Université Hasan II Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Casablanca Cours d’Introductions aux Relations internationales Prof : Abdelouhab Maalmi Année universitaire 2014-2015 Droit français, S1, Groupe1 Chapitre I – Qu’est ce que les relations internationales ? Les relations internationales désignent à la fois un type particulier de phénomènes et la discipline qui a pour objet l’étude de ces phénomènes. L’objet de ce chapitre est de définir et le phénomène et la discipline. Section 1 : le phénomène ‘relations internationales’ Pour définir le phénomène qu’on appelle ‘relations internationales’ on s’intéressera à : • • • •
l’expression qui le désigne, la nature qui le caractérise son origine son évolution
1- L’expression ‘relations internationales’ L’expression est relativement récente. Elle date du 18e s. L’adjectif international a été forgé par le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832) en 1781en traduisant le Jus gentium romain (droit des gens) par droit international. Le mot international a eu depuis un large succès et l’expression ‘relations internationales’ se banalisera à partir du 19e s. Ce changement sémantique n’est pas fortuit. Il dénote une prise de conscience de la place prépondérante que commencent à prendre à partir du 18e s les Etats-nations dans les affaires du monde, en Europe d’abord, puis dans les deux Amériques, et en Asie avec l’affirmation du sentiment national et la multiplication des Etats nationaux à la place des unités politiques du Moyen-âge, c’est-à-dire les empires, les citésEtats, les seigneuries, l’Eglise, les compagnies privées, etc.. A priori donc, l’expression relations internationales signifie qu’il s’agit exclusivement de relations entre Etats. Mais son usage va bientôt être élargi par commodité pour s’appliquer d’une part, à tous les acteurs intervenant dans les
affaires mondiales, anciens (papauté, empires multinationaux, cités-Etats, etc.) ou nouveaux (organisations internationales) et, d’autre part, à l’ensemble des relations internationales du passé. D’autres expressions concurrentes vont apparaitre : affaires internationales, politique internationale, politique, mondiale, politique globale, mais c’est l’expression relations internationales qui reste dominante. Ainsi entendue, la définition des relations internationales pose cependant problème, ne faisant pas l’unanimité parmi les auteurs. On citera, pour preuve, trois définitions qui, bien que différentes, se complètent parfaitement : Pour Raymond Aron (1905-1983) les relations internationales sont celles « entre unités politiques dont chacune revendique le droit de se faire justice elle-même, et d’être seule maitresse de la décision de combattre ou de ne pas combattre » (Paix et guerre entre les nations, 1962, p.20). Appliquée au passé, cette définition englobe toute entité politiquement organisée, de la tribu à l’empire. Mais aujourd’hui elle apparaîtrait très restrictive, limitant les relations internationales aux seuls Etats, alors qu’avec l’ouverture sans précédent des nations les unes sur les autres d’autres acteurs de nature diverse interviennent sur le plan international. Aussi Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili proposent-ils une autre définition qui tient compte des autres acteurs que les Etats mais qui retient l’idée de frontière comme critère distinctif des relations internationales : celles-ci seraient ainsi « l’ensemble des relations et communications s’établissant entre des groupes sociaux et traversant les frontières » (Les relations internationales, 1988, p.5). Bien qu’elle soit une définition plus inclusive que la précédente englobant les acteurs non étatiques, et des relations autres que la guerre, l’idée de frontière interétatique telle qu’on la connaît de nos jours - délimitation territoriale linéaire internationalement reconnue, avec ses symboles comme le passeport, le visa d’entrée, la police des frontières, les douanes, etc., est ellemême récente. Elle est liée à l’avènement de l’Etat territorial moderne en Europe (France, Grande-Bretagne) à la Renaissance (15e s). Et plus on remonte le cours de l’histoire plus elle est floue et malléable. La première délimitation frontalière moderne date du traité de Campoformio de 1797 entre la France et l’Autriche. Pour le Maroc, elle date la convention de Lalla Maghnia de 1845 signée avec la France à la suite de la bataille d’Isly (1844), et qui sépare l’empire chérifien de l’Algérie française en entérinant la frontière tacite qui existait entre les Marocains et les Turcs. Autre limite de l’idée de frontière, le fait que certains événements ayant lieu à l’intérieur des frontières nationales peuvent être considérés comme une affaire internationale, par exemple les violations des droits de l’homme, les événements dits du printemps arabe, les mariages mixtes entre nationaux et étrangers, la
décision du Maroc en septembre 2013 de régulariser la situation des sanspapiers résidant sur son territoire, etc. C’est pourquoi l’historien français Jean-Baptiste Duroselle pense que la seule notion qui permette d’englober dans le même concept de relations internationales les rapports impliquant à la fois Etats, unités politiques, individus et groupes de type non étatique, c’est la notion de l’étranger. D’où sa définition des relations internationales comme « l’ensemble des événements où l’une des parties – individuelles ou collectives – est étrangère à l’autre partie » (Tout empire périra, 1982, p. 42). Ainsi par exemple relèveraient des relations internationales les rapports entre les métropoles des anciens empires coloniaux et leurs colonies ou protectorats. De même seraient considérées comme relations internationales celles entre les Musulmans et les non-Musulmans au sein même de Dar al islam à l’époque du califat islamique (632-1258). L’étranger c’est le différent, l’imprévisible, qui peut être ami ou ennemi. Il peut être lointain ou proche. Il peut être à l’intérieur comme il peut être à l’extérieur. Quand il est à l’intérieur deux situations définissent son caractère d’étranger, son statut juridique (dhimmi, autochtone, colon, immigré, réfugié, non-national, etc..), et son état psychologique (sentiment de discrimination, de ségrégation, de non intégration, de particularisme autonomiste ou séparatiste, etc..). La nouveauté dans la notion de l’étranger aujourd’hui par rapport au passé, c’est qu’avec la diffusion progressive de l’Etat-nation à l’échelle planétaire depuis le 18e s. elle est devenue formellement homogène et plus simple : « l’étranger se définit tout simplement par la non-citoyenneté » (J-B. Duroselle, ibid., p. 41). En définitive, pour cerner ce que recouvre l’expression ‘relations internationales’, qu’elle s’applique au présent ou au passé, les trois définitions qu’on vient de voir, loin de s’exclure, se complètent l’une l’autre, les trois critères d’unité politique indépendante, de frontières, et d’étranger rendant compte des éléments fondamentaux qui définissent la relation internationale dans sa globalité. Sur cette base, les relations internationales peuvent être classées en deux grandes catégories principales: • Les relations interétatiques, que les Etats entretiennent entre eux directement à travers leurs divers organes : gouvernement, parlement, administrations, ou indirectement à travers les organisations intergouvernementales ; • Les relations transnationales, qu’entretiennent entre elles des entités, individus ou groupes, relevant des sociétés internes : simples particuliers, partis, syndicats, associations, entreprises, etc... Il arrive que l’Etat soit aussi une des parties à ces relations. Aussi les relations transnationales peuvent-elles être soit privées pures (une transaction commerciale entre
deux entreprises), soit mixtes comportant la participation de l’Etat (contrat entre un Etat et une entreprise étrangère). 2- Nature des relations internationales En dépit de l’existence d’autres acteurs internationaux, les Etats demeurent les acteurs principaux des relations internationales. Ils contrôlent des territoires et des populations, possèdent des armées, sont souverains et créent eux-mêmes les règles qui régissent les relations internationales ou en définissent le cadre. Aussi les relations internationales se distinguent des relations internes par trois caractéristiques principales qui en déterminent la nature : l’anarchie, le risque guerre, et la diplomatie. L’anarchie : elle n’a pas ici le sens courant de désordre. Provenant du grec anarkhia, le terme signifie absence de chef (arkhos) ou absence d’autorité (arkhé). En relations internationales cela signifie que les Etats, étant souverains, n’ont pas d’autorité centrale au-dessus d’eux. Selon les termes de R. Aron, le trait spécifique des relations internationales, c’est « l’absence d’une instance qui détienne le monopole de la violence légitime » comme cela est le cas à l’intérieur des Etats. L’ONU reste une organisation interétatique et non pas supra - étatique. Le droit international s’impose certes formellement aux Etats, mais son application forcée, en cas de violation, dépend des Etats eux-mêmes et non d’une instance extérieure à eux ou supérieure à eux qui n’existe pas. Il en découle qu’entre les Etats il n’y a pas de rapports de commandement mais des rapports qui peuvent emprunter soit la voie de l’épreuve de force, soit celle du dialogue. La première peut impliquer la guerre, la seconde relève de la diplomatie qui est la voie propre de la conduite quotidienne des relations entre les Etats. La guerre : elle est « un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté » (Clausewitz, De la guerre, 1955, p. 51). Entre entités souveraines et armées, en cas de conflit, la guerre est l’ultima ratio, le dernier recours, si aucune solution pacifique n’est trouvée à leur conflit. C’est cette éventualité de la guerre comme ultima ratio entre les Etats qui a fait dire à R. Aron que « les relations internationales se déroulent à l’ombre de la guerre » (Paix et guerre entre les nations, ibid., p. 18) La diplomatie : « Par diplomatie, j’entends le dialogue entre Etas indépendants » (Adam. Watson, Diplomacy, 1986, p.11). Par cette définition lacunaire A. Watson révèle la nature véritable de la diplomatie. C’est l’ensemble spécifique des moyens, outils et activités qui permettent aux Etats de dialoguer entre eux. Non seulement elle est l’alternative à la guerre, le moyen fondamental de prévenir ou de rétablir la paix, et de maintenir entre les Etats
des relations pacifiques durables, mais elle est une conduite qui postule reconnaissance et respect de la dignité l’autre même quand il est notre ennemi. 3- Origine : les relations internationales modernes Par relations internationales modernes on entend les relations régulières entre entités politiques souveraines dont l’avènement et le développement remontent aux 17e et 18e siècles en Europe avant de s’étendre dans le reste du monde à partir du 19e et la première moitié du 20e siècle à la faveur notamment du grand mouvement de décolonisation qui a vu naître des Etats nouveaux de type moderne en Asie, en Afrique et dans le monde arabe. Avant le 18e siècle des relations entre entités politiques existaient bien dans différentes parties du monde et remontaient mêmes à des temps immémoriaux. Des traités sont apparus dès l’Antiquité sumérienne (de Sumer, région de l’Irak actuel), des relations diplomatiques dès l’Antiquité perse, et des alliances dès l’Antiquité égyptienne. Dans la Grèce antique s’est même formé un système de cités-Etats (polis) semblable au système d’Etats actuel, de même qu’entre les villes-Etats de l’Italie du nord au moment de la Renaissance qui ont été à l’origine de la diplomatie moderne. Mais en termes de relations régulières entre entités politiques indépendantes c’étaient là des exceptions. La règle c’étaient des relations de dépendance entre le centre et les périphéries d’un empire qui était la forme d’organisation politique dominante. Entre les empires les relations étaient réduites au minimum et intermittentes : soit aux marches (zones frontalières) de leurs territoires, quand ils coexistaient plus ou moins pacifiquement dans un équilibre précaire (temps de paix), soit quand ils reprenaient leur expansion et s’affrontaient pour conquérir l’un l’autre (temps de guerre). Exemples : les relations entre l’empire musulman (omeyyade et abbasside) et l’empire byzantin (chrétien) entre 660 et 1258 ; celles entre l’empire ottoman et le Saint empire germanique aux 15e et 17e siècles. Trois faits historiques ont été à l’origine des relations internationales modernes : le premier est la constitution en Europe de grands Etats monarchiques, puissants et bien organisés (France, Angleterre, Espagne, Suède) au détriment du Saint empire et de la Papauté (catholique de Rome) au sortir du Moyen-âge (époque de la Renaissance, 14e – 16e siècles). Le second est la guerre de Trente Ans (guerres de religion entre catholiques et protestants) entre 1618 et 1648 qui scellent la fin de la Chrétienté (unité chrétienne autour du St empire et de la Papauté), et la division de l’Europe en Etats souverains. En effet les traités de Westphalie de 1648 qui terminent la guerre de Trent Ans consacrent le triomphe de l’Etat comme forme privilégiée d’organisation politique des sociétés sue la base deux principes : le principe de la souveraineté externe selon lequel aucun Etat ne reconnaît d’autorité audessus de lui, et tout Etat reconnaît tout autre Etat comme son égal; et le
principe de la souveraineté interne en vertu duquel tout Etat dispose de l’autorité exclusive sur son territoire et la population qui s’y trouve et aucun Etat ne s’immisce dans les affaires internes d’un autre Etat. Le troisième fait historique enfin, c’est la cristallisation à partir du 18e siècle, suite aux Révolutions américaine (1776) et française (1789), du sentiment national non plus autour de la personne du Prince comme dans les Etas monarchiques du 17e siècle mais sur l’idée de Nation, vaste communauté qui entend qu’aucun de ses membres, dans uns zone déterminée, ne soit dépendant de l’étranger. D’où le phénomènel’Etat-nation qui va être le trait dominant des relations internationales des deux siècles qui vont suivre : le monde va se transformer en Etats qui se veulent nations. Le principe des nationalités proclamé par la Révolution française et propagé par les armées de Napoléon (1802-1815) conduit ainsi à l’unité italienne (1858-1870) et allemande (18641870), et à l’indépendance de nombreux Etats en Europe (Belgique, Grèce, Pologne, Roumanie, Serbie, Monténégro, Bulgarie) et en Amérique latine au 19e s, tandis que celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contenu dans le discours des Quatorze points du président américain W. Wilson (1918) et dans le traité de paix de Versailles 1919) contribue à l’éclatement des empires multinationaux en Europe (ottoman, austro-hongrois, russe) à l’issue de la première guerre mondiale (1919-1923), et favorise la fin des empires coloniaux après la seconde guerre mondiale (années 1950-1960). 4- Evolution : Les relations internationales contemporaines Par relations internationales contemporaines on entend les relations qui datent de 1945 à nos jours. Mais un aperçu du monde d’avant 1945 s’avère nécessaire pour mieux comprendre celui d’après 1945. A- Le monde avant 1945 Depuis l’avènement des relations internationales modernes (17e-18e s), celles-ci ont connu deux grandes évolutions successives : émergence des nations européennes comme puissances hégémoniques mondiales, et formation progressive d’un ordre juridique international, d’abord (a); affirmation de nouvelles puissances mondiales et ébauche d’une organisation universelle, ensuite (b). a- Le monde de l’hégémonie européenne (1814-1914) - La marche de l’Europe vers l’hégémonie mondiale a commencé dès le 15e siècle avec les grandes découvertes (voyages de Christophe Colombe, de Vasco de Gama et de Magellan), la maitrise des mers (grâce aux progrès de la navigation), et l’expansion religieuse (prosélytisme), commerciale (recherche de l’or, des voies commerciales, notamment celle des Indes, pays des épices) et coloniale (conquêtes de nouveaux territoires) sur d’autres continents : les deux
Amériques, l’Asie, l’océan indien, le Pacific sud (Australie, Nouvelle Zélande), et l’Afrique. C’est le fait principalement de quelques nations européennes puissantes et rivales : Espagne, Portugal, Angleterre, Pays-Bas, France. Signe de cette montée hégémonique des européens, le partage du monde sous l’égide du pape entre les prétentions du Portugal et de l’Espagne par les traités de Tordesillas de 1494 et Saragosse de 1529. L’expansion européenne dans le monde connaît cependant son apogée entre 1815 et 1914 dû à une course frénétique aux colonies entre les principales puissances du continent européen, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et la Russie (auxquelles s’ajouteraient à partir de 1900 les Etats-Unis et le Japon). A la veille de la première guerre mondiale, la majeure partie de la planète, en Afrique et en Asie, est partagée entre quelques empires coloniaux : britannique, français, néerlandais, et portugais. La Conférence de Berlin de 1884, qui marque le partage l’Afrique, fixe les règles d’occupation des territoires. Outre la poussée démographique qui fait qu’entre 1870 et 1914, 50 millions d’immigrants quittent l’Europe pour les Amériques, l’Australie, la NouvelleZélande et l’Afrique, la cause principale de cette ultime étape de l’expansion européenne reste la révolution industrielle (fin 18e et 19e s) qui, d’un côté, fournit aux européens une supériorité absolue en termes militaires et organisationnels , et de l’autre, créé des besoins nouveaux, notamment la recherche des matières premières pour leurs industries et des débouchés pour le surplus de leurs produits. - Sur le sol européen, depuis les traités de Westphalie (1648), un nouvel ordre politique et juridique mettant en rapport des Etats souverains émerge. Les compétitions territoriales et les rêves d’empire ou d’hégémonie qui restent encore vivaces attisent les rivalités et multiplient les guerres entre les nouvelles entités. Mais à la faveur d’un équilibre européen qui commence à se mette en place à partir de 1713 (le traité d’Utrecht), de nouvelles règles régissant les rapports entre les Etats européens apparaissent ou sont consolidées. Le Hollandais Grotius (1583-1645) en donne déjà en 1625 une première formulation dan son ouvrage De jure belli ac pacis (Droit de la paix et de la guerre), suivi du Suisse Vattel (1714-1767) qui, en 1758, rédige le premier manuel de droit international classique, Le Droit des gens. Ainsi s’esquisse une sorte de société ou famille des Etas européens (appelée plus tard société ou famille des nations civilisées) Après les guerres de la Révolution (1791-1801), et de l’Empire ou guerres napoléoniennes (1802-1815), suit une période de cent ans (1815-1914) jouissant d’une stabilité relative en Europe - exception faite de la guerre franco-allemande de 1870-71 - durant laquelle l’ordre européen, qui reste basé sur un système
d’alliances pour maintenir l’équilibre entre les grandes puissances, connaît une double évolution : • D’une part, il s’élargit en intégrant de nouveaux Etats : En Europe, les Etats nouvellement indépendants (Belgique, Etats d’Europe centrale et de l’Est, des Balkans), ceux qui viennent d’être unifiés (Italie, Allemagne), et l’empire Ottoman (1856). En dehors de l’Europe, les Etats qui viennent de s’affirmer sur la scène internationale, les Etats-Unis et le Japon, et ceux d’Amérique - Latine issus des empires espagnols et portugais et qui ont obtenu leur indépendance grâce à l’appui des Etats-Unis (Doctrine Monroe, 1823). Ainsi de régional, l’ordre européen devient international. • D’autre part, il s’enrichit sur le triple plan des normes, des institutions, et des moyens de gestion collective et concertée des affaires européennes et mondiales : Sur le plan des normes, on assiste à une multiplication des traités qui organisent le règlement des conflits, le recours à la force, et la conduite de la guerre mais qui abordent des sujets nouveaux comme l’utilisation des fleuves internationaux, canaux océaniques (Panam, Suez), détroits, ou le commerce international. Sur le plan des instituions, une Cour Permanente d’Arbitrage est créée pour le règlement des conflits, ainsi que nombres d’organismes internationaux de coopération dans différends domaines de nature technique, postal, fluvial, télécommunications, propriété intellectuelle, etc., si bien qu’en 1914 on compte jusqu’à 37 organismes de ce type. Sur le plan des mécanismes de concertation pour la gestion des problèmes internationaux, il est institué un Concert européen au Congrès de Vienne de 1815 pour restaurer l’équilibre et maintenir l’ordre et la stabilité en Europe après les guerres de Napoléon, et gérer au moyen des congrès les conflits politiques qui pourraient surgir entre ses membres, dont la reconnaissance et l’admission d’Etats nouveaux au club fermé des Etats européens.
b- Le monde en transition (1914-1945) C’est un monde en transition car il s’agit d’une période charnière séparant un monde ancien dominé par l’Europe, et un monde nouveau dominé par les EtatsUnis. Trois faits capitaux vont ainsi marquer cette période : l’éclatement, pour la première fois, de deux guerres mondiales à 20 ans d’intervalle (1914-1918 ; 1939-1945); La montée progressive et irrésistible des Etats-Unis comme
nouvelle puissance mondiale ; la marche vers la mise en place, pour la première fois là aussi, d’une organisation internationale universelle. Les deux guerres mondiales qui éclatent en 1914, puis en 1945 en Europe, non seulement traduisent l’échec des mécanismes mis en place par les Européens pour conduire et réguler les affaires mondiales, mais elles causent aussi le déclin de l’hégémonie de l’Europe sur le monde. Les deux guerres ont eu pour cause principale le choc des nationalismes et des puissances en quête de pouvoir, de territoires et de richesses. - La guerre 1914-1918 : Elle éclate en ayant pour enjeu le sort des empires multinationaux en déclin (empire ottoman) ou menacés d’éclatement (empires Austro-hongrois et Russe), et pour facteur aggravant la division de l’Europe en deux camps opposés (Allemagne, Autriche-Hongrie, empire Ottoman et Italie, d’un côté ; France, Grande-Bretagne et empire Russe, de l’autre) liés par un rigide réseau d’alliances rendant inévitable la généralisation de tout conflit opposant deux grandes puissances (ici en l’occurrence l’Autriche-Hongrie et la Russie à propos des Balkans). La guerre mobilise 65 millions d’hommes, et fait près d’une dizaine de millions de Victimes. Elle entraîne l’effondrement des empires Austro-hongrois et Ottoman. Le premier est remplacé par des Etatsnations, le second donne lieu à la république de Turquie et voit ses dépouilles (dans le Croissant fertile) partagées entre les puissances victorieuses, la France et la Grande-Bretagne (accords secrets Sykes-Picot de 1916). Les empires Russe et allemand disparaissent en tant que tels et voient leurs territoires réduits. La France et la Grande-Bretagne bien que vainqueurs en sortent affaiblis économiquement et démographiquement. Seuls les Etats-Unis, intervenus tardivement (1917) dans la guerre aux côtés de l’alliance franco-britannique, en sortent renforcés voyant sa prééminence industrielle et financière confirmée. - L’entre-deux-guerres (1919-1939) : C’est une période cruciale pour l’avenir des relations internationales. Le déclin relatif de la Grande-Bretagne et de la France consécutif à la guerre 1914-1918 qui s’accélère avec la crise économique de 1929, favorise la montée d’autres puissances hostiles, totalement ou partiellement, au statu quo, à l’ordre établi (hégémonie franco-anglaise, colonialisme, démocratie libérale, capitalisme), et qui portent chacune, face à la prétendue mission civilisatrice des puissances coloniales dominantes, un projet, une mission ou un grand dessein qui lui est propre : Refondation de l’Empire romain (Italie fasciste), sphère de coprospérité de la grande Asie orientale (Japon), espace vital pour la Grande Allemagne (Allemagne nazie), révolution communiste (Union soviétique), Manifest Destiny pour démocratiser le monde (Etats-Unis). Au lendemain de la première guerre mondiale, les Etats-Unis, déjà première grande puissance, mais encore plus préoccupés par les affaires américaines (Doctrine Monroe), et leurs relations commerciales que par les questions de
politique mondiale (isolationnisme), parviennent à imposer leur vision de l’ordre de l’après guerre définie par Wilson dans ses fameux Quatorze points. Idéaliste, croyant à la possibilité d’un monde de démocratie et de libertés, harmonieux et pacifique, organisé et régi par le droit, Wilson propose la création d’une Société des Nations pour fonder et garantir l’ordre international de ses rêves. Créée par le traité de Versailles de 1919, celle- ci commence à fonctionner à partir de janvier 1920. Faisant écho au Concert européen de 18151913, c’est la première fois dans l’histoire de relations internationales qu’est instituée une organisation ayant une vocation universelle et dotée d’une une compétence générale pour gérer les affaires mondiales. Outre la SDN, d’autres institutions sont créées pour renforcer son action, dont notamment la Cour Permanente de Justice internationale (La Haye, 1920), l’Organisation Internationale du Travail, la Commission Internationale de la Navigation Aérienne, ainsi que bien d’autre organisations internationales qui voient le jour pendant cette période. La SDN, ayant pour but principal d’empêcher les agressions, et de promouvoir le règlement pacifique les conflits, le respect du droit international, et le désarmement, débute avec 42 membres fondateurs, auxquels vont s’adjoindre petit à petit d’autres membres, à l’exception notable des Etats-Unis dont le Sénat a refusé de ratifier le Traite de paix de Versailles de 1919 pour désaccord avec Wilson, prouvant le penchant isolationniste encore fort des Américains à l’époque. L’Organisation fonctionne plus ou moins bien pendant une décennie en parvenant à résoudre un certain nombre de conflits et gérer certains territoires placés sous son autorité. Elle entre en crise à partir des années trente. Affaiblie par la non adhésion de l’Amérique, l’exclusion de l’Union soviétique (1939), le retrait progressif de nombre d’autres membres - 16 au total dont l’Italie, l’Allemagne et le Japon - et le manque de moyens à la mesure des ses ambitions ; défavorisée par les circonstances dont la Crise économique de 1929 qui, partie des Etats-Unis, frappe de plein fouet l’ensemble des pays industrialisés en attisant les réactions protectionnistes et de chacun pour soi, la SDN se révèle de plus en plus incapable de remplir sa mission. Impuissante devant les violations de ses propres règles (invasion de la Ruhr par la France et la Belgique en 1923), et la multiplication des actes d’agressions (invasion de l’Ethiopie par l’Italie, de la Mandchourie par le Japon, de la Finlande par l’Union soviétique), la SDN cesse pratiquement de fonctionner à partir de 1939 avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale. - La Seconde guerre mondiale (1939-1945) : Initiée par l’Allemagne hitlérienne elle se situe dans la suite logique de la première. Dirigée contre le traité de Versailles (1919) qui a non seulement privé l’Allemagne wilhelmienne (celle de Guillaume II de 1888 à 1918) de son statut impérial en la dépouillant de ses
territoires, mais il l’a carrément mise sous la tutelle de ses vainqueurs, notamment la France. La nouveauté cependant de la seconde guerre mondiale par rapport à la première est triple, ce qui la rend encore plus meurtrière et plus globale touchant presque tous les continents (à l’exception du nouveau monde). Au choc des nationalismes (plutôt conquérants) caractéristique du premier conflit, s’ajoute celui des idéologies et des régimes suite à la révolution bolchevique de 1917 en Russie, devenue Union soviétique, et la montée dans les années 20 et 30 des régimes fascistes en Allemagne et en Italie, et militariste au Japon. Aussi les nouvelles alliances mettent cette fois d’un côté, les Démocraties occidentales (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis principalement), garantes de l’ordre de Versailles, et de l’autre, les nouveaux régimes dictatoriaux ou totalitaires désireux de changer l’ordre établi en leur faveur. L’URSS, ennemie des libéraux comme des fascistes, s’allie d’abord avec l’Allemagne hitlérienne (Pacte germano-soviétique de 1939) puis, attaquée par celle-ci en 1941, se tourne vers le camp occidental qui remporte finalement la guerre. La seconde nouveauté, c’est l’intervention, vers la fin de la guerre, d’une arme tout à fait nouvelle et exceptionnelle, la bombe atomique qui, lancée en août 1945 par les Etats-Unis sur deux villes du Japon, Hiroshima et Nagasaki, fait 230 000 victimes au total obligeant l’empire nippon à capituler. La seconde guerre mondiale se termine par la victoire des Démocraties occidentales et l’URSS qui imposent leur paix aux vaincues (les puissances de l’axe et leurs alliés), après avoir fait plus de 50 millions de morts. C’est le conflit le plus meurtrier de tous les temps. L’URSS, qui reconstitue un empire encore plus vaste que celui des Tsars, devient la puissance dominante en Europe. Les EtatsUnis, quant à eux, sont au sommet de leur ascension en exerçant sur e monde une hégémonie quasi absolue. Le centre de gravite de la politique mondiale n’est plus l’Europe. B- Le monde après 1945 De 1945 à nos jours les relations internationales ont passé par deux étapes : celle de 1945 à 1991 caractérisée par la division du monde en deux blocs, l’un conduit par les Etats-Unis à l’Ouest et l’autre par l’URSS à l’Est, c’est le monde bipolaire ; et celle de 1991 à nos jours marquée par la fin de la division EstOuest et l’unification marchande du monde, ou le phénomène de la mondialisation, c’est le monde globalisé. a- Le monde bipolaire (1945-1991) Bien que marqué par l’antagonisme Est-Ouest et ses conséquences, le monde de l’après-guerre comporte aussi des aspects positifs d’intégration ou d’unification. Cinq éléments peuvent ainsi être distingués pour le caractériser : Remise en ordre du monde ; guerre froide et équilibre de la terreur ; émergence du Tiersmonde ; Relèvement de l’Europe, du Japon et de la Chine.
- La remise en ordre du monde : Avant même la fin des combats, les Alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, URSS principalement) se consultent et mettent sur pied à l’instigation des Etats-Unis une nouvelle organisation mondiale destinée à remplacer la SDN. C’est ainsi qu’est signée à San Francisco le 27 juin 1945 la Charte des Nations Unies. La nouvelle Organisation (ONU) proclame comme principes : l’interdiction du recours à la force, le respect des droits de l’homme, égalité et non discrimination entre les peuples, et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour maintenir la paix et garantir le nouvel ordre international, les Puissances vainqueurs de la guerre (Etats-Unis, Grande-Bretagne, URSS plus la France et la Chine) s’attribuent chacune un droit de véto au Conseil de sécurité, seul organe de l’ONU à disposer de pouvoirs réels allant jusqu’à l’emploi de la force. Partant d’une conception plus globale du nouvel ordre international, ne se limitant pas à ses seuls aspects politiques et diplomatiques, les Etats-Unis prévoient, comme pour la SDN, qu’autour de l’ONU gravitent une série d’organisations affiliées consacrées aux questions économiques et sociales. Aussi dès 1944 sont mises en place deux institutions fondamentales, appelées institutions des accords de Breton Woods, le Fond monétaire international (FMI), et la Banque internationale pour la construction et le développement (BIRD), suivies du General Agreement on Tarifs and Trade (GATT) établi par la charte de la Havane de 1948. De multiples autres organisations intergouvernementales, universelles et régionales, vont voir le jour par la suite dans différents domaines de la vie internationale pour atteindre vers la fin des années 80 le nombre de 378 organisations. Par ailleurs, l’ancienne Cour Permanente de Justice Internationale devient La Cour Internationale de Justice, dont le statut est annexé à la Charte des Nations Unies (CIJ). - Guerre froide et équilibre de la terreur : Ayant été attaqués et entrainés malgré eux dans la guerre en 1941 (invasion allemande de l’URSS en juin, attaque japonaise de la base navale américaine à Pearl Harbor en décembre), l’intervention américaine et soviétique a été décisive pour remporter la victoire des Alliés contre les puissances de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon) en Europe et en Extrême - Orient. La France et le Royaume - Uni étant ruinés par la guerre, la Chine minée par la guerre civile entre nationalistes de Tchiang Kaï-chek et communistes de Mao Tsé-toung, seuls les Etats-Unis et, dans un moindre degré, l’URSS sortent renforcés de la guerre. Comme pour l’organisation mondiale future, dès les derniers mois de la guerre à Yalta (février 1945) et Potsdam (juillet 1945) Américains, Soviétiques et Britanniques se mettent d’accord sur les principes devant organiser l’occupation
par les Alliés des zones libérées des forces nazies en attendant que soient signés des traités de paix définitifs. En Extrême - Orient, l’URSS, entrée en guerre contre le Japon juste à la veille de sa capitulation devant les forces américaines, occupe la moitié de la Corée et plusieurs iles japonaises. En fait que ce soit en Europe ou en Extrême-Orient, il apparait clair dès 1945 que par la présence de leurs troupes dans ces régions, les vainqueurs se réservent des zones d’influence durables. D’où la division de fait de Europe entre un Est sous influence soviétique (Allemagne de l’Est, Berlin -Est, Europe de l’Est), et un Ouest sous influence occidentale (Allemagne de l’Ouest, Berlin-Ouest, Europe de l’Ouest), de même que de la Corée entre une Corée du nord dominée par les Russes, et une Corée du sud dominée par les Américains. Deux mondes opposés par leur philosophie politique et économique prennent ainsi place. Dès 1946 l’antagonisme Est/Ouest devient manifeste. Chaque camp cherchant à consolider sa zone d’influence, les désaccords et mésententes entre soviétiques et occidentaux se multiplient sur tous les sujets internationaux concernant l’immédiat après-guerre et approfondissent ainsi leur méfiance mutuelle. En 1947 les Etats-Unis allouent une aide économique exceptionnelle, sous le nom du plan Marshall, à l’Europe occidentale y compris la Turquie. En 1948 l’URSS achève sa mainmise sur les différents pays de l’Europe de l’Est en y imposant ses conceptions politiques et économiques. Aussi de la Baltique à l’Adriatique s’établit une chaîne de démocraties populaires sous contrôle soviétique. En Janvier 1949 est créé, en réplique au Plan Marshall américain, le Conseil d’Assistance Economique Mutuelle (CAEM) pour organiser les rapports économiques au sein du bloc socialiste. De 1947 à 1962 une série de crises gaves émaillent les rapports entre les deux camps dans différentes parties du monde : coup de Prague (1948), blocus de Berlin (1948), Guerre de Corée (1950-1951), crise des missiles à Cuba (1962), en même temps que se renforce le camp soviétique par la victoire des communistes en Chine (1949), guerre d’Indochine et partage du Vietnam en deux Etats distinct dont un Etat prochinois au nord (1954), révolution de Castro à Cuba (1959), etc. Face à ce que les Occidentaux perçoivent alors comme une menace communiste, les Etats-Unis mettent en place dès mars 1947 la politique de containment, une stratégie globale visant à endiguer le communisme et l’Union soviétique dans le monde. Sur le plan militaire, la guerre froide se caractérise par la constitution des alliances de défense, la course aux armements, et la dissuasion nucléaire. En avril 1949 les Occidentaux créent l’alliance atlantique (Organisation du Traité Nord-atlantique, ou OTAN), à laquelle réplique l’URSS par l’institution du Pacte de Varsovie en mai 1955. En dehors de l’Europe les Etats-Unis suscitent
la conclusion de pactes de sécurités régionaux au Proche-Orient (CENTO), en Asie du Sud-est (OTASE), et dans le Pacifique - sud (ANZUS). De 1945 à 1949 les Etats-Unis sont seuls détenteurs de l’arme atomique (les deux explosions sur Nagasaki et Hiroshima). En compensant ainsi la supériorité soviétique et du Pacte de Varsovie en armes conventionnelles ils entendent dissuader l’URSS de toute tentative d’agression contre leurs alliés en Europe. Mais en 1949 l’URSS fait exploser sa première bombe atomique, établissant ainsi ce qui va être appelé l’équilibre de la terreur, une dissuasion mutuelle par l’arme absolue. Dans le même temps s’enclenche une course aux armements conventionnels et non conventionnels (armes de destruction massive) pour qu’aucun adversaire n’acquière un avantage sur l’autre. C’est grâce à cet équilibre de la terreur que l’antagonisme Est-Ouest non seulement n’a pas conduit à un affrontement direct entre les deux supergrands, mais il a obligé ces derniers à trouver des terrains d’entente pour organiser leur compétition, notamment après la crise des missiles à Cuba de 1962. D’où la qualification de la guerre froide par R. Aron comme « paix impossible, guerre improbable ». Ainsi entendue elle déterminera l’ensemble des relations internationale (tensions, détente, coexistence pacifique, crises, guerres par procuration, polarisations politiques dans le Tiers-monde, compétition spatiale, scientifique, technologique, etc.) jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991. - L’émergence du Tiers-monde : Forgée par le démographe Alfred Sauvy en 1952, l’expression de Tiers-monde désigne l’ensemble des Etats issus des deux vagues de décolonisation ayant lieu, l’une entre 1945 et 1960 (Moyen-Orient, Maghreb, Asie du Sud et du Sud-Est), l’autre dans les années soixante (Maghreb, Afrique) (I. Sachs, La découverte du Tiers-monde, 1971). Le nombre total des Etats augmente ainsi fortement sur la scène internationale et modifie l’équilibre au sein de l’ONU et les autres institutions internationales que les nouveaux Etats s’empressent d’intégrer. Trois caractères communs réunissent ces nouveaux Etats justifiant leur appellation Tiers-monde (J. Soppelsa, Géopolitique de 1945 à nos jours, p. 209): • Leur volonté de se démarquer du conflit Est/Ouest, et de s’inscrire dans une trajectoire propre. • Etant pauvres ou sous-développés ils portent des intérêts généraux communs face aux pays nantis et leurs privilèges. • Ayant subi la domination, l’exploitation et l’humiliation ils veulent être quelque chose à l’avenir. Au plan politique, les pays du Tiers-monde tentent un premier rassemblement à Bandung (Indonésie) en avril 1955 avec la participation de la Chine. Mais pour
montrer leur autonomie par rapport aux deux blocs ils fondent en 1961à Belgrade (Yougoslavie) sans la Chine, le mouvement des Non-alignés basé sur trois critères : non appartenance à une alliance militaire, refus des bases militaires sur son territoire, et pratique d’une politique indépendante basée sur la coexistence pacifique. Le mouvement se réunit en conférence tous les trois ans pour exprimer ses doléances et prendre position sur toutes les questions mondiales ou d’intérêt commun. Au plan économique, le Tiers-monde met en exergue la différenciation Nord/Sud (le Nord développé, notamment les pays à économie de marché, contre le Sud sous-développé ou pauvre). Il provoque en 1964 la mise en place au sein des Nations Unies d’une Conférence sur le commerce et le développement (CNUCED) animée par le Groupe des 77 qui porte les revendications des pays en voie de développement (P.V.D). Dans les années 70 le Groupe des 77 fait adopter par l’Assemblée générale des Nations Unies une résolution appelant à l’instauration d’un Nouvel ordre économique international qui est demeurée lettre morte. Malgré ses efforts pour demeurer indépendant par rapport aux deux blocs, le mouvement des Non-alignés n’a pu échapper avec le temps à la polarisation est/ouest de ses membres (pays dits progressistes tel Cuba contre pays dits modérés tel le Maroc), particulièrement depuis la fin des années 70. L’apparition du Tiers-monde sur la scène internationale a eu un triple impact sur les relations internationales : • Elle a contribué à la transformation du droit international public classique en le purgeant des marques inégalitaires, discriminatoires et impérialistes de l’ère coloniale, et en l’enrichissant de questions nouvelles tel que le droit international développement notamment ; • Elle a introduit une dimension éthique nouvelle dans les relations internationales en posant les questions de justice et d’équité dans les relations économiques Nord/Sud et partant de l’obligation morale de l’aide au développement; • Elle a contribué au développement de l’action multilatérale des organisations internationales, spécialement l’ONU, en matière économique et sociale - Le relèvement de l’Europe, du Japon et de la Chine : Le monde bipolaire n’est pas figé, mais il évolue. Entre les deux supergrands la compétition se poursuit mais le feu nucléaire les contraint à modérer leur antagonisme et à coopérer pour contrôler soit la course aux armements (accords d’arms control, conventions de réduction des armements) ou la prolifération de l’arme nucléaire (Traité de non-prolifération, TNP), soit les crises qui puissent
surgir dans le monde (crises de guerre froide comme la crise des euromissiles de 1979, conflits régionaux tels que l’affaire de Suez ou les guerres israélo-arabes, guerre du Vietnam, etc. ). C’est donc dans ce contexte de conflit-coopération entre les superpuissances que les blocs s’assouplissent, voire se rapprochent (accords d’Helsinki, CSCE) et voient apparaitre en leur sein des velléités d’autonomie ou de puissance : France, Allemagne, Europe occidentale, Japon à l’Ouest, Yougoslavie, Roumanie, Albanie, Chine à l’Est. Mais les plus importants changements concernent la réémergence de l’Europe, du Japon et de la Chine. • L’Europe : aidée (plan Marshall) et protégée (OTAN) par les Etats-Unis, l’Europe occidentale se relève rapidement de ses ruines, se construit et en quelques décennies, des années 50 aux années 70 (les 30 glorieuses) elle devient la troisième puissance économique du monde après les Etats-Unis et le Japon. De six membres lors de la signature du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, elle passe à 12 à la fin des années 80, devenue entretemps. C’est ainsi qu’elle peut mener à partir des années 70 une politique autonome de coopération économique avec le bloc de l’Est, et les pays du sud, de soutien à l’ONU et aux institutions internationales, et imposer aux deux supergrands un rapprochement entre les deux blocs en Europe (Accords d’Helsinki de 1975, et institution de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, CSCE). • Le Japon : La guerre froide fait passer le Japon du statut de pays vaincu et occupé à celui de pays associé à l’effort américain de containment du communisme en Extrême-Orient. Protégé et soutenu par les Etats-Unis (traité de San Francisco de 1952), le Japon entreprend son redémarrage de son économie et de son industrialisation. Il se hisse dès les années soixante au rang de deuxième puissance économique mondiale, mettant sa diplomatie au service de la conquête des marchés. Il contribue grandement également à l’industrialisation des pays de son ancienne zone d’influence (sphère de coprospérité), appelés pour cela les Nouveaux pays industrialisés (NPI) ou les quatre Dragons : Taiwan, Corée du sud, Hong Kong, Singapour. Il tente un rapprochement avec la Chine • La Chine : Après la prise de pouvoir par les communistes en 1949, la Chine devient l’alliée de l’URSS, mais tente également de prendre la tète des pays du Tiers-monde à la conférence de Bandung (1955). A partir de 1956, après la mort de Staline et l’arrivée au pouvoir de Khrouchtchev, elle devenant très critique à l’égard de Moscou, elle rompt avec l’URSS en 1961dénonçant l’hégémonisme soviétique (social-impérialisme). La Chine rejoint ainsi le camp des ennemis de l’Union soviétique. Après une période d’isolement international due à la révolution culturelle (19661969), à son activisme révolutionnaire dans le Tiers-monde (maoïsme), et
à des affrontements avec les voisins (Inde, URSS) pour cause de contentieux frontaliers, la Chine communiste est finalement reconnue par les Etats-Unis en 1971- qui l’intègrent ainsi dans leur stratégie de containment et d’équilibre à l’égard de Moscou - ce qui lui permet d’entrer à l’ONU et de reprendre son siège permanent au Conseil de sécurité occupé jusque là par la Chine nationaliste de Taipeh (Taïwan). Mais le vrai tournant pour la Chine date de la mort de Mao en 1976 et la montée du nouvel homme fort Deng Xiaoping qui dirige de facto la Chine de 1978 à 1992. En 1978 ce dernier ouvre l’ère des réformes en lançant les quatre modernisations (agriculture, industrie, science et technologie, défense nationale) destinées à faire de la Chine une grande puissance économique à l’aube du XXIe siècle. Il introduit l’économie de marché tout en maintenant un Etat centralisé, développe les échanges commerciaux avec l’Occident, ouvre le marché chinois aux investissements étrangers, japonais et occidentaux notamment, et poursuit une diplomatie de détente avec les voisins de la Chine (URSS, Japon, Inde). Dans les années 80 il obtient de la Grande-Bretagne la restitution de Hong-Kong en 1997, et du Portugal celle de Macao en 1999. En deux décennies les côtes chinoises connaissent un essor économique sans précédent. Première puissance démographique du monde (1,400 milliard hab.), la Chine ambitionne de rattraper le Japon et le dépasser sur le plan économique et technologique vers la fin du siècle, et de retrouver ainsi la place qui lui revient sue la scène internationale en tant que puissance mondiale traitant d’égal à égal avec les autres grandes puissances, notamment les Etats-Unis.
b- Le monde globalisé (depuis 1991) En 1989 le monde entre dans une phase nouvelle avec l’effondrement du bloc socialiste, suivi de la disparition de l’URSS en 1991. Ainsi au monde bipolaire de l’après-guerre succède un monde unipolaire où seule une superpuissance reste sur la scène mondiale, les Etats-Unis. A la guerre froide, au conflit idéologique Est/Ouest, se substitue une politique internationale globalisée dans un système unifié diplomatiquement par la disparition des blocs, économiquement par le marché, et socialement par les nouvelles technologies de communication et d’information (NTIC). Des problèmes globaux se posent alors de plus en plus aux Etats, les rendant de plus en plus interdépendants. Dans ce contexte les traits caractéristiques principaux des relations internationales de l’après-guerre froide peuvent ainsi être résumés :
• Un rôle accru des Nations Unies, notamment du Conseil de sécurité devenu un véritable Directoire du monde quand la paix et la sécurité internationales sont en cause, d’autant qu’en ces matières ce dernier dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’interprétation. • L’unipolarité de l’hyperpuissance américaine qui lui donne la possibilité de s’affranchir des contraintes multilatérales, y compris celles des Nations Unies, et de privilégier l’action unilatérale quand elle estime que la défense de ses intérêts vitaux l’exige (modèle de la présidence de G. W. Bush, 2001-2009). • Confirmation de la montée fulgurante de la Chine qui devient depuis 2010 la 2e puissance économique mondiale, devançant ainsi le Japon qui occupait cette place depuis 1968. • La globalisation économique ou mondialisation. Poussée par le dynamisme du capitalisme qui ne peut fonctionner dans un seul pays, aidée par les nouvelles technologies de communication et d’information, et favorisée par la dislocation des blocs de la guerre froide, l’économie de marché développée dans les pays capitalistes se généralise et intègre les économies nationales dans une économie mondiale sur le plan commercial (échanges de biens et services), productif (investissements directs à l’étranger, mobilité des activités de production des beines et services ), et financier (mobilité des capitaux financiers ou de portefeuille). D’où un rôle accru des firmes et des instituions financières internationales. • Apparition de problèmes globaux (environnement, droits de l’homme, pauvreté, défaillance d’Etats, guerre civiles, terrorisme, épidémies, maladies, trafics illicites, crime organisé, piraterie, etc.) demandant une coopération ou collaboration accrue des Etats pour y faire face. Parallèlement se développe une société civile mondiale animée par les déférentes ONG, nationales ou internationales. • Enfin, fin du Tiers-monde comme catégorie analytique et morale, depuis qu’il n’est plus homogène et que des pays naguère en voie de développement se sont industrialisés ou comptent parmi les économies émergentes. Il est remplacé par d’autres notions telles que Sud, pays les moins avancés, etc.
Section 2 : Etude des relations internationales L’étude des relations internationales est ancienne, mais avant que la discipline des relations internationales ne soit elle-même née (1919), ces dernières étaient abordées ou étudiées sous divers aspects : historiques, philosophiques, juridiques, économiques, etc. En témoigne, par exemple, un ouvrage collectif paru en 1916 intitulé An introduction to the study of international relations où
sont présentées diverses contributions portant sur différentes facettes des relations internationale mais sans effort d’intégration du tout dans un ensemble cohérent. Ce n’est qu’au lendemain de la première guerre mondiale, avec la naissance d’une discipline nouvelle, spécifiquement dédiée aux relations internationales en tant que telles, que la recherche d’un objet propre et unifié pour la nouvelle discipline est entamée. Or, même après 95 ans d’existence, la question d’un objet spécifique aux Relations internationales demeure sujette à controverse. Dans cette section, nous verrons d’abord les différentes approches principales dont les relations internationales ont toujours fait l’objet pour montrer leurs liens étroits avec la nouvelle discipline. Nous aborderons, dans un second temps, la nouvelle discipline et les différentes problématiques qu’elle soulève en tant que domaine d’études autonome. 1- Approches des relations internationales Plusieurs disciplines concourent à l’étude des relations internationales, chacune d’elles les abordant sous un angle différent. Cinq approches peuvent ainsi être distinguées : historique, philosophique, juridique, économique, et sociologique. A- Approche historique C’est l’une des approches les plus anciennes des relations internationales, sinon la plus ancienne. C’est pourquoi l’histoire des relations internationales est parmi les disciplines les plus établies des sciences humaines. Ses premières règles remontent aux œuvres d’Hérodote (Histoires, 5e siècle av. J-C), Thucydide (Histoire de la guerre du Péloponnèse, 431-411 av. J-C), et Polybe (Histoires, 3e-2 siècle av. J-C). Connaître le passé c’est l’objet de l’histoire. En relations internationales, le passé peut être celui d’un événement ou d’une série d’évènements (guerre, chute d’un empire ou d’une grande puissance, crise économique, guerres de Napoléons, processus de paix au Proche-Orient, etc.), d’une période (entre-lesdeux guerres, guerre froide, protectorat français au Maroc, etc.), d’une époque (Antiquité, Moyen-âge, Age moderne, Renaissance, époque des Royaumes combattants en Chine, Dynastie abbasside, etc.), d’une région (Maghreb, Méditerranée, Asie du Sud-est, etc.), d’un continent (Europe, Afrique, etc.), du monde (histoire universelle), d’une entité (civilisation, empire, Etat, système international, organisation, institution, etc.), ou d’une personnalité historique (action d’un empereur, monarque, calife, sultan, chef d’Etat ou homme politique, etc.). Il s’agit dans tous ces cas de décrire, raconter, narrer des faits ayant eu lieu dans le passé, en un lieu donné, en les inscrivant dans leurs successions
chronologiques : par exemple, le déroulement des faits qui ont conduit à la guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS. Le travail de l’historien consiste donc à reconstituer les faits du passé en respectant leur chronologie, leur déroulement dans le temps. Les faits et leurs dates ne peuvent être ni créés de toutes pièces, ni imaginés, ni attribués à des forces autres que matérielles ou humaines. Pour l’historien (moderne), la mythologie ou l’intervention divine n’entrent pas en ligne de compte pour reconstituer l’histoire, et expliquer rationnellement les événements. Les croyances, les récits merveilleux (Poèmes d’Homère), ou les Livres saints sont ici considérés comme des faits culturels ou religieux qui peuvent entrer dans l’explication historique d’un événement (victoire des Musulmans à la bataille de Badr en 624) ou d’une époque (Antiquité, Moyen- âge européens) non en tant que sources d’informations historiques (récits bibliques ou coraniques), mais en tant que facteurs façonnant les mentalités collectives et les comportements des acteurs : L’historien moderne n’expliquerait pas par exemple la victoire des Musulmans à Badr par le secours apporté par Dieu en envoyant ses anges aider les Croyants moins nombreux contre les Associationnistes plus nombreux (Coran, 123-124/III), car ce n’est ni rationnel, ni un fait humain pouvant être vérifié, mais il considérerait, au mieux, la croyance de la partie musulmane en l’aide divine comme un des facteurs moraux (foi, esprit de sacrifice, vigueur, courage) ayant concouru certainement à l’issue de la bataille. Les faits doivent donc être vrais ou véridiques, ayant eu lieu effectivement. Ils doivent être puisés dans des sources vérifiables, susceptibles d’être soumises à la critique rationnelle et historique : vestiges archéologiques, archives diplomatiques, récits historiques, mémoires, presse..). Par rapport à la discipline des Relations internationales, Les apports fondamentaux de l’approche historique peuvent ainsi être résumés: • Mettre de l’ordre dans la confusion des faits historiques (dates, périodes, chronologies..) ; • Etablir la vérité historique (origines de la guerre froide) ; • Expliquer le passé (causes de la crise des missiles à Cuba en 1962) ; • rendre compte du déroulement et de la transformation des relations internationales (évolution du système bipolaire, passage du système bipolaire au système de l’après-guerre froide) ; • Sauvegarder la mémoire historique (dont on peut, entre autres, tirer des leçons pour le présent, des exemples pour étayer des propositions générales, ou à laquelle ou peut retourner pour comprendre des problèmes du présent); Mais les Relations internationales ne se réduisent pas à l’histoire
B- L’approche philosophique Contrairement à l’approche historique, l’approche philosophique des relations internationales est restée pendant longtemps très peu significative même si elle connait aujourd’hui un regain d’intérêt très important. Si l’on se limite à la philosophie politique occidentale depuis l’Antiquité (alors que cela est encore plus valable pour la pensée politique musulmane par exemple), les grands philosophes n’ont accordé que peu d’importance aux relations internationales dans leur spéculation sur la politique. Préoccupés en priorité par l’essence de la politique, par les fondements de la cité, de l’Etat, ou de l’autorité politique, de l’harmonie interne, et par la recherche du meilleur régime politique, ou de la cité idéale, ils considéraient les relations entre les citées comme un objet de réflexion mineur ou secondaire, soit qu’ils les prenaient pour un simple sous-produit de la cité (dépendant de la qualité du régime politique interne, ou de l’orientation autarcique ou non de la cité), soit qu’ils les jugeaient moins aptes à une évolution significative audelà de l’alternance monotone de la paix et de la guerre. Mais malgré cela un certain regard philosophique sur les relations internationales est perceptible d’abord chez les penseurs politiques antiques, qu’il s’agisse de Thucydide, Zénon, Cicéron, Xénophon, Isocrate, Platon ou Aristote. Il s’affirme ensuite avec les théologiens et du christianisme médiéval tels que St Augustin et St Thomas d’Aquin, avant de se développer avec les penseurs modernes de Machiavel à Marx en passant par Grotius, Hobbes, Locke, Rousseau, Kant, et Hegel pour ne citer que ceux-là. A partir des années 80 et 90 l’approche philosophique des relations internationales connaît un essor sans précédent dû notamment à la crise que vit la discipline des relations internationales depuis l’effondrement du bloc soviétique et la disparition de l’URSS. Le regard philosophique sur les relations internationales se distingue d’abord par le fait qu’il s’interroge sur l’essence (nature immuable, principe) des choses (nature humaine, nature de la société, nature de la société internationale), sur leurs finalités, et leur sens (finalités du politique, sens de l’histoire). Il se distingue ensuite par le fait qu’il porte des jugements de valeur (en termes de bien et de mal, de juste et d’injuste) sur ce qui est (réalité internationale existante) par rapport à ce qui devrait être (l’ordre idéal). Aussi la philosophie des relations internationales depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours s’articule-t-elle autour de quelques thèmes tels que : Nature humaine, primat de la cité ou du genre humain, sens de l’alternance de la paix et de la guerre, guerre juste et injuste, unité du genre humain, droit naturel, état de
nature/anarchie, sens de l’Histoire (philosophie de l’histoire), paix perpétuelle, justice internationale. Outre ces thèmes qui sous-tendent toujours la discipline des relations internationales et divisent les théoriciens, un autre thème de nature philosophique (épistémologie) marque les débats actuels en relations internationales, il s’agit de la nature de la connaissance produite par la discipline : est-elle scientifique? Est-elle adaptée à la nature de son objet? Une connaissance scientifique des relations internationales est-elle possible ? C- L’approche juridique A côté de l’approche historique, c’est l’approche qui a le plus dominé dans l’étude des relations internationales, notamment depuis la formation du droit international moderne. Il s’agit d’une approche qui s’attache à étudier les principes, normes, règles, institutions et procédures qui, de façon coutumière ou formelle, naissent dans le milieu international pour régir et organiser les rapports entre agents appartenant à ce milieu. L’étude de la dimension juridique ou normative des relations internationales consiste donc à mettre au jour les obligations juridiques qui s’établissent et se développent entre les agents internationaux, autrement dit les engagements mutuels en vue d’agir d’une certaine manière les uns envers les autres, selon le principe de Pacta sunt servanda (principe du respect de la parole donnée, principe de la bonne foi), sous peine de sanctions. L’approche juridique des relations internationales est principalement l’œuvre des jurisconsultes ou des juristes. En islam Al-Shaibani (749/750-805) est généralement considéré comme le père du droit international musulman avec son traité al-Syar. De même que Grotius, en Occident, tenu pour le fondateur du droit international public moderne avec son traité De jure Belli ac Pacis (1625). Cette approche est aujourd’hui fondamentale en raison de la place grandissante qu’occupe désormais le droit dans la vie internationale. Non seulement il y a maintenant, même encore imparfait, un ordre juridique international, postulant l’existence d’une société ou communauté internationale fondée sur des principes de coexistence ou de solidarité, mais les Etats se déclarent et se veulent tous légalistes, et se soucient du droit dans la gestion quotidienne de leurs affaires extérieures (De Lacharrière, La politique juridique extérieure, 1987). Aussi le droit international en tant que donnée de la réalité internationale ne saurait être ignoré par la discipline des RI. D- L’approche économique L’étude économique des relations internationales est, par rapport aux approches examinées plus haut, relativement récente. Elle date du 18e siècle, avec les débuts du capitalisme industriel. L’œuvre pionnière à cet égard demeure La
richesse des Nations du philosophe et économiste anglais Adam Smith (17231790). Branche de la science économique, l’étude des relations économiques internationales est une des approches les plus développées en relations internationales. Cependant depuis 1970 cette approche se présente sous deux formes différentes sinon opposées, l’économie internationale, et l’économie politique internationale. La première, se voulant plus scientifique, étudie les problèmes des échanges commerciaux, financiers et monétaires internationaux en faisant abstraction de l’Etat et du politique, en ne retenant que la logique des marchés (ménages et entreprises) qui s’enchevêtrent (commercial, productif, monétaire) en milieu international. Alors que la seconde, en revanche, se considérant plus proche des réalités économiques internationales, étudie les mêmes phénomènes mais en les réinsérant dans un espace international tel qu’il est structuré par les Etats et leurs rapports politiques. Par exemple, le commerce extérieur : L’économie internationale tend à l’expliquer par une théorie pure (hypothético-déductive) de l’échange international, la théorie des avantages comparatifs (tendance des pays à exporter les produits pour lesquels ils ont un avantage comparatif en termes de facteurs de production, et importer les produits pour lesquels cet avantage comparatif leur fait défaut). L’économie politique internationale, elle, pose le problème du commerce extérieur différemment, en termes de choix de la protection ou de l’ouverture et cherche à l’expliquer non par la seule loi du marché, mais par des facteurs autant économiques que politiques, autant internes qu’externes : pression des groupes d’intérêts, contraintes institutionnelles, politiques internationales, etc. (cf. les multiples accords de libre-échange signés par le Maroc). C’est pour cette raison que la seconde approche – l’approche politique de l’économie internationale – tend à se rattacher plus à la discipline des Relations internationales relevant de la science politique qu’à celle des Relations économiques internationales relevant plutôt de la science économique. E- L’approche sociologique L’approche sociologique s’est imposée avec l’apparition des Relations internationales comme discipline au lendemain de la première guerre mondiale. Sociologie, terme inventé par le philosophe français August Comte (1798-1857) au 19e siècle, veut dire science de la société, connaissance objective, (par la réflexion, l’observation et l’expérimentation), des faits sociaux dans leur globalité (relations, processus, structures), et dans leurs interactions mutuelles, sans les réduire à un domaine particulier (économie, politique, religion, morale, droit, esthétique, etc.). Etudier la société comme totalité, et les faits sociaux
comme des choses positives en les séparant de nos jugements de valeur, tel est l’objet de la sociologie (A. Comte, Cours de philosophie positive, 1830-1842). Pour les relations internationales, la perception de plus en plus du milieu international comme formant une société (régularité, interdépendances, institutions, normes), mais toujours menacée par la guerre (première guerre mondiale), et la volonté de dépasser les études sectorielles et d’échapper à la domination des historiens et des juristes dans l’étude des relations internationales, ont d’emblé orienté la nouvelle discipline vers l’approche sociologique. Il s’agit, comme pour la société interne, de traiter les phénomènes internationaux comme des faits sociaux, de les appréhender dans leur totalité, et d’y rechercher les déterminants et les régularités qui, telles des « lois » objectives, affectent le comportement des acteurs sur la scène internationale (G. Devin, Sociologie des relations internationales, 2002, p. 3). C’est ce que M. Merle appelle une approche globale, ne privilégiant aucun aspect spécifique des relations internationales a priori, et systématique, recherchant les lois permanentes (naturelles, nécessaires ou objectives), et évolutives (juridiques ou morales) qui régissent les relations internationales (M. Merle, Sociologie des relations internationales, 1974, p. 9). Telles sont les principales approches des relations internationales. Reste à savoir à présent en quoi l’étude dite sociologique des relations internationales peut prétendre constituer une discipline globale et autonome appelée Relations internationales ? 2- Discipline des Relations internationales Trois traits caractérisent la discipline des Relations internationales : elles est récente et évolutive ; elle est controversée ; elles est divisée. A- Discipline jeune et évolutive Née d’un souhait exprimé lors de la Conférence de la Paix à Paris en 1919, la nouvelle discipline voit le jour en Grande-Bretagne avec la création de la première chaire de Politique internationale à l’Université de Wales à Aberystwyth. Entre 1919 et 1933, institutions et universités dédiées à l’étude des relations internationales vont se multiplier en Grande-Bretagne même, aux Etats-Unis, en Australie et en Suisse. Une discipline universitaire se définit par un objet spécifique, par des institutions d’enseignement et de recherches, et par des traditions de pensée. De 1919 aux années 50 du 20e siècle, la nouvelle discipline prend deux caractéristiques : une domination anglo-américaine, et un partage entre deux écoles, l’Américaine et l’Anglaise, et entre trois traditions de pensée, la réaliste, l’idéaliste, et la réaliste - libérale. Mais jusqu’aux années 70, une certaine unité caractérise la discipline avec la double hégémonie de l’école américaine, et du réalisme.
A partir des années 70, la discipline rentre dans une phase de divisions et de controverses mais aussi d’enrichissement. L’hégémonie américaine est remise en cause avec l’affirmation de l’Ecole anglaise, et l’apparition d’autres écoles en dehors du monde anglo-saxon, en Europe continentale, en Amérique-Latine et plus tard en Asie; la domination réaliste se voit contestée par la résurgence du courant libéral, et la montée de pensée marxiste et tiers-mondiste. La division de la discipline va s’accentuer encore plus à partir des années 90, après la chute de l’URSS, le reflux du marxisme et du tiers-mondisme, et la montée des courants critiques, post-positivistes, postmodernistes, féministes, et le courant postcolonial. Nous nous limiterons ici à deux points essentiels pour la suite du cours : l’objet des Relations internationales et les principaux courants en Relations internationales. B- Discipline controversée : quel objet ? Dès les deux premières décennies de son existence , voulant être autonome et globale selon la formule de Merle, la discipline des Relations internationales s’est posé trois questions cruciales qui ont fait, font encore, l’objet de longues controverses : - Quel est son but ? A quoi vise-t-elle ? (Pourquoi les Relations internationales ?) - Quel est son objet d’étude ? Quelle est sa problématique centrale ? (Sur quoi les Relations internationales ?) - Quelle est sa méthode ? (Comment les Relations internationales ?) La troisième question, bien qu’importante, n’est pas originale car on la retrouve dans les autres sciences sociales (méthodes des sciences sociales). En revanche, la première, et surtout la seconde suscitent encore divisions et controverses. La question du but, s’est posée dès 1919 et les réponses ont été influencées par le contexte historique de l’entre-deux-guerres marqué par l’idéalisme wilsonien, la création puis l’échec de la SDN et l’effondrement de l’ordre de l’après-guerre. Aussi dans un premier temps, les idéalistes partisans de Wilson et de la SDN dominent et assignent comme but à la nouvelle discipline de contribuer à changer la politique internationale existante, vue comme responsable de la catastrophe de la première guerre mondiale. Mais face aux déboires de la SDN et aux dures réalités de la politique internationale monte un courant opposé dit réaliste, dont E.H. Carr fut un des premiers porte-voix (E. H. Carr, The Twenty Years’ Crisis, 1919-1939), qui affirme que la discipline doit au contraire considérer la politique internationale telle qu’elle est et se contenter de l’expliquer. C’est le cœur du débat entre idéalistes et réalistes qui dure jusqu’à nos jours.
La question de l’objet est encore plus complexe à cause des multiples dimensions des relations internationales. Un auteur de l’intérieur même de la discipline comme Ph. M. Defarges nie encore que les Relations internationales soient une science mais une discipline carrefour associant plusieurs autres disciplines (Ph. M. Defarges, Relations internationales, 1993, p.50). Un autre élément ajoute également à la complexité de la détermination de l’objet de la discipline : la diversité des acteurs et donc des types de relations à étudier. Est-il significatif que soient étudiées toutes les relations internationales, quels qu’en soient les acteurs ? Ou est-il plus significatif de choisir un type de relations jugé plus pertinent pour assurer à la fois cohérence et une meilleure intelligibilité de l’objet ? Là aussi la réponse est partagée entre ceux qui privilégient les relations interétatiques, principalement les réalistes, et ceux qui préfèrent les relations transnationales, généralement les libéraux (individu comme unité de référence), et les marxistes (classe sociale comme unité de référence. Enfin, troisième élément de complexité, l’approche sociologique elle-même qui n’est pas homogène, et impose donc de choisir l’instance pertinente de la société internationale pour déterminer l’objet et définir la problématique de la discipline: Le politique ? Le social ? Ou l’économique ? Là un consensus semble s’être formé dès le départ, et par la suite au niveau de l’Unesco (1950), sur le rattachement des Relations internationales à la science politique, et donc sur le choix du politique comme l’instance pertinente pour concevoir l’objet des Relations internationales comme discipline autonome parmi les disciplines relevant du champ d’investigation de la science politique. Que veut dire alors le politique ici comme instance pertinente définissant l’objet des Relations internationales ? Jean Leca (Traité de science politique, 1985, p.150) définit le politique à partir d’une problématique fondamentale composée de quatre éléments structurels : une communauté organisée (unité agrégative) ; des processus de conflit et de coopération pour le contrôle des ressources rares ; une structure d’autorité (pouvoir de direction de l’unité); des mécanismes de contrôle des comportements et de gestion des processus de conflit et de coopération. Ces éléments renvoient donc à la question politique telle que se pose dans le cadre naturel qui est le sien, à savoir la communauté politique interne. Mais la même problématique se retrouve au plan international mais en des termes plus aigus dans la mesure où la société internationale ne comporte pas d’autorité centrale de direction, mais des relations de puissance entre communautés politiques autonomes. Par conséquent l’objet des Relations internationales comme problématique peut être formulée comme étant l’étude des processus de conflit et de coopération pour le contrôle des ressources rares, des rapports de pouvoir que ces processus impliquent, et des mécanismes de
régulation, de contrôle, et d’arrangement de ces mêmes processus. En résumé, la problématique politique internationale, comme celle interne, implique autant la question des luttes et rapports de pouvoir entre les acteurs internationaux (problématique de la compétition pacifique), que celle de la direction, du contrôle et de la gestion des affaires du monde (problématique de l’ordre international) C- Discipline divisée : Des théories nombreuses et concurrentes A l’heure actuelle on peut dénombrer pas moins de neufs grands courants théoriques se disputant la discipline des Relations internationales (A. Macleod et D. O’Meara, Théories des relations internationales, 2007). En fait seulement quelques théories dominent. Elles sont toutes issues du monde occidental, et des Etats-Unis en particulier. Elles reflètent en quelque sorte l’évolution des relations internationales et l’état de la puissance dans le monde. La désuétude de la théorie islamique classique de dar al-Harb et dar al-Islam marque la fin de l’ordre international musulman avec la colonisation, puis son remplacement par l’ordre des Etats-Nations. Le reflux du marxisme est la conséquence directe de la disparition de l’URSS. La théorie de la dépendance, issue de l’AmériqueLatine dans les années soixante-dix en parallèle avec l’affirmation alors du Tiers-monde sur la scène internationale, est aujourd’hui abandonnée, ce dernier ne constituant plus une catégorie analytique pertinente. Mais à l’inverse, dans la Chine actuelle, où l’étude des relations internationales connait un essor sans précédent, une tentative de repenser le monde est à l’œuvre en conformité avec le nouveau statut de puissance mondiale de l’empire du milieu. Les théories des relations internationales n’ont rien avoir avec les théories mathématiques ou physiques. Elles sont des constructions intellectuelles visant à expliquer ou interpréter le monde complexe que nous vivons. Elles ne sont pas cependant de simples spéculations philosophiques, mais des ensembles cohérents et rationnels de propositions fondamentales d’où il est possible de tirer des conséquences vérifiables. Mais comme toute théorie, elles peuvent être adossées explicitement ou implicitement à des philosophies d’où elles tirent leur postulats de base d’ordre ontologique (la réalité), épistémologique (la connaissance) ou éthique (jugements de valeurs). Une théorie vivante et efficace c’est celle qui donne lieu à des programmes de recherches, ou à laquelle on recourt le plus, consciemment ou inconsciemment, pour interpréter les événements internationaux. Elle peut avoir des implications pratiques, en influençant par exemple, de façon implicite ou explicite, les politiques étrangères des Etats. On se limitera ici à quatre théories ou cadres théoriques qui nous semblent aujourd’hui les plus importants, dont le marxisme qui reste malgré tout un cadre théorique incontournable pour comprendre le fonctionnement du capitalisme
mondial. On se contentera de présenter les éléments de base de chacune d’entre elles. a- Le marxisme et la théorie de l’impérialisme Les fondements du marxisme reviennent à Marx et Engels, la théorie marxiste de l’impérialisme revient à Lénine (Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916). L’analyse de l’histoire des sociétés en termes de mode de production et de luttes des classes conduit Marx et Engels à axer leur attention sur le fonctionnement du capitalisme dans les sociétés industrielles et les luttes de classes auxquelles il donne lieu au-delà des frontières étatiques qu’ils qualifient d’artifices créés par la classe bourgeoise capitaliste (détentrice des moyens de production) pour diviser et mieux exploiter la classe ouvrière ou le prolétariat. D’où leur appel qui achève leur livre commun Le Manifeste communiste publié dans le contexte révolutionnaire de 1848 en Europe : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ». Mais la guerre franco-allemande de 1870 et la première guerre mondiale montrent la fragilité de la solidarité prolétarienne et la force du nationalisme, ce qui pousse Lénine (père de la révolution bolchevique de 1917 en Russie) à rédiger le texte fondateur de la théorie marxiste de l’impérialisme en 1916. Voulant refonder la solidarité prolétarienne et sauver le socialisme du virus nationaliste Lénine, se basant sur les travaux d’un non marxiste, Hobson (Imperialism - A Study, 1902) et de Hilferding (le capital financier, 1910), élabore une théorie qui établit un lien de cause à effet entre le capitalisme d’un coté, le colonialisme et la première guerre mondiale de l’autre. En effet, l’évolution du capitalisme compétitif vers un capitalisme monopolistique (création de monopoles) à la faveur de la loi de la concentration du capital, et la fusion du capital bancaire et du capital industriel donnant lieu au capitalisme financier rendent la concurrence encore plus féroce entre les cartels capitalistes à la recherche des marchés d’exportation de capitaux et de produits industriels dans les régions encore peu développées selon la loi du développement inégal et la logique de l’accumulation du capital. Les rivalités entre puissances capitalistes s’en trouvent ainsi accentuées pour l’acquisition des colonies et le partage territorial du globe. D’où la course aux armements et finalement la guerre. Ainsi le triptyque capitalisme (monopolistique), impérialisme, guerre, se trouve corrélé et expliqué fournissant aux marxistes une grille d’analyse de base de la politique internationale qu’ils affineront fur et à mesure qu’évoluent les réalités internationales : fin de l’impérialisme colonial, apparition du Tiers-monde, rôle des Etats-Unis comme nouveau centre du capitalisme mondial, rôle des multinationales et des institutions financières internationales dans le fonctionnement de ce dernier, apparition de nouveaux pays industrialisés dans le Tiers-monde, schisme sino-soviétique, socialisme de marché de la Chine post-
maoïste, effondrement de l’URSS et la mondialisation. Aujourd’hui, après la phase tiers-mondiste et la théorie de la dépendance (expliquant le sousdéveloppement et les relations inégalitaires entre le centre capitaliste et ses périphéries du tiers-monde) ((P. Baran et P. Sweezy, G. Frank, S. Amin , Dos Santos), l’approche marxiste des relations internationales est surtout représentée par la théorie du système-monde du sociologue américain I. Wallerstein où tous les événements mondiaux du 16e siècle à nos jours sont expliqués par la formation et les besoins fonctionnels de l’autoreproduction de l’économiemonde capitaliste, cœur du système-monde actuel (I. Wallerstein, Comprendre le monde : Introduction à l’analyse des systèmes-mondes, 2006 ) b- Le réalisme ou théorie de l’anarchie internationale Obsédés par la sécurité et l’ordre, les réalistes - H. Morgenthau, R. Aron, H. Kissinger et K. Waltz, leurs principales figures de proue - se demandent pour quoi les Etats se font la guerre, et ce qui peut garantir la paix ? Ne croyant pas à la paix perpétuelle ils se tournent d’un côté, vers l’histoire (européenne essentiellement), et de l’autre, vers les penseurs et philosophes politiques pour y chercher des éléments pouvant les aider à construire leur théorie. De la première ils tirent le caractère tragique de l’histoire, leur pessimisme quant à une transformation significative des relations internationales, et le rôle central qu’y jouent les grandes puissances. Des seconds, notamment Thucydide, Machiavel, Hobbes, Hume et Rousseau, ils déduisent les notions clés qui fondent le pouvoir explicatif de leur théorie : la nature humaine, l’état de nature (à laquelle ils assimilent l’anarchie internationale), et la puissance. La nature humaine est l’élément immuable qui explique le pourquoi de la société, de l’Etat et de la politique : animal social, mais cupide, égoïste et avide de pouvoir, l’homme, poussé par son instinct d’auto-conservation et éclairé par sa raison, passe contrat avec ses semblables et s’organise dans un Etat. Ainsi il sort de l’état de nature où il était initialement, et dans lequel il ne pouvait compter que sur lui-même (loi du plus fort) pour assurer sa survie sans cesse menacée par les autres mus par les mêmes désirs que lui (autonomie, sécurité, pouvoir). Dans l’état civil (Hobbes), l’homme troque sa liberté de l’état de nature, contre la sécurité et l’ordre, et la possibilité de réaliser non seulement ses désirs sans crainte pour sa vie, mais de conduire une vie plus noble : morale, familiale, artistique, productive, etc. Organisé et rassuré dans l’Etat, l’homme retrouve cependant l’insécurité entre les Etats. L’anarchie qui règne entre ces derniers reproduit les mêmes caractéristiques que celles de l’état de nature des individus avant leur entrée dans l’état civil, c’est-à-dire, selon la formule de Hobbes, un état de guerre de tous contre tous. Ainsi, ne comptant que sur lui-même (et ses alliés) pour assurer sa survie et sa sécurité sur la scène internationale, l’Etat n’a d’autre choix que de chercher le maximum de sécurité en essayant d’avoir le maximum de pouvoir
(sur les autres ou à l’égard des autres), autrement dit la puissance. La puissance devient de ce fait le premier intérêt de l’Etat dans la vie internationale, et la politique internationale, une politique de puissance. Dans l’état de nature comme celui qui règne ainsi entre les Etats, ni le droit, ni la morale (éléments fragiles et incertains) ne peuvent se substituer à la puissance. Aussi, quand les intérêts vitaux (indépendance, intégrité territoriale, honneur national, sécurité des institutions politiques, économique et culturelles) sont menacés, la guerre devient un risque majeur. Mais des moments de paix plus ou moins durables peuvent se réaliser si s’établit entre les Etats soit une hégémonie (Pax Romana), soit un équilibre (directement ou sous forme d’alliances), bipolaire (Sparte -Athènes, Etats-Unis - URSS), ou multipolaire (équilibre européen 17e -18e siècles, puis entre 1815 et 1914). c- Le libéralisme ou théorie de l’interdépendance Marqué par l’idéalisme wilsonien de l’entre-deux guerres, ne partageant pas le pessimisme des réalistes et croyant à la possibilité d’un dépassement de la politique de puissance par une organisation appropriée de l’anarchie internationale, les libéraux combinent eux aussi deux sortes d’arguments pour fonder leur interprétation des relations internationales : des arguments philosophiques défendant une conception différente de la nature humaine et de l’état de nature, comme chez Grotius, Locke et Kant, et des arguments empiriques tirés de la réalité internationale concrète. Pour les libéraux la vision hobbesienne de la nature humaine et de l’état de nature est partielle et partiale visant à justifier l’ordre et le pouvoir absolu au détriment de la liberté. Or il n’y a pas que les penchants négatifs chez l’homme à l’état de nature. Il a aussi des penchants positifs, notamment le besoin de vie sociale qui suppose bienveillance et assistance mutuelles et qui, combiné avec celui de l’autopréservation, pousse l’homme à rechercher d’autres moyens que la force pour vivre en paix avec ses semblables et jouir de ses droits naturels, vie, liberté, propriété. Aussi, loin d’être un état de guerre en permanence, l’état de nature est plutôt une succession de périodes de guerre et de périodes de paix due au recours parfois injuste et soudain à la violence. Seule cette éventualité qui rendait fragile la vie sociale à l’état de nature, poussa l’homme de par son intelligence à passer un contrat social avec ses semblables et rentrer dans l’état civil en s’organisant et en se soumettant à un pouvoir central ayant seul le droit d’user de la violence, sans aliéner pour autant ses doits naturels, notamment la liberté et la propriété. Ainsi, pour les libéraux, si l’état civil et meilleur que l’état de nature, celui-ci n’est pas pour autant synonyme d’état de guerre ou d’absence de règles. Il en est de même de l’anarchie internationale où des règles peuvent exister et réguler la conduite des Etats même lorsqu’ils recourent à la force. Et ce pour les
mêmes raisons qu’entre les individus à l’état de nature. Ce sont les règles du droit naturel qui ont pour raison d’être la protection et la satisfaction des droits et intérêts des individus qui les composent, et qui transcendent la séparation des peuples en Etats indépendants. Ce sont les règles qui s’adressent au genre humain en tant que tel. Outre ces arguments philosophiques en faveur de l’ordre et la coopération en dépit de l’anarchie, les libéraux de l’entre-deux guerre à aujourd’hui recourent plus encore aux arguments tirés de l’évolution des relations internationales qui ne cessent de s’éloigner du schéma interétatique traditionnel depuis la révolution industrielle. Il s’agit de trois évolutions principales : l’accroissement des interdépendances, l’intensification des relations transnationales, et la multiplication des acteurs non étatiques sur la scène internationale. Non seulement ces évolutions expliquent l’acceptation, forcée ou voulue, par les Etats des contraintes limitant leur souveraineté et les obligeant à collaborer, mais elles leur imposent de rompre résolument avec la politique de puissance des siècles passés et de la remplacer par une politique de responsabilité en dotant le milieu international de mécanismes appropriés, juridiques et institutionnels, pour résoudre les conflits, faciliter les échanges, et assurer la sécurité collective.
d- L’École anglaise ou la théorie de la société internationale École anglaise, c’est le terme donné dans les années 80 à un courant de Relations internationales basé en Angleterre, mais qui ne peut être classé ni tout à fait libéral ni tout à fait réaliste. Ses principaux représentants sont M. Wight, H. Butterfield, A. Watson, H. Bull et B. Buzan. Son principal apport réside dans le concept de société internationale développé par H. Bull notamment dan son ouvrage The Anarchical society : A study of order in world politics, 1977. Partant d’une interprétation de l’anarchie à la manière de Locke, mais centrant son étude sur les Etats à l’instar des réalistes, l’École anglaise cherche à mettre au jour les éléments d’ordre dans la politique internationale en menant une enquête à la fois historique, juridique sociologique sur les ordres internationaux qui se sont développés depuis le 15e siècle en Europe avant de se répandre dans le reste du monde (H. Bull /A. Watson, The expansion of international society, 1984). Ainsi Bull distingue deux étapes dans l’évolution internationale affectant l’état de l’anarchie interétatique. La première étape est désignée par le concept de système international, la seconde par le concept de société internationale. Dans un premier temps, à la fin de l’époque féodale, les nations européennes constituent un système international, c’est-à-dire un ensemble d’Etats où le
comportement (décision, action) de chacun d’entre eux est pris en compte dans le calcul commandant le comportement de tous les autres. C’est cette interaction de type diplomatico-stratégique (paix et guerre) qui explique l’extension des guerres inter-européennes jusqu’à devenir mondiales fur et à mesure que s’étend le système. C’est dans ce sens aussi que les relations Est-Ouest à l’époque de la guerre froide constituèrent un système, ou les cinq pays du Maghreb actuel. Dans un second temps, peu à peu vers la fin du 19e siècle, les nations européennes évoluent vers une société internationale, étape en progrès par apport à la première. Selon Bull, une société internationale est une construction consciente qui suppose deux choses : une conscience d’avoir certains intérêts et certaines valeurs en commun ; mise en place d’un ensemble de règles et institutions communes destinées à réguler leurs relations réciproques. Une sorte de contrat social (à la manière de Locke) adapté au milieu international et remplissant au moins trois fonctions : limitation du recours à la force, respect de la parole donnée, et réciprocité des intérêts. Ainsi, les « conventions de la guerre froide » selon l’expression de R. Aron, ou le traité de l’UMA de 1989 entre les cinq pays du Maghreb. Deux remarques cependant : La première est que dans la société internationale, la logique et les mécanismes du système international (grandes puissances, équilibre, recours à la force) ne disparaissent pas, mais ils sont toujours là. D’où une certaine tension entre les deux qui peut aller jusqu’à menacer la société internationale d’effondrement (première et seconde guerres mondiales, tensions et crises de la guerre froide, gel de l’UMA). La seconde remarque est que la société internationale peut encore évoluer passant d’une société pluraliste où dominent les Etats, à une société solidariste où les valeurs, règles et institutions communes ne se limitent plus aux seuls Etats mais s’étendent aux individus et groupes indépendamment des frontières nationales (cosmopolitisme à la manière de Kant). Les droits de l’homme dans la politique mondiale actuelle, et l’Union européenne peuvent être considérés de nos jours comme des traductions du modèle d’évolution internationale à la kantienne. e- Le constructivisme C’est un courant théorique qui a commencé à se développer en Relations internationales à partir des années 80. Bien que diversifié, l’une de ses figures de proue demeure l’américain A. Wendt (Social theory of International Politics, 1999). En fait il s’agit, selon Wendt lui-même, d’une version plus forte du libéralisme, à partir d’une réinterprétation originale de l’anarchie interétatique. Les courants libéraux jusqu’ici, ainsi que l’Ecole anglaise, considèrent l’anarchie interétatique, à l’instar des réalistes, comme une donnée évidente et objective avec laquelle il faut compter. Or pour les constructivistes, l’anarchie
n’a rien d’objectif ou d’évident. C’est le résultat de la pratique des Etats, rationnalisé par les théoriciens. Certes, il n’y a pas au-dessus des Etats une autorité centralisant l’usage de la force et le pouvoir d’édicter et d’appliquer de la loi. Mais ce fait lui-même et tout ce qui en découle sont sujets à interprétation, car loin d’être des phénomènes extérieurs, et fixes s’imposant aux acteurs et aux théoriciens, ce sont des construits créés par ces derniers. Les constructivistes ici inversent l’approche d’Auguste Comte signalée plus haut, qui consiste à aborder les faits sociaux comme des choses positives séparées de nos croyances, nos idées et nos jugements de valeur. Or selon les constructivistes, l’anarchie en Relations internationales - notion apparue pour la première fois sous la plume de G. Lowes Dickinson en 1926 (The international anarchy, 1926) - est un concept référant à une réalité liée à l’histoire européenne, passant de la féodalité à l’âge des Etats-nations souverains. La pratique des Etats européens, imitée par les autres par la suite, inscrite dans les normes et les institutions du droit international, puis érigée en concept par les théoriciens réalistes donnent l’illusion qu’il s’agit d’une structure objective alors qu’elle n’est qu’intersubjective, formée des idées, croyances, normes et instituions partagées par les Etats et les milieux académiques spécialisés. Ainsi repensée, l’anarchie non seulement peut être pratiquée autrement si une autre culture qu’hobbesienne ou réaliste (culture lockéenne, ou kantienne) est diffusée et adoptée, comme en Europe occidentale après la seconde guerre mondiale, mais elle peut même être dépassée comme réalité historique, et remplacée par une autre structure tel qu’un Etat mondial par exemple (A. Wendt, Why a world State is inevitable ? 2003).