Alice Miller
Alice Miller
Le drame de l'enfant doué A la recherche du vrai Soi Traduit de l'allemand par Bert r and Denz l er et revu par Jeanne Etoré
Presses Universitaires de France
Le présent ouvrage est la traduction française de Das
Drama
des
Alice MILLER
begabten
Kindes
und
die Suche
nach dem
wahren
Selbst
Le présent ouvrage est la traduction française de Das
Drama
des
begabten
Kindes
und
die Suche
nach dem
Alice MILLER Suhrkamp Verlag, Frankfurt-am-Main, 1979 © 1983 Alice Miller Le texte français a été autorisé par Alice Miller
ISBN ISBN 2 13 045211 6 ISSN 0768-066x
Dépôt légal 1" édition : 1983, novembre 7e édition mise à jour : 1993, janvier © Presses Universitaires de France, 1983 108, boulevard Saint-Germain, 76006 Paris
Sommaire
wahren
Selbst
Sommaire
Mise au point 1991
3
AVANT-PROPOS
7
Le drame de l'enfant doué et le trouble narcissique du psychanalyste
Introduction Le pauv pa uvre re enfant enfa nt riche Le monde perd u des sent imen ts A la recherch rech erchee du vr ai Soi La situa tion du psycha psy chanaly naly ste Remarqu Rem arqu es finales finales
15 16 21 26 34 39
La dépression et la grandiosité : deux formes parentes du trouble narcissique
Introduction
45
Destins Dest ins des besoins narcissiques narciss iques
46
I Narcissisme Narcissism e sain II Le troub tro uble le narcissique narcis sique 1. La grandiosité, grandiosité, 53 2. La dépression, revers de la grandiosité, 57
47 49
2
| LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
La légende légend e de Narcisse Narcis se
64
2
| LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
La légende légend e de Narcisse Narcis se Phases dépressi dépressives ves pend pe ndan an t l'analyse 1. Fonction de signal, 66 2. « Ecrasement du Soi », 66 3. De forts affects « en gestation », 67 4. Confrontation avec l'introject, 67
64 65
La prison intérieu re et le travail trav ail analytiq ana lytiq ue Un aspect aspec t social de la dépression dépre ssion Points communs avec quelques théories concernant la dépression
68 74 77
Du mépris
L'humiliation de l'enfant , le mépris de la faiblesse et ce qui s'ensui s'e nsuit. t. Exemple Exe mple s tirés de la vie quotid quo tidien ienne ne Le mépris intr ojec té dans le miroir de la psychana psyc hanalyse lyse I La compulsion de rép étit ét ition ion , « voix cassée » du Soi II La perpétuation du mépris dans la perversion et dans da ns la névrose névr ose obsessionnelle III La « dépravation » dans l'enfance de Hermann Hesse comme comm e exemple exe mple du « mal ma l » concre con crett
81 93 93 101 108
IV La mère des premières années de la vie comme inte rmédia rmé diaire ire de la société société 116 116 V La solitude soli tude de celui qui méprise mép rise 120 VI Libérati Libé ration on des introjec intr ojects ts mépri mé prisan sants ts
1266 12
BIBLIOGRAPHIE
131
Mise au point 1991
Mise au point 1991
Près de dix ans se sont écoulés depuis la parution de mes trois premiers livres : Le drame de l'enfant doué, C'est pour ton bien, L'enfant sous terreur 1 . Néanmoins, les faits et les con nexions que j'y ai exposés, en me fondant sur de longues années de pratique, sont restés tout aussi valables et, malheureusement, actuels. Mais ce qui a radicalement changé, c'est mon attitude envers la psychanalyse, dont je me suis séparée depuis ; j'ai officialisé cette rupture en 1988 en quittant la Société suisse de Psychanalyse et l'Association psychanalytique internationale. Je me suis vue contrainte à cette démarche lorsque j'ai pris conscience que la théorie et la pratique psychanalytiques dissi mulent ou travestissent les causes et les conséquences des mauvais traitements infligés aux enfants, notamment en qualifiant les faits de fantasmes. En outre, je le sais par expérience, de tels traite ments peuvent être dangereux, car ils cimentent le désarroi issu des tourments de l'enfance au lieu d'y mettre fin. Il y a dix ans, je ne voyais pas encore tout cela aussi claire ment : mes études de philosophie, ma formation et ma pratique de psychanalyste m'ont longtemps rendue aveugle à nombre de réalités. Lorsque j'ai été prête à lever mon refoulement, à libérer mon enfance de la prison des conceptions pédagogiques et des théories psychanalytiques ; lorsque, refusant l'idéologie de l'oubli et du pardon, je me suis alliée à l'enfant maltraité dont ma thé1. Das Drama des begabten Kindes
(1979), Am Anfang war Erziehung
(1980) et Du sollst nicht merken (1981) ont été traduits en français en 1983, 1984 et 1986.
4 | LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
rapie m'a appris à écouter la voix, alors seulement j'ai peu à peu découvert déc ouvert ma propre histoire ; jusque-là, elle m'était restée
4 | LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
rapie m'a appris à écouter la voix, alors seulement j'ai peu à peu découvert déc ouvert ma propre histoire ; jusque-là, elle m'était restée totalement cachée. J'ai décrit le chemin par lequel j'ai pu accéder à cette histoire et à de nouvelles connaissances dans les ouvrages parus depuis 1985 : Images d'une enfance , La connaissance interdite , La souffrance muette de l'enfant e t Abattre le mur du silence 2 . Mais mes trois premiers livres marquent le début de cette évolu tion : c'est en les écrivant que j'ai commencé à étudier systémati quement des enfances, y compris la mienne. Grâce au travail accompli pour ces trois livres, grâce aussi, par la suite, aux résultats d'une thérapie qui m'a conduite méthodiquement et précautionneusement vers la vérité, j'ai enfin pu voir ce qui, pendant vingt années d'activité analytique, m'était demeuré caché, en dépit de ma critique de la théorie des pulsions. Je dois cette information à mes lectrices et à mes lecteurs. Leurs lettres, en effet, m'apprennent que certains d'entre eux, après avoir lu mes premiers livres, ont malheureusement décidé d'entreprendre une formation ou un traitement psychanalytique, croyant que mes idées reflétaient celles des psychanalystes d'aujourd'hui. C'est là une profonde erreur. Même pendant ces dix dernières années, la doctrine de la psychanalyse n'a pas varié, et je ne connais, quant à moi, aucun psychanalyste qui veuille encore se définir comme tel après avoir intégré l'apport de mes livres. A mon avis, ce serait d'ailleurs impossible : un thérapeute parvenu à accéder émotionnellement à sa propre enfance démarche que j'estime indispensable ne peut rester aveugle au fait que la psychanalyse veut précisément éviter à tout prix l'ouverture de cette porte-là. Et si, encore maintenant, on me présente souvent comme psychanalyste, c'est uniquement parce que je n'en ai pas été informée, ou bien que je l'ai été trop tard pour pouvoir rectifier cette erreur. J'aurais voulu, bien entendu, pouvoir exprimer ce que je sais aujourd'hui dans les rééditions de mes trois premiers livres, et en retravailler certains passages. J'ai toutefois décidé de ne pas le
2. Paris , Aubier, 1987, 1990 et 1991.
MISE AU POINT 1991 | 5 faire, afin de ne pas dissimuler mon évolution au lecteur. Je ne puis donc que l'inviter à se référer à mes publications ultérieures :
MISE AU POINT 1991 | 5 faire, afin de ne pas dissimuler mon évolution au lecteur. Je ne puis donc que l'inviter à se référer à mes publications ultérieures : les questions qu'il aura pu se poser, ainsi que des contradictions apparentes, y ont été prises en compte, et j'ai tenté d'apporter des réponses et des éclaircissements détaillés. Il y trouvera égale ment la démonstration de ce que j'avance ici. La lutte contre la vérité perd peu à peu du terrain : nous dispo sons à présent d'une nouvelle possibilité thérapeutique, que je mentionne dans mes derniers livres. Cette thérapie permet à quiconque le souhaite de lever son refoulement et d'accéder à la vérité. Aussi la psychanalyse a-t-elle déjà fait son temps, même si ses représentants, toujours enfermés dans leur système mystifi cateur, ne le savent pas. Beaucoup de ceux qui cherchent de l'aide commencent à regarder de plus près leurs « secoureurs » potentiels et les opinions qu'ils professent, font preuve d'esprit critique et ne se livrent plus au premier venu. En revanche, lorsque l'on a derrière soi de longues années d'analyse, il est très difficile de sortir du labyrinthe des idées fausses, et du sentiment constant de culpabilité. Il m'a fallu personnellement quinze ans pour mener à bien ce processus de libération : de 1973, où la peinture spontanée m'a fait découvrir la vérité, vérit é, à 1988, où j'ai enfin pu la formuler sans restriction. Enfermés dans leur sphère et presque totalement coupés du progrès des connaissances, les patients et les adeptes de la psycha nalyse ignorent, comme cela a été mon cas pendant si longtemps, qu'il existe déjà, pour accéder à sa propre enfance, une voie qui n'est point dangereuse, fragmentaire, hasardeuse ni source de confusion (l'emploi irresponsable de différentes techniques soidisant modernes est hélas très fréquent), mais se montre au contraire bienfaisante, méthodique, globale, éclairante, et n'est liée qu'à la recherche de la vérité. Comment le sauraient-ils, puisque leurs maîtres se refusent à en prendre connaissance, par peur, justement, de cette découverte de l'enfance ? Ils ont peur de leur propre histoire, de la simple vérité des faits que cette thérapie met au jour. Cette peur, Sigmund Freud l'a exorcisée en contestant la possibilité d'un accès vérifiable à la réalité de l'enfance, et en limitant le travail de l'analyste au domaine des fantasmes du patient. Le thérapeute suisse J. Konrad Stettbacher a décrit sous le
6
| LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Pourquoi la souffrance ? La rencontre salvatrice avec sa propre histoire (Paris, Aubier, 1991) la méthode qu'il a mise au
titre
6
| LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Pourquoi la souffrance ? La rencontre salvatrice avec sa propre histoire (Paris, Aubier, 1991) la méthode qu'il a mise au
titre
point et que j'ai notamment expérimentée sur moi-même. Elle peut permettre à nombre d'hommes et de femmes, même sans l'aide d'un thérapeute, d'approcher systématiquement, pas à pas, leur enfance, et d'accepter de savoir ce qu'ils avaient refoulé. Connaissant leur propre histoire, ils cesseront de se montrer réceptifs aux idéolo gies, spéculations et pieux mensonges ces aides fallacieuses , parce qu'ils n'auront plus besoin de s'aveugler pour se protéger de l'angoisse. Lorsqu'on est devenu véritablement soi-même, on n'a plus besoin d'avoir peur de la réalité et de la fuir. Alors, les dogmes pédagogiques et les spéculations philosophiques et psychanalytiques, ces masques de la réalité, seront dépossédés de leur pouvoir. Ils devront faire place à la transparence et au vérifiable.
Avant-propos
Avant-propos
« Lorsqu'un sot jette une pierre dans l'eau, dit un vieux proverbe, cent sages ne peuvent l'en ressortir. » Dans cette phrase, se reflète le désespoir de l'être intelligent face à la bêtise. Mais un enfant candide, qui n'a pas encore perdu la faculté de penser par images, demanderait peut-être : « Pourquoi les sages se donnent-ils tant de peine pour res sortir cette pierre, alors que le monde en est plein ? Pourquoi ne regardent-ils pas autour d 'eux ? Peut-être trouveraient-ils alors d'autres trésors qui leur échappent tandis qu'ils cher chent dans l'eau avec tant de zèle. » Il nous semble qu'il en va de même du mot « narcissisme ». Il a pris dans la langue commune une place qu'ont peu d'autres mots d'origine scientifique, et il semble difficile pour la science de le récupérer. Et nous voilà entraînés toujours plus nettement dans un étrange cercle vicieux : plus les psychanalystes font d'efforts sincères pour appro fondir, clarifier et différencier la notion de « narcissisme » afin de l'employer dans leur science, plus cette notion est attrayante pour la langue de tous les jours également et elle devient ainsi tellement ambiguë qu'elle est pratique ment inutilisable pour l'élaboration d'un concept psychana lytique précis. Le substantif « narcissisme
8
|
» peut désigner un état, un
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
stade du développement , un trait de caractère ou même une maladie. Il vaut donc mieux utiliser ce terme sous la forme d'adverbe ou d'adjectif ce qui l'accompagne permet
8
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
stade du développement , un trait de caractère ou même une maladie. Il vaut donc mieux utiliser ce terme sous la forme d'adverbe ou d'adjectif ce qui l'accompagne permet tant alors d'en préciser le sens. Et il se trouve que non seule ment ce mot a une signification ambiguë, même dans la littérature spécialisée, mais que de plus la langue courante l'a chargé d'un contenu émotionnel. Il signifie aussi bien « amoureux de soi », « se préoccupant sans cesse de sa per sonne », « égocentrique » qu' « incapable d'amour objectai » ou « égoïste ». Et même les psychanalystes ne réussissent pas toujours à se libérer de cette appréciation négative, bien qu'ils essayent de conférer une certaine neutralité au mot « narcissisme ». Mais restons-en un moment à l'appréciation négative de ce mot. Qu'est-ce au juste que l'égoïsme ? A l'âge de quinze ans, le lycéen Freud écrivait dans son cahier d'aphorismes que le pire égoïste était celui à qui l'idée l 'idée n'est jamais venue qu'il fût lui-même un égoïste. Beaucoup B eaucoup de gens n'atteignent jamais la sagesse du Freud de quinze ans et croient qu'ils n'ont pas de besoins seulement parce qu'ils ne les connais sent pas. Notre mépris pour « l'égoïste » commence très tôt. Un enfant qui satisfait les désirs conscients ou inconscients de ses parents est un « bon » enfant ; si, par contre, il se refuse à satisfaire toujours ces désirs, et qu'il a des désirs propres qui vont à rencontre de ceux de ses parents, on le considère comme un égoïste, comme un être sans égards. Les parents ne remarquent généralement pas qu'ils utilisent leur enfant pour satisfaire leurs propres désirs (égoïstes ?), et ils croient fermement qu'ils doivent l'éduquer, car il est de leur devoir de l'aider à se « socialiser ». Si un enfant éduqué de cette manière ne veut pas perdre l'amour de ses parents (et quel enfant pourrait se le permettre ?), il apprendra très vite à « partager », a « donner », a « se sacrifier » et a « renon cer », et ceci longtemps avant qu'il ne soit réellement capable de partager et de renoncer véritablement. Or, un enfant qui a
AVANT - PROPOS
|
9
été allaité pendant neuf mois ne veut plus téter, on ne doit pas l'éduquer à « renoncer » au sein. Un enfant qui a eu assez
AVANT - PROPOS
|
9
été allaité pendant neuf mois ne veut plus téter, on ne doit pas l'éduquer à « renoncer » au sein. Un enfant qui a eu assez longtemps le droit d'être « égoïste », « cupide » et « asocial » découvrira un jour de lui-même la joie spontanée de par tage ta gerr et de donner donn er ; un enfant qui a été au contraire « éduqué » en fonction des besoins de ses parents ne connaîtra peut-être jamais cette joie, même s'il partage et s'il donne de manière exemplaire, consciencieuse, et s'il souffre du fait que les autres ne soient pas aussi « bons » que lui. Les adultes qui ont été éduqués ainsi vont essayer d ' « ap prendre » le plus vite possible cet « altruisme » a leurs enfants, et ils y réussiront très facilement. Mais à quel prix ! En effet, le mot « égoïste » a une signification plus ambi guë qu'on ne pourrait le croire à première vue. Il en va de même pour le « respect des autres » dont on prétend souvent que l' « égocentrique » ne le connaît pas. Si une mère respecte son enfant dès sa naissance et si elle se res pecte elle-même, elle n'aura jamais besoin d' « enseigner le respect » a cet enfant qui ne pourra faire autrement que de se respecter lui-même, que de prendre les autres au sérieux. Mais une mère qui, autrefois, ne fut elle-même pas prise par sa mère pour ce qu'elle était vraiment va essayer d'obtenir, par l'éducation, du respect de son enfant. Ce sont les tragiques destinées d'un tel « respect » que j'aimerais décrire dans ce livre. Les autres jugements de valeur moralisateurs perdent aussi leur caractère évident lorsqu'on remonte à leur origine. L'opposition entre amour objectai et amour de Soi pro vient de la langue courante plutôt naïve et peu critique. En effet, sur la base d'une attitude réflexive, il est impensable qu'on aime vraiment d'autres êtres humains d 'un amour qui ne soit pas seulement un besoin si l'on ne s'aime pas soi-même comme on est. Or, comment un être humain qui n'a eu ni la possibilité de vivre ses vrais sentiments, ni celle de se connaître vraiment, pourrait-il s'aimer lui-même ? La plupart des êtres sensibles n'ont pas accès à leur vrai
10
|
LE DRAME DRA ME DE L ' ENFANT E NFANT DOUÉ
Soi qui est profondément, radicalement caché. Comment pourrait-on aimer quelque chose que l'on ne connaît pas et qui n'a jamais été aimé ? Beaucoup d'êtres doués vivent
10
|
LE DRAME DRA ME DE L ' ENFANT E NFANT DOUÉ
Soi qui est profondément, radicalement caché. Comment pourrait-on aimer quelque chose que l'on ne connaît pas et qui n'a jamais été aimé ? Beaucoup d'êtres doués vivent sans avoir la moindre idée de leur vrai Soi, étant peut-être amoureux de leur faux Soi, bien adapté et idéalisé a moins qu'une dépression ne leur signale la perte de leur vrai Soi, ou que, dans une psychose, ils lui soient confrontés brusquement ; ils lui sont alors livrés sans défense comme à un étranger. Dans les trois descriptions de tableaux cliniques qui vont suivre, j'ai renoncé à l 'emploi du terme « narcissisme ». Je ne parle que de temps à autre du narcissisme sain, qui désigne le cas idéal d'une vraie vitalité, d'un libre accès au vrai Soi, aux vrais sentiments. A l'opposé, l 'opposé, il y a le « trouble narcissique », c'est-à-dire « l'isolement cellulaire » du vrai Soi dans la prison du faux ; mais j'aimerais que l'on comprenne ce trouble comme une tragédie , comme une maladie. Un des buts de ce livre est en effet de nous libérer de certains concepts isolateurs qui impliquent un jugement de valeur ou une discrimination. Dans l'espoir d'éviter les malentendus, j'aimerais poser clairement que mes réflexions sur la formation et le traitement des troubles narcissiques ne vont pas à l'encontre de la théorie des pulsions*. Mais, le travail de l'analyse des * (Addition 1981.) Cf. à ce propos A. Miller, Du sollst nicht merken. Variationen über das Paradies-Thema (1981), éd. française, 1986, Aubier, L'enfant sous terreur (L'ignorance de l'adulte et son prix), p. 63 : « Lorsque j'ai écrit le Drame de l'enfant doué, je croyais encore que la théorie freu dienne des pulsions pouvait se concilier avec mon expérience, et je voyais dans ma contribution au traitement des troubles narcissiques un travail préalable, bien souvent nécessaire, au traitement des "névroses conflic tuelles". Mais plus j'approfondis les conséquences théoriques de mon expé rience, plus j'essaie aussi de voir ce que les notions théoriques traditionnelles recouvrent de contenu réellement vécu, plus leur fonction m'apparait clai rement dans tout l'édifice de la répression sociale, et plus la validité de la théorie freudienne des pulsions s'effondre alors à mes yeux, de sorte que j'éprouve un besoin de plus en plus pressant de m'en distancer. » Au sujet de ce développement, cf. aussi, Am Anfang war Erziehung, Erziehung, 1980. (L'édition française est parue sous le titre C'est pour ton bien, en 1984, chez AubierMontaigne.)
AVANT-PROPOS
|
11
conflits pulsionnels du patient suppose un vrai Soi vivant comme sujet des désirs pulsionnels. Cela semble manquer
AVANT-PROPOS
|
11
conflits pulsionnels du patient suppose un vrai Soi vivant comme sujet des désirs pulsionnels. Cela semble manquer à nos patients. Lorsque je considère les vingt dernières années de mon activité d'analyste, avec la vision que je peux en avoir aujourd'hui, je ne trouve aucun patient dont la capacité de vivre ses vrais sentiments n'ait pas été considérablement diminuée. Sans cette base, toute « perlaboration » est illusoire, c'est-à-dire qu'elle agrandira le savoir intellectuel du patient, qu'elle renforcera même dans certains cas ses défenses, sans pour autant affecter ses sentiments. Si nous nous engageons par contre sur le chemin que nous ouvrent les travaux de Winnicott par exemple, le patient recouvre sa vitalité et par là même sa faculté de ressentir, pouvant ainsi s'exposer aux conflits pulsionnels refoulés, qui apparaissent alors d'eux-mêmes et qu'il va pouvoir vivre très intensément. Si j'essaye, dans les trois chapitres qui suivent, de décrire la manière dont je comprends les troubles narcissiques, ce n'est pas pour proposer une solution de remplacement à la psychanalyse classique, bien au contraire : je cherche, dans le cadre de la psychanalyse, une voie qui permette au patient de retrouver la vitalité authentique qu'il a perdue très tôt, et de trouver son vrai Soi.
Le drame de l'enfant doué et le trouble narcissique du psychanalyste
I-
INTRODUCTION
L'expérience nous apprend que nous ne disposons à la longue que d'un seul moyen pour combattre les maladies psychiques : découvrir et accepter émotionnellement la vérité de cette histoire unique qu'a été notre enfance. Pouvons - nous nous libérer entièrement de nos illusions grâce à la psychanalyse ? L'histoire nous montre que les illusions se glissent partout , toute vie en est pleine , sou v ent d'ailleurs parce que la vérité serait insuppo insu pporta rtable. ble. Beaucoup d'êtres humains ne peuvent pourtant se passer de la vérité , et certains d'entre eux payent sa perte en tombant gravement malades. Dans l'analyse, nous essayons de découvrir, en un long processus, notre vérité personnelle, découverte qui nous fait toujours souffrir avant de nous donner une plus grande liberté à moins que nous ne nous contentions d'un savoir intel lectuel, déjà conceptualisé, qui repose sur l'expérience douloureuse d'autres êtres humains, sur celle de Sigmund Freud par exemple. Mais alors nous restons encore dans le domaine de l'illusion. L'idéalisation de l'amour maternel est un des tabous qui ont survécu à tous les courants de démystification de notre époque. Les biographies illustrent généralement très bien ce phénomène. En effet, dans les biographies d'ar tistes célèbres, leur vie commence presque toujours aux alentours de la puberté. L'artiste a eu une enfance « heureuse », « joyeuse » ou « sans problèmes », ou encore « pleine de privations » ou « très animée » ; mais il semble qu'il n'y ait aucun intérêt à savoir « comment » cette enfance s'est vraiment déroulée dans le détail. Comme si les racines de toute vie n'étaient pas cachées dans
16
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
l'enfance. J'aimerais illustrer cela à l'aide d'un exemple simple : Henry Moore écrit dans ses Mémoires qu'enfant
16
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
l'enfance. J'aimerais illustrer cela à l'aide d'un exemple simple : Henry Moore écrit dans ses Mémoires qu'enfant il lui arrivait souvent de masser avec de l'huile le dos de sa mère qui souffrait de rhumatismes. Après avoir lu cela, mon approche des sculptures de Moore devint très personnelle. Les grandes femmes couchées avec ces petites têtes je voyais là la mère à travers les yeux du petit garçon, qui, à cause de la perspective, rétrécit la tête de sa mère et qui a le sentiment que ce dos tout proche est immense. Cet aspect laisse sans doute beaucoup de critiques d'art complètement indifférents. Mais c'est le signe que les expériences de l'enfant survivent dans l'inconscient et cela nous montre quelles formes d'ex pression elles peuvent prendre lorsque l'adulte est libre de les laisser s'épanouir. Certes, le souvenir de Moore est bien inoffensif, il pouvait donc subsister. Mais les expériences conflic tuelles de l'enfance restent dans l'ombre. Et cette ombre cache aussi les clés dont nous aurions besoin pour com prendre toute la suite de la vie.
LE
P A U V R E E NF A NT RICHE
Je me demande parfois s'il nous sera un jour possible d'appréhender l'étendue de la solitude et de l'abandon auxquels nous avons été exposés étant enfants et aux quels nous le sommes donc intrapsychiquement encore en tant qu'adultes. Je ne parle pas en premier lieu de l'abandon extérieur, des séparations réelles qui peuvent bien entendu avoir des conséquences traumatiques, je ne pense pas non plus aux enfants qui ont manifestement été délaissés ou même abandonnés, qui l'ont toujours su et ont au moins grandi avec cette vérité. Mais il reste tous ceux qui avaient des parents diffé-
LE TROUBLE NARCISSIQ UE DU PSYCHA NALYS TE
|
17
renciés, dévoués, encourageants, et qui souffrent pourtant de troubles narcissiques et de dépressions graves. Ils
LE TROUBLE NARCISSIQ UE DU PSYCHA NALYS TE
|
17
renciés, dévoués, encourageants, et qui souffrent pourtant de troubles narcissiques et de dépressions graves. Ils arrivent en analyse affichant cette image d'une enfance heureuse et protégée avec laquelle ils ont grandi. Il s'agit de patients qui avaient beaucoup de possi bilités et de talents, qu'ils ont d'ailleurs développés et qui ont souvent été admirés pour leurs dons et pour leurs performances. Presque tous ces analysants étaient propres à l'âge d'un an et s'occupaient déjà de leurs petits frères et sœurs entre un an et demi et cinq ans. Selon l'opinion la plus répandue, ces enfants qui étaient la fierté de leurs parents devraient avoir une conscience d ' euxe uxmêmes forte et stable. Or, c ' est e st tout le contraire. Ils réussissent tout ce qu'ils entreprennent , parfois même de manière extraordinaire, ils sont admirés et enviés, ils ont du succès là où ils le veulent, mais tout ça ne sert à rien. La dépression, un sentiment de vide, une impression d'aliénation de soi, d'absurdité de l'existence les guettent et les envahissent dès que la drogue de la « grandiosité » leur fait défaut , dès qu ' ils ils ne sont pas on top, qu'ils ne sont pas la vedette , ou qu'ils ont le sentiment de ne pas être à la hauteur d'une image idéale qu'ils se sont faite de leur Soi. Ils sont alors en proie à l'angoisse , à la honte et à des sentiments de culpabilité. Quelles sont les causes de troubles narcissiques si profonds chez des êtres aussi doués ? Dès le premier entretien , ils nous expliquent qu'ils avaient des parents très compréhensifs , au moins l'un des deux , et que si parfois ils n'avaient pas été compris, ils ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-mêmes, n'ayant pas su s'exprimer correctement. Ils racontent leurs pre miers souvenirs sans aucune compassion pour l'enfant qu'ils étaient. Ceci se remarque d'autant plus que ces patients non seulement disposent habituellement d'une faculté d'introspection peu commune mais qu ' ils i ls savent souvent très bien comprendre ce que ressentent les autres.
18
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Leur relation avec la sensibilité de leur enfance est pourtant marquée par un manque total de respect à son
18
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Leur relation avec la sensibilité de leur enfance est pourtant marquée par un manque total de respect à son égard , par l'obsession de vouloir la contrôler, la mani puler et par le besoin de réaliser des performances. Ils affichent souvent une attitude méprisante et ironique face à leur enfance, qui va même parfois jusqu'à la moquerie, au cynisme. Généralement, ces patients ne prennent pas au sérieux leur destin d'enfant, ils n'en ont aucune compréhension émotionnelle et n'ont aucune idée de leurs véritables besoins au -delà de celui d'accom plir des performances. L'intériorisation du drame ori ginel est tellement parfaite que l'illusion d'une bonne enfance peut être sauvée. J'aimerais tout d'abord, afin de pouvoir décrire le climat psychique de ces analysants, formuler quelques hypothèses, proches des travaux de D. Winnicott, de M. Mahler et de H. Kohut. 1. L'enfant éprouve le besoin fondamental d'être pris au sérieux et d'être considéré pour ce qu'il est, comme centre de sa propre activité. Ce besoin est tout aussi légitime que le désir pulsionnel, bien qu'il soit de nature narcissique, et sa satisfaction est une condition indispen sable à la formation d'un sentiment de soi sain. 2. « Ce qu'il est » signifie : les sentiments, les sensations et leur expression même chez le nourrisson. « Les sensa tions internes (!) du bébé et du tout-petit écrit, M. Mahler, constituent le noyau du Soi. Elles demeurent, semble-t-il, le point central, cristallisateur du "sentiment de soi" autour duquel s'établit le "sentiment de son identité" » (éd. fr. 1973, p. 22). 3. Dans une atmosphère de respect et de tolérance pour les sentiments sentim ents de l'enfant, l'enfant, celui-ci peut, dans la phase de séparation, abandonner la symbiose avec sa mère et faire ses premiers pas vers l'autonomie et l'individuation. 4. Pour que les conditions nécessaires à la formation d'un narcissisme sain puissent être réunies, il faudrait que
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
19
les parents de ces enfants soient nés eux-mêmes dans un tel climat.
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
19
les parents de ces enfants soient nés eux-mêmes dans un tel climat. 5. Des parents qui n'ont pas connu ce climat lorsqu'ils étaient enfants ont des besoins narcissiques insatisfaits, ce qui veut dire qu'ils vont chercher toute leur vie ce que leurs parents n'ont pas pu leur donner au bon moment : un être qui s'adapte totalement à eux , qui les com prenne entièrement et les prenne au sérieux, qui les admire et leur obéisse aveuglément. 6. Ils ne pourront jamais trouver ce qu'ils cherchent, puisque ces besoins insatisfaits datent d 'une époque à tout jamais révolue, celle des premiers temps de la forma tion du Soi. 7. Un être qui a un besoin inassouvi et inconscient parce que refoulé est soumis à une compulsion de trouver des satisfactions de rechange. 8. Leurs propres enfants sont les mieux placés pour fournir cette satisfaction de rechange a ces parents. En effet, un nouveau-né dépend entièrement de ses parents, pour le meilleur et pour le pire. Il a besoin de leur aide pour survivre, et fera donc tout pour ne pas la perdre, comme une petite plante qui se tourne vers le soleil (cf. A. Miller, 1971). Jusqu'à présent nous étions sur un terrain plus ou moins connu. Les réflexions que j'aimerais formuler maintenant reposent sur des observations que j'ai faites d'une part au cours des analyses didactiques que j'ai moi-même menées ou supervisées et d'autre part dans les nombreux entretiens que j'ai eus avec des candidats. J'ai retrouvé chez tous ces êtres une situation et un destin qui me semblent significatifs : 1. Une mère1 peu sûre émotionnellement, dont l'équilibre l . J'entends par « mère » la personne qui s'est occupée de l'enfant pendant sa première année de vie. Ce n'est pas forcément la mère biologique, ni même une femme. Dans les vingt deruières années, le père a souvent rempli les fonctions maternelles.
20
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
narcissique dépendait d'un certain comportement, ou d'une certaine manière d'être de son enfant. Ni l'enfant, ni
20
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
narcissique dépendait d'un certain comportement, ou d'une certaine manière d'être de son enfant. Ni l'enfant, ni l'entourage ne pouvaient rien deviner de cette insécurité qui se cachait souvent derrière une façade dure, autori taire, voire totalitaire. 2. A cela venait s'ajouter une étonnante aptitude de l'enfant à sentir, de manière intuitive, donc inconsciente, ce besoin de la mère (ou des deux parents), et il le satis faisait, acceptant ainsi la fonction qu'on lui avait attri buée inconsciemment. 3. Le fait de remplir cette fonction lui assurait « l'a mour », c'est-à-dire en l'occurrence l'investissement nar cissique. Il sentait qu'on avait besoin de lui et cela lui assurait son existence. Cette aptitude est ensuite développée et perfection n é e , jusqu'à ce que ces enfants deviennent les mères (les confidents , les consolateurs , les conseillers, les sou tiens) de leur mère, et qu'ils s'occupent de leurs petits frères et sœurs, développant pour finir un sensorium particulier pour les signaux inconscients des besoins des autres. Il n'est pas étonnant que, plus tard, ils choisissent
souvent le métier de psychanalyste. Qui d'autre voudrait, sans de pareils antécédents, passer toutes ses journées à essayer de deviner ce qui se passe dans l'inconscient d'autrui ? Et pourtant, c'est dans la formation et dans le perfectionnement de ce sensorium différencié, qui a aidé l'enfant à survivre et qui permet à l'adulte d'exercer l'étrange métier de psychanalyste, que se trouvent aussi les racines du trouble narcissique.
LE TROU BLE NARC ISSIQU E DU PSYCH ANALY STE
|
21
LE TROU BLE NARC ISSIQU E DU PSYCH ANALY STE
|
21
LE MONDE PERDU DES SENTIMENTS
On connaît bien aujourd'hui la phénoménologie du trouble narcissique. Me fondant sur mon expérience, je pense qu'il faut chercher son étiologie dans l'adaptation du nourrisson. Dans tous les cas, cette adaptation pré maturée fait que les besoins narcissiques de l'enfant (besoin d'être respecté, de recevoir un écho, d'être compris, de participer, d'être reflété) connaissent un destin très spécifique. 1. Une des conséquences graves de cette adaptation est l'impossibilité l'impos sibilité de vivre vivre consciemme consciemment, nt, comme enfant et plus tard comme adulte, certains de ses propres sentiments (comme, par exemple, la jalousie, l'envie, la colère, la peur, le sentiment d'abandon ou celui d'impuissance). Et ceci
est d'autant plus tragique qu'il s'agit ici d'êtres pleins de vitalité, qui sont capables de ressentir des sentiments très différenciés. On le remarque dans l'analyse lorsqu ' ils il s racontent des événements de leur enfance qui furent sans conflits. Il s ' agit agit le plus souvent de souvenirs qui se rap portent à la nature. Car, face à la nature, ils pouvaient éprouver des émotions, sans blesser leur mère, sans l ' inséinsécuriser, sans réduire son pouvoir, sans menacer son équilibre. Mais il est très remarquable que ces enfants attentifs, éveillés et très sensibles, qui se rappellent très précisément comment ils ont découvert, à l ' âge â ge de quatre ans, la lumière du soleil dans l ' herbe h erbe éclatante, n ' aient, a ient, à l' âge âge de huit ans, absolument « rien vu » lorsque leur mère était enceinte, qu ' ils ils n ' aient a ient manifesté aucune curiosité, qu' ils ils n ' aient a ient été « absolument pas » jaloux à la naissance de leur petit frère, ou que, laissés seuls à l'âge de deux ans pendant l'occupation, ils aient supporté
22
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
l'irruption des militaires et plusieurs perquisitions sans pleurer , calmement et « très sagement » . Ils ont développé
22
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
l'irruption des militaires et plusieurs perquisitions sans pleurer , calmement et « très sagement » . Ils ont développé tout un art pour ne pas devoir vivre consciemment leurs sentiments ; en effet , un enfant ne peut les vivre que lorsqu'il y a quelqu'un qui le comprend, l'accompagne et l'accepte avec ses sentiments. S'il n'y a personne et si l'enfant doit prendre le risque de perdre l'amour de sa mère, ou de la personne qui la remplace, il ne peut vivre « pour lui seul », en secret, ses sentiments , même les plus naturels . Et pourtant... il en reste quelque chose. En effet, dans toute la suite de sa vie, cet être va provoquer inconsciemment des situations dans lesquelles ces senti ment me ntss autrefois aut refois à peine esquissé esquisséss pou p ourr rron ontt revivre reviv re ; mais il ne comprendra pas pour autant la relation origi nelle. On ne peut déchiffrer le sens de ce « jeu », comme rappelle Habermas (1970), que dans l'analyse, lorsque l'analyste est pris dans la mise en scène et que le lien entre les sentiments intenses vécus dans l'analyse et la situation première est établi . Freud le montre dès 1914, dans son écrit : Remémoration, répétition et élaboration (cf. S. Freud, 1914). Prenons comme exemple le sentiment d'abandon. Non pas le sentiment d'un adulte qui, se sentant seul, avale des comprimés , se drogue , va au cinéma , donne des coups de téléphone inutiles, rend visite a des connaissances pour combler le « vide » d'une manière ou d'une autre. Non, j'entends le sentiment originel du petit enfant qui ne dispose pas de toutes ces possibilités de diversion et dont les messages verbaux ou préverbaux n'ont pas atteint sa mère. Une mère qui n'était certes pas méchante , mais q u i , ayant elle-même des besoins narcissiques insatisfaits, avait besoin d'un écho particulier de son enfant. Une mère qui, dans le fond, était elle-même un enfant a la recherche d'un objet disponible. Or, aussi paradoxal que cela puisse paraître un enfant est disponible. En effet, il ne peut nous échapper comme, notre mère autre-
LE TROUB LE NARCISSIQUE DU PSYCHANALYSTE
|
23
fois. De plus, on peut l'éduquer de façon à ce qu'il devienne conforme à nos souhaits. On peut se faire respecter par
LE TROUB LE NARCISSIQUE DU PSYCHANALYSTE
|
23
fois. De plus, on peut l'éduquer de façon à ce qu'il devienne conforme à nos souhaits. On peut se faire respecter par l'enfant, lui attribuer ses propres sentiments, on peut se refléter dans son amour et son admiration, se sentir fort à côté de lui, on peut le confier à quelqu'un quand on ne le supporte plus. On a enfin le sentiment d'être le centre de l'attention, car un enfant ne quitte pas sa mère des yeux. Lorsqu'une femme aussi cultivée et pleine de bonne volonté qu'elle soit et même si elle sait ce dont un enfant a besoin a dû refouler tous ces besoins dans sa relation avec sa mère, elle ne pourra empêcher ceux-ci d'émerger des profondeurs de son insconscient et de demander satisfaction. L'enfant le sent très bien et, très vite, il renonce à exprimer sa propre détresse. Mais lorsque plus tard, dans l'analyse, ces sentiments d'abandon resurgissent, ils reviennent avec une telle intensité de douleur et de désespoir que tout devient clair : ces êtres n'auraient pas survécu à leurs souffrances. En effet, il leur aurait fallu, pour pouvoir les supporter, grandir dans dan s un entou en tourag ragee compréhensif compréhensif,, qui leur a manqué. Et ceci est vrai aussi pour les sentiments qui sont liés au drame œdipien et au développement des pulsions. Tous ces sentiments ont dû être refoulés. Mais prétendre qu ' ils ils n ' ont o nt jamais existé, ce serait dé mentir les conclusions empiriques tirées du travail analytique. Pour se défendre du sentiment d ' abandon a bandon de la petite enfance, par exemple, le sujet dispose de plusieurs méca nismes : le simple déni, le renversement dans le contraire (« je croule sous le poids des responsabilités, car les autres ont toujours besoin de moi »), le renversement de la douleur passive dans un comportement actif (« je dois abandonner les femmes dès que je sens qu ' elles elles ne peuvent plus se passer de moi »), le déplacement sur d ' autres a utres objets, amour (« si je l'introjection de la menace de privation d ' amour respecte respec te sagement sagem ent les les norm n ormes, es, je ne risque ri sque rien ; je
24
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
suis toujours surmené , mais je ne peux rien y changer , je dois toujours faire plus que les autres »). On trouve aussi
24
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
suis toujours surmené , mais je ne peux rien y changer , je dois toujours faire plus que les autres »). On trouve aussi très souvent des intellectualisations, car elles offrent une protection très sûre. Tous ces mécanismes de défense sont accompagnés du refoulement de la situation originelle et des sentiments qui en font partie, qui ne réussissent a percer qu'après plusieurs années d'analyse. 2. L'adaptation aux besoins des parents mène sou vent (mais pas toujours) au développement d'une « personnalité fictive (personnalité-comme-si) » ou a ce que Winnicott a décrit sous le nom de faux Soi. La personne développe une attitude par laquelle elle se montre conforme à ce qu'on lui demande, et elle s'y identifie si complètement que jusqu'à l'analyse nul ne pourrait se douter qu'il y a derrière ce masque encore tant d'autres choses en elle (cf. Habermas, 1970). Le vrai Soi ne peut alors se développer ni se différencier, car il ne peut être vécu. Il est dans un « état de noncommunication », pour reprendre l'expression de Win nicott. Et on comprend alors que ces patients se plaignent de sentiments de vide, d'absurdité, de non-appartenance, car ce vide est réel. Il y a eu un véritable appauvrisse ment, un anéantissement partiel de leurs propres possi bilités, lorsqu'à été amputé ce qu'ils avaient de vivant et de spontané. Ces patients ont parfois dans leur enfance rêvé qu'ils étaient en partie morts. J'aimerais rapporter deux de ces rêves : Mes petits frères et sœurs sont sur un pont et jettent une boîte dans la rivière. Je sais que je suis dans cette boîte, morte, et pourtant j'entends mon cœur battre et je me réveille chaque fois à ce moment-là (rêve qui revient souvent).
LE TROUBL E NARCISSIQU E DU PSYCHAN ALYSTE
|
25
Ce rêve exprime les agressions inconscientes (envie et jalousie) de la patiente envers ses petits frères et sœurs,
LE TROUBL E NARCISSIQU E DU PSYCHAN ALYSTE
|
25
Ce rêve exprime les agressions inconscientes (envie et jalousie) de la patiente envers ses petits frères et sœurs, dont elle a toujours été la « mère » affectueuse, « tuant » pour cela ses propres sentiments , désirs et revendications , à l'aide d'une formation réactionnelle. Un autre patient fait le rêve suivant : Je vois un pré vert , et dans ce pré se trouve un cercueil blanc. J'ai peur que ce ne soit ma mère qui y repose , mais je soulève le couvercle et , heu reusement , c'est moi qui suis à l'intérieur. Si le patient avait eu, lorsqu'il était enfant, la possi bilité d'exprimer ses déceptions, c'est-à-dire s'il avait pu vivre les sentiments de colère et de rage qu'il éprouvait vis-à-vis de sa mère, il serait resté vivant. Mais il aurait alors perdu l'amour de sa mère, ce qui, pour un enfant, équivaut à la perte de l'objet et à la mort. Il « tue » donc sa colère, et par là même une partie de son âme, afin de conserver l'amour de l'objet narcissique, la mère. 3. De la diffic difficult ultéé de vivre viv re et de laisser s'épano s'ép anouir uir des sentiments qui amènent des conflits résulte la permanence du lien qui empêche toute délimitation. Les deux parties y sont d'ailleurs intéressées. in téressées. En effe effet,t, les pare pa rent ntss ont on t trou tr ouvé vé dans le faux Soi de l'enfant la confirmation qu'ils cher chaient et un substitut des structures qui leur manquait ; l'enfant, qui n'a pas pu se constituer des structures propres, est dépendant de ses parents, d'abord cons ciemment, puis plus tard inconsciemment (par l'inter médiaire de l'introject). En effet, il ne peut pas se fier à ses propres sentiments, il n'en a pas fait l'expérience par une méthode d'essai et d'erreur, il ne connaît pas ses vrais besoins, il est aliéné de lui-même. Dans cette situation, il ne peut se séparer de ses parents et, plus tard, à l'âge adulte, il aura toujours besoin de la confir
26 | LE DRAME DRAME DE L'E L'ENFA NFANT NT DOUÉ DOUÉ
mation de ses partenaires , des groupes et surtout de ses propres enfants. Les introjects sont les héritiers des parents et il devra donc leur cacher son vrai Soi ; c'est
26 | LE DRAME DRAME DE L'E L'ENFA NFANT NT DOUÉ DOUÉ
mation de ses partenaires , des groupes et surtout de ses propres enfants. Les introjects sont les héritiers des parents et il devra donc leur cacher son vrai Soi ; c'est ainsi qu'à la solitude de l'enfance fait suite l'isolement en soi-même.
L'investissement narcissique de l'enfant par sa mère n'exclut pas l'attachement affectueux. Au contraire. En tant qu'objet narcissique de sa mère , l'enfant sera pas sionnément « aimé » d'elle , mais pas de la façon dont il en aurait besoin. Et toujours à la condition qu'il n'aban donne pas son faux Soi. Ceci n'est pas un obstacle au développement de ses facultés intellectuelles , mais risque d'empêcher l'épanouissement de la vie émotionnelle authentique.
A LA RECHERCHE DU VRAI SOI
Comment la psycha psy chanal nalyse yse peut-elle pe ut-elle nous no us aider ici ? La spontanéité d'une Käthchen von Heilbronn* n'existe sans doute qu'en imagination , et elle s'explique d'ailleurs très bien précisément par la nostalgie d'un homme torturé par ses besoins narcissiques tel que l'était Kleist. La simplicité d'un Falstaff, dont Freud aurait dit qu'il incarnait le côté triste du narcissisme sain, n'est, pour ces patients, ni accessible, ni même souhaité. Le paradis de l'harmonie pré-ambivalente que tant de patients espèrent retrouver est a jamais inaccessible. Mais l'expé rience vécue de sa propre vérité et le savoir postambivalent qui l'accompagne permettent, à un niveau adulte , le retour à ses propres sentiments. Sans paradis certes, mais avec la faculté du travail du deuil. L'un des tournants de l'analyse est le moment où le *
Héroïne du drame de Kleist : « Catherine de Heilbronn » .
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
(N.d.T.)
27
patient souffrant de troubles narcissiques comprend émotionnellement que tout l'amour dont il était l'objet
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
27
patient souffrant de troubles narcissiques comprend émotionnellement que tout l'amour dont il était l'objet et qu'il avait conquis au prix de tant d'efforts et de sacrifices n'était pas destiné en fait à celui qu'il était vraim vr aimen entt ; lorsqu'il s'aperçoit que l'ad l 'admir miratio ationn de sa beauté et de ses prouesses n'était pas destinée a l'enfant qu'il était mais à la beauté et aux prouesses . C'est alors que, dans l'analyse, au -delà de tous les exploits, se réveille le petit enfant solitaire et qu'il demande : « Que se serait -il passé si je m'étais montré méchant, laid, coléreux, jaloux, paresseux, sale et puant ? Que serait-il alors advenu de votre amour ? Et pourtant, tout cela je l'étais aussi. Plutôt que celui que j'étais vraiment, n'était-ce pas celui que je feignais d'être que vous aimiez cet enfant sage, compréhensif et sur qui l'on pouvait compter, cet enfant agréable, plein d'empathie et de compréhension, compréh ension, qui, en fait, n'é tait ta it pas pa s un enfant ? Qu'est-il advenu de mon enfance ? Me l'a-t-on volée ? Je ne pourrai jamais la rattraper. J'ai été dès le début un petit adulte. A-t-on tout simplement abusé de mes qualités ? » Ces questions s'accompagnent d'une grande douleur et d'une immense tristesse , mais elles ont toujours pour conséquence qu'une nouvelle instance apparaît chez le patient (comme un héritier de cette mère qui n'a jamais existé) : l'empathie pour son propre destin , née du senti ment de deuil. Pendant une phase de ce genre , un patient rêva que , trente ans plus tôt , il avait tué un enfant et que personne ne l'avait aidé à sauver cet enfant. (Trente ans plus tôt, précisément pendant la phase œdipienne , son entourage avait remarqué qu'il était devenu complè tement renfermé, un enfant sage et poli qui ne manifestait plus aucune émotion.) Dès lors, le patient ne minimise plus les manifestations de son propre Soi, il ne s'en moque plus, il n'en rit plus, même si pendant longtemps encore il les néglige incons-
28
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
ciemment ou ne les prend tout simplement pas en consi dération (exactement de la même manière subtile dont usaient les parents avec l'enfant lorsque celui-ci ne dispo
28
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
ciemment ou ne les prend tout simplement pas en consi dération (exactement de la même manière subtile dont usaient les parents avec l'enfant , lorsque celui-ci ne dispo sait pas encore d'un langage approprié pour exprimer ses besoins). C'est alors qu'osent se manifester les fantasmes de grandeur qui, jusqu'à ce moment-là, avaient été détachés parce que condamnés. Et leur rapport avec les besoins narcissiques frustrés et refoulés (besoin d'être considéré, respecté , compris , reflété ou encore de recevoir un écho) devient clair. On retrouve toujours au centre de ces fantasmes un vœu jusqu'alors toujours inavoué , p a r exemple : Je suis le centre de l'attention , mes parents me regardent et font abstraction de leurs besoins (fan tasme : je suis une princesse et les serviteurs s'empressent autour de moi) , mes parents tolèrent que j'essaye de formuler mes sentiments, ils ne se moquent pas de moi (fantasme : je suis un artiste célèbre et tous me prennent au sérieux même s'ils ne me comprennent pas), mes parents sont pleins de courage et de dons et ils n'ont pas besoin de mes prouesses, de mes consolations ni de mon sourire (« Le roi et la reine », comme dans les contes). Dans la situation de l'enfant, cela signifie : j'ai le droit d'être triste ou joyeux suivant que quelque chose me rend triste ou joyeux, mais je ne dois aucune gaieté à personne, je ne dois pas réprimer ma peine, ma peur ou d'autres sentiments en fonction des besoins des autres, j'ai le droit d'être méchant, et personne n'en mourra, personne n'aura mal à la tête pour ça, j'ai le droit d'être en rage, de tout casser, sans risquer pour autant de perdre mes parents. Pour reprendre la formule de Winnicott : « Je peux tuer l'objet, il survivra » (D. Winnicott, 1971). Lorsqu'on a compris que ses fantasmes de grandeur, qui sont souvent accompagnés de manifestations obses sionnelles ou perverses, sont en fait une forme aliénée p eutt les les intégrer, de ces besoins authentiques et légitimes, on peu et la dissociation disparaît.
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANALYSTE
|
Comment cela se déroule -t-il chronologiquement ?
29
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANALYSTE
29
|
Comment cela se déroule -t-il chronologiquement ? 1. Dans la plupart des cas , il n'est pas très difficile, au début de l'analyse, de rendre le patient attentif à sa manière de traiter ses sentiments et ses besoins, ni de lui faire comprendre que cette attitude était autrefois sa seule chance de survie. Il est énormément soulagé que l'on perçoive, que l'on prenne au sérieux des choses qu'il devait jusqu'alors étouffer . On peut, sur la base du matériel qu'il apporte, attirer son attention sur sa manière de se moquer de ses sentiments, de les excuser, de les minimiser, on lui fait remarquer que, souvent, il ne prend conscience de ses émotions que plusieurs jours après leur apparition , lorsqu' elles elles ont déjà disparu , et que parfois même il n ' en en prend pas conscience du tout . Le patient réalise alors peu à peu avec quel acharnement il cherche à se distraire lorsqu ' il il est ému , bouleversé ou triste . (Lorsque la mère de l ' enfant e nfant , alors âgé de six ans, mourut, sa tante lui dit : « Il faut être courageux et ne pas pleurer ; maintenant va jouer dans ta chambre , et sois bien sage . ») Certes , dans beaucoup de situations il se voit encore à travers les yeux des autres, se demandant sans cesse quel effet il produit , comment il devrait être, quels senti ments il devrait ressentir. Mais, dans cette première période de l ' analyse, a nalyse, le patient se sent dans l' ensemble e nsemble beaucoup plus libre et il perçoit une plus grande partie de ses émotions, grâce à la fonction de soutien du moi que remplit l'analyste, et grâce au fait que certains de ses sentiments actuels soient vécus et pris au sérieux durant la séance d'analyse. Et il en est d'ailleurs très reconnaissant. 2. Mais bien entendu les choses n'en restent pas là. Dès que s'est développée la névrose de transfert, l'analyste prend une deuxième fonction, à côté de la première qu'il garde encore un certain temps : celle d'objet du transfert. A. MILLER
30
2
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Et c'est alors qu'apparaissent des sentiments de différents stades de l'enfance. C'est bien l'époque la plus difficile
30
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Et c'est alors qu'apparaissent des sentiments de différents stades de l'enfance. C'est bien l'époque la plus difficile de l'analyse , la plus riche en mises en acte. Le patient commence à s'exprimer, il abandonne sa docilité , mais à cause des expériences de son enfance, il ne peut croire que ce soit possible sans danger de mort. C'est ainsi q u e , poussé par la compulsion de répétition, il met en scène des situations dans lesquelles il doit vraiment vivre cette peur d'être repoussé, isolé ou de perdre son objet, y impliquant l'analyste (comme mère qui le re pousse ou se montre exigeante à son égard), afin de vivre la libération d'avoir pu supporter ce risque et d'être resté lui-même. Cela peut commencer de façon très anodine. On est tout d'abord surpris par des sentiments dont on aurait préféré ne pas prendre conscience, mais il est trop tard, le sensorium de ses propres émotions a déjà été dégagé, il n'y a pas de retour possible. A présent l'analysant a le devoir (mais aussi : le droit et la possibi lité !) de se vivre lui-même d'une manière qu'il n'aurait jamais crue possible jusqu'alors. Lui qui méprise les avares se surprend soudain à calculer combien lui coûtent les deux minutes de la séance d'analyse gaspillées par un coup de téléphone de l'analyste. Lui qui jusqu'alors ne demandait jamais rien et exauçait infatigablement les vœux des autres, se met soudainement en colère parce que l'analyste prend « de nouveau » des vacances. Ou bien il s'énerve de voir de nouveaux patients chez son analyste. Comment est-ce possibl possiblee ? Ce n'est n'e st quan qu andd même pas de la jalousie. C'est C'est un sentim sen timent ent qu'il ne connaît conn aît même pas pa s ! Et pourtant... « Ils n'ont rien à faire ici. Y a-t-il seulement d'autre d'au tress gens gens qui viennent vienn ent ici ici à part pa rt moi ? » Jusq Ju sq u' à maintenant, il n'avait même pas réalisé qu'il y avait d'au tres patients. Au départ il est très vexant de constater que l'on n'est pas exclusivement bon, compréhensif, généreux, maître de soi et adulte, alors que tout son amour-propre
LE TROUBL E NARCI SSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
31
était construit sur cette image. La blessure est encore plus profonde lorsque l'analysant découvre en lui ses introjects, et voit qu'il en est prisonnier. En effet il ne
LE TROUBL E NARCI SSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
31
était construit sur cette image. La blessure est encore plus profonde lorsque l'analysant découvre en lui ses introjects, et voit qu'il en est prisonnier. En effet , il ne domine pas , en adulte , sa colère , son exigence, et son avarice, qui apparaissent tout d'abord comme elles avaient été refoulées, sous leur forme infantile et archaïque. Et le patient est accablé lorsqu ' ilil constate que sa colère res semble fort à celle, détestée , de son père, ou lorsqu ' il il se rappelle avoir parlé à son enfant « sur le ton de sa mère », selon son expression. C ' est est cette renaissance des intro jects et la confrontation avec eux par l ' intermédiaire i ntermédiaire du transfert qui constituent la partie principale de l ' analyse. a nalyse. Ce dont l ' analysant analysant ne peut se rappeler est mis en scène inconsciemment, et peut ainsi être retrouvé. Plus le patient laisse s ' exprimer exprimer et vit ses sentiments d ' autrefois, a utrefois, plus il se sent fort et cohérent. Ceci lui permet de s ' expo expo ser à des sentiments de sa toute première enfance et de vivre l ' impuissance impuissance et l ' ambivalence a mbivalence d ' alors, a lors, ce qui, pour finir, renforce aussi son assurance. Il est très différent d'avoir, en tant qu'adulte, des sentiments ambivalents vis-à-vis de quelqu'un d'autre et de se sentir soudain au terme d'une longue his toire préalable comme un enfant de deux ans qui est nourri dans la cuisine par une bonne d'enfant, et qui, désespéré, se demande : « Pourquoi maman est-elle loin tous les soirs ? Pourquoi n'a-t-elle pas de plaisir à être avec moi ? Qu'ai-je fait pour qu'elle préfère être avec les autres ? Que puis-je faire afin qu'elle reste ? Surtout ne pas pleurer ! » Autrefois l'enfant qu'il avait été ne pou vait pas penser en ces termes , mais durant la séance d'analyse, sur le divan, cet homme était les deux : l'adulte et l'enfant de deux ans, et il pleurait amèrement. Ce n'étaient pas des pleurs cathartiques, mais bien l'inté gration de la nostalgie qu'il avait autrefois de sa mère, nostalgie qu'il avait jusqu'alors toujours niée. Dans les semaines qui suivirent cette séance, le patient vécut
32
|
LE DRAME DRA ME DE L ' ENFANT DOUÉ
toute l'ambivalence torturante qu'il éprouvait face à sa mère, qui ét ait une pédiatr pédi atree reconnue. L'image « figée »
32
|
LE DRAME DRA ME DE L ' ENFANT DOUÉ
toute l'ambivalence torturante qu'il éprouvait face à sa mère, qui ét ait une pédiatr pédi atree reconnue. L'image « figée » qu'il avait jusqu'alors de sa mère se transforma en portrait d'une femme douce, qui ne pouvait simplement pas assurer de continuité dans la relation à son enfant. « Je hais ces sales gosses éternellement malades qui m'ont toujours pris ma mère. Je déteste ma mère qui préférait être auprès d'eux qu'à mes côtés. » Dans le transfert, se mêlèrent alors des tendances à s'accrocher et des senti ments d'impuissance avec la rage longtemps contenue contre l'objet d'amour d'am our qui n'ét n' étai aitt pas disponible . Peu après, une perversion , qui torturait le patient depuis longtemps , disparut tout a fait : le sens en était aisément déchif frable à présent. Ses relations avec les femmes perdirent leur caractère d'investissement narcissique, et la compulsion de conquérir et d'abandonner disparut d'un coup. A ce stade de l'analyse, le patient vit son impuissance, sa colère d'autrefois, ainsi que l'impression d'être livré à l'objet aimé, comme il n'aurait jamais pu s'en souvenir ni les revivre auparavant. On ne peut se rappeler que des choses que l'on a vécues consciemment. Mais le monde des sentiments d'un enfant souffrant de troubles narcissiques résulte déjà d'une sélection qui a éliminé l'essentiel. C'est seulement dans l'analyse que les senti ments originels, qui sont accompagnés de la douleur qu'éprouvait le petit enfant à ne pas pouvoir les com prendre, vont être vécus consciemment pour la première Soi est « dans un état ét at de non-commu non-c ommunic nicati ation on », », fois. Le vrai Soi comme l'a écrit Winnicott, car il doit être protégé. Il n'y a rien que le patient doive cacher aussi longtemps et, aussi profondément que son vrai Soi. Et c'est pourquoi nous avons à chaque fois l'impression d'assister à un miracle, lorsque nous voyons apparaître tout ce qui a pu survivre d'authentique derrière la dissimulation , l e déni et l'aliénation de soi, tout ce qui se manifeste dès que le patient a pu, grâce au travail du deuil, se libérer
LE TROUB LE NARCISSIQ UE DU PSYCHAN ALYSTE
|
33
de ses introjects. Et pourtant , on ferait erreur si on comprenait par la phrase de Winnicott que derrière le faux Soi se cache un vrai Soi développé. S'il en était ainsi
LE TROUB LE NARCISSIQ UE DU PSYCHAN ALYSTE
|
33
de ses introjects. Et pourtant , on ferait erreur si on comprenait par la phrase de Winnicott que derrière le faux Soi se cache un vrai Soi développé. S'il en était ainsi , il n'y aurait pas de trouble narcissique mais plutôt une autoprotection consciente . Or l'enfant ne sait pas ce qu'il cache. Un patient formulait cela ainsi : « Je vivais dans une maison de Verre dans laquelle ma mère pouvait plonger son regard à tout instant. Dans une maison de verre , on ne peut rien cacher sans se trahir , sauf sous le plancher. Mais dans ce cas on ne le voit plus soi -même. » Un adulte ne peut vivre ses sentiments que lorsqu ' ilil a internalisé un objet narcissique empathique et atten tionné. Cet objet a manqué aux êtres souffrant de troubles narcissiques et ils ne seront donc jamais surpris par des sentiments indésirables , car ils ne ressentent que les émotions que l ' instance i nstance intérieure , héritière des parents , tolère et approuve. La dépression , le vide intérieur sont le prix qu ' ils i ls payent ce contrôle. Pour revenir à la phrase de Winnicott : le vrai Soi ne peut communiquer , car il est resté à l ' état é tat inconscient , et ne s ' est est donc pas déve loppé , il est dans une prison intérieure. Or , la fréquen tation de geôliers ne favorise pas une évolution vivante. C' est e st seulement après la libération qui a lieu dans l ' ana a na lyse que le Soi commence à s'exprimer, à croître et à développer sa créativité. Et , là où se trouvaie trou vaient nt jusqu ' alors a lors le vide et les fantasmes de grandeur tant redoutés , on découvre une richesse de vie inattendue. Ce n'est pas un retour au foyer , puisqu'il n'y en a jamais eu ; mais c'est le chemin du foyer que l'on a trouvé. 3. La phase de séparation de l'analyste commence lorsque l'analysant a acquis la faculté durable d'effectuer le travail du deuil, et lorsqu'il peut se confronter aux sentiments de son enfance sans avoir continuellement besoin de l'aide de l'analyste.
34 | LE DRAM DRAME E DE L'ENFANT L'EN FANT DOUÉ
34 | LE DRAM DRAME E DE L'ENFANT L'EN FANT DOUÉ
LA SITUATION DU PSYCHANALYSTE
On entend souvent dire que les psychanalystes souffrent de troubles narcissiques. Les thèses exposées jusqu'à maintenant voulaient montrer qu'on pouvait non seule ment appuyer cette affirmation, de manière inductive, sur des exemples tirés de l'expérience, mais qu'on pouvait aussi la déduire de la nature même de talent dont l'ana lyste a besoin pour exercer sa profession. Sa sensibilité, sa faculté de comprendre les autres, d'avoir des senti ments intenses et différenciés, ses multiples « antennes » le prédestinent justement, comme enfant, à être utilisé parfois même de façon abusive par des êtres ayant des besoins narcissiques insatisfaits . Bien sûr, il est théoriquement possible qu'un enfant qui possède ces dons ait eu des parents qui n'avaient pas besoin d'en abuser, c'est - à-dire des parents qui voyaient et comprenaient la nature de leur enfant , qui supportaient et respectaient ses sentiments. Cet enfant aurait alors développé un narcissisme sain. Mais il est peu probable : 1. qu'il qu'i l embrasse la profes profession sion de psycha psy chanal nalyst ystee ; 2. qu'il développe le sensorium nécessaire dans les mêmes proportions qu'un enfant « utilisé narcis siquement » ; 3. qu'il comprenne vraiment sur la base de sa propre expérience ce que signifie : « avoir tué » son Soi. C'est pourquoi il me semble que notre destin , autant que notre don, nous rend propre à exercer le métier de psychanalyste, à condition que nous apprenions , dans l'analyse didactique , à vivre avec la vérité de notre passé
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANALYSTE
|
35
et à renoncer aux illusions les plus grossières . Cela voudrait dire : supporter de savoir que , dans notre enfance , il
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANALYSTE
|
35
et à renoncer aux illusions les plus grossières . Cela voudrait dire : supporter de savoir que , dans notre enfance , il nous a fallu , au prix de notre réalisation propre , satisfaire les besoins inconscients de nos parents , afin de ne pas perdre l'objet aimé . Cela signifierait aussi : pouvoir vivre la révolte et le deuil profonds que suscite en nous la cons tatation qu'ils n'ont pas été disponibles pour satisfaire nos besoins narcissiques primaires. Si nous n'avons jamais vécu, et donc jamais élaboré , notre désespoir et la rage narcissique qui en résulte , nous risquons de transférer sur nos patients la situation de notre propre enfance restée inconsciente . En effet, qui s'étonnerait que cette rage inconsciente ne trouve pas d'autre issue que d'ex ploiter un être plus faible , pour disposer de lui , à la place des parents. Or les êtres les plus disponibles sont sans aucun doute nos propres enfants et nos patients , qui sont par moments aussi dépendants de l'analyste que des enfants. Un patient doué analytiquement , un patient qui a des « antennes » sensibles à l'inconscient de l'ana lyste , réagira très vite. Il étalera une image complète de son « complexe d'Œdipe » devant l'analyste , avec toutes les émotions et tout le discernement désirés. Seule ment , ce sera un « Œdipe fictif (Œdipe-comme-si) » , une défense contre ses vrais sentiments . C'est seulement si on lui laisse le temps et l'espace dont il a besoin pour développer son vrai Soi , si on le laisse parler et si on l'écoute, que l'histoire inconnue et unique de son destin œdipien pourra peu à peu se révéler aux yeux ébahis de l'analyste l'anal yste et de l'anal l'a nalysa ysant nt ; et cette c ette histoire n'a besoin d'aucune théorie mais elle est bouleversante pour tous les deux, car elle raconte tout simplement une vérité découverte dans la douleur.
Ceci est vrai non seulement pour le complexe d'Œdipe , mais aussi pour tout le reste. Un analysant se « sentira » très vite autonome s'il a l'impression qu'il est important pour l'analyste d'avoir des patients autonomes et pleins
36
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
d'assurance . Il en est capable , comme il est capable de faire tout ce qu'on attend de lui. Mais cette « autonomie »
36
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
d'assurance . Il en est capable , comme il est capable de faire tout ce qu'on attend de lui. Mais cette « autonomie » débouche sur la dépression , car elle n'est pas authentique . La vraie autonomie est précédée de l'impression d'être dépendant, d'abord des partenaires et de l'analyste, puis des objets primaires . C'est seulement au-delà du sentiment profondément ambivalent de la dépendance 1 infantile que se trouve la véritable libération . Lorsque le patient amène du matériel qui convient à l'outillage théorique, aux conceptions, et par conséquent aussi à l'attente de l'analyste, il satisfait les désirs nar cissiques de ce dernier (désir d'être confirmé, de recevoir un écho, d'être compris et d'être pris au sérieux) . L'ana lyste exerce ainsi la même manipulation inconsciente qu'il a subie lui-même comme enfant. Il a depuis long temps compris le phénomène de la manipulation cons ciente, et il s'en est libéré. Il a aussi appris à dire « non », à défendre ou à faire accepter ses opinions. Mais un enfant ne peut pas percer à jour la manipulation incons ciente de ses sentiments. Elle est l'air qu'il respire, il n'en connaît pas d'autre, et cet air est le seul qui lui semble normal. C'est ainsi qu'un de mes analysants ne pouvait dans son enfance ni être triste , ni pleurer sans avoir l'impression qu'il rendait sa mère bien-aimée malheureuse , qu'il lui faisait perdre toute son assurance . En effet, lorsqu'elle était enfant , la « gaieté » lui avait sauvé la vie , et les larmes de ses enfants menaçaient son équilibre . Mais ce patient extrêmement sensible sentait en lui le gouffre refoulé de cette mère qui avait été, comme enfant, enfermée dans un camp de concentration et n'en avait jamais parlé. C'est seulement lorsque son fils eut atteint l'âge adulte, et qu'il put aborder ce sujet et lui poser des 1. Les thèses formulées ici se fondent sur ma propre expérience, mais on peut aussi les illustrer par l'expérience d'autres analystes ; cf. à cet effet la casuistique de M. Khan, 1974.
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
37
questions, qu'elle lui raconta comment elle avait dû assister , ainsi que 80 autres enfants , à l'entrée de ses parents dans la chambre à gaz. Pas un seul des enfants
LE TROUBLE NARCISSIQUE DU PSYCHANA LYSTE
|
37
questions, qu'elle lui raconta comment elle avait dû assister , ainsi que 80 autres enfants , à l'entrée de ses parents dans la chambre à gaz. Pas un seul des enfants n'avait pleuré , disait-elle ! Durant toute son enfance , le fils avait essayé d'être gai et il ne pouvait vivre son vrai Soi , ses sentiments et ses intuitions qu'à travers des perversions obsessionnelles q u i , jusqu'à l'analyse , lui semblaient étranges, honteuses et incompréhensibles. (La honte qui accompagne les perversions et les actes obsessionnels est souvent l'intro jection du sentiment d'étrangeté que les parents éprouvent face aux pulsions les plus naturelles de l'enfant. Une satisfaction sexuelle « normale » n'excitera pas forcément l'indignation, calquée sur celle de la mère réelle , de l'introject maternel , alors qu'une satisfaction perverse le fera à coup sûr ; cf. p. 103 sq.) On ne peut rien faire contre ce genre de manipulation de l'enfant. Ce qui est tragique , c'est que les parents sont eux aussi livrés sans défense à ce processus dont , le plus souvent , ils ignorent tout et auquel ils ne peuvent rien changer , même s'ils le devinent. Consciemment , ils font tout et mettent en œuvre toutes leurs possibilités pour l'éviter. Mais , inconsciemment , la tragédie de l'enfance des parents se poursuit dans leur relation avec leurs enfants 2 . voic voicii un autre autr e exemple qui illustre illus tre mieux mi eux encore encore ce phénomène : un père qui , comme enfant , avait toujours été effrayé par les crises d'angoisse de sa mère , qui avait des accès de schizophrénie, ce que personne ne lui avait expliqué, aimait à raconter des histoires d'épouvante à sa petite fille bien - aimée. II se moquait alors de sa peur, pour la rassurer ensuite avec une phrase comme : « N'aie pas peur, ce n'est qu ' une une histoire inventée, et je suis là, 2. En ce qui concerne l'aspect tragique de la psychanalyse, ci. Schafer, 1972.
38
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
près de toi . » Il pouvait ainsi manipuler la peur de l'enfant et se sentir fort . Consciemment, il voulait donner quelque
38
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
près de toi . » Il pouvait ainsi manipuler la peur de l'enfant et se sentir fort . Consciemment, il voulait donner quelque chose de bon a sa fille , quelque chose qui lui avait manqué autrefois , à savoir une protection , un apaisement , une un e explication. Mais inconsciemment , il lui communiquait aussi la peur de sa propre enfance , l'attente d'un malheur et l'interrogation restée sans réponse (elle aussi depuis sa propre enfance) : « Po Pour urqu quoi oi l'être q u i , e t qu quii m'aime, me fait-il tellement peur ? » Chaque être humain a sans doute en lui une chambre secrète où se cachent les accessoires du drame de son enfance. Peut-être que s'y cachent sa folie, sa perversion secrètes ou tout simplement la part de sa douleur d'enfant qu'il n'a pu surmonter . Seuls ses propres enfants auront à coup sûr accès à cette chambre. Avec eux, une nouvelle vie pénètre dans cette chambre et le drame peut se pour suivre . Seulement , l'enfant n'a eu aucune possibilité de jouer librement avec ces accessoires , car son rôle se confondait avec sa vie . Il n'a pu conserver aucun souvenir de ce jeu dans sa vie ultérieure à moins de le répéter inconsciemment dans une analyse , où son rôle peut devenir interrogation . Les accessoires lui faisaient certes peur parfois, car il ne pouvait pas les mettre en relation avec la personne en qui il avait pourtant confiance d'habitude , sa mère ou son père ; et ceci est compréhensible car ces accessoires incarnaient justement la partie non intégrée , détachée , de ses parents . Mais l'enfant ne peut pas vivre consciemment cette ce tte contradict contr adiction ion ; il accepte to ut et développe tout au plus des symptômes . C'est dans l'analyse que réapparaissent les sentiments d'autrefois : sentiments de terreur , de désespoir , de révolte , de mé fiance et si la reconstruction du destin des parents réussit de pitié et d'indulgence. Est-ce un hasard si Heinrich Pestalozzi, qui perdit son père à l'âge de six ans et qui, malgré la présence de sa mère et d'une bonne d'enfants, était émotionnellement
LE TRO UBL E NARCIS SIQUE DU PSYCH ANAL YSTE
|
39
abandonné , eut l'idée de recourir aux théories de Rous seau pour éduquer son fils , alors qu'il était d'autre part
LE TRO UBL E NARCIS SIQUE DU PSYCH ANAL YSTE
|
39
abandonné , eut l'idée de recourir aux théories de Rous seau pour éduquer son fils , alors qu'il était d'autre part capable d'être spontanément chaleureux et « paternel » avec les orphelins étrangers 3 ? Pour finir il négligea l'éducation de son fils, qui passait pour un « faible d'esprit » à l'âge de dix ans et fut pour Pestalozzi la cause de beaucoup de chagrin et de remords ; il mourut à l'âge de trente ans (cf . H . Ganz, 1966, et M. Lavater - Sloman, 1977). Et c'est Pestalozzi qui aurait dit une fois : « Tu peux chasser le diable de ton jardin, tu le retrouveras dans celui de ton fils. » En psychanalyse nous dirions : ce sont les parties détachées, non intégrées des parents que l'enfant introjecte.
REMARQUES
FINALES
Plus on comprend les mécanismes de la manipulation inconsciente et involontaire des enfants par les parents, moins on garde d'illusions quant a la possibilité de changer le monde ou de prévenir les névroses. La seule chose que nous pourrions faire, me semble-t-il, serait d'élaborer nos troubles narcissiques, d'intégrer nos parties détachées, pour ne plus avoir un besoin si pressant de
3. On pe ut lire chez H. Ganz (1966) (1966) : « Pet it Ja cq ue s va s'occuper de son propre jardin, il y fera pousser des plantes, y rassemblera avec ordre, méthode et application des pupes et des scarabées..., quel frein à la paresse et à la sauvagerie », petit Jacques a trois ans et demi. Un an plus tard à peu près, petit Jacques, qui ne savait pas écrire, dicta joyeusement à sa maman, à l'occasion de la fête de son papa, « moitié chan tant, moitié marmonnant » : « Je souhaite à mon gentil papa... que tu vives encore longtemps et je te remercie cent mille fois pour tout le bien que tu m'as fait... pour m'avoir élevé si gentiment et si gaiement. Maintenant j'aimerais te dire ce qui sort de mon cœur... ça me réjouit énormément que tu puisses dire, J ai élevé mon fils dans la joie... je suis son bonheur et sa joie, et puis j'aimerais t e remercier pour ce que tu as fait dans ma vie... » (p. 53).
40
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
manipuler inconsciemment nos patients à l'aide de nos théories, afin de pouvoir les laisser devenir ce qu'ils sont. Seule la douloureuse expérience qu'est la découverte
40
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
manipuler inconsciemment nos patients à l'aide de nos théories, afin de pouvoir les laisser devenir ce qu'ils sont. Seule la douloureuse expérience qu'est la découverte de notre propre vérité et son acceptation peuvent nous libérer , du moins en partie , de l'espoir de trouver peut être chez nos patients , à l'aide d'interprétations judi cieuses une mère compréhensive et empathique dont nous puissions disposer. Cette tentation ne doit pas être sous -estimée : notre propre mère ne nous a que rarement ou même jamais écouté avec autant d'attention que le fait le plus souvent un patient , et elle ne nous a jamais confié sa vie intérieure avec autant de sincérité et de manière aussi compréhen sible. Mais le travail du deuil de notre vie , jamais ter miné, nous aidera à ne pas nous laisser prendre à cette illusion. Nous avions autrefois besoin d'une mère pleine d'empathie et large d'esprit, compréhensive , disponible et utilisable , transparente , claire , sans contradictions surtout et sans angoissante chambre aux accessoires. Or cette mère nous ne l'avons pas eue et elle ne peut pas exister, car n'importe quelle femme porte en soi une part de « passé insurmonté » qu'elle transmet inconsciemment à son enfant. Une mère ne peut être compréhensive que lorsqu'elle s'est libérée de son enfance et ne peut faire autrement que de réagir sans empathie lorsque , à cause des refoulements de son destin, elle porte des chaînes invisibles. Il existe par contre des enfants intelligents, éveillés, attentifs, hypersensibles, adaptés et qui, parce qu'entiè rement dévoués au bien-être de la mère sont aussi utili sables , transparents, clairs et manipulables. Ils le reste ront tant que leur vrai Soi (leurs sentiments) restera dans la cave de la maison transparente qu'ils doivent habiter... parfois jusqu'à la puberté ou jusqu'à l'analyse, et sou vent même jusqu'à ce qu'ils aient eux-mêmes des enfants. L'une des Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet
LE TROU BLE NARCIS SIQUE DU PSYCH ANALY STE
|
41
peut paraître un peu étrange , mais illustre bien ces phé
LE TROU BLE NARCIS SIQUE DU PSYCH ANALY STE
|
41
peut paraître un peu étrange , mais illustre bien ces phé nomènes . J'aimerais pour finir en résumer le contenu . Il était une fois un enfant qui avait une cervelle d'or. Ses parents remarquèrent ce fait étrange lorsque , l'enfant s'étant blessé à la tête , ils virent couler de l'or à la place du sang. Ils commencèrent alors à protéger soigneusement leur fils et lui interdirent de fréquenter d'autres enfants, afin qu'il ne se fît pas voler. Lorsque le garçon eut grandi et qu'il voulut voir le monde, sa mère lui dit : « Nous avons tant fait pour toi, nous devrions aussi profiter de ta fortune. » Le fils s'arracha alors un gros morceau de sa cervelle et le donna à sa mère. Grâce à sa fortune il vécut sur un grand pied avec un de ses amis qui, une fois, pendant la nuit, lui vola un morceau de sa cervelle avant de prendre la fuite. L'homme à la cervelle d'or décida alors qu'à l'avenir il cacherait son secret, et qu'il travaillerait car sa fortune diminuait à vue d'œil. Un jour, il devint amoureux d'une petite femme blonde, qui l'aimait bien aussi, mais qui préférait encore les beaux habits qu'il lui offrait, dépensant sans compter. Il épousa la jeune fille et fut heureux, mais sa femme mourut au bout de deux ans, et pour son enterrement, qu'il voulait magnifique , il dépensa tout le reste de sa fortune. Un jour qu'il errait dans les rues , faible, pauvre et malheureux , il vit dans une vitrine de jolies petites bottes qui auraient beaucoup plu à sa femme. Il oublia qu' elle e lle était morte peut-être parce que sa cervelle vidée ne pouvait plus travailler et il entra dans le magasin pour acheter les bottes. Mais à ce moment, il s' effondra effondra et la marchande trouva un cadavre qui gisait à terre. Daudet, qui devait lui-même mourir d ' une u ne maladie de la moelle épinière, écrit a la fin : « Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d' un u n bout à l ' autre. autre. Il y a par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de leur cerveau , et paient en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les moindres choses
42
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
de la vie. C'est pour eux une douleur de chaque jour : et puis , quand ils sont las de souffrir... » L'amour maternel n'est-il pas une de ces « moindres
42
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
de la vie. C'est pour eux une douleur de chaque jour : et puis , quand ils sont las de souffrir... » L'amour maternel n'est-il pas une de ces « moindres choses », mais aussi des plus indispensables de la vie, que beaucoup d'êtres humains doivent payer paradoxale ment de leur vitalité ?
La dépression et la grandiosité : deux formes parentes du trouble narcissique
1
INTRODUCTION
J ' aimerais aimerais essayer de formuler des pensées que j ' a i développées au cours des années sur la base de mon travail d ' analyste. a nalyste. Ce travail comprend bien sûr des analyses et des supervisions, mais aussi de nombreux entretiens avec des personnes qui, cherchant un analyste, ont parlé pendant une ou deux heures avec moi. Dans ces courtes entrevues , l ' aspect a spect tragique du destin individuel apparaît avec une clarté et une intensité bouleversantes. Ce qu'on appelle généralement dépression et qui se traduit par des sentiments de vide intérieur, d'isolement, d'absur dité de l'existence ou d'angoisse de la pauvreté et de la solitude, se révèle toujours être lié, me semble- t-il, à la tragédie de la perte du Soi, ou de l'aliénation du Soi, très répandues dans notre société et surtout dans notre génération. Grâce au travail de reconstruction effectué durant des années avec mes patients, je crois avoir cerné les origines , dans l'enfance, de cette aliénation du Soi. Les observations des interactions premières mèreenfant, formulées par M. Mahler, R. Spitz et J. Robertson, confirment mes suppositions. A la lecture de D. Winnicott j'ai relevé beaucoup de points communs entre ma pensée et la sienne, ce qui m'a encouragée à continuer sur cette voie. Enfin, les travaux de H. Kohut me permirent de conceptualiser les conclusions auxquelles j'étais arrivée, grâce notamment à sa définition de l'investissement nar cissique.
Dans ce qui suit, j'ai renoncé au langage métapsy chologique de la théorie structurale, et j'ai essayé de développer sur le fond de la relation mère-enfant les
46
|
LE DRAME DE L' EN FAN T DOUÉ
rapports que j'aimerais mettre en évidence. Une grande partie des phénomènes décrits ici se déroulent bien sûr a l'intérieur du psychisme, mais la relation d'objet pré cède toute internalisation et sa langue me semble plus
46
|
LE DRAME DE L' EN FAN T DOUÉ
rapports que j'aimerais mettre en évidence. Une grande partie des phénomènes décrits ici se déroulent bien sûr a l'intérieur du psychisme, mais la relation d'objet pré cède toute internalisation et sa langue me semble plus imagée, plus proche des se ntiments ntime nts et plus compréhensible.
DESTINS
DES
BESOINS
NARCISSIQUES
D'après Kohut, nous investissons narcissiquement un objet lorsque nous ne le considérons pas comme centre de sa propre activité, mais comme une partie de nous même. Si cet autre être ne se comporte pas comme nous l'attendons ou comme nous en avons besoin, nous sommes immen im mensém sémen entt déçus ou même blessés ; c'est comme si notre bras ne nous obéissait plus ou si une fonction tout à fait naturelle (la mémoire par exemple) cessait de fonctionner. La perte soudaine du contrôle peut aussi provoquer une fureur narcissique très intense (cf. H. Kohut, 1971, 1973). Pour autant que nous nous appliquions à qualifier cette attitude de patholo gique, d'irréaliste et d'égocentrique, elle est beaucoup plus répandue, même chez les adultes, qu'il n'y paraît à première vue. Et, au commencement de la vie, c'est la seule attitude possible. En effet, la mère est normale ment l'objet investi narcissiquement, elle est la fonc tion de l'individu en formation ; ceci est vrai non seule ment pendant la phase du narcissisme primaire (dans la phase symbiotique) , mais aussi après la lente séparation entre le Soi et l'objet. Chaque enfant a le besoin narcissique légitime d'être v u , compris , respecté et pris au sérieux par sa mère.
LA DÉPR ESSI ON ET LA GRANDIOS ITÉ
|
47
Pendant les premières semaines et les premiers mois de son existence il dépend de sa mère à-dire qu'il
LA DÉPR ESSI ON ET LA GRANDIOS ITÉ
|
47
Pendant les premières semaines et les premiers mois de son existence , il dépend de sa mère , c ' est es t - à-dire qu'il doit pouvoir disposer d'elle , l'utiliser, se refléter en elle. Cette image de Winnicott illustre très bien cela : la mère regarde son bébé, qu ' elle e lle tient dans les bras, le bébé regarde le visage de sa mère et il s' y retrouve luimême... à condition que la mère regarde vraiment ce petit être unique et sans défense , et qu' elle e lle ne projette pas ses propres introjects , ses propres espoirs , ses peurs ou ses projets sur son enfant ; dans ce dernier cas , l'enfant ne trouvera rien d'autre dans le visage de sa mère que la détresse de celle-ci. Il n'aura donc pas de miroir et, pendant toute son existence, il le cherchera en vain.
I Narcissisme sain Si un enfant a la chance d'être élevé par une mère qui le reflète, qui se laisse investir narcissiquement , qui est disponible, c'est-à-dire une mère qui se laisse « utiliser » comme fonction du développement narcissique de son enfant, selon l'expression de M. Mahler (1973), son senti ment de soi va peu à peu se développer sainement. Le cas optimal est celui d'une mère qui offre à l'enfant un climat affectif accueillant en même temps qu'elle comprend ses besoins. Mais, même une mère qui n'est pas très affectueuse peut rendre ce développement pos sible, pourvu qu'elle ne l'empêche pas ; en effet , l'enfant peut alors trouver ce qui manque à sa mère chez d'autres personnes. Différentes recherches ont montré cette faculté formidable qu'a l'enfant équilibré de tirer parti de la moindre « ressource » (incitation) affective se trouvant dans son entourage. Pour moi , un être a un sentiment de soi sain lorsqu'il possède la certitude que les sentiments et les désirs qu'il ressent appartiennent à son propre Soi. Cette certitude
48
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
n'est pas le fait d'une réflexion, elle est là comme le pouls auquel on ne fait pas attention tant qu'il bat normale ment. C'est dans cet accès direct et naturel à ses propres
48
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
n'est pas le fait d'une réflexion, elle est là comme le pouls auquel on ne fait pas attention tant qu'il bat normale ment. C'est dans cet accès direct et naturel à ses propres sentiments et à ses propres désirs que l'homme trouve le soutien dont il a besoin, et surtout la source du respect qu'il éprouve pour lui - même. II peut vivre ses sentiments, être triste, désespéré, ou avoir besoin d'aide, sans que naisse la peur d'avoir insécurisé l'introject maternel. Il a le droit d'avoir peur lorsqu'il est menacé, de se mettre en colère lorsqu'il ne peut pas satisfaire ses désirs. Il sait non seulement ce qu'il ne veut pas, mais aussi ce qu'il veut, et il peut l'exprimer sans s'occuper de savoir si cela le fera aimer ou détester. J'aimerais maintenant énumérer un certain nombre de critères propres au développement narcissique réussi, tout en précisant que je construis ici un cas idéal dont on ne fait que s'approcher dans la réalité. On pourrait d'ail leurs parler de vitalité et de liberté intérieure , plutôt que de « narcissisme sain ». 1. Les pulsions agressives ont pu être neutralisées, car elles n'ont pas ébranlé l'assurance de la mère et son res pect de soi. 2. Les tentatives de l'enfant pour accéder à son auto nomie n'ont pas été ressenties comme des agressions. 3. L'enfant a eu le droit de vivre jusqu'au bout des sentiments ordinaires comme la jalousie, la colère ou l'obstination, car sa mère ne l'a pas utilisé dans un but « particulier », elle ne l'a pas destiné à devenir par exemple 1' « enseigne » de son éthique. 4. L'enfant ne devait (dans le cas optimal) plaire à personne, il pouvait laisser croître et montrer ce qui vivait en lui à chaque stade de son développement. 5. Il pouvait « utiliser » ses parents, les « employer » comme le dit Winnicott, car ils n'étaient pas dépendants de lui. 6. Ces conditions lui permirent d'effectuer une vraie
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
49
séparation entre la représentation du Soi et la représentation de l'objet
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
49
séparation entre la représentation du Soi et la représentation de l'objet .
7. Ayant le droit de montrer des sentiments ambiva lents , l ' enfant enfant put apprendre à vivre aussi bien son Soi que l'objet comme étant à la fois bons et méchants, sans avoir à séparer le « mauvais » objet du « bon » objet. 8. Le fait que les parents aimaient leur enfant en tant qu'être autonome l'a rendu capable d'un authentique amour objectai. 9. L'enfant n'a pas ques , ni s'en défendre ,
dû refouler ses besoins narcissi il a pu les intégrer puisqu'il n'a pas subi de frustrations traumatiques mais uniquement pro pres aux différentes phases de développement. 10. 10. Cette intégra in tégration tion a permis une transforma trans formation tion de ces besoins donnant naissance à une matrice régulatrice des pulsions , sur la base de ses propres expériences. II Le trouble narcissique Qu'arrive-t-il lorsque la mère est non seulement inca pable de prendre en charge les fonctions narcissiques de l'enfant , mais qu'elle a de plus elle-même des besoins narcissiques insatisfaits , ce qui est très fréquent ? Elle va essayer , de manière tout à fait inconsciente et malgré sa bonne volonté, de satisfaire ses propres besoins narcissiques à l'aide de son enfant, elle va l'investir nar cissiquement. Cela n'exclut d'ailleurs pas une véritable affection. Au contraire. Mais cet « amour » n'offre à l'enfant ni la continuité, la constance indispensables à son développement, ni l'espace dont il aurait besoin pour vivre ses sentiments et ses sensations. L'enfant développe alors quelque chose qui, sur le moment, lui sauve la vie (lui assure l'amour de ses parents), mais ceci risque de l'empêcher toute sa vie d'être lui-même. Dans un cas pareil, les besoins narcissiques de l'enfant, besoins tout à
50
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
fait naturels à son âge (voir plus haut), ne peuvent être intégrés à sa personnalité en formation, ils doivent être repoussés ou même refoulés, r efoulés, du moins en part pa rtie ie ; ils
50
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
fait naturels à son âge (voir plus haut), ne peuvent être intégrés à sa personnalité en formation, ils doivent être repoussés ou même refoulés, r efoulés, du moins en part pa rtie ie ; ils gardent ainsi leur forme archaïque, ce qui, plus tard, rend leur intégration encore plus difficile . Nous lisons chez M. Mahler : « C'est le besoin inconscient spécifique de la mère qui, des potentialités infinies du nourrisson, active en particulier celles qui créent pour chaque mère 1' "enfant" qui est le reflet de ses propres besoins uniques et individuels... » (éd. fr. 1973). Et plus loin : « En d'autres termes, la mère transmet de mul tiples façons une sorte de "cadre de référence en miroir" auquel s'ajuste automatiquement le self primitif de l'enfant . Si la "préoccupation primaire" de la mère au sujet de son enfant sa fonction de réfléchir en miroir pendant la première enfance est imprévisible, instable, anxieuse ou hostile, si sa confiance en elle-même est chan celante, alors l'enfant en voie d'individuation doit se tirer d'affaire sans cadre fiable de référence qui permet trait une contre-épreuve perceptive et émotionnelle auprès du partenaire symbiotique. Le "sentiment pri mitif du self"... en sera alors per turb tu rbéé » (1973, p. 29 ; c'est moi qui souligne, A. M.). Mes patients avaient tous, à deux exceptions près, des mères souffrant de troubles narcissiques, manquant d'as surance et dépressives. Leur enfant, souvent l'aîné de la famille ou le seul enfant du couple, était l'objet de leur investissement narcissique. Ce que ces mères n'ont pas reçu en leur temps de leur propre mère, elles peuvent le trouver chez leur enfant : en effet, celui-ci est disponible, elles peuven peu ventt le contrôler cont rôler et l'utilise l'ut iliserr comme miroir, miroir , car il concentre toute son attention sur sa mère, ne l'aban donne jamais et lui porte une admiration sans bornes. Lorsque leur enfant exige trop d'elles (comme le faisaient leurs mères autrefois), elles ne se laissent pas tyranniser, elles ne sont plus sans défense et peuvent éduquer
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
51
leur enfant afin qu'il ne crie pas et ne dérange pas . Elles ont enfin trouvé un être qui les respecte et les considère.
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
51
leur enfant afin qu'il ne crie pas et ne dérange pas . Elles ont enfin trouvé un être qui les respecte et les considère. J'aimerais donner un exemple qui illustre très bien cela. Une patiente , elle-même mère de quatre enfants , ne parlait que très rarement de sa mère. Au début du traitement, elle la décrivait comme une femme chaleu reuse et affectueuse qui s'occupait beaucoup de ses enfants, se sacrifiait entièrement à sa famille et qui, très tôt déjà, « parlait ouvertement de ses soucis » à sa fille. Elle était du reste très sensible aux problèmes des autres, et c'est pourquoi les adeptes de la secte dont la famille faisait partie lui demandaient souvent des conseils. Elle était d'autre part très fière de sa fille, m'expliqua ma patiente. Maintenant, sa mère était vieille et fragile et elle me dit qu'elle se faisait beaucoup de soucis quant à sa santé. Elle rêvait d'ailleurs souvent qu'il était arrivé quelque chose à sa mère et ces rêves étaient toujours très angoissants. Dans la suite de l'analyse, sous l'effet des sentiments apparaissant dans le transfert, l'image de cette mère se transforma considérablement. C'est surtout au moment où nous abordâmes dans l'analyse la période de son édu cation à la propreté que la patiente commença à trouver que sa mère, qu'elle vivait à travers moi, était despotique et exigeante, qu'elle voulait la contrôler, la manipuler, qu'elle était méchante, froide, bête, bornée, obsession nelle, susceptible , exaltée , fausse et harassante. La patiente projetait sans doute dans cette image toute sa rage contenue pendant si longtemps , mais la mère de ses souvenirs d'enfance avait des traits parfois vrai ment assez semblables. C'est seulement avec le temps , après avoir mis en scène dans l'analyse certaines situations de son enfance que la patiente découvrit , à travers sa relation avec ses propres enfants, le vrai visage de sa mère. Vers la fin de l'analyse, elle m'expliqua que sa mère avait sans doute effective-
52
|
LE DRAME D E L'ENFANT DOUÉ
ment été méchante et froide dans les moments où elle manquait d'assurance face à sa fille . La mère s'occupait alors anxieusement de son enfant et cette formation
52
|
LE DRAME D E L'ENFANT DOUÉ
ment été méchante et froide dans les moments où elle manquait d'assurance face à sa fille . La mère s'occupait alors anxieusement de son enfant , et cette formation réactionnelle l'aidait à se défendre contre ses agressions et contre la jalousie qu'elle éprouvait à l'égard de sa fille. Ayant été elle-même humiliée durant son enfance, elle cherchait à s'imposer a sa fille . Peu à peu, l'image de la mère affectueuse et celle de la méchante sorcière se rejoignirent et se fondirent en un portrait d'un être humain qui, par faiblesse , par manque d'assurance et par vulnérabilité , avait besoin de mettre son propre enfant à sa disposition. Cette mère qui fonctionnait apparem ment si bien était elle -même un enfant dans sa relation avec son propre enfant . Et celle-ci avait endossé le rôle de l'être compréhensif et attentionné, jusqu'au jour où, face à ses propres enfants, elle avait découvert en elle l'enfant exigeant qui essayait sans cesse de disposer des autres comme s'il était poussé par une compulsion . Tous les enfants de mère narcissiquement indigente ne souffrent pas forcément de ce trouble . Lorsqu'un des enfants joue ce rôle particulier, ses frères et sœurs jouis sent en général d'une plus grande marge de liberté. D'autre part, les enfants qui ont été élevés dès leur naissance par des nourrices ou des tuteurs ont souvent plus de facilité que les autres à développer leur propre personnalité , car il est plus rare qu'ils soient investis narcissiquement. Dans son roman Le lys dans la vallée, Honoré de Balzac décrit son enfance. Sa mère lui préférait son frère et elle confia le petit Honoré à une nourrice avant de l'envoyer dans un pensionnat. Ce fut pour lui une grande souf france et , toute sa vie , il courtisa sa mère à travers plusieurs femmes. Mais ce fut peut - être une chance que de n'avoir pas été utilisé comme « enseigne » par cette mère. Cet amour désespéré lui valut de conserver la possibilité d'une richesse de sentiments et d'une capacité
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
53
de souffrance peu communes . Le cas de Van Gogh
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
53
de souffrance peu communes . Le cas de Van Gogh semble être assez assez semblable ; sa mère pleura ple ura tout to utee son existence son premier Vincent , qui était mort en bas â g e , et qu'elle avait par la suite fortement idéalisé (cf. H. Nagera , 1968). L'enfant investi narcissiquement a la possibilité de développer normalement ses facultés intellectuelles, mais non sa propre expression, et ceci peut avoir des consé quences graves pour son bien - être. L'intellect assure certes une fonction prothétique d'une valeur inestimable, puisqu'il renforce les défenses. Mais derrière ces défenses, les troubles narcissiques peuvent encore s'aggraver. On trouve dans la pratique plusieurs formes inter médiaires et variantes du trouble narcissique. Mais, pour plus de clarté, je vais essayer de décrire deux de ses formes extrêmes, considérant l'une comme le revers de l'autre : la grandiosité et la dépression. Derrière la grandiosité manifeste, la dépression guette, et derrière l'humeur dépressive se cachent des fantasmes de grandeur souvent inconscients ou alors conscients mais détachés. En fait, la grandiosité est une défense contre la dépression, et la dépression est une défense contre la profonde douleur de la perte du Soi. 1. La grandiosité
L'être « grandiose » est admiré partout et il a besoin de cette admiration, il ne peut pas vivre sans elle. Il doit réussir brillamment tout ce qu'il entreprend, et il y parvient (il n'entreprend jamais rien d'autre que ce qu'il est sûr de réussir). Il s'admire lui-même pour ses qualités : pour sa beauté, son intelligence, son talent, ses réussites et ses performances. Mais malheur à lui si une de ces qualités lui fait défaut : la catastrophe de la dépression profonde est alors imminente. On pense généralement qu'il est normal que des êtres vieux ou malades, qui ont subi de grandes pertes, ou que des femmes atteignant
54
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
l'âge de la ménopause deviennent dépressifs. Mais il y a pourtant des gens qui sont capables de supporter la perte de leur beauté, de leur santé, de leur jeunesse ou d'êtres qui leur sont chers, en éprouvant certes un grand
54
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
l'âge de la ménopause deviennent dépressifs. Mais il y a pourtant des gens qui sont capables de supporter la perte de leur beauté, de leur santé, de leur jeunesse ou d'êtres qui leur sont chers, en éprouvant certes un grand deuil, mais sans pour autant tomber dans la dépres sion. Et réciproquement : il y a des gens très doués qui souffrent de dépressions graves ; ce sont d'ailleurs souvent les plus doués. Lorsque, au lieu de dépendre de certaines qualités, le sentiment de soi prend racine dans l'authen ticité des sentiments, on ne risque pas de tomber dans la dépression. L'effondrement du sentiment de soi chez l'être « gran diose » montre très clairement que ce sentiment est en suspension dans l'air, « accroché à un ballon » (rêve d'une patiente) qui s'envole très haut lorsque le vent est bon mais qui, au moindre trou d'air, chute et n'est plus alors qu'un lambeau de caoutchouc gisant à terre. Cet être n'a rien développé qui lui appartienne en propre, où il aurait pu trouver plus tard un appui. Les partenaires de l'être « grandiose » (y compris le partenaire sexuel) sont aussi investis narcissiquement. Les autres sont là pour l'admirer, et il est sans cesse occupé occupé à s'assurer cette c ette admira adm iratio tionn (à la mérite mér iter), r), il s'y donne corps et âme. Et ceci est l'expression de sa dépendance torturante. Le traumatisme de l'enfance se répète : il est toujours l'enfant admiré de sa mère, mais, en même temps, il sent qu'aussi longtemps qu'on admire ses qualités on ne l'aime pas pour ce qu'il est vraiment. A côté de la fierté que peuvent ressentir les parents d'avoir un enfant aussi doué, se cache, dangereusement proche, la honte qu'ils éprouveraient s'il ne remplissait pas leurs attentes. Dans une étude de « Chestnut Lodge » datant de 1954, on a fait des recherches sur l'environ nement familial de 12 patients souffrant d'une psychose maniaco-dépressive. Les résultats de cette étude confir
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
55
ment dans une large mesure les conclusions auxquelles j' ét ais ai s arrivée arri vée,, par pa r une to ut autr au tree oie, oie, quan qu antt à l'étiolog l'étiologie ie
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
55
ment dans une large mesure les conclusions auxquelles j' ét ais ai s arrivée arri vée,, par pa r une to ut autr au tree oie, oie, quan qu antt à l'étiolog l'étiologie ie de la dépression et à celle, je pense, du trouble narcissique en général . « Tous les patients étaient nés dans des familles qui se sentaient isolées socialement et peu estimées dans leur entourage . C'est pourquoi les membres de ces familles faisaient tout pour accroître leur prestige auprès de leurs voisins, se faisant remarquer par leur conformisme et leurs performances. Et l'enfant qui devait devenir plus tard notre patient y jouait toujours un rôle particulier. Il devait défendre l'honneur de la famille, et il n'était aimé que s'il était capable, en vertu de ses facultés, de ses dons particuliers, de sa beauté, etc. (c'est moi qui sou ligne, A. M.), de satisfaire aux représentations idéales de sa famille. S'il n'y parvenait pas, on le punissait en le repoussant, en le bannissant de la famille et en le rendant incontestablement coupable d'avoir déshonoré les siens » (cité d'après M. Eicke-Spengler, 1977, p. 1104). J'ai également remarqué l'isolement des familles chez mes patients, cependant il n'était pas la cause mais bien la conséquence du trouble narcissique des parents. L'être grandiose ne peut défaire ce lien tragique qui unit l'admiration et l'amour. Par une compulsion de répétition il recherche insatiablement l'admiration, qui pourtant ne lui suffit jamais, car l'admiration n'est pas identique à l'amour. Elle est la satisfaction de rechange du besoin primaire, resté inconscient, d'être respecté, pris au sérieux et compris. Lorsque, dans un groupe de discussion du Congrès de Paris de 1973, Kernberg parla de la jalousie très intense des êtres souffrant de troubles narcissiques, il remarqua, sans avoir l'air d'y toucher : « Ces êtres sont jaloux de tout, même des relations objectales des autres. » On pourrait imaginer que c'est justement là que se cachent les racines inconscientes de leur jalousie. Une patiente me dit une fois qu'elle avait l'impression d'avoir
56
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
marché jusqu'à présent avec des échasses. Comment un être qui marche continuellement avec des échasses ne serait il pas jaloux de ceux qui marchent sur leurs pieds,
56
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
marché jusqu'à présent avec des échasses. Comment un être qui marche continuellement avec des échasses ne serait - il pas jaloux de ceux qui marchent sur leurs pieds, même s'ils lui paraissent plus petits, « plus médiocres » que lui-même ? Et comment n ' accumulerait-il a ccumulerait-il pas une fureur contenue contre ceux qui l ' ont o nt rendu incapable de marcher sans échasses ? C'est ainsi que naît, grâce au mécanisme de défense du déplacement, la jalousie des autres. Au fond l'être grandiose est jaloux de l'être sain, car celui-ci ne doit pas sans arrêt s'efforcer de mériter l ' admiration a dmiration , de faire tel ou tel effet, il peut tranquille ment se permettre d'être « moyen ». La grandiosité manifeste, surtout dans le domaine érotique, est souvent appelée « narcissisme phallique ». Des femmes présentant la structure et la pathogenèse décrites ici sont souvent conscientes de leur « position particulière », aussi sur le plan sexuel, pendant la phase œdipienne (ou même plus tôt dans les cas où le père remplaçait la mère sur le plan affectif). Ces femmes , à cause de leur développement pendant la phase préœdipienne , étaient particulièrement prédestinées à devenir 1' « enseigne » de leur mère. Si, de plus, il y a eu séduction par le père, cette femme recherchera toujours, poussée par la compulsion de répétition, cette situation parti culière avec les hommes. Elle devra également refouler la rivalité douloureuse du triangle œdipien afin de pouvoir conserver, dans son fantasme, sa « position privilégiée » auprès de son père. Enfin, elle ressent son incapacité de vivre un amour objectai comme une blessure narcis sique , car son ambition est d'être une femme à part entière, c' est-à-dire est-à-dire capable d ' aimer. aimer. Cela aussi , paradoxalement, elle le doit à sa mère introjectée et entre-temps trans formée. Le cas de l ' homme h omme dit « phallique » est peut-être plus simple. Il est le fils préféré de sa mère et, dans la situa tion de séduction, il est aussi son objet sexuel privi-
LA DÉP RES SIO N ET LA GRANDI OSITÉ
|
57
légié1. « L'homme phallique » est obligé d'être un « type épat ép atan antt » pour pou r se sentir viril. Mai Maiss dès qu'il qu' il doit être quelque
LA DÉP RES SIO N ET LA GRANDI OSITÉ
|
57
légié1. « L'homme phallique » est obligé d'être un « type épat ép atan antt » pour pou r se sentir viril. Mai Maiss dès qu'il qu' il doit être quelque chose de particulier et qu'il ne peut pas être ce qu'il est, il perd naturellement sa conscience de soi. Il essaye alors de regonfler son sentiment de soi, ce qui amène un nouvel affaiblissement narcissique et ainsi à l'infini. Dans son Casanova, Fellini nous a montré de manière impres sionnante cet homme et sa détresse. L'être grandiose n'est jamais vraiment libre : 1) parce qu'il est terriblement dépendant de l'admiration des objets ; 2) parce que son respect de soi dépend de cer taines qualités, fonctions et performances qui peuvent s'effondrer soudainement. 2. La dépression, revers de la grandiosité
Chez les patients que j'ai connus, la dépression était combinée de diverses manières avec la grandiosité. 1. Parfois la dépression apparaissait lorsque, à cause d'une maladie grave, d'une invalidité ou du vieillissement , la grandiosité s'effondrait. Je citerai , par exemple, le cas d'une femme célibataire d'un certain âge qui voyait lentement tarir la source des satisfactions narcissiques extérieures dont elle avait tant besoin. La confirmation que lui donnaient donn aient continuellement continuellemen t les les hommes ho mmes lui fit soudainement défaut. Or cette confirmation, qui rem plaçait le reflet de la mère, suffisait tout juste à exercer cette fonction prothétique. Le désespoir de vieillir était apparemment dû à l'absence de contacts sexuels, mais en profondeur s'agitaient des peurs d'abandon pré œdipiennes, datant de la phase symbiotique, contre lesquelles cette femme ne pouvait plus lutter par de nouvelles conquêtes. Tous ses miroirs de rechange étaient 1. Cf. l'étiologie de la perversion chez Chasseguet-Smirgel (1973) : déni de la barrière des générations, abolition de la blessure narcissique chez le garçon, qui se sent supérieur à son père.
58
|
LE DRAM E DE L ' ENFANT DOUÉ
brisés, elle était de nouveau là, délaissée et désemparée, comme la petite fille d'autrefois face au visage de sa mère, dans lequel elle ne trouvait pas son propre reflet
58
|
LE DRAM E DE L ' ENFANT DOUÉ
brisés, elle était de nouveau là, délaissée et désemparée, comme la petite fille d'autrefois face au visage de sa mère, dans lequel elle ne trouvait pas son propre reflet mais le désarroi le plus profond . Les hommes dits « phal liques -narcissiques » vivent en général leur vieillissement de manière assez semblable, même si le fait d'être une nouvelle fois amoureux leur rend parfois l'illusion de la jeunesse pour un moment ; dans ce cas, la dépression du vieillissement sera, au début, entrecoupée de phases maniaques. 2. Cette alternance de dépression, de grandiosité par phases se retrouve chez beaucoup d'êtres humains. Car ce sont en fait les deux faces de la même médaille, médaille de ce que l'on pourrait appeler le « faux Soi » et qui fut effectivement décernée à l'enfant pour récom penser ses performances. C'est ainsi qu'un acteur, par exemple, peut, le soir de son triomphe, se refléter dans les yeux d'un public enthou siaste, et en éprouver des sentiments de toute - puissance et de grandeur divine. Mais si, au lieu d'avoir ses racines dans le plaisir que procure l'activité créatrice du jeu et de l'expression, ce bonheur est une satisfaction de rechange du besoin de recevoir un écho, d'être reflété, vu et compris, l'acteur éprouvera peut - être un sentiment de vide, une impression d'absurdité, ou même de la honte et du dépit, lorsqu'il se réveillera le lendemain de son triomphe. Si sa créativité était assez libérée de ces besoins, notre acteur ne tomberait pas dans la dépression le lendemain matin, il se sentirait plein de vitalité et il envisagerait déjà d'autres projets. Si le succès de la veille ne servait en revanche qu'à nier la frustration de son enfance, il ne lui procurera comme toute satisfac tion de rechange qu'un apaisement de courte durée. Il ne sera plus jamais vraiment pleinement satisfait. En effet, l'enfant d'autrefois n'existe plus, pas plus que ses parents d'alors. Les parents s'ils vivent encore
LA DÉPR ESSI ON ET LA GRANDIO SITÉ
sont aujourd'hui vieux et dépendants
| 59
ils n'exercent
LA DÉPR ESSI ON ET LA GRANDIO SITÉ
| 59
sont aujourd'hui vieux et dépendants , ils n'exercent plus aucun pouvoir sur leur fils et se réjouissent de ses succès et de ses rares visites. Aujourd'hui , cet acteur a du succès, il est reconnu, mais ce succès ne peut être plus que ce qu'il est, c'est - à - dire qu'il ne peut combler la faille qui date de l'enfance. Et tant qu'elle est niée à l'aide de l'illusion et de l'ivresse du succès, la plaie ne peut pas guérir.
La dépression le mène tout au bord de cette plaie, mais seul le deuil de ce qui a manqué au moment décisif pourrait la cicatriser 2 . 3. Il arrive qu'un être humain réussisse a maintenir l'illusion de la disponibilité et de l'affection de l'objet narcissique (dont il est obligé de nier l'absence durant sa première enfance, tout comme il nie ses vrais sentiments) en réalisant de manière ininterrompue des performances extraordinaires. Et il arrive à éviter la dépression qui le menace en étant particulièrement brillant, stupéfiant ainsi aussi bien son entourage que lui - même. Il choisit souvent un conjoint qui a déjà des traits dépressifs ou qui, dans le couple, prend en charge et met en acte incons ciemment la composante dépressive de l'être grandiose. La dépression se trouve ainsi en dehors de lui - même. Il s'occupe du « pauvre » partenaire , il le protège comme un enfant enfa nt et peut pe ut se sentir se ntir fort et indispensable indispe nsable ; il a 2. On peut donner comme exemple d'un travail du deuil réussi ce propos de Strawinsky : « Mon malheur était dû, j ' en suis persuadé, au fait que mon père était intérieurement très éloigné de moi et que ma mère ne me montrait aucune affection. Lorsque mon frère aîné mourut de manière tout à fait inattendue, ma mère ne reporta pas son amour sur moi et mon père resta aussi réservé qu ' avant ; je décidai alors qu ' un jour je leur montrerai de quoi j ' étais capable. Et le jour vint, le jour passa. Personne ne se rappelle de ce jour, j ' en suis le seul témoin survivant. » A l'opposé, on peut citer Samuel Beckett : « On peut dire que j'ai eu une enfance heureuse... bien que je n'aie jamais été très doué pour le bonheur. Mes parents ont fait tout ce qu'on peut faire pour rendre un enfant heureux. Mais je me suis souvent senti très seul. » (Les deux citations proviennent d'un article de H. MüllerBraunschweig, 1974.) Le drame de l'enfance a été ici totalement inter nalisé, l'idéalisation des parents a pu être maintenue grâce au déni, mais l'isolement infini de l'enfance de Beckett a trouvé son expression dans ses œuvres.
60
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
ainsi un pilier supplémentaire pour soutenir la structure de sa propre personnalité qui n'a pas de fondements solides et qui s'appuie sur la performance, la « force » et le déni de ses sentiments de l'enfance.
60
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
ainsi un pilier supplémentaire pour soutenir la structure de sa propre personnalité qui n'a pas de fondements solides et qui s'appuie sur la performance, la « force » et le déni de ses sentiments de l'enfance. 4. La dépression pe ut enfin enfin aussi être ressentie ressent ie comme une un e mauvaise humeur manifeste et continue, qui ne présente extérieurement aucun rapport avec la grandiosité. Mais on découvre toujours des fantasmes de grandeur refoulés ou détachés chez le dépressif, fantasmes qui s'expriment par exemple à travers son masochisme moral. Ses critères particulièrement rigoureux ne valent que pour lui. Des pensées ou des actes qu'il considérerait de sa part comme « vils » ou « mauvais », au regard d'un idéal du Moi extrêmement élevé, il les tolère sans difficulté chez les autres. Les autres peuvent être « ordinaires », lui ne se le permettra jamais. Bien que la dépression soit en apparence diamétrale ment opposée à la grandiosité, et qu'elle semble être plus directement liée à la perte du Soi que cette dernière, ces deux formes de trouble narcissique ont les mêmes racines . En effet, elles sont toutes deux l'expression d'une prison intérieure. L'être grandiose et le dépressif ont le même besoin compulsif de remplir inconditionnellement les vœux de leur mère introjectée ; mais, tandis que l'être grandiose est l'enfant réussi de sa mère, le dépressif se voit plutôt comme un raté . On peut cependant relever de nombreux points com muns : 1. Un faux Soi qui a entraîné la perte du vrai Soi potentiel ; 2. La fragilité du respect de Soi, qui, au lieu de naître de la capacité de ressentir ses propres sentiments et désirs, dépend de la réalisation du faux Soi ; 3. Le perfec per fectio tionni nnisme sme ; un idéal du Moi Moi très tr ès élevé ;
LA DÉ PRE SSI ON ET LA GRAN DIOS ITÉ
|
61
4. Le déni des sentiments méprisés (l'ombre absente dans le reflet de Narcisse) ;
LA DÉ PRE SSI ON ET LA GRAN DIOS ITÉ
|
61
4. Le déni des sentiments méprisés (l'ombre absente dans le reflet de Narcisse) ; 5. La prépondérance des investissements narcissiques des objets ; 6. La disposition à s'adapter , qui naît de la peur de la perte p erte d'amour d'amou r ; 7. L'envie à l'égard des êtres sains ; 8. De très fortes pulsions agressives , détachées et donc pas neutralisées ; 9. Une très grande vulnérabilité aux humiliations ; 10. La tendance aux sentiments de honte et de culpa bilité ; 11. L'inquiétude , l'agitation continuelle. On peut donc considérer la dépression comme un signal de la perte du Soi, qui est en fait le résultat du déni des sentiments et des réactions émotionnelles. Ce déni a débuté dans l'enfance, a l'époque où l'adaptation était indispensable à la survie , il est la conséquence de la peur de perdre l'amour de l'objet , et il se perpétue dans les rapports avec les introjects. La dépression nous renvoie donc à un trouble très ancien. Dès la toute petite enfance il manquait certains domaines affectifs qui auraient été indispensables à la formation d'un sentiment de soi sain. Les reconstructions qu'il m'a été possible d'effectuer à partir des analyses que j'ai menées me donnent à croire que certains enfants n'ont jamais pu vivre librement même leurs toutes premières sensations , comme par exemple le mécontentement, l'irritation, la colère, la douleur, le plaisir procuré par leur propre corps ou même la sensation de faim 3. 3. On en te nd parfois des mères rac on te r avec fier té que leurs nourr isson s ont appris à réprimer leur faim, et qu'ils attendent l'heure du repas calme ment, gentiment occupés. J'ai connu des adultes qui avaient vécu cela dans leur toute petite enfance et le relataient dans des lettres ; ces adultes ne savaient jamais vraiment s'ils avaient réellement faim ou s'ils se le « figuraient » seulement, et ils avaient sans cesse peur de tomber d'inanition. A . MILLER
62
3
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Lorsque l'enfant était mécontent ou irrité , sa mère doutait d'elle-même dans son rôle de mère, lorsqu'il avait
62
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Lorsque l'enfant était mécontent ou irrité , sa mère doutait d'elle-même dans son rôle de mère, lorsqu'il avait mal, elle avait peur, et lorsqu'il prenait plaisir à son propre corps, elle en ressentait de la jalousie ou même parfois de la honte, « à cause des autres » ; le plaisir de l'enfant ébranlait la formation réactionnelle de la mère (cf (cf . A. Miller, 1971). C'est ainsi que l'enfant apprit très t ô t le mode de sensibilité qui lui était interdit s'il ne voulait pas mettre en jeu l'amour de sa mère. Une patiente qui en était à sa quatrième année d'ana lyse m'annonça durant une séance, quelques semaines après la naissance de son troisième enfant, qu'elle se sentait libre et vivante avec son nourrisson. Ensuite elle me raconta qu'avec ses deux autres enfants elle s'était sentie continuellement surmenée, emprisonnée, utilisée et même « exploitée » par l'enfant, se révoltant contre ses exigences pourtant justifiées ; elle se trouvait d'ailleurs très méchante, et avait l'impression d'être coupée d'ellemême, comme dans la dépression. Elle me dit que ceci était peut-être une révolte contre les exigences de sa mère. En effet, avec son dernier enfant, tout était diffé rent. L'amour qu'elle avait eu tant de mal à éprouver venait de lui-même, tout à fait naturellement. Elle ajouta qu'elle était heureuse de ne faire qu'un avec son enfant et avec elle-même. Puis elle me parla de sa mère : « J'étais la perle de la couronne de ma mère. Elle disait toujours : "On peut compter sur Maïa, elle fait toujours ce qu'on lui demande." Et de fait, je le faisais ; j'ai élevé mes petits frères et sœurs afin qu'elle puisse se consacrer à sa carrière. Elle devenait de plus en plus célèbre, mais je ne l'ai jamais vue heureuse. Et j'aurais tellement voulu qu'elle fût là, le soir, lorsque j'étais seule avec les petits qui pleuraient , les consolant sans jamais verser une larme moi-même. Qui donc aurait besoin d'un enfant qui pleure ? Je n'avais droit à l'amour de ma mère que si j'étais sérieuse et compréhensive, si je me dominais et ne
LA DÉPR ESSI ON ET LA GRANDIOSIT É
|
63
la remettais jamais en question. Et je ne devais surtout pas montrer à quel point elle me manquait car cela aurait
LA DÉPR ESSI ON ET LA GRANDIOSIT É
|
63
la remettais jamais en question. Et je ne devais surtout pas montrer à quel point elle me manquait , car cela aurait limité sa liberté , dont elle avait tant besoin , et se serait donc retourné contre moi. Personne ne se doutait à quel point cette Maïa sérieuse , calme et agréable, se sentait seule, et combien elle souffrait. Mais qu'aurais-je pu faire d'autre que me montrer fière de ma mère et l'aider ? Il faut que les perles de la couronne soient d'autant plus grosses que le trou est profond dans le cœur de la mère. Ma pauvre mère avait besoin des perles , car toute son activité ne servait au fond qu'à réprimer quelque chose en elle , une nostalgie peut - être , je ne sais pas... Elle aurait peut - être pu découvrir elle-même ce qu'elle répri mait, si elle avait eu la chance d'être mère autrement qu'au seul sens biologique du terme. Ce n'était pas de sa faute. Elle se donnait tant de peine, elle était tellement consciencieuse. Mais la joie de l'amour spontané ne lui avait pas été donnée. « Et comme tout cela s'est répété avec Pierre ! Combien d'heures abrutissantes mon enfant a-t-il passé à m'attendre dans la cuisine avec des employés de maison, afin que je puisse faire ce diplôme qui m'a encore plus éloignée de lui et de moi-même ? Combien de fois l'ai-je abandonné sans remarquer ce que je lui faisais parce que je n'avais jamais vécu l'abandon que j'ai subi ? C'est seulement maintenant que je commence à deviner ce que peut être une maternité sans couronne, sans perles , sans auréole 4 . »
4. Dans un magazine féminin qui essaye de parler ouvertement de cer taines variétés tabous, j'ai trouvé une lettre d'une lectrice qui raconte sans rien cacher l'histoire tragique de sa maternité. Le fond du problème est sans doute que cette femme n'ait pas pu prendre conscience de l'aspect tragique de sa propre histoire, et de celle de son enfant. En effet, le début de cette histoire n'est autre que sa propre enfance, à laquelle elle n'a plus accès émoti onne lleme nt. L'artic le se ter min ait par ces ces phrases : « Et puis vint l'al laite ment ! On ava it mal placé le nourrisson et mes mamelons furent bie ntôt abîmés . C'était atroce . Dans deux heures il sera de nouveau là ; plus qu'une... maintenant... Lorsqu'il était là et qu'il tétait je pleurais et je jurais. C'était
64
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUE
É
64
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUE
LA
LÉGENDE
DE
NARCISSE
La légende de Narcisse symbolise le tragique du trouble narcissique. Narcisse , qui regarde son reflet dans l'eau , tombe amoureux de son beau visage, visage dont sa mère était du reste sûrement fière. La nymphe Echo répond aussi aux appels du jeune homme dont elle aime la beauté , comme les mères de nos patients. Les appels d'Echo trompent Narcisse. Son reflet aussi le trompe , car il ne montre que ce qui est parfait et sublime en lui. Narcisse ne voit jamais les autres côtés , son dos, ou son ombre, puisqu'ils n'a n 'app ppar arti tien enne nent nt pas pa s au reflet reflet ta n t aimé ; il les ignore. On peut comparer ce stade du ravissement a la gran diosité, comme on peut comparer le stade suivant celui de la nostalgie dévorante de soi-même à la dépression. Narcisse ne voulait être que beau, il déniait son vrai Soi et voulait se confondre avec la belle image. Cela l'amena du renoncement renonceme nt à lui-même, à la mort, mor t, pareillement pareille ment dans tellement horrible que je ne pouvais plus rien manger et que j'avais 40° de fièvre . Je pus alors arrêter d'allaiter et, subi teme nt, j'a lla i mieu x. Pe nd an t longtemps, je n'ai rien ressenti qui puisse ressembler à des sentiments maternels. Si l'enfant était mort, ça ne m'aurait pas déplu. Et tout le monde s'attendait à ce que je sois heureuse. Une amie me dit que l'affection ne viendrait qu'avec le temps, lorsque je m'occuperais toute la journée de lui et qu'il serait tout le temps dans mes jambes. Cela n'est pas vrai non plus. Je n'ai commencé à avoir de l'affection pour lui qu'à partir du moment ou je pus de nouveau aller travailler et qu'en rentrant à la maison je le retrouvais, un peu comme une distraction ou un jouet. Mais, honnêtement, un petit chien aurait tout aussi bien « fait l'affaire ». Maintenant que mon enfant est plus grand et que je remarque que j e peux l'éduquer, qu'il s'accroche à moi et qu'il a totalement confiance en moi, je suis co nt en te q u'il soi t là là ; et une relation tendre s'établit entre nous peu à peu. (C'est moi qui souligne, A. M.) Je vous ai écrit cela simplement parce que je trouve bien qu'il y ait enfin quelqu'un qui dise qu'il n'y a pas d'amour maternel, au sens où on l'entend généralement et encore moins d'instinct maternel » (cf. Emma , juillet 1977).
LA DÉP RES SI ON ET LA GRAN DIOS ITÉ
|
65
la version d'Ovide à la métamorphose en fleur . Cette
LA DÉP RES SI ON ET LA GRAN DIOS ITÉ
|
65
la version d'Ovide à la métamorphose en fleur . Cette mort est la conséquence logique de sa fixation sur son faux Soi. Car ce ne sont pas que les « beaux », les « bons » sentiments, ceux qui nous sont agréables qui font que nous sommes vivants, qui donnent de la profondeur à notre existence et qui nous procurent le discernement décisif, mais aussi très souvent les plus désagréables, les plus inadaptés, ceux que nous aimerions fuir : l'impuis sance, la honte, l'envie, la jalousie, le désarroi, l'affliction . Dans l'analyse, ces sentiments peuvent être vécus et ils peuven peu ventt dépasser leur forme forme archaïqu arch aïquee. Dans cette mesure, l'espace analytique est un miroir du monde intérieur de l'analysant, et ce monde est beaucoup plus riche que le « beau visage ». Narcisse est amoureux de son image idéalisée, mais ni le « Narcisse » grandiose, ni le « Nar cisse » dépressif ne peuvent s'aimer vraiment. Et cet enthousiasme pour son faux Soi n'empêche pas seule ment l'amour objectai, mais aussi, et avant tout, l'amour pour le seul être qui lui soit confié entièrement : luimême.
PHASES DÉPRESSIVES P E N D A N T L ' A N A L Y S E
Un sujet atteint de grandiosité ne consultera un analyste que si des humeurs dépressives le poussent à le faire. Aussi longtemps que la défense de la grandiosité fonctionne, cette forme du trouble narcissique ne pré sente aucun signe visible de souffrance, sinon que la famille de l ' être être grandiose (son conjoint, ses enfants) doit se faire soigner de dépressions et de troubles psycho somatiques. Dans le travail analytique nous rencontrons la grandiosité sous une forme où elle est mêlée à la dépres sion. Nous rencontrons au contraire la dépression chez
66
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
presque tous nos patients, soit sous la forme d'une mala die manifeste, soit sous celle de phases isolées d'humeurs dépressives. Ces phase p hasess peu p euve vent nt avoir différe différentes ntes fonctions.
66
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOU É
presque tous nos patients, soit sous la forme d'une mala die manifeste, soit sous celle de phases isolées d'humeurs dépressives. Ces phase p hasess peu p euve vent nt avoir différe différentes ntes fonctions. 1. Fonction de signal
Tout analyste connaît ces séances où le patient arrive en se plaignant de la dépression et où il quitte le cabinet en larmes, mais très soulagé et sans dépression. Peut-être a-t-il pu enfin vivre une rage longtemps contenue contre sa mère, ou exprimer sa méfiance à l'égard de la souverai neté de l'analyste, ou ressentir pour la première fois la tristesse d'avoir perdu tant d'années de sa vie, ou vivre une fois de plus la colère qu'il éprouve avant les vacances ou chaque fois qu'il doit se séparer de l'analyste. Peu importe la nature des sentiments, ce qui compte c'est qu'ils aient pu être vécus. La dépression a annoncé non seulement leur proximité mais aussi leur déni. La séance d'analyse a permis l'irruption de ces sentiments, faisant immédiatement disparaître l'humeur dépressive. Celle-ci a donc signalé le fait que des parties niées du Soi (senti ments, fantasmes, désirs, angoisses) s'amplifiaient sans avoir pu trouver d'exutoire dans la grandiosité. « Ecrasement du Soi » Il y a des patients qui, à chaque fois qu ' ils ils se sont, dans une séance, approchés très près de ce qu ' ilil y a de plus profond en eux, organisent une fête ou autre chose qui leur est à ce moment-là totalement indifférent, et ou ils se sentent à nouveau isolés et surmenés. Quelques jours après, ils éprouvent d es sentiments de vide et d'aliénation de soi ; ils n ' ont ont plus accès à leur vrai Soi. Inconsciem ment, le patient a provoqué activement des circonstances qui répètent ce qui se passait lorsqu ' il il était enfant : lorsque, dans le jeu, il se sentait lui-même, c ' est-à-dire e st-à-dire qu'il était créatif, au sens de Winnicott, on lui demandait une performance, on voulait qu'il fasse quelque chose
2.
LA DÉP RES SI ON ET LA GRAN DIOS ITÉ
|
67
d' « intelligent » ; c'est ainsi que son monde intérieur en
LA DÉP RES SI ON ET LA GRAN DIOS ITÉ
d' « intelligent » ; pleine formation a même enfants, ces leurs sentiments et
|
67
c'est ainsi que son monde intérieur en été « écrasé ». Il est probable que, patients réagissaient par le retrait de par la dépression.
« en gestation » Les patients dont la dépression a disparu ont des phases dépressives, qui durent parfois plusieurs semaines, avant que ne fassent irruption des affects intenses q ui datent de l'enfance. Comme si la dépression avait retenu jusqu'alors l'affect. Lorsqu'ils peuvent être vécus, des rapports avec l'objet primaire apparaissent , qui sont d'ailleurs souvent accompagnés de rêves très révélateurs. Le patient se sent à nouveau plein de vitalité jusqu'à ce qu'une nouvelle phase de dépression annonce quelque chose de nouveau. Il décrit ce phénomène à peu près comme cela : « Je ne me sens plus moi - même , comment se fait -il que je me sois de nouveau perdu ? Je n'ai plus accès à ma vie intérieure. Il n'y a aucun espoir... Ça n'ira jamais mieux. Tout ça n'a aucun sens. J'ai la nostalgie de mon ancienne vitalité. » Puis on assiste parfois à une explosion d'agressivité contre l'analyste et c'est seule ment ensuite qu'apparaît un nouvel affect, permettant un renouveau de la vitalité. 3. De forts affects
4. Confrontation avec l'introject
Il y a aussi des moments d'humeur dépressive pendant l'analyse, lorsque, sans en être encore libéré, le patient commence à résister aux exigences (de performance par exemple) de son introject. Il se trouve alors de nouveau dans l'impasse d'une exigence exagérée et absurde, qu'il s'est imposée lui-même, et c'est l'état dépressif qui l'y rend attentif. Voilà un exemple de ce phénomène : « Avant-hier, j'étais heureux, je travaillais sans peine, j'avais fait davantage pour la préparation de mon examen que ce que j'avais prévu pour toute la semaine.
68
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
Je pensai alors : "Il faut profiter de cette bonne dispo sition , fais donc encore un chapitre ce soir !" Je travaillai toute la soirée, mais déjà à contrecœur ; le lendemain ça
68
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
Je pensai alors : "Il faut profiter de cette bonne dispo sition , fais donc encore un chapitre ce soir !" Je travaillai toute la soirée, mais déjà à contrecœur ; le lendemain ça n'allait plus du tout, j'avais l'impression d'être le dernier des idiots, plus rien ne voulait rester dans ma tête . Je ne voulais voir personne, j'étais dans le même état que lors des précédents accès de dépression . Je suis retourné en arrière , et j'ai retrouvé l'endroit où cela avait com mencé . J'ai gâché mon plaisir en voulant en faire toujours plus. Pourquoi donc ? Je me suis alors rappelé que ma mère me disait toujours : "Comme tu as bien fait cela ! Tu pourrais peut-être encore faire ça..." Je me mis en colère et ne touchai plus mes livres . Et je repris soudain confiance , et je me dis dis : je remarquerais remarq uerais bien quand qua nd j'au j' au rais ra is de nouveau envie de travailler . Et naturellement je l'ai remarqué . Mais la dépression a disparu encore plus tôt au moment où je remarquai qu'une fois de plus je m'étais écrasé moi-même. »
LA PRISON I N T É R I E U R E ET LE TRAVAIL ANALYTIQUE
Chaque être humain connaît sans doute par sa propre expérience l'humeur dépressive exacte , qui peut s'expri mer par une maladie psychosomatique ou s'y cacher. Si on y prête attention , il n'est pas difficile d'observer qu'elle apparaît assez régulièrement et qu'elle paralyse la vitalité spontanée lorsqu'une impulsion ou un senti ment ont été réprimés. Si , par exemple, un adulte cherche à se distraire au lieu de vivre la tristesse que provoque la perte d'un être cher ou si, de peur de perdre une amitié, il réprime l'indignation qu'il éprouve à l'égard du com portement de son ami idéalisé, il peut être sûr de sombrer
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
69
dans la dépression à moins qu'il ne dispose continuel
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
69
dans la dépression à moins qu'il ne dispose continuel lement de la défense de la grandiosité. A partir du moment o ù , grâce à l'analyse , il commence à être attentif à ces phénomènes , il peut profiter de sa dépression ; en effet , grâce à elle , il va pouvoir apprendre des vérités sur luimême. Un enfant n'a pas cette possibilité. Il ne peut pas maîtriser le mécanisme du déni et , en outre, s'il n'a pas un entourage solide et empathique, il est encore beaucoup plus menacé que l'adulte par l'intensité de ses senti ments. Winnicott (1969) compare le monde intérieur du nourrisson à celui d'un psychotique, et cette comparai son a quelque chose de très convaincant . En effet, on retrouve dans les deux cas d'une part un manque de structuration et d'autre part une intensité émotionnelle qu'on ne rencontre autrement que chez l'adolescent . Cependant, les souvenirs de nos souffrances d'adoles cent, cette incapacité de comprendre et de classer nos propres impulsions sont généralement beaucoup plus présents à notre mémoire que les premiers traumatismes narcissiques, qui se cachent souvent derrière l'image d'une enfance idyllique ou derrière une amnésie infantile presque totale. C'est peut-être la raison pour laquelle les adultes pensent en général avec moins de nostalgie à leur puberté qu'à leur enfance. Le mélange de nostalgie, d'attente, de peur d'être déçu qui, chez beaucoup d'adul tes, accompagne les fêtes traditionnelles connues depuis l'enfance s'explique peut-être, comme le pense Winni cott (1969), par le fait qu'ils recherchent l'int ensité des sentiments de l'enfance qu'on ne peut reproduire . Mais c'est justement parce que les sentiments de l'enfant sont si intenses que leur répression ne peut pas rester sans conséquences graves. Plus le prisonnier est fort, plus les murs de la prison doivent être épais ; et ces murs gêneront ou empêcheront même la croissance émotionnelle.
70
|
LE DRAM E DE L ' ENFANT DOUÉ
Si un patient a pu constater à plusieurs reprises que l'irruption dans l'analyse de sentiments intenses de sa première enfance dont la qualité spécifique est qu'ils
70
|
LE DRAM E DE L ' ENFANT DOUÉ
Si un patient a pu constater à plusieurs reprises que l'irruption dans l'analyse de sentiments intenses de sa première enfance , dont la qualité spécifique est qu'ils sont incompréhensibles, peut faire disparaître une humeur dépressive, son attitude envers les sentiments « indési rables », envers la douleur en particulier, va peu à peu se modifier. Il découvre qu'il n'est plus soumis au schéma habituel (déception, répression de la douleur, dépression) et qu'il dispose maintenant d'une autre possibilité pour traiter ses échecs : il peut vivre sa douleur. Ce n'est qu'ainsi qu'il trouvera un accès à ses premières expé riences , c'est-à-dire à la part jusqu'alors cachée de son Soi et de son destin. Vers la fin de son analyse, un patient décrivit ce phénomène comme ceci : « Ce ne sont pas les beaux sentiments , ceux qui m'étaient agréables , qui qu i m'ont aidé a mieux comprendre ce qui se passait en moi , mais au contraire ceux contre lesquels je me suis défendu le plus : ceux qui faisaient que je me sentais mesquin, petit, méchant, faible, humilié , prétentieux, rancunier ou perdu ; et avant tout triste et seul. Mais après avoir vécu ces sentiments, que j'avais fuis pendant si long temps , j'eus la certitude d'avoir compris de l'intérieur quelque chose chose que je n'aurai n'a uraiss pu trouve r dans aucun aucu n livre. » Ce patient décrivait en fait le processus de l'insight créatif en psychanalyse. Les interprétations y jouent un rôle déterminant. Elles peuvent l'accompagner , le sou tenir , l'encourager, ou au contraire l'entraver , l'inhiber , le retarder, le réduire au statut de savoir intellectuel. En effet, un patient qui souffre de troubles narcissiques abandonne très vite la joie qu'il éprouve à découvrir, à trouver sa propre expression, pour s'adapter aux conceptions de son analyste de peur de perdre cette empathie qu'il a attendue toute sa vie. En effet, du fait de ses premières expériences avec sa mère, il ne peut pas croire qu'il puisse parfois en être autrement. Mais s'il se laisse aller à cette peur, l'analyse glisse dans le domaine
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
71
du faux Soi, et son vrai Soi reste caché et ne se développe pas. C'est pourquoi il est très important que l'analyste
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
71
du faux Soi, et son vrai Soi reste caché et ne se développe pas. C'est pourquoi il est très important que l'analyste n ' investisse i nvestisse pas narcissiquement son patient, qu' il il ne se laisse pas aller, poussé par son propre besoin, a formuler ce que le patient est capable de découvrir lui-même à l'aide de ses propres sentiments. Sinon, il se comporte comme un ami qui apporte un bon repas au prisonnier juste au moment où celui -ci aurait la possibilité de s ' échap é chap per, juste au moment où il aurait précisément eu la possibilité de passer la nuit suivante affamé et sans protection, mais en liberté. Comme ce premier pas vers l ' inconnu i nconnu demande beaucoup de courage, il arrive que le prisonnier se laisse tenter par le bon repas et qu ' ilil reste dans sa prison. La conscience de la fragilité d ' un un tel processus créa tif ne signifie évidemment pas que l ' analyste a nalyste doive adopter une attitude silencieuse et blessante , mais seu lement qu'il doive observer la plus grande prudence face à cette fragilité. Si l ' analyste analyste respecte le besoin q u ' a le patient de faire des découvertes , des phéno mènes comme la compulsion de répétition pourront , à condition bien sûr que l ' analyste analyste comprenne ses messages indirects, être d ' une une grande aide dans la recherche du vrai Soi. En effet, le patient peut alors, grâce aux mises en scène, à chaque fois différentes, d' une u ne ancienne situa tion dont aucun souvenir n ' a survécu, vivre consciemment, dans toute tou te sa tragédie, cette situation, ce qui lui per mettra met tra d'effectuer un travail du deuil. La dialectique du travail du deuil nous apprend d ' ailleurs ailleurs que de telles expériences favorisent la découverte du Soi, mais que celle-ci est une des conditions qui doivent être remplies pour que ces expériences soient possibles (cf. p. 31). Le pendant de la dépression, dans le cadre du trouble narcissique, est la grandiosité. C ' est e st pourquoi le patient peut se libérer temporairement de la dépression si le psychothérapeute le laisse prendre part à sa propre
72
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUE
grandiosité, c'est-à-dire s'il lui donne la possibilité de se sentir grand et fort , comme une partie du thérapeute idéalisé Le trouble narcissique change alors de signe
72
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUE
grandiosité, c'est-à-dire s'il lui donne la possibilité de se sentir grand et fort , comme une partie du thérapeute idéalisé. Le trouble narcissique change alors de signe pour un certain temps , mais il subsiste . La libération des deux formes du trouble narcissique ne sera pas possible sans un travail du deuil approfondi. La capacité d'effec tuer un travail du deuil , qui consiste à renoncer à l'illu sion d'une enfance « heureuse » , rend sa vitalité et sa créativité à l'être dépressif , et libère l'être grandiose si tant est qu'il ressente le besoin de faire une analyse des efforts d'un travail de Sisyphe. Si , grâce à un long processus , le patient arrive à comprendre qu'il n'a jamais été « aimé » pour ce qu'il était vraiment mais pour ses performances , ses succès et ses qualités , qu'il a sacrifié toute son enfance à cet « amour » , il sera profondément bouleversé intérieurement, mais il aura aussi le désir de cesser de « faire la cour » à ses parents. Il va ressentir le besoin de vivre son vrai Soi et de ne plus avoir à mériter l'amour, l'am our, un amour a mour qui, de plus, plus , le lais laisse se les mains vides, car il est destiné à son faux Soi qu'il a déjà commencé à abandonner. La libération de la dépression n'entraîne pas une gaieté continue ni l'absence de souffrance, mais bien une nou velle vitalité, c ' est-à-dire est-à-dire la liberté de vivre des senti ments spontanés. La diversité de ce qui est vivant fait que ces sentiments ne sont pas toujours gais, « beaux » ou « bons », mais qu ' ils ils procèdent de toute la gamme des sentiments humains qui comprend aussi la jalousie , l ' envie e nvie , l'indignation, l'avidité, le désespoir et le deuil. Mais cette liberté est inaccessible si ses racines ont été coupées dans l'enfance. C'est pourquoi un être souffrant de troubles narcissiques ne peut accéder à son vrai Soi qu'à partir du moment où il n'a plus besoin d'avoir peur du monde intérieur « psychotique » et des sentiments intenses de sa petite enfance. Une fois qu'il a pu les vivre grâce au processus analytique, ces sentiments ne lui sont
LA DÉP RE SSI ON ET LA GRAND IOSIT É
|
73
plus étrangers, ils ne sont plus menaçants et ne doivent donc plus rester cachés derrière l'illusion.
LA DÉP RE SSI ON ET LA GRAND IOSIT É
|
73
plus étrangers, ils ne sont plus menaçants et ne doivent donc plus rester cachés derrière l'illusion. Beaucoup de conseils relatifs au traitement des patients dépressifs (par exemple : diriger vers l'extérieur les pul sions sions agressives que le pati pa tien entt a retourné reto urnées es contre con tre lui-mêm lui-même) e) ressemblent décidément à de la manipulation. S. Levin pense par exemple qu'on doit montrer au patient que son « désespoir n'est pas rationnel », ou que l'on doit lui faire prendre conscience de son « hypersensibilité » (cf. R. Fis cher, 1976). A mon avis, une telle démarche soutient le faux Soi et encourage l'adaptation émotionnelle et donc également la dépression. Si nous voulons éviter cela, nous devons prendre tous les sentiments du patient au sérieux. C'est justement son hypersensibilité, sa honte et les reproches qu'il se fait à lui-même (combien de patients dépressif dépressifss s'accuse s' accusent nt d'être d'ê tre trop tr op sensibles sensibles !) qui consti tuent le fil conducteur de l'analyse, même si nous ne com prenons pas encore à quoi ces sentiments se rapportent vraiment. Et plus ces sentiments sont irréalistes, plus ils donnent l'impression de ne pas « cadrer » avec la réalité actuelle, plus il est évident qu'ils sont une réaction à des situations inconnues qu'il s'agit de découvrir. Mais si, au lieu de les vivre, on essaye de s'en « dissuader », la découverte n'a pas heu et la dépression triomphe. Après une longue phase de dépression accompagnée de pensées suicidaires, une patiente de quarante ans put enfin vivre dans le transfert sa très forte ambivalence première. Tout d'abord, elle n'en éprouva aucun soula gement visible, et ce fut pour elle une période doulou reuse, pleine de larmes. A la fin de cette période, elle me dit : « Le monde n'a pas changé, il y a toujours autant de mal et d'horreur. Et j'y suis encore plus sensible qu'avant. C'est pourtant la première fois que je trouve que la vie vaut la peine d'être vécue. Peut-être parce que pour la première fois, j'ai l'impression de vivre ma vie. Et c'est une aventure passionnante. Mais je comprends mieux
74
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
maintenant mes pensées suicidaires, plus particulière ment men t celle celless que j'e j' e u s pen p enda dant nt ma jeunesse jeuness e ; la vie me paraissait tellement absurde alors. En effet, je vivais une
74
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
maintenant mes pensées suicidaires, plus particulière ment men t celle celless que j'e j' e u s pen p enda dant nt ma jeunesse jeuness e ; la vie me paraissait tellement absurde alors. En effet, je vivais une vie qui m'était étrangère , dont je ne voulais pas et que j'étais sans doute prête à "jeter". »
UN
ASPECT
DE
LA
SOCIAL
DÉPRESSION
On pourrait se poser la question : L'adaptation s'ac compagne-t-elle toujours de dépression ? Ne se pourrait-il pas que des gens adaptés sur le plan émotionnel aient une vie heureuse ? N'y a-t-il aucun exemple qui confirme cette hypothèse ? Certes, de tels exemples existent, on en trouve d'ailleurs plus dans le passé, la dépression étant la maladie de notre époque. Dans certaines cultures vivant selon un système de valeurs à l'abri de toute influence extérieure comme l'étaient le judaïsme ortho doxe dans les ghettos d'autrefois ou les familles nègres dans les Etats du Sud il y a cent ans, l'individu adapté n'y était certes pas autonome, il n'avait pas un senti ment propre de son identité individuelle (au sens où nous l'entendons) qui ait pu le soutenir, mais il trouvait un soutien au sein du groupe. Le sentiment d'être un « juif pieux » ou un « esclave fidèle » lui procurait la sécurité dont il avait besoin. Bien sûr, il y avait là aussi des exceptions, des êtres à qui cela ne suffisait pas et qui étaient assez forts pour rompre avec leur communauté. Aujourd'hui, un groupe ne peut sans doute plus s'isoler à tel point des autres groupes qui ont d'autres systèmes de valeurs. C'est pourquoi l'individu doit trouver un soutien en lui-même s'il ne veut pas être le jouet de divers intérêts ou idéologies. Trouver ce soutien dans son propre
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
75
Soi, avoir accès a ses propres besoins et à ses vrais senti
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ
|
75
Soi, avoir accès a ses propres besoins et à ses vrais senti ments, et pouvoir les exprimer est aujourd ' hui hui d' une u ne part unee nécessité vitale et d ' autre un autre part très difficile, car nous vivons dans plusieurs systèmes de valeur différents. Ceci explique sans doute l ' augmentation a ugmentation du nombre de dépres sions et la fascination qu ' exercent exerc ent les les groupes de nos jour jo urs. s. Chez l ' enfant enfant partiellement adapté sommeillent aussi des forces qui résistent à cette adaptation. Et pendant la puberté, ces forces se lient à de nouvelles valeurs, qui sont souvent à l ' opposé opposé de celles des parents, permettant ainsi la formation de nouveaux idéaux que l'adolescent cherche à réaliser. Mais ces idéaux ne naissent pas de ses propres besoins et de ses vrais sentiments et il va s'adapter aux idéaux comme il s'adaptait autrefois à ses parents. Il va à nouveau abandonner son vrai Soi et le nier, afin d'être reconnu et aimé par l'héritier de l'objet primaire (représenté par son idéal du Moi ou par un élément du groupe). Et tout cela ne l'aidera pas vraiment à se libérer de la dépression. Car il n'est pas vraiment luimême, il ne se connaît pas et ne s'aime pas ; il fait tout pour que l'objet investi narcissiquement l'aime de l'amour dont il aurait eu tant besoin lorsqu ' il il était enfant. Seule ment il ne ne pourra plus plus jamais ratt ra ttra rape perr ce ce qui lui manquai man quaitt autrefois. Les deux exemples qui suivent illustrent ce dévelop pement : 1) Une jeune femme qui a grandi dans une famille où la mère est l ' esclave esclave du père veut rompre avec les tradi tions de cette famille. Elle épouse un homme soumis, et a l' impression impression d ' avoir avoir fait tout le contraire de sa mère. Son mari accepte même qu ' elle elle couche avec ses amis à la maison. Elle-même s ' interdit i nterdit d'éprouver des sentiments de jalousie et de tendresse et elle veut avoir des rapports avec beaucoup d'hommes, sans s'engager émotionnellement, afin de se sentir aussi autonome qu'un homme. Mais son désir d'être « progressiste » va si loin qu'elle
76
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
accepte que ses amis la maltraitent et l'humilient lors qu'ils en ont envie ; elle réprime ses sentiments d 'humilia tion et de colère, se disant qu'elle est moderne et libérée de tous les préjugés Elle a ainsi pu « sauver » non seulement
76
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
accepte que ses amis la maltraitent et l'humilient lors qu'ils en ont envie ; elle réprime ses sentiments d 'humilia tion et de colère, se disant qu'elle est moderne et libérée de tous les préjugés . Elle a ainsi pu « sauver » non seulement sa docilité d'enfant mais aussi la servilité de sa mère . Elle souffre parfois de graves dépressions . 2) Le deuxième exemple est celui d'un patient africain qui a été élevé par sa mère, son père étant mort lorsqu'il était encore très petit. Sa mère tenait au respect de cer taines formes et elle ne laissait pas l'enfant vivre et encore moins exprimer ses besoins narcissiques et libi dinaux. Par ailleurs, elle lui massait régulièrement le pénis jusqu'à sa puberté, suivant soi-disant les conseils des médecins. Devenu adulte, le fils se sépare de sa mère et de son univers, il épouse une belle européenne qui vit dans un monde très différent du sien. Faut-il attribuer au hasard ou à un infaillible instinct le fait qu'il ait trouvé une femme qui le torture, l'humilie et l'insécurise sans qu'il puisse ni lui résister ni la quitter ? Ce ménage sadomasochiste est, comme l'autre exemple, un essai d'échapper au système social des parents à l'aide d'un autre système . Le patient avait certes réussi à se libérer de la mère de son adolescence, mais il était resté lié émotionnellement à la mère de la période œdipienne et pré-œdipienne que sa femme avait dû remplacer aussi longtemps qu'il n'avait pas pu vivre ses sentiments d'alors. Dans l'analyse, il put enfin se confronter à son ambivalence première . Et ce fut très douloureux lorsqu'il réalisa à quel point il s'était senti livré à sa mère, lorsqu'il comprit qu'il l'avait admirée tout en se sentant abusi vement utilisé par elle, qu'il l'avait à la fois aimée et haïe et qu'il était à sa disposition. Le patient put vivre ces ces sentiments sentim ents au bou t de qua q uatre tre ans an s d'analys d'an alyse, e, et il n'eut alors plus besoin des perversions de sa femme, il put se séparer d'elle et fut enfin capable de la voir telle qu'elle était, avec ses qualités et ses défauts.
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ GRANDIOSITÉ | 77
LA DÉPRESSION ET LA GRANDIOSITÉ GRANDIOSITÉ | 77
POINTS COMMUNS AVEC QUELQUES THÉORIES CONCERNANT LA DÉPRESSION
Si l'on considère la dépression comme la démarche du vrai Soi pour conserver l'objet , les principaux éléments de la théorie de la dépression peuvent se résumer comme suit : 1. Le concept freudien de l'appauvrissement du Moi occupe bien entendu une place très importante dans cette conception , si l'on considère qu'à l'époque de son écrit Deuil et mélancolie (1917), Freud employait aussi le terme de « Moi » pour désigner ce que nous appelons aujourd'hui de manière plus conséquente le « Soi ». 2. Le retournement des agressions contre soi-même décrit par K. Abraham est lui aussi apparenté de très près à la perte du Soi , que j'ai essayé de décrire plus haut. Le fait de « tuer » les sentiments, les besoins et les fantasmes que l'objet primaire condamne est un acte agressif contre soi-même. La nature des sentiments « tués » par le dépressif varie en fonction de la situation spécifique de son enfance, il ne s'agit pas seulement des pulsions agressives. 3. W. Joffe Joffe et J. Sandle San dlerr définissent définissen t la dépression dépre ssion comme étant une réaction possible a la douleur provoquée par la contradiction entre le représentant du Soi réel et le représentant du Soi idéal. L'unité de ces représentants amène le bien-être. Dans le langage de la relation objec tale, cela signifie : le représentant du Soi idéal est l'héri tier de l'objet primaire, dont l'approbation et l'amour garantissent le bien-être, comme la contradiction crée le danger de la perte de l'amour. Si le sujet pouvait prendre le risque de vivre cette douleur, il n'y aurait pas
78
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
de dépression. Mais pour cela il aurait fallu le soutien de l'entourage. 4. Enfin , d'après E. Jacobson , les conditions d'une
78
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
de dépression. Mais pour cela il aurait fallu le soutien de l'entourage. 4. Enfin , d'après E. Jacobson , les conditions d'une évolution dépressive sont réunies lorsque le sujet nie la perte de l'objet idéal. Le mot perte recouvre ici non seule ment les séparations réelles de l'objet narcissique ou les déceptions traumatiques parce que non adaptées à la phase du développement de l'enfant , mais aussi l'indis ponibilité de l'objet narcissique. L'être souffrant de troubles narcissiques n'a pas eu d 'objet narcissique disponible pendant la phase symbio tique. D'autre part , il aurait eu besoin d 'un objet qu'il aurait pu « employer », au sens de Winnicott, et qui aurait survécu à sa « destruction ». Or cet objet lui a fait défaut. Aussi bien l'êt l'être re grandiose que le dépressif nient totalement cette réalité, puisqu'ils vivent comme si la disponibilité
de l'objet narcissique pouvait encore être sauvée : le grandiose dans l'illusion de la réussite , le dépressif dans sa peur de perdre cet objet narcissique. Mais aucun des deux ne peut admettre la vérité : à savoir que cet objet a déjà été perdu autrefois ou n'a jamais été disponible , et qu ' aucun aucun effort ne pourra y changer quoi que ce soit.
Du mépris
i
Ou bien, si je suivais jusqu'au bout ma
Ou bien, si je suivais jusqu'au bout ma volonté de révolte, est-ce que Dieu ne trouve rait pas une échappatoire, échappatoi re, une mystification mystificatio n qui ferait valoir sa supériorité, selon la recette infaillible des grandes personnes et des puissants, qui trouvent dans leur jeu un der nier atout, vous couvrent de honte sans vous prendre au sérieux et vous humilient sous le masque odieux odieu x des bonnes intentions inten tions ?
« Ame d'enfant », p. 74.
L'HUMILIATION DE L'ENFANT , LE MÉPRIS DE LA FAIBLESSE ET CE QUI S'ENSUIT Exemples tirés de la vie quotidienne
Pendant des vacances, mes pensées étant occupées par le thème du mépris, je relus des notes que j'avais prises à ce sujet au cours de diverses séances d'analyse . C'est probablement ma sensibilité particulière qui fit que je prêtai beaucoup plus d'attention que d'habitude à une scène banale, sans incidents spectaculaires, comme il s'en passe sans doute souvent. Je vais introduire mes réflexions par la description de cette scène, ce qui me permettra d'illustrer, sans risque d'indiscrétion, certaines des conclu sions que j'ai tirées de mon travail d'analyste. Au cours d'une promenade, un jeune couple marchait devan dev antt moi ; tous deux étaie ét aient nt grands gra nds et à leurs côtés trottinait un petit garçon d'environ deux ans qui pleur nichait. (Nous avons l ' habitude de voir de telles situations avec nos yeux d ' adultes et j ' aimerais à dessein essayer de décrire celle-ci telle que l'a vécue l 'enfant.) Les deux parents venaient de s'acheter des glaces au kiosque et ils les léchaient avec délice. Le petit en voulait une aussi. Sa mère lui dit gentiment : « Allons, tu peux prendre une bouchée de la mienne, une glace entière serait trop froide pour toi. » L'enfant ne voulut pas croquer, et tendit la main vers le bâtonnet de la glace, que sa mère lui refusa. Il se mit à pleurer, désespéré, et la même situation se répéta avec le père : « Tiens mon chéri, dit le père affec tueusement, mords donc dans la mienne. » « Non, non », cria l'enfant qui recommença à marcher et voulut s'éloi
82 | LE DRAM DRAME E DE L'E L'ENFA NFANT NT DOUÉ
gner ; mais il reve r evenai naitt sans cess cessee et rega re gard rdai aitt , triste et envieux les deux « grands » qui là-haut satisfaits et
82 | LE DRAM DRAME E DE L'E L'ENFA NFANT NT DOUÉ
gner ; mais il reve r evenai naitt sans cess cessee et rega re gard rdai aitt , triste et envieux , les deux « grands » qui , là-haut , satisfaits et solidaires, savouraient leur glace. Régulièrement, un des parents lui offrait de croquer sa glace, et régulièrement l'enfant tendait sa main vers le bâtonnet, et la main adulte se retirait alors avec le trésor. Et plus l'enfant pleurait, plus les parents s'amusaient. Ils ne pouvaient s'empêcher de rire et espéraient ainsi pouvoir égayer l'enfant : « Allons, ça n'a pas tant d'importance, qu'est-ce que c'est que ce cirque ? » A un certain moment, l'enfant s'assit par terre, tournant le dos à ses parents, et se mit à jeter des petits cailloux derrière lui, en direction de sa mère ; mais soudain il se releva et regarda inquiet si ses parents étaient encore là. Lorsque le père eut fini de lécher soigneusement son bâtonnet , il le donna à l'enfant et continua de marcher. Le petit garçon essaya , plein d'espoir, de sucer le bâtonnet , le regarda , le jeta , voulu le ramasser, ne le fit pas et un sanglot profond, solitaire et plein de déception secoua son petit corps. Puis il se remit à trotter sagement derrière ses parents. Il me semble évident que le petit garçon n'avait pas été frustré dans ses « pulsions orales », car il aurait léché la glace à plusieurs reprises, mais qu'il avait été conti nuellement blessé et frustré dans ses besoins narcissiques. Personne n'avait compris qu'il voulait tenir le bâtonnet à la main, comme les autres ; bien pire on en avait ri, on s'était moqué de son besoin. Il était en face de deux géants qui, fiers de leur attitude conséquente, se soute naient, alors qu'il était lui tout seul avec sa souffrance, ne sachant manifestement rien dire d'autre que « non » et ne pouvant par ses gestes pourtant très expressifs se faire comprendre de ses parents. Il n'avait pas d'avocat 1 . 1. Comme est injuste d'ailleurs la situation d'un enfant qui se trouve face à deux adultes plus forts que lui comme devant un mur ; nous estimons être « conséquents dans notre éducation » lorsque nous refusons à l'enfant le droit de se plaindre d'un de ses parents auprès de l'autre.
DU MÉPRIS MÉPRIS | 83
On peut se demander pourquoi les parents se sont montrés si peu compréhensifs. Pourquoi n'ont-ils eu ni
DU MÉPRIS MÉPRIS | 83
On peut se demander pourquoi les parents se sont montrés si peu compréhensifs. Pourquoi n'ont-ils eu ni l'un ni l'autre l'idée , soit de manger plus vite , soit même de jeter la moitié de leur glace, afin de donner le bâtonnet et un reste de glace encore mangeable à l'enfant ? Pour quoi riaient-ils tous deux, mangeant leur glace si lente ment et se montrant si peu touchés par le désespoir pourtant évident de leur enfant ? Ces parents n'étaient ni froids ni méchants, le père parlait très tendrement à son enfant. Et pourtant , à ce moment-là du moins , ils firent preuve d'un manque d'empathie total. On ne peut s'expliquer ce mystère que si l'on veut bien faire l'effort de sensibilité permettant de les voir eux aussi comme des enfants manquant d'assurance et ayant enfin auprès d'eux un être faible à côté duquel ils peuvent se sentir forts. Quel enfant n'a pas vu les adultes se moquer par exemple de ses craintes en lui disant : « Tu ne vas tout de même pas avoir peur de cela. » Il se sent alors honteux et méprisé , car il n'a pas su évaluer l'ampleur du danger e t , à la prochaine occasion , il reportera ces sentiments sur un plus petit que lui. Il y a toutes les nuances et gradations possibles dans ce type d'expériences. Elles ont toutes en commun le fait que la peur de l'enfant faible et impuissant donne à l'adulte un sentiment de force et la possibilité de manipuler la peur (chez l'autre) , ce qu'il ne peut évidemment pas faire avec la sienne (cf. p. 37). Sans aucun doute , notre petit garçon répétera dans vingt ans ou même avant avec ses frères et sœurs l'expérience qu'il a faite avec la glace. Mais c'est sûrement lui qui sera alors le détenteur de l'objet et l'autre le petit être sans défense, envieux et impuissant , qu'il ne devra enfin plus porter en lui , dont il pourra se débarrasser en le détachant , en le plaçant à l'extérieur. Le mépris pour cet être plus petit et plus faible est ainsi la meilleure protection contre l'irruption de ses propres sentiments d'impuissance, il est l'expression de
84
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
la faiblesse dont on s'est détaché. Celui qui est fort, celui qui, parce qu'il l'a vécue, a conscience de son impuis sance, n'a pas besoin de démontrer sa force au moyen
84
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
la faiblesse dont on s'est détaché. Celui qui est fort, celui qui, parce qu'il l'a vécue, a conscience de son impuis sance, n'a pas besoin de démontrer sa force au moyen du mépris. Il arrive même que l'adulte n'éprouve les sentiments œdipiens d'impuissance, de jalousie et d'abandon que lorsqu'il a lui -même un enfant, n'ayant pas eu la possi bilité de les vivre consciemment durant son enfance. J'ai décrit page 31 le patient qui avait besoin de conquérir, séduire et abandonner les femmes jusqu'à ce qu'il ait pu vivre dans l'analyse les abandons répétés que lui avait fait subir sa propre mère. A cette époque, il se rappela qu'il avait été surpris de nuit devant la porte fermée de la chambre de ses parents et que l'on s'était moqué de lui. Et c'est dans cette séance d'analyse qu'il ressentit pour la première fois les sentiments d'humilia tion et d'avilissement d'alors. On peut ainsi se « débarrasser » des douleurs œdipiennes non vécues en les déléguant à son propre enfant. A peu près de la même manière que dans la scène de la glace décrite plus haut : « Vois-tu, nous sommes grands , nous avons le droit, pour toi c'est "trop froid", ce n'est que lorsque tu seras assez grand que tu auras comme nous le droit de jouir de la vie tranquillement. » Ce n'est pas dans le domaine œdipien la non-statisfaction de ses pulsions, mais bien le mépris de celles-ci qui humilie l'enfant. Il se pourrait qu'en général la composante nar cissique des souffrances de l'Œdipe soit accentuée par le fait que les parents , en soulignant démonstrativement qu'ils sont « les grands » , se vengent inconsciemment de leurs propres blessures sur leur enfant . Dans les yeux pleins de curiosité de l'enfant, ils retrouvent leur passé humiliant et ils ne peuvent faire autrement que de s'en défendre en faisant usage du pouvoir qu'ils ont acquis . Dans beaucoup de sociétés les petites filles subissent, en tant que filles, une discrimination supplémentaire .
DU MÉPRIS
|
85
Et puisque ce sont les femmes qui ont le nouveau - né et le
DU MÉPRIS
|
85
Et puisque ce sont les femmes qui ont le nouveau - né et le nourrisson en leur pouvoir, elles vont transmettre à leur enfant , dès son âge le plus tendre , le mépris qu'elles ont elles-mêmes subi . L'homme adulte idéalise alors sa propre mère, car chaque être humain s'accroche à l'illusion d'avoir été aimé vraiment , et il méprise les autres femmes qui prennent la place de la mère dans l'assouvissement de sa vengeance. Et à leur tour , ces femmes adultes , humiliées , n'ont souvent pas d'autre possibilité que de se décharger de leur fardeau sur leur propre enfant . Tout peut alors se passer impunément et en cachette ; en effet, l'enfant ne peut rien raconter à personne sauf peut-être plus tard sous la forme d'une perversion ou d'une névrose obses sionnelle dont le langage est suffisamment indéchiffrable pour ne pas trahir la mère . Le mépris est l'arme du faible et une protection contre certains sentiments indésirables. Et il y a, à l'origine de tout mépris, de toute discrimination, le pouvoir que l'adulte exerce sur l'enfant, pouvoir plus ou moins cons cient, incontrôlé, caché et toléré par la société (sauf en cas de meurtre ou de lésions corporelles graves). L'adulte est libre de faire ce qu'il veut avec le psychisme de son enfant, il est sa propriété, comme les citoyens d'un Etat totalitaire sont la propriété du gouvernement. Et tant que nous serons insensibles aux souffrances du petit enfant, ce pouvoir restera une condition humaine (en français dans le texte) normale ; et personne n'en tiendra compte, personne ne le prendra au sérieux, on le mini misera généralement car les victimes ne sont que des enfants. Mais, dans vingt ans, ces enfants seront des adultes qui ne pourront faire autrement que de rendre tout ça à leurs propres enfants. Ils feront preuve du plus grand engagement pour combattre l'horreur « dans le monde » et porteront en eux une connaissance de l'horreur à laquelle ils n'auront plus accès, et qui restera cachée derrière l'idéalisation de l'enfance. On peut espérer que
86
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
cette cet te transmission transmiss ion « hérédita héré ditaire ire » tenace tena ce de la discrimination discriminat ion diminuera d'une génération à l'autre surtout dans ses formes « fines » et subtiles grâce à une prise de conscience
86
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
cette cet te transmission transmiss ion « hérédita héré ditaire ire » tenace tena ce de la discrimination discriminat ion diminuera d'une génération à l'autre surtout dans ses formes « fines » et subtiles grâce à une prise de conscience émotionnelle.
Un être humain qui gifle , qui frappe ou qui injurie sait qu'il fait mal à l'autre . II n'est pas sans se douter de rien . Mais combien de fois , tout comme nos parents d'ailleurs , avons-nous, sans nous en douter, blessé de manière dou loureuse, profonde et durable le Soi naissant de nos enfants. Si nos enfants le remarquent et peuvent nous le dire, c'est une grande chance, car ils ont alors la possibilité de se libérer des chaînes du pouvoir, de la discrimination et du mépris traînées depuis des générations. Ils n'auront plus besoin de se défendre de leur impuissance en faisant usage du pouvoir, s'ils ont pu vivre consciemment l'im puissance première et la rage narcissique. Mais, dans la plupart des cas, la souffrance qu'on a éprouvée soi-même comme enfant reste affectivement cachée et elle devient de ce fait la source dissimulée des humiliations nouvelles, et parfois beaucoup plus subtiles, qu'aura à subir la géné ration suivante. Nous disposons ici de différents méca
nismes de défense comme le déni (de sa propre souffrance par exemple), la rationalisation (« je dois une éducation à mon enfant »), le déplacement (« ce n'est pas mon père qui me fait mal, mais mon fils »), l'idéalisation (« les coups de mon père m'ont fait du bien »), etc., et surtout le renversement de la douleur passive en un comportement actif. Les exemples qui suivent illustrent comment des hommes de structure et de niveau culturel très différents utilisent des mécanismes de défense frappants de simi litude pour refouler leur destin d'enfant. Un fils de paysan grec âgé d'une trentaine d'années qui possède un petit restaurant en Europe de l'Ouest raconte avec fierté qu'il ne boit pas d'alcool et qu'il doit cette sobriété à son père. A l'âge de quinze ans, étant
DU MÉPRIS | 87 87
une fois rentré saoul à la maison, il avait été battu par son père à tel point qu'il n'avait pu bouger pendant une
DU MÉPRIS | 87 87
une fois rentré saoul à la maison, il avait été battu par son père à tel point qu'il n'avait pu bouger pendant une semaine. Depuis, l'alcool le dégoûte tellement qu'il ne peut plus jamais en boire une goutte bien qu'il ait sans arrêt à faire avec l'alcool dans son métier. Lorsque j'en tendis qu'il avait l'intention de se marier bientôt, je lui demandai s'il allait lui aussi battre ses enfants. « Naturellement, me répondit - il, ce n'est qu'avec des coups qu'on peut éduquer correctement un enfant ; c'est la meilleure méthode pour obtenir du respect. Par exemple, je ne fumerais jamais en présence de mon vieux père bien qu'il fume lui-même c'est un signe de mon respect pour lui, » Cet homme n'avait l'air ni bête ni antipathique, mais il n'était pas très instruit. On aurait donc pu se laisser aller à l'illusion qu'un apport de connais sances et d'explications nouvelles pourrait agir contre le processus de destruction psychique. Mais qu'en est-il de cette illusion dans le prochain exemple, qui est celui d'un homme cultivé ? Un écrivain tchèque plein de talent lit ses œuvres dans une ville de la République fédérale allemande. Une discussion s'engage alors avec le public pendant laquelle il répond répon d spont sp ontané anémen mentt aux au x questions qu estions qu'on qu 'on lui pose sur sa vie. Il raconte que, bien que s'étant engagé autre fois pour le « Printemps de Prague », il jouit aujourd'hui d'une grande liberté et qu'il peut venir en Europe de l'Ouest aussi souvent qu'il le veut. Il décrit ensuite l'évo lution de son pays durant les dernières années. Ques tionné sur son enfance, il nous parle, les yeux brillants d'enthousiasme, de son père, un homme très doué, aux qualités multiples, qui a encouragé son développement intellectuel et a toujours été pour lui un véritable ami. C'est uniquement à son père qu'il avait montré ses pre miers récits. Ce père était d'ailleurs très fier de lui et même quand il le battait , ce qu'il faisait souvent pour le punir d'un comportement rapporté par la mère, il était
88
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
fier que son fils ne pleure pas. L'enfant recevait des coups supplémentaires s'il pleurait, et il apprit donc a ravaler ses larmes, étant lui-même fier de pouvoir faire par son
88
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
fier que son fils ne pleure pas. L'enfant recevait des coups supplémentaires s'il pleurait, et il apprit donc a ravaler ses larmes, étant lui-même fier de pouvoir faire par son courage un si beau cadeau à son père. Cet écrivain parlait des coups que lui administrait régulièrement son père comme de la chose la plus normale du monde (ce qu'elle était naturellement pour lui) et il dit ensuite : « Les coups ne m'ont pas fait de mal, ils m'ont préparé à la vie, ils m'ont endurci, ils m'ont appris à serrer les dents, et c'est pourquoi je me suis si bien développé profession nellement. » Dans une émission télévisée, le metteur en scène Ingmar Bergman, contrairement à cet écrivain tchèque, nous parle parl e to ut à fait consc c onsciemm iemment ent de son enfance ; une un e enfance qui ne fut si on l'en croit qu'une longue suite d'humiliations. L'humiliation était l'instrument princi pal de l'éducation qu'il reçut. C'est ainsi par exemple qu'il devait porter toute la journée un habit rouge lorsqu'il avait mouillé ses culottes, afin que tout le monde le sache et qu'il en éprouve de la honte. Il était le plus jeune des deux fils d'un pasteur protestant. Durant cette interview, il décrit une scène qui se produisait fréquem ment lorsqu'il était enfant : son père frappe son frère aîné sur le dos. Sa mère tamponne ensuite avec de la ouate le dos du frère. Lui-même est assis et il regarde. Bergman raconte cette scène sans émotion visible, presque froidement. On l'imagine enfant, qui regarde, tranquille ment assis. Il ne se sauve pas, il ne ferme pas les yeux, il ne crie pas. On a alors l'impression que cette scène s'est certes réellement déroulée ainsi, mais qu'elle est en même temps un souvenir-écran qui cache ce qu'il a dû subir lui-même. On a en effet de la peine à croire que ce père n'ait battu que son fils aîné. En analyse, certains patients sont convaincus que seuls leurs frères et sœurs eurent droit aux humiliations. Ce n'est qu'après des années d'analyse qu'ils arrivent à se
DU MÉPR IS
| 89
rappeler à quel point ils se sentaient eux-mêmes humiliés et abandonnés lorsqu'ils se faisaient battre par leur père
DU MÉPR IS
| 89
rappeler à quel point ils se sentaient eux-mêmes humiliés et abandonnés lorsqu'ils se faisaient battre par leur père bien-aimé ; lorsqu'ils peuven peu ventt revivre cette cet te humiliatio humi liationn dans l'analyse , ils éprouvent d'une part des sentiments de rage et d'impuissance et d'autre part de la colère et de l'indignation. Mais la douleur de Bergman a eu un autre moyen de traiter sa souffrance que le déni ou le déplace ment : il a fait des films. Et on peut se représenter qu'au cinéma le spectateur ressent les sentiments que Bergman, ayant un père comme le sien, n'a pas pu ressentir ouver tement lorsqu'il était enfant, sentiments qu'il a pourtant conservés en lui. Nous sommes assis assis deva de vant nt l'écran l'écr an comme l'était alors le petit garçon, nous sommes confrontés à la cruauté dont est victime « notre frère », et nous nous sentons à peine capable si notre intention de le faire arrive à subsister d'assimiler toute cette brutalité avec des sentiments authentiques. Nous nous en défendons. Dans l'interview télévisée, Bergman avoue en le regret tant que, jusqu'en 1945, il n'a pas deviné ce qu'était réellement le national-socialisme bien qu'il ait voyagé souvent souve nt en Allemagne Allemagne dans d ans la période hitlérienne hitlérien ne ; et ceci nous semble la conséquence logique de son enfance, car la cruauté était l'air qu'il respirait depuis son plus jeune âge. Comment aurait-il pu s'apercevoir de quelque chose ? Pourquoi ai-je pris les exemples de trois hommes qui se firent b at tr e ? Ne s'agit-il pas de situatio situ ations ns extrêmes ? Ai-je l'intention de me pencher sur le pro blème des enfants battus ? Non, aucunement. On peut très bien admettre que ce sont des exceptions, ou même que de tels cas ne se présentent qu'à l'étranger. J'ai choisi ces exemples d'une part parce qu'ils ne m'avaient pas été secrètement confiés mais avaient été portés à la connais sance du public, d'autre part pour montrer que même les mauvais traitements les plus flagrants restent cachés grâce à la forte idéalisation de l'enfant. Il n'y a pas de
90
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
tribunal , pas d'avocat , pas de sentence , tout reste dans l'ombre du passé ; et lorsque des faits apparaissent, on les fait passer pour des bienfaits . Mais si cela se passe
90
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
tribunal , pas d'avocat , pas de sentence , tout reste dans l'ombre du passé ; et lorsque des faits apparaissent, on les fait passer pour des bienfaits . Mais si cela se passe ainsi dans les pires cas de mauvais traitements corporels, comment pourrait-on déceler la cruauté psychique, qui est de toute façon moins visible et beaucoup plus dis cutée ? Qui donc prend vraiment au sérieux une discri mination comme celle que je décris dans l'exemple du petit garçon à la glace ? La métapsychologie ne dispose d'aucun schéma appli cable à ces processus. Elle s'occupe des processus d'in vestissement, de la dynamique intrapsychique, des repré sentants de l'objet et des représentations du Soi, mais non des faits réels dont elle ne tient compte qu'en tant que fantasmes du patient. Son domaine est celui de la signification des expériences vécues et non celui de leur arrière-plan réel. Mais nous analysons pourtant aussi des parents et nous en apprenons beaucoup sur leurs senti ments vis-à-vis de leurs enfants, sur leurs besoins narcis siques insatisfaits et nous ne pouvons faire autrement que de nous demander quelle influence ces sentiments et ces besoins ont sur l'évolution de l'enfant. Que devonsnous faire de ce savoir ? Avons-nous le droit de le taire ? Pouvons-nous nous laisser aveugler par l'affirmation qui veut que l'analyste ne s'occupe que des phénomènes intrapsychiques ? Depuis que Freud a dévoilé sa thèse de la séduction sexuelle comme un fantasme de la patiente, on dirait que nous n'osons pas faire un pas de plus vers la réalité de l'enfant. Or comme le patient tient beaucoup à nous cacher la réalité de son enfance et surtout qu'il tient à se la cacher à lui-même, nous pouvons rester longtemps dans l'obscurité. Mais les symptômes sont là qui racontent à leur manière une part de sa réalité. Bien sûr, la séduction et la stimulation sexuelle de l'enfant ne se déroulent en général pas réellement comme dans le fantasme des patientes hystériques de Freud.
DU MÉPRIS | 91
Cependant, l'investissement narcissique de l'enfant par ses parents entraîne une longue suite d'abus sexuels et
DU MÉPRIS | 91
Cependant, l'investissement narcissique de l'enfant par ses parents entraîne une longue suite d'abus sexuels et non sexuels que l'enfant ne découvrira qu'avec peine dans une analyse lorsqu'il sera devenu lui- même adulte (ayant lui-même peut-être des enfants). Un père qui a grandi dans un entourage hostile aux pulsions sera sans doute très inhibé dans ses relations sexuelles avec sa femme et peut-être même souffrira-t-il d'une perversion polymorphe. C'est par exemple en bai gnant sa petite fille qu'il osera pour la première fois regarder les organes génitaux féminins, il jouera avec eux et en ressentira une excitation. Une mère qui a été effrayée quand elle était petite par la vue soudaine d'un pénis en érection et qui en a gardé une peur du sexe masculin ou qui, dans la scène originaire, l'a vécu comme le symbole de la violence sans pouvoir confier ses expé riences à personne, peut sans danger maîtriser sa peur chez son tout jeune fils. Elle peut par exemple le « sécher » après son bain de manière à ce qu'il ait une érection, qui ne sera pas dange reuse , pas menaçante pour elle. Elle peut aussi masser sans peur le pénis de son petit garçon jusqu'à la puberté , afin de « guérir son phimosis ». Protégée par l'amour inconditionnel que tout enfant voue à sa mère , elle peut enfin poursuivre ses timides explorations sexuelles qui avaient été interrompues très tôt. Mais que signifie pour un enfant le fait d'avoir des parents inhibés sexuellement qui, dans leur détresse solitaire, l'utilisent l'utili sent narcissique na rcissiquement ment ? Tous les enfants recherchent des caresses et sont contents d'en recevoir. Mais l'enfant va être troublé si on réveille en lui des désirs qui ne seraient pas apparus spontanément à ce stade de son développement. Et la confusion sera plus grande encore si ses parents réagissent à ses activités auto-érotiques par des mots d'interdiction ou des regards méprisants.
92
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
Tous les viols n'ont pas forcément un caractère sexuel, ainsi le viol commis à l'aide de l'endoctrination qui est la base aussi bien de l'éducation « anti-autoritaire » que
92
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
Tous les viols n'ont pas forcément un caractère sexuel, ainsi le viol commis à l'aide de l'endoctrination qui est la base aussi bien de l'éducation « anti-autoritaire » que de la « bonne éducation » . Dans une forme d'éducation comme dans l'autre, il arrive qu'on ne perçoive ni ne respecte les vrais besoins de l'enfant à chaque stade de son développement . A partir du moment où les parents considèrent leur enfant comme quelque chose qui leur appartient et qu'ils peuvent façonner selon leurs vœux, dès lors qu'ils se l'approprient d'une manière ou d'une autre, ils interrompent brutalement sa croissance . L'un des principes les plus systématiques de notre éducation consiste à couper dans l'enfance les racines vivantes naturelles pour essayer ensuite de rétablir leur fonction naturelle de manière artificielle . C'est ainsi par exemple qu'on étouffe la curiosité de l'enfant (« il y a des questions qu'on ne pose pas ») et que, plus tard, lorsqu'il n'a déjà plus naturellement envie d'apprendre, on lui paie des leçons particulières pour qu'il puisse sur monter ses difficultés scolaires . On retrouve d'ailleurs un comportement analogue chez le drogué, bien que chez lui la relation objectale ait déjà été internalisée . En effet, un être qui a dû réprimer ses sentiments très intenses lorsqu'il était enfant, essaye de retrouver cette intensité au moins pour un moment à l'aide de la drogue ou de l'alcool. Si nous voulons éviter la discrimination et le viol inconscient de l'enfant, il nous faut tout d'abord prendre conscience de ces phénomènes. Nous ne pouvons respecter l'enfant que si nous sommes sensibles aux humiliations subtiles qu'il doit subir ; or, pour que son psychisme se développe, l'enfant a besoin de ce respect, dès les pre miers jours de sa vie. Nous pouvons acquérir cette sensibilité soit en observant des enfants face à leurs parents et en essayant de comprendre l'enfant, soit en appre nant à considérer notre propre destin avec empathie.
DU MÉP RIS
|
93
Les psychanalystes ont aussi la possibilité de suivre leur analysant dans son passé , en admettant que ses sentiments racontent une histoire réelle que personne ne
DU MÉP RIS
|
93
Les psychanalystes ont aussi la possibilité de suivre leur analysant dans son passé , en admettant que ses sentiments racontent une histoire réelle que personne ne connaît encore.
LE MÉPRIS INTROJECTÉ DANS LE MIROIR DE LA PSYCHANALYSE
I La compulsion de répétition « voix cassée » du Soi Si nous ne voulons pas nous limiter à élargir le savoir intellectuel du patient ou à renforcer ses défenses ce qui est absolument nécessaire dans certaines psycho thérapies nous devons nous résoudre à effectuer un voyage d'exploration avec chaque patient. Ce que nous découvrons alors n'est pas un pays lointain mais bien un pays encore inexistant ; il commencera à exister au fur et à mesure de sa découverte. C'est une expérience fascinante que celle d'accompagner un patient sur ce chemin à condition que nous n'éprouvions pas le besoin de « peupler » ce pays avec les concepts que nous connaissons , pour nous défendre de la peur que nous éprouvons face à l'inconnu et à ce que nous ne comprenons pas encore. Le patient trouve peu à peu son vrai Soi en vivant ses propres sentiments et besoins, mais ceci n'est possible que si l'analyste les accepte et les respecte tous , même ceux qu'il ne comprend pas encore. On me demande parfois dans des colloques ou des analyses contrôlées ce que l'analyste doit faire des senti ments « indésirables » , comme l'irritation par exemple, que certains comportements du patient suscitent en lui. Un analyste sensible prendra naturellement conscience de A, MILLER
94
4
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
cette irritation. La question est celle-ci : l'analyste doit-il réprimer cette irritation afin que le patient ne se sente pas rejeté ? Dans ce cas le patient perçoit cette irritation
94
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
cette irritation. La question est celle-ci : l'analyste doit-il réprimer cette irritation afin que le patient ne se sente pas rejeté ? Dans ce cas le patient perçoit cette irritation réprimée sans pouvoir la comprendre. L'analyste doit-il alors exprimer son irritation ? S'il le fait, le patient sera blessé par cette mise en acte et sa confiance en l'analyste en sera ébranlée. J'ai constaté que si je ne donne pas de conseils en réponse à de telles questions, la discussion prend une dimension beaucoup plus personnelle et gagne en profondeur. La question de savoir comment l'on doit traiter l'irritation et tous les autres sentiments du contre transfert ne se pose plus à partir du moment où l'on admet que qu e tous les sentiments que le patient provoque en nous s'inscrivent dans le cadre de sa tentative inconsciente de nous raconter sa propre histoire, cette histoire qu'il cherche en même temps a nous cacher afin de se protéger contre de nouvelles manipulations qu'il redoute incons ciemment. Je suppose toujours que le patient ne peut pas nous raconter son histoire autrement qu'il ne le fait. Tous les sentiments ressentis par l'analyste appartiennent dans cette mesure au « langage chiffré » du patient et sont d'une grande valeur heuristique. Ils peuvent nous aider à retrouver les clés perdues qui permettront d'ouvrir des portes encore invisibles. Il y eut à une certaine époque une discussion dans la litté lit térat rature ure spécia spéciali lisée sée concernant concerna nt le contre-t cont re-trans ransfert fert ; certains psychanalystes se demandaient si le contretransfert n'était pas parfois l'expression du transfert de l'analyste. Si l'analyste a réussi à accéder aux sentiments de sa propre enfance , il pourra facilement faire la diffé rence entre les sentiments du contre-transfert et ses propres sentiments infantiles (son propre « transfert »). Les sentiments du contre-transfert sont comme des petits éclairs , des signaux nettement liés à la personne de l'analysant. S'ils deviennent très intenses , harcelants, c'est qu'ils nous concernent personnellement. Le contre-
DU MÉPRIS | 95
transfert signale soit l ' attitude attitude passée des objets pri maires du patient (ou le refus inconscient de l'analyste d'endosser ce rôle), soit les sentiments détachés que le
DU MÉPRIS | 95
transfert signale soit l ' attitude attitude passée des objets pri maires du patient (ou le refus inconscient de l'analyste d'endosser ce rôle), soit les sentiments détachés que le patient n'a pu vivre et qu'il délègue à l'analyste au cours du traitement. Peut-on raconter une histoire que l'on ne connaît pas ? Aussi impossible que cela puisse paraître, c'est ce qui se passe en psychanalyse. Afin que cette histoire puisse être mise en scène et comprise, le patient a besoin du cadre de la situation analytique pour développer son transfert. Il a besoin de quelqu'un qui n'exige aucun comportement particulier de sa part, qui puisse le laisser être ce qu'il est à chaque moment de son développement et qui soit prêt à « endosser » tous les rôles qu'il lui attribue pendant le temps nécessaire au processus analytique. Si l'analyste est capable d'assumer ces fonctions, la compulsion de répétition va jouer un rôle primordial dans l'analyse. On a beaucoup écrit sur le côté négatif de la compulsion de répétition ; sa dangereuse tendance à toujours remettre en scène le traumatisme dont ne subsiste aucun souvenir a parfois quelque chose de cruel, d'autodestructeur, et il est compréhensible qu'on puisse être tenté d'associer cette compulsion à « l'instinct de mort ». Mais la compulsion de répétition a aussi un côté positif ; car elle est aussi le langage de l'enfant muet, son seul mode d'expression possible. Un enfant muet a besoin d'un partenaire particulièrement empathique pour être compris. D autre part, la parole sert souvent à cacher, à voiler, à nier les vrais sentiments et les vraies pensées plut pl utôt ôt qu à les les exprim ex primer er ; elle est souven sou ventt l'expressio l'exp ressionn du faux soi. Et c'est pourquoi, dans notre travail d'ana lyse avec le patient, nous en sommes souvent remis à la compulsion de répétition comme à la seule manifestation du vrai soi. Elle est la base du transfert et de la mise en scèn scènee dans to ut le champ c hamp d'interaction d'inte raction du patien pat ientt ; cette mise en scène est appelée mise en acte dans la litté
96
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
rature spécialisée et on la traite souvent avec méfiance . Prenons un exemple Beaucoup de patients formulent
96
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
rature spécialisée et on la traite souvent avec méfiance . Prenons un exemple . Beaucoup de patients formulent dans les premières semaines ou les premiers mois de leur analyse le vœu d'avoir un enfant. On a longtemps dit que ce Vœu naissait du désir œdipien. Et il se peut que ce soit parfois Vrai. Mais les idées des patients montrent que très fréquemment il a un arrière-plan narcissique. Voilà ce qu'éprouve le patient : « J'aimerais avoir quel qu'un que je puisse posséder entièrement, dont je puisse disposer (ma mère m'a échappé) , quelqu'un qui soit tout le temps à mes côtés et non quatre séances seulement ; je ne suis personne , si j'avais un enfant , je serais quel qu'un, je vaudrais plus aux yeux des autres. » Ou bien il éprouve ceci : « J'aimerais donner à mon enfant tout ce qui m'a manqué , il sera libre , il ne devra pas nier ses sentiments, il pourra se développer librement. J'aimerais donner cette chance à un être humain. » Cette deuxième variante a l'air d'être très « objectale ». Mais s'il en était ainsi, le patient n'aurait pas besoin de réaliser son vœu immédiatement. Et il lui aurait été possible, vers la fin de son analyse , de puiser dans ses richesses pour donner. Si, au début de l'analyse, ce vœu a un caractère très urgent, c'est qu'il est l'expression de l'indigence narcissique du patient. Il y a ici plusieurs aspects : 1. Ce vœu d'avoir un enfant est lié au désir d'avoir une mère disponible (l'enfant étant une nouvelle chance de vivre une bonne symbiose, jusqu'alors impossible). 2. Le patient espère qu'avec la naissance de l'enfant sa propre vitalité naîtra aussi (l'enfant étant alors le symbole du vrai Soi du patient). 3. La commu co mmunic nicati ation on inconsciente inconsci ente du destin des tin de sa propre enfance par la compulsion de répétition (l'enfant représente la concurrence des frères et sœurs, qui entraîne l'abandon de l'espoir) : autrefois , la naissance du petit frère ou de la petite sœur avait intensifié la perte du
DU MÉP RIS
|
97
Soi et aujourd'hui , la naissance de son enfant signifie pour le patient qu'il renonce (pour le moment !) à réaliser
DU MÉP RIS
|
97
Soi et aujourd'hui , la naissance de son enfant signifie pour le patient qu'il renonce (pour le moment !) à réaliser son propre Soi. Si l'analyste interprète ce vœu problématique comme une mise en acte, il n'obtiendra en général aucun résultat, car la compulsion de répétition est ici encore trop forte. Le patient ressent alors l'analyste comme une mère qui lui interdit tout, et par rapport à laquelle il veut s'affir mer, ce qu'il ne peut faire que de cette manière autodestructive, car il n'est pas encore libéré des intro jects. L'analyste doit donc regarder son patient donner la vie à un enfant détruisant apparemment ainsi sa propre chance mais découvrant en même temps par là sa propre vie passée à moitié vécue pour la vivre cette fois consciem ment, avec des sentiments d'adulte. Comme un enfant qui représente sa famille avec les petits personnages qu'on lui confie pour faire un test psychologique, le patient se raconte inconsciemment la tragédie de son propre destin à travers son enfant . Et c'est en cela que réside la double fonction de la compulsion de répétition. Le patient sent que pour la première fois c'est vraiment de lui qu'il s'agit, c'est son propre Soi qui naît. Et son vœu de donner la vie à un enfant exprime cet espoir ; mais il est encore obligé de reporter sa réalisation sur un autre être. Il ne se consa crera pas au nourrisson qu'il était, mais bien à un nour risson réel, actuel. actu el. Cependant le nourrisson représen repr ésente te aussi son propre Soi infantile, et c'est ainsi que le patient va pouvoir découvrir émotionnellement peu à peu l'histoire refoulée de son enfance, d'une part en s'identifiant au nourrisson, d'autre part en s ' identifiant identifiant à ses propres parents qu'il découvre peu à peu en lui. La compulsion de répétition exerce aussi une action plus ou moins forte sans analyse. Il est connu que le choix du partenaire par exemple est lié au caractère de l'objet primaire. Mais cette tendance s'intensifie dans
98
|
LE DRAM E DE L ' ENFANT DOUÉ
l'analyse, car l'analyste joue un rôle dans la mise en scène, ce qui permet de trouver une solution . Le détour
98
|
LE DRAM E DE L ' ENFANT DOUÉ
l'analyse, car l'analyste joue un rôle dans la mise en scène, ce qui permet de trouver une solution . Le détour qui passe par les objets du transfert parallèle est pourtant en général inévitable, car la peur de perdre l'objet devient presque insupportable, dès lors qu'apparaissent les premiers sentiments ambivalents. La « mère-commeentourage » doit encore être séparée de la « mère-commeobjet ». Les expériences les plus anciennes du patient lui ont en effet appris qu'il ne peut montrer son méconten tement , sa déception , à l'objet sans risquer que le père ou la mère bien-aimés lui retirent leur amour. Certes, il faut arriver dans l'analyse à un moment où le patient doit pouvoir prendre ce risque , il doit être capable de lui survivre (cf. p. 30) ; mais au début du traitement, l'ana lyste est en général utilisé comme accompagnateur qui aide le patient à découvrir à travers les objets du trans fert parallèle des expériences se rapportant aux objets primaires et qui n'ont laissé aucune trace dans son souvenir. La faculté toute nouvelle d'admettre ses propres sen timents libère chez le patient des besoins et des désirs longtemps refoulés qui ne peuvent pourtant pas encore être satisfaits sans auto-punition , ou ne peuvent plus être satisfaits du tout , car ils se rapportent à des situa tions du passé. L'exemple du vœu d'avoir un enfant illustre bien ce dernier dern ier cas puisqu' il i l est entre autres choses l' expression expression du désir d' avoir a voir une mère disponible. Mais certains besoins peuvent et même doivent être satisfaits dans le présent. Ainsi le besoin essentiel de s'exprimer librement qui apparaît régulièrement dans les analyses des êtres souffrant de troubles narcissiques, le besoin de pouvoir communiquer aux autres ce qu' on est par la parole , le geste , le comportement , p a r toute expression authentique depuis le cri du nourrisson jusqu ' à l ' œuvre œ uvre d ' art. a rt. Dans les premiers temps , cette expression est accompa
DU MÉPRIS | 99
gnée d'une grande peur chez ceux qui ont dû comme enfants cacher leur vrai Soi, qu'ils ne connaissaient pas
DU MÉPRIS | 99
gnée d'une grande peur chez ceux qui ont dû comme enfants cacher leur vrai Soi, qu'ils ne connaissaient pas eux-mêmes . Ces êtres sont pourtant ceux qui, lorsqu'ils se sentent protégés par l'analyse , éprouvent le plus forte ment le besoin de se libérer des contraintes de leur enfance. Le premier effort n'amène en général pas de libération mais favorise au contraire la répétition compulsionnelle de la constellation de l'enfance , c'est-à-dire que le patient va vivre le sentiment d'être dépouillé de tout et la honte torturante qui accompagne depuis son enfance le fait de « se montrer » , de se mettre à nu. Et il va choisir avec une assurance de somnambule des partenaires qui , exactement comme ses parents autrefois , ne sont pas capables de le comprendre (même si les raisons ne sont pas les mêmes). Poussé par la compulsion de répétition , il va faire tout ce qu'il peut pour se faire comprendre quand même , pour rendre quand même possible ce qui est impossible (cf. A. Miller, 1981). A un certain stade de son analyse , une jeune femme tomba amoureuse d'un homme assez âgé , intelligent et sensible, qui pourtant ne pouvait s'empêcher de refuser , à part l'érotisme , tout ce qu'il ne pouvait pas com prendre intellectuellement , entre autres choses la psy chanalyse. Elle se mit spécialement à lui écrire de longues lettres pour essayer de lui expliquer quel chemin elle avait fait jusqu'alors dans son analyse. Elle réussit à ignorer tous les signes qui montraient l'incompréhension de cet homme et elle redoubla d'efforts jusqu'au jour où elle dut admettre qu'elle avait à nouveau trouvé un subs su bsti titu tutt de son père ; et elle elle comprit comp rit que c'est pour cette raison qu ' elle elle n ' avait a vait pu abandonner son espoir d ' être ê tre comprise. Elle en éprouva tout d'abord des senti ments de honte qui la torturèrent pendant assez longtemps encore. Puis un jour, au cours d'une séance, elle fut enfin capable de vivre ces sentiments et elle me dit : « Je me sens aussi ridicule que si j'avait parlé à un mur en atten
100
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUE
dant da nt une réponse ; comme un enfant stup st upid idee . » Je lui demandai alors : « Est-ce que vous ririez si vous voyiez
100
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUE
dant da nt une réponse ; comme un enfant stup st upid idee . » Je lui demandai alors : « Est-ce que vous ririez si vous voyiez un enfant qui doit confier son chagrin à un mur parce qu'il n'a personne d'autre ? » Le sanglot désespéré qui répondit à cette question lui permit d'accéder à une partie de sa réalité passée , à son enfance qui n'avait été qu'une immense solitude et la libéra également des sentiments de honte qui la torturaient. Le lendemain , la patiente m'apporta son premier poème , qu'elle avait écrit pendant la nuit. Ce n'est que beaucoup plus tard qu'elle réussit à répéter l'expérience du « mur » avec moi au lieu de la vivre à travers les objets du transfert parallèle. Cette femme qui s'exprimait d'habitude si clairement parla pendant un certain temps de manière tellement compliquée et préci pitée que je n'avais plus aucune chance de la comprendre vraiment , sans doute comme ses parents autrefois. Elle éprouvait par instants de la haine à mon égard et avait de brusques accès de rage narcissique, me reprochant mon indifférence et mon incompréhension. Elle ne me reconnaissait presque plus bien que je sois restée la même. C'est ainsi qu'elle trouva son enfance chez moi. Un enfant ne comprend pas non plus que sa mère, qui cuisine pour tant si bien, qui s'inquiète de sa toux et qui l'aide genti ment à faire ses devoirs, soit parfois aussi insensible qu'u qu 'unn mur m ur à sa vie intéri int érieur eure. e. Ces reproches repro ches firent finalement disparaître la compulsion de répétition qui la poussait à toujours chercher un partenaire qui ne la comprenait pas et à l'imaginer et a le vivre dans un rapport de dépendance désespérée. La fascination qu'exer cent ces relations torturantes relève de la compulsion qui consiste à répéter les premières déceptions de l'enfance.
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 0 1
II La perpétuation du mépris
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 0 1
II La perpétuation du mépris dans et
la
dans
perversion la
névrose
obsessionnelle
Si l'on part du principe que tout le développement émotionnel d'un être humain (et par là même son équi libre narcissique dont ce développement est la base) dépend de la manière dont sa mère a vécu , dès les premiers jours et les premières semaines de l'enfant , l'expression des besoins et des émotions de cet enfant , il faut admettre que les premières orientations d'une valorisation des sentiments et des pulsions instinctuelles sont posées là. Lorsqu'une mère ne peut pas refléter son enfant, lorsqu'au lieu de se réjouir de sa présence elle dépend d'une cer taine manière d'être de son enfant, c'est qu' u n e première sélection a eu lieu : le « bien » est séparé du « mal », le « laid » du « beau », le « juste » du « faux », et l'enfant a intériorisé cette sélection qui sera la base de l'intro jection des valeurs plus subtiles. Puisque toute mère porte en elle une « chambre aux accessoires » (cf. p. 38), tous les nourrissons apprendront qu'il y a quelque chose en eux que leur mère ne peut pas « utiliser ». Par exemple, les parents attendent souvent de leur enfant qu'il maîtrise ses fonctions corporelles le plus vite possible ; consciemment ils ne veulent pas qu'il « choque » dans la société mais la raison inconsciente de ce vœu est qu'ils veulent éviter que l'enfant réveille en eux la peur de « choquer » qu'ils éprouvaient eux - mêmes étant enfants. Marie Hesse, la mère de l'écrivain, une femme sans aucun doute très fine, écrivit un jour dans son journal qu'on avait brisé sa volonté lorsqu'elle avait quatre ans. Lorsque son fils eut atteint à son tour l'âge de quatre ans, elle commença à souffrir tout particulière ment de son indocilité et la combattit avec plus ou moins
102
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
de succès. Lorsqu'il eut quinze ans, elle envoya Hermann Hesse à Stetten, dans un institut pour épileptiques et
102
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
de succès. Lorsqu'il eut quinze ans, elle envoya Hermann Hesse à Stetten, dans un institut pour épileptiques et autres faibles d'esprit, « afin que son indocilité et son obstination soient enfin brisées ». Dans une lettre émou vante, pleine de colère, Hermann écrit à ses parents : « Si au lieu d'être un être humain j'étais un piétiste, je pourrais peut-être espérer de la compréhension de votre part. » Mais on lui fit comprendre qu'on ne le laisserait sortir qu'après une « amélioration », et c'est ainsi que le jeune homme « s'améliora ». Plus tard, le déni et l'idéa lisation reprendront le dessus puisque dans un poème dédié à ses parents il se reprochera de leur avoir rendu, avec « son caractère », la vie si difficile. Beaucoup d'êtres humains gardent toute leur vie ce sentiment de culpa bilité, ce sentiment oppressant de n'avoir pas répondu a l'attente de leurs parents. Ce sentiment est plus fort que toute conviction intellectuelle que ce ne peut pas être le devoir de l'enfant de satisfaire les besoins narcis siques de ses parents. Aucun argument ne peut avoir raison de ce sentiment de culpabilité, car il a ses racines dans les premiers temps de la vie, ce qui lui donne une intensité et une ténacité sans pareilles. La plaie narcissique la plus profonde ne pas avoir été aimé pour ce que nous étions ne peut pas guérir sans travail du deuil. On peut soit s'en défendre (avec plus ou moins de succès, par exemple à l'aide de la gran diosité ou de la dépression), soit laisser la compulsion de répétition la rouvrir sans cesse. C'est ce qui se passe dans la névrose obsessionnelle ou dans la perversion. Les réactions méprisantes de la mère (ou du père) ont été introjectées. L'effroi, le sentiment d'étrangeté, l'aversion, le dégoût, l'indignation, l'exaspération, la peur, la panique qu'éprouve la mère sont souvent provoqués par ce qu'il y a de plus naturel chez l'enfant, à savoir ses activités auto-érotiques, ses efforts pour découvrir son propre corps, son avidité orale, son besoin de jouer avec ses excréments,
DU MÉP MÉPRIS RIS | 1 0 3
sa curiosité et sa colère quand il est déçu, ou qu'il échoue. Toutes ces expériences seront plus tard toujours asso
DU MÉP MÉPRIS RIS | 1 0 3
sa curiosité et sa colère quand il est déçu, ou qu'il échoue. Toutes ces expériences seront plus tard toujours asso ciées aux yeux indignés de la mère comme on peut le remarquer dans le transfert. Lorsqu' il il révélera à l ' analyste analyste ses satisfactions sexuelles ou auto-érotiques jusqu ' alors a lors restées secrètes, le patient sera soumis à une véritable torture. Bien sûr il peut aussi parler froidement de sa vie sexuelle, comme s ' ilil s' agissait agissait de quelqu'un d'autre. Mais cela ne l'aidera pas à briser sa solitude, et ne le mènera pas à la réalité de son enfance. Par contre, si au lieu de se défendre de ses sentiments de honte et de peur, il est sollicité comme dans l'analyse de les accepter et de les vivre, il lui sera possible de compren dre ce qu'il ressentait quand il était enfant. Pour l'acti vité la plus innocente, il se trouve vulgaire et sale voire totalement anéanti. Et il est lui-même très surpris lorsqu'il réalise combien de temps cette honte refoulée a pu survivre, combien de temps elle a pu coexister avec ses conceptions tolérantes et progressistes de la sexua lité. C'est seulement lorsqu'il a vécu ces expériences que le patient peut comprendre que son adaptation d'autre fois n'était pas une preuve de lâcheté, mais bien sa seule chance d'échapper a ce sentiment de destruction. Mais que peut-on attendre d'autre d'une femme qui a toujours été fière d'être la gentille petite fille de sa mère, cette enfant qui ne mouillait plus ses culottes à l'âge de six mois, qui était propre à un an et s'occupait « comme une mère » de ses petits frères et sœurs dès l'âge de trois ans ? Pou P ourr cette femme, son son nourrisson nourrisso n incarne non seulement les parties jamais vécues, détachées, de son propre Soi, mais aussi le bébé libre de toute inhibition qu'était autrefois son petit frère ou sa petite sœur, qu'elle ne peut s'empêcher aujourd'hui d'envier ou même de haïr à travers son propre enfant. Elle va donc dresser son enfant avec des regards, malgré sa conviction la plus intime ; elle ne peut faire autrement. Et l'enfant grandit,
104
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
mais il ne peut faire autrement que de vivre quand même sa vérité, que de l'exprimer d'une manière ou d'une autre, être en cachette C'est ainsi qu'un être humain peut
104
|
LE DRAME DE L'ENFANT DOUÉ
mais il ne peut faire autrement que de vivre quand même sa vérité, que de l'exprimer d'une manière ou d'une autre, peut - être en cachette . C'est ainsi qu'un être humain peut s'adapter aux exigences de son entourage et développer un faux Soi tout en laissant vivre encore une part de son vrai Soi dans une perversion ou une névrose obsession nelle dont il souffre. Ce vrai Soi « vit » alors dans les mêmes conditions que l'enfant d'autrefois, c'est -àdire sous l'œil indigné de la mère entre - temps introjectée. La perversion et les compulsions remettent toujours en scène le même drame : la condition première à toute satisfaction des pulsions est l'œil indigné de la mère, c'est - à-dire que l'orgasme ne peut être atteint que dans un climat de mépris de soi, et que la critique ne peut s'imposer que dans des représentations obsessionnelles apparemment absurdes et étranges (inquiétantes). L'analyse d'un pervers ou d'un être souffrant d'une névrose obsessionnelle, dans laquelle nous assistons à la puissance destructive de la compulsion de répétition et où il nous est donné d'écouter la communication muette, inconsciente, de cette dernière au travers de la mise en scène du drame premier, est sûrement l'expérience qui nous révèle le plus clairement le drame caché de la relation inconsciente mère - enfant. Il est extrêmement important que le patient puisse vivre son analyste comme étant un être méprisant, hostile aux pulsions, et il est tout aussi important que l'analyste ne le soit jamais réellement. Ceci peut paraître évident mais ne l'est pas toujours dans la pratique. Quelquefois l'analyste fait exactement le contraire, tout à fait incons ciemment et avec les meilleures intentions du monde. En effet, dans certains cas, l'analyste ne supporte pas de jouer le rôle d'un personnage aussi hostile aux pulsions ; il va alors faire la preuve de sa tolérance pour motiver le patient à lui parler ouvertement, sans peur, par exemple de sa pratique de l'onanisme. Mais ce faisant, il empêche
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 0 5
le patient de vivre sa mère dans le transfert. Dans un même temps , l'analyste reproduit pourtant réellement l'hostilité de la mère vis -à-vis de la vie pulsionnelle du
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 0 5
le patient de vivre sa mère dans le transfert. Dans un même temps , l'analyste reproduit pourtant réellement l'hostilité de la mère vis -à-vis de la vie pulsionnelle du petit enfant, puisqu'il ne laisse pas apparaître les pul sions sous leur forme première , accompagnées de la peur et du désarroi infantiles et qu'il s'adresse a son patient uniquement au niveau adulte. On pourrait aussi considérer qu'un analyste qui insiste sur le fait que ses patients sont bien évidemment des adultes et non des enfants dévalorise l'enfance puisqu'il parle comme si le fait d'être un enfant était une chose honteuse et non une richesse que nous perdons par la suite. Il en va de même pour la maladie ; certains ana lystes essaient de considérer leur patient comme un être presque sain , et ils nous mettent en garde contre des « régressions dangereuses ». Comme si la maladie n ' était é tait pas parfois la seule expression possible du vrai Soi. Ceux qui viennent nous trouver se sont appliqués toute leur vie à être aussi adultes et aussi sains (« normaux ») que possible. Et ils se sentent très soulagés lorsqu'ils peuvent se libérer de ces obsessions conditionnées par la société que sont l'hostilité à l'égard de l'enfant et la célébration de la « normalité ». Un être qui souffre de sa perversion porte en lui la désapprobation de sa mère et il essaie de 1' « accrocher » partout , d'extérioriser à nouveau cette mère désapproba trice. C'est pourquoi il doit faire toutes sortes de choses que son entourage et la société dans laquelle il vit , réprouvent et méprisent. Si cette société sacralisait subitement sa perversion (comme cela arrive dans cer tains milieux), il devrait modifier ses compulsions, mais il n'en serait pas libéré pour autant. Ce dont il a « besoin », ce n'est pas la permission d'avoir tel ou tel fétiche , mais bien ces regards aliénés et indignés. Et ces regards, il les cherchera aussi chez son analyste et il va employer tous les moyens dont il dispose pour que celui-ci le trouve dégoû-
106
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
tant, inquiétant et répugnant. Cette provocation fait
106
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
tant, inquiétant et répugnant. Cette provocation fait bien sûr partie du transfert, et les premiers signes du contre-transfert nous permettent déjà de deviner ce qui s'est passé au début de cette vie. Si l ' analyste a nalyste arrive à comprendre le sens, à entrevoir la nature obsessionnelle de cette provocation, le bâtiment tout vermoulu de la perversion s'effondre pour faire place à une tristesse authentique et profonde. Lorsque le patient a pu vivre la blessure narcissique, les déformations ne sont plus nécessaires. Et ceci nous montre très claire ment que nous faisons fausse route lorsque nous essayons d'expliquer ses conflits pulsionnels a un patient qui a été dressé depuis sa plus tendre enfance à ne pas sentir. Comment le patient pourrait-il vivre ses désirs et ses conflits pulsionnels sans sentiments ? Que signifie l'oralité sans avidité, l'analité sans indocilité, sans envie, qu'est-ce qu'un complexe d'Œdipe sans colère, sans jalousie , sans solitude , sans amour ? Il est très impressionnant de voir que très souvent , la mise en acte pseudo-pulsionnelle du patient disparaît lorsqu ' il il commence à vivre ses senti ments et à percevoir ses vrais désirs pulsionnels. Dans un article sur Saint-Pauli* qui parut dans le magazine allemand Stern, le 8 juin 1978 , j ' ai a i trouvé cette phrase : « Tu sens le rêve masculin séduisant et absurde d'être cajolé comme un nourrisson par des femmes, tout en les les domi do mina nant nt comme un pacha. pac ha. » Ce « rêve masculin » n'a n' a rien d ' absurde, a bsurd e, puisqu puisqu ' il i l provient du besoin le plus authen tique et le plus légitime du nourrisson. Notre monde aurait sans doute un autre visage si tous les nourrissons avaient la chance de pouvoir disposer comme un pacha de leur mère et s' ils ils se faisaient cajoler sans devoir s'occuper des besoins de la mère. Ayant demandé aux habitués ce qui dans ces établisse ments leur procurait le plus grand plaisir , l'auteur de cet * Quartier des prostitué es à Ha mb ou rg.
(N.d.T.)
DU MÉPRIS MÉPRIS | 10 7
article résumait leurs réponses en ces termes : « La dispo
DU MÉPRIS MÉPRIS | 10 7
article résumait leurs réponses en ces termes : « La dispo nibilité, l'abandon des filles : avec elles , on n'a pas besoin de donner une preuve d 'amour , comme on doit le faire avec une amie. Et lorsque le désir est passé, il ne reste rien, pas d'obligations, pas de drames sentimentaux, pas de remords : tu paies et tu es libre. Même (et justement) ce qu ' une une telle rencontre a d'humiliant aussi (et justement) pour le client peut augmenter l'excitation mais on parle moins volon tiers de cela » (c'est moi qui souligne, A. M.). L'humilia tion, le mépris de soi, l'aliénation de soi reflètent, intrapsychiquement, le mépris de l'objet primaire, et la com pulsion de répétition recrée ainsi les mêmes conditions tragiques du plaisir qu'autrefois. La perversion est un cas limite, mais elle nous permet de comprendre quelque chose qui est aussi valable pour le traitement des autres troubles, à savoir l'importance du mépris inconscient et introjecté.
On ne peut pas éliminer ce qui est inconscient à l'aide de proclamations et d'interdits. On ne peut que s'y sensi biliser , afin de reconnaître ses manifestations, afin de pouvoir vivre consciemment et contrôler ce qui est inconscient. Une mère qui désire sincèrement respecter son enfant ne pourra le faire qu'à partir du moment où elle sentira ce qu'une simple remarque ironique destinée à cacher son propre manque d'assurance peut avoir d'humiliant pour son enfant. Et elle ne pourra pas sentir à quel point son enfant se sent humilié , méprisé et déva lorisé à côté d'elle si elle n'a jamais pu elle-même vivre consciemment ces sentiments , si elle a toujours essayé de s'en défendre à l'aide de l'ironie. Il arrive que les ana lystes se comportent de façon semblable. Nous n'em ployons certes pas les mots : mauvais, sale, méchant, égoïste, dépravé, mais nous parlons entre nous de patients « narcissiques », « exhibitionnistes », « destructeurs », « régressifs », sans prendre conscience de la valeur négative que nous prêtons (inconsciemment) à ces mots. Il se
108
|
LE DRAME DE L'E NFA NT DOUÉ
pourrait bien que notre vocabulaire abstrait, notre ten dance à l'objectivation, nos théories ressemblent parfois aux regards méprisants de la mère, ou plutôt de la petite
108
|
LE DRAME DE L'E NFA NT DOUÉ
pourrait bien que notre vocabulaire abstrait, notre ten dance à l'objectivation, nos théories ressemblent parfois aux regards méprisants de la mère, ou plutôt de la petite fille e n elle. Il est très compréhensible que, face face à l'at l' atti titu tude de méprisante du patient, l'analyste se laisse parfois aller par exemple à protéger sa supériorité à l'aide des théories. Mais le vrai Soi du patient ne viendra pas lui rendre visite dans son retranchement . Il se cachera, comme il se cachait autrefois pour ne pas être vu par les yeux indignés de la mère. Si nous arrivons en revanche à lire l'histoire de l'enfant méprisé derrière chaque attitude méprisante de l'analysant, il nous sera facile de ne pas nous sentir attaqués, et nous ne devrons plus nous retrancher intérieurement derrière des théories. La con naissance des théories peut certes être d'une grande aide à condition toutefois qu'elle ait aussi perdu sa fonction défensive, qu'elle ne gêne pas l'analyste et ne le force pas à s'adapter, bref qu'elle ne soit pas l ' héritière héritière des parents à l'œil sévère ; cette connaissance doit plutôt être comme un « ours en peluche qui traîne » à portée de main, selon l'image de Winnicott (cf. 1974).
III La « dépravation » dans l'en l'enfa fanc ncee de Hermann Herma nn Hesse Hess e comme exemple du « mal » concret
Il est très difficile de décrire la manière dont un être humain réagit au mépris de son enfance sans donner d'exemple concret et précis, surtout lorsqu'il s'agit du mépris à l'égard de la sensualité et de la joie de vivre. Nous pourrions bien sûr décrire la dynamique intrapsychique, les modifications de structure , ou certains mécanismes de défense comme la « défense de l'affect » à l'aide de différents différents modèles métapsyc mét apsycholog hologiques iques ; mais ce faisant, nous ne pourrions pas rendre le climat émo
DU MÉP MÉPRIS RIS | 10 9
qu'il faut connaître pour apprendre vraiment la détresse de l'enfant , et le lecteur ne pourrait donc ni tionnel
DU MÉP MÉPRIS RIS | 10 9
qu'il faut connaître pour apprendre vraiment la détresse de l'enfant , et le lecteur ne pourrait donc ni s'identifier à l'enfant , ni éprouver de véritable empathie. Dans les exposés purement théoriques , nous restons émotionnellement « en dehors » , nous pouvons parler des « autres » , nous pouvons les classer et leur donner des noms , dans une langue que nous sommes les seuls à comprendre. Il y a incontestablement une inégalité dans le dispositif analytique (entre l'analysant couché et l'ana lyste assis), et cette inégalité a un sens , elle est justifiée . Mais il n'est pas indispensable de l'étendre à d'autres situations comme par exemple les discussions , les confé rences, les travaux écrits . Je dois abolir en moi cette inégalité et la distance qui sépare le fauteuil du divan si je ne veux pas utiliser mes patients comme objets de mon savoir. Que faire lorsqu'on éprouve non seulement le besoin de suivre les patients, mais aussi celui de communiquer son expérience ? Si j'emploie des concepts métapsycho logiques, je n'arriverai pas à faire sentir au lecteur à quel point nous avons tous besoin de notre sensibilité commune (comme enfants et comme analysants) . Si, par contre, je donne des exemples détaillés , je risque de livrer au public une tragédie individuelle qui doit rester cachée. Et ce faisant , je marquerais (pas intentionnellement , mais malgré tout réellement) le même manque de respect que la mère d'autrefois qui humiliait l'enfant si elle le décou vrait par exemple en train de se masturber. Et pourtant , seul l'exemple concret d'une vie peut nous montrer comment certains êtres humains assimilent le « mal concret » de leur enfance au « mal en soi ». Les différents itinéraires individuels montrent qu'une per sonne ne peut pas identifier les compulsions parentales comme telles , à partir du moment où elles sont devenues une part d'elle-même , et elle ne pourra s'évader de cette prison intérieure qu'après avoir pu les vivre consciem tionnel
A. MILLER
110
| LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
ment en elle. Or seule l'histoire d'une vie peut nous montrer comment se déroulent ces phénomènes.
110
| LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
ment en elle. Or seule l'histoire d'une vie peut nous montrer comment se déroulent ces phénomènes. Prise dans ce dilemme entre métapsychologie et indis crétion , j'ai choisi de décrire ces phénomènes très compli qués en pren pr enan antt l'exemple de Herm He rman annn Hesse Hesse ; cet exemple exclut a priori tout jugement moralisateur , et il a l'avantage d'illustrer un phénomène qu'on retrouve dans la formation des perversions (bien qu'ici il ne s'agisse pas d'une perversion) , à savoir l'introjection du mépris des parents pour les besoins pulsionnels de l'enfant. Et cet exemple a aussi d'autres avantages : l'intéressé lui-même l'a porté à la connaissance du public et , de plus , il me permet de préciser certaines de mes suppositions à partir de données concrètes. Au début de Demian, Hermann Hesse décrit la bonté et la pureté d'un foyer où il n'y a pas de place (ni d'oreilles) pour les « mensonges par nécessité » d'un enfant. (Il est facile de deviner que dans ce roman l'auteur parle de sa propre famille , fait qu'il confirme d'ailleurs indirecte ment . ) L'enfant reste donc tout seul avec son péché , et il a l'impression d'être mauvais et dépravé , il se sent rejeté , bien que personne ne le gronde et que tous (ne sachant sachan t pas cette cet te « horreur horr eur ») soient soient gentils et bienveillants bienveil lants avec lui. Beaucoup d'enfants connaissent cette situation. Et cette description d'un foyer « pur » ne nous est pas étran gère , image idéalisée qui reflète autant le point de vue de l'enfant que la cruauté cachée d'un style d'éducation que nous connaissons tous to us.. Hesse écrit dans Demian : « Comme la plupart des parents , les miens ne m'aidèrent en rien lors du réveil de ces instincts que l'on taisait obstinément. Ils appuyèrent seulement, avec une patience infinie, mes me s efforts désespérés pour nier la réalité et continuer à vivre une existence d'enfant qui devenait toujours plus irréelle et mensongère. Je ne sais si les parents peuvent beaucoup dans ce domaine et je ne fais aux miens aucun reproche.
DU MÉPRIS
|
1 11
C' était à moi de me tirer d'affaire et de trouver mon chemin et, comme tous les enfants bien élevés, je m'en
DU MÉPRIS
|
1 11
C' était à moi de me tirer d'affaire et de trouver mon chemin et, comme tous les enfants bien élevés, je m'en tirai fort mal » (c'est moi qui souligne, A. M.). L'enfant croit que ses parents n'ont pas de désirs pulsionnels ; en effet, ils ont les moyens et la possibilité de cacher leurs satisfactions sexuelles alors que l'enfant est soumis à leur contrôle 2 . Il me semble qu'il est assez facile de s'identifier au narrateur dans la première partie de Demian, même lorsqu'on est issu d'un autre milieu. Par contre, la lecture devient très difficile par la suite, et ceci a sans doute un rapport avec le fait que Hesse ait introjecté les valeurs de ses parents et de ses grands-parents (familles de missionnaires) missionnaires ) ; cette ce tte introj in trojecti ection on est d'ailleurs sensible sensible dans beaucoup de récits de l'auteur, mais Demian est es t sans doute l'exemple qui illustre le plus clairement ce phénomène. Sinclair, le narrateur, a fait l'expéri l'expérience ence de la cruauté (le chantage qu'exerce sur lui un garçon plus âgé), mais cette expérience a été inefficace, elle ne l'a pas aidé à mieux comprendre le monde dans lequel il vit. Pour lui, le « mal » c'est la « dépravation » (on retrouve ici la langue des missionnaires) : ce n'est pas la haine, l'ambivalence ou la cruauté que chaque être humain porte en lui, et dont Sinclair a déjà fait l'expérience, qui pour lui repré sente le mal, mais d'étranges bagatelles comme le fait de boire dans les tavernes. Le petit Hesse a emprunté cette vision du mal à sa famille, elle n'est pas enracinée dans sa personnalité, elle 2. Hesse écrit dans « Ame d'enfant » : « Les adultes faisaient comme si le monde était parfait, comme s'ils étaient des demi-dieux, tandis que nous autres, les garçons, n'étions que le rebut du genre humain . . . Chaque fois, dans les jours et même les heures qui suivaient, arrivait fatalement quelque chose qui n ' aurait pas dû se produire, quelque chose de piteux, d'affligeant, de honteux . Très vite, infailliblement, on retombait, du haut des plus fermes et généreuses résolutions, dans le péché et la gueuserie, dans le quotidien et l'ordinaire . .. Po ur quo i ? E ta it -c e différent po ur les les au tr es ? »
11 2
|
LE DRAME DE L'E NFA NT DOUÉ
y est comme un corps étranger. C'est pourquoi tout ce qui se passe après la première apparition dans le livre
11 2
|
LE DRAME DE L'E NFA NT DOUÉ
y est comme un corps étranger. C'est pourquoi tout ce qui se passe après la première apparition dans le livre du dieu Abraxas (qui doit « concilier l'élément divin et l'élément démoniaque »), nous donne une impression d'étrangeté et ne nous touche plus. Car le bien et le mal doivent être conciliés d'une manière artificielle. On a l'impression que pour le jeune homme cette conciliation est une chose étrange , menaçante et surtout inconnue ; il ne peut pourtant pas se libérer de ce sentiment car , pour lui, la « dépravation » est émotionnellernent investie, c'est- à-dire liée à la peur, à un sentiment de culpabilité. Et il voudrait la « tuer » en lui : « Avec les débris d'un monde écroulé, je cherchai de nouveau, plein de ferveur, à édifier un "monde lumineux". Je vécus possédé par le désir unique de me purifier de tout contact avec le monde sombre, avec le mal et de demeurer complètement dans la lumière, agenouillé devant les dieux » (c'est moi qui
souligne, A. M.). En 1977, le « Helmhaus » de Zurich consacra une exposition à Hermann Hesse. On pouvait y voir un tableau que le jeune Hermann connaissait bien puisqu ' ilil était accroché au-dessus de son lit et qu ' il i l avait grandi avec lui. La moitié droite du tableau montre le « bon » chemin, celui qui mène au Ciel, plein d ' arbustes a rbustes épineux, de désagréments et de souffrances. A gauche, on voit le chemin agréable, plaisant, plein de délices, qui mène tout droit en Enfer. Les tavernes y jouent un rôle important. (Les femmes dévotes espéraient sans doute qu' elles elles réussi raient à dissuader leurs maris et leurs fils avec de telles représentations.) Et les tavernes jouent aussi un rôle important dans Demian. Ceci est d ' autant a utant plus grotesque que Hesse n'éprouvait aucunement le besoin d'aller se saouler dans les tavernes, il voulait seulement échapper à l'étroitesse du système de valeurs de ses parents. Chaque enfant se crée une représentation du mal, d'abord très concrète, façonnée par les interdits, les
DU MÉPRIS | 113
tabous et les peurs de ses parents . Il devra accomplir un long chemin avant de s'en libérer, de découvrir en lui
DU MÉPRIS | 113
tabous et les peurs de ses parents . Il devra accomplir un long chemin avant de s'en libérer, de découvrir en lui son propre « mal », avant qu'il puisse entrevoir que ce qui vient des pulsions n'est pas forcément « mauvais », qu'elles font partie de la vie, et qu'aucun être humain n'en est exempt , même s'il réussit à s'en persuader , à les nier. Il est possible que Hermann Hesse ait dû vivre pendant sa puberté la part niée , détachée , « dépravée » de son père et qu'il ait essayé de la décrire dans ses livres. Peut - être est -ce la raison pour laquelle il y a dans ses romans beau coup de choses qu'on ne peut ressentir directement ; il nous communique pourtant l'atmosphère de son enfance ; qui l'avait fait beaucoup souffrir , mais il ne pouvait s'en libérer, ayant dû l'intégrer très tôt. Ce passage de Demian nous montre bien que Hesse était menacé de perdre l'amour de ses parents lorsqu'il essayait de trouver son vrai Soi : « Mais, lorsque, non par habitude, mais spontanément, nous avons offert amour et vénération , quand de notre propre mouvement , nous sommes devenus disciples et amis , il est amer et terrible le moment où , subitement, nous croyons nous apercevoir que le courant qui nous entraîne va nous arracher à l'être aimé. Alors, chaque pensée qui repousse le maître et l'ami pénètre , tel un dard empoisonné, dans notre propre cœur, chaque coup que nous portons pour nous défendre nous atteint en plein visage. Alors, celui qui croyait posséder une moralité suffisante se voit contraint de s'appliquer les mots infamants d' "infidèle" et d' "ingrat", et son cœur se réfugie, plein d'angoisse, dans les chères vallées des vertus de son enfance, se refusant à croire qu ' une une telle rupture ait été consommée , q u ' un un tel lien ait dû être brisé. » Et dans sa nouvelle , « Ame d ' enfant enfant », il écrit : « Si je devais ramener ce désarroi intérieur et ses conflits à un sentiment unique, je ne saurais le nommer autrement que : la peur. C ' était la peur, la peur et l'insécurité que j'éprouvais durant cette période troublée de mon enfance.
114
|
LE DRAME DE L ' ENFANT DOUÉ
Peur de la punition, peur de ma conscience, peur des impul sions de mon âme, sûrement répréhensibles et criminelles »
114
|
LE DRAME DE L ' ENFANT DOUÉ
Peur de la punition, peur de ma conscience, peur des impul sions de mon âme, sûrement répréhensibles et criminelles » (c'est moi qui souligne , A. M.).
Dans « Ame d'enfant », Hesse décrit avec beaucoup de tendresse et de compréhension les sentiments d'un garçon de onze ans qui a volé des figues sèches dans la chambre de son père afin d'avoir près de lui quelque chose appar tenant à ce père bien-aimé. Dans sa solitude, l'enfant est torturé par la peur , le désespoir et le remords, sentiments qui vont être remplacés par l'humiliation et la honte lorsque ses parents auront découvert sa « mauvaise action ». La force de cette description est telle, que nous avons l'impression que cette histoire s'est réellement déroulée dans l'enfance de Hesse. Impression qui est du reste confirmée par une phrase de sa mère datée du 11 novembre 1889 : « Ai découvert que Hermann a volé des figues ! » (A. M.) On peut entrevoir le chemin de croix du petit garçon lorsqu'on lit le journal de sa mère et les lettres que ses parent par entss adressèren adre ssèrentt aux autres autr es membres me mbres de la la famil famille le ; ces lettres ont été publiées en Allemagne en 1966. Comme tant d'autres, c'est à cause de sa richesse intérieure et non malgré elle que les parents de Hesse avaient tant de peine à le supporter. Il arrive souvent qu'un enfant réveille par ses dons (par l'intensité de ses sentiments, la profondeur de sa sensibilité, son intelligence et sa curio sité, qui entraîne naturellement la critique) des conflits dont les parents essaient depuis toujours de se défendre a l'aide des règles et des interdits. Et ces règles doivent être sauvées, au prix du développement de l'enfant. On arrive alors à une situation apparemment paradoxale, dans laquelle même les parents qui sont fiers de leur enfant doué et l'admirent, doivent, à cause de leur propre désarroi, repousser, opprimer, voire détruire, ce que l'enfant a de mieux en lui, c'est-à-dire sa part la plus authentique. Deux citations tirées du journal de la mère
DU MÉPRIS
|
1 15
de Hermann Hesse montrent comment cette œuvre de destruction peut parfois aller de pair avec des sentiments
DU MÉPRIS
|
1 15
de Hermann Hesse montrent comment cette œuvre de destruction peut parfois aller de pair avec des sentiments « affectueux » : 1. (188 (1881) 1) « Herm He rm ann an n va au jard ja rdin in d'enfa d'e nfants nts ; son tempérament vif nous cause beaucoup de souci. » L'enfant a trois ans. 2. (1884) « L'éducation de Hermann nous a causé beaucoup de souci et de difficultés, maintenant cela va beaucoup mieux. Du 21 janvier au 5 juin , il est resté au pensionnat et ne passait que les dimanches avec nous. Là -bas il a été très sage , mais il était maigre , pâle et abattu quand il rentrait à la maison. Son séjour là-bas a eu un effet salutaire. Il est maintenant beaucoup plus docile » (c'est moi qui souligne , A. M.) (1966, p. 13-14). L'enfant
a sept ans. Plus tôt encore (le 14 novembre 1883) , le père de Hermann , Johannes Hesse , écrivait : « Hermann , q ui passe pour un modèle de vertu au pensionnat , est par moments insupportable. Aussi humiliant que cela puisse être pour nous (! A. M.) , je pense sérieusement à l'envoyer dans une maison de rééducation ou dans une autre famille. Nous sommes trop nerveux et trop faibles pour lui et la vie familiale n'est pas assez réglée et disciplinée. Il a semble - t-il tous les dons : il observe la lune et les nuages , il improvise sur l'harmonium pendant de longues heures , il fait de très beaux dessins à la plume et au crayon , il chante tout à fait convenablement quand il le veut et n'est jamais à court de vers » (c'est moi qui sou ligne , A. M., cf. Hermann Hesse, Kindheit und Jugend..., 1966, p. 13). Avec l'image fortement idéalisée de son enfance et de ses parents qu'il a brossée dans Hermann Lauscher 3, 3. « Maintenant souvenir de mon cadre doré ou je et de châtaigniers
116
|
encore, lorsque de temps à autre, je me sens ému par le enfance, c'est un tableau aux riches couleurs dans un distingue avant tout une abondante frondaison d'aulnes dans l'éclat d'une lumière impossible à décrire et sur
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Hesse a abandonné l'enfant original, rebelle, « difficile » qu'il a été en réalité Il n'a pas pu trouver de place en lui
116
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Hesse a abandonné l'enfant original, rebelle, « difficile » qu'il a été en réalité . Il n'a pas pu trouver de place en lui pour cette part très importante de son Soi, il a dû l'expul ser se r . C'est sans doute pourquoi il eut toujours une immense et authentique nostalgie insatisfaite de son vrai Soi. Les œuvres de Hesse et beaucoup de ses lettres , en particulier la lettre inoubliable qu'il envoya de Stetten à ses parents , nous prouvent qu'il ne manquait ni de courage, ni de talent , ni de sensibilité. Mais la réponse de son père à cette lettre (cf. 1966), les mémoires de sa mère et les pages de Demian et de « Ame d'enfant » que j'ai citées plus haut, nous montrent à quel point le poids oppressant des introjects a pesé sur son destin. Malgré le succès de ses œuvres et l'écho qu'il reçut, malgré le prix Nobel, Hesse souffrait dans ses dernières années du sentiment tragique et douloureux d'être coupé de son vrai Soi, ce sentiment que les médecins appellent simplement dépression.
IV La mère des premières années de la vie comme intermédiaire de la société
Si nous disions à un patient que sa perversion ne poserait aucun problème dans une autre société, que c'est notre société malade et contraignante qui essaie de limiter l'être humain, nous lui dirions en partie la vérité, mais nous ne l'aiderions en rien, car il se sentirait négligé et incompris en tant qu'être historique unique. Une telle interprétation semblerait peut-être même mini un arrière-fond de splendides montagnes. Je ne saurais évoquer en des termes plus heureux toutes les heures de mon existence au cours desquelles, oublié du monde, j'ai joui d'un bref repos, toutes mes promenades solitaires dans ces belles montagnes, tous les instants de petit bonheur inattendu ou d'amour au-delà de tout désir, qu'en les comparant à cette verdoyante image de mon enfance » (1942).
DU MÉPRIS | 117 11 7
miser sa tragédie . Car c'est sa compulsion de répétition et la constellation qu'il porte en lui que nous devons
DU MÉPRIS | 117 11 7
miser sa tragédie . Car c'est sa compulsion de répétition et la constellation qu'il porte en lui que nous devons comprendre. Certes , cette histoire résulte des contraintes sociales, mais celles-ci n'adhèrent pas à son psychisme comme un savoir abstrait, elles y sont ancrées très soli dement sous la forme des premières expériences affectives de l'enfant avec sa mère. C'est pourquoi les mots ne suffisent pas pour le libérer des contraintes ; seule l'expé rience vécue, non pas l'expérience correctrice de l'adulte mais celle de la peur originelle, du mépris de la mère bien-aimée et les sentiments d'indignation et d'affliction profonde qui l'accompagnent peuvent dissoudre les contraintes. Les mots seuls, même s'il s'agit des inter prétations les plus habiles, ne font pas disparaître la dissociation, et parfois même ils l'aggravent. C'est la raison pour laquelle on ne peut pas libérer un patient de la cruauté de ses introjects en lui montrant à quel point notre « société », qui est la cause de nos névroses et de nos perversions, est absurde et perverse, a quel point elle exploite l'individu, même si ceci est vrai. Dora, la patiente de Freud, tomba malade à cause de l'hypocrisie de cette société face à la sexualité, hypocrisie dont elle ne pouvait bien sûr pas prendre conscience à l'époque. Ce dont nous avons conscience ne nous rend pas malades, mais réveille en nous des sentiments d'indi gnation, de colère, d'affliction ou d'impuissance. Ce qui nous rend malades , c'est l'incompréhensible , ce sont les contraintes de la société qui se reflétaient déjà dans les yeux de notre mère , que nous avons intégrées et dont aucune lecture , aucune connaissance ne peuvent nous libérer. Autrement dit : nos patients sont intelligents, ils lisent des journaux ou des livres qui parlent de l'absur dité de la course aux armements, de l'exploitation capi taliste, de l'hypocrisie de la diplomatie, de l'arrogance du pouvoir, de la manipulation des masses, de l'adaptation du faible, de l'impuissance de l'individu, et ils se font
118
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
leurs idées sur ces points . Ce qu'ils ne voient pas, ce qu'ils ne peuvent pas voir, c'est l'absurdité de l'attitude de leur
118
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
leurs idées sur ces points . Ce qu'ils ne voient pas, ce qu'ils ne peuvent pas voir, c'est l'absurdité de l'attitude de leur mère à l'époque où ils étaient des petits enfants. On ne peut pas se rappeler l'attitude des parents, car à cette époque on était une partie de ces parents ; dans l'analyse, les patients peuvent vivre l'interaction d'alors, ce qui leur permet de comprendre peu à peu les contraintes que leur imposaient leurs parents. La colère inconsciente de l'enfant emprisonné, exploité et dressé , de cet enfant dont on a abusé et qu'on a essayé d'étouffer , nourrit parfois l'engagement politique de l'adulte. En effet, dans son combat contre les institutions, il peut se débarrasser en partie de sa colère, sans devoir abandonner l'image idéale qu'il a de sa propre mère depuis sa premiè pre mière re enfance ; la vieille inféodat inf éodation ion est es t transférée à d'autres objets. Mais le fait de pouvoir vivre la désillusion et le deuil dans l'analyse n'entraîne en général pas le désengagement politique ou social ; il libère simplement le patient d'une action sous l'effet de la compulsion de répétition. La nécessité intérieure de construire sans cesse de nou velles illusions et de nouveaux dénis afin de ne pas devoir vivre sa propre vérité disparaît lorsque l'on a pu vivre cette vérité. On comprend alors que, toute sa vie, on s'est défendu et on a eu peur de quelque chose qui ne peut plus se passer, qui s'est déjà passé tout au début de sa vie, alors qu'on ne pouvait pas encore se défendre. Il en va à peu près de même de la créativité. Encore aujourd'hui, beaucoup d'artistes croient qu'une analyse (leur mère) leur « prendrait » leur créativité. Or la condi tion première de la créativité est le travail du deuil, et non la névrose. Admettons qu'un analyste essaie de persuader son patient qu'il n'a pas à avoir de sentiments de culpabilité , en lui expliquant que son Surmoi sévère est une consé quence des normes de la société , et que ces normes sont
DU MÉPRIS | 119
dictées par les intérêts du capital . Cette interprétation n'est pas fausse. La « société » étouffe non seulement les
DU MÉPRIS | 119
dictées par les intérêts du capital . Cette interprétation n'est pas fausse. La « société » étouffe non seulement les désirs pulsionnels , mais aussi (et surtout !) certains senti ments (par exemple la colère) et certains besoins narcis siques (comme le besoin d'être estimé , reflété et respecté) qui, s'ils étaient autorisés chez les adultes et satisfaits chez les enfants , mèneraient à une indépendance indivi duelle et à une force émotionnelle susceptibles de compro mettre les intérêts des détenteurs du pouvoir. Mais cette oppression et l'obligation de s'adapter ne commencent pas dans les bureaux, les fabriques ou les partis politiques, elles commencent dès les premières semaines de la vie. Plus tard, elles seront intériorisées et refoulées et, de ce fait, elles resteront inaccessibles à toute argumentation. Car un simple échange d'objet ne change rien a la nature de l'adaptation et de la dépendance. Le « remplacement » du Surmoi sévère du patient par celui plus tolérant de l'analyste peut avoir un effet théra peutique (sous la forme d'une amélioration passagère). Cependant, le but de l'analyse n'est pas de corriger le destin du patient mais bien de lui donner la possibilité de se confronter à son propre destin et la capacité d'effec tuer un travail du deuil. Afin qu'il puisse vivre consciem ment la manipulation inconsciente et le mépris involon taire dont il a été la victime, ce qui lui permettra de s'en libérer, le patient doit pouvoir trouver ses parents d'autre fois non seulement chez l'analyste, au moyen du transfert, mais aussi en lui. Tant qu'il doit vivre avec le Surmoi de remplacement de son analyste, l'introject méprisant qu'il porte en lui ne subit, malgré tous ses efforts, aucune modification car il reste caché dans l'inconscient. Certes, l'introject du patient va se manifester dans ses rapports avec les autres et avec lui-même, mais il sera inaccessible à toute élaboration. Les contenus inconscients sont immuables et intemporels, comme dit Freud. Seule la prise de conscience peut être l'amorce d'une modification.
120
|
LE DRAME DE L ' ENFANT DOUÉ
V La solitude
120
|
LE DRAME DE L ' ENFANT DOUÉ
V La solitude de celui qui méprise
L'attitude méprisante du patient souffrant de troubles narcissiques , sur laquelle Kernberg attire tout parti culièrement notre attention , peut avoir de nombreux antécédents dans le passé de cet être , ainsi par exemple le mépris qu'il éprouvait pour ses « stupides petits frères et sœurs » ou pour ses parents incultes et incompréhensifs ; elle a pourtant toujours la même fonction, celle d e le défendre contre des sentiments indésirables. Le mépris pour ses petits frères et sœurs cache souvent l'envie à leur égard , le mépris pour les parents aide à se protéger contre la douleur de n'avoir pas pu les idéaliser. Mais ce mépris peut aussi cacher d'autres sentiments, et il perd sa fonction lorsque lorsqu e ceux-ci peuven peuv entt être ê tre vécus v écus ; ces autres sentiments sont par exemple : la honte d'avoir courtisé sans succès le parent de l'autre sexe, le sentiment d'insuffisance dans la rivalité avec sa mère ou son père (la mère pour la petite fille , le père pour le petit garçon) et surtout la rage narcissique qui est une réaction à l'indis ponibilité de l'objet . Aussi longtemps qu'on éprouve ce mépris et qu'on surestime la valeur des performances (« il ne sait pas faire ce que je sais faire »), on n'est pas contrai nt de vivre la tristesse d'avoir été aimé pour ses performances. Mais en évitant ce deuil, on reste au fond de soi-même celui qu'on méprise. Car on méprise tout ce qui, en soi, n'est pas extraordinaire, bon et intelligent. De ce fait, on perpétue intrapsychiquement la solitude de son enfance : on méprise l'impuissance, la faiblesse et l'insé curité, bref, on méprise l'enfant désemparé en soi ou chez l'autre. Il est rare qu'un patient exprime dès le début du traitement le mépris qu'il éprouve pour son analyste.
DU MÉP MÉPRIS RIS | 1 2 1
Consciemment , il méprise d'autres personnes. « Je n ' ai pas besoin d'éprouver des sentiments d'enfant, ça, c'est
DU MÉP MÉPRIS RIS | 1 2 1
Consciemment , il méprise d'autres personnes. « Je n ' ai pas besoin d'éprouver des sentiments d'enfant, ça, c'est bon pour mes petits frères et sœurs, ils ne disposent pas de mon intelligence. De toute façon, ce sont des bali vernes sentimentales , ridicules. Je suis un adulte, je peux penser et agir pour provoquer des changements dans mon entourage , je n'éprouve pas de sentiments d'impuissance , de détresse , de dépendance. Si j'ai des angoisses, je peux faire quelque chose pour lutter contre elles, ou du moins, je peux essayer de les comprendre intellectuellement. Mon intellect est mon compagnon le plus fiable. » Tout va donc pour le mieux. Mais le patient s'est décidé à faire une analyse car, malgré, ou justement à cause de sa nette supériorité sur les autres, il se sent très seul, il souffre de troubles de contact, peut-être d'obses sions, voire de perversions. Au cours de l'analyse, on découvre que le mépris l'a toujours protégé contre ses sentiments. Il arrive que le mépris du patient pour l'analyste appa raisse très tôt déjà, mais ce mépris ne pourra être élaboré qu'à partir du moment où l'analysant aura trouvé un terrain large et solide, constitué de tous ses sentiments, sur lequel il puisse s'appuyer pour vivre jusqu'au bout et pour supporter son ambivalence. Et c'est pourquoi il est très important que l'analyste ne se laisse pas aller, provoqué par les paroles blessantes du patient, à vouloir démontrer sa supériorité. Le mépris ubiquitaire de l'être grandiose, décrit par Kernberg, recouvre toujours le mépris pour son propre Soi. Car ce mépris signifie : un être humain qui n'a pas les qualités que je possède n'a aucune valeur. Et ceci veut dire : sans mes perfor mances, mes dons, personne ne m'aimerait, personne ne m'aurait jamais aimé. Et c'est ainsi que non seulement l'enfant désarmé, impuissant et livré aux autres, mais aussi l'enfant pénible et « difficile » sont une fois de plus
12 2
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
méprisés. La grandiosité garantit la pérennité de l'illu sion d'avoir été aimé. Des êtres qui doivent dans leur faux Soi grandiose
12 2
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
méprisés. La grandiosité garantit la pérennité de l'illu sion d'avoir été aimé. Des êtres qui doivent , dans leur faux Soi grandiose , simuler cette sécurité , dont ils ont besoin , seront enviés ou admirés par des êtres souffrants de troubles narcis siques siques aya a yant nt une stru st ructu cture re à domi d ominan nante te dépressive dépressive ; et ces derniers seront eux - mêmes méprisés par les êtres grandioses . On ne peut toutefois pas établir de typologie , car la grandiosité et la dépression expriment au fond la même détresse . Dès que le patient peut vivre le deuil que suscite en lui la constatation de l'irréversibilité de son destin , le mépris disparaît . Car ce mépris servait lui aussi , à sa manière, à nier la réalité d'autrefois . En effet, il est moins douloureux de penser que c'est à cause de la bêtise des autres que l'on n'est pas compris. Car , dans ce cas , on peut encore essayer de le leur expliquer. C'est du reste le phénomène décrit par Kohut : lorsque l'idéalisation de l'objet narcissique est impossible , le Soi grandiose va être investi. Au moins dans les fantasmes , il y a une échappatoire. L'être humain peut , grâce à la grandiosité (la sienne propre) , sauver la force en soi et conserver l'illu sion de la compréhension (« si seulement je m'exprime correctement... »)4. Si par contre il abandonne ces efforts , il comprendra soudain qu'il n'y en avait que très peu chez les autres (cf. p. 99 sq.). Il réalisera que la compréhension parfaite n'était pas possible en elle-même, chaque être humain étant marqué différemment par son destin et son enfance. En effet, la plupart des parents ne peuvent pas , en dépit de toute leur bonne volonté , comprendre toujours leur enfant , car ils sont eux-mêmes marqués par leurs expé 4. L' œu vr e de Va n Gogh ou celle celle du pe in tr e suisse Max Guble r son t des exemples bouleversants qui illustrent bien ce phénomène : ils essayèrent d'obtenir par tous les moyens la compréhension et l'amour de leur mère, et leurs efforts furent aussi inutiles que sublimes.
DU MÉP MÉPRIS RIS | 1 23
riences avec leurs propres parents et appartiennent à une autre génération . C'est déjà beaucoup s'ils sont capables de respecter tous les sentiments de leur enfant
DU MÉP MÉPRIS RIS | 1 23
riences avec leurs propres parents et appartiennent à une autre génération . C'est déjà beaucoup s'ils sont capables de respecter tous les sentiments de leur enfant , même quand ils ne les comprennent pas . Et celui qui comprend que « ce n'était pas possible » a acquis un savoir conciliant et non méprisant , difficile à atteindre . Pour illustrer cela, j'aimerais donner un exemple détaillé. Un patient , torturé par des obsessions malgré une première analyse, rêvait régulièrement qu'il se trouvait tout en haut d'un belvédère qui s'élevait sur un terrain marécageux, en bordure d'une ville qu'il aimait. Du haut de cette tour, il jouissait d'une vue générale qui embrassait tout to utee la ville ville ; mais il s'y sentai sen taitt malgré malgr é tout tou t trist tri stee et abandonné. Pour monter au sommet du belvédère , i l y avait un ascenseur , e t , dans le rêve, le patient avait souvent des difficultés avec son billet d'entrée et, parfois, il rencon ren contra trait it tout t outes es sortes d'obstacles sur le chemin qui le menait au pied de la tour. La tour n'existe pas dans la réalité , mais elle appartenait indubitablement au paysage onirique du patient, et il la connaissait bien. Son premier analyste s'était engagé dans l'interprétation du sens phallique de cette tour, et ceci n'était sûrement pas faux ; mais ce n'était apparemment pas suffisant, car le rêve réapparut plus tard, toujours accompagné des mêmes sentiments de tristesse et d'abandon. L'inter prétation des conflits pulsionnels n'avait eu aucun effet, la symptomatologie de la névrose obsessionnelle avait gardé sa résistance. Ce n'est qu'après une longue évolution dans l'analyse que ce rêve apparut sous des formes un peu différentes ; puis il se transforma de manière décisive. Le patient fut tout d'abord surpris, lorsqu'il rêva qu'il avait un billet d'entré d'en tréee valable mais que la tour tou r avait av ait été démolie démolie ; il n' y avait avai t plus de panora pan orama. ma. Pa r contre on avait construit un pont qui reliait les marécages à la ville. Il put ainsi rentrer à pied en ville et il m'expliqua : « Je
124
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
ne voyais plus toute la ville , mais je pouvais enfin voir certaines choses de plus près. » Comme il souffrait d'une
124
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
ne voyais plus toute la ville , mais je pouvais enfin voir certaines choses de plus près. » Comme il souffrait d'une phobie des ascenseurs , il fut assez soulagé de voir que la tour avait été démolie ; en effet , il était saisi d'une angoisse intense à chaque fois qu'il devait faire cette montée en ascenseur . Il me dit ensuite que ce rêve montrait sans doute qu'il pouvait maintenant se passer de la vue d'ensemble , qu'il n'avait plus besoin de tout dominer, d'être plus intelligent que les autres , de se trouver au -dessus d'eux , etc. etc . ; ce rêve montr mo ntrait ait qu'il pouvait enfin aller à pied , comme tout le monde. Mais il fut encore plus surpris , lorsque vers la fin de l'analyse il rêva qu'il était à nouveau dans l'ascenseur du belvédère et qu'il n'éprouvait plus aucune angoisse , se sentant agréablement installé comme sur un télésiège. Il trouva la montée très agréable et, arrivé tout en haut, il fut très étonné de voir qu'autour de lui tout était vivant et coloré. Il se trouvait sur un plateau, au loin on devi nait les vallées ; mais là - haut, il y avait une ville avec un beau bazar aux marchandises de toutes les couleurs , une école où des enfants suivaient un cours de ballet auquel il put participer (c'était son rêve d'enfant) , des de s hommes et des femmes de tous les âges qui discutaient entre eux , avec qui il parla longuement. Dans cette collec tivité , il se sentait accepté pour ce qu'il était vraiment. Ce rêve l'impressionna beaucoup et le rendit très heureux ; il me dit : « Jusqu'à maintenant , mon rêve de la tour était l'expression de mon isolement et de ma solitude . En effet, étant l'aîné , j'étais toujours en avance sur mes frères et sœurs ; quant à mes parents , ils n'étaient pas à ma hauteur sur le plan intellectuel . J'étais donc le seul , dans la famille , à m'intéresser à la vie culturelle (la ville du rêve , qu'il aimait, était un des hauts - lieux de la culture européenne) . D'un côté je devais étaler mes connaissances afin d'être enfin pris au sérieux et, de l'autre, je devais les cacher si je voulais éviter d'entendre des phrases
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 25
comme : "Tes études te montent à la tête. Te crois -tu meilleur qu'un autre parce que tu as eu la possibilité
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 25
comme : "Tes études te montent à la tête. Te crois -tu meilleur qu'un autre parce que tu as eu la possibilité de faire des études ? Sans les sacrifices de ta mère, sans le dur labeur de ton père, tu n'en serais pas là." Je me sentais alors coupable et je m'appliquais à être comme les autres, j'essayais de cacher ma différence, mes intérêts et mes dons. Mais ce faisant, je me trompais moi -même. » Et c'est pourquoi le patient recherchait sa tour, sur montait les obstacles (le trajet, le billet d'entrée, l'an goisse, etc.) et se sentait seul et délaissé lorsqu'il en avait atteint le sommet, c'est-à-dire lorsqu'il était plus intelli gent que les autres. Beaucoup de parents ont cette attitude contradictoire (très compréhensible, vu leur envie) : ils se montrent malveillants et hostiles à l'égard de leur enfant mais, dans un même temps, ils le poussent à accomplir des perfor mances et sont fiers de son succès (car ils s'identifient à lui). C'est ainsi que ce patient devait rechercher cette tour, et devait rencontrer des obstacles . Dans l'analyse, il put vivre sa révolte contre la pression qu'on exerçait sur lui pour qu'il accomplisse des performances, et c'est pourquoi la tour disparut dans le premier rêve . Il put abandonner le fantasme grandiose de voir tout d'en haut et put aussi se permettre de regarder de plus près la ville qu'il aimait (son Soi). Le deuxième rêve apparut au moment où il avait réussi pour la première fois à s'exprimer et à vivre son vrai Soi dans un métier artis tique , ayant enfin reçu un écho vivant. Et cette fois , il ne renco ren cont ntra ra pas des personne pe rsonness envieuses et fières lui rappelant ses parents, mais au contraire de véri tables partenaires dans un groupe. C'est ainsi que prit fin son existence de « tour », et que disparut, presque simultanément, son mépris pour ceux qui n'étaient pas aussi intelligents et aussi rapides que lui (c'était le cas dans son premier métier qui était très spécialisé et demandait de grandes capacités intellectuelles).
126
|
LE DRAME DE L ' ENFANT DOUÉ
C' est est seulement alors qu'il comprit à quel point son mépris l'avait isolé des autres, et qu'il prit conscience que jusqu'alors il était séparé, isolé de son vrai Soi (du
126
|
LE DRAME DE L ' ENFANT DOUÉ
C' est est seulement alors qu'il comprit à quel point son mépris l'avait isolé des autres, et qu'il prit conscience que jusqu'alors il était séparé, isolé de son vrai Soi (du moins de sa part désarmée et peu sûre). L'intégration de ce côté de sa personnalité lui permit de changer de profession ce qui, malgré les risques qu'il dut prendre, le rendit très heureux. Et c'est alors qu'il put, après cinq ans d'analyse, vivre son destin œdipien avec des sentiments très intenses que personne n'aurait soupçonnés chez l'homme méprisant, distant, qui intellectualisait tout, qu'il avait été jusqu'à présent. VI Libération des introjects méprisants
La perversion sexuelle et la névrose obsessionnelle ne sont pas les seuls moyens qui permettent à la tragédie du mépris originel de se perpétuer. Il y a en effet un nombre infini de formes dans lesquelles on la retrouve, dans des nuances parfois très subtiles. La rage narcissique de l'enfant, provoquée en lui par l'indisponibilité de sa mère ou le rejet de certaines parties de son Soi, s'exprime tout d'abord sous la même forme que celle du rejet par cette mère. Il y a plusieurs manières de transmettre inconsciem ment la discrimination dont on a été soi-même victime enfant . Il y a ainsi des gens qui n'élèvent jamais le ton, qui ne prononcent jamais de mots blessants, qui nous donnent l'impression d'être bons et nobles et en face de qui on se sent pourtant ridicule , bête, trop bruyant, voire médiocre. Ce n'est pas leur intention et ils ne le savent pas, mais ils suscitent ce sentiment en nous. Ils ont sans doute introjecté l'attitude de leurs parents sans jamais en prendre conscience. Et leurs enfants ont en général beaucoup de peine à formuler des reproches dans l'analyse.
DU MÉPRIS | 12 7
On rencontre aussi des gens qui peuvent être très gentils, avec une trace de condescendance peut - être, en
DU MÉPRIS | 12 7
On rencontre aussi des gens qui peuvent être très gentils, avec une trace de condescendance peut - être, en face de qui on a le sentiment de n'être que du vent. On a l'impression qu ' eux eux seuls existent, qu ' eux eux seuls ont quelque chose d'intéressant, d'important à nous apprendre. Les autres ne peuvent que les admirer ou se détourner tristes et déçus de ne pas être a la hauteur, en leur pré sence, ils ne peuvent s'exprimer. Cette attitude est fré quente chez ceux qui avaient des parents grandioses avec qui ils n'ont jamais pu rivaliser ; devenus adultes , ces êtres communiquent cette atmosphère à leur entou rage de manière tout à fait inconsciente. Enfin , il y a ceux qui ont toujours été nettement supé rieurs à leurs parents sur le plan intellectuel et qui furent donc toujours seuls avec leurs problèmes , malgré l'admi ration qu'on leur portait parce que les parents n'étaient pas à leur hauteur. Ils nous donnent une impression de puissance , mais nous sentons aussi le besoin qu'ils ont de se défendre par des moyens intellectuels de toute impuis sance pouvant les menacer. Ils ne comprennent pas plus notre détresse , que leurs parents , devant qui ils devaient se montrer forts , ne comprenaient leur chagrin d'enfant. A la lumière de ces observations , on comprend mieux pourquoi certains professeurs utilisent une langue extrê mement compliquée et aliénée, alors qu'ils seraient tout à fait capables de s'exprimer clairement. L'étudiant ne peut assimiler ce langage qu'avec un mélange d'appli cation et d'irritation, sans pouvoir s'en servir d'aucune manière. Il ressent sans doute ce que ces professeurs ont dû refouler devant leurs parents lorsqu'ils étaient enfants. Et s'il devient lui-même un jour professeur, il pourra transmettre ce savoir inutilisable à ses élèves comme s'il s'agissait d'une chose d'une très grande valeur (en effet, ce savoir lui a coûté très cher). Pour le succès du travail analytique, il est important que le patient puisse vivre l'objet interne qui agit en lui.
128
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Ceci est aussi une des conditions qui doivent être remplies pour que l'analysant arrive à se séparer de son introject. J'aimerais donner ici un exemple : à un certain moment
128
|
LE DRAME DE L' EN FA NT DOUÉ
Ceci est aussi une des conditions qui doivent être remplies pour que l'analysant arrive à se séparer de son introject. J'aimerais donner ici un exemple : à un certain moment de son analyse , une patiente décida soudain d'aider sa fille de dix ans , très intelligente , à faire ses devoirs, bien que celle-ci n'ait jusque -là jamais eu besoin d'aide. Consciemment, cette patiente avait pris cette décision en se référant aux conseils que l'instituteur avait adressés à tous les parents, lors d'une réunion. En peu de temps sa fille perdit sa spontanéité et sa faculté d'apprendre rapidement ses leçons, elle n'eut plus la même assurance et commença à rencontrer de réelles difficultés à l'école. Il était dès lors évidemment justifié que ma patiente continuât à contrôler les devoirs de sa fille. La mère de cette patiente était une enseignante très fière de ses dons de pédagogue. Elle disait souvent qu'elle pouvait « faire quelque chose de n'importe quel enfant ». Elle était une de ces mères qui manquent d'assurance, et qui voudraient même apprendre à leur enfant à marcher et à parler. La patiente avait déjà pris conscience de tout cela car, dans le transfert, elle avait à plusieurs reprises vécu sa mère à travers moi et m'avait alors reproché de ne pas m'intéresser à elle et avait fantasmé que seule m'importait ma propre réussite. Peu après, des souvenirs et des rêves de scènes dans lesquels elle se heurtait à sa mère vinrent confirmer ses intuitions. Mais ce n'était pas encore suffi sant . La patiente devait encore découvrir sa mère en elle, elle devait vivre la peur totalement irréaliste qu'elle éprouvait à l'idée que sa fille pourrait la compromettre, en tant que mère, aux yeux de l'instituteur. Elle détes tait cette compulsion qui la poussait à intervenir dans la vie de sa fille, et elle ressentait cette compulsion comme un corps étranger en elle, mais ne pouvait s'en libérer. Pour finir, des rêves où elle se voyait dans la situation de sa mère, après la guerre, l'y aidèrent. Elle put alors se représenter plus exactement cette situation, celle d'une
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 2 9
jeune veuve qui devait non seulement subvenir seule aux besoins de sa fille, mais aussi combattre 1' « opinion
DU MÉPRIS MÉPRIS | 1 2 9
jeune veuve qui devait non seulement subvenir seule aux besoins de sa fille, mais aussi combattre 1' « opinion publique » qui lui reprochait apparemment de négliger l'éducation de sa fille parce qu'elle exerçait une pro fession. C'est pourquoi son seul enfant, ma patiente, devait être parfaite. Mais la constellation familiale de la petite fille de cette patiente était très différente. Et la compulsion qui poussait cette dernière à contrôler son enfant disparut lorsqu'elle prit conscience de cette différence. Et elle me dit : « Je ne suis pas ma mère, j'ai un autre destin. » A partir de ce moment-là, non seulement l'instituteur, mais aussi son mari et ses voi sines cessèrent « d'eux - mêmes » de lui donner des « bons conseils » et des instructions déguisées. Il y a dans chaque analyse des moments où appa raissent pour la première fois les exigences, les peurs, les critiques, l'irritation ou l'envie longtemps réprimées. Et très souvent ces émotions prennent la forme que l'analysant attendait le moins, qu'il a toujours détestée et dont il a toujours eu peur (cf. p. 30). En effet, jusqu'à ce que le patient ait développé sa propre expression, elles se manifestent à travers le vocabulaire détesté et les attitudes « grincheuses » de son père. Et l'anxiété jusqu'alors refoulée s'exprime précisément sous la forme des craintes hypocondriaques, tellement « agaçantes », de sa mère. C'est comme si on devait découvrir en soi ce dont on a le plus souffert, ce qu'on a toujours voulu éviter pour pouvoir se réconcilier avec ce « mal ». Et peut - être que dans l'infini travail du deuil il faut recon naître cette marque comme relevant de son destin indi viduel pour pouvoir s'en libérer, au moins en partie. On atteint le but essentiel, lorsque le patient a pu retrouver sa vitalité grâce à la perlaboration émotionnelle de son enfance. Ensuite c'est à lui de savoir s'il veut ou non exercer une profession aux horaires fixes, s'il veut vivre seul ou avec des partenaires, s'il veut entrer dans
130
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
un parti politique et lequel ce sont ses choix. Son passé, son histoire et ses expériences joueront évidemment leur rôle. Ce n'est pas à nous de le « socialiser », de l'édu
130
|
LE DRAME DE L'E NF AN T DOUÉ
un parti politique et lequel ce sont ses choix. Son passé, son histoire et ses expériences joueront évidemment leur rôle. Ce n'est pas à nous de le « socialiser », de l'édu quer (politiquement non plus d'ailleurs car toute éducation est es t une tutelle) ou de le « rendre capable d'avoir des amitiés » c'est son affaire. Mais si le patient a pu, a plusieurs reprises, vivre cons ciemment (et non pas uniquement au travers des inter prétations de l'analyste) la manipulation dont il a été victime comme enfant et le désir de vengeance qu'il porte en lui, il sera capable d'entrevoir les manipulations actuelles et il aura moins besoin de manipuler les autres. S'il a vécu, dans le transfert, la dépendance et l'abandon de son enfance, il pourra faire partie d'un groupe sans pour autant en être dépendant ni lui être totalement inféodé. Il risquera moins d'idéaliser les êtres humains et les systèmes s'il a senti qu'autrefois il considérait toute parole de sa mère ou de son père comme étant la vérité suprême. Il peut arriver qu'en écoutant une conférence ou en lisant un livre, il éprouve la fascination et l'admiration de jadis, mais dans un même temps il découvrira le vide et la tragédie qui se cachent derrière cette fascination. Il ne se laissera plus impressionner par des mots fascinants et incompréhensibles, car c'est en vivant ses sentiments qu'il sera devenu lui-même. Enfin, il sera beaucoup plus sensible a la douleur de l'autre, même si celui-ci la nie, ayant vécu jusqu'au bout les souffrances de son destin et la tragédie de son enfance. Prenant ses propres sentiments au sérieux, il ne se mo quera plus de ceux des autres, quels qu'ils soient. Il ne se laissera plus entraîner dans le cercle vicieux du mépris. Tout ceci ne correspond pas à ce que j'attends des patients sur la base de mes désirs ou de mon idéologie, ce sont les expériences que j'ai faites avec mes analysants, et sur moi-même, qui traduisent tout simplement les effets de la vitalité retrouvée.
Bibliographie
Bibliographie
Abraham (K . ) (1912), Ansätze zur psychoanalytischen Erforschung und Behandlung des manisch-depressiven Irreseins und verwandter Zustände, in Psychoanalytische Studien, Bd. II , 146-162 , Frankfurt (S. Fischer) , 1971. Chasseguet-Smirgel (J.) (1973) , L'Idéal du Moi (XXIII e Congrès des Psychanalystes de Langues romanes) , Rev. franc. Psychan., 5-6 , 1973. Eicke-Spengler (M.) (1977) , Zur Entwicklung der Theorie der Depres sion, Psyche, 31, 1077-1125. Fischer (R.) (1976), Die psychoanalytische Theorie der Depression, Psyche, 30, 924-946. Freud (S.) (1914) , Remémoration , répétition et élaboration , in D e la technique psychanalytique, Paris , PUF , 1953. Freud (S.) (1917) , Deuil et mélancolie , in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1952. Ganz (H.) (1966), Pestalozzi, Zürich , Origo. Habermas (J.) (1970) , Der Universalitätsanspruch der Hermeneutik , in Kultur and Kritik, Frankfurt/Main, Suhrkamp, 1973. Hesse (H.) (1970) , Gesammelte Werke, Frankfurt/Main , Suhrkamp. Hesse (H.) (1966) , Kindheit und Jugend vor Neunzehnhundert. Herrnann Hesse in Briefen und Lebenszeugnissen 1877-1895 , Frankfurt/ Main , Suhrkamp. Hesse (H.) (1952) , Ame d'enfant , in Le dernier été de Klingsor , Paris, Calmann-Lévy, 1973. Hesse (H.) (1925), Demian, Paris, Stock, 1946, 1974. Hesse (H.) (1948), La leçon interrompue, Paris, Calmann-Lévy, 1978. Jaeobson (E.) (1971) , Dépression, New York , Int. Univ. Press. Joffe (W.) et Sandler (J.) (1965 a). Notes on Childhood Depression, Int. Psycho-Anal, 46, 88-96. Joffe (W.) et Sandler (J.) (1965 6), Notes on Pain, Depression and Individuation, Psychoanal. Study Child., 20, 394-424.
132
|
LE DRAME D E L'ENFANT DOUÉ
Kernberg (0 . F . ) (1970), Factors in the Psychoanalytic Treatment of Narcissistic Personalities, J. Amer. Psychoanal. Assn., 18. 51-85.
132
|
LE DRAME D E L'ENFANT DOUÉ
Kernberg (0 . F . ) (1970), Factors in the Psychoanalytic Treatment of Narcissistic Personalities, J. Amer. Psychoanal. Assn., 18. 51-85. Khan (M.) (1974), Le Soi caché, Paris, Gallimard, 1976. Kohut (H.) (1971), Le Soi. La psychanalyse des transferts narcissi ques, Paris, PUF, 1974. Kohut (H.) (1973), Ueberlegungen zum Narzissmus und zur narzisstischen Wut., Psyche, 27, 513 51 3- 554. Lavater - Sloman (M.) (1977), Pestalozzi, Zürich und München, Arternis. Mahler (M.) (1968), Psychose infantile (Symbiose humaine et individuation), Paris, Payot, 1973. Miller (A.) (1971), Zur Behandlungstechnik bei sogenannten narzisstischen Neurosen, Psyche, 25, 641-668. Miller (A.) (1980), Am Anfang war Erziehung, Frankfurt/Main, Suhrkamp (traduction française : C 'e 'est pour ton bien. Racines de la violence dans l'éducation de l'enfant, Paris, Aubier, 1984). Miller (A.) (1981), Du sollst nicht merken, Frankfurt/Main, Suhrkarnp (traduction française : L'enfant sous terreur. L'ignorance de l'adulte et son prix, Paris, Aubier, 1986). Miller (A.) (1988 a), Der gemiedene Schlüssel, Frankfurt/Main, Suhr karnp (traduction française : La souffrance muette de l'enfant. L'ex pression du refoulement dans l'art et dans la politique, Paris, Aubier , 1990 a). Miller (A.) (1988 b), Da s verbannte Wissen, Frankfurt/Main , Suhr karnp (traduction française : La connaissance interdite. Affronter les blessures de l'enfance dans la thérapie, Paris , Aubier , 1990 b). Miller (A.) (1990), Abbruch der Schweigemauer. Die Wahrheit der Fakten, Hamburg, Hoffmann & Campe (traduction française : Abattre le mur du silence. Joindre l'enfant qui attend, Paris, Aubier, 1991 Müller-Braunschweig (H.) (1974), Psychopathologie und Kreativität, Psyche, 28, 600-634. Nagera (H.) (1968), Vincent Van Gogh, Paris, Buchet - Chastel. Robertson (J.) (1975), Neue Beobachtungen zum Trennungsverhalten kleiner Kinder, Psyche, 29, 626 62 6 -664. Schafer (R.) (1972), Die Psychoanalytische Anschauung der Realität, Psyche, 26, 882-898 , 952-971. Spitz (R.) (1967), De la nais sance à la parole (La première année de la naissance), Paris, PUF, 1979. Stettbacher (J. K.) (1991), Pourquoi la souffrance? La rencontre sal vatrice avec sa propre histoire, Paris, Aubier/Flammarion, 1991. Winnicott (D. W.) (1965), Processus de maturation chez l'enfant, Paris, Payot, 1980. Winnicott (D. W.) (1969), L'enfant et sa famille, Paris, Payot, 1980. Winnicott (D. W.) (1971), Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1980. Winnicott (D. W.) (1973), La consultation thérapeutique et l'enfant, Paris, Gallimard, 1979.
DU MEME AUTEUR
DU MEME AUTEUR
C'est pour ton bien. Racines de la violence dans l'éducation de l'enfant, Paris , Aubier , 1984 ; traduction Jeanne Etoré . L'enfant sous terreur. L'ignorance L'igno rance de l'adulte et son prix, Paris , Aubier , 1986 ; traduction Jeanne Etoré . Images d'une enfance, Paris, Aubier , 1987 ; traduction Jeanne Etoré. La souffrance muette de l'enfant. L'expression du refoulement dans l'art et dans la politique, Paris, Aubier, 1990 ; traduction Jeanne
Etoré. La connaissance interdite. Affronter Aff ronter les blessures blessur es de l'enfance dans la thérapie, Paris, Aubier, 1990 ; traduction Jeanne Etoré. Abattre le mur du silence. Joindre l'enfant qui attend,
1991 : traduction Lea Marcou.
Paris, Aubier,
Imprimé en France Imprimerie des Presses Universitaires de France 73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme Janvier 1993 N° 39019
On nous parle d'une pratique particulière à la marine anglaise.
On nous parle d'une pratique particulière à la marine anglaise. Tous les cordages de la marine royale, du plus gros au plus mince, sont tressés de telle sorte qu'un fil rouge va d'un bout à l'autre et qu'on ne peut le détacher sans tout défaire ; ce qui permet de reconnaître, même aux moindres fragments, qu'ils appartiennent à la couronne. GOETHE,
Les Affinités électives.