LE TRIOMPHE DE LA RELIGION pr précédé de
DISCOURS AU A UX CATHOLIQUES
PARADOXES DE LACAN
Ce que vous apprend une analyse ne s’acquiert par nulle autre voie, ni par l’enseignement, ni par aucun autre exercice spirituel. Sinon, à quoi bon? Est-ce à dire que ce savoir, il faut le taire ? Si particulier qu’il soit à chacun, n’y aurait-il pas moyen de l’enseigner, d’en faire au moins passer les principes, et quelques conséquences? Lacan s’est posé la question, il y a répondu de plus d’un style. Dans son Séminaire, il argumente à son aise. Dans ses Ec Ecrits, il veut démon trer, et tourmente la lettre à plaisir. Mais il y a aussi ses conférences, ses entretiens, ses impromptus. Là, tout va plus vite. Il s’agit de surprendre les opinions pour mieux les séduire. C’est ce que nous appelons ses Paradoxes. Qui parle ? Un maître de sagesse, mais d’une sagesse sans résignation, une anti-sagesse, sarcastique, sardonique. Chacun est libre de s’en faire une conduite à son idée. Cette série, d’abord consacrée à des inédits, publiera ensuite des morceaux choisis de l’œuvre.
JACQUES
LACAN
LE TRIOMPHE DE LA RELIGION précédé de
DISCOURS A U X CATHOLIQUES
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© Éditions du Seuil, janvier 2005 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par que quelqu lquee procédé pro cédé que qu e ce soit, sans le con consen sentem tement ent de l’au l’auteu teurr ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 33533 5-22 et suivants du C od e de la proprié pro prié té intellectue intell ectuelle. lle.
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Les Le s d e u x pièc piè c s ici ici réunies, réunies, do dont nt j ' a i choisi le titre t établi l t x t , r ssortissent à l'œ l' œ uv uvr r oral d Lacan. Laca n. Le L e «D «Dis isccours aux catholiques» comprend l es u es de x conférence s s prono prononc ncé é e s s l e s s 9 et 10 ma mars rs 19 6 0 à Bruxelle s , , à l'invitation d e l a Faculté univ ersitair e Saint-Louis, et annoncé e s s comme des «l eçons pub pu b liques». Lacan s'y réfèr e a u x chapitr es XII X IIII et X X IV u Séminair e L'Éthique d e la IV d ps ps ych y chan anaa lyse ly se.. «Le triomphe d e l a religion»p r ovien t d ' un e « con fér ence de p r esse» t enue enue à Rom e le 29 oct obr e 1974 , au f r ançais , , à l'oc l'occa casi sion d 'u n congrès. L acan Cent re cult urel urel f é tait int err ogéé par og pa r d es jo j o urnalistes italiens. O n trouver trouveraa en f i n de volum volu m e qu quel elques ques indications indications bibliog bibliog raphiques. aphiq ues. e
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Jacques-Alain Miller
Discours aux catholiques
Annonce
La perspective ouverte par Freud sur la déter mination par l’inconscient de l’homme en sa conduite a touché presque tout le champ de notre culture. Se rétrécira-t-elle dans la pratique analytique aux idéaux d’une normalisation, curieux à suivre dans leur diffusion vulgaire ? On sait que le Dr Jacques Lacan propose à la communauté des psychanalystes l’épreuve d’un enseignement fort exigeant sur les principes de leur action. Au séminaire où il a formé une élite de praticiens et qu’il conduit depuis sept ans dans le service du Pr Jean Delay, il en est venu cette année aux incidences morales du freudisme, croyant devoir passer outre l’abri d’un faux objectivisme pour présenter objecti vement l’action à quoi il a voué sa vie. Il tient en effet qu’une telle présentation est d’intérêt public, et d’autant plus que cette 11
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action se juge au privé. Ainsi se risque-t-il aujourd’hui à introduire un auditoire non formé à une visée qui va à son cœur même. Si le Dr Jacques Lacan ne pense pas qu’on puisse abandonner aux seuls religieux l’appareil de dogmes où se motive le précepte chrétien de notre moral morale, e, comporta com portant nt primauté prim auté de l’am l’amour our et sens du prochain, on verra peut-être non sans surprise que Freud ici articule la question à sa véritable hauteur, et bien au-delà des pré jug ju g é s q u e lui lu i i m p u t e u n e p h é n o m é n o log lo g i e parfo par fois is p r é s o m p t u e u s e e n ses c riti ri tiqq u e s . D ’o ù les sous-titres que nous a livrés le Dr Jacques Lacan, pour ses deux conférences, sous réserve de sa liberté d’adaptation immédiate : I. — Fre F reuu d , co conc ncer erna nant nt la morale, moral e, f a i t le po p o ids id s correctement. II. — La L a p s y c h a n a lys ly s e estes t-el elle le con co n s titu ti tuaa n te po p o u r u n e é thiq th iquu e q u i serai ser aitt celle q u e no notre tre tem te m ps nécessite ?
Le philosophe y trouvera peut-être à recti fier la position traditionnelle de l’hédonisme, l’homme du sentiment à limiter son étude du bon bo n h e u r, l ’h o m m e du de devo voir ir à faire r e tou to u r sur les illusions de l’altruisme, le libertin même à reconnaître la voix du Père dans les comman12
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dements que sa Mort laisse intacts, le spirituel à resituer la Chose autour de quoi tourne la nostalgie du désir.
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Freud, concernant la morale, fait le poids correctement
Mesdames, Messieurs, Q ua uand nd M onsieur le chanoine c hanoine Van Camp C amp est venu me demander, avec les formes de cour toisie raffinée qui sont les siennes, de parler à l’Université Saint-Louis de quelque chose qui sera serait it en rapp ra pport ort avec mon m on enseignement, enseignem ent, je ne trouvai, mon Dieu, rien de plus simple que de dire que q ue j e parlerai du sujet mêm mê m e que j ’avais choisi pour l’année qui commençait — nous étions alors alors en e n octobre octo bre — , à savo savoir ir l’éth l’éthiqu iquee de la psychanalyse. Je répète ici ces circonstances, ces conditions de choix, cho ix, pou po u r év évite iter, r, en somme, quelques quelques mal entendus. Quand on vient entendre un psy chanalyste, on s’attend en effet à entendre une 15
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fois de plus un plaidoyer pour cette chose discutée qu’est la psychanalyse, ou encore quelques aperçus sur ses vertus, qui sont évi demment, en principe, comme chacun sait, de l’ordre thérapeutique. C’est précisément ce que je ne ferai pas ce soir. Je me trouve donc dans la position difficile de devoir vous mettre à peu près au médium de ce que j ’ai choisi choisi cette année a nnée de traiter pou po u r un auditoire forcément plus formé à cette recherche que vous ne pouvez l’être — quel que soit l’attrait, l’attention que je vois mar qués sur tous ces visages qui m’écoutent — pu p u isq is q u e c e u x q u i m e suiv su iven ent,t, m e suiv su ivee nt depuis, disons, sept ou huit ans. Mon enseignement de cette année est donc précisément focalisé sur le thème, plutôt évité en général, des incidences éthiques de la psyc ps ycha hana nalys lyse, e, de la m o rale ra le q u e c e lle ll e -ci -c i p e u t suggér suggérer er,, présupposer, présupposer, conten co ntenir, ir, et, peut-êtr peu t-être, e, d’un pas en avant, grande audace, qu’elle nous pe p e r m e ttr tt r a i t de faire fair e c o n c e r n a n t le d o m a i n e moral.
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À vrai dire, celui qui vous parle est entré dans la psychanalyse assez tard pour avoir aupa ravant tenté — ma foi, comme tout un chacun de formé, d’éduqué — de s’orienter dans le domaine dom aine de la question question éthique, j ’entends théoriquement, si ce n’est peut-être aussi, mon Dieu, par quelques-unes de ces expériences q u ’on appelle appelle de jeunesse. Mais enfin, il est déjà dans la psychanalyse depuis assez longtemps pour pouvoir dire qu’il aura passé bientôt la moitié de sa vie à écouter des vies, qui se racontent, qui s’avouent. Il écoute. J’écoute. De ces vies que, depuis près de quatre qu atre septénaires, septénaires, j ’écou éc oute te do donc nc s’avouer s’avouer devant moi, je ne suis rien pour peser le mérite. Et l’une des fins du silence qui consti tue la règle de mon écoute est justement de taire l’amo l’amour. ur. Je ne trahirai do donc nc pa pass leurs secrets secrets triviaux et sans pareils. Mais il est quelque chose dont do nt je vou voudr drai aiss témoigner. témoigner. À cette place place que j ’occupe occu pe et où o ù je souhaite souhaite qu’achève de se consumer ma vie, c’est ceci qui restera restera palpitant palp itant ap aprè rèss moi, m oi, je croi crois, s, co com mme
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u n déche déc hett à la place place que j ’aurai aurai occupée. oc cupée. Ce Ce dont il s’agit est une interrogation, innocente si je puis dire, ou même un scandale, qui se formule à peu près ainsi. Ces hommes, ces voisins, bons et commodes, qui sont jetés dans cette affaire à laquelle la tra dition a donné des noms divers, dont celui d’existence est le dernier venu dans la philo sophie, dans cette affaire d’existence dont nous dirons que ce qu’elle a de boiteux est bien ce qui reste le plus avéré, ces hommes, supports tous et chacun d’un certain savoir ou supportés par pa r lui — c o m m e n t se faitfa it-il il qu quee ces ces h omm om m es, es , les uns comme les autres, s’abandonnent jus qu’à être en proie à la capture de ces mirages pa p a r q u o i l e u r vie, vie , ga gasp spil illa lant nt l ’oc occc asio as ionn , laisse laisse fuir leur le ur esse essenc nce, e, par qu quoi oi leur leu r pa pass ssio ionn est est joué jo uée, e, pa p a r q u o i l e u r être êt re,, au m e ill il l e u r cas, cas, n ’a tte tt e i n t qu’à ce peu de réalité qui ne s’affirme que de n’avoir jamais été que déçu? Voilà ce que me donne mon expérience. Voici la question que je lègue sur le sujet de l’éthique, et où je rassemble ce qui, à moi, psy chanalyste, fait en cette affaire ma passion. Oui, je le sais, selon la formule de Hegel, tout ce qui est réel est rationnel. Mais je suis de 18
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ceux qui pensent que la réciproque n’est pas à décrier — que tout ce qui est rationnel est réel. Il n’y a qu’un petit malheur, c’est que je j e vois la p lup lu p a r t de c e u x q u i son so n t pris pr is e n tre tr e l’un et l’autre, le rationnel et le réel, ignorer ce rassurant accord. Irais-je à dire que c’est de la faute de ceux qui raisonnent? Une des plus inq in q uiét ui étan ante tess app applica lication tionss de cett ce ttee fameuse fam euse réciproque, c’est que ce qu’enseignent les pro fesseurs est réel et a comme tel des effets autant qu’aucun réel, des effets interminables, indéter minables, même si cet enseignement est faux. Voilà ilà ce sur quoi qu oi j e m ’interroge. Accompagnant l’élan d’un de mes patients vers un peu de réel, avec lui je dérape sur ce que j ’ap appel peller lerai ai le credo de bêti bêtise sess don d ontt on o n ne sait si la psychologie contemporaine est le modèle ou la caricature. À savoir, le moi, consi déré comme fonction de synthèse à la fois et d’intégration — la conscience, considérée comme l’achèvement de la vie — l’évolution, considérée comme la voie par où advient l’univers de la conscience — l’application catégorique de ce postulat au développement psy ps y c h o log lo g iqu iq u e de l ’ind in d ivid iv iduu — la n o t i o n de conduite, appliquée de façon unitaire pour 19
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décomposer jusqu’à la niaiserie tout dramatisme de la vie humaine. Tout va à camoufler ceci, que rien dans la vie concrète d’un seul individu ne permet de fonder l’idée qu’une telle finalité la conduise, qui la mènerait, par les voies d’une conscience progressive de soi que soutiendrait un développement naturel, à l’ac cord avec soi ainsi qu’au suffrage du monde d ’où son bo bonh nheu eurr dépend. No N o n q ue je j e ne reconn rec onnais aisse se a uc ucuu ne efficace au fatras qui se concrétise, de successions col lectives d’expérimentations enfin correctives, sous le chef de la psychologie moderne. Il y a là des formes allégées de suggestion, si l’on pe p e u t dire, qui qu i ne sont so nt pa pass san sans effet, e t q ui p e u ventt trou ven tr ouve verr d’ d ’intéressantes intéressantes applications dans le champ du conformisme, voire de l’exploitation sociale. Le malheur, c’est que ce registre, je le vois sans prise sur une impuissance qui ne fait que s’accroître à mesure que nous avons plus l’occasion de mettre en œuvre lesdits effets. Impuissance toujours plus grande de l’homme à rejoindre son propre désir, impuissance qui pe p e u t aller ju s q u ’à ce q u ’il e n p erde er de le d é c len le n chement charnel. Celui-ci même restant dis poni po nibl ble, e, cet ce t h o m m e p o u r tan ta n t ne sait sait plus à son so n 20
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désir trouver son objet, et ne rencontre plus que malheur en sa recherche, qu’il vit dans une angoisse qui rétrécit toujours plus ce que l’on po p o u r r a it ap appe pele lerr sa cha c hanc ncee inventive. inventi ve. Ce qui se passe ici dans les ténèbres a été pa p a r F reu re u d s u b ite it e m e n t écla éc lairé iré au nive ni veau au de la névrose. A cette irruption de la découverte dans le sous-sol a correspondu l’avènement d’une vérité. Celle-ci concerne le désir. 2
Le désir n’est pas chose simple. Il n’est ni élémentaire, ni animal, ni spécialement infé rieur. Il est la résultante, la composition, le complexe de toute une articulation dont je me suis efforcé de démontrer le caractère décisif dans l’avant-dernier terme de mon enseigne ment — de ce que je dis là où je ne me tais p o i n t — et il faudra fau dra b ien ie n p e u t -êtr -ê tree qu quee j e vous dise à un moment pourquoi je le fais. Le caractè ca ractère re décisi déc isiff du dé désir sir,, ce n ’est pa pass seu lement d’être plein de sens, ce n’est pas d’être archétype. archétype. Pour Po ur vous vous don d onne nerr un sondage sondage rapide rapide,, je j e dirai que q ue le désir ne représente repré sente pa pass une u ne ex exte ten n sion de la psychologie dite compréhensive, ni 21
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un retour à un naturalisme micro-macro cosmique, à la conception ionienne de la connaissance, ni non plus la reproduction figu rativ rativee d’ d ’expériences concrètes primaires, primaires, co com m me l’articule de nos jours une psychanalyse dite génétique, arrivant à cette notion simpliste de confondre la progression d’où s’engendre le symptôme avec la régression du chemin théra peu p euti tiqq u e, p o u r a b o u tir ti r à une u ne sorte so rte de r a p p o r tgigogne s’enveloppant soi-même autour d’une stéréotypie de frustration fr ustration dans dans le le rappor rap portt d’ d ’appui qui lie l’enfant à la mère. Tout cela n’est que semblant et source d’er reur. Le désir en tant qu’il apparaît chez Freud comme un objet nouveau pour la réflexion éthique, est à resituer dans l’intention de celui-ci. Le propre de l’inconscient freudien est d’être traduisible — même là où il ne peut être traduit, c’est-à-dire en un certain point radical du symptôme, nommément du symptôme hystérique, qui est de la nature de l’indéchiffré, donc du déchiffrable, c’est-à-dire là où le symptôme n’est représenté dans l’incons cient que de se prêter à la fonction de ce qui se traduit. 22
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Ce qui se traduit, c’est ce que l’on appelle techniquement le signifiant. C’est un élément qui présen p résente te ces ces deux deu x dimensions, dimen sions, d ’être lié syn syn chroniquement à une batterie d’autres éléments qui lui sont substituables, et, d’autre part, d’être disponible pour un usage diachronique, c’està-dire la constitution d’une chaîne signifiante. Il y a en effet dans l’inconscient des choses signifiantes qui se répètent, et qui courent consta con stam m m en entt à l’insu l’insu du sujet. sujet. C ’est là que quelqu lquee chose de semblable à ce que je voyais tout à l’heure en me rendant dans cette salle, à savoir ces bandes publicitaires lumineuses glissant au fronton de nos édifices. Ce qui les rend inté ressantes pour le clinicien, c’est que, dans des circonstances propices, elles trouvent à se four rer dans ce qui est foncièrement de la même nature qu’elles, notre discours conscient au sens le plus large, à savoir tout ce qu’il y a de rhétorique dans notre conduite, c’est-à-dire bea b eauu co couu p plus qu quee no nous us ne croyons. Je lais laisse se ici le côté dialectique. Là-d Là-des essu sus, s, vous alle allezz me deman dem ande derr — q u ’estce que c’est,ces éléments signifiants?Je répon drai que l’exemple le plus pur du signifiant, c’est la lettre, une lettre typographique. 23
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Une lettre, cela ne veut rien dire, me direzvous. Pas forcément. Pensez aux lettres chinoises. Pour chacune vous trouvez au dictionnaire un éventail de sens qui n’a rien à envier à celui qui répond à nos mots. Qu’est-ce à dire? Qu’en tends-je en vous donnant cette réponse? Pas ce que l’on peut croire, puisque ceci veut dire que la définition de ces lettres chinoises, tout autant que celles de nos mots, n’a de portée que d’une collection d’emplois. À strictement parler, un sens ne naît d’un je j e u de lett le ttre ress o u de m o ts q u ’e n tan ta n t q u ’il se pro p ropo pose se c o m m e m o d ific if icaa tio ti o n de l e u r e m p loi lo i déjà reçu. Cela implique d’abord que toute signification qu’acquiert ce jeu participe des significations auxquelles il a déjà été lié, si étrangères entre elles que soient les réalités intéressées à cette réitération. Dimension que j ’ap appe pelle lle la m é ton to n y m ie, ie , q u i fait fa it la p oé oési siee de tout réalisme. Cela implique, d’autre part, que toute signification nouvelle ne s’engendre que de la substitution d’un signifiant à un autre, dimension de la métaphore par où la réalité se charge de poésie.Voilà poésie.Voilà ce qui se passe au niveau de l’inconscient, et qui fait qu’il est de la nature d’un discours, si tant est que nous nous permet 24
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tions de qualifier de discours un certain usage des structures du langage. La poésie déjà s’effectue-t-elle à ce niveau? Tout nous le laisse entendre. Mais limitonsnous à ce que nous voyons. Ce sont des effets de rhétori rhé torique que.. La La clinique le confirme, confirm e, qui nous les montre se faufilant dans le discours concret, et dans tout ce qui se discerne de notre conduite comme marqué de l’empreinte du signifiant. Voilà qui ramènera ceux d’entre vous qui sont assez avertis aux origines mêmes de la psycha nalyse, à la science des rêves, du lapsus, voire du m ot d ’esprit. esprit.Voilà ilà qui, p o u r les les autres, ceux ce ux qui en savent plus, les avertit du sens dans lequel se fait un effort de reprise de notre information. Eh quoi, n’avons-nous donc qu’à lire notre désir dans ces hiéroglyphes? Non. Reportezvous au texte freudien sur les thèmes que je viens d ’évo évoque quer, r, rêve, rêve, laps lapsus us,, voire m o t d ’esprit, vous n’y verrez jamais le désir s’articulant en clair. Le désir inconscient, c’est ce que veut celui, cela, qui tient le discours inconscient. C ’est est ce pou p ourq rquo uoii celui-là parl parle. e. C ’est dire qu q u ’il n’est pas forcé, tout inconscient qu’il soit, de dire la vérité. Bien plus, le fait même qu’il parle lui rend possible le mensonge. 25
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Le désir répond à l’intention vraie de ce discours. Mais que peut être l’intention d’un discours où le sujet, en tant qu’il parle, est exclu de la conscience?Voilà conscience?Voilà qui va poser à la morale de l’intention droite quelques problèmes inédits, que nos modernes exégètes ne se sont pas encore apparemment avisés d’aborder. C’est au moins le cas de ce thomiste qui, à une date déjà ancienne, n’avait rien trouvé de mieux que de mesurer au principe de l’expé rience pavlovienne la doctrine de Freud pour l’introduire dans la considération distinguée des catholiques. Chose curieuse, cela lui valut de recevoir, recevoir, et jus ju s q u ’à ce jou jo u r, les les témoigna tém oignages ges d’une satisfaction égale de ceux qu’il glosait, à savoir les professeurs de la Faculté des lettres qui couronnaient sa thèse, et de ceux dont on peut dire qu’il les trahissait, à savoir ses collègues psy chanalystes. J’ai trop d’estime pour les capacités présentes de mes aud audite iteurs urs,, littéraires littéraires et psycha nalytiques, pour penser que cette satisfaction soit autre que celle d’un silence complice sur les difficultés que la psychanalyse met vraiment en je j e u en mora mo rale. le. L’a m orce or ce de la réfl ré flex exio ionn serait, semble-t-il, d’observer que c’est peut-être à mesure qu’un discours est plus privé d’intention 26
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qu’il peut se confondre avec une vérité, avec la vérité, avec la présence même de la vérité dans le réel, sous une forme impénétrable. Faut-il en conclure que c’est une vérité po p o u r p e r s o n n e j u s q u ’à ce q u ’elle soit so it d é c h if if frée ? Ce désir dont la conscience n’a plus rien à faire qu’à le savoir inconnaissable autant que la «chose en soi», mais qui est tout de même reconnu pour être la structure de ce «pour soi» par excellence qu’est une chaîne de dis cours, qu’allons-nous en penser? Freud ne vous semble-t-il pas plus à portée que notre tradi tion philosophique, de se conduire correcte ment vis-à-vis de cet extrême de l’intime, qui est en mêm m êmee temps temps internité inte rnité exclue exclue ? Elle Elle est exclue, exclue, sauf pe peut ut-ê -être tre sur cette terre de Belgique, longtemps secouée du souffle des sectes mystiques, voire d’hérésies, où cet intime faisait l’objet de partis pris, non tant de choix po p o liti li tiqq u e s q u e d ’hé héré rési sies es relig re ligie ieus uses es,, d o n t le secret entraînait dans les vies les effets propres d’une conversion, avant que la persécution montre qu’on y tenait plus qu’à cette vie. J’approche ici une remarque que je ne crois pas d é plac pl acéé de faire dans l ’U n ive iv e r s ité it é à q ui je j e parle.
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Sans doute est-ce un progrès, reflété dans la tolérance, que la coexistence de deux ensei gnements qui se séparent, l’un d’être et l’autre de n’être pas confessionnel. J’aurais d’autant plus de mauvaise grâce grâ ce à le con c onte test ster er qu quee n o u smêmes, en France, nous avons pris tout récem ment semblable voie. Il me semble pourtant que cette séparation aboutit à une sorte de mimétisme des pouvoirs qui s’y représentent, et q u ’il en résulte ce que q ue j ’appellera appelleraii une u ne curieuse cur ieuse neutralité, dont il me semble moins important de savoir au bénéfice de quel pouvoir elle joue que d’être sûr qu’en tout cas elle ne joue pas au détriment de tous ceux dont ces pouvoirs s’assurent. Il s’est ainsi répandu une sorte de division étrange dans le champ de la vérité. Je dirai quant à moi — et le moins que l’on puisse dire est que je ne professe aucune appartenance confessionnelle — qu’une épître de saint Paul me paraît aussi importante à commenter en morale qu’une autre de Sénèque. Mais je ne suis pas sûr que l’une et l’autre ne perdent l’essentiel de leur message à n’être pas com mentées dans le même lieu. Autrement dit, connoter un domaine d’être 28
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celui de la croyance, pour autant qu’il en soit ainsi, ne me paraît pas suffire à l’exclure de l’examen de ceux qui s’attachent au savoir. D’ailleurs, pour ceux qui croient, c’est bien d’un savoir qu’il s’agit là. Saint Paul s’arrête pour nous dire — « Que dirais-je donc? Que la Loi est péché? Que non pas. Toutefois, je n’ai eu connaissance du pé p é c h é q u e p ar la Loi. E n effet, j e n ’aurais aur ais pa pass eu l’idée de la convoitise si la Loi ne m’avait dit “Tu ne convoiteras pas”. Mais le péché, trouvant l’occasion, a produit en moi toutes sortes de convoitises grâce au précepte. Car san sans la Loi, le péc p éché hé est san sanss vie. Or O r m oi, oi , j ’étais étais vivant jadis sans la Loi. Mais quand le précepte est venu, le péché a repris vie, alors que moi, j ’ai tro tr o u v é la m o r t . E t p o u r m o i, le p r é c e p te qui devait mener à la vie s’est trouvé mener à la mort, car le péché, trouvant l’occasion, m’a séduit grâce au précepte, et par lui m’a donné la mort. » Il me semble qu’il n’est pas possible à qui conque, croyant ou incroyant, de ne pas se trou ver sommé de répondre à ce qu’un tel texte comporte de message articulé sur un méca nisme qui est d’ailleurs parfaitement vivant, 29
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sensible, tangible, pour un psychanalyste. À vrai dire, alors que dans un de mes séminaires j ’emb em b ranc ra nchh a is d ire ir e c t e m e n t m o n p rop ro p o s sur su r ce texte, mes élèves ne se sont aperçus que ce n’était plus moi qui parlais qu’au temps de l’audition musicale, ce demi-temps qui fait passer passe r la m u siq si q u e à u n a u tre tr e m o d e sensible. sensi ble. Quoi qu’il en soit, le choc qu’ils reçurent de la chanson de cette musique me prouve que, d’où qu’ils vinssent, cela ne leur avait jamais fait entendre jusqu’ici le sens de ce texte au niveau où je l’amenai de leur pratique. Il y a une certaine désinvolture dans la façon dont la science se débarrasse d’un champ dont on ne voit pas pourquoi elle allégerait si facile ment sa charge. De même, il arrive un peu trop souvent à mon gré, depuis quelque temps, que la foi laisse à la science le soin de résoudre les probl pr oblèm èmes es q u a n d les ques q uestio tions ns se trad tr adui uise sent nt en une souffrance un peu trop difficile à manier. Je ne suis certes pas pour me plaindre que des ecclésiastiques renvoient leurs ouailles à la psychanalyse. Ils font certes là fort bien. Ce qui me heurte un peu, c’est qu’ils le fassent, me semble-t-il, avec l’accent qu’il s’agit là de malades, qui pourront donc trouver sans doute 30
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quelque bien, fut-ce à une source, disons, mau vaise. Si je blesse quelques bonnes volontés, j ’espè es père re t o u t de m ê m e q u e j e serai sera i p a r d o n n é au jo u r du Jugem Juge m ent, du fait fait que j ’au aura raii du même coup incité cette bonté à rentrer en ellemême, à savoir sur les principes d’un certain non-vouloir. 3 Chacun sait que Freud était un grossier matérialiste. maté rialiste. D ’où v ient ien t alors alors q u ’il n ’ait pa pas su résoudre le problème, pourtant si facile, de l’instance morale par le recours classique de l’utilita l’utilitarism rismee ? C e recours, recou rs, c’e c’est, st, en somme, l’ha l’habit bitud udee da dans ns la conduite, recommandable pou p ourr le bien-être du group gro upe. e. C ’est si si simple, simple, et en plus, c ’est vrai. vrai. L’attrait de l’utilité est irrésistible, au point que l’on voit des gens se damner pour le plaisir de donner leurs commodités à ceux dont ils se sont mis en tête qu’ils ne pourraient vivre sans leur secours. secours. C’est là sans doute un des phénomènes les plus c u r ieu ie u x de la soci so ciab abili ilité té h u m a i n e . Mais Ma is 31
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l’essentiel est dans le fait que l’objet utile pousse incroyablement à l’idée de le faire partager au plus g r a n d n o m b r e , pa parc rcee q u e c ’est v r a im e n t le besoin du plus grand nombre comme tel qui en a donné l’idée. Il n’y a qu’une chose qui fait difficulté, c’est que, quels que soient le bienfait de l’utilité et l’extension de son règne, cela n’a strictement rien à faire avec la morale, qui consiste primordialement — comme Freud l’a vu, articulé et n’en a jamais varié, au contraire de bien des moralistes classiques, voire traditionalistes, voire socialistes — dans la frustration d’une jouis sance, posée en loi apparemment avide. L’origine de cette loi primordiale, Freud pré tend sans doute la retrouver, selon une méthode goethéenne, d’après les traces restant sensibles d’événements critiques. Mais ne vous y trom pez pe z pas, l ’o n t o g e n è s e rep re p rod ro d u isa is a n t la p h y l o genèse n’est ici qu’un mot-clé utilisé à des fins de conviction omnibus. C ’est est l ’o n to qu quii est ici en trompe-l’œil, car il n’est pas l’étant de l’individu, mais le rapport du sujet à l’être, si ce rapport est de discours. Le passé du discours concret de la lignée humaine s’y retrouve, pour autant qu’au cours de son histoire, il lui est 32
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arrivé des choses qui ont modifié ce rapport du sujet à l’être. Ainsi, sauf une alternative à l’hérédité des caractères acquis qu’en certains pass passag ages es F reud re ud paraît paraî t ad adm m ettre, ett re, c ’est la tra t radi ditio tionn d’une condition qui, d’une certaine façon, fonde le sujet dans le discours. No N o u s ne p ou ouvv on onss m a n q u e r d ’a c c e n tue tu e r ici cette condition dont je suis étonné qu’aucun commentateur ne l’ait laissé apparaître dans son caractère massif— la méditation de Freud autour de la fonction, du rôle et de la figure du Nom-du-Père, comme toute sa référence éthique, tournent autour de la tradition pro pr p r e m e n t ju j u d é o - c h r é t i e n n e , et y s o n t e n t i è r e ment articulables. Lisez ce petit livre sur lequel s’achève la méditation de Freud quelques mois avant sa mort, mais qui le consumait, le préoccupait déjà depuis de longues années, Mo M o ïse ïs e et le m o n o théisme. Ce livre n’est que le terme et l’achève ment de ce qui commence avec la création du complexe d’Œdipe, et se poursuit dans ce livre si mal compris et si mal critiqué qui s’appelle Totem et tabou.V tabou.V ous y verrez la figure qui apparaît du Père, concentrant sur elle l’amour et la haine, figure magnifiée, figure 33
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magnifique, marquée d’un style de cruauté active et subie. On pourrait épiloguer longtemps sur ce qui a introduit Freud à cette image, sur les raisons personnelles qui l’ont induit, à savoir son groupe familial, son expérience d’enfance, son père, père, le vieux Jacob Freud, patriarche pro pr o lifique et besogneux d’une petite famille de la race indestructible. L’important n’est pas de faire la psychologie de Freud. Il y aurait ici beaucoup à dire. Je la crois, quant à moi, cette psychologie, plus féminine qu’autre chose. J’en vois la trace dans cette extraordinaire exigence monogamique qui va à le soumettre à cette dépendance que l’un de ses disciples, l’auteur de sa biographie, appelle uxorieuse. Freud, dans la vie courante, je le vois très peu père. Il n’a vécu le drame œdi pien, pie n, j e crois, qu quee sur le plan pla n de la ho h o rde rd e analy ana ly tique. Il était, comme dit quelque part Dante, la Mère Intelligence. Quant à ce que nous avons appelé nousmêmes, et dont je vous parlerai demain soir, la Chose freudienne, elle est tout d’abord la Chose de Freud, à savoir ce qui est aux anti pode po dess d u d é s irir - i n t e n t i o n . L’i m p o r t a n t est de 34
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situer comment il a découvert cette Chose, et d’où il part quand il la suit à la piste chez ses patients. La réflexion de Totem et tabou tourne autour de la fonction de l’objet phobique, et c’est elle qui le met sur la voie de la fonction du Père. Celle-ci constitue en effet un point tournant entre la préservation du désir, sa toute puissance puissa nce — e t n o n pa pas, s, com co m m e o n l ’é c rit ri t n o n sans inconvénient dans telle tradition analy tique, la toute-puissance de la pensée — et le pri p rinn c ipe ip e c o r r é lati la tiff d ’u n inte in terd rdit it,, po p o r tan ta n t mise à l’écart de ce désir. Les deux principes croissent et décroissent ensemble, si leurs effets sont dif férents — la toute-puissance du désir engen drant la crainte de la défense qui s’ensuit chez le sujet, l’interdiction chassant du sujet l’énoncé du désir pour le faire passer à un Autre, à cet inconscient qui ne sait rien de ce que supporte sa propre énonciation. Ce que nous enseigne Totem et tabou, c’est que le Père n’interdit le désir avec efficace que parc pa rcee q u ’il est m o r t , et, et , a jou jo u ter te r a i-je i- je,, p arce ar ce qu’il ne le sait pas lui-même — entendez, qu’il est mort. Tel est le mythe que Freud propose à l’homme moderne, en tant que l’homme 35
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moderne est celui pour qui Dieu est mort — entendons, que lui croit le savoir. Pourquoi Freud s’engage-t-il en ce para doxe ? P ou ourr exp e xpliqu liquer er que q ue le désir désir n ’en sera sera que plus m e n aça aç a n t, e t d o n c l ’int in t e r d icti ic tioo n plus nécessaire et plus dure. Dieu est mort, plus rien n’est permis. Le déclin du complexe d’Œdipe est le deuil du Père, mais il se solde par une séquelle durable, l’identification qui s’appelle le surmoi. Le Père non aimé devient l’identifica tion que l’on accable de reproches en soi-même. Voilà ilà ce que Freud nous apporte, rejoignant rejoignan t par les mille filets de son témoignage un mythe très ancien, celui qui, de quelque chose de blessé, de perdu, de châtré dans un roi de mystère, fait dépendre la terre tout entière gâtée. Il faut suivre dans le détail ce que repré sente cette pesée de la fonction du Père, et introduire ici les distinctions les plus précises, notam no tamm m en entt entre ce que j ’ai appel appeléé l’ l ’instance instance symbolique — le Père qui promulgue, siège de la loi articulée où se situe le déchet de déviation, de déficit, autour de quoi se spécifie la structure de la névrose — et d’autre part quelque chose que l’analyse contemporaine néglige constamment alors que c’est partout 36
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sensible et vivant pour Freud, à savoir l’inci dence du Père réel, laquelle, même bonne, même bénéfique, peut, en fonction de cette structure, déterminer des effets ravageants, voire maléfiques. Il y a là tout un détail de l’articulation cli nique où je ne puis m’engager, ni vous entraî ner, ne serait-ce que pour des raisons d’heure. Q u ’il vous suffi suffise se de savoir que que,, s’ s’il est est que q uelq lque ue chose que Freud promeut au premier plan de l’expérience morale, c’est bien le drame qui se jo j o u e à u n e c e rta rt a ine in e place pla ce q u ’il n o u s fau fa u t b ien ie n reconnaître — quelle que soit la dénégation motivée de Freud concernant tout penchant pe p e r son so n n e l au s e n tim ti m e n t reli re ligg ieux ie ux,, à la reli re ligg io io sité — pour être tout de même celle où s’arti cule comme telle une expérience dont c’est certes le cadet des soucis de Freud de la quali fier de religieuse, puisqu’il tend à l’universa lise liser, r, mais que qu e p ou ourt rtaa nt il articule dans le les termes term es mêmes où l’expérience religieuse proprement jud ju d é o - c h r é t ien ie n n e l’a l’a elleell e-m m ême êm e h isto is tori riqu quee m e nt développée et articulée. En quel sens le monothéisme intéresse-t-il Freud ? Il sait, aussi bien que tel de ses disciples, que les dieux sont innombrables et mouvants 37
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comme les figures du désir, qu’ils en sont les métaphores vivantes. Mais il n’en va pas ainsi du seul Dieu. S’il va en rechercher le prototype dans un modèle historique, le modèle visible du Soleil, de la première révolution religieuse égyptienne, celle d’Akhénaton, c’est pour rejoindre le modèle spirituel de sa propre tra dition, le Dieu des dix commandements. Le premier, il semble l’adopter, en faisant de Moïse un Égyptien pour répudier ce que j ’ap appe pelle llera raii la rac ra c ine in e racia ra ciale le du p h é n o m è n e , la psychologie de la Chose. Le deuxième lui fait articuler comme telle dans son exposé la pri p rim m a u té de l’invisible, l’invisible, en e n tan ta n t q u ’elle cara ca racté cté rise la promotion du lien paternel, fondé sur la foi et la loi, l’emportant sur le lien maternel, qui, lui, est fondé sur une carnalité manifeste. Ce sont les termes de Freud. La valeur sublimatoire de la fonction du Père est est soulign soulignée ée en termes propre propres, s, en mêm m êmee temps qu q u ’affl affleu eure re la la forme form e prop pr oprem remen entt verba verbale, le, voire poétique, de sa conséquence, puisque c’est à la tradition des prophètes qu’il remet la charge de faire faire progressivem progress ivement ent affleurer dans dans l’histoire l’histoire d’Israël, au cours des âges, le retour d’un mono théisme refoulé par une tradition sacerdotale 38
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plus formali form aliste. ste. C e reto re tour ur,, en som so m m e, prép pr épar aree en image, et selon les Ecritures, la possibilité de la répétition de l’attentat contre le Père pri p rim m o rdia rd iall dans le dram dr amee de la ré r é d e m p tio ti o n , où cet attentat devient patent — c’est toujours Freud qui écrit. Si je souligne ces traits essentiels de la doc trine freudienne, c’est que, auprès de ce que cela représente de courage, d’attention, d’af frontement à la vraie question, il me paraît de faible importance de faire grief à Freud qu’il ne croie pas que Dieu existe, ou même qu’il croie que Dieu n’existe pas. Le drame dont il s’agit est articulé avec une valeur hum hu m aine ain e un unive iverse rselle. lle. Freud dé dépa pass ssee assurément assurém ent ici par son ampleur le cadre de toute éthique, au moins de celles qui entendent ne pas procé der par les voies de l’imitation de Jésus-Christ. La voie de Freud, dirais-je qu’elle procède à haut ha uteu eurr d’ d ’ho hom m m e? Je ne le dirai dirai pas volontie volontiers. rs. Vous verrez verrez peu p eut-être t-être demain où j ’entends situer Freud par rapport à la tradition huma niste. Au point où nous en sommes, je vois l’ho l’hom m m e surdéterminé par un logos qui est par tout où est aussi son anankè , sa nécessité. Ce 39
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logos n’est pas une superstructure. Bien plus, il
est plutôt plut ôt une sous-structure, puisqu’ puisqu ’il soutient soutie nt l’intention, qu’il articule en lui le manque de l’être, et conditionne sa vie de passion et sacri fice. No N o n , la réfl ré flex exio ionn de F reud re ud n ’est pa pass h u m a niste. te. R ien ie n ne perm pe rmet et de lui lui appliquer appliquer ce ce terme. Elle est pourtant de tolérance et de tempé rament. Elle est humanitaire, disons-le, malgré les mauvais relents de ce mot en notre temps. Mais, chose curieuse, elle n’est pas progressiste, elle ne fait nulle foi à un mouvement de liberté immanent, ni à la conscience, ni à la masse. Étrangement, et c’est par quoi il dépasse le milieu bourgeois de l’éthique contre lequel il ne saurait d’ailleurs s’insurger, non plus que contre tout ce qui se passe à notre époque, étant comprise l’éthique qui règne à l’Est, et qui, comme toute autre, est une éthique de l’ordre moral et du service de l’État. La pensée de Freud s’en démarque. La douleur même lui paraît inutile. Le malaise de la civilisation lui paraît se résumer à ceci — tant de peine pour un résultat dont les struc tures terminales sont plutôt aggravantes. Les meilleurs sont ceux-là qui toujours plus 40
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exige exi gent nt d ’eu eux-m x-mêm êmes es.. Q u ’on lais laissse à la masse asse comme aussi bien à l’élite quelques moments de repos. Au milieu de tant d’implacables dialectiques, n’est-ce pas une palinodie dérisoire? J’espère demain vous montrer que non. La morale, comme la tradition antique nous l’enseigne, a trois niveaux, celui du souverain bien bi en,, celu c eluii de l ’h on onnn ête êt e , celui celu i de l’utile. l’utile. Au niveau du souverain bien, la position de Freud est que le plaisir n’est pas le souverain bie b ienn . Il n ’est pas n o n plus ce q u e la m oral or alee refuse. Il indique que le bien n’existe pas, et que le souverain bien ne saurait être représenté. Ce n’est pas le dessein de Freud de faire de la psychanalyse comme l’esquisse de l’honnê teté de notre temps. Il est bien loin de Jung et de sa religiosité, qu’on est étonné de voir pré p réfé fére rerr dans des m ilie il ieuu x c a tho th o liq li q u e s , vo voir iree pro p rote test staa n ts, ts , c o m m e si la gn gnos osee p a ïen ïe n n e , vo voir iree une sorcellerie rustique, pouvaient renouveler les voies d’accès à l’Éternel. Retenons que Freud est celui qui nous a apporté la notion que la culpabilité trouvait ses racines au niveau de l’inconscient, articulée sur 41
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un crime fondamental dont nul individuelle ment ne peut répondre, ni n’a à le faire. La raison, pourtant, est chez elle au plus profond de l’homme, dès lors que le désir est échelle de langage articulé, même s’il n’est pas articulable. Sans doute ici allez-vous m’arrêter. Raison, qu’est-ce à dire, y a-t-il logique là où il n’y a pas pas de n é g a tio ti o n? C erte er tes, s, F reud re ud l ’a dit di t et m o n tré, il n’y a pas de négation dans l’inconscient, mais il est aussi vrai à une analyse rigoureuse que c’est de l’inconscient que la négation pro vient, comme en français le met si joliment en valeur va leur l’ l ’a rtic rt icuu latio la tionn de ce « ne » disco dis corda rdantie ntiell qu’aucune nécessité de l’énoncé ne nécessite absolument. «Je crains qu’il ne vienne » veut dire que je crains qu’il vienne, mais aussi bien implique jusqu’à quel point je le désire. Freud parle assuré ass uréme ment nt au c œ u r de ce n œ u d de v érit ér itéé où le désir et sa règle se donnent la main, en ce «ça» où sa nature participe moins de l’étant de l’homme que de ce manque à être dont il po p o r te la mar m arqu que. e. Cet accord de l’homme à une nature qui, mystérieusement, s’oppose à elle-même, et où il voudrait qu’il trouve à se reposer de sa pei p einn e , tro tr o u v a n t le tem te m p s m e suré su ré de la rais ra ison on,, 42
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voilà voilà,, j ’espère espère vo vous us le mon m ontrer, trer, ce que Freud nous indique — sans pédantisme, sans esprit de réforme, et comme ouvert à une folie qui dépasse de loin ce qu’Érasme a sondé de ses racines.
II
La psychanalyse est-elle constituante pour une éthique qui serait celle que notre temps nécessite ?
M onseign ons eigneur eur,, Mesdames, Mesdames, Messieur Messieurs, s, Je vous quittai hier sur une série de juge ments en coups de tranchoir sur Freud, sur sa po p o s i tio ti o n dans l ’é thiq th iquu e , sur su r l ’h o n n ê t e t é de sa visée. Je crois que Freud est bien plus près du commandement évangélique « Tu aimeras ton pro pr o ch chai ainn » q u ’il n ’y con conse sent. nt. C a r il n ’y co cons nsen entt pas, pas, il le rép r épud udie ie co com m m e excessif e n tant ta nt q u ’im im péra pé rati tif, f, sino si nonn c o m m e m o q u é e n tan ta n t q u e p r é cepte par ses fruits apparents dans une société qui garde le nom de chrétienne. Mais il est de fait qu’il interroge sur ce point. Il en parle dans cet ouvrage étonnant qui 45
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s’appelle Le L e M a lais la isee de la civi ci vilis lisat atio ion. n. Tout est danss le sen dan sens du «c omm om m e toito i-m m ê m e » qui achève la formule. La passion méfiante de celui qui démasque arrête Freud devant ce «comme». C ’est est du poids de l’ l ’am o ur q u ’il s’agit. agit. Freud Freu d sait en effet que l’amour de soi est bien grand, il le sait supérieurement, ayant reconnu que la force du délire est d’y trouver sa source. « S ie lieben ihren wàhnen wie sich selbst», ils aiment leur délire comme soi-même, a-t-il écrit. Cette force est celle qu’il a désignée sous le nom de narcissisme. Elle comporte une dialectique secrète où les psychanalystes se retrouvent mal. La voic voici.i. C ’est est po p o u r la fai faire re conc c oncevo evoir ir que qu e j ’ai introduit dans la théorie la distinction propre ment méthodique du symbolique, de l’imagi naire et du réel. Je m’aime moi-même sans doute, et de toute la rage collante où la bulle vitale bout sur elle-même et se gonfle en une palpitation à la fois vorace et précaire, non sans fomenter en son sein le point vif d’où son unité rejaillira, disséminée de son éclatement même. Autre ment dit, je suis lié à mon corps par l’énergie pro p ropr pree qu quee F reud re ud a mis au p rinc ri ncip ipee de l ’é n e r gie psychique, l’Éros qui fait les corps vivants 46
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se conjoindre pour se reproduire, qu’il appelle libido. Mais Mais ce que qu e j ’aime en tan t antt qu q u ’il y a un moi mo i où je m’attache d’une concupiscence mentale, n’est pas ce corps dont le battement et la pul p ulsa sati tioo n é c h a p p e n t tro tr o p é v ide id e m m e n t à m o n contrôle, mais une image qui me trompe en me montrant mon corps dans sa Gestalt , sa forme. Il est beau, il est grand, il est fort, il l’est plus plu s e n c o r e d ’être êt re laid, laid , p e t i t e t m iséra isé rabl ble. e. Je m’aime moi-même en tant que je me mécon nais essentiellement, je n’aime qu’un autre, un autre avec un petit a initial, d’où l’usage de mes élèves de l’appeler «le petit autre». Rien d’étonnant à ce que ce ne soit rien que m oi-m êm e que j ’aime aime dan danss mon mo n sem blable. blab le. N o n seu se u lem le m e n t dans le d é v o u e m e n t névrotiqu név rotique, e, si j ’indique indiqu e ce que l’ex l’expérie périence nce nous apprend, mais aussi bien dans la forme extensive et utilisée de l’altruisme, qu’il soit éduu catif éd ca tif ou fami famili lial al,, philanthr phila nthropiq opique, ue, totalitaire totalitaire ou libéral, à quoi l’on souhaiterait souvent voir répondre comme la vibration de la croupe magnifique de la bête infortunée, l’homme ne fait rien passer que son amour-propre. Sans doute cet amour a-t-il dès longtemps été 47
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détecté dans ses extravagances, même glorieuses, par p ar l ’inve in vest stig igat atio ionn m oral or alis iste te de ses p réte ré tenn d u e s vertus. Mais l’investigation analytique du moi pe p e r m e t de l ’i d e n tif ti f ier ie r à la f o rm e de l ’o u tre tr e , à l’outrance de l’ombre dont le chasseur devient la proie, à la vanité d’une forme visuelle. Telle est est la la face face éthiq é thique ue de ce que j ’ai articulé, p o u r le faire entendre, sous le terme du stade du miroir. Le moi est fait, Freud nous l’enseigne, des identifications superposées en manière de pelure pel ure,, sorte sort e de ga gard rdee-ro robe be d o n t les les pièces p o r tent la marque du tout-fait si l’assemblage en est souvent bizarre. Des identifications à ses formes imaginaires, l’homme croit reconnaître le principe de son unité sous les espèces d’une maîtrise de soi-même dont il est la dupe néces saire, qu’elle soit ou non illusoire, car cette image de lui-même ne le contient en rien. Si elle est immobile, seuls sa grimace, sa sou plesse, sa sa d ésa és a rtic rt icul ulaa tion ti on,, son so n d é m e m b r e m e n t, sa dispersion aux quatre vents, commencent d’indiquer quelle est sa place dans le monde. Encore a-t-il fallu longtemps pour qu’il aban donne l’idée que le monde fût fabriqué à son image, et qu’il reconnaisse que ce qu’il retrou 48
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vait, de cette image, sous la forme des signifiants dont son industrie avait commencé de parse mer le monde, c’était, de ce monde, l’essence. C ’est est ici q u ’apparaît l ’impo im porta rtann ce décisiv décisivee du discours de la science dite physique, et ce qui pose la question d’une éthique à la mesure d’un temps spécifié comme notre temps. Ce que le discours de la science démasque, c’est que plus rien ne reste d’une esthétique transcendantale par quoi s’établirait un accord, fût-il perdu, entre nos intuitions et le monde. La réalité physique s’avère désormais comme impénétrable à toute analogie avec un quel conque type de l’homme universel. Elle est ple p leii n e m e n t , t o t a l e m e n t inh in h u m a ine in e . Le p r o blè b lèm m e q u i s’o s’o u v re à n ou ouss n ’est plus plu s c elu el u i de la co-naissance, d’une co-naturalité par quoi s’ouvre à nous l’amitié des apparences. Nous savons ce qu’il en est de la terre et du ciel, l’un et l’autre sont vides de Dieu, et la question est de savoir ce que nous y faisons apparaître dans les disjonctions qui constituent nos tech niques. No N o s t e c h n iqu iq u e s , disdi s-je je,, e t vo vous us allez p e u t être là-dessus me reprendre — «Techniques humaines hum aines,, et au service service de l’ l ’h o m m e »».. Bien Bi en sûr, 49
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mais elles ont pris une mesure d’efficacité pour autant que leur principe est une science qui ne s’est, si je puis dire, déchaînée qu’à renoncer à tout anthropomorphisme, fût-ce à celui de la bo b o n n e Gestalt des sphères dont la perfection était le garant de ce qu’elles fussent éternelles et, aussi bien, à celui de la force dont Y impe impetus tus s’est ressenti au cœur de l’action humaine. No N o tre tr e science est une un e science de petits peti ts signe signess et d’équations. Elle participe de l’inconcevable, en ceci précisément qu’elle donne raison à Ne N e w ton to n c on ontr tree Descartes. Desca rtes. Ce C e tte tt e science scien ce n ’a pas pas forme atomique par hasard, car c’est la produc tion de l’atomisme du signifiant qui l’a structu rée. Cet atomisme sur lequel on a voulu recons truire notre psychologie, contre lequel nous nous insurgeons quand il s’agit de nous com pre p renn d re n o u s -mê -m ê m es, es , n ou ouss ne reco re conn nnai aissi ssion onss pas pas qu quee no nous us étion éti onss pa parr lui, cet c et atomism atom isme, e, habi ha bi tés. C’est pour cela que Freud a pu partir des hypothèses hypothèses de l’ l ’atomisme atomism e psychologique, q u ’on puisse puisse dire dir e o u n o n q u ’il l’ass l’assume ume.. Il ne traite trait e pa pass les éléments de l’association comme des idées exigeant la genèse de leur épuration à partir de l’expérience, mais comme des signifiants, dont la constitution implique d’abord leur relation à ce 50
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qui se cache de radical dans la structure comme telle, soit le principe de la permutation, à savoir qu’une chose puisse être mise à la place d’une autre, et par cela seulement la représenter. Il s’agit d’un tout autre sens du mot « repré sentation» que celui des peintures, des Ab A b sch sc h à u mungen , où le réel serait censé jouer avec nous d’on ne sait quel strip-tease. Aussi bien Freud l’articule proprement, usant, pour dire ce qui est refoulé, non du terme de Vorstellung , encore que l’accent soit mis sur le représentatif dans le matériel de l’inconscient, mais de celui de Vor stell ste llun ungs gsre repr pràs àsen enta tanz nz..
Je ne vais pas là m’étendre. Je ne me com plais plais ici à a uc ucuu n e c o n stru st rucc tio ti o n p hilo hi loso sopp hiq hi q ue ue,, j ’essaie de m e r e c o n n a îtr ît r e dans les m a tér té r iau ia u x les plus immédiats de mon expérience. Si je j e rec re c o u rs au tex te x te de F reud re ud p o u r t é m o i g n e r de cette expérience, c’est parce qu’il y a là une conjonction rare — quoi qu’en dise une critique aussi vétilleuse qu’incompréhensive, comme il arrive à ceux qui n’ont à la bouche que le m o t de « com préhe pré hens nsion ion » — un rare rare accord, dis-je, exceptionnel dans l’histoire de la pensée, pensé e, e ntre nt re le dire dir e de F reud re ud et la C h o se q u ’il nous découvre. Ce que cela comporte de luci 51
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dité chez lui va de soi, mais, après tout, confor m émen ém entt à ce q u ’il nous nou s découvre, j ’irai irai jus ju s q u ’à dire que l’accent de conscience mis sur tel ou tel point de sa pensée est ici secondaire. Les représentations ici n’ont plus rien d’apollinien. Elles ont une destination élémentaire. No N o tre tr e appareil appar eil n e u rolo ro logg iqu iq u e op opèr èree en ceci qu quee nous hallucinons ce qui peut répondre en nous à no noss bes besoi oins. ns. C ’est est peut-ê peu t-être tre un perfe p erfection ctionne ne ment par rapport à ce que nous pouvons pré sumer du mode réactionnel de l’huître plan quée sur son rocher, mais il est dangereux en ceci qu’il nous met à la merci d’un simple échantillonnage gustatif, si je puis dire, ou pal pato pa toir ire, e, de la sens se nsat atio ion. n. Il n e no nouu s reste rest e au dernier terme qu’à nous pincer pour savoir si nous ne rêvons pas. Tel est du moins le schéma que nous pouvons donner de ce qui s’articule dans le double principe qui commande selon Freud l’év l’évén énem emen entt psychique, psychique, princip pri ncipee de plai plai sir et principe de réalité, pour autant que s’y articule la physiologie de la relation dite natu relle de l’homme au monde. No N o u s ne n o u s a tta tt a rde rd e rons ro ns pas au pa para rado doxe xe que constitue une telle conception du point de vue d’une théorie de l’adaptation de la 52
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conduite, pour autant que celle-ci fait la loi de la tentative de reconstruction d’une certaine conception de l’éthologie. Ce qu’il faut voir, c’est ce qu’introduit, dans ce schéma de l’appa reil, son fonctionnement effectif, en tant que Freud y découvre la chaîne des effets propre ment inconscients. On n’a pas authentiquement aperçu le renversement qu’au niveau même du double pr p r inc in c ipe ip e , c o m p o r t e l ’effet effe t de l ’i n c o n s c ien ie n t. Renversement, ou plutôt récusation des élé ments auxquels ces principes sont ordinaire ment associés. C’est au soin de la satisfaction du besoin que se consacre la fonction du principe de réalité, et notamment ce qui s’y attache épisodiquement de conscience, en tant que la conscience est liée aux éléments du sensoriel privilégié en ce qu’ils sont intéressés par l’image primordiale du narcissisme. Inversement, ce sont les proces sus de la pensée, tous les processus de la pensée — y é tan ta n t c o m pris pr is,, j ’allai allaiss dire dir e c omp om p r omis om is,, le ju j u g e m e n t l u i - m ê m e — q u i s o n t d o m iné in é s p ar le principe du plaisir. Gisant dans l’inconscient, ils n’en sont tirés que par la verbalisation théo risante qui les en extrait à la réflexion, avec ce 53
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seul principe d’efficace pour cette réflexion, qu’ils sont déjà organisés, nous l’avons dit hier, selon la structure du langage. C’est la vraie raison de l’inconscient que l’homme sache à l’origine qu’il subsiste dans une relation d’ignorance, ce qui veut dire que l’événement psychique de l’homme comporte une division première par quoi tout ce à quoi il résonne, sous quelque chef qu’on le place, appétit, sympathie et, en général, plaisance, laisse en dehors et contourne la Chose à quoi est destiné tout ce qu’il éprouve dans une orientation du signifiant déjà prédicatif. Tout cela n’a pas été déniché par moi dans l ' En E n twu tw u r f, ce Projet Proj et de psycholog psycho logie ie découvert dans les papiers de la correspondance de Freud avec Fliess. Cela y est clair, certes, mais ne prend valeur qu’à montrer l’ossature d’une réflexion qui s’est épanouie en une pratique incontes table. La liaison étroite que Freud démontre de ce qu’il appelle la Wissbegierde, ce qui en alle mand est très fort, la cupido sciendi, il faudrait dire en français l' avidité curieuse, avec le tour nant décisif de la libido, est un fait massif qui se répercute en mille traits déterminants dans le développement individuel de l’enfant. 54
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Cette Chose, pourtant, n’est point objet et ne saurait l’être, en ce que son terme ne sur git comme corrélat d’un sujet hypothétique qu’autant que ce sujet disparaît, s’évanouit — du sujet, et non terme — sous la struc fa f a d i n g du ture signifiante. Ce que l’intention montre en effet, c’est que cette structure est déjà là avant que le sujet prenne la parole et se fasse avec elle po p o r teu te u r d ’au aucu cune ne vérité vér ité,, ni pré p réte tenn da dann t à aucun auc unee reconnaissance. La Chose est donc ce qui, dans le vivant quel qu’il soit que vient habiter le discours et qui se profère en parole, marque la place plac e o ù il p âtit ât it de ce qu quee le langage lang age se m a n i feste dans le monde. C’est ainsi que vient à appa raître l’être partout où l’Eros de la vie trouve la limite de sa tendance unitive. Cette tendance à l’union est, dans Freud, d’un niveau organismique, biologique, comme on dit. Elle n’a pourtant rien à faire avec ce qu’appréhende une biologie, dernière venue des sciences physiques. C’est un mode de prise, en tant qu’érotisé, des orifices principaux du corps. corps. D ’où la fameuse fameuse définition dé finition freudienne freud ienne de la sexualité, dont on a voulu déduire une pr p r é ten te n d u e r e lati la tioo n d ’o b jet je t d ite it e orale or ale,, anale, anale , génitale. Cette notion de relation d’objet porte 55
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en elle une profonde ambiguïté, voire une confusion pure et simple, car elle donne à un corréla cor rélatif tif naturel u n caractère caractère de valeur valeur,, cam ca m ou ou flé sous une référence à une norme de déve loppement. C ’est av avec ec de telles confusions confusio ns que q ue la malé ma lé diction de saint Matthieu à l’endroit de ceux qui assemblent de nouveaux fardeaux pour en charger les épaules des autres, viendrait à frapper ceux qui autorisent chez l’homme la supposition de quelque tare personnelle au pri p rinc ncip ipee de l ’insatisfac insati sfaction. tion. Si Freud, mieux que jamais n’a fait au fil des siècles la casuistique ontologique, a détecté les motifs du ravalement de la relation amoureuse, il l’a rapporté d’abord au drame de l’Œdipe, c’est-à-dire à un conflit dramatique articulant une refente plus profonde du sujet, une Urverdràngung , un refoulement archaïque. Dès lors, tout en faisant sa place au refoulement secon daire qui force à se disjoindre les courants qu’il distingue comme ceux de la tendresse et du désir, Freud n’a jamais eu pour autant l’audace de proposer une cure radicale de ce conflit ins crit dans la structure. S’il a dessiné, comme ne l’avait jamais fait aucune caractérologie primi 56
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tive ni moderne, ce qu’il a désigné comme les types libidinaux, c’est pour formuler expressé ment qu’il en venait à entériner qu’il y avait sans doute au dernier terme quelque chose d’irré médiablement faussé dans la sexualité humaine. Voilà ilà san sans dou d oute te po pour urqu quoi oi Ernest Ern est Jones, dan danss l’article nécrologique qui lui vint en charge de celui qui était le maître le plus passionnément admiré, ne put s’empêcher, alors qu’il était par tisan déclaré d’une A u f k l a r u n g résolume résolument nt anti religieuse, de le situer, au titre de sa conception du destin de l’homme, sous le patronage, écritil, des Pères de l’Église. Disons plus. Si Freud met à la charge de la moralité sexuelle la nervosité régnante chez le civilisé moderne, il ne prétend même pas avoir de solution à proposer dans le général pour un meilleur aménagement de cette moralité. L’objet imaginé récemment par la psycha nalyse comme mesure de l’adéquation libidi nale, informerait de son type toute une réalité comme mode de relation du sujet au monde. Relation vorace, relation rétentive, ou encore — c o m m e o n s’ex s’expr prim imee en u n ter te r m e qui po port rtee la marque d’une intention moralisante où il faut dire que la défense de la psychanalyse en France 57
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a cru devoir enjoliver sa première gourme — relation oblative, qui s’avérerait l’avènement idyllique de la relation génitale. Hélas, est-ce au psychanalyste de refo re foule ulerr la perv pe rver ersio sionn fonci fo ncièr èree du désir humain dans l’enfer du prégénital comme connoté de régression affective ? Estce à lui de faire rentrer dans l’oubli la vérité avouée dans le mystère antique, que « Eros est un Dieu noir»? L’objet dont on fait état ne dessine qu’une imputation grossière des effets de frustration que l’analyse se chargerait de tempérer. Le seul résultat est de camoufler des séquences beau coup plus complexes, dont la richesse autant que la singularité semble subir une étrange éclipse dans une certaine utilisation orthopé dique de l’analyse. Le rôle singulier du phallus dans la foncière disparité — je cherche ici un équivalent du terme anglais od sa fonction, fonction , la fonction fonctio n odd d — de sa virile, se situe dans la duplicité de la castration surmontée de l’Autre, dont la dialectique semble soumise au passage par la formule « Il n’est pas sans l’avoir», tandis que la féminité est soumise à l’expérience primitive de la pri vation pour en venir à souhaiter de faire être 58
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symboliquement le phallus dans le produit de l’enfantement, que celui-ci doive ou non l’avoir. Ce tiers objet, le phallus, détaché de la dispersion osirienne à quoi tout à l’heure nous faisions allusion, joue la fonction métony mique la plus secrète, selon qu’il s’interpose ou se résorbe dans le fantasme du désir. Entendons que ce fantasme est au niveau de la chaîne de l’inconscient, ce qui correspond à l’identifi cation du sujet qui parle comme moi dans le discours de la conscience. Dans le fantasme, le sujet s’éprouve comme ce qu’il veut au niveau de l’Autre, cette fois avec un grand A, c’està-dire à la place où il est vérité sans conscience et sa sans recou rec ours. rs. C ’est est là là qu q u ’il se se fait en cette ce tte absence épaisse qui s’appelle le désir. Le désir n’a pas d’objet, sinon, comme ses singul singulari arités tés le le dé dém m ontren ont rent,t, celui celui accidentel, accidentel, nor no r mal ou non, qui s’est trouvé venir signifier, que ce soit en un éclair ou dans un rapport per manent, les confins de la Chose, c’est-à-dire de ce rien autour de quoi toute passion humaine resserre son spasme à modulation courte ou longue, et à retour périodique. La passion de la bouche la plus passionné ment gavée, c’est ce rien où, dans l’anorexie 59
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mentale, il réclame la privation où se reflète l’amour. La passion de l’avare, c’est ce rien où est réduit rédu it l’ob l’objet jet en enfer ferm m é da dans ns sa sa casse cassett ttee bie b ienn aimée. Comment, sans la copule qui vient à conjoindre l’être comme manque et ce rien, la passi passion on de l’h l’h o m m e trouverait-elle trouverait-elle à se se sati satisf sfai aire re?? C’est pourquoi, si la femme se contente, au secret d’elle-même, de celui qui satisfait à la fois son besoin et ce manque, l’homme, cherchant son manque à être au-delà de son besoin, beso in, po p o u r tan ta n t si mie m ieuu x assuré assuré que q ue celui celu i de la femme, trouve ici la pente d’une inconstance ou, plus plus exactem exa ctement, ent, d’un d’unee duplication de l’ l ’ob ob je j e t , d o n t les affinit affinités és avec ce q u ’il y a de f é ti ti chisme dans l’homosexualité ont été très curieusement sillonnées par l’expérience ana lyti lytique, que, sinon sinon toujours toujou rs justem jus tem en entt et bien ras as semblées dans la théorie. Ne N e croyez croye z pas, p o u r a uta ut a n t, qu quee j e fasse fasse la femme plus favorisée sur le chemin de la jouis sance. Ses difficultés à elle non plus ne man quent pas, et sont probablement plus profondes. Mais ce n’est pas notre objet ici d’en traiter, encore qu’il doive bientôt être abordé par notre groupe avec la collaboration de la Société hollandaise. 60
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Ai-je seulement réussi à faire passer en votre esprit les chaînes de cette topologie qui met au cœur de chacun de nous cette place bé b é a n te d ’o ù le r i e n n ou ouss int in t e r r o g e sur su r n o tre tr e sexe sexe et sur n otre ot re existen exi stence? ce? C ’est est là là la place où nous avons à aimer le prochain comme nous-mêmes, parce qu’en lui cette place est la même. Rien n’est assurément plus proche de nous que cette place place.. Pour Po ur le fai faire re entend e ntendre, re, j ’em em pru p runn tera te raii la voix voi x du p o è te qui, quels quel s qu quee soien so ientt ses accents religieux, a été reconnu par les sur réalistes pour être l’un des leurs parmi leurs aînés. Il s’agit de Germain Nouveau, celui qui signait Hu H u m i lis li s . Fr Frère, ô do doux ux me mendi ndiant ant qui ch chan antes tes en plein vent, ven t, Aim A imee -to -t o i com comme me l ’air du ciel iel aime le vent. Fr Frère, pou poussa ssant nt les bœ bœuf ufss dan danss les les mottes mottes de terre, Aim A imee -to -t o i comme comme a u x champs champs la glèbe aime la ter terre. Fr Frère, qui fais fa is le vin du sang des des rais raisin inss d ’or, Aim A imee -to -t o i com comme me un cep aime ses ses grapp grappes es d ’or. Frè Frèrre, qui fais fa is le pa pain, in, croû roûte dorée et mie, Aim A imee -to -t o i com comme me au fo u r la cro croûte aime la mie. ie. Fr Frère, qui fais fa is l ’habit, joy jo y e u x tisseu tisseurr de drap, Aim A imee -toi -t oi,, comme comme en lui la laine laine aime le dr drap. 61
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Fr Frère, dont le bateau bateau f e n d l ' a z u r vert vert des des vagues, Aim A imee-to toii com comme me en mer les les f lots lots aiment aimen t les les vagues. Fr Frère, joue jo ueuu r de luth, luth , gai marieur marieur de son sons, Aim A imee -to -t o i com comme me on sent la co corde aimer les les sons. Mais Mai s en D ieu, ie u, Frère, sach sachee aimer aimer comme comme toi-même toi-mê me Ton frère, et, quel qu'il soit, qu'il soit comme toimême.
Tel est le commandement de l’amour du proc pr ocha hain in.. Freud a raison de s’arrêter là, interloqué de son invocation, parce que l’expérience montre — e t l ’analyse analys e a r tic ti c u le c o m m e u n m o m e n t décisif de sa découverte — l’ambivalence par quoi la haine suit comme son ombre tout amour pour ce prochain qui est aussi de nous ce qui est le plus étranger. Comment, dès lors, ne pas le harceler des épreuves à faire jaillir de lui le seul cri qui pou p ourr rraa no nous us le faire co conn nnaît aître re ? C o m m e n t K an antt ne voit-il pas à quoi se heurte sa raison pratique, toute bourgeoise, de s’ériger en règle univer selle? La débilité des preuves qu’il en avance n’a en sa faveur que la faiblesse humaine, dont se soutient le corps nu qu’un Sade peut lui donner, de la jouissance sans frein et pour tous. 62
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Il y faudrait plus que du sadisme — un amour absolu, absolu, c’ c ’est-àest -à-dir diree imposs impossibl ible. e. Voilà-t-il pas là la clé de cette fonction de la sublimation sur laquelle je suis en train d’arrê ter ceux qui me suivent dans mon enseigne ment ? Sous diverses formes l’homme tente de composer avec la Chose — dans l’art fonda mental, qui la lui fait représenter dans le vide du vase où s’est fondée l’alliance de toujours — dans la relig re ligio ion, n, qu quii lui inspire insp ire la crain cr ainte te de la Chose, Cho se, et le fait fait s’en s’en tenir ten ir à juste ju ste distance distance — dans la science, qui n’y croit pas, mais que nous voyo vo yons ns mainten ma intenant ant confrontée à la m échanceté échan ceté fondamentale de la Chose. Le Trieb freudien, notio no tionn première, et la plus plus énigmatique, de la théorie, en est venu à achop per, au g rand ra nd scandale des disciples, disciples, sur la form fo rmee et sur la formule form ule de l’ l ’instinct instinc t de m o rt. Voilà ilà po p o u r t a n t la rép ré p on onse se de la C h o s e q u a n d no nouu s n’en voulons rien savoir. Elle non plus ne sait rien de nous. Mais n’est-ce pas là aussi une forme de la sublimation autour de quoi l’être de l’homme, une fois de plus, tourne sur ses gonds? Cette libido dont Freud nous dit qu’aucune force en l’homme n’est plus à portée de se sublimer, n’est 63
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elle pas le dernier fruit de la sublimation par quoi l’homme moderne répond à sa solitude ? Que la prudence ici me garde de m’avancer trop vite ! Que les lois soient par nous gardées par quoi seulement nous pouvons retrouver le chemin de la Chose. Ce sont les lois de la parole, par quoi la Chose est cernée. J’ai posé devant vous la question qui est au cœur cœ ur de l’expé l’expérience rience freudienne. Peut-ê Pe ut-être tre l’a l’ai— je j e fait foll fo llee m e n t, car ca r les les piège piè gess de la m aîtr aî tris isee psy p sycc h o logi lo giqq u e n e s o n t g uè uère re év éven entés tés m ê m e parm pa rmii ceux ce ux qui p o u rrai rr aiee n t en paraître les les mie m ieux ux préservés. prése rvés. Je me suis laissé dire qu’il est des séminaires où l’on l’on fais faisai aitt la psychologie psycholo gie du d u Christ. Chris t. Q u ’estce à dire dire ? Est-ce p o u r savoir savoir par quel qu el bo b o u t son désir pouvait être attrapé ? J’enseigne quelque chose dont le terme est est obscu obscur. r. Il Il me faut ici m ’excuser excuse r — j ’y ai ai été pous po ussé sé p ar u n e n éces éc essi sité té press pr essant ante, e, d o n t celle cell e qui m’a fait ici paraître devant vous n’est qu’un pe p e tit ti t m o m e n t, q u i vou vouss aide ai dera ra,, je j e l ’espèr esp ère, e, à comprendre. Mais je ne suis pas content d’être là. Ce 64
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n’est pas ma place, mais au chevet de la couche où mon patient me parle. Aussi, que le philosophe ne se lève pas, comme il arriva à Ibn Arabi, pour venir à ma rencontre en me prodiguant les marques de sa considération et de son amitié, et pour finale ment m’embrasser et me dire «Oui». Bien entendu, comme Ibn Arabi, je lui répondrai en lui disant «Oui». Et sa joie s’ac centuera cen tuera de constater que je l’au l’aurai rai compris. Mais Mais,, prena pre nant nt conscience de ce qui aura pro pr o voqué sa joie, joie , ilil me faudra faudra ajouter — «N «Non». on».
Le triomphe de la religion
G o u v e r n e r , é d u q u e r , a n a l y s e r
—
Pou P ourq rquo uoii dite di tes-v s-vou ouss qu quee le psyc ps ychh a n a lyst ly stee est dans une position intenabl intenablee ?
J’ai fait remarquer que je n’étais pas le pre mier à le dire. Quelqu’un l’a dit à qui l’on peut tout de même faire confiance pour ce qu’il en est de la position du psychanalyste, à savoir Freud. Ce trait, d’être intenable, Freud l’étendait à un certain nombre d’autres positions, dont celle de gouverner. C’est déjà dire qu’une posi tion intenable est justement ce vers quoi tout le monde se rue, puisqu’on ne manque jamais de candidats candidats p ou ourr gouverner. C ’est comm com m e po p o u r la psychanalyse, psychanalyse , où o ù les les candid can didats ats ne m a n quent pas. 69
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«Analyser», «gouverner», Freud ajoutait encore «éduquer». Là, les candidats manquent encore moins. C’est une position qui est même réputée être avant av antag ageu euse. se. Je veux dire que, n o n seuleme seu lement nt on ne manque pas de candidats, mais on ne manque pas pas de gen genss qui reçoiv reç oivent ent le tam t ampo pon, n, c’ c ’est-à-d est- à-dire ire qui sont autorisés à éduquer. Cela ne veut pas dire qu’ils aient la moindre espèce d’idée de ce que c’est qu’éduquer. Les gens ne s’aperçoivent pas pas très très bien bi en de ce q u ’ils ve veule ulent nt faire faire qu quan andd ils éduquent. Ils s’efforcent tout de même d’en avoir une petite idée, mais ils y réfléchissent rarement. Le signe qu’il y a tout de même quelque chose qui peut les inquiéter, tout au moins de temps en temps, c’est qu’ils sont pris parfois de quelque chose de très particulier, et qu’il n’y a que les analystes à connaître vraiment bien bi en,, à savoir savoir l’angoisse l’angoisse.. Ils Ils sont so nt saisi isis d’ d ’angoisse quand ils pensent à ce que c’est qu’éduquer. Contre l’angoisse, il y a des tas de remèdes, en par p arti ticc ulie ul ierr u n c erta er tain in n o m b re de «c on once cept ptio ionn s de l’homme», de ce que c’est que l’homme. Cela varie énormément, la conception qu’on pe p e u t avoir de l ’h o m m e , b ien ie n q ue p e r son so n n e ne s’en aperçoive. 70
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Je me suis intéressé très récemment à un très bon livre qui a rapport à l’éducation, un recueil dirigé par Jean Château, qui était un élève d’Alain. Je ne l’ai même pas encore fini. C ’est est absolument absolum ent sensationn sensationnel, el, ça comm com m ence enc e à Platon, et ça continue par un certain nombre de pédagogues. On s’aperçoit à le lire de ce qu’est le fond de l’éducation, à savoir une certaine idée de ce qu’il faut pour faire des hommes — comme si c’était l’éducation qui les faisait. À la vérité, il n’est pas forcé que l’homme soit éduqué. Il fait son éducation tout seul. D’une façon ou d’une autre il s’éduque. Il faut bie b ienn q u ’il a p p r e n n e q u e lqu lq u e ch choo se, se , q u ’il en bave u n p eu eu.. Les Les éd éduc ucat ateu eurs rs sont so nt des gens qu quii pe p e n sen se n t p o u v o ir l ’aider. Ils c o n sid si d è r en entt m ê m e qu’il y a un minimum à donner pour que les hommes soient des hommes, et que cela passe par p ar l ’é d u c a tio ti o n . Ils n ’o n t pas t o r t d u t o u t . Il faut en effet une certaine éducation pour que les hommes parviennent à se supporter entre eux. Par rapport à ça, il y a l’analyste. Gouverner et éduquer ont cette différence considérable par rapport à analyser, que cela 71
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se fait depuis toujours. Et cela foisonne. On ne cesse pas de gouverner, on ne cesse pas d’éduquer. L’analyste, lui, n’a aucune tradition. C’est un tout nouveau venu. C’est ainsi que, parmi les positions impossibles, il s’en est trouvé une nouvell nouv elle. e. Il Il n’ n ’est pas particulière partic ulièremen mentt com c omm m od odee po p o u r la p lup lu p a r t des analystes de s o u ten te n ir c ette et te pos p osit itio ionn alors q ue l ’o n n ’a q u ’u n t o u t p e tit ti t sièc siècle le derriè de rrière re soi soi po p o u r se repérer. repérer. La nouveauté nouve auté renforce le caractère impossible de la chose. Les analystes, à partir du premier d’entre eux, ont eu à découvrir cette position, et ils en ont très bien réalisé le caractère impossible. Ils l’ont fait rejaillir sur la position de gouverner et sur celle d’éduquer. Comme ils en sont au stade de l’éveil, cela leur a permis de s’aper cevoir que les gens qui gouvernent comme les gens qui éduquent n’ont en fin de compte aucune espèce d’idée de ce qu’ils font. Cela ne les empêche pas de le faire, et même de le faire pas pas trop tro p mal. Après Aprè s tou to u t, des go gouv uver erna nant nts, s, il en faut bien, et les gouvernants gouvernent, c’est un fait. Non seulement ils gouvernent, mais cela fait plaisir à tout le monde. — On retrouve Platon.
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Oui, on retrouve Platon. Il n’est pas difficile de retrouver Platon. Platon a dit énormément de banalités, et naturellement on les retrouve. L’arrivée de l’analyste à sa propre fonction a perm pe rmis is de faire u n éclairage à j o u r frisant frisa nt de ce que sont son t les les autres autres fonctions. J ’ai consacré tou to u te une année de séminaire à expliquer le rapport qui jaillit du d u fait fait de l’existe l’existence nce de cette fonctio fo nctionn tout à fait nouvelle qu’est la fonction analy tique, et en quoi elle éclaire les autres. Cela m’a amené à y montrer des articulations qui ne sont pas pas c o m m u n e s. Si elles é taie ta ienn t c o m m u n e s , les fonctions fonction s ne différeraient différeraient pas pas. J ’ai fait voir co com m ment cela peut se manipuler, et d’une façon très simple, grâce à quatre petits éléments qui changent de place et qui tournent. Cela finit par faire des choses cho ses très intéressantes. L ’a n g o i s s e d e s s a v a n t s
Il y a une chose dont Freud n’avait pas parl pa rlé, é, p arce ar ce q u ’elle é tait ta it tab ta b o u e p o u r lui, lu i, à savo savoir ir la p ositio os itionn du sava savant nt.. C ’est est éga é galem lement ent une position impossible, seulement la science n’en a pas encore la moindre espèce d’idée, et 73
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c’est sa chance. C’est seulement maintenant que les savants commencent à faire des crises d’angoisse. Leurs crises d’angoisse n’ont pas plus d’im por po r tan ta n ce qu quee n ’imp im p o r te que quelle lle crise d ’ang angois oisse. se. L’angoisse est une chose tout à fait futile, foireuse. Mais il est amusant que l’on ait vu ces derniers temps certains parmi les savants tra vaillant dans des laboratoires tout à fait sérieux s’alarmer tout d’un coup, avoir les foies, ce qui signifie en français avoir la trouille, et se dire : «Toutes ces petites bactéries avec lesquelles nous faisons des choses si merveilleuses, suppo sez qu’un jour, après que nous en aurions vrai ment fait un instrument sublime de destruction de la vie, un type les sorte du laboratoire. » Ce n’est pas encore fait. Ils n’y sont pas arrivé arrivés. s. Mais Mais ilils c omm om m en ence cent nt à avoi avoirr une petite idée que l’on pourrait faire des bactéries résis tantes à tout, que l’on ne pourrait plus arrêter. Cela nettoierait peut-être la surface du globe de toutes ces choses merdeuses, en particulier humaines, qui l’habitent. Et alors, ils se sont sentis tout d’un coup saisis d’une crise de res ponsabilité ponsa bilité.. Ils Ils on o n t mis l’ l ’emba em barg rgoo sur un u n certa ce rtain in nombre de recherches. 74
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Peut-être cette idée n’est-elle pas si mau vaise, peut-être ce qu’ils font pourrait-il être très dangereux. Je n’y crois pas. L’animalité est increvable. Ce ne sont pas les bactéries qui nous débarrasseront de tout ça. Mais ils en ont eu une crise d’angoisse typique, et une sorte d’interdiction, provisoire tout au moins, a été jeté je téee . O n s’est s’est d it q u ’il fallait y rega re gard rder er à deu d euxx fois avant de pousser plus loin certains travaux sur les bactéries. Quel soulagement sublime ce serait pourtant si tout d’un coup on avait affaire à un véritable fléau, un fléau sorti des mains des biologistes. Ce serait vraiment un triomphe. Cela voudrait dire que l’humanité serait vraiment arrivée à quelque chose — sa pr p r o p r e d e s tru tr u c t ion io n . C e sera se rait it v r a im e n t là le signe de la supériorité d’un être sur tous les autres. Non seulement sa propre destruction, mais la destruction de tout le monde vivant. Ce serait vraiment le signe que l’homme est capable de quelque chose. Mais cela fout tout de même un peu d’angoisse. Nous n’en sommes pas pas en encc o re là. là. Comme la science n’a aucune espèce d’idée de ce qu’elle fait, sauf à avoir une petite pous sée d’angoisse, elle va continuer un certain 75
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temps. À cause de Freud probablement, per sonne n’a même songé à dire qu’il était tout aussi impossible d’avoir une science qui ait des résultats que de gouverner et d’éduquer. Mais si l’on peut en avoir tout de même un petit soupçon, c’est par l’analyse. L’analyse est une fonction encore plus impossible que les autres. Je ne sais pas si vous êtes au courant, elle s’occupe très spécialement de ce qui ne marche pas. De ce fait, elle s’oc cupe de cette chose qu’il faut bien appeler par son nom — je do dois is dir diree que je suis encore le le seul seul à l’avoir l’avoir appelée de ce no n o m — , le réel. réel. C’est la différence entre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Ce qui marche, c’est le monde. Le réel, c’est ce qui ne marche pas. Le monde va, il tourne rond, c’est sa fonction de monde. Pour s’apercevoir qu’il n’y a pas de monde, à savoir qu’il y a des choses que seuls les imbéciles croient être dans le monde, il suf fit de remarquer qu’il y a des choses qui font que le monde mo nde est est immond imm onde, e, si si je pu puis is m ’exp expri ri m e r ains ainsi. i. C ’est est de cela que s’o s’o ccu cc u p en entt les les analystes, de sorte que, contrairement à ce que l’on croit, ils sont beaucoup plus affrontés au réel que même les savants. Ils ne s’occupent 76
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que de ça. Ils sont forcés de le subir, c’est-à-dire de tendre le dos tout le temps. Il faut à cette fin qu’ils soient vachement cuirassés contre l’an gois go isse se.. C ’est est déjà que q uelqu lquee chose q u ’ils puissent puissen t au moins parler de l’angoisse. Q ua uann d j ’en ai parlé parlé jadis, jadis, en 1962-1963, au moment où s’est passée dans la psychanalyse française — ce que l’on appelle ainsi — la deuxième scission, cela a fait un peu d’effet, un pe p e t i t tou to u r b i llo ll o n . L’u n de mes me s élèves, élèv es, q u i avait suivi pendant toute l’année mon séminaire sur l’angoisse, est venu me voir enthousiasmé, au po p o i n t de m e d ire ir e q u ’il fallait falla it m e m e t tre tr e dans un sac et me noyer. Il m’aimait tellement que c’était la seule conclusion qui lui paraissait pos sible. Je l’ai engueulé avec des mots injurieux, et foutu dehors. Cela ne l’a pas empêché de survivre, et même de se rallier finalement à mon École. Vous voyez comment sont les choses. Les chose ch osess sont son t fait faites es de drôleries. C ’est est peut-ê peu t-être tre la voie par où on peut espérer un avenir de la psychanalyse — il faudrait qu’elle se voue suffisamment à la drôlerie.
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— Vous avez dit tout à l’heure: «Si la religion triomphe, c'est que la psychanalyse aura échoué. » Pe P e n s e z - v o u s q u 'o n aille ai lle m a i n ten te n a n t c h e z u n p s y chanalyste comme on allait auparavant chez son confesseur ?
On ne pouvait manquer de me poser cette question. Cette histoire de confession est à dormir debout. Pourquoi croyez-vous qu’on se confesse ? — Quand on va chez son psychanalyste, on se confesse aussi.
Mais absolument pas ! Cela n’a rien à faire. Dans l’analyse, on commence par expliquer aux gens qu’ils ne sont pas là pour se confesser. C ’est est l’enfa l’enfance nce de l’ l ’art. Il Ils sont là p o u r dire — dire dir e n ’imp im p o r te qu quoo i. — Comment expliquez-vous le triomphe de la religion sur la psychanalyse ?
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LA
RE LIG IO N
C e n ’est nullement nullem ent par l’interm l’intermédiaire édiaire de la la confession. Si la psychanalyse ne triomphera pas pas de d e la relig rel igio ion, n, c’ c ’est que qu e la relig re ligio ionn est inc in c re re vable. La psychanalyse ne triomphera pas, elle survivra ou pas. —
Vous êtes persuadé que la religion triom
phera ph era ?
Oui. Elle ne triomphera pas seulement sur la psychanalyse, elle triomphera sur beaucoup d’autres choses encore. On ne peut même pas imaginer comme c’est puissant, la religion. J’ai parlé à l’instant du réel. Le réel, pour peu que la science y mette du sien, va s’étendre, et la religion aura là beaucoup plus de raisons encore d’apaiser les cœurs. La science, c’est du nouveau, et elle introduira des tas de choses bo b o u lev le v e rsa rs a n tes te s dans la vie vi e de c h a c u n . O r , la religion, surtout la vraie, a des ressources que l’on ne peut même pas soupçonner. Il n’y a qu’à voir pour l’instant comme elle grouille. C ’est est absolum abso lument ent fabuleux. fabuleux. Ils y ont mis le temps, mais ils ont tout d’un coup compris quelle était leur chance avec la science. Il va falloir qu’à tous les bouleverse 79
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ments que la science va introduire, ils donnent un sens. Et ça, pour le sens, ils en connaissent un bout. Ils sont capables de donner un sens vraiment à n’importe quoi. Un sens à la vie humaine, par exemple. Ils sont formés à ça. Depuis le commencement, tout ce qui est religion consiste à donner un sens aux choses qui étaient autrefois les choses naturelles. Ce n’est pas parce que les choses vont devenir moins naturelles, grâce au réel, que l’on va cesser pour autant de sécréter le sens. Et la reli gion va donner un sens aux épreuves les plus curieuses, celles dont les savants eux-mêmes commencent justement à avoir un petit bout d’angoisse. La religion va trouver à ça des sens truculents. Il n’y a qu’à voir comment ça tourne maintenant, comment ils se mettent à la page. — La L a p sych sy chan anal alys ysee va de deve venir nir u n e religion ? La psychanal psychanalyse? yse? N o n . Du D u moins moi ns j e l’esp l’espère ère.. Elle deviendra peut-être en effet une reli gion — qui sait, pourquoi pas? — mais je ne pense pen se pa pass que q ue ce soit là m o n biai biais. s. La psychana psyc hana lyse n’est pas venue à n’importe quel moment historique. Elle Elle est est venue corrélativement corrélativem ent à un 80
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pas capital, capi tal, à u n e cert ce rtai ainn e avancée ava ncée d u disco dis cours urs de la science. Je vais vous dire ce que qu e j ’en dis dis dans dans mon m on pe p e tit ti t rap ra p p o rt, rt , le m achi ac hinn qu quee j ’ai cog c ogit itéé p o u r ce Congrès : la psychanalyse est un symptôme. Seulement, il faut comprendre de quoi. Elle fait nettement partie de ce malaise de la civi lisation dont Freud a parlé. Le plus probable est qu’on n’en restera pas à s’apercevoir que le symptôme est ce qu’il y a de plus réel. On va nous sécréter du sens à en veux-tu en voilà, et cela nourrira non seulement la vraie religion, mais un tas de fausses. —
Qu'est-ce que cela veut dire, «la vraie reli
gio g ionn » ?
La vraie religion, c’est la romaine. Essayer de mettre toutes les religions dans le même sac et faire ce qu’on appelle de l’histoire des reli gions, c’est vraiment horrible. Il y a u n e vraie religion, c’est la religion chrétienne. Il s’agit simplement de savoir si cette vérité tiendra le coup, à savoir si elle sera capable de sécréter du sens de façon à ce que l’on en soit vraiment bie b ienn n oy oyéé . Elle El le y a rriv rr iver era, a, c ’est c e r tain ta in,, pa parc rcee 81
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qu’elle a des ressources. Il y a déjà des tas de trucs qui sont préparés pour ça. Elle interpré tera l’Apocalypse de saint Jean. Il y a déjà pas mal de gens qui s’y sont essayés. Elle trouvera une correspondance de tout avec tout. C’est même sa fonction. L’analyste, lui, c’est tout à fait autre chose. Il est dans un moment de mue. Pendant un petit moment, on a pu s’apercevoir de ce que c’était que l’intrusion du réel. L’analyste en reste là. Il est là comme un symptôme. Il ne peut durer qu’au titre du symptôme. Mais vous verrez qu’on guérira l’humanité de la psychanalyse. À force de le noyer dans le sens, dans le sens religieux bien entendu, on arrivera à refouler ce symptôme. Vous y êtes? Est-ce qu’une petite lumière s’est prod pr oduite uite da dans ns votre jug ju g e o te ? Cela ne vou vouss paraît par aît pa pass une u ne po posit sitio ionn mesur me surée ée qu quee la mie mi e n n e ? — J'éc J' écou oute te.. Vous écoutez, oui. Mais est-ce que vous y attrapez un petit quelque chose qui ressemble à du réel ?
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— J'é J 'écc o u te, te , j e note, et c'es c' estt à m o i, après, après, à fair fa iree une sorte de synthèse.
Vous allez faire une synthèse?Vous en avez de la chance. En effet, tirez-en ce que vous po p o u rrez rr ez.. O n a eu av avec ec la psychanalyse, psychana lyse, un u n p etit et it instant comme ça, un éclair de vérité. Ce n’est pas pas du t o u t forcé fo rcé qu quee ça dure. Se r r e r l e s y m p t ô m e
—
Vos Vos Écrits son so n t très très obscurs, obscurs, très très difficiles. Quelqu'un qui veut comprendre ses propres problèmes probl èmes en les les lisan lis antt est da dans ns u n pro pr o fond fo nd désarroi, désarroi, mall à l'aise. ma l'aise. J 'a i l'impression que le retour retour à Freud est problématique, car votre reprise des textes freudiens rend la lecture de Freud encore plus compliquée.
Cela est peut-être dû au fait que je fais apercevoir ce que Freud lui-même a mis beau coup de temps à faire entrer dans la tête de ses contemporains. La L a Science des rêves rêves ne s’est pas be b e a u c o u p v e n d u e à sa p a r u t i o n , e t e n q u inz in z e ans on en a peut-être acheté trois cents exem plaires. plaires. F reud re ud a dû se d o n n e r b e a u c o u p de mal po p o u r intr in troo d u ire ir e dans la pen p ensé séee de ses c o n tem te m 83
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porain por ainss q ue uelq lque ue cho chose se d ’au auss ssii spécifié et d ’au auss ssii pe p e u p h ilos il osoo p h iqu iq u e à la fois, que q ue l ’inco in cons nscc ient ie nt.. Ce n’est pas parce qu’il a emprunté à je ne sais plus qui, à Herbart, le mot Unbewusste, que c’était du tout ce que les philosophes appelaient «inconscient». Cela n ’avait ait aucun aucu n rapport. Ce que je me suis efforcé de démontrer, c’est comment l’inconscient de Freud se spé cifie. Les universitaires étaient peu à peu arri vés à digérer ce que Freud, avec beaucoup d’habileté d’ailleurs, s’était efforcé de leur rendre comestible, digérable. Freud lui-même a prêté à la chose en voulant convaincre. Le sens du retour à Freud, c’est de montrer ce qu’il y a de tranchant dans ce que Freud avait découvert, et qu’il faisait entrer enjeu d’une façon complètement inattendue, car c’était vraiment la première fois qu’on voyait surgir quelque chose qui n’avait strictement rien à faire avec ce que qui que ce soit avait dit avant. L’inconscient de Freud, c’est l’incidence de quelque chose qui est complètement nou veau. Et puis, je vais vous dire aussi quelque chose qui caractérise mes Ecrits. Ecrits . Mes Écrits, Écrits , je ne les ai pas écrits pour qu’on 84
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les comprenne, je les ai écrits pour qu’on les lise lise.. C e n ’est est pas pas du tou to u t pareil. C ’est est un fait que, contrairement à ce qui s’est passé pour Freud, il y a tout de même pas mal de gens qui les lisent. Ils ont certainement plus de lecteurs que Freud n’en a eu pendant quinze ans. À la fin, bien sûr, Freud a eu un énorme succès de librairie, mais il l’a attendu très longtemps. Je n’ai jamais rien attendu de pareil. Ça a été po p o u r m o i u n e surp su rpris risee totale tot ale q ue mes Écrits se vendent. venden t. Je n ’ai jamais jamais compris co com m m en entt cela cela s’est fait. Ce que je constate par contre, c’est que même si on ne les comprend pas, ça fait quelque chose aux gens. Je l’ai souvent observé. Ils n’y comprennent rien, c’est tout à fait vrai, pe p e n d a n t u n c e r tain ta in tem te m ps, ps , mais ça leu le u r fait fa it quelque ch chos ose. e. E t c’e c’est po pouu r cette raison raison que je serais porté à croire que, contrairement à ce que l’on s’imagine au-dehors, on les lit. On s’imagine que les gens achètent mes Ecrit Ec ritss et q u ’ils ne les les ouv ou v ren re n t pas. pas. C ’est u ne erreu er reur. r. Il Ils les ouvrent, et même ils les travaillent. Et même ils s’esquintent à ça. Évidemment, quand on commence mes Ec E c rits ri ts , ce qu’on peut faire de mieux, c’est d’essayer de les comprendre. Et 85
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comme on ne les comprend pas, on continue d’essayer. Je n’ai pas fait exprès qu’on ne les comprenne pas, cela a été une conséquence des choses. Je parlais, je faisais des cours, très suivis et très compréhensibles, mais comme je ne les transformais en écrit qu’une seule fois par an, ça donnait un écrit qui, par rapport à la masse de ce que j ’avais dit, dit, était un u n co conc ncen entré tré tou to u t à fait incroyable, qu’il faut mettre dans de l’eau comme les fleurs japonaises pour le voir se déplier. C’est une comparaison qui vaut ce qu’elle vaut. Il m’est déjà arrivé d’écrire, il y a long temps, qu’il est assez habituel qu’en dix ans un de mes Ecrits Ecr its devienne transparent. Mon cher, même vous, vous comprendriez. Dans dix ans, mes Ecr E crit itss, même en Italie, même traduits comme ils sont, vous paraîtront de la petite bièr bi ère, e, des lie li e u x c o m m u n s. Parce Pa rce q u ’il y a u n e chose qui est assez curieuse, c’est que même des écrits très sérieux, ça devient finalement des lieux communs. Dans très peu de temps, vous verrez, vous rencontrerez du Lacan à tous les coins de rue. Comme Freud, quoi ! Tout le monde s’imagine avoir lu Freud, parce que Freud traîne partout, dans les journaux, etc. 86
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Cela m’arrivera à moi aussi, vous verrez, comme cela pourrait arriver à tout le monde si l’on s’y mettait — si l’on faisait des choses un pe p e u serr se rrée ées, s, serr se rrée éess a u t o u r d ’u n p o i n t t o u t à fait fait précis qui est ce que j ’appelle appelle le symptôm sym ptôme, e, à savoir ce qui ne va pas. Il y a eu un moment dans l’histoire où il y a eu assez de gens désœuvrés pour s’occuper tout spécialement de ce qui ne va pas, et don ner une formule du «ce qui ne va pas» à l’état naissant, si je puis dire. Comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, tout cela se remettra à tourner rond, tout sera noyé sous les mêmes choses, les plus dégueulasses parmi celles que nous avons connues depuis des siècles, et qui naturellement se rétabliront. La religion est faite pour ça, pour guérir les hommes, c’est-à-dire pour qu’ils ne s’aperçoi vent pas de ce qui ne va pas. Il y a eu un petit éclair — entre deux mondes, si je puis dire, entre un monde passé et un monde qui va se réorganiser réorganiser comm com m e un u n superbe superbe mon m onde de à ve veni nir. r. Je ne pense pas que la psychanalyse détienne quelque clé que ce soit de l’avenir. Mais ç’aura été un moment privilégié pendant lequel on aura eu une assez juste mesure de ce que c’est 87
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qu e ce que j ’appelle que appelle dans mon m on discours le «parlêtr lê tree ». Le parlêtre est une façon d’exprimer l’in conscient. Le fait tout à fait imprévu et totale ment inexplicable, que l’homme est un animal parlant, parlan t, savo savoir ir ce que q ue c ’est, est, av avec ec quo q uoii se fabriq fab rique ue cette activité de la parole — voilà ce sur quoi j ’essaie de d o n n e r q u e lqu lq u e s lum lu m ière iè ress dan danss ce que je vais leur raconter à ce Congrès. C’est très lié à certaines choses que Freud a prises po p o u r être êtr e de la sexualité sex ualité.. E n effet, ça a u n rap ra p po p o r t , mais ça s’a s’a tta tt a c h e à la sexu se xual alité ité d ’u n e façon très particulière. Voilà.Vous verrez. Gardez ce petit livre dans votre poche, et relisez-le dans quatre ou cinq ans, vous verrez que vous vous en pourlécherez les babines. L e V e r b e f a i t j o u i r
—
D'a D 'app r è s ce q u e j ' a i compris, compr is, da dans ns la théo th éori riee lacanienne, à la base de l'homme, il n'y a pas la bio logie logie ou la ph physio ysiolog logie, ie, mais ma is le lang langag age. e. Sa S a in t J e a n l'avait déjà dit: «Au commencement était le Verbe. » Vous n'avez rien ajouté à cela.
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J’y ai ajouté un petit quelque chose. «Au co com m m en ence cem m en entt était le Ve Verb rbe», e», je suis bie b ienn d ’acco ac cord rd.. Mais avant ava nt le c o m m e n c e m e n t, où est-ce qu’il était? C’est cela qui est vrai ment impénétrable. Il y a l’évangile de saint Jean, seulement il y a aussi un autre truc qui s’appelle la Genèse, et qui n’est pas tout à fait sans rapport avec le Verbe. On a rabouté les deux en disant que le Verbe était l’affaire de Dieu le Père, et qu’on reconnaissait que la Genèse était aussi vraie que l’Évangile de saint Jean à ceci, que c’est avec le Verbe que Dieu créait le monde. C’est un drôle de machin. Dans l’Ecriture juive, l’Ecriture sainte, on voit très bien à quoi sert que le Verbe ait été non pas au commencement mais avant le commencement. C’est que, comme il était avan av antt le comm com m encem enc emen ent, t, Dieu Die u se croit en droit de faire toutes sortes de semonces aux per sonnes à qui il a fait un petit cadeau, du genre «petit-petit-petit», comme on donne aux pou lets. Il a appris à Adam à nommer les choses. Il ne lui a pas donné le Verbe, parce que ce serait une trop grosse affaire, il lui a appris à nom mer. Ce n’est pas grand-chose que de nom mer, c’est tout à fait à la mesure humaine. Les 89
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êtres humains ne demandent que ça, que les lumières soient tempérées. La lumière en soi, c’est absolument insupportable. D’ailleurs, on n’a jamais parlé de lumière au siècle des Lumières, on a parlé d’ Au «A pportezz A u f k l à r u n g . «Apporte unee pe un petite tite lampe, j e vous en e n prie. » C ’est est déjà bea b eauu c o u p . C ’est m ê m e dé déjà jà plus plu s q ue n o u s ne pouvons en supporter. Je suis pour saint Jean et son «Au commen cement était le Verbe», mais c’est un commen cement énigmatique. Cela veut dire ceci : pour cet être charnel, ce personnage répugnant qu’est un homme hom me moyen, moyen, le drame drame ne comm c ommence ence que quand le Verbe est dans le coup, quand il s’in carne, carne , co com m m e dit la religion, religion , la vraie vraie.. C ’est est quand le Verbe s’incarne que ça commence à aller vachement mal. Il n’est plus du tout heureux, il ne ressemble plus du tout à un petit chien qui remue la queue, ni non plus à un brave singe qu quii se masturb mast urbe. e. Il ne ressemble plus à rien du tout. Il est ravagé par le Verbe. M oi aussi, je pense que c ’est est le com m en ence ce-ment.Vous me dites que je n’ai rien découvert. C’est vrai. Je n’ai jamais rien prétendu décou vrir. vri r. Tous Tous les les trucs tr ucs qu quee j ’ai pris, ce sont so nt de dess trucs que j ’ai bricolés par-c pa r-cii par-là. 90
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Et puis puis surto s urtout, ut, figurez-vo figurez-vous us que j ’ai une certaine expérience de ce métier sordide qui s’appelle s’appelle être analy analyst ste. e. E t là, là, j ’en apprends appre nds un bo b o u t, et le «A «Auu c o m m e n c e m e n t était éta it le Verbe» pr p r e n d plus plu s de po poid idss p o u r m o i. Je vais vou vouss dire une chose : s’il n’y avait pas le Verbe, qui, il faut bien le dire, les fait jouir, tous ces gens qui viennent me voir, pourquoi est-ce qu’ils reviendraient chez moi, si ce n’était pas pour à chaque fois s’en payer une tranche, de Verbe? Moi, c’est sous cet angle-là que je m’en aper çois. Ça leur fait plaisir, ils jubilent. Sans ça, po p o u r q u o i estes t-ce ce qu quee j ’aurais des clients clie nts,, p o u r quoi est-ce qu’ils reviendraient aussi régulière ment, pendant des années ? Vous vous rendez compte ! Pour l’analyse au moins, c’est vrai, au com mencement est le Verbe. S’il n’y avait pas ça, je ne vois pas ce qu’on foutrait là ensemble. S ’h a b i t u e r a u r é e l
—
Si les rapports humains sont devenus si pro blématiques parce que ce réel est tellement envahis sa s a n t, ag agres ressi siff obs o bséd édan ant,t, ne f a u d r a i t - i l . ..
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Tout ce que nous avons jusqu’à présent de réel, est peu de chose auprès de ce que l’on ne pe p e u t m ê m e ima im a g ine in e r, pa parc rcee q u e j u s t e m e n t , le propre du réel, c’est qu’on ne l’imagine pas. — N e f a u d r a i t - i l p a s au contraire dé déli livr vrer er l’homme du réel? Alors la psychanalyse n'aurait pl p l u s de raison raison d ’être être..
Si le réel devient suffisamment agressif... — Le L e s e u l s a l u t po poss ssib ible le fac fa c e à ce réel réel q u i est devenu tellement destructif c’est de se soustraire au réel.
Repousser Rep ousser com c omplètem plètement ent le réel réel ? — Une schizophrénie collective, en quelque sorte. D ’où laf i n du rôle rôle de la psychanal psych analyse. yse.
C’est une façon pessimiste de représenter ce que je crois être plus simplement le triomphe de la vraie religion. Épingler la vraie religion de schizophrénie collective, c’est un point de vue très spécial. Soutenable,j’en conviens, mais très très psychiatrique. psych iatrique. 92
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—
Ce n'est pas mon point de vue,je n'ai pas parlé par lé de religion.
No N o n , vous n ’en av avez ez pas pas parlé, mais mais j e trouve tro uve que votre propos conflue de façon étonnante avec av ec ce d o n t j ’étais étais parti, à savoir savoir que la reli gion, en fin de compte, pouvait très bien arran ger to t o u t ça. Il Il ne faut pa pas trop dramatise dramatiser, r, quand même. On O n doit pouv p ouvoir oir s’ s’habituer habitu er au réel réel. Le symptôme, ce n’est pas encore vraiment le réel. réel. C ’est est la manifestation ma nifestation du réel à notre niveau d’êtres vivants. Comme êtres vivants, nous sommes rangés, mordus par le symptôme. No N o u s somme som mess malades, c’est c’est tou t out.t. L’être êtr e parlan par lantt est un animal malade. «Au commencement était le Verbe» Verbe» dit di t la mêm m êmee chose. chose. Mais le réel réel, si je puis dire, le vrai réel, c’est celui auquel nous pouvons accéder par une voie tout à fait précise, qui est la voie scientifique. C’est la voie des petites équations. Ce réel-là réel-là est est celui celui justem just emen entt qui nous manque man que complètement. Nous en sommes tout à fait séparés. Pourquoi ? À cause d’une chose dont nous ne viendrons jamais jamais à bou bout. t. Du moins estce ce que q ue je croi crois, s, encore que je n ’aie aie jamais pu pu 93
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absolument le démontrer. Nous ne viendrons jamais jam ais à bo b o u t du rap ra p p o rt en entr tree ces ces parlêtres qu quee nous sexuons du mâle et ces parlêtres que nous sexuons de la femme. Là, les pédales sont radi calement calem ent perdues. C ’est est m ême êm e ce qui spéc spécifi ifiee ce que l’on appelle l’être humain. Sur ce point, il n’y a aucune chance que ça réussisse jamais, c’est-à-dire que nous en ayons la formule, une chose qui s’écrive s’écrive scientifique scien tifiquem m ent. D ’où le foisonnement des symptômes, parce que tout s’ac s’accro croch chee là. là. C ’est est en cela que qu e Freu Fr eudd avait avait raison de parler de ce qu’il appelle la sexualité. Disons que, pour le parlêtre, la sexualité est sans espoir. Mais le réel auquel nous accédons avec des pet p etit itee s form fo rmuu les, le s, le vrai vrai réel ré el,, c ’est t o u t à fait fa it autre chose. Jusqu’à présent, nous n’en avons encore comme résultat que des gadgets. On envoie une fusée dans la lune, on a la télévi sion, etc. Ça nous mange, mais ça nous mange par pa r l ’inte in term rméé d iair ia iree de choses q ue ça rem re m u e en nous. Ce n’est pas pour rien que la télévision est est dévoreuse. dévoreuse. C ’est est parce parce que ça nous inté in té resse, tout de même. Ça nous intéresse par un certain nombre de choses tout à fait élémen taires, que l’on pourrait énumérer, dont on 94
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po p o u r r a i t faire fai re u n e p e tite ti te liste. M ais e nfin nf in,, o n se laisse manger. C’est pourquoi je ne suis pas pa p a r m i les alar al arm m iste is tess ni p a r m i les angoissés. angoiss és. Quand on en aura son compte, on arrêtera ça, et on s’occupera des vraies choses, à savoir de ce que j ’appelle la religion. religion . —
[...] Le réel est transcendant [...]. En effet,
les gadgets nous mangent.
Oui. Moi, je ne suis pas très pessimiste. Il y aura un tamponnement du gadget.Votre extra po p o lati la tioo n , de faire c on onve verg rger er le réel ré el et le trans tra ns cendant, me paraît un acte de foi. — J e vo vous us le d em emaa n d e , q u 'est 'e st-c -cee q u i n ' e s t p a s un acte de f o i ?
C’est ça qu’il y a d’horrible, c’est qu’on est toujours dans la foire. — J' J ' a i d it « f o i » yj e n 'a 'aii pa p a s d it « foir fo ire» e».. C’est ma façon de traduire «foi». La foi, c’est la foire. Il y a tellement de fois, de fois qui se nichent dans les coins, que malgré tout, ça 95
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ne se dit bien que sur le forum, c’est-à-dire la foire. — « Foi », « for fo r u m », « foir fo iree », », ce sont son t des j e u x de mots.
C’est du jeu de mots, c’est vrai. Mais j ’atta at tach chee é n o r m é m e n t d ’i m p o r tan ta n c e au auxx je je u x de mots, vous le savez. Cela me paraît la clé de la psychanalyse. N e p a s p h i l o s o p h e r
D a n s votre phil ph iloo sop so p h ie. .. — Da
Je ne suis pas du tout philosophe. — Una nozione ontologica, metafisica del reale. .. Ce n’est pas du tout ontologique. — Vous empruntez une notion kantienne du réel.
Mais Mais ce n ’est est pas pas du to t o u t kantien ka ntien.. C ’est est 96
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m ême êm e ce sur quoi qu oi j ’insis insiste te.. S’i S’il y a noti no tioo n du réel, elle est extrêmement complexe, et à ce titre elle est non saisissable, non saisissable d’une façon qui ferait tout. Ce serait une notion incroyablement anticipatrice que de pe p e n s e r q u ’il y ait u n t o u t du réel. ré el. T an antt q ue nous n’aurons pas vérifié, je crois qu’il vaut mieux se garder de dire que le réel soit en quoi que ce soit un tout. Il m’est venu dans la main un petit article d’Henri Poincaré sur l’évolution des lois. Vous ne le connaissez sûrement pas, il est introu vable, c’est une chose bibliophilique. Emile Boutroux, qui était philosophe, s’était posé la question de savoir si l’on ne pouvait pas penser que les lois avaient aussi une évolution. Poin caré, qui, lui, était mathématicien, se hérissait absolument à la pensée de cette évolution, pu p u isq is q u e ce q u e le savant c h e rch rc h e , c ’est ju ju s te ment une loi en tant que n’évoluant pas. Il est très rare qu’un philosophe soit plus intelligent qu’un mathématicien, mais là, par hasard, un philosophe a soulevé une question capitale. Pourquoi en effet est-ce que les lois n’évolue raient pas, alors que nous pensons le monde com co m m e ayant ayant évolué é volué ? Poincaré tient tie nt du dur r 97
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comme fer que le propre d’une loi, c’est que, quand on est dimanche, on peut savoir, non seulement ce qui arrivera lundi et mardi, mais en plus ce qui est arrivé samedi et vendredi. Mais on ne voit absolument pas pourquoi le réel n’admettrait pas une loi qui bouge. Il est bien certain que là, nous perdons com plè p lète tem m e n t les les péd pédale ales. s. C o m m e no nous us som so m m es situés en un point précis du temps, comment dire quoi que ce soit à propos d’une loi qui, aux dires de Poincaré, ne serait plus une loi? Mais après tout, pourquoi ne pas penser aussi que nous pourrons peut-être un jour en savoir un tout petit peu plus sur le réel? — grâce à des calculs, toujours. Auguste Comte disait qu’on ne saurait jamais rien de la chimie des étoiles, et voilà que, chose curieuse, il arrive un truc qui s’appelle le spectroscope, qui nous apprend des choses fort précises sur la compo sition chimique des étoiles. Alors, il faut se méfier, il arrive des trucs, des lieux de passage absolument insensés, que l’on ne pouvait sûre ment pas imaginer, et d’aucune façon prévoir. Cela fera peut-être que nous aurons un jour une notion de l’évolution des lois. En tous les cas, je ne vois pas en quoi le réel 98
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en est est pou po u r autant au tant plus plus transcendant. C ’est est une notion très difficile à manier, que l’on n’a jus qu’ici maniée qu’avec une extrême prudence. — C 'est 'e st un problè problème me philosophique. philosophique. C ’est est un problème philosophiq philoso phique, ue, c’ c ’est vrai. Il y a en effet des petits domaines où la phil ph iloo s o p h ie a ura ur a it e nc ncoo re q u e lqu lq u e ch choo se à dire dire.. M alheure alhe ureusem usement, ent, ilil est est as assez cur c urieu ieuxx que la philosophie donne tant de signes de vieillis sement. Bon, Heidegger a dit deux ou trois choses sensées. Mais il y a tout de même très longtemps que la philosophie n’a absolument rien dit d’intéressant pour tout le monde. D’ailleurs, elle ne dit jamais quelque chose d’intéressant pour tout le monde. Quand elle sort quelque chose, elle dit des choses qui inté ressent deux ou trois personnes. Et puis après, ça passe à l’Université, et alors c’est foutu, il n’y a plus la moindre philosophie, même imagi nable. Quelqu’un tout à l’heure m’a attribué un kantisme, tout à fait gratuitement. Je n’ai jam ja m ais ai s é c rit ri t q u ’u n e cho chose se sur K an ant,t, c ’est m o n pet p etit it é c rit ri t «K «Kan antt av avec ec Sade». Po P o u r t o u t d ire ir e ,je ,j e 99
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fais de Kant une fleur sadique. Personne n’a fait la moindre attention à cet article. Un tout pe p e tit ti t b o n h o m m e l ’a c o m m e n t é q u e lqu lq u e p art, ar t, je j e ne sais pas m ê m e si c ’est p a r u . Mais jam ja m ais ai s per p erss o n n e ne m ’a rép ré p o n d u sur su r cet ce t article. Il est vrai que je suis incompréhensible. —
Comme il a été question du réel comme transcendant, j ’ai cit citéé au passage la «chose en so s o i», i» , mais ce n’est pas une imputation du kantisme.
Je m’efforce de dire des choses qui collent à mon expérience d’analyste. Cette expérience est est quelque cho chose se de court. Au Aucune cune expérience d’analyste ne peut prétendre s’appuyer sur suffisamment de monde pour généraliser. Je tente de déterminer avec quoi un analyste peut se sustenter lui-même, de dessiner ce que com po p o r te d ’ap appa pareil reil m e n tal ta l r i g o u reu re u x la f o n c tio ti o n d’analyste, d’indiquer quelle est la rampe qu’il faut tenir pour ne pas déborder de sa fonction d’analyste. Quand on est analyste, on est tout le temps tenté de déraper, de glisser, de se lais ser glisser dans l’escalier sur le derrière, et c’est tout de même très peu digne de la fonction d’analyste. Il faut savoir rester rigoureux, de 100
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façon à n’intervenir que d’une façon sobre et de préférence efficace. J’essaie de donner les conditions pour que l’analyse soit sérieuse et efficace. Ça a l’air de déborder sur des cordes ph p h ilo il o s o p h iqu iq u e s , mais ça n e l ’est pas le m o ins in s du monde. Je ne fais aucune aucu ne philosophie, je m ’en méfie au contraire comme de la peste. Si je parle du réel, c’est parce que cela me paraît une notion radicale pour nouer quelque chose dans l’ana lyse, mais ce n’est pas la seule. Il y a aussi ce que j ’appelle appelle le symbolique sym bolique et ce qu quee j ’appell appellee l’imaginaire. Je tiens à ça comme on tient à trois pet p etit ites es co cord rdes es q ui sont so nt les les seules q ui m e p e r mettent ma flottaison. Je la propose aux autres aussi, bien sûr, à ceux qui veulent bien me suivre, mais ils peuvent suivre des tas d’autres per p erso sonn nnee s q ui n e m a n q u e n t pas de leu le u r o ffri ff rirr leur aide. Ce qui m’étonne le plus, c’est d’en avoir encore autant à mes côtés. Je ne peux pas dire que j ’aie aie rie r ienn fait pou po u r les les retenir. Je ne suis pas agrippé à leurs basques. Je ne redoute pas du tou to u t qu quee les les gens gens partent. par tent. Au contraire, cela cela me soulage quand ils s’en vont. Mais enfin, ceux qui sont là, là, je leur leu r su suis tout tou t de m ême êm e recon rec on 101
JACQUES
L AC AN
naissant de me renvoyer quelque chose de temps en temps qui me donne le sentiment que je ne suis pas complètement superflu dans ce que qu e j ’en ensei seign gne, e, que je leur enseign enseignee quelque chose qui leur rend service. Qu’est-ce que vous êtes gentils de m’avoir interrogé si longtemps.
Indications bibliographiques
«Discours aux catholiques»: évoquant à son Séminaire, le 23 mars 1960, les leçons qu’il venait de donner à Bruxelles, Lacan les désigne par ces mots, « mon discours aux catholiques » (Séminaire VII , p. 211, Seuil, 1986). Deux versions successives en ont été publiées dans Quarto, Quarto, organe de l’École de la Cause freudienne en Belgique (n° VI, 1982, p. 524, et n° 50, hiver hiver 1992, p. p. 7-20) 7-2 0).. « Le triomphe de la religion » : le titre comme les intertitres sont de J.-A. Miller. Une première ver sion est parue dans le bulletin intérieur de l’École VEcole, n° 16, freudienne de Paris, Les Lettres de VEcole, 1975, p. p. 6-26. 6-2 6.
Table
............................ ................. ................. .................. ................. ............. ..... N o t i c e ...................
7
Discours aux catholiques ........................ Annonce................................................................ I. Freud, concernant la morale, fait le poids correctement .................. ........................... ................. ................. .................. ............ ...
9 11 15
II. La psychanalyse est-elle constituante pour
une éthique qui serait celle que notre temps nécessite nécessite ? ....... .......... ....... ....... ....... ........ ........ ........ ....... ....... ....... ...... ....... ....... ....... ....... .....
45
Le triomphe de la religion ................... Gouverner, Gouverner, éduqu éduquer, er, analy an alyse serr........................... L’angoisse des sav sa v ants an ts........ ................ ................ ................ ................ ............ Le triomphe de la religion ................................
67 69 73
Ser erre rerr le s y m p t ô m e ....... ........... ........ ......... ......... ....... ....... ....... ...... ....... ....... ...
83
Le Ver erbe be fait fait j o u i r ....... ........... ....... ....... ........ ....... ....... ....... ...... ....... ........ ....... .....
88
S’habituer S’ habituer au r é e l................................................. ......................... ........................
91
N e pas p h ilo il o s o p h e r ....... ........... ........ ......... ......... ....... ....... ....... ...... ....... ....... ...
96
Indications Indications biblio bib liogr grap aphi hiqu ques es
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