WONG Wan-Fei-Catherine TD 15
Droit des obligations Dissertation : « Faut-il sauver le soldat cause ? »
Le vieillissement du code civil de 1804, socle du droit des contrats, resté presque inchangé depuis deux siècles, cumulé avec l’internationalisation du droit des contrats et surtout les projets d’uniformisation européens suscitent l’idée d’une réforme du Code civil. Plusieurs projets ont été rédigés notamment par la Chancellerie elle-même, connu sous le titre de « projet de réforme du droit des contrats » rendu public en 2008. L’article 49 de ce projet a une importance particulière dans la mesure où la cause ne figure plus parmi les conditions de validité du contrat. Pourtant la théorie de la cause est une très ancienne théorie qui s’est dégagée dès le XIIème siècle, à partir du droit canonique, dans les Sentences de Pierre Lombard et dans la Concordance des Canons de Gratien où les auteurs rappellent la valeur des actes humains et la gravité des engagements dont le simple respect de la forme, comme condition de validité du contrat, n’est pas suffisant. Le contrat doit également avoir une cause, définie comme le « but économique que recherchait le promettant en s’obligeant ». Cette théorie est également envisagée dans plusieurs articles du Code civil de 1804. Elle est une condition de validité du contrat dans l’article 1108 du Code civil à côté du consentement, la capacité et l’objet. L’article 1131 précise que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». Ces deux articles fondent l’exidence de la cause au stade de la formation du contrat en droit français. Cependant, si plusieurs autres articles du Code Civil lui sont consacrés, aucun n’en donne une définition précise et concrète de la notion de cause. Sans une telle définition, la notion de cause ne peut être en théorie correctement appliquée. Ainsi, depuis début du XIXème siècle, « la cause inutile » fût alors le slogan que scandaient les anti-causalistes menés par Planiol. Fuzier-Herman soulignait que l’idée de cause « constituait une complication inutile et une source de confusion ». Ainsi avec le projet de réforme de la Chancellerie, se pose la question de la pérennité de la théorie de la cause. La cause a-t-elle encore sa place dans le droit français ou doit-elle être supprimée?
Parmi les diverses doctrines qui se sont élaborées à ce sujet. Deux vagues s’opposent : Certains considèrent la cause comme un élément compromettant la stabilité contractuelle dont la suppression est nécessaire pour la sécurité juridique dans le droit interne français (I). Tandis que d’autres l’envisagent comme un instrument de contrôle du juge essentiel pour apprécier la justice contractuelle (II).
I.
Instrument compromettant la stabilité contractuelle mais maintenu dans l’ordre interne français
La cause, dans le droit des contrats, est une notion considérée comme « subtile », « l’une des plus incertaines du Code civil », « ambigüe » et « délicate ». Cette imprécision implique nécessairement une inflation doctrinale dans laquelle la plupart des auteurs en ont proposé une définition.Elle n’en demeure pas moins un facteur d’instabilité juridique (A) qui incarne une menace potentielle pour la sécurité juridique (B). A. Notion imprécise, facteur d’instabilité juridique Selon le professeur Mazeaud, « si vous avez bien compris la cause, c’est qu’on vous a mal expliquée ». En effet, face à la manque de précision du Code civil sur la notion de cause, la doctrine et la jurisprudence tentent de combler ces lacunes. A partir de l’article 1108 et 1131 du Code civil, la jurisprudence a mené une analyse dualiste de la notion de cause qui recouvre deux intérêts distincts mais interdépendants. Le premier intérêt est la contrepartie immédiate que le débiteur reçoit en contrepartie de son engagement. Le second intérêt recouvre les mobiles qui ont pu pousser une partie à s’engager. Il s’agit respectivement de la théorie cause objective (ou cause de l’obligation), repris à l’article 1131 du Code Civil, et de la théorie cause subjective (ou cause du contrat), fondée sur l’article 1133. Néanmoins des arrêts tendent à lier les deux conceptions qui se traduit par une subjectivisation de la cause objective. Cette cause objective subjectivisée laisse toute liberté au juge pour rechercher parmi les motifs qui ont poussé les parties à contracter, celui qui aurait déterminé le consentement, et pour évaluer si le contrat a permis de réaliser ce motif. En effet, par un arrêt de la Première Chambre civile, rendu le 3 juillet 1996 dans l’affaire « Point club vidéo », la Cour affirme que l’absence de cause résulte de l’impossibilité d’exécuter le contrat selon l’économie voulue par les parties. En l’espèce, un point club vidéo, dont l’activité s’avère par la suite déficitaire, avait été ouvert dans un village de 1134 habitants. La Cour décide alors que la cause, mobile déterminant ayant incité le couple à contracter, était la diffusion certaine des cassettes vidéos auprès de leur clientèle et non pas la mise à disposition des vidéos cassettes. Elle en avait donc conclu qie dans une commune comportant un nombre aussi restreint d’habitants, l’objectif de la diffusion certaine ne pouvait être atteint, ce qui justifiait de prononcer la nullité pour absence de cause. Cette solution a été fortement critiquée en ce qu’elle pouvait être source d’insécurité juridique. Elle risque de remettre en cause tous contrats où l’activité était déficiare. Et pire encore, tout contractant déçu par une affaire pourrait arguer de ce que le contrat est nul pour absence de cause pour se dégager d’une affaire devenue importune transformant. La cause est alors à juste tire qualifiée d’« hypogriffe impossible à maîtriser ». Comme le dit le professeur Ghestin, « l’obscurité de cette notion, la diversité de ses définitions selon la fonction qu’elle est amenée à remplir, en font la providence des plaideurs, parfois des juges et même des auteurs en panne d’arguments juridiques ».
Inflichissement de la cause illicite et immorale Cette complexité de la notion de cause l’a rendu inconnu de la plupart des pays d’Europe. Par conséquent, la notion de cause est absente dans les grandes codifications privées internationales et dans les projets d’harmonisation du droit européen des contrats puisque ni les principes Unidroit, ni la Convention de Vienne, ni l’avant-projet de réforme de code européen des contrats, ni les principes du droit européen du contrat ne reprennent explicitement cette notion. La France est l’un des rares pays à exiger une cause comme une condition de validité des contrats. En effet, seule l’Italie, l’Espagne, le Liban, le Québec et la Louisiane l’ont repris dans leur Code civil. A l’occasion de ce projet de réforme de la Chancellerie, certains préconisent sa substitution par la notion d’intérêt. B. Suppression symbolique de la notion de cause A l’heure où l’Union Européenne souhaite élaborer un cadre commun de référence codifiant au niveau européen le droit des contrats, à l’heure où en France l’ancien projet dit « Catala » et aujourd’hui le nouveau projet de la Chancellerie souhaite réformer le Titre III du Livre III du Code civil concernant la matière contractuelle, quel avenir pour la cause. Au niveau international, quatre projets de droit des contrats retiennent l’attention ; le projet de code européen des obligations ou projet Gandolfi, les principes européens du droit des contrats établis par la commission Lando, les Principes directeurs du droit des contrats ainsi que les principes d’UNIDROIT. Dans ces projets, au mécanisme de l’existence de la cause est préféré celui de la lésion qualifiée qui permet le rééquilibrage du contrat en cas de disproportion évidente entre les prestations si cette disproportion a été déterminée par l’exploitation de la gêne, de la légèreté, de l’inexpérience de l’une des parties par l’autre. Le juge devrait donc, pour pouvoir procéder à la rescision du contrat, apprécier la disproportion manifeste entre les prestations, la valeur du consentement lésé, la faute de l’autre partie. Néanmoins, la lésion qualifiée se distingue de la cause, dans la mesure où celle-ci ne propose qu’un rééquilibrage des contrats en faveur du plus faible alors que la cause assure l’accomplissement de son intérêt pour tout contractant. Autant dans l’ancien projet européen Catala, la cause a été légitimé dans toutes ses applications jurisprudentielles, autant dans le nouveau projet de la Chancellerie, la notion de cause est vouée à la disparition au profit de la notion d’intérêt. Néanmoins, la notion d’intérêt ne semble pas être plus définie que ne l’était la notion de cause puisque l’intérêt n’est également pas défini dans le projet. L’article 86 du projet précise que « le contrat est nul faute d’intérêt lorsque dès l’origine la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est nulle ou dérisoire ». Néanmoins, l’article 86 du projet de projet qui précise que « le contrat est nul faute d’intérêt lorsque dès l’origine la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est nulle ou dérisoire » et l’article 87 qui affirme que « la clause vidant le contrat de son intérêt est réputée non écrite » ne reprennent en réalité la jurisprudence Chronopost relative à une subjectivisation de la cause objective. En d’autres termes, la substitution de la notion de cause par celle d’intérêt ne règle pas l’insécurité contractuelle puisqu’il s’agit uniquement d’une réqualification de la notion de cause. L’existence d’intérêt au contrat sera contrôlée par les tribunaux français à l’instar de l’existence de la cause d’aujourd’hui. Comme le souligne le Groupe de travail de l’Académie des sciences morales et politiques, « les fonctions de la cause survivaient à sa disparition. » Finalement le projet de réforme a plus une portée symbolique que concréte. Ainsi selon Larroumet dans De la cause de l’obligation à l’intérêt du contrat, si la cause est réellement un élément dangereux à la sécurité publique, il suffit simplement à la
supprimer, à l’achever tout à fait de l’ordre juridique interne et non la réincarner dans l’intérêt. Cet attachement traduit une certaine importance à la notion de cause. En conséquence, bien que certains voient dans le projet de réforme du droit des contrats préparé par la Chancellerien « une modernisation incontestable et souhaitable de notre droit des contrats » (selon Fabre-Magana), d’autres craignent un « maladroit copier-coller de l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la préscription européens du droit des contrats, dès lors dépourvu de cohérence ». Selon Cabrillac, « les applications de la cause élaborées par la jurisprudence donnent satisfaction aux praticiens malgré la prétendue obscurité de la notion ». En effet, plus qu’un élément compromettant la stabilité contractuelle, la cause est avant tout un instrument nécessaire au juge pour contrôler l’équilibre des conventions. -
II.
« supprimer la cause de notre droit serait donc funeste (…). En vérité, plus que jamais, le droit moderne a besoin d’un concept à la fois général et technique comme la cause, capable d’appréhender l’infinie diversité des problèmes de droit et de prévenir les abus » tournafond Instrument nécessaire au contrôle de l’équilibre des conventions sur le fondement d’une justice contractuelle
La cause est un instrument de contrôle sur l’équilibre des contrats. En effet, elle permet au juge de prendre en compte les mobiles individuels des parties (A) mais également de contrôler l’intérêt du contrat. (B) A. Protection individuelle des contractants. Selon Ghozi et Lequette, « l’obscurité de la matière tient à quelques décisions (…) qui ont entrepris de faire jouer à la cause un rôle différent de celui pour lequel elle est faite». La notion de cause, grâce à l’évolution jurisprudentielle prenant en considération l’intérêt des parties dans le contrat a un effet de protection de la partie faible ou lésée en droit français. Le contrôle de l’existence de la cause ne donne pas lieu à un contrôle de l’équivalence des prestations. D’après l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 5 juillet 1995, le juge doit a priori seulement vérifier que la cause de l’engagement existe ou qu’elle n’est pas dérisoire. L’obligation de l’un des contractants a une cause dès lors que l’autre partie lui fournit une contreparite réelle, même si celle-ci est inférieure à la première. Néanmoins, dans un arrêt du 14 octobre 1997, la Cour de cassation admet qu’une contrepartie dérisoire justifie l’annulation du contrat pour absence de cause. En effet, la chambre commerciale a jugé « qu’ayant souverainement estimé qu’au regard de l’engagement de l’exploitant de la brasserie l’avantage procuré par la société GBN apparaît dérisoire, la cour d’appel en avait justement déduit que le contrat litigieux était nul pour absence de cause ». Cette solution a été récemment confirmée par un arrêt de la chambre commerciale du 8 février 2005. Dans les deux arrêts, il s’agissait de personnes s’étant portées caution d’exploitants de fonds de commerce pour l’exécution de contrats d’approvisionnement. Cet arrêt marque l’émergence d’un principe de proportionnalité qui permettrait d’annuler pour absence de cause un contrat révélant une disproportion économique des prestations réciproques. Cette solution est confirmée par l’avant-projet Catala. Preuve que la justice contractuelle est une préoccupation du juge d’aujourd’hui, la cause de l’article 1131 du Code civil a fait l’objet d’une énième déformation, permettant au juge de contrôler sur son fondement, l’équivalence des prestations dans un contrat.
La Cour de Cassation a continué ces dernières années à utiliser toutes les ressources de la cause pour parvenir à instaurer une certaine justice contractuelle. Ainsi, dans un arrêt du 11 mars 2003, la première chambre civile a accepté de prendre en considération l’absence partielle de cause, plus précisément sa fausseté partielle. En effet, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « la fausseté partielle de la cause n’entraîne pas l’annulation de l’obligation mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistance ». Cet arrêt consacre un principe d’équivalence des prestations, sur le fondement duquel, le juge pourra s’introduire dans un contrat, apprécier la valeur de chaque prestation, et les réduire ou les augmenter à sa guise afin de parvenir à l’équilibre absolu d’un contrat unilatéral puisque l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 avril 2007 instaure une limite à ce principe d’équivalence en refusant de l’appliquer dans le cadre de contrats synallagmatiques. L’utilisation de la cause pour éliminer les clauses problématiques d’un contrat et rééquilibrer les contrats, procède d’une démarche noble mettant en avant la justice contractuelle. B. La maintien nécessaire de la thérie de la cause dans le droit français La disparition de la théorie de cause du droit français porterait atteinte à la justice contractuelle en empêchant le juge de priver d’effet un engagement qui n’a aucune raison d’être sur le plan juridique et économique et qui n’est, que le fruit d’un rapport de force ou d’une situation de domination, puisque la théorie de la cause permet d’éliminer du commerce juridique les marchés dupes et les contrats gravement déséquilibrés. -
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Instrument général de mesure de l’équilibre contractuel sans avoir à élaborer une multitude de régimes spéciaux de protection, propre à telle ou telle situation, régimes spéciaux qui contribuent gravement à l’inflation législative et privent progressivement notre droit de toute cohérence.