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L'ancrage dans les études sur les représentations sociales Willem DOISE Université de Genève
Une étape importante de toute étude sur les représentations sociales (RS) est la détermination de leur contenu. Différents types d'analyses de données servent à repérer l'univers sémantique constitutif d'une RS et à en définir les liens structurants. A ce titre les études actuelles sur le noyau central des RS peuvent être considérées comme exemplaires (voir par exemple Abric, 1984, Flament, 1987, Guimelli, 1990, Moliner, 1987 1988). Elles permettent de réduire considérablement les incertitudes concernant les frontières entre éléments constitutifs et non constitutifs des représentations sociales. Mais limiter l'étude des RS à leur contenu pourrait les faire apparaître comme des réalités en soi, dotées d'une existence autonome. Ce serait privilégier une démarche descriptive aux dépens d'une démarche explicative. Toute étude exhaustive des RS doit en même temps les décrire comme réalités objectives et considérer leur ancrage dans des dynamiques relationnelles. -
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Etudier l'ancrage des RS c'est chercher un sens pour la combinaison particulière de notions qui forment leur contenu. Ce sens ne peut pas être défini par la seule analyse interne des contenus sémantiques d'une représentation, il se réfère nécessairement à d'autres significations régissant les relations symboliques entre acteurs sociaux. Autrement dit, la signification d'une RS est toujours imbriquée ou ancrée dans des significations plus générales intervenant dans les rapports symboliques propres à un champ social donné. Dans cette contribution je décrirai trois sortes d'imbrications ou d'ancrages. 1. Une première sorte porte sur l'intervention de croyances ou valeurs générales, comme par exemple la croyance dans un monde juste ou dans l'égalitarisme, qui peuvent organiser nos rapports symboliques avec autrui. Quand je qualifie de telles valeurs ou croyances comme générales, cela ne veut pas nécessairement dire que tout le monde les partage de la même manière, mais qu'elles sont censées intervenir dans un grand nombre de relations et évaluations sociales. 2. Une autre sorte d'ancrage porte sur l'imbrication des RS dans la manière dont les individus se représentent les rapports entre positions ou catégories sociales, par exemple dans la manière dont ils se représentent les rapports entre catégories sexuelles (voir Lorenzi Cioldi, 1988). 3. Enfin une troisième sorte d'ancrage est analysée lorsque le chercheur établit un lien entre RS et appartenances ou positions sociales particulières occupées par des individus, tout en faisant au moins implicitement l'hypothèse que chaque insertion sociale partagée avec d'autres individus donne lieu à des échanges et expériences spécifiques qui modulent les représentations pertinentes. -
Le premier type d'ancrage se limite souvent à l'étude de constellations d'attitudes qui, bien que générées socialement, ne sont étudiées qu'en tant qu'organisations intra et interindividuelles. La méthode d'analyse privilégiée est de nature corrélationnelle : quelles variations d'une attitude, perception ou évaluation générale sont liées à d'autres variations plus spécifiques. Il s'agit d'ancrages qui peuvent être considérés comme psychologiques dans la mesure où leur analyse porte d'une manière privilégiée sur l'organisation de variations au niveau individuel ou interindividuel et c'est la raison pour laquelle les méthodes utilisées sont souvent empruntées à la psychologie différentielle (du type analyse factorielle). A l'opposé, le troisième type d'ancrage fait intervenir des analyses de type plus sociologique et procède à des comparaisons entre groupes d'individus en fonction des positions qu'ils occupent dans un ensemble de rapports sociaux. Les techniques utilisées essaieront donc de repérer avant tout quels groupes se distinguent d'autres groupes. Le deuxième type d'ancrage se trouve à l'articulation des deux autres, il peut être considéré comme psychosociologique. Son étude se base sur l'analyse de la manière dont les individus se situent symboliquement par rapport aux relations sociales dans un champ donné. Souvent l'expérimentation sera utilisée pour accentuer la pertinence d'un -
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rapport social donné dans un champ représentationnel. Signalons déjà que nous utiliserons de préférence le terme psychosociologique quand il s'agit de rapports intergroupes ou de nature positionnelle mais qu'on peut considérer le terme psychosocial comme approprié quand il s'agit d'analyser la manière dont des individus se situent symboliquement à l'égard de rapports de nature plus personnelle. Il faut tout de suite préciser que cette tripartition ne signifie pas que la réalité des ancrages des représentations serait de trois sortes : il s'agit de différentes analyses d'une réalité qui ne reçoit sa signification spécifique que par le regard particulier porté sur elle. On peut d'ailleurs penser que dans toute analyse de l'ancrage des RS les trois approches décrites sont plus ou moins mêlées, ce qui n'empêche pas que dans une investigation donnée une seule d'entre elles domine alors que les deux autres n'y sont pas explicitées, voire même y fonctionnent comme postulats allant de soi.
Les recherches sur les théories naïves de la personnalité fournissent des analyses qui peuvent servir de point de départ pour l'étude de l'ancrage psychologique. Les auteurs de ce courant font en général l'hypothèse que notre compréhension d'autrui, comme de nous mêmes, se base sur des croyances largement diffusées auxquelles adhèrent, avec des intensités différentes, les membres d'une société. Dans un certain sens on pourrait aussi bien parler de théories culturelles, car souvent les auteurs prennent la précaution de préciser qu'il s'agit de théories propres à une culture donnée (p. e. Sampson, 1987). Cependant, d'autres pensent que les théories implicites sont valables pour d'autres époques historiques, du moins pour ce qui est de la caractérisation des personnes et de leurs interactions (Adamopoulos, 1982 ; Adamopoulos et Bontempo, 1986) ou pour d'autres cultures en ce qui concerne, par exemple, le lien entre expressions corporelles et états émotionnels (Rimé, Philippot, Cisamolo, 1990). -
Comme recherche sur l'ancrage des RS dans ce type de croyances, je présenterai ici une investigation sur la représentation sociale des causes de la délinquance (voir Doise et Papastamou, 1987). Dans cette recherche la population étudiée était l'ensemble des étudiant(e)s en première année d'une section de psychologie présent(e)s à un cours obligatoire (N : 95). Le but de la recherche était d'abord d'étudier leurs croyances générales sur les causes de la délinquance et sur les traitements à réserver aux délinquants, mais aussi d'examiner le rôle que ces croyances pouvaient jouer dans leurs explications de cas particuliers. Pour saisir les croyances générales sur les causes de la délinquance, nous avons adopté un questionnaire qui s'était déjà révélé utile pour étudier ces croyances dans une autre population d'étudiants. A ce questionnaire s'ajoutait un ensemble d'items portant plus spécifiquement sur des opinions générales concernant les traitements que notre société réserve aux délinquants : la prison et les soins psychiatriques. Un deuxième questionnaire portait sur la manière dont les mêmes étudiant(e)s réagissaient à l'égard de cas plus concrets de délinquance mineure et plus précisément sur le degré d'acceptation de différentes explications, toutes fortement « réductionnistes ». Ces explications assignaient chaque fois une seule cause pour rendre compte d'un comportement individuel nécessairement inséré dans un tissu de déterminismes multiples. Les items de ces questionnaires ont été retenus pour refléter des positions courantes dans la littérature sur la criminalité et ils ont été rédigés après des entretiens avec des juristes et des psychologues. Le questionnaire sur les explications des cas concrets comprenait quatre pages. Sur chaque page figurait une brève description d'un cas, comme par exemple : « Un fonctionnaire -stagiaire a été surpris par la police en train de couvrir les murs d'un bâtiment public avec des slogans antimilitaristes ». Après avoir lu cette présentation, les interrogés devaient dire pourquoi l'auteur de l'acte en question s'est comporté de la sorte. Pour ce faire, ils prenaient position (sur une échelle en 7 points) à l'égard de quinze explications différentes, Par exemple : «
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l'auteur de cet acte s'est comporté ainsi parce qu'il est psychologiquement déséquilibré » ; ou, « parce qu'il est dépendant de ses options idéologiques ». En fait, parmi ces quinze explications réductionnistes, il y en avait qui proposaient un déterminisme psychologique, d'autres un déterminisme social, et d'autres encore un déterminisme héréditaire ou biologique. La forme d'ancrage qui nous intéresse ici est l'imbrication entre les opinions exprimées sur les cas concrets (deuxième questionnaire) et les opinions générales exprimées dans le premier questionnaire. Résumons d'abord les résultats des analyses factorielles effectuées sur les données des deux parties du premier questionnaire. Trois facteurs ont été retenus pour la première partie. Les items fortement saturés du premier facteur sont tous en rapport avec une explication sociale et économique de la délinquance (l'exploitation et l'inégalité sociales, le système socio économique et la prison génératrice de récidivisme), ceux du deuxième facteur avec une explication biologique (ce sont les trois items les plus refusés par l'ensemble des étudiant(e)s, ils attribuent les causes de la délinquance à des particularités organiques du délinquant, aux lois de l'hérédité et à des anomalies psychiques congénitales), et ceux du troisième facteur avec des explications psychologiques (relations interpersonnelles frustrantes et crise de l'adolescence). En ce qui concerne les traitements à réserver aux délinquants, l'analyse factorielle a de nouveau permis de retenir trois facteurs. Le premier facteur est fortement saturé par trois items affirmant l'efficacité de la prise en charge thérapeutique comme lutte contre la délinquance, comme protection du délinquant contre lui même et comme moyen d'intégration sociale. Le deuxième facteur est fortement saturé pour les items ayant essuyé les refus les plus nets et qui concernent tous le rôle de la prison. Le troisième facteur est associé à un item dénonçant le rôle pervers de la prison et de la psychiatrisation. -
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Ces analyses factorielles nous ont donc appris que des principes organisateurs facilement reconnaissables, en rapport avec des positions environnementalistes, héréditaristes ou psychologisantes, interviennent dans la structuration des croyances générales sur l'origine de la délinquance. D'autres principes organisent les opinions sur les traitements qu'il faut réserver aux délinquants : ils portent sur l'intervention thérapeutique ou sur le rôle de la prison. Mais ces croyances générales jouent elles toutes un même rôle dans la recherche d'explications lors de la confrontation avec des actes concrets ? Pour répondre à cette question, nous nous limitons ici à un compte rendu des résultats d'une analyse de régression qui donne des résultats particulièrement nets (méthode « pas à pas »). Cette analyse fait intervenir comme variables dépendantes les réponses aux quinze items pour chacun des quatre cas concrets, ce qui nous donne soixante analyses. Les variables indépendantes sont les scores factoriels de chaque sujet aux six facteurs (trois pour les causes et trois pour les traitements) du questionnaire sur les opinions générales. Les résultats montrent une très forte supériorité de la valeur prédictive pour les scores du deuxième facteur causal, celui qui est fortement saturé en trois items « héréditaristes ». En effet, trente cinq fois les scores à ce facteur « biologique » sont significativement liés (p <.05) à des explications de cas concrets. Aucun autre facteur n'obtient des liens prédictifs significatifs pour plus de 4 items. -
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Résumons les apports de cette recherche. Elle nous a d'abord permis de retrouver chez des étudiant(e)s au début de leurs études de psychologie une organisation des croyances générales concernant la criminalité qui est facilement interprétable. Mais les principes organisateurs de ces croyances ne sont pas tous d'une même importance pour expliquer des différences d'interprétations de cas concrets de délinquance. Les explications « réductionnistes », d'actes de contestations ou d'atteintes aux biens d'autrui sont plus ou moins fortement rejetées en fonction du degré auquel les sujets refusent des explications « héréditaristes » ou « biologisantes » de la criminalité en général. D'autres conceptions causales plus « environnementalistes » ou psychologisantes », ou des conceptions générales concernant les traitements réservés aux délinquants, prédisent dans une mesure beaucoup moins importante le recours à différentes explications de cas concrets. Tout se passe comme si
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l'adhésion relative à aux explications générales « héréditaristes» ou « biologisantes » prédisposait à l'adoption de toutes sortes d'autres explications pour des cas concrets. Pour ce qui est de la délinquance, nos sujets ont en général des opinions très nettes : ils refusent des explications simplistes et réductionnistes. Au niveau des conceptions générales ils réfutent surtout des explications déterministes de type biologique. Cependant, certains sujets, pour des raisons que notre recherche n'élucide pas, ne partagent pas complètement ce refus et ces mêmes sujets rejettent aussi moins fortement tout un ensemble d'explications de cas concrets. C'est bien une illustration de ce qu'on peut appeler une étude psychologique de l'ancrage des RS.
Cette sorte d'ancrage inscrit les contenus des RS dans la manière dont les individus se situent symboliquement à l'égard des rapports sociaux et des divisions positionnelles et catégorielles propres à un champ social donné. Bien entendu, les sociologues étudient aussi de tels ancrages psychosociologiques et Touraine (1973) a même proposé une théorie des principes d'identité et d'opposition à l'oeuvre dans la manière dont les membres de groupes militants organisent leurs représentations des enjeux et conflits dans un champ social. Mais dans la recherche que je présente ici, je me suis intéressé avec Poeschl (1992) à une opposition encore plus fondamentale et générale, celle qui porte sur la distinction entre les humains et les autres membres du règne animal. Le paradigme utilisé nous a été inspiré par Deconchy (1987). Nous sommes partis de l'idée qu'il existe une représentation de l'intelligence en général applicable aussi bien à l'homme qu'à l'animal mais qui servirait avant tout à différencier l'homme du reste des animaux. La représentation de l'intelligence se modifierait donc quand une comparaison est induite entre l'homme et l'animal. Pour étudier cette modalité d'ancrage, nous avons constitué une liste de 30 items, choisis parce qu'ils ressortent de plusieurs études sur l'intelligence. Cette liste (avec les différents items dans un ordre établi au hasard) est présentée à deux reprises aux sujets ; la moitié d'entre eux évaluent d'abord la pertinence des items pour définir l'intelligence de l'animal ; l'ordre de passation est inversé pour l'autre moitié des sujets. Pour les échelles présentées en première position, le rapport homme animal n'est guère saillant et nous nous attendions à peu de différences entre les deux estimations. En effet une différence significative ne s'est manifestée que pour cinq items. Les différences deviennent par contre beaucoup plus nombreuses pour les items évalués en seconde position, quand une comparaison explicite entre hommes et autres animaux a été induite. [,'ancrage plus explicite des définitions dans la perception des rapports entre espèces accentue la pertinence de quinze traits pour qualifier l'intelligence humaine. Toutefois ces différences ne s'observent guère pour des items en rapport avec l'instinct, domaine qui serait jugé commun aux humains et aux autres animaux. -
Beaucoup d'autres études expérimentales que j'ai menées sur les représentations intergroupes illustrent un même type d'ancrage (voir Doise 1984). Elles ont en commun d'étudier expérimentalement l'intervention des divisions et antagonismes entre groupes dans l'organisation des représentations sociales. Rapportons également un exemple d'ancrage de nature peut être plus psychosociale qui analyse en quelque sorte les conséquences d'une « expérience naturelle » : celle d'être parent d'un ou de plusieurs enfants. Par rapport à cette problématique il me paraît intéressant de comparer deux recherches, l'une de Mugny et Carugati (1985) et l'autre de Himelstein, Graham et Weiner (1991). De nombreuses différences existent entre ces recherches. Par exemple, la première interroge des parents des deux sexes dans le cadre plus général d'une étude sur les RS de l'intelligence, la seconde se base sur un questionnaire qui a été adressé uniquement aux -
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mères avec un ou plusieurs enfants. Cependant, les résultats empiriques vont pour l'essentiel dans le même sens. Ils montrent que les parents ont davantage recours à des facteurs dits dispositionnels, notamment de nature génétique et biologique, pour expliquer l'intelligence et d'autres caractéristiques de leurs enfants quand ils en ont plusieurs, tandis que des facteurs environnementaux sont jugés plus explicatifs dans le même domaine par les parents d'enfants uniques. Voyons maintenant quel type d'explications sont avancées par les différents auteurs face à des résultats similaires. Himelstein et ses collègues se réclament de la théorie de l'attribution pour interpréter cette différence d'explications chez des mères avec un ou plusieurs enfants. Il s'agit d'une illustration du processus cognitif de la covariation : pour une pratique familiale considérée comme constante les facteurs de variation entre plusieurs enfants d'une même famille ne peuvent être situes qu' 1 au niveau des différences existant entre ces enfants. Par contre, lorsqu'elles n'ont qu'un seul enfant, les mères peuvent considérer l'éducation familiale comme principale responsable des caractéristiques de leur enfant, surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant doué. Ce dernier résultat est expliqué par un principe hédonique qui veut que des individus s'attribuent volontiers la responsabilité d'effets désirables. Mugny et Carugati dont la recherche a été publiée plusieurs années avant celle de leurs collègues de l'Université de Californie ne rejetteraient sans doute pas l'explication de leurs collègues. Ils insistent sur l'élément d'étrangeté introduit dans le cadre familial par les différences entre enfants qui mènent les parents à rechercher une explication compatible avec une identité parentale positive. Cette recherche serait d'autant plus intense qu'il y a conflit entre différentes responsabilités comme celles de parent et d'enseignant, ou encore comme celle de mère et de personne professionnellement active en dehors de la famille. Leur conclusion se lit ainsi : « En résumé les représentations sociales, et de l'intelligence en particulier, se structurent et évoluent selon les « aléas » des expériences quotidiennes, en une double fonction sociocognitive supposant autant de fonctionnements sociocognitifs particuliers : d'une part la construction d'un univers social mentalement intelligible et cohérent, et d'autre part l'élaboration d'une identité sociale et personnelle gratifiante, c'est à dire compatible avec des systèmes de normes et de valeurs socialement et historiquement déterminés ». (Mugny et Carugati, 1985, p. 183). -
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Donc il y a convergence, surtout pour ce qui est de l'invocation de processus cognitifs, entre une approche qui se réclame de l'étude des RS et une autre qui semble ignorer ce courant de recherches. Mais ce qui me semble caractéristique de l'explication en termes de RS de mes deux collègues européens est leur analyse de l'ancrage de ces fonctionnements cognitifs dans une dynamique d'identité, c'est à dire dans la manière dont des individus, ici les parents, sont amenés à se définir par rapport à d'autres éléments importants dans leur champ social, leurs enfants, leurs engagements familiaux et professionnels. -
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Lorsqu'on compare les opinions et croyances de différents groupes on fait nécessairement l'hypothèse que des expériences communes aux membres de chaque groupe, leur insertion spécifique dans un ensemble de rapports sociaux partagés, donnent lieu à des dynamiques représentationnelles semblables. Des méthodes pour découvrir a posteriori des liens entre représentations et appartenances sociales, peuvent être très utiles pour vérifier quelles appartenances donnent lieu à quelles représentations. Une des méthodes, souvent utilisée, est l'analyse discriminante. Elle a pour but de rechercher quelles variables, parmi un ensemble de variables considérées comme dépendantes, différencient le mieux des groupes définis préalablement tout en caractérisant le mieux chacun de ces groupes.
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Ici je rapporte les résultats d'une recherche utilisant une autre méthode permettant de différencier entre groupes : l'analyse de segmentation ou de détection automatique des interactions. Cette méthode (voir Bacher, 1982) cherche systématiquement quelle variable indépendante donne lieu avant toutes les autres à une répartition de la population étudiée en deux sous groupes ou segments de sorte que, pour une variable dépendante (par exemple des scores factoriels), la différence entre les moyennes de ces deux groupes soit la plus grande possible. La procédure est répétée pour les deux sous groupes ainsi constitués dont chacun peut éventuellement de nouveau être sous divisé en deux parties différentes eu égard à d'autres variables indépendantes. La procédure s'arrête quand les segmentations successives aboutissent à la constitution de sous-groupes trop réduits ou quand les différences entre sous groupes deviennent peu importantes. -
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Cette méthode a été utilisée pour ré analyser certains résultats d'une enquête effectuée à Genève (voir Doise, 1985). Lors de cette enquête auprès d'élèves d'écoles secondaires, une question à été empruntée à une étude de Deschamps, Lorenzi Cioldi et Meyer (1982). Ils avaient demandé à des élèves d'indiquer s'ils parlaient, par exemple, plus ou moins souvent de motos, d'argent, de sorties nocturnes, d'expériences sexuelles (sujets concrets) ou de politique, des études, de morale, de religion ou d'art (sujets abstraits). Les premiers sujets de conversation étaient plus souvent abordés par les Pratiques et les derniers par les Classiques, les fréquences pour les Modernes se trouvant être intermédiaires. -
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Les mêmes seize thèmes de discussion étaient présentés dans notre recherche mais cette fois-ci il était précisé qu'il s'agissait de discussions avec les parents. Dans un premier temps une analyse en composantes principales a permis de dégager plusieurs facteurs. Le premier facteur étant peu intéressant car il avait obtenu des saturations positives et significatives à tous les items, je donne ici les résultats pour le deuxième facteur. Ce facteur, expliquant 11,3 % de la variance totale, donne des saturations positives de plus 0,20 à cinq items : communisme (0,63), politique (0,63), art (0,45), vie dans la nature (0,34), et vie communautaire (0,25) et des saturations négatives plus importantes que 0,20 à quatre items : sorties ( 0,51), habillement ( 0,39), loisirs ( 0,32) et argent (0,24). Le facteur oppose ainsi des thèmes plus éloignés des préoccupations quotidiennes (pôle positif) à des thèmes plus concrets (pôle négatif). Les résultats de l'analyse de variance montrent que les élèves de la section scientifique ou d'origine " supérieure » obtiennent les scores factoriels les plus positifs, et que ceux de la Générale ou d'origine sociale « inférieure " ont en moyenne des scores négatifs, les autres groupes obtenant chaque fois des scores intermédiaires. -
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Pour effectuer l'analyse de la segmentation les scores factoriels ont été utilisés comme variable dépendante, les appartenances socioéconomiques, scolaires et nationales comme variables indépendantes. La segmentation la plus importante différencie les élèves de la Générale (score moyen 0,2 1) et ceux des autres sections (score moyen + 0,22), différence significative à un seuil de 0,00 1. Pour l'ensemble des élèves de ces autres sections (Scientifique, Latine Moderne) aucune différence significative ne se manifeste à un seuil de 0,05, ni en fonction de l'origine sociale (tendance significative à 0,10), ni en fonction du sexe ou des nationalités. Par contre, pour les élèves de la Générale une nouvelle segmentation se manifeste selon l'origine sociale les élèves d'origine « inférieure » (score moyen 0,35) se différenciant significativement (à un seuil de 0,05) de l'ensemble des autres élèves (score moyen : 0,01). Les élèves d'une origine sociale « moyenne » ou « supérieure » qui se retrouvent dans une section qui leur est sociologiquement moins appropriée se rapprochent donc des élèves des sections plus prestigieuses pour ce qui est de leurs réponses à une épreuve qui évoque l'univers familial. -
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Nous avons distingué trois sortes d'ancrages et apporté une illustration empirique pour chacune d'entre elles. Les méthodes d'investigation pratiquées lors de ces études étaient différentes. Dans une autre publication (Doise, Clémence et Lorenzi Cioldi, 1992) des analyses beaucoup plus détaillées sont offertes portant sur les liens privilégies qui existent entre méthodes d'analyse de données et objets théoriques dans l'étude des RS. -
Pour ce qui est de l'étude de l'ancrage plusieurs méthodes d'analyse de données sont donc disponibles. Une famille de méthodes regroupe celles qui sont de type factoriel. Leur origine se trouve dans la psychologie différentielle et elles sont particulièrement bien adaptées pour retrouver des structures dans l'organisation des différences entre individus. Elles sont basées sur des corrélations, sur des liens entre variations de deux ou plusieurs caractéristiques chez différents individus. L'analyse de la régression montre laquelle de ces caractéristiques intervient le plus dans la variation des autres. Ce n'est donc pas un hasard si ces méthodes sont particulièrement utiles pour l'étude de l'ancrage psychologique qui porte par définition sur les liens entre modalités d'adhésion à des croyances et représentations qui varient selon les individus. A l'autre pôle nous avons rencontré des méthodes qui, comme l'analyse discriminante ou comme l'analyse de segmentation, cherchent à différencier des groupes en fonction de différentes variables. Ces méthodes semblent tout indiquées dans le cas où des appartenances groupales sont censées entretenir des rapports privilégiés avec des représentations données, autrement dit pour étudier l'ancrage sociologique des représentations. Ces deux grandes familles de méthodes ne sont pas celles qui sont les plus fréquentées par les psychologues sociaux qui n'ont pas comme but principal de rendre compte de différences entre groupes ou entre individus mais qui consacrent davantage leurs efforts à l'étude des mécanismes qui relient dynamiques individuelles et sociales. Même si pour comprendre ces mécanismes des indications précieuses peuvent être fournies par l'étude de l'organisation des différences individuelles ou par l'analyse de la spécificité de certains groupes, beaucoup de psychologues sociaux pratiquent une voie plus directe, celle qui consiste à varier systématiquement, voire expérimentalement, la pertinence de certaines dynamiques de comparaison sociale pour étudier leur effet sur des fonctionnements individuels. C'est la voie que nous avons utilisée ici pour illustrer l'étude de l'ancrage psychosociologique. N'en concluons pas pour autant qu'une homologie stricte existe entre démarches théoriques et méthodologiques. Cependant, il faut regretter que les auteurs explicitent trop rarement les implications théoriques des méthodes qu'ils utilisent. Ainsi les méthodes de type factoriel, souvent utilisées, impliquent une conception fondamentalement différentialiste des RS, ce qui semble complètement échapper aux nombreux auteurs qui considèrent les RS comme des opinions consensuelles. Le moins qu'on puisse dire est qu'il y a problème. Je pense qu'une définition des RS comme des principes organisateurs de prises de position par rapport à des repères communs permet de résoudre ce problème.. Les recherches présentées ici ne font pas intervenir l'ensemble des méthodes quantitatives disponibles pour étudier l'ancrage des RS. Par exemple l'analyse factorielle des correspondances peut être très adéquate, surtout quand elle introduit des appartenances catégorielles comme variables supplémentaires. A ce sujet il faut aussi signaler que plusieurs méthodes peuvent être combinées, comme le montre Lorenzi Cioldi (1988) quand il combine études expérimentales et analyses factorielles des correspondances en y introduisant les conditions expérimentales comme variables supplémentaires. -
Pour conclure, rappelons notre mise en garde initiale contre une étude des RS qui se contenterait d'en étudier d'une manière descriptive l'objectivation et négligerait l'étude de leur ancrage dans les dynamiques symboliques intervenant dans les rapports sociaux. Malgré la très grande sophistication dans l'utilisation de programmes automatiques d'analyses de données dont les pratiquants affichent parfois un air de « nouveaux riches », il reste
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vrai que toute étude purement descriptive des RS risque d'en occulter l'ancrage dans les rapports symboliques entre acteurs sociaux. Une telle occultation est d'autant plus dangereuse qu'elle se couvre d'un manteau de respectabilité méthodologique et se pratique parfois lors de traitements de résultats qui n'ont apparemment rien à voir avec l'étude des RS. Quand des anthropologues appliquent des programmes d'analyses de données à l'étude de similitudes biologiques entre groupes ethniques, ils ne pensent pas nécessairement actualiser des RS. Pourtant des méthodes différentes, mais toutes aussi « scientifiques », peuvent ancrer leur présentation des résultats dans des univers représentationnels très différents qui en l'occurrence fonctionnent comme des théories scientifiques. L'une de ces théories est héritée du dix neuvième siècle et accentue les différences entre groupes raciaux, réservant un statut à part à des groupes africains qui se trouveraient plus proches que les autres de certains groupes de primates non humains. Des représentations graphiques des résultats de classifications hiérarchiques accentuant les différences entre familles de populations (voir Stringer, 1991) s'ancrent dans de telles conceptions tout en les renforçant. Une autre théorie insiste (à la suite de Malécot, 1948) sur l'importance de l'échange génétique entre populations en fonction de la distance géographique. Les chercheurs qui s'en réclament utilisent pour analyser les mêmes données une méthode d'analyse multidimensionnelle qui projette les groupes étudiés dans des espaces à deux dimensions entre populations du globe (voir Sanchez Mazas et Lancraney, 1988). Il s'agit bien entendu de formes particulières d'ancrages représentationnels qui revêtent une importance qui déborde les limites habituelles du champ des études sur les RS. -
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