RÉALISME MAGIQUE et
RÉALISME MERVEILLEUX
Charles W. Scheel
RÉALISME MAGIQUE et
RÉALISME MERVEILLEUX
DE LA THÉORIE À LA POÉTIQUE
2005
Il n'est que trop évident que le mystère est autant en nous que dans les choses, que le pays du merveilleux est avant tout dans notre être sensible. Pierre Mabille
[PREFACE]
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[Daniel-Henri Pageaux]
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AVANT PROPOS Pour survoler la carte critique du réalisme magique et de son faux-jumeau le réalisme merveilleux, il faut manifestement prendre de plus en plus d'altitude. Jusque vers 1985, des épingles de couleurs diverses délimitaient surtout trois régions dans deux continents: l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre en Europe; l'Amérique latine et les Caraïbes dans ce qu'il était convenu d'appeler le Nouveau Monde. Il était question, ici, des œuvres de Massimo Bontempelli, d'Ernst Jünger, et de G.K. Chesterton; là, de Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Miguel Angel Asturias, Alejo Carpentier et Gabriel García Márquez. Parfois de Cocteau. Toujours et partout de Kafka. Ce n'était déjà pas simple. Certains auront même souhaité qu'avec le siècle nouveau, ces vieilles et encombrantes notions allaient être balayées dans la tourmente de la digitalisation des communications, de la "derridasion" de la critique et de l'enterrement de la hache de guerre entre l'Ouest et l'ex-Far-Est. Que nenni. Les dernières images satellites sont formelles: les nappes visqueuses des réalismes magiques et/ou merveilleux ont atteint non seulement les dernières plages tropicales d'Océanie, mais aussi les banlieues de Nairobi, les sables du Magreb, les hinterland des Carpates, de l'Alaska et de l'Arizona, et le coeur des mégalopoles chinoises ou japonaises. La boucle est bouclée, la planète ceinturée, la coupe pleine. Si les tabloïds britanniques se plaignaient depuis belle lurette du recul du roastbeef devant les assauts du kebab et du chicken-tika, voilà qu'en 2001 les magazines littéraires londoniens rapportent la fronde d'un groupe de jeunes écrivains anglais contre la pernicieuse infiltration de leur littérature nationale par les fictions débridées et linguistiquement hybrides d'un magic realism d'importation, qui mettrait en péril le bon vieux récit d'autrefois, rédigé en anglais anglais. Le phénomène ne manque pas de salsa, puisque Newsweek, magazine d'anticipation pour être régulièrement antidaté d'une semaine au moins, vient 11
pour sa part d'annoncer la mort du réalisme magique (l'authentique, le latino-américain, celui "créé", selon eux, vers 1968 par le prophète Gabriel García Márquez). Il apparaît que la jeune et hard génération d'écrivains latino-américains, installée comme il se doit aux terrasses non plus des Deux Magots mais des Net-cafés de Californie ou de Floride, ne croirait plus aux histoires d'enfants nés avec des queues de cochon ou de caravelles échouées dans la jungle, et n'écrirait plus en style baroque. Que vendront donc dorénavant les libraires gobaux de la world-literature? Ces développements utra-récents de la production littéraire mondiale nonobstant, à regarder de plus près la masse informe de la littérature critique publiée ces dernières années, l'on s'aperçoit que c'est surtout l'appellation américanisée de magical realism (et de sa forme latino de realismo mágico) qui domine largement sa rivale de marvelous realism. Et dans le village désormais globalement informatisé des bibliothèques et des publications universitaires, il semble qu'une seule nation fasse de la résistance: le Québec, péniblement suivi par une lointaine province francophone, la France. Manifestement, la survivance de la notion de réalisme merveilleux dans l'océan mondial du magical realism relève, tout comme le cinéma d'auteur ou la banane Antilles, de l'exception culturelle et, partant, de l'espèce en voie de disparition. D'ailleurs même dans les rubriques du catalogue Opale de la bnf.fr, le premier est inféodé au second. Peut-être, cependant, l'enjeu ne se réduit-il pas à une simple bataille (clairement inégale) entre les réseaux universitaires et/ou informatiques anglophones et ceux de la Francophonie – pour ne pas parler des langues plus exotiques que nous (et la Toile) tendons à ignorer dans tous les sens du terme. Peut-être vaut-il la peine pour tous, Européens, Latinoaméricains, Antillais, Africains et autres, de distinguer entre réalisme magique et réalisme merveilleux, dans le cadre non pas d'identités culturelles particulières mais d'une approche comparatiste et d'une théorie générale de la littérature. 12
INTRODUCTION
De toute évidence, l'appellation de réalisme magique et – dans une moindre mesure – celle de réalisme merveilleux connaissent un succès grandissant dans la critique littéraire occidentale. Si les lettres latino-américaines continuent de dominer nettement la production depuis le boom des années 1960, on peut observer une expansion du champ d'application de ces termes depuis la fin des années 1980. Des œuvres africaines, asiatiques ou australiennes sont abordées dorénavant par le biais du réalisme magique ou merveilleux. Mais ces notions prennent surtout une importance croissante dans le discours critique de la littérature anglophone mondiale et des cultural studies, où elles s'associent fréquemment aux termes de "post-modernisme," "post-colonialisme" et "multiculturalisme." Au sein de ce mouvement, qui constitue une des manifestations de la globalisation – c’est-à-dire, qu’on le veuille ou non, de l’occidentalisation1 – de la culture mondiale, certaines voix vont jusqu’à faire du réalisme magique le "genre" par excellence de la world literature du début du nouveau millénaire. Littérature d'expression anglaise, il va de soi. Ces développements soulèvent toutes sortes de questions. Si on peut les observer mieux et plus vite qu’auparavant, cela est dû aux effets indéniables de la globalisation des techniques d'information et de recherche : sans le recours à l'Internet, les observations faites plus haut ne pourraient pas se baser sur un corpus aussi large de références bibliographiques. Quelles que puissent être encore les limites des recherches par mot-clef dans les bases de données informatisées, celles-ci permettent – sans devoir se déplacer physiquement – de profiter des ressources non pas d’une mais de presque toutes les grandes bibliothèques du monde. A titre d'exemple, le catalogue informatisé de la BNF ne contient que 18 1
Cf. Edwy Plenel, La Découverte du monde, Stock, 2002. 13
des quelque 300 références réunies dans la bibliographie cidessous, alors que celui de la MLA (Modern Language Association, États-Unis) en propose 110. Il n'en reste pas moins qu'une partie importante des références a été glanée de ci et de là dans les notes de bas de page de publications particulières. A partir de ce corpus substantiel de références et en guise d'introduction à mes propres travaux sur diverses œuvres des littératures européennes et américaines, je me propose de faire le point sur l'état de la recherche autour des deux appellations en tant que concepts dans la critique littéraire. Cet effort paraît d'autant plus nécessaire que le flou ou la confusion entre les deux appellations persistent, notamment en France où les publications sur la question sont encore rares. Le flou est évident dans bien des travaux qui ont recours à l'une des appellations dans leur titre et la plaquent sur une étude de certaines œuvres (qui peut être une bonne étude au demeurant), sans vraiment définir l'appellation utilisée ou expliciter son rapport avec les textes analysés. La confusion, elle, est frappante quand on constate que telle œuvre ou tel écrivain sont abordés ici sous le label "réalisme magique," là sous celui du ou du "réalisme (ou réel) merveilleux," alors que les références bibliographiques peuvent être les mêmes. Plus que la nature de l'œuvre étudiée ou la théorie invoquée, c'est souvent la langue de rédaction de la publication qui joue, notamment au Canada, où le bilinguisme officiel crée une situation particulière : derrière l’usage du réalisme merveilleux en français et celui du magic realism en anglais se cachent souvent (mais pas toujours !) des connotations culturelles et des références théoriques différentes. Sur le plan historique, la critique littéraire produite autour des deux notions (ou trois, si l’on distingue entre "réel merveilleux " et "réalisme merveilleux") peut être divisée en quatre grandes périodes : 1) 1925-1940 : Création des appellations "magischer Realismus" en Allemagne et "realismo magico" en Italie, suivie d'une longue période de latence ; 2) 1948-1973 : Lancement de la notion de real maravilloso americano et premiers articles sur le "réalisme magique" dans la fiction hispano-américaine ; adoption 14
rapide et enthousiaste du réalisme magique et/ou du "réel merveilleux" par la critique latino-américaine ; présentation du "Réalisme merveilleux des Haïtiens" en Sorbonne ; vive controverse autour de la pertinence des notions de réalisme magique et réel merveilleux au XVIe Congrès de l'Institut International Ibéro-américain ; 3) 1974-1987 : Suite des essais de clarification des termes dans la critique latino-américaine ; émergence du réalisme magique canadien ; premières approches comparatistes et retour en force de la critique européenne dans une publication collective de l’Université de Bruxelles ; 4) depuis 1988 : Couplage du magic realism et du "discours post-colonial" ; Proposition de distinction théorique entre "réalisme magique" et "réalisme merveilleux" et illustration de ces modes dans la littérature française ; nouveaux travaux comparatistes sur le "réalisme magique" et extension du terme aux littératures de l'Afrique, l'Asie, l'Océanie et à la world literature, notamment dans la première publication collective française sur le" réalisme merveilleux "par l’Université Paris XIII. Au cours des trois quarts de siècles couverts par ces quatre étapes, plus de trois cents études dans le cadre de diverses poétiques littéraires ont été produites. Dans cette masse substantielle, je propose de relever, dans un survol historique succinct, la douzaine de publications importantes pour avoir jalonné le terrain sur le plan théorique. A. Parcours historique et extension géo-critique de ces appellations 1. 1925-1940. Si l'expression magischer Realismus a été relevée sous la plume de Novalis, on s'accorde à reconnaître que sa fortune au vingtième siècle est dûe à son utilisation dans le titre d'une étude du critique d'art allemand Franz Roh, publiée en 1925, sur les courants nouveaux de la peinture post-expressionniste en Europe.2 Pour simplifier grandement, Roh proposait de nommer 2
Franz Roh, Nach-expressionismus (Magischer Realismus): Probleme der neuesten europäischen Malerei, Leipzig, Klinkhardt & Biermann, 1925. 15
"réalisme magique" les différentes tendances de retour à une représentation réaliste (voire statique, mais empreinte d’un soupçon de mystère) des objets, après l’engouement pour le flou impressionniste et les stylisations mouvementées de l’expressionnisme. Alors que la critique d’art allait en grande partie opter pour la neue Sachlichtkeit (nouvelle objectivité), appellation concurrente de celle de Roh, la traduction de son ouvrage en espagnol dans la revue madrilène Revista de Occidente dès 1927, devait populariser son titre, Realismo mágico, de manière durable en Amérique latine puis bien au-delà. En raison de sa grande influence et du fait que la critique française l’a pratiquement ignoré, l’ouvrage de Franz Roh est présenté dans la partie théorique de la présente étude. Également vers 1927, l’expression italienne quasi identique de realismo magico parut dans divers manifestes et articles de l'écrivain et journaliste Massimo Bontempelli, notamment dans la revue franco-italienne ‘900 (Novecento). Entre futurisme, métaphysique et irréalisme magique, le realismo magico italien fut l’un des mouvements esthétiques issus de la débâcle du réalisme dans l’après-guerre – et voués à disparaître rapidement sous le fascisme triomphant. Pour Bontempelli, il s’agissait, grosso modo, "d’une façon d’inventer et de narrer dans laquelle la réalité, quoique très reconnaissable, tend à nous montrer soudainement sa face cachée, l’autre face de la lune." 3 Les graines du magischer Realismus et du realismo magico ainsi lancées ne laissèrent aucune trace notable de discussion pendant une vingtaine d’années – éclipsées peut-être par les manifestes et manifestations d’un surréalisme autrement voyant et bruyant – même si elles surgirent çà et là, sous la plume d’un critique d’art ou de littérature (souvent de manière allusive seulement, comme ce fut le cas en France chez Brasillach ou Marcel Aymé). Bizarrement, même par la suite, le réalisme magique ne connut qu’un développement très limité dans ses deux 3
Bontempelli Massimo, L'Amante fedele (recueil de nouvelles, Milan, Mondadori, 1953), 4e de couverture, ma traduction. 16
pays d’origine. On peut constater dans la bibliographie que, dans la vingtaine de références concernant le domaine allemand, seuls deux écrivains sont nommés (Ernst Jünger 4 et George Saiko) et que les autres études limitent leur champ d’investigation à la "littérature des ruines" de l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale. Quant au domaine italien, il est pratiquement réduit aux œuvres de Bontempelli (qui dès la fin des années vingt d’ailleurs, parlait plus volontiers de "réalisme mystique" ou "métaphysique"). D’autre part, à de très rares exceptions près, le réalisme magique littéraire allemand ne semble intéresser que la critique allemande, et celui d’Italie que la critique italienne. On peut clore symboliquement la période de latence de ces concepts avec la parution du Miroir du merveilleux de Pierre Mabille en 1940 (auquel Carpentier avait participé en tant que traducteur), afin de rappeler à quel point les Surréalistes sont alors impliqués dans cette réflexion sur les rapports entre magie, merveilleux et réalité en littérature. 2. 1948-1973. Après la tourmente (et l’extraordinaire circulation d’hommes, de biens et d’idées) de la Seconde Guerre mondiale, l’année 1948 place véritablement les premiers jalons dans le champ littéraire autour des appellations dont il est question ici. En Allemagne, plusieurs articles font le point sur l’actualité du magischer Realismus dans la revue Aufbau (IV), soulignant au passage les liens troublants entre les visions magiques et l’idéologie guerrière de Jünger. En Belgique, Johan Daisne signe un premier article sur le Magisch-Realisme flamand. A Madrid paraît un ouvrage d’Arturo Uslar Pietri (qui avait rencontré Bontempelli en Italie) dans lequel il utilise le terme realismo mágico pour décrire la spécificité du conte vénézuélien. Mais à côté de ses trois reprises isolées du réalisme magique, la même année 1948 voit le lancement de l’appellation concurrente de real maravilloso par Alejo Carpentier dans le quotidien El Nacional de Caracas. Ce texte, réédité l’année suivante à Mexico comme 4
Notamment dans la thèse de Volker Katzmann, Ernst Jüngers Magischer Realismus (1975), qui dégage un "modèle" du récit magicoréaliste dans Les Falaises de Marbre. 17
prologue du roman de Carpentier Le Royaume de ce monde, fut considéré rapidement comme le manifeste programmatique d’une nouvelle littérature latino-américaine qui se voulait affranchie de la tutelle européenne. Parce que ce prologue (et les deux manifestes ultérieurs de Carpentier promouvant un "réel merveilleux américain" qui serait bien plus authentique que les productions culturelles "appauvries" d’une "Europe déclinante") continuent d’être débattus aujourd’hui et n’ont pas été traduits en français, ces textes fondateurs incontournables sont aussi analysés dans la partie théorique du présent ouvrage.5 Sans doute partiellement inspiré du manifeste de Carpentier, Jacques Stephen Alexis, antillais également mais franco-phone, vint présenter les prolégomènes d’une esthétique du "Réalisme merveilleux des Haïtiens" en Sorbonne en 1956. Cette initiative, toute imprégnée d’un syncrétisme visant à fondre culture populaire haïtienne, langue française et réalisme socialiste, devait attendre une vingtaine d’années avant de trouver des échos, que ce soit en France ou ailleurs. Dans cette même période, l’article "Magical Realism in Spanish American Fiction" d’Angel Flores, paru aux Etats-Unis en 1955, suscita une discussion générale du réalisme magique dans la critique littéraire latino-américaine – surtout celle installée dans les universités nord-américaines. Au cours des années 1960, les études, mémoires et communications abordant les auteurs latinoaméricains contemporains sous l’angle du réalisme magique et/ou du réel merveilleux, en anglais ou en espagnol, se multiplièrent mais dans un grand flou théorique et méthodique autour de ces termes, encouragé notamment par les différents, vis-à-vis de la conception de Flores, introduits dans l’article de Luis Leal de 5
Une autre raison d’inclure une analyse de ces essais de Carpentier en français dans ce contexte, parallèlement à celle de l’ouvrage de Franz Roh, est que personne (ni les germanistes, ni les hispanistes, ni les comparatistes qui ont traduit ces textes en anglais) ne semble avoir remarqué la lecture très biaisée que Carpentier fait du réalisme magique de Franz Roh pour promouvoir son concept concurrent de réel merveilleux. 18
1967, "El realismo mágico en la literatura hispanoamericana." Si bien que le XVIe Congrès de l'Institut international ibéroaméricain, tenu à Michigan State University à East Lansing en 1973, spécifiquement sur le thème de "Fantaisie et Réalisme magique," fut marqué par une vive controverse. L’invité d’honneur, Emir Rodríguez Monegal, accueillit les congressistes en expliquant longuement pourquoi il fallait bannir le terme realismo mágico de leur vocabulaire, alors qu’un bon tiers des soixante-cinq communications s’y référait. Plusieurs d’entre elles essayaient d’ailleurs de clarifier les liens entre les notions de fantastique, de surréalisme, de réalisme magique et de réel merveilleux – malheureusement de manière peu harmonieuse. 3. 1974-1987. La brouille terminologique et théorique qui avait éclaté à East Lansing aurait pu signifier l’enterrement solennel de toute la discussion. Ce ne fut pas le cas. Quand les actes de ce congrès mémorable parurent en 1975 (Donald Yates, éd.), ce n’était que le cinquième ouvrage publié sur l’appellation de réalisme magique dans le domaine latino-américain. Depuis, il y en a eu trente deux autres... Parmi les plus intéressants, figure la proposition d’Irlemar Chiampi de fondre le réalisme magique et le réel merveilleux en un "Realismo maravilloso hispanoamericano" (Sao Paolo 1980 ; Caracas 1983) ; cette redistribution des termes n’aura pas réussi à s’imposer dans la critique, mais elle demeure l’une des théorisations les plus ambitieuses sous l’étiquette "réalisme merveilleux" et ses grands traits seront présentées plus loin, à la suite du manifeste d’Alexis, dans la présente étude. A la même époque parut à New York une anthologie intitulée Magical Realist Fiction (David Young et Keith Hollaman, éd., 1984) avec une très belle sélection de textes par trente cinq auteurs prestigieux du monde entier (de Gogol à Kundera en passant par Mann, James, Kafka, Woolf, Nabokov, Faulkner, Borges, Calvino, Escarpit et d’autres), présentés comme appartenant à ce "genre" et à cette "tendance" de la littérature (en l’occurrence, le seul dénominateur commun que l’on entrevoit clairement dans la variété des textes proposés, est leur refus du simple réalisme). La 19
critique anglophone canadienne s’était manifestée dès 1974 avec les travaux de Michael Dash sur le Marvelous Realism de Jacques Stephen Alexis, suivis d’une anthologie du Magic Realism (Geoff Hancock, éd.) en 1980 et d’une publication collective sur le Magical Realism and Canadian Literature (éd. Peter Hinchcliffe et Ed Jewinski) en 1986. C’est de l’Université de Montréal, en langue anglaise, que vint un ouvrage décisif, dans lequel, sur la base d’une approche comparatiste, Amaryll Chanady (1985) propose une distinction théorique claire entre le fantastique et le réalisme magique en tant que modes narratifs de la fiction. Sa thèse, selon moi in-surpassée et qui constitue le point d’ancrage de ma propre conception du mode réaliste merveilleux, sera résumée et analysée dans la partie théorique de la présente étude. En Europe, c’est la Belgique qui se distingue avec l’ouvrage en langue flamande de Christiane Van de Putte sur la poétique du roman magico-réaliste allemand et néerlandais (1979) et surtout avec un ouvrage collectif remarquable de l’Université de Bruxelles, qui demeure la source d’information la plus complète en langue française dans le domaine : Le Réalisme magique. Roman. Peinture et cinéma (éd. Jean Weisgerber, 1987). En plus d’une introduction très détaillée sur l’histoire du concept et de ses variantes, c’est un véritable panorama de poétiques européennes et américaines qui est proposé, y compris une exploration de la littérature d’expression française. Par contre, comme on le verra plus loin, la tentative de formulation d’une "poétique" générale et du réalisme magique ne convainc pas.6 6
Notamment pour trop se baser sur le courant appelé "européen" dans l’ouvrage, et qui relève plutôt du réalisme mystique ou métaphysique (façon Bontempelli, Jünger, Gracq, Green ou Lampo, par exemple). Cette remarque vaut aussi pour la thèse de Michael Scheffel, Magischer Realismus, die Geschichte eines Begriffes und ein Versuch seiner Bestimmung (1990), qui consacre un chapitre à la fonction de "pont," de l'appellation, entre l'Ancien et le Nouveau monde, mais qui propose surtout une tentative de définition du réalisme magique en tant que "style du récit," apparent dans la littérature allemande entre les Républiques de Weimar et de Bonn. Or on est là aux antipodes de la truculence des textes magico-réalistes latino-américains. 20
4. Depuis 1988. C’est encore du Canada que provient une publication influente en 1988. L’article de Stephen Slemon, "Magic Realism as Postcolonial Discourse," inaugure un nouveau courant de la critique en situant le concept au sein d’un "engagement spécifique de la culture littéraire anglo-canadienne dans la post-colonialité." Ce courant est aussi représenté dans une importante publication collective aux Etats-Unis, Magical Realism: Theory, History, Community (éd. Lois Zamora et Wendy Faris, 1995) ; dans une première publication collective en France (éd. Xavier Garnier, 1998), intitulée Le Réalisme merveilleux, mais dont les études traitent plutôt de réalisme magique ; dans l’étude de Jean-Pierre Durix, Mimesis, Genres and Post-Colonial Discourse: Deconstructing Magic Realism, 1998), ainsi que dans l’ouvrage collectif d’impulsion italienne Coterminous Worlds: Magical Realism and Contemporary PostColonial Literature in English (éd. Elsa Linguanti et al, 1999). Dans tous ces travaux (notamment comparatistes), domine une approche culturaliste du "réalisme magique," privilégiant une lecture des aspects thématiques et idéologiques d’œuvres provenant de pays et de continents divers, qui s’opposeraient à une production littéraire occidentale (ou occidentalisée) "hégémonique," rédigée dans des "genres conventionnels." Face à cette montée très nette du courant angliciste autour d’un magic(al) realism post-colonial et/ou post-moderne, la critique latino-américaine continue à se servir des notions de realismo mágico et de real maravilloso pour explorer sa littérature, sans que l’on ait noté de percée théorique sur les rapports entre ses appellations dans la quinzaine d’ouvrages parus depuis 1988. 7 Sauf pour quelques études universitaires franco-canadiennes explorant les littératures canadiennes et/ou antillaises, la notion de "réalisme merveilleux" n’apparaît guère que dans mes propres travaux, dans lesquels je propose, depuis 1991, une distinction théorique entre
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Deux tentatives intéressantes seront présentés en guise d’épilogue du chapitre consacré à Alejo Carpentier. 21
réalisme magique et réalisme merveilleux (et l’illustration de ces modes narratifs dans la littérature française, notamment). B. De l’intérêt de distinguer entre "réalisme magique" et "réalisme merveilleux" Afin de défendre cette distinction, je voudrais revenir de manière plus détaillée sur les deux publications récentes dans la critique littéraire comparatiste, qui me paraissent les plus importantes autour du réalisme magique et du réalisme merveilleux, respectivement – si ce n’est confusément. Il s’agit de deux ouvrages collectifs : celui édité par Lois Zamora et Wendy Faris, Magical Realism: Theory, History, Community (Duke University Press, 1995), et celui édité par Xavier Garnier, Le Réalisme merveilleux (Paris, L’Harmattan, 1998). Dans Magical Realism, l'appellation de réalisme magique semble avoir complètement assimilé celle concurrente de réalisme merveilleux (sur les 23 articles inclus dans l'ouvrage, seul le "réel merveilleux" apparaît dans le titre des deux essais, déjà anciens, de Carpentier sur la question, traduits ici en anglais 8). Sous le titre sobre de Le Réalisme merveilleux, la publication française réunit elle onze études. Bizarrement, dans sa présentation de l'ouvrage l’éditeur n'explique pas pourquoi il choisit de coiffer par l'appellation unique de "réalisme merveilleux" une série d'études dont deux seulement se réfèrent à celui-ci, alors que cinq autres 8
Il faut saluer cette parution, en anglais, d'essais importants dans la première partie de cet ouvrage, intitulée "Foundations." On peut regretter cependant que la traduction par Faris du texte de Franz Roh (sur le réalisme magique dans la peinture postexpressioniste européenne) soit basée sur la traduction en espagnol, parue sous forme réduite d'article dans la Revista de Occidente, et non sur le texte allemand d'origine. Etant donné la finesse de l'analyse de Roh, cette double traduction peut se traduire par des glissements de sens dommageables et par une perte d'information non négligeable. D’autre part, les co-éditrices ne signalent pas, justement, les erreurs grossières et les interprétations tendancieuses du texte et des images reproduites dans le livre de Roh, par Carpentier, telles qu'elles apparaissent dans son essai sur The Baroque and the Marvelous Real, traduit ici par Zamora. 22
incluent le terme "magie" ou "magique" dans leur titres (et que trois autres articles ne se réfèrent ni au merveilleux ni au magique). Dès l'abord, on peut donc constater que l'Atlantique continue de séparer sinon les mouvances du moins leurs appellations : à nous, en France, le réalisme merveilleux, à eux, aux États-Unis, le réalisme magique. Sur le plan du contenu, l'ouvrage américain bénéficie manifestement d'une plus grande familiarité du thème abordé, en vertu des discussions amples et déjà anciennes de la question au sein de la critique latino-américaine (les co-éditrices sont des comparatistes dans des universités texanes très axées sur le domaine latino-américain). Cependant, elles accueillent aussi des contributions sur des œuvres provenant du domaine nordaméricain, antillais non-hispanophone, britannique, anglo-indien, allemand, maghrébin et Japonais, ainsi que des références aux origines européennes de l'appellation et un abondant débat historique sur les rapports entre réalisme magique et surréalisme, dans le contexte des littératures américaines post-coloniales et post-modernistes et de leurs liens avec l'Europe. On se retrouve donc avec une grande pluralité de points de vue et avec un panorama presque aussi large que celui proposé en 1987 dans la publication sur Le Réalisme magique de l'Université de Bruxelles (à laquelle Zamora et Faris renvoient d'ailleurs pour les aspects plus particulièrement européens de l'histoire de ce concept). Comme dans celle-ci, l'appellation est définie dans la présentation générale en tant que "mouvement international significatif de la littérature contemporaine," mais elle est surtout abordée comme un "mode littéraire" de la fiction de certains auteurs, dans les diverses études, sans que la définition soit nécessairement précisée davantage en termes de narratologie ou de poétique. A partir de là, la discussion porte sur la question de l'interprétation de "ce" mode tel qu'il apparaît dans des textes spécifiques et/ou au sein du post-modernisme et du postcolonialisme. La plupart des études mettent l'accent sur l'aspect identitaire de littératures émergentes et/ou marginales se posant par rapport à des "centres privilégiés" et à des "paradigmes 23
métropolitains." Elles se situent donc assez clairement dans une dynamique culturaliste (cultural studies), soucieuse de se démarquer des "canons occidentaux," i.e. européens et étasuniens. Je subodore que c'est cette dynamique nouveau-mondiste et/ou multiculturaliste d'opposition contre l'influence "métropolitaine" (à la fois du réalisme et du surréalisme, selon certaines des études), qui permet de réunir sous l'appellation unique de réalisme magique, la nouvelle littérature post-coloniale "créolisée," provenant à la fois du monde antillais et du monde latinoaméricain. Sans que les éditrices aient voulu (ou songé à) se demander si tant d'œuvres, diverses par d'autres aspects que leur condition post-moderniste émergente, ne cohabitent pas malaisément dans un seul tiroir. Pourtant, plusieurs études mettent en lumière des phénomènes d'intertextualité continue, évidents entre Europe et Amérique notamment (Grass, García Márquez et Rushdie étant les cas les plus connus). La question du va-et-vient international des influences (réciproques, d'ailleurs, et non pas nécessairement de l'Europe sur le "nouveau monde") n'est donc pas ignorée mais, me semble-t-il traitée avec beaucoup d'ambivalence et, au bout du compte, soit écartée soit inféodée à une autre logique. Comment expliquer, par exemple, que personne ne discute du modèle théorique du mode narratif magico-réaliste proposé naguère par Chanady, sinon par le fait qu'il a l'inconvénient de casser l'unité de l'approche culturaliste, en forçant à diviser les œuvres du soi-disant "mouvement spécifiquement multiculturel créolisé" de la littérature du nouveau monde, selon des critères formels, ce qui oblige donc à qualifier à l'aide d'une autre appellation que celle de réalisme magique (sur laquelle se fait ce nouveau et étonnant consensus), les œuvres qui ne répondent ni aux critères des modes chanadiens ni à d'autres modes reconnus de la fiction. Or c’est ce j'ai fait moi-même en proposant une définition nouvelle du réalisme merveilleux, qui me semble pouvoir concerner une assez grande proportion du corpus en question, mais qui a l'inconvénient de ne pas se fonder sur la "mouvance" culturelle anticolonialiste. 24
Cette notion d'une littérature soi-disant imprégnée d'un "rationalisme binaire" qui serait propre aux "centres littéraires métropolitains privilégiés" me paraît assez réductrice et illusoire (au moins depuis les années 1960, et même depuis la "crise du roman" après la première guerre mondiale). Inversement, et au moins depuis ma lecture du prologue du Royaume de ce monde, je m'interroge sur les manières ou sur les techniques d'écriture par lesquelles des écrivains issus de cultures tiers-mondistes pourraient exprimer, dans la pratique de la prose fictionnelle, des "mentalités populaires" qui accepteraient, au même titre que l'expérience perçue rationnellement, diverses formes de mythes ou de manifestations du surnaturel. Jusqu'où faudrait-il remonter dans le temps et dans les arrière-pays des Antilles ou d'Amérique latine, par exemple, pour trouver des populations échappant aux "réalités" modernes et vivant dans des sociétés qui ne distingueraient pas entre les règles du quotidien et un héritage de croyances et de mythes ? Une telle condition est-elle imaginable pour une population alphabétisée et/ou lettrée ? Si elle n'est pas lettrée et qu'elle parle une langue indigène non-écrite, comment un écrivain local peut-il espérer communiquer avec elle par le biais de la littérature et comment fera-t-il concurrence aux fictions télévisées, autrement populaires ? Par rapport à toutes ces questions, soulevées par la notion de littérature émergente dans cette publication, la contribution la plus intéressante est celle d'Amaryll Chanady, à qui ma propre recherche doit tant. Son étude intitulée "The Territorialization of the Imaginary in Latin America: Self-Affirmation and Resistance to Metropolitan Paradigms" est suffisamment érudite et ambitieuse pour avoir été placée par les co-éditrices dans la première partie, consacrée aux fondations du réalisme magique latino-américain, à la suite donc, des travaux de Franz Roh (1925), Carpentier (1949/1967/1975), Angel Flores (1955) et Luis Leal (1967). Comme son titre l'indique, Chanady s'élève au niveau d'une réflexion sur l'imaginaire – notion abstraite de la littérature – du continent latino-américain, dans une perspective post-colonialiste "anti-métropolitaine." En l'occurrence, elle se base sur les travaux 25
de théoriciens de la littérature hispanophone et lusophone s'attachant depuis un demi-siècle (et surtout depuis une vingtaine d'années au sein des cultural studies) à définir la spécificité de la fiction latino-américaine par opposition, donc, aux "paradigmes métropolitains," c'est-à-dire au système de valeurs rationnelles hégémoniques qui soutiendrait et limiterait l'imaginaire "occidental." Sa discussion est illustrée par des références à quelques œuvres littéraires, surtout de Cortázar et d'Asturias. Les conclusions auxquelles Chanady arrivent dans son dernier paragraphe ne me posent guère de problèmes, en dehors d'un léger malaise face aux notions de "fétichisation de l'Autre européen" et de la "cannibalisation créatrice" des écrivains latino-américains (expression qui signifie, grosso modo, qu'ils ont bouffé de l'auteur européen de manière sélective pour leur profit). Mais je voudrais relever, dans sa démonstration, quelques aspects symptomatiques d'une orientation du comparatisme nord-américain, qui me paraît décevante. Après douze pages (sur dix-sept) consistant en une présentation méthodique de textes ayant décrit le processus de prise de conscience, par l'intelligentsia latino-américaine, de la différence de sa culture, Chanady estime que : C'est sur cet arrière-plan complexe de la rébellion du sujet colonisé contre les modèles imposés, de la résistance des pays nouvellement indépendants d'Amérique latine à la domination néocoloniale et à la délégitimation philosophique par l'Europe de paradigmes métaphysiques et épistémologiques, que nous devons situer certaines pratiques littéraires du vingtième siècle. (p.136 ; ma traduction ; mes italiques) Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette notion de "néocolonialisme culturel" dont l'exposé paraît souvent empreint de généralisations discutables, mais ce qui frappe, c'est cette volonté de situer des phénomènes littéraires dans un tel contexte, non pas dans le seul but louable de mettre ceux-ci en perspective, mais pour inféoder ce qui relève d'abord de la poétique à des courants extra26
littéraires. En l'occurrence, il s'agit du surréalisme et du réel merveilleux de Carpentier. Chanady rappelle que si les surréalistes ont critiqué "l'hégémonie intellectuelle" et le canon littéraire dans leur propre société et cherché une inspiration plus authentique dans l'exotisme primitiviste, Carpentier s'est servi du concept du réel merveilleux en tant que signe dans le discours identitaire latinoaméricain rejetant l'influence européenne, surréalisme compris. A partir de là, les écrivains magico-réalistes latino-américains se seraient approprié l'Altérité d'une "mentalité primitive" dont parlaient les intellectuels européens, pour l'introduire dans leurs stratégies narratives de construction identitaire, obtenant de la sorte un succès fracassant en Europe. Ceci établi, Chanady illustre en quoi ces stratégies sont différentes des européennes (surréalistes ou fantastiques) à partir de textes de Cortázar, comme "Lettre à une jeune dame à Paris," dans lesquels les lois naturelles et le surnaturel coexistent sans problèmes. Elle ajoute alors ceci: Jaime Alazraki a créé le terme néofantastique pour ce type de récit [de Kafka]. Mais il importe à nouveau d'éviter les implications péjoratives d'études d'influence traditionnelles, qui feraient remonter la fiction fantastique de Cortázar à des sources comme La Métamorphose de Kafka (lequel, soit dit en passant, était marginal sous bien des aspects, comme l'ont souligné Deleuze et Guattari). Plutôt, on pourrait relire cette filiation évidente dans la perspective du modernismo brésilien, dont les promoteurs critiquèrent l'imitation naïve et recommandèrent "l'anthropophagie" ou le cannibalisme sélectif, dans lequel seuls les éléments considérés désirables sont incorporés. En d'autres termes, nous devons examiner pourquoi Cortázar choisit de souligner la création subjective de la réalité et de subvertir le rejet canonique du surnaturel par le fantastique, parallèle à "la séduction de l'étrange," pour reprendre l'expression de Louis Vax. Le fait que ses écrits montrent un grand intérêt pour les systèmes philosophiques et religieux orientaux, indique que Cortázar 27
est engagé dans une relativisation générale des modèles occidentaux hégémoniques. (p.140 ; ma traduction) En introduisant l'appellation de "néo-fantastique" (qui en vaut sans doute une autre, si elle est bien définie) au lieu de recourir à sa propre définition du réalisme magique, et en refusant l'idée de filiation entre le texte de Kafka et celui de Cortázar, Chanady renie ici son ouvrage précédent sur le réalisme magique et le fantastique, dont le principe même était de définir des modes narratifs théoriques permettant les rapprochements formels, indépendamment du contenu thématique ou de la motivation des auteurs. Même si sa distinction entre ces modes narratifs reste perceptible dans les analyses des œuvres latino-américaines qu'elle propose ici, il ne serait donc plus permis de parler du réalisme magique d'un auteur européen et d'un latino-américain! L'idée est particulièrement surprenante dans le cas de l'argentin Cortázar, étant donné que son parcours semble bien plus marqué par le cosmopolitisme urbain et par son activité de traducteur littéraire (notamment d'un nombre important de grands romans français), que par le contact avec des populations indigènes. Plus frappante encore est l'idée qu'il puisse être "péjoratif" de voir une source kafkaïenne dans une nouvelle de Cortázar. C'est pousser "l'anxiété de l'influence" un peu loin, me semble-t-il. Pourquoi y aurait-il là un crime de lèse-Amérique latine, alors que Kafka a certainement influencé des écrivains dans le monde entier, à commencer par les pays de langue allemande ? Si La Métamorphose est si connue, c'est que personne ne la lit impunément. Ce fut le cas pour García Márquez, comme il l’admettait volontiers. Inversement, qui nierait que les grandes œuvres de García Márquez auront autant marqué les lecteurs européens que Kafka ? Même si des techniques narratives passent et repassent l’Océan, ces auteurs ont produit des textes au demeurant très différents pour s'inscrire dans des langues et dans des contextes culturels différents. Bref, il y a là de quoi comparer, c'est-à-dire de rapprocher et de distinguer, des œuvres provenant d'individus explorant un imaginaire à eux propre. 28
Chanady a donc remis en question son modèle de réalisme magique en raison de son intérêt croissant pour les pratiques culturelles, et qu'il lui semblait réducteur de classer des textes d'Asturias et de Kafka, par exemple, dans la même catégorie, parce que "le réalisme magique latino-américain (et africain) est lié à une tentative de représenter des croyances et des systèmes de pensée non-occidentaux, tandis que la juxtaposition du surnaturel et du naturel chez Kafka (et dans le "Passe-muraille" d'Aymé) n'a pas cette fonction et pourrait être plus adéquatement nommée 'néofantastique'." Je crois que personne n'est très sûr de la "fonction" de la juxtaposition du naturel et du surnaturel chez Kafka, mais elle ne relève sans doute pas de l'engagement social, culturel ou politique (et dieu sait que les promoteurs de littérature héroïque et/ou révolutionnaire le lui ont reproché). Quant à la généralisation de la motivation présumée du "réalisme magique latino-américain," il va sans dire qu'elle ne me convainc pas. Si l'art authentiquement latino-américain consiste à représenter des "croyances et des systèmes de pensée non-occidentaux" ne devrait-il pas rejeter la catégorie du roman même, genre dont le caractère pernicieux est bien connu et dont j'imagine qu'il débarqua dans le nouveau monde dans le sillage de Cortès et des Jésuites ? D'autre part, malgré le fort métissage de la population dans certaines régions, il me semble que l'homogénéité raciale et sociale ou la créolisation culturelle est loin d'être acquise partout. Une littérature ressemblant furieusement à du Kafka, à du Buzzati (pour ne pas dire du Cortázar), mais sans liens avec des mentalités indiennes, est-elle inconcevable à Mexico, Buenos Aires, La Havane ou Montevideo ? Et si elle existait, cela impliquerait-il qu'elle ne saurait être ni latino-américaine, ni magico-réaliste ? L'embrigadement du réalisme magique dans un engagement culturaliste me semble décidément regrettable et curieusement rétrograde à l'heure du village global. Quant à l'ouvrage paru à Paris sur Le Réalisme merveilleux, son premier article propose sous le titre "Le Réalisme magique: genre à part entière ou 'auberge latino-américaine'?" une analyse 29
synthétique et lucide, dans laquelle Jean-Pierre Durix cerne assez bien les problèmes posés par l'usage "flou" du terme dans la critique latino-américaine. Plusieurs des questions qu'il se pose auraient néanmoins trouvé une réponse au moins partielle dans les travaux de Chanady, notamment. Dans l'article suivant, "Les 'enfants' de Rushdie: quel réalisme, quelle magie?" Jacqueline Bardolph présente quelques romans "non-réalistes" parus récemment en Inde, en se demandant si "l'étiquette commode, 'réalisme magique' est pertinente et éclairante pour de telles œuvres." Elle conclura par la négative, mais en esquivant entièrement la discussion de l'appellation incriminée – solution qui se défend, étant donné que définir le réalisme magique n’est pas commode. La contribution de Crystel Pinçonnat sur le "réalisme merveilleux dans le roman amérindien" (nord-américain) est particulièrement intéressante en vertu de son titre. Elle est constituée d'une analyse de quelques textes récents de cette littérature "mineure." Pour elle, la fonction du réalisme merveilleux est de "participer au vaste processus de reconstruction identitaire qui se donne pour objet de réécrire l'histoire par l'intermédiaire de la fiction, d'explorer et d'expliquer la spécificité d'une communauté." Une telle vision d'un mouvement littéraire au service d'une identité culturelle à (re)construire me semble correspondre à celle développée dans l'ouvrage de Zamora et Faris, comme on vient de le voir, autour de la notion de "magical realism" dans le domaine latino-américain. Mais Pinçonnat précise qu'il ne s'agit pas d'amalgamer les différentes littératures mineures des États-Unis sous une même appellation. Elle estime que l'art amérindien (largement inspiré de mythes, de rêves, de visions et de pratiques magiques) "rejoint une définition du Merveilleux" proposée par Jacques Stephen Alexis dans l'introduction de son "Manifeste du Réalisme merveilleux des Haïtiens," dont quelques lignes sont citées (mais pas spécifiquement la définition du réalisme merveilleux haïtien). Cette citation est la seule référence (oblique) à une théorie quelconque du réalisme merveilleux, dans cette étude, qui fait donc l'économie d'une discussion de cette 30
question. L'analyse des textes n'en est sans doute pas invalidée, mais un facteur d'indécision pèse sur les quatre ou cinq phrases (titre compris) où "le réalisme merveilleux" est cité sans qu'on sache trop bien de quoi il s'agit. Pourquoi, d'ailleurs, réalisme merveilleux plutôt que réalisme magique? Est-ce pour se distinguer de l'usage qui a été adopté par la critique latino-américaine, très présente aux États-Unis, et qui fait de l'ombre aux littératures "mineures" comme l'amérindienne ou la chicana ? Parmi les huit autres contributions à l'ouvrage, cinq traitent de questions trop éloignées du réalisme merveilleux (ou magique) 9 pour que j'en dise plus à leur sujet. Les trois restantes se réfèrent explicitement à des études préalables autour de ces notions, mais ne s'engagent ni dans un débat théorique ni même dans une définition. Dans "Interférence du récit magique et du récit historique : le cas de Monnè d'Ahmadou Kourouma," Pierre Soubias rappelle très justement, en introduction, que les concepts de réalisme magique ou merveilleux n'ont guère été utilisés par la critique francophone ou africaine et que leur utilisation incertaine dans le domaine latino-américain a donné lieu à des abus. Prudemment, il ne se sert donc ni de l'une ni de l'autre appellation dans son titre. Les extraits de l'œuvre qu'il analyse (qui me rappellent beaucoup les romans de Baghio'o) et la conclusion à laquelle il aboutit ("le langage de Kourouma [opère] une fusion de l'acte narratif et de l'attitude poétique" tout en transmettant "l'amère leçon de l'histoire") me laissent penser cependant que le mode narratif de ce roman ivoirien, Monnè, outrages et défis, s'inscrit bien dans le réalisme merveilleux tel que je l'ai défini moi-même. Un phénomène similaire a lieu dans "Le réalisme 'tropical' de Sony Laboui Tansi: un discours doublement contraint ?" où Nicolas Martin-Granel se distancie brièvement dans l'introduction, d'un réalisme magique ou merveilleux, "appellation (peu contrôlée, il est vrai) d'un mouvement littéraire italien de l'avant-guerre dont l'un des représentants fut Massimo Bontempelli." (Ce qui est 9
Y compris celle de Xavier Garnier, coordinateur du numéro, sur le thème "Métamorphoses réalistes dans les romans de Marie Ndiaye." 31
original mais un peu court.) Il passe alors à une analyse substantielle, d'une vingtaine de pages, sous l'étiquette de "réalisme tropical" (= qui serait proche des phénomènes climatiques et littéraires de l'Amérique latine), pour conclure que "la poétique de Sony Labou Tansi fait subir à la notion de réalisme merveilleux une telle torsion et lui imprime un tel dynamisme qu'on ne sait, pour finir, dans quel sens elle fonctionne ni même si cette question a encore un sens." Là aussi, il me semble qu'un rapprochement avec les définitions du réalisme magique et du réalisme merveilleux, en tant que modes narratifs universels, et la distinction entre les deux, auraient pu être fructueux. L'introduction de l'étude de Michel Naumann, "La forêt urbaine des années 90 et le réalisme magique de Ben Okri," offre une discussion très synthétique de la "montée du réalisme magique africain comme moyen de traduire la crise, de l'affronter et d'avancer vers des réponses non-dogmatiques" et justifie "la capacité africaine à s'inscrire dans ce mouvement" en vertu du rôle fondamental des cultures africaines dans "la formation du réalisme magique d'un Alejo Carpentier ou de Gabriel Garcia Marquez." Sans donner d'autres références théoriques ou critiques, Naumann se pose alors la question : "le réalisme magique d'un Ben Okri travaille-t-il au surgissement d'une Modernité-Altérité capable de dire ce temps d'anomie que nous vivons et de s'esquisser en tant qu'avenir humain, ou sombre-t-il dans le nihilisme des jeux étincelants mais vains d'une effrayante 'merdonité', pour reprendre un calembour de Michel Leiris ?" Il conclura, après quelques pages d'analyse de "la quête d'Azaro" (enfant-héros des romans nigérians en question), que "le réalisme magique de Ben Okri est donc une forme d'exploration de l'aliénation et de la crise actuelle du tiersmonde qui ne prend ses distances vis-à-vis du réel que pour mieux le saisir et le travailler." Tout cela est intéressant et donne envie de lire Okri. De par son caractère synthétique, l'analyse des textes met l'accent sur le contenu thématique et l'engagement de ces romans, qui rappellent ceux d'Alexis (Compère Géneral Soleil est d'ailleurs cité). Comme l'indique Naumann, l'étude détaillée reste à faire. Je 32
suggère qu'elle gagnerait à se baser sur une réflexion théorique plus poussée autour de l'appellation retenue. Pour conclure sur cette publication, je salue bien évidemment cette première marque d'intérêt, par une équipe de recherche basée dans une université française, pour un concept qui me tient tant à cœur. Si certaines des études réunies ici posent des jalons prometteurs dans l'étude d'un réalisme magique ou d'un réalisme merveilleux dans les domaines de la littérature amérindienne et africaine – notamment par rapport à l'utilisation (problématique, comme le montre bien le travail de Durix) qu'en fait la critique latino-américaine – les autres n'ont pas cherché à se raccrocher à ces notions (ce qui n'est pas dommageable per se, sauf peut-être dans le cas des "enfants de Rushdie"). Cette constatation incite à s'étonner du titre et de l'introduction très générale d'une publication qui se dispense d'une description de l'objet mis en vitrine et d'une discussion des métamorphoses inexplicables du réalisme merveilleux en réalisme magique au sein de ses pages. A partir de là, il faut admettre que ce livre ne contribue guère à dégager le réalisme merveilleux du "carrefour fort embouteillé de la création littéraire contemporaine," dont il est question en quatrième de couverture. En l'occurrence, un titre plus approprié eût été "collection d'études diverses autour des notions de magie, de merveilleux, de créolité et de tropicalité dans leur articulation avec le réel ou le réalisme dans divers médias de divers pays de divers continents." La confrontation de ces deux publications comparatistes permet de constater : 1) que l’utilisation de l’appellation de réalisme merveilleux par les critiques français est loin d’être fondée sur le plan théorique et convaincante comme outil de poétique ; 2) que dans la mouvance culturaliste issue d’Amérique du nord, l’appellation de réalisme magique est embrigadée dans une approche basée bien davantage sur une lecture idéologique réductrice des œuvres que sur l’analyse de leur fonctionnement narratif. Baser une poétique sur une notion "d’hybridité" culturelle post-coloniale relève de la mystification plutôt que de la littérature générale. 33
Dans le présent ouvrage, j’espère démontrer que distinguer entre les deux appellations sur la base de définitions narratologiques permet de rendre compte de distinctions essentielles dans le discours fictionnel, qui ne préjugent en rien des aspects thématiques, idéologiques et stylistiques des œuvres en question : Kafka n’est pas García Márquez, Giono n’est pas Baghio’o, Faulkner n’est pas Carpentier. Et si le réalisme magique d’un García Márquez paraît différent de celui d’un Marcel Aymé, c’est peut-être parce qu’il se combine avec le réalisme merveilleux, ce qui n’est pas le cas pour ce dernier. On comprend mieux la singularité de cette combinaison de modes dans l’œuvre, en commençant par les distinguer.
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I. THÉORIES
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La théorie esthétique du Magischer Realismus de Franz Roh (1925) Une année environ après la publication à Paris du Manifeste du Surréalisme, Franz Roh, jeune critique d'art allemand, publia un livre remarquable sur la peinture post-expressionniste en Europe, intitulé Nach-expressionismus. Magischer Realismus. Probleme der neuesten europäischen Malerei.10 Dans cette étude, Roh formule une théorie sur les nouvelles directions prises par la peinture européenne occidentale entre 1920 et 1925. Selon lui, à côté des esthétiques encore dominantes de l'expressionnisme et de l’impressionnisme, une nouvelle tendance se dégage de manière assez perceptible pour que l'on puisse parler du commencement d'une ère nouvelle, "post-expressionniste." Dans un prière d'insérer, Roh suggère de nommer cette nouvelle esthétique "réalisme magique," afin de se distinguer d'autres appellations en usage à cette époque, comme celles de "réalisme idéaliste," de "vérisme," de "nouveau classicisme" et de "surréalisme." En fait, Roh sait que l'expression qu'il propose est déjà concurrencée par celle de Neue Sachlichkeit [Nouvelle Objectivité],11 utilisée dans le titre de l'exposition organisée par le Dr. Hartlaub à la Kunsthalle de Manheim en 1925, autour des mêmes œuvres. Pour illustrer les cent-vingt pages de son analyse, Roh inclut des photographies (en noir et blanc) de peintures ou de dessins de cinquante-deux artistes (dont il fournit la liste p.133). Afin de rendre plus apparents les changements stylistiques qu'il voit entre l'expressionnisme et le post-expressionnisme, des œuvres thématiquement proches mais illustrant les deux esthétiques 10
Leipzig, Klinkhardt & Biermann. Le titre peut être traduit littéralement en "Le Post-expressionnisme. Le Réalisme magique. Problèmes de la peinture européenne nouvelle." 11 Dans son livre ultérieur, Geschichte der deutschen Kunst von 1900 bis zur Gegenwart [Histoire de l'art allemand entre 1900 et aujourd'hui] (Munich, Bruckmann, 1958), Franz Roh avait définitivement abandonné l'appellation Magischer Realismus au profit de Neue Sachlichkeit. 37
concernées, sont présentées face à face. Une liste supplémentaire de soixante peintres engagés dans la nouvelle tendance est également proposée (p.134).12 Après avoir rappelé, en un chapitre introductif, les éléments du "système de l'expressionnisme" qui domine encore la production picturale, Roh s'attache à caractériser les sept courants qu'il discerne à l'intérieur de la nouvelle tendance, "postexpressionniste." Le premier de ces courants (représenté par Derain et Huber) se ressent encore de l’impressionnisme; le second (Unold, Seewald, Hofer, Fritsch) de l'expressionnisme, et le troisième du constructivisme (Klee, Kandinsky, les "puristes" français Ozenfant et Jeanneret). Roh considère que les quatre derniers courants représentent plus clairement le réalisme magique : – au cœur de ce renouveau, le groupe italien Valori Plastici (avec, notamment, Carrá et Chirico) ; – les "idyllistes" néo-classiques (Schrimpf, Mense, Davringhausen et, en France, le courant "arcadien" avec Picasso, Derain, Coubine, Metzinger) ; – les "naïfs" ou "l'école Rousseauiste" qui rappellent le goût du Douanier pour les microcosmes aux détails fouillés (Herbin, Miró, Linnqvist, Bšrje, Spies) ; – les "véristes" (en particulier l'école allemande, avec George Grosz, Otto Dix, Scholz, Smith, Hubbuch, Sebba, Dressler...). A la suite des analyses de ces divers courants de la peinture des années 1920-25, Roh passe à certains développements postexpressionnistes dans les domaines de la musique et de la littérature, suggérant ainsi, de manière implicite, que des correspondances peuvent être établies entre les esthétiques de ces divers domaines.
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Il faut préciser que, dans l'analyse de Roh, un même peintre illustre parfois des esthétiques ou des courants différents. 38
La définition de la nouvelle esthétique post-expressionniste (et par conséquent du réalisme magique), proposée par Roh, est basée sur le concept fondamental de Gegenständlichkeit, dont Sachlichkeit est un synonyme partiel. Le premier signifie la "qualité d'être un objet" alors que le second, bâti autour du mot "chose" se traduit communément par "objectivité." La nuance apportée par Roh dans Gegenständlichkeit serait plus proche du néologisme "objectalité.".13 Ce que Roh décrit dans son chapitre intitulé Gegenständlichkeit überhaupt [L'objectalité avant tout],14 c'est une nouvelle présence de l'objet représenté dans le tableau, par opposition, d'une part, aux surfaces de réflections colorées et fluides de l’impressionnisme et, de l'autre, aux mouvements de blocs schématiques et forcenés de l'expressionnisme. Pour Roh, au-delà des couleurs et des formes, les nouveaux objets de la peinture post-expressionniste ont retrouvé de la profondeur, de la texture et de la substance. Ils expriment une sensualité complète et stimulent en particulier le "toucher" du spectateur. Roh précise néanmoins que la seule "objectivité" ne saurait rendre compte de la magie exsudée par les meilleurs tableaux nouveaux (p.30). Le néologisme "objectalité" semble d'autant plus approprié pour distinguer entre cette nouvelle "présence de l'objet" de la simple "objectivité" que le réalisme traditionnel est censé promouvoir et que la photographie rend dorénavant facile. Pour cette même raison, Roh s'oppose à l'expression "néoréalisme" utilisée parfois pour qualifier le post-expressionnisme. Selon lui, le retour à "l'objectalité" est peut-être un rejet de 13
Quoi qu'il en soit, l'expression Neue Sachlichkeit allait s'imposer au détriment de Magischer Realismus et, les traductions vers l'anglais (New Objectivity) aidant, c'est à la "Nouvelle Objectivité" que se réfèrent les critiques et histoires de l'art en langue française. 14 "Der Nachexpressionnismus versucht hiergegen, die Wirklichkeit im Zusammenhange ihrer Sichtbarkeit wieder einzusetzen. Elementare Freude der Wiedererkennung tritt aufs neue ins Spiel. Die Malerei wird wieder Spiegel des greifbaren Außen" (p.27). 39
l'idéalisme et de l'idéologie expressionniste, mais il n'est pas un retour au simple réalisme. Cette distinction est clairement exprimée dans l'expression "réalisme magique." La combinaison de ces termes peut sembler oxymorique; pourtant, selon Roh, elle exprime bien l'impression provoquée par ces nouveaux tableaux qui traduisent un "émerveillement" (de l'artiste) face à l'existence même des objets, représentés dans leur réalité la plus profonde et la plus nette.15 Cette "mise en relief" des objets est obtenue par la combinaison des moyens suivants : – un statisme qui s'oppose résolument au vitalisme et à "l'irrationalisme démoniaque" de l'expressionnisme : au lieu d'un chaos naturaliste, il y a maintenant un sens nouveau d'équilibre, de pureté, de discipline, de paix, un ordre rationnel magique 16; – une tension sous-jacente entre la composition (contrastes bizarres des proportions ou des qualités des objets, par exemple) et l'exécution (respectueuse des plus petits détails sur toute la profondeur de champ), entre l'idée et la réalité, la premiére l'emportant sur la seconde.17 15
"Dies ruhige Anstaunen der Magie des Seins, des schon vorgestaltetseins überhaupt ist der wiedergewonnene [...] Boden" (p.30). 16 "Nicht in einem magischen Vitalismus sieht man höchste Bejahung, sondern in der Einordnung aller Vitalitäten in die nicht minder magischen 'Gesetze,' denen sie letztlich unterworfen sind. Damit will nach Ablauf eines dämonischen Irrationalismus [...] bei den Jungen ein magischer Rationalismus in Gang kommen, magisch, da er das 'rationale' Geordnetsein der Welt als ein Wunder verehrt, um auf ihm aufzubauen oder anarchische Vorstöße gegen jene Ordnung mit Anstrengung zurückzutreiben" (p. 67-68). 17 "Man glaubt auch weiterhin an einfache Grundformen des Seins und diese haben – in den besten neuen Bildern – etwas ruhig Ehernes. Erst indem man diese aber nun nicht abstrakt darlegen, sondern bis ins Kleinste in der Natur selber aufzeigen will, kommt man zu dem neuen Begriffe der 'Realisierung' in seiner ganzen Strenge. Nicht ein Abmalen, sondern ein strenges Errichten, Aufbauen der Objekte, die letztlich in so andrer Vorform in der Natur gefunden werden. [...] Es wird also nicht von 40
Selon Roh, le réalisme magique est moins engagé politiquement que l'expressionnisme, bien qu'on puisse opposer, au sein de celuilà, une attitude "de droite" dans la réalité lénifiante représentée par la tendance naïve ou idylliste, au "gauchisme" des véristes qui optent pour une réalité plus sujette à controverse (conditions et activités sociales choquantes, chômage, contraste luxe-pauvreté, ivrognerie, prostitution, etc.). Mais plutôt qu'un engagement politique, cette dernière attitude reflète peut-être le cynisme et l'imperturbabilité toute clinique du médecin. Le plus étonnant est que des développements thématiques aussi opposés au sein du post-expressionnisme puissent se réclamer des mêmes formes de représentation.18 Roh ne traite que brièvement des domaines culturels horspeinture. Il esquisse néanmoins quelques idées sur l'évolution contemporaine de l'architecture, la sculpture, la littérature, la musique et la politique. En matière de littérature (p.109-10), il voit encore à l’œuvre une expansion des procédés d'inspiration expressionniste et dadaïste, mais constate aussi un retour à des pratiques plus simples et plus modérées après les expérimentations révolutionnaires auxquelles la langue avait été récemment soumise. A propos de la littérature française, Roh mentionne deux nouvelles directions (en émettant d'ailleurs quelques réserves prudentes quant à leur place dans son étude): un "classicisme moderne" promu par Le mouton blanc (qui le voit, ne serait-ce que de loin, chez Gide, Romains, C. Vildrac...), et le tout nouveau "Sur-réalisme" (deux courts extraits du Manifeste sont donnés, sans commentaire). Il conclut ses remarques en soulignant que, dans la den Objekten zum Geist gefunden, sondern von diesem zu den Objekten" (p.36-37). 18 "Diese eiserne Objektivität mit der bis in die Poren des unverdunkelten Gegenstandes miskroskopiert wird, kann aber auch einen zweiten Sinn annehmen: den der Objektivität und Unbeteiligkeit etwa des Artztes. [...] Daß beide Parteien sich derselben, nachexpresnionistischen Bildformen bedienen können, gehört zu den hinzunehmenden Rätseln künstlerischer Entwicklung" (p.94-95). 41
littérature (en général), on assiste aussi à un certain rapprochement des extrêmes, puisqu'une vague revalorise Rimbaud, alors que Zola est à nouveau apprécié dans de nouvelles tendances véristes. En conclusion de ce résumé succinct, remarquons que Roh n'illustre pas vraiment dans la littérature, la théorie du réalisme magique qu'il vient d'extraire de son analyse de la peinture postexpressionniste, même s'il distingue des "directions parallèles" dans les deux domaines. Toute référence ultérieure au réalisme magique de Roh, dans le cadre de la littérature, relève donc de l'extrapolation demandant à être explicitée sur le plan théorique, qu'il soit narratologique ou esthétique.
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L'impasse théorique des manifestes culturels d'Alejo Carpentier sur le real maravilloso De grands romans ont fait de l'écrivain cubain Alejo Carpentier (1904-1980) l'un des auteurs les plus célèbres de la littérature latino-américaine moderne. Et s'il devint l'une des grandes figures du mundonovismo, un mouvement qui s'était attaché à définir l'Amérique Latine en termes propres, cela fut en grande partie en raison de sa promotion du real maravilloso, dont la signification à la fois parallèle et concurrente de celle de realismo mágico, est à l'origine d'une assez grande confusion dans la critique littéraire d'expression espagnole.19 Ce qui manque dans la littérature secondaire (et plus particulièrement dans celle en langue française) autour de cette question est une analyse de l'ensemble des trois essais dans lesquels Carpentier développa son concept, afin de répondre à la question suivante : cette notion est-elle basée sur des aphorismes n'engageant que l'opinion de l'auteur, ou apporte-t-elle une contribution utile dans le cadre d'une théorie littéraire ou esthétique ?20 Les textes en question s'étendent sur une période de plus de vingt-cinq ans. Il s'agit du Prologue de la première édition du récit Le Royaume de ce monde (1949), puis d'une version plus élaborée 19
On trouvera des échos substantiels de ce débat dans l'article de Marta Gallo, "Panorama du réalisme magique en Amérique hispanique" (in Le réalisme magique: Roman, peinture, cinéma, ed. J. Weisgerber, p.123153). Ce critique choisit, par ailleurs, d'inclure le "réel merveilleux" dans son tableau du "réalisme magique," tout en essayant d'exposer les diverses acceptions de ces termes, désignant tour à tour une qualité de "l'imaginaire," une "modalité stylistique," une "conception du monde," et un "genre littéraire" (p.129-130). 20 Cette entreprise me semble d'autant plus nécessaire que, à ma connaissance, les essais en question n'ont pas été traduits en français. Je propose ici ma propre traduction qui n'a d'autre ambition que d'être aussi littérale que possible. 43
de ce Prologue, parue en tant qu'essai, "Du réel merveilleux américain merveilleux" (1964) et, finalement, du texte d'une conférence donnée à Caracas en mai 1975, sous le titre "Le baroque et le réel merveilleux." 1. "Le Prologue"21 Au début de ce texte, Carpentier se réfère explicitement au voyage qu'il fit en Haïti en 1943, voyage dont le souvenir éblouissant fournit aussi le décor et l'action du roman Royaume de ce monde, avant d'affirmer ceci : Après avoir connu le sortilège – en rien menteur – des terres d'Haïti, après être tombé sur des admonitions magiques dans les chemins rouges du Plateau Central et avoir entendu les tambours de Petro et du Rada, je me retrouvai à comparer la réalité merveilleuse dont je venais de faire l'expérience avec la prétention exténuante de certaines littératures européennes des trente dernières années, à susciter le merveilleux. [...] Le merveilleux obtenu grâce à des trucs de magiciens réunissant des objets qui jamais ne se rencontraient : [...] la tête de lion dans le pubis d'une veuve, tels qu'on les trouve dans les expositions surréalistes. Ou encore, le merveilleux littéraire : le roi du Justine de Sade, le supermacho de Jarry, le moine de Lewis... (p.13 ; mes italiques) Il convient de noter d'emblée l’hétérogénéité des éléments comparés ci-dessus, puisque Carpentier oppose des réalités physiques et sociales d'Haïti à certaines productions littéraires ou 21
El reino de este mundo, (Relato), Mexico, Edicion y Distribucion Iberoamericana, 1949. Edition utilisée ici : Obras Completas de Alejo Carpentier, Mexico, Siglo Veintiuno Ed., 1983, v. II. Le texte du Prologue était déjà paru sous le titre "Lo real maravilloso in América" dans le journal El Nacional de Caracas du 8 avril 1948. Les éditions françaises du Royaume de ce monde n'incluent pas le prologue. 44
artistiques européennes, comme la peinture surréaliste. Le mouvement lancé par André Breton est l'objet d'attaques sarcastiques, voire féroces : Mais, à force de chercher à susciter le merveilleux à tout prix, les thaumaturges se font bureaucrates. [...] En face du manque déconcertant d'imagination d'un Tanguy, par exemple, qui peint depuis vingt-cinq ans les mêmes larves de pierre sous le même ciel gris, j'ai envie de répéter une phrase qui enorgueillissait les Surréalistes de la première heure : "Vous qui ne voyez pas, pensez à ceux qui voient." Il y a déjà trop d'adolescents qui "prennent plaisir à violer les cadavres de belles femmes, mortes récemment" (Lautréamont), sans se rendre compte que le merveilleux serait de les violer vivantes. (p.14) En lisant de telles assertions, il n'est pas besoin d'être femme ou féministe pour estimer qu'il manque au Prologue "le bénéfice du calme et de la réflexion," comme on l'a suggéré. 22 Cependant, après cette saillie polémique, Carpentier fournit une définition moins draconienne du merveilleux : Mais beaucoup oublient, en se laissant distraire par des mages de peu de prix, que le merveilleux devient sans équivoque quand il surgit d'une altération inattendue de la réalité (le miracle), d'une révélation privilégiée de la réalité, d'un éclairage inhabituel ou singulièrement favorisé des richesses insoupçonnées de la réalité, d'une amplification des catégories de la réalité, perçues de manière particulièrement intense en vertu d'une exaltation de l'esprit
22
Cf. Richard Young, Carpentier : El reino de este mundo (Londres, Grant & Cutler Ltd, 1983, p.42) : "The Prologue lacks the benefit of calm reflection." 45
qui le conduit à une sorte d'"état-limite." Pour commencer, la sensation du merveilleux présuppose une foi. (p.15) Constatons qu'il n'y a rien dans ces lignes qui contredise les théories surréalistes, lesquelles cherchent également à promouvoir une perception du merveilleux, proche de la foi non-prévenue des enfants vis-à-vis du réel comme de l'imaginaire, et à favoriser les états-limites. En revanche, lorsque, parmi de nombreux exemples d'effets de la foi, Carpentier en vient à opiner qu'"il suffisait à Van Gogh de croire à la fleur de tournesol pour fixer cette révélation sur la toile," deux remarques s'imposent, car cette formulation occulte singulièrement deux aspects essentiels de l'art : d'une part, le travail physique de l'artiste représentant (ou créant) l'objet et, d'autre part, la réception de celui-ci, car la représentation d'un objet, basée sur sa vision émerveillée par l'artiste, n'est pas nécessairement perçue comme merveilleuse par le contemplateur. Carpentier continue par des remarques laudatives sur la foi d'un Cervantes, d'un Luther, d'un Hugo, ou d'un Marco Polo, contrastées avec des appréciations assez sévères – portées parfois jusque sous la ceinture – à propos d'autres écrivains, accusés de compenser leur manque de foi par des "trucs de prestidigitateurs" (c'est-à-dire les surréalistes), par les "clichés de la littérature engagée" ou par la "joie scatologique de certains existentialistes." Comme l’a souligné Emir Rodríguez Monegal, Carpentier s'est débarrassé ainsi, d'un seul trait de plume, du réalisme socialiste, de toute la littérature édifiante et pédagogique, des pestes, nausées et aliénations qui proliféraient alors.23 Survient alors le noyau du Prologue, avec la présentation du real maravilloso : [Cette incapacité des artistes surréalistes et existentialistes sans foi de "concevoir une mystique valable"] me devint particulièrement évidente lors de mon séjour en Haïti, où je 23
"Lo real y lo maravilloso en El reino de este mundo," Asedios a Carpentier, ed. Klaus Müller-Bergh, Santiago de Chile, 1972, p.102. 46
me trouvais en contact quotidien avec quelque chose que l'on pourrait appeler le réel merveilleux. Je foulais un pays où des milliers d'hommes désireux de liberté croyaient aux pouvoirs lycanthropiques de Mackandal, au point que cette foi collective produisit un miracle le jour de son exécution. (p.16 ; mes italiques) Il faut à nouveau noter l'hétérogénéité des éléments présentés dans ces formulations. Carpentier vient de passer de l'absence de foi mystique, décrétée chez des artistes européens contemporains, à son propre émerveillement devant la foi profonde qu'il attribue au peuple haïtien – foi illustrée par l'extraordinaire légende de la métamorphose de Mackandall, vieille de plus d'un siècle. Cet épisode de l'histoire haïtienne est aussi au centre du roman que Carpentier introduit dans ces pages. Mais la question éludée ici est la suivante : l'émerveillement de l'auteur Carpentier est-il comparable à la foi mystique dont il déplore l'absence chez les écrivains européens et dont il vient d'affirmer qu'elle est la condition nécessaire et préalable pour la perception du merveilleux ? Après d'autre exemples historiques de la foi populaire haïtienne et de personnages extraordinaires, Carpentier en arrive à ceci : A chaque pas je trouvais le réel merveilleux. Mais il me vint aussi que cette présence et vigueur du réel merveilleux n'était pas un privilège unique de Haïti, mais le patrimoine de toute l'Amérique où l'on n'a pas fini encore d'établir le recueil des cosmogonies, par exemple. [...] Etant donné la virginité du paysage, sa formation, l'ontologie, la présence faustienne de l'indien et du noir, étant donné la révélation que constitue sa découverte récente et la féconde hybridisation qu'elle a favorisée, l'Amérique est loin d'avoir épuisé la richesse de ses mythologies. (p.16-17 ; mes italiques) 47
On reconnaît, dans les lignes ci-dessus, les idées développées par O. Spengler dans Le Déclin de l'Occident.24 Aujourd'hui, on peut estimer que ces théories sont à l'origine de plusieurs faiblesses dans l'argumentation de Carpentier : 1) en définissant un réel merveilleux américain par opposition à une Europe "culturellement épuisée," Carpentier se situe nécessairement en dehors de l'Amérique, et soumet celle-ci à un regard instruit et réflexif qui ne saurait participer de la "fraîcheur" et "spontanéité" d'une foi indigène ; 2) afin de défendre son point de vue nouveau-mondiste, Carpentier souligne, à gros traits rouges, le manque de foi qui serait la cause de l'impuissance du surréalisme. Soit. Mais il ignore complètement une partie de la littérature européenne inspirée dans laquelle les forces telluriques, mystiques et païennes imprègnent encore les mentalités et les modes de vie. 25 Ainsi, dans la seule littérature d'expression française, les textes d'un Jean Giono, d'un Ramuz, ou d'un Henri Bosco ne semblent guère affectés de dégénérescence urbaine ou esthétique. Le programme littéraire annoncé par Carpentier semble donc basé avant tout sur l'exploitation de la richesse américaine en matière de mythologies, exploitation dont Le Royaume de ce monde se veut une première illustration, comme le dernier Selon González Echevarría (Alejo Carpentier: The Pilgrim at Home, Cornell University Press, 1977, p.56), l'ouvrage de Spengler alimenta le mundonovismo en général, et fournit aux écrivains latino-américains un retour vers une espèce de "philosophie néo-romantique, non-réflexive." 25 Comme l’a formulé Hans-Joachim Müller, "ce n'est pas le surréalisme qui est parallèle aux auteurs latino-américains du réalisme magique, mais la littérature régionale, enracinée dans la mentalité magique, païenne et superstitieuse des paysans." "Zu den Beziehungen des magischen Realismus der neueren latein-amerikanischen Literatur mit dem französischen Surrealismus" in Sprachkunst, Beiträge zur Literaturwissenschaft X, Vienne, 1979, p.109-122 (c'est moi qui traduis). Müller inclut le réel merveilleux de Carpentier dans son étude du réalisme magique latino-américain. 48 24
paragraphe du Prologue le revendique, en termes vantant à la fois un souci de rigueur historique et l'aspect authentiquement "merveilleux," "fantastique" et "extraordinaire" des événements rapportés : [Dans le récit qui suit], le merveilleux coule librement d'une réalité suivie strictement dans tous ces détails. Car il faut noter que le récit qu'on va lire a été établi sur une documentation extrêmement rigoureuse [...] qui respecte la vérité historique. [...] Et, à cause de la singularité dramatique des faits, à cause de la prestance fantastique des personnages qui se rencontrèrent, à un moment donné, au carrefour magique de la ville du Cap Haïtien, tout devient merveilleux dans une histoire impossible à situer en Europe et qui est aussi réelle, certainement, que les événements consignés dans les manuels scolaires pour l'édification pédagogique. Mais qu'est-ce que l'histoire de l'Amérique, sinon une chronique du réel merveilleux? (p.17-18) On ne remettra pas en question le travail documentaire auquel Carpentier a pu se livrer lors de son séjour en Haïti, ou le caractère exceptionnel de l'histoire de ce pays. En revanche, l'assertion que de tels événements à la fois ”réels," "historiques" et "merveilleux" n'auraient pu avoir lieu en Europe, est non seulement gratuite mais singulièrement affaiblie par leur comparaison avec la "réalité" des événements consignés dans les manuels d'histoire. Si l'intention de Carpentier est de chercher à minimiser ou ridiculiser les épisodes glorifiés dans nos livres d'histoire, son argumentation se retourne contre lui, car les événements de l'histoire haïtienne ou américaine, relatés par Carpentier, semblent magnifiés davantage.26 Mais il convient sans doute plutôt de voir, dans ces 26
"A lire les chroniques de Bartolomeo de las Casas ou plus récemment Les veines ouvertes de l'Amérique latine d'Edouardo Galeano, je n'ai pas l'impression que les faits historiques qu'ils relatent relèvent du réel 49
dernières lignes, un clin d’œil au lecteur sous la forme d'une allusion humoristique au prologue de type rabelaisien, encore imprégné du boniment de l'auteur-camelot, vantant les qualités de ses "Grandes et inestimables Chronicques," à la foire de Lyon ou de Francfort. La revendication polémique d'une singularité américaine d'un "réel merveilleux" est donc doublement problématique : d'une part, elle se pose en s'opposant à l'art européen, décrété décadent en vertu de quelques manifestations marginales ; d'autre part, en affirmant se fonder sur une perception indigène du monde, sur une une foi mystique, elle n'apporte aucune réponse à la question fondamentale de la représentation d'une telle vision par un artiste étranger à cette culture et fermé à cette foi, comme c'est le cas de Carpentier lui-même (une lecture attentive montre que Le Royaume de ce monde, en particulier, affiche des marques de tension évidentes entre les points de vue du narrateur et celui du protagoniste, l'esclave Ti-Noël). Quelle qu'ait pu être sa valeur stimulatrice pour toute une génération d'écrivains latinoaméricains, le Prologue occulte le problème de la représentation du réel soi-disant merveilleux. 2. "Du réel merveilleux américain" Sous ce titre parut, quinze ans plus tard, dans un volume d'essais de Carpentier, une version augmentée du Prologue. 27 Je me limite ici à noter les changements introduits dans cette nouvelle version, dans la mesure où ils affectent le concept de "réel merveilleux." merveilleux, sauf à confondre la cause et les effets," écrit notamment Yann Orveillon ("Alejo carpentier et la 'réalité merveilleuse' des prisons cubaines" in Hors Jeu 14, consacré à Cuba, Janv. 1993, p.9). 27 "De lo real maravilloso americano," Tientos y diferencias. Ensayos, Mexico, Universidad Nacional Autonoma, 1964. Edition utilisée : Tientos, diferencias y otros ensayos, Barcelone, Plaza & Janés Ed., 1987, p.66-77. 50
A de légères retouches près, le texte du Prologue demeure inchangé, mais les trois pages qu'il occupe sont précédées de sept pages nouvelles et enthousiastes sur les merveilles vues, lues et entendues, lors de récents voyages entrepris par Carpentier. L'ensemble du nouveau texte, qui se lit comme un catalogue culturel extraordinairement érudit, est divisé en cinq parties, traitant respectivement de la République de Chine Populaire, du monde islamique, de l'Union Soviétique, de l'Europe centrale, et de l'Amérique latine et antillaise. C'est donc à l'issue d'une espèce de tour du monde culturel que l'auteur re-situe le "réel merveilleux américain" dans un contexte très élargi par rapport à celui du Prologue. Carpentier a pu "constater" la réalité des merveilles (surtout historiques) de Péking, d'Asie Centrale, de Léningrad, Moscou, Prague et Bucarest, célébrées de tout temps par les auteurs en peine d'exotisme. Puis, "le latino-américain, rentre au pays et se met à comprendre beaucoup ce choses." Il découvre que la grande chronique de Bernal Díaz del Castillo est "le seul livre de chevalerie véritable et digne de foi, qui fût jamais écrit," qu'un José Martí a pu écrire "l'un des meilleurs essais sur les peintres impressionnistes français jamais rédigés" ; il voit mieux, maintenant, la "solitude prométhéenne de Bolívarà Santa Marta," la beauté "absolument abstraite" du temple de Mitla, etc. Carpentier renoue alors avec le réel merveilleux de la façon suivante : ...une première notion du réel merveilleux me vint à l'esprit en 1943, lorsque j'eus la chance de pouvoir visiter le royaume d'Henri Christophe – les ruines si poétiques de Sans-Souci, [...] le palais de pierre, habité jadis par Pauline Bonaparte. Ma rencontre avec Pauline Bonaparte, là, si loin de la Corse, fut pour moi comme une révélation. (p.73)
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Il est frappant à quel point cette vision du soi-disant "réel" est loin d'une quelconque réalité contemporaine de Haïti, puisqu'elle se nourrit presque exclusivement d'images nostalgiques et de formules métaphoriques. Du point de vue de l'expression, les complaisances romantiques sont évidentes: ce n'est pas "le royaume d'Henri Christophe" que Carpentier a visité, mais la République d'Haïti ; il n'a nullement "rencontré" Pauline, mais rêvé d'elle. Carpentier continue ainsi : Je vis la possibilité de porter certaines vérités européennes à des latitudes qui sont les nôtres, à rebrousse-poil de ceux qui, voyageant contre la trajectoire du soleil, voulaient porter nos vérités à nous, là où, jusqu'il y a trente ans à peine, il n'y avait pas de capacité de les comprendre ou de les mesurer dans leur juste dimension. (Pauline Bonaparte fut pour moi un guide d'aveugle, un premier guide – partant de la Venus de Canova – dans les essais de documentation sur les personnages comme Billaud-Varenne, Collot d'Herbois, et Victor Hugues, qui devaient animer mon Siècle des Lumières, vu en fonction de lumières américaines). (p.73) Ces lignes touffues proposent une genèse troublante de la notion du réel merveilleux américain : si l'on conçoit volontiers la légitimité, pour l'Américain, de l'inversion du regard européen sur l'Amérique, le fait que cette redécouverte se fasse par le truchement d'une rêverie sur Pauline Bonaparte (suscitée par sa représentation sculptée par Canova) est pour le moins surprenant. Il est symptomatique que, dans la quatrième partie de ce nouvel essai, le regard porté par Carpentier sur l'Europe occulte la réalité et l'art modernes pour souligner fortement les apports historiques, en particulier baroques et romantiques. Ainsi, Prague y est célébrée comme "la ville mi-réelle mi-fantastique où eut lieu la fameuse Défenestration ;" elle rappelle aussi l'âme de Schiller, la 52
figure de Faust, la légende du Golem, le Don Juan de Mozart, "œuvre faustienne, auto-sacramentale" et Kafka. De la Prague de Kafka à la Weimar de "Jean-Sébastien" et à la Leipzig de Goethe, il n'y a qu'un saut que Carpentier propose de faire "en diligence imaginaire." On voit que les images rapportées d'Europe par Carpentier sont grandement alimentées par l'érudition, d'une part, et une imagination très vive, d'autre part. Dans ce contexte, il convient aussi de signaler le contenu de la note de bas de page, ajoutée par l'auteur à l'endroit où il insère le texte du Prologue dans sa nouvelle composition : Je passe ici au texte du prologue de la première édition de mon roman Le Royaume de ce monde (1949), qui n'apparut pas dans les éditions suivantes, bien que je le considère, à quelques détails près, aussi pertinent aujourd'hui qu'alors. Le surréalisme a cessé de constituer pour nous (en vertu d'un processus d'imitation encore très actif il y a quinze ans) une présence d'un maniérisme erroné. Mais il nous reste le réel merveilleux , dont la tendance bien distincte et de plus en plus clairement palpable et discernable, se met à proliférer dans les œuvres de certains jeunes romanciers de notre continent. (p.74 ; mes italiques) Cette remise au point s'imposait à Carpentier pour expliquer un passage – qui reste d'ailleurs brutal – entre les richesses culturelles inouïes de l'Amérique latine qu'il vient d'évoquer, et la production artistique d'une petite avant-garde européenne. Mais cette note ne comble nullement le fossé creusé dès le texte du Prologue entre les notions de surréalisme (ou de réalisme) et de réel merveilleux (américain ou non). Alors que dans le Prologue, le réel merveilleux avait été défini comme une qualité inhérente à la réalité culturelle américaine, perçue par des êtres encore capables de foi mystique, les lignes soulignées plus haut le font passer 53
"dans les œuvres de certains jeunes romanciers." Comment ce passage a-t-il eu lieu? En mettant en concurrence le surréalisme et le réel merveilleux dans le domaine du roman, Carpentier suggère au moins que ces deux notions fonctionnent sur le même plan : celui d'une esthétique. Mais ne faudrait-il pas alors parler de réalisme merveilleux ? Loin de définir plus clairement la notion exposée dans le Prologue ou de proposer une vision interne et autonome du réel merveilleux américain, les (belles) pages que Carpentier ajoute dans son nouvel essai traduisent un enchantement personnel (et manifestement sincère) devant les innombrables beautés du monde, mais elles insèrent son concept encore davantage "dans un cadre de référence extérieur."28 La question toujours éludée est celle-ci : le réel merveilleux est-il une perception spécifiquement américaine du monde ou une esthétique de sa représentation ? 3. "Le Baroque et le réel merveilleux" Sans doute conscient de la question demeurée en suspens dans les deux textes analysés plus haut, Carpentier y répondit dix ans plus tard en introduisant un nouvel élément théorique dans un essai intitulé "Lo barroco y lo real maravilloso." Ce texte affiche des marques rhétoriques évidentes de l'occasion pour laquelle il fut rédigé : une conférence donnée à l'Ateneo de Caracas, le 22 mai 1975.29 Il propose d'articuler deux concepts théoriques dont l'ambition est de rendre compte de la spécificité de la littérature latino-américaine, et brosse, à cet effet, un vaste tableau de la production artistique universelle. Dans ce nouvel essai d'une érudition époustouflante, l'argumentation de Carpentier peut être résumée ainsi :
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"[Carpentier's notion of the marvelous real] is not autonomous to Latin America, but the product of an external frame of reference," Richard Young, op. cit., p.46. 29 Il parut dans Tientos, diferencias y otros ensayos, op. cit., p.103-119. 54
– Première thèse : redéfinition du terme "baroque," en accord avec la théorie déjà émise par Eugenio d'Ors qui, au lieu de la conception habituelle du baroque en tant que style historique (originaire de l'Europe du dix-septième siècle et opposé au classicisme), argue en faveur d'un esprit cyclique, le "baroquisme," vu aussi comme une "constante humaine universelle" (p.104-5). Illustration par un catalogue universel du baroquisme. – Seconde thèse : l'art américain a toujours été baroque, c'est -à-dire exprimant "l'apogée, la richesse expressive maximale, d'une civilisation déterminée," parce que né d'une civilisation créole, riche de métissages (p.110-1 et 104-5). – Troisième thèse : la créolité baroque américaine mène "directement" au réel merveilleux. Redéfinition du "merveilleux" qui, contrairement à la perception commune, n'est pas seulement le beau, mais inclut également ce qui est laid et insolite. Le "réel merveilleux américain" est distinct des importations européennes du réalisme magique" (de F. Roh) et du "surréalisme" (d'A. Breton). – Synthèse : le monde merveilleux (latino) américain est baroque. Il génère, "logiquement" et "spontanément," un art baroque (p.117). Exemples. – Conclusion : le "nouveau roman latino-américain" est baroque. Le réel merveilleux est là, à la disposition de qui veut bien s'en servir. Les écrivains latino-américains ont étudié les classiques, puis développé un langage propre, adéquat. Ils ont atteint la maturité et seront "les classiques d'un énorme monde baroque." L'argumentation de Carpentier est aussi riche que sa thèse est séduisante : qui songerait à nier qu'il y a, en effet, dans le continent central et sud-américain, un foisonnement de vestiges culturels inspirés par un "esprit baroque," une multitude d’œuvres caractéristiques de "l'horreur du vide," d'un "art en mouvement," d'un "art de la pulsion" (p.106-7). Mais le discours de Carpentier n'est pas toujours rigoureux et sa démonstration repose sur des 55
assertions parfois abusives. Ainsi, l'ambiguïté entre la tendance universelle "constante" et le "retour cyclique" de la théorie du "baroquisme" d'Eugénio d'Ors, devient une contradiction formelle dans sa reprise par Carpentier, lorsqu'il affirme que l'histoire de l'Amérique a "toujours été baroque," et donc, en vertu de sa propre définition du baroque, toujours "à l'apogée." Or, il n'est besoin que de rappeler le destin des grandes civilisations précolombiennes – maya, aztèque, olmèque, etc. – pour invalider cette proposition. La distinction que fait Carpentier entre le baroque en tant que "mouvement épisodique" et en tant que "caractéristique fondamentale d'une culture" (p.107) ne se réduit-elle pas alors à une simple question de proportions temporelles ? D'autre part, le concept de "classicisme" est expédié en quelques lignes, comme synonyme d'un académisme figé, d'un copiage servile, dû à l'incapacité innovatrice. En recoupant les définitions apparemment contradictoires, données par deux dictionnaires différents, Carpentier conclut que la notion de classicisme est inutilisable dans la littérature hispanique (p.105). Pourtant, dans sa phrase de conclusion, Carpentier joue lui-même sur la double acception du mot "classique," entre le sens précis d'un style historique d'inspiration gréco-latine et le sens général du terme, attribué à toute chose faisant partie du patrimoine culturel. Après avoir étayé la théorie de l'universalité du baroquisme en donnant une liste impressionnante de "monuments" baroques (l'oeuvre de Rabelais, de Shakespeare, les sculptures de Bernini, celles des temples hindous, la basilique de Moscou, La Flûte Enchantée de Mozart, l'Orlando Furioso de l'Arioste, le Faust de Goethe, Les Chants de Maldoror de Lautréamont, A la Recherche du temps perdu de Proust, la poésie de Maiakovski, etc.), l'art américain – "depuis toujours" – est présenté comme "entièrement,", "authentiquement" et "nécessairement" baroque en vertu de la créolité, de l'aspect symbiotique de sa culture :
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Et pourquoi l'Amérique latine est-elle la terre d'élection du baroque ? Parce que chaque symbiose, chaque métissage engendre un baroquisme. Le baroquisme américain se développe avec la créolité, [...], avec la conscience de l'homme américain [qu'il soit fils de blanc européen, de noir africain, ou d'indigène] d'être autre chose [...] d'être créole; et l'esprit créole est de par lui-même un esprit baroque. [...] Avec ces éléments [créoles], apportant chacun son baroquisme, nous rencontrons directement ce que j'ai appelé le "réel merveilleux." (p.112-3) Il faut pour le moins relativiser la généralisation par Carpentier de la "conscience créole de l'homme américain," qui relève en grande partie du vœu pieux ou de l'idéalisme (tout comme le melting-pot étatsunien). Dans les deux textes précédents, la réalité américaine était vue comme merveilleuse ; ici, elle est décrétée baroque, en bloc, en vertu de sa créolité. On arrive donc au principe d'identité globale suivant : le réel américain est créole, baroque et merveilleux. L'auteur passe ensuite à une autre remise au point, qui permettrait de distinguer, "très facilement," entre son concept du réel merveilleux et ceux du réalisme magique et du surréalisme, avec lesquels ils sont parfois confondus. Selon lui, le terme de "réalisme magique" désigne une "peinture expressionniste, mais expurgée d'intention politique concrète."30 Or ces références au livre de Franz Roh31 sont problématiques. La réduction par "El término de realismo mágico, fue acunado en los alrededores del año 1924 o 1925 por un critico de arte alemán llamado Franz Roth [sic] en un libro publicado por la Revista de Occidente, que se titula El realismo mágico. En realidad, lo que Franz Roth [sic] llama realismo [sic], es sencillamente una pintura expresionista, pero escogiendo aquellas manifestaciones de la pintura expresionista ajenas a una intención politica concreta" (p.114). 31 Nach-expressionismus. Magischer Realismus (Leipzig, Klinkhardt & Biermann, 1925 ; les citations qui suivent sont ma traduction). Carpentier 57 30
Carpentier du réalisme magique selon Roh à une version politiquement édulcorée de l'expressionnisme est erronée, puisque Roh inclut, parmi les sept courants qu'il distingue dans le postexpressionnisme, un type de peinture qui décrit les "horreurs non expurgées de notre temps, plutôt que ceux d'enfers lointains" (p.24), en se référant notamment à la peinture d'artistes engagés comme Otto Dix et le communiste Georg Grosz. Parti sur ce malentendu, Carpentier fait l'éloge de quelques "représentations authentiques de l'expressionnisme," comme les pièces de Brecht, de Karel Capek et de Georg Kaiser, dont il souligne les qualités critiques, polémiques et révolutionnaires, alors que "ce que [Roh] appelle le réalisme magique était simplement une peinture dans laquelle les formes réelles étaient combinées de manière non-conforme à la réalité quotidienne." 32 Mais cette dernière assertion qui pourrait s'appliquer à la peinture surréaliste, s'oppose directement à la caractéristique principale des œuvres visées par Roh, dans lesquelles, selon lui, "il semble que tout le rêve fantastique [expressionniste] ait disparu et que le monde familier resurgit devant nos yeux avec la clarté nouvelle d'un matin" (p.24). L'interprétation tendancieuse de Carpentier pourrait s'expliquer en partie par le fait qu'il considère l'intriguant tableau La bohémienne endormie (1887) du Douanier Rousseau, reproduit en face de la page de titre du livre de Roh, comme représentatif du réalisme magique, alors que le critique allemand n'y voyait que le précurseur d'une tendance (parmi sept), celle qu'il appelle justement l'école "Rousseauiste" ou "naïve" (p.80). A partir de cette reproduction, Carpentier affirme que "voilà le réalisme invoque ce livre par le biais de sa traduction (parue à partir du numéro 48, de juin 1927 dans la Revista de Occidente de Madrid), sous le titre simplifié de El realismo mágico. Ce dernier occulte la notion de "postexpressionnisme," centrale dans l'original allemand. 32 "Lo que [F. Roh] llamaba realismo mágico era sencillamente una pintural donde se combinan formas reales de una manera no conforme a la realidad cotidiana." (p.114). 58
magique, car c'est une image invraisemblable, impossible." Or, la qualité générale du réalisme magique, selon Roh, est justement de "tenter de réinstaurer la réalité dans son aspect visible," de se vouloir à nouveau "le miroir du monde extérieur tangible" (p.27).33 La confusion est encore plus manifeste dans les dernières remarques de Carpentier à ce sujet, lorsqu'il inclut, dans le corpus du réalisme magique, "les vaches volant dans le ciel," les "ânes sur les toits des maisons" et d'autres "éléments de la réalité, projetés dans une atmosphère de rêve" par Chagall. 34 Roh mentionne en effet "les animaux marchant dans le ciel" chez Chagall, dans la section de son livre, intitulée "Les nouveaux objets" (c'est-à-dire ceux peints dans l'esthétique nouvelle du réalisme magique), mais il le fait dans un paragraphe (p.23-24) consacré aux exagérations fantastiques du mouvement précédent, c'est-à-dire de l'expressionnisme, auquel il rattache les œuvres de Chagall en question.35 "Y en la portada del libro aparecía el cuadro famoso del Aduanero Rousseau [...]; aquello es realismo mágico porque es una imagen inverosímil, imposible, pero, en fin, detenida allí" (p.114). Plutôt que l'image, c'est la situation représentée dans le tableau qui semble – sinon franchement invraisemblable – du moins d'une grande naïveté. Il est intéressant de constater que la vision exprimée ici par Carpentier, du réalisme magique comme une représentation (objectale) de l'invraisemblable correspond, en fait, au trait le plus frappant du roman latino-américain magico-réaliste (comme dans Cent Ans de solitude de García Márquez), que Carpentier choisit d'ignorer dans son essai. Sa lecture de la théorie de Roh semble être une projection rétrospective (et erronée) de cette pratique latino-américaine sur l'appellation d'origine. 34 "También Franz Roh consideraba que el realismo mágico era representado por la figura de Chagall, donde se véian vacas volando en el cielo..." (p.114). 35 Carpentier attribue aussi à Roh un goût prononcé pour les œuvres de Balthus dont les représentations de "rues parfaitement réalistes" sont pourtant "dépourvues de toute poésie et de tout intérêt." Or je n'ai trouvé trace de Balthus dans l'édition allemande (ni dans le texte, ni parmi les œuvres reproduites, ni dans la longue liste des artistes illustrant le réalisme magique, selon Roh, p.133-34). 59 33
Si de telles erreurs d'interprétation de l'appellation d'origine du "réalisme magique" sont gênantes, elles le sont moins, en fait, que le silence assourdissant de Carpentier, dans cette partie de son discours, sur l'usage spécifiquement latino-américain du réalisme magique. Or, le realismo mágico alimentait les discussions et les publications littéraires depuis vingt ans,36 et les œuvres de deux prix Nobel étaient associées à ce qui constituait au moins un courant, sinon un mouvement. Si le rappel de l'origine de l'appellation ne manquait pas d'intérêt historique, il semblait bien plus important, devant un auditoire latino-américain, de confronter le réel merveilleux aux œuvres littéraires latino-américaines déjà associées par la critique au réalisme magique. Ayant ainsi disposé du réalisme magique, Carpentier s'attache à distinguer aussi le surréalisme du réel merveilleux. S'il reconnaît que le mouvement de Breton a le mérite de voir (comme lui) le merveilleux dans l'insolite, le macabre et le cruel, il lui reproche cependant de "poursuivre le merveilleux à travers les livres et a travers les choses préfabriquées," plutôt que dans la réalité. C'est faire peu de cas de nombreux poèmes et de textes en prose aussi fondamentaux que Nadja ou Le Paysan de Paris, qui sont de ferventes déclarations de foi dans une surréalité moderne et urbaine, que l'on pourrait appeler aussi un réel merveilleux. Mais Carpentier se réserve la définition ce dernier : En revanche, le réel merveilleux que j'ai défini, et c'est notre merveilleux, est celui que nous rencontrons à l'état brut, latent et omniprésent dans tout ce qui est latinoaméricain. Ici, l'insolite est, et a toujours été, quotidien. Les livres de chevalerie furent écrits en Europe, mais ils furent vécus en Amérique... (p.115-6 ; mes italiques)
L'article d'Angel Flores "Magical Realism in Spanish American Fiction" (Hispania 38/2, 1955, p.114-129) proposait déjà une tentative de remise au point. 60 36
Carpentier fait donc la promotion de son concept, sur la base d'un patrimoine culturel que l'audience de Caracas pouvait aisément reconnaître aussi comme sien. Ce faisant, il revient au même type d'inégalité des termes de la comparaison, qu'il établissait, dans le premier paragraphe du Prologue du Royaume de ce monde, entre les merveilles d'Haïti et les toiles grises et sans vie d'Yves Tanguy. Se pose à nouveau la question de l'intérêt, en littérature ou en esthétique, de la notion d'un "réel merveilleux" limité à la caractérisation d'une partie du monde. 37 Comme dans ses textes précédents, Carpentier procède par généralisations abusives : "le quotidien est toujours insolite" en Amérique. Aux yeux émerveillés d'un Carpentier, sans doute, mais les exemples du réel américain "merveilleux et baroque" que Carpentier cite sur deux pages, excluent toute référence à des réalités plus prosaïques : la capitale de Moctezuma (de superficie immense, par rapport au Paris, contemporain de François Ier...), la végétation foisonnante, l'architecture baroque, la citadelle de Laferrière (dont "le ciment fut renforcé du sang de centaines de taureaux, afin que les murs résistent aux attaques des Européens"), la révolte de Mackandall, les "temples brésiliens dédiés au positivisme d'Auguste Comte," un dictateur affligé d'un délire de persécution, "bien plus extraordinaire que Macbeth," etc. Au milieu de cette liste, Carpentier formule l'assertion suivante : ...nous devons montrer, interpréter les choses qui nous appartiennent. Et ces choses se présentent à nos yeux comme des choses nouvelles. La description est inévitable, et la description d'un monde baroque doit nécessairement être baroque, i.e. le quoi et le comment se combinent dans ce cas, en face d'une réalité baroque. Devant un Arbre de 37
Parmi d'autres critiques, Richard Young a souligné l'ambiguïté entre les aspects phénoménologiques et ontologiques de la notion proposée par Carpentier (op. cit., p.44). 61
vie de Oaxaca, je ne peux pas faire une description d'un type, disons, classique ou académique. Je dois atteindre, avec mes mots, un baroquisme parallèle au baroquisme du paysage tropical tempéré. Et nous nous rendons compte que ceci conduit logiquement à un baroquisme qui se produit spontanément dans notre littérature. (p.117 ; mes italiques) Il y a dans l'articulation logique de ce passage, deux raccourcis saisissants qui en limitent singulièrement la valeur démonstrative. En admettant que les éléments "baroques" sont foison en Amérique et qu'il y ait un intérêt certain dans leur description littéraire ou artistique, la reproduction fidèle de l'objet baroque par un style "nécessairement" baroque, par mimétisme, ne s'inscriraitelle pas dans une esthétique tout simplement réaliste ? D’autre part, l'artiste et l'écrivain sont-ils vraiment condamnés à reproduire "spontanément" le baroque de leur culture ? Il est clair que Carpentier généralise ici une vision personnelle du monde latinoaméricain et une opinion, tout aussi personnelle, du rôle de l'artiste. L'articulation entre les notions de réel merveilleux et de baroque n'est pas précisée davantage. A la fin de l'essai analysé précédemment, Carpentier citait la présence d'éléments du réel merveilleux dans les œuvres littéraires de la nouvelle génération. Celles-ci sont présentées maintenant comme illustrant le baroque : Et le baroque que vous connaissez, le roman contemporain latino-américain, celui que l'on appelle le "nouveau roman," […] est dû à une génération de romanciers, qui produisent des œuvres traduisant le milieu américain – aussi bien de la ville, de la forêt et des champs – de façon totalement baroque. / Quant au réel merveilleux, nous n'avons qu'à tendre les mains pour l'attraper. Notre histoire contemporaine nous présente chaque jour des événements insolites. (p.118) 62
On voit, dans le passage à la ligne de la citation ci-dessus, comment le réel merveilleux est circonscrit à la qualité (quotidienne...) de l'histoire latino-américaine : sa traduction dans l’œuvre littéraire se fait, dorénavant, par le biais du (style) baroque. L'introduction de cette dernière notion, dans ce troisième texte de Carpentier, signifie donc la réduction effective des frontières du réel merveilleux, qui ne peut plus prétendre au statut de style ou d'esthétique, en concurrence avec le surréalisme ou le réalisme magique, comme les essais précédents le suggéraient parfois. Sans l'expliciter, Carpentier aura admis les limites sémantiques du terme "réel" face à celui de "réalisme." L'expression de "baroque," est plus apte, certes, que celle de "réel merveilleux" à décrire un style (ou une esthétique), mais on peut s'interroger sur la validité de l'extension inverse du terme "baroque" pour décrire l'aspect de paysages naturels ou d'événements historiques, comme le fait Carpentier, dans le sillage du "baroquisme" d'Eugenio d'Ors. Le paragaphe final de l'allocution de Carpentier tient assez du manifeste politico-culturel, dans lequel il exprime son optimisme quant aux événements réels-merveilleux à venir, lesquels ne poseront plus de problème de description, puisque "nous avons atteint notre maturité. Nous serons les classiques d'un énorme monde baroque" (p.118-9). En amalgamant ici les notions de classique et de baroque (alors qu'il avait ridiculisé leur confusion, plus haut), Carpentier semble conclure son discours par un clin d'œil. Conclusions. L'analyse ci-dessus aura montré que l'argumentation de Carpentier en faveur du concept de "réel merveilleux" présente plusieurs points faibles : – Le premier est celui d'un parti-pris idéologique influencé par les théories d'Oswald Spengler sur le déclin de l'Occident. Fort de cette adhérence, Carpentier oppose la vitalité du "réel merveilleux 63
américain" de manière souvent caricaturale et polémique à des productions artistiques européennes marginales ; – Le second est de maintenir l'hésitation quant à son domaine d'application : s'agit-il de la réalité culturelle même du continent, ou d'une esthétique de sa représentation ? L'introduction tardive d'un parallélisme avec le concept de baroque ne fait que confirmer, implicitement, la non-pertinence du réel merveilleux en tant que concept stylistique ou esthétique ; – enfin, en choisissant d'ignorer le concept voisin et concurrent de "realismo mágico," pourtant largement répandu dans la critique latino-américaine, Carpentier a contribué au développement d'une confusion, souvent décourageante, entre les deux notions. Quoi que l'on puisse penser de sa validité dans le cadre d'une poétique littéraire ou d'une esthétique, la notion carpentérienne du real maravilloso americano eut un grand retentissement dans la littérature latino-américaine : elle contribua certainement à lui donner ses lettres de noblesse, en l'affranchissant de sa longue tutelle des milieux culturels européens. D'autre part, comme le suggère François Lopez, il importe de se souvenir que Carpentier, "esprit curieux de tout, mais surtout de beaux arts, n'était ni historien ni philosophe. Sa pensée était esthétique avant tout, même dans ses œuvres les plus engagées politiquement."38 En affirmant que le merveilleux n'est visible que pour les "croyants," Carpentier prive son concept de tout fondement théorique rationnel. Le réel merveilleux américain n'est alors autre chose que le credo d'une religion "nouveau-mondiste," d'une nouvelle théologie de la fiction dans laquelle l'acte de foi est confondu avec l'acte de création, la vision du monde avec le mode (ou style) de sa représentation littéraire. 38
François Lopez, "L'affirmation polémique de l'américanité dans l'œuvre de Carpentier : un noyau générateur et un système de pensée esthétique" in Hommage à Alejo Carpentier, Actes du Colloque de Talence, Presses U. de Bordeaux, 1985, (p.45-60). l'analyse de F. Lopez montre comment l'œuvre romanesque de Carpentier repose sur le même système de pensée antithétique que celui développé dans les essais. 64
En dépit de ses aspects exaltants et de son effet stimulant dans l'histoire de la littérature latino-américaine, il faut donc conclure que le concept carpentérien du réel merveilleux américain s'insère mieux dans l'histoire des idées que dans une théorie narrative ou dans une esthétique. D'autre part, ses liens avec le réalisme magique restent à élucider.39
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La confusion entre les deux notions a été encouragée notamment par l'assertion (surprenante sous une plume aussi érudite) d’un Carlos Fuentes qui fait de Carpentier "el inventor del realismo mágico," sans autre forme d'explication, dans Valiente Mundo Nuevo (Madrid, Mondadori, 1990, p.127). Or non seulement Carpentier n'a pas "inventé" la locution "realismo mágico", mais on a vu qu’il s'est défendu expressément (et aussi tard qu'en 1975), du moindre rapport entre le réalisme magique et son réel merveilleux. Il est tout aussi troublant de constater par ailleurs, que Fuentes ne mentionne pas le réalisme magique dans son chapitre sur García Márquez. 65
Epilogue : L'enlisement de la critique hispano-américaine entre real maravilloso et realismo mágico L’histoire de la réception du real maravilloso et de son articulation avec le realismo mágico est assez extraordinaire, si l’on songe qu’au plus tard en 1973, lors du Congrès de littérature ibéro-américaine de l’Université du Michigan à East Lansing, des voix d’une grande autorité avaient souligné les aspects fallacieux du concept de Carpentier et son impact négatif sur la discussion – déjà suffisamment confuse – autour du réalisme magique. 40 Emir Rodríguez Monegal avait ouvert le Congrès par un réquisitoire implacable contre "l’incommunication" caractérisant les diverses littératures hispano-américaines et le manque de rigueur de la plupart des critiques (notamment d’Angel Flores et de Luis Leal), ces deux aspects aboutissant selon lui à un véritable "dialogue de sourds" sur les rapports entre réalisme magique et littérature fantastique. Enrique Anderson Imbert s’était attaqué aux trois notions principalement en cause : la littérature fantastique, le réalisme magique et le réel merveilleux.41 En ce qui concerne ce dernier, il estimait que "pour être étrangère à l’Esthétique, la notion de réel merveilleux ne peut être confondue avec celle de réalisme magique, qui elle est esthétique" (p.41) et que, "contrairement à l’opinion de Carpentier, "la réalité objective américaine ne jouit pas de privilèges artistiques" (p.42) Il concluait par cette affirmation forte : "dans [la littérature de Borges comme dans celle de García Márquez], la magie, le merveilleux n’est pas dans la réalité mais dans l’art de feindre." Le troisième grand critique à s’intéresser à Carpentier était Roberto González Echevarría, qui se penchait précisément sur les rapports de celui-ci avec le réalisme magique. 42 González Echevarría montre clairement les origines européennes du 40
"Realismo mágico versus literatura fantástica: un diálogo de sordos" in Otro mundos, Otros fuegos, D. Yates, éd., 1975, p.25-37. 41 "'Literatura fantástica', 'realismo mágico' y 'lo real maravilloso'" in Otros mundos, otros fuegos, D. Yates, éd., 1975, p.39-44. 66
réalisme magique, l’influence de Spengler sur la notion du réel merveilleux de Carpentier, et les incohérences suscitées par la confusion des deux appellations. Les réserves exprimées par ces trois critiques auraient dû suffire à inciter leurs successeurs à la prudence et à noter qu’il n’est plus admissible de confondre réel merveilleux et réalisme magique, ni même de les situer sur le même plan : le réel merveilleux n’est pas une forme littéraire, et si le réalisme magique en est une, elle reste à définir plus précisément. Pourtant, malgré la publication (et le retentissement) des actes du Congrès d’East Lansing, bien des critiques ont persisté à s’engouffrer dans le cul de sac méthodologique du réel merveilleux. Les nombreuses études publiées depuis 1975 ont parfois de grands mérites sur le plan de la poétique (en éclairant les qualités de telle ou telle œuvre), mais rares sont celles qui font l’effort d’expliciter leur démarche en définissant ou discutant la notion théorique sur laquelle elles s’appuient. Parmi les dizaines de titres réunis dans la bibliographie du présent ouvrage, je souhaite néanmoins citer deux études dont la rigueur et l’ambition théorique m’ont paru remarquables. La première est celle de Victor Bravo, qui s’est attaché à délimiter le réalisme magique et le réel merveilleux. 43 Il propose d’abord une analyse de la "pratique littéraire du réalisme magique par Miguel Angel Asturias" (Hommes de maïs, Une certaine mulâtresse, Trois des quatre soleils), puis une analyse de la "pratique littéraire du réel merveilleux par Alejo Carpentier" (Le Royaume de ce monde, Le Partage des eaux, Chasse à l’homme, Le Recours de la méthode, La Danse sacrale, Ocho cuentos, Le Siècle des lumières, Concert baroque, La Harpe et l’ombre). Sur
42
"Carpentier y el realismo mágico" in Otros mundos, otros fuegos, D. Yates, éd., 1975, p.221-31. 43 Magías y maravillas en el continente literario :para un deslinde del realismo mágico y lo real maravilloso, Caracas, La Casa de Bello, 1988. Bizarrement, cette étude substantielle et intéressante n’est citée dans aucune des bibliographies afférentes au realismo mágico. 67
cette base, il conclut en proposant la distinction théorique suivante : Dans un sens général, il est possible de parler de 'réalisme magique' quand nous sommes en présence d'un traitement esthétique du mythe de la 'pensée sauvage' par le biais de sa poétisation, du déroulement de son principe métaphorique-métamorphique dans le récit littéraire, et/ou de la recherche littéraire des procédés de subjectivation/ objectivation. Il nous paraît possible d'affirmer qu'une longue liste d'œuvres littéraires latino-américaines répond à cette catégorisation, à ce principe de classification. Dans un sens plus spécifique, le réalisme magique se réfère au traitement esthétique de la mythologie méso-américaine et caractérise une partie de la production littéraire de Miguel Angel Asturias. […] Dans un sens général il sera possible de parler du 'réel merveilleux américain' quand nous sommes en présence d'un récit qui part de 'l'américain' en tant qu'expression esthétique d'un référent insolite, produit par une hyperbolisation littéraire de l'homme, l'histoire ou la nature, par les anachronismes temporaires dans le récit et/ou par un processus transculturel de l'ici américain et du là-bas européen. Dans cette acception générale, on peut inclure des œuvres comme Terra nostra (1975) de Carlos Fuentes, La Guerre au roi (1978) d'Abel Posse ou Aguirre, prince de la liberté (1979) de Miguel Otero Silva. Dans un sens plus spécifique, le réel merveilleux américain, en tant que réalisation esthétique, désignera l'œuvre narrative d'Alejo Carpentier, concrètement les œuvres déjà mentionnées [comme La Harpe et l'ombre (1979)] qui dépassent la thèse essentialiste pour assumer le réel merveilleux américain comme trouvaille esthétique. / 'Réalisme magique' et 'réel merveilleux', ainsi reformulés, pourront, peut-être, contribuer à rendre évidents les délimitations nécessaires ainsi que les correspondances qui font 'une' la littérature latino-américaine, au sein même de 68
sa puissante multiplicité (p.241-43 ; italiques de l’auteur ; c’est moi qui traduis). Ces définitions frappent par leur subtilité. Mais elles me paraissent souffrir de plusieurs défauts. Le plus grand est de ne pas être caractérisées formellement : ce "traitement esthétique" ou "cette expression esthétique" sont-ils des styles, des genres ou des modes narratifs, par exemple ? D’autre part, en réduisant le réalisme magique au traitement du "mythe de la pensée sauvage," la littérature européenne semble exclue. Il s’agirait donc (comme le réel merveilleux) d’une esthétique américaine (ou nouveaumondiste au sens large) et non universelle. Quant au "réel merveilleux américain," s’il me paraît important en effet, d’aller au-delà de la "thèse essentialiste" de Carpentier, pourquoi conserver une appellation sémantiquement incorrecte pour la redéfinir en tant que "trouvaille esthétique" et l’utiliser contre la conception première de son propre auteur ? Ne vaudrait-il pas mieux parler alors d’un "réalisme merveilleux" (redéfini) dans l’œuvre de Carpentier ? Une autre étude substantielle récente a été consacrée à un projet parallèle à celui de Victor Bravo. Alicia Llarena propose elle aussi de "revalider" l’usage des appellations réalisme magique et réel merveilleux en les distinguant de manière plus satisfaisante.44 En l’occurrence, sur la base du critère de vraisemblance qu’elle évalue à partir de l’analyse de deux clefs :"la fonction de l’espace" et "l’attitude face à l’étrange" dans quatre romans latino-américains (Hommes de maïs d’Asturias, Pedro Páramo de Juan Rulfo et Cent Ans de solitude de García Márquez pour le réalisme magique ; Le Royaume de ce monde pour le réel merveilleux). L’approche est originale, les analyses textuelles sont éclairantes et les conclusions sur le degré de vraisemblance de ces œuvres sur la base des différences de leurs traitements narratifs 44
Realismo mágico y lo Real Maravilloso: una cuestion de verosimilitud (Espacio y actitud en cuatro novelas latinoamericanas), Hispamérica, Universidad de Las Palmas de Gran Canaria, 1997. 69
sont convaincantes. Ce qui l’est moins, c’est la prémisse méthodologique consistant à faire du Royaume de ce monde une illustration (et la seule) de la théorie du réel merveilleux, alors que bien des études montrent que ce roman de Carpentier (pour merveilleux qu’il soit) tend plutôt à invalider son fameux prologue.45 Llarena elle-même arrive à cette conclusion, car lorsqu’elle dit que "[contrairement au réalisme magique], le réel merveilleux américain plante précisément le discours dans la réflexivité" (p.310), sa formulation est faussée : ce n’est pas du réel merveilleux qu’elle parle mais du narrateur du Royaume de ce monde. D’autre part, alors que la bibliographie réunie par Llarena est l’une des plus complètes du domaine magico-réaliste latinoaméricain, il est regrettable que précisément l’étude de Victor Bravo n’y figure pas. Bref, la notion du real maravilloso continue de fasciner, malgré ses faiblesses en tant que théorie littéraire. En dépit de leurs grands mérites, les deux études brièvement présentées ici ne proposent pas une distinction théorique convaincante entre l’appellation créée par Carpentier et sa concurrente du realismo mágico. Toutes deux mentionnent pourtant un ouvrage qui avait su marier les deux notions de manière remarquable dans la formule du realismo maravilloso, dont il sera question plus loin.
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Voir notamment Mario Vargas Llosa, "Lo real maravilloso o artimanas literarias?" in Letras Libres 2-13, Mexico, janv. 2000, p.32-36; rééd. in Mario Vargas Llosa, La verda d de las mentiras, Madrid, Alfaguara, 2002, p.235-248. 70
Le "réalisme merveilleux" selon Jacques S. Alexis et Irlemar Chiampi 1. Le Réalisme Merveilleux des Haïtiens (1956) Jacques Stephen Alexis (1922-1961) est considéré aujourd'hui comme l'un des grands auteurs des Antilles, mort précocement aux mains des Tontons Macoutes en raison de son engagement politique contre le Duvaliérisme. On se souvient surtout de ses romans,46 mais aussi de la communication qu’il fit au Premier Congrès International des Écrivains et Artistes Noirs, tenu en Sorbonne du 19 au 22 septembre 1956, sur le thème "Du Réalisme Merveilleux des Haïtiens."47 Dans ce manifeste, Alexis développe son argumentation de manière dialectique entre deux pôles : une production culturelle spécifique (celle des artistes haïtiens contemporains) et une conviction idéologique marxiste (même si ce terme ou celui de "communisme" ne sont jamais mentionnés). Les cinq premières parties du texte traitent en assez grand détail de l'histoire culturelle haïtienne. Les parties 6, 7 et 8 analysent la notion générale de culture et défendent l'idée d'une culture humaine universelle "réaliste" contre le "formalisme." Le concept du réalisme merveilleux des Haïtiens n'est traité que dans les sections 9 ("L'optique haïtienne des organons traditionnel") et 10 ("Vers une intégration dynamique du Merveilleux : le Réalisme Merveilleux"). Avant d'analyser ces deux divisions en détail, plusieurs points soulevés antérieurement par Alexis méritent d'être mentionnés ici. 46
Trois sont parus chez Gallimard : Compère Général Soleil (1955), Les Arbres musiciens (1957) et L'Espace d'un cillement (1959), ainsi qu'une collection de contes et de nouvelles, Romancero aux étoiles (1960). 47 Le sous-titre précise qu’il sagit de "Prolégomènes à un manifeste du Réalisme Merveilleux des Haïtiens." Les actes de ce congrès sont parus dans un numéro spécial de Présence Africaine, Automne 1956. 71
La culture haïtienne. Un thème important – et problématique – dans le discours d'Alexis, est celui de l'opposition entre l'aspect national et l'aspect universel de l'art et de la culture. Alors même qu'il défend l'existence d'un art national haïtien – dont le réalisme particulier serait le résultat de formes expressives spécifiques et d'un contenu esthétique évident dans "l’École du Réalisme Nouveau" qu'on commence à appeler "l’École du Réalisme Merveilleux" (p.246-48) – Alexis affirme aussi que les caractéristiques du vingtième siècle (comme la vitesse des communications, le progrès vers la justice et l'égalité) créent une "rencontre inévitable de l'art de tous les peuples sur le plan du contenu esthétique," en un mot, un "humanisme nouveau." D'où la nécessité pour l'artiste de s'engager et de lutter pour "changer le monde" et la nécessité aussi d'établir "un programme général de travail" basé sur la définition des "besoins de tout l'art national" (p.247). Une conception aussi volontariste des arts et du rôle des artistes est évidemment inspirée du réalisme socialiste. Dans sa définition de la culture haïtienne, Alexis souligne ses qualités nationales et syncrétiques. La culture haïtienne est le résultat de siècles de brassages entre trois groupes raciaux : les indiens Chemès-Taïno d'origine, les esclaves africains et les colonisateurs européens (surtout français et espagnols). La manifestation la plus évidente de ce syncrétisme culturel est le créole haïtien parlé par la vaste majorité de la population et qui, selon Alexis, n'est pas un patois mais une langue de filiation africaine par sa sémantique et dont le vocabulaire est d'origine avant tout française (p.252-54). Plutôt que d'opposer, selon une ligne de séparation coloniale, une culture française à une culture africaine sur l'île, Alexis voit une opposition entre la culture "bourgeoise cosmopolite" et la culture "populaire prolétaire. " Les deux étant néanmoins haïtiennes, même si l'élite bourgeoise est plus attirée par la France et les États-Unis que par la culture populaire haïtienne. Tout comme Alexis évite prudemment d'opposer les éléments français 72
et africains, il refuse de cautionner le concept de négritude (alors que cette notion, popularisée par Césaire, était inscrite dans le titre même du congrès). S'il concède des effets positifs au mouvement indigéniste, Alexis ne craint pas d'ajouter ceci : Décanté d'un certain "négrisme," d'un certain populisme, ce courant indigéniste dans l'art et la littérature est profitable à la culture haïtienne. Cependant nous devons dire aussi que toutes les gloses et les gorges chaudes en faveur d'une prétendue "négritude" sont dangereuses dans ce sens qu'elles cachent l'autonomie culturelle du peuple haïtien et la nécessité d'une solidarité avec tous les hommes, avec les peuples nègres également, cela va de soi. (p.256) En d'autres termes – et bien que ses classes dirigeantes puissent être solidaires d'un "certain impérialisme raciste" – l'Haïti indépendante n'est plus en situation coloniale : la lutte véritable pour Alexis, c'est la lutte des classes. L'art haïtien. Passant aux arts, Alexis souligne à nouveau l'aspect synthétique caractérisant aussi la production artistique haïtienne. Le roman, la poésie, le théâtre, la musique et les arts plastiques ont – au moins – un double héritage permanent : africain et européen (p.256). Alexis affirme également que l'art haïtien était réaliste, avant même que la Revue Indigène ne promût le réalisme, et en dépit de quelques partisans de "l'art pur." Pour lui, la "glorieuse mission" de l'artiste est de puiser dans le "trésor d'une esthétique populaire continuellement enrichie par le peuple" afin de produire des œuvres d'art faites pour le peuple: Tout ceci reflète encore la rhétorique du réalisme socialiste. Le merveilleux et Haïti. Ayant plaidé en faveur d'un réalisme social universel, fondé sur une esthétique populaire, Alexis caractérise les arts haïtiens. Il argue que les canons dominants de l'art occidental ne devraient pas être considérés de manière si définie, étant donné la brièveté de leur élaboration, eu 73
égard à l'histoire de l'humanité : les choses changent encore, et vouloir maintenir des canons "classiques" de beauté dans les arts relève de l'impérialisme culturel. Par conséquent, et sans vouloir renier la richesse de l'héritage du passé, les conditions modernes doivent aussi être prises en compte. En Haïti, l'héritage européen est important, mais combiné avec l'héritage africain, il a produit un art qui veut aller au-delà de l'ordre, de la beauté et d'une sensibilité contrôlée : L'art haïtien présente en effet le réel avec son cortège d'étrange, de fantastique, de demi-jour, de mystère et de merveilleux : la beauté des formes n'y est pas, en quelque domaine que ce soit, une donnée convenue, une fin première, mais l'art haïtien y atteint par tous les biais, même celui de la dite laideur. L'Occident de filiation gréco-latine tend trop souvent à l'intellection, à l'idéalisation, à la création de canons parfaits, à l'unité des éléments de sensibilité, à une harmonie préétablie ; notre art à nous tend à la plus exacte représentation sensuelle de la réalité, à l'intuition créatrice, à la puissance expressive. (p. 263) Notons ci-dessus la première apparition, discrète, du merveilleux, comme dernier élément d'une liste de qualités inhérentes au réel et exprimées dans l'art haïtien (alors que dans l'art conventionnel occidental, les canons esthétiques censureraient de telles bizarreries). Alexis fait ensuite un parallèle entre l'art haïtien et son "cousin" africain, pour lesquels il revendique à la fois un "profond réalisme" et un lien indissoluble au "mythe, au symbole, au stylisé, au héraldique, au hiératique même." On pourrait objecter ici, que si "chaque élément [de la représentation] est dépouillé jusqu'à l'essence," alors un tel réalisme ne se distingue plus guère d'un idéalisme. Mais ce qu'Alexis veut faire ici, en unissant art haïtien 74
et africain, c'est les défendre tous deux contre le préjugé si répandu d'un soi-disant "art primitif": Cet art [haïtien et africain, dont les éléments peuvent former une formidable accumulation] démontre la fausseté des thèses de ceux qui rejettent le merveilleux sous prétexte de volonté réaliste, en prétendant que le merveilleux serait seulement l'expression des sociétés primitives. (p.263) Pour Alexis, le réalisme peut donc être merveilleux sans être pour autant "primitif" ipso facto, comme certains veulent le croire. L’auteur passe alors à des assertions plus polémiques : La vérité est que ces œuvres sèchement et prétendument réalistes manquent leur objet et ne touchent pas certains peuples. Foin de ce réalisme analyste et raisonneur qui ne touche pas les masses! Vivement un réalisme vivant, lié à la magie de l'univers, un réalisme qui ébranle non seulement l'esprit, mais aussi le cœur et tout l'arbre des nerfs! (p.263) L'attaque d'un certain réalisme faite ici par Alexis, pourrait s'adresser en fait à deux types différents de réalisme "sec": le naturalisme conventionnel de la fin du dix-neuvième ou celui encore plus conventionnel et sentencieux, du réalisme social stalinien (qui venait justement d'être quelque peu "assoupli"). Alexis pensait-il aux deux ? C'est affaire de conjecture. Il est plus intéressant de noter que dans la phrase soulignée plus haut, Alexis parle d'un réalisme lié à la "magie de l'univers." Le "réalisme vivant" invoqué par Alexis pour refléter cette magie de l'univers, n'est donc pas restreint à Haïti. Mais en Haïti, certains artistes produisent des œuvres dans cet esprit, c'est-à-dire capables de toucher plus que seulement "l'esprit raisonneur" des gens. En affirmant que dans l'art haïtien, "l'imagination règne en maîtresse et refait le monde à sa guise," Alexis semble défendre une vision 75
très ouverte d'un art soucieux de traduire le merveilleux du réel par le biais de l'imagination. Mais dans cette belle foulée, Alexis formule aussi des restrictions : "cependant [dans cet art haïtien] on ne trouverait pas un seul élément gratuit, un seul détail qui n'ait sa réalité sousjacente, immédiatement intelligible pour la masse des hommes pour lesquels il existe" (p.264). Avec ce type d'assertion, Alexis revient au réalisme socialiste militant, dans le cadre duquel il situe l'art haïtien nouveau. Un seul critère est acceptable pour juger de la validité de cet "art de foisonnement qui défie toutes les règles et les recèle toutes : éclaire-t-il l'homme et son destin, ses problèmes de chaque instant, ses combats optimistes et ses affranchissements ?" A partir d'une telle conception, il n'y a qu'un pas vers la condamnation de productions moins engagées, comme les "constructions intellectualistes d'un certain Occident décadent," ou les "recherches surréalistes à froid" (p.264). Cette critique par Alexis d'une certaine "décadence" des formes artistiques occidentales reflète manifestement les théories exposées par Oswald Spengler dans Le Déclin de l'occident. Quant à la brève mention des "froides" recherches surréalistes, elle constitue une condamnation bien péremptoire d'un mouvement qui eut le mérite de réhabiliter justement le "merveilleux" dans la culture moderne, vie quotidienne et arts confondus. Et s'il y eut en effet des productions surréalistes d'un intellectualisme éclectique et élitiste, hermétiques aux "masses," il y eut aussi un surréalisme plus populaire – avec ou sans l'approbation d'André Breton – du côté d'un Éluard, d'un Prévert et d'un Aragon (avec lequel Alexis eut d'ailleurs des relations privilégiées). La formulation d'Alexis paraît donc abusivement réductrice. Nul doute qu’il manifeste, ici, sa solidarité avec les (ex-)surréalistes partisans d'un art engagé politiquement. Le Réalisme Merveilleux. Ces jalons posés, Alexis précise sa pensée dans une section intitulée "Vers une intégration dynamique du Merveilleux : le Réalisme Merveilleux." Les deux 76
premières pages constatent une distinction entre la sensibilité "émoussée" des masses d'hommes dans les nations industrialisées soumises à la mécanisation intense, et celle, plus "vive," dans les nations sous-développées où la réalité est encore appréhendée de façon plus naturelle. D'où aussi une perception plus intense du merveilleux, manifeste, par exemple, dans les exploits – apparemment surnaturels mais vérifiables "scientifiquement" – des haïtiens possédés de vaudou. Pour Alexis, ces phénomènes font partie de l'héritage africain qui ne saurait être nié. De cette perception populaire de la réalité par le biais du merveilleux, Alexis en arrive à son usage formel par les artistes et les écrivains. Il soutient que, puisque le folklore, les danses et les chants religieux populaires sont – après tout – l'expression de l'aspiration du peuple haïtien à de meilleures conditions de vie, les artistes seraient "inconscients de refuser d'utiliser tout cela au service d'une prise de conscience et de luttes précises et actualisées" (p.266). Ce passage de la vision merveilleuse du peuple à l'engagement des artistes est reformulé ainsi: Qu'est-ce donc le Merveilleux sinon l'imagerie dans laquelle un peuple enveloppe son expérience, reflète sa conception du monde et de la vie, sa foi, son espérance, sa confiance en l'homme, en une grande justice, et l'explication qu'il trouve aux forces antagonistes du progrès ? Le Merveilleux implique certes la naïveté, l'empirisme sinon le mysticisme, mais la preuve a été faite qu'on peut y envelopper autre chose [...], l'incitation à la lutte pour le bonheur. Les combattants d'avant-garde de la culture haïtienne se rendent compte de la nécessité de transcender résolument ce qu'il y a d'irrationnel, de mystique et d'animiste dans leur patrimoine national, mais ils ne croient pas qu'il y ait là un problème insoluble. (p.267)
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Il est difficile d'occulter le problème soulevé dans les lignes cidessus : si le merveilleux implique un mysticisme que l'artiste doit transcender, où reste le merveilleux ? Il est intéressant de noter qu'Alexis semble se distinguer ici de la formulation d'Alejo Carpentier, dans le Prologue du Royaume de ce monde, selon laquelle "la perception du merveilleux présuppose une foi." Car est-il vraiment possible de "rejeter le manteau animiste qui cache le noyau réaliste, dynamique, de leur culture" sans renier l'aspect religieux ou mystique de leur tradition ? Alexis semble le croire puisqu’il affirme que "les hommes de culture haïtienne sauront dans une voie dynamique, positive et scientifique, une voie de réalisme social, comprendre toute la protestation humaine contre les dures réalités de la vie, toute l'émotion, le long cri de lutte, de détresse et d'espoir que contiennent les œuvres et les formes du passé" (p.267). Aux yeux d'Alexis, la "forme" appropriée du "contenu humain" d'un tel réalisme social ne peut qu'être nationale. Si elle ne l'était pas, elle n'aurait aucune "prise sur la sensibilité du peuple" et ne serait que "pseudo-mondialiste" comme l'art cosmopolite. Or, l'art et la littérature étant conçus pour délecter mais aussi éclairer un peuple non-éclairé ne saurait participer au "mouvement de l'humanité marchant vers sa libération." Ce genre d'argumentation pourrait sortir tout droit d'un tract marxiste. Le même type de dialectique est utilisé dans la synthèse suivante : Les artistes haïtiens ont utilisé le Merveilleux dans un sens dynamique avant de se rendre compte qu'ils faisaient du Réalisme Merveilleux. Peu à peu nous sommes devenus conscients du fait. Faire du réalisme correspond pour les artistes ha•tiens à se mettre à parler la même langue que leur peuple. Le Réalisme Merveilleux des Haïtiens est donc partie intégrante du Réalisme Social ; sous sa forme haïtienne il obéit aux mêmes préoccupations. (p.268) 78
L'adverbe "donc" semble clore une démonstration syllogistique. En fait, il s'agit plutôt d'une série d'aphorismes et de prises de position idéologiques. C'est sur la base de cette espèce de "plate-forme politique" où Alexis s’exprime au nom des artistes haïtiens –voire du peuple haïtien, puisqu'ils parlent dorénavant la même langue – qu'un manifeste-programme national est lancé dans les termes suivants : Pour se résumer le Réalisme Merveilleux se propose : 1- de chanter les beautés de la patrie haïtienne, ses grandeurs comme ses misères, avec le sens des perspectives grandioses que lui donnent les luttes de son peuple et la solidarité avec tous les hommes ; atteindre ainsi à l'humain, à l'universel et la vérité profonde de la vie ; 2- de rejeter l'art sans contenu réel et social ; 3- de rechercher les vocables expressifs propres à son peuple, ceux qui correspondent à son psychisme, tout en utilisant sous une forme renouvelée, élargie les moules universels, en accord bien entendu avec la personnalité de chaque créateur ; 4- d'avoir une claire conscience des problèmes précis, concrets actuels et des drames réels que confrontent les masses, dans le but de toucher, de cultiver plus profondément et d'entraîner le peuple dans ses luttes. (p.268) Un tel programme peut constituer une synthèse enthousiasmante pour des militants idéalistes. Éclairée rétrospectivement par la fin tragique de son auteur, la sincérité généreuse soutenant cet engagement ne saurait d'ailleurs être mise en doute. On ne saurait pourtant ignorer dans ces formules la rhétorique ronflante et les dogmes étroits du réalisme socialiste. Faire du réalisme merveilleux – chose pourtant abstraite puisque théorie esthétique – le sujet actif dans sa propre mise en œuvre ("le 79
Réalisme Merveilleux se propose de... ") dérange. Cette personnalisation abusive masque mal une volonté dogmatique (entérinée par quelque congrès) qui ne concède à l'artiste qu'une liberté très relative : la proposition "en accord bien entendu avec la personnalité de chaque créateur" semble collée après coup et ne convainc guère, encadrée comme elle l'est dans les restrictions imposées par chacun des quatre articles. Tout ce programme tient plus du serment d'allégeance au réalisme socialiste que de la présentation d'une esthétique. Conclusions : un hiatus entre théorie et pratique. On a peu écrit sur le concept du réalisme merveilleux des Haïtiens tel que l'a présenté Alexis, même si l’expression fait surface dans plusieurs thèses consacrées à la littérature antillaise ou québécoise. De larges extraits du manifeste d’Alexis ont été inclus dans la biographie, composée de manière très poétique, par Michel Séonnet.48 Avant cela, il avait été aussi au cœur d’une monographie de Michael Dash.49 Un article antérieur de ce critique avait présenté le concept de réalisme merveilleux comme "voie de sortie de la négritude": [Contrairement à la notion de négritude] le réalisme merveilleux souligne les schémas d'émergence hors du continuum de l'histoire.... [Alexis et Wilson Harris croient] en une vision plus spéculative de l'histoire, dans laquelle la conscience des cultures dominées prévaudrait. Puisant dans cette conscience, ils se sont tournés tous deux vers les mythes, les légendes et les superstitions populaires afin de recueillir les traces d'une culture de survie complexe, développée par les oppressés en guise de réponse à leurs oppresseurs. [...] L'imagination des oppressés était devenue 48
Jacques Stephen Alexis ou le voyage vers la lune de la belle amour humaine, Toulouse, Ed. Pierres Hérétiques, 1983. 49 Jacques Stephen Alexis, Toronto, Black Images, 1975. 80
la source de leur lutte contre la cruauté de leur condition. [...] Contrairement aux auteurs de la "négritude," il n'y a plus maintenant de rejet du passé ; la "décolonisation" est inutile. Le passé composite est accepté comme héritage légitime, comme mémoire cosmopolite cohésive. (p.88-91, ma traduction)50 Dans ces assertions, Dash se fonde plus sur sa connaissance des œuvres de fiction de ces auteurs, que sur leurs textes théoriques. Cela est vrai aussi de sa monographie sur Alexis, où le dernier chapitre intitulé "Le Réalisme Merveilleux" cite parfois la communication d'Alexis en Sorbonne, mais n'en offre pas d'analyse détaillée. Cette approche permet à Dash de mettre l'accent sur ce qui demeure, sans doute, la partie plus intéressante de l’œuvre d'Alexis : la fiction. Or, il y a entre celle-ci et sa théorie du réalisme merveilleux des hiatus importants. Si l'engagement marxiste n'est pas absent des romans, il y est largement dominé par une synthèse très riche de divers mouvements culturels. On peut noter, en plus d’une thématique héritée du roman paysan et/ou du roman ouvrier, la présence d’aspects surréalistes, des éléments provenant de la négritude et de l'africanisme "griot," ainsi que, parfois, une structure analytique, révélatrice de la formation scientifique d'un Alexis médecin et neurologue (proche en cela de Breton). Ce sont tous ces aspects qui forment le réalisme merveilleux concret des œuvres d'Alexis et qui débordent autant les canons du stricte réalisme social que le fait sa définition formelle de l’esthétique du réalisme merveilleux des Haïtiens.
50
"Marvellous Realism – The Way out of Négritude" in Between Négritude and Marvellous Realism, Toronto, Black Images, 1974, p.8095. Plutôt que de se limiter à Alexis, Dash présentait ici des tendances générales dans la littérature antillaise, illustrées également par le romancier guyanais Wilson Harris. 81
2. Le realismo maravilloso (1983) Si donc Alexis ne mentionne pas le real maravilloso de Carpentier, malgré une filiation qui semble évidente, il aura néanmoins transposé judicieusement le concept d’origine sur le terrain de l’esthétique. Une démarche analogue caractérise l’entreprise de la critique brésilienne Irlemar Chiampi autour du realismo maravilloso,51 qui, après une discussion de l’aspect poétique et de la vraisemblance dans cette forme de littérature, conclut son ouvrage ainsi : "le lecteur – à qui la narration destine son objet forgé – s’intéresse moins à l’idéologie fallacieuse du réel merveilleux qu’à sa conversion en vérité poétique du réalisme merveilleux" (p.222). Chiampi corrigeait ainsi les tirs de Carpentier, à la suite d’un long parcours théorique initié, d’ailleurs, par une thèse sur le Partage des eaux. Mais il ne s’agissait pas seulement de corriger la forme de l’appellation lancée par Carpentier. Chiampi a voulu proposer un modèle théorique qui tienne compte à la fois du caractère spécifiquement hispano-américain des œuvres communément associées au realismo mágico et des revendications culturelles du real maravilloso americano. (D’où le sous-titre de son ouvrage : Forme et idéologie dans le roman hispano-américain.) Ce sont les constantes d’une "modalité discursive" qu’elle a relevées par analyse déductive de la "totalité du langage poétique" dans les œuvres retenues (p.56).52 Pour sa partie théorique, l’analyse de Chiampi est fondée sur les publications les plus connues de la sémantique structurale, de la sémiologie et de la narratologie. Au terme de l’étude, le réalisme merveilleux est synthétisé ainsi :
51
Irlemar Chiampi, El realismo maravilloso: Forma e ideología en la novela hispanoamericana (trad. Agustin Martínez et Márgara Russotto), Caracas, Monte Avila, 1983. 52 En l’occurrence, pour illustrer sa définition, Chiampi se réfère principalement à Carpentier (Le Partage des eaux, Le Siècle des lumières), Asturias (Hommes de maïs), García Márquez (Cent Ans de solitude) et Rulfo (Pedro Paramo). 82
"Considéré au sein du schéma de la communication narrative – en tant qu’ensemble dynamique mettant en relation l’émetteur, le signe, le récepteur et le référent extralinguistique – ce type de discours de la fiction hispanoaméricaine se caractérise, au niveau des relations pragmatiques (émetteur > signe > récepteur) : 1) par la production d’un effet d’enchantement qui tend à établir une relation métonymique entre les logiques empiriques et méta-empiriques du système référentiel du lecteur ; 2) par l’énonciation problématisée, à travers la fonction métadiégétique de la voix, engendrant le dialogue entre narrateur et narrataire. / Au niveau des relations sémantiques (signe référent extra-linguistique), le réalisme merveilleux se caractérise par : 3) le renvoi à un référentdiscours – le ‘réel merveilleux’ – unité culturelle intégrée dans un système d’idéologèmes de l’américanisme, dont le signifié de base est la non-disjonction ; 4) la remodélisation de ce signifié dans sa forme discursive à travers l’articulation sémique, non contradictoire, des isotopies naturelle et surnaturelle ; et 5) par la manifestation de la combinatoire sémique en deux modalités : la déaturalisation du réel et la naturalisation du merveilleux. (p.205) / […] Tout ceci montre que dans le réalisme merveilleux, les relations entre les pôles de la communication narrative sont puissamment marquées par la non-contradiction des opposés. Le dédoublement de ce signifié indique que le modèle théorique du réalisme merveilleux est un tout structuré par l’homologie des plans textuels et que, par conséquent, son but de produire l’Autre Sens par la langue seule devient effectif à partir de l’absorption, dans son statut diégétique, de la même contradiction qui modélise l’histoire et la société dans laquelle il s’inscrit comme forme littéraire." (p.207, ma traduction) L’abstraction savante de cette synthèse indique assez que le réalisme merveilleux proposé par Chiampi repose sur des 83
présupposés théoriques complexes et que sa force et sa subtilité ne peuvent se dégager que d’une lecture suivie de l’argumentation de son ouvrage, qu’il n’est pas possible d’entreprendre ici. Avec une vingtaine d’années de recul, je me borne à constater que la proposition de Chiampi n’a pas eu l’écho qu’elle mérite. Pourtant, Emir Rodríguez Monegal – celui-là même qui avait suggéré en 1973 d’enterrer au plus vite les notions de réel merveilleux ou de réalisme magique, qu’il considérait comme pernicieuses pour la critique latino-américaine – avait été suffisamment convaincu par l’audace et la rigueur de cette étude qui mariait de façon remarquablement fructueuse les deux formules ennemies, pour accepter de préfacer la traduction espagnole de l’ouvrage. Selon lui, "le résultat de cette analyse rigoureuse est une nouvelle proposition [et une définition viable] qui permet de distinguer avec précision, et à tous les niveaux du discours narratif, le merveilleux, le fantastique et le réalisme merveilleux" (p.13-14). Je partage cette opinion, mais de toute évidence, la critique latino-américaine n’a pas adopté cette séduisante proposition, qui aurait pourtant eu l’immense et double avantage de mettre fin aux tentatives si peu convaincantes de distinction entre real maravilloso et realismo mágico dont il a été question plus haut, et d’introduire une appellation distincte du réalisme magique européen. Le modèle de Chiampi a sans doute été victime de sa grande sophistication d’une part, et surtout de la quasi impossibilité de changer les habitudes : il était bien trop tard pour supplanter le terme devenu si populaire de realismo mágico, dont l’attrait irrésistible est dû, justement peut-être, à son flou théorique. Si l’appellation nouvelle (en espagnol, en tout cas) proposée par Chiampi n’a pas eu de succès, je crois, paradoxalement, que la définition qu’elle en donne décrit assez fidèlement ce que les meilleures études récentes (depuis 1990 environ) entendent par realismo mágico dans le domaine hispano-américain. Rodríguez Monegal avait bien vu que "ce qui intéresse le Prof. Chiampi n’est pas de définir le réalisme merveilleux comme un simple mouvement ou une école à un moment donné des lettres hispano84
américaines, mais comme un type de discours qui permet de déterminer les coordonnées d’une culture, d’une société et d’une langue hispano-américaines."53 Or c’est ainsi que la littérature la plus connue (et considérée comme la plus typique) d’Amérique latine depuis 1940, est abordée maintenant sous l’étiquette de réalisme magique. Si bien, d’ailleurs, qu’il m’est difficile de suivre Rodríguez Monegal lorsqu’il ajoute que "l’analyse [de Chiampi] configure une typologie du discours narratif de notre univers culturel qui peut être appliquée à d’autres discours d’autres époques au sein de notre histoire littéraire." Il me semble que l’ouvrage de Chiampi situe clairement le réalisme merveilleux dans la nueva narrativa hispano-américaine, en excluant les productions précédentes (même s’il est montré que certaines œuvres du début du 20e siècle ont préfiguré l’un ou l’autre aspect du mode nouveau). Cette dernière constatation m’amène à noter deux inconvénients du modèle proposé par Chiampi. En y incorporant une référence thématique et idéologique explicite au real maravilloso, elle limite ipso facto son realismo maravilloso au domaine américain – si ce n’est latino-américain, vu le corpus d’œuvres de référence. Cette limitation soulève la question de la littérature antillaise, qui est tout aussi américaine et issue du métissage racial et culturel, mais pas nécessairement d’expression hispanique. D’autre part, comme on a pu regretter qu’Alexis n’ait pas explicité les liens du real maravilloso de Carpentier avec le réalisme merveilleux des Haïtiens, il est dommage que Chiampi ne donne aucun signe de connaissance de ce dernier dans son étude, alors qu’elle se réfère au merveilleux des surréalistes et à Mabille notamment. Bref, à moins de vouloir se cantonner dans la poétique hispanoaméricaine ou dans l’esthétique des arts haïtiens, le sort de l’appellation réalisme merveilleux n’a pas été scellé en 1983. Pas plus d’ailleurs que celui du réalisme magique à la même époque. Il doit être possible de distinguer plus subtilement entre un réalisme 53
Op. cit., p.15, ma traduction. 85
magique et un réalisme merveilleux – dans la littérature latinoaméricaine ou ailleurs.
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Le "réalisme magique" redéfini en tant que mode narratif par Amaryll Chanady Les chapitres précédents auront donné un aperçu de la complexité de l'itinéraire, tant sémantique que géographique, suivi par la locution "réalisme magique." C'est surtout par le biais de son utilisation dans la critique littéraire sud-américaine que l'appellation s'est imposée, à partir des années soixante, sur la scène littéraire internationale.54 Si l'on considère, d'autre part, que ce qui est entendu sous l'appellation de "réalisme magique" dans certaines littératures européennes – allemandes et italiennes, notamment – est encore autre chose et relève plutôt d'un "réalisme métaphysique," il devient de plus en plus évident qu'on ne peut parler du "réalisme magique" comme si le signifié de cette locution était clairement établi et unique. Or dans le domaine de la fiction littéraire qui nous intéresse ici, la confrontation des notions de réalisme magique et/ou merveilleux avec les acquis de la narratologie s'avère non seulement désirable, mais incontournable. Parmi les nombreuses études critiques sur le réalisme magique en littérature, celle d'Amaryll Chanady, intitulée Magical Realism and The Fantastic : Resolved Versus Unresolved Antinomy,55 me paraît la utile pour l'analyse textuelle. Ce travail propose en effet des définitions théoriques, composées chacune d'un ensemble de trois traits pertinents, de deux modes narratifs très proches et 54
Pour Jean Weisgerber, le courant européen constitue l'apport principal ("De ce noyau découlent deux tendances divergentes : l'une, européenne surtout et majoritaire [...], l'autre - le "real maravilloso," op. cit., p.27). La critique belge connaît le réalisme magique (et sa filiation allemande et italienne) depuis plusieurs décennies. Mais les critiques américains et français, par exemple, semblent ignorer totalement les "incarnations" européennes du réalisme magique. Comme l'atteste la bibliographie incluse dans le présent ouvrage. 55 New York et Londres, Garland Publ., 1985. C'est moi qui traduis les citations. 87
néanmoins distincts dans le domaine de la prose fictionnelle : le fantastique et le réalisme magique. Je propose ici un résumé succinct de la démarche de Chanady (développée sur 175 pages), concentré sur le volet du réalisme magique. Les aspects ayant trait plus spécifiquement au mode fantastique, que Chanady définit de manière tout aussi séduisante, ne seront évoqués que dans la mesure où ils éclairent, par contraste, la compréhension du mode qui lui est opposé. Une des prémisses de la démarche théorique de Chanady se trouve dans le concept de compétence littéraire, développée graduellement par tout lecteur au fil de ses lectures et lui permettant, par la reconnaissance des codes sous-jacents, de mieux comprendre le texte et d'être à même de situer celui-ci dans un cadre connu ou par rapport à lui. Alors que certains genres littéraires sont désormais bien définis et donc facilement reconnus, il n'en va pas de même avec la notion de mode narratif. Or, plusieurs modes peuvent se superposer ou se succéder dans une même œuvre. D'autre part, des modes voisins, comme le fantastique et le réalisme magique en particulier, sont souvent confondus, même dans l'étude de Todorov, Introduction à la littérature fantastique, à laquelle Chanady reproche de ne pas opter clairement entre une définition du fantastique en tant que genre ou en tant que mode. Chanady propose de définir le fantastique en tant que mode narratif, selon les trois traits distinctifs suivants : 1) la présence dans le texte de deux niveaux différents de réalité – le naturel et le surnaturel ; 2) l'antinomie irrésolue entre ces deux niveaux dans la narration ; 3) la réticence auctoriale, c’est-à-dire "la rétention délibérée d'informations et d'explications sur le monde déconcertant de la fiction narrée" (p.16).
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Le concept d'antinomie est suggéré afin d'aller au-delà de ceux d'ambiguïté et d'hésitation – avancés respectivement par R. Caillois et T. Todorov : Un terme bien plus satisfaisant qu'hésitation (qui est une réaction de la part du lecteur aux indications textuelles), est celui d'antinomie, i.e. la présence simultanée de deux codes conflictuels dans le texte. […] Contrairement au merveilleux […], dans lequel les faits inhabituels peuvent être compris dans le cadre réaliste, le fantastique crée un monde qui ne peut être expliqué par aucun code cohérent... (p.11) L'aspect important souligné par Chanady est que les codes, dans un récit, ne sont pas tant définis par les caractéristiques inhérentes aux événements ou aux personnages, mais par le traitement de ces éléments dans le texte : c'est l'antinomie entre le naturel et le surnaturel dans le texte qui produit l'ambiguïté du monde fictionnel et, par conséquent, la désorientation du lecteur (p.14). L'aspect le plus intéressant de cette définition du mode fantastique en trois traits distinctifs, est le fait que ces traits sont utilisables également pour définir le mode du réalisme magique, avec cette différence essentielle – exprimée dans le sous-titre de l'étude – que, dans le deuxième critère, l'antinomie entre les codes du naturel et du surnaturel du texte, irrésolue dans le fantastique, est résolue dans le réalisme magique. Tout comme pour le fantastique, Chanady estime que le réalisme magique n'est ni à proprement parler un genre, ni un mouvement caractérisé par des limites spécifiques de nature historique ou géographique (p.17). Dans sa conception du mode narratif, l'auteur d'un récit magico-réaliste [...] présente implicitement la vision irrationnelle du monde [contenue 89
dans le récit] comme différente de la sienne, en situant l'histoire dans la réalité actuelle, en utilisant des tournures et un vocabulaire savants, et en montrant qu'il est au fait du raisonnement logique et de la connaissance empirique. Le terme "magique" indique le fait que la perspective [surnaturelle] présentée explicitement par le texte, n'est pas acceptée dans la vision "éduquée" du monde, propre à l'auteur implicite. (p.22) La co-présence de deux visions antinomiques du monde (l'une naturelle et l'autre surnaturelle) étant commune au fantastique et au réalisme magique, les auteurs implicites de ces deux modes sont dans une position similaire vis-à-vis des événements irrationnels qu'ils relatent mais auxquels ils ne croient pas. La distinction est dans la manière dont ces événements sont perçus par le narrateur : dans le réalisme magique, le surnaturel n'est pas présenté comme problématique (p.23). Ce point est développé par la suite sous le concept de "résolution d'antinomie." Tout comme il existe un pseudo-fantastique dans lequel l'étrange ou le surnaturel est soudain expliqué (et par conséquent invalidé), il existe un pseudo-réalisme magique dans lequel les événements étranges ou surnaturels ne sont pas traités comme des "réalités objectives, " mais comme des croyances, rêves ou hallucinations affectant des personnages. Dans ce cas, il n'y a plus la "juxtaposition de deux codes logiques mutuellement exclusifs, essentielle au réalisme magique" mais une "hiérarchie de codes" (p.28-30). Chanady résume l'introduction de sa thèse de de la façon suivante : Le réalisme magique et le fantastique sont caractérisés par des codes cohérents du naturel et du surnaturel (le degré de développement respectif de ces codes distingue le réalisme magique du surréalisme, et le fantastique de l'absurde, où un 90
événement peut survenir de façon inattendue et contredire le reste du récit). Alors que dans le fantastique, le surnaturel est perçu comme problématique, puisqu'il est manifestement antinomique par rapport au cadre rationnel du texte, le surnaturel dans le réalisme magique est accepté comme faisant partie de la réalité. Ce qui est antinomique au niveau sémantique est résolu au niveau de la fiction. La réticence auctoriale joue un rôle essentiel dans chacun de ces deux modes, mais elle assume une fonction différente dans les deux cas. Alors qu'elle crée une atmosphère d'incertitude et de désorientation dans le fantastique, elle facilite l'acceptation de l'incongru dans le réalisme magique. Dans le premier cas, elle rend le mystérieux encore plus inacceptable, dans l'autre, elle intègre le surnaturel dans le code du naturel, qui doit redéfinir ses frontières. (p.30) Ce qui est naturel ou surnaturel varie évidemment d'un lecteur à l'autre. C'est la voix narrative – plutôt que les informations fournies dans l'histoire – qui indique au lecteur implicite si un événement doit être perçu ou non comme surnaturel. La voix narrative agit par les focalisateurs, dont le narrateur choisit ou non de se distinguer. Quand le focalisateur place un événement surnaturel sur le même plan qu'un événement ordinaire, les niveaux du naturel et du surnaturel sont fondus. Ils ne sont donc pas perçus comme antinomiques par le lecteur implicite. Cette résolution de l'antinomie sémantique au niveau de la focalisation caractérise le réalisme magique (p.36). Une telle résolution n'est effective que si le narrateur évite de la miner par une attitude critique, auquel cas le code du surnaturel ne serait plus cohérent. C'est ce qui se passe par exemple, dans Le Royaume de ce monde de Carpentier où, de toute évidence, la foi de Ti Noël dans la magie et la lycanthropie n'est pas partagée par le narrateur. Dans le réalisme magique, l'attitude de l'auteur implicite est ambiguë : bien qu'il manifeste une éducation 91
moderne dans l'acte même de l'écriture fictionnelle, la voix narrative n'est pas fiable, puisqu'elle cautionne le point de vue de focalisateurs faisant acte de croyances archaïques, primitives ou superstitieuses : "l'auteur ne fait jamais intrusion pour avancer des explications rationnelles d'une croyance irrationnelle," bien que "son style révèle inévitablement son bagage culturel" (p.41). Le réalisme magique n'existe que là où les événements surnaturels sont systématiquement traités comme s'ils étaient naturels. Le manque de fiabilité du narrateur est alors accepté par le lecteur, dont le rôle consiste à "réconcilier le naturel et le surnaturel en un code cohérent, qu'il [le surnaturel] soit un fait culturel, ou le fait d'un individu psychotique ˆ l'imagination maladive" (p.45). Ce dernier cas peut être illustré par La Métamorphose de Kafka, qui est, pour Chanady, un exemple patent de réalisme magique, puisque ce texte fond le naturel et le surnaturel de manière systématique. L'exemple de Kafka soulève également la question des proportions entre les aspects naturels et surnaturels dans le récit magico-réaliste : C'est cette présence d'un cadre réaliste qui constitue la différence principale entre le réalisme magique et la pure fantaisie, telle qu'on la trouve dans les contes de fées. L'histoire est non seulement située dans le monde normal contemporain, mais elle contient aussi beaucoup de descriptions réalistes de l'homme et de la société [...]. Ces détails réalistes sont essentiels pour le réalisme magique, mais il est impossible de déterminer la frontière entre suffisamment et insuffisamment de réalisme. Pour que la définition d'un mode ou d'un genre littéraire soit utile comme guide de lecture, elle ne doit être ni trop vague ni inflexible au point de ne correspondre qu'à un nombre très limité de récits. Il y aura de nombreux cas où une oeuvre particulière relèvera soit de plusieurs catégories, soit 92
d'aucune. Dans le cas du réalisme magique, il y a beaucoup de tels cas limites. (p.46-47) A partir de plusieurs exemples de textes latino-américains, Chanady explore divers types de réalisme magique, non pas sur la base d'une taxinomie thématique, mais selon des critères narratologiques : Puisque la perception du code du surnaturel est déterminée par le focalisateur et communiquée par le narrateur, il est important d'analyser l'identité du focalisateur et de la voix narrative. Ce ne sont pas les motifs surnaturels en euxmêmes qui distinguent les œuvres magico-réalistes entre elles, mais la vision cohérente du monde présentée par le narrateur [...]. L'écriture très poétique, expressionniste et surréaliste de Hommes de maïs [d'Asturias] est très différente du type de narration plus précis et plus objectif de La Métamorphose. Dans ces deux récits, le naturel et le surnaturel sont présentés de manière différente par le narrateur, et ils appartiennent aussi à des codes différents de perception chez le focalisateur, mais ces récits sont tous deux de bons exemples de réalisme magique. (p.56-57) Dans sa troisième section, Chanady analyse plus en détail les deux types différents d'antinomie qui apparaissent respectivement dans le fantastique et le réalisme magique. Pour ce dernier, elle souligne plusieurs procédés narratifs qui contribuent à la fusion nécessaire du surnaturel dans le réel : – pour présenter le point de vue d'un personnage principal (dont la subjectivité ne disqualifie pas la fiabilité), "la méthode la plus effective est de raconter l'histoire en discours indirect libre, dans lequel le narrateur semble se retirer derrière la parole du focalisateur" (p.102-103). 93
– "la plupart des narrateurs magico-réalistes situent les deux codes antinomiques au même niveau de réalité en les décrivant tout bonnement de la même manière, comme s'il n'y avait aucune différence dans leur perception [...] Puisque le naturel et le surnaturel sont inextricablement liés dans le monde fictif, il n'y a pas de hiérarchie de la réalité" (p.104). Dans ce contexte, Chanady souligne le fait que, si les récits magico-réalistes peuvent se prêter à diverses interprétations critiques (thématique, psychanalytique, symbolique, etc.), c'est le niveau littéral des mots qui détermine la catégorie du récit. – un procédé d'authentification du point de vue du protagoniste (effectif aussi dans le fantastique) consiste à introduire un narrateur à la troisième personne, mais celui-ci ne peut pas représenter exclusivement l'objectivité et la raison, qui invalideraient le surnaturel (p.108). – "la représentation d'une vision cohérente du monde, dans laquelle le rationnel et l'irrationnel ne sont pas perçus comme contradictoire, est quelque peu facilitée si l'auteur crée un code spécifique identifiable à la weltanschauung caractérisant une société radicalement différente de la nôtre. Le focalisateur n'est plus alors un individu particulier, vivant dans un monde gouverné par la raison, mais toute une culture" (p.111). Dans de tels cas, "le lecteur n'a pas besoin de se poser la question si le narrateur est fiable ou non, parce que nos critères de logique et de perception ne s'appliquent pas dans la société représentée dans le texte. Le rôle du lecteur est alors de comprendre le fonctionnement d'une mentalité différente de la nôtre" (p.114), dans laquelle l'antinomie entre naturel et surnaturel est résolue d'emblée. Chanady souligne combien le monde de la fiction est similaire au monde de la magie : l'impossible est possible dans les deux, mais tous deux sont astreints à des codes de cohérence interne. Le réalisme magique se trouve être l'un des modes les plus flexibles de la fiction, où le naturel et le surnaturel peuvent co-exister de bien des façons, mais où le lecteur doit être prêt à "participer 94
activement dans la création ludique d'une perspective absurde mais aussi ordonnée" (p.118-20). La réticence auctoriale,56 troisième critère proposé par Chanady dans sa définition des modes narratifs fantastique et magico-réaliste, est commune au deux modes, mais fonctionne de manière distincte dans chacun d'eux. Ici, on soulignera surtout le fonctionnement de la réticence auctoriale dans le réalisme magique : Dans le mode fantastique, le but principal de la réticence auctoriale est de singulariser un objet ou un événement afin d'exciter la curiosité du lecteur et de créer une atmosphère d'incertitude et de mystère. Dans le réalisme magique, la réticence auctoriale produit exactement l'effet opposé, en naturalisant la vision du monde, surnaturelle et étrange, présentée dans le texte [...]. Dans la plupart des exemples de réalisme magique, il est impossible d'expliquer le surnaturel, et aucune tentative en ce sens n'est faite. (p.149-50) Quand le surnaturel est présenté par le biais de la perspective du protagoniste, aucune explication n'est offerte par le narrateur, dont l'acceptation sans critique de l'étrange doit donc être endossée par le lecteur également. Si le narrateur questionnait la véracité des vues inhabituelles du protagoniste, l'effet magico-réaliste serait détruit et le récit tomberait dans la catégorie de l'onirique ou de l'hallucinatoire : Ce n'est donc pas seulement le type de focalisation, mais aussi la réticence auctoriale au regard de la perspective adoptée, qui caractérise le réalisme magique. Fréquemment,
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Je traduis littéralement le terme de "réticence" qui se distingue de la rétention d'information telle qu'elle est pratiquée dans le roman policier, à des fins de suspense, par exemple. 95
la distinction entre une histoire onirique et magico-réaliste peut se faire sur la base d'une intrusion de l'auteur. (p.155) Ce principe est magistralement illustré dans La Métamorphose, dont l'effet mesmérisant repose entièrement sur la réticence auctoriale : l'auteur ne vient jamais soulager le lecteur d'une perspective narrative inacceptable, puisqu'elle se veut à la fois extérieure (à la troisième personne) et focalisée par Gregor en tant que cafard, et qu'elle ne se distancie jamais de cette entorse scandaleuse aux lois naturelles. L'auteur y restreint le point de vue du narrateur à celui du focalisateur principal. Mais cette technique n’est pas toujours possible : Parfois, la vision du monde présentée dans un récit magicoréaliste est si étrangère au lecteur, que l'auteur doit faire une brève intrusion afin de lui permettre de la comprendre. Cela arrive souvent quand la perspective est celle d'une race ou d'une ethnie différente et peu connue. Dans ces cas, le narrateur explique seulement ce que les focalisateurs croient, de sorte que le lecteur puisse intégrer les événements narrés, dans un code particulier. (p.156-57) L'intrusion de l'auteur consiste donc en un commentaire explicatif par le narrateur, qui déborde ainsi de son rôle primordial de conteur de l'histoire. De telles intrusions sont souvent évitées par le "truc" consistant à mettre l'explication dans la bouche d'un personnage de l'histoire. Elles ne doivent pas être confondues avec un type d'intrusion plus brutal qui invalide le surnaturel en le restreignant à la vision des personnages, procédé qui s'oppose à tout effet magico-réaliste. Deux points, soulevés dans la conclusion générale de Chanady doivent être mentionnés ici, pour m'avoir incité à proposer la définition d'un autre mode narratif différent et du fantastique et du 96
réalisme magique. Le premier est celui du manque de fiabilité du narrateur magico-réaliste : Manifestement, un narrateur qui adopte le point de vue de personnages superstitieux ou hallucinés ne peut être considéré aussi fiable que le narrateur d'une histoire fantastique traditionnelle, comme "La Vénus d'Isle," qui croit en la validité exclusive des causes naturelles. Le narrateur magico-réaliste, lui, n'est pas considéré aussi fiable dans la présentation de notre vision du monde conventionnelle, mais il semble donner un portrait exact d'une mentalité différente. (p.162) Cet écart dans la perception de la fiabilité du narrateur est sans doute la différence la plus évidente ressentie à la lecture des modes fantastique et magico-réaliste. Il est clair que des textes s'ouvrant sur des affirmations aussi absurdes et péremptoires que La Métamorphose ou LesVersets sataniques, la résolution de l'antinomie, gaillardement assurée par le narrateur, pose d'autant plus lourd sur le lecteur. Cet aspect m'amène au second point que je désire soulever, celui des "croyances occidentales," que Chanady aborde ainsi : [Le narrateur magico-réaliste] révèle son érudition et ses croyances occidentales, alors même qu'il représente et accepte un point de vue entièrement différent. Une analyse des contradictions entre le mode de représentation et le monde représenté dans le réalisme magique devrait donc être entreprise. (p.164) Étant donné que le corpus d’œuvres magico-réalistes auquel se réfère Chanady est avant tout latino-américain, on comprend ce souci du conflit culturel entre l'éducation occidentale et un monde imprégné de valeurs indigènes. Mais si nous prenions cette 97
assertion littéralement, le réalisme magique (du moins tel que Chanady l'a défini) serait exclu du monde occidental, ce qui n'est pas le cas. Car si nous n'avons plus guère de traces de hiatus culturels, comparables à ceux produits par les colonisations en Amérique latine, il ne manque certes pas de croyances ou de visions contradictoires du monde, en Europe ou en Amérique du nord. Et que les réalités empiriques puissent être perçues et exprimées de toutes sortes de manières et par divers modes narratifs dans la fiction, semble aussi vrai dans le Vieux Monde que dans le Nouveau : le réalisme magique ne fait que s'inscrire dans l'éventail des possibilités comprises entre le réalisme tout court et l'absurde. Conclusions : l'apport du réalisme magique chanadien C'est dans l'imbroglio terminologique, épistémologique et idéologique, caractérisant la critique latino-américaine autour de la notion de realismo mágico, que la contribution de l'étude d'Amaryll Chanady est particulièrement salutaire. La définition du réalisme magique en tant que mode narratif de la fiction élaborée par la comparatiste canadienne, présente deux attraits indéniables. Le premier est celui de la clarté d'un modèle théorique, formulé de façon simple et positive. Le second découle du premier : contrairement aux notions attachées précédemment à la même appellation, cette nouvelle définition, parce que strictement narratologique, ne préjuge nullement d'un contexte culturel spécifique, d'une orientation politique du récit, ou de l'appartenance à un quelconque courant littéraire historique. Une telle définition théorique du mode ne fournit évidemment qu'un axe d'analyse textuelle, restreint à l'aspect narratif. Elle ne prétend pas rendre caduques d'autres approches de l'oeuvre (thématique, stylistique, sociologique, psycho-critique, etc.). Elle suffit néanmoins pour distinguer clairement le fonctionnement de textes comme Le Horla de Maupassant d'une part, et La Métamorphose de Kafka de l'autre, pour ne prendre que deux 98
exemples d’œuvres volontiers qualifiées de "fantastiques" et pourtant bien différentes dans leur mécanique énonciative. Ce n'est qu'une fois le mode narratif reconnu que d'autres lectures peuvent être entreprises avec fruit. Dans le cadre de la littérature française, l'apport des deux concepts modaux chanadiens pourrait sembler modeste, voire négligeable. Voilà belle lurette que le "genre fantastique" a été reconnu et analysé sous toutes les coutures par la critique et d'éminents théoriciens comme Roger Caillois et Tzvetan Todorov. Quant au "réalisme magique," sa re-définition pourrait sembler dénuée de pertinence, dans la mesure où l'appellation n'a pratiquement pas été utilisée à propos de la littérature française. Pourtant, je me suis attaché à montrer que les textes les plus caractéristiques et les plus connus de Marcel Aymé – dont la singularité n'avait jamais été expliquée de manière satisfaisante – illustrent parfaitement le mode narratif élaboré par Chanady. Cette constatation invite à réviser le rôle de la littérature française nonsurréaliste dans la discussion autour du réalisme magique.
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Redéfinition d'un réalisme merveilleux distinct du réalisme magique chanadien Introduction A la fin des années 1980, les études d’Irlemar Chiampi et d’Amaryll Chanady constituaient les tentatives les plus abouties de théorisation autour des notions de "réalisme merveilleux" et de "réalisme magique," respectivement. Elles me semblent encore insurpassées. Malheureusement, ces deux propositions ne sont guère conciliables. Chanady a reconnu le revers de la médaille que constitue un instrument aussi précis que celui qu'elle a élaboré : son modèle ne convient pas à bon nombre de textes latino-américains associés communément à l'appellation de "réalisme magique," selon des critères plus vagues. Ainsi exclut-il clairement les romans d'Alejo Carpentier, y compris celui par lequel il avait voulu illustrer sa théorie du "réel merveilleux": Le Royaume de ce monde. Car si les thèmes surnaturels (comme celui de la lycanthropie) abondent dans ce récit (qui, par ailleurs, se veut non seulement réaliste mais aussi historique), une lecture attentive montre que l'antinomie entre les codes réaliste et surnaturel n'y est pas résolue par le narrateur (celui-ci affichant un recul critique évident vis-à-vis des manifestations de la superstition populaire des haïtiens). Peut-être faut-il se féliciter que les romans de Carpentier n'entrent pas en règle générale dans la conception chanadienne du réalisme magique, puisque l'auteur cubain tenait de toute manière à se distinguer de ce label.57 Certains persistent à ignorer ce fait, comme Carlos Fuentes qui qualifie Alejo Carpentier "d'inventeur du réalisme magique" dans Le sourire d'Erasme : épopée, utopie et mythe dans le roman hispano-américain (trad. par Eve-Marie et Claude Fell, Gallimard, Paris, 1992, p.149). Il ne s'agit pas d'une imprécision de la traduction. Le texte original dit bien: "Alejo Carpentier – el inventor del "realismo mágico" (Carlos Fuentes, Valiente mundo nuevo, Mondadori, Madrid, 1990, p.127). 101 57
Il aurait peut-être accepté celui du réal-isme merveilleux tel que Chiampi l’a défini pour rendre compte à la fois de l’œuvre du Cubain, justement, et des autres grands romans du boom latinoaméricain. Car en se basant sur un tel corpus, Chiampi définit un mode narratif caractérisé surtout par une exhubérance américaniste pouvant aller jusqu'à l’inclusion non-problématique du surnaturel dans un discours prétendant également au réalisme. Le modèle de Chiampi peut donc admettre le type de discours mi-sérieux mifantaisiste qui est au cœur du mode de Chanady – mais seulement s’il est hispano-américain : Kafka en est exclu, puisqu’il ne célèbre pas le réel (latino) américain. Or on peut constater que la tendance générale de la critique latino-américaine depuis la fin des années 1980 est d’utiliser (de manière non-explicite) le label de Chanady pour se référer à ce que Chiampi a défini sous le sien. 58 Bref, la confusion persiste. Le manifeste du réalisme merveilleux des haïtiens, proposé par Alexis, n'est pas compatible non plus avec le modèle chanadien, à cause surtout des restrictions imposées à l'imaginaire, par le second et le quatrième points59 d’une définition affiliée au réalisme socialiste : ils excluent toute confusion, dans la narration, entre le surnaturel (qu'il soit rêve absurde, superstition, croyance religieuse, ou mysticisme) et une représentation réaliste du contexte social de l'action. Or une telle fusion est essentielle au mode chanadien dont le second critère ("résolution de l'antinomie") consiste justement à ignorer toute différence de statut entre événements naturels et surnaturels (que ces derniers fassent partie d'une tradition mystique ou qu'ils soient une 58
Cette constatation est sans doute l’une des raisons qui a conduit Chanady, par la suite, à renier son modèle purement théorique, estimant que le même mode narratif magico-réaliste ne saurait caractériser une œuvre européenne et une œuvre latino-américaine. 59 On a vu qu’elle veut "chanter les beautés de la patrie haïtienne pour atteindre à la vérité profonde de la vie"; "rejeter l'art sans contenu réel et social"; "rechercher les vocables expressifs de son peuple" et "toucher, de cultiver plus profondément et d'entraîner le peuple dans ses luttes." 102
invention ludique de l'auteur). Cette comparaison, même sommaire, devrait suffire à convaincre de l'impossibilité d'amalgamer ces deux théories. Le modèle magico-réaliste chanadien a pour premier avantage de se situer dans une perspective générale et comparatiste : il s’agit d’un mode narratif caractérisé par des traits formels, non liés à des thèmes ou des référents culturels spécifiques. Tout comme l’on trouve des fictions relevant du réalisme, du fantastique ou du féerique en Amérique (latine ou autre) et en Europe (et ailleurs), l’on y trouve des textes correspondant au réalisme magique redéfini par Chanady. Le second avantage de ce modèle – à l’inverse justement du réalisme merveilleux de Chiampi – est de ne pas mettre la plupart des grandes œuvres du boom latino-américain dans le même panier : quoique ces deux romans puissent avoir en commun sur le plan d’une thématique ou d’une idéologie américanistes, le mode narratif de Cent ans de solitude est assez différent de celui du Siècle des lumières. Bref, comme on le verra plus concrètement, par exemple, dans la partie consacrée à la poétique de certains romans antillais, il est possible de recueillir les aspects essentiels communs des réalismes merveilleux proposés par Alexis et Chiampi, pour formuler une définition nouvelle d’un mode narratif qui donnerait à cette appellation un potentiel élargi, en l’affranchissant justement de traits distinctifs qui l’enferment dans une esthétique américaniste (ou haïtienne). Car l’exaltation d’un pays, n’est pas limité à la littérature américaniste – qu’elle soit hispano-américaine et/ou antillaise, qu’il s’agisse de Carpentier, d’Asturias, de García Márquez ou d’Alexis. Plutôt qu'un style, qu'une idéologie ou qu'une esthétique, les œuvres en question partagent, d'une part, une motivation narrative fortement ancrée dans l'attachement à un lieu et ou dans l’engagement pour une cause ; de l'autre, une écriture vibrante d'émotion, plus proche du registre poétique que de l'objectivité d'une narration romanesque réaliste moderne. La réunion de ces 103
deux aspects constitue, à mes yeux, la base d'un mode narratif typique d'une bonne partie de la fiction antillaise (et hispanoaméricaine également).60 Partant de ces constatations, il me semble opportun de formuler une définition à la fois rigoureuse et souple de ce mode pour lequel l'appellation de "réalisme merveilleux" s'impose par une justesse oxymorique déjà reconnue dans les travaux de Jacques Stephen Alexis et d’Irlemar Chiampi. Cette redéfinition du réalisme merveilleux s'inscrit dans une démarche parallèle à celle ayant abouti au mode narratif magicoréaliste de Chanady, c'est-à-dire dans un contexte théorique narratologique. La notion d'un mode réaliste-merveilleux sera donc elle aussi extraite de tout contexte thématique ou culturel spécifique. Il s’agit d’une poétisation de la fiction portée par une dynamique sentimentale et/ou idéologique. Défini en tant que mode narratif, un tel "réalisme merveilleux" n'est pas plus limité aux littératures "exotiques" (vues d’Europe occidentale, notamment) que le "réalisme magique" défini par Chanady. Catégorie située entre le style (qui reste, en règle générale, la signature d'un auteur) et la thématique (dont la liste des composantes est infinie), la notion de mode permet d'approcher un récit sous son angle spécifiquement narratif, c'est-à-dire le plus immédiatement pertinent, puisque la narration définit le récit de fiction en tant que tel, par opposition aux autres modes littéraires que sont les modes poétique et dramatique. Il convient de préciser que la catégorie modale dont il est question ici, se situe dans la mouvance du courant de narratologie modale ou formelle (cf. Nouveau Discours du récit de Gérard Genette), par opposition à d'autres acceptions du "mode," courantes dans la narratologie contemporaine.61 60
Elle me semble caractériser également les œuvres du grand auteur brésilien Jorge Amado que j'ai pu lire. D'autre part, on devrait entrevoir qu'une telle conception du mode narratif réaliste-merveilleux peut accueillir assez facilement des aspects du "réel merveilleux" et du "baroquisme" chers à Carpentier. 104
Définition du mode narratif réaliste-merveilleux62 Le mode narratif réaliste-merveilleux que je propose est constitué des trois critères textuels, ou traits pertinents, suivants : 1) la co-présence dans le récit d'un code réaliste et d'un code du mystère ; 2) la fusion de ces codes antinomiques dans le discours narratif ; 3) l'infiltration du discours narratif par l'exaltation d'une voix auctoriale. 61
Dans son Nouveau Discours du récit (Seuil, 1983), Genette reconnaissait les inconvénients du double usage du terme "mode" qu'il faisait dans Figures III et dans Introduction à l'architexte (Seuil, 1972 et 1979). En fait, il y avait déjà deux acceptions du terme dans Fig. III. La première y opposait le mode narratif au mode dramatique dans la littérature. A un niveau moins général, dans le chapitre intitulé "Mode," le terme référait aux "divers procédés de régulation de l'information narrative" adoptés par le texte et baptisés "codes de focalisations." Ces questions de focalisation jouent un rôle certain dans les définitions des modes narratifs présentés ici : des critères comme la "résolution d'antinomie par la narration" et la "réticence (ou l'exaltation) auctoriale" s'articulent largement autour de jeux de focalisation. Mais ces critères font intervenir aussi la question de la "voix" que Genette traitait dans un chapitre de Fig. III distinct du mode qui introduisait les notions de narration "homo-, hétéro- ou autodiégétique." En fait, c'est l'association du mode et de la voix (appelée "situations narratives" dans NDR) qui fonde en grande partie le mode narratif tel qu'il est conçu dans la présente étude. 62 Cette formulation a connu deux variations antérieures. Dans ma thèse de PhD (University of Texas, 1991), j'avais proposé la formulation suivante du premier critère : "the first criterion is the presence of a single code of nature's mystery, as opposed to the distinctly double code of magical realism." Cette formulation a été transformée dans ma thèse de doctorat (Paris III, 1994) afin de conserver, au stade du premier critère, le code du "mystère de la nature" parallèlement à celui du réalisme, plutôt que de les fondre d'emblée. Dans mon étude "Le réalisme merveilleux dans Que ma joie demeure de Jean Giono et dans Le Hameau de William Faulkner" (mémoire d’HDR, Paris III, 2001), j'ai éliminé la restriction du code du "mystère" à celui de la nature. 105
Chanady avait proposé une définition du réalisme magique en s'appuyant sur une redéfinition du fantastique en tant que mode narratif plutôt que "genre littéraire." Je propose ici de préciser ma définition du réalisme merveilleux par rapport au réalisme magique chanadien, en comparant terme-à-terme les trois critères constitutifs de chacun de ces modes. 1. Deux codes antinomiques Le "code" est la manière dont le discours narratif structure les données de l’histoire, leur octroyant un un type de cohérence (en l'occurrence, réaliste et surnaturelle). Le(s) code(s) d'un texte détermine(nt) le mode du récit. Si des modes narratifs (improprement appelés "genres") comme le policier, le fantastique, le féerique et la science-fiction sont devenus conventionnels, c'est parce que les textes qui les illustrent affichent leur(s) code(s), reconnaissable(s) par le lecteur. On sait que pour les éditeurs, la constitution de collections spécialisées selon le "genre" repose sur la définition de codes textuels parfois très précis (et contraignants pour les auteurs sous contrat). La notion de code – qui s'inscrit dans le cadre élargi d'une sémiotique littéraire – n'est donc pas une pure élucubration théoricienne. Il va sans dire que la production littéraire abonde en tentatives (conscientes ou non) de brouillage de code et que bien des œuvres résistent obstinément à tout classement en modes (et/ou en genres) reconnus. D'aucuns estiment que seules de telles œuvres innovatrices font vraiment preuve de littérarité. 63 L'intérêt particulier des modes narratifs présentés ici, est de décrire le fonctionnement de textes "frontières" dans lesquels un code réaliste s'articule, paradoxalement, avec un code de l'imaginaire.
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C'est le fondement même de la notion de "texte scriptible" du Roland Barthes de S/Z. 106
a. Le code réaliste Dans la littérature moderne occidentale, la logique du texte est fondée, généralement, sur le rationalisme caractérisant notre culture. Posons, par simplification commode, que le mode conventionnel dit "réaliste" constitue un "degré zéro" de la prose fictionnelle, constitué d’un seul code : celui régi par la notion de vraisemblance – puisque "l'énoncé de fiction n'est ni vrai ni faux, mais seulement, aurait dit Aristote, 'possible'."64 On a beaucoup souligné, dans l'analyse de la fiction réaliste, l'importance des descriptions et des "effets de réel" ponctuels qui interrompent le récit de l'action et lui confèrent des points d'ancrage mimétiques, dont la valeur référentielle serait gage de vraisemblance et donc de "vérité" fictionnelle. Mais on trouve dans un ouvrage narratologique récent, une thèse qui conforte mieux la notion de "code narratif réaliste" discutée ici. Selon Michael Riffaterre, "la vraisemblance se trouve dans la consécution plutôt que dans la mimésis imposée sur celle-ci," et serait donc "un cas spécial de la motivation." 65 La "dérivation grammaticale des réalisations possibles du modèle narratif" dont parle Riffaterre me paraît assez proche de ce que j'appelle, avec Chanady, un "code sous-tendant un mode narratif." Indépendamment de la construction, dans le récit réaliste, d'un cadre diégétique vraisemblable (par mimétisme, donc, du monde réel), c'est évidemment l'action évoquée dans un tel cadre qui doit répondre à des critères de causalité acceptables, c'est-à-dire se développer selon une "grammaire motivationnelle" cohérente. Que 64
Genette, Fiction et diction, p.19. Fictional Truth, (FT), Baltimore, The John Hopkins University Press, 1990, p.2 (c'est moi qui traduis). Riffaterre souligne que la vraisemblance étant un "artefact" ("une représentation verbale de la réalité"), elle relève donc elle-même de la fiction (p.XV). Le but fondamental de son ouvrage est de montrer comment "la fiction souligne le caractère fictif d'une histoire en même temps qu'elle en affirme la vérité" (p.XV). Plus particulièrement, Riffaterre soutient que "la vérité narrative naît de la tautologie. [...] Car tout ce qu'il importe [au lecteur] de vérifier, c'est que le texte est dérivé grammaticalement, c'est-à-dire dans les limites des réalisations possibles du modèle narratif" (p.7). 107 65
la correction (ou la lisibilité) d'une telle grammaire narrative soit plus soumise à une cohésion interne formelle qu'à son adhésion référentielle au monde extra-textuel, paraît indiscutable : en linguistique, la lisibilité grammaticale et syntaxique d'une phrase n'implique pas non plus sa cohérence sémantique. C'est évidemment ce hiatus entre syntaxe et signification, que les surréalistes ont exploité avec brio et alacrité dans leur activité langagière, au niveau de la phrase comme à celui du texte (avec, pour conséquence, l'hésitation qu'on éprouve parfois à qualifier ces textes de "récit" ou de "roman"). b. Code du surnaturel contre code du mystère Dans les modes magico-réaliste et réaliste-merveilleux, le code réaliste s'oppose à un code non-réaliste (respectivement, surnaturel et mystérieux). Il ne s'agit nullement ici de définir ce dernier en proposant un catalogue thématique. Car selon les textes ou les auteurs concernés par ces modes, le surnaturel ou le mystérieux se traduit en phénomènes diégétiques pouvant aussi apparaître dans d'autres modes : personnages fabuleux ou mythiques, doués de capacités surnaturelles ou absurdes, faits inexpliqués, proches de croyances et superstitions désuètes (pour nous autres, modernes occidentaux), tapis volants, plantes et animaux parlants, etc. L'important est de constater que ces éléments s'inscrivent, pour chaque œuvre concernée, dans une logique narrative tout aussi rigoureuse que le code réaliste parallèle, décrit précédemment. En d'autres termes, ni le surnaturel ni le mystérieux, dans ces modes, ne relève de l'intrusion sporadique ou du discours d'un personnage, dont le narrateur se distancierait. Comme dans le mode fantastique, les codes réaliste et surnaturel / mystérieux des modes considérés ici forment un amalgame déconcertant. Dans un tel cadre, la notion de code surnaturel gagne, plus encore que celle de code réaliste, à être considérée dans l'optique de la thèse riffaterrienne, déjà présentée et selon laquelle "quoi que la mimésis reflète, cela sera transformé par l'effet de sémiotique cumulative" (p.13). Car lorsque la référence mimétique réaliste fait défaut (comme c'est le cas évidemment, pour ce qui 108
relève du surnaturel), l'importance de la "grammaire" narrative est renforcée : seule la formalité du code non-référentiel (surnaturel) peut assurer l'élaboration par le texte d'une (éventuelle) vérité symbolique. Pour revenir à l'exemple de La Métamorphose de Kafka, pris individuellement, certains épisodes – comme le constat initial par le narrateur de la métamorphose de Grégor en cancrelat – sont tout bonnement absurdes. C'est de leur consécution et accumulation que se dégage un sens (peu évident en l'occurrence, à en juger par la masse de tentatives d'interprétation dédiées à cette œuvre). Si le code réaliste est commun aux deux modes présentés ici, il n'en va pas de même pour le code non-réaliste, puisque, dans ma définition du mode réaliste-merveilleux, je lui oppose le code "du mystère" plutôt que celui du "surnaturel," comme c'est le cas dans le mode magico-réaliste chanadien. Cette précision implique une différence qui devrait être immédiatement apparente dans les textes étudiés ultérieurement pour illustrer, respectivement, le réalisme magique chez Marcel Aymé et le réalisme merveilleux chez Jean Giono : il y a tout un monde entre le surnaturel, par exemple, du Passe Muraille et le mystère de Regain. Ici, un absurde humoristique dans un contexte urbain parisien ; là, le lyrisme un peu inquiétant d'une campagne à moitié sauvage. Il importe de signaler que cette différence de qualité, entre le surnaturel et le mystérieux, ne suffit pas à distinguer les deux modes en question. Une poétique du réalisme magique (ou merveilleux) basée sur la seule thématique du mystère, illustrée dans les œuvres, s'enlise très rapidement dans l'abstraction généralisée. Dans l'approche choisie ici, le type de surnaturel ou de mystérieux présent dans le texte permet éventuellement de préciser ou de caractériser son mode narratif, mais il ne le détermine pas. C'est le troisième critère qui permet avant tout de distinguer les modes magico-réaliste et réaliste-merveilleux : l'exaltation face à la réticence auctoriale. Mais le second critère définissant ces modes fait aussi apparaître une différence notable : de la simple 109
résolution de l'antinomie entre les codes du réalisme magique, on passe à sa fusion dans la narration réaliste-merveilleuse. 2. Résolution contre fusion narrative des codes antinomiques La distinction essentielle faite par Chanady entre les modes fantastique et magico-réaliste tient au deuxième critère : résolution contre non-résolution de l'antinomie entre les codes du réalisme et du surnaturel. Dans les modes magico-réaliste et réalistemerveilleux, ces deux codes s'opposent également. En revanche, les traitements de cette antinomie par la narration s'y apparentent bien plus que ce n'est le cas pour le réalisme magique et le fantastique. Dans ce dernier, la tâche principale du narrateur consiste à maintenir entière l'antinomie entre les codes, puisque c'est de cette tension que naît l'effet d'hésitation désiré chez le lecteur. Le narrateur de récits fantastiques ne propose aucune explication susceptible de tempérer l'irruption surnaturelle dans un cadre diégétique globalement réaliste. Et c'est parce qu'il se cantonne dans une position apparemment objective, que ce narrateur est ressenti comme fiable par le lecteur (ou du moins qu'il devrait être ressenti comme tel). a. L'antinomie résolue par la narration Contrairement au narrateur fantastique, le narrateur magicoréaliste est perçu d'emblée comme hautement fantaisiste car il affecte d'ignorer qu'il y a antinomie radicale entre les codes réaliste et surnaturel du texte. Un récit qui commencerait de la manière suivante : Au petit matin du 21 juin 1992, les balayeurs du Champ de Mars constatèrent – avec quelque surprise mais, Allah est grand, sans l'émoi volontiers excessif d'un patriotisme viscéral – que la Tour Eiffel s'était rapprochée d'une bonne vingtaine de mètres de la Seine...
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confronte le lecteur sagace à une incongruité difficilement acceptable sur le plan phénoménologique, malgré les divers effets de réel (sous formes d'éléments culturels attestés) contenus dans le passage. Ainsi alerté, ce lecteur se méfiera de la suite du récit. Face à la candeur d'un narrateur qui lui fait porter le poids d'une proposition aussi absurde, la résistance du lecteur sera sans doute inversement proportionnelle à son degré d'éducation et à son sens de l'humour. Car l'absurdité n'est pas tant dans le fait invraisemblable rapporté, que dans le mode de ce rapport qui, manifestement, ne fait pas la part des choses (c'est-à-dire qu'il ne choisit pas clairement entre un code réaliste et un code fantaisiste). Le texte magico-réaliste pose un narrateur fantasque. En résolvant une antinomie criante par l'esquive, il la fait endosser au lecteur. Celuici fait alors face à une autre énigme : que penser d'un narrateur qui le met face à une résolution d'antinomie aussi incongrue ? Ainsi, la question de l'antinomie dans le réalisme magique est déplacée sur l'axe de communication : résolue par le narrateur, elle l'est d'autant moins pour le lecteur. Chanady souligne que le principe essentiel consiste, pour la narration magico-réaliste, à éviter toute hiérarchisation des deux codes. Le surnaturel est donc présenté de manière aussi factuelle que le réalisme, que ce soit dans le discours direct des personnages ou dans celui du narrateur. Le recours fréquent au discours indirect libre permet d'ailleurs à ce dernier de se retrancher commodément derrière une focalisation par les personnages. Un tel usage est illustré dans l'incipit proposé plus haut, où la constatation du déplacement de la Tour Eiffel est faite par les balayeurs mais rapportée par le narrateur, l'exclamation "Allah est grand" s'élevant, elle, dans l'indétermination de sa source, c'est-àdire dans une espèce de no-man's land narratif, de neutralité douteuse. La double ambiguïté potentielle du discours indirect libre, "instrument favori du roman moderne,"66 est bien connue : 66
G. Genette, NDR, p.35-37. 111
discours et pensées du personnage et du narrateur peuvent s'y mêler allègrement. Genette souligne aussi, avec raison, qu'une telle fusion narrative n'exprime pas nécessairement l'empathie entre narrateur et personnage. En fait, cet aspect est au cœur de la distinction entre les modes étudiés ici. Si le réalisme magique peut fort bien se passer d'empathie (il s'accommode d'ailleurs volontiers de l'ironie, comme on aura l'occasion de s'en rendre compte chez Marcel Aymé), il n'en va pas de même avec le réalisme merveilleux, dont l'exaltation auctoriale implique précisément une empathie généralisée entre narrateur et héros (laquelle n'exclut pas nécessairement l'ironie vis-à-vis des opposants de ce héros). L'importance du discours indirect libre dans la composition des modes narratifs décrits ici m'induit à suivre l'opinion de Genette qui compte le discours indirect libre parmi les traits narratifs plutôt que parmi les faits de style. 67 Mais on verra à l'occasion de l'analyse du réalisme merveilleux dans les textes, que le style est inséparable de ce mode, caractérisé par la fusion narrative des codes antinomiques. b. L'antinomie fondue dans la narration Si le cadre et les événements décrits dans le réalisme merveilleux sont naturels, ils sont présentés dans une langue qui les rend mystérieux. Le code surnaturel du réalisme merveilleux se trouve avant tout dans les particularités de l'expression linguistique – donc dans le style. Mais ce style créateur de mystère n'est pas un simple fait esthétique plaqué sur le récit. Il fait partie intégrante, ici, d'un mode narratif où il n'est pas possible de faire la part du discours des personnages et de celui du narrateur, tant la narration passe sans effort (et sans changement de ton) d'un type de focalisation à un autre. C'est en grande partie le jeu sur les focalisations et le discours indirect qui fond la réalité perçue (c'està-dire imaginée, évidemment) et le mystère de l'expression, dans un discours extraordinairement poétique à tous les niveaux de la narration. Une telle fusion – à la fois des codes et des hiérarchies 67
Fiction et diction, p.89. 112
narratives – peut se trouver aux antipodes de la simple résolution de l'antinomie propre au mode magico-réaliste, notamment quand ce dernier s'accommode d'une distanciation ironique entre discours du narrateur et discours du personnage. Il y a entre la résolution de l'antinomie dans le réalisme magique et la fusion de celle-ci dans le réalisme merveilleux, une différence notable de degré d'imbrication des codes réaliste et surnaturel. Dans le premier cas, les éléments surnaturels forment une trame cohérente et intégrée de la narration, mais cette trame est clairement isolable de son environnement réaliste dans le discours du récit, en dépit des efforts d'un narrateur imperturbable, voire pince-sans-rire, vers un traitement discursif égal des deux codes. Dans le second, réalisme et mystère forment un tissu indéfaisable : le discours narratif articule un récit dont le fil même est double, composé du code réaliste renforcé (ou phagocyté : cela reste à voir pour chaque cas) par le code, générateur de mystère, d'une langue poétique. A la construction clairement bipartite de l'un, s'oppose la texture intégrée de l'autre. 3. Réticence contre exaltation auctoriale Pour chacun des deux modes étudiés ici, le deuxième critère est lié directement à une attitude particulière de l'auteur se profilant derrière le narrateur. C'est ce rôle, caractérisé dans un cas par son absence remarquée et dans l'autre par sa présence envahissante dans le texte, qui est entendu par les concepts respectifs de "réticence" et "d'exaltation" auctoriales, définissant le troisième critère. Les textes qui illustrent les deux modes ne se contentent pas du rôle généralement discret, dévolu au narrateur "objectif" d'une fiction réaliste moderne. Ainsi, la résolution narrative de l'antinomie du réalisme magique ne peut se faire que grâce à une complaisance troublante de l'auteur, qui attire immanquablement l'attention du lecteur. Quant à la fusion narrative des codes du réalisme merveilleux, elle s'opère par le truchement d'une voix auctoriale dont la puissance et l'idiosyncrasie manifestes vont bien au-delà de ce que requiert la stricte narration d'un récit. Ce sont ces deux formes – radicalement différentes mais qui constituent en 113
fait, dans les deux cas, une intrusion de l'auteur – qui distinguent le plus nettement le réalisme magique du réalisme merveilleux. a. La réticence auctoriale magico-réaliste Dans la définition du mode magico-réaliste proposée par Chanady, la réticence auctoriale consiste à ignorer l'éventuel désarroi d'un lecteur aux prises avec une narration problématique, puisque le narrateur traite de manière résolument égale deux codes traditionnellement distincts. Alors que le lecteur s'attend à un signe lui permettant de hiérarchiser les événements décrits (c'est-àdire d'inféoder le code réaliste au code surnaturel ou vice-versa), afin de pouvoir se retrouver enfin dans un mode plus familier (celui du réalisme ou du féerique), aucune autorité supra-narrative ne se manifeste dans le texte pour corriger un narrateur dont la fiabilité est nulle. Bref, l'auteur ne s'émeut pas du statut déplorable de ce narrateur et laisse le lecteur mariner dans l'ambiguïté. C'est ce refus d'une distanciation critique d'un narrateur non-crédible, qui constitue la réticence auctoriale caractéristique du mode magico-réaliste. Ainsi, dans l'incipit du conte esquissé plus haut, aucune voix auctoriale n'intervient pour relativiser l'absurde affirmation du narrateur selon laquelle la Tour Eiffel se serait rapprochée de la Seine d'une bonne vingtaine de mètres au cours d'une nuit. Pour que le récit entier s'inscrive dans le mode magicoréaliste, une telle réticence doit être maintenue jusqu'au bout. Cette réticence auctoriale choque. Certes, la fiction littéraire repose sur le fameux pacte de suspension d'incrédulité : tout est permis, théoriquement, dans l'affabulation. Mais cet accord de base a été limité par les conventions particulières des différents genres et/ou modes. Dans ce contexte, le développement du roman dit réaliste, articulé principalement autour de la question de la vraisemblance, est dans le fond paradoxal. La part du narrateur omniscient, qui affiche le plus manifestement la fonction auctoriale dans sa créativité imaginaire, a été grandement réduite, mais le choix d'une narration par focalisation interne demeure admis. Un tel choix constitue encore un signe "rhématique" (affectant la forme) évident de la fictionalité d'un texte. 114
La difficulté de déchiffrement du réalisme magique tient au fait que ce mode est doublement fictionnel. Comme son nom le suggère, il tombe entre deux modes conventionnels qui semblent s'exclure. Son code réaliste le rattache évidemment au mode de ce nom, alors que son code surnaturel le situe ailleurs, dans l'imaginaire (au sens fort du terme, de non-réaliste). Le mode magico-réaliste est donc fictionnel par le critère thématique (l'invention) de toute fiction – même réaliste – mais aussi par les aspects invraisemblables, articulés dans son code du surnaturel. Dans le réalisme magique, ce qui peut angoisser le lecteur (ou du moins le déconcerter : l'étrange étant parfois désamorcé par l'humour), c'est que le traitement du surnaturel par un narrateur non-fiable remet en cause aussi la fiabilité de l'auteur, dont la réticence est troublante. Un tel recours à la dernière instance de la hiérarchie sémiotique dans le phénomène littéraire est assez logique. Il donne aux auteurs de textes magico-réalistes un statut comparable à celui de leurs homologues surréalistes : pour beaucoup de lecteurs, mais pas tous, ce sont de grands enfants ou de doux rêveurs.68 b. L'exaltation auctoriale réaliste-merveilleuse Dans le texte réaliste-merveilleux, le discours du narrateur, loin d'être objectif et impartial, colore constamment l'histoire. Celle-ci est l'objet d'une vision exaltée, traduite en un langage d'une poésie tendant au lyrisme. Une espèce de grille expressive est appliquée au récit qui fait l'objet d'une récupération permanente au profit d'une force qui peut, dans certains textes, largement primer sur l’histoire. Cette force ne peut être qu'auctoriale : narration de l'action et description du cadre diégétique se font au profit d'une 68
Ainsi, Les Versets Sataniques de Salman Rusdie ont été pris très au sérieux par certains. Dans cet extraordinaire roman magico-réaliste, la "réticence auctoriale" est pourtant explicitée à maintes reprises, tout comme, d'ailleurs le caractère onirique et délirant d'une grande partie de l'affabulation. Mais il y a de par le monde des formes de réticence lectorale autrement fatales. 115
exaltation subjective de l'auteur (implicite ou non). On est aux antipodes d'un "degré zéro" de l'écriture ; le texte est assimilable, en fait, à une sorte d'intrusion permanente de l'auteur. Voilà ce que j'entends en définissant le troisième critère du mode réalistemerveilleux comme l'infiltration du discours narratif par l'exaltation d'une voix auctoriale. L'intrusion auctoriale, même constante dans un texte, ne produit pas nécessairement le mode réaliste-merveilleux. Ainsi, dans Figures III, Genette conclut que A la Recherche du temps perdu, monument s'il en est d'intrusion d'auteur, se caractérise par la "prolifération du discours auctorial, […] terme qui indique à la fois la présence de l'auteur (réel ou fictif) et l'autorité souveraine de cette présence dans son œuvre." Dans le réalisme merveilleux, la prolifération auctoriale s'exprime de manière très différente, dans la mesure où son effet le plus manifeste est la fusion narrative présentée comme le deuxième critère du mode. Voix des personnages et voix du narrateur sont comme emportées dans l'exaltation d'un même souffle auctorial. Chez Proust, l'activité du narrateur est éminemment auctoriale, mais loin de se fondre avec le discours des personnages, elle consiste surtout à les dénigrer : "un Swann, un Saint-Loup, un Charlus, malgré leur intelligence, sont des objets d'observation, non des organes de vérité" (Fig. III, p.264). Dans l'infiltration auctoriale réaliste-merveilleuse, l'aspect essentiel est celui que je qualifie d'exaltation. Ce terme seul devrait exclure toute confusion avec un discours auctorial de type proustien (si tant est qu'on puisse en faire un type), dont le rapport critique avec le récit est bien plus proche, en fait, d'une réticence. Cette exaltation (que je préfère ne pas préciser davantage sur le plan théorique, afin de ne pas encombrer ou limiter inutilement mon modèle) traverse donc tous les niveaux du texte, depuis le discours des personnages jusqu'à l'aspect auctorial de celui du narrateur. Dans les niveaux discursifs de la narration ainsi télescopés, l'exaltation auctoriale du mode réaliste-merveilleux est l'aspect dynamique sous-tendant une écriture caractérisée par une 116
forte motivation (Weltanschauung ou idéologie) et par une fusion narrative poétique du code réaliste et du code mystérieux. Ce troisième critère distingue le mode réaliste-merveilleux à la fois du fantastique et du réalisme magique, caractérisés eux, comme on l'a vu, par une "réticence auctoriale" qui se traduit avant tout en distanciation de la narration, l'auteur ayant soin de ne pas se commettre avec le narrateur, qu'il soit fiable, comme dans le fantastique, ou non, comme dans le réalisme magique. Conclusions Au terme de cette présentation conjointe des trois critères définissant respectivement le réalisme magique et le réalisme merveilleux, j'espère avoir montré en quoi ces deux modes narratifs se ressemblent et en quoi ils se distinguent. Tous deux comportent un code non-réaliste (d'un surnaturel volontiers absurde dans le réalisme magique, et proche d'une vision mystérieuse dans le réalisme merveilleux) et se situent par conséquent dans le champ de la fiction de l'imaginaire, tout en conservant un code dans le réalisme. En cela, ils s'apparentent au fantastique mais se distinguent du féerique, de la science-fiction et du surréalisme, caractérisés tous trois par des codes uniques (et qui restent à définir peut-être en tant que modes narratifs). Au-delà de ce premier critère de composition duale, les deux modes se distinguent entre eux, comme aussi du fantastique, par la façon dont le discours narratif traite les codes antinomiques du réalisme et du surnaturel. Pour ce deuxième critère, la narration magico-réaliste se contente de résoudre l'antinomie en prétendant qu'elle n'existe pas : les éléments du code surnaturel sont traités avec le même sérieux (ou, le cas échéant, avec la même nonchalance ou ironie) que les aspects réalistes du récit. En esquivant ainsi le problème, la résolution de l'antinomie demeure à la charge du lecteur, d'autant plus que le narrateur non-fiable n'est pas désavoué par l'auteur : aucun jugement auctorial ne transpire dans le texte (du moins au sujet de cette troublante résolution d'antinomie). Le troisième critère du réalisme magique est donc 117
intimement lié au second : la réticence auctoriale souligne la résolution d'antinomie par le narrateur. Face à cette résolution d'antinomie, le deuxième critère du réalisme merveilleux est constitué, lui, d'une véritable fusion des codes antinomiques : les éléments réalistes (de la nature, en particulier) sont décrits d'une manière poétique qui souligne leur aspect intrinsèquement mystérieux. Cette fusion entre le réel et le mystère ne s'accomplit pas seulement dans un style tendant au lyrisme, mais aussi dans une évidente collusion d'opinion et/ou de sensibilité entre personnages et narrateur. Ce dernier ne se contente nullement de raconter une histoire, mais crée un univers fictif dont la forte cohésion est due à la ferveur d'une vision émerveillée plutôt qu'à un souci d'objectivité réaliste. La fusion narrative est le produit du troisième critère que forme l'exaltation d'un discours nettement auctorial, dans le style comme dans la motivation narrative. Et cet élan du discours auctorial dans le récit, allant dans le sens opposé à la réticence auctoriale magico-réaliste, est le critère qui distingue le plus nettement les deux modes – sauf dans les cas, particulièrement intéressants, où ils se conjuguent. Du point de vue de la littérarité (dans l'optique du Genette de Fiction et diction), chacun de ces deux modes est doublement littéraire, mais de façons différentes. Le réalisme magique est, pour ainsi dire, de la fiction à la puissance deux, puisqu'au caractère fictionnel global des textes de ce mode s'ajoute l'imaginaire fantaisiste du code non-réaliste. Il y aurait donc là comme un double critère thématique de littérarité. Dans le cas du réalisme merveilleux, le critère thématique inhérent à toute fiction se voit doublé d'un critère rhématique, puisque le code du mystère de la nature, dans ce mode, s'articule surtout dans une expression fortement poétique : les textes illustrant ce mode relèvent donc à la fois du roman et de la poésie. Si la poésie domine trop nettement, elle remet en cause la valeur du code réaliste et, partant, l'équilibre du mode narratif. En proposant une définition du réalisme merveilleux parallèle à celle du réalisme magique élaborée par Amaryll Chanady, je tente de répondre à une double préoccupation. La première est de 118
plaider pour une distinction plus rigoureuse entre modes narratifs et genres littéraires de la fiction, ces notions se chevauchant mais ne se recouvrant pas. La seconde est de promouvoir deux belles locutions malheureusement, sinon injustement, négligées dans la critique littéraire française. L'avantage des définitions modales théoriques proposées ici est, précisément, de transcender les limites culturelles, historiques ou géographiques dans lesquelles les locutions concernées ont parfois été enfermées. J'espère démontrer, dans les chapitres suivants, leur pertinence dans diverses littératures, notamment la française. S'il est vrai que les textes illustrant la définition chanadienne du réalisme magique n'abondent pas dans cette dernière, certaines affinités narratives entre Marcel Aymé et des écrivains tels que Kafka, Grass et García Márquez sont frappantes. Quant au réalisme merveilleux, plusieurs œuvres de Jean Giono (en particulier) rappellent beaucoup le type d'évocation fervente de réalités naturelles que l'on trouve dans les romans d'auteurs antillais (comme Jacques Stephen Alexis, Jean-Louis Baghio'o, Simone Schwarz-Bart et, dans une moindre mesure, Alejo Carpentier) ou américains, comme William Faulkner. Je propose donc, non pas de relire ces auteurs à la lumière des modes narratifs présentés ici, mais de confronter ces notions théoriques aux œuvres. Littérature d'abord.
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II. POÉTIQUES
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Monsieur Sylvestre Bonnard, vous n’êtes qu’un cuistre. Savoir n’est rien, imaginer est tout. Rien n’existe que ce qu’on imagine. Je suis imaginaire. C’est exister cela, je pense ! Anatole France Le réalisme magique de Marcel Aymé à Gabriel García Márquez Dans l’épigraphe ci-dessus, le personnage éminemment fictif de la petite fée exprime – de façon spirituelle et sans égard pour la dignité de son interlocuteur, l’académicien Bonnard (qui est également le narrateur du roman où elle surgit) – une conviction chère à Anatole France : non seulement la fantaisie a ses droits mais elle est synonyme d’existence. Ceci dans le contexte d’une fin de 19e siècle qui a pour réputation d’avoir été soumise aux théories positivistes et naturalistes. J’ai montré ailleurs que la manière dont Anatole France introduit la fée dans l’univers de son premier roman, Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut (1881), correspond en tout point au mode narratif magico-réaliste, tel qu’il a été défini par Amaryll Chanady. 69 Des variations de ce réalisme magique apparaissent ensuite dans deux autres romans célèbres d’Anatole France : L’Ile des Pingouins (1908) et La Révolte des anges (1913). Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans l’œuvre de Marcel Aymé, la première apparition du mode magico-réaliste se fait également par le truchement d’une fée. En l’occurrence, il s’agit de la belle Udine qui se voit infliger une contravention pour circuler sans lanterne, de nuit, sur une route nationale dans son carrosse de jade et de cristal, tiré par trois lapins. Cette irruption du féerique 69
Magical Realism and the Fantastic: Resolved Versus Unresolved Antinomy, New York et Londres, Garland Publishing, 1985. 123
dans un univers diégétique au demeurant réaliste et moderne a lieu dans le conte "Au clair de la lune" (Le Puits aux images, 1932) et marque le début de l’exploitation intensive de la veine magicoréaliste par Aymé, illustrée notamment par la plupart des nouvelles du Passe-muraille.70 Après avoir montré la filiation France-Aymé pour ce qui relève du réalisme magique, 71 je souhaite confronter une autre œuvre de Marcel Aymé, le roman La Jument verte (1933) avec une nouvelle de Gabriel García Márquez, "Un monsieur très vieux avec des ailes immenses" (1968), afin de mettre en évidence les similarités de leur mode narratif magico-réaliste ainsi que de certains aspects relevant du thème et du ton. La parenté d’esprit et d’écriture dans ces deux textes est telle qu’elle devrait suffire à remettre en question deux croyances assez répandues dans la mouvance culturaliste de la critique littéraire, à savoir que : 1) le réalisme magique latino-américain – défini en tant que mode narratif – serait plus "authentique" que ses manifestations européennes au titre de la référence à des croyances populaires indigènes non-asservies au rationalisme occidental ; 2) Gabriel García Márquez serait l’"inventeur" de ce mode. L’étude comparative des deux auteurs, amorcée ici, suggère que l’on a beaucoup négligé, d’une part, la pertinence de ce mode narratif dans la littérature française et, de l’autre, l’influence d’auteurs français autres que les Surréalistes – sur la nouvelle littérature hispano-américaine.
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Voir Charles Scheel, "Marcel Aymé, conteur magico-réaliste malgré lui" in Cahier Marcel Aymé 12, 1996, p.82-109. 71 "D’Anatole France à Marcel Aymé : le réalisme magique" in numéro special Marcel Aymé de la revue Littératures contemporaines, éd. Alain Cresciucci, Paris, Klincksieck, 1998, p.75-90. 124
1. La Jument verte La narration de ce roman 72 qui rendit Marcel Aymé célèbre, est tout à fait conforme aux critères proposés par A. Chanady pour définir le mode magico-réaliste.73 Aymé part cependant d'un code du surnaturel différent du féerique qu’il avait utilisé dans "Au clair de la lune." Le roman débute sur une proposition absurde : la naissance d'une jument verte. En dehors de la question du type de codes réaliste et surnaturel adoptés, se pose le problème de l’adaptation du mode au genre littéraire du roman. Si le conte paraît éminemment compatible avec un mode narratif ludique tel que le réalisme magique, comment celui-ci peut-il être maintenu sur plusieurs centaines de pages ? L'analyse du texte mettra en évidence l'adaptation originale par Aymé d'une technique qu’il avait déjà éprouvé dans la nouvelle : l'événement surnaturel initial est progressivement et adroitement transformé en procédé narratif absurde mais récurrent, dans le cadre d'une intrigue des plus réalistes par ailleurs. Deux codes antinomiques. La technique de la proposition initiale – ou de l'incipit "absurde" du réalisme magique est connue surtout grâce à son illustration frappante dans La Métamorphose de Kafka. Le roman d'Aymé en offre une variation également frappante, mais dans une tonalité plus clairement humoristique :
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Gallimard, 1933. Les citations renvoient au volume I des Oeuvres romanesques complètes de Marcel Aymé (ORC) dans la Bibliothèque de la Pléiade (édition et introduction d’Y.-A. Favre), 1989. 73 Dans mes thèses de PhD et de doctorat je me suis attaché, entre autre, à démontrer que le mode narratif chanadien permet de rendre bien mieux compte de la spécificité de la partie la plus caractéristique de l’œuvre fictionnelle de Marcel Aymé, que les tentatives précédentes par la critique ayméenne (dont Claude Dufresnoy, Jean-Louis Dumont, Pierre Gripari, P.-R. Leclercq, Graham Lord, René Garguilo, M. Lecureur et Y.-A. Favre qui ont chacun proposé des combinaisons variées des termes réalisme, merveilleux, fantastique, fantaisie physique et féerique). 125
Au village de Claquebue naquit un jour une jument verte, non pas de ce vert pisseux qui accompagne la décrépitude chez les carnes de poil blanc, mais d'un joli vert de jade. En voyant apparaître la bête, Jules Haudouin n'en croyait ni ses yeux ni les yeux de sa femme. – Ce n'est pas possible, disait-il, j'aurais trop de chance. [...] C'était une grande nouveauté qu'une jument verte et qui n'avait pas de précédent connu. La chose parut remarquable car, à Claquebue, il n'arrivait jamais rien. On se racontait que Maloret dépucelait ses filles, mais l'histoire n'intéressait plus, depuis cent ans qu'elle courait ; les Maloret en avaient toujours usé ainsi avec leurs filles ; on y était habitué. De temps à autre, les républicains, une demi-douzaine en tout, profitaient d'une nuit sans lune pour aller chanter la Carmagnole sous les fenêtres du curé et beugler "A bas l'Empire!" A part cela, il ne se passait rien. Alors, on s'ennuyait.... (ORC I, p.829; mes italiques) Ci-dessus, la toute première proposition – aussi courte qu'elle soit – introduit à la fois les codes surnaturel et réaliste : une location géographique identifiée par un nom (qu'il soit mythique n'importe pas) fournit un univers spatial plausible, alors qu'un événement manifestement improbable est affirmé par le narrateur. Le scepticisme – bien compréhensible et donc raisonnable – exprimé initialement par les personnages concernés (qui sont nommés d’une manière rustique réaliste : "Haudouin et sa femme") semble rejoindre le code réaliste, mais ce n'est qu'un leurre de courte durée : le narrateur confirme bien l'absurde, et improbable naissance d'une pouliche verte. Tout ce qui suit, en fait de commentaires ironiques sur la vie sociale de Claquebue, ne fait que noyer le poisson – en l'occurrence, l'improbable jument. L'absurde nouvelle est d'abord trivialisée par la mention de pratiques autrement scandaleuses dans le village, puisqu'on parle d'un siècle de rapports incestueux chez les Maloret : le contre-nature vient donc désamorcer le surnaturel. D’autre part, une série de mentions 126
à valeur historique ("les Républicains," "la Carmagole," "l'Empire") situe le cadre diégétique dans l'histoire sociale française et consolide d'autant le code réaliste. Même l'humour, le vocabulaire rustique (le vert "pisseux"...) et les piques satiriques du narrateur (qui connaît bien son monde, puisqu'il s'y associe: "alors on s'ennuyait... ") font effet de réel, tant ces observations confirment la sagesse populaire. Bref, le choc de l'incipit absurde sur le lecteur est étouffé par les réalités ambiantes accumulées dans la narration. Cette première page tournée, la qualité des événements et du ton de la narration change : La nouvelle s'échappa de l'écurie, zigzagua entre les bois et la rivière, fit trois fois le tour de Claquebue, et se mit à tourner en rond sur la place de la mairie. Aussitôt, tout le monde se porta vers la maison de Jules Haudouin, les uns courant ou galopant, les autres clopinant ou béquillant. On se mordait aux jarrets pour arriver les premiers, et les vieillards, à peine plus raisonnables que les femmes, mêlaient leurs chevrotements à l'immense clameur qui emplissait la campagne. – Il arrive quelque chose ! Il arrive quelque chose ! (p.830) Dans ce passage, les événements sont plausibles mais leur narration est clairement satirique. La progression de l'incroyable nouvelle est visualisée par un bel artifice métaphorique, et les comportements humains sont impitoyablement dégradés (également par la métaphore) à un niveau animal (chevaux, chiens et chêvres sont suggérés par les "galopades," "morsures au jarret" et autres "chevrotements"). Mais la narration ne s'arrête pas à ce comique : Enfin, Jules Haudouin parut sur le seuil de l'écurie. Hilare, les mains sanglantes, il confirma : "Elle est verte comme une pomme !" 127
Un grand rire parcourut la foule, puis on vit un vieillard battre l'air de ses bras et tomber raide mort dans sa cent huitième année. Alors, le rire de la foule devint énorme, chacun se tenait le ventre à deux mains pour rigoler tout son soûl. Les centenaires s'étaient mis à tomber comme des mouches, et on les aidait un peu, à bons grands coups de pied dans l'estomac. "Encore un ! – C'est le vieux Rousselier ! – A un autre !" En moins d'une demi-heure, il trépassa sept centenaires, trois nonagénaires, un octogénaire. Et il y en avait qui ne se sentaient pas bien. [...] Le curé avait fort à faire d'assister les moribonds. Exténué, il finit par grimper sur un baquet pour se faire entendre par-dessus le vacarme des rires, et déclara que c'était assez pour une première fois, qu'il fallait songer à rentrer chez soi. (p.830-1; mes italiques) L'exagération comique prend ici des proportions rabelaisiennes : on a quelque peine à imaginer des villageois du Second Empire achever leurs anciens à coups de pieds dans le ventre, sous prétexte d'enthousiasme inhabituel, sans parler de l'énorme litote mise dans la bouche du curé qui ne demande qu'une trêve dans ce jeu de massacre. Le code réaliste en prend un coup, car ces événements, quoique moins surnaturels que la naissance de la jument verte, s'inscrivent avec cette dernière dans un code héroïcomique qui se joue de la vraisemblance. Il faut remarquer, cependant, que si la veine humoristique demeure constante dans le roman, les débordements décrits ici n'iront pas au-delà du premier chapitre, alors que l'extraordinaire animal, lui, demeurera. En fait, la farce rabelaisienne ne réapparaît que trois fois, notamment lors de la visite de l'Empereur lui-même à Claquebue : De son côté, l'Empereur s'entretenait avec la femme du maquignon. A une proposition galante qu'il lui fit, elle répondit avec la modestie des simples : "Sire, je suis dans le sang." / Malgré sa déconvenue, l'Empereur voulut la récompenser d'avoir su lui plaire et maintint la promesse que 128
le préfet venait de faire au maquignon. Lorsqu'il remonta en calèche, la population de Claquebue lui fit une magnifique ovation, puis elle alluma un grand feu de joie dans lequel elle jeta tout le restant de ses vieillards. Le lieu de cet important bûcher fut appelé, depuis, Champ-Brûlé, et le blé y poussa bien. (p.832-33; mes italiques)74 L'humour féroce et la fantaisie débridée des assertions soulignées ci-dessus sont en contraste marqué avec la réponse d'un réalisme terre-à-terre, voire cru, que fait Mme Haudouin à la proposition galante de l'Empereur, à peine quelques phrases plus haut. Aucun autre passage du récit ne montre une juxtaposition aussi frappante du fabuleux (la crémation spontanée des vieux dans un "feu de joie") et du prosaïque (la mention des règles de Mme Haudouin). A partir de ce point de l'intrigue, la fantaisie grotesque et la farce disparaissent du roman, à l'exception d'un procédé qui affecte à la fois la structure du récit et son mode narratif. La jument verte, ayant largement contribué par sa réputation à la fortune financière et politique de Jules Haudouin, meurt de quelque maladie, mais non sans avoir été immortalisée dans un beau tableau par un artiste errant. Le narrateur affirme avec malice que ce portrait d'équidé a mieux survécu aux vissicitudes de l'histoire que ceux d'empereurs et de présidents de France, qui n'ont ornés que brièvement les murs de la salle à manger des Haudoin. C'est alors que surgit brusquement un changement de voix narrative dans le récit : le portrait se met à raconter l'histoire de son point de vue. Ce changement incongru est souligné dans la typographie du texte :
Deux épisodes ultérieurs affichent à nouveau ce type de comique rabelaisien : la scène du chapitre XII décrivant la joute (à coup de portevoix et de cris au miracle) entre cléricaux et républicains autour du lit de mort de Philibert Messelon, et la scène du chapitre XVI, où le narrateur rapporte, sans sourciller, les discours et chamailleries des morts au cimetière. 129 74
... mais l'effigie de la jument verte demeurait en place. Le dimanche, lorsque toute la famille mangeait du bouilli ou de la grillade de cochon dans la salle à manger, Jules Haudouin levait les yeux vers la jument verte et, la tête penchée sur l'épaule, soupirait en joignant les mains : – Il y a des fois, on dirait qu'elle va parler. Alors, tout le monde dissimulait son émotion en buvant un coup d'aramon. LES PROPOS DE LA JUMENT L'artiste qui me peignit n'était rien de moins que le célèbre Murdoire. Avec tous les avantages d'un grand génie, il possédait un redoutable secret que je ne livre pas sans scrupule à la méditation des peintres d'aujourd'hui... (p.8367; mes italiques) Ce qui a lieu au milieu du passage cité ici pourrait être appelé un "miracle narratif." Tout se passe comme si le voeu pieu de Jules Haudoin, de voir la jument parler, se trouvait immédiatement exaucé, comme si le texte prenait la métaphore, exprimée par l'un des personnages, à la lettre. Toujours est-il que la voix (du portrait) de la jument est ainsi imprimée, et ce dans neuf chapitres sur les dix-sept du roman, à raison de cinq à dix pages par intervention, toutes isolées sous le titre : LES PROPOS DE LA JUMENT. Un tel truc narratif est évidemment aussi absurde que la naissance d'une jument verte l'était au départ, mais il est maintenu contre vents et conventions jusqu'à la fin de l’œuvre. Où restent les codes du réalisme et du surnaturel dans tout cela ? Contre toute attente, si le statut narratif de la jument est absurde et surnaturel, ses propos ne le sont pas. Jouissant d'un point de vue imprenable au milieu des demeures successives où elle est suspendue, elle offre des commentaires particulièrement instruits et critiques des mœurs intimes de la tribu Haudouin. Si bien que ces propos sont d'un réalisme souvent confondant et ne le cèdent en rien, quant au vraisemblable, à ceux que pourrait tenir un 130
narrateur réaliste conventionnel, sa qualité de témoin discret lui octroyant une sorte d'omniscience locale : J'ai connu quatre générations de Haudouin, la première à son âge mûr, la dernière à son matin. Pendant soixante-dix ans, j'ai vu les Haudouin à l’œuvre d'amour, chacun y apportant les ressources d'un tempérament original, mais la plupart (je pourrais bien dire tous, à quelque degré) demeurant fidèles, dans la recherche du plaisir et jusque dans l'accomplissement, à une sorte de catéchisme qui semblait leur imposer, en même temps qu'un certain rituel, des inquiétudes, des scrupules, des préférences... (p.838) On voit que le discours de la jument n'hésite pas à adopter un ton et des tournures assez doctes ; ses descriptions, analyses et commentaires des comportements sexuels de cette famille provinciale combinent le sérieux et la malice. Mais si le réalisme domine largement dans le contenu de cette contribution narrative, le statut (nominalement) absurde du narrateur est souligné périodiquement et délibérément, comme dans le passage cidessous : Des cinq [Haudouin], [Ferdinand] était probablement le plus malheureux, mais aucune souffrance n'égalait la mienne lorsque son regard se levait sur moi [dans mon cadre]. Je sentais mourir cette vie tumultueuse et immobile que le pinceau de Murdoire avait fait éclore sous ma robe verte. Aujourd'hui, quarante ans passés, la plume m'en va d'y penser. (p.904; mes italiques) Alors que dans les premières phrases de ce passage, la jument se contente – si j'ose dire – de décrire les états d'âme que lui inspirent les souffrances de Ferdinand Haudouin, elle n'hésite pas à se mettre en scène comme l'auteur de ses propos : c'est elle aussi qui tient la plume. Une telle assertion (même tempérée par la forme allusive de la métaphore) ne sert qu'à souligner, avec humour, 131
l'artifice et l'absurdité de la création du statut (du portrait) de la jument en tant que narrateur-écrivain ; paradoxalement, cela revient aussi à renforcer le code particulier du surnaturel dans ce roman. Une antinomie résolue par la narration. Contrairement, donc, à la plupart des nouvelles magico-réalistes d’Aymé, dans La Jument verte, le surnaturel se limite à des intrusions occasionnelles. Il y apparaît dès le début sous la forme d'une proposition absurde, mais ne domine pas l'intrigue dont il ne fournit que les rebondissement les plus spectaculaires, rapportés par un narrateur au statut particulier : le portrait de la jument. Cette division des voix narratives n’affecte pas le principe de la résolution narrative des codes dans le roman, car dans les parties narrées par la jument, le code du surnaturel est doué d'une grande cohésion interne grâce au respect constant de sa propre causalité et de son traitement formel récurrent. Les fils surnaturel et réaliste de l'intrigue se croisent du début jusqu’à la fin de l'histoire. Le lecteur constate que le narrateur extra-diégétique et omniscient affecte une indifférence totale aux intrusions du surnaturel sous la forme des "propos de la jument." Comme dans les autres textes magico-réalistes d’Aymé, on peut relever, dans La Jument verte, les tactiques de résolution de l'antinomie entre les codes suivantes : a) l'absence totale de commentaires là où le lecteur attend une explication ou une distanciation des aspects (absurdes) de l'action ; b) la compensation du fait absurde par son insertion dans une accumulation de détails réalistes et de références culturelles réelles ; c) la neutralisation de l'absurde par la relativisation dûe à des faits parallèles réalistes mais extraordinaires ou scandaleux ; d) la neutralisation de l'antinomie entre les codes réaliste et surnaturel par la présence constante, dans la narration, du commentaire (comique, ironique ou satirique).
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La réticence auctoriale. Dans les premières pages du roman, la résolution de l'antinomie entre les codes réaliste et surnaturel a lieu de manière ayméenne classique, pourrait-on dire : comme dans "Le passe-muraille" et "Les Sabines," l'intrusion de l'élément absurde (ici la jument verte) dans un cadre réaliste (Claquebue, un petit village français sous le Second Empire) est traitée de la façon la plus naturelle au monde par un narrateur dont la fiabilité est d'ailleurs également minée par l'exagération grotesque et satirique de son reportage des scènes de "les joie" éclatant dans le village à l'occasion de l'incroyable nouvelle. On retrouve donc ici la combinaison typique du réalisme magique ayméen, à savoir : une narration unissant l’invraisemblable et l'ancrage dans la réalité sans la moindre trace de vergogne rationnelle, si je puis dire (ni de la part du narrateur ni d'une instance auctoriale), et l'intrusion parallèle d'un commentaire ironique et satirique des mœurs villageoises, dans cette même narration (intrusion surtout narrative, mais à coloration auctoriale à cause du pastiche littéraire : il y a du Voltaire et du Rabelais dans tout ceci). Bref, la réticence auctoriale joue son rôle consistant à ne pas menacer la résolution de l'antinomie des codes par le narrateur, sans qu'elle inhibe en quoi que ce soit sa verve de conteur : le mode magico-réaliste est sauf – et ironique. Qu'en est-il une fois la jument morte et enterrée, mais que son portrait prend la plume ? Ce statut inédit de co-auteur du roman s'inscrit-il encore dans la définition du mode magico-réaliste? L'autorité narrative de la jument est grande, même si son ton sentencieux est souvent coupé de malice. Dans ses dernières lignes, elle va jusqu'à commenter le roman lui-même, dans une intrusion auctoriale manifeste et cocasse (elle a d'ailleurs le privilège de la narration à la première personne, alors que le narrateur principal n'est qu'une instance anonyme extradiégétique) : Je crois avoir tout expliqué des amours de la famille Haudouin, du moins l'essentiel. Sans doute n'ai-je pas tout dit, mais le souci de la décence et de l'honnêteté m'en a, seul, 133
empêchée. Car je n'ai pas formé d'autres vœux, en écrivant ce modeste témoignage, que de servir la cause du bien. Les romanciers sont des gens à la tête légère, ils racontent des histoires, et la morale y va comme elle peut. Je le dis sans orgueil : il est bien heureux qu'une jument verte se soit trouvée là pour tirer de ce roman un robuste et honnête enseignement, à savoir qu'il n'y a point d'amour durable, partant point de bonheur, en dehors de la famille. (p.1013; mes italiques) Du point de vue du mode narratif, on a souligné la répétition, dans cet avant-dernier chapitre du roman, de la proposition absurde sur le statut d'écrivain de la jument. Quant à l'aspect de pastiche de préface/postface bien-pensante que prennent les remarques de la jument sur le contenu du roman, il rappelle assez les exercices du genre depuis Rabelais. Les commentaires de la jument, se flattant d'avoir su tirer un enseignement moral du roman, sont particulièrement ironiques lorsqu'on songe que le narrateur principal conclura l'histoire par la scène où Honoré Haudouin possède la femme de son voisin, alors que sa propre famille écoute et approuve à la porte. La jument a donc eu bien raison d'affirmer que "les romanciers sont des gens à la tête légère, ils racontent des histoires, et la morale y va comme elle peut…" Il me semble donc que le passage de la jument – de son statut original d’animal surnaturel dans l'univers diégétique réaliste du roman à celui de narrateur (voire écrivain) surnaturel décrivant le même univers de son point de vue très particulier – ne s'oppose en rien aux trois critères définissant le réalisme magique. A ma connaissance, La Jument verte n'a pas été étudiée sous l'angle de ce mode narratif. La forme inhabituelle du roman a cependant suscité de nombreux commentaires. Le rôle singulier de la jument a souvent laissé perplexe et donné lieu à des appréciations variées, voire contradictoires chez un même critique. Il est vrai que la division des tâches et des situations narratives entre la jument et le narrateur principal n'est pas toujours très nette et qu'Aymé n'est pas systématique dans la distribution respective 134
de l'omniscience et du point de vue, théoriquement limité, de la jument. Mais il convient de faire la part de l'humour et de l'invention dans tout cela. Car, paradoxalement, la matière de ce roman est surtout réaliste, et les seules grivoiseries ne sauraient expliquer le grand succès de l’œuvre. Graham Lord a situé le caractère expérimental du roman sur le plan de la forme et de l'esthétique. 75 Certes, le truc des PROPOS DE LA JUMENT dont le titre vient s'étaler au beau milieu des chapitres est surprenant. Mais pas plus que le contenu des pages qui suivent ou des scènes hilarantes du début, quand la jument se contente d'être verte plutôt que de "parler vert." Ce truc très visible cache la véritable expérimentation de ce roman, qui est d'être une variation originale sur un mode narratif déjà original : le réalisme magique. Or ce mode ne s'arrête pas aux artifices typo-graphiques évidents dans ce roman, ni à l'alternance des point de vue. La jument n'est pas là pour compenser la vision limitée d'Aymé. S'il s'agissait uniquement de voir ce qui se passe sur le canapé des Haudouin de Claquebue ou d'ailleurs, Aymé aurait pu se servir du TRUC LE PLUS ENORME de la fiction : le narrateur omniscient, à qui personne ne demande de justifier son point de vue privilégié. Les narrateurs du roman ne sont pas "Aymé et la jument," comme on a pu l'écrire. Ce sont le narrateur principal (qui fait assez consciencieusement son travail de réaliste) et Aymé, qui s'est faufilé sous le cuir de la jument et s'amuse, par ce tour de magicien, à commenter sa propre narration de l'intérieur. La jument verte, c'est le cheval narratif magique dont l'auteur se sert pour pénétrer dans la Troie réaliste.
75
Marcel Aymé, Berne, Ed. Peter Lang, 1987, p.93. Il s’agit du deuxième ouvrage (rédigé en anglais), consacré par Graham Lord à cet auteur. 135
2. "Un monsieur très vieux avec des ailes immenses" Cette fiction courte, rédigée en 1968, est la première du recueil L’incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa diabolique grand-mère.76 Selon le sous-titre de l’édition française, cet ouvrage réunit des nouvelles. Il s’agit plutôt de contes. 77 Comme les quatre autres textes, "Un monsieur très vieux avec des ailes immenses" (MTV) est largement dominé par le merveilleux, souvent en combinaison avec l’humour. Les deux premiers paragraphes de l’histoire donnent néanmoins une impression de réalisme assez neutre, à quelques détails près : Au bout de trois jours de pluie on avait tué tant de crabes dans la maison que Pelayo dut traverser sa cour inondée pour les jeter à la mer, car le nouveau-né avait passé la nuit à grelotter de fièvre et l’on pensait que c’était à cause de l’horrible odeur. […] La lumière était si paisible à midi que lorsque Pelayo rentra chez lui après avoir jeté les crabes, il eut du mal à voir cette chose qui bougeait et gémissait au fond de la cour. Il dut vraiment s’approcher pour découvrir qu’il s’agissait d’un vieillard, qui s’était étalé dans cette mare de fange; l’homme faisait des efforts désespérés pour se relever et n’y parvenait pas, entravé par ses ailes immenses. Effrayé par ce cauchemar, Pelayo courut chercher sa femme, Elisenda, qui mettait des compresses au petit malade, et il l’entraîna jusqu’au fond de la cour. Tous deux observèrent le corps tombé avec une stupeur muette. II était 76
Paris, Grasset et Fasquelle, 1977, trad. Claude Couffon (édition originale : La incréible y triste historia de la cándida Eréndira y de su abuela desalmada, Buenos Aires, Sudamerica, 1972). 77 C’est aussi l’avis de Jacqueline Tauzin, dans l’une des rares études françaises mentionnant le réalisme magique ("Un exemple de réalisme magique : ‘Blacaman le Bon, marchand de miracles’" in Frontières du conte, éd. François Marotin, Paris, Editions du C.N.R.S., 1982, p.137144). D’ailleurs le sous-titre d’origine est "Siete cuentos." 136
vêtu comme un chiffonnier. Il lui restait à peine quelques effilochures déteintes sur son crâne pelé et quelques rares dents dans la bouche, et sa lamentable condition de vieux pépé trempé jusqu’aux os l’avait dépourvu de toute dignité. Ses ailes de grand charognard, sales et à demi déplumées, étaient enlisées à jamais dans la boue. Ils l’observèrent tellement, et si attentivement, que Pelayo et Elisenda se remirent très vite de leur surprise et finirent par trouver l’inconnu familier. Alors ils s’enhardirent à lui parler et il leur répondit dans un dialecte incompréhensible mais avec une belle voix de navigateur. Ils oublièrent donc l’inconvénient des ailes et conclurent avec bon sens qu’ils étaient en présence d’un naufragé solitaire étranger dont le bateau avait chaviré dans la tempête. Pourtant, ils firent signe à une voisine avertie des choses de la vie et de la mort, laquelle, dès le premier coup d’oeil, les détrompa : – C’est un ange, leur dit-elle. Il venait sûrement pour le petit, mais le pauvre est si âgé que la pluie l’a flanqué par terre. (p.10-11 ; mes italiques) Cet incipit pose plusieurs problèmes de lecture. Le premier est de plonger, in media res dans un univers diégétique étrange pour toute personne n’ayant pas eu l’expérience de certaines côtes caraïbes où les maisons sont, en effet, envahies périodiquement par des crabes. Voilà qui relativise d’emblée le code réaliste. Le second est évidemment la nonchalance avec laquelle le narrateur (a priori extradiégétique) rapporte comme un fait que la "chose" entrevue par le personnage Pelayo au fond de la cour serait un vieil homme entravé par "ses" ailes, comme si de tels appendices ("immenses" de surcroît) étaient naturels. On est donc face à une proposition initiale absurde qui écorne sérieusement la fiabilité du narrateur. D’autant plus d’ailleurs, que dans le second paragraphe, les personnages réagissent, eux, par la "stupeur" à ce qui ne saurait être qu’un "cauchemar." Mais comme, très rapidement, ils "familiarisent l’inconnu" également, l’affirmation par le narrateur, qu’ils concluent avec "bon sens" que la créature est un naufragé 137
solitaire étranger, fait basculer la narration dans le registre humoristique et/ou ironique : l’instruction du couple PelayoElisenda doit être limitée. Quant à celle de la voisine, savante dans les "choses de la mort et de la vie," elle repose manifestement sur la foi dans un merveilleux chrétien rustique qui lui permet, en l’occurrence, de proposer une explication – d’une logique imparable dans son genre – à l’arrivée de l’ange. C’est dire que les trois traits distinctifs du mode magico-réaliste sont posés dès ces paragraphes introductifs : un événement surnaturel surgit dans un cadre prosaïque, quelque village côtier des Caraïbes. Le narrateur traite cette incursion absurde sans distance aucune. L’antinomie entre les codes réaliste et surnaturel est donc résolue, notamment par le recours à des techniques de naturalisation par personnages interposés : la réticence du narrateur extradiégétique (auctorial) à commenter l’absurde est compensée par une distanciation humoristique et/ou ironique vis-à-vis des personnages, gens simples et superstitieux. La suite du texte maintient l’affirmation absurde tout en développant des observations de nature psychologique ou sociologique, teintées de sarcasme : Le lendemain tout le monde savait que les Pelayo retenaient prisonnier un ange en chair et en os. En dépit de l’opinion de la docte voisine, pour qui les anges d’aujourd’hui étaient les survivants fugitifs d’une conspiration céleste, on n’avait pas eu le coeur de le tuer à coups de bâton. Pelayo resta toute la soirée à le surveiller de la cuisine, armé de sa canne de garde champêtre, et avant d’aller se coucher il le traîna hors du bourbier et l’enferma avec les poules dans le poulailler grillagé. A minuit, quand la pluie cessa, Pelayo et Elisenda tuaient encore des crabes. Peu après l’enfant se réveilla, sa fièvre était tombée et il avait faim. Alors ils se sentirent l’âme généreuse et décidèrent d’installer l’ange sur un radeau avec une provision d’eau douce et des vivres pour trois jours, puis de l’abandonner à son sort en pleine mer. Mais quand, au petit matin, ils 138
sortirent dans la cour, ils trouvèrent devant le poulailler tout le voisinage qui batifolait avec l’ange sans le moindre respect et qui lui jetait à manger à travers le grillage, comme s’il se fût agi d’un animal de cirque et non d’une créature surnaturelle. (p.10-11 ; mes italiques) Alors que le narrateur persiste à parler "d’ange" et de "créature surnaturelle" (et donc à faire preuve d’une crédulité peu compatible avec le code réaliste), la foi chrétienne des personnages est épinglée de façon ironique. L’accès de générosité de Pelayo et d’Elisenda, bien qu’inspiré par un exemple de l’Ancien Testament, semble relever plutôt de considérations pratiques et cyniques pour se débarrasser de l’intrus. Le catholicisme de la docte voisine semble avoir souffert d’influences peu orthodoxes (comme la lecture de La Révolte des Anges d’Anatole France, peut-être), et celui de la foule des voisins est manifestement d’une variété très superficielle, peu respectueuse du dogme. La narration continue d’explorer la veine religieuse, avec l’arrivée du curé local : Le père Gonzaga arriva avant sept heures, alarmé par l’énormité de la nouvelle. […] Penché sur le grillage, il repassa à toute vitesse son catéchisme et demanda aussi qu’on lui ouvrît la porte pour examiner de près ce pauvre bougre qui ressemblait plutôt à une vieille poule énorme parmi les autres poules ébahies. Il était couché dans un coin, séchant au soleil ses ailes déployées […]. Insensible aux impertinences du monde, c’est à peine s’il leva ses yeux d’antiquaire et murmura quelques mots dans son dialecte lorsque le père Gonzaga, entrant dans le poulailler, lui donna le bonjour en latin. Le curé commença à soupçonner son imposture dès qu’il se rendit compte que l’autre ne comprenait pas le langage de Dieu et ne savait pas saluer ses ministres. Puis il constata que, vu de près, il avait un air trop humain : […] sa nature misérable n’avait rien de commun avec l’illustre dignité des anges. Alors il abandonna le poulailler, et dans un court sermon mit en garde les curieux 139
contre les risques de la crédulité. […] / Sa circonspection tomba sur des âmes sourdes. La nouvelle de l’ange captif se répandit avec une telle rapidité qu’au bout de quelques heures il y avait dans la cour un vacarme de jour de marché, et il fallut faire appel à la troupe baïonnette au canon pour chasser ce tohu-bohu qui menaçait d’abattre la maison. Elisenda, l’échine tordue à force de balayer toutes ces ordures de fête foraine, eut alors la bonne idée de murer la cour et de percevoir cinq centavos d’entrée par personne pour voir l’ange. (p.11-12) On voit que l’humour et le sarcasme dominent aussi ces extraits du récit. Le narrateur se moque du scepticisme du curé (soucieux avant tout d’une image digne de l’église et de ses représentants), de l’excitation de la populace (nullement prête à se laisser décourager par les réserves du curé), et de l’esprit pratique d’une Elisenda monnayant la vue de l’ange (comme une église le fait de quelque relique de saint). L’exagération manifeste du recours à la troupe pour maintenir l’ordre dans une cour transformée en place du marché par l’apparition miraculeuse n’est pas sans rappeler le comique rabelaisien du narrateur de La Jument verte décrivant la liesse carnavalesque provoquée par la naissance de l’étrange animal à Claquebue. Toutes ses réactions (caricaturées mais vraisemblables) ne remettent nullement en cause la proposition absurde d’origine, qui continue d’être maintenu imperturbablement par le narrateur, tout comme l’humour avec lequel il décrit les phases changeantes des effets (relativement réalistes) de l’ange : Les curieux vinrent de loin, et même de la Martinique. […]. Au sein de ce désordre de naufrage, Pelayo et Elisenda étaient heureux en leur fatigue, car en moins d’une semaine ils avaient bourré les chambres de gros sous, alors que la file de pèlerins qui attendaient l’instant d’entrer atteignait l’autre bout de l’horizon. / L’ange était le seul à ne pas participer à son phénomène. […] Sa seule vertu surnaturelle paraissait être la patience. Surtout les premiers temps, quand les poules 140
qui cherchaient les parasites stellaires qui proliféraient sur ses ailes le becquetaient, quand les impotents lui arrachaient des plumes pour frotter leur corps défectueux, et quand même les plus charitables lui jetaient des pierres, essayant ainsi de l’obliger à se lever pour le voir en grand. […] / Le père Gonzaga affronta la frivolité de la foule avec des formules d’inspiration domestique, dans l’attente du jugement final concernant la nature du prisonnier. Mais le courrier de Rome avait perdu la notion de l’urgence. Le temps passait à vérifier si le captif avait un nombril, si son dialecte présentait quelque rapport avec l’araméen, s’il pouvait tenir dans le chas d’une aiguille ou si plus simplement il ne s’agissait pas d’un Norvégien avec des ailes. Ces lettres modérées auraient circulé jusqu’à la fin des siècles si un événement providentiel n’avait mis fin aux tribulations du brave prêtre. (13-15 ; mes italiques) En dehors de sa charge ironique, la mention de la Martinique comme provenance particulièrement lointaine de pèlerins a un effet de réel, neutralisé quelques lignes plus loin par celle des "parasites stellaires" que les poules cherchent dans les plumes de l’ange. Quant au paragraphe résumant la teneur du courrier (d’une lenteur effectivement proverbiale) entre le curé et le Vatican, il courtcircuite toute opposition entre réalisme et surnaturel, puisqu’il contient à la fois des éléments réalistes (référence à une langue biblique tel l’araméen, allusion au voyageur norvégien intrépide Thor Heyerdahl) et des articles du merveilleux chrétien (nature divine de créatures sans nombril, minuscules ou pourvues d’ailes…) : il n’y a aucune différence dans le traitement narratif de ces éléments antinomiques. La narration de la fin du pouvoir d’attraction de l’ange, annoncée comme "providentielle" pour le curé dans l’extrait précédent, est ironique. Elle fonctionne, dès l’introduction, sur le mode du pastiche d’un récit biblique :
141
Il arriva qu’à cette époque, parmi les nombreuses attractions des bohémiens aux Caraïbes, on présenta au village le triste spectacle de la femme changée en araignée pour avoir désobéi à ses parents. Les billets d’entrée pour la voir non seulement coûtaient moins cher que ceux qu’on vendait pour regarder l’ange, mais ils permettaient aussi de lui poser toutes sortes de questions concernant son aberrante condition, et de l’examiner sous toutes les coutures afin que nul ne mît en doute la vérité d’une telle horreur. C’était une effroyable tarentule de la taille d’un mouton, qui exhibait une tête de pucelle triste. […] Un tel spectacle, aussi chargé de vérité humaine et de châtiment épouvantable, devait ruiner sans le vouloir celui d’un ange méprisant qui daignait à peine regarder les mortels. Et puis, les rares miracles qu’on attribuait à l’ange révélaient un certain désordre mental […]. Ces miracles de consolation qui ressemblaient à des canulars avaient déjà ébranlé la réputation de l’ange lorsque la femme métamorphosée en araignée acheva de l’anéantir. Et c’est ainsi que le père Gonzaga fut à jamais guéri de l’insomnie, et que la cour de Pelayo retrouva sa solitude de l’époque où il avait plu sans cesse durant trois jours et où les crabes marchaient dans les chambres. (p.1516 ; mes italiques) En mettant ainsi en concurrence le phénomène surnaturel absurde de l’ange avec celui grossièrement fallacieux d’un monstre de fête foraine, le narrateur de MTV ne fait que continuer d’exploiter la veine comique et/ou sarcastique. Il souligne la crédulité d’une population et sa préférence naturelle (et donc réaliste…) pour un spectacle à la fois moins cher, moins troublant et plus divertissant que celui d’une créature trop abstraite pour ses goûts. Bref, la foule fait preuve de veulerie. Les trois dernières pages du conte relatent le départ de l’ange et constituent une espèce d’épilogue dans lequel le prosaïsme reprend le dessus, alors même que la proposition absurde initiale est renforcée plusieurs fois : 142
Les maîtres de céans n’eurent rien à regretter. Avec l’argent perçu ils firent construire une belle maison à deux étages, ornée de balcons et de jardins, avec de hauts perrons pour empêcher les crabes de s’y infiltrer en hiver, et des barreaux aux fenêtres pour décourager les anges. […] Le poulailler fut le seul endroit qui resta à l’abandon. […] On oublia peu à peu la crainte, on s’accoutuma à la pestilence et avant que le petit ne perde ses dents de lait, il avait pris l’habitude de jouer dans le poulailler dont le grillage pourri tombait en morceaux. L’ange ne se montra pas à son égard moins déplaisant qu’avec le reste des mortels, mais il supportait les infamies les plus habiles avec une mansuétude de chien sans illusions. Tous deux attrapèrent la varicelle en même temps. Le médecin qui soigna l’enfant ne résista pas à la tentation d’ausculter l’ange, et il lui découvrit tant de souffles au coeur et tant de gargouillis dans les reins qu’il lui parut incroyable qu’il fût encore en vie. Ce qui l’étonna le plus, pourtant, ce fut la logique de ses ailes. Elles étaient si naturelles dans cet organisme complètement humain qu’on ne pouvait comprendre pourquoi les autres hommes n’en avaient pas. / Lorsque l’enfant alla à l’école, le soleil et la pluie avaient depuis longtemps démantibulé le poulailler. L’ange se traînait ici et là comme un moribond sans maître. […] Elisenda, exaspérée, criait comme une folle que vivre dans cet enfer plein d’anges était une calamité. Il pouvait à peine manger, ses yeux d’antiquaires tellement brouillés qu’il se cognait d’un montant à l’autre, et il ne lui restait plus que les canules pelées de ses dernières plumes. […] / Pourtant, non seulement il survécut à son pire hiver, mais il parut même reprendre des forces avec les premiers soleils […et] de grandes plumes dures lui naquirent sur les ailes. […] Un matin, Elisenda était en train de couper des rondelles d’oignon pour le déjeuner, lorsque le vent, qui paraissait venir du large, entra dans la cuisine. [Elle] se pencha par la fenêtre et surprit l’ange dans ses premières tentatives de vol. 143
[…] Finalement, il réussit à prendre de l’altitude. Elisenda laissa échapper un soupir de soulagement, pour elle et pour lui, quand elle le vit passer au-dessus des dernières maisons, se soutenant tant bien que mal par un battement d’ailes hasardeux de vautour sénile. Elle continua de le voir jusqu’au moment où elle acheva de couper ses oignons, et elle le vit encore alors qu’il n’était plus possible de le voir, car il n’était plus un embarras dans sa vie, mais un point imaginaire sur l’horizon de la mer. (p.16-18 ; mes italiques) On notera que le conte se termine avec la même imbrication nonchalante du surnaturel (l’envol d’un ange) et d’un réalisme des plus prosaïques (Elisenda coupant des oignons dans sa cuisine) que l’on a pu observer en introduction. Non seulement le narrateur se garde bien de se distancer de l’absurdité des événements surnaturels, mais il se paie davantage la tête du lecteur en lui offrant un pastiche du mode fantastique, 78 en faisant constater par un homme de science (le médecin) l’extraordinaire naturel des ailes de la créature… Comme tout au long du texte, la réticence auctoriale permettant de résoudre l’antinomie des codes est accompagnée de commentaires ironiques, ici sur la mesquinerie des hôtes de la créature divine (qui mettent des barreaux anti-anges aux fenêtres de leur nouvelle maison), la méchanceté de l’enfant traitant l’ange comme un chien, et le double paradoxe d’une 78
L’étude de MTV par John Gerlach ("The Logic of Wings : García Márquez, Todorov, and the Endless Resources of Fantasy" in Bridges to Fantasy, ed. George E. Slusser, Eric S. Rabkin et Robert Scholes, Carbondale, Southern Illinois U. Press, 1982, p.121-9, 210-11) prouve, on ne peut mieux, à quel point la distinction de Chanady entre le mode fantastique et le mode magico-réaliste (non encore publiée en 1982) est incontournable, si l’on veut rendre compte de la spécificité des textes les plus connus de García Márquez – notamment. Gerlach analyse MTV en cherchant à repondre à la question si ce conte relève du "mythe" ou de la "fantaisie" (bizarrement, il amalgame "fantaisie" et le "fantastique" tel que Todorov l’a défini). Or, comme il l’admet à un moment (p.126), le conte qu’il a choisi n’entre pas très bien dans ce "genre" et son analyse n’est donc guère convaincante. 144
Elisenda pestant sur la "calamité d’un enfer plein d’anges." Quant à la dernière phrase du conte, en focalisation interne par Elisenda, elle met joliment l’accent sur la propension imaginaire (mais très réelle) de la vision humaine à voir ce qu’elle souhaite voir. Synthèse Au terme de cette lecture succincte du mode narratif de La Jument verte et de celui de MTV, les similarités sautent aux yeux. Dans les deux cas, un narrateur extradiégétique anonyme introduit d’emblée une proposition absurde en affirmant l’intrusion d’une créature surnaturelle dans un univers diégétique au demeurant réaliste : la famille des Haudouin de Claquebue et celle d’Elisenda et de Pelayo dans leur village côtier des Caraïbes. Dans le roman comme dans le conte, l’intrusion du surnaturel sert de catalyseur à une action vraisemblable globalement mais décrite avec humour et ironie. Le narrateur profite de la commotion suscitée par l’intrusion d’une créature surnaturelle pour épingler de manière rabelaisienne les rapports sociaux d’une communauté humaine rustique, superstitieuse et surtout avide de divertissement et de satisfactions personnelles. L’ironie touche particulièrement les questions cléricales et doctrinales propres au catholicisme romain. Sur le plan thématique, Aymé a le loisir, dans son roman, de faire le portrait approfondi d’une galerie de personnages et de détailler une action complexe et réaliste dans un contexte historique et géographique précis – aspects que j’ai délibérément occultés plus haut. Les quelques pages du conte de GarcíaMárquez ne font qu’esquisser le portrait d’un nombre limité de personnages et l’action est réduite aux seuls effets du passage de l’ange dans la maison de Pelayo et d’Elisenda. Malgré cette disproportion, il est frappant à quel point les grandes lignes thématiques et surtout leur traitement narratif original se ressemblent. Non seulement l’analyse des textes a montré qu’ils répondent parfaitement aux critères du mode narratif magicorealiste défini par Chanady, mais les deux narrateurs ont la même distance humoristique et/ou ironique de leurs personnages. Dans 145
les deux cas, le surgissement du merveilleux dans le cadre diégétique réaliste n’a rien à voir sérieusement avec des croyances populaires (ou propres à une culture indigène, dans le cas de MTV). Au contraire, il s’agit clairement d’un merveilleux absurde qui ne fournit qu’un prétexte au narrateur (auctorial) pour faire rire en soulignant des comportements de populations peu enclines à se conformer aux règles morales, civiques ou religieuses. Bref, si l’on admet que, en littérature, le réalisme magique n’est pas autre chose qu’un mode narratif particulier (distinct du fantastique mais aussi du féerique et du réalisme merveilleux tel que je l’ai défini), le conte MTV en est une illustration aussi convaincante que La Jument verte. On aura noté aussi que, mis à part quelques rares références allusives au cadre géographique caraïbe, le mode narratif de ce conte n’est en rien dépendant d’éléments culturels explicitement et spécifiquement latinoaméricains : il n’est guère difficile d’imaginer la même histoire avec des réactions (fictives) similaires de la part des autochtones (curé compris) dans une quelconque région côtière et catholique d’Europe avant 1950, par exemple. Cette constatation s’accorde mal avec un courant important de la critique (latino-américaine et/ou comparatiste) qui considère que le réalisme magique authentique est latino-américain (et que García-Márquez est son représentant le plus caractéristique, voire son inventeur). Or en quoi le réalisme magique de MTV serait-il plus "authentique" que celui de La Jument verte ? Conclusion. Dans les innombrables études consacrées à l’œuvre de García-Márquez, rares sont celles qui distinguent clairement entre une acception purement narratologique et une vision culturaliste du réalisme magique.79 D’autre part, il est 79
Cette dernière caractérise notamment le récent ouvrage d’Erik CamaydFreixas, Realismo mágico y primitivismo. Relecturas de Carpentier, Asturias, Rulfo y Garcia Márquez (Lanham, UP of America, 1998), selon lequel ce mode est inséparable de la "présence du mythe, de la légende et du syncrétisme indien, noir ou paysan des régions les plus reculées et les plus isolées d’Amérique" (p.320, ma traduction). 146
difficile de comparer les effets de la technique magico-réaliste dans un conte bref comme MTV et dans une œuvre substantielle et foisonnante comme Cent Ans de solitude. L’on comprend aisément que le roman se soit imposé comme particulièrement représentatif à la fois de l’écriture de son auteur et d’un mode narratif spécifiquement latino-américain. Mais ces conclusions sont hâtives et trompeuses dans les deux cas : 1) il y a plusieurs variantes du réalisme magique chez García Márquez et on ne peut ignorer que celle du roman est très déséquilibrée (le mythe l’emportant très largement sur le réalisme 80 – mettons à 95%, ce qui est d’ailleurs l’inverse de La Jument verte où le surnaturel ne compte guère que pour 5%) ; 2) le mode narratif – si personnel et génial – de Cent ans de solitude n’est ni particulièrement représentatif ni spécifique du roman latino-américain du boom. Car si l’on veut insérer ce roman dans la poétique de son contexte latino-américain, il faut considérer sa riche thématique (à la fois légendaire et historique) ainsi que les aspects stylistiques qui le rapprochent davantage de la poétisation de la narration du réalisme merveilleux, toutes choses qui vont bien au-delà du simple truc magico-réaliste. Or c’est dans MTV (et un peu moins nettement dans quelques autres contes du même recueil 81 et du précédent, Les Funérailles de la grande Mémé), qu’on peut relever comme une forme épurée du mode magico-réaliste, étoffé par une intrigue minimale et presque sans coloration thématique latino-américaine. Si de nombreux critiques ont noté l’influence de Kafka, de Faulkner ou de Hemingway sur les premières publications en magazine de García Márquez (celles dont il n’avait pas souhaité la publication en volume), il me semble que, bien plus que la référence à Franz Roh, à Carpentier, aux Surréalistes ou à Kafka, rien n’est plus instructif sur la technique narrative des œuvres du 80
L’affirmation bien connue de l’auteur, que Cent Ans de solitude relève du "réalisme social," me semble relever de la boutade. 81
Jacqueline Tauzin a notamment mis en lumière la "surcharge de sens, sous une apparence de truculence gratuite, qui caractérise l’écriture de García Márquez" dans "Blacaman le Bon, marchand de miracles" (op. cit., p.141). 147
Colombien, associées au réalisme magique, que la comparaison avec les dizaines de contes et nouvelles du même mode, publiées par Marcel Aymé entre 1932 et 1967 en France.
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La "première manière" de Giono ou le réalisme merveilleux L'on a souvent remarqué qu'avec des livres comme Colline, Regain ou Que ma Joie demeure, Giono avait apporté une extraordinaire bouffée d'oxygène dans le paysage littéraire français d'avant-guerre. Que l'on sortait avec un sentiment d'exaltation de la lecture de ces livres, voire avec le désir de changer le monde, de changer la vie. Cette écriture enthousiasmante est souvent appelée la "première manière," celle qui lança Giono. Une telle appellation est non seulement problématique, mais aussi décevante, parce que terne. Je propose de la remplacer par l'expression réalisme merveilleux, bien plus évocatrice, malgré son apparente contradiction dans les termes – ou peut-être grâce à celle-ci. En lui associant une définition précise d'un mode narratif de la fiction, cette appellation permet de rendre compte de la spécificité d'une grande partie de l’œuvre de l'écrivain d'avant-guerre. 82 Par ailleurs, le recours à la notion de réalisme merveilleux met en évidence d'intéressantes sympathies entre l'écriture de ces textes gioniens et celle d'écrivains d'autres pays – notamment antillais et latinoaméricains – habités d'un élan créateur similaire. La question des "manières" de Giono A l'évidence, la question des "manières" de Giono est complexe. La meilleure preuve en est l'emploi presque systématique, par les critiques, de prudents guillemets autour du terme. Parmi les plus éminents spécialistes, certains préfèrent d'ailleurs éviter d'aborder l’œuvre sous cet angle. C'est le cas de Robert Ricatte, pour qui il est "impossible de régler de façon simple cette question,"83 mais aussi celui de W. D. Redfern qui,
82
Ce travail est détaillé dans ma thèse de doctorat "Le réalisme magique de Marcel Aymé et le réalisme merveilleux de Jean Giono: deux modes narratifs distincts," Université Paris III — Sorbonne Nouvelle, 1994. 83 Robert Ricatte, Préface de l'édition de la Pléiade (I, p. xlvii). 149
dans son approche plutôt psycho-critique de l’œuvre, considère que la distinction des manières est "superficielle."84 Pourtant, l’œuvre de Giono est souvent divisé en deux "manières," que ce soit dans le cadre d'une recension de presse ou dans celui d'une thèse d’État. Certains, comme Marcel Neveux 85 ou Jean-François Durand,86 voient plutôt trois divisions que deux. De telles divergences ne sont guère étonnantes car, si la distinction des manières de Giono est communément admise, leur définition relève d'un mélange souvent assez flou de considérations chronologiques, philosophiques, thématiques, stylistiques, et/ou esthétiques. Pour résumer grossièrement, il y a ceux qui rejettent le concept des "manières" en invoquant, d'une part, l'unicité de chaque œuvre (au féminin), et de l'autre, de la cohésion ultime de l’œuvre entier, généré par l'écrivain. Face à ces défenseurs de l'unicité, se dressent des lecteurs qui constatent des différences si évidentes dans l’œuvre gionien, qu'il n'hésitent pas à voir, derrière ces manières diverses, des "Giono différents," et font ainsi de la personne de l'auteur une espèce de monstre bicéphale, voire tricéphale. Alors que les premiers, partisans d'une sage théorie de l'évolution, voient dans la diversité des thèmes et des techniques romanesques une simple maturation progressive de l'écriture, les seconds constatent la révolution d'un auteur qui aurait brusquement tourné casaque, tant sur le plan des idées que sur celui du style, vers 1939-45. Entre des positions aussi tranchées, les tentatives de conciliation n'ont pas manqué. Mais le malaise demeure, et la notion des "manières de Giono" ne semble pas réussir à s'affranchir des guillemets de la prudence ou de la suspicion. Si tel est le cas, cela 84
W. D. Redfern, The Private World of Jean Giono, Oxford, 1967, p.17. Pour Marcel Neveux (Jean Giono ou le bonheur d'écrire, Monaco, 1990), au-delà du "Giono des années trente," la production d'après-guerre se divise en genre de la "chronique romanesque" et en "veine stendhalienne" (ou "période beyliste"). 86 Dans sa thèse d’État "Giono, entre romantisme et modernité" (Université de Provence, 1989), J.-F. Durand suit "l’œuvre dans sa diachronie créatrice, tout en la divisant en trois grandes masses de sens qui recoupent à peu près, ce qu'il est convenu d'appeler les manières de l'écrivain" (p.35). 150 85
me semble dû principalement à un manque de rigueur dans l'approche critique, qui ne distingue pas toujours nettement les considérations formelles sur les genres et les styles, des remarques sur les thèmes et la vision philosophique. Cela est particulièrement évident dans la question de la "seconde manière," compliquée par une querelle sur la pertinence de la division entre "romans" et "chroniques." Ainsi, l'usage fait jusqu'à présent de la notion de "manière" n'est satisfaisant ni dans le cadre de la critique gionienne ni dans le cadre de la théorie littéraire. Or, une approche modale, d'inspiration narratologique,87 pourrait rendre compte de l'intuition, communément admise, d'un changement marqué dans l'écriture de Giono autour de la Seconde Guerre Mondiale. Jusqu'à cette dernière, le mode narratif de l'écrivain relève avant tout de ce que j’ai proposé d'appeler le réalisme merveilleux. Le mode narratif réaliste-merveilleux. C’est justement le souffle poétique commun à certaines oeuvres antillaises (qui frappent par leur narration dynamique et fortement teintée de lyrisme, par la collusion affective entre narrateur et personnages principaux, par un goût prononcé d'images fortes et par une exaltation vibrante "du pays") et à ce qu’on appelle la "première manière" des romans de Giono, qui m’a poussé à redéfinir le réalisme merveilleux en tant que mode narratif de la fiction. En faisant abstraction des aspérités idéologiques du manifeste du "Réalisme Merveilleux des Haïtiens"proposée en 1956 par Jacques Stephen Alexis, j’ai voulu limiter la pertinence de cette appellation à une catégorie de l'analyse littéraire, située entre les notions de genre et de style, comme Amaryll Chanady l’avait fait pour le réalisme magique. 88 En termes simples, le réalisme merveilleux est un mode narratif caractérisé par la fusion, dans le récit, d'éléments réalistes (lieu, époque, personnages, actions) et d'une vision du monde soulignant 87
On reconnaîtra plus particulièrement la marque des travaux de Gérard Genette, auxquels mes analyses doivent beaucoup. 88 Cf. Magical Realism and the Fantastic: Resolved Versus Unresolved Antinomy, New York & Londres, Garland Publishing, 1985. 151
son mystère. Cette fusion a lieu, en permanence, dans le creuset d'un style narratif hautement poétisé, exprimant l'exaltation de l'auteur. Une telle définition du mode narratif a plusieurs avantages dans le cadre de la critique gionienne. Le premier tient à sa précision, que ce soit par rapport à un qualificatif unique et réducteur (comme "le Giono paysan," "pastoral," "régional") ou par rapport à des dénominations allusives (la "première manière," la "manière d'avant-guerre," le "Giono rousseauiste"). Le second est dans son caractère strictement formel: ce n'est pas le contenu, la thématique, qui fait le mode (puisque des thèmes quelconques peuvent être traités selon bien des modes: réaliste, fantastique, surréaliste, policier, féerique...), mais son traitement narratif. Le troisième relève du comparatisme : si les styles de Giono lui sont propres, le mode du réalisme merveilleux permet de le rapprocher d'autres auteurs. Le réalisme merveilleux est différent d'autres modes de l'imaginaire comme le fantastique, le réalisme magique ou le féerique. Si le lecteur peut ressentir une difficulté, elle ne consiste pas à élucider une déchirure dans une vision rationnelle du monde, mais à accepter une vision fondant réalisme et mystère, que le narrateur lui impose. Loin d'être objectif et impartial, le discours du narrateur colore constamment le récit par une poétisation exaltée, voire lyrique : la narration de l'action et la description du cadre se font par le biais d'une exaltation subjective de l'auteur, qui entraîne les voix des personnages et la voix du narrateur dans un même souffle poétique. On est aux antipodes d'un "degré zéro" de l'écriture. Le réalisme merveilleux de Giono Dans le cadre restreint de la présente étude, je me contenterai d'illustrer par quelques exemples seulement la définition proposée du mode réaliste-merveilleux. Ils devraient suffire pour donner une idée du potentiel de ce modèle théorique dans l'analyse de l’œuvre gionienne. Dans les récits d'avant-guerre comme la Trilogie de Pan et Que ma Joie demeure, il y a clairement deux codes: celui du réalisme et 152
celui du mystère de la nature. Ils sont aussi évidents, d'ailleurs, dans Présentation de Pan, 89 dont voici le début: Quand on regarde sur la carte routière le pays que ceinture la Durance, on voit, vers le haut de l'image, une grande place morte. Une résille d'artères et de veines charrie le sang dans la partie basse [...]; mais, d'un coup, tout s'anémie et s'amenuise, la route qu'on suivait du doigt se perd [...] tout est mort, tout est blanc de la pâleur des terres inconnues: c'est Lure. Plus de chemins. Les traces humaines font peureusement le tour de la montagne. [...] La route [...] s'esquive dans un val; elle se cache sous les collines; elle fuit enfin vers Laragne, laissant derrière elle, après son prudent détour, la terrible échine. Que de mystère et de subjectivité suggérés sur la base d'une simple carte routière! Les éléments du code réaliste (les noms de lieux: la Durance, Lure, Laragne) ne sont pas seulement vraisemblables (comme l'exige le réalisme) mais authentiques, puisque nous connaissons ces lieux ou pouvons les trouver sur une carte du Midi de la France. Mais il y a aussi un code du mystérieux, exprimé ici par une langue qui anime et animalise les signes de la carte: les routes deviennent "des veines charriant le sang," une tache blanche "une grande place morte," les lacets de la route "une danse," la colline "une terrible échine," etc. Tous les détails objectifs de la carte sont passés au crible d'une formulation hautement métaphorique dans le discours du narrateur, visant ici à suggérer la présence d'un mystère. Par ailleurs, on ne sent aucune tension entre ces deux codes – pourtant potentiellement antinomiques – qui sont intimement mêlés dans le discours narratif. Dans le réalisme merveilleux, au lieu de se contenter de "narrer" des faits ou de décrire objectivement un paysage, le narrateur exprime une exaltation constante. Celle-ci est 89
Je choisis ce texte à dessein pour aller dans le sens d'Henri Godard [Cf. préface de Jean Giono, Romans et essais (1928-1941), Le Livre de Poche, 1992, p.19-20] et situer le mode narratif de certains passages des essais dans la mouvance de celui des romans. 153
particulièrement évidente dans l'utilisation phatique (voire baroque) des figures de langage. Ainsi, dans le passage présenté plus haut, la narration du récit est doublée d'un commentaire poétique. C'est la voix enthousiaste de l'auteur qui fonctionne comme un amplificateur de la narration et produit une fusion très particulière entre le réalisme et une vision mystérieuse du monde. On objectera que dans l'exemple proposé ci-dessus, l'auteur s'exprime en son nom propre puisqu'il s'agit d'un essai; mais cette même voix exaltée de Giono (avec des variations de registre: lyrique, fantastique, tendrement complice, truculent ou gouailleur..) apparaît dans les premiers romans, que ce soit dans le discours du narrateur ou dans celui des personnages. Relisons par exemple, les toutes premières lignes de Que ma Joie demeure : C'était une nuit extraordinaire. Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l'herbe. Elles étaient en touffes avec des racines d'or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui soulevaient des mottes luisantes de nuit. Jourdan ne pouvait pas dormir. Il se tournait, il se retournait. (II, p. 415) Cette narration/description est-elle focalisée par le personnage qui apparaît au troisième alinéa ou à mettre au compte du seul narrateur? A qui imputer l'imagerie poétique dont la narration est chargée d'emblée? La comparaison audacieuse des étoiles ayant éclaté "comme de l'herbe" et les métaphores des "racines d'or [des touffes d'étoiles]" soulevant "des mottes luisantes de nuit" sont typiques, évidemment, de l'un des styles gioniens – celui qui joue à bousculer les éléments de la nature et voit la terre dans le ciel et vice-versa. Mais peut-on distinguer, justement, dans ce cas, le style du mode narratif et, plus particulièrement, du niveau narratif? Ainsi, quelques pages plus loin : Jourdan descendit à l'étable. Le cheval dormait debout. – Ah! dit-il, toi tu sais, au moins. Voilà que tu n'as pas osé te coucher. 154
Il ouvrit le grand vantail. Il donnait directement sur le large du champ. Quand on avait vu la lumière de la nuit, comme ça, sans vitre entre elle et les yeux, on connaissait tout d'un coup la pureté, on s'apercevait que la lumière du fanal avec son pétrole, était sale, et qu'elle vivait avec du sang charbonné. (II, p. 416) Remarquons d'abord la présence simultanée d'un code réaliste (les actions et le décor rustiques) et d'un code mystérieux (la préparation surprenante d'un labourage nocturne sous un ciel extraordinaire). Notons aussi que le discours narratif de ce passage, loin de souligner l'antinomie potentielle de ces aspects, les fond harmonieusement: le narrateur ne juge nullement fantaisiste ce labourage nocturne. Comment cette fusion des codes a-t-elle lieu? Encore une fois, avec la complicité flagrante de l'auteur. Bien malin, en effet, qui saura dire si dans le dernier paragraphe du passage cité, les impressions sont celles du narrateur/auteur ou celles focalisées par Jourdan (et donc seulement "rapportées"). Ce que le lecteur ressent à coup sûr, c'est un sentiment partagé, une connivence profonde entre Jourdan et le narrateur au sujet de la qualité de la lumière du ciel nocturne. Et si cette connivence est aussi évidente dans l'expression, c'est parce qu'elle est reflète l'assentiment passionné de l'auteur. La narration des actions de Jourdan et la description du mystère cosmique dans lequel il évolue, sont inséparables de la vision poétique de l'auteur. Et c'est au partage de cette vision exaltée que le narrateur invite le lecteur, déjà embrigadé dans un "on" très convivial: "Quand on avait vu la lumière de la nuit, comme ça..." C'est le "on" typique du Giono des premiers récits où le narrateur est indissociable des personnages; le "on" de la fusion narrative où la voix exaltée de l'auteur colore en permanence le discours du récit. On trouve un autre exemple (parmi tant) d'infiltration de la narration par la poésie dans la description suivante : Il avait neigé puis gelé pendant la nuit. Tout le pays était cristallin comme du beau verre. On entendait marcher la chaleur légère du soleil. [...] 155
Dès l’œil ouvert, Jourdan sauta du lit. (p. 438, ; c’est moi qui souligne) Qui "entendait," sinon l'auteur/poète qui s'immisce à la fois dans le lit conjugal de Jourdan, source focalisée de l'information, et dans le discours du narrateur? Mais cette récupération de la narration par la poésie ne se fait pas toujours par le biais, un peu sournois, du "on." Il arrive à l'auteur de faire de franches intrusions. Ainsi, dans le passage ci-dessous, le "je" surgit tout à coup derrière le "on" pour souligner, justement, l'importance de l'imagerie expressive : – Doucement, dit Jourdan en poussant la porte de l'étable. [...] On voyait le ciel. Voilà ce qu'on voyait: la terre qui montait vers la forêt. [...] Puis le ciel [...] Et ce ciel, révérence parler, il se cassait la gueule sur le toit de la ferme; voilà ce que je veux dire: ce ciel était fait pour s'en aller... (II, p.464; c'est moi qui souligne) Ces quelques exemples indiquent très succinctement de quelle manière la définition du mode proposée peut guider l'analyse des récits gioniens. Ce même outil permet aussi de constater d'éventuelles variations du mode narratif à l'intérieur d'une œuvre. C'est le cas, notamment, de Prélude de Pan. De prime abord, ce texte —de fiction— contient beaucoup d'éléments narratifs, thématiques et stylistiques, communs aux romans de la Trilogie du même nom. Cela semble logique, étant donné le rôle de "mise en condition" du lecteur pour lequel Giono avait conçu ce texte, qui commence de façon tout-à-fait conforme aux romans : Ceci arriva le 4 de septembre, l'an de ces gros orages, cet an où il y eut du malheur pour tous sur notre terre. Si vous vous souvenez, ça avait commencé par une sorte d'éboulement du côté de Toussière, avec plus de cinquante sapins culbutés cul-dessus-tête. La ravine charriait de longs cadavres d'arbres, et ça faisait un bruit...[...] Puis il y eut cet évasement de la source de Fontfroid. Vous vous souvenez? [...] et ce vomissement qui lui prit à la montagne [...] 156
Ces deux choses-là, ça avait fait parler; on était dans les transes. Plus d'un se levait au milieu de la nuit, allait pieds nus à la fenêtre pour écouter, au fond de l'ombre, la montagne qui gémissait comme en mal d'enfant... (I, p.441) Comme dans Un de Baumugnes, c'est un personnage-témoinacteur qui fait mine de s'adresser à un public "local," dans un café peut-être. Les formulations rustiques ("culbutés cul-dessus-tête," "on était dans les transes"), combinées avec la date et l'indication d'un lieu, la demande rhétorique de confirmation par l'interlocuteur supposé, et le détail des "pieds nus," tout cela fait effet de réel, constitue un code réaliste. En même temps sont relatés des faits effrayants, rendus encore plus inquiétants par l'emploi de métaphores frappantes: "charriait de longs cadavres," "ce vomissement qui lui prit à la montagne," "qui gémissait comme en mal d'enfant." Mais ces aspects surnaturels ou réalistes ne sont pas présentés comme antinomiques. Au contraire, ils se fondent l'un dans l'autre, car c'est dans une imagerie rustique (mais brillante — et occasionnellement verte) que le poète se profile derrière le narrateur: ...une épaisse barre de nuages violets et lourds [...] qui pesait sur le village comme une meule [...] les matins étaient blonds d'herbe mûre... la terre était chaude au pied et élastique comme un fruit... Au Café du Centre [...] les jeunes s'étaient excité les mains sur les fesses des servantes; rien que de sentir l'odeur de leur femme, ça les faisait dresser... (p.442-44) Jusqu'ici, la narration correspond donc bien au réalisme merveilleux tel qu'il est défini ici. Même si l'aspect inquiétant du mystère introduit une "note" fantastique, on a bien une exaltation, évidente dans l'emploi des images ("Au café du centre, c'était plein à déborder. Dans la cuisine c'était un bruit de vaisselle et d'eau à croire qu'un torrent y coulait..."), parallèle ici à un effet de crescendo dans le caractère extraordinaire des événements relatés. En effet, la suite du texte introduit "l'homme" étranger, venu de la forêt, avec ses yeux de chèvre, ses poils de bouc, sa façon de 157
boire dans le seau comme une bête, son langage animal avec la colombe blessée, la puissance hypnotique de sa parole. Mais il importe de noter que toutes ces allusions à une incarnation de Pan interviennent dans un discours qui maintient encore soigneusement le code réaliste. On reste donc dans le même mode, dans la fusion narrative effectuée par un discours véhiculant image sur image. Mais les choses changent, quand l'homme décide de se défendre, à sa façon, contre les menaces du gros et cruel Boniface : Il resta un moment à réfléchir, l’œil sur nous. Puis il se décida. "Autant dire qu'il faut vous enseigner encore un coup la leçon, fit-il. Peut-être que dans le mélange vous retrouverez la clarté du cœur." Il pointa lentement son index vers Antoine et il lui dit: "Va chercher ton accordéon." (p.451) Ces propos sibyllins ne s'éclairent que par la suite. En fait de "mélange," cet avertissement annonce la scène hallucinante de l'orgie que Pan va provoquer par l'intermédiaire de la musique. Quand Boniface, tout désarmé par la-dite musique, se met à danser comme un ours, on se retrouve dans la scène de La Flûte Enchantée, où Pamina et Papageno font danser les sbires de Monostatos avec le jeu de clochettes magique : Il dansait là, en face de l'homme qui ne le quittait pas des yeux. Il dansait comme en luttant, contre son gré, à gestes encore gluants. C'était comme la naissance du danser. (p. 452) Mais ce n'est plus du réalisme merveilleux, car l'effet de réalisme est rompu au profit grandissant d'un code du surnaturel, qui s'inscrit dans un mode féerique, merveilleux ou mythique : Ce n'était donc pas la musique qui nous ensorcelait mais une chose terrible qui était entrée dans notre cœur en même temps que les regards tristes de l'homme. C'était plus fort que nous. On avait l'air de se souvenir d'anciens gestes de 158
vieux gestes qu'au bout de la chaîne des hommes, les premiers hommes avaient faits. Ça avait ouvert dans notre poitrine comme une trappe de cave et il en était sorti toutes les forces noires de la création. [...] C'est raconté à ma manière, mais, je n'en sais pas plus... (p.453-54) La protestation du narrateur qui s'excuse des limites de son art, c'est-à-dire de la rusticité de son langage, ne peut plus donner l'illusion du réalisme, car ce que Giono laisse son narrateur développer, c'est une vision mythique de temps primitifs panthéistes. La description de cette danse des origines de l'humanité rappelle assez l'esthétique volontairement "primitive" (se voulant loin de tout classicisme aux harmonies tempérées) du Sacre du Printemps, que ce soit dans la musique ou la chorégraphie. L'exaltation du poète visionnaire entraîne le naufrage du code réaliste dans un délire métaphorique et mythique qui remet en cause le mode narratif de l'ensemble du texte. La suite du récit ne fait que s'enfoncer plus loin dans la mythologie puisqu'elle culmine dans une formidable scène d'orgie apocalyptique, tous règnes confondus, et de réveil en gueule de bois, au moral comme au physique. Elle s'écarte donc de plus en plus du modèle de mode narratif présenté ici. Or, si Giono a renoncé à mettre ce "Prélude" en tête de sa Trilogie, c'est bien parce qu'il y avait, en définitive, un hiatus entre les deux parties du projet : ...considérant sans doute que le caractère fantastique du récit s'accorderait mal avec le ton des romans, dans lesquels une explication rationnelle reste toujours possible, Giono a renoncé assez vite à son projet initial: après avoir publié son texte séparément, il a écrit, comme porche à son triptyque, Présentation de Pan.90 Ce que P. Citron appelle le "caractère fantastique du récit" correspond à ce que j'ai décrit dans mon analyse comme l'aspect 90
Pierre Citron, notice sur Prélude de Pan (I, p.1048; c'est moi qui souligne). 159
mythique qui saborde le code du réalisme vers la fin du texte. Il me semble important de souligner que si on peut décrire les événements surnaturels du Prélude comme étant "fantastiques" (au sens large du terme), on ne saurait qualifier le texte entier comme illustrant le "genre" fantastique tel que l'a défini Todorov, car le texte génère une franche incrédulité plutôt que de l'hésitation chez le lecteur. Pour ma part et comme je viens de le suggérer, la fin de Prélude de Pan bascule dans un mode "néo-mythique" qu'il reste à définir. Quant aux romans de la Trilogie, le mode narratif réalistemerveilleux présenté ici permet de les situer de manière bien plus précise entre réalisme et merveilleux qu'on ne l'avait fait jusqu'à présent. Conclusions J'ai esquissé ici les possibilités d'utilisation d'une définition théorique d'un mode narratif réaliste-merveilleux dans l'analyse des textes de Giono, associés généralement par la critique à la "première manière" de cet auteur. La plupart de ces textes d'avantguerre illustrent un mode d'écriture dans lequel n'apparaît ni la réflexivité ni l'espèce d'éclatement de la narration qui s'imposeront dans les textes ultérieurs. De Colline à Que ma Joie demeure, les récits sont caractérisés essentiellement par un mode de narration très particulier où le réalisme le plus prosaïque côtoie en permanence le mystère cosmique, sans que cette cohabitation ne crée l'inquiétude propre au fantastique ou le merveilleux volontiers hétéroclite du surréalisme. Au contraire, la geste des personnages et les décors s'inscrivent, sans couture visible, à l'intérieur d'un monde à la fois naturel et mystérieux. Ces aspects — potentiellement antinomiques— se fondent dans le creuset miraculeux d'une narration emportée par l'exaltation poétique: voix des personnages et voix des narrateurs vibrent avec celle — implicite— de l'auteur. Toutes unies au diapason, elles soufflent un vent panthéiste lyrique d'une force peu commune. Il en surgit l'évocation puissante d'un monde à la fois chtonien, parfois encore proche d'un chaos originel, et idyllique. 160
Ainsi, l'univers des premiers romans de Giono est le fruit d'une narration tendue entre des pôles d'inspiration et des genres littéraires généralement opposés : mimétisme du roman et expressivité de la poésie. L'oxymore réalisme merveilleux. me semble évoquer de façon satisfaisante la singularité d'un tel mode narratif, entre réalisme et merveilleux.
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Trois réalistes-merveilleux antillais : Alejo Carpentier, Jacques Stephen Alexis et Jean-Louis Baghio’o [...]
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Le réalisme merveilleux dans Le Hameau de William Faulkner Contrairement à de nombreux romans de l'entre-deux guerres qui visent une critique sociale, Le Hameau91 ne met pas en scène des personnages représentatifs de la société contemporaine de son auteur. Ce n’est pas non plus une œuvre conçue dans un esprit de formalisme littéraire. Son action est située dans le Mississippi rural vers 1900. Sa narration est fortement teintée de préoccupations miidéologiques mi-poétiques. Malgré son thème peu engageant (les effets de la cupidité dans une petite communauté affligée de "Snopesisme," dans laquelle la rapacité, l'envie et la jalousie dominent les relations économiques comme les relations sexuelles), Le Hameau a été décrit comme "le plus grand livre d'humour américain depuis Les Aventures d'Huckleberry Finn," un roman qui "propose au lecteur un véritable festival du langage." 92 Le comté de Yoknapatawpha est imaginaire mais pour bien des lecteurs il représente la quintessence du Mississippi. On ne s’étonnera donc pas que la question du réalisme de Faukner ait fait coulé beaucoup d’encre. Pourtant, plus que les thèmes, c’est la manière de l’écrivain qui a frappé. Certes, il y a un style Faulkner immédiatement reconnaissable, mais les variations stylistiques – même au sein d’un seul roman – peuvent être importantes. Et le style s’inscrit dans un mode narratif. Celui de la plupart des œuvres de Faulkner déborde assez largement de ce que l’on entend d’habitude par réalisme. Ne serait-ce que parce que l’auteur maintient une grande tension narrative. Celle-ci relève parfois du simple suspense, mais plus que la structure de l’intrigue, c’est la 91
Premier volet de la Trilogie Snopes, ce roman est paru sous le titre The Hamlet en 1940 à New York ; Le Hameau, trad. René Hilleret, Gallimard 1959. Mes citations renvoient à la traduction grandement remaniée par les éditeurs du volume III des Œuvres Romanesques de Faulkner en Pléiade, 2000. 92 Michel Gresset, Nouveau Dictionnaire des Œuvres, Laffont-Bompiani, 1994. 205
densité et/ou la complexité du discours narratif – l’articulation de la parole des personnages et du discours ou des silences des narrateurs – qui constitue la particularité de l’œuvre. Ce discours narratif hautement personnalisé constitue, au-delà de la manifestation de préoccupations d’ordre stylistique, une modalisation profonde de la narration. Non seulement le style de l’auteur est en général plus baroque que classique, mais son discours n’est pas celui réputé "lisse" ou "à plat" d'une prose réaliste ordinaire. La présente étude aborde Le Hameau par le biais du “réalisme merveilleux” comme je l’ai défini plus haut en tant que mode narratif de la fiction. Le récit correspond, en grande partie, aux trois critères qui composent cette définition. L’intérêt de ceux-ci est de servir de guide dans l’analyse du texte. C'est la singularité de ce dernier que je souhaite mettre en lumière, même s’il me paraît intéressant d’établir aussi que l’œuvre étudiée appartient à un courant romanesque qui mérite d'être distingué du réalisme, du surréalisme, du fantastique et du réalisme magique. 93 1. Réalisme et mystère Le Hameau relate principalement l’ascension sociale de Flem Snopes, fils de métayer pauvre au physique ingrat qui, en cinq ans, met la main d’abord sur le magasin de fournitures générales du village de Frenchman’s Bend (dans le comté mythique du Yoknapatawpha), puis sur Eula Varner, fille du potentat local, d’une grande beauté, qu’il épouse alors qu’elle est enceinte des œuvres d’un tiers. Ce mariage de raison et de convenance apporte à Flem, en guise de dot, le domaine de l’ancienne plantation, en ruine, certes, mais néanmoins symbole du Vieux Sud aristocratique d'avant la défaite. Sur cette branche principale de l’intrigue se greffent toutes sortes d’anecdotes de la 93
Je propose ici une version grandement réduite du volet faulknérien de l’étude "Le réalisme merveilleux dans Que ma joie demeure de Jean Giono et dans Le Hameau de William Faulkner," mémoire en vue de l’habilitation de littérature générale et comparée (direction Daniel-Henri Pageaux, Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, 2001) 380 p. 206
vie rustique du hameau, souvent rapportées par V.K. Ratliff, vendeur de machines à coudre itinérant, colporteur de nouvelles, négociant en tout genre et espèce de barde local malicieux. Il se fait néanmoins rouler par Flem à la fin du livre, lorsqu’il lui rachète le vieux domaine, convaincu d’y trouver le trésor enfoui du Vieux Français, alors que Flem part, lui, s’installer à Jefferson, chef-lieu du comté (où il fera fortune avant de mourir assassiné : ces prolongements fournissant la matière des volumes suivants de la trilogie Snopes, La Ville et Le Domaine). Tout ceci est rapporté par un narrateur extradiégétique anonyme, volontiers poète ou philosophe, qui laisse néanmoins une large place aux scènes dialoguées ou aux histoires contées par Ratliff – d’où l’importance quantitative des tournures dialectales et du parler paysan dans l’oeuvre. Pour ce qui est des événements s’inscrivant dans une fiction de type réaliste, Le Hameau offre une représentation souvent détaillée des affaires du village. Il y est question de location de fermes, de mulets, de l’élevage de vaches et de chèvres, de la culture du coton, du fonctionnement du magasin de fournitures générales, du prix des choses, etc. De nombreux passages décrivent la pauvreté des métayers et des petits fermiers, leur mesquinerie, leurs querelles de voisinage, leur goût du marchandage et des bonnes affaires, qui n’exclut pas le recours à la ruse, à la duplicité ou à l’escroquerie. Bref, il s’agit, dans l'ensemble, d’une représentation crédible de la vie à la campagne dans le Sud autour de 1900. Du côté du merveilleux, il y a tout d'abord les épisodes extraordinaires et mystérieux. D’une part, ceux rapportés par Ratliff, comme la rumeur des Snopes, incendiaires de grange, et celle de la joute de maquignons entre Ab Snopes et Pat Stampers. Puis ceux narrés par le narrateur extradiégétique : l’histoire singulière de Labove, étudiant infatigable et génie du football, vaincu par l’amour ; le portrait de Eula, espèce de déesse bovine ; l’idylle à la fois bestiale et romantique entre Ike Snopes et la vache ; le combat acharné entre Mink Snopes et le chien pour la possession du cadavre de Jack Houston ; l’épisode épique des poneys sauvages vendus par le maquignon texan ; la chasse 207
comique au trésor enfoui dans le jardin du vieux Français. Mais dans le mystère s’inscrit aussi le portrait presque surnaturel d’un Flem Snopes secret et impassible. Ce portrait tire sa force du fait qu’il ne s’agit que d’une esquisse assez proche du mode fantastique : Flem effraie parce qu’il reste dans la pénombre, c'està-dire dans une "inquiétante étrangeté," et ce tout au long de la trilogie à laquelle il donne son nom. Le traitement temporel du Hameau est complexe. Le mouvement d’ensemble du récit y est chronologique, mais de façon peu claire dans le détail. L'action est fréquemment rapportée dans le cadre de narrations intradiégétiques relevant de l’oralité et incluant de nombreuses analepses. D’autre part, le narrateur extradiégétique introduit de temps à autre des prolepses, allant jusqu'à quarante ans au-delà de la fin de l’action. Un même épisode peut être présenté par différents personnages à divers moments du récit. Ceci entraîne parfois des retours sur un passé déjà exposé, au moins partiellement, ailleurs. Une autre source de perception diffuse de la chronologie comme de la causalité de l’action se trouve dans la complexité narrative et/ou stylistique de certains passages. L’imbrication des niveaux narratifs, l’effet (parfois conjugué) de la paralepse et de la paralipse94 (tant chez les personnages que chez le narrateur extradiégétique), et les méandres de la phrase (surtout chez ce dernier), produisent assez régulièrement des zones brumeuses. En fait, les complexités de l’expression constituent une bonne partie du code du mystère dans ce roman. Le réalisme du Hameau n’est donc que relatif. Comparé à un roman comme Le Bruit et la fureur, les effets de réel ne manquent pas et les rapports de causalité non plus. Mais Le Hameau abonde en lieux, personnages, animaux, et événements hors du commun, exaltants, mystérieux, voire monstrueux et effrayants – ou du moins présentés comme tels, soit par un personnage, soit par le narrateur extradiégétique. Ces éléments mystérieux ne sont pas des 94
Au sens que Genette attribue à ces termes, dans le premier cas d'information excédant l'approche modale adoptée dans la narration et, dans le second, de rétention d'information (NDR, p.44-47). 208
accidents occasionnels, des phénomènes inexplicables venus d’ailleurs, des intrusions brutales du magique, que le lecteur classerait immédiatement dans l’invraisemblable. Il s’agit plutôt de manifestations d’un aspect mystérieux de la vie en général, présent dans certains paysages, dans certains lieux, dans certains personnages et s’inscrivant dans une vision du monde particulière que le texte établit progressivement : une vision imprégnée de l’histoire et de la culture sudiste. C’est dans cette "nature humaine" spécifique de la culture rurale du Sud, plutôt que dans la nature tout court, que se situe le mystère constitutif du réalisme merveilleux faulknérien. 2. Une antinomie fondue dans la narration La position du narrateur de Faulkner vis a vis des personnages du roman est complexe. On ne saurait confondre sa voix ni avec celle de la communauté du hameau (car celle-ci ne s’exprime jamais d’une voix commune, justement), ni avec celle d’un personnage particulier, que ce soit Snopes, Varner ou même Ratliff, dont il se démarque occasionnellement. Des cas de fusion narrative des voix des personnages et de la voix du narrateur extradiégétique95 existent dans Le Hameau. Mais elle n'est ni homogène ni systématique. En fait, c’est par rapport à ce deuxième critère de ma définition que cette œuvre de Faulkner se distingue de la forme canonique du réalisme merveilleux que représente pour moi le Colline de Giono. Des voix éclatées. La fusion restreinte de voix dans la narration du Hameau affecte également la fusion générale des codes antinomiques du réalisme et du mystère. Frenchman's Bend est déchiré par les rivalités et les jalousies. Une grande partie, à la fois des conditions pratiques de la vie des habitants du hameau et du mystère du lieu, est le résultat de secrètes connivences, de relations empoisonnées ou d'âpres tractations. Il y a toujours des perdants, des victimes ou des exclus : les femmes, les noirs, les plus pauvres, 95
Dans le sens d’une collusion idéologique ou sentimentale palpable, apte à se manifester par un recours aisé au discours indirect libre, par exemple, sans nulle trace de distance critique ou ironique. 209
le voisin haï, les Snopes... Aucune manifestation sociale de joie, aucun bal, aucune fête (même pas un Noël ou un Thanksgiving, par exemple) ne réunit les habitants, ne serait-ce qu'en partie. Quant au mystère, il provient bien plus souvent d'un secret (gardé par tel personnage et/ou par le narrateur) qui dérange et qui inquiète, que d'un émerveillement devant la beauté de la nature, à laquelle seul le narrateur semble être sensible occasionnellement. La fusion narrative du Hameau reflète à la fois le manque d'harmonie dans la vie des personnages du lieu et leur traitement hétérogène par le narrateur. En fait, c'est ce dernier qui crée et met en relief par diverses stratégies discriminatoires, le manque de solidarité manifeste du village. Des focalisateurs privilégiés de la narration : un noyau d'hommes blancs – Snopes exclus. L'oscillation de la narration entre réalisme et mystère est due largement à l'aspect varié et hétérogène de la focalisation. Ainsi, le livre I, pourtant intitulé "Flem", ne montre ce dernier que de l'extérieur et/ou par le truchement de la vision ou des opinions d'autres personnages, notamment Ratliff. Les personnages s'exprimant directement dans les scènes dialoguées sont Ratliff, Will et Jody Varner, quelques paysans du hameau et des environs, et quelques Snopes. Ratliff fournit pratiquement le seul centre de focalisation interne de la narration, si bien que les débuts de Flem au hameau et l'installation progressive de ses "cousins" sont présentés au lecteur sous un jour en grande partie subjectif. Il en va d'ailleurs de même par la suite. Ainsi, lorsque (dans la première section du chapitre III), Ratliff revient au hameau après une absence de cinq mois pour maladie, le lecteur est mis au courant avec lui des activités de Flem par quelques hommes du coin. Seule une petite partie de ces informations est rapportée par le narrateur extradiégétique, mais celui-ci adopte souvent le point de vue restreint des observateurs intradiégétiques, qu'il combine à l'occasion avec des intrusions nettement auctoriales, tant par leur caractère omniscient que par leur complexité stylistique. Ainsi, loin de l’acrimonie gouvernant les échanges sociaux et verbaux entre les personnages, de nombreux passages descriptifs évoquent des 210
images du passé d'une manière nostalgique et poétisée qui va bien au-delà du style courant du texte. Mystère et poésie viennent étoffer le réalisme dialectal des dialogues, le tout étant alors fondu dans le discours et la vision du narrateur. Voici pour exemple un extrait de la scène de vente des poneys sauvages, où le narrateur souligne la beauté du cadre crépusculaire dans lequel se déroule une conversation désabusée entre Ratliff et les hommes du hameau : "Alors Flem est rentré chez lui, dit Ratliff. Je vois. [...] Peut-être que vous pourriez attendre que la vente soit finie, et alors vous feriez deux groupes, un qui suit Flem, un autre qui suit le type du Texas pour voir lequel des deux dépense l'argent. Mais après tout, c'est vrai que, quand on s'est fait rouler, on veut pas savoir à qui est allé l'argent. — Peut-être que si Ratliff partait ce soir, ils réussiraient pas à lui faire acheter un des poneys demain, dit un troisième. — C'est vrai, dit Ratliff. On peut échapper à un Snopes, mais il faut prendre le départ de bonne heure. D'ailleurs, à mon avis, il suffit qu'il rencontre deux personnes sur son chemin pour qu'une des deux se retrouve victime – une de plus. Vous, les gars, vous allez quand même pas acheter ces machins-là." Personne ne répondit. Ils étaient assis sur les marches, le dos appuyé contre un des montants de la galerie ou contre la balustrade. Seuls Ratliff et Quick étaient assis dans des fauteuils, de sorte que les autres apparaissaient comme des silhouettes noires se découpant sur la lueur laiteuse et rêveuse de la lune, au-delà de la galerie. En face, de l'autre côté de la route, le poirier était en pleine floraison, comme couvert de givre ; ramilles et rameaux ne s'élançaient pas des branches mais, immobiles, se dressaient, perpendiculaires aux rameaux horizontaux, pareils à la chevelure déployée à la verticale d'une femme noyée dormant à même le sol au fond d'une mer sans vent ni marée. (p.517-8; mes italiques) 211
Fusion des codes et fusion des voix. Les aspects mystérieux et le déroulement d'une action en grande partie réaliste sont inséparables dans le texte. Dans Le Hameau, la narration se caractérise par un discours typé et intense qui ne se contente nullement de s'effacer pour rapporter de manière neutre et objective ce qui se passe dans un univers diégétique qui serait simplement réaliste. Il est clair que le discours narratif – qui est pourtant, a priori, celui d'une simple "instance extradiégétique anonyme" – reflète une implication profonde, de nature auctoriale. La matière même du roman consiste en une combinaison constante de réalisme et de mystère, obtenue par une poétisation (au sens large du terme) de la narration. Cette poétisation peut être de nature diverse : lyrique, fantastique, comique, grotesque, épique, tragique – ou une forme hybride de ces aspects. Elle existe surtout dans le discours du narrateur extradiégétique, mais aussi dans celui de certains personnages. Or c'est dans l'articulation du discours de ces derniers avec celui du narrateur que l'on constate des différences importantes. Celles-ci sont liées aux thèmes exposés et aux rapports entretenus par les personnages principaux avec ces thèmes. Sous cet angle, la narration du Hameau apparaît rarement fusionnelle ou homogène, comme elle l’est dans les premiers romans de Giono, par exemple.
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Les rôles antagonistes de Flem et de Ratliff. Le roman narre les effets du séjour de cinq ans que Flem Snopes fait dans le hameau de Frenchman's Bend. Arrivé comme un gueux dans le sillage de son père, il repart à la tête d'une famille et d'une petite fortune pour se faire une place en ville, après avoir installé plusieurs parents à des postes-clefs de l'économie du village. Ce thème est proche du mythe américain du self-made man, dont Le Hameau aurait pu être une énième illustration. Or l'action des Snopes – et de Flem Snopes en particulier – est valorisée très négativement dans le roman, non pas seulement par la plupart des personnages, mais aussi par le narrateur, dont le statut extradiégétique n'est nullement synonyme de neutralité objective. Le thème du roman est clairement l'anti-Snopesisme, c'est-à-dire sinon la résistance à l'emprise croissante des Snopes dans la société du Yoknapatawpha (il est trop tard pour cela), du moins son décri. La narration s'inscrit surtout dans l'opposition et la réaction. Flem étant clairement ostracisé par le narrateur du roman dont il est l'anti-héros, il n'est donc pas question de fusion de leurs discours respectifs. Si fusion il y a, c'est plutôt entre le discours du narrateur et celui de Ratliff, le marchand ambulant qui prend à cœur les intérêts et les mœurs du village, et tâche d'organiser la résistance pour le mieux-être d'une communauté dont il ne fait pas vraiment partie. D’ailleurs Ratliff ne bénéficie que d'un soutien partiel à Frenchman's Bend et s'attaque à un clan qui lui donne d'autant plus de fil à retordre, que Flem parvient à allier étroitement ses intérêts avec ceux du potentat local, Will Varner. Les sympathies du narrateur ne sont pas toujours évidentes et la fusion de son discours avec une focalisation particulière peut surprendre (comme dans le chapitre consacré à Mink, qui oblige le lecteur à nuancer entre Snopes et Snopes). Il n'y a donc pas de fusion systématique des discours, même pas en ce qui concerne Ratliff. L'aspect éclaté de la narration est dû aussi à de grandes variétés stylistiques et/ou à des variations de perspective, liées notamment à l'intégration de diverses nouvelles dans le roman. 213
En dépit de ces allégeances complexes et de l'éclatement des voix qui en résulte, la fusion des codes réaliste et mystérieux n'en opère pas moins. L'aspect mystérieux des événements ou de certains personnages se conjugue assez systématiquement avec des effets réalistes, évidents surtout dans les scènes dialoguées, auxquelles Faulkner sait donner une vie intense. C'est dans les sommaires que le discours du narrateur verse volontiers dans un style ampoulé et/ou symboliste. Cette impression de vie est due en grande partie à la nature extraordinaire des événements décrits et/ou à l'emphase stylistique (par l'ironie, le comique, l'agrandissement épique ou tragique). Le narrateur a beau être extradiégétique et éviter de prendre explicitement parti pour tel ou tel personnage, il n'est pas neutre dans sa façon d'utiliser l'omniscience et la focalisation : il rend Ratliff et Eck Snopes sympathiques, Will Warner divertissant, son fils Jody antipathique, Mink Snopes presque admirable, Flem et Lump franchement détestables, Eula mystérieuse et incompréhensible. On sent aussi que le traitement de l'action révèle un attachement d'autant plus fort au pays décrit (le Mississippi, en filigrane derrière le Yoknapatawpha), que son héritage culturel se perd – s'il n'est pas déjà entièrement perdu à Frenchman's Bend. 3. Une narration marquée d’exaltation auctoriale Qui dit poétisation de la narration implique manifestement une activité du narrateur allant au-delà de sa tâche première, qui est de raconter une histoire. Le texte étudié ici le fait d'une façon particulièrement marquante. Le thème de l'anti-snopesisme dans Le Hameau est traité par un auteur qui tient compte à la fois du réalisme (au sens d'un mode littéraire basé sur la notion de vraisemblance et de la transparence du discours) et d'une motivation intérieure d'ordre à la fois esthétique et idéologique (mettant l'accent sur le mystère de la société humaine dans une région particulière). Aucun des personnages n'est à même d'articuler complètement ce second aspect de l'œuvre et c'est par le truchement du narrateur que cette dimension mystérieuse s'exprime. En d'autres termes, la fusion du réalisme et du mystère 214
s'opère grâce à tous les aspects de l'activité narrative allant au-delà du simple récit de l'action, et par lesquels l'auteur infuse sa marque. En l'occurrence, ce travail auctorial de la narration traduit manifestement une exaltation, seule capable de produire l'incandescence nécessaire à la fusion des codes dans le discours de la narration. Mais cette exaltation varie grandement sur le plan stylistique dans l’œuvre en question. Scène de galerie "ordinaire." L'un des lieux privilégiés de l'action du Hameau est la galerie devant le magasin Varner, un espace mi-privé mi-public où les hommes se retrouvent pour bavarder, fumer, chiquer, cracher et tailler des bâtons quand ils ont du temps à tuer. Il ne se passe jamais rien sur cette galerie, dans le roman, excepté les deux courtes altercations entre Mink Snopes et Jack Houston au sujet du veau divagueur. Pourtant, c'est sur cette galerie (ou sur celle de Mrs Littlejohn, un quart de mille plus loin) que se font bien des affaires et se nouent bien des intrigues. En dehors des grands épisodes comiques ou tragiques, l'action du Hameau consiste surtout en petites joutes verbales dans lesquelles les hommes tâchent de s'affirmer ou de se défendre s'ils sont pris à parti, tout cela devant témoins. C'est surtout là que les rapports de force sous-tendant les événements, les positions et les réputations, se créent et s'expriment. Faulkner excelle à peindre ces réunions où les hommes s'affrontent oralement. Manifestement, l'auteur se délecte autant de la précision de la langue qu'il met dans la bouche des personnages que de son contrôle de la mise en scène et du décor. Et il entretient dans ces épisodes, a priori prosaïques et banals, une tension remarquable, qui est l'expression de du rapport exalté de l'écrivain à son œuvre. Ratliff, conteur de "craques" (tall tales). Même s'il n'a aucun impact sur les événements importants de l'action du roman, on ne saurait sous-estimer le rôle de V.K. Ratliff dans Le Hameau. Il y est en tout cas le plus présent et le plus bavard parmi quelque trente personnages. Lorsque Ratliff s'arrête à Frenchman's Bend, il y trouve un public appréciant les nouvelles, les anecdotes et les légendes locales qu'il sait raconter mieux que personne. C'est à ce titre de conteur intradiégétique que le narrateur "global" du 215
Hameau lui cède presque entièrement la place, à plusieurs reprises. Si bien que ce héros décevant n'en reste pas moins un personnage exceptionnel qui contribue pour une bonne part à l'intérêt du roman, grâce à l'extraordinaire vivacité que Faulkner confère à ses récits. Le passage le plus long et le plus marquant, confié à Ratliff, est situé dans la deuxième section du chapitre II du Livre I "Flem" (sur les 20 pages de la section, 19 sont consacrées au discours direct de Ratliff). Le commis en machines à coudre y raconte un craque – une affaire incroyable de troc de mulets et de chevaux, dans laquelle Ab Snopes se fait plumer par un maquignon célèbre, Pat Stamper. L'exaltation auctoriale est aussi perceptible dans le discours de Ratliff que dans celui du narrateur. Elle se manifeste de façon générale par la qualité littéraire de son style oral, si l'on me permet ce paradoxe. Tout comme le parler paysan de Giono est un dialecte inventé, plus poétique que réaliste, l'expression de Ratliff est, dans ces longues pages, d'une maîtrise et d'une richesse linguistique remarquables. Par rapport à la version de l'épisode publiée antérieurement en périodique, celle du Hameau est d'ailleurs bien plus travaillée et les marques d'oralité dialectale ont été réduites de beaucoup : ce n'est plus V.K. Suratt s'adressant (audelà de ces auditeurs sur la galerie Littlejohn) à des lecteurs de magazine, mais V.K. Ratliff s'adressant aux lecteurs d'un roman du "meilleur écrivain d'Amérique." La contagion auctoriale du discours de Ratliff est aussi évidente dans la complexité stylistique et rhétorique, similaire à celle du narrateur extradiégétique. Ainsi, Ratliff développe sur plus d'une longue page tortueuse les raisons qui lui permettent de prétendre que Ab avait fait une bonne affaire en donnant à un nommé Beasley "un soc de charrue droit et un vieux moulin à sorgho tout usé qui avait appartenu au vieil Anse en échange du cheval." Il y a là des développements qui révèlent un esprit subtil d'avocat ou de casuiste, et il est douteux que de vrais péquenots auraient compris ou subi ce type de discours pendant plusieurs heures de suite, même allégé par des notes d'humour et des images cocasses. Tout comme le discours typique du narrateur extradiégétique, celui de 216
Ratliff combine souvent l'ellipse et le commentaire, forçant le lecteur à remplir les blancs de l'action et à décoder ce qui s'est passé sous le commentaire, en quelque sorte. Bref, si l'insertion de la nouvelle dans l'intrigue du roman est faite avec habileté, elle n'est pas sans affaiblir à la fois l'aspect de la psychologie des personnages et celui de la cohérence thématique et narrative du roman. Ab Snopes, en tout cas, perd beaucoup de vraisemblance – ce qui explique peut-être qu'il disparaisse, sans la moindre allusion à son sort, dans la suite du Hameau. C'est la forme humoristique de l’exaltation auctoriale qui domine ici, notamment dans les nombreuses occasions où Ratliff ponctue son discours (ou celui des personnages qu'il évoque) de formules rhétoriques et de jurons. Tour de force du narrateur : l'idylle d'Ike et de la vache. Dans un registre radicalement différent, la longue section consacrée aux amours d'Ike et de la vache (Livre III, chapitre I) fait apparaître une fusion du réalisme et du mystère particulièrement frappante, dans une narration navigant entre ironie, objectivité et compassion vis-à-vis de l'idiot. Mais surtout, et dès les premières pages, la cour obsessive de la bête par Ike est décrite avec un recours intense à la poésie, allant crescendo et culminant dans les huit dernières pages (sur vingt-deux), consacrées à la description de l'idylle de trois jours et trois nuits, que le couple fugueur connaît avant d'être arrêté et séparé. Nulle part dans le roman, l'exaltation auctoriale du narrateur ne s'illustre davantage que dans cette description de ce qu'il faut bien appeler une lune de miel : À six heures, cet après-midi là, ils étaient à cinq milles de là. Il ne savait pas qu'ils étaient à cette distance. Cela n'avait pas d'importance; il n'y a pas de distance dans l'espace ou dans la géographie, pas de prolongement du temps où la distance puisse exister, pas de fatigue musculaire pour dire que la distance a été parcourue. Ils vont non pas vers une destination dans l'espace, mais vers une destination dans le temps, vers le pinacle, le donjon du soir où le matin et l'après-midi ne font plus qu'un. La main adroite de Mai leur 217
donne forme à tous deux, non dans l'immédiat, le bientôt, mais dans le maintenant tandis que, lui faisant face, arcbouté et tirant sur le licol rétif, il lui parle, implacable et impérieux, et qu'elle tire en arrière, refusant le licol et mugissant. Elle faisait ça depuis une demi-heure, attirée vers l'étable par la gêne de son pis gonflé. [...] Ils étaient dans les collines maintenant, parmi les pins. [...] L'ombre striée, inconstante, du jour déclinant les recouvrait peu à peu alors qu'ils franchissaient la crête et descendaient dans l'ombre, dans la vasque azurée du soir, dans le puits de la nuit que ne troublait aucun vent; la herse du couchant tomba derrière eux. D'abord, elle ne le laissa pas toucher son pis. Elle lui lança même une ruade, mais seulement parce que les mains étaient inconnues et maladroites. Puis le lait se mit à couler, chaud, sur ses doigts, ses mains, ses poignets, tombant sur le sol avec un petit sifflement aigu. (p.422; mes italiques) L'élévation du style dans ces lignes est indéniable, que ce soit dans les commentaires sur la marche des protagonistes ou dans les descriptions du paysage (le plus cher à l'auteur : les collines de pin du Mississippi). Les phrases narrant les actions d'Ike et de la vache sont, elles, réalistes et formulées simplement. Mais elles viennent s'insérer dans un contexte grandement valorisé par la poétisation (qui inclut une formule allégorique, "la main de Mai," évocatrice des sonnets de Shakespeare – ou de Ronsard, en traduction). Sauf pour un bref recours à la focalisation interne (par chacun d'eux, dans les parties mises en italiques dans la citation), les fugueurs sont vus de l'extérieur par un narrateur soucieux avant tout de magnifier la solitude du couple par la description d'un décor idyllique et d'une prise de conscience exacerbée de la valeur de l'instant. Tout ceci est en conformité manifeste avec l'esthétique du romantisme, qui domine tout l'épisode, seules quelques touches de réalisme rustique rappelant au lecteur que les protagonistes ne sont pas les amoureux communément associés à la notion de couple romantique. L'exaltation auctoriale est telle, ici, qu'elle fait basculer la narration dans le poème en prose (et d'une infinie 218
richesse) tant sur le plan des idées et des images évoquées que sur celui de la diction. Ce passage est suivi par plusieurs pages dans la même veine. Je me contenterai ici de souligner certains aspects illustrant l'exaltation auctoriale. Le narrateur a beau introduire la description de ce matin de Mai en tant que re-découverte du monde par un Ike nouveau (puisque dorénavant amant comblé, aux sens aiguisés), le point de vue qu'il adopte dans ce discours n'est manifestement pas celui de l'idiot qui cherche son chemin dans l'obscurité afin de retrouver sa belle, mais celui d'un auteur soucieux de poétiser une situation qui l'inspire beaucoup et suscite en lui un grand nombre de résonances et d'associations. A partir de la situation d'Ike, quittant la grange à l'aurore, le narrateur propose ainsi ce beau et étonnant développement sur la lumière qui proviendrait de la terre plutôt que du ciel, cheminement qu'il détaille depuis les profondeurs du limon jusqu'à la girouette du clocher, par l'exposition d'un double tableau, hiérarchisé verticalement, de la création végétale et animale, avant que le jour et le soleil inversent le mouvement et se mettent à projeter les ombres qui rendent Ike perplexe. Le thème de la terre est d'une richesse incomparable dans toute l'œuvre de Faulkner et ne se limite évidemment pas à une évocation géologique ou biologique de la nature. Il est aussi exploité sur le plan culturel. Ainsi, le narrateur laisse son personnage tâtonner dans l'obscurité, pour éclairer sa prose avec des images récurrentes dans l'œuvre de Faulkner comme celles, tirant vers le bas, du mélange d'ossements se décomposant dans le sol et celles – visant un ciel illuminé par la littérature, depuis les origines du verbe – "d'Hélène de Troie et des nymphes, des évêques, des sauveurs, des victimes et des rois." On trouve, dans ce passage, l'expression d'un auteur désireux de surmonter le déchirement entre narration prosaïque et poésie, dans sa tentative de recréation du monde par le verbe – sans la moindre trace de distanciation ironique. Cela vaut également pour les dernières phrases de l’épisode (lequel est d'ailleurs presque entièrement narré dans un présent intemporel, échappant donc à la chronologie événementielle du récit), avec le retour d'Ike, 219
désaltéré, auprès de sa compagne, au cœur d'un univers mi-terrien mi-cosmique : Il se lève. Le marais est plein de lucioles hasardeuses, erratiques. Il ne reste que la flamboyante étoile du soir, mais presque aussitôt les constellations en marche s'engrènent et commencent à tourner vigoureusement. Blonde elle aussi parmi les dernières lueurs du jour, elle n'a plus aucune dimension propre sur le fond de l'herbe luminescente et sans dimension. Mais elle est là, réelle sur la terre abstraite. Il foule le sol d'un pas léger, retournant vers elle, foulant d'un pas léger cette voûte fragile, inextricable, du sommeil souterrain – Hélène, les évêques, les rois, les séraphins déchus. Quand il arrive à sa hauteur, elle a déjà commencé à s'étendre, l'avant-train d'abord, puis l'arrière-train, se couchant par deux mouvements distincts dans le reflux du soir, retournant se nicher dans le nid du sommeil, dans la senteur mammaire. Ils se couchent côte à côte. (p.429) L'effet de clôture est manifeste, à la fois sur le plan de la temporalité du récit, avec le retour de la nuit, mais aussi sur celui de la construction du texte, avec le retour des associations entre ciel et terre et, plus particulièrement avec les images récurrentes "d'Hélène, des évêques, des rois, et des séraphins déchus" – sur les ossements pourrissant et sommeillant desquels Ike marche donc de son pas allégé par le transport amoureux. Un transport très manifestement partagé par le narrateur auctorial : aucun autre épisode du Hameau n'est narré avec une conjonction euphorique aussi frappante entre l'état d'esprit du protagoniste et la tonalité du discours du narrateur. Conclusions. Comme la mise en évidence de la fusion des codes antinomiques du réalisme et du mystère dans le discours de la narration l'avait suggéré, cette fusion n'est concevable que par un effort particulièrement concentré et motivé de l'écriture, qui va bien au-delà de la simple narration d'une histoire. La consistance 220
poétique et/ou la coloration idéologique de la narration est un phénomène presque constant dans Le Hameau, mais sujet à de grandes variations d'intensité : les relations entre les personnages ainsi que l'attitude du narrateur envers ceux-ci sont extrêmement variables, les tonalités du discours narratif sont changeantes, mais rarement neutres ou plates. Que le discours soit délégué à Ratliff ou focalisé par lui ou d'autres personnages, il est presque toujours vibrant d'intensité. Faulkner s'ingénie manifestement à choisir des perspectives d'approche passionnelles du récit. Elles expriment alternativement l'ironie (sur la perplexité inquiète d'un Jody vis-àvis d'Ab Snopes ou de Eula, par exemple, ou sur celle des paysans vis-à-vis des Snopes), le sarcasme (de V.K. vis-à-vis des acheteurs de poneys sauvages), l'indignation (face au manque de scrupules de Flem ou de Lump Snopes, ou de Lump vis-à-vis de l'indifférence de son cousin Mink à l'argent), la fureur et la haine (entre Mink et Houston), l'empathie surprenante ou choquante (du narrateur avec l'assassin Mink ou l'idiot bestial Ike Snopes), la volonté d'agrandissement épique (dans les parcours de Labove, de Mink ou de Houston) ou tragi-comique (dans les craques de V.K.), la poétisation à outrance (dans la narration des amours d'Ike et de la vache), ou le lyrisme dans certaines descriptions du cadre mississippien et de son histoire. L'exaltation auctoriale se manifeste donc de façon variée et contrastée dans Le Hameau. La palette expressive est étendue dans le discours délégué par Faulkner aux personnages, notamment dans celui de V.K. Ratliff. A la variété des sentiments et des dispositions s'ajoute celle des styles, même au sein du discours du seul narrateur extradiégétique, dont la verve se traduit très différemment selon les contextes : le contraste entre la précision sociologique et l'intensité contenue de l'incipit décrivant Frenchman's Bend et le lyrisme effréné des pages consacrées à l'idylle d'Ike et de la vache est frappant. Entre ces extrêmes, il y a tout un kaléidoscope narratif. L'omniscience est restreinte et sélective. En dehors de la description historique de l'incipit, le village n'est montré qu'à une seule occasion avec du recul, dans un passage focalisé par Ratliff, alors qu'il s'approche du Bend dans sa 221
carriole. La configuration du lieu reste vague, pleine d'un mystère savamment entretenu. Quelles que soient les variations de thèmes, de tonalité et de style manifestes dans Le Hameau, l'analyse du texte montre que son mode narratif global correspond aux traits distinctifs du réalisme merveilleux tel que je le définis. Comment d’ailleurs mieux qualifier l’œuvre dans le contexte du roman du 20 e siècle ? Contrairement à la description d’une société selon un mode presque journalistique des œuvres réalistes d’un Sinclair Lewis ou d’un Louis Aragon, il s'agit chez cet auteur d'un engagement dans l'écriture (plutôt que par elle) qui touche une autre dimension – celle de la conscience d'une nostalgie (sans doute utopique et sentimentale, issue de la tradition du conte), d'une volonté de maîtrise et de sublimation de l'oralité d'un terroir, et d'une solidarité avec la terre mississipienne elle-même. La réflexion sociale est loin d'être absente, mais c'est le besoin irrépressible de forger une langue poétique en même temps que de développer le récit, qui confère au réalisme de celui-ci un caractère merveilleux. Cette alliance d'une voix auctoriale alliant littérarité et oralité va au-delà d'un style. Elle est inséparable de la thématique du Yoknapatawpha. Dans une grande partie de son œuvre, il s'agit pour Faulkner de représenter de petites communautés humaines encore soumises au rythme des saisons et de culture orale. Rien qui se laisse couler dans une prose fluide ou superficielle. Celle de Faulkner dans Le Hameau charrie aussi le sang – celui des morts ensevelis depuis des lustres dans les jardins de l'Ancien domaine du Français, celui qui fait flamber le désir, la convoitise, la peur et la haine dans les cœurs des paysans, celui qui coule des blessures des victimes. A la mort de l'écrivain, plus de vingt ans après la publication du Hameau à New York, le roman n'était pas vraiment reconnu ou compris, sans doute à cause de sa structure complexe, de son exceptionnelle richesse thématique et linguistique. Même la critique récente a du mal à coller une étiquette sur Le Hameau. Ni roman généalogique, ni roman panoramique, ni roman paysan idyllique, ni roman paysan réaliste – en effet. On a parlé de style 222
baroque : le foisonnement de la prose de Faulkner y invite. Mais Edouard Glissant96 a souligné, justement, que le monde empreint de fatalité et de puritanisme décrit par Faulkner n'est pas celui, créole, sensuel et voluptueux communément décrit dans la littérature latino-américaine, et que c'est bien le rejet violent de la créolité, au sens du mélange racial, qui sous-tend une grande partie de l'œuvre du Mississipien (même si cette question est mise entre parenthèses dans Le Hameau dont l'univers diégétique exclut pratiquement les noirs, comme par magie). On a également associé l’œuvre de Faulkner – y compris Le Hameau – au "réel merveilleux" des auteurs latino-américains, pour lesquels "le merveilleux et le mythique deviennent des modes littéraires possibles."97 Mais raccrocher Faulkner à la nueva narrativa latino-americana, c'est mettre la charrue devant les bœufs. Car c’est la narration poétisée, inspirée par un américanisme profond (mais en l’occurrence mississipien) de Faulkner qui a marqué Carpentier, Fuentes et García Márquez. Elle me paraît d'ailleurs évidente aussi dans la prose française de Glissant et dans la poésie anglaise d'un Derek Walcott. Tous ces écrivains rejettent le simple réalisme, certes. Mais les mettre dans le même sac comme représentants d’un vague "réalisme magique" latino-américain global ne fait qu’ajouter à la confusion. S’il me paraît fondé de parler de réalisme magique (le mode narratif ludique défini par Chanady) dans le cas de Cent Ans de solitude de García Márquez, par exemple, j’espère avoir montré que la narration dans Le Hameau de Faulkner relève plutôt d'un mode poétique distinct, redéfini ici comme un réalisme merveilleux.
96
Faulkner, Mississippi, Paris, Stock, 1996. Mark Frish, “Nature, Postmodernity, and Real Marvelous : Faulkner, Quiroga, Mallea, Rulfo, Carpentier,” in A Latin American Faulkner, special issue of The Faulkner Journal, XI (1-2), Fall 1995/Spring 1996, Beatriz Vegh (ed.), The University of Akron, Ohio, p. 67-82. Il vaudrait mieux parler de "réalisme merveilleux," mais l’esthétique proposée par Alexis sous cette appellation est trop créole et engagée, et celle de Chiampi colle trop au corpus hispano-américain. 223 97
224
BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE PAR DOMAINE La bibliographie réunie ci-dessous a profité plus particulièrement de celles, remarquables, déjà publiées dans les ouvrages de Jean Weisgerber, de Lois P. Zamora et Wendy B. Faris, et d'Alicia Llarena. On voudra bien excuser d'éventuelles erreurs d'appréciation dans le classement des études parmi les domaines linguistico-culturels retenus : Allemand ........................................................……………….. 226 Italien ........................................................…………………... 227 Flamand/Néerlandais .......................................................….... 228 Espagnol ........................................................……………….. 229 Britannique ..............................…………………………….… 229 Français .............................…………………………………... 230 Polonais ..............................…………………….……….…… 230 Hongrois ..............................…………………………….…… 230 Latino-Américain ..............................………………………... 231 Antillais ..............................………………………………...... 242 Nord-Américain ..............................…………………………. 244 Inter-Américain ..............................………………………...... 246 Africain ..............................…………………………………... 247 Asiatique ..............................………………………………..... 249 Australien/Néo-Zélandais ..............................………………... 249 World-literature anglophone ..........................……………….. 249 Théorique et/ou comparé ............................………………….. 250
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TABLE [Préface de Daniel-Henri Pageaux …....................................... 7] Avant-propos ……………...............................……................. 11 Introduction ..............................………............………......…. 12 Parcours historique et extension géo-critique de ces appellations ..............................………........….......... 15 De l’intérêt de distinguer entre réalisme magique et réalisme merveilleux ............................……………........ 22 I. THÉORIES..............................………............……............ 35 La théorie esthétique du Magischer Realismus de Franz Roh (1925) ....................................................... 37 L'impasse théorique des manifestes culturels d'Alejo Carpentier sur le real maravilloso (1948-75) ......43 Le "réalisme merveilleux" selon Jacques S. Alexis et Irlemar Chiampi...........................…………………......... 71 1. Le Réalisme Merveilleux des Haïtiens (1956) ................. 71 2. Le realismo maravilloso (1983) .......…………………... 82 Le "réalisme magique" redéfini en tant que mode narratif par Amaryll Chanady ..................................... 87 Redéfinition d'un "réalisme merveilleux" distinct du réalisme magique chanadien .....................…………...... 101
II. POÉTIQUES Le réalisme magique de Marcel Aymé à Gabriel García Márquez ....................................................123 La "première manière" de Giono ou le réalisme merveilleux ...........................................…... 149 [Trois réalistes-merveilleux antillais : Alejo Carpentier, Jacques S. Alexis et Jean-Louis Baghio’o ............…......... 163] Le réalisme merveilleux dans Le Hameau de William Faulkner ........................................................... 205 Bibliographie chronologique par domaine littéraire ............... 225 Table ………………………………….....................…............ 255
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