Du même auteur : Histoire secrète du Pays Basque (Albin Michel).
JULES VERNE, INITIÉ ET
INITIATEUR
MICHEL LAMY
JULE,S VE,RNE, INITIE ET
INITIATEUR La clé du secret de Rennes-le-Château et le trésor des Rois de France
PAYOT, PARIS L06, Boulevard Saint-Germain
tgu
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright @ Payot, Paris 1984.
PROLOGT]E
Il faisait un soleil radieux en i:e matin de I'automne 1968 et, pour la première fois, j'apercevais le üllage de Rennes-le-Château se découpant sur le ciel de I'Aude. Quelque temps auparavant, j'avais
lu un curieux ouvrage, Le
Trésor Maudit de Rennes-le-Chôteau, remarquablement écrit par Gérard de Sède. Etonné, excité par cette histoire, j'étais alors tout à fait incapable d'y démêler le vrai du faux mais j'y sentais confusément l'appel de I'aventure et du mystère. Accompagné de quelques amis, j'avais voulu voir sur place de quoi il retournait. Un trésor fabuleux trouvé par un curé, des tombes truquées, des morts énigmatiques, une église transformée en rébus, des tableaux emplis de signes de pistes, des livres à clés..., tous ces éléments donnaient à l' << affaire de Rennes » un cadre fantastique. Si l'on ajoute à cela le fait que ce petit village de l'Aude est censé détenir le secret de la royauté française, lié au retour du << Grand Monarque » prédit par Nostradamus, chacun comprendra quel parfum de mystère je commençai à respirer en gravissant virage après virage la petite route qui conduit à l'antique Rhedae, ancienne capitale du royaume wisigoth, réduite maintenant à quelques feux.
J'étais cependant bien loin de me douter de ce qui allait m'arriver. Fasciné par ce mystère, par la quête personnelle qu'il représentait, tombé amoureux de ce pays, j'allais chaque année revenir dans ce petit coin perdu de l'Aude et chaque fois un peu plus longuement. Il faut dire que cette terre est envoûtante, elle est un microcosme où chacun peut se découvrir lui-même, à ses risques et périls. Terre de contraste, aux collines rouges écrasées de soleil
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pRor.ocuE
ornées de genêts d'or, et aux vallées fraîches, verdoyantes et ombreuses où coule l'eau de torrents déjà presque pyrénéens. Terre de langue d'oc et de foi cathare, terre de pics et de vent, terre de grottes et de minerais précieux, terre d'ocre et de sel. Patiemment, durant des années, j'allais réunir les documents ayant trait de près ou de loin à l'affaire de Rennes et à l'histoire de cette région. J'allais étudier les textes et les monuments, procéder à des recoupements, séparer le bon grain de I'ivraie (car les << faux sont nombreux dans cette affaire) et me faire peu à peu une idée plus précise sur cette énigme. Quelques hypothèses avaient germé et fait leur chemin en moi. Je pressentais un certain nombre de liens entre la région du Razès et les doctrines exposées par les Sociétés Secrètes les plus hermétiques. L'une de ces hypothèses concernait le royaume de l'Agartha. Il me manquait cependant certains éléments pour être str de me trouver sur la bonne voie. Un jour, le marquis Philippe de Cherisey, l'un des meilleurs spécialistes (1) de Rennes-le-Château, me signala l'existence d'un lien possible entre cette affaire et Jules Verne qui avait donné à I'un de ses personnages de roman le nom d'une montagne de la région. De quoi rêver ! Le seul nom de Jules Verne réveillait en moi des souvenirs d'enfance. Je voyais défiler dans ma mémoire la douce Nell, héroihe des Indes Noires, le capitaine Nemo et le Nautilus, Wilhelm Storitz l'homme invisible, je voyais Michel Strogoff errer dans sa nuit, alors que la silhouette du Château des Carpathes se découpait sur un ciel rougeoyant. Jules Verne mêlé à l'affaire de Rennes... je ne parvenais pas à y croire. Malheureusement, Philippe de Cherisey ignorait le nom du roman concernant cette aventure et je me sentis quelque peu frustré par cette << information » partielle. Le hasard, ou la providence, faisant bien les choses, peu de temps après, j'eus la chance de trouver dans une bibliothèque une édition originale de Clovis Dardentor et d'y découvrir le personnage dont m'avait parlé Philippe de Cherisey. J'empruntai l'ouvrage et le photocopiai, puis je commençai à Ie << travailler ». Très vite, j'acquis la conviction que la piste était sérieuse et que Jules Verne détenait les clés du mystère de Rennes et du Trésor des Rois de France. Plusieurs années me furent encore nécessaires pour étudier en détail la vie de Jules Verne et retrouver les liens qui l'unissaient à >>
(r) Auteur
d'un fort curieux ouvrage intitulé Circuir.
PROLOGUE
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des sociétés initiatiques. L'énigme de Rennes m'avait éclairé sur Jules Verne, Jules Verne allait m'éclairer sur l'énigme de Rennes. C'est ce double mystère Évélé que je livre aujourd'hui dans cet ouvrage à travers la vie et l'æuvre de Jules Verne.
PREMIÈRE PARTIE TULES VERNE INITIÉ ET INITIATEUR : UNE @UVRE AU SERVICE
DE LA
FRANC.MAÇONNERIE
I LE LAI\GAGE CODÉ DE JULF§ VER}IE OU LA FOIRE AUX ÉI\IIGMT§
Lc mystère tules Verne. Oui ! Il existe bien un mystère Jules Verne... ou plus exactement plusieurs. Le premier, celui qui vient à I'esprit de tous, concerne
son don de prévision. Jules Verne précurseur de la science moderne, Jules Verne prophète, ont même dit certains, Jules Verne père de la Science-Fiction. Oui ! bien sûr, mais cet aspect de son æuvre ne doit pas être exagéré et ne doit surtout pas servir à cacher l'essentiel. En fait, si l'on considère l'ensemble de ses nomans, assez rares sont ceux qui décrivent des machines futuristes, eI encore, celles-ci ne doivent-elles pas grand-chose à son imagination, à de rares exceptions près. Ainsi, le sous-marin de 20000 lieucs sous les mers a été précédé de 74 ans par celui construit par Fulton, I'hélicoptère de Robur le Conquérant existait dans la éalité dcpuis 23 ans (même si les résultats enregistrés dans la pratique n'étaient pas aussi spectaculaires), la télévision du Château des Carpathes doit tout au phonographe d'Edison et au kinétoscope, ses aînés. Ajoutons à cela que Léonard de Vinci et Cyrano de Bergerac ont mis en évidence les principes qui président à la plupart de ces machines plusieurs siècles auparavant. Jules Verne s'est généralement servi d'inventions qui existaient déjà, au moins à l'état de prototypes, et il a eu I'intelligence d'en prolonger les effets, d'imaginer ce qu'elles pourraient donner après quelques décennies d'améliorations et de mises au point. Tout cela tient donc plus de la projection que de I'invention et ce n'est pas là, sans doute, qu'il faut chercher le grand secret de Jules Verne. Pas plus
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LE rÂNcAcE coDÉ DE JULEs vERNE
d'ailleurs que dans nombre de thèmes abordés par cet écrivain puisqu'il les « emprunta » bien souvent à d'autres, qui ne manquèrent d'ailleurs pas de protester, parfois. Pourtant, s'il n'y a pas de mystère « visionnaire » de Jules Verne, §on euvre contient tout de même je ne sais quoi qui force à la passion. Michel Butor en dit : « Tout le monde a lu Jules Verne et a éprouvé cette prodigieuse puissance de faire rêver qui fut le partage de son génie, érudit et naïf ; les mythes que Jules Verne nous exposait, dans son langage précis, nous habitent encore. » Quant à Rudyard Kipling, il écrivait : « Donnez à un petit Anglais la moitié de Vingt-mille lieues sous les mers à lire dans sa langue maternelle, et présentez-lui I'autre moitié en français, il se débrouillera bien pour essayer de comprendre. » On n'en finirait pas de citer les hommages faits en ce sens. D'où vient cette fascination ? De l'art de l'écrivain ? Bien str, mais jc n'ai jamais cru que cela pût être suffisant. Un bon roman, avec des caractères bien décrits, une action bien amenée, etc., intéresse, pousse à la réflexion, mais ne provoque pas pour autant la fascination. Il faut pour cela que I'auteur entraîne le lecteur dans le monde du rêve, monde des phantasmes ou monde de la connaissance intérieure, profonde, des archétypes et cela même (et peut-être surtout) si ledit lecteur n'en est pas conscient. Ce rêve, Jules Verne le provoque et même l'impose. Qu'importent les machines, elles ne sont qu'un attirail propre à casser le rythme quotidien, à entraîner l'esprit hors des sentien battus et des préoccupations vulgaires. Plus moyen de se rattacher au tangible, à la réalité, celle-ci bascule dans le fantastique. On ne sait plus très bien si le château des Carpathes est animé par une machinerie ou s'il est habité par le diable, si le Nautilus appartient au monde des navires ou à celui des monstres marins, si I'Albatros est un engin volant ou un oiseau fabuleux digne des Mille et une Nuits. Quant à l'éléphant à vapeur, n'en parlons pas. I-a machine rassure face à l'irrationnel, mais elle porte en elle le germe même de celui-ci et cettc sensation devait être bien plus puissante encore à une époque où I'existence de tels engins n'était oonnue que d'un tout petit nombre de personnes. Par cet artifice, Jules Verne déroute le lecteur, lui ôte sa méfiance, et le conduit pas à pas au fin fond de lui-même, sans même qu'il s'en rende compte. La dernière page tournée, on sort du rêve avec un arrière-gott nostalgique et I'impression d'avoir
ou LA FoIRE AUx
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entrevu, l'espace d'un instant, quelque vérité profonde enfouie quelque part. Mais revenons au mystère Jules Verne avant d'élucider celui de l'æuvre.
Le secret que lules Verne ne devait pas révéler.
La fin de sa vie semble avoir été marquée par une profonde solitude morale, une bien curieuse mélancolie, et nous y reviendrons. Mais toute son existence s'inscrit sous le signe de l'inconnu. Sa femme, Honorine, le sentait hanté de quelque mystère incompréhensible qu'il ne voulait partager avec personne et qui paraissait parfois l'étouffer. D'autre part, pourquoi Jules Verne, avant de mourir, a-t-il brtlé des centaines de lettres, de papiers intimes, des manuscrits inédits et ses livres de comptes ? Etait+e pour oublier quelque face cachée de sa vie privée, et pour que personne n'en découvre I'existence après sa mort ? N'existait-il pas plutôt une autre raison ? Que sont devenus également les 3000 ou 4000 mots carrés et logogriphes qu'il écrivit en 1866 et légua à son fils Michel ? Qui les a détruits ? Sont-ils vraiment perdus ? Ne détenaient-ils pas les clefs essentielles de son euvre? En tout état de cause, la volonté que Jules Verne a manifestée de détruire ses papiers avant de disparaître lui-même ne peut que cacher un secret important. « Qu'est-ce qu'un homme ? C'est ce qu'il cache ! », disait Malraux. Certains ont voulu trouver dans la üe privée de Jules Verne la clef de cette énigme et ont attribué à une passion inavouable ce goût du secret. Jules Verne, pour tout dire, aurait été homosexuel. Billevesées et fariboles ! Qu'il est dangereux ce « complexe freudien » qui fait que de nombreux biographes ne peuvent plus expliquer la personnalité de quelqu'un sans tout rapporter aux choses du sexe et plus encore à leurs déviations. Pour les fanatiques
de la psychopathie, toute parole, tout écrit, devient fatalement le
prolongement de I'inconscient refoulé et si l'on entre dans ce système, on en arrive à dire que ce qu'écrit un auteur est précisément ce qu'il ne voulait pas écrire. Il est vrai que le calembour, par exemple, sert parfois de soupape de sécurité à l'inconscient, comme le rêve, et, pour parler comme Marc
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LE LANcAcE coDÉ, DE JULEs
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Soriano (') , Les calembours apparemment gratuits se révèlent à " l'analyse agressifs, c'est-à-dire réaffirment les droits de la pulsion censurée par le Sur-Moi social et constituent un retour du refoulé relativement socialisé par la connivence due à la brusquerie de I'attaque. » Et en prime, vous avez sans doute l'âge du capitaine.
Non, soyons sérieux
! S'il est (peut-être) légitime de vouloir
psychanalyser un auteur, ce n'est pas là notre propos. D'ailleurs si l'@uvre d'un écrivain appartient à tous ses lecteurs, il n'est pas
certain que son inconscient les regarde. De plus, l'approche psychanalytique est généralement stérile car celui qui écrit un roman n'est pas I'homme tout entier, mais seulement une part de lui-même.
Je n'aurai donc pas la perversion de ce voyeurisme moral. Cependant, ce n'est pas sans certains scrupules que j'aborde cet ouvrage, car je vais être conduit à transgresser un interdit, du moins relativement. Jules Verne a plusieurs fois déclaré qu'il fallait le lire et non I'interroger. A un jeune Italien, Mario Turriello, qui lui demandait d'écrire son autobiographie, Jules Verne répondit le 25 mai 7902 par un refus catégorique : « un écrivain n'intéresse son pays ou le monde entier que comme écrivain », disait-il. De même, I'Italien De Amicis, ami de Verdi, qui rencontra Verne en 1895, raconta qu'aux moindres allusions à sa vie ou à son æuvre, il détournait la conversation et ne répondait que fort évasivement aux questions posées plus directement. Aussi, afin de respecter au maximum la volonté de Jules Verne, c'est seulement à son @uvre et à sa vie publique que je demanderai de nous éclairer. Cela, en tant que lecteur, nous en avons tous le droit, et même le devoir. Mais jusqu'où est-il permis d'aller ? Si cette interrogation doit amener à découvrir une paftie du secret de Jules Verne, est-il légitime de le révéler? J'ai longtemps hésité avant d'écrire ce livre, mais le pas est franchi. Que ses mânes me pardonnent si j'outrepasse le rôle qui est dévolu à ses lecteurs. Mais pour débusquer les secrets des voyages extraordinaires, encore fallait-il en trouver la clé.
(I) Dont le livre Ze Cas Veme mérite cependant
d'être lu.
ou LA FoIRE AUx Le Trobar Clus et la langue
Éxrcuns
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des oiseaux.
Le passe-partout qui ouvre les portes de connaissances bien mystérieuses existe; il est contenu dans l'æuvre même et plus particulièrement dans le langage qu'emploie l'auteur : langue initiatique, langue des oiseaux, digne de celle des troubadours du
xnf
siècle.
C'est dans les combinaisons numériques et les associations de sons que réside pour une grande part la clef du coffre-fort vernien. En voilant volontairement un enseignement secret sous les paravents du langage, Jules Verne a donné à tous ses lecteurs la possibilité de le découvrir, tout comme ses héros sèment toujours derrière eux quelques éléments permettant de percer leur propre mystère (2). Ce n'est pas son inconscient qu'il dévoile derrière les mots, il est trop méticuleux dans sa façon d'écrire, dans ses recherches, pour se livrer ainsi. Non, il ne se trahit pas, il écrit exactement ce qu'il veut écrire, un point c'est tout. Derrière le texte apparent, transparaît, pour qui sait le lire, un autre texte, combien plus passionnant encore.
Pour permettre à chacun de s'attaquer sans aucune aide au décryptage des romans de Jules Verne, je vais être amené à faire une légère digression sur les méthodes d'écriture cryptographique, méthodes assez simples en l'occurrence puisque nous les pratiquons tous de temps en temps sans même nous en rendre compte, un peu comme M. Jourdain raisait de la prose sans le savoir.
Le goût de la farce et du bon mot. Jules Verne a toujours eu le goût de la farce, de la trouvaille et
du calembour. La tradition familiale est tormelle sur ce point; adolescent, il était un boute-en-train et ne cessait de plaisanter. (2) Mystère de Jules Verne, mystère de chaque personnage. Le mystère colle tellement à la peau de I'auteur que I'on en a même rajouté parfois à plaisir. Ainsi, on a fait courir le bruit que Jules Verne n'existait pas et que son nom recouvrait la raison sociale d'un groupe de nègres au service de l'éditeur Hetzel. On a également mis en doute ses ascendances pourtant fort claires, en lui prétendant des ancêtres juifs, polonais, etc.
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LE LANcAcE coDÉ, DE ruLEs
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L'un de
ses premiers calembours porta sur son propre nom. Songeant avec dépit au prétendant de sa cousine, laquelle faisait l'objet de ses pensées amoureuses, amusé par le fait que celui-ci se nommait Cormier, nom d'arbre tout comme Verne (3), il s'apitoyait sur lui-même en disant : « de quel bois est fait ce pauvre jeune homme qu'on appelle Jules Verne ». IJne autre fois, il vanta les inneffables perfections de Mu" Lucie Laënnec, parce que << Là est I'nec plus ultra. » Calembours et anagrammes qui emplissent son æuvre faisaient donc partie également du quotidien de sa vie. Outre les jeux auxquels il s'amusa à propos de son propre nom (a), il faut citer un épisode qui marqua sa jeunesse. Le jeune Jules üvait à Nantes et ne cessait de songer aux grands bateaux qui partaient pour des îles lointaines emplies de plantes, d'animaux et d'êtres fabuleux. Un jour, n'y tenant plus, il décida de s'y embarquer et, sans rien dire à ses parents, il s'arrangea avec un mousse pour que celui-ci lui cède sa place sur un navire en partance. Sa disparition découverte, son père eut juste le temps d'aller le récupérer avant que le bateau atteigne la pleine mer. L'affaire se termina par la promesse, diton de source familiale, faite par le jeune Jules de ne plus voya-
ger qu'en rêve. Mais le plus curieux de cette affaire est que l'enfant déclara s'être embarqué sur la « Coralie >» pour aller chercher au loin un collier de corail pour sa cousine Caroline. Coralie, corail, Caroline, magie des sons, identité et assimilation des rêves.
De même, ses lettres écrites tant à ses parents qu'à son éditeur sont truffées de bons mots. Débordé de travail, à l'époque où il vit à Amiens, il écrit à son éditeur et signe : << votre bête de Somme ,r. Une autre fois, jeune homme désargenté vivant à Paris, il écrit à sa mère pour la remercier de lui avoir envoyé des mouchoirs neufs et, pour ce faire, il délègue son nez qui dit toute sa gratitude d'être aussi bien traité, et signe Nabuco. Les facéties jaillissent à chaque page de sa correspondance familiale. Dès ses tout premiers romans, cet esprit se manifeste. On en trouve les traces dans une æuvre de jeunesse : I'action se passe près d'une basilique et ce roman qui est axé sur I'hermétisme a pour cadre les rues de la Clavurerie (clavé = la clé) et de l'Emeri (rappel (3) Verne est le nom celtique de I'aulne. (a) Verne, caverne, averne, etc.
ou LA FoIRE Ar,rx ÉNrcurs
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d'Hermès et de I'hermétisme) (s); là, suivant le chemin des Escholiers (sinon des adeptes), les personnages parviennent à décrypter un message satanique par l'intermédiaire de la sorcière Abraxia (l'Abraxas est un pentacle gnostique); à noter également un tueur nommé Mordhomme.
Cela est typique de toute l'æuvre vernienne, tout comme est représentatif le pseudonyme sous lequel il signa un ouwage intitulé Le Chemin de France; Natalis Delpierre, dans lequel il faut sans doute voir : né du lit de Pierre, ou né de Pierre (nom de son père).
La recette éprouvée d'un langage argotique.
Il faut cependant dire que Jules Verne ne fut pas le seul de son temps à s'amuser ainsi. Peut-être même s'est-il inspiré d'un ouvrage du xvtn" siècle attribué à Swift ou à Sheridan et qui s'intitulait en français : L'Art du jeu de mots, la fleur des langues en soixante-dix-neuf règles pour le perfectionnement illimité de la conversation et le soutien de la mémoire, fruit du labeur et de I'industrie de Tom-Pun-Srb, (6). Les règles définies dans ce traité montrent bien I'immense degré de liberté toléré par l'art du calembour. Rien n'interdit par exemple de se servir de langues étrangères pour utiliser leurs sonorités approximatives. Ainsi, la phrase anglaise « Tom where are you » pourrait phonétiquement représenter le mot « temeraria ». Ces à peu-près sont souvent très difficiles à déceler. Heureusement, Jules Verne est généralement plus précis. Ainsi, dans Bourses de Voyage, un personnage propose de traduire la phrase latine « Rosam angelum letorum » dont la lecture phonétique donne tout simplement : .. Rose a mangé I'omelette au rhum. On peut déceler des jeux de ce type cbezBahac, George Sand, ou encore Victor Hugo qui composa ce distique : »>
Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses Danse, aime, bleu laquais, ris d'oser des mots roses.
(5) Sans oublier que ce roman à clé n'est pas fait pour ceux qü sont « bouchés " " à l'émeri ». (6) Titre primitif : Ars punica sive llos linguarum.
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LE LANcAcE coDÉ DE rur,Es
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En fait, ces amusettes, qui nous étonnent maintenant, étaient tout à fait courantes à l'époque et les almanachs (7) bourrés de calembours avaient énormément de succès. Depuis, des auteurs comme Alphonse Allais ont donné au style le caractère d'un amusement pur et simple. Mais le jeu fut parfois plus sérieux qu'on ne le pense. Les jeux d'esprit, au Moyen Age, faisaient partie du bagage des troubadours et des trouvères. Ils
permettaient l'emploi d'un langage allégorique masquant des déclarations qui auraient été de nature à envoyer leurs auteurs au bûcher (*). Bt l'art du Trobar Clus consistait précisément à découvrir le double sens de ces textes cryptés. D'où les appellations de troubadours et trouvères : ceux qui << trouvaient » et découvraient le trésor caché du langage. Rabelais fut en ce sens un véritable troubadour et toute l'époque de la Renaissance vit fleurir des æuwes bourrées de jeux d'esprit. Le premier recueil d'énigmes
à proprement parler qui ait été publié en France fut sans doute I'ouvrage très hermétique d'Alexandre Sylvain, dont le nom cache l'appartenance à une société plus que discrète. Mais c'est surtout au xvrf siècle que fleurit le style, à tel point qu'un héraldiste fort célèbre, le père Jésuite Claude-François Menestrier (1631-1705), publia en 1694 un ouvrage intitulé : Za philosophie des images énigmatiques, dans lequel, après quelques
remarques relativement brèves, d'ordre général, sur l'énigme, il s'étend particulièrement sur son emploi sous toutes ses formes : anagramme, rébus, etc., dans les armes parlantes de la noblesse, alors fort en honneur non seulement dans la noblesse, mais aussi parmi les bourgeois (e). tt écrivit également un livre dédié à Mgr le Chancelier Séguier, intitulé : Devises, emblèmes et anagrarilmes (16se).
L'un des systèmes les plus souvent employés par Jules Verne fut partir d'un autre mais peut aussi jouer sur une phrase entière. Quelques anagrammes historiques sont particulièrement célèbres : « Révolution française » ne peut-il se transposer en « Un veto corse la sans doute I'anagramme (to), qui permet de former un mot à
(7) Dont le plus célèbre est sans doute l'Almanach Vermot, fondé par des francsmaçons.
(8) Ce fut particulièrement vrai des troubadours de Languedoc pendant et après la Croisade contre les Albigeois. (e) Cf. Marcel Bernasconi, Hisroire des énigmes (P.U.F.). (tt') Du grec « ana » (retournement, renversement) et « gramma » (lettre).
ou LA ForRE AUx Éxrcrurs
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finira. » Cet exemple est intéressant car il montre que I'anagramme n'est pas gratuit et que le résultat doit être en rapport avec le sujet de départ. En fait, avant d'être un jeu d'esprit, il s'agissait d'un jeu sacré dont on attribue I'invention au Grec Lycophron de Chalcis (poète vivant au rn" siècle avant Jésus-Christ) mais qui semble bien dériver de la très ancienne onomatomancie, méthode de divination par les noms. Les anciens croyaient fermement que le sort des
hommes était indissolublement lié à leur nom, non pas que ce dernier influe sur l'homme malgré lui, mais parce qu'il existait une correspondance obligatoire entre les deux. C'est pourquoi, lorsqu'un individu était initié, il changeait de nom, ce qui est encore vrai pour les ordres religieux. D'ailleurs, de nombreux saints ne se
sont vu attribuer des vertus particulières qu'en fonction de leur nom : saint Clair guérit les yeux, par exemple. La cabale permettait une interprétation des qualités de l'individu à partir de son nom et l'on ne doit pas s'étonner dès lors que des catholiques aient vu le cinquante-cinquième (LV) Caïn dans Calvin. Les mots Janus (1r) ne sont qu'une variété d'anagrammes consistant à lire le mot à l'envers aussi bien qu'à I'endroit. Ainsi en est-il du mot radar. On peut trouver d'autres variétés de l'anagramme dans la contrepéterie et le verlan, sorte d'argot consistant à lire un mot à I'envers. A ces styles s'apparentent de nombreux noms utilisés par Jules Verne; ainsi Michel Ardan cache le nom de son ami Nadar et Hector Servadac est le retournement de « cadavres ,r, le prénom étant I'anagra.mme de << torche ». Et ceci n'est pas un hasard, tous ceux qui sauront lire ce roman entre les lignes comprendront. Très proche de l'anagramme, le métagramme autorise quant à lui le changement d'une lettre dans un mot (exemple : tente et tante); quant au logogriphe, il donne encore plus de possibilités en permettant de former tous les mots que l'on veut à partir d'un terme de base qui les contient. Ainsi, avec orange, peut-on faire ange, rogne, rang, ogre, rage, gare, orage, onagre, etc. Nous nous en tiendrons là dans cette énumération de mots d'esprit, mais il en est bien d'autres. Si nous nous sommes attardés quelque peu sur ceux-ci, c'est qu'ils sont le lot quotidien de Jules Verne, qu'ils participent à son écriture et, surtout, servent bien souvent à révéler d'importants secrets tout en les masquant. (11) Janus est un dieu à double-face.
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méthode ,, lules Verne.
Jules Verne est un véritable maître du genre; chez lui, le jeu se porte souvent sur le nom des personnages (12).
On peut trouver des constantes, d'ailleurs, dans ces noms propres. Ainsi, le thème de l'axe que l'on rencontre dans Axel du Voyage au centre de la terre et dans Aronax de 20000 lieues sous les mers.ll est vrai que I'axe fait partie des obsessions verniennes (r3). Parfois, le nom du personnage est lié à sa fonction. Ainsi Tom Turner fait .. tourner » la machine de I'Albatros. Ce dernier, vaisseau de I'espace de Robur-le-Conquérant, se voit d'ailleurs qualifié par son maître de navire-oiseau, jeu de mot sur le terme latin « avis » (oiseau) auquel le N ajouté donne Ie sens de bateau : << navis ». Quant à Robur lui-même, on peut le retourner et le lire en palindrome : rubor. Parfois, les jeux de mots sont de simples plaisanteries. Robert Pourvoyeur nous rappè[e les noms curieux de certains personnages : T. Artelett, Ox et Ygène, Parazard, Gil Braltar, etc., ou encore Jovita Folley, fille joviale et follette. D'autres fois, le langage se complique. Ainsi, dans Voyage au Centre de la Terre,les héros sont confrontés à un texte latin écrit à I'envers. Une signification en sera donnée, mais Axel y découvrira également des mots anglais, hébreux et français. << Quatre idiomes différents dans cette phrase absurde ! Quel rapport pouvait-il exister entre les mots glace, monsieur, colère, cruel, bois sacré, changeant, mer, arc ou mère ? » Clin d'æil de Jules Verne car ces mots annoncent en fait le déroulement du voyage qui va suivre : Axel se rendra dans un pays de glace avec son oncle, un monsieur coléreux semblant parfois cruel par les épreuves qu'il lui impose, il découvrira une mer intérieure et un bois sacré. Il reviendra changé du voyage au sein de la terre-mère et amoureux tel un enfant de la race de I'arc, c'est à la mer que la terre le rendra avant qu'il épouse sa cousine. Un hasard ? Non ! En effet, une confirmation nous est (r2) Ceci est tout particulièrement vrai dans « La famille raton », (") Cf. Sazs dessu,s dessous. Curieuse également la fréquence des sons CAR ou SACR chez les noms des bandits verniens: Scarpante, Carcante, Carpena, Sarcany, Sacratif. Est-ce pour faire d'eux des sacripants?
ou LA ForRE AUx
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donnée si I'on cherche un peu plus loin. En relisant le texte latin toujours à I'envers, on découvre d'autres mots dont Axel n'a pas parlé : mur, serre, lac et trac, annonçant des épisodes importants : le bloc qui arrête les voyageurs, la forêt tertiaire, Ia mer souterraine et le vertige d'Axel. Jeu de mots, donc, mais aussi jeu de l'écriture puisque le cryptogramme reproduit, en miniature, le roman. Ce procédé a été nommé par André Gide une « mise en abyme » par analogie avec I'héraldique. Mais, il convient de le rappeler, ce sont souvent les noms des personnages qui fournissent les clés essentielles des romans de Jules Verne, tel Orfanik qui, dans le Château des Carpathes, nous ramène au mythe d'Orphée. On se doit de citer également ce roman scientifique basé sur l'axe et le cercle qu'est Sans dessus dessous, dans lequel le mathématicien français se nomme Alcide Pierdeux, nom propre à nous donner la surface du cercle (rR2) et que ses collègues traduisent par le sobriquet d'Alcide Sulfurique.
Attention
!
Un jeu de mots peut en cacher un autre.
Jules Verne est un véritable orfèvre en ce qui concerne les mots à double sens, essence même des calembours, <( cette fiente de l'esprit qui vole », comme I'a défini Hugo. Il y a à cela une bonne
raison : ces mots font image, ils frappent I'esprit et s'imposent parfois à la mémoire comme une sorte d'obsession (14). Et, à propos d'obsessions, il faut noter que Jules Verne profite des jeux de mots pour faire un certain nombre de plaisanteries quelque peu osées pour l'époque, voire même franchement de mauvais goût.
Il
écrit un jour à sa mère :
« J'épouse la femme que tu me j'épouse yeux fermés, la bourse ouverte », et cela les trouveras, n'est pas exempt de sous-entendus car ses plaisanteries, si elles ignorent la licence, admettent parfaitement la scatologie, comme le fait remarquer Jean-Jules Verne. De même, quoique le sujet soit semble-t-il sans grande équivoque, on peut se poser des questions sur le titre du texte : Dix heures (14) Ainsi le
Christ.
élèbre : « Tu
es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » du
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LE LANcAcE coDÉ DE ruLEs
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chasse. Dans Chôteau en Californie, la bonne, Catherine, spécialiste des à-peu-près et autres lapsus, ne dit-elle pas : << la queue sur la main >>, au lieu du ceur sur la main ? Mais... attention ! Un jeu de mot peut en cacher un autre ! Certains calembours de Jules Verne possèdent non pas un double, mais un triple sens. Marc Soriano pense qu'il s'agit alors de se dédouaner; mais non, ce n'est pas le sens grivois qui est masqué par I'autre, c'est tout le contraire. Le lecteur s'arrêtera souvent à la grivoiserie lorsqu'il découvrira le calembour et il ne lui viendra pas à l'esprit de chercher plus loin, là où précisément se trouve le véritable sens; Celui-ci se trouve donc doublement occulté. C'est particulièrement le cas dans Cloüs Dardentor où I'on peut, nous le verrons, découvrir le véritable sens caché derrière la gauloiserie, laquelle joue sur Dard en or (Dardentor) et désirant d'elle (Désirandelle). Le trésor des mots chez Jules Verne débouche en fait sur bien d'autres trésors que sur des plaisanteries plus ou moins vulgaires.
en
II LE TRÉSOR EST DANS LE
CERCLE
La langada, prototype des romans cryptographiques
de
lules Verne.
La caractéristique essentielle du langage initiatique de Jules Verne réside dans l'emploi du cryptogramme. Souvent le roman débute par un grimoire indéchiffrable trouvé par hasard ou découvert dans une bouteille jetée à la mer par un naufragé, ou véhiculé par un pigeon blessé, etc. Le message, toujours incompréhensible a priori, est la clé du roman, c'est de son déchiffrement que jaillira la lumière et c'est autour de lui, bien souvent, que s'articulera le récit. Jules Verne nous dicte ainsi ce que doit être notre attitude en tant que lecteurs : nous n'avons pas affaire à des livres communs, mais à des sortes de cryptogrammes géants qu'il nous faut décrypter. C'est là le rôle héroique de questeur du Graal que Jules Verne nous réserve. Ainsi en est-il de La Jangada, qui débute sur le texte d'un message incompréhensible dont dépendent la vie de I'un des héros et les conditions d'existence des autres. C'est seulement à la fin que le logogryphe sera décodé et toute l'action se déroulera dans ce contexte de labyrinthe. Résumons l'histoire en quelques mots, Joam Garral, nom sous lequel se cache un condamné à mort : Joan Dacosta, va décider de se remettre entre les mains de la justice, et tenter de prouver son innocence afin que sa famille, qui ignorait tout, n'ait jamais à rougir de lui. Marié à Yaquita, il a deux enfants : Benito et Minha (laquelle doit épouser un ami de son frère : Manoel Valdez). Mais Joam est la victime d'un maître chanteur auquel il refuse de céder.
26 Il l'éconduit
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alors que I'aigrefin possède la preuve de son innocence. Cette preuve sera récupérée sur le cadavre du malandrin, mais il s'agit d'un cryptogramme et le Juge Jarriquez, convaincu de la bonne foi de Joam, cherchera à en percer le secret. Il aura beau employer les méthodes préconisées par Poe (1), il ne parviendra pas à le décrypter. La solution sera apportée par le barbier Fragoso ('). A propos de ce penonnage il sera fait allusion à un perruquier célèbre : Léonard, et ce choix n'est pas gratuit, il nous renvoie au plus célèbre des * l6snard
>'
: Vinci,
dont le juge
Jarriquez appliquera la méthode en tentant de lire le cryptogramme à rebours (3). Renvoi permanent d'une piste à une autre, ce labyrinthe a son fil d'Ariane. Fragoso, le sauveur final, a lui-même été sauvé au tout début du roman par une jeune fille; celle-ci,
suivant une liane, trouva au bout le barbier pendu et prêt à succomber; la jeune fille se nommait Lina. La conclusion de l'histoire, c'est Fragoso qui la donnera à Ia fin du roman : << A une lettre près, LINA, LIANE, n'est-ce pas la même chose ? » A propos, à une lettre près, GARRAL, GRAAL, n'est-ce pas la même chose ? Comme le dit le juge Jarriquez à propos du cryptogramme, le plus important se trouve souvent dans le dernier paragraphe et, ici, Fragoso nous permet de trouver par analogie une clé du roman. Celui-ci tourne à ce point autour du cryptogramme que Jules Verne fait du juge Jarriquez un spécialiste en la matière : « lui, le chercheur de combinaisons numériques, le résolveur de problèmes amusants, le déchiffreur de charades, rébus, logogriphes et autres ». « Voilà donc qu'il avait devant les yeux un cryptogramme ! Aussi ne pensa-t-il plus qu'à en chercher le sens. Il n'aurait pas fallu le connaître pour douter qu'il y travaillerait jusqu'à en perdre le manger et le boire. » Portrait du juge Jarriquez ou autoportrait ? Toujours est-il que Jules Verne en profite pour exposer dans le détail les méthodes les plus courantes sur lesquelles sont fondés les messages secrets.
1r) Jules Verne écrit : « [æ magistrat qü avait souvent lu et relu u son, Scarabéc d'or connaissait bien les procédés d'analyse minutieusement employés par Edgar Poe.
,
Dont le nom, FRAGOSO, rappclle celui d'un autre barbicr fort célèbre : FIGARO. (3) Léonard dc Vinci écrivait ses traités de tclle façon qu'il fallait un miroir pour les lire. 12)
LE
TRÉSOR EST DANS
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N
Hetzel avait été particulièrement effrayé par l'importancê que prenait la cryptographie dans La langada et Jules Verne dut promettre à son éditeur d'essayer de limiter un peu la place dévolue aux chiffres dans I'ouvrage. Mais il insista tout de même sur I'importance de ceux-ci : << Pour moi la chose intéressante, l'originalité du roman doit être dans toutes les tentatives faites pour lire le document. Dans Le Scarabée d'Or, îouvelle qui n'a que trente pages, les chiffres en remplissent dix, et Edgar Poe sentait bien que tout l'intérêt était là, et cependant il ne s'agissait pas de la üe d'un
homme.
>>
Jules Verne était d'ailleurs particulièrement fier de son crypto-
gramme de La langada et le croyait capable de résister à toute tentative d'élucidation pour qui ne connaîtrait pas la clé a priori. Et pourtant, le roman paraissant en feuilleton, un lecteur trouva la solution bien avant qu'elle soit donnée par Jules Verne. Le
romancier crut tout d'abord à une indiscrétion venant de son éditeur. Ce n'était pas le cas et Verne tint à rencontrer le perspicace lecteur afin que celui-ci lui explique comment il avait trouvé la solution. A I'issue de I'entretien, plein d'admiration, il ne cessait de répéter : .< Quelle puissance d'analyse; j'en suis üttéralement confondu ! »
L'æuvre de lules Verne est un gigantesque message chffié.
Les cryptogrammes abondent dans toute l'æuvre de Verne. Ainsi, dans Les Enfants du Capitaine Grant, c'est un texte triple, rédigé en trois langues différentes, qui prend la forme d'un message codé, les manuscrits ayant été détériorés par I'eau de mer. Leur interprétation ressemblera à la construction d'un puzzle et les erreurs successives entraîneront les héros d'un bout du monde à l'autre, le seul renseignement immuable étant le parallèle terrestre sur lequel s'est produit un naufrage. Seul le hasard permettra d'ailleurs de retrouver le Capitaine Grant. Ceci est remarquable car c'est pratiquement toujours le hasard, ou plutôt la Providence, qui permet de décrypter le message chiffré, et non le labeur de I'homme; mais cette Providence intervient comme récompense à l'opiniâtreté des héros verniens dans leur Queste. Contrairement à oe que certains ont écrit, la main de Dieu plane sur les voyages extraordinaires.
28
LB TRÉsoR Esr DANs LE cERcLE
Dans Mathias Sandorf, un cryptogramme déchiffrable à I'aide d'une grille est une fois de plus à l'origine de toute l'histoire et Jules Verne s'étend longuement sur l'utilisation des grilles dans le codage
des textes. Dans L'Eternel Adarn, c'est un savant du futur qui déchiffre le message rédigé, par les derniers survivants d'un cataclysme à l'échelle planétaire, c'est un peu le testament spirituel de Jules Verne que contient ce << rébus indéchiffrable »» et lo << Zartog Sofr-Aï-Sr » mettra plusieurs années à le comprendre. Gageons qu'il faut aussi bien des années d'études assidues pour décrypter l'ensemble des Voyages extraordinaires. Les cryptogrammes interviennent bien entendu de la même façon dans les Miriftques Aventures du Capitaine Antifer,le Voyage au centre de la Terre, etc. Mais en fait tout le langage de Jules
Verne est codé et, à la limite, tout le roman devient message chiffré, plein de clins d'æil, de signes de connivence. Un jeu de mots au départ suffit parfois à générer et à résumer I'intrigue tout entière. Le but de tout cela est bien str le divertissement mais pas seulement, et souvent, pourrait-on dire : pas essentiellement. L'Ouroboros et l'obsession du cercle,
Il est un curieux personnage qui applique les mêmes systèmes et structures narratives que Jules Verne et sur lequel le père du Tour du Monde en Quatre-Vingts lours exerça une influence profonde : il s'agit de Raymond Roussel. Auteur curieux, qui vécut de 1877 à 1933, Raymond Roussel était milliardaire. Il occupait son temps à écrire de longs poèmes, des romans cryptés, ou des pièces de théâtre dont certaines firent scandale. Il admirait Jules Verne au point d'écrire dans une lettre à Eugénie Leiris : « Demandez-moi ma vie, mais ne me demandez pas de vous prêter un Jules Verne. » << J'eus le bonheur >>, nous dit Roussel dans Comment i'ai écrit « par certains de mes livres, d'être reçu une fois lui à Amiens où je faisais mon service militaire et de pouvoir serrer la main qui a écrit tant d'æuvres immortelles ». << Il s'est élevé aux plus hautes cimes que puisse atteindre le verbe humain (...) O maître incomparable, soyez béni pour les heures sublimes que j'ai passées toute ma vie à vous lire et à vous relire sans cesse. )» Ce n'est pas un hasard si ce vibrant hommage se trouve dans cet ouwage de R. Roussel dans lequel il tient à expliquer comment il a composé la plupart de ses æuvres. Il est bon en effet de s'attarder
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quelque peu aux procédés rousselliens. François Rivière écrit (4) : « En pénétrant dans I'univers de Locus Solus et des longs poèmes de Roussel, on est frappé par le caractère particulièrement étouffant, de préméditation délirante, d'un paysage truqué, truffé de chausse-trappes métaphoriques, « circulaire », vernien en somme en sa théâtralité scientiste assumée jusqu'au délire. » Mais écoutons Raymond Roussel lui-même : <. Je choisissais deux mots presque semblables (faisant penser aux métagrammes). Par exemple billard et pillard. Puis, j'y ajoutais des mots pareils mais pris dans deux sens différents, et j'obtenais ainsi deux phrases presque identiques. En ce qui concerne billard et pillard les deux phrases que j'obtins furent celles-ci : 1" Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard 2" Les lettres du blanc sur les bandes du vieux billard. » Raymond Roussel utilise également les multiples significations d'un même mot : le cercle (rond) et le cercle de jeu. Nous en donnerons un autre exemple. Une de ses nouvelles commence par : << La peau de la raie sous la pointe du rayon vert miroitait en plein soleil du mois d'août »» et tout son déroulement n'a pour but que de se terminer par « La peau de la raie sous la pointe du crayon vert. » Lui qui de << J'ai du bon tabac dans ma tabatière » faisait « Jade tube oncle aubade en mat a basse tierce », ne pouvait qu'admirer Jules Verne et ses méthodes dans lesquelles on trouve l'emploi des procédés rousselliens. En effet, dans Chôteaux en Cafurnie, on commence par << pierre qui roule n'amasse pas mousse » pour terminer par << père qui roule n'amasse pas de mousse »>. Mais il existe tout de même une différence importante entre les deux auteurs : pour Raymond Roussel, le jeu sur le mot et la
construction du texte selon une structure particulière semblent n'être qu'un but en soi; pour Jules Verne, il s'agit d'un moyen pour signifier un sens second au récit. Il y a tout un univers contenu dans cette différence, même si les récits de Roussel et de Verne sont parfois construits sur la structure d'un cercle, tels des serpents qui se mordraient la queue. Oui, le cercle semble être une véritable obsession vernienne. Il est omniprésent dans les Voyages Extraordinaires, avec tout ce qui se rattache à lui. (a) François Rivière, « L'un commence, I'autre continue », nov.-déc. 1978.
in revue Europe
30 LE TRÉ,soR Esr DANS LE cERcLE Il prend parfois l'aspect du cycle historique, explication traditionnelle de I'histoire du monde, basée sur la loi d'analogie. Pour Verne, chaque cycle se termine par un cataclysme et, un jour, un nouveau déluge d'eau ou de feu mettra fin à celui que nous vivons actuellement; alors quelques rescapés repartiront de zéro et relanceront un nouveau cycle, une nouvelle vie, toute civilisation détruite, ils construiront siècle après siècle un nouveau monde qui ne manquera pas, au bout du compte, de présenter de nombreuses analogies avec le nôtre. C'est du moins cette théorie qui est à la base du Nouvel Adam qui se passe entre l'an 2 000 et I'an 3 000. Cette théorie est, comme le signale René Pillorget (5), très proche des thèmes défendus par Nietzsche et l'on peut rapprocher les noms de Zarathoustra et de Zartig Sofr Ai Sir, savant de I'Eternel Adam. Cette théorie cyclique laisse cependant à I'homme son libre arbitre. Il peut aménager le monde au cours du cycle et accélérer ou retarder le phénomène. fæ but est toujours d'épurer la matière pour aboutir à la spiritualité, ce qui fait écrire à Mireille CoutrixGonaux et Pierre Souffrin : « Verne semble dire tout au long de son Guvre qu'à partir de son avènement l'Homme peut décider du sort de la « sphéroïde » terrestre, accélérer la « transmutation », préparer la venue d'un règne nouveau, celui de l'Esprit pur. C'est du moins la fin que Verne assigne aux efforts des hommes, tout particulièrement à la révolution scientifique que connaît la fin du xlx", la science qui devient l'instrument de cette transformation. Mais l'humanité semble avoir emprunté une autre voie, celle qui loin de s'acheminer vers I'ultime métamorphose, l'amène dans les culs-de-sac ou la catastrophe meurtrière. L'æuvre de Jules Verne est un cycle des cycles et toutes les routes y sont courbes. Jules Verne semble ignorer la ligne droite. Il remonte la spirale du temps dans une quête incessante de l'origine. Et comme les romans de Jules Verne sont géographiques, le cercle se manifestera sans cesse dans les trajets. L'explorateur ou le héros ne partira jamais que pour revenir, qu'il fasse le Tour du Monde comme Philéas Fogg (u), qu'il se jette dans un jeu de l'oie >»
(5) René Pillorget, « Optimisme ou pessimisme de Jules Veme » (revte Europe). (6) Jules Verne dit à son propos : * Il ne voyageait pas, il décrivait une circonférence. » Ajoutons que toute I'aventure avait vu le jour au Reform-Club, un « cercle de jeu ».
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3I
sur Ie territoire américain, ou qu'il fasse le détour par le centre de la terre avant de rentrer chez lui. L'histoire n'est pas terminée si le découvreur de terres ne revient pas conter sa découverte. Pour poursuivre sa quête, le héros ne peut rester statique, il faut qu'il parte et revienne comme les pèlerins d'antan qui se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle. Il faut qu'il « circule » comme le sang et qu'il circule ., circulairement ». Peu importe au fond le but du voyage, I'essentiel chez Jules Verne c'est le voyage lui-même car cet état d'errance est une déstabilisation, une rupture avec le quotidien, un état privilégié dans lequel I'expérience est possible, plus particulièrement l'expérience initiatique. Circuler sans cesse pour apprendre à être ? Peut-être, car les mauvaises villes ellesmêmes sont pour Jules Verne celles où I'on ne circule pas. Tenter I'errance comme voie d'accès au spirituel malgré le risque que cela comporte : I'errance de l'esprit, la folie, qui atteint le capitaine Hatteras.
Le Trésor
est dans le cercle.
Le cercle apparaît également comme un véritable rite d'appropriation. Encercler un lieu, c'est en prendre possession. Cet aspect e.st peut-être à l'origine de I'importance de l'île chez Jules Verne : île mystérieuse, île submergée, ou île flottante. Elle est un monde à elle toute seule et un monde « encerclé »» d'eau, un microcosme. L'aborder, c'est entrer dans le cercle, le pénétrer, le visiter, l'explorer. Le but est toujours d'y trouver le lieu mystérieux où l'énigme est résolue. Quelle énigme ? Qu'importe ! Ne se résolventelles pas toutes dans l'énigme suprême : quel est le sens de la vie ? Ile-ovule pénétrée et fécondée par le voyageur-spermatozoide, elle est le siège de la vie, mystère des mystères. Mais attention, I'explorateur prend un risque énorme car nul n'a jamais cherché impunément à découvrir le secret caché au centre suprême du cercle de tous les cercles.
Pour reprendre l'expression de Michel Serres :
.<
L'Ile est
le
premier microcosme dans le cercle des eaux. Close, on y entre par miracle : par-dessus, un ballon poussé par les airs, par-dessous, à travers un défilé sous-marin, par le milieu, la colonne de feu d'un cratère. Miracle de I'air, de l'eau, du feu et de la terre. » La recherche du point central est aussi recherche d'un trésor.
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LE TRÉsoR Esr DANS LE cERcLE
« Le cercle est plus troué que centré, le Trésor est caché dedans ,r, nous dit Michel Serres. Cette quête de l'or est rarement matérielle,
elle ressemble beaucoup plus à une démarche initiatique, alchimique. Dans L'Etoile du Sud,le trésor prend la forme d'un fabuleux
diamant, le plus gros du monde, un diamant noir. Dans Le Testament d'un Excentrique, c'est un héritage; Le Tour du Monde en Quatre-vingts lours conduit Philéas Fogg à encaisser le montant du pari qui fut à l'origine de l'histoire. Le capitaine Nemo, à la fin de L'Ile Mystériewe, confie aux héros un trésor qui leur pennettra de fonder une sorte de phalanstère. Une fois de plus, il faut que l'argent circule, il faut remettre I'or en circulation pour le transmuter. Pour trouver le centre du cercle, pour découvrir le trésor, il faut savoir faire le point. Jules Verne ne se prive pas d'indiquer la méthode à suivre (7) et un peu partout dans l'æuvre les parallèles et les méridiens jouent un rôle important. Il est même un des romans qui fait de la mesure d'un axe de méridien son argument principal (8), et il n'est guère de lieux importants chez Jules Verne qui ne soient rapportés par leur distance au méridien zéro (e). Le roman Ie plus intéressant à cet égard est sans doute les Mirifiques aventures de Maître Antifer (1894). Il nous décrit I'histoire d'un Malouin parti à la recherche d'un trésor fabuleux. Au moment où il va pouvoir s'en emparer, l'île qui le porte disparaît dans la mer. Comme souvent, tout commence par un manuscrit à déchiffrer, et, comme dans ,Les Enfants du Capitaine Grant, de fausses pistes vont être suivies successivement jusqu'au dénouement. Partant du fait que, pil trois points, on peut toujours faire passer un cercle (to), la recherche est construite sous forme de
(?) Ainsi, dars L'Ile Mystérieuse, pour la tatitude : « On releva, de nuit, à I'aide d'un secteur angulaire confectionné sur place, la hauteur d'une étoile au-dessus de I'horizon, ce qui permit de mesurer la latitude avec une approximation suffisante », et pour la longitude : « On détermina le lendemain I'heure locale de midi à I'instant du passage du soleil au zénith du lieu. A ce même instant on nota I'heure que marquait la montre de Spilett; et par différence, on eut ainsi la longitude de l'île par rapport au méridien de Richmond, et connaissant la position de ce dernier par rapport à celui de Greenwich, par une simple addition, on eut ainsi la longitude de
l'îIe., (8) Aventures de Trois Rwses et de Trois Anglais en Afrique Australe : ce roman comporte un chapitre au titre fort étrange : « Trianguler ou mourir ». (') Q.ri à l'époque n'était pas le méridien de Greenwich mais celui de Paris. (') Cf. tettre de Jules Verne à Mario Turiello du 10 awil 1896.
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triangulation. Ce ne sont pas des triangles que I'on cherche, en fait, mais bel et bien des cercles, et Michel Serres d'écrire : << Songez donc, le point est un espace au milieu de trois droites, à la vue des amers. Deux tracés de compas seulement donnent un mauvais calcul. La nef est protégée dans un berceau triangulaire. En navigation hauturière, même chose : I'heure, I'estime et la droite de hauteur ferment trois fois une zone approchée. Où suis-je ? Entre trois droites, ou mieux entre trois cercles. D'où le point pour trois cercles, et chaque cercle est issu, à son tour, d'un point. Ma situation (...) vibre dans un triangle sphérique. Concluez maintenant le triangle, la circonférence, le point, vous avez le plan d'Antifer et sa clé. Curieuse recherche en tout cas que celle du capitaine Antifer. A la source de cette aventure, un vieux Pacha qui décide de donner à des hommes qui I'ont aidé dans des moments dramatiques, un moyen de retrouver son trésor. Le capitaine Antifer possède la latitude du lieu cherché, mais il lui faut découvrir qui en possède la longitude. La rencontre se fera, mais au lieu enfin découvert, point de trésor, seulement un énigmatique message qui donne une nouvelle latitude. D'où un nouveau comparse, une nouvelle longitude et un nouveau lieu qui sera... une nouvelle déception. Et l'histoire recommence encore une fois, identique. Trois points successifs sont ainsi déterminés mais pas de trésor, jusqu'à ce que la fiancée de l'un des héros, Enogate, s'avise sur un planisphère que les trois points déterminés successivement forment un triangle et qu'un cercle les réunit. Le centre de ce cercle ne serait-il pas le lieu cherché, le fabuleux centre où gît l'or? On court, on trouve... une nouvelle déception. Une île au trésor figurait bien au point indiqué, jaillie un jour de la mer à la suite d'une éruption volcanique, mais depuis une autre éruption lui a fait réintégrer son royaume abyssal. Le mystère reste donc entier sur ce qui doit figurer au centre du >>
cercle des cercles.
Il suffit de connaîte
les règles du ieu.
Trouver le cercle, le centre et le trésor, et pour cela décrypter le message, mais aussi bien connaître les règles du jeu, c'est la loi imposée par Jules Verne, et le jeu intervient souvent dans ses romans. Beaucoup de ses personnages en ont la passion : Nicholl,
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LE TRÉsoR Esr DANs LE cERcLE
Keraban, le docteur Schwarzencrona et Bredeford, par exemple. Mais le plus grand de ses joueurs est sans doute Philéas Fogg : son tour du monde commence par une partie de whist au cours de laquelle est engagé le fabuleux pari, une autre partie jouera d'ailleurs un rôle lors de sa traversée de l'Amérique, et ce parieur est un parieur absolu puisque c'est toute sa fortune qu'il engage dans I'aventure. En tout cas, on rencontre des jeux tout au long des romans de Jules Verne, de la partie de croquet da Rayon Vert au tirage du Billet de Loterie. Les descriptions des lieux elles-mêmes utilisent des éléments ludiques : ainsi Salt-Lake-City, la ville des Mormons, est << un damier dont on peut dire qu'il a plus de dames que de cases >>, ou encore l'hôtel Sherman à Chicago, « semblable à un gros dé à jouer ". Mais le plus extraordinaire en la matière est sans doute Le Testament d'un Excentrique. l-e personnage principal, W.S. Hypperbone, membre du Club des Excentriques, a décidé par testament de léguer sa fortune à celui des six habitants de Chicago tirés au sort, qui gagnerait une partie au jeu de I'oie. Mais attention, pas n'importe quel jeu de l'oie. Celui-ci prend pour piste le sol entier des Etats-Unis, chaque Etat correspondant à une case et l'Etat d'Illinois revenant 14 fois et jouant le rôle des cases portant une oie. Ce sont les dés qui enverront le joueur d'un Etat à l'autre jusqu'à ce que I'un parvienne enfin à la 63" case. Ce roman vaut bien qu'on lui consacre quelques pages car il est I'exemple même de l'utilisation du jeu en tant que moyen pour Jules Verne. Disons tout de suite que celui qui voudrait décrypter à fond ce roman rencontrerait de nombreuses surprises (erreurs volontaires de Jules Verne entre autres) et devrait se servir de jeux sur les lettres et sur les nombres. Nous n'en donnerons quant à nous qu'une explication très partielle mais essentielle à la compréhension de l'æuvre. Et tout d'abord pourquoi Jules Verne s'est-il servi du jeu de l'oie ? Un jeu comme un autre ? Une amusette, comme I'ont pensé généralement ses biographes ? Non ! Jules Verne connaissait parfaitement la signification sacrée du jeu de l'oie. J'ai montré ailleurs (r1) I'importance de cet animal dans les mythes anciens. Le jeu serait dû aux Egyptiens ou, mieux, aux Troyens détenteurs de la tradition pélasgique. Examinons un peu les règles.
(")
Cf. Michel Lamy, Histoire secrète du
Pays Basque
(Albin Michel).
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Toutes les 9 cases on rencontre une oie sur la spirale du jeu (12) et sept fois neuf cases composent le parcours. Toutes les ressources de la kabbale numérique peuvent être appliquées à ce jeu ! C-ertaines cases possèdent des particularités remarquables : outre I'hôtellerie accueillante au pèlerin, le pont, symbole de passage, la prison que constituent nos désirs matériels, le labyrinthe (") qoi nous rappelle Thésée et le Minotaure, il faut plus spécialement examiner le puits et la tête de mort sur ce parcours qui est celui de la vie et de I'après-vie. Le puits se trouve à mi-chemin sur le parcours car il communique avec l'intérieur de la Terre et, en même temps, la vérité qui peut en jaillir mène à la connaissance, à
la divinité. Son axe se prolonge de façon idéale vers les cieux oomme il plonge au sein de la terre. La mort, elle, occupe la 58" case (5 + 8: 13) et celui qui arrive à cette case est tenu de retourner au départ et de recommencer tout son parcours. Ainsi, celui qui n'a pas su « naître en esprit >) avant la mort doit-il se réincarner et commencer une nouvelle vie terrestre. Celui qui, tout au contraire, a su épouser son âme passe par-delà la mort que cinq cases seulement séparent du but final qu'est l'immortalité; or 5 est précisément le chiffre de la réalisation humaine et de l'accomplissement, cher aux pythagoriciens et aux cathares, comme à Léonard de Vinci. Quant au nombre total d'oies dans le jeu : 14, il est lui aussi un signe d'immortalité et de passage dans I'au-delà (1 de plus que le 13 fatidique). Gardons-nous bien de prendre de tels jeux pour de simples amusettes, ils ne le sont devenus que parce que nous n'avons plus d'yeux pour voir ni d'oreilles pour entendre. L'oie, comme la voie lactée, mène à la mort, mais à la mort vaincue, à la résurrection spirituelle. C'est bien cette signification qui a conduit Jules Verne tout au long du roman. C'est la raison pour laquelle il a choisi le « Noble jeu plus ou moins renouvelé des Grecs ». Et si I'on se rappelle l'origine troyenne revendiquée par les rois mérovingiens selon certaines légendes, on comprend pourquoi l'un des héros du Testament d'un Excentrique se nomme Max Réal (véritable axe royal). Il sera d'une certaine façon gagnant dans cette aventure puisqu'il y rencontrera I'amour. Quant à I'Etat qui servira
9.
(t2) Dans le compagnonnage on nommait « patte d'oie " la division du cercle par
(t3) Les labyrinthes portent parfois le nom de " mur de Troie ".
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LE TRÉsoR Esr DANs LE cERcLE
d'.. oie », I'Illinois, on peut non seulement trouver dans son nom la consonance terminale oi, mais il est I'anagramme de ILION-LIS, c'est-à-dire du lis (royal) de Troie (Ilion). Hypothèse gratuite? Non pas ! Nous verrons à propos de Rennes-le-Château que ce lien n'est pas fortuit. Jules Verne a beaucoup joué sur les mots dans cet ouvrage (14), mais il s'est aussi beaucoup servi du symbolisme. Il est remarquable que la 58" case, liée à la mort, soit représentée par l'Etat de
Californie, le plus occidental des Etats américains, alors que l'Occident était considéré dans l'Antiquité comme le lieu des morts. Toujours est-il que les six héros de cette étrange histoire seront battus par un septième et étrange concurrent : XKZ (soit 6 + 1 :7, qui est le nombre de base avec 9 permettant d'obtenir 63 cases et qui est la somme constante de deux faces opposées d'un dé). Le gagnant n'est autre que celui qui fut à l'origine du jeu. Il n'était pas mort comme tout le monde le croyait. Simplement, W.J. Hypperbone, <( comme un nouveau Lazare en rupture de tombe »», avait décidé d'une folle excentricité : confier sa fortune au hasard, et le hasard la lui rendait. La tombe du cimetière d'Oakswood (dont le nom, bois de chênes, revêt une signification sacrée) était vide et Hypperbone (autant dire hyperos) n'était p.§ un squelette; par contre, les autres concurrents étaient bel et bien tombés sur un os. Le gagnant, ayant accepté d'être dépouillé de tout par la Providence, avait gagné l'immortalité. Mais, je tiens à le rappeler, ce roman particulièrement riche contient bien d'autres éléments.
Et maintenant, au travail
!
Les éléments donnés dans les pages qui précèdent nous ont semblé nécessaires pour donner au lecteur les moyens d'une recherche personnelle dans l'æuvre de Jules Verne. Il faut détecter anomalies, erreurs, jeux de mots et cryptogrammes, en comprendre le sens, avant de cheminer lentement en suivant le fil d'Ariane que I'auteur ne manque jamais de nous donner. Une aide supplémentaire nous est parfois apportée par les illustrations. En effet, Jules Verne donnait des indications précises aux dessina('") Par exemple , Ie chef d'une tribu d'Indiens Séminoles se nomme Oisela, nous indiquant que « I'Oie c'est là ».
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teurs, leur fournissant des descriptions fort détaillées, faisant au besoin refaire certaines planches. Il est remarquable qu'Hetzel n'ait pas choisi ses dessinateurs habituels pour illustrer l'æuvre de Jules Verne. Ce ne sont ni Gavarni, ni Doré, mais Riou, Férat, Neuville, Montant, Philippoteaux, Benett, Bayard, etc., qui furent engagés comme si I'on avait voulu organiser une équipe plus discrète et soumise. Nous verrons à propos de Clovis Dardentor que cela était indispensable. Cependant, être muni d'un langage et d'un arsenal cryptographique n'a de sens que si l'on a quelque chose de caché à dire, si l'on a des secrets à révéler à ceux-là seuls qui sauront les comprendre. C'était bien là le but poursuivi par Jules Verne.
m JULES VERNE FRANC-MAçON
lules Verne et Monsieur lourdain. Jules Verne, auteur de romans initiatiques, cela a déjà été dit. Simone Vierne a même consacré un épais ouvrage à ce problème, mettant en évidence le scénario immuable des cérémonies initiatiques qui offre toujours trois séquences : la préparation, le voyage dans I'au-delà, la nouvelle naissance. L'auteur n'eut aucune peine à
montrer que la plupart des romans de Jules Verne suivent ce découpage. Elle démontra même que I'on pouvait classer les « Voyages Extraordinaires » selon le degré initiatique auquel ils correspondaient : initiation de puberté, initiation héroïque et initiation supérieure. Iæs voyages d'exploration et de quête font partie de la piemière catégorie. Ainsi en est-il de Voyage au centre de la terre, de La langada, du Rayon vert et de bien d'autres. Tel est du moins I'avis de Simone Vierne. Au deuxième degré correspondraient les luttes contre des monstres (20000 lieues sous les mers, Michel Strogoff, Les 500 Millions de la Begum, Robur le Conquérant, Le Château des Carpathes, etc.). Enfin, I'initiation supérieure, celle qui met directement le héros en contact avec le sacré, serait représentée par L'Ile Mystérieuse, Hector Servadac, Les Indes Noires, Mathias Sandorf, Les Naufragés du lonathan, etc.
Il n'est pas question de nier la valeur de cette classification, de sous-estimer le travail précieux effectué par Simone Vierne. Cependant il est regrettable que M-' Vierne n'ait pas mieux connu les rituels initiatiques, son analyse est celle d'un universitaire qui
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6udierait un peuple primitif, elle est anthropologique. Jules Verne ærait une sorte de M. Jourdain qui ferait de l'ésotérique sans le savoir. En somme, les Voyages Extraordinaires ne suivraient un déma initiatique qu'en vertu des lois du hasard et par suite d'une lizarrerie de la structure psychologique de Jules Verne, totalement inoonscient bien entendu de ce qu'il a écrit. * Jules Verne n'a pas voulu faire passer sous le couvert d'une cuvre destinée aux enfants un message initiatique précis, à la manière dont Mozart, par exemple, a utilisé une féerie sans intérêt txrur exposer sa foi en la maçonnerie. Mais, entraîné par la force du æhéma dynamique, qui se trouve en germe dans le genre même,
Jules Verne est amené à poser les questions que s'efforçait de résoudre l'initiation religieuse : comment surmonter le destin
mortel de l'homme, par une transformation radicale de l'être, obtenue grâce à la révélation directe, mystique du sacré? » Eh bien, je prétends le contraire et entends le démontrer. Non seulement Jules Verne a volontairement suivi le modèle des rituels
initiatiques, mais en plus il a suivi très précisément des rituels maçonniques. Non seulement il a, comme Mozart, écrit une æuvre maçonnique, mais il s'est même inspiré très étroitement de La Flûte hchantée du célèbre musicien pour exprimer sa propre appartenance à la Franc-Maçonnerie. Aucun doute n'est possible à ce srjet.
Voyage initiatique au centre de la terre.
C'est sans doute Marcel Brion qui a le mieux parlé du Voyage au oentre de la tene (t). I écrit: " Tous les thèmes et toutes les articulations du voyage imaginaire s'y rencontrent : le grimoire de I'Ile au trésor et du Scarabée d'or; les aventures périlleuses qui ænduisent à la conquête de la « Dame », I'amour devenant ainsi un des ressorts de l'<< aventure >>, sinon le ressort majeur, comme dans Perceval et dans Lancelot. (...) Axel,le << chevalier » de Jules Verne, épousera la jolie Grauben, qui ne fut pas la cause mais qui est la récompense du courage et de I'audace dépensés dans le
monde souterrain. Car
il
importe que la femme soit associée,
(r) Marcel Bion, L'Allernagne Romantique : le voyage initiatique, tome 1 (Albin Itfichel).
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extérieurement et accessoirement, à l'aventure, stimulation, sollicitation, couronnement, aboutissement, mais elle ne doit pas y
prendre part. » Bien des critiques ont attribué ce rôle sublirne dévolu à la femme à une prétendue misogynie de Jules Verne. Mieux vaut suivre Marcel Brion : « Axel est le métal pauvre qui doit être forgé dans le feu de la terre (le volcan), lavé et durci dans I'eau de la mer intérieure souterraine, martelé par les dangers; il est informe, et il ne recevra sa forme que du contact violent avec les épreuves; jusqu'alors il est malléable, sans profil net, sans consistance, L'aventure lui donne sa figure, sa signification, son être véritable. » Le Voyage au centre de la terre apparaît comme une sorte de descente aux enfers, digne d'Orphée, une recherche du centre qui est celle de toutes les religions à mystère. Le héros acquiert ainsi, selon les mythes antiques, une vie nouvelle après une véritable renaissance. N'est-il pas symptomatique de voir Axel, Ie héros de Jules Verne, pénétrer sous terre par le cratère d'un volcan éteint et rejaillir à la lumière lors de l'éruption d'un volcan vivant ? Quant au prêtre initiateur du héros, c'est son oncle, l'étrange savant Lidenbrock dont le nom signifie : celui qui ouvre les yeux (de « lid », paupière, et de « brocken », briser). Daniel Compère (2) a, quant à lui, mis en évidence les principaux éléments initiatiques du roman : « La découverte du lieu se fait à un moment sacré, le solstice d'été, comme les initiations se déroulent à certaines périodes fixées religieusement. Auparavant le novice est brutalement séparé de son univers et subit quelques épreuves préparatoires : leçons d'abîme, rencontre avec le lépreux, figure de la mort, et ascension du Sneffels. Le parcours initiatique commence avec la descente dans le cratère, L'entrée dans le domaine de la mort s'accompagne de rites purificateurs : manque d'eau, traversée du diamant et égarement dans le labyrinthe. Le novice perd connaissance et reprend conscience dans I'espace sacré. Axel se baigne dans les eaux primordiales, avant d'en entreprendre la traversée. Il est alors renvoyé aux origines du monde, en rêve. II contemple la << source de vie », le geyser qui jaillit sur l'îlot qui reçoit son nom. (...) Au milieu de la tempête, Axel reçoit un baptême du feu. (...) Enfin a lieu le retour au monde profane : I'expulsion se fait par le feu, image d'une renaissance (2) Daniel Compère, Un voyage imaginaire de lules Verne, Voyage au centre de la /erre (Archives des Lettres Modernes).
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violente. » Ainsi Axel qui a su « prendre des leçons d'abîme » est devenu apte à de hautes contemplations.
Bien d'autres romans de Jules Verne suivent un tel schéma initiatique. Dans Les Aventures du capitaine Haüerus,l'action tout entière est tendue vers la quête d'un lieu sacré, ce qui ne va pas sans un risque de folie. Dans Les Enfants du Capitaine Grant, le jeune héros part à la recherche de son père, conduit par un autre père, .. initiatique » celui-là. Tous les éléments d'une initiation figurent également dans Michel Strogoff; lutte contre un monstre, évanouissements rituels, dépouillement total, plongée dans la nuit éternelle, épreuves de l'eau, de la terre, de I'air et du feu. Faut-il évoquer aussi la .. Caverne du Dragon » des 500 milliorc de la Begum associée à une ville labyrinthe (3) ? Et encore bien plus L'Ile mystérietue. Cependant, affirmer que Jules Verne a calqué la structure de ses livres sur le schéma initiatique n'est pas suffisant. Il faut aller plus loin et pour cela il nous a semblé nécessaire de démontrer la volonté délibérée de Verne en prenant pour exemple un roman, I'un des plus beaux et des plus fascinants à notre goût : Les Indes Noires.
Les Indes Noires.
Il est nécessaire pour la bonne compréhension de ce qui va suivre de résumer I'argument de ce roman. L'ingénieur James Starr reçoit une invitation à se rendre à Aberfoyle, à la fosse Dochart. Il est instamment prié de tenir cette invitation secrète. Il est convié à retourner dans une mine où il.a longtemps travaillé (et qu'il a dû quitter la mort dans l'âme, les filons étant épuisés) par un mineur qui est resté là-bas, qui a refusé de partir. Ce brave homme, nommé Simon Ford, s'est installé avec sa femme et son fils dans une maison construite au fond même de la mine, dans une caverne souterraine. Une seconde lettre arrive cependant, plus mystérieuse encore que la précédente, pour dissuader l'ingénieur de se rendre à Aberfoyle. James Starr persiste dans son intention première et se rend sur les lieux où il est accueilli par Harry, le fils de Simon Ford. Harry guide I'ingénieur vers la (3) Le labyrinthe, sous une forme ou une autre, figure dans plus de vingt romans de Jules Verne.
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mine; en descendant, ils rencontrent Jack Ryan, ami d'Harry, venu l'inviter pour une prochaine fête. Ils s'engagent dans le dédale des galeries lorsque une énorme pierre vient tomber à leurs pieds et il ne semble pas qu'il puisse s'agir d'un accident. Simon Ford n'a jamais voulu admettre que la mine était épuisée. Il a continué sa recherche inlassable de nouveaux filons et il a quelque chose à montrer à James Starr. Mais il existe un mystère dans la mine : plusieurs fois Harry a entendu des bruits, vu une lueur qui s'enfuyait à son approche. Y aurait-il un génie de la mine ? En tout cas, des explosions ont parfois lieu, faisant effondrer des piliers de soutènement. Laissant ce point en suspens, Harry, Simon, Madge et James Starr s'en vont visiter une galerie de la vieille mine, au bout de laquelle Simon croit bien avoir découvert un nouveau gisement. James Starr se fait fort de relancer l'exploitation du filon. A la dynamite, nos héros vont ouvrir un passage, une « pofte » vers le nouveau gisement, la « Nouvelle-Aberfoyle ,r. Là, une immense caverne souterraine, avec lac, hautes voûtes, à laquelle il ne manque qu'un soleil intérieur. Ce sous-sol pourrait servir de demeure à toute une population. Au-dessus, à la surface de la terre, c'est le lac Katrine. Soudain, un battement d'ailes se fait entendre et la lampe est renversée, brisée. Les explorateurs de la Nouvelle-Aberfoyle sont condamnés à rechercher leur chemin dans Ies ténèbres complètes. Mais il est impossible de sortir : le passage a été bouché. Quel est donc l'être mystérieux qui protège aussi farouchement son domaine ? Au bout d'une semaine, l'absence de James Starr commence à inquiéter ses intimes. De son côté, Jack Ryan s'étonne de ne pas avoir vu Harry à la fête à laquelle il l'avait convié et décide de se rendre à la mine. Mais il est impossible de descendre, des échelles ayant été brûlées. Jack demande des secours, s'équipe, et les recherches commencent. Une étrange lueur sautillante va guider les sauveteurs jusqu'au lieu où gisent Harry et les autres. Enfermés depuis dix jours, ils ne doivent d'être étvie qu'à un être mystérieux qui leur apportait parfois à manger et à boire, sans jamais se faire voir. Tous ces incidents oubliés, la Nouvelle-Aberfoyle est mise en exploitation et une ville est construite et établie dans la caverne, prenânt le nom de Coal-City,la cité du charbon. Mais Harry est obsédé par la pensée de l'être inconnu qui les a sauvés; quant à Jack Ryan, il est persuadé qu'il s'agissait d'un lutin ou d'une
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quelconque Dame du Feu. Un jour, Harr,, repère un puits naturel Jenfonçant plus profondément encore dans la mine, il lui semble cntendre un gémissement et un battement d'ailes. Il décide de Pexplorer et, tout au fond, il trouve... une jeune fille ! Harry tire arr la corde pour qu'on le remonte, mais il est attaqué par un oiseau; en se défendant, il endommage avec son couteau la corde
qui le soutient. La oompagnons
de justesse car ses l'agrippent juste au moment où la corde cède. La catastrophe est évitée
jeune Nell, tirée de l'abîme, va être soignée par les Ford. Mais le mystère demeure car il semble bien que quelqu'un d'autre est caché dans la mine. Peu à peu, Nell apprend à vivre normalement, elle qui n'a jamais vu le jour. Harry et la jeune fille s'aiment, mais lui ne veut pas qu'elle s'habitue à cet amour avant de connaître ce que pourrait lui offrir la surface de la terre, alors qu'il entend pour sa lnrt s'installer définitivement au fond de la Nouvelle-Aberfoyle. Un jour, on considère que Nell est prête et la grande aventure oommence pour elle. Elle va voir le jour, le soleil, I'extérieur. Une
sorte d'accouchement ! Pendant deux jours, elle va visiter la ontrée et ensuite, ensuite seulement, elle choisira sa vie. Emouvante excursion qui est l'occasion pour l'auteur de faire de nombreuses allusions à l'æuvre de Walter Scott. Harry vient de demander à Nell si elle veut bien l'épouser et celle-ci a accepté brsque, soudain, le lac Katrine semble se vider, ses eaux s'enfonænt dans la terre. Quelles conséquences cela aura-t-il sur la Nouvelle-Aberfoyle ? Encore un méfait à imputer au génie de la houillère. Heureusement, I'inondation n'aura pas de conséquences trop dramatiques. A quelques jours du mariage, de nouvelles menaces sont faites et elles sont signées Silfax. C'est le nom d'un « pénitent », homme qui avait la tâche fort dangereuse de détecter les émanations de grisou dans la mine. Pour l'aider, Silfax avait dressé un harfang, variété d'oiseau de nuit. Devenu fou, il se figurait que la mine était son
royaume et que nul ne devait y pénétrer. C'est lui qui avait élevé Nell, sa petite-fille, et c'est Nell qui avait sauvé Harry, Simon, Madge et James Starr en leur apportant de quoi survivre et en dirigeant les secours de loin. C'est le harfang qui a attaqué Harry brsqu'il remontait Nell du puits. Le jour du mariage, Silfax fait échapper une poche de grisou et veut l'enflammer. Mais le gaz est trop haut. Silfax donne alors la torche au harfang et I'envoie mettre le feu au grisou. Cependant
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l'oiseau obéit à Nell qui I'appelle, la torche tombe à l'eau et s'éteint; quant à Silfax, il disparaît à jamais dans les eaux noires du lac. Six mois plus tard le mariage est célébré.
Aberfoyle et le roman de l'abbé.
Si nous nous attachons à cette histoire, nous nous apercevons vite qu'elle suit parfaitement le schéma de toute quête initiatique. Le choix d'une mine coflrme devant servir de cadre à I'action est en lui-même significatif. Ecoutons à ce sujet Marcel Brion (4) : << La route qui conduit à la mine. Ainsi commence tout voyage, et l'homme qui ne se sent pas aspiré d'abord par le souffle de I'esprit de la terre ne rejoindra pas, plus tard, en fin de course, l'esprit des sphères célestes : à moins que la terre ne le garde, le fascinant de ses mystères minéraux, et le livre à la toute-puissance de la reine qui garde captif l'Elïs Frôbom de E.T.A. Hoffrnann, d'abord, puis celui de Hugo Von Hofmannsthal, l'homme revenu de la mer, symboliquement agrafé à la terre par la mort de sa Mère et que reprend dans son sein, au centre de son palais souterrain, la Mère des Eléments. >> La mine est le séjour heureux qui rappelle la période prénatale, le lieu rassurant, le ventre maternel, le lieu qui va présider à une nouvelle naissance. Simon Ford n'hésite pas à décrire ce monde comme sécurisant (un milieu parfaitement sain, soumis à une température toujours moyenne, qui ne connaît ni la chaleur de l'été, ni les froids de l'hiver, ni la pluie écossaise, ni la fumée des usines; aucune agression : pas même d'agents du fisc). Cette mine va présider à une nouvelle naissance, avons-nous dit; mais celle-ci sera spirituelle. En ce lieu où << tout n'est que silence et ténèbres » comme dans une crypte, en cet .. obscur dédale de galeries >>, il est une << haute galerie semblable à une contre-nef de cathédrale ». A plusieurs reprises, Jules Verne souligne ainsi les fonctions de Temple qu'il assigne à la mine. « Un labyrinthe de galeries, les unes plus élevées que les hautes voûtes des cathédrales, les autres semblables à des contre-nefs, rétrécies et tortueuses, celles-ci suivant la ligne horizontale, cellesJà remontant (a) Marcel Bnon, L'Allemagne romantique : Le voyage initiatique, tome Michel).
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descendant obliquement en toutes directions, réunissaient ces et laissaient libre communication entre elles. ,, « Nulle
cavités
§pogée de l'époque égyptienne, nulle catacombe de l'époque romaine, n'auraient pu lui être comparées (...) la NouvelleAberfoyle était, non l'æuvre des hommes, mais l'euvre du crréateur.
>>
C.ette mine-cathédrale est aussi une ruche : « Cette excavation se
omposait de plusieurs centaines d'alvéoles, de toutes formes et de toutes grandeurs. On eût dit une ruche avec ses nombreux étages de cellules, capricieusement disposés, mais une ruche construite sur
rne vaste échelle. » Or l'abeille, productrice de cet or potable qu'est le miel, a toujours été considérée par les anciens comme un rymbole de. l'âme s'échappant de la matière (5). Est-ce pour renforcer cet aspect que Jules Verne a choisi de situer son action pês d'Aberfoyle en Ecosse et de nommer sa mine << la NouvelleAberfoyle (6) ? Le choix peut en tout cas paraître curieux car, de " toute la région, Aberfoyle doit être un des seuls lieux où l'on ne trouve pas de mine. On peut cependant imaginer d'autres raisons à æ choix. Ce lieu fut en effet le décor de l'un des plus célèbres (rmans de Walter Scott, qu'aimait beaucoup Jules Verne : Rob Roy. C'est là également que se déroule l'action d'un conte de Nodier : Trilby ou le lutin d'ArgaïL. Charles Nodier y fait allusion à la ballade du revenant d'Aberfoyle, Qui a peut-être quelque peu inspiré le personnage de Silfax. Tous les lieux des Indes Noires figurent également dans le conte : le lac Katrine, le Ben Lomond, etc. (7). Qui plus est, Aberfoyle est un endroit où se sont passées bien des càoses étranges. « A la fin du xrare siècle,le révérend Kirk, adepte des sciences diaboliques, fit sienne cette conception du retour à la diünité. Ses rapports avec les << porteurs de foudre » avaient lieu sur la colline des Fées, près d'Aberfoyle, en bordure de la lande écossaise. Sa mort énigmatique a le caractère de toutes les destinées lucifériennes, elle correspond à I'instant particulier où
(5) Cf. la légende grecque d'Aristée. (6) Aberfoyle: ABE-RFO-YLE=abeille (ABEYLE) Ford (RFO), nom de la famille du héros. Par ailleurs, Aberfoyle peut aussi être interprété comme Aberfowl, de aber (creux et par extension sein de la terre) et fowl (oiseau) ou encore owl (brbou). Aberfoyle devient donc le refuge du Harfang et celui du fou : Silfax. () Cf. également un autre conte de Nodier : La légende dc Saint-Oran.
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I'adepte est confronté à sa dernière épreuve terrestre (8). La " tombe du révérend Kirk existe toujours dans le cimetière d'Aberfoyle. Ce religieux a laissé un curieux témoignage de sa pensée : L'organisation secrète, dont la première édition date de 1815 (123 ans après sa mort) et qui fut traduit en français. On peut se demander à ce propos si le << livre de I'abbé » auquel Jules Verne fait allusion n'est pas I'ouvrage du révérend Kirk, plutôt que le roman de Walter Scott qui porte ce titre. Un soir de 1688, le révérend Kirk gagna la « colline des Fées ,, située au centre de la petite vallée qui borde Aberfoyle. A son retour, ce qu'il confia à M-' J. Mac Gregor, gardienne du cimetière, effraya la pauvre femme au plus haut point. Elle raconta par la suite que le révérend aurait eu le pouvoir de disparaître au jour et à I'heure voulus par lui et qu'il était assuré de ne point connaître la mort, ni le vieillissement. Il semble que les rites suivis par Kirk soient du domaine de la Magie Rouge. Toujours est-il qu'un jour de 1692, il fut retrouvé mort sur la colline des Fées; M'" Mac Gregor affirma toujours que son cercueil ne contenait en fait que des pierres et que Ie révérend était allé rejoindre les esprits de la Colline des Fées. Jules Verne connaissait-il cette étrange histoire
?
Visita Interiora Terrae Rectiftcando Invenies Occultum Lapidem, ou la quête mystique des Indes Noires. Læ roman de Jules Verne est en fait I'histoire d'un homme à la recherche de son âme, de cette parcelle divine que chacun de nous doit découvrir au fond de soi, à travers les épreuves, et qu'il doit dégager de sa gangue de matière, Ia perle cachée, 1t ,, snilnn »>, lâ << Dame » des troubadours que ceux-ci recherchaient au cours d'une.. queste >> qu'ils nommaient... la « minne ». Cette quête doit se faire avec détermination : .. Fonçons jusqu'au centre du globe, s'il le faut, pour lui arracher son dernier morceau de houille », dit Simon Ford. L'appel de son << anima >>, Harry va le ressentir
: « Il était irrésistiblement entraîné par l'espoir de retrouver l'être mystérieux, dont l'intervention, pour dire le vrai, I'avait sauvé plus que tout autre, et les siens avec lui. » L'intérioriprofondément
(E) Jean-Paul Bourre, Les sectes lucifériennes aujourd'hui (Belfond).
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retion et la quête intérieure vont avoir lieu : << Harry (...) était de plus en plus « en dedans ». Jack Ryan, malgré sa bonne humeur si ommunicable, ne parvenait pas à le mettre .. en dehors rr. ., Que va-t-il donc chercher en lui-même ? La mélancolie le prend, il ne æsse de rêver à son anima, que personnifie Nell dans cette aventure. « Dame... tu sais... Harry ! Ces êtres, qui vivent dans les ebîmes... ne sont pas faits comme nous!- Ils sont faits comme oous, Jack ! » Nell est donc Ia personnalisation de cette anima qu'Harry va essayer de réveiller en lui. D'ailleurs Nell n'est-elle pas celle qui est privée de soleil, privée de lumière tant qu'Harry ne I'aura pas amenée à la surface ? Son nom même ne se compose-t-il pas du N de la négation et de Hel : le soleil en langue celtique, tout comme Hélios chez les Grecs ? Mais elle est liée aussi au Hell celtique et au Hel des Eddas islandais qui désignent le séjour des morts. Privée de lumière, Harry la ramènera à la vie selon une progression spiralée en forme d'hélice. Elle porte en elle l'équivoque du passage par la mort : elle est fille de la nuit et du royaume des ténèbres (hell), mais elle est aussi promesse de clarté (hel celtique). Faut-il souligner ce qu'écrivait Jules Verne : << Quoi qu'il en soit, il y avait là, dans le sous-sol écossais, une sorte de Comté souterrain, auquel il ne manquait, pour être habitable, que les rayons du soleil, ou, à son défaut, la clarté d'un astre spécial. » Quant à Harry, il est celui qui devra franchir le fleuve infernal, cet Orphée moderne partant à la recherche de son Eurydice (e). C,ette quête ne va pas sans difficultés car elle viole des interdits et les anciens la présentaient bien souvent comme un viol de la terremère puisqu'il s'agissait d'échapper au cycle naturel et à la roue des réincarnations pour se rapprocher de la divinité. To Harry ne signifie-t-il pas « piller », « ravager » ? Cette quête est propre à déclencher des catastrophes puisque I'individu se met hors-la-loi de la matière et une catastrophe viendra ponctuer chaque aveu d'amour entre Harry et Nell, tant que la quête ne sera pas achevée. D'ailleurs ce viol de la terre-mère-mine est perpétré dans les Indes Noires. C'est à la dynamite que Harry se fraye un passage vers le nouveau gisement, véritable terre promise du mineur. Ainsi « la porte est enfoncée » en un acte violent de pénétration, et Harry
Ô
Har.l' Ford n'a-t-il pas un patronyme signifiant
« passer à gué
» (to ford)
?
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« le fanal à la main s'y introduisit sans hésiter et disparut dans les
ténèbres ».
Harry est investi de pouvoirs, il est un peu magicien car, ne l'oublions pas, il est le fils de Simon et Madge, noms sous lesquels nous devons reconnaître Simon-le-Magicien (10). Vtadge est aussi la « bonne femme », nom que I'on donne aux sorcières spécialisées dans l'emploi des herbes, et elle salue toujours les touristes de ses meilleurs << wishes » (« souhaits rr), terme bien proche de celui qui ("). désigne les sorcières (« witches ") Harry, une lampe suspendue à sa main gauche et tenant un long bâton de la droite, tel l'hermite du tarot ("), ,u donc poursuivre sa quête, s'éloignant de la matière et abandonnant le rire superficiel (13) pour s'approcher de la plénitude divine que seul peut offrir l'Amour. Mais qui cherche son << anima » rencontre aussi le « vieil homme », I'orgueil, le principe ténébreux qui est également le porte-lumière, Lucifer. Dépouiller le vieil homme sera nécessaire, comme I'affirment toutes les doctrines traditionnelles. En l'occurrence, le vieil homme sera Silfax, le père nourricier de Nell. Silfax est I'autre nom de Lucifer (fax: torche, flambeau et sil-eo : se taire), il est le porte-lumière. D'ailleurs son ancien métier, celui de « Pénitent », consistait à porter une flamme au-dessus de soi pour détecter le grisou. Michel Serres avait bien raison d'écrire : « Silfax
est l'autre nom de Lucifer, le porte-lumière; l'autre nom de I'instance qui ne dit rien, qui n'a pas la parole et qui porte en tous lieux les forces explosives de la flamme (...). Il est I'Autre, mais il est Dieu, il est le Dieu-Autre, le Tout-Puissant de cette théologie inversée, tout-puissant et trompeur (...). Voici qu'il apparaît sur un canot, debout au beau milieu du lac, dans la lueur fuligineuse de sa
torche. » Le vieil homme est en chacun de nous et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi Simon Ford peut dire : « Qui donc a pu pénétrer assez avant dans le secret de ma pensée ? » Oui, qui ? Qui, sinon le vieil homme ? Et Silfax est vieux, il est sans âge,
(ro) Simon détient en tout cas une clé de I'aventure, comme le montre une des gravures.
(1r) A noter également que Simon et Harry ont « la foi du charbonnier », jeu de mot sur leur métier de mineur, mais aussi allusion aux « carbonari », ('2) Les Indes Noires compte 22 chapitres, un par arcane majeur du tarot. (13) Jack Ryan, le riant Ryan pourrait-on dire, dit à Harry: « Pendant que tu t'élèves dans I'intni, moi, je descends dans l'abîme. »
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il est celui qui a un intérêt contraire au réveil de l'âme divine
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La quête ne sera donc pas facile. Harry devra effectuer sa descente aux enfers, sa plongée au fond de la mine, c'est-à-dire au plus
profond de lui-même. N'est-ce pas là ce que les alchimistes nommaient la .. minière » et la trop incomprise « minne » des troubadours ? Alors seulement il pourra naître une seconde fois et il s'agira d'une naissance en Esprit 115;. Nell sera toujours la petite lumière qui le guidera dans l'obscurité et le soutiendra malgré sa propre faiblesse. Longtemps elle disparaîtra à chaque fois qu'il voudra se saisir d'elle. Quel néophyte n'a pas ressenti ces impressions fugaces d'une clarté de l'esprit, qui est comme un appel, mais que l'on ne peut retenir tant que l'on demeure le jouet de ses sens et de ses passions (16) ? Harry ne perçoit la manifestation de son anima que parce qu'il est disponible, « en attente », ayant préféré intérioriser (rester au fond) que vivre de façon superficielle (à la surface). Le désir éveillé par ces visions est suffisant pour inciter Harry à poursuivre une véritable quête à côté de laquelle rien n'existe : « Je le saurai, quand il devrait m'en coûter la vie ! », dit-il. Il ira jusqu'au bout de Harry, ses forces : .. Demain, je descendrai dans cet abîme ! j'implorerai Non, car son aide pour c'est tenter Dieu, cela ! - estJack, y descendre " ('7). Harry au fond de la mine mais pour découvrir la perle cachée, son âme, pour l'extirper de la matière, il lui aura fallu aller encore plus loin, trouver un puits qui descend encore plus profondément dans les entrailles du globe. Là, il se rencontrera lui-même, mais gare à lui s'il n'est pas le pur et fol auquel est réservée la promesse du Graal. Jules Verne souligne le danger : « Si quelque ennemi personnel menaçait Harry, s'il se trouvait au fond de ce puits où le jeune mineur allait le chercher. , Il descend au bout d'une corde (18), mais il est accompagné et ses
1ta) « Je vois dans cette affaire un intérêt contraire au nôtre », dit I'un des héros. L". enfants qui sont nés à la Nouvelle-Aberfoyle dewont naître une seconde
(")
fois : " Voilà 18 mois qu'ils ont cessé de téter leur mère, et pourtant ils n'ont pas encore vu le jour. " ('o) Harr,' était « frappé de certains phénomènes », dont il cherchait en vain l'explication. 1171 L'aide diüne apparaît nécessaire et on retrouve cette idée dans un autre passage : « Sans un être secourable que Dieu leur a envoyé, un ange peut-être (...), un guide mystérieux, ils ne seraient jamais sortis de leur tombe. » (tE) Comparable à la corde d'argent des Tibétains.
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qu'il tirera sur la corde. Et Harr), descend dans l'axe du puits. Là, il faut suivre l'admirable texte de Jules Verne, l'un des plus beaux jamais écrits concernant camarades doivent le remonter aussitôt
une descente aux enfers. << Ses compagnons le laissant glisser, il s'enfonça lentement dans le puits. Comme la corde subissait un léger mouvement de rotation la lueur de sa lampe se portait successivement sur chaque point des parois, et Harry put les examiner avec soin. (...) n n'existait aucune galerie latérale dans la paroi du puits,lequel s'étranglait peu à peu, en forme d'entonnoir. Mais Harry commençait à sentir un air plus
que l'extrémité - d'où il conclut inférieure du puits communiquait avec quelque boyau de l'étage inférieur de la crypte. La corde glissait toujours, l'obscurité était absolue. I-e silence, absolu aussi (...). Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne s'était pas réalisée, c'est-à-dire que, pendant sa descente, la corde ne ftt coupée au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarqué aucune anfractuosité dans les parois qui pût receler un être quelconque. L'extrémité inférieure du puits était fort rétrécie. Harry, détachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne s'était pas trompé dans ses conjectures. Un étroit boyau s'enfonçait latéralement dans l'étage inférieur du gisement. Il eût fallu se courber pour y pénétrer et se traîner sur les mains pour le suivre. Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si elle aboutissait à quelque abîme. Il se coucha sur le sol et commença à ramper. » Et là, un corps « glacé aux extrémités, il n'était pas encore refroidi tout à fait ,. « L'attirer à soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la lumière de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut à le dire. , « Un enfant », s'écria Harry (1e). Oui, cette anima est encore un enfant car il faudra lui permettre de se développer. << L'enfant, retrouvé au fond de cet abîme, respirait encore, mais son souffle était si faible que Harry put croire qu'il allait cesser. Il fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite créature à l'orifice du puits, et la conduire au cottage, où Madge lui prodiguerait ses soins. » Harry remonte mais la corde cède sous I'attaque du harfang. Si les compagnons de Harry ne I'avaient pas attrapé à ce moment précis, c'en eût été fini de lui. Harry serait resté au fond de la minière avec son anima.
frais qui venait d'en bas,
1te) « Elle paraissait n'appartenir qu'à demi à I'humanité.
»
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Jules Verne met ainsi clairement en garde contre les expériences mystiques tentées sans aide ; la corde d'argent rompue, c'eût été la folie pour le moins ! Harry remonte Nell, fille de la nuit (20). Lorsqu'on I'interroge, elle s'écrie : << J'ai faim. Je n'ai pas mangé depuis... depuis... » Elle ne peut fournir de date et montre qu'elle n'a pas la notion du temps; elle ne connaît pas son âge, ne sait pas ce que représente un jour, une année (21). Ainsi l'anima reste à éduquer, et, de toute façon, le temps n'a pas de prise sur elle puisqu'elle est éternelle. Elle était seulement en sommeil, telle une belle au bois dormant. Il
faut que Nell-l'anima abandonne le royaume des ténèbres et accepte le monde solaire pour que les noces mystiques soient élébrées : << J'ai donc hâte, Nell, de t'entendre me dire : viens Harry, mes yeux peuvent supporter la lumière du jour, et je veux voir le soleil ! Je veux voir l'æuvre de Dieu ! », dit Harry. Quant à Nell, la fille de la nuit, elle est déchirée et répond : « Les ténèbres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitués à leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait à suivre dans leur vol. (...) Il faut avoir vécu là pour comprendre ce jour enfin, Nell est prête à voir le soleil. que je ressens (...) ". Un Elle va découvrir le ciel, les nuages, la lune, les étoiles. C'est James Starr qui conduira Nell, lui qui tout au long de cette histoire joue un rôle d'initiateur. La première eau rencontrée par Nell à la surface sera salée. Elle sera le signe d'un baptême, suivant en cela le même symbolisme que celui de la cérémonie chrétienne. L'anima renonoe au monde de la nuit et accepte de recevoir la lumière diüne. Elle renonce à Satan-Silfax-Lucifer, à ses pompes et à ses æuvres. Iæs yeux de Nell supporteront aisément la lumière de la lune, cette pompe à âmes, comme l'appelaient les anciens. Elle éprouvera cependant une sorte de vertige car elle n'a, jusque-là, connu que ce que l'on peut appeler le monde à l'envers, le monde souterain-infernal. « Il semble que le firmament soit comme un profond abîme dans lequel on est tenté de s'élancer >», dit James Starr. A l'aube, Nell découvre l'astre lumineux; c'est presque trop pour elle et elle se sent faiblir.
(æ) Nell peut également apparaître comme une abréüation de Séléné, Héléna, qui personnifïe la lune. 12t) « On voyait qu'elle n'était pas habituée à diviser le temps, ni par heures, ni par jour, et que ces mots mêmes lui étaient inconnus. ,
52
JULEs vERNE FRANc-MAçoN
Elle tombe alors sans connaissance dans les bras d'Harry, prêts à la recevoir. Il faudra l'éduquer peu à peu, il est trop tôt encore pour qu'elle se laisse envahir par I'astre d'or et cet épisode correspond très exactement à la remise du bandeau sur les yeux du néophyte après qu'une lumière éblouissante lui ait été présentée lors de
I'initiation maçonnique. Cette première victoire, ce premier pas sur la voie qui conduit aux noces mystiques, provoque une réaction du vieil homme et le lac Katrine se vide dans la Nouvelle-Aberfoyle. « Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a juré la perte de la NouvelleAberfoyle, et qu'un intérêt le pousse à chercher tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il nous a vouée ! Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans I'ombre qu'il prépare ses embûches, mais I'intelligence qu'il y déploie fait de lui un homme redoutable. Mes amis, il possède mieux que nous les secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il échappe à nos recherches. >» Qui aurait un tel intérêt sinon le vieil homme ? Et Jules Verne insiste : « Cherchez bien, il y a des monomanies de haine que le temps n'éteint pas. Remontez atJ plus haut de votre vie s'il le faut. Tout ce qui se passe est l'æuvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui exige que vous évoquiez sur ce point jusqu'à vos plus lointains souvenirs. Silfax sait tout, il est le << roi de I'ombre et du feu », avec un « égoïsme de fou ». Nell doit-elle se sacrifier, elle qui a pu << connaître le bonheur dès ce monde >>, ce qui n'est pas le cas de toutes les âmes. Cette belle au bois dormant réveillée, Harry et James Starr ne la laisseront pas retourner dans les ténèbres. Mais lorsque Harry et Nell seront sur le point de se marier, on verra arriver Silfax, sur un bateau, la tête couverte d'une cagoule, accompagné de son harfang au plumage noir et blanc. L'affaire se termine bien sûr par la mort du vieil homme. Alors seulement Nell se trouve complètement libérée de la matière et peut s'unir à Harry. Les noces mystiques sont célébrées dans la chapelle souterraine de Saint-Gilles, détail que les ésotéristes apprécieront. >»
« Les Indes Noires » de lules Verne et « Mozart : deux æuvres maçonniques,
La Flûte
enchantée » de
Jules Verne a écrit une @uvre initiatique et mystique, nous l'avoir suffisamment démontré, mais il suit un canevas
pensons
JULES VERNE
FRANC-MAçON
53
précis qui est celui de l'une des plus belles æuvres maçonniques jamais réalisées : La Flûte Enchantée,le célèbre opéra de Mozart. On sait que Jules Verne aimait beaucoup ce musicien; dans Les hfanæ du Capitaine Grant il fait entendre dans le désert I'air << Il mio tesoro tanto >» de son Don fuan, << cette sublime inspiration du Maître des maîtres », à Paganel, personnage dont le nom rappelle h Papageno de La Flûte.l* rapport deüent plus particulièrement éüdent lorsque Paganel fait surgir comme par enchantement des oiseaux de toutes sortes autour de lui, allant parfois jusqu'à se croire l'un d'eux. En tout cas, il est remarquable de voir combien le canevas de cùacune des deux æuvres peut se superposer à l'autre. Le tableau comparatif suivant en fait foi.
La Flltte Enchantée
I"
Les Indes Noires
Acte : 7"'tableau :
o Le rideau se lève sur un
site o Au début du roman on découwe s:nrvage dans les montagnes, sym- la région d'Aberfoyle, en Ecosse, bole chaotique de la nature encore région désolée. [æs houillères ont üerge et inculte, avec çà et là été abandonnées, faute de charbon. quelques arbres, espoirs d'une Iæs puits sont délaissés, les galeries renaissance à la üe. De chaque désertes, et l'ensemble est une côté, d'énormes montagnes auprès image du chaos, de I'univers soumis d'un temple rond. aux éléments. Jules Verne rappelle quels sont les dangers de la mine : éboule-
ments (terre), incendies (feu), inondations (eau), coups de grisou (air) qui frappent oomme la foudre. La üe semble suspendue.
o Le prince Tamino est poursuiü . Harry Ford, équivalent
de
par un serpent. Sans annes, il s'éva- Tamino, explore avec ses amis une noüt devant ce dragon. Cet éva- nouvelle galerie. L'espoir de rendre nouissement apparaît comme une la vie à la mine réjouit Harry. image symbolique de la mort. l,orsqu'il s'agit de rentrer, le passage est bouché. Harry et les siens manquent mourir de faim et s'évanouissent.
o Trois femmes voilées, gères de la Reine de la
messa-
o Harr)'et
les siens sont sauvés par ne
Nuit, tuent Nell, fille de Silfax, I'homme qui
54
JULES VERNE FRANC-MAçON
La Flltte Enchantée
Les Indes Noires
le monstre et contempient la beauté quitte pas le monde de la mine et de du prince évanoui. la nuit. Nell est touchée par Harry.
o Entre Papageno (le papegeai- o Conduit par une lueur mystéperroquet), l'oiseleur, qui laisse rieuse (portée par Nell), Jack Ryan croire à Tamino que c'est lui qui I'a amène des secours et permet de sauvé. Les trois messagères puni- tirer Harry du mauvais pas dans ront Papageno de son mensonge. lequel il se trouve. Or, Jack Ryan est, tout comme Papageno, lié à l'élément .< air » : il est piqueur
(joueur de cornemuse). Comme Papageno, il est superstitieux, amoureux de la bonne üe, buveur, et pas très profond. De plus, son nom, Jack, rappelle
lui aussi celui du papegeai : Jacquot Ie perroquet. Sur I'une des gravures
Ie représentant, Jack
semble
accompagné par des oiseaux volant dans le ciel. Ryan, il est gai comme son oiseau-totem.
o Les messagères de la nuit remet- o Harrlr s'éprend de l'être qui I'a tent à Tamino le portrait de sauvé sans même le connaître. Il est Pamina, la fille de la Reine, que le méchant génie Sarastro garde prisonnière. Pamina a été enlevée un jour de mai (en rapport avec la nuit de Walpurgis) alors qu'elle était assise dans un bois de cyprès, son séjour préféré (séjour des morts).
prêt à tout pour retrouver la mystérieuse lueur aperçue dans une galerie.
Dans I'un et l'autre cas, cette première phase de I'initiation consiste à découvrir le chemin de l'amour et celui de l'anima. Harry
Tamino s'enflamme pour cette pressent-il que I'inconnue est pribeauté et promet de la délivrer. Les sonnière, tout comme Pamina ?
lui remettent une fltte enchantée et donnent à Papageno un jeu de clochettes magiques. messagères
2' tableau :
o La
scène se passe dans une o Nell a été punie par Silfax et chambre d'un palais égyptien. Trois enfermée dans une profonde galeesclaves se réjouissent de la fuite de rie. Elle n'est pas gardée par un Pamina, mais celle-ci est ramenée maure mais par le harfang, oiseau par le Maure Monostatos gui la de nuit, oiseau de mort, qui I'aime convoite et veut la charger de fers. en même temps passionnément.
JULES VEnNE FRANC-MAçON
55
Les Indes Noires
La Flûte Enchantée
r
Papageno apprend à Pamina o Jack aidera Harry lorsqu'il vienlerrivée prochaine de son libéra- dra sauver Nell. tsù.
r
Pamina redoute que sa mère, la o Pendant longtemps, Nell ne cessera pas de s'inquiéter pour Silfax. Rcine de la Nuit, s'inquiètc.
r
o Nell s'évanouit.
Pamina ÿévanouit,
T nblcau: scène représente trois tem-
. Harry a pour ami et maltre
plcs dans un bois sacré : le Temple
l'équivalent de Sarastro: I'ingé-
t Ia
dc la Sagesse, le Temple de la Raison et le Temple de la Nature. Trois enfants guident Tamino rers les Temples où il cherche
nieur James Starr. Sarastro est lié à
un symbolisme solaire dans La Flltte Enchanrée, mais il s'agit d'un « Soleil Noir
r,
I'astre mystérieux
Sarastro, I'cnnemi de la Reine de la cher à Dürer et à Nerval. Son nom
Nuit. il est accueilli par un vieux nous le dit clairement : SAR (noir, prêtre et apprend quc Sarastro nuit), ASTRO (astre). Dans le n'est pas l'être maléfique qu'on lui même ordre d'idées il ne faut pas oublier que les Templiers ont rrait dépcint. consacré des églises à Notre-Dame-
la Real-de Sar, la Reine de la Nuit. Dans les Indes Noires, James Starr porte lui-même le nom d'un astre qui brille dans la nuit (sar: é-
toile en anglais). Jacques Chailley dit de Sarastro : « Celui-ci est, dans la pièce, un personnage statique,
presque une abstraction.
ni
Il
ne
ni péripéties. Symbole solaire, il n'est point
connaît
passions,
marié et règne sur son monde d'initiés... » On pourrait écrire exactement la même chose à propos de James Starr dans le roman de Jules Verne.
r
o Harrÿ, aidé de Jack, le piper, sa fltte sort Nell du trou dans lequel elle se
Tamino interroge les astres. Des
voix I'encouragent.
A
épond le flûteau de Papageno qui trouvait prisonnière. vient, accompagné de Pamina. Monostatos les poursuit, mais les a Le harfang, rapace nocturne, dochettes magiques de Papageno attaque Harry et cherche à l'empêcharment le Maure et le font fuir. cher d'emmener Nell. Cet oiseau, qui a été dressé par Silfax (comme
o
,ULES VERNE FRANC-MAçON
56
La Flûte Enchantée
Les Indes Noires
Monostatos est au service de la Reine de la Nuit), ressent un puissant amour pour Nell. Sarastro punit Monostatos de sa . James Starr décide de garder Il unit Tamino et Pamina, Nell et de la mettre sous la protecpuis il les sépare afin de les soumet- tion d'Harry et de ses parents, tre à des épreuves dont ils devront unissant donc en quelque sorte les deux jeunes gens. Mais quelque triompher. chose les sépare encore et seules les épreuves vécues ensemble ou sépa-
o
jalousie.
rément permettront leur union. 2e acte
:
Cet acte sera occupé par les épreuves initiatiques qui seront calquées sur les voyages du rituel maçonnique au grade d'apprenti. Ainsi apparaîtront successivement
les quatre éléments
:
Terre, Air,
Eau et Feu.
1" tableau :
o La scène se passe dans une pal- . Jules Verne, à propos de la Noumeraie près de pyramides égyp- velle-Aberfoyle, évoque les hypoüennes, rappelant les rites de la gées égyptiennes. Franc-Maçonnerie égyptienne. Dix-huit sièges faits de feuilles évoquent le grade de Rose*Croix. . Sarastro demande aux dieux
o L'idée d'une union
entre Harry
la sagesse au couple et Nell est encouragée par James Tamino-Pamina et les initiés réunis Starr. Cependant, certaines d'accorder
décident de les admettre aux épreuves seront épreuves.
nécessaires. Nell
doit connaître la üe hors de la mine
Osiris et Isis ayant été évoqués, avant de faire son choix. Aura-tTamino et Papageno sont conduits elle la forcp de résister à la tentadans les souterrains du Temple où tion du soleil et d'une vie ils subissent diverses tentations commune, au profit d'une << vie
qu'ils doivent surmonter par le intérieure »? silence. Tamino triomphe de Harry prend le risque de faire l'épreuve alors que Papageno a connaître Ie monde extérieur à bien du mal à se taire.
Nell.
JULBS VERNE FnANC-MAçON
La Flûte Enchantée
57
Les Indes Noires
I
tableau: La sêne se passe dans un jardin.
. La sortie à l'air libre s'effectue tente de de nuit. Nell subit I'assaut des réduire Pamina. La Reine de la forces de la terre. Mais, tout Nuit remet à sa fille un poignard comme Pamina refuse de croire la pour tuer Sarastro. Le Maure s'em- Reine de la Nuit, Nell ne se laisse pare du poignard et menace pas tenter par le monde commun. o
tr fait nuit. Monostatos
Pamina, mais Sarastro I'arrête et le De même, malgré les tentatives de
Silfax pour la reprendre, elle restera auprès d'Harry.
cüasse.
o Papageno reste lié aux plaisirs tenestres et Sarastro lui donne une oompagne à sa mesure : Papagena. Papageno a raté l'épreuve de I'eau. II boit un peu trop, la terre s'ouwe et il est englouti.
o Jack
Il
reste lié aux plaisirs terres-
demeure un homme de la surface, bon buveur et joyeux
tres.
drille. Lui aussi rate son épreuve de I'eau en interprétant mal l'effondrement du lac Katrine (comme si la terre s'ouwait).
o Tamino et Pamina
subissent
l'épreuve de I'eau.
. Epreuve de l'eau : effondrement du lac Katrine et inondation d'une partie de la mine.
o Tamino, lié par l'épreuve du o C'est Nell, ici, qui ne peut
parler
silence, ne peut parler à Pamina qui et qui refuse de révéler son secret à Harry. Elle redoute Silfax. Harry sc désespère.
subit également, d'une certaine façon, une épreuve du silencp: il lui faut en effet beaucoup de patience et d'amour pour se taire, pour ne pas poser sans arrêt les questions qui lui brûlent les lèvres.
I
tableau:
o La scène se passe dans cavernes du Temple.
les
o La scène se
passe dans les
cavernes de la mine.
a De sous terre, conduites par o Silfax, aidé du Harfang, s'apMonostatos, la Reine de la Nuit et prête à mettre le feu à la mine et à ses dames s'apprêtent
à livrer tout faire sauter en portant une
bataille contre Sarastro. Tous por- torche jusqu'à une gigantesque tent en main des flambeaux noirs poche de grisou. (Monostatos, repoussé par Pamina, r Le harfang, après le sauvetage était allé offrir ses services à la de Nell par Harry, avait rejoint Reine de la Nuit). Silfax. Tout comme Monostatos, le
o La Reine de la Nuit maudit sa harfang est en quelque sorte
le
,ULES VERNE FRANC-MAçON
s8
Les Indes Noires
La Flûte Enchantée
fille. Jacques Chailley écrit : « l* symbole d'un amour vulgaire jour où
sa propre fille lui sera raüe pour participer, avec l'Homme élu, à son ascension et former avec lui le couple parfait, sa fureur ne connaltra plus de bornes. »
dégradé.
o Silfax maudit Nell qu'il a élevée comme sa fille. Les remarques de Jacques Chailley concernant la Reine de la Nuit pourraient tout aussi bien se rapporter à Silfax.
o Un coup de tonnerre et la Reine o L'éclair lumineux est éüté car le Harfang obéit à Nell plutôt qu'à est engloutie avec sa suite. Elle disparait dans les dessous de Silfax. la Terre : le féminin (la Reine) Ce dernier tombe de la barque et s'abîme dans
le masculin (terre).
s'enfonce dans les profondeurs du lac : le masculin (Silfax) s'abîme dans le féminin et s'y engloutit (eau).
ayant triom- o Harryret Nell ayant triomphé des phé des épreuves de l'eau et du feu épreuves de I'eau et du feu sont dignes I'un de I'autre. sont dignes I'un de I'autre. Les puissances de la Nuit sont Silfax a disparu et les habitants vaincues et Tamino et Pamina sont de la Nouvelle-Aberfoyle ne risconsacrés aux côtés de Sarastro. quent plus rien. Harry et Nell sont
o Tamino et Pamina
I"eur union est un aboutissement. de véritables héros aux côtés de James Starr. Leur mariage est célébré.
Jacques Chailley écrit à propos de La Flûte Enchantée (22) : Tout autant que sur l'initiative de Tamino et plus encore peutêtre, la Flûte est centrée sur le drame de passage de Pamina d'un milieu à I'autre. Passage douloureux qui exige au départ un véritable enlèvement contre son gré, motivera larmes et souf<<
frances, mais aboutira à I'apothéose finale du couple. » Ne dirait-on pas que cela a été écrit au sujet de Nell ?
lules Verne et la Franc-Maçonnerte Ecossaise.
La plupart des auteurs qui se sont préoccupés de l'aspect initiatique de l'æuvre de Jules Verne ont mis en évidence une (22) Jacques Chaitley, La Flûte Enchantée, opéra naçonnQne, Editions d'aujour'
d'hui.
JULES VERNE
FRANC-MAçON
59
lnrcture se développant en ce sens, mais ils se sont
aussitôt
cmpressés de faire marche arrière en mettant ceci sur le compte de
Finconscient. De la même façon, certains seraient sans doute tentés dire que les rapports existant entre La Flûte Enchantée et Les htdcs Noires ne prouvent pas que Jules Verne ait eu conscience de ?aspect maçonnique de I'opéra de Mozart. Simone Vierne écrit : : On peut sans doute penser qu'il n'a pas ignoré ce qu'était la Franc-Maçonnerie : dès 1864, il dirige aux côtés de Jean Macé (æ) b Magasin d'Education et de Récréation d'Hetzel, et dans une btrre à ce dernier il écrit même : << Je I'aime et je lui dois plus qu'à rcus (...) Il est mon directeur spécial. (...) Son ami, le musicien " Hignard, avec qui il fait son premier voyage en Ecosse, et son voyage au Danemark et en Norvège, est lui aussi maçon. Dans fentourage du républicain et agnostique Hetzel, les Franc-Maçons devaient être nombreux. Mais tout ce que I'on peut dire, c'est qu'il
è
e dû entendre parler de ces doctrines; peut-être $llicité, ments.
mais
il
même fut-il
ne fut pas initié lui-même, d'après nos renseigne-
»
J'aimerais fort savoir ce que sont ces « renseignements »». Quelle timidité dans le jugement ! Si Jules Verne n'avait pas été lui-même Franc-Maçon, aurait-il aussi bien connu les rituels ? Aurait-il éprouvé le besoin de citer scrupuleusement tous les temples maçonniques rencontrés sur sa route dans la relation (inédite) de son voyage en Angleterre et en Ecosse ? Aurait-il, dans Les Enfants du Capitaine Grant, fait allusion aux loges de FrancsMaçons, « signes de civilisation » ? Aurait-il signalé également un æmple maçonnique dans Robur-le-Conquéranr? Sans parler des signes de reconnaissance dans Les 5N Millions de la Begum et de multiples autres allusions. Sans oublier non plus I'invocation au Grand Architecte de l'Univers dans Ze Voyage au Centre de la Tene, où la nature procède avec équerre, compas et fil à plomb, ou encore le jeu de mot d'Aronnax (24) sur les wais colimaçons. Fautil signaler également Le Rayon Vert, dans lequel Jules Verne dit d'un jeune imbécile nommé Aristobulus Ursiclos qu'il n'écoutait pas, ne voyait rien et ne se taisait jamais; la devise contraire, « Audi, Vide, Tace », étant formule de sagesse pour les FrancsMaçons. Et puis il y a M. Dubourg, dans Chôteaux en Californie, (B) Jean Macé était un Maçon très influent. (2o) Cf. 20000 licues sow les Mers.
60
JULEs vERNE FRANc-MAçoN
qui invoque Dieu en pressant sur son cæur ses outils de travail
:
une équerre, un compas, un plomb à niveau. On n'en finirait pas de citer de tels exemples. Mais, pour revenir aux Indes Noires, il nous semble que ce roman suffirait à lui seul à prouver I'appartenance de Jules Verne à la Franc-Maçonnerie, plus spécialement à sa branche écossaise. L'un des principaux protagonistes de cette histoire (qui se déroule en Ecosse), qui va servir d'initiateur, se nomme James Starr. C'est lui qui vient rendre la vie à la mine après sa fermeture durant de longues années. Nous avons vu que son nom évoquait celui de Sarastro, mais ce n'est pas tout. Jules Verne a réalisé avec lui un double jeu de mots : James Starr, c'est aussi le rappel de James Stuart ("), l" roi qui réveilla la maçonnerie mise en sommeil après le procès des Templiers si l'on en croit la légende, tout comme James Starr réveille la mine. Et Starr habite Edimbourg, dans la Canongate qui contenait autrefois les maisons de la noblesse écossaise et au bout duquel se trouve le palais royal d'Ecosse : Holyrood. James Starr, nous dit Jules Verne, appartient à une vieille famille d'Edimbourg et il fait partie de la société des antiquaires écossais dont il a même été nommé président. L'allusion à la FrancMaçonnerie devient tout à fait évidente lorsque Verne insiste : « Il tenait un haut rang dans cette vieille capitale de I'Ecosse. » Ne faut-il pas lire : il était d'un haut rang, d'un haut grade, dans la Franc-Maçonnerie écossaise ? D'ailleurs, l'une des gravures nous présente James Starr en pied, à côté de lui : sur un livre (sans doute l'Evangile de Saint lean) un té faisant office d'équerre est posé aux côtés d'un compas. Et ce n'est pas tout car James Starr, nous dit Jules Verne, appartient à la « Royale Institution >>. De quelle institution royale écossaise pourrait-il s'agir, sinon de la FrancMaçonnerie Ecossaise instituée par James Stuart ? Le président se norlme Sir W. Elphiston, nom ô combien révélateur. Elphiston (26) est en effet El-phis-ton ou el-fils-stone : le fils de la pierre. Quel beau nom pour un maçon et quel clin d'æil de la part de Jules Verne qui est lui-même le fils de Pierre puisqu'il s'agit du prénom de son père. C'est Elphiston que James Starr avertira lorsqu'il ne
(')
En 1603, Jacques VI d'Ecosse devint Roi de Grande-Bretagne sous le nom de James lrst et devint Grand-Maître des Maçons Opératifs Anglais. (26) C'est également te nom d'un personnage figurant dans De la terre à la lune.
JULES VERNE
FMNC-MAçON
6L
se rendre à une réunion, tout comme le maçon est tenu Jalerter le vénérable de sa loge en pareil cas. La mine elle-même apparaît comme une loge puisque ses bbitants sont désignés comme des Enfants de la Veuve : <,< La rieille houillère va donc rajeunir, comme une veuve qui se r:marie. » Bien d'autres détails sont significatifs. Ainsi, au début ù roman, on voit James Starr évoquer de vieux souvenirs avec
F[rra
Ilarry;
aux questions de ce dernier, Starr ne répond pas car ils sont I I'extérieur et pourraient être entendus. Il se contente de dire, qxnme le ferait un maçon pour signaler à un frère le danger d'être rurpris par des oreilles indiscrètes : .< Couvre-toi donc, Harry, il 1Èut. " De même, plus tard, Simon Ford dira : « il pleut là-haut, Ë il ne pleut jamais >>, car alors il se trouve dans la mine. Il aurait æssi bien pu dire : la loge est couverte, car cette << vaste salle, éclairée par plusieurs lampes >> est une loge, un temple maçonnique, et lorsqu'il s'agira d'initier Nell à la lumière, étant à l'extérieur de la mine, on inversera les termes : la tenue ne se tiendra pas de Eidi à minuit comme le veut le rituel franc-maçon, mais tout au ontraire « de minuit à midi, elle subirait ces phases successives d'ombre et de lumière auxquelles son regard pourrait s'habituer 1rcu à peu ».
Tous les rituels maçonniques font état de la purification par les quatre éléments. De même, Nell, enfermée sous terre comme dans un cabinet de réflexion, rencontrera I'air en sortant au-dehors, puis prendra un bateau qui la mettra en contact avec I'eau, avant de découvrir le feu du soleil. D'autres allusions aux quatre éléments sont faites tout au long de I'ouvrage, comme nous I'avons vu (27). Enfin, il faut parler de Harry, héros de cette aventure. Qui estil? Jules Verne nous le dit : Harry Ford est le « type parfait du lowlander >>. Le mot << lowlands » signifie .< basses terres )); donc, Harr,, est un habitant des basses-terres. Mais Jules Verne avait une raison bien précise d'employer ce terme : << en-bas » se disant « down >>, on peut aisément transposer << lowlands )> en << landsdown >>, terme qui désigne les plus anciennes constitutions maçonniques, qui datent du xvr' siècle (æ). Harry, <( c'était en même temps
(')
Parmi celles-ci rappelons
: « La lutte
de tous les instants, le danger des
éboulements (terre), des incendies (feu), des inondations (eau), des coups de grisou
(air).
(") "Cf. Jean Tourniac,
Principes et problèmes spirtuels du rite écossais rectifié et
de sa chevalerie templière, éd.
Dervy, page
11 .
62
JULEs vERNE FRANc-MAçoN
qu'un solide cornpagnon ('e), ute brave et bonne nature ». Il est bien entendu lui-même fils de maçon (loveton) puisque : « guidé par son père, poussé par ses propres instincts, il avait travaillé, il s'était instruit de bonne heure, et, à un âge où I'on n'est guère qu'un apprenti, il était anivé à se faire quelqu'un * I'un des premiers de sa condition -, dar* un pays qui compte peu d'ignorants car il fait tout pour supprimer l'ignorance. Si, pendant la première année de son adolescence, le pic ne quitta pas la main d'Harry Ford, néanmoins le jeune mineur ne tarda pas à acquérir les connaissances suffuantes pour s'élever dans la hiérarchie de la houillère, et il aurait certainement succédé à son père en qualité d'overman de la fosse Dochart, si la mine n'ett pas été abandonnée ». Cela se passe de commentaires : Harry, fils d'un maçon supérieur (l'overman, étymologiquement, est celui qui est au-dessus des autres hommes), a pu recevoir un enseignement maçonnique plus tôt qu'un autre, privilège réservé aux frls de maçons. Quant au pays qui fait tout pour supprimer I'ignorance, il est bien évident qu'il désigne la Franc-Maçonnerie Ecossaise qui a toujours affiché cette volonté. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'ajouter quoi que ce soit pour démontrer l'appartenance de Jules Verne à la Franc-Maçonnerie; cependant, pour les plus incrédules, je ferai une dernière remarque.
Il
aurait été assez simple pour Jules Verne de se procurer des renseignements sur les rituels d'apprenti, de compagnon et de maitre, mais il en va différemment des hauts grades. Or, dans Michel Strogoff, c'est I'un de ces derniers qui est évoqué. On voit en effet le héros combattre un ours et, beaucoup plus loin, Michel Strogoff est supplicié et devient aveugle, Or, on peut lire dans .La Franc-Maçonnerie Templière et Occultiste de Le Forestier (page 52) un passage qui concerne les grades d'Elus ou de Vengeance : << Le candidat se présentait au vénérable avec des gants maculés de rouge et déclarant qae le sazg qui tachait ses mains était celui de l'ours, du tigre et du lion que les criminels avaient dressés à garder I'entrée de leur repaire; le récipiendaire consentait à mourir dans les plus terribles supplices, << après que ses yeux aient été privés de la lumière par le fer rouge », s'il violait jamais son sennent de discrétion. »
C'est exactement ce qui arrive à Michel Strogoff qui viole son serment de discrétion pour sauver sa mère. (æ) C'est nous qui soulignons.
DEUXIEME PARTIE TULES VERNE
ET LE rnÉson RIYAL
DE
RENNES+g-cruÂTEAU
I LE
TRTJSOR
DE L'ABBÉ SAI.]MÈRE
Dérenger Saunière.
Curieuse histoire que celle du Trésor de Rennes-le-Château, orieuse histoire dont Jules Verne, nous le prouverons, détenait les e ('). Situons tout d'abord le cadre de cette aventure : un petit village occupant le sommet d'une éminence dominant la vallée de fAude, au sud de Carcassonne ! C'est par une route assez étroite, grimpant très rapidement au milieu des terres rouges et des genêts d'or, que l'on se rend de Couiza à l'ancienne capitale du royaume Yisigoth. Pays étrange et fascinant, terre de contraste, le Razès fait partie des Corbières. Sans cesse l'homme y côtoie les éléments de hpn tangible. Les collines sont écrasées de soleil et le vent y æuffle tandis que les vallées, fort vertes et souvent fraîches, ebritent des rivières quelque peu torrentueuses, se frayant un ôemin entre des versants creusés de grottes. Terre d'alchimie, le Razès est I'un des lieux de France les plus chargés sur le plan ellurique. C'est là, dans cette terre de feu et d'eau, que naquit FrançoisDérenger Saunière, à Montazels, le 11 avril 1852. En 1885, il se retrouva curé du petit village de Rennes-le-Château. A 33 ans, cet homme à la carrure de rugbyman, au regard vif et parfois un peu inquiétant, au üsage volontaire, débutait, sans le rayoir, une nouvelle vie. L'église, dédiée à Sainte-Marie de Magdala, ne dut guère rassurer notre curé. Elle tombait pratique(r) Cette affaire ne commença à êfie réellement connue du public qu'à partir de |oüer 1956, période des premiers articles sur la question dansla Dépêche du Midi.
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ment en ruine et le prêtre était parfois obligé de célébrer la messe sous la pluie qui traversait le toit crevé. C'était la misère noire et
l'abbé souffrait particulièrement de ne pouvoir acheter les livres dont il avait besoin pour parfaire ses connaissances en latin, grec et hébreu. Séduite par ce personnage, une jeune fille de dix-huit ans, Marie Denarnaud, abandonna l'atelier de chapellerie dans lequel elle
travaillait pour se faire sa servante.
Il
semble bien qu'elle soit rapidement devenue la maitresse de ce curé dont on disait dans le pays qu'il avait le sang chaud. Elle partagea ses secrets et refusa toujours de les dévoiler à ceux qui voulaient la faire parler, et cela jusqu'à la minute ultime de sa mort. Bérenger Saunière n'était pas homme à reculer devant I'adversité du sort. L'église était en mauvais état, il convenait donc de la réparer. Un de ses prédécesseurs, l'abbé Pons, avait légué à la paroisse une petite somme, malheureusement insuffisante pour procéder aux réparations nécessaires. Cela devait du moins permettre de parer au plus pressé et les travaux commencèrent en 1888.
La découverte d'un premier trésor. Pour poursuivre les réparations, Bérenger Saunière parvint à décider la municipalité de Rennes-le-Château à consentir un prêt. L'abbé n'avait alors aucune idée de la façon dont il pourrait rembourser.
En 1891 furent donc entrepris des travaux plus importants. La table de l'autel était endommagée, on décida de la déplacer et, surprise, on s'aperçut à cette occasion que le pilier de facture wisigothique sur lequel elle reposait était creux. A l'intérieur, I'abbé trouva, au milieu des fougères sèches, trois tubes de bois scellés à la cire et contenant des parchemins. Saunière prévint la municipalité et décida avec elle de vendre les parchemins de façon à rembourser tout ou partie du prêt consenti. Cela ne pouvait se faire du jour au lendemain et, en 1893, l'évêque de Carcassonne, Félix-Arsène Billard, persuadait Saunière de l'intérêt des parchemins. Qu'avait-il découvert dans leur contenu ? Un indice suffisamment important pour qu'il fasse donner à Saunière par l'évêché de quoi rembourser I'emprunt accordé par la
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municipalité sans avoir à vendre le document. Mieux, il envoya Bérenger Saunière à Paris et l'introduisit auprès de I'abbé Bieil, directeur de Saint-Sulpice. Autour de la paroisse Saint-Sulpice gravitaient alors nombre d'occultistes, de spécialistes de I'histoire ct des religions anciennes, et des membres de sociétés secrètes. Là, il trouva également des hommes fort versés dans les langues anciennes et les langages secrets, qui se chargèrent de décrypter les mystérieux parchemins. Cela leur était d'autant plus facile que l'église Saint-Sulpice contenait nombre d'éléments liés au même mystère, nous y reviendrons. Saunière se mit à cette occasion à fréquenter un étrange cénacle pour lequel les sciences occultes ne présentaient guère de secrets. Et le petit curé du pauvre üllage de l'Aude entra dans le grand monde, connut la vie parisienne des salons. Là, il rencontra également une célèbre cantatrice, fort belle, bien oonnue des milieux ésotéristes : Emma Calvé, et celle-ci devint, un æmps, sa maîtresse, vraisemblablement sur ordre d'une société æcrète.
Au bout de trois semaines, Bérenger Saunière revint à Rennesb-Château, sans les parchemins (dont il avait cependant pris des opies) mais muni de précieux renseignements. Sans perdre de æmps, il fit reprendre les travaux dans l'église et fit déplacer une dalle posée au pied du maître-autel. Or, la face tournée vers le sol âait sculptée (2). nUe représentait un cavalier qui semblait maintenir un enfant sur I'encolure de son cheval, et une scène de chasse. A I'emplacement même de cette dalle, Bérenger Saunière fit creuser un trou d'un mètre de profondeur environ, puis il congédia bs ouvriers. Ceux-ci, avant de quitter l'église, avaient cependant an le temps de découvrir deux squelettes ainsi qu'une marmite cmplie d'objets brillants. Aux questions que I'on ne manqua pas de lui poser à ce sujet, Saunière répondit en prétendant qu'il r'agissait de médailles sans valeur. Dans les semaines qui uivirent, il procéda à d'autres fouilles en divers lieux de l'église ct en sortit plusieurs objets sur lesquels on possède peu de précirions.
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Elle est visible de nos jours dans la petite boutique de souvenirs jouxtant
lëise.
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La tombe mystérieuse. Curieusement, Saunière passait une partie de ses nuits enfermé dans le cimetière. Le village finit par s'en émouvoir car le curé outrepassait largement son rôle. De quel droit se permit-il de fouiller une tombe puis de faire disparaître les inscriptions de la pierre tombale ? Cette sépulture était celle de Marie de Negri d'Ables, épouse de François d'Hautpoul, marquis de Blanchefort et seigneur de Rennes, morte un peu avant la Révolution. Pourquoi cet étrange travail? La réponse se trouve sans doute dans le texte qui figurait sur la tombe. Des relevés anciens, que ne connaissait pas Saunière, nous ont renseigné sur celui-ci. On y découvre très vite un certain nombre d'anomalies : fautes d'orthographe dans le nom de la défunte, erreur sur la date du décès, groupes de caractères sans signification apparente, mots coupés
arbitrairement, lettres plus petites que les autres, etc. Autant d'erreurs inadmissibles sur une pierre tombale. Si l'on applique au texte formé par les anomalies une méthode de décryptage bien connue des spécialistes du chiffre (la méthode Vigenère) 13;, liée a une clé contenue dans le texte même, et si l'on double ceci par le <( saut du cavalier »>, autre méthode nécessitant un échiquier, on obtient un texte en clair quoique conservant des aspects sybillins : Bergère, pas de tentation, que Poussin, Teniers gardent la clef; pax Par la croix et le cheval de Dieu, j'achève ce daemon de gardien à midi. Pommes bleues.
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Le texte résultant du décryptage des parchemins censés avoir été trouvés par Saunière était le même.
Une soudaine rtchesse.
Toujours est-il qu'après ces épisodes, Saunière se mit à voyager. L'humble curé, qui n'avait pas un sou vaillant, qui crevait de faim, ouvrit des comptes bancaires en plusieurs endroits, y compris à l'étranger (4). Il cacha soigneusement le but de ces voyages, tout (3) Due à Blaise de Vigenère, responsable pour les Médicis de la fondation de I'Académie d'Arcadie. (1) On a pu retrouver les trac€s d'un compte qu'il ouwit aupês d'une banque de Budapest.
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SAUNIÈRE
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il garda le silence sur les nombreux mandats qui lui rrivaient d'un peu partout en Europe, adressés au nom de sa
Gunme
ærvante Marie Denarnaud. Et lui, le modeste curé de campagne, sans fortune, se lança dans de folles dépenses. Tout d'abord, en 1896, il entreprit de réparer æn église à ses propres frais, et il ne s'agissait pas de simples urénagements mais bien de travaux d'envergure. Sur les indicatbns de l'abbé, des fenêtres furent déplacées, une pièce secrète fut ajoutée à la sacristie, un mur fut peré pour y aménager un escalier eboutissant à la chaire. Un pavé mosaique de dalles alternées, noires et blanches, fut posé. Pendant plusieurs mois, ouvriers et ertistes durent être payés par Saunière pour décorer l'église. A ætte fin, il donna des indications très précises concernant aussi tien le chemin de croix que le calvaire ou le tableau du sermon sur la montagne. Il fit refaire plusieurs fois certains détails et prit le pinceau lui-même pour peindre sainte Madeleine sous l'autel (5). En 1897, il invita son évêque à inaugurer l'église enfin terminée. Que put donc penser Monseigneur Billard face aux curieuses inscriptions figurant sur le porche ? Il semble qu'il n'ait eu qu'une hâte: repartir, et quitter cette trop curieuse église dans laquelle plane une sorte de malaise. Il faut dire que le démon inquiétant qui soutient le bénitier n'est pas pour rien dans I'ambiance. Mais une question s'imposait à tous : d'où Bérenger Saunière tirait-il I'argent qui lui avait permis de financer tous ces travaux ? Iæs « médailles »» trouvées dans l'église ? Même s'il s'agissait de monnaies anciennes, la quantité modeste de pièces n'aurait sans doute pas suffi à la dépense. La question n'était toujours pas résolue lorsqu'en 1900, le curé acheta les terrains qui occupaient le sommet du üllage. Là, en ce site superbe d'où I'on aperçoit les sommets pyrénéens enneigés, tout aussi bien que les douces vallées, il fit édifier une tour néo-gothique à laquelle il donna le nom de Magdala, construire une terrasse à l'allure de chemin de ronde, reposant sur une citerne et quelques belles salles. Il y ajouta une petite serre servant de jardin d'hiver. Puis il fit bâtir la villa Bethania, maison spacieuse à l'allure bourgeoise comportant une dizaine de pièces. Il aménagea un bassin, fit tracer des jardins, (s) Contrairement à ce qui a souvent êté écit, seul ce qü est peint est intéressant dans ce tableau en ronde-bosse, le relief étant lui lié à une représentation courante de Madeleine et ne devant rien à Bérenger Saunière.
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LE rRÉ,soR DE L'ABBÉ,
sAUNrÈRE
enfin il organisa tout un domaine cottant une véritable fortune. D'où venait-elle ? Et comme si cela ne suffisait pas, il mena grande et coûteuse vie, constituant une collection de 100000 timbres, une autre de 10000 cartes postales, accumula les livres rares et fit photographier à ses frais toute la région. Il recevait dans sa villa nombre de personnalités, parmi lesquelles on peut citer le secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts Dujardin-Baumetz, mais aussi et surtout un archiduc de Habsbourg, cousin de I'empereur d'Autriche-Hongrie. On imagine sans peine l'étonnement des habitants de ce petit village devant une telle munificence. On jase, on imagine, on suppute, mais cette richesse fabuleuse du pauvre petit curé dépasse les imaginations, alors on se met à parler de... trésor. En tout cas, les jaloux se calment vite et les ragots ne dépassent pas le village car Saunière est foft généreux avec tout le monde. Quant aux autorités ecclésiastiques, elles ferment les yeux, du moins du temps de Monseigneur Billard, qui fut à notre avis au courant de bien des choses. Ensuite l'évêque dont dépendait Saunière exigea des explications sur les revenus de celuici, qui fit tout pour gagner du temps et éviter de répondre. Traduit le27 mai 1910 devant I'officialité, justice ecclésiastique du diocèse, il ne se présenta pas et finit par être condamné par défaut pour trafic de messes et déclaré suspens a divinis, ce qui signifie en termes clairs qu'il n'avait plus le droit de dire la messe ni d'administrer les sacrements. Il fit appel du jugement au Vatican et entretint pour cela un avocat à Rome, sans lésiner sur les frais. La sacrée Congrégation du Concile leva les sanctions et réduisit à néant l'accusation du trafic de messes. Et puis la guerre arriva et Bérenger Saunière se mit à manquer d'argent. Il eut du mal à régler certaines factures et dut même solliciter un prêt hypothécaire du Crédit Foncier de France. Pourtant, au bout de quelque temps, il semble qu'il se soit remis à ses projets : il imagina de faire tracer une route entre Couiza et Rennes-le-Château, de faire installer l'eau courante dans tout le village, de construire une nouvelle chapelle et une tour de 70 mètres de haut, dont I'intérieur ne serait qu'une vaste bibliothèque. Et début 1917, il était, peut-être, en mesure de réaliser financièrement ces plans, lorsque, le 17 janvier, il fut frappé d'un coup de sang à la porte de la Tour Magdala; il décéda cinq jours plus tard, le22 janvier, âgé de 65 ans.
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I)'où venait I'or de Bérenger Saunière? I-a mort du curé délia plus ou moins les langues. On se remit à iæer et, surtout, on chercha à faire parler la servante : Marie Ilenarnaud. Mais elle se tut ! Alors on se souvint de l'ensemble des Êits bizarres qui avaient déjà marqué cette région, fort riche en Sgendes de trésors. En effet, si Bérenger Saunière avait découvert u fabuleux magot, tout s'expliquait et, qui plus est, s'il avait des pojets juste avant sa mort, c'est que le dépôt était bien loin d'être épuisé.
Et ce trésor, bien des gens I'ont cherché à RennesJe-Château, y ompris la plupart de ceux qui vous affirmeront, si vous leur posez h question, qu'il n'a jamais existé. Certains n'ont pas hésité à cmployer de la dynamite, et les autorités locales durent interdire toute fouille pour éviter que le village ne soit transformé en un Donceau de ruines.
Mais derrière le folklore, on peut se poser la question : un fabuleux trésor est-il plausible à Rennes-le-Château ? La réponse cst oui ! Sans aucun doute, cette possibilité existe et un rapide regard sur I'histoire de cette région nous en convaincra. Tout d'abord, ce ne serait pas la première fois que des objets précieux auraient été trouvés dans le coin. Il y eut ce lingot d'or d'une vingtaine de kilos, fait d'un amalgame de monnaies arabes; puis en 1860, un autre lingot, de cinquante kilos celui-là, recouvert d'une matière bitumeuse. Saunière lui-même offrit un jour à l'un de ses collègues un calice très ancien dont on ne connalt pas la provenance. D'où venait la richesse de I'abbé de Cayron, curé de Saint-Laurent de
la
Cabrerisse, sinon d'un trésor, comme le
pensaient certains de ses paroissiens
?
En fait, l'existence d'objets en métal précieux cachés n'est pas
il s'agit d'un pays de sources et de mines ayant favorisé un peuplement ancien. Des thermes existaient à l'époque romaine, tant à Alet qu'à Campagne ou à Rennes-les-Bains, et l'on trouve un peu partout des mines d'or, d'argent, de cuivre, de jais, de fer, etc., qui furent exploitées depuis des temps fprt reculés. Diverses hypothèses ont été bâties très étonnante en cette région, car
pour tenter d'expliquer les tenaces légendes parlant d'un trésor enfoui dans les parages. On prétend même qu'il n'y aurait pas
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LE mÉsoR DB L'ABBÉ sAUMÈRE
moins de 12 dépôts différents dans les environs de Rennes. On a parlé entre autres du trésor d'Henri de Tastamare, sans oublier Ie Graal qu'auraient détenu les Cathares. Ce qui semble certain, en tout cas, c'est que les Templiers, fort bien implantés dans la région, avaient fait venir des fondeurs allemands et les avaient installés près de Rennes. Ces étrangers étaient censés travailler dans une mine d'or située tout à côté de Blanchefort, mais qu'a-t-on besoin de fondeurs pour exploiter une mine ? Ce qu'il faut avant tout ce sont des mineurs pour extraire le minerai. A moins... A moins que la mine contienne un dépôt d'or qui ne soit pas sous forme de minerai mais d'objets et que l'on ait décidé de fondre ceux-ci. On comprendrait fort bien alors que ces fondeurs aient été « importés » de l'étranger, évitant les bavardages avec les autochtones. N'est-ce pas ce secret que voulut révéler Bérenger Saunière dans la première station du chemin de croix qu'il fit confectionner pour l'église Sainte-Madeleine ? On y voit en effet Ponce-Pilate, assis sur un trône d'or qui fait penser à plus d'un titre à celui de Salomon tel que le peignait Nicolas Poussin. Pilate se lave les mains au-dessus d'un plateau blanc tenu par un négrillon dont la pose rappelle certaines pièces d'échecs anciennes remplaçant la tour et portant le nom de roc. Tout en bas, le tissu qui recouvre I'estrade du trône plisse de curieuse façon et dessine... une entrée de mine. Et ce rébus peut se lire : l'or trône dans la mine située au pied de Roco-Nègro (le roc-nègre) qui soutient le plateau de Blanchefort (plateau-blanc). Or, en effet, la mine exploitée par les Templiers se situait bien près de Blanchefort, sous le plateau, à côté du RocoNegro. Coincidence ? Sûrement pas ! Mais d'où provenait cet or et est-il toujours là ? On peut répondre à la deuxième question en disant
que divers indices sur lesquels nous reviendrons ultérieurement nous montrent gue le dépôt a été transporté ailleurs, mais toujours dans la région.
L'Or du Temple de Salomon. Quant à la question : d'où vient-il ?, I'hypothèse la plus fantastique, qui n'est pas pour autant la moins réaliste, en fait l'Or du Roi Salomon. En 70 de notre ère, I'empereur Titus s'empara de Jérusalem et la ville fut pillée par ses soldats. Les Romains
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Caffaquèrent plus particulièrement au Temple de Salomon et le dépouillèrent de ses richesses. Cet événement fut commémoré par la construction d'un arc de triomphe à Rome sur lequel on peut voir, entre autres, le chandelier à sept branches. Or les richesses du Temple de Salomon étaient fabuleuses : plus de 5(X) tonnes d'or et de très nombreux objets précieux furent saisis. On dit que le toit du Temple était hérissé d'une multitude d'aiguilles revêtues d'or afin que les oiseaux ne puissent s'y poser. Partout s'entassaient les offrandes, les objets précieux. Rentré à Rome, Titus vendit une part des lingots d'or et des plaques de revêtement, et cela suffit à faire s'écrouler les cours du marché de l'or de l'époque. Mais la plupart des objets, tel le chandelier, furent gardés et déposés dans le temple de la Paix, puis dans le palais impérial. L.e, 24 août 410, ils s'y trouvaient sans aucun doute encore, brsque le Roi Wisigoth Alaric attaqua Rome et s'en empara. Pendant six jours, ses troupes pillèrent la ville et récupèrent entre autres les dépouilles du Temple de Salomon. Après quoi, Alaric rentra en Languedoc et le trésor fut déposé à Carcassonne. Cependant, en 507, Clovis, après s'être emparé de Toulouse,
et seule l'intervention du roi goth d'Italie, Théodoric, permit de sauver la cité. Alaric II avait été tué et Carcassonne, devenue ville frontière, n'était plus assez sûre. Une partie du trésor fut transportée à Tolède, mais non la totalité semble-t-il. Or, de ce côté-ci des Pyrénées, la capitale du royaume Wisigoth, n'étant plus Carcassonne, devint Rhedae, l'actuel assiégea Carcassonne
Rennes-le-Château. Il est difficile de nos jours d'imaginer que ce modeste village fut
la capitale d'un royaume encore
puissant
et qui compta,
selon
certains, environ 30000 habitants, bien entendu répandus sur l'ensemble du plateau. Il n'est pas impossible que I'or du Temple de Salomon ait été caché près de Rhedae, et pourquoi pas dans la mine de Blanchefort ? Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? C'est une autre histoire. Ce qui semble certain, c'est que les Templiers ne prirent pas tout puisque Louis XIV ordonna des recherches sur le même site, et qu'elles semblent avoir été couronnées de succès. La plupart des gens qui se sont intéressés à I'affaire de Rennes ont suivi Gérard de Sède et ont accepté a priori I'hypothèse du Trésor de Salomon. Je dois avouer que je trouvais pour ma part les indices assez minces. Cependant mes recherches m'ont amené peu à peu à considérer cette hypothèse comme plausible, non seule-
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ment parce que le sceau de Salomon se rencontre un peu partout dans les environs sur les monuments, non seulement parce qu'il semble que les services secrcts israéliens se soient intéressés aux lieux, non seulement parce que le grand rabbin de Jérusalem leur porta un intérêt tout particulier, mais aussi parce qu'il existe bien des points communs entre Jérusalem et ces lieux. On peut par exemple songer à la ville basse de Jérusalem qui portait le nom de la colline d'Acra, dont on trouve l'anagramme près de Rennes : Arques. En face de la forteresse Antonia de Jérusalem se trouvait une montagne nommée Besetha. En face de Rennes (et de ses légendes liées à saint Antoine) se trouve le Bézu
et sa montagne qui porte les ruines d'un ansien château des Templiers. Il n'est peut-être pas inintéressant non plus de remarquer quelques particularités de Jérusalem. Ainsi la piscine de Siloé (ce fut Ezéchias qui amena I'eau dans la ville 7L6-687 av. J.-C. en obstruant l'issue supérieure des eaux du Géhon et en la dirigeant
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-
vers le bas à l'Ouest de la cité de Daüd). En 1880, des enfants jouaient sur le bord de la piscine lorsque I'un d'eux tomba dedans et chercha à nager vers la rive opposée où s'élevait une paroi rocheuse. Il se trouva tout à coup dans le noir et s'aperçut qu'il venait de pénétrer dans un étroit passage. Ainsi fut découvert un tunnel de 60 cm de large sur environ 1,50 m de haut, et 500 m de long, se terminant après deux principaux détours à la fontaine de la Vierge Marie qui depuis des temps immémoriaux a fourni I'eau à Jérusalem (ancien nom : souroe de Géhon). Un texte en alphabet hébraïque ancien était sculpté sur la paroi de la galerie et il expliquait comment s'était effectué le creusement. Fort curieusement, le canal dessinait un grand S, sans nécessité apparente, faisant plus que doubler la longueur du tunnel. Une vieille légende dit que ces sinuosités furent motivées par l'intention de contourner Ies tombeaux de David et de Salomon. Ne faut-il pas songer au lieu-dit l'Aram, près de Rennes, nom d'un ancêtre de David et de Salomon, situé tout près du Pech Auriol ou Pic de I'Or? Dieu que le trésor de Salomon agit puissamment sur les songes et comme il est curieux le roman qu'il inspira à Jacques Cazotle : Le Chevalier ! On y voit un musulman nommé Habib (Aimé) effectuer un long voyage souterrain au cours duquel il visite les salles renfermant les trésors de Salomon. Il doit ouvrir et fermer successivement 40 portes. Dans la première salle, il doit désarmer un esclave noir de taille gigantesque et lui prendre le sabre du
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grand Salomon en prononçant le mot écrit sur la lame, qui est « puissance >>. Puis, le héros doit descendre 1490 marches, ce qui orrespond au mot ADTZ ou ADSIZ signifiant « sans nom » en trrc (cf. Jean Richer, Aspects ésotériques dans l'æuvre littéraire, Deruy). Il faut noter la coïncidence non fortuite entre ADSIZ : 1490 = 1+4+ 9=14, sans nom, et I'un des héros essentiels de Jules Verne : NEMO, le « sans-nom », dont l'initiale est la l4e lettre de l'alphabet.
I*
mystère du créquier et le chandelier à sept branches.
Mais tout cela n'est que « signes » sans consistance et ne prouve aucunement la présence du trésor du Temple de Salomon à Rennes. Un autre indice peut cependant être trouvé du côté de la Êmille de Créqui. Que diable viennent donc faire les Créqui dans ette région, pourrait-on se demander ? D'où venaient les fabubuses richesses de cette maison de Créqui ? Comment se fait-il que
b
seigneur de Créqui de Blanchefort, prince de Foix, Duc
d'Eguières, Pair et Maréchal de France, conseiller du Roi en ses onseils d'Etat et privés, chevalier de ses ordres, premier gentilhomme de sa chambre, lieutenant-général pour Sa Majesté en Dauphiné, ambassadeur à Venise, ait pu accumuler autant de titres ? N'est-elle pas curieuse son arrivée à Venise le 16 juillet 1634 ? Il rutilait de diamants et de pierreries et, lorsqu'il alla rendre hommage au Duc de Toscane, il reçut « les honneurs les plus rigpalés et les plus affectueux accueils, qui parurent convenables à
æn altesse, non seulement dus à la grandeur de celui qu'il rtprésentait, mais au mérite particulier d'un si grand seigneur >). Quel était donc le mérite particulier de Messire Charles de Créqui de Blanchefort pour qu'il soit plus considéré que le roi de France ? De qui fut-il en réalité l'ambassadeur permanent ? Ne se tlouvait-il pas aux Baings de Regnes en 1662, alors que Colbert Êisait effectuer des recherches à Blanchefort ? L'énigme ne s'arrête pas là car les Créqui portaient des armes lnrlantes : d'or au créquier de gueules (6). Pour le père Ménestrier, le créquier est une sorte de prunier sauvage qui croît en Iicardie et dont le fruit est appelé creque en patois du pays. Selon
f)
Devise : Nul ne s'y frotte.
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LE rRÉsoR DE L'ABBÉ,
sAUNrÈRE
Dom Plessis (7), le mot créquier üendrait du teuton kerk signifiant église, temple. Ne voit-on pas percer ici le bout du temple de Salomon ? Suivons maintenant F. Cadet de Gassicourt et le baron du Roure de Paulin (8); pour eux le créquier n'est autre que le chandelier à sept branches dont il a la forme. N'est-ce pas une confirmation supplémentaire de la présence possible du trésor du Temple de Salomon dans la région de Rennes ? D'ailleurs, si vous vous rendez à Rennes-le-Château, dans l'église Sainte-Madeleine, vous découvrirezla fort rare figure du créquier représentée sur les ordres de Bérenger Saunière dans la décoration intérieure. D'or au créquier de gueules : I'or et le chandelier à Règnes (e).
Les
fils
de Mérovée.
L'autre grand mystère de la région concerne la survivance de la dynastie méroüngienne. Ce problème a été soulevé par plusieurs ouvrages I malheureusement, dans la plupart des cas, il s'agit d'cuvres sujettes à caution. L'un des plus connus des spécialistes de l'affaire de Rennes est sans doute la Généalogie des rois mérovingiens et oigines des diverses familles ÿançaises et étangères de souche mérovingienne d'après l'abbé Pichon, le docteur Hervé et les parchemins de l'abbé Saunière, de Rennes-le-Château, d'un certain Henri Lobineau, sans oublier I'ouvrage de Madeleine Blancasall (ro) : Les descendants mérovingiens ou l'énigme du Razès Wisigoth. Selon ces auteurs, la lignée des Mérovingiens ne se serait pas éteinte avec l'assassinat de Dagobert II en forêt de Woëvre (11), près de Stenay, le 23 déc,embre 679. Son fils, Sigebert IV, censé
avoir été tué en même temps que Dagobert, aurait réussi
à
échapper à I'attentat. Il aurait été sauvé par un fidèle et aurait pu venir se réfugier, précisément, à Rhedae où il aurait pris le titre de
(?) Dom Plessis, Darcription géographique et historQuc de la Hautc-Normandie. (8) F. Cadet de Gassicourt et Du Roure de Paulin, L'Hermétisme ilarc l'art héraldique. « Règnes
()
dique.
», tout comme
« gueules
», a désigné la couleur rouge en héral-
(!) Pseudonyme construit sur les noms de la sourcc de la Madeleine et dcs rivières de la Blanque et de la Sals, (") Cf. Gérard de Sède, /-a Race fabulewe.
LE
TRÉSOR
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SAUNIÈRE
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comte de Razès. A sa mort, en 758, il aurait été inhumé dans l'église de Rennes-le-Château sous la fameuse dalle dite « du chevalier », dont le dessin commémorerait l'événement. A cet emplacement fut effectivement trouvé il y a quelques années un crâne portant une entaille rituelle identique à celle du crâne de saint Dagobert II, conservé à Mons en Belgique. Dans cette optique, le trésor de Rennes-le-Château prend I'aspect d'un trésor dynastique qui aurait pu être accumulé au fil des ans pour réinstaurer, un jour, la royauté mérovingienne. Il faut signaler à cet égard que, si cette hypothèse mérite en elle-même quelque attention et recouvre en fait quelques-uns des épisodes les plus mystérieux de I'histoire de France, il n'en faut pas moins être prudent vis-à-vis des généalogies que j'ai citées précédemment : celles-ci ne reposent strictement sur aucun document connu et prennent la forme d'affirmations péremptoires mais parfaitement gratuites. Nous y reviendrons.
§i Sion rn'était conté. L'un des manuscrits qui auraient été trouvés par Saunière semble ænfirmer l'hypothèse de la survie d'un rejeton mérovingien. En cfet, il suffit de bien peu de perspicacité pour s'apercevoir qu'un ærtain nombre de lettres sont surélevées par rapport aux autres dans le texte du manuscrit. La lecture, dans l'ordre, de ces lettres donne Ie résultat suivant : « A DAGOBERT II ROI ET A SION EST CE TRESOR ET IL EST LA MORT ». Quant aux lettres terminant les quatre dernières lignes du document, elles permettent de lire verticalement SION. D'autres dispositions particulières permettent de lire les mots TEKE (coffre) ct OLENE (l'avant-bras), ou encore REX MUNDI (Roi du nonde), etc. On ne peut que relever l'insistance avec laquelle on tient à æuligner le mot Sion. Pourquoi ? Pour certains << historiens », il oviendrait de voir là la signature du Prieuré de Sion. Pourquoi? Gette société secrète aurait été fondée à Jérusalem par Godefroi de Douillon, en 1099, et aurait eu pour mission de veiller sur le destin & descendants de Mérovée et de préparer leur éventuel retour sur b trône de France. En 1118, les frères d'Ormus, sympathisants du hÈuré de Sion, auraient suscité la création de l'Ordre du Temple
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dans le but de servir le Prieuré. Mais, en 1187 ou 1188, la rupture aurait été consommée à Gisors entre les Templiers et le Prieuré de Sion, au champ de I'Ormeteau ferré. L'Ordre de Sion se serait alors donné un grand-maître en la personne de Jean de Gisors et revendique parmi les dirigeants qui lui succédèrent Blanche
d'Evreux, Nicolas Flamel, Léonard de Vinci, Robert Fludd, Jean Valentin Andreae, Charles de l-orraine, Nodier, Hugo, Debussy, et, plus près de nous, Jean Cocteau. Dans les années soixante paraissait à Paris une curieuse revue mensuelle baptisée Circuit, avec pour sous-titre : « publication d'études sociales, culturelles et philosophiques ». Circuir avait son siège social en Seine-et-Oise, à Aulnay-sous-Bois, rue Pierre-Jouhet. Dans ses colonnes apparaissaient fréquemment des articles signés Chyren (12), dont Anne-Léa Hisler (t3) disait qu'il était l'ami de personnages aussi divers que le Comte Israël Monti, I'un des frères de la Sainte Vehme, Gabriel Trarieux d'Egmont, l'un des 13 membres de la Rose*Croix, Paul Le Cour, le philosophe d'Atlantis, M. Lecomte-Moncharville, délégué de l'Agartha, l'abbé Hoffet, du service de documentation du Vatican, Th. Moreux, le directeur de l'Observatoire de Bourges, etc. Ainsi donc, nous nous trouverions en présence d'une société secrète fondée en 1099, sur le mont Sion, par Godefroy de Bouillon, descendant lui-même des Mérovingiens, et d'un descendant légitime de ladite lignée, Pierre-Plantard de Saint-Clair, alias Chyren (nom désignant le Grand Monarque dans les prohéties de Nostradamus), descendant d'une part du célèbre duc de Normandie Rollon et d'autre part des rois Mérovingiens par l'alliance de Jean XIV de Plantard avec Marie de Saint-Clair en 1540.
Faux et usage de farn.
Malheureusement, rien ne vient corroborer ces affirmations. Godefroy de Bouillon a bien fondé un ordre en 1099, mais il s'agit de l'ordre des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, qui fut rangé en 1114 sous la règle de saint Augustin, suivant une réforme approuvée par le pape Calixte II en tL22 et qui était chargé de (r2) Pseudonyme de Pierre Plantard de Saint-Clair. Epousc du préédent, déédée en 1971.
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æiller sur le tombeau du Christ. Que penser dès lors du prétendu Prieuré de Sion
?
il faut admettre que les faux sont monnaie @urante dans cette affaire. Des articles de Jean-Luc Chaumeil dans le Charivari au pilier wisigothique visible à Rennes, en passant 1nr les copies des parchemins, bien des indices sont des faux onstruits de toutes pièces. En ce qui concerne les textes connus des parchemins dans un texte dactylographié daté du 25 juillet 197, Philippe de Cherisey affirmait d'ailleurs les avoir fabriqués hi-même en 1961. De même, on peut être fort suspicieux vis-à-vis du texte de I'une des deux pierres tombales de la marquise de Blanchefort. Tout cela ne s'explique que par I'importance du secret qui est en jeu à Rennes-le-Château. De toute façon,
.
Et in Arcadia Ego
»>
ou le mystère des tombes truquées.
Sur quoi s'appuyer dès lors que la tromperie attend le chercheur à chaque étape? Comment s'y retrouver ? Comment savoir où se trouve la vérité ? Il n'y a qu'une solution : suivre pas à pas les indications que l'on peut trouver sur place, déchiffrer les énigmes, cxpliquer les anomalies, tout en soumettant chaque texte, chaque âément à la vigilance de la critique ? Il faut s'intéresser tout d'abord à la tombe de la marquise de Blanchefort, au texte truffé d'erreurs volontaires. On peut prendre également pour base la dalle de Coumesourde où une phrase énigmatique s'inscrit entre des lignes et des croix pattées 114;. lt faut y ajouter la collection de tombes énigmatiques du cimetière de Rennes-les-Bains, et en particulier deux sépultures attribuées à un même homme : PaulUrbain de Fleury, dont les dates de naissance et de mort figurant er les monuments contiennent de grossières erreurs. En fait de tombes curieuses, il en est une autre tout aussi énigmatique. On peut la voir dans un virage, sur la droite, lorsqu'on se rend de C.ouiza à Arques, près de Peyrolles ("). Ot ce monument funéraire
(rt) Pour I'ensemble de ces détails, sc reporter à I'ouvrage de Franck Marie : RonesJe-CMtcau, étude critique, ainsi qu'à Signé Rose+Crorr de Gérard de Sède. (tt) Eo argot ancien, le mot « Arque » désignait un dé à jouer. Quant à Peyrolles, Ge trom vient de Peira-ola: la pierre-urne. Arques évoque également I'arche, la porte céleste. Est-ce vraiment un hasard si ce village se trouve au pied du col de Paradis ?
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ressemble comme un frère
à celui qui figure sur le tableau Les
Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin, paysage y compris. Le peintre avait fait déchiffrer par ses bergers l'inscription : << Et in Arcadia ego >». C'est cette même inscription qui aurait figuré sur l'une des deux dalles de la tombe de la marquise de Blanchefort. Est-ce un hasard ? Mais alors il faudrait également considérer comme coincidences le fait que Saunière ait rapporté de Paris une reproduction du tableau Les bergers d'Arcadie, tout comme la présence du nom de Poussin dans le cryptogramme de la tombe Blanchefort : ., Que Poussin, Téniers, gardent la clef. » Fabuleux personnage que Nicolas Poussin ('u). gn 1656, Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, avait chargé son frère cadet, l'abbé Louis Fouquet, de contacter à Rome le peintre alors âgé de 62 ans. En avril, l'abbé rendit compte de sa mission, signalant que Poussin avait projeté quelque chose dont il ne semblait pas oser parler par lettre : .< Choses dont je pourrai vous entretenir à fond dans peu, qui vous donneront par M. Poussin des avantages que les roys auraient grand-peine à tirer de lui, et qu'après lui peut-être personne au monde ne recouvrera dans les siècles advenir, et, ce qui plus est, cela serait sans beaucoup de dépenses et pourrait même tourner à profit et ce sont si fort à rechercher que quoi que ce soit sur la terre maintenant ne peut avoir une meilleure formule ni peut-être esgale. » Quel était donc ce mystérieux et fabuleux secret ? On peut se demander s'il n'était pas lié à une énigme dynastique dont la clé se trouverait à Rennesle-Château, d'autant que Colbert et Louis XIV semblent avoir porté plus d'intérêt qu'il ne convenait a priori à cette région. Après I'arrestation du surintendant Fouquet (r7), Louis XIV tint à dépouiller lui-même les documents saisis. Notons par ailleurs que plusieurs amis de Fouquet semblent avoir été au courant du secret de Rennes : La Fontaine qui lui resta fidèle jusqu'au bout, Claude Perrault qui fut l'architecte de I'Observatoire de Paris, et Charles Perrault, auteur des contes célèbres, qui dissuada Colbert d'effectuer des fouilles à la recherche de métaux. (16) Nicolas Poussin s'était choisi un bien curieux sceau, représentant un homme tcnatrt un€ ncf ou une arche, avec la devise : << Tenet confidentiam » que I'on peut tnùire à rolonté par « il a conliance » ou « il est dans Ia confidence », « il détient
h
secret ».
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Foquet avait été aveili des risques qu'il courait, quetques jours auparavant, soo ami lc marquis de Créqui,
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ET
On ne peut bien str passer sous silence d'autres curiosités de la région de Rennes-le-Château, tel le tableau dit du Christ au lièvn dans l'église de Rennes-les-Bains, ou le monument aux morts de C.ouiza, qui ont bien des choses à nous apprendre. Et surtout, il y a l'église Sainte-Madeleine de Rennes-le-Château que l'abbé Saunière a transformée en un gigantesque cr,?togramme. Il faut aller y voir le diable qui supporte le bénitier et les anges qui le surmontent, les statues des saints, le curieux baptistère, le tableau dit du terrain fleuri, le confessional, les vitraux, le chemin de croix, la décoration murale, tout y est signe et nous fait signe. N'oublie2 pas surtout l'extérieur de l'église et en particulier le porche. Et puis, il y a le tableau peint par Saunière lui-même, sous I'autel et qui représente sainte Madeleine priant dans une grotte. L'abbé avait posé au-dessous une plaque de cuivre qui a disparu depuis, et qui contenait un texte latin : JESU. MEDELA. VULNERUM + SPES. UNA. POENITENTIUM PER . MAGDALENAE . LACRYMAS + PECCATA . NOSTRA . DILUAS Si nous essayons de le traiter comme certains cryptogrammes de Jules Verne et de lire phonétiquement on obtient : Jésus m'aidez,là, vu le né, rompez ma dalle, (il) n'est là crime, aspect qu'a temps otera, dit, lu, aspect eu n'a pénitent de Sion. Soit : Jésus m'aide, vu la personnalité de celui qui y est. Quand le temps sera passé il n'y aura plus de crime à rompre la dalle. Le pénitent de Sion n'a pas respecté ce précepte. Et tout est comme cela dans cette curieuse église.
L'Ars Punica de I'abbé Boudet et le Cromleck celtique de Rennesles-Bains.
Enfin, dans cette liste des curiosités principales pouvant servir de guides dans la course au trésor de Rennes-le-Château, il y a aussi, ct surtout, l'extraordinaire et extravagant ouvrage de I'abbé Boudet intitulé :. La vraie langue celtique et le cromleck de Rennesb-Bains. Ce livre fut considéré comme celui d'un doux dingue par hs contemporains de l'abbé et il fut vite oublié, les leçons de fnguistique données par Boudet étant en effet bien contestables. En fait, il s'agissait d'un livre crypté selon l'ars punica, comme le
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signale I'auteur qui parle sans cesse de la langue punique. Ce que voulait Boudet, il le disait lui-même à mots couverts dans ses observations préliminaires : « Pénétrer le secret d'une histoire locale par l'interprétation d'un nom composé dans une langue inconnue. » Il précisait plus loin : « Les dialectes, les noms propres et de lieux me semblent des mines presque intactes et dont il est possible de tirer de grandes richesses historiques et philosophiqUeS.
>)
Le secret des mines contenant de grandes richesses historiques ne serait-il pas le véritable sujet de cet ouwage composé selon la langue des oiseaux ? Et quelle maestria dans la façon de construire cryptogrammes et calembours.
Le langage de Boudet est celui du Trobar Clus. Il nous dit d'ailleurs : « Les anciens se servaient du langage d'Empedocles », or l'on sait que la statue d'Empedocles était toujours voilée. C'est sans doute ainsi qu'il faut rechercher le cromleck de Rennes-lesBains. A ce propos, un curieux manuscrit grec cité par Saint Hilaire (rB) parle d'un labyrinthe dont Salomon forma le plan dar s son esprit et qu'il fit construire avec des pierres rassemblées en rond : autant dire un cromleck. Boudet n'aurait pu être renié ni par Jules Verne, ni par Raymond Roussel, théoricien de l'écriture en cercle fermé. Dans l'étude de Jean Ferry sur Raymond Roussel, on trouve cette observation : « La plus grande partie des imaginations de Raymond Roussel, mises en plis ou non par la nécessité qu'il se créait d'employer certaines combinaisons phonétiques, tournent autour de cette idée : comment cacher quelque chose de manière à en rendre ultérieurement la trouvaille difficile mais possible. » Ces lignes peuvent s'appliquer tout aussi bien à la plupart des livres de Jules Verne et au maître livre d'Henri Boudet.
(rt)
Saint-Hilaire, Le mysrère des labyrtnthes (Rossel).
II CLOV§ DARDENTOR OU LE SECRET DE RENNES.LE"CIIÂTEAU
Où l'on apprend à connaître un cuieux martn au nom de montagne.
De toutes les énigmes liées à l'affaire de Rennes-le-Château, le rôle que joua Jules Verne n'est sans doute pas la moindre. Son roman, Clovis Dardentor, est en effet un ouvrage crypté tournant tout entier autour de ce mystère, et Verne tenait suffisamment à ce livre pour Ie dédier tout spécialement à ses petits-fils Michel, Georges et Jean Verne. [,orsque je lus pour la première fois C/ovrs Dardentor, j'éprouvai un choc, une impression curieuse, assortie d'un sentiment de malaise. Quelque chose clochait dans cette histoire insipide, sans grand intérêt, dans laquelle même I'humour ne suffisait pas à maintenir I'attention. A croire que I'auteur avait volontairement bâclé le roman, comme s'il avait voulu lasser le lecteur. Cependant, il y avait ce nom qui m'étonnait bougrement, qui me fascinait : Bugarach, le nom du capitaine d'un vaisseau. Pourquoi diable Jules Verne était-il allé chercher un nom pareil, fort original ma foi, et qui ne pouvait manquer de me faire songer au Pic de Bugarach situé près de Rennes-le-Château. Je ne pouvais m'empêcher de me dire : et si ce n'était pas une coincidence ! Ne devais-je pas « interroger » le roman pour en savoir plus ? Jules Verne lui-même n'y invitait-il pas le lecteur ? Ne nous demandait-il pas d' « écouter » de façon particulière ce que disait Clovis Dardentor si nous
voulions en apprendre beaucoup (et peut-être un peu trop) lorsqu'il faisait dire au valet Patrice: << Monsieur avait parlé... parlé... et de choses qu'il vaut mieux taire, à mon avis, lorsqu'on ne
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connaît pas les gens devant qui I'on parle... C'est non seulement une question de prudence, mais aussi une question de dignité » (r). Tous ceux qui ont consacré quelques années de leur üe à résoudre une énigme, tous ceux qui ont cherché des objets rares de collection, ont ressenti un jour, devant une pièce dont ils n'osaient
espérer la possession, devant un indice primordial, cet instant délicieux durant lequel on n'ose s'emparer de l'objet ou envisager
la réalité de l'indice, de peur que le rêve ne s'évanouisse. Frémissement de l'attente, délices de I'avant. C'était un peu ce qui m'arrivait. J'étais convaincu que le nom du capitaine Bugarach
n'était pas fortuit, et en même temps je n'osais en chercher les preuves dans le roman, je n'osais croire que Jules Verne avait pu être au courant de cette étrange histoire, de peur d'être déçu. La mariée me semblait presque trop belle. Je finis par chasser toute interrogation de mon esprit, du moins provisoirement, et je me plongeai dans l'intrigue, si mince que Jean-Jules Verne la résume en ces quelques phrases: « L'on peut se demander pourquoi il imagina ce récit de deux jeunes gens sans foftune dont I'un se met en tête de se faire adopter par l'exubérant Clovis Dardentor, célibataire enrichi de Perpignan, en le sauvant au péril de sa vie. I-oin de réussir dans son entreprise, c'est lui qui sera sauvé par son futur père adoptif, ainsi d'ailleurs que son cousin plus désintéressé; finalement, si ce père adoptif est sauvé effectivement, ce sera par une jeune fille qu'il adoptera. Tout se terminera par le mariage de celle-ci avec le cousin discret qui deviendra ainsi le gendre du riche Perpignanais. Comme le conclut l'auteur, ce récit n'est qu'un vaudeville; c'est aussi un prétexte à nous faire üsiter Majorque et une partie de I'Oranie de 1894. » La dernière page du roman tournée, la question s'imposa de nouveau à moi : et s'il ne s'agissait pas d'une coincidence ? En effet, lorsque l'on prend la route qui mène de Rennes-les-Bains au village de Bugarach, dans l'Aude, au bout de quelques kilomètres,
on aperçoit en contrebas un... navire. En fait, il s'agit de
l'emplacement de I'ancien château-fort de La Vialasse qui présente l'aspect d'un vaisseau à trois ponts; cocassement, depuis quelques annfss, une immense antenne de téléüsion vient renforcer cette ressemblance en prenant la place d'un mât. Il ne fait guère de doute que c'est bien à ce bateau terrestre que pense Jules Verne lorsqu'il
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De aig"i16 ou.'. de digûitaire?
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écrit : <. Il est certain que, sur terre, les navires se ficheraient du roulis et du tangage. (...) Cela viendra, cela viendra (2). " Voilà déjà le bateau, plus loin c'est Bugarach, et si I'on continue la route en direction de Camps-sur-l'Agly, on passe tout à côté de la ferme des Capitaines. Et nous voici nantis d'un capitaine Bugarach et de son navire. Il faut noter que le rapport avec le pic de Bugarach est renforcé par la description faite par Jules Verne du capitaine : il « paraissait peu abordable » et certains n'ont << pas la force de monter près de lui ». Tout comme ce pic qui domine tout le paysage, il a en quelque sorte la tête dans les nuages : « Le maître après Dieu, d'une voix qui roulait entre ses dents comme la foudre entre les nuées d'orage. r, Encouragé par cette trouvaille, je décidai de poursuivre ma quête et aperçus tout à coup ce qui aurait dt me sauter aux yeux dès le départ : la preuve que je cherchais était clairement exprimée dans le titre même. Oui, Jules Verne était au fait des secrets de Rennes-le-Château; oui, il nous dévoilait une partie du mystère, peut-être même tout pour qui savait le lire.
Clovis Dardentor et I'Or des Mérovingiens, ou les clés du trésor. Clovis Dardentor est un titre fort parlant. Clovis, tout d'abord, évoque bien évidemment le fameux Roi Mérovingien. Quant à Dardentor, il se décompose en << d'ardent or »; le dernier terme se passe de commentaires et « d'ardent »» se rapporte au titre que l'on donnait précisément au descendant de Dagobert II qui aurait pu se réfugier à Rennes-le-Château où aurait vécu un certain temps sa postérité, ce titre de « rejeton ardent » que revendique de nos jouis Pierre Plantard (plant: rejeton, ard: ardent). Ainsi, le nom du principal personnage, le titre même du livre, nous annonce que
Jules Verne va nous parler, en termes voilés, de L'OR des DESCENDANTS des ROIS MEROVINGIENS ! D'ailleurs, toute I'histoire consiste à savoir qui va capter I'héritage de Clovis Dardentor. Et le nom même du bateau du capitaine Bugarach nous
(2) Ne verra-t-on pas Jules Veme écrire plus loin : « Clovis Dardentor et le guide prirent terre expression assez juste, puisque le chameau, au dire des Arabes, est - désert », et Jean Taconnat de faire aussitôt allusion au capitaine le vaisseau du Bugarach.
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dit clairement sur quelle piste nous sommes : « Argeles >», la voie de l'argent. Ceci trouvé, plus aucun doute n'était possible à mes yeux; il me fallait relire l'ouvrage en le « travaillant », page après page, débusquant les mots-clés, les anomalies, cherchant la signification du nom de chaque personnage. La grawre de la page de garde m'y engageait d'ailleurs en montrant qu'il serait possible de lire à livre ouvert pour qui saurait accomplir le voyage circulaire en compa-
gnie de l'auteur. Il ne faudrait rien négliger, I'un des personnages nous en prévient : « Tout est intéressant en voyage, même ce qui ne l'est pas. » La méthode à suivre est en fait commune à presque tous les
romans de Jules Verne; il faut, selon les lois de I'art goth, découvrir le sens caché derrière les mots. Là encore nous sommes poussés par I'auteur qui écrit de Clovis Dardentor : << dans son langage imagé, il disait les choses comme ellcs lui venaient, en phrases tantôt abominablement pompeuses, tantôt regrettablement vulgaires ». Décidément l'argot ne serait pas exempt de I'affaire. En tout cas, les paroles prononcées par les personnages seraient sans doute significatives (3). Ctovis Dardentor ne se prive pas, comme l'on pouvait s'y attendre, d'employer des expressions argotiques toutes porteuses d'un double sens. Ainsi, lorsqu'il dit << ça boulotte », chacun songe au sens gastronomique, mais qui penserait à la définition : boulotter = rouler comme une boule (a) et à son extension argotique : amasser, économiser, faire sa pelote, comme I'on dit parfois. C'est également I'argot qu'utilise Jules Verne lorsqu'il nous indique certains décalages utilisables dans le décryptage : « Si je les lâchais dans les grands prix ! D'un cran, passe, mais de deux ! pas - Patrice n'étant là, M. Dardentor avait beau jeu de dire les choses comme elles lui venaient. Il n'y a aucun doute à avoir sur I'emploi de la " langue des oiseaux » dans ce roman et I'un des protagonistes, Jean Taconnat, nous le confirme, promettant << d'être gai comme le plus pinsonnant des pinsons ». Ce qui permet à Clovis Dardentor jouant sur les mots (et sur l'écriture) de lui dire : « Ah ! Ah ! monsieur Jean, >>
(3) . N'ouvrez pas la bouche comme vous le faites. Tenez-la fermée le plus possible, ou ce serait tenter le diable », écrit Jules Verne. Et il ajoute : « Clovis Dardentor avait la manie de « faire des phrases ». , (1) Alusion possible au üeu-dit . les roulers » et à la « picrre du pain », à Rennes-les-Bains.
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vous avez donc repigé votre gaieté naturelle ? » Comment mieux dire qu'il va s'agir de « piger » quelque chose selon les méthodes du gai (geai) savoir chères aux troubadours de langue d'oc, les grands adeptes de la langue des oiseaux (pie-geai). Périodiquement, Jules Verne se servira de ce système pour attirer l'attention du lecteur passages importants, en signalant, par exemple, une « rossignolade » du chef de gare (s). D'autres fois, il nous avertit qu'il va falloir << ouvrir l'æil et le bon ! ,, Sans cesse, le lecteur doit emmagasiner les renseignements qu'il rencontre et les garder présents à son esprit, ils serviront plus tard. Pénible gymnastique, mais Jules Verne nous y engage : << Patrice s'était déplaé méthodiquement le long des rues, ne se croyant pas obligé à tout voir en un seul jour, et enrichissant sa mémoire de précieux souvenirs. » Souvent également, ce seront de menues erreurs qui devront nous guider. Parfois il suffira d'accents mal placés, ce qui n'est pas sans rappeler la méthode employée par Saunière et Boudet. Jules Verne nous prévient enfin qu'il nous faudra nous munir de guides et vérifier les indications concernant les régions traversées. Il évoque le guide du voyageur » à Palma et, plus loin, parlant de << visiter à " fond cette magnifique Temcen », il décrit << Dardentor, son loanne à la main » (6). Mais il fait égatement allusion à plusieurs reprises à I'existence d'une grille de décryptage (7) et au moyen d'opérer une triangulation pour trouver le lieu du dépôt. Pour cela il nous faudra observer, tout comme le personnage d'Eustache Oriental, toujours muni de sa longue-vue qu'il oriente sans cesse sur le soleil ou les
sur des
étoiles. Parfois, il faudra mesurer les ombres portées des montagnes, ces ombres que viennent régulièrement nous rappeler les arbres nommés « bella-ombra ». Et tout le voyage circulaire qü se déroulera dans I'Oranais sera comme un rappel du cromlech celtique de Rennes-les-Bains.
(s) Le rossigrrol était un oiseau cher aux troubadours et s€rvait souvent de « clé » pour introduire un passage occulté; c'est pourquoi, en argot, on nomme « rossignol » un passe-partout, car il ouvre les portes fermées aux profanes, A noter également que l'un des personnages, Agathocle, fera l'objet d'un jeu de mot et sera nommé Gagathocle. Ce G-geai, cher à Nerval, est également l'oiseau du G(e)ai Savoir, et si on I'ajoute à Agathocle, c'est précisémcnt Parce que celui-ci manque d'esprit.
(6) I,e, toanne est l'ancêtre ür Guide BIeu bien connu. (7) « Patrice détourna légèrement la tête, car ce fâcheux mot grillade lui semblait de nature à évoquer certaines comparaisons.
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Ce voyage, dans lequel nous suivrons les héros de Jules Verne, sera censé durer 14 jours, autant dire un jour par station du chemin de croix. Toute la première partie de l'ouvrage sera utilisée à
cerner le problème; mais les détails les plus précis sur les lieux même du dépôt, nous ne les rencontrerons guère qu'à partir de I'arrivée à Oran. Et si nous savons le comprendre, Jules Verne nous mènera au but. << Nous voici en route, dit Marcel Lornans, en route vers... L'inconnu, répliqua Jean Taconnat, I'inconnu qu'il faut fouiller pour trouver du nouveau, a dit Baudelaire. » Et il ajoute : .. L'inconnu, dont je ne me préoccupe guère d'ailleurs, c'est
l'X de I'existence. C'est
ce secret du destin que dans les temps
antiques les hommes gravaient sur la peau de la chèvre Amalthée. » Quelle évocation ! Amalthée est cette chèvre mythologique qui fournit la corne d'abondance, source de tous les trésors de la terre.
De I'autre côté des non§, ou, les pouvoirs du verbe.
Nous voici donc prêts à suivre Jules Verne. Mais que cherchons-nous au fait ? Verne nous le dit : nous cherchons un trésor mérovingien lié à une tombe sacrée. L'héritage, l'or de Clovis, sont explicites. Et n'est-ce pas à Oran (en-or) que nous allons ? Si nous ne nous sommes pas trompés sur les méthodes de Verne, les noms des personnages doivent être signifiants. Commençons tout d'abord par les ridicules et intéressés Désirandelle. Ici, Jules Verne s'est amusé. De même qu'il a fait sur Clovis Dardentor un double jeu de mots puisqu'on peut lire : clos vit, dard en or (8), de même on pourrait voir le désir allumer les yeux des << désirant d'elle ». Ce qu'ils désirent, en fait, c'est surtout la fortune. Quant à Agathocle, leur fils, il nous renvoie à la fois à une courtisane (comme Marie-Madeleine) très riche qui vécut à Alexandrie et à un tyran de Syracuse né à Rhégium. Mais il souligne aussi et peutêtre surtout l'importance d'une clé. Passons à Jean Taconnat. Il est le postulant à initier : le tacon, le petit saumon, élève du
(E) N'a-t-il pas le sexe (vit) fermé (clos), cet homme qui n'a pas d'enfanr, mais dont Ia postérité (dard évoquant une fois encore le sexe) hériterait d'une fabuleuse fortune ?
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druide(e). Cela est confirmé par l'expression << jeune poulain echappé », Qui pourrait nous conduire directement au mystère du prétendu trésor templier de Gisors, mais ce serait une autre histoire. Marcel Lornans est le cousin du personnage précédent, et il faut bien reconnaître que les deux hommes ont un air de famille. On croirait presque avoir affaire à des gémeaux templiers. Son nom joue en fait sur un double sens. L'un a un caractère grivois et I'on peut s'imaginer Marcel << lorgnant » la belle Louise (alors que son cousin lorgne plutôt sur I'héritage), mais il faut également savoir décomposer son nom: MAR-CEL-LOR-NANS. L'or est dans la mare salée, apprend-on ainsi, et nous verrons que le renseignement est précieux. Ne devons-nous pas songer également au nom de l'esplanade en forme de cercle où David fit déposer I'arche
d'alliance à Jérusalem ? Cette aire, au-dessous de laquelle existait une petite caverne servant occasionnellement à stocker le grain, comme un silo, portait le nom de son propriétaire : Ornan. Faut-il donc penser que le Razès porte en ses entrailles l'arche d'alliance que les Templiers ont peut-être rapportée de Palestine (10) ? ou faut-il voir là une simple allusion à Jérusalem et par là même au temple de Salomon et à son trésor? Passons maintenant au docteur Bruno, médecin de bord de l'Argelès. Son nom nous renvoie en un lieu bien connu de Rennesles-Bains : Brun-O est bien entendu la Fontaine du Cercle (brunn: fontaine en allemand et O désigne le Cercle) (11;, véritable fontaine de Jouvence si l'on en croit Jules Verne, puisque ce « facétieux docteur ne doit pas mériter la qualification de morticole
>>.
Patrice, le domestique de Clovis Dardentor, est tout un programme à lui tout seul. Il évoque d'une part une bergerie dont on trouve la trace en 1807 dans les archives de l'Aude (la borde de Patrice), située sur le territoire de la commune de Rennes-les(e) Il n'est pas étonnant qu'il ait failli s'engager au 7'Chasseur d'Afrique puisque la coiffure de ce régiment §e nomme un taconnet. (tu) Cf. Louis Charpertier, Les Mystères Templiers et Les Mystères de la Cathédrale de Chartres. Selon cet auteur, un chapiteau de Chartres en serait la preuve. Notons également que, sur I'un des vitraux, Salomon porte la tenue traditionnelle des Rois de France. (tt) Le nom est aussi en rapport avec les 22tableaux consacrés par Eustache Lesueur à la vie de saint Bruno.
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Bains; d'autre part il est à relier au berger Paris, ce pâtre d'Is qui découvrit un trésor à Rennes-le-Château (un aven porte encore son nom sur le plateau) et qui le paya de sa vie. << Va-t'en au diable », dit souvent Clovis Dardentor à Patrice; c'est précisément ce qu'avait fait le berger Paris. Ce dernier habitait une cabane dont on peut encore voir quelques vestiges; une légende veut que, de cette cabane, Paris ait pu contempler le Val d'Isis où gît I'or ("). Quant au Patrice vernien, c'est dans la cabine 13 (13-IS) qu'il descend sa val-ise.
Iæ nom de Louise, et de sa mère, est tout aussi intéressant; Elissane. Il s'agit ni plus ni moins que d'un anagramme. Elissane est E-Salines, c'est-à-dire : à l'est des Salines. Ce renseignement est précieux et l'on comprend que Jules Verne l'ait caché un peu mieux que les autres car ce lieu, nommé << Les Salines », se trouve tout
près à vol d'oiseau de la ferme des Capitaines, à l'ombre du Bugarach. C'est en ce lieu que se faisait l'exploitation du sel extrait
de la rivière qui naît tout près et traverse ensuite Rennes-lesBains : la Sals. Jules Verne eut parfaitement conscience d'avoir augmenté la difficulté d'interprétation en employant un anagramme que seuls pouvaient comprendre ceux qui possédaient la plupart des clés de l'affaire ; aussi leur donna-t-il une confirmation du sens à accorder à ce nom en écrivant à propos d'Agathocle et de Louise : « Ils semblent s'accorder comme le sucre et le sel. » Un personnage très secondaire vient apporter une précision fort intéressante: Pigorin. Il nous renvoie bien entendu à saint Antoine, que ce soit I'Ermite, accompagné de son cochon (pig en anglais) ("), ou saint Antoine de Padoue, prié par ceux qui veulent retrouver I'or perdu. N'oublions pas que Bérenger Saunière avait rapporté de Paris un tableau de David Téniers représentant la Tentation de saint Antoine. On y voyait une grotte double; dans la première paftie, saint Antoine se tient à genoux, le regard posé sur un livre reposant sur une énorme table de pierre ; sur cette pierre, un crâne, un crucifix, un sablier, un vase. Le diable tend une coupe au moine marqué du Thau. Au pied de la table de pierre, deux livres, I'un ouvert, signe de la parole donnée à tous, et l'autre
(t')
On a trouvé une effigie d'Isis à Rennes-les-Bains.
(r3) Pig-Goret, pourrait-on dire, un vrai cochon-tirelire, d'ailleurs Dardentor dit de
lui : . cet animal de Pigorin
».
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fermé, près d'une sébille, témoin de ce qui est à découvrir, de ce qui est encore caché, de la parole ésotérique. A gauche de saint Antoine est... un énorme crâne de CHEVAL sur lequel est posée une chouette (to). Signalons également à ce propos, non loin de Bugarach, l'ermitage de Saint-Antoine dans les Gorges de Galamus. Mais surtout, notons qu'an Bulletin de la Société des Etudes
Scientifiques de l'Aude nous apprend que des travaux pour I'extraction du sel effectués près des Salines à partir de 1839 avaient consisté à ouvrir des galeries d'écoulement souterraines désignées sous les noms de Notre-Dame, Sainte-Barbe et SaintAntoine. Quittons cependant Pigorin pour examiner le cas du Président de la Société Astronomique de Montélimar, ou du moins du prétendu tel : Eustache Oriental. Toujours pourvu de sa longue-vue, il est souvent là pour nous guider, et ceci de façon très précise, comme un gnomon : << Eustache Oriental, toujours assis au bon bout de la table (...), ce chronomètre en chair et en os dont les aiguilles ne marquaient que les heures des repas. » Il est d'autant plus normal qu'il trouve sa place à table qu'un Eustache, en argot, est un couteau (1s;. Enfin Eustache Oriental est aussi un fabuleux anagramme qui nous dit : sel - orient - château. Autrement dit : allez vers l'est en partant du château et laissez-vous guider par le sel. Voilà qui, une fois de plus, nous amènera at»( Salines. De plus, si I'on considère ce nom comme un logogriphe, on peut en tirer les mots château, saline, or, trésor, roial, Saunière, reines, et bien d'autres qui sont loin d'être anodins. Il conviendrait aussi de s'interroger sur le commandant Beauregard auquel Jules Verne fait allusion à trois reprises en deux pages. N'est-il pas ce Beauregard du xv" siècle, qui se disait issu de Salomon, duquel naquit la seconde branche de la famille de Blanchefort (16) ? Hasards? Certains ne manqueront pas de le dire, mais alors il faudrait que tout le roman soit une sorte de hasard.
(r1) Il n'est pas inintéressant, dans I'optique de l'affaire de Rennes, de savoir qu'il existe au Canada une copie de ce fameux tableau mais dont les sujets sont très exactement inversés, (ts) Précisément, à propos d'Eustache Oriental, Jules Verne évoque I'argot des marins. (tu) Cf. le Dictionnaire de la Noblesse de La Chesnaie-Desbois,
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Les secrets de Majorque. Prenons le roman dans I'ordre. L'aventure commence à Sète (qui s'écrivait Cète à l'époque). Pourquoi le navire qui se rend à Oran ne part-il pas de Marseille ? Les explications de Jules Verne à ce sujet sont embrouillées, mais une gravure, elle, est parlante. Elle nous montre le mont Saint-Clair, qui porte une chapelle .. de la Salette », et domine Sète. C'est aussi sur ce mont que s'étend le gtide loanne, citant par ailleurs les étangs et « les vastes salines du Midi, que borde un canal de circonvallation ". Mais le mont SaintClair nous donne le nom de la famille qui prétend descendre des
derniers rois mérovingiens et à laquelle, selon elle, reviendrait légitimement le trône de France : les Plantards de Saint-Clair. Quittons ce << premier poft Franc » et embarquons avec Clovis Dardentor dansl'Argelès, en compagnie de la famille Désirandelle, de Marcel Lornans, de Jean Taconnat, ces bons cousins, d'Eustache Oriental, du docteur Bruno, de Patrice et du Capitaine Bugarach.
Première étape : Palma de Majorque. Jules Verne insiste sur la
fondation de la ville qui « datait de l'époque où les Romains occupaient l'île, après I'avoir longtemps disputée aux habitants déjà célèbres par leur habileté à manier la fronde. Clovis Dardentor voulut bien admettre que le nom de Baléares fût dû à cet exercice dans lequel s'était illustré David, et même que le pain de la journée n'était donné aux enfants qu'après qu'ils avaient atteint le but d'un coup de leur fronde »». Comment ne pas songer à ce passage du curieux ouvrage de I'abbé Boudet sur Rennes-les-Bains, dans lequel, parlant de David, il écrit : << Il mit la main dans sa panetière, il en prit une pierre, la lança avec sa fronde - davit (dévit) moulinet et en frappa le Philistin au front. La pierre s'enfonça dans le front du Philistin, et il tomba le visage contre terre, to dive (daïve), 5'6nfsnssr, to hit, frapper. » Ainsi donc il y a assimilation, chez I'un comme chez I'autre, de la fronde de David et du pain, tout comme il existe à Rennes-les-Bains une << pierre du pain » ronde comme une balle de fronde. Hasard ? Alors, pourquoi ce passage maladroit de Jules Verne et pourquoi cette bizarre interprétation du nom des Baléares, alors que I'on sait que I'origine est Baléos ou Balios, nom d'un compagnon d'Her-
cule. D'ailleurs Jules Verne confirme notre interprétation
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volontaire @mmettant une erreur - lorsqu'il évoque le torrent de la Riena à Palma, alors que ce cours d'eau se nomme la Riera. Pourquoi cette faute si ce n'est pour mettre en évidence RienaReina : les Reines de I'Aude (r7). Plus loin, Jules Verne parle d'une statue ornant le Palais Royal sans citer le nom de I'artiste qui Ia sculpta : Antonio Camprodon, qui nous ramène à ce « camp des Redons » qu'était Rennes selon l'abbé Boudet. Dardentor visite la cathédrale de Palma et I'on assiste à une description insistante du portail de la mer, des << scènes bibliques finement dessinées, d'une naive et délicieuse composition ». Curieuses sculptures en effet, représentant de bien intéressants symboles mariaux et bibliques : soleil, étoile et lune, cyprès, lys, rosier et palmier, temple, puits, ville, miroir, porte du ciel, source, jardin. En haut du tympan se déroule une inscription signifiant : « On ne fit rien de comparable pour aucun roi ,r. Jules Verne fait allusion à la vallée de Josaphat et au jugement dernier, nous faisant songer à Laval-Dieu et à sa légende apocalyptique ("). Et Clovis Dardentor pénètre dans l'église. Là il s'arrête devant la chapelle royale et admire un retable magnifique. Verne ne nous en dit pas plus. Connaissant les méthodes de I'auteur, cela doit nous rendre méfiants; or, à I'orée du chæur, sont deux magnifiques chaires Renaissance dont les guides de l'époque ne manquaient pas de parler et elles sont l'æuvre d'un artiste du xvt" siècle nommé... Juan de Salas ! Quant au retable admiré par Clovis, il ne peut s'agir que de celui qui, doré et polychromé, occupe Ie fond de la chapelle du Corpus Christi. On y voit la Cène, la présentation de l'enfant Jésus, les Tentations de saint Antoine, Jésus et les hommes de loi, le Grand Prêtre et Pilate. Cette æuvre, d'un baroque achevé, date de 1640 environ et elle est signée de... Jaime Blanquer ! Tout est parfaitement clair car, si Jules Verne a semblé éluder ces deux ouvrages importants, c'était pour mieux attirer sur eux l'attention des véritables chercheurs et les mettre sur la piste. [æs
(") I.r allusions à Rennes sont fort nombreuses dans ce romaû et prennent parfois de curieuses apparences; en fait, Jules Verne s'amuse tout en étant sérieux. Ainsi il parle des noms ayant gaster pour radical. Ceux-ci sont peu nombreux mais l'un, « gasteracanther », désigne une variété d'araigtées : à Règnes. De même, lorsqu'il est entralné par ses mules emballées, Dardentor emprurte la rue de I'architecte Reynes, etc. (rE) Lorsque les rochers de Laval-Dieu (situés entre Rennesle-Château et Rennes-les-Baias) se toucheront, alors üendra la fin des temps.
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noms des artistes oubliés, Jaime Blanquer et Juan de Salas, nous renvoient à Rennesles-Bains, tout près des sources de la Madeleine, là où se réunissent deux rivières enserrant le Bugarach : la Blanque et la Sals. Une confirmation de plus nous est fournie par I'allusion faite au tombeau de marbre noir du roi Don Jayme d'Aragon, allusion à un autre tombeau royal. Et Verne poursuit ainsi : << Ce n'est pas aux Baléares que se rencontrent des villes où le cordeau rectiligne et l'équerre rectangulaire tracent des cases d'échiquier comme dans les cités américaines. ,, Or c'est l'échiquier qui permet de décrypter les parchemins et qui figure dans l'église Sainte-Madeleine de Rennes-le-Château. Et ce n'est pas fini car, au cas où I'on n'aurait pas compris, Jules Verne insiste en parlant d'une église de Palma : celle des religieuses de la Madeleine. Puis il décrit I'Ayuntamiento, autrement dit I'Hôtel de Ville, évoquant, dans la << sala », un tableau représentant le martyre de saint Sébastien qui est attribué à Van Dyck, nous verrons pourquoi plus loin. C'est ensuite I'excursion au château de Bellver, dont le nom signifie << belle vue ». Pour s'y rendre, on passe par le Terreno, sorte de faubourg « considéré comme une station balnéaire ». Ce calembour, car c'en est un, Terreno-balnéaire, se traduit par : sur
les terres de Rennes-les-Bains. Quant au ,. château-citerne » de Bellver, il n'est pas sans rappeler le château-citerne de Blanchefort. De plus, entièrement noir, ce château-contraste évoque le RockoNégro, sis contre Blanchefort. La comparaison ne saurait être fortuite puisque Jules Verne souligne la ressemblance << avec les paysages du Midi de la France ». Après Palma, c'est le tour de la Chartreuse de Valdemosa et le souvenir de George Sand, .< ce grand romancier >>, et de son roman Spiridion. Décidément, Jules Verne est d'une habileté consommée car, à propos de Valdemosa et de ses environs, George Sand écrivait : <( c'est un véritable Poussin >». Et nous voilà en Arcadie et au tombeau d'Arques. Quant à Spiridion, son histoire tourne en partie autour d'un tableau : << Notre Saint-Benoît est un superbe morceau, à ce qu'on assure. Quelques amateurs I'ont pris pour un Van Dyck; mais Van Dyck était mort quand cette toile a été peinte. ,, IJne fois de plus, c'est à Rennes-les-Bains que nous nous rendrons, dans l'église où nous trouverons le fameux tableau-rébus du « Christ au lièvre ». Cette æuvre offerte par Paul-Urbain de Fleury est une copie quelque peu modifÏée (et inversée) d'une toile
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peinte par Van Dyck en 1636 et exposée au musée des Beaux-Arts d'Anvers.
Oran : des indices en or. Suivons sans plus tarder Clovis Dardentor à Oran, nom qui fait songer au précieux métal. Nous allons y retrouver nos héros, rue du
Vieux Château, dans le quartier de la Blanca (encore
une
coïncidence?), chez M" Elissane. Promenons-nous donc au bord de I'oued Rehhi (le ravin vert), véritable ruisseau de couleur, bordé de moulins, en amont comme en aval; allons voir le boulevard Oudinot et son bastion des bains, non loin de la tour Saint-Roch, le « château-neuf » dont les fortifications seraient dues aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, aussi nommé Rosas-Cajas. La visite avec Jules Verne de la ville d'Oran ne manque pas d'intérêt; mais pourquoi diable faut-il qu'il écrive : << cette cité, la Gouharan des Arabes », alors qu'Oran vient de Ouahran (la coupure) ? Coïncidence encore, un lieu proche de Rennes, situé sur la commune de Quillan, portait le nom de Gourg d'Auran (t'). n faudrait aussi accompagner les héros au faubourg de Saint-
Antoine. Et Jules Verne décrit, raconte, nous montre la pointe de Mers-elKébir, insistant sur ce « pofrus divinis des Anciens », ce port divin ne nous ouvrirait-il pas une porte divine ? Généralement, lorsque Jules Verne enjolive, ce n'est pas gratuit. Or, quelle n'est pas notre stupéfaction en ouvrant le guide loanne de l'époque (dû à Louis Pieusse et daté de 1885), aux pages l82et suivantes. Sous le titre « Mers-el-Kébir » on trouve plusieurs pages consacrées au << Bain de la Reine », source thermale guérissant de la lèpre et devant son nom aux séjours réitérés qu'y fit Jeanne, fille d'Isabelle la Catholique. Cette source, ensevelie sous des rochers qui s'éboulèrent lors de l'ouverture de la route de Mers-el-Kébir, fut remise en état et sourd dans une petite grotte. Lisons le foanne .' « Les eaux du Bain de la Reine sont très claires, très limpides et inodores. Leur saveur, franchement saline, un peu âcre, prend légèrement à la gorge (...).En entrant dans la grotte, on perçoit une légère odeur de soufre », euânt à la température, elle est de 45'à 47'50. (re) Porté sur Ia carte d'état-major sous le nom de Gourgaoura.
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Voilà qui est presque trop beau car il existe à Rennes-les-Bains une source thermale dite << Bain de la Reine » qui sort à 41o, a une saveur franchement saline (0,285 grammes de chlorure de sodium par litre). Quant au soufre, on le trouve tout près de là, à la fontaine de la Madeleine ou de la Gode. Encore ne faut-il pas quitter le Bain de la Reine de Mers-el-Kébir sans signaler un ravin «)nnu sous le nom de Salto del Cavallo (le saut du cheval), qui désigne très exactement la méthode permettant le décryptage de la tombe de la marquise de Blanchefort.
Voyage circulaire.
Il nous faut maintenant quitter Oran pour suivre tous nos héros car : « Clovis Dardentor eut une idée, - une idée telle qu'on pouvait I'attendre d'un pareil homme. La compagnie des Chemins de Fer Algériens venait d'afficher un voyage circulaire, à prix réduits, dans le sud de la province oranaise. Il y avait de quoi tenter les plus casaniers, on partirait par une ligne, on reviendrait par une autre. Entre les deux, 100 lieues à traverser en pays superbe. Ce serait I'affaire d'une quinzaine de jours curieusement employés. Sur les affiches de la compagnie s'étalait une carte de la région que traversait une grosse ligne rouge en zigzags ». Ne s'agit-il pas de la « Roseline-Rouge-ligne » chère à Bérenger Saunière ? Chose curieuse, tout au long de la description de ce voyage, Jules Verne va commettre de grossières erreurs, se tromper sur les nombres d'habitants, le débit des barrages, les altitudes, etc., sans parler des multiples fautes d'orthographe. Rien de cela n'est fortuit et ceux que la cryptographie intéresse n'auront aucune peine à s'en convaincre eux-mêmes. A propos du voyage dans I'Oranais, Jules Verne nous dit : « une simple promenade que les amateurs pourraient exécuter de mai à octobre, à leur choix, c'est-à-dire pendant les mois de l'année que ne compromettent point les grands troubles atmosphériques >). Voilà qui ressemble fort aux conseils que donne l'abbé Boudet sous prétexte de nous parler de la langue basque. Le premier arrêt du voyage sera pour Sebgha (ou Sebkha) et le grand lac salé, près de Rio Salado. Les eaux du lac « étaient déjà très basses à cette époque et il ne tarderait pas à s'assécher totalement sous les ardeurs de la saison chaude ». La direction
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il semble bien que Jules Verne nous invite à quitter Rennes-les-Bains en suivant le cours de la Sals ou, plus exactement, d'aller d'abord sud-est jusqu'à la Sals, de la traverser et de continuer plein est. Puis c'est Tlélat et la voie vers l'est, le long d'un lac nommé << les Salines d'Arzeu », et là, nouvel épisode curieux : « Le train redescendit vers Saint-Denis après avoir franchi le fleuve, lequel, sous le nom de Maeta, va se jeter dans une vaste baie entre Arzeu et Mostaganem. >> Or il ne s'agit pas du Maeta mais du Makta ! Cette erreur ne peut que nous inciter à chercher quelque renseignement précieux. Il suffit de peu de temps pour s'apercevoir que le lieu où se jette le fleuve porte un nom précis : entre Arzeu et Mostaganem, nous disait Jules Verne; soit, mais plus exactement à... Port-aux-Poules. On comprend que Jules Verne nous ait ainsi alertés lorsque I'on sait que le dépôt sacré de Rennes-le-Château fut longtemps confié à la garde de la famille d'Hautpoul. Et Verne fait d'une pierre deux coups car, si I'on suit ses indications de direction, on ira plein est jusqu'à ce que l'on refranchisse la Sals, puis plein sud, soit vers << le Caoussé ». Jules Verne n'écrivait-il pas Maeta au lieu de Makta, soit K ou É? C'est à partir de là que vont commencer les choses sérieuses (« En cet endroit descendirent la plupart de ceux qui faisaient le voyage en touristes »), et Clovis Dardentor est décidé à suivre en tout point la devise « Transire vivendo ,r, soit << traverser en voyant », « passer où il y a quelque chose à voir ». Une partie du trajet s'effectuera dans des chariots de voyage (20). La direction suivie, reportée dans le Razès, nous mènerait alors vers le pic de Bugarach et Jules Verne confirme lui-même, une fois de plus, notre analyse. Il commet en effet une erreur de plus en nous indiquant le chiffre de 1200 personnes pour la population juive de Saint-Denis-du-Sig. En fait, il aurait dû dire 300, ce qui représente tout de même une erreur de 300 Vo. Or, sur la carte d'état-major de la région de Rennes-les-Bains, nous nous retrouvons précisément à 1200 mètres d'altitude, tout près du sommet du Bugarach (1230 m). Au cas où nous n'aurions pas compris, Jules Verne nous fournit une autre confirmation un peu plus loin en nous étant sud-est à partir d'Oran,
(20) C'est précisément le sens antique du nom de Rennes-le-Château : Rhedae le
chariot de voyage qui nous fait aussi songer à la Grande Ourse (ou Chariot de David, ou tombeau deLazare),
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parlant de Ben-Arrach. Puis il nous fournit des indications plus précises. Il parle d'un barrage auquel on se rend en suivant la rivière, ce qui est faux : en fait, il faut suivre un canal de dérivation. Or il y eut près du Bugarach un canal de ce type (et même plusieurs) : à la fontaine salée, à côté des Salines. Autre détail précieux : Jules Verne donne 14 millions de m3 pour contenance à ce barrage, alors qu'il ne peut accumuler que 3275000 m3 d'eau. Nous laisserons au lecteur le soin de trouver sur place à quoi se rapporte cette donnée chiffrée. Quant à Jean Taconnat, il commet une nouvelle erreur en disant : « il y a quelque 64 ans, peut-être... alors que l'on se battait à travers la brousse pour prendre possession de la province oranaise ». Or, l'action se déroule en 1885, ce qui nous ramènerait en 1821, alors que c'est dix ans plus tard, en 1831, que les troupes françaises entrèrent à Oran. Par contre, tout à côté de la Fontaine Salée, le Pas du Capéla est à 831 mètres (21). L'éminence dominant la source a, quant à elle, une altitude de 844 mètres, qui explique I'insistance avec laquelle Jules Verne mentionne la date de création de I'Union du Sig : 18t14. Bien d'autres « erreurs » seraient à mentionner, mais nous laisserons au lecteur la joie de les découvrir lui-même. Toujours est-il qu'à la suite de toutes ces indications on ne tarde
pasà«brûler».
Décidément, il s'agit bien d'une histoire salée. Nous ne sommes pas loin désormais de Mascara
Mas-Arca
-, la maison de I'Arche, dont un des quartiers : Baba-Ali, ne peut qu'évoquer la caverne aux trésors. Nous avons vu que les indications données par Jules Verne semblaient nous conduire aux Salines et à la Fontaine Salée toute proche. Mais n'est-ce pas Louise Elissane qui deviendra à la fin I'héritière de la fortune de Clovis Dardentor ? Ne serait-ce donc pas près des Salines gue se trouverait I'héritage des Mérovingiens ? Reportons-nous à l'église Sainte-Madeleine, telle que l'a voulue Bérenger Saunière. Le diable, gardien du trésor, ne soutient-il pas
(")
læ pas du Capela, dans la toponymie, nous révèle la présence ancicnne d'une
chapelle.
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un bénitier portant le cartouche B. S., désignant le point de départ du « circuit >> : le confluent de la Blanque et de la Sals que d'aucun nomment le « Bénitier » ? Et puis ne voit-on pas le Christ aux genoux du Baptiste avec, auprès de lui, des épis d'or, alors que semble couler une rivière ? Cette dernière ne peut être que salée, participant au baptême. Le Christ et le Baptiste nous invitent ainsi à remonter jusqu'aux souroes de la Sals pour y découvrir, peutêtre, I'argent de la coquille et l'or des épis. Quant à Madeleine dans sa grotte, n'est-ce pas une chapelle qu'elle nous demande de chercher ? N'est-ce pas précisément celle qui donna son nom au Pas du Capéla? Et le Mont des Huit Béatitudes, le Christ sur la montagne, que nous dit-il? Venez à moi (22) et je vous soulagerai ! Eh bien, prenons donc la direction qu'indique la ligne de Croix Rouges sur la carte de l'abbé Boudet : la direction de la Rose-Ligne. Nous nous acheminerons alors vers Soulatgé; n'est-ce pas le sens de la parole du tableau : venez à moi et je vous... soulagerai ? Sur cette route nous suivrons la Sals, mais nous ferons bien de nous arrêter à Sougraigne car une surprise nous attend près de l'église. Une croix, qui aurait été offerte à I'un de ses collègues par I'abbé Boudet lui-même, porte le mot (< confirmation » et semble indiquer une nouvelle direction. Souvenons-nous alors de Jules Verne, toujours le guide loanne à la main, et disonsnous qu'il est bien possible que la Jouanne guide (u). Une fois de plus nous est indiquée la direction des Salines. Mais poursuivons notre route. A quelques kilomètres, près du Caoussé, la route cesse de suivre la Sals. Là, un pont (dont on peut voir une représentation surmontant la Vierge posée sur le pilier mérovingien à Rennes-leChâteau, et que I'on retrouve dans l'église de Rennes-les-Bains)
qui enjambe la rivière laisse apparaître un chemin qui
nous
conduira à la source. Mais, juste avant d'arriver au pont, levons un peu la tête. En face de nous, sur la crête, une pierre semble se détacher, sorte de monolithe posé en biais. Que les courageux n'hésitent pas, qu'ils franchissent le pont et grimpent droit, à flanc de colline, dans les bruyères. Montée rude mais sans difficultés, qui ménage une bonne surprise car là sont les véritables << roulers >». En effet, si I'on a bien du mal à trouver les rochers ainsi nommés par l'abbé Boudet, tels qu'ils les a dessinés, là où ils sont censés être, au (22) Répété dans l'église de Renncsles-Bains. La Jouanne est le nom d'une ferme proche.
(')
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Pla de la Coste, on ne peut que s'émerveiller de les découvrir ici, tout près des sources de la Sals. Prenons maintenant le chemin qui monte après le pont et qui va nous conduire d'abord vers les Salines. Avant d'arriver, nous apercewons dans la colline des pierres éparses. Des jumelles nous permettront d'apercevoir l'une d'entre elles, haute d'environ deux mètres; au jugé, on dirait un peu un trône dont le dossier aurait la forme d'un delta. Nouvelle surprise car si vous désirez voir un modèle réduit, véritable maquette de ce siège, il vous suffira de
vous rendre à Rennes-le-Château, de vous faire ouvrir la tour Magdala et de regarder dans la vitrine. Là, tout à côté du crâne percé d'une entaille sacrée découvert lui aussi sous le pavage de l'église Sainte-Madeleine, est posé un petit siège en pierre taillée, d'une douzaine de centimètres de haut, identique toutes proportions gardées à celui que nous pouvons découvrir dans la nature. Et maintenant, allons vers la Fontaine Salée et les ruines de l'ancien corps de garde des Gabelous. Sur la droite, avant d'arriver, un rocher se détache au milieu de la verdure, et si vous avez la chance de le découvrir sous un bon éclairage, vous y reconnaîtrez « la tête du sauveur »>. [Jn peu plus loin, entre la ferme et la fontaine salée, vous vefiez le mont des huit béatitudes (24). Qui osera dire dès lors que le guide Jules Verne n'était pas bon ? Ne nous a-t-il pas montré la voie du sel qui mène à l'or ? Il est d'ailleurs intéressant de noter le rapport constant existant entre le sel et I'or, tant en alchimie qu'en géographie sacrée (5). Le sel est bel et bien I'une des clés de ce qu'il est convenu de nommer I'affaire de Rennes. D'ailleurs le mot Magdala dérive luimême de I'arabe magdal, qui signifie.. poisson de salaison ». Cette permanence nou§ est confirmée par sainte Marie-Madeleine dont les larmes sont rédemptrices. En effet, sur une gravure datant du xvt'siècle on peut voir la sainte à la Sainte-Baume en Provence : la
(z) Læ propriétaire des lieux est persuadé que ce pctit monticule porta jadis uo temple dédié à Isis. (') Les lieux où se trouvent des mines d'or sont généralement proches de « lieux salés »; ainsi la seule mine française encore exploitée se touve à Salsigncs. On ne peut §'empêcher de rêver en songeant au titre d'un traité de Bernard Palissy : « La nature des eaux et fontaines, sels et salines, des pierres, des terres, du feu, des émaux et recette véritable par laquelle tous les hommes pourront apprendre à augmenter leurs trésors, avec le dessin d'un jardin délectable et utile et celui d'une forteresse imprenable ».
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ciaverne creu§ée dans la falaise domine une petite rivière mentionnée sous le nom de... Salins, et l'on peut remarquer dans le tableau
un étendard portant une croix templière. comment douterionsnous que la Madeleine de Rennes loge aux Salines (26) ?
Nicolas Powsin et le pactole. Jules verne, au cas où nous ne comprendrions pas, insiste tout au long de son ouvrage. Clovis Dardentor nous dit : << euand il n'y a pas d'eau dans un paysage, il me semble qu'il lui manque je ne sais quoi. Je possède plusieurs toiles de maîtres dans ma maison de la place de la Loge, et toujours de l,eau au premier plan... Sans cela
je
n'achèterais pas...
>»
L'allusion est évidente et tous ceux qui
connaissent les tableaux de Nicolas Poussin (notamment l'une des versions des Bergers d'Arcodie) comprendront. sans cesse, dans ces tableaux, revient le dieu du fleuve, son urne sous le bras dispensant
le liquide de vie. On pourrait citer à ce propos les æuvres représentant Midas et le fleuve Pactole qui transformait tout en or.
Et comme si cela ne suffisait pas, Marcel Lornans ajoute : << Aussi allons-nous chercher des lieux où il y ait de l,eau. Tenez-vous à ce qu'elle soit douce ? m'importe puisqu,il ne s'agit pas de la - Peu boire ! » Comment ne pas songer une fois de plus à la Sals ? Et Marcel Lornans ajoute encore : << Nous trouverons de l'eau ailleurs que dans le port, et, d'après le loanne, il y a le torrent du Rehhi qui est en partie recouvert par le boulevard Oudinot. », Or, le Rehhi, selon le guide Joanne de 1885, a sa source apparente à 1000 mètres de son embouchure, au milieu d'une gorge étroite dont les flancs escarpés sont composés de calcaires de nouvelle formation et riches en fossiles. on se croirait très exactement près des sources de la Sals, dans cette petite gorge qui part du pont, faite de falaises
Il suftt d'ailleurs de s'orienter à partir du Bugarach, point fixe puisque le capitaine du même nom ne quitte jamais son navire, selon JuteJverne. c'èst pias oe lui qu'il faut chercher le dépôt. En effet, trouver une bonne place à tablè, c'est forcément « pas trop loin du capitaine ». « Sous le commandêment du capitaine Bugarach, rien à craindre. Læ vent favorable est dans son chapeau, et il n,a iu'à se découvrir pour I'avoir grand largue. » ce vent, verne nous lJdit, est Nord-Ést, ce qui nous mène vers la fontaine salée. Il nous suffira alors de nous guider sur les « oppositions » d'ombre et de lumière, comme E, oriental. M. Désiraidelle pensait que le capitaine allait se découvrir, s'incliner ensuite : autant en faire un gnàmon ! (tu)
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calcaires, riches en fossiles, dont les pierres sont souvent identiques
à celles utilisées par
Saunière pour bâtir sa grotte artificielle. plus Notons de que, près de la source de l'oued Rehhi, était un petit monument servant de corps de garde et d'où partaient deux canaux alimentant diverses fontaines. Or, après la gorge, à la fontaine de la Sals, près de l'ancien corps de garde des gabelous, se trouvent deux galeries d'écoulement et là, tout comme au Bain de la Reine d'Oran, un séisme est venu bouleverser le sous-sol.
Un trésor à prendre. Les lieux ayant ainsi été précisés, on peut noter que nombre de détails sont également fournis en ce qui concerne le trésor. Celui-ci cherche un propriétaire et Clovis Dardentor nous indique : << Irrsque sonnerait cette heure fatale, à qui irait la grosse fortune?... Qui prendrait possession des maisons, des valeurs de l'ancien
tonnelier de Perpignan, la nature ne lui ayant donné d'héritier ni direct ni indirect, pas un seul collatéral au degré successible ? » Et il insiste à plusieurs reprises. Or, ce trésor est inépuisable et << ce n'est pas le combustible qui manquera », s'écria Clovis Dardentor en agitant son gousset qui rendit un son métallique. Il n'y a plus qu'à chercher, n'est-ce pas ? « Un père adoptif, riche de deux millions, résolu à rester célibataire, cela ne se refuse sous aucune des latitudes de notre monde sublunaire », pas plus que dans un monde souterrain, ajouterons-nous. Cet or royal (27) permettra à tous de faire des « rêves dorés sur tranche » et Jules Verne écrit à la fin, à propos de Louise Elissane : ., dans ce mariage, les convenances y sont et aussi les gros sous ». On pourrait citer également les allusions faites à la trésorerie générale, à la bourse, au quartier de la banque, etc. Jules Verne ne cesse de confirmer l'origine royale du trésor, écrivant : << C'est décidément un superbe métier, ce métier de soldat... quand on a le goût, et puisque vous avez le goût... - C'est dans le sang! répliqua Jean Taconnat, nous tenons de nos aïeux, braves commerçants de la rue Saint-Denis, dont nous avons hérité
() Le guide Moktani est rémunéré « royalement » par Dardentor. De plus, on peut sc demander si « I'orygène supérieur » emplissant sa poitrine ne lui donne pas le sang blcu.
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les instincts militaires ! " (^). Saint-Denis évoque la basilique royale, nécropole des souverains français; gageons que le sang auquel il est fait référence devrait être royal. Clovis Dardentor, que Jules Verne qualifie de .< si haut personnage », va donc nous conduire au pays où sont censés s'être retirés les descendants des Mérovingiens (2e), et l'auteur écrit : « au prix de quelques centaines de francs, nous avons foulé Ie sol de l'autre France ! - Rien que cette belle phrase vaut I'argent, mon petit Marcel !... Et puis, qui sait?... - Que veulent dire ces mots, Jean?... - Ce qu'ils disent d'habitude et rien de plus... ». Cette autre France ne seraitelle pas le Razès? Cependant, dans le premier chapitre, il est fait allusion à un « double héritage ». Si I'on retient le trésor royal mérovingien, il reste à chercher l'autre source. [æs « pharamineux » (3o) boniments de Cicérone, à Palma, concernant I'ancienne bourse de cette ville, semblent concerner le Temple de Salomon, et I'on songe au trésor pillé à Jérusalem par Titus et récupéré à Rome par le Wisigoth Alaric. On peut aussi, avec Palma de Majorque et Perpignan, songer à l'histoire de Blanche de France, épouse de I'Infant de la Cerda. Persécutée après la mort de son mari, chassée par Sanche du trône de Castille, elle se réfugia dans le Razès. Une légende veut que le trésor qu'elle réunit pour soutenir la cause de son fils, Alphonse, El Desdichado, soit resté dans la région.
Et si les Cathares... Cependant il est encore une autre possibilité, plus extraordinaire, plus fascinante, pour expliquer cette deuxième source de trésor. En 1243,1'Occitanie tombait sous les coups conjoints des barons du nord et de I'Eglise. L'une des plus belles civilisations de tous les temps était en voie d'être détruite par le fer et le feu. On pleure sur bien des génocides et des crimes dans le monde, mais on ignore trop souvent celui-là : un peuple a subi toutes les violences, la torture, le viol, le pillage, la mort, au nom du Christ dont la
(u) Jules Veme s'amuse, car la rue Saint-Denis a pour principal commerce la prostitution et I'institrct militaire en question doit surtout pousser au repos du guerrier.
C) C-es rois Fainéants ou Fénians que nous rappelle le Fénouan dans le livrc. (æ) Evocation du mérovingicn Pharamond.
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doctrine d'Amour était bien mieux défendue par les parfaits Cathares que par les religieux vociférant << Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. >> En 1244, donc, Montségur fut assiégé. La forteresse était le dernier bastion du catharisme. Tout le monde connaît plus ou moins cette histoire, nous ne la reverrons donc pas
en détail. Disons simplement que la situation devenant critique, des négociations furent engagées, et I'on peut s'en étonner. La citadelle ne pouvait manquer de tomber à court terme et pourtant les croisés accordèrent aux défenseurs la possibilité de se retirer
avec armes, bagages et honneurs de la guerre, sauf pour les Cathares refusant d'abjurer, qui seront brûlés. Quelle clémence pour les hommes d'armes, d'autant qu'ils furent même absouts du meurtre des inquisiteurs massacrés à Avignonet. En plus, il leur fut accordé le droit de demeurer dans la place quinze jours supplémentaires. Pourquoi? Nous ne sommes pas au bout de nos surprises dans cette histoire car les tractations avec les défenseurs de la place, Pierre-Roger de Mirepoix et Ramon de Perelha, vont être conduites par Ramon d'Aniort, seigneur de la région de RennesJe-Château ayant toute la contrée sous sa mainmise. Et voilà que dans ce délai de quinze jours, le trésor spirituel et le trésor matériel des Cathares furent évacués. On vit un feu allumé sur le sommet du Bidorta pour avertir Montségur que tout allait bien, que le précieux dépôt se trouvait en lieu sûr. Or, celui qui avait allumé ce feu se nommait Escot de Belcaire et il était l'envoyé de Ramon d'Aniort. Durant la guerre contre les Albigeois, les Aniort se sont battus du côté des Cathares. Les quatre frères, Géraud, Othon, Bertrand et Ramon, auxquels se sont joints leurs deux cousins, en ont fait
voir de toutes les couleurs aux hommes de Simon de Montfort et ils furent excommuniés. Ils durent remettre leurs châteaux mais, fort bizarrement, leur excommunication fut rapidement levée, on leur recéda même quelques-unes de leurs terres. Le château d'Aniort devait être rasé mais, au dernier moment, Louis IX se ravisa mystérieusement et envoya un contrordre. Pourquoi? Mystère! Ajoutons que Louis IX reçut à la cour Ramon d'Aniort avec les égards dus à un homme que I'on ne doit pas négliger. Mais retournons à Montségur. N'est-il pas étonnant de voir Eso de Belcaire apporter à la forteresse une lettre de Ramon dAniort ? Des liens puissants lient ce dernier aux défenseurs de la furteressc : Remon a épousé Marquésia, sæur de Pierre-Roger de
OU LE SECRET DB
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Mirepoix, et a donné sa s@ur Alice à Jordan de Perelha, fils de Ramon de Perelha. Mais cela ne nous explique pas quels moyens de pression possédait Aniort pour obtenir des conditions aussi favorables pour la garnison. Comment se fait-il, également, qu'en 1247,l-oais IX ait obligé Pierre de Voisins à rendre une partie de ses terres à Ramon d'Aniort ? Blanche de Castille aurait-elle dt négocier la reddition de Montségur? Ramon d'Aniort n'aurait-il pas obtenu de tels avantages contre la promesse de ne pas utiliser des documents prouvant que la lignée mérovingienne n'était pas éteinte ? Dès lors, tout deviendrait parfaitement logique de ce qui pouvait paraître incompréhensible. Mais alors, si Ramon d'Aniort a pu jouer un tel rôle, s'il a eu en mains les cartes suffrsantes pour forcer la royauté française à négocier, où le trésor aurait-il pu être plus en streté que sur ses terres ou dans la zone qu'il contrô-
hit
(31) ?
Autre sujet d'étonnement
: en t283, Philippe III le Hardi,
fit un voyage dans Pierre Razès. Il s'arrêta bien entendu chez de Voisins (32), le seigneur de Rennes et qui, en fait, possédait à peu près tout le Razès pour le compte du roi de France. Le passage du souverain dans cette région était sans doute motivé par la préparation de la guerre contre le Roi d'Aragon, Philippe le Hardi désirant obtenir la neutralité des seigneurs locaux qui, pour certaines de leurs terres, étaient vassaux du Roi d'Aragon. Mais Philippe le Hardi ne semble pas avoir eu ce seul but, et il se rendit chez Ramon d'Aniort. Il y fut fort bien reçu par Ramon, sa femme Alix de Blanchefort, et son jeune frère Udaut d'Aniort, dont Philippe le Bel aurait aimé faire son compagnon d'armes mais qui préfiéra devenir Templier. Comment le Roi pouvait-il venir honorer ces Aniort dont deux oncles étaient Cathares, alors même qu'Alix de Blanchefort était fille d'un seigneur faydit hérétique ayant mené la vie dure à Simon de Montfort ? Il est vrai que les Aniort étaient également Parents accompagné de son fils, le futur Philippe le Bel,
(3t) D'autant que, comme le fait fort justement remarquer Elie Kercob dans le n" 72 des Cahiers d'Etudes Cathares, I'itinéraire habituellement admis pour l'évacuation du trésor n'est pas logique. A l'époque concernée, la route aurait été à peu près impraticable pour des fugitifs lourdement chargés, à cause de la neige. De plus, le point d'aboutissement invoqué habituellement, Usson, se serait révélé être un véritable piège. (3'?) Ptritippe le Bel fut parrain du fils aîné de Pierre III de Voisins.
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du Roi mais par alliance et par famille d'Aragon interposée (33). En repartant, Philippe le Hardi s'arrêta chez Pierre de Voisins pour déjeuner. Un accord avait dû être conclu et les Voisins étaient chargés de le faire respecter puisque Pierre
III
de Voisins, veuf de
sa première femme, épousa Jordane d'Aniort, cousine de Ramon ('o). En ligne directe, la famille de Voisins s'éteignit au début du xvt" siècle avec la dernière héritière : Françoise, fille unique de Jean II de Voisins. Baronne d'Arques et de Cousan, elle épousa en 1518 Jean de Joyeuse, qui
prit ainsi possession des terres
de la famille de Voisins. Il faut dire un mot également de la famille d'Hautpoul, l'une des plus anciennes et des plus illustres du Pays d'Oc. On nommait ses fondateurs les Rois de la Montagne Noire, où ils possédaient la mine d'or de Salsignes. On peut voir, près de la forêt de Nore, les ruines de leur premier château, démantelé par Simon de Montfort en 1212, tout près d'une grotte où une fée passait son temps à peigner ses longs cheveux d'or, telle Marie-Madeleine ou Mélusine. Pierre-Raymond d'Hautpoul était au siège d'Antioche aux côtés du Comte de Toulouse quand celui-ci découwit comme par miracle la Sainte-Lance. Lors de la croisade contre les Albigeois, les Hautpoul furent eux aussi dépouillés de leurs châteaux aux noms évocateurs sis sur les rives de l'Orbiel : Cabaret (de Caput
Arietis, la tête du bélier), Quertinheux, Tour Régine et Fleur Espine. Or, en 1422,Pierre-Raymond d'Hautpoul épousa Blanche de Marcafava, fille et héritière de Pierre de Voisins. En 1489, l'alliance entre les deux familles fut renouvelée plusieurs fois par la suite. En 1732, François d'Hautpoul épousa Marie de Negri
d'Ables qui apportait dans la corbeille les terres des anciens domaines de la famille d'Aniort. Ils eurent trois filles : Elisabeth qui vécut et mourut célibataire à Rennes, Marie qui épousa son cousin Hautpoul-Félines, et Gabrielle qui se maria avec le Marquis Paul-François Vincent de Fleury. Elisabeth eut des ennuis avec ses seurs auxquelles elle refusa de communiquer les papiers et titres de
(33) Philippe le Hardi était marié à Isabelle d'Aragon, fille de Jacques I" d'Aragon, lui-même neveu de Sancia d'Aragon et Géraud d'Aniort. (v) Nous ajouterons que, si les Aniort protégèrent toujours les Templiers sur leurs terres, Jacques de Voisins réussit, quant à lui, à sauver quelques templiers lors de I'arrestation ordonnée par Philippe le Bel. Au courant des ordres envoyés à son
père, il put prévenir à temps les moines soldats qui se rendirent en Aragon.
OU LB SECRET DE
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la famille sous prétexte qu'il était dangereux de compulser sans cesse ces documents et qu'il << convenait de faire déchiffrer et distinguer ce qui était titre de famille et ce qui ne l'était point ".
Gabrielle, quant à elle, s'appropria le titre de Blanchefort et laissa à son mari, Paul-François Vincent de Fleury, le soin de gérer les bains (3s). Ce n'est qu'en 1889 que les Fleury quittèrent Rennesles-Bains et, peu après, Bérenger Saunière devint en quelque sorte le gardien des lieux. En 1870, un incident se produisit : le notaire auprès duquel étaient déposés les papiers de la famille refusa à Pierre d'Hautpoul la communication de ceux-ci, sous prétexte qu'il ne pouvait se dessaisir de documents de cette importance sans commettre une grave imprudence (36).
... avaient caché le Graal au Bugarach.
Mais revenons au Graal. Ne devons-nous pas voir dans le Montsalvat de la « queste » un Mont de la Vallée du Sel (sau-va en provençal) : le Bugarach ? Ne doit-on pas s'étonner que ce pic n'ait pris ce nom qu'à l'époque approximative de la chute de Montségur, alors même que « Bugarach >» viendrait, selon Vladimir Topentcharov ("), de << Bulgares », « bougres ,r, .. boulgres >), noms que I'on donnait aux Cathares. Ce nom n'aurait-il pas été donné après que leur héritage att êté enfoui sous la protection de ce nouveau Tabor ? D'ailleurs, n'est-ce pas le Graal qui figure sur les murs de l'église du Bézu, figuré en noir et blanc, comme le Beaucéant des Templiers 138; Z Oe plus, n'existe-t-il pas un lien direct entre la quête du Graal et Salomon? C'est l'épée de ce dernier que (tt) On trouve dans des archives espagnoles un De FIeury commandeur de I'Ordre du Temple à Carcassonne au début du xvt'. Les armoiries des Fleury étaient : d'or à trois roses de gueules, posées 2 et l. (5) Parmi ces documents auraient figuré des documents généalogiques marqués du sceau de Blanche de Castille, prouvant l'existence de descendants des Rois Mérovingiens.
Vladimir Topentcharov, Boulgres et Cathares (Seghers). (38) Il est très exactement semblable à la représentation du Graal que I'on peut voir dans les heures de Caillaut et Martineau, du xvlo siècle, lui ausi alterné noir ct blanc. Notons par ailleurs, sur le plan toponymique, que la rune employée par les Wisigoths pour désigner le calicc, le Graal, remplaçait une ancienne rune ayant le sens d' « 61ç », tandis que celle de I'homme se voyait substituer celle de la tombe. 137)
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Lancelot se vera remettre par une main sortie du lac, épée fabuleuse et magique que, selon la légende, Godefroi de Bouillon aurait possédée. Dans Parstful, Wolfram von Eschenbach nous dit qu'il tient le récit de la quête du Graal d'un texte primitivement écrit par le paTen Flégétanis qui était de la lignée de Salomon. Il n'y a peut-être pas antinomie entre le Graal et le trésor de Salomon, à condition de ne pas y voir un dépôt « juif », n'en déplaise aux agents israéliens qui sillonnent régulièrement le plateau de Rennes. En tout cas, la région fut toujours surveillée par les Cathares et le dernier parfait connu, Guilhem Bélibaste, qui périt brûlé en 1321, vécut à Arques. C'est aussi à Arques que vivait, il y a quelques années encore, celui que I'on nomma souvent d'un terme complètement impropre : le pape des Cathares, Déodat Roché. C'est là que, plus qu'ailleurs, la doctrine a survécu malgré les persécutions : « Au xrv' siècle, écrit Jean Duvernoy, ce n'est plus que dans les pâturages d'Arques, ce n'est plus qu'autour des feux de bergers que l'on récite le Credo et la mythologie cathares, singulier mélange de traditions venues de l'orient grec, d'humble piété montagnarde et de rêves de revanche. C'est à ces bergers que nous devons, hélas, I'exposé Ie plus complet qui nous soit conservé du catharisme. » On pourrait également rapprocher le livre fermé des sept sceaux de l'Apocalypse, représenté dans l'église de Bugarach à côté du calice graalique, de ce livre secret nommé Livre des Sceaux que l'on ouvrait solennellement au cours de la fête cathare de la Bêma. C'est bien au catharisme que s'intéressait Colbert, qui chercha le trésor de Rennes-le-Château pour le compte de Louis XIV, lorsqu'il chargea, en16fl9, un homme de confiance d'aller recopier à Carcassonne les registres de l'inquisition concernant la croisade contre les Albigeois. Dès lors, ne doit-on pas penser que le Graal aurait été caché dans la région du Bugarach ? N'est-ce pas ce que veut nous dire Jules Verne lorsqu'il commet une erreur sur le nom du site de Khrafalla qu'il nomme Kralfalla ? N'est-ce pas mettre en éüdence KralGraal ? Je serais tenté de le penser, d'autant qu'il récidive en parlant de Sidi-Kraled au lieu de Sidi-Khaled. N'évoque-t-il pas également le peuple des Beni-Amer qu'il transforme en BeniAmor, c'est-à-dire : les Fils de l'Amour ! Comment mieux désigner les Cathares qui se disaient messagers de l'Amour et voyaient dans Amor le contraire de Roma ?
OU LE SECRET DE RENNES-LE.CHÂTEAU
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La Coupe du Graal et le Sel de la Vie Eternelle. Jules Verne nous conduit sur la piste du Graal, cette coupe que I'on nommait antiquement coppe, cuve ou encore cave, termes désignant aussi les cavernes. A ce propos, on ne peut que
remarquer I'insistance de Jules Verne sur les tonneaux. A de nombreuses reprises, il rappelle que Clovis Dardentor est tonnelier : << C'était à cette industrie de la tonnellerie, si importante dans la région, qu'il avait consacré le plus de son temps et de son intelligence. » L'ancien tonnelier, habitué à << cercler, à rouler >>, ne doit-il pas nous conduire à la fontaine du cercle, sous les roulers ? << Nom d'un tonneau », comme le dit Clovis, le capitaine Bugarach embarque lui-même des tonneaux à côté de ses salaisons, << source d'une exportation considérable >». Tous ces << magasins encombrés de futailles », ces << tonneaux de Danaïdes attablés jusqu'à la bonde », faut-il les chercher dans les silos chers à l'abbé Boudet? Après tout, Formentera, évoqué par Verne, est la << terre du froment ». Le tonneau a encore une autre signification : en catalan, la langue de notre Perpignanais, il se traduit par << cuva >), qui se prononce Kouba. Or, des koubbas, on en rencontre tout au long de ce voyage, de Sidi Daoudi à Sidi-abd-er-Salam. Il s'agit alors des tombes de personnages sacrés, véritables arches qui nous rappellent le tombeau d'Arques. Plusieurs de ces koubbas sont représentées sur les gravures du livre et ceux qui connaissent le chemin de croix de l'église de Rennes-le-Château auront la surprise de reconnaître cette koubba sur plus d'un tableau (3e). La tombe sacrée, le dépôt sacré; cela s'accorde parfaitement avec le problème dynastique posé par la survie d'héritiers des Mérovingiens, et c'est incontestablement près des sources de la Sals qu'il faut en chercher les clés. Jules Verne ne oesse de nous y inciter en accumulant les allusions au sel : vin de Rivesaltes (rives de la Sals), flacon de sels de M*" Elissane, salaisons embarquées par le capitaine Bugarach; lieux visités comme Ain-Sba (avec tout près le Rocher du Sel, les lacs salés, les 300000 ha de cultures de coton imprégnés de sel), etc. Mais il faut également insister sur la (3e) Le voyage circulaire dure quatorze jours, un par station du chemin de croix.
CLOVIS DARDENîOR
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permanence des mines associées d'ailleurs à I'eau, et sur l'idée de rivières à résurgences. Ainsi, la Tafna dont parle Jules Verne, qui sort d'une grotte mais qui, à certaines époques, jaillit dans une prairie d'une source reliée à la grotte par un cours souterrain, et quelques autres allusions à des parcours souterrains commençant
par le
lit détourné d'une rivière.
Jules Verne nous a laissé là un important message, mais nous ne devons pas nous arrêter au seul Clovis Dardentor car, dans d'autres ouvrages, des éléments ont été disséminés telles les pièces d'un gigantesque pluzz4e, comme si Verne n'avait pu résister au désir de laisser des traces de ses connaissances avant même de consacrer un livre entier à cette énigme. Dans Le Testament d'un Excenûique, on peut voir un char (Rhedae) tendu de draperies rouges (règnes), une tombe apparaissant comme une sorte de Temple de Salomon avec son « lustre de cristal à 7 branches », une allusion est faite à Constantin et à la phrase « IN HOC SIGNO VINCES », une autre est destinée à « un nouveau Lazarc en rupture de tombe ». Et puis il y a aussi Max Real, au nom royal, Syracuse la riche ville du sel et ses salines, Great Salt Lake City, Salina, les aiguilles de sel, les guides accompagnés de nègres portant des lampes de mines, la « chaise du diable », Ies « incomparables merveilles de ces grottes qui n'ont encore livré qu'une partie de leurs secrets. Sait-on ce qu'elles réservent à la curiosité de l'univers, et ne découvrira-t-on pas un jour tout un monde extraordinaire dans les entrailles du globe terrestre? » Il faudrait également parler, entre autres, des Enfants du Capitaine Grant avec l'1le du sel, le salinas, le Cap Saint-Antoine, les rochers en équilibre, les points de repère qui ne sont plus à leur place, le lac Salinas (à sec), la montagne de la Table et celle des
signaux, l'échiquier, les eaux thermales, les sources femrgineuses, les chariots tirés par des bæufs, l'hôtel de la couronne, les mines d'or, le chariot-forteresse, les sources salines, l'île Thabor digne des bergers d'Arcadie, sans oublier Paganel qui dit : « Nous passerons, voilà tout, comme I'honnête homme sur terre, en faisant le plus de bien possible. Transire benefaciendo, c'est là « notre » devise (4). " D'autres romans pourraient être cités, mais aucun ne semble être
(o) Sur I'une
lire : . Il
des tombes truquées de Rennes-les-Bains, on pcut précisément
est passé en faisant le bien.
,
OU LE SECRET DE
RENNES.LE-CHÂTEAU
111
oonsacré uniquement à I'affaire de Rennes, sauf C/ovls Dardentor. Cependant, une fois mises en évidence les connaissances de Jules
Verne concernant le mystère du Razès, deux questions demeurent : comment a-t-il su et pourquoi a-t-il voulu laisser à la postérité un tel message crypté ?
trI JULES VERNE
ET LES SECRET§ DE L'ABBÉ
La
BOUDET
Rose, la Croix et le Grand Architecte de Rennes-le-Chôteau.
Qui a bien pu renseigner Jules Verne sur l'affaire de Rennes ? Nous avons étudié ses liens avec la Franc-Maçonnerie; ne serait-ce pas dans Ie cadre de cette société que Jules Verne aurait été mis au courant des secrets du Razès ? Ne dit-on pas que la FrancMaçonnerie fut fondée par des Templiers qui seraient parvenus à échapper aux sbires de Philippe le Bel ? Or, tout montre que l'Ordre du Temple connaissait les secrets de cette région. Mais cette origine a sans doute un côté plus légendaire que réel. En tout cas, il est fort possible que Jules Verne ait obtenu ces renseignements par l'intermédiaire de Franc-Maçons, lui qui dirigea dès 1864Ie Magasin d'Education et de Récréation d'Hetzel aux côtés de Jean Macé (t). A son propos, Jules Verne écrivait à son éditeur : << Je l'aime et je lui dois plus qu'à vous (...) n est mon directeur spécial. » N'oublions pas non plus qu'il eut pour ami Hignard, avec lequel il fit son premier voyage en Ecosse et qui était lui aussi maçon (2). (r)
Jean Macé était membre de la loge
" Alsace-l-orraine
» à Paris.
(2) Dans la relation inédite du Journal de Voyage en Angleterre et en Ecosse, détenue par les héritiers de M. Jean-Jules Verne, les temples maçonniques reD@ntrés au cours du voyage sont cités avec minutie. Selon Serge Hutin, Hignard aurait été vénérable d'une loge à laquelle aurait appartenu Gérard de Nerval ?
N'es-il
pas curieux de voir ce dernier, employant la langue des oiseaux et se parant
dc plumes de geai, évoquer la « Reine du Midi
,
couronnée d'étoiles, l'un de ses sur un pont, I'autre s'appuyant sur une roue, I'une de ses mains poséc sur un ræ élevé, alors qu'au-delà de la mer s'élève un autre pic sur lequel s'inscrit le nom de Mérovée ? pieds
pcé
ET LES SECRETS DE L,ABBÉ BOUDET
L13
Or, précisément, les thèmes maçonniques ne sont pas exclus de Rennes-le-Château. Non seulement il existe une << tombe maçonnique >, dans le cimetière de Rennes, mais, selon Gérard de Sède, le monument aux morts sculpté dans l'église de Couiza serait une évocation précise du tableau du grade Ecossais de Chevalier
t Croix créé en 1760, et l'on peut en effet relever des similitudes troublantes ('). O" plus, le chemin de croix de l'église Sainte-Madeleine à Rennes-le-Château semble aussi être lié à la Franc-Maçonnerie Ecossaise. La 8" station nous montre une femme, en voile de veuve, tenant par la main un enfant vêtu d'un tissu écossais. Quant à la 9" station, un cavalier qui n'a rien à faire là évoquerait le grade de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte du Rite Ecossais Rectifié. Or, il est à noter que oe grade fut fondé au Convent qui eut lieu en L778 à Lyon, sous I'impulsion de I'archéologue Alexandre Lenoir apparenté à la famille des HautRose
poul (Olivier d'Hautpoul était fils d'Angélique Lenoir),
alors
même que François d'Hautpoul fut plus tard vénérable de la loge " Carbonari » de Limoux. Le rituel de C.B.C.S. fut publié pour la première fois en 1895 sous le pseudonyme de Jean Kotska, par Jules Doinel, conservateur des archives de l'Aude et chef d'une secte gnostique.
Un lien semble bel et bien exister entre la décoration de l'église
et le 18' grade de Rose + Croix de la Franc-Maçonnerie Ecossaise (a). Des roses et des croix décorent d'ailleurs toutes les stations du chemin de croix. N'est-ce pas non plus l'agneau de la Sainte-Sion, accompagnant le Livre scellé de sept sceaux, symbole du Maître Ecossais de saint André, que l'on peut voir dans l'église de Bugarach ? N'est-ce pas la marche du Compagnon que les anges du bénitier nous incitent à suivre dans l'église de Rennes-le-Château ? Quant à la double tombe du marquis de Fleury dans le cimetière de Rennes-les-Bains, la phrase qu'on peut y lire : « Il est passé en faisant le bien », est liée au symbolisme de la Rose * Croix. On peut se demander également si de nombreux renseignements
(3) Cf. Le Forestier, La Franc-Maçonnerte îemplière et Occubiste. Cependant, le modèle de ce monument aux morts n'est pas unique, comme semble le dire Gérard de Sède qui en a d'ailleurs, dans son ouvrage, truqué la photo. (4) Ce grade fut introduit par Charles Edouard Stuart, mais, selon la légende, il aurait été créé par Godefroy de Bouillon.
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JULES VERNE
ne furent pas donnés à Verne par Hetzel. Curieux bonhomme cet Hetzel, qui fut ministre sous Cavaignac et proscrit en 1851, qui prépara l'édition clandestine des Chôtimentr de Victor Hugo, qui fut I'ami de Lamartine et son confident pendant les heures chaudes de 1848, qui servit d'agent secret en Allemagne, cet Hetzel qui mit en rapport Jules Verne et George Sand.
George Sand et le Gai Laboureur.
On n'accorde généralement pas à l'æuvre de George Sand I'attention qu'elle mérite, non seulement sur le plan littéraire mais aussi en ce qui concerne les sociétés secrètes. N'écrivait-elle pas : << Je crois bien qu'il y aurait à faire un grand travail sur l'histoire occulte de l'humanité. » D'une certaine façon, on peut dire que Consuelo répond partiellement à cette volonté (s). Dans l'Histoire de ma vie (lll, 338), George Sand disait combien elle s'était détachée de I'Eglise et son attrait pour la nature, son paganisme, et elle ajoutait : « Je me livrais aux Sciences Occultes. » Eprise d'idéal, George Sand considérait que le plus souvent les religions bornaient le spirituel. Elle fut conquise par les idées philosophiques de Pierre Leroux, qu'elle défendit dans ses ouvrages essentiellement à partir de 1837. Leroux était à la recherche d'une religion nouvelle qui devait supplanter Ie christianisme et il enseignait la réincarnation des âmes. George Sand synthétisait ainsi ses croyances : << Je crois à la vie éternelle, à I'humanité éternelle, au progrès éternel, et, comme j'ai embrassé à cet égard les croyances de M. Pierre Leroux, je vous renvoie à ses démonstrations philosophiques. » Sous l'influence de ces idées, George Sand écrivit Spiridion (auquel fait allusion Jules Verne dans C/ovls Dardentor'1, Les Sept cordes de la Lyre, Le Compagnon du Tour de France, Horace, Consuelo, La Comtesse de Rudolstad, etc. Tout comme Hetzel, George Sand fut mêlée de près aux événements de la Révolution de 1848. Partout dans son æuvre elle a défendu ses idées, mais elle a laissé aussi de bien singuliers messages. Ainsi, lorsque l'on connaît le sens secret (lié à I'Eglise cathare) que recouvrait en pays d'Oc la chanson du Bouvier, on est (t) Oui Cathares.
saura
lire
Consuelo apprendra beaucoup sur
le
consolamentum des
Ef, LES
SECRETS
DE L'ABBÉ
BOUDET
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en droit de se poser quelques questions lorsque George Sand écrit : « on n'est point un parfait laboureur si on ne sait chanter aux bæufs
et c'est là une science à part qui exige un gott et des moyens particuliers ». Si vous aimez les surprises et si vous savez lire entre les lignes, trouver le sens caché des mots, lisez donc leanne, promenez-vous avec les personnages vers la pierre d'Ep-Nell (« sans-tête »), près de ces pierres jomâtres qui bougent, visitez la grotte et asseyezvous sur le banc pratiqué dans le roc, cherchez le trésor sous les pierres druidiques, cherchez les chariots d'or et d'argent massif des chefs des Galls et pleurez avec la Madeleine de Canova contemplant la croix qu'elle a fabriquée avec deux roseaux, rêvez sur les bords des sources d'eau chaude et des viviers qui renferment des sources minérales : << vous cherchez le trésor sous les pierres ? C'est dans I'eau qu'il faut le chercher. Là serait le véritable trésor »». Un trésor si gros que personne n'en verrait jamais la fin, disait-on. Quel secret détenait donc George Sand, descendante d'Aurore de Koenigsmark, elle dont Victor Hugo disait : « la plus grande de son époque et peut-être de tous les temps » ? On comprend que George Sand, fort au courant de tout ce qui
concernait la maçonnerie et I'enseignement traditionnel, ait influencé Jules Verne (6). Si l'on songe à Spiridion, on ne s'étonnera pas d'y voir défendre les idées Johannistes et Gnostiques, celles de Joachim de Flore. Notons au passage que Spiridion est le nom d'un évêque grec du tt' siècle qui continua d'être, après comme avant, pasteur de moutons. Sa fille, [rène, étant morte, il la
pria de lui indiquer où elle avait caché certain dépôt et obtint satisfaction. De nombreuses images vénitiennes le représentent en moine grec, debout sur une châsse ou une tombe.
Axel. Pourquoi insister ainsi sur George Sand ? Tout simplement parce que son influence sur Jules Verne fut colossale. On sait qu'elle aimait ses æuvres, y reconnaissant <( un admirable talent avec du (6) Et quelques autres. læ lecteur curieux aura tout intérêt à lire l'étrange sonnet dédié à George Sand par Gérard dc Nerval et commenté par Jean Richer dans
Nenal, Expérience et Création,
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cæur pour le rehausser ». Elle encouragea l'écrivain dans la voie qu'il s'était tracée. Et Jules Verne, déférant comme devant un maître, lui écrivait : .. Madame, votre lettre est faite pour combler de joie un nouveau venu dans ce monde des lettres que vous éclairez et que vous réchauffez à chaque mot qui sort de votre plume. (...) Veuillez croire, Madame, au profond dévouement de votre respectueux admirateur. Mais cela va plus loin. Si I'on compare Le Voyage au Centre de la Tene de Jules Verne et Laura ou le voyage dans le cristal de George Sand, on note de biens étranges ressemblances. L'ivresse du héros Alexis (dans Laura), provoquée à la fois par la rêverie amoureuse, l'alcool et la fièvre, n'est pas sans rappeler les leçons d,abîme d'Axel. Jules Verne, comme George Sand, utilise le procédé du manuscrit trouvé. Quant au savant, Liddenbrock, il est, comme M. Hartz, un savant étranger, allemand, se vouant à une science ouverte sur la métaphysique et le rêve. George Sand décrit (tel Jules Verne et ses listes interminables de crustacés et de poissons) pierres, plantes et animaux à I'aide de termes savants destinés à augmenter les connaissances des lecteurs. Alexis deviendra vendeur de minéraux comme I'oncle d'Axel est minéralogiste chez Jules Verne. Alexis vema son aventure se dérouler entre deux oncles et une cousine. Axel verra intervenir dans la sienne son oncle, un guide et sa cousine. L'oncle d'Alexis se métamorphosera en une sorte de dieu des volcans, Axel et son oncle pénétreront sous terre par I'orifice d'un volcan. Les deux histoires se terminent par le mariage du héros et de sa cousine. Le diamant que Nasias appelle étoile polaire n'est pas sans rapport non plus avec I'Etoile du Sud, autre roman de Jules Verne. Le savant Tungténius, tout comme Linddenbrock, admire la laideur des animaux antédiluviens. Le paradis que découvrent Nasias et Alexis est constitué par un volcan, « aiguille noire dans un anneau d'or »» (autant dire un gnomon; d'autant que l'entrée est découverte grâce à l'ombre d,un volcan dans le voyage au Centre de la Terre). Et ce passage n'évoque-t-il pas le Graal : << C'est une île (...) creusée en coupe (...) au milieu d'un volcan d'une hauteur prodigieuse? » Comme Axel, Alexis est rebuté par la science au départ et il n'a guère envie de devenir savant, se défiant des noms barbares donnés aux choses. Alexis ressent comme Axel la fascination du vertige. Cette inspiration ne semble d'ailleurs pas avoir enchanté George Sand qui note dans son journal : « Je lis maintenant le Voyage au >>
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Centre de la Tene par Verne. Jusqu'à présent, ça ressemble un peu trop à mon Voyage dans le Cristal. ,, Il est à noter également que I'idée de 20000 lieues sons les mers
George Sand qui lui écrivit : « J'espère que vous nous conduirez bientôt dans les profondeurs de
fut
donnée
à Jules Verne par
la mer et que vous ferez voyager vos personnages dans ces appareils de plongeur que votre science et votre imagination peuvent se permettre de perfectionner. ») Jules Verne dira à Hetzel qu'il aurait eu besoin de l'éloquence de George Sand pour cet ouvrage et placera ses romans sur les rayons de la bibliothèque du Capitaine Nemo. Plusieurs penonnages porteront dans l'æuvre de Jules Verne le nom de Sand, d'autres le
verront entrer partiellement dans leur patronyme (tel Mathias Sandorf). Ne doutons donc pas de I'influence exercée par la célèbre romancière sur Jules Verne, influence tant littéraire qu'ésotérique.
Sous le signe Delacroi.x, ou le secret d.es anges.
Mais, pour en revenir à l'affaire de Rennes, nous noterons que George Sand fut très amie avec le peintre Delacroix qui brossa d'elle de nombreux portraits à partir de 1834. Il fit plusieurs séjours chez George Sand à Nohant en 1842, 1843 et 1846, et Maurice Sand, fils de l'écrivain, travailla un temps dans l'atelier du maître. George Sand dédia d'ailleurs à Eugène Delacroix « peintre en bâtiments, très connu dans Paris », un écrit humoristique, une bouffonerie intitulée << complainte sur la mort de François Luneau ». Delacroix se serait inspiré de son Spirid,ion pour peindre L'Amende Honorable. Curieux bonhomme d'ailleurs que ce peintre (') qui admirait Nicolas Poussin auquel il attribuait le mérite d'un art « faisant profession des choses muettes ». Curieux peintre, curieuse (Euvre, on en sera convaincu en se rendant à la chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice de Paris. Les peintures de cette chapelle sont en rapport direct avec I'affaire de RennesJe-Château. C'est à Saint-Sulpice que l'abbé Saunière vint demander des précisions après avoir trouvé les parchemins dans le pied de I'autel de son église. Or donc, Delacroix a orné la Chapelle (7) On a beaucoup dit qu'il était un fils naturel de Talleyrand, ce dernier ayant été, entre autres, Grand Maître du Grand Orient de France.
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JULEs VERNE
des Anges de trois peintures. L'une montre saint Michel terrassant un dragon; saint Michel vainqueur de ce démon de gardien du seuil qui a curieusement, ici, l'apparence du dieu Poséidon, dieu de la mer et ébranleur des terres. Un tableau nous montre << Héliodore, chassé du Temple ». Or Héliodore était le premier ministre de Séleucos lV, roi de Syrie au u" siècle avant Jésus-Christ. Ce dernier avait chargé Héliodore de piller le Trésor du Temple de Salomon. Quelle coincidence ! Alors qu'Héliodore procédait à la mise à sac, un cavalier couvert d'or, montant un cheval blanc, apparut. Et I'animal renversa et piétina Héliodore tandis que des anges le fouettaient (8). C'est cette scène qu'a représentée Delacroix. Il nous y montre les deux colonnes du Temple, Jakin et Boaz, et le grand prêtre Onias. De part et d'autre du cheval se trouvent deux anges, sans ailes, qui semblent flotter dans l'espace. Un détail attire tout particulièrement I'attention : une partie du trésor du Temple est éparpillée sur les marches de I'escalier : cassettes, bijoux, vases sacrés, semblent glisser au fil des marches. Un soldat s'enfuit, un vase d'or sur l'épaule. Un autre, et cela ne saurait nous laisser indifférent, regarde la scène, coiffé d'un bonnet phrygien étoilé, tel un berger d'Arcadie. [æ voile se soulève sous l'effet du vent. Va-t-il nous révéler les mystères du Saint des Saints ? Le bonnet phrygien en tout cas est important. Il nous rappelle entre autres que c'est en Phrygie que se déroulent les légendes de Pélops et de Midas. Pélops, fils de Tantale, conquit I'Arcadie grâce à un cheval ailé. Quant à Midas, il avait la maîtrise du Pactole, ce fleuve qui transformait tout en or.
Si l'on en croit Henri de Lens, ce tableau de Delacroix fut composé en fonction des représentations du planisphère céleste (e). Ainsi, I'un des anges serait lié à la constellation d'Andromède. Le
porteur de vase serait Aquarius, le Verseau, le 2" ange Antinoïs. L'homme au bonnet phrygien serait Céphée au bonnet étoilé. Quant au cheval, comment ne pas le comparer à Pégase, l'illustre cheval ailé, ce << cheval de Dieu (to). Et puis regardez dans le
"
f) Cf. Livre des Macchabées. f; Cf. te passionnant ouvrage d'Henri de Lens, Cent trésors, une énigme (Ed. Albatros). (r) tr existerait, sur les flancs du Cardou, près de Rennes-les-Bains, un rocher mmé . lampos » qui prendrait à certaines heures I'allure d'un cheval. Les curieux pmrfont en découvrir un autre près
des Salines,
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tailloir » d'or sur lequel repose une boule d'or et cherchez dans
I'iconographie des églises du Razès, vous le retrouverez.
lacob et l'ange gardien... du gué. Face à Héliodore, un autre tableau de Delacroix, également de 7861 : La luue de Jacob et de l'Ange. Une nuit durant laquelle Jacob se trouvait près d'un gué, un ange envoyé par Dieu lutta avec
lui. Le combat dura toute la nuit et Jacob ne fut vaincu qu'au matin. Blessée, sa cuisse gauche resta paralysée. Nous Passerons sur la valeur symbolique de cette étrange histoire. A I'aube, l'ange s'en alla, après avoir changé le nom de Jacob en celui d'Israël (11). Ce dernier nomma le lieu du combat, Pniel, c'est-à-dire la Face de Dieu, La scène sur le tableau se passe au pied d'un arbre imposant. Sur le côté droit, une caravane passe; par terre, le chapeau de Jacob, une lance. Derrière, un roc noir, un autre blanc, et trois chênes en enfilade.
Pour Robert Graves (12), Jacob est une forme du roi sacré qui a usurpé la succession. Mais Jacob nous renvoie aussi à son songe, à cette échelle sur laquelle montaient et descendaient des anges. Lorsque Jacob s'éveilla, il dit : « Certainement, l'Eternel est en ce lieu-ci et je n'en savais rien ! Et il eut peur, et dit : Que ce lieu est terrible. C'est ici la maison de Dieu et la porte des cieux ! » Et Jacob se leva, prit la pierre qui lui avait servi d'oreiller, la dressa et versa de I'huile sur son sommet. A ce lieu qui portait le nom de Luz, il donna celui de Bethel (Maison de Dieu). Si vous allez à Rennes-le-Château, près de la villa Béthanie, à l'église SainteMadeleine, rcgardez le porche ! Vous y lirez la phrase z Tenibilis est loctts iste (ce lieu est terrible). Or, si vous regardez bien le tableau de Delacroix, vous vefiez, sur la gauche, un filet d'eau qui coule (t3). Regardez aussi, tout près du tableau, I'inscription de la septième station du chemin de croix de l'église Saint-Sulpice. Une surprise attend le curieux qui pourra lire : RETIRE-MOI DE LA BOVE QUE JE N'Y RESTE PAS ENFONCE. P.S. LXVII. Iæ
(rr) Jacob en hébreu signifie « mesure du temps ». ('2) Robert Graves, La Déesse Blanche (Ed. Du Rocher).
(")
La comparaison avec le « baptême de Jésus » dans l'église Sainte-Madeleine n'est pas sans intérêt.
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jeu de la représentation identique du V et du U permet d'écrire le mot << boue >> comme « bove » qui signifie grotte, caverne. Si l'on cherche le psaume correspondant (68 des bibles hébraiques et 69 des bibles latines), on peut s'apercevoir qu'il s'agit d'une << Lamentation du maître de chant sur l'air : Des lys... de Daüd ».
Le gnornon et le signe du trou.
Il
est bien d'autres particularités à Saint-Sulpice. Le gnomon, par exemple, avec la ligne de cuivre qui traverse l'église, marquant une méridienne; il y a aussi la statue de saint Pierre assis sur un trône marqué du sceau de Salomon. Et puis il faut noter les lettres P. et S. surgissant au-dessus des portails nord et sud, les croix de saint
Antoine, et mille autres détails. Jetez donc un coup d'æil aux bénitiers et à la chapelle SaintMartin, le tableau qui y figure nous montre un petit pont et une rivière aux eaux blanches, près d'une roue ou d'un cercle. Dans la sacristie, on peut voir un autre saint Michel terrassant le dragon, et une scène tirée du livre de Tobie. Dans la chapelle Saint-Vincent, on peut voir Anne d'Autriche veiller sur le futur l-ouis XIV et sur un autre enfant. Quel est ce dernier? Ne doit-on pas songer à un lien possible avec le mystère du masque de fer ? Dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, nouvelle surprise : le mausolée de l'abbé Languet de Gergy. Selon I'inscription figurant sur ce curieux monument, I'abbé « procurait aux pauvres les trésors des riches, aux riches les prières des pauwes ». Autant dire qu'il est passé, lui aussi, en faisant le bien. Mais le plus intéressant, en dehors des tableaux de Delacroix, est sans doute cet ensemble de quatre toiles de Signol (14). Considérons d'abord La Crucifixion; sur le Golgotha (le lieu du crâne), le crucifié est représenté avec les deux larrons présentés dans des positions assez particulières. A ses pieds la Vierge, saint Jean, Joseph d'Arimathie et Nicodème, et surtout Marie-Madeleine. Au premier plan, des soldats jouent la robe du Christ aux dés et, tout en bas, on voit de bien curieux cailloux. Que représentent-ils ? Qui cherche trouve. Sur la croix, le texte placé au-dessus de la tête du Christ est figuré (ta) Deux de ces tahleaux permettent de découvrir la clé « Mortépée , qui s'applique au décryptage du texte de la tombe de la marquise de Blanchefort.
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æmplet, ce qui est assez rare. Mais, rcgatdez bien, il est à l'envers. Surprenant, non ? Il faudrait un miroir pour le lire normalement' Nous sommes en plein monde à I'envers. Deuxième tableau : La Résurrection de Jésw. On le voit, sortant du tombeau, désignant l'immense pierre tombale et tenant une croix. Et puis, il y a l'oscension de tésus-Christ. Jésus s'élève vers les cieux, laissant dans notre monde le calice et I'eucharistie. Enfin La trahison de ludas, où saint Pierre tire l'épée et saint Jean à genoux supplie ; au loin : des roches, des oliviers et une grctte. Mais ces deux dernières toiles ont une particularité : la signature de l'auteur comporte une anomalie : EM SIGNOL devient pour t'un E.M. SII4OL et pour I'autre EM GIGI4OL. Ne doit-on pas remarquer d'une part que I'on a là un retournement, en@re une fois, et d'autre part que Signol est le signe du trou (ole) et I'inverse de Longis (15). Enfin, en ressortant, vous vefiez la fontaine sur la place, qui porte le surnom de fontaine des quatre points cardinaux car les statues sont celles de Bossuet, Fénelon, Massillon et Fléchier. N'at-elle pas son pendant dans la fontaine des quatre ritous (c'est-àdire des quatre curés) près de RennesJe-Château?
La cafiatrtce et les Habsbourg. Nous avons vu que, par Hetzel, Jules Verne avait subi I'influence de George Sand qui avait pour ami Delacroix qui décora la chapelle des anges de la curieuse église Saint-Sulpice qui... Ne dirait-on pas des poupées-gigognes ? Mais un principe doit toujours s'imposer au chercheur : il faut boucler le cercle. Tant que le serpent ne se mord
Il
nous faut donc voir quel lien pourrait nous mener de Bérenger Saunière et Saint-Sulpice à Jules Verne, en dehors de George Sand. Ce lien, c'est une cantatrice qui va nous I'offrir : Emma Calvé. Passionnée d'occultisme, elle suivait assidûment les conférences de Papus, fut membre de la Société Théosophique, suivit l'enseignepas la queue, rien n'est prouvé'
(rs) L-ongis-l,ongin est le soldat romain qui perça le flanc du Christ avec sa lance. Cette lance est celle qui accompagne traditionnellement la coupc du Graal et elle figurait dans le trésor de la dynastie des Habsbourg.
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ruLES VERNE
ment du Swami Vivekananda, propre disciple de Ramakrishna. On possède d'elle une photo omée d'un motif symbolique et dédicacée : « A M. le Comte de Saint-Germain, le grand chiromancien qui a su me dire des choses si vraies. Emma Calvé. t897. » Curieux personnage que cette belle cantatrice, célébrissime diva à son époque, qui semble avoir beaucoup tourné autour des milieux occultistes de Saint-Sulpice. C'est d'ailleurs grâce à ceux-ci qu'elle rencontra Bérenger Saunière. Elle, qui fut la maîtresse de Jules Bois (16), deünt ielle du curé de Rennes-le-Château. Comment cet << amour » naquit-il ? N'a-t-on pas jeté la diva dans les bras de Saunière pour mieux le tenir? Toujours est-il que la cantatrice, perclue de dettes, se retrouva rapidement à flots. Elle, qui écrivait dans son journal, fin 1893: « Encore 100000 francs de dettes, pourquoi tant de fatigue, à quoi bon tant travailler? », notait un an plus tard : << J'ai tout réglé, Dieu merci, j'achète Cabrières , (t'). Cet argent ne pouvait-il venir de Bérenger Saunière ? Ou encore de ceux qui commandaient les amours d'Emma Calvé et la payaient peut-être pour cela ? Il est à peu près certain qu'Emma Calvé ait eu
un enfant de Saunière : une petite fille qui naquit à Rodez et mourut à l'âge de 14 ans. Elle fut élevée dans une famille passionnée d'occultisme. Peu avant sa mort, de nouveau endettée, Emma Calvé vendit son
château de Cabrières à son amie, M-" Hurbin, châteleine de Creissels, qui fut pendant plus de dix ans la préceptrice des enfants de Habsbourg. Or, un archiduc de Habsbourg rendit plusieurs visites à Bérenger Saunière, à Rennes-le-Château, où on I'appelait « l'étranger ». Ces visites firent accuser Bérenger Saunière d'intelligence avec l'ennemi lors de la guerre de l9L4.Interrogé par le contre-espionnage, après la guerre, I'archiduc Jean de Habsbourg affirma que, ne croyant plus à la sécurité de sa famille, il était venu à Rennes trouver un refuge et y préparer la venue des siens. Depuis, il semble que l'archiduc Rodolphe de Habsbourg, sixième enfant du dernier empereur d'Autriche-Hongrie, se soit rendu à Rennes-le-Château en 1976. Il semble également que Jean de Habsbourg ait rencontré plusieurs fois I'abbé Boudet à Axat; il se présentait sous le pseudonyme de M. Guillaume et logeait chez.la (rô) Célèbre pour son duel avec Stanislas de Guaita. (r7) Près d'Aguessac, dans I'Aveyron. Il semble que le Livre d'Abraham dont parte Niælas Flamel ait été déposé au Château de Cabrières au cours du xvrr. siècle,
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belle-sæur de I'abbé (18). Quelles fréquentations pour l'abbé Saunière ! Il est vrai qu'il recevait aussi chez lui le lazariste Ferrafiat, le recrétaire d'Etat aux Beaux-Arts Dujardin-Baumetz, la femme de httres Andrée Burguière, qui ne craignait pas de se faire appeler vicomtesse d'Artois, et la marquise du Bourg de Bozas, sans parler de la comtesse de Chambord, épouse du dernier représentant de la branche aînée des Bourbon et prétendant à la couronne de France. II est vrai également qu'il possédait plusieurs comptes bancaires à
Perpignan
et Toulouse, à Paris, mais
également auprès de la
banque Fritz Dôrge, rue Lajos Kossuth à Budapest. Il ne faut pas oublier que les Habsbourg ont longtemps revendiqué la légitimité de leur royauté pour l'Europe entière, contestant les prétentions des ducs de Lorraine (1e). Leur devise était expli-
cite
: A.E.I.O.U.
(Austria Est Imperare Orbi Universi). Les
Habsbourg régnant sur le monde, Bérenger Saunière soutenait-il ce rêve ? Il est vrai que figurait dans leur trésor la fameuse << lance du destin , ('o), compagne du Graal, ramenée d'Orient par Raymond de Saint-Gilles. Trevor Ravenscroft, dans son passionnant ouvrage
(La lance du destin, Albin-Michel), écrit :
,<
L,e symbole des
Mérovingiens avait été l'ancienne lance tribale. Elle indiquait le commandement spirituel sous I'égide du dieu tribal, en même temps que le pouvoir terrestre de vie et de mort sur l'ensemble des membres de la tribu. » Ajoutons à cela un curieux dessin d'Albert Dürer, l'initié, représentant la couronne du Saint-Empire avec I'inscription REX SALOMON - PER TE REGES REGNANTS. Pour tenter d'aboutir à ce règne universel, les Habsbourg se servirent parfois des Sociétés Secrètes (2r). Mais quel rapport existe-t-il entre les Habsbourg et Jules Verne ? Il est tout simple, c'est un rapport d'amitié. Lors de son voyage en Algérie et en Italie, en /88d Jules (t8) Renseignement fourni à Gérard de Sède par Dom Loüs Gaillard, bénédictin, professeur aux facultés catholiques de Lille (lettre du 18 mars 1968). (te) Selon I'histoire de saint Sigisbert du Révérend Pèrc Vincent (1702),
les
Habsbourg seraient en droit de réclamer I'héritage des Mérovingiens. Cene lance intéressa tout particulièrement Adolf Hitler. (2t) Ainsi François III de Lorraine, qui coiffa en 1736 la couronne du SaintEmpire en épousant Marie-Thérèse de Habsbourg, fut Franc-Maçon, alchimiste,
()
affilié à la Rose*Croix d'Or. Sur son tombeau figure un ange qui lui tend la @uronne.
A noter aussi que les Habsbourg soutinrent I'entreprise des Frères Baillard, à Sion Vaudémont, contée par Maurice Barrès dans La Colline lrcpirée.
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Verne s'arrêta à Venise, à I'Hôtel Oriental. Là, il reçut la visite de Louis Salvator de Toscane, archiduc d'Autriche, neveu de I'empereur François-Joseph, qui lui apportait ses ouvrages sur les Baléares. Jules Verne écrira à ce sujet dans C/ovrs Dardentor : « rl suffisait de s'enfermer dans une bibliothèque, à la condition que cette bibliothèque possédât I'ouvrage de son Altesse l'archiduc Louis Salvator d'Autriche ,r, précisant en note : « Louis Salvator d'Autriche, neveu de I'Empereur, dernier frère de Ferdinand IV, grand duc de Toscane, et dont le frère, alors qu'il naviguait sous le nom de Orth, n'est jamais revenu d'un voyage dans les mers du Sud-Amérique. » Plus loin, il précise : << Sur les Baléares, d'en lire le texte si complet et précis, d'en regarder les gravures en couleurs, les vues, les dessins, les croquis, Ies plans, les cartes, qui font de cette publication une æuvre sans rivale. C'est en effet un travail incomparable pour la beauté de l'exécution, pour sa valeur géographique, ethnique, statistique, artistique... Malheureusement, ce chef-d'æuvre de librairie n'est pas dans le commerce C2). " Jean Orth, ce prince qui préféra partir, abdiquer ses droits pour
aller vivre une existence de fraternité au service d'un idéal anarchiste; c'est sa vie que Jules Verne décrit dans son roman Les Naufragés du lonathan Le Kawdjer n'est autre que Jean Orth. Ce dernier quitta la cour d'Autriche après la tragédie de Mayerling. Jules Verne fut régulièrement en relations épistolaires avec I'archiduc d'Autriche et semble avoir été tenu informé par ce biais de la vie de Jean Orth sur laquelle la cour d'Autriche faisait officielle-
ment le silence le plus complet. Ainsi, avant 1905, il était au courant d'événements qui ne furent connus qu'à partir de 1907. Bérenger Saunière et Jules Verne semblent donc avoir eu des relations bien semblables, mais ce qu'il faut noter c'est que Jules Verne les eut avant Saunière (23). Les Habsbourg pourraient bien être placés à la clé de voûte de
Le vaisseau de l-oüs Salvator, la Nite, fit naufrage près du Cap Matifou Jules Verne donnera ce nom à I'un de ses personnages. Ccrtains auteurs, commc Mü Allotte de la Fuye, se sont également demandé si Jean Orth n'avait pas servi dc modèle à Mathias Sandorf. (æ) Jule.s Veme eut d'ailleurs d'autres amitiés princières : le Comte de Paris, lcs Crmtes de Montpensier et d'Eu. N'écrivait-il pas alrx siens : « Ces d'Orléans soot dc b,raves gens à I'esprit ouvert. Ils me font I'honneur d'aimer mes üvres et uD pc[ ma pcr§ontre. »
e)
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cette affaire, eux que fréquentaient Emma Clavé, Bérenger Saunière, Jules Verne et I'abbé Boudet, cet étrange curé qui .. enseigna » Saunière et qui appliqua dans son ouvrage sur RennesJes-Bains les mêmes règles que celles utilisées par Jules Verne tout au long de son Guvre : les méthodes de I'Ars Punica, de >> dont il parle dans Le Cromleck celtique de
la « langue punique Rennes-les-Bains.
TROISIÈME PARTIE
JULES VERNE ET LES SECRETS DES ROSE+ CROIX
I JULES VERNE ET
LA
ROSE+CROD(
Anatole France et les Anges de Saint-Sulpice. Jules Verne était parfaitement au courant des mystères de la Franc-Maçonnerie et connaissait tout de l'énigme de RennesJeChâteau, nous l'avons w. Mais il n'était pas le seul. Nous ne voulons pas tout dire dans cet ouvrage, afin de laisser une partie à déflorer et parce que deux ou trois tomes n'y suffiraient pas. Il serait cependant dommage de ne pas fournir quelques pistes supplémentaires, car les auteurs connus, voire célèbres, qui furent au courant de cette affaire, dépassent largement la dizaine. Les curieux auront par exemple tout intérêt àlire La Révolte des Anges d'Anatole France. Ils ne seront pas déçus. L'histoire ? Des Anges tombés du ciel prennent I'apparence humaine, ils projettent de reconquérir la puissance et de renverser le Démiurge pour mettre
leur chef Lucifer sur le trône de l'univers. Lucifer devrait ainsi apporter aux hommes la lumière de la connaissance libératrice. Il va sans dire que, pour les commentateurs de l'euvre d'Anatole France, ce roman passe pour une charge pure et simple contre la religion et pour une satire de la société de l'époque. Les plus perspicaces y dénotent une couleur anarchisante. Mais qui s'est aperçu du message réel contenu dans ce livre ? Tout se passe à I'ombre de l'église Saint-Sulpice et le lieu précis auquel Anatole France donne la vedette est la chapelle des SaintsAnges dans laquelle on voit le père Guinardon, << robuste comme un chêne »>, restaurer les peintures de Delacroix. L'histoire se
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JULEs vERNE ET LA RosE+cRoIx
déroule entre la crémerie des quatre Evêques (1) et la bibliothèque
d'Esparvieu où le conservateur découvre un jour « les plus précieux monuments d'Israël entassés, écroulés et béants ». I-e lecteur aura bien des raisons de s'intéresser au moindre détail de ce roman : à Zéphyrine, modèle préféré d'un peintre, qui prêta sa chevelure blonde et ses épaules nacrées à tant de Madeleines, de Marguerites, de sylphides et d'ondines; à la façon dont Guinardon restaure les tableaux, mastiquant les crevasses provoquées par un tassement de la muraille ou plus probablement dues à une secousse sismique; aux 238 lettres inédites qui ont disparu dans l'aventure et qui faisaient partie de la correspondance de Gassendi avec Gabriel Naudé (2). On notera au passage les allusions aux Francs-Maçons, au sceptre de saint Louis, aux 600 perles de collier de la Reine MarieAntoinette, au manteau impérial de Charles Quint, à la tiare ciselée par Ghiberti pour le pape Martin V Colonna, à l'épée de Bonaparte, à l'anneau que Charlemagne passa au doigt d'une fée et que I'on croyait perdu. Et tout en suivant les pérégrinations d'Arcade, I'ange déchu, on se demandera pourquoi la banque Everdingen et ses succursales sont marquées de « Croix Rouges ». On s'intéressera bien sûr aux descriptions des tableaux peints par Delacroix puisque le titre même du chapitre V nous y engage' « Où la chapelle des Anges, à Saint-Sulpice, donne matière à dc' réflexions sur l'art et la théologie. » Je sais, il est des gens qui voient des mystères partout et veulent procéder à des rapprochements suivis de conclusions là où il n'existe que coïncidences. Je sais également qu'Anatole France avait plutôt une réputation de rationaliste et de sceptique. Mais cela ne I'empêchait pas d'avoir un goût prononcé pour l'ésotérisme. Outre qu'il maniait fort bien le langage des énigmes, comme semble le prouver L'étui de nacre, il ne dédaignait pas non plus d'utiliser l3 « langue des oiseaux ». Et ce rationaliste assistait à des séances de spiritisme (3). Sans compter qu'il était quelque peu chercheur de trésors, ce qui le conduisit à fouiller des tumuli en Bretagne. Son goût pour I'occultisme ? Son fauteuil, qui fut exposé (t) Cf. la Fontaine
des Quatre Ritous (les quatre curés) à Rennesle-Château. (2) L'un des tout premiers à s'être intéressé à la Rose+Croix. (3) L'une de ces séances, qui se déroula rue de Trévise, fut relatée par Frédéric
Boutet dans Les Aventuriers du mystère.
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récemment par des antiquaires parisiens, en est le garant. Il écrivait d'ailleurs dans le numéro du 15 février 1890 de la Revue lllustrée : << LJne certaine connaissance des sciences occultes devient nécessaire à l'intelligence d'un grand nombre d'æuvres littéraires de ce temps. » Ami de Maurice Barrès et de Victor-Emile Michelet, c'est par l'intermédiaire de ce dernier qu'il connut Papus et, dans Ze Temps du 1"' juin 1890, il écrivait : « Cette antique maison [e collège de France] a cela d'aimable qu'elle est ouverte à toutes les nouveautés. On y enseigne tout. Je voudrais qu'on y enseignât le
reste. Je voudrais qu'on y créàt une chaire de magie'pour M. Papus. » Il serait intéressant d'ailleurs de lire d'autres æuvres comme L'anneau d'améthyste où sont évoqués la prise de Jérusalem par Titus, Clotaire II, le Graal, un ciboire d'or : une custode voisinant avec une boule et un dé, sans parler de l'abbé Guitrel qui présente plus d'un point commun avec Bérenger Saunière.
Anatole France et le Comte de Gabalis.
L'énigme Anatole France ne s'arrête pas là car son roman La Rôtisserie de la Reine Pédauque est largement inspiré du livre de Montfaucon de Villars : Le Comte de Gabalis (*). Uo clin d'æil vient même souligner ces emprunts lorsque M. d'Astarac dit : « Sachez-le, mon fils, les salamandres ne se laissent pas trahil impunément. Elles tirent du parjure une vengeance terrible >», phrase qui rappelle les circonstances mystérieuses de la mort de Montfaucon de Villars. En tout cas, des pages entières de La Rôtisseric de la Reine Pédauque sont démarquées du Comte de Gabalis. Pourquoi ? La réponse ne semble pas très difficile à trouver. Nicolas-Pierre-Henri de Montfaucon, dit de Villars (ou Vilars), né dans l'Aude, dans le diocèse d'Alet, tout près de Rennes-leChâteau, était un bien curieux personnage (5). Après de brillantes études de théologie à Toulouse, il reçut les ordres, puis il monta à
(1) Paru le 21 novembre 1670 à Paris, chez Claude Barbin. Il portait pour sou§titre « Entretien sur lcs Sciences Secrètes »' (s) Il descendait d'Arnaud de Baccallaria, seigncur de Villars, architecte du château de Montségur.
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JULEs YERNB ET LA RosB+cRoD(
Paris où il fréquenta les milieux libertins et participa à la Fronde (6) ; I finit par se faire enfermer sur l'ordre de Mazarin. Il fut libéré après la mort de ce dernier en 1661. Quoique ayant assassiné son oncle, il ne fut pas réellement inquiété, bénéficiant sans doute de protections puissantes. Cependant, en mars 1675, I'abbé Montfaucon de Villars fut assassiné alors qu'il voyageait sur la route de Mâcon à Lyon. Vengeance de ses cousins ou vengeance des Rose*Croix, comme le voudraient certains ? Avait-il lui-même reçu leur initiation, comme le pensait Gérard de Nerval ? Avait-il trahi certains secrets, même sous une forme voilée, dans Le Comte de Gabalis? Toujours est-il que Voltaire écrivit, mi-sérieux, rniironique, à son habitude : « Villars, célèbre par le Comte de Gabalis, fut tué d'un coup de pistolet. On dit que les Sylphes I'avaient assassiné pour avoir révélé leurs mystères ». Cruelle ironie, De Villars écrivait lui-même : « Depuis que le bienheureux Raymond Lulle en a prononcé l'arrêt dans son testament, un ange exécuteur n'a jamais manqué de tordre promptement le col à tous ceux qui ont discrètement révélé les mystères philosophiques. » Il est certain que les théories contenues sous une forme plaisante dans Le Comte de Gabalis correspondent bien à la théorie rosicrucienne des trois mondes et des esprits élémentaires. Le nom même du Comte, Gabalis, est celui que Paracelse (dont se réclamaient les Rose*Croix) donnait à l'énergie vitale qui anime le monde. Pour en revenir à Anatole France, je pense que l'aspect rosicrucien du Comte de Gabalis compta pour beaucoup dans sa décision de l'utiliser pour écrire La Rôtisserie de la Reine Pédauqre. Nous allons voir en tout cas qu'il existe des liens très puissants entre la Rose*Croix, l'affaire de Rennes-le-Château et les auteurs qui, comme Jules Verne, nous ont laissé des ouvrages cryptés à son sujet.
La Rose*Croix au nf
siècle.
Tout a commencé en août L623, avec les affiches apposées à Paris << Les Frères de la Rose*Croix »>. Puis, en 1710, Sincerus Renatus publia à Breslau laVraie et parfaite préparation de la Pierre
par
e) Cf. L race fabulewe de Gérard de Sède, en ce qui concerne les rapports entre fatrafue de Rennes ct la Fronde,
JULES VERNE ET
LA
ROSE+CROTX
T33
la Rose*Croix d'Or. Ces derniers se réunissaient en groupements locaux appelés n cercles (7). Ces groupements devinrent assez importants en " Allemagne du Sud et, à partir de 1755, ils se répandirent dans le reste de l'Allemagne, en Pologne, en Bohême, en Hongrie et en Russie. Parmi leurs adeptes célèbres : François de Lorraine qui avait le grade de << Rex Salomon >), personnage curieux dont nous avons déjà parlé, initié à la maçonnerie écossaise et qui coiffa la couronne d'Autriche en épousant Marie-Thérèse de Habsbourg en 1736. En 1754, on vit Martinès de Pasqually, personnage fort énigmatique lui aussi, fonder à Montpellier, dans le cadre maçonnique, le chapitre des Juges Ecossais. Pendant quinze ans, il voyagea dans tout le midi : en 1760, il était à Toulouse, puis à Foix où il fonda une société secrète intitulée .. Les Vrais Chevaliers Maçons Elus Coëns de l'Univers », dont le grade supérieur portait I'intitulé de Réau-Croix. La doctrine qu'il exposait dans son traité de la réintégration des âmes était assez proche de celle des Cathares.
Philosophale par la Fraternité de ïOrdre de
C'est sous cette influence que Jean-Baptiste Willermoz introduisit dans la maçonnerie dite écossaise le grade de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte. L'extension de ces doctrines fut assuré par LouisClaude de Saint-Martin (1743-1803), connu aussi sous le nom du Philosophe Inconnu. En L787, au cours d'un voyage à Londres, Louis-Claude de Saint-Martin fut affilié à l'ordre des Philosophes Inconnus fondé en 1643 et issu des Frères d'Orient (Rose+ Croix) (8). Le xvnl" siècle, époque de l'Illuminisme, fut aussi celle du célèbre Comte de §aint-Germain, que certains disaient immortel. Ce personnage hors série, qui fit parler de lui sous des noms divers (e) (marquis de Montferrat, comte de Surmont, comte Weldone, comte de Bellamare, comte Tzarcgy, comte Soltikoff), selon un procédé cher aux RosefCroix, arriva en France en 1758 avec le Maréchal de Belle-Isle, comte de Gisors, chevalier de la Toison d'Or, petit-fils du surintendant Fouquet. Quelle coincidence ! Il était vraisemblablement le fils aîné de François II
(7) De quoi alerter tout lecteur attentif de Jules Veme. (t) Cf. Jean-Michel Angebert , Le livre de la Tradition (Robert Laffont). (e) Le nom même de Saint-Germain vient de Sanctus Germanus, le Saint-Frère, mais aussi le Bon Cousin.
134
JULEs vERNE
Er LA RosE+cRotx
Rackoczi, descendant des souverains de Transylvanie ('o). Ayant été un « Roi Perdu >, lui aussi, il est curieux de rapprocher ce qu'il disait à M" de Genlis de I'histoire des prétendus descendants des Rois Mérovingiens : « Tout ce que je puis vous dire sur ma naissance, c'est qu'à sept ans j'errais au fond de forêts avec mon gouverneur... et que ma tête était mise à prix. >» Ce thème existe aussi dans I'histoire du fondateur mythique de la Rose*Croix : Christian Rosenkreutz. George Sand fit intervenir le Comte de Saint-Germain dans ses deux plus beaux romans : Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt.
Au xx" siècle, Stanislas de Guaïta fonda I'Ordre Kabbalistique de la Rose*Croix. Il était très ami avec Maurice Barrès dont le roman La Colline Inspirée mérite lui aussi d'être lu dans l'optique qui nous intéresse ici. Barrès écrivait (") : Jules Verne, ce " maître, qui voulut n'être pour nous qu'un frère aîné. » Faut-il entendre par là un frère aîné de la Rose+Croix (r2) ? Il faut citer aussi Joséphin Péladan, fondateur en 1891 de l'« Ordre de la Rose*Croix, du Temple et du Graal. » Il descendait d'une famille cathare et en tenait peut-être un enseignement de première main (13). Il organisa, du 28 mars au 30 avril 1893, au Palais du Champ de Mars, un salon de la Rose*Croix ouvert « sous le Tau, la Croix grecque, la Croix latine, devant le Graal, le Beaucéant, et la Rose Crucifère, en communion catholique romaine avec Joseph d'Arimathie, Hugues de Paiens et Dante ». Parmi les exposants de ce salon de la Rose+Croix, personne ne s'étonnera de trouver Eugène Delacroix. Ce n'est pas le seul lien existant à l'époque entre la Rose*Croix
('o) La Transylvanie joue un rôle important dans I'histoire de la Rose+Croix et Comenius, dont on dit qu'il fut le père spirituel des Francs-Maçons, ami de J.-V. Andreae, y 6t de nombreux séjours. Gcorge Sand et Jules Vernc savaient bien quelle importance il fallait accorder à la Transylvanie et à son nom, fort richc symboliquement, évoquant la traversée de la forêt sauvâge. (rt) Maurice Barrà fut reçu chez Jules Verne à Amiens. (r2) Il existe de nos jours un énacle des Frères Aînés de la Rose+Croix dont les recherches semblent surtout toumées vers I'alchimie. (") I-a thèse de la filiation cathares-Rose+Croix a souvent été soutenue, et scmble-t-il à iustc titre (cf. Jean-Michel Angebert, Hitler ct la tradition catharc, Robert l-affont). Maurice Magre voyait quant à tü en Christian Rosenkreutz un iniüé cathare instruit par des Albigeois réfugiés en Allemagne, et Fr. \Iy'ittemaÉ (Hùfoin dq RoselCrorr) soutient également la thèse de la descendance cathare, mais en y adjoignant les Tempüers et les Hussites.
JULES VERNE ET LA
ROSE+CROIX
135
et I'affaire de Rennes. Jules Bois, amant en titre d'Emma Calvé durant une longue période, fut impliqué dans la << guerre des deux roses >> qui opposa deux sociétés rosicruciennes. Ayant lancé dans la presse de multiples attaques contre Stanislas de Guaita, Jules Bois vit un jour arriver les témoins de ce dernier : Victor-Emile Michelet et Maurice Barrès. Un autre duel I'opposa également à Papus.
Emma Calvé, qui fut aussi la maîtresse de Bérenger Saunière, entretenait d'étroites relations avec Joséphin Péladan (ta). Songeons donc à la présence de roses et de croix dans la décoration de l'église de Rennes-le-Château, aux roses figurant sur certaines des tombes, à la double sépulture de Paul-Urbain de Fleury et à I'inscription : « Il est passé en faisant le bien »>, à la croix ornée de roses de Rennes-les-Bains, portant l'inscription : In Hoc Signo Vinces, Domino Vie Rectore, Petrus Delmas Fecit, 1856
(s).
Ne devons-nous pas songer aussi aux écrits du Père Gaultier, un jésuite du xvn" qui s'attaqua à la Rose*Croix, l'accusant d'être un rejeton du Luthéranisme. Il écrivait : « il n'est pas indifférent que le sabbat général dont parlent les Effroyables pactions faites entre
le Diable et les prétendus Invisibles de 1623 se tiennent aux environs du labyrinthe qui est dans les Pyrénées
>>.
Qu'entendait-il
par là ?
Le Tour du Monde d'un Rose*Croix.
Il est temps de revenir à Jules Verne dans l'æuvre duquel il existe de nombreuses allusions à la Rose*Croix. Elles vont du grade de ('n) Lu société de Péladan comptait parmi ses membres le Comte de La Rochefoucauld, dont la famille possédait, selon Gérard de Sède, d'immenses forêts dans I'Aude et qui avait fait venir d'Alsace pour les gérer la famifle StuUein. C'est Eugène Stublein qui releva les inscriptions de
la tombe de la marquisc de
Blanchefort avant que Saunière les fasse disparaître. (rs) L,orsque la messagère ailée üent inüter Christian Rosenkreutz alrx noces royales, elle lui remet une lettre fermée d'un sceau portant une croix et I'inscription l Sous ce signe tu vaincras. Dans la lettre, on peut lire : « Ce jour, ce jour, ce jour, est celui des noces royales. Si ta naissance t'y convie, si Dieu t'a prédestiné à la joie, gagne donc le sommet que trois temples couronnent, et qu'en personne tu voies I'histoire, » Et ce n'est que muni de pain, de sel et d'eau que sa quête pourra s'accomplir.
136
ruLEs VERNE ET LÀ sosE+cRorx
Réau-Croix évoqué de façon voilée dans Da la Terre à la Lune at nom du domaine qui, dans Bourses de Voyage, porte carrément I'appellation de la « Rose*Croix ». Quant à la devise figurant sur la tombe du marquis de Fleury à Rennes-les-Bains, nous avons déjà vu qu'elle apparaissait sous sa forme latine (Transire Benefaciendo) dans Les Enfants du capitaine Grant, Paganel affirmant : « c'est là
Notre devise ». Etonnons-nous après cela que dans un roman qui nous invite à une relecture du Tour du Monde en 80 jours, P.-J. Farmer nous montre Philéas Fogg comme un terrien élevé par des extraterrestres, possesseur d'un élixir de longue vie (t6). Toutes les caractéristiques du Rose*Croix sont aussi dans ce qu'écrit MarieHélène Huet à propos de Philéas Fogg (") : « il transcende le Temps : un Byron qui aurait vécu mille ans sans vieillir, dit Verne au début. (...) Le personnage n'est pas seulement mystérieux ou impénétrable, il est quasi omniscient. « Avait-il voyagé ? C'est probable, car personne ne possédait mieux que lui la carte du monde. Il n'était d'endroit si reculé dont il ne paralt avoir une connaissance spéciale (...). Ses paroles s'étaient trouvées souvent comme inspirées par une seconde we, tant l'événement finissait toujours par les justifier. » Et Marie-Hélène Huet, après avoir relevé ces passages, poursuit en écrivant : << Exagérons-nous en écrivant que Philéas Fogg apparaît revêtu de tous les attributs divins, depuis la science à la majesté et à l'autorité sur tous les éléments ? » Quant au Réform-Club, le « Cercle » auquel appartient Philéas Fogg, ne faut-il pas y voir les initiales R. C. pour Rose+Croix ? Ne faut-il pas remarquer également les caractéristiques de la Rose*Croix dans Mathias Sandorf? Dès le début, Jules Verne nous alerte en parlant de florins et de kreutzers (r8), deux monnaies évoquant la fleur qu'est la rose et la croix. Mathias Sandorf (qui, sur les gravures, prend les traits de Hetzel) possède en tout cas les caractéristiques des Rose*Croix. Iæs passages suivants en font
foi «
:
Il la regarda
avec une irrésistible fixité. Comme
s'il se fut
(t6) Philip José Farmer, The other log of Philéas Fogg. ('') M.-H. Huet : « Exploration du jeu ' (in « Jules Veme, le Tour du Monde
,,
Revuc des Lettres Moderaes). (t") Cctte méthode fut également employée par Gérard de Nerval darrs Angéhque.
JUTES VERNE BT
LA
RO§E+CROD(
L37
dégagé de ses yeux une puissance magnétique, il semblait faire pénétrer dans ce cerveau où la pensée allait s'éteindre, sa propre üe avec sa propre volonté. » << On aurait pu I'entendre murmurer cette sentence empruntée aux légendes indiennes : la mort ne détruit pas, elle ne rend qu'invisible. » Lui aussi change de nom, lui aussi appartient à une société secrète politique, il << ressuscite >> les morts ou du moins sait mettre les gens en catalepsie et les réveiller, il soigne gratuitement.
On ne peut qu'évoquer les lois que devaient observer les Rose*Croix: profession autre que la guérison - Interdiction d'exercer une des malades à titre gratuit. Interdiction de contraindre au port d'un habit spécial réservé la confrérie, à s'adapter au contraire aur usages locaux. Obligation pour chaque frère de se présenter au jour C. à la demeure de I'Esprit-Saint, sinon d'adresser le motif de I'absence (c1. Le Tour du Monde en 80 jours). Obligation pour chaque frère de s'enquérir d'une personne de valeur qui puisse le cas échéant lui succéder (Mathias Sandorf la trouvera en Bathory). Les lettres R. C. doivent leur servir de sceau, d'enseigne et de
-
sigle (1e).
Quant aux thèmes contenus dans la << Fama Fraternatis » des RoseaCroix, on les retrouve chez Jules Verne. Pour eux, en effet, l'humanité enregistre un progrès permanent qui se marque par l'exploration des régions inconnues, par les découvertes scientifiques et par l'augmentation du nombre des savants, mais le danger vient du fanatisme, du respect abusif de l'autorité, du manque d'entente entre les savants, de leur refus de communication de leurs découvertes; parmi leurs livres primordiaux, le livre M (T) et Protée (21). Et si Jules Verne a dû crypter son @uvre, n'est-ce pas en
(re) C'est pourquoi René Descartes qui, après s'être futéressé aux Rose*Croix, sans doute reçu dans l'Ordre grâce au mathématicien Faulhaber, sigoait ses ceuvres R.C. Ajoutbns qu'il pratiquait, comme le prescrivait la règle, I'exercice gratuit de la médecine. Soo principe selon lequel la nature déteste le üde est une loi
fut
rosicrucienne,
(m\ Liber Mundi, Liber Mirabilis, Muus Liber ou un autre? (2r) Une allusion au personnage mythologique de ce nom est faite dans Mathias Sandorf.
138
JULEs vERNE ET LA RosE+cRoD(
référence à cet avertissement figurant au début des Noces chymiques de Christian Rosenkreutz:
<<
Les arcanes s'avilissent quand ils
sont révélés; et profanés, ils perdent leur grâce. Ne jette pas de marguerites aux pourceaux, et ne fais point à un âne une litière de roses. » Cet avertissement, Jules Verne l'a respecté à la lettre, mais cela ne saurait nous empêcher d'aller plus avant dans l'analyse de son æuvre. Pour cela nous nous adressons à I'un de ses romans les plus curieux, ou plus exactement à une suite de deux romans : Robur le Conquérant et Maître du Monde.
Robur, le maîte RoselCroix.
Le sujet de Robur est assez simple. Tout commence lorsqu'un peu partout dans le monde apparaissent dans le ciel de curieuses lumières accompagnées de bruits, Ies observ'ations signalent quelque chose d'indéfini (de nos jours, on dirait un OVIII, un objet volant non identifié). En fait, Robur, un savant génial, a créé un appareil plus lourd que I'air, capable de voler. Il I'a dénommé I'Albatros. Les savants ne veulent pas croire que le plus lourd que I'air puisse voler. Ils le repoussent et le traitent de fou. Pour un peu, ils lui tordraient le cou, cela leur permettrait de ne pas avoir à se poser de questions. Génial mais rejeté, Robur va s'enfermer dans sa solitude et son orgueil. Pour prouver qu'il a raison, il fait enlever deux savants piu ses hommes et leur fait faire le tour du monde dans son engin volant : I'Albatros. Au fur et à mesure de l'histoire, la mégalomanie de Robur augmentera pour prendre le pas sur le génie scientifique dans Maître du Monde. Mais c'est là pour Jules Verne une façon de faire la part du feu. D'un côté, on trouve les savants refusant jusqu'à l'évidence, de I'autre un être génial. Il n'est pas difficile de voir où va la préférence de I'auteur. Il n'est pas difficile de voir qu'il préfère le génie incompris à la il faut prendre des gants et @ntenter tout le monde. Aussi Jules Verne charge-t-il un peu I'aspect mégalomane de son personnage. Comprendra qui pourra. suffisance bardée de diplômes. Mais
Ceux qui ne sont pas dignes prendront pour héros de l'aventure les minables du type Uncle Prudent, les autres reconnaîtront le génie de Robur, semble nous dire Jules Verne. Mais le plus important n'est pas cet aspect de la question, c'est plutôt le fait que Robur
JULES VERNE ET
LA
ROSE+CROD(
739
possède les caractéristiques des Rose*Croix (22). Il fait nettement plus jeune que son âge, comme s'il possédait le miraculeux élixir de vie; se présente en disant : « Citoyen des Etats-Unis, je me
il
nomme Robur. Je suis digne de ce nom. J'ai 40 ans, bien que je paraisse n'en pas avoir 30, une constitution de fer, une santé à toute épreuve, une remarquable force musculaire, un estomac qui passerait pour excellent même dans le monde des autruches. Voilà pour le physique. » Dans ce roman où il parle un certain jargon pour I'extérieur, comme aurait dit l'abbé Boudet, Jules Verne insiste sur le nom de Robur : << Je me nomme Robur. Je suis digue de ce nom » et sur le titre même de I'ouvrage: Robur le Conquéranü. Autrement dit : RC, comme le veut la signature des Rose*Croix (B). Comment nous étonnerions-nous de trouver là encore quelques allusions qui
pourraient bien se rapporter à l'affaire de Rennes-le-Château ? Ainsi sont mis en relief le méridien de Paris (24), I'origine des Francs. De plus, un certain nombre d'observations du ciel, faites dans l'ouvrage à des heures précises, ne sont conciliables que si I'on décale tout d'une heure (décalage par rapport au soleil) et que I'on se situe dans la région de Rennes-le-Château ? Ne serait-ce pas là le
« foyer unique » que Jules Verne nous invitait à rechercher ? Ne pourrait-on trouver là le Mont Royal dont il est question dans le roman ? Ceux qui connaissent ce coin du Razès ne pourront plus sonserver de doutes lorsqu'ils liront ce passage de Robur, censé se passer aux Etats-Unis : « Vers 5 heures, après avoir franchi /es
et de cèdres, l'Albatros volait au-dessus de ce territoire qu'on a justement appelé les Montagnes noires, couvertes de sapins
d'ocre, de morceaux de montagnes qu'on aurait laissées tomber sur le sol et qui se seraient brisées dans leur chute. De loin ces blocs prenaient les formes les plus fantaisistes. Çà et là, au milieu de cet énorme jeu d'osselets, on entrevoyait des ruines des cités du Moyen Age avec forts, donjons, châteaux à mâchicoulis et à (22) Jules Vernc met I'accent sur cet aspect en disant que c'est à Philadelphie que
I'on peut voir le plus beau temple maçonnique. (23) Une autre clé de I'ouvrage résidc dans le nom d'un des personnages : Uncle Prudent, qui fait du mot « Prudent » une clé. (u) L'Albatros suit un moment le méridien de Paris sans que rien ne puisse le faire dévier de sa ligne droite. Il doit donc fatalement survoler la région de Rennesle-Château.
L40
JULEs vEBNE ET LA RosE+cRoD(
A propos, avez-vous vu beaucoup de forts moyenâgeux aux Etats-Unis ? Ridicule, n'est-ce pas ? Sauf une fois de plus, si ce paysage est un site du Razès, non loin de la Montagne Noire, dans ces Corbières aux collines d'ocre. L'allusion faite ensuite à des hommes fossiles ne pourrait que faire plaisir à l'actuel propriétaire du château de Rennes-le-Château qui soutient depuis bien longtemps que l'on trouve dans la région des fossiles d'hommes géants. Je passerai sur les diverses références faites à des zones aurifères, à une rivière de l'argent, à Salt Lake City (la ville du Grand Lac Salé, capitale des Mormons), au sel qui revient souvent, à Oran, aux lignes de pointillés sur les cartes qui nous rappellent une fois de plus l'abbé Boudet, aux travaux de triangulation liés à une aiguille. J'en finirai avec Robur le Conquéran, en reprenant un passage fort important : << Non ! jamais Nègre, depuis Toussaint Louverture, Soulouque et Dessaline, n'avait fait autant parler de lui. >> Pourquoi cette allusion à deux empereurs et à un général haitiens ? Pour leurs noms, tout simplement, qui permettent à Jules Verne de nous dire que le Nègre ou I'or de Rocko-Negro (2s) se trouve maintenant en cherchant : Louverture, Soulouque, Dessaline. Ou si vous ptéfiérez: l'ouverture sous le chêne (oak en anglais, se prononçant ouk) des Salines. C.Q.F.D. Or, le chêne, il figure bel et bien sur le tableau de Delacroix nous montrant Jacob luttant contre l'ange, il est là aussi sur l'un des tableaux de Signol. Il est le nom même de Robur, ce nom bien mérité qui vient du latin et a donné en français l'un des termes pour désigner le chêne : le rouvre 126). Nous poivrières. »
verrons que ce nom recouvre en même temps celui d'une des branches de la Rose*Croix. Quant à Maître du Monde (quel titre !), c'est la suite de Robur. Ce dernier, ayant perdu son premier engin, en a construit un autre qui a la particularité de pouvoir aller sous I'eau, sur l'eau, sur terre et de voler. Robur se voudra maître des airs comme Nemo le fut des océans. Il y a un caractère nettement prométhéen dans cette ambition qui lui fait dire : <. Je suis maître de cette septième partie du monde, plus grande que I'Australie, l'Océanie, l'Asie, l'Améri(5) Dans Mattre du Monde, Jules Verne nous dit en quelque sorte que I'or n'est plus à Rocko-Negro, mais que les indices locaux conduisant en ce lieu étaient bons. simplement Ie dépôt a été changé de place. Je laisse au lecteur perspicace le soin dc retrouver Ie passage évocateur, ('?6) te palindrome de Robur, Rubor, signale quant à lui, la couleur rouge, le pourpre royale.
JULES VERNE ET LA ROSE+CROD(
t4t
que et l'Europe, cette Icarie aérienne que des milliers d'Icariens peupleront un jour. » Il y a de l'orgueil dans ce pavillon noir semé d'étoiles avec un soleil d'or en son centre que Robur arbore en plein ciel. Robur c'est un peu Lucifer, le porte-lumière révolté. Il lance une sorte de défi à Dieu, c'est pourquoi il finira foudroyé. Mais il apportera tout de même un enseignement, et une partie de son discours peut se traduire par : il est des secrets qui ne sont pas faits pour tous les hommes, surtout s'ils n'y sont pas préparés, ne dévoilez pas tout aux profanes s'ils n'ont jamais reçu l'initiation. Une partie de Maître du Monde va se dérouler sur une montagne (ou à son pied) : le « Great-Eyry », c'est-à-dire : le Grand Nid d'Aigle, où les héros vont chercher Robur. Il est à noter, outre qu'il existe un Pic de l'Aigle tout à côté des Salines, que le dessin même de la montagne figurant dans le roman de Jules Verne ressemble étrangement au Pic de Bugarach. Il semble d'ailleurs que le tracé de chemin que I'on aperçoit soit calqué sur celui (inversé) qui mène aux Salines.
Toute la question qui se pose pendant longtemps est de savoir comment on arrivera à pénétrer « à I'intérieur »> du Great-Eyry. Il s'y passe en effet de curieux phénomènes : lumières, fumées, et «
on voudrait bien savoir ce que le Great-Eyry a dans le
ventre (n). Or, si vous vous renseignez sur place, dans la région " de Rennes, on vous dira que l'on voit parfois des OVNI, sous forme d'étranges lumières qui semblent sortir du Bugarach, corlme s'ils venaient « de I'intérieur ». Comment s'étonner dès lors de voir »» comme <( une aire habitée par des monstres aériens ». Mais là encore, il s'agit d'une affaire de trésor (28) puisque les guides qui montent l'expédition au GreatEyry et indiquent le chemin à suivre se nomment Harry Horn et James Bruck. Cela signifie que le chemin du pillage (to harry) est celui qui suit le <. détour de la rivière » (horn). Il permet de serrer et de presser (to jam) les bijoux contre soi (to brooch = parer de
Jules Verne décrire le « Great-Eyry
bijoux). (27) Jules Verne fait allusion également à des canaux souterrain§ et à une grotte, à la façon dont un lac se remplit et se vide, à un " lac Saint-Clair », tous éléments qui ne manquent pas d'intérêt. (28) Notons que le Great-Eyry comporte un endroit nommé le Black-Dome, nous rappelant le Rocko-Negro, et qu'une allusion est faite à I'exploitation des mines et des eaux minérales. Par ailleurs, une autre allusion e§t faite à Black-Rock
White-Hôtel. Autant dire Rocko-Negro et Blanchefort.
et
à
142
JULES vERNE ET LA RosE+cRoIx
D'ailleurs, la phrase
<<
Mon chef m'a chargé d'arracher
ses
secrets à ce diable de Great-Eyry » ne peut que nous rappeler le poème de Labouisse-Rochefort qui fait garder le trésor de Rennes par Ie démon; et Jules Verne enchaîne en écrivant : << quand nous devrions les aller chercher jusque dans les entrailles de Ia montagne ». Que vont faire les héros? S'engager dans une gorge d'inclinaison peu accusée et remonter le lit d'un torrent. Ils avanceront avec I'agilité d'un << isard » (animal typiquement pyrénéen). Ils finiront par atteindre une pierre dont l'étrange silhouette figure un aigle énorme. Cet aigle, on peut le voir sculpté dans un énorme rocher sur le flanc du Bugarach. Faut-il penser que ce pic, comme le Great-Eyry, sert de retraite au diable ?
En tout cas, l'aspect rosicrucien de l'æuvre est perceptible à certains signes, au RC de Robur le Conquérant, à sa jeunesse physique, à ses pouvoirs présentés à la fois comme quasi-divins et comme diaboliques, à l'allusion à Protée. Lisez donc Maltre du Monde et vous verrez que la quête de ceux qui y recherchent I'Epouvante, le vaisseau aérien de Robur, est très exactement calquée sur un texte de la Rose*Croix que je vous livre : <. Au milieu du monde se dresse un mont, proche et lointain; on y trouve les plus grands trésors et la malice du démon. La voie qui y conduit ne peut être trouvée que par son propre travail. Priez et demandez le chemin, suivez le guide qui n'est pas un être terrestre et qui se trouve en vous, bien que vous ne le connaissiez pas. Il vous conduira au but à minuit. Il vous faudra un courage de héros... Au moment d'avoir la vision du château, un vent impétueux fera trembler les rochers. Des tigres et des dragons vous assailleront. Un tremblement de terre abattra tout ce que le vent aura épargné, et un feu violent consumera toute matière terrestre. A I'aube, le calme reviendra et vous veûez le trésor. »>
Gaston Leroux et
<<
Le Roi Mystère
».
Jules Verne écrivit Robur, Gaston Leroux, quant à lui, nous donna Le Roi Mystère. Quel rapport? La même inspiration, la même Rose*Croix et, si j'ose dire, Ie même Robur. Gaston I-eroux est, nul ne l'ignore, l'auteur de nombreux romans policiers et fantastiques parmi lesquels on doit citer les fascinants Ze Fantôme de l'Opéra, Le parfum de la Dame en Noir et Le Mystère
JULES VERNE ET LA
ROSE+CROIX
143
ù
la Chambre laune. Personnellement, je n'aime guère son style, mais il cst au moins une phrase qui, je ne sais pourquoi, s'incruste dans ma mémoire depuis des années et me revient souvent à I'esprit : << Le presbytère n'a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. » Phrase anodine... et pourtant elle sous-entend tout un poids de mystère. Quels souvenirs évoque donc ce presbytère ? Mais passons (2e). D'origine normande, Gaston Leroux aurait d'abord voulu être marin, rêvant à des rives inconnues, à des mondes ignorés, au-delà des mers. Puis il se voulut tribun, homme de langage. Enfin, à vingt ans, il naquit à I'art et se résolut à regarder passer I'humanité, nous dit Daniel Compère ({) : ne dirait-on pas la jeunesse même de Jules Verne
?
Toujours est-il que cet amateur éclairé de la quête des Trésors qu'était Gaston Leroux (31) nous donna son propre Robur : Le Roi Mystère. Etrange histoire en vérité que celle de ce chef de truands, au grand cæur, au sens inné de la justice, qui a quelque chose tout à la fois d'un ingénu et d'un être invincible. Ce redresseur de torts par le vol, mi Monte-Christo, mi Robin-des-Bois, à la fois Cartouche et Mandrin, règne tel un véritable Roi dans l'ombre, mais en gardant un esprit anarchiste ("). Il règne sur un monde souterrain, sorte d'Aggartha dans Paris. Il est le Roi des Catacombes. N'est-il pas un Roi Perdu, lui aussi ? Comme elles sont curieuses ces deux lettres que l'on peut voir un matin peintes en rouge sur les portes de la prison de la Roquette, oomme apparurent au xv[" siècle les affiches de la Rose+Croix sur les muryde Paris. Ces deux lettres R.C., c'est la signature du Roi
(') En fait, cette phrase, Gaston læroux I'avait empruntée à George Sand. Elle se trouvait dans un de ses ouvrages les plus méconnus : Mélanges, avec une différence cependant qui la rendait moins belle : le mot propreté y tenait la place du mot charme. (s) Daniel Compère, « Gaston Iæroux et Jules Verne » (in Tisions nouvelles sur Jules Verne, Centre de Documentation Jules Verne). (31) Il organisa lui-même une « course aur trésors de Cartouche » avec le joumal Le Matin, Des collaborateurs du journal avaient caché des sommes d'argent en sept endroits à Paris et en province, et le feuilleton de Gaston Leroux que publiait Le Matin conlenait des indications susceptibles de mettre le lecteur sur la voie. Ce feuilleton parut ensuite sous forme de roman sous le titre de La double vie de Théophraste Longuet. Une histoire qui mérite d'être lue pour plus d'une raison. (") Nc passe-t-il pas cootrat âu nom de la Compagnie A,C.S. : Association contre la Société?
14
JULEs vERNE Ef, LA RosE+cRoD(
des Catacombes. Mais pourquoi diable signe-t-il R.C. alors que Gaston Leroux intitule son roman Le Roi Mystère (soit R.M.) et
que ce personnage se nomme réellement Robert Pascal (R.P.) (33; t en fait comment pourrait-il en être autrement puisque Gaston Leroux veut, tout comme Jules Verne, écrire un texte rosicrucien d'inspiration. R.C., c'est bien sûr, nous l'avons vu, la signature des Rose*Croix, mais le lien avec Robur le Conquérant ne s'arrête pas là et sur une porte on peut lire : « ROBUR mortis
viri
saluss
et sublimitus, profundis, longitudo, latitudo.
>>
Vous
doutez encore ? Alors lisez le roman. Vous verrez Gaston Leroux décrire son personnage comme un Maître du Bien et du Mal. Le Roi Mystère n'hésite pas à dire : « Je suis plus fort que la mort !... Je suis la vie ! » Il est I'un des << Maîtres du Monde ». N'apparait-il pas en fait également sous la forme du mystérieux Comte de Teramo-Girgenti qui, tels Saint-Germain et Cagliostro, est censé avoir vécu sous Henri IV, avoir trouvé le secret pour ressusciter (secret qui consiste partiellement à aller prendre les eaux tous les étés) : .< Je ne me ressuscite pas, dit le comte. On me ressuscite. II suffit pour cela que dans certaines conditions données on prononoe devant mon cadavre certains mots pour que je revienne à la vie. t Le titre d'un des chapitres est d'ailleurs : « Tu te réveilleras d'entre les morts. » Une fois de plus, on ne pourra s'étonner de voir des allusions à une affaire que nous connaissons bien. Ainsi les « fauteuils dits de Dagobert, sur les pieds en X desquels on avait tendu des tapisseries d'un prix inestimable ». Les allusions au quartier de I'Observatoire à Paris, à Saint-Sulpice, à Saint-Vincent-de-Paul, à la FrancMaçonnerie, à un cimetière dont'les caveaux ne sauraient rester scellés, au poisson-peigne, à l'Ecosse, à la plume et à l'encre, à
Benvenuto Cellini et à Marguerite de Valois, à une tête de l'apothéose d'Homère d'Ingres, qui est sans doute celle de Nicolas Poussin, sont autant de clés. Il faut évoquer également le nom 6" 14rre DERENNES, le perroquet qui détient la clé d'une partie de l'histoire et porte le nom ô combien évocateur de SALOMON ("). C'est lui qui donne
(33) Gaston Leroux en donnera I'expücation par une pirouette en disant que s(n père se nommait Robert Carel. (a) Son vrai nom est Jacquot, allusion incontestable aux « Enfants de Maîtrc Jacques » et aux Fils de Salomon du Compagnonnage.
JULES VERNE ET LA
ROSE+CROIX
T45
la clé arx locataires car il habite la loge d'un concierge, entre Notre-
Dame de [,orette, la Vierge, Saint-Joseph, l'enfant Jésus, des chemins de croix et des chapelets. Et ce perroquet de dire : .< Tu es la Marguerite des Marguerites ! Tu es la perle du Valois ! », phrase qu'il faut mettre en liaison avec les origines de la mystérieuse Société Angélique (3s) à taquelle appartint Gérard de Nerval (36), entre autres, et dont nous reparlerons plus loin. Il est bien mystérieux, en vérité, ce Roi des Catacombes qui pénètre dans son royaume par un puits qui apparaît « sous la lune
avec tout I'attirail ordinaire des puits : un cercle de fer où se trouvait suspendue une poulie sur laquelle roulait une chaîne qui retenait un seau >>. Par ce puits, selon l'un des personnages, il semble qu'on puisse aller « au centre de la terre >>. Là est un fabuleux trésor. Qui en aurait douté ? En tout cas le R.C. est bien lié à la Rose*Croix puisqu'un jeu de mots fait allusion au grade de Réau-Croix des Elus Coëns dans Ie chapitre IX, et il règne sur « l'une des plus formidables puissances occultes qui se soient constituées depuis longtemps en marge de la société », nous dit Gaston Leroux. Les rapports existant entre Robur et le Roi Mystère sont trop impoftants pour être le fait du hasard. C'est à se demander si Gaston Leroux et Jules Verne n'appartenaient pas à la même société, ou même si le premier ne tenait pas ses informations du second; c:r, nous dit Daniel Compère (") , Il n'est pas impossi" ble que Jules Verne et Gaston Leroux se soient rencontrés. C'est une simple hypothèse que nous avançons, mais voici sur quels éléments elle s'appuie : Gaston Leroux est né à Paris en 1868, mais ses parents viennent s'installer au Tréport vers 1879. Le jeune garçon fréquente donc le collège d'Eu, de la sixième à la classe de Rhétorique. Au collège, le directeur désigne le jeune garçon pour être le camarade de jeu de Philippe, fils du comte de Paris qui habite le château d'Eu. Entre parenthèses, les travaux de restauration de ce château sont effectués sur les plans de Viollet-le-Duc, par le père de Gaston Leroux, directeur d'une entreprise de
(")
Cf. aussi la rue des Brouillards. L'entrée du royaume souterrain du Roi Mystère se situe d'ailleurs très précisément à I'endroit où l'on retrouva Gérard de Nerval pendu (on ne sut jamais s'il s'agissait d'un suicide ou d'un assassinat)' (37) Daniel Compère, « Gaston læroux et Jules Verne » (in Yirions nouvelles sur lules Verne, Centre de Documentation Jules Verne).
(s)
t46
rulEs
yERNE ET LA RosE+cRoD(
travaux publics. Or, Jules Verne passe à cette époque de nombreuses semaines au Tréport où est ancré son « Saint-Michel III ». II a fait la connaissance du Comte de Paris à qui il offre le manuscrit de Vingt Mille Lieues sotn les Mers. Daoiel C-ompère pense qu'il serait fort étonnant que, ayant des fréquentations communes durant plusieurs années, le jeune Gaston l-eroux, déjà attiré par la littérature (il écrit des nouvelles au pensionnat du collège), et Jules Verne ne se soient pas rencontrés. Gaston Leroux fut-il initié par Jules Verne ? L'affirmer serait bien imprudent. Ce qui est certain, en revanche, Cest que Jües Verne a exeré une grande influence sur Gaston Leroux. On peut citer le titre clin d'æil d'un chapitre du Parfum de la Dame en Noir.' « La presqu'île mystérieuse. » Quant au roman de Gaston Leroux : Baloo, il traite du même sujet que Le village aérien de Jules Verne : le lien existant entre l'homme et le singe. De même, Rouleubille chez Krupp est presque un hommage rendu à Jules Verne, nous dit Daniel Compère. D'ailleurs, au début, se trouve le passage suivant : « Mais c'est une histoire dc Jules Verne que vous nous racontez là, mon cher savant... Je l'ai lue quand j'étais au collège : cela s'appelle Les Cinq cents milliotts de la Begurn » Et quoiqu'il ne s'agisse pas là comme chez Jules Verne d'un obus, mais d'une torpille, le roman de Leroux suit bel et bien le canevas des Cinq Cents Millions de la Begum de Verne, qui s'était d'ailleurs inspiré des usines Krupp pour créer la Stahlstadt de son roman. Il faut ausi citer un ouvrage « sousmarin >, de Leroux intitulé Le Capitaine Hyx. S'appeler H1a (X) ou personne (Nemo), n'est-ce pas la même chose ? D'ailleurs le roman s'inspire bien évidemment de Vingt Mille Lieues sous les Mers. Je ne peux que conseiller à ceux qui s'intéressent à Rennes-leChâteau de lire « tout » Gaston Leroux. Traiter en détail de son Guvre nous entraînerait trop loin. Mais il nous faut cependant citer à titre d'exemple : La Reine du Sabbat, dont les héros se nomment Réginald, Regina, et Rynaldo. L'histoire, qui se déroule pour partie en Camargue et pour partie en Bohême, est celle (très romancée et partisane de la part de Gaston læroux) de cet archiduc de Habsbourg mis en scène par Jules Verne dans Les Naufragés du Jonathan.' Jean Orth, à peine déguisé sous le nom de Jacques Ork (38;. Dans ce roman, tout comme dans Un homme dans la Nuit
(il) est curieux dc remarquer qure Un homme dans la nzit décrit bien exactement I'incendie du Bazar de la Charité dans lcqucl mourut une archiduchessc de Habsbourg : Sophie.
Il
JULES VERNE ET
LA
ROSB+CROD(
I47
ou Rouletabille chez les Bohémiens, l'histoire tourne autour d'un problème dynastique, de la quête d'un << élu de la race >», d'un descendant d'origine royale, promesse d'un bonheur à venir pour le peuple : << Est-ce que le sang répandu ne préparait pas pour ceux de sa race une merveilleuse et triomphale aurore ? » Dans Rouletabille chez les Bohémieras, le Prince né d'une race très ancienne (Un homme d.ans la Nuit) est remplacé par une Reine annoncée par une antique prophétie : « En ce tempsJà, une reine naîtra à Ia race, ayant sur l'épaule gauche le signe de la couronne. » N'est-ce pas de cette façon, par un signe particulier sur la peau, qu'étaient reconnus les Rois Mérovingiens ? Cæ secret est bien connu de La Pieuvre. Curieux tsiganes mis en sêne par Leroux, qui nomment Odette leur .. petite Reine >), nous inütant à poser une équation (3e), curieux gitans qui nous livrent les secrets de Jules Verne. D'ailleurs Gaston Leroux avoue I'emprise qu'exerce sur lui l'æuvre de Verne. Dans Un homme dans la Nuit, il s'inspire d'un épisode da Tour d.u Monde en Quatre-Vingts jours sans s'en cacher d'ailleurs; dans La Reine du Sabbat il reprend en le citant nommément le supplice subi par Michel Strogoff et nomme un chapitre .< Monsieur sans-Nom » (autant dire Nemo), s'inspirant par ailleurs da Chôteau des Carpathes et de Maître Zacharius pour certains passages. Livrons enfin pour le plaisir cette phrase, tirée de Rouletabille chez les Bohémiens, à la sagacité des lecteurs : « jamais on ne vit tombe de bohémien si bien que la légende raconte qu'ils détournent le lit des ruisseaux pour y enfouir les corps qu'ils veulent sauver de la profanation des roumis. » A ce propos, je ne peux que conseiller la lecture d'un article de E. Blanc-Lafangere, intitulé << Lourmarin château maudit des gitans » (paru dans la revue L'Ere d'Aquarius, n" 4), fort instructif et concernant une demeure ayant appartenu aux Créqui-I-esdiguière. Jules Verne, Gaston Leroux, même combat, a-t-on envie de dire, et ce n'est pas tout.
(3e)
Petite Reine
=
Odette; ctte étant un diminutif signifiant petite,
en
simplifiant algébriquement si j'ose dire, on obtient Reine - Od, soit Rennes-Aude. Il est à noter que, dans Les Mohicans de Babel, le héros se nomme Claude Corbières, qu'on trouve un comte de Godefroid de Martin I'Aiguille, ct qu'un certain Vorski prétend descendre des Rois de Bohême (à propos, avez-vou§ lu L'Ile aux Trente Cercueils de Maurice Leblanc?).
148
<<
JULES VËRNE ET
Dorothée, danseuse de corde
».
LA
ROSE+CROD(
l
Non, ce n'est pas tout, car il nous faut encore examiner un ouvrage de Maurice Leblanc, Ie père d'Arsène Lupin. Curieuse aventure, une fois de plus, que celle de Dorothée, danseuse de corde. Dès l'abord, I'histoire s'engage au châtau de Roborey (ROBOR-REY: le chêne royal ou le roi Robur?), près d'une rivière au lit de petits cailloux blancs, d'une fontaine ancienne à dauphins et sirènes, et d'un cadran solaire dressé sur une rocaille. Là, un coffre-fort va être cambriolé. Il s'ouvre en utilisant la clé R.O.B. Dorothée, héroine du roman, remettra les choses en ordre. Puis elle se lancera sur les traces d'un fabuleux trésor, convoité par l'abominable d'Estreicher (4o). La clé pour parvenir à ce trésor, c'est une phrase qui la donne: rN RoBoRE FoRTUNA. Ecoutons Dorothée : << Quatre personnes sont réunies par un secret commun. Or, le mot de Roborey prononcé par mon père en mourant me donne le droit de rechercher si lui-même ne faisait pas partie de ce groupe, et si, en conséquence, sa fille n'est pas qualifiée pour prendre sa place. » Le père de Dorothée se nommait Jean d'Argonne (41) et sa mère Jessie Varenne (42). La courageuse et pure jeune fille est accompagnée dans cette aventure par ses enfants adoptifs auxquels elle ne manque pas de faire une leçon d'histoire qui a pour sujet : les Rois Mérovingiens ! Tiens donc ! Curieux trésor également que celui qu'ils vont chercher. Il s'agit en fait d'un héritage. Un jour de L721, un certain Jean-Pierre de la Roche, marquis de Beaugreval, fit son testament et le confia à un homme de loi pour qu'il ne soit lu que deux siècles plus tard, jour pour jour, le 12 juillet 792L. I.e,12 juillet l72l était la date à laquelle il avait décidé de mourir, et cet original un peu alchimiste était persuadé de ressusciter le 12 juillet 1921. Ce jourlà, les héritiers de ceux à qui avaient été confiées certaines médailles, se rendant sur les lieux où la dépouille repose, n'auraient plus qu'à suivre les instructions qui leur auraient été léguées
$
Faut-il voir en lui un Autrichien ? (ar) Nom d'une commune située près de Stenay dans les Ardennes. (n') Ce qui n'est pas sans nous faire songer à la fuite du Roi Loüs XVI en direction de Stenay et de I'abbaye d'Orval, et à son arrestation à Varennes'
ruLESI VERNE Ef, LA
ROSE+CROD(
149
pour découvrir un élixir et le faire ingurgiter par le marquis. Alors
il ressusciterait
(43).
Comment ne pas songer une fois de plus au comte de SaintGermain et à la Rose*Croix, tout comme nous l'avons fait à
propos du comte de Teramo-Girgenti dans
Le Roi Mystère ?
Comment ne pas songer à ces cryptes ferrées, surtout lorsque I'on s'aperçoit que le rendez-vous est fixé par le marquis de Beaugreval sous un orme? Etranges pouvoirs en vérité que cenx de Dorothée elle-même puisqu'.< elle dissipe les ténèbres, déchiffre les énigmes. Avec sa baguette magique elle fait jaillir des sources invisibles, et, en particulier, elle découvre dans les endroits les plus insondables, sous les pierres des vieux châteaux, et au fond d'oubliettes inconnues, des trésors fantastiques dont personne ne soupçonnait l'existence >>. Pas étonnant que la lettre envoyée par son père, Jean d'Argonne, soit <( marquée du signe de la Croix Rouge ». En se dirigeant d'après la ligne rouge marquée sur la carte, les héros finiront par arriver au trésor, au but de leur queste de la Toison d'Or, à « La Roche-Périac rr. Là, près d'une vieille horloge avec deux grandes aiguilles couleur de rouille, ils trouveront. La clé du trésor est un chêne magnifique, un u CHÊNE-ROI >, qui nous rappelle à la fois Robur le Conquérant et le Roi des Catacombes. Un CR qui est bien prêt d'être une signature RC. Et là, près de deux aiguilles de granit qui s'érigent en piliers, figurant comme une porte ouverte par laquelle on aperçoit la nappe bleue de I'Océan, la fortune du marquis est trouvée au c
mot latin robur. Robur... la force... la fermeté... l'énergie; mais aussi que Robur est une vaiété de chêne que l'on nomme le rouvre. In Robore Fortuna.' dans le chêne, la fortune. Autant dire Louverture, Soulouque, Dessaline, Dorothée, la sage, la pure, renoncera cependant à cette fortune, matérialisant ainsi I'autre sens de In Robore Fortuna.'la fortune est dans la fermeté de l'âme. Si Arsène Lupin n'apparaît pas dans ce roman, il n'en est pas moins présent dans l'inspiration. L'énigme que Dorothée résout, il s'était proposé de la résoudre lui-même dans sa jeunesse car elle lui avait été posée par la Comtesse de Cagliostro. L'un des épisodes de (43) Une résurrection que Maurice Leblanc n'hésite pas à comparer à cclle de
Lazare.
150
JULEs vERNE ET LÀ RosE+cRoIx
Dorothée, danseue de corde est d'ailleurs directement inspiré du << signe de I'ombre ». Il est un autre roman de Maurice Leblanc où n'apparaît pas Arsène Lupin et où un magot est caché dans un chêne. Il s'agit de La vie extravagante de Balthazal, qui raconte une histoire d'héritage liée à une marque de reconnaissance figurant sur la peau, histoire dans laquelle certains indices font fortement songer à Godefroid de Bouillon. On pense là encore à l'héritage des Mérovingiens. A propos, Balthazar est né au Val-Rouge. Sans commentaires
!
Faut-il voir là encore un lien entre Jules Verne et Maurice Leblanc, via la Rose*Croix et I'affaire de Rennes ? Sans doute. Il est en effet indéniable que Maurice [æblanc a été très influencé par Jules Verne. Arsène Lupin présente une caractéristique qui est commune à nombre de personnages de Jules Verne, tout comme à quelques-uns de Gaston Leroux et d'Anatole France : oe que j'appellerais l'anarchisme aristocratique, synthèse plus que para-
doxe. C'est Yves Olivier-Martin qui, dans le numéro d'aottseptembre 1979 que la rewe Europe consacra à Arsène Lupin, comparait le côté anarcho-mondain d'Arsène Lupin ù La Révolte des Anges d'Anatole France, et écrivait : « mélange de Des Esseintes
(*)
de Carbonaro-Rentier ».
"t Outre cet aspect, on peut noter certaines ressemblances troublantes entre l'æuwe de Jules Verne et celle de Maurice I-eblanc. Suivons sur cette voie Jean-Paul Faivre (nt), qui pense que le père d'Arsène Lupin s'inspirait de Jules Verne, au point que le cryptogramme de l'Aiguille Creuse aurait ravi ce dernier. Pour Jean-Paul Faivre : « L'Aiguille Creuse, avec toutes les modifications que I'on voudra, c'est Back-Cup, le repaire de cet autre aventurier, le Comte d'Artigas, alias Ker Karraje (*). Qr'".t-c" que Back-Cup ? Un << îlot, de contexture curieuse (qui) figure assez exactement une tasse renversée du fond de laquelle il s'échappe une vapeur fuligineuse. Son sommet doit s'élever d'une centaine de mètres au-dessus du niveau de la mer, et ses flancs présentent des talus d'une raideur régulière qui paraissent aussi dénudés que les rochers de la base incessamment battus du ressac. Une << roche à
(4) Héros de La révolte des Anges. (45) Jean-Paul Faivre, * De Jules Verne en Arsène l'Aiguille Creuse (Cahiers de l'Herne.' Jules Verne). Face au Drapeau de Jules Verne.
(*)
,
Lupin, ou le mystère de
JULES VERNE ET
Iâ ROSE+CROD(
151
jour
>», autre << porte d'Aval », constitue l'anse de la tasse : creuse elle aussi, énorme caverne évidée à I'intérieur du massif. (...) Faux yolcan, dont les éruptions géographiquement impossibles sont dues à des feux allumés, comme ceux de Maître du Monde, pour écarter les paisibles pêcheurs et les indiscrets ». On peut songer aussi à la dernière escale du Capitaine Nemo : cette grotte miniature, agrandie aux dimensions, presque, d'une ville souterraine, coiffée d'une colline conique, détachée des autres. Et le butin de Ker Karraje est dans Back-Cup comme celui d'Arsène Lupin est dans I'Aiguille Creuse. La sortie mi-souterraine, mi-sous-marine de cette dernière, ressemble comme une sæur à I'entrée de Back-Cup. Cela n'est sans doute pas fortuit, d'autant plus que Maurice I-eblanc emploie les mêmes procédés rousselliens de l'écriture que Jules Verne, les mêmes procédés de cryptographie. L'un d'entre eux pousse le héros de 813 à faire exactement le même type d'erreur que Paganel dans Les Enfants du Capitaine Grant, il traduit A PO ON Apollon au lieu d'y voir Napoléon. D'autre part, dans Un monde connu et inconnu : Jules Verne, Christian Robin fait fort justement remarquer que Maurice Leblanc rendit indirectement hommage à Jules Verne en masquant son héros sous le nom du Docteur Vernes, qui dispose d'une automobile tout à fait
comparable aux confortables machines verniennes (Le Bouchon de Cristal, chapitre IV). Nous ne résisterons pas non plus au plaisir de citer François Raymond, qui ne croit sans doute pas si bien dire lorsqu'il parle à propos d'Arsène Lupin de << ce moderne Protée »
écrit : << Cette double présence, non seulement de la chronologie dans le texte du cryptogramme, mais de Chronos luimême comme gardien du trésor, ce n'est pas au « Scarabée d'Or >>, ni même à Sherlock Holmes, que Lupin l'emprunte : c'est à Jules Verne, grand maltre de ces jeux. Avant << Le signe de l'Ombre »,le Scartaris désigné dans le cryptogramme de Saknussem était déjà le style d'un immense cadran solaire, dont l'ombre à un jour donné marquait le chemin du centre du globe; le flux et le reflux des marées ferment et ouvrent tour à tour le second trou de I'Aiguille, isolent et découvrent l'île au trésor de Périac (Dorothée...) comme
et qui
accès aux cryptes de Nemo, et de Ker grandes marées d'équinoxe » permettent seules à la << barre » d'atteindre les << richesses du proconsul », comme les << mascarets providentiels ,, de Jules Verne, d'accéder à l'île ou de forcer le blocus. Lieu du salut, des merveilles ou du trésor, l'île est
ils ferment ou livrent Karraje; les
<<
152
ruLEs vERNE ET LA Rosp+cRorr(
un cercle, au centre duquel, normal à son plan, le cercle du temps se faufile. La terre au pôle et l'île au volcan sont transpercées par le retour éternel. »
L'Ordre des Fendeurs et les Carbonai. Nous avons vu quels rapports existaient entre Dorothée, danLe Roi Mystère, Robur le Conquérant et Le Maltre du Monde. Nous avons vu pourquoi il était important que certains personnages aient les initiales R. C. Mais pourquoi le nom de Robur ? Pourquoi cette permanence du chêne ? Même si Jules Verne en profite pour évoquer Rennes-le-Château, ce ne peut être la raison essentielle. Robur doit avoir une autre signification. I-e symbolisme du chêne est bien entendu la clé de cette appellation: Robert Graves, dans La Déesse Blanche, nous apprend que Protée, personnage mythologique qui a donné son nom à I'un des livres secrets de la Rose*Croix, était aussi appelé << I'homme-roi du chêne ». Le chêne-roi, Robur, Protée le mystérieux qui prend n'importe quelle forme jusqu'à se transformer en brume. Nous sommes sur la bonne voie. Continuons donc et souvenons-nous que le mot Druide, étymologiquement, signifie homme-chêne (o'), venant du kimro-gallois derw (€). Nous ne pouvons éviter, w le ÿpe de ces héros de roman, de songer aux Carbonari, qui semblent avoir joué un rôle important dans l'évolution de la franc-maçonnerie française et italienne. Dam Les secrets de la chevalerie, Yiûor-Emile Michelet affirmait: << Parallèlement au sacre de Reims où le Roi renouvelait le pactc conclu entre Clovis et Saint-Rémi au nom des communes autonomes des Gaules, il y avait un sacre secret où le roi devait revêtir un habillement symbolique fourni par les corporations. Quoi qu'il en soit, le Beaucéant, bien longtemps après I'abolition des Tem.' pliers, figure à ce sacre secret, arboré par les corporations qui s'intitulaient « frères charbonniers ,r. Or, parmi ces charbonnierg il était une catégorie particulière qui se nommait : les fendeurs" Selon une légende, François I"', chassant en forêt, serait tombé sur
seuse de corde,
(o') En argot,
il
est curieux de constater que chêne signifie homme, tout
simplement. (s) Selon Laurence Talbot, ce terme serait à I'origine de derviche.
,ULE,S VERNE ET
LA
RO§E+CX,OD(
153
I'une de leurs cérémonies initiatiques. Il aurait été reçu parmi eux, mais ayant voulu s'asseoir à la place du Maître, celui-ci s'y serait opposé en disant « Charbonnier est maître chez soi. » Cette légende une fois de plus relie la Charbonnerie à la royauté, mais à une royauté secrète gouvernant dans I'ombre. Au xvnf siècle, le chevalier de Beauchesne (un nom prédestiné) lança à Paris l'Ordre des Fendeurs où les traditions sylvestres étaient plus ou moins adultérées par l'érotisme propre à cette époque, mais le fonds des cérémonies restait authentique. Elles prenaient souvent une allure de << grande bouffe », mais cette kermesse servait à masquer une loge maçonnique réelle : << la constance »», fondée par Beauchesne sous les auspices de Charles Edouard Stuart. Voilà une famille qui ne nous est pas inconnue.
Gustave Bed écrit
:
<<
Les loges du chevalier de
Beauchesne
semblent avoir fait partie du régime des Empereurs d'Orient et d'Occident. » Pour Grasset d'Orcet, les fendeurs se sont introduits en Italie sous le nom de Carbonari dès l'époque de François Ie'. En Angleterre, ils formaient une corporation : les forsters, traduction anglaise du nom des druides. Ils se seraient maintenus depuis les temps les plus anciens et auraient traversé tout le Moyen Age en
préservant leurs traditions dans les forêts du Morvan et du Roussillon (ae). Entre eux, ils se nommaient Cousin Duchêne. Grasset d'Orcet nous signale qu'ils avaient conservé des dénominations rappelant plus ou moins les deux grandes divisions de I'ordre druidique : les Bardaches et les Sarons, et il indique fort curieusement un lien entre les Druides et les rois chevelus mérovingiens. Pour lui, les fendeurs, qu'il nomme aussi Ménestrels du Morvan, sont à la base de toutes les maçonneries modernes. Ils s'opposèrent souvent, dit-il, aux « Ménestrels de Murcie », plus attachés aux traditions des Wisigoths (s0;. Les frères du chêne ou fendeurs existaient encore au xvme siècle en France, mais surtout sous la forme d'un << grade aristocratique et littéraire qui ne se conférait qu'aux maîtres ». Les fendeurs étaient des spécialistes des grimoires dans lesquels ils utilisaient souvent des noms d'arbres, et
(4e) C'est dans les branches d'un chêue sacré, nous dit la légende, que le premier », les lois d'amour. " leys d'amor ($) Ces deux tendances recouvriraient très exactement celles des Guelfes et des
troubadour trouva les Gibelins.
154
JULEs VERNE ET LA RosE+cRoD(
l'un de leurs principaux signes de reconnaissance était « l'agneau tenant une bannière >>. Grasset d'Orcet ajoute : I'un des noms qu'ils prenaient était celui des « Loups » ou << Lupins ». Cela ne pourrait-il expliquer le choix du nom de son héros principal par Maurice Leblanc fl) ? ARSENE LUPIN ne serait-il pas le Roi des Fendeurs, le Roi du Chêne, celui qui règne dans I'ombre et, si j'osais, je dirais : Arsène à Ren(n)es. Toujours est-il que leur- puissance était grande et au xxc siècle même, leur ordre de façade, si je puis dire, celui des Carbonari, ne comptait pas moins de 12000 membres à Paris. Il semble qu'ils aient eu certains liens avec le bolcheüsme. Ces hommes qui affirmaient que leur Ordre était né en Ecosse (52) fondèrent une « vente » ou loge dans la région de Montségur : << Les Compagnons du Sabarthez. » Celui qui les dirigeait, Adolphe Garrigou, passa sa vie à rechercher les traces des Cathares dans tous les pays et plus particulièrement dans les grottes ariégeoises. Le flambeau fut ensuite repris (quelle coïncidence) ! par Antonin Gadal, qui appartenait à l'ordre des Rose*Croix de Holland" ("). C'est lui qui inspira l'Allemand Otto Rahn, auteur de La Croisadc contre le Graal et de La cour de Lucifer. Pierre Neuville, quant à lui, se demande (to) r Peut-on suggé" rer que le vieux chêne, les Forestiers, la Forêt sont une résurgence des authentiques RosetCroix, de ceux qui eurent tant d'influence sur les événements politiques, du xvn" au début du xx'? » Poser cette question, c'est y répondre. Robur est là pour nous démontrer ce lien, car il correspond à la fois à l'enseignement rosicrucien et
aux mythes des Forestiers ou Fendeurs, mythes auxquels sc rattache Robin des Bois (s5). (51) Ajoutons que I'un des personnages de Dorothée, dansense de corde * nomme Saint-Quentin, ce qui pour les fendeurs a le sens de la quinte-essence dod parle Rabelais. (t') On peut se demander s'it ne faut pas voir un lien entre les Carbonari et lcr Indes Noires. (53) Les Rose*Croix de Hollande ont d'ailleurs érigé à Ussat, face à la grottc cathédrale de Lombrives, un fort curieux monument : le centre rosicrucien Galaad. (3) Pierre Neuville, Les dessous ténébreux de l'histoire (Albin Michel). (55) Dans son ouvrage essentiel, La Déesse Blanche, Robert Graves a montré qræ Robur le rouvre était lié dans le calendrier à la période dc Noël, tout commc Robin : « C'est en effet à ce moment de I'année, d'après le folklore britannique, quc le rouge-gorge (robin en anglais), en qualité d'esprit de la Nouvelle-Année, sort armé d'une tige de bouleau pour tuer son prédécesseur, le roitelet à cimier doré, I'esprit de la vieille Année, et le trouve caché dans un buisson de lierre. »
JULES VERNE ET LA
ROSE+CROD(
155
S'il nous manquait des preuves, nous les trouverions dans deux romans de George Sand : Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt,
où I'on voit une partie de l'histoire tourner autour de la pierre d'épouvante et du grand chêne de Schreckenstein, près du château des géants, au-dessus d'un monde souterrain dont l'accès est une citerne. Pour Albert de Rudolstadt, ce chêne est un véritable <( arbre généalogique sur lequel notre histoire glorieuse et sombre a été tracê,e en caractères de sang ». Cet arbre est lié à Jean Ziska du Calice, chef des Taborites, et il est surnommé le Hussite. Taborites et Hussites étaient, ne I'oublions pas, deux sectes très proches des Cathares. D'ailleurs, le nom même de Consuelo signifie C.onsolation : le consolamentum. Elle, la Dame pure, la .. Repanse de Joye », I'Esclarmonde, ne cesse d'enseiguer un Amour qui respire le catharisme : << Consolation ! s'écria la perspicace Amélie. S'est-il servi de ce mot ? Vous savez, ma tante, combien il est significatif dans la bouche de mon cousin. » Comment s'étonner que ces deux romans mettent en scène le Comte de Saint-Germain et la Rose* Croix : la secte des Invisibles. Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces ouvrages, mais nous ne pouvons que conseiller à nos lecteurs de les lire : ils sont à la fois fort beaux et si riches d'enseignement. Nous terminerons en disant un mot de Jeanne de George Sand, dans le prologue duquel I'auteur écrit cette phrase : « Les chênes prophétiques ont à jamais disparu de notre contrée, et les druidesses n'y trouveraient plus un rameau de gui sacré pour
parer l'autel d'Hésus.
»>
Dans ce roman, George Sand inclut
quelques passages de chansons. « Petite bergerette
A la guerre tu t'en vas... Elle porte la croix d'or, La fleur de lis au bras, Sa pareil n'y a pas, etc.
>>
Et surtout elle donne le premier vers de trois chansons
:
« Voilà six mois que c'était le printemps, etc. C'étaient trois petits /endeurs, etc. Chante rossignol, chante, etc. »
La curiosité me fit rechercher le texte de ces chansons, et je ne fus pas déçu.
156
ruLBs vERNE Er LA RosE+cnorx
De la chanson des fendeurs je ne citerai que les deux premiers vers
:
« C'étaient trois beaux /endcurs de la forêt jolie. plus jeune tenait une rose fleurie... »
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<<
-
-
Chante Rossignol chante », otr ÿ trouve
:
(...)
"Au bout d'une fontaine je me suis reposé Et I'eau était si claire gue je m'y
suis lavé.
je m' les ai essuyés. Avec une feuil' de chêne j' vois l' rossignol chanter J' regard au bout de la branche Et chant' rossignol chante ma maîtresse m'a quitté Pour un bouquet de roses que j'y ai refusé
-
(...),
-
-
Je terminerai ce chapitre en relevant une phrase de Jules Verne Le Tour du Monde en Quatre-Vingts lours, à propos du personnage de Passepartout, dont le nom, en argot, se traduit par Rossignol : .. Ce brave garçon avait, maintenant, à l'égard de son
dans
maître, la foi du charbonnier. ,,
Il JULES VERNE ET LES SECRET§ D'ARSÈNE LTJPIN
La Comtesse de Cagliostro et le mystère de Rennes-le-Chôteau. Nous venons de voir que Jules Verne a sans doute fait partie d'une société rosicrucienne et que ses écrits trouvent d'étranges échos chez Gaston Leroux et Maurice Leblanc. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Bien sûr, il n'est pas question d'analyser ici l'ensemble de l'æuvre de Maurice Leblanc en détail (ce sera peut-être I'objet d'un prochain ouvrage), mais quelques incursions dans la geste lupinesque ne seront sans doute pas dénuées d'intérêt. Intéressons-nous tout d'abord à l'une des plus connues des aventures du célèbre gentleman-cambrioleur : La comtesse de Cagliostro. Tout commence près de Bénouville, en pays de Caux. Là, Arsène Lupin surprend un groupe d'hommes en train de juger une femme à la beauté ensorcelante (1). lt ne peut se décider à la laisser condamner à mort. Il la sauvera et s'ensuivront d'étranges aventures où Lupin découvrira à la fois l'amour et la cruauté avec la belle Joséphine Balsamo, descendante du comte de Cagliostro (2). (t) Cette lutte rappelle fort celle qui opposa Rose+Croix et Jésuites, I'un des nobles accusateurs de La Comtesse occlrpant d'ailleurs un poste important dans la Compagnie de Jésus, et il compte bien transmettre à celle-ci le fabuleux trésor que protège le chandelier à sept branches. (2) Noter que le Comte de Cagliostro fut en rapport avec la Rose*Croix (voir les ouvrages du Dr Marc Haven). Quant à Joséphine Balsamo, elle nous est décrite la chevelure à moitié défaite tombant en masse éparse retenue par un peigne d'or, tandis que deux bandeaux aux reflets fauves se divisaient également au-dessus du front, un peu ondulés sur les
tempes. A croire qu'il prit son modèle chez Marie-Madeleine sur un ütrail de l'église de RennesJe-Château. Elle rappelle, nous dit Maurice Iæblanc, « ces femmes de Vinci ou plutôt de Bernardino Luini ». Amusant clin d'cil qui en dit long
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JULEs VERNE
Er LEs sEcRETs D'ARsÈNE
LUpIN
Mais surtout, ce roman va être I'occasion de résoudre une énigme dont Maurice Leblanc fait dire à Cagliostro que celui qui en trouverait la clé serait « Roi des Rois ». Faut-il rapporter cela au signe que la belle comtesse porte au bas de l'épaule comme le Roi Mérovingien ? Ce roman possède bien str une clé. Maurice Leblanc nous la fournit presque dès le départ et un lecteur tant soit peu averti n'aura guère de peine à la découvrir. Où les choses se corsent, c'est lorsque I'on s'aperçoit qu'il s'agit de retrouver le « Chandelier à 7 branches ». Comment ne pas pensèr une fois de plus à Rennes-le-Château ? Lupin le trouvera, branche par branche, et il découvrira la première enveloppée dans des toiles d'araignées. Arsène Lupin va ainsi découvrir le secret des sept abbayes du Pays de Caux dont I'implantation est la projection sur le sol de la constellation de la Grande Ourse. Ces abbayes ont nom Fécamp (sur la porte de la crypte de laquelle on pouvait voir la signature de Ia Rose+Croix et qui possède son graal : une relique du précieux sang apportée miraculeusement par un arbre flottant qui n'est pas sans rapport avec la nef de Salomon), Montivilliers, Valmont, Cruchet le Valasse, Saint-Wandrille (3), Jumièges, Saint-Georges de Boscherville. Le lieu même du trésor, Arsène Lupin le trouvera en cherchant la projection d'une étoile dont le nom est obtenu en prenant la première lettre de chacun des mots gravés au fond d'un mystérieux coffret : « Ad Lapidem Cunebat Olim Regina » qui donne le mot Alcor. Or, il existerait à Rennes-les-Bains, dans la colline du Serbairou une pierre portaDt I'inscription :
<^!=
A
LAPID EMCUR REBAT
OLIMR EGINA sur la façon d'écrire de Maurice læblanc puisque le surnom qui était donné Bernardino Luini était celui de * Lupino ,. (3) Saint-Wandrille fut Comtc du Palais de Dagobert.
à
JULEs vERNB ET LEs sEcRETs D'msÈNB
utrmr
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Cette information doit tout de même être prise au conditionnel. D'une part elle provient d'un ouvrage de J. L. Chaumeil dont la caractéristique principale n'est pas le sérieux; d'autre part, même si cette pierre existe, encore faudrait-il en dater Ia grawre. Selon J. L. Chaumeil, le premier relevé de cette pierre aurait été fait par Ie Père Vannier, prêtre de la mission de Rennes-les-Bains en 78ÿ2. J. L. Chaumeil tiendrait son information de Philippe de Cherisey. Cette phrase signifie : « Vers la pierre jadis courait la Reine. , Dans le roman de Maurice Leblanc elle serait « la pierre d'Agnès Sorel >, (') oo << dolmen de la Reine » au Mesnil-sous-Jumièges. Francis Lacassin a bien raison de parler à propos d'Arsène Lupin de « I'art de cambrioler I'Histoire de France » (s). il écrit (6) : << Beaucoup de ses interventions se situent dans une dimension historique : le déménagement du château de Thibermesnil, le chandelier à sept branches dans La Comtesse de Cagliostro, le secret de L'aiguille Creuse, I'or de la France dans Ze Triangle d'Or, Ia récupération de I'Alsace-Lorraine dans 8/3; les vestiges de la civilisation romaine dans la Demoiselle aux yeux verts (...). »
Arsène Lupin, I'hornme aux clés d'or.
Et ce roman n'est pas le seul à être lié aux trésors fabuleux. Dans La Cagliostro se venge, ne lit-on pas : << Un peu partout à travers la France et dans des cachettes sûres, lits de rivières, cavernes inconnues, trous de falaises inaccessibles, il possédait des lingots d'or et des sacs de pierres précieuses. » On ne peut pas ne pas évoquer ..< La Barre y va » et la rivière Aurelle qui charrie de la poudre d'or provenant de la Butte aux Romains. Comment ne pas songei une fois de plus à Rennes-leChâteau où le ruisseau de Couleurs, après des périodes de hautes eaux, a fait de même, au point que l'on a retrouvé des paillettes d'or dans le corps de canards qui s'y abreuvaient ? Hasard ? Bien str, mais alors hasard aussi le nom des personnages : Pierre de Basmes (la baume est une grotte), la mère Vauchel qui disant chaule pour saule nous amène à la nommer Vaussel ou vallée du (1) Sorel = or - sel. (5) Rewe Europe. (6) Francis Lacassin, Mytholo§e du Roman Policier.
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sEcRETS D'ARsÈNE LUpIN
sel. Hasard, le lieu dit « le chêne à la cuve >», un hasard « le becsalé », c'est-à-dire la riüère salée, un hasard ce tumulus utilisé comme un coffre (arca). Hasard, hasard, toujours hasard ! Hasard encore dans Arsène Lupin, gentleman cambrioleur I'aventure intitulée « Herlock Sholmes arrive trop tard », qui nous livre le secret du château de THIBERMESNIL dont deux Rois de France ont eu la clé. Cette énigme s'exprime par une phrase : << La hache tournoie dans l'air qui frémit, mais l'aile s'ouvre, et I'on va jusqu'à Dieu. »
Elle signifie qu'il faut s'intéresser aux lettres apparaissant en relief sur une cheminée : Tourner le H vers la droite d'un quart de cercle (la hache tournoie), remuer plusieurs fois le R (l'air qui frémit) et ouvrir le L comme un guichet (l'aile s'ouvre), pour découvrir I'entrée d'un souterrain menant à une chapelle (aller jusqu'à Dieu). Songeons alors à cette phrase du Robur de Jules Verne : << Iæ docteur Marey n'a-t-il pas soupçonné que les pennes (ou pènes) s'entr'ouvrent pendant le relèvement de I'aile (L) pour laisser passer l'air (R)... (7). Curieux tout de même ce Lupin se " lançant dans un voyage vers le Pôle Sud, explorant le Tibet. Si la plupart des aventures importantes d'Arsène Lupin se passent dans le triangle Le Havre Dieppe, ce n'est sans doute pas Rouen par hasard. Bien sûr,- Maurice -læblanc, né à Rouen, connaissait parfaitement la région et, au début des années 20, il acheta même une propriété à Etretat qu'il baptisa Le clos Lupin. Mais le choix de cette région n'est sans doute pas lié à la seule connaissance du terrain. Nombre de lieux témoignent de la même toponymie que dans le Razès. Faut-il songer à Arques et à la Varenne ? Lieu d'énigmes historiques également, où les trésors abondent : un rituel du xI" siècle, conservé à la bibliothèque de Rouen (Rinale ecclesiasticurn et monasticum ad tuum êcclesiae gemmeticensrs, n" 93 des manuscrits de la Bibliothèque de Rouen), à l'usage des moines de Jumièges, comportait une oraison concer(7) Dans le cadre du rapprochement avec Robur, on peut remarquer que Lupin a tendance lui aussi à se prendre pour le Maître du Monde. Ne dit-il pas dans 8I3 .' « Le Maître... celü qui veut et qui peut,.. celui qui agit... n'y a pas de limites à ma volonté, il n'y en a pas à mon pouvoir. Je suis plus riche que le plus riche, car sa fortune m'appartient... Je suis plus fort que les plus forts car leur force est à moD service. »
I
JULES VERNE ET LEs sEcRETs D'ARsÈxB LUHtr
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nant la découverte de trésors anciens et permettait de purifier les objets façonnés par des paiens. Il faut croire que les trouvailles n'étaient pas rares. M-' de Grazia, auteur d'ouvrages à clefs liés aux templiers, a d'ailleurs cherché de tels trésors à Saint-Wandrille où elle faisait de fréquentes visites en compagnie d'un ami... Maeterlinck ! Là, des scouts découvrirent 200 pièces d'or à l'effigie de Louis XV. Lieux à trésors donc, mais aussi lieux auxquels s'intéressèrent des familles que les historiens de I'affaire de Rennes connaissent bien. Ainsi trouve-t-on parmi les abbés de Fécamp plusieurs représentants de la maison de Lorraine : le 30" Jean de Lorraine, puis Charles de [.orraine, puis l,ouis de Lorraine le 32" et le 35'
Henri de Lorraine, mais aussi le 34" abbé : François de Joyeuse, de la famille des seigneurs de Couiza. C,omment ne pas être tenté d'utiliser cette région pour rappeler Rennes-le-Château, tout comme Leblanc utilise les pseudonymes d'Arsène Lupin: Prince Rénine (Les Huit Coups de llHorloge), prince Sernine (813) ou Baron d'Enneris (Le Cabochon d'Emeraude, La Demeure mystérieuse\. Combien de fois voit-on revenir le thème du fils perdu rappelant le rejeton des Mérovingiens (le bouchon de cristal, L'Ile aux trente cercueils, L'Anneau Nuptial et bien d'autres). Clin d'æil encore le fait que Maurice Leblanc se soit inspiré pour créer le personnage d'un héros d'un roman de Raban (8) portant le nom de Victor Plantard, sorte d'anarchiste volant le « trésor national» pour la redistribuer aux prolétaires. Lupin anarchiste, « héritier des Rois de France », frôlant les secrets de l'immortalité avec la Comtesse de Cagliostro, duplique les lieux : deux aiguilles creuses, deux demeures mystérieuses, tout comme Maurice Leblanc explique Rennes-le-Château par copies (presque) conformes successives.
Où l'on retrouve Emma Calvé. Comment Maurice leblanc eut-il toutes les informations nécesfit-il partie de la même mystérieuse société que Jules Verne ? Sans doute grâce à sa sæur. Celle-ci, actrice, fut très amie avec les « Rose*Croix » : le Sâr Péladan, Elémir Bourges saires ? Comment
(8)
la
baronne
a
le bandit.
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sEcRETs D'ARsÈNE LUprN
et... Emma Calvé. Elle s'avança assez loin sur les chemins
de
l'ésotérisme, connut Gurdjieff dont elle écrivait : « Il n'est pas consolant, il est mieux. Ce qu'il apporte est dur comme Jésus, si l'on retourne à sa source. Il n'y a pas de vérité complaisante. Je pense que la première condition pour approcher Gurdjieff est d'être en pleine santé. I faut être en mesure de supporter les premiers chocs. Il y a surtout l'inconcevable torture de se sentir une terre que quelque chose commence à labourer. Tout à coup, nos forces sont employées à un travail inconnu impossible. Plus on I'entrevoit, plus on pense « Je ne pourrai pas ». Mais sont-ce bien nos forces qui sont sollicitées ? Non, nous ne
nous en étions jamais servis, nous les ignorions. Ce sont des énergies réveillées par une nécessité nouvelle vers un but nouveau » (e). Uais elle vécut également la plus grande part du temps avec Maurice Maeterlinck qui portait au symbolisme et à l'enseignement ésotérique un très grand intérêt. Dans Le Trésor des Humbles, il consacra d'ailleurs un passage à Louis-Claude de SaintMartin et un autre à Cagliostro qu'il défendait. Il fut aussi l'auteur du livret de Pelléos et Mélisande, seul opéra de Debussy (1). Debussy, quelle étrange coihcidence ! Debussy chez lequel eut sans doute lieu la rencontre entre la cantatrice Emma Calvé et Bérenger
Saunière... Debussy qui allait permettre à Emma Calvé de triompher dans Pelléas et Mélisande. Alors, comment s'étonner que I'euvre de Maurice Leblanc soit pour partie tournée vers la plus grande énigme de l'histoire de notre pays, liée au mystère de Rennes-le-Château ? Comment s'étonner de trouver le mystère du sang royal évoqué dans L'Ile aux Trente Cercueils, cette île de Sarek (") qui enferme en son sein la dalle des Rois de Bohême : énigme bien connue de George Sand ? Comment s'étonner de voir évoquer dans Le Trtangle d'Or des lieux ayant leurs correspondants à Rennes, alors même que le nom
(e) Georgette Leblanc, La Machine à Courage (Ed. J. B. Janin). (1o) Debussy entreprit un autre opéra à partir d'un texte dc Maeterlinck :
Ia
il ne I'acheva jamais. Il en commença égalcment un d'après I'cuvre rosicrucienne de Villiers de I'Isle-Adam, Axel, et un projet avec Toulet
princesse Maleine, mais
concernant I'extraordinaire Comme
il
vous
plaira de Shakespeare.
Sarek, nous dit-on, vient du mot sarcophage; je serais tenté de dire : tout comme Arques üent du coffre. Dans cette histoire, l'un des personnages de sang royal se nomme Raynold : la vieille Rennes, la Rennes de I'Aude.
(rr)
ruLES VERNE
EÎ
LES SECRETS D,ARSÈNE
LUPIN
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d'un des principaux personnages de cette aventure nous donne par transformation I'indication suivante : BS - RAZES. Pas étonnant non plus que L'éclat d'obus soit en fait lié à l'histoire de Stenay (") et de I'abbaye d'Orval, à la frontière belge, en rapport une fois de plus avec l'affaire de Rennes et le Grand Monarque. Il faudrait signaler encore quelques autres romans dont l'un nous rappelle qu'aux temps préhistoriques, I'emplacement de Rennesles-Bains était recouvert par les eaux d'un lac tiède et salé (13), peuplé de coquillages dont on retrouve quelques spécimens dans la montagne des cornes. Un effondrement, s'étant produit il y a 8500 ans entre le Cardou et le Roc Noir, évacua le lac et laissa la faille dans laquelle coule la Sals. Selon Philippe de Cherisey, trois ou quatre poches subsisteraient sous le village de Rennes-les-Bains, à 1500 ou 1700 mètres de profondeur, et seraient à l'origine des sources thermales chaudes.
Le secret de I'Aiguille et le Trésor des Rois de France.
La principale ou plutôt la plus oonnue des aventures d'Arsène Lupin est L'Aiguille Crerue, qui voit le gentleman cambrioleur se rendre maître du trésor des Rois de France. La fortune de la France, c'est-à-dire sa puissance et son destin aux mains d'un homme qui se pose en quelque sorte en descendant légitime, n'estce pas une fois de plus revenir aux rejetons ardents des Méroüngiens? Nous exagérons? Non! Maurice Leblanc disait lui-même :
(") En L9t7,le Kronprinz Frédéric-Guillaumc séjouma à Stenay, au château des Tilleuls, pour des raisons qui ne sont pas sans rapport avec l'affaire qü nous occupc, et qü intéressèrent égalemeot Nostradamus, sans parler de toüs XVI. A propos de §tenay, voir Gérard de Sède, La race fabuleuse (J'ai Lu). Ajoutons qu'un trésor existe à I'abbaye d'Orval et que cellc-ci était arrosée par 8 canaux portant le nom d'un apôtre et qu'ils alimentaient 8 étangs. Notons également cn rapport avec cette affaire qu'en 1916, des soldats allemands investirent sur l'ordre du général Von Bissing, gouvemeur des territoires occupés, la collégiale de Molhain (dans les Ardennes, à quelques centaiocs de mètres de la frontière belge), interdisant à quiconque d'en approcher. lls proédèrent à des fouilles à I'intérieur durant plusicurs mois, mettant au jour une crypte du xc siècle et un passage souterrain. Ils emportèrent alors des documcnts et une pierre gravée que les gouvernements alliés réclamèrent en vain après I'armisticc. (r3) Ajoutons pour le plaisir que, jusqu'à la Révolution, la Seigneurie de Quillan appartint à la famille du chevalier de Juvis.
L«
ruLEs vERNE Er LEs sBcRETs D'ARSÈNE LUprN
Tout un côté de l'histoire de France et de la maison royale s'explique par l'Aiguille, de même que toute I'histoire de Lupin », et il ajoutait d'ailleurs : << Sans I'Aiguille Creuse, Lupin est incompréhensible », signifiant qu'il s'agissait d'une énigme à résoudre. Il disait à propos de cette aventure que « I'accouplement énigmatique de ces deux mots a défié d'innombrables ædipes ». Le secret des Rois de France et d'autres que connurent César, Rollon, Güllaume le Conquérant, ce secret qui aurait été celui du masque de fer, Arsène Lupin le découwit dans l'Aiguille Creuse d'Etretat, devenant ainsi, en quelque sorte, le suocesseur de ces Rois de France. Il semble bien que ce roman cache un mystère effectivement lié à Etretat, qui n'est pas très difficile à découvrir (14) et que connaissait bien Henri IV. Si Maurice Leblanc fixe l'attention du lecteur sur la Manneporte et son puiS aux 97 marches, sur la porte d'Aval encadrée par l'Aiguille Creuse et la chambre des Demoiselles, sur la porte d'Amont, sur Etretat lieu où EsT le TREsor d'ETAT ou le secrET d'ETAT, ce secret concernant le lieu où est caché un trésor considérable possédé par les Rois et qui s'accroissait de siècle en siècle, c'est sans doute à la fois pour nous alerter et pour fixer définitivement I'attention de celui qui se laisse fasciner par I'or. Ce dernier ne pourra sortir du périmètre qui lui est fixé. Il ne pensera pas à s'enquérir de la présence de Saint-Clair en ces lieux alon que la famille qui porte ce nom est liée de très près à la succession mérovingienne et que la devise de Saint-Clair est perceptible au sage, mettant I'accent sur l'eau de la fontaine qui ouwe les yeux de I'adepte. Celui qui sera fasciné par l'or oubliera également de s'enquérir d'une autre « aiguille »>, toute proche, celle de Belval (nom d'un héros intervenant dans deux romans importants de Maurice Leblanc). Et pourtant, il apprendrait alon que celle-ci voisine avec << le banc Sainte-Anne » où naufragea en L766 le Marquis de Créqui. C,ela ne vous dit rien ? Ne s'en tenant pas là, le Sage cherchera pourquoi un personnage se nomme Isidore Beautrelet, un autre Daval, pourquoi Raymond de SaintVéran nous rappelle le Rex-Mundi ou Roi du Monde. Il découvrira peut-être également qu'une aiguille ne désigne pas seulement un rocher pointu mais aussi un canal creusé servant à remplir et vider les marais salants, autrement dit un lieu par lequel l'eau salée «
('n) Cf. I'ouvrage de Valère
Catogan.
JULES VERNE ET LES SECRETS D,ARSÈNE
LUPIN
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coule (r5). C'est le moment de se souvenir que la région d'Arques, proche d'Etretat, est un pays de salines ('u). p" quoi retourner à Rennes-le-Château. Et si le chercheur est encore un peu plus curieux, il apprendra que le démon Asmodée fut un jour immobi lisé et fixé par Sainte-Enimie, s@ur de Dagobert, par un bloc haut de 80 mètres : l'Aiguille. Poursuivant cette enquête, il apprendra que ledit Asmodée, présent dans l'imagerie de Rennes-le-Château, imagina le premier de forger le fer et l'airain, qu'il faillit détrôner le Roi Salomon auquel il aurait offert un manuscrit source du mystérieux Necronomicon cher à H. P. f.ovecraft, qu'il tua les 7 précédents maris de la femme de Tobie, qu'homologue de Seth,
meurtrier d'Osiris, il fut chassé par la magie du poisson de l'immortalité, dut finalement aider le Roi Salomon à construire le Temple de Jérusalem, sans employer ni marteau, ni hache, ni aucun instrument de métal et faisant seulement usage d'une certaine pierre qui coupait les autres pierres comme le diamant coupe le verre.
Le chercheur s'apercevra sans doute également que le
secret
d'Etretat est lié au problème de l'énergie qui anime le monde et la
vie, qu'il est lié à l'alchimie et qu'il n'est pas indifférent à la recherche de I'immortalité, tout en faisant courir à celui qui s'y attaque un danger mortel.
Maître Antifer et le trésor d'Arsène Lupin.
Mais laissons Maurice Leblanc et revenons à Jules Verne sans quitter Etretat. Jules Verne a écrit un roman nommé Les Mirifiques Aventures de Maître Antifer, dans lequel Maître Antifer parcourt la terre à la recherche d'un trésor. Son père a reçu, en remerciement d'un service rendu, une indication concernant la latitude de l'îlot où fut enfoui le magot, la longitude devant être communiquée ultérieurement par un autre personnage. Mais le premier lieu qui sera ainsi découvert ne fournira qu'un document indiquant la longitude d'un deuxième llot, obligeant à chercher
xx'
(tt) En argot, au siècle, aiguille signifiait également « clé ». Quant à « I'aiguille du berger », c'est une plante médicinale nommée également le « peigne de Vénus ». Ce terme peut parfois signaler dans la toponymie un tumulus. (16) La plus importante se trouvant dans les communes d'Arques et de Bouteiller.
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JULEs VERNE Ef, LEs sEcRETs D'ansÈxe ruprN
la latitude. Nouvelle déception, l'îlot 2 ne livrera qu'une longitude désignant un 3e llot dont la latitude sera découverte en Ecosse. Mais, là, au 3'îlot, la quête s'achèvera par la découverte d'un nouveau document à peu près auprès d'un nouvel intervenant
effacé ne permettant pas de découvrir le lieu exact du trésor mais contenant les mots << ... la loi géométrique... pôIe... ». Cependant
le dernier îlot finira par être découvert, trop tard : l'île Julia s'est enfoncée dans les flots. Nouveau trésor donc, mais lié au capitaine Antifer. Or le Cap Antifer se trouve au sud-ouest d'Etretat (17). Hasard? Non! Pas plus que le fait que le voyage suive un schéma (18; bien connu des spécialistes de Rennesle-Château :
En fait, nous dit Daniel Compère, le centre du récit, le lieu où I'on reüent toujours dans cette histoire, c'est Saint-Malo. D'ailleurs le narrateur précise qu'autrefois Saint-Malo était une lle. Pour lui, c'est l'île au trésor véritable, celle où Juhel épouse Enogate qu'il aime ("). N" faut-il pas voir en son nom : Enogate, la grille du monde souterrain, grille (gate en anglais) qu'Enée ouvre pour parvenir au monde infernal ? Pourquoi Saint-Malo ? Il n'y a pas de hasard chez Jules Verne et I'auteur nous donne une précieuse indication. En effet, le nom du capitaine Antifer est en fait Pierre-Servan-Malo. A ce prolDs, Jules Verne n'hésite pas à parler de << nom significatif ». Il ne nous reste qu'à nous rendre à Saint-Malo, ou plus exactement tout à côté, à Saint-Servan-surMer, pour y trouver un parc des Corbières et une corniche d'Aleth propres à nous ramener dans le Razès, sans oublier que le fort fut bâti en L759 par ordre du duc d'Aiguillon. Comment s'étonner alors de voir le capitaine Antifer et son ami Gildas Tregomain, « fils de Veuve », présentés comme un doux marin d'eau douce et le plus salé des marins d'eau salée. Il faudrait parler aussi des quais du Sillon-Sion, des conseils donnés de descendre le long du méridien de Paris, du capitaine Cip désignant un PIC, d'une histoire de trésor ayant << la mine par trop (r7) Le chapitre 14 de L'Aiguille Creuse dêbute en we du phare d'Antifer. (t") Cf. Daniel Compère, Approche de l'ile chez lules Verne (tættres Modernes. Minard). (1e) Enogat fut le nom d'un des premiers évêques de Saint-Servan.
JULEs vERNE ET LEs sEcRETs o'ansÈNp
fantasmagorigü€
Luplx
», lié à une tombe, à un rocher << coffre
767
de
pierre ». Il faudrait évoquer un personnage de haute mine >, n'étant sans doute pas de basse extraction puisque l'on peut voir sa « noble origine )>, sans doute mérovingienne si I'on en croit sa chevelure abondante et les << fleurs à haute lisse » du tapis. Le Capitaine Antifer a bien raison de rêver en sa maison de la rue des Hautes-Salles au trésor de Kamylk-Pacha contenu dans trois barils cerclés et noyés sous 100 mètres d'eau, alors que Gildas Tregomain guette << cette grosse boule dorée, hissée au mât de I'Observatoire, et dont la chute indique le moment précis où le soleil franchit le méridien de la capitale ». Et ceci est bien loin d'épuiser les liens existant entre Jules Verne et Maurice Leblanc. D'ailleurs Arsène Lupin n'a sans doute pas fini de nous en apprendre. <<
Itr JULF§ VERI\E ET LA GOLDEN DAWI\
Les frères de l'Aube Dorée.
Mon enquête m'ayant convaincu de la parenté existant entre les écrits de Jules Verne et ceux de la Rose+Croix, il me restait à découvrir s'il n'avait pas entretenu des rapports priülégiés avec une obédience particulière. Une fois de plus, ce fut à son Guvre que je m'adressai. Bien str, il était possible de tourner ses regards vers Stanislas de Guaita ou Péladan, mais j'étais persuadé qu'il fallait viser bien plus haut, <( au plus haut même ,r. Or, à cette époque, l'élite du mouvement rosicrucien est représentée par la Golden Dawn. Cette société est issue de la « Societas Rosicruciana in Anglia » (SRIA), fondée à l-ondres en 1865 par Robert Wentworth Little; elle comptait L44 membres. Divisée en « cercles », la société rosicrucienne comportait neuf grades calqués sur ceux de la Rose*Croix d'Or allemande du début du xvru" siècle. Pour pouvoir y accéder il fallait au minimum avoir déjà atteint le grade de Maître dans la Franc-Maçonnerie. Aux côtés de R.-W. Little qui en était le Mage-Directeur, on trouve un diplomate : Edward Bulwer-Lytton (1803-1873), dont nous aurons à reparler. Après la mort de Wentworth Little, la direction de la SRIA fut confiée à un triumvirat composé de : rililliam R. Woodman, W. Wynn Westcott et Samuel L. Mathers. A la suite de la découverte par un frère d'un document cryptographié, les dirigeants de la SRIA purent entrer en relation avec une mystérieuse adepte résidant à Berlin : Anna Sprengel. A Ia suite de ces contacts, les dirigeants de la SRIA furent autorisés à fonder une branche anglaise de la mystérieuse
ruLES VBRNE B1 LA GOLDEN
DAWN
169
société à laquelle appartenait Anna Sprengel. Ainsi naquit « The
Hermetic Brotherhood of the Golden Dawn in Outer » ou Ordre hermétique de l'Aube Dorée à I'Extérieur (notons que Brotherwood signifie littéralement « frères de la forêt "). La MèreLoge demeurait située en Allemagne et se nommait << Lichte, Liebe, Leben » (Lumière, Vie, Amour). Six autres loges furent fondées : en Hollande (Hermanubis), en Angleterre (Isis Urania à
I-ondres, Hermès à Bristol, Amon-Râ à Edimbourg, Horus à Bradford), en France (Ahator à Paris, avenue Mozart ()1. I-a Golden Dawn s'organisait autour de 11. grades initiatiques et, selon Samuel Lidell Mathers, elle s'était placée sous la protection et la direction occulte de « Supérieurs Inconnus », et enseignait la pansophie (connaissance universelle) chère aux loges allemandes.
La Golden Dawn se déclarait également seule au monde à connaître le secret de la langue énochienne, mystérieuse s'il en est, dotée de pouvoirs magiques pour celui qui la connaissait et en maîtrisait la prononciation : ainsi la phrase : << Vaorsay goho iad balt, Iansh calz von pho. Sobra z-ol ror I ya nazps » permettait de devenir inüsible. Ne dirait-on pas du l.ovecraft ? Quant aux fameux Supérieurs Inconnus, Mathers dit ne les avoir nts que rarement dans leurs corps physiques. << Pour ma part, disait-il, je crois que ce sont des êtres humains vivant sur cette terre, mais qui possèdent des pouvoirs terribles. Mes rapports physiques avec eux m'ont montré combien il est difficile à un mortel, si avancé soit-il, de supporter leur présence. Je ne vetur pas dire que dans ces rares cas de rencontre avec eux l'effet produit sur moi était celui de la dépression physique intense qui suit la perte du magnétisme. Au contraire, je me sentais en contact avec une force si terrible que je ne puis que la comparer à l'effet ressenti par quelqu'un qui a été près d'un éclair pendant un violent orage, accompagné d'une grande difficulté de respiration. La prostration nerveuse dont j'ai parlé s'accompagnait de sueurs froides et de pertes de sang par le nez,la bouche et parfois les oreilles. »
(r) Coiincidence de plus, elle compta parmi ses membres Jules Bois, journaliste dont nous avons déjà parlé ct dont nous rappelons qu'il fut I'amant d'Emma Calvé. Notoos qu'il s'intéressa de près au vampirisme. Coiincidence encore, la mystérieusc Anna Sprengel aurait été comtesse de Landsfeld et fille naturelle du Roi Louis I"'de Bavière, ce qui est cependant contesté. Quaot à Mathers, il disait descendre du Roi Jacques
IV
d'Ecosse.
170 rur,Es vERNE ET LA coLDEN DAtvN Il est remarquable que les membres de la Golden-Dawn
aient
tous été d'un niveau intellectuel fort élevé: grands écrivains, physiciens, mathématiciens, experts militaires, médecins; citons Florence Farr (amie de Bernard Shaw), Arthur Machen ('), So Rohmer, W. B. Yeats (3), Talbot Mundy, Algernon Blackwood, l'astronome Peck, l'ingénieur Allan Bennet et Sir Gerard Kelly (président de la Royal Academy), Aleister Crowley (a).
Dracula ou la voie du sang.
L'un des personnages les plus étonnants de la Golden Dawn fut sans doute Bram Stoker. Né en novembre L847 à Dublin, cet Irlandais s'établit en Angleterre où il mourut (à Londres, en avril 1912) après une maladie qui dura six ans. Il fut I'auteur d'un roman qui devait connaître une fortune particulière en ce qui concerne ses adaptations cinématographiques : Dracula. Connaissant I'appartenance de Stoker à la Golden Dawn, on peut se demander si Dracula ne contient pas des passages révélateurs de l'enseignement ou des rituels de I'Ordre de I'Aube Dorée e). Ce qui est certain, c'est que Stoker, comme les autres membres de la Golden Dawn, étudia le << manuscrit d'Abramelin le Mage >», mais peut-être postérieurement seulement à l'écriture de Dracula.Il obtint en tout cas de précieux renseignements du professeur Arminius Vambery de l'université de Budapest, qui séjourna à l-ondres en 1890 et lui fournit de nombreux éléments concernant les Carpathes et la trame historique qui servit au roman. Ce que la plupart des gens connaissent de Dracula est déformé par différentes versions cinématographiques qui sont souvent des caricatures du roman de Stoker. Cette histoire est celle du Comte (2) Auteur entre autres dt Grand Dieu Pan. Après ta traduction de cc roman en français par P. J. Toulet, Maeterlinck écriüt à ce dernier : « Tous mes remercicments pour la révélation de cette cuvre belle et singulière. » (3) Futur prix Nobel. (a) Il semble que Crowley, personnage qui a fait couler beaucoup d'encre, ait été initié en 1900 au Mexique à certains rituels d'un culte du sang au sein d'un ordre qui portait le nom dc « Lampe de la Lumière Invisible ». Cet ordre possédait, selon Crowley, une méthode pour devenir inüsible très proche de celle de tililhelm Storitz de Jules Verne. (5) Bram Stoker entra à la Golden Dawn en 1890 et c'est c€tte année même qu'il
écivit Dracula.
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Dracula, devenu vampire pour être immortel. Cette quête de I'immortalité revêt une forme noire, ou plutôt rouge puisqu'elle s'acquiert en suçant le sang d'innocentes victimes. Ce pouvoir sur le temps est un peu l'inverse d'une autre forme d'immortalité, celle
des Rose*Croix comme le Comte de Saint-Germain, qui, fait remarquable, étalt comme Dracula originaire de Transylvanie (6). Il ne faudrait pas croire que le personnage du Comte Dracula est sorti purement et simplement de l'imagination de Bram Stoker. Il appartenait à une race antique et §toker met ces paroles dans sa bouche : << Nous, les Szeklers, nous avons le droit d'être fiers car, dans nos veines, coule le sang de maintes races courageuses qui se sont battues comme des lions pour s'assurer la suprématie. Ici, dans ce tourbillon de races européennes, les tribus engriennes ont apporté, de leur Islande natale, l'esprit belliqueux que leur avaient versé Thor et Odin et que les Berserks manifestaient dans leurs incursions sur les rivages d'Europe (voire même d'Asie ou d'Afrique) à un point tel que les peuples üctimes juraient avoir été assaillis par des loups furieux. Ici aussi, quand ils sont arrivés, ils rencontrèrent les Huns, dont la frénésie guerrière avait ravagé la souvenez-vous combien les terre comme une flamme vivante juraient veines que, dans les de leurs envahisseurs, peuples vaincus coulait le sang des sorcières qui, chassées de Scythie, avaient .copulé avec les démons et les déserts. Fous ! Pauwes Fous ! Quel diable, quelle sorcière surpassa un jour Attila, dont le sang coule encore dans les veines que voici (ce disant, il tendit les bras en avant). Est-ce alors sujet d'étonnement que nous soyons une raoe conquérante ? Est-ce sujet d'étonnement que nous ayons toujours les Magyars, les Lombards, les pu repousser l'envahisseur qui tentèrent, par milliers, de les Turcs, Avares, les Bulgares, forcer nos frontières. Qui s'étonnera encore qu'Arpad et ses légions envahissant la chère Hongrie nous trouvèrent devant eux, au moment où ils atteignaient la frontière ? Qui s'étonnera de savoir qu'à cet endroit aussi furent défaits les Honfoglalas ? Et
(6) Le Comte de Saint-Germain aurait vu le jour cn 1696, il aurait été le fils aîné II Rackoczi, descendant des souverains de Transylvanie, qui avait épousé, le 26 septembre 1694, la princesse Charlotte-Amélie de Hesse-Rheinfels. De plus, un rapport constant existe entre la Rose+Croix et la Transylvanie et Jacques Duchaussoy voit même dans Jean Corvin, voïvode de Transylvanie (1388-
de François
1456), un précurseur de la Rose+Croix.
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lorsque les Hongrois s'avancèrent vers I'Est, les Magyars victorieux s'allièrent avec les Szeklers, et ce fut à nous gue, pour des siècles, fut confiée la garde de la frontière turque. » Tels sont les Dracula, « de sang royal », appelés à « créer une race nouvelle, toujours de plus en plus étendue, de demidémons qui domineraient le genre humain ». Quittons le roman et préoccupons-nous du modèle historique. Il reste un portrait de lui que l'on peut voir au château d'Ambras, dans le Tyrol. Il s'agit de Mad III, voïvode de Valachie entre 1448 et L476, dit Vlad Tepes (c'est-à-dire Mad I'Empaleur) ou encore Dracula (fils de Dracul ou fils du Dragon). Né vers 1430, ayant été otage des Turcs, il tenta en 1tt48 de prendre le pouvoir, il vécut ensuite dans I'entourage des gouverneurc de Hongrie. Remportant
une importante victoire à Belgrade, il reprit le pouvoir de 1456 à L462. C'est à cette époque qu'il reçut le surnom d'Empaleur en raison de ses méthodes quelque peu expéditives d'assurer la justice. Tombé aux mains du Roi de Hongrie, Mathias Conrin, il resta 12 ans prisonnier dans la forteresse de Visegrad près de Buda. Il en sortit en 1475 pour participer à la lutte contre les Turcs. Il fut réélu Prince de Valachie le 26 novembre lO6, mais fut assassiné par ses hommes lors d'un combat contre les Turcs, moins d'un mois plus tard, à l'âge de 45 ans. Courageux, payant de sa personne, héros de I'indépendance de son pays, tel est le premier côté de Dracula, le plus sympathique; mais il est un revers à cette médaille militaire : Vlad I'Empaleur ne volait pas son surnom. Ne lui arriva-t-il pas de faire empaler 20000 prisonniers turcs ? Il mangeait en regardant dépecer ses victimes. Modrussa, légat du pape Pie II, affirmait qu'en 1464, Vlad aurait tué 40000 personnes en un seul massacre, parmi lesquelles de nombreuses femmes et enfants. Ne lui arriva-t-il pas également d'enfoncer un pieu dans les seins d'une mère et de planter son bébé dessus ? Même si I'on fait la part de I'exagération, il ne semble pas que le comte Dracula ait été un personnage très ra§surant. Selon les archives, après sa mort, ses hommes l'étendirent sur un grand bouclier, << selon une antique coutume païenne ». A travers les brumes et les forêts, au son des tambours, ils le ramenèrent vers le château (peut-être légendaire) de Torberg. Une tradition naquit alors, faisant de lui un « Roi Perdu » et affirmant qu'il reviendrait un jour, qu'il reprendrait possession de ses biens et régnerait à jamais. En 1931, la commission roumaine des monuments histori-
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ques envoya l'historien Georges Florescu et l'archéologue Dinu Rosetti au monastère de Snagov. C'est là, en fait, que Dracula
avait été inhumé, sous une dalle sans inscription. La tombe fut découverte dans la chapelle, elle était... vide ! Dracula était-il un immortel ? En vérité, ses restes avaient été déplacés au xvrue siècle sur les ordres de l'archevêque Philarète. Certains pensaient que son cercueil avait été jeté dans un lac par les moines et que depuis ce lac était maudit. Mais la dépouille fut retrouvée tout près du porche de la chapelle. Au squelette adhéraient encore des fragments de pourpre princière. Sous la main, une cassette couvefte d'une étoffe üolette : à l'intérieur, une couronne d'or et un collier portant un... dragon. Transportés dans un musée de Bucarest, ces restes ont mystérieusement disparu.
Le Dragon et l'Immortalité Magique. Le Dragon trouvé dans la tombe de Dracula est bien intéressant, le Drac ayant donné son nom au célèbre voivode. Le père de Vlad Tepes faisait en effet partie de I'Ordre du Dragon Renversé, fondé en L418 par I'Empereur Sigismond de Hongrie (7). C'est sous la bannière de cet ordre que Mad Dracul combattit les Turcs. Il faut se souvenir que le Dragon, dans toutes les civilisations, est le gardien du sang éternel. Cette histoire rappelle tout à fait la philosophie néo-paienne de la Golden Dawn et le comte Dracula incarne une morale inhumaine, chère à Aleister Crowley, la morale d'une caste se voulant une élite, se recrutant par cooptation et poursuivant sans faiblesse ni sensibilité une quête fabuleuse par delà le bien et le mal. La fin du roman est assez significative, le héros disant : « Voilà sept ans que nous avons passé à travers les flammes. Et nous sommes quelques-uns à jouir d'un bonheur qui, pensons-nous, vaut les souffrances qu'il a coûtées. » Cela n'évoque-t-il pas les terribles épreuves que devait affronter le Rose* Croix, déchaînant les forces du Mal pour les vaincre (8) ? Ne doit-
17) Cet Empereur utilisa lui aussi le livre intitulé La Magie d'Abramelin le Mage, tentant de ressusciter la jeune fille dont il était amoureux: Barbara de Cilly, véritable égérie de I'Ordre du Dragon Renversé. L'expérience se passa dans les Carpathes et inspira le Carmilla de Shéridan [æ Fanu. (8) Ci. zanoni de Bulwer-Lytton.
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on pas songer également à ces mystérieux Supérieurs Inconnus dont parlait Mathers et qui n'avaient pas réellement un corps physique ? Jean-Paul Bourre (e) n'hésite pas à affirmer que Bram Stoker fut « un authentique adepte du vampirisme »» et il ajoute : << Son acte de décès indique : mort d'épuisement. Cela ne vous rappelle rien ? N'est-ce pas de cette manière que meurent les soidisants victimes du vampire. D'ailleurs, est-il réellement mortJ » Nous lui laisserons la responsabilité de ses dires. Il est incontestable, en tout cas, que la Golden Dawn fût liée à un culte du sang attaché au symbolisme du Dragon, le rapport entre sang et Dragon étant d'ailleurs constant. Rappelons-nous simplement le mythe de Siegfried qui, tuant le Dragon et se baignant dans son sang, acquiert l'immortalité. Sang
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Vampire
Dragon
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-
Dracula
Immortalité Mort-vivant
-
Voilà deux équations identiques liées à une magie pratique qui s'appuie en partie sx la Magie sacrée d'Abramelin le Mage ('o)
"t sur les écrits de John Dee. Mais, après tout, qu'est réellement le vampirisme ? Faut-il y voir des êtres bizarres suçant le sang d'innocentes victimes ? Il semble que cette doctrine remonte fort loin dans le temps. Les prêtres du haut-chamanisme furent les dépositaires d'une religion ayant franchi les millénaires et axant toute sa magie pratique autour du sang. On dit même que les chamans gardaient prisonniers, au fond des grottes de l'Altai, des oiseaux carnivores dont la race aurait survécu aux catastrophes des temps anciens, et ils les nourrissaient en leur offrant des proies vivantes ("). Il faut remarquer que l'on trouve un peu partout dans les anciens temps les traces d'un culte du sang et de sacrifices humains, y compris dans la Bible (cf. Abraham). On peut lire dans le Lévitique (XVII, 10, 14) : << Si un homme de la maison d'Israël ou des étrangers qui séjournent au milieu d'eux mange du sang d'une espèce quelconque, je le retrancherai du milieu de son peuple. Car l'âme de la chair est dans ()
Jean-Paul Bourre, Le culte du vampire aujourd'hui (Ed. Alain læfeuvre).
(to) Cet ouvrage découvert au xvm" siècle à la Bibliothèque de la Marciana à Venise contient des rituels censés permettre de rendre la üe à un corps mort. (") [æs tribus de l'Altai arborèrent longtemps comme totem un oiseau à la mâchoire puissante et aux ailes membraneuses du type ptérodactyle.
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le sang... Car l'âme de toute chair, c'est son sang qui est en elle. C'est pourquoi j'ai dit aux enfants d'Israël : vous ne mangerez le sang d'aucune chair; car l'âme de toute chair c'est son sang : quiconque en mangera sera retranché. » Le sang et la douleur des suppliciés étaient censés établir un lien magique avec les dieux, ou du moins avec les forces invisibles auxquelles I'homme avait accès. Il semble bien que ce culte se soit plus ou moins perpétré en Europe même, dans cette région reine du vampirisme : les Carpathes. La Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie et l'Albanie furent les quatre pays les plus concerner (") et connurent des vampires célèbres, tels le Comte Pierre Plogowitz en Hongrie ou le fils du Roi Siméon de Bulgarie. Selon des informations qui n'ont pas pu être vérifiées, il semblerait même que se soit réorganisée de nos jours, en Albanie, une véritable église occulte ayant adopté les rites du vampirisme. Mais les vampires ont parfois émigré. La tombe de I'un d'eux peut être découverte au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Près de Gilly en Belgique, au hameau de Tergnée, sous le chæur d'une chapelle, des fouilles mirent au jour cinq cercueils en bois percés de part en part d'un gros clou à l'emplacement de la poitrine. Ils appartenaient à des seigneurs de Farciennes, inhumés au milieu du xwr': le Comte Charles-Joseph de Batthyany, son épouse Anne de \Maldstein (fille du landgrave de Bohême) et leurs enfants morts en bas-âge d'un... mal de Iangueur (13;. lts étaient originaires de Transylvanie et se disaient descendants de Mad de Valachie : Dracula. Ces nobles empalés selon un rite devant leur éviter de devenir vampires ne sont pas les seuls à avoir connu ce culte. Le vampire, en fait, peut être divisé en deux espèces : vampire üvant et non-mort. Je m'explique. Le premier est un homme qui cherche à rester jeune et à vaincre la mort en cherchant dans le sang le fluide vital et « l'âme » des individus, car le sang est le véhicule de l'âme selon d'antiques croyances. François RibadeauDumas a pu relever certaines ressemblances entre le vampirisme et le rituel prôné par Cagliostro pour rajeunir. Adrien Cremene (14)
(") Eo fait, pour être juste, il faudrait ajouter à cette liste la Lorraine, Venise et Edimbourg. (") Cf. le passionnant ouwage de Paul de Saint-Hilaire, Liège et Mewe mystérieux (Editions Rossel). (11) Adrien Cremene, Mythologie du vampire en Roumanie (Ed. du Rocher).
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dit du strigoï (nom roumain du vampire) : << c'est généralement une créature à mi-chemin entre l,humain et le démon et qui participe à la double nature de I'homme et du diable. En tant qu'humain, il peut parcourir Ia terre et voler dans les airs,
chevaucher les nuages et apporter la grêle, choses interdites aux
démons, car le strigoi est né de parents baptisés. En tant que démon, il représente un anti-monde, un univers contraire à celui de la vie, où les sentiments sont transformés en leur contraire et où la beauté devient monstruosité. Ainsi, le strigoi tentera tout d,abord de tuer les membres de sa famille, ses parents et ses enfants, car c:e sont ceux qu'il aimait Ie plus de son vivant (rr). Outre le vampire humain, il y a I'autre, le" << non-mort >) ou << mort-vivant » qui, à la suite de sa mort, voit son corps perdurer sans se décomposer, tant qu'il possède suffisamment de foice vitale pour ne pas disparaître. Mais cette force vitale qui lui permet de se manifester aux hommes, il va la puiser dans le sang, il va la prendre à ses victimes que l'on verra mourir de rangueur. pour relrendre une citation figurant dans I'ouvrage que Robert Ambelain
au Vampirisme, de la légende au réel (R. Laffont) : « Il "ànr""r" vivra ! Il vivra désormais sur cette étrange passerelle, qui commence où finit Ia vie, et se termine où commence la mort. » En fait, leur corps
physique ne se manifeste pas, c,est leur double qui est visible, leur corps astral, et c'est pourquoi leur image, suivant Ia tradition, ne se
réfléchit pas dans un miroir, pourquoi ils n'ont pas d'ombre. Leun victimes perdent l'appétit, maigrissent et meurent sans autre symptôme. La plupart croient voir un spectre blanc qui les suit partout comme leur propre ombre. Cet aspect du vampirisme fut
particulièrement bien étudié par les << Rose*croix du Grand Rosaire >» dont le berceau était à prague. Mais Ie double perd de son énergie et s'étiole (sans mourir) s'il ne se nourrit pur àe sung. Le vampire, de son vivant, entraîne sa conscience à s'eitraire de sa gangue pour habiter son << double ,r; ainsi, après la mort, le double continue à errer, mais il est un double conscient. Lorsqu'un homme normal meurt, son double lui survit toujours un peu, mais non réellement habité par l'âme, il laisse celle-ci s'échapper et s,étiole au bout de 40 jours. L'initié à la magie rouge, quant à lui, « habitc
(") En fait, si l'on examine de près les traditions romaines rapportées au sujet det différentes formes de vampirisme, strigois, pryccolitchs, u"r.oiu"r ne sont pas knr des sylphes et autres élémentaux décrits dans Le Comte de Gabatis.
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son double » après la mort et son âme ne retourne pas à Dieu. Libérée du corps, elle est prisonnière du double. Si l'âme se fond dans le tout et disparaît en tant que telle, alors le vampire a fait le bon choix de I'immortalité et c'est là tout son pari. Pari horrible dont I'Amour est exempt, pari de faire durer la matière, pari inverse de celui de Dieu. Le vampire appartient au monde inversé. Il est un fantôme, une ombre qui se nourrit de sang. Il constitue une sorte d' « entité astrale >> qui, survivant à la dépouille mortelle, en retarde indéfiniment la désagrégation moléculaire. IJ reste attaché au cadavre par un lien invisible qui s'étend à l'infini, une sorte de cordon ombilical extensible. Ni mort, ni vivant, le vampire est vivant dans la mort. Prince de la nuit, il ne peut se manifester le jour, il appartient bien au monde inversé. Par contre, son état de double lui permet de franchir portes et fenêtres fermées.
lules Verne, sur la piste de Dracula dans un chôteau des Carpathes. Dracula semble nous avoir beaucoup éloignés de Jules Verne, et pourtant ! La région du château de Dracula est aussi celle du château de Brankowan d'Alexandre Dumas et du château des Carpathes de Jules Verne. Là, les Daces honoraient leur divinité suprême : Zalmoxis, et pour mieux entrer en contact avec elle, ils choisissaient leurs frères les plus avancés en magie et les sacrifiaient en les jetant sur les pointes de leurs javelines. Sept jours après, diton, les corps transpercés sortaient de leurs tombeaux et revenaient
parmi les hommes: immortels intermédiaires entre Zalmoxis et eux. Le château de Dracula, on le nomme la Montagne du plus lointain minuit (16). C'est là, dit la prophétie, que Lucifer doit paraître et réunir ses disciples à la fin des temps. Cette montag[e se situe à Cuerta de Arges ("), où l'on peut encore voir les ruines de la forteresse.
Or, que nous dit Jules Verne dans son roman ? Il nous parle de la Transylvanie où le cadre des Carpathes se prête si naturellement à toutes les évocations psychologiques ». Placé dans le comitat du Kolosvar, le château vernien est bien proche de celui de Dracula. Il écrit : << Le château occupait, sur une croupe isolée du col de
.<
('u) Cf. supra, le dernier paragraphe du passage intitulé « Robur, le maltre Rose*Croix ". (r7) Une toponymie bien intéressante.
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Vulkan, le plateau d'Orgall ("). « A huit ou neuf cents pieds en " arrière du col de Vulkan, une enceinte, couleur de grès,lambrissée d'un fouillis de plantes lapidaires (...). Le château des Carpathes " date du xtr'ou xm'siècle. « Quel architecte I'a édifié sur ce plateau à cette hauteur ? On l'ignore, et cet audacieux artiste est inconnu, à moins que ce soit le Roumain Manoli, si glorieusement chanté dans les légendes valaques et qui bâtit à CURTE D'ARGIS, le célèbre château de Rodolphe le Noir. » Tiens donc ! Pourquoi cette insistance, si ce n'est pour nous faire nous interroger sur ce château qui est, bien entendu, celui de Dracula. Serait-ce également un hasard si Jules Verne insiste à plusieurs reprises sur le peuple des Daces, qui fut sans doute à I'origine des coutumes vampiriques en ces régions ? Hasard encore, sans doute, Ie démon survolant le château sur la page de garde alors que la ügnette accompagnant le titre porte un dragon à tête de crocodile (re) ? Le dragon n'est-il pas dans les Carpathes la monture des << Salomonaires ,>, mages sorciers des contes roumains, titre qui irait parfaitement à Dracula, le fils du Dragon ? Ce gardien du trésor porte aussi le nom de Balaur ou Valaur et nous rappelle maint val d'or. Et puis tout tourne autour des vampires dans ce roman de Jules Verne. Parlant d'un berger, il nous avertit : « Frik était regardé comme un sorcier, un évocateur d'apparitions fantastiques. A entendre celui-ci, Ies vampires et les stryges lui obéissaient. » Il ne faut pas voir Ià de moquerie, dès le départ Jules Verne nous a prévenus, comme à son habitude : << Cette histoire n'est pas fantastique, elle n'est que romanesque. Faut-il en conclure qu'elle ne soit pas vraie, étant donné son invraisemblance ? Ce serait une erreur. » D'ailleurs, il semble bien que Jules Verne veuille nous faire comprendre que Frik le berger est un chaman, un prêtre du culte vampirique. C'est lui qu'il nous donne pour guide en cette histoire, insistant et disant à son propos : .< En le saluant du nom de << pasteur » auquel il tient. » Le lien avec le monde inversé, saturnien, est souligné à plusieurs reprises, ne serait-ce que par ces .< êtres à part, d'une allure quelque peu hoffmanesque » que sont
(rB) Belle étymologie, Vulkan nous ramène à Vulcain et au monde infernal; quant à Orgall, il est or des Galls. (te) Lire à ce sujet les passages concernant le vampirisme à Venise dans I'ouwage de J. P. Bourre, Le cube du vampire auiourd'hui (Ed. A. læfeuvre).
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les colporteurs; on dirait « les commis voyageurs de la Maison Saturne et Cie à I'enseigne du Sablier d'Or ». De longs passages sont consacrés au vampirisme,
tel celui-ci
:
Ils affirmaient, avec preuves à l'appui, que les loups-garous courent la campagne, que les vampires, appelés stryges, parce «
gu'ils poussent des cris de strygies, s'abreuvent de sang [s6ain, que les staffii errent à travers les ruines et deviennent malfaisants si on oublie de leur porter chaque soir le boire et le manger. Il y a des « fées », des « babes », gu'il faut se garder de rencontrer le mardi ou le vendredi, les deux plus mauvais jours de la semaine. (...) forêts enchantées où se cachent les « balauri », ces dragons gigantesques, dont les mâchoires se distendent jusqu'aux nuages, les Zmei ,, aux ailes démesurées, qui enlèvent les filles de sang " royal, et même celles de moindre lignée, lorsqu'elles sont jolies ! Voilà nombre de monstres redoutables, semble-t-il, et quel est le bon génie que leur oppose l'imagination populaire ? Nul autre que ls « serpi de casa », le serpent du foyer domestique, qui vit familièrement au fond de l'âtre, et dont le paysan achète I'influence salutaire en Ie nourrissant de son meilleur lait. » Et tout ce beau monde est lié au château des Carpathes. Selon les habitants de la région, « il n'était pas douteux qu'il abritât des dragons, des Stryges, peut-être aussi quelques revenants de la famille des barons de.Gortz ». Nous y voilà : des revenants ! Curieux nom que celui de Gortz. Il nous rappelle un monastère luciférien de Palestine qui existait encore au xvm'siècle et qui abritait un culte du serpent : le monastère d'El Ghor. Mais passons et retrouvons nos revenants. Quelle est donc cette famille ? Jules Verne ne se prive pas de oous parler d'elle : « qu'il y ait des doutes sur l'architecte, il n'y en a aucun sur la famille qui possédait ce bourg. I-es Barons de Gortz étaient seigneurs du pays depuis un temps immémorial. Ils firent mêlés à toutes ces guerres qui ensanglantèrent les provinces transylvaines >r. Ne dirait-on pas Dracula ? « Ils luttèrent contre les Hongrois, les Saxons, les Szecklen; leur nom figure dans les cantices, les doïnes, où se perpétue le souvenir de ces désastreuses périodes; ils avaient pour devise le fameux proverbe valaque : « DA PE MAORTE », « donne jusqu'à la mort ! » et ils donnèrent, ils répandirent leur sang - Pour la cause de I'indépendance ce sang qui leur venait des Roumains, leurs ancêtres. (...) Ces mots dans lesquels se concentrent toutes leurs aspirations ROMâN ON PERE I : Le Roumain ne saurait pértr. » Est-il besoin de commen-
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taires? Non, bien sûr, une fois de plus, il ne peut s'agir d'une coïncidence, mais bien plutôt d'une façon de faire comprendre au lecteur qu'il s'agit de I'immortalité par le sang. C'est bien en fait à Vlad I'Empaleur que nous avons affaire, et si l'on en doutait, il suffirait d'examiner les descriptions de Jules Verne pour s'en convaincre. Ainsi, en arrivant près du château : « A l'extrémité du banc se dressait une tige de granit, reste d'une ancienne croix, dont les bras n'étaient figurés sur le montant vertical que par une rainure à demi effacée. » Autrement dit, la croix, sans bras, est devenue un .. pal ,r. Bien entendu, comme à son habitude, Jules Verne se gaussera des coutumes et légendes et donnera une solution rationnelle et scientifique à son énigme. Mais en fait, son propos sera de nous parler à mots couverts d'un phénomène bien réel, même s'il est habituellement confiné dans le domaine du fantastique. La démarche est, au fond, la même que celle de Bram Stoker. D'ailleurs, voyons le sujet même du roman.
U ne histoire d' immortalité.
La Stilla est une chanteuse dotée d'un immense talent. Elle triomphe dans tous les Opéras, la foule I'adule. « Sa longue chevelure de teinte dorée, ses yeux noirs et profonds où s'allument des flammes, la pureté de ses traits, sa carnation chaude, sa taille que le ciseau d'un Praxitèle n'aurait pu former plus parfaite », lui
valent plus d'un admirateur. L'un d'eux est particulièrement assidu. Il ne manque aucune représentation durant laquelle la Stilla se produit. Il la suit comme son ombre, de ville en ville, d'opéra en opéra. La Stilla commence à avoir peur de cet énigmatique personnage qui n'est autre que le baron de Gortz. De passage à Naples, le jeune et séduisant Comte de Telek devient à son tour follement amoureux de la Stilla et lui propose de l'épouser. Celle-ci accepte. Aime-t-elle Franz de Telek ou veut-elle échapper ainsi à la fascinante assiduité du Baron de Gortz ? La question reste posée. Toujours est-il que le mariage est annoncé et que la Stilla décide d'abandonner la scène. Une soirée d'adieu doit avoir lieu. Le baron est fou de rage. Le grand soir arrive et la voix de la Stilla est plus émouvante que jamais, mais la Stilla ne peut guère s'empêcher de regarder la loge du baron de Gortz, éprouvant
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une étrange fascination au milieu de sa haine pour lui. Extrêmement troublée, elle entreprend le final d'Orlando (20), mais ne peut l'achever. A peine sortis de sa gorge les vers : Innamorata, mio cuore trernane voglio rnorire, elle s'effondre, morte, un vaisseau s'était rompu dans sa poitrine. Tandis que le baron de Gortz s'éloigne en menaçant Franz de Telek : << C'est vous qui I'avez
!... Malheur à
vous >», le jeune comte retourne dans son château de famille avec pour compagnon le chagrin. Ne parvenant à oublier, au bout de plusieurs années, il entreprend un voyage qui le conduit au üllage de Werst dans une auberge à l'enseigne du Roi tuée
Mathias (21), dans les Carpathes. La population du village est épouvantée. Le château semble hanté et des phénomènes s'y produisent. Par ailleurs, ce château possède un arbre lié à une légende : le vieux hêtre perd une branche chaque année et lorsqu'il n'y en aura plus, oe sera la fin du château. Voilà qui nous rappelle quelque peu I'arbre d'épouvante d'un autre château des Carpathes, le château des Géants d'Albert de Rudolstadt, descendant des rois de Bohême, dans Corcuelo de George Sand. Notons d'ailleurs que, concernant la Stilla, Jules Verne s'est très fortement inspiré du Consuelo de George Sand. Ainsi George Sand écrit : « Il s'apprêtait même à applaudir la Porporina à la fin de sa cavatine, ainsi qu'il avait la bonté de le faire en personne et toujours judicieusement, lorsque par un caprice inexplicable, la Porporina, au milieu d'une roulade brillante qu'elle n'avait jamais manquée, s'arrêta court, fixa des yeux hagards vers un coin de la salle, joignit les mains en s'écriant : O mon Dieu ! et tomba évanouie tout de son long sur le plancher. Porporino s'empressa de la relever, il fallut l'emporter dans la coulisse et un bourdonnement de questions, de réflexions et de commentaires s'éleva dans la salle », que I'on peut comparer à ce qu'écrit Jules Verne à propos de la Stilla : << [Jne épouvante inexplicable la paralyse... Elle porte vivement la main à sa bouche, qui se rougit de sang... EIle chancelle... Elle tombe... Le public
(æ\ L'Orlando du maestro Arconati dont parle Jules Veme est un opéra qü n'existe pas. Arconati est en fait le nom d'un Comte qui cut en sa possession quelques-uns des manuscrits de Léonard de Vinci. Quant à Orlando, il nous ramène àl'Orlando Furioso de I'Arioste. (2t) C'est sans doute pour Jules Verne une façon de nous signaler que ce roman présente des üens importants avec Mathias Sandort, car, Par ailleurs, il fait du baron de Gortz le compagnon d'arme d'un héros de I'indépendance nationale, ancien brigand, nommé Sandor.
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s'est levé, palpitant, affolé, au comble de I'angoisse. >> Ne peut-on aussi comparer George Sand : « Les loges du premier rang qui avoisinent la scène; et tout à coup, dans celle de M. Golowkin, je vois une figure pâle se dessiner dans le fond et se pencher irrésistiblement comme pour me regarder. Cette figure, c'était celle d'Albert », avec : << En ce moment, la grille de la loge du baron de Gortz s'abaissa. Une tête étrange aux longs cheveux grisonnants, aux yeux de flamme se montra, sa figure extatique était effrayante de pâleur », dixit Jules Verne. Mais revenons à I'intrigue. Franz de Telek décide de rassurer les üllageois en allant lui-même voir ce qui se passe dans ce château
hanté. Il apprend alors qu'il s'agit de la demeure de son ancien rival : le baron de Gortz, disparu depuis de longues années. Il hésite mais, bizarrement, la voix de la Stilla semble emplir soudain les airs avant de disparaître. Emu, Franz de Telek veut en avoir le cæur net et entreprend une expédition en compagnie de Nic Deck, Ie « forestier ». Arrivé sur le terre-plein du burg, il voit une silhouette se détacher : celle de la Stilla. Il parvient à s'introduire dans le château et s'ensuit un passage éminemment initiatique. tr arrive enfin à voir la Stilla, mais elle n'est que projection d'une image sur une glace, tous les phénomènes étaient dus à la connaissance de l'électricité, de la conduite des sons par fil et à I'enregistrement de la voix sur rouleau de cire inventés par le compagûon du baron de Gortz : le génial Orfanik ("').1-e château finira par sauter. Ftarz, devenu fou, ne cessera de murmurer les derniers mots du chant final d'Orlando. Cependant, Orfanik lui ayant cédé les enregistrements de la Stilla, il finira par recouvrer la raison en écoutant la voix de la femme aimée. Cette histoire, si l'on y regarde de plus près, est liée totalement à la philosophie du vampirisme. Lorsque Frantz de Telek, de race roumaine, visite l'Italie, c'est avant tout Venise, ville vampirique par excellence (æ), qui est son port d'attache. Jules Verne lie parfaitement les différents éléments caractéristiques de cette philosophie qui sont le dragon (ne parle-t-il pas à un moment de « quelque Tarasque dont la gueule émerge des entrailles de la terre ») et le vampire en tant que non-mort. Car qu'est-ce que la (2) Dont le nom nous incite à une descente aux enfers puisqu'il rappelle Orphéc. Orfanik est aussi à rapprocher de Orsih, nom d'un fls d'Elizabeth Bathory. (-) Cf. J. P. Bourre, lt culte des varnpires aujourd'hui (Ed. Alain tæfeuvrc).
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Stilla ? Jules Verne écrit : << Ainsi, celle que Franz avait we tomber morte en scène avait survécu ! » La réponse est évidente : la Stilla est une non-morte. Ne doit-on pas considérer également le jeune
forestier comme une victime du vampirisme lorsqu'on le voit : « Les membres raidis; la figure exsangue, sa respiration lui soulevait à peine la poitrine. » Ne doit-on pas, également, noter le nom d'une jeune compagne : Miriota, fiancée du forestier, qui nous fait songer que, dans les Carpathes, les noces miriotiques sont des noces posthumes dans lesquelles le défunt est uni à un vivant et qui contiennent la notion de non-mort. Et tout cela reste lié aux Rose + Croix immortels, à leurs cryptes mystérieuses, et à leurs lampes perpétuelles : ne doit-on pas signaler ici « une ampoule de verre pleine d'une lumière jaunâtre dans une « crypte " " (z) ? que il la source des informations de Jules Décidément, semble Verne ne soit pas seulement le Voyage aux régions minières de la Transylvanie occidentale d'Elisée Reclus. Le thème du mort-vivant n'est pas présent dans le seul Chôteau des Carpathes, bien que cet ouvrage soit, du propre avis de Jules Verne, l'un des romans auxquels il tenait le plus. Dans L'Eternel Adam, le maître fait présenter par un de ses personnages une théorie proche de la vieille cosmologie mexicaine : le cataclysme de la fin des temps étant proche, la seule chance de le retarder consisterait à nourrir le soleil, afin qu'il ne s'éteigne pas, de l'énergie vitale que recèle l'« êâû précieuse » (chalchinatle), c'està-dire le sang humain. Et pour cela il est nécessaire de procéder à des sacrifices humains. Dans le secret de Wilhelm Storitz, l'invisibilité est liée au sang (5). Le thème du mort üvant est également présent dans Mathias Sandorf, Le Testament d'un Excentrique, Mrs. Branican, Le Sphynx des Glaces, sans parler de Philéas Fogg, qui d'une certaine façon transcende le temps. Une véritable obsession
!
(-) Cf. Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreut, I* Songe de Poliphile et Le cinquièmc livre de Rabelais. A propos de Rose*Croix, notons que Protée aurait possédé une lle sacrée entre la Crète et Rhodes, nommé Carpathus. (') On peut se demander pourquoi la ville de Ragz dans laquelle se pa§se cette histoire correspond, comme description, à Amiens; et pourquoi la maison du docteur Roderich n'est rien moins que celle de Jules Verne.
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Mathias Sandorf et la Corntesse sanglante. Est-ce à dire que Jules Verne s'est inspiré du Dracula de Bram Stoker ou de I'enseignement de la Golden Dawn? Nous ne le croyons pas, bien qrue Dracula et Le Château des Carpathes aient tous les deux été écrits en 1890. Jules Verne n'a sans doute pas été un adepte de la Golden Dawn, mais il s'est servi de renseignements si proches de ceux des Rosicruciens anglais qu'on peut se poser des questions.
D'ailleurs, nous avons déjà vu que Mathias Sandorf portait les caractéristiques du Rose * Croix type. D'autres surprises nous attendent dans ce roman. << I-e Comte Mathias Sandorf habitait, dans I'un des comitats de la Transylvanie du district de Fagaras, un vieux château d'origine féodale. Bâti sur un des contreforts septentrionaux des Carpathes orientales, qui séparent la Transylvanie de la Valachie, ce château se dressait sur cette chaîne abrupte dans toute sa fierté sauvage comme un de ces suprêmes refuges, où des conjurés peuvent tenir jusqu'à la dernière heure. (...) Des mines voisines, riches en minerai de fer et de cuivre, soigneusement exploitées, constituaient au propriétaire du château d'Artenak une fortune considérable. » L'ensemble des renseignements contenus dans ce passage suffisent à nous convaincre que nous avons une fois de plus affaire au château du Comte Dracula. Souvenons-nous aussi de ce que dit le Comte Mathias Sandorf : « La mort ne détruit pas, elle ne rend qu'invisible. » [æ drapeau de Mathias Sandorf : vert avec une croix rouge à l'angle supérieur, allie les deux teintes du vampirisme : le rouge du sang et le vert sur lequel nous reviendrons. Quant à Pierre
Bathory, jeune héros protégé par Mathias Sandorf, lui-même semble mort; on assiste même à son enterrement. Et pourtant, il n'est pas mort, il renaîtra. Jules Verne nous fait savoir que Sandorf l'avait hypnotisé et mis en catalepsie. Restons quelque peu avec Pierre Bathory et son père Etienne Bathory, « magyar de grande naissance ». Jules Verne nous dit de lui qu'il « appartient, quoique à un degré éloigné, mais authentiquement, à la lignée de ce.s princes magyars, qui, au xvrc siècle, occupèrent le trône de Transylvanie. La famille s'était divisée et perdue en de nombreuses ramifications depuis cette époque, et l'on eût été étonné, sans
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doute, d'en retrouver un des derniers descendants dans un simple professeur de I'Académie de Presbourg ». Curieux ce choix des Bathory dont Jules Verne nous dit le plus grand bien. Intéressons-nous à leur histoire puisque Jules Verne nous y engage. Nous tombons alors sur le personnage fabuleux d'Erzebeth Bathory, Dame de Csejthe. Sous le règne de Ladislas IV, un chevalier Magyar, du nom d'André Briccins, fit preuve d'une exceptionnelle bravoure et acquit le surnom de Bator : le Courageux. Telle serait I'origine du nom de Bathory. Erzebeth est née en 1560 d'une maison qui compta plusieurs souverains, parmi lesquels son oncle Etienne, prince de Transylvanie. Il faut aussi
signaler Georgy Thuzzo, palatin de Hongrie, un cardinal, des gouverneurs, des chefs de guerre. Illustre famille donc, Jules Verne a raison. Oui, mais ! Ces personnages cachent de bien étranges mystères, sans parler de maladies telles que l'épilepsie, voire la folie, que n'arrangeaient pas des mariages consanguins. Ce que Jules Verne ne devait pas ignorer, c'est que nombre des Bathory << s'illustrèrent par un luxe de perversités qui défie I'imagination. Ceux-là seuls intéressèrent Erzebeth : Sigismond le mystique, Istvan le fou, Gabor l'incestueux et surtout Klara la démoniaque, sa tante, dont elle recherchait la compagnie et, parfois, les jeux sadiques ('u). Son oncle Istvan avait en effet la réputation d'être " cruel et fourbe, sujet à des accès de folie, enfermant dans les souterrains de son château des hommes qu'il faisait travailler à des opérations magiques pour son compte. Gabor, lui, tuait et pillait allègrement, provoquait un scandale constant en vivant un amour incestueux avec sa sæur, et finit par être assassiné par son peuple en 1613. Un autre oncle d'Erzebeth, nommé Gabor, lui aussi, terrorisait ses domestiques, parlait une langue incompréhensible, bavant, se roulant par terre, hurlant, voulant étrangler ceux qui I'entouraient. Un cousin, Andras, fut, quant à lui, assassiné dans des conditions mystérieuses, décapité à coups de hache. Plutôt curieuse cette famille, non ? Et Erzebeth, la pire du lot sans doute. N'eut-elle pas l'idée de prendre des bains de sang en guise de bains de jouvence, afin de garder une éternelle jeunesse? Pour cela elle ordonna d'égorger des dizaines de jeunes filles vierges. Dénoncée par l'une de ses prisonnières qui parvint à s'échapper, elle fit l'objet d'une enquête. « Qu'il suffise »>, écrira plus tard le comte Gyorgyi (26) Maurice Périsset, La comtesse de sang (Presses'Pocket).
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Thurzo, « de dire que dans ces caves fut découvert ce que l'homme
pouvait inventer de plus abominable >». Des cages de fer furent trouvées qui permettaient par un mécanisme d'écarteler lentement la victime tout en recueillant le sang. La comtesse fut enfermée dans son propre château, dans une chambre octogonale qui fut murée. Elle y mourut en 1614, alors qu'éclatait un violent orage dont tous les habitants de la région se souvinrent. Coincidence, l'une des conseillères en sorcellerie d'Erzebeth Bathory se nommait Dravula. Mais gageons que ce n'est pas seulement la perversité qui entraîna Ia comtesse sanglante à prendre des bains de sang. Il s'agissait bel et bien de vieilles recettes magiques qu'elle appliquait. Ne portait-elle pas sur son blason trois dents de loup et un dragon, le même que celui de Mad Dracul ? Faut-il ajouter que c'est un Bathory qui commanda I'expédition destinée à restaurer le trône de Mad III, autrement dit Vlad l'Empaleur dit Dracula. Le château de Fagaras, fief des Dracula, passa d'ailleurs aux Bathory par la suite. A signaler également que dans la demeure qu'Erzebeth possédait à Vienne, on a retrouvé dans les souterrains de nombreux signes et symboles gravés, liés au culte de la Triple Hécate, déesse lunaire aux trois têtes, avatar infernal de la lune. Nous pensons pouvoir dire à partir de là que le hasard ne peut être invoqué. Pour nous, il ne fait aucun doute que l'æuvre de Jules Verne contient les enseignements de la Golden Dawn, même si l'auteur n'a jamais appartenu à cet ordre. Si cette hypothèse est juste, il va de soi qu'elle devrait pouvoir être vérifiée dans d'autres romans.
ry JULES VERNE ET
LA TERRE CREUSE
Les secrets du Rayon Vert. Nous avons vu que Bram Stoker, auteur de Dracula, avait subi la
même inspiration que Jules Verne. Poursuivons donc notre enquête. Bram Stoker est également l'auteur du roman intitulé Le loyau des Sept Etoiles dont un film récent a dénaturé totalement le sens en en faisant un thriller médiocre. Toute I'affaire tourne autour d'un mystérieux sarcophage rapporté d'Egypte par un archéologue nommé Trelawny, s'accompagnant d'une « table basse de pierre verte à veines rouges, comme du jaspe sanguin. Les pieds avaient été façonnés pour imiter les pattes d'un chacal, et autour de chaque pied s'enroulait un serpent délicatement ciselé dans de I'or massif IJn coffret en pierre verte, une main momifiée à sept '>.
doigts et quelques autres objets complètent ce mobilier. A cela, s'ajoutent sept lampes et sur chacune figure une des sept formes de Hathor, déesse égyptienne. Tous ces objets viennent d'une vallée perdue, nommée la vallée de la Sorcière; ils furent pris dans un tombeau creusé dans une falaise. Là fut découverte la momie de la Reine Tera. Le double de celle-ci est resté lié à la momie et semble s'être nourri... de sang. Un rubis, rouge comme le sang, est lié lui aussi à cette aventure, taillé en forme de scarabée, brillant de sept étoiles à sept branches correspondant aux sept étoiles de la Grande Ourse. Le « Ka >» dont parle la religion égyptienne n'est autre que ce double dont nous avons déjà parlé, individualité abstraite de la personnalité imprégnée de toutes les caractéristiques de I'individu, doué d'une existence indépendante. Il est habité par le Bâ ou âme,
188 l'
JULEs vERNE ET LA rERRE cREUsE
Il peut quitter la tombe
comme il peut y retrouver s'attachent le Khu, intelligence spirituelle ou esprit (il prend la forme d'un corps resplendissant, lumineux intangible), et le Sekhem ou << pouvoir >> d'un homme (sa force ou énergie vitale personnifiée). Tous ces éléments, avec le Khaibit, ou ombre, le Ren ou nom, le Khat ou corps physique, et Ab, le cæur où est le siège de la vie, sont les différents composants de l'homme. Le << vampire » de la Reine Tera finit par prendre possession du corps de l'archéologue et tout s'achève au sein d'un étrange rayonnement verdâtre. Voilà qui complète fort bien nos théories sur le vampirisme. Et cela nous amène à nous intéresser de plus près à l'Egypte. Car cette insistance du vert dans le joyau des sept étoiles nous rappelle le « Lion Vert » des alchimistes qui fixe le sang volatile. Jean-Louis Bernard, spécialiste de l'Egypte, nous indique que <( Le Rayon
qui
<<
anime ».
le corps, le ranimer. A cela
Vert » vire au rouge en s'animalisant dans le sang (1). Quel est donc ce mystérieux rayon, lié au spectre, à la face verte d'Osiris ? Jean-I-ouis Bernard écrit (2) : << Le pouvoir phosphoros dont parle la mythologie grecque serait la mystérieuse radiation verte, à la fois arcane de vie et de mort. Ce rayon vert fut l'un des secrets des
temples égyptiens, en tant qu'héritage d'Osiris, le dieu à la face verte. Il aurait pour effet de stimuler les cellules saines jusqu'à la mutation, mais aussi d'accélérer la dégénérescence des cellules malsaines. >> << La déesse verte Hathor-Sekhmit concentre la force divine en un « rayon vert » qui est l'essence de la vie biologique en tous règnes de la nature 13). l.-L. Bernard nous fait remarquer " qu'à l'état brut, hautement intensifié et concentré, le rayon vert se révèle insupportable. N'est-ce pas la couleur verte qui est la couleur traditionnelle des dragons, gardiens du seuil ? Le vert n'estil pas toujours le symbole de l'éternelle jeunesse ? Jean-Pierre Bayard écrit (a) : << Le néophyte qui meurt à la vie profane pour renaître sous une forme supérieure est transfiguré. Cette lumière intérieure l'illumine et nous pouvons considérer les causes de son
(') (')
J.-L. Bernard, Les Archives de I'hsolite (Livre de Poche). J.-L. Bernard, Aw origines de I'Egypte (Robert Laffont).
13; Ce n'est pas un hasard si la coupe du Graal qui contint le sang du Christ cst, selon la légende, verte et taillée dans une émeraude tombée du front de Lucifer. (a) Jean-Pierre Bayard, La symbolique du feu (Payot).
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LA
TERNE
CREUSE
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rajeunissement corporel. Le corps n'est que le miroir de l'âme. La
restauration de l'être intérieur devient ainsi une fontaine de jouvence : mais cette verdeur est le corollaire de la résurrection de l'individu sur un plan humain ou sur un plan cosmique. » Cela doit suffire à nous convaincre de la parfaite cohérence de l'@uvre de Bram Stoker. Partant de là, si l'æuvre de Jules Verne procède de la même cohérence, nous devons y retrouver le rayon vert. Relisons donc Le Chôteau des Carpathes. Un passage retiendra notre attention : « Un large rayon (...) quel foyer produit cette puissante lumière, dont les irradiations se promènent en longues nappes à la surface du plateau d'Orgall ? De quelle fournaise s'échappe cette source photogénique, qui semble embraser les roches, en même temps qu'elle les baigne d'une lividité étrange? (...) Le forestier et lui ont pris un aspect cadavérique, figure blafarde, yeux éteints, orbites vides, joues verdâtres, au teint grivelé, cheveux ressemblant à ces mousses qui croissent, suivant la légende, sur le crâne des pendus (...) Le docteur Patak, arrivé au dernier degré de I'effroi, a les muscles rétractés, le poil hérissé, la pupille dilatée, le corps pris d'une raideur tétanique. Comme dit le poète des Contemplatio,ns, il respire l'épouvante. Mais ce sujet est si cher à Jules Verne qu'il va lui consacrer tout un roman : Le Rayon Vert. I}dême si Jules Verne fait de celui-ci un phénomène naturel, le sujet réel est bien notre rayon vital. Nous nous trouvons une fois de plus dans la tradition rosicrucienne. Parlant de deux des personnages principaux, dès le début, Jules Verne nous dit : << Ils avaient, en faisant le bien, continué les généreuses traditions de leurs ancêtres. Aussi, tous deux bien »>
portants, n'ayant pas une seule irrégularité d'existence à se reprocher, étaient-ils destinés à vieillir, sans jamais devenir vieux, ni d'esprit, ni de corps. Nous ne nous attarderons pas sur ce roman et laisserons au lecteur le soin de découvrir lui-même les aventures d'Olivier Sinclair (un nom bien intéressant). Nous citerons seulement deux >»
courts passages
:
Avez-vous quelquefois observé le soleil qui se couche sur un horizon de mer ? Oui ! sans doute. L'avez-vous suivi jusqu'au moment où, la partie supérieure de son disque effleurant la ligne <<
d'eau,
il va disparaltre ? C'est très probable.
Mais
avez-vous
remarqué le phénomène qui se produit à I'instant précis où l'astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel, dégagé de brumes, est
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JULEs vERNE ET LA TERRE cREUSE
alors d'une pureté parfaite? (...) Ce ne sera pas, comme on pourrait le croire, un rayon rouge qui viendra frapper la rétine de votre æil, ce sera un rayon <( vert », mais d'un vert mystérieux, d'un vert qu'aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d'un vert dont la.nature, ni dans la teinte si variée des végétaux, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n'a jamais reproduit la nuance ! S'il y a du vert dans le Paradis, ce ne peut être que ce vert-là, qui est sans doute le vrai vert de I'Espérance ! << Ce rayon Vert se rapportait à une üeille légende (...) : ce rayon a pour vertu de faire que celui qui I'a vu ne peut plus se tromper dans les choses de sentiment; c'est que celui qui a été assez heureux pour I'apercevoir une fois, voit clair dans son cæur et dans celui des autres. Pas de commentaires ! >>
>>
Bulwer-Lytton, le maître Roset Croix. Le Rayon Vert est présent dans un autre ouvrage d'un membre de la Golden Dawn, nommé Bulwer-Lytton. Extraordinaire personnage que celui-ci : Edward George Earle Bulwer-Lytton (18031873) fut ministre des colonies de la reine Victoria. Il descendait d'un alchimiste du xvt' siècle, le docteur John Bulwer qui, entre autres langages secrets, inventa une langue pour sourds-muets. L'historien Andrew Lang affirme qu'il aurait rencontré le comte de Saint-Germain à Paris en 1860. Il fut I'auteur d'un roman fort connu : Les derniers jours de Pompéi, mais aussi de Zanoni, h maître Rose*Croix, dans lequel un Rose+Croix véritable sacrifie son immortalité corporelle par amour. Merveilleux roman, I'un des plus beaux que j'aie jamais lu ! Il se déroule à la fin du xvttr', en Italie puis à Paris. Zanoni,le sage, a réussi à vaincre la mort et connaît le secret de l'éternelle jeunesse. Mais il se sacrifiera pour sauver Viola, la femme qu'il aime. Merveilleux ouvrage sur lequel je ne m'étendrai pas, mais j'engage fortement le lecteur à le lire. Jc me contenterai donc de relever un court passage qui n'est pas sans rapports avec tout ce dont rtous avons parlé jusqu'à présent : « iI peut exister des formes de la matière aussi invisibles pour nous et aussi impalpables que les bactéries vivant dans I'air que nous respirons ou dans l'eau de ce bassin. Ces êtres peuvent avoir leurs passions et leurs facultés exactement comme ces bactéries. [.c
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monstre qui
vit et meurt
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dans une goutte d'eau, carnivore
insatiable, se nourrissant de créatures encore plus microcospiques que lui, n'est ni moins féroce, ni moins cruel qu'un tigre. Il peut y avoir autour de nous des choses qui seraient dangereuses et funestes pour I'homme, si, par de simples modifications de la matière, la providence n'avait pas mis entre elles et nous certaines barrières ». Il est curieux de remarquer que I'héroine de Zanoni est, tout comme Consuelo et la Stilla, italienne et liée à la musique. Mais Bulwer-Lytton n'a pas écrit que cela. Il est un autre roman qui nous intéresse particulièrement par rapport à Jules Yerne : The Coming Race, qui est connu en français sous deux titres différents : La Race à venir ou encore La Race qui nous exterminera. Cet ouvrage décrit une race d'êtres vivant sous la Terre et qui nous sont très supérieurs intellectuellement et techniquement. Les .< Ana », tel est leur nom, ont dépassé les problèmes de luttes sociales depuis longtemps, de même qu'ils ne connaissent plus la guerre. Ils utilisent pour source d'énergie un pouvoir naturel qu'ils ont su développer : le Vril ('), qoi n'est autre que le Rayon Vert. Leur monde peut être atteint à partir d'une mine (6). Les Anas descendent, à leurs dires, d'une race celtique. Leur puissance est d'ailleurs quelque peu inquiétante : une civilisation souterraine supérieure à la nôtre et qui possède notamment des armes à base de vril, plus puissantes que notre bombe atomique et pouvant réduire en cendres instantanément une ville deux fois de la dimension de Londres. Les Anas sont servis par des robots. Un jour, ils reviendront à la surface, peut-être par un orifice se trouvant en Islande, et ils domineront Ie monde.
lules Verne et le voyage au centre de la terre. Que faut-il penser de cela ? On ne peut s'empêcher de songer à un sujet cher à Edgar Poe et à Jules Verne. Selon l-ovecraft, la
(5) A I'origine, on trouve l'idée du Vril dans l'æuvre d'un écrivain &ançais peu @nnu : Louis Jacolliot, né à Charolles en 1837 et mort en 1890. (6) L'cntrée se fait par une mine communiquant avec « un gouffre dont les parois étâient dentelées et calcinées, comme si cet ablme cût été découvert à quelque période éloignée par une éruption volcanique »'
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documentation de Poe venait de « sources interdites et insoupçonnées >>. Ce qui paraît certain, écrivait Jacques Bergier dans une préface de La Race à Venir, c'est que ces sources ont fait partie de la documentation de certaines sociétés secrètes comme la Golden Dawn. Poe, en tout cas, écriüt un roman qui inspira Jules Verne : Zes Aventures d'Arthur Gordon Pynr, suivant un schéma initiatique, lié au monde intérieur ou infernal. Tout y commence avec le départ clandestin d'un jeune garçon et son embarquement furtif à bord d'un navire prêt à lever I'ancre. Voilà un thème qui dut rappeler sa jeunesse à Verne à qui ce genre d'aventure faillit arriver. Une partie de ce roman se passe sous terre et le symbolisme inversé des 'couleurs y est représentatif de ce monde intérieur. A noter que le mot « sang » est aussi une clé du roman. Après de multiples aventures vécues par le héros dans une île antarctique où tout est noir, et où I'on découvre un dédale de grottes et de couloirs, dans
un monde peuplé de
sauvages
dont le chef se nomme Tsele-
moun (7), le roman se termine au pôle sud où Pym se fond dans une sorte de figure humaine voilée, gigantesque, blanche comme neige. Cette figure, Jules Verne lui donna un nom qui fut aussi le titre d'un de ses livres : Le Sphyw des Gl.aces. Verne imagina une suite aux aventures d'Arthur Gordon Pym. Il écrivit, le lc'septembre 1896, à Hetzel : « inutile de vous dire que je suis allé infiniment plus loin que Poe ».
Mais le thème de la terre intérieure est surtout présent dans Voyage au cenfie de la tene, bien entendu. Il est vrai, nous I'avons déjà montré, que Jules Verne s'est inspiré (pour ne pas dire : a plagié) d'un roman de George Sand : Laura ou le Voyage dans le cristal (8). Il semble également qu'il ait utilisé un ouvrage paru en L72L (et réédité tout récemment aux éditions Verdier) : Passage du pôle arctique au pôle antarctique par le centre du Monde ; les régions polaires abordées par les héros appartiennent au monde à l'envers : les poissons y nagent la tête en bas. Des oiseaux y nichent sous terre. Au pôle, une île a trois pointes. Les lieux sont caractérisés par une zone où la glace laisse la place à la verdure. Un lac est relié à un système de canaux souterrains. Des routes (7) Unc sorte de Salomon.
() Il a aussi emprunté à un ouwage d'Alexandre Dumas : Isaac Laquédem, dare lequel on assiste à un voyage vers le centre de la terre.
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CREUSE
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composent un labyrinthe très semblable à celui d'Arthur Gordon §m. L'épisode final met en scène un mort ressuscité comme chez Jules Verne. Il est intéressant de voir les héros remontant un ruisseau jusqu'à sa source. Celle-ci sort d'une très belle fontaine, dans une grotte creusée par la nature dans une des montagnes de la vallée. Au-dedans de la grotte, il y a un trou rond et fort profond, large d'un bon empan, qui exhale une vapeur chaude. Mais revenons à Verne. Dans le Voyage au centre de la terre,le héros principal, Axel, est un jeune homme au caractère non encore formé et qui n'a guère envie de partir en expédition. C'est sa fiancée qui le pousse à tenter I'aventure en lui disant : << Au retour, Axel, tu seras un homme. ,
Un extraordinaire voyage initiatique va s'ensuivre. Marcel Brion ne s'y est pas trompé, qui a accordé de longs passages à ce roman dans son ouvrage consacré à L'Allemagne Romantique et le Voyage Initiatique (e). Quetques phrases de Marcel Brion résument fort bien Le Voyage au Centre de la Tene de Jules Verne : << Tous les thèmes et toutes les articulations du voyage imaginaire s'y rencontrent: le grimoire de L'Ile au Trésor et du Scarabée d'Or; les aventures périlleuses qui conduisent à la conquête de la " dame ,>, l'amour devenant ainsi un des ressorts de << I'aventure >>, sinon le ressort majeur, comme dans Perceval et dans Lancelot. (...) Axel, le « chevalier >> de Jules Verne, épousera la jolie Grauben, qui ne fut pas la cause mais qui est la récompense du courage et de l'audace dépensés dans le monde souterrain (...) Le voyage au centre de la terre s'articule comme un roman de chevalerie jusqu'à faire d'Axel, le héros à venir, une sorte de << chaste fol », à peine mûr pour l'aventure, un étudiant à peine sorti de classe (...) Axel est le métal pauvre qui doit être forgé dans le feu de la terre (le volcan), lavé et durci dans I'eau de la mer intérieure souterraine, martelé par les dangers; il est informe et ne recevra sa forme que du contact violent avec les épreuves; jusqu'alors, il est malléable, sans profil, net, sans consistance. L'aventure lui donne sa figure, sa signification, son être véritable. (...) Le Voyage au Centre de la Terre, mëme si le centre n'est pas atteint, constitue une initiation complète. On pourrait consacrer un ouvrage entier à l'aspect initiatique de cette æuvre. Ce n'est pas là notre propos et nous laisserons Axel >»
(e) Ed. Albin Michel.
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prendre des leçons d'abime afin de progresser dans l'art des hautes contemplations (ro).
La Tene
Creuse.
Ce qui nous intéresse, ici, c'est Ie thème même de la terre creuse. Cette idée de se représenter le globe terrestre, Axel nous en donne la source en se souvenant « de cette théorie d'un capitaine anglais qui assimilait la terre à une sphère creuse à l'intérieur de laquelle l'air se maintenait lumineux par suite de sa pression, tandis que
deux astres, Pluton et Proserpine, y traçaient leurs mystérieuses orbites ». Dans les Aventures du Capinine Hatteras (chapitre XXIV), Jules Verne nous donne des précisions, par la bouche du docteur Clawbonny, sur ce capitaine anglais qui serait : « le capitaine Synness qui proposa à Humphry D"rry, Humboldt et Arago de tenter le voyage ! mais ces savants refusèrent ». Le même docteur Clawbonny rappelle d'ailleurs une légende prétendant << qu'il existait aux pôles une immense ouverture, d'où se dégageait la lumière des aurores boréales, et par laquelle on pourrait pénétrer dans l'intérieur du globe ,. Quelques sourires amusés, voire méprisants, accompagnent généralement la lecture de telles théories. Et pourtant, dès le xvt' siècle, le génial Guillaume Postel affirmait dans son Compendiwn Cosmographicum : Le paradis se " trouve sous le pôle arctique », théorie qui fut pour une part dans son arrestation et sa mort dans les prisons de I'Inquisition. Victor Hugo, quant à lui, y voyait plutôt I'entrée des enfers, dans La fin dc Satan. Buffon supposait l'existence de lacs et d'eaux répandus audessous des plaines et des grandes vallées. Jacques Casanova de Seingalt plaçait le paradis au centre de la terre, confondu avec le centre du monde : on trouve ainsi une æuvre intitulée lcosameron ou histoire d'Edouard et d'Elisabeth qui passèrent quatre-vingt-un ans chez les Mégamicres, habitants aborigènes du Protocosme dans
(ro) Le nom de I'oncle d'Axel qui joue le rôle d'initiateur est tout à fait parlant : Lidenbrock est formé de deux mots allemands: Lid (paupière) et brocken (briser), soit celui qui ouvre les yeux.
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fintérteur de notre globe, traduit de I'anglais par lacqucs Casanova,
A. Prague, s. d., 1788 (rt). Le 10 avril L818, toutes les grandes universités des Etats-Unis, les autorités militaires et politiques, reçurent un étrange message du capitaine dont parle le docteur Clawbonny : « Moi, Cleves Symnes, ancien capitaine d'infanterie de I'Ohio, je déclare au monde entier que la terre est creuse et habitable intérieurement. Elle contient plusieurs sphères solides, concentriques, placées I'une dans l'autre, et elle est ouverte au pôle de 12 à 16 degrés.. Je m'engage à démontrer la réalité de ce que j'avance et je suis prêt à explorer l'intérieur de la terre si le monde accepte de m'aider dans mon entreprise. » A ses amis, Symnes déclarait : « Tout est creux sur cette terre, les cheveux, les tiges des plantes et même nos os. Pourquoi la terre échapperait-elle à cette loi universelle ? Diverses écoles ésotériques enseignent que les entrées polaires mènent vers les cités du monde souterrain. » Peu après sa mort, un autre
Américain, Cyrus Read Teed, reprit l'idée de la Terre Creuse. Mais, pour lui, nous vivions carrément à l'intérieur de celle-ci, plaqués contre la paroi intérieure du globe. En 1894, il fonda même une secte, le Koreshisme, regroupant environ 4000 adeptes. Cette
doctrine fut introduite en Allemagne par un jeune aviateur, Bender, fondateur du mouvement Hohlweltlehre (doctrine de la terre creuse). Pour lui, le soleil et la lune se trouvaient au centre même de la Terre. Ces théories seront reprises par certains savants nazis et par quelques écrivains (12). Tout cela a un air folklorique et il semble évident à tous que le centre de la terre doit être soumis à une pression et une chaleur intolérables. En fait, cela n'est pas si sûr. On sait en effet que la pression n'augmente pas forcément avec la profondeur, les animaux habitant le fond des océans sont là pour le prouver. D'ailleurs, deux hypothèses récentes ont été émises à ce sujet. La
(tr) Ces mégamicres sortent de puits sans fond et se réunissent dans leurs temples, vêtus de mantelets rouges. Leun dieux sont des reptiles aux dents aiguës et au regard magnétique. Du vrai Lovecraft. Mais Casanova parle aussi d'une région de Transylvanie près du lac Zirchnitz, royaume de grottes et de ténèbres, qü permettent d'accéder âu royaume souterrain des Mégamicres. Cf. J.-P. Bourre, Le culte du vampire aujourd'hui (Ed. Alain Lefeuvre). 1r2) Edgar Rice Burroughs écrivit un Tarzan au centte de la Terre; quant à Lovecraft, il aborde ce problème dans L'ombre venue du temps. ll faudrait également citer Shaver, qui voyait dans la terre la patrie des O.V.N.L
196
JULEs vERND ET LA TERRE cREUsE
première fut proposée par un géologue canadien, Frank D. Adams, et un mathématicien, Louis V. King. Selon eux, il pourrait exister des cavités très volumineuses dans la terre, à des profondeurs comprises entre -25000 et -40000 mètres, hypothèse qui serait confirmée par les travaux du docteur Adams sur le granit fondu. La
deuxième théorie récente est celle de John Wheeler, éminent physicien qui collabora avec Niels Bohr à la théorie de la fission de l'uranium. Selon lui, la terre a pu se former à partir d'un .. géon >>, région de I'espace à courbure intense, sur lequel se seraient déposées des poussières cosmiques, et pouvant contenir un véritable univers. Des gens aussi éminents que l'amiral Byrd, grand explorateur des régions polaires, ont cru à la possibilité d'une terre creuse dont le centre pourrait être accessible par le pôle. S'envolant vers le pôle, il déclara : << C'est Jules Verne qui m'y emmène. » N'est-il pas extraordinaire de voir sur certaines photos prises par la Nasa, du pôle nord géographique, apparaître une zone sombre ressemblant à une ouverture? Serait-ce I'accès à la terre creuse (13)? William Reed n'hésitait pas à écrire : « La terre est creuse. Læs
pôles, si longtemps cherchés, sont des fantômes. Il y a des ouvertures aux extrémités nord et sud. A l'intérieur, on trouve de vastes continents, des océans, des montagnes et des fleuves. II existe une üe végétale et animale dans ce Nouveau Monde, et il est probablement peuplé par des races inconnues des habitants de la surface. » Des traditions dans le monde entier affirment la même chose : en Asie Centrale eomme en Amérique. Cette idée se retrouve à toutes les époques ('o) en tous lieux. Pourquoi n'y aurait-il pas là une
"t part de véfité? Faut-il en déduire que Jules Verne adhérait à de telles théories ? Nous n'hésiterons pas à prendre le risque de répondre : oui ! Tout d'abord, il ne faut pas oublier que cette idée fut également celle qui présida à Laura ou le voyage dans le cristal de George Sand dont s'inspira Verne. On y entend Nasias dire : <<
C'est ce monde que nous appelons souterrain qui est le véritable
(") En réalité, il semble que ces « trous » soient dus au fait qu'une partie du pôlc n'était pas éclairée par le soleil lorsque les photos furent prises. (ra) Lorsque Cilgamesh, héros de l'épopée babylonienne, va visiter son ancêtrs Utnapishtim, il pénètre dans les entrailles de la terre. Les exemples de cc genrc foisonoent dans I'Antiquité. Les Grecs situaient quant à eux I'entrée du royauæ souterrain en Arcadie.
JULBS VERNE.ET
LA
TERRB
CREU§E
lW
monde de la splendeur; or, il existe certainement une vaste partie de la surface encore inconnue à l'homme, où quelque déchirure ou
déclivité profonde lui permettrait de descendre jusqu'à la région des gemmes et de contempler à ciel ouvert les merveilles que tu as vues en rêve (...). J'ai la conüction que cette déchirure ou plutôt cette crevasse volcanique existe aux pôles, qu'elle est régulière et offre la forme d'un cratère de quelques centaines de lieues de diamètre et de quelques dizaines de lieues de profondeur, enfin que l'éclat des amas de gemmes apparentes au fond de ce bassin est I'unique cause des aurores boréales, ainsi que ton rêve te l'a bien clairement démontré. » Qui plus est, Jules Verne a soutenu de telles thèses dans d'autres romans que le Voyage au Centre de la Terre. Nous avons déjà cité Les Aventures du Capitaine Hatteras, mais il faut aussi parler du Testament d'un Excentrique dans lequel Jules Verne, parlant de gtottes gigantesques dans le Kentucky, écrit : << Telles sont les incomparables merveilles de ces grottes qui n'ont encore livré qu'une partie de leurs secrets. Sait-on ce qu'elles réservent à la curiosité de I'univers et ne découvrira-t-on pas un jour tout un monde extraordinaire dans les entrailles du globe terrestre ? Dans Les Indes Noires, certains passages ne sont pas sans rappeler »»
d'antiques légendes touchant à des peuples anciens s'étant enfoncés sous terre et n'étant jamais ressortis. Jules Verne écrit : << Ce fut vers ce temps que les ancêtres de Simon Ford pénétrèrent dans les entrailles du sol calédonien, pour n'en plus sortir, de père en fils. » D'autres passages sont encore plus extraordinaires : << Fonçons jusqu'au centre du globe, s'il le faut », ou encore : << Dame... Tu sais... Harry! Ces êtres qui vivent dans les abîmes... ne sont pas Ils sont faits comme nous, Jack ! » Il faudrait faits comme nous ! aussi évoquer Nell qui, voyant pour la première fois le soleil, croit à un feu et aperçoit le << Rayon vert ».
Le Roi du Monde
et les forces noires.
On ne peut évoquer ce problème sans parler de I'Agartha et du Roi du Monde. En effet, l'ouvrage posthume de Saint-Yves d'Alveydre, intitulé Mission de l'Inde et publié en 1910, contient les descriptions d'un royaume mystérieux et souterrain : I'Agar-
198
JULEs vERNE ET LA TERRE eREUsE
tha (t5). A la tête des peuples mystérieux vivant dans les cavités de la terre régnerait un mystérieux Roi du Monde (16), dont les envoyés, supérieurs inconnus, agiraient sur les gouvernants des pays à la surface de la terre. La meilleure source @ncernant cette question énigmatique est sans doute I'ouvrage de Fernand Ossendowski: Bête, hommes et diern. Un prince bouddhiste lui déclara : << Ce royaume est Agharti. II s'étend à travers tous les passages souterrains du monde entier. J'ai entendu un savant lama chinois dire au Bogdo Khan que toutes les cavernes souterraines de I'Amérique sont habitées par le peuple ancien qui disparut sous la terre. On retrouve encore de leurs traces à la surface du pays. Ces peuples et ces espaces souterrains reconnaissent la souveraineté du Roi du Monde. Il n'y a pas en cela grand-chose de merveilleux. Vous savez que dans les deux plus grands océans de l'Est et de I'Ouest se trouvaient autrefois deux continents. Ils disparurent sous les eaux mais leurs habitants passèrent dans le royaume souterrain. » Pour Jean-Louis Bernard, le Roi du Monde pourrait fort bien être relié à la magie noire. Il rappelle à ce propos les écrits d'Alexandra David-Neel faisant état de pseudo-lamas, des morts vivants qui, en des lamaseries écartées, pratiqueraient le vampirisme : vieillards, morts mais en état de survivance artificielle, ils attireraient par magie des voyageurs égarés et les convaincraient de se laisser mourir rituellement afin de leur prendre leur vitalité par osmose, « au cours d'une agonie savarnment allongée »>. Nous serions donc là entre Dracula et Erzebeth Bathory. Le Roi du Monde ne serait alors qu'un Roi des Marouts : Morts vivants. JeanLouis Bernard ajoute d'ailleurs que le monde marxiste pourrait être tombé dans la dominante occulte de tels marouts, ce qui expliquerait la pesante tristesse et I'atonie des pays de I'Est (17). C'est aussi l'avis de Jean-Paul Bourre qui écrit (tt) , u De nos jours
(r5) Mention en avait préalablemcnt étéfaite par le Français Jacolliot dont nous avons déjà parlé à propos du Vril. (16) Signalons à ce propos que les romans Robur le Conquérant et Malte du Monde de J. Vernc sont liés à certaines entrées supposées de cc royaume. (17) Notons qu'après la dernière guerre, les Russes lancèrent une grande cnquêtc sur le vampirisme en Hongric. (r8) Jean-Paul Bourre, « L'Agartha, Monde, n" 26).
la
quête du Graal souterrain » (L'Autre
JULES VERNE ET LA ÏERRE CREUSB
199
existe encore une Shamballa (") do vampirisme perdue dans la montagne de Transylvanie, inaccessible aux hommes, reliée à la Shamballa de lumière par de longues galeries souterraines. Pour les initiés, rien d'étonnant à cela : c'est de la même manière que le « mal » est relié au « bien » par un réseau de correspondances qui donne à la sagesse son véritable visage : le bien et le mal sont une seule et même chose. Ils participent à la même splendeur car la vérité détruit le dualisme (2o). " Toujours est-il qu'Ossendowski relie I'Agartha au problème de I'immortalité. Pour lui : « Les cavernes profondes sont éclairées d'une lumière particulière qui permet la croissance des céréales et
des végétaux
et qui donne au peuple une longue vie sans
maladies. »
Si l'on en croit les légendes, les entrées de I'Agartha ne se trouvent pas seulement en Asie. Ne cite-t-on pas à ce propos le Mont Saint-Michel et la forêt de Brocéliande comme susceptibles de recéler les passages vers ce monde souterrain ? On ne sera pas étonné, bien entendu, de voir Gaston Leroux marcher sur les mêmes traces que Jules Verne. Dans Rouletabille et les Bohémiens, il ne manque pas de faire allusion à la Terre Creuse en liaison avec la Valachie. Guénon ne nous enseigne-t-il pas que les Bohémiens auraient jadis vécu dans l'Agartha ? En tout cas, il faut relever cette phrase de Gaston Leroux : « C'est le Roi du Monde qui fait le Roi de Ia Terre », et, bien entendu, tout cela reste en liaison avec le vampirisme : « Il n'y a pas de bonne fête dans le fond de la crypte s'il n'y a pas de sang. »
(re) Shamballa est le nom de l'équivalent noir de l'Agartha ou parfois de I'Agartha même. (æ) Machen écrivait qu'il est stupide de limitcr « le monde spirituel aux régions du Bien suprême. [.es êtres suprêmement pervers font aussi partie du monde spirituel. L'homme ordinaire, chamcl et scnsucl, nc sera jamais un grand saint. Ni un grand pécheur. Nous sommes, pour la plupart, simplement des créatures contradictoires et, somme toute, oégligeables. Nous suivons notre chemin de boue quotidienne, sans comprendre la signification profonde des choses, et c'est pourquoi le Bien et le Mal, en nous, sont identiques : d'occasion, sans importance (...). Ceux qui sont grands, dans le Bien comme dans le Mal, sont ceux qui abandonnent les copies parfaites et vont vers les originaux parfais. Pour moi, je n'ai aucun doute ! Les plus grands d'entre les saints n'ont jamais fait une « bonne action » au sens @urant du terme. Et enfin, d'un autre côté, il existe des hommes qui sont desccndus au fond des abîmes du Mal, et qui, dans toute leur mauvaise vie, n'ont jamais commis ce que vous appelez une mauvaise action » !
200
TULE§I VERNE
Rennes-le-Château
ET LA ÎERRB
CREUSE
: une entrée vers la terre creuse,
Nous voici donc avec une équation de plus en plus précise : Rose*Croix - Immortalité - Vampirisme - Agartha - Roi du Monde. Et sur chacun de ces points, nous retrouvons Jules Verne, comme si toute son æuvre avait une cohérence ésotérique parfaite. Mais alors, et Rennes-le-Château? Eh bien, justement! Il existe quelques points communs avec I'affaire de Rennes. Boudet fait de Rennes-les-Bains l'île d'Isis : c'est le nom même que donne un manuscrit rosicrucien à une région de Shamballah. D'autre part, nous avons vu qu'un rapport existait entre le Graal et Rennes. Mais il semble bien qu'il existe également un rapport entre le Graal et Ia terre creuse. Un des premiers textes connus concernant le Graal date des années 900. Nommé Menius, son auteur y parlait d'une guerre contre une forteresse souterraine inviolable où se passaient des prodiges. Faut-il rappeler que le Graal est lié lui-même au breuvage d'immortalité et fait donc partie de la même équation ? A partir du culte dionysiaque, ce breuvage est remplacé par le vin, et René Guénon fr) nous fait remarquer combien le Graal est lié au sacrifice << eucharistique » de Melchiss6 dec. Il ajoute : << Le nom de Melchissédec, ou plus exactement Melki-Tsédeq, n'est pas autre chose, en effet, que le nom sous lequel la fonction même du « Roi du Monde » se trouve expressâ ment désignée dans la tradition judéo-chrétienne. » En effet, selon le texte biblique, Melki-Tsedeq, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin et il bénit Abram. Melki-Tsedeq est à la fois roi et prêtre et son nom signifie « Roi de Justice ». Et il est en même temps rcf de Salem, donc de la Paix. La justice et la paix sont les deur attributs fondamentaux du Roi du Monde selon René Guénon, et Salem recouvrirait le nom de I'Agartha (22). Continuons de suivre René Guénon. Il nous parle en effet d'un personnage que norr avons déjà rencontré dans I'affaire de Rennes : Jacob. Celui-ci eut un songe, bien connu, en un lieu appelé Lr:z (u) et qu'il nomma dà
(r)
(2)
René Guénon, Le Roi du Monde (GallimaÂ). Salomon est lulmême un nom dérivé de Salem.
e) b mot Luz désigne entre autres une particule corporelle indestructibb, re@entée symboliquement comme un os très dur, et à laquelle l'âme demeureral [ê
aprÈ la mort et jusqu'à la résurrection.
JULES VERNE BT
LA
TERRE
CREUSE
2OI
lors Beith-El : la Maison de Dieu. A propos deLuz, Guénon nous dit : << Il est dit que l'Ange de la Mort ne peut pénétrer dans cette ville et n'y a aucun pouvoir; et, par uh rapprochement assez singulier, mais très significatif, certains le situent près de l'Alborj, qui est également pour les Perses, le séjour d'immortalité. » BeithEl, la maison de Dieu ! C'est le moment de se souvenir de la phrase figurant au portail de l'église Sainte-Madeleine à Rennes-leChâteau. « Terribilis est loctn r,sre ». Dans la Genèse, ce texte se poursuit par : « c'est la demeure de Dieu et la porte des il s'agit d'une phrase prononcée par... Jacob à cieux » (^\, "t Beith-El (Æ). fres de Luz-Beith-El, nous dit Guénon, il y a un amandier (appelé aussi Luz en hébreu) : et cet amandier est creux à sa base 126). far le trou on pénètre dans un souterrain qui conduit lui-même à la ville souterraine. C'est le moment de nous souvenir d'une vieille légende du Razès. On raconte en effet que sous le château de Rennes s'enfonceraient des souterrains qui communiqueraient avec des cavernes dans lesquelles vivrait depuis la nuit des temps un peuple de troglodÿes ignorant la course du temps (donc immortels) et la lumière du jour (27). Décidément cette région qui allie le blanc et le noir, Blanchefort et Rocko Negro, est bien intéressante, et l'on peut se demander si la Reine Blanche qui hante toutes les légendes de la région n'est pas simplement la Déesse Blanche des anciens, qui régnait sur le
monde souterrain, elle, la déesse du passage vers l'ailleurs, la Dame du Brouillard. Il est fort instructif de relever les noms sous
(%) Genèse.' « Que ce lieu est redoutable ! C'est la maison de Dieu et la portc des cieux. Et Jacob se leva tôt le matin, et il prit la pierre dont il avait faitson chevet, la dressa comme un pilier et versa de I'huile sur son sommet. Et il dontra à ce lieu le nom de Beith-El; mais le premier nom de cette ville était Luz. » Ce n'est pas un hasard si le Christ doit naître, lui, à Beith-Lehem : la maison du pain. (t) En pénétrant dans l'église, en fait de ciel on déæuvre le démon Asmodée. N'est-ce pas au monde infernal que fait allusion ce gardien du seuil ? (%) Dans les traditions de I'Amérique du Nord, on parle d'un arbre par lequel des hommes qü üvaient primitivement à l'intérieur de la terre seraient remontés à la surface, alors que d'autres demeuraient dans le royaume §outerrain. Notons que, pour Julius Evola (tæ Mystère du Graal et l'idée impériale gibeline), I'arbre sec est généralement associé à une figuration de la résidence du Roi du Monde et il reverdira lors du retour de ce Roi Perdu. On ne peut que songer au rcman Consuclo de George Sand, au laurier du Sabarthès qui doit reverdir, et surtout à la légende du Roi Perdu liée au Grand Monarque qui caractérise la région de Rennes. (27) Louis Fédié, « Etude historique sur le Haut Razès », in Mémoires de la Société des
Arts et
Sciences de Carcassonne
(t. ry,
1879-1884).
202
JULEs vERNE ET LA IERRE cREUSE
lesquels elle a été adorée : Albina (une antique forteresse wisigothique placée sur le plateau de Rennes portait le nom d'Albedunum), Cardéa chez les Romains qui voyaient en elle la maîtresse de Janus et la Reine des << charnières >», cardo en latin (le mont qui surveille l'entrée du cromleck de Rennes-les-Bains n'est-il pas le Cardou ?). Oüde disait de Cardéa : << Son pouvoir est d'ouvrir ce qui est fermé et de fermer ce qui est entrouvert. » On a aussi assimilé la Déesse Blanche à Isis (28), si I'on en croit Lucius; mais surtout, il faut rappeler le surnom qu'on lui donnait : I'ARAI-
GNÉE. Bien ! Mais ce n'est pas tout. Il nous faut maintenant trouver le lieu d'où pourraient partir des galeries s'enfonçant sous terre pour rejoindre le royaume souterrain, le royaume du « Maître des collines creuses », comme disaient les Celtes. N'est-ce pas le moment de nous souvenir, précisément, que I'ancien nom du Pic de Bugarach, près de Rennes-les-Bains, était le Pic de Tauze, ce qui signifiait le « Pic Creux ? N'est-ce pas le moment de nous souvenir qu'il existe sous ce pic un vaste réseau de galeries souterraines faisant communiquer entre elles les nappes d'eau de la région, système hydrologique mis en évidence par les travaux de C. Chanel sur Le séisme aquifère des Pyrénées-Orientales en >>
octobre 1940, son rattachement aux eaux thermales de la région et au système orogénique du Canigou, 1941.
Décidément, nous comprenons aisément que Jules Verne ait choisi le nom de Bugarach pour patronyme du capitaine de Clovis Dardentor, ce Bugarach qui voit naître la Sals et la Blanque. La Blanque ! Encore une fois, cette teinte de la Reine Blanche, cette teinte qui est celle de l' ,. Ile Blanche » à laquelle, selon la légende, Joseph d'Arimathie se rendit avec le Graal. Pour l'atteindre, il faut, bien sûr, traditionnellement, « traverser les eaux »». En Russie, nous dit Andrew Thomas ("), ., parmi les vieux croyants ou Starovery, circulait une étrange croyance assurant que celui qui remonterait la piste des conquérants tartares vers la Mongolie, trouverait Belovodye, la terre des Blanches Eaux où de saints hommes vivaient en reclus; loin des turpitudes du monde ». Le Bugarach au pied duquel naît la Blanque n'est-il pas une terre des Blanches Eaux ? Andrew Thomas poursuit en citant le rapport
(J (1
Une statue d'Isis fut trouvée à RennesJes-Bains. nnArew Thomas, Shambhala, oasis de lumière.
JULES VERNE ET LA TERRE
CREUSE
203
que fit le professeur Nicolas Roerich de ses entretiens avec les Vieux Croyants des Monts Altaï, concernant l'accès à cette terre; il écrit : « Après un dur voyage, si vous n'avez pas perdu votre route, vous parvenez aux lacs salés. Ce passage est très dangereux. Vous arriverez alors aux montagnes de Bogogorch. Là commence une piste encore plus périlleuse >>... Sel et Sals, BoGogoRCH et BuGaRaCH. Coincidence encore ? Non, assurément ! La piste est bonne, au lecteur de la suivre.
QUATRIEME PARTIE
L Éretr uN RoI DE rnutÉ
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tSàt-1§
I JULF,S VERNE ET
LES ILLUMINÉS DE BAVIÈRE
Une percée
pol@ue apparemrnent incohérente.
Nous avons vu quels liens unissaient l'æuwe de Jules Vernc cl pensée rosicrucienne, plus spécialement à travers son avatr:
h h
Golden Dawn. Il va sans dire que tout cela, pour être cohéær, doit avoir une influence sur la pensée politique et sociale de Juhr Verne. Tout le monde a voulu « récupérer » Verne : socialig, communistes, bourgeois libéraux, etc. Et cela, en vérité, n'est pc étonnant car sa pensée politique peut sembler incertaine. L'un des éléments les plus sûrs pourrait être la présence en 188E de Jules Verne sur une liste de gauche pour l'élection du conseil municipal d'Amiens. On a parfois dit à l'époque, et souvent depuis, qu'il avait des sympathies socialo-communistes. A ce titre, on peut indiquer qu'il fut, avec Daniel Defoe et Jonathan Swift, l'un des trois auteurs choisis par le parti communiste soviétique, en 1933, pour être traduits en priorité. Mais il faut être prudent. L'orthodoxie de gauche de Jules Verne est en effet fort sujette à caution. Lors même de son inscription sur la liste, Robert Godefroy, conseiller municipal d'Amiens, écrivait à Frédéric Petit, tête de liste : « Jules Verne désire entrer au conseil municipal sur une liste patronnée par le citoyen Frédéric Petit. La chose il y a dix ans vous aurait paru plus que bizarre, car I'aimable écrivain, tout en restant à l'écart de la politique, ne passait guère pour un farouche républicain. Au contraire, ses sentiments orléanistes m'étaient connus. » Toujours est-il que, le 13 mai 1888, Jules Verne fut élu sur une
208
JULEs vERNE
Er LEs
TLLUMTNÉ,s
DE BAvrÈRE
liste de gauche conseiller municipal d'Amiens, ce qui fit quelque scandale dans la bonne société amiénoise. Il fut même obligé de faire une mise au point auprès de certains de ses amis. Il écrivit à I'un d'eux après les résultats : << Pourquoi mêler toujours la politique et le christianisme aux questions administratives ? Tu me connais assez pour savoir que, sur les points essentiels, je n'ai jamais subi aucune influence. En sociologie, mon gott est : l'ordre; en politique, voici mon aspiration : créer, dans le gouvernement actuel, un parti raisonnable, équilibré, respectueux de la justice, des hautes croyances, ami des hommes, des arts, de la vie... Ses prises de position même ne sont pas évidentes. Cinq ans avant cette élection, le 27 féwier 1883, il écrivait au Comte de Paris : >>
<<
Monseigneur,
En souvenir des sentiments que les miens et moi avons toujours professés pour la famille d'Orléans, en souvenir du bienveillant accueil que votre Altesse a daigné me faire personnellement, voulez-vous me permettre de me joindre à tous les hommes de cæur et de bien qui n'ont plus aujourd'hui qu'un devoir et qu'une espérance : le devoir de protester contre l'illégalité, doublée d'une infâmie, qui vient d'être faite à votre famille, I'espérance qu'un jour viendra où toutes ces injures seront vengées. En attendant, Monseigneur, veuillez ac*epter avec tous mes regrets, l'assurance de mon profond respect et de I'inaltérable dévouement qu'a voués à son Altesse son très humble et très re§pectueux
serviteur'
Jures verne. Alors, royaliste ou républicain? Marxiste ou conservateur ? Tout semble contradictoire. On voit Jules Verne fréquenter d'une part Nadar dont les opinions anarchistes sont bien connues, et d'autre pafr les familles royales. On le voit rendre service, sur la demande d'Hetzel, il est vrai, à Paschal Grousset, communard exilé, « rewritant >> son Héritage de Langevol sous le titre Les 500 milliotu de la Begum. Par ailleurs, parlant du mouvement des communards, il dit : « Eh bien, c'est fait, il sera vaincu, et si le gouvernement républicain montre dans la répression une énergie terrible comme il en a le devoir et le droit,la France républicaine a cinquante ans de paix intérieure voilà ce que je pense. » On le voit -défendre les minorités avec fougue : Irlandais, >»
JULES VERNE ET LES ILLUTNNÉS DE
BAVIÈRE
2§
Canadiens français. Il défend la mémoire des Vendéens, des Bretons contre-révolutionnaires. Il ne cesse de se proclamer d'une certaine façon anticolonialiste, et par ailleurs nous le voyons faire preuve de racisme. Dans La Mission Barsac (et cela n'est qu'un exemple parmi bien d'autres), il écrit des Noirs « qu'il ne pourrait être question de les consulter, pas plus qu'on ne consulte un enfant malade sur le remède qu'il convient de lui appliquer ». Et ce racisme s'applique plus particulièrement aux Juifs. Il n'est qu'à voir le personnage d'Isaac Hakhabut dans Hector Servadac pour bien s'en convaincre, à tel point que l'éditeur Hetzel reçut une plainte du grand Rabbin de Paris. Hetzel écrivit à ce sujet à son fils : .< J'avais prévenu Jules Verne, j'avais atténué plus d'un passage, mais il s'est acharné sur le piteux personnage de telle sorte qu'il n'y a que des atténuations difficiles. » Et lorsque dans l'un de ses romans un Juif a l'air presque sympathique, Jules Verne s'empresse de nous signaler qu'il s'agit d'une exception. Sur le plan religieux, l'ambiguïté est la même. Elevé dans le catholicisme, il semble que Jules Verne ait plus ou moins traversé une crise de mysticisme vers 1853. On peut sans doute en déceler l'aboutissement dans un texte assez extraordinaire intitulé Maître Zacharius. Mais, en \862, ce fut la rencontre d'Hetzel qui vivait dans un milieu composé d'anticléricaux comme Jean Macé et de franc-maçons déistes. Il semble qu'il ait alors adopté le déisme. On pourrait en voir la preuve dans le fait que s'il nomme souvent Dieu, la Providence ou le Créateur, il ne parle jamais du Christ. S'il imagine certaines scènes se déroulant dans les églises, il ne parle jamais de l'Eglise. Simone Vierne fait remarquer par ailleurs que le personnage de Nemo intervient un peu «)mme le cri de Nietzsche : Dieu est mort, dans la pensée de Jules Verne. Mais il faut souligner combien, souvent, la pensée des héros verniens est d'essence religieuse.
lules Verne ou l'anarchisme aristocratique. L'ambiguïté des positions politiques de Jules Verne est bien mise en évidence par le titre de l'un des chapitres du livre de Gilbert Prouteau (Le grand roman de lules Verne, sa vie) .' .< LIn anarchiste conservateur »; ambiguité que l'on retrouve dans Chemin de France dans lequel Jules Verne écrit : « Tantôt l'un rapportait que
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,ULES VERNE ET LES ILLUMINÉ,S DB BAVIÈRE
j'avais été à droite quand c'était à gauche. Tantôt I'autre à gauche quand c'était à droite. » Pour débrouiller cet écheveau, je pense qu'il faut faire la part de I'idéalisme et celle du réalisme chez Jules Verne. Le réalisme fait de lui un homme d'ordre. L'idéalisme fait de lui un anarchiste, mais pas un aigri revanchard, non, un anarchiste aristocratique, un anarchiste par idéal. On sent fort bien sa sympathie pour des héros prométhéens se mettant à l'écart de la société, comme Robur ou Nemo. Jules Verne a d'ailleurs été mis en relation, sans doute grâce à Hetzel, avec des anarchistes importants, tel Elisée Reclus (r). D'une certaine façon, on peut voir dans Jules Verne un
révolutionnaire; d'ailleurs Pierre [.ouys, procédant à l'analyse graphologique de son écriture ('), fit apparaître en premier lieu qu'il était un « révolutionnaire souterrain »>. Révolutionnaire soit, mais à condition de ne pas poser sur ce terme les masques qui l'accompagnent à notre époque. Tout d'abord, Jules Verne n'est pas marxiste, n'en déplaise à bien des récupérateurs. La preuve, on peut la trouver dans un roman qui, même s'il doit quelque chose à son fils, semble être tout à fait représentatif de sa pensée politique : Les Naufragés du Jonathan. Dans cet ouvrage, des naufragés, gens pauvres allant chercher fortune au bout du monde, se retrouvent en Terre de Feu, contraints de s'organiser pour survivre. Certains chercheront à prendre le pouvoir sur le groupe et ce sera I'occasion pour Verne de
mettre en sêne socialistes et communistes et de les montrer essayant de fonder un gouvernement. Du communiste, il dit : « Dorick prônait l'égalité d'une manière telle qu'il la rendait haïssable. Ce n'est pas en bas, c'est en haut qu'il regardait. La pensée du sort misérable auquel est vouée l'immense majorité des humains ne faisait battre son cæur de nulle émotion, mais qu'un petit nombre d'entre eux occupassent un rang social supérieur au sien, cela lui donnait des convulsions de rage. » Quant au socialisme, il lui règle son compte avec tout autant de lucidité : .. Le socialisme, cette doctrine dont la prétention ne va à rien
(1) C-e géographe anarchiste était aussi franc-maçon, membre de la loge « La Renaissance ». (2) Graphologie publiée dans Broutilles (La Roche-sur-Yon, 1938) et citée par Marie-Hélène }Jtet, L'histoire des voyages extaordinaires (Lettres Modernes, 1973).
JULES VERNE
EÎ
LES ILLUMINÉS DE
BAVIÈRE
2II
moins qu'à refaire la société de la base au faîte n'a pas le mérite de la nouveauté. Après beaucoup d'autres qui se perdent dans la nuit des temps, Saint-Simon, Fourier, Proudhon et « tutti quanti » sont les précurseurs du collectivisme. Des idéologues plus modernes,
tels que les Lassale, les Karl Marx, les Guesde n'ont fait que reprendre leurs idées en les modifiant plus ou moins. » Et il ajoute : << Si le mouvement socialiste, qui s'est affirmé pendant la seconde moitié du siècle, n'a pas été inutile, s'il a eu ce résultat bienfaisant d'exciter la pitié générale en appelant I'attention sur la misère humaine, d'orienter les esprits vers la recherche des moyens à l'atténuer, de susciter des initiatives généreuses et de provoquer des lois qui ne sont pas toutes mauvaises, ce résultat n'a pu être
obtenu qu'en conservant intact I'ordre social qu'il prétendait détruire. » Autrement dit, ou le socialisme est un libéralisme réformiste, ou il est voué à la catastrophe. Face au communiste et au socialiste dont les comportements, dans le livre, sont loin d'être dignes d'éloges, Jules Verne nous présente son modèle : un anarchiste : le
Kaw-Djer. S'étant réfugié sur l'île il y a fort longtemps, le KawDjer est un ancien prince qui a tout abandonné par convictions politiques. Ennemi de tout système, adversaire de toute organisation qui limite la liberté des êtres. « Je suis I'ennemi irréconciliable de tout gouvernement quel qu'il soit. J'ai employé ma vie entière à réfléchir sur ce problème et je pense qu'il n'y a pas de circonstance où I'on soit en droit d'attenter à la liberté de son semblable. » Cet anarchiste, qui a abdiqué pour respecter son idéal, cet anarchiste, disais-je, cache en fait un véritable prince : Jean Orth, archiduc de Habsbourg, dont nous avons déjà parlé. Mais le sentiment anarchiste va être ébranlé chez le Kaw-Djer. Il est le seul << homme fort » sur cette île, le seul capable d'organiser le groupe humain de naufragés et de I'empêcher d'une part de disparaître par imprévision dès le prochain hiver, d'autre part de sombrer dans les vices les plus divers, enfin le seul capable d'éviter que règne sur l'île la loi de la brute la plus épaisse. Et cet anarchiste, afin de mener à bien le
projet de la colonie, va se voir obligé, la mort dans l'âme,
de
franchir toutes les étapes du despotisme, car il semble que seule une autorité sans faille puisse servir le bien commun et permettre à l'1le Hoste de sauvegarder son indépendance. Par là Jules Verne ne justifie pas le despotisme. Il tente seulement de montrer que la plupart des hommes n'ont pas le
212
JULES VERNE ET LBS ILLUMINÉS DE BAVIÈRE
oourage d'être libres, et ont besoin de se faire prendre en charge, d'être dirigés, menés sans souci. Que demande le peuple, en fait ? semble nous dire Jules Verne, un père qui soit le détenteur de la loi, de la règle à laquelle on peut se raccrocher. Trop de liberté fait naître chez la plupart des hommes un vertige de I'abîme qui peut
leur être fatal. On comprend ainsi que Jules Verne ait eu quelque tendresse pour des personnages apparaissant en quelque sorte comme des anarchistes aristocratiques (3).
Spartacus et ses esclaves.
Le sentiment anarchiste de Jules Verne est important car il se trouve qu'il fut plus ou moins défendu par les milieux rosicruciens (ou du moins une part d'entre eux) au siècle dernier, dans la lignée des sociétés secrètes qui préparèrent la révolution de 1789, sous l'influence des Illuminés de Baüère. Il semble bien d'autre part que la Golden Dawn ait subi l'influence de I'enseignement des Illuminés par l'intermédiaire de I'O.T.O. (Ordo Templi Orientis). A l'origine des Illuminés de Bavière, un homme : Adam Itr/eishaupt. Né le 6 février 7748, à Ingolstadt, reçu docteur utriusque juris à l'âge de 25 ans, puis doyen de la faculté de droit à 27. Malgré cette carrière brillante, Weishaupt considère que ses mérites sont insuffisamment reconnus et il en rend responsable l'Eglise, et plus spécialement les Jésuites. Ses idées avancées le font considérer par ses collègues comme un dangereux novateur. Weishaupt songe alors, l'union faisant la force, à créer une société capable de contrebalancer I'influence des Jésuites, et c'est ainsi que naît en 17761' « Ordre des Perfectibilistes » dans lequel Weishaupt a décidé de réunir les meilleurs jeunes esprits afin de les former à la philosophie des lumières, bannie par l'enseignement universitaire. Longtemps le groupe ne sera composé que de cinq membres. Afin de structurer la société, Adam \Meishaupt se fait recevoir franc-maçon. En fait, il se voit
tout d'abord refuser par les Rose*Croix d'Or, mais, en Adolf Von Knigge, baron d'Empire désargenté, vient
1781,
à son aide et
(3) Dans un autre registre, on peut remarquer la même caractéristique l'cuvre de Maurice Leblanc consacrée aux aventures d'Arsène Lupin.
dans
IULES VERNE Ef, LES ILLUMINÉS DE
BAVIÈRE
2I3
gr*0" bibliothèque encyclopédique, des archives historiques, des cabinets scientifiques, afin de lutter contre l'ignorance entretenue par ceux en qui il voit les << ennemis de I'avenir et de l'humanité », autrement dit les organise réellement l'ordre en lui donnant une
Jésuites.
L'Ordre prend alors le nom d'Ordre des Illuminés et se structure selon des grades : Noüce, Minerval, Illuminatus, etc. [æs membres prennent des noms empruntés à l'antiquité grecque. Ainsi Weishaupt devient Spartacus. Læs villes aussi sont désignées sous un
nom de code et Ingolstadt devient Eleusis. Pour enseigner la Vertu, Weishaupt, sous I'influence de Von Knigge (a), reprend les méthodes de ses ennemis, les Jésuites. Il préconise la délation et l'espionnage entre membres, recommande de pratiquer << l'art de dissimuler, d'observer et d'espionner les autres ». La société n'admet en son sein ni les moines, ni les femmes, ni les Juifs. Elle enseigne que tout roi est un usurpateur des droits du peuple, que la liberté et l'êgalité sont les droits essentiels de l'homme. Pour rétablir l'homme dans ses droits naturels, il faut détruire la religion et abolir la propriété. Ayant appris tout cela, I'initié était digne de porter le bonnet phrygien. Les Illuminés professaient que toutes les religions sont fondées sur I'imposture et sur les chimères, qu'elles rendent l'homme lâche et superstitieux. On soupçonne le Comte de Saint-Germain, Cagliostro et même le Ie futur Philippe Egalité d'avoir appartenu à Duc d'Orléans l'ordre. Ce qui est certain, c'est que les idées des Illuminés de Bavière eurent une influence considérable non seulement sur la Révolution Française (5), mais sur une bonne partie des sociétés ésotériques du xx" siècle. C'est dans ce fonds philosophique que Karl Marx puisa sa doctrine. Louis Blanc (Histoire de la Révolution) écrivit: .< Par le seul attrait du mystère, la seule puissance de I'association, soumettre à une même volonté et animer d'un même souffle des milliers Sagesse et la
(a) Von Knigge avait été initié à Kassel, à la. Stricte Observance Templière », et entretenait une correspondance assidue avec les groupes rosicruciens. Il fut C.B.C.S. dans la Franc-Maçonnerie Ecossaise Rectifiée et, déiste, il finit par se brouiller avec Weishaupt. (s) Et 1797-1198, l'abbé Barruel fit paraître un ouvrage en 4 volumes : Mémoires
il
pour servir à l'histoire du Jacobinisme, dans lequel il dénonçait le rôle des lllumioés de Bavière dans la chute de la monarchie,
214
JULES vERNE ET LEs ILLUMINÉs DE BAvIÈRE
d'hommes dans chaque contrée du monde, mais d'abord en Allemagne et en France; faire de ces hommes au moyen d'une éducation lente et graduée des êtres entièrement nouveaux; les rendre obéissants jusqu'au délire, jusqu'à la mort, à des chefs invisibles et ignorés; avec une légion pareille peser secrètement sur les cæurs, envelopper les souverains, diriger à leur insu les gouvernements et même l'Europe à ce point que toute superstition fût anéantie, toute monarchie abattue, tout privilège de naissance déclaré injuste, le droit même de propriété aboli; tel fut le plan gigantesque de l'Illuminisme » ! Louis Blanc s'en félicitait, mais créer une troupe fanatique est une chose, savoir dans quels buts elle sera utilisée en est une autre, et c'est la porte ouverte au totalitarisme. En tout cas, Weishaupt peut être considéré pratiquement comme le véritable père du Marxisme. Bakounine fut un disciple de Weishaupt et I'on a retrouvé dans les notes des fondateurs des Illuminés de Bavière une phrase que I'on peut lire textuellement chez Bakounine : << Nous devons tout détruire, aveuglément, avec cette seule pensée : le plus possible et le plus vite possible. » Werner Gerson écrit dans Le Nazisme Société Secrète.' <. Weishaupt sema le grain qui donna un peu plus tard Babeuf, Buonarroti, Elisée Reclus (6), Bakounine, Kropotkine, Jean Grave et aussi, mais indirectement, Blanqui, Trotski, Lénine. Ce ne sont pas coïncidences. »
fuks
Verne, héritier spirituel des llluminés?
Est-ce une coïncidence si I'on trouve chez Jules Verne I'esprit des Illuminés de Bavière, du moins partiellement ? Le Kaw-Djer, héros des Naufragés du lonathan, est dans ses principes de base une pure émanation d'Adam Weishaupt. Le fait même qu'il y ait une permanence du << cercle », du voyage circulaire aux cercles de réunions, chez Jules Verne, pourrait être interprété en liaison avec les Illuminés. Ainsi le Reform Club est un « cercle >r. Or, le Marquis de Luchet, dans un ouvrage paru en 1789 et intitulé Essai sur la secte des llluminés, nous dit : « Les cercles sont des comités administrateurs de la secte. Il y en a autant qu'on juge en avoir besoin. Ils sont répartis dans différentes Provinces, et composés chacun de neuf personnes. Initiées aux mêmes forces, connues par
e)
Ami de Jules Verne.
JULES VERNE ET LES ILLUMINÉ,S DE
BAVIÈRE
2I5
les mêmes épreuves, liées par les mêmes serments, imprégnées des mêmes principes, correspondant entre elles avec des hiéroglyphes inconnus au reste du monde, et malgré ce langage ténébreux, elles ne confient pas leurs dépêches. Dépositaires des complots, au
et emploient
des voies de communication aussi mystérieuses que leurs chiffres. Ces cercles ont des voyageurs anonymes. Ce sont ordinairement des hommes d'un extérieur simple, espèce de gens de lettres affectant la philanthropie. » Et surtout, il faut signaler que les Illuminés se sont particulièrement intéressés aux Sociétés Littéraires. Ils ont créé des groupes réunissant des écrivains, ont noyauté des loges maçonniques ou rosicruciennes. Ils appliquaient ainsi la technique des Jésuites : ne pas proclamer leur doctrine mais la faire proclamer par d'autres, former ceux qui ont le pouvoir sur les médias de l'époque, et c'est pourquoi ils eurent même leurs libraires. En tout cas, ordre était donné aux adeptes de recruter de préférence des artistes et plus encore des libraires, au point qu'un Anglais, Mr. Robison, publia un ouvrage : Preuves d'une corupiration formée par les Franc-Maçons, les llluminés et les Sociétés Littéraires, contre toutes les Religions, tous les gouvernements de I'Europe. Je ne veux pas dire par là que Jules Verne fut un membre des « Illuminés de Bavière » au sens où on pouvait le comprendre au xvru' siècle. Je pense simplement qu'il appartint à l'une de ces sociétés littéraires dont je donnerai le nom dans le prochain chapitre et que celle-ci, comme beaucoup de groupements ésotériques du xx" siècle, subit au moins partiellement l'influence des doctrines des Illuminés et de leurs méthodes. Outre I'amour des écritures secrètes si remarquable chez Jules Verne, on peut noter, au niveau des méthodes, les précautions prises par le Maître avant sa mort pour un indice supplémentaire. En effet, les écrits ou livres relatifs à l'Ordre n'étaient liwés au novice qu'en tout petit nombre, au compte-goutte, pourrait-on dire, et sous garantie que personne d'autre ne pourrait y accéder. A mesure qu'il avançait en grade, il pouvait les conserver plus longtemps, mais il devait auparavant indiquer quelles précautions il avait prises pour éviter toute fuite, même en cas de mort soudaine. Weishaupt disait de ses adeptes : « Il faut qu'il fasse son testament, et que là il exprime bien spécialement ses dernières volontés sur les papiers secrets qui pourraient se trouver chez lui, si la mort venait à
service public,
216
JULEs VERNE ET LEs ILLUMTNÉ,s DE BAvrÈRE
Il faut qu'il se munisse de la part de sa famille ou du magistrat public, d'un reçu juridique de la déclaration qu'il aura faite sur cette partie de son testament, il faut qu'il reçoive par écrit la promesse que ses intentions seront remplies. » Jules Verne prit de telles précautions. Ce qui semble certain, c'est qu'il véhicula consciemment les idées prônées par Weishaupt, mais qu'il revint sur ces options sur la fin de sa vie, nous en reparlerons. Il ne fut pas le seul à faire la part belle aux concepts de Weishaupt, et George Sand, que nous rencontrons bien souvent lorsque I'on fait des recherches sur Jules Verne, a consacré son plus beau roman à mettre en valeur ces le surprendre.
doctrines.
Les Illuminés de Bavière et un chôteau en Bohême.
Dans Cottsuclo et sa suite La Comtesse de Rudolstadt, George Sand nous parle d'une mystérieuse « Secte des Invisibles ». Elle écrit : « Ils sont les instigateurs de toutes les Révolutions : ils vont dans les sours, dirigent toutes les affaires, décident la guerre ou la paix, rachètent les malheureux, punissent les scélérats, font trembler les rois sur leurs trônes. » Et Consuelo sera initiée par ces Invisibles qui prêchent la Liberté, la Fraternité et l'Egalité. << Ce sont des gens qu'on re voit pas mais qui agissent. Ils font toute sorte de mal. On ne sait pas s'ils demeurent quelque part, mais il y en a partout (...). Ce soût eux qui assassinent beaucoup de voyageurs et qui prêtent main forte à beaucoup d'autres contre les brigands, selon que ces voyageurs sont jugés par eux dignes de châtiment ou de protection. Et George Sand leur prête tous les pouvoirs des Rose+Croix. Elle est d'ailleurs I'une des premières à mettre en évidence les liens existant entre Rose*Croix, Sainte Vehme et Illuminés de Bavière, et toute la fin de I'ouvrage est consacrée aux Invisibles-Illuminés, I'auteur connaissant parfaitement les rouages et les doctrines de la >»
secte.
Au sujet de Weishaupt, George Sand écrit : << Marche donc, agis et travaille. Le ciel t'a fait organisateur de destruction : détruis et dissous, voilà ton (Euwe. Il faut de la foi pour abattre comme pour élever. » Ne dirait-on pas Nemo ou Robur le Conquérant ? George Sand, laissant la parole à Spartacus-Weishaupt, écrit alors : « Je
JULES VERNE ET LES ILLUMINÉ,S DE BAVIÈRE
217
croyais qu'il n'y avait plus rien à espérer de la Société officielle, et
qu'on ne pouvait la réformer en y restant. Je me suis placé en dehors d'elle, et, désespérant de voir le salut descendre sur le peuple du fait de cette corruption, j'ai consacré les dernières années de ma force à agir directement sur le peuple. » Ne dirait-on pas le Kaw-Djer ? George Sand met dans la bouche d'un interlocu-
teur de Weishaupt les paroles suivantes : << Sache une chose qui doit être la règle de ton âme. Rien ne se perd. Ton nom et la forme de tes æuvres disparaîtraient, tu travaillerais sans nom, comme moi, que ton æuvre ne serait pas perdue. La balance divine est la mathématique même; et dans le creuset du divin chimiste, tous les atomes sont comptés à leur exacte valeur. » Ne doit-on pas songer à Nemo?
Il
est temps de nous résumer. Nous avons montré, outre la
connaissance du mystère de Rennes-le-Château pour Jules Verne,
son appartenance à Ia Franc-Maçonnerie et à un groupe se réclamant du Rosicrucianisme. Nous avons vu que ses connaissanoes sont liées à I'enseignement de la Golden Dawn, mais aussi d'une certaine façon à celui des Illuminés de Bavière. Mais par quel
biais ? Au sein de quel groupe Jules Verne acquit-il de telles connaissances ? Par qui fut-il mandaté pour transmettre un enseignement ? Nous sommes maintenant en mesure de le révéler !
II LA
COI.]PE DANS
LE BROUILLARD
L'æuvre de Jules Verne suit une certaine logique qui correspond à un'but bien précis. De la Franc-Maçonnerie Ecossaise à la Rose*Croix, le chemin est assez évident; il est aisé également de suivre notre auteur à la trace dans ses rapports avec les thèmes de la
Golden Dawn, du vampirisme à la terre creuse. Cæpendant, lorsque mon enquête m'eut conduit à ce stade de réflexion, je ne me trouvai pas satisfait pour autant. Il manquait quelque chose, une signature plus précise. Certes, Verne avait sans aucun doute été initié à la Franc-Maçonnerie, certes il connaissait les doctrines rosicruciennes, mais cela ne me disait pas précisément à quelle société il appartenait, ni de quelle obédience. De toute évidence, son (Euvre, tout entière vouée à la transmission d'un message, devait être le reflet non de la pensée unique d'un homme, mais de celle d'une communauté. Les liens unissant la pensée politique de Verne, ou plus exactement celle qui ressort de ses euvres, et les thèmes fondamentaux des Illuminés de Bavière devaient, tout à fait logiquement, me conduire à rechercher du côté de sociétés réunissant plus spécialement des écrivains et des artistes. « Aidetoi et le ciel t'aidera ! », dit le proverbe, et le ciel m'aida. Menant parallèlement dcs recherches sur Gérard de Nerval, je fus amené à m'intéresser à un ouvrage très rare que le hasard (ou la Providence) mit fort heureusement entre mes mains et qui me fournit l'élément qui me manquait encore. C'est de ce livre primordial qu'il me faut parler maintenant, de ce livre et de la mystérieuse société dont il fut
le bréviaire.
LA
COUPE DANS LE BROUILLARD
219
La griffe de I'Ange dans le brouillard.
Le cénacle qui porta le nom de Société Angélique fut fondé par l'imprimeur lyonnais Gryphe au xvl" siècle. Il s'agissait, nous signale Grasset d'Orcet, d'un groupe qui s'était placé sous le patronage ultra-maçonnique de Saint-Gilles, dont les adeptes avaient pris pour cimier une tête d'ange : « chef Angel, traduit en langage gouliaresque par Saint-Gilles ». En réalité, I'imprimeur Gryphe se nommait Sébastien Greif, originaire de Reitlingen dans le Wurtembourg; il s'était fixé à Lyon en 1522 et avait pris pour emblème un griffon. Son pseudonyme, Greif ne I'avait pas seulement adopté en raison du lien phonétique existant avec son nom, il I'avait emprunté à une société grecque nommée « Néphès », c'est-à-dire « Le Brouillard »». Ce terme désignait l'Inconnu, principe universel. Comme nous le signale R. Mazelier (1) : « C'était la nue, le nuage, qu'embrassait Ixion et que les Grecs nommaient Gryphe, I'embrouillée, avec une tête de bæuf pour hiéroglyphe. » Ne négligeons pas cette tête de bæuf, ce bucrâne, signe du labeur de l'homme sur lui-même, de la tentative de se dépouiller et de se libérer du vieil homme. Nostradamus nous dit d'ailleurs des anciens : << Quant ilz vouloyent signifier labeur, d'ung beuf la teste ilz metoient en imaige, qu'estoit de chair desnuée par langueur, pour ce qu'au beuf se faict tout labouraige, de chair privée car gens de travaillaige le plus souvent ne sont pas trop aleigres, le grand labeur qu'ilz ont par leur mesnaige, les constrainctz estre par le labeur fort maisgres. » En tout cas, I'Ange apparaît comme le messager de ce brouillard et la Société
Angélique changera parfois d'appellation pour se nommer tout simplement « Le Brouillard ». Ce dernier nom recouvrit également, selon Grasset d'Orcet, <( une branche très importante de la franc-maçonnerie vénérant le sépulcre d'un savant Napolitain connu sous le nom de Pierre Barlieri » (2). n est nécessaire de rappeler à ce propos que les sectes pré-maçonniques du Moyen Age se rattachaient souvent à des tombeaux dont les plus en vogue étaient ceux de Salomon et d'Hiram. Mais il convient de signaler également ceux de Virgile, de Pierre Brouillard, de Pierre Abaylard, etc. (1) R. Mazelier, « En lisant Nerval : Angélique » (Cahiers d'Endes Cathares). (2) Les amateurs de Nerval ne manqueront pas de faire le rapprochement qui s'impose avec un autre tombeau napolitain.
220
I.^A COUPE DANS
LE BROIJILLARI)
Curieux terme a priori que celui de Brouillard et qui réclame quelques explications. II est I'Inconnu, nous I'avons dit, c'est lui qui préside aux Nuées d'Aristophane aussi bien qu'aux Niebelungen. Mais cet inconnu est équivoque. Est-il Dieu ? Est-il le Démiurge ? Est-il Lucifer ? Faut-il voir là un rapport avec la Nuée qui envahit le temple de Jérusalem lorsque Dieu fut censé en prendre possession ? Faut-il lui trouver un lien avec ces brouillards mystérieux qui président aux apparitions d'êtres bizarres et inquiétants dans les romans des géniaux H. P. Lovecraft et A. Merritt ? I-e brouillard n'est pas seulement un symbole de I'indéterminé, il représente aussi le chaos, le tohu-bohu des origines, généralement lié à cette époque que les Grecs attribuaient au règne de Chronos, connu par les Latins sous le nom de Saturne, roi de l'âge d'or. Cet âge est oublié, il est une sorte de paradis perdu par suite de la chute dans la matière. L'Homme est sorti des nuées pour s'incarner et a perdu le paradis en se dépouillant de sa nébulosité, il ne pourra retrouver cet aspect de lui-même qu'à travers son corps astral, audelà de la mort. Pas étonnant que les textes irlandais anciens évoquent le brouillard à propos de la musique du Sid (l'au-delà) ou du Sid lui-même. De même, le mot sanscrit <« ghana » (nuage) est appliqué à I'embryon primordial; de même, dans l'ésotérisme islamique,le Nuage (al'amâ) est l'état inconnaissable d'Allah avant la manifestation. Ajoutons avec louis-Claude de Saint-Martin que la nébulosité enveloppe toujours les éclats de lumière qui sillonnent parfois les ténèbres humaines parc€ que nos sens ne pourraient en soutenir l'éclat. En tant que tel, symbole de I'indifférencié, le brouillard peut aussi être le symbole d'un état que I'initié doit reconquérir pour s'abstraire de la matière. Ce n'est certes pas un hasard si on peut lire à la fin d'un roman de Bram Stoker dont nous avons déjà parlé (Le loyau des Sept Etoiles): << Je vis quelque chose de blanc s'élever hors du sarcophage ouvert. Quelque chose qui apparaissait à mes yeux torturés comme un brouillard blanc, léger et transparent. Au cæur de ce brouillard, plus épais et opaque comme une opale, se trouvait quelque chose qui ressemblait à une main tenant une pierre précieuse étincelante lançant toutes sortes de feux. Lorsque la lueur aveugle du coffre rencontra cette nouvelle lumière vivante, la vapeur verte qui flottait entre elles deux prit l'aspect d'une cascade de points brillants un miracle de (...) lumière ! Une fumée noire commença à se dégager. Elle s'épaissit de plus en plus avec une terrifiante rapidité, son volume
LA
COUPE DANS LE
BROUILLARD
2I
et sa densité ne cessaient de s'accroître. Jusqu'au moment où toute la caverne commença à s'obscurcir, où l'on cessa de voir ses timites » (3). L'aspect ambivalent du brouillard est en tout état de cause à
souligner : brume lumineuse ou avant-goût des ténèbres. Ce double aspect est bien illustré par une phrase de Grasset d'Orcet : « Brouillard veut que Sol mont (le germe solaire) passe dans le sang de I'homme, pour faire le jeune corps du fils, dans lequel Brouillard veut qu'il passe, pour qu'il renaisse et renverse le
brouillard. Ajoutons enfin qu'il existe un fort curieux ouvrage de Willis George Emerson, paru en 1908, qui relate le récit d'un Norvégien devenu américain, Olaf Jansen, lequel affirma s'être rendu dans le monde souterrain habité et en être revenu (a). L'ouvrage s'intitulait : Le Dieu Brumeux, nom qui désignait un soleil intérieur à la terre. »>
Le Songe de Poliphile. La « Société Angélique >> olr << Le Brouillard » possédait un livre bréviaire «)nnu sous le nom de Songe de Poliphile, ouvrage à clé bien entendu. Le jésuite Tiraboschi écrivait à son propos : << Heureux celui qui parvient, je ne dis pas à l'entendre, mais seulement à savoir dans quelle langue il est écrit, tant on y voit un confus mélange de fables, d'histoire, d'architecture, d'antiquités, de mathématiques, et de mille autres choses, avec le plus étrange entassement de mots grecs, latins, hébreux, arabes, chaldéens, lombards et italiens. » L'ouvrage est attribué à Francesco Colonna. En effet, si I'on réunit les lettres initiales de chacun des dix-huit chapitres, on obtient le texte latin suivant: Poliam frater Franciscus Colonna Peramavit, c'est-à-dire : le frère François Colonna a éperdument aimé Polia. L'auteur présumé était un moine dominicain qui aurait, (t) Quant à Dracula, autre roman de Bram Stoker, le brouillard n'y intervient pas moins d'une cinquantaine de fois. Il est à remarquer qu'il existe de nombreux liens entre le vampire, le dragon et le brouillard. (o) Les légendes affirment toujours que les entrées du monde souterrain sont protégées par un brouillard, de même qu'une brume couvre perpétuellement le royaume de Thulé.
222
LA couPB DANs LB
BRoTTTLLARD
selon certains commentateurs, été amoureux d'une belle Tréüsane nommée Polita ou Ippolita. Il aurait conté ses amours en masquant les noms et se serait servi de diverses langues pour mieux mêler les pistes de ses amours. Voilà qui est bien maigre comme explication
d'une telle æuvre et qui prête à l'auteur un esprit à la fois singulièrement compliqué et fort puéril. En fait, tout cela n'était que prétexte. L'ouvrage, magnifique in-quarto illustré de grawres sur bois, paru à Venise par les soins de l'éditeur Alde Manucce, en
1499, sous le titre Hypnerotornachia Poliphili C), était en fait vraisemblablement dû à un cénacle, le frère Francesco Colonna n'étant qu'un prête-nom. Comme l'a montré Emanuela Kretzulesco-Quaranta dans un ouvrage admirable (6), l'histoire d'amour qui oriente les événements du Songe de Poliphile, fut en fait inspirée par une bonne part de la vie de Laurent de Médicis, dit Le Magnifique, et de son amour pour la belle et pure Lucrezia Donati ('). En fait, Emanuela Kretzulesco-Quaranta I'a fort bien compris et mis en évidence, Le Songe de Poliphile était chargé de
transmettre un message à la prospérité de la part d'un groupe d'érudits platoniciens qui furent persécutés vers 1468, date du procès de Rome et du Congrès de Camaldoli réunissant les Académiciens florentins. << Lss idées et les théories de Léon Baptiste Alberti, le protégé de Nicolas V et du cardinal Colonna, provenant des recherches du cardinal de Cuse synthétisées dans la « Chasse à la sagesse » de celui-ci, sont reconnaissables tout au long du « Combat de Poliphile ». C'est donc lui, Alberti, que nous reconnaissons sous le pseudonyme de Poliphile, le premier père de l'Hypnerotomachie; lui, auquel nous devons la résurrection de l'art de Vitruve et la difftrsion des idées qui ont servi de guides aux humanistes de la Renaissance; lui, le protagoniste du « Combat en songe par amour de la Sagesse », nous dit I'auteur des lardins du Songe.
(5) Dans la réédition de 1546, le titre fut développé en: La Hypnerotomachia di Poliphilo, cioè pugna d'amore in sogno, soit I-e combat d'Amour en songc de
"
Poliphile », ou plus exactement « Læ combat que Poliphilc soutint en songe contre
I'Amour ,. (6) Emanuela Kretzulesco-Quaranta, Les jardins du songe (Les Belles-Lcttres). (7) Laurent le Magnifique servit également partiellement de modèle au Roméo de Shakespeare. Quant au personnage de Prospero, dans La Tempête du même Shakespeare, il fut inspiré par Prospero Colonna. Une curiosité supplémentaire, la devise de Laurent : « [æ temps revient.
»
IÂ
COUPE DANS LB
BROUILIâR.D
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Pour le cénacle qui présida à cette écriture, la meilleure voie d'accès à la connaissance de Dieu serait celle de l'étude de la nature et de ses lois, point de vue très proche de celui des gnostiques et, plus tard, des Rose*Croix. Il n'est pas inintéressant de rapprocher cette conception de celle dez Virgile : l'Arnour, l'Eros divin, est la
force motrice du Tout (8). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'itinéraire de Poliphile rencontre celui d'Enée. La première partie de I'ouvrage est donc liée directement aux conceptions d'Alberti, elle aboutit à la conquête de la fontaine mystique de I'amour divin qui donne Ia vie. La seconde partie, elle, plus inspirée des amours de Laurent Le Magnifique, va plus loin à la recherche de l'amour véritable. A la suite des persécutions qui débutèrent en 1466, Léon Baptiste Alberti avait dû se réfugier à Florence chez les Médicis. Peu de temps après moururent, sans doute empoisonnés, Nicolas de Cuse et Prospero Colonna. La papauté semblait bien décidée à éliminer ce que I'on appelait parfois « I'Eglise des Lumières » et qui était en même temps I'Eglise du Brouillard.
Dei Mater ou la bngue du blason.
Il est important de savoir que Le Songe de Poliphile est avant tout un ouvrage crypté. Léonardo Crasso, qui fit imprimer cette Guvre, mit un avertissement en tête du livre : « Ce qui s'y trouve n'est pas fait pour être dit dans les carrefours; mais vient d'une nourriture philosophique, est puisé aux sources mêmes des Muses, exprimé dans un langage magnifique, et mérite la gratitude des hommes de science. » Ce langage est la langue du blason. Grasset d'Orcet rappelle fort à propos : <( Le mot blason n'a certainement rien à faire avec l'allemand blasen (sonner du corps). Comme
grimoire, il vient du grec. Les tailleurs de pierre ont pour patron saint Blaise, dont le nom en grec veut dire bléser, c'est-à-dire parler comme les Auvergnats, en chuintant les gutturales. Blasonner, c'est-à-dire parler comme saint Blaise ou bléser (e). » Platon appelait cette façon de déguiser sa pensée la langue des dieux.
(E) « Amor che move il sole et I'altre stelle » est le vers sur lequel se termine I.a Divine Comédie, dans laquelle Dantc se déclare disciple de Virgile. (e) Dans l'église de Limoux, non loin de Rennes-le-Château, la chapelle dédiée à saint Blaise est décorée de symboles maçonniques.
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couPE DANs LE BRoUILLARD
Il fallait quatre langues pour comprendre Le Songe de Poliphile
:
le grec, le latin, Ie toscan et la langue vulgaire, terme qui dans la langue du blason désigne toujours le français. Or, précisément, c'est pour interpréter les rébus que constituent les gravures illustrant I'ouvrage que le français est indispensable. L'ouvrage luimême nous indique la voie à suivre. Au départ, Poliphile décrypte lui-même I'un des rébus et nous livre le sens qu'il faut donner à l'assemblage des images. Si I'on compare cette interprétation des symboles au système proposé par les Hiéroglyphes d'Horapollo, il est possible de reconstituer le système s'appliquant au décryptage du Songe. Nous renverrons le lecteur à ce qu'en dit Rabelais et aux travaux de Grasset d'Orcet sur le sujet. Nous I'engagerons également, s'il veut tirer la substantifique moelle du Songe, à lire attentivement un ouvrage de Nostradamus fort peu connu : Interprétation des Hiéroglyphes de Horapollo,livre que son auteur dédia à Jeanne d'Albret, mère du Roi Henri IV et membre de la Société Angélique. Nous ne saurions trop insister sur l'importance de cet ouvrage dont Nostradamus disait lui-même : « Je n'ai traduict ces deux livres en vain, Mais pour monstrer à gens laborieux Que aux bones lètres se rendent studieux Des secretz puissent scavoir l'utilité Qu'à plusieurs notes comprinse est vérité,
Que quand le docte aura veu mon prologue, Mesmes de ces secretz faict philologue Ont se pourroit quelque peu merveilher Comme nature advoit peu travailher Cas diférentz surpassant sens humain Que Epaphus mit exact de sa main Aiant de Memphys trouvés les carathères, Car ilz en feurent les premiers inventayres.
,
Son livre a pour intérêt non seulement de nous éclairer sur la méthode à suivre pour décrypter le Songe de Poliphile, mais aussi
sur la façon dont furent écrites les Centuries. Lorsque l'on s'intéresse à Rennes-le-Château, on est forcé de porter attention au passage dans lequel Nostradamus nous indique : « Comment ilz appelloient les dieux infernauls qu'ils appeloient manes D. M. », surtout lorsque l'on se souvient d'un certain quatrain des centuries
disant
:
LA
ns
COUPE DANS I.E BROUILLARD
I'escriture D. M. trouvée, " Quandantique lampe descouverte,
Et cave à Ley, Roy, Prince Ulpian esprouvée,
Pavillon Reyne et Duc sous la Couverte.
»
Mais ne nous égarons pas. Revenons au Songe de Poliphile et ù ses rituels curieux, liés parfois à la magie du sang : suivons le héros
au temple de Vénus, assistons au sacrifice et admirons la naissance d'un arbre nourri du sang des victimes, laissons ses fruits servir d'aliments aux hiérophantes lors d'une véritable Cène liée aux mystères du Sang et de I'AMOUR. Laissons Vénus nous conduire à Cythère, lieu cher à Gérard de Nerval comme à !ÿatteau. On pourrait s'étonner qu'un tel ouvrage ne soit pas connu de tout le monde, mais deux facteurs ont contribué à cette ignorance, en rendant la lecture da Songe de Poliphile confidentielle : le premier est sa réputation de livre érotique (10) due à certaines gravures, le est son côté « illisible » et second et le plus important
-
mortellement ennuyeux a priori. Mais quelle richesse au-delà de cet ennui. Pour Grasset d'Orcet, le Songe de Poliphile contient la clé de toute la littérature chevaleresque. Celle-ci, comme le Songe, nous présente généralement au début un personnage errant dans une forêt, signature d'une société de frères forestiers (qui en FoRêt ERrEnt). Mais le Songe est également le rossignol qui ouvre I'huis d'æuvres plus modernes. Grasset d'Orcet écrivait en 1881 dans la Revue Britannique.' << Il est des noms littéraires qui ne disparaissent jamais de la grande affiche humaine. Ce sont ceux des artistes dont les ceuvres réunissent en même temps un savoir assez profond et une forme assez émouvante pour intéresser, au moins par un des côtés de leurs compositions toutes les classes sociales. Tels sont, dans les temps modernes, Dante, Rabelais, Cervantès et Goethe, Ce n'est pas sans intention que j'ai rapproché ces quatre grands génies d'ailleurs si différents. Tous n'ont livré au public qu'une moitié de leur secret, réservant pour un cercle infiniment restreint d'affiliés l'intelligence complète de leur ceuvre. Gethe est le
dernier d'entre eux, il est mort en plein xvnn'siècle. Une foule de signes particuliers indiquent qu'il appartenait à la même société mystérieuse que ses illustres prédécesseurs.
>»
Cette Société, c'est la
('o) Ce qü n'est pas sans rappeler certaines allusions de Jules Verne servant de masques alrx passages les plus importatrts.
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et à la liste établie par Grasset d'Orcet qui s'arrête au début du xlx', il nous faut ajouter Dumas, Nerval, George Sand, Jules Verne et quelques autres, ainsi que de Société Angélique,
nombreux peintres et artistes de toutes origines. On peut s'étonner que Grasset d'Orcet n'ait pas fait allusion à Shakespeare (rr), non plus qu'à des peintres comme Nicolas Poussin, Eustache Lesueur, Le Guerchin, Claude Gellée, Vinci, Watteau, Delacroix et bien d'autres.
Et trinque la dive bouteille. Le cas de Rabelais est particulièrement significatif qui s'intéressa : << Bien aultrement jadis faisoient en temps les Saiges d'Egypte quand ils escripvoient par lettres qu'ils appeloient hiéroglyphes, lesquels nul n'entendoient qu'il n'en dist et en chascun entendoit qui entendist la vertu, propriété et nature des par icelles figurées desquelles Orus Apollon a en grec composé deux livres et Poliphile au Songe d'Amours, en a
de près au Songe de Poliphile et écrivit
davantage exposé. »
Lui-même a utilisé des méthodes semblables pour écrire ses propres ouvrages (12). Dans Gargantua, il écrivait : << En icelle, bien aultre goust trouverez et doctrines plus absconse laquelle vous révélera de très haults sacrements et mystères, tant en ce qui concerne notre religion, que l'estat politique et vie économieue » (13). Tout comme Verne, il cachait souvent derrière des (rr) Rappelons que Jules Verne raffolait de Shakespeare. Dans sa jeunesse, il avait jeûné six jours de suite pour économiser et s'offrir ses cuvres complètes. A plusieurs occasions, il fit allusion à ses pièccs, plus particulièrement à /-a Tempête, Signalons par ailleurs que, pour se fairc une idée des liens existant entre les cuvres de Dante, Rabelais, Shakespeare et Cervantès, il n'est pas inutile de lire avec un esprit averti I'ouwage que Victor Hugo consacra à Shakespeare et qui fut édité chez Hetzel. (") Un exemple typique : Rabelais nous @nte @mment Pantagruel « reçut d'une dame de Paris, unes lettres escriptes au-dessus : Au plus aymé des belles et moins loyal des preux P.N.T.G.R.L. ». Ayant ouvert les lettres, il ne trouva rien à I'intérieur si ce n'est un anneau d'or « avecques un diamant en table ,. Sur I'anneau était gravé: «Lamah Sabachtani»: pourquoi m'as-tu abandonné? Quant au diamant, il était faux et il fallait comprendre : Dis, amant faux, pourquoi m'as-tu abandonnée
?
(") N" négligeons pas Gargantua dont
Rabelais écrit : « C'est pourquoi fault ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est deduict. Lors cognoitrez que la drogue dedans contenue est bien d'aultre valeur que ne promettoit la boîte, c'est-à-
dire que les matières ici traictées ne sont tant folastres comme le titre au-dessus prétendoit. »
LA
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grossièretés apparentes ses plus importants secrets. Des liens semblent avoir existé entre Rabelais et la Rose*Croix; Fulcanelli voyait même en lui le maître hermétique du rosicrucien Louis d'Estissac. Son ouvrage le plus « initiatique » est sans aucun doute Le Cinquième Livre, qui s'inspire assez largement du Songe de Poliphile. Qu'il est donc intéressant le passage que Rabelais consacre à l'épisode du Temple de Bacbuc et à l'oracle de la Dive Bouteille dont le maitre-mot est << Trink ». Pas étonnant que I'abbé Boudet I'ait utilisé à propos de Rennes-les-Bains en affublant un ruisseau du nom de « Trinque-Bouteille >>, d'autant que le Temple de Bacbuc est souterrain et que certaines phrases de Rabelais
laissent à penser qu'il est lié à la Terre Creuse. Quant à la description de cet édifice, elle est en bonne partie empruntée à celle du temple de Vénus dans le Songe de Poliphile. Rabelais est réputé avoir appartenu à la Société Agla qui avait pour emblème un « chiffre de 4 " (14) au-dessus d'un « AM » marial entrelaé, mais il semble bien qu'elle n'ait été qu'un prête-nom supplémentaire de la société Angélique. Il est remarquable que le tracé d'un chiffre de quatre corresponde à celui d'une croix que l'on ferait sans lever la plume; or, ce signe mystérieux, nous le retrouvons aussi lié à l'affaire de Rennes, tout comme le A et le M entrelacés. Quant au mot Agla, il serait composé des initiales des termes Atha, Gibor, læolan, Adonai, soit : tu es fort, Seigneur, éternellement (15).
A l'ombre
de la
uoix pattée, sous le signe de Saint-Gilles.
La première traduction en français ùt Songe de Poliphile date de 1546 et elle est attribuée à un chevalier de Malte. Grasset d'Orcet ne manque pas de voir là un signe concernant une possible filiation templière. Cela ne semble pas très probant, mais Grasset d'Orcet poursuit en donnant une lecture particulière de la phrase : << Poliam frater Franciscns Columna peramavit » Pour lui, il faut lire ce latin : << Polie frère François colonne adore >r, ce qui ne serait plus le nom de l'auteur mais son grade et signifierait : « L'est
1141
(")
Lc chiffre de quatre servit parfois de signe de reconnaissance au( Cathares.
L".
frères Van Eick ont laissé dans leurs tableaux un message pour qui sait le
lire, indiquant un lien entre I'Ordre du Temple et la Société Agla.
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Templier frère François Colonne d'Or.
>>
Nous laisserons à Grasset
Il ajoute d'ailleurs, se basant sur une planche servant de titre au chapitre des chevaliers, que « le moine italien a traduit le code de la langue de Provence, dont l'hiéroglyphe est une pervenche. On s'explique alors aisément pourquoi un chevalier de Malte, héritier des secrets des templiers, a jugé à propos de traduire Francesco Colonna à l'usage de quelque loge de chevaliers de son ordre ». Grasset d'Orcet cherche une confirmation en ajoutant : « Le secret du Songe de Poliphile est tout entier dans le titre gréco-latin de son hwe Hypnerotomachia Poliphili, qui doit se traduire Grec (greu) Amour songe il poing (pugnare, combattre) Latin: Poliphile. I-e tout donne le titre vulgaire en français : .. Grimoire Singilpin l'est Temple affilié. » Et Grasset d'Orcet pense que les statuts secrets de l'Ordre du Temple nous sont révélés par le Songe de Poliphile, démonstration qui n'est tout de même pas très évidente. d'Orcet l'entière responsabilité de ce qu'il affirme.
O Déméter, mère des poulains, dis-now où gît I'or. Venons-en au nom de l'héroine : Polia. Ce terme a reçu diverses traductions, depuis << blanc, brillant >», jusqu'à << ancien, antique ». En grec, il signifierait : << ayant les cheveux blancs » ou vieille. Cela n'est pas sans nous rappeler l'antique Déesse Blanche qui recouvre bien souvent le symbolisme de Déméter. Mais suivons une fois de plus Grasset d'Orcet nous parlant de Polia : « C'est une poulie et Poliphile en est une autre. I-es deux font la paire, et la paire, réunie par une chaîne ou maille, forme une moufle ou un palan servant à lever les fardeaux à bord d'un navire, les pierres sur les échafaudages ou plus simplement le seau d'un puits. La plupart des recueils d'estampes gouliardes et des vieux tableaux, représentant une fille et un puits, c'est Poliphile; la fille tient un seau à la main, c'est Salomon, et de I'autre elle tient la maille (chaîne) qui s'enroule autour de la poulie. ,, Et il ajoute : << L,e palan appartient aux chevaliers du Temple et de Malte, et par extension, aux ordres Militaires. » .. En effet, tout palan se compose pour le moins d'un couple, c'est-à-dire d'une poulie fixe et d'une poulie folle (...). Il en était de même des chevaliers du Temple et de Malte qui allaient par couples, c'est-à-dire que chaque chevalier avait son matelot, le chevalier initiateur était la poulie fixe, l'initié était la poulie folle, à
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eux deux ils formaient le pairpalan. (...) On dit en«)re ma vieille, ou ma vieille branche, pour rappeler l'amitié qui enchaînait la poulie folle à la poulie fixe. » Grasset d'Orcet signale alors une certaine hiérarchie en quatre classes dans l'Ordre du Temple, affirmant au passage que la quête amoureuse était réservée aux <( sires nés » qui rappelleront quelque chose aux Nervaliens. << Leur étendard maçonnique, donné par Poliphile, est l'un des plus intéressants hiéroglyphes de son livre, il
est carré, frangé de six pales ornées de rains (rameaux)
de
pervenche (Provence), avec un monde (globe) portant le crciissant et le soleil (croix sol au mont) et une urne à feu en chef (feu urne en
chef) reliés par un rameau de pervenche. Ce qui doit se lire <<
sépulcre Salomon affranchirent Provençal ».
»>
Les Templiers, nous dit toujours Grasset d'Orcet, « se nommaient les chevaliers lougarous ou logres et, comme les autres, ils adoraient le soleil montant (sol-mont), d'où le Salomon de I'ancienne franc-maçonnerie, dont l'origine n'est pas biblique mais gauloise, car c'était l'ancien dieu Belenus ou Pol, en grec Apollo, représenté par un poulain (...). Comme le radical de son nom veut dire rond, il est probable que c'est de lui que vient le nom de la poulie, du palan, du pair-palan et tout le reste de la légende de la poulie accrochée avec la poulie folle ». Ce qui est remarquable dans tout cela, c'est bien entendu la permanence POLIA-POLE-POULIE-PAL-POULAIN (16). Il est vraisemblable que Polia n'est autre que la Gnose des Troubadours, celle qu'ils appelaient Dame Cognoissance, celle que les Grecs considéraient comme la Sagesse Diüne et vénéraient sous le nom
d'Athéna Polias. Les sectateurs de la Société Angélique ont en tant poursuivi une quête gnostique dans laquelle le pôle qu'axe de la création
a joué un rôle symbolique important. I-e
terme grec pôlos désignait tout (")
à la fois la votte
céleste, le
le pôle, et il s'appliquait également au poulain. Ce "t fils du cheval est souvent considéré comme un fils de la Nuit, un enfant des Ténèbres, mais par là même comme la vie qui en est gnomon
(16) Rappelons I'importance du pal dans le vampirisme et §a présence dans les armes de Dracula. Signalons au passage que la Hongrie est le seul pays à porter dans ses attributs une couronne dite angélique », et cela n'est pas un hasard, surtout si
"
I'on considère qu'en allemand Angel signilie Pôle. Notons enfin que les Médicis, fondateurs de I'Académie d'Arcadie, avaient pour cri de ralliement : Palle ! Palle ! (t') Cf. le Cromleck celtique de Rennes-les-Bains,
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issue, comme une forme de Renaissance. En lui, le Royaume de la Nuit accouche de la Lumière. Ce poulain nous amène obligatoirement à une affaire intimement liée à celle de Rennes-le-Château : celle du trésor des Templiers à Gisors. Ià, une légende veut en effet que la REINE BLANCIfi ait eu un amant nommé POULAIN. Gageons que cette Reine Blanche n'est autre que la Déesse Blanche qui porta aussi le nom de Hel, la Brumeuse. Toujours est-il que le Roi aurait fait enfermer Poulain en un lieu du château de Gisors qui porte depuis le nom de Tour du Prisonnier. Charles Nodier s'intéressa de très près à cette tour, lui qui fut un grand connaisseur de la cryptographie et des langages macaroniques, lui qui admirait Rabelais et le Songe de Poliphile,lui qui fut un ami de Nerval et de Hetzel. La Tour du
Prisonnier porte de nombreuses sculptures et des graffitis, fort profondément gravés. Leur analyse nous mènerait trop loin, contentons-nous de signaler un détail. Le prisonnier, que I'on peut voir sculpté, arborant un mystérieux sourire à la Léonard de Vinci, dans l'église Saint-Gervais-Saint-Protais de Gisors (18), a laissé entre autres cette étrange phrase rapportée par Gérard de Sède (1e)
:
O MATER DEI MEMENTO MEI POULAIN
Ainsi I'amoureux de la Sagesse, s'adresse à la Dame, à Déméter, et signe Poulain en I'honneur de Polia. L'ensemble des mythes liés à Déméter est à rapprocher des histoires ogresques et de ChronosSaturne. Robert Graves, dans La Déesse Blanche, rappelle : << Le fait que Déméter-jument (...) dévore les enfants est prouvé par le mythe de Leucippe, Blanche Jument, d'Orchomène qui, avec ses deux sæurs, courait le désert et dévora son propre fils Hippasus, « Poulain », et par le mythe rappelé par Pausanias selon lequel, lorsque Rhéa donna naissance à Poséidon, elle aurait offert un poulain à son amant Cronos pour qu'il le dévorât au lieu de l'enfant qu'elle aurait confié secrètement aux soins des bergers d'Arne en Arcadie. »
(1t) Deux saints jumelés chers aux Templiers. Faut-il voir en cu( une poulie lïxe et une poulie folle ? (re) Gérard dc Sède, Les Templiers sont parmi noru.
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Notons pour en terminer avec ce rapport Polia-Pôle-PoulainTempliers qu'il est illustré non seulement à Gisors mais en bien d'autres lieux. Paul de Saint-Hilaire signale ainsi, dans La Belgique Mystérteuse, §[ü'au village de Casteau, l'enseigne du relais de poste (qui fut un lieu de réunion de dignitaires maçonniques) comportait une anomalie. Grâce à elle, Paul de Saint-Hilaire a pu mettre en évidence un texte crypté : AASTOR et POLLYA, derrière lequel se trouvent à la fois Castor et Pollux, les gémeaux chers aux Templiers, et Polia dont on a vtr que I'Ordre du Temple et ses successeurs connaissaient la clé. Et ce n'est d'ailleurs que la première énigme d'une suite qui se déroule dans la même région ('o). A Liège, à l'église Saint-Croix (xn"-xlp s.), Paul de Saint-Hilaire a découvert un mausolée dont I'inscription a été cryptée à partir da Songe de Poliphile de Francisco Colonna ("). lt montre que cet ouvrage a servi de bréviaire à une société secrète qui se réunissait à Liège. Le mausolée en pierre noire fut taillé selon les plans et mesures donnés par Francesco Colonna aux feuillets 11 et 13 de l'édition de 1553. Utilisant le même procédé que Colonna, les adeptes ont, grâce aux premières lettres d'une inscription, mis en relief le mot ROSE placé immédiatement sous une CROIX. Voilà une assimilation Songe de Poliphile-Rose* Cioix qui ne peut que nous intéresser. Ainsi le Songe de Poliphile fut un véritable bréviaire. Il servit d'ailleurs de modèle à la construction de nombreux édifices et de tous les jardins initiatiques de la Renaissance du type Bomarzo. .. LJn mystère s'annonce dès le seuil de certains jardins », écrit Mm" Kretzulesco-Quaranta, << des signes arrêteront le promeneur, l'engageant à capter dans les gestes des statues un silencieux message >». L'un de ces jardins les plus fameux est sans contestation possible celui du Château de Versailles. Louis XIV connaissait le Songe de Poliphile. N'oublions pas que Mazarin en possédait non seulement les versions françaises éditées par Jacques Kerver à partir de 1546, mais aussi les deux tirages de l'édition princeps vénitienne. Mazarin avait été élevé chez les Colonna et avait combattu dans sa jeunesse sous les ordres de Palestrina. Il est remarquable de retrouver dans le parc de
fl1 A Hex, le château du prince-évêque de Velbruck est orné de lamb,ris au décor symbolique et de bucrânes inspirés du §orge dc Poliphile. (2t) Paul de Saint-Hilaire, Liège et Meuse mystérieux (Ed' Rocscl).
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r couPE DANs LE BRoUTLLARD
Versailles les principaux éléments du Songe de Poliphile (22). Mrr" de Scudéry, qui visita Versailles en 1669, rédigea une relation de cette visite et joignit à ce texte une sorte de roman nommé Célanire qui ne manque pas d'intérêt. La gravure du frontispice, signée P. Lalande, est fort intéressante : << On y voit un grand génie ailé assis sur le rebord de la base d'une double colonne; de son index droit appuyé sur les lèvres, il esquisse le geste classique d'Harpocrate, celui du silence à observer; l'autre index montre le genou gauche découvert qui est le signe de ralliement des pythagoriciens. Un groupe d'enfants et de génies ailés se presse derrière lui; I'un indique de la main gauche le ciel tandis que la droite tourne vers le sol une torche allumée; on sait que la torche renversée signifie << la mort ». Ce symbole doit donc se lire : après la mort, au ciel. Un autre enfant ailé esquisse le geste de la prière et un troisième, un peu en retrait, agite un tambourin d'un air joyeux. Le rébus donne donc la phrase suivante: l'adepte de Pythagore obtiendra, par ses prières, la joie céleste après la mort. Dans le fond du tableau, on aperçoit le château de Versailles encore limité au corps central et muni de toiture, tel qu'il était à l'époque de la
publication du livre (")." Il existe des parentés certaines entre cette gravure et le monument aux morts de Couiza, sans parler du << Christ au lièvre » figurant dans l'église de Rennes-les-Bains.
P.S.
Nous avons vu qu'il semblait exister un lien entre le Songe de Poliphile et la RoseTCroix et cela n'est pas fortuit. D'une part,les textes fondamentaux de la Rose*Croix parus en 1616 portaient une vignette représentant un serpent enlaçant une ancre très proche du dauphin du Songe. D'autre part, il existe une quasi-
(2)
Signalons que [,ouis
XIV
s'est intéressé de très près à Rennes-le-Château.
Colbert, qui possédait le manuscrit original de I'interprétation des Hiéroglyphes d'Horapollo de Nostradamus, Iit faire des « fouilles archéologiques » dans la mine de Blanchefort, à côté de Rennesles-Bains, sur les conseils du marquis de Créqui. Que cherchait-il ? Pourquoi Louis XIV et Colbert éliminèrent-ils Fouquet dont les liens avec Nicolas Poussin sont étranges? Pourquoi Colbert fit-il venir des Suédois, en 1678, dans la région de Rennes-les-Bains, leur enjoignant de chercher de I'or? (æ) E. fretzulesco-Quaranta, Les Jardba du Songe.
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identité entre certains passages des Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz et le Songe de Poliphile. Bernard Gorceix, dans La Bible des Rose*Croix, nous dit : " Les écrits attribués au souabe Johann Valentin Andreae (1586-1654) sont un précieux maillon de cette chaine qui joint le Songe de Poliphile de Francesco Colonna, de.L499, le Cinquième livre de François Rabelais, de 1654, le Voyage des Princes Fortunés de Béroalde de Verville, de 1610. Par leur beauté littéraire et par leur richesse spirituelle, philosophique, ils démontrent l'intérêt non seulement scientifique d'une connaissance approfondie d'une histoire de I'occultisme. ,, Grasset d'Orcet nous affirme d'autre part que le terme de Saint-
Gilpins qu'il associe à la Société Angélique est synonyme de Rose+Croix, tout comme le terme de Gouliard. Par ailleurs, il associe, comme nous avons déjà eu I'occasion de le faire, le terme de fendeurs ou forestiers à ces mêmes gouliards. Il signale au passage que pour lui I'institution des Rose*Croix remonte à Godefroi de Bouillon. Or, une société secrète se réclamant des Templiers et affirmant être issue de leur Ordre revendique également pour fondateur Godefroi de Bouillon. Cette société a fait parler d'elle en se trouvant mêlée aux affaires de Gisors et de Rennes-le-Château. Ce << Prieuré de Sion >>, se réclamant de Salomon, serait habituellement reconnaissable à la marque de ses initiales : P.S. Mais le P.S. apparaît à Rennes avec un dessin semblant indiquer qu'il faut le retourner. P.S. devient alors S.P. et pourrait fort bien désigner la clé de lecture des énigmes de Rennes, son grimoire :le Songe de Poliphile, S.P. Cela semble confirmé par I'identité du système employé par I'abbé Boudet. Par ailleurs, les chercheurs savent que le nom de Lenoncourt est lié aux documents touchant à l'affaire de Rennes; or, une traduction française du Songe de Poliphile, faite en 1554 et réimprimée en 1561, était précisément accompagnée d'une « Epître dédicatoire >» à Henri de Lenoncourt dont on a pu dire qu'il était le véritable traducteur de l'æuvre. Le château de Lenoncourt en Lorraine possédait des taques de foyer armoriées; la plus ancienne portait les armes des Habsbourg, la maison de Lénoncourt étant présentée comme une branche cadette de la Maison de Lorraine.
84
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marque des Anges et les secrets d'Alexandre Durnas.
Etant donné les rapports existant entre le Songe de Poliphile,la Société Angélique, la Rose*Croix et Rennes-le-Château, il serait fort étonnant que l'on ne découvre pas des traces de ladite société chez les auteurs édités par Hetzel. Nerval, tout d'abord, consacra une bonne partie de son Guvre à I'expression cryptée des secrets de cette société (24), affirmant dans Angélique que le blason est la clé de I'histoire de France, lui qui avait projeté de monter avec Hippolyte Lucas une pièce musicale intitulée Francesco Colonna sur la musique de... La Flûte Enchantée de Mozart. Nerval aurait d'ailleurs, selon Serge Hutin, appartenu à la loge dont Nadar, ami de Jules Verne, était le vénérable. Fabuleux Nerval qui, parlant trop dans ses périodes de folie, fut soigné par le discret (et initié) docteur Blanche, auquel s'adressa aussi Jules Verne pour le conseiller à propos de son fils Michel. On connaît une curieuse lettre que Gérard de Nerval adressa à Hetzel dans laquelle il écrivait : « Mon cher Hetzel, Houssaye (") charge de vous demander si vous pouvez passer le voir demain; il sera chez lui toute la journée. C'est très important. Il a w Cavé pour ce que vous savez. sur ce que vous savez comme dit Don César de Nous devons tous les deux être fort réservés Bazan. Adieu donc.
."
-
-
Votre ami, Gérard.
-
»
Curieuse lettre qui pourrait bien se rapporter aux activités de la Société Angélique, surtout si l'on examine la pointe de la lettre A du mot Adieu, qui s'adorne d'un zigzag cabalistique assez curieux. Laissons Nerval pour George Sand. Elle sema des << Anges » un ('n) Cf. Jean Richer, Nerval, expérience et créarton. Notons, chez Nerval, I'obsession saturnienne de I'horloge, que I'on retrouve d'ailleun chez Jules Vcrne, tant dans Maître Zachartus que dans Le Tour du Monde en 80 lours, mais aussi dans La Reine du Sabbat de Gaston Leroux. Maître Zacharius est une véritable personnification de Saturne-Satan : « læ vieil horloger ressemblait à I'ange déchu, se redressant contre le créateur. , « Son âge semblait indéchiffrable », etc. Il meurt un peu comme Jules Verne, en disant : « Je ne dois pas mourir... Mes livres !... Mcs comptes !... » (æ) Ami commun à Gérard de Nerval et à Jules Verne.
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peu partout. Dans Spiridion d'abord avec le novice Ange et le premier nom qu'elle avait choisi pour Hébronius : Pierre d'Engelwald. Dans Consuelo ensuite où la fille de la Corilla et d'Anzoletto sera nommée Angèle. Et puis de bien curieux passages dans La Comtesse de Rudolstadt où George Sand lie I'ange et l'oiseau: le rossignot(26). te Songe de Potiphile ne se terminait-il pas par une évocation du chant du rossignol? Quittons maintenant George Sand pour Dumas. Ce dernier, qui rencontrait souvent Eliphas Lévi et fut ami de Papus, joua un rôle important dans la vie de Gérard de Nerval, tout comme dans celle de Jules Verne. Ce dernier le rencontra par l'intermédiaire du Chevalier d'Arpentigny, chiromancien fort connu à l'époque, qu'il avait lui-même connu dans le salon de M-'Barrère. Il put ainsi se faufiler chez l'hospitalier Alexandre Dumas. Pour reprendre les termes de M-" Allotte de la Füye, il devint bientôt un de ses familiers. « Il déguste les flamboyantes omelettes, les divines mayonnaises que Dumas cuisine, de ses propres mains, pour les jeunes hommes affamés de gloire, et débilités par les triturations des tavernes de dixième ordre. » C'est Dumas qui donna sa chance à Jules Verne, lui qui permit que paraisse sur scène sa pièce de jeunesse : Les pailles rornpues,lui qui le présenta à Hetzel. Je pense que le lecteur ne sera même plus étonné en apprenant qu'Alexandre Dumas a écrit en 1839 un roman, dont on ne parle jamais, intitulé : Le Capitaine Pamphile. Pam, en tant que globalité (pan), est l'équivalent de Poli. Pamphile n'est donc autre que Poliphile. Curieux roman, en vérité, dans lequel les tribulations des animaux favoris d'un groupe de peintres parisiens amis de Dumas viennent se mêler aux exotiques tribulations du capitaine Pamphile, aventurier marseillais. Ne nous étonnons pas d'y voir deux singes nommés Jacques 1 et Jacques 2 (nous ramenant aux Stuart) et de trouver comme lieutenant du Capitaine Pamphile un certain Policar (Policar : Polia + CR = Polia, Rose*Croix). Un ouvrage bien intéressant pour qui sait le lire (27).
(6) A rapprocher du mythe de Philomèle et des persécutions ayant touché I'Egtise Cathare. Voir aussi leanne de George Sand. (') On y voit pêle-mêle une bergère Porteue de roses, le pavillon d'un vaisseau Pamphile ne orné d'un Dragon Vert, un perroquet qui - comme le Capitainc parle que la langue d'oc des troubadours, des allusions à Virgilc et à I'Arcadic, une traversée de forêt incontestablement inspirée du Songe de Poliphile, etc.
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LA
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Un rossignol dans le brouillard ou les secrets du
,<
Tour du Monde
en 80 jours ,.
Vous I'avez compris, Jules Verne ne pouvait pas ne pas écrire lui aussi un Songe de Poliphile, lui qui admirait Rabelais (28;, Shakespeare, Vinci, et était I'ami de Dumas. Nous trouverons quelques échos du Songe dans Le Château des Corpathes. Outre la traversée
très particulière de la forêt et son parcours poliphilesque, c'est surtout la Stilla qui nous indiquera la voie. Ne joue-t-elle pas le rôle d'Angélica dans l'Orlando d'Atconati. Elle meurt d'ailleurs en chantant le grand air Innamorata, mio cuore tremante, voglio mortre. Le professeur Mario Turiello a écrit dans le Bulletin de la Société Jules Verne, No 7, Qüê, << connaissant jusqu'aux plus petits compositeurs de son pays, il n'avait pas eu besoin de se livrer à des recherches, que ces deux mots d'Arconati et d'Orlando étaient une pure invention de Jules Verne inexplicable ». Non, - inutile et monsieur le professeur, il n'y a rien d'inexplicable chez Jules Verne, il suffit de savoir chercher et d'avoir un peu de chance. Si tel avait été votre cas, vous eussiez rapidement découvert qu'Arconati, s'il n'était pas musicien, était en fait un Comte qui fit don en 1636 à l'Ambrosienne de manuscrits de Léonard de Vinci qui sont, depuis Napoléon I"', à l'Institut de France. Or Vinci, grand maître en cryptographie et en représentation ésotérique (2e), appartenait à la Société Angélique. Ce que le professeur Turiello aurait dt remarquer, c'est le rapport existant entre cet Orlando etl'Orlando Furioso de l'Arioste (30), üé lui-même à la Société Angélique, et dans lequel on voit aux côtés du prêtre Jean une reine des Cathais (dont Jean d'Armana dit qu'il s'agit en fait d'une Reine des Cathares) qui se nomme Angélique. Persécutée, elle n'échappe à ses ennemis qu'en plaçant un anneau magique dans sa bouche, ce qui la rend invisible (comme la Stilla devient elle-même une invisible). C'est bien le langage secret d'une Eglise persécutée,
128; Il a même écrit un « quart d'heurede Rabelais ». Cet auteur figure dans la bibliothèque du Capitaine Nemo. (") Cf. I'ouvrage que Marcel Brion consacra à llonard de Vinci (Ed. Albitr Michel). (3o) Michel Serres I'avait quant à lui parfaitement reconnu.
LA
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issue des Cathares. Ne doit-on pas voir d'ailleurs dans Franz de Telek, qui devient fou, un Orlando Furioso ? On doit également signaler, dans le Voyage au Centre de la Tene, un passage qui se passe de commentaires, Jules Verne disant du professeur Lidenbrock : << C'était un savant égoïste, un PUITS de science dont la POULIE grinçait quand on en voulait tirer quelque chose : en un mot un avare. » Si Lidenbrock avait connu la loi d'Amour menant à Polia, sa poulie n'aurait certes pas grincé. Dans le même roman, Jules Verne évoque la fondation d'une SOCIETE LI1TERAIRE en 1818, et pourrait bien indiquer ainsi la réactualisation de la Société Angélique. Mais le plus beau fleuron des héros verniens en ce domaine, c'est dans Le Tour du Monde en 90 iours qu'on le rencontre : il se
nomme Philéas Fogg. Un nom qui est une véritable signature : EAS, en grec, a le sens de globalité (il est donc l'équivalent de pan ou de poly) et PHILEAS est donc identique à POLIPHILE. Quand à FOGG, c'est << le BROUILLARD » en anglais, le nom même pris par la Société Angélique à certaines époques. Et I'on verra Philéas Fogg conquérir sa « Dame »>, Aouda, et il finira par l'épouser; ceci avec l'aide de son domestique PASSEPARTOUT. Cæ dernier a pour son maltre « la foi du charbonnier >»; quant à son prédécesseur, il se nommait Forestier » en anglais, ce qui nous rappelle bien entendu les << fendeurs ». Songeons un peu à ce qu'est un passe-partout pour un serrurier : c'est l'instrument qui remplace toutes les clés, qui ouvre toutes les serrures, ce qu'en argot on nomme un... ROSSIGNOL. Revenons à Fogg; dans sa course autour du monde il est suivi comme son ombre par l'inspecteur FIX, qui arrêtera notre héros << au nom de la Reine ». La poulie folle a bel et bien sa poulie fixe ! Fogg allant à rebours de la course du soleil, mais nanti par Verne des attributions d'un astre, est une sorte de Soleil Noir, ce qui le
relie une fois de plus à Saturne. D'ailleurs le portrait de lui illustrant l'ouvrage est révélateur : les pieds en équerre, main droite posée sur le c@ur, main gauche appuyée sur la droite, on peut le voir proche d'une étoffe dont l'arrangement subtil des plis dessine une faux. Ce rébus n'est pas le seul de l'ouwage qui contient également de nombreux jeux de mots. Il est à noter que Phitéas Fogg aura à lutter contre les Thugs, sectateurs de la déesse Kali qui représente l'aspect noir, dévorant et sanglant de la doctrine, en un mot l'aspect vampirique que doit combattre le
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BRoUILLARD
Rose*Croix, ou plutôt qu'il doit transcender. On pourra bien parler de transcendance lorsque le mort (en apparence) jaillira du bûcher funéraire, I'anima (Aouda) dans les bras. Nul doute, Jules Verne appartenait bien à la Société « Le Brouillard ». Il eut même la gentillesse de nous préciser les liens de celle-ci avec la RosefCroix, car enfin, qu'est-ce que ce noble voyageur nommé Philéas Fogg, sinon un Rose*Croix? Fogg n'a pas d'âge : il ressemble à « un Byron impassible qui aurait vécu mille ans sans vieillir >». On ne connaît ni son passé ni sa fortune. « Avait-il voyagé ? C'est probable, car personne ne possédait mieux que lui la carte du monde. Il n'était d'endroit si reculé dont il ne parût avoir une connaissance spéciale. Quelquefois, mais en peu de mots, brefs et clairs, il redressait les mille propos qui circulaient
(...). Ses paroles s'étaient trouvées souvent comme inspirées par une dans le club au sujet des voyageurs perdus ou égarés
seconde vue, tant l'événement finissait toujours par les justifier. C'était un homme qui avait dt voyager partout, en esprit tout au moins. » « Etait-il riche ? Incontestablement. Mais comment il avait fait fortune, c'est ce que les mieux informés ne pouvaient dire (...). En tout cas, il n'était prodigue de rien, mais non avare, car partout où il manquait un appoint pour une chose noble, utile et généreuse, il l'apportait silencieusement et même anonymement. ))
Et puis, n'appartient-il pas au Reform-Club dont les initiales R. C. désignent la Rose*Croix réfcrrmatrice ? Ce Reform-Club est élevé dans « Pall-Mall », évoquant une fois de plus le Songe de Poliphile. Lorsque l'on pénètre dans sa « salle d'entrée parquetée en marqueterie, on suit la galerie circulaire, au-dessus de laquelle s'arrondit un dôme à vitraux bleus, que supportent vingt colonnes ioniques en porphyre rouge ». Ce « cercle » est bien celui de la Rose*Croix et Poliphile, alias Le Brouillard, alias Phileas Fogg ici, est bien un Maître puisque, tandis que le gaz brtle comme une lampe éternelle, il voyage en essayant de faire le bien. Ne distribuet-il pas à une vieille femme l'argent qu'il a gagné au jeu, la remerciant même du plaisir de l'avoir rencontrée ? D'ailleurs Jules Verne utilise la devise même de la Rose*Croix, que l'on retrouve sur les tombes truquées de Rennes-les-Bains (il est passé en faisant le bien) lorsqu'il affirme que la formule qui doit guider tout homme raisonnable est
<<
Transire Benefaciendo
>>.
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A l'ombre
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des llluminés.
La Société Angélique, ou << Le Brouillard », apparaît comme
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carrefour où se retrouvent au xx" siècle les écrivains franc-maçom suivant la doctrine rosicrucienne. Or, on sait fort bien que les Illuminés s'étaient fixé comme objectif, sur les conseils mêmes d'Adam Weishaupt, de noyauter les sociétés littéraires initiatiques. Lorsque l'on voit Jules Verne défendre certains idéaux anarchisants, se présenter au conseil municipal d'Amiens sur une liste de gauche, lorsque I'on voit George Sand défendre avec plus de vigueur encore les mêmes idéaux, on peut se demander s'ils ne défendent pas là les idées de la société secrète à laquelle ils appartenaient sans aucun doute (31). Or tous ces auteurs tournent autour d'un même personnage ;Hetzel, et cela n'est pas un hasard. Certains critiques se sont demandé si Verne n'avait pas été un pur
et simple exécutant des volontés d'Hetzel lorsqu'il écrivait les Voyages Extaordinaires. On sait qu'Hetzel a pafiois orienté I'aspect politique des romans de Jules Verne, quitte à freiner son ardeur en la matière. D'ailleurs, après la mort d'Hetzel, en 1886, on sent Verne plus libre et cela ressurgit dans son style. Il ne faut
pas oublier qu'Hetzel fut un homme poütique : il fut chef de cabinet de Cavaignac, chef de cabinet au ministère de la Marine, puis aux Affaires étrangères. Son dernier acte à ce poste consista à délivrer une lettre de recommandation à Nerval en partance pour l'Allemagne. Avec la venue au pouvoir de Napoléon III, il perdit ses fonctions. Il se battit comme un forcené pour les idées républicaines, mais dut émigrer en Belgique d'où il ne revint qu'après I'amnistie de 1859. En aott 1848, il avait failli engager Nadar comme agent secret et avait fini par le retenir comme caricaturiste. En tout cas, c'est selon une politique d'enseignement bien déterminée qu'il fonda avec Jean Macé, franc-maçon notoire, le Magazine d'Education et de Récréation.
(3t) Il faut garder à I'esprit que les théories des Illuminés ont servi de façon différente aussi bien à I'extrême-droite qu'à la gauche, nous y reviendrons. Disons tout de suite que I'Illuminisme inspira à la fois Marx, Lénine ct les fondateurs du Nazisme, n'cn déplaise aux classificateurs bomés.
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« Le mystère en pleine lumière
>>.
Avant de clore ce chapitre, il me faut parler d'un autre auteur qui appartint à la Société Angélique et s'occupa du problème de Rennes : Maurice Barrès. Il faut lire La colline iwpirée. L'auteur y met en scène des personnages ayant réellement vécu : les trois frères Baillard et le mage Vintras, dont la tentative de lancer une réforme du christianisme et des rituels plus directement inspirés des mystères du sang, fut aidée financièrement par la famille de Habsbourg. Un jour, une cérémonie mystérieuse se déroula sur la colline inspirée de Sion-Vaudémont, afin de hâter la venue du...
Grand Monarque. Mais quittons Vintras qui proclamait que les hommes seraient sauvés par les Anges pour nous plonger dans Le mystère en pleine lumière, ouvrage posthume de Maurice Barrès, au nom évocateur et au contenu lumineux, où sont regroupées plusieurs études. Dans l'une de celles-ci, « Le Testament d'Eugène Delacroix », Barrès s'intéresse tout particulièrement à I'aspect je << angélique de son Guvre " (32). Il écrit ; « Depuis vingt ans, n'ai guère passé de mois sans visiter à Saint-Sulpice, dans la chapelle des Anges, la fresque fameuse d'Eugène Delacroix, Jacob luttant avec I'Ange. J'y vais prendre du ton, m'y recharger de force et de nostalgie. Mais quelle nostalgie ? Quelle force ? Et toujours je me demandais, gâtant un peu mon plaisir : qu'est-ce donc qui me plalt à ce point dans cette peinture ? M'est-elle une musique, une solitude, un conseil, une règle de vie ? Où va cette initiation que j'y trouve et cette sorte d'introduction romanesque et virile à la vie des hommes supérieurs ? [æ grand artiste a peint ici un de ses derniers ouvrages, son testament... ». Et Barrès d'évoquer les Anges, << ces grands êtres mystérieux qui relient le ciel à la terre ». Dans cette étude, Barrès donne de précieux renseignements sur Delacroix et écrit : « La suprême grandeur est en effet de vaincre l'ange, de lui arracher son secret. L'ange veut nous ouwir la porte de l'inüsible, c'est sa mission, mais il ne l'ouvre pas sans un combat; il ne l'ouvre pas aux indolents, aux tièdes, mais seulement à ceux qui, pour se frayer un passage, ne craignent pas de foncer sur lui >». D'autres
(32) Dans §ons le signe de l'Esp,it, îl dil: « C'est la lutte avec I'Ange, d'où I'on ne peut sortir que vaincu, mais d'une défaite qui a sa couronne ».
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la plus intéressante dans le études alimentent ce recueil (") "t cadre de ce qui nous occupe ici est sans doute << L'Automne à Charmes avec Claude Gellée ». Evoquant ce peintre connu également sous l'appellation de << Le Lorrain »>, Barrès écrit : « Comme les plus glorieuses journées d'automne en Lorraine, ces belles destinées naissent dans le BROUILLARD ('o) et ne se laissent reconnaître sûrement qu'au milieu du jour, quand sonnent les cloches de midi sur les prairies. (...) Swedenborg a raison d'écrire : Plus vieux sont les ANGES, plus les anges sont beaux. » Toujours à propos de Gellée, Barrès écrit : « On sent bien qu'il n'est pas né tout d'un coup, qu'IL A ETE PREPARÉ ("). << Si l'on veut " connaître Gellée, il faut le dessin de Sandrart où il æ présente dans la plus digne compagnie auprès de son ami POUSSIN. » Comme si Le Lorrain était incompréhensible sans Poussin. Et Barrès ajoute : « Quelle pensée exprime-t-il ? Je songe au ROSSIGNOL. » Revenant à Poussin, le Maître nous dit : « Le Poussin tout intellectuel. La part d'animalité est supprimée. C'est là sa noblesse. (...) C.omment Gellée, qui ne fut jamais un esprit cultivé, s'éleva-t-
il
jusque-là? SOU"IENU, JE CROIS, PAR UN ADMIRABLE
MILIEU, PAR UNE TRADITION, IL CONNAIT, COMPREND UN CERTAIN NOMBRE DE GRANDS
HOMMES. » « Claude jamais ne tâtonne dans les ténèbres. » Ne doit-on pas penser que Barrès désigne ainsi en Nicolas Poussin, en Claude Gellée, les peintres de la Société Delacroix ('u), "n Angélique, ses porteurs de messages ? Si I'on en doutait encore, il suffirait de se reporter aux passages suivants : « IL FAUT TOUJOURS QUE NOUS MÉNAGIONS DANS QUELQUE COIN DE NOTRE GUVRE UNE PIERRE
(")
L" " Letlre à Gyp sur le printemps à Mirabeau » intéressera particulièrement les amoureux de Frédéric Mistral et de la quête de I'Etoile, si chère à Nerval. En ce qui concerne ce dernier, le lecteur fera bien de s'intéresser à un autre ouvrage posthumc de Barrès : N'importe où hors du monde, (a; C'est nous qui soulignons. 135) Claude Gellée eut pour mécène un prince Colonna pour lequel il peignit un paysage avec Psyché et le palais de l'amour, et quelques autres tableaux. (5) Delacroix adorait Poussin, « peintre uniquc ,, et lui consacra une étude. læ 6 septembre 1854, il écrivait dans son journal: « J'avoue ma prédilection pour les arts silencieux, pour oes choses muettes dont Poussin disait qu'il faisait profession ,. II aimait également beaucoup Eustache læsueur, ce peintre que Richelieu avait chargé d'exécuter huit sujets tirés du §onge de Poliphile, et en 1862, il confiait à son journal : « læsueur, son caractère, sa naTveté ANGELIQUE ».
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TOMBALE AVEC L'INSCRIPTION FAMEUSE : ET IN ARCADIA EGO. Moi aussi, j'ai vécu dans I'Arcadie, dans le raüssant pays de I'imagination, nous crie du fond de sa tombe un génie, un talent dont nous sommes les héritiers. Ce beau rappel donne de la rêverie. On est d'accord, n'est-ce pas, pour juger
qu'il
(37) peignait bien gauchement, bien mal les personnages de ses
tableaux. J'aime cela, c'est un signe de son aimable pureté de cæur.
IL N'EST RIEN SI LES ANGES NE LUI TIENNENT PAS LA MAIN, S'IL N'EST PAS DANS LA SOCIÉTÉ CÉTESTE, S'iI s'écarte de ce qui I'enchante, le soutient et le soulève. IL SAIT SON POÈME ET HORS DE CELA NE SAIT RIEN. » Ainsi donc, comme à Rennes-le-Château, la pierre tombale du Poussin marquée « Et in Arcadia ego » signe la présence de la Société Angélique (38), cette « société élcste » sans laquelle les peintres tels que Poussin ou Le Lorrain ne seraient rien, cette société qui par ses artistes et ses auteurs livre dans la langue des oiseaux les secrets de Poliphile. En douterions-nous que Barrès reviendrait à la charge en disant : « Il recueillait les confidences des anges. Pourquoi les anges I'abordaient-il, ce petit pâtre ? C'est sa grâce, son privilège. Il avait le feu intérieur auquel accourent les êtres célestes. Et c'est de leur visite que lui vint cette nostalgie (...). Il a fait un rêve de üe supérieure et nous le communieu€. » « Voilà mes sources, ce sont les siennes. Nous avons bu aux mêmes sources. »» On ne peut être plus clair. Nous terminerons en évoqu.ant un autre ouvrage posthume de Barrès : Les Mattres, dans lequel il écrit : « Pour bien comprendre ce mélange de richesse technique et de fralcheur de sentiment que I'Italie a réuni dans sa peinture et qu'elle ett aimé déployer dans ses @uvres liitéraires, prenez le Songe de Poliphile de Colonna (...). Ce Songe de Poliphile, @uvre bien ennuyeuse, c'est entendu, mais extraordinaire d'imagination érotique et plastique, et de force décorative dévergondée, qui fut plusieurs fois traduite en français, et, en dernier lieu, par le savant amateur Claudius Popelin, a-t-il fourni toute son efficacité ? Dans le même article, consacré à Dante, il poursuit : « Pour moi, je n'avais qu'une idée en écrivant Il s'agit de Claude Gellée. 1s) Dans une lettre à Gustave Flaubert datée du 17 décembre 1866, George (37)
Sand, elle aussi, signe son appartenancc à la Société Angélique en écrivant : « Dans les cas, aujourd'hü, je oc suis bonnc qu'à rédiger mon épitaphe ! Et in Arcadia Ego, vous savez, »
tots
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ce petit discours, rappeler aux amateurs de BROUILLARD qu'une belle æuvre doit avoir la transparence et la limpidité en même temps qu'elle contient des mystères.
>>
Le cercle est bouclé : Rennes, Poussin, Delacroix, la
Société
Angélique, Barrès, Dumas, George Sand, Jules Verne, tout se tient. Il n'y a pas de hasard ! Chaque auteur a signé à sa façon son appartenance à la Société Angélique, la Société Céleste, et Jules Verne n'a pas manqué de nous le dire à mots couverts dans Le Tour du Monde en 80 jours. Ainsi, c'est elle, cette mystérieuse société à laquelle il appartenait, liée à la Franc-Maçonnerie et à la Rose* Croix, c'est elle qui se profile derrière le mystère de Rennes-leChâteau.
m IYUIT ET BROI.'ILLARI)
Jules Verne fut un maillon au sein d'une chaîne initiatique qui le dépassa dans le temps et, si cette thèse est exacte, on doit pouvoir retrouver des avatars de cette société, plus proches de nous dans le temps, qui conservent des liens avec l'enseignement retrouvé chez Verne. Nécessairement, nous devons retrouver une société secrète prolongeant cette tradition. Or, en poursuivant la chaîne Rose
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- Golden Dawn, on arrive immanquablement à la mystérieuse Société Thulé qui fut à la source du Nazisme. Je tiens à dire tout de suite que l'amalgame Verne-Nazisme serait stupide et qu'il n'en est aucunement question. Cependant, j'entends montrer comment Jules Verne se situe dans une filiation qui conduisit à la Société Thulé. Croix
Rudolf Von Sebottendorf, de la Rose*Croix à la Société Thulé.
La Société Thulé émane en fait à l'origine de << L'Ordre des Germains » fondé en 1918. L'un de ses animateurs, Rudolf Von Sebottendorf, se vit confier en décembre L9ll la direction de la << province » bavaroise de I'Ordre qui prit sous son impulsion le nom de Société Thulé. Il est intéressant de s'arrêter quelque peu sur la personnalité du fondateur de la « Thulé-Gesellschaft » qui déclara, sans jamais être démenti dans son ouvrage Bevor Hitler Kam (« Avant que 11 zveir semé ce que le Hitler ne vînt », publié à Munich en 1933) Führer avait fait lever >>. On ne peut s'empêcher de penser à ce que
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BROUILLARD
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Aleister Crowley, membre de la Golden Dawn, avait déclaré : << Avant que Hitler fût, je suis. ,> Chevalier de I'Ordre Impérial de Constantin, Rudolf von Sebottendorf se nommait en fait RudoE Glauer.
Il était
né à Hoyerswerda, en Saxe, le 9 novembre 1875.
n
fut quelque temps chercheur d'or. Il séjourna en Turquie, dans la région de Bursa, à partir de 1900. En 1911., il obtint la nationalité turque et fut adopté par le baron Von Sebottendorf. Pris sous la protection d'un marchand juif nommé Termudi, il fut élevé à la maîtrise du Rosenkranz Orden ou Ordre du Rosaire. Grièvement blessé durant la guerre des Balkans, il revint à Breslau en 1913. Ià, il finança les recherches d'un ingénieur, Friedrich Gôbel, qui mit au point les chars d'assaut. En 1.933, il retourna en Turquie où il exerça les fonctions de Consul Honoraire du Mexique. De 1929 à 1931, il visita le Mexique et l'Amérique, négociant des concessions pour la Turquie. Dès L900, Rudolf Von Sebottendorf avait assidûment fréquenté les Sociétés secrètes turques. En 1911, aux confins de I'Iran, il fut même accueilli chez les initiés Druses, ces Druses qui donnèrent à Christian Rosenkreutz, héros éponyme de la Rose*Croix, le plus clair de ses connaissances; ces Druses auprès desquels Gérard de Nerval, membre de la Société Angélique, ira lui aussi chercher un enseignement; ces Druses qui disaient tenir leur connaissance du << Roi du Monde >>. Jean Mabire a précisément découvert une autobiographie romancée de Sebottenôorf, à laquelle le baron initié par les Druses avait donné un titre bien intéressant : Der Talisman der Rosenkreuzers (« Le Testament des Rose*Croix »). Il n'est pas étonnant que Sebottendorf
ait donné aux groupes gravitant autour de la Thulé le nom
de
«rings»:cercles. La Société Thulé anima le National-Socialisme et poussa Hitler sur la scène politique. A sa mort, en 1923, Dietrich Eckart, membre de la Société, ne disait-il pas à ses amis : « Suivez Hitler ! Il dansera, mais c'est moi qui ai écrit la musique ! Je l'ai initié à la doctrine secrète, j'ai ouvert ses centres à la vision et lui ai donné les moyens de communiquer avec les puissances. Ne me pleurez pas
:
j'aurai influencé I'Histoire plus qu'aucun autre Allemand. >» Toujours est-il qu'à partir de novembre 1918, la Thulé-Gesellschaft fut le centre munichois qui prépara I'avènement du National-Socialisme. Alfred Rosenberg, I'un des principaux théoriciens du Nazisme, dit d'ailleurs à ce sujet : << La Société Thulé ? Mais tout est parti de là ! L'enseignement secret que nous avons pu y püser
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nous a davantage servi à gagner le pouvoir que les diüsions de S.A. et de S.S. Les hommes qui avaient fondé cette association étaient de véritables magiciens ! Ces magiciens se nomment Karl Hausho-
fer, Rudolf Von Sebottendorf et surtout Dietrich Eckart ! » Ce dernier, Hitler le surnommait <,( I'Etoile Polaire » et disait de lui dans Mein Kampf qa'il était « I'un des meilleurs ».
On sait par ailleurs que la Thulé-Gesellschaft entretint des rapports avec la Golden Dawn, non seulement avec Crowley et son centre initiatique de « Thelema », mais avec l'ensemble de la Société. Il est intéressant de noter à ce propos que la Gestapo, en lutte contre les Sociétés Secrètes, ne perquisitionna jamais dans le Templum de la Golden Dawn au c@ur même de Berlin. La Coupe d'Or dans le Brouillard.
Le nom choisi par Sebottendorf pour sa Société : Thulé, n'est pas indifférent. Bien entendu, on songe à I'Ultima Thulé, la grande
lle nordique mythique (et cependant réelle) des Hyperboréens, là où a lieu l'éternel combat de la glace et du feu (1). Fabuleuse Thulé, mère des hommes, connue des Toltèques qui évoquaient Tula, l'île blanche (ces mêmes Toltèques qui disaient venir d'Aztlan) (''l.l* mot « Ttla »», en sanscrit, signifie << balance » et certains chercheurs ont cru en découvrir l'origine dans la présence, il y a fort longtemps, de l'Etoile Polaire dans le signe de la Balance. Mais ce sont en fait les grammairiens grecs qu'il faut suivre en la matière. Selon eux, Thulé vient de Tholos ou Tolos : le BROUILLARD. Cela se passe, je crois de commentaires. Terre au-delà des brumes, terre de la Déesse Blanche (3), Thulé est le Brouillard.
Il n'est pas inintéressant non plus de remarquer que Thulé est liée au Graal et à la sanctification du sang, comme le suggère la ballade du Roi de Thulé de Goethe. Laurence Talbot a bien raison (t) N'est-ce pas ce combat qu'illustre le roman de Jules Verne, Le Capitaine Haîeras, avec son volcan en action, dans une île au lieu même du pôle ? (2) Voir au sujet d'Aztlan notre ouvrage Histoire Setète du Pays Basque (Ed. Albin Michel). (3) En Bretagne, on nomme chemin de Thulé (près de Locmariaquer) un lieu où l'on aperçoit parfois, dit-on, les « Maîtres de Thulé », silhouettes à peau diaphane et cheveux blancs flottant au-dessus du sol.
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zqt
d'écrire (o) r En ce qui concerne la Thulé, ce qui a survécu " jusqu'à nous à travers le lied germanique, c'est le culte de la coupe d'or. (...) L'usage de la coupe sacrée a été I'apanage des peuples celto-nordiques. (...) Le roi de Thulé, sous le balcon duquel grondait la mer, est la réplique du roi Uters qu'on trouve mentionné dans Merlin, ayant devant lui moult bele coupe d'or. » La coupe d'or..., signe de la race de l'arc... De quoi méditer ! I-e lien entre la Thulé du Brouillard et la ooupe est certain et confirmé par la linguistique. Le mot Talle n'est-il pas l'ancien mot français poür << taille » ou « coupe rr, le ., tailloir », la coupe de Thalos, géant bien connu des Argonautes ? Ne doit-on pas se souvenir de l'acharnement que les Nazis mirent à rechercher la coupe du Graal, plus spécialement à Montségur, qui fut peut-être le Montsalvat de
Wolfram Von Eschenbach (s) ? N'oublions surtout pas que la légence chrétienne associe la coupe du Graal au sang du Christ. N'est-ce pas dans cette coupe que Joseph d'Arimathie est censé avoir recueilli le sang de Jésus souffrant sur la croix. D'autres légendes associent le Graal à la couleur verte et plus spécialement à l'émeraude chue du front de Lucifer, et par la même occasion au rayon vert, ces données étant d'ailleurs parfaitement complémen-
taires.
Le Graal lié au sang, voilà qui n'est pas loin de nous rappeler le vampirisme. Le lien coupe-sang est éternel. Ne faut-il pas dès lors s'intéresser de plus près à la mythologie du sang qui fascina les membres de la Thulé ? Jean Mabire écrit : « Le vrai secret de Thulé, ce n'est pas la création d'une société secrète, mais la conservation du sang, c'est-à-dire, finalement, de l'esprit. » Ce n'est pas un hasard si la dague remise aux garçons appartenant aux Jeunesses Hitlériennes portait I'inscription : << Blut und Ehre " (« Sang et Honneur »). Le siège social de la Société Thulé, choisi par Sebottendorf, est lui aussi évocateur. Il était situé à Munich, dans la Maximilianstrasse, à I'hôtel des Quatre-Saisons, celui-ci même où Jonathan Harker commença sa quête du vampirisme dans Dracula. Dans toutes les pièces on avait peint des croix gammées et les armes de la Thulé que chacun portait gravées sur un insigne :
(a) Laurence Talbot, Les Paladins du Monde Occidental (Cæntre du Livre L.T.). (5) Cet auteur de Parsifal attribuait à un certain « chevalier Kyot » I'histoire qu'il racontait. Celui-ci n'est autre que Guyot le Provençal qui signait d'une... croix gammée inscrite dans une rose,
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une croix gammée (6) sur laquelle se croisaient... deux pals, pal cher à Dracula Vlad I'Empaleur et à la magie turque bien connue de Sebottendorf. A ce propos, il existe en Hongrie, au château de Kraznachorka, un cercueil de verre contenant une belle dame couchée. Elle est morte depuis deux siècles mais son corps reste intact. Or, la demeure est réputée en raison d'un certain nombre d'histoires de vampires qui courent sur elle. Si l'on examine attentivement le cadavre, on s'aperçoit que depuis deux siècles il fait un signe du doigt et ce signe est précisément celui auquel on reconnaissait les adeptes de la vieille magie turque familière à Sebottendorf ('). Qritt" à faire hausser les épaules à certains, je dirai que l'on peut se demander jusqu'à quel point le formidable holocauste de la seconde guerre mondiale n'était pas le fruit d'un culte vampirique. Il est indéniable que, sous I'influence de la Thulé, les services de la SS, plus spécialement chargés de recherches sur le sang des ancêtres, ont étudié de très près tout ce qui pouvait toucher à l'immortalité. Combien tout cela éclaire la phrase de Martin Bormann : << Pratiquement, il n'y a pas de mort; pas d'extinction totale de I'homme. Nous devons poser ce principe que tout Eveillé continue indéfiniment à vivre dans ses manifestations vitales (...). Voilà dans quel sens nous devons orienter la pensée nationale-socialiste. » Ceci est confirmé par Sebottendorf : « Notre Dieu est le père du combat et sa rune est celle de l'Aigle... qui est le symbole des Aryens (...) I'Aigle rouge qui nous rappelle qu'il nous faut passer par la mort pour pouvoir revivre ! » Or les techniques du vampirisme, elles aussi, tiennent compte du passage par la mort pour revivre. Selon Renée Davis (8), << les membres du groupe Thulé s'engageaient à mourir de leur propre main, s'ils .commettaient une faute qui rompait le pacte, et à accomplir des sacrifices humains ». La coupe est non seulement en relation avec le sang, mais elle se rapporte également aux mythes de la terre creuse. Décidément, le
Laura de George Sand est une clé extraordinaire pour qui veut (6) Le plus ancien swastika trouvé'en Europe remonte à I'époque de la pierre polie. La découverte eut lieu en Transy'vanie. Ajoutons qu'en 1925 une gtande partie des Indiens Cuna se soulevèrent, tuèrent les gendarmes de Panama résidant sur leur territoire et fondèrent une « république indépendante de Thulé » dont le drapeau était un swastika sur fond orange à bordure rouge. () Cf. J.-P. Bourre, Draculn et les vampires (Ed. du Rocher, pages 113 à 116). (8) Renée Davis, La croix gammée, cette énigme (Presses de la Cité).
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BROUILI.ÀND
7§)
pénétrer ces arcanes, un véritable « rossignol ». Ce n'est pas pour rien que Jules Verne s'en inspira pour écrire son Voyage au cente de la terre, En effet, l'aboutissement du voyage à travers le cristal amène le héros et Nasias à un lieu bien particulier : « c'est bien une île éloignée de tout continent visible et ueusée en ooupe ». Dans cette... Coupe, un pic central très élevé transforme le tout en une sorte de... gnomon ('). C" pic, dit le héros, « il nous était impossible d'en distinguer la base, qui reposait dans un CERCLE BRUMEUX ». Au pied était « la bouche béante de I'axe terrestre », qui permettait bien entendu d'atteindre les cavités de la Terre Creuse. A noter encore cette phrase: « ne vois-tu pas la couronne polaire, le grand pic d'obsidienne et la blanche mer vitreuse qui I'entoure ('o). Pas étonnant que les savants nazis, " poussés par la Thule Gesellschaft, aient mis au point plusieun théories concernant la Terre Creuse, et fait des recherches en ce sens. Dans le Vril, organe de liaison de la Grande Loge du Vril, mouvement néo-nazi des années 60, on pouvait lire dans un article intitulé « Thulé tradition primordiale » : << Certaines suites de la légende attestent qu'après la destruction du continent Thulé, une migration guidée par I'un des derniers rois (...), Maitre du Feu et des Forges, aurait mené des survivants encore détenteurs des secrets archaïques VERS LES ENTRAILLES DE LA TERRE... Peut-on en déduire I'existence d'une civilisation thuléenne aujourd'hui encore existante, dans son état de perfection primitive et intérieure à notre monde. » Dans la même revue, on pouvait lire également: « Les << Verts » (11) explorèrent le sous-sol terrestre... Ils découvrirent l'existence de particules sub-atomiques émises par
(e) Obsession du temp§, ce gnomon se retrouve dans le Voyage au centte dc la ll rappelle également le cromleck celtique de Rennes-les-Bains. Citons à ce
terre.
propos un groupe ésotérique qui eut des relations fraternelles et un certain nombre de membres communs avec la Golden Dawn. Après [e deuxième grade (Aigle) dans lequel on procédait à la consécration de I'Arche d'Or, les adeptes étaient dirigés vers ta Golden Dawn. Ce groupe portait le nom de « Temple du Cromlech et la " pierre blanche, I'agneau et Marie-Madeleine, jouaient un rôle symbolique important dans son enseignement. Il était en grande partie composé d'ecclésiastiques. Voilà qui pourrait bieo éclairer l'ceuvre de Boudet et de Saunière. (10) Dans le même roman, George Sand parle de blaiser la romance du saule. (11) Tous les membres importants du nazisme, et ceux de la Thulé en particulier, portaient en permanence sur eur( un crayon... vert, signe de reconnaissance. Il faudrait aussi souligner le rôle joué auprès d'eux par le mystérieux moine au( gaûts verts, songer à la société des lézards, à Haushofer qui était allé développer certains de ses dons au Japon dans la Société du Dragon Vert.
250
NUrr Er
BRoT.nLLARD
le Noyau incandescent de la terre, domaine du Feu lourd. Ces particules étaient capables de résoudre l'antique rêve des << verts » : maîtriser le temps et prolonger indéfiniment la vie du même corps physique. La découverte d'un complexe inoui, avec faune et flore luminescente, vers les monts Altai actuels, allait faire des partisans de la main droite, les << verts », les arbitres occultes de I'histoire humaine, profane; son chef, le Kara-Kratu, I'Immortel, serait bientôt surnommé « le Destin », <( le Hasard ». C'est ainsi que naquit I'Empire souterrain de Khamballah. Grâce à la maltrise du vril, les vrilja, les << nés du vril »», purent prolonger indéfiniment
la vie physique du même corps. Ce qui revient à dire obtinrent I'immortalité physique. "
qu'ils
Où Pôle il y a, Vert-né trouvera.
Telle était la quête des hommes qui poussèrent Adolf Hitler sur scène politique, Hitler dont la signature s'ornait, signe de reconnaissance, d'un « chiffre de quatre ». Or toute cette quête était axée sur le Pôle, ce qui explique le nom d'une société secrète liée à la Thulé qui poursuivit la recherche graalique dans les Pyrénées : les « Polaires ». Ils aidèrent dans ses investigations le SS Otto Rahn qui appartenait à I'Ahnenerbe. Jean-Michel Angebert rappelle fort à propos que le swastika est avant tout le signe du Pôle, ce pôle que le capitaine Hatteras, héros vernien, cherche à tout prix à atteindre à travers le brouillard, jusqu'à ce qu'il arrive à une île-volcan où le feu et la glace s'affrontent ("). Lu fascination du pôle chez Jules Verne ne se trouve pas uniquement dans Les voyages et aventures du capitaine Hatteras (1866), mais aussi dans Vingt-Mille lieues sous les Mers (1869-70) et Le Sphinx des Glaces (1897). Dans ce dernier roman, Jules Verne décrit « cette indéchirable brume » derrière laquelle le héros cherche « le géant blanc, le géant du pôle »; et Marie-Hélène Huet écrit à ce propos : « Le journal de Jeorling est au journal de Pym comme le brouillard au paysage du Pôle, il cache, il dissimule, il enveloppe d'une blancheur impénétrable. » Ajoutons à ces romans Le Rayon Vert, qu| bien que n'étant pas lié au pôle, présente une phrase fort
la
(r2) Pour le savant nazi Horbiger, le cosmos est régi par une lutte éternelle entre le froid et le chaud, entre la glace et le feu, entre la forcc de répulsion et la force d'attraction.
NUIT ET
BROUILLARD
ÉI
intéressante à ce sujet. L'héroïne, Miss Campbell, y est décriE comme << une de ces nobles filles de Thulé, atur yeux bleus et aur cheveux blonds ». Il faudrait également souligner l'intérêt porté par Jules Verne à des terres proches du Pôle Sud comme la Patagonie, la Terre de Feu, intérêt qui n'eut sans doute pour égal que celui porté par la SS aux mêmes lieux. En ce qui concerne les rapprochements entre I'Guvre de Verne et la Thulé, il faut bien aborder le problème du racisme et plus spécialement de l'antisémitisme auquel nous avons déjà fait allusion. C'est vrai, de très nombreuses réflexions de Jules Verne montrent qu'il était raciste et tout spécialement antisémite. Qu'on ne nous fasse pas dire pour autant qu'il aurait approuvé les camps de concentration (13). Strement pas ! Simplement il considérait qu'il existait des races supérieures à d'autres, au moins à un moment donné de I'histoire. En tout cas, son antisémitisme provoqua, à propos d'Hector Servadac, nous I'avons vu, une protestation du Grand Rabbin de Paris. Dans bien d'autres romans en fait on peut trouver des preuves des opinions de Verne à ce sujet. Prenons un exemple : Le Château des Carpathes, dans lequel le Juif est en quelque sorte le « bon Juif » de Jules Verne, le seul de toute son Guvre qui soit presque sympathique. On y lit : « Si la plupart des paysans du comitat sont rongés par l'usure, qui ne tardera pas à faire des prêteurs israélites les véritables propriétaires du sol. » Quant au
patron de I'auberge, son « bon Juif », Jules Verne nous dit
:
« Plaise au ciel que les Juifs établis dans le pays transylvain soient
toujours aussi accommodants que l'aubergiste de Werst ! Par malheur, cet excellent Jonas est une exception. >» Disons tout de suite que Jules Verne, épris de liberté (14), n'aurait sans doute pas aimé du tout le nazisme. Il l'a d'ailleurs condamné par avance dans
Les 500 rnillions de la Bégum. En effet, le moins que l'on puisse dire est que Herr Professor Schultze n'est pas très sympathique; or le Journal d'Alsace-Lorraine dt 27 novembre 1935 etle lournal de Strasbourg du 11-12 novembre 1935, ont retrouvé dans la presse hitlérienne de 1935 des phrases que Jules Verne faisait prononcer en 1879 à son peu sympathique personnage. Nous avons évoqué les idées quelque peu anarchisantes de Jules (13) Notons au passage que ce n'est pas pour rien si le gigantesque plan de destruction de la race jüve se nommait : Nuit et Brouillard, (r4) Il écrivit : « Je n'aime que la liberté, la musique et la mer. »
Ë2
NUIT ET BROUILLABD
Yerne; mais d'un autre côté, il semble qu'il ait considéré ces principes eomme irréalistes et dans les faits il défendit toujours I'ordre. En fait, il faut distinguer deux périodes. Dans la première, sous la dépendance d'Hetzel, Jules Verne fut le reflet, plus ou moins, de son employeur. Après la mort de ce dernier, Verne s'émancipa, se reprit en charge, et ses opinions évoluèrent, ses écrits aussi. Nous verrons plus loin quelles furent les conséquences de cette libération pour Jules Verne sur la fin de ses jours. En tout état de cause, il faut rappeler, même si cela étonne, que le Nazisme doit beaucoup aux Illuminés de Baüère, tout comme le communisme. Les antagonismes apparents entre certaines politiques ne sont pas réels, ils n'apparaissent tels aux hommes que parce que ceux-ci ne savent pas prendre le recul nécessaire et sont trop
sensibles aux propagandes.
En
L917, Lénine était
finané
par ligue
l'Allemagne; en 1918, dans le même pays naissait la Spartacus, communiste, qui devait son nom au surnom d'Adam Weishaupt, Maître des Illuminés de Bavière. Elle-même était née
en Bavière, tout comme la Thulé qui allait lutter contre ces
communistes. Serge Hutin note d'ailleurs (") , Derrière la révo" lution russe, on pourrait sans doute déceler l'activité d'une très mystérieuse société secrète, celle du Dragon Vert. » Or ce mystérieux Dragon Vert, on sait fort bien qu'il fut également derrière Haushofer et la Thulé. La montée du communisme à l'est et du nazisme à l'ouest furent deux essais de mener le monde dans une voie déterminée. [æur concurrence était censée stimuler chacun des deux systèmes. Ce que n'avaient peut-être pas prévu les gens de la Thulé, c'est qu'Hitler voudrait leur échapper et se mettrait à gouverner par luimême. Lorsque cela se réalisa, le premier acte du
Führer fut d'attaquer la Russie communiste qui jusque-là était restée fidèle au pacte germano-soviétique. Ce jour-là, ce fut un peu comme si Hitler avait signé sa condamnation : la Thulé le lâcha et I'U.R.S.S. entra dans le conflit qui allait voir la défaite de l'Allemagne; quant aux communistes occidentaux, français notamment, qui avaient pour le moins observé une sorte de bienveillante neutralité, c'est alors, et alors seulement pour la plupart, qu'ils entrèrent dans la résistance (16). (rs) Serge Hutin, Gouvernanu invisibles et sociétés setètes (J'ai Lu). (16) A propos de Hitler, il faut Doter I'intérêt qu'il porta à la §ainte Lance, liée au Graal, découverte en terre sainte par le Comte de Toulouse, Raymond de SaintGilles, et qui faisait partie du Trésor des Habsbourg.
NUIT ET
BROI,JILLARD
Tout cela peut paraître curieux au lecteur, car ce n'est
253 pas
précisément ce que l'histoire officielle enseigne; mais l'histoire officielle a ses raisons d'Etat qui ne connaissent guère la vérité. De plus, les sociétés secrètes qui mènent Ie monde ne raisonnent pas selon le manichéisme du commun des mortels. Pour bien faire comprendre cela, on ne peut que prendre pour comparaison une partie d'échecs. Tout le monde sait qu'il faut parfois sacrifier des pièces importantes pour pouvoir gagner la partie. L'important n'est pas de savoir combien il restera de pions sur l'échiquier à la fin, mais de gagner. Il en est un peu de même pour ceux qui mènent le monde, et il serait illusoire de vouloir analyser leur comportement à partir d'un fait particulier ou d'un pays. Werner Gerson écrit à ce propos (") , Ces sociétés secrètes, créées à mesure qu'on en a " besoin, sont détachées par bandes distinctes et opposées en apparence, professant respectivement et tour à tour les opinions du jour les plus contraires pour diriger séparément et avec confiance tous les partis politiques, religieux, économiques et littéraires, et elles sont rattachées pour y recevoir une direction commune à un centre commun. » René Guénon écrivait quant à lui : « Le véritable ésotérisme est au-delà des oppositions qui s'affirment dans les mouvements extérieurs qui agitent le monde profane et si ces mouvements sont parfois suscités ou dirigés invisiblement par de puissantes organisations initiatiques, on peut dire que celles-ci les dominent sans s'y mêler, de façon à exercer également leur influence sur chacun des partis contraires ("). " La quête doit s'effectuer par-delà le bien et le mal et Arthur Machen écrivait : « Il existe autour de nous des sacrements du mal, comme il existe des sacrements du bien, et notre vie et nos actes se déroulent dans un monde insoupçonné, plein de cavernes, d'ombres et d'habitants crépusculaires. » Si I'on admet ces principes, on commence à voir un peu plus clair dans le brouillard et I'on s'aperçoit que Jules Verne a parfois été un instrument dans les mains de ses maîtres, un pion sur un échiquier. La conscience de ce phénomène obscurcit la fin de sa vie et nous verrons en parlant de ses derniers instants que le doute s'était installé en lui.
(r7) Werner Gerson, Le Nazbme, société secrète (J'ai Lu). (18) René Guénon, L'Esotérisme de Dante (Gallimard).
CINQUIÈME PARTIE
DE SABLE AU N D'OR
I LES SECRET§ DU CAPITAINE NEMO
L'Ange Noir.
Il
est un roman de Jules Verne qui, d'une certaine façon, résume
un peu tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, le plus célèbre de ses écrits : 20 000 lieues sous les mers. Célèbre en raison du sujet
traité, bien sûr, mais sans doute aussi parce que chaque lecteur sent confusément que Jules Verne est présent dans ce roman. Du thème lui-même, Verne écrivait à Hetzel : << Je n'ai jamais eu un plus beau sujet entre les mains. » En fait, il le devait à George Sand qui lui écrivit en 1865 : .. J'espère que vous nous conduirez bientôt dans les profondeurs de la mer et que vous ferez voyager vos personnages dans ces appareils de plongeurs que votre science
et votre imagination peuvent se permettre de
perfectionner. Cette dette vis-à-vis de George Sand, Verne I'avouera un jour à l'un de ses amis. Cela étant, il semble qu'il ait beaucoup investi de lui-même dans le roman, au point de se faire représenter sur une gravure illustrant le livre. Le professeur Aronnax, c'est Jules Verne lui-même, âgé de 41 ans. L'æuvre, dès lors, ne pouvait qu'être initiatique et ce n'est pas pour rien que des liens ont pu être mis en évidence entre 20000lieues sotn les mers et La Tempête de W. Shakespeare (1). Mireille Coutrix écrit : .< Nemo est Caliban, s'emparant non plus >>
(t) Cf. Mireille Coutrix, « Verne et Shakespeare, étude comparative de la Tempête, Vingt Mille lieues sous les mers et I'Ile mystérieuse » (Cahien de I'Herne, no 25).
258
LES sEcRErs DU cAPTTAINE NEMo
des oripeaux du savoir mais du savoir lui-même; plongeant au fond des mers, il y retrouve le livre englouti par Prospero (2) et le butin
de l'(Euvre au Noir : I'or tout-puissant des galions espagnols qui désormais alimente la révolte de tous les Caliban du monde. Un mimétisme alors fait de Caliban un nouveau Prospero (...). » De là
à songer à la Société Angélique,
il n'y a qu'un tout petit pas,
confirmé par I'aspect saturnien du capitaine Nemo. Claude Mettra écrit (3) : << Beaucoup des imageries liées à la fumée, celle du brouillard, de la brume, c'est-à-dire toutes celles qui ramènent à un espace plein de ce qui ne se touche ni ne se voit, appartiennent par privilège aux personnages Saturniens »; et plus loin : << Egaré dans la fumée, Saturne se sauve en se cachant en lui-même, en se
refermant sur son propre secret. Il indique ainsi la voie aux alchimistes futurs qui par le subtil agencement des vapeurs vont délivrer la matière de tout ce qui en elle n'est pas divin. Mais en explorant un autre sentier, on pourrait songer aussi que cet univers du brouillard auquel Saturne est confronté en premier lieu est celui où la matière reste encore indistincte, informulée. Elle est une lumière emprisonnée et c'est dans la suite de son périple à travers une série d'épreuves, qui sont aussi les épreuves de la matière ellemême, que Saturne, lentement, sortira la matière de son immaturité. Prisonnier des profondeurs de la terre, il en deviendra aussi I'organisateur. C'est fort de tous les sortilèges de la fumée qu'il pourra affronter la transparence de l'espace où se plaît l'éther céleste. » On pourrait croire que oe discours sur Saturne a été écrit pour le capitaine Nemo lui-même et plus spécialement pour le Nemo de L'Ile Mystérieuse (4). Nemo est Saturne, il appartient comme lui au « pays des opprimés »>. On reconnaît en lui fidéal anarchiste, il a rejeté toute autorité extérieure, même divine, puisqu'il s'est arrogé le droit de vengeance, et ce n'est pas par hasard qu'il déploie le drapeau noir au Pôle sud. Nemo est un personnage de Ia mélancolie et du soleil noir. Il est l'éternel rebelle, celui qui dit non, celui qui ose relever la tête devant Dieu et le défier, il est l'ange déchu, il est Satan-saturne (t). Sa (2) Prospero est, chez Shakespeare, une image de Prospero Colonna, ce qui nous ramène une fois de plus à I'environnement du Songe de Poliphile. (3) Claude Mettra, Saturne ou I'herbe des ômes (Seghen). (4) L'Ile a d'ailleurs la forme d'un scorpion, animal saturnien. (5) Nêmo, « ce terrible justicier, véritable archange de la haine », écrit Jules Verne.
LES SECRETS DU CAPITAINE
NEMO
29
connaissance est une connaissance du désordre, de la désolatim, de la dispersion, au moins en ce qui concerne 20M0 lieues sous la rners,
Ce roman est, avant tout, un livre saturnien lié à la mort et à la
réincarnation. N'oublions pas que, primitivement, I'Empire des Morts fut conçu comme un royaume sous-marin, dont le Capricorne, aux cornes sataniques et à la queue de poisson, est un rappel. Nemo, nous dit Mireille Coutrix, << devient une sorte de Messie de la destruction, un sauveur « d'en bas », ange noir de l'Apocalypse, il surgit du fond de la mer « sur la crinière de laquelle » il aime comme le chevalier (byronien) Harold poser la main. Il partage avec lui la même passion pour I'orage, la foudre et I'eau violente. Tous deux rêvent d'un mot qui soit « Eclair » pour brtler tout ce que l' .< Humain » a édifié ». Oui, Nemo est bien Saturne, dont Plutarque disait qu'il résidait dans une île au milieu des brumes : « Saturne même y est, dedans une grande caverne d'un rocher reluisant comme s'il était de fin or. » Et cette caverne est une caverne maritime comme celle de L'Ile My*értease, dernier refuge du Capitaine Nemo. Une fois de plus, on pourrait croire que Claude Mettra parle de Nemo lorsqu'il dit de Saturne : « I'exilé dont la seule demeure est une grotte océanique dont aucun atlas ne porte trace ». Il est normal, dans ces conditions, que 20000lieues sons les mers soit lié à la mort et à la renaissance, tout comme L'Ile Mystértewe. Ainsi voit-on le professeur Aronnax (avatar de Jules Verne luimême) tomber à l'eau et sembler mourir : <, Ce fut le dernier cri que je jetai. Ma bouche s'emplit d'eau. Je me débattis, entraîné dans l'abîme. » Puis « la lune apparut (...) cette bienfaisante lumière ranima mes forces ». Or la lune était la « pompe à âmes pour les anciens, sorte d'aimant et attirant les âmes après la mort, lié au monde saturnien. Il n'est pas étonnant de constater une sorte d'alliance entre le capitaine Nemo et cette lune, « complaisant satellite » sur lequel il peut compter au point de demander, dit-il, à cet astre << un service que je ne ver»r devoir qu'à lui seul »». Mais le secours de la lune semble de courte durée pour Aronnax qui nous dit : « ma main ne me fournissait plus un point d'appui; ma bouche, convulsivement ouverte, s'emplissait d'eau salée; le froid m'envahissait. Je relevai la tête une dernière fois, puis je m'ablmai >>. Comment signifier plus clairement que le professeur Aron>»
zfi
LEs sEcRETs DU cAPITATNE NEMo
nax va pénétrer dans le royaume des morts, le royaume de Nemo.
Dans cet univers morbide, le requin verra son nom tiré du mot « requiem » et ses nageoires dorsales prendront la forme de faux. Mais il s'agit aussi d'une source de vie et la mort, chez Jules Verne, suppose toujours la renaissance, la réincarnation même. Nemo nous dit : « La mer n'est que le véhicule d'une surnaturelle et prodigieuse existence; elle n'est que mouvement et amour; c'est I'infini vivant, comme I'a dit un de vos prêtres. » La mer est le vaste réservoir de la nature. C'est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s'il ne finira pas par elle ! » La mer est bel et bien reliée ici au phénomène de la naissance, de la vie et de la mort, d'ailleurs n'est-ce pas dans un liquide salé que baigne le fætus au sein de sa mère-mer? Et Nemo de s'écrier: « Ah! monsieur, vivez, vivez, au sein des mers ! Là seulement est l'indépendance ! Là, je ne connais pas de maîtres ! Là, je suis libre ! » Après la mort, la renaissance, disions-nous. En effet, si 20N0 lieues sous les mers s'achève par la disparition du capitaine Nemo et de son Nautilus dans l'abîme du maellstrôm, la renaissance s'opérera dès le début de L'Ile Mystérieuse. Ce roman commence comme 200N lieues sous les mers a fini: par le tourbillon. Le Nautilus passait de la surface de la mer au fond des eaux, le ballon passe de l'air (6) à la surface de la terre, symbole d'âmes qui s'incarnent. Le ballon confirme d'ailleurs par lui-même cet aspect; ne dit-on pas en argot d'une femme enceinte qu'elle .< a le ballon » ? Les âmes à incarner, les corps naissants que sont les héros de L'Ile Mystérieuse, sont d'ailleurs reliés au ballon par un << appendice » qui va être rompu lors de I'atterrissage, tout comme serait coupé le cordon ombilical. L'Ile elle-même est un nouveau lien, un cordon ombilical les reliant à la caverne de Nemo, elle est le hylé des origines.
Un peu de sang d.ans la nuit.
Maître du monde à l'envers, Nemo I'est par plus d'un aspect. Il vit au-dessous de la surface des eaux dans un premier temps, de la surface de la terre dans un second. Le dieu des chrétiens n'a pas sa (6) Etant pris dans une trombe, tout en étant en I'air, ils se trouvaient en milieu aqueux.
LES SECRETS DU CAPTTAINE
NEMO
?5I
place dans ce royaume, d'ailleurs, dans le Nautilus, « le pain et b vin manquaient totalement ». Et même, sur son piano, Nemo ne frappe que les touches noires, on ne peut mieux faire. Mais dans æ monde dont il est le maître absolu, le capitaine apparaît en quelque
sorte comme revêtu des attributs de la divinité, et entre autnes comme possesseur de l'immortalité, ce qui changera d'ailleurs dans L'Ile Mystériewe.ll semble hors du temps. << Ce personnage avaitil trente-cinq ou cinquante ans, je n'aurais pas pu le préciser., jusqu'à l'âme! " Quel regard! (...) comme il vous pénétrait Comme il perçait ces nappes liquides, si opaques à nos yeux, et comme il lisait au plus profond des mers ! Qui est-il donc ? Quel " âge a-t-il ? D'ailleurs est-il bien vivant ? « Et je suis mort, monsieur le professeur, aussi bien mort que ceux de vos amis qui reposent à six pieds sous terre », dit-il à Aronnax. Ne faut-il pas voir là, une fois de plus, un lien avec les rituels d'immortalité de la Rose*Croix : une vie maitrisée au-delà de la mort. Aronnax dit : << Aussi, à cette demande posée, il y a six mille ans, par l'Ecclésiaste : « Qui a jamais pu sonder les profondeurs de I'ablme ? >r, deux hommes entre tous les hommes ont le droit de répondre maintenant. Le capitaine Nemo et moi ! » N'oublions pas que ces rituels d'immortalité sont liés au sang, et écoutons Jules Verne évoquant dans L'Ile Mystéiewe l'ascendance du capitaine Nemo : .< Ces princes se disent fils de crocodiles (7), c'est-à-dire issus de la plus haute origine à laquelle un être humain puisse prétendre. Aussi, ces ancêtres écailleux foisonnent dans les rivières de l'île, et sont I'objet d'une vénération particulière. On les protège, on les gâte, on les adule, on les nourrit, on leur offre des jeunes filles en pâture, et malheur à l'étranger qui porte la main sur ces lézards sacrés. » L'inhumation de ses compagnons dans la mer est elle-même liée au sang. l,eurs tombes sont faites de corail justifiant « par ses tons vifs ces noms poétiques de fleurs de sang et d'écume de sang ». Quant à la croix de corail ornant ces tombes, on peut se demander jusqu'à quel point elle n'est pas une << Rose* Croix ,'. Il faut dire également qu'il est fait allusion à la FrancMaçonnerie; ainsi Cyrus Smith, dont le nom convient si bien aux forges infernales, attache les deux branches du compas avec une épine d'acacia. Curieux Nemo, qui possède des coquilles plus belles que celles de Saint-Sulpice, qui lit Rabelais et George Sand, qui (?) Cf. Dracula et autre§ vampires, fils de crocodiles ou de dragons.
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LEs sEcRErs DU cAPTTAINE NEMo
peut tout et n'est personne. Nemo n'est qu'un écho de la réponse faite par Ulysse (8) au géant Polyphème quand celui-ci l'interroge sur son identité : je m'appelle Personne. Quant à L'Ile Mystérieuse, on y voit Nemo dire à Cyrus Smith : << Je n'ai pas de nom, Monsieur. » Et son sous-marin, le Nautilus, est bien intéressant lui aussi. Un engin de ce nom, sorte de cloche à plongeur, existait déjà du temps de Jules Verne. En 1791, Robert Fulton avait ainsi nommé I'ancêtre du sous-marin. Jules Verne présente le Nautilus comme une << arche sainte >>, mais il est aussi la nef des Argonautes quêtant la Toison d'Or. Le nautile n'est-il pas un mollusque très
proche de celui que I'on nomme argonaute (e). Mobile dans l'élément mobile, le Nautilus baigne dans les eaux-mères de la création. Nemo le Vengeur. Nemo, archange de la haine, va confirmer un certain nombre de points que nous avons abordés, et plus particulièrement l'appartenance de Jules Verne aux hauts grades de la Franc-Maçonnerie et les liens existant entre son euvre et les doctrines des Illuminés de Bavière. Ainsi, dans le rituel des grades d'Elu de la F... M... que nous avons déjà évoqué, à propos de Michel Strogoff, le mot d'ordre était « Nekom (t'). Cela pourrait être un pur hasard et le " fut peut-être au départ, cependant, dans le deuxième roman mettant en scène le capitaine Nemo, dans L'Ile Mystériewe, Jules Verne a choisi de donner pour nom à son héros celui de Cyrus Smith. Le nom Smith, forgeron, est lui-même un signe que vient confirmer le prénom : Cyrus lié au rituel de Chevalier d'Orient ou de l'Epée (t'). L" terme Nekom, lié aux grades de vengeance, signifiait : << Je l'ai retranché du nombre des vivants. » Cela ne pourrait-il pas s'appliquer au cas Nemo ? L'instruction du grade contenait les maximes suivantes : (< Tous les hommes sont égaux, (E) Il y a d'ailleurs d'autres allusions à I'cuvre d'Homère : Je croyais entendre " I'Homère canadien, chantant l'Iliade des régions hyperboréennes », dit Aronnax parlant de Ned Land. (e) Jules Verne écrit d'ailleurs que Nemo aurait mieux fait de nommer son Nautilus I'Argonaute. ('o) Ce grade est lié à la couleur noire et à la mort. (tt) Voir René le Forestier, La Franc-Maçonnerie templière et occuhiste (Aubier, pages 53 à 55).
LES SECRETS DU CAPITAINE
NEMO
%3
nul ne peut être le supérieur d'un autre. Les pouvoirs souverains doivent appartenir à la multitude; les peuples donnent la souveraineté comme ils veulent et la reprennent quand ils veulent. Toute religion présentée comme l'ouvrage de Dieu est une absurdité
-
toute puissance se disant spirituelle est un abus et un attentat. » Ne reconnaît-on pas ici les doctrines même des Illuminés de Bavière ? C'est à George Sand que nous aurons recours une fois de plus pour nous éclairer, et plus spécialement au tome 2 de Consuelo, à La Comtesse de Rudolstadt. Yers la fin, George Sand consacre un chapitre à Adam Weishaupt, fondateur des Illuminés de Bavière, qui avait pris le nom de Spartacus. Là, sur des chemins « sablés d'or >> (12), Spartacus jeune rencontre un vieillard qui va le conseiller : << Ce que j'ai senti en t'écoutant, ce que tu as su me communiquer de ton espérance, est une grande preuve de la réalité de ta mission. Marche donc, agis et travaille. LE CIEL T'A FAm
ORGANISATEUR DE DESTRUCTION, DÉTRUIS ET DIS. SOUS, VOILA TON GUVRE (t'). Il faut de la foi pour abattre comme pour élever. Moi, je m'étais éloigné volontairement des voies où tu t'élances : je les avais jugées mauvaises (14). E[es ne l'étaient sans doute qu'accidentellement. Si de wais serviteurs de la cause se sentent appelés à les tenter encore, c'est qu'elles sont devenues praticables. Je croyais qu'il n'y avait plus rien à espérer de lâ société officielle, et qu'on ne pouvait la réformer en y restant. JE ME SUIS PLACÉ PT.I DEHORS D'ELLE, Et, déSESPérANt dE voir le salut descendre sur le peuple du fait de cette corruption, j'ai consacré les dernières années de ma force à agir directement sur le peuple. (...) Tout s'enchalne, le bien et le mal, pour s'élancer vers l'idéal divin. (...) Oui, disait Spartacus, je me sens une mission. Je me suis approché de ceux qui gouvernent la terre, etj'aiété frappé de leur stupidité, de leur ignorance, et de leur dureté de cæur. Oh ! que la vie est belle, que la Nature est belle, que l'Humanité est belle ! Mais que font-ils de la vie, de la Nature et de l'Humanité ? » Et le vieillard d'ajouter : << Je t'avais bien dit que tu ne ferais que détruire! (...) Qu'une société secrète se forme à ta voix pour détruire la forme actuelle de la grande iniquité. (...) Sache une chose qui doit être la règle de ton âme. Rien ne se perd. Ton nom (t2) Voir plus loin les caractéristiques du pavillon du capitaine Nemo. (r3) C'est nous qui soulignons. (") Cf. Les Naufrages du lonathan.
2æ
LBs sEcRETs DU cAPITATNB NEMo
et la forme de tes æuvres disparaîtraient, TIJ TRAVAILLERAIS SANS NOM comme moi, que ton æuvre ne serait pas perdue. Tout ceci ne pourrait-il pas se rapporter au capitaine Nemo ?
»>
De sable au N d'or.
Nemo, l'homme qui dit Non, l'homme de la couleur Noire et de la Nuit, résume en quelque sorte l'æuvre de Jules Verne (1s). Nemo, dont I'hiéroglyphe est la lettre N. Robert Graves a tenté, dans un ouvrage admirable (16), d'analyser le sens sacré, hiéroglyphique, des alphabets celtiques. L'un des rapports qu'il fait avec la lettre N, et dont il serait trop long d'étudier les raisons en détail, lui fait raccorder cette consonne à un passage qui dit : « Car il Demeure en sécurité dans le bateau creux jusqu'à ce que les vents l'amènent chez lui »; mais il la relie également au nombre 13 évocateur de la mort. Il est curieux de constater combien cette lettre charnière est souvent utilisée comme clé des cryptogrammes, tant par I'abbé Boudet dans La Vraie Langue Celtique que par Maurice Leblanc : c'est le N qui est la clé de la nouvelle La lettre d'arnour du Roi Georges,le N qui est la clé de la rosace centrale ouvrant le coffre d'Essarès Bey dans Le Triangle d'Or. C'est le N que portait brodé le jeune Arsène Lupin, si I'on en croit Valère Catogan (17). C'est Ie N qui sert de charnière au fameux carré magique Sator. C'est le N qui correspond au dieu Enn que les anciens considéraient comme le dieu inconnu, celui que I'on ne peut représenter. Quant au fleuve Ennoë, il était Ie véhicule de la connaissance et c'est lui que Léonard de Vinci montrait sans cesse dans le fond brumeux de ses tableaux. Cependant, ce N, par son dessin, évoque aussi
(") On peut d'ailleurs relever quelques allusions vraisemblablement liées à l'affaire de Rennes dans 20A00 Eeues sous les mers et L'Ile Mystérieuse. (16) Robert Graves, La Déesse Blanche (Ed. du Rocher). (17) Valère Catogan, Le secret des Rois de France ou la véritable identité d'Arsène
lupin
(Editions d'Aujourd'hui). Notons que Nemo a plus d'un rapport avec Lupin, tout comme son refuge de I'Ile Mystérieuse présente des points communs avec l'Aiguille Creuse. Devinette : est-ce Lupin ou Nemo qui dit : « Riche à I'infini, monsieur, et je pourrai, sans me gêner, payer les dix millions de dettes de la France »? Réponse : Nemo, mais, Lupin, lui, paye les dettes de la France.
LES SECRETS DU CAPITAINE
NEMO
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l'aleph, première lettre de I'alphabet hébraïque, signe de la création. Cet aleph était le signe distinctif des membres du suprême conseil de l'Ordre kabbalistique, fondé en 1888 par Stanislas de Guaita, qui comprenait douze membres : 6 connus et 6 secrets. Parmi les premiers, plusieurs entretenaient des relations suivies avec Emma Calvé (Papus entre autres). Le N, doublé, êtait aussi le signe figurant sur les registres de Mauthausen et indiquant I'extermination des Juifs dans les camps par les Nazis. N.N. pour Nacht und Nebel: Nuit et... Brouillard, nom que la SS avait donné à cette opération. A ce propos, laissons la parole quelques instants à H. Vidal Sephiha ('8) : « Mais que signifiait à l'origine ce sigle N.N. ? Jamais, semble-t-il, la chose n'a été révélée. Et pourtant quel symbole ! (...) Il suffit de consulter un dictionnaire allemand pour découvrir avec stupéfaction que ce sigle était utilisé en Allemagne bien avant le régime hitlérien. l* Deutsche Wôrterbuch de Jakob et Wilhelm Grimm (1881) le définit comme suit: N. oder N.N statteines Namens den man nicht weiss (nomen nescio) oder nicht nennen will (notetur nomen), c'est-à-dire Nom N.N., utilisé au lieu d'un nom que l'on ignore (latin : nomen nescio) ou que l'on ne peut mentionner (latin: notetur nomen). (...) Ainsi donc, l'image première véhiculée par ces deux letEes fatidiques encore utilisées aujourd'hui en Allemagne, est celle de l'Anonymat. » N comme Nacht und Nebel, N comme Nemo-Personne. Voilà une logique de l'histoire parfaitement cohérente avec la logique de Jules Verne. Nemo est I'homme du drapeau noir, celui des anarchistes, mais aussi celui frappé des runes d'argent de la S.S. (t'). lt a pour pavillon une étamine noire portant un N d'or écartelé. Iæ N est-il si ioin, par sa forme, de la rune de la foudre, du f Ui"o connu ? Il suffirait de faire pivoter un peu la lettre. Le personnage le plus proche du capitaine Nemo est sans aucun doute Robur le Conquérant et lui aussi possède son drapeau noir : une étamine noire, semée d'étoiles avec un soleil d'or en son centre. Comme lui, il fait partie des êtres qui disent non, du monde de l'ange noir.
In rewe Europe, sept.-oct. 65. (re) [æ drapeau noir intervient également dans Famille satu Nom. Quant au pirate Sacratif dans L'Archipel en Feu, son pavillon noir porte un S rouge feu, A noter aussi le pavillon noir classique du forçat Bob Harvey dans L'Ile Mystériewe. Ker Karraje, lui, dans Face au Drapeau, a une étamine rouge frappée d'un croissant d'or à I'angle, prémonition partielle du drapeau de I'U.R.S.S. 1181
2«
LEs sEcRETs DU cAPTTAINE NEMo
Nemo, déployant son pavillon au pôle Sud, s'adresse au soleil : Adieu, Soleil ! s'écria-t-il. Disparais, astre radieux ! Couche-toi sous cette mer libre, et laisse une nuit de six mois étendre ses «
ombres sur mon nouveau domaine. » Mais Nemo n'est pas seulement Saturne, il est Jules Verne d'une
:
ni Dieu ni Maltre, il " Co). Comme Verne, Nemo apparalt assailli de doutes; comme Nerval, il abandonne sa révolte pour espérer en la rédemption du certaine façon
lorsqu'après n'avoir voulu
s'exclame avant de mourir : « Dieu et patrie
Christ.
(Û)
Dans le texte original du Nauÿagés du lonathan, avant qu'il soit modifié par
Michel Verne, la condamnation du communisme et du socialisme était encore beaucoup plus üolente, et même I'anarchisme apparaissait insufEsant. Veroe termfuait en mettant dans la bouche du héros le nom de Dieu, à la place de la formule : « Ni Dieu, ni Maître ! ".
II JULE§ VERI{E FACE
A
DIEU
L'attentat.
Les doutes ont assailli Jules Verne sur la fin de sa vie. S'était-il trompé ? S'était-il laissé abuser par un porte-lumière dans le brouillard ? Le jour où il avait rencontré Hetzel avait-il été aussi favorable qu'il I'avait d'abord supposé ? Dans un premier temps, Jules Verne semble avoir admiré, aimé Hetzel comme un père, comme un maître, comme un guide. N'est-ce pas lui qu'il donna pour modèle arur illustrateurs de Mathias Sandorf? La ressem-
blance n'est pas fortuite puisque Verne écrivait à Hetzel : << Mathias Sandorf, c'est vous. >» Mais, au fil des ans, son avis changea, semble-t-il, comme changea celui de George Sand. Verne se détourna plus ou moins d'Hetzel et, en 1886, ce n'est sans doute pas un hasard s'il ne s'associa pas au concert d'éloges du numéro spécial du Magasin d'Education et de Récréation, pubhé le 15 juin
en mémoire d'Hetzel. L'éditeur lui avait mis le pied à l'étrier, l'avait soutenu, mené à la notoriété et à la gloire, comment Jules Verne aurait-il pu être assez ingrat pour ne pas saluer la mémoire d'Hetzel à sa mort ? Cela semble inconcevable, à moins que Jules Verne ait eu de sérieuses raisons pour cela, à moins qu'Hetzel soit sorti de son cæur, à moins qu'il lui en ait voulu. N'en doutons pas, là se trouve la clé de ce mystère, et Jules Verne nous l'avoua luimême en écrivant Les cinq cents millions de la Begum. Ce n'est certes pas une simple coincidence si le nom de la ville maudite inhumaine dans laquelle les hommes sont réduits à I'esclavage se nomme « Stahl-Stadt », la ville de Stahl,le nom même que prenait
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JULEs vERNE FAcE
À
DrEU
Hetzel lorsqu'il signait ses propres écrits. Et, comme si cela ne suffisait pas, Verne nous indique que cette cité est située dans une << fausse Suisse », allusion à celle des Robinso,ru §arsses de Hetzel. Enfin, le tyran lui-même, Herr Schultze, contient dans son nom celui de l'éditeur : Herr schuLTZE. Il est troublant de remarquer que Jules Verne semble ainsi accuser Hetzel de l'avoir trompé. Lui, qui croyait défendre la liberté à tout va, l'esprit chevaleresque, n'avait peut-être fait que jouer Ie jeu de systèmes tyranniques. N'avait-il pas été manipulé ? Quelle société se cachait derrière Hetzel ? Nous avons vu comment les doctrines auxquelles on peut relier l'æuvre de Jules Verne ont débouché tant sur le communisme que sur le nazisme. Or, les Cinq Cenæ millions de la Begum, c'est d'une certaine façon une préfiguration du nazisme, de I'Allemagne organisée pour produire et détruire telle qu'on l'a connue en 1940, au service d'un tyran tout-puissant et mégalomane qu'entoure une garde noire. On peut dès lors se demander, tout à fait légitimement, si Jules Verne, se rendant compte qu'il était tombé sous la coupe d'une Société dont il n'approuvait plus les buts, ou du moins les moyens, n'a pas cherché à s'en échapper. Et par la même occasion, on peut se demander si on ne l'en a pas empêché. Il est indéniable qu'il existe une évolution troublante de son @uvre. Déjà, vers 1865, quelque chose se passe qui affecte notre auteur. A cette époque, remarque Marie-Hélène Huet, « les descriptions que I'on fait de Jules Verne ne concordent plus. Il semble qu'il soit resté pour sa famille le joyeux boute-en-train, l'animateur de réunions de Chantenay, un faiseur de rimes adolescent à qui tout doit être pardonné. Quelques amis au contraire parlent de la froideur de Jules Verne, de son air cassant, de sa voix brève dès qu'il rencontre des étrangers ». Vers 1878, on peut noter une nouvelle évolution. << L'æuvre exprimait jusqu'alors un certain optimisme, non sans mélange certes mais qui faisait un immense crédit aux possibilités humaines. Vers 1878, les Anglais, les Américains qui avaient représenté I'avant-garde du Progrès et du type accompli de I'homme futur, apparaissent sous le jour de condamnables spoliateurs, de wlgaires marchands, de spéculateurs impitoyables... " Et puis arrive I'année 1886 qui verra mourir Hetzel. Jules Verne semble découragé, il vend même pour un prix dérisoire son yacht, le Saint-Michel, renonçant ainsi à ces voyages qu'il aimait tant. Et puis, un drame se produit. Le 9 mars 1886, Jules Verne rentre chez
JULES VERNE FACE
lui, humant les odeurs mouillées
À DIEU
æ
des magnolias. [,a rue Ctarles. Dubois est déserte. Tranquillement, il tire sa clé de sa poche et l'introduit dans la serrure du portail. D'un recoin proche jaitlit ure ombre. Jules Verne se retourne et reconnaît son neveu, Gaston, le fils de Paul. Le jeune homme est hagard, à bout de souffle, il ne semble pas dans son état normal. Il bredouille quelques mots, fait allusion au yacht vendu par Jules, à I'argent que cela a dt lui rapporter et essaye de se faire donner des fonds pour aller en Angleterre, comme si sa vie en dépendait. Verne s'étonne mais Gaston le met en garde. « On te poursuit, on veut t'abattre », lui dit-il, et il ajoute : « Il y a des gens qui ne t'ont jamais pardonné. » Jules ne comprend pas. Gaston désigne alors les arbres du parc et s'écrie : << Les voilà. » Puis, s'étonnant que Jules refuse de se défendre (mais contre quoi?), il s'affole, sort un revolver de sa poche et tire à bout portant sur son oncle. Jules Verne a levé le bras dans un réflexe, détournant la main du dément, sauvant ainsi sa vie. Mais une balle l'atteint et se loge dans sa jambe tandis que les autres se perdent dans la grille. Aussi brutalement qu'il avait tiré le revolver de sa poche, Gaston le range et, debout, les bras croisés, il regarde Jules qui presse la blessure d'où le sang s'écoule. Les détonations ont donné I'alerte, on accourt et on maîtrise le forcené qui profère d'étranges injures tandis que I'on conduit Jules à I'hôpital. On n'est pas très sûr en fait de tous les détails de cette scène, mais c'est à peu près ainsi qu'elle s'est produite. Toujours est-il que, deux jours plus tard, on put lire dans le Figaro.' << L'état de M. Jules Verne est toujours le même. Hier matin, ditle Progrès de la Sommq M. le docteur Verneuil, assisté des docteurs LenoëI, Cortis, Froment et Penlevé, a pratiqué une opération à l'effet d'arriver à I'extraction de la balle. Il a constaté que le projectile s'était logé dans le tibia. A I'aide d'un marteau, il a pu en déterminer exactement la position, mais il n'a pas cru devoir I'extraire. Il s'est contenté d'agrandir le trajet suivi par la balle et d'y introduire un tube, avec I'espoir que le projectile sortira de luimême. M. Jules Verne avait été chloroformé pour cêtte longue et douloureuse opération qui n'a pas duré moins de trois quarts d'heure. Le docteur Verneuil est parti favorablement impressionné par l'état général du blessé. Quant à l'auteur de l'attentat, iI est toujours en traitement à l'Hôtel-Dieu, en attendant que les médecins qui vont être chargés d'examiner son état mental concluent à I'irresponsabilité. » Et puis : fini, terminé, les journaux
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n'en parlent plus. M'e Allote de la Füye écrit : <. La presse s'émeut, puis se tait brusquement. » Comme il est intéressant ce dernier mot : brusquement. On a bien envie de s'étonner, comme Marcel Moré qui écrit : « læs journaux n'ont guère l'habitude de se taire si Ie silence ne leur est pas imposé pour éviter un scandale. »
Oui, mais quel scandale ? Sûrement pas celui auquel
pense
M. Moré qui voit
des homosexuels partout et fait de la pédophilie l'explication universelle, sorte de substitut au complexe d'(Edipe freudien. Revenons un peu à Gaston; il a fait de brillantes études et se trouvait attaché au ministère des Affaires étrangères. On va le déclarer irresponsable et I'interner. Mais, enfin, s'il était fou, il y a bien quelque chose qui l'a poussé, un élément aussi petit soit-il, une jalousie, je ne sais moi, mais quelque chose qui dans la logique du dément a pris une importance suffisante pour qu'il se rende chez son oncle et lui tire dessus. Or, ce motif n'a jamais été explicité. La famille a plus ou moins parlé de question d'argent ou de jalousie, s'est contredite et n'a finalement jamais révélé le secret. Quant à Jules Verne, qui ne put plus jamais marcher normalement et dut s'aider d'une canne jusqu'à la fin de ses jours, lui non plus ne Évéla jamais rien. Il garda toujours le silence et I'imposa à son entourage, faisant rapidement comprendre à ses interlocuteurs qu'il n'aimait pas qu'on en parlât. N'est-on pas légitimement en droit de se demander si l'on n'avait pas armé la main de Gaston et si I'on n'avait pas voulu << avertir » ou éliminer Jules Verne qui ne filait plus assez droit. Il ne fait pas bon vouloir sortir de certaines sociétés lorsqu'on en sait trop. Mais, nous devons bien l'avouer, ce n'est là qu'une hypothèse quelque peu aventureuse, et rien ne nous permet d'être affirmatif à ce sujet.
Le soleil noir de la mélancolie. Revenons donc à cette année 1886 qui vit Gaston attenter à la vie de Jules Verne. Cela se passait le 9 mars, et huit jours plus tard, Hetzel mourait. Moins d'un an plus tard, le 15 février 1887, c'était la mère de Jules Verne qui décédait. Il n'eut pas la force de se rendre aux obsèques. Il alla bien à Nantes, mais seulement quelques semaines plus tard, pour vendre la maison familiale de Chantenay. Jules Verne semblait de plus en plus las, amer. Il avait côtoyé la mort, mis son pied au bord du gouffre, lui dont
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M-" Allotte
de la Füye écriüt : << Il aura toujours Ia nostalgie des abîmes, abîmes infinis des airs, ablmes mystérieux des eaux. » Devenu infirme, sa boîterie faisait de lui un homme du monde à I'envers, selon un symbolisme universel ('), ,rn initié ayant aocompli sa descente aux enfers et ressuscité telLazare. Il est curieux de voir d'ailleurs combien l'@uvre de Verne est marquée par la mort. J.-P. Picot remarque à ce propos (2) : " On meurt vraiment beaucoup chez Verne, et la mort est partout, y compris dans les lieux et les paysages eux-mêmes. >> Ce n'est pas seulement la mort qui est omniprésente dans cette Guvre, ce sont aussi ses attributs, et Jean-Claude Vareille faisait fort justement remarquer lors du colloque de Cerisy << qu'il y a chez Verne des chiffres qui reviennent de façon récurrente, notamment 13 et ses multiples ". En tout cas, la tristesse de Jules Verne ne fit qu'augmenter et I'on ne me fera pas croire qu'elle était due au fait d'être devenu boiteux. Il en plaisantait d'ailleurs : <( Me voilà condamné à une boîterie dont je me consolerai en pensant à Mrr" de la Vallière, à Talleyrand, à Lord Byron. » Non, décidément, sa tristesse venait d'ailleurs. Il ne croyait plus dans les valeurs qu'il avait défendues, il avait en quelque sorte renié Hetzel et il était trop tard pour qu'il reparte à zéro, il était prisonnier de son æuvre et de son appartenance à la Société
Angélique. Il continuera cependant à écrire et à suivre les indications qui lui seront données, mais sans joie. Et plus le temps passera et plus Jules Verne sera triste. Honorine sentait son mari sombre, mélancolique, farouchement épris de solitude, hanté de quelque mystère incompréhensible qu'il gardait au fond de luimême. Et Jules Verne a explicitement souhaité qu'on ne s'intéresse pas à sa üe. Sans doute jugeait-il préférable que son secret ne soit jamais découvert. Il ne semblait même plus avoir de gott à vivre. lorsque son beau-frère, I'armateur Guillon (3), construisit un voilier auquel fut donné le nom de lules Verne, il ne se déplaça même pas pour le lancement, lui qui n'aurait raté cela pour rien au monde quelques années auparavant. Il ne se déplaça d'ailleurs pas davantage pour le mariage de son neveu Maxime. Il en expliqua les
(1) Cf. notre ouvrage '. Histoire secrète du Pays Basque (Albin Michel). (2) « Prélude à une exploration de la mort vernienne » (Bulleth de la Société lulcs Verne, n'56, 4'trimestre 80). (3) Mari de sa plus jeune scur, Marie, dite « le Chou ».
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raisons dans une lettre à son frère Paul datée du 1"'août 1894: « J'ai trop et de trop graves sujets de tristesse pour me mêler aux joies de la famille nantaise. Toute gaieté m'est devenue insupportable, mon caractère est profondément altéré et j'ai reçu des coups dont je ne me remettrai jamais. » Parlant de poèmes de son frère, il ajoutait : << Je vois que cela t'égaie encore de couler tes pensées dans le moule poétique. Tant mieux ! Il n'y a encore que ces distractions intellectuelles qui vaillent d'être prises. » Et les choses ne firent qu'empirer. Après 1897, ses @uvres font preuve d'une absence totale d'enthousiasme, comme si un ressort s'était brisé. Jules Verne a-t-il eu I'impression d'avoir raté sa vie ? Il a négligé sa femme et surtout son fils, Michel, et il semble bien qu'il s'en soit aperçu et que sa réconciliation tardive avec lui soit liée à cette prise de conscience. Mais, au-delà même de cet aspect personnel, on peut se demander s'il n'a pas eu le sentiment d'avoir æuvré pour les forces du Mal. N'a-t-il pas, comme Nemo, méprisé I'Homme et ignoré I'Amour? N'avait-il pas poursuivi une quête luciférienne et n'avait-il pas contribué à ouvrir I'un de ces sas chers à Lovecraft, qui permettent aux dieux du monde à I'envers de se manifester parmi nous ? N'avait-il pas contribué à hâter la venue d'une nuit de Walpurgis colossale ? C'est dans cette angoisse qu'il mourut alors que sa tombe faisait de lui un immortel rappelant étrangement les thèmes de la Golden Dawn et de la Thulé. Son retour à la religion catholique n'est-il pas le signe d'un remords ? Ne doit-on pas voir là le désaveu de la doctrine et de la société qu'il défendit ? Jules Verne a toujours été plus ou moins déiste, et Mario Turiello, dans un article consacré à la foi et la morale dans les Voyages Extraordinaires, remarquait : << S'il n'y a que peu de prêtres dans les Voyages Extraordinaires, la plupart des héros de Jules Verne sont religieux. » Ainsi,l'un de ses personnages, Barbicane, déclare : « Si nous mourons le résultat de notre voyage sera magnifiquement élargi. C'est son secret luimême que Dieu nous dira. Dans l'autre vie, l'âme n'aura besoin, pour savoir, ni de machines ni d'engins. Elle s'identifiera avec l'éternelle sagesse. >, M" Allotte de la Füye nous dit de Verne : << Il reste spiritualiste et de spiritualité catholique (...) et il pense comme Cyrus Smith : << Toutes les grandes actions remontent à Dieu, car elles viennent de Lui. » Toujours est-il que, malade, sentant la camarde s'approcher, Jules Verne dit à sa femme : << La prochaine fois, tu m'amèneras le prêtre avant le médecin, voilà
JULES YERNE FACB
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M*" Allotte de la Füye nous dit : « Elle a obéi Jules s'est confessé avec bonheur, et a même dit au prêtre qui vient le voir tous les jours : vous m'avez fait du bien, je me sens Égên&é. > Peut-être cela n'est-il qu'une pieuse tradition familiale sans fondement, mais, après tout, cela peut aussi bien être vrai. Il suffit de songer à Nerval, qui appartint lui aussi à la Société Angéüque, pour tout ! » et
voir comment l'Ange déchu finit par avoir besoin de croire et d'espérer en Dieu. Et puis il est peut-être une autre raison à ce retour au catholicisme. Grasset d'Orcet nous signale en effet que le précepte des Gilpins, appartenant à la Société Angélique, leur ordonnait de faire une mort chrétienne.
En route vers I'immortalité.
L'un des plus grands mystères de la vie de Jules Verne réside, si j'ose dire, dans sa mort. Il respecta, rappelons-le, les préceptes des Illuminés de Bavière en détruisant carnets de comptes, notes, clés et modes de décryptage de son æuvre. Seul son fils, Michel, eut peut-être droit à connaître une part du secret. Mais, au-delà même de sa mort, les symboles de sa vie devaient le poursuivre jusqu'en sa tombe. Je me demande combien de personnes l'accompagnant à sa dernière demeure se rendirent compte de l'ironie du sort - ou à son égad. Peut-être I'ambassadeur de la marque du destin extraordinaire Flotow, déléglé tout spécialement par S. M. Guillaume II, Empereur d'Allemagne, dont la présence étonna fort la famille, Jules Verne n'ayant pas toujours été tendre avec nos cousins germains. En tout cas, si vous allez à Amiens, ne manquez pas de vous rendre sur la tombe de Jules Verne. Après avoir erré dans le labyrinthe de la Cathédrale Notre-Dame et essayé de déchiffrer les énigmes gothiques recouvertes d'une crasse noire, quittez cet édifice qui a un besoin pressant de ravalement et rejoignez les bords de la Somme que vous traverserez pour vous rendre là où est enterré Jules Verne. Souvenez-vous alors de Clovis Dardentor et de Rennes-le-Château et songez à Madeleine qui garde près des sources de la Sals, dans une zone qui fut autrefois
le trésor des Rois de France. Souvenez-vous de I'intérêt que porta Jules Verne à cette histoire lorsque vous vous dirigerez en direction de I'ancien grand marais, par le chemin de la Salle, et que vous aboutirez au cimetière de la Madeleine. Le destin
marécageuse,
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a parfois pour les grands hommes de fabuleux clins d'æil et I'on pourrait remarquer des curiosités de même sorte pour Gérard de Nerval, lui aussi membre de la Société Angélique. Arrivé au cimetière de la Madeleine, laissez-vous aller au charme de ces lieux. Errez quelque temps parmi les riches tombes laissées maintenant plus ou moins à l'abandon. Méditez devant ces plaques de marbre qui ne scellent plus les tombes, brisées par la vie débordante des racines. Suivez les sentiers moussus qui parcourent cette sorte de jardin des morts valonné, planté de platanes et de hêtres. Au détour d'un chemin, en contrebas de la butte, vous finirez bien par découvrir Ia tombe de Jules Verne. Un monument funéraire qui fut commandé par son fils Michel au sculpteur... Roze la surmonte, à l'ombre d'une... croix. Jules Verne y est représenté jaillissant du tombeau. S'extrayant du sol, prenant appui sur une pierre cubique, l'écrivain sort de sa tombe. De ses épaules, il repousse la dalle funéraire brisée et, s'arrachant à son linceul, il dirige un regard profond vers le ciel, le bras tendu, saluant paume ouverte. Près du sol, les replis du linceul semblent se complaire aux contournements compliqués, formant (est-ce un hasard ?) une étrange figure : un vampire tel qu'on le figurait dans les gargouilles des cathédrales.
Je ne peux m'empêcher de voir là la preuve que Michel Verne était parfaitement au courant de l'appartenance de son père à une société secrète, car c'est le reflet même des doctrines de celle-ci qu'il a fait traduire dans la pierre par le sculpteur Roze. Du vampire à I'immortalité en passant par le salut, tout semble concorder, sans oublier l'inscription à double sens prévue initialement mais qui n'orna jamais que la maquette en plâtre du monument funéraire et qui disait : « Vers I'immortalité et l'éternelle jeunesse ». On a envie d'évoquer devant cette tombe certains passages du Testament d'un Excentrique et de redire avec J.-P, Picot (a) : « Et c'est la résurrection, la vraie, celle du milliardaire Hypperbone, déclaré mort par la science et les savants et même par les tout récents rayons X. Voilà que de sa tombe fastueuse, il se lève et marche présomptifs le long - et lui qui faisait courir ses héritiers des cases du noble jeu de I'oie, va en outre les faire marcher, ne (o) J.-P. Picot, « Prélude à une exploration de la mort vernienne » (A.S.r.ÿ. n" 56).
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À DIEU
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révélant pas son retour de l'au-delà, et courant lui aussi sa proprc partie jusqu'à la gagner. »» Tout cela semble fou, mais rappelonsnous ce qu'écrivait Jules Verne dans 20000 lieues sous les mers : << Je suis l'historien des choses d'apparence impossible, qui sont
pourtant réelles, incontestables. » Ainsi, Jules Verne continue, par delà la mort, à générer le mystère.
Et in Arcadia Ego.
Mais, en fait, qu'est-ce que cette tombe qui évoque à la fois I'immortalité et d'infernales larves vampiriques ? Ne serait-ce pas une « Arche » ? A propos de I'Arche du Temple de Salomon et des doctrines des Gilpins, Grasset d'Orcet écrivait qu'elle n'était << autre chose qu'un cercueil enfermé dans un temple bâti sur les proportions d'un cercueil ». Quant aux Gilpins de la Société Angélique, leur devise était : « Libres dans le sépulcre ». C'est-àdire très précisément ce que manifeste la tombe-arche de Jules Verne. Pourquoi « arche »? direz-vous. Rappelez-vous..., le Nautilus qui, dans L'Ile Mystérieuse, sert de cercueil et de tombeau au capitaine Nemo et qui est présenté par Jules Verne à la fois comme une masse noire et comme une <( arche sainte ». Et cette arche est une porte vers I'ailleurs, vers les dieux du dehors chers à Lovecraft. Des chercheurs américains ont cherché à retrouver l'origine d'un livre mythique : le Necronomicon, qui revient si souvent dans l'@uvre de Howard Philip Lovecraft. Les fruits de cette quête figurent dans un ouvrage intitulé Le Necronomicon, le livre de I'Arabe üment Abdul Al-Hazred (paru chez Belfond), dans lequel les auteurs ont repris certains textes de magie que I'on pense pouvoir associer au livre mythique. L'un de ces textes dit : « Pour construire le porche par lequel se manifesteront ceux qui viennent du vide, vous devez ériger les pierres, dans cette configuration. Vous placerez d'abord les quatre pierres cardinales qui définiront la direction des quatre vents qui soufflent suivant la saison. Vers le nord, placez la pierre des grands froids qui sera la porte du vent d'hiver et vous y gravercz l'emblème du taureau, signe de terre (...) ». Et tout cela s'arrange comme un véritable cromlech qui n'est pas sans nous faire penser au ctomleck celtique
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À
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de Rennes-les-Bains décrit par I'abbé Boudet. Et le texte poursuit : « Ces pierres seront les Portes par lesquelles vous invoquerez ceux qui se trouvent hors du temps et de l'espace des hommes. Priez sur ces pierres la nuit, lorsque la lumière de la lune faiblit, en tournant le visage dans la direction d'où Ils viendront, en prononçant les mots et en faisant les gestes qui amèneront les Anciens et leur permettront de marcher à nouveau sur la Terre. » Ce porchearche, que I'on retrouve tout à côté de I'église Sainte-Madeleine de Rennes-le-Château, ce passage vers l'ailleurs, est celui que les adeptes da Songe de Poliphile marquent souvent sur les tombes et les monuments par une tête de bæuf - ou bucrâne - et la fameuse écriture D.M. chère à Nostradamus :
.
Quand l'écriture DM trouvée
En cave antique à lampe découverte Ioy Roy et Prince Ulpian éprouvée Pavillon Royne et Duc sous la couverte »
disait le mystérieux mage de Salon de Provence. Eric Muraise, analysant ces vers, écrivait : « le quatrain disait qu'à partir du sigle DM on trouverait dans une cave et la Royne et le Duc (Duc au sens de Dux, chef d'armée), la preuve juridique de légitimité d'un Roy
(loi du Roy éprouvée par Ulpian, qui est un élèbre
juriste
romain) ». Cela ne doit-il pas nous mener une fois de plus dans la région de Rennes-le-Château où se joue la légitimité des Rois Mérovingiens. Mais le sigle DM a fait gloser nombre d'auteurs qui ne connaissaient sans doute pas un extraordinaire petit ouvrage du même Nostradamus: L'Interprétation des hiéroglyphes de Horapollo. On peut y lire que DM signifie Diis Manibus (s), c'est-à-dire << consacré aux dieux mânes », et que ces deux lettres passaient pour rendre les tombes inüolables. Par ailleurs, Nostradamus est parfaitement explicite et rejoint le Necronomicon en intitulant une strophe : << Comment ilz appelloient les dieux infernaulx qu'ilz appelloient manes D.M. ?. » Par ailleurs, dans un texte en prose, Nostradamus précisait : << Plusieurs choses occultes et secrètes EN LA CONCAVITÉ DE LA TERRE (6), tant proches des fleuves, comme non guère éloignées, seront manifestées par inondations et autres secrètes (5) Cæ dont on pouvait se douter si I'on connaissaitle Songe dc Poliphile, (6) C'est nous qui soulignons.
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percécutions. Et pour quelques grands secrets des lois et autres divines institutions ont été occultes longuement et livrées sous la concavité de la Terre et autres seront par le soleil et la lune, manifestés ouverts; trouvés ce que tant de temps avait été caché
AU GRAND CONTENTEMENT DE LA RELIGION CHRÉTIENNE »; et ailleurs : L,es continuels tonnerres, grêles, tem<<
pêtes et pluies impétueuses feront, par torrents, découwir d'antiquissimes sépultures et thrésors. >>
Revenons
à Jules Verne. Ne comprend-on pas mieux
angoisses avant de mourir si l'on pense
qu'il
ses
a peut-être participé à
une Guvre dont le but final est la réhabilitation des dieux déchus. Ne rions pas d'une telle hypothèse et gardons-nous bien de nous envelopper dans le trop confortable manteau de la raison et du positivisme. Des gens réputés pour leur bon sens et leur rationalisme, comme Anatole France, ont cru à la possibilité de telles hypothèses. Et une fois de plus, il faut bien se poser la question que pensaient avoir résolue certains chercheurs nazis : n'existe-t-il pas des forces enfouies avec d'anciennes croyances qui n'attendent que d'être réveillées, semblables à Dracula au fond de sa tombe ? Un jour vient où le valet du prince-vampire régénère celui-ci grâce au sang d'une victime. Dans les civilisations anciennes les sacrifices humains offraient aux dieux (ou aux forces fantomatiques ainsi considérées et qui ressemblaient à ce que I'on nommait des larves)
le
sang et la force vitale capables de leur permettre de se manifester. De nos jours, des sectes, en France même, pratiquent le vampirisme dans la plus pure tradition de ces religions anciennes. Quant à la Société Thulé et au Nazisme, ne doit-on pas voir dans l'holocauste perpétré une réactualisation de ces sacrifices offerts à ce que I'on a coutume de nommer les forces noires. Dans ces conditions, on peut se demander quelles furent les dernières pensées de l'auteur da Château des Carpathes, de cet homme que sa tombe nous montre s'extirpant de son suaire et qui traduisit si bien les principes de mystérieuses sociétés secrètes. Aurait-il pu lui aussi affirmer i << Et in Arcadia Ego »?
Épn ocug
Tout au long de ce livre, j'ai montré l'appartenance de Jules Verne à des Sociétés Secrètes et j'ai souligné l'étrange imbrication existant entre son æuvre et ce qu'il est convenu d'appeler « L'affaire de Rennes-le-Château »r; mais j'ai aussi souligné que nombre d'autres auteurs se sont intéressés à ce petit bourg du Razès. Il est légitime de s'étonner de l'effort porté à travers les siècles pour laisser des messages cryptés sur le trésor de Rennes. Pourquoi ? Pourguoi ceux qui savent ne gardent-ils pas le secret ? Pourquoi ne s'en servent-ils pas pour eux-mêmes
?
La seule réponse cohérente est liée à
certaines prophéties concernant le retour de la dynastie mérovingienne, en la personne du .. Grand Monarque )», et cela est censé se passer bientôt. JusqueJà, le temps n'était pas venu de la révélation complète, mais
il fallait transmettre le message pour accroître la fraternité des hommes qui préparaient cet avènement. Demain, peut-être, la bannière du Grand Monarque soulèvera des foules, mais sera-ce bien le Grand Monarque ? Quelles forces entraînera-t-il derrière lui ? N'ouvrira-t-il pas les portes du monde souterrain, ne déchaînera-t-il pas les puissances de I'Ombre pour une Nuit de Walpurgis gigantesque ? Forces blanches ou forces noires ? Le retour promis à un âge d'or sera-t-il I'apanage d'un Saturne-Satan ? Verra-t-on renaître des cultes du sang camouflés ou non sous la forme d'holocaustes
?
Folie que tout cela ? Pensez alors à la terreur de Jules Verne Il est des forces qu'il vaut mieux ne pas déranger. Je terminerai simplement, songeant à Jules Verne, avec une citation de Gnomrlogie de Enel : devant la mort.
280 <<
Épnocus
Ignorants ! Nous avions prévu la vie d'outre-tombe comme une
vie terrestre, avec les mêmes joies et les mêmes plaisirs. Nous n'avions pas compris que la vie n'est qu'une épreuve pour l'âme et que le corps physique est sa prison. En liant l'âme à sa momie, nous l'avons emprisonnée pour toujours. J'étais un de ces vains imbéciles ! J'étais prêtre et magicien. Je me vantais de mes connaissances et nombreuses furent les victimes que j'ai ainsi liées pour l'éternité. Ainsi me fut-il fait à mon tour et je demeure sans espoir lié à la terre, supportant des souffrances sans nom. C'est cela le véritable enfer, et l'homme l'a créé luimême en entravant son destin. >>
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Saint-Emilion iwolite (Gérard de Sède, 1980). Les Templiers sont parmi noas (Plon, 1976; Julliard, 1962; Jean de
Bonnot, 1980). Du trésor de Delphes à la tragédie cathare (Pygmalion, 1976). - Henri Boudet ou le joueur de Meaux (préface à La Vraie l-angue - Celtique de l'Abbé Boudet, La Demeure philosophale, 1978). SÈor Sophie de: La Sainte Chapelle ou la politique de la fin des temps (Julliard, 1972). Le Serpent Àoage (S.R.E.S, Vérités anciennes, 1979). SsxnEs Michel : louvences sur Jules Verne (Editions de Minuit, 1974). Ssrurtaz Maurice : Delacroix (Nathan, 1981). SonraNo Marc : Le cas Veme (Julliard, 1978). Stsnrrn Rudolf : Christian Rose*Crok et sa mission (Editions Anthroposophiques Romandes, 1980).
Stoxrn Bram : Dracula (Le Masque Fantastique). Le joyau des sept étoiles (Manbout). -Taraor Laurence : Les pal.aüns du monde occidental (Centre du Liwe LT, 1e6s).
-
Le souffle du Norrois (Centre du Livre LT, 1968). La roue du gouvernail, un hymne à l'Oîkouméné (Centre du Livre LT,
teTt).
Tell Henri, Aupntor Didier : Tous les trésors de France à ücouvrir par le chemin des écoliers (Seghers, 1978).
Tnoues Andrew : Shambhala, oasis de lumière (Robert Laffont, 1976). Tnunrrsn Jacques : Tout l'æuvre peint de Powsin (Flammarion, 1974). TBsrvne : Le chôteau de Puivert (Jean Tisseyre, Puivert, 11230 Chalabre, 1981).
ToNpprau Jules : L'occultisme (Marabout).
ToNorueu Jules, VnrrNEUvE Roland D é mo no lo gie (Marabout).
: Dictionnaire du Diable
et de la
Tounxnc
Jean : Principes et problèmes spirituels du rite écossqis rectifié et de sa chevalerie templière (Dervy, 1969). Tourrlnr Pierre-André : Vingt mille ronds de fumée : lules Verne et le tabac (extrait du no 80 de la revue Flammes et Fumée). Trésors de l'art ancien en Roumanie (Petit-Palais, 1970).
TrusuN Frederick : Histoire séieuse et drôlatique de I'homme sans nom (Stock).
Urxrcn Paul ; Les grandes énigmes (Famot). Vapnr Roger : Histoire de vampires (Robert Laffont, 1961). Vsnxs Jules : ensemble de l'æuvre.
Vrnxr Jean-Jules : Jules Verne (Hachette, 1973). Vnrre : Les sources occultes du romantisme (Champion,1979). Vnr Robert : Les origines symboliques du blason Avec Cadet de Glssrcounr F., BlnoN du RounB de P^lurx : L'Hermétisme dans l'art héraldique (Berg, L972). Vrex.Ns Simone : lules Verne et le roman initiatique (Editions du Sirac,
-
1973). mystéricuse de ,Iules Verne (Hachette, 1973).
L'Ile
TI)
BIBLIoGRAPHIB
Vezrrr Louis : Abrégé
de l'histoire des Francs. Les gouvernants et Rois de France (chez I'auteur, 1, av. Jean-Jaurès, 92150 Suresnes, 1978). Vu,rrxruw Roland : Loups garuus et vampires (J'ai Lu). Vnrcrr.rr Marie-Louise : Le Berry datu I'euvre d.e George Scnd (Laffitte, 1e78).
George Sand a le Berry (LafËtte, 1978). Vonecnce Jacques de : La légendc dorée (Gamier-Ftammarion,1967). Wsvsex Alfred : L'Ile des Veilleurs (Arcadie, 1973). V!|nur O. : La Franc-Maçonnerie renduc intelligible à ses adeptes (Dervy,
-
1e78).
lVrrrsnu.rxs Fr. : Histoire des Rose*Crorx (Baudoin, 1979). Z,Éewx Gillette : Nicolas Flamcl (C.A.L., 1971).
A
ces ouwages s'ajoutent de très nombreux numéros des rewes
suivantes : Atlantis, Le Charivari (notamment les numéros consacrés aux Trésors Templiers et aux Archives du Prieuré de Sion), L'Autre Monde, Le Monde Inconnu, Le Vril, l*s Cahiers de l'Etrange, Le Grand Albert, L'Inexpliqué, le Magazine Littéraire (en particulier les numéros consacrés à Jules Verne et à Arsène Lupin), Historia, les Dossiers de I'Histoire, Archéologia, Europe (numéros consacrés à Jules Verne, Hetzel, Nodier, Arsène Lupin, George Sand, Gaston [-croux, Gérard de Nerval), Trésors et Recherches, Cahiers d'Etudes Cathares (notamment les numéros 69 à75 qui contiennent les articles que R. Mazelier a consacrés à L'Angélique de
Nerval).
Enfin, utilisées
il faut citer trois rewes dont les collections complètes ont été : Pégose, L'Ere d'Aquarùs et bien entendu le Bulletin de la
Société lules Verne.
TABLE DES MATIÈRES
Pnolocur. Première partie
]ULES VERNE INITIE ET INITIATEUR: UNE GWRE AU SERVICE DE LA FRANC.MAÇONNERIE
[)
LE raxc.lcB co»É DE JULEs VERNE ou LA FoIRE AUx Éntcuss . . . . Le mystère Jules Verne Le secret que Jules Verne ne devait pas révéler Le Trobar Clus et la langue des oiseaux Le goût de la farce et du bon mot . . La recette éprouvée d'un langage argotique La « méthode » Jules Verne . Attention ! Un jeu de mots peut en cacher un autre . .
II)
Lr rrÉson
.
ESr DANs LE cERcLE.
La langad.a, prototype des romans cryptographiques
13 13 15 T7
t7 19
22 23 25
de
Jules Verne
25
L'æuvre de Jules Verne est un gigantesque message chif-
fté
....
L'Ouroboros et I'obsession du cercle Le Trésor est dans le cercle . Il suffit de connaître les règles du jeu . . . . Etmaintenant, autravail ! .....
III)
Jurns VenNp FRANc-Meçor Jules Verne et Monsieur Jourdain Vgyage initiatigue au centre de la terre Les Indes Noires . . .
27 28 31 33 36
38 38 39 41
292
rABLE DEs MAIIÈRES
4
Aberfoyle et le roman de I'abbé
Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem, ou la quête mystique des Indes Noires Les Indes Noires de Jules Verne et La Flûte Enchantée de
46
Mozart : deux æuvres maçonniques Jules Verne et la Franc-Maçonnerie Ecossaise
52 58
Deuxième partie
TULES VERNE
ET LE TRÉSOR ROYAL DE RENNES-LE-CHÂTEAU I) Lr
TnÉson DE L'ABBÉ Slr.'r.irÈns
BérengerSaunière
II)
65 65
.
La découverte d'un premier trésor La tombe mystérieuse Une soudaine richesse D'où venait l'or de Bérenger Saunière ? . . . . . L'Or du Temple de Salomon Le mystère du créquier et le chandelier à sept branches . . . . . Les fils de Mérovée Si Sion m'était conté Faux et usage de faux « Et in Arcadia Ego » ou le mystère des tombes truquées. . . . L'Ars Punica de I'Abbé Boudet et le Cromleck celtique de Rennes-les-Bains . .
66
Crovrs DenorNron ou LE sEcRET Ds RsxNes-u-CHÂrsnu . . . . . .
83
68 68
7r 72 75
76 77 78 79 81
Où I'on apprend à connaître un curieux marin au nom de montagne
83
Clovis Dardentor et l'Or des Mérovingiens, ou les clés du
trésor
.
De I'autre côté des noms, ou les pouvoirs du verbe Les secrets de Majorque Oran : des indices en or . . Voyage circulaire Décidément, il s'agit bien d'une histoire salée . Nicolas Poussin et le pactole Un trésor à prendre Et si les Cathares ... avaient caché le Graal au Bugarach La Coupe du Graal et le Sel de la Vie Eternelle
III)
Jur-rs VrRNE Er LEs sEcRETS oe t'AsnÉ BouDET .
.
La Rose, la Croix et le Grand Architecte de Rennes-le-
Château
George Sand et le Gai Laboureur. . .
85 88
92 95
96 98 101
t02 103 107 109
712
ll2 1,14
TABLE DES
Axel
MATTÈRES
.
. Sous le signe
Delacroix, ou le secret des Anges Jacobetl'angegardien... dugué.
293 115
.
ll7 119
Le gnomon et le signe du trou La cantatrice et les Habsbourg . . .
120
l2l
Troisième partie
IULES VERNE ET LES SECRETS DES ROSE+CROIX
I) Jurrs VrnNr sr LA Ross*Cnox
...
t29
.
Anatole France et les Anges de Saint-Sulpice . . . . Anatole France et le Comte de Gabalis
t29 131
La Rose*Croix au xrx" siècle . Le Tour du Monde d'un Rose*Croix . . Robur, le maître Rose*Croix Gaston Leroux et Le Roi MYstère Dorothée, danseuse de corde L'Ordre des Fendeurs et les Carbonari
t32 135 138
t42 148
152
II) Juus Vnnxe Er LEs sEcRETs o'AnsÈNs LuprN. . . . La Comtesse de Cagliostro et le mystère de Rennes-le-
t57
Château Arsène Lupin, l'homme aux clés d'or. . . Où l'on retrouve Emma Calvé . Le secret de I'Aiguille et le Trésor des Rois de Franoe. . . . . . . Maître Antifer et le trésor d'Arsène Lupin .
157 159
III)
JurEs VsB.Ns sr LA GoLDEN DewN . Les frères de l'Aube Dorée . Dracula ou la voie du sang . . Le Dragon et I'Immortalité Magique
l6t 163 165
168 168
170
t73
Jules Verne, sur la piste de Dracula dans un château des Carpathes. Une histoire d'immortalité Mathias Sandorf et Ia Comtesse sanglante
IV)
t77 180 184
Jums VenNe sr Le TeRRe Cneuss Les secrets du Rayon Vert . . Bulwer-Lytton, le Maître Rose*Croix Jules Verne et le voyage au centre de la terre La Terre Creuse Le Roi du Monde et les forces noires . RennesJe-Château : une entrée vers la terre creuse
187 187 190
t91 t94 197 .
2N
294
IABLE DEs MArrÈREs Quatrième partie
IL ÉTAIT UN RoI DE I)
THULÉ
Jurrs Vsnxr pr lrs lrrurqxÉs or B.c.vrÈRs . Une pensée politique apparemment incohérente Jules Verne ou l'anarchisme aristocratique Spartacus et ses esclaves. Jules Verne, héritier spirituel des Illuminés ? Les Illuminés de Bavière et un château en Bohême
II)
Le coupE DANs LE BRouTLLARD. . . . . La griffe de I'Ange dans le brouillard Le Songe de Poliphile Dei Mater ou la langue du blason Et trinque la dive bouteille A I'ombre de la croix pattée, sous le signe de Saint-Gilles. . . . O Déméter, mère des poulains, dis-nous où gît l'or
207 209
2r2 214
216 218
2r9 221
223 226 227
228
P.S. .. La marque des Anges et les secrets d'Alexandre Dumas. . . . . Un rossignol dans le brouillard ou les secrets du Tour du Monde en 80 jours
232
A I'ombre
239
Illuminés « Le mystère en pleine lumière » . . . . .
III)
207
des
Nun er BRourLr-ARD Rudolf Von Sebottendorf, de la Rose+Croix à la Société
Thulé
234 236
2N 244 244
.
La Coupe d'Or dans le Brouillard. Où Pôle il y a, Vert-né trouvera
246 250
Cinquième partie
DE SABLE AU N D'OR
I)
Lrs
sEcRErs ou
capmrNrNsMo
L'Ange Noir Un peu de sang dans la nüt Nemo le Vengeur De sable au N d'or
II)
Jurrs Vrnxr rncn L'attentat
À
Dtru
Le soleil noir de la mélancolie En route vers I'immortalité . . Et in Arcadia Ego . . .
257 257
260 262
2@ 267 267
270
n3 275
EPILOGUE
n9
BtsuocRApHr
28L
A la même librairie Pierre ANpruEu-GurrRANcounr : Éftbroire de l'Empire normand. Roland Aucupr : Caligula ou le pouvoir à vingt ans. - I* juif enant. Sir Dunbar Plunket BenroN : Bernadotte. Françoise Blscn : Les fernmes victoriennes. Roland BscguaNr.r : Les racines des cathédrales. Katherine BruNorx : Le travail et lq vertu.
Arno Bonsr : Les Cathares. Henri Bnpun/Raymond Lnmrn : Les hommes de la pierre ancienne. Bruce Cerrov : La guerre de Sécession. Csrvettlen : Histoire de la pensée politique (2 vol.). Victor Cnxrovsrv : Le voyage de Marco Polo. Norman Conx : Démonohtrte et sorcellerie au Moyen Age. Jean-Jacques
- Les fanatiques de l'Apocalypse. François Coruvenr :, La franc-maçonnerie des Bonaparte. Egon César Comte Conn : Elisabeth d'Autiche. Pierrette Drsv/John TlxNEn
:
Trente ans de captivité chez les Indiens
Ojibwa.
A. Enuer/H. Re,xxr : La civilisation égyptienne. Rachel Enru : Le roman juif améicain. juive de Pologne. - Le Shtetl. La bourgade Fanny Fev-SnLLoIS : Les nourrices à Paris au xrf siècle. C. Fr,oenN : Mazarin. Marc Frnno : Comment on raconte l'histoire aux enlants. James FÉvrupx : Histoire de l'écriture. Léon Frrunror : Les origines de la Bretagne. Claude GucxEsnr : Le carnavaL Esscts de mythologie populaire' Charles Gatr.rNxeup : Les Mayas. Philippe Gossr : Histoire de la piraterie. René Gnousser : L'Empire des steppes.
L'Empire du Levant. Hrcxrrr : Henri VIil. Claude Keppun : Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Age. Rafael K,lnsrrN : La civilisation de l'empire inca. Georges Lecoun-Gavrr : Talleyrand (3 vol.).
-
Francis
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T. E. Lrwnrxcs : Les
sept
piliers de la
sagesse.
Georges LBrnaNc t Histoire du front populaire. Marianne Mlxx-l,or : Bartolomé de Los Casas et le droit des Indiens. Emil Lupwrc : Bismarck. Jean Mrnxlrt : Aliénor d'Aquitaine. roi Arthur et la société celtiquc. - Le Isabeau de Bavière.
- Les Celtes et la civilisation cehiquc. femme celte. - La La tradition celtique. Albert Marurez : La vie chère et le mouvement
sochl sous la terreur
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Aldo Osrnponrsn : Loulr II
de Bavière. Georges Osrnoconsrv t Histoire de l'État byzantin. G. PecÈs : La guerre de Trente an§. Françoise Pensxr-LA,nnrun : Les cabinets de lecture. Henri B. Plnxrs : Histoire du Mexique. Jean-Paul Roux : La religion des Turcs et des Mongob.
A. Tuouazl : Les flottes
de I'or.
Eric Txoupsor.t : Grandeur et décadence de la civilisation maya. Arnold J. TovNsse ; Les villes daw I'histoire. Roland Vru,rNEuw : La mystérieuse affaire Grandier.
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G. Vorpe : Le Moyen Age. Jan de Vp.lrs : La religion des Hermann WnNpEL : Danton.
Celtes.
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1984
CAMERON
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N" d'impression:2577-1821. Dépôt légal: avril 1984. Imprimé en France
-