\ P H I L O S O P H I E S
.J ~.l.i J) ~$5,3,Lrrt\ ..ov ."bOOO
ATOME ET NÉCESSITÉ. DÉMOCRITE, ÉPICURE, LUCRECE
PAR
MOREL
36119(;
I
I
PIERRE-MARIE
U.F.M.G ••
\
BIBlIwunmWlmmlWím1mTARIA
22830511 NÃO DANIFIQUE ESTA ETIQUETA ..
:
~ PRESSES
r
11 . i'
UNIVERSITAIRES
Fnc. FiJ. C. Humanas lJFi.",1G
DE
FRANCE
y .
./ I
Sommaire
PHILOSOPHIES
Collection fondée par Françoise Balibar, Jean-Pierre Lefebvre Pierre Macherey et Yves Vargas et dirigée par Ali Benmakhlouf, Jean-Pierre Lefebvre Pierre-François Moreau et Yves Vargas
ABNT: MOREL, Pierre-Marie. Atome et nécessité: Démocrite, Épicure, Lucrèce. Paris: PUF, 2000.
4 Abréviations 5 Introduction
GO!
Exibir Bookmarks
GO!
11 Philosophie naturelle et nécessité GO! L'horizon présocratique, li GO! Démocrite: Ia nécessité, principe de toutes choses, 16 GO! GO! Les figures de Ia nécessité, 16 Le hasard et Ia nécessité, 26 GO! GO! La recherche des causes, 31 Épicure, Lucréce : Ia nécessité, une explication insuffisante, Reprise et réforrne de Ia théorie de l'atome, 37 GO! Déviation atomique et nécessité, 42 GO! GO! La nécessité au service de Ia nature, 45 53 Nécessité
37 GO!
et Liberté GO!
Démocrite : tranquillité
de l'âme et nécessité, 53 GO!
L'éthique de Démocrite, 53 GO! Éthique et philosophie naturelle, 56 GO! Du bon usage de Ia nécessité, 61 GO! Épicure, Lucréce : I'éthique contre Ia nécessité physique, 69 GO! Les conditions de l'acte libre, 69 GO! Une éthique du nécessaire, 81
c (.~ UIAI IJ FH:~; I T (.1r~I {.\ )':''\')')\r ()'\';:" ~/Q_,c'!':I ~ s .v .
.'
93 Connaissance et nécessité
GO!
GO!
•. ",,,
Démocrite : limites et validité des connaissances, La genêse physique des représentations, Les conditions du savoir, 102 GO!
93 GO!
93 GO!
Les épicuriens : de I'évidence sensible à Ia nécessité logique, 105 GO! La valeur de l'évidence sensible, 105 GO! Le vrai et le nécessaire, 113 GO! 117 Conc/usion
ISIJN 2130506135 ISSN 0766-1398 DêpÕI légal -
GO!
120 Catalogue des auteurs anciens GO! I re édition : 2000, février
O Prcsscs Universitaires de France, 2000 108. boulevurd Saint-Germain, 75006 Paris
126 Bibliographie
GO!
+
Sumário
Sumário Abréviations
DK DL
DRN Hrdt.
Me Mén. Pyth.
SV Uso
Introduction
H. Diels- W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker Diogêne Laerce, Vies et doetrines des philosophes illustres Lucréce, De Ia nature (De rerum natura) Épicure, Lettre à Hérodote Épicure, Maximes capita1es Épicure, Lettre à Ménécée Épicure, Lettre à Pythoclês Épicure, Sentences vaticanes H. Usener, Epieurea, Leipzig, 1887
Démocrite, Épicure et Lucrêce sont les trois figures dominantes de l'atomisme antique. Or, ce qui frappe en premier lieu à leur lecture, c'est que nous avons affaire à un mouvement philosophique à Ia fois fidéle à ses thêses fondamentales et engagé dans une constante évolution. Ainsi, alors qu'Épicure doit aux livres de Démocrite son inspiration premiêre et l'essentiel de sa doctrine physique, il adopte à son égard une attitude ouvertement polémique. On peut y voir une de ces fascinantes gigantornachies ou Ia confrontation des grands philosophes et de leurs constructions théoriques personnelles tend à l'emporter sur l'histo~~epts eux-mêmes, On peut aussi considérer que les phi1osophes et les écoles philosophiques sont tributaires de cette histoire: s'ils en marquent les étapes par le conflit des interprétations, ils ne peuvent cependant travailler que sur le fond commun d'un contexte thé2.!ique et histgrique. Ce qui fait à Ia fois l'unité et Ia complexité de l'atomisme gréco-romain, c'est précisément sa contribution à l'histoire d'un concept, celui de nécessité. Ce sont, plus encore, les difficultés et les tensions inhérentes à l'idée grecque de. nécessité (ananké ) qui nous permettront de comprendre, mais aussi de nuancer, le clivage traditionnel qui oppose à un Démocrite nécessitariste un épicurisme pourfendeur de Ia nécessité'. 'Aussi n'est-il pas inutile, plutôt que d'opposer
I I
I. C'est un des aspeets les moins eonvaineants de Ia fameuse dissertation, par ailleurs três suggestive, que le jeune Marx eonsaere à nos auteurs en 1841 : « Un point est done historiquement eertain : Démoerite fait intervenir Ia nécessité, Épieure le hasard; et ehaeun d'eux rejette le point de vue opposé avee I'âpreté de Ia polémique », Différence de Ia philosophie de Ia nature chez Démocrite et Épicure, trad. J. Ponnier, Bordeaux, Dueros, 1970, p. 230.
Sumário
Sumário
6
/
Introduction
Atome et nécessité
/
7
Sumário
Sumário Ia physique de l' Abdéritain, ainsi que le montre notamment le début de Ia Lettre à Hérodote: comme lui, il n'admet comme principes physiques ou matériels que des particules physiquement indivisibles (§ 41), littéralement des «atomes», atomos en grec signifiant «insécable». Ceux-ci sontillimités en nombre et se meuvent sans cesse dans un vide illimité, formant par simple agrégation les corps composés (§ 42-43). Lesmondes (kosmoi) sont donc eux-mêmes en nombre illimité (§ 45), ils naissent et périssent. Toutefois, en dépit de cette incontestable fidélité \ doctrinale, Epicure gratifiait Démocrite de l'acerbe surnom de « Lérocrite » - juge ou disputeur de sottises - et il affirmait n'avoir été l'auditeur que de lui-même (DL, X, \ 13). Quelle que soit l'exacte signification de cette revendication d'autonomie' qui confine à Ia dénégation, une telle attitude montre en tout cas qu'Épicure subordonne l'héritage philosophique dont il dispo se à l'élaboration d'un discours nouveau sur Ia nature. Nous avons malheureusement perdu lamajeure partie de ses écrits, et notamment de son grand traité De Ia nature (Peri phuseôs ) .qui ne comptait pas moins de 37 livres selon Diogêne Laérce. Nous devons d'ailleurs à celui-ci d'avoir aujourd'hui entre les mains trois textes suivis d'Épicure, les Lettres à Hérodote, Pythoclês et Ménécée. Au-delà, cependant, du seul cas d'Épicure, les recherches papyrologiques menées à partir des fouilles d'Herculanum, ainsi que Ia découverte et l'exploitation en Turquie des fragments de l'inscription murale de Diogéne d'(Enoanda (11' S. apr. J.-c.), ont permis et permettront encore de compléter de maniêre significative le corpus épicurien. C'est à Athênes, grâce à Épicure, que l'atornisme se développe dans le cadre d'une véritable ~ : le Jardin.
les doctrines concernées comme des constructions singuliêres, de les relire en suivant le parcours de cette évolution conceptuelle. 11 ne s'agit pas d'une seule et même école philosophique, dans laquelle les maitres se seraient continuellement succédé, mais de trois vagues successives d'une [E1êmetradition. On ne sait d'ailleurs pas s'il y eut, autour de Démocrite d' Abdêre - qui vécut entre 460 et 360 avant J.-c. -, une véritable école comparable par son organisation et sa continuité à l' Acadérnie de Platon ou au Lycée d' Aristote. Cependant il ne fut pas un penseur isolé, comme par exemple dut l'être Héraclite, dont les adeptes ne connaissaient que les écrits (DL, IX, 6). Nous savons en effet que Leucippe, son maitre ou son compagnon, épousa des vues três proches des siennes, au point qu'il n'est pas toujours facile de distinguer leurs apports respectifs. La difficulté est redoublée par le fait que nous n'avons conservé de Démocrite que de rares fragments, Ia plupart d'entre eux concernant Ia morale. Nous connaissons essentiellement sa physique par le truchement des témoignages anciens, dont l'intention est souvent polérnique. Démocrite eut d'autre part une succession de disciples, directs et indirects, et parrni eux Métrodore de Chio, Anaxarque ou encore Nausiphane. Ce dernier joue un rôle important dans le développement de l'atornisme ancien, ca,r il fut, selon plusieurs témoignages antiques, le maitre d'Epicure (341-270 avo J.-c.). Cette succession fit dire à Cicéron' qu'il n'y a rien dans Ia physique d'Epicure qui ne se trouve déjà chez Démocri te. Cette appréciation est assurément polérnique et injuste, car Ia situation est plus complexe. Diogêne Laêrce, il est vrai, rapporte que c'est aprês avoir découvert les livres de Démocrite qu'Épicure s'est élancé vers Ia philosophie (DL, X, 2), et sa dette est considérable à l'égard de
r
II
J. De Ia nature des dieux, I,
XXVI,
I. Voir, à ce sujei, l'interprétation de Jean-François Balaudé [1994], quj défend Ia sincérité et Ia justesse philosophique de I' « autodidaxie » d'Epicure en montrant que I' « enseignement de soi par soi-rnême, c'est I'enseignernent de Ia nature » (p. 25) .
73.
. Sumário
Sumário
8 / Atome et nécessité
Introduction
/
9
Sumário
Sumário I.
,
li' "
I1
On y dispense un enseignement régulier, principaIement consacré à I'exposition de Ia doctrine du Maítre, et I'on y observe même des rêgles de vie commune. Malgré son indéniable évolution, le mouvement philosophique qui procede de I'enseignement du Jardin est gIobaIement fidêle à son fondateur. Ainsi, Ie dernier représentant connu de l'épicurisme antique, Diogêne d'(Enoanda, entend encore respecter scrupuleusement Ia parole d'Épicure. . L'influence du Jardin s'étend progressivement au-delà du cerc1e des discipIes immédiats, au point que Rome connaí't un important renouveau épicurien, à Ia faveur des débats du ler siêcle avant J.-c. opposant Ies grandes écoIes phiIosophiques. Philodême de Gadara - philosophe grec originaire de Syrie, ami et protégé du consul CaIpumius Pison - et Lucrêce sont pour nous Ies principaux témoins épicuriens de ce phénomêne, De Lucrêce lui-même nous ne savons pratiquement rien, et aucun élément biographique ne saurait orienter de maniére décisive I'interprétation de son poême De Ia nature (De rerum natura). Lucrêce se présente comme Ie simple traducteur ou I'imitateur d'Épicure (DRN, Ill, 6), ce qui est sans doute vrai dans Ies grandes lignes, mais assez réducteur, en fait, si I'on considere Ia forme et Ies moyens de l'argumentation'. L'autorité d'Épicure est d'ailleurs celle du « découvreur des choses » (rerum inventor, 111, 9), si bien qu'en transmettant sa doctrine, loin d'adopter une
attitude serviIe à son égard, Lucrêce traduit à son tour Ia doctrine même de Ia nature, qui seule peut nous affranchir des terreurs et conduire au bonheur : Dês que ta doctrine se met à proclamer / Ia nature des choses conçue par ton esprit divin, / les terreurs de l'âme s'enfuient (...) (III, 14-16).
La vague romaine de l'atomisme, três proche du point de vue philcsophique de Ia vague athénienne, se nourrit encore de Ia physique abdéritaine. Lucrêce comme EPi-l cure se démarquent cependant de Démocrite sur des points cruciaux et, en particulier, sur Ia conception du principe même du mouvement atomique. Ce principe,! c'est ce que Démocrite appelle « Ia nécessité ». _ Diogéne Laérce, lorsqu'il résume Ia pensée de Démocrite, rapporte que « toutes les choses se produisent selon Ia nécessité » (DL, IX, 45). L'univers démocritéen L.. est en effet régi par une nécessité universelle, dépourvue de toute dimension providentielle et de toute .intention. Elle est également purement mécanique, au sens ou les mouvements atomiques se succédent sans qu'aucune finalité n'en ait établi le plan, de sorte qu' Aristote voit en Démocrite un physicien qui « oublie de parler de Ia cause finale et réduit- à Ia nécessité tous les moyens dont use Ia nature »1. Invoquer le mouvement des atomes dans le vide, pour rendre compte de Ia totalité des événements et de toutes les caractéristiques des corps, revient donc à poser Ia contrainte d'une intangible nécessité à l'origine de toutes choses. Or Épicure dénonce l'idée d'un teI empire, et il le fait notamment dans un texte qui traduit Ia double attitude de respect et de réaction qu'il adopte à l'égard de Démocrite :
I. Sur le contexte historique et culturel de l'activité philosophique de Lucréce et sur son rapport à Epicure, on se reportera notamment à I'intr?duction de. José Kany~Turpin [1993]. Lucréce, resume J. Kanyurpm, est « un unrtateur original ». David Sedley a récemment donné de nouveaux exemples de I'influence directe d'Épicure, et en particulier de s n Peri phuseôs, sur Ia physique de Lucrêce (Lucretius and lhe Tronsfonnation o/ greek Wisdom, Cambridge UP., 1998). Les citations de Lucrécc seront toujours données dans Ia traduction de J. KanyTurpin. Sauf indication contraire, je propose pour tous les autres lIutOUI"S mes propres traductions. Certa ines d'entre elles ont été publiées duns P.-M. MoreI [1996], aux éditions Klincksieck.
II
Ceux qui les premiers ont enquêté sur les causes de maniêre suffisante, dépassant de loin non seulement leurs prédécesseurs, I. Génération
des animaux, V, 8, 789b2 [DK 68 A 66].
. Sumário
II
Sumário
T
10 /
Atome et nécessité
Sumário
Sumário mais aussi et bien plus encore leurs successeurs, se sont aveuglés sur eux-mêmes - bien qu'ils
aient soulagés de grands maux dans de nombreux doma ines - en faisant de Ia nécessité et du hasard Ia cause de toutes choses',
'I
11;
Philosophie naturelle et nécessité L 'horizon présocratique
Nous aurons à revenir sur ce passage et sur Ies lignes qui le suivent, três instructives sur Ia signification précise de Ia critique. Il faudra s'interroger également sur I'association de Ia nécessité et du hasard (automaton) que Ie lecteur moderne aurait tendance à opposer, voyant dans I'une une détermination absolue et dans l'autre une absence totaIe de détermination. Ce texte montre d'ores et déjà Ies enjeux d'une polémique dans Iaquelle ce qui rassemble est aussi ce qui oppose. C'est dans le partagel de Ia thêse, centrale, des atomes et du vide que s'opêre Ia, t.rupture doctrinale essentielle. Celle-ci porte donc sur lei fondement même de Ia physique, c'est-à-dire sur Ie principe d'explication des événements, dans un univers ou ceux-ci ne sont - au moins originairement - que mouvements d'atomes, qu'iI s'agisse non seulement de Ia formation des mondes, mais aussi de I'acte Iibre ou de I'exercice des facultés cognitives. La polérnique sur le statut de Ial nécessité déborde ainsi Ie cadre de Ia physique pour .• atteindre I'éthique et Ia phi1osophie de Ia connaissance. . L'attitude épicurienne ne consiste pas à nier Ia nécessité, mais seulement sa toute-puissance. Elle impose ainsi une réforme ou une révision du concept de nécessité qui se trouve dês Iors investi d'une signification positive indispensable à l'édification de Ia doctrine. Si elle invite à quitter une physique de Ia nécessité, c'est pour rnieux fonder une éthique qui doit nous permettre d'identifier et de maitriser Ie nécessaire. Le concept de nécessité, de Démorito à Lucrêce, est donc un concept évoIutif essentieI à l'intcrprétation d'ensemble de Ia tradition atorniste.
Les traités présocratiques sur Ia nature se re)oign.ent dans une même volonté d'unification et de ratIOna.lisation. Ils unifient l'ordre natureI en rapportant Ia dlv~rsité des phénomênes physiques à I'unité d'~n m,êI?e pnncipe (arché) - ainsi I'eau p0':lr Thale~, I ,alr po~r Anaximêne ou Ie feu pour Héraclite - ou bien a un petit nombre de principes - ainsi Ies quatre élément~ mu~ par I'Amour et Ia Haine, chez Empédoc1e. Ils le rationalisent en voyant dans Ia phusis, Ia nature, non plus seulement I'expression d'un commandement absolu. ". trans~endant, mais justement un principe, c'est-à-dl~e a I~ ~o~~I,a raison des choses et Ia condition de leur intelligibilité. Cette nouvelle vision de Ia nature, toutefois, n'abolit l?as Ies dieux ni Ia contrainte du destin./L'idée de nécessité, précisément, mêle le ~ésir ~'une, expli~ation. rationnell.e des événements et Ia dimension, a Ia fois tragique et religieuse, qui caractérise Ia tradition~elle d~ ~ond~./ Les philosophes présocratiques ont touJ~urs a. I espnt que, dans Ia my~hologie grecq~e" les trois Moires, Ies divinités qui président aux destinées des hO,mmes, ~Iotho Lachésis et Atropos, sont filles de Ia deesse Necessité:. A Ia fin du ye siêcle encore, dans les Phé~icie~nes d'Euripide, le fils de Créon, condarnné par les dieux a s~ sacrifier pour sauver Thêbes, accept~ de se s~umettre a ce qu'il nomme Yanankê - Ia contramte o~ I etau -, d.es dieux (anankê daimoniôn]', Dans cette meme tragédie, (Edipe se rend lui aussi à Ia nécessité, c'est-à-di~e à l'arrêt absolu de Ia divinité : « Ce qu'imposent les dieux
==
I. De la nature, Papyrus d'Herculanum 1056, coi. 25; 34. 30 Arrighcui (Epicuro. Opere, 1973); Long & Sedley [1987] 20 C.
II
1. Voir Platon, République, X, 617 C. 2. Eur., Phén., v. 1000.
II Sumário
I'
Sumário
T 12 I
Philosophie naturelle et nécessité
Atome et nécessité
I
13
Sumário
Sumário
111:
(hai ek theôn anankai), i1 faut le supporter quand on n'est qu'un morte!.)}l Assimilée au destin, Ia nécessité est associée à l'idée de lot ou de part accordée à chacun par lesodieux, moira signifiant le résultat d'un partage et, par surte, le sort ou Ia destinée. Le destin est donc Ia rencontre de Ia volonté des dieux, de l'ordre cosmique et de Ia destinée individuelle. Le terme de « démon » (daimôn) , qui traduit parfois cette derniêre, sert d'ailleurs tout aussi bien à désigner Ia divinité qui préside aux destinées particuliêres que le destin en généra!. Aussi ne doit-on pas s'étonner de Ia diversité des occurrences de Ia nécessité dans les premiers textes philosophiques. Nous pouvons en distinguer globalement trois : Ia nécessité comme principe logique, comme principe cosmologique, comme destino La fonction logique ou modale apparait notamment dans l'école d'Elée. Ainsi, le Poême de Parménide fonde l'incompatibilité radicale de l'être et du non-être sur leur nécessaire exclusion réciproque: « Il faut dire ceei (chrê to legein) et penser ceci : l'être est ; car i1 est possible d'être, et iI n'est pas possible que ce qui n'est rien. )}2 Son disciple, Mélissos, applique ce même principe à l'argument du non-engendrement de l'être en vertu de I'axiome parménidien selon lequel rien ne peut provenir du néant: «Toujours était ce qui était et toujours i1 sera, car s'il était engendré, il est nécessaire {anankaion) qu'avant d'être engendré i1 ne soit rien. Et s'il n'y avait rien alors rien ne pouvait être d'aucune maniére engendré à parti; de rien » (DK 30 B 1). Le pythagoricien Philolaos rc urt également à Ia nécessité logique pour établir que Ic monde est constitué de limitants et d'illirnités: « Néccssairement, les êtres sont dans leur totalité soit I,
Phén. , v, 1763; trad. Marie Delcourt-Curvers, 1962, 2, Parménidc lDK 28 B 2]; trad. Denis O'Brien-Jean Vrin, 1987. Voir égalemcnt le frag. 8, v. 16. I,Uf"
Paris, Galli-
rnurd,
Frêre Paris ,"
Sumário
limitants, soit illimités, soit à Ia fois limitants et illirnités » (DK 44 B 2). Toutefois, pour Philolaos, selon le résumé que lui consacre Diogêne Laêrce, Ia nécessité est aussi un principe cosmologique : « Il pense que tout est engendré par Ia nécessité et l'harmonie » (DL, VIII, 85 DK 44 AI). Héraclite associe pour sa part Ia nécessité comme principe cosmologique à Ia nécessité comme destin : « Héraclite disait que toutes les choses se produisent selon le destin (heimarmené ), qui est Ia même chose que Ia nécessité {ananké ), »' Le destin est implicitement rapporté au Logos, lui-même assimilé au feu, qui est I'unique principe de toutes choses et qui, comme tel, préside à Ia distribution des parts de vie et de mort entre les morteIs (voir DK 22 B 25). 11n'est donc pas possible de se soustraire à l'ordre du monde et à Ia lutte des opposés qui l'anime. Chez Parménide Iui-même, Ia figure divine de Ia Justice (Diké ), Ia Nécessité (Anankê) et Ie Destin (Moira) sont les trais expressions d'un même décret qui assigne à l'être son immobilité et son incorruptibilité-. Dans ce climat, Ia position de Démocrite apparait comme une véritable réduction du concept de nécessité. Elle est l'unique principe cosmologique, elle n'est pas dénuée de dimension Iogique, mais elle est dépouillée de toute dirnension intentionnelle, fatale ou divine', Démocrite, no tons-I e au passage, ne nie pas qu'iI existe des dieux, mais iI sembIe les assimiler à des simulacres I. Aétius, I, 27, 1 [DK 22 A 8]. Voir également l'expression « nécessité fatale » (heimarmenê ananké), employée à son propos par Simplicius, Commentaire sur Ia Physique d'Aristote, 23 . 33 [DK 22 A 5]. 2. Parménide, Poême, frag. 8, Y. 14, 30 et 37 [DK 28 B 8]. 3. Ce n'est que par le jeu d'un rapprochement tout à fait discutable entre Démocrite et Parménide qu'une notice doxographique reprise par le Pseudo-Plutarque et par Stobée attribue à l'Abdéritain l'ancienne conception de Ia nécessité : « Parménide et Démocrite disent que toutes choses se produisent selon Ia nécessité ; celle-ci est à Ia fois le destin, Ia justice, Ia providence (pronoia) et le principe cosmogonique (kosmopoion) », Aétius, I, 25, 3 [DK 28 A 32). On retrouve Ia même simplification chez Cicéron, Du destin, XVII, 39 [DK 68 A 66].
Sumário
~,
14
/
A/orne
e/ nécessité
Philosophie
naturelle
et nécessité
/
15
Sumário
Sumário I
I" 1'11
(eidôla) I, c'est-à-dire à des images dont Ia production n'a rien de surnaturel. Ils ne peuvent donc être tenus pour responsables des événements physiques, comme se l'imaginent les hommes lorsqu'ils cêdent à Ia superstition-. Son rationalisme en Ia matiêre préfigure d'ailleurs les critiques épicuriennes des fausses conceptions des dieux, critiques sur lesquelles nous aurons à revenir. La nécessité ne peut pas même être identifiée à une loi premiêre, comme c'est le cas chez Philolaos ou, comcidant avec I'Harmonie, elle impose son ordre unifiant à Ia genêse du monde. Pour Démocrite, elle n'est pas plus principe d'ordre que príncipe de désordre. Ainsi les composés d'atomes se dispersent lorsqu'une « nécessité plus forte venue de I'extérieur », c'est-à-dire un choc ou une série de chocs atomiques, vient les désagréger-. La nécessité n'est ici rien d'autre qu'un rapport de forces mécaniques, entre Ia résistance interne d'un composé et Ia pression du milieu qui l'environne. S'il est vrai que Ia naissance d'un être vivant n'a fondamentalement d'autre cause que Ia nécessité qui préside au mouvement des atomes, iI n'en demeure pas moins que Ia mort - c'est-à-dire Ia dispersion atornique - de ce même être vivant est encore un effet de Ia nécessité. Il y a des mondes, et ainsi des 110ts d'organisation, et seule Ia nécessité peut en être Ia raison, mais ce n'est là qu'une explication suffisante, en l'absence de toute cause providentielle ou positivement organisatrice. La nécessité apparaít ainsi, avec Démocrite, comme totalement aveugle dans son principe et purement mécanique dans ses effets.
I. Voir, notamment, le témoignage de Cicéron dans le traité De Ia des dieux, I, XII, 29 et I, XLIII, 120 [DK 68 A 74]. 2. Voir Sextus Empiricus, Contre les savants (Adversus mathematicos), IX. 24 [DK 68 A 75]. 3. Arístotc ité par Simplicius, Commentaire SUl' le Traité du ciel tl'Artstote, 294.33 Rase 208 [DK 68 A 37]. I/(J/I/I'e
=
Sumário
S'il y a de bonnes raisons pour parler de matérialisme à propos des atomistes de l'Antiquité, c'est sans doute Ià qu'iI convient de Ies chercher. En effet, Démocrite n'est pas matérialiste dans toute Ia rigueur du terme. D'une part nous ne trouvons dans les fragments et témoignages aucun concept correspondant à !'idée de matiêre par opposition à Ia forme - comme Ia hulê chez Aristote ou par opposition à Ia pensée - comme dans Ia mo dernité. D'autre part, tout ce qui existe n'est pas corporeI, puisqu'il y a du vide, c'est-à-dire I'absence même de corps. Même si !ematérialisme n'est pas nécessairement négateur du vide, I'atornisme - et dês les commencements celui d' Abdêre - se distingue d'une forme littérale et radicale de matérialisme selon laquelle tout est matiére et pour laquelle Ia matérialité implique Ia corporéité. Le portrait des FiIs de Ia Terre, chez Platon, montre que ce type de matérialisme est déjà représenté dans I'Antiquité : Ils soutiennent qu'existe uniquernent ce qui offre une certaine résistance et peut être touché, c'est-à-dire ce qu'ils peuvent saisir. Ils définissent Ia réalité existante (ousia) cornrne identique au corps (sôma), et si quelqu'un parrni les autres affirrne qu'il y a des choses qui ne possedent pas de corps, ils les rnéprisent et ne veulent plus rien entendre tSophiste, 246 A-B)I.
Toutefois, Démocrite trace une voie qui sera particuliêrement féconde pour Ie matérialisme moderne, en libérant le principe uni verseI de toute intention organisatrice, en naturalisant Ies dieux et en détoumant Ia philosophie naturelle de tous Ies fantômes de Ia causalité. Cependant, Ia présence dans Ia nature de phénomênes mécaniques et ainsi de conditions nécessaires, comme Ia présence de l'air pour Ia combustion des matériaux, suffit-elle à exclure qu'une intelligence supérieure en com'.
.
1. Trad. N.-L. Cordero, Paris, GF-Flammarion,
1993.
Sumário
rr 16
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
Démocrite:
Ia nécessité,
principe de toutes choses
Les figures de Ia nécessité. - Si Démocrite avait pu répondre à cette critique, iI aurait sans nul doute maintenu que seule Ia nécessité est à I'eeuvre dans I'univers et que, Ioin d'être subordonnée à un intellect organisateur, elle est en fait absolument premiêre. Cette réponse se justifie par I'économie de Ia physique atomiste, qui explique Ie plus grand nombre d'effets par Ie plus petit I. Que, par ailleurs, Platon ne nomme jamais dans les dialogues.
Sumário
17
Sumário
Sumário mande l'administration? Comment expliquer, sans l'intervention d'un principe rationnel, l'ordonnance et Ia beauté du monde? C'est en substance Ia critique que Platon adresse à Ia conception de Ia nécessité qu'iI choisit pour cible dans Ie Timée, cible qui masque à peine Ia physique de Démocrite'. Le Démiurge du Timée prend en effet modele sur les formes intelligibles pour organiser son ouvrage. Platon, toutefois, ne supprime pas Ia nécessité telle que Ia conçoit Démocrite. II Ia subo rdonne à Ia fmalité de I'intellect démiurgique relayé par l'âme du monde et Ia genêse de ce dernier résulte d'un mélange de l'Intellect et de Ia Nécessité (48 A). Les mécanismes natureIs sont des «causes accessoires » (sunaitia) dont Ia divinité se sert comme d'auxiliaires pour réaliser Ie meilleur (46 C), et le physicien devra distinguer entre des causes premiêres intelligentes et des causes instrumentales, relevant de Ia Nécessité, qui ne font que transmettre le mouvement qu'elles reçoivent des causes premiêres (46 D-E; 68· E). L'Intellect .doit donc «persuader » Ia Nécessité, exercer sur elle Ia contrainte rationnelle de l'ordre et de Ia mesure, afin qu'elle. ne soit plus une « cause errante », mais véritablement et positivement une cause seconde (48 A).
/
nombre de principes: Ia nécessité est cause de toutes choses et d'une infinité de mondes. II faut toutefois, pour établir une telle économie, doter Yanankê de propriétés qui en fondent l'efficacité. Dês Iors, tout en épurant Ia nécessité physique de ses connotations traditionnelles, Démocrite en élargit Ie champ : iII'assirnile tour à tour à un principe de causalité, au mécanisme des mouvements atomiques et au tourbillon cosmogonique. La nécessité vaut d'abord, pour Démocrite, comme un principe de causalité: toutes choses se produisant sous sa contrainte, rien n'arrive sans cause. L'unique fragment significatif de Leucippe dont nous disposons va d'ailleurs dans ce sens : Aucune chose ne se produit fortuiternent (matên), mais toutes procêdent de Ia raison (ek logou) et de Ia nécessité (hup 'ananké ) I.
Ce logos nécessaire n'est pas une Ioi d'organisation, encore moins l'expression d'un plan, mais Ia simple raison d'être des choses. Le témoignage tardif du néoplatonicien Simplicius (VI' s.), qui reprend un texte chronologiquement beaucoup pIus proche de Démocrite, les Opinions physiques de Théophraste (fin du IV" s. avo I.C.), permet de mieux saisir Ia véritable nature de cette rationalité immanente : (...) Démocrite d'Abdêre posait comme principes le plein et le vide, qu'i! appelait l'un I'être, I'autre le non-être. supposaient en effet que les atomes sont Ia matiere des. êtres et que les autres çhoses naissent de leurs différences, Elles sont au nombre de trois : rythme, modalité, disposition, ce qui signifie Ia même chose que figure, ordre et position. Par nature, en effet, le semblable est mü par le semblable et les êtres de même geme se portent les uns vers les autres et chaque figure qui se trouve ordonnée d'une autre maniêre produit une autre
I. Cité par Aétius, I, 25, 4 [DK 68 B 2].
Sumário
Philosophie naturelle et nécessité
18 / Atome et nécessité
Sumário disposition; de sorte qu'ils promettaient, de maniére rationnelle (eulogôs ), les principes étant illimités, de rendre compte de tous les accidents et de toutes les substances, à cause de quoi et comment ils sont engendrés. C'est pourquoi ils disent que c'est seulement pour ceux qui posent les éléments comme illimités que tout se produit conformément à Ia raison (kata logon). Ils disent également que le nombre des figures qui se trouvent dans les atomes est illimité parce que rien n'est plus ceei que cela. Telle est en effet Ia cause qu'ils donnent de l'illimité' .
L'explication généraIe que Leucippe et Démocrite donnent de Ia nature n'est donc rationnelle que parce que Ies choses elles-mêmes se produisent conformément à Ia raison, de même que, dans d'autres formuIations du même principe, elles se produisent conformément à Ia nécessité. Or cette raison d'être se trouve dans Ie nombre illimité des atomes et de leurs formes. Il faut ajouter que le vide lui-même est illimité, laissant toujours libre un nouvel intervalle ou les atomes puissent se porter dans leur mouvement incessant. On ne pourrait en effet, si les príncipes n'étaient pas illimités, comprendre un autre illimité, celui des corps composés et de leurs apparences: l'infinité des effets - celle des mondes et des associations atomiques - n'est intelligible que si l'on pose une infinité dans les principes euxmêmes, 11est peu probable que Démocrite ait cherché à I, distinguer entre I'infinité des mondes réels et l'infinité -í'des mondes possibles. Le propos démocritéen, dans I , témoignage de Simplicius, est bien plutôt d'élaborer une ontologie- et une explication générales à partir des régles les plus simples. II suffit en effet, pour expliquer l. Commentaire SUl' Ia Physique d'Aristote, 28 . 17-27 [DK 68 A 38]. 2. Au sens le plus fondamental de « discours sur ce qui est véritablement », par opposition aux apparences et au devenir. De ce point de vue, comme on va le voir, Démocrite se situe encore dans le sillage tracé par Parménide.
Sumário
/
19
Sumário Ia démultiplication des différences, d'admettre trois rêgles objectives, à Ia fois méthodologiques et réelles : R, : 11 n'y a que des atomes et du vide. La formule revient à de multiples reprises dans les témoignages antiques. Elle prend notamment Ia forme de l'opposition entre ce qui existe « réellement » (eteê) ou par nature - les atomes et le vide - et ce qui n'existe que « par convention » (nomô) ou selon nos croyances, comme les couleurs ou les saveurs'. La conception démocritéenne de Ia réalité physique est donc réductionniste, toute réalité étant circonscrite aux constituants ultimes de Ia matiêre. Cette prerniêre rêgle, signifiant positivement que les atomes et le vide composent toutes choses et négativement qu'aucune autre chose n'a d'existence, vaut comme un príncipe d'exclusion ontologique. Elle garantit donc Ia force cosmologique de Ia nécessité par une nécessité logique. En effet, les atomes ou Ie plein sont l'être (on) ou le quelque chose (den) et le vide est le non-être (mê on) ou le rien (mêden]', Or, même si le non-être est en Ull sens, parce que le vide n'est pas moins que les atomes, il n'y a pas de troisiême statut ontologique entre l'être et le non-être. Démocrite s'oppose ainsi à Parménide tout en lui demeurant fidêle sur un point essentiel. 11 s'oppose à lui, non seulement l. Voir notamment Aétius, IV, 9, 8 [DK 67 A 32] ; Diogéne Laêrce, Vies... , IX, 72 [DK 68 B 11-7]; Galien, Des éléments selon Hippocrate, I, 2 [DK 68 A 49], De l'expérience médicale, XV, éd. Walzer-Frede [DK 68 B 125] ; Sextus Empiricus, Conlre les savants, VII, 135 [DK 68 B 9]. 2. SUl' cette transposition, voir notamment, outre le texte ci-dessus : Aristote, Métaphysique, A, 4, 985 b 4 [DK 67 A 6] ; Génération et corruption, I, 8, 325 a 23 [DK 67~A 7] ; Aristote chez Simplicius, Commentaire SUl' le Traité du ciel d'Aristote, 294 . 33 = Rose 208 [DK 68 A 37] ; Simplicius, Commentaire SUl' Ia Physique d'Aristote, 28 . 4 [DK 67 A 8] ; Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, I, 13 [DK 68 A 40]. Pour l'usage des expressions den et méden, voir Galien, Des éléments selon Hippocrate, 1,2 [DK 68 A 49] ; Plutarque, Contre Colotês, 1108 F [DK 68 B 156]. Dans ce couple conceptuel, le terme désignant l'être est dérivé de celui qui désigne le non-être, com me si, à partir du mot « néant », nous appelions l'être « ant ».
Sumário
__
o
1
T
20
I
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
I
21
Sumário
Sumário en posant une multiplicité d'étants - les atomes -, mais aussi dans Ia mesure ou il admet l'existence d'une certaine forme de non-être - le vide - et Ia réalité du mouvement dont ce non-être est Ia condition. Il lui demeure toutefois fidéle en exeluant Ia possibilité d'un 'i. troisiémjL..genre. L'atome, éternel et immuable en son essence, recueille les propriétés de l'être éléatique. Ainsi, parce que tout ce qui existe est nécessairement soit de l'atome, soit du vide, toutes les modifications concevables ou observables sont déterminées par les différences atomiques. R2 : Les différences entre les atomes sont limitées en zenres mais illimitées en nombre. 11y . a en effet, selon le b texte de Simplicius, trois genres de différences : rythme, modalité, disposition. Or l'infinité des différences de rythmes ou de figures atomiques - comme A diffêre de N - se démultiplie en une infinité de différences de modalité ou d'ordre - comme AN diffêre de NA - ellemême démultipliée en une infinité de différences de disposition ou de position - comme N diffêre de Z (N couché)'. Nous ne pouvons donc faire l'expérience des modifications atomiques, non seulement parce que les atomes eux-mêmes sont imperceptibles, mais aussi parce que leurs différences se déploient à l'infini. Nous pouvons cependant rendre raison de ce qui passe notre expérience, en nous fondant sur une typologie des différences qui, quant à elle, n'est pas illimitée, et qui explique Ia démultiplication des combinaisons atorniques. RJ : II suffit d'une seule modification dans un agrégat donné pour que celui-ci constitue une combinaison différente. Ainsi, une seule lettre peut suffire à modifier Ia signification d'un mot et les mêmes lettres permettent,
I
l. Ces exemples sont donnés par Aristote, Métaphysique, A, 4, 985 b 4 [DK 67 A 6]. Aristote, comme Simplicius aprês lui, transpose les termes abdéritains « rythme, modalité, disposition» (rhusmos, trope'1diathigê} en « figure, ordre, position » (schêma, taxis, thesis).
associées dans un ordre différent, de produire un sens différent'. On pourrait objecter qu'il y a des différences négligeables par rapport à Ia permanence global~ de l'agrégat. De fait, Ia définition que les atomlstes/ donnent eux-mêmes de Ia vie animale - un ~r?cessus de ré-alimentation constante en atomes sphenques par I'intermédiaire de Ia respiration - suppose que le même. individu perdure au cours de ces modifications atomiques. De ce point de vue, toutes les dif~érences ne Ason~ pas également significatives ni productnces des ,m~mes degrés d'effets. En toute rigueur, cependant, I animal qui respire, comme tout agrégat connaiss~nt une compensation en atomes, devient à chaque mstant autre qu'il n'était. En effet, en vertu de RI, les êtres .ne s?nt qu'atomes et vide et pas autre chose. Une mOdl?CatlOn atornique, füt-elle minime, suffit donc à modifier ce qu'ils sont. Nous verrons que Ia question du statut ontologique des composés (Ia pierre, l'arbre, I'animal) n'est pas elose pour autant. La réduction du réel aux atomes et au vide signifie en tout cas que toutes les modifications dépendent de Ia combinatoire définie par R2• Dês lors toutes choses jouissent d'un droit égal à l'existence, .d'une véritable isonomie ontologique, ce qui explique, pour reprendre les termes de. S~plicius, que •. « rien n'est plus ceci que cela », Le pnncipe de causalité, parce qu'il constitue une combinatoire illimitée, est donc également un principe de totalité et, en ce sens, I'équivalent d'un príncipe de raison. su~fisante. 11 ~n va de Ia totalité ouverte des combinaisons atorruques comme de Ia bibliothéque illimitée, figure de l'univers, imaginée' par Borges : on y trouve tous les livres ~oncevables, signifiants ou absurdes, parce qu'elle contient Ia 1. Voir en ce sens Aristote, [DK 67 A 9].
Génération et corruption, I, 2, 315 b 6
I Sumário
\
Sumário
22
/
Philosophie naturelle et nécessité
A tome et nécessité
I. Jorge Luis Borges, La bibliothêque de Babei dans Fictions (Ficcio-
nes, Bucnos Aires, 1956). 2. I, 12, 6 [DK 68 A 47).
Sumário
23
Sumário
Sumário totalité des combinaisons alphabétiques, bien que le nombre de pages que contient chaque livre soit limite'. On doit toutefois se demander si Démocrite pouvait assumer toutes les conséquences de sa propre théorie : si les atomes sont illimités non seulement en nombre et en formes mais aussi en tailles, comme le signalent certains textes, ne devait-il pas admettre l'existence d'atomes gigantesques, « grands comme un monde », pour reprendre 1'hyperbole d' Aétius ?2 Les épicuriens avaient en effet dénoncé, avant ce demier, cette conséquence aberrante de l'infinitisme qu'iIs attribuent à Démocrite : s'iI y a réellement une infinité de formes atomiques, il faut admettre des atomes de toutes grandeurs, ce qui contredit Ia thêse abdéritaine de I'imperceptibilité des atomes (Hrdt., 56 ; DRN, lI, 485-499). Cependant, dire, comme Ie fait Démocrite, que le nombre des formes atomiques est illimité ne revient pas exactement à dire que ce nombre est rigoureusement et arithmétiquement infini. Le même terme, apeiron, peut se traduire par « illimité », par « infmi », mais aussi, plus simplement, par « indéfini ». Or Ia combinatoire démocritéenne n'est pas une pure Iogique de 1'infini. Elle sert avant toute chose à fonder une physique et elle le fait dans Ie cadre d'une explication régressive et négative : il est nécessaire et suffisant de supposer des formes atomiques en nombre illimité, mais iI n'est pas nécessaire, puisque ainsi 1'on atteint déjà une infinité de combinaisons possibIes, de supposer que Ieurs grandeurs sont en nombre rigoureusement infini. Le point de vue strictement logique qui devrait imposer une isonomie parfaite ne peut donc 1'emporter sur le point de vue physique, qui exige seulement une variation indéfinie des formes et des grandeurs dans le domaine de
/
"
'.
l'imperceptibIe. Épicure, dans Ie passage précité, argumente d'ailleurs en ce sens à son propre profit, mais cela ne nous interdit pas de penser que Démocrite lui-même ait fait de même. Du reste, et c'est là Ie deuxiême aspect de Ia nécessité, Démocrite l'assimiIe également au processus physique universel que représente le mécanisme des mouvements atomiques. Pour Démocrite, rapporte Aétius, Ia nécessité se définit comme « Ia résistance [antitupia), Ie transport (phora) et Ie coup (plêgé ) de Ia matiêre »1. La matiêre (hulê) désigne ici les atomes', Cette notice montá! que Ia nécessité n'est pas seulement le principe d'existence de ce qui est, mais qu'elle régit également son mode d'être, en l'occurrence ses mouvements. La combinatoire que 1'on vient d'analyser est en effet sans cesse renouvelée parce que les atomes sont toujours en mouvement. Les atomes étant par définition insécabIes, leu r résistance renvoie mécaniquement Ie mouvement reçu lorsqu'une agrégation ne peut se faire. Ainsi le coup ou Ie choc (plégé) - ou encore Ia secousse (palmos)" - est présenté par de nombreux témoignages' comme étant le véritable responsabIe du mouvement. Ce mécanisme éIémentaire semble toutefois comporter une zone d'ombre, que Ies adversaires de 1'atomisme n'ont pas manqué de dénoncer: ne faut-il pas remonter à un premier mouvement ou à l'origine même du mouvement si l'on veut établir Ia radicalité de Ia nécessité? Pour qu'iI y ait choc, ne faut-il pas qu'il y ait eu préalablement mouvement? Ainsi Aristote qui, nous l'avons I. I, 26, 2 [DK 68 A 66]. Voir, dans le même sens, Aristote chez Simplicius, Commentaire SUl' le Traité du ciel d'Aristote, 294 . 33 - Rose 208 [DK 68 A 37), ou Ia nécessité est rapportée aux associations et dissociations atomiques. 2. Démocrite, rappelons-Ie, ne semble pas avoir lui-même parlé de hulé. 3. Voir I'ensemble des témoignages présentés par Diels-Kranz sous le n° 68 A 41.
Sumário
, 24
/
,
AIOme et nécessité
I. Voir Métaphysique, A, 4, 985 b 19-20 [DK 67 A 6). 2. Lettre à Hérodote, § 61. Sur Ia difficile question de Ia pesanteur de I'atorne démocritéen et de son éventuelle fonction cinétique, on se • reportera à l'étude de Deois O'Brien, Theories of Weight in lhe Àncient Word, I : Democritus, Weight and Size, Paris-Leyde, 1981. 3. Simplicius, Commentaire SUl' Ia Physique d'Aristote, 1318 . 33 [DK 68 A 58 B 168]; Aristote, Du ciel, m, 4, 303 a 4 [67 A 15].
=
Sumário
Philosophie naturelle et nécessité
/
25
Sumário
Sumário vu, voit dans l'atomisme abdéritain une physique incapable de rendre compte de Ia causalité finale, estime qu'il ne peut pas non plus rendre compte de Ia causalité efficiente ou motrice'. 11n'est pas non plus possible de se contenter d'invoquer Ia fonction causale du vide, füt-ce à titre de cause négative, celui-ci n'étant qu'une condition nécessaire mais non suffisante du mouvement des atomes. 11 est par ailleurs peu probable que Démocrite ait cherché à expliquer le mouvement premier des atomes par Ia pesanteur, que leur attribuent certains témoignages, même si Épicure, pour sa part, verra dans Ia chute vers le bas des atomes Ia conséquence de leur poids propre', Démocrite conçoit le mouvement originaire des atomes, à l'état précosmique, comme un « éclaboussement en tous sens » (peripalaxis)», c'est-à-dire comme un mouvement qui n'est initialement déterminé par aucune direction préférentielle. 01', comme le précise Simplicius dans le passage concerné, « ce n'est pas seulement le premier mais aussi le seul mouvement que les Abdéritains ont attribué aux éléments , tandis que les autres mouvements, ils les attribuent aux corps composés à partir des éléments ». Ainsi, ces autres mouvements, de croissance, de dirninution ou d'altération, parce qu'ils caractérisent des composés d'atomes, ne sont que des modifications mécaniques du mouvement originaire de ces mêmes atomes. Paradoxalement, c'est peut-être Aristote qui nous propose Ia meilleure réponse à cette difficulté théorique. Démocrite, selon lui, « dit qu'il n'y a pas de prin-
, Fac. FiI. C. Humanas UF~AG
,
cipe de ce qui est toujours et de ce qui est illirnité »1. Démocrite s'efforce manifestement de rendre compte des causes motrices prochaines, ce que le mécanisme des chocs lui permet de faire, mais rien n'indique qu'il se soit posé Ia question de Ia cause premiêre du mouvement. Or si, comme le suggêre indirectement le témoignage d' Aristote, cette question ne s'est pas posée, c'est sans doute qu'elle ne devait pas l'être. En associant três étroitement les atomes à Ia nécessité lorsqu'il s'agit de désigner les principes, Démocrite établit que les premiers sont toujours sournis à Ia seconde. lSi les atomes, eux-mêmes éternels, sont en mouvement de toute éternité, parce qu'ils sont indissociables du vide qui les sépare, il n'y a pas lieu de rechercher- une cause premiêre de leur mouvement./ La nécessité englobe à Ia fois Ia matiêre en mouvement et le mouvement de Ia matiere et elle suffit, ainsi caractérisée, à clore par avance toute recherche de ce type. 11 est d'ailleurs significatif que Démocrite, comme nous avons eu l'occasion de le voir, désigne occasionnel- ti lement l'atome ou sa forme par le terme de rhusmos, c'est-à-dire le rythme ou Ia figure en mouvement prise dans son rapport dynamique à d'autres figures'. L'atome démocritéen est donc indissociablement forme et mouvement. Enfm, « nécessité » est aussi le terme par lequel Démocrite désigne Ia dinê, le tourbillon qui est à l'origine de Ia 1. Génértuion des animaux, lI, 6, 742 b 20-21. Voir égalemeot Cicéron, Des fins ... (De finibus}, I, VI, 17 [DK 68 A 56] : « Ce mouvement des atomes o'a pas eu de commencement (nul/o a principio) et est éternel. » De même, le Pseudo-Plutarque rapporte que toutes les choses, si loin que 1'00 remonte daos un temps illimité (ex apeirou chronou}, ont été établies par Ia nécessité (Stromates, 7 [DK 68 A 40]). 2. Sur Ia signification de rhusmos, voir P.-M. Morei [1996], p. 53-59 . Démocrite désigne aussi I'atome par le terme idea, sous lequel il faut sans doute enteodre une forme indivisible et géométriquement déterminée.
Sumário
26
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
constitution d'un monde donné. Ainsi, selon Diogêne Laérce résumant Ia cosmogonie démocritéenne,
ment le cas dans un passage três polémique de Ia Physique d' Aristote :
toutes les choses se produisent selon Ia nécessité, le tourbillon étant Ia cause de Ia génération de toutes choses et il le nomme N écessi té' .
Le hasard et Ia néeessité. - Nous pourrions cependant formuler une nouvelle objection, propos du rôle que Démocrite assigne à Ia nécessité dans Ia genêse des mondes: il n'y a pas de raison contraignante pour qu'un monde de teI type naisse en tel lieu et à tel moment, si bien que, paradoxaIement, c'est à Ia contingence ou au hasard, bien plus qu'à une nécessité déterminée, que les mondes doivent leur existence. Or cette difficulté est formuIée dans un certain nombre de témoignages antiques qui attribuent au hasard (automaton) ou à Ia fortune (tuché ) le premier moment cosmogonique. C'est notamà
I. DL, IX, 45 [DK 68 A I]. Voir encore I'apposition de Ia nécessité ct de Ia dinê dans le témoignage de Sextus Empiricus, Contre les savants, IX, 113 [DK 68 A 83]. 2. Selon Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, I, 13 [DK 68 A 40].
Sumário
27
Sumário
Sumário
Ce témoignage montre que l'universelle nécessité, ou nécessité précosmique, se singularise à l'état encosmique dans chaque monde donné. Tous les mondes ne sont pas organisés de Ia même maniére, certains n'ayant ni Soleil ni Lune, tandis que d'autres en ont plusieurs et que d'autres encore sont privés d'animaux, de plantes et d'humidité-. Toutefois, c'est toujours avec une parfaite nécessité que les mondes suivent Ia loi inflexible que fixe le tourbillon qui leur a donné naissance. La proposition «toutes les choses se produisent selon Ia nécessité » doit donc s'appliquer aussi bien au mouvement des atomes en général qu'à Ia succession des événements encosmiques.
/
,
,
11 y en a qui font du hasard Ia cause de notre ciel et de tous les mondes. IIs pensent en effet que c'est par le hasard que sont engendrés le tourbillon et le mouvement qui a produit Ia séparation et Ia constitution du tout dans I'ordre qui est le sien. Et ce qui est tout à fait étonnant, c'est qu'ils disent d'une part que les animaux et les plantes ne doivent ni leur existence ni leur naissance à Ia fortune, mais que c'est en vérité Ia nature ou l'intellect ou quelque autre chose du même genre qui en est Ia cause - ce n'est pas en effet un être que1conque qui naít de Ia semence de chaque chose, mais de cette semence-ci nait un olivier et de cette autre un homme -, et d'autre part que le ciel et les plus divins des objets apparents sont engendrés par le hasard et qu'il n'y a là aucune cause semblable à celle des ammaux et des plantes'.
La critique porte à trois niveaux. D'une maniêre générale, Aristote refuse que le hasard soit une véritable cause. 11ne l'est que par accident, en tant qu'échec de Ia cause finale (Physique, II, 4-6). Les physiques mécanistes ont d'ailleurs, à ses yeux, le tort fondamental d'ignorer ia causalité finale (II, 8-9). Deuxiêmement, Ia position 'décrite subvertit Ia répartition eosmologique du nécessaire et du contingent: pour Aristote, les mouvements astraux sont dominés par Ia nécessité alors que Ia contingence, ce qui se produit réguliêrement, mais seulement « le plus souvent », est le propre du monde sublunaire. Enfin, ce texte dénonce l'inconséquence des atomistes et des physiciens qui leur sont implicitement associé~: ils font découler le nécessaire - l'ordre du 1. Physique, II, 4, 196 a 24-35 [DK 68 A 69]. Voir aussi Simplicius! Commentaire sur Ia Physique d'Aristote, 327 . 24 [DK 68 A 67], qUI associe au hasard et à Ia fortune Ia formation du tourbillon cosmogonique, et op. cit., 330. 14 [DK 68 A 68]. Voir encore, pour le théme de Ia soumission de toutes choses à Ia fortune, Lactance, Institutions divines, I, 2 [DK 68 A 70]; Eusebe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, XXVII, 4 [DK 68 B Il8].
Sumário
28
/
Atome et nécessité
Philosophie naturel/e et nécessité
/
29
Sumário
Sumário monde - du contingent - sa genêse, Comment comprendre, en effet, que Ia détermination nécessaire qui est à l'ceuvre dans Ia reproduction des espêces (l'olivier engendre un olivier; l'homme engendre un homme) puisse résulter d'une organisation générale initialement dépourvue de nécessité ? L'opposition du hasard et de Ia nécessité, déjà présente chez Aristote, est naturelle pour un moderne : nous définissons habituellement le nécessaire comme ce qui ne peut être autrement et nous attribuons au hasard, compris comme príncipe de contingence, ce qui peut ou aurait pu être autrement. Nous les opposons donc comme Ia total e détermination à l'absence de détermination. Toutefois cette opposition n'est pas aussi radical e chez les philosophes antérieurs à Aristote. Ainsi, chez Platon, les deux notions se recoupent en plusieurs endroits, notamment dans le Timée, ou Ia cause subordonnée est aussi bien qualifiée de « fortune » que de « nécessité »1. Demême, lorsque Épicure parle des Abdéritains dans son traité De Ia nature (Peri phuseôs), illes présente, nous y reviendrons, comme ceux qui font « de Ia nécessité et du hasard Ia cause de toutes choses », sans opposer les deux notions. Du reste, Diogêne Laêrce achêve sa relation de Ia cosmogonie de Leucippe par l'évocation de Ia nécessité pré-cosmique à l'endroit même ou le témoignage d'Aristote fait intervenir le hasard : De même qu'il y a des naissances de monde, de même y a-t-il aussi des accroissements, des disparitions et des destructions selon une certaine nécessité (kata tina anankén), dont il ne précise pas Ia nature (DL, IX, 33 - DK 67 AI).
Il y a deux façons d'échapper à Ia difficulté. La premiére consiste à assimiler purement et simplement hasard et nécessité dans Ia pensée de Démocrite. Seule I. Voir 46 E et 47 E. Comparer
Sophiste, 265 C et Lois, XII, 967 A.
Sumário
s'oppose en ce sens à Ia nécessité cette représentation erronée que les hommes se font de Ia fortune lorsqu'ils sont dans l'ignorance des causes qui les déterminent', Ainsi en commentant les observations d'Aristote sur Ia conc~ption démocritéenne de Ia fortune, Simplicius l'explique en ces terrnes": bien que Ia fortune ou le hasard jouent leur rôle dans Ia formation des mondes, rien dans le nôtre ne se produit sans cause. Nous retrouvons là le thême de Ia détermination totale, tel que le formulait le fragment 2 de Leucippe. Le témoignage de Simplicius est toutefois plus précis. Si rien ne se produit fortuitement, c'est parce que chaque événement dépend d'une chaine causale: si l'on trouve un trésor, c'est parce que l'on a creusé en plantant un olivier et si "Ie crâne de l'homme chauve a éclaté, c'est parce que l'aigle a lâché Ia tortue au-dessus de lui. Le \ hasard ne serait donc finalement qu'un autre nom de Ia nécessité. Cette solution se justifie dans Ia mesure ou le hasard comme Ia nécessité ont Ia même caractéristique négative: c'est toujours contre Ia providence ou contre . l'idée d'un intellect organisateur qu'ils sont invoqués. III faut toutefois trouver un concept médian. Ce concept, sous-entendu dans l'idée d' anankê comme dans l'idée d'automaton, est celui de spontanéité ou d'immédiateté. Ce qui se produit par hasard ou par nécessité est toujours spontané, c'est-à-dire indépendant de toute cause d'un autre ordre, comme une cause finale ou providentielle. Ainsi, le traité hippocratique Des articulations montre comment les malades souffrant d'une luxation « prennent nécessairement » ( anankazontai), c'est-à-dire spontanément, les postures adaptées à Ia
I
I. Voir Aristote, Physique, Il, 4, 195 b 36 [DK 68 A 68), et les témoignages et citations réunis par Diels-Kranz sous le n° 68 B 119. 2. Commentaire sur Ia Physique d'Aristote, 330. 14-20 [DK 68 A 68).
Sumário
30
/
Philosophie naturelle et nécessité
Atome et nécessité
/
31
Sumário
Sumário
II "
I:·'
situation'. Or nous savons par ailleurs que certains auteurs du corpus hippocratique sont três proches du cerc1e démocritéen. La superposition du hasard et de Ia nécessité, commandée par l'idée de spontanéité, était donc familiêre à Démocrite et Ia contradiction dénoncée dans le texte d'Aristote n'est três probablement qu'un effet de Ia polémique. Une seconde solution toutefois permettrait de rendre en partie justice à l'analyse d' Aristote : Démocrite peut fort bien, tout en maintenant le recoupement du hasard et de Ia nécessité, réserver le premier terme à Ia formation du tourbillon cosmogonique, estimant qu'elle n'obéit dans sa singularité à aucune raison contraignante. Tout ce qui se produit à l'intérieur d'un monde donné étant à I'inverse directement dépendant de ses états antérieurs, le concept de nécessité s'y applique pleinement. S'il est vrai que tout demeure soumis à Ia nécessité entendue comme principe de causalité fondé sur Ia combinatoire atomique et à Ia nécessité des chocs et agrégations, Ia formation des mondes est bien plus faiblement déterminée que leur mode interne de développement. C'est sans doute ce qui lui vaut d'être rapportée au hasard. Il est possible, de ce point de vue, de réconcilier Ia doctrine de Démocrite avec Ia modernité si nous admettons que Ie hasard n'est pas toujours rédúctible à une indétermination totale, Ainsi, Ia convergence de séries indépendantes, comme peuvent l'être chez Démocrite des séries atomiques pré-cosmiques séparées par le vide, est un fait de hasard objectif qui n'implique pas l'absence radical e de détermination. Plus encore, comme I. L'auteur du traité précise : « Ce n'est pas qu'ils recherchent avec préméditation les attitudes les plus commodes, mais c'est Ia lésion même qui leur apprend à choisir les plus commodes dans leur conformation présente» (Articulauons, § 52). Le texte est présenté et cité par Jean Salem, Hippocrate. Connaitre. soigner, aimer. Le Serment et autres textes, Pari, 1999, p. 180.
Sumário
I'écrivait Cournot en 1875, « les faits qui arrivent par hasard ou par combinaison fortuite, bien loin de déroger à I'idée de causalité, bien loin d'être des effets sans cause, exigent pour leur production le concours de pl.u~ sieurs causes ou séries de causes. Le caractere de fortuité ne tient qu'au caractêre d'indépendance des causes concourantes »1. Pour Démocrite, le hasard est donc moins absurde ~t Ia nécessité moins radicale qu' Aristote ne semble vouloir le croire. Ainsi, nous devons admettre d'une part qu'i! y a des variations régionales de Ia détermination nécessaíre et d'autre part que Ia nécessité admet l'aléatoire. Ce deuxiême point, nous le verrons, est essentiel si I'on veut comprendre Ia possibilité d'un acte libre. La recherche des causes. - Cependant, si tous leS) mondes ne sont pas organisés ni structurés de maniete] identique, Ia philosophie naturelle, l'explication des phé-I nomênes réguliers ou exceptionne1s observables (Ia' reproduction sexuée, les tremblements de. terre: ~tc·),1 peut-elle se déduire directement de Ia physique générale des atomes et du vide ? De fait, Démocrite ne s'est visi-' blement pas contenté d'élaborer une ontologie et une physique fondamentale. li s'est également livré à une série de recherches causales spécifiques, en biologie, en zoologie, en médecine, en géogrãphie ou encore sur les conditions physiologiques de Ia perception. Le catalogue des eeuvres de Démocrite, établi sous Tibêre par Thrasylle et reproduit au livre IX des Vies de Diogêne Laêrce, confirme cette grande diversité d'investigations. Il mentionne d'ailleurs une série de traités SUl' les Causes, dans lesquels il est question des phénomênes c~~estes, des sons, des animaux ou des végétaux. La tradition antique rapporte que Démocrite fut surnommé non seuI. Matérialisme,
vilalisme, rationalisme, IV, § 3.
Sumário
II 32
/
Philosophie naturelle et nécessité
Atome e/ nécessité
/
33
Sumário
Sumário Iement le Rieur, parce qu'il tournait en dérision l'affairement des hommes, mais aussi Sophia, c'est-à-dire Ia Science, et aucun domaine des sciences positives de son temps ne parait avoir échappé à sa curiosité. Ainsi, au me siêcle de notre êre, l'évêque Denys d' Alexandrie voit en Démocrite, au-delà des critiques qu'il adresse à I'atomisme, un chercheur insatiabIe : Démocrite disait, à ce qu'on rapporte, qu'il préférerait trouver une seule explication causale (ai/ia/agia) plutôt que de devenir roi des Perses I. I)
La philosophie naturelle de Démocrite ne saurait donc se réduire à Ia théorie générale des atomes et du vide. Elle justifie égaIement une série d'enquêtes empiriques destinées à mettre au jour des étiologies particuliêres à partir d'une méthode commune. Cet aspect essentiel de Ia philosophie de Démocrite ,.pose un problême crucial: peut-on parler de causes à " propos des composés de notre monde alors que seuls sont véritablement causes les atomes et le vide ? S'il n'y ~ a, en effet, que des atomes et du vide (voir Ia regle R,) et si les différences identifiables au niveau atomique (voir R2) sont les seules différences réelles, on ne voit pas ce que peut signifier une recherche de causes spécifiques parmi les composés. Ainsi Marx, dans sa dissertation comparative sur Démocrite et Épicure, note à juste titre l'embarras dans leqüel l' Abdéritain s'est lui-même plongé et il estime que Démocrite, « ne trouvant pas sa} satisfaction dans Ia philosophie, dans les " bras du savoir positif »2. La formule de Marx est sans doute excessive, mais elle a le mérite de poser le proli blõrne de Ia cohérence de Ia physique de Démocrite. La I 'n ion est réelle, et elle est renforcée par les nombreuses
r
I, Denys d'Alexandrie chez Eusêbe de Césarée, Préparation IV, XXVII, 4 [DK 68 B 118]. , 1l(I]'(orellce... , p. 226.
évangé-
1/(//111,
dénonciations démocritéennes du caractére conventionnel des apparences sensibles, sur lesquelles s'appuient pourtant les recherches empiriques. Toutefois, cette tension même est assumée par Ia lhéorie, et cela par deux moyens : l'explication des propriétés des composés et des qualités sensibles par les figures atomiques, et l'adoption d'une conception complexe de Ia causalité. Démocrite fait tout d'abord dériver les propriétés des composés des différences atomiques, comme nous l'avons vu en identifiant les régles R2 et R3' Simplicius rapporte qu'il est « remonté aux atomes » (epi tas atomous anebé), comme les pythagoriciens sont remontés aux surfaces, pour rendre compte du chaud et du froid', Cette anabase atomique c t longuement décrite par Théophraste dans son traité Sur Ia sensation (§ 49-83 - DK 68 A 135), qui montre par cxemple que Ia blancheur s'explique par Ia présence I'atomes lisses parce que le lisse laisse pénétrer Ia lumiêre, Lucrêce écrira de même : Quand elles peuvent toucher agréablement nos sens, /les choses sont formées d'atomes ronds et lisses, / mais quand elles nous semblent âpres et améres / elles sont formées d'un tissu d'atomes plus hérissés (lI, 402-405).
Les atomes n'en sont pas moins sans qualités. Ils n'ont aucune de ces propriétés, comme Ia couleur ou le üt, qui sont susceptibles d'altération, puisqu'ils sont .ux-mêmes incorruptibles. L'atome n'a donc pas les propriétés dont il est le principe. Nous pouvons rire sans tre formés d'atomes rieurs et philosopher sans atomes philosophes, comme le dit si bien Lucrêce (lI, 986-988). Cependant, il ne suffit pas toujours d'évoquer Ia figure dcs atomes et il faut souvent recourir à des explications plus complexes. Te! est notamment Ie cas pour Ia définiI. Commentaire sur le Traité du ciel d'Aristote,
564. 24 [DK 68 A
120).
Sumário
Sumário
34
/
A torne et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
35
Sumário
Sumário tion de Ia vie par Ia respiration', L'animal absorbe, en inspirant, des atomes sphériques, les mêmes atomes qui constituent également le feu. Pénétrant à l'intérieur du corps, ils le meuvent comme I'Aphrodite en bois que Dédale avait mise en mouvement en y versant du mercure-. L'inspiration permet donc à l'agrégat corporel de résister à Ia pression du milieu environnant. Quand cette pression l'emporte, l'expiration de figures sphériques n'est plus compensée par de nouveaux apports et Ia mort survient. On ne peut donc, pour expliquer Ia vie, se contenter d'invoquer les figures sphériques. 11faut encore tenir compte de l'état de l'agrégat corporel et de Ia qualité de l'air environnant. Si c'est le processus de respiration et non Ia sphéricité des figures psychiques qui définit Ia vie, c'est que celle-ci dépend d'une conjonction de facteurs ou d'une convergence de séries atomiques. 11 y a, d'autre part, parmi les composés, des structures remarquables et constantes qui se reproduisent en tant que structures. La causalité proprement atomique n'est dans ce cas que le premier maillon d'une chaine causale. De même, le phénomene du rapprochement spontané des semblables, qui, nous l'avons vu, se produit au niveau atomique, est également observable parmi les composés. C'est une même loi, à Ia fois rnicro et macrophysique, qui rapproche les atomes de même forme et les anirnaux de même espêce. Elle favorise ainsi leur mutuelle reconnaissance et elle explique, par extension, que toute connaissance exige une ressemblance entre le connaissant et le connu : . Três ancienne est en effet 1'opinion que l'on retrouve chez les physiciens, selon laquelle les semblables connaissent les semblables. Démocrite semble s'en être persuadé, alors que Platon
1. Voir Aristote, Traité de l'âme, I, 2,404 a 1 [DK 67 A 28] et Parva naturalia. De Ia respiration, 4, 471 b 30 [DK 68 A 106]. 2. Aristote, Traité de l'âme, I, 3,406 b 15 [DK 68 A 104].
Sumário
parait I'avoir effleurée dans le Timée. Mais Démocrite fonde son urgument à Ia fois sur les êtres animés et sur les êtres inanimés. gt en effet, dit-il, les animaux forment troupeau avec des aniIl1!lUX d'espéce identique, comme les colombes avec les colombcs, les grues avec les grues etainsi pour tous les autres animaux privés de raison. Et il en va de même pour les inanimés, comme O!1 peut le voir avec les graines que l'on passe au crible ou avec I 's galets le long des plages. Cal', dans un cas, sous 1'effet du Iourbillon provoqué par le crible, les lentilles sont rangées sépaiément avec les lentilles, les grains d'orge avec les grains d'orge, 01 les grains de blé avec les grains de blé ; et dans I'autre cas, sous l'cffet du mouvement des vagues, les galets oblongs sont poussés /lU rnême endroit que les oblongs, les ronds au même endroit que I 'S ronds, comme si Ia similarité qui se trouve dans les choses iontenait un facteur de rassemblement'.
La thése du rapprochement naturel.des semblables n'cst pas propre à Démocrite, comme le signale Sextus, qui l'attribue ailleurs à Empédocle ou à Philolaos. Ce [ui est toutefois remarquable, c'est qu'elle trouve confirmation dans l'expérience sensible commune et sans réféI' nce directe au mouvement des atomes. Nous pourrions ibjecter que si les grues se rassemblent, c'est parce qu'elles sont constituées d'atomes identiques et qu'en ce 'ns leurs mouvements ne leu r sont pas propres, mais ont encore Ia conséquence des mouvements atorniques. 'l'outefois, Ia suite du texte annule cet argument: le 11\ uvement du crible trie les graines en vertu de leurs lormes de graines et non du fait de leur composition I( mique. 11en va a fortiori de même pour les galets, qui ont constitués d'atomes identiques et ne varient que par I 111' forme, Le principe du rapprochement des semblaj hl s opere donc à deux niveaux distincts, celui des atolIIéS et celui des composés, et il justifie que Ia méthode [ Ii logique reconnaisse le statut de causes à des propriéI 'N qui ne se réalisent qu'à ce second niveau, I. Sextus Empiricus, Contre les savants, VII, 116-118 [DK 68 B 164].
Sumário
36
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
37
Sumário
Sumário
II
La conception démocritéenne de l'hérédité en donne une autre illustration. Pour Démocrite comme pour les auteurs du Corpus hippocratique, Ia semence, mâle et femelle, provient de l'ensemble des parties du corps. La prédominance (epikrateia) des semences mâles sur les semences femelles ou inversement explique à Ia fois Ia déterrnination du sexe et les ressemblances morphologiques avec les parents'. Toutefois, l'embryon est encore « modelé » dans l'utérus aux traits de sa mêre'. L'hérédité matemelle ne résulte donc pas seulement de Ia semence qui provient de Ia mêre et qui concurrence Ia semence patemelle, elle s'explique aussi par un phénomêne d'empreinte ou de moulage qui ne dépend qu'indirectement de Ia constitution atomique des corps concernés. Il y a bien dans ce cas une relation de causalité, propre au niveau des composés, qui peut être expliquée sans remonter aux atomes eux-mêmes. Ainsi, Ia physique démocritéenne consiste toujours à identifier Ia présence de Ia nécessité. Toutefois, elle ne se limite pas à une physique des premiers principes. S'il est vrai qu'elle est intégralement réductionniste, dans Ia mesure ou seuls existent véritablement les atomes et le vide, Ies composés n'étant que des agrégats plus ou moins précaires et les espéces n'ayant pas en tant que telles de réalité, elle cherche aussi à identifier des structures remarquables et relativement constantes. Ces structures produisent un certain nombre d'effets et valent en ce sens comme des causes secondes par rapport à Ia causalité premiêre et antécédente des différences atomiques. Elles ne constituent pas des réalités nouvelles, mais des conditions particuliêres de variation du mouvement atomique. La conception démocritéenne de Ia causalité manifeste en fait une complexité que ses
adversaires et ses héritiers ne reconnaitront pas et ils n'en témoigneront qu'à Ieur COrpS défendant. Aristote, notamment, reproche à Démocrite de s'en tenir à Ia seule causalité matérielle ou élémentaire, alors que Ia recherche démocritéenne des causes vise au-delà de imples relations d'inhérence, des re1ations d'antéc.édence : e.lle ne se contente pas d'invoquer Ia composiüon atomique de tel ou tel composé, elle cherche à ident~er .Ies séries causales qui, par leur convergence, en définissent les propriétés', Les épicuriens, nous 1 al~ons le voir, simplifient à leur tour Ia physique abdéri-Í tal?-e en s'attaquant à son príncipe même, Ia toute-) puissance de Ia nécessité.
épicure, Lucrêce : Ia nécessité, une explication insuffisante Reprise et réforme de Ia théorie de l'atome. - Tout en rcprenant ~ son compte I'essentieI de Ia physique démocritéenne, Epicure entreprend de Ia réformer sur un certain nombre de points. Il le fait notamment en dénoncant I'insuffisance de I'explication de toutes choses par lu nécessité, dont il s'agit alors de limiter Ie pouvoir-. Épicure limite d'abord l'infini atomique qui, nous I'avo~s vu.)oue un rôIe fondamental dans Ia physique de Democnte. Le nombre des atomes est toujours infini mais ceIui de Ieurs formes ne l'est plus absoIument· .elui-ci est simpIement inconcevable, sans quoi nous devri?ns aussi admettre un nombre infini de grandeurs 111 rmques (Hrdt., 42-43 et 55-56). 11y a bien une infinité d'atomes, parce qu'il y a, à chaque fois, une infinité .1. Sur Ia conception démocritéenne de Ia causalité et sa réception 11l111que, je renvoie à P.-M. Morei [1996]. 2. Voir, en ce sens, Maria Luisa Silvestre, Democrito e Epicuro : il II'/lSO di una polemica, Naples, 1985.
I. Voir les témoignages réunis par Diels-Kranz sous le n" 68 A 143. 2. Aristote, Génération des animaux, Il, 4, 740 a 33 [DK 68 A 144].
11
Sumário
Sumário
rr
38
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
39
Sumário
Sumário
I'
i
d'atomes de même forme (Hrdt., 42; DRN, lI, 524-525), mais nous ne pouvons admettre une infinité absolue des formes atomiques sans tomber dans I'absurde supposition d'atomes grands comme des mondes. Nous avons vu que Démocrite pouvait échapper à cette critique, par le biais implicite de Ia solution qui sera explicitement celle d'Épicure. Ce dernier se fonde toutefois sur un argument qui ne pouvait être celui de Démocrite: s'il n'y a pas une infinité de grandeurs atomiques, ce n'est pas seulement parce que I'atome est par principe imperceptible, c'est, plus positivement, parce qu'on ne constate rien de tel (Hrdt., 56). Le témoignage des sens, à l'égard duquel, nous le verrons, Démocrite adopte une attitude três critique, atteste lui-même que le nombre des formes atomiques est limité. Plus encore, ajoute Lucrêce (lI, 496-521), si tel n'était pas le cas, il n'y aurait rien de perceptible parce qu'il n'y aurait rien de distinct. S'il y avait une infinité de formes atomiques, les impressions sensibles, qui en dépendent, varieraient elles-mêmes à l'infini. Elles seraient ainsi totalement confuses, faute de limite. Aprês avoir évoqué les cinq sens et les différences qu'ils font percevoir, Lucrêce conclut :
ti rgument
décisif contre Ia canonique épicurienne, qui place Ia sensation au premier rang des critêres de vérité (DL, X, 31-32). De même, sur le plan éthique, les plaixirs vains se caractérisent par leur illimitation, alors que lês plaisirs appropriés à notre nature, en tant qu'ils peuvcnt faire I'objet d'un calcul des avantages et des désavantages, correspondent à un arrêt, donc à une limite dans Ia recherche de satisfaction des désirs (Mén., 128129). Ainsi Ia prerniêre figure de Ia nécessité démocriI cnne, Ia combina to ire atomique fondée sur le principe d'isonomie, perd sa radicalité au profit d'un principe de sélection ou de limitation. Cett~ rectification affecte également Ia cosmogonie. Sclon Epicure (Pyth., 90), en effet, il ne suffit pas d'un rassemblement d'atomes quelconques et d'un tourbillon dans le vide pour que, « sous l'effet de Ia nécessité », un monde soit engendré. C'est là l'explication « d'un de ceux qu'on appelIe physiciens », précise Épicure, comme pour 11 ieux signaler l'attaque anti-démocritéenne. Pour qu'un íourbillon soit proprement cosmogonique, il faut des atomos ou des semences (spermata) appropriés (Pyth., 89). L'évocation de Ia seule nécessité est donc insuffisante et 111 thêse de I'indifférence des formes atomiques est rejetée. L'atome lui-même est conçu différemment. Épicure doit en effet, pour sauver l'assise de Ia physique atomi te, faire face aux critiques qu'Aristote avait adressées \ Démocrite. Leucippe et Démocrite estimaient que Ia pctitesse et Ia solidité de I'atome suffisaient à expliquer ou indivisibilité. Il est .arrivé que, sur Ia foi d'un texte pcu précis de Simplicius', I'on prête des parties à I'atome d mocritéen. L'ensemble des témoignages dont nous dis-
Puisqu'il n'en est rien, et qu'une limite précise / maintient de part et d'autre Ia somme des choses, / il faut reconnaitre que les formes de Ia matiêre / ne doivent pas non plus varier à l'infini (lI, 512-514).
Il ne s'agit donc pas seulement de parer à une objection, que d'ailleurs les épicuriens formulent eux-mêmes, mais encore de révéler positivement I'importance de l'idée de limite, ce dont nous n'avons pas trace chez Démocrite. L'argument lucrétien de Ia distinction des impressions sensibles montre d'ailIeurs que Ia notion de limite est également déterminante sur le plan de Ia théorie de Ia connaissance: Ia confusion hypothétique des impressions sensibles donnerait au sceptique un
I. « ",au il a des parties et une grandeur, alors qu'il est impassible à cause li NU dureté et de sa densité, comme c'est le cas de chacun des atomes de I) mocrite », Commentaire sur Ia Physique d'Aristote, 82 , 1-3, (lIIN il
.
"
I
Sumário
.1
Sumário
40
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
41
Sumário
Sumário
I·;
I1
posons s'y oppose toutefois et nous avons tout lieu de eonsidérer que Démoerite eoncevait I'atome eomme une unité indivisible, non seulement physiquement, mais aussi théoriquement ou géométriquement : ehaque atome est une idea, e'est-à-dire, non pas une idée au sens platonieien du terme, mais une forme et une entité dont Ia détermination géométrique (sphére, eube, eône, ete.) est ultime et indivisible. Nous devons done nous efforeer de eoneevoir l'indivisibilité de l'atome démoeritéen non seulement eomme une résistanee absolue à Ia fragmentation matérielle, mais encore comme un attribut essentiel de toute structure géométrique ultime. Pour y parvenir, nous devons admettre deux choses : a) I'atome est à Ia fois forme et matiêre ; b) I'univers atomique n'est pas meublé de points matériels indistinets mais de polyêdres de toutes formes. Aux yeux d' Aristote, toutefois, et en vertu de l'argumentation du livre VI de Ia Physique sur Ia continuité du mouvement, l'atome ne peut échapper à Ia divisibilité mathématique, même si I'on postule, comme le font les atomistes, son indivisibilité physique : si I'atome se meut et franchit ainsi une limite spatiale, c'est que I'on peut distinguer en lui Ia partie qui a déjà franchi Ia limite et celle qui ne l'a pas encore franehie (VI, 10). Épieure, devant prendre en compte cette critiquei, admet deux choses : a) le vide n'est pas seulement un intervalle entre des atomes, mais aussi un espace ou ils se meuvent (Hrdt., 40; DRN, I, 444); b) I'atome a des parties. Il faut concevoir, par analogie avec le minimum sensible, que l'atome a en lui-même des unités de mesure, des parties premiêres, inséparables et de ce fait ineapables de I. Simplicius témoigne de ce procédé de réponse dans son Commentaire sur Ia Physique d'Aristote, 925. 10 [DK 67 A 13]. Sur Ia prise en compte par Epicure des critiques adressées à !'atomisme par Aristote, on se reportera à I'ouvrage de David Furley, Two Studies in the Greek Atomists, Princeton, 1967.
Sumário
produire par elles-mêmes mouvements et agrégations (Hrdt., 59; DRN, I, 599-634). On ne peut toutefois invoquer le mouvement pour les estimer divisibles. D'une 1 art, eIles ne se meuvent pas par elles-mêmes, mais en tant que parties, diseernables par Ia seule raison, de l'atome en mouvement. D'autre part, les textes d'Épi.ure nous eonduisent à penser que le minimum dans l'atome est de même grandeur que le minimum spatial. Ainsi, lors du mouvement de l'atome dans I'espace vide, ihacune de ses parties passe d'un lieu à I'autre tout ntiêre en un instant, ce qui est tout à fait coneevable Ians une physique pour laquelle le temps est constitué I'unités indivisibles (Hrdt., 62; DRN, IV, 164, 193, 7947 6). En fondant Ia' eommensurabilité de Ia grandeur . rporelle, de l'espaee et du temps sur Ia théorie des mínima, Épieure estime done pouvoir se soustraire au reproche d'absurdité qu' Aristote adresse à Ia these dómocritéenne du mouvement des indivisibles. La Lettre à Hérodote d'Épieure apporte enfin des pré·i ions signifieatives sur Ia question du mouvement atornique. Comme Démocrite, Épicure se soustrait à I'aporie de l'explication premiêre du mouvement, celui-ci tant éternel et done sans commencement (Hrdt., 44). II précise toutefois, ee que ne font pas les témoignages de I1 physique abdéritaine, que les atomes se meuvent à vitesse égale dans le vide, quel que soit leur poids (Hrdt., 61-62), mais aussi que le poids propre de I'atome est iause de son mouvement vers le bas, les chocs en modillant Ia trajectoire (Hrdt., 61 ; DRN, 11, 84). Les témoinages sont plus explicites eneore sur Ia distanee qui épare sur ee point Epieure de Démocrite. Ainsi, selon Cicéron, le premier impute le mouvement au poids 1 r pre de l'atome alors que le second le ferait dépendre de' seuls chocs'. I. Du destin, XX, 46 [DK 68 A 47].
Sumário
"
42
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
I
Sumário Déviation atomique et nécessité. - Cependant, l'innovation principale de l'épicurisme en ce qui concerne le mouvement des atomes vient de Ia théorie de Ia déviation ou déclinaison des atomes iclinamen en latin; parenklisis en grec). La formulation de ce príncipe n'a pas pour seule fonction de répondre aux difficultés relatives à l'explication du mouvement atomique. Elle doit aussi fonder Ia possibilité de l'acte libre. II est donc assez difficile de distinguer les deux aspects, physique et éthique, de cette théorie et nous aurons à revenir plus loin sur le second. Toutefois, son exposition, au Chant 11 de Lucréce, s'insêre dans un développement sur Ia physique. De plus, il se justifie en grande partie par le souci d'échapper, non seulement au destin des Stoiciens, mais aussi au nécessitarisme démocritéen, ou tout au moins au type de nécessitarisme que les épicuriens attribuent à Démocrite. La premiêre difficulté que pose l'interprétation du clinamen est celle de sa paternité. Alors que nous n'en trouvons pas Ia mention dans les écrits conservés d'Épicure, plusieurs témoins antiques Ia lui attribuent cependant. Ils le font en outre par opposition à Ia physique de Démocrite et à Ia toute-puissance de Ia nécessité. Quelles que soient les hypothêses concernant l'origine de Ia théorie (Épicure lui-même dans des textes perdus ? dans Ies Iacunes des textes conservés ? Ies suecesseurs d'Épicure ?), elle est de toute façon, quant à I'esprit, dans Ia continuité des arguments du Maitre du Jardin. Deux textes méritent tout particuliêrement d'être cités, Ie premier de Cicéron, Ie second de Diogêne d'
Sumário
/
43
,
Sumário dit que I'atome, lorsqu'il est entrainé par le poids et Ia pesanteur en ligne droite vers le bas, dévie un tout petit peu '. Si quelqu'un en effet use du raisonnement de Démocrite, en disant que les atomes n'ont aucun mouvement libre à cause de leur collision réciproque, et qu'en conséquence toutes les choses paraissent mues par Ia nécessité, nous dirons à son encontre : ne sais-tu pas, qui que tu sois, qu'il y a aussi dans les [I tomes un certain mouvement libre, que Démocrite n'a pas découvert, mais qu'Épicure a mis en lumiêre, qu'il y a un mouvement de déviation, comme i1 le montre à partir des phénoménes ? Et le plus important : si l'on croit au destin, on supprime t ut avertissement et tout reproche, et de même les méchants '.
Ces témoignages prennent tout Ieur sens à Ia lumiêre de I'exposé que constitue Ia section délimitée par Ies vcrs 216-293 du Chant II du De rerum natura. Du strict point de vue physique, Ie c/inamen permet d'expliquer que Ie mouvement des atomes ne soit pas réduit à leurs ihutes rectilignes et paralléles qui, s'effectuant dans le vide sans différence de vitesse, ne sauraient provoquer de rencontres: « Sans cette déclinaison, tous, comme outtes de pIuie, / tomberaient de haut en bas dans le vide infini » (11, 221-222). II apparaít dans l'ensembIe de .cs textes comme un facteur supplémentaire du mouvemcnt, facteur qui s'ajoute au poids propre de l'atome mais aussi à Ia seuIe invocation des chocs (voir Ia « colliNi n réciproque » des atomes dans Ie texte de Diogêne d'
Sumário
44
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
45
Sumário
Sumário
I'
par rapport à sa trajectoire initiale. Cet écart est, à vrai dire, tout aussi originel que Ia chute en ligne droite, si bien que le clinamen est une universelle condition, chaque fois renouvelée, des rencontres atomiques. C'est à Ia fois une propriété constante de Ia matiére et une rupture capable de modifier, non seulement Ia trajectoire rectiligne de Ia chute des atomes, mais aussi l'enchainement causal des chocs et des rebonds atomiques. Or, nous l'avons vu, cet enchainement est un des aspects essentiels de Ia nécessité telle que Démocrite Ia définit. De plus, puisqu'il y a rupture dans Ia concaténation des mouvements, le lieu et le moment du processus sont indéterminés (DRN, lI, 218-219 ; 293), ou du moins relativement indépendants des états antérieurs du systême dans lequel se produit cette rupture. Cela ne signifie pas, pour autant, que Ia déviation résulte d'une force extérieure, par une sorte de dérogation au principe fondamental de l'immanence des causes ou qu'elle soit sans cause, comme le voudrait Ia critique de Cicéron'. Le fait de Ia déviation est aussi originel que le mouvement des atomes; il est donc éternel et ne saurait résulter d'une provocation premiére. Dévier est une propriété de l'atome et cette immanence causale fonde le pouvoir de notre volonté : Il faut donc reconnaitre que les atomes aussi, /outre les chocs et le poids, possedent en eux-mêmes / une cause motrice d'oú nous vient ce pouvoir / puisque rien, nous le voyons, de rien ne procede (DRN, n, 284-287).
La déviation atomique, comme Ia décision Iibre, est à elle-même sa propre cause. Ainsi, Ia liberté réside dans une force d'autodétermination et de résistance à deux formes de nécessités: à Ia nécessité externe de Ia contrainte physique, comme «Iorsque nous avançons, pousI. Du destin, X, 22; Des fins ... , I,
VI,
19.
Sumário
sés / par une force étrangêre, puissante et contraignante » (lI, 272-273), et à Ia nécessité interne, Iorsque I'esprit (mens) est réduit à Ia pure passivité (lI, 289291). Démocrite n'est sans doute pas ici le seul adversaire de Lucrêce, mais iI est três probablement visé au travers de Ia premiêre opposition. Nous notons à cette occasion que Lucrêce ne nie pas le fait de Ia nécessité, mais seuIement l'idée qu'elle soit une cause absolument déterminante. Cette doctrine assez déroutante peut assurément passer pour un artifice théorique, principalement commandé par lc besoin de s'opposer à Ia nécessité démocritéenne et à une représentation simplifiée de Ia conception stoícienne lu destin'. Elle répond également au souci de donner une justification physique à Ia liberté. Toutefois, sans nier les lifficultés d'interprétation qui se présentent à ce sujet, 1\ us devons reconnaitre que Lucrêce prend pleinement n compte Ia signification cosmologique de Ia déviation : il faut admettre, pour expliquer l'ordonnancement des ,11 ndes, un principe d'indétermination. Sans Ia déviali n, précise Lucréce, «Ia nature n'aurait jamais rien créé » (11, 224). Alors que Démocrite maintient Ia nécesitó au premier rang de I'explication physique, Lucrêce itue Ia contingence au principe même de l'organisation dos choses. Le clinamen est une limitation radicale du pouvoir de Ia nécessité. La nécessité au service de Ia nature. - Les épicuriens donc le terme d' anankê, dans Ia description H processus atomiques, à Ia nécessité au sens strict,
I 'Hcrvent
li
I. La distinction établie par Chrysippe entre les causes parfaites et prlncipales d'une part et les causes auxiliaires et prochaines d'autre part (I",mct en effet de concilier le déterrninisme du destin et Ia liberté d'll . .ornplir ce qui est en notre pouvoir. Chrysippe, explique Cicéron, " tublit une distinction entre les causes, pour éviter Ia nécessité tout en "IJlMc,'vant le destin » (Du destin, XVIll, 41).
Sumário
46
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
47
Sumário
Sumário c'est-à-dire à Ia forme Ia pIus déterminée et Ia plus contraignante de nécessité dans l'univers démocritéen. Ce déplacement conceptuel ne doit pas masquer Ia proximité des vues : Démocrite admettait déjà le caractére aléatoire des mouvements précosmiques et Ia présence, résiduelle et marginal e, d'un hasard objectif dans le cours des événements du monde. Toutefois, il inc1uait encore le hasard dans Ia notion de nécessité et ne songeait manifestement pas à attribuer à l'indétermination, en tant que telle, Ia fonction cosmogonique que Lucrêce lui assigne. Ainsi, l'aléatoire est chez Lucrêce universel et premier. Le vocabulaire utilisé dans Ie De rerum natura pour caractériser le mouvement premier des atomes le montre bien : à plusieurs reprises, dans le Chant II (voir les vers 83, 105, 109), revient l'expression per inane vagantur, « ils errent dans le vide », le verbe vagor suggérant l'inconstance et le flottement. Les atomes et les mouvements de Ia matiêre sont d'ailleurs à Ia fois aveugles et obscurs, conformément au double sens de caecus, sans cesse repris pour les qualifier. L'image, déjà démocritéenne, du mouvement des grains de poussiére dans un rayon du .soleil joue du c1air-obscur pour exprimer cette idée : Il est encore une raison de mieux observer / les corps se bousculant parmi les rayons du soleil : / de telles turbulences signifient qu'au-dessous / Ia matiêre est agitée de mouvements obscurs. /Oui, tu verras souvent ces corps changer de route / et retourner en arriêre sous d'aveugles chocs, / tantôt ici, tantôt là, partout et en tous senso / Cette errance est due aux príncipes des choses (II, 125-132).
Nous pouvons donc, à partir de ce que I'observation sensible révêle dans sa c1arté, concevoir le désordre ténébreux de l'imperceptible mouvement des atomes. Nous retrouvons cependant cette difficuIté c1assique': si Ia I. Objectée par Cicéron à Épicure lui-même, Des fins .., I,
VI,
20.
Sumário
c ntingence est premiêre, comment expliquer que l'ordre (les mondes et leur organisation, Ia relative constance des phénomênes) vienne du désordre? La premiêre réponse à cette question doit être cherchée dans Ia thématique de Ia limite, dont nous avons vu qu'elle jouait un rôle transversal et fondamental dans Ia philosophie épicurienne. Les possibilités ne s nt pas absolument infinies, qu'il s'agisse de Ia grandcur des atomes, de Ia formation des agrégats ou de Ia e nstitution des mondes, rnême si elles échappent par lcur quantité à notre conception. Chez Lucrêce, Ia nature limite d'elle-même les possibles en définissant des « pactes », les foedera naturae', qui instaurent dans notre monde Ia constance des phénomênes et Ia stabilité des ispéces. Or cette limitation des combinaisons par l'ordre institué, loin de remettre en cause Ia physique des atomes, Ia suppose au contraire : Conc1uons: puisque les êtres ont, selon leur espêce, / une limite donnée de croissance et de vie, / puisque Ia capacité de ihacun d'eux est fixée / inviolablernent par les pactes de Ia nature / et que, loin de changer, tout demeure constant, / jusqu'aux divers oiseaux qui successivement / présentent sur leur -orps les marques de l'espéce, / il leur faut donc aussi un corps li ' matiêre immuable (I, 584-592).
Le devenir organisé que régissent les pactes de Ia uature est préservé de I'épuisement par l'infinité des atoIIlOS et par leur caractêre inaltérable : nous devons supposer une infinie réserve d'atomes, pour que les pertes li '~corps et des mondes soient compensées (I, 1051) et il I. En faisant usage du terme foedus, alliance, pacte ou contrat, iréce veut sans dou te suggérer que le lien naturel qui unit les phéno111 nos n'est pas une relation absolument nécessaire, mais un mo de de llnlson qui comprend Ia contingence, Sur ce concept central de Ia cosmologie lucrétienne, on se reportera à I'article de Gabriel Droz- Vincent, " t.cs foedera naturae chez Lucréce », dans Carlos Lévy (éd.), Le III/ICCpl de nature à Rome. La physique, Paris, 1996, p. 191-211. 1.11
Sumário
48
/
Atome et nécessité
Philosophie naturel/e et nécessité
/
49
I
Sumário
li
Sumário
I
faut, pour que les phénomênes réguliers' se reproduisent, que Ia dureté de l'atome assure Ia pérennité de ce qui les fonde. Ainsi, Ia régularité des foedera naturae repose sur le fait que le mouvement des atomes est, dans sa diversité même, immuable (lI, 297-302). A l'inverse, il est conforme à ces mêmes pactes de Ia nature que les corps se désagrêgent et demeurent soumis à un flux permanent (V, 310), l'ordre des choses n'étant jamais, comme l'existence même de notre monde, qu'une situation provisoire et précaire. La constance des phénomênes ne peut qu'être relative et elle est toujours sous-tendue par le mouvement incessant des atomes. Il y a cependant de Ia nécessité, non seulement dans Ia régularité des effets, mais aussi dans l'universalité de leurs principes :
effet dite « créatrice » (natura creatrix, voir I, 629 ou lI, 1117) ou « souveraine » (natura gubernans, voir V, 77) et elle « exige» (natura cogit). N'est-ce pas là, au-delà des licences qu'accorde le genre poétique, introduire une dimension téléologique, voire intentionnelle, dans l'ordre des choses ? Or Lucrêce rejette toute forme de providenlialisme. Les atomes ne tiennent pas conseil et n'exercent aucune sagacité pour se mouvoir (I, 1021-1022). Quant aux dieux, ils sont indifférents au cours du monde (lI, 1090-1104). La nature n'a, en fait, pas d'autre pouvoir « créatcur » que celui qu'exercent les atomes eux-mêmes. La métaphore de Ia eréation s'applique d'ailleurs également à ces demiers malgré leur aveuglement (I, 829). Si les atomes ne décident pas, ce n'est pas seulement qu'ils n'ont pas les propriétés mentales que supposerait l'acte de décision, c'est surtout qu'ils n'ont nul besoin de le faire. Leur infinité, l'infinité du vide ou ils se meuvent et Ia diversité de leurs mouvements leur permettent d'essayer toutes les combinaisons jusqu'à Ia production ti 'une structure stable (I, 1023-1030). Ce principe d'épuisement explique Ia totale spontanéité des agencerncnts et l'immanence radicale de leur fondement :
J'enseigne le pacte qui préside à toute création, / Ia nécessité (necessum) pour chacun de lui rester soumis, / nu! ne pouvant briser les strictes lois du temps (V, 56-58).
L'homme peut certes vouloir s'y soustraire, par immoralité, par superstition ou faute de pratiquer Ia philosophie naturelle. Il n'en demeure pas moins que les événements du monde, tout en dépendant de l'aléatoire mouvement des atomes, sont régis par l'ordre qu'instituent les pactes de Ia nature. Notre liberté ne saurait se conquérir au prix du désordre et l'ordre qu'impose Ia régularité des pactes ne l'aliêne nullement : s'accorder à leur nécessité, c'est en même temps s'accorder à notre nature. Prétendre s'en détoumer, c'est donc finalement croire que l'on peut s'affranchir du réel. Quelle signification faut-il donner cependant aux nombreuses expressions qui, chez Lucrêce, font de Ia nature le sujet organisateur du monde? La nature est en
Si tu possêdes bien ce savoir, Ia nature t'apparait / aussitôt libre et dépourvue de maítres tyranniques, / accomplissant tout d'clle-même sans nul secours divin (Il, 1090-1092).
L'idée de spontanéité ou d'immédiateté est d'ailleurs -xprimée de maniére particuliêrement redondante au vcrs 1092: Ia nature accomplit son ceuvre « elle-même, I 111' elle-même et spontanément » (ipsa sua per se sponte) .
Ainsi, le passage du désordre à l'ordre ne découle pas culement du principe de limitation que constituent les [uedera naturae. 11 s'explique également par Ia sponta1I ité de l'apparition des structures. La génération n'est
I. Sur Ia cohérence et Ia régularité des générations naturelles qu'organisent les foedera naturae, voir encore V, 924. Ce sont ces rnêmes pactes qui expliquent le pouvoir d'aimantation (VI, 906). I,
j Sumário
Sumário
"I
rr I
50
/
Atome et nécessité
Philosophie naturelle et nécessité
/
51
Sumário
Sumário pas autre chose en effet qu'un mouvement local et elle ne suppose aucune sorte de plano Dês lors qu'une combinaison viable se forme, il y a déjà génération et organisation. Les désignations des atomes dans le poême de Lucrêce le montrent bien : ce ne sont pas seulement Ia « matiêre » (materies ou materia), les « principes premiers des choses » (primordia rerum), les « corps premiers » (corpora prima) ou les « principes » (principia) ; ce sont aussi les « semences des choses » (semina rerum) ou leurs « principes géniteurs » (genitalia rerum). Lucrêce, explique Pierre Boyancé, « a négligé de traduire le mot relatif à Ia structure de l'atome isolé, le mot physique pour multiplier les expressions qui se réfêrent à I'atome engagé dans Ia genêse des choses »1. Lucrêce ne sépare d'ailleurs pas radicalement les atomes des composés, comme le faisait Démocrite. De même que, chez Épicure (Hrdt., 40-41), les corps (sômata) comprennent à Ia fois les composés (sunkriseis) et ceux dont les composés sont faits (ta d'ex hôn hai sunkriseis pepoiéntai), de mêrne I'ensemble des corpora se subdivise chez Lucrêce en primordia rerum et concilia (1, 483-484). L'apparition d'une catégorie englobant à Ia fois les atomes et les composés montre qu'il n'y a plus de rupture ontologique dans le passage à l'organisation et c'est ce qui explique pourquoi, dans Ia physique épicurienne, les composés n'ont plus seulement Ia pseudo-existence conventionnelle que leur attribuait Démocrite, mais une existence réelle. De même, les propriétés des composés (configuration, couleur, grandeur, poids, etc.), bien qu'elles n'existent pas par soi et que certaines d'entre elles soient non pas permanentes mais accidentelles, comptent néanmoins parmi les choses existantes, en tant qu'elles sont rapportées aux corps ou
affirmées des COrpS, qui ne sauraient exister sans propriétés (Hrdt., 68-73 - DRN, 1, 449 sq.). Comme David Sedley l'a montré en discemant dans cette doctrine l'esquisse d'une « théorie des propriétés émergentes »1, Épicure et Lucrêce entendent ainsi se démarquer du réductionnisrne démocritéen. Dire, enfin, que Ia nature est souveraine (natura gubemans}, ce n'est pas signifier qu'elle projette pour l'administration du monde quelque poli tique que ce soit. A Ia fois naturante et naturée, elle n'est pas, en effet, autre chose que ce qu'elle organise. Plus encore, parce qu'elle est à Ia fois localement ordonnée et originellement sans ordre, son gouvemement est aussi bien celui du hasard que celui de Ia nécessité qui en dérive-. Ainsi, Jacques Monod, qui plaçait en 1970 son ouvrage Le hasard et Ia nécessité sous l'autorité de Démocrite, aurait pu tout aussi bien invoquer Lucrêce, notamment lorsqu'il expose Ie schéma de l'évolution : « une fois inscrit dans Ia structure de l' ADN, l'accident singulier et comme tcl essentiellement imprévisible va être mécaniquement et fidélement répliqué et traduit, c'est-à-dire à Ia fois multiplié et transposé à des millions ou milliards d'exemplaires, Tiré du rêgne du pur hasard, il entre dans celui de Ia nécessité, des certitudes les plus implacables. Car rest à l'échelle macroscopique, celle de I'organisme, qu'opêre Ia sélection » (p. 155). I, Voir notamment « Epicurean Anti-Reductionism », dans J. Bar- M, Mignucci, Matter and Metaphysics, Naples, 1988, p. 297-327, 2. Voir, en ce sens, I'article d'Alain Gigandet, « Natura gubernans (I.ucrêce, V, 77) », dans C. Lévy, op. cit. p, 213-225, qui releve, non luin de I'expression natura gubernans, Ia notion de « fortune souveiuinc » (fortuna gubernans, V, 107) et l'interprête ainsi: « Avec le 1Ilt111des'abolissent les pactes mêmes sur lesquels celui-ci reposait, ce 11111 dénonce leur origine elle-même contingente: na/ura gubernans, for1111111 gubernans ensemble indiquent Ia tâche de penser Ia nécessité elle111me com me effet local du hasard, les lois comme agencement précaire ti 1/\ contingence » (p, 223), 11S
I. Lucrêce e/ l'épicurisme, Paris, 1963, p. li\.
(
I
Sumário
J
Sumário
52
I
Atome et nécessité
Sumário
Sumário
'\1
Parce que l'ordre procede du désordre, Ia régularité doit nous apparaitre comme étant de fait et non de droit, comme une nécessité postérieure, qui ne se justifie que parce qu'il en est ainsi et pas autrement. Le finalisme, dans Ia conception lucrétienne de l'organisation de Ia matiêre, est donc inutile. La situation peut se résumer de Ia maniêre suivante. Pour Démocrite, Ia nécessité est premiêre et suffisante, sans impliquer pour autant un déterminisme radical. Épicure, si nous nous abstenons de lui attribuer Ia théorie de Ia déviation qui, de fait, n'apparait pour nous que dans des textes postérieurs, réduit le pouvoir de Ia nécessité par un double moyen : il limite le nombre des formes atomiques et il introduit un principe de sélection pré-cosmique, Ia présence de « semences » appropriées pour expliquer Ia formation des tourbillons cosmogoniques. Lucréce reprend cette double limitation et il soumet explicitement Ia nécessité à une contingence premiére, celle qu'introduit le clinamen dans le mouvement originaire des atomes'. Loin d'être « principe de toutes choses », comme l'affirmait Démocrite Ia nécessité se met, avec Épicure et Lucréce, au service de Ia nature.
i
. 1. Si nous nous en tenons à l'état actuel des textes, rappelons-le, Epicure ue parle pas lui-mêrne de « déviation ».
Sumário
Nécessité
Démocrite:
et liberté
tranquillité de l'âme et nécessité
L 'éthique de Démocrite. - La philosophie des premiers atomistes est d'abord et fondamentalement une physique. Or cette physique offre au regard de l'homme un monde dépourvu de signes susceptibles de lui proposer des normes. Comment, dans ces conditions, concevoir qu'elle comprenne une éthique et qu'elle cherche, par conséquent, à donner sens et valeur aux actions humaines? Le catalogue de Thrasylle mentionne pourtant huit traités sous Ia rubrique Ethika (Livres d'éthique ), li est assez difficile, en fait, d'établir une stricte correspondance entre ces titres et les fragments et maximes qui nous ont été conservés. Ceux-ci sont d'ailleurs généralement restitués par des témoins éloignés (Cicéron, Philodême, Sénêque, Plutarque et surtout Stobée au v' siêcle). Aristote, pour sa part, ne mentionne jamais Démocrite dans ses traités éthiques. N otre principal citateur, Stobée, se réfere, non pas à Démocrite lui-même, mais à des anthologies composées vers le nr siêcle avant J.-c. Ses citations (DK 68 B 169-297) sont réduites à l'essentiel, probablement reformulées, lorsqu'elles n'ont pas été fabriquées de toutes piêces. C'est sans doute également le cas des « Maximes de Démocrate » (DK 68 B 35-115), cnsemble de sentences éditées au XVII' siêcle et d'authenticité parfois discutable, même si l'on admet que le nom de Démokratés ressemble fort à une déformation de Démocrite, en l'absence d'un meilleur candidat. Le fragment le plus long dont nous disposons (DK
Sumário
54
/
Nécessité et liberté
A/orne et nécessité
I
55
Sumário
Sumário 68 B 191) n'occupe que 23 lignes dans Ia pagination de Diels-Kranz'. L'éthique démocritéenne peut être cependant reconstruite à partir de trois grands thêmes : Ia tranquillité de l'âme (euthumié ), Ia responsabilité de l'âme vis-à-vis du corps, le respect de soi-même. La tranquillité ou joie de l'âme (DK 68 B 191) s'acquiert par une juste mesure des plaisirs. Mesurer lesojoies et les peines revient en effet à réaliser l'équilibre de l'âme elle-même. II faut donc fixer son esprit sur les possibles et se contenter de ce qui nous est accessible. Le spectac1e des intempérants nous sert d'exemple négatif, nous incitant à tenir nos propres biens pour suffisants et à poser un terme à Ia recherche de Ia satisfaction des désirs. Démocrite annonce ainsi le célebre prologue du Chant II de Lucrêce- en montrant le pouvoir dont nous disposons sur nos propres représentations. II ne s'agit donc pas de supprimer le plaisir mais d'en régler l'usage, dans l'idée que le plaisant et le désagréable servent de limite (horos) ou de signe pour distinguer l'avantageux du nuisible (DK 68 B 4 et 188). L'euthumie, dit encore Stobée, est pour Démocrite l'équivalent du bien-être (euestâ), de l'harmonie (harmonia), de l'équilibre (summetria) et de l'absence de trouble (ataraxia)', Elle est aussi absence de crainte (athambia
r.
I. Une certaine prudence s'impose donc lorsqu'il s'agit d'attribuer à Démocrite tel ou tel élément doctrinal tiré des fragments moraux, comme le montre notamment J. Salem [1996], p. 301 sq. Toutefois, leu r lexique, manifestement démocritéen dans Ia plupart des cas, constitue un argument de poids en faveur de I'authenticité g1obale. 2. « Douceur, lorsque les vents soulêvent Ia mer immense / d'observer du rivage le dur effort d'autrui, / non que le tourrnent soit jamais un doux plaisir / mais il nous plait de voir à quoi nous échappons » (v. 1-4). 3. Stobée, Choix de textes, VII, 2, 7 [DK 68 A 167]. 4. Cicéron, Des fins ... , V, XXIX, 87 [DK 68 A 169]; Clément d'Alexandrie, Stromates, II, 130 [DK 68 B 4].
Sumário
La perspective d'un tel bonheur suppose de fait l'autonomie, au moins relative, de l'âme, et en ce sens Ia responsabilité mo rale. Aussi le corps serait-il fondé à appeler l'âme en justice lorsqu'elle le laisse se dégrader par ses négligences et son intempérance'. On aurait tort de voir là une concession à une forme de dualisme. L'âme, nous l'avons vu, est corporelle et elle est tout à Ia fois principe de connaissance et príncipe de mouvement. Démocrite, en opposant l'âme au corps, songe bien plutôt à affirmer le pouvoir de nos facultés, psychophysiques, de perception et de jugement SUl" l'acquisition des vertus et des vices. S'il est vrai que les fragments moraux ne font pas explicitement de Ia philosophie ou de Ia connaissance de Ia nature Ia condition du bonheur, comme ce sera le cas chez Épicure (Hrdt., 78; Mén., 122), ils invitent néanmoins à l'exercice du jugement. Le raisonnement (logismos) ale pouvoir de chasser le charin lorsque l'âme ne semble plus en mesure de le maitriser (DK 68 B 290) et il est même capable d'améliorer l'état du corps (DK 68 B 187). Aussi l'éthique démocriI enne exige-t-elle que l'on puisse éprouver Ia honte de IIOS mauvaises actions et elle commande de faire en sorte. que l'on éprouve le respect de soi même (heauton aidesthai), La loi à laquelle nous devons nous soumettre doit III ce sens être instituée en notre âme (DK 68 B 264; H4; 244). Ajoutons enfin que Démocrite accompagne ces maxi111 'S de prescriptions plus particuliêres sur l'éducation, 111' les dangers de Ia superstition, sur Ia punition ou sur I" p Iitique, apparaissant à cette occasion comme un des rurcs philosophes de l'Antiquité à faire un éloge - certes mcsuré - de Ia démocratie (DK 68 B 247 à 256). Les 1(11 Iques éléments de politique démocritéenne dont nous I Plutarque, De (a passion et de (a ma/adie, frag. 2 [DK 68 B 159]; 1111 uussi Quelles passions sont les pires ... , 500 D [DK 68 B 149].
Sumário
56
/
Nécessité et liberté
Atome et nécessité
/
57
Sumário
Sumário disposons posent d'ailleurs le problême de Ia liberté en des termes assez subtils, eonfrontant Ia néeessaire indépendanee devant les lois, le grand nombre et les affaires publiques à l'exigenee d'une liberté soeiale et politique. Ainsi, « le sage ne doit pas se soumettre aux lois, mais vivre librement (eleutheriâs ) »1 et Démoerite présente Ia liberté de parole, Ia parrêsia, eomme « le propre de Ia liberté » (oikeion eleutheriês ), toute Ia diffieulté étant d'en estimer le moment opportun (DK 68 B 226). Inversement, l'éloge de Ia démoeratie semble se justifier par Ia perspeetive d'une réaIisation politique de Ia liberté : « La pauvreté en démoeratie est autant préférabIe à Ia soidisant prospérité ehez Ies despotes que Ia Iiberté (eleutherié ) I'est à I'esc1avage » (DK 68 B 251). Tous ces thêmes eoneourent à faire de l'éthique démoeritéenne une éthique de Ia responsabilité personnelle', Éthique et philosophie naturelle. - Le problême de I'intégration de eette éthique à l'ensembIe de Ia philosophie de Démocrite se pose néanrnoins. Un certain nombre de cornrnentateurs, estimant que Ia tonaIité généraIe des fragments moraux était incompatibIe avec une physique nécessitariste, ont opté pour Ie constat d'ineohérence. De quelle Iiberté pouvons nous jouir en effet dans un monde soumis à Ia néeessité et en queI sens l'âme peut-elle être responsabIe de l'état de l'agrégat corporeI? Les épicuriens vont du reste dénoneer eette aporie, cornrne nous Ie verrons pIus Ioin. II est cependant possibIe de relier I'éthique à Ia physique. La premiêre, en effet, dans sa formuIation eornrne dans ses intentions, complete Ia seconde sans Ia démentir. 1. Saint Épiphane, Contre les hérésies, m, 2, 9 [DK 68 A 166]. 2. Voir, en ce sens, l'étude de David Konstan « Democrito sulla responsabilità dell'agente », Questioni di etica e ~etafisica, Quaderni dell'Istituto di Filosofia, 6, Pérouse, 1988, p. 11-27.
Sumário
Partons tout d'abord du § 45 du résumé de Diogêne Laêrce, particuliérement révélateur des problêmes qui se posent à ee propos. Aprês avoir rapporté l'essentiel des thêses physiques, au § 44 du livre IX des Vies, Diogêne aborde en effet l'éthique : Toutes les choses se produisent selon Ia nécessité, le tourbilI n étant Ia cause de Ia génération de toutes choses et il nomme Ic tourbillon Nécessité. La fin est Ia tranquillité, qui n'est pas Ia mêrne chose que le plaisir, comme certains I'ont compris à conIresens, ce qui fait que l'âme vit dans Ia sérénité et I'équilibre, n'étant troublée par aucune crainte ni superstition, ni par quelque autre passion. li appelle également cet état bien-être, et lui donne encore de nombreux noms. Les qualités existent par .onvention, mais les atomes et le vide existent par nature. Telles étaient ses théses.
Ce qui surprend le plus, à vrai dire, dans ee passage, c'est d'abord le fait que Diogêne ne voit pas de diffieulté íans Ia confrontation de Ia nécessité physique et de Ia ti etrine morale. Cela tient sans doute au style doxographique qui est le sien et qui impose de réduire à l'cssentiel ce qui mériterait d'être plus précisément mis 'n questiono Diogêne juxtapose des thémes ou des têtes de ehapitres bien plus qu'il ne cherche à problématiser I '8 thêses qu'il résume. II n'en demeure pas moins qu'il I'flit ici coíncider le thême de Ia toute-puissance de Ia 1\ cessité avec l'idée que l'hornrne peut se proposer des 1111 , en l'occurrenee le bonheur que promet Yeuthumiê. l/H premiêre question qui se pose est done de savoir si Dómocrite, auquel on attribue un traité sur les fins (peri II'/OUS), peut concilier l'autonomie dans Ia prescription (I li fins et Ia surdétermination physique. 11convient d'abord de préciser le sens que Ia notion ti fin (telos) prend dans ce contexte. Ce terme ne I 11 ifie pas néeessairement, eornrne ce sera le cas chez ristote, Ia projection anticipée du résultat au sens ou I lui-ci est d'abord présent à l'état de puissanee, cornrne
Sumário
58
I
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
I
59
Sumário
Sumário I'adulte dans l'embryon ou Ia statue achevée dans l'art du sculpteur. Le telos, c'est aussi le résultat lui-même, I'accomplissement ou l'oeuvre que l'on accomplit, ou encare l'achêvement, Démocrite use manifestement du concept en ce sens, lorsqu'il déclare, dans le fragment 295 : Le vieillard a été jeune, alors qu'il n'est pas certain que le jeune homme atteigne Ia vieillesse. Le bien accompli (to teleion agathon ) est donc supérieur au bien à venir et incertain.
11 en va de même dans le fragment 269 : L'audace est le commencement de l'action, mais c'est Ia fortune qui est maitresse de son achêvement (tolma prêxios archê, tuchê de teleos kuriê),
Ce demier fragment est doublement remarquable. Il montre d'abord, en affirmant Ia possibilité de l'action ou de toute entreprise humaine intentionnelle, que le probléme initial demeure posé dans sa radicalité, indépendamment du sens que l'on donne à telos : Démocrite pose une nécessité universelle tout en élaborant une doetrine de l'action volontaire', Il signale également que Ia réflexion sur l'aboutissement de nos actes porte en même temps sur leurs conditions extérieures de réalisation: nous ne pouvons faire l'économie de l'aléatoire et garantir notre moralité par le postulat de notre parfaite autonomie. On perçoit à cette occasion les limites des rapprochements opérés par certains commentateurs entre le thême démocritéen du respect de soi-même et l'autonomie morale kantienne: il ne peut y avoir de loi 1. Plusieurs fragments vont explicitement dans ce sens, qu'ils traitent de I'action (prêxis ou praxis: B 55; 66; 81 ; 177) ou de I'acte (ergon: B 55; 145). Il ne s'agit pas nécessairement de I'action morale mais plus généralement de tout acte relevant d'une décision. Du reste: praxis désigne une affaire ou une transaction avant de signifier une action morale. Le problême de Ia possibilité d'une initiative humaine n'en demeure pas moins posé.
Sumário
morale immédiateet inconditionnelle dans un univers ou les fins sont irréductiblement conditionnées et dans le cadre d'une éthique qui ne distingue pas entre le projet moral et l'estimation de nos possibilités de réussite. li est à cet égard tout à fait significatif que Démocrite désigne ce qui chez lui tient lieu d'idéal moral, Ia tranquillité, en termes privatifs : l'absence de crainte (athambia) , l'absence de trouble (ataraxia) ou le nonétonnement [athaumastia)', Le texte de Diogêne Laêrce fait d'ailleurs usage de plusieurs expressions négatives : Yeuthumiê n'est pas le plaisir, elle se caractérise par l'absence de crainte, de superstition ou de toute autre passion. Enfin, le fragment 191 montre que Ia tranquillité résulte d'une mesure par défaut, entre les manques et les excês, et de Ia prise en compte, nous I'avons vu, du contre-exemple que nous offrent les intempérants. La nature elle-même ne nous propose aucun modele de conduite, aucun paradigme du bonheur, aucun sens susceptible d'orienter l'action humaine. Or nous ne pouvons nous abstraire de cette nature qui n'est autre en son fond que des atomes et du vide. Se donner des fins, dans I'univers démocritéen, ce n'est donc nullement prétendre faire I'économie de Ia nécessité. Le projet moral, devant .1'absence d'une immuable représentation de Ia fin, consiste essentiel1ement à savoir ce que Ia fm n'est pas. Pour Démocrite, Ia téléologie moral e est d'abord une téléologie négative. D'autre part, comme l'a montré Gregory Vlastos', Démocrite ne se contente pas de formuler des prescriptions morales: il entend justifier physiologiquement I'idéal de tranquil1ité et fonder ainsi son éthique normaI. Pour ce dernier terme, voir Strabon, Géographie, I, 61 [DK 68 A 168]. 2. «Ethics and Physics in Democritus» dans R.-E. Allen et D.-1. Furley, Studies in Presocratic Philosophy, vol. Il, Londres, 1975, p. 381-408 (version augmentée de l'article paru dans Philosophical Review, 1945).
Sumário
60
/
Nécessité et liberté
Arame et nécessité
/
61
Sumário
Sumário tive sur une étiologie des états de I'âme. Les premiêres lignes du fragment 191 en montrent le príncipe: Pour les hommes, en effet, Ia tranquillité (euthumié ) nait de Ia juste mesure (metriotés ) dans le plaisir et de l'équilibre (summetriê ) dans Ia vie; les manques et les excês aiment à varier (metapiptein) et produisent dans l'âme de grandes agitations. Or les âmes qui sont agitées selon de grands intervalles ne sont ni stables ni heureuses (...).
La thématique de Ia mesure n'est pas ici une simple métaphore. Il s'agit ni plus ni moins de Ia mesure physique qui définit l'état de l'âme ou son équilibre thermique. ar cet équilibre, lorsqu'il varie, fait également varier les facultés mêmes de l'âme, jusqu'à Ia déraison, comme le montre par exemple le témoignage de Théophraste : A propos de Ia conscience (to phronein), est allé jusqu'à dire qu'elle est engendrée lorsque l'âme se trouve équilibrée (summetrôs) selon le mélange; mais il dit que si celle-ci devient trop chaude ou trop froide, elle change. C'est pourquoi les anciens disent à juste titre que Ia conscience s'égare (allophronein). De sorte qu'il est c1air que c'est par le mélange du corps qu'il explique Ia conscience, ce qui est sans doute logique pour lui qui fait de l'âme un corps'.
Ce n'est assurément pas par hasard que nous rencontrons dans les deux textes Ia notion de mesure équilibrée, avec le substantif summetrié et l'adverbe summetrôs. Les variations évoquées dans le fragment 191 appartiennent au même registre psycho-physiologique, comme le montre Ia présence du verbe metapiptein dans le traité de Théophraste (§ 63) et dans un fragment cité par Sextus Empiricus, qui expose les conditions physiques de nos connaissances : Nous ne connaissons en réalité rien d'assuré, mais seulement ce qui change (metapipton) à Ia fois selon Ia disposition du corps et selon ce qui pénétre en lui et lui fait obstacle', I. Des sens, § 58 [DK 68 A 135]. 2. Con/re les savants, VII, 136 [DK 68 B 9).
Sumário
On ne peut donc définir Ia moralité indépendamment de ses conditions physiologiques de réalisation, et les variations qui résultent des plaisirs et des peines sont des variations de l'agrégat psycho-somatique lui-même. Démocrite peut donc jouer sur les deux sens de aitia (cause et responsabilité) dans le fragment 159 déjà évoqué : l'âme est responsable de Ia dégradation du corps, comme le mauvais utilisateur est responsable du mauvais état de l'outil, parce qu'elle en est en même temps Ia cause physique. Enfin, comme l'indique le témoignage de Diogêne Laêrce, Ia tranquillité est aussi le bien-être (euestô )', ar, ainsi que le montre G. Vlastos', ce qui «est », dans l'univers démocritéen, ce sont les atomes et le vide. Ainsi, Ia tranquillité est un bien-être au sens le plus fort, à Ia fois moral, physique et ontologique, et l'équilibre qui Ia caractérise correspond três probablement à une stabilisation du mouvement des atomes constitutifs du composé âme-corps. Du bon usage de Ia nécessité. - Toutefois, le fait que les fragments moraux fassent appel à une conceptualité physique et se fondent sur Ia théorie de l'atome pour justifier l'idéal, par ailleurs assez conventionnel, d'une vie équilibrée ne suffit pas à lever l'objection principal e à Ia thêse de Ia cohérence, l'objection du nécessitarisme. Démocrite peut emprunter à Ia physique sans pour autant justifier sa confiance en Ia possibilité même d'une éthique. Ce dernier obstacle peut en fait être levé aussi bien en aval, à partir des fragments moraux, qu'en amont, à partir de Ia définition physique de Ia nécessité. 1. Voir également Stobée, Choix de textes, VII, 2, 7 [DK 68 A 167] ; Clément d'Alexandrie, Stromates, n, 130 [DK 68 B 4]; Hésuchios, Lexique [DK 68 B 1401; Stobée, Florilége, IV, 2, 15 [DK 68 B 257]. Les catalogues anciens mentionnent un traité De Ia tranquillité 011 bien-être [peri euthumiés e euestô ) [DK 68 B 2 c]. 2. Op. cit., p. 384.
Sumário
62 / Atome et nécessité
Nécessité et liberté
/
63
Sumário
Sumário En premier lieu, les fragments moraux prennent en compte Ia nécessité pratique ou vitale, témoignant ainsi de Ia présence de Ia nécessité dans Ia sphêre de l'action humaine. Nous trouvons en effet des occurrences de l'idée de nécessité (anankê, mais aussi le verbe anankazein ou l'adjectif anankaios), comprise comme besoin, contrainte ou motif pratique impérieux, dans plusieurs textes. Nous le constatons, sous diverses modalités, dans les fragments 181, 191, 239, 253, 262, 278 ou encore dans le fragment 289 : « Il est déraisonnable de ne pas s'accorder aux nécessités de Ia vie. » Le fragment 285 nous invite, quant à lui, à ne nous soucier que des « choses nécessaires ». La catégorie du besoin correspond manifestement au même usage pratique du concept de nécessité, si I'on se réfêre au témoignage de Diodore de Sicile', qui voit dans Ia chreia le premier instructeur des hommes et le véritable moteur de Ia découverte du langage et de l'invention des techniques. De fait, il y a bien une contrainte de Ia volonté dans Ia nécessité (anankazetai) qui pousse les hommes cupides à acquérir toujours plus pour satisfaire leur appétit (epithumié ) (DK 68 B 191). Nous pourrions objecter que nous n'avons affaire ici qu'au sens faible de l'idée de nécessité, entendue comme simple contrainte extérieure, et non pas à un enchainement causal irréductible. De plus, Ia nécessité qui pousse le cupide à désirer toujours plus n'est que Ia conséquence, dans le fragment 191, de son incapacité à modérer ses désirs. Elle est donc seconde par rapport à sa responsabilité morale. Ainsi, Ia liberté humaine serait toujours hypothéquée par une nécessité d'un autre ordre, universelle et intangible. Les fragments que l'on vient d'évoquer insistent néanmoins sur I'acceptation de I. Bibliothêque historique I, 8, 7 [DK 68· B 5, I]. Voir ci-dessous, p. 66-67.
Sumário
Ia nécessité, suggérant qu'on ne saurait gagner Ia liberté morale dans I'illusion de l'illimitation des possibles. Plus encore, en rapportant Ia tranquillité au mouvement atomique, Démoerite montre positivement que Ia nécessité qui le régit est Ia condition même de notre bonheur. Si, d'autre part, l'on prend le problême en amont, à partir de Ia conception proprement physique de Ia nécessité, nous devons nous rappeler que Ia néeessité n'exclut pas totalement l'indétermination. C'est d'abord le cas, nous l'avons vu, dans le mouvement précosmique des atomes : le vide introduit une rupture entre les séries causales, si bien que des mondes distincts peuvent s'ordonner 'spontanément sans que leurs genéses respecLives soient interdépendantes, et rien ne détermine par avance le moment ou le lieu de Ia formation d'un tourbillon cosmogonique. 11 en va de même pour certains événements de notre monde, parfois sujet aux aléas de Ia [ortune. Ainsi dans l'embryon, rapporte Aétius', les parties sexuellement différenciées sont produites par Ia prédominanee (epikrateia) des semences mâles ou femelles, mais les parties communes aux deux sexes sont produitcs par les deux conjoints « au hasard » (tuché ). L'invocation de Ia fortune n'est done pas toujours, pour Démocrite,' un asile de l'ignorance: il y a bien une contingence résiduelle à l'intérieur même des mondes particuliers, ou régne pourtant Ia nécessité Ia plus coníraignante, et c'est ce résidu d'indétermination qui rend ontologiquement concevable l'initiative humaine. Le seul témoignage d' Aétius ne suffirait pas à l'établir si.nous n'en trouvions confirmation dans d'autres textes, rclatifs non seulement à Ia décision morale, mais aussi à Ia production technique. Plusieurs fragments évoquent lcs aléas de l'existence, contre lesquels nous devons nous prémunir par.I'exercice de Ia vertu: non seulement le 1.
v,
7, 6 [DK 68 A 143].
Sumário
64
/
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
Sumário fragment 269, mais aussi le 293, qui affirme que tout le m~nde est exposé à Ia fortune {tuchê}, ou encore le 275 qui évoque l'incertitude de l'entreprise éducative. ' ~'exemple de I'éducation est particuliêrement significatif, comme le montre le fragment 33 : La ~~ture et I'éducation sont à peu prês semblables. En effet, I éducation transforme (metarusmoi) l'homme et en transformant, produit une nature (phusiopoiei)', ,
. Da.n~ ce.tte phrase, l~s deux verbes, metarusmoi et phus~gnalent clairement l'horizon physique de Ia problema tique, et le second conduit à concevoir I'~du~ati?n comme une entreprise littéralement poiétique, c est-à-dire non seulement éthique mais aussi technique. Metarusmoi suggêre en effet I'idée une modification du rythme atomique, rhusmos désignant, nous I'avons vu une des trois· différences atomiques fondamentales. L'atome lui-même ne saurait toutefois connaitre de modifications et G. Vlastos, commentant ce fragment- y perçoit I'indication d'un changement dans Ia configuration g1obale, Ia proportion ou I'arrangement des atomes de I'â~,e. ~our Démocrite, le rhusmos n'est pas seulement I équivalent de Ia forme atomique, qui est inaltérable, mais aussi I'état et le mouvement des atomes dans une configuration donnée. C'est três vraisemblablement le cas d~.ns n~tre texte. Comment comprendre, cependant, qu il y ait une efficace hurnaine capable de rnodifier le rythme atomique malgré Ia destinée inéluctable que semble imposer Ia nécessité ? Notons d'abord que ce seul fragment ne contient a~c~ne di~ensio~ subjective explicite: il n'y a pas de décision pédagogique qui, comme telle, introduirait une SIOPOI~I,
. I. hê phusis kl!,i hé didaché paraplésion estio Kai gar hê didachê metarusmoi ton anthrôpan, metarusmousa de phusiopoiei, Clément d'Alexandrie, Stromates IV, 151 [DK 68 B 33]. 2. Op. cit., p. 390-391.
Sumário
/
65
Sumário rupture dans le cours des événements nécessaires, et il peut fort bien s'agir ici d'une observation de type anthropologique. Plus que Ia question de Ia possibilité de I'autonomie supposée de Ia volonté (celle en l'occurrence du pédagogue), c'est peut-être celle du fait social (l'éducation des enfants dans les sociétés humaines) qui se pose ici. Or, comme on va Ie voir, l'anthropologie démocritéenne confirme à sa maniêre l'hégémonie de Ia détermination nécessaire. I1 convient, en fait, pour donner sens à ce fragment, de libérer Ia nécessité démocritéenne de toute idée de prédétermination spécifique : il n'y a que des atomes et du vide, et les espêces n'ont pas par elles-mêmes de consistance ontoIogique. Démocrite sembIe estimer, il est vrai, que I'identification des caractéres spécifiques se fait spontanément, Iorsqu'il affirme que «I'homme est ce que nous connaissons tous »'. On lui prête d'autre part Ia représentation de I'homme comme microcosme', ce qui tend à suggérer que, selon lui, l'espêce humaine jouit dans le monde d'une situation singuliére. Toutefois, I'espêce « homme » n'est que Ia stabilisation d'une structure atomique qui se reproduit, et elle contient, du fait même de l'incessante mobilité des atomes qui Ia constituent, une instabiIité résiduelle. Le fragment 33 signifie précisément que l'éducation ne se régle SUl" aucun idéal naturel de l'humanité et que I'homme reste à faire. La reIative plasticité des structures Ie permet, parce qu'elle autorise Ia modification du rythme atomique. Dans un univers ou il n'y a, à proprement parler, que des singuliers (atomes ou agrégats), les caractêres communs ne sont que des effets d'inertie, reproduits de génération en génération. Exposés sans cesse à de nouvelles modifications, ils ne peuvent avoir Ia force contraignante d'un ensembIe de caractêres I. Sextus Empiricus, Contre les savants, VII, 265 [DK 68 B 165]. 2. Voir les témoignages réunis sous le n° 68 B 34 DK.
Sumário
66
/
Nécessité et liberté
Atome et nécessité
/
67
Sumário
Sumário spécifiques supposés immuables. Démocrite ne prép.are pas directement I'idée d'évolution des espéces, tout simplement parce qu'il n'admet pas d'espêces, mais sa physique permet de concevoir le double phénomêne de persistance et d'altération des caractéres communs. L'auteur du traité hippocratique Des airs, des eaux et des lieux, auteur manifestement proche du milieu démocritéen, en donne un autre exemple' : certains peuples ont pour coutume de façonner le crâne des enfants et d'en « nécessiter » (anan~ kazousin) ainsi I'allongement ; or cet usage (nomos) a fim par produire spontanément ses effets dans les générations suivantes, les enfants naissant alors macrocéphales. La déformation, originellement artificielle, est « devenue naturelle » (en phusei egeneto) de Ia même façon que, dans le fragment 33 de Démocrite, I'éducation «produit une nature » (phusiopoiei) et implicitement, en l'occurrence, celle de I'homme. Nous devons donc admettre que l'activité humaine jouit d'une autonomie limitée mais suffisante pour « produire » des déterminations naturelles et qu'elle est en ce sens partie prenante du devenir naturel. L'ordre du nomos ne s'oppose pas radicalement à celui de Ia phusis, non seulement parce que rien n'est extérieur à Ia nature, mais aussi parce que celle-ci laisse place, dans son propre cours, à l'intervention des lois et des usages humains. Cette continuité se retrouve dans Ia conception démocritéenne de Ia genêse des techniques, d'aprês le témoignage déjà cité de Diodore de Sicile'. Le récit .q~e rapporte ce demier commence, au § 7, par Ia description du premier état du monde, ou toutes choses sont d'abord I. Airs, eaux, lieux, XIV. 2. Bibliothéque historique, I, 8, 7 [DK 68 B 5, I]. Sur ce texte ,et sur les différents térnoignages antiques de l'anthropologie démocnteenne, on consultera l'ouvrage de Th. Cole, Democritus and lhe Sources of greek Anthropology, Cleveland, 1967.
Sumário
confondues. Puis les corps se séparent, Ia Terre et les astres adoptent leur position et leurs mouvements actuels. Les mers et les reliefs se forment. Puis, sous Ia do~ble action de I'humidité et de Ia chaleur, les espêces ammales sortent de Ia croüte terrestre avant de se perpétuer par I'intermédiaire de Ia reproduction sexuée. Le tableau des premiers âges de l'humanité, au § 8, ne rompt en rien ce récit: les premiers hommes mênent d'abord une vie sans ordre et sauvage, puis ils se rassemblent pour se protéger des bêtes, instruits par l'intérêt (hupo tou sumpherontos didaskomenous) et mus par Ia crainte. Ils sont ainsi conduits, spontanément, à se venir mutuellement en aide et à faire progressivement (kat'oligon ) usage de signes linguistiques pour se comprendre. Notons, à cette occasion, que nous trouvons là un nouvel exemple de l'étroite imbrication du hasard et de Ia nécessité : les hommes découvrent I'usage du langage sous Ia contrainte et les différentes langues constit uent au hasard (etuche) leur propre vocabuJaire. C'est toujours de maniére progressive (kat'oligon) et en tirant Ics enseignements de I'expérience (hupo tés peiras) que lcs hommes prirnitifs acquiêrent Ia pratique du stockage, songent à prendre leurs quartiers d'hiver, parviennent à maitriser le feu et à déveIopper les techniques. Diodore pcut ainsi conc1ure que le besoin (chreia) - dont nous /I vons vu qu'il correspondait à l'un des aspects de Ia nécessité - est l'instituteur (didaskalon) des hommes, et iI consacre de ce fait Ia contrainte naturelJe du recours à l'artifice. Non seulement Ia nécessité n'est pasl'ennemie de I'art t émocrite étant lui-même I'auteur de plusieurs traités sur , 's techniques, mais elJe en favorise mêrne les progrés. Ce u'c t pas dês lors en s'opposant à Ia nature mais en s'y rdaptant ou en I'imitant que I'homme peut déployer son nidustrie. Ainsi, le fragment 154 montre tout le profit que hommes ont su tirer de I'irnitation des animaux, celle
,·s
Sumário
68
/
Nécessité et liberté
Atome et nécessité
! 69
Sumário
Sumário de I'araignée pour le tissage, de I'hirondelle pour 1'architecture, du cygne et du rossignoI pour Ia musique'. Le cas de Ia musique sembIe d'ailleurs avoir intéressé tout particuliêrement notre auteur. Comme Ie montrent Ies derniêres corrections textuelles du fragment 1442, cité par I'épicurien Philodéme, Ia musique est encore affectée d'un caractêre de nécessité, bien qu'elle ne soit pas un art primitif au sens ou elle ne répond pas aux nécessités vitaIes, mais un art du Ioisir : Démocrite, de son côté, qui fut assurément, non seulement le meilleur spécialiste de Ia nature parmi les Anciens, mais aussi un chercheur qui ne le cede à personne en curiosité, dit que Ia musique est assez récente ; et Ia raison qu'il en donne est que son caractêre nécessaire (tanankaion), /oin de dater de cette époque reculée, n 'est apparu qu 'à Ia suite du loisir.
La musique, comme tout événement ou toute activité, dépend encore de Ia nécessité, alors même qu'elle n'a pas toujours existé. Elle est ainsi, par le fait du caractêre progressif des activités humaines et maIgré sa relative nouveauté, en continuité avec Ie cours des événements nécessaires. L'éthique n'est donc nullement incompatibIe avec Ia physique. Plus encore, loin de chercher à se fonder sur un autre sol, elle y puise ses principes pratiques et sa justification théorique. De ce point de vue, si nous voulons étabIir des parallêles avec Ia modemité, ce n'est pas vers Kant, mais bien plutôt vers Spinoza qu'il convient de se tourner. Chez Démocrite, 1'aidôs, le respect de soi-même, n'équivaut nullement au sentiment kantien du devoir, parce que Ia liberté qui le fonde ne se situe pas en I. Lucrêce reprendra cette thématique dans le Chant V du DRN, ou nous retrouvons Ia double attitude d'imitation de Ia nature et d'adaptation progressive. 2. Voir D. Delattre - P.-M. Morei, «Une lecture nouvelle du frag. B 144 D.-K. de Démocrite », Zeitschrift [ür Papyrologie und Epigraphik, Band 121, 1998, p. 21-24.
Sumário
dehors de Ia nature physique. En termes spinozistes, indépendamment des multiples nuances qu'impose un tel rapprochement, « nous sommes une partie de Ia Nature entiére, dont nous suivons l' ordre »1. La liberté ne peut donc s'acquérir, pour Démocrite comme pour Spinoza, que dans le cadre des lois de Ia nature, même s'il n'est pas question, pour I'Abdéritain, de faire coincider nécessité et nature divine. A Ia différence de Spinoza, Démocrite admet une contingence résiduelle objective et des variations régionales de degrés dans .Ia contrainte qu'exerce Ia nécessité-. C'est cette doubIe conception de Ia nécessité, à Ia fois dominatrice et aIéatoire,qui explique Ia possibilité de I'intervention humaine. La Iiberté que supposent l'éthique et Ia production .technique n'est donc pas Ia liberté absolue, exc1usive de toute forme de surdétermination, d'un moi qui prétendrait s'affranchir, au moins en droit, de I'hétéronomie. De même que Ie héros tragique est responsabIe parce qu'il intériorise les actes qu'il accompIit sous Ie joug du destin', de même le sage démocritéen est-il libre tout en agissant Ia fois par lui-même et par nécessité. D'une maniêre générale, nous sommes à Ia fois contraints par Ia nécessité et libres dans nos choix Iorsque nous Ies faisons en fonction de Ia nécessité. .ã
Épicure, Lucrêce : l'éthique contre Ia nécessité physique Les conditions de l'acte libre. - L'éthique d'Épicure n'a pas à l'égard de Démocrite Ia même dette que sa physique. Elle ne s'inspire pas directementde I'éthique abdéI. Spinoza, Éthique, IV, app. 32. 2. Dans ce sens et contre les interprétations qui prêtent à Démocrite un déterminisme strict, voir les arguments de D. Konstan, op. cit., p. 24-26. 3. Voir, en ce sens, l'Agamemnon d'Eschyle, aux vers 205-225, ou l'on voit qu'Agamemnon a lui-même souhaité le sacrifice d'Iphigénie (v. 216-217), tout en étant soumis à Ia nécessité du destin (v. 218).
Sumário
70
I
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
I
71
Sumário
Sumário ritaine mais Ia recoupe partiellement. Ainsi, pour Démocrite c~mme pour Épicure, Ia sagesse est une médecine de l'âme (68 B 31) ; c'est le propre de l'insensé que de rechercher les choses absentes au lieu de se satisfaire des présentes (68 B 202)' ; il faut faire preuve de modération dans le désir des biens extérieurs (68 B 284)2. Les deux éthiques visent l'une et l'autre à préserver l'âme du déséquilibre et du trouble et à mesurer les avantages et désavantages des plaisirs et des peines. Pour Épicure, cependant, tous les plaisirs ne sont pas également sujets à variation, comme c'est, semble-t-il, le cas pour Démocrite (68 B 191). Le plaisir stable ou catastématique', exclusif de toute do~leur et véritablement conforme à notre nature, est luimême Ia fin (Mén., 128-129; 131), alors que pour Démocrite c'est Yeuihumiê, distincte du plaisir, qui constitue Ia fino Aprês Épicure, Lucrêce et Philodéme reprennent à leur tour certains thémes démocritéens' et Diogéne d'(Enoanda fait l'éloge de l'euthumia en des termes qui rappellent nettement son promoteur abdéritain (voir notamment 68 B 3) : Rien ne procure autant Ia tranquillité (euthumia ) que le fait de ne pas s'affairer beaucoup, de ne pas entreprendre de choses déplaisantes et de ne pas exercer de contrainte qui excede nos propres forces. Car tout cela introduit des troubles dans Ia nature (frag. 113 Smith),
li serait donc excessif d'affirmer que l'éthique de Démocrite est une source constitutive de l'éthique épicurienne. Les affinités qui les rapprochent montrent cependant que les épicuriens ne rejettent pas l'éthique démoI. Comparer avec Épicure, SV 35. 2. Voir Épicure, Mén., 130-131. 3. Voir DL, X, 136; Cicéron, Des fins ... , 1, Xl, 37. 4. Comme celui de Ia tranquillité qui se confo~te au spectacle des malheureux chez Lucrêce, Philodéme est quant à lui Ia source des fragments démocritéens 1 a (sur Ia peur de Ia mort), 143 (sur Ia colêre), 153 (sur I'obséquiosité).
Sumário
critéenne elle-rnême, mais bien plutôt les conséquences morales de Ia physique abdéritaine. La critique est double : elle dénonce à Ia fois le danger éthique que représente Ia thêse nécessitariste et I'incohérence sur laquelle elle repose. Nous avons vu comment Ia physique épicurienne entendait rompre avec Ia physique abdéritaine : le nécessitarisme de type dérnocritéen fait de Ia perspective d'une action délibérée une pure illusion. Plus encore, croire que tout est déterminé par Ia nécessité revient à faire une erreur fondamentale sur les conditions du bonheur. Comme le fera aprês lui Diogêne d'(Enoanda, dans un texte déjà cité (frag. 54 Smith), Épicure assimile Ia représentation d'une telle nécessité à l'illusion d'un destin qui rendrait vains nos espoirs d'infléchir le cours des événements : Il vaudrait mieux suivre le mythe sur les dieux que de se íaire l'esclave du destin des physiciens: le premier en effet esquisse I'espoir de fléchir les dieux eu les honorant, mais le second ne contient qu'une inflexible nécessité (Mén., 134).
Le sage épicurien, quant à lui, sait que Ia nécessité n'est pas responsable et que Ia volonté, ou plus précisément ce qui « dépend de nous » (par'hêmas), est « sans rnaitre », et c'est ce qui explique Ia possibilité du blâme 'l de son contraire (Mén., 133). La physique démocriléenne nous interdit donc le bonheur en même temps qu'ellerend Ia moralité inconcevable, parce qu'elle nie, clon Epicure, que quoi que ce soit dépende de nous. Dês lors, soutenir Ia doctrine de Démocrite reviendrait à adopter une position incohérente. La Sentence va Licane 40 d'Épicure dénonce le premier aspect de cette 111 ohérence: elui qui dit que tout arrive en vertu de Ia nécessité n'a rien 1\ rcprocher à. celui qui dit que tout n'arrive pas en vertu de Ia II ecssité, car il dit que cela même arrive en vertu de Ia nécessité.
Sumário
72
/
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
/
73
Sumário
Sumário En d'autres termes, du point de vue du nécessitariste ·lui-même, Ia position contraire à Ia sienne est justifiée dans Ia mesure ou elle est nécessaire dans son existence même. Les fragments conservés du traité De Ia nature (Peri phuseôs ) dans lesquels Épicure pose les fondements de sa propre conception de l'acte libre reprennent cette thématique : En effet, un tel argument se retoume lui-même et ne peut jamais prouver que tout est de Ia nature de ce que l'on appelle « de Ia nécessité ». Mais il s'oppose, sur ce point même, à I'adversaire dans I'idée que porte lui-même Ia responsabilité de ses absurdités, Et même si, allant à I'infini, il dit qu'il agit lui-même ainsi par nécessité, invoquant sans cesse argument aprês argument, il ne prend pas en compte dans son raisonnement le fait qu'il s'impute à lui-même Ia responsabilité du raisonnement correct et à son adversaire celle du raisonnement incorrect, Mais à moins qu'il ne cesse de s'attribuer à lui-même les choses qu'il fait et qu'il les rattache à Ia nécessité, il ne sera même pas I.
Le nécessitariste, pour soutenir Ia vérité de sa propre thêse, doit supposer, contre celle-ci, non seulement que l'adversaire est responsable de sa propre position théorique, mais encore qu'il est lui-même l'auteur de ses propres assertions. Si ces conditions ne sont pas réunies, aucun débat contradictoire ne peut avoir lieu et Ia thêse ne peut être défendue. En arguant de l'impossibilité d'une réfutation de Ia thêse contraire, Épicure situe donc l'argument sur un plan dialectique. Cela n'est sans doute pas sans rapport avec les diverses polémiques dans lesquelles il s'est engagé avec ses contemporains, notamment les Mégariques. Diogéne Laêrce fait d'ailleurs état d'un traité d'Épicure Contre les Mégariques (DL, X, 27). Les représentants de l'école de Mégare, et en particulier Diodore 1. De Ia nature, 34.28 Sedley (1987] 20 C.
. _--
Arrighetti
(Epicuro. Opere, 1973) ; Long &
Cronos, à peu prês contemporain d'Aristote, soutiennent que seuls sont possibles les événements réels. En effet, si nous tenons pour également possibles deux prédictions sur un événement futur, nous devrons admettre cette absurdité que Ia prédiction qui ne s'est pas réalisée est devenue impossible aprês avoir été possible. Le possible se réciproque donc avec le vrai et le nécessaire et, selon Diodore, « rien n'arrive qui n'ait été nécessaire ; et tout ce qui est possible, ou est déjà, ou sera »1. Avant Épicure, Aristote avait déjà perçu le danger qu'un tel nécessitarisme pouvait présenter pour Ia liberté humaine. li résume et critique Ia thêse mégarique au chapitre 9 du traité De l'interprétation. Les Mégariques, selon Aristote, considêrent que toute affmnation et toute négation sont vraies ou fausses, non seulement les propositions portant sur le passé et le présent, mais aussi celles qui portent sur le futur. Ainsi, en vertu de Ia nécessité impliquée par le principe de non-contradiction, si l'on attribue une valeur de vérité à une proposition portant sur le futur, cette proposition est nécessairement vraie ou fausse. Dês lors, Ia proposition « une bataille navale aura lieu demain », qu'elle soit demain vraie ou fausse, devrait déjà l'être aujourd'hui. Cela revient, comme le dit três explicitement Aristote, à soumettre toutes choses à Ia nécessité et à nier tout hasard et toute indétermination. Aristote objecte à cette théorie, qui refuse Ia distinction du possible et du réel, qu'il y a de Ia puissance et de l'indétermination dans les choses qui ne sont pas toujours en acte, si bien que ce qui n'est pas encare peut être ou n'être pas dans le futuro li faut donc déplacer le nécessaire : il n'est pas nécessaire qu'il y ait demain une bataille navale, pas plus qu'il n'est nécessaire qu'elle n'ait pas lieu, mais il est nécessaire qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas demain une bataille navale (19 a 31 sq.). 1. Cicéron, Du destin, IX, 17.
Sumário -
Sumário
74
/
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
/
75
Sumário
Sumário Épicure voit encore dans l'école de Mégare Ia forme Ia plus actuelle du nécessitarisme et, contre cette tendance et comme Aristote, il tient les futurs pour contingents. Sa réplique ne se situe pas sur un plan purement logique, mais repose essentiellement sur Ia physique. Cicéron, dans le traité Du destin (18-25), explique qu'Épicure a élaboré Ia théorie de Ia déclinaison atomique pour répondre à l'ensemble des théoriciens du destin, et il comprend dans cet ensemble Abdéritains, Stoíciens et Mégariques. Pour des raisons de chronologie, il est peu probable qu'Épicure ait attaqué l'école stoícienne sur ce point précis. Il y a en tout cas une sorte de nébuleuse nécessitariste à laquelle Épicure s'oppose parfois de maniére indistincte et sans grand respect pour les nuances doctrinales et Ia diversité des thêses avancées, comme nous avons déjà pu le voir à propos de Démocrite. Cependant, c'est bien contre les Mégariques qu'Épicure nie, à Ia différence d' Aristote, Ia nécessité de Ia disjonction. POUl' Aristote, il est nécessaire qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de bataille navale demain, mais Épicure ne croit même pas à cette nécessité par anticipation et il se fonde sur le fait que, selon lui, « une telle nécessité n'existe pas dans Ia nature »1. Les pages déjà citées du Peri phuseôs sur Ia liberté, quant à elles, concernent en priorité les Abdéritains, comme semble I'indiquer l'allusion à peine voilée aux premiers atomistes, au terme du développement consacré à cette question : Ceux qui les premiers ont enquêté sur les causes (hoi aitiologésantes) de maniere suffisante, dépassant de loin non seulement leurs prédécesseurs, mais aussi et bien plus encore leurs successeurs, se sont aveuglés sur eux-mêrnes - bien qu'ils 1. « ulla autem est in natura rerum talis necessitas », Cicéron, Premiers Académiques, Il, XXX, 97. Voir, sur ce point, Ju1es Vuillemin, Nécessité ou contingence. L 'aporie de Diodore et les systémes philosophiques, Paris, Éd. de Minuit, 1984, p. 190.
..
Sumário
aient soulagés de grands maux dans de domames - en faisant de Ia' " nombreux toutes choses. En vérité le dueces.slte et du hasard Ia cause de lui-rnême et il a empêché le l~~~~~ qUI enselgn,e cela s'e~t brisé mettan sa doctrine en conflit omme de s apercevorr qu'il as . I avec ses actes, et que s'íl n'était ;erafta;~~~é ~:i~!::~td!n~n cer:~inb~ubli de Ia d~ctrine, il se heurtait à d ' un IOU e constant; et qu'il se I' . es consequences extrêmes lorsque Ia doctri
l~:
l'::~~~~~~, ;:~d~S c~~!~ s~er~:plissait de discorde lorsqu'elle à sa doctrine (34 . 30). contradicríon opposant ses actes
r
Le «grand . , .homm e» 1 en quesnon est três probable ent Democnte, défenseur attitré de Ia thêse 1naé~~:;!~étO~,te~ choses s'exJ?liquent par le hasard ~~~~ . algument consiste à dénonce . h' rence non seulement thé . ~ une InCO e'. eonque, mais aussi pratique o existentielle : les tenants de Ia thése né itari u vent concilier leur position théo . cessi ans~e ne peunque avec Ie fait em .. qu~ment m~nifeste et dês lors indiscutable pou; u ~If~q~Ils agissent. L'argument suppose que ~,:~:~
(~~I~~
soi: ur!~cte~~~:~i~:~~t
~a pns~ de position théorique,
~i~neffe~~i~emen~l'auteur, p:r ~;~~~i~i~:~~adâ~t~~r~~~ donc e~ee~i;~::gu~r ~~~~~dle~tf~~t!~r~é~;:::~s ;~;:: ;~~~U::s ponsables :
I~tcO;~ient
d~:et part, et, d'autre ?a~t, les Xisp~:~~ ' nous sommes pnncipalement res-
ombreux sont ceux qui t t ' d'achever telles ou telles chos ou en etant par nature capables ver à cause d'eux es, ne parviennent pas à les ache, -memes et non du fait de I r .sponsabilíré des atomes et d'euxDa ~~me et unique memes. e rait, c'est à eux A
A
•
A
I. Cette traduction reprend une su . rude fondamentale sur ce suiet : « g~estlO~ de D. Sedley dans une », dans Suzêtésis. SI di J li, Eplcurus Refutation of Deterrnit. igante, Naples, 1983;u1,/;u I t~;furelsmo greco e romano offerti a
IIINIll
Sumário
76
I
Nécessité et liberté
Atome et nécessité
/
77
Sumário
Sumário surtout que nous nous opposons et ce sont eux que nous blâmons détestant en eux une disposition qui découle d'une nature initialement désordonnée, comme nous le faisons avec tous les animaux. En effet, Ia nature de leurs atomes, n'a nullement ~ontribué à certains de leurs actes, pas plus qu à quelque degre de leurs actes ou dispositions, mais ce sont leurs développements qui détiennent eux-mêmes toute ou Ia majeure partie de Ia responsabilité de certames actes (34. 21)1.
Nous retrouvons dans ce texte l'argument du blâme, également présent dans Ia Lettre à Ménécée, et q~~ reprendra Diogéne d'CEnoanda dans un fragment deJ~ cité (frag. 54 Smith) : lorsque nous adm~~estons les ammaux et les hommes, nous supposons qu ils sont responsables de leurs propres dispositions psychiques. Ne pas distinguer entre cette responsabilité et celle, pureme~t physique, des atomes, c'est aussi se tourm;nte~ e~ se ~n: ver de Ia possibilité du bonheur, faute d avoir identifié les véritables causes: Ceux qui ne peuvent pas faire de telles distin~tions selon ~e mode se tourmentent eux-memes lorsqu li s'agit d'imputer les responsabilités (34 . 22).
La liberté se gagne également sur notre constitution atomique initiale, que nous devons sup~~s~r capable de modifications pour comprendre Ia posslbllIte.de I effort et de l'éducation morale. L'homme est donc pns entre deux principes de snrdétermination, ~e principe interne de sa constitution premiêre et le pnncipe externe que constitue une nécessité imprévisible. Celle-ci est d'ailleu~s évoquée en des termes qui font irrésistibIement penser a ceux qui «font de Ia nécessité et du hasard Ia cause de toutes choses » (voir 34 . 30), c'est-à-dire aux Abdéritains : , l. Long & Sedley [1987] 20 B.
Sumário
facteurs par lesquels nous ne cessons jamais d'être affectés, le fait que nous nous blâmons, combattons et corrigeons les uns les autres dans l'idée que Ia responsabilité réside aussi en nous-mêmes, et pas seulement dans notre constitution initiale et dans Ia nécessité hasardeuse (hé kata to automaton anankê) de ce qui nous entoure et de ce qui pénétre en nous (34 . 27).
li ne s'agit done pas, une fois encore, de nier Ia réalité de Ia nécessité, pas plus que nous ne pouvons nier notre constitution atomique initiale, mais bien plutôt de montrer que Ia nécessité ne gouverne pas tout et que notre liberté est une donnée tout aussi irréductible. Épicure annonce ainsi, pour en tirer d'autres conclusions, Ia distinction stoícienne entre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. D'autre part, l'argument par les effets, qui consiste à dénoncer les conséquences du nécessitarisme au nom de Ia réalité de l'action, eonduit, eomme on l'a vu dans le passage de 34 . 30, à évoquer l'écueil de l'impossibilité d'agir ou apraxia. Les épicuriens vont renforcer leur argument en attaquant un autre aspeet de Ia pensée de Démocrite, sa théorie de Ia connaissance. Ainsi Colotés, disciple d'Épicure, et aprês lui Diogêne d'CEnoanda estiment que le scepticisme qu'ils décêlent dans les thêses démocritéennes conduit à l'impossibilité d'agir : Les propos de Démocrite Ia eouleur est par convention, le sueré est par eonvention et un composé est par convention comme toutes les autres choses, mais existent en réalité le vide et les atomes sont une attaque contre les sens et quiconque s'en remettrait à ce discours et le mettrait en pratique ne pourrait pas même se concevoir lui-même comme un homme ou comme étant en vie (Colotês cité par Plutarque, Contre Colotês, I I 10 E-F). Mais Démocrite s'est trompé d'une maniére indigne de lui, en disant que les atomes seuls existent véritablement dans les choses, et que tout le reste est par convention. Selon ton raisonnement, en effet, Démocrite, non seulement il est impossible
Sumário
78
/
Nécessité et liberté
Atome et nécessité
/
79
Sumário
Sumário de découvrir le vrai, mais nous ne pouvons même pas vivre, ni nous garder du feu, ni du meurtre ... (Diogene d'(Enoanda, frag. 7 Smith).
Le premier degré de l'argument, diversem~n~ utilisé dans Ia tradition épicurienne contre le sceptlC1Sme en général, consiste en ceci : si nous ne pouvons nous en remettre à l'évidence du témoignage des sens, non seulement nous privons Ia raison de tout fondeme.nt da~s sa recherche du vrai, mais encore nous nous mte~dlsons toute action car nous ne pouvons prendre connalssance de notre environnement immédiat. L'argument peut paraitre hyperbolique, mais il se justifie plus !1ettement par l'association qu'il suppose entre les sen.s~~lOnse~ ~es affections (pathe). Or Ies affections, le troisieme cntere _ aprês Ia sensation et Ia prolepse ou prénotion - ~ans Ia classification épicurienne des critéres de connaissance (DL, X, 31, 34)1, sont les principes de nos c~oix et de nos refus (DL, X, 34). Pour un épicurien, savoir que1que chose du monde, à partir de Ia seule sensation ou par Ia science de Ia nature, n'est jamais une attitude purement spectatrice ou théorique. C'est toujours, d'emblée, se disposer d'une certaine maníere à en éprouver les événements et à y prendre part. La formuIation que Colotes donne à l'argument montre plus précisément que Ia possibilité d'agir ~ po~r condition une attitude réflexive spontanée, I'identification de notre nature et Ia certitude ímmédiate de ce qui lui convient. Ce qui nous convient sat~sfait ainsi au critere de l'affection. Renoncer à cette certltude, comme le voudrait Démocrite, revient donc à empêcher l'action. 11en va de même dans l'argumentation du Peri phuseôs d'Épicure: le renoncement a.u ~rincip~ d'au.to~~é d~s propos dans un débat contradictolre revlendrmt a invali-
l. Voir ci-dessous, lll' partie, p. 109.
Sumário
?er to~te ar~entation. La liberté en ce sens n'a pas à etre demontree, da~s Ia mesure ou l'évident ne requiert pas de preuve: puisque, à I'évidence, nous agissons et penso~s, que nous agissons bien ou mal et que nos assertions sont vraies ou fausses, c'est que notre comportement dépend de nous. Penser est en ce sens un acte et u~ acte libre, si bien que le simple fait de penser ou ~'aglr, en général est déjà, en soi, l'affirmation de notre liberté. Les épicu~iens. ne se sont pas contentés de ces arguments pour établir Ia possibiIité de I'acte libre. Le clinamen, nous I'av~ns ~, ~ pour vocation d'expliquer non s~ulement 1orgamsatron atomique, mais aussi Ia volonte. Il est cependant ass.ez difficile d'établir à partir ~u ~ext~ de Lucrece Ia fonction exacte du clinamen dans 1e~ecutlOn de l'acte Iibre. De fait, comment le clinamen qUI e~t un mouvement indéterminé et contingent, peut-Ú comcl~e.r .avec les arrêts de Ia volonté, c'est-à-dire avec une décision motivée destinée à organiser le comporteme~t et nullement à le livrer au hasard ? La sagesse épic~ne~e es.t,.du reste, faite d'exercices et d'efforts et elIe vise a stabiliser les élans du désir et les représentations. La f~nct1on du clinamen ne doit donc pas être surévaluée. Aussi ~. Sedley, dans l'étude précitée, a-t-il suggéré que Ia .solutlon épicurienne au problême de Ia liberté se trou~alt ~O? pas. tantodans Ia théorie de Ia déviation que dans I ~ntl-reductlO~lllsme d'Epicure: nos états psychologiques ne seraient pas réductibles à des états et à des m?uve~ents. atomiq~~s, contrairement à ce qu'enseigne I?emocn~e, SI bien qu ils échapperaient ainsi au nécessita1"1 me qw découle du réductionnisme. On ne peut nier toutefois que, pour Lucrêce, Ia déviation des atomes . ns~ltue un ar?ument essentiel en faveur de Ia liberté. A~~SI conv!ent-~ sans doute, sans attendre du clinamen qu~l fo~~sse I umque solution au probléme posé, d'y VOII un element du processus de l'acte libre. S'agit-il de Ia
Sumário
80
I
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
I
81
Sumário
Sumário réponse à Ia décision ou du mouvement atomique qui accompagne Ia décision elle-même ? S'agit-il d'expIiquer, antérieurement à Ia décision, Ie caractêre aléatoire, pIastique et donc éducabIe de notre constitution atornique initiaIe, sans doute évoquée par Lucrêce sous l'expression «nécessité interne »?' Les textes ne permettent pas de trancher avec certitude'. La déviation est en tout cas présentée par Lucrêce comme une condition nécessaire : ~I faut une rupture dans l'enchainement des causes pour que nous puissions étabIir, au moins en principe, l'indépendance de l'esprit (mens) par rapport à Ia nécessité. C'est ce que suggêre Ia fin du déveIoppement consacré par Lucrêce à Ia question du c/inamen : (...) mais si l'esprit n'est pas I régi en tous ses actes par Ia nécessité interne, / s'il n'est pas, tel un vaincu, réduit à Ia passivité, I c'est I'effet de Ia légêre déviation des atomes I en un lieu, en un temps que rien ne détermine (lI, 289-293).
11 n'en demeure pas moins que, dans Ie texte même de Lucrêce, l'expérience de I'acte spontané et par extension celle de Ia liberté de Ia voIonté sont premiêres : Car, en ce domaine, Ia volonté de chacun I prend évidemment l'initiative et c'est à partir d'elle I que les mouvements se distribuent dans le corps. I Ne vois-tu pas qu'à l'instant ou s'ouvrent les stalles /le désir des chevaux n'arrive pas à s'élancer I aussi vite qu'il se forme dans leur esprit? (lI, 261-265).
Le temps d'arrêt que marquent Ies chevaux avant de s'éIancer révêle à nos sens, en Ie décomposant, le processus lors duqueI I'esprit commande à I'ensembIe de Ia masse corporelle. Nous constatons ainsi Ie pouvoir de I'esprit, et indirectement Ie fait de Ia Iiberté, en observant un comportement qui ne suppose pourtant que le plus 1. Voir le texte ci-dessous, 2. Sur ces problêmes d'interprétation, [1990], p. 82-92.
on se reportera
à J. Salern
Sumário
faibIe degré de décision, parce qu'il est provoqué par un événement externe (l'ouverture des stalles) et parce qu'il est Ie fait d'un animal. 11 s'agit là des preuves manifestes de ce que Ia théorie de Ia déviation ne fait que compIéter en pIaçant l'anaIyse dans l'ordre des choses cachées. Une éthique du nécessaire. - Les épicuriens, nous l'avons constaté à pIusieurs reprises, ne nient pas pour autant qu'iI y ait de Ia nécessité dans Ia nature. Ils montrent bien plutôt - et iIs sont en cela parfaitement fondés à critiquer Démocrite - que Ia liberté humaine peut s'y soustraire en un senso En un sens seulement, faut-il ajouter, car notre liberté, nous l'avons vu en abordant Ia notion de «pacte de Ia nature » chez Lucrêce ne consiste précisément pas à nier Ia déterrnination nécessaire. 11 convient au contraire de Ia Iocaliser et de distinguer, comme Ies textes cités du Peri phuseôs Ie montrent bien, ce qui releve de Ia nécessité et ce qui dépend de nous. Cette articulation apparait pIus c1airement encore dans un autre passage du même traité : Mais si quelqu'un ne peut démontrer cela , et ne trouve pas en nous de cause supplémentaire ni d'impulsion qu'il puisse dissuader de faire ce que nous accomplissons en désignant sa cause par « dépendant de nous-rnêmes » ( di'hêmân ), mais donne le nom de « nécessité insensée » (môra anankê } à toutes les choses que nous affirmons accomplir en vertu d'une cause que nous appelons « dépendante de nous-même », il changera seulement un nom. Il ne modifiera l'arrangement d'aucune de nos actions comme le fait dans certains cas celui qui, voyant quelles sont les choses qui sont soumises à Ia nécessité, a I'habitude de dissuader ceux qui désirent faire quelque chose en s'opposant à Ia force (34. 29).
L'idée d'une nécessité toute-puissante devient ici une pure iIhision verbale, appeIée à s'effacer devant Ie fait de notre responsabilité. C'est aussi un obstac1e à Ia consti-
Sumário
82
/
Atome et nécessité
Nécessité et liberte
/
83
Sumário
Sumário tution d'une communauté morale. ar, Ia vertu épicurienne ne s'acquiert pas dans Ia solitude. Elle a vocation à se pratiquer dans une communauté d'amis, Ia meilleure protection possible pour l'âme qui s'exerce au bonheur (voir MC, XXVII, XXVIII, XL; SV, 23, 28, 52, 78). L'éducation morale, dont on peut penser qu'elle se pratique dans le cerc1e des amis ou à son immédiate périphérie, suppose Ia responsabilité, mais elle exige aussi que l'on identifie le nécessaire et que l'on puisse ainsi dissuader autrui de s'y opposer vainement. Il faut, pour être heureux, tenir compte de Ia nécessité et il faut, pour tenir compte de Ia nécessité, que tout ne soit pas soumis à Ia nécessité. La Sentence vaticane 9 donne une formulation particuliérement claire de ce principe : La nécessité est un mal, mais il n'y a aucune nécessité de vivre avec Ia nécessité.
Ainsi, le sage épicurien, qui ne croit pas à une nécessité toute puissante, doit s'accommoder des multiples contraintes et des petites nécessités externes de Ia nature et des hommes : Le sage, qui s'est mesuré aux nécessités (ta anankaia), sait partager, mieux que prendre sa part, si considérable est le trésor qu'il a trouvé dans l'autosuffisance (SV 44).
Cette sentence ne dit pas quelles sont les nécessités qui ont appris au sage à partager plutôt qu'à prendre, mais nous avons tout lieu de penser que l'expérience générale des contraintes de l'existence lui a enseigné l'art de se contenter de peu et de vivre dans Ia suffisance à soi (autarkeia). Les nécessités de l'existence, bien qu'elles nous contraignent, mais aussi parce qu'elles nous contraignent, nous permettent de circonscrire le domaine de Ia nécessité vitale ou du strict besoin'. Elles participent I. Voir en ce sens Mén., 130, ou I'on retrouve le thême de t'outarkeia.
Sumário
ainsi, indirectement, de Ia prudence tphronésis .. Mén., 132), qui consiste en une juste estimation, un calcul comparatif des plaisirs et des peines, afin de parvenir à une vie conforme à notre nature, une vie faite à Ia fois de plaisir et de vertu. Car le plaisir est fin, ce qui signifie qu'un plaisir particulier n'est pas digne d'être poursuivi s'il doit occasionner une souffrance plus grande (Mén., 131-132). L'attention que le sage porte à Ia nécessité ne se limite pas à l'estimation des besoins matériels. Elle concerne aussi Ia nécessité naturelle, comme nous l'avons vu dans les fragments du Peri phuseôs. L'exigence de fonder l'éthique sur Ia philosophie et en ~art~culier sur Ia philosophie naturelle {phusiologia) signifie que le sage doit connaitre Ia nécessité naturelle et non pas seulement s'en accommoder, afin d'acquérir le savoir de ce qui en releve. En ce sens, ce que Philodéme (Contre les sophistes, IV, 10-14) nommera le quadruple-remêde (tetrapharmakos) suppose que l'on fasse Ia part de Ia nécessité naturelle. Orientant Ia structure de Ia Lettre à Ménécée, il est exposé par les Maxirnes capitales I à IV : il n'y a rien à craindre des dieux ; Ia mort n'est rien par rapport à nous ; Ia limite des plaisirs peut être atteinte et correspond à l'élimination de toute douleur; nous pouvons supporter Ia douleur car elle n'est pas illirnitée. Considérons de plus prês le second ingrédient du remêde : savoir que Ia mort n'est rien par rapport à nous, c'est se libérer de Ia crainte qu'elle suscite habituellement. ar les épicuriens indiquent deux voies convergentes pour parvenir à cette libération. La premiére est pragmatique : en sachant que Ia mort est cessation de sensation, je sais qu'en mourant je ne sens plus et que, de ce fait, je ne suis pas contemporain de ma propre morto Elle n'est donc rien pour moi et je n'en éprouve nulle douleur (Mén., 124-127). La seconde voie
Sumário
84 / A/orne et nécessité
Nécessité et liberté
/
85
Sumário
Sumário I
est plus théorique, même si Ia premiêre suppose Ia connaissance de ma nature psychique et du phénomêne physique de Ia mort, comme décomposition de l'a~régat que forment ensemble le corps et l'âme. Elle consiste à admettre que Ia mort est physiquement indissociable de Ia vie et qu'elle est de ce point de vue tout aussi nécessaire que Ia vie elle-même. Ainsi, Ia Nature s'emporte, au chant III de Lucrêce, contre le vieillard qui ne sait se résigner à accepter sa mort : « Cede Ia place : il le faut » (v. 962). Le necessest qui ponctue cette ~rosopopée trouve un écho au vers 965 : « Toute chose doit en reformer une autre » (ex aliis aliud reparare necessest). 11 faut de Ia matiêre, ajoute Lucrêce, pour les générations à venir, conformément à un universel processus de compensation. Les atomes qui se dispersent avec Ia dé~omposition du cadavre vont être en quelque sorte remis en jeu et participer à cet état de deve~ir sur fO,n~de I;ermanence qui caractérise Ia conception lucrétienne de Ia nature. La dureté du propos doit inspirer tout le contraire du désespoir et du fatalisme : savoir que toute vie particuliêre connait un terme (III, 1078), c'est aussi se détourner du vain espoir de l'immortalité (voir Mén., 125) et se détourner ainsi des désirs illimités. Dês lors, nous rencontrons Ia troisiême formule du tetrapharmakos: nos aspirations peuvent trouver un terme et Ia promesse de bonheur peut être tenue. S'il peut paraitre difficile d'admettre Ia nécessité de Ia mort, il est plus difficile encore de chercher à satisfaire des désirs illimités de sorte que ce que l'opinion commune croit être le plus difficile est en fait le plus facile. La limite des biens, résume Épicure, est facile à atteindre et à se procurer (Mén .. 133). Du même coup, Ia crain:e. des die.ux, essentieIlement fondée sur Ia terreur de châtiments infernaux, s'efface à son tour et nous devons admettre également que les douleurs ne sont pas illimitées dans le ten:ps. Ainsi se trouvent réunis les quatre éléments du remede,
~
.!I
•
Sumário
à partir de Ia juste appréciation de Ia nécessité physique. Ce n'est assurément pas Ia seuIe voie que nous offre Ia phusiologia. La crainte des dieux peut être vaincue par d'autres moyens, en particulier en se défaisant des opinions fausses qui se forment à leur sujet et nous détournent de Ia prolepse des dieux que Ia nature trace en nous (Mén., 123-124). La véritable piété, précisera Lucrêce, ce n'est pas s'adonner aux rites avec ostentation, ni procéder à des sacrifices, c'est « tout regarder l'esprit tranquille » (V, 1203). L'attitude d'acceptation et de délimitation de ce qu'il y a de nécessaire dans l'ordre du monde, parce qu'elle fait reculer I'ignorance des causes et Ia crainte des dieux, est une condition impérieuse du bonheur. Le sage, cependant, peut-il faire abstraction des nécessités sociales, des contraintes liées à Ia vie commune, et garantir totalement sa tranquillité par Ia suffisance à soi ? Epicure sem ble le penser lorsqu'il lance Ia formule « vis caché » (fathe biâsas ; Uso 551) et qu'il invite à se méfier de Ia vie publique (MC VII' SV 58 . voir aussi DRN, V, 1120-1135). La véritable' sécurit6 [asphaleia) ne nous est pas donnée par les remparts des cités ni par leurs lois, mais par une vie tranquille à I'écart de Ia foule (MC XIV) et par I'amitié (MC XXVII, XXVIII, XL). Les préoccupations poli tiques seraient donc à ranger, de ce point de vue, parmi les nécessités subies, et I'on comprend que Ia tradition ait Iongtemps qualifié d' « apolitique » l'amitié épicurienne. Epicure a toutefois posé les jalons d'une réflexion originale sur Ia poli tique, qui contredit une telle interprétation : Ia cité n'est pas seulement le lieu des intrigues et des conflits, elle nous donne aussi I'occasion d'exercer !a justice, qui est une des vertus principales, directement rssue de Ia prudence (Mén., 132 - MC V). Toute Ia difficulté estde savoir comment déterminer ce qui est juste, car nous ne pouvons nous référer, comme dans Ia
,
Sumário
86
/
Atome et nécessité
Nécessité et liberté
/
87
Sumário
Sumário République de Platon, à aucune idée du juste, à aucun paradigme invariable de Ia justice en soi : La justice (dikaiosuné ) n'est pas quelque chose en sai, mais, dans les rassemblements des hammes les uns ave c les autres, en quelque lieu que ce soit, à chaque fois, un certain contrat [sunthêké ) en vue de ne pas se faire de tarts et de ne pas en subir (Me XXXIII).
Dans le débat classique qui oppose en poli tique les conventionnalistes et les naturalistes, Épicure opte résolument pour le premier camp : iln'y a justice que s'il y a contrat, si bien qu'il n'y en a ni chez les animaux, ni chez les peuples qui n'ont pas de rapports contractuels (MC XXXII). Aussi Ia détermination du juste variet-elle d'un peuple à l'autre et d'une époque à l'autre (M C XXXVII - XXXVIII). Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille en ce domaine se satisfaire d'un pur relativisme : ce qui est juste à un moment donné et dans une cité donnée ne l'est pas de maniêre purement arbitraire, mais par conformité à Ia prolepse du juste (MC XXXVII - XXXVIII), une notion produite par l'expérience, distincte pour cette raison des opinions surajoutées et fausses, et qui doit comme telle faire I'objet d'un assentiment général. Quel est cependant Ie contenu d'une telle prénotion, immuable en tant que telle par principe et pourtant sujette à variations dans ce cas préeis ? La réponse nous est donnée par le rôle de Ia notion d'utilité (to sumpheron) dans les Maximes concernées. Le juste ne se définit pas autrement que par référence à ce qui est utile pour Ia communauté réciproque des hommes, et c'est en ce sens qu'iI est commun, tout en étant susceptible de changer, selon Ies variations régionales et historiques de I'utilité commune (MC XXXVI). On observe d'ailleurs un phénomêne analogue avec le développement du langage : alors que « Ies noms ne sont pas nés à I'origine par convention» (Hrdt., 75), les lan-
Sumário
gues se différencient sous l'influence de Ia diversité des affections et des représentations et à cause de Ia nécessité, pour chaque peuple, de définir en commun des régles de désignation linguistique (Hrdt., 75-76)1. 11en va donc de Ia justice chez Épicure comme du statut de Ia monnaie chez Aristote : sa valeur est conventionnelle, mais elle dépend du cri tere naturel, et en ce sens universel, que constitue le besoin (Éthique à Nicomaque, V, 8). Comme Aristote (op. cit., V, 10), Épicure admet que ce qui est naturel en matiêre de droit puisse en un sens varier et qu'ainsi l'on puisse mettre en rapport un principe universel - enl'occurrence l'utilité commune - et une diversité de conditions particuliêres et changeantes. C'est sans doute ce qu'il faut entendre derriêre Ia notion de symbole (sumbolon) dans Ia Maxime capitale XXXI : Le juste par nature (to tês phuseôs dikaion) est le symbale de l'utilité que naus trauvans à ne pas naus faire de torts récipraques ni en subir.
Le juste et l'utile sont l'un à I'autre comme Ies deux piêces d'un même objet. L'expérience commune de ce qui est utile à Ia vie des hommes entre eux permet seule de donner un contenu à Ia prolepse du juste. 11est, dês Iors, parfaitement naturel que Ia prolepse et les prescriptions juridiques qui en dérivent admettent les variations qui caractérisent cette expérience. Épicure ne néglige donc pas les nécessités inhérentes à Ia. vie
1. Voir, sur cette question, I'étude de Jacques Brunschwig, « Ép.icure et le problême du "Iangage privé' », récemrnent reprise dans ses Etudes sur les plzilosophies hellénistiques. Epicurisme, stoicisme, scepticisme, Paris, PUF, 1995, p. 43-68. L'auteur formule notamment, à propos de Ia question linguistique, un principe d'interprétation qui convient également au problêrne de Ia justice : « Un fait humain peut ne pas être universei sans pour autant devoir être catalogué comme non naturel » (p. 53).
Sumário
-
1 88
I
Nécessité et liberté
Atome et nécessité
I
89
Sumário
Sumário sociale. En les rapportant à Ia catégorie de l'utile, il y voit au contraire le moyen de donner un contenu à Ia prolepse du juste. Ainsi se dessine Ia possibilité de maitriser 1e trouble de l'âme en envisageant un usage collectif du nécessaire. Ce n'est donc probab1ement pas par hasard que les maximes su~ le juste précédent Ia Maxime XXXIX, dans laquelle Epicure évoque Ia maitrise des causes extérieures de trouble : en l'exerçant, le sage se fait un allié de ce qui peut l'être, mais il ne se fait pas pour autant un ennemi de ce qui ne saurait 1ui être favorab1e. Quant à ce qui est totalement hors de ses prises, il ne s'en mêle pas mais le tient à distance. Le sage, comme Ia communauté humaine gouvemée selon de justes lois, sait donc contenir les facteurs de troub1e dans 1eur extériorité origineIle, grâce à l'estimation correcte de ce qui lui est utile. Ce faisant, il se libere des nécessités néfastes en prenant conscience que, bien qu'eIles soient extérieures et de ce fait contraignantes, elles ne sont précisément qu'extérieures. Il ne tient qu'à nous de préserver Ia frontiêre de l'intime, à condition de faire en sorte que Ia communauté politique, au lieu de l'abolir, serve à Ia préserver. Il n'y a donc, de ce point de vue, aucune contradiction entre Ia citoyenneté et le bonheur privé. Plus généralement, l'expérience de Ia nécessité nous permet d'assigner une limite à nos désirs, en indiquant ce dont nous avons véritablement besoin. Or ce n'est pas seulement s'aviser de l'importance vitale de certains biens extérieurs, mais aussi s'exercer à Ia vertu de prudence, dont nous avons vu qu'eIle était Ia condition de Ia suppression de Ia douleur et le principe du plaisir (Mén., 130-131). Ainsi, parce que l'estimation du nécessaire contribue à l'intelligence des limites, eIle est directement liée à Ia prénotion même des vertus. La catégorie du nécessaire joue un autre rôle, pleinement positif cette fois et réeIlement intériorisé, dans
Sumário b
d
•
l'éthique épicurienne. Il découle de Ia c1assification des désirs : Il faut en outre poser par analogie que, parmi les désirs, les uns sont naturels, les autres vains et que, parrni ceux qui sont naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires au bonheur, d'autres à I'absence de troubles du corps, et d'autres à Ia vie elle-même, En effet, un examen rigoureux des désirs sait rapporter tout choix et tout refus à Ia santé du corps et à I'absence de troubles de l'âme, puisque c'est cela Ia fin de Ia vie bienheureuse (Mén., 127-128).
En tête de cette liste figurent les désirs qui ne peuvent être satisfaits que par Ia philosophie et l'amitié, seuls moyens du bonheur véritable. Les deux autres types de désirs nécessaires seront satisfaits par le soin et Ia protection du corps pour le premier, et par les nécessités vitales pour le second (Mén., 131). A l'opposé, les désirs vains sont ces désirs illimités qui traduisent une opinion erronée sur ce qui nous convient (MC, XXIX; SV, 20), telle désir des richesses, le désir des honneurs (SV 81) ou l'illusion qui nait lorsque nous associons au désir sexuel, naturel dans son principe, l'artifice de Ia passion amoureuse (DRN, IV, 1058 sq.). On pourrait s'étonner qu'Épicure distingue, parmi les désirs naturels, entre ceux qui sont aussi nécessaires et des désirs qui ne sont que naturels, comme s'il pouvait manquer quelque chose à Ia satisfaction de ce qui convient à notre nature. S'agit-il de démarquer Ia nature de Ia nécessité et d'éloigner le risque d'un retour au nécessitarisme démocritéen qui les associait radicalement ? On comprendrait mal, dans ce cas, que le désir du bonheur soit rangé parmi les désirs nécessaires, et l'on voit mal que les désirs seulement naturels, tels le désir sexuel ou le désir de satisfaction esthétique (voir DL, X, 6), soient plus indépendants de Ia nécessité que les autres. Si, à l'inverse, nous affaiblissons Ia portée de l'idée de nécessité dans l'expression de « désir néces-
Sumário
90
/
A tome
et nécessité
Nécessité
et liberté
/
91
Sumário
Sumário saire » et que nous n'y voyons que les besoins vitaux, nous comprenons mal, une fois de plus, qu'Épicure y associe le premier type de désir qui est aussi le plus noble. Le plus simple, pour comprendre le statut des désirs naturels non nécessaires, est sans doute de se référer au témoignage de Cicéron dans les Tusculanes: ce sont les désirs dont il est facile, soit de se procurer les objets, soit de nous en passer (y, XXXIII, 93). La maítrise de ces désirs est donc, si l'on peut dire, à portée de main. La difficulté, en ce qui les concerne, consiste à voir qu'ils ne sont précisément que naturels, alors que l'opinion fait grand cas de leur satisfaction (voir MC, XXX), comme s'ils étaient véritablement nécessaires au bonheur. li faut en fait se demander si l'adjectif « nécessaire » n'a pas ici un troisiême sens, différent à Ia fois de l'idée de nécessité naturelle immuabIe et de I'idée de besoin vital. Épicure justifie sa c1assification par une « étude » (theôria) orientée vers Ia fin de Ia vie bienheureuse, et ce qui est ici nécessaire I'est par référence à cet examen. Cette nécessité n'est donc pas initialement donnée, ni imposée, mais intérieure parce qu'elle est révélée par l'estimation philosophique des meilleurs moyens pour parvenir au bonheur, le plus nécessaire parmi les objets de désir nécessaires. La liste des désirs naturels et nécessaires établit donc une hiérarchie décroissante : les plus nécessaires sont ceux qui Ie sont en vue du bonheur car ce sont ceux que Ia philosophie révêle comme étant les plus utiles et les plus importants. Leur nécessité, en ce sens, est tout le contraíre de l'hétéronomie, car elle est Ia plus conforme à notre nature et pour nous Ia plus intime. L'épicurien Torquatus, dans le De finibus de Cicéron, donne sur cette c1assification de précieuses indications qui vont dans ce sens : II a établi un premier groupe, celui des désirs naturels et nécessaires ; un second, celui des désirs naturels, mais non nécessaires ; un troisiême enfin, celui des désirs qui ne sont ni naturels
ni nécessaires. Voilà ce qui les caractérise : les désirs nécessaires n'exigent ni beaucoup de peine ni dépense pour être comblés ; les na tu reis ne sont pas non plus três exigeants, par Ia raison que, Ia nature elle-même fournissant les richesses dont elle se contente, celles-ci sont aisées à acquérir et bornées ; au lieu qu'aux désirs creux il est impossible d'assigner aucune mesure ni aucune limite (Des fins ... , I, XIII, 45, trad. J. Martha).
j ~.
I
"
,
Ce qui fonde Ia nécessité de Ia premiêre catégorie, c'est Ia facilité de Ia satisfaction. Non que celle-ci n'exige pas d'efforts ni d'exercices: ce sont les désirs naturels, on le voit, qui sont satisfaits par Ia seule nature. Les premiers désirs demandent, pour que leur nécessité nous apparaisse et pour qu'ils soient satisfaits, une activité qui ne consiste pas seulement à suivre Ia premiêre inclination naturelle. Mais cette activité a pour fin de nous reconduire au plaisir, c'est-à-dire à notre bien premier et connaturel (Mén., 129). Ils sont donc « nécessaires » parce qu'ils ne sont pas immédiatement satisfaits par Ia nature, tout en étant conformes à Ia nature, mais ils le sont facilement au sens ou nous pouvons Ieur assigner une limite c1aire. C'est cette forme de facilité qui, nous I'avons vu, caractérise Ia limite des biens, c'est-à-dire le pIaisir véritable, totalement exempt de souffrances. On notera que I'idée de nécessité apparait, dans Ia c1assification des désirs, sous Ia forme de I'adjectif [anankaios ), C'est toujours le cas, chez Épicure, Iorsque cette idée est prise en bonne part ou en un sens faibIe. li s'agit ici, non pas du principe universel exprimé par le substantif « nécessité », mais d'une qualification ou d'une propriété. Le nécessaire, en Ia circonstance, n'est pas absolu, mais relatif : il est nécessaire à quelqu'un ou pour telle fino Ce n'est donc que dans l'exercice de Ia prudence, du ca1cul des plaisirs et des peines, que I'on satisfait à cette nécessité-là, parce que nous Ia rapportons alors à nous-même, comme
, I
....
Sumário
Sumário
92 / Atome et nécessité
Sumário
Sumário véritable agent, et au plaisir, comme véritable fino Le sage ne se soumet pas à une nécessité intangible qui s'imposerait à sa volonté. Il défmit, grâce à Ia philosophie et en conformité avec Ia nature, ce qu'il est intérieurement nécessaire de désirer pour être heureux. L'éthique épicurienne est donc,en ce sens, une éthique du nécessaire.
Sumário
Connaissance et nécessité
Démocrite : limites et validité des connaissances La genêse physique des représentations. - Les difficultés que pose le rêgne de Ia nécessité n'affectent pas seulement Ia compréhension des événements naturels et I'exigence éthique de responsabilité. Elles concernent également l'exercice des facultés de connaissance. Pouvons-nous en faire librement l'usage et pouvons-nous, plus encore, les soumettre à un examen critique si toutes nos représentations et tous nos jugements sont soumis à un enchainement causal et sont, de ce fait, déterminés par Ia nécessité ? Les fragments de Démocrite ne posent pas explicitement le problême en ces termes mais, comme nous allons le voir, ils nous conduisent à le formuler ainsi. Nous avons vu, dans Ia deuxiéme parti e, que Ie pouvoir de Ia nécessité teI que le définit Démocrite n'éliminait pas Ia décision ni Ia responsabilité morale. Nous sommes à Ia fois contraints par Ia nécessité et libres dans les choix que nous faisons en fonction d'elle. Toutefois, force est d'admettre que les documents dont nous disposons ne nous disent rien du processus de décision, qui devrait en principe s'expliquer en termes de mouvement atomique. Or, il n'en va pas tout à fait de même en ce qui concerne Ies opérations cognitives. Démocrite fonde en effet Ieur critique sur une physiologie des représentations qui en explique Ia genêse. Le document le plus consistant et le plus riche en fragments, parmi ceux dont nous disposons sur Ia conception démocritéenne de Ia perception et du jugement, se trouve aux § 135-139 du Contre les savants
Sumário
94
/
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
/
95
Sumário
Sumário de Sextus Empiricus (DK B 6-11). Celui-ci entend reprendre un certain nombre d'arguments démocritéens au bénéfice de Ia critique sceptique des théories dogmatiques, mais il s'emploie également à montrer que Démocrite ne saurait être assimilé à un véritable sceptique. En effet, il persiste à penser, selon Sextus, que le logos ou l'usage du jugement rationnel a valeur de critêre de connaissance. La construction de ce passage est tout entiêre orientée par cette idée: au crescendo sceptique des § 135-137 succêde Ia distinction entre deux formes de jugement (§ 138-139). Or cette distinetion, épistémologiquement plus rassurante, est ineohérente aux yeux du seeptique par rapport à ee qui précêde. 11est done néeessaire de restituer ee texte dans sa eontinuité. [135) Démocrite, lorsqu'il abolit les choses qui apparaissent aux sens, dit à leur propos que rien n'apparait conformément à Ia vérité, mais seulement conformément à I'opinion, et que ce qui est véritablement dans 1es êtres, ce sont les atomes et le vide. Il dit en effet: Convention que le doux, convention que l'amer, convention que le froid, convention que Ia couleur. En réalité, U n'y a que des atomes et du vide. Ce qui signifie: on convient et on forme I'opinion que les sensibles existent, mais ceux-ci n'existent pas véritablement, [136) seuls existent véritablement les atomes et le vide. D'autre part, dans les Confirmations, bien qu'il ait promis d'attribuer aux sens Ia force de Ia crédibilité, on ne le voit pas moins les condamner. Il dit en effet: Nous ne connaissons en réalité rien d'assuré, mais seulement ce qui change à Iafois selon Ia disposition du corps et selon ce qui pénêtre en lui et lui fait obstacle. Et il dit encore: que maintenant nous ne sachions pas véritablement ce que Ia nature de chaque chose est ou [137) n'est pas, on l'a souvent montré. Et il dit dans son traité SUl' les formes: l'homme doit savoir par cette rêgle qu 'il se trouve coupé de Ia réalité ; et encore: cet argument montre également clairement qu'en réalité nous ne savons rien SUl' rien, mais que l'opinion de chacun résulte d'un afflux ; et en outre : il deviendra tout à fait c/air que nous sommes dans l'aporie pour connaitre Ia réalité de chaque chose.
Sumário
Ainsi, dans ces passages, il subvertit pratiquement toute compréhension, bien qu'il s'en prenne spécialement aux [138) sensations. Mais, dans ses Canons, il dit qu'il y a deux connaissances, I'une par les sens, I'autre par l'intellect; celle qui s'exerce par l'intellect, ill'appelle légitime, témoignant pour sa fiabilité dans le discemement de Ia vérité ; celle qui s'exerce par les sens, il lui donne le nom de bâtarde, lui déniant I'infaillibilité pour ce qui est de distinguer le vrai. [139) Il dit textuellement : li y a deux formes de connaissance, Ia légitime et Ia bâtarde. De Ia bâtarde relêvent ensemble toutes ces choses : Ia vue, l'ouie, l'odorat, te goüt et le toucher, mais Ia légitime en est séparée. Ensuite, jugeant Ia légitime supérieure à Ia bâtarde, il poursuit en disant : Quand Ia bâtarde ne peut plus, ni voir ce qui est devenu trop petit, ni entendre, ni goüter, ni toucher, mais plus de subtilué, . Ainsi, selon lui, c'est Ia raison qui est critêre, ce qu'il appelle connaissance légitime.
11y a plusieurs raisons, du point de vue de Démoerite, pour rejet~r le témoignage des sens, à eommeneer par les contradictions que 1'0n observe dans ee domaine : le fait que le miei paraisse sucré aux uns et doux aux autres suggere déjà que les qualités sensibles ne sont pas des propriétés réelles et que, du point de vue de ce qui est en vérité ou en réalité, c'est-à-dire du point de vue atomique, le filei ~'est en fait ni sueré ni amer'. L'expression « par convention» (nomô ), précisera Galien, signifie en l'oecurrenee « eonformément à Ia eoutume » (nomisti} et « par rapport à nous » (pros hémas)', Les qualités sensibles sont done relatives à Ia fois à Ia eommunauté des hommes, qui s'accordent sur leur valeur, et aux individus, qui ne les éprouvent pas tous de maniêre identique. En ee sens, aueune pereeption n'est plus vraie qu'une autre, ee l. Voir, pour cet exemple, Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, lI, 63 [DK 68 A 134].et I, 213-214 (voir ci-dessous, p. 99-100). Voir également, sur le relativisme sensonel en général, Théophraste, Des sens, § 63-64 [DK 68 A 135]. 2. Des éléments se/on Hippocrate, I, 2 [DK 68 A 49].
Sumário
96
/
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
/
97
Sumário
Sumário dont nous pouvons inférer deux positions contraires : aucune n'est vraie (A) ou toutes sont également vraies (B). C'est ainsi qu' Aristote rapproche implicitement les thêses respectives de Démocrite et de Protagoras : le prernier tire des concJusions critiques (A) et le second des concJusions positives (B) des mêmes prérnisses relativistes'. Démocrite, cependant, se serait opposé à Protagoras aux côtés de Platon pour dénoncer Ia contradiction interne de Ia thése qui soutient I'égale vérité de toutes les opinions', En effet, le relativisme n'est pas le dernier mot de Démocrite sur cette question, comme nous allons le voir. L'argument de Ia relativité des représentations joue néanmoins un rôle fondamental, au moins comme moment, dans sa critique du témoignage des senso La critique des sens se fonde, d'autre part, sur une physiologie ou une étiologie des représentations. Le texte de Sextus traduit ci-dessus dépasse en effet le seul point de vue Iogique, celui de Ia contrariété des impressions sensibles, li montre que les qualités sensibles existent par convention, ou selon notre croyance (nomô ), tandis que seuls existent réellement (eteé ) les atomes et le vide, et cela pour deux raisons : en premier lieu, les qualités sensibles n' ont pas de véritable consistance ontologique, puisque seuls existent les atomes et le vide qui sont, quant à eux, sans qualités ; en second lieu, elles sont caractérisées par une instabilité fondamentale, changeant « à Ia fois selon Ia disposition du corps et selon ce qui pénêtre en lui et lui fait obstacJe» (§ 136). Tel est le paradoxe de ce qui releve, chez Démocrite, de 1. Métaphysique, r, 5, 1009 b 7 [DK 68 A 112]. 2. Sextus Empiricus, Contre les savants, VII, 389 [DK 68 A 114]. Plutarque évoque pour sa part Ies « nombreux arguments convaincants » que Démocrite aurait formuIés contre Protagoras, Contre Calatês, 1109 A (DK 68 B 156]. Comparer avec PIaton, Théétête, 170 A171 B.
Sumário
Ia convention : bien que n'existant pas réellement, les qualités sont physiquement dépendantes du mouvement atornique réel qui les sous-tend. Les modifications que nous éprouvons en percevant Ia saveur, Ia couleur, le chaud ou le froid sont des mouvements réels que nous figeons três imparfaitement sous des catégories communes qui ne sont en fait, explique Sextus Empiricus, « que des noms pour désigner nos affections »1. Les représentations, artificielles dans leur signification, n'en sont pas moins naturelles par leur constitution. Le processus perceptif redouble d'ailleurs l'instabilité que produit I'incessant mouvement des atomes. Sextus y fait allusion lorsqu'il évoque les dispositions du corps et leur rapport aux mouvements et aux corps extérieurs. Les états de l'âme eux-mêmes, nous l'avons vu en analysant Ia définition physiologique de Ia tranquillité (DK 68 B 191), dépendent d'un équilibre thermique qui résulte d'une sorte de mélange et qui n'est jamais indépendant des mouvements extracorporels. L'activité perceptive n'échappe pas à cette rêgle : Ia vision consiste en unrnélange entre les simulacres provenant de ce qui est vu et les simulacres érnis par le voyant lui-même. Si bien que, selon Ia forme Ia plus élaborée de Ia conception démocritéenne de Ia vision, l'image qui se forme finalement sur Ia pupille résulte d'une conjonction de facteurs : outre les mouvements que l'on vient d'évoquer, Ia lumiére solaire nécessaire à Ia réflexion de l'image, Ia qualité de l'air intermédiaire entre le vu et le voyant et l'état interne du corps propre. Le témoignage de Théophraste (Des sens, § 49-83, DK 68 A 135) s'efforce de restituer Ia complexité de ce processus et d'expliquer ainsi comment nos impressions sensibles traduisent les propriétés objectives des associations ato-
1. Contre les savants, VIII, 184.
Sumário
98
/
Connaissance et nécessité
Atome et nécessité
/
99
Sumário
Sumário rniques qui les provoquent. sur ce point est le suivant :
Le passage le plus précis
L'image réfléchie ne vient pas directeme.nt sur Ia p';lpille, mais I'air intermédiaire entre Ia vue et ce qui est vu reçoit une empreinte, étant comprimé par ce qui est vu et ce qui voit; toute chose, en effet, produit toujours quelque effluve (§ 50).
Or ce qui incite Sextus à prêter à Démocrite d~s positions pessimistes sur nos possibilités de co~naIssance, c'est l'idée selon laquelle I'instabilité du sensible affecte l'ensemble de nos croyances ou opinions et plus seulement les impressions sensibles. I1 faudrait d'ailleurs plutôt dire que toutes nos représentations .sont de même nature que les impressions sensibles, pUls~ue Ia sensation n'est pas une faculté séparée, mais simplement ce type de contact par leque~ nous so~e~ en rappo~t avec le monde extérieur et qui donne lieu a une representation. Aristote dira en ce sens que, pour Démocrite, toutes les sensations se réduisent au toucher', c'est-à-dire au contact matériel, ce qui est parfaitement logique dans un univers ou il n'y a pas d'autres mouve~ents que. ~es mouvements locaux. Ainsi, toute opération cognitive doit pouvoir être réduite à un changement d~ lieu. Toute opinion est donc tributaire des effluves de simulacres et des mouvements de l'âme qui les accompagnent. Telle est Ia signification du fragment cité p~r Sext~s selon lequel « en réalité nous ne savons nen, mais [~ue] I'opinion (doxis) de chacun résulte d'un afflux [epirusmie) » (§ 137, DK 68 B 7). L'interdépendance du connaissant et du connu et l'impossibilité de nous abstraire de Ia chaine des causes pour évaluer nos représentations sembl~nt donc nous condamner au scepticisme. Ainsi s'expliquent les for-
mules les plus aporétiques du texte recomposé par Sextus ou encore le fameux mot rapporté par Diogêne Laêrce : Certains considérent que Démocrite est sceptique, parce qu'il rejette les qualités, disant par convention le chaud, par convention le froid, en réalité les atomes et le vide ; et encore : en réalité nous ne savons rien. La vérité en e.ffet est au fond du puits (DL, IX, 72; DK 68 B 117).
De fait l'influence de Démocrite sur ce qui deviendra aprês lui Ia tendance pyrrhonienne, puis le scepticisme ou skepsis, est incontestable. Pyrrhon avait l'habitude de citer les écrits de Démocrite et ille connaissait également par l'intermédiaire de l'Abdéritain Anaxarque .(~L, ~X, 61). L'épicurien Colotês, nous l'avons vu, associe etroitement Démocrite à Ia tendance sceptique et lui reproche de plonger toute Ia vie humaine dans Ia confusion. Diogêne d'CEnoanda se fait aussi l'écho de l'ar~un:ent de l'impossibilité de vivre ou apraxia, montrant amsi que le nécessitarisme physique conduit aux mêmes difficultés que Ia critique du témoignage des senso Les conclusions aporétiques de Démocrite s'imposent d'ailleurs co~e une sorte de nécessité : l'homme, rapporte Sextus Empiricus, « doit savoir ... (gignôskein te chrê... ) » qu'il ne peut rien connaitre de certain. La désillusion épistémologique à laquelle il faut se résoudre est elle-même nécessitée par l'explication physique des actes de connaissanc.e. La conception démocritéenne de Ia connaissance ne saurait être toutefois entiêrement résumée par un argument sceptique. Sextus, en héros d'une sorte de rigorisme sceptique, dénonce d'ailleurs Ia confusion que l'on a, elon lui, souvent faite entre Démocrite et Ia tendance pyrrhonienne : [213] Mais on dit également que Ia philosophie démocritéenne quelque chose en commun avec le scepticisme, puisqu'elle scmble trai ter de Ia même matiêre que nous ; car, du fait qu'aux uns le miei parait sucré, alors qu'aux autres il parait amer, 11
I. Parva naturalia. De Ia sensation et des sensibles, 4, 442 a 29 [DK 68 A 119].
Sumário
Sumário
100
/
Connaissance et nécessité
Atome et nécessité
Sumário Démocrite, dit-on, infêre qu'il n'est ni sucré ni amer, et pour cette raison ajoute le « pas plus », qui est une formule sceptique. C'est pourtant d'une maniere différente que se servent de Ia formule « pas plus », d'une part les sceptiques, d'autre part l'école de Démocrite. Celle-ci en effet emploie Ia formule dans l'idée qu'un phénornêne n'existe pas plus que son contraire, alors que, pour notre part, nous signifions ainsi que nous ignorons si les deux phénomenes sont réels ou si aucun des deux ne I'est. [214] Ainsi, nous différons également sur ce point, et Ia distinction devient particulierement évidente lorsque Démocrite dit : En réalité les atomes et le vide. « En réalité », en effet, est le terme qu'il emploie pour « en vérité ». Or, qu'il différe de nous en soutenant qu'en vérité il y a des atomes et du vide, même s'il part de Ia contrariété des phénoménes, il est superflu, je crois, de l'établir'.
Ainsi Démocrite échouerait à réaliser Ia véritable suspension sceptique du jugement, d'une part en invalidant les phénoménes, d'autre part en affirmant l'existence des atomes et du vide. Seul donc son point de départ - Ia contrariété des phénomênes - et les expressions qu'il utilise ont aux yeux de Sextus que1que chose de sceptique, et il reste inéluctablement cantonné dans Ia famille dogmatique. II faut cependant se demander si Démocrite ne représente pas une forme différente, paradoxale parce que savante, de scepticisme. En élaborant une physique, il ne renonce nullement à Ia possibilité d'un discours vrai sur Ia nature et ses propriétés cachées, mais cette physique. met sa conception du savoir dans une situation critique. L'argument selon lequel Démocrite n'est pas sceptique parce qu'il affirme l'existence des atomes et du vide cesse d'être pertinent si l'on considere que Ia façon démocritéenne d'être sceptique réside précisément dans cette affirmation même, en tant qu'elle conduit à des conséquences aporétiques. l. Hypotyposes pyrrhoniennes, I, 213-214. Ce texte ne figure pas dans Jes Fragmente de Diels-Kranz.
/
101
Sumário Le caractêre aporétique de Ia philosophie de Démocrite tient donc à ses tensions internes et aux difficultés rencontrées par l'Abdéritain lorsqu'il s'agit de faire comcider Ia critique des phénoménes et le recours aux investigations empiriques, l'incertitude de nos constructions rationnelles et Ia ferme assurance de Ia théorie des atomes et du vide. Celle-ci, au demeurant, se fonde sur Ia raison bien plus que sur l'expérience. Certaines formules du premier texte cité de Sextus Empiricus traduisent cet embarras et suggerent que Démocrite a pris lui-même conscience des apories produites par son propre systeme'. C'est ce que confirme un texte de Galien rapportant un fragrnent de Démocrite qui oppose à l'évidence sensible les prétentions critiques de Ia raison : Comment le raisonnement, pour qui il n'y a pas de commencement possible hors de l'évidence, pourrait-il être digne de foi lorsqu'il s'emporte insolemment contre elle, alors qu'il y trouve ses principes ? Démocrite le sait, lui aussi, quand il calomnie les phénomênes en disant convention que Ia couleur, convention que le sucré, convention que l'amer, en réalité, les atomes et le vide et qu'il fait dire aux sens contre le raisonnement : misérable raison, alors que tu trouves auprês de nous tes croyances, tu nous rejettes ? Ce rejet est ta propre chute',
La raison ne peut donc prétendre à aucune autonomie et à aucune autorité critique par rapport aux sens parce qu'elle en est génétiquement dépendante. Si elle les rejette, elle rejette du même coup les principes sur lesquels elle se fonde. Ce texte se prête à plusieurs interprétations, Ia lecture empiriste devant être tempérée par l'hypothése d'une éventuelle réponse de Ia raison, que Galien aurait passée sous silence. Démocrite, en rédiI. Sur ce problême, et pour une recension des principales interprétations, je renvoie à P.-M. Morei, « Démocrite. Connaissance et apories », Revue philosophique, n° 2/1998, p. 145-163. 2. De l'expérience médica/e, XV, éd. Walzer-Frede [DK 68 B 125].
,'"
102
/
Connaissance et nécessité
Atome et nécessité
Sumário
103
I
Sumário finesse de I'objet et celle de I'esprit qui le saisit. Il est également remarquable que le datif adverbial eteê ( « en réalité » ), qui qualifie objectivement le mode d'être des atomes et du vide, serve aussi dans le texte de Sextus à qualifier Ia valeur de nos croyances dans l'expression « en réalité nous ne savons rien sur rien » (§ 137). Le point de vue de I'atome ne nous soustrait pas à Ia détermination génétique et physiologique des représentations, mais i1 nous fait échapper aux illusions qu'elles produisent. Elles sont en effet oublieuses de leur origine, ce qui justifie probablement que Démocrite les dise «bâtardes» ou «obscures» (skotiê ). Les deux formes de connaissance doivent donc être physiquement homogênes mais logiquement distinctes. Leur différence n'est pas tant une différence de facultés que d'attitudes. D'autre part, parmi les fragments aporétiques restitués par Sextus Empiricus, certains restreignent d'euxmêmes Ie champ de l'inconnaissable en précisant que nous ignorons Ia nature de « chaque chose» (hekaston). Ainsi, le fait que Ia nature de tel composé particulier nous échappe, parce que nous n'en percevons pas Ia constitution atomique, ne nous interdit pas de donner une explication globale de Ia constitution des qualités. Le blanc du mur qui nous fait face cache Ia nature et les causes de sa propre blancheur, mais nous pouvons expliquer Ia blancheur en général par le lisse des surfaces, leur porosité et leur caractêre translucide'. Le témoignage des sens, à ces conditions, retrouve une forme de légitimité. Non seulement Démocrite ne nie pas son utilité pratique, en dépit des illusions qu'il entretient sur Ia nature des choses, mais encore il estime nécessaire d'y recourir dans plusieurs domaines, comme les techniques mais aussi Ia philosophie naturelle elle-
geant ce dialogue allégorique, pouvait également se contenter de prendre acte d'un désaccord auquel i1 ne voyait pas d'issue et signifier qu'il est impossible de faire comcider I'expérience et Ia raison. Il est clair, à tout le moins, que le fragment traduit les difficultés inhérentes à Ia doctrine et, en particulier, celle que pose Ia dépendance de Ia raison par rapport aux senso Le problême se redouble si I'on considere, comme nous l'avons vu, que le témoignage de ces derniers est lui-même dépendant de causes antécédentes et de Ia nécessité qui régit les mouvements physiques. Les conditions du savoir. - Si nous choisissons de compléter Ia petite scene que rapporte Galien par une réponse de Ia raison, il faut pourtant postuler qu'il est possible de se soustraire en un sens à l'enchainement que l'on vient de décrire. La distinction entre les deux formes de connaissances ou de jugements dans le texte de Sextus (§ 138-139), qui pourrait fort bien servir de tirade à Ia raison dans une répartie contre les sens, I'exige également. Pouvons-nous, de fait, mettre sur le même plan Ia croyance naive ou naturelle dans le témoignage des sens et Ia conscience désenchantée de son insuffisance? Les textes conservés de Démocrite ne nous disent pas comment se constituent physiquement les représentations produites par le jugement légitime et nous ne pouvons que supposer leur nature atomique. Toutefois, ils nous invitent à distinguer entre le point de vue commun, qui demeure prisonnier de Ia croyance en Ia réalité des qualités sensibles, et le point de vue philosophique, éclairé par Ia théorie des atomes. Ainsi se justifie sans doute, bien que le texte soit lacunaire en cet endroit, l'évocation d'un degré supérieur de « subtilité» (leptoteron) à propos de l'objet du jugement légitime : Ia subtilité est le propre de l'atome et, comme notre notion du «subtil», elle caractérise à Ia fois Ia
Sumário
/
l. Sur Ia nature de Ia blancheur, [DK 68 A 135].
l
voir Théophraste,
Des sens, § 73
-
Sumário
104
/
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
/
105
Sumário
Sumário même, dans sa dimension étiologique. Le corpus dont nous disposons donne en effet plusieurs indices d'une pratique ou d'une préconisation de Ia recherche expérimentale et de l'observation savante : Ia description de Ia flamme et de sa forme pyramidale', des crues du NiP, ou l'observation du rassemblement spontané des corps de même forme et des animaux de même espêce'. Les anecdotes romancées qu'affectionnent les biographes de l' Antiquité confirment d'ailleurs que Démocrite laisse l'image d'un observateur attentif et d'un chercheur méticuleux. Ainsi, trouvant qu'un concombre (ou une figue, sikuos) avait le goüt du miel, il aurait entrepris d'en chercher Ia cause en allant inspecter lui-même le jardin d'oú il provenait, et cela même aprês qu'une servante lui eut dit avoir entreposé le légume dans un récipient ayant contenu du miel". Le rapport à Ia détermination nécessaire semble donc analogue, dans l'exercice de Ia connaissance, à ce qu'il est dans l'exercice de Ia décision morale et dans l'activité humaine en général. Nous ne pouvons nous soustraire au pouvoir de Ia nécessité, mais nous pouvons juger, comme nous pouvons agir, en choisissant de vivre en fonction de Ia nécessité. Nous pouvons en effet tout aussi bien vivre dans l'illusion du sensible mais nous sommes alors plus sournis encore à Ia déterrnination nécessaire puisque nous l'ignorons. Mais le fait même que les hommes puissent convenir de Ia signification des impressions sensibles en les qualifiant de douceur ou d'amertume montre déjà qu'ils disposent d'un certain pouvoir d'organisation, füt-ce dans les fictions qu'ils produisent. De même inventent-ils les dieux sous I'effet de Ia peur qu'ils éprouvent devant le tonnerre ou les 1. 2. 3. 4.
Théophraste, Du [eu, 52 [DK 68 A 73]. Aétius, IV, 1,4 [DK 68 A 99]. Sextus Empiricus, Contre les savants, VII, 116-117 [DK 68 B 164]. Plutarque, Propos de table, I, 10, 628 C [DK 68 A 17 a].
Sumário ~.1.
éclipses'. L'usage que constitue Ia désignation conventionnelle des qualités sensibles, comme Ia technique éducative dans le fragment 68 B 33, confirme l'existence d'une possibilité, limitée mais réelle, d'adapter Ia pratique au cours des événements naturels. II n'en demeure pas moins que c'est à propos de Ia connaissance que l'embarras de Démocrite est le plus grand. Sans doute est-ce là que l'inquiétude face à Ia détermination physique est Ia plus vive.
Les épicuriens : de l'évidence sensible à Ia nécessité logique La valeur de l'évidence sensible. - Les épicuriens, comme Démocrite, entendent expliquer les opérations cognitives par Ia physique des atomes. IIs parviennent toutefois à des conclusions opposées. Tout d'abord, comme nous I'avons vu dans Ia deuxiême partie, Épicure dénonce l'impasse logique à laquelle conduit le nécessitarisme. Il établit, dans le Peri phuseôs, une distinction essentielle entre ce qui releve de Ia nécessité physique et ce qui est en notre pouvoir. Il affirme ainsi, non seulement Ia possibilité de l'acte libre, mais aussi l'autorité de Ia pensée, le fait que nous soyons les auteurs véritables de nos jugements. Dês lors, I'acte de connaissance se libere de Ia déterrnination physique et des difficultés qu'elle posait dans Ia conception démocritéenne du savoir. De plus, Épicure résoud de maniêre radicale le problême épistémologique du rapport entre les perceptions et les jugements et représentations qui en dérivent : si Ia raison n'est pas fondée à critiquer les sens, ce n'est pas seulement parce qu'elle en dérive génétiquement, comme
I. Sextus Empiricus,
Contre les savants, IX, 24 [DK 68 A 75].
Sumário
J
106
/
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
Sumário dans le fragment 68 B 125 de Démocrite, mais c'est aussi et surtout parce que les sensations, loin d'être responsables de nos erreurs, constituent le premier critêre de connaissance. La critique de Démocrite dans le Peri phuseôs (34. 30) s'appuie d'ailleurs, comme on l'a vu, sur l'évidence de l'expérience que nous faisons de l'action délibérée. Toutefois, Démocrite fondait en grande partie sa critique du témoignage des sens sur l'explication physiologique de Ia perception. Résultat d'un mixte composé par le sentant et le senti dans I'air intermédiaire, variable selon les agents, Ia vision ne pouvait restituer fidêlement Ia nature de I'objet visé. Il est donc logique qu'Épicure propose un autre modele pour rendre compte de Ia perception et de l'erreur : [49] Il faut également concevoir que c'est parce que quelque chose vient depuis les choses extérieures que nous voyons les formes et que nous pensons. Les choses extérieures, en effet, ne sauraient imprimer leur couleur et leur forme naturelles au travers de l'air intermédiaire situé entre nous et eux, ni par les rayons ou par quelques flux que ce soit allant de nous à eux, comme elles le font du fait que certaines répliques (tupos) viennent à naus depuis les choses qui ont rnême couleur et même forme qu'elles, s'ajustant par Ia taille [50] à notre vue et à notre pensée en des déplacements três rapides. Elles apportent ensuite, sous l'effet de Ia même cause, I'image (phantasia ) de ce qui est un et continu et préservent, loin du sujet, Ia sympathie avec lui, grâce à Ia résistance des proportions qui sont les siennes et qui vient de Ia vibration des atomes dans Ia profondeur du solide. Et I'image, de Ia forme ou des propriétés, que nous saisissons en nous y appliquant par Ia pensée ou bien par les organes des sens, est Ia forme même du solide, se constituant en conformité avec Ia suite de masses compactes ou de restes du simulacre (eidôlon). Quant au faux et à l'erroné, ils résident toujours dans ce qui est ajouté par l'opinion (prosdoxazomenon), qui est susceptible d'être confirmé ou non infirmé, mais qui, par Ia suite, ne reçoit pas de confirmation , et cela en vertu d'un certain mouvement en nous-mêmes, lié à Ia saisie de l'image
Sumário
/
107
Sumário
1
mais " . Ui ffi ~ en ecarte, et par lequel le faux se produit [51] En :. et, es images que l'on appréhende cornme des r~producI~ns, ou qui se produisent dans le sommeil ou en vertu d autres modes de saisie, de Ia pensée ou des autres critêres ~ourralent ,avo:r de ressemblance avec ce que l'on dit êtr~ ~~ etre. v~al, SI! n,y ~vaIt .pas ces choses-Ià, que nous saisissons MaIS I errone n existeraít pas si nous n'appréhendions pas aussi q~elque autre mouvement en nous-mêmes lié . " . ,alSle e , ' mais qur s en ecarte. 01' c'est en vertu de celui-ci s'il n est p,as confirme ou s'il est infírmé, que le faux se rod . MaIS s 1I est [~2] confirmé ou s'il n'est pas infirmé, c'esf ledv~; ~~~/~ P~Odlllt. II/aut donc également maintenir fortement oc nne, ,SI on ne veut pas que les critéres ui sont conformes aux évidences soient détruits et que l'erroné q com me afferrru, ne provoque un trouble total (Hrdt., 49-52). '
. L:évocation d~ rôle d~ l'~ir intermédiaire, hypothêse 1~~tIl~ P?ur Épicure, fait mévitablement penser à Ia t eone democnteenne de Ia vision. I1 en va de rnême des ~ rayons » et des « flux » (reumata) qui proviendraient e nous I,orsque nous voyons, bien que cette allusion ~o~~en:e egalement Ia théorie de Ia vision exposée dans e, d1.m.eede PI~ton. (45 B). Epicure élimine donc les inter~e .Ia~res et ~edu!t le nombre des facteurs, procédant a~nsI ,a une sunplIfication de l'explication atomiste La s,urete d,e .t~ connaisance que nous dégageons des 'sens tient precisement au fait que Ia continuité du ment atomi (voi mouve. que vou Hrdt., 43) pennet l'engendrement spontane' .' d , ' a pa~ tir es agregats, de répliques (tupoi) ~delt:s .. Ces répliques nous infonnent par elIes-mêmes et urunedIatement de Ia nature de l'obiet ., ' . J VIse, parce qu' II e es «s ajustent à notre vue et a' notre ' (§ 50) D' 1 pensee » . . ~s ors donc que nous leur prêtons attention n.o~s saisissons ce qui provient effectivement de I'objet v~se et ~~n pas, comme dans Ia perspective phénoméruste qUI etait celle. de Démocrite, queIque agrégat nouveau que nous aunons contribué à composer. r
Sumário
108
/
Atome et nécessité Connaissance et nécessité
/
Or ces répliques sont, precise Épicure, en « sympathie » avec leur source et transfêrent cette même s~pathie à notre perception, en v~rtu d'~e sorte de. pnncipe d'inertie dans Ia répercussion des etats ato~~ques. Plus précisément, comrne le montre le § 50, I ~age transférée de Ia forme « est Ia forme même du solide ». Elle n'est donc nullement subjective ou proprement mentale : nous percevons quelque chose que l'obje.t produit de lui-même, par l'intermédiaire d'un flux de simulacres (eidâla) qui en transmettent Ia structure. Le cours d~s simulacres il est vrai, peut être perturbé, comrne ÉPIcure l'envisage, explicitement au § 48 et implicitement dans le texte cité. Lucrêce l'explique au chant IV : Les tours carrées d'une ville dans le lointain / nous paraissent rondes pour Ia raison suivante : / à grande distanc.e tout angle devient obtus, / ou plutôt disparait, son impulsion se perd, / les chocs ne peuvent plus p~rvenir à nos yeux / parce que, à tant frapper ses images qui Ia traversent, / Ia grande masse d'air le force à s'émousser. / Quand donc tous leurs angles échappent à nos sens, / ces édifices de pi~rre semble~t modelés sur un tour; / s'ils n'ont l'aspect d'ob]et,s arrondis, présents et vrais / ils leur ressemblent un peu, a Ia façon d'esquisses (v. 353-364)1.
Les simulacres de Ia tour carrée que je vois au loin m'apporteront l'image d'~ne tour ronde ~ .cause de l'érosion que Ieur flux subira en traversa~t I air s~r une longue distance. II n'en demeure pas moms que I image finalement perçue est une image réelle, Ia présence effective de ce qui émane de l'objet visé. Elle n'e~t donc p~s en elle-même porteuse d'erreur, car iI est vr~I, Ior~que je perçois Ia tour ronde, alors qu'elle est en fait carree, q~e je Ia perçois ronde. La sensation est d~nc touJo~rs vraie, parce qu'elle est réelle, et Ia déformatI?n des simulacres est un processus physique épistémologiquement neutre. 1. Voir aussi Sextus Empiricus,
Contre les savants, VII, 208-209.
Sumário
109
Sumário
Sumário
II ~a~t c~~end.ant rendre compte de I'erreur, si l'on veut eviter I écueil du reIativisme. Les deux autres textes f?ndamenta~x s~r Ia critérioIogie ou canonique épicunenne, le temOlgnage de Sextus Empiricus dans Ie C?ntre les savants (VII, 203-216; Uso 247) et celui de ~lOgene Laer~e (X, 31-34), affirment en effet sans detour qu~ Ies ,~ages sel}sibIes sont toujours vraies. Sextus .associe d ailleurs Epicure à Protagoras dans Ia famílle dogmatique de ceux qui affirment Ia vérité de t~u~ les phénomenes (VII, 369). Aussi Épicure préciset-l~ rrnmedIatement, dans le passage cité de Ia Lettre à Hérodote, que le faux vient de ce qui est ajouté à Ia sensat,lOn. II ~e s'agit évidemrnent pas des prolepses : bien qu elles aient une fonction d'anticipation _ comme lorsque Ia prolepse de l'homme nous permet de nous figurer par avance. quelqu'un que l'on va nous présenter -, ~lles se constltuent dans un rapport immédiat aux sensations, par le souvenir de ce dont nous avons souvent fait l'exp~ri~nc~ \I?L, X, 33). I1 ne s'agit pas non plus des procedes Iégitimes de formation des notions (epinoi~i~, par rencontre, analogie, ressemblance ou comP.o~ltJon a~ec Ies sensations, procédés qui permettent d: saisir c~ qui est c~ché (adêlon) aux sens (DL, X, 32). L erreur vient en fait de ~ qui est ajouté par l'opinion (pr~sdoxazomenon) et qui, par Ia suite n'a pas fait I'objet ~'u~e v~rifi~ation capable de le cO~lfIDer (Hrdt., 50). II s agit d un rugemect relatif aux images mais distmct d~ celles-ci. C'est le cas du jugement erroné qui nous fal~ affirmer que Ia tour que nous voyons de loin est effectI~ement ronde, alors que nous n'en avons pas Ia ~on~rmatlOn, faute d'avoir diversifié notre expérience de I objet - en nous en approchant et en en faisant le tour par exemplo. . . Or,_et, c'e~t ce. qui es~ ess.entiel pour Ia question de Ia liberte, I ad]OnctlOn opmatJve est « un certain mouvement en nous-mêmes» (tina kinêsin en hêmin, 51-52).
Sumário
110
I
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
/
III
Sumário
Sumário Sextus Empiricus précise de son côté, dans sa relation d.e Ia canonique épicurienne (op. cit., VII, 210), ~ue Ies opinions sont nos jugements sur Ies images. Lucr~ce est pI~s c1air encore Iorsqu'il précise que I'espnt pr~?Ult l'adjonction «de lui-même » (ipsi; IV, 465) et qu 11Ia tire de son propre fonds (ab se; IV, 468). II n'est pas impossibIe que ce m<:uveI?ent s'ef~ectu~ d'une maniêre assez spontanée pour etre involontaire, SI bien que les opinions se formeraient presque à notre corps défendant, comme dans Ies rêves, ou Ies s~ns assoupis ne peuvent pIus exercer sur e.lles.~eur fon~tlO,n de contrôle'. Ce cas de figure est particuliêrement ~nteressant pour notre propos car il cons~itue u~~ pierre d'achoppement suppIémentaire dans. I ?pp;>Slt!on des épicuriens à Démocrite. Alors que ceIUl~c~pret~ ~es2pouvoirs presque télépathiques et une ~n~ne d~vllle aux simuIacres qui inspirent Ies rêves, Diogéne d CEnoanda attribue les ilIusions oniriques à Ia s.eule ~o.rce .de I'opinion (Texte 1) et défend une conception minimaliste des propriétés des simulacres (Texte 2) : Textel: (...) Qu'arrive-t-il donc quand nous dorrnons? Tous les sens étant comme paralysés et éteints par le sommeil, l'âme encore éveillée et incapable de connaitre leur état et leur disposition du moment, mais recevant en elle-même le~ simulacres qui arrivent, recueille à leur propos une opmion non réfutée et fausse, comme s'ils étaient vérit;blement de nature solide. En effet, les moyens de réfuter I opimon sont alors endormis, Or, ces moyens, ce sont les senso En effet, eux seuls demeurent, contre toutes les choses fausses, le canon ,et le cntere de Ia vérité. Aussi, contre ton raisonnement, Democnte, nous disons ceci: Ia nature des rêves n'est aucunement d'origine divine, comme tu le dis, ni porte use d'admo-
I. Voir Lucrêce, IV, 762·764. 2. Ce point fait également d'Épicure ; voir Ia SV 24.
l'objet
d'une
critique
de
Ia part
nestations, mais ce qui produit les rêves, ce sont bien plutôt certa ines entités naturelles, de sorte que l'argument sophistique est congédié' Texte 2: (...) il ne faut donc pas dire vides alors qu'elles ont un tel pouvoir'. Mais il n'est cependant pas vrai, si elles ne sont pas vides, qu'elles possêdenr sensation et raisonnement ni qu'elles s'entretiennent véritablement avec nous, comrne le suppose Démocrite. 11 est impossible, en effet, que des membranes fines et qui n'ont pas de profondeur de nature solide aient de telles propriétés. Ces gens, d'une part les Stoiciens, d'autre part Démocrite, se sont trompés en sens opposé : les Stoiciens, en effet, privent les représentations d'un pouvoir qu'elles ont, alors que Démocrite les crédite d'un pouvoir qu'elles n'ont pas'.
Toutefois, lorsque Épicure précise que le mouvement opinatif se produit «en nous-mêmes », iI indique qu'il est en notre pouvoir. Nous devons donc en principe être capabIes de Ie maítriser et il est en tout cas de notre entiêre responsabilité de Ie soumettre ou non à l'épreuve de Ia confirmation. Nous ne sommes pas plus déterminés à l'erreur qu'à Ia vérité et il ne tient qu'à nous de rapporter nos jugements au critêre fondamental de l'évidence (enargeia). Nous pourrions objecter que, paradoxaIement, Ie premier cri tere de connaissance, Ia sensation, est le fait d'un processus purement physiqus, au sens ou il abolit toute différence entre l'interne et I'externe. Sentir, nous l'avons VU, n'est pas une activité subjective: c'est Ia pénétration du réel dans l'agrégat corporel. Ainsi définie, Ia sensation risque d'apparaí'tre comme une situation de pure passivité, intégralement soumise aux mouvements atomiques. Sommes-nous dês lors encore I. Diogénr, d'CEnoanda, frag. 9 IV 7 - 9 VI 14 Smith. 2. Diogéne vient d'évoquer le plaisir, réel, éprouvé lors du rêve érotique, 3. Diogéne d'CEnoanda, frag. 10 IV 7 - 10 V 14 Smith.
Sumário
Sumário
'r~ 112
/
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
Sumário
113
Sumário
Sumário libres lorsque nous faisons usage de ce critêre ? Plus radicalement: peut-on faire d'une situation passive un critere de vérité, c'est-à-dire un moyen d'exercer un jugement critique sur nos propres représentations ? Ou bien faut-il imaginer que Ia sensation n'est cri tere que pour le jugement qui lui reconnait cette valeur ? ~ ,faudrait. al?r~ légitimer ce dernier par un nouveau cntere et am.sl a l'infini. Du reste, les textes déjà cités sur Ia canomque n'envisagent nullement cette fausse solution et ils établissent clairement que Ia sensation est par elle-même le premier critêre de vérité. Que trouver de plus fiable que les sens? demande Lucrêce (IV, 482). En effet, leur perception est vraie à chaque instant (IV, 499). 11 convient en fait de revenir au texte déjà cité de Ia Lettre à Hérodote, au § 50 : lors de Ia sensation, Ia forme même du solide nous est donnée dans « l'image, de Ia forme ou des propriétés, que nous saisissons en nous y appliquant (epiblêtikôs ) par Ia pensée ou bien par les organes des sens ». Plus bas (§ 51), Épicure évoque.« les images que l'on appréhende comme des reproductions, ou qui se produisent dans le sommeil, ou en vertu d'autres modes de saisie (epibolas ), de Ia pensée ou des autres critêres ». La vision de l'esprit, mais aussi celle des sens, qui sont évidemment compris dans l'expression « les autres critêres », est donc littéralement une « projection » {epibolé ) en direction de l'objet. Celui-ci n'est donc pas simplement reçu, mais aussi visé et cela dês le stade de Ia sensation. L'image (phantasia) de l'objet est d'emblée une « saisie de l'image » ou une « projection imaginative » (phantastikê epibolê, § 50-51), c'est-à-dire non pas le mouvement surajouté d'une imagination ou d'une opinion sans maitre, mais le mouvement d'attention par lequel l'objet nous est donné. Cela ne signifie pas que Ia sensation soit un état dépourvu de toute passivité, puisque « quelque ch?se vient depuis les choses extérieures » (§ 49). La sensation
/
est en effet une affection (pathos) au sens large: non ~as, une. fois encore, un état purement passif, inais un etat qUI suppose une certaine passivité. C'est par exemple le cas de l' « affection auditive » (akoustikon pathos) que produit Ia résonance des sons (§ 52). La sensation comprend donc à Ia fois Ia réceptivité sans laquelle elle nepourrait être vraie et l'acte d'attention sans lequel elle ne saurait être indica tive du vrai. Nous pouvons ainsi tout à Ia fois voir et regarder, entendre et écouter, sans que ce regard ni cette écoute cessent d'être conformes à l'objet senti.
I
Le vrai et le nécessaire. - Nous sommes en droit toutefois, de nous interroger sur Ia validité des juge~ ments et n.otions inférés de l'évidence sensible. L'expénence sensible, en effet, ne nous donne à connaitre que du particulier, même si elle constitue Ia matiere du général que saisit Ia prolepse. Comment peut-elle fonder des jugements ayant valeur universelle et produire des relations nécessaires? Le probléme touche même à l'essentiel de Ia doctrine: quelle est Ia valeur des inférences relatives aux choses cachées, les adêla, parmi lesquelles se trouvent les pri~cipes de Ia nature et de Ia phusiologia, les atomes et le vide ? Épicure définit une méthode complexe de vérification des opinions, que nous pouvons reconstituer à partir des témoignages de Diogéne Laêrce et de Sextus Empiricus sur Ia canonique. Lorsque les opinions sont relatives à ce qui peut faire l'objet d'une expérience sensible directe leur vérité est établie par confirmation (eptmarturêsis) et le~r ~ausseté par non-confirrnation (ouk epimarturêsis ), Ainsi, lorsque j'ai l'opinion que Platon s'avance devant moi, je suis encore en attente d'une confirmation ou de son contraire, Ia non-confirmation, que me procurera l'expérience sensible lorsque l'homme que j'aperçois se sera approché. Lorsque les opinions sont relatives aux
Sumário
114
/
Atome et nécessité
Connaissance et nécessité
/
115
Sumário
Sumário choses cachées, elles peuvent faire l'objet ~'une n?ninfirmation (ouk antimarturesis) ou d'une mfi~atlOn {nntimarturésis ), Je dois établir ,?a~s. ce cas un l.len, de conséquence (akolouthia) entre I invisible et ce qui m ~st donné dans l'évidence sensible. Ainsi, l'existence du vide ne peut être directement confirm~e, mais ell~ n'en est'pas moins assurée par non-infirmation, contralrement a Ia thêse stoicienne qui Ia nie. Je constate en effet l'existence du mouvement. Or celle-ci implique celle du vide (Hrdt., 40). Donc le vide existe. L'hypothese contraire es: infirmée et ma conclusion assurée. Dans le cas ou l'inférence n'infirme pas I'hypothêse contraire, elle impose l'acceptation d'explications multiples, d~ disj?nctions non-exclusives, comme dans le cas des phenom~ne.s célestes (voir, par exemple, Pyth., 86, 87, 93, ~6). ~nsl, les éclipses du Soleil et de Ia Lune peu.vent s ex~hquer par leur extinction, ou par leur occultation par d autres corps (§ 96). I1 est du reste possi?le qu~ les différentes explications d'un même phénomene soient non seulement compatibles, mais encore convergent,es (§ ~6)1. , Épicure ne renonce donc nullement a attnbuer a l'inférence Ia valeur d'une relation nécessaire, pour autant comme nous l'avons vu plus haut, qu'elle ne porte ~as sur le futuro L'exemple de l'~x.istence du vide: tel qu'il est formulé par Sextus E~pmcu~, tout a fait clair: « S'il n'y a pas de vide, nécessairement {kat'anankên ) il n'y a pas non plus de mouv~ment» (VII, 214). Lucrêce confi.r~e 9-ue Ia ment1?n ,de l'idée de nécessité n'est pas ICI accidentelle : « PUlSqU.11s errent dans le vide, il faut (necessest) que ces pnn-
=.
I. Pour plus de précisions sur Ia méthode épicurienne de vé~!flcation on se reportera à M. Conche [1977], p. 20-39, ou encore à I etude de Jean-Paul Dumont, « Confirmation et disconfirmatlOn », dans J. Barnes, J. Brunschwig, M. Bumyeat, M. Schofield, Science and Speculation. Studies m Hellenistic Theory and Practice, Cambndge, 1982, p. 273-303.
Sumário
cipes / se meuvent par leu r poids ou par le choc d'un autre » (lI, 83). II resterait peut-être à s'interroger sur le fondement de l'akolouthia, du Iien de conséquence qui nous permet de passer de l'expérience du mouvement à l'existence du vide. La réponse est sans doute à chercher du côté du statut de l'évidence sensible : percevoir le mouvement, c'est du même coup poser l'existence d'un espace dans lequel se meuvent les corps. Nous ~e pouvons à vrai dire poser cet espace comme vide que SI nous admettons l'existence de mínima corporels, qui ne sauraient se mouvoir dans un esp~c~ non-vide .car les corps qui l'occuperaient, égaux ou s~~~eurs en taille, empêcheraient qu'ils se meuvent. La v~.nt~ sur ~es ,adela .doit donc découler, non pas ' d inférences isolées, mais d'un systême d'inférences celui précisément dont Épicure donne l'esquisse dans Ia Lettre à Hérod~te .. Le préambule méthodologique des § 35-37 mon~re amsi Ia nécessité de constituer un schéma ou une esquisse (tupos) de l'ensemble de Ia doctrine, réduite à ses formules élémentaires : ce n'est en effet qu'en disposant, dans notre mémoire, d'une représentation globale du systéme, que nous pourrons parvenir à une connaíssance e~acte des phénornênes particuliers. La phusiologia ne ~onslste pas à collecter des impressions sensibles suecessives mais à organiser les inférences qui en découlent afin de construire le discours causal I. ' En tout état de cause, iI n'y pas de vérité ratiormeIle indépendamment de Ia vérité a-rationnelle de Ia sensation (voir DRN, IV, 469-499). La nécessité de nos infér~n~~s est ~onc garantie par Ia force contraignante de Ia ven~e senslb.le. ~a sen~ation n'est pas une simple infor~a~l?n pa;.tlcuhe~e qui devrait attendre, pour fonder Ia vente de I induction, une élaboration perceptive supplé1. Voir,.en ce sens, D. Sedley, « The Inferential Foundations of Epicurean Eth,CS », dans G. Giannantoni, M. Gigante [1996], p. 313-339.
Sumário
116
/
Atome et nécessité
Sumário
Sumário mentaire ou une corroboration postérieure: elle est d'embIée vraie, parce qu'elle est l'expérience I?ê~e du contact avec Ie réel. Nous n'avons pas en effet a démontrer I'évident, sans quoi nous devrions démontrer à l'infini. Le critêre de Ia sensation satisfait donc à Ia nécessité d'un arrêt dans Ia recherche des causes et nous permet ainsi de procéder à partir de « signes,» e~ direction des adêla. Ainsi, au § 38 de Ia Lettre a Herodote, Épicure évoque Ia «nécessité» - et par .Ià Ie c~r
Philodême afin de répondre aux critiques stoíciennes formuIées contre cette méthode, I'approfondira dans son traité Sur les signes en déveIoppant de nombreux arguments qui établissent Ia nécessité du raisonnement par inférence ou epilogismos', . Les épicuriens estiment donc pouvoir Iibérer Ia ~o~nalssance de l'obstacle de Ia nécessité physique, mais IIs ~e renoncent pas pour autant à concevoir l'inférence à partir du sensibIe comme une reIation nécessaire. Comme d.an~Ie domaine de l'éthique, Ia nécessité n'est plus un pnncipe exteme et hégémonique, mais une propriété de nos ptopres démarches Iorsqu'elles sont conformes à Ia nature. I. Voir, en particulier, le § 52 dans I'édition de Ph. et E. D~ Lacy, Philodemus. On Methods of lnference, Naples, Bibliopolis, 1978-.
Sumário
Conclusion L'idée de nécessité est au cceur de Ia poIérnique qui, à I'intérieur de Ia tradition atorniste, oppose les épicuriens à Démocrite. Cette poIérnique, Ioin d'être secondaire, est constitutive: Ia physique, l'éthique et Ia théorie de Ia connaissance sont égaIement confrontées aux problêmes que pose Ia détermination nécessaire et elles s'organisent en grande partie à partir d'elle. Aussi les épicuriens ne rejettent-ils pas Ia nécessité. Ils Ia Iirnitent et lui assignent une fonction nouvelle dans ces trois domaines. Démocrite distingue impIicitement une nécessité indéterminée - le hasard des mouvements précosrniques _ et une nécessité déterminée - l'enchainement des mouvements dans un monde donné. Ces événements sont dans l'ensemble absoIument contraignants mais certains d'entre eux ne Ie sont que reIativement et tolêrent une contingence résiduelle. A partir probablement d'un certain seuil de complexité dans Ia convergence des causes et Ia structure des agrégats, Ia nécessité laisse sporadiquement pIace à des faits de hasard et à I'initiative humaine. Dans l'activité technique, dans I'exercice de Ia décision morale ou dans celui du jugement, l'homme peut choisir de vivre en accord avec Ia nécessité et d'adapter à son profit ce qu'elle abandonne à I'aIéatoire. Epicure, qui ne retient de Ia nécessité démocritéenne que sa dimension Ia plus contraignante, I'estime à Ia fois insuffisante et dangereuse: elle ne permet pas d'expliquer Ia formation des mondes et elle met en périI l'action et Ie jugement. La théorie de Ia déviation atomique telle que Lucréce l'expose met Ia contingence au principe de Ia formation des mondes, Ie désordre avant l'ordre, et introduit ainsi une rupture dans un enchainement causal que Démocrite estimait intangibIe. La
Sumário
118
/
Atome et nécessité
Conc/usion
119
Sumário
Sumário nécessité n'est pIus aIors « príncipe de toutes choses », mais se met au service de Ia nature. Ce qui est nécessaire n'est donc pas Ie fait d'une puissance absoIue et nous pouvons distinguer chez Ies épicuriens trois occurrences positives de I'idée de nécessité: celle qu'institue, en termes lucrétiens, Ia régularité des pactes de Ia nature (Ies foedera naturae); Ies nécessités de l'existence, qui n'exercent qu'une contrainte reIative ; Ie caractêre nécessaire des inférences valides et des désirs naturels dont dépend Ie bonheur. Alors que l'idée de nécessité est d'abord chez Démocrite un substantif - Yanankê comme principe hégémonique -, elle prend Ie plus souvent chez les épicuriens Ia forme de l'adjectif, pour qualifier nos désirs essentiels et nos jugements corrects. Nous aurions sans doute tort de ne voir dans cette querelle que l'expression de préoccupations dépassées. Prendre en compte Ia nécessité dans Ia réflexion sur Ia responsabilité et Ia décision nous oblige, iI est vrai, ~ substituer au privilêge de Ia moralité pure, de Ia IOl moraIe inconditionnée, un caIcuI toujours hypothétique de nos chances de bien agir. C'est aussi faire du « bienêtre » au sens démocritéen, ou du bonheur, chez Epicure, ia fin de tous nos efforts. 11nous faut aIors revenir à une éthique pré-kantienne. Toutefois, comme Bernard Williams I'a récemment montré à propos de l'articulation de Ia responsabilité et du destin chez Ies Tragiques grecs', nous sommes toujours fondés à mettre notre exigence de Iiberté à l'épreuve de Ia nécessité. Celle dont Ie~ atomistes affirment I'existence n'est pas surnatureIle ni intentionnelle mais immanente et, comme telle, elle confronte Ia décision à Ia réalité du monde. Épicure propose de prendre Ia mesure de Ia nécessité pour mieux affirmer
/
,
I
I I (
que nous ne Iui sommes pas asservis et qu'il est possibIe d'atteindre Ie bonheur parce que nous pouvons agir avec une totaIe liberté dans Ie domaine de ce qui dépend de nous. La situation que Ies textes conservés de Démocrite nous autorisent à reconstituer est pIus proche de celle que décrivent Ies Tragiques : nous vivons sous Ia contrainte d'une nécessité toute-puissante et pourtant iI nous faut agir et décider. La soIution que dessine Démocrite réside dans Ia perspective d'une doubIe adaptation : s'adapter à I'ordre général des choses mais aussi adapter à nos visées ce que le cours des événements conserve d'incertain. La nature elle-même ne peut nous fixer de normes et Ies caractérísations de Ia fin sont essentiellement négatives. 11 s'agit dês Iors d'exercer une liberté résiduelle, limitée et cependant suffisante pour connaí'tre Ia joie que promet l'équilibre de l'âme.
;
I
I
I. Shame and Necessity, University of Califomia, 1993, traduit en français sous le titre La honte et Ia nécessité par J. Lelaidier, Pans, PUF, coll. « Philosophie moral e », 1997.
Sumário
Sumário
Catalogue des auteurs anciens
/
121
Sumário
Sumário
Catalogue des auteurs anciens
Aétius : Cet auteur du 1" siecle a été identifié à Ia fin du XIX' siêcle par H. Diels (dans ses Doxographi graeci de 1879) comme un compilateur de notices thématiques exposant et confrontant les thêses des Anciens. Ces tableaux doxogra: phiques ou Placita s'inspirent de notices plus ~nciennes, les Vetusta Placita, eux-mêmes dépendants des OpmlOns physiques de Théophraste. Les notices d' Aétius servent notamment de matériau aux écrits du Pseudo-Plutarque et de Stobée. Elles constituent une source três importante pour Ia connaissance des physiques p~ entre autres, de Ia physique de Démocrite. . Anaxarque d' Abdere : Instruit des theses de Démocnt.e,. par I'intermédiaire de Métrodore de Chio, auteur d'un traite Sur Ia royauté, il fut également le maitre de Pyrrhon. Il vécut entre 380 et 320 avo J.-c. Anaximene: Philosophe de l'école de Milet, son acmé se situe vers 546-526 avo J-C. Aristote (384-322 avo J.-c.) : Fondateur du Lycée, il est notre prernier témoin, en date et par le volume de textes, de Ia physique de Démocrite. Simplicius rapporte une page. d'un traité qu'il lui consacre expressément [DK 68 A 37]. Aristote tend à simplifier Ia physique de Démocrite à laquelle il reproche de réduire toute explication à Ia causalité I?atérielle et de négliger les causes formelles et finales. Ses temoignages, nombreux et souvent détaill~s: révelent cependll;nt. que cette physique ne se laisse pas alsement. slmphfier., Epicure s'efforce de répondre à plusieurs des objectlOns qu Arlstote adresse à l'atornisme abdéritain. Chrysippe (autour de 280-207 avo J.~C.) : Il devi~nt en 232 le maitre du Portique, I'école stoiclenne d' Athenes. Engagé dans les débats de Ia période hellénistique, il a également cntiqué l'usage démocritéen de Ia méthode mathématique d'approximation [DK 68 B 155]. , . Cicéron (106-43 avo J.-c.): Orateur, hornrne d'Etat et philosophe romain, il dresse vers Ia fin de sa vie un vaste tableau
Sumário
des écol~s hellénisti'l,ues. 1.1est I'auteur de témoignages souvent, uruques sur Democnte et sur I'épicurisme romain du rer siêcle avo J.-c. Clé~e~,t d'Alexa~drie: Cet auteur, qui vécut entre Ia fin du II .siêcle et le debut du m', établit dans ses écrits des compar~lsons entre paiens et chrétiens. 11 rapporte plusieurs citabons de Démocrite. Colotês de Lampsaque : Disciple d'Épicure, il rédige, probable-' ment au~our,de 260 avo ~.-c., un traité intitulé SUl' lefait que Ia conformité avec les theses des autres philosophes rend Ia vie impossible. PI,utar~~e r~pond à ce traité polérnique dans son Contre, Colotes, ou II defend les aneiens philosophes et parmi eux Democnte. Le traité de Plutarque est donc un témoignag~ essentiel sur les critiques adressées à Démocrite dans les milieux épicuriens. Démocrite d'Abd~re (autour de 460-360 avo J.-C.) : Le fondateur, avec Leucippe, de Ia tradition atomiste. 11 est I'auteur selon le catalogue de Thrasylle, d'au moins 70 traités, dont iÍ ne subSIste. que quelques fragments, mais dont les témoignages anciens s~nt parmi les plus abondants de ceux qui concernent les philosophes présocratiques. Denys d'Alexandrie: Évêque d'Alexandrie de 248 à 265 il cOI?pose ~n ~raité, Ia nature, ou u critique les épicuri;ns, mais aussi Democnte, dans lesquels il voit des ennemis de Ia Providence. Ce traité est cité par Eusébe de Césarée dans sa Préparation évangélique. Diodore Cronos : L'un des principaux représentants de l'école de Mégare au rv siêcle avo J.-c. Épicure s'oppose à son ~r~ument sur Ia nécessité des propositions concernant les evenements futurs. Diodore ~e Sicile : Cet historien du ler siêcle donne un témoignage .unportant sur. I'a~thropologie de Démocrite au pre.rrn~r livre de sa Bibliothéque historique [DK 68 B 5, I]. Diogéne d'~noanda (n' s.) : Auteur d'une inscription murale en Turquie dont Ia reconstitution est engagée depuis Ia fin ~~ XIX'. siêcle ; son reuvre est le témoignage le plus tardif de I epicunsme antique. Elle donne également de précieux renseignements sur Ia physique de Démocrite et en particuJier sur sa conception des simulacres.
pe
Sumário
122
/
Catalogue des auteurs anciens
Atome et nécessité
Sumário
123
Sumário
Sumário Diogêne Laêrce : Auteur, probablement dans Ia premiére moitié du me siêcle, des Vies et doctrines des philosophes illustres en dix livres, il mobilise une vaste documentation au service d'une présentation unique, à Ia fois biographique et doxographique, des différentes écoles philosophiques. Le livre X, qui relate une Vie d'Épicure et transmet les Lettres à Hérodote, Pythoclês et Ménécée ainsi que les Maximes capitales, constitue notre principal e source sur le fondateur du Jardin. Son témoignage sur Démocrite, au livre IX, rattache I'Abdéritain à Ia tradition sceptique et reproduit le catalogue de ses ceuvres, tel que l'avait établi Thrasylle. Épicure (341-270 avo (-C.): Le fondateur du Jardin, auteur non seulement des éc~ar Diogêne Laêrce, mais encore d'une quarantaine de traités mentionnés par ce dernier dont le traité De Ia nature, en 37 livres. De celui-ci il ne reste que quelques fragments dont on trouvera une édition globale dans I'ouvrage de G. Arrighetti, Epicuro. Opere, Turin, 1973. Eusebe de Césarée: Évêque, il rédige Ia Préparation évangélique entre 310 et 325. Ses témoignages critiques sur les atomistes s'inspirent en partie de Denys d' Alexandrie. Galien: Médecin et philosophe de Ia fin du n' siêcle, il donne des indications importantes sur Ia physique de Démocrite et sa théorie de Ia connaissance. Il témoigne à cette occasion de I'influence de l' Abdéritain sur les écoles médicales. Héraclite: Philosophe né à Éphêse autour de 540 avo J.-C. ; il dut mourir autour de 480-470. Hésuchios: Grammairien grec, généralement situé au V' siêcle apr. J.-c., il est l'auteur d'un Lexique contenant de précieuses indications sur le vocabulaire des philosophes présocratiques. Hippocrate de Cos : Médecin né à Ia fin du V' siêcle avo J.-c., il est I'un des principaux auteurs du Corpus hippocratique. Si l'on en croit certaines anecdotes antiques, il aurait rencontré Démocrite. Il est en tout cas manifeste que certains traités hippocratiques, comme le traité Des airs, des eaux et des lieux, ont une parenté avec les thêses de I'école d'Abdére. Hippolyte: Évêque du début du me siêcle, il s'attaque aux hérésies de son temps dans sa Réfutation de toutes les héré-
/
sies, e~ montrant que leurs
sont comparables à ceUes des philosophes paiens. Nous lui devons deux témoignages importants sur Ia cosmologie abdéritaine [DK 67 A 10 et 68 A 40]. Lactance: Cet écrivain chrétien du me siêcle critique notamment, dans ses Institutions divines, Ia thêse démocritéenne de I'origine autochtone des premiers hommes. Leuc~ppe : N~ dans ,Ia premiêre moitié du V' siêcle avo r..c., à Milet ou a Abdere, probable maitre de Démocrite il est peut-être I'auteur d'un Grand systéme du monde également attribué à ce dernier. Le seul fragment conservé de Leucippe [DK 67 B 2] est extrait d'un traité De i'intellect. Lucrêce (ler S. avo J.-C.): Auteur du poêrne De rerum natura (De Ia nature), qui constitue notre prerniêre source pour Ia connaissance de I'épicurisme romain. Mélissos : Disciple de Parménide, il est né à Sarnos au début du y' siêcle avo J.-C. Métrodore de Chio: Disciple de Démocrite, il fut le maitre d'Anaxarque et constitue un relais important entre le premier atomisme et le pyrrhonisme. Il est notamment l'auteur d'un traité De Ia nature. Nausiphane : Tout en appartenant au cercle démocritéen il fut également l'élêve de Pyrrhon et le maitre d'Épicure.' Il est longuement cité dans Ia Rhétorique de Philodême, Parménide d'Élée: Fondateur de I'école éléatique, il est né autour de 515 avo J.-c. et il meurt vers 449-440. Dérnocrite demeure fidêle à certains aspects de sa doctrine mais c'est en grande partie contre elle qu'il pose l'existence d'une forme de non-être (le vide) et qu'il explique ainsi Ia réalité du mouvement. Philodéme de Gadara : Ce philosophe épicurien grec originaire de Syrie, né autour de 110 avo J.-c., passe Ia plus grande partie de sa vie en Italie, entre Rome et Herculanum. La reconstitution des fragments de ses traités est toujours en cours, grâce aux travaux papyrologiques effectués à partir des fouilles d'Herculanum. Son ceuvre témoigne de Ia vitalité et du renouveau de I'épicurisme au ler siêcle avo J.-c. Il porte à Dérnocrite une indéniable estime dans les divers endroits ou il le cite. thêses
Sumário
124
/
Catalogue des auteurs anciens
Atome et nécessité
/
125
Sumário
Sumário Philolaos: Phi1osophe pythagoricien né autour de 470 avo J.-C. Selon Diogêne Laêrce (IX, 38), Démocrite aurait suivi son enseignemen t. Platon (428-348 avo J.-c.): Fondateur de l'Académie, il ne mentionne jamais Démocrite, mais il fait plusieurs allusions à sa physique, notamment dans le Timée. Plutarque de Chéronée: Philosophe médio-platonicien, biographe et moraliste, il vécut entre 45 et 125 apr. J.-C. II écrit plusieurs traités polémiques contre les épicuriens, notamment le Contre Colotés, qui est aussi une source importante sur Ia physique de Démocrite. Protagoras d'Abdêre : Né vers 485 et mort vers 415 avo J.-C., il aurait fréquenté Démocrite avant de devenir l'un des plus fameux sophistes de son temps. Pseudo-Plutarque : Auteur du li' siêcle, dont les notices doxographiques s'inspirent des PIa cita d'Aétius. Nous lui devons plusieurs témoignages relatifs à I'atomisme abdéritain. Pyrrhon : Inspirateur de ce qui deviendra aprês lui Ia tendance ou école sceptique, i! nait vers 360 et meurt vers 270 avo J.C. Les livres de Démocrite ont exercé une certaine influence sur sa pensée, mais il n'a lui-même rien écrit. Saint Épiphane: Évêque de Salamine au IV' siecle, i! cite Démocrite dans son Contre les hérésies. Sextus Empiricus : Médecin et philosophe sceptique du lI' siêcle apr. J.-c. II invite, face aux contradictions des philosophies dogmatiques, à revenir à I'enseignement de Pyrrhon. Son traité Contre les savants et ses Hypotyposes ou Esquisses pyrrhoniennes contiennent d'importants témoignages relatifs à I'atomisme ancien ainsi que des fragments de Démocrite. Simplicius: Philosophe néoplatonicien du VI' siêcle, il est surtout connu comme l'un des phis grands commentateurs d'Aristote. Ses remarques concemant Démocrite sont le plus souvent três instructives. Stobée: Auteur, au ye siêcle, d'une vaste anthologie en partie inspirée des Placita d' Aétius, il est notre premier témoin de I'éthique de Démocrite, dont il restitue un grand nombre de fragments. Strabon: Géographe grec né en 64 avo J.-c. et mort en 24 apr. J.-c.
Sumário
Thalés de Milet : Le premier des grands physiciens de I'école de Milet, il vécut entre 624 et 546 avo r..c Théophraste: Disciple et collaborateur d'Aristote, illui succêde à Ia tête du Lycée de 322 à 288-287 avo J.-c. I1 est I'auteur d'un recuei! d 'Opinions physiques (Phusikai doxai) en 18 volumes, aujourd'hui perdus pour I'essentiel. Sa relation des thêses présocratiques, comme celles de Démocrite, exerce une grande influence sur les compi!ations doxographiques ultérieures et sur les commentateurs d' Aristote. Son traité Des sens offre un témoignage de premiêre importance sur Ia conception démocritéenne de Ia sensation et des sensibles [DK 68 A 135]. Thrasylle: Astrologue alexandrin, platonicien et pythagoricien, proche de Tibêre, né vers Ia fm du ler siêcle avo J.-c. Il est l'auteur du catalogue des ceuvres de Démocrite que restitue Diogêne Laérce [DK 68 A 33]. Ce catalogue est probablement une partie de son lntroduction à Ia lecture des livres de Démocrite. Il a également composé un catalogue des ceuvres de Platon.
Sumário
'r.•••..
-
I
Bibliographie
127
Sumário
Sumário Études:
Bibliographie
(
Cette bibliographie d'orientation sera complétée par les ouvrages et articles auxquels il est fait référence dans les notes de bas de page. DEMOCRITE
Textes : Die Fragmente der Vorsokratiker, textes grecs et latins, traduction allemande des fragments par H. Diels et W. Kranz, Berlin, 6' éd., 1952. Les présocratiques, traduction, introduction et notes par J.-P. Dumont, avec Ia collaboration de D. Delattre et J.-L. Poirier, Paris, Gallimard, 1988. Démocrite et l'atomisme ancien, fragments e/ témoignages, trad. de M. Solovine, révision de Ia traduction, introduction, notes et dossier par P.-M. Morei, Paris, Pocket, 1993.
l
Asmis Elizabeth, Epicurus'Scientific Me/I/Od 'Ithaca-London Comell University Press, 1984. ' , Boyancé Pierre, Lucréce et l'épicurisme Paris PUF 1963. Giannantoni Gabriele et Gigante Mar~ello (éd.), 'Epicureismo greco e romano (3 vol.), aples, Bibliopolis, 1996. Mitsis Philip, Epicurus'Ethical Theory. The Pleasures of Invulnerability, Ithaca-London, Comell University Press,' 1988. Salem Jean, Tel un dieu parmi les hommes. L'éthique d'Épicure Paris Vrin, 1989. ' , Salern Jean, La mort n 'est rien pour nous. Lucrêce e/ l'éthique Paris Vrin, 1990. ' ,
Études : Morei Pierre-Marie, Démocrite et Ia recherche des causes, Paris, Klincksieck, 1996. Salem Jean, Démocrite. Grains de poussiêre dans un rayon de soleil, Paris, Vrin, 1996. LES EPICURIENS
reaes Épicure, Lettres e/ Maximes, traduction, introduction, texte grec et notes par M. Conche, Villers-sur-Mer, Editions de Mégare, 1977; Paris, PUF, 1987. Épicure. Lettres, maximes, sentences, traduction, introduction et commentaire par J.-F. Balaudé, Paris, Le livre de poche, 1994. Lucréce, De Ia nature. De rerum na/ura, traduction, introduction, texte latin et notes par J. Kany-Turpin, Paris, Aubier, 1993. The hellenistic Philosophers, traduction et commentaire (vol, I), textes grecs et latins, notes et bibliographie (vol. II), par A.-A. Long et D. Sedley, Cambridge UP., 1987. Diogenes of Oinoanda. The Epicurean Inscription, Edited with Introduction, Translation and Notes by M.-F. Smith, Naples, Bibliopolis, 1993. La philosophie épicurienne sur pierre. Les fragments de, Diogêne d'(Enoanda, traduction, introduction et notes par A. Etienne et D. O'Meara, Cerf-Editions universitaires de Fribourg (Suisse), 1996. Diogéne Laerce, Vies et doctrines des philosophes illustres, traduction sous Ia direction de M.-O. Goulet-Cazé, Paris, Le livre de poche, 1999.
Sumário
Sumário
PHILOSOPHIES
Index des notions Les chiffres renvoient aux numêros des ouvrages de Ia collection.
La eollection Philosophies se propose d'élargir le domaine des questions et des textes habituellement considérés eomme philosophiques et d'en ouvrir l'accês à un public qui en a été tenu éearté jusqu'iei. Chaque volume faeilitera Ia leeture d'une ceuvre ou Ia déeouverte d'un thêrne par une présentation appropriée : eommentaires, doeuments, textes. Pourquoi parler de « philosophies » au pluriel ? Parce que Ia philosophie est partout au travail, et partout elle travaille pour tous. Le diseours philosophique passe aussi bien par les traités philosophiques que par les essais polérniques ; il traverse les éerits des savants et des artistes ; il n'est pas indifférent aux ceuvres non éerites. La philosophie est une aetivité théorique, mais ses effets sont direetement pratiques. Elle n'est pas un domaine réservé, dont l'étude serait autorisée aux seuls spéeialistes. Il faut done en rendre Ia eompré. hension plus direete, en proposant sous une forme simplifiée, sans être sehématique, les éléments de eonnaissance qui permettent d'en identifier et d'en assimiler les enjeux.
aliénation, 13, 38, 39, 64 âme, 106, 114 amour, 12, 39, 65, 66, 69, 82, 90, 91, 92 animal,IOI anthropoeentrisme, 106 arbitraire, 40 atome, 128 attraction, I, 62, 86 autrui, 60, 72 bien, 15, 33, 40, 61, 69 conscience, 25, 60, 77, 89, 93 contradiction, 4, 17, 55, 81, 114 contrat social, 8, 9, 34, 91 corps, 23, 29,41, 52, 53, 69, 75, 90 cosmos, 18, 33, 86, 105 crise, 50, 64, 74 critique, 20, 31, 39, 64, 71 déconstruction, 46 déisme, 106 dialectique, 4, 13, 31, 39, 55, 64,81,82, 114 Dieu, 8, 15, 18, 30, 32, 48, 56, 57, 58, 61, 63, 66, 69, 71, 80, 83 différence, 54, 65, 91 droit, loi, 7, 8, 9, 16, 18,20,24, 30,40,47,72, 73, 78, 88, 112 droits de I'homme, 5, 18, 20, 31,77 échanges, don, 24, 49, 67 économie, 4, 5, 9, 10, 16, 21, 24, 42, 51, 64, 67, 78, 79, 84 édueation, 2, 14,22,31, 37, 68, 79, 90, 94 énergie, 10, 35 épistémologie, I, 10, 20, 25, 35, 36, 41, 42, 43, 53, 55, 57, 62, 70, 81, 87, 105, 123 esclavage, 5, 33, 38 espace, I, 35, 62, 81 esthétique, 19,46, 59, 92, 105
État, 4, 8, 9, 16,21,47, 60, 67, 73, 78, 79, 84, 105 être, 26, 39, 47, 61, 63, 82, 95 événement, 54, 74 évolution, 25, 41 famille, 3, 4, 9, 33, 91 femme, 5, 28, 34, 65, 84, 91, 105 fiction, 17, 23, 38, 47, 56, 69, 70, 71, 84, 87, 93, 105 fin, 51, 54, 61, 71, 85, 90, 91 folie, 75, 99, 100 guerre, 21, 30, 68, 78, 79, 113 harmonie, 105 histoire, 5, 8, 13, 17, 20, 22, 26, 27, 32, 39, 54, 55, 58, 60, 65, 73, 74, 85, 100, 101, 114 illusion, 17, 19, 23, 38, 39, 45, 47,56,69,71,84,91,93,105 immanence, 54 imposture, 106 infini, 44, 53, 55, 56, 69, 119 intuition, 28, 55, 123 jeu, fête, sport, 14, 34, 36, 59, 94, 105 juif, 18, 74 justice, 33, 40, 77 langage, 5, 8, 11, 29, 36, 45, 46, 47, 50, 55, 56, 58, 63, 68, 72, 80, 84, 87, 93, 95, 101, 105 liberté, 8, 16, 32, 37, 39, 69, 75, 93, 95, 128 littérature, 7, 46, 50, 59 logique, 28, 33, 36, 45, 55, 56, 60, 70, 80, 81, 87, 93, 123 machine, 10, 42, 42 matérialisme, 13,27, 31, 43, 53, 64, 90, 98, 128 mathématique, 3, 5, 22, 35, 44, 51, 52, 55, 56, 57, 60, 62, 70, 76, 87, 105, 123 matiêre, I, 35, 53, 62, 70, 81, 86, 101
PHILOSOPHIES
Index des notions Les chiffres renvoient aux numêros des ouvrages de Ia collection.
La eollection Philosophies se propose d'élargir le domaine des questions et des textes habituellement considérés eomme philosophiques et d'en ouvrir l'accês à un public qui en a été tenu éearté jusqu'iei. Chaque volume faeilitera Ia leeture d'une ceuvre ou Ia déeouverte d'un thêrne par une présentation appropriée : eommentaires, doeuments, textes. Pourquoi parler de « philosophies » au pluriel ? Parce que Ia philosophie est partout au travail, et partout elle travaille pour tous. Le diseours philosophique passe aussi bien par les traités philosophiques que par les essais polérniques ; il traverse les éerits des savants et des artistes ; il n'est pas indifférent aux ceuvres non éerites. La philosophie est une aetivité théorique, mais ses effets sont direetement pratiques. Elle n'est pas un domaine réservé, dont l'étude serait autorisée aux seuls spéeialistes. Il faut done en rendre Ia eompré. hension plus direete, en proposant sous une forme simplifiée, sans être sehématique, les éléments de eonnaissance qui permettent d'en identifier et d'en assimiler les enjeux.
aliénation, 13, 38, 39, 64 âme, 106, 114 amour, 12, 39, 65, 66, 69, 82, 90, 91, 92 animal,IOI anthropoeentrisme, 106 arbitraire, 40 atome, 128 attraction, I, 62, 86 autrui, 60, 72 bien, 15, 33, 40, 61, 69 conscience, 25, 60, 77, 89, 93 contradiction, 4, 17, 55, 81, 114 contrat social, 8, 9, 34, 91 corps, 23, 29,41, 52, 53, 69, 75, 90 cosmos, 18, 33, 86, 105 crise, 50, 64, 74 critique, 20, 31, 39, 64, 71 déconstruction, 46 déisme, 106 dialectique, 4, 13, 31, 39, 55, 64,81,82, 114 Dieu, 8, 15, 18, 30, 32, 48, 56, 57, 58, 61, 63, 66, 69, 71, 80, 83 différence, 54, 65, 91 droit, loi, 7, 8, 9, 16, 18,20,24, 30,40,47,72, 73, 78, 88, 112 droits de I'homme, 5, 18, 20, 31,77 échanges, don, 24, 49, 67 économie, 4, 5, 9, 10, 16, 21, 24, 42, 51, 64, 67, 78, 79, 84 édueation, 2, 14,22,31, 37, 68, 79, 90, 94 énergie, 10, 35 épistémologie, I, 10, 20, 25, 35, 36, 41, 42, 43, 53, 55, 57, 62, 70, 81, 87, 105, 123 esclavage, 5, 33, 38 espace, I, 35, 62, 81 esthétique, 19,46, 59, 92, 105
État, 4, 8, 9, 16,21,47, 60, 67, 73, 78, 79, 84, 105 être, 26, 39, 47, 61, 63, 82, 95 événement, 54, 74 évolution, 25, 41 famille, 3, 4, 9, 33, 91 femme, 5, 28, 34, 65, 84, 91, 105 fiction, 17, 23, 38, 47, 56, 69, 70, 71, 84, 87, 93, 105 fin, 51, 54, 61, 71, 85, 90, 91 folie, 75, 99, 100 guerre, 21, 30, 68, 78, 79, 113 harmonie, 105 histoire, 5, 8, 13, 17, 20, 22, 26, 27, 32, 39, 54, 55, 58, 60, 65, 73, 74, 85, 100, 101, 114 illusion, 17, 19, 23, 38, 39, 45, 47,56,69,71,84,91,93,105 immanence, 54 imposture, 106 infini, 44, 53, 55, 56, 69, 119 intuition, 28, 55, 123 jeu, fête, sport, 14, 34, 36, 59, 94, 105 juif, 18, 74 justice, 33, 40, 77 langage, 5, 8, 11, 29, 36, 45, 46, 47, 50, 55, 56, 58, 63, 68, 72, 80, 84, 87, 93, 95, 101, 105 liberté, 8, 16, 32, 37, 39, 69, 75, 93, 95, 128 littérature, 7, 46, 50, 59 logique, 28, 33, 36, 45, 55, 56, 60, 70, 80, 81, 87, 93, 123 machine, 10, 42, 42 matérialisme, 13,27, 31, 43, 53, 64, 90, 98, 128 mathématique, 3, 5, 22, 35, 44, 51, 52, 55, 56, 57, 60, 62, 70, 76, 87, 105, 123 matiêre, I, 35, 53, 62, 70, 81, 86, 101
Rugo (Victor), 7 Newton, 1,25,53,62,81,86,101 Hume, 24, 32, 38, 53, 70, 85 Nietzsche, 15, 46 Husserl, 36, 43, 60, 123 Ockham,80 Ruyghens, 53, 62 Pascal, 10, 12,44,56,57,94, 110 Jacobson, 11 Paul, 18 James (William), 41, 45, 70, 89 Peirce,48 Joule, 10 Physiocrates, 5, 9, 67, 96 Kant, 5, 16, 26, 28, 32, 37, 40, Platon, 6, 15, 34, 40, 74, 88 43, 46, 53, 57, 65, 71, 73, 74, Proust, 50 85, 87, 94 Quesnay,96 Kelvin,20 Quine,93 Kepler, 105 Rabelais, 113 Kierkegaard, 65, 82 Rameau, 105 La Mettrie, 90 Ranke,27 La Mothe le Vayer (François Robespierre, 30, 74 de), 106 Rorty,45 Lacan, 12, 41 Rousseau, 4, 9, 30, 32, 37, 40, Leibniz, 44, 53, 62, 71, 84, 87, 59, 65, 71, 73, 91, 105 94, 105 R umford, 10 Leopold (Aldo), 85 Russell, 70, 87, 92 Lessing, 77 Ryle,93 Lévi-Strauss, 49, 105 Salisbury (Jean de), 21 Locke, 9, 32, 70, 77 Saussure, 11 Lucrecs, 128 Savigny,20 Lulli, 105 Schiller, 94 Mach,104 Schlegel, 46 Machiavel, 21, 72, 78 Maistre, 20 Schopenhauer, 65 Makarenko, 14 Sebond (Raymond de), 32, 72,83 Mallarmé, 46, 50 Shelley (Mary), 17 Malebranche, 53, 96 Simon (Jules), 32 Mandeville, 24 Smith (Adarn), 24 Marcuse, 39, 65 Socra te, 6, 88 Marx, 9, 13, 20, 27, 30, 31, 38, Spencer, 41 39, 42, 64 Spinoza, 8, 12, 43, 53, 55, 69, Mauss, 41, 49 71, 105 Maxwell,35 Stoíciens, 75 Mendel,25 Tarski, 55, 97 Mercantilistes, 9, 21, 24, 67 Thomas d'Aquin, 61, 93, 94 Merleau-Ponty, 60 Thoreau, 85 Mersenne, 52, 105, 110 Toland,32. Mill, 28, 29,41, 77, 92 Turing, 123 Montaigne, 72, 83 Vanini, 106 Montesquieu, 67, 84 Vico,58 Montessori, 14 Voltaire, 40, 71 Monteverdi, 105 Wallon, 2, 41 Moore,92 Weber (Max), 27 Naudé, 14, 106 Weyl,35 Navier,42 Wittgenstein, 36, 92, 93 Needham, 101 Wolff,86
PRILOSOPRIES
I. Galilée, Newton
lus par Einstein. Espace et relativité (4e édition), par Françoise Balibar 2. Piaget et l'enfant (2' édition), par Liliane Maury 3. Durkheim et le suicide (4' édition), par Christian Baudelol et Roger Establet 4. Regel et Ia société Pierre Macherey
(2' édition),
par Jean-Pierre
Lefebvre
et
5. Condorcet, lecteur des Lurniêres (2' édition), par Michele Crampe-Casnabet (épuisé} 6. Socrate (2' édition), par Francis Wo/ff 7. Victor Hugo philosophe, par Jean Maurel 8. Spinoza et Ia politique (3' édition), par Étienne Balibar 9. Rousseau. Économie politique (1755), par Yves Vargas (épuisé) 10. Carnot et Ia machine à vapeur, par Jean-Pierre Maury 11. Saussure. Une science de Ia langue (3'édition), par FrançoiseGadet 12. Lacan. Le sujet (3' édition), par Bertrand Ogi/vie 13. Karl Marx. Les Thêses sur Feuerbach, par Georges Labica 14. Freinet et Ia pédagogie, par Li/iane Maury 15. Le « Zarathoustra» de Nietzsche (2' édition), par Pierre Hêber-Sujfrin 16. Kant révolutionnaire. Tosei
Droit et pOlitique (2e édition), par André
17. Frankenstein : mythe et philosophie (2e édition), par JeanJacques Lecerc/e . Saint Paul, par Stanislas Breton Hegel et l'art (2' édition), par Gérard Bras Critiques des droits de l'homme, par Bertrand Binoche Machiavélisme et raison d'État, par Michel Senellan Comte. La philosophie et les sciences, par Pierre Macherey Robbes. Philosophie, science, religion, par Pierre-François Moreau .
18. 19. 20. 21. 22. 23.
24. Adarn Smith. Philosophie et économie, par Jean Mathiot 25. Claude Bernard. La révolution physiologique, par Alain Prochiantz 26. Reidegger Dastur 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34.
et Ia question
du temps (2' édition), par Françoise
Max Weber et l'histoire, par Catherine Co/liot-Thélene John Stuart Mill. Induction et utilité, par Gilbert Boss Aristote. Le langage, par Anne Cauquelin Robespierre. Une politique de Ia philosophie, par Georgo» Labira Marx, Engels et l'éducation, par Lê Thành Khõt La religion naturelle, par Jacqueline Lagrée Aristote et Ia politique, par Francis WoljJ Sur le sport, par Yves Vargas
35. Einstein 1905. De I'éther aux quanta, fiar I-i'll"l'"llt, 1/1111/111/ 36. Wittgenstein : philo ophie, logiqu , 111IlIp IIllqlll, /',1/ I"" hame Lock
Sumário