fernando savater
Savateriana
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MON DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - ESSAI1 Fernando Savater est né à San Sebastian en 1947. Philosophe traduit dans une douzaine de langues, dont le français, avec Éthique pour mon fils, Politique pour mon fils (Seuil), deux volumes de vulgarisation adressés à un adolescent, et Pour l’éducation (Payot).
A. Ce que j’entends par philosophie Tenter une fois encore (une fois pour toutes?) de définir la philosophie est une entreprise propre à décourager par avance l’homme le plus vaillant, en raison non pas de son impossibilité mais, au contraire, de l’abondance des possibilités qui s’offrent à nous et rivalisent farouchement entre elles. Si l’on considère, comme Nietzsche, que ce qui a une histoire ne peut avoir de définition, on choisira de retracer chronologiquement l’évolution de cette tâche humaine
singulière:
ses
origines
grecques
(autrement
dit
paradisiaques), son long exil sous l’Empire romain et à l’époque de la féodalité chrétienne, sa renaissance coïncidant avec celle de l’humanisme, son parcours en compagnie de la science moderne et en opposition avec elle, ses efforts obstinés pour réformer la société, les grands systèmes et les réactions résolument antisystématiques qu’ils provoquèrent, la dislocation progressive en savoirs particuliers de ce qui, en son principe, constituait un tout, le questionnement social et psychologique de la transparence de la raison, la perplexité et la fatuité académique propres à l’époque contemporaine… 1
http://www.edition-grasset.fr/chapitres/ch_savater.htm.
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jusqu’au désintérêt actuel à son égard et à sa survie plaintive mais tenace que beaucoup, avec non moins de ténacité, qualifient rituellement de mort. Ce pourrait être là une première manière de définir la philosophie: rappeler en quoi elle a consisté et juger si elle est encore un tant soit peu viable aujourd’hui ou s’il s’agit d’une affaire définitivement classée. Et si nous préférons la définition à l’histoire? Ici encore, nous ne nous écarterons pas des schémas canoniques. La philosophie est un mode de connaissance caractérisé par l’universalité de son objet: elle ne porte pas sur tel ou tel aspect de la réalité mais sur la réalité dans son ensemble. Elle se compose d’un certain type de questions plutôt que d’une liste de réponses toutes prêtes. Les questions qu’elle pose se caractérisent par leur généralité maximale et par deux autres traits indispensables: elles ne sont jamais strictement pratiques et les spécialistes des différentes sciences particulières sont incapables d’y répondre de façon satisfaisante. Les réponses philosophiques à ces questions n’ont pas de valeur prédictive au sens où les affirmations scientifiques dûment vérifiées en ont une: il est difficile d’invoquer un seul fait ou ensemble de faits qui les confirment de manière irréfutable ou les invalident totalement. On pourrait dire, en s’inspirant d’un proverbe bien connu, que les réponses philosophiques embrassent plus qu’elles n’étreignent. La satisfaction qu’elles procurent est plus subjective qu’objective et a donc
une composante fondamentalement psychologique. Elles
portent moins sur le type de monde dans lequel nous vivons que sur le type d’homme que nous sommes (et donc sur la conception du monde qui nous convient le mieux intellectuellement parlant). Ce qui ne revient pas à dire qu’il s’agit d’affirmations purement capricieuses
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ou poétiques et qu’elles échappent à la controverse rationnelle. Elles se veulent des efforts rationnels pour aller au-delà de ce qui est accessible
aux
raisonnements
scientifiques
particuliers.
Elles
constituent, d’une certaine manière, des visions d’ensemble, qui néanmoins ne peuvent ni ne veulent renoncer à répondre de façon intelligible aux objections particulières qui se présentent à elles: je souscris, en ce sens, à la définition que Julián Marías donne de la philosophie comme «vision responsable». On pourrait conclure cette tentative de description de l’entreprise philosophique en signalant qu’une bonne part des questions et des réponses que nous propose la philosophie portent sur la manière d’affronter la vie humaine, tant du point de vue individuel que social. Ceci nous autorise à parler du caractère pratique de la philosophie: si elle ne nous donne pas d’instructions concrètes nous permettant d’atteindre tel ou tel objectif particulier ou de résoudre l’un ou l’autre problème bien précis du vivre humain, elle constitue une réflexion sur les attitudes globales à adopter face à la vie humaine comme telle. Les deux approches complémentaires (quoi qu’en dise Nietzsche) de la philosophie que nous venons d’évoquer appellent assurément de très nombreuses critiques et non moins de précisions et d’additions. Si, à propos du passé de la philosophie, il existe globalement un certain consensus, celui-ci se réduit à mesure que l’on se rapproche de l’époque contemporaine et devient impensable quand il s’agit d’entrevoir son avenir. Je me propose donc de préciser ici, dans une perspective à la fois historique et théorique, ce que j’entends personnellement par philosophie, sans prétendre que cette conception soit acceptée par la majorité des philosophes actuels et sans considérer qu’elle est la seule valable.
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Aussi insignifiant qu’il puisse être jugé au regard de paramètres plus exigeants, ce point de vue présente un intérêt évident pour le lecteur du présent dictionnaire, puisqu’il a présidé à sa rédaction et à l’ensemble du travail intellectuel de son auteur. Pour ce qui est des autres critères qui sont entrés en ligne de compte dans la composition de cet ouvrage, de sa spécificité, de son ambition et surtout - de sa modestie, j’y reviendrai dans la seconde partie de mon introduction. Le vieux et sympathique Hérodote, que l’on évoque presque toujours avec plaisir, raconte que lorsque Crésus reçut à Sardes Solon le voyageur, il lui souhaita la bienvenue en ces termes: «Mon hôte athénien, le bruit de ta sagesse, de tes voyages, est arrivé jusqu’à nous; on nous a dit que le goût du savoir et la curiosité t’ont fait visiter maint pays» (Histoires, i, 30, 2). J’avoue que cette image d’un travail philosophique indissociablement lié au vagabondage et à la curiosité cosmopolite m’agrée davantage que la classique scène primitive pythagoricienne selon laquelle le monde est un stade où certains vont combattre, d’autres faire du commerce, d’autres encore assister aux épreuves et encourager les participants, tandis qu’un petit nombre d’individus - les philosophes - viennent contempler le spectacle et les spectateurs. Il convient d’insister sur l’importance du voyage dans la conformation intellectuelle des premiers philosophes (c’est-à-dire des plus anciens de ceux que les histoires de la philosophie
nous
présentent
comme
tels):
nous
savons
que
Pythagore en personne fut un grand voyageur et on nous dit la même chose de Thalès, d’Anaximandre, d’Anaximène, de Xénophane de Colophon et de Démocrite. Aristote a quitté Stagire et la Macédoine pour s’installer à Athènes et il semble que Pyrrhon, qui
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devint l’un des maîtres les plus respectés de l’école sceptique, ait voyagé en Inde en compagnie d’un disciple de Démocrite et qu’il y ait rencontré les gymnosophistes, ces sages nus de l’hindouisme (déjà connus à l’époque grâce aux campagnes d’Alexandre en Orient) dont la provocante imperturbabilité précéda et inspira certainement le
comportement
histrionique
de
Diogène.
Voyageurs,
exilés,
vagabonds, militaires participant à des expéditions… ou habitants de cités frontalières comme les Ioniens qui étaient habitués à vivre en bonne entente avec les Perses, les Grecs et les Égyptiens. La philosophie n’a certainement pas été inventée par des gens qui restaient chez eux et n’éprouvaient aucune curiosité à l’égard des étrangers. Pío Baroja a dit un jour que le nationalisme est une maladie qui se soigne en voyageant: la philosophie, quant à elle, semble bien être une maladie qui se contracte en voyageant ou en rencontrant des voyageurs… En sorte que les débats auxquels on assiste encore parfois à propos de l’existence de philosophies nationales
-
peut-on
véritablement
parler
d’une
philosophie
espagnole, allemande ou italienne ou ne s’agit-il que du nom que l’on donne à l’ensemble des œuvres philosophiques écrites par des habitants
de
chacun
de
ces
pays?
-
m’ont
toujours
paru
particulièrement oiseux. La philosophie est une activité inventée par des Grecs voyageurs, par des Grecs planétaires (rappelons qu’en grec «planète» signifie «vagabond»); toute philosophie est donc grecque dans un certain sens, sans cesser par ailleurs d’être cosmopolite. Si j’insiste sur le fait que les premiers philosophes furent des voyageurs ou des exilés, des déracinés en somme, c’est que cette caractéristique me semble primordiale pour comprendre en quoi
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consiste la philosophie et mérite tout particulièrement d’être rappelée aujourd’hui pour des raisons d’opportunité morale et politique. Le philosophe est, par excellence, l’homme qui arrive d’ailleurs, cet étranger inconnu qui apparaît dans certains dialogues platoniciens et aussi dans différentes tragédies. Comme il vient du dehors,
seule
la
prudence
l’oblige
envers
les
croyances
traditionnelles et l’autorité établie; il est extérieur aux rivalités entre clans et n’a pas à s’occuper des affaires de la famille. Il observe d’un œil critique les routines de ceux qui l’entourent parce qu’elles n’en sont pas encore pour lui. S’il s’intéresse à la politique, bien souvent (Aristote!) il ne jouit pas même de droits civiques dans la polis où il réside. Il apporte des nouvelles de l’extérieur et compare les raisons du lieu avec celles qu’il a entendues ailleurs, fort loin. Il se rend compte que les hommes et les femmes de partout se ressemblent fondamentalement bien plus que les particularités locales ne le laissent paraître à première vue: la nature humaine est commune à tous, seules les lois et les coutumes varient. Il lui arrive d’ironiser avec plus ou moins d’impertinence à propos de l’orgueil patriotique. C’est ainsi que l’un d’eux ridiculisa ceux qui se vantaient d’être nés à Athènes en faisant observer qu’ils partageaient ce privilège avec de nombreux escargots et diverses espèces de champignons. Les premiers philosophes ont presque toujours un côté métis, ils sont tous un peu basanés… L’obéissant fils de famille patricien, le plébéien qui se méfie de tout ce qui vient du dehors, le pur-sang [en français dans le texte], qu’il accepte ou non sa condition, ne vivent jamais rien de nouveau. Ce philosophe qui a une mémoire mais pas de racines, ce penseur qui a rompu les amarres, n’exprime jamais une perplexité nationale ou une question de nature collective mais la
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stupeur et le malaise de l’homme seul face à l’immensité bigarrée du monde et à son hétérogénéité, de l’homme assiégé par des mythes et par des lois, par des superstitions et par des connaissances pratiques de toutes sortes. Il semble bien que Démocrite ait été le premier à définir l’ami de la sagesse comme «cosmopolite», citoyen du monde qui comme tel n’est jamais complètement ou principalement « citoyen » de nulle part. Il est significatif que la tradition se souvienne de lui comme du philosophe qui rit, peut-être par opposition à Héraclite, prince d’Éphèse, qui pour des raisons obscures (comme toujours avec Héraclite) avait acquis la réputation d’être un pleurnicheur. Nous reviendrons sur l’eutimia démocritéenne à l’article joie de ce dictionnaire, mais il convient d’insister dès à présent sur le fait que Démocrite antireligieux, matérialiste
fut qui (ce
un
penseur
défendit n’est
pas
une là
résolument
ouvert,
métaphysique le
plus
non
important,
utilitariste, seulement puisque
le
matérialisme est une idée ou un ensemble d’idées, comme l’idéalisme ou comme toute autre philosophie), mais avant tout remarquablement économe quant au nombre de ses principes cosmologiques. Cette volonté de rendre compte du plus de choses possible à l’aide du plus petit nombre d’idées possible situe Démocrite parmi les philosophes qui cherchent à démêler et à simplifier au maximum l’écheveau des mythes et des idéologies au lieu d’augmenter leur volume gazeux en y ajoutant de nouveaux leurres: il appartient à la race de ceux qui recourent à la philosophie pour se protéger contre la prolifération étouffante des doctrines de toutes sortes sans renoncer pour autant à comprendre le monde, c’est-à-dire à celle d’Épicure, de Lucrèce, de Montaigne et de
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Spinoza. Pour comprendre ce que ce naturalisme philosophique primitif a dû représenter à son époque, à la fin du ve siècle avant notre ère, il suffit de comparer les récits que les mythologies et les religions de toutes les cultures consacrent à l’origine de l’homme et de la société aux idées de Démocrite que l’historien Diodore de Sicile transcrivit des siècles plus tard. Pas question ici de dieux, de monstres ni de héros: la terre est une masse de boue humide que le soleil
durcit
et
fait
fermenter;
dans
ce
bouillon
de
culture
apparaissent les embryons de tous les êtres vivants, qui se transforment progressivement, en fonction de la quantité de chaleur ou d’humidité qu’ils ont reçue au cours de la solidification de la fange terrestre. Les hommes proviennent d’êtres vivants inférieurs, comme n’importe quelle espèce animale; au début, leur existence fut « pauvre, rude, brutale et brève », selon les mots célèbres de Hobbes qui font écho à ceux de Démocrite à plus de deux mille ans de distance. Ni l’origine conventionnelle du langage ni la diversité accidentelle des langues que parlaient et parlent encore les différentes tribus humaines n’échappent au vieil atomiste grec. Peu à peu, les hommes apprennent à vivre dans des cavernes, ils découvrent le feu, établissent les premières règles sociales et s’y conforment. Mais ces réussites ne sont ni présents divins, ni surprenante conquête d’un héros fondateur: elles sont le fruit douloureux de l’expérience collective affrontant un monde hostile: «L’homme n’apprend rien que par nécessité. La nécessité est le guide qui le conduit et elle trouve en lui un élève naturellement bien armé, puisqu’il dispose de ses mains, du langage et de son intelligence naturelle». Cette vigoureuse entreprise de démythification trouva son
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prolongement sur un plan plus strictement politique chez Protagoras, Antiphon et les autres sophistes. Tous insistèrent sur le caractère conventionnel des normes et des habitudes sociales et mirent l’accent sur le fait que l’homme est la mesure de toutes choses (c’est-à-dire que l’on ne considère jamais le monde qu’à l’échelle de la subjectivité humaine) et que les légendes religieuses portant sur l’audelà n’ont d’autre fin que de renforcer l’obéissance des individus timorés au pouvoir en place. Les sophistes eux aussi étaient des voyageurs qui déambulaient entre les villes qui les recevaient et les rétribuaient le mieux: ils mettaient en regard la diversité des lois et l’unicité de la nature humaine et aventuraient des conclusions d’une inquiétante impiété. Ils étudiaient, en outre, les mécanismes de la persuasion et du langage et apprenaient aux citoyens libres de communautés égalitaires et discursives à se débrouiller par euxmêmes dans la vie publique. Mais leur image nous est parvenue salie, en raison de la terrible inimitié de Platon à leur égard. Ce maître d’une subtilité prodigieuse détestait le naturalisme souriant de Démocrite, qu’il ne cite pratiquement jamais, et condamna le relativisme humaniste des sophistes avec une habileté intellectuelle qui n’avait d’égale que sa fréquente mauvaise foi. Comme JeanFrançois Revel l’observe très justement dans son Histoire de la philosophie occidentale, «alors que, dans la thèse opposant la Nature à la Loi, les sophistes avaient vu sans doute la source d’une fraternité humaine et d’une rationalisation de la politique, Platon, pour les discréditer, feint d’y voir de leur part une justification de la force pure. Il paraissait ainsi défendre la Justice alors qu’il défendait en fait la
cité
traditionnelle,
antiégalitaire,
intolérante,
belliqueuse
et
xénophobe». L’œuvre de Platon combine des éléments du passé,
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comme l’esprit religieux ou une récupération sui generis des mythes, à de formidables avancées sur le plan de l’analyse rationnelle des problèmes intellectuels. Ses idées politiques sont épouvantables, mais il les exprime de manière si fascinante que notre tradition intellectuelle n’a jamais osé les rejeter avec mépris. L’atmosphère de ses dialogues, où la légèreté de la peinture de mœurs se mêle à la tension intellectuelle la plus grande, représente à jamais pour nous le véritable climat dans lequel la philosophie s’épanouit. Avec peut-être autant
de
conséquences
négatives
que
positives
pour
le
développement ultérieur de la pensée occidentale. La figure de Platon me permet d’aborder deux questions importantes relativement à ma conception de la philosophie: le rapport que celle-ci entretient avec la religion et avec l’humour. La philosophie s’oppose, depuis qu’elle existe, aux croyances religieuses traditionnelles et tend à substituer des explications de type naturaliste aux légendes surnaturelles qui portaient sur l’origine et le fondement de la réalité. Elle a pour objet non seulement le monde physique mais également l’espace social: pour justifier le pouvoir, les lois, les tabous et les coutumes, les philosophes n’en appellent ni aux dieux ni aux héros mais invoquent les forces politiques en conflit et la nécessité de recourir à la peur pour dissuader les citoyens récalcitrants de troubler l’ordre établi. La mise en évidence du caractère conventionnel et non sacré des lois qui régissent la société (et qui, dès lors, peuvent être bravées par ceux qui refusent et dénoncent ce conventionnalisme) constitue l’une des premières grandes idées subversives de la jeune pensée philosophique. Celle-ci allait jusqu’à nier l’existence des dieux ou à la considérer sans incidence sur le cours de la vie humaine (c’est la thèse d’Épicure).
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C’est nous, les hommes, qui façonnons les dieux à notre image, et non le contraire: cette opinion pleine de bon sens, qui fut défendue à l’époque moderne par Feuerbach, penseur lucide et éloquent, avait déjà été avancée par Xénophane de Colofon, lequel faisait observer que, dès lors que les dieux grecs étaient blancs et les dieux nubiens noirs, les lions et les ânes ne manqueraient pas, s’ils avaient leurs propres divinités, de se les représenter respectivement avec une crinière et avec de longues oreilles. La philosophie naît, pour bonne part, de la volonté de contrecarrer l’emprise considérable que la peur de l’au-delà exerce sur les individus les plus crédules ainsi que le malaise produit, chez l’homme intelligent, par l’enchevêtrement contradictoire de superstitions mythologiques prises au pied de la lettre. La croyance religieuse se caractérise par le fait qu’elle prétend être indiscutable, échapper à toute forme de controverse ou mise en question ultérieure et se fonder sur quelque chose qui se situe audelà de toute compréhension humaine et dont la révélation provient d’un
passé
vénérable.
Les
premiers
philosophes,
par
contre,
débattent entre eux et parfois avec eux-mêmes et font preuve dans cet exercice d’une insolente liberté. Ils revendiquent comme spécifiquement humaine la faculté d’aboutir à des conclusions valables sur n’importe quelle question et considèrent que chacun peut, en raisonnant, découvrir aujourd’hui une vérité ignorée par les générations antérieures. Même
les
philosophes
qui
invoquent
la
divinité
ou
reconstruisent des mythes pour appuyer leurs thèses, comme c’est le cas de Platon, se démarquent nettement de la tradition religieuse de leur temps: ils ne sont pas croyants mais théologiens. Je considère cependant qu’il est à la fois possible et opportun de tenter
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de préciser ce qui distingue la philosophie stricto sensu de l’utilisation théologique de la philosophie. Cette différence se manifeste clairement dans l’antagonisme qui oppose de grands philosophes qui furent aussi théologiens, comme Platon et Aristote, à des philosophes athéologiques tels que Démocrite ou les sophistes. En premier lieu, les théologiens témoignent généralement à l’égard du monde matériel qui nous est révélé par nos sens d’une méfiance
mêlée
d’insatisfaction
qui
peut
aller
jusqu’à
la
condamnation pure et simple: la réalité authentique, la réalité de première classe, n’est pas soumise au changement, elle est étrangère aux douloureux soucis et n’est pas promise à la disparition comme la réalité évidente qui nous entoure. L’intelligence humaine ne s’apparente nullement aux mécanismes transitoires de la matérialité observable; elle démontre au contraire notre appartenance à un ordre immuable qui constitue la raison dernière de la malheureuse province où nous séjournons. Aussi la contemplation du réel est-elle une occupation plus noble que toute forme d’intervention sur la réalité contemplée: l’élément qui contemple est d’un rang supérieur à ce qui est contemplé. En second lieu, les théologiens soutiennent qu’il existe un plan parfaitement défini, un sens, une finalité ultime en direction de laquelle s’orientent les êtres naturels et vers laquelle les institutions sociales doivent être orientées. Les philosophes, au contraire, ne croient à aucun plan préétabli mais au hasard et à l’entrelacement contingent des nécessités. Il existe un certain ordre universel mais les philosophes s’inquiètent du comment de son fonctionnement et de son déploiement, tandis que les théologiens s’intéressent au pour quoi et au à partir de qui. Au cours des siècles, la dialectique de la philosophie et de la
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théologie a connu de passionnants avatars (certains pathétiquement stériles, comme presque tout le Moyen Âge chrétien). Il ne s’agit pas d’un simple affrontement entre deux tendances représentées par des personnalités bien définies mais d’une ambiguïté intellectuelle fondamentale installée au cœur même de la pensée de certains grands raisonneurs. Il serait dès lors absurde de prétendre ici que philosophie et théologie ont été ou sont incompatibles, même si j’entends
clairement
me
situer
du
côté
de
la
philosophie
athéologique et considère que la modernité philosophique tire ses meilleurs résultats du rejet résolu de toute théologie. Je ne me risquerais pas même à dire que la vocation philosophique est incompatible avec la religion comme telle, en tant qu’ensemble articulé de croyances et d’expériences transrationnelles portant sur l’infinité de l’existant et répondant à la question peut-être vaine de sa signification globale. Au fond, religion et philosophie s’accordent en ce qu’elles recherchent, l’une comme l’autre, une doctrine qui puisse servir de sédatif à l’accablante perplexité de la vie consciente. Tout le reste est science, technique ou savoirs instrumentaux. C’est peutêtre Octavio Paz qui, avec une élégante concision, a le mieux défini les missions respectives de ces deux voies si fréquemment opposées: «Le baume qui cicatrise la blessure du temps se nomme religion; le savoir qui nous amène à vivre avec notre blessure se nomme philosophie» (La Flamme double). Ce qui me paraît inadmissible, c’est que l’on use malhonnêtement de l’une et de l’autre et que l’on cherche à faire de la philosophie une sorte de religion qui aurait troqué la soutane pour le clergyman ou s’habillerait en civil avec
un
scapulaire
sous
sa
chemise
(rappelons-nous
que
Kierkegaard définissait le penseur comme un « agent secret de la
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religion »). Une même personne peut être religieuse et pratiquer la philosophie, mais la philosophie en tant que telle n’est pas religieuse. En tout cas, la philosophie comme tâche intellectuelle est l’ennemie mortelle de la foi, de l’irrationnel, de la superstition, des Églises en tant qu’institutions s’arrogeant le monopole de vérités indiscutables, de l’obéissance intellectuelle absolue et de l’obéissance intellectuelle à l’Absolu. L’attitude philosophique est incompatible avec l’ineffable, avec ce qui tire son prestige du renoncement à la parole, avec l’ésotérisme mystique: Ortega souligne (dans Qu’est-ce que la philosophie?) que «face au mysticisme, la philosophie voudrait être secret que l’on crie sur les toits». Le philosophe ne devient tel qu’en s’efforçant de se rendre compte du réel dans son ensemble; mais il ne l’est pleinement que lorsqu’il en rend compte aux hommes qui sont disposés à l’écouter et à dialoguer avec lui, sans manières et sans corporatisme. La philosophie sait qu’elle n’est jamais à l’abri de l’erreur et a dès lors la volonté rationnelle de se corriger sans cesse: si sa vérité peut toujours être mise en doute, le philosophe est indubitablement sincère en tant qu’il parle en son propre nom («c’est moi que vous écoutez, pas le Logos») et s’astreint à être responsable, c’est-à-dire à répondre de façon raisonnée. La figure la plus opposée à celle du philosophe, parce qu’elle est la plus éloignée de la sincérité, est celle du prêtre, qui parle au nom de l’Ineffable et propose comme argument ultime la soumission à l’Énigme. L’autre sujet que je voudrais aborder ici est la relation que la philosophie entretient avec l’humour. Il y a un quart de siècle, quand j’ai commencé à écrire, j’ai placé en exergue de mon œuvre ces mots
de
Bernard
Shaw:
«Toute
tâche
intellectuelle
est
humoristique». Dès lors, si l’on me fait remarquer que mes efforts
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théoriques ont été et sont encore risibles, je n’aurai aucune raison de mal le prendre. En matière de philosophie surtout, l’esprit de sérieux (sévérité dans la voix, grandiloquence, prétention au sublime, intimidation académique, autotransfiguration méprisante en messie de la pensée rigoureuse dans un monde de trivialités) m’est toujours apparu comme le pire des symptômes: il ne fait jamais défaut à ceux qui comprennent le moins. Il me semblerait à la fois indigne et stupide (indigne parce que stupide) de renoncer à « l’atmosphère joviale et sportive que doit respirer toute philosophie qui entend être sérieusement philosophie et non pédanterie », comme dit Ortega dans son œuvre déjà citée. Et notre auteur de placer sa réflexion sous le plus noble des patronages: «Platon, dans ses dernières œuvres, s’amuse souvent à jouer sur le sens de deux mots qui, en grec, se prononcent presque de la même manière, paideia - culture, éducation - et paidia enfantillage,
jeu,
plaisanterie,
jovialité».
Observation
pleine
de
perspicacité mais sans surprise pour le lecteur qui est déjà familiarisé avec le ton moqueur de Socrate et avec sa façon souriante et déconcertante à la fois de lancer la discussion sur les questions les plus essentielles. C’est d’ailleurs dans l’acceptation de ce jeu équivoque mais significatif entre paideia et paidia (la première débouche toujours sur la seconde ou y aspire), que réside la différence entre l’homme réellement cultivé et le mid-cult, l’individu à moitié cultivé: ce dernier est plus emphatique, plus méprisant à l’égard de tout ce qui est populaire (un roman est toujours meilleur que
son
adaptation
cinématographique,
la télévision est une
invention lamentable) et croit qu’il suffit de se pâmer d’admiration pour
faire
preuve
de
discernement.
Le
philosophe
sérieux
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(autrement dit borné) se méfie de toute forme de divertissement parce qu’il ignore que la connaissance, sous toutes ses formes, n’est jamais qu’un divertissement transcendantal. Il n’est qu’à voir comme il fait la fine bouche lorsqu’il se réfère à l’art dans son argumentation: il cite volontiers Paul Klee ou Musil, mais fait rarement preuve de la belle légèreté d’un Ernst Bloch, qui n’hésitait pas à placer côte à côte sur une même page des citations d’Hegel et de Karl May, ou d’un Clément Rosset, qui a souvent recours dans son travail au témoignage implacablement drôle de Tintin ou de Jacques Tati. La devise de celui qui pense peu ou mal tient en ces mots: «Que va-ton penser de moi?» Rien de moins respectable chez un philosophe que cette soif manifeste de respectabilité. Il va de soi que la présence de l’humour - ou, pour être plus exact et plus radical, du rire - dans la philosophie ne tient pas seulement à son contenu intellectuel ni aux plaisanteries qui l’agrémentent, mais avant tout au style, qui en est l’expression privilégiée (n’oublions pas que la philosophie est, depuis de nombreux siècles déjà, un genre littéraire… à supposer qu’elle ait jamais été autre chose). Commentant, dans Sur Nietzsche, la formule oraculaire « écris avec ton sang », Georges Bataille en atténue la terrible rhétorique mais en accroît l’exigence stylistique en indiquant qu’il pousse à écrire de la même manière que l’on rit. C’est bien ainsi que je vois les choses: le philosophe, et surtout le philosophe contemporain, devrait écrire en proie à une perte, à un scandale semblables à ceux du rire. Écrire de manière contagieuse, aussi. Avec délectation, insolence et légèreté (Voltaire!). Que les probes fonctionnaires («Quelle édition citez-vous?») et les partisans de l’attitude édifiante (presque toujours dramatique: «On ne peut pas
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continuer comme ça, la vraie vie est absente!») se rassurent: bien rares
-
à
supposer
qu’ils
existent
-
sont
les
philosophes
professionnels reconnus qui écrivent de si improbable manière. Certains de ceux qui s’y risquent optent plutôt pour l’essai littéraire ou produisent des œuvres plus inclassables encore, comme celles de Cioran ou comme Le Tombeau de Palinure de Cyril Connolly (exemplaire par ses citations, son rythme, son engagement spirituel, et cetera). Évoquons deux autres symptômes fréquents de l’absence d’humour en philosophie: le premier, aujourd’hui obsolète, est l’obstination systématique (Adorno nous avertit que « la philosophie qui se penserait encore comme totale, en tant que système, parviendrait certes à être un système, mais un système de délire »); le second, encore fréquent et qui a pris la place du premier, consiste à affirmer obstinément le caractère scientifique de la philosophie ou à rejeter celle-ci en raison de son manque total de scientificité. De la science
sinon
rien,
insiste-t-on,
sans
voir
qu’une
complète
identification à la science sonnerait le glas de la philosophie (je parle surtout de la philosophie moderne, indissociable d’une science disposant de méthodes qui lui sont propres et à laquelle elle ne cesse de s’affronter). Cette obstination est une faute de goût (manque d’humour, on l’a vu) comparable à celle qui consiste à croire que les confessions écrites d’un criminel valent mieux que Crime et Châtiment ou que le dossier complet d’un véritable adultère est plus digne d’intérêt que Madame Bovary. Ceux qui pensent ainsi n’ont pas compris que si Dostoïevski et Flaubert rejettent la transcription mimétique d’un fait divers authentique, ce n’est pas pour obéir aux caprices de leur imagination mais parce que leur
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exigence littéraire est pleinement réaliste. Il convient de rappeler aux médecins légistes qui s’obstinent à signer l’acte de décès d’une philosophie rendue caduque par la science, le judicieux diagnostic de Georg
Simmel:
«L’achèvement
de
l’expérience
empirique
remplacerait sans doute aussi peu la philosophie - entendue comme interprétation, coloration, accentuation sélective du réel par l’individu - que la perfection de la reproduction mécanique des phénomènes ne rendrait superflus les arts plastiques» (Philosophie de l’argent). Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que sa coexistence avec la science moderne n’ait pas radicalement transformé la tâche de la philosophie,
tout
comme
l’invention
de
la
photographie
a
profondément modifié la pratique des beaux-arts… En fin de compte, la plaisanterie suprême, celle qui scintille au plus profond du savoir philosophique, celle dont l’incessant clin d’œil stimule toutes les autres, tient en cette interrogation que nous lance José Bergamin dans l’une de ses fusées les moins «pyrotechniques»: «Que t’importe de ne pas savoir sur quel pied danser si, au bout du compte, tu devras quitter la piste?» Récapitulons. La tradition philosophique veut accéder à une connaissance globale et laïque du réel. Cette connaissance a pour but non pas tant d’établir tous les autres savoirs à la place qui leur revient que d’installer le sujet qui pratique la philosophie à travers ceux-ci et entre la vie et la mort. Installation fort incommode pour le sujet qui doit faire preuve d’une force de caractère hors du commun ou risque bien de voir ses efforts d’accommodation se résumer à de languissants clignements d’yeux. Une conviction philosophique se définit par trois traits fondamentaux: elle naît d’intuitions explicables à partir de raisonnements fondés sur l’observation et sur l’expérience
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intersubjective; elle ne se transmet ni par simple imprégnation culturelle ni au travers de rites collectifs mais de personne à personne (c’est-à-dire au moyen d’un effort individuel indélébile) et tend à simplifier la mythologie luxuriante propre à chaque société, ou à y résister, plutôt qu’à l’enrichir. Je représenterai respectivement chacun de ces traits par les lettres A, B et C, afin de les commenter de manière un peu approfondie. A met l’accent sur le lien nécessaire qui unit l’activité philosophique et la raison, comprise au sens le plus large et le plus imaginatif possible. J’entends par «raison» la faculté logique d’argumenter à partir de causes naturelles, en se fondant sur une suite patiente d’essais et d’erreurs et en allant de ce que l’on connaît le mieux vers ce que l’on ignore encore. Le postulat de base de la raison est que l’univers dans son ensemble est homogène et symétrique (c’est-à-dire que les lois qui permettent d’expliquer son fonctionnement s’appliquent en chacune de ses parties et qu’il n’y a pas en lui de zones qui échapperaient à la causalité, par exemple, ou dans lesquelles agiraient des forces contraires à toutes les autres), que l’on ne peut rien fonder sur la foi en des révélations surnaturelles ou en l’autorité d’une tradition indiscutable et qu’il faut établir ce qui est bon ou mauvais pour l’homme en fonction de repères pris dans son existence terrestre et non de la perspective d’une vie après la mort. Si les intuitions explicables de la philosophie transcendent les découvertes de la science moderne et bien souvent les remettent en cause, elles perdent toute validité lorsqu’elles les rejettent totalement ou prétendent provenir d’une source de connaissance
ontologiquement
supérieure.
Malgré
le
dictum
d’Unamuno selon lequel la philosophie «penche plus du côté de la
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poésie que de celui de la science» (Montaigne, plus catégorique, voyait dans la philosophie «une poésie sophistiquée»), la science comme la poésie doivent se trouver dans la couche de la philosophie, et si la demoiselle ne veut pas demeurer mystiquement vierge, elle doit se laisser féconder alternativement par l’une et par l’autre. Il va de soi que la raison dont nous parlons n’est pas purement objective; elle est aussi (de par sa pleine rationalité) subjective et tout ce qui est de l’ordre du symbolique, de l’émotionnel ou de l’instinctif mérite autant son attention que la loi de la gravité ou l’entropie. Il n’est nullement question ici de rationaliser à outrance la philosophie mais bien de rejeter tout baptême
philosophique
de
l’irrationalité.
En
un
mot,
toute
philosophie digne de ce nom doit nécessairement assumer l’héritage des Lumières. Tel était le point de vue de Nietzsche, génial continuateur de la pensée des Lumières (même si d’aucuns s’obstinent, envers et contre tout, à faire de lui tout le contraire), qui lançait cet avertissement: «Que les écrivains qui auront recours à la raison pour écrire contre la raison prennent garde de ne pas se dégoûter eux-mêmes». En second lieu, B renvoie à la transmission de la philosophie, non pas au moyen de cérémonies culturelles ni de rites collectifs, mais sur base de la relation de personne à personne et, surtout, de l’effort individuel. Disons un mot ici de l’orchestration académique de la
philosophie,
question
que
j’ai
déjà
abordée
de
manière
particulièrement indirecte et perverse à propos de l’humour. La pratique philosophique actuelle s’inscrit dans le prolongement d’une tradition intellectuelle qui accorde une place importante à son propre passé dans le cadre de sa réflexion. Il serait prétentieux, et surtout
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ridicule et vain, de se mettre à philosopher sur un thème quelconque en oubliant ou en négligeant ce qui a déjà été pensé sur la question ou, dans ce qui a été pensé, ce qui peut être mis en rapport avec elle. Non seulement parce que nous nous appuyons toujours sur ce qui a été pensé pour avancer nos propres idées, mais surtout parce que le sujet philosophant lui-même, dans son geste d’impiété et d’autonomie,
convoque
ceux
qui
l’ont
précédé
comme
son
authentique fratrie. C’est le souvenir des efforts philosophiques passés qui légitime notre activité philosophique présente. Le conserver et le transmettre, en faire l’objet de commentaires, constitue une tâche qui, loin d’être oiseuse, est absolument indispensable. Toutefois, Ulysse nous l’a appris, les ombres des morts ne nous livrent leurs informations que si nous les attirons en versant notre propre sang. Connaître le nom des sages et les pages exactes où s’énonce leur savoir est la forme de connaissance la plus limitée qui soit et n’a assurément rien à voir avec ce qui mérite d’être dit « sagesse ». Il n’est guère préférable (même avec toute la finesse et tout l’esprit critique du monde) de faire des sages euxmêmes et de leurs idées l’objet d’étude exclusif d’une philosophie byzantine, complexée face aux sciences expérimentales et craignant de se voir confondue avec les affirmations vagues et édifiantes de la religion. J’ai bien peur pourtant que, dans une large mesure, ce soient là les seules activités qui jouissent aujourd’hui d’une réelle respectabilité
académique.
La
philosophie
est
devenue
pure
philologie dans nos amphithéâtres: parfois grecque ou latine, ce qui est un moindre mal, mais bien souvent exclusivement allemande. Celui qui pense directement (sans rejeter, bien entendu, ce qui a déjà été
pensé
avant
lui,
mais
en
l’intégrant
à
une
dynamique
23
intellectuelle propre) fait figure de naïf ou de simplificateur irresponsable. La mort, la liberté, les tentations et les dangers auxquels nous sommes exposés ne sont plus désormais que de simples prétextes à énumérer des références bibliographiques ou à réaliser des commentaires de texte. Si bien qu’il en va à peu près de la philosophie comme de l’opéra: à l’instar de ce dernier, elle ne consiste plus qu’à interpréter de vieux airs avec virtuosité, en les agrémentant tout au plus, de temps en temps, de cadences originales. Cette discipline a, certes, ses Pavarotti et ses Placido Domingo (sans oublier, pour être politiquement corrects, quelques Victoria de Los Angeles), qui nous offrent des interprétations extrêmement agréables et de très haute tenue, mais nous devons, la plupart du temps, nous contenter de sopranos et de ténors de seconde zone qui n’ajoutent rien ou fort peu au plaisir des enregistrements historiques connus de tous (dans certains cas, le seul intérêt qu’ils présentent tient à la sophistication des techniques phonographiques actuelles qui leur permet d’atteindre à une très haute qualité sonore… ou à une intelligibilité supérieure, mais au prix d’une plus grande froideur. Nous manquons en revanche de compositions
nouvelles
intégrant à un schéma classique les
harmonies et les dissonances du temps présent; nous manquons de ces aventuriers qui, portés par le vin et l’ambiance chaleureuse de la noce, se mettent spontanément à chanter les grands airs du répertoire sans trop se souvenir des paroles; j’irais jusqu’à dire que nous manquons de chanteurs de rue passionnés de bon rock, ou d’une country aussi peu écologique que possible… (...)
24
ÇA SUFFIT!2 par Fernando Savater Le collectif civique espagnol Basta Ya! ("Ça suffit!") dénonce les agissements de l’ETA au Pays basque. En son nom, le philosophe Fernando Savater vient de recevoir, à Strasbourg, le prix Sakharov des droits de l’homme.
AVANT tout, l´initiative citoyenne Basta Ya! tient à exprimer devant ce Parlement [NDLR: européen] sa gratitude pour l´honneur qui lui est fait et pour la reconnaissance publique que vous lui accordez ainsi. Cette distinction est d´autant plus remarquable que nous ne sommes ni une prestigieuse ONG ni un mouvement institutionnel ayant un long passé, mais simplement un groupe de citoyens
de
provenances
très
diverses,
sans
hiérarchie
bureaucratique, sans appareil organisationnel ou presque, qui se sont réunis pour œuvrer ensemble il y a un peu moins d´un an. On trouve parmi nous des professeurs et des ouvriers, des responsables de l´Etat et de simples particuliers, des religieux et des laïques, des syndicalistes, des chefs d´entreprise, des militants pacifistes,
des
artistes,
des
travailleurs
du
monde
de
la
communication, des gens dont le nom est très connu et beaucoup d´autres qui n´ont rien de célèbre: nous formons, je vous l´avoue, un ensemble quelque peu anarchique.
2
Ce texte est le discours que Fernando Savater a prononcé mercredi 13 décembre à Strasbourg au nom de l´initiative citoyenne Basta Ya! en recevant le prix Sakharov des droits de l´homme et de la liberté d´expression, décerné par le Parlement européen. Le Monde, 16/12/2000.
25
Nous n´avons nullement l´ambition de jouer un rôle historique, ni même de durer à tout prix; et nous serions heureux si notre initiative, cessant d´être nécessaire, prenait fin dès demain en laissant chacun de nous retourner paisiblement à ses occupations quotidiennes. Nous savons que, pris individuellement, nous ne sommes pas importants, mais nous croyons à l´importance de ce qui nous unit et nous mobilise: le refus du terrorisme criminel de l´ETA et le soutien explicite à l´Etat espagnol, aujourd´hui menacé par un projet totalitaire de sécession violente. Nous sommes descendus dans la rue et nous avons pris la parole parce que nous sommes convaincus que, lorsque la démocratie est en danger, les citoyens ne peuvent pas se réfugier dans leur anonymat et attendre calmement que tout se règle dans les hautes sphères du pouvoir politique. Nous ne voulons pas nous substituer aux institutions légitimement établies, mais les presser de protéger nos droits et nos libertés sans rien concéder à la terreur. Nous nous sommes mobilisés par solidarité avec les victimes du fanatisme idéologique assassin, et aussi pour nous défendre contre lui. Car nous vivons une situation tristement insolite dans l´Europe démocratique. Le Pays basque n´est pas un territoire lointain, accablé d´injustices et d´inégalités comme tant de lieux de ce que l´on appelle le tiers-monde. C´est l´une des régions les plus développées de la communauté européenne, et l´une des plus équilibrées du point de vue de la qualité de vie. Au sein de l´Etat espagnol, la communauté basque jouit d´une autonomie très large, elle a son propre gouvernement et son propre Parlement, elle contrôle pleinement sa fiscalité, elle dispose de son
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système d´éducation bilingue, elle a deux chaînes de télévision (dont une en langue euskera), etc. Certes, les Basques ont eu à subir de graves violations de leur liberté politique et culturelle pendant la dictature de Franco, comme tous les citoyens espagnols. Mais, à partir de l´instauration de la démocratie, un extraordinaire effort de réconciliation a eu lieu dans tout le pays, dont le premier pas a été une amnistie générale pour tous les délits à caractère politique commis au cours de la période franquiste, ce qui a permis, voici plus de vingt ans, à tous les membres de l´ETA qui le désiraient de rentrer dans la légalité — y compris ceux qui étaient responsables de crimes de sang. Pourtant, l´activité de l´ETA ne s´est pas arrêtée, et nous comptons plus de 700 victimes tuées pendant l´étape démocratique. La structure de l’ETA aujourd´hui, au Pays basque, il n´y a ni sécurité ni liberté d´expression ou d´association politique pour une grande partie des citoyens. Les élus qui ne sont pas nationalistes sont assassinés, tout comme les directeurs d´entreprise, les journalistes, les membres des forces de l´ordre public ou de simples particuliers qui ont manifesté, sous une forme ou une autre, leur opposition au projet d´imposer l´indépendance. Et il ne s´agit pas seulement d´assassinats: de nombreuses entreprises, commerçants d´extorsions,
des et et
maisons, des ceux
des
cadres qui
véhicules font
sont
sont
brûlés,
quotidiennement considérés
comme
des l´objet des
«espagnolistes», c´est-à-dire qui osent se manifester publiquement en faveur de l´Etat de droit constitutionnellement en vigueur, sont harcelés et menacés de mille manières. Beaucoup de gens se voient obligés de partir pour éviter le
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pire ou parce qu´ils ne supportent pas la pression de ce climat d´intimidation. D´autres doivent se résigner à vivre escortés par des policiers et ne peuvent se promener tranquillement dans la rue ou se rendre dans des lieux publics sans prendre toutes sortes de précautions. Au Pays basque, en pleine Europe démocratique, nous avons actuellement des douzaines de Salman Rushdie. C’est le règne de la peur, une peur palpable dans la vie quotidienne, qui fait parler à voix basse ou dissimuler ce que l´on pense, comme aux pires moments de la dictature franquiste. Nous savons, nous les membres de l´initiative Basta Ya!, que l´ETA est sans aucun doute le principal coupable de ces maux, mais nous sommes également convaincus que l´ETA n´est pas un phénomène isolé, et que sa perpétuation est due à un climat politique dont sont en partie responsables les autorités nationalistes qui gouvernent le pays depuis plus de vingt ans. Les « etarras » ne sont pas des extraterrestres venus d´une autre planète pour faire le mal, mais des jeunes gens élevés dans le fanatisme ethnique, dans la haine de plus de la moitié de leurs concitoyens et de tout ce qui est considéré comme «espagnol». Ce sont des jeunes gens auxquels on a inculqué une histoire falsifiée et une anthropologie démentielle qui les font se croire des victimes et les transforment ainsi en bourreaux. Nous acceptons, naturellement, que les nationalistes basques puissent proposer par des voies pacifiques la création d´un nouvel Etat indépendant qui n´a jamais existé dans le passé, mais nous refusons que ce projet politique d´un parti déterminé se présente comme le droit inaliénable de tout un peuple, et se convertisse ainsi,
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de façon indirecte, en justification de ceux qui exercent la violence. De même, nous ne trouvons pas sensée la recherche constante dans le passé historique et même préhistorique de torts qui
justifieraient
la
rupture
des
communautés
démocratiques
actuelles ou qui prétendraient apporter la preuve de l´incompatibilité de ceux qui, de fait, vivent ensemble depuis des siècles. L´expérience
vécue
par
d´autres
régions
d´Europe
l´a
tristement démontré: à suivre un tel chemin, on finit toujours par trouver des justifications pour faire la guerre. C´est là quelque chose contre quoi l´un des premiers penseurs de l´Europe unie, Erasme de Rotterdam, avait déjà, voici des siècles, mis en garde dans un de ses adages: «Si un titre quelconque peut être considéré comme une cause idoine pour entreprendre la guerre, personne — au milieu de tant de vicissitudes dans les affaires humaines, de tant de changements — ne manquera jamais de titre à la faire. Quel peuple n´a pas, une fois, expulsé quelqu´un de son territoire? Combien de fois a-t-on émigré d´un lieu à un autre? Combien de fois les empires ont-ils été déplacés çà ou là par le hasard des traités? Les Padouans peuvent réclamer le sol troyen, en arguant qu´en d´autres temps Anténor fut troyen! Les Romains peuvent réclamer l´Afrique et l´Espagne, puisqu´en d´autres temps elles furent romaines! Nous appelons domaine héréditaire ce qui est administration effective. On n´a pas un droit égal sur les hommes — libres par nature — et sur les troupeaux de bétail». (Extrait du commentaire de l´adage «La guerre attire ceux qui ne l´ont pas vécue»). Nous
sommes
évidemment,
en
tant
que
démocrates,
partisans du dialogue entre les différents partis démocratiques, parce que c´est dans le dialogue permanent que réside l´essence de la
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démocratie. Mais c´est précisément à cause de cette vocation au dialogue démocratique que nous refusons que celui-ci puisse être imposé par la violence du terrorisme, que l´agenda politique des citoyens soit établi par ceux qui pervertissent l´usage de la cohabitation pacifique, et que les lois fixées par le consensus parlementaire soient changées au goût des assassins pour que ceuxci acceptent de ne plus tuer. Nous voulons vivre en paix, mais nous voulons aussi vivre en liberté; nous refusons de remplacer l´Etat des citoyens par l´Etat des ethnies. Voilà pourquoi nous sommes descendus dans la rue: afin de défendre les principes constitutionnels et de crier aux terroristes: «Basta Ya!» «Ça suffit!» Et voilà pourquoi, aussi, après avoir adressé nos remerciements pour ce prix Sakharov aux membres du Parlement européen, nous les invitons à visiter le Pays basque: pas les bureaux officiels, mais les rues, les cafés, les commerces, les entreprises, les petits villages, les universités, pour y connaître de première main, sans ingérence des propagandes, comment on y vit menacé, victime d´extorsions, sans droit à la libre expression des idées. Pour y vérifier par eux-mêmes la vérité que nous dénonçons; pour, ensuite, ne pas oublier et nous aider à lutter contre ce cancer que toute l´Europe démocratique doit sentir comme sien. (Traduit de l´espagnol par François Maspero)
30
DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE PERSONNEL3 traduit de l’espagnol par Thierry Defize, 420 p., Grasset, 145 F
par Jean Blain Le
titre
ne
doit
pas
faire
illusion:
le
Dictionnaire
philosophique personnel du philosophe espagnol Fernando Savater - découvert en France il y a quelques années avec deux livres de vulgarisation adressés à un adolescent, Ethique à l’usage de mon fils et Politique à l’usage de mon fils (Seuil) - n’est pas un usuel académique et érudit, comme il en existe du reste d’excellents, traitant exhaustivement et par ordre des principaux thèmes et concepts philosophiques. Livre à lire et non à consulter, l’ouvrage de Fernando Savater se veut plutôt un dictionnaire philosophique à la manière de celui de Voltaire, dont il ne prétend certes pas égaler «l’élégance inimitable» mais dont il aimerait cependant suivre, confesse l’auteur, «l’absence de toute prétention encyclopédique, le choix subjectif et capricieux des thèmes et des auteurs traités, la propension à placer au milieu d’un exposé moins suggestif que les autres des digressions qui eussent peut-être mérité une place à part, la volonté non pas tant de flâner d’une idée à l’autre que de lutter pour ou contre quelque
3
Décembre 1999. http://www.lire.fr/Idees/281_005880J.asp
31
chose, l’humour, le goût de la chose bien écrite mais sans ostentation, le ton familier, etc.». Composé d’une cinquantaine d’articles portant tantôt sur des thèmes philosophiques classiques - comme l’éthique, la mort, la nature, la religion ou la volonté - tantôt sur des sujets moins classiques - l’argent, les monstres ou la stupidité - ou sur des auteurs, philosophes (Diderot, Nietzsche, Rousseau, Spinoza) et écrivains (Rilke ou Stevenson), ce dictionnaire fait sien le mot d’Emerson cité par Nietzsche et selon lequel «pour le philosophe, toutes les choses sont précieuses et sacrées, tous les événements utiles, tous les jours saints, tous les hommes divins». Il se présente du reste lui-même comme appartenant au genre de la diatribe, au sens que les philosophes cyniques donnaient à ce terme, c’est-à-dire comme un ouvrage cultivé sans être spécialisé et portant sur des sujets mondains, «c’est-à-dire moins sur ce qu’est le monde que sur la manière de se débrouiller dans le monde et avec lui». Ce livre au ton très libre et indifférent aux conformismes n’est assurément pas un livre sans convictions. Celles de Fernando Savater sont, de manière générale, à mille lieues du moralisme et du dogmatisme, des prédicateurs et de tous les esprits chagrins auxquels il préfère, avec Démocrite, Lucrèce, Spinoza et Nietzsche, les valeurs affirmatives de l’humour et de la joie. «Prendre les choses avec philosophie» ne signifie pas ici les prendre avec résignation ou avec gravité, mais joyeusement.
32
PENSER SA VIE4 Ramon Chao Seuil, Paris, 2000, 283 pages, 120 F.
Fernando Savater, l’un des intellectuels espagnols les plus en vue, se définit lui-même comme « un philosophe de compagnie ». «J’essaye d’offrir une philosophie accessible à tous les publics, qui n’esquive pas les difficultés mais qui ne rejette personne a priori». Né en 1947 à Saint-Sébastien, il enseigne aujourd’hui à l’université Complutense de Madrid, après avoir, pendant des années, affronté les étudiants basques. Ce radical libertaire, prolixe auteur d’une cinquantaine d’ouvrages de toute nature, aime «se mouiller» et apprécie ceux qui en font autant. Ses prises de position contre ETA et les nationalismes en général ont fait de lui l’une des cibles des terroristes. L’ampleur du succès qu’il a obtenu en Espagne et en Italie (Ethique à l’usage de mon fils et Politique à l’usage de mon fils, publiés au Seuil, 1994 et 1995) prouve qu’il répond à des inquiétudes bien réelles (l’éducation politico-morale des enfants, les problèmes de la drogue, de la violence, de la télévision...). Traduit avec une fidélité méticuleuse qui rend avec bonheur les traits ironiques de Savater, Penser sa vie veut avant tout nous apprendre à bien mourir... dès l’enfance!
4
LE MONDE DIPLOMATIQUE, DÉCEMBRE 2000, page 31.
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FERNANDO SAVATER. NIETZSCHE5 Edith Gutiérrez Aquesta Terra Comunicación-UNAM, Colección Alebrije, México, 1993.
¿De dónde viene el interés que suscita este filósofo en nuestra época? Dice Savater en este libro, prologado por Lizbeth Sagols, que tal interés proviene seguramente de que Nietzsche es hoy una opción contra la cultura (occidental), contra la ciencia y el progreso. En esta época en donde el escepticismo frente a los "logros" de la ciencia y la racionalidad así como el desencanto generalizado son los síntomas del fin de milenio, aparece la figura de Nietzsche como el más grande crítico del cristianismo y de la metafísica de corte platónico que han dado lugar a la "decadencia" actual. Nietzsche no solamente es el gran crítico, sino también un portador de propuestas relacionadas con la moral y la comprensión del mundo. Tomó una posición crítica frente al estado actual de cosas pero también indicó una posibilidad de comprender y comprenderse en el mundo de manera radicalmente distinta. El libro de Savater presenta un breve apunte sobre la vida de Nietzsche, así como una introducción a las ideas fundamentales del pensar nietzscheano, a saber, La muerte de Dios, La voluntad de poder, El eterno retorno y el Superhombre. 5
Boletin Cultural y Bibliográfico, no 1, Volumen XXI, 1984. http://www.iztapalapa.uam.mx/iztapala.www/cefilibe/fersavat.htm
34
La idea de la muerte de Dios es el punto de partida para el desarrollo de las líneas generales del pensar nietzscheano, pues implica un diagnóstico de la cultura, la moral y el pensamiento posterior a la Ilustración, y de cómo es precisamente la Ilustración el inicio de la muerte de Dios. La ausencia de fundamento y sentido que implica la muerte de Dios nos induce a buscar otras "explicaciones", otros sentidos, otros fundamentos del mundo y del hombre que no impliquen ya el ámbito de lo divino, por lo menos en sentido monoteísta. Se plantea entonces la necesidad de abandonar la comprensión del mundo y la moral tradicional, unificadoras del mundo, para internarse en la existencia, en la "realidad", captando su riqueza, multiplicidad y complejidad a través del politeísmo. Es decir, se trata de llegar a las últimas consecuencias del hecho de que Dios ha muerto, y encontrar así mayor impulso vital, fuerza, poder y libertad. La voluntad de poder es planteada por Savater como un simulacro donde se fundamenta todo lo existente y como principio de un nuevo pensar y una nueva moral: "verdad es lo que aumenta el sentimiento de fuerza". El punto de partida de este simulacro es la crítica de la moral cristiana y su apología de la debilidad y el sufrimiento para alcanzar el Paraíso en una vida después de la muerte. Se afirma la inmanencia planteando una fuerza que origina a la totalidad de lo real dentro de la misma. Tal fuerza-origen es la voluntad de poder. La comprensión de la temporalidad se da en la idea del eterno retorno como un afán de abandonar la temporalidad entendida
como
Cristianismo.
Se
progreso trata
propia
además
de de
la
Modernidad
reivindicar
el
y
del
instante
35
convirtiéndolo en eterno , evitando con ello plantear una eternidad más allá del instante, es decir, más allá de este mundo. Finalmente Savater aborda el tema del Superhombre y la Gran Política. Pero ¿Qué es la gran política? "La preparación del mundo para el advenimiento del Superhombre". Y el Superhombre no es más que la gran obra de arte de los filósofos-artistas politeístas, grandes herederos alegres de la muerte de Dios, aquellos que se atrevieron a llegar hasta las últimas consecuencias de la muerte Divina. Superhombres: seres libres que crean valores y formas de vida porque tienen en sí la fuerza, la lucidez y la nobleza cuyo principio no es el "tú debes", ni el "yo quiero", sino el "yo soy" de los dioses griegos. El fundamento es entonces la autoafirmación, la exacerbación de la propia existencia; el proclamar a los cuatro vientos "yo soy" y "yo soy lo que quiero". Dice Savater que a partir del superhombre no habrá ya más metas sino el vivir según el caos de
las
fuerzas
que
eternamente
retornan
hacia
sí
mismas,
encontrando "la finalidad sin fin". Es necesario para el Superhombre una conciencia heroica como la que existió en la antigüedad griega, cuando la fuerza y el honor eran las virtudes morales de la época.
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LA INESPERADA POPULARIDAD DEL FILÓSOFO FERNANDO SAVATER6 CARLOS JIMÉNEZ Filosofía y popularidad suelen entenderse como términos excluyentes.
Antes,
por
la
influencia
de
los
letrados
de
la
Regeneración, quienes anclados en la tonta claridad del catecismo condenaban por ininteligibles a los filósofos alemanes. Después, por la vertiginosa influencia del modo de vida estadounidense, con su extendido
desprecio
por
la
especulación
filosófica,
apenas
balanceado por el subrepticio pitagorismo de sus sociólogos. En la España de ahora, en cambio, el interés por la filosofía no se reduce al círculo de los especialistas. Por el contrario, es tema habitual en las discusiones de los jóvenes, los libros de filosofía se venden mucho y no es excepcional encontrar, en las revistas de gran tiraje e inclusive en la televisión, los rostros de los nuevos filósofos españoles, que ya aventajan claramente la hipotética destreza de los toreros alemanes. Fernando Savater es uno de ellos. Todavía joven – nació en 1946 –, con una obra abundante de ensayista y narrador – ocho libros publicados –, ha sido uno de los animadores más lúcidos de la polémica cultural y política que en los años de la llamada Transición ha intentado establecer y aclarar cuestiones como la de las nacionalidades, la naturaleza del poder, la cultura alternativa, las posibilidades renovadoras de la democracia... Esta 6
http://bochica.banrep.gov.co/blaavirtual/boleti3/bol1/inespera.htm
37
intervención le ha creado un público amplio y fiel que se ha extendido a México y, más recientemente, a Venezuela, lugares a donde Savater suele viajar a dar conferencias y participar en seminarios. Hace poco publicó dos libros: La tarea del héroe e Invitación a la ética. Los leí, e interesado en esta summa de sus preocupaciones que de alguna manera son mías, le propongo una entrevista. Acepta y me cita en un apartamento anónimo y racionalista donde suele quedarse los dos o tres días por semana que pasa en Madrid. El resto de la semana lo emplea en San Sebastián, esa ciudad situada en el país de los muchos nombres: Euzkadi para los nacionalistas, País Vasco para el ministerio del Interior, Donostia para Savater.
– ¿Por qué escribe sobre ética? – En principio porque es mi campo de adscripción a la filosofía. Desde hace cuatro o cinco año doy clases sobre estos temas; primero en la Universidad a Distancia y ahora en la Facultad de Filosofía de San Sebastián. Después, porque el asunto mismo de la ética me ha interesado muchísimo. Por largo tiempo me he preguntado por los temas básicos de la misma: el valor, la virtud, el mal,
convencido
de
que
son
problemas
irreductibles
a
las
determinaciones históricas, políticas e incluso psicoanalíticas. – Es extraño que usted haya publicado simultáneamente dos libros sobre el mismo tema. – Son libros de índole diversa. Invitación a la ética es más ajustado, más conciso, el tema está abordado parte a parte, con más sistema. La tarea del héroe, en cambio, es más de flashes, está lleno
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de agujeros, omite unos temas y se detiene largamente en otros. La tarea... tiene tres partes – agrega con la rapidez impresionante que mantendrá hasta el final de la entrevista, mientras sus ojos se escabullen detrás de las numerosas dioptrías de sus lentes –. Las tres
partes
son:
Del
querer,
Del
imaginar,
Del
convivir.
El
planteamiento esencial no es estrictamente original: parte de Schopenhauer, de su teoría de que la voluntad no tiene fundamento trascendente sino que se origina en el caos. Este núcleo lo he modificado con reflexiones sobre la necesidad de la imaginación en el despliegue de la voluntad de poder y sobre las implicaciones políticas de una ética radical. – ¿ De dónde viene el subtítulo: Elementos para una ética trágica? – Yo me aparto de las éticas de salvación y propongo la recuperación
de
la
ética
trágica,
que
tiene
sus
momentos
espléndidos en obras como la de Marco Aurelio, el emperadorfilósofo. Esta ética es trágica porque admite que entre nuestro querer y su objeto la concilación es finalmente imposible. El querer no puede sino darse un objeto a sabiendas de que ningún objeto puede satisfacerlo porque en ninguno se agota. Esta ética se aparta, por lo mismo, tanto de los que esperan esa reconcilición en la otra vida, como de los que se hunden en el objeto, abdicando de su querer, que es tanto como decir de lo que los constituye íntimamente. – ¿Por qué recurre al héroe? Por qué para reflexionar sobre la ética se vale de este tipo de imágenes, problemáticas y acaso anacrónicas? – Esta escogencia se enlaza con las opciones en el orden
39
simbólico que practiqué en este libro. En la sección dedicada al imaginar me ocupo extensamente, y haciendo pie en un cuadro de Tiziano, de tres figuras: el padre, la madre y el hijo o los hijos. Desde ellas interpreto algunos de los problemas característicos de nuestros días. El arquetipo paterno, que es la ley, ha llegado a ser un viejo opresor
y
agresivo
que
en
su
avatar
estatal
nos
amenaza
continuamente. La madre, a su turno, se ha hecho subrepticiamente dominante y, como ocurre en la tela de Tiziano, se interpone constantemente entre los hijos – y vale recordar que todos somos hijos – y el padre. El héroe es el hijo del padre, el hijo capaz de hacerse limpiamente un camino hacia la ley, sin la cual es imposible la creatividad, y de recuperar al padre como puer aeternis, como arquetipo paterno que crea sin reprimir. – El cuadro de Tiziano se llama Asunción e ilustra uno de de los temas característicos de la Contrarreforma. ¿Se limita la validez de su interpretación a los países en los que perdura el espíritu del Concilio de Trento? – No, mi acercamiento a estos problemas no es histórico. La interpretación que propongo pertenece al dominio de lo simbólico y toma en cuenta el hecho de que para todos la relación entre el arquetipo paterno y el materno es un problema abierto. El mismo término
asunción
escapa
al
círculo
de
intereses
tridentinos.
Asunción de la madre es también asumir la madre, hacernos cargo de lo femenino que hay en cada uno de nosotros. – ¿ Cómo es posible escribir un libro sobre el héroe, llenarlo de múltiples referencias míticas y literarias y no mencionar a Sam Peckimpah? (Vacila un instante e intercala una sonrisa igualmente
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breve en la cara redonda y sonrosada, antes de responder.) – La verdad es que escribiendo recaigo una y otra vez en lo cinematográfico. Justo antes de llegar usted, estaba escribiendo un artículo para una revista de cine en la que colaboro habitualmente. Se supone que es el comentario de una película, pero ya ha llenado dos cuartillas con una meditación sobre el tiempo. A veces no sé si hago cine filosófico o filosofía cinematográfica. En cualquier caso, en un libro no puede entrar todo y sé que quien lea La tarea del héroe no podrá dejar de evocar La pandilla salvaje. – ¿Por qué una ética y no una política? – Porque la política es el reino del poder separado, del poder que ordinariamente impide ejercitar nuestro poder. En última instancia, se trata de abolirlo. Mientras eso ocurre y para que eso ocurra es preciso atender a la nostalgia y la promesa evocadas por la ética. La política propone continuamente la distinción entre medios y fines: aconseja aceptar hoy lo inaceptable en función de alcanzar mañana lo que es aceptable, porque corresponde con nuestro deseo. La ética, tocada de locura, no distingue entre medios y fines y pretende que en cada momento reconozcamos nuestro querer, sin olvidar que siempre con respecto a él se trata de aquí y ahora. Para la ética la acción inventa en cada acción sus propios fundamentos, sin buscarlos, como lo hace la política, en realidades o principios trascendentes. – ¿Por qué ética y no historia? –
Porque
la
historia
desde
Hegel
ha
llegado
a
ser
determinismo absoluto. Nada, en su campo, es por casualidad, todo está –o fue– determinado. El resultado es que se intenta explicar siempre la acción del hombre desde la exterioridad, desde un más
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allá, que finalmente lo deja de lado. La historia está amenazada por un reduccionismo que la ética combate proponiendo que la acción humana se explica desde dentro, es decir desde el azar que es nuestra intimidad intraducible. – En algún momento usted declaró que su terreno era el ensayo y no el tratado. Después alguien le reprochó reprochó la falta de una obra, en el sentido fuerte introducido por el idealismo alemán. Ahora ha escrito dos libros en los que parece haber agotado todas sus propias preguntas. ¿No le inquieta? – No. Estos libros han satisfecho mi necesidad de establecer cierto marco de referencia y por lo mismo me permiten ahora hacer, con tranquilidad, otro tipo de cosas, más congruentes con mi vocación literaria. Probablemente lo próximo que escriba explore las posibilidades de volver sobre los mitos. – Finalmente: ¿cómo consigue consigue mantenerse optimista en este mundo terrible? – El optimismo es la otra cara del pesimismo y de ambos soy ajeno... – Está la presión continua de los diarios. – La resisto leyendo a Spinoza. Allí encuentro el temple que hace falta.
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EN EL LIBRO ÉTICA Y CIUDADANÍA7 Monte Ávila y la Contraloría recogen la voz de Fernando Savater en Caracas
¿Sabemos exactamente cuál es el significado de la palabra ética? Al parecer la mayoría de nosotros pensamos que sí y emitimos las más variopintas opiniones sobre dicho concepto. Sobretodo en momentos de crisis pululan distintas afirmaciones que implican el uso de la palabra, "tal o cual político no tiene ética", "lo que le falta a la juventud de hoy en día es ética". Todos damos un peso muy importante a esta noción, pero volvamos a la pregunta: ¿sabemos con exactitud qué es ética? El reconocido intelectual español Fernando Savater se ha dedicado a poner en punto el concepto y lo hace con la mayor sencillez. Así lo demostró en el ciclo de conferencias que dictó en octubre de 1998 en Caracas, invitado por la Contraloría General de la República, y que hoy es compilado en el libro Ética y ciudadanía, publicado, en coedición con la Contraloría, por Monte Ávila Editores, en su Colección 30ª Aniversario. Además de las charlas, el volumen recoge tres interesantes conversaciones del intelectual, en el Museo de Bellas Artes, la Biblioteca Nacional y la Fundación Andrés Mata. Las entrevistas con los periodistas Rubén Wisotzki, Valentina Marulanda y Casto Ocando, publicadas en distintos medios impresos de comunicación, se incluyen también en el libro. En fin, Ética y ciudadanía recoge
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http://www.monteavila.com/data/25.html
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un completo panorama de la huella dejada por Fernando Savater en su reciente visita al país. Fernando Savater (San Sebastián, España, 1947) Es profesor de Ética de la Universidad Complutense de Madrid y codirector de la revista Claves de la razón práctica. Ha publicado una vasta y bien apreciada obra, en la cual destacan títulos como Ética para Amador, El valor de educar, Invitación a la ética, y La tarea del héroe (Premio Nacional de Literatura en España). La relación de la ética con la política, con la democracia, con la educación, la ética y la estética son algunos de los temas que recorre Savater en el libro. "De qué sirve la ética para los jóvenes", "La vida está hecha de vacilaciones. Ética es filosofar" y "Los periodistas quieren ser la noticia y no sus informadores", son algunos de los interesantes capítulos que lo conforman. Ahora nos repetimos la pregunta, ¿qué es exactamente la ética? y Fernando Savater nos contesta atrevidamente en el texto: "No soy más que un pobre profesor de filosofía, que intenta hacer inteligibles temas que otros han inventado y expresado mejor que yo. Mi única aspiración es intentar acercar al público al pensar colectivo, a estos temas; pero, por supuesto, no tengo mensajes excepcionales que vayan a revelar verdades, sólo quisiera servir de compañía a las personas que quieran pensar por sí mismas y quieran llegar a conclusiones por sí mismas, ésa es mi única función". Finalmente, en contra de los pronósticos del autor, la noción de ética se amplía mucho al leer el libro y nos complacemos con las herramientas que el intelectual español nos entrega para descubrir nuestro sentido de ética y para afrontar distintas determinantes
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sociales que queramos o no debemos enfrentar al reconocernos como individuos dentro de una sociedad. La Colección 30ª Aniversario de Monte Ávila da cabida a obras y traducciones de proyección internacional, cuya relevancia y madurez en el tiempo las convierte en paradigmas del conocimiento y la creación artística.
ÉTICA Y CIUDADANÍA Coedición con la Contraloría General de la República
Si algún tema ha alcanzado vitalidad y pertinencia en este final de siglo es el de la ética, en su relación específica con comportamiento social humano así como con la pluralidad y significado de sus consecuencias. En Ética y ciudadanía se recogen seis conferencias, tres entrevistas y dos diálogos de Fernando Savater, producidos en el marco de la visita de este prestigioso intelectual español a Venezuela en 1998, con motivo de la conmemoración de los 60 años de la Contraloría General de la República. En todos ellos se indaga, sin concesiones, sobre la ética que fundamenta la democracia; la ética y su relación con la política; la ética del filosofar; la ética y sus discutidas relaciones con la estética, el arte y la literatura, y la ética y su utilidad para los jóvenes. Fernando Savater (San Sebastián, España, 1947) es uno de los intelectuales de mayor prestigio y popularidad internacionales de la actualidad. Es profesor de Ética en la Universidad Complutense de Madrid y codirector de la revista Claves de la razón práctica. Ha publicado una vasta obra, en la que destacan Ética para Amador, El
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valor de educar, Invitación a la ética y La tarea del héroe (Premio Nacional de Literatura en España), entre otras obras.
FERNANDO SAVATER: "NO FUI A LA CÁRCEL POR HEROICO SINO POR TONTO" por Luis Miguel Madrid y Armando G. Tejeda8 Fernando Savater teje con aguda precisión sus palabras: hay rebelión de las ideas, también hay ese silencio rotundo que precede a su vivaz crítica. Savater es filósofo, escritor, profesor de universidad y lector omnívoro. Su obra, a salvo en más de 45 libros publicados, mantiene un diálogo abierto con sus lectores. Savater, de 52 años, es autor de, entre otros títulos, Nihilismo y acción, La filosofía tachada, Apología del sofista, Ensayo sobre Ciorán, El Jardín de las dudas y, quizá su libro más conocido, Ética para Amador. "Un capricho", esa es la calificación que hace Fernando Savater de su próximo libro; le gustan las carreras de caballos y por ello está trabajando en lo que será una interpretación del año 2000 visto a través de las grandes carreras de caballos. Savater recibió a Babab en su pequeño paraninfo universitario, desde donde nos mostró algunas de las claves para interpretar la vida con esa lejanía que se acerca tanto a lo cotidiano. 8
http://www.babab.com/no02/fernando_savater.htm
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BABAB - Se dice que España ha dejado de ser un país de izquierda, que ha habido un vuelco ideológico en las últimas elecciones generales, ¿usted cree que esto es en realidad así?
FERNANDO SAVATER - España es un país conservador, estuvo cuarenta y tantos años bajo Franco sin mover un dedo. Luego aquí, actos heroicos se dieron muy poquitos, la gente que fuimos a la cárcel no lo hicimos por heroicos sino por tontos, la mayoría de la gente no hizo nada y cuando terminó la cosa, la gente votó a Unión de Centro Democrático, un partido moderado, es decir, no se lanzó a votar ni a los comunistas ni a los extremismos de derecha, porque es verdad que este país no es de extrema derecha. Este país es de izquierdas frente a Pinochet, pero no frente a los gitanos; aquí la gente piensa que hay una retórica de izquierdas, tú le preguntas a la gente lo que piensa de Pinochet y te dicen que hay que cortárselo en tajadas y comérselo con patatas, pero hay que distinguir entre un embellecimiento de izquierdas del discurso propio y una gente de centro que lo que quiere es prosperidad y seguridad económica... BB - Usted antes de ser profesor de la Universidad Complutense fue su alumno, ¿qué cambios ve en los nuevos universitarios, en la Facultad?
FS - Como yo estudié en ésta misma Facultad en la que estoy ahora como profesor, casi lo que me impresiona más es lo que "no" ha cambiado, es decir, como ha cambiado uno, como ha cambiado el mundo y qué igual sigue la Facultad, luces, rincones, todo igual, me da la sensación de haberme quedado atrapado en el tiempo... atrapado como un personaje de Beckett... hay lugares que uno los tiene como un destino, pero bueno, ha cambiado, lo primero,
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la cantidad de coches que hay aparcados ahí fuera. Cuando yo estudiaba prácticamente no tenía coche más que el Rector y probablemente oficial, hoy la mitad de los profesores y alumnos lo tienen, todos menos yo. Bueno, eso es un cambio, y la proporción entre mujeres y hombres; antes Filosofía era una cosa que estudiaban las "niñas" y los curas, monjas con su hábito y algún perdido como yo. Como había muy pocos hombres no teníamos ningún futuro halagüeño cuando organizábamos algún guateque, por eso en los carteles poníamos: "irán Ingenieros", ja ja ja, porque sólo por nosotros no se molestaba nadie. Eso ha cambiado hoy, la carrera está vista como una profesión, no sólo como complemento para las niñas, sino que es otra cosa. Uno de los problemas que tenemos es que es una carrera en la que se pide una nota de selectividad muy baja, y siendo una cosa que
es
muy
vocacional,
mucha
gente
que
quería
hacer
Telecomunicaciones o Medicina, por falta de puntos, terminan aquí, pero también hay alumnos muy buenos, vocacionales, interesados. BB - ¿Percibe alguna tendencia ideológica concreta en el alumnado?
FS - Antes esta era una de las Facultades más politizadas, ésta y Económicas, que era la peor, y Derecho también. Obviamente ahora ya no, antes estaban politizadas las Universidades porque no había otro sitio donde hacer política. Hoy afortunadamente hay otros muchos campos y en la universidad no se hace política, habrá gente interesada, pero no lo hace aquí, hay ciertos movimientos, pero ya no es el sustituto de la política... La gente está más interesada ahora por sus calificaciones, en fin... una figura más instrumental de la Carrera, nosotros veíamos ser universitarios como una especie de forma de vida con una obligación moral revolucionaria y hoy se ve
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como una cosa que acabar cuanto antes, como un trámite. BB - Su obra es prolífica en géneros y disciplinas: novela, ensayo filosófico, artículo de fondo; ¿Por cuál le gustaría ser recordado?
FS - Pues no sé, en principio no tengo un especial encanto en ser recordado porque cuando me recuerden significará que no estoy; por lo cual no es una perspectiva que me ilusione. Pero bueno, creo que la actividad como articulista y persona que ha intervenido en ciertas urgencias nacionales es lo que creo que he hecho menos mal. No me considero escritor de grandes obras, creo que he hecho algunos artículos que han sido a la vez correctos y oportunos. Me gustaría que se echaran de menos mis artículos. Y luego hay un mérito que a uno le da vergüenza tener porque explica un poco como está la situación y es que como filósofo actual me he interesado por la educación, no sé como habrá que enseñar física pero en lo que yo puedo alcanzar en reflexionar sobre la educación y hacer textos que sirvan para la educación creo que sí lo he hecho y la gente que había a mi alrededor no he visto que lo hiciera. Creo que esas dos cosas sí que tienen su valor, cierto mérito. BB - Además de los artículos, tiene una producción literaria extensa...
FS - Excesiva, a todas luces excesiva, la verdad es que he escrito mucho, en buena medida por necesidad, a mi me hizo escritor Franco, cuando tenía veinti... muy poquitos años, cuando me echaron de la Universidad, me quedé sin trabajo y me tuve que dedicar a escribir y a traducir para ganarme la vida. Y eso probablemente le quita a uno el vicio de la página perfecta. Uno se dice: hay que hacerlo porque hay que hacerlo, hay que sobrevivir y ya está. Entonces, sí, claro, he escrito demasiado, muchos artículos,
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bastantes libros... BB - Y de muchos géneros...
FS - Sí, porque me ha gustado leer, y como he sido un lector muy omnívoro, he escrito también sobre muchas cosas... BB - Imaginamos que se ha sentido novelista, ensayista... pero, ¿también poeta?
FS - ¿Poesía: quién no ha cometido un verso en su vida? Me gusta cuando una página sale bien, pero no me gusta la poesía que se escribe con conciencia, con la idea de "voy a hacer la gran página perfecta". Lo único que sueño es con escribir con perfecta naturalidad, y no con la idea de que ahora voy a decir una frase memorable, una expresión muy poética. Escribí algún verso con veinte años y luego se me pasó... bueno, se nos pasa a los que no servimos, afortunadamente a Borges no se le pasó nunca... BB - Nos llamó la atención cuando dijo que no había ido a la cárcel por heroico sino por tonto...
FS - Héroe no he sido nunca, pero en un momento determinado estaba haciendo una labor de oposición a la dictadura más o menos discreta o prudente, sin embargo cuando estaba en la Universidad mataron a un compañero mío desde el bachillerato, Enrique Ruano, que era mi amigo. Entonces perdimos nuestras restricciones, nos lanzamos a la actividad y comenzó la guerra. BB - La comunicación parece que ha tomado otra dimensión con este nuevo mundo cibérnetico, desde su visión de filósofo ¿qué ve?
FS - De esto poco se yo..., no tengo ni animadversión ni excesivo entusiasmo, según pasan los años tengo miedo de las cosas que me hagan perder tiempo. Me asombra la gente que
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parece que está buscando "pasar tiempo", entreteniéndose. Yo no tengo tiempo porque me gusta leer, charlar y no tengo tiempo para hacer esas cosas. Tengo miedo de cosas como Internet, de que sean demasiado entretenidas, que me meta ahí y se te vaya una tarde, miedo de que estas cosas se conviertan en juguetes fascinantes o entretenidos y que me roben mucho tiempo. BB - Pero usted como observador de la realidad, ¿no piensa que esto ha sido el detonante para que mucha gente de todas partes del mundo tenga una comunicación más fluida?
FS - La vida no cambia nada. Antes no había ni máquina de escribir, pero no cambia nada, han cambiado las cosas mucho más en mí que en el mundo. Las transformaciones las da el tiempo, las experiencias con otros. La suposición de que en mí, lo que de verdad va a cambiar es que pasé de una máquina de escribir pequeñita al ordenador y que eso sea el gran cambio en mi vida... ¡no! He cambiado más por haber rechazado o haber aceptado o amado a una persona que por haberme comprado un ordenador. Y si eso me ha pasado a mí por qué no al resto del mundo. La idea de que Internet va a cambiar al ser humano no es aceptable. BB - ¿En qué está trabajando ahora?
FS - Ahora estoy escribiendo un libro, un capricho que yo quería escribir hace mucho: se trata de dedicar un año a recorrer mundo viendo las diferentes carreras de caballos, contar el año 2000 a través de las grandes carreras de caballos... ahora, dentro de una semana, me voy a Uruguay, donde hay una carrera, luego a Kentucky, a Melbourne... contar un poco el mundo del 2000 a través de los caballos. Con ésta satisfacción equina nos fuimos poniendo los gabanes y con
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ellos nos dirigimos al bar de profesores donde seguimos escuchando la pasión por la velocidad de los caballos. Entre la última curva y la recta de tribunas, Fernando Savater aceptó la condición de socio de honor de Babab, un privilegio que agradecemos profundamente en esta revista.
LAS PREGUNTAS DE LA VIDA9 Se nos plantean las preguntas más importantes de nuestras vidas, esas preguntas que no tienen una respuesta fija y que nunca nos contestamos con seguridad.
Por: Marisela Barrios de Murguía El trabajo del filósofo es hacernos pensar y la verdad qué bien hace su trabajo Savater, pues ya sea con novelas o con ensayos siempre nos hace reflexionar de manera profunda. En este libro, el autor nos plantea las preguntas más importantes de nuestras vidas, esas preguntas que no tienen una respuesta fija, que necesitan pensarse y que al final nunca nos contestamos con seguridad; claro que estamos advertidos: filosofar no nos sirve para salir de dudas, sino para entrar en ellas. Me imagino que este nuevo libro de Savater puede molestar a muchas personas, pues ya desde el primer capítulo, donde nos habla de la muerte con toda sensatez, nos dice que los creyentes son aquellos quienes creen en muchísimas cosas, la mayoría inverosímiles, pero no quieren creer en lo obvio, en lo que sucede
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Jueves 15 de julio, 1999
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siempre, en lo único que no podemos evitar: la muerte. También nos explica que se puede fingir una revelación sublime, pero nunca el ejercicio racional. Toda razón es una conversación, pero sólo se puede conversar entre iguales. Así es que si no queremos que alguien decida por nosotros, debemos someternos a la autoridad de la razón como vía hacia la verdad y debemos desarrollar la capacidad de ser convencidos. En el capítulo donde habla de los seres humanos como animales simbólicos compara, desde un punto de vista filosófico, a los primates con los humanos. Nos dice que el lenguaje es el verdadero código genético de nuestra especie. Cuando nos habla del universo nos dice que si vamos a aceptar que Dios no tiene causa, podríamos haber aceptado antes que el universo tampoco y ahorrarnos el viaje. Es muy interesante conocer estos puntos de vista, sobretodo después de leer autores científicos como Carl Sagan y encontrar entre ambos tantos puntos de coincidencia. Muy importante es siempre precisar de lo que se habla. Por ejemplo, si hablamos de lo que es o no "natural", primero debemos definir el concepto. Y pasa lo mismo para todo; por ejemplo, no podremos decir si creemos o no en Dios hasta que no precisemos cómo es. No podía faltar el tema de la sociedad, pues no seríamos lo que somos sin los otros, pero nos cuesta ser con los otros. La convivencia social nunca resulta indolora. En el último capítulo nos habla del tiempo. La realidad es que nos atemoriza y no sabemos lo que es, pero no sabemos vivir sin él y nos resulta familiar. Vivimos alrededor de él. En el epílogo llega a conclusiones tan interesantes como lo
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absurdo de empeñarse en que la vida tenga sentido, que no se debe vivir para la muerte o la eternidad sino para alcanzar la plenitud de la vida en la brevedad del tiempo. En fin, es imposible enterarse de tantos y tantos conceptos sin leer y meditar este magnífico libro que recomiendo ampliamente.
FERNANDO SAVATER EN MONTEVIDEO ETICA Y POLÍTICA10
Provocativo, polémico y siempre dispuesto a pronunciarse sobre los problemas más controvertidos, Fernando Savater es uno de esos pensadores que poseen la envidiable virtud de abordar cualquier tema de forma sencilla. La semana pasada estuvo por Montevideo.
Felipe M. Lucas Catedrático de ética en universidades de Madrid y el País Vasco Savater es, sin embargo, la antítesis del profesor académico. Quizá por eso mismo es capaz de interesar al público menos familiarizado en cuestiones filosóficas. Su abundantísima producción ensayística (Nihilismo y acción; Panfleto contra el todo; Invitación a la ética; Etica como amor propio; La tarea del héroe; Etica para Amador; Política para Amador, etcétera), y sus novelas (Diario de Job; El jardín de las dudas) cuentan siempre con millares de
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lectores dispuestos a devorar su prosa mordaz e incisiva. De nuevo en Montevideo (estuvo por primera vez hace cinco años), expuso sus puntos de vista sobre "moralidad y política" en una conferencia que dictó la semana pasada en la Universidad Católica. Para
variar,
unos
cuantos
deben
haber
quedado
desconcertados con su exposición. En tiempos en que predomina "una tendencia a contraponer ética y política", según dice el propio pensador
español,
no
es
fácil
sustraerse
a
dos
tentaciones
disponibles en el "mercado", y largamente criticadas por Savater: pretender que las ingenuas reprimendas éticas puedan devolver a la política el prestigio del que gozaba antes ("aunque tal vez nunca lo tuvo, porque los que mandan no son excesivamente populares, y casi siempre por buenas razones") y desentenderse de la política, ese ámbito en el que se resuelven (o debieran resolverse) los asuntos comunes de la sociedad. "Cuando yo era joven - sostuvo Savater - lo importante era la política y la ética era una cosa desdeñable. La política era la que tenía las respuestas fuertes, contundentes y servía para todo. Daba respuestas no sólo para los asuntos políticos, sino también para los estéticos, eróticos. En la actualidad se han invertido las cosas. Ahora se valora extraordinaria, y quizá exageradamente, la ética. Es una palabra mágica a la que se invoca como un talismán frente a la turbulencia de los tiempos. Se habla de crisis de valores como si fuera una tragedia. En cambio, la política es algo manipulador, poco fiable, a la que los jóvenes no quieren dedicarse en absoluto. Y en países donde ha habido graves escándalos de corrupción se propone una vuelta a la ética como la solución a todas esas perplejidades de 10
http://www.brecha.com.uy/numeros/n569/savater.html
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nuestras sociedades. Es decir, la ética ha pasado de se Tanto a aquellos que creen que desentendiéndose de los asuntos colectivos se puede alcanzar la felicidad particular ("los griegos llamaban idiotés, palabra que significa persona aislada, a quien no se metía en política"*) como a los que profesan la ilusión de que, si se lo depura de algunos desviados que quisieron pasarse de listos, el orden político actual es de lo mejorcito que pueda concebirse, Savater recordó que "aquí hay un malentendido: no se puede resolver los problemas políticos aplicando la ética. Lo mismo que en el mundo políticamente mejor organizado que podamos soñar, tampoco la ética dejaría de tener sentido. La ética en cuanto tal no puede sustituir ni resolver los problemas de la política. ¿Por qué? Porque aunque coincidan en sus fines últimos, son dos perspectivas diferentes sobre la acción. La ética es lo que no permite aplazamiento, la ética y política también diferirían a causa del terreno temporal en el que se ejerce cada una de ellas. El campo de la ética es el aquí y ahora. No admite delegación, ni aplazamiento. Según Savater, desde los estoicos se sabe que cualquiera "nos puede quitar las posibilidades de acción, de intervención, pero no nos puede quitar el punto de vista moral, la decisión moral con que ejercemos nuestra libertad". La política, en cambio, "es el arte de esperar el momento oportuno. La ética busca comprensión y da explicaciones sobre sus opciones, pero actúa aunque los demás no estén de acuerdo con nosotros. Aunque yo viva en una sociedad en la que la moralidad no tiene gran aceptación pública, tengo obligación de portarme como racionalmente creo que debo portarme. En cambio, en el caso de la política, no puedo optar por una excelente política que se imponga a los demás.
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CUESTIÓN DE VALORES
Cuando la disputa sobre la pura moralidad de las personas ocupa todo el escenario, como sucede en la actualidad en Uruguay y en tantas partes, el debate político se empobrece; no ser corrupto aparece como un mérito del político, se desvanece la discusión en torno a los valores políticos. "La política -señaló Savater- también tiene valores. No sólo la ética los tiene. Hay valores prestigiosos, como la libertad, la igualdad, la participación, la distribución de la riqueza, que son valores políticos, que se pueden aceptar sin necesidad de tener que justificarlos por una ética más o menos sublime (o un saber más o menos ‘científico’ y pretendidamente neutro), sino simplemente apoyados en una concepción de la política que quiere que los hombres vivan de una manera determinada, porque considera que eso es mejor." El secuestro de la discusión acerca de estos valores políticos por los nuevos cruzados morales no es para Savater más que un síntoma de "la decadencia del pensamiento político. Tras el hundimiento de algunos de los grandes dogmas o sistemas omnicomprensivos, el pensamiento político se ha desvanecido, se ha convertido en un puro pragmatismo a corto plazo. La decadencia del pensamiento político, la idea de que el pensamiento político puede ser sustituido por una actitud humanitaria y puramente pragmática a corto plazo (condujo a) que el político gobierne exclusivamente tratando de evitar el desastre y no tratando de conseguir algo bueno". Decadencia del pensamiento político que no puede ser superada por la prédica ética, porque "tratar de detener los males de la política por la vía de la ética es como tratar de apagar un incendio con un isopo de agua bendita".
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Claro que, aunque Savater no lo haya dicho explícitamente, tratar de apagar un incendio con un isopo de agua bendita también puede ser un recurso político con vistas a reducir la corrupción a la (in)moralidad del corrupto. Pero "si un político destina los dineros públicos a jugar al bingo, evidentemente ese señor lo que tiene es su propio problema moral respecto a su conducta, pero el resto de la ciudadanía lo que tiene es un problema político". Por ello, lo que repugna "no es tanto la corrupción política como la impunidad de esa corrupción. La política exige un control sobre los políticos, una vigilancia, recordarles permanentemente todas aquellas cosas a las que los políticos se comprometen, que no son, insisto, puramente morales". En definitiva, "cómo se controla a esa persona, cómo se la vigila, cómo se la destituye, cómo se la puso ahí, etcétera. Intentemos Cuando Savater afirma que no hay "especialistas en mandar y especialistas en obedecer y (que) la profesionalización de la política crea la idea de que hay especialistas en mandar" se está refiriendo críticamente a aquellas visiones instrumentalistas de la democracia para las que la ciudadanía constituye una masa manipulada e inerme. "La diferencia entre una democracia y una dictadura es que en democracia todo el mundo es político. Y cuando se habla de lo malos que son los políticos, hay que pensar que a los peores políticos los hemos elegido nosotros. Y más culpa tienen quienes los eligieron, o los toleran o no los cambian. Los hombres somos todo lo malos que nos dejan ser." Si como ha escrito en una de sus obras más recientes el propio Savater "la política no es más que el conjunto de razones para obedecer o desobedecer"11, es
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Las citas no pronunciadas durante la conferencia corresponden a Política para Amador, Editorial Ariel, Barcelona, 1992.
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legítimo preguntarse si la ausencia de control por parte de la ciudadanía sobre los politicos es una cosa buena. Por más que parezca un itinerario intelectual sorprendente para quien alguna vez se confesó simpatizante de la sensibilidad anarquista, Savater afirma que "los derechos humanos son el punto de partida de esa recuperación de los valores políticos".
HUMANOS DERECHOS
Claro que su idea de lo que son los derechos humanos no siempre se conjuga armoniosamente con la que predomina en la sociedad. La inviolabilidad, la autonomía y la dignidad de la persona serían los tres principios sobre los que se basan esos derechos humanos. Ya en otras oportunidades Savater se defendió de quienes lo acusaban de adherir a un individualismo que para él no consiste en una "actitud antisocial, ni siquiera antipolítica, sino en una forma de comprender y colaborar con la sociedad, no en la manía de creerse fuera de ella".* El respeto por el principio de la inviolabilidad de la persona se funda en su creencia de que el Estado es para los individuos y no los individuos para el Estado, que el individuo constituye la auténtica realidad humana, de la cual provienen el Estado y las demás instituciones, y no al revés. Cuando los que actúan o piensan de forma diferente no son tolerados, cada cual se siente como una simple molé El segundo principio es la autonomía de la persona, es decir, "el valor intrínseco que tienen sus proyectos de vida. Reconocer que hay un derecho a planear la vida por parte de cada individuo y que ese derecho, mientras no suponga agresión a otros, debe ser respetado". Finalmente, y por obvio que resulte, la dignidad de la persona
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("Entiendo por dignidad que cada cual sea tratado de acuerdo con su mérito, con sus obras y acciones, pero no con aquellas condiciones que en él mismo son inmodificables y naturales: negro, varón, mujer, provenir
de
una
tradición,
etcétera"),
la
necesidad
de
su
reconocimiento se vincula con la indignidad de la segregación y la marginación de incontables seres humanos a causa de sus "condiciones
inmodificables". Pero también con una obsesión
presente en gran parte de la obra de Savater: el nacionalismo. Su crítica del nacionalismo no proviene sólo de la constatación del "mestizaje" operado en la actualidad en la mayoría de los ámbitos sociales, sino también de su convicción de que en el siglo XX "se ha convertido en una especie de mística belicosa, que ha justificado guerras internacionales y discordias civiles atroces. A fin de [...]
F. SAVATER, ETHIQUE À L’USAGE DE MON FILS12 Une recension de Serge Larrivée et François Lamy Un vent de fraîcheur vient de souffler dans le monde poussiéreux de la morale. Fernando Savater est une figure clé de la philosophie en Espagne. Ethique à l’usage de mon fils, son premier essai traduit en français, est un livre pédagogiquement bien construit. Tout concourt à remplir ce pour quoi et pour qui il a été écrit: le format du livre, sa structure, le ton et bien sûr les thèmes 12
http://
www.sciencepresse.qc.ca/
cyber-express/
lectures/
60
abordés. Le livre se présente dans un format peu encombrant de 20,5cm X 12,0cm. Il est structuré intelligemment de façon à soutenir l’intérêt
du
lecteur
adolescent.
Outre
un
avertissement
antipédagogique (2 p.), un prologue (6 p.) et un épilogue (6 p.), l’essai comprend neuf chapitres dont la longueur varie entre 12 et 19 pages. Chaque chapitre se termine par un ensemble diversifié de courtes citations, intitulé La lecture n’est pas finie..., qui viennent appuyer les propos développés dans le chapitre. L’auteur puise principalement chez les anciens, Homère, Aristote, chez les classiques, Rabelais, Rousseau, Spinoza, Shakespeare, Thomas More, Montesquieu, Hume, ainsi que chez quelques modernes, Duvert, Lichtenberg, Fromm, Buber, Paz. A moins d’y être fortement incités, voire obligés, peu d’adolescents sont d’emblée portés à lire des livres à propos de la morale. Dans ce cas-ci, je suis prêt à parier que bon nombre d’adolescents qui commenceraient la lecture de cet essai seront d’emblée accrochés sinon par le contenu, du moins par le ton résolument intimiste - il s’adresse à son fils de 15 ans -, personnel et subjectif. En fait, Savater a réussi un coup de maître: parler simplement des choses de la vie sans jamais tomber dans le piège des simplifications à outrance qu’on rencontre encore abondamment dans certains milieux, sans jamais aborder aucun des problèmes éthiques à la mode et débattus dans les journaux (avortement, euthanasie, distribution des condoms dans les écoles, etc...), sans jamais
dresser
un
catalogue
de
solutions
moralisatrices
à
connotation religieuse et le tout, non sans une certaine pointe savater.html
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d’humour. Le grand nombre de citations inclus dans cette recension offre au lecteur un échantillon du ton de l’ouvrage et de l’étendue des thèmes abordés. Dès la première page, l’auteur déplore qu’en Espagne, l’éthique ait donné son nom à l’option suivie par ceux qui ne veulent pas de l’instruction religieuse. Au Québec, les partisans de l’école confessionnelle ne seront probablement pas d’accord avec la position de Savater, même si ce dernier concède gentiment que l’éthique n’est pas là pour remplacer le catéchisme. Pour l’auteur, la réflexion morale est "une part essentielle de toute éducation digne de ce nom" et a pour objectif de stimuler une pensée libre, laquelle est à milles lieues de la foi, de la croyance ou du dogme. Savater aurait atteint son but si la lecture de son essai générait des citoyens peu portés désormais à se prononcer ex cathedra sur la nature du bien et du mal. Les exemples concrets qui jalonnent son texte pour illustrer les notions abordées incitent en tout cas le lecteur à abonder dans ce sens. Les thèmes abordés dans cet essai constituent un plaidoyer pour la belle vie et le plaisir, et par conséquent, un plaidoyer pour la liberté et son revers, la responsabilité. Pour rester en vie, un seul savoir parmi tous les savoirs possibles est indispensable: apprendre que certaines choses nous conviennent car elles nous font du bien et que d’autres ne nous conviennent pas, car elles nous font du mal. La simplicité de cette assertion n’est qu’apparente. Par exemple, manger des noix est bon pour la santé sauf si j’y suis allergique, déguster un bon vin est fort agréable mais l’abus d’alcool peut être nocif. Au niveau des relations humaines, les choses se compliquent. Par exemple, "le mensonge est
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généralement mauvais, car il discrédite le langage -dont nous avons tous besoin pour parler et vivre en société" (p. 23). On conviendra cependant qu’il peut être salutaire de mentir si cela peut me sauver la vie. Les animaux (par ex.: les fourmis, les abeilles, les termites) ne sont pas libres parce qu’ils sont programmés pour être comme ils sont et faire ce qu’ils font. Et par conséquent, ils ne sont pas responsables "car ils ne savent pas se comporter autrement" (p. 28). Bien sûr, les humains sont en partie programmés, mais ils se différencient des autres animaux en ce qu’ils sont libres, condition sine qua non pour mener une belle vie. Tout au long de son essai, Savater précise ce qu’il entend par liberté. Ainsi, dit-il, "nous ne sommes pas libres de choisir ce qui nous arrive (être nés tel jour, de tels parents et dans tel pays...), mais libres de réagir à ce qui nous arrive de telle ou telle façon (...être prudents ou téméraires..., nous habiller à la mode ou nous déguiser en ours des cavernes...)" (p. 30). Par ailleurs, "être libres de faire une tentative ne garantit pas la réussite. La liberté (qui consiste à choisir dans le domaine du possible) n’est pas l’omnipotence (qui serait de toujours réussir ce qu’on entreprend, même l’impossible)" (p. 31). Prendre la liberté au sérieux, c’est être responsable i.e. accepter que l’usage de la liberté a des effets indéniables qu’on ne peut balayer du revers de la main parce qu’ils ne nous conviennent plus. Etre responsable, c’est se savoir libre de faire le bien ou le mal et d’en "assumer toutes les conséquences, réparer les dégats dans la mesure du possible et profiter du bien au maximum" (p. 113). Par contre, quand les choses tournent mal, le lâche se décharge facilement de ses responsabilités: c’est la faute aux circonstances, à
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la société, à mon éducation, c’est plus fort que moi, etc... Ce faisant, le lâche se conduit comme un imbécile. Savater ou son traducteur précise que le mot imbécile vient du latin bacalus, qui signifie canne. Vérifications faites dans trois dictionnaires d’étymologie, le mot imbécile vient du latin imbecillus qui signifie faible, soit en parlant du corps, soit de l’esprit. Quoiqu’il en soit, l’imbécile, à cause de sa faiblesse morale a besoin d’une canne psychologique. Savater présente cinq modèles d’imbéciles (pp. 101-102). "a) Celui qui croit ne rien vouloir, qui dit que tout lui est égal, qui vit dans un bâillement perpétuel ou dans une sieste permanente, même s’il a les yeux ouverts et ne ronfle pas. b) Celui qui croit tout vouloir, la première chose qui se présente à lui et son contraire: à la fois partir et rester, danser et s’asseoir sur sa chaise, manger de l’ail et donner des baisers sublimes. c) Celui qui ne sait pas ce qu’il veut et ne se soucie pas de le savoir. Il imite les velléités de ses voisins ou les contredit sans raison, tout ce qu’il fait est dicté par l’opinion majoritaire de son entourage: il est conformiste sans réflexion ou rebelle sans cause. d) Celui qui sait ce qu’il veut, ce qu’il veut et pourquoi, mais mollement, d’une façon timorée et sans énergie. En définitive, cet imbécile finit toujours par faire ce qu’il ne veut pas, remettant inlassablement les choses au lendemain, escomptant qu’il aura alors un peu plus de tonus. e) Celui qui veut avec force et férocité, un vrai barbare, mais s’étant
abusé
lui-même
sur
ce
qu’est
la
réalité,
il
s’égare
dangereusement et finit par confondre la belle vie avec ce qui va le réduire en bouillie."
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A la personne moralement imbécile, Savater oppose celle qui a conscience.
La personne
consciente présenterait les traits
essentiels suivants: "a) Savoir que tout ne revient pas au même, car nous voulons réellement vivre, et qui plus est vivre bien, humainement bien. b) Surveiller résolument si ce que nous faisons correspond à ce que nous voulons vraiment. c) A partir de notre pratique, cultiver le bon goût moral qui développe notre répugnance à faire certaines choses (par exemple, avoir &laqno;horreur» de mentir comme on a en général horreur d’uriner dans la soupière avant de manger la soupe...) d) Renoncer aux alibis qui cachent que nous sommes libres et donc raisonnablement responsables des conséquences de nos actes" (p. 105). Le chapitre intitulé "Bien du plaisir" constitue probablement le plaidoyer le plus percutant de cet essai en faveur de la liberté et de la responsabilité. Quand les gens parlent de "morale", et surtout "d’&laqno;immoralité", 80 fois sur 100..., leur sermon concerne le sexe. Au point que certains s’imaginent que la morale sert avant tout à s’occuper de ce que les gens font de leurs parties génitales... Le sexe en soi n’est pas plus "immoral" que la nourriture ou les promenades à la campagne... (pp. 143-144). "Bien entendu, la relation sexuelle pouvant créer des liens très forts et entraîner d’infinies complications affectives entre les gens, il est logique d’insister tout particulièrement sur les égards dus à ses semblables dans ce domaine. Pour le reste, je te dirai très nettement que je ne vois rien de mal à ce que deux personnes jouissent ensemble sans nuire à un tiers. Le "mal", c’est de voir le mal dans
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cette jouissance... (p. 144). Paradoxalement, ceux qui voient dans le sexe quelque chose de "mal", ou du moins de "trouble", prétendent que s’y adonner avec trop d’enthousiasme ravale l’homme à l’état de l’animal. A vrai dire, ce sont justement les animaux qui n’emploient le sexe que pour procréer, de même qu’ils n’utilisent la nourriture que pour s’alimenter ou l’exercice physique que pour conserver la santé; les
humains,
eux,
ont
inventé
l’érotisme,
la
gastronomie
et
l’athlétisme (p. 145). Plus le sexe s’écarte de la simple procréation moins il est animal et plus il devient humain. Les conséquences qui en découlent sont naturellement bonnes et mauvaises, comme chaque fois que la liberté est en jeu" (pp. 145-146). "Ce
qui
se
cache
derrière
toute
cette
obsession
sur
"l’immoralité" sexuelle est tout simplement une des plus vieilles craintes sociales de l’homme: la peur du plaisir. Et comme le plaisir sexuel est parmi les plus intenses et les plus vifs qu’on puisse ressentir, il est entouré de méfiances et de précautions non moins grandiloquentes. Pourquoi le plaisir fait-il peur? Sans doute parce qu’il nous plaît exagérément" (p. 146). "Par ailleurs, il y a aussi ceux qui ne jouissent qu’en empêchant les autres de jouir. Ils ont tellement peur de ne pouvoir résister au plaisir et s’angoissent tellement à l’idée de ce qui peut leur arriver s’ils succombent un jour aux séductions du corps qu’ils deviennent des calomniateurs professionnels du plaisir: renoncez au sexe, gare à la nourriture et à la boisson, méfiez-vous du jeu, bannissez rires et fêtes de cette vallée de larmes, et patati et patata. Surtout, ne les écoute pas. Toute chose peut finir par faire mal ou faire le mal, mais aucune chose n’est mauvaise parce que tu as pris plaisir à le faire. On appelle les calomniateurs professionnels du
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plaisir des "puritains". Sais-tu ce qu’est un puritain? Une personne qui reconnaît une bonne chose à ce que nous n’avons aucun plaisir à la faire; une personne qui trouve toujours plus méritoire de souffrir que de jouir (quand, en réalité, il est parfois plus méritoire de bien jouir que de souffrir mal). Et je t’ai gardé le pire pour la fin: le puritain croit que la personne qui vit bien doit le supporter très mal, et qu’être mal est la preuve qu’on vit bien. Naturellement, les puritains se prennent pour les gens les plus "moraux" et les gardiens de la moralité de leurs voisins" (p. 147). "Le plus sûr moyen de gâter les jouissances du présent est de tout vouloir à chaque instant, les plaisirs les plus démesurés et les plus irréalisables. Ne t’obstine pas à introduire de force des plaisirs inadaptés aux circonstances; cherche plutôt à apprécier ce qui t’est offert. Par exemple, ne laisse pas refroidir ton oeuf au plat parce que tu veux avoir absolument un hamburger alors que ce n’est pas le moment, et ne tord pas le nez sur le hamburger qu’on t’a servi parce qu’il manque du ketchup... Rappelle-toi que le plaisir ne vient pas de l’oeuf, ni du hamburger, ni de la sauce, mais de la façon dont tu sauras jouir de ce qui t’entoure" (p. 149). Rien n’indique dans cet essai que Savater connaît les nombreux travaux découlant de la théorie de Kohlberg (1969, 1976) et de ses collègues (Gibbs, 1979; Colby et Kohlberg, 1987) sur le développement du jugement moral. Le lecteur sensibilisé à ces travaux concluera néanmoins que le type d’éthique proposé par Savater relève du niveau de raisonnement moral post-conventionnel. Ce niveau élevé de développement moral repose sur des valeurs auxquelles l’individu adhère librement et dont la teneur, centrée sur une société juste, est valable et applicable indépendemment de leur
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statut légal. On comprendra ici que la proposition éthique de Savater est exigeante et constitue en définitive une tentative rationnelle de vivre mieux. En fait, contrairement à l’éthique de nature religieuse ou idéologique où le recours à la coercition émotive et intellectuelle est nécessaire pour faire respecter les dogmes, le projet éthique de Savater devrait s’imposer parce qu’il n’entre pas en contradiction avec les besoins humains fondamentaux. A cet égard, une éthique non religieuse et non idéologique pourrait être définie "comme l’ensemble des règles qui permettent la satisfaction optimale des fonctions de conservation de chaque individu modulées par les nécessités d’une coexistence pacifique au sein du groupe" (Grjebine, 1994, p. 31). Dès 1958, Kohlberg avait émis l’hypothèse d’un retard dans le développement moral des délinquants, hypothèse confirmée par la suite dans toutes les recensions des écrits sur le sujet. Ces résultats font ressortir l’importance d’interventions susceptibles de permettre aux adolescents d’être stimulés au niveau moral pour s’intégrer dans la société. Deux types d’intervention morale ont été utilisés avec les délinquants en vue de leur offrir des occasions de tenir compte d’autrui: la discussion de dilemmes moraux hypothétiques et la communauté juste (Dionne, Larivée et Larose, 1993). Dans la mesure où les éducateurs ont atteint le niveau de raisonnement moral post-conventionnel, l’essai de Savater pourrait remplacer la discussion de dilemmes moraux hypothétiques et devenir un outil privilégié dans le cadre de discussion de groupe avec des adolescents délinquants. Un éducateur d’adolescents délinquants qui déciderait de munir chacun des adolescents dont il a charge
d’un
exemplaire
de
l’essai
de
Savater
effectuerait
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probablement un bon inventissement sur plusieurs plans: -au plan strictement éthique, ce dont sauf erreur, les adolescents délinquants manquent sérieusement; -au plan culturel. Les citations de fin de chapitre offrent une ouverture historique sur le monde des idées; -au plan du vocabulaire, instrument indispensable pour structurer sa pensée, une lacune majeure chez la majorité des adolescents délinquants; -au plan du raisonnement. Habitués à des affirmations gratuites dans la mesure où elles les dispensent de l’effort de réfléchir (Gibbs, 1991; Larivée, 1988), ils seraient cette fois confrontés à des raisonnements logiques et bien argumentés; -au plan du simple goût de la lecture au sens où Pennac (1992) l’a si bien décrit. Et qui sait, peut-être les éducateurs trouveraient-ils aussi dans cet essai des indications cliniques pour une éthique de la rééducation?
RÉFÉRENCE Colby, A., & Kohlberg, L. (1987). The measurement of moral judgment. Cambridge: Cambridge University Press. Dionne, J., Larivée, S., & Larose, C. (1993). Que se passe-t-il quand des délinquants vivent dans une communauté juste? Canadian Journal of Special Education, 9(1), 31-47. Gibbs, J.C. (1979). Kohlberg’s moral stage theory: A piagetian revision. Human Development, 22, 89-112. Gibbs, J.C. (1991). Sociomoral development delay and cognitive distortion: Implications for the treatment of antisocial youth. In W.M. Kurtines, & J.L. Gewitz (Eds.), Handbook of moral behavior and development: Vol. 3, Application (pp. 95-110). Los Angeles: Lawrence Erlbaum.
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Grjebine, A. (1994). L’éthique sans dieux. Pour la science, 202, 28-35. Kohlberg, L. (1969). Stage and sequence: The cognitive-developmental approach. In D. Goslin (Ed.), Handbook of socialization theory and research. New York: Rand McNally. Kohlberg, L. (1976). Moral stages and moralization: The cognitive-developmental approach. In T. Lickona (Ed.), Moral development and behavior: Theory and social issues (pp. 74-89). New York: Holt, Rinehard and Winston. Larivée, S. (1988). Analyse fonctionnelle de l’intelligence des adolescents délinquants. Questions de Logopédie, 17(1), 63-122. Pennac, D. (1992). Comme un roman. Paris: Seuil.
Chronique de Sapiens - Philosophie
ÉTHIQUE À L’USAGE DE MON FILS13 coll. Points, Éditions du Seuil, chapitre 5, p.87-97, 1994
Ésaü le chasseur, convaincu que plus rien n’a d’importance puisque le temps qui lui reste à vivre est ridiculement court, suit les conseils de son estomac et renonce à son droit d’aînesse pour un délicieux brouet aux lentilles (Jacob fut généreux sur ce point: il lui permit d’en reprendre). Le citoyen Kane, de son côté, consacra le plus clair de son temps à vendre les gens pour pouvoir s’acheter toutes sortes de choses; à la fin de sa vie, il avoue qu’il échangerait volontiers son magasin rempli d’articles hors de prix pour le seul objet modeste (une vieille luge) qui lui rappelait une personne
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http://www.chroniques.f2s.com/philosophie/doc/ethique1.htm
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précise: lui-même avant de se lancer dans les affaires, quand il préférait aimé et être aimé plutôt que posséder et dominer. Ésaü et Kane étaient convaincus de faire ce qu’ils voulaient, mais il semble qu’aucun d’eux n’ait réussi à s’offrir une belle vie. Et pourtant, si on leur avait demandé ce qu’ils désiraient vraiment, ils auraient répondu comme toi (ou moi, bien sûr): «Je veux la belle vie.» Conclusion: ce que nous voulons (nous offrir la belle vie) est assez clair, mais la définition de cette «belle vie» l’est beaucoup moins. En effet, cela n’a rien d’une sinécure, ce n’est pas comme vouloir des lentilles, des tableaux, des appareils électroménagers ou de l’argent. Tous ces désirs sont relativement simples, ils ne retiennent qu’un seul aspect de la réalité et n’offrent pas de perspective d’ensemble. Il n’y a rien de mal à vouloir des lentilles quand on a faim, naturellement: mais il n’y a pas que ça sur terre, il y a d’autres relations, des fidélités venues du passé, des espérances suscitées par l’avenir, tu sais, des tas de choses, tout ce que tu pourras imaginer. En un mot, l’homme ne vit pas que de lentilles. Pour en avoir Ésaü a sacrifié trop d’aspects importants de sa vie, il l’a exagérément simplifiée. Il a agi, comme je te l’ai dit, sous l’influence
de
la
mort
imminente.
La mort
est
une
grande
simplificatrice: quand tu vas passer l’arme à gauche, peu de choses restent importantes (le médicament qui peut encore te sauver, l’air qui consent à gonfler tes poumons peut-être une dernière fois...). La vie, en revanche, est toujours complexe et presque toujours compliquée. Si tu repousses toute complication et recherches la plus grande simplicité (donnez-moi donc des lentilles!), au lieu de vivre plus et mieux, tu risques de mourir une bonne fois. Et nous avons bien dit que nous désirons avant tout la belle vie, pas la mort subite.
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Ésaü ne peut donc pas être un maître pour nous. À
sa
manière,
Kane
simplifiait
aussi
la
question.
Contrairement à Ésaü, il n’était pas dépensier, mais économe et ambitieux. Il recherchait le pouvoir pour manipuler les hommes, et l’argent pour acquérir les objets, aussi jolis que possible et sûrement utiles. Tu sais, les gens peuvent gagner de l’argent et avoir la passion des choses belles et utiles, je n’ai rien contre. Je me méfie de ceux qui prétendent ne pas s’intéresser à l’argent et n’avoir besoin de rien. Je suis peut-être un drôle de pistolet, mais je n’aimerais pas me retrouver sans un rond, et si demain des voleurs cambriolent ma maison et emportent mes livres (à part ça, je ne vois pas ce qu’ils pourraient prendre), je trouverai la plaisanterie saumâtre. Cependant, le désir d’accumuler (de l’argent, des objets...) ne me paraît pas très sain non plus. À vrai dire, les choses que nous possédons nous possèdent aussi. Je m’explique. Un jour, un savant bouddhiste expliquait à son disciple ce que je suis justement en train de t’expliquer, et le disciple avec le drôle d’air («ce type est dingue») que tu avais sans doute en lisant cette page. Le savant demanda alors au disciple: «Qu’est-ce que tu préfères dans cette chambre?» Le petit futé montra une superbe coupe et or et en ivoire qui devait coûter les yeux de la tête. «Soit, prends-la», dit le sage. Et le garçon ne se le fit pas répéter deux fois, il saisit fermement l’objet précieux dans sa main droite. «Fais attention à ne pas la lâcher, hein!» observa le maître avec une certaine ironie; puis il ajouta:«C’est tout ce que qui te plaît?» Le disciple reconnut que la bourse pleine de pièces sonnantes n’était pas mal non plus. «Alors vas-y, elle est à toi!» l’encouragea l’autre. Le garçon prit la bourse avec ferveur dans sa main gauche. «Et maintenant, qu’est-ce que je fais?» demanda-t-il un
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peu nerveux au maître. Et le sage répliqua: «maintenant, gratte-toi!» C’était impossible bien sûr. Pourtant, on peut avoir besoin de se gratter à tout moment à un endroit du corps... ou de l’âme qui vous démange! Les mains occupées, on ne peut se gratter et on s’interdit beaucoup d’autres gestes. Ce que nous retenons fermement trouve toujours
le
moyen
de
nous
retenir
non
moins
fermement...
Autrement dit, mieux vaut prendre garde de ne pas exagérer. En un sens, c’est ce qui est arrivé à Kane: il avait les mains et l’âme si occupées par ses possessions qu’il sentit une démangeaison étrange et ne sut comment se gratter. La vie est plus compliquer que l’imaginait Kane, car les mains ne servent pas seulement à saisir, elles peuvent aussi gratter et caresser. Mais l’erreur fondamentale de ce personnage était ailleurs, si je ne me trompe. Obsédé par l’idée d’accumuler objets et argent, il traita les gens comme s’ils étaient aussi des choses. C’était sa manière d’exercer son pouvoir sur eux. Simplification grave: en cela réside la plus grande complication de la vie; les personnes ne sont pas des choses. Au début, il ne rencontra aucune difficulté: tout s’achète et se vend, donc Kane acheta et vendit aussi des personnes. Sur le moment, il ne vit pas la différence. On prend les choses et on les jette quand elles ne servent plus: Kane fit de même avec son entourage et tout semblait se passer très bien. De même qu’il possédait les choses, Kane décida de posséder aussi les personnes, de les dominer, de les manipuler à son gré. Il se comporta ainsi avec ses maîtresses, ses amis, ses employés, ses rivaux politiques, avec tout ce qui vivait autour de lui. Naturellement, il fit beaucoup de mal aux autres, mais le pire, de son propre point de vue (le point de vue d’une personne qui vraisemblablement voulait s’offrir la «belle vie»,
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tu te rappelles), c’est qu’il s’abîma sérieusement. Je vais essayer d’éclaircir ce point, car il me semble de la plus haute importance. Ne te fais pas d’illusions: une chose - fût-elle la meilleure du monde - ne peut donner que... des choses. Et si personne ne peut donner ce qu’il n’a pas (d’accord?), à plus forte raison rien ne pourra jamais donner quelque chose. Les lentilles sont utiles pour calmer la faim, mais elles ne permettent pas d’apprendre le français, par exemple; l’argent a de multiples usages, mais ne peut acheter une véritable amitié (à coups de millions, on peut s’entourer d’esprits serviles, de pique-assiette ou de sexe-mercenaire, pas plus). Une caméra vidéo peut prêter une pièce à une autre caméra vidéo, mais elle ne peut lui donner un baiser... Si les hommes étaient de simples choses, ils se contenteraient de ce que les choses pourraient leur donner. Mais voici la complication dont je te parlais: n’étant pas des choses pures, nous avons besoin de «choses» que les choses n’ont pas. Quand nous traitons les autres comme des choses, à la façon de Kane, nous recevons d’eux en échange que des choses: en les pressurant, ils lâchent de l’argent, ils nous servent (comme des instrument mécaniques), sortent, entrent, se frottent contre nous ou sourient quand nous appuyons sur le bon bouton... Mais jamais ils ne nous donneront ces dons plus subtiles que seules les personnes peuvent donner. Nous n’obtiendrons d’eux ni amitié ni respect, et encore moins de l’amour. Aucune chose (pas même un animal, car la différence entre sa condition et la nôtre est trop grande) ne peut nous offrir cette amitié, ce respect, cet amour... en un mot, cette complicité fondamentale qui n’apparaît qu’entre égaux et que toi, moi ou Kane, qui sommes des personnes, ne pouvons recevoir que des personnes que nous traitons comme telles. Cet aspect
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relationnel est important, car nous avons déjà dit que les humains s’humanisent les uns les autres. En traitant les personnes comme des personnes et non comme des choses (c’est-à-dire en tenant compte de ce qu’elles veulent et nécessitent, et pas seulement de ce que peux tirer d’elles), je leur permets de me donner ce que seule une personne peut accorder à une autre personne. Kane avait oublié ce petit détail et soudain (mais trop tard) il s’était rendu compte qu’il avait tout sauf ce que seule une autre personne peut offrir: une estime sincère, une tendresse spontanée, une simple compagnie intelligente. Comme Kane ne paraissait se soucier que de son argent, les gens ne se souciaent que de l’argent de Kane. Le grand homme savait ‘ailleurs que c’était sa faute. On peut parfois traiter les autres comme des personnes et ne recevoir que coups bas, trahisons ou abus. Certes. Mais nous pouvons au moins compter sur le respect d’une personne, même si c’est la seule: nous-même. En ne transformant pas les autres en choses, nous défendons notre droit à ne pas êtres des choses pour les autres. Nous essayons de rendre le monde des personnes - ce monde où des personnes traitent les autres personnes comme telles, le seul dans lequel on peut vraiment bien vivre - viable. Je suppose que le désespoir de Kane à la fin de sa vie n’était pas seulement causé par la perte du tissu d’affections de son enfance, mais par son obstination à le perdre et à avoir consacré sa vie à le détériorer. Non qu’il ait perdu, mais il s’était rendu compte qu’il ne méritait plus... Tu me diras que le millairdaire Kane était sûrement envié par une foule de gens. Beaucoup de se disaient sûrement: «En voilà un qui sait vivre!» Bon, et alors? Wake up, baby! Les autres, de l’extérieur, peuvent envier quelqu’un sans savoir qu’au même
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moment celui-ci est en train de mourir du cancer. Tu préférerais faire plaisir aux autres et te priver de satisfactions? Kane obtint tout ce qui, lui avait-on dit, rend une personne heureuse: argent, pouvoir, influence, serviteurs... avant de découvrir qu’en dépit de tout il lui manquait
l’essentiel:
l’affection
authentique
et
même
l’amour
authentique de personnes libres, de personnes qu’il aurait traitées commes des personnes et non comme des choses. Tu me diras que ce Kane était un peu bizarre, comme le sont souvent les héros des films. Beaucoup de gens se seraient contentés de vivre dans un tel palais et dans un grand luxe: la plupart, m’assureras-tu avec un parfait cynisme, auraient complètement oublié la luge Rosebud. Si ça se trouve, Kane était un peu dingue... Se sentir malheureux avec toutes les choses qu’il possédait, quel culot! Tu n’as qu’à liasser les gens tranquilles et ne penser qu’à toi. La belle vie que tu veux, elle est dans le genre de celle de Kane? Tu te contenterais de brouillet de lentilles d’Ésaü? Ne réponds pas trop vite. Justement, l’éthique essaie de déterminer en quoi consiste au fond, au-delà de ce qu’on nous raconte ou de ce que nous voyons dans les pubs de la télé, cette fameuse belle vie que nous aimerions bien décrocher. Au point où nous sommes, nous savons que la belle vie ne peut se passer des choses (nous avons besoin de lentilels, très riches en fer), mais encore moins de se passer des gens. Il faut manier les choses comme des choses et traiter les personnes comme des personnes: ainsi, les choses nous aideront sous bien des angles, et les personnes sous un angle fondamental, irremplaçable, celui de vouloir être des humains. Cette ânerie, elle est de moi ou du citoyen Kane? Car, en définitive, il n’est pas très important d’être des humains: que
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nous le voulions ou non, nous le sommes déjà forcément... Sans doute, mais on peut être un humain-chose ou un humain-humain, un humain simplement préoccupé de gagner les choses de la vie toutes les choses, et plus il y en a, mieux c’est - ou un humain attaché à jouir de l’humanité vécue au milieu des gens! De grâce, ne te rabaisse pas; laisse les rabais aux grands magasins, c’est leur rayon. À première vue, je suis d’accord, beaucoup de gens accordent peu d’importance à ce que je suis en train de dire. Faut-il leur faire confiance? Sont-ce les plus intelligents ou seulement ceux qui négligent l’essentiel, leur vie? On peut être intelligents en affaires ou en politique et un âne bâté dans des domaines plus sérieux, par exemple
comment
bien
vivre.
Kane
était
extraordinairement
intelligent dans le domaine de l’argent et de la manipulation des gens, mais, en fin de compte, il a compris qu’il s’était trompé sur l’essentiel. Il s’était planté là où il aurait dû réussir. Je te répète un mot qui me semble fondamental en la matière: attention. Aucun rapport avec l’attention du hibou qui ne dit rien mais n’en perd pas une (tu connais la plaisanterie? Un homme va acheter un oiseau; le vendeur lui montre un perroquet: «En voilà un qui sait parler. - Et celui-ci?» demande le client en montrant un énorme hibou qui a les yeux écarquillés. «Lui, il ne dit rien, mais il n’en perd pas une!»), il s’agit au contraire de la capacité de réfléchir sur ce qu’on fait et d’essayer de préciser autant que possible le sens de cette «belle vie» que nous voulons mener; en s’épargnant de commodes mais dangeureuses simplifications, en essayant de comprendre toute la complexité d’une telle vie (humaine, bien entendu). Je crois que la condition éthique première est de se résoudre
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à ne pas vivre n’importe comment: être convaincu que tout n’est pas sans importance, même si on doit mourir tôt ou tard. Quand on parle de «morale», les gens de réfèrent généralement aux ordres et aux habitudes qu’on respecte au moins en apparence, et parfois sans savoir très bien pourquoi. Or le véritable secret, au lieu de résider dans la soumission à un code ou dans l’opposition à l’ordre établi (manière aussi de se soumettre à un code, mais à l’envers), consiste peut-être à essayer de comprendre. Comprendre pourquoi certains comportements nous conviennent et pas d’autres, comprendre comment fonctionne la vie et ce qui peut la rendre «belle» pour les humains que nous sommes. Avant tout, pas question de se contenter d’être considéré comme bon, de faire bonne figure devant les autres, de recevoir leur approbation... Naturellement, pour y arriver, il ne faudra pas seulement être attentif à la façon du hibou ou avoir l’obéissance timorée d’un robot, mais aussi parler avec les autres, donner des arguments et en écouter. Toutefois, la décision à prendre est un effort solitaire: personne ne peut être libre à ta place.
DESPIERTA Y LEE Desde los latinos, que utilizaban el mismo término para significar "libre" y "libro", la pasión de leer ha sido una de las formas de liberar el alma. Los textos que componen este libro libre y misceláneo son tan diversos en su tono como en su extensión: desde el ensayo hasta el aforismo, pasando por la confesión autobiográfica, la reseña crítica o la necrológica. Pero en la mayoría
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de los casos tratan de libros o de autores de libros, aunque también se
incluyen
unos
cuantos
homenajes
cinematográficos.
Los
protagonistas que aquí aparecen constituyen un reparto ilustre: Spinoza, H.G. Wells, James Boswell, Gianni Vattimo, Michael Crichton, Voltaire, Sánchez Ferlosio... Y el argumento no puede ser más actual, precisamente porque trata de lo que nunca pasa de moda:
la
muerte,
la
alegría,
la
religión,
el
humanismo,
los
nacionalismos, la duda, la ciudadanía... Puestos a elegir entre la filosofía y el periodismo, el autor se queda con ambas cosas, añadiendo además la confesión personal. Quizá el lector despierto sepa perdonarle y hasta disfrute en su compañía.
EL FILÓSOFO DE LA ALEGRÍA Fernando Savater, haciendo gala de su amabilidad, fue calmando los nervios de una periodista inexperta con una mirada sosegada y voz tranquila y pausada. Tal vez se acuerde de su hijo Amador, de 23 años, y de las dificultades a las que se tienen que enfrentar los jóvenes. Savater encontró obstáculos al principio de su carrera, porque se enfrentó al franquismo mientras era profesor de Historia de la Filosofía en la Universidad Autónoma de Madrid, de donde le expulsaron. Esta actitud la ha mantenido durante toda su vida, demostrando que nunca ha tenido miedo de exponer su opinión, ni siquiera después de recibir numerosas amenazas de ETA. Este vasco de 51 años siempre ha estado especialmente sensibilizado con el problema del terrorismo, pero su campo de
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inquietudes e intereses es bastante amplio. Así, en su último libro (Despierta y lee) trata de multitud de temas siempre actuales: la muerte, la alegría, la religión, el humanismo, los nacionalismos, la duda, la ciudadanía, … Su incansable actividad le ha llevado a ser catedrático de Filosofía en la Universidad Complutense de Madrid, filósofo, novelista, dramaturgo y colaborador en numerosas publicaciones. Su novela Ética para Amador, gran éxito de ventas, fue la que le hizo tremendamente conocido en España y en el resto de Europa . Planteado como un libro de ética dirigido fundamentalmente a los jóvenes y dedicado a su hijo Amador, invita a olvidarse de los códigos, mandatos, obligaciones, … y a hacer lo que uno realmente quiera, pero siempre respetando la libertad de los demás. La pasión que siente por la lectura se la inculcó su madre y ya nunca le abandonará. Reflejo de esta pasión es su último libro, Despierta y lee, en el que escribe sobre libros y autores, aunque también hay algún homenaje cinematográfico. Gran defensor de la libertad y del derecho a ser feliz, su optimismo es un rasgo esencial de su carácter. Prueba de ello es este párrafo de Despierta y lee: "Sostenerse en la alegría es el equilibrismo más arduo, pero el único capaz de conseguir que todas las penas humanas merezcan efectivamente la pena. A eso llamamos ética: a penar alegremente".
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NIETZSCHE, EN HISTORIA DE LA ÉTICA Fernando Savater En el párrafo 54 del libro cuarto de El mundo como voluntad y representación, tras haber expresado lo infundado del miedo a la muerte sentido por cada cual como la amenaza de “caerse del presente” - cuando en realidad ésta ha de acompañarnos necesariamente
siempre
-,
añade
Schopenhauer
la
siguiente
acotación esencial: Un hombre que se asimilara completamente en estas verdades que acabo de exponer, pero que no se hallase en estado de reconocer, ya por su experiencia propia, ya por la profundidad de su inteligencia, que el fondo de la vida es un dolor perpetuo, y que, por el contrario, estuviera satisfecho con la existencia y encontrándola a su gusto desease con ánimo sereno que su vida durase eternamente y recomenzara sin cesar; un hombre, en fin, que amase la vida lo bastante para pagar su goces con los cuidados y tormentos a que está expuesto, descansaría con sólida planta sobre el redondeado y eterno suelo de la tierra, y nada tendría que temer; armado con el conocimiento que hemos apuntado, vería con indiferencia llegar la muerte en alas del tiempo, considerándola como una falsa apariencia, como un fantasma impotente, propio únicamente para asustar a los débiles, pero que no amedrenta al que sabe que él mismo es esa voluntad de la que el mundo es copia y objetivación y que tiene asegurada una vida y un presente eternos, forma esta última real y exclusiva del fenómeno de la voluntad.
Pocas líneas antes había escrito Schopenhauer que podemos considerar
el
tiempo
“como
un
círculo
que
diese
vueltas
eternamente”. En conjunto, esta página constituye la prefiguración de
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un destino. Hubo al menos un lector y nada servil discípulo - como cuadra a tal maestro - que asumió la postura aquí esbozada y la explotó hasta sus más hondas consecuencias. La misión que Fiedrich Nietzsche se dio a sí mismo o a la que fue arrastrado por un pensamiento intrépido hasta el desvarío asumido como fatalidad, podría quedar condensada en esta fórmula: desculpabilizar la voluntad. En esta tarea fue implacable y no retrocedió ante las más blasfemas (según el común criterio) consecuencias. El marco a partir del cual iba a evolucionar su teoría había quedado establecido ya por Schopenhauer. Pese a sus importantes divergencias, que se fueron acentuando con el tiempo. Nietzsche se sintió siempre mucho más próximo de Schopenhauer que de ningún otro pensador anterior a él, pues vio en éste un punto de inflexión esencial en la larga y vacilante reacción antiplatónica cuya máxima consecuencia quiso precisamente representar. En uno de sus primero textos, titulado Schopenhauer educador, Nietzsche rinde tributo a su mentor en aquel campo en el que más se le regateó el reconocimiento público; gracias a no haber podido nunca ejercer con éxito como educador en las instituciones oficiales, Schopenhauer alcanzó el derecho de ser considerado el verdadero educador que la universidad de su tiempo necesitaba y por tanto no aceptaba. Su pugna contra esa filosofía académica “que nunca entristece a nadie”, puesta al servicio del Estado vigente, le convierte en el único profesor estimable de su época. Como todo dómine, no careció empero de los defectos de su género, aunque tampoco le faltaron las virtudes debidas. Honrado, independiente y batallador, careció a fin de cuentas de esa inocencia vital y de la malicia histórica en la que estriba el especial talento del pensado de nuevo
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cuño, el cual ya no es profesor universitario pero tampoco antiprofesor. Como hemos reproducido el párrafo de Schopenhauer en el que se anuncia a Nietzsche, puede ser equilibrador transcribir este otro de Nietzsche en el que se sitúa y caracteriza a Schopenhauer con cierta ternura cruel: Si comparamos a Kant y a Schopenhauer con Platón, Espinosa, Pascal, Rousseau, Goethe, por lo que se refiere a su alma y no a su espíritu, se notará que los dos primeros pensadores están en una posición desventajosa: sus ideas no representan la historia de un alma apasionada, no hay detrás de ellos una novela, no hay crisis, catástrofes ni horas de angustia: su pensamiento no es, a la vez, la involuntaria biografía de su alma, sino - en el caso de Kant - la de un cerebro; en el caso de Schopenhauer, la descripción y el reflejo de un carácter (de un carácter inmutable) y la alegría que causa el espejo mismo; es decir, el goce de encontrar un intelecto de primer orden. Kant se presenta, cuando se transparenta a través de sus ideas, bravo y honrable en el mejor sentido, insignificante; carece de amplitud y de poder; ha vivido poco y su manera de trabajar le quita el tiempo que necesitaría para vivir alguna cosa; no me refiero, entiéndase bien a los acontecimientos groseros del exterior, sino a los azares y oscilaciones a que la vida del hombre más solitario y silencioso está sujeto, cuando esta vida tiene momentos de ocio y se consume en la pasión de la meditación. Schopenhauer tiene una ventaja sobre él: posee, por lo menos, cierta fealdad violenta de nacimiento, en el odio, en su deseos, en la vanidad, en la desconfianza; tiene instintos un poco mas feroces y tiene tiempo y vagar para esa ferocidad. Pero le falta la evolución, como le faltaba a su circulo de ideas; no tuvo historia (A; p. 480)
La voluntad es la expresión humana del ímpetu universal; trama deseante configurada como nuestra especifica misión, como aquello que la realidad espera de nosotros. Pero lo que nosotros podemos esperar de lo real en el cumplimiento del deseo, eso no esta del todo determinado: tal es la corrección aportada por Nietzsche al esquema shopenhaueriano. Durante milenios, los
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hombres han buscado alivio y control respecto a la urgencia demoníaca
de
la
voluntad,
disculpas
y
cauces
para
una
responsabilidad activa que representaba la amenaza primordial contra la sociabilidad en lucha por afianzarse, aunque ésta brotó también de esa misma arrebatada fuente. Allí donde crece lo mas peligroso, crece también lo que puede remediarlo... La religión y la moral de ella derivada no provenían sino de una sistemática desconfianza respecto a la voluntad, seguida de una no menos sistemática renuncia. Pero como no es posible desconfiar de toda voluntad y renunciar del todo a ella, pues fuera de la voluntad no hay sino nada, la voluntad de la que se aprendió a desconfiar y a la que se ordenó renunciar fue sólo la voluntad propia. Ésta resultó así pasión, egoísmo, afán desordenado, origen de todo mal, feroz rapiña o sensual perdición: insociabilidad, improductividad. En cambio, la otra voluntad, la que no es mía, quedó consagrada como ley divina, fundamento social y orden productivo: hágase tu voluntad y no la mía. Cuando el proceso iluminista, desmitificador del mundo, canceló los antiguos fundamentos sacros de la voluntad otra o voluntad absoluta (hablase ésta por boca sacerdotal o regia), la voluntad mía quedó liberada como escepticismo ante toda verdad establecida y conflicto de intereses básicamente igualitario: es decir, en ambos casos como terror. La decapitación del princeps, de la legitimación originaria, del principio fundamentador, constituyó el episodio simbólico crucial de esta revolución juntamente política, moral,
epistemológica
y
metafísica.
Era
preciso
buscarle
un
desenlace al terror y el intento kantiano - prefigurado ya por Rousseau en el Contrato social y después proseguido con las
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debidas correcciones por Hegel y los hegelianos - consistió en superponer hasta su identificación trascendental la voluntad otra y la voluntad mía, en nombre precisamente de la razón autónoma recién entronizada.
Uno
de
los
elementos
de
terror
-
la
duda
-,
convenientemente sistematizado, vino así al rescate del otro y quizá más grave, la desmoralización. Schopenhauer invirtió sin embargo este recurso, al minimizar más kantianamente que el propio Kant las capacidades mediadoras de la razón, y la voluntad mía perdió su legitimación
identificatoria
con
la
voluntad
otra
(imperativo
categórico o constitución estatal), siendo en cambio esta última la que se contaminó de la impiedad ya sin freno de aquélla. Tal como en Rousseau y Kant, en Schopenhauer se vincula la voluntad mía a la voluntad otra, pero el resultado así obtenido no nos cura del terror sino que le concede estatuto ontológico: antes sólo mi voluntad era abominable, por la gracia de Dios, pero ahora - consecuentemente desaparecido Dios y negada su herencia en veneración al Estado - es la voluntad misma en cuanto tal lo abominable. La única vía de frágil regeneración que permanece abierta es la negación completa de la voluntad, no para que se cumpla otra voluntad ajena más digna, sino para que el terror cese al fin en la abolición consciente de los requisitos implacables del funcionamiento universal. En este punto se sitúa el giro afirmativo nietzscheano, como aceptación desculpabilizadora de la voluntad negada pero juntamente como abandono de cualquier intento de legitimarla desde la alteridad o la trascendencia sacropolítica. Es de la voluntad mía de la que ha salido
la
voluntad
otra,
como
el
medio
de
rentabilizarla
convenientemente para un fin colectivo. La supervivencia del grupo y su propósito común se revelaron como preferibles en sí mismos a
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la inocencia irrestricta de la voluntad en cuanto tal. ¿Preferibles para quién? Para unos cuantos individuos que modelaron la colectividad como su creación propia, introduciendo en la conciencia simbólica de la atemorizada mayoría normas, restricciones y proyecto. De este modo quedó asegurada la perduración de determinados rasgos humanos que fueron elegidos en cierto momento y potenciados con detrimento de otros. A aquéllos se les llamó virtudes y bueno a su cumplimiento, mientras que éstos quedaron caracterizados como vicios y como lo malo. Pero entre estos rasgos proscritos figuraban probablemente los del individuo dominante que impuso los valores sociales; sólo de individuos capaces de energías hoy prohibidas a los socios comunitarios pudieron emanar las normas de la comunidad. De la arrogancia, de la agresividad, de la audacia sin límites, de la crueldad, del afán de mando y dominio, del cuerpo potente y por tanto satisfecho y rapaz (de lo que mi voluntad reclama y añora) provienen nuestra humildad, nuestra solidaridad, nuestro respeto al débil, nuestra servicialidad cooperativa, nuestra compasión (lo que se ha transfigurado como mandamiento de la voluntad divina o estatal). Hagamos hincapié en esto: los contenidos de la voluntad enumerados en segundo lugar no son ni “mejores” ni “peores” que los mencionados antes, pues provienen de idéntica raíz anterior a la distinción misma entre bueno y malo. Lo único que puede decirse para no abandonar la lucidez indagatoria es que pertenecen a un propósito distinto y sirven para cultivar otro tipo de vida. La pregunta que en su momento se hace Nietzsche es: ¿hasta cuando has de ser así? Si los viejos dragones mitológicos destinados a alejar a los curiosos que husmeaban bajo los preceptos sociales vigentes han sido ya alanceados irremediablemente, ¿no será porque ha
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llegado el
instante oportuno de fomentar nuevos valores - quizás
opuesto a muchos de los establecidos. Que permitan el desarrollo de otro tipo de hombre diferente y superior, aún no gastado y maltrecho por el desmitificador roce histórico? Autor voluntariamente fabuloso (él fue quien nos habló de las verdades como “errores irrefutables, necesarios para la vida”), en torno a Nietzsche se han fraguado numerosas leyendas, algunas sugestivas,
bastantes
equívocas
y
unas
cuantas
francamente
malintencionadas. La interpretación de su pensamiento que aquí se brinda va directamente contra un de las más arraigadas y mas prolífica en descendientes: la del Nietzsche antihumanista, falso ilustrado que desvirtuó finalmente el sentido de la Ilustración dando paso a la aberración más peligrosa (lectura digamos de izquierdas de la fábula) o triunfal liberador del corsé racionalista que da paso a un más allá enigmático, anómico y posmoderno (versión digamos de derecha de la fábula). Frente a ambas perspectivas de un mismo mito,
sostendremos
aquí
-
sin
hacerlo
explicito,
pues
eso
corresponde a otro estudio diferente - que Nietzsche fue el más eficaz cumplidor del proyecto humanista de la Ilustración, al que purificó de su asideros teológicos y cuyos vértigos de emancipada posibilidad reveló con sinigual osadía. Sólo a partir de Nietzsche y gracias a Nietzsche cabe hoy pensar el humanismo radical de nuestro tiempo, cuyos enemigos naturales son la ñoñería edificante y la bestialidad criminógena. En el proyecto moral y político de que vamos a ocuparnos hay dos etapas (aunque entreveradas de tal modo que la continuidad no se rompe y son frecuentes
los
retornos
y
preanuncios):
primero,
crítica
del
fundamento de los valores establecidos y, segundo, profecía de la
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transvaloración de dichos valores y vislumbre de hombre - más - allá - del - hombre (pero no más allá de lo humano como luego veremos). La llamada crítica de los fundamentos de la moral por Nietzsche no es, en modo alguno, una trivial y cínica burla de la recta intención en el obrar (la “mala” intención resulta no menos cuestionable) ni mucho menos la recomendación a lo Sade de comportamientos perversos o al menos inmorales. Es seguro - si hay algo en este pésimo mundo que lo sea - que la contemplación de un campo de concentración nazi hubiera provocado en Nietzsche el mismo hondísimo movimiento de repulsión y condena que estremece a cualquier hônnete homme de nuestra progresía; y tal movimiento reprobatorio no hubiera estado provocado por motivos de debilidad nerviosa o afección sentimental alguna, de las que suelen traicionar los principios atroces mejor establecidos, sino por razones estrictamente morales. De hechos, su actitud contra el antisemitismo
alemán
que
le
afectó
familiarmente
(dejo
de
relacionarse con su querida hermana Elizabeth al contraer ésta matrimonio con el negrero antisemita Föster) apoya en la práctica este aserto conjetural. No hay contradicción alguna entre este comportamiento de Nietzsche y las ideas expresadas en sus obras, aunque sí pueda resultar contradictorio con ciertas interpretaciones arbitrarias de sus opiniones o con los corolarios demenciales deducidos por algunos de quienes se proclamaron a contratiempo discípulos suyos. El sentido de su polémica indagación queda suficientemente establecido en el parágrafo 103 de Aurora: HAY DOS CLASES DE NEGADORES DE LA MORAL. Negar la
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moralidad eso puede querer decir ante todo: negar que los motivos éticos que pretextan los hombres sean los que realmente les han impulsado a sus actos; esto equivale, pues, a decir que la moralidad es una cuestión de palabras y que forma parte de esos groseros engaños, groseros o sutiles (las más veces, autoengaños), propios del hombre, sobre todo del hombre célebre por sus virtudes. Y luego: negar que los juicios morales se basen en verdades. En ese caso, se concede que juicios son verdaderamente los motivos de las acciones, pero que son errores, fundamentos de todos los juicios morales, los que lanzan a los hombres a sus acciones morales. Este último punto de vista es el mío; sin embargo, yo no niego que en muchos casos una sutil desconfianza a la manera del primero, es decir, al estilo de La Rochefoucauld, no sea, en su lugar y en todos los casos, de un utilidad general. Yo no niego, por consiguiente, la moralidad como niego la alquimia; y si niego las hipótesis, no niego que haya habido alquimistas que han creído en dichas hipótesis y se han basado en ellas. Niego del mismo modo la inmoralidad; no que haya un infinidad de hombres que se sienten inmorales, sin que hay en realidad una razón para que se sientan tales. Yo no niego, como es natural - si admitimos que no soy un insensato - que sea preciso evitar y combatir muchas acciones que se denominan inmorales: del mismo modo que es necesario realizar y fomentar muchas de aquéllas que se denominan morales; pero creo que hay que hacer ambas cosas, por otras razones que las antiguas y tradicionales. Es necesario que cambiemos nuestra manera de ver, para llegar por fin, quizá demasiado tarde, a renovar nuestra manera de sentir.
El punto de inflexión de la antigua fundamentación moral hacia su actual crítica estriba en la dispar - mejor dicho opuesta valoración que ha recibido la noción de egoísmo. Por “egoísmo” se entendió dentro de la órbita cristiana - con la singular excepción de Espinosa - aquello que antes hemos denominado “voluntad mía” como forma de rapaz y abusiva o al menos inmisericorde autoafirmación a costa de la “voluntad otra”, es decir, leyes divinas o humanas, necesidades de los débiles, exigencias sociales, etc. El
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egoísmo fue aquello que precisamente la moral negaba; frente al interés egocéntrico, al desinterés centrifugo o altruista de la ética. Me refiero, desde luego a la versión cristiana de la moral, inaplicable a Aristóteles, un estoico o un epicúreo. El sujeto ético, sea quien fuere, es lo que desea allí donde ya no estoy yo. Donde fue el yo advenga el nosotros, pues el yo se parece demasiado aún al ello del que
pretende
enérgicamente
desmarcarse.
Kant
se
negaba
tajantemente a que la felicidad pudiera ser motivo impulsor de la acción moral, ya que también el vicioso quiere ser feliz y las causas del vicio no sabrían ser asimismo causas de la virtud. Schopenhauer fue aún más allá, estableciendo que los motivo de la virtud son opuesto no sólo a la felicidad, sino incluso al simple afán de conservar la vida. Perdida su legitimación en la voluntad otra, la voluntad mía no sabe ya cómo abolirse, de manera suficientemente perentoria. Todavía en nuestra actualidad, cuando Nietzsche forma definitivamente parte del panteón cultural que veneramos, la complicidad entre egoísmo e inmoralidad sigue siendo denunciada con piadoso fervor por cuantos no son capaces de soportar una moral atea ni siquiera a titulo experimental. Porque rechazar el egoísmo como piedra de toque de la fundamentación moral es necesariamente aceptar algún tipo de cimiento religioso para la ética, sea
el
pietismo
cristiano
de
Kant,
el budismo
putativo
de
Schopenhauer, el judaísmo de Levinas o cualquier otra variante teológica
como
contemporáneos. ocasionalmente
ayuda ¡Pero obispos
de si y
los hasta no
bienpensantes los
marxistas
desdeñan
altruismos reclutan
confundir
su
apasionadamente interesada solidaridad con el apasionado desinterés evangélico!
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“... No hay entendido estrictamente ni conducta no egoísta ni contemplación desinteresada; ambas cosas no son más que sublimaciones en las cuales el elemento esencial parece casi volatilizado y no revela ya su presencia sino a una observación muy fina...” (HDH, 1ª parte, p. 1).
Esta observación, este mirar sin miramientos, es la gran aportación de la ciencia moderna cuyo uso subversivo establecieron los enciclopedistas. Es posible señalar un vínculo de continuidad entre esta actitud y la moral cristiana tradicional: la exigencia de veracidad, que con el tiempo se fue haciendo cada vez más insobornable hasta terminar volviéndose contra la propia religiosidad que la tenía como uno de sus principales mandamientos. Por respeto al octavo mandamiento, el hombre ha terminado por no creer en ninguno... [...] Los dispositivos morales han brotado para conservar la vida y más concretamente el tipo de vida que algunos hombres han considerado más placentera o menos dolorosa. En tal sentido, todas las acciones llamadas morales tienen un fundamento egoísta: son gestos y preceptos en interés propio. Su propósito es salvaguardar lo que Espinosa llamó conatus, el deseo de perseverar del modo más prefecto posible en el propio ser. La razón humana, es decir, lo más peculiarmente humano de lo humano, nos enseña el provecho que podemos sacar de la colaboración moral con los otros hombres, mientras que nuestras pasiones - producto de ideas confusas y en último término peligrosas para nuestro conatus - son las que nos enfrentan
o
separan
de
ellos.
Esta
anotación
de
Humano,
demasiado humano (par. 197) tiene un tono inequívocamente espinosista: ¿No podríamos decir que en la cabeza se encuentra lo que une a los hombres - la comprensión de la utilidad y el prejuicio generales - y en el
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corazón lo que los separa: la ciega elección y el instinto ciego en el amor y en el odio, el favor concedido a uno a expensas de todos los demás y el menosprecio de la utilidad pública que de aquí nace?
Incluso las llamadas acciones altruistas tienen también un fundamento de interés propio, a pesar de lo que pudieran pensar al respecto Kant y Schopenhauer (este último empero, ya mostró cómo el egoísmo subyace inevitablemente hasta en las raíces de la deontología kantiana). La moral como autoescisión del hombre. ... La muchacha que ama desea descubrir, en la infidelidad del amado, la devota fidelidad de su propio amor. El soldado desea caer en el campo de batalla por su patria victoriosa: pues en la victoria de su patria triunfan al mismo tiempo sus más altos deseos. La madre da al hijo lo que se quita a sí misma, el sueño, la mejor comida, en algunos casos la salud y los bienes. ¿Pero son, todos éstos, estados altruistas? ¿Son, estas acciones de la moral milagros, en tanto que son, según expresión de Schopenhauer, “imposibles y con todo reales”? ¿No es evidente que en todos estos casos el hombre ama algo propio, un pensamiento, una aspiración, una criatura, más que otra cosa propia, es decir, que escinde su ser y sacrifica una parte de éste a la otra? ¿Acaso sucede algo esencialmente distinto cuando un testarudo dice: “Prefiero que me maten a ceder un palmo ante este hombre”? En todos estos casos existe la inclinación hacia algo (deseo, instinto, aspiración); secundarla con todas las consecuencias, no es, en ningún caso “altruista”. En la moral el hombre se trata a sí mismo, no como individuum, sino como dividuum (HDH, 1ª parte, p. 57).
El ojo científicamente ejercido del psicólogo ético capta esta dualidad - o, más bien esta pluralidad - constitutiva del sujeto humano y por tanto de su acción, que nunca tiene la aparente simplicidad unitaria del efecto superficial y piadosamente advertido. Surge la cuestión de si esta problematización del altruismo no socavará los cimientos morales más básicos, precipitantando al
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indagador y a quienes le siguen en las simas de la amoralidad o de la perversión inmoral. Da por sentado en el más sincero de los casos este planteamiento medroso que la moral se basa en una mentira, quizá, pero en una mentira necesaria, imprescindible para reconciliar dentro de cada uno de nosotros la contradictoria multiplicidad que nos constituye: La bestia en nosotros quiere ser engañada; la moral es una mentira necesaria, para no sentirnos interiormente desgarrados. Sin los errores que se ocultan en los datos de la moral, el hombre hubiera permanecido en la animalidad. Pero de esa manera se tiene por algo superior y se impone las leyes más severas. (HDH, 1ª parte, p. 40).
Pero esta utilidad relativa de la mentira moral pertenece más bien al pasado y ha terminado por chocar frontalmente con la exigencia de veracidad que la propia moral nos ha inculcado. Razones morales nos obligan a abandonar la moral en cuanto ésta se basa en errores, malos cálculos o engaños piadosos. El examen critico descubre una contradicción flagrante en la obligación de renunciar por principio a nuestro propio interés para servir al interés de los demás. Si lo bueno es el desinterés, ¿por qué el prójimo se interesa tanto en que yo sea realmente desinteresado? No estaré sirviendo al interés ajeno - es decir, al vicio - al intentar cumplir con mi más alta y renunciativa virtud? El prójimo alaba el desinterés porque recoge sus efectos. Si el prójimo razonase de un modo desinteresado, rehusaría esta ruptura de fuerzas, este prejuicio ocasionado en su favor, se opondría al nacimiento de semejantes inclinaciones y afirmaría ante todo su desinterés, designándolas precisamente como malas. He aquí indicada la contradicción fundamental de esta moral, hoy tan en boga: ¡los motivos de esta moral están en contradicción con su principio! Lo que a esta moral le sirve para su demostración es refutado por su criterio de moralidad. El principio: “debes
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renunciar a ti mismo y ofrecerte en sacrificio”, para no refutar su propia moral, no debería ser decretado sino por un ser que renunciase por sí mismo a sus beneficios y que acarrease quizá, por este sacrifico exigido de los individuos, su propia caída. Pero desde el momento en que el prójimo (o bien la sociedad) recomienda el altruismo a causa de su utilidad, el principio contrario: “debes buscar el provecho, aún a expensas de todo lo demás”, es puesto en practica y se predica a la vez un debes y un no debes (GC, p. 21)
Incluso en el altruismo de Kant el imperativo categórico encierra como lección a contrario: “si los hombres actuaran de otro modo, si mintieran, robaran o mataran sistemáticamente, la sociedad sería imposible. Haz el bien por tu bien”. Pero esto no se asume explícitamente y al ser descubierto se convierte en la demolición de la moral establecida; puesto que en el fondo debo ser altruista por egoísmo social, nada intrínsecamente malo hay en el egoísmo y por tanto puedo entregarme sin escrúpulo - o con él, tanto da, así nacen la
mala
conciencia
y
el
remordimiento
-
a
la
persecución
desenfrenada de mi provecho inmediato, como a fin de cuentas todos los demás y la sociedad en cuanto tal hacen. La falta de lucidez respecto al enraizamiento de la moralidad en el egoísmo inteligente, racionalizado, se convierte en provocación a la torpe inmoralidad antisocial. [...] Los primitivos creadores de valores fueron seres fuertes, intrépidos, orgullosos de sí mismos y por ello llamaron “bueno” a lo que se le parecía y “malo” a lo que despreciaban. Palabras como “noble” y “villano” guardan como un efluvio en torno a su sentido moral la raigambre jerárquica de la que provienen. Los aristoi, los mejores, los más poderosos y dominantes impusieron a sus siervos y a sus prisioneros las primeras morales conocidas; los valores se grabaron con sangre, la memoria los interiorizó con miedo y
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humillación, y así se desarrolló la más básica de las condiciones de civilización, la capacidad de prometer, auténtica barrera divisoria entre el puro rebaño de animales y la sociedad humana. Por medio de la promesa entra en al historia el proyecto y los individuos de voluntad más fuerte inventan el señuelo del bien común y el futuro. Así modelaron los antiguos héroes a las colectividades humanas como el escultor trabaja el bloque de mármol: a golpes, haciendo saltar chispas y detritus, con aterrador estruendo. Pero esto creadores de valores y aunadores de pueblos eran esencialmente guerreros, físicamente potentes e intelectualmente ingenuos (no olvidemos que la palabra ingenuus significó en su origen ‘nacido noble’). Su desbordamiento de salud los hacia monótonamente invencibles, universalmente temidos y a la larga poco interesantes. Sus bélicas morales de conquistadores convertían en mal la debilidad, la malformación, el temor, la pereza, la feminidad... es decir, gran parte de lo que constituye cotidianamente la condición humana. Cuando las primeras sociedades se asentaron e institucionalizaron, cuando la paz comenzó a ser una forma de vida no más anómala que la guerra, todas aquellas astilla que los primeros creadores de valores habían despreciado fueron cobrando mayor peso. La fragilidad empezó a hacerse consciente de sus posibilidades y algunos empezaron a ver en ellas sus auténticos derechos frente a los señores de la tierra. Los desheredados, los enfermos, los vencidos, los desposeídos, los lisiados y los tímidos, distanciados del mando y de las responsabilidades de la tribu, tuvieron tiempo para meditar su estrategia. Alejados del fragor de la acción, inventaron los meandros de la inteligencia. Sus representantes frente a los señores de la guerra fueron los miembros de una nueva casta ascendente,
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desesperadamente ambiciosa - con la ambición de los postergados e impotentes - y revolucionariamente sutil: los sacerdotes. La casta sacerdotal aportó a la sociedad la primera gran inversión de los valores digamos espontáneos que hasta entonces habían regido en los grupos humanos. A aprovechándose de lo creado por aquellos inaugurales escultores de pueblos, pues el esfuerzo inicial de aunamiento humano nunca es de origen levítico, convirtieron los rencores y las limitaciones de la mayoría (hasta entonces pasiva, sometida) en la nueva cabecera del hit-parade axiológico. La debilidad, la pobreza, el desamparo, la feminidad obligada a la táctica de la dulzura, la malformación física y la enfermedad, la servidumbre todo lo que hasta entonces los individuos habían padecido rechinando como impuesto por una mal pasada de otros hombres o de la naturaleza, se convirtió en mérito. Y la fuerza, la salud, la energía, la arrogancia, la agresividad, el afán masculino de conquista y depredación, aquellos rasgos que había caracterizado a los padres fundadores de todas las sociedades, pasaron a convertirse en lo malo y negativo, lo vicioso. Por supuesto, los sacerdotes no libraron a la mayoría de su pasividad y sometimiento, no la emanciparon de sus deficiencias; en vez de hacerlos libres o fuertes, los hicieron buenos. La gente se conformó e incluso quedó convencida de que si se les hubiera concedido aquello de lo que carecían se les hubiera degradado moralmente. Por otra parte, era tan imposible modificar su naturaleza servil como lo hubiera sido pretender que la combativa naturaleza rapaz de los señores no siguiera pretendiendo todo aquello que ahora se consideraba como mal. De esta suerte, los sacerdotes introdujeron un principio morboso en la humanidad, pero la hicieron mucho más
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interesante. El orden social de las rubias bestias primigenias, feroces y sinceras, era como un pan ácimo, sano pero escasamente sabroso; la corrupción levítica introdujo la levadura en la masa y la sal del pecado sazonó la fermentación obtenida, logrando así un pan mucho más excitante para el paladar aunque quizá también más indigesto. En él y de él vivimos; el Estado moderno es su avatar más acabado y quizá postrero. [...] De lo que se trata es de una transvaloración de los valores, lo cual no implica la inversión simple y mecánica de los antes vigentes (llamar hoy “bueno” a lo que ayer se llamó “malo”), sino una reflexión genealógica y crítica respecto a la procedencia de esos valores, a sus orígenes culturales y al tipo de hombre que se verá potenciado por ello. A partir del nuevo proyecto de hombre deberán ser diseñados los nuevos valores, que bien pudieran parecer a una mirada superficial idénticos a los ya superados. Del mismo modo que el Pierre Ménard de Borges escribe un Quijote literalmente superponible al de Cervantes pero radicalmente distinto - por su conciencia estilística de fingimiento, por su opción sabía y deliberadamente antiespontánea -, Nietzsche apunta hacia unos valores
que
serán
distintos
a
los
actuales
no
por ninguna
estruendosa antítesis superficial, sino por la relación artística (es decir, de mentira consentida y preferida) con el sujeto que los posee. Aquí la cuestión esencial es precisamente la vieja pregunta por la verdad, o aún mejor, el antiguo afán de verdad. La moral cristiana, con
su
riguroso
volviéndose
contra
decreto sí
de
misma.
veracidad Los
a
ultranza,
científicos
terminó
positivistas
y
empiristas, los pacientes diseccionadores de sapos o meticulosos
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recensionadores de los calambres póstumos de la pata de la rana, heredan el rigor de mandamiento antimendaz y lo vuelven contra el cristianismo mismo, contra la fe; la fe en la verdad termina en tiempos ilustrados por aniquilar la verdad de la fe. Pero así la transvaloración aún no se ha efectuado, sólo se ha prolongado hasta el estallido de su contradicción interna el curso natural de uno de los viejo valores. Por supuesto valorar no consistirá ahora en mentir allí donde antes se nos enseño a ser veraces, sino en asumir consecuentemente, críticamente, la mentira de la verdad y por tanto la verdad de la mentira. La falsedad de un juicio no es para nosotros ya una objeción contra el mismo; acaso sea en esto en lo que más extraño suene nuestro nuevo lenguaje. La cuestión está en saber hasta qué punto ese juicio, favorece la vida conserva la vida, conserva la especie, quizá incluso selecciona la especie; y nosotros estamos inclinados por principio a afirmar que los juicios más falsos (de ellos forman parte los juicios sintéticos a priori) son los más imprescindibles para nosotros, que el hombre no podría vivir si no admitiese las ficciones lógicas, si no midiese la realidad con la medida del mundo puramente inventado de lo incondicionado, idéntico - a - sí - mismo, si no falsease permanentemente le mundo mediante el número, - que renunciar a los juicios falsos sería renunciar a la vida, negar la vida. Admitir que la no - verdad es condición para la vida: esto significa, desde luego, enfrentarse de modo peligroso a los sentimiento de valor habituales; y una filosofía que osa hacer esto se coloca, ya sólo con ello, más allá del bien y del mal. (MABM, I, p. 4)
Tal es la raíz metodológica de la transformación de los valores - ¿podremos llamarles así? - ultravalores... A fin de cuentas, lo esencial para Nietzsche es que nuestros valores
se
nos
parezcan.
No
se
puede
vivir
potenciando
axiológicamente la negación resentida de la vida - es decir, no se
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puede vivir plena, creativamente - ni exaltando virtudes genérica, que en nada toman en cuenta nuestra peculiaridad psíquica, histórica y hasta biológica. La virtud es un aliado que favorece a quien conecta positivamente con ella y debilita o mata a quien la asume únicamente por doblegamiento ante la opinión gregaria. Y la primera obligación de cada individuo consciente y no supersticioso es con lo mejor de su propia fuerza, no con ideales colectivista surgidos de la timorata hipóstasis de la mediocridad; también por esta vertiente belicosamente individualista enlaza Nietzsche con una conquista esencial del humanismo ilustrado, liberal en el sentido menos conformista del término, consciente de que la raíz legitimadora de una comunidad no teocéntrica se hinca en el afán de maximizar las potencialidades vitales que los menos obtusos y los más audaces de los socios reconocen en sí mismos. Por supuesto, quien se atreve a crear valores a la medida de su capacidad de excelencia (no a mayor gloria de su necesidad de adaptación al medio) tropieza con la hostilidad primaria de los virtuosos consagrados ex officio: “¡Los buenos tienen que crucificar a aquél que se inventa su propia virtud! ¡Esta es la verdad!” (AHZ, 3ª parte, par. 26). Pero este denigramiento no ha de bloquear su tarea ni debe sumirlos en un abstencionismo moroso ante el vigente normativismo social. El creador de valores incide con denuedo en la transformación del mundo, de este mundo comunitario que habitamos, y rechaza el quietismo resignadamente desdeñoso
(éste
si
realmente
antihumanista)
de
quienes
se
consideran demasiado buenos para este mundo por herederos putativos de otro, estrictamente religioso o sublimemente metafísico: A los piadosos trasmundanos les he oído decir a su propia conciencia estas sentencias y, en verdad, sin malicia ni falsía - aunque nada hay en el
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mundo más falso ni más maligno. “!Deja que el mundo sea el mundo! ¡No muevas un solo dedo en contra de esto!” “deja que el que quiera estrangule y apuñale y saje y degüelle a la gente: ¡no muevas un solo dedo en contra de esto! Así aprenden ellos incluso a renunciar al mundo. Y tu propia razón, a ésa tú mismo debes agarrarla del cuello y estrangularla; pues es una razón de éste mundo - así aprendes tú mismo a renunciar al mundo.” ¡Romped, rompedme, oh, hermanos míos, estas viejas tablas de los piadosos! ¡Destruid con vuestra sentencia la sentencia de los calumniadores del mundo (AHZ, 3ª parte, par. 15).
[...] Platón en su República, señala que la vida humana no es mega ti, no es gran cosa. Para Nietzsche sin embargo, su importancia es suprema, no tanto por lo que la vida suele ser o se resigna a ser como por lo que puede llegar a ser. Platón contrapuso al mundo de la apariencia, la transitoriedad y al materia, el kosmos noetós de lo inteligible imperecedero: después los cristianos en sus diversas manifestaciones, hasta la filosofía de Kant, reforzaron este dualismo
cosmológico,
devaluando
el
orden
fenoménico
que
habitamos y postergándolo al más allá de lo realmente valioso e inmutable. A partir de Kant el positivismo científico comenzó a despertar de ese largo sueño dogmático, concediendo al sistema de las apariencias la importancia de la plena realidad; mejor dicho, el mundo trascendente de lo en - sí, al desvanecerse, arrastró también a la inexistencia lo aparente de las apariencias misma. Este proceso ocurre en el terreno del conocimiento científico, pero se hace esperar en cambio en el campo de la moral y de las instituciones políticas. La desvalorización de la vida en nombre de un fantasma de la vida que ni muerte merece llamarse, la culpabilización por las exigencias de la voluntad en que esa vida se expresa, la dificultad de
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reinventar los viejos lazos comunitarios y los antiguos pudores sobre una base auténticamente inmanente - ateológica con todas su consecuencias -, tales son los enemigos del nuevo espíritu trágico librepensador contra los que fraguó su obra soberbia Friedrich Nietzsche. Arrostró la tarea más necesaria de la modernidad, la demolición del núcleo más persistente y temido. Tal como en el caso de Zeus, según la versión dada por Hölderlin en su Escolios a Antígona, su misión fue “trasformar el afán de dejar este mundo por el otro, en un afán de dejar otro mundo por éste”. Nada resume mejor este empeño que el inolvidable parágrafo 336 de La Gaya Ciencia: El que sabe considerar la historia del hombre en su conjunto como su historia, siente, en una enorme generalización, toda la aflicción del enfermo que sueña con la salud, del viejo que sueña con su juventud, del enamorado privado de su bienamada, del mártir cuyo ideal está destruido, del héroe la noche de una batalla cuya suerte ha estado indecisa y de la cual conserva las heridas y el pesar por la muerte del amigo. Pero llevar esta suma enorme de miserias de toda especie, poder llevarla y ser, al mismo tiempo, el héroe que saluda, en el segundo día de la batalla, la venida de la aurora, la llegada de la felicidad, puesto que se es el hombre que tiene delante y detrás de sí un horizonte de mil años, siendo el heredero de toda nobleza, de todo espíritu del pasado, heredero obligado, el más noble entre todas las antiguas noblezas y, al mismo tiempo, el primero de una nobleza nueva, de la cual no se ha visto cosa semejante en ningún tiempo; tomar todo esto sobre su alma, lo más antiguo y lo más nuevo, las pérdidas, las esperanzas, las conquistas, las victorias de la humanidad y reunir, por fin, todo esto en una sola alma, resumirlo en un solo sentimiento, esto, ciertamente, debería tener por resultado una dicha que el hombre no ha gozado nunca hasta hoy; la dicha de un dios pleno de poderío y de amor, de lágrimas y de risas; una dicha que, semejante al sol de la tarde, hará don incesante de su riqueza inagotable para verterla en el mar y que, como el sol, no se sentirá plenamente rico sino cuando el más pobre
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pescador reme con remos de oro. Esa dicha divina se llamaría entonces humanidad.
FERNANDO SAVATER (1947-) Diccionario de Filosofía Herder Filósofo español nacido en San Sebastián en 1947. Profesor de ética en la Universidad del País Vasco y autor de numerosas obras que cultivan los más variados géneros, especialmente el periodístico y el ensayo filosófico, aunque también ha escrito novela y teatro. Junto con Javier Pradera codirige la revista “Claves de razón práctica”. Actualmente es catedrático de filosofía en la Universidad Complutense de Madrid. Sus autores predilectos han sido: los ilustrados franceses (sobre todo Voltaire y Sade), Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche y Cioran. Todos ellos insisten en la crítica como método general y fundamental para iluminar y alimentar una posible razón práctica que no caiga en el conformismo sino que sea acicate para dinamizar la propia vida y la sociedad, partiendo siempre de la libertad como presupuesto. Todo el pensamiento de este autor podría resumirse con el título de una de sus obras más importantes: Invitación a la ética. Pero entendiendo por tal, no un ética normativa sino todo lo contrario, una ética de la convicción que sea a la vez nueva y clásica, es decir, que parta de la base de que no todo vale por igual, de que hay razones para preferir un tipo de actuación a otras, y de que esas
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razones surgen precisamente de un núcleo no trascendente, sino inmanente al hombre. Y entendiendo por el concepto de «Bien» aquello que el hombre realmente quiere, no aquello que simplemente debe o puede hacer, y este querer se alumbra siempre desde la perspectiva de la libertad. En sus propias palabras: “No quisiera que de este libro el lector sacara cuatro o cinco normas ni tampoco un código, sino auténtico aliento”. En este sentido, la ética nunca renuncia o aplaza su querer, porque precisamente se opone a la instrumentalización del hombre, no sólo por otros hombres sino también por sí mismo. Lo esencial de este planteamiento es que se basa en una ética autoafirmativa: la ética como amor propio. Pero este hombre insurrecto, que practica una ética propia y que está dispuesto a reivindicar su autonomía y a sustituir la política por la ética, se tropieza siempre con la manipulación que el Estado ha realizado durante siglos en la especie humana. En libros como Panfleto contra el Todo o en El Estado y sus criaturas nos habla de los recursos del Estado omnipotente que pretende manipular al individuo, y del desmesurado poder que han tomado los estados modernos burocratizados que pretenden legislar acerca de nuestras vidas. Estado Divino o Estado terapéutico, es lo mismo.
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A SABEDORIA IRREVERENTE DE FERNANDO SAVATER14 Desperta e lê, de Fernando Savater. Tradução de Monica Stahel. Editora Martins Fontes, 270 páginas. R$ 28,50
Mauro Baladi Freqüentemente, a filosofia é acusada de ser um saber encastelado, entregue a um grupo de intelectuais que pouco se interessa em torná-la menos hermética. Uma acusação, aliás, bastante difícil de ser refutada quando levamos em conta alguns pensadores contemporâneos, que parecem confundir profundidade com linguajar complexo e inacessível. Mesmo reconhecendo que a filosofia – por sua natureza iconoclasta e transformadora – não pode aspirar a uma plena popularidade, nem por isso é justo mantêla enclausurada nos ambientes acadêmicos ou eruditos, onde a falta de ar e luz vai tornando-a anêmica e sem vida. Mas, tornar a filosofia “acessível” não significa simplificá-la, reduzi-la a elementos básicos facilmente compreensíveis para uma ampla maioria. Se os “eruditos” recobrem a filosofia com grossas camadas de verniz intelectual, os “popularizadores” acabam por transformá-la em um simples esqueleto (o que substitui a falta de entendimento do público com relação aos primeiros pela falta de interesse que estes últimos suscitam). Como, portanto, conciliar o potencial ameaçador da filosofia (que é, afinal de contas, o
14
O GLOBO, Rio de Janeiro, 16 de junho de 2001.
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questionamento dos valores mais profundos que constituem a nossa vida) com o homem comum – que não é filósofo e nem deseja sêlo, mas que também é capaz de refletir sobre as coisas e, portanto, de enriquecer sua mente com idéias novas? Uma das respostas possíveis nos é dada pelo filósofo espanhol Fernando Savater (nascido no País Basco, em 1947). Catedrático de filosofia na Universidade Complutense de Madri, Savater vem desenvolvendo uma ampla atividade como escritor e jornalista (com dezenas de livros publicados), além de participar diretamente da luta dos espanhóis contra o terrorismo. Preocupandose
principalmente
com
a
problemática
ética
na
sociedade
contemporânea, Savater busca fazer uma filosofia que rompa com seu isolamento metafísico e atue efetivamente sobre o mundo real – o único sobre o qual podemos ter, de fato, alguma influência. Partidário de uma concepção de humanismo que, sem divinizar o homem, luta pela expansão de suas potencialidades, pela sua dignidade e pelo fim de toda forma de opressão (seja política, econômica ou social), Savater vê na ética o instrumento mais adequado para esta finalidade. “A ética me interessa porque torna a vida humanamente aceitável”, afirma ele. Colocando-se ao lado de ilustres “marginais” da filosofia (como Nietzsche, Voltaire e Spinoza), ele deixa de lado a postura rígida de sábio profissional e a sedução do ócio acadêmico, arregaçando as mangas para plantar suas idéias com as próprias mãos. Um dos bons frutos deste trabalho é o livro “Desperta e lê”. Trata-se de uma coletânea composta principalmente por artigos já publicados em jornais e revistas, com ênfase para os mais diversos assuntos da atualidade. Na primeira de suas três partes agrupam-se
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os
artigos
mais
filosóficos,
nos
quais
Savater
expõe
suas
concepções éticas e discorre sobre alguns dos temas que mais o afetam (como a morte, os direitos humanos e a globalização). No
âmbito
ético,
Savater
preconiza
uma
concepção
universalista que se sobreponha aos códigos e aos grupos (que funcionariam como mecanismos de exclusão), com a primazia do indivíduo sobre qualquer uma de suas afiliações (nacionalidade, sexo, ideologia...) e da “civilização humana” sobre as diversas culturas. De acordo com esta visão, subsistiria – sob todas as diferenças culturais – um fundo comum sólido o bastante para sustentar um projeto humanista que Savater parece acalentar. Bem mais amena, a segunda parte é totalmente dedicada a uma das maiores paixões do autor: o cinema. Através de escritos breves, o filósofo apresenta sua clara preferência pelos filmes hollywoodianos – que parecem estabelecer um contato bem maior com o público do que os filmes europeus. A defesa de Spielberg e de seus dinossauros não chega a nos chocar (uma vez que se trata realmente de um bom espetáculo), mas o desprezo pelos filmes intelectualmente mais elaborados parece evidenciar uma falta de percepção quanto ao alcance do cinema como arte e reflexão. Bem, é verdade que Savater ama o cinema porque ele o emociona (como um fragmento integral de vida pulsante ou um jorro de luz na sala escura) e é claro que isso o distancia daqueles cinéfilos pedantes que tratam um filme como um médico legista disseca um cadáver. Isto, no entanto, não nos impede de considerar ingênuo e limitado o seu gosto pelo cinema americano (que, como sabemos, carece de conteúdo, é repleto de concessões e funciona quase sempre como uma forma sutil de propaganda ideológica).
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Por fim, a última parte reúne principalmente resenhas literárias, através das quais Savater transmite suas idéias e revela suas muitas afeições, simpatias e até mesmo eventuais desafetos. Em suma, com uma irreverência que não exclui a elegância, Savater arranca a filosofia da cátedra e a atira ao mundo real, para que ela possa conviver com os homens e abandonar seus fantasmas metafísicos. Através desta mistura, que nada tem de espúria, podemos ver o quanto de “filosófico” existe em nosso cotidiano social e individual, ou seja, o quanto há de criação nas ações que consideramos absolutamente naturais. Mesmo que seja sob os mais variados disfarces, a filosofia influi diretamente em nossas vidas. Ter consciência disso não é, decerto, garantia de felicidade ou cura para todos os males, mas nos oferece ao menos a possibilidade de tentar fazer nosso próprio caminho, em vez de vagarmos a esmo pela existência.