no nomb mbre reux ux défe défens nseu eurs rs de l'environnement. l'environnement. Pourquoi cette « verdolâtrie » ? Parce que le vert renvoie au végétal, donc à la chlorophylle, donc à la vie ? Sans doute, mais est-ce une raison pour ériger cette valeur biologique en valeur esthétique, cette valeur écologique en valeur paysagère ? (On pourrait citer nombre de peintres et d'ingénieurs, qui jugent, au contraire, que le vert n'est pas une «bonne couleur ».) Faut-il qu'un paysage soit une vaste laitue, une soupe à l'oseille, un bouillon de nature ? Dans Le Roman des jardins de France, Denise Den ise et Jean-Pi Jean-Pierr erree Le Dan Dantec tec dénon dénoncen centt « vertem vertement ent » la « déqualification du jardin en green ». « L'espace vert n'est pas un lieu, mais une portion de territoire indifférencié dont les limites se décident sur l'univers abstrait abstrait du plan. Plus d'histoire : l'espace l'espace se moque du contexte contexte comme de la tradition. tradition. Plus de culture culture : l'espace l'espace vert n'est qu'un qu'un green aménagé selon les seules "règles" de la commodité ; l'art s'en trouve congédié, ou réduit réduit à "l'emballage". "l'emballage". Atopique, achronique, achronique, anartistique, anartistique, l'espace vert n'a cure des tracés, des proportions, des éléments minéraux et aquatiques, de la composition composition paysagère ou géométrique. géométrique. C'est un rien végétal dévolu à la purification de l'air et à l'exercice physique 192 » Voilà, de nouveau, le degré zéro du paysage, et l'on n'a pas progressé d'un pas dans la création paysagère, quand on s'est contenté d'installer des espaces verts, même si, du point de vue de l'environnement, l'amélioration est mesurable. Cette verdolâtrie me rappelle un monologue très drôle de Charles Cros, La Tournée verte (1880 (1880): ): l'affr l'affreux eux dimanc dimanche he à la campag campagne ne de M. Galipaux, un employé parisien, qui va, tout au long de cette journée, joliment s'enverder. Car tout y est vert : le châle de Mr Oscar, le perroquet, qui ne cesse de crier «pois verts ! », la guinguette, badigeonnée Denise et Jean-Pierre LE DANTEC, Le DANTEC, Le Roman des jardins de France, Paris, Plon, 1987, p. 261. 261. Carinontelle, dans dans Le Jardin de Monceau (1779), remarque déjà qu'un 3vert trop immense et du même ton, attristerait trop notre âme, qui ne désire que des impressions douces, vives et gaies ». 192
en vert, la nourriture, veau à l'oseille, omelette aux épinards, et «la salade, beaucoup de salade »... On reprend le train train de Paris. Nouveau cauchemar : « Une heure dans la gare [... ] en face face d'une affiche de la la Belle Potagère, une affiche d'un vert pomme à vous tuer les yeux! » De retour, enfin... «Oscar donne mon adresse : cocher, lanterne verte, c'est votre quartier. je me croyais sauvé; à Paris, plus plus de campagne, plus de verdure! verdure! Horreur! La voiture enfile le boulevard boulevard Haussmann. Tous ces arbres à droite et à gauche... J'ai cru que je mourrais. Quand je suis revenu à moi., j'étais dans mon lit, un prince de la science, une garde-malade, une soeur de charité m'entouraient. La soeur met la main sur ma bouche pour pour m'empêcher de parler. je me révolte, je bondis. Devant mon armoire à glace, je recule à mon image. image. J'étais J'étais vert vert comme une une purée de pois. pois. J'avais J'avais attrapé attrapé la jaunisse ! « LES VALEURS PAYSAGÈRES
J'en arrive arrive à l'essenti l'essentiel. el. Mon expérienc expérience, e, aussi bien théorique théorique que pratique - au sein du comité d'experts « Environnement et paysage », m is en place par la direction des routes au ministère de l'Équipement - m'a convaincu que la plupart des problèmes liés à l'environnement, avec leur cortège de malentendus et de dialogues de sourds, pourraient être plus aisément résolus si l'on ne mélangeait pas tout et si l'on s'attachait à distinguer avec soin les les valeurs écologiques écologiques et les valeurs paysagères. paysagères. Si ardue que soit parfois cette tâche - car s'y mêlent aussi des intérêts économiques -, elle est indispensable et toujours bénéfique. Je prendrai prendrai un premier premier exemple, exemple, celui de la « loi paysage paysage », naguère naguère proposée par Ségolène Royal, qui s'était autoproclamée «ministre des paysages », un titre prometteur, mais qui ne laissait pas d'inquiéter dans la mesure où le ministère de l'Environnement n'est que trop enclin à défendre une conception conservatrice conservatrice et patrimoniale du territoire. territoire. Le discours de Ségolène Royal m'a effectivement confirmé dans mon appréhension : il n'y est question que de « préserver », «protéger «protéger », « sauvegarder», etc. Il est clair que l'on a simplement transféré au paysage des valeurs écologiques, qui ne sont pas les siennes. Pourquoi faudrait-il, faudrait-il, à tout prix, préserver préserver les paysages? Lesquels? Et selon quels critères? C'est ce qui n'est jamais précisé, ni même envisagé. Très significative, à cet égard, est la dispos dispositi ition on relati relative ve au permis permis de constr construir uire, e, avec avec l'inst l'instaur aurati ation on
spectaculaire d'un «volet «volet paysager » : « L'objectif de ce volet paysager n'est pas d'alourdir la procédure des permis de construire, par exemple par l'obligation de consulter un C.A.U.E. ou [... ] en imposant la signature d'un paysagiste. Le but est que, à chaque permis de construire, s'installe chez les maîtres d'ouvrage, les décideurs locaux et les maîtres d'oeuvre, le réflexe de penser la construction en termes de paysages193. On reste incrédule. incrédule. Qui va créer ce «réflexe»? Par quelle pédagogie, pédagogie, ou quelle police ? Et au nom de quoi, sinon du conservatisme le plus étroit ? À moins de définir le paysage comme «ce qui doit être impérativement préservé» - sous-entendu: sous-entendu: toute atteinte au paysage actuel est une pollution visuelle assimilable à une pollution écologique, postulat aberrant -, il est impossible de donner la moindre consistance à ce «volet paysager », et l'on s'en s'en va tout tout droit droit vers vers des querelle querelless et des litige litigess insolu insoluble bles, s, ou l'inapplication de de la loi. Autrement dit, cette disposition disposition n'a de sens que si l'on l'on fige fige le paysag paysagee dans dans l'envi l'environ ronnem nement ent,, avec, avec, à la limite limite,, le « classement » de tout le territoire, puisque chaque intervention risque de léser le paysage paysage actuel. actuel. On voit très bien, bien, dès lors, ce que serait ce «réflexe «réflexe » que voulait voulait susciter susciter le ministre ministre de l'Enviro l'Environneme nnement. nt. C'est: C'est: «Touche pas à mon paysage ! », un avatar de cette vieille lune, la notion d'intégration. d'intégration. On appréciera, par contraste, contraste, et dans ce même numéro de La de La Feuille du paysage, cette déclaration d'Alexandre Chemetoff à propos des « plans de paysage » - en l'occurrence celui de Belle-Ile-en-Mer, Belle-Ile-en-Mer, dont il est responsable - qui, il est vrai, dépendent du ministère de l'Équipement, évidemment moins conservateur: conservateur: « La question de la prise en compte du paysage amène à penser la transformation du paysage comme une évolution et pas et pas seulement comme quelque chose que l'on conserve et que l'on protège. protège. Au lieu lieu de parler parler en termes termes de prote protecti ction, on, on serait serait susceptible de comprendre les phénomènes qui font évoluer les paysages et de fonder à partir de cette connaissance une autre manière d'aménager les sites, de les gérer, de projeter l'ensemble des phénomènes qui conduisent à fabriquer l'identité d'un territoire 194. » « Ségolène Royal: créer un un réflexe paysage », La », La Feuille du paysage, décembre 1992, p. 2. Le ministre de l'Environnement répond à une question de la rédaction (C.A.U.E. : Conseil d'Architecture, d'Urbanisme d'Urbanisme et de l'Environnement). Ibid., p. Ibid., p. 4. Souligné par moi. 193
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J'irai jusqu'à dire qu'il faut protéger le paysage contre ses «protecteurs », en soustraire la gestion, comme la création, à tous ceux qui s'arc-boutent à une conception conservatrice, voire réactionnaire, de l'aménagement du territoir territoire. e. Combien Combien d'écologis d'écologistes tes n'ont qu'une qu'une vision bucolique bucolique et archaïque du paysage français ! Combien d'associations de « défense » brandissent naïvement, comme paysage «naturel » à préserver, un modèle culturel, hérité du XIX et souvent obsolète, l'Ile-de-France de Corot, celle des impressionnistes, etc. ! Second exemple : le conseil régional d'Auvergne a publié, en novembre 1992, une Charte architecturale et paysagère tout à fait fait édifiante. édifiante. Après avoir rappelé les «caractères de l'architecture l'architecture de l'Auvergne», la charte, animée d'un beau zèle pédagogique, nous enseigne, photographies à l'appui, les «options regrettables» regrettables» et les « aspects positifs » ; autrement dit : ce qu'il faut faire et ne pas faire, au nom, bien entendu, de la sacro-sainte intégration, qui compte parmi les «notions élémentaires et familières 195 » (sic). Mais le conservatisme ne se limite pas au bâti, il s'étend aux plantations, pour lesquelles on devra « préférer les feuillages caducs aux feuillages persistants, planter des essences locales et non exotiques, sans les mélanger: tilleuls, marronniers, platanes, noisetiers, érables, frênes, éviter les prunus rouges, saules pleureurs, pins d'Autriche, thuyas et autres essences étrangères196 ». Une telle recommandation, d'apparence anodine, n'en est pas moins inquiétante. Les auteurs de la charte, dans leur bon sens auvergnat et leur naïveté écologique, ignorent sans doute qu'ils reprennent, tout tout simple simplemen ment, t, l'une l'une des thèses thèses majeur majeures es des grands grands jardin jardinier ierss paysagistes du Troisième Reich, Mâding, Wiepking, Seifert, Tüxen, etc. Exoten raus !, « les étrangers étrangers dehors dehors ! », tel était en effet leur leur slogan. D'abo D'abord rd les plante plantess exotiq exotiques ues,, puis, puis, de proche proche en proche proche,, tous tous ces métèques, ces immigrés, qui, comme on dit aujourd'hui, nous envahissent et polluent notre paysage... « La même année (1942) où Mâding édicte, édicte, en collabor collaboration ation avec Wiepking Wiepking,, les règles du paysage, paysage, un groupe groupe de botaniste botanistess saxons, saxons, soutenus par Tüxen, compare la lutte contre les plantes étrangères et celle des Nazis contre les autres peuples et contre "la peste du bolchevisme". Ce groupe de travail reprend à son compte un appel lancé par Kâstner, et Charte architecturale et paysagère, conseil régional d'Auvergne, 1992, p. 22. Ibid., p. Ibid., p. 27. 195
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réclame réclame une "gue "guerre rre d'extermin d'extermination ation"" (Ausrottungskrieg) contre contre la "balsamine à petites fleurs" (Impatiens parviflora), sous prétexte que cette "étrangèr "étrangère" e" se répand répand et entre entre même « en compétition compétition » avec la "balsamine à grandes fleurs" (Impatiens noli me tangere), menaçant ainsi, paraît-il, la pureté du paysage paysage allemand. L'appel se termine par la phrase suivante : "De même que, dans le combat contre le bolchevisme, c'est toute notre culture occidentale qui est en jeu, de même, dans la lutte contre l'intruse mongole (Impatiens parviflora), c'est un des fondements essentiels de notre culture, à savoir la beauté de nos forêts, qui se trouve menacé !" [ ] «Or, en cette fin du XX ème siècle, on recommence à pester [ ] contre les espèces exotiques, qui, paraît-il, caractérisent "l'aspect de nos jardins en République fédérale" et à exiger qu'on bannisse les plantes étrangères du jardin allemand, une revendication proche des idées de Seifert, Mâding, Wiepking et Tüxen. [ ] C'est ainsi, par exemple, que dans les forêts berlinoises, parfois sur des surfaces considérables, on élimine actuellement (1989) le prunus à floraison tardive (Prunus serotina), sous le prétexte qu'il ne correspon correspondrait drait pas à l'image l'image qu'on se fait d'une végétation naturelle définie, entre autres, par Tüxen, et qui part de l'idée qu'on pourrait déterminer, à un moment et pour un paysage donnés, la meilleure combinaison des plantes, dans leur état naturel, c'est-à-dire exemptes exemptes de toute interventio interventionn humaine. Ces espèces exotiques exotiques - le Prunus serotina nous vient du nord-est de l'Amérique - dérangent, à Berlin, la représentation d'une forêt "proche de la nature" (naturnah), et doivent par conséquent être exterminées comme la peste, ainsi que le fit savoir un représentant du responsable de la protection de la nature et de l'entretien des paysages auprès du Sénat de Berlin 197. » Gert GRÔNING, «Y a-t-il un changement dans la compréhension du paysage ? Sur les recommandations recommandations pour éviter la culture culture des plantes étrangères en Allemagne au XX ème siècle », dans Maîtres dans Maîtres et Protecteurs de la nature, Seyssel, Champ Vallon, 1991, pp. 284 et 285-286. 285-286. C'est tout l'article qu'il faudrait faudrait donner à lire aux apôtres du paysage « naturel » et « indigène ». Ce problème n'est est pas récent. Adolphe Alphand, dans Les dans Les Promenades de Paris (1867), fait l'éloge des plantes exotiques et prescrit de « les entretenir avec tous les soins que réclame cette aristocratie végétale». « Nous recommandons les plantes plantes exotiques», déclare William Robinson dans Le dans Le jardin de fleurs anglais, en 1883. En revanche, André 197
Pauvre Prunus, banni par les Berlinois et par les Auvergnats... Si nos ancêtres avaient pratiqué une politique aussi « raciste » dans le domaine de l'horticulture, nous n'aurions ni la giroflée, ni le bégonia, ni le romarin, ni la pêche, ni la cerise d'Olivet, ni le vignoble bourguignon (on en frémit!), et, comme le disait, en 1938, le grand jardinier juif Borchardt, victime des nazis, « on vivrait encore de glands » (Wir lebten gârtnerisch noch heute von Eicheln). LE COMPLEXE DE LA BALAFRE Soyons Soyons clairs clairs et fermes fermes : aux écologis écologistes tes et autres autres défenseu défenseurs rs de l'environ l'environnemen nement,t, nous devo devons ns inlassabl inlassablement ement rappeler rappeler les droits droits du paysage, qui ne se limitent pas à la préservation de l'environnement, l'environnement, vert ou non, et leur montrer qu'ils servent mal leur propre cause, quand ils pratiquent cette confusion réductrice. Aux pouvoirs publics et aux professionnels de l'équipement, l'équipement, nous devons, certes, rappeler les exigences de l'environnement, mais aussi, de surcroît, celles du paysage, et leur montrer qu'ils sont loin d'avoir achevé leur tâche quand ils ont respecté l'environnement, trop souvent réduit à sa valeur phonique. Il me semble toutefois que nombre d'ingénieurs et de techniciens, après une période où, non sans raisons, on leur reprochait leurs méthodes technocratiques, adoptent désormais un profil un peu trop bas devant les prétentions écologistes, légitimes sans doute, mais dans des limites qui doivent être définies, définies, faute de quoi on cède à l'écolocratie. Tout se passe comme si, culpabilisés à l'excès, ils avaient honte pour ce paysage qu'ils « défigurent défigurent » à regret. C'est ce complexe de la balafre que je voudrais dénoncer, car il postule un paysage en soi, qu'il faudrait préserver à tout prix, et, par conséquent, le caractère criminel de l'autoroute, l'autoroute, puisque telle est, aujourd'hui, la cible de toutes les passions : une blessure que l'on doit, tant bien que mal, essayer de réduire, ou, du moins, de dissimuler. Comme le souligne Pierre-Marie Tricaud, « puisque le concepteur d'une route considère que son projet ne peut avoir qu'un impact négatif sur le paysage comme sur l'environnement, il appelle le paysagiste pour le Véra, dans Le dans Le Nouveau Jardin (1911), déconseille déconseille « les végétaux étrangers et surtout les exotiques », a u nom d'un nationalisme qui le conduira à apporter son soutien au maréchal Pétain.
camoufler 198 » ». Triste vocation de celui qui se croyait investi d'une mission créatrice, inventer le paysage de demain, et qui se voit réduit au camouflage, oui, quel camouflet! Il conv convient, ient, me sernble-t sernble-t-il, -il, d'ab d'abandon andonner ner cette vision honteuse honteuse de l'auto l'autorou route. te. Non seulemen seulementt cellecelle-ci ci consti constitue tue,, en elle-r elle-rnêm nême, e, un authentique paysage, mais, comme le T.G.V. d'ailleurs, elle en produit de nouveaux. Il ne s'agit donc pas de cacher l'estafilade, l'estafilade, ni d'en cicatriser les abords à coups de pansements végétaux, une conception décorative et curative, d'un mot : décurative, qui résume assez bien la mission qu'on assigne assigne au paysagiste. paysagiste. Prenons Prenons le problème problème à l'envers l'envers : si l'on pousse pousse jusqu'au bout, c'est-à-dire à l'absurde, ce complexe de la balafre et sa logique du camouflage, on aboutit à la nécessité d'enterrer les autoroutes, non seulement dans les agglomérations et autres zones sensibles (ce qui se justifie), mais sur l'ensemble du territoire. Toute la métropole minée par ce nouveau métro... Plus de blessures, mais plus de paysages alentour, sinon pour ceux qui, de loin en loin, remonteraient par quelque «bouche » de cette cette métraupinière hexago hexagonal nale. e. À nou nous, s, au contr contrair aire, e, de savoi savoir r transformer cette balafre en visage et cette plaie en paysage. J'user J'userai ai d'une d'une analog analogie. ie. On nous répète répète à satiét satiétéé que les py pylôn lônes es défigurent le paysage. Là encore, on postule un paysage en soi, soi, a priori intouchable. Il ne vient pas à l'esprit des des pleureuses écologistes qu'une qu'une « armée de pylônes pylônes en campagne campagne » puisse puisse constitue constituerr et générer générer un nouveau paysage, aussi fort, sinon plus, que l'ancien. l'ancien. Comme le rappelle opportunément Thierry Grillet, « les pylônes ont sans doute crispé bien du monde au nom d'une idyllique idyllique protection du paysage. paysage. Mais déjà, en 1914, Fernand Léger pestait contre ceux pour qui il serait préférable de supprimer tout de suite les poteaux télégraphiques, les maisons, et ne laisser que les arbres, de douces harmonies d'arbres199 ». Ce complexe de la balafre n'incite pas seulement à la frilosité, il mène à la contradiction. contradiction. D'un côté, l'autoroute l'autoroute est envahissante, de par ses normes mêmes et l'emprise qu'elle impose. impose. Mais, de l'autre, il faudrait, faudrait, autant que Pierre-Marie TRICAUD, «Route et Paysage : encore un effort», Paysage et Aménagement, 15, mai 199 1, p. 24. Thierry GRILLET, Catalogue de l'exposition «Création industrielle et paysage. Ouvrages E.D.F. en Nord-Pas-de-Calais Nord-Pas-de-Calais », Ed. du C.C.I., septembre 1991. 198
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possible, qu'elle se fasse toute petite. À la logique de la dissimulation, s'ajoute celle de la simulation, une logique logique du «comme si » : comme si cette autoroute n'était jamais qu'une route un peu plus large, justiciable du même traitement que les autres, sur le modèle de nos bonnes vieilles «national «nationales es », si « conv convivial iviales es », avec leurs leurs traditio traditionnell nnelles es rangées rangées d'arbres. J'ai souvent été frappé par ce thème récurrent, récurrent, dans la bouche des spécialist spécialistes es des direction directionss départeme départemental ntales es de l'équipe l'équipement, ment, par cette pauvre panacée des alignements d'arbres et des bordures végétales. je crois qu'on fait littéralement fausse route en recourant systématiquement à de telles telles soluti solutions ons.. je ne préte prétends nds pas qu'elles e lles sont sont toutes toutes et partou partoutt incongrues, je dis qu'il conviendrait d'en inventer d'autres, plus appropriées aux dimensions et au tracé des autoroutes. autoroutes. Comme le soulignait naguère Anne Dazelle, directrice directrice du C.A.U.E. de Loire-Atlantique, Loire-Atlantique, « on croit qu'il suffit de planter des arbres pour faire un beau jardin et l'on commet beaucoup d'erreurs ». je dirais volontiers : on croit qu'il suffit de planter des arbres arbres pou pourr faire faire une belle autoro autoroute ute et l'on l'on commet commet beauco beaucoup up d'erreurs. Voici ce que nous avons à faire, chacun dans son rôle et selon ses moyens : inventer l'avenir, nourrir le regard de demain et, surtout, ne pas nous recroqueviller recroqueviller sur le passé. Il en va de la pratique pratique paysagère comme de toute création artistique : elle ne saurait se figer dans la léthargie des musées200. CHAPITRE VIII MAÎTRES ET PROTECTEURS Ce chapitre était rédigé quand j'ai pris connaissance, grâce à l'anthologie de J.-P. Le Dantec, de l'article article d'Ambroise Dupont, Dupont, « La problématique française», française», Métropolis, Métropolis, n° 101-102, 1994, dont les positions rejoignent les miennes : «Il faut accepter le fait que le système autoroutier ne saurait créer le même paysage qu'aux XVII et XVIII èmes siècles, et ne pas demander aux paysagistes d'inventer d'inventer des solutions solutions cosmétiques et boiteuses » ; «La situation actuelle actuelle se caractérise [... ) par une confusion confusion entre environnement et paysage, deux notions qu'il conviendrait sans doute de disjoindre à l'avenir» (cité par J.-P. LE DANTEC, dans Jar dins Jar dins et Paysages, op. cit., pp. cit., pp. 597 et 601). 200
DE LA NATURE Contribution à la critique d'un prétendu « contrat naturel »
La philosophie se méfie de la nature. On peut même se demander demander si sa vocation n'est pas, à l'origine et pour l'essentiel, antinaturaliste. Certes, les réactions sont fréquentes et l'histoire est jalonnée de « retours à la nature » : au Quattrocento, chez Rousseau, dans la Naturphilosophie romantique, ou, en notre fin de millénaire et sous le signe de l'écologie, cette volonté proclamée, sinon prêchée par certains, de renouer avec elle, d'établir une nouvelle Alliance, un « contra contratt nature naturell » assura assurant, nt, après après des siècle siècless d'host d'hostili ilité té et de vandalisme, les conditions conditions d'une authentique « symbiose ». Il n'est pas sûr qu'un tel retour soit de très bon aloi, ne serait-ce qu'en rais raison on de l'extr e xtrêm êmee conf confus usio ionn ou, ou, pour pour mieu mieuxx dire dire,, de l'indétermination de cette «nature ». Les travaux de Ienoble, Van Melsen, Moscovici, etc., ont définitivement imposé l'idée, entrevue dès le XVIII XVIII ème (et sans sans dou doute te même même avant) avant),, d'une d'une histoi histoire re esthétique, épistémologique, technologique de la nature201, dont on saurai ait, t, dès dès lors lors,, parl parler er dans dans l'abso a bsolu lu,, sino sinonn comm commee d'un un X ne saur Voir les premières pages de ce livre. livre. On pourrait multiplier multiplier les références: «C'est toujours une nature cultivée mais qui, à cause de sa permanence et de sa stabilité plus ou moins grandes, nous semble familière, et ainsi nous laisse croire que nous avons affaire à la nature seule. C'est seulement en rétrospective rétrospective historique historique que nous découvrons découvrons combien cette nature est culturelle » (A.G. VAN MELSEN, Science and Technoloe, Pittsburg, 1961, p. 291). «Votre nature est celle de I-inné, de Lamarck, la mienne est celle d'Einstein, de Heisenberg» (VASARELY, Plasti1970, pp. 47-48). 47-48). Cette idée d'une nature Cité, Paris/Toumai, Casterman, 1970, cult cultur urel elle le est est déjà déjà prés présen ente te chez chez VoLTAiRE, dans dans son son Dictionnaire philosophique, et chez MARX, dans L’Idéologie dans L’Idéologie allemande. 201
hypothétique, analogue à la « chose en soi « de Kant. Le projet d'un « contrat naturel » est, à cet égard, illusoire, aussi longtemps qu'on ne précise pas quelle nature il s'agit d'instituer en sujet de droit, à supposer, d'ailleurs, qu'une telle opération ait un sens.
DESCARTES ET GALILÉE
Ce retour à la nature s'accompagne ordinairement d'un procès intenté à la science, la technique et ceux qui, à l'aube de la modernité, en seraient les fondateurs funestes : Descartes et Galilée, coupables d'avoir, dans leur impériali impérialisme sme théorique, théorique, asservi la Nature Nature et avili la Vie. Ce procès est doublement doub lement inquiétan inquiétant.t. D'abord D'abord parce que l'accusation l'accusation repose repose sur une lecture plus ou moins malhonnête des textes, ensuite, et surtout, parce que cette référence insistante à la Nature et à la Vie, parées de leur majuscule, rappelle désagréablement le naturalisme et le biologisme qui, voilà plus d'un demisiècle, sous la bannière du Blut und Boden (le « sang et le sol »), inspirèrent dans tous les domaines, y compris celui de la faune et de la flore202, le racisme racisme le plus borné. Les pourfende pourfendeurs urs de la «barbarie «barbarie », comme les prédicateurs du « contrat naturel », se récrieront évidemment devant devant ce rapproch rapprochement ement et clameront clameront,, au contraire contraire,, leur bonne foi humaniste. Mais, qu'ils le veuillent ou non, non, cette invocation lancinante lancinante de la Nature et de la Vie, érigées en valeurs absolues, est à l'opposé de l'humanisme - et l'on devrait s'y reprendre à deux fois avant de les brandir, au seul souvenir des pratiques, idiotes au mieux, ignobles au pire, qu'elles ont cautionnées. Comment ne pas s'étonner que des intellectuels, et non des moindres, formés à la discipline philosophique, s'en prennent aujourd'hui, au nom d'on ne sait quelle « Nature »., à la modernité scientifique, et prônent, sur un ton prophétique, prophétique, une sorte de millénarisme millénarisme écologiq écologique ue ? Tant qu'il qu'il s'agissait s'agissait de Heidegger, Heidegger, on pouvait passer passer outre. Si illustre illustre que soit le recteur de Fribourg, sa nostalgie du « vieux pont de bois » et sa théorie de «l'arraisonnement technique » (Gestell) comme « danger » (Gefahr) pour (Gefahr) pour la cultur culturee occide occidenta ntale, le, partic participe ipent, nt, à l'évid l'évidenc ence, e, d'une d'une idéolo idéologie gie 202
Voir, au chapitre précédent, l'article cité de G. GRÔNING.
rétrograde 203 et l'on ne peut que souscrire au jugement de François Guéry, lorsqu'il lorsqu'il écrit que Heidegger Heidegger « représent représentee les préjugés préjugés les plus bomés concernant le sens de la technique 204». Cette espèce de mélancolie n'était d'ailleur d'ailleurss pas original originale. e. Plus de vingt ans auparavan auparavant, t, Duhamel, dans Scèn Scènes es de la vie futu future re (1930), (1930), et Spengler, Spengler, dans L’Homme et la Technique, tenaient tenaient déjà des propos propos alarmistes alarmistes,, qui préfigura préfiguraient ient les discours écologistes : « Ia mécanisation du monde est entrée dans une phase d'hypertension périlleuse à l'extrême. La face même de la Terre, avec ses plantes, plantes, ses animaux animaux et ses hommes, hommes, n'est plus plus la même. En quelques décennies à peine la plupart des grandes forêts ont disparu, volatilisées en papier journal, et des changements climatériques ont été amorcés amorcés ainsi, ainsi, mettant mettant en péril l'économie l'économie rurale de popu populatio lations ns tout entièr entières. es. [... [... ] Toutes Toutes les choses choses vivant vivantes es agonis agonisent ent dans dans l'éta l'étauu de l'orga l'organis nisati ation on.. Un monde artific artificiel iel pénètre pénètre le monde monde nature naturell et l'empoisonne. La Civilisation elle-même est devenue devenue une machine, faisant ou essayant de tout faire mécaniquement. mécaniquement. Nous ne pensons plus désormais qu'en termes de "chevaux-vapeur". "chevaux-vapeur". Nous ne pouvons regarder une cascade sans la transformer mentalement en énergie électrique 205 » Et il faut être corrompu par le péché technologique technologique pour ne pas voir « que tout ceci a un caractère diabolique206 ». Mais, Dieu merci, « une lassitude se se propage, une sorte de pacifisme dans la lutte contre la Nature 207 ». Six décennies plus tard, Serres appellera appellera de ses voeux un « contrat d'armistice »... «La menace véritable a déjà atteint atteint l'homme dans son être. Le règne de l'Arraisonnement l'Arraisonnement nous menace de l'éventualité qu'à l'homme puise être refusé de revenir à un dévoilement plus originel et d'entendre ainsi l'appel d'une vérité plus initiale» (Martin HEIDEGGER, «La question de la technique », 1953, trad. fr. dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, pp. 37-38). En dépit de ses explications laborieuses, laborieuses, je me suis toujours demandé pourquoi le traducteur avait cru devoir rendre Gestell par «arraisonnement», «arraisonnement», un vocable qui, depuis lors, et contre contre toute rigueur, a envahi la vulgate heideggérienne. François GUÉRY, La GUÉRY, La Société industrielle et ses ennemis, Paris, Orban, 1989, p. 45. Oswald SPENGLER, L’Homme SPENGLER, L’Homme et la Technique, 1931, trad. fr., Paris, Gallimard, 1958, pp. 142-144. Ibid., p. Ibid., p. 131. Souligné par moi. Ibid., p. Ibid., p. 147. 203
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Différons pour l'instant la question du contrat, pour nous intéresser à ce procès de la modernité et de ses fondateurs, Descartes et Galilée. Jusqu'à une date récente, on se contentait d'incriminer en vrac le scientisme, le positivisme et la vulgate marxiste (disons, pour simpli fier, simpli fier, l’Anti-Dühiing d'Engels d'Engels et ses succédané succédanéss soviétiques). soviétiques). Mais voilà qu'on qu'on s'en est pris aussi à l'idéalisme allemand, Hegel en tête, responsable, paraît-il, de tous les totalitarismes et de leurs crimes contre l'humanité, Shoah, Goulag, etc. Et po pour urqu quoi oi s'ar s'arrê rête terr ? N'y N'y euteut-il il pas, pas, aupa aupara rava vant nt,, Sain Saintt-Ju Just st et Robespierre, et leurs inspirateurs, les penseurs des Lumières ? On se fit même une spécialité, spécialité, naguère, naguère, chez les « Nouv Nouveaux eaux Philosophe Philosophess », de cette chasse à courre aux aux coupables. D'où, dans le style de Gavroche, Gavroche, la litanie des anathèmes : c'est la faute à Voltaire, c'est la faute à Rousseau, la faute à d'Alembert, la faute faute à Diderot. On ne pouvait, bien sûr, en rester rester là, de sorte qu'il fallut, pour en finir avec notre modernité perverse, inculper les véritables criminels, les deux pêcheurs originels, Descartes et Galilée, Adam et Ève de cette Bible imbécile. Premier Premier inquisiteu inquisiteur, r, le Torquemad Torquemadaa du « Dimensiona Dimensionall extatiqu extatiquee », Michel Henry. Dans La Dans La Barbarie, c'est au nom de la Vie et de la Culture comme «mouvement » de la Vie, que la technique est anathémisée, en des termes dont la violence laisse perplexe : « Elle est la barbarie, la nouvelle barbarie de notre temps, en lieu et place de la culture. En tant qu'elle met hors jeu la vie, ses prescriptions et ses régulations, elle n'est pas seulement la barbarie sous sa forme extrême et la plus inhumaine qu'il ait été à l'homme de connaître, elle est la folie 208. » Et qui se trouve à l'origine de cette folie ? Qui est le Grand Barbare, le Grand Dément, le Grand Satan ? Galilée. On croit rêver. On se demande demande même s'il eût échappé au bûcher sous le pontificat de Michel Henry... « Le projet galiléen [... ] est celui de la culture moderne dans son ensemble en tant que culture scientifique - ce qui fait d'elle, à vrai dire, non pas une culture, si cette dernière est toujours la culture de la vie, mais proprement sa négation: la nouvelle barbarie, dont le savoir spécifique et triomphant se paie du prix le plus élevé, l'occultation par l'homme de son être propre 209 » Second imprécateur, le Savonarole de la «transe symbiotique », Michel Serres. Serres. Dans son Contrat naturel naturel 210 , le style est moins atrabilaire, la Michel HENRY, La HENRY, La Barbarie, Paris, Grasset, 1987, p. 95. Ibid., pp. Ibid., pp. 129-130. Voir aussi pp. 10, 16, 19, 119, 122, etc. Michel SERRES, Le SERRES, Le Contrat naturel, Paris, François Bourin, 1990.
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prédication plus lyrique, mais la démarche revient au même. Il s'agit, de nouveau, d'opposer la « vraie vie » - ancrée dans la nature, celle du marin, à la « divine courtoisie 211 » (sic), ou celle du paysan, « les pieds enfoncés, à la mort, dans la glèbe traditionale 212 » (sic) - aux excès et forfaits de la domination technologique. technologique. Et qui est le coupable coupable ? « Galilée le premier enclôt le terrain de la nature 213», inaugurant inaugurant ainsi notre notre modernité. Cette ère malheureuse, l'heure est venue d'y mettre fin, et c'est pourquoi, à la fameuse formule - « Eppur, si muove ! », et pourtant elle [la terre] se meut ! - Serres, notre (anti-) Galilée de la post-modernité, substitue celleci, qui ouvre au prochain millénaire millénaire : «La Terre s'émeut! Se meut la Terre immémoriale immémoriale,, fixe, fixe, de nos conditions conditions ou fondation fondationss vitales, vitales, la terre terre fondamentale tremble 214. » Galilée, mais également Descartes, auteur, lui aussi, d'une expression célèbre, qui désigne à la vindicte de Serres (mais il n'est pas le seul, hélas) l'hégémonie infatuée de la science moderne. «Maîtrise et possession, voilà le maître mot lancé par Descartes, à l'aurore de l'âge scientifique et technique, quand notre raison occidentale partit à la conquête de l'univers. [... ] Il faut donc changer de direction et laisser le cap imposé par la philosophie de Descartes. [... ] Voici la bifurcation de l'histoire : ou la mort ou la symbiose 215. » Ou Descartes ou Michel Serres. Nietzsche, en ses moments de mégalomanie, prétendait «casser en deux l'histoire de l'humanité ». Serres n'est pas loin de s'investir d'une mission comparable quand, dans une interview au Nouvel Observateur, il définit ainsi son propos : « En schématisant on peut dire que le Discours de la méthode a inauguré l'ère où la science et la technique prennent, lieu par lieu, maîtrise et posse possessi ssion on du monde monde.. Mon Contrat Contrat naturel naturel tente tente de clore cette cette période216. » Je reviendrai sur ce « contrat contrat naturel naturel », dit d'« armistice armistice » et de « symbiose», mais il convient d'abord de replacer la formule incriminée Ibid., p. Ibid., p. 70. Ibid., p. Ibid., p. 36. Ibid., p. Ibid., p. 133. Ibid., p. Ibid., p. 136. Ibid., pp. Ibid., pp. 58-61. Le Nouvel Observateur, 29 mars 1990.
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dans le contexte dont on la retire aussi fréquemment qu'indûment, et, par là même même,, de rend rendre re just justic icee à Desc Descar arte tes, s, qu quii n'a jama jamais is prof profes essé sé l'impérialisme scientifique qu'on lui prête: «Il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie et [... ] au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie217 » « Ce très beau texte, écrit François François Guéry, a été plus commenté commenté que lu, plus trahi que loyalement déchiffré 218. » Pour trois raisons, qui sont autant d'oublis d'ou blis : oubli du « comme », évidemment évidemment théologi théologique. que. Oubli Oubli de la référence, si modeste, aux «métiers de nos artisans ». Oubli, enfin, de la finalité finalité « principal principalement ement » médicale de tout le paragrap paragraphe, he, comme le rappelait Alain Boyer dans un article remarquable, qui réfutait, d'avance, toute l'interprétation de Serres : «Les mathématiques serviront à constituer une physique, d'où sera déduite une médecine : c'est ce détour qui est nouveau. Car la fin "principale" "principale" de la domination de la Nature, Nature, c'est la conservation de la santé, voire voire l'allongeme l'allongement nt de la durée de la vie. On oublie souvent cela quand on ne voit dans la phrase de Descartes qu'une orgueilleuse déclaration dominatrice. Or la dom domina ination tion est un moyen moyen d'alléger la souffrance219. »
DESCARTES, Discours DESCARTES, Discours de la méthode, VI partie, souligné par moi. François Guéry, dans Didier DELEULE, François GUÉRY et Pierre Osmo, Le Osmo, Le Commentaire de textes philosophiques, Paris, Nathan, 1990, p.40. Alain BOYER, « Le respect de la nature est-il un un devoir ? », dans Questions de philosophie, Paris, 1988, p. 9. 217 218
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LE «CONTRAT NATUREL » Mais convenons que, depuis des siècles et, singulièrement, depuis les grandes révolutions industrielles, l'humanité n'a pas ménagé la nature, ou, pour mieux dire, l'a mise en coupe réglée. Qu'en est-il, dès lors, de ce contrat naturel que nous propose Michel Serres en termes dramatiques: « ou la mort ou la symbiose » ; ou la guerre, qui s'achèvera fatalement par l'extermination réciproque réciproque des deux protagonistes, ou l'armistice, qui, seul, peut assurer leur commune commune survie ? Dans son interview au Nouvel Observateur, Serres déclare s'être « lancé dans de véritables véritables études études de droit. Pour un juriste juriste en effet le terme de "contrat naturel" est presque contradictoire. contradictoire. Un contrat ne se fait qu'avec une personne humaine qui parle et signe tandis que la Nature, elle, ni ne parle ni ne signe. Aujourd'hui l'idée que la nature puisse être un sujet de droit fait son chemin, y compris chez les vrais techniciens du droit. » C'est tout à fait exact et il suffit, pour s'en convaincre, de lire l’imposant ouvrage collectif, L’Homme, la nature et le droit, publié sous la direction de Bernard Edelman et Marie-Angèle Hermitte 220. Je ne doute pas que Serres l'ait consulté, mais je ne suis pas autrement étonné qu'il ne s'y réfère jamais: il n'y aura trouvé aucun argument qui lui permette de fonder juridiquement son contrat de symbiose. Autant dire qu'il a escamoté le débat, fort complexe et actuellement contradictoire, sur l'institution de la nature nature en sujet de droit. Le subterfuge subterfuge consiste consiste à personnifier personnifier cette dernière à coups de métaphores et de majuscules, afin qu'elle acquière, aux yeux d'un lecteur superficiel, ou pénétré d'un écologisme inconditionnel, le statut d'une entité ou déité anthropomorphe, donc d'un quasi-sujet: «La Terre s'émeut... », «La Terre tremble... », «La Terre est-elle une Vierge qui accoucha de son Créateur ? de sa Créatrice 221 » Le tour est joué et l'on peut affirmer, en toute sérénité, que «la nature se conduit comme un sujet222». Augustin Berque se montre encore plus critique, encore plus caustique : Serres «ne nous révèle-t-il pas Mahomet de l'immanence, Moïse de l'animisme! qu'il a écrit son dernier livre sous la dictée de la Nature elleBernard EDELMAN et Marie-Angèle HERMITTE, L’Homme, HERMITTE, L’Homme, la nature et le droit, Paris, Christian Bourgois, 1988. M. SERRES, Le SERRES, Le Contrat naturel, op. cit., p. 188. Ibid., p. Ibid., p. 64. 220
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même? Au point qu'il a scrupule scrupule à s'en dire l'auteur: l'auteur: "Dois-je la laisser signer?223'. Dans les médias médias qui ont salué salué la parution parution de l'ouvrage, l'ouvrage, personne, pas même le philosophe qui en rendait compte dans Le Monde, n'a relevé que ce texte est radicalement irrationnel; qu'il est incompatible avec les cadres élémentaires de la pensée organisée, du moins telle que l'Occident l'a pratiquée d'Aristote à Einstein (l'auteur, certes, revendique revendique l'inauguration d'une une ère nouvelle). nouvelle). Qui a remarqué que ce livre n'était pas d'un philosophe, mais d'un chamane en transe ? Car, tel le chamane sibérien avec le tigre des neiges, mais en plus cosmique, Serres dit vouloir passer contrat avec la Terre (la Nature). juste régularisation, sans doute, car celle-ci est déjà son « amante »224: il s'accouple avec elle pendant les tremblements de terre, «communiant tous deux, en amour, elle et moi, doublement désemparés, ensemble palpitant, réunis dans une aura 225 », vraisembl vraisemblablem ablement ent une aurore aurore boréale, ce phénomène magnétique dont parfois s'accompagnent les séismes226... » Quoi qu'il en soit de cet orgasme tellurique, qu'on aimerait partager avec l'auteur, même sur l'échelle de Richter, il faut absolument, selon Serres, «procéder à une révision déchirante du droit naturel moderne qui suppose un unee prop propos osit itio ionn info inform rmul ulée ée,, en vert vertuu de laqu laquel elle le l'ho l'homm mme, e, individuellement ou en groupe, peut seul devenir sujet du droit 227 ». Mais suffit-il d'affirmer qu'il le «faut» pour que cette «révision » - dont Serres convient qu'elle «déchire » le juriste, mais pas le philosophe, à ce qu'il semble semble - institue la nature nature en sujet ? De nouveau, nouveau, les majuscule majusculess et métaphores tiennent lieu de preuves : «En fait, la Terre nous parle en termes termes de forces forces,, de liens liens et d'int d'intera eracti ctions ons,, et cela cela suffit suffit à faire faire un contrat228. » Eh non, cela ne suffit pas! pas! Mais d'abord: qui qui contracte avec qui ? Et à quel niveau ? régional ? national ? planétaire ? Et ce contrat estil tacite (même (même si la Terre « parle parle » ... ), ou doit-il doit-il s'inscrir s'inscriree dans une char charte te et des des disp dispos osit itio ions ns régl réglem emen enta tair ires es ? On n'en n'en sait sait rien rien et, et, Ibid., p. Ibid., p. 191, dernière phrase du livre. livre. Ibid., p. Ibid., p. 191. Ibid., p. Ibid., p. 191. Ibid., p. Ibid., p. 190. Augustin BERQUE, Médiance. De milieux en paysages, Montpellier, Reclus, 1990, pp. 63-64. M. SERRES, Le SERRES, Le Contrat naturel, op. cit., p. cit., p. 65. Ibid., p. Ibid., p. 69. 223 224 225 226
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manifesteme manifestement, nt, ces considéra considérations tions triviales triviales n'intéres n'intéressent sent pas celui qui reconnaît la Terre pour sa mère, sa fille et son amante ensemble 229. Il est vrai que que ce contrat naturel naturel est « métaphysiq métaphysique ue », il « va au-delà au-delà des limitations ordinaires des diverses spécialités locales 230 ». La métaphysique a bon dos et la nature est bonne fille. Ne soyons pas trop injustes. Serres nous propose deux modèles : l'équipage et la cordée. Mais j'avoue ma ma perplexité. En quoi les matelots, matelots, même animés d'une « divine courtoisie », contractent-ils avec la mer ? C'est pourtant ce qu'affirme le matin-philosophe, ainsi qu'il aime à se désigner : «Le pacte social de courtoisie en mer équivaut en fait à ce que j'appelle contrat naturel231. » Cette « équivalence » laisse rêveur. Qu'il existe un contrat entre les membres de l'équipage, dans l'intérêt bien compris de tous et de chacun, c'est l'évidence, et nul besoin d'« avoir navigué232 » pour pour le compren comprendre dre.. Mais Mais commen commentt la mer serait serait-el -elle le concemée, sinon par une projection poétique (la Mer gronde, comme la Terre tremble), qui, dans le style homérique, l'anime d'intentions fastes ou néfastes ? Il en va de même avec la la montagne. Nous étions « embarqués embarqués 233 », nous voilà voilà encordés. encordés. Il est clair que, de nouveau, les concepts concepts juridiques juridiques se diluent dans le pathos métaphorique: «Que la montagne [... ] se fasse difficile, voire abominable, et le contrat lui-même change de fonction : ne lie plus seulement les marcheurs entre eux, mais, de plus, prend des attaches en des points précis et résistants de la paroi ; le groupe se trouve lié, référé, non seulement à soi-même, mais au monde objectif Le piton sollicite la résistance de la muraille à qui nul ne confie de lien qu'après l'avoir testée. Au contrat social social s'ajoute un contrat contrat naturel 234. » Question naïve naïve de celui celui qui « n'a jamais jamais pitonné»: pitonné»: en quoi le fait de grimper Ibid., p. Ibid., p. 191. Ibid., p. Ibid., p. 78. Ibid., p. Ibid., p. 70. « Nous voici donc embarqués embarqués ! Pour la première fois de l'histoire, Platon et Pascal, qui n'avaient jamais navigué [sic] ont raison tous les deux en même même temps» (M. SERRES, Le SERRES, Le Contrat naturel, op. cit., p. cit., p. 7 2). On se demande comment Platon réussit, par deux fois, à gagner la Sicile... Ibid., p. Ibid., p. 72. Ibid., p. Ibid., p. 163. 229 230 231
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instaure-t-il un rapport contractuel avec la paroi ? Qu'il s'agisse de la mer, de la roche, ou de tout autre élément naturel, le contact ne crée aucun contrat, ni la peur aucun pacte. C'est pourtant ce que prétend le philosophe des cimes: «Un contrat ne présuppose donc pas forcément le langage : il suffit d'un jeu de cordes. cordes. Elles comprennent elles-mêmes elles-mêmes sans mots [sic]. Étymol Étymologi ogique quemen mentt et dans dans la nature nature des choses choses [sic], un contra contratt comprend235 » J'aimerais comprendre, moi aussi... Soyons sérieux. Dès lors que l'on a renoncé à fonder fonder en droit le contrat contrat natur naturel, el, il n'est n'est plus plus d'aut d'autre re soluti solution on que de verser verser dans dans les images images biologiques (la symbiose) et bibliques (la terre s'émeut). D'où cette «religion diligente du monde 236 », que Serres nous invite à pratiquer, et cette «communion » finale avec la la « Terre spasmodique ». À l'évidence, l'évidence, on a quitté le terrain de la réflexion philosophique pour celui de la vaticination, où chacun prend ses délires pour la réalité, et Pascal Acot a tout à fait raison, quand il s'interroge, au terme de son Histoire de l'écologie: «Pourquoi un tel retour au Sacré, et surtout si constant, chez les écologistes237 ?» DU DROIT DE LA NATURE De deux choses l'une : ou bien la nature est un sujet et, comme telle, détentric détentricee d'une sorte de « droit droit naturel ». Mais ce «jusnatur «jusnaturalisme alisme » inédit suppose, on l'a vu, une théologie ou, du moins, une mythologie plus ou moins subreptice, qui, comme dans l'ancien droit germanique, peut seule lui assurer un semblant de validité. Ou bien la nature n'est pas sujet Ibid., p. Ibid., p. 167. Ibid., p. Ibid., p. 81. Pascal ACOT, Histoire ACOT, Histoire de l'écologie, Paris, P.U.F., 1988, p. 241. «Un sentiment religieux (une religion émergente, et non pas se ulement révélée) irrigue toutes les activités de l'écosociété. l'écosociété. Il sous-tend et valorise l'action. Il confère l'espoir l'espoir que « quelque chose peut être être sauvé» (J. de ROSNAY, Le ROSNAY, Le Macroscope, Paris, Ed. du Seuil, 1975, p. 283). «Religion émergente », « religion diligente » (Serres), je dirais volontiers religion indigente, celle de tous ces théologiens, officiels ou hypocrites, dont Spi noza dénonçait déjà l'imbecillitas, et qui, à bout d'arguments, vous obligent à vous « réfugier dans la volonté de Dieu, cet asile de l'ignorance ». Dieu a simplement changé de nom. 235 236
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de droit, et il faut l'instituer, au moyen de l'outil juridique, ainsi que s'y emploie Marie-Angèle Hermitte dans un article fondamental, «Le concept de diversité biologique et la création d'un statut de la nature ». En voici la thèse : « Faire de la diversité biologique et, plus largement, de la nature un sujet de droit est le point clé de l'ensemble de mon raisonnement. [... ] On se séparerait donc totalement de tous les systèmes ayant fait de la nature un objet de droit 238. » Soit. Mais si cette cette institution institution est une une décision décision unilatérale, puisque, malgré les prosopopées de Serres, la nature n'aura jamais « son mot à dire», peut-on vraiment parler d'un sujet de droit, sinon, une fois de plus, par métaphore et sur le mode du «comme si » ? Augustin Berque, dans son dernier ouvrage, est catégorique : « Ainsi, la notion de "droits de la nature" nature" est incohérente dans son principe principe même. Il est par conséquent impossible de fonder une éthique de l'environnement sur une telle notion 239. » Cons Consid idér éron onss le seul seul prob problè lème me,, au deme demeur uran antt cruc crucia ial, l, de la «représentation ». Il est clair que, la nature ne pouvant se défendre ni protester, il faudra déléguer à certains organismes le soin de la représenter et d'évaluer, par exemple, le montant des dommages subis, c'est-à-dire de la réparation qui sera accordée, non pas à la nature ellemême, mais à ceux que sa détérioration aura lésés. À supposer donc qu'on décide de la «réparer » restaurer la forêt, le littoral, etc. -, il ne fait aucun aucun doute doute qu quee toute toute l'opér l'opérati ation, on, dans dans ses modali modalités tés juridi juridique ques, s, financières et techniques, s'effectuera en vue et en fonction de l'humanité, dont les intérêts ne sont d'ailleurs pas exclusivement économiques, mais esthétiques, sociologiques, sociologiques, etc. De toute façon, ce n'est pas parce que que l'homme s'impose des devoirs à l'égard de la nature que celle-ci devient sujet de droit. Marie-Angèle Hermitte cite pourtant un texte qui contredit l'interprétation restrictive que je propose. Il s'agit du «projet de convention convention internationale sur la conservation de la diversité biologique » . «Le préambule déclare que "les espèces espèces sauvages ont le droit d'exister d'exister indépendamment des bénéfices qu'elles peuvent fournir à l'humanité". Plus général, l'article 2 dispose : "Les États reconnaissent que la diversité biologique constitue un Marie-Angèle HERMITTE, «Le concept de diversité biologique et la création d'un statut de la nature », dans B. EDELMAN et M.-A. HERMITTE, L'Homme, HERMITTE, L'Homme, la nature et le droit, op. cit., pp. 254-255. Augustin BERQUE, Ètre BERQUE, Ètre humains sur la terre, op. cit., pp. cit., pp. 65-66. 238
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patrimoine qui doit être conservé au bénéfice des générations présentes et futures, aussi bien que sur le fondement de son propre droit" 240. » Mais lequel ? De quel droit décréter que toutes les espèces ont le droit d'exister, dans l'absolu, sinon parce qu'on s'assigne à soi-même le devoir absolu de les protéger, c'est-à-dire, au fond (mais on ne le dit jamais, tant l'hypocrisie est ici, comme partout, la règle planétaire), parce qu'on s'octroie le rôle providentiel de Dieu (pas n'importe lequel: un Dieu soucieux de son «capital »), ou de vicaire de Dieu, nouveau Noé chargé de cette arche moderne, la diversité biologique ? Nous voilà, une fois de plus, reconduits à la théologie, qui, décidément, décidément, inspire tous ces discours. Et je ne puis mieux faire, pour clore ce débat, ou, du moins, le clarifier, que citer Martine Rémond-Gouilloud : «Parce que aucun intermédiaire ne saurait assurer parfaitement la défense de la nature, certains auteurs proposent, radicalement, de lui en accorder le le droit. Une certaine personnification personnification des éléments naturels, leur donnant un intérêt à agir, permettrait seule de réparer véritablement véritablement les dommages dont ils font font l'objet. Cette démarche suscite pourtant la réserve. réserve. Séduisante sur le plan philosophique philosophique [ ?], en ce qu'elle fait pièce à cet impérialisme humain qui refuse à tout autre qu'à l'homme la qualité de sujet de droit, elle ne semble pas d'une utilité décisive. À supposer que certaines choses soient dotées d'embryons de droits, elles resteraient incapables de les exercer: le problème de leur représentation, déplacé déplacé d'un cran, ne serait pas résolu pour autant. autant. Aussi cet artifice ne s'impose-t-il pas. À l'esprit trop cartésien pour se satisfaire d'une telle fiction., il semble que le représentant de la nature soit appelé à gérer, non les intérêts de la nature envisagée pour ellemême, mais tout simplement l'intérêt collectif de la société à sa préservation 241. » «Certains voudraient, comme jadis, personnifier la nature, lui reconnaître des droits droits qui lui permettr permettraie aient nt de se protég protéger. er. [... [... ] Ces tentat tentative ives, s, fécondes pour les philosophes [ ?], ne sauraient pourtant satisfaire le juriste. Anthropocentriste Anthropocentriste par formation, il ne conçoit d'autres intérêts à protéger que ceux des êtres humains, et les seules limites qu'il accepte à ses prérogat prérogatives ives le sont au nom d'autres d'autres intérêts intérêts humains directement directement Marie-Angèle HERMITTE, «Le droit et la vision biologique du monde », dans Maîtres dans Maîtres et protecteurs de la nature, op. cit., p. cit., p. 88. Martine RÉMOND-GOUILLOUD, RÉMOND-GOUILLOUD, «Le prix de la nature», dans B.EDELMAN et M.-A. HERMITTE, L’Homme, HERMITTE, L’Homme, la nature et le droit, op.cit., p. p. 217. 240
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perceptibles. C'est pourquoi la protection protection des ressources naturelles ne peut être chez nous comprise, et les limitations qu'elle nous impose admises, que dans l'intérêt de nos contemporains 242. »
L'INTÉRÊT « ÉCONOLOGIQUE » La notion d'intérêt, au sens élargi du terme, nous mène au coeur de la question. Renoncer à cette prétention illusoire illusoire d'instituer la nature en sujet de droit ne signifie pas que l'on capitule devant la morgue technocratique, ni que l'on continue continue à saccager saccager la planète planète en toute toute impunité. impunité. Bemard Bemard Edelman souligne bien cette idée fondamentale d'intérêt commun, telle qu'elle figure explicitement dans nombre de conventions internationales, sur l'espace extra-atmosphérique, l'Antarctique, les océans, etc. 243. Cela suffit à nous engager, nous oblige à contracter entre nous, et à tous les échelo échelons, ns, sans sans qu'il i l soit soit besoin besoin de mythif mythifier ier ou déifie déifierr la natur nature, e, et d'encombrer nos résolutions de considérations éthiques ou pathétiques. Comme le remarque Alain Boyer, « il n'est pas immoral en soi de polluer une mer, même si cela peut entraîner des effets inattendus sur l'homme qu'il qu'il serait injuste injuste et sot de ne pas prendre prendre en compte. Les idées de "respect de la Nature" ou même de "respect de la vie", en tant que telles, me semblent relever du fétichisme au sens de Comte 244 ». C'est toujours, en dernière instance, notre intérêt qui est la règle, à condition de ne pas le rédui réduire re à son express expression ion la plus plus courte courte et la plus pauvre. pauvre. L'inté L'intérêt rêt écologiqu écologiquee exige exige un calcul à long terme, où entrent, entrent, assurément, assurément, de nombreux facteurs. Martine RÉMOND-GOUILLOUD, RÉMOND-GOUILLOUD, « Ressources naturelles et choses sans maître », dans B. EDELMAN et M.-A. HERMTTE, L’Homme, la nature et le droit, op. cit., p. 229. Il est remarquable, et tout tout à l'avantage de ce volume collectif, que les articles de M.-A. Hermitte et M. RémondGouilloud y figurent côte à côte; bel exemple d'un débat dont on eût aimé trouver trace dans le livre de Serres. Bemard EDELMAN, « Entre personne humaine et matériau humain: »le sujet de droit», dans B. EDELMAN et M.-A. HERMITTE, ibid., pp. ibid., pp. 136 et sq. et sq. A. BOYER, « Le respect de la nature... », art. cité, pp. 12-13. 12-13. 242
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Je viens de dire que notre intérêt n'était pas seulement économique. Prenons l'exemple de l'animal, dont la protection constitue, à cet égard, un précédent instructif. Existe-t-il un droit de l'animal ? Non, à strictement parler. Il est vrai que, si j'inflige de mauvais traitements à une bête, je suis, en France, passible de poursuites judiciaires. je n'ai pourtant jamais contracté avec ma victime. Il se trouve seulement que, depuis depuis peu (le XIX ème), la souffrance des animaux, surtout de certains d'entre eux (et ces choix sont révélateurs), est devenue insupportable aux Occidentaux, qui ont décidé, dans leur intérêt sentimental (souffrir, même par compassion, est un préjudice), préjudice), de ne la plus tolérer. tolérer. Une décision décision unilatéra unilatérale, le, où l'animal l'animal n'est pas institué institué en sujet de droit, sinon par métaphore métaphore ou contamination analogique, mais devient, en tant qu'objet de droit, un être protégé, qui, faute de pouvoir crier justice, se voit représenté, par la S.P.A., ou tout autre avocat, qui ne réclame rien pour la victime ellemême, mais requiert la punition du coupable, ainsi rappelé à ses devoirs, et surtout pour l'exemple. Il en va de même, a fortiori, fortiori, pour la nature inorganique. C'est unilatéra unilatéralemen lementt que l'homme s'engage à respecter respecter les forêts, forêts, la mer, l'Antarct l'Antarctique ique,, la couche couche d'ozone, d'ozone, etc. Le prétendu prétendu contrat contrat avec une prétendue nature n'est et ne sera jamais qu'une obligation juridique que les hommes s'imposent à eux-mêmes, à propos d'un objet ou secteur naturel bien défini, dont ils décident, dans leur intérêt bien compris, d'assurer la sauvegarde. On le voit bien, aujourd'hui, avec le débat qui divise les puissances occidental occidentales es et les pays en voie de développeme développement. nt. Il est clair que ces derniers refusent de de contracter, non pas avec la « Nature», mais avec nous, qu'ils qu'ils dénon dénoncent cent une ingérence ingérence qui prend parfois, parfois, il est vrai, un tour scandaleux, et répugnent à s'enfermer dans un système de contraintes jugées léonines et, du moins à court terme, néfastes à leur économie. C'est dire que la véritable écologie n'a que faire d'un contrat symbiotique avec une nature symbolique, coquecigrue qui fera ricaner tout juriste sérieux, mais mais qu'elle e lle exige exige un unee série série de conven conventio tions ns préci précises ses,, équita équitable bless et garanties par une instance internationale. internationale. Dans une interview à L’Express, Brice Lalonde, Lalonde, alors alors ministre ministre de l'Environ l'Environnemen nement,t, évoq évoquait uait même la possibilité d'une police écologique : « Nous verrons sans doute apparaître des organismes communs à l'ensemble des nations, pour surveiller, édicter et, même, intervenir. Nous en sommes à l'ingénierie planétaire planétaire : il faudra
rectifier et créer, autant que protéger. Peut-être parlerons-nous parlerons-nous d'une force d'intervention écologique, de "Casques verts". 245 » Qui ne voit que cette force d'intervention d'intervention n'aurait aucunement pour mission de faire respecter un « droit de la nature », mais, plus simplement et plus sérieusement, de veiller à l'application des règles que les hommes auront édictées pour euxmêmes, dans leur intérêt bien compris, c'est-à-dire élargi à l'échelle de la planète et de la longue durée. durée. Prenons un autre exemple, la sauvegarde sauvegarde de la diversité diversité biologique. On peut l'envisager de deux façons. La première est théologique: l'homme, vicaire de Dieu, a charge charge de sa Création. C'est, si l'on veut, le complexe de Noé, serviteur de Zoé (la Vie), à l'heure où le Second Déluge s'annonce, et dont nous sommes à nouveau responsables, non plus par une faute éthique, mais par un péché technologique: si l'on en croit Norman Mayers, l'homm l'hommee aurait aurait détruit détruit,, depuis depuis un siècle siècle,, près près de 75 % des espèces espèces vivant vivantes. es. La seconde seconde est pragma pragmatiq tique. ue. On sait, sait, en effet, effet, que les révolutio révolutions ns pharmaceut pharmaceutiques iques sont souvent souvent liées à la découver découverte te des propriétés médicinales que détiennent certaines certaines espèces végétales (le pavot pour la morphine, le saule pour l'aspirine, etc.) ou certains champignons microscopiques (pénicilline, ciclosporine, etc.). On dit aussi que les forêts tropi tropical cales es abrite abriterai raient ent 60 % des deux deux cent cent cinqua cinquante nte mille mille espèce espècess répertor répertoriées. iées. La déforestatio déforestation, n, quel qu'en soit l'intérêt l'intérêt économique économique immédiat, constitue donc la dilapidation insensée d'un réservoir-, dont nous nous ne savons savons même même pas évaluer évaluer l'impo l'importa rtance nce.. Il ne s'agit s'agit pas de contracter une (« alliance symbiotique » avec la forêt tropicale, mais, dans l'intérêt commun de l'humanité, de négocier avec ceux qui, pour vivre, la détruisent; ce qui pose, une fois de plus, la question fondamentale, à la fois économique et écologique, bref, éconologique, des rapports rapports (« Nord-Sud ». La formule qui donne son titre à ce chapitre n'est pas anticartésienne, bien au contraire : elle explicite et actualise celle du Discours de la méthode. On ne maîtrise et ne possède vraiment la nature qu'en la protégeant. je souscris, sur ce point, à l'opinion de Serres : il faut « désormais chercher à maîtriser maîtriser notre notre maîtrise maîtrise246 ». La vraie vraie maîtrise maîtrise est maîtri maîtrise se de soi, soi, pronominale, et la vraie possession à l'opposé de l'oppression : gestion ordonnée d'un fonds fonds à préserver. Il ne s'agit pas de s'agenouiller s'agenouiller devant la L’Express, 7 avril 1989. M. SERRES, Le SERRES, Le Contrat naturel, op. cit., p. 61.
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Vierge-Vi Vierge-Viee ou notre notre Mère-Nature, Mère-Nature, pour leur vouer un culte puéril. puéril. La nature n'est pas une personne, ni même une entité, que nous aurions à vénérer pour elle-même, elle n'est qu'un réservoir, il est vrai colossal, de possibilités, que tous nos intérêts, économiques, écologiques, esthétiques, etc., nous commandent d'exploiter, non seulement rationnellement (nous le savons), mais raisonnablement (nous avons à l'apprendre), un patrimoine commun que nous nous devons de protéger contre notre propension au gaspillage, mais sans jamais céder à ce pathos écologiste, qui n'est, le plus souven souvent, t, qu'un u n margou margouill illis is de biolog biologism ismee et de théolo théologie gie.. « La philosophie, disait Schopenhauer, n'est pas faite pour apporter de l'eau au moulin moulin des curés. curés. » Sa mise en garde garde est toujours toujours pertinente. pertinente. MéfionsMéfionsnous des nouveaux Tartuffes... CHAPITRE IX UN PAYSAGE PEUT-IL ÊTRE ÉROTIQUE?
Cette théorie du paysage, que je m'efforce d'élaborer depuis des années, j'aimerais en donner une une ultime illustration, apportant, apportant, je l'espère, la touche érotique et ludique, qui manquait, peut-être, à cet essai. je rappelle, une dernière fois, l'hypothèse qui me sert de fil conducteur: il n'y a pas de beauté naturelle ou, plus exactement, la nature ne devient belle à nos yeux que par le truchement de l'art. Notre perception esthétique esthétique de la nature est toujours médiatisée par une opération artistique, une « artialisation», que celle-ci s'effectue directement ou indirectement, in situ ou in visu. Or l'érotisation est une variété particulièrement spectaculaire de l'artialisation paysagère. Mais on pressent d'emblée qu'elle ne saurait, sauf exception (ou provocation ... ) opérer in situ, et que la transformation d'un pays (asexué) en paysage (érotisé) s'effectue surtout in visu, par visu, par la médiation de la peinture, de la photographie, de la littérature. CROUPES ET MAMELONS.
LA MÉTAPHORE RÉVERSIBLE Paradoxalement, ce sont les géographes qui nous fournissent les premiers indices d'une telle érotisation, avec la terminologie dont ils usent pour la description du milieu physique. physique. Les militaires reprennent ce vocabulaire, vocabulaire, qui me ravissait ravissait quand j'étais j'étais grenadier grenadier-vol -voltige tigeur ur au 5 ème régiment régiment d'infanterie. Ce n' était, sur les cartes d'‘état-major, d'‘état-major, que « croupes » et « mamelons « , la manoeuvre devenait comme un jeu licencieux sur cette «Carte de Tendre » ... «Croupe: partie «Croupe: partie renflée d'une montagne » (Littré). «Mamelon: éminence arrondie arrondie sur un terrain terrain » (Littré). Chez Hugo, par exempl exemple: e: « Derriè Derrière re un mamelo mamelon, n, la garde garde était était massée massée247... ... » Un mamelon, pas une croupe, le premier suffit pour dissimuler la garde impériale, qui n'en a plus pour longtemps, on est à Waterloo, « morne plaine »... Elle n'en est que plus troublante, cette garde, « massée » derrière son «mamelon », avant de surgir, rigide, pour se faire étriller par la mitraille anglaise... Certes, il ne s'agit que d'indications rudimentaires mais elles témoignent déjà d'une certaine inclination à projeter sur le pays des signes sexuels, sinon érotiques, en tout cas féminins. féminins. Et cela m'inspire deux remarques. remarques. 1) D'emblée, l'érotisation semble plutôt s'effectuer au féminin, comme s'il s'il exista existait it quelqu quelquee affin affinité ité entre entre la config configura uratio tionn géogra géographi phique que et l'anatomie de la femme: courbes et creux, ligne de grâce hogarthienne, « unir les courbes des femmes à des croupes de collines » (Cézanne)... 2) Cette métaphorisation métaphorisation sommaire est réversible. réversible. La femme peut, plus aisément aisément que l'homme, l'homme, devenir un paysage. paysage. On évoquera, évoquera, de manière assez convenue, la colline de ses seins, le vallon de sa gorge, le ravin de son sexe, sans doute le plus exposé à cette métaphorisation, triviale ou poétique: touffe, motte, mont de Vénus, sillon, grotte, « jardin bien clos ,
source scellée248 ». J'ai J'ai moi-mêm moi-mêmee cédé cédé à cette cette tentat tentation ion,, constr construis uisant ant l'un l'un de mes mes romans romans autour de la métaphore métaphore du «buisson «buisson ardent », du « fourré fourré crématoire », celui d'une adolescente rousse qui, soulevant sa robe, s'exhibe au narrateur : «C'était un acte prodigieux, le geste sacré d'Éleusis, quand Baubô, brusquement, dévoile à Déméter son ventre 247 248
HUGO, Les HUGO, Les Châtiments, « L'Expiation », II.
Cantique des Cantiques, rv, 12.
malicieux. malicieux. Mais celui que que je vis me frappa frappa de terreur terreur.. Il était était envahi d'une énorme fourrure, fauve, farouche, flamboyante. Ébloui, je levai les deux mains et m'en couvris les yeux, mais la toison continuait de brûler dans la nuit. je me dis alors : tu vas t'avancer pour considérer cet étrange spectacle, et voir pourquoi ce buisson ne se consume pas. Mais je restais cloué, et lorsque enfin j'osai y regarder, le corps avait encore grandi, il montait du brasier comme une fumée blême, et je compris alors que jamais le chiendent des plus larges femelles ne pourrait égaler le feu de ce pelage 249.. » Ou bien encore, quelques pages plus loin, la classe des lycéennes aux blouses bleues, métaphorisées en « polypier » : « Elles formaient à mes pieds pieds comme comme un grand grand animal animal,, un bel anthoz anthozoai oaires res corail corail céruléen, céruléen, coelentéré coelentéré d'azur. d'azur. Parfois, Parfois, l'un des polypes osait osait me questionner questionner.. Alors je répondai répondaiss d'une voix asexuée, asexuée, lointaine lointaine,, universelle, celle que demandait la colonie marine250 . » Ce polypier n'est évidemment qu'une réminiscence réminiscence du « zoophyte » proustien, celui des « jeunes filles en fleurs » : « Tel pour moi cet état amoureux divisé simultanément entre plusieurs jeunes filles. Divisé ou plutôt indivis, car le plus souvent ce qui m'était délicieux, différent du reste du monde, ce qui commençait à me devenir cher au point que l'espoir de le retrouver le lendemain était la meilleure joie de ma vie, c'était plutôt tout le groupe de ces jeunes filles... » Les photographes, à leur tour, ne cessent de jouer sur ces métamorphoses : filles d'eau, filles de sable, filles de pierre. Ainsi Lucien Clergue et ses femmes marines, ou ces artistes japonais, plus sensibles à la minéralité lumineuse des corps. On soupçonne déjà que cette réversibilité métaphorique peut produire le pire et le meilleur. Le pire, le poncif, un paysage de pacotille, sexualisé à la hâte, sinon « à la hussarde », mais aussi le meilleur, une esthétisation subtile, où la nudité et le pays, réalités naturelles, s'érotisent mutuellement pour susciter ces figures de l'art que sont le nu et le paysage. Au chapitre du pire figure le recours, commode et complaisant, à la psychanalyse, qui permet, croit-on, de projeter sur n'importe quel lieu une lecture libidinale. Comme il est rare que le terrain soit complètement plat, on se donne, à peu . Alain ROGER, Le ROGER, Le Misogyne, Paris, Denoël, 1976, p. 15. Ibid., p. Ibid., p. 36.
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de frais, la faculté de tout interpréter en termes génitaux, tout relief est phallique et toute cavité, vulvaire. Il se trouve toujours un arbre ou un clocher pour ithyphalliser le paysage - que n'a-t-on pas fait subir aux trois clochers clochers proustiens proustiens de Martinvi Martinville lle et de Vieuxvicq Vieuxvicq quelque quelque mare ou ruisseau ruisseau pour le féminiser. féminiser. N'ou N'oublio blions ns pas que les quatre éléments éléments des cosmogonies archaïques sont sexués - air et feu, masculins, terre et eau, fémini féminins ns -, si bien bien qu quee rien rien ne peut peut échapp échapper er à cette cette sexual sexualisa isatio tionn universel universelle, le, une sorte de « partie partie carrée » élémentaire, élémentaire, puisque les échanges et les liaisons se multiplient, engendrant ces images poétiques dont Bachelard s'est fait le spécialiste : la boue (terre + eau) et les fumerolles (feu + air) sont homosexuelles, tandis que les vapeurs (eau + air) et la lave (eau + feu) sont hétérosexuelles. Une telle érotisation n'est pas dénuée d'intérêt, ni de charme, comme on peut s'en convaincre en lisant les essais de Bachelard, ou les traités du paysage de la Chine ancienne (voir plus haut) : «Le rôle du pinceau est de camper la forme et la substance des choses, celui de l'encre est d'établir la distinction entre le yin et le yang. [... ] Ainsi sont obtenus les effets de yin et du yang distance. L'alternance du du yin du yang permet permet de distinguer les lointains des premiers plans, les faces avant et a rrière des montagnes; elle peut aussi modeler les reliefs en opposant les creux peints à l'encre sombre (yin) et les bosses peintes à l'encre pâle (yang)251. » Mais cette codification des éléments et leur sexion systématique risquent, en dépit des liaisons et de quelques quelques « brouillag brouillages es », de nuire à l'érotis l'érotisation ation,, comme il arrive arrive en psychanalyse, où l'application mécanique de la symbolique freudienne tourne souvent à la caricature. Faut-il imputer à Freud lui-même la responsabilité de cette sexualisation, tout à la fois naïve et scolastique, du paysage ? Sans doute, si l'on en juge par les quelques indications qu'il nous fournit dans L’Interprétation des rêves: « On reconnaît sans peine que dans le rêve beaucoup beaucoup de paysages, ceux en particulier qui représentent des ponts ou des montagnes boisées, sont des descriptions d'organes génitaux 252. » Freud n'en confirme pas N.VANDIER-NICOLAS, N.VANDIER-NICOLAS, Esthétique Esthétique et peinture de paysage en Chine, op. cit. (chap. III), pp. 53 et 57. FREUD, L’Interprétation FREUD, L’Interprétation des rêves, trad. fr. Paris, P.U.F., 1971, p.306. Voir aussi le beau rêve des «deux «deux jardins», dont Freud, hélas, esquisse à peine l'interprétation. l'interprétation. 251
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moins notre soupçon initial : « L'organe génital masculin représenté par une personne, l'organe génital féminin représenté par un paysage 253. » Le paysage est, pour l'inconscient, foncièrement féminin, même si, par imprudence, quelque signe phallique s'y aventure... TROIS FIGURES DE LA FEMME-PAYSAGE
On en trouve de beaux exemples en littérature, et chez des écrivains qui, ignorant souvent tout de la psychanalyse, féminisent leur paysage selon des modalités diverses et justiciables d'une typologie fondée sur les figures de la féminité, qui président à la métaphore. Coleridge, Kubla Khan, l'orgasme tellurique... Il est significatif que ce poème onirique commence (reste diurne) par l'évocation du grand jardin clos du khan Koubilaï, un jardin qui, soudain, fait place à un ravin, le rêve s'exaltant en délire érotique: «Mais quel ravin profond et mystique (deep romantic chasm), à travers une forêt de cèdres, s'enfonçait, oblique, dans la verte verte montagne! montagne! Sauvage Sauvage endroit! endroit! Nul plus plus sacré, nul nul plus magique, magique, jamais ne fut hanté, sous la lune émaciée, par femme dont les gémissements invoquent le démon qui l'aime! (By woman wailing for her demon lover). Au fond de ce ravin, bouillonnant toujours dans le tonnerre, Ibid., p. Ibid., p. 314. J'incline à croire que, que, pour Freud, le paysage relève de de la même interprétation que «l'illusion du déjà vu», c'est-à-dire e l'organe génital de la mère » (op. cit., p. cit., p. 343). Le « déjà vu » est d'ailleurs le le plus souvent un paysage. Quoi qu'il en soit, il me paraît paraît difficile de suivre 253
Françoise CHENET, lorsqu'elle émet l'hypothèse que «si, comme tout le monde en convient, le jardin est la métaphore du ventre matemel, le paysage est est du côté du père » « Le paysage comme parti pris », dans Enonciation et parti pris, Actes du colloque de l'université d'Anvers, 1990, pp. 90-91, repris dans La dans La Théorie du paysage en France, 1974-1994, op. cit., p. cit., p. 277). Pour une psychanalyse du paysage, voir aussi J. Guillaumin, «Le paysage dans le regard d'un psychanalyste », université de Lyon 11, 1975, n° 3, et Michel COLLOT, « Points de vue sur la perception des paysages », L’Espace », L’Espace géographique, 1986, n°3.
comme si cette terre respirait en halètements rapides et rauques (As if this earth in fast thick pants were breathing), breathing), une source puissante surgissait en poussées soudaines, et, dans sa montée brusque, à demi intermittente, bondissaient des fragments énormes. [... ] et parmi cette danse des rocs, en même temps et sans cesse, le ravin, d'instant en instant, projetait la rivière sacrée... » Tous les éléments «géographiques » sont ici féminins: chasm (« ravin »), fountain (« source»), source»), sacred river (« rivière sacrée »), puis, aux vers suivants, caverne caverne measureles measurelesss to man ( « cavernes cavernes dont la mesure mesure est inconnue à l'homme »), lifeless ocean (« océan sans vie »), caves of ice «(cavernes de glace ») 254, et c'est leur érotisation violente, « virile », et comme volcanique (métaphore de la métaphore), qui les organise, les orgasmise en paysage fantastique. Huysmans, La Huysmans, La Bièvre, la fille du ruisseau... «La nature n'est intéressante que débile et navrée. je ne nie point ses prestiges et ses gloires alors qu'elle fait craquer par l'ampleur de son rire son corsage de rocs sombres et brandit au soleil sa gorge aux pointes vertes, mais j'avoue ne pas éprouver, devant ses ripailles de sève, ce charme apitoyé que font naître en moi un coin désolé de grande ville, une butte écorchée, une rigole d'eau qui pleure entre entre deux arbres grêles. grêles. Au fond, la beauté beauté d'un paysage est faite faite de mélancoli mélancolie. e. Aussi la Bièvre, Bièvre, avec son attitude attitude désespérée désespérée et son air réfléchi de ceux qui souffrent, me charme-t-elle plus que toute autre. » La métaphore, de nouveau, est réversible : si la prostituée est un «égout séminal » (Parent-Duchâtelet, 1836), l'exutoire nécessaire du stupre, la Bièvre, «cette rivière en guenille», ce « fumier qui bouge », «cet exutoire de toutes crasses », n'est qu'une qu'une pauvre fille, une « fille » tout court, une fille des rues, ou plutôt du « ruisseau », et c'est cette cette misère « navrée » qui fascine Huysmans et lui inspire ces lignes magnifiques et déjà nostalgiques : « Ils ne l'ont donc jamais enfin regardée cette étrange rivière, cet exutoire de toutes les crasses, cette sentine couleur d'ardoise et de plomb fondu, bouillonnée çà et là de remous verdâtres, étoilée de crachats troubles, qui COLERIDGE, Kubla COLERIDGE, Kubla Khan, traduction de Germain D'Angest, légèrement modifiée. J'ai déjà évoqué ce poème, mais dans une autre autre perspective, au chapitre chapitre II de ce livre. Le thème des « cavernes cavernes creuses », associées à la féminité maléfique, est récurrent dans l'Odyssée (Calypso, au chant v, Scylla, au chant XII, etc.). Il est omniprésent dans les mythes et les contes. 254
gargouille sur une vanne et se perd, sanglotante, dans les trous d'un mur ? Par endroits, l'eau semble percluse et rongée de lèpre ; elle stagne, puis elle elle remue remue sa suie suie coulan coulante te et repren reprendd sa marche marche ralentie ralentie par les bourbes255... » Je me souviens d'une rivière, l'Yévrette, qui s'écoulait à Bourges, y croupissait plutôt, putride et méphitique, et je ne pouvais m'empêcher de l'associer à ma petite voisine, une fillette souffreteuse et couverte d'impétigo, qu'on appelait «la pauvre Yvette » de sorte que l'Yévrette me semblait comme le condensé de cette pauvre Yvette, son double pitoyable, ma Bièvre berruyère... Où l'on voit que l'onomastique seconde seconde ici la métaph métaphore. ore. Il y a une Yvette en région parisienne, une Nonette aussi, près de Senlis: « joli ce nom, et il imaginait imaginait un essaim de novices, béguinettes en goguette, s'éclaboussant les seins au milieu du courant courant256 ». La Seine, c'est le Sein, au féminin, comme il convient; la Loire, c'est un Loir, au féminin, de même, et je songe au Jardin de la France, de Max Ernst, cette femme lovée entre l'Indre et la Loire ; la Garonne, un condensé de garçonne et luronne, mais qui, en grandissant, devient une fille gironde, la Gironde... Gironde... Sartre, La Sartre, La Nausée, l'obscénité femelle... « Les choses se sont délivrées de leurs noms. Elles sont là, grotesques, têtues, têtues, géantes et ça paraît imbécile imbécile de les appeler des banquettes ou de dire quoi que ce soit sur elles : je suis au milieu des Choses, les innommables. » On sait que cette expérience de « l'existence l'existence » se répète et culmine, deux pages plus loin, dans la célèbre description du jardin public de Bouville, mais les commentateurs n'ont, me semblesemble-t-i t-il, l, pas assez assez soulig souligné né que cette cette descri descripti ption on est animée animée de l'intérieur et comme inséminée par une féminisation universelle et obscène des Choses : « Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses monstrueuses et molles, en désordre - nues, d'une effrayante et obscène nudité. [... ] Toutes choses, doucement, tendrement, se laissaient aller à l'existence comme ces femmes lasses qui s'abandonnent au rire et disent: "c'est bon de rire", d'une voix mouillée; mouillée; elles s'étalaie s'étalaient, nt, les unes en face des autres, autres, elles se faisaient l'abjecte confidence de leur existence. je compris qu'il n'y avait pas de milieu entre l'inexistence et cette abondance abondance pâmée. Si l'on existait,
Huysmans, « La Bièvre », dans Croquis parisiens, rééd. Lausanne, Mermod, 1955, pp. 109-1 10. Alain ROGER, Rémission, ROGER, Rémission, Paris, Grasset, 1990, p. 86.
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il fallait exister jusque-là, jusqu'à la moisissure, à la boursouflure, à l'obscénité257. » Paradoxe : on aurait pu croire que «l'existence » serait la régression au neutre. Il n'en est rien. rien. Tout se passe comme si ce retour à la la « chose », ce détour par le «ça existe » n'avaient d'autre fonction que d'engendrer, par l'insémination métaphorique - et Robbe-Grillet ne manquera pas de le reprocher à Sartre - un autre paysage, plus puissant, plus inquiétant aussi, fantasmatique à l'évidence, puisque placé sous le signe de la femellité, misogynie cosmique... Il existe bien d'autres modalités de l'érotisation paysagère (Hugo, Flaubert, Verlaine, Bram Stoker, Colette, Giono, Dali 258, Ernst, Saudek, etc.) mais j'aimerais me pencher plus plus particulièrement sur deux deux d'entre elles, celles de Zola et de Proust, fort différentes au demeurant, mais également heureuses et plus ou moins paradisiaques.
ZOLA. L'ÉDEN AU FÉMININ FÉMININ Le «Paradou «Paradou » est assurément assurément un haut lieu dans l'oeuvre l'oeuvre de Zola. Sa longue description, inlassablement reprise et renouvelée, occupe la partie centrale de La Faute de l'abbé Mouret, dont il est, sans conteste, le vérit véritabl ablee person personnag nage, e, induis induisant ant,, par sa force force vitale vitale et sa fémini féminité té exubérante, la «faute » de Serge et Albine, Adam et Ève de cette parabole un peu lourde, mais, comme l'écrit Huysmans, «Zola était Zola, c'est-àdire un artiste un peu massif, mais doué de puissants poumons et de gros poings259 ». Tous les éléments du récit édénique sont en effet repris, à commencer par ce paradis « méridionalisé », immense jardin clos, où Serge Serge retrouve retrouve l'innocenc l'innocencee puérile et l'intégr l'intégrité ité physique physique d'Ad d'Adam. am. Les
SARTRE, la Nausée, Paris, Gallimard, 1938, pp. 177-181. J'ai évoqué l'érotisation du paysage « vampirique » dans mon analyse du Dracula du Dracula de Bram Stoker, dans Hérésies dans Hérésies du désir. Freud, Dracula, Dali (Seyssel, Champ Vallon, 1986, pp. 132 et sq.). Le même ouvrage comporte un commentaire du célèbre tableau de Dali, Le Grand Masturbateur, qui est d'abord un paysage érotisé. HUYSMANS, préface (1903) à la réédition d À rebours. 257 258
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bêtes y sont familières, complices, et surtout exemplaires de la sexualité universelle. Ève, enfin, y est l'instigatrice : c'est elle qui conduit Serge sous le grand arbre - de la Connaissance, mais confondu ici avec l'arbre de Vie, première subversion du mythe -, à l'ombre duquel ils s'étreignent, après une abstinence un peu longue à nos yeux de lecteurs habitués à plus de célérité érotique. érotique. S'ensuivent, comme il convient, convient, la honte, la pudeur, et bientôt le remords, on se couvre le corps et on se dissimule quand surgit frère Archangias, héraut héraut de la malédiction. Serge ressort du Paradou, dont le frère, sorte de Léon Bloy aux imprécations tonitruantes, va désormais garder férocement l'entrée. C'est un peu gros (les «gros poings » ... ), mais puissarnment construit (les « puissants puissants poumons poumons » ... ). L'abbé Mouret Mouret connaît connaît d'abord la tentation, l'envie du Paradou, dont il ressent, jusqu'à la défaillance, la fémini féminité té affolan affolante. te. Il y entre, entre, à son corps corps défenda défendant nt (il a perdu perdu conscience), le découvre et l'éprouve, jour après jour, y succombe, le quitte, quitte, y revient, revient, mais en vain, mort à la vie. L'écritur L'écrituree de Zola est ici inspirée, décrivant à merveille cette induction du désir par la féminisation progressive et fabuleuse du jardin, qui, à l'instar du serpent, est le vrai tentateur: c'est lui qui a «voulu la faute 260 ». Voici les moments forts de cette métaphore : - Avant même l'entrée au Paradou, le désir refoulé de Serge investit la campagne environnante d'une femellité puissante, rut rustique, qui fait de ce pauvre pays, non point un « paysage d'âme » (Amiel), mais de femme pâmée : « La nuit, cette campagne ardente prenait un étrange vautrement de passion. passion. Elle dormait, dormait, débraillée, débraillée, déhanché déhanchée, e, tordue, les membres membres écartés, tandis que de gros soupirs tièdes s'exhalaient d'elle, des arômes puissants de dormeuse en sueur. On eût dit quelque forte Cybèle tombée sur l'échine, la gorge en avant, le ventre sous la lune, saoule des ardeurs du soleil et rêvant encore de fécondation. [... ] jamais, comme à cette heure de nuit, la campagne ne l'avait inquiété, avec sa poitrine géante, ses ombres molles, ses luisants de peau ambrée, toute cette nudité de déesse, à peine cachée sous la mousseline argentée de la lune 261. » - Au Paradou262, première étreinte, mais chaste, sous le signe des roses, détaillées avec un luxe érotique éblouissant, dont je ne trouve l'équivalent ZOLA, La ZOLA, La Faute de l'abbé Mouret, livre II, chap. xv. Ibid., livre premier, chap XVI. Ibid.. livre II, chap.IV.
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que chez Huysmans (les fleurs exotiques d'À rebours) et chez Proust (les aubépines de Combray). - La scène, à l'entrée de la grotte, dont la symbolique est bien connue. Est-ce le paysage qui suscite le désir, par son exubérance, ou l'envie des amants qui induit, par projection métaphorique, ce paysage-là ? Les deux, sans doute. Symbiose, mais féminine: féminine: « Chevelure immense immense de verdure, verdure, piquée d'une pluie de fleurs, dont les mèches débordaient de toutes parts en un échevellement fou, faisaient songer à quelque fille géante, pâmée au loin sur les reins, renversant la tête dans un spasme de passion, dans un ruissellement de crins superbes, étalés comme une mare de parfums 263. » - L'arbre de Vie, enfin, évidemment viril, mais dont l'ithyphallisme se gorge de féminité: « La sève avait une telle force., qu'elle coulait de son écorce; elle le baignait d'une buée de fécondation; elle faisait de lui la virilité même de la terre. [... ] Par moments, les reins de l'arbre craquaient; ses membres se raidissaient comme ceux d'une femme en couches; la sueur de vie qui coulait de son écorce pleuvait plus largement sur les gazons d'alentour, exhalant la mollesse d'un désir, noyant l'air d'abandon, pâlissant la clairière d'une d'une jouissance. L'arbre alors défaillait défaillait avec son ombre, ses tapis d'herbe, sa ceinture d'épais taillis. Il n'était plus qu'une volupté 264. » « C'était le jardin qui avait voulu la faute. » Il est un peu dommage que Zola éprouve le besoin de nous marteler l'explication (toujours les «gros poings»), une explication discutable d'ailleurs, puisqu'elle mutile la métaph métaphore ore,, l'ampu l'amputan tantt de sa révers réversibi ibilit lité, é, symbio symbiose se d'Albi d'Albine ne et du Paradou. Le jardin ne peut «vouloir «vouloir la faute» que s'il est lui-même lui-même érotisé par le désir des amants.
PROUST. ÉPIPHANIE DE LA FÉMINITÉ La démarche proustienne proustienne est évidemment différente. différente. Proust était Proust, c'est-à-dire un artiste un peu frêle, mais doué d'un oeil esthète et d'un sexe subtil subtil265. L'érotisa L'érotisation tion du paysage paysage n'en est que plus savante, savante, selon une Ibid.. livre II, chap. VII.
263
Ibid., livre 11, chap. xv.
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Voir plus haut le jugement de de Huysmans sur Zola. Pour plus de commodité et afin d'éviter la multiplication des notes, j'indique pour chaque citation et entre parenthèses les références aux deux éditions de la
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technique très tôt élaborée, puisque le Narrateur la pratique bien avant de lui donner son son nom, la « métaphore », celle des marines marines d'Elstir. C'est ainsi que, dès son premier séjour à Balbec, de la fenêtre de l'hôtel, il érotise, artialise la mer au moyen de modèles modèles esthétiques - « la nymphe Glaukoméné, dont la beauté paresseuse et qui respirait mollement... » (II, 64-65 et 1, 705), comparer avec la Cybèle rustique de Zola -, dont le jeune homme se délivrera bientôt, comme s'il devait se libérer du picturalisme de Swann pour inventer sa propre métaphore, métaphore, son propre paysage. Ainsi, lors du second second séjour séjour à Balbec Balbec,, lorsqu lorsqu'il 'il s'effo s'efforce rce de tromp tromper er son envie envie d'Albertina : « J'essayais de me distraire de ce désir en allant jusqu'à jusqu'à la fenêtre regarder la mer de ce jour-là. Comme la première année, les mers, d'un jour à l'autre, l'autre, étaient rarement rarement les mêmes. Mais d'ailleur d'ailleurss elles ne ressemblai ressemblaient ent guère à celles celles de cette première première année, soit parce que maintenant c'était le printemps avec ses orages, soit parce que, même si j'étais venu à la même date que la première fois, des temps différents, plus changeants, auraient pu déconseiller cette côte à certaines mers indolentes, vaporeuses et fragiles que j'avais vues pendant des jours ardents dormir sur la plage en soulevant imperceptiblement leur sein bleuâtre d'une molle palpitation » (111, 179 et Il, Il, 783). Paysage rêvé, nostalgique, visiblement induit par le désir de la jeune fille. Mais cette métaphore métaphore du « sein bleuâtre », », qui ne livrera livrera son secret que bien plus tard, dans Le Temps retrouvé266 , est d'emblée réversible, comme on le voit un peu plus loin, quand Albertine, à son tour dénudée, suscite le paysage : «j'arrachai cette tunique qui épousait jalousement une poitrine désirée, et attirant attirant Albertine à moi : Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, Rêver sur mon épaule en y posant ton front ? lui dis-je en prenant sa tête dans mes mains et en lui montrant les grandes prairies inondées et muettes qui s'étendaient dans le soir tombant jusqu'à l'horizon fermé sur les chaînes parallèles de vallonnements lointains et bleuâtres » (III, 259 et II, 865-866). Pléiade (Paris, Gallimard, 1986-1989, quatre volumes, et 1954, trois volumes). C'est du moins ainsi que j'ai cru pouvoir interpréter la révélation finale du Narrateur, dans Proust. dans Proust. Les plaisirs et les noms, Paris, Denoël, 1985, pp. 89 et sq. 266
Nous touchons à l'essentiel, la métaphore constitutive du paysage proustien. On sait que cette figure de rhétorique est employée par le Narrateur pour caractériser les marines d'Elstir: « Le charme de chacune consistait en une sorte de métamorphose des choses représentées, analogue à celle qu'en poésie on nomme nomme métaphore » (11, 191 et I, 835). On a pu contester la pertinence de ce terme pour désigner de telles métamorphoses. Il est vrai vrai qu'en e n poétiq poétique ue tradit tradition ionnel nelle le la métaph métaphore ore suppos supposee la conservation des deux signes, tandis qu'Elstir opère une substitution, dans la mesure où il pousse à sa limite le dynamisme de la métaphore, c'est-àdire la métamorphose « élémentaire», non sans rétablir l'équilibre, puisque versa. je serais d'ailleurs celle-ci est réversible : de la mer à la terre et vice versa. je tenté d'appliquer au Narrateur la formule qu'il emploie pour Elstir: « Une de ses métaphores les plus fréquentes... » Chez Proust, « la plus fréquente » est, à n'en pas douter, douter, l'effémin l'effémination ation érotiqu érotique. e. Dès le début de la Recherche, le pays devient un paysage en se gorgeant de désir et de fémini féminité. té. Tout Tout se passe passe comme comme si, par le seul seul mouvemen mouvementt de la description, il est vrai langoureuse, il induisait cette féminité, soit qu'il s'effémine lui-même en courbes suggestives, soit qu'il suscite, comme sa vérité vivante, son essence visible, l'épiphanie de la femme, qui, tout à la fois, l'habite et l'anime. Relevons, de nouveau, les instants privilégiés privilégiés de ce processus métaphorique: - À Combray, la belle description du « règne végétal de l'atmosphère l'atmosphère » par Legrandin, qui, avant Elstir, mérite le titre d'éducateur oculaire. La séquence est la suivante : nuages violets et bleus, nuages nuages roses, « teint de fleur, d'oeillet et d'hydrangea », «règne végétal de l'atmosphère », baie de Balbec, « bouquets célestes bleus et roses », « pétales soufrés soufrés et roses » (le ciel comme parterre, métaphore de Legrandin), Legrandin), « blondes Andromèdes (I, 128-29 et I, 130). - Quelques Quelques pages plus loin, loin, du côté de Méséglise, Méséglise, nouv nouvelle elle séquence séquence : odeur de lilas, « petits petits coeurs verts et frais de leurs leurs feuilles »., « panaches de plumes plumes mauves mauves et blanche blanchess »., «rose «rose minare minaret. t. Les Nymphes Nymphes du printemps eussent semblé vulgaires auprès de ces jeunes houris qui gardaient dans ce jardin français les tons vifs et purs des miniatures de Perse. Malgré mon désir d'enlacer leur taille souple et d'attirer d'attirer à moi les boucles étoilées de leur tête odorante... » (1, 134 et 1, 135-36; voir, en écho, II, 455 et II, 157).
- Le chemin des aubépines. aubépines. Séquence: aubépines aubépines blanches, puis, « Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose ; est-elle jolie ! En effet c'était une épine, mais rose, plus belle encore que les blanches », inflation du rose, couleur d'Éros, semble-t-il, dans cette première partie de la Recherche, la Recherche, et première induction féminine avec «la jeune fille en robe de fête » et « le mois de Marie ». Et l'érotisation s'amplifie sous le signe du rose : « La haie laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leur bourse fraîche, du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue [... ] . Tout à coup je m'arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s'adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes profondes et dispose de notre être tout entier. entier. Une fillette d'un blond roux qui avait l'air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche bêche de jardinage, jardinage, nous regardai regardait,t, levant levant son visage semé de taches roses » (I, 136-139 et I, 138-140). Il s'agit donc, littéralement, d'une d'une « vision » et, en raison du contexte, saturé de religiosité, d'une véritable épi phanie, épi phanie, de l'épine, puis féminine, induite par cette profusion profusion du rose. L'induction est si forte forte que les taches de rousseur en deviennent roses, signe que Gilberte fait bien partie du paysage, ou plutôt qu'elle en est tout à la fois fois l'âme et l'émanation. Tout se passe comme si ce paysage floral s'était préparé à Gilberte, comme s'il se condensait en elle, elle, sa métaphore et sa métonymie finales. Gilberte n'est pas seulement une « fillette » qui «habite là ». Par une sorte de paganisme métaphorique et métamorphique, elle incarne ce lieu, elle le signifie et, bien sûr, l'érotise à rebours, puisque, désormais, nous ne pourrons plus la séparer de l'épine rose, des aubépines, de Tansonville. - Après Tansonville, Tansonville, Roussainville, ce haut haut lieu du désir. C'est là que, pour la première fois, le Narrateur énonce sa loi de réversibilité, de symbiose entre la femme et le paysage : « je faisais un mérite de plus à tout ce qui était à ce moment-là dans mon esprit, au reflet rose du toit de tuile, aux herbes folles, au village village de Roussainvi Roussainville lle où je désirais depuis longtemps aller, aux arbres de son bois, au clocher de son église, de cet émoi nouveau qui me les faisait seulement paraître plus désirables parce que je croyais que c'était eux qui le provoquaient, et qui semblait ne vouloir que me porter vers eux plus rapidement quand il enflait ma voile d'une brise puissante, inconnue inconnue et propice. Mais si ce désir qu'une femme
apparût ajoutait pour moi aux charmes de la nature quelque chose de plus exaltant, les charmes de la nature, en retour, élargissaient ce que celui de la femme aurait eu de trop restreint. restreint. Il me semblait que la beauté des arbres arbres c'étai c'étaitt encore encore la sienne sienne et qu quee l'âme l'âme de ces horizon horizons, s, du villag villagee de Roussainville, des livres que je lisais cette année-là, son baiser me la livrerait... » (I, 154 et I, 156). - Le bois de Boulogne, ce « jardin des femmes». femmes». Séquence : « Puissante et molle individualité individualité végétale », fleurs, valses, « belles invitées», «M" Swann » (1, 410 et I, 418). Nouvelle induction, induction, quelques pages plus loin: « Ainsi Ainsi regardais regardais-je -je les arbres avec une tendresse insatiable insatiable qui les dépass dépassait ait et se po porta rtait it à mon insu vers vers ce chefchef-d'o d'oeuv euvre re des belles belles promeneuses qu'ils enferment chaque jour pendant quelques heures. » Ces arbres qui sont « forcés depuis tant d'années par une sorte de greffe à vivre en commun avec la femme». Où commence celle-ci, où cesse le paysage ? Le Narrateur Narrateur souligne souligne cette fusion essentiell essentiellee : « Il suffisait suffisait que M" Swann n'arrivât pas toute pareille au même moment, pour que l'Avenue fût autre autre » (1, 410-419 et 1, 417-427 417-427). ). Il y a des jardins comme comme il y a des mers, aussi changeants, parce que la Femme les hante, soit réellement, soit métaphoriquement. Il suffit d'avoir l'oeil, non du voyeur, mais de l'artiste. J'aimerais, pour finir, évoquer l'une des épiphanies les plus troublantes de la Recherche, la Recherche, et des plus significatives quant à la poétique proustienne du paysage. Il s'agit de l'apparition de la belle laitière, à l'aube, sur le quai de la gare : «Le paysage devint accidenté, abrupt, le train s'arrêta à une petite gare entre deux montagnes. On ne voyait au fond de la gorge, au bord du torrent, qu'une maison de garde enfoncée dans l'eau qui coulait au ras des fenêtres. fenêtres. Si un être peut être le produit produit d'un sol dont on goûte goûte en lui le charme particulier, plus encore que la paysanne que j'avais tant désiré voir appara apparaîtr îtree qu quand and j'étai j'étaiss seul seul du côté côté de Méségl Méséglise ise,, dans dans les bois bois de Roussainville, ce devait être la grande fille que je vis sortir de cette maison et, sur le sentier qu'éclairait obliquement le soleil levant, venir vers la gare en portant une jarre de lait» (II, 1 6, et 1, 6 5 5). Le texte texte est explic explicite ite : l'érot l'érotisa isatio tionn manife manifeste ste du paysag paysagee induit induit l'app l'appari aritio tionn de la laitiè laitière, re, elle-m elle-même ême précé précédée dée par le souven souvenir ir de la paysanne de Roussainville. Et, comme autrefois, la métaphore est réversible : « je ne sais si, en me faisant croire que cette fille n'était pas pas pareille aux autres femmes, le charme de ces lieux ajoutait au sien, mais ma is
elle le leur rendait. » C'est elle qui érotise la nature, au point que, par un redoublement fantastique de la métaphore, son visage devient un paysage: «Je lui fis signe qu'elle vint vint me donner du café au lait. J'avais besoin d'être d'être remarqué d'elle. elle. Elle ne me vit pas, je l'appelai. Au-dessus de son corps très grand, le teint de sa figure était si doré et si rose qu'elle avait l'air d'être d'être vue à travers travers un vitrail illuminé illuminé.. Elle revint revint sur ses pas, je ne pouvais détacher mes yeux de son visage de plus en plus large, pareil à un soleil qu'on pourrait fixer et qui s'approcherait jusqu'à venir tout près de vous, se laissant regarder de près, vous éblouissant d'or et de rouge » (II, 17-18 et 1, 657). On aura reconnu, à travers ce vitrail, « éblouissant d'or et de rouge », la duchesse « amarante », Oriane de Guermantes, si décevante, jadis, dans l'église de Combray, mais ici sublimée en altière laitière... J'aurais pu, sans doute, sans m'encombrer de théorie, me contenter de proposer quelques «paysages choisis », picturaux de préférence, avec nus : Ève au jardin d'Éden ou Vénus alanguie. alanguie. Mais si j'ai pu donner envie de relire relire Huysmans Huysmans,, Zola Zola ou Proust Proust,, de se replon replonger ger dans ce mundus muliebris, avec ses métaphores et ses épiphanies, si j'ai pu suggérer qu'un paysage n' est souvent qu'une femme diffuse, érotisant à plaisir le pays, alors j'aurai le sentiment d'avoir ouvert une piste, modeste, mais nouvelle, dans la recherche paysagère. HISTOIRE D'UNE PASSION THÉORIQUE ou
Comment on devient un « Raboliot » du paysage Rien Rien ne me destinai destinaitt à écrire écrire sur le paysage paysage.. De formati formation on philosophique, j'étais plutôt voué à Épictète, Spinoza ou Nietzsche, mes penseurs favoris, et l'on m'aurait beaucoup surpris, voilà vingtcinq ans, si l'on m'avait prédit prédit ma prédilection actuelle. actuelle. Il a fallu un concours de circonstances assez insolite pour que, peu à peu, j'en vienne à m'intéres m'intéresser ser passionném passionnément, ent, sinon exclusivem exclusivement, ent, aux
paysages, mais toujours avec le sentiment de chasser sur des terres qui n'étaient pas vraiment les miennes, mais appartenaient de plein droit aux géographes, aux historiens, aux paysagistes, bref, d'être un peu le Raboliot267 du paysage. Mais chacun chacun sait que les braconniers braconniers sont souvent plus adroits, en tout cas plus malins que bien des tireurs patentés, cela soit dit avec humour et sans aucune forfanterie. C'est d'ailleurs ce côté « braconnier» qui m'a incité à « fouiner» dans les fourrés du paysage, pour y « débusquer » les spécialistes de toutes les espèces et publier cette anthologie, La Théorie du paysage en France (1974-1994), à laquelle le présent livre doit beaucoup. À l'origine, mon intérêt pour le paysage fut littéraire. je m'étais en effet engagé dans une sorte de carrière parallèle avec, pour projet, d'écrire des romans dont l'intrigue fût, pour partie, induite par des paysages, que je tenais d'ailleurs à féminiser, suivant le modèle de mes illustres devanciers, Flaubert, Huysmans, Huysmans, Zola ou Proust. Dans Le Misogyne, les sites et les villes jouent un rôle décisif : Bourges, la Sologne, Orléans sous la pluie, Carnon et ses « sauriennes », Clermont-la-Noire enfin, foyer.infernal du récit. Dans La Dans La Travestie268 , l'héroïne, l'héroïne, Nicole, se métamorphose sans cesse, change change de sexe sexe et de condit condition ion,, mais mais toujou toujours rs en symbio symbiose se avec avec le paysage, et si l'adaptation cinématographique cinématographique d'Yves Boisset m'a quelque peu déçu, c'est parce qu'il n'a pas su ou voulu imaginer (mettre imaginer (mettre en images) cette symbiose. L'étape décisive fut la rédaction simultanée d'un roman, Le Voyeur ivre, et de ma thèse d'États Nus et Paysages. Essai sur la fonction de l'art. C'est
Maurice GENEVOIX, Raboliot, GENEVOIX, Raboliot, Paris, Grasset, Grasset, 1925. Raboliot braconne en Sologne, un paysage qui m'est cher, il fut celui de mon enfance. Magnifique figure de l'anarchisme l'anarchisme rural, si rare, rare, contre tous les pouvoirs, de la police et et des propriétaires. Il se pourrait aussi que ma vocation « braconnière » provienne de mon admiration pour Julien Carette, braconnier légendaire de La de La Règle du jeu de Jean Renoir. D'où cet « éloge du braconnage » dans mon précédent précédent livre, L'Art livre, L'Art d'aimer, ou la fascination de la féminité, Seyssel, Champ Vallon, 1995. Alain ROGER, La ROGER, La Travestie, Paris, Grasset, Grasset, 1987. Le film d'Yves Boisset, qui porte le même titre, est sorti en 1988. 267
268
à cette époque (de 1975 à 1980) que j'ai ressenti la nécessité de doubler mon travail travail de romancier romancier d'une véritabl véritablee réflexio réflexionn esthétique esthétique,, encore encore embryonnaire, mais qui marque mon entrée, certes discrète et comme braconnière, dans ce domaine, alors « réservé » - les temps ont bien changé et, depuis quelques années, n'importe quel saute-ruisseau y va de sa «communication», au hasard des colloques sur le « paysage», dont la prolifération métastatique ne laisse pas d'inquiéter, même si l'on a pu, d'abord, s'en réjouir. Voici, en témoignage de cette époque charnière, deux textes contemporains, deux versions, l'une littéraire et l'autre théorique, de ma conviction, alors naissante, que tout paysage est un produit de l'art, d'une artialisation, notion que je venais venais de braconner chez Montaigne. Le premier extrait décrit mon arrivée à Jérusalem, en compagnie c ompagnie de Claudia Cecilia, le second exprime mon credo esthétique, ma foi en la force de l'art. « On entra dans la ville. J'appréhendais J'appréhendais l'instant de mettre pied à terre, terre, comme un chevalier franc, perclus, dans son armure, mais ce fut sans histoire. histoire. La féerie s'expliq s'expliquait uait par la couleur couleur des pierres et les jeux du soleil, dont elles paraissaient - porosité, usure ? absorber la lumière, plus que la refléter. Nous allions en silence, et, plus nous approchions approchions du King David Hotel, plus j'avais l'impression qu'elle s'ensoleillait à l'image des pierres, confirmant son pouvoir de s'imprégner des lieux, de s'y identifier, fille-ville volage, langage à leur image, visage paysage, Protée-Prostituée qui se fût appelée Bruges, Rome, Florence, Venise et Agrigente, avant Jérusalem ; de telle sorte que, si je devais un jour retourner dans ces villes, je les entreverrais à travers Cecilia, qui s'en était nourrie, condensant leur essenc essence, e, à la façon façon de l'art, l'art, mais mais instin instincti ctivem vement ent,, non par imitat imitation ion consciente et laborieuse, laborieuse, mais par un mimétisme inné, inné, instantané. Bruges, c'était Claudia, son ciré ruisselant et sa calvitie noire, la Sicile, Cécile, orange au pied des temples ; et, la voyant marcher, Cecilia Gradiva, je rêvais d'un amant, protéique à son tour, qui déflorait Florence, sodomisait Venise, Venise, aimait Jérusalem. Jérusalem. En fait, je ne l'avais jamais jamais vue évoluer évoluer en milieu ordinaire, mais toujours en des lieux qui étaient fabuleux, ou qu'elle rendait tels, ou les deux, par osmose, et dont elle sentait, au bout de quelque temps, qu'elle devait les fuir, de peur de se figer dans la couleur locale, de n'être plus que Bruges, Agrigente ou Venise... Même Jérusalem ne la fixerait pas ; d'où son impératif: Il nous faut d'autres villes 269... »
Alain ROGER, Le Voyeur ivre, Paris, Denoël, 1981, p. 239.
269
« Pourrions-nous percevoir les nodosités rugueuses des oliviers, comme si Van Gogh ne les avait pas peintes, la cathédrale de Rouen, comme si Monet ne l'avait pas figurée, aux divers moments du jour, dans ses épiphanies fugitives ? [... ] Notre vie n'est peut-être qu'une succession d'instants privilégiés que nous ne savons pas identifier. Il n'est guère de lieu où ne "souffle l'esprit" : que des schèmes n'animent de leur activité silencieuse. La Sologne et la Camargue, outre leurs modèles spécifiques (Alain-Fournier, Genevoix, Barrès, Daudet, Audouard, etc.) bénéficient du schéma schématism tismee d'Elsti d'Elstir, r, tel que que Proust Proust l'a invent inventéé : l'écha l'échange nge des éléments, en certaine période de l'année, à telle heure du jour, quand l'eau, la terre et le ciel basculent et s'inversent, non par une turbulence géographique ou météorologique, mais sur l'ordre de notre regard, qui (entre-)voit le paysage sous la domination de l'art 270. » Cette théorie de l'artialisation l'artialisation,, qui, contre toute attente, attente, allait connaître une certaine fortune en France, puis à l'étranger - je la retrouve parfois chez chez certai certains ns confrèr confrères, es, anonym anonyme, e, mais mais ne l'ai-je l'ai-je pas, pas, moi-m moi-même ême,, braconnée ? -, demeurait encore rudimentaire et marquée d'un esthétisme excessif Il est vrai que je m'inspirais beaucoup de Wilde et de Proust, auquel je devais d'ailleurs consacrer plusieurs articles et un essai 271. Mais je sentais confusément que mon appareil conceptuel restait f ragile et lacuna lacunaire. ire. Si mon princi principe pe de «doub «double le artialisat artialisation ion » fonctionnait correctement dans le domaine du nu, j'étais, en revanche, beaucoup moins sûr de moi dans le domain domainee du paysag paysage, e, où, frileuse frileusemen ment, t, et faute faute d'informations suffisantes, je m'en étais tenu à l'artialisation indirecte., par modélisation, me limitant d'ailleurs à quelques suggestions plus ou moins anecdotiques, et ne traitant guère, de façon sommaire, que d'un seul exemple, l'invention de la montagne au XVIII ème 272. Il me fallait donc, d'une part, élargir le champ de mes vérifications et aborder l'étude des
ID., Nus ID., Nus et Paysages, op. cit., p. 109. ID., Proust. Les Plaisirs et les les Noms, Paris, Denoël, 1985 Proust ou le désir de Venise », dans Amoureux dans Amoureux fous de Venise, Paris, Orban, 1985, repris dans L'Art dans L'Art d'aimer, op. cit. - « Poétique du paysage proustien », Bulletin Bulletin de la Société Marcel Proust des Pays Bas, 1991. 1991. 270 271
Mort du paysage ? op. cit., supra. Sans doute le volume collectif le plus célèbre sur le sujet. 272
«commencements » (la naissance du paysage en Occident), mais aussi, d'autre part, envisager l'autre volet de l'artialisation paysagère, celle qui opère directement sur le terrain. L'occasion m'en fut bientôt donnée par l'invitation au colloque qui se tint à Lyon en 1981 '. je sentis que l'heure était venue de m'attaquer à l'histoire des jardins, totalement négligée dans Nus et Paysages. Et c'est ainsi que je parvins à remplir la case vide de mon dispositif conceptuel: à la dualité »Nudité-Nu » je décidai en effet d'associer d'associer celle du «Pays » et du de Girardin, entre autres. Cet « Paysage », braconnée chez René-Louis de article « Ut pictura hortus. Introduction à l'art des jardins » -, dont je n'attendai n'attendaiss rien d'autre d'autre que la satisfacti satisfaction on intime intime d'av d'avoir oir rempli mon contrat d'intervenant et comblé, au passage, une lacune de ma thèse, m'a valu une réputation, alors bien usurpée, de spécialiste, et de nombreuses invitations, en France et à l'étranger, où j'ai retrouvé, ou rencontré, de véritables spécialistes du paysage, dont j'avais beaucoup à apprendre, car ils n'étaient n'étaient pas, eux, des braconnie braconniers rs romanesqu romanesques, es, ils occupaient occupaient le terrai terrainn depuis depuis longte longtemps mps et ils y travai travailla llaien ientt à plein plein temps. temps. Ces rencontres m'ont obligé à oeuvrer sans relâche, ne fût-ce que pour mériter la confiance que l'on me témoignait. je continuais d'écrire mes romans et mes essais d'esthétique érotique 273, mais, de plus en plus, mon centre de gravité, ou plutôt de gaieté - au sens du « Gai Savoir » - se déplaçait du côté côté du paysag paysage, e, qui m'insp m'inspira irait, it, ou plutôt plutôt m'aspi m'aspirai raitt chaque chaque jour jour davantage. J'ai donc décidé de m'imposer un programme programme fort et, au lieu de braconner au hasard des halliers, je me suis employé à renforcer mon armature conceptuelle. Lors Lors des colloq colloques ues ou congr congrès, ès, en France France comme à l'étra l'étrange nger, r, je rencontrais parfois des résistances, quand je ne subissais pas des attaques frontales, de la part des Anglo-Saxons en particulier, dont le naturalisme, même entamé, reste pugnace. J'ai donc amélioré ma théorie de la double double artialisation, appliquée appliquée ou mobile, mobile, adhérente ou modélisante. Ces deux déterminations n'étaient n'étaient pas toujours bien comprises. J'en ai proposé deux autres, plus parlantes, plus pédagogiques et, dirai-je, plus internationales : artialisation in situ (sur le terrain) et in visu (dans et par par le regard). regard). Cette «double articulation» artialisation in situ et in visu, d'une part, pays et paysage, d'autre part -, m'a permis de dénoncer plus efficacement les réduction réductionss dont le paysage paysage est ordinairement ordinairement la victime victime : réduction réduction 273
Rassemblés dans L'Art dans L'Art d'aimer, op. cit.
«géog «géograp raphiq hique ue » aux géosys géosystèm tèmes, es, réduct réduction ion « écolog écologiqu iquee » aux écosystèmes. je n'étais plus sur la défensive et taxé d'esthétisme, je pouvais contreatt contreattaquer aquer vigoureuseme vigoureusement nt et montrer, montrer, sur des exemples exemples précis précis et concrets, les faiblesses et les contradictions du naturalisme. J'ai pris, pris, avec les ans, quelque quelque assurance. assurance. Elle ne dégénère dégénère jamais en condescendance. Une théorie, Popper nous nous l'a appris, doit toujours toujours être réfutable. Elle n'est jamais qu'un outil, outil, perfectible, qui doit, doit, sans relâche, se remettre en question, changer ses pièces défaillantes, en forger de plus efficaces, au coup par coup, selon une démarche qui relève souvent du bricolage et du braconnage (même si le rationalisme le plus intransigeant reste, en dernière instance, instance, ma règle d'or). Et justement : je serai toujours toujours protégé de la tentation totalitaire par ma conviction conviction que, quelles que soient mes captures dans les sous-bois du paysage, j'en resterai toujours le Raboliot ... INDEX DES AUTEURS ET ARTISTES CITÉS
ABERLI, jean-Louis: 91, 93, 95, 119. ACOT, Pascal: 156. ADDISON, joseph: 38, 103. ADORNO, Theodor: 114. ALAIN-FOURMER: ALAIN-FOURMER: 24, 188. @ERTI, Leon Battista : 74. ALEMBERT, D': 149. ALPERS, Svetlana : 71. ALPHAND, Adolphe: 140. ALTDORFER, Albrecht: 79. ALTMANN, jean-Georges: 92. AMIEL, Henri: 175. ANGEST, D', Germain: 171. APOLLINAIRE, Guillaume: 23.
ARISTOTE: 153. AUDOUARD, Yvan: 188. AUDURIER-CROS, A.: 34. AuGoYARD, jean-François: 116. AUGUSTIN (saint) : 84. BACHELARD, Gaston: 168, 169. B@AC, Honoré de: 122. BARRÈS, Maurice: 20, 21, 24, 188. BAUDELAIRE, Charles: 9, 17, 45, 98. BELANGER, L.: 94. BENTIVEGNA, Filippo: 45. BERENSON, Bernard: 50. BERGER, Yves: 1 1 1. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE: 89, 100. BERQUE, Augustin: 7, 21, 48, 56, 60, 110, 153, 154, 157. BESSON, Luc: 106. BissoN, I-ouis-Auguste et Auguste Rosalie : 96, 97, 98, et iU. 25. BLANDIN, Patrick: 130. BLOY, @on: 174. BocCACE, Giovanni: 35. BOILEAU, Nicolas: 83. BOISSET, YVES: 186. BONIN, Sophie: 28, 29, 30. BORCHARDT, Rudolf: 141.
BoucICAU-F, Maître de: 71, 72, 74. BouTs, Tlierry: 75. BOYER, Alain: 152, 160, 161. BRASSENS, Georges : 23. BRAUN, Adolphe: 96. BRE1,, Jacques: 121. BRIFFAUD, Serge: 85, 89, 95. BROSSES, Charles de : 99. BRUEGEL, Pieter: 71. BURCKHARDT, BURCKHARDT, Jacob: 74. Bu@, Edmund: 102, 103. BURLE-MARX, Roberto: 38. CAHILL, James: 60. CAILLÉ, René: 108. CALAME, Alexandre: 96, 97. CAMPIN, Robert: 75, 76, 78, et ill. 14, 15, 16. CAMPORESI, Piero: 7, 81, 82, 98. CARE@E, julien: 185. CARMONTELLE: CARMONTELLE: 135. CA@RE, Gilbert: 128. CARUS, Carl-Gustav: 96. CASEY, E.S. : 114. CAUQUELIN, Anne: 64. CÉZANNE, Paul: 21, 22, 26, 37, 76, 166. CHABASON, Lucien: 114, 127. CHARBONNIER, CHARBONNIER, Georges: 12. 1 2. CHATEAUBRIAND, CHATEAUBRIAND, François-René de: 101.
CHEMETOFF, Alexandre: 138. CHENET, Françoise: 170. CHOUILLET, Jacques : 87, 102. CHRÉTIEN DE TROYES: 58. CHRISTO: 46. CHRISTUS, Petrus: 76. CICÉRON: 56. CIVIALE, Aimé: 96, 97, 98, et ill. 22. CLARK, Kenneth: 27, 32, 66. CLÉMENT, Gilles: 46. CLERC,UE, Lucien: 168. COCHERIS, Pauline: 31. COLERIDGE, Samuel: 36, 44, 170, 171. COLETTE: 173. COLLOT, Michel: 170. COMTE, Auguste: 161. CONAN, Michel: 25, 41, 42, 79, 116. CONDivi, Ascanio: 45. CONTI, Évrard de: 35. CORAJOUD, Michel: 25. CORBIN, Alain: 7, 88, 98, 99. COROT, Jean-Baptiste: 14, 37, 114, 138. COSTANZA, Virginie: 1 1 0. COUSTEAU, jean-Yves: 106. CRESCENS, Pierre de : 35. CROCE, Benedetto: 16.
CROS, Charles: 135. CUECO, Henri: 25. DAGOGNET, François: 13, 116. DAGRON, Chantal: 107. DALI, Salvador: 173. DANTE: 2 1. DAUBIGNY, Charles-François Charles-François 14, 111. DAUDET, Alphonse: 188. DAUZAT, Albert: 51. DAZELLE, Anne: 144. DELEULE, Didier: 151. DELILLE, Jacques: 16. DF,Luz, Christiane: 50. DENIS, Maurice: 13. DENNIS, John: 86, 103, DESCARTES, René: 146, 148,150, 151. DicKENs, Charles: 124. DIDAY, François: 96. DIDEROT, Denis: 16, 149. DONADIEU, Pierre: 106. DONKIN, WilliaM: 98. DORE, Gustave: 95. DUGHET, Gaspard: 39. DUHAMEL, Georges: 147. DUPONT, Ambroise: 144. DURAND, Gilbert: 37. DÜRER, Albrecht: 76, 77, 78, 79, et ill. 18, 19. EDELMAN, Bernard: 153, 157, 159, 160. EINSTEIN, Albert: 146, 153. ENGELS, Friedrich: 148.
ÉPICTÈTE: 185. ERNST, Max: 172, 173. ESTIENNE, Robert: 19. FÉNELON: 99. FERRÉ, Léo: 121. FLAUBERT, Gustave: 107, 173, 186. FOE, Daniel de: 99. FOUCAULD, Charles de: 108. FOUCHER, Michel: 1 1 1. FOUÉRÉ, Adolphe-julien: 45. FRANCASTEL, Pierre : 64, 74, 114, 115. FRÉMONT, Armand: 27, 28. FREUD, Sigmund: 169. FROST, Robert: 1 1 0. GALILÉE, Galileo : 146, 148, 149, 150. GAUTIER, Théophile: 121, 122. GEERTGEN TOT SINT JANS: 76, 78, et ill. 17. GELLÉE, Claude (dit LE LORRMN) : 38, 39, 42, 43, 93, 95, 96, 99, 110, 119. GENEVOIX, Maurice: 24, 185, 188. GESSNER, Salomon: 89. GILPIN, William: 119. GIONO, jean: 173.
GIORGIONE: 79. GIRARDIN, René-Louis de: 17, 38, 41, 42. GOETHE, Johann Wolfgang: 42, 43. GOMBRICH, E. H.: 79. GRAND-CARTERET, GRAND-CARTERET, John: 7, 86, 89, 91, 93, 95. GRILLET, Ibierry: 143. GRÔNING, Gert: 140, 146. GUÉRY, François: 147, 151. GUILLAUME DE LoRms: 35. GUILLAUMIN, GUILLAUMIN, J. : 170. HAECKEL, Emst: 126, 133. HALLER, Albrecht von: 16, 88, 89, 92. HANG TCHOUO: 61. HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich : 12, 33, 148. HEIDEGGER, Martin: 147. HEISENBERG, Werner: 146. HEIZER, Michael: 46. HENRY, Michel: 149. HERMITRE, Marie-Angèle: 153, 157, 158, 159, 160. HÉRODOTE: 107. HOARE, Henry: 39. HODLER, Ferdinand: 96. HOGARTH, William: 87. HOKUSAI: 23. HOLBACH, d': 91.
HOLT, Nancy: 46. HOMÈRE: 84. HOUANG KONG-WANG: 62. HUGO, Victor: 101, 166, 173. HUMBOLDT, Wilhelm von: 65. HUNT, John Dixon : 39, 43, 1 1 0. HUYSMANS, Joris-Karl : 123, 171,172,174,175,177,183, 186. IRVING, Washington: 43. JACQUEMART DE HESDIN: 70. JACQUES DE VÉRONE: 59. JAUCOURT, Louis de: 91. JELLICOE, Geoffrey: 38. JOINVILLE, Jean de: 59. JOUTARD, Philippe : 84, 88, 91, 93. JOYCE, James : 37. JUNG, JUNG, Carl Gustav: Gustav: 13. KACIM KACIMI, I, Mohamed: Mohamed: 107 107.. KALAORA, Bernard:106. KANT, KANT, Emmanuel Emmanuel:: 10, 25, 92, 104, 105, 146. KAO K'O-KONG: 63. KAO K'O-MING: 62. KÂSTNER: 139. KENT, William: 39,40,41. KNABF, Peter-Eckhard: 102.
KOUO HI: HI: 62. KOUO SSEU: 61, 62. LA FONTAINE, Jean de: 54. LALO, Charles: 16. LALONDE, Brice: 162. LAMARCK: 146. LAMOTTE, Maxime: 130. LAPICQUE, Charles: 21. LAPRADE, Victor de: 50. LASSUS, Bernard : 116, 134. LE DANTEC, Denise: 134, 135. LE DANTEC, Jean-Pierre: 20, 79, 134, 135, 144. LÉGER, Femand: 143. LENOBLE, Robert: 13, 145. LE NÔTRE, André: 38, 44.
LONGIN (Pseudo-): 101. LORENZETTI, Ambrogio: 66, 69 et ill. 7 et 7 et 8. LOU-FHERBOURG, LOU-FHERBOURG, Philippe: 100, 102. MAC LUHAN Marshall: 114. MACPHERSON, James : 1 00. MÂDING, Ehrard: 139, 140. MANTEGNA, Andrea: 75.
LINCK, Antoine: 91. LINCK, Conrad: 91.
MARCO POLO: 36, 59, 62. MARIA, Walter de: 46. MARMONTEL, MARMONTEL, Jean-François 102. MARQUET, Albert: 21. MARTENS, Friedrich: 96, 97. MARTINET, Jeanne: 19. MARTINET, Marie-Madeleine: Marie-Madeleine: 40. MARX, Karl: 146. MASON, William: 40. MATHÉ, Roger: 59. MAYERS, Norman: 163. MELVILLE, Herman: 101. MEMLINC, Hans: 75. MÉRIGOT, S. : 94. METSIJS, Quentin: 76, 78.
LINDEMAN, R. L. : 130. LINNÉ, Karl von: 146. Li TCH'ENG: 61. LITTRÉ, Émile: 132, 166.
MICHEL-ANGE: 45. MICHIEL, Marcantonio: 79. MILTON, John: 32, 104. MOEBIUS: 126.
LÉONARD DE VINCI: 72. LE PAYS: 86, 119. LESAGE, jack : 85. LESSING, Erich : 55. LÉVI-STRAUSS, Claude: 12, 16, 64. LIGORIO, Pirro: 45.
MOLINET, jean: 19. MONET, Claude: 14, 37, 123, 188. MONTAIGNE:10, MONTAIGNE:10, 16,80, 187. MONTESQUIEU: MONTESQUIEU: 99, 119. MORELLY: 87. MORNET, Daniel: 89, 100, loi. MOSCOVICI, Serge: 13, 145. MOUK'I: 62 et ill. 6. MUSIL, Robert von: 17. NADAR: 116. NASH, R. : 1 1 0. NERVAL, Gérard de: 107. NIETZSCHE, Friedrich: 150. OBERRHEIN, Maître de: 35 et III et III 1. ORSINI, Vicino: 45. OSMO, Pierre: 151. OVIDE: 118, 124. PÂCHT, Otto: 66, 67, 68. PAGE, Russel: 38. PALISSY, Bemard : 132. PANOFSKY, Erwin: 55, 64, 71, 72, 74. PARDO, Daniel: 109. PARENT-DUCHÂTELET, PARENT-DUCHÂTELET, Alexis: 171.
PASCAL, Blaise: 155. PATINIR, Joachim: 76, 77, 78, 79, et ill. 20, 21. PETERS, Willem: 55. PÉTRARQUE: 25, 26, 83, 84, 85. PEYRE, Joseph : 108. PIEL, Friedrich : 77. PIERO DELLA FRANCESCA: 74. PIETROGRANDE, Antonella: 32. PINI, Paolo: 65. PISANELLO, Antonio: 66. PISSARRO, Camille: 14. PITTE, Jean-Robert: 130. PLATON: 52, 53, 155. PLINE L'ANCIEN: 56. PLINE LE JEUNE: 5 7. POE, Edgar: 43. POIRET, Nathalie: 116. POIRION, Daniel: 68, 69. POL DE LIMBOURG: 72. POPF, Alexander: 39. POPPER, Karl: 190. POURRAT, Henri: 24. POUSSIN, Nicolas: 42, 93, 95 99, 1 1 0. PROUST, Marcel: 15, 116, 122 173,175,177,178,179,183 186, 188. PSICHARI, Ernest: 108. PUCELLE, jean : 71.
QUIOT, Alain: 34. RABELAIS, François: 19, 79. RANDOM, Michel: 45. RECHT, Roland: 65. REMBRANDT: REMBRANDT: 124. RÉMOND-GOUILLOUD, RÉMOND-GOUILLOUD, Martine 159, 160. RENAULT-MISKOVSKY, RENAULT-MISKOVSKY, Josette 49. RENAUT DE MONTAUBAN: 35 et ill. 2. RENOIR, Auguste: 15. RENOIR, Jean: 185. REPTON, Humphrey: 40, 43. RIETER, Heinrich: 91. RIMBAUD, Arthur: 120. ROBBE-GRILLET, ROBBE-GRILLET, Alain: 173, ROBERT, Hubert: 42. ROBESPIERRE: 148.
ROSNAY, J. de: 156. ROSS, Charles: 46. ROUSSEAU, Jean-Jacques : 13, 37, 88, 89, 91, 119, 145, 149. ROUX, Michel: 108, 109. ROYAL, Ségolène: 136, 137. RUBENS, Pierre-Paul: 121, 122. RUYSDAEL, Jacob Isaac Van: 37, 42, 93, 94, 95, 96, 99. SAINT-EXUPÉRY, Antoine de 108. SAINT GIRONS. GIRONS. Baldine: 103. SAINT-JUST: 148. SAINT-SIMON (Claude-Henri (Claude-Henri de Rouvroy, comte de) : 46. SAINT-SIMON (Louis de Rouvroy, duc de) : 31. 3 1. SAMSON, Pierre: 28. SARTRE, Jean-Paul: 172, 173. SAUDEK, Jan: 173. SAUSSURE, Horace-Benedict de: 25, 26, 88, 89, 92, 93, 96, 100, 119. SAVARI: 93, 95. SCHAFER, Murray: 116. SCHLEGEL, Friedrich von: 65.
ROBINSON, William: 140. RODENBACH, Georges: 120. ROGER, Alain: 16, 81, 114, 167, 172, 186, 188. ROHMER, Éric: 23. ROMAINS, jules: 24. RONCAYOLO, Marcel: 116.
SCHOPENHAUER, SCHOPENHAUER, Arthur: 164.
ROSA, Salvator: 42, 43, 93, 94, 95, 99, 110.
SHAFTESBURY: 103.
SEGANTINI, Giovanni: 96. SEIFERT, Alwin: 139, 140. SERRES, Michel: 148, 149, 150, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 160, 163. SÉVIGNÉ, Mme de: 86, 102.
SHENSTONE, William: 39, 4 1. SHINOHARA, Kasuo: 113. SIEBERT, Gérard: 54. SIMMEL, Georg: 16.
132. TOURNIER, Michel: 37. TRICAUD, Pierre-Marie: 142. TROLL: 128. TS'IEN SIUAN: 63.
SMITHSON, Robert: 46.
TSONG PING: 61.
SOKOLOVA, Jirina: 70, 73. SOUDIÈRE, Martin de la: 26, 27. SOUILIER, Charles : 98, et ill. 23, 24. SPENGLER, Oswald: 13, 147 148. SPINOZA: 157, 185. STAROBINSKI, jean: 94, 97. STEEN,Jan: 124. STEVENS, Wallace: 110, 114. STOKFR, Bram: 173. STRABON: 107. STUDIUS: 56.
TURNER, William: 14. TURRI, Eugenio: 82. TÜXEN, Reinhold: 139, 140.
TANSLEY, A. : 126, 130, 133.
VANDIER-NICOLAS, VANDIER-NICOLAS, Nicole: 61, 6 1, 62, 169. VAN EYCK, Hubert: 74. VAN EYCK, Jan: 73, 74, 75, 76, 78, et ill. 13. VAN GOGH, Vincent: 188. VAN GOYEN, jean-joseph: 42, 99.
TCHAO MONG-FOU: 63. TENIERS, David: 124. THÉOCRITE: 51. THEYS, Jacques : 127. THOMASSET, Claude: 68, 69. TiBERGHiEN, Gilles: 46. TÔPPFER, Rodolphe: 95, 96. TOURNEUX, François-Pierre
URFÉ, Honoré d': 80. UTRILLO, Maurice: 21. VALENCIENNES, Pierre-Henri de: 95. VALERY, Paul: 12.
VAN MELSEN, A. G. : 14 5. VAN OSTADE, Isaac: 124. VARONE, Antonio: 55. VASARELY, Victor: 146. VERA, André: 140. VERLAINE, Paul: 173.
VERNET, Horace: 95, 100, 101. VICO, Giambattista: 64. VILLE, Antoine de: 83, 85. VIRGILE:
16 1633 54 54,, 11 1199.
VITRUVE: 55, 56. VOLTAIRE: 16, 132, 146, 149. WALPOLE, Horace: 40, 46. WANG WEI : 6 1. WELLES, Orson: 44. WIEPKING, Heinrich: 139, 140. WILDE, Oscar: 9, 13, 14, 26, 124, 125, 188. WOLF, Caspar: 91, 97. WÔLFFLIN, Heinrich: 1 1. XÉNOPHON: 32. ZOLA, Émile: 37, 122, 173, 174, 175, 176, 177, 183, 186. DU MÊME AUTEUR Essais LE ROMAN CONTEMPORAIN, CONTEMPORAIN, Paris, P.U.F., 1973 (en collaboration avec A. Maraud).
NU S ET PAY S AG E S - Essai sur la fonction de l'art, Paris, Aubier, 1978. PROUST. LES PLAISIRS ET LES NOMS, NOMS, Paris, Denoël, 1985 (collection « L'Infini »). HÉRÉSIES DU DÉSIR. Freud, Dracula, Dali, Seyssel, Champ Vallon, 1986. L'ART D'AIMER, OU LA FASCINATION DE LA FÉMINITÉ, Seyssel, Champ Vallon, 1995. ART ET ANTICIPATION, Paris, Carré, 1997. Direction d'ouvrages collectifs MAÎTRES ET PROTECTEURS DE LA NATURE (en codirection avec F. Guéry), Seyssel, Champ Vallon, 1991. LA THÉORIE DU PAYSAGE EN FRANCE (1974-1994), Seyssel, Champ Vallon, 1995. Romans JÉRUSALEM! JÉRUSALEM!, Paris, Paris, Gallimard, 1969. LE MISOGYNE, Paris, Denoël, 1976 (collection « Lettres nouvelles »). HERMAPHRODITE, HERMAPHRODITE, Paris, Denoël, 1977 (collection « Lettres nouvelles »). LE VOYEUR IVRE, Paris, Denoël, 1981. LA TRAVESTIE, Paris, Grasset, 1987 (Porté à l'écran par Yves Boisset en 1988). RÉ MIS S I 0 N, Paris, Grasset, 1990.