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Louis Althusser Etienne Balibar, Roger Establet Pierre Macherey, Jacques Rancière
Lire le Capital
QUADRIGE / PUF
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i © Editions La Découverte, anciennement François Masper o, 1965
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ISBN 2 1 3 046875 6 ISSN 0291-0489 Dépô t légal — 1" édition « Quadrig e » : 1996 , janvier © Presses Universitaires de France, 1996 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
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Table des matières
PRÉSENTATION
xv
Liste des errata
LOUIS ALTHUSSER Du « Capital » à la philosophie de Marx
1
81 I. La critique de l'économie politique dans les « Manuscrits de 1844 » 1. Le niveau de l'économie politique, 89 2. L'élaboration critique, 92 3. L'amphibologie et son fondement, 96 4. Développement de la contradiction, 103 5. Discours critique et discours scientifique, 107 II. Critique et science dans « Le Capital » 1. Le problème du point de départ et la question criti que, 115 2. Structure du procès et perception du procès, 142
85
111
3. chisme, La « Verâusserlichung» et la constitution du féti 171 4. Le monde enchanté, 190 III. Remarques en guise de conclusion
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PIERRE MACHEREY A propos du processus d'exposition du « Capital » I. Point de dépar t et analyse de la richesse II. Analyse de la marchandise et apparition de la contra diction III. Analyse de la valeur
201 214 221 227
LOUIS ALTHUSSER L'objet du « Capital » I. Avertissement II. Marx et ses découvertes III. Les mérites de l'économie classique
245 247 255 261
IV. Les défauts de l'économie classique. Esquisse du concept de temps historique V. Le marxisme n'est pas un historicisme
272 310
VI. Propositi ons épistémologiques du « Capital » (Marx, Engels)
345
VII. L'objet de 1' « Economie politique » VIII. La critique de Marx IX. L'immense révolution théorique de Marx Appendice : sur la « moyenne idéale » et les formes de transition ETIENNE BALIBAR Sur les concepts fondamentaux du matérialisme historique I. De la périodisation aux modes de production II. Les éléments de la structure et leur histoire
363 372 396 412
419 432 454
III. De la reproduction
494
IV. Eléments pour une théorie du passage
520
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Table des matières
665
ROGER ESTABLET Présentation du plan du « Capital »
I. II.
Présentation du « Capita l » par Marx lui-même
582
Les articulations du « Capital »
587
III. Le champ des livres
IV. V. VI. VII.
569
théorique non élaboré mais exactement mesuré
I et II
et son nom : « la concurrence »
Définition de l'objet de la 2' partie de l'articulation Rap por t de cet objet avec ses anticipations
611
II. 617
e
Etude des sous-articulations de la 2 partie de l'articula tion II
619
II
629
Définition de l'articulation Conclusion
VARIANTES de la première édition
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PIERRE M ACHEREY A propos du processus d'exposition du « Capital » (Le travail des concepts)
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" Au seuil de la science comme à l'entrée de l'enfer. » Préface de la Contribution à la critique de l'économie politique.
Le processus d'exposition, c'est ce qui dispose le discours suivant le mouvement rigoureux d'un savoir : non mou vement d'app arition , celui qui décrit l'émer gence du savoir [2] (comme on sait, Marx veut que soient distingués le pro cessus d'exposition et le processus d'investigation), mais ce mouvement, différent, de la formulation du savoir, mou vement qu'il ne faut pas assimiler facilement au geste mécanique d'un rangement ou d'une mise en ordre \ mou vement autonome qu'il faut régler par son rap por t à des [31 lois propres. Ce processus peut être étudié dans son mouvement [4] même : en refaisant le procès de l'exposé, il est possible de voir par quelles conditions cet exposé est déterminé, de quels principes objectivement il dépend. Toutefois, le problème ainsi posé reste beaucoup trop 2
vaste : c'est celui, classique, du plan du Capital. La connaissance de cette disposition d'ensemble est essentielle, et elle semble constituer un préalable nécessaire à la lec ture du Capital ; pourtant, elle n'est pas elle-même sans préalable : paradoxalement elle dépend d'une lecture faite suivant des modalités très différentes. Avant de savoir comment on passe d'un livre à l'autre, d'un chapitre à l'autre, il faut savoir comment on passe d'un mot à l'autre, c'est-à-dire d'un concept à l'autre (puisque dans un discours scientifique les mots doivent être tenus pour des concepts). Cette lecture détaillée ne peut porter, au départ, sur la 1. C'est pour quoi on évite ra autant que po ss ibl e de par ler d'un ordre d'exposition. 2. Rappelon s qu'autonome n'est pas syn ony me d'indépenda nt : le processus de la connaissance est spécifique, il n'est pas séparé.
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Pierre Macherey
totalité du texte, mais seulement sur une de ses parties. Cette lecture partielle, de laquelle il faut partir, ne peut être non plus lecture de n'importe quoi : apprentissage de la lecture sur un échantillon pris au hasard. Elle sera par principe la lecture du commencement. Poser la question du processus d'exposition, cela peut donc se dire en d'autres termes : faire une lecture détaillée du début du texte I, 1, 1 (p. 51-56 du texte français des Editions sociales). de la question doit être justifiée. Elle Cette transposition obéit à plusieurs raisons essentielles : pour parcourir rapi dement le chemin de ces raisons, disons que Marx donne une importance déterminante au point de départ, que cette (51 distinction implique une certaine conception et une cer taine pratique de l'exposé scientifique, qui demandent une façon d'écrire, un style scientifique original, que cette écri ture exige une lecture qui lui soit conforme, et enfin que cette lecture s'apprendra précisément sur le point de départ. [6] Le privilège du point de dépa rt est une caractéris tique de la méthode de Marx. Avant d'expliquer ce privilège, d'en rendre compte, il est bon simplement de [7] le reconnaître : on sait que Marx a accordé un soin tout spécialde auce premier du Capital; on trouve les traces texte dèschapitre les premiers brouillons de la Contribution, et il sera indéfiniment repris, corrigé, remis en chantier jusqu'aux dernières éditions, au point qu'on peut se dema nde r s'il est véritabl ement achevé ; com me si Marx n'en avait jamais fini avec le commencement. Mais, comme on le verra par la suite, le discours scien tifique tire sa valeur davantage de son inachèvement réel que de son apparence achevée. Cette difficulté de mettre fin au commencement ne vient pas de ce que tout devrait être donné dans le com mencement (l'exposé se déroulant ensuite comme à partir d'un germe) : une conception aussi organique du discours est parfaitement étrangère à l'idée que Marx se fait de l'institu tion du savoir. Le commencement a la valeur d'une mise en place : d'une disposition des concepts, et de la méthode (d'analyse). Ce commencement a une double valeur inau gurale : il rompt avec ce qui précède (puisqu'il apporte de nouveaux concepts et de nouvelles méthodes) ; mais il se différencie aussi de ce qui suit : le problème du point de dépa rt est parfai temen t original ; il nous éclaire sur la structure d'ensemble du discours, justement à cause de
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A propos du processus d'exposition
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sa position privilégiée, grâce à laquelle certains problèmes de méthode vont se poser dans un éclairage particulie r. [8] Tout ceci implique une certain e concepti on de l'exposé [9] scientifique, une certaine pratique de la science. Le choix d'expliquer le commencement est lui aussi commandé par une certaine idée de la science : l'explication du passage I, 1, 1 sera une explication épistémologique. Ce qu'il va falloir dégager du point de départ, ce n'est pas, comme on le ferait par déduction, la suite du discours de Marx, mais autre chose le lecture précède,d'un ses [10] conditions . Ainsitout la question posée: ce dansquicette paragraphe paraît fort simple : en quoi le discours de Mar x est-il un discour s scientifique ? Et peu t-o n en lire la marque dans le com mence ment ? Cette question est très difficile : il n'est pas possible en effet de rapporter l'exposé du Capital à une idée de la science donnée par ailleurs, qui serait déterminée en ellemême, à part. En effet, l'idée de la science dont dépend la structure de l'exposé s'annonce comme une idée nou velle, comme un commencement. Marx n'a pas, à partir d'une idée acquise, déroulé un exposé ; il a voulu à la fois constituer une certaine idée de la science et réaliser un discours scientifique : l'un ne va pas sans l'autre, et il est clair qu'il ne pouvait en être autrement. C'est pour quoi il n'est pas question d'étudier pour lui-même le pro cessus d'exposition, pas plus d'ailleurs qu'il n'est possible d'exposer à part et dans leur ensemble la conception et la structure d'ensemble du Capital, la théorie marxiste de la science. Ces théori es vont avec le ur pr ati que ; il est nécessaire de s'engager sur le chemin de cette pratique pour pouvoir tracer celui de la théorie qui, seule, permet de rendre compte de cette pratique. Par là, nous voyons déjà en quoi Marx rompt avec une certaine conception, une présentation classique de la science : pas de discours sur la science avant le discours de la science, mais les deux à la fois, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont confondus. La valeur privilégiée du point de départ se justifie alors aisément : c'est sur lui par excellence que pourront être distinguées (mais non séparées) ces deux « choses » qui vont nécessairement ensemble, la théorie et la pratique de la science. 3
3. Il s'agit donc auss i de don ner à l'idée d'ép isté molog ie une nouvelle signification : les conditions qu'elle prend pour objets ne sont pas s eulement d es cond itions rationn elles ; elle s sont des conditions objectives.
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Pierre Macherey
Mais expliquer le commencement, cela suppose une méthode de lecture. D'où une nouvelle question : comment lire un disc our s scientifique ? Co mm en t lire la science dans un discours ? Tout langage scientifique se définit par son rapport à des normes de validité : ce sont ces normes qui déter minent les formes de lecture de ce langage. Contre toutes les techniques et les idéologies économiques, Marx présente lui-même commeparune entreprise théorique la questionLe estCapital de savoir rapport à quelles normes: cette théorie se définit comme théorie scientifique, et de déduire de ces normes une ou plusieurs façons d'entrer dans la théorie. Une œuvre théorique suppose, en effet, un mode d'appréhension lui-même théorique : pour qu'un savoir puisse être reçu, il faut que soient au préalable identifiés les problèmes auxquels répond ce savoir, déter minées les conditions de ce savoir. Ce programme, qui n'a rien à voir avec celui d'une théorie de la connaissance (cette dernière théorie dépend d'un domaine très particulier qui est celui du problème de la vérité), doit être actuellement rempli par des philo sophes, comme l'explique par ailleurs Althusser. Mais cette tâche suppose une définition très précise du travail des philosophes : « la philosophie comme condition d'intelli gibilité de l'objet même d'une science ». La philosophie n'est rien d'autre que la connaissance de l'histoire des sciences. Philosophes sont aujourd'hui ceux qui font l'his toire des théories, et en même temps la théorie de cette histoire. La problématique de la philosophie est donc dou ble, mais non divisée : philosopher c'est étudier dans quelles conditions et à quelles conditions sont posés des problèmes [111 scientifiques. Pou r un matérialiste, ces conditions ne sont pas purement théoriques : elles sont d'abord objectives et pratiques. Une telle définition de la philosophie ne va évidemment pas de soi. Bien mieux, elle semble aller à contre-courant de l'héritage philosophique traditionnel : il ne s'agit pas là seulement d'une apparence, mais d'une situation de fait qui exprime une nécessité de droit. Qu'est-ce que la philo sophie en effet nous a jusqu'ici apporté, non pour résoudre, mais pour poser le problème des problèmes scientifiques ? Dans sa forme classique^ c'est-à-dire en gros jusqu'au début du xix siècle, ce problème se pose en termes de légalité (idéale) et de réalité (naturelle) : tout tient dans e
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A propos du processus d'exposition
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le rapport qui est établi entre ces deux termes, dans la façon (ou plutôt dans le degré) dont ils sont identifiés l'un à l'autre. La rigueur de la démonstration est définie par la combinaison du rationnel et du réel, ou par leur confusion. C'est à cela que correspond l'idéal d'un esprit géométrique, par la construction d'un ordre de proposi tions conforme à un ordre naturel : des propositions « pri mitives » aux théorèmes élaborés : du simple au complexe. Les concepts science: se déterminent leur ratio nalité et par de leurla réalité à partir de là par s'élabore toute une philosophie de l'ord re, qui se définit par sa préte ntion [12] à contrôler en droit le processus des connaissances scientifiques, et par son impuissance de fait à en résoudre les problèmes. Si une philosophie est significative histori quement c'est en tant que, par ses difficultés spécifiques, elle permet de déterminer, en quelque sorte matérielle ment, cette contradiction. L'usage classique de la catégorie de méthode donne un exemple caractéristique de ce type de problématique philosophique, qui se ramène à un problème mal posé : chez Marx, il n'y a pas, il ne peut justement pas y avoir de question de la méthode posée à part. On peutaccomplie, considérerla ladernière, logique de de cette Hegellogique comme philoso la pré sentation phique : accomplie parce qu'elle en reprend les conditions dans toute leur généralité, et aussi parce qu'elle résout tous les problèmes, transformant en réponses ces diffi cultés. Mais, dans cette forme nécessairement ultime, la philosophie spéculative prend un sens nouveau : elle devient une pure idéologie scientifique. Pascal, Descartes, Condillac, Kant cherchaient à fixer les conditions auxquelles un cer tain état de la science pouvait être tenu pour définitif : par cette mise en évidence de conditions nécessairement insuffisantes, ils laissaient voir en transparence, tacitement, la possibilité de conditions différentes. La résolution una nime des conflits opérée par Hegel fait au contraire d'un certain état du savoir un système absolu : les cont radi c- [13] tions sont supprimées sur la base de ces contradictions m ê m e s . La dialectique peut alors être présentée comme 4
5
4. Avec l'ambiguïté que porte cette notion dan s la philo soph ie hégélien ne : sa voir de sol qui est pa r là même aus si savo ir de tout. 5. On peut dire de fa çon g énérale que to ute ent repr ise d e démystification est dans sa nature mystificatrice.
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Pierre Macherey
l'avènement et comme le vendredi saint de la contradiction. La philosophie n'a plus pour fonction que de construire un e image de l'achevé, du définitif. La philosophie spéculative, ainsi terminée, dans une grandiose mise à mort, n'est plus finalement qu'un traves tissement paradoxal de la science en idéologie, en tech nique : ou plutôt, sur la base d'un renversement du savoir scientifique en savoir faire (la science considérée comme un ensemble de résultats, d'acquisitions, placés, ordonnés sur une même ligne), un travestissement de ce savoir faire en connaissance. C'est l'idéologie même d'une science (cette tentation nécessaire qu'elle a de se considérer comme finie) qui passe pour un savoir, tient lieu d'une connaissance, connaissance dont justement elle marque, et masque, l'absence. Par ce renversement, qui fait des difficultés du savoir des solutions, qui transforme les questions en réponses, qui présente le manque en termes de plénitude, tous les pro blèmes classiques de la logique sont, non pas résolus, mais supprimés : 1) La na tur e divisée du conc ept est unifiée dan s sa division même, réconciliée : le rationnel est réel ; le dérou lement d'un exposé rigoureux s'accompagne de la produc tion de son objet. En conséquence (et non en même temps), le réel est rationnel : la déduction du concept n'est pas en même temps déduction du réel. La symétrie est dans son essence trompeuse : on peut seulement dire qu'en même temps que du concept se déduisent fonda mentalement les concepts, du concept se déduit le réel (aussi, dans le développement du concept, la réalité inter vient toujours à titre d'exemple, d'illustration). De la ratio nalité du concept, qui est sa réalité, se déduit la ratio nalité du réel. Parce que, dans le concept, rationalité et réalité s'identifient, en dehors de lui, le réel est rationnel. 2) Leoccasion problème du point de est supprimé par la même : processus r|eldépart et processus d'exposition sont confondus. On peut indifféremment partir de ce qui est le plus intérieur au concept et de ce qui lui est le plus extérieur (l'expérience sensible) : suffisance et insuffisance du point de départ sont les conditions équivalentes d'une [14] résolution ; c'est de cette façon qu' on passe de la phé no ménologie à la logique.
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A propos du processus d'exposition
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Ainsi le problème classique de la conformité, de la rectitude du raisonneme nt, est, co mm e on dit, dialectisé ; par l'efficacité du système de résolution, n'importe quel ordre est naturel.
Avec Marx, il se passe quelque chose d'essentiel dans l'histoire des sciences et dans la théorie de cette histoire . [15] A l'occasion de l'émergence d'une science nouvelle, qui, sans récuser le modèle mathématique, lui assigne une place tout à fait nouvelle (un peu à la manière de Spinoza qui ne récupère le more geometrico que pour lui donner un sens original), les conditions d'une nouvelle problématique de la science, de la première problématique matérialiste de la science digne de ce nom, sont réalisées. En effet, Le Capital marque le moment d'une mutation au niveau du statut de la science elle -mê me. [16] Marx a eu le sentiment qu'il inaugurait, dans la science économique , une forme nouvelle d'exposé, à laquelle il donne, dans la lettre à La Châtre du 18 mars 1872 (préface 6
7
à la traduction d'analyse :
française du Capital), le nom de méthode
« La méthode d'analyse que j'ai employée et qui n'avait pas encore été appliquée aux sujets économi ques rend assez ardue la lecture des premiers cha pitres... Il n'y a pas de route royale pour la science et ceux-là seulement ont la chance d'arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fati guer à gravir ses sentiers escarpés. » Le texte inachevé de l'introduction à la Contribution (1857) nous donne, sinon les principes, au moins le pro gramme de cette méthode. La rigueur scientifique tient dans l'élimination de tout ce qui permettrait de confondre 6. Natur elleme nt, on ne ramèn era pa s l'œu vre de Marx à un événement de l'histoire des sciences, « dans l'élément pur de la pens ée » : mais la rév olut ion opérée par Marx pas se aussi dans cette histoire, qu'elle arrache à son statut d'histoire pure ment théorique. 7. Non sur le terr ain de la scien ce éco nom ique , mai s à côté de lui, dans le cadre nouveau d'une problématique du mode de production.
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Pierre Mâcherey
le réel et le pensé : construire un exposé scientifique, cela ne consiste pas à trouver entre eux une combinaison, ou à déduire l'un à partir de l'autre, autrement dit à les [171 mélanger. Du point de vue matérialiste, la connaissance est un effet déterminé du processus de la réalité objective : elle n'en est pas un double idéal. La question est alors de savoir comment est produite une connaissance. Faire une science de la réalité économique, cela veut construire undeexposé par en concepts ; une théorie, c'est dire un agencement concepts propositions, et de propositions en suites de propositions sous une forme démonstrative. La question essentielle n'est donc pas de savoir si on va partir du réel ou y arriver . Ce qu'il faut, c'est trouver les concepts et les formes de raisonnement [18] qui pe rme tten t de form uler des pr opositions exactes ; c'est la question que se posent toutes les sciences au moment où elles s'engagent sur la voie de leur rigueur. On n'a donc plus à se demander si les concepts sont réels ou si le réel est rationnel. La maxime hégélienne n'est pas renversée, mais éclipsée en cette autre : 8
le réel est réel : matérialisme dialectique le rationnel est rationnel : dialectique matérialiste Ces deux propositions ne sont pas subordonnées l'une à [191 l'autre, elles sont identiques, à ceci près qu'elles se tien nent à des niveaux différents : la seconde est strictement subordonnée à la première. 120] La science est en tant que telle un processus de pensée. Elle définit donc une forme d'exposition qui ne se confond ni avec le processus réel, ni avec le processus d'investiga[ 2 1 ] tion dont elle est le résultat. Il ne s'agit pas d'un simple renversement, puisque le problème ainsi posé est radicale ment nouveau (même s'il a été résolu en fait dans la pra tique de certaines sciences) : il s'agit de trouver des ins truments pour penser les rapports matériels de la rationalité du concept et de la réalité du réel. La logique classique montrait, conditions auxquelles ce problème ne pouva itexhibait, pas êtr elesposé ; la phi losophie hégélienne était faite pour l'éliminer. Ces rapports doivent être pensés dans de nouveaux concepts. Toute la question est de savoir 8. H est d'aill eur s éviden t qu'o n « pa rt » du réel ; mais cela ne permet pas de dire quoi que ce soit; sur la forme que prendra ce départ : or là est le problème essentiel.
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A propos du processus d'exposition
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si ces concepts apparaissent en personne dans Le Capital, ou plutôt s'ils commencent a y apparaître. 1221 C'est pour répondre à cette question qu'il nous faut apprendre à lire Le Capital : en effet, nous sommes habi tués à une lecture hégélienne, qui consiste à interpréter les concepts directement en termes de réalité. Cette lecture n'est pas absolument arbitraire, dans la mesure où elle répond bien d'une certaine façon au problème que Marx s'est posé pour écrire Le Capital : pendant très longtemps, encore en 1858 (voir les premiers brouillons de la Contri bution), il a dû résister, tout en y cédant, à la tentation d'une écriture hégélienne. Si Marx a effectivement trouvé le moyen de passer cet obstacle, cela nous donne par la même occasion le principe d'une lecture neuve. Il s'agit de trouver dans la lettre du texte de Marx les conditions d'une écriture scientifique : non seulement par l'étude des corrections successives (qui sont tout le contraire de repen tirs : les étapes d'une recherche rigoureuse), mais dans l'agencement du texte définitif. L'idéologie hégélienne a pour corrél at (parad oxal ?) un e lecture réaliste des textes scientifiques : à travers le concept, c'est le contenu qui transparaît. On lit comme si les mots étaient la page, lesquels la ,réalité affleure ;des ou trous enco re dans des lucarn es à par tra vers les quelles dan s une sorte de voyeurisme spéculatif, puisse être étudié le processus réel. Ceci correspond d'ailleurs bien à l'attitude scientifique spontanée, pour qui le concept n'a d'attrait qu'en tant que substitut de la chose même. Pour retrouver le chemin du concept, il faut au contraire mettre l'accent sur ce qui dans le langage ne risque pas d'être confondu, avec une réalité que le langage scientifique exclut en même temps, qu'il la reflète : qu'il doit [23] exclure, mais non évidemment annuler ou supprimer, pour en rendre compte. Il faut donc lire ce qu'une lecture naïve laisserait de côté, comme scories, ce qui n'étant pas réel directement, ni à la place du réel, est seulement considéré comme l'instru ment d'une rationalité, quand il s'agit, au-delà de toute confusion, du rationnel même. Au lieu donc de lire les mots pour voir où ils sont censés avoir jeté l'ancre, ou l'encre, on s'intéressera aux intermédiaires, à ces liaisons qui sont le lieu même de la démonstration, aux concepts qui déterminent aussi matériellement la forme du raison- [24] nement. Ces mots, par lesquels passent le sens et la rigueur
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Pierre Mâcherey
de l'expos é, ne peuven t-il s nous servir de mots de passe ? Au-delà donc du souci traditionnel d'une interprétation et d'une explication, il faudra laisser ce qui au premier [251 abord semble l'essentiel, le contenu , pour être attentif, d'une attention myope, au détail même de l'écriture. Cette méthode n'est pas très originale, mais elle n'a probablement [26] pas encore été appliquée à la lecture du Capital. Elle consiste à lire non avec d'autres yeux, mais comme s'il s'agissait d'un tout autre texte, où ce qui saute 9
aux cela demême qui tombe un déchetyeux, devant c'est le regard la tradition, et ainsi comme lui échappe (alors que cette tradition croit s'en être assuré la maîtrise technique). Une telle lecture est rigoureuse, c'est-à-dire qu'elle n'est pas arbitraire, mais elle n'est pas non plus exclusive. Elle n'est ni la seule lecture possible du Capital, ni la meilleure : c'est si on veut un artifice provisoire, qui permettra de dégager, à l'intérieur du texte, certains des [27] problèmes que Marx a dû résoudre pour Y écrire. D'ailleurs, aux deux types de lecture (lecture de contenu et lecture de la forme) correspondent deux écritures, à la fois distinctes et simultanées. Marx a écrit Le Capital à deux niveaux à la fois : au niveau de l'exposé économique (où les concepts sont rigoureux dans la mesure où ils sont [28] conformes à une pratique scientifique déterminée et où ils rendent possible l'appropriation du réel par la pensée) ; au niveau des instruments de l'exposé, des moyens de l'écri ture, qui déterminent la conduite du raisonnement. Ce second niveau possède aussi ses concepts : les concepts de la science, sans lesquels rien ne pourrait être ni lu ni écrit, et qui correspondent à la théorie de la pratique scientifique précédente (celle qui définit le premier niveau). Il ne s'agit pas de dire que l'une ou l'autre de ces sortes de concepts a le pas sur l'autre (par exemple : les concepts de contenu seraient la matière de l'exposé, quand ceux du second niveau auraient seulement une valeur « opéra toire », c'est-à-dire instrumentale) : il faut voir qu'elles vont nécessairement ensemble, qu'aucune page du Capital n'aurait existé sans leur collaboration ou leur conflit. En deeffet, si on étudie attentivement les corrections qui vont la première esquisse de la Contribution au dernier état du texte du Capital, on s'aperçoit que Marx, repre9. C'est l'idé ali sme contenu. qu' un
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A propos du processus d'exposition
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nant sans cesse l'exposé pour lui donner une forme jamais définitive (puisque toujours elle semble pouvoir être reprise), a fait le travail d'un écrivain scientifique, avec pour horizon la page d'écriture. A cette page d'écriture nous devons savoir faire corr espo ndre une page de lecture : sur un morceau de texte, avec de gros yeux, non pour lire entre les lignes, mais pour lire ce qu'on n'a pas l'habi tude de lire sur ces lignes mêmes, il faut essayer de voir comm ent s'agencent matér iellem ent les différents niveaux , [291 les différents types de concepts. Il ne s'agit pas pourtant d'étudier un texte au hasard, pour sa seule valeur de frag ment. Par hypothèse, c'est le commencement, ce qui est donné dans les premières pages, qui doit être le plus signi ficatif, puisque c'est là peut-être que l'exposé scientifique connaît sa plus rude aventure : l'entrée dans la science. Capital, dont il s'agit, comme on I, 1,une 1 du l'a Levu,texte de faire explication littérale, peut être décom posé en trois parties d'inégale importance. L'unité du texte lui est conférée par la permanence d'une unique méthode ; on aura à se demander si cette unité est simple ou complexe, si la méthode est si unique qu'elle se veut bien dire. Dans l'ensemble, on dira que Marx procède à une analyse, qui s'applique successivement à trois objets : analyse de la richesse (quatre premières lignes), analyse de la marchandise (jusqu'au bas de la page 52, dans le texte français publié aux Editions sociales), analyse de la valeur. Il faut étudier séparément ces trois analyses, ce qui amènera nécessairement à se demander comment on passe de l'une à l'autre.
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I. - Point de départ et analyse de la richesse
1. Le point de départ est ce qu'il y a, théoriquement, de plus difficile : « Dans toutes les sciences le commence r e
ment est ardu. » (l préface, p. 17.) C'est pourquoi Marx multiplie lui-même les avertissements : la lecture du pre mier livre, et surtout du premier chapitre, est particuliè rement pénible, et il s'inquiète spécialement de cette diffi culté pour le public français ; c'est la raison pour laquelle ce chapitre fera l'objet d'incessantes révisions. Marx a tout fait pour donner à ces pages une présentation accessible : mais, de son propre aveu, il y a un niveau de difficulté qui ne pouvait être résorbé. Il n'était pas possible de remettre l'exposé scientifique à plus tard, pour le faire précéder d'une initiation, d'une présentation vulgarisée (donc non rigoureuse) ou d'une propédeutique à la méthode : on sait que la fameuse introduction de la Contri bution, significativement inachevée, n'a pas été reprise dans tion Le Capital. Donc, pas: à la méthode
d'initiation d'encourageantes à l'objet, pas d'introduc seulement préfaces. Il faut entrer directement dans la science : commencer par ce que Marx appelle 1' « analyse des éléments », par P « analyse micrologique » (préface à la première édition allemande). Une telle analyse porte sur les concepts les plus généraux, les plus « abstraits ». Ce texte, qui rejoint pour l'essentiel celui de l'introduction à la Contribution, nous enseigne que le commencement de la science est abrupt : « L'abstraction est la seule force qu puisse lui servir d'instrument. » (P. 18.) Le livre ne s'ouvre pas sur un passage, mais sur une rupture : il faut être rompu à la pratique théorique pour pouvoir ainsi sauter. Une fois définis ces principes d'exposition, il reste à savoir comment les appliquer. Une science déterminée se définit par ses objets et ses méthodes, qui se limitent réci proquement. Pour qu'on puisse commencer par la plus grande abstraction, il faut que cette délimitation soit don née au départ. Autrement dit : quels sont les concepts sur lesquels la science va travailler ? D'où lui viennent-ils ?
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Le point de départ doit être rigoureux, mais il ne peut être absolument énigmatique. C'est dire qu'il doit être à lui-même sa popre introduction : ou bien il n'a pas à être justifié (sinon nous serions engagés dans une régression à l'infini), ou bien il est simplement injustifié, injustifiable, arbitraire. En effet, le point de départ de l'exposé de Marx est tout à fait surprenant : le premier concept, celui dont tous les autres vont « sortir », est le concept, de R I C H E S S E . Il ne s'agit évidemment pas d'une abstraction scientifique, mais d'un concept empirique, faussement concret, proche de ceux que l'Introduction nous a appris à dénoncer (voir par exemple la critique de l'idée de « population »). La richesse est une abstr acti on em pir ique ; c'est une idée : faussement concrète (empirique), incomplète en elle-même (elle n'a pas de sens autonome, mais seulement par rap port à un ensemble de concepts qui la récusent). La richesse est une notion idéologique, dont on ne peut à première vue rien tirer. Du point de vue du processus d'investigation (le travail de la recherche scientifique), elle constitue le plus mauvais départ. Apparemment il n'en va pas de même pour le processus d'exposition, puisque c'est à partir d'elle que Marx présente les concepts fondamen taux de sa théorie. Que faut-il penser de ce début ? Plusieurs remarques permettent question :
de
répondre
à
cette
A) Marx ne demande pas plus à cette idée qu'elle ne peut effectivement produire. Au concept empirique il appli que une analyse empirique : il décompose la richesse en ses éléments, au sens mécanique du terme (la marchandise est la « forme élémentaire », cellulaire, de la richesse); la richesse n'est rien d'autre qu'une accumulation de mar chandises. L'idée est « exploitée » dans ses limites mêmes : il n'est pas question de lui faire dire ce qu'elle ne peut pas dire. B) Cette idée, dans la mesure où on se contente ainsi de la décrire, sans rien précisément lui ajouter, sans la doter d'un besoin secret qu'elle a au contraire éliminé, n'a pas de justification : elle ne dit rien de plus que ce que comporte son insuffisance. Elle est donc un point de dépar t, sinon légitime, au moi ns prati que : elle est l'obje t [301 empirique, immédiatement donné, de la « science écono mique ». C'est bien à ce titre qu'elle donnait un cadre, par
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exemple, à l'analyse d'Adam Smith. Tout se passe comme si elle jouait ici le rôle d'un rappel : on entend d'habi tude pa r économ ie politique l'é tude de la richesse ; si nous partons de l'idée de richesse, nous voyons que cette idée se décompose... Mais ce concept n'a évidemment pas de valeur par lui-même : il est profondément transitif, il sert à passer à autre chose, et en particulier à rappeler le lien avec le passé de la recherche scientifique. Cette fonction évocatoire montre bien que le concept ne doit pas sa première place à Ilsa manifeste rigueur, mais au contraire son caractère arbitraire. par son évidente àfragi lité la nécessité de parler d'autre chose, d'entrer dans ce difficile chemin qui n'avance qu'à partir de l'oubli de tout ce qui l'a précédé. Ce point de départ précaire, donné en un mot, en trois lignes, met en évidence une des conditions fondamentales de la rigueur scientifique : les concepts sur lesquels tra vaille la rationalité ne sont pas équivalents, placés sur un mê me pla n d'intelligibi lité ; au contra ire , ils sont nécessai rement hétérogènes : ils ne se répondent que dans la mesure où ils sont en rupture les uns par rapport aux autres. Nous retrouverons plusieurs fois cette condition. de ast l'idée de effet, richesse peutnt encore set com[311 pr C) en drLe e parôle r contr e. En ce poi de dépar n'est pas inédit dans l'œuvre de Marx : c'est déjà à partir de lui que dans les Manuscrits de 1844 s'engageait la réflexion sur l'économie. A ce moment, Marx reprenait aux écono mistes le concept de richesse, parce que ce concept méritait d'être critiqué : il tirait sa valeur de sa critique. En effet, une analyse (non pas mécanique comme c'est le cas dans Le Capital, mais critique) de ce concept mettait en évi dence la contradiction qui l'habite. La richesse est en même temps pauvreté : la richesse des nations, c'est aussi bien la pauvreté des nations. Une fois cette contradiction explicitée, exhibée, par la critique, on pouvait considérer le concept comme fécond : par la résolution de la contra diction, il était possible de produire de nouveaux concepts, remplis de plus de sens. En effet, dans les Manuscrits, en partant d'une telle analyse de la contradiction contenue dans l'idée de richesse, Marx arrivait à mettre en évi dence le « fait économique actuel » : la paupérisation et, avec elle, le travail aliéné, ainsi présentés dialectiquement. Par les voies classiques de l'analyse hégélienne (le moin-
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dre paradoxe des Manuscrits est que la méthode hégélienne y soit par ailleurs véhémentement dénoncée), Marx arri vait à faire produire au concept (vide) de richesse un cer tain savoir : la fonction du concept n'était pas dans sa pré carité, mais dans son essentialité, puisque s'y retrouvait toute l'essence du processus économique. [32] Manifestement, Marx fait du même point de départ, dans Le Capital, une utilisation très différente : il ne lui applique plus la méthode de résolution (des contradictions), parce que cette résolution, en exhibant la réalité d'une « apparence », est au fond la plus grande illusion. La réso lution fait apparaître comme féconde une idée dans laquelle en fait il n'y a rien, au moins rien de plus que ce qu'on y a mis. Les « contradictions » de la richesse n'ont à pré sent plus rien à nous apprendre. Marx n'utilise plus l'idée pour sa prétendue fécondité, mais au contraire pour sa stérilité : il va lui faire dire précisément ce qu'on y a mis, non pas en allant chercher, par une critique, ses présuppo sés ou ses conditions, mais en lui demandant ce qu'elle a à dire, le sens qu'on lui a donné. C'est pourquoi il ne lui applique pas, de l'extérieur, une analyse critique, mais seu lement l'analyse mécanique qui lui convient, la décou pant suivant ses propres lignes. Ainsi est supprimée l'illu sion réflexion sur lui-même lementd'une solidaire de du sa concept dissolution), et de la(paradoxa produc- [33] tion spontanée, par déroulement, d'un savoir nouveau. L'idée de richesse ne peut rien nous apprendre de plus que ce que savaient, d'un savoir très empirique qui s'appa rente à ce que Marx nomme si souvent « routine », ceux qui l'ont formée : la richesse est une collection de marchan dises. Ainsi le point de départ est suffisamment arbitraire pour qu'on ne risque pas de le prendre au sérieux, et il est assez « immédiat » pour qu'on n'aie pas besoin de lui chercher des raisons, ce qui nous ferait oublier de l'oublier. Le produit de cette idée stérile, la marchandise, « élé ment de la richesse », est au départ un concept de même nature que celui de richesse. Mais il n'est plus susceptible d'un : il va» donc falloir Marx le travailler par «découpage la force empirique de l'abstraction à laquelle donne encore le nom d'analyse. Cette analyse ne pourra nécessai rement être du même type que la précédente, et elle ne sera pas pourtant une analyse critique (qui démonte à la fois et dénonce le concept) : ce sera une recherche des [34] conditions, qui finira bien par rencontrer la contradiction,
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mais une contradiction très différente du modèle hégélien de la contradiction. En même temps donc que le concept de richesse sera abandonné, le concept de marchandise sera transformé, suivant le programme développé par Engels dans la préface de l'édition anglaise. L'analyse du point de départ, l'analyse dans le point de départ,^ n'épuis e donc pa s le sens de la mé thod e d'analyse. De même que le concept de richesse, l'analyse comme décomposition n'a de valeur que provisoire. L'analyse de la richesse éléments) En ne donne le modèle(décomposition des analyses enultérieures. effet, aucunement la méthode sera mise à l'épreuve, non des faits (comme il est de 1 rigueur, sinon rigou reux, dans une routine ), mais d'autres concepts : appliqué au concept de marchandise (présenté, mais non obtenu, à partir de celui de richesse, il se tient à un tout autre niveau), le concept d'analyse va subir plus d'une mutation. 2. Toutefois, il convient de s'arrêter encore à cette pre mière analyse, car elle ne nous a pas dit son dernier mot. Avec elle, en effet, apparaît tout un vocabulaire, que nous retrouverons partiellement modifié dans les analyses ulté rieures, et qui caractérise le détail de l'opération d'analyse : ce vocabulaire, ou répertoire conceptuel, subira lui aussi des mutations significatives. Il s'agit des termes qui relient la « matière » de l'ana¬ lyse à ses pro dui ts : « La richess e... s'annonce comme une immense accumulation de marchandises. » Cette expres sion possède de nombreux équivalents qui, dans leur ensemble, définissent une même unité sémantique : vient au monde sous la forme de apparaît comme (erscheint als) s'annonce comme se présente comme à première vue apparaît est d'abord (ist zunàchst) se présente sous l'aspect de Ces expressions désignent un même concept, qui carac térise et définit l'opération d'analyse. Il s'agit du concept de forme : la marchandise est la forme élémentaire de la richesse. L'analyse est un type particulier de relation qui
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rapproche des termes suivant un rapport de forme. On peut donner une définition simple de ce rapport : si a apparaît comme b, on dira par définition que b est la forme de a a est le contenu de b Exemple (voir un peu plus loin dans le texte) : la valeur apparaît comme rapport d'échange entre deux marchandises le rapport d'échange est la forme de la valeur la valeur est le contenu du rapport d'échange Autres exemples (qui montrent que la notion de forme n'est pas simple, mais complexe, puisqu'elle ne peut être diversement spécifiée) : — la marchandise est la forme élémentaire de la richesse (p. 51) — la valeur d'usage est la forme naturelle de la marchandise (p. 62) — le rapport d'échange est la forme d'apparition de la valeur (p. 52). Peut-on dire qu'à travers ces trois usages le mot recèle un sens unique ? Est-ce qu'il désigne un m êm e processus d'analyse, les différentes phases d'un même processus, ou des p roces sus différ ents ? Tel qu'il est présenté, ou plutôt utilisé, en ce début (la richesse apparaît comme mar chan dise ), le conce pt de for me [ semble désigner : le mode d'existence empirique de la chose, sa façon d'apparaître, de se montrer, de se mani fester. En ce sens, la richesse est bien la forme même de la réalité économique. Le point de départ de l'analyse s'appuie formellement, méthodiquement, sur le concept de forme empirique, auquel correspond bien l'idée de richesse. Une des questions sera de savoir si on doit interpréter cette forme d'apparition en termes d'apparence, c'est-à-dire à l'inté rieur de la relation : apparence — réalité, essence — manifestation. oppose, on peut tout Pour de le suitemoment dire rien qu'il nen'ens'y sera plusmais de même à propos de la forme de la valeur : puisque ce qui définit la valeur, c'est qu'e//e ne se montre pas, n'apparaît pas (c'est en cela qu'on sait qu'elle est tout le contraire de l'amie de Falstaff, Mistress Quickly), le concept de valeur est empiriquement très maigre : trans-
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parent. Telle est donc la difficulté : ou bien on n'a rien compris au point de départ, ou bien la notion de forme, et avec elle celle d'analyse, reçoit en chemin une nouvelle définition, qu'il faudra cette fois encore dégager. En effet, comme nous venons de nous en apercevoir, Marx utilise les concepts qui déterminent la forme du raisonnement dans un sens très précis, mais sans dire ce sens, sans le défi nir explicitement, comme s'il n'avait pas besoin de cette définition. Cela ne ferait pas beaucoup de difficulté si les concepts leétaient : mais de s'ilsdéfinitions sont susceptibles, suivant degré homogènes du raisonnement, différen tes, c'est que ce changement contribue aussi à les définir. Alors le concept de forme aurait une importance tout à fait particulière, parce qu'avec lui serait engagé le statut du concept en général, en tant que tel, aux différents niveaux de son usage : de sa « forme naturelle » à sa forme la plus abstraite. C'est bien cette difficulté que désigne Engels dans la préface de l'édition anglaise : « Il y a une difficulté que nous n'avons pas pu épargner au lecteur : l'emploi de certains termes dans un sens différent de celui qu'ils ont non seulement dans la vie quotidienne, mais aussi dans l'économie politique courante. Mais cela ne pouvait être évité. Tout aspect nouveau d'une science implique une révolution dans les termes techniques de cette science... [suit l'exemple des révolutions dans le voca bulaire conceptuel de la chimie]. » (P. 35.) Ce texte s'applique explicitement aux concepts qui déli mitent le contenu de la rec her che écono mique ; mais il peut être rapporté aussi aux termes qui donnent forme au raisonnement, et servir à caractériser non seulement le pas sage du langage traditionnel au langage scientifique du Capital, mais aussi, à l'intérieur même de l'exposé scien tifique, le passage d'un niveau de langage à un autre, d'un type de raisonnement à un autre. Ce passage est aussi un décalage, l'intrusion d'une différence, d'une rupture, qui ne sont pas le signe d'une insuffisance, mais les conditions même de l'expression scientifique. En quels autres termes va se présenter l'analyse, dans cette différenciation qui la définit à l'intérieur d'elle-même ? C'est à l'analyse de la marchandise de nous l'apprendre.
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II. - Analyse de la marchandise et apparition de la contradiction Comme l'indique le titre du paragraphe, cette nouvelle analyse consiste à distinguer « à l'intérieur » de la mar chandise deux facteurs : valeur d'usage et valeur d'échange (la deuxième finira par s'appeler simplement valeur). La notion de facteur est nouvelle, et il ne faut absolument pas la confondre avec celle de forme : dans une note sur l'économiste Bailey (p. 61), Marx montre qu'une des erreurs essentielles des économistes a été de confondre valeur et forme de la valeur. Néanmoins, ces deux facteurs seront présentés au cours de l'analyse à l'intérieur de rap ports que nous avons appris à considérer comme des rap ports de forme : « La marchandise est d'abord... [valeur d'usage] » (p. 51) ; « La valeur d'échange apparaît d'abord comme... » (p. 52). C'est d'ailleurs la place occupée par chaque facteur dans un rapport de forme qui permettra de les distinguer de la façon la plus claire. L'analyse ne produit donc plus des éléments matériels, empiriques (des demarchandises), mais des céden facteurs. Cette analyse est-elle mêm e type q ue la pré te ? Aut re ment dit, s'agit-il cette fois en core d' une décomp osition ? Dans ce cas, on pourrait donner de l'analyse de la mar chandise la représentation suivante : mar chandis e
>
facteur 1 : v. d'us. . , f
a c
t e
u
f
2
y
d
é c h
De la réponse qu'on donnera à cette question dépend le sens de la notion d'analyse : s'il est vrai, comme le dit Marx, qu'il est le premier à avoir appliqué à son objet la « méthode analytique » (mais cet objet existait-il avant l'application de la méth ode ?), c'est cette no tion q ui per mettra de définir la nature et la structure de l'exposé scientifique. 1. « La mar cha ndi se est d'abor d... une chose. » (p. 51.) La valeur d'usage, ou encore la chose, est donc la forme de la marchandise. Cette forme peut être directement, immédiatement reconnue, puisqu'elle apparaît dans des contours décidés : il n'y a en elle « rien de vague et d'indé-
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cis ». La chose a une place déterminée dans le cadre de la diversité naturelle des besoins. Elle peut être complètement étudiée, à partir de deux points de vue différents : — le point de vue qualitatif, qui dégage les « côtés divers » de l'usag e, et c'est l'œuvre de l'histoir e ; — le point de vue quantitatif, qui mesure la qualité de choses utiles, et c'est le rôle de la « routine commer ciale ». La valeur d'usage peut donc être entièrement connue, puisqu'il s'agit d'une détermination matérielle (« quelle que soit la forme sociale » c'est-à-dire le mode de répar tition des choses). On dira par définition : les choses ne valent que pour elles-mêmes, dans leur individualité, dans le cadre de la pure diversité des usages. Pourtant, dans les sociétés où « règne le mode de pro duction capitaliste », cette définition peut être interprétée de deux façons différentes : les choses sont la matière (le texte alle man d dit : « con ten u », Inhalt ) de la richesse ; mais, en même temps, elles entretiennent des rapports avec un terme nouveau, le second facteur, la valeur d'échange, dont elles constituent le « soutien matériel » (Stoff). Ainsi la notion de chose, jusqu'ici simple et nette, subit une sorte de dislocation. La valeur d'usage est bien forme de la marchandise (ce que n'est pas la valeur d'échange), mais elle est matière à la fois de la richesse et de la valeur d'échange. Dans la société capitaliste (« la société que nous avons à étudier »), la chose est une forme pour deux contenus. Ou bien les mots n'ont plus aucun sens, ou bien cette énigme doit être résolue. La chose n'est pas doublement déterminée parce qu'en elle, à côté de son caractère matériel, se manifesterait un autre caractère, de nature différente, mais parce qu'elle sert de matière à deux choses à la fois ; elle se rapporte, comme une matière, à deux catégories essentiellement différentes : la richesse est une catégorie empirique, au contraire de la valeur d'échange qui ne se donne pas immé diatement. Ainsi apparaît, pour la première fois, mais ce n'est pas la dernière, l'idée d'une chose à double face : 10
selon qu'on la rapporte à une catégorie empirique ou non, la chose présente un visage différent. Peut-on dire que l'un est le masque de l'autre ? 10. Il faut noter que la c hos e n'est p as un facteur pur emen t qualitatif : elle est susceptible d'un traitement quantitatif.
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A propos du processus d'exposition
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Au point où nous en sommes de l'analyse, nous pouvons récapituler son trajet de la façon suivante : réalité économique —» richesse -» marchandise —» v. d'us.
v. d'éch. 2. La valeur d'échange Elle ne se donne pas immédiatement dans ses propres contours, comme semblent le faire ces réalités empiri ques pures que sont la richesse et la chose. De même que la marchandise a besoin pour apparaître des contours de la chose, la valeur d'échange ne se donne elle-même que sous une forme particulière : le rapport d'échange (deux marchandises à la fois). Pour définir la valeur il faut donc faire intervenir une nouvelle notion, empruntée à l'écono mie classique : celle d'échange : — la marchandise apparaît à travers la forme de la chose, — la valeur apparaît à travers la forme de l'échange. Donc, dans des rapports de forme distincts, les deux facteurs de la marchandise occupent des places opposées. D'ailleurs, l'analogie apparente de ces deux rapports de forme est en fait une dissymétrie : la chose donne à la marchandise des contours nets, où ne se manifeste aucune indécision (en apparence, mais il ne s'agit pour le moment que d'appara ître) ; à travers l'échange au con traire , la valeur « semble quelque chose d'arbitraire et de purement relatif » (p. 52). Aussi la marchandise ne peut apparaître comme valeur : au contraire, c'est la valeur qui apparaît dans la forme de l'échange des marchandises. Nous disposons donc des défi nitions suivantes : — la chose est la forme de la march and ise — l'échange des marchandises est la forme de la valeur — la chose est le soutien matériel de la valeur. Du rapprochement de ces définitions, la notion de valeur sort comme éclatée. La valeur a d'abord été présentée comme « facteur de la marchandise » : son rapport à la marchandise doit signifier quelque chose. Mais les modali tés d'apparition de la marchandise (la chose : rien d'indécis) et de la valeur (l'échange : quelque chose d'arbitraire)
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semblent exclure toute commune mesure entre la valeur et la marchandise : « Une valeur d'échange intrinsèque, immanente à la marchandise, paraît être une contradictio in adjecto. » (p. 52.) La marchandise ne saurait apparaî tre comme valeur. C'est de cette façon que la contradiction fait son appa rition dans Le Capital : en tant seulement qu'elle est l'appa rence d'une contradiction. En même temps que la contra diction est form ulée (c'est celle qui structur e l'expression : valeur de la marchandise), est donné ce savoir : la contra diction est apparente. Le but de l'analyse est d'aller au-delà de la contradiction : pour cela, elle n'aura pas à la résou dre (une contradiction apparente n'a pas à être résolue), [37] mais à la supprimer . Au point où nous en sommes, l'exposé est parvenu à mettre en évidence la difficulté suivante : il y a deux façons, incompatibles, de présenter empiriquement la mar chandise. C'est cette difficulté qui va mener plus loin l'ana lyse, et nécessiter la transformation du concept de mar chandise. La marchandise, c'est deux choses à la fois : la marchan dise en elle-même, dans son immanence à elle-même, dans son intériorité, dans ses contours et sans bavures, s'appelle la chose ; la marchandise, confrontée à elle-même ou plu tôt à son double, dans cette expérience décisive qu'est pour elle l'échange, se révèle habitée par quelque chose d'étran ger et d'étrange, qui ne lui appartient pas, mais à quoi elle appartient, et qui se nomme valeur. Au moment où la marchandise s'abolit comme telle, ou au moins abolit sa forme d'apparition (par l'échange, elle est comme rempla cée : à elle se substitue un étrange double), au moment où la marchandise disparaît parce qu'elle n'a plus de forme propre, il apparaît qu'elle est la forme d'autre chose. C'est ici, avec la contradictio in adjecto, que commence une nouvelle phase de l'analyse : l'analyse de 11
11. Il ne faut évidemment pas dire que pour Marx la contra diction est toujours et essentiellement apparente, c'est-à-dire propriété de la pensée : la dialectique matérialiste est celle qui, audescontraire, étudie les « dans Mais, l'essence même choses, suivant la contradictions formule de Lénine. au moment du texte que nous considérons, au commencement de l'analyse de la valeur, la contradiction fonctionne comme une contradiction formelle. De cela, on peut tirer au moins une hypothèse : l'analyse du Capital présente et développe plusieurs sortes de contradictions, et sa « logique », si elle est effecti vement matérialiste, ne peut être réduite à une Logique de la contradiction en général.
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la valeur, fondée sur la distinction entre la valeur et la forme de la valeur. La valeur n'est donc pas une forme empirique, comme l'était la marchandise : à l'analyse de la marchandise, il va falloir aussi substituer une nouvelle forme d'analyse. En résumé : à partir des concepts économiques tels qu'ils étaient « spontanément » définis, dans le cadre de l'usage que permettaient ces définitions, il est apparu qu'il était impossible de parler de la valeur de la marchandise ; para doxalement, ces mots ne peuvent être prononcés, sinon dans le contexte d'une formulation aberrante. Un emploi rigoureux des concepts a mis en évidence leur insuffisance : c'est cette insuffisance qu'il faut supprimer, en même temps que la contradiction formelle, dans une nouvelle phase de l'analyse, dans une nouvelle analyse. Il est alors possible de répondre à la question posée au départ : l'analyse de la marchandise en facteurs n'est pas une analyse mécanique, une décomposition en éléments. L'analyse n'a permis de diviser le concept que parce qu'elle s'est jouée sur un double plan : fact. 2 / 7 march. ** fact. 1 On peut parler de la valeur d'usage d'une marchandise ; on ne peut parler de la valeur d'une marchandise (pour le moment) : selon qu'on le rapporte à l'un ou l'autre de ses facteurs, le concept de marchandise prend une signi fication différente ; on pou rr ait dir e que dan s un cas il est développé en intériorité (la marchandise en elle-même, dans ses contours), dans l'autre en extériorité (la marchan dise divisée dans le cadre de l'échange). La contradiction n'est donc pas dans le concept, déduite du concept : elle résulte des deux façons possibles de traiter le concept, de la possibilité de lui appliquer deux analyses différentes, à des niveaux différents. La contradiction est ici formelle parce qu'elle relève du mode de présentation du concept. La contradiction entre les termes, qui n'est même pas une contradiction entre des concepts, mais une différence, une rupture le traitement des et concepts, appartient propre audans processus d'exposition, ne renvoie en rien enà un processus réel : on pourrait même dire qu'elle renvoie à la façon spécifique qu'a le d'exclure le processus réel. Donc :
processus
d'exposition
la contradiction for melle est une contradiction entre les différentes formes du concept ; ces formes étant déterminées par les niveaux
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différents de la conceptualisation. Il ne faut pas en conclure que la contradiction est artificielle, qu'elle résulte d'un artifice d'exposition : elle indique au contraire un moment [38] nécessaire dans la constitution du savoir . Cette analyse révèle comme la précédente que les concepts qui soutiennent l'exposé scientifique ne sont pas de même nature. Ils ne procèdent donc pas directement les uns des autres : plutôt que déduits, ils sont frottés les uns contre les autres. C'est leur disparité qui permet d'avancer 12
dans le savoir, qui produit un savoir nouveau.qui S'ildirige y a une logique de l'exposé, c'est celle, inexorable, ce [39] travail des concepts. Cette logique de l'exposé qui constitue sa matière propre conduit à définir sans cesse les concepts ; l'exposé passe de concept en concept, nouveaux non seule ment dans leur contenu, mais aussi dans leur forme. Ce qui détermine un moment de l'exposé, une analyse, ce sont les conflits entre les concepts, les ruptures entre les niveaux de l'argumentation : ces « défauts » conduisent l'exposé jusqu'à son terme, à la rupture finale, qui oblige à le reprendre à un niveau différent, à procéder à une nouvelle analyse. C'est pourquoi la contradiction formelle n'aura pas à être résolue : dans une reprise, l'exposé l'installera ailleurs [40] que sur le terrain de cette contradiction. On dira alors : la marchandise est une chose à double face (les deux facteurs), dans la mesure où elle est deux choses à la fois (dans l'expérience de l'échange). S'il y a encore analyse, elle ne peut plus porter sur la marchandise conçue comme une unité abstraite : son objet minimum, ce sera main tenant deux marchandises. Cette mutation de l'objet mon tre elle aussi qu'il n'y a pas approfondissement continu de l'analyse, dans un mouvement purement spéculatif de type hégélien. Le point de vue insuffisant est échangé contre un autre point de vue, incompatible avec le pre mier (et qui ne peut absolument pas être tenu pour complé mentaire) : parler de deux marchandises, c'est faire exactement l'inverse de ce qu'on faisait en parlant d'une marchandise, puisque c'est faire abstraction de la valeur d'usage (voir p.»).53-54 : « quelles une foisconditions mise de extraordi côté la valeur d'usage On voit naires sont exigées pour qu'un des deux facteurs de la marchandise puisse être étudié à part. 12. En ce contradiction
sen s, une réelle.
con tradictio n
formel le
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une
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III. - Analyse de la valeur « Considérons la chose de plus près. » 1. — Le poi nt de dép art , ou obj et, de l'an alys e est maintenant le rapport d'échange, rapport d'égalité entre deux marchandises : on n'aura donc pas à tenir compte de forme m onna ie pou r définir la valeur forme est laune forme développée (son analyse sera; cette déduite de l'analyse de la valeur : ce sera la genèse de la monnaie), alors que l'échange est une forme élémentaire. Pour comprendre ce nouveau point de départ, il est intéressant de se reporter tout de suite au célèbre texte sur Aristote qui se trouve vingt pages plus loin (p. 73). On sait qu'Aristote est capable de ramener la forme argent de la marchandise à la forme élémentaire du rapport d'échange : il a compris que la valeur apparaît à l'état le plus pur (on pourrait presque dire « en personne », si la nature profonde de la valeur n'était justement de ne pas se montrer) dans un rapport d'égalité. C'est « ce qui mon tre le génie d'Aristote ». Mais certaines circonstances his toriques, sur lesquelles on ne reviendra pas ici, l'ont empê ché de trouver « quel était le contenu réel de ce rapport » ; il voyait bien que la forme d'apparition de la valeur avait pour allure générale : a = b, et il était même capable de donner des modèles de cette structure, mais il ne pouvait dire ce qu'étaient a et b, de quoi ils étaient faits. Ou plus exactement, il croyait le savoir : il croyait que a et b sont tels qu'il apparaissent dans les modèles empiriques, qu'ils sont des choses. Mais il avait bien vu en même temps qu'on ne pouvait parl er d'égalité entr e des choses : « Parei lle chose, dit Aristote, ne peut en vérité exister. » Aristote tenait donc les deux bouts de la contradiction, il était allé aussi loin que pouvait aller son savoir : à la fois il faut affirmer l'égalité entre deux éléments pour faire apparaître la valeur, et il faut détruire la notion de chose (donc intro duire celle dePour marchandise) pour maintenir l'affirmation d'une égalité. résoudre l'antinomie, il suffit de savoir que l'égalité n'est pas entre des choses, mais entre des marchandises (et pour cela, il faut attendre que « la forme marchandise soit devenue la forme générale des produits du travail »). La contradictio in adjecto, c'est là
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que commence l'ignorance d'Aristote, et c'est là aussi que commence l'analyse de la valeur.
[411
[421
2. — La difficulté qui oblige à com me nc er un e nou velle analyse vient de la représentation de l'échange sous la for me : de ux choses à la fois. Cette expression, formu lée en termes empiriques, n'a empiriquement aucun sens. L'analyse ne doit donc plus se faire en termes d'expérien ce. Un e chose , tou tes les chos es, cela a un sens, à la r igue ur ; mais rien ne perm et de distinguer, c'est-à-dire finalement d'expliquer, le rapport entre deux choses qui, au niveau de l'expérience, ne peut avoir qu'une fonction d'illusion. Dans l'expérience, on peut concevoir que deux choses soient l'une à côté de l'autre, qu'elles soient juxtaposées (comme les marchandises dans la richesse) : mais elles ne supportent explicitement aucun rapport ; du point de vue de l'expérience, entre deux choses et une chose, il y a différence quantitative, mais absolu ment pas de différence qualitative. Prenons « une marchandise particulière » (p. 53) : elle n'a de valeur que si elle entre dans le rapport d'échange. Or le chapitre suivant nous apprendra qu'elle n'y entre pas d'elle-même : il faut qu'un maquignon l'y mène, à coups de fouet (voir la description des marchés, où tout prend valeur d'y être poussé, jusqu'aux « femmes folles de leurs corps »). Ainsi la relation entre deux marchandises n'a rien de naturel, d'immédiat : elle doit être produite, maté riellement réalisée, dans un geste qui pourrait rappeler celui de l'expérimentation. 3. — La relation ent re de ux marchan dises, ainsi pro voquée, se définit comme rapport d'expression. Si a = b, on dira, par définition, que b est l'expression de a. Le s notions de forme et d'expression ne doivent pas être confon dues : le rapport a = b est une forme (la forme d'appari tion de la valeur) ; les termes q ui compos ent le rap port sont les expressions non de la forme, mais d'autre chose qui reste encore à déterminer. Par le fait que les deux termes du rapport (deux mar chandises) s'expriment entre eux (de façon non réciproque, comme il apparaîtra plus tard), le rapport est lui-même une forme d'apparition : c'est donc que la valeur n'est pas dans le rapp ort, au sens imm édia t de l'expression ; elle n'est ni en a ni en b : par le fait que a s'exprime dans b, ce n'est pas a, mais l'ensemble du rapport qui révèle la
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valeur : « La valeur d'échange a un contenu distinct de ces expressions diverses. » (P. 53.) Par le rapport, il y a expression, mais il ne faut pas tenir les termes du rapport pour le contenu du rapport. L'analyse de la valeur s'appuie donc sur une logique matérielle qui permet de passer de concept en concept (par exemple de déduire la valeur), mais elle n'a plus rien à voir avec la méthode empirique de la décomposition ni avec la méthode formelle de la contradiction, qui à des
moment différents de l'exposé ont pu tenir un rôle analogue. 4. — Le rapport ne se réalise pas seulement sous la forme qualitative a — b (a c'est du b). Il est aussi et surtout un rapport quantitatif : ax = by (a c'est tant de b). Le rap port est essentiellement le lieu d'apparition de la mesure : c'est à ce moment que l'analyse subit une mutation décisive. La nouvelle analyse commence par un choix décisif : le refus d'étudier le rapport d'échange en tant que rapport qualitatif, pour ne considérer en lui que son contenu quan titatif. Pour connaître la nature de la valeur (comprendre qu'elle n'est pas quelque chose d'arbitraire, telle qu'elle se montre dans le rapport), il faut sortir des apparences, récuser la forme d'apparition de la valeur pour interroger son contenu, qui est « distinct de ses expressions diver ses » : les modèles empiriques. Derrière les « deux choses » qui forment la matière immédiate du rapport, il faut en chercher une troisième, « qui par elle-même n'est ni l'une ni l'autre » : la structure de ce rapport. L'égalité du rapport (qui définit sa réalité) ne peut être constituée, et déterminée, qu'à partir d'une mesure, ou plutôt d'une possibilité de mesurer, en elle-même dis tincte de tous les rapports particuliers (qui sont des appli cations de la mesure, ses « soutiens matériels »). Les « objets » qui entrent dans le rapport d'échange ne peuvent être mesurés, c'est-à-dire comme on le verra calculés, qu'à partir d'un autre objet « différent de leur aspect visible ». Analyser le rapport d'échange entre deux marchandises ne signifie donc pas : dégager de la marchandise ce second facteur qui n'apparaît pas immédiatement en elle en pro cédant à une comparaison empirique. Pour interpréter le rapport, il faut le rapporter lui-même à une norme d'appré ciation qui est d'une autre nature. 5. — On pourrait à partir de cela formuler une règle générale, qui ne vaudrait pas seulement pour l'analyse éco-
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nomique : pour comparer non empiriquement des objets, il faut au préalable déterminer la forme générale de cette mesure. On rencontre ici pour la première fois cette exigence qui est un aspect essentiel de la « Logique du Capital », que comme on sait Marx n'a pas écrite. Toute 1431 étu de de fo rm e se tient au moi ns à deu x nive aux distincts. 11 n'est pas possible de faire dire ce qu'il exprime à un rapport d'expression si on l'interroge seulement dans sa réalité empirique : ainsi s'élabore une théorie matérielle de l'expression qui critique, comme empiriques, toutes les descriptions de sens (doncaveuglément toutes les tentatives de séméiologie). Pour savoir ce qu'exprime un rapport, il faut aussi, et même d'abord, savoir ce qui l'exprime. Autrement dit, on ne peut comprendre comment un sens (ici l'égalité : on verra par la suite qu'elle n'est pas neutre, réciproque, mais au contraire polarisée) passe entre les termes d'un rapport que si on se représente ce rapport lui-même comme l'un des termes d'un autre rapport d'expression, d'une autre nature. 6. — L'analyse du rapport tel qu'il se donne ne peut produire aucun savoir : il faut le transformer, l'interpréter, le réduire en équation ; ainsi il signifie autre chose. On est passé « ce qui se présente d'abord » aux conditions de cette de apparition. Donc : la valeur ne se présente comme telle (dans les limites de sa présentation) qu'à l'intérieur du rapport d'échange, mais il est impossible d'analyser ce rapport en luimême, à moins de s'arrêter, comme le fait Aristote, devant la contradiction. C'est que la valeur n'est pas dans le rapport comme le noyau dans son fruit : on ne passe de la marchandise, ou des deux marchandises, à la valeur qu'en se soumettant à la rupture qui sépare une forme d'une autre. Le rapport d'échange est le seul moyen d'accès à la valeur, mais il ne donne pas sur elle une prise directe. Le rapport est le seul chemin qui conduise à la valeur, mais le chemin passe seulement par le rapport. Quand on parvient au concept de la valeur, il faut se détourner du rapport lui-même pour interroger les conditions de son apparition. Paradoxalement, le rapport d'échange n'est la forme d'apparition de la valeur que dans la mesure où la valeur n'y apparaît pas.
C'est l'équation qui donne le moyen de sortir du rapport d'é cha nge , et de voir le conce pt de vale ur : « Quel que soit
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le rapport d'échange entre deux marchandises, il peut tou jours être représenté par une équation. » Alors peut com mencer « la déduction de la valeur au moyen de l'analyse des équations dans lesquelles s'exprime toute valeur d'échange » (postface à la seconde édition). Il faut donc réduire le rapport à son équation pour pouvoir ensuite déduire de cette équation la valeur. Il n'est pas question de déduire la valeur de sa forme d'apparition (cette déduc tion est, comme on l'a vu, impossible). Il n'est pas question non plus de réduire les objets qui remplissent empirique ment le rapport à leur valeur abstraite ; sur ce point, Marx s'explique lui-même dans une lettre à Engels du 25 juillet 1877, avec une grande jovialité :
« Exemple de la grande « perspicacité » des « socialistes de la chaire ». « Même avec une grande perspicacité, telle que celle dont fait preuve Marx, on ne peut résoudre le problème consistant à résoudre des « valeurs d'usage » (cette andouille oublie qu'il s'agit de « mar chandises », c'est-à-dire des éléments de plaisirs) à leur contraire, à des quantités d'efforts, à des sacri fices... (L'andouille croit que je veux, dans mon équa tion de valeur, « réduire les valeurs d'usage à de la valeur ».) C'est une substitution d'éléments de nature différente. La mise en équation de valeurs d'usage de nature différente ne peut s'expliquer que par une réduction de celles-ci à un facteur commun de valeur d'usage. (Pourquoi ne pas les réduire plutôt tout de suite au... poids ?) Dixit Mons ieur Kni es, le génie de l'économie politique professorale... » Effectivement, ce génie aurait été mieux inspiré de s'en prendre, s'il les avait connus, aux Manuscrits de 1844, où les renversements des plaisirs en peines ne sont pas peu nombreux. Dans l'exposé rigoureux du Capital, plus de renversement dialectiques, ni de réductions naïves : réduc tion et déduction ont fonction de valeurd'exclure qu'au prix d'une stricte combinaison, qui an'ypour toute confusion entre le réel et le pensé °. Un long chemin a été parco uru { 13. Si on maintient cette confusio n, on s'interdit de compr en dre comment la pensée s'approprie le réel, sur la base du réel lui-même.
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depuis le texte de la Sainte Famille sur le procès du fruit, où la déduction hégélienne était remplacée, renversée, pour devenir une réduction empirique : le passage par l'équa tion, qui agence et transforme la réduction et la déduc tion, met sur le même plan, confond dans une unique cri¬ ] tique, les deux méthodes traditionnelles de la connais sance idéaliste : l'analyse telle qu'elle est nouvellement définie s'éloigne autant de l'empirisme que du spiritualisme logique. 7. — Au terme de l'opérati on comple xe réduct ion-déd uc tion, la notion de rapport d'échange ne sert plus à rien, on peut l'abandonner, comme on l'a déjà fait pour beau coup d'autres : « Les deux objets sont donc égaux à un troisième qui, par lui-même, n'est ni l'un ni l'autre. C hacun des deux doit en tant que valeur d'échange être réductible au troisième, indépendamment de l'autre. » La valeur n'est pas plus obtenue par une réduction empirique à partir de l'échange qu'elle n'a été obtenue par une réduction empi rique à partir de la marchandise. Le paradoxe de l'analyse de l'échange, c'est que la valeur n'est ni dans les termes de l'échange, ni dans leur rapport. La valeur n'est pas donnée, ni dégagée, ni mise en évidence : elle est construite comme concept. C'est pour cela que la médiation du rap port perd tout son sens à un certain mome nt de l'analyse : l'échange est le seul moyen d'arriver à la valeur (comme l'avait vu Aristote), mais il ne sert absolument pas à la définir : la valeur ne confond pas sa réalité (de concept) avec les étapes de sa recherche. Ou encore : la valeur ne peut être un contenu commun aux deux objets, à moins d'être en même temps dans chaq ue objet ; or elle est indép enda nte de l'objet qui la supporte, elle existe à part, « par elle-même ». Elle n'est pas non plus entre les deux comme un autre objet de même nat ure (c'éta it l'illusion d' Arist ote) ; c'est un objet d'une autre nature : un concept. L'analyse de la valeur n'est pas dialectique, au sens hégélien de ce terme, en ce qu'elle ne dépend pas d'une « dialectique des marchandises » (identité, opposi tion, résolution dans le concept, déjà donné au départ sous une forme non développée). Le mouvement de l'ana lyse n'est pas continu, mais sans cesse interrompu par la remise en question de l'objet, de la méthode et des moyens de l'exposé.
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8. — Pour comprendre cette différenciation intérieure à l'exposé, sans laquelle il n'y aurait pas analyse rigoureuse, il faut s'arrêter à l'exemple de la géométrie élémentaire, qui joue un rôle capital dans l'argumentation puisqu'il a pour fonction de dégager la forme de raisonnement spécia lement adaptée à l'étape finale de l'analyse. « Un exemple emprunté à la géométrie élémentaire va nous mettre cela (le passage de l'échange à la valeur) soustoutes les yeux. Pour rectilignes, mesurer et oncomparer les surface de les figures les décom pose en triangles. On ramène le triangle lui-même à une expression tout à fait différente de son aspect visible : au demi-produit de sa base par sa hauteur. De même, les valeurs d'échange des marchandises doivent être ramenées à quelque chose qui leur est commun et dont elles représentent un plus ou un moins. » (P. 53.) L'exemple doit mettre en évidence le rôle de l'équation dans la détermination du concept. Le calcul des surfaces (pour élémentaire qu'il soit, il ne peut être immédiatement, spontanément, dégagé comme une donnée empirique, mais nécessite un travail de la connaissance) se fait par la suc cession de deux analyses : la première, une décomposition empirique analogue à celle qui a dégagé la marchandise, produit une première abstraction, le triangle, élément de base de toutes les collections ; ainsi le problème est posé : il s'agit de mesurer des triangles. Cette mesure est obtenue par le moyen d'une seconde analyse, celle qui ramène le triangle à l'équation de la surface, « expression tout à fait différente de son aspect visible ». La mesure de la surface ne se dégage pas de la confrontation empirique de tout ce qui a une surface, c'est-à-dire des figures. La question du plus ou moins de surface n'est qu'un des aspects de la question fondamentale qui porte sur la notion de surface. L'expression de la surface ne s'obtient pas par une réduc tion à partir de la diversité empirique des choses ayant surface, et inversement, plus ou moins dedela surface s'obtiennent pas par une ces déduction à partir notion ne de surface : le concept est cette réalité particulière qui permet de rendre compte de la réalité. Ainsi l'expression abstraite est finalement, et fondamentalement, en rapport avec cha que « objet » pris en lui-même, c'est-à-dire indépendamment des autres : elle n'est pas le concept des rapports entre
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depuis le texte de la Sainte Famille sur le procès du fruit, où la déduction hégélienne était remplacée, renversée, pour devenir une réduction empirique : le passage par l'équa tion, qui agence et transforme la réduction et la déduc tion, met sur le même plan, confond dans une unique critique, les deux méthodes traditionnelles de la connais sance idéaliste : l'analyse telle qu'elle est nouvellement définie s'éloigne autant de l'empirisme que du spiritualisme logique. 7. — Au terme de l'opérat ion comple xe réductio n-déduc tion, la notion de rapport d'échange ne sert plus à rien, on peut l'abandonner, comme on l'a déjà fait pour beau coup d'autres : « Les deux objets sont donc égaux à un troisième qui, par lui-même, n'est ni l'un ni l'autre. C hacun des deux doit en tant que valeur d'échange être réductible au troisième, indépendamment de l'autre. » La valeur n'est pas plus obtenue par une réduction empirique à partir de l'échange qu'elle n'a été obtenue par une réduction empi rique à partir de la marchandise. Le paradoxe de l'analyse de l'échange, c'est que la valeur n'est ni dans les termes de l'échange, ni dans leur rapport. La valeur n'est pas donnée, ni dégagée, ni mise en évidence : elle est construite comme concept. C'est que mome la médiation du rap: port perd tout son senspour à uncela certain nt de l'analyse l'échange est le seul moyen d'arriver à la valeur (comme l'avait vu Aristote), mais il ne sert absolument pas à la définir : la valeur ne confond pas sa réalité (de concept) avec les étapes de sa recherche. Ou encore : la valeur ne peut être un contenu commun aux deux objets, à moins d'être en même temps dans cha que objet ; or elle est ind épe nda nte de l'objet qui la supporte, elle existe à part, « par elle-même ». Elle n'est pas non plus entre les deux comme un autre objet de même nature (c'était l'illusion d 'Aristote) ; c'est un objet d'une autre nature : un concept. L'analyse de la valeur n'est pas dialectique, au sens hégélien de ce terme, en ce qu'elle ne dépend pas d'une « dialectique des marchandises » (identité, opposi tion, résolution dans le concept, déjà donné au départ sous une forme non développée). Le mouvement de l'ana lyse n'est pas continu, mais sans cesse interrompu par la remise en question de l'objet, de la méthode et des moyens de l'exposé.
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8. — Pour comprendre cette différenciation intérieure à l'exposé, sans laquelle il n'y aurait pas analyse rigoureuse, il faut s'arrêter à l'exemple de la géométrie élémentaire, qui joue un rôle capital dans l'argumentation puisqu'il a pour fonction de dégager la forme de raisonnement spécia lement adaptée à l'étape finale de l'analyse. « Un exemple emprunté à la géométrie élémentaire va nous mettre cela (le passage de l'échange à la valeur) soustoutes les yeux. Pour rectilignes, mesurer et oncomparer les surface de les figures les décom pose en triangles. On ramène le triangle lui-même à une expression tout à fait différente de son aspect visible : au demi-produit de sa base par sa hauteur. De même, les valeurs d'échange des marchandises doivent être ramenées à quelque chose qui leur est commun et dont elles représentent un plus ou un moins. » (P. 53.) L'exemple doit mettre en évidence le rôle de l'équation dans la détermination du concept. Le calcul des surfaces (pour élémentaire qu'il soit, il ne peut être immédiatement, spontanément, dégagé comme une donnée empirique, mais nécessite un travail de la connaissance) se fait par la suc cession de deux analyses : la première, une décomposition empirique analogue à celle qui a dégagé la marchandise, produit une première abstraction, le triangle, élément de base de toutes les collections ; ainsi le problème est posé : il s'agit de mesurer des triangles. Cette mesure est obtenue par le moyen d'une seconde analyse, celle qui ramène le triangle à l'éq uatio n de la surface , « express ion tou t à fait différente de son aspect visible ». La mesure de la surface ne se dégage pas de la confrontation empirique de tout ce qui a une surface, c'est-à-dire des figures. La question du plus ou moins de surface n'est qu'un des aspects de la question fondamentale qui porte sur la notion de surface. L'expression de la surface ne s'obtient pas par une réduc tion à partir de la diversité empirique des choses ayant surface, et inversement, plus ou moinsdedela surface s'obtiennent pas par une ces déduction à partir notion ne de surface : le concept est cette réalité particulière qui permet de rendre compte de la réalité. Ainsi l'expression abstraite est finalement, et fondamentalement, en rapport avec cha que « objet » pris en lui-même, c'est-à-dire indépendamment des autres : elle n'est pas le concept des rapports entre
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objets, c'est-à-dire un concept empirique, mais le concept décelé grâce à la médiation du rapport, mais non produit par elle : ainsi la critique (implicite) de l'hégélianisme est en même temps une cri tique (explicite) de l'empirisme. L'équation de la surface, comme celle de l'échange, est une idée, c'est-à-dire un « objet » d'une toute autre sorte : non un contenu de réalité, mais un contenu de pensée, pour reprendre une classification déjà utilisée, une géné> 1 ralité I I I ; on comprend alors que lorsqu'on dit que l'ana lyse ramène les objets réels à un troisième « objet », le terme objet soit utilisé dans un sens symbolique (mais non allégorique : le concept est bien une certaine sorte d'objet). De même que l'idée de cercle n'a ni centre ni circonférence, la surface du triangle n'est pas elle-même triangulaire ; de même aussi, la notion de valeur ne s'échange pas. Ainsi on comprend que l'analyse de la relation qui rap porte entre eux les termes dans le cadre de l'échange renvoie elle-même à un troisième « objet » dont à la limite elle révèle l'absence : ce troisième et nouvel objet, l'échange le cache plutôt qu'il ne le montre. La réalité, la pratique des échanges et des marchés n'a pas suffi à le créer : il a pu y avoir pendant très longtemps des marchés et des échanges, sous des formes très différentes, sans qu'on sache y rapporter cette mesure qu'est pour eux le concept de valeur. Le concept de valeur, Marx ne l'a pas trouvé à l'étal d'un quelconque marché, « à l'enseigne de la connais sance » : cette boutique, où il n'y aurait guère de matière à échanger, trouve à planter sa tente ailleurs que sur le terrain des marchés. Sans la rigueur de l'exposé scientifique, qui seule parvient à produire du savoir, le concept de valeur n'aurait aucune signification : c'est-à-dire qu'il n'existerait 1 pas . L'exemple de la géométrie élémentaire a donc, malgré sa simplicité, ou peut être à cause d'elle, une considérable importance : il définit la nature de la valeur, il lui confère sa qualité essentielle : celle de concept scientifique. Il faut signaler le rôle analogue que tiendront par la suite d'autres de chaque objet en particulier,
1 4
1S
exemples celuiphysiqu de la es chimie et celui la mesureà des propri: étés (p. (p. 70) 65) ; eux aussideserviront 14 . Cf. L. AL THU SSEH , Pour Marx : « Sur la dialectique maté rialistes > 15. La conna iss anc e ne reflète la réalité ni mécan ique ment ni i m m édi atem ent.
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marq uer la relation entre le conce pt et la réalité qu'il reflète.
[
9. — La démarche de l'exposé n'est ni celle d'une réduc tion empirique, ni celle d'une déduction conceptuelle (si Marx donne l'impression qu'il suit le mouvement d'une telle dialectique — nous savons qu'il s'agit seulement d'une « coquetterie » —, c'est en montrant justement qu'elle est trompeuse, qu'elle ne décrit pas un mouvement réel mais le jeu d'une illusion) : à partir des abstractions empi riques (qui orientent, guident, la pratique économique et ses idéologies scientifiques), il faut constituer ce contenu de pensée, ce concret-de-pensée, qu'est le concept scien tifique : ce contenu n'est ni absolument dérivé ni absolu ment déduit, mais produit par un travail d'élaboration spécifique. Il est possible à présent de donner les déterminations du concept, de ce « quelque chose de commun qui est propre à chaque objet avant de caractériser les rapports des deux objets » (cf. p. 65 : il s'agit d'une propriété « inhérente >). Comme la méthode d'analyse n'est pas la figure inverse du processus réel de constitution, mais qu'elle reprend à chaque fois le geste de se détourner des illusions (qui ne montrent que dans la mesure où elle dissimulent : on pour rait, à juste terme, dire qu'elles recèlent), dans une véri table traversée des apparences, cette détermination du concept sera d'abord négative : « Ce quelque chose de commun ne peut être... » Par cette négation sont radicale ment écartés les modes d'apparition empirique. Le « quelque chose de commun » ne peut être défini à partir des qualités naturelles, ou des valeurs d'usage. Ici il convient de mettre de côté l'exemple : dans le cas de la géométrie élémentaire, la notion de surface ne peut être directement déduite à partir de la diversité des surfaces parce que justement elle sert à définir cette diversité. Le rapport entre la valeur d'usage et la valeur d'échange prend, à partir de maintenant, un caractère très différent : il ne relie le concept à sa qu'on chosedevra que s'interroger dans des conditions très particulières qui font sur la consti tution « historique » de ce rapport : comment s'est-il réalisé ? Sur ce point, Enge ls ajo utera , à la fin du para graphe (p. 56), une note très importante. Pourtant, il est possible de remarquer que le rapport entre le concept et sa chose n'est pas le rapport entre la valeur d'échange et la
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valeur d'usage, mais entre la valeur et la marchandise : or la notion de valeur qualifie les marchandises comme la 1491 notion de surface qualifie les surfaces ; L'acte d'échanger ne manifeste l'apparition de la valeur que dans la mesure où il « fait abstraction de la valeur d'usage », ce qui est même sa condition ; sans cette abstrac tion, l'acte d'échanger n'aurait aucun sens. « Tout rapport d'échange est caractérisé par cette abstraction » : propo sition dont Aristote avait à l'avance compris le sens, mais qu'il pouvait lui-même formuler.comme L'échange se mani feste ne d'abord (quoiqu'indirectement) la suppression de toute qualité, et fait apparaître, sur le fond de cette disparition, une proportion : la valeur ne peut être dis tinguée qu'à partir d'une diversité quantitative (et non plus qualitative). On va voir que ce n'est encore que l'aspect le plus superficiel de l'analyse : il ne faut pas confondre le caractère abstrait de ce rapport quantitatif (la proportion) avec le vrai terme de la réduction analy tique. Pour reprendre l'exemple de la géométrie élémen taire, l'analogue du calcul de la surface, ce n'est pas la proportion qui est pour l'échange la condition d'apparition la plus apparente, celle précisément qu'il s'agit de réduire, dont il faut rendre compte. La proportion, à sa façon, dési gne (renvoie à) un concept : elle ne se confond pas avec ce concept. La quantité du rapport ne définit pas la valeur en elle-même, comme la diversité qualitative définit l'usage (on a d'ailleurs vu au passage qu'il existait un point de vue quantitatif sur la valeur d'usage). Entre quantité et qualité, il ne peut y avoir discrimination réelle, mais seule ment opposition superficielle ; il s'agit seulement d'une clas sification provisoire, d'une façon de représenter la distinc tion entre vale ur d'usage et va leur d'échang e ; la forme réelle de cette distinction est à chercher ailleurs. L'oppo sition entre quantité et qualité ne nous parle que dans la mesure où nous ne la prenons pas au mot. Aussi la détermination négative de la valeur («en faisant abstraction de », ce qui est une façon particulière de nommer la réduction) ne conduit pas à une étude pure ment quantitative (portant sur les proportions), mais à la recherche d'une nouvelle qualité : celle d'être, comme on sait, produit du travail. En tant que simples choses, les « objets » se différencient par leur usage, c'est-à-dire par leur irréductibilité. Si on met ce caractère de côté, en même temps que disparaissent leurs qualités empiriques, apparaît,
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non leur aspect quantitatif, mais une autre qualité (d'une tout autre nature : non directement observable) : « Il ne leur reste qu'une qualité... » ce sera précisément la valeur dont va pouvoir être déterminée la substance. 10. — Mais au moment où la valeur apparaît en per sonne, substantiellement, on s'aperçoit que l'objet qu'elle caractérise s'est lui-même « métamorphosé » (l'expression revient à deux reprises) : si on cherche à voir ce qui a rendu possible le rapport entre les objets, ce qui ne peut se faire, que par abstraction de leur caractère de choses, on s'aperçoit que le rapport est autre que ce qu'on croyait, que ce que croyait Aristote par exemple. Non seulement la valeur est autre chose, un troisième « objet », mais on s'aperçoit que le rapport dans lequel elle s'était d'abord manifestée est lui aussi autre que ce qu'on croyait : pour comprendre la constitution du rapport, il faut faire inter venir un nouveau « facteur » qui métamorphose le rapport lui-même. A ce moment, nous sommes complètement passé de l'autre côté de la contradiction : à ce moment aussi se lèvent les fantômes. L'objet s'est métamorphosé : de chose qu'il était, il est devenu marchandise. Et il nemaiss'agit pas d'une conversion spéculative, d'uneévidemment transformation réelle : d'après le texte final sur la chose et la marchandise, précisé par la note d'Engels, les choses peuvent très bien ne pas être des marchandises, même en étant des produits du travail : elles le sont devenues. D'une part, on est passé de l'idée de chose à celle de marcha ndis e ; d 'autr e par t, les choses sont effectivement devenues des marchandises. Est-ce à dire que le mouvement d'exposition des concepts ne fait que suivre (ou remonter en sens inverse : mais c'est finalement la même chose) le processus de constitu tion ? Il n'en est rien : la transformation réelle et la connais sance que nous en prenons en voyant la métamorphose sont hétérogènes. Voir la métam orpho se, c'est produire [50] une nouvelle connaissance (en déterminant la substance de la valeur) : il n'y a pas eu mouvement du concept correspondant, à l'endroit ou à l'envers, au mouvement réel, mais suppression d'une illusion. C'est voir que la réalité que nous cherchons à connaître n'est pas ce qu'elle manifeste, ce que nous croyons : elle n'est pas constituée de choses, mais de fantômes. Cette connaissance n'est venu e ni d'u n travail de la [51 ]
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réalité sur elle-même, ni d'un travail de l'idée sur ellemême : A) La valeur n'est pas ce concept qui aurait été obtenu à partir des « objets », en faisant abstraction de leur indi vidualité, ceci grâce à la situation privilégiée que constitue l'échange (il serait alors une abstraction empirique) : le concept n'est pas produit immédiatement par la situation d'échange. Le concept de valeur est le produit du travail de la connaissance qui supprime justement dans le rapport ce qu'il avait d'évidemment caractéristique (ce qui le dis tinguait, le faisant voir), pour débusquer les fantômes qui le hantent. B) Le co ncept ne peu t être produ it qu'à part ir des concepts (en tournant le dos aux réalités empiriques) : c'est ce qui pourrait faire croire à un processus spéculatif. Il y a effectivement un changement au niveau du concept : non à l'intérieur du concept, mais à l'extérieur (le passage de concept en concept) ; ce mouvement n'est pas produit par le concept, mais il produit la connaissance à partir du 1 conce pt dans des conditions ma térielles détermi nées. Le réel n'est pas modifié directement par l'appa rition de cette connaissance nouvelle : « Il subsiste après comme indépendance, à l'extérieur la pensée. avant, » (Intr.dans de son la Contribution.) L'idée de chose den'est pas une étape spéculative qui nous mènerait comme par la main au concept de marchandise : elle constitue un des éléments du matériel conceptuel sur lequel travaille la connaissance. De la même façon, la marchandise n'est telle qu'à partir de la chose : mais la considération des choses ne fait pas que nous sachions ce que c'est qu'une marchandise, ni même que le concept de marchandise a un sens. La chose n'est pas une forme aveugle de la marchan dise : à la rigueur, elle est le signe de notre aveuglement au moment où apparaît la marchandise. La connaissance que nous avons de la valeur n'est obtenue qu'à partir d'une critique du concept primitif que nous avons de la chose et de l'échange. La métamorphose n'est donc ni empirique ni spéculative, elle consiste seulement dans le fait que nous sommes sortis de la fausse contradiction, en la supprimant. 11. — La « chose à double face » n'était donc qu'un « premier abord » (de même d'ailleurs que les deux choses
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à la fois : les termes de la contradiction ont disparu) : la marchandise n'est pas une réalité déchirée, contradictoire, séparée de sa valeur. La marchandise est bien déterminée au contraire par sa qualité fondamentale (à partir de laquelle un calcul quantitatif est possible : le calcul de la valeur à partir du quantum de travail) : simplement elle n'est pas telle qu'elle apparaît (et réciproquement). Sa vraie réalité, c'est d'être un fantôme (non le produit d'un travail, en général). Le fantôme est ce qui doit mais d'un travail s'exprimer à l'exclusion de toute qualité empiriquement observable : ce n'en est pas moins une réalité matérielle. [53] Si la chose à double face n'est qu'une représentation inadéquate, valeur d'usage et valeur d'échange ne doivent absolument pas être mises sur le même plan. Il ne peut y avoir entre elles de contradiction, sinon par ignorance ou illusion (et ainsi la contradiction n'est que celle de l'illusion). On peut alors revenir sur un problème déjà envisagé : les « deux facteurs » de la marchandise n'ont pas été obtenus par différenciation à l'intérieur du concept. Les « objets » qui se présentaient dans l'échange ne sont plus à ce moment que des « sublimés » : « Ils ne manifestent plus qu'une chose. » On en est arrivé à l'ultime
condition : enlisé, le travail général qui s'est Ce déposé, cristallisé, dansenles marchandises. travailaccumulé, est luimême produit par une « force unique » : « la force de travail de la société tout entière, laquelle se manifeste dans l'ensemble des valeurs ». L'étude analytique est partie de l'élément simple (la valeur) pour remonter à la totalité complexe et structurée qui la constitue en dernier ressort : et ainsi la valeur ne se définit que par rapport à l'ensemble des valeurs ; elle se distingue ainsi radicale ment de l'usage qui ne se détermine que par son rapport à la chose. L'expression : valeur de la marchandise prend donc un nouveau sens, puisqu'elle ne constitue plus le terme ultime de l'analyse, mais seulement une de ses étapes ; si la substance de la valeur, c'est le travail en général (qu'il ne faut pas confondre avec le travail « indépendamment de toute forme de société », p. 58), c'est que l'élément simple de la valeur n'a de sens que diacritique, par les rapports qu'il entretient avec toutes les autres valeurs. L'étude formelle des éléments simples est donc incomplète en elle-même. A l'étude d'une contrad iction formelle , appa - [541 rente, va succéder celle des contradictions réelles qui constituent le mode de production capitaliste.
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Ceci est particulièrement important car il devient pos sible de mettre clairement en évidence la dissymétrie qui existe entre chose et marchandise : non seulement la dissy métrie historique, le fait que leur rapport soit un rapport de succession, irréversible, sans réciproque possible. Il n'est intéressant de faire intervenir au cours de l'analyse le pro cessus réel de constitution de la marchandise que dans la mesure on lepeut montreranalysé, que cette histoire s'est comme déposée où dans matériel où on la retrouve dans la disposition dissymétrique des conditions : — chose — usa ge 4¬ — valeur d'usage i
— travail utile diversité —» (in dépe ndt de des tte for me de besoins soc.)
l
4¬
— marchandise échange — val. ppt dite — trav. social
4, — force de trav. uni que de la société
La valeur d'usage ne se détermine pas sous une forme diacritique, rapport à structurée, la chose : mais elle ne prend pasmais son dans sens àson partir d'unedirect totalité à l'intérieur d'une diversité radicale. Il est donc impossible de présenter les caractères distinctifs de la valeur d'usage et de la valeur d'échange sous une forme analogique : à la marchandise sa valeur comme à la chose son utilité. Encore une fois, il n'y a pas symétrie, réci procité : la distinction des deux niveaux n'est pas abstraite (à l'intérieur d'une totalité idéale, divisée contre elle-même), mais réelle. Et seule la méthode analytique permet de ren dre compte de cette distinction. Les « objets » qui remplissent les marchés de la société capitaliste sont réellement divisés : d'une part ils sont uti les, d'autre part ils s'échangent. Il ne peut y avoir de conflit spéculatif entre ces deux aspects : il peut seulement y avoir conflit réel. 11 peut aussi y avoir connaissance adéquate de la distinction.
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A propos du processus d'exposition
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Il est possible de dégager de cette lecture des premières pages du Capital les conclusions suivantes : 1) La critique de l'empirisme et celle de l'idéalisme spé culatif vont ensemble. 2) Le processus réel (apparition de la marchandise, dans l'histoire économique) n'est pas immédiatement reproduit (reflété) par le mouvement de l'analyse : pourtant la diffé rence « historique » qui fait qu'on peut concevoir la chose sans la marchandise, mais non la marchandise sans la chose, se retrouve dans l'ordre d'exposition qui met en place les conditions des concepts : dans le cadre de cet ordre dogmatique qui appartient en propre à l'analyse, la marchandise ne peut être présentée comme l'équivalent, ou l'envers, de la chose. Ainsi est exprimée la nécessité d'un ordre de succession qui permette de penser le passage de la chose à la marchandise, mais non l'inverse. La valeur n'est pas à la marchandise ce que l'usage est à la chose : parce que ces termes n'ont de sens qu'à des niveaux très éloignés de l'analyse conceptuelle. Cette impossibilité formelle, qui définit entre les concepts un ordre dogmatique, est aussi la meilleure façon de rendre compte de l'ordre historique : ainsi l'ordre dogmatique n'est pas distingué de l'ordre historique comme la pensée est distincte du réel (à l'intérieur du réel) : l'ordre dogma tique permet de penser l'ordre historique . [56] 3) Com me nous avons pu le rem arq uer, les concep ts ne conservent pas, au cours de l'analyse, un sens immua ble. Par exemple, le concept de marchandise est au départ quelqu e chose com me un con cep t « eucl idien » : la ma r- 157] chandise apparaît dans une forme aux contours nets (l'équi valent d'une figure) ; ainsi elle est susceptible d'une défini tion empirique. Il n'en est pas de même du concept de valeur qui n'est pas susceptible d'une telle définition (il l'exclut au départ) : la valeur apparaît dans une forme non définie ; son concept devra être construit par la combinai son d'une réduction et d'une déduction. Mais, récursive16
16. Ce qui ne signifie pas qu'il le constitue. Bien au contraire : et c'est ici que la notion de reflet prend tout son sens.
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ment, une fois qu'est dégagée la substance de la valeur, la marchandise apparaît comme incomplètement caracté risée par sa définition (qui n'était qu'une manifestation) ; dans ses contours empiriques, elle n'était que le fantôme d'elle-même : confrontée au vrai concept de la valeur, elle subit une métamorphose. Ainsi les concepts, s'ils ne sont pas développés les uns à partir des autres, ne sont pas non plus posés les uns à côté des autres, dans un rapport d'indif férence : ils se travaillent et se transforment mutuellement. Le processus de la connaissance est lui aussi, mais non à lui seul, un processus matériel. Ce travail doit les faire passer de leur état primitif de concepts idéologiques, empruntés à des théories plus ou moins scientifiques (généralités I), à l'état de concepts scientifiques (généralités III). Certains concepts subissent cette muta tion ; d'au tres, utiles au passage ou au dépar t, seron t éliminés en chem in. Cette mutation est due aussi au travail de concepts qui ne relèvent pas directement de la science de l'histoire. Ces concepts, qui décrivent la forme du raisonnement, et qui font véritablement le travail de l'analyse (généra lités II), viennent de domaines très différents : — métho dologi e générale des sciences analyse abstraction — tra ditio n logique et philos ophique form e expression contradiction — pratiqu e mathé matiqu e équation réduction mesure Ces concep ts ont pou r fonction de trans form er (en les analysant) les concepts qui donnent contenu à la théorie économique. Il apparaît que ces concepts subissent eux-mêmes, en cours d'exposé, une transformation. Ils changent complète ment de sens : comme nous l'avons vu, l'analyse ne cesse de se définir, à mesure qu'elle passe à des niveaux diffé rents. De même, la notion de forme est employée au moins dans deux usages incompatibles : la marchandise apparaît comme chose (la forme est cette forme d'apparition qui donne ses premie rs cont ours , nets, à la marchandi se) ; la valeur apparaît dans le rapport d'échange des marchandi ses, ou plutôt à propos de ce rapport : cette forme d'appari-
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A propos du processus d'exposition
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tion est particulièrement précaire, puisqu'elle s'accompagne d'une contradi ction ; c'est pourq uoi il faut rem onte r, par [62] réduction, à un autre terme qui est la vraie forme de la valeur, non directement apparente cette fois : l'équation de la valeur. Le concept de forme s'est donc complètement transformé en même temps que celui de marchandise était remis en question (pour la faire apparaître dans ses contours de fantôme). Ainsi travaillés. les conceptsOnquipeut « travaillent » les par autres mêmes se demander quoisont: euxs'ils sont eux-mêmes des généralités I qui tendent à devenir des généralités III, quels concepts jouent pour eux le rôle de généralités II ? La réponse à cette question est simple : ce sont les autres concepts, les « concepts du contenu », qui tiennent cette place de concepts formels, et mettent les premiers à l'épreuve. Ainsi le travail de la connaissance se fait dans de ux sens à la fois (en cela aus si il est véri- [631 tablement dialectique). Le texte du Capital, comme nous l'avons vu dès le début, est écrit à deux niveaux : celui de la théorie scientifique en général (forme du raisonne ment) et celui de la pratique d'une science particulière : suivant qu'on lit en se plaçant à l'un ou l'autre point de vue, les concepts ont une action différente :
Pr. th. G
III
TH
4) L'exposé scientifique est organisé de façon systéma tique, mais cela ne veut pas dire qu'il renvoie à un ordre homogène et cohérent : les liaisons entre les concepts ne sont ni univoques ni équivalentes ; elles s'établissent à la fois à des niveaux distincts. Les relations entre les termes du discours ne sont donc pas de stricte concor dance : elles valent surtout par la tension fructueuse que réalisent certaines discordances (ex. : la contradictio in adjecto). On comprend ainsi que le passage entre les concepts et les propositions, rigoureusement démontré, n'obéisse pas pourtant au modèle mécanique de la déduc tion (relation entre des éléments équivalents ou identiques) : c'est à partir du conflit qui oppose plusieurs sortes de concepts et les fait travailler que sont produites des connais sances nouvell es. (64) On comprend alors pourquoi la représentation de l'effi-
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cace scientifique comme mise en ordre est tout à fait insuf fisante : la connaissance ne consiste pas dans la substitution de l'ordre au désordre, dans l'arrangement d'un désordre initial. Une telle image, qui représente bien un aspect essen[65J tiel de la pratique scientifique spontanée (l'idéal de taxino mie) ne correspond pas à la réalité matérielle du travail scientifique. L'idée d'un objet immédiat de la science, désordonné et donné, est fausse : c'est la connaissance qui construit son con tenu, c'est-à-dire son ordr e ; c'est elle 17
qui se est donne pointqu'elle de départ, ses pas instruments [66] sentiel queson l'ordre institue, plus qu'il. L'es n'est plaqué sur une réalité « à ranger », n'est non plus défi nitif. Il est au contraire toujours provisoire : il doit être sans cesse travaillé, confronté à d'autres types d'or dres ; c'est ce passage d'ordre en ordre, par ruptures successives, qui définit le processus indéfini de la connaissance. L'opposition ordre-désordre est trop pauvre pour rendre compte d'une telle activité : les différents ordres, rappor tés entre eux dans un incessant conflit, sont en eux-mêmes autant de désordres (insuffisants, défectueux, provisoires) : le vrai effort de la connaissance consiste à établir en lieu est place du désordre réel (ou plutôt ailleurs) un désordre de pensée apte à le mesurer. La vraie rationalité et la vraie logique sont celles de la diversité et de l'inégalité. Produire du savoir, c'est faire du désordre comme si c'était un ordre, s'en servir comme d'un ordre : c'est pour cela que la struc ture d'un savoir n'est jamais transparente, mais opaque, [67] divisée, incomplète, matérielle . 18
[68]
[69]
Juin 1965
17. Mais ce processus de la connaissance n'est pas indépendant, ni premier : il est déterminé comme tel par la réalité maté rielle (dont il est le reflet en tant qu'effet de conditions objec tives). 18. Les réfé rence s sont ind iqué es d'a près la traduc tion du Livre I du Capital publiée aux Editions sociales (t. I).
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ROGER
ESTABLET
Présentation du plan du « Capital »
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Pourquoi réfléchir sur le plan du Capital ? N'est-ce pas une œuvre qui impose i mmé diate ment ses articulati ons ? Il suffit donc, semble-t-il, de lire la table des matières. Mais Le Capital est une œuvre difficile à lire, parce que c'est une œuvre nouvelle par ses concepts et aussi par leur orga nisation. Il est donc à prévoir que les difficultés que le lec teur rencontrera d'abord vont provenir de cette nouveauté du Capital : — soit qu'il reconduise la structure du Capital à des structures déjà répertoriées et dont il connaît d'avance, c'est-à-dire sur le mode du préjugé, les relations avec la pensée de Marx. Il lira ainsi sur la tranche des volumes : Livre I, « Développement de la production capitaliste », Livre III, « Procès d'ensemble de la production capitaliste ». Il pourra alors conclure à un ordre hégélien. C'est la prin cipale source de contre-sens, nous le mon trer ons ; — soit que, « impatient de conclure, avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immé diates qui le passionnent » (Karl Marx, lettre à La Châtre, 18 mars 1872, Le Capital, Ed. sociales, t. 1, p. 43-44), il aille chercher ce que « Marx a à dire sur les propos tenus dans les disciplines modernes » (sociologie, économie politique) dont il connaît d'avance, c'est-à-dire sur le mode du préjugé, la proximité avec Le Capital. Imposant à l'ordre de sa lecture l'ordre de ses préoccupations, il ira de « modèle en modèle », et ici encore, malgré les apparences, c'est la nouveauté de l'œuvre de Marx qu'il perdra de vue, les sciences qui déterminent l'ordre de ses préoccupations n'étant nouvelles que de n'être pas nées plus tôt. Aussi est-ce à deux textes de Marx lui-même que nous demanderons de préparer une lecture du Capital qui soit ordonnée selon ses vrais enchaînements et ses vraies cou pures. Le premier texte est tiré du Capital, livre III (VI, 47). Dans la mesure où ce texte a donné lieu à des lectures difficiles à relier à l'œuvre elle-même, nous le confronte rons à un autre texte, tiré de Y Introduction de 1857 :
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Roger Establet
Contribution à la critique de l'économie politique
(Ed. socia
les, p. 163-164). 1 . - LE TEXTE DU « CAPITAL » (LIVRE IU) ET SES DIFFI CULTÉS
Voici le texte : « Dans le livre I, nous avons étudié les divers aspects que présente le procès de production capita liste, en soi, en tant que procès de production immé diat, et dans cette étude, nous avons fait abstraction de tous les effets secondaires résultant de facteurs étrangers à ce procès. Mais la vie du capital déborde ce procès de production immédiat. Dans le monde réel, le procès de circulation, qui a fait l'objet du livre II, vient le compléter. Dans la troisième section du livre II surtout, en étudiant le procès de circula tion en tant qu'intermédiaire du procès social de reproduction, nous avons vu que le procès de produc tion capitaliste, pris en bloc, est l'unité du procès de production et du procès de circulation. Dans ce livre III, il ne saurait être question de se répandre en généralités sur cette unité. Il s'agit au contraire de découvrir et de décrire les formes concrètes aux quelles donne naissance le mouvement du capital considéré comme un tout. C'est sous ces formes concrètes que s'affrontent les capitaux dans leur mouvement réel, et les formes que revêt le capital dans le procès de production immédiat comme dans le procès de circulation n'en sont que des phases particulières. Les formes du capital que nous allons exposer dans ce livre le rapprochent progressivement de la forme sous laquelle il se manifeste dans la société, à sa surface, pourrait-on dire, dans l'action réciproque des divers capitaux, dans la concurrence et dans la conscience ordinaire des agents de la pro duction eux-mêmes. » Ce texte, malgré sa clarté apparente, due essentiellement au fait qu'il suit la tripartition du Capital lui-même, est loin de supprimer toute difficulté. L'expression « à sa surface, pourrait-on dire » (on pourrait donc dire autre-
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Présentation du plan du « Capital »
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ment, ce qui signifie qu'on le devrait, s'il n'y avait pas une grande difficulté à passer d'une métaphore commode au concept rigoureux) marque bien les obstacles objectifs ren contrés par Marx lui-même pour exposer scientifiquement sa propre démarche scientifique. De fait, ce texte prête au moins à deux lectures qui ne peuvent rendre sérieusement compte de l'ordre effectivement suivi par Marx.
a) Première lecture inadéquate : en allant du livre I au livrepour III, la on première va de Vabstrait au réel.parCette interprétation été fois formulée Sombart et Schmidta (d'après le résumé critique de leur théorie par Engels dans son supplément au livre III du Capital, VI, 30) pour qui la loi de la valeur, objet du livre I, est un « fait logique » ou une « fiction nécess aire » Da ns ce cas, le livre II I apparaîtrait comme l'étude, au moyen du fait logique, ou de la « fiction nécessaire », des processus économiques concrets, entendons réels. Cette interprétation du plan du Capital peut se prévaloir du texte du livre III que nous avons cité, à condition d'y souligner les termes suivants : « Dans le livre I, nous avons étudié les divers aspects que présente le procès de production capita liste, en soi, en tant que procès de production immé diat, et dans cette étude, nous avons fait abstraction de tous les effets secondaires résultant de facteurs étrangers à ce procès. Mais la vie du capital déborde ce procès de production immédiat. Dans le monde réel, le procès de circulation, qui a fait l'objet du livre II, vient le compléter. Dans la troisième section du livre II surtout, en étudiant le procès de circula tion en tant qu'intermédiaire du procès social de 1. Engels, parf aitement conscient de ce que l'op positio n fiction nécessaire (loi de la valeur)/étude du réel (théorie du profit) introduit dans Le Capital une cassure méthodologique injusti fiable, entreprend dans ce texte de rétablir l'unité du Capital. Mais au lieu de démontrer que la loi de la valeur/et la théorie du profit sont des productions théoriques de même type, il se borne, sur base d'une historique, établir réelles.argumentation qu'elles sont laégalement En dehors du fait que a tous les arguments employés sont contestables, et que notamment l'appli cation de la loi de la valeur à des modes de production qui ne sont que marginalement marchands pose plus de problèmes qu'elle n'en résout, le texte d'Engels aboutirait à expliquer que les catégories économiques sont exposées dans Le Capital d'après l'ordre où elles ont été historiquement déterminantes, c'est-à-dire selon l'ordre dont Marx a le plus clairement exposé l'inadéqua tion (Introduction.- de 1857, Ed. sociales, p. 171).
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Roger Establet
reproduction, nous avons vu que le procès de produc tion capitaliste, pris en bloc, est l'unité du procès de reproduction et du procès de circulation. Dans ce livre III, il ne saurait être question de se répandre en généralités sur cette unité. Il s'agit au contraire de découvrir et de décrire les formes concrètes aux quelles donne naissance le mouvement du capital considéré comme un tout. C'est sous ces formes concrètes que s'affrontent les capitaux dans leur mouvement réel, de et production les formes immédiat que revêtcomme le capital dans le procès dans le procès de circulation n'en sont que des phases particulières. Les formes du capital que nous allons exposer dans ce livre le rapprochent progressivement de la forme sous laquelle il se manifeste dans la société, à sa surface, pourrait-on dire, dans l'action réciproque des divers capitaux, dans la concurrence et dans la conscience ordinaire des agents de la pro duction eux-mêmes. »
Ainsi, les premier et second livres (le second moins que le premier cependant) seraient et ne seraient que l'ensem ble des abstractions nécessaires à la recherche sur le réel ; on dira : avec les sociologues américains, des concepts opératoires, avec les économétriciens, des modèles, avec Max Weber, des types idéaux . Ces abstractions, enten2
2. Pour Max Weber, la production de concepts dans les scien ces'de l'homme consiste à accumuler tous les écarts différentiels que présente un phénomène donné par rapport à la série des phénomènes de même type (l'unité du champ qui permet la mesure de ces écarts est fondée sur la perspective prise par l'auteur en fonction de ses propres valeurs), l'unité individuelle des diffé rentielles étant passible de la « compréhension ». C'est ainsi que Max Weber procède pour construire le type idéal de l'entre prise capitaliste, dans Vavant-propos à L'Ethique protestante. On ne saurait à la fois utiliser plus consciemment la probléma tique implicite de tout constructeur de modèle et, en face de la même réalité, se distinguer plus nettement de Marx. En effet, si penser un phénomène réel c'est en construire le schéma, ii faut posséder un principe de schématisation (car les phénomènes réels ne se prêtent pas a un découpage, ou se prêtent a n'importe tant découpage) quel est qu'elle : doive la science découper ne fournit et schématiser, pas ce principe, il faut et doncsi qu'elle le reçoive de l'extérieur. Cet extérieur, pour les économé triciens, est généralement constitué par la valeur au sens propre du terme et par la nécess ité de pr odu ire da vant age de profit ; il est, chez Max Weber, constitué par les valeurs, en un sens plus noble mais aussi plus vague. Dans un cas comme dans l'autre, concevoir la science comme schématisation du réel revient à lui ôter toute problématique autonome. L'immense mérite de Marx
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dons schématisations provisoires du réel, ne reçoivent leur validation que dans la mesure où elles permettent d'éclai rer le concret, c'est-à-dire le réel qu'elles schématisent. Il va de soi qu'un type idéal, modèle, concept opératoire, ne se manifeste jamais directement comme tel dans le réel, et que le mouvement de validation consiste à repérer exacte ment les écarts du réel par rapport au schéma (ce qui per met d'en construire un second, ou de préciser le premier). Appliquée au Capital, cette interprétation est confirmée par un certain nombre de faits : La loi de la valeur ne s'applique pas directement : il y a un écart entre la valeur (schéma, abstrait) et le prix (concret, réalité), il y a un écart entre le taux de plusvalue (abstrait, schéma) et le taux de profit (concret, réalité). Or le lieu des schémas est bien, dans Le Capital, le livre I ; le lieu des écarts, le livre III. Donc le livre I est bien le lieu de l'abstrait, le livre III le livre du réel, Le Capital tout entier étant le mouvement de « rapprochement pro gressif » de l'abstrait vers le réel. Une telle conception suppose une théorie empiriste de la science inacceptable et qui, dans le cas présent, revien drait à introduire dans Le Capital une cassure inintelligible : en effet, relier sur le mode réel une production théorique à une réalité est pure fantasmagorie. Il ne suffit pas de constater des écarts entre la réalité dont on fait la théorie et les premiers résultats théoriques pour faire la théorie 3
Weber et de ses successeurs, tel M. Raymond Aron, consiste dans la conscience parfaite qu'ils ont de ce présupposé. Rien ne saurait mieux opposer une science des schémas et le marxisme. Lorque, dans Pavant-propos de L'Ethique protestante, Max Weber accu mule tous les écarts différentiels de l'entreprise capitaliste en nous donnant à penser, comme unité de tous ces écarts, un cer tain type de rationalité que nous devons parfaitement comprendre ulsquMi est notre, nous reconnaissons certes la réalité dont [arx traite dans Le Capital, et nous pouvons m i m e souscri re a chacun des énoncés 'wébériens (puisqu 'ils so nt tous sans ex cep tion repris à Marx) ; nou s ne pouv ons re connaître entre ces énoncés les rapports théoriques produits par Marx et qui en font les lois d'un même objet. Ce qui sépare Marx de Weber, c'est le caractère scientifique de la méthode marxiste. Cela ne signifie pas qu'une méthode wébérlenne ne puisse produire aucun concept scientifique ; cela signifie simple ment qu'une méth ode scientifique, celle de Marx en particulier, ne peut être une méthode wébérlenne. 3. Ce qui r evien t à « nua nce r » ce que l'on vie nt de dire sous une forme schématique. Lukacs, dans la Destruction de la Raison, raille en ce sens à just e titre « les nuanc es chères aux rofesseurs ». Mais cette raillerie n'a de signification que si 'on récuse du même coup toute entreprise de schématisation comme non scientifique, autrement dit si on la retourne essen tiellement contre son auteur.
S
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de ces écarts. La théorie suit un ordre intégralement « logi que », qui est l'ordre de la construction des lois de son objet. Aussi les concepts de taux de plus-value et de taux de profit sont fondamentalement de même type : ce sont des productions théoriques. Et elles ne peuvent se distin guer qu'à l'intérieur de cette production sur la base de rapports théoriques : il est nécessaire d'élaborer d'abord la catégorie de la plus-value pour élaborer la catégorie de profit, mais celle-ci possède un contenu plus riche, car elle suppose un rapport avec d'autres concepts que le concept de plus-value. Nous pouvons tirer de cette critique une leçon toute négative mais importante : la distinction empiriste abstrait/ réel ne peut rien nous apprendre sur l'ordre du Capital. Et, s'il est très grossièrement exact de dire que l'on peut reconnaître dans le livre III plus de phénomènes aisément repérables dans la réalité capitaliste que dans le livre I, cet énoncé porte sur les résultats, non sur la structure de la méthode. Du reste, cet énoncé n'est que très grossièrement exact : pris pour une connaissance, il conduit à négliger la théorie des luttes ouvrières concernant la journée de travail, phénomène aisément repérable dans la réalité his tor ique , qui est faite dès le débu t du livre I ; il con duit finalement à l'édition arbitraire du Capital par àMaximilien Rubel (collection Pléiade) qui rejette ces textes la fin du livre I, en les réduisant ainsi au rôle théorique mineur d'illustration concrète (par la réalité) de schémas abstraits. b) Deuxième lecture inadéquate : en allant du livre I au livre III, on va du micro-économique au macro-écono mique, c'est-à-dire des modèles abstraits du réellement sim ple aux modèles abstraits du réellement complexe (telle est la théorie défendue par Maurice Godelier, dans un arti cle très important : « Les Structures de la méthode du Capital de Karl Marx », Economie et Politique, juin 1960) . 4
4. En entreprenant cette réfutation de l'interprétation de Gode lier, nous tenons à reconnaître ses titres. A une époque où les marxistes se préoccupaient davantage des applications (scientifiques ou politiques) de la théorie marxiste, Godelier a eu le mérite d'entreprendre, en solitaire, de reposer le problème de la méthode du Capital. La rectification de sa première démarche a été entreprise par Godelier lui-même dans un travail original suit les rapports entre la valeur et les prix (dans La Pensée) où la relation entre ces deux catégories n'est plus pensée sur la base de la distinction micro-économique/ macro-économique, mais en terme de simplicité et de complexité logique relatives. Cette position rejoint dans ses grandes lignes la conception que nous développons ici.
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Dans cette interprétation du plan du Capital, l'opposi tion précédente ab stra it/r éel cesse d'êtr e explicative ; car elle est présente dans chacun des livres selon le schéma suivant : Livre I Livre II, 1" et 2° sections
Livre II, 2° section Livre III
Réalité
La firme
L'ensemble des firmes
Théorie
Modèle de la firme
Modèle de l'ensemble
Dans la mesure où cette lecture utilise la notion de avec plus de rigueur que la précédente, elle est moins adéquate encore à son objet. (Toute lecture du Capi tal a des chances d'être d'autant moins adéquate qu'elle utilise mieux le concept empirique, totalement inadéquat, de modèle.) En effet, voici son étrang résultat : la théorie ne possède plus aucune démarche autonome, mais se pré sente comme une succession de schémas dont l'ordre est imposé par la réalité elle-même. Fort heureusement, la réa lité se prête à la théorie puisque l'on peut y discerner un réel simple (la firme) par quoi l'on pourra commencer, et un réel complexe (l'ensemble réel des firmes) par quoi il faudra finir. A la rigueur, il suffit pour rejeter cette conception du plan du Capital : a) de la confronter avec le texte de modèle
l'Introduction générale à la critique de que où Marx distingue complètement,
l'économie
politi
pour définir sa méthode, le processus réel et le processus de pensée (Ed. sociales, p. 165-166 ) ; b) de mettre à jour son présupposé fondamental, à savoir l'existence de fait, dont on ne sau rait rendre compte, d'une harmonie préétablie entre la réa lité et la théorie. Cependant, il est vrai que le texte du Capital, livre III, peut justifier cette lecture, à condition qu'on y
souligne
les éléments suivants :
« Dans le livre I, nous avons étudié les divers aspects que présente le procès de production capita liste, en soi, en tant que procès de production immé diat, et dans cette étude, nous avons fait abstraction de tous les effets secondaires résultant de facteurs
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étrangers à ce procès. Mais la vie du capital déborde ce procès de production immédiat. Dans le monde réel, le procès de circulation, qui a fait l'objet du livre II, vient le compléter. Dans la troisième section du livre II surtout, en étudiant le procès de circula tion en tant qu'intermédiaire du procès social de reproduction, nous avons vu que le procès de pro duction capitaliste, pris en bloc, est l'unité du procès de production et du procès de circulation. Dans ce livregénéralités III, il ne sur saurait question de au se contraire répandre en cette être unité. Il s'agit de découvrir et de décrire les formes concrètes aux quelles donne naissance le mouvement du capital considéré comme un tout [le lecteur souligne ici comme Marx lui-même]. C'est sous ces formes concrètes que s'affrontent les capitaux dans leur mou vement réel, et les formes que revêt le capital dans le procès de production immédiat comme dans le procès de circulation n'en sont que des phases parti culières. Les formes du capital que nous allons expo
ser dans ce livre le rapprochent progressivement de la forme sous laquelle il se manifeste dans la société, à sa surface, pourrait-on dire, dans l'action récipro que des divers capitaux, dans la concurrence et dans la conscience ordinaire des agents de la production eux-mêmes. » La lecture de Godelier est donc possible. Ajoutons que si l'on s'en tient aux éléments du processus réel successive ment utilisés dans Le Capital, par le processus de pensée, elle reçoit une approximative confirmation. En effet, le livre I ne prend ses exemples (sauf, et c'est très important, la théorie du salaire, la théorie de l'armée industrielle de réserve) que dans l'entreprise isolée, alors que le livre III fait intervenir tous les capitalistes, la Bourse, les banques, etc. Conservons provisoirement le concept d'exemple : il est clair qu'une théorie choisit ses exemples en fonction de ses propres besoins théoriques, que les éléments du pro cessus réel,supposons jouant lequ'il rôle soit d'exemples, peuvent déter miner. Et question, ne à titre d'exemple au livre I, de la firme isolée. Ce que Godelier n'explique pas, c'est : 1) Po ur quelles raisons théoriques il en est ainsi, à moins de supposer que la firme isolée ne soit à la fois — mais
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par quel hasard ? — le réellem ent simp le-thé orique ment simple ; ce qui nous conduit au 2). 2) Que Marx n'utilise de la firme isolée que ce qui suffit, au niveau du livre I, au processus de pensée. Car s'il fallait penser le mouvement réel d'une firme concrète pendant une période définie, il faudrait non seulement convoquer Le Capital en entier, mais encore élaborer de nouveaux concepts sur la base de ceux qui sont fournis par Le Capital. Et si cette explication ne peut être fournie, cela tient à deux raisons que nous allons brièvement élucider : d'abord, le livre I n'a pas pour objet la firme ; ensuite, si l'on veut à tout prix conserver la notion de modèle pour parler du rapport pensée/réalité dans Le Capital, ce sera dans une acception voisine de celle qui est déterminée par les mathé maticiens, non de celle qui est utilisée par les économétriciens : autant dire qu'il faut en inverser le sens. Ce dont il est question dans le livre I n'est nullement la firme, mais un objet théoriquement défini, à savoir « une parcelle du capital social promue à l'autonomie » (Le Capital, livre II, t. V, p. 9, et livre III, t. VI, p. 54). Si donc il faut promouvoir à l'autonomie cette parcelle, c'est qu'elle n'est pas équivalente à la firme réelle dont tout le monde sait qu'elle est suffisamment autonome pour ne point attendre de Marx une promotion. Il s'agit donc d'une promotion théorique, ou résultat d'une division théo rique d'un objet théorique pro mu ainsi à une aut onom ie théorique. Nous nous efforcerons de rendre un compte théorique de cette opération. Reste le « modèle » : parler de modèle à propos de la firme, ce n'est pas expliquer la structure du Capital, c'est faire la pédagogie (c'est-à-dire une des pédagogies possi bles) du livre I. Voici pourquoi : supposons que la théorie ait pu rendre compte du fait que l'objet qu'elle se donne est bien « une parcelle du capital social promue à l'auto nomie », c'est-à-dire qu'elle en ait établi la définition et les lois. Il serait alors possible à un pédagogue de la théorie de se tourner vers le processus réel et de tenir à peu près ce langage : « Vous connaissez X... Veuillez faire abstrac tion de ses goûts personnels, de ses appuis politiques. Vous savez qu'il s'est considérablement enrichi. Faisons abstrac tion de son talent de spéculateur, et faisons l'hypothèse de l'absence de crises, de hausses de prix, bref supposons que toutes les autres conditions (à l'exception de celle que je
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viens d'énoncer sur leur forme théorique) sont égales d'ail leurs. Nous considérons X... au moment où, détenteur d'une certaine somme d'argent, il les convertit en moyens de production. J'aurais aussi bien pu prendre l'exemple de Y ou de Z. Eh bien, dans ces conditions, que la théorie vient de vous définir, et dans ces conditions seules, vous pouvez vous faire une idée de ce que à quoi correspond, dans la réalité, l'objet dont nous sommes en train de produire le concept. Laissons donc X... à ses affaires et revenons à notre objet, puisque c'est modèle de lui qu'il nonunde schéma X... » Qu'est-ce donc qu'un ? Ons'agit bien et c'est du réel, et alors il n'a de validité que dans une pseudo science, qui n'a d'autre souci que de se faire une repré sentation approximative du réel, afin de pouvoir lui faire subir quelques manipulations pratiques. Car, qui dit schéma dit découpage, qui dit découpage dit principe de découpage, et qui dit principe de découpage, ou bien en fait la théorie, et se passe essentiellement de schémas, ou bien n'en fait pas la théorie, et se contente de schémas, ses vraies satis factions étant ailleurs. Telle est la fonction toute pratique du « modèle » dans l'économétrie ordinaire. Ou bien un modèle est l'image de l'objet théorique que l'on peut des siner dans la réalité en l'assujettissant aux conditions de la théorie : tel est à peu près le concept des mathémati ciens. Et si l'on veut à tout prix s'en servir pour parler du Capital, on devra dire : la firme individuelle est un des modèles possibles de l'objet dont le livre I fait la théorie. Mais on devra surtout ne pas dire : l'objet du livre I est le modèle de la firme. Nous croyons avoir établi ainsi : 5
1) Ce que sont exactement les exemples dans chacune des étapes du Capital. (Ce sont des modèles. Ils ont une fin pédagogique.) 2) Que l'on ne peut com pre ndr e l'ordre des étapes à 5. Puisqu'il s'agit simplement de rendre compte d'une pédagogie qui n'entretient avec la théorie qu'elle enseigne qu'un rapport nécessairement approximatif, et par là de démêler comment une pédagogie peut se tromper en énonçant, comme lois de l'ob dejetdéfinir qu'ellele enseigne, propres unlois — nous nous decontentons « modèle ses » d'après excellent ouvrage vulgarisation, celui de M. BLANCHE, L'Axiomatique (L ' i ni ti ati on phi los oph iqu e, P.U.F.) , page 38 : « On pour ra tou jour s, si on trouve plusieurs systèmes de valeurs qui satisfont à l'ensemble des relations énoncées par les postulats, en donner des Interprétations concrètes diverses, ou, autrement dit, choisir entre plusieurs réalisations. Ces réalisations concrètes d'une axiomatique sont appelées ses modèles. »
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partir des caractéristiques des exemples. (Le Capital n'est pas une succession de modèles.) CONCLUSION
Ce texte problématique s'est surtout livré à nous par les contre-sens qu'il peut permettre sur la structure du Capital. Nous examinerons plus loin la mesure exacte dans laquelle ce texte est responsable des contre-sens de ses lecteurs. D'ores et déjà nous pouvons savoir, malgré lui, grâce à lui : — que l'ordre du Capital est intégralement un ordre théorique : on ne va ni de l'abstrait au réel, ni du réel simple au réel complexe ; — que le rapport schéma/réalité ne rend compte ni de l'ordre du Capital ni de chacune de ses étapes ; — que si l'ordre est intégralement théorique, il ne peut dépendre que du concept formel de son objet ; — que l'objet du Capital étant un mode de production déterminé, l'ordre du Capital doit dépendre essentiellement du concept formel de mode de production. C'est pourquoi, abandonnant provisoirement le texte difficile que nous venons de commenter à rebours, nous allons nous tourner vers un paragraphe de XIntroduction de 1857 (Ed. sociales, p. 163-164) dont c'est précisément le propos que de définir le concept formel de mode de production.
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I. - Présentation du «Capital» par Marx lui-même
2. - CONSI DÉRON S MAINT ENANT LE TEX TE DE L' « IN TRO D U C T IO N D E 1 8 5 7 » ( E . s., p . 1 6 3 - 1 6 4 )
Comme on le sait, l'Introduction de 1857 est un texte où Marx anticipe sur les résultats du Capital, et qu'il a renoncé à publier de peur sans doute que l'on prît ses anticipations pour les résultats et qu'on ne les tînt pour complètement élaborées et démontrées. C'est dire que ce texte doit être lu avec précautions, c'est dire aussi, dans la mesure où il anticipe sur l'objet du Capital, qu'il nous permet d'anticiper sur sa structure, ce qui est l'objectif même d'une présentation du plan. Voici le texte qui nous intéresse : « Le résultat auquel nous arrivons n'est pas que la production, la distribution, l'échange, la consomma tion sont identiques, mais qu'ils sontà tous les éléments d'une totalité, les différenciations l'intérieur d'une unité. La production déborde aussi bien du propre cadre dans sa détermination antithétique d'elle-même que les autres moments. C'est à partir d'elle que com mence le procès. Il va de soi qu'échange et consom mation ne peuvent être ce qui l'emporte. Il en est de même de la distribution en tant que distribution de produits. Mais en tant que distribution des agents de production, elle est elle-même un moment de la production. Une production déterminée détermine donc une consommation, une distribution, un échange déterminés, elle règle également les rapports réci proques déterminés de ces différents moments. A vrai dire, la production, elle aussi, sous sa forme exclusive, est de son côté déterminée par les autres moments. Par exemple, quand le marché, c'est-à-dire la sphère de l'échange, s'étend, le volume de la production s'accroît et il s'opère en elle une division très pro fonde... Il y a action réciproque des différents mo-
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ments, c'est le cas pour n'importe quelle totalité orga nique. » Pour notre propos, ce texte appelle les remarques sui vantes : 1) Il établit que tout mode de production (« abstraction raisonnée » ou concept formel de l'objet de l'économie politique) est une structure complexe d'éléments distincts, dominante (sur le concept de structure possédant complexe à une dominante, cf. L. Althusser, « Sur la dialec tique matérialiste », Pour Marx) : cette dominante est la production. Cette dominante, d'après notre texte, a deux modalités : d'une part, le mode de production est l'unité même de tous les éléments distincts, le mode de production est ici défini en un sens large comme l'ensemble de la pratique écono mique ; d'autr e part, le procè s de prod uctio n, au s ens restreint, à savoir comme procès de transformation d'un donné naturel ou déjà élaboré en un produit fini répondant à un besoin social déterminé, est, à l'intérieur de cette unité, l'élément déterminant en dernière instance. 2) Si tel est bien le concept formel de tout mode de
production, l'étude d'unparmode déterminé devra donc commencer l'étudede duproduction système déterminant (le mode de production comme procès de production au sens restreint, ou procès immédiat du texte du Capital, livre III, précédemment commenté) et ne pourra s'achever que par la théorie de l'unité du déterminant et des déter minés, c'est-à-dire par la théorie du mode de production au sens large ou, pour être très exact, en son sens complet. 3) Le commencement et le terme ainsi déterminés selon le schéma suivant : Echange Distribution Production COMMENCEMENT
Consommation
Production TERME
Les étapes le sont aussi : il faudra fuir la théorie des éléments déterminés de la structure, dans ce qu'ils ont de spécifique par rapport au procès de production immédiat,
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et dans la mesure où ils exercent sur lui une détermination réciproque. Force est de constater que ce schéma méthodique convient (presque) parfaitement au Capital. Commencement : théorie du mode de production capitaliste au sens restreint, ou du procès immédiat de production capi taliste, livre I. Terme : théorie de l'unité des différents éléments de la structure ou théorie du mode de production capitaliste au
sens complet, livre III. Les étapes intermédiaires sont réduites ici à une unité : l'étude de la circulation dans sa spécificité puis dans son unité avec le procès de production au sens restreint. C'est l'objet du livre IL Cette inadéquation fait évidemment problème. Nous y reviendrons. 4) Mais si ce problème est important, il ne doit pas nous en cacher un autre : si une correspondance est pos sible entre l'ordre du Capital et le concept de mode de production tel qu'il est défini dans Y Introduction de 1857, c'est uniquement parce que ce concept formel est une anti cipation sur les résultats de l'étude scientifique d'un mode de production déterminé, dans Le Capital. Le texte de Y Introduction de 1857 n'a donc qu'une priorité pédago gique sur la structure du Capital. S'il permet de prendre sur cette structure une vue d'ensemble qui ne soit pas complètement erronée, il ne parvient ni à la fonder ni à l'exposer complètement.
5) Le texte de /'Introduction de 1857 ne permet pas fonder l'organisation du Capital. Le texte que nous avons commenté commence par les mots « Le résultat auquel nous arrivons... » : il est donc présenté comme le résultat d'un travail théorique. Ce tra vail théorique est d'un type tout à fait particulier, et dont les limites de validité sont extrêmement étroites : il s'agit d'une longue argumentation. Marx est parti, en effet, d'un résultat de l'économie politique classique qu'il a soumis à une critique serrée (produc tion = natu re ; distribution = société ; échange, consommation = individualité). Contrai rement à cette thèse, Marx établit que les distinctions entre les catégories sont toutes situées à l'intérieur d'un même ensemble (le social : ce qui est un concept assez vague). Et il démontre en même temps que leur différenciation n'est de
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possible qu'à l'intérieur d'un même champ. Enfin, il établit la dominante de cette unité sur les deux catégories précé demment définies. Le raisonnement est donc un examen critique d'une thèse, dont la rectification s'effectue en fai sant appel chez le lecteur à une connaissance étendue des problèmes économiques. L'effort théorique, dont le texte cité est le résultat, est donc construit non selon un ordre scientifique, mais selon les lois de la rhétorique tradition nelle. Le « il va de soi » de : « Il va de soi qu'échange et consommation ne peuvent être ce qui l'emporte. Il en est de même de la distribution en tant que distribution des produits », prouve bien que les vraies raisons de Marx, donc le véritable effort théorique, sont ailleurs : très exac tement dans Le Capital. Ainsi l'un des aspects très impor tant du Capital doit consister dans la validation scientifique de sa propre organisation, qui n'est ici que justifiée sur le mode de la discussion rhétorique instruite. 6) Le d'exposer
texte de /'Introduction de complètement l'organisation
1857 ne permet pas Capital. Si la forme d'exposition n'est pas entièrement rigou reuse, ou n'est que d'une rigueur limitée, il en résulte néces sairement que son résultat — la définition du concept du
formel de mode de production — ne peut: être qu'approxi matif. D'où le recours à la métaphore « c'est le cas pour n'importe quelle totalité organique », qui indique bien le résultat vers quoi Le Capital doit tendre, mais qui ne permet pas de le connaître.
CONCLUSION
Tel quel, et avec les limites que possède nécessairement une introduction pédagogique, et qui consistent en ceci que la pédagogie est plus propre à dissiper des erreurs majeures qu'à établir des vérités, ce texte nous donne les avertissements suivants : L'organisation du Capitalaun'est pas ou cellede d'une démar che1) qui irait du particulier global, l'abstrait au réel, mais celle d'une démarche qui va du déterminant au déterminé, jusqu'au système complet de détermination. 2) L'organisation du Capital ne peut être entièrement linéaire : la métaphore du cercle et les exemples qui la valident suffisent à montrer que, pour faire la théorie du
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déterminant dans un système de déterminations réciproques, il faut faire ce minimum de théorie des éléments déter minés qui permette soit d'en comprendre provisoirement, soit d'en annuler l'efficace. 3) Que les deux avertissements précédents ne peuvent acquérir de sens rigoureux que dans Le Capital lui-même.
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II. - Les articulations du « Capital
C'est donc vers Le Capital ner : il ne s'agit évidemment fût-ce pour montrer que ce l'ordre défini par le texte de
lui-même qu'il faut se tour pas d'en produire un résumé, résumé peut être conforme à Y Introduction de 1857. A u t a n t
dire que nous supposons connu le contenu théorique du Capital, et que nous sommes entièrement tributaires, en ce qui concerne ce contenu, de toutes les explications qui ont été élaborées dans le présent ouvrage. Nous nous propo sons simplement de marquer nettement les coupures majeu res du Capital, d'expliquer l'enchaînement logique qu'elles impliquent, en somme de déterminer la fonction théorique des parties dans la structure du Capital. Nous avons choisi de ne pas nous laisser aveugler par l'articulation trop claire du Capital en livres, et de ceux-ci en sections, puisqu'aussi bien notre propos n'est pas de la répéter mais de l'expliquer. Définissons, sans les justifier, les trois articulations majeu res que nous nommerons pour la commodité de l'exposé et par ordre d'importance logique « articulation I », « arti 6
culation », de « articulation » . Disons IItout suite, afin deIIIjustifier notre ordre d'expo sition, que si l'articulation I et l'articulation III ne posent que peu de problèmes, si, autrement dit, il est facile d'élu cider la fonction théorique des éléments qu'elles répartis sent, il n'en va pas de même de l'articulation II. En effet, non seulement sa signification théorique est peu claire, mais encore la situation exacte du lieu de la coupure qui permet de l'établir n'est pa indiscutable. L'articulation I est l'ensemble de deux éléments théori ques (I " et II* sections du livre I, d'une p art ; l'ensem ble du Capital, d'autre part) déterminé par une coupure pas sant entre la II' et la III' section du livre I. L'articulation II est l'ensemble des deux éléments théo riques (livres I et II d'une part, livre III d'autre part) déterminé par une coupure passant entre le livre II et le
6. Nou s enten dons p ar articulation l'ensemble structuré de deux éléments théoriques qui sont situés de part et d'autre d'une coupure.
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livre III (nous modifierons plus loin le lieu de cette cou pure). L'articulation III est l'ensemble des deux éléments théo riques (livre I d'une part, livre II d'autre part) déterminé pa r une coupure située entre le livre I et le livre II. Aussi commencerons-nous par l'étude des articulations I et III, et par celle des sous-articulations que l'on peut définir à l'intérieur des éléments théoriques que les arti culations I et III déterminent. Comme cependant l'articu
lation III ne peut être penséela sans l'articulation II, texte nous en définissons provisoirement fonction à partir du de l'Introduction de 1857 (l'articulation II est celle qui répartit l'étude de tout mode de production en étude des éléments de la structure à partir de l'élément déterminant d'une part, et en étude du système complet de détermination d'autre part) et nous supposerons que la coupure passe bien là où elle semble passer (entre le livre II et le livre III).
A)
ÉTUDE DE L'ARTICULATION I
Il faut, en effet, isoler complètement les sections I et II du Capital dans la mesure où elles remplissent, pour le processus de pensée qui occupe toute l'œuvre, une fonction déterminante : c'est dans ces deux sections que s'accomplit la transformation théorique que Marx fait subir aux dis cours ordinaires tenus sur le capitalisme (ou la société bourgeoise, la société industrielle, notre société, comme l'on voudra) comme aux discours tenus par les économistes ordinaires, en transformant ce discours idéologique en pro blème scientifique. Ce qui suppose, ainsi que l'a établi Louis Althusser (Pour Marx) : — la formulation du problème, — la définition du lieu de sa position, — la détermination de la structure de sa « position », c'est-à-dire des concepts requis par sa formulation. Nous ne voulons pas dire que le processus de pensée du Capital tout entier y est complètement formulé, situé et structuré mode de I lasur virtualité, que » lapar trans formation sur de le généralités « notre mais société les généralités II, qui s'opère dans les deux premières sections, détermine de façon irréversible le procès de production des généralités III . 7
7. Louis ALTHUSSER, Pour
Marx.
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Présentation du plan du « Capital »
Démontrons-le rapidement. Dans les deux premières sec tions, Marx suit une démarche logique de même structure et qui comprend les étapes suivantes : — Première étape : Marx part d'une définition nominale (de la société capitaliste comme « immense accumulation de marchandises », Le Capital, t. I, p. 52), de la plusvalue comme A' = A + A A (Le Capital, t. I, p. 155), qui possède un statut d'évidence et dont les éléments cons titutifs sont empruntés à la sphère de circulation. — Deuxième étape : à cette définition nominale, Marx fait subir l'épreuve de l'analyse et de la formulation , au niveau même où elles sont énoncées, c'est-à-dire dans la sphère de la circulation. Le résultat de cette épreuve est le constat de contradiction, non point au sens où l'on parle de contradictions principales et secondaires, comme pro priétés de l'objet dont on fait la théorie, mais en ce sens que la formulation au niveau où elle est définie ne peut énoncer sur son objet que des relations inintelligibles et impossibles à coordonner. Autrement dit, dans la mesure où ces relations ne peuvent demeurer inintelligibles et impossibles à coordonner, les évidences sont transformées 8
en
problèmes.
—
instant.
Troisième
étape
:
nous allons la définir dans un
— Quatrième étape : pour rendre intelligibles et pour coordonner les relations contradictoires précédemment for mulées, Marx établit la nécessité de déplacer le lieu du pro blème : les deux concepts de travail social moyen et de force de travail, comme marchandise qui produit de la valeur par sa consommation, n'ont pas d'autre fonction théorique que de démontrer la nécessité de ce déplacement. En effet, s'ils indiquent le lieu de la solution, ils ne peu vent à ce niveau être la solution, puisque, sous la forme théorique où ils sont introduits, ils ne peuvent être que très problématiques. Ce déplacement peut s'énoncer ainsi : pour poser scientifiquement le problème formulé au niveau de la sphère de la circulation, il faut le poser à l'intérieur de la sphère où le concept de travail social moyen et le concept de force de travail peuvent être complètement élaborés, à savoir la sphère de la production. Pour résoudre 8. Su ces concepts, voir, dans le présent o uvrage, MACHEREY, « Le Processus d'expositions du Capital ».
Pierre
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le problème, il faut donc élaborer d'abord le concept complet de cette sphère. Pour pouvoir, en toute rigueur, passer de la deuxième à la quatrième étape, il était nécessaire de faire la théorie des conditions de possibilité de la formulation comme telle, c'est-à-dire de la monnaie — de telle sorte qu'on ne puisse la tenir pour responsable des contradictions qu'elle permet de formuler, et donc pour le lieu de leur solution ; et de telle sorte qu'elle soit elle-même assujettie aux contradic tions qu'elle permet d'énoncer. théorie la monnaie apparaît comme l'étape Ainsi décisivela dans ce de dépla cement théorique du problème (opération théorique fonda mentale des deux premières sections) puisqu'elle démontre que non seulement les objets soumis à la circulation, mais encore la condition formelle de la sphère de la circulation, et donc l'ensemble des lois régissant cette sphère, sont soumis à des conditions de possibilité, dont la théorie est impossible à produire au niveau de la circulation elle-même. Il est maintenant possible d'expliquer le fondement théo rique de l'ar ticul ation I, c'est-à -dire de définir la mes ure exacte — étendue et limites — dans laquelle les deux premières sections du Capital possèdent, relativement au processus de pensée dans son ensemble, une fonction déter minante. Le processus de pensée dans son ensemble est déterminé par les deux premières sections parce que cellesci donnent à son objet sa première forme scientifique — ou encore donnent son objet, sous sa première forme scienti fique — par la transformation qu'elles accomplissent de données empiriques en un problème possédant une formu lation rigoureuse et un lieu défini. De plus, ce processus de transformation s'opère dans des conditions telles qu'il détermine une première structure de la démarche de solu tion. Il établit en effet, entre deux sphères, la nécessité d'une connexion en même temps qu'un rapport de déter mination. De ce fait, le processus de pensée reçoit un premier objectif théorique (penser la connexion) ainsi qu'une indication générale concernant sa démarche (faire d'abord la théorie du déterminant, puis la théorie du déter miné). Ce qui est ainsi fondé, c'est la structure générale de l'articulation III. Mais il résulte de cette étude que la fonction détermi nante des sections I et II, relativement à tout le processus de pensée, est rigoureusement limitée. En effet, l'articula tion III, dont les deux premières sections définissent la
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structure générale, est une articulation théoriquement mi neure. L'articulation que Marx reconnaît comme fonda mentale dans tous les textes que nous avons commentés est l'articulation II. Or cette articulation n'est nullement définie par les sections I et II : on cherche en vain, dans ces deux sections, les problématiques du simple et du complexe, de l'individuel et du global, de l'abstrait et du réel, par lesquelles Marx et ses commentateurs ont essayé de fonder l'articulation II. C'est dire que, si les deux premières sections déterminent le processus de pensée du Capital tout entier, cette détermination est problématique, puisqu'elle ne détermine directement ni tout le contenu du processus, ni même la structure d'ensemble du processus. Autrement dit, si les deux premières sections jouent à l'égard de tout le Capital un rôle décisif, ce n'est pas parce qu'elles contiennent en germe, sur le mode de la virtualité, toute sa problématique. C'est seulement au cours de la résolution du problème, qui reçoit dans les deux premières sections sa structure générale (articulation III), que la pro blématique de l'articulation II pourra être produite. On peut donc définir les limites exactes dans lesquelles les deux premières sections décident du Capital tout entier : ce rôle décisif est indirectement décisif, ou n'est décisif qu'en dernière instance : si tion II dépend du problème
la problématique de l'articula posé dans les sections I et II, dans la mesure où la formulation, son lieu et sa structure sont déterminés par (ont pour condition de possibilité théo rique) la solution du pro blè me, q ui reçoit dans les section s I et II sa formulation, son lieu et sa structure, elle n'en est en aucune manière le développement. Rien ne peut plus clairement distinguer l'organisation du Capital de l'ordre hégélien, dont la Phénoménologie de l'esprit donne, dans son introduction, la meilleure définition : « Au savoir, le but fixé aussi nécessairement que la série de la pro gression. Il est là où le savoir n'a pas besoin d'aller au-delà de soi-même, où il se trouve soi-même, et où le concept correspond à l'objet. » (Trad. Hyppolite, Aubier, Paris, p. 71.) Cettene définition implique son tour connaissance serait possible si leà terme n'étaitque pas nulle déjà contenu dans la première non-connaissance, et dès la pre mière reconnaissance de cette non-connaissance, « s'il n'était pas et ne voulait pas être en soi et pour soi près de nous dès le début » (ibid., p. 66). Aussi, alors que la certitude sensible détermine non seulement toute la Phénoménologie
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mais surtout la configuration de cette totalité, c'est-à-dire l'ordre des figures de cette configuration, les sections I et II du Capital déterminent bien tout le pro cessus de pensée, mais non la totalité ou la structure com plète du processus. C'est que la détermination n'a pas le même sens chez Hegel et chez Marx : ce qui est premier, chez Hegel, est origine, ce qui est premier, chez Marx, est commencement. Et alors que l'origine détermine en préfigurant, un commencement décisif ne peut déterminer de l'Esprit,
qu'une dans première figuration, dont sont toutes les àautres dépen dent, la mesure où elles unies la première par un lien théorique, dont celle-ci a partiellement décidé, mais sans que jamais dépendance puisse signifier répéti tion , sans donc que l'on ait le droit de négliger que toute nouvelle figuration est bien une figuration nouvelle. 9
10
B)
ÉTUDE DE L'ARTICULATION II I
La fonction théorique relative des deux parties distri buées par la coupure de l'articulation III peut s'énoncer comme rapport de complémentarité . C'est ainsi que Marx la présente dans le texte du livre III, V section, que nous n
avons avons commenté début de aspects ce travailque: «présente Dans lelelivre I, nous étudiéaules divers procès en soi, en tant que procès immé diat... Le procès de circulation, qui a fait l'objet du livre II, vient le compléter. » Pour qu'un rapport de complémenta rité soit possible, il est nécessaire que les deux éléments théoriques complémentaires aient pour objectif la solution d'un même problème concernant le même objet théorique. C'est précisément le cas. Le problème unique, dont la solu tion n'est complète qu'à la fin des deux premiers de production capitaliste,
9. Origine, commence ment, répétition : nous emprun tons ces concepts à G. Canguilhem. Sur la signification exacte de ces concepts dans l'œuvre de G. Canguilhem et sur leur importance pour l'histoire des sciences, cf. Pierre MACHEREY « La Philo sophie la science de G. Canguilhem », La Pensée, février 1964, n°de113. 10. Nou s ne « p laq uon s » le concept hégéli en de figuration sur l'œuvre de Marx que pour mesurer la distance entre les deux pocessus de pensée, sans prétendre qu'il puisse servir à autre chose qu'à cette mesure. 11. L'articulation III est l'ensem ble des élé ments théoriques (livre I d'une part, livre II d'autre part) déterminé par une coupure située entre le livre I et le livre II. 1
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livres, est le problème posé dans les sections I et II du livre I, c'est-à-dire les questions corrélatives de la valeur et de la plus-value. L'objet théorique dont les livres I et II construisent les lois, pour résoudre complètement ce pro blème, est une « fraction du capital social promue à l'auto nomie » (Le Capital, t. V, p. 9), c'est-à-dire tout objet dont on peut donner la formulation nominale formulée à la page 155 du livre I : est fraction du capital social promue à l'autonomie tout objet dont le mouvement s'inscrit dans la sphère de la circulation, définie par la loi d'équi valence générale des échanges, comme A' = A + A A. Du point de vue formel, le concept de fraction est une conséquence de la définition : selon les lois logiques de la formulation, dont le lieu est la sphère de la circulation, le capital social n'est rien d'autre et rien de plus que la somme de ses fractions («le capital social considéré comme un tout » n'a, à ce niveau théorique, aucun sens assignable). Le concept de « promotion à l'autonomie » ne signale, à ce niveau théorique, que la différence entre l'objet théorique et tout modèle concret qu'on en pourrait tirer, la moindre observation sur un capital individuel réel suffisant à prouver que l'autonomie réelle de celui-ci est tout à fait relative . La complémentarité entre les deux éléments théoriques n
répartis par l'articulation III est donc théoriquement fondée, puisque les livres I et II produisent, comme solution au problème des sections I et II du livre I, l'ensemble des lois d'un même objet. Le seul problème que ce concept de complémentarité ne résout pas est celui du statut théorique de la section III du livre II : l'objet théorique dont cette section produit les lois, en introduisant de nouveaux concepts et une nouvelle problématique, est un nouvel objet. Puisque le concept de complémentarité s'est révélé suffisamment rigoure ux pou r définir l'unité de ce qu i divise l'articulation III, nous ferons provisoirement abstraction de la section III du livre II, qui compromettrait cette unité et le concept de cette unité. Si l'unité de ce que divise l'articulation III doit être pensée rapport de complémentarité, celasur ne lesignifie pas que comme les deux éléments théoriques y soient même plan. L'ordre d'exposition, comme passage du livre I au
12. Il ne s'agit donc ici ni de l'autonomie réelle da la firme, ni de sa dépendance réelle à l'égard de l'ensemble des processus économiques réels.
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livre II, suppose une hiérarchie théorique entre les deux éléments. Elle peut s'énoncer ainsi : aucune des lois théo riques élaborées dans le livre II ne pourrait être établie et démontrée sans l'ensemble des lois élaborées au livre I. La réciproque n'est pas vraie, malgré quelques apparences sur lesquelles nous allons revenir. La démonstration complète de ce point ne pourra être donnée que par l'étude de la production des lois de l'objet dans le livre I. D'ores et déjà, nous pouvons en donner la double preuve suivante : d'uneseule part, lail aproduction été établi pouvait dans lesrendre deux compte premièresdesections que la loi générale de la circulation et de la loi particulière de la circulation du capital ; d'autre part, si l'on considère l'en semble des lois nouvelles de l'objet produites par le livre II, et qui peuvent toutes être réduites aux trois cycles imposés par la circulation à la production elle-même, on vérifiera aisément que tous les concepts qui servent à formuler ces lois ont été définis, sans aucune exception, y compris la notion de cycle elle-même, à l'intérieur du livre I. Ce qui revient à dire que les lois de la production déterminent les lois de la circulation. Ce n'est pas tout. Ainsi que Marx le démontre aux chapitres IV et V de la I section du livre II, la complémentarité entre les lois de la production et les lois de la circulation est déterminée par les lois de la production . On pourrait de ce point de vue résoudre commodément le problème de la section III du livre II : en établissant que le procès de reproduction du Capital social, pris dans son ensemble, détermine l'unité du procès de production et du procès de circulation, Marx ne généralise-i-W pas la démonstration établie dans les chapitres IV et V de la I section du livre II ? Cette solution n'est cepen dant pas adéquate : en effet, dans la section III du livre II, r e
13
re
il n'est plus question de trois cycles et de l'unité des trois cycles ; Marx considère donc ce problème comme résolu,
et il l'est en effet par les lois du procès de production. La théorie de la complémentarité des lois produites par le livre I et le livre II est déjà complètement formulée. De plus, dans la IIP section, l'objet et les problèmes changent. En quelque sens que l'on veuille prendre ce terme, le rap13. Marx démontre en effet que la coexistence en trois cycles n'est possible que comme coexistance dans l'espace de la pro duction de trois mouvements décalés, et que la théorie de cette coexistence n'est pensable qu'à travers l'abstraction de la valeur, catégorie déterminée par la production.
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port entre la section III et le reste du livre II n'est pas de répétition. L'articulation III définit donc, entre deux éléments théo riques complémentaires, un ordre de détermination univoque. Pourtant, les lois nouvelles produites par le livre II ne s'ajoutent pas simplement aux lois précédentes : elles les modifient. La modalité générale de cette modification, dont la II section du livre II (« La rotation du capital ») e
tire les la conséquences importantes, peutà être pensée comme substitution,lesà plus un temps structural périodicité simple, d'un temps structural à périodicité complexe. Or il serait contradictoire d'admettre à la fois, entre deux ensembles de lois, un rapport de détermination univoque, et une série, même localisée, de modification réciproque. Il est vrai que la bonne conscience dialectique (hégélienne) de nos sciences humaines se tirerait aisément de ce faux pas, en imputant la contradiction logique aux contradic tions de l'objet, en transformant une confusion logique en méthode dialectique, où la dialectique reçoit la définition du discours confus sur la confusion, comme énoncé de la détermination réciproque de tout par tout . Aussi bien les modifications des lois déterminantes par les lois déter minées ont, chez Marx, une tout autre rigueur. Si les lois déterminantes peuvent être déterminées par les lois qu'elles déterminent, c'est que les rapports qu'elles établissent ont des limites de validité définies, et qu'ils définissent les limites à l'intérieur desquelles ils peuvent être déterminés. 14
Les modifications des lois déterminantes par les lois déter minées, si importantes qu'elles puissent être lorsqu'on en construit un modèle concret, s'opèrent toutes à l'intérieur de ces limites. La nécessité de conserver en permanence du
capital-argent, au lieu de le convertir intégralement en moyens de production, impose à la loi de la reproduction élargie, à l'intérieur de limites qu'elle a fixées, une nou velle détermination : elle ne transforme nullement la loi
14. Si, au niv eau d'app licat ion, cette ci rcular ité, qui paraît à qui la met en évidence comme le raffinement suprême de la dialectique, ne sait pas trop ce qu'elle applique, elle a pour tant un fondement rigoureux dans la conception hégélienne de l'unité des contraires qui présuppose leur identité com m e di vi sion originaire d'une même unité originaire. Comme on le voit, ni la théorie hégélienne ni son application aveugle ne convien nent pour penser le rapport entre les lois de la production et les lois de la circulation, auquel cependant elle semblerait devoir convenir parfaitement.
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elle-même. Ainsi le texte de Y Introduction de 1857 : « Une production déterminée détermine donc une consommation, une distribution, un échange déterminés, elle règle égale ment les rapports réciproques déterminés de ses différents moments. A vrai dire, la production, elle aussi, sous sa forme exclusive, est de son côté déterminée par les autres facteurs » (Ed. sociales, p. 164), reçoit dans Le Capital
sa démonstration et sa formulation rigoureuses. Le fondement théorique de l'articulation III étant défini, et la fonction relative éléments théoriques que cette articulation répartit étantdesfixés, il convient d'étudier les articulations de l'élément théorique déterminant : le livre I. C) ETUDE DES ARTICULATIONS DU LIVRE I
Le livre I élabore les lois déterminantes de la « fraction capital social promue à l'autonomie » en la situant dans « une sphère », celle de la production. Malgré la signi fication concr ète im média te de ce concept, et malgré la signification concrète immédiate de l'opposition circulation/ production, Marx en produit le concept scientifique, adé de
quat seulement particulier, à l'étude théorique mode non de production mais de ici toutentreprise mode de d'un pro duction. Le concept fondamental nécessaire pour définir scientifiquement le champ théorique de l'étude est le concept de « procès de travail », dont les éléments essen tiels sont définis dès le début de l'étude (livre I, III section, chapitre VIII), mais beaucoup d'autres éléments ne sont introduits que lorsqu'ils sont nécessaires à établir les lois de l'objet spécifique du livre I, ce qui ne les empêche pas d'être logiquement de même type : ce sont les généralités II du livre I. Comme E. Balibar a, dans le présent ouvrage, consacré un travail important à définir les concepts de ce type , j'en supposerai le sens connu. Si on laisse de côté la section VIII du livre I, intitulée « L'accumulation pri mitive », qui pose des problèmes particuliers, on peut dis tinguer dans le livre I deux sous-articulations, que nous appellerons sous-articulation a et sous-articulation b, et qui répartissent le texte de la manière suivante : e
15
15.
Cf.,
dans
le
présent
ouvrage,
t.
II.
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— La sous-articulation a distingue, par sa coupure, l'ensemble constitué par les sections III à VI d'une part, et l'ensemble constitué par la section VI I d'a utre p art ; — La sous articulation b distingue, par sa coupure, la section III de l'ensemble constitué par les sections IV, V et VI ; ces éléments portent déjà un titre dans Le Capital, de sorte que l'on pourrait écrire : sous-articulation a : production de la plus-value/accumu lation du capital ; sous-articulation b : production de plus-value absolue/ production de plus-value relative. Comme on le voit, les titres de Marx sont choisis en fonction des résultats théoriques élaborés, puisque les concepts qui servent de titres n'ont de sens que comme catégories du mode de production capitaliste. Aussi ne peuvent-ils rendre compte du mode d'élaboration de ces résultats. Comme c'est de cette élaboration que nous avons à traiter, nous intitulerons les éléments théoriques répartis par les deux sous-articulations à partir du concept qui définit le champ théorique du livre I tout entier, à savoir le procès du travail en général. Nous obtenons donc les titres suivants : sous-articulation a : étude du procès de travail capita liste/étude de la reproduction des conditions de ce procès ; sous-articulation b : étude des rapports de production capitalistes/étude de l'organisation capitaliste des forces productives. Ces simples dénominations, que nous allons expliquer, suffisent à montrer ce qu'écrit Engels dans la préface de 1885 au livre II, à savoir que la nouveauté du Capital, c'est-à-dire son caractère scientifique, ne consiste pas en quelques propositions nouvelles sur la société capitaliste, mais essentiellement dans le procès scientifique de leur production. La sous-articulation a
répartit l'étude du procès de pro duction capitaliste, c'est-à-dire la production des lois fon damentales de toute « fraction du capital social promue à l'autonomie », selon une nécessité théorique qui vaut pour tout mode de production : tout procès de production doit reproduire ses propres conditions. Cela signifie que le procès de production doit reproduire non seulement ses éléments (objet, moyen, travailleur), mais encore la double combinaison de ses éléments qui le définit comme rapport spécifique de production et comme système spéci-
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fïque de forces productives. Par conséquent, la sous-articu lation a définit entre ses deux éléments théoriques un rap port de détermination univoque, tel que l'élaboration complète des lois de la reproduction suppose l'élaboration complète des structures du procès de production, sans que la réciproque soit vraie ; et un rapport de complémentarité, tel que la théorie du procès de travail capitaliste ne puisse être que l'ensemble des lois régissant la production et la reproduction. Le complément théorique des lois consiste de la reproduction par rapport aux lois de la production dans l'élabora tion du temps structural spécifique du procès de travail capitaliste. En effet, dans l'élaboration des lois de la pro duction, le temps, comme temps quantitatif de la journée de travail et comme mesure quantitative du travail, n'est pensé que comme élément de la structure. Dans les lois de la reproduction, il apparaît comme une des lois de la structure elle-même. Le concept de ce temps est déter miné par les caractéristiques suivantes : c'est à la fois un temps à simple périodicité, tel que l'ordre de répétition et de succession de ses phases obéit à un seul principe, et un temps irréversible, tel que l'ordre de ses phases ne puisse être interverti sans devenir inintelligible. L'accumulation simple comme l'accumulation élargie sont soumises à la première condition, seule l'accumulation élargie, caracté ristique du procès de travail capitaliste, est soumise aux deux conditions. Ce temps n'est pas ajouté par Marx comme un nouveau « paramètre », pour parler le langage des modèles, ou une nouvelle « dimension », pour parler le langag e de la mo de ; son con cep t est pro duit à partir des lois de la structure, très précisément à partir du rap port entre la plus-value et le capital, d'une part, à partir de l'organisation spécifique des forces productives, d'autre part. Une fois ce concept produit, il modifie les rapports précédemment établis, en les assujettissant à des conditions nouvelles, et permet notamment d'élaborer une loi tendan cielle fondamentale : la loi de transformation de la composition organique du capital (loi de décroissance du capital variable par rapport au capital constant). Ainsi les fondements théoriques de la sous-articulation a sont expliqués complètement. Il convient cependant de dissiper une équivoque qui risque de surgir à cause de la proximité entre notre formulation :
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principe production reproductio n résultat lois structura les lois structural es général non temporelles temporelles
et une formulation à la mod e « s ynch roni e/ diachr onie » dont Althusser a montré la non-pertinence générale pour exposer les concepts de Marx . On peut aisément vérifier cette non-pertinence sur ce cas précis : d'une part, alors 16
que le couple synchronie/diachronie dans son utilisation ordinaire, une distinction implique, entre structure et temporalité, la synchronie suffisant à définir la structure, la diachronie n'étant responsable que de ce qu'il advient de la structure lorsqu'on la plonge dans le temps, il est clair, d'après ce que nous venons de montrer, que les lois struc turales non temporelles et les lois structurales temporelles sont également et au même titre les lois de la structure, qu i
fait l'objet du livre I, et que, par conséquent, en tant qu'élé ments de la théorie de la complexité d'un tout complexe, elles sont synchroniques au même titre . D'autre part, et corrélativement, l'opposition « synchronie/diachronie » suppose un temps simple et vide qui s'offre à qui veut y plonger ses structures pour voir ce qu'il en advient, sans exiger d'autre élaboration que le tracé d'une ligne sur une feuille de papier. Tel n'est point le cas dans le livre I, et pour cause : à partir du moment où une loi temporelle est conçue comme loi structurale, il faut produire le concept de ce temps et, partant, en définir la structure. 17
Etude de la sous-articulation b
Cette sous-articulation est une des plus évidentes du puisqu'elle dépend de deux concepts bien connus du marxisme : rapports de production/forces productives. C'est en effet à cette distinction qu'elle soumet l'objet théo rique du livre I, en posant le problème suivant : quelles Capital,
combinaisons faut-il opérer de travail quelconque, pour d'un objet fini répondant à procès de mise en valeur du
entre les éléments d'un procès qu'il soit à la fois production un besoin humain déterminé, et capital ? Dans les deux parties
déterminées par la sous-articulation b, les éléments de la combinaison sont les mêmes, à savoir objet de travail,
16 . Lire « Le Capital », t. II. 17. Cf. L ouis A lthu sse r, t. Il, préfa ce et t. I.
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fique de forces productives. Par conséquent, la sous-articu lation a définit entre ses deux éléments théoriques un rap port de détermination univoque, tel que l'élaboration complète des lois de la reproduction suppose l'élaboration complète des structures du procès de production, sans que la réciproque soit vraie ; et un rapport de complémentarité, tel que la théorie du procès de travail capitaliste ne puisse être que l'ensemble des lois régissant la production et la reproduction. Le complément théorique des lois consiste de la reproduction par rapport aux lois de la production dans l'élabora tion du temps structural spécifique du procès de travail capitaliste. En effet, dans l'élaboration des lois de la pro duction, le temps, comme temps quantitatif de la journée de travail et comme mesure quantitative du travail, n'est pensé que comme élément de la structure. Dans les lois de la reproduction, il apparaît comme une des lois de la structure elle-même. Le concept de ce temps est déter miné par les caractéristiques suivantes : c'est à la fois un temps à simple périodicité, tel que l'ordre de répétition et de succession de ses phases obéit à un seul principe, et un temps irréversible, tel que l'ordre de ses phases ne puisse être interverti sans devenir inintelligible. L'accumulation simple comme l'accumulation élargie sont soumises à la première condition, seule l'accumulation élargie, caracté ristique du procès de travail capitaliste, est soumise aux deux conditions. Ce temps n'est pas ajouté par Marx comme un nouveau « paramètre », pour parler le langage des modèles, ou une nouvelle « dimension », pour parler le langag e de la mo de ; son con cep t est pro duit à part ir des lois de la structure, très précisément à partir du rap port entre la plus-value et le capital, d'une part, à partir de l'organisation spécifique des forces productives, d'autre part. Une fois ce concept produit, il modifie les rapports précédemment établis, en les assujettissant à des conditions nouvelles, et permet notamment d'élaborer une loi tendan cielle fondamentale : la loi de transformation de la composition organique du capital (loi de décroissance du capital variable par rapport au capital constant). Ainsi les fondements théoriques de la sous-articulation a sont expliqués complètement. Il convient cependant de dissiper une équivoque qui risque de surgir à cause de la proximité entre notre formulation :
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{
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principe production reproductio n résultat lois structural es lois structural es général non temporelles temporelles
et une formulation à la mode « synchronie/diachronie » dont Althusser a montré la non-pertinence générale pour exposer les concepts de Marx . On peut aisément vérifier cette non-pertinence sur ce cas précis : d'une part, alors 16
que le couple synchronie/diachronie dans son utilisation ordinaire, une distinction implique, entre structure et temporalité, la synchronie suffisant à définir la structure, la diachronie n'étant responsable que de ce qu'il advient de la structure lorsqu'on la plonge dans le temps, il est clair, d'après ce que nous venons de montrer, que les lois struc turales non temporelles et les lois structurales temporelles sont également et au même titre les lois de la structure, qui
fait l'objet du livre I, et que, par conséquent, en tant qu'élé ments de la théorie de la complexité d'un tout complexe, elles sont synchroniques au même titre . D'autre part, et corrélativement, l'opposition « synchronie/diachronie » suppose un temps simple et vide qui s'offre à qui veut y plonger ses structures pour voir ce qu'il en advient, sans exiger d'autre élaboration que le tracé d'une ligne sur une feuille de papier. Tel n'est point le cas dans le livre I, et pour cause : à partir du moment où une loi temporelle est conçue comme loi structurale, il faut produire le concept de ce temps et, partant, en définir la structure. 17
Etude de la sous-articulation b
Cette sous-articulation est une des plus évidentes du puisqu'elle dépend de deux concepts bien connus du marxisme : rapports de production/forces productives. C'est en effet à cette distinction qu'elle soumet l'objet théo rique du livre I, en posant le problème suivant : quelles Capital,
combinaisons faut-il opérer entre les éléments d'un procès de travail quelconque, pour qu'il soit à la fois production d'un objet fini répondant à un besoin humain déterminé, et procès de mise en valeur du capital ? Dans les deux parties
déterminées par la sous-articulation b, les éléments de la combinaison sont les mêmes, à savoir objet de travail,
16. Lire « Le Capital », t. II. 17. Cf. Lo uis Alt hus ser , t. II, préface et t. I.
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moyen de travail, travailleur direct et non travailleur. D'une partie à l'autre, ce sont les relations au moyen des quelles s'opère la combinaison qui changent : dans la pre mière partie, la relation fondamentale est celle de propriété, dans la seconde celle de possession. Il n'est pas difficile de prévoir qu'il existe entre la première et la deuxième partie de la sous-articulation b un rapport de complémentarité. On sait aussi que cette relation, bien que réciproque, entre les forces productives et les rapports de production, admet une détermination principale : les forces productives. Or, cette relation ne ferait ici que brouiller les cartes : c'est par les rapports de production que Marx commence son exposé. On pourra, il est vrai, dire que si la cause pleine est égale à l'effet entier, il convient de repérer d'abord l'effet entier, pour rechercher la cause pleine, la ratio cognoscendi, suivant — le cas est fréquent — l'ordre inverse de la ratio essendi. Mais ce rapport n'éclairerait en rien la complémentarité des lois réparties selon la sousarticulation b, parce que l'objet du livre I et l'objet dont traitent les textes célèbres sur les rapports entre forces productives et rapports de production ne sont pas les mêmes : les textes célèbres, lorsqu'ils sont vagues ou géné raux ou pédagogiques, énoncent les lois d'évolution de l'histoire économique qui se révèlent n'être, lorsque ces textes célèbres sont plus précis, qu'une contribution à l'étude scientifique des lois de coexistence entre des modes de production différents, et de passage d'un mode de pro duction à un autre . Le rapport existant entre forces pro ductives et rapports de production, lorsqu'il s'agit d'énon cer les lois de passage d'un mode de production à un autre, est une chose, un domaine théorique autonome de la théo rie marxiste. Le rapport existant entre rapports de produc tion et forces productives, lorsqu'il s'agit d'établir les lois d'un mode de production spécifique comme procès de tra vail particulier, c'est-à-dire essentiellement la définition de ce mode de production, ce qui est l'objet du livre l, est une 18
Misère 18. laDuphilosophie premie rsurtype sont maà nifes t lemachine texte àde vapeur, de le moulin eautemen et la et le texte de la Préface à l a critique d e l'économie politique su r
la correspondance entre degré de développement des forces pro ductives et la structure sociale réelle. Du second type serait la partie du texte de la Préface à la contribution à la critique de l'économie politique où Marx essaie de penser à partir du déve loppement des forces productives une théorie des révolutions économiques. Sur ces problèmes, voir E. Balibar.
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un autre domaine autonome de la théorie, et théoriquement antérieur. La relation unissant forces pro ductives et rapports de production à l'intérieur du domaine théorique des textes célèbres et celle qui les unit à l'inté rieur du domaine théorique du livre I peuvent fort bien n'avoir aucun rapport. Il faut donc tenir compte de cette possibilité (c'est-à-dire oublier les textes célèbres) pour pen ser le lien entre les deux éléments théoriques déterminés par la sous-articulation b. Pour définir rigoureusement la complémentarité entre les lois énoncées sur le procès de travail capitaliste comme rapport de production particulier d'une part, et comme système particulier d'organisation des forces productives d'autre part, nous allons étudier l'enchaî nement des deux parties. La première partie énonce simplement la définition scien tifique du procès de production capitaliste, et les lois résul tant de cette définition. Pour que soit défini comme capiliste, c'est-à-dire produisant de la plus-value, un procès de travail absolument quelconque sous tous les autres rapports (notamment l'organisation des forces productives), il faut et il suffit : autre chose,
1) que la synthèse des éléments y soit opérée par l'achat propriété et 2) la que ventel'opérateur : donc le derapport cette de synthèse soitestledéterminant non-travail; leur ; 3) que le non-travailleur achète, à sa valeur, au travail leur direct, non point son travail, mais sa force de travail. L'ensemble de ces conditions définit les rapports de pro duction capitalistes, comme rapport entre le capital et le salariat ; et permet de penser la plus-value à partir de ses éléments formateurs, de différencier, à l'intérieur du capi tal, deux éléments fonctionnels et d'établir les limites du rapport unissant la plus-value et la journée de travail. Ceci établi, quel est le problème (non résolu à ce niveau) qui nécessite l'examen d'une nouvelle combinaison entre les mêmes éléments ? Ce problèm e n'est pas d'ord re histori
il ne s'agit pas, même sommairement, de recher cher l'origine des éléments ici combinés ; il ne s'agit donc pas d'établir une séquence causale où les machines auraient le rôle de causes. Le problème non résolu est de même type que celui qui vient d'être résolu : il s'agit de définir le procès de production capitaliste à partir des structures qui le rendent concevable. Ce problème est le suivant : que :
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comment est-il possible de définir, entre le non-travailleur et le travailleur direct, un rapport qui soit à la fois d'exploi tation (le surtravail comme plus-value) et de liberté (achatvente de la force de travail) ? L'objet de la deuxième par tie de la sous-articulation b est de résoudre ce problème, en montrant comment une autre combinaison des mêmes éléments est nécessaire pour définir le procès de produc tion capitaliste. Cette nouvelle combinaison concerne la division technique du travail, ou une certaine organisation des possession, forces productives : la catégorie est d'éla celle de qui connote séparation fondamentale . Elle permet borer la solution suivante : les rapports de production capi talistes supposent une organisation technique telle que le travailleur direct ne soit plus possesseur, c'est-à-dire soit séparé, des moyens de production. Il s'agit d'un procès de travail tel que le sujet de la production n'est pas le producteur isolé, mais le travailleur collectif, et tel que l'élément techniquement régulateur n'est plus le travailleur direct, mais l'ensemble des moyens de travail. De la sorte, le problème liberté/exploitation se trouve résolu : à par tir du moment où les forces productives d'une société sont organisées selon cette structure, le travailleur ne peut dépenser utilement sa force de travail que s'il la vend, puisqu'elle ne peut être utile qu'à la double condition d'être associée à d'autres forces, et de s'exercer selon les condi tions déterminantes du procès (les moyens de travail). Seul le capitaliste, propriétaire des conditions de travail (objet + moyen de travail), peut opérer cette synthèse . 19
20
19. Poss ess ion, sé paratio n : sur ces concepts , voir le texte d'E. Balibar. 20. Il pourra paraître étrange que nous ne rendions pas compte de l'aspect historique de la deuxième partie de la sous-articu lation D. C'est que cet historique n'est qu'un instrument de démonstration :les concepts nécessaires pour rendre compte du caractère transitoire de la manufacture sont les mêmes que ceux ui servent à penser la solution du problème liberté/surtravail, n se méprendrait grandement si l'on voulait lire, dans les textes de la section IV, l'énoncé d'une loi d'évolution du système capi taliste. P. Mantoux croit pouvoir Infirmer Marx sur ce point, puisque en laAngleterre, n'a pas Mais toujours, ni même lale manufacture, plus souvent, même précédé grande industrie. tout ce que Marx suppose historiquement attesté dans sa démonstra tion, c'est que la manufacture, toutes les fois où elle a existé, n'ait été qu'un stade transitoire. La raison de ce fait est dans l'inadéquation partielle entre rapports de production et système de forces productives. Pour en rendre raison, il faut donc pro duire un concept non empirique du système de forces produc tives : c'est là l'objet essentiel de la IV« section du livre I.
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Nous sommes maintenant en mesure de déterminer la fonction relative des deux éléments théoriques répartis par la sous-articulation b. Leur objet est le même : définir comme capitaliste un procès de travail immédiat. Leur résultat est le suivant : c'est l'unité des lois concernant les rapports de production et les forces productives qui permet de définir un procès de travail immédiat comme mode de production capitaliste. C'est à partir de la fonction théori que de définition et à partir de cette fonction seule, que peuvent être pensées à la fois l'unité des deux ensembles de loi et l'antériorité d'un ensemble sur l'autre. L'unité des deux ensembles est telle que le premier ensemble ne serait pas complètement intelligible sans le second, nous l'avons démontré. Cette complémentarité peut s'énoncer ainsi : le mode de production capitaliste, en tant que procès de travail immédiat, est l'unité structurale complexe résul tant de l'unité de deux ensembles de lois structurales. C'est l'importance relative, dans l'élaboration théorique, de l'unité des deux ensembles, qui détermine l'antériorité d'un ensemble par rapport à l'autre. Autrement dit, le mode de production capitaliste n'est définissable que comme l'unité des lois concernant les rapports de production et les forces productives, unité qui ne peut être définie, dans sa forme spécifique, qu'à partir des lois concernant les rapports de production. Ce que l'on peut résumer dans le schéma suivant : Lois conce rnant < » Lois conc erna nt les rapports A les forces de productives production Lois concernant les rapports de production On établit ainsi à la fois, sans contradiction, entre les deux parties de la sous-articulation b, un rapport de complémentarité et un ordre de détermination univoque. Ce que section, l'on peutoùaisément démontrer les textes de la IV Marx explique queparlestous formes de divi sion technique caractéristiques du procès de travail exa miné sont déterminées par leur situation dans une struc ture déterminée par les rapports de production, et dont la signification théorique générale est parfaitement définie dans ce texte du livre III, chapitre XXIII (t. VII, p. 51-52) : e
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« Si le travail du capitaliste ne découle pas de la nature exclusivement capitaliste du procès de pro duction, c'est-à-dire s'il ne cesse pas avec le capital lui-même ; s'il ne se limite pas à la fonction d'exploi ter du tr avail d'a utr ui ; s'il résulte de la form e sociale du travail, de la combinaison et de la coopé ration d'un grand nombre d'individus en vue d'un résultat commun, ce travail est aussi indépendant du capital que cette forme elle-même, dès qu'elle a fait éclater sontravail, enveloppe la nécessité de ce commecapitaliste. travail desAffirmer capitalistes et fonction des capitalistes, ne signifie rien d'autre que l'incapacité du vulgaire (la grande masse des économistes politiques) de se représenter les formes développées au sein de la production capitaliste déga gées et libérées de leur caractère contradictoire. » Ce qui signifie que, pour échapper à cette incapacité, il faut définir les formes développées au sein de la produc tion capitaliste, comme unité de rapports de production et d'une organisation socialisée des forces productives, à partir de ce qui leur donne dans le système capitaliste « leur caractère... contradictoire », à savoir les rapports de production. On ne saurait mieux définir la fonction théorique de la sous-articulation b. Le problème mitive »
de
la section
VIII
:
«
L'accumulation
pri
Il pourra paraître étonnant que nous n'ayons tenu aucun compte, dans cette étude des articulations du livre I, d'un des textes les plus célèbres : la section VIII, « L'accumu lation primitive ». Ce n'est pas parce que nous en oublions l'importance, mais parce que l'importance de ce texte relève d'un niveau théorique différent. Sans ce texte en effet, la définition du (c'est-à-dire l'ensemble des lois régis sant le) mode de production capitaliste, en tant que procès de production immédiat, serait parfaitement achevée. C'est d'ailleurs ce que suppose la section VII, dans la mesure où sa fonction (autonome) consiste à transformer les résul tats de la théorie du livre I en problème scientifique pour un autre secteur de la théorie : en établissant, en effet, sur la base des résultats du livre I, non pas l'histoire, mais la généalogie des éléments principaux de la structure, elle propose un problème bien formulé à la théorie du passage
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d'un mode de production à un autre, très exactement du mode de production féodal au mode de production capita liste. Et il faut bien souligner que ce problème bien for mulé ne tient pas lieu de cette théorie : tenir en effet « L'accumulation primitive » pour la théorie du passage au capitalisme reviendrait à le concevoir sur le modèle sui vant : un développement autonome des éléments suivi de leur réunion en une structure. Pour reprendre à P. Vilar 21
une de ses» distinctions méthodologiques : «majeurs L'accumulation primitive se borne à présenter les signes du phé nomène, dont la théorie du passage d'un mode de produc tion à un autre doit élaborer les lois, et partant le déter minisme. Comme Le Capital n'a pas pour objet d'élaborer cette théorie, quoi qu'il ait comme résultat d'en jeter cer taines bases, on comprend pourquoi « L'Accumulation primitive » peut être mise entre parenthèses lorsqu'il s'agit d'établir et d'expliquer les articulations logiques du Capital.
D)
ETUDE DE L'ARTICULATION II
L'étude qu'il nous reste à entreprendre, celle de l'arti culation II , est de très loin la plus délicate, comme nous l'a montré le texte du livre III qui la concerne essentielle ment. Nous allons essayer d'apporter aux problèmes qu'elle pose une solution qui ne peut avoir d'autre prétention que de proposer des éléments de discussion sur un point diffi cile. 2 2
1)
Nouvel examen des difficultés soulevées par l'articula tion II A la lumière des résultats précédents, nous pouvons plus clairement formuler les problèmes posés par l'articulation II, c'est-à-dire les poser non point à travers un texte les concernant, comme nous l'avions fait en expliquant le 21. P. VILAR, « Histoire sociale et philosophique de l'histoire », n» 11 8, p. 76 : « Ce mo yen c'est de consi dérer tout phénomène historique... de trois façons successives : de le considérer d'abord comme signe, pour procéder aux constatations et aux anal yses ; de le consi dérer e nsuit e comme résultat, en regardan t en arrière ; de le con sid ére r enfin comme cause, en regardant en avant. » Ti. Rappelons que l'articulation II concerne l'ensemble des deux éléme nts théorique s (l ivres I et II d'une part ; livr e III d'autre part) déterminé par une coupure passant entre le livre II et le livre III.
La Pensée,
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texte du livre III (t. VI, p. 47), mais à partir de ce que nous savons déjà de l'organisation du Capital. Le premier ordre de difficultés tient au caractère ina chevé du livre III, élément théorique essentiel de l'articu lation II. Ces difficultés nous semblent mineures : elles ne seraient majeures, voire insolubles, que si l'inachève ment du livre III engageait sa cohérence. Tel n'est pas le cas : avec ses deux parties nettement distinctes, dont la première élabore les lois du taux de profit (sections I à III) et dont la seconde élabore les lois de la répartition du profit (sections IV à VII), le livre III est fortement struc turé. Or il n'y a pas de structure sans principe, implicite ou explicite, d'organisation : il en résulte que si l'on veut savoir en quoi et pourquoi le livre III est inachevé (ce qui n'est pas notre propos), il ne servira à rien d'en imaginer la suite, tant que le principe d'organisation du livre III n'aura pas été défini (ce qui est notre propos). Pourvu donc que l'on puisse mettre en évidence ce principe, on aura défini ce qui fait du livre III un texte achevé dans son inachèvement, et l'on pourra en déterminer la fonc tion théorique dans l'articulation II. C'est évidemment ce principe qui pose les problèmes majeurs. Or ce principe n'est pas explicite dans les textes où Marx tente de l'exposer, soit que, dans le livre III, son exposé prête à équivoques, soit que, dans l'Introduction de 1857, il ne puisse être théoriquement explicité. Une chose est sûre cependant : c'est que d'une part ce principe existe, et que d'autre part il ne peut être énoncé qu'en termes spécifiquement marxistes. Avant de tenter cet énoncé, nous allons reconsidérer, à la lumière des résultats obtenus en étudiant les livres précédents, les difficultés proposées par ces deux textes. Le texte du livre III déjà examiné peut se prêter à une lecture que nous n'avons pas encore envisagée, parce qu'elle n'a pas retenu l'attention des commentateurs, bien qu'elle ait en fait dirigé leur lecture : l'articulation II nous fait passer de l'étude de la structure réelle à l'étude des apparences de la structure, sur le modèle hégélien : en soi/pour soi. Cette lecture pourrait s'accrocher aux termes suivants : « Dans le livre I, nous avons étudié les divers aspects que présente le procès de production capita liste, en soi... Les formes du capital que nous allons
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examiner dans ce livre [livre III] le rapprochent progressivement de la forme sous laquelle il se mani feste dans la société... » Nous avons en effet montré comment les livres I et II constituaient un « concretum-de-pensée » à soi suffisant, et définissant les structures fondamentales du mode de production capitaliste. Or, le livre III présente un grand nombre de textes fondamentaux, tendant à rendre compte des « illusions » que les agents de la production se font, en fonction de leur place dans la structure, sur cette structure elle-même. L'ensemble des lois objectives du livre III n'ayant d'autre fonction que d'établir les places dans la structure des illusionnés-illusionnistes pour déter miner la vérité de leurs illusions . Si cependant cette lec ture est inadéquate, parce qu'elle ne rend pas compte du fait que les lois de baisse tendancielle du taux de profit ou de répartition du profit sont manifestement des lois de la structure et des lois nouvelles, il faudra rendre compte de sa possibilité ; c'est-à-dire déterm iner c omm ent la pr o blématique de l'articulation II est liée aux illusions « des agents ordinaires de la production eux-mêmes ». Déterminer exactement le caractère nouveau des lois du livre III, l'objet dont elles sont les lois, est le second problème, qu'il faut résoudre pour mettre en évidence le principe d'organisation du livre III. Certes, l'Introduction de 1857 peut nous donner une idée de cet objet nouveau : en passant des livres I et II au livre III, on passe de l'étude des éléments d'une structure complexe, en tant qu'ils se déterminent réciproquement, aux lois de la structure ellemême, comme système complet des déterminations. Par conséquent, alors que la théorie dans les livres I et II pou vait se limiter à énoncer les lois d'une « fraction de capital social promue à l'autonomie », elle doit maintenant établir les lois du capital social considéré comme un tout. Le livre III établira des lois nouvelles puisque tout le monde sait que le tout est autre chose et plus que la somme de B
ses parties : cele savoir est lequel devenu, la Gestalt-théorie, mode sur toutedepuis scienceDurkheim, de l'homme préjuge de son objet. Cela ne signifie pas que l'anticipa tion de l'Introduction de 1857 soit nécessairement un pré23. Sur to us ces poin ts , je r env oie à la dern ière part ie de l'exposé de J. Ranclère.
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jugé, cela signifie simplement que, pour définir l'objet nouveau du livre III et son rapport avec l'objet du livre I, les termes en sont beaucoup trop vagues. Il s'agit du Tout, certes, mais de quelle sorte de Tout ? On risquerait fort, en n'élucidant pas la question de la spécificité de ce Tout, de retomber dans l'erreur du micro-économique et du macro-économique qui rendrait inintelligible une des lois fondamentales établies par le livre III, la loi de baisse ten dancielle du taux de profit, qui implique d'abord un rapport de l'ensemble à la est don de l'ordre Soit en effet CS le partie capi talqui social t V/ C de est la la somme. compo sition organi que ; soit F c F c , F c , ...Fc ses fractions promues à l'autonomie dont V J / C J , v / c , v / c , . . . v / c sont les compositions organiques respectives. Il est clair, puisque I f
2
3
n
2
CS =
Fcj + V
Fc
_ v,
C
+
2
+ Fc v
3
2
+
...Fc
+
...v
CL + c 2 +
...c
2
3
3
n
n
n
n
n
Par conséquent, si l'on peut énoncer pour chacune des fractions du capital social une loi tendancielle concernant les rapport V i / C j . . . v / c , elle sera vraie du même coup, par simple addition du capital social dans son ensemble. Or, c'est là un des éléments de l'élaboration de la loi du taux de profit. Comme on le voit, le lien entre les livres I et II et le livre III n'est fondé ni sur l'homologie de la partie et du tout (les lois du livre III sont nouvelles), ni sur le saut qualitatif sans autre détermination des compo santes à la « totalité organique ». Rendre compte de l'articulation II, c'est donc s'efforcer de rendre un compte marxiste d'un rapport qui peut s'énon cer, en première analyse, et d'une manière certainement inadéquate, comme le rapport de l'en-soi et du pour-soi et c o m m e le rapport des éléments à la totalité. D'ores et déjà, ces considérations, jointes aux problèmes rencontrés à propos du livre II, suffisent à autoriser un déplacement de la coupure de l'articulation, par rapport à l'organisa tion du Capital en livres. Le lien exact où, sans que nous sachions encore pourquoi, l'étude change d'objet, en pas sant des lois des « fractions promues à l'autonomie » à ce qu'on peut énoncer provisoirement comme étude des lois de « l'entrelacement » des capitaux ou du capital n
n
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social considéré comme un tout, n'est pas livre III, mais la III' section du livre II :
le
début
609 du
« ...Dans la première comme dans la deuxième section [du livre II : ajo uton s co mm e dans le livre I] , il ne s'agissait toujours que d'un capital individuel, du mouvement d'une fraction du capital promue à l'autonomie. « Cependant, les cycles des capitaux individuels s'entrelacent, se supposent et se conditionnent les uns les autres, et c'est précisément cet enchevêtre ment qui constitue le mouvement de l'ensemble du capital social. » (Introduction à la section III du livre II, t. V, p. 9.) D'où, dans le texte du livre III (t. VI, p. 47), la place spéciale accordée à cette section (« dans la III* section sur tout ») et le soin mis par Marx à exposer le rapport qui unit le livre III à « l'unité » établie dans cette section : Marx déclare que l'objectif du livre III n'est pas de « se répandre en généralités sur cette unité ». Quel autre objec tif pourrait-il avoir, sinon de continuer d'en produire le concept , c'est-à-dire les lois ? N ou s prop osero ns d onc d'étudier l'articulation II, en lui donnant la coupure sui vante : livre I, livre II, I et II sections/livre II, IIP section, livre III. r e
2)
Méthode
de
e
solution
S'il existe un lien déterminable entre les deux éléments répartis par l'articulation II, il doit être aisément repérable. Marx ne fait évidemment pas la théorie du « tout », de « l'entrelacement », du « capital considéré comme un tout » pour le plaisir d'ajouter à ses études antérieures la « dimension » de la totalité. La nécessité de nouvelles lois ne peut se fonder que sur l'insuffisance des anciennes, non point à épuiser le processus réel, mais à être complète ment des lois. Il doit donc exister dans les livres I et II un champ théorique non élaboré mais exactement mesuré, que le processus de pensée a besoin, à ce niveau, de neutra liser, pour construire les lois de son objet. Il doit par conséquent exister dans les livres I et II ce minimum de théorie, sous une forme par conséquent problématique et
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encore idéologique, de l'objet scientifique du livre III. Ce minimum de théorie doit d'une part en tenir provisoire ment lieu, et d'autre part en prouver la nécessité théori que. C'est ce champ théorique non élaboré mais exacte ment mesuré que nous allons rechercher dans les livres I et II.
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III. - Le champ théorique non élaboré mais exactement me suré des livres I et II et son nom: «laconcurrence»
Le champ non élaboré des livres I et II, qui détermine, à l'intérieur de ces livres, la nécessité de la III* section du livre II et du livre III, porte un nom qui en donne non la connaissance, mais en circonscrit la reconnaissance ; un nom qui y désigne en creux le lien vide d'un nouveau champ théorique : celui de concurrence. Nous allons mon trer, sur deux textes, ce que ce concept permet de ne pas penser et ce qu'il désigne comme étant à penser, au niveau des livres I et II. Voici ces deux textes : Livre I, III* section, chapitre X : « Il estcela vraine qu'à prendre les plus chosesde dans leur ensemble, dépend pas non la bonne ou de la mauvaise volonté du capitaliste individuel. La libre concurrence impose aux capitalistes les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes. » (Ed. sociales, t. I, p. 265.) Livre I, VII* section, chapitre XXIV : « Le développement de la production capitaliste nécessite un agrandissement continu du capital placé dans une entreprise, et la libre concurrence impose les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes à chaque capitaliste individuel. Elle ne lui permet pas de conserver son capital sans l'accroître, et il ne peut continuer de l'accroître à moins accumulation progressive. » (Ed. sociales, t. III,d'une p. 32.) Situons rapidement ces textes : le premier termine l'exa men, sous forme de langage prêté au capitaliste, des rap port s entre la journé e de trav ail et le profit ; le sec ond
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est situé entre l'exposé général des principes de la repro duction (transformation de la plus-value en capital) et l'étude de ses formes. Ces deux textes énoncent d'abord une illusion, qui concerne l'objet même dont Marx, au niveau des livres I et II, fait la théorie. L'objet de Marx est ici la construc tion des « lois » de « la production capitaliste » ; la forme scientifique de cette construction permet à Marx d'écrire « lois immanentes de la production capitaliste », où «donnent immanentes signifie« «qui quisont ont les bienlois l'objet qu'elles de se » ou » encore structurales l'objet lui-même, et non pas « des lois empiriques de ce même objet ni des lois rapportées artificiellement d'un autre objet à celui-là ». Si l'on considère particulièrement, dans la structure, la position du capitaliste individuel, « les lois immanentes » définissent l'essence de sa pratique : ce sont « les lois immanentes » qui permettent de définir, à l'inté rieur d'un procès de travail, une pratique individuelle comme pratique capitaliste. Or, du point de vue du capi taliste individuel, les lois immanentes apparaissent comme lois coercitives externes, sous la forme de lois de la concur rence. Le capitaliste, en invoquant la concurrence par le lien des mêmes lois que Marx, mais en leur donnant la forme de la nécessité externe, ne peut pas reconnaître la vraie signification. La concurrence est en donc d'abord l'énoncé d'une illusion, c'est-à-dire de la forme trompeuse que prend la structure pour qui y occupe une position déterminée. Tout discours sur la concurrence est donc par faitement idéologique. Cela dit, il est impossible — logiquement — de restrein dre la portée des deux textes cités et leur fonction théori que pour n'y voir que la différence entre la forme scienti fique et la forme idéologique des mêmes lois. En un sens, le rapport entre le discours scientifique de Marx dans les livres I et II et les discours idéologiques tenus sur la concurrence est bien un rapport de réfutation : la théorie des « lois immanentes » est le « verum index sui et falsi » du discours idéologique sur les mêmes lois prises comme « lois coercitives externes ». Lorsque le capitaliste pré sente les limites de la journée de travail comme entière ment déterminées par la concurrence, il est à côté de la question, et la fixation scientifique de ces limites, à partir des rapports entre le temps de travail producteur de valeur et le temps de travail producteur de la valur de la force de
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travail, est la démonstration de ce décalage. Lorsque le capitaliste présente la modification tendancielle de la com position organique du capital comme résultat de l'absti nence que lui impose la concurrence, il est entièrement à côté de la question, et la production scientifique de la reproduction des conditions du procès de travail capita liste est la démonstration de ce décalage. Mais, en un autre sens, le discours théorique de Marx utilise le dis cours idéologique sur la concurrence comme une des condi tions de possibilités théoriques provisoires de l'établissement des lois immanentes elles-mêmes. En effet. « les lois coercitives externes » ne sont pas seulement l'autre nom, le nom idéologique, des « lois immanentes » produites dans les livres I et II ; elles sont aussi le nom par provision d'un certain ensemble de lois nécessaires à l'élaboration des lois immanentes des livres I et II, et qui ne peuvent pourtant pas recevoir dans les livres I et II d'autre qualification que celle qu'elles ont dans le discours idéologique. En effet, si, dans le texte concernant la journée de travail, « la concur rence » n'explique pas le rapport entre force de travail et travail, elle explique cependant (ou tient le lieu provisoire d'une explication) des variations de ce rapport à l'intérieur des limites fixées par « les lois immanentes ». Plus impor tante encore de est la place théorique par le des concept idéologique concurrence dans remplie l'élaboration lois immanentes de la reproduction (deuxième texte cité). En effet, si la construction des lois concernant l'accumulation capitaliste, pour ce qui est de la structure de ces lois et de leur place dans la structure produite par les livres I et II, n'a rien à voir avec la concurrence, il reste que l'explication du fait que la reproduction élargie et non la reproduction simple soit la forme spécifique de la reproduction capita liste ne reçoit pas au niveau du livre I d'autre statut théo
rique que celui qui est fixé par le texte sur la concurrence. « Le développement de la production capita liste nécessite un agrandissement continu du capital placé une immanentes entreprise, et impose dans des lois de taliste comme lois coercitives capitaliste individuel. Elle ne
la
libre concurrence la production capi externes à chaque
lui permet l'accroître, et il
pas
de
ne peut continuer de l'accroître à moins d'une accumulation progressive. » conserver
son
capital
sans
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Il est clair que ce texte mesure, sous le nom de libre concurrence, non pas seulement l'autre nom des lois de reproduction d'une « fraction de capital social promue à l'autonomie », mais en même temps un ensemble de déter minations effectives dont le compte doit être tenu avant d'être réglé, précisément pour réunir les conditions de l'étude nomie
d'une
«
fraction
de
capital
social promue
à
l'auto
». Ce compte ne peut être tenu provisoirement que dans les termes inadéquats de l'idéologie. sommesexacte maintenant de définir la fonc tionNous théorique remplieenparmesure le concept de concurrence dans les livres I et II. Cette fonction est rigoureusement identique à celle qui appartient à l'ensemble idéologique « société bourgeoise, accumulation, richesse, marchandise » dans les deux premières sections du Capital. De même que l'ensemble < société bourgeoise, accumulation, richesse, marchandise » constitue l'ensemble des énoncés qu'il est nécessaire de transformer en problème pour donner au Capital son objet sous sa première forme scientifique, de même le concept idéologique de « concurrence » est l'énoncé idéologique d'un ensemble de déterminations effectives qu'il faut transformer en problème pour donner au Capital son objet théorique sous une forme complète. Ce n'est pas tout. La critique que le concept de concurrence subit au cours des livres I et II, par la confrontation des « lois immanentes » et des « lois coercitives externes », est exactement de même type que la critique subie dans les deux premières sections du livre I par le concept idéo logique de marchandise. Cette critique est une analyse ; Marx se met en mesure, en élaborant les lois d'une « frac tion de capital social promue à l'autonomie », de distinguer dans l'ensemble des déterminations effectives désignées sous le nom de concurrence : d'une part, celles qui n'ont nul lement besoin d'être repérées sous ce concept et qui consti tuen t l'en sem ble des lois des livres I et II ; d'au tre par t, celles qui ont encore besoin de ce concept pour être mesu rées sans être connues grâce à lui. Ainsi le concept syncrétique de concurrence reçoit dans les livres I et II une décisive, à celle que Marx fait subir à la notion decomparable marchandise dans les sections I et II. Plus exactement, le champ théorique vide, dont le concept de concurrence économise provisoirement la théorie, y reçoit ses limitations rigoureuses. Etudions donc les limites que la production des lois réduction
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immanentes de la structure du procès de travail capitaliste impose à ce champ théorique vide : 1) La concurrence ne désigne pas l'ensemble des concepts nécessaires à construire cette s tructu re ; 2) La concurrence ne désigne ni le rapport entre circu lation et production, ni, à l'intérieur de ce rapport, la pré tendue dominante des lois de la circulation, comme « lois du marché », ni même, en renversant ce rapport de domi nation, l'efficace relatif des lois de la circulation sur les lois de la production. Ainsi, le concept de concurrence, si on veut le tenir pour l'indice encore idéologique d'un champ théorique effectif, doit recevoir un nouveau lieu de formulation pa r rapport à celui qui sert ordinairement à le construire (la circulation, les lois du marché), et par conséquent aban donner la fonction d'explication globale que, du sein de ce lieu, il reçoit dans le discours idéologique ordinaire. De ce fait, on peut donner à ce champ théorique vide un nou veau lieu, à partir de l'ensemble de déterminations effec tives dont il permet provisoirement de mesurer l'efficace. Et voici ce lieu nouveau qui va permettre de transformer le concept idéologique de concurrence en un objet théo rique nouveau : ce que désigne le mot de concurrence est très exactement l'ensemble des lois régissant la coexis tence des procès de production capitalistes. Noups s ommes donc en mesure de donner la définition des deux éléments théoriques que répartit l'articulation II : d'une part, théorie du mode de production capitaliste comme procès de tra vail spécifique ; d'au tre part , thé orie du mod e de prod uc tion capitaliste comme lois de coexistence des procès de travail immédiats. Ces formulations posent des problèmes que nous allons résoudre dans un instant. Nous pouvons, dès maintenant, résoudre quelques-uns des problèmes qui restaient jusqu'ici non résolus.
1) Marx, dans le texte du livre III où il s'efforce de justifier cette articulation, donnait à penser que le passage des livres I et II au livre III était lié à un passage aux théories de « l'illusion » des agents de production euxmêmes. Dans la mesure où le livre III est l'élaboration scientifique d'un champ qui ne peut d'abord être mesuré que par le concept idéologique de concurrence, le livre III n'aura pas pour objectif de faire la théorie de l'illusion en général, c'est-à-dire de nous faire passer de l'en-soi au
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pour -soi de la struc tur e ; mais il est clair qu 'un de ces objectifs sera de liquider définitivement une illusion bien définie, « illusion de la concurrence », c'est-à-dire d'expli quer complètement la différence entre le concept idéolo gique du champ dont le livre II, IIP section, et le livre III font la théorie, et le concept scientifique de l'objet auquel ce champ correspond. 2) Si nous ne sommes pas encore en mesure d'expliquer la complémentarité des deux éléments théoriques répartis par l'articulation II, nous en avons démontré la nécessité de son existence, ce que l'on ne pourrait faire sur la base des distinctions entre micro-économique et macro-écono mique, entre abstrait et réel ou entre partiel et global.
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IV. - Définition de l'objet de la 2 partie de l'articulation IL - Rap port de cet objet avec ses anticipations e
Marx, dans l'Introduction de 1857, avait laissé entrevoir que la théorie d'un mode de production doit s'achever par l'étude du système complet de détermination. En introdui sant, pour expliquer l'articulation II, la distinction entre théorie du mode de production capitaliste et théorie des rapports de coexistence des procès de travail immédiat, il peut paraître que nous renoncions à retrouver dans Le Capital la réalisation des ambitions de l'Introduction de 1857. Il n'en est rien : si ces ambitions ne se lisent pas directement dans leur réalisation, c'est parce qu'elles se sont spécifiées et parce qu'elles ont pris une forme propre ment marxiste. Définissons mieux ce nouvel objet dont la IIP section du livre II et le livre III entreprennent l'étude. Pour Marx, toute formation sociale est définie par son mode de pro duction, c'est-à-dire par la structure du procès de travail dominant (dans le cas du mode de production capitaliste, c'est l'objet des livres I et II), et par la structure des rap ports caractéristiques entre les procès de travail (dans le cas du mode de production capitaliste, c'est l'objet de la IIP section du II et du livre III). Pour désigner d'une façon générale la structure des rapports caractéristiques entre les procès de travail, Marx utilise le concept de « division sociale du travail » (en secteurs et en branches de production). Afin d'éviter toute ambiguïté, nous lui préférerons le terme de « division du travail social », en réservant le concept de « division sociale du travail » à la fonction de synonyme de « rapports sociaux de pro duction » et le concept de « division technique du travail » à l'organisation des forces productives dans tout procès de travail coopératif. La première originalité de Marx consiste
à produire les concepts de « division du travail social »
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ou « division de la production sociale » à partir du concept de « procès de travail ». Il ne l'accepte, par conséquent, pas comme un fait empirique, justiciable d'une explication anthropologique fondée sur le besoin d'échange, ou organiciste fondée sur la différenciation croissante des sociétés. Par là, nous pouvons rejoindre Y Introduction de 1857. Ce qui détermine la structure complète de la pratique économique, c'est l'ensemble des lois régissant le mode de production, c'est-à-dire non seulement les lois structurales du procès travail spécifiques spécifique, entre mais les encore les de loistravail. struc turales des derapports procès C'est donc un seul et même objet que l'étude de la structure de la pratique économique dans son ensemble, et l'étude des lois régissant le mode de production en son sens complet. Mais cette liaison entre l'objet du livre III et son anti cipation dans l'Introduction de 1857 ne peut apparaître distinctement que dans une étude des sous-articulations des livres II, IIP section, et livre III.
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V. - Étude des sous-articulations de la 2 partie de l'articulation II e
On peut déceler, dans la deuxième partie de l'articula tion II, deux sous-articulations essentielles de la manière suivante : Livre I, Livre II, 1 et 2/Livre II, 3 Articulation II Sous-articulation 1
Livre II, 3 Livre III , 1, 2, 3/Liv re III, 4, 5, 6, 7
Sous-articulation 2
Livre II, 3/L ivre III, 1, 2, 3
La sous-articulation 1, en isolant la section III du livre II et les sections I, II et III du livre III d'une part, des sec tions IV, V, VI, VII du livre III d'autre part, a pour fonc tion d'établir des lois complémentaires. Cet ensemble de lois complémentaires définit la loi fondamentale du mode de production capitaliste dans son ensemble, comme loi spéci fique de la division du travail social entre des procès de travail de structure spécifique, et par conséquent la loi fon damentale de toute la pratique économique capitaliste comme articulation à dominante d'éléments distincts (circu lation, distribution, consommation). Cette loi énoncée, dans
les sections que nous étudions, pour la première fois sous sa forme scientifique, et qui constitue le non-pensé des livres I et II, est la LOI DE LA VALEUR. La complémentarité des deux éléments théoriques de la sous-articulation 2 est donc claire. Elle risque simplement d'être obscurcie par le fait qu'à partir de l'énoncé des lois concernant le taux de profit, Marx est à même d'établir la différence entre le prix de production et la valeur d'une marchandise. Ce fait dupourrait au point de situer la troisième section livre IIaveugler et les trois premières sec tions du livre III dans un même ensemble : le premier ensemble, constitué par les livres I et II, serait le domaine où régnent plus-value et valeur, le second ensemble, le livre III, serait celui où régnent profit et prix. On oublierait
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de la sorte que, dans les trois premières sections du livre III, alors que dans les livres I et II, abstraction faite de la III" section du livre II, cette loi est simplement supposée sans être théori quement produite. La notion de prix de production n'est que le résultat théorique de la loi de la valeur elle-même. On pourrait en effet, pour dissiper toute confusion, énoncer provisoirement la loi de la valeur comme la loi réglant le rapport entre le travail socialement nécessaire et les prix
// s'agit exclusivement de la loi de la valeur,
de production, et s'en considère tenir à cel'ensemble qu'écrit de Marxtoutes (t. VI, p. 176) : « Lorsqu'on les branches de production, la somme des prix de production des marchandises produites est égale à la somme de leurs valeurs. » La complémentarité entre les deux éléments de la sous-articulation 2 est donc déterminée puisqu'il s'agit bien de l'élaboration, en deux moments, de la même loi (la loi de la valeur) d'un même objet (la division du travail social spécifique du mode de production capitaliste). Reste à penser le principe théorique de la distinction des deux moments de cette détermination. A considérer les résultats de la section III du livre II d'une part, et des trois premières sections du livre III d'autre part, on peut établir la distinction suivante : la loi de la valeur est d'équilibre, loi d'abord comme duloitravail commeDans dynamiqueénoncée de la division social puis capitaliste. la section III du livre II en effet, la loi de la valeur est la forme spécifiquement capitaliste de la répartition pro portionnelle du travail entre les différentes branches de la production, qui constitue, dans tout mode de production, la condition d'existence de la production et de la repro duction sociales. L'apport théorique de la ///" section du livre II peut en effet se résumer dans le rapport propor tionnel qui s'instaure par l'échange des marchandises entre les secteurs I et II, dans lequel se divise essentiellement le travail social. Mais l'énoncé de cette loi statique n'est pas la loi de la valeur sous sa forme complète. En effet, ainsi que Marx l'explique (t. VI, p. 269) :
« Dans le cadre de la production capitaliste, la proportionnalité des secteurs de production particu liers apparaît comme naissant de leur disproportion nalité par un procès constant : l'interdépendance de l'ensemble de la production s'impose aux agents de la production comme une loi aveugle au lieu d'être
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une loi que la raison associée des producteurs aurait comprise, et partant dominée, ce qui leur aurait per mis de soumettre le procès de production à leur contrôle collectif. » Autrement dit, si la section III du livre II fixe bien le niveau auquel s'établit la proportionnalité (statique de la division du travail social), il ne détermine pas le mécanisme (dynamique d'ajustement de la etdivision du travail social). C'est constant l'ensemble de la statique de la dynamique de la division du travail social capitaliste — statique et dynamique étant, bien entendu, synchroniques — qui cons titue la loi de la valeur. C'est pourquoi le terme « loi de la valeur » n'est pas introduit par Marx, dès la IIP section du livre II, puisque la statique de la division du travail social n'est loi. Ainsi,
qu'un
moment
théorique
de
l'élaboration
de
la
au niveau des résultats théoriques, la fonction théorique relative des deux éléments de la sous-articulation 2 (livre II, IIP section/livre III, sections I, II, III) est déter minée. Cependant, ce n'est là qu'une première détermination de la fonction relative des deux éléments, puisque ce que nous cherchons à mettre à jour n'est pas la complémentarité des résultats, mais le principe qui, en présidant à leur éla boration, détermine la sous-articulation 2. La problématique de cette sous-articulation doit être pensée à partir du concept formel de l'objet dont la section III du livre II et les sections I, II, III du livre III font la théorie : à savoir, une division du travail social spécifique . Le concept de division du travail social n'est pas empirique ment déterminé comme le serait un discours général sur la macro-économique. Il est scientifiquement déterminé à partir du concept de mode de production comme procès de travail spécifique. Voici de quelle manière : si la production sociale est répartie en des branches indépendantes de la production, il doit exister entre les branches indépendantes un rapport de proportionnalité, tel que chaque procès indé 24
pendant de des travail puisse trouve r ; dans rés ultat de la production autres, les conditions de salereproduction. Il en résulte que les termes entre lesquels doit s'établir le
24. Au se ns où nou s avon s défini, il y a un inst ant, ce ter me en modifiant la formule de Marx « division sociale du travail ».
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rapport de proportionnalité sont déterminés, pour chaque mode de production, par la structure spécifique de son procès de travail. Or le procès de travail capitaliste est un double procès : procès de production de valeur d'usage possédant des conditions matérielles spécifiques, procès de mise en valeur du capital. C'est dans cette distinction fon damentale que réside le principe de la sous-articulation 2, selon le tableau suivant : Sous-articulation 2 Livre II, section III Objet
Livre III, sections I, II, III
Loi régissant la proportionnalité de la division du travail social capitaliste
Principe
entre des procès de production de valeur d'usage
entre des procès de mise en valeur du capital
Résultat
Statique de la proportionnalité
Dynamique de la proportionnalité
Résultat
LOI de la VALEUR
général Pour démontrer que c'est bien la structure du procès de travail qui détermine l'étude de la division du travail social, nous nous contenterons de l'établir sur la section III du livre IL Comme on le sait, la division étudiée dans cette section est celle qui répartit toute la production sociale en deux secteurs — secteur de production des moyens de production d'une part, et secteur de production des moyens de consommation d'autre part. Le concept de la division est donc fondé sur la distinction spécifique du procès de travail capitaliste en conditions du procès d'une part (objet + moyen) et force de travail d'autre part. Pour étendre cette démonstration à la deuxième partie de la sous-articulation 2, nous nous contenterons de citer ce texte de Marx (t. VI, p. 191) : « Toute la difficulté... provient de ce que les mar chandises ne sont pas échangées simplement en tant
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que telles, mais en tant que produits de capitaux qui prétendent participer à la masse totale de plusvalue proportionnellement à leur grandeur et, à grandeur égale, réclament une participation égale. Le prix global des marchandises produites en un laps de temps donné est destiné à satisfaire cette préten tion. » Autrement dit, la statique comme la dynamique de la division du travail social spécifique sont déterminées à par tir des concepts qui permettent de penser le procès de travail. La problématique, qui permet de répartir en deux moments théoriques distincts la production de la loi déter minante de la pratique économique capitaliste, étant définie comme production des lois de division du travail social sur la base des lois du procès de travail — il convient de déterminer maintenant les principes de la sous-articu lation 1.
ÉTUDE DE LA SOUS-ARTICULATION 1
Rappelons que la sous-articulation 1 est celle qui divise la deuxième partie de l'articulation III en deux éléments théoriques distincts : l'ensemble de la troisième section du livre II et des trois premières sections du livre III, d'une part, et l'ensemble des dernières sections du livre III, d'autre part. Rappelons, en second lieu, que la probléma tique de cette articulation, sous sa forme générale, est claire : établissement des lois déterminantes, puis établis sement des lois déterminées du même objet : la pratique économique capitaliste, comme système articulé où la domi nante est occupée par la loi de division du travail social. Cependant, lorsqu'on quitte le terrain de la généralité, pour essayer de définir avec rigueur, comme nous avons tenté de le faire tout au long de ce travail, quel type de complémentarité unit les deux éléments théoriques de la sous-articulation 1, on se heurte à de graves difficultés. Chaque fois, en effet, que nous avons défini une complé mentarité entre deux éléments théoriques, nous nous som mes efforcés de montrer que chacun des deux éléments constituait un moment dans la production des lois D U MÊME OBJET . Or, si nous avons démontré que l'objet de la sec-
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tion III du livre II et des sections I, II et III du livre IV est bien la division du travail social capitaliste, il semble que les sections IV à VIII du livre III n'ont plus le même objet. Certes, il est parfaitement évident que les lois de partage du profit et la théorie des revenus dépendent des lois de la division du travail social. Mais elles semblent porter sur un autre domaine, dont l'unité est d'autant plus difficile à apercevoir que le livre III est inachevé. Sans doute, si l'on veut donner un modèle concret des lois établiesà dans ces dernières il constituera cation un domaine réel, sections, qui est le même que une celuiappli des lois des premières sections du livre III : la comptabilité nationale. Mais on ne peut rien conclure sur la nature d'un objet théorique à partir de son domaine d'application. Or, si nous ne parvenions pas à donner une solution à ce problème, cela remettrait en cause toute l'interprétation du plan du Capital que nous venons de proposer. Car, de deux choses l'une : — ou bien l'ensemble théorique constitué par la troi sième section du livre II et le livre III est un champ théorique articulé répartissant, en déterminantes et déter minées, les lois qu'il produit du même objet ; — ou bien il faut déter min er, apr ès la troisiè me section du livre III, majeure une nouvelle Capital. définissant Mais nous une ne nouvelle pouvons articulation du coupure définir le nouvel objet la section IV, et de
dont
la
théorie
commencerait
avec
toute manière, l'inachèvement du livre III rendrait l'entreprise de définition de ce nouvel objet extrêmement hasardeuse. Il est donc nécessaire de démontrer la validité du premier terme de cette alternative. Nous adopterons la démarche suivante : — en premier lieu, nous essaierons de déterminer dans quelle mesure la loi fondamentale énoncée dans la sec tion III du livre II et les sections I, II et III du livre I est une loi incomplète ; — en second lieu, nous recherch erons com men t les lois établies dans les sections suivantes ont pour objectif théo rique de la compléter ; — enfin, nou s ten ter ons de définir rigo ure usem ent l'objet dont la loi de la valeur et les lois qui la complètent sont les lois. a) Il est très facile de repérer ce qui, des mécanismes de coexistence des procès de production, n'est pas univo-
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quement déterminé par la loi fondamentale de la valeur. Comme statique du système de division du travail social, la loi de la valeur permet d'établir que l'échange des équi valents, par l'intermédiaire du marché, est le processus spécifiquement capitaliste de la répartition proportionnelle du travail social. Comme dynamique du même système, elle détermine univoquement la catégorie fondamentale permettant de faire la théorie du marché, à savoir le prix de production, au terme d'une série de rapports intermé diaires (concurrence des capitaux, établissement d'un taux de profit moyen) qui permet d'énoncer que la somme des prix de production (coût de production + profit moyen) est égale à la somme des valeurs. Cependant, les lois du marché ne se réduisent pas à cette détermination univoque par la loi de la valeur. Car, dans les limites fixées par cette loi, le niveau auquel en moyenne s'effectue l'échange {valeur de marché) et les écarts de l'échange d'une mar chandise {prix de marché) par rapport à ce niveau sont soumis à des fluctuations que l'économie politique classique définit comme rapport de l'offre et de la demande {concur rence au sens strict). Or, puisqu'il existe toujours un équi libre entre l'offre et la demande, rendre compte des fluc tuations des prix et valeurs de marché, à l'intérieur des limites fixées par la loi de la valeur, revient à déterminer les lois qui définissent le niveau de cet équilibre. Marx l'exprime très clairement (t. VI, p. 209) :
« L'offre et la demande supposent la transformation de la valeur en valeur de marché, et dans la mesure où elles jouent sur la base capitaliste, à savoir que les marchandises sont des produits du capital, elles supposent des procès de production capitalistes autre ment complexes que les simples achat et vente de marchandises. Dans ces procès, il ne s'agit pas de la conversion formelle de la valeur des marchandises en prix, c'est-à-dire d'un simple changement de forme ; il s'agit bien plutôt de certains écarts quanti tatifs des prix de marché, par rapport aux valeurs de marché, et aussi aux prix de production. Dans l'achat et la vente simples, il suffit d'affronter des producteurs de marchandises en tant que tels. Lors qu'on pousse l'analyse plus avant, on constate que l'offre et la demande supposent l'existence des diffé rentes classes et subidivisions de classes qui répartis-
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Roger Establet sent entre elles le revenu total de la société et le consomment comme tel, et qui engendrent donc la demande que le revenu autorise. Par ailleurs, cette
offre et cette demande nécessitent l'intelligence de toute la structure du procès de production capitaliste si l'on veut comprendre comment elles naissent au sein même des producteurs. » Ce texte est, pour notre propos, fondamental, puisqu'il énonce sous forme d'un problème posé à partir de la loi de la valeur, et grâce à elle, le plan des dernières sections du livre III (celles qui sont écrites et celles qui ne l'ont pas été). b) Le terme est la production du concept de classes sociales en tant que sujets de la consommation sociale. La production de ce concept est interrompue par l'inachève ment du livre III, et il est clair que si l'étude commencée dans la section VII du livre III était achevée comme théorie des lois de la consommation sociale spécifique, le livre III le serait aussi. Pour que le concept de classe soit produit, il faut que le concept des subdivisions de classe soit produit en même temps. Par conséquent, la déter mination à partir des rapports de production est insuffi sante ; il faut déterminer le concept à partir des rapports de distribution dans la mesure où ils s'articulent sur les rapports de production. Tel est l'objectif théorique des sec tions IV à VI. On peut simplement s'étonner du fait que la production indirecte (par l'intermédiaire des rapports de distribution) du concept de classe capitaliste à partir des rapports de production ne vaille pas pour la classe ouvrière, et que par conséquent on puisse produire le concept de classe ouvrière en tant que sujet de la consommation directement à partir des rapports de production. C'est là un point problématique, car si le salaire, comme catégorie de la production, détermine le salaire comme catégorie de la distribution, les deux catégories ne se recouvrent cer tainement pas : pour remplir l'objectif théorique fixé par le cité (t. VI, p. 209), Marx ouvrière aurait dûtelle rendre compte de texte la différence entre la classe qu'elle est définie par la participation au revenu social sous la caté gorie du salaire, et qui, comme telle, englobe tous les tra vailleurs productifs et non productifs nécessaires à tout procès de travail, et la classe ouvrière telle qu'elle est déter minée par le salaire comme catégorie de la production
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Présentation du plan du « Capital »
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dans le rapport bipolaire « salaire/plus-value » ou « tra vail salarié/capitaliste », et qui, comme telle, n'englobe que les travailleurs productifs. Or il est évident qu'une théorie de la consommation sociale suppose le concept complet de la classe ouvrière, définie par des rapports de distribution, qui sont eux-mêmes déterminés par les rap ports de production. Sur ce point, l'inachèvement du Capi tal nous met en face d'une lacune. c) No us sommes demalaintsous-articulation ena nt en mes ure1 de le principe théorique en définir précisant l'objet commun de la section III du livre II et du livre III, et en définissant le principe de répartition en deux éléments de la production des lois de cet objet. L'objet commun à la section III du livre II et à tout le livre III est bien, comme le titre du livre III l'indique, « le procès d'ensemble de la production capitaliste ». Cette formulation peut être spécifiée : faire la théorie complète du « procès d'ensemble de la production capitaliste », c'est faire la théorie de la répartition du travail social entre les différents secteurs et branches de la production. Cette répartition possède une structure complexe à dominante. Mais il est très important de souligner que cette structure complexe à dominante, dont le concept est produit par Marx dans Le Capital, ne peut plus être pensée selon l'anticipation qu'en donnait l'Introduction de 1857. En effet, ce n'est pas selon les moments de la totalité présen tée dans l'Introduction de 1857 que la production des lois du procès d'ensemble de la production capitaliste est arti culée. On ne passe pas de l'étude du moment dominant (la production dont la loi serait la loi de la valeur) à l'étude des moments subordonnés, qui seraient d'abord considérés pour eux-mêmes, puis dans leur unité avec le moment déterminant. La distribution et la consommation ne sont pas étudiéees ici, parce qu'il faut bien passer par l'étude de ces catégories traditionnelles de l'économie politique. La distribution et la consommation ne sont étudiées que dans la mesure où elles permettent de déterminer la loi de répartition du travail social entre les différents secteurs et branches de la production. En effet, la loi fondamentale de cette répartition, qui est essentiellement déterminée par la structure spécifique du procès de travail des secteurs et branches entre lesquels elle s'effectue — la loi de la valeur —, n'en détermine univoquement la structure qu'à l'intérieur de certaines limites ; l'étud e des fluctuations à
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l'intérieur de ces limites, qui nécessite l'étude de la distribution et de la consommation, n'est donc qu'une détermination complémentaire et subordonnée de la loi de répartition. sous-articulation n'estgénéral, pas fondée le concept de La mode de production I en avec sur ses « moments » que l'on pourrait retrouver partout sous le même nom, et qu'il faudrait exposer dans le même ordre quel que soit le mode de production étudié. Elle est fondée sur la structure spécifique de la répartition du travail social dans le mode de production capitaliste : la première partie de la sous-articulation 1 est consacrée à la dominante de la stru ctur e, ou loi de la valeur ; la deuxi ème par tie est consacrée à un ensemble subordonné dont Marx situe exactement la place, amorce la production théorique, mais auquel il serait hasardeux de donner un nom, puisque l'élaboration théorique en est incomplète.
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VI. -Définition de l'articulation II
L'articulation II répartit donc l'étude du mode de pro duction capitaliste en la théorie du procès de travail spé cifique et en la théorie de la répartition spécifique du travail social. Les deux éléments sont bien complémen taires dans la mesure où la répartition du travail social ne peut être définie qu'à partir du procès de travail social spécifique, et dans la mesure où, pour faire la théorie du procès de travail spécifique, il faut faire tenir à un concept idéologique (la concurrence) le lieu de la théorie de la répartition non encore élaborée. Il va de soi que complé mentarité ne signifie pas équivoque ou, ce qui revient au même, réciprocité complète des déterminations. Si la baisse tendancielle du taux de profit explique rétrospectivement le fait, d'abord expliqué par la « concurrence », que la reproduction élargie soit la loi structurale temporelle, elle n'en détermine nullement le concept. En revanche, la loi de la valeur, comme statique et dynamique la propor tionnalité de répartition du travail social, nede serait abso lument pas formulable, sans les lois structurales du procès de production. Il existe donc bien entre les deux éléments théoriques de l'articulation II un rapport de détermination univoque dont le fondement est exactement celui-ci : dans la théorie de tout mode de production, l'élément théorique ment déterminant est le concept de la structure du procès de production, non point parce que dans la structure du procès d'ensemble, ainsi que le laisse entendre l'Introduc tion de 1857, le domaine de la production est toujours le domaine déterminant, mais bien parce que le concept de la structure du procès d'ensemble ne peut être pro duit qu'à partir du concept de la structure du procès de production. C'est pour cela, également, que le déplace
ment du problème qui, dans les sections I et II, donne au Capital son premier objet sous sa première forme scien tifique détermine en dernière instance l'articulation II, dont nous venons de rendre compte, bien qu'il n'en for mule ni explicitement ni implicitement le principe. Si ce
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commencement est décisif, sans être une prédétermination originaire, c'est à cause de la place théoriquement détermi nante, dans l'élaboration de la théorie de tout mode de production, du concept de la structure du procès de pro duction spécifique.
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VIL - Conclusion Ce travail ne se proposait pas d'autre objectif que de mettre à jour les articulations du Capital et d'en détermi ner les principes. Le prolongement naturel de ce travail de présentation consisterait à produire le concept de la méthode qui que a permis de donner au Nous processus pensée la structure nous avons définie. nous decontente rons d'avoir proposé, à cette tâche théorique majeure, que nous n'avons pas l'intention d'entreprendre dans ces lignes de conclusion, un problème mieux posé. Or, nous avons constaté, en commentant les textes de Marx consacrés à la présentation du plan de son œuvre, que la difficulté pour bien poser ce problème, pourtant élémentaire, provenait en partie de ce que Marx a dit lui-même de sa méthode. Nous sommes partis en effet d'un texte (t. VI, p. 4 7 ) où Marx produit lui-même le concept de l'organisation du Capital. Or, quelle que soit la signification attribuée à ce texte, le concept de l'organisation du Capital qui en découle n'est jamais conforme à son objet (l'ensemble des Capital). Nous nous demande articulations effectives rons simplement, pour du conclure, dans quelle mesure l'ina déquation du concept et de l'objet est inhérente à la pro blématique de ce texte, et non pas seulement à la probléma tique plaquée sur ce texte par des commentateurs pré venus. Pour cela, il suffit de montrer que toutes les interpré tations du texte (passage de l'individuel au global, de l'essence au phénomène, du micro-économique au macro économique) qui se révèlent contradictoires avec leur objet, et contradictions entre elles, ne manifestent ces contradic tions qu'à la condition qu'on les confronte effectivement avec le concept véritable de leur objet. En dehors de cette condition, elles possèdent une cohérence véritable, qui est de l'ordre de l'idéologie, et plus précisément de l'ordre de l'idéologie hégélienne. Or cette cohérence idéologique est aussi le principe unificateur du texte de Marx. L'articulation majeure que nous avons lue — implicite ment — avec tous les commentateurs est fondée sur l'oppo sition « profondeur/surface ». En effet, on peut aisément
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fonder toutes les interprétations divergentes du plan du à partir de cette opposition.
Capital
abstrait/réel microéconomique
macro économique
conséquences logiques
Profondeur
Surface
essence
phénomène
atome
molécule
simple
complexe
Pour retrouver la problématique hégélienne derrière la métaphore de la « surface », il suffit de lire l'identité entre la surface et « la conscience ordinaire des agents de la production eux-mêmes », et de rétablir par conséquent ce que désigne la métaphore absente de la profondeur : ce ne peut être que l'être-non-conscient de la structure, la struc ture < en soi » : « Dans le livre I, nous avons étudié les divers aspects que présente le procès de production, en soi... » Le passage hégélien de l'en-soi au pour-soi rend parfaitement compte du fait de l'être-non-conscient de la structure, la structure « en soi » : passage de l'abstrait au concret, de l'individuel au global, de l'essence au phéno mène. Le texte du livre III (t. VI, p. 4 7 ) est donc fondamenta lement équivoque dans la mesure où il est la formulation encore hégélienne d'un objet non hégélien (l'organisation du Capital) ; dans la mesure où seule la référence impli cite à Hegel peut rendre compte de la cohérence de formu lations de ce texte, et dans la mesure où rien ne permet de rapprocher, même superficiellement, les principes de l'ordre d'exposition hégélien de ceux qui régissent effecti vement l'ordre d'exposition de Marx. Nous avons en particulier montré qu'aucun des enchaî nements du Capital ne peut être conçu selon la méthode dialectique qui a, chez Hegel, la fonction théorique de permettre les transitions théoriques ou passages : aucune des articulations ou sous-articulations du Capital ne peut être comprise en termes d'Aufhebung, d'unité des contrai res, de détermination réciproque. Nous pouvons formuler, pour conclure, un problème : quelle est donc la nouveauté de la méthode d'exposition suivie par Marx pour qu'il soit contraint de l'exposer en
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Présentation du plan du « Capital »
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un langage ancien qui la trahit ? Et pourquoi, pour mesu rer la différence spécifique de cette méthode, Marx l'appelle toujours dialectique, alors qu'aucune des connotations qui font de ce concept, chez Hegel, un concept précis ne peut expliquer vraiment l'ordre d' exposition marxiste ?
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