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2301 Victor Hugo " ——*.
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VICTOR HUGO
EKNEST HAMEL
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PARIS IMPRIMERIE DE L. TINTER LIN ET O . -iiFs-unss-KNr,\> i 1800
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ERNEST HAMEL
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PARIS IMPRIMERIE DE L. TINTERLIN ET C' RIE NEUVE-DES-DONS-ENFANTS, 3.
1860
pq H3 Hauteville-House, 6 janvier 1860.
A M. ERNEST HAMEL.
Mot* SIEUR,
C'est plus qu'un rcmcrclment que je vous envoie, c'est une émotion. Je viens de lire l'article éloquent que vous avez bien voulu me consacrer dans le Courrier de l'Europe du 24 décembre. Tant de sympathie exprimée avec tant de talent, une cordialité si douce mêlée à des vues si hautes, cela me charme, je dis mieux, cela me touche, et je sens le besoin de vous serrer la main. Ce serrement de main, je vous l'envoie ; ma lettre 1*
— 6 — vous le portera; vous l!y sentirez, n'est-ce pas? Déjà j'avais eu l'occasion de vous exprimer ma profonde» estime pour l'historien philosophe qui est en vous ; trouvez bon, je vous prie, qu'à cette estime s'ajoute désormais l'affection ; nous servons la même cause, nous luttons pour les mêmes principes, je me sens deux fois votre ami.
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Victor Hugo.
VICTOR HUGO
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A quelques lieues des côtes de France, dans une de ces îles normandes, terres fran çaises qui, par une dérision du sort, sont restées sous la domination britannique, vit, pense et espère un des plus beaux génies dont l'humanité puisse s'enorgueillir. Voya geur, que l'aile de la vapeur emporte vers la libre Amérique, n'oublie pas de saluer. (1) Courrier de l'Europe du 25 décembre 1859.
en passant, ces rochers de granit, moins durs que le sol natal, sur lesquels les tem pêtes politiques ont si brusquement jeté Victor Hugo. Il n'avait qu'à ne pas s'occuper des af faires de son pays, ai-je entendu dire à quel ques niais intimement convaincus que le gouvernement des peuples appartient de droit à certains êtres privilégiés, marqués du doigt de Dieu dès le ventre de leurs mères. Ah ! chaque fois que cet absurde et inique reproche a retenti à mon oreille, je me suis senti pris d'une amère et indi cible mélancolie. Comment ! voici un homme doté des plus merveilleux dons de la Provi dence, un génie que la postérité n'hésitera pas à placer au rang des Homère, des Pindare et des Corneille, une intelligence apte aux plus hautes conceptions, un cœur
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qu'ont ému toutes les souffrances humaines, une parole qui a défendu les plus saintes et les plus nobles causes, et ce génie, cette intelligence, ce cœur, cette parole, cet homme enfin, vous le déclarez inhabile à traiter les affaires de l'État. Ce reproche, adressé à l'auteur de tant de chefs-d'œuvre, on n'a pas manqué de le jeter à la tête de tous ceux qui, ayant donné des gages d'une capacité hors ligne dans les Arts, dans le Barreau, dans l'Industrie ou dans toute autre carrière, ont aspiré, comme c'était leur droit, à exercer sur la chose publique une part de légitime influence ; en sorte que, suivant certains esprits, assu rément fort bizarres, le domaine de la po litique appartiendrait exclusivement, et par privilège de naissance, aux gens absolu ment incapables de quelque profession utile
ou glorieuse. Et pourtant, si la logique et le bon sens ne sont pas de vains mots, il est évident qu'un pays a grand intérêt à confier ses destinées à ces illustrations de tous genres auxquelles, à diverses époques de notre histoire, nos assemblées délibé rantes ont dû leur utilité et leur grandeur. Ils sont dignes de figurer dans les conseils d'un peuple, ceux-là surtout dont les tra vaux et le génie ont contribué pour quelque chose à l'amélioration de la condition des hommes et à l'affranchissement de l'esprit humain. De cette association d'intelligences, exercées sur toutes les matières, résultent nécessairement la justice et l'harmonie dans les lois. Ouvriers, commerçants, avocats, hommes de lettres, savants, cultivateurs, tous ceux qui ne reçoivent pas un salaire de l'État, doivent concourir au grand œuvre
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de l'édifice social. Les uns apporteront dans les discussions la longue pratique des af faires, la science du droit ancien, la préci sion mathématique ; les autres , la rude expérience du travail manuel, les traditions de la morale et les saines lumières de la philosophie. Qui donc se plaindrait de voir figurer dans une pareille assemblée un poëte dont les œuvres sont l'expression constante des sentiments les plus élevés et les plus généreux. Solon et Moïse étaient des poètes; ils n'en ont pas moins été les plus vigou reux législateurs qui aient circonscrit la liberté humaine dans les limites d'une cons titution. Si Victor Hugo, rassasié de gloire litté raire, a eu, un jour, la louable ambition de solliciter les suffrages de ses concitoyens et de se dévouer aux intérêts d'un peuple trop
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disposé à payer en oubli et en ingratitude les abnégations les plus absolues, c'est qu'il a compris que nous vivions à une époque où chacun se doit à tous; que homme, il était de son devoir de ne rester étranger à rien de ce qui intéresse l'humanité ; qu'en fin, dans la lutte engagée entre les idées rétrogrades et les principes posés par la Révolution française, son poste était au pre mier rang parmi les défenseurs de la liberté et de la justice. Et, en cela, il me paraît immensément supérieur à cet autre illustre poëte qui s'est vanté, et à qui l'on a fait un trop grand mérite de n'avoir chanté que Ninette et Ninon. Au reste, nous n'avons pas à le justifier de sa conduite politique : assez de nobles cœurs sont en communion de principes avec lui pour qu'il trouve dans la sympa
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thie de tant d'amis connus et inconnus une large compensation aux injures et aux ini quités dont l'ont accablé quelques rares écrivains ; seulement, nous avons pensé qu'il était bien que, de temps à autre, on parlât au pays de ses grands hommes, et que la voix qui romprait aujourd'hui le silence pour crier : Gloire au poëte ! ne sem blerait pas dissonnante aux âmes restées fidèles au culte du beau, du juste et du bon.
Il
Je ne me sens aucunement gêné pour m'expliquer sur le royalisme de ses jeunes années. Elevé par une mère vendéenne,
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comme il le dit lui-même quelque part, il avait appris, de bonne heure, à aimer la monarchie des Bourbons, et sa muse, à son début, dut subir les impressions et les pré jugés de son éducation. Aussi ses premiers vers sont-ils empreints d'un caractère tout royaliste. Sans doute, ils renferment des beautés de l'ordre le plus élevé ; mais ce ne sont encore que les magnifiques promesses d'un talent qui se révèle, et non ce que ce vigoureux génie a produit de mieux, comme osent le soutenir les gens qui ne sauraient pardonner à Victor Hugo d'avoir fait cause commune avec le parti démocratique. Les idées libérales, au contraire, furent pour lui une source féconde où sa poésie se retrempa et gagna en richesse et en énergie. Comme perfection de forme, comme vigueur de pensée, rien n'approche de ses dernières
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productions ; il a trouvé, pour parler de ces grands problèmes politiques qui tiennent aujourd'hui inquiète et attentive l'Europe tout entière, il a trouvé une langue incom parable. Si les essais de sa jeune muse ont pu le faire traiter d'enfant sublime par Chateau briand, c'est justice, à cette heure, de le proclamer le poëte, par excellence, de notre époque, sublime comme Dante, et comme lui grandi par le malheur et par l'exil. Il est entré dans la vie littéraire à un mo ment où les lettres étaient en honneur et en fête ; où les appétits matériels n'avaient pas encore absorbé tout ce qu'il y a d'honnête et d'élevé dans le cœur de l'homme. A cette nation française, condamnée au repos forcé par le sort des armes et à laquelle cepen dant une autre génération apportait une
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sève nouvelle, il fallait un nouvel aliment d'activité : elle le trouva dans les luttes lit téraires, et s'y jeta tant et si bien à corps perdu, que, durant quelques années, elle laissa tranquillement insulter, diffamer, ca lomnier les hommes de la Révolution, et vit, presque avec indifférence, jeter un milliard en proie à l'émigration, cause pre mière de tous les malheurs de la patrie. Après les palmes de la guerre, on voulut les lauriers littéraires ; après la réforme politique, on souhaita celle des lettres et le renversement des conventions bizarres par lesquelles le génie humain était resserré comme dans un lit de Procuste. Déjà, au siècle dernier , Diderot et Beaumarchais avaient donné le signal de l'affranchisse ment : de jeunes et ardents esprits repri rent, sous la Restauration, l'œuvre inler
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rompue par la Révolution française, et surtout par l'Empire, lequel eut le triste privilège de voir naître, en littérature, les œuvres les plus plates dont jamais langue ait subi l'affront. A la tète des réformateurs se plaça bien tôt l'auteur des Odes et Ballades, qu'on salua comme chef quand eut paru la fameuse préface de Cromwell, éclatant manifeste où, quoi qu'on en ait dit, brillent à chaque page la raison, le bon sens et un style étincelant. Que si, plus tard, des disciples maladroits ont exagéré les doctrines du maître et sont parvenus à se couvrir de ridicule, il ne se rait pas plus juste de rendre Victor Hugo solidaire de leurs sottises que de rejeter sur Racine la responsabilité des tragédies de Campistron, de Lefranc de Pompignan et de Laharpe. On lui a reproché, avec une 2*
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suprême iniquité, de s'être mis sans façon, dans cette préface, à la place du vieux Cor neille, et d'avoir démoli Racine. Rien de cela n'est vrai, et je ne sache pas d'écrivain qui ait apprécié avec plus d'intelligence, plus de respect et plus d'admiration qu'il ne l'a fait, Racine, Corneille et Molière, ces trois sommités de la littérature française. II a paru plaisant jadis à un littérateur, alors simple caporal dans les rangs du ro mantisme et aujourd'hui l'un des maré chaux de la réaction, de traiter un jour Racine de polisson. Ce paradoxe calculé d'un grotesque en belle humeur, ne fit qu'exciter la pitié méprisante du grand poète au service duquel on n'avait pas dé daigné de s'enrôler, et qui, à propos de l'illustre élève de Port-Royal, s'était ex primé ainsi : « Il est incontestable qu'il y a
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surtout du génie épique dans cette prodi gieuse Athalie, si haute et si simplement sublime que le siècle royal ne l'a pu com prendre... Racine n'avait ni dans le génie, ni dans le caractère, l'âpreté hautaine de Corneille. Il plia en silence, et abandonna aux dédains de son temps sa ravissante élégie d'Estfier, sa magnifique épopée d'Athalie... Que de beautés nous coûtent les gens de goût depuis Scudéry jusqu'à La Harpe ! On composerait une bien belle œuvre de tout ce que leur souffle aride a séché dans son germe. Du reste, nos grands poètes ont encore su faire jaillir leur génie à travers toutes ces gênes. C'est souvent en vain qu'on a voulu les murer dans les dog mes et dans les règles. Comme le géant hébreu, ils ont emporté avec eux sur la montagne les portes de leur prison... Il a
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fallu bien des Seigneur! et bien des Ma dame! pour faire pardonner à notre admi rable Racine ses chiens si monosyllabiques, et ce Claude si brutalement mis dans le lit d'Agrippine. » Ces simples citations suffisent à prouver quel respect religieux professait Victor Hugo pour ce maître de notre poésie française. S'est-il trompé d'ailleurs, en condamnant les formes étroites dans lesquelles étouffent la plupart des tragédies du dix-septième et du dix-huitième siècle? A-t-il eu tort de regretter que de puissants génies aient été forcés, pour ainsi dire, par d'absurdes con venances, de mettre trop souvent le récit à la place de l'action, et de diminuer l'intérêt qu'une liberté moins restreinte leur eût permis d'offrir aux spectateurs? Rien, sui vant nous,, ne lui donne plus amplement
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raison que l'indifférence du public actuel pour ces froides et pompeuses compositions que parvenait à peine à galvaniser l'incom parable talent d'une grande artiste. Il n'est ici question, on le sent bien, ni du Cid, ni de Cinna ; ce sont là des pièces d'un genre tout opposé à celui des œuvres auxquelles nous faisons allusion ; et si Corneille avait vécu du temps de la lutte entre les roman tiques et les classiques, il eût, à coup sûr, été l'un des plus ardents parmi les premiers. A l'époque Où nous sommes, à cette époque d'indifférence où les poètes se gardent bien de s'enthousiasmer pour ceci ou pour cela; en ces jours de prostration morale, de découra gement et de déceptions ; dans le bourdon nement présent d'une littérature babillarde, énervée, sans souffle et sans puissance, c'est plaisir de remonter, par la pensée, le cours
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des années révolues et de se retremper un peu au souvenir de ces luttes, de ces tenta tives, de ces aspirations, depuis les Messéniennes de Casimir Delavigne, jusqu'aux ïambes d'Auguste Barbier et aux Feuilles d'automne de Victor Hugo. On se sentait vivre au moins. Il y avait dans l'air je ne sais quel courant de foi, d'espérance, de vitalité, d'indépendance et de dignité qui saisissait la jeunesse et l'emportait radieuse vers des horizons inconnus. Chimères ou non, c'étaient là de généreux élans. L'esprit dominait la bêle; l'adolescent échappé du collège s'engageait d'un pied hardi dans ces luttes de la pensée, et cherchait noblement à faire sa trouée dans le domaine de l'intel ligence, avant d'avoir, comme aujourd'hui, uniquement souci des écus et des honneurs officiels.
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III
Certes, l'homme qui refusait noblement une pension de six mille francs, offerte en compensation de l'interdit jeté sur un de ses drames, n'était pas un homme dis posé à sacrifier la dignité des lettres à une question d'argent. Les intérêts de l'art, le soin de sa gloire étaient la préoccupation constante de Victor Hugo. Qui donc peut y 'trouver à redire ? A-t-il , dans ses œuvres dramatiques, rempli toutes les promesses de sa préface de Cromwcll? N'a-t-il pas quelquefois exa géré ses qualités? Je laisse aux gens du mé-
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tier à traiter cette thèse. Dans l'usage des passions au théâtre, n'a-t-il pas un peu su bordonné l'esprit à la matière ? Un écrivain distingué le lui a reproché du haut d'une chaire officielle, avec plus d'esprit peut-être que de vérité. Les rhéteurs, pour n'avoir point d'entrailles, ne me paraissent pas assez tenir compte de la chair, de ses révoltes et de ses faiblesses. Je ne veux point ici enta mer de discussion littéraire ; il est bon ce pendant de faire remarquer une fois de plus, en passant, pour l'instruction de ceux qui prêchent l'excellence et la supériorité mo rale des tragédies du grand siècle, que le sentiment dont est animé la principale hé roïne de la Phèdre de Racine, est mille fois moins chaste et autrement matériel que l'amour dont brûle Marion Delorme, par exemple. Et puisque ce dernier nom tombe
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de ma plume, il n'est pas superflu de dire quelques mots de la pièce à laquelle il sert de titre. Certains critiques ont reproché à Victor Hugo d'avoir transporté les courtisanes au théâtre ; mais, au moins, n'a-t-il montré que les côtés par lesquels elles s'ennoblissent et se relèvent à nos yeux, et non les bas instincts qui font de ces créatures tombées dans la fange, la honte et le déshonneur de l'humanité. Marion, la fille de joie, après avoir servi aux plaisirs de la cour et de la ville, comme on disait jadis ; après avoir fait de son corps métier et marchandise ; après avoir vendu au plus offrant ses charmes et ses caresses, rencontre un jour sur son chemin un jeune homme dont la vue la séduit, la fascine et éveille en elle des sensations in3
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-connues. De ce jour, elle n'est plus la même ; elle a des remords; elle a honte de son passé, dépouille la vieille femme, se spiritualise, si j'ose m' exprimer ainsi ; elle s'é pure, elle aime. Alors, avec cette vie nouvelle de béatitude et d'enchantement, commence aussi pour elle la punition de son existence dissolue. Sa première épreuve est d'être obligée de mentir et de cacher son nom à ce Didier qui la croit pure et sans reproche. Celui-ci, pour la venger d'un outrage, se bat, sous l'édit même portant peine de mort contre les duellistes. Arrêté, il est condamné au dernier supplice. De là, pour la pauvre Marion , tout une odyssée de larmes, d'angoisses, de torture, de dé vouement. Que d'admirables scènes ! Que de cris sublimes ! Que d'émouvantes inspi rations! Comment ne pas être ému du dé-
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sespoir de cette Madeleine repentie, quand son amant la repousse avec dédain en ap prenant qu'elle s'appelle Marion et non Marie ; quand il refuse la grâce qu'elle lui apporte, sachant à quel prix elle l'a obtenue. Ah ! je le demande, y a-t-il là quelque chose qui ressemble aux mœurs dissolvantes de ce monde interlope dans la peinture des quelles se complaisent, aux applaudisse ments de la foule, quelques auteurs de notre époque. Vos grandes dames, vous nous les peignez suant le vice comme des prosti tuées de bas étage, et courant à la recherche d'aventures galantes jusque dans un atelier de peintre où, au besoin, elles poseraient, tous voiles tombés ! Vos courtisanes, vous nous les montrez trafiquant de leurs char mes, sèchement, sans grandeur et sans pas sion ! Le théâtre est devenu une école do
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haute prostitution où les mères de famille vont s'instruire, curieuses de savoir com ment s'y prennent nos Phrynés pour ruiner leurs maris, leurs frères, leurs fils, et consa crent par leurs applaudissements le triom phe de l'auteur qui leur a appris ces belles choses. Ah ! du moins, quand Victor Hugo nous montre la passion aux prises avec le devoir, quand il met sur la scène quelque insigne pécheresse se relevant par l'amour, il nous épargne ces tableaux qui doivent faire monter le rouge aux fronts honnêtes. Et que ces créatures s'appellent dona Sol ou Marion Delorme, dona Maria ou la Thisbé, que ce soit la grande dame ou la courtisane, nous n'entendons que de nobles paroles; et le souvenir que nous emportons de ce spec tacle n'est pas mêlé d'un dégoût profond et d'un amer découragement.
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Si maintenant, de ce rapide coup d'œil sur la manière dramatique de Victor Hugo, nous passons à ses poésies diverses, de quels éblouissements nos yeux seront émer veillés, rien qu'en y jetant un coup d'œil plus rapide encore ! Sans parler des Orientales, des Chants du crépuscule, des Rayons et des Ombres et des Voix intérieures, recueils charmants, cent fois lus et relus, arrêtons-nous un ins tant sur les Feuilles d'automne où la pensée du poëte se reflète tout entière, plus nette et plus accentuée. Tout ce que le cœur hu3*
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main contient de joie, de tristesse, d'espé rance et d'amour, déborde, à flots harmo nieux, de ce volume. Là se mêle la force de Corneille à la grâce de Racine età la raison de Voltaire. Jamais la poésie ne revêtit une forme plus splendide, ne s'exprima dans une langue plus sonore, plus limpide, plus belle; jamais sentiments ne furent expri més avec plus d'ampleur et de majesté ! Quelle bouche pieuse n'a cent fois murmuré d'une voix émue la Prière pour tous? Et les pures jouissances du foyer domestique, qui les a mieux chantées? Ah ! jeunes mères qui bercez sur vos genoux un chérubin blanc et rose, dont les caresses vous plongent dans des béa titudes sans fin ; jeunes mères qu'un sou rire ou une larme du cher petit être fait sourire ou pleurer, comment n'aimeriez
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vous pas le poëte, le père qui a écrit ces vers : Il est si beau l'enfant avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaisés ; Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme & la vie Et sa bouche aux baisers !
Je ne sais quel écrivain traitait dernière ment de pathos la langue de Victor Hugo. Que la littérature, si chère à ce dénigreur du grand poëte, nous donne souvent du pathos comme celui-là, nous la saluerons jusqu'à terre. Entre les Feuilles d'automne et les Odes et Ballades, il y a tout un abîme, en ce qui concerne la question politique et so ciale. On sent que le poëte est devenu homme. S'il n'a garde d'oublier que sa mère a fui jadis, enfant, à travers le Bo-
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cage, il se souvient que son père a été un des premiers engagés volontaires de la grande République; il a appris bien des choses qu'adolescent il ne soupçonnait pas;
Alors, au spectacle des souffrances sécu laires, il s'indigne, et sa colère fait explosion en de magnifiques élans : Je suis fils de ce siècle, une erreur chaque année S'en va de mon esprit, d'elle-même étonnée, Et, détrompé de tout, mon culte n'est resté Qu'à vous, sainte patrie et sainte liberté ! Je hais l'oppression d'une haine profonde. Aussi, lorsque j'entends, dans quelque coin du monde, Sous un ciel inclément, sous un roi meurtrier-, Un peuple qu'on égorge appeler et crier J'oublie alors l'amour, la famille, l'enfance, Et les molles chansons et le' loisir serein, Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain !
Ce n'est donc pas un converti de fraîche date, comme voudraient le faire croire quelques malveillants. Bien avant que la
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monarchie de Juillet tombât pour n'avoir point obéi à la loi de son origine qui lui criait : Marche ! marche ! il s'était large ment abreuvé aux sources démocratiques ; et plus tard, en acceptant l'âpre exil, quand il suffisait d'un mot de sa bouche pour qu'il lui fût permis de revenir s'asseoir au foyer natal, il fut simplement logique avec luimême. Il est facile de démontrer qu'en cette circonstance sa conduite fut aussi loyale que courageuse et désintéressée. Qu'avaitil à gagner avec la Révolution abattue? Il ne l'avait pas flattée au jour de son triom phe. Il n'avait pas hurlé avec l'émeute vic torieuse, et ne s'était pas couché à platventre devant elle pour en recevoir un os à ronger-. Ah ! si l'éternel mépris doit être le partage de ceux qui, ayant léché le lion
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populaire au moment de sa force et de sa puissance, l'insultent, gorgés et repus, quand il est muselé, dans quelle estime ne devons-nous pas tenir les hommes purs, victimes de leur fidélité stoïque à la cause des vaincus ! Rendons cet hommage à Victor Hugo, que, dans le naufrage du parti démocra tique, il a été à la hauteur de son génie et de son grand nom. Puissent ces quelques lignes d'un ami inconnu lui faire oublier les morsures des vipères et les vaines cla meurs des envieux. Qu'il sache que la France se souvient ; qu'elle n'est point toute composée de renégats et d'aboyeurs, et qu'elle garde encore, comme un culte sacré, le souvenir de ses gloires absentes et le plus sympathique respect pour les grandes infortunes.
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Quant à nous, qui devons au noble pen seur tant de douces et sereines émotions, offrons à ses admirateurs, comme un pieux ex-voto, ce faible tribut de notre reconnais sance ; et, en revoyant sa maison déserte, en contemplant les monuments chantés par lui, en parcourant les jardins et les places où il aimait à promener ses rêveries fé condes, répétons mélancoliquement avec l'immortel poëte : Sentiers où l'herbe «e balance, Vallons, coteaux., bois chevelus, Pourquoi ce deuil et ce silence ? — Celui .qui venait ne vient plus !
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