Techno-logique & Technologie Une Paléo-histoire des objets lithiques tranchants
Eric Boëda
Préface de
Françoise Audouze
Préhistoire au Présent
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Cet ouvrage a été publié avec le concours de l’Institut Universitaire de France et l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense © Sauf mention contraire toutes les illustrations sont d’E. Boëda Couverture @rchéo-éditions.com
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« Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber » Henri Bergson, Œuvres. 1959, p.613
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Sommaire
Préface Une trajectoire originale
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Introduction
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Première partie Un regard épistémologique
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De la typologie à la technique, de la technique à la technologie La typologie, une nécessité à usage limité La techné sans le logos De la nécessité d’une technologie du changement La notion de tendance De la forme à la structure, de la tendance à l’individuation De la structure à la lignée Le sens de l’évolution : de l’abstrait au concret La place de l’homme 5
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Deuxième partie Le sens techno-logique de l’évolution : une clef pour la compréhension de la technicité humaine Les outils L’apport de l’approche techno-fonctionnelle De la nécessité de théoriser l’outil Qu’est ce qu’un outil ? Les processus d’instrumentalisation : une approche techno-centrée Les processus d’instrumentation : une approche anthropo-centrée Approche techno-fonctionnelle Relation structurelle interne des artefacts incisants Processus d’individuation de la lignée des artefacts incisants Le commencement absolu : un objet naturellement incisant Structure anthropique abstraite ou additionnelle Structure anthropique concrète ou intégrée
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Modalités d’évolution structurelle : confection, débitage, façonnage 52 Le tempo de la production Passage du tout éclat au tout façonnage Changement de perspective : de la morphologie à la structure, de l’objet à l’ensemble Tempo du phénomène post-bifacial : du presque tout débitage au tout débitage L’option du Levallois « circum méditerranéen» L’option débitage et confection Conclusion 81 Les structures de production Qu’est ce qu’un nucléus : structure additionnelle ou structure intégrée ? 83 Structure additionnelle dite « abstraite » Structure intégrée dite « concrète » Processus de concrétisation Ensemble dit à structure abstraite et classes d’enlèvements correspondants 94 Volume utile indifférencié de Type A / éclat indifférencié Volume utile de Type B / partie transformative différenciée Volume utile de Type C / parties transformative et préhensée différenciées Volume utile de Type D / parties transformatives et préhensées différenciées
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Structures productionnelles archéologiques Structure volumétrique dite abstraite Volume utile de Type A Volume utile de Type B Volume utile de Type C Volume utile de Type D Structure volumétrique dite concrète Volume utile de Type E Volume utile de Type F
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Troisième partie Le sens Anthropologique : une paléo-histoire des lignées de productions laminaires et des produits laminaires au Proche-Orient durant le Pléistocène Deux points de vue hiérarchisés : l’Histoire et l’Evolution Le phénomène laminaire Préambule évolutionniste Préambule historique Les temps de la techno-logique Le temps chronologique
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Conclusion
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Bibliographie
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Préface
Une trajectoire originale
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La trajectoire très personnelle d'Éric Boëda a retenu mon attention dès le début des années quatre-vingt. Dans mes souvenirs, il y a d'abord deux jeunes médecins passionnés de préhistoire qui, une fois leur diplôme obtenu, décident de changer d'orientation. Ils gravitent autour de François Bordes puis de Jacques Tixier. L'époque est bouillonnante de nouveautés dans le domaine du lithique. Tandis qu'autour de Leroi-Gourhan la mise en application de la chaîne opératoire prend forme, dans l'entourage de Jacques Tixier sont développés des concepts promis à un bel avenir : l'économie du débitage - Inizan 1976, l'économie des matières premières - Perlès 1980, et des clarifications bienvenues sur les voies distinctes que constituent façonnage et débitage - Tixier et alii 1980. Les deux jeunes loups montrent une originalité et une exigence scientifique qui se marquent même dans leurs activités mercenaires : ils s'avèrent rapidement d'excellents expérimentateurs de la taille du silex, mais il n'y a pas jeu ou recherche d'exploit. Que ce soit dans leur participation à des représentations de théâtre scientifique ou plus tard dans la pratique de la taille en public à l'Archéodrome, leurs expérimentations partent de problèmes archéologiques à résoudre : méthodes, techniques, manières de faire, distribution spatiale... - Boëda et Pélegrin 1985. Ils ont tous deux cette capacité à conceptualiser les opérations de taille qui a manqué à leurs prédécesseurs. Puis une fois chercheurs, leurs chemins divergent, l'un vise à l'approfondissement, l'autre prend un angle d'attaque beaucoup plus large. Tandis que Jacques Pélegrin s'oriente préférentiellement vers les périodes récentes, du Châtelperronien au Chalcolithique, sur les problèmes de cognition au sein des opérations de taille, sur l'intentionnalité, sur les savoirs et les savoir-faire, qu'il analyse de nombreux problèmes techniques posés par ses collègues, qu'il vise à l'approfondissement des connaissances techniques dans la synchronie, Éric Boëda prend le parti d'une approche systémique sur des problèmes à large spectre pour identifier les fondements structurels des principales méthodes 9
de production lithique. Sa thèse de troisième cycle - soutenue en 1986, publiée en 1994 - est déjà un bon exemple de cette approche systémique. Le « Concept Levallois » renouvelle complètement la compréhension du débitage Levallois, en élargit les modalités - la méthode décrite par Bordes n'en est plus qu'une des variantes. Il y inclut des méthodes récurrentes, crée les concepts d'éclats prédéterminés et prédéterminants et montre comment toutes ces méthodes font système. Son intérêt pour la logique technique qui organise les différentes méthodes de taille se montre dans ses articles sur le concept laminaire - 1988 - et le concept trifacial - 1989. Les relations entre surface et volume ouvrent une voie de recherche profondément originale où le bloc de silex à tailler est analysé en tant que structure - 2001, p.74, ensemble de propriétés techniques hiérarchisées qui résultent en un volume particulier. Dans les débitages laminaires, l'outil devient indépendant du bloc originel puisque différents outils peuvent être obtenus par la retouche à partir de supports laminaires qui sont quasi identiques - la retouche de ravivage permet d'ailleurs de transformer un outil en un autre, de passer par exemple du bec au burin1. En revanche les productions lithiques antérieures relient directement l'outil au bloc originel. C'est particulièrement évident pour les outils façonnés que sont les pièces bifaciales. C'est sans doute une des raisons pour laquelle Éric Boëda ne s'est pas satisfait du mode de production des connaissances sur les industries lithiques des périodes anciennes. Il cherche à sortir des limites de la technologie telle qu'elle se pratique dans les années 90. Il s'interroge sur la variabilité et recherche au delà de cette variabilité les concepts sous-jacents. Il récuse en tant que fin en soi l'analyse productionnelle reconstitution des modes de production, chaînes et schèmes opératoires à partir des remontages réels ou mentaux et de l'expérimentation - lorsque cette analyse n'est pas reliée au fonctionnement et à l'utilisation de l'outil ; tout en reconnaissant qu'il faut en passer par là pour pouvoir aller plus loin. Seule une analyse structurale pourrait permettre d'identifier les schèmes de production et leur logique technique. Faute de trouver en préhistoire les concepts qui lui permettraient de construire une méthode analytique plus satisfaisante, il se tourne vers la philosophie des techniques, l'ergonomie et les sciences cognitives. Plusieurs travaux dans et hors de l'archéologie préhistorique lui apportent des outils d'analyse nouveaux. Il y a d'abord cette maîtrise jamais publiée mais toujours citée de Michel Lepot où se trouvent théorisées pour la première fois les unités techno-fonctionnelles, les UTF – 1993, qui ramènent le fonctionnement de l'outil au sein de l'analyse technologique et donne autant d'importance à la partie préhensive qu'à la partie transformative (autrement dite active) seule considérée dans les études fonctionnelles. Il y a ensuite les travaux du spécialiste de l'ergonomie cognitive Pierre Rabardel – 1995, qui distingue dans l'analyse de l'outil l'objet technique et les schèmes d'utilisation qui lui sont associés. Éric Boëda lui emprunte ce découpage qui lui permet de distinguer l'instrumentalisation (qui a à voir avec la structure volumétrique de l'objet et son mode de fonctionnement : comment un bloc de matière devient un outil et à quelles fins) de l'instrumentation (qui traite des schèmes d'utilisation et des différentes contraintes liées à la matière à travailler, aux tâches à effectuer, aux gestes de tenue de l'outil...) – 2001, p.52. Il est 1
C'est peut-être une des raisons pour lesquelles les préhistoriens travaillant sur le Paléolithique supérieur n'ont pas remis en cause le paradigme hérité de Leroi-Gourhan et Tixier.
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intéressant de le voir revenir à la notion de contrainte déjà si présente chez Leroi-Gourhan mais il la décompose en de multiples contraintes intrinsèques et extrinsèques en fonction de la matière travaillée et des modalités d'action - 2005 ; ce qui lui donne des entrées beaucoup plus nombreuses et variées dans une grille d'analyse avec une efficacité opératoire sans commune mesure avec la contrainte matérielle chez Leroi-Gourhan. De même, il est amené à reprendre en les modifiant partiellement les notions de milieu intérieur et de milieu extérieur parce qu'il envisage les problèmes à la même échelle que son illustre prédécesseur. Il se pose à son tour les problèmes de migration et de diffusion mais pour les périodes les plus anciennes - 2005, pp. 53-55, alors que Leroi-Gourhan posait le problème hors d'un temps donné, en relation avec les techniques d'époques historiques décrites dans L'Homme et la Matière et Milieu et Technique - 1943/1971 et 1945/1973, p.333 et suiv. A la notion de tendance qui l'intéresse mais dont il critique le déterminisme fonctionnel implicite, il préfère la notion d'ordre structurel propre aux objets - 2005, p.47. La rencontre avec les philosophes des techniques de l'Université de technologie de Compiègne notamment Yves Deforge - 1985 - et Bernard Stiegler – 1994 - est déterminante pour l'ouverture qu'ils lui donnent à un univers de pensée alors très éloignée des préhistoriens, notamment les travaux du philosophe et psychologue Gilbert Simondon. L'ouvrage majeur de ce dernier Du mode d’existence des objets techniques - 1958 - lui donne la clé de compréhension et d'analyse des industries du Paléolithique ancien qu'il recherchait. C'est par leur genèse qu'on peut comprendre la nature et le devenir des objets techniques. Au terme simondien de genèse, Éric Boëda préfère le terme de lignée pris chez Y. Deforge - 1985 - plus évocateur de l'approche évolutive dans laquelle il veut se situer. Les préhistoriens peuvent déplorer que les emprunts faits à Y. Deforge et G. Simondon leur valent des moments de lecture ardus et regretter qu'Éric Boëda n'ait pas choisi des termes relevant plus de leur univers. Rien n'y fait. Il faudra bien s'habituer aux concepts de structure abstraite et structure concrète2 pour analyser l'évolution des productions lithiques ; et accepter que l'identification des lignées « constituée par des objets ayant la même fonction d'usage et mettant en œuvre le même principe » - Deforge Y. 1985, p. 72 In Boëda 2000) devienne un des enjeux majeurs de la Techno-logique tant ces concepts prouvent leur efficacité tout au long de ce volume. L'approche d'Éric Boëda tranche sur les études techno-typologiques actuelles parce qu'il s'inspire des technologues de l'actuel et fait le pari qu'il n'existe qu'une histoire des techniques de trois millions d'années à nos jours. Il questionne l'objet technique (outil ou nucleus) différemment en recherchant sa spécificité à la fois sur le temps court et sur le temps long. La forme de l'objet a beaucoup moins d'importance que son principe de fonctionnement dont l'évolution subit la contrainte de la matière dont il est fait. Le but de cette méthode est de mettre en évidence les règles évolutives observées sur le temps long et de rechercher non plus une évolution linéaire mais des changements dont il faut comprendre la signification. Il lui 2
Quel dommage que ces dernières ne s'appellent pas structure additionnelle et structure synergique, par exemple, ce serait tellement plus clair ! Éric Boëda n'aurait-il pu utiliser les périphrases de "structure par juxtaposition d'éléments" - pour abstraite - et de "structure par intégrations d'éléments" - pour concrète - comme il le fait pour les définir - 2000 ?
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faut « resituer le phénomène technique dans une dynamique techno-logique qui en détermine le sens et les modalités potentiels, tout en sachant que cette dynamique ne peut s’accomplir sans les formes sociales existantes qui lui donnent vie. [Il se place] donc au croisement du social, du vital (dans le sens leroi-gourhanien) et du techno-logique (dans le sens simondonien) ». C’est ainsi qu'il n'entend plus parler « du sens de l’évolution, mais des sens du changement » - communication personnelle. Parallèlement au travail théorique développé sur les vingt-cinq dernières années, une intense activité de terrain s'est déroulée en France puis en Afrique de l'Ouest, en Chine et enfin actuellement en Amérique du Sud. Ce qui pourrait passer pour une véritable boulimie s'avère en réalité une intelligente stratégie conçue pour répondre à sa problématique3. Il est clair aujourd'hui que ce déploiement sur tous les continents (hormis l'Australie pour le moment) a permis de tester la validité de l'approche techno-logique. Après les fouilles acheuléennes, moustériennes et aurignaciennes de Barbas en Périgord qui nourrissent ses interrogations sur la variabilité des faciès culturels, les fouilles des sites paléolithique ancien et moyen d'Ounjougou à la frontière de deux zones écologiques au Mali, puis les fouilles d'Umm el Tlel en Syrie dans un milieu semi-désertique lui donnent les moyens de démontrer la non-linéarité de l'évolution technique. Dans ce dernier site une stratigraphie de 22 m donne à lire 300 000 ans de successions d'une extraordinaire diversité de groupes culturels de l'Acheuléen moyen au néolithique PPNB qui lui ont permis d'étudier les successions des occupations et leur variabilité culturelle, ainsi que la relation entre changements de population et changements climatiques. Puis il a étudié l'existence de frontières culturelles entre Chine du Nord et du Sud tout en montrant la très grande ancienneté de la présence humaine en Chine à partir des fouilles de Longgupo. Enfin ses travaux actuels au Brésil mettent un terme à une polémique vieille de plus de trente ans sur l'ancienneté des sites du Piaui et font remonter l'arrivée de l'Homme sur le continent américain à au moins 25 000 ans. Ce résumé abrupt ne rend évidemment pas justice à la richesse des résultats de toutes ces fouilles. En lisant les rapports de fouille et les publications, on voit se dessiner une Histoire mondiale avec ses migrations, ses diffusions d'idées, ses cycles évolutifs, ses phénomènes de convergences et ses frontières. Il importait ici de rappeler que l'appareil théorique et méthodologique mobilisé par Éric Boëda ne se limite pas à une belle construction intellectuelle mais que son opérabilité et son efficacité ont été testées sur presque tous les continents. A la différence de la typologie et la classification des industries lithiques européennes qui ont longtemps été artificiellement plaquées sur les industries lithiques extra-européennes, on dispose maintenant d'une méthode et d'une grille d'analyse qui peuvent être appliquées sur les productions lithiques du monde entier et déboucher sur des interrogations qui relèvent de l'Histoire à très grande échelle sur le temps long. L'homme paraît absent de ce dispositif où les propriétés intrinsèques des productions lithiques semblent suffire à expliquer leur évolution. Il n'en est rien. Éric Boëda s'en explique brièvement dans son chapitre épistémologique – cf. infra, La place de l'Homme. Mais 3
Même si c'est à l'invitation de chercheurs locaux qu'il a ouvert certains chantiers.
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l'homme est bien présent dans sa démarche parce que la technique est constitutive de l'évolution humaine, parce que l'objet technique, « bien que fait d'une matière inanimée est porteur d'une mémoire épiphylogénétique bien réelle. C'est un support de mémoire... La coévolution entre l’homme et la technique est donc un phénomène complexe [qu'il tente] de comprendre par l’intermédiaire de la mémoire épiphylogénétique que contient tout artefact » communication personnelle. Il faut enfin prévenir le lecteur. Il est invité à une lecture difficile parce qu'il va devoir se confronter à un travail pluridisciplinaire exigeant qui emprunte aussi bien à la philosophie, à la philosophie des sciences et des techniques, à la biologie, à l'anthropologie qu'à la préhistoire. Il va devoir assimiler un vocabulaire auquel les préhistoriens ne sont pas habitués et une classification des lignées d'outils incisants peu mnémonique. Une fois passés ces obstacles, on ne peut qu'être impressionné par l'étendue pluridisciplinaire des fondements de la méthode techno-logique et par la clarté de la démonstration qui s'appuie sur des illustrations que la couleur rend particulièrement éclairantes. Ne serait-on pas arrivé à un changement de paradigme ?
Françoise Audouze Directrice de Recherche émérite CNRS UMR 7041 ArScAn - équipe d'Ethnologie préhistorique MAE – Nanterre
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Références bibliographiques Boëda E. 1988 – « De la surface au volume : analyse des conceptions des débitages Levallois et laminaires », In : Paléolithique moyen récent et Paléolithique supérieur ancien en Europe, Actes du colloque international de Nemours, mai 1988, pp. 966-968 - Mémoire du musée de Préhistoire de l'Ile de France, 3. Boëda E. 1989 – « La conception trifaciale d'un nouveau mode de taille Paléolithique », In : Les premiers peuplements humains de l'Europe, 114° Congr. nat. Soc. sav., Paris, pp. 251-263. Boëda E. 1994 - Le Concept Levallois : variabilité des méthodes, Monographie du CRA, n° 9, Paris, Editions du CNRS, 280 p. Boëda E. 1997 - Technogénèse de systèmes de production lithique au paléolithique inférieur et moyen en Europe occidentale et Proche-Orient, Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris X Nanterre, 2 vol., 173 p., 87 fig. Boëda E. 2000 – « Les techniques des hommes de la préhistoire pour interroger le présent », Septième Ecole d'été de l'ARCo, Bonas, http://fr.scribd.com/doc/40751558/Boeda-2000-Les-Techniques-DesHommes Boëda E. 2001 – « Détermination des Unités Techno-Fonctionnelles de pièces bifaciales provenant de la couche acheuléenne C'3 base du site de Barbas I », In Cliquet D. Dir. : Les industries à outils bifaciaux du Paléolithique moyen d'Europe occidentale, Actes de la table-ronde internationale organisée à Caen (Basse-Normandie - France) - 14 et 15 octobre 1999, Liège, ERAUL 98, pp. 51 à 75. Boëda E. 2005 – « Paléo-technologie ou anthropologie des Techniques ? », Arob@se, vol.1, pp. 46-64 www.univ-rouen.fr/arobase/v8/boeda.pdf Boëda E. et Pélegrin J. 1985 – Les amas lithiques de la zone N 19 du gisement magdalénien de Marsangy : approche méthodologique par l’expérimentation, Archéologie Expérimentale, Cahiers n°1, Edition Archéodrome, 64 p. Deforge Y. 1985 - Technologie et génétique de l'objet industriel, Paris, Ed. Maloine, 196 p. – Coll. Université de Compiègne. Inizan M.-L. 1976 - Nouvelle étude d’industries du Capsien, Thèse 3ème cycle, Paris X – Nanterre. Lepot M. 1993 - Approche techno-fonctionnelle de l'outillage moustérien. Essai de classification des parties actives en terme d'efficacité technique. Application à la couche M2e sagittale du grand abri de la Ferrassie (fouille Delporte), Mémoire de maîtrise, Université de Paris X - Nanterre. Leroi-Gourhan A. 1943/1971 - Évolution et Techniques 1. L'homme et la matière, Paris, Albin Michel, 348 p. Leroi-Gourhan A. 1945/1973 - Évolution et Techniques 2. Milieu et technique, Paris, Albin Michel, 475 p. Perlès C. 1980 – « Économie de la matière première, économie du débitage : deux exemples grecs », In Tixier J. Ed. : Préhistoire et Technologie lithique, Paris, CNRS, 1980, pp. 37-41. Rabardel P. 1995 - Approche cognitive des instruments contemporains, Paris, Armand Colin, 238 p. Simondon G. 1958/1989 - Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Ed. Aubier, 333 p. L'invention philosophique. Stiegler B. 1994 - La technique et le temps, vol.1, La faute d'Epiméthée, Paris : Ed. Galilée/Cité des Sciences et de l'Industrie, 284 p. – Coll. La philosophie en effet. Tixier J., Inizan M.-L., Roche H. 1980 - Technologie de la pierre taillée, Meudon, CREPS, 120 p.
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Introduction
Portée depuis les années 1970-1980, par ce que nous pourrions qualifier d’école francophone, l’analyse des objets de la préhistoire s’est faite essentiellement dans un certain rapport avec l’Homme qui les produit et les utilise. L’objet est à la fois perçu en extériorité comme une trace morte et de façon indirecte, comme un simple intermédiaire, c'est-à-dire sa raison d’être fonctionnel au monde. Mais cette logique fonctionnelle n’est peut-être pas la raison d’existence de l’objet, ce qu’il est intrinsèquement (Simondon G. 1958). Or notre expérience nous a montré que ce rapport entre l’homme et l’objet technique, que nous essayons de comprendre en étudiant leur mode de production et leur mode de fonctionnement, n’est pas suffisamment heuristique pour comprendre les changements que nous observons. En effet, depuis une vingtaine d’années nous cataloguons nos connaissances comme un entomologiste le ferait avec ses insectes, en butant sur la compréhension des raisons des changements que nous observons. C’est comme si nous attendions qu’un savoir cumulatif se transforme en un savoir explicatif. Il est certain que notre façon d’aborder l’objet tel que nous le faisons actuellement est l’une des raisons de ce blocage. Mais avant d’aborder ce point, il semble essentiel de revenir sur le choix d’une perception indirecte de l’objet en nous intéressant aux phénomènes de convergences. Comment expliquer, qu’un même objet réalisé et utilisé de façon identique, soit produit en des lieux différents, sans contacts possibles, comme l’expose l’ethnologie4, et en des périodes différentes, comme le montre l’archéologie.
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« A côté de la convergence biologique, il existe une convergence technique, qui offre depuis les débuts de l’Ethnologie une part de la réfutation des théories de contact. » Leroi-Gourhan A., 1945 - Milieu et techniques, rééd. 1973, Albin Michel, Paris, p.338
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Nous utilisons le terme d’archéologie5 et non de préhistoire de façon volontaire pour souligner que, si ce phénomène de convergence est largement accepté pour une durée proche et courte, il ne l’est que très peu, voire rejeté, pour des temps beaucoup plus anciens. Ce refus, ou cette ignorance, voient leur justification à travers les très nombreux scenarii de déplacements de populations et de migrations proposés pour toutes les périodes du Pléistocène. On ne peut qu’être surpris de ce mouvement brownien qui atteint les premiers humains et qui, bizarrement, s’atténuera au cours du temps. De fait, il nous est proposé une préhistoire du mouvement, faite de phases expansionnistes et de stases où les capacités cérébrales et la pression de l’environnement, voire son déterminisme, en sont les moteurs principaux, jusqu’à l’avènement de l’Homo sapiens, autrement dit nous-même. Face à de tels scenarii, la notion de convergence, témoin d’une entropie possible, n’a pas lieu d’être. Elle est en contradiction avec une vision graduelle, linéaire, expansionniste et doctrinaire, prophétisant le devenir pour mieux expliquer le présent, proposant ainsi une vision universelle du devenir humain. La place de la technique dans tout cela est minime. Elle est la marque extérieure de modifications dans le rapport direct de l’Homme à son environnement et de son développement cérébral ; les changements techniques n’étant que la preuve extrinsèque de ce rapport d’intimité systémique entre l’homme et la nature. Si la technologie a constitué un espoir de sortir de cette prophétie, en redonnant aux objets une humanité grâce, en grande partie, à l’expérimentation, elle a fait l’économie d’une attention épistémologique. De notre point de vue, se voulant être, du fait d’une expérimentation, de conception positiviste visant à l’objectivité, la technologie a fini par confondre la fin et les moyens, ne s’intéressant qu’à la reconnaissance de faits. Elle est devenue une science archiviste, accumulant les données sur les connaissances et savoir-faire nécessaires à la réalisation et aux fonctionnements des objets, mais toujours dans un rapport indirect entre l’Homme et son environnement. L’observation de convergences, actuellement rendue possible par de nombreuses découvertes issues de fouilles de qualité et bien datées, reste un indicateur de facteurs de changements que ne peuvent expliquer les paradigmes actuels. Une seconde observation, soulignée dès le début du XXème siècle, aurait dû attirer notre attention : il s’agit du passage de formes techniques dites « primitives » à des formes techniques dites « évoluées ». Ce changement touche toute nouveauté technique6, comme un
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Pour nous, sur un plan sémantique, le mot « archéologie » signifie l’étude des civilisations anciennes. Le mot civilisation recouvre l’ensemble des phénomènes sociaux d’une société ; ce qui n’est évidemment pas possible d’observer, par manque de documents, pour des groupes humains du Pléistocène, voire de l’Holocène ancien. C’est pourquoi nous utilisons le terme de préhistoire, signifiant que nous étudions les faits et les événements d’un passé sans écriture. Mais il est vrai que la pratique courante a fait perdre le sens premier au profit d’un terme : archéologie, devenu générique, pour signifier tout ce qui est avant le présent. Ne parlons-nous pas d’archéologie industrielle ? Quelle est alors la différence avec le mot histoire : une différence de démarche et de données ? 6 On retrouvera alors les qualificatifs et préfixes de « maladroit », « proto », « pré », etc., soulignant le début d’un processus technique, et les termes « d’évolué », de « belle facture», « maîtrisé », etc., pour souligner
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cycle qui se répète, où que l’on soit dans le monde. Comme si une sorte de loi7 technique rendait compte d’une techno-logique. Mais, au lieu de comprendre ce « phénomène », on a préféré parler de progrès, remisant une nouvelle fois ces transformations et leur cyclicité, comme l’une des conséquences de l’évolution biologique8. Et pourtant, ces « universaux » - convergence, changement, cyclicité - sont là, mais pour en rendre compte, il faut changer de perspective d’analyse, nous extraire de la façon technicienne dont nous concevons l’objet technique pour envisager le « comment » de ce dynamisme. Ne s’agirait-il pas d’une réalité propre aux objets ? Cette seule idée est vue avec effroi, soupçonnée de sous-entendre un déterminisme des objets, comme une sorte d’humanité qui leur serait donnée, une sorte de phylogénie, classée comme évolutionniste, ignorant les réalités socio-historiques qui seules orienteraient et détermineraient l’évolution technique (Flichy P. 1995 ; Bensaude-Vincent B. 1998) ! Le temps long de la préhistoire9 nous permet de dépasser ces positions antinomiques, en montrant que certaines conceptions d’objets peuvent évoluer du fait de leur potentiel structural et répondre ainsi à de nouvelles contraintes fonctionnelles, alors que d’autres objets n’évolueront pas, en gardant le même registre fonctionnel et ceci quel que soit le type humain et son environnement. Cette transcendance temporelle, donc « a-culturelle », stipule que certaines structures d’objets ont un potentiel évolutif se traduisant par un cycle régi par des « lois ». Toutefois, le tempo de l’évolution, son rythme et sa fréquence, sera le seul fait de l’Homme. Selon les contraintes que les sociétés s’imposent ou subissent l’Homme invente, innove et diffuse sa technique. En conséquence de quoi, l’analyse du monde des objets s’étudie dans un double rapport, dans une double coévolution : l’Homme et l’environnement, l’Homme et la technique. La relation de la technique à l’Homme se ferait en termes de capacité à répondre à de nouvelles contraintes culturelles et environnementales. Il ne s’agit plus alors d’une relation indirecte mais directe. Les objets, par leur propre potentiel structural, seraient un cofacteur d’évolution, donc dans un rapport direct avec l’Homme. Ce potentiel structural « transductif »10, lorsqu’il est présent, induit une perception ontologique capable de rendre compte des liens entre les différentes étapes de transformation. De fait, l’objet doit être perçu à travers sa dynamique structurelle : ce qui l’a amené à être, ce qu’il est, et non plus comme ce qu’il est à un moment donné, autrement dit sa forme.
l’aboutissement du processus technique. C’est ainsi que l’on peut lire les termes de pré-oldowayen, pré- ou proto-acheuléen, proto-Levallois, etc. 7 Le mot loi est introduit ici dans un sens métaphorique. 8 Insidieusement liée au développement de chaque type humain. 9 Plus de 2,5 millions d’années. 10 Capacité de passer d’un état à un autre
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Première partie
Un regard épistémologique
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De la typologie à la technique, de la technique à la technologie La typologie et la technologie, outils amalgamés ou dissociés, nous livrent des informations que nous essayons de décrypter. Cependant, force est de constater que les avancées sont modestes et ne rendent compte que de façon très fragmentaire du quotidien des hommes du Pléistocène. Dans la plupart des cas nous accumulons des données sans réellement aller au-delà. Nous nous sommes engagés dans de vastes hypothèses dénuées de réelle valeur heuristique sans jamais nous interroger sur les raisons de cette difficulté à dépasser ce simple stade d’accumulation d’informations. Peut-être était-ce du à une mauvaise « manipulation » de nos outils de lecture ? En réalité, notre réflexion nous a conduits à déplacer le problème en amont du constat d’une carence des méthodes utilisées. Est-ce que notre perception n’est pas faussée par notre façon de comprendre ? Ne serait-il pas nécessaire de repenser notre façon de concevoir puis d’utiliser nos outils, dont la typologie et la technologie ? Depuis une vingtaine d’années la technologie, vue comme un outil de compréhension plus efficient, s’est substituée à la typologie. Mais cette conception de l’objet, telle qu’elle est pratiquée, renvoie toujours à une perception hylémorphique opposant ainsi dans une tradition platonicienne forme et matière, dissociant le logos de la techné. Selon cette perception, la technologie apparaît comme un simple outil de lecture tel un mode d’emploi permettant d’interpréter un objet inconnu, mais sans en comprendre les finalités. Ni l’histoire ni le potentiel de devenir de l’objet - individualité - sont appréhendés, excepté peut-être son mode de fonctionnement - spécificité -, mais ô combien hypothétique, car reposant sur une démarche intuitive, spéculative et en aucun cas comparative11. Comment, dans ces conditions, pourrions-nous comprendre quoi que ce soit de la préhistoire ancienne alors que les seuls témoins dont nous disposons ne sont que des artefacts faits, dans la très grande majorité des cas, dans un seul type de matériau : le minéral ? La technologie telle que nous la pratiquons ne nous met-elle pas dans une double contradiction qui fait qu’en voulant rendre à l’objet sa part d’humanité nous le naturalisons12, en altérant jusqu’à la dénaturer sa raison d’existence au monde : sa fonction d’usage et/ou sa fonction de signe (Deforge Y. 1985) ?
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Nous verrons plus loin que la mémoire portée par l’objet varie suivant la période chronologique envisagée. Tel que nous le ferions pour conserver une plante ou un animal en l’empaillant. On ne conserve que son enveloppe externe ! 12
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Nous devons rendre le logos13 à la technè14. Pour cela nous devons repenser le rapport de la technique à l’Homme. La technique est trop souvent vécue comme un instrument voué à satisfaire des objectifs dont l’établissement lui serait étranger. Or, aucun objet technique n’existe pour lui-même, tout objet technique existe dans et vis à vis d’un milieu. Il faut, comme le dit Simondon (1958), intégrer la réalité technique dans la culture universelle en fondant une technologie15. La technique, au même titre que la magie ou la religion, est une façon d’être au monde. Cette évaluation culturelle de la réalité technique passe par l’investigation de la nature technique de l’objet, en repensant l’objet à travers sa technicité et en reconsidérant l’objet technique dans un couplage structurel avec l’Homme, lui-même en devenir. Cette notion de couplage implique nécessairement une coévolution de l’Homme et de la technique, cette dernière étant régie par des « lois d’évolution16 ». Repenser l’objet en devenir et non plus de façon naturaliste tel est notre propos. Pour ce faire, nous considérerons les notions de typologie et de technologie telles qu’elles sont actuellement vécues et utilisées afin de déboucher sur une proposition analytique : une techno-logique et une genèse de l’objet technique.
La typologie, une nécessité à usage limité Créée dans la première moitié du XXe siècle pour mettre de l’ordre dans un « fouillis » d’appellations aussi diverses les unes que les autres, la typologie17, par la prise en compte d’un certain nombre de caractères et de regroupements, a permis de mettre en évidence des différences. En cela, la typologie fut un outil discriminant. Les difficultés ont commencé lorsque l’on a voulu franchir une autre étape : celle du sens à donner aux différences (Bateson G. 1977 et 1980). Si cette étape était en soi logique et nécessaire, il eut fallu au préalable s’interroger sur la véritable teneur informative des 13
Il s’agit d’un terme devenu polysémique au cours du temps. Nous l’utilisons ici comme synonyme d’une parole, d’un langage capable de rendre compte dans le cas de la technologie des connaissances d'une discipline. 14 La technè (tekhnê) désigne chez les grecs la connaissance et le savoir-faire des métiers de l’artisanat ou de l’art. Elle allie expérience et doctrine, de telle façon que le savoir puisse s’appliquer et démontrer ainsi son existence réelle (Charles A. 1984). 15 Le mot technologie est polysémique et il serait vain et inutile d’en faire une synthèse. Ce mot a évolué en fonction du développement des techniques et de leurs modalités d’approches. En paraphrasant le célèbre titre du livre de Simondon, nous dirions que la connaissance technologique permet d’arriver au « mode d'existence des objets techniques ». Autrement dit, la technologie doit nous permettre d’accéder à une objectivité du processus d’évolution technique en devenant de plus en plus opératoire et non plus spécifiquement anthropocentrique, soit une vision instrumentale de l’outil vue par l’homme : « Le processus d'évolution technique est le processus par lequel la relation à la nature s'objective en se formalisant sous la forme d'un ensemble de mieux en mieux coordonné d'opérations » (Guchet X. 2008). 16 Pris dans le sens métaphorique du terme. 17 Les ouvrages les plus connus sont pour le Paléolithique inférieur et moyen ceux de Breuil H. (1932) Leakey L.-S.-B. (1951), Movius H.-L. (1957), Tixier J. (1957, 1958-1959), Bordes F. (1953, 1961a), Heinzelin de Brancourt J. de (1960, 1962) et Bosinski G. (1967).
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caractères de différenciation alors retenus. Ou tout du moins, essayer de faire cette démarche introspective à la suite des premières difficultés rencontrées et des polémiques qui s’en suivirent, dont la plus illustre fut celle entre Binford (1973 ; Binford L.-R. et Binford S.-R. 1966) et Bordes (1953, 1961a, 1981). Deux questions se sont alors posées : 1. Pourquoi de telles disparités dans l’efficacité à différencier des entités chronoculturelles entre les industries du Paléolithique supérieur et celles du Paléolithique moyen ? 2. La typologie a-t-elle pour disposition de donner un sens aux différences qu’elle met en avant ? Pour la première, le problème vient de l’illusion d’utiliser une seule et même méthode pour ces deux périodes. En effet, si durant le Paléolithique supérieur on différencie des macros réalités chrono-culturelles et si, durant le Paléolithique moyen, ce n’est plus le cas, cela signifie que les caractères retenus pour définir tel ou tel type sont différents ou ne sont pas de même nature. Si les caractères morphologiques, voire techniques, sont similaires d’une période à l’autre, le nom qu’il leur est associé : racloir, grattoir, burin, etc. n’est pas neutre. En dénommant ainsi les différentes entités créées, nous inventons des outils avec une fonction et un mode de fonctionnement précis. Autrement dit, on associe aux caractères descriptifs des caractères technofonctionnels qui, s’ils s’avèrent exacts, deviennent discriminants. Lorsque l’on parle d’arme de jet, même si nous ne connaissons pas le mode précis d’emmanchement, c’est une arme de jet, de même pour le grattoir, le burin, le perçoir, la hache, l’herminette, etc. Le type ainsi créé repose sur une double information descriptive et fonctionnelle. Pour les outils antérieurs au stade isotopique 3, sommes-nous dans le même cas de figure ? Si nous sommes certains que ces outils ont servi à couper, racler, trancher, percer, etc., sur quels caractères technico-morphologiques devons-nous nous appuyer pour affirmer que tel objet a telle fonction et fonctionne de telle façon ? Si, par exemple, nous considérons le type racloir yabroudien (Figures 1 et 2), qui peut dire, en restant au degré de différenciation morphologique, si la partie retouchée de cet artefact a été réellement conçue pour racler et/ou couper et/ou trancher, voire si la retouche n’a pas eu pour rôle d’aménager la partie préhensée et non la partie transformative ? De même, sous l’appellation « biface » ne mettons-nous pas des outils différents (Figure 3) ? La tracéologie a parfaitement montré que, durant le Moustérien, il n’y a pas d’adéquation entre un type (liste de F. Bordes 1953) et une fonction (Anderson P. 1981, Beyries S. 1987a). Et encore, les types ne prennent en compte que les objets retouchés. Que fait-on des outils bruts de retouche autres que Levallois18 ? A supposer que nous soyons capables de les repérer, pourrions-nous affirmer que ces enlèvements, bien que prédéterminés, étaient conformes aux objectifs du tailleur ? 18
Seules les formes classiques étant retenues dans les classements typologiques, une faible part des artefacts intentionnels Levallois était prise en considération.
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Figure 1 El Masloukh, Yabroudien, Liban L’analyse typologique classe cet objet comme racloir écailleux scalariforme de type Yabroudien, alors que l’analyse techno-fonctionnelle met en évidence deux types de tranchants bien distincts dont l’un est adjacent à un dos. En fait, cet objet est l’intégration de deux outils aux modes de préhension et de fonctionnement différents.
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Figure 2 Umm el Tlel, Yabroudien inférieur, Syrie L’analyse techno-fonctionnelle montre que ces deux pièces, toutes deux appelées racloir yabroudien, sont conçues comme une matrice aux dépens de laquelle se greffent soit : 1 - deux unités techno-fonctionnelles identiques : a ; 2 - trois unités techno-fonctionnelles : une a et deux b.
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Figure 3 Umm el Tel, niveaux acheuléens, Syrie. Ces bifaces, réunis sous le même vocable morphologique : lancéolés, paraissent similaires. Or, l’analyse techno-fonctionnelle montre qu’il s’agit de deux objets différents. Le biface A possède deux outils différents : pointe/bord et avoyage (L’avoyage consiste à effectuer une série d’encochages de façon à décaler alternativement vers la droite et vers la gauche les « dents » créées par la convergence des coches. En vue frontale, on a l’impression d’un fil denticulé. En vue sagittale, on observe très nettement deux pics décalés par rapport au centre. En vue transversale, il se présente sous la forme d’un fil sinueux.) (Boëda 2010) Le biface B possède deux fois le même outil : pointe/bord.
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Reconnaître un éclat issu d’un débitage dit Levallois est une chose, savoir s’il est « réussi », c’est-à-dire techniquement conforme aux objectifs du tailleur ou de son utilisateur potentiel, en est une autre. Quelle est l’adéquation entre l’intention et la réalisation productionnelle d’une part et les intentions productionnelles et fonctionnelles d’autre part ? (Bonilauri S. 2010). De même pour les pièces bifaciales, si les distinctions restent sur le plan strictement morphologique (Figure 3), nous n’avancerons jamais. Une même forme peut receler des outils différents, de même que des formes différentes peuvent receler le ou les même-s type-s d’outil-s. De toute évidence, la typologie, s’avère impuissante à rendre compte de la réalité d’un outil s’il est en dehors de toute mémoire. Soulignons les conséquences de disposer de « types » empreints d’une fonctionnalité fantasmée, si on cherche à interpréter les différents regroupements effectués. Même à supposer que le type soit discriminant, que peut-il dire d’autre que sa différence ? La typologie n’est pas un outil à donner du sens, elle sert à mettre en évidence des différences. Dans le cas de la typologie telle que nous la pratiquons, les objets sont naturalisés. En cela, la typologie est une approche essentiellement hylémorphique. Cette situation atteint son paradoxe lorsqu’à défaut de trouver un sens propre aux différents assemblages, on cherche à montrer que les différences sont dans l’ordre des choses parce que d’essence anthropobiologique et/ou environnementale. Comme si les assemblages étaient devenus immuables, passifs et sans devenir, l’explication leur étant extérieure en fait des objets naturalisés. Cette démarche continue à nier l’hyle : la matière, au profit de la morphé : la forme. La forme et la matière sont pensées en extériorité. Comment, dans ces conditions, pourrions-nous comprendre quoi que ce soit de tout monde technique hors mémoire ? La typologie, ainsi utilisée, ne nous entraîne-t-elle pas dans une double contradiction ? En voulant rendre à l’objet sa part d’humanité, nous ferions le contraire en le naturalisant en tant qu’instrument au service d’une fin, qui plus est, en le dénaturant de sa propre raison d’existence au monde : sa fonction d’usage et/ou sa fonction de signe ?
La techné sans le logos La technologie telle qu’elle fut développée par ses fondateurs, Mauss (1947) et LeroiGourhan (1943, 1945, 1964, 1965, 1983), avait pour objectif de replacer l’Homme au cœur du débat à partir de ce qui nous était accessible : sa réalité technique. Non pas une technique technicienne qui serait un regard de « l’intérieur de l’objet », mais une technique englobant l’Homme et son milieu extérieur dans une relation symbiotique où la culture, qui en est sa traduction, est le médiateur, créant ainsi ce que Leroi-Gourhan appelle le milieu extérieur (Leroi-Gourhan A. 1943, 1945).
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La technologie de Leroi-Gourhan nous ouvrait ainsi une double perception de la réalité des hommes de la préhistoire. Une perception synchronique capable de reconstituer une temporalité et une spatialité du quotidien à travers la notion de chaîne opératoire et une perception diachronique en s’appuyant sur les notions de tendance et d’évolution technique. Selon lui, la « tendance » constitue une sorte de devenir d’évolution générale régie par un déterminisme fonctionnel. Les milieux, intérieurs et extérieurs, propres à chaque groupe, s’inscrivent dans l’objet sans, a priori, en modifier l’essence fonctionnelle, chaque « lignée »19 d’objets évoluant vers une meilleure efficacité. L’histoire de notre discipline a montré que ces orientations ont eut des cheminements intellectuels différents. Les travaux traitant de l’existence d’une logique d’évolution de l’outil ont manifestement plus intéressé les penseurs des autres disciplines que les préhistoriens eux-mêmes, privilégiant l’observation synchronique du fait technique. D’une certaine façon, cette attitude revient à dire que la technique n’a pas de temporalité, qu’elle a un rôle de complémentarité instrumentale, qu’elle existe à un moment et en un lieu donné. De ce fait, il n’y a pas de raison de s’interroger sur le lien nécessaire entre ces différents temps et lieux, car l’évolution est dans les mains du couple efficient anthropologico/environnemental. La technique est réduite à une accumulation de connaissances et de savoir-faire qui n’ont de conséquence qu’opérationnelle. Si l’on suit ce raisonnement, il n’y aurait pas de culture technique, avec toutes les implications sous-jacentes qui en découlent, avant l’expression d’une activité symbolique, donc d’une pensée utilisant le langage. Bien évidemment cette position maximaliste ne fait pas l’unanimité, mais elle est dominante (Tattersall I. 1997, 1999). Refuser d’explorer le champ de l’efficience de la diachronie dans la constitution de la technique revient au même et repose sur les mêmes principes. Malgré ces réserves fondamentales, par le biais de la notion de chaîne opératoire, outil de la synchronie, mais surtout grâce à l’expérimentation, on a pu, par le geste retrouvé, approcher les connaissances et savoir-faire nécessaires à la réalisation de certains objectifs. C’est ainsi qu’un nouvel éclairage sur les moyens et modes de production de façonnage et de débitage tels que : le Clactonien, le Levallois, le Discoïde et le Quina (Boëda E. 1993, 1994, 1995 ; Bourguignon L. 1997 ; Forestier H. 1993 ; Soriano S. 2000, 2001) ont permis de mettre un peu d’ordre dans les classifications, créant de nouveaux types que nous qualifions de techno-type (Boëda E. 1997). Force est de constater que malgré ces avancées, comme nous l’avons dit au début de notre propos, l’approche qui se voulait technologique s’est réduite peu à peu à ses aspects les plus techniques, se limitant à une lecture factuelle, conjoncturelle, toujours juste car validée par l’expérimentation, mais en délaissant, nous semble t-il, l’objectif d’une perception globalisante telle que Mauss et Leroi-Gourhan l’avaient préconisée. D’une certaine façon, nous nous retrouvons à faire des schémas diacritiques de nucléus ou de pièces bifaciales comme des diagrammes cumulatifs, sans autre finalité que celle de montrer des différences ou des similitudes. Cette absence de perspective globalisante s’affiche nettement dans notre pratique, car, ne s’attachant qu’au mode de production, elle délaisse le champ de l’analyse 19
Leroi-Gourhan n’utilise pas à proprement parler le terme de lignée mais sa notion de « série évolutive » peut être apparentée à la notion de lignée empruntée à Deforge (1985).
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technique des objectifs : l’outil, validant indirectement le caractère efficient de la typologie. Ne voit-on pas des analyses de matériel couplant une détermination technique, des modes de production et une perception typologique des outils ? Cette dichotomie d’outil d’analyse, conclut « naturellement » à une absence de lien entre la production de supports et les outils réalisés à leurs dépens ! Comme si la production était une finalité à elle seule, sans lien avec les objectifs de la production. Cette perception synchronique peut être considérée comme une approche positiviste, s’attachant à reconstruire un savoir scientifique grâce à l’établissement de faits. Cette approche gagne en rigueur mais perd de sa raison d’être. Le manque de mise en perspective diachronique des analyses techniques aboutit, comme pour la typologie, à naturaliser les objets, certes en ne les dénaturant plus !
De la nécessité d’une technologie du changement La notion de tendance En introduisant le terme de tendance, donc d’un changement en mouvement, LeroiGourhan (1945, p.336) signifiait que l’objet était le fruit d’un processus évolutif, fondé sur une logique fonctionnelle, seule capable de produire de la connaissance et de l’ordonner. Autrement dit, la tendance20 technique est la façon de conférer à l’outil un statut d’objectivité, une connaissance véritable, mais sans proposer de modèle explicatif. La logique fonctionnelle qu’il recherche est basée sur la conception d’un outil à la fois matière et geste : la forme induit le manche qui induit l’emploi. La tendance21 s’appuie sur l’objet et le schème opératoire auquel il doit son existence. Il distingue trois grands principes créateurs de lignées de gestes : percussion lancée, percussion posée et percussion posée avec percuteur. Chacune de ces lignées est servie par une succession d’objets adaptés techniquement à l’acte à accomplir. Dans la mesure où la lignée est définie selon le geste et non selon l’objet, celui-ci pourra changer de forme, voire de structure. L’évolution des objets est alors régie par un déterminisme technique lié à la propriété des matériaux travaillés selon tels ou tels gestes. Pour Leroi-Gourhan, il n’existe pas de lignée propre aux objets. Les objets se transforment pour répondre au mieux, selon la loi du déterminisme, à ce à quoi leur existence est due. Si nous adhérons pleinement à cette notion de techno-genèse qui montre que les outils sont le fruit de transformations, il nous semble que pour comprendre cette adaptation de l’outil à sa fonction, il faut au préalable s’interroger sur la part de l’objet comme étant lui20
La notion de tendance est prise dans le sens philosophique comme le reconnaît Leroi-Gourhan (1945, p.338), à rapprocher du concept d’ « élan vital » bergsonien (Bergson H. 2009) et de celui d’ « évolution convergente » de Teilhard de Chardin P. (1955, 1956) 21 Pour Leroi-Gourhan, si la tendance est un mouvement général, la convergence technique est tout à fait possible, voire même intrinsèquement la preuve de l’existence de la tendance (Leroi-Gourhan A. 1945, p. 338). Il n’y aurait pas seulement une convergence des objets mais une convergence des tendances, ce qui équivaut à dire qu’il n’y aurait qu’une seule tendance : à un même emploi correspondrait un même objet.
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même lieu d’évolution. Mais, il est un préalable que nous signale Simondon en stipulant : [à] aucune structure fixe ne correspond à un usage défini. Un même résultat peut être obtenu à partir de fonctionnements et de structures très différents (…) (Simondon G. 1958, p. 19). De fait, la notion de déterminisme devient caduque, si ce n’est de façon très grossière et dans ce cas peu informative. Mais poser l’objet comme le lieu d’une évolution qui s’extériorisera par une succession d’objets supposent deux préalables que nous sommes loin de conjuguer, à savoir : qu’il faudrait que nous soyons capables d’identifier véritablement la fonction et le fonctionnement de chaque objet de la préhistoire et que ces fonctions et fonctionnements ne varient ni à travers le temps et ni à travers l’espace. De fait, si l’on doit appliquer la notion de tendance à l’objet en action, comment observer une tendance tout au long de plusieurs millions d’années, pour des objets dont nous ne connaissons rien, hors mémoire, bien que support d’une mémoire épiphylogénétique22 (Stiegler B. 1994) ? Nous devons prendre en compte un autre niveau : celui du ou des ensemble-s technique-s. Aucun objet technique n’est objectivable en dehors du milieu dans lequel il prend corps. Ce milieu associé23 (Simondon G. 1958), dans le cadre d’une relation réciproque, avec l’objet, procède de la combinaison des milieux géographiques (physiques ou anthropisés) et techniques (formés par l’ensemble des objets et systèmes techniques présents à un moment donné). Nous rencontrons alors, pour les périodes paléolithiques, une difficulté 22
La mémoire épiphylogénétique (techno-logique) succède à une mémoire épigénétique (nerveuse) témoin de la corticalisation du « silex » (Stiegler B. 1994, 1998). « L'épiphylogenèse désigne l'apparition d'un nouveau rapport entre l'organisme et son milieu, nouveau rapport qui est aussi un nouvel état de la matière : si l'individu est une matière organique et donc organisée, son rapport au milieu (à la matière en général, organique et inorganique) est médiatisé par cette matière organisée quoique inorganique qu'est l'organon, l'outil avec son rôle instructeur (son rôle d'instrument). Bien entendu, la réalité épiphylogénétique, qui constitue en elle-même une forme nouvelle de dérive en relation transductive avec la dérive génétique, joue de façon encore nouvelle, après l'achèvement de la corticalisation — c'est-à-dire après l'homme de Néanderthal. La relation transductive n'est plus alors entre évolution des silex taillés et évolution du cortex (qui s'est stabilisé, qui est entré dans la conservation de l'être sursaturé), mais bien une transduction du technique et de l'ethnique ou social (c'est-à-dire de l'individuation psychique et collective), qui demande à son tour des analyses spécifiques » (Stiegler B. 1998a pp. 251-251). Pour cet auteur, cette mémoire épiphylogénétique est le témoin d’une différenciation parallèle entre les silex taillés et le cortex, qui prend fin avec l’apparition de Neandertal. Or, cette barrière, si réelle soitelle, ne repose sur aucune donnée scientifique réelle, mais plutôt sur le paradigme évolutionniste classique. Les données technologiques actuelles établissent au contraire que la mémoire épiphylogénétique apparaît dès les premiers objets taillants. 23 Le milieu associé de Simondon est un milieu (géographique ou autre) qui devient, du fait de ses propres caractéristiques, l’un des éléments fonctionnels d’un système. A différencier, du milieu extérieur de LeroiGourhan qui le définit comme : « un milieu naturel inerte, composé de pierres, de vent, d’arbres et d’animaux, mais aussi comme porteur des objets et des idées de groupes humains différents. Le milieu inerte fournit des matières simplement consommables et l’enveloppe technique d’un groupe parfaitement clos sera celle qui permet de les utiliser aux mieux des aptitudes du milieu intérieur comme porteur des objets et des idées de groupes humains » (Leroi-Gourhan A. 1973, p. 334). Ce milieu exerce donc les conditions du déterminisme, moteur de la tendance dont témoigne la techno sphère - moyens élémentaires d'action sur la matière, comme interphase entre l’Homme et l’environnement. Alors que le milieu associé de Simondon est un élément constitutif de l’objet technique. L’objet technique et le milieu associé font système sur la base d’interactions et de rétroactions fortes.
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supplémentaire. S’il n’y a pas de culture sans espace, comment reconnaître cette construction interactive ? D’autant plus, si l’élément culturel nous échappe quels que soient ses aspects. Si le projet de Leroi-Gourhan était d’arriver à une classification basée sur la connaissance de l’objet propre en le restituant dans un processus d’évolution, il n’en restait pas moins que nous ne disposions d’aucune méthode pour accéder à l’objectivité recherchée de l’objet et du système des objets dans lequel il s’inscrivait. Susciter l’approche comparative pour donner un sens aux différences, est une chose mais que comparons-nous ? Extrapolés à un ensemble lithique qu’est-ce qui nous certifie que dans deux ensembles « rapprochés » les seules dimensions typologique ou technique, telles qu’elles sont actuellement pratiquées, sont similaires ? Quelles certitudes avons-nous alors pour parler de tendance sur le temps long ? Que relie la tendance ? De fait, ce n’est pas notre perception de l’objet qui est erronée (bien qu’elle soit nettement insuffisante), mais c’est d’imaginer que les lois de la genèse passent par cette perception, puisque l’individualité et la spécificité des objets sont instables. En résumé, pour prolonger la pensée de Leroi-Gourhan, la connaissance de l’outil ne peut se faire que dans la mesure où on peut l’insérer dans une tendance qui se traduit par l’existence d’une lignée. Mais deux problèmes persistent : - premièrement, l’accès à l’objectivité de l’outil reste entier ; excepté pour les objets dont les éléments essentiels (transductifs) sont encore présents dans notre mémoire, il existe alors une concordance entre la mémoire épiphylogénétique que porte l’objet et la nôtre sur ce même objet24 ; les objets antérieurs à 40 000 ans nous sont totalement inconnus ; - deuxièmement, de quelle objectivité parlons-nous : si l’on prend la notion de tendance telle que la définit Leroi-Gourhan, la fonction crée l’objet, d’où la création d’une gamme restreinte d’outils transcendant le temps ; néanmoins, il nuance son propos en reconnaissant qu’il faut distinguer une tendance restreinte qui se greffe sur une tendance générale, car beaucoup d’exemples ethnologiques montrent des objets différents pour une même action. Le problème vient, à notre avis, de la règle qui veut que la fonction crée l’objet. L’introduction de la notion de structure par Simondon au lieu de celle de forme25 déplace les fondements de la reconnaissance de l’outil, de son objectivité, ouvrant une perspective analytique insoupçonnée.
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C’est le cas du matériel d’étude de Leroi-Gourhan qu’il publia dans sa thèse en 1946 : Archéologie du Pacifique-Nord. 25 « Aucune structure fixe ne correspond à un usage défini. Un même résultat peut être obtenu à partir de fonctionnements et de structures très différents… » (Simondon G. 1958, p.19).
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De la forme à la structure, de la tendance à l’individuation Leroi-Gourhan cherche à classer les outils selon leur mode opératoire, mais l’équivalence faite entre fonction et forme renvoie automatiquement à classer les objets selon leur forme. Pour Simondon, la structure, dissociée de l’usage défini, prime sur la forme, cette dernière n’en étant qu’un élément - dans le sens systémique. Ces notions de forme et de structure évoquent la définition classique aristotélicienne de l’objet (être) connue sous le terme d’hylémorphisme, selon lequel tout objet est le produit de l’impression d’une forme (morphe) dans la matière (hyle). La forme est alors source de propriétés qualitatives et la matière source de propriétés quantitatives. De cette vision naît un déséquilibre qui veut que la matière, vue comme amorphe et inerte, ait un rôle passif, non créateur, au contraire de la forme voulue, qui est le résultat d’une création. Hottois souligne à juste titre que : « la relation entre forme et matière est pensée en extériorité, sans considération pour sa réalité qui est active et déterminante (Hottois G. 1993, p. 35). Mais suffit-il de repenser cette relation dans une approche de type systémique, rendant à la matière son rôle structurant et à la forme sa place comme l’un des éléments structurant la matière, pour objectiver réellement l’objet ? Certes, cette façon de voir élargit la connaissance de l’objet, mais sans déplacement des perspectives26. Nous continuons à penser l’objet dans sa phase d’état, d’objet constitué. Les connaissances des objets ont beau augmenter, tant sur le plan de leur réalisation que de leur mode de fonctionnement, cela ne modifie en rien leur perception qui est celle de l’artisan producteur/consommateur. Il en est de même pour la notion de tendance. N’est-elle pas plus qu’une succession d’états, sans lien explicatif ? L’évolution ne serait qu’une somme d’états successifs ponctués par les aléas du vivant. La tendance, tout autant que l’objet, est vécue en extériorité. De fait, si l’on perçoit bien des changements, il nous est impossible de les comprendre. Car, les comprendre passe par le discernement du processus qui conduit au changement. Le processus est de l’ordre de l’ontogenèse et non plus seulement de l’ontologie. Simondon nomme ce processus « individuation » (Simondon G. 1958). L’individu - l’objet constitué - ne peut s’appréhender qu’à travers sa genèse : non pas, celle de son existence matérielle, mais celle de son existence en devenir. Tout objet est donc à la fois le résultat d’une individuation, c’est-àdire d’une individualité propre, et un devenir, individuant. Ainsi, la compréhension d’un objet doit se faire « à partir des critères de la genèse pour définir l’individualité et la spécificité de l’objet technique : l’objet technique individuel n’est pas telle ou telle chose donnée hic et nunc, mais ce dont il y a genèse. » (Simondon G. 1958, p. 20). Cela revient à objectiver tout objet par la place qu’il occupe dans une lignée. Tous les objets d’une même lignée sont autant de nouvelles formes d’équilibre, qui appellent à leur dépassement, et à leur transformation. Chaque état est un état métastable et non un état stable, sans devenir, comme le préconise la perception hylémorphique.
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Nietzsche F. 1996 - Ecce Homo, Pourquoi je suis sage, 1
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Nous tenons également à souligner que ces états de métastabilité successifs ne sont aucunement des étapes de perfectionnement comme le suggère Leroi-Gourhan pour expliquer la notion de tendance. Il s’agit au contraire de l’intégration successive d’états antérieurs, chaque état ayant un potentiel de restructuration capable de répondre à de nouvelles exigences fonctionnelles. La notion de perfectionnement est une vision externe à l’objet, une vue de l’extérieur, subjective. Elle est de l’ordre de la perception de l’adéquation entre le milieu intégré de l’objet et l’objet. En d’autres termes, le perfectionnement est une appréciation du côté de celui qui manipule, alors que la reconnaissance d’un changement d’objet est « dans l’objet ». On pourrait suggérer que cette notion de perfectionnement est vécue de façon ambivalente. Il s’agit d’une appréciation extérieure reflétant un changement innovant, consécutif d’une invention ; cette dernière renvoyant à une dimension interne de l’objet jamais explorée. Cet état de fait est du à la notion de progrès, cause efficiente du perfectionnement, qui, en préhistoire, est vécu totalement en extériorité à l’objet. Les éléments moteurs de cette extériorité étant les capacités cognitives des différents hominidés et/ou les changements environnementaux. Cette modélisation déterministe renvoie l’outil à un rôle instrumental, détaché de l’homme, sans devenir propre. Or, si nous pensons tout objet en tant qu’objet potentiellement en devenir, donc se transformant, cela induit que la transformation s’inscrive dans un devenir potentiel que nous avons appelé lignée. L’objet possède son propre devenir, sa genèse étant inscrite en lui-même. Cette nécessité d’aborder l’évolution technique passe par une extériorisation inorganique médiatrice entre l’organisme vivant et le monde environnant. Le changement est alors l’aboutissement de rétroactions positives entre l’Homme et la structure interne de l’objet, seul « lieu » capable de les intégrer. La capacité d’intégration de nouvelles données dépend du potentiel évolutif de la structure de l’objet et de son stade d’évolution. On peut alors observer un processus d’acquisition qui crée les conditions d’une dynamique de renouvellement de l’objet, avec toutes les conséquences sociétales possibles. On parlera alors de co-évolution entre l’Homme et la technique. Pour devenir réelles, ces exigences structurelles ont besoin de l’Homme qui est au centre du dispositif évolutif. C’est l’Homme qui produit, induit, modifie, oriente, stoppe. C’est l’Homme qui leur permet d’être.
De la structure à la lignée Pour dépasser une technologie descriptive et comparative n’agissant que sur la synchronie au profit d’une technologie de la « genèse » nous devons aborder les objets sur le plan structurel et non plus sur le plan morphologique27. En effet, si la forme se donne à voir, l’objet ne se réduit pas à cette dernière ; elle est seulement un des caractères structurants, aux 27
L’explication de l’apparition du biface en est le plus bel exemple. N’explique-t-on pas cet objet par l’apparition de la symétrie, sans se soucier de ce que recouvre cette nouvelle structure ? Et si nous appliquions ce raisonnement à la tour Eiffel ? Ce serait oublier les raisons structurelles spécifiques au matériau utilisé. La preuve, c’est qu’à la fin du XXème siècle, grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux, certains édifices peuvent ne pas être construits de façon symétrique.
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conséquences variables. Mais, cette recherche de caractères structurants s’inscrit dans une perception diachronique. Il faut que les outils d’analyse rendent compte des éléments structurants de l’objet et du stade évolutif auquel correspond la structure de l’objet. Cela équivaut à reconnaître l’existence de lignées. La compréhension des changements passe par la reconnaissance de lignées phylogénétiques auxquelles les objets appartiennent. Un objet n’est pas tel ou tel artefact donné en un temps et en un lieu donné, issu d’une génération spontanée, mais le fruit d’une évolution répondant à des exigences fonctionnelles et surtout à des exigences structurelles, propres et irréductibles, dont il faut tenir compte car elles conditionnent le devenir des objets. Ce devenir constituera, à travers le temps, une lignée. Ainsi, la lignée regroupe l’ensemble des objets qui évolueront en répondant à une même fonction à partir d’un principe de fonctionnement stable, selon des exigences structurelles répondant à des lois propres, auxquelles les considérations autres que techniques (sociales, économiques, etc.) sont étrangères (Deforge Y. 1985).
Le sens de l’évolution : de l’abstrait au concret
La « loi évolutive »28 la plus classiquement observée est celle du passage de l'objet abstrait à l’objet concret (Simondon G. 1958). Par abstrait, nous entendons des objets qui peuvent se décomposer en plusieurs sous-ensembles juxtaposés, indépendants les uns des autres lors de leur fonctionnement29. Il peut s’agir d’une simple juxtaposition de fonctions élémentaires. Différence avec l’objet concret qui se caractérise par un ensemble de sousensembles qui doivent nécessairement entrer en relation pour être opérationnels. Autrement dit, un objet concret est un objet dont aucune des parties ne peut-être séparées des autres sans perdre son sens30. L’objet concret est le résultat d’une évolution qui, par une sorte de convergence interne, d’adaptation à lui-même, aboutit à la mise en synergie de ses différentes composantes. Cette synergie donne lieu à une plus grande complexité structurelle et fonctionnelle. Cette « loi d’évolution », comme nous le verrons, est parfaitement applicable à nos objets d’études. Elle faisait déjà l’objet d’une formulation de la part de nos prédécesseurs dans l’expression du passage d’industries primitives à des industries évoluées. Le problème était que ces appellations recouvraient aussi une dimension cognitive dépréciative pour la première et valorisante pour la seconde. Ce qui n’est aucunement le cas dans notre propos. L’objet concret est un objet qui a évolué par convergence et par adaptation à soi, il n’est donc pas forcément plus performant qu’un objet antérieur de sa lignée. Il s’agit d’une augmentation de la synergie fonctionnelle de l’ensemble des différents éléments constitutifs de l’objet. On peut parler d’une auto-corrélation interne des différentes fonctions de l’objet aboutissant à un perfectionnement interne, mais non d’une meilleure adaptation de ce dernier à sa fonction.
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Bien évidemment il faut prendre la notion de loi dans le sens métaphorique du terme et à un niveau de généralité. 29 Dans le sens étymologique abs-trait signifie : hors de, séparé de. 30 Concret vient de concrescere, concretum qui signifie croître ensemble, se lier dans une croissance commune pour engendrer quelque chose de nouveau.
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De cette « loi » principale découle des lois que nous qualifierions de corrélatives qui montrent que l’évolution des objets d’une lignée (Simondon G. 1958) va : vers un moindre volume et/ou un moindre poids ; c’est ce que nous observons classiquement à toutes les périodes et que nous dénommons microlithisation ; ce phénomène s’observe aussi bien durant l’Acheuléen que le Moustérien ; vers une quasi auto-corrélation, illustrée par les cas des nucléus débités par pression31, où encore du débitage bipolaire de type split 32; vers une spécialisation exagérée (hypertélie) désadaptant l’objet lorsque surviendra un changement, léger ou non, du milieu extérieur, environnemental et culturel. Il est intéressant de tester ces observations sur notre matériel en s’appuyant sur le très long terme. Car, si l’analyse des objets préhistoriques révélait qu’ils obéissent aux mêmes lois que les objets actuels, cela confirmerait l’existence d’une évolution structurelle propre à la technique, transcendant l’espace et le temps. Serait alors démontré l’existence d’une seule et unique histoire des techniques, constituée de lignées techniques contemporaines et/ou successives indépendantes, chaque lignée étant le lieu d’un cycle de transformation obéissant aux mêmes lois d’évolution ! Par cette approche, que nous qualifions de « génétique » dans le sens métaphorique du terme, la technologie devient la science inductive des schèmes opératoires. Elle vise à leur connaissance par leur genèse, leur structure, leur dynamique et leurs interactions (Hottois G. 1993). La technicité des objets est régie par des « lois » d’évolution propres à la structure des objets mais avec une nécessaire interaction entre l’homme et la technique. Nous pouvons alors parler de coévolution entre l’Homme et la technique. L’Homme crée la technique et la technique régie par des « lois » d’évolution propres à la structure des objets, informe sur son potentiel de devenir. Au fur et à mesure de l’évolution, l’interaction est de plus en plus prégnante. Au point de devenir particulièrement sensible dans nos sociétés modernes. Aujourd’hui, en effet, les lignées d’objets modernes sont perceptibles à l’échelle d’une génération, voire d’un individu. Cela n’avait jamais été le cas durant la préhistoire où l’échelle d’une lignée était de l’ordre du millénaire voire plus. Il est alors très intéressant de s’interroger sur les causes de cette accélération. Les capacités de mémorisation et de communication sont très certainement essentielles. La mémoire est le lieu de stockage, de capitalisation et de réorganisation des données, sources d’invention. La communication, d’individu à individu par l’apprentissage, et entre groupes par les contacts et les échanges aura un effet cumulatif, et très certainement amplifié lors d’essors démographiques.
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Les relations entre le tailleur et le nucléus, du fait du mode de détachement et de la structure du nucléus sont telles que l’ont pourrait imaginer un système qui ne s’arrête qu’avec la disparition de la matière première. 32 Cette conception du débitage voit se substituer le nucléus « galet» en deux éclats identiques. Le volume à débiter, égal au volume du galet, disparaît au profit de deux nouveaux volumes. Il n’y a pas de volume résiduel non transformé. Ce mode de débitage - unique - est la quintessence de la rationalité structurelle puisque le « nucléus » disparaît au profit des objectifs.
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La place de l’homme Rendre aux objets leur propre part d’évolution, basée sur leur dynamisme potentiel interne ne signifie pas que l’Homme soit en dehors du champ de ce développement. Comme nous l’avons déjà dit : pour devenir réelles, ces exigences structurelles ont besoin de l’Homme. Il est au centre du dispositif évolutif. C’est lui qui produit, induit, modifie, oriente, stoppe33. C’est lui qui leur permet d’être. Mais, plusieurs points spécifiques peuvent être plus amplement évoqués. En premier lieu vient le processus d’invention, indépendamment de ces modalités. Le commencement « absolu » (Tinland F. 2006) est une création humaine. Mais une création faite de recombinaisons articulées autour d’une mémoire, d’un héritage. Le processus d’individuation de l’objet est donc extérieur à lui-même. Mais sa genèse, ce qui le mène vers l’individuation, est liée à son propre potentiel structurel. D’où la notion de coévolution entre l’Homme et la technique. En second lieu, et découlant de ce qui vient d’être dit, la potentialité structurelle ne peut se révéler que si l’Homme se l’approprie. Cette appropriation ne pouvant se faire que par le biais d’une culture technique (Simondon G. 1958, 1964). Cette dernière transforme l’Homme et l’invite à évoluer (Hottois G. 2004). Mais peut-on parler de culture technique pour les périodes datée de 2 Millions d’années ? Du fait de l’omniprésence de la question ontologique sous-jacente, la technique pour ces périodes anciennes est réduite à sa seule condition instrumentale : un ensemble de moyens à des fins particulières. La longue durée de l’évolution des techniques, les phénomènes de convergence, le temps de vie de certains objets sont autant de facteurs pris en compte pour créer un paradigme biologico/environnemental excluant la technique comme un facteur de coévolution. Si nous changeons de perspective d’analyse, en prenant en compte tout objet comme un stade d’une lignée phylogénétique et non plus comme un objet figé en un temps et un lieu donné, nous redonnons corps et vie à l’analyse technologique. Si la technologie est capable de rendre compte de ces lignées et des cycles évolutifs propres à chacune d’entre elles, alors nous pourrons clairement comprendre les « lieux » d’interaction entre l’Homme et la technique. D’une vision linéaire et graduelle où tout changement serait dû au couple biologico/environnemental, nous rendons à l’Homme par le biais de la culture technique sa capacité à produire de l’altérité.
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Lorsque nous parlons de l’Homme nous le pensons dans un sens général universel. Mais, cette utilisation est une aporie, car chaque homme ou groupe d’hommes a sa propre réalité du monde et vit cette réalité comme unique, comme le monde (Husserl E. 1988). Pour nous préhistoriens, à la différence de l’ethnologue ou de l’historien, il nous est impossible de mettre en exergue ces différentes représentations du monde. En revanche, en nous attachant, à travers le temps long, à mettre en corrélation les hommes et leurs techniques (à travers les objets) comme un processus de construction sociale (de Villers B. 2010), à condition de ne pas naturaliser les objets, ni de les réduire à un ensemble de données obtenues ou non expérimentalement, ni de les enfermer dans une relation causale unissant l’Homme à l’objet, alors nous pouvons mettre en évidence des universaux, des « lois » qui dénotent une part d’évolution potentielle aux objets.
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Deuxième partie
Le sens techno-logique de l’évolution : une clef pour la compréhension de la technicité humaine
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Les outils
L’apport de l’approche techno-fonctionnelle Notre objectif est de promouvoir une analyse technique globalisante capable de rendre compte, sur le temps long, de l’histoire technique des outils incisants34 de la préhistoire à nos jours. Le caractère incisant étant une propriété intrinsèque potentielle de toute roche dure, elle nous permet ainsi de développer une analyse structurelle apte à mettre en avant la dynamique évolutive potentielle de ce matériau, médiatisé par l’Homme. En mettant, dans un premier temps, clairement en évidence l’existence de lignées d’objets et/ou de schèmes de production régis par des « lois d’évolution », il nous sera possible d’aborder dans un second temps, couplés à la notion d’espace, élément constitutif de toute culture, les phénomènes d’invention, d’innovation, de diffusion, de migration et/ou de convergence. Ceci est et doit rester notre objectif. Si la réflexion théorique aboutit à la mise en place d’outils de lecture, nous devrons nous garder de voir cette dernière devenir une fin en soi comme l’ont été à chaque fois les apports méthodologiques en technologie lithique, confondant la fin et les moyens.
De la nécessité de théoriser l’outil Tout geste est conditionné par la réalisation d’un objectif, au moyen d’un objet, dans le respect d’une façon de faire apprise. L’objectif est ce vers quoi est tourné l’investissement technique, l’outil en est le moyen, la production sa condition d’existence. En conséquence, toute analyse technologique aura pour finalité de déterminer les objectifs en passant par la reconnaissance des outils utilisés et leur moyen de production. De cette relation entre outil et moyen de production dépendra, dans de nombreux cas, la possibilité de voir évoluer les outils. En effet, toute idée d’évolution (changement, modification) des outils aura un effet « feed back » sur le mode de production. Ce dernier, selon sa structuration et son stade évolutif, pourra y répondre ou non. Ainsi, il existe une coévolution entre l’objet et son mode de production au même titre que celle de la technique et de l’Homme. L’évolution des outils est dépendante des capacités des modes de production à y répondre, et chaque mode de production n’évoluera qu’en fonction de l’évolution des moyens recherchés pour répondre aux objectifs, voire par de nouveaux objectifs nécessitant de nouveaux moyens. Mais, là encore, seul l’Homme à travers sa volonté de changement est au centre du dispositif.
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De façon générique nous préférons utiliser le terme d’inciser signifiant : « pratiquer une entaille avec un outil tranchant » plutôt que les verbes couper, tailler ou trancher qui ont à voir avec des gestes spécifiques.
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Qu’est ce qu’un outil ? Un outil n’existe qu’en action (Leroi-Gourhan A. 1964). Pour se faire, nous devons considérer l’outil comme une entité mixte constitutive de trois composantes : l’objet en tant que tel nommé artefact, le schème d’utilisation (Rabardel P. 1995) et l’énergie qui le maintient en action35 (Figure 4). Dans le cadre des analyses typologiques, telles qu’elles sont encore pratiquées, ces trois notions ne sont absolument pas distinguées.
Figure 4 Triade composant un outil
Le schème d’utilisation est suggéré à travers le nom donné à l’artefact : grattoir, hache, etc. Bien évidemment, cette assertion « fonctionnelle » dépend de la mémoire technique encore existante entourant chaque objet. Elle peut être efficiente, comme dans le cas d’une hache, d’une pointe de flèche, d’un burin, d’un grattoir, etc., ou complètement subjective et erronée comme dans le cas des racloirs, des bifaces, etc. Elle est d’autant plus subjective et erronée quand l’objet est brut de retouche comme le montre l’exemple contemporain des Leiliras d’Australie (Figures 5 et 6) (Noone H.-V.-V. 1943, 1949 ; Spencer B. et Gillens F.-J. 1912 ; Davidson D.-S. 1935) ou l’étude des pointes Levallois (Bonilauri S. 2010 ; Figure 7). Dans ces deux cas, un même objet triangulaire correspond à des fonctions et des fonctionnements différents. La notion d’énergie n’est, quant à elle, jamais directement évoquée36. On parle de maintien, d’emmanchement et/ou de geste, sans pour autant discuter du type d’énergie reçue. Cette absence d’interrogation a deux raisons d’être, découlant l’une de l’autre. L’approche comportementale des périodes anciennes en est la première raison. Elle repose en grande partie sur des modélisations issues de l’éthologie. C’est ainsi que la préhension manuelle, la façon de tenir l’objet et la qualité, voire l’efficacité, du geste qui s’en
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La possibilité, en préhistoire, d’observer le temps sur une durée de plus de 2 MA nous permet de distinguer une évolution sur les modalités d’utiliser l’énergie manuelle : préhension directe ou indirecte. Cette évolution s’observera en tout premier lieu sur la partie préhensée des outils. Mais comme les caractères typologiques classiques utilisés ne portent que sur les parties retouchées, qui sont le plus souvent les parties transformatives, les parties préhensées ne rentrent que peu en compte dans la détermination typologique, excepté si elles sont aménagées, comme dans le cas de l’Atérien. 36 Excepté dans les publications du XIXème siècle, où il est fait allusion à la prise en main et à l’énergie capable d’être transmise, les outils étant considérés comme des équivalences antiques d’objets artisanaux actuels. (Chouquet E. 1883).
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Figure 5 Leilira emmanchée
Figure 6 Leiliras emmanchées 2.
1. Lame triangulaire servant à percer et couper (Noone H.-V.-V. 1943, 1949) ; Lame triangulaire prise dans un manchon servant à couper et tailler (Noone H.-V.-V. 1943, 1949) ; 3. Pic (Spencer B. et Gillens F.-J. 1912) ; 4. Lance (Davidson D.-S. 1935).
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Figure 7 Les données actuelles sur l’utilisation d’une pointe Levallois montrent que cette dernière peut faire l’objet de fonctionnements différents, sans relation de cause à effet avec le type de matière d’œuvre travaillé. (Bonilauri S. 2010).
suit, sont présentées comme les éléments témoins d’une évolution. Il s’agit d’un jugement purement spéculatif ne reposant sur aucune donnée scientifique37. La seconde raison tient d’une loi générale implicite, introduite depuis Condorcet, selon laquelle la technique aurait pour principe « le perfectionnement indéfini de notre espèce »38 qui voit dans l’Homo sapiens l’Homo Faber. Il en découle une assertion non discutée qui veut que le maintien de l’objet se fasse dans la paume de façon durable jusqu’au Paléolithique supérieur ou presque. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à comptabiliser le très faible nombre de travaux sur la notion d’emmanchement au Paléolithique Inférieur et Moyen 39 (Anderson P. 1981 ; Keeley L.-H. 1982 ; Anderson-Gerfaud P. et Helmer D. 1987 ; Beyries S. 1987 a et b) qui, bien qu’attestant de son existence, reste un domaine de recherche quasi inexploré40, excepté ces dernières années (Bonilauri S. 2010). 37
Les données éthologiques récentes ont montré qu’il est nécessaire de distinguer l’habilité de geste et la façon de prendre l‘outil. (Foucart J. 2006). 38 Condorcet M. de, 1793-1794 - Esquisse d’un tableau historique. Des Progrès de l’esprit humain. 39 Cette notion de maintien a toujours été corrélée avec l’anatomie des hommes fossiles. C’est ainsi : « qu’une analyse comparative entre les os des mains des Néandertaliens et ceux des hommes modernes a conclu que la main des Néandertaliens est capable d'une flexion plus puissante qui conduit à la possibilité de mieux maintenir l'objet dans la paume ». (Villemeur I. 1991). 40 Ce qui n’est pas le cas des autres périodes où de très nombreux travaux existent dont ceux récents de Rots (2002, 2010).
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Nous devons concevoir chaque outil détenteur d’exigences fonctionnelles et culturelles portées par l’opérateur dont témoigne l’artefact et/ou le schème opératoire. Une forte variabilité peut s’exprimer au travers de ce couple et rend caduque toute tentative de généralisation : un même artefact peut être associé à plusieurs schèmes d’utilisation, tout comme un schème d‘utilisation peut être réalisé par plusieurs artefacts différents. Aussi devons-nous envisager des phénomènes de catachrèse. La fonction de l’objet est alors complètement détournée par rapport à celle qui a justifié de son existence : on se sert d’un outil en lui conférant une autre fonction que celle auquel il est initialement destiné. De fait, parler d’un outil sans en connaître sa mémoire épiphylogénétique41 est une aporie. Pour, éventuellement, en approcher son contenu, il nous faut repenser la genèse, dans le sens de ce qui structure l’outil et se structure avec lui. L’artefact est un élément d’un système où le sujet/l’acteur, la matière d’œuvre/la matière travaillée et le milieu naturel et social sont autant d’éléments structurants. Mais, pour être opérationnel, dans le sens de produire les effets recherchés, l’artefact doit aussi être structuré selon le schème adopté. Pour définir ces deux temps, concomitamment structurants, nous empruntons à l’ergonomie (Rabardel P. 1995) les termes d’instrumentalisation et d’instrumentation. Pour la perception de l’artefact, nous parlerons de la recherche des processus d’instrumentalisation. Pour le ou les schème-s d’utilisation, nous parlerons de la recherche des processus d’instrumentation (Figure 8).
Figure 8 Processus d’instrumentalisation et d’instrumentation
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Mémoire épiphylogénétique (terme créé par B. Stiegler) : mémoire technique ; « elle enregistre la mémoire collective, elle est la trace inscrite par l’inconscient collectif, qui est déposé dans le monde des objets. Par là, elle rend possible l’inconscient collectif. » d’après http://www.philosophie.ulg.ac.be/documents/PhiloCite2008/Stiegler.pdf
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Les processus d’instrumentalisation : une approche techno-centrée Dans le cadre de la triade sujet/artefact/matière d’œuvre, on comprend aisément que l’artefact entretient tout un registre de relations contraignantes entre l’Homme et la matière travaillée. Ces relations traduisent des contraintes à la fois techniques - inhérentes aux matériaux, et culturelles, qui vont structurer l’objet (Figure 9). On distingue deux catégories de contraintes : extrinsèques et intrinsèques.
Figure 9 Contraintes d’instrumentalisation
Nous envisageons quatre sortes de contraintes extrinsèques inhérentes : - à la matière d’œuvre à transformer : il est facilement compréhensible que l’obtention du résultat escompté et de la façon de procéder pour y aboutir nécessitent une synergie entre les propriétés physiques de la matière d’œuvre et les caractéristiques techniques de la partie de l’outil au contact avec la matière d’œuvre ; pour exemple, la dureté d’un matériau aura des incidences sur les caractères techniques du plan de section d’un tranchant, qui aura, par voie de conséquence, des incidences sur l’angle d’attaque de ce dernier et donc sur le geste à travers ses différents aspects (maintien et transmission de l’énergie) ; - au milieu naturel dans lequel se déroule l’action et qui doit nécessairement être pris en compte : le milieu exerce une possible « contrainte » en termes de qualité, de disponibilité et d’accessibilité de la matière première dont sera fait l’outil 42; 42
Mais, de fait, peut-il réellement exister un espace non anthropisé, excepté celui dont on ne soupçonne pas l’existence ? Excepté des cas exceptionnels où les populations se voient obligées de quitter soudainement leur propre territoire pour aller dans des espaces inconnus, l’espace dans lequel on vit, et même celui où on ne vit pas, sont déjà une perception anthropologique. Ils peuvent être vus comme un réservoir, non culturellement investi, mais connu.
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- à l’espace vécu intériorisé tant sur un plan matériel que symbolique : le territoire43 ; - à la mémoire technique dont hérite tout individu issu d’un groupe : ce qui fait qu’en une période définie et en un lieu donné on produise tel objet spécifique et on le fasse fonctionner de telle façon44. Les contraintes intrinsèques sont celles qui sont inhérentes à la structure de l’objet utilisé par le groupe. La lame, l’enlèvement Levallois, le biface ou la pièce bifaciale sont des objets qui, bien que de volumes différents, fonctionnant ou non de la même façon, produisent les mêmes effets : couper, tailler, racler, percer, etc. Pour comprendre chaque objet, il faut l’analyser comme un « individu » technique structuré par un ensemble de caractères techniques en interaction, organisés en fonction d’un but. Les interactions entre éléments peuvent prendre des formes plus ou moins complexes, comme l’éclat et la pointe Levallois, par exemple. Ces relations sont elles-mêmes soumises à des règles de fonctionnement qui déterminent l’effet escompté, mais d’autres règles pourraient être adoptées, produisant des effets différents, comme nous l’observerions entre un éclat tenu en main ou par l’intermédiaire d’un manche ou d’un manchon. Ces contraintes intrinsèques sont aussi le reflet d’un stade évolutif propre à chaque lignée. Toute évolution dans la lignée est à la fois le reflet du potentiel évolutif du principe structurel de la lignée et d’une nouvelle réponse à des contraintes inédites. Si l’on part du principe que les fonctions resteront les mêmes durant des millions d’années, l’évolution de chaque lignée d’outils portera sur la partie qui recevra l’énergie et par conséquent sur celle qui la transmettra.
Les processus d’instrumentation : une approche anthropo-centrée Si, comme nous venons de le voir, l’objet intègre des contraintes vis à vis de l’Homme et de la matière d’œuvre, sa perception en tant qu’objet en action nous conduit à considérer un autre registre de contraintes, liées aux schèmes d’utilisation. Il consiste en une quadruple relation de contraintes structurantes qui devront être intégrées dans la conception de l’outil (Figure 10). 43
Bien souvent nous confondons territoire et espace. Le territoire est un espace parcouru ou non que nous avons intériorisé. Il est un élément constitutif de notre culture. En préhistoire, cette intériorisation rend impossible sa mise en évidence, nous n’en percevrons immanquablement que des bribes qui ne sont que des « possibles », jamais vérifiables. Le meilleur exemple de confusion nous est donné lors des études sur l’économie des matières premières. Ne voit-on pas l’assimilation systématique de la répartition géographique d’une matière première avec l’aire d’acquisition du groupe ? Comme si l’espace géologique devenait un espace géographique anthropisé. L’espace géologique peut être connu mais fait-il parti, dans son intégralité, du territoire d’approvisionnement ? Est-ce que je connais toutes les boulangeries de ma ville ? Non, mais j’en connais un certain nombre ce qui ne m’empêche pas de n’en fréquenter qu’une ! 44 Encore faut-il reconnaître à leurs auteurs un potentiel cognitif et culturel, en particulier, pour les périodes anciennes. En effet, comme le niveau de technicité de ces populations n’est perçu qu’à travers une simple analyse morphologique, les conclusions comportementales qui en découlent sont rarement à l’avantage de leurs auteurs : opportuniste, non investie, etc.
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Figure 10 Contraintes d’instrumentation
Relation contraignante de l’artefact avec la matière d’œuvre : les contraintes sont multiples et s’analysent en termes d’efficacité et de savoir-faire. La réalisation d’un objectif nécessite un geste efficace capable d’être effectué par l’outil. C’est le geste utilisé qui contraint l’outil à posséder certains critères techniques. C’est parce que je veux réaliser telle action que j’ai besoin de tel outil. Si je ne respecte pas cette condition, je me mets en situation de catachrèse : utilisation d’un outil à la place d’un autre pour une fonction qui n’est pas la sienne. Relation contraignante de l’artefact avec l’Homme : des propriétés constituantes (structurelles) des artefacts dépendra toute une gestuelle. En d’autres termes, un éclat, une lame ou une pièce bifaciale offrent un registre de gestuelles possibles et spécifiques à chacun d’entre eux, pouvant se recouvrir partiellement. Par exemple, une même retouche sur le bord d’un éclat quadrangulaire Levallois, d’une lame ou encore d’un biface, du fait de la différence des supports, aura pour conséquence un schème de préhension et d’utilisation spécifique. Relation contraignante de l’énergie transmise par l’Homme sur l’artefact : la réussite de l’objectif dépend de l’adéquation entre l’énergie nécessaire à l’aboutissement du geste, la réception de l’énergie et sa transmission. Selon les contraintes culturelles extérieures, l’artefact fera l’objet d’une restructuration interne de ses éléments : évolution d’une structure additionnelle (abstraite) vers une structure intégrée (concrète), comme nous le verrons pour les pièces bifaciales ; ou sera remplacé par un autre artefact de structure plus efficiente tel l’abandon du biface au profit du tout éclat. Cette restructuration ou nouvelle structure peut être une réponse directe à une meilleure utilisation de l’énergie passage de l’éclat à la pièce façonnée (galet aménagé ou biface) - ou être le fait d’une modification de l’énergie nécessitant alors la création d’un objet intermédiaire : manchon ou manche, entre la main et l’artefact - passage des pièces façonnées aux enlèvements Levallois. 46
Relation contraignante de l’Homme, de l’artefact et de la matière d’œuvre dans une relation de spatialité : le lieu de l’activité où doit se réaliser l’action exercera, dans certains cas, des contraintes qui nécessiteront une adaptation du geste.
Approche techno-fonctionnelle Toute matière minérale peut être utilisée pour au moins deux de ses propriétés : sa masse et le ou les tranchant-s se présentant de façon naturelle, ou obtenu-s à la suite d’une fracturation naturelle. Ces deux propriétés peuvent être mises à profit pour transformer une matière d’œuvre selon une percussion posée ou une percussion lancée (Leroi-Gourhan A. 1943). Ces actions sont connues en primatologie. En effet, des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, des macaques de Thaïlande ou encore des capucins du Brésil, utilisent la masse de certaines pierres comme marteau pour casser des noix, des fruits, du bois. Mais aussi, quoique plus rarement chez les capucins (Cebus libidinosus), ils se servent de certaines pierres naturelles comme d’une houe (hoe) pour déterrer des racines et des arthropodes (Mannu M. et Ottoni E.-B. 2008). Ce dernier mode d’utilisation témoigne de façon indiscutable de l’usage de pierres pour « inciser », en l’occurrence la terre. Cependant, ce ne sont pas tant les propriétés incisantes d’un bord qui sont recherchées que la masse de la pierre utilisée pour pénétrer jusqu’à l’objet convoité. Si cette dernière utilisation est partagée par l’ensemble des primates, les primates non humains n’opèrent aucune transformation de l’artefact, seule une sélection est réalisée, à la différence des homininés qui vont, après sélection d’un objet possédant plus ou moins les caractères techniques requis, réaliser un second artefact. Ce nouvel artefact peut résulter de quatre schèmes opératoires de production et de confection : schème 1 : 45 sélection d’un support naturel présentant les caractéristiques volumétriques générales du futur outil et confection du tranchant ; schème 2 : sélection ou non d’un bloc, façonnage et confection du tranchant ; schème 3 : sélection ou non d’un bloc, débitage et confection du tranchant ; schème 4, mixte : sélection/façonnage partiel/confection ou débitage/façonnage partiel/confection. Ces différents schèmes vont se succéder dans le temps afin de répondre à la production de nouveaux outils pour effectuer des fonctions identiques ou différentes et à de nouvelles 45
Le schème de sélection présente différents degrés de complexité suivant les caractéristiques techniques recherchées pour le support du futur outil. En effet, sur une échelle évolutive des supports, il peut aussi bien représenter l’un des tous premiers stades qu’un stade de concrétude, comme nous le verrons par la suite dans les cas d’industries sur galets d’Asie.
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contraintes culturelles. Pour comprendre ces transformations, il faut nous placer dans le cadre d’une analyse structurelle de l’outil. Nous devons déterminer les intentions (critères) techniques requises et jugées nécessaires au bon fonctionnement de l’outil. Ces critères techno-fonctionnels peuvent être totalement obtenus dès le stade de production, ou être partiellement présents, nécessitant une étape de confection supplémentaire plus ou moins longue. D’où la nécessité de coupler, dans le cadre d’une analyse techno-fonctionnelle, le stade productionnel avec le stade de confection. Comme nous l’avons précédemment dit, un artefact ne se définit pas par ce qu’il est à un moment donné mais par ce qu’il est en devenir. C’est la détermination de la place qu’il occupe dans sa lignée qui nous permet réellement de le connaître. Il faut donc choisir des critères capables de rendre compte de l’artefact tel qu’il est, tel qu’il a été et, éventuellement, si nous ne sommes pas en fin de lignée, tel qu’il sera. Autrement dit : « il nous faut considérer l’objet technique lui même à la fois dans les relations internes qui le structurent et dans ses relations avec les formes antérieures de la lignée dans le prolongement de laquelle il s’inscrit » (Tinland F. 2006, p.23).
Relation structurelle interne des artefacts incisants Un artefact incisant46 peut se définir comme un objet matériel se décomposant en un minimum de deux unités techno-fonctionnelles : une partie préhensée et une partie transformative (Figure 11 ; Boëda E. 1991, 1997 ; Lepot M. 1993).
Figure 11 Décomposition structurelle d’un artefact incisant 46
Dans le cas de cette étude nous ne prendrons en compte que les artefacts incisants. L’incision peut être réalisée par un fil ou un trièdre. Le fil tranchant répond aux actions telles que couper, racler, tailler (percussion posée linéaire de Leroi-Gourhan), trancher (percussion lancée de Leroi-Gourhan). Le trièdre permet l’action de rainurer et de percer.
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On peut distinguer une troisième partie intermédiaire, qui bien que toujours présente jouera un rôle plus ou moins important selon le type de support utilisé47 et la ou les fonction-s correspondante-s. Il s’agit de la partie transmettrice de l’énergie48.
Processus d’individuation de la lignée des artefacts incisants Le commencement absolu : un objet naturellement incisant Les fragments de roches dures, par la spécificité due au matériau, ont un tranchant composé d’un angle de coupe, d’un fil et d’un plan de section, qui s’obtient indépendamment de tout schème raisonné49. En effet, la nature peut produire des tranchants efficaces résultants d’un choc thermique, d’une compression ou d’une fracturation. De fait, le fil tranchant est un caractère prédéterminé inhérent à la structure moléculaire de cette matière minérale. En revanche, il n’y a aucun caractère de prédétermination, quel qu’il soit, qui concerne la partie préhensée. Cette dernière peut avoir toutes les formes, les dimensions et les caractères techniques que le hasard est susceptible de produire. Si, à la suite d’une production naturelle, l’éclat possède au minimum une partie transformative tranchante, la partie préhensée potentielle aura, dans ce cas, des caractères techniques aléatoires. Cette prédétermination inhérente à la matière minérale est une cause intrinsèque, capable de donner naissance à des lignées d’outils. En d’autres termes, ces lignées d’outils tranchants ne sont pas apparues avec la nécessité de couper. C’est le tranchant qui permet à l’action de couper, d’exister. Cette contingence intérieure que possède la matière minérale n’exclut aucunement l’influence de facteurs extrinsèques - social, environnemental, voire cognitif, mais l’absence d’une multitude de solutions techniques à un moment donné est une preuve fondamentale de leur non toute puissance. Le faible nombre de solutions techniques apparues dans le monde est un témoin indéniable d’une nécessité interne technique, propre aux spécificités et contraintes de la matière minérale. Ainsi, le premier outil50 tranchant pourrait se définir sur un plan structurel comme une entité composée de deux sous-ensembles indépendants dont le premier : la partie transformative, présente spontanément les caractères opérationnels, et dont le second : la partie préhensée, peut prendre n’importe quelle forme (Figure 12).
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Selon le type d’enlèvement utilisé, lame ou éclat, le mode de maintien proximal (dans l’axe morphologique) ou latéral (perpendiculaire à l’axe morphologique), la profondeur et le type d’emmanchement, le geste et l’énergie transmis sur la partie transmettrice auront ou non une place déterminante dans la réussite de l’objectif. 48 Dans quelques cas, la partie transmettrice de l’énergie est la partie préhensée. Tel est le cas des outils en percussion posée avec percuteur (Leroi-Gourhan A. 1943). 49 Ce point est fondamental dans le cadre de l’évolution de l’Homme dans son rapport à la technique. Comme peut l’être la masse d’une simple pierre, l’angle tranchant se donne naturellement dans de nombreuses situations. On peut aller jusqu’à dire que l’acte d’invention du tranchant n’a pas existé ; si invention il y a, il s’agit du geste de percussion, faisant alors le lien avec l’objectif. 50 A partir du moment où il est sélectionné par l’Homme.
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Figure 12 La partie transformative possède a priori toujours un caractère tranchant quelle que soit sa variabilité. La partie préhensée est, quant à elle, totalement variable.
D’un point de vue préhistorique comment être certain que ce mode de production est le témoin d’une appropriation (récupération) anthropique ? En effet, nous sommes dans la pire des situations possibles car les caractères d’anthropisation éventuel sont extérieurs aux objets. Comment peut-on passer du statut d’objet à celui d’artefact ? La réponse repose sur une analyse croisée de données provenant de plusieurs champs de recherche : stratigraphique, processus taphonomiques (perturbations post-dépositionnelles), processus naturels susceptibles de produire des éolithes, analyse techno fonctionnelle du matériel, spatialisation etc. Il va s’en dire que ce genre de situation ne sera que très exceptionnellement établis. Il nous est donc pratiquement impossible de repérer le temps 0 de l’évolution des artefacts incisants. Nous prenons l’histoire en cours de route.
Structure anthropique abstraite ou additionnelle Le premier artefact incisant produit par un choc provoqué par l’Homme peut se décomposer structurellement de la même façon que ceux produits naturellement. Les deux sous-ensembles fonctionnels : partie transformative et préhensée sont de nature indépendante. L’entité artefact peut se concevoir comme l’addition de deux sous-ensembles fonctionnels indépendants. Indépendants, car les caractères techniques de la partie préhensée n’interfèrent en rien dans le caractère opérationnel du tranchant. De même, la partie transformative qu’est le tranchant n’a pas besoin de caractères spécifiques de la partie préhensée pour être opérationnelle. De fait, excepté le caractère incisant d’au moins un bord de l’enlèvement, obtenu systématiquement, le reste du volume, comme précédemment, peut recouvrir n’importe quels caractères se traduisant par n’importe quelle « forme » (Figure 13). 50
Figure 13 Caractère incisant normalisé dans sa production Caractères préhensifs aléatoires
Figure 14 Barbas I, Couche 7 – Dordogne, France Racloirs sur fragments gélifractés de silex du bergeracois, 51 présentant des caractéristiques volumétriques et techniques identiques .
Figure 15 Structure intégrée Les différents sous ensembles interagissent en synergie 51
Un sondage de 2 m2 à une dizaine de mètres de la fouille extensive du site de Barbas (Dordogne, France) a montré la présence d’une forte concentration de fragments gélifractés : plus de 400 objets sur 1 m2, sans y trouver la moindre trace d’artefact ; alors que dans la fouille principale, la zone qui a produit les artefacts présente moins de 5 pièces par m2, toutes taillées !
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Dans cette situation, chacune des deux entités peut évoluer indépendamment, sans remettre en cause leur non interférence. Le tranchant peut se normaliser à travers un ou plusieurs de ses critères - fil, longueur, angle de coupe, plan de section - par l’adoption de différents concepts de taille que nous verrons ultérieurement, sans pour autant être associé à une évolution de la partie préhensée. Celle-ci peut également faire l’objet d’une évolution. Au lieu, d’être aléatoire, comme précédemment évoqué, la partie préhensée peut faire l’objet d’une certaine prédétermination. Dans ce cas, nous pouvons distinguer deux comportements. Le premier consistera à sélectionner un objet présentant naturellement les critères techniques requis (Figure 14). Cette sélection correspond à un acte de prédétermination, bien qu’il ne soit pas suivi d’actes de transformation volumétrique - débitage ou façonnage. Le second correspond à un acte de transformation - débitage, façonnage, confection. Dans le cas d’un débitage, le-s caractère-s requis peuvent être présent-s sur la surface de débitage d’un nucléus. C’est le cas lorsque l’on recherche la présence d’un dos.
Structure anthropique concrète ou intégrée Suite à de nouvelles exigences fonctionnelles, qui seront autant de contraintes inédites auxquelles le système technique devra répondre en s‘adaptant, se modifiant ou disparaissant, les différentes parties structurelles vont aller vers une synergie de plus en plus importante, les rendant ainsi dépendantes. Si les différentes parties fonctionnelles étaient d’abord juxtaposées, elles vont rentrer en relation entre elles, se fondant les unes dans les autres. Au fil du temps la mise en synergie des éléments structurants amène l’objet à une plus grande complémentarité structurelle et fonctionnelle. (Figure 15). La concrétisation se fait synergie par synergie, telle une intégration (organisation) des sous ensembles fonctionnels dans le fonctionnement total. Cette évolution structurelle va s’observer à travers le temps long. Mais qu’en est-il des causes ? Le phénomène de concrétisation est le témoin d’une adaptation structurelle possible en réponse à de nouvelles contraintes individuelles et sociétales.
Modalités d’évolution structurelle : confection, débitage, façonnage L’obtention de telles ou telles nouvelles structures concrètes est directement dépendante d’un stade de confection et/ou des modes de production : façonnage, débitage. La confection permet une restructuration de l’artefact. Il s’agit alors de mettre en place les éléments structurels manquants sur l’artefact. L’étendue de la confection dépend de l’écart entre le nombre de critères techniques présents naturellement sur l’artefact et ce qui est nécessaire pour aboutir à un outil. Les modes de production - façonnage ou débitage - produisent un artefact qui peut être immédiatement fonctionnel – selon les critères jugés nécessaires et suffisants par les utilisateurs – ou nécessiter un stade de confection secondaire. Dans le cas du débitage, pour 52
lequel l‘observation est plus aisée, on constate une certaine adéquation entre l’évolution structurelle fonctionnelle des artefacts et l’évolution des structures de production. Toutefois, toute nouvelle structure d’artefact n’est pas synonyme d’une nouvelle structure de production. En effet, selon la capacité structurelle du mode de débitage – structure du nucléus - celui-ci sera ou non capable de répondre à de nouvelles contraintes. Par exemple, la perduration dans le temps et la généralisation dans l’espace du débitage Levallois peuvent s’expliquer par sa capacité à diversifier qualitativement et quantitativement sa production. Cette diversification potentielle est productrice d’altérité donc de différenciation d’un groupe à l’autre tout en ayant la même capacité opératoire. Inversement, la disparition du bifacial et sa substitution par le Levallois, de même que la disparition de ce dernier au profit du laminaire, témoignent de nouvelles exigences techniques incapables d’être satisfaites par le maintien des structures de façonnage ou de débitage présentes. Du fait, ces deux modalités d’évolution structurelle permettent de dissocier deux tempos : celui des modes de production et celui des outils.
Le tempo de la production D’un point de vue structurel, le tempo des changements de mode de production est dépendant du potentiel de réponses possibles de chacun d’entre eux. A ce stade de l’analyse et pour mieux comprendre les facteurs de ces changements de structure d’outils, nous devons opposer les deux grands modes de production définis : façonnage et débitage. Utilisant une parabole, nous pourrions dire qu’au commencement52 était le débitage53, le façonnage n’arrivant que bien plus tard, pour de nouveau être supplanté par le débitage. Cette vision est évidemment à nuancer selon les continents et certaines régions54.
Passage du tout éclat au tout façonnage Intéressons-nous au passage du tout éclat au tout façonnage. Sur le plan structurel, qu’apporte le façonnage aux outils ? Pour mieux comprendre, nous distinguons trois temps55 : temps 1 : le tout éclat ; temps 2 : le presque tout éclat avec un peu de façonnage ; temps 3 : le façonnage dominant ou exclusif. Ce découpage évoque, à première vue, une évolution progressive et linéaire des systèmes techniques. En fait, il n’en est rien. Le statut techno-fonctionnel des pièces façonnées des temps 2 et 3 n’étant pas le même, l’un n’est pas le précurseur de l’autre. Pour 52
De ce que nous sommes capables de percevoir. En Afrique de l’Est il y a au moins 2,7 Ma. 54 L’Asie de l’Est présente une évolution complètement différente que nous ne présenterons que partiellement. 55 Ce découpage est artificiel. Il ne représente qu’une tendance, qui semble observable en périphérie du bassin méditerranéen. 53
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éclairer ce point, nous devons considérer l’ensemble du système technique en présence et ne pas nous adonner à une étude focalisée sur un type d’objet au détriment de tout le reste. Tout objet ne prend son sens que parmi les siens. Il faut prendre en compte le système technique dans son ensemble, ce que Simondon nomme le milieu associé (1958). La focalisation sur une catégorie d’objets a pour résultat de l’extraire de son contexte, de lui donner un statut d’équivalence arbitraire d’une industrie à l’autre et, par conséquent, de regrouper sous un même vocable des ensembles qui n’ont rien à voir entre eux. Une telle situation est visible lorsque l’on tente, par exemple, de définir l’Oldowayen. Au regard des décomptes typologiques proposés, ces industries se caractérisent par la production d’éclats majoritairement réalisés aux dépens de phases de débitage ; les objets façonnés, comme les chopper ou chopping tool, varient d’un site à l’autre de 5% à 20% de l’outillage. Malgré ces chiffres, l’image la plus souvent donnée de l’Oldowayen est celle d’une « culture homogène » du chopper ou du chopping tool56. Pourquoi isoler un objet plus qu’un autre et le mettre en exergue ? Ce détournement est dû à nos méthodes d’approches essentiellement naturalistes. J’oserais même dire essentiellement morphologiques. De sorte que, nous ne mettons en exergue que ce que nous sommes capables de voir57. Dans de telles industries, la diversité des éclats est telle qu’une analyse morphologique ne permet pas de discerner la moindre répétition techno-fonctionnelle. Il existe également une dimension anthropologique à cette « sélection ». En effet, chopper et chopping tool sont souvent associés à des étapes cognitives. Comment, dans ce cas, peut-on avoir une vision correcte d’industries aussi anciennes ? En revanche, cette déviance d’analyse est intéressante à considérer car elle traduit, involontairement, une réalité qu’un changement de perception met en lumière. Si ces objets se donnent mieux à voir, c’est qu’ils possèdent un niveau structurel plus organisé que les seuls éclats qui, par leur diversité, témoignent d’une structure abstraite primaire.
Changement de perspective : de la morphologie à la structure, de l’objet à l’ensemble Le chopper et le chopping tool dans le cas de l’Oldowayen, plus tard le biface dans l’Acheuléen du pourtour méditerranéen, doivent en réalité se lire comme la recherche d’un volume particulier et/ou d’une masse différente des éclats produits majoritairement ; volume et masse permettant l’aménagement d’une ou de plusieurs parties transformatives et d’une partie préhensée spécifique. Ainsi, ils ne prennent leur sens que dans l’ensemble technique 56
Alors que ces différences auraient pu être interprétées comme des caractères distinctifs attribuables à des traditions techniques et culturelles différentes, le choix d’une explication uniquement comportementale, liée à des activités différentes ou matières premières, est privilégié (Isaac G.-L.-L. 1976). 57 Au point que nous sommes en droit de nous demander, si certaines de ces industries auraient été reconnues comme « humaines » et anciennes, s’il n’y avait pas eu la découverte de vestiges humains (non associés) pour ces périodes, en des lieux identiques. De fait, la reconnaissance du caractère anthropique d’industries très anciennes n’est validée que lorsqu’il y a association industries/ossements humains. Comme si la preuve du caractère anthropique d’un artefact lui était extérieure. Imaginons un médecin attendant la mort de son malade pour avoir la certitude que la maladie dont il était atteint était bien mortelle !
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auquel ils appartiennent. Ils ne sont donc pas « pensables » en dehors du contexte au sein duquel ils prennent leur signification d’artefact58 et 59. Lorsque nous abordons le temps 3, où le façonnage domine60, l’analyse de l’ensemble du système technique éclaire différemment le rôle de l’objet façonné. Celui-ci peut rester chopper/chopping tool61 (tranchant linéaire) comme certaines industries africaines ou 58
Les conséquences sont parfaitement illustrées par les débats concernant certains de ces outils. En effet, ne voiton pas de plus en plus utiliser le terme de chopper/core. De deux choses l’une, soit cet objet a une double fonctionnalité, soit il est désindividualisé. En le mettant en exergue, nous le désingularisons de son milieu associé, commettant une erreur méthodologique. Mais cette erreur est avant tout le reflet de notre façon de percevoir le monde technique : comme un élément extérieur à nous, en-dehors de notre culture. 59 Bien que cela ne concerne pas directement notre propos, cette absence de prise en compte de l’ensemble des éléments constitutifs d’une industrie et le fait de mettre en exergue un type particulier de pièces au détriment des autres, a pour conséquence de créer de véritables « civilisations » planétaires, dont le moteur est l’avènement d’un nouvel « hominidé ». Tel est le cas de l’Acheuléen et de l’Homo erectus. L’exemple le plus intéressant concerne les découvertes récentes en Chine et en Corée, où l’on voit une extension de la « civilisation » acheuléenne africaine, qui serait sortie d’Afrique. Or, si nous comparons simplement le pourcentage de pièces bifaciales « acheuléennes » entre l’Asie de l’Ouest (Proche-Orient) et l’Asie de l’Est, nous trouvons des taux de l’ordre de 70 à 95% de pièces bifaciales par ensemble pour l’Asie de l’Ouest et moins de 5% pour l’Asie de l’Est (Chine et Corée comprise). Cela ne peut signifier qu’une seule chose : que le statut de la pièce bifaciale parmi l’ensemble des outils n’est pas le même. Si nous prolongeons la comparaison avec les 5% de types de pièces bifaciales des sites d’Asie de l’Est, on ne peut que constater des différences évidentes. Ce ne sont pas les mêmes outils. Ils n’ont en commun que d’être taillés sur les deux faces. Si, enfin, nous comparons les 95% d’objets non bifaciaux, on observe la même dissemblance d’un site à l’autre et d’une région à l’autre de la Chine. Dans la région autonome du Guangxi (Bassin de Bose), plus de 60% des outils bifaciaux sont des unifaces supportant de nombreux tranchants différents, alors que dans les provinces du Shaanxi (Lantian, Liangshan) et du Shanxi (Ditsun) les outils sont produits sur des éclats ou des galets (Bodin E. communication personnelle), ce qui est différent des industries de Bose. La Corée présente autant de variabilité dans la composition des industries à pièces bifaciales. Dans le cadre de cette comparaison continentale Ouest/Est de l’Asie, nous pourrions aussi évoquer l’Inde qui, avec ses hachereaux, fait figure d’exception sur le continent asiatique. Nous pourrions également évoquer les datations, les stades techniques présents, les lignées évolutives, etc. qui sont autant de données qui rendent impossible tout universalisme de « l’Acheuléen ». Et pourtant ! Il faut dissocier une fois pour toute la notion d’Acheuléen de celle du biface : il n’y a pas d’Acheuléen sans bifaces, en revanche, il existe des bifaces dans d’autres cultures que l’Acheuléen. Prenons le cas extrême des sites de Telarmachay au Pérou (Lavallée D. et al. 1985) et celui de Catalan-Chico : Paso Mendionda en Uruguay (Taddei A. 1987) où sont décrits de véritables bifaces qui, dans d’autres contextes et d’autres circonstances, auraient été identifiés l’un en tant qu’Acheuléen évolué, l’autre en tant qu’Acheuléen archaïque. Mais le reste du matériel, composé d’outils dont la mémoire épiphylogénétique nous est connue, nous empêche de le faire. En fait, deux problèmes coexistent : le premier, bien connu, consiste à ne prendre en compte que les données qui pourraient confirmer les paradigmes dominants, le second se rapporte à notre approche strictement morphologique qui ne peut repérer que ce qui se répète, avec pour corollaire l’absence d’une réelle réflexion technologique. 60 Dans le cas du bifacial, selon les régions – Asie de l’Ouest, Afrique ou l’Europe de l’Ouest - le taux de pièces façonnées oscille entre 20 et 95% de l’outillage. Dans le cas d’industries à chopper ou chopping tool le taux oscille autour de 40%, comme à Longgupo (Chine). 61 Dans le cas présent, nous préférons utiliser le terme de matrice à biseau simple ou double, car les mots chopper, chopping tool ou galet aménagé ne rendent pas compte de l’intention techno-fonctionnelle. Dans le cas de Longgupo (Chine) l’étude technologique a montré que les hommes ont avant tout recherché deux types de matrices : biseau simple (chopper) et biseau double (chopping tool), réalisés, du fait de la spécificité du matériau disponible, sur des galets, des hémi-galets ou des éclats présentant en commun l’ensemble des caractères techniques volumétriques recherchés. Si nous avions dû réserver le terme de chopper ou chopping tool aux seuls
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asiatiques, ou se donner à voir sous une autre silhouette que la convergence de deux bords, connue dans certaines industries africaines et proche-orientales sous le nom de biface. Dans ces deux cas, galet aménagé ou biface, la pièce façonnée se substitue à l’éclat comme support unique et devient une matrice requérant en sa structure de nouvelles exigences techniques, non pourvues par l’éclat. Le terme de matrice ne signifie pas que nous ayons déjà affaire à des structures concrètes. Au contraire, nous allons observer un cycle d’évolution complet de l’abstrait vers le concret62 dans la plupart des industries à pièces bifaciales des continents africain, européen et de l’Asie de l’Ouest. Une matrice est porteuse de nouvelles exigences qui se traduisent par une mise en volume que le façonnage permet de produire. Cela veut-il dire que le débitage ne permettrait pas d’obtenir ce type de volume et de forme ? Non, il suffit de produire des éclats de volume identique et de confectionner les bords. Mais les modes de production du temps 2 ne correspondent pas au stade d’évolution nécessaire pour produire des éclats au plus près du volume recherché. Ainsi, plutôt que d’observer cette solution des modes de production, on voit le façonnage se substituer au débitage. Cette solution technique a été adoptée pour produire des supports au plus près des futurs volumes d’outils, limitant la confection au rôle de simple aménagement des tranchants. Nous pensons que le façonnage a été une solution efficace pour permettre de résoudre deux problèmes : obtenir une structure volumétrique reproductible à l’identique et faire évoluer les trois parties constitutives de tout artefact : transformative, préhensée et réceptrice de l’énergie. Faut-il un élément déclenchant ? Nous avons maintes fois dit qu’un outil n’est outil qu’en action mais nous n’insistons que très rarement sur le rôle de cette notion d’énergie dans l’évolution des techniques. Dans le cas présent, pourquoi n’introduirions nous pas cette notion comme un facteur de dynamique structurelle ? L’énergie et le geste qui en découle interviendraient dans le processus d’invention. Le passage du tout éclat - temps 1 et 2, au tout ou majoritairement façonnage temps 3, serait une question d’aménagement et de contrôle de l’énergie manuelle et donc de la gestuelle. Pour étayer cette hypothèse, si nous comparons les actions à travers le temps, depuis leurs origines jusqu’à nos jours, nous constatons qu’il existe toujours les mêmes actions de couper, trancher, tailler, percer, gratter, racler. Alors, qu’est-ce qui change ? Peutêtre est-ce la capacité structurelle des artefacts à s’adapter au mieux à l’énergie qu’elle reçoit afin d’explorer de nouvelles actions et de nouveaux gestes ? Les artefacts façonnés deviennent les nouveaux supports d’outils, quant aux outils sur éclats, lorsqu’ils existent encore, ils ont aussi un nouveau statut techno-fonctionnel. Il serait très intéressant de voir alors le niveau structurel de ces nouveaux éclats et outils. Mais, hélas, aucune analyse technologique n’a encore été effectuée sur ce thème. outils faits sur des galets, nous aurions écartés plus de la moitié de matrices pourtant identiques à celles réalisées sur galets. De même, si nous avions utilisé le terme de « galet aménagé », nous aurions éliminé plus d’un tiers de matrices de volumes identiques mais réalisées aux dépens de supports différents. 62 La présence, dans chacune de ces trois grandes régions, de la totalité du cycle bifacial apparaît comme un phénomène de convergence et non le fait de migrations africaines successives, important et imposant aux autochtones, quels qu’ils soient, leur culture technique. On imagine mal des scénarios catastrophes successifs de ce type. En revanche, l’Asie de l’Est a été le lieu d’une évolution technique radicalement différente durant tout le Pléistocène.
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Quant aux pièces façonnées, nous allons observer tout un cycle d’évolution structurelle que les premiers préhistoriens avaient déjà signifié en utilisant les termes de pièces archaïques et évoluées. Ce cycle d’évolution structurelle est-il le témoin d’une nouvelle énergie, d’une nouvelle gestuelle ? Nous ne le pensons pas. Il s’agit d’une évolution structurelle classique où nous voyons s’opérer une intégration des différents sous-ensembles, amenant à un objet dont les fonctions des différentes parties sont intégrées au fonctionnement d’un ensemble. Pour mieux comprendre le rôle des pièces façonnées dans un ensemble lithique, nous devons retenir trois degrés d’analyse. Le premier degré est celui de l’analyse de l’ensemble technique. Comme nous l’avons déjà dit, l’objet ne prend sens que parmi les siens. Il est un élément constitutif et constituant du milieu extérieur. Ainsi, deux situations sont possibles : la pièce bifaciale est un support prédéterminé pour supporter un outil spécifique dans un monde d’éclats, nécessitant, à la différence de ces derniers, un mode productionnel spécifique, en l’occurrence le façonnage. Les modes productionnels à éclats associés et dominants peuvent être variés, tout en étant plus ou moins fortement prédéterminés63 ; la pièce bifaciale est le support-matrice prédéterminé-e capable d’intégrer un ou plusieurs outils identiques ou différents (Figure 16). Dans ce cas, la pièce bifaciale est quantitativement majoritaire. Les éclats associés sont soit issus d’un mode de production faiblement prédéterminé, où seule la partie transformative est techniquement investie, soit issus d’un mode de production plus prédéterminé ; voire, dans certaines industries, totalement absents. Le deuxième degré d’analyse est celui qui traite de la place qu’occupe le niveau structurel dans son cycle évolutif, sa lignée. La détermination de son stade évolutif dans sa lignée relève du même principe d’étude que ce que nous avons déjà proposé : celui de s’appuyer sur le degré d’intégration des trois parties fonctionnelles d’un outil – transformative, transmettrice et préhensée. Les stades additionnels témoignent d’une indépendance productionnelle entre la partie transformative et préhensée, comme pour les outils sur éclats (Figures 17 et 20). Chacune de ces parties peut évoluer de façon indépendante sans interférer dans le fonctionnement de l’autre. En revanche, le stade intégré d’une pièce façonnée relève d’une conception globalisante de l’objet (Figures 16, 18 et 19). Cette conception se traduit par des volumes plus « standardisés ». Cette standardisation rend compte du lien technique entre chacune des parties, ce qui ne laisse pas une grande marge de manœuvre en termes de variabilité structurelle. Ces pièces, autrefois remarquées, définissaient l’Acheuléen moyen et supérieur évolué. Comme tout stade technique terminal, cela signifie l’aboutissement d’une lignée, la fin du cycle de façonnage. Le troisième et dernier degré d’analyse porte sur la fonction, la fonctionnalité : monooutil ou pluri-outil, des pièces bifaciales et sur le-s type-s d’outil-s qu’elles supportent. 63
C’est le cas des industries dites de l’Acheuléen supérieur européen - certains auteurs ont d’ailleurs préconisé d’utiliser le terme d’Epi-Acheuléen pour désigner cette industrie (Tuffreau A. 1979), ou du Moustérien de tradition acheuléenne.
57
Globalement, toute structure bifaciale s’organise suivant la convergence de deux bords, donnant une silhouette pseudo symétrique en plan frontal. Mais, comme le montrent un grand nombre d’analyses techno-fonctionnelles, l’utilisation de la silhouette est asymétrique, comme dans le cas de ce que nous avons nommé pointe/bord, laissant l’un des bords libre de toute fonctionnalisation éventuelle (Figures 3, 17 et 18). Cette mono- ou pluri- fonctionnalité est a priori indépendante du stade évolutif64. C’est ainsi que nous pouvons trouver des mono-outils ou des pluri-outils de structure abstraite (Figures 17 et 20) ou concrète (Figures 17 et 18), de même que des structures concrètes peuvent être le support d’un seul (Figure 18) ou de plusieurs outils (Figures 3, 16 et 19). Qui peut le plus, peut le moins.
Figure 16 Industrie acheuléenne d’Umm el Tlel – Syrie Une même silhouette, dite cordiforme, sert de matrice pour l’aménagement d’une combinaison d’outils différents. Seule l’analyse techno-fonctionnelle est capable de révéler ces intentions techniques différentes.
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Cf. l’étude technologique du plus ancien site Acheuléen de Kokiselei 4 (Roche H. et al. 2003).
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Figure 17 El Meirah - Syrie Structure abstraite Mono-outil, construction techniquement et fonctionnellement symétrique sur pièce bifaciale.
. Figure 18 Barbas C’3 – Dordogne, France Structure concrète Construction fonctionnelle asymétrique : mono-outil sur pièce bifaciale. Fonctionnalisation asymétrique : Outil pointe/bord avec un tranchant plan/plan et plan/concave.
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Figure 19 Barbas C’3 – Dordogne, France Structure concrète Construction fonctionnelle asymétrique, pluri-outils sur pièce bifaciale : bord A - tranchant plan/convexe et délinéation convexe ; bord B - pointe/bord avec un tranchant plan/plan.
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Figure 20 El Meirah - Syrie Structure abstraite Construction fonctionnelle asymétrique : pluri-outils sur pièce bifaciale.
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Tempo du phénomène bifacial Deux observations conditionnent toute étude préalable. La première c’est qu’il existe plusieurs temps d’apparition du phénomène bifacial. La seconde c’est que le tempo de chaque cycle évolutif n’est pas identique d’un cycle à l’autre. Le phénomène de façonnage, en particulier le phénomène bifacial, apparaît sous sa forme abstraite en des temps très éloignés et différents : 1,7 Ma en Afrique, 1,2 Ma au Proche-Orient et 0,7 Ma en Europe65. Or, à chaque fois, dans ces trois régions du monde, lorsqu’il apparaît, il se présente systématiquement sous sa forme abstraite. Que ces réapparitions se fassent sous leur forme première « abstraite » ne signifie-t-il pas que nous ayons indéniablement affaire à des phénomènes de convergences et non pas à un phénomène technique « migratoire » appelé « mode 2 », comme nous le lisons parfois ? Le « Mode 2 » indiquerait une sortie d’Afrique de populations d’Homo Erectus - ou Homo Ergaster, conquérant le monde. Si tel était le cas, au regard du décalage chronologique des premières traces du phénomène bifacial observées en Europe, vers 500/600 000 ans - stade isotopique 16, soit plus d’un million d’années plus tard qu’en Afrique, ne devrions-nous pas le retrouver dans ses formes évoluées. Or, ne dit-on pas que la technique de taille des bifaces de l’Acheuléen ancien66 de l’Europe de l’Ouest « reste primitive (percuteur dur le plus souvent), les formes étant encore mal définies en général » (Bordes F. 1984, T.II, p.15). Malgré cela, la perception migratrice de l’évolution, bien que surprenante par son manque d’argumentation scientifique, continue à être colportée de livre en livre, d’articles scientifiques en articles scientifiques dans des revues prestigieuses67. Cela est d’autant plus surprenant, qu’à notre avis, si la forme bifaciale nouvellement présente correspond à un stade évolué de la lignée, sans que l’ensemble des étapes antérieures ne soit présent, depuis la forme abstraite première, alors nous pouvons parler d’emprunt par contact ou de migration des hommes et/ou des idées. Si une population d'un niveau technique X part d'un point A vers un point B, nous devrions tout au moins retrouver un niveau technique X dans le point B et non un niveau technique antérieur U, V ou W. Par ailleurs, on peut observer un arrêt de l’évolution des pièces bifaciales, comme c’est le cas dans toute l’Asie de l’Est et très certainement dans la partie orientale de l’Inde, où l’on observe une non évolution du bifacial vers les formes concrètes, telles que nous les connaissons en Afrique et dans tout le Proche-Orient. Ce phénomène, loin d’être un épiphénomène, se concrétise sur tout un continent. Qu’elles en sont les explications ? L’analyse du tempo des cycles d’évolution de l’abstrait au concret est lui même à différencier d’un continent à l’autre. S’il est le même en Afrique et au Proche-Orient68, s’étalant sur plus d’un million et demi d’années. En revanche, il est beaucoup plus rapide en Europe de l’Ouest, couvrant à peine quelques centaines de millénaires, voire moins. Bien que 65
Nous aurions pu tout aussi bien y mettre l’Inde, la Chine et la Corée. L’utilisation fréquente du terme d’ « abbevillien » pour désigner une pièce jugée techniquement archaïque provient des bifaces trouvés dans la carrière Carpentier à Abbeville. 67 Cette « vision » est acceptée sans aucune réserve, sans la moindre interrogation sur la portée exceptionnelle d’une diffusion technique sans modification sur un temps si long et un espace si grand ! 68 Très certainement plus court de quelques dizaines de millénaires, mais cela reste difficile à démontrer du fait du peu de documents et de l’incertitude de nombreuses dates. 66
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nous ne disposions pas de dates très précises, deux constatations peuvent être faites. En premier lieu, dans le cadre de l’Europe, le cycle est très rapide : moins de 300 000 ans, et semble relativement régulier. Nous n’observons pas de stase ni de déséquilibre dans le déroulement de ce cycle69. En revanche, au Proche-Orient, il semblerait que les phases concrètes soient relativement précoces et perdurent longtemps. Les données africaines sont trop dispersées pour pouvoir être ainsi généralisées. Il est évident que seules des études plus avant pourront mettre en évidence des cyclicités spécifiques d’une région à l’autre. Ce qui a priori serait logique, car la réalisation est le fait de sociétés. Cependant, si nous élargissons notre approche aux systèmes techniques non bifaciaux mais néanmoins contemporains, nous observons de nouveau une différence entre l’Europe de l’Ouest et le Proche-Orient. Comme le montre S. Soriano (2005) dans une étude sur les systèmes techniques de l’Europe de l’Ouest, entre les stades isotopiques 10/9 à 5 (Figure 21) le système bifacial n’est pas le seul système technique en présence. Les systèmes techniques « contemporains » sont nombreux, témoins d’une altérité technico-culturelle bien plus importante qu’on ne le dit et l’écrit. Alors qu’au Proche-Orient et sur la côte levantine, une rupture plus nette existe entre les industries bifaciales dites acheuléennes et celles essentiellement sur éclat ou sur lame qui leur succéderont. Il semble, en effet, que la période bifaciale, durant plus de 500 000 ans ait été exclusive.
Tempo du phénomène post-bifacial : du presque tout débitage au tout débitage Pour le débitage, comme pour le façonnage, nous pouvons discerner plusieurs temps : temps 4 : le presque tout éclat (dans le sens générique du terme) et un peu de façonnage ; temps 5 : le tout éclat (dans le sens générique du terme). Avec le temps 4, le façonnage change de statut et se retrouve dans la même situation qu’avant sa position dominante. Minoritaire, il est utilisé pour la réalisation d’outils particuliers que le ou les système-s dominant-s de débitage ne permettraient pas de produire. C’est le cas des industries dites acheuléennes supérieures en Europe de l’Ouest ou du Yabroudien au Proche-Orient. Dans les deux cas, le matériel bifacial représente moins de 5% de l’outillage, soit moins de deux ou trois pièces. En soi, ce cas de figure est un épiphénomène classique, qui dans d’autres circonstances, n’aurait pas été évoqué car l’objet serait moins remarquable, moins « phantasmatique », comme peut l’être le biface. Or, ce qui est important, c’est le système de production d’éclats qui lui est associé. Car redevenu dominant, et plus tard exclusif – c’est le temps 5, il témoigne d’un changement radical dans la conception support/matrice d’outil-s. C’est le retour au tout éclat ! 69
Cette observation n’est réellement possible que dans le nord-ouest de l’Europe et en Italie où les documents sont les mieux conservés.
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Figure 21 Sur ce schéma, on distingue clairement l’extrême diversité des systèmes techniques en présence. Le phénomène bifacial concerne à peine la moitié des cas, et encore n’est-il pas homogène puisqu’il existe des disparités de pourcentage. (Soriano S. 2005)
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Mais pas n’importe quel débitage d’éclats (au sens générique), puisqu’en Europe de l’Ouest il s’agit du débitage Levallois, qui se généralisera en périphérie de l’aire méditerranéenne et dans toute l’Afrique (Figure 22). Globalement le débitage Levallois est un système technique de production capable de produire des enlèvements – dits Levallois, au plus près de la forme des outils recherchés, un stade de confection supplémentaire pouvant s’avérer nécessaire pour l’ajustement des parties transformatives, mais rarement pour changer de silhouette. Au Proche-Orient, c’est une toute autre solution technique qui fut inventée. Les caractères techniques des outils recherchés sont obtenus à la suite d’un stade de confection qui sera d’autant plus important que ces mêmes caractères techniques seraient manquants sur le support – éclat (sens générique) - utilisé (Figure 22). En d’autres termes, la confection est une étape importante dans la construction volumétrique de l’outil et de la fonctionnalisation des bords incisants.
Figure 22 Dans le cas des industries post bifaciales du Proche-Orient, c’est la confection qui domine. Alors que dans le cas du Levallois, les supports sont fortement prédéterminés et la confection est cantonnée à un rôle fonctionnel.
Cette solution technique est présente dans trois industries successives mises au jour dans un des sites majeurs du Proche-Orient : Umm el Tlel. Ces industries sont dénommées, de la plus ancienne à la plus récente : Umm el Tlélien, Yabroudien et Hummalien (Boëda E. 2009). C’est après l’Hummalien que nous verrons apparaître le débitage Levallois70. 70
Le débitage Levallois, associé à des pièces bifaciales, était déjà apparu au Proche-Orient avant cette nouvelle phase. Les sites attestant de ce phénomène étant rares et souvent non datés, nous obligent à être prudent quant à leur place chronologique. Néanmoins, les objectifs de ce premier débitage Levallois n’ont rien à voir avec celui qui va être utilisé après la phase hummalienne. Alors qu’il s’agit, en premier, d’une production essentiellement d’éclats et d’éclats laminaires, le débitage Levallois post-hummalien produit des éclats essentiellement laminaires et triangulaires. Ces deux phénomènes Levallois sont indépendants l’un de l’autre et séparés par les cultures yabroudiennes et hummaliennes. Lorsque le débitage Levallois fait sa réapparition, on observe que cette nouvelle industrie reproduit les mêmes outils que ceux de l’Hummalien si ce n’est que la phase de retouche est nettement moins importante car les supports sont au plus près de la future forme de l’outil. Il existe, dans ce cas, une sorte de continuité fonctionnelle et non technique, phénomène particulièrement observable dans le site
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Plusieurs questions s’imposent. Pourquoi un retour aux éclats, qui implique l’abandon du tout bifacial ? Pourquoi le débitage Levallois ? Pourquoi existe-t-il différentes options techniques ? Quels sens donner à ces différences ? Pour répondre à la première question, nous devons revenir aux énergies et poursuivre notre raisonnement. Nous avions émis l’hypothèse que le façonnage, par sa capacité à produire toutes sortes de formes et de volumes, était l’une des façons d’optimiser l’énergie manuelle sur un volume bifacial « universel ». Alors pourquoi en revenir aux éclats, aussi prédéterminés soient-ils ? S’agirait-il encore d’un problème d’énergie ! Intéressons-nous au mode de transfert de l’énergie sur la partie de l’outil en silex. Ce mode est-il toujours direct ou devient-il indirect ? Ne serions-nous pas face aux premières notions d’emmanchement systématique ? Quel que soit le système technique adopté, les transferts d’énergie directe et indirecte aboutissent tous deux à des outils normés, dont les parties préhensées sont aussi investies que les parties transformatives. La seule notion d’emmanchement ne suffit pas pour expliquer cet investissement. En effet, rappelons que, bien que le caractère prédéterminé des premiers outils porte sur le seul tranchant, ils ont pu être emmanchés malgré la diversité de leur partie préhensée. En réalité, nous devons distinguer deux façons de considérer le rapport de la partie préhensée de l’outil avec la partie préhensée du porte artefact (Figure 23). Soit c’est l’artefact qui s’adapte à la partie préhensée du porte artefact, soit c’est l’inverse, c’est la partie préhensée du porte artefact qui s’adapte à la partie préhensée de l’artefact. Selon cette distinction, on comprend que si la partie préhensée de l’artefact doit s’adapter, il n’existe que deux possibilités. La première consiste à utiliser un stade de confection pour aménager cette partie. C’est le cas, par exemple, des artefacts des industries Umm el Tleliennes, Yabroudiennes et Hummaliennes, mais aussi d’autres industries provenant d’autres continents71. La seconde possibilité consiste à produire un éclat dont les caractères morphotechniques de la partie préhensée sont toujours identiques. Cette normalisation est rendue possible du fait de la spécificité du débitage Levallois. Le débitage systématique de lames est aussi une normalisation potentielle de la partie préhensée, mais le débitage Levallois possède une spécificité propre qui en fait un stade d’évolution ultime dans la lignée des modes de production d’éclats aux caractères techniques variés : il est le stade ultime concret de sa lignée. Alors que la production laminaire est une lignée à part entière, qui ne produit qu’un techno-type : la lame. Aussi observerons-nous tout au long de la lignée laminaire des modes de production successifs amenant à une normalisation de plus en spécifique du produit lame. L’Hummalien, cas qui nous intéresse ici, se situe dans les toutes premières étapes de la lignée de production laminaire. Raison pour laquelle le stade de confection aura un rôle très important ; nous y reviendrons ultérieurement.
d’Umm el Tlel - Syrie. Par la suite, le débitage Levallois va continuer à dominer, mais la panoplie de supports d’outils va changer, devenant essentiellement triangulaires ou convergents. 71 Les « limaces » de la culture d’Itaparica au Brésil sont caractéristiques de cette possibilité. (Fogaça E. et Lourdeau A. 2008 ; Lourdeau A. 2010)
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Figure 23 Terminologie appliquée aux différentes parties d’un outil Celui-ci se décompose en deux parties : l’artefact minéral et l’artefact non minéral encore appelé porte-artefact (techniquement, cependant, c’est aussi une production humaine donc un artefact).
L’option du Levallois « circum méditerranéen» La production Levallois a, entre autres, pour particularité de ne pouvoir produire que des séries d’enlèvements différenciés, regroupés dans des catégories synthétiques nommées : quadrangulaires, ovalaires, triangulaires, laminaires, laminaires convergentes, etc. dont la partie préhensée, quelle que soit cette diversité, variera très peu. Le débitage Levallois intègre dans ses caractères de prédétermination, dès le stade de la production une partie préhensée normalisée (deux ou trois techno-types) et une partie transformative modulable dont les caractères techniques sont au plus près de ceux considérés comme nécessaires pour mener à bien l’action désirée. Ces deux parties sont en synergie complète, c’est l’essence même de la concrétisation. Les différentes fonctions en charge des différentes parties sont intégrées au fonctionnement d’ensemble. L’utilisation du bitume naturel, comme c’est le cas en Syrie à Umm el Tlel, rend aisée la perception de cette spécificité Levallois (Figure 24 ; Boëda E. et al., 1996, 2008a, 2008b ; Bonilauri S. 2010). Comme souvent en préhistoire, l’empirisme prévaut sur l’analytique. Malgré les conditions taphonomiques exceptionnelles du site d’Umm el Tlel, la découverte des manches et manchons est rare. Cette rareté est devenue épiphénomène puis synonyme d’absence. 67
Figure 24 Umm el Tlel – Syrie, couche VI 3, 75 000 ans Eclat, lame et pointe Levallois emmanchés avec du bitume, encore présent, utilisé comme colle ou comme manchon.
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Cela revient à nous interroger encore une fois sur notre propre perception de la réalité technique. Aujourd’hui, cette réalité a disparu72. Mais doit on « l’a-voir » pour envisager son existence ? Nous touchons au problème de la contemporanéité du travail et de l’utilisation d’autres matières premières utilisables le végétal et l’animal en tant que matières premières utilisables. Comment penser l’invisible ? L’analyse techno-fonctionnelle des objets lithiques replacée dans le cadre d’une approche techno-génétique permet de penser le milieu associé (dans le sens simondonien) et donc le non visible. Ainsi, au lieu de faire appel à un stade d’évolution cognitive pour expliquer , par exemple, que la première notion d’emmanchement apparaît avec le débitage laminaire dans le cas du tout laminaire du Paléolithique supérieur européen, l’analyse techno-fonctionnelle que nous proposons rend à l’invisible sa part de matérialité, donc son existence, mais donne aussi une explication à sa nécessaire existence. L’éclat Levallois est l’expression d’une recombinaison des différentes parties fonctionnelles amenant à une synergie totale avec certains éléments du milieu extérieur, tel que le porteartefact. L’artefact lithique est devenu un sous-ensemble d’une entité constituée d’un autre sous-ensemble : l‘artefact préhenseur. Un dernier mot sur le Levallois, pour dire que l’outil Levallois est avant tout un concept innovant qui pourrait se définir comme (Figure 25) : une partie préhensée devant répondre à des normes d’emmanchement nécessitant une normalisation d’un certain nombre de caractères techniques la rendant relativement invariante ; cette partie préhensée s’observe à travers l’un de ses éléments techniques : le talon, qui avait déjà fait l’objet d’un débat concernant l’identification au Levallois ; en effet, on a souvent voulu identifier le talon facetté ou en « chapeau de gendarme » au Levallois ; de plus, pour un même type de partie préhensée, selon le type d’action et le type de geste nécessaire, la préhension se fera parallèle à l’axe morphologique, oblique ou perpendiculaire ; une partie transformative variable, c’est-à-dire pouvant se présenter sous différents ensembles morphologiques : triangulaire, quadrangulaire, allongé, etc., et techniques : nombre et type de négatifs d’enlèvements, type de fils, d’angle de coupe, de plan de section etc. Ce concept d’outil Levallois sera rendu possible par l’invention d’un nouveau mode de production qui sera lui-même l’expression d’un concept de débitage unique, sur lequel nous reviendrons ultérieurement (Figure 26). Il existe un concept d’outil Levallois et un concept de taille Levallois73.
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L’étude techno-fonctionnelle et tracéologique menée par S. Bonilauri sur un échantillonnage de plusieurs centaines de pièces a montré que plus des trois quarts des produits prédéterminés étaient emmanchés avec du bitume (Bonilauri S. 2010). 73 Comme nous le verrons par la suite, si le concept de taille Levallois produit des outils Levallois, ces derniers en tant qu’individus, mais non comme un ensemble diversifié, peuvent être produits par d’autres concepts de taille. En effet, ce qui fait la spécificité du concept Levallois c’est son aptitude à produire, par volume utile, unique et/ou successif, une possible variabilité qualitative et quantitative d’outils Levallois.
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Figure 25 Spécificité du concept d’outil Levallois : un concept de taille capable de produire une gamme d’outils diversifiée dont la partie préhensée reste stable quel que soit le type de partie transformative, et quelle que soit la modalité d’emmanchement : A oblique, B dans l’axe, C transversale.
Figure 26 Le débitage Levallois permet d’obtenir des supports prédéterminés au plus près des outils. Le débitage (en rouge) permet d’obtenir la quasi-totalité des caractères techniques recherchés pour le bon fonctionnement de l’artefact lithique. Le stade de confection (en vert) permet, si nécessaire, de mettre en place d’autres caractères techniques.
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L’option débitage et confection Comme nous l’avons dit précédemment, la solution Levallois post-bifaciale n’est pas universelle. En effet, au Proche-Orient, d’autres solutions techniques succèdent à l’idée bifaciale. Nous avons déjà nommé au moins trois de ces étapes : Umm el Tlelienne, Yabroudienne et Hummalienne. Ces trois étapes, toutes radicalement différentes, vont précéder l’avènement du Levallois proche-oriental qui deviendra par la suite, comme en Europe, totalement dominant. Parmi ces trois phases, la première - Umm el Tlelienne - et la dernière – Hummalienne, vont confirmer la rupture bifaciale avec les notions d’emmanchement et de normalisation des parties transformatives. Le cas des industries yabroudiennes, clairement situées entre les industries Umm el Tleliennes et Hummaliennes, semble anachronique, en dehors de toute lignée, hypertélique. L’Umm el Tlélien Dans la stratigraphie du site d’Umm el Tlel, il s’agit d’une production de gros éclats non Levallois qui feront l’objet d’un stade de confection des parties transformatives et préhensées. L’aménagement de ces dernières indique clairement l’utilisation de l’emmanchement normalisé, qui plus est sur différents types d’éclats (Figure 27). Les parties transformatives font, quant à elles, l’objet d’importantes confections, témoignant de l’écart entre les caractères techno-fonctionnels recherchés et ceux qui sont présents sur l’éclat support. Cela témoigne d’un mode de production aux caractères de prédétermination limités. Le stade de confection pallie cette déficience et permet l’intégration des deux sousensembles de l’artefact : transformatif et de préhension. Le stade de confection est le moyen qui permet d’arriver aussi à un stade concret de l’outil, autrement que par l’évolution des structures de production (Figure 28). Cette voie technique originale, bien différente de celle d’Europe de l’Ouest, témoigne d’une moins grande mobilité des populations durant ces périodes anciennes et de ce que les solutions techniques sont multiples, pour des inventions identiques. Ainsi donc, ces solutions techniques au profit d’une idée nouvelle, convergente d’une région à l’autre, sont autant de manifestations extérieures d’une contingence intérieure, propre à la structure des matières minérales utilisées.
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Figure 27 Umm el Tlel – Syrie, Couche sus-jacente aux dernières industries bifaciales En grisé, normalisation de la partie transformative en vue d’un emmanchement spécifique. La pièce du haut est emmanchée latéralement suite à un travail préalable de troncatures opposées. La pièce du bas présente un aménagement pour un emmanchement axial (par rapport à l’axe morphologique et de débitage de l’artefact).
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Figure 28 Le cas de l’Umm el Tlelien Le débitage (en rouge) permet d’obtenir un certain nombre de caractères techniques portant sur l’ensemble des parties de l’artefact, mais la fonctionnalisation de celui-ci nécessite un stade de confection (en vert) important, aux dépens des parties transformative et préhensée.
Le Yabroudien Suite aux industries Umm el Tleliennes, nous observons de nouveau un changement dans la production de supports et d’outils. Cette industrie est dénommée Yabroudienne. Sans entrer dans le détail des différentes parties transformatives - où l’on observe une diversité indéniable, au même titre que celle qui précède et succède, observons en quoi les structures yabroudiennes rompent avec les structures d’outils précédentes. Elles apparaissent épaisses, étroites, présentant une silhouette plus longue que large - dans l’axe de débitage ou perpendiculairement à celui-ci, et possédant une retouche scalariforme. Pourtant, l’analyse de la chaîne de production indique essentiellement une recherche de supports épais et non une silhouette plus longue que large. Signalons, par ailleurs, que le mode de production n’est pas fixe d’un site à l’autre ou d’une période yabroudienne à l’autre, seul le caractère épais des supports les unit. Il existe donc un grand écart entre les silhouettes des supports et celles des outils. La retouche dite scalariforme est omniprésente et unique. Elle est donc techniquement utilisée pour mettre en silhouette et donner tel ou tel caractère techno-fonctionnel au tranchant. 73
En conséquence, le stade de confection est une étape très importante, peut-être plus que celle du débitage, puisqu’il a une double fonction : une mise en volume de l’outil et une fonctionnalisation des parties fonctionnelles (Figures 29 et 30). Le stade de mise en volume peut très bien être assimilé à une phase de façonnage dissociable de la phase de confection sensu stricto. La confusion, ou plus exactement le regroupement de ces deux phases en une, sous le seul vocable de confection, est due à l’utilisation du même procédé de détachement des enlèvements, communément appelé « retouche écailleuse scalariforme », tout le long de la transformation du support.
Figure 29 Umm el Tlel - Syrie, Yabroudien inférieur Chaque pièce est construite à partir des dos naturels présents. Pièces 1 et 2 : à partir d’un dos naturel latéral parallèle à l’axe fonctionnel et d’un dos oblique ou perpendiculaire aux deux extrémités ; Pièces 3 et 4 : les dos sont seulement présents aux extrémités dans l’axe fonctionnel.
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Figure 30 Umm el Tlel – Syrie, Yabroudien inférieur Chaque pièce est construite de façon à obtenir une silhouette en « éventail ». Le talon fait techniquement office de dos.
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Maintenant, intéressons-nous à la signification technique de cette nouvelle démarche. La comparaison avec les industries qui les précèdent nous donne une indication. Les outils antérieurs, Umm el Tléliens, présentent une largeur bien plus importante - le double voire le triple, que celle observée sur les outils Yabroudiens. La confection se réduit essentiellement à une mise en fonction des parties transformatives et préhensées sans utilisation d’une retouche écailleuse scalariforme, bien que les supports soient épais. Si nous conjuguons les conséquences techniques suivantes : silhouette étroite dans l’axe morphologique et silhouette épaisse en section transversale, quelle est la signification de ces différences techniques ? L’analyse techno-fonctionnelle des parties transformatives nous apporte d’autres informations relatives aux modes de fonctionnement. La silhouette – plus longue que large, aurait pu correspondre à une localisation distale ou latéro-distale des parties transformatives, mais il n’en est rien. Elles sont le plus souvent latérales, simples ou doubles, associées ou non à un dos adjacent ou opposé. La localisation de la partie transformative renvoie de façon indirecte à la zone préhensée : celle-ci est étroite et épaisse. A supposer que la localisation des parties préhensées soit correcte, la mise en action des outils, lors de différents mouvements, nécessite une certaine énergie, que le caractère épais rend plus facile. Un emmanchement, qui équivaut à créer une zone transmettrice de l’énergie plus importante, permettrait une augmentation de l’énergie. Mais il n’existe aucune trace d’aménagement des parties supposées réceptives de l’énergie. Deux hypothèses techniques peuvent être envisagées. La première hypothèse favorise l’emmanchement en prenant en compte la partie préhensée de chacun des outils, relativement similaire dès le stade de débitage. L’absence de confection sur cette partie peut signifier une normalisation obtenue dès le stade de production, le caractère épais étant un caractère participant à la fixation d’un manche/manchon. La seconde hypothèse élimine l’emmanchement et privilégie le maintien à main. Le caractère épais de l’outil est un excellent palliatif technique, direct pour mobiliser l’outil, équivalent à un manchon. Que ce soient des dos adjacents ou opposés, ils permettent un appui et ainsi une partie réceptive de l’énergie efficace, l’épaisseur permettant une prise en main plus expansive. La première hypothèse situe l’idée yabroudienne en rupture avec le maintien manuel des bifaces et pérennise la notion d’emmanchement. La seconde hypothèse serait une continuité de la préhension à main, nécessitant, comme pour les pièces bifaciales, un volume de préhension « ergonomique » suffisant pour transmettre l’énergie dans les meilleures conditions techniques de réalisation des objectifs. L’épaisseur serait donc un critère de fonctionnement et le caractère écailleux scalariforme de la retouche finale ne serait que la conséquence pour combler l’écart entre la silhouette d’un support épais et celle de l’outil, donc de l’aménagement du tranchant. L’étude des parties transformatives indique une diversité de plans de coupe. Certains d’entre eux, bien que différents, présentent la même silhouette, ce qui correspondrait à une normalisation du support en vue d’un emmanchement tout aussi normalisé. Mais certains supports présentent deux outils différents ou identiques, ce qui coïnciderait alors avec une préhension manuelle, permettant le maniement des deux outils (Figure 31).
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Figure 31 Le cas du Yabroudien Le débitage (en rouge) permet d’obtenir certains caractères techniques portant essentiellement sur la future partie préhensée de l’artefact. La partie transformative fait l’objet d’un stade de confection (en vert) très important pour amener l’artefact à sa « silhouette » définitive avec les plans de coupe adéquats.
L’Hummalien L’industrie Hummalienne, datée de 170 000 ans, comprend principalement des lames74 retouchées. Il ne s’agit pas réellement de la première production laminaire au Proche-Orient. On en connaît une plus ancienne nommée Amudien (Jelinek A.-J. 1990 ; Barkai R. et al. 2005). Mais cette phase ancienne, souvent en inter stratification avec le Yabroudien, se caractérise par une absence totale de lames retouchées. Alors que l’Hummalien, qui lui est postérieur, s’identifie par une transformation particulièrement importante des lames brutes en outils retouchés. Les lames constituent l’unique support prédéterminé de l’Hummalien et l’unique support pour la confection d’outils. Le débitage est quant à lui peu élaboré (cf. 74
La notion de lame ne tient pas à la seule morphologie du support mais à l’intention de la production. Nous appellerons lame tout produit plus long que large issu d’un mode de production exclusivement tourné vers l’obtention de ce type de support. Dans le cas de production mixte, comme c’est le cas de la production Levallois, nous utiliserons le terme de produit laminaire et non de lame.
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laminaire Levallois de Type D2) dans le sens où il existe une très grande variabilité morphologique et technique de lames brutes ne correspondant pas à la silhouette recherchée des futurs outils. L’analyse, sur plus de 400 lames provenant de la stratigraphie du puits d’Umm el Tlel, montre que la phase de confection peut s’avérer plus ou moins importante selon la silhouette et le type d’outil recherchés (Figures 32 et 33). Le choix du tout laminaire et d’une diversité importante d’outils en partie distale indiquent un maintien en partie proximale, telle la soie d’un objet pédonculé. Cependant, la seule silhouette laminaire ne semble pas suffire au maintien de ces lames brutes ou retouchées. En effet, la partie proximale peut faire l’objet d’une phase de confection plus ou moins importante suivant l’inadéquation entre la silhouette du support brut et celle de l’outil recherché. L’analyse techno-fonctionnelle vient confirmer cette observation en montrant une nette différence entre, d’une part, les unités techno-fonctionnelles des parties transformatives et préhensées, d’autre part, l’homogénéité des plans de coupe des parties transformatives et une nette diversité des plans de coupe de la partie préhensée (Figure 34). Lorsque cette dernière est propice à l’emmanchement aucune reprise n’est effective (Figures 32, 1 et 3). La reproduction expérimentale des systèmes de débitage hummaliens a permis de démontrer que, si les recherches d’un emmanchement et d’une silhouette spécifique sont effectives, la production est tellement peu normalisée en particulier les parties distales des lames, le stade de confection est une étape fondamentale au double objectif : normalisation de la silhouette en vue d’un maintien quel qu’il soit et aménagement spécifique du contact transformatif. D’ailleurs, les lames les plus normalisées du système de production se caractérisent par des silhouettes peu retouchées, seul l’aménagement de la partie transformative est effectif. Le système de production, bien que normalisé et issu d’un stade évolutif indéniable, ne suffit pas à produire des supports au plus près des outils recherchés dont l’emmanchement est omniprésent. Comme nous l’avons déjà dit, et comme nous le montrerons ultérieurement, d’autres systèmes de production laminaire antérieurs à l’Hummalien existent, bien que de facture moins évoluée. Peu d’outils sur lame sont alors réalisés, l’outil lame - la lame brute étant déjà très certainement un outil spécifique en soi et non un support d’outil. Faut-il considérer l’Hummalien comme un moteur d’évolution de la lignée de production laminaire : le passage d’une production d’un support/outil (unique et spécifique) à une matrice lame pouvant servir de support à différents outils ? La lame devient, dans ce cas, le support prédéterminé exclusif, à la différence de la lame/outil unique qui est un support prédéterminés parmi d’autres au sein d’un même ensemble lithique. L’Hummalien sera le dernier phénomène laminaire moustérien au Proche-Orient. Un nouveau phénomène laminaire apparaîtra avec ce que nous nommons le Paléolithique intermédiaire ou Transition, pour lequel on retrouvera toutes les étapes évolutives de la lignée laminaire, dans un temps très court, ce qui témoigne bien d’une réinvention. Les outils seront quant à eux différents, non pas dans leurs caractères techniques, évolués ou non, ni dans la capacité d’emmanchement qui est toujours la même, mais dans des registres fonctionnels distincts : burin, grattoir, pointe à dos, etc. 78
Figure 32 Umm el Tlel – Syrie, Niveau Hummalien La partie distale du support laminaire fait l’objet d’aménagements différents correspondant à autant de fonctions et de fonctionnements différents : 1 – tranchant latéral de délinéation convexe, action de coupe latérale ; 2 – pointe/bord, action de pénétration et de coupe longitudinale ; 3 et 4 aménagement axial déjeté, action de pénétration et de coupe latérale. L’analyse techno-fonctionnelle de ces aménagements montre très clairement que nous devons les dissocier en deux parties fonctionnelles distinctes : une partie apicale formée par la convergence de deux bords et constituée de plans de coupe identiques – plan/concave- correspondant à un aménagement de la silhouette de la partie pénétrante pour une action de pénétration dans l’axe ; et une partie mesio-proximale dont les bords sont aménagés par des enlèvements aux plans de coupe variables et différents de ceux de la partie apicale. La partie proximale correspond à la partie préhensée qui, suivant son état technique, sera ou non aménagée en vue d’un emmanchement.
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Figure 33 Umm el Tlel – Syrie, Niveau Hummalien Les pièces 1 et 3 présentent un aménagement de leur partie transformative de type pointe/bord avec des plans de coupe plan/concave. Leur partie préhensée a également fait l’objet d’un aménagement en vue d’un emmanchement. Il en est de même pour les pièces 2 et 4, excepté la symétrie dans l’axe de leur partie transformative et la présence de deux plans de coupe différents : 2 – plan de coupe plan/convexe ; 4 – plan de coupe plan/concave.
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Figure 34 Le cas de l’Hummalien Le débitage (en rouge) va au plus près des parties transformative et préhensée recherchées. Le stade de confection (en vert) porte essentiellement sur la partie transformative. Mais, si nécessaire, celui-ci peut aussi porter sur la partie préhensée.
Il s’agit d’une nouvelle gamme d’outils dont les conceptions structurelles de production sous-jacentes avaient déjà été découvertes plus de 300 000 ans avant le Paléolithique supérieur75.
Conclusion Le temps long de la préhistoire montre que l’évolution structurelle des artefacts se fait par une intégration des différentes parties fonctionnelles en un tout non réductible à une seule d’entre elles. Cette concrétisation peut prendre la voie de l’évolution des systèmes de production qui auront pour objectif d’intégrer les intentions techno-fonctionnelles dès le stade de la production, ou celle, intermédiaire, qui consistera à développer la phase de confection pour obtenir, dans leur totalité, les caractères techno-fonctionnels. 75
Où se situe donc, alors, l’étape cognitive technique du Paléolithique supérieur si importante aux yeux de certains pour dissocier les faits issus des Homo sapiens de ceux des autres hominidés ?
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Ces deux leviers de l’évolution sont hiérarchisés. L’ensemble des données dont nous disposons semble montrer que la confection est la mesure d’ajustement entre le stade productionnel et les intentions techno-fonctionnelles. Selon le stade évolutif du type de production utilisé et le type d’artefact produit, il sera ou non nécessaire d’utiliser un stade de confection. Mais, ce qui est important de voir, c’est que l’évolution des outils est à dissocier de l’évolution de l’artefact aux dépens duquel sera fait l’outil. On peut très bien observer l’utilisation d’outils « concrets » grâce à l’emploi d’un stade de confection réalisé aux dépens de support « peu évolué », c’est-à-dire ne possédant pas dès la phase de production les caractères techniques requis au bon fonctionnement des outils. De fait, dans le cadre de cette évolution des outils, deux temps distincts sont observables. Un premier temps où l’évolution de l’outillage vers une meilleure intégration de ses différentes parties se fait grâce au stade de confection. Les supports sont peu évolués et loin des futurs caractères techno-fonctionnels. Dans un second temps, le processus s’inverse. Les supports sont produits au plus près des caractères techniques requis par les outils. La retouche ne vient que parfaire une éventuelle absence de critères techniques. Cette évolution des outils est d’autant plus complexe à appréhender si nous analysons ce sur quoi portera l’évolution : la diversité des tranchants et/ou la partie préhensée ! En effet, dans le cas d’une structure abstraite, l’évolution structurelle ne peut porter que sur l’un des deux sous-ensembles fonctionnels, sans que cela interfère dans le fonctionnement de l’autre sous-ensemble. Cette évolution peut être le fait d’un stade de confection et/ou du choix d’un nouveau type de support capable d’être produit par une même structure de débitage ou par une nouvelle structure appropriée. Dans le cas de structure concrète, ces deux sous-ensembles sont le produit d’un mode de production et/ou de confection. Pour conclure sur ce point, nous insisterons sur le fait que l’évolution des outils de structure abstraite vers une structure concrète peut être accomplie indépendamment du type de support et donc du système de production si un stade de confection est mis en jeu. En revanche, cette évolution peut aussi résulter de l’évolution des supports de production. En conséquence de quoi, une analyse techno-fonctionnelle doit à la fois porter sur la reconnaissance du stade d’évolution au sein duquel se situe l’outil ainsi que sur les moyens de production mis en œuvre : débitage et/ou confection, exclusif ou non.
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Les structures de production
Qu’est ce qu’un nucléus : structure additionnelle ou structure intégrée ? Dans le cadre de la détermination des systèmes de production, nous travaillons plus particulièrement sur un objet : le nucléus. Cet objet est au centre de la production, car il produit les enlèvements recherchés qui seront utilisés tels quels ou après un aménagement plus ou moins partiel. Nous le définissons comme un bloc de matière première, choisi pour être fracturé, sur lequel se lisent les traces des stades techniques, aboutis ou non, dont il a été le support. Pour satisfaire les objectifs recherchés, le nucléus devra posséder tous les critères techniques nécessaires à leur obtention. Aussi devra-t-il être configuré. C’est-à-dire présenter une surface de plan de frappe avec une surface de débitage adjacente, formant un angle inférieur ou égal à 90°, et présenter un volume en rapport avec les types et la quantité d’enlèvements recherchés. Cette configuration fera suite à un stade d’initialisation. Celui-ci peut consister à rechercher des blocs présentant naturellement les critères techniques considérés comme opérationnels pour répondre aux objectifs et/ou faire l’objet d’un ensemble de gestes techniques mettant artificiellement en place ces mêmes critères. Cette façon de percevoir le nucléus, aussi juste soit-elle, oublie pourtant une étape analytique essentielle. En effet, dans le cadre d'une analyse structurelle, nous devons nous interroger sur ce que nous entendons réellement par nucléus. Est-ce le bloc de matière première dans son intégralité, maintenu brut dans la main lors d’une opération de débitage, qui est le nucléus ? Ou est-ce seulement une partie de ce bloc ? En d’autres termes, le volume configuré ou volume utile représente-t-il la totalité ou seulement une partie du volume du bloc ? Rappelons que le volume configuré est un volume nécessaire et suffisant comprenant une surface de débitage, une surface de plan de frappe et une masse. Ainsi, sur le plan d’une analyse structurelle, tout bloc de matière première tenu dans la main n'est pas systématiquement assimilable à un nucléus. Deux cas peuvent alors se présenter : structure additionnelle ou structure intégrée
Structure additionnelle dite « abstraite » Dans le cas d’une structure additionnelle, le bloc débité se compose de deux sousensembles indépendants : le volume utile, c'est-à-dire le nucléus sensu stricto, et le volume inutile restant, non investi car non nécessaire pour la réalisation des objectifs (Figure 35). Les deux sous-ensembles sont donc indépendants. La phase de production du volume utile ne requiert en aucun cas le volume restant pour satisfaire aux objectifs productionnels.
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Figure 35 Structure additionnelle Le bloc à débiter se compose de deux sous-ensembles volumétriques, l’un appelé volume utile ou nucléus sensu stricto ; le second appelé volume inutile ou restant.
Caractère non homothétique ou faussement homothétique des structures additionnelles Dans le cas d’une production archéologique, plusieurs situations peuvent se présenter. Une vraie non homothétie Le choix de blocs de volumes différents mais dont le volume utile est identique (Figure 36) peut donner lieu à une mauvaise interprétation si nous nous limitons à une simple détermination « naturaliste » une fois celui-ci utilisé. En effet, sur un plan strictement morphologique, une fois le volume utile exploité, le volume restant sera de morphologie différente. Ce fait nous amène à dire qu’il existe autant de conceptions de taille différentes que de blocs débités/nucléus morphologiquement distincts. Observées à propos des productions les plus anciennes, cette diversité est décrite comme anarchique. Anarchie, le plus souvent interprétée comme le reflet d’un niveau cognitif restreint. En revanche, l’approche structurelle permet de reconnaître immédiatement la similitude des volumes utiles et d’en déduire l’utilisation d’une seule et même conception du débitage malgré l’emploi de blocs de volumes dissemblables. Inversement, si l’analyse des volumes utiles d’un ensemble archéologique atteste de conceptions différentes, quelles que soient les morphologies des blocs résiduels/volumes non utiles », alors nous sommes bien en présence de conceptions techniques de production différentes. Une fois le premier volume utile exploité, le bloc peut être abandonné ou faire l’objet d’une reprise. Ainsi, selon que les objectifs recherchés soient identiques ou différents, le bloc résiduel peut ou non être réinvesti. Deux cas de figures se présentent alors : soit le bloc dénote un potentiel de volume utile (volume restant) identique, soit il ne présente aucune aptitude technique pour satisfaire cette nouvelle série d’objectifs (Figure 37), dans ce cas, il est abandonné ou éventuellement réinvesti, mais cette fois-ci selon d’autres objectifs.
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Figure 36 Schéma de non homothétie Volume global différent et volume utile identique
Figure 37 A la suite de l’exploitation d’un premier volume utile, la poursuite du débitage amène à une transformation morphologique du bloc.
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Le corollaire de cette observation est que le caractère additionnel, dans le cas de séries successives poursuivant le même objectif ou non, ne peut être mis en évidence que lors d’une analyse structurelle, en montrant que chaque phase d’exploitation des volumes utiles, identiques ou différents, est structurellement indépendante l’une de l’autre. Par conséquent, si le tailleur utilise deux blocs de même morphologie mais avec un nombre de séries différent par blocs et un même type de volume utile, nous aurons des blocs résiduels différents, non homothétiques, bien que de conception additionnelle identique (Figure 38).
Figure 38 Structure non homothétique du débitage additionnel dans le cas de séries successives identiques aboutissant à des blocs résiduels différents A, B, alors que les volumes utiles sont identiques.
Une fausse homothétie Il existe un cas de figure archéologique où la matière première se présente sous une forme globalement similaire. Il s’agit en général des sites à galets. Dans ce cas de figure, le volume non utile reste identique d’un galet à l’autre De cette situation ressort un assemblage homogène qui, dans certains cas, peut être interprété comme la production d’outils et non de nucléus. Les remontages sont alors perçus comme le seul recours pour différencier ces blocs fracturés (Peretto et al. 1998). Lorsque tel n’est pas le cas, nous trouvons ces pièces fréquemment nommées core/chopper.
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Structure intégrée dite « concrète » Dans le cas d’une structure intégrée, le volume utile est égal au volume du bloc prêt à être débité Le bloc ainsi maintenu dans la main, prêt à être débité et à produire les objectifs recherchés, est le nucléus. Le bloc de départ fait subséquemment l’objet d’une initialisation aboutissant à un nouveau volume, le nucléus76. Ce dernier est alors une structure intégrant l’ensemble des critères techniques de configuration nécessaire à la réalisation des objectifs et des critères intégrant sa propre réinitialisation si nécessaire. Nous appellerons ce genre de nucléus « nucléus à structure intégrée » (Figure 39).
Figure 39 Structure intégrée Le bloc de départ fait l’objet d’une initialisation qui rend le bloc à débiter équivalent au volume utile, appelé alors nucléus.
Selon les objectifs recherchés et la structure intégrée pour laquelle on a opté, une réinitialisation du nucléus peut être ou non nécessaire (Figure 40). Ces phases de réinitialisation sont inhérentes à la structure même du nucléus configuré. La configuration du nucléus intègre ainsi deux contraintes : celle qui permet de répondre aux objectifs fonctionnels et celle de sa réinitialisation pour obtenir la même gamme d’objectifs. La réinitialisation est alors généralement partielle, ne portant que sur un minimum de critères de configuration. C’est le cas, par exemple, du débitage Levallois ou des débitages laminaires gravettien, solutréen et magdalénien. Dans d’autres cas, selon la structure intégrée utilisée, la phase de réinitialisation n'existe pas c’est la récurrence d’un ou de plusieurs objectifs recherchés qui auto-entretient la configuration du nucléus (Figure 40). La condition sine qua non est de maintenir les mêmes objectifs comme c’est le cas des débitages pyramidal et discoïde. On pourrait dire que la masse des produits prédéterminés est égale à la masse du volume. C’est aussi ce que nous observons avec les structures de nucléus à lames ou à lamelles débitées par pression, retrouvés dans les industries précolombiennes ou dans certaines industries néolithiques, voire protohistoriques. Le nucléus est de structure intégrée et l’utilisation de la pression optimise considérablement le rendement ainsi que la normalisation des objectifs. 76
Certains des critères techniques de configuration peuvent être naturellement présents sur le bloc choisi.
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Figure 40 Débitage de structure intégrée 1. le nucléus configuré intègre ses critères de réinitialisation ; 2. c’est de la récurrence de certains objectifs qui maintient les critères de configuration.
Caractère homothétique ou non homothétique des structures intégrées Suivant certaines conceptions de taille, le nucléus gardera sa morphologie quel que soit le moment où il se situe dans sa phase de production d'enlèvements prédéterminés et quel que soit le nombre de reconfigurations partielles. Pour être opérationnelle, la structure du nucléus implique une nécessaire conservation de sa « forme »77. Cette stabilité est d'ordre structurel, elle ne sera pas remise en cause par le choix de la méthode utilisée pour gérer le nucléus. La morphologie du nucléus restera telle quelle durant tout le processus opératoire, quels que soient la méthode utilisée et le moment où le nucléus se situe dans le déroulement opératoire. Tant que la structure du nucléus est respectée, c'est-à-dire la synergie des critères techniques mis en jeu, la forme de celui-ci ne change pas. Il s'agit d'un processus homothétique. Structure intégrée de caractère homothétique avec phase de réinitialisation Le débitage Levallois en est l'exemple le plus classique. Si on considère un nucléus Levallois à éclat préférentiel ou récurrent et qu'on observe ses transformations lors de la production d’un enlèvement ou d'une série récurrente d'enlèvements, qu’elle que soit la méthode utilisée - unipolaire, centripète, bipolaire, l’aspect général d’un nucléus à l’autre 77
D'où la stabilité et la facilité de reconnaissance pour certains nucléus dont les nucléus Levallois, tout du moins ceux à éclat préférentiel. Cette reconnaissance s’est d’ailleurs traduite par un nom mondialement utilisé.
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reste identique (Figure 41). La cohérence de la structure volumétrique Levallois réside dans la non transformation du critère « morphologie » du nucléus au fil du débitage (Boëda E. 1994). Lorsque cette cohérence est mise à mal, l'utilisation des critères de prédétermination permettra de redonner sa cohérence au nucléus et de recommencer une nouvelle série d'enlèvements. Le nucléus résiduel de cette énième série présentera toujours la même « morphologie ». La différence ne sera pas de forme mais de dimension, signant ainsi son caractère homothétique (Boëda E. 1997).
Figure 41 Structure intégrée homothétique entrecoupée de phases de réinitialisation
Structure intégrée de caractère homothétique avec débitage continu Dans le cas de certains débitages de lames et de lamelles de la fin du Paléolithique supérieur au Néolithique, le volume exploitable est égal au volume du nucléus, dans la mesure où il n'est pas nécessaire de préparer de nouveau une ou plusieurs fois les surfaces à débiter. La préparation initiale permet un auto-entretien des paramètres nécessaires à l'exploitation du nucléus (Figure 42). Mais cet auto-entretien ne peut se réaliser que dans le cadre du maintien d’un ordonnancement des lames/lamelles les unes par rapport aux autres et, dans certains cas, de techniques de fracturation bien particulières – pression et percussion indirecte. A tout stade d’arrêt du débitage, l’appellation donnée du nucléus sera la même car la morphologie restera inchangée.
Figure 42 Structure intégrée homothétique continue
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Structure intégrée de caractère non homothétique avec débitage continu En revanche, dans le cas des débitages78 de type discoïde, pyramidal et Paléolithique supérieur79, même si le volume exploitable est égal au volume du nucléus, le choix d’une gamme de produits diversifiés permettant l’auto-entretien des paramètres nécessaires à l'exploitation du nucléus (Boëda E. 1988a, b et c), le nucléus change de « morphologie » et ce, quel que soit le stade d’arrêt (Figure 43). Une structure volumétrique peut donc changer de forme sans modifier sa production. Peut-être devrions-nous plutôt dire que le maintien d’une gamme de produits tout au long de l’exploitation du bloc nécessite d’intégrer le critère « morphologie » comme un facteur d’adaptabilité et non comme un invariant ? Le caractère intégré des structures n’est donc pas équivalent à la notion d’homothétie. Néanmoins, comme nous le verrons, les structures intégrées homothétiques viendront chronologiquement après les structures intégrées non homothétiques.
Figure 43 Structure intégrée de caractère non homothétique
Processus de concrétisation Le processus de concrétisation, comme pour un outil, aboutit à ce que Deforge a appelé une lignée technique. Rappelons qu’il définit la lignée comme un ensemble d’objets « ayant la même fonction d’usage et mettant en œuvre le même principe » (Deforge Y. 1985, p.72). La notion de principe étant pour lui « un outil de compréhension [dont] a posteriori on dispose d’une certaine liberté pour apprécier ce qui fonde la lignée » (op. cit.). Transposé à la 78
Terminologie d’attente. C'est le cas, par exemple, au Paléolithique supérieur, des nucléus à lames dont l'état de configuration est composé de trois crêtes : deux postérieures et une antérieure. Il est évident que la morphologie du nucléus changera suivant l'avancement du travail. Par rotation du débitage, les crêtes disparaîtront au fur et à mesure. Cette transformation est une conséquence nécessaire à la poursuite du débitage et l'état de configuration du nucléus doit rendre possible cette transformation, en permettant l'intégration d'états techniques aux conséquences morphologiques différentes. Au Paléolithique supérieur, cependant, toutes les configurations volumétriques n'ont pas fonctionné de la même façon, les nucléus à deux crêtes, une antérieure et une postérieure, fonctionnent globalement comme les nucléus Levallois et sont donc homothétiques. 79
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préhistoire, ce principe, peut être un principe de production – débitage/façonnage, un caractère structurel du nucléus - débitage exclusif de lames, d’éclats ou mixte, un mode de fonctionnement pour les outils – à main/emmanché, etc. C’est ainsi qu’à l’intérieur de chaque lignée d’objets/nucléus, nous verrons se succéder des nucléus dont le volume utile, en réponse à des exigences fonctionnelles de plus en plus contraignantes, se restructurera différemment, allant vers une mise en synergie de plus en plus importante des éléments le constituant. Le temps long de la Préhistoire nous permet ainsi de voir des cycles80 de transformation touchant différentes lignées d’objets. Ces cycles peuvent être successifs et/ou contemporains81. Pour mieux comprendre la réalité, nous devons adopter plusieurs angles de vue : macro/micro (Deforge Y. 1985 ; Rosnay J. de 1975). Sur un plan macroscopique, chaque lignée, si elle aboutit, passe d’une structure abstraite à une structure concrète. Mais le rythme auquel est soumise cette évolution est spécifique à chaque cycle. Cette spécificité tient au fait que nous avons défini l’évolution technique comme une co-évolution avec l’Homme. Le devenir de chaque cycle d’évolution d’une lignée est dans les mains de l’Homme. Son rythme, sa fréquence, son interruption, son abandon, sa résurgence sont autant d’expressions socio-culturelles d’une lignée, même si celle-ci s’échelonne sur plusieurs dizaines de millénaires82. Un changement environnemental pourrait intervenir dans l’évolution d’une lignée en provoquant une bifurcation aboutissant à une divergence. Cela induirait cependant un pseudo déterminisme qui ne peut pourtant pas être causal, puisque l’homme en reste l’acteur, consciemment ou non. De même que l’invention du tout premier objet d’une lignée reste la propriété pleine et entière de l’Homme même si le mécanisme est complexe car plurifactoriels. Stades d’évolution structurelle Nous avons établi une échelle comprenant six niveaux de structuration de débitage, capable de répondre à une demande de supports d’outil ou d’outils de plus en plus structurés. Cette évolution structurelle des conceptions du débitage est une réponse à l’augmentation des contraintes d’usage techno-fonctionnelles et de signes propres à chaque groupe, à chaque culture.
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Jusqu’à présent les différents penseurs « évolutionnistes », tels que Leroi-Gourhan ou Simondon, n’ont jamais abordé cette notion de cycle. Pour Leroi-Gourhan, les outils s’adaptent à l’acte à accomplir en changeant de forme et de dimension, c’est la tendance. Il ne parle jamais de structure de l’objet. Pour lui, il n’y a pas de cycle mais uniquement des lignées. L’évolution se situe au niveau des actes à accomplir. Leroi-Gourhan crée des lignées d’objets ayant la même fonction d’usage, en lien avec trois grands principes de percussion. Simondon ne parle pas non plus de cycle, mais d’une évolution technique régie par des lois (sens métaphorique). La temporalité de son analyse est essentiellement moderne, actualiste. Pour lui, la notion de concrétisation ne s’applique qu’aux objets contemporains, même pas au monde artisanal, fut-il historique, alors ceux de la préhistoire ! 81 Nous reviendrons ultérieurement sur ce point avec des exemples concrets. 82 A cette notion temporelle, nous devrions associer la notion de spatialité. En effet, lorsque nous cherchons à repérer dans l’espace les différentes lignées et le devenir de leur cycle, nous obtenons des données qui rentrent en contradiction directe avec les paradigmes dominants et plus spécialement ceux qui mettent en jeu des phénomènes migratoires.
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Figure 44 L’évolution des outils est rendue possible par l’évolution des modes de production et/ou par l’évolution des modes de confection.
Autrement dit, l’évolution structurelle des nucléus est une réponse adaptative à l’évolution structurelle des outils. Il existe deux processus de concrétisation, l’un porte sur les outils, l’autre sur les moyens de production. Ces deux processus ne sont pas forcément synchrones. En effet, la confection peut être une des réponses possibles pour l’obtention de nouveaux outils, sans qu’une adaptation du mode de production à ces nouveaux objectifs soit nécessaire (Figure 44). L’autre solution, c’est la transformation des volumes utiles pour être au plus près des caractères techniques nouvellement requis. Une chose est certaine : l’évolution des outils83 précède l’évolution des modes de production de débitage. Des « interférences » peuvent intervenir. Pour autant, la réponse à de nouvelles contraintes peut prendre le chemin du débitage ou du façonnage sans que la moindre logique technique interfère, tel l’abandon du débitage pour le façonnage et un retour à celui-ci dans le circum méditerranéen84. 83
Et non pas des fonctions, car celles-ci restent les mêmes quelles que soient les périodes, comme nous continuons à couper, tailler, trancher, percer, gratter, racler, etc. 84 Tel le passage au Proche-Orient, vers 300 000 ans, de l’Acheuléen au Yabroudien, avec une production d’outils à 99% sur pièces bifaciales qui bascule vers une production d’outils à 99% sur un nouveau support issu du débitage. Seuls quelques sites yabroudiens continuent à présenter une quantité infime de bifaces ou de pièces bifaciales - en général moins de 2 à 5% de la collection. A l’inverse, en Europe centrale jusqu’aux berges de la
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Caractères de prédétermination des caractères techniques des enlèvements Les caractères de prédétermination des enlèvements se situent sur la surface de débitage et au niveau de la surface de plan de frappe. En ce qui concerne la surface de débitage, ces caractères sont obtenus lors des phases d’initialisation et/ou de production. Dans le cas de la phase d’initialisation, la procédure consiste à mettre en place, aux dépens de la surface de débitage, les caractères techniques capables de fournir une partie ou la totalité des caractères techniques recherchés. Ces derniers peuvent être réunis en deux catégories. La première regroupe les critères dits de convexité qui permettent de contrôler le détachement des bords et de l’extrémité distale des enlèvements. La seconde regroupe les caractères spécifiques tels que les nervures, les convergences, les dos, etc. Dans le cas de la phase de production d’enlèvements successifs, c’est l’utilisation de la récurrence qui renforce les caractères de prédétermination. Cette notion que nous avons introduite pour la première fois avec le concept Levallois (Boëda E. 1994) est applicable à toutes les conceptions de débitage. En effet, un enlèvement dit récurrent est un enlèvement qui, tout en utilisant les caractères techniques mis en place pour satisfaire les caractères techno-fonctionnels recherchés, substitue, par son extraction, les caractères techniques utilisés par de nouveaux caractères techniques identiques ou différents sur la surface de débitage. Ainsi, par exemple, un éclat débordant remet en place, au niveau de la surface de débitage, une convexité latérale et une nervure qui servira de nervure guide pour le développement de l’onde de choc de l’enlèvement suivant. Cette nervure guide se substitue à la première convexité latérale. En ce qui concerne la surface de plan de frappe, les caractères techniques de prédétermination peuvent être multiples. Les plus classiques concernent les types de préparation de la surface d’impact donnant lieu à l’obtention de talons lisses, facettés, etc. Il existe cependant d’autres caractères techniques liés au type de percuteur, au mode de percussion - tangentielle ou interne, au mouvement de percussion, ou encore à l’angle formé entre le plan d’éclatement de l’enlèvement et l’axe de percussion, etc. De fait, si des moyens « universels » de contrôle pour le détachement d’un enlèvement – convexité et récurrence - sont connus et largement identifiés, il en existe bien d’autres, se rapportant par exemple aux gestes, mais dont leur généralisation et leur reconnaissance restent difficiles85.
mer noire, à la suite d’industries moustériennes « Levallois », on voit réapparaître une industrie où le support bifacial devient de nouveau la matrice/support pour l’aménagement de différents types d’outils. Nous pourrions encore citer le cas des industries bifaciales de Normandie - approximativement datées postérieures au stade isotopique 5 - entre 75 et 40 000 ans (Cliquet D. et al. 2001a et b), qui s’intercalent dans la longue lignée moustérienne où le débitage est domine. 85 L’expérimentation constitue le seul recours pour pouvoir comprendre l’importance du geste dans l’obtention des produits recherchés. Avec un geste différent, une même surface de débitage et de plan de frappe est capable de fournir un produit allongé, plus large que long ou convergent.
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Ensemble dit à structure abstraite et classes d’enlèvements correspondants Ce premier ensemble regroupe les systèmes de production requérant l’utilisation d’une partie du bloc/volume utile appelé nucléus. Le reste du bloc n’ayant aucun rôle technique est le volume résiduel, non utile. Selon les caractéristiques techniques du volume utile, les caractères techniques des supports produits différeront. Quatre types de volumes utiles, correspondant à quatre classes de caractères techniques présents sur les enlèvements indifférenciés ou prédéterminés, sont identifiables. La distinction entre chacune des classes est bâtie sur la prédétermination des parties transformatives et préhensées des supports produits. Ces niveaux de prédétermination dépendent du type de volume utile retenu.
Volume utile indifférencié de Type A / éclat indifférencié A un volume utile de Type A correspond une production d’enlèvements aux caractères de prédétermination indifférenciés. Il s’agit de la production d’un tranchant, les autres caractères techniques de l’enlèvement n’étant pas recherchés. Il n’y a aucune prédétermination, excepté la présence d’un tranchant sur tous les types d’éclats (Figure 45). Une seule partie transformative est recherchée, quelle qu’elle soit. Pour cela, seul est investi un sous-volume du bloc/volumeutile de Type A comprenant : la masse nécessaire pour l’inertie lors de l’impact, une surface de plan de frappe naturelle ou à aménager et une surface de débitage naturelle, sans le moindre caractère de prédétermination.
Figure 45 Le volume utile de Type A est choisi uniquement pour sa capacité à fournir une surface de plan de frappe adjacente à une surface de débitage indifférenciée produisant un enlèvement avec un tranchant quel qu’il soit.
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Volume utile de Type B / partie transformative différenciée A un volume utile de Type B correspond une production d’enlèvements aux caractères de prédétermination portant sur la partie transformative. Ce contrôle est obtenu par l’adoption de la notion de récurrence permettant d’augmenter les caractères propres au tranchant : régularité et délinéation spécifique. L’absence d’autres critères de prédétermination sur le volume utile limite tout contrôle supplémentaire de la partie transformative ainsi que le contrôle total de la partie préhensée (Figure 46). Ainsi le volume utile nommé Type B doit posséder, au minimum, une surface de plan de frappe apte à recevoir plusieurs impacts et à maintenir un angle satisfaisant avec la surface de débitage adjacente.
Figure 46 Le volume utile de Type B, géré selon un mode récurrent, permet le contrôle de quelques caractères techniques de la partie transformative du ou des enlèvements.
Volume utile de Type C / parties transformative et préhensée différenciées A un volume utile de Type C correspond une production d’enlèvements aux caractères de prédétermination portant sur les parties transformatives et préhensées. Ce contrôle est obtenu par l’adoption d’un volume utile présentant naturellement les caractères techniques capables de contrôler, dans une certaine mesure, les parties transformatives et préhensées du ou des enlèvements (Figure 47). Le volume utile, dit de Type C, peut être exploité pour produire un ou plusieurs enlèvements. Dans ce dernier cas, la notion de récurrence est introduite pour exercer un contrôle renforcé des parties transformatives et préhensées.
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Figure 47 Le volume utile de Type C est géré selon un mode récurrent aux dépens d’un volume utile présentant une surface de débitage avec des caractères naturels de convexité. Ce double contrôle - convexités naturelles et récurrence - permet le contrôle partiel des parties transformatives et préhensées.
Volume utile de Type D / parties transformatives et préhensées différenciées A un volume utile de Type D correspond une production d’enlèvements aux caractères de prédétermination portant sur les parties transformatives et préhensées. Mais, à la différence du volume utile précédent, il s’agit de la production d’un ou de plusieurs enlèvements avec un large contrôle et une plus grande latitude dans le choix de caractères techniques. Pour ce faire, un volume utile préalablement initialisé est utilisé (Figure 48). Le volume utile, dit de Type D, peut être exploité pour produire un ou plusieurs enlèvements. Ces enlèvements produits dans le cadre d’une série récurrente peuvent, selon le schème opératoire, être identiques ou différents.
Figure 48 Le volume utile de Type D est géré selon un mode récurrent, aux dépens d’un volume utile préalablement transformé par la mise en place, sur la surface de débitage, de l’ensemble des caractères techniques nécessaires pour satisfaire aux objectifs fonctionnels de l’outil. Les parties transformatives et préhensées des enlèvements de classes D sont alors différenciées.
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Structures productionnelles archéologiques Structure volumétrique dite abstraite Un premier ensemble regroupe les systèmes techniques de production qui nécessitent l’investissement d’une partie du bloc pour atteindre leurs objectifs.
Volume utile de Type A Les volumes utiles à débiter de Type A ont pour seule contrainte fonctionnelle de produire un tranchant, quels que soient les caractères techniques et quel que soit le type d’éclat/support. L’essentiel est de fournir un fil incisant, ce coupant étant la conséquence du détachement d’un enlèvement, seul caractère de prédétermination. Pour réaliser cet objectif, il existe deux modalités de débitage. La première ne privilégie aucune partie du bloc, la production d’un enlèvement coupant est obtenue par des chocs techniquement peu ou non contrôlés. La seconde répond à un schème opératoire simple, organisé à partir d’une surface de plan de frappe et d’une surface de débitage adjacente formant un angle inférieur à 90°, aux dépens d’une masse nécessaire. Pour réaliser cet objectif, il n’est aucunement nécessaire d’investir la totalité du bloc. Le bloc peut alors être identifié comme une entité mixte, composée de deux sousentités indépendantes : le volume utile et le reste du bloc, partie inerte, sans rôle, dans le cas présent. Toutefois, dans un second temps, cette partie « inerte » peut être à nouveau investie pour la réalisation d’un autre schème, celui-ci n’ayant aucun lien structurel avec le premier. Cette succession éventuelle de schèmes opératoires n’a aucune relation de cause à effet : ils sont indépendants. C’est comme si l’on exploitait des volumes successifs. C’est une addition de schèmes opératoires. Les caractères techniques et morphologiques des enlèvements produits aux dépens de ce système sont totalement aléatoires. Ce n’est alors que pur hasard si certaines formes sont redondantes, dues, dans ce cas, à une utilisation de blocs de même morphologie. En contexte archéologique, l’identification de ces systèmes techniques est particulièrement difficile, voire impossible, à moins que ces derniers soient exceptionnellement conservés et/ou associés à de la faune anthropisée. C’est peut-être pour cette raison qu’aucun produit normalisé n’est retrouvé dans les industries anciennes. Raison pour laquelle les industries de ce type font souvent l’objet de polémiques. Pourtant, il apparaît logique de retrouver ce genre de productions, à moins de croire aux générations techniques spontanées. Le problème est tout simplement un manque de questionnement de ce matériel et, par conséquent, de méthodes capables de différencier les premiers objets anthropiques des éolithes, du fait de leur très grande similitude morpho-technique : ces deux types d’objets n’étant que des tranchants. Aussi ces sites sont-ils souvent passés sous silence de peur de faire 97
l’objet de quolibets ou, si publiés, raillés et donc jamais référés, excepté dans les cas d’association avec des restes osseux d’hominidés. Ce qui était pris pour fantaisie devient réalité ! Il s’agit d’un renversement de paradigme. Alors que pour Leroi-Gourhan « Le seul critère d’humanité biologiquement irréfutable est la présence de l’outil » (Leroi-Gourhan A. 1983), actuellement on constate l’inverse. Etant donné que les vestiges techniques anciens sont difficilement perceptibles86 et nécessitent une connaissance technique approfondie, pour certains, ils ne suffisent plus à témoigner de leur caractère anthropique. Cette attitude est triplement néfaste car, si en premier lieu elle dévalorise toute approche technologique, elle va à l’encontre d’une démarche scientifique rigoureuse, croyant faussement que l’objectivisation d’un artefact humain ne peut se faire qu’en présence de son auteur présumé. Et encore faut-il que celui-ci soit « jugé » apte à en être le concepteur87.
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Pour lever cette ambigüité, nous combinons des données stratigraphiques et taphonomiques (altérations postdépositionnelles susceptibles de produire des éolithes), avec des données issues d’une part de référentiels expérimentaux et d’une approche comparative, d’autre part d’une situation sédimentaire identique à celle où l’Homme n’a pas pu être présent. Parallèlement, une analyse techno-fonctionnelle est menée sur le matériel archéologique. Encore faudrait-il que cette analyse technique ou techno-fonctionnelle mette en avant la différence fondamentale entre un objet produit par la nature et un objet produit par l’Homme ! Cette distinction est triviale mais négligée pour différentes raisons : l’Homme produit des outils à vocation d’usage et/ou de signe, alors que la nature produit des objets sans vocation fonctionnelle. En conséquence, toute analyse technologique devra respecter deux axes, orientés sur la recherche : de la signification de l’artefact sans se limiter au(x) mode(s) de production du support aux dépens duquel sera fait l’outil, ni se restreindre à l’établissement de schémas diacritiques qui ne rendent compte que du nombre et de l’ordre des enlèvements visibles sur les artefacts ; de la cohérence de l’ensemble des artefacts entre eux, puisque tout artefact fait partie d’un système et n’a de sens que dans le système auquel il appartient. Nous devons ainsi inverser notre approche en questionnant l’artefact comme un outil et non comme un support indifférencié. Nous devons retrouver les intentions fonctionnelles à travers les options techniques utilisées, car c’est là que se situe la différence entre l’Homme et la nature, ceci d’autant plus dans le cas d’artefacts très anciens. En effet, selon les règles d’évolution d’un grand nombre d’objets techniques tranchants, au tout début d’une lignée, seul le contact transformatif d’un outil est prédéterminé : le support, aux dépens duquel il est réalisé, est porteur de peu de contraintes, si ce n’est celles de permettre l’exécution du bon geste. Ce n’est que par la suite que l’on voit le support être investi de contraintes -techno/culturelles- de plus en plus nombreuses, impliquant des modes de production de plus en plus spécifiques. En conséquence de quoi, plus on s’intéresse aux premiers outils tranchants plus on se doit de travailler sur les parties transformatives et leur relation avec leur partie préhensée. Ayant pu percevoir dans l’outil ainsi analysé sa structuration, nous sommes à même, dans le cadre d’une perception diachronique, d’établir à quel stade technique de son évolution cet outil se trouve. De par cette position génétique de l’outil, nous pouvons le comparer avec d’autres objets en d’autres lieux et temps, et dire si nous avons affaire à un phénomène d’invention, d’innovation et/ou de diffusion, autrement dit si les stades évolutifs sont présents ou morcelés. Dans le cas des premières sociétés productrices d’outils tranchants, ce type d’analyse n’étant que très rarement réalisé, et à supposer que le matériel soit pris en considération, il est difficile d’en dire plus. 87 Confère l’attribution régulière dans des livres scientifiques des premiers outils au genre « Homo » et non à leurs contemporains, les Australopithèques, alors que nous n’avons pas le début d’une preuve pour cette attribution.
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Volume utile de Type B Le volume utile à débiter de Type B va permettre de fournir une série d’enlèvements récurrents sans que la surface de débitage, avant débitage, ne possède le moindre critère technique susceptible d’entraîner une quelconque normalisation, morphologique et/ou technique de l’enlèvement. La récurrence permet cependant de normaliser certains caractères du tranchant : longueur, angle, morphologie. Cette procédure, par manque de caractères spécifiques de la surface de débitage et des faibles caractères prédéterminants laissés par la récurrence, a pour conséquence de produire de nombreux accidents de taille dont des réfléchissements ainsi que des éclats normalisés mais aux formes très diversifiées. Comme pour le Type A, le volume utile à débiter de Type B, est composé de deux sous-ensembles indépendants : le volume utile et le volume non utile. Une seconde série récurrente peut être produite si le volume restant présente un nouveau volume utile exploitable. Si tel est le cas, ce second volume utilisé n’a rien à voir avec le premier. Si tel n’est pas le cas, le tailleur utilisera un autre bloc et exploitera un nouveau volume utile. La réalité archéologique de ce type de système est toute aussi difficile à observer car elle nécessite des conditions de conservation exceptionnelle. Néanmoins, lorsque ces conditions sont réunies, comme dans le site de Lokalalei (Delagnes A. et Roche H. 2005 ; Roche et al. 1999), on observe très clairement, grâce aux nombreux remontages, que la surface choisie ne présente aucun caractère technique de contrôle et que seule la récurrence permet un minimum de contrôle. Le très grand nombre d’accidents, essentiellement des réfléchissements, est un excellent indicateur d’une gestion récurrente sans critères de convexités.
Volume utile de Type C Le volume utile à débiter de Type C présente une surface de débitage naturelle avec des caractères techniques de prédétermination dont les critères de convexité (Figure 49). Ce volume utile est sélectionné pour ses caractères techniques de prédétermination, naturellement présents. L’initialisation consiste alors à choisir une surface de débitage propice à l’obtention immédiate des enlèvements recherchés, sans intervention, excepté sur la surface de plan de frappe. Une fois mise en place la surface de plan de frappe, qui peut être une surface naturelle, il est possible d’obtenir, par volume utile, un enlèvement unique ou une série récurrente de deux ou trois enlèvements, rarement plus. Du fait de l’association de critères naturels de convexité et de la notion de récurrence, les enlèvements sont nettement plus normalisés (Figures 50 et 51). Mais cette normalisation est d’une certaine façon contrainte et sans possibilités de variabilité. Ainsi, la contrepartie d’une meilleure prédétermination de certains critères techniques est une production limitée dans sa diversité.
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Figure 49 Unique volume utile de Type C A gauche - sélection d’un bloc présentant un volume utile à rechercher : a et un second volume non utile : c. A droite - le volume utile a1 est le nucléus, le volume c reste non utilisé.
Figure 50 Volume utile de Type C Exploitation unipolaire d’une série de trois éclats de taille, similaires par leur volume utile (que nous nommerons ultérieurement C1). 1- Site de la pointe aux Oies à Wimereux - Pas de Calais (collection J. Louis) ; 2- Site de Gimpo - Corée ; 3 et 4 - Site de Montsaugeon - Haute Marne (Amiot C. 1993).
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Figure 51 Volume utile de Type C Exploitation unipolaire d’une série de cinq enlèvements Site de Guanyindong – Chine (d’après Li Y. 2011).
Figure 52 Plusieurs volumes utiles possibles de Type C A gauche, le bloc sélectionné présente deux volumes utiles a et b et un volume non utile c. Au centre, le premier volume utile a1, est débité sans que les deux volumes b et c n’interviennent en quoi que ce soit dans les opérations de débitage. A droite, une fois le premier volume utile a1 exploité, il n’y a pas de possibilité de produire une nouvelle série d’enlèvements avec les mêmes caractères techniques aux dépens de c. En revanche, le second volume utile b1 le permet.
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Puisque le bloc utilisé, ou volume utile, ou nucléus, ne correspond qu’à une partie du bloc, une fois celui-ci exploité, l’opérateur peut éventuellement rechercher la présence de caractères techniques naturellement propices à la poursuite des objectifs, sur la partie inutilisée jusqu’alors. Le tailleur investi ainsi un nouveau volume utile, totalement indépendant du premier (Figure 52). Plusieurs schèmes de débitage peuvent ainsi se succéder sans relation entre eux. Le second volume utile, s’il est présent, n’a pas besoin du premier pour être opérationnel. Les schèmes peuvent s’additionner suivant les surfaces naturellement propices à la satisfaction des objectifs. Cette succession de volumes utiles avait été repérée dans le niveau Clactonien du site de High Lodge, à la suite de remontages (Ashton et al.1992 ; Forestier H. 1993 ; Figure 53).
Figure 53 Type C1 - High Lodge Le bloc sélectionné présente plusieurs volumes utiles de Type C1, exploités successivement. L’aspect final du bloc prête à confusion si on en reste à une simple reconnaissance de forme. Or, l’analyse technique montre que plusieurs volumes utiles identiques ont été exploités. (D’après Ashton et al. 1992, p.134, fig.11.7)
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Variabilité des modes d’initialisation, de sélection et de production Malgré une monotonie dans la production, le Type C peut présenter une certaine variabilité selon le type de surface de débitage utilisé. Cette variabilité s’exprime dans la sélection du volume d’exploitation et sera autant quantitative que qualitative Sur le plan quantitatif, la variabilité porte sur le nombre d’enlèvements par surface de débitage selon leur gabarit. En effet, le Type C permet de produire un seul enlèvement préférentiel par surface naturelle choisie ou bien une série récurrente. Sur le plan qualitatif, il est possible de faire varier le rapport longueur/largeur du volume utile et, de façon relative, la morphologie des éclats (Figure 54). Le Type C à production d’éclats sera appelé C1, tel le Clactonien d’High Lodge (Figure 53) ou ceux de la Pointe aux Oies à Wimereux dans le Pas de Calais, de Montsaugeon en Haute Marne, ou encore de Gimpo en Corée et de Guanyindong en Chine (Figures 50 et 51 ; Amiot C. 1993, Li Y. 2011). Le Type C à production de lames88 sera appelé C2, tels ceux de Barbas (Figure 55 ; Boëda E. 1997, de Saint-Valéry-sur-Somme en Europe (Figure 56 ; Heinzelin J. de et Haesaerts P. 1983 ; Boëda E. 1988c) ou encore celle de Kaféine en Syrie (Figure 57).
Figure 54 Tableau explicatif du potentiel de variabilité des méthodes d’initialisation et de production d’un volume utile de Type C
Figure 55 Débitage de Type C2 Barbas – Dordogne, France Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE – Nanterre 88
Il est bien évident que par débitage laminaire nous entendons une production exclusive de produit plus long que large, de morphologie relativement homogène.
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Figure 56 Débitage bipolaire laminaire de Type C2 Saint-Valéry-sur-Somme (d’après Heinzelin J. de et Haesaerts P. 1983).
Figure 57 Débitage de Type C2 - Kaféine - Syrie A partir d’un volume utile et selon une série récurrente limitée à moins de quatre produits laminaires par surface, un second volume opposé a été utilisé pour produire une nouvelle série de lames mais, comme nous le verrons ultérieurement, ce second volume fait l’objet d’un aménagement partiel que nous nommerons alors D2.
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Méthode d’initialisation, méthode de production Il existe une seule méthode d’initialisation89 qui consiste à sélectionner un volume utile, quel qu’il soit, sans aménagement particulier de ce dernier. Si ce mode d’initialisation n’introduit que peu de variabilité dans les supports produits, celle-ci est néanmoins bien présente. Les schèmes de production, quant à eux, peuvent être diversifiés. Néanmoins, la méthode unipolaire est de loin la plus importante. Dans quelques cas, des enlèvements bipolaires sont retrouvés. Mais, ces enlèvements peuvent aussi résulter de l’utilisation de deux volumes utiles successifs. La résilience de la morphologie des blocs de matière première Dans la mesure où la sélection est la méthode d’initialisation, il est primordial de tenir compte des gîtes de matière première exploités. En effet, en condition de dépôt alluvial, seuls sont présents des galets, donc des blocs normalisés de même morphologie. Ainsi, quels que soient les galets et les volumes utiles exploités, les blocs, après débitage, sont morphologiquement très similaires, aboutissant le plus souvent à une grande confusion interprétative90. Cette normalisation doit être alors considérée a priori comme artificielle. Seules des analyses techno-productionnelles et techno-fonctionnelles peuvent parvenir à rétablir les intentions réelles : bloc à débiter ou outil. Dans le cas où les matières premières sont de morphologies différentes, les blocs exploités, de volume utile identique, sont, après débitage, morphologiquement distincts. Cette diversité morphologique des blocs résiduels peut être interprétée comme un comportement aléatoire. Or, la prise en compte du seul volume utile, le nucléus, rend compte au contraire d’un comportement très normalisé. En conséquence de quoi, la connaissance des disponibilités qualitatives et quantitatives des blocs de matière première dans l’environnement, est une condition préalable à toute interprétation technique. Cette attention est tout aussi nécessaire dans le cas de débitages de volumes utiles successifs sur un même bloc. En effet, comme le second volume utile est choisi dans un deuxième temps et que sa présence est aléatoire, les blocs débités présenteront une grande variabilité morphologique91. En effet, l’utilisation ou non d’un second volume utile, lorsqu’il est présent, entraîne une grande variabilité morphologique des blocs débités. Dans la majorité des cas, quel que soit le bloc de départ, le caractère aléatoire de la disponibilité d’un second ou d’un troisième volume utile, fait que la morphologie 89
Souvent de façon abusive, le terme d’initialisation est uniquement réservé à l’action d’aménagement du volume utile. Or, de notre point de vue, ce terme, tel que nous l’avons défini, prend aussi en compte l’action de sélection. Ainsi, dans toute initialisation en vue d’obtenir un volume utile configuré, il y a deux étapes : sélection et aménagement. La part respective de ces deux étapes dans le processus d’initialisation est variable. Dans le cas du Type C, la sélection du volume à débiter prédomine, l’aménagement se limitant à la mise en place éventuelle de la surface de plan de frappe. Comme nous le verrons par la suite, dans les autres types de volume ce rapport peut s’équilibrer, s’inverser ou disparaître, au profit du seul acte d’aménagement. 90 Nous avons déjà signalé ce problème à plusieurs reprises. La confusion se traduit par l’utilisation erronée de termes tels que : chopper, chopping tool, galet aménagé, tool/core, etc. 91 Une morphologie polyédrique peut résulter d'un débitage de plusieurs volumes utiles de Type C1 poussé jusqu'à l'extrême limite de production. La forme polyédrique est due à la migration aléatoire des séries successives.
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globale du bloc change. Il s’agit de séries de blocs non homothétiques. Excepté dans des cas de sélection de galets comme supports à débiter. Les remontages de High Lodge (Ashton N.-M. et al. 1992) ou de Monte Poggiolo (Perreto C. et al. 1998) montrent que les volumes utiles successifs débités sur des galets alternent (Forestier H. 1993) sur le même pôle, donnant l’image résiduelle d’un chopping tool et évoquant une industrie ancienne92 à galets/outils, ce qui n’est évidemment pas le cas. Ainsi, la perception morphologique comme seul élément classificatoire est trompeuse. Pour une même conception du débitage, elle amène à des conclusions contradictoires et erronées. Suivant le type de bloc et le nombre de séries successives, ce qui est cohérence technique devient incohérence morphologique, synonyme de caractères primitifs, ou devient, dans le cas de l’utilisation de galets, un véritable « faciès culturel ». Seule l’analyse de la production, dissociant volume utile et volume non utile, peut rendre compte du type de conception de débitage et donc du type d’enlèvements recherchés.
Figure 58 Lame brute de débitage provenant d’un débitage de Type C2 - Kaféine - Syrie Photos © Boëda E.
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Certains de ces nucléus avaient été appelés chopper ou chopping tool selon les cas, d’où l’idée de la présence d’une industrie de type « oldowayenne ». Les remontages ont clairement démontré qu’il ne s’agissait que de simples nucléus.
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Les enlèvements Les caractéristiques des enlèvements produits dépendent de la sélection des caractères techniques naturellement présents sur le volume utile. Selon les cas, ces caractères peuvent être considérés comme fonctionnellement suffisants et ne nécessiter aucune phase de confection, l’outil est alors brut de retouche. Ou, au contraire, faire l’objet d’une phase de confection importante, qui dans ce cas porte essentiellement sur la partie transformative de l’outil, plus rarement sur sa partie préhensive. L’absence de phase de confection est souvent observée dans les débitages de Type C2 -laminaire - ante-saalien, tant en Europe à Tourville-la-Rivière (Guilbaud M. et Carpentier G. 1995), à Saint-Valéry-sur-Somme (Heinzelin J. de et Haesaerts P. 1983), qu’au Proche-Orient dans le site de Kaféine en Syrie (Figure 58) ou encore en Afrique dans la formation de Kapthurin au Kenya (Johnson C.R. et McBrearty S. 2010). Cette absence de phase de confection ne signifie pas que les lames ne possèdent pas de critères techno-fonctionnels précis. En effet, le choix d’une production d’enlèvements plus longs que larges indique la recherche d’une partie préhensée particulière, telle une soie de lame actuelle. A cela s’ajoute la recherche d’un dos naturel opposé à un bord tranchant ou de deux bords tranchants plus ou moins parallèles et rarement convergents. La présence d’une phase de confection est souvent liée aux débitages de Type C1, tels que nous pouvons l’observer dans les collections d’Hidge Lodge (Figure 59). Cette retouche ne porte en général que sur la partie transformative aménageant le contact avec la matière d’œuvre. Elle ne modifie pas, ou très peu, la morphologie générale de l’éclat et encore moins la partie préhensive. Dans d’autres cas, une sélection plus précise du volume utile permet de produire des enlèvements au plus près des futurs outils. Ce type de production se retrouve dans certains sites comme celui de Guanyindong – province de Guizhou, Chine (Li Y. 2011). Selon la surface utile sélectionnée, la production de Type C1 permet d’obtenir certains enlèvements/outils à bords convergents qu’une simple confection supplémentaire permet de finaliser (Figures 60, 61 et 62). Pour conclure, le Type C semble être la première conception volumétrique capable d’exercer un contrôle anticipé sur les futurs enlèvements qui seront utilisés tels quels ou confectionnés. Cette conception volumétrique porte sur une partie du bloc, appelé volume utile. Elle résulte d’une sélection en rapport avec le type d’enlèvements recherché. Durant les périodes anciennes93, on la retrouve sur tous les continents94.
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Ce qui ne signifie pas que nous ne pouvons pas retrouver cette conception aux périodes les plus récentes. Par manque de documents, nous ne pouvons pas nous prononcer pour le continent australien.
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Figure 59 Aménagement de la partie transformative, sans modification de la partie préhensée (Ashton N.-M. et al. 1992).
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Figure 60 Schémas opératoires de Type C Schémas permettant de produire une gamme d’éclats dont certains, à bords convergents, seront recherchés pour être transformés en outils spécifiques (Li Y. 2011 p. 279).
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Figure 61 Guanyindong - Chine Outils à bords convergents obtenus sur un enlèvement de section transversale triangulaire. Le stade de confection renforce le caractère convergent créant un rostre ou un bec.
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Figure 62 Guanyindong – Chine Outils avec un rostre (d’après Li Y. 2011).
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Volume utile de Type D Le volume utile de Type D est l’objet d’un aménagement. A la différence du volume utile de Type C qui, rappelons le, était choisi pour ses caractères naturels. Dans le cas présent, le volume utile prêt à être débité doit être aménagé. Cet aménagement portera sur la surface de débitage et éventuellement sur la surface de plan de frappe (Figure 63). Cet aménagement ne porte que sur ce volume utile, laissant le reste du bloc dans son état naturel. Ainsi, le bloc tenu en main par le tailleur se compose bien de deux sous-ensembles : un volume utile aménagé correspondant au nucléus sensu stricto et un volume non utile. Selon les objectifs du tailleur, celui-ci pourra être investi ou non, en totalité ou partiellement, pour une seconde série d’enlèvements à condition qu’il soit spécifiquement aménagé pour être opérationnel. La reconnaissance de ce Type D n’est pas chose aisée. Une analyse morphologique et/ou partiellement technique amène le plus souvent à des dénominations d’objets ou de débitages hétéroclites95 dont témoignent les termes et/ou suffixes : pseudo, pré, proto, para,
Figure 63 Conception de Type D A gauche - le bloc sélectionné. Au centre - le bloc est investi en deux sous-ensembles : un futur volume utile a et un futur volume non utile c. A droite - le volume utile a1, appelé nucléus est aménagé prêt au débitage et le volume non utile c. 95
Cette terminologie hétéroclite est à resituer dans l’histoire de la recherche. Elle est le témoin d’une évolution méthodologique à vocation typologique qui s’est construite à ses débuts par le biais d’une approche « naturaliste » d’essence morphologique parallèlement à une approche plus technique. Il ne faut oublier que cette détermination à créer des types est à visée comparative. C’est l’essence même de la typologie. D’ailleurs, notre propre travail aboutit aussi à la création de types, en essayant de s’approcher au plus près des caractères structurels de chaque objet.
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utilisés pour les nommer. C’est ainsi que l’on parle de débitage para-Levallois et protoLevallois96 (Bordes F. 1961b). Il existe même des nucléus Levallois à éclat proto-Levallois signifiant que l’on est « sur la voie de » mais que « ce n’est pas encore tout à fait ça » (Bordes F. 1961b) ! Sont également employés les noms des lieux où ont été découverts certains nucléus : nucléus Victoria West ou Proto-Levallois (Van Riet Lowe C. 1945), technique Tabelbala-Tachenghit/technique levaloissienne (Tixier J. 1957), méthode Kombewa (Owen W.-E. 1938, 1939 ; Tixier et al. 1980), débitage de type Rocourt (Otte M. et al. 1990). Une autre solution est d’assimiler le nucléus à un faciès culturel : nucléus moustérien, abbevillien, acheuléen (Bordes F. 1961b). Dans d’autres cas, c’est le mode de production qui définit le type de nucléus : nucléus orthogonal (Heinzelin de Brancourt J. de 1962), nucléus unipolaire, semi tournant, bipolaire, etc.97 Une autre confusion, classique, existe lorsque le tailleur sélectionne un bloc en s’appuyant sur des surfaces naturelles possédant des caractères techniques requis mais insuffisants, nécessitant donc une phase d’aménagement venant parfaire les critères naturels, donnant ainsi l’illusion d’un bloc partiellement aménagé comme l’est un Type D – cf. Types E et F. D’autres confusions sont encore possibles pour ces mêmes Types quand la phase d’initialisation est abandonnée très tôt pour des raisons de qualité du bloc. Le tailleur anticipe alors l’échec en abandonnant rapidement le bloc. Pour éviter toutes ces erreurs, il faut travailler sur une collection complète. Seule la vision d’ensemble des intentions techniques rend compte de cette réalité conceptuelle de Type D, conçue pour produire des enlèvements présentant un certains nombre de caractères prédéterminés. Cette conception est beaucoup plus fréquente qu’il n’y paraît.
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Pour F. Bordes, le débitage proto-Levallois « se différencie du débitage Levallois vrai en ce sens que, si l’on peut y déceler les principales caractéristiques de ce débitage, elles sont souvent encore maladroitement réalisées » (Bordes F. 1961b, p.16). 97 Ces dernières appellations sont actuellement tellement généralisées (à l’échelle nationale et internationale) qu’il est difficile de mettre en avant telle ou telle référence bibliographique. Cette propagation très rapide est le témoin d’un engouement pour l’approche technique des objets, mais elle est, à notre avis, insuffisante et non significative. En effet, 90% des enlèvements d’une série récurrente sont débités à partir d’un seul pôle unipolaire - et selon une modalité semi-tournante. Comment faire autrement ? On connaît très peu d’exemples où le débitage n’est pas semi-tournant. C’est notamment le cas du Rubané en Belgique où les lames, de section quadrangulaire, sont connues sous l’appellation de « frites » (Cahen D. 1988). Revenons un instant sur le cas du bipolaire. En utilisant ce terme de cette façon, nous introduisons une confusion entre : - premièrement, un débitage dont le détachement des enlèvements est dû à deux ondes de choc opposées – choc et contre coup ; percussion directe écrasée (Bordes F. 1947), percussion bipolaire (Breuil H. 1954) ; - deuxièmement, un débitage de deux séries récurrentes successives, obtenues à partir de deux pôles opposés ; cela restera toujours un débitage de deux séries récurrentes unipolaires débitées à partir de deux pôles opposés ; - troisièmement, un débitage d’une série récurrente débitée à partir de deux pôles aux dépens d’une même surface de débitage. Si nous souhaitons établir des distinctions et être précis, nous devons alors faire des périphrases. Il est également indispensable d’être précis avec le débitage orthogonal et le débitage centripète. En effet, ces appellations abordent de façon très superficielle la réalité technique.
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Variabilité des modes d’initialisation et de production La variabilité potentielle de ce type de volume utile est utilisée pour produire toute une gamme d’enlèvements tels que des éclats, des lames et des éclats triangulaires (Figure 64). Les volumes utiles servant à produire des éclats seront nommés de Type D1 et D2 lorsqu’il s’agira de lames, et de Type D3 dans le cas d’éclats triangulaires. Comme nous le verrons ci-après avec des exemples archéologiques, certains de ces enlèvements présenteront des caractéristiques techniques similaires à certains enlèvements dits Discoïdes ou Levallois. Mais, rappelons qu’il faut distinguer Types et techno-types, en particulier dans le cas des pointes Levallois. En effet, une pointe Levallois peut très bien être produite par un débitage de conception non Levallois. La pointe est alors de type Levallois, mais n’est pas le techno-type pointe Levallois. Pour cela, il aurait fallu qu’elle soit produite par un débitage de conception Levallois. De même que pour le débitage de Type C, mais de façon beaucoup plus nette dans chacune des catégories D1, D2 et D3, nous observons une variabilité de méthodes d’initialisation et de production. En ce qui concerne les méthodes d’initialisation, la part de la sélection étant plus faible que précédemment est compensée par une phase d’aménagement. Cette phase d’aménagement peut s’exprimer de façons très différentes, par un ou plusieurs modes d’initialisation. Ce sont ces restes d’initialisation perçus sur le volume résiduel qui portent à confusion. Les méthodes de production sont, quant à elles, globalement peut diversifiées. On note une première distinction entre, d’un côté la production d’un enlèvement préférentiel - en général des éclats ou des typo-pointes, plus rarement des lames - et d’un autre côté, une production récurrente d’éclats ou de lames. Les méthodes de production par série récurrente sont très généralement unipolaires, plus rarement bipolaires, orthogonales, cordales ou encore centripètes.
Figure 64 Tableau explicatif du potentiel de variabilité des méthodes d’initialisation et de production du volume utile de Type D
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Type D1 La variabilité du Type D1 s’exprime surtout lors de la phase d’initialisation par un aménagement du volume utile. Plusieurs cas sont possibles. Initialisation de type Kombewa L’utilisation d’une face inférieure comme volume utile est l’une des solutions possibles. Le nombre d’éclats, alors appelé Kombewa ou semi-Kombewa, est variable ; n’excédant pas plus de deux à trois enlèvements (Figure 65 ; Boëda E. et al. 1995 ; Boëda E. 1997). Les enlèvements sont produits aux dépens de la face inférieure d’un éclat, au niveau de la partie convexe correspondant au bulbe. Une fois ce volume convexe utilisé, le débitage est arrêté. Suivant le faciès auquel nous avons affaire, les éclats Kombewa ou semi-kombewa seront transformés en pièces bifaciales comme à Barbas – France, couche C’3 (Figure 66), ou en pièces à dos comme à Korolevo – Ukraine, couche CII (Figures 67 et 68)98. Ce mode de production est aussi présent dans les phases anciennes africaines datées de plus d’un million d’années, telles que celles du site de Fejej en Ethiopie (Figure 69 ; Lumley H.de et al. 2004)
Figure 65 Site de Barbas - Dordogne, France 99 Couche C’3 : Nucléus de Type D1, initialisation de type Kombewa . 98
Nous aurions aussi pu citer les gisements des Tares à Sourzac - Dordogne, France : « Les faces inférieures de grands supports primaires de racloirs à retouche (Quina) sont exploitées pour produire un enlèvement Kombewa. » (Geneste J.-M. 1991, p. 19) ou de Villiers-Adam - Val d’Oise, France (Locht J.-L. 2003). 99 Lors de la première publication de ce site, nous avions qualifié ces pièces de nucléus Levallois à méthode d’initialisation Kombewa (Boëda E. et al. 1995). A l’époque, nous n’avions pas fait de distinction entre les différents types de production, nous les avions simplement classées comme une variante du débitage Levallois.
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Figure 66 Barbas couche C’3 - Dordogne, France Eclats Kombewa servant de matrice pour la fabrication d’outils différents.
Figure 67 Korolevo, niveau C.II, Micoquien – Ukraine Volume utile de Type D1 avec initialisation Kombewa.
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Figure 68 Korolevo, niveau C.II, Micoquien – Ukraine Eclat Kombewa aménagé
Initialisation pouvant évoquer le Levallois, sans en être Le volume utile est, cette fois-ci, aménagé par des enlèvements. De façon assez générale, on constate que ce genre de nucléus a souvent été classé dans la catégorie Levallois. Chronologiquement, il apparaît avant le débitage Levallois. C’est pour cette raison que dans certains cas comme à Cagny-la-Garenne – France (Figure 70), il est considéré comme le précurseur du débitage Levallois (Tuffreau A. 2004). Or, il ne s’agit en rien d’une conception Levallois puisque le volume utile n’est pas aménagé pour réinitialiser le bloc. Cette absence continuité possible du débitage s’observe sur la partie opposée au volume utile, appelée, dans le cas du débitage Levallois, surface de plan de frappe, qui, dans le cas présent, n’est absolument pas aménagée, excepté pour le détachement du ou des éclats recherchés. Dans certains cas, la méthode de production de la surface de débitage entraîne l’obtention de produits quasi similaires à ceux résultant d’un débitage Levallois100. Même si ces éclats sont techniquement identiques à des éclats Levallois issus d’une production Levallois, nous devons établir une distinction en les dénommant différemment. C’est ainsi que nous nommons ces éclats issus d’une production non Levallois : typo-éclat Levallois, puisque typologiquement ils sont identiques. Nous réservons le terme de techno-type éclat Levallois à une production Levallois101. 100
Une grande différence porte néanmoins sur le type de talons. Ils sont rarement de caractère Levallois. Nous avions déjà introduit cette différence à propos des pointes (Boëda E. 1991), nous l’élargissons aux éclats. 101
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Figure 69 Fejej, Ethiopie - Type D3 Série récurrente d’enlèvements pour produire des éclats avec un dos adjacent ou opposé (Lumley H. de et al. 2004).
Figure 70 Cagny-la-Garenne - Type D1 (Tuffreau A. 2004)
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Initialisation : nucléus dit Victoria West Ces nucléus ont fait l’objet de plusieurs appellations. Les plus connues sont celles de nucléus proto-Levallois (Van Riet Lowe C. 1945) ou para-Levallois (Bordes F. 1961b). Ces appellations signifient que ces nucléus furent considérés comme les précurseurs du débitage Levallois. Néanmoins, comme pour le cas précédent, ce genre de nucléus se distingue des nucléus dits Levallois par le type de préparation générale. Le problème n’est pas lié à la surface de débitage préparée avec peu d’enlèvements donnant un caractère « archaïque » à certains, mais à la conception globale du nucléus (Figure 71). Le caractère non Levallois est lié à une préparation du volume utile limitée à une partie du bloc. Une fois le volume exploité, le reste du bloc ne présente pas de préparations techniques nécessaires à un réaménagement du volume.
Figure 71 Nucléus de type Victoria West - Afrique du Sud Photo © Kathleen Kuman
A la différence du nucléus Levallois, il ne montre aucune anticipation d’une possible continuité intégrée dans le volume global du nucléus. L’angle que fait la surface de plan de frappe avec la surface de débitage est trop proche de 90° pour permettre une reprise favorable. Pour éventuellement continuer le débitage, il faudrait remettre en place l’ensemble de la construction du volume utile ainsi que la surface de plan de frappe. Dans une conception Levallois, comme par exemple dans le débitage de type d’Ault Onival dans la Somme – France, ou à Hermies dans le Pas-de-Calais les sites de champ Bruquette et de Tio Marché 119
(Valin L. et al. 2006), le nucléus est conçu de telle façon qu’une fois l’enlèvement recherché, on peut sans difficultés s’appuyer sur les mêmes surfaces de débitage et de plan de frappe pour remettre en place les caractères techniques manquants du volume utile. Type D2 Le Type D2 consiste en une production exclusive de produits deux fois plus longs que larges. Nous devons, de ce fait, distinguer deux intentions d’objectifs différents, l’un produisant des lames, l’autre des lamelles. Dans les deux cas, la production présente une variabilité relative aux modes d’initialisation du volume utile. Cette variabilité permet de modifier le type et le nombre de lames ou de lamelles par surface préparée. Les modes d’initialisation sont classiques, ils consistent en l’aménagement du cintre (convexités latérales) et de la carène (convexité distale) par des enlèvements corticaux laminaires. L’utilisation de crêtes antérieures et/ou postérieures ainsi qu’une surface de plan de frappe, variant selon les modalités de percussion interne ou marginale, entraîne une production d’enlèvements laminaires/lamellaires présentant des spécificités techniques singulières (Figure 72). Une fois le volume utile exploité, généralement réalisé par une série très courte d’enlèvements, la production est arrêtée. La configuration du nucléus n’intégrant pas une possible réinitialisation partielle, les nucléus sont soit abandonnés, soit réinitialisés en utilisant une autre partie du bloc ou en repartant de l’ancienne surface de débitage et intégrant quelques caractères restants. En contexte archéologique, ce type de volume utile D2 est très fréquent. Débitage de lames102 de Type D2 Dès les premières industries laminaires d’Europe, d’Afrique ou du Proche-Orient stades isotopiques 8/7/6/5/4, nous retrouvons ce volume utile D2 associé, ou non, à d’autres systèmes laminaires - C2, E2 ou F2. Les enlèvements sont en général produits à l’aide de percussions dure ou tendre, interne ou marginale. Il semble que la percussion interne domine durant ces périodes anciennes. Cependant, les études techniques sont actuellement trop limitées pour certifier l’emploi de cette unique technique de taille. En effet, cette impression ne repose que sur nos propres études au Proche-Orient et en Europe. En revanche, au stade isotopique 3, dans le circum méditerranéen, la percussion marginale devient dominante, voire exclusive, sans que cela entraîne l’abandon du système D2. Au contraire, nous retrouvons ce système durant les phases initiales du Paléolithique supérieur au Proche-Orient103, dans les industries dites de Transition ou du Paléolithique intermédiaire de Syrie (Boëda E. et Bonilauri S. 2006a ; Figure 73). Au Paléolithique supérieur européen, la présence du Type D2 est également attestée, essentiellement dans ses premières phases (Figures 74, 75 et 76).
102
Comme nous l’avons précédemment défini, le terme de lame est réservé à des produits issus d’une production exclusive de lames. 103 Nous pensons que cette phase dite de Transition est assimilable, par l’ensemble de ses options techniques, au début du Paléolithique supérieur proche-oriental. En cela, nous sommes d’accord avec S. Kuhn qui fut le premier à introduire cette notion (Kuhn S. et al. 2004).
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Figure 72 Kaféine, Syrie - Type D2 Préparation du volume utile par une crête antérieure et une crête postérieure. Le volume utile, extrêmement petit, ne permet le contrôle que de deux à trois lames. Percussion interne, percuteur dur.
Figure 73 Umm el Tlel, Syrie - Type D2 Préparation du volume utile par une ou deux crêtes postéro-latérales et par intégration d’une surface naturelle sur l’un des côtés du cintre. Percussion interne, percuteur dur.
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Figure 74 Barbas III - Dordogne, France – Aurignacien, Nucléus de Type D2 Aménagement partiel de la carène Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
Figure 75 Barbas III - Dordogne, France - Aurignacien, Nucléus de Type D2 Aménagement partiel de la carène Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
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Figure 76 Barbas II - Dordogne, France – Aurignacien La préparation est présente sur l’ensemble du nucléus, bien que le volume utile ne concerne réellement qu’une partie du bloc. Ce volume est traité de façon à obtenir de grandes lames. Une fois ces lames produites, le volume utile est épuisé. La poursuite du débitage est impossible, excepté avec un travail de recréation d’un nouveau volume utile quel que soit le type d’objectifs laminaires recherchés
Débitage de lamelles de Type D2 Le débitage lamellaire est attesté de façon anecdotique mais il est néanmoins présent, bien avant le Paléolithique supérieur tant en Europe qu’au Proche-Orient. En revanche, dans le cas de la Transition du Proche-Orient, ce produit représente pour la première fois un objectif techno-fonctionnel104. Comme pour le débitage de lames, les premiers témoins de débitage lamellaire sont de Type D2. On distingue plusieurs catégories de volumes utiles suivant le caractère droit ou tors des lamelles recherchées (Figure 77). L’initialisation est variée ainsi que les modes de percussion.
104
Dans les niveaux de transition du site d’Umm el Tlel - Syrie, le pourcentage de lamelles atteint 30% des objectifs prédéterminés (Boëda E. et al. 2006 a et b).
123
Figure 77 Umm el Tlel, couche II base’ - Syrie Différentes catégories de nucléus à lamelles La préparation du volume utile, dans le cas de la pièce 1, se fait par une troncature oblique. Dans le cas des pièces 2, 5 et 6, la préparation se fait par des enlèvements outre-passants corticaux. Dans les cas 3 et 4, on observe quelques négatifs d’enlèvements orthogonaux difficiles à interpréter. La percussion est mixte, interne et marginale.
124
Figure 78 Umm el Tlel, couche II base’ et III 2a - Syrie Les zones grisées représentent les négatifs des lamelles intercalées dans un débitage de produits laminaires.
Il existe un cas particulier où le débitage de lamelles est intercalé dans un débitage de
lames ou de pointes Levallois105 que nous avons observé dans les niveaux de Transition du site d’Umm el Tlel en Syrie (Figure 78). Dans ce cas, le débitage d’une ou de deux lamelles se fait dans l’axe d’une nervure. Le volume utile se résume de fait à une nervure. En Europe et au Proche-Orient, ce type de débitage de lamelles, intercalé dans une série de lames, est connu notamment au Magdalénien (Karlin Cl. et Ploux S. 1994), au Gravettien (Nespoulet N. 1999), au Proto-Aurignacien (Schmider B. 2002 ; Bon F. 2002 ; Bordes J.-G. 2006) ou encore au Baradostien ancien du Zagros (Bordes J.-G. et Shidrang S. 2009). 105
Cette observation a été faite dans les couches de Transition II base ‘ et III 2a du site d’Umm el Tlel - Syrie. Sur la majeure partie des produits Levallois – lames et pointes, on observa des enlèvements lamellaires le long des nervures. Les analyses tracéologiques ont montré que ces lamelles avaient une utilisation spécifique liée à leur caractère pointu (Boëda E. et Bonilauri S. 2006a).
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Type D3 Le Type D3 consiste en une production exclusive de produits triangulaires. Nous devons distinguer deux intentions d’objectifs différents, l’un produisant ce que l’on nomme des typo-pointes Levallois et l’autre des pseudo-typo-pointes Levallois. Débitage de typo-pointes Levallois La typo-pointe Levallois peut résulter de conceptions de taille différentes (Boëda E. 1991). Lorsque nous avons émis cette idée en 1991, suite à de nombreuses expérimentations, nous ne disposions pas de l’ensemble des modes opératoires susceptibles de fournir cette typo-pointe. Les Types F1, alors appelés Levallois, et les Types E2, alors appelés pyramidaux, étaient les seuls clairement individualisés. La découverte du site de Villiers-Adam - Val-d’Oise (Locht J.-L. et al. 2003) est venue confirmer l’intuition expérimentale. Ce site présente parmi d’autres objectifs celui d’une production exhaustive de typo-pointes Levallois (Figure 79) sans la moindre présence de nucléus Levallois à pointes (Figure 80).
Figure 79 Villiers – Adam - Val d’Oise, France Production de typo-pointe Levallois (d’après Locht J.-L. 2003).
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Figure 80 Villiers - Adam - Val d’Oise, France Nucléus non Levallois malgré leur apparence morphologique de Type D3 avec production de typo-pointe Levallois (d’après Locht J.-L. 2003).
L’organisation générale des nucléus montre qu’une seule partie du nucléus est préparée. Cette construction est confirmée par les très nombreux remontages (Figure 81). Après l’initialisation d’un volume utile, un éclat triangulaire est obtenu. Les modes d’initialisation sont multiples et adaptés à la morphologie du bloc de départ.
Figure 81 Villiers – Adam - Val d’Oise, France - Schème de remontage n°11 Type D3 à une typo-pointe Levallois avec une initialisation unipolaire convergente (Locht J.-L. 2003).
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Figure 82 Villiers – Adam - Val d’Oise, France Schème de remontage n°34 avec deux surfaces de débitage (volume utile indépendant) Type D3 à deux typo-pointes Levallois obtenues par une même méthode d’initialisation (Locht J.-L. 2003).
Certains remontages montrent une production multiple et successive de typo-pointes Levallois. Mais, à chaque fois, cette production se fait aux dépens d’un nouveau volume utile, indépendamment du premier, implanté selon les caractères techniques du bloc (Figures 82 et 83). Le très bel exemple archéologique de Villers - Adam dans le Val d’Oise confirme l’existence de ce Type, plus fréquent qu’il n’y paraît. L’obtention d’un produit unique - typopointe Levallois, se fait au gré des possibilités, ou non, d’implanter sur le bloc de nouveaux volumes utiles. Chaque exploitation volumétrique est indépendante de l’autre. Il y a bien confirmation de l’investissement partiel du bloc à chaque étape de production. En revanche, cette façon d’obtenir des typo-pointes Levallois est a priori106 peu observée au Proche-Orient107 où les débitages de Type E2 et F1 sont plus fréquents (Figure 84). 106
Nous devons rester prudents car peu d’études technologiques avec ce mode d’approche ont été réalisées. Néanmoins, à la différence de l’Europe où la typo-pointe Levallois n’est pas la production dominante en termes de produits typo-Levallois, au Proche-Orient, ce type de produit Levallois est issu d’une production Levallois. 107 Excepté sous leur forme miniaturisée : dans les couches moustériennes du site d’Umm el Tlel, il existe une production d’éclats triangulaires et de typo-pointes Levallois entre 2 et 3 centimètres de long. Ces enlèvements sont obtenus soit aux dépens d’une nervure de la face supérieure d’un éclat, soit après un minimum de préparation, toujours aux dépens d’un éclat. La production consiste en un seul produit voire deux successifs.
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Figure 83 Villiers – Adam -Val d’Oise, France Schème de remontage n°5 avec 4 surfaces de débitage indépendantes (volumes utiles) Type D3 à quatre typo-pointes Levallois utilisant le même mode d’initialisation (Locht J.-L. 2003).
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Figure 84 Une typo-pointe Levallois peut être produite par trois types de structures volumétriques distinctes : F2, E2 et D3.
Débitage de pseudo-typo-pointe Levallois Ce type de débitage se retrouve sous plusieurs appellations : débitage centripète (Texier P.-J. 1995), débitage convergent, voire débitage Discoïde108. Ce dernier est évoqué lorsque la production est clairement orientée vers l’obtention d’une typo-pointe pseudo Levallois. Dans certains cas, malgré la présence de ce type d’objectif, on préfère parler de débitage centripète. Il s’agit, pour l’essentiel, de la production d’une petite série de deux à trois enlèvements dont le dernier présente des bords convergents. Cette notion de convergence est à notre avis importante, car ce mode d’exploitation permet d’obtenir ce caractère sans tenir compte de la morphologie globale de l’éclat. Le volume utile représente évidemment une partie du bloc à débiter. Celui-ci peut s’obtenir aux dépens d’un bloc quelconque, d’un galet ou d’un éclat. Dans les deux premiers cas, l’aménagement est limité à un ou deux enlèvements et la production de la pièce convergente est immédiate. De façon générale, après cette série, il est impossible de poursuivre le débitage et ce, pour des raisons techniques liées, par exemple, à la présence de « step » fracture ou d’angles obtus. Ce fait est l’un des meilleurs indicateurs pour démontrer 108
Cette multitude de noms traduit évidemment des réalités différentes, en partie liées à des problèmes de matières premières, comme plusieurs auteurs l’ont mentionné (Mourre V. 2003).
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que l’investissement porte exclusivement sur un volume utile unique par bloc. Lorsque le bloc à débiter est un éclat, la face inférieure est sélectionnée, de préférence, pour ses critères de convexités naturelles. Ce cas de figure se rencontre notamment dans les sites de ChampBossuet en Gironde – France (Bourguignon L. et Turq A. 2003 ; Figure 85) et d’Asprochaliko en Grèce (Papaconstantinou E.-S. 1987. Cependant, la nervure d’une face supérieure d’un éclat peut également faire office de critère de préparation.
Figure 85 Champ-Bossuet - Gironde, France Typo-pointe-pseudo Levallois avec initialisation Kombewa (Bourguignon L. et Turq A. 2003)
En conclusion La conception volumétrique de Type D recouvre une réalité archéologique bien plus importante que nous ne l’avions imaginée, et ceci dans tous les domaines de la production : lames, éclats, éclats triangulaires, typo-pointes Levallois, pseudo-typo-pointes Levallois. La variabilité est essentiellement portée par la phase d’initialisation comme nous l’avons vu à travers quelques exemples archéologiques. L’utilisation de ce Type peut avoir plusieurs sens. Le premier est chronologique : comme dans le cas du Type D1 qui précède le Levallois ; ou celui du débitage de Type D2 que l’on situe après le Type C2 et toujours antérieurement au Type F2 ; alors que le Type 131
D2 est souvent contemporain du Type E2. Le Type D peut aussi être une réponse économique vis à vis des matières premières : dans ce cas, les Types D3 sont une solution à minima pour produire des typo-pointes Levallois et des typo-pseudo-pointes Levallois sur des matières premières difficiles ; les Types D2 et D3 peuvent être l’expression d’une économie du débitage et correspondre à des moments spécifiques ne requérant que peu d’enlèvements, on les retrouvera alors associés au Type F1 et plus rarement au Type E2. C’est ainsi que, grâce à la reconnaissance de ce Type D et de ses différentes applications, nous pourrons éviter un réductionnisme arbitraire, des amalgames faciles et des déterminations approximatives, pour mettre au jour une complexité bien plus grande et plus proche de la réalité.
Structure volumétrique dite concrète Un second ensemble regroupe les systèmes techniques de production qui nécessitent l’intégralité du bloc pour atteindre leurs objectifs. Dans cet ensemble, le volume utile se confond avec l’intégralité du volume du bloc, alors appelé nucléus. Ils ne font qu’une seule entité, intégrés dans une même synergie productionnelle. Les caractères techno-fonctionnels des outils sont en très grande partie obtenus lors de la production. De ce fait, les supports produits sont au plus près des futurs outils. On distingue deux structurations volumétriques différentes : le Type E et le Type F. Le Type E : il s’agit de l’adoption d’une récurrence organisée d’enlèvements, de telle façon qu’elle permette la mise en place sur le nucléus de caractères de convexités nécessaires pour atteindre les objectifs recherchés. Toutefois, le bloc doit être exploité par la même gamme d’enlèvements au risque de perdre le caractère prédéterminant de ces enlèvements et de modifier sa structure volumétrique opérationnelle. En d’autres termes, ce sont des objectifs invariants qui maintiennent la structure volumétrique adéquate pour leur production. Dans cet ensemble de structures volumétriques nous effectuons une subdivision entre ce que nous avons défini comme discoïde, alors nommé Type E1 (Boëda E. 1993) et le débitage dit pyramidal, alors nommé Type E2. Le Type F : il s’agit de l’aménagement préalable de l’intégralité du bloc afin de lui conférer des caractères techniques particuliers de façon à donner une dimension prédictive aux caractères techniques et morphologiques de l’enlèvement à venir. Plusieurs conceptions de taille appartiennent à cet ensemble. La plus connue est la conception Levallois. Nous y regroupons aussi certaines conceptions laminaires que l’on retrouve au Paléolithique supérieur et au Néolithique. L’absence d’appellation spécifique pour désigner ces différents débitages laminaires, à la différence des débitages d’éclats - Levallois, Discoïde, Clactonien, etc., ou de lames du Paléolithique ancien et moyen, s’explique par le fait qu’il n’existe en réalité qu’une, voire peut-être deux, conceptions volumétriques différentes. Jusqu’à maintenant, la variabilité 132
observée se situait au niveau des méthodes, comme pour le débitage Levallois. Mais cette reconnaissance des méthodes s’est faite sans chercher réellement à définir les conceptions volumétriques sous-jacentes ou, tout du moins, à dissocier ce qui relevait d’une part des méthodes, d’autre part du concept. Du reste, une certaine confusion entre ces deux termes existait. Il est en effet intéressant de voir que dans l’histoire de notre discipline, la plupart des chercheurs ont amalgamé concept et méthode pour le Paléolithique inférieur et moyen, définissant ainsi un débitage par sa méthode109. Dans cet ensemble de structures volumétriques, nous effectuons aussi une subdivision entre ce que nous avons défini comme Levallois, alors nommé Type F1 (Boëda E. 1994) et certains débitages laminaires du Pléistocène supérieur final et de l’Holocène, alors nommés Type F2.
Volume utile de Type E Ces différentes structures de Type E forment un groupe très particulier composé des conceptions dites discoïdes E1 et pyramidales E2 (Figure 86). Avant de décrire précisément ces conceptions de débitage, nous tenons à resituer leurs objectifs respectifs. Nous avons dit au préalable que l’évolution des objets est en générale la cause de l’évolution des structures. Dans le cadre de ces évolutions vers plus de contraintes technoculturelles, le discoïde et le pyramidal sont deux conceptions qui permettent respectivement de normaliser plusieurs formes et d’y attacher certains caractères techniques. D’une certaine façon, on pourrait dire que ces deux conceptions sont complémentaires.
Figure 86 Tableau explicatif du potentiel de variabilité des méthodes d’initialisation et de production de volume utile de Type E.
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La définition d’une conception du débitage à partir des nucléus : centripète, nucléus semi-tournant, nucléus unipolaire, nous interroge. Car quelle différence fera-t-on alors entre un débitage unipolaire Levallois, un débitage unipolaire "Clactonien" ou encore un débitage unipolaire laminaire ? Si tout est unipolaire, on pourrait penser qu’il n’y a pas de différence. Pourtant on sait qu’il y en a une !
133
Type E1 Le Discoïde de Type E1 permet une production hétérogène constituée de quatre types d’éclats bien caractéristiques provenant de l’utilisation de deux directions : cordale et centripète (Boëda E. 1993, 1995b ; Figure 87). Les enlèvements de direction cordale sont des éclats débordants et des pointes pseudo-Levallois110. Les éclats de direction centripète sont des éclats plus longs que larges ou quadrangulaires (Figure 88).
Figure 87 Nucléus de Type E1 Queyssac - Dordogne, France. Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
Figure 88 Nucléus discoïde à exploitation bifaciale, avec production de quatre catégories d’enlèvements. Külna, Tchéquie - Couche micoquienne 110
Encore appelées techno-pointes pseudo-Levallois. Le rajout « techno » signifie qu’elles sont issues d’une intention discoïde.
134
Type E2 Le pyramidal Type E2 tend vers une production d’enlèvements systématiquement deux fois plus longs que larges, excepté les accidents (Figures 89, 90, 91 et 92). La production est : soit homogène et constituée de lames comme dans l’Amudien (Figure 93 ; Meignen L. 1994) de la grotte de Tabun (Garrod D.-A.-E. et Bate D. 1937 ; Garrod D.-A.-E. 1956 ; Jelinek A. 1975, 1981, 1982, 1990) ou de l’abri Zumoffen (Garrod D.-A.-E. et Kirkbride D. 1961) ; soit hétérogène et constituée de lames et d’éclats triangulaires allongés, assimilables à des typo-pointes Levallois telles les Leiliras d’Australie (Mulvaney D.-J. 1975 ; Bordes F. 1977 ; McCarty J.-P. 1976 ; Spencer B. et Gillens F.-J. 1912 ; Figure 94) ou les produits de la couche 4 de Boker Tachtit dans le Sinaï (Marks A.-E. et Volkman P. 1983)111.
Figures 89 et 90 Nucléus Type E2 Kaféine, Syrie - Industrie anté-moustérienne Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE – Nanterre 111
Il existe très certainement un plus grand nombre de sites présentant des nucléus pyramidaux mais les descriptions étant le plus souvent et avant tout morphologiques, nous préférons ne nous référer qu'aux cas les mieux décrits.
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Figure 91 Nucléus Type E2 Saint-Firmin-des-Prés - Loir-et-Cher, France - Fouilles V. Lhomme (Lhomme V. et al. 1999)
Figure 92 Nucléus Type E2 Saint-Firmin-des-Prés - Loir-et-Cher, France - Fouilles V. Lhomme (Lhomme V. et al. 1999)
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Figure 93 Nucléus Type E2 Tabun unité XI, Amudien, Israël (d’après Meignen L. 1994).
Figure 94 Leiliras d’Australie (d’après Mc Carty J.-P. 1976)
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Spécificité conceptuelle La spécificité du groupe E repose sur un paradoxe : l’obtention de produits qui, bien que prédéterminés de façon conséquente, ne sont pas produits à la suite d’une phase d’initialisation du nucléus comme cela peut être le cas dans les Types D et F. La phase d’initialisation s’appuie sur une sélection du bloc à débiter et sur une très courte phase de production de quelques éclats - deux ou trois, dont l’objectif est de produire rapidement le ou les deux premiers enlèvements spécifiques à chaque conception. Aussitôt la production amorcée, on va assister à une auto-configuration du nucléus. C’est-à-dire que chaque enlèvement est prédéterminé et prédéterminant, permettant ainsi de maintenir une production contrôlée. Bien évidemment, cette production ne permet pas la réalisation d’autres types d’enlèvements au risque de rompre la récurrence et donc la production de produits normés. Ce sont des conceptions fermées qui, pour fonctionner, doivent produire toujours le même type ou la même série d’objets avec le même rythme. En termes de structure, le volume utile de départ n’est qu’une partie du bloc. Pour être opérationnel, le nucléus n’a donc besoin que d’un volume utile initial partiel, localisé en un endroit du bloc. Mais à la très grande différence de ce que nous avons décrit dans le cas des nucléus précédents - Types A, B, C et D, où, à la suite de l’utilisation du volume utile, l’algorithme suivant n’avait aucun lien obligatoire avec le précédent, il existe dans le cas présent une interdépendance fonctionnelle entre les enlèvements d’une même série et les séries successives. Le premier « algorithme », réalisé aux dépens du volume utile de départ, va mettre en place les critères techniques nécessaires à la réalisation d’un deuxième algorithme et ainsi de suite. De sorte que l’exploitation du premier volume utile va engendrer la création d’un second volume utile, etc. Ainsi la partie du bloc qui n’est pas opérationnelle, constitue un réservoir, au sens propre du terme. Ce réservoir devient immédiatement un volume utile dès que, à la suite de l’exploitation de la première série d’enlèvements, la poursuite des objectifs en termes quantitatifs et qualitatifs fait nécessité. Les nucléus pyramidaux ou discoïdes sont une suite de volumes utiles successifs qui se génèrent les uns à la suite des autres, l’exploitation du volume du bloc de départ pouvant être quasi totale. Cette interdépendance fait qu'il ne s'agit en aucun cas d'une addition de volumes utiles. En termes de structure, il s’agit d’une structure de type intégré mais qui, au départ, a un caractère virtuel. Raison pour laquelle on ne peut pas utiliser le terme de "mise en forme" (Soriano S. 2000). En effet, ce n’est pas une structure de type intégré qui est finalisée en premier sous la forme d’un nucléus configuré, comme nous le verrons dans le Type F, mais une structure de type intégré en perpétuelle construction. Ce devenir est très intéressant à analyser car il est l’objet de bien des difficultés dans sa reconnaissance et son interprétation. Ce devenir permanent a pour conséquence un changement de morphologie du nucléus selon la quantité d’enlèvements recherchée. C’est le cas du pyramidal où l’on peut passer par les stades antérieurs de quart-pyramidal au semipyramidal112 (Figure 95). C’est aussi le cas des nucléus discoïdes, peut-être même de façon encore plus caractéristique. En effet, dans ce cas, rien n’oblige le tailleur à gérer deux surfaces 112
Si on reste sur un plan strictement morphologique, les nucléus de types C2, D3, voire F1, peuvent, en fin de débitage, avoir des silhouettes quart-pyramidales ou semi-pyramidales. La distinction avec un débitage de type
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Figure 95 Nucléus pyramidal avec son potentiel d’évolution 1 quart pyramidal, 2 semi-pyramidal, 3 pyramidal en fin de potentiel
Figure 96 Débitage non homothétique de Type E1 L’exploitation peut se faire de façon successive par des enlèvements sur une ou deux faces, successives ou alternantes. Quoi qu’il en soit, la gamme des enlèvements ne changera pas. Dans le cas 4, on peut même réaliser un changement d’axe comme on l’observe archéologiquement dans le site de Beauvais. (Locht J.-L. 2003)
de débitage à la fois puisque le travail peut se focaliser sur une seule face, voire sur une seule portion de surface113 (Figure 96). Tout dépend de la quantité d’objectifs souhaités et du déroulement des opérations. En conséquence, il y aura autant de morphologies différentes de nucléus qu’il y aura d’enlèvements produits ! E2 tient essentiellement à l’orientation du plan de frappe par rapport aux surfaces de débitage. En effet, cette orientation est une des toutes premières étapes de la phase d’initialisation. Elle conditionne la réussite de l’exploitation potentielle d’un maximum de volume du bloc. Une bonne orientation permet l’exploitation périphérique globale. Si tel n’est pas le cas, on se retrouve dans des catégories de nucléus de type abstrait avec un volume utile limité à une partie du bloc. 113 Dans ce cas, à la différence du type D3, la poursuite du débitage peut se réaliser sans difficulté. Il n’existe pas d’impossibilité technique pour continuer. La séquence potentielle est seulement interrompue. Et il n’est pas impossible de voir associés dans une même couche des Types D3 et E2. Il est alors intéressant d’en comprendre les raisons : matière première, apprentissage, comportement ? Pour le comprendre, il faut remettre le nucléus dans son contexte et le comparer aux autres.
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Les conceptions E1 et E2 sont régies par la règle du "qui peut le plus peut le moins". Ce changement de morphologie incessante fait de ces volumes des structures de type non homothétique (Boëda E. 1997). De ce fait, bien que relevant de la même structure, ces nucléus présenteront, quelle que soit la méthode utilisée, des morphologies différentes suivant le nombre d’enlèvements recherchés. L’essence même de ce genre de débitage repose sur une transformation morphologique nécessaire. Par ailleurs, ce qui pouvait apparaître comme le fait de l’utilisation de méthodes différentes n’est en réalité qu’un niveau de fréquence d’utilisation du bloc de départ selon la quantité d’objectifs recherchés. S’il doit y avoir une perception de méthodes différentes, cette perception se situe au niveau de la représentation quantitative des objectifs possibles. C’est dans le choix de tel ou tel ensemble d’enlèvements que peut s’exprimer la différence de méthode. Ces méthodes ont alors à voir avec des problèmes de combinaisons d’enchaînement des enlèvements les uns par rapport aux autres. Dans le cas du discoïde – Type E1, nous pouvons ainsi définir plusieurs méthodes114 et objectifs : 1une méthode à enlèvement préférentiel, telle la pointe pseudo-Levallois (Bourguignon L. et Turq A. 2003) ; 2une méthode à dominante mixte : éclats débordants et pointe pseudo-Levallois (Depaepe P. et al. 1994 ; Locht J.-L. 2003) ; 3une ou des méthode-s à enlèvements diversifiés (Boëda E. 1995a ; Brenet M. et Folgado M. 2003). De la même façon, dans le cas du Type Pyramidal E2, plusieurs méthodes permettent de produire uniquement des lames ou, au contraire, une mixité technique composée de lames et d’enlèvements triangulaires dont des pointes dites Levallois. En revanche, dans le cas du discoïde comme du pyramidal, la direction des enlèvements n’a pas de valeur de différenciation de méthodes. En effet, pour que l’exploitation d’un premier volume utile conduise à un second volume utile, il faut, dans le cas du discoïde, nécessairement employer des enlèvements de différentes directions, et, dans le cas du pyramidal, des enlèvements de même direction. Les directions changeantes ou uniformes relèvent nettement plus d’une nécessité structurelle que de l’expression d’un caractère culturel, à l’opposé de ce que l’on verra pour les nucléus Levallois et certains nucléus laminaires du Paléolithique supérieur. De fait, les Types E1 et E2 ne sont pas réellement l’objet d’un champ de variabilité comme nous le verrons pour le Type F1. D’une certaine façon, cela s’explique par l’essence même de ces débitages. Ne faut-il pas, pour rester opérationnel, toujours produire la même gamme de produits ? La variabilité ne peut alors porter que sur une fréquence plus ou moins grande de tel ou tel enlèvement. 114
Néanmoins, nous ne sommes pas convaincu qu’il s’agisse réellement de méthodes telles que nous pouvons l’entendre pour le débitage Levallois, mais plutôt de « procédure d’optimisation » pour augmenter la fréquence d’un enlèvement particulier ou de toute une gamme d’enlèvements. Comme nous pouvons l’observer dans le cas de la méthode unipolaire parallèle Levallois, un simple placement et ordonnancement différent dans la position des enlèvements d’une même série, peut modifier la silhouette de chacun d’entre eux.
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A la lumière de notre nouvelle proposition de Types, revenons sur la notion d’exploitation de surface ou de volume des nucléus que nous avions formulée dés 1990 (Boëda E. 1988c 1997). Les Types de structure abstraite correspondent, dans leur quasitotalité, à une conception volumétrique de surface se réduisant à un volume utile limité. Les Types de structure concrète regroupent les débitages d’exploitation volumétrique. En ce sens, nous nous démarquons de ce que nous avions pu dire dans les années 1990, puisque nous avions conçu le Levallois comme étant une exploitation de surface et non de volume. En fait, les notions de Type abstrait et de Type concret ne corroborent pas exactement les notions de surface et de volume, comme nous venons de le laisser entendre, dans la mesure où ces Types abstrait/concret ne représentent pas le même phénomène. Chaque Type, et donc chaque volume utile, possède un potentiel de production de produits prédéterminés qui lui est propre. Selon l’importance du volume utile préparé, ce dernier peut être limité à une seule surface : « exploitation de surface », comme dans le cas des Types A, B, C1, D1 et D3, ou englober plusieurs surfaces : « exploitation volumétrique », comme dans le cas des Types C2, D2, (Figure 97). Dans le cas du Levallois, chaque phase de production est une exploitation de surface. Mais, comme la construction volumétrique inclue la réinitialisation du nucléus et donc la poursuite d’une production similaire ou différente, le Levallois est une exploitation volumétrique. De fait, c’est le potentiel structurel de ce type de structure particulière qui en fait une exploitation volumétrique globale. De façon générale, la tendance reste celle du passage d’une exploitation de surface, qui est l’apanage des structures abstraites, à une exploitation volumétrique qui regroupe les structures concrètes et les structures laminaires abstraites. Ce dernier cas est possible mais non systématique.
Figure 97 Corrélation entre les différents Types de volumes utiles et les notions d’exploitation de surface et de volume En noir : ce pourquoi la structure volumétrique existe ; en gris : ce qui est possible mais non structurel, « qui peut le plus peut le moins ».
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Volume utile de Type F Le volume utile de Type F se confond avec le volume du bloc configuré prêt à être débité. Le bloc configuré dans son intégralité est le nucléus. Cette configuration fait suite à une phase dite d’initialisation, essentielle pour l’obtention des caractères techniques recherchés pour chacun des objectifs et pour l’exploitation globale du nucléus. Ainsi, nous distinguons deux temps techniques d’importance égale et bien distincts : le temps de l’initialisation qui crée le nucléus et le temps du débitage propre à l’obtention des objectifs recherchés. Ceci est différent des Types E où les phases de configuration et d’initialisation sont intégrées dans une même synergie afin que la configuration se renouvelle au fur et à mesure du débitage. La phase d’initialisation De cette phase essentielle dépend la capacité du nucléus à devenir le volume utile dans sa quasi-intégralité, tout en fournissant à tout moment le ou les artefact-s recherché-s. Pour cela, l’ensemble de caractères techniques doit agir en synergie. Classiquement, on représente ce temps par un aménagement important et complexe. Cependant, il existe une seconde voie, souvent négligée, qui consiste à faire reposer ce stade d’initialisation sur une sélection draconienne du bloc à débiter. Cette phase peut être exclusive ou associée à une phase d’aménagement. La solution du tout aménagement est de loin la plus fréquente, associée ou non à une phase de sélection partielle (Figures 98 et 99). Selon les objectifs qualitatifs ou quantitatifs, les méthodes d’initialisation varient, sans qu’il y ait forcément adéquation stricte entre une méthode et un ou plusieurs objectifs. En revanche, la configuration du nucléus est spécifique de chaque grande lignée et en particulier des lignées laminaire et lamellaire. Un temps de sélection peut être introduit qui réduit le temps de l’aménagement. Cette phase supplémentaire n’obéit pas à des raisons fixes et rigides, comme on pourrait le croire, en arguant par exemple d’une meilleure adéquation entre la matière première et le type de configuration recherchée. En réalité, tous les cas de figures sont présents et méritent une analyse approfondie. La voie du « tout sélection » est rare mais néanmoins présente sur différents continents - Europe, Asie, Amérique du Sud. Elle est réservée à l’exploitation de galets, mais pas n’importe quel galet. L’objectif est de diviser le galet en deux hémi-galets identiques ou split (Figure 100) (Crabtree D.-E. 1972). Chaque split est un éclat jumeau avec une face supérieure régulière et une face inférieure plane comme un éclat Levallois115. Le choix du galet est donc fondamental, puisqu’il doit posséder tous les caractères requis pour obtenir le futur support d’outils mais surtout présenter tous les caractères techniques capables de rendre la phase de
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En terre de feu, plusieurs sites holocènes attestent de l’existence de chaînes opératoires Levallois (Nami H. 1992 ; Morello F. 2005) et, pour le site de Cabo San Vincente I - Chili, de deux autres chaînes opératoires associées. L’une d’entre elle témoigne de la fabrication de splits. La comparaison des splits avec les éclats Levallois préférentiels ne montre qu’une infime variation volumétrique. Il en est de même pour les outils fabriqués aux dépens de ces deux types de supports. S’agirait-il de deux voies différentes pour une production d’objets fonctionnels identiques ? La troisième chaîne opératoire est bifaciale et consiste en la fabrication de pièces très plates ayant le même volume que les autres produits susnommés !
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Figure 98 Nucléus configuré de Type F obtenu à la suite d’une phase d’initialisation réalisée par aménagement avec ou sans une sélection préalable
Figure 99 Vilazette - Dordogne, France – Magdalénien Configuration modifiant intégralement le bloc de départ en vue d’une production de lames.
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Figure 100 La phase d’initialisation consiste à rechercher le futur nucléus déjà configuré, prêt à être débité.
production la plus optimiste possible. C’est-à-dire présenter deux surfaces d’impact punctiformes avec le percuteur et l’enclume. Le temps de la production se fait selon une percussion bipolaire sur enclume avec un percuteur dur. Un seul coup est possible. La percussion bipolaire est l’unique moyen de fracturation capable de produire ces deux hémi-galets. Sans une sélection draconienne, il n’y a pas de réussite possible. Ainsi donc, ce n’est pas le mode de percussion qui fait le split mais la sélection du galet. En effet, nous connaissons en Afrique de nombreuses industries moustériennes et néolithiques qui ont utilisé la fracturation bipolaire avec pour objectif une production d’éclats variables, allant du « quartier d’orange » aux fragments plats et débris en tout genre et, de temps en temps, un split fortuit. En réalité, en dehors de la production de splits sur galet spécifique, la production bipolaire sur d’autres morphologies de galet est difficilement contrôlable. En résumé, la fabrication de splits impose une configuration du nucléus très stricte qui résulte d’une phase d’initialisation basée sur la seule sélection. Il est intéressant de noter que cette solution apparaît comme le summum de l’efficacité et du rendement matière
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première/objectif. Le nucléus configuré se substitue aux objectifs. Cette substitution est la condition de réussite de l’opération technique116. Objectifs des nucléus configurés de Type F Dans le cas d’une phase d’initialisation basée sur un aménagement du nucléus, on distingue deux catégories de volumes configurés qui dépendent des objectifs. Ils sont nommés respectivement F1et F2. Une configuration de Type F1, ou débitage Levallois, a pour objectif une production diversifiée d’artefacts. Alors que pour une configuration de Type F2, l’objectif se normalise avec une production exclusive de lames et de lamelles117. Lorsque la sélection est la seule composante de l’initialisation, les objectifs restent essentiellement des éclats, dont seul le rapport longueur/largeur/épaisseur peut varier selon les objectifs fonctionnels recherchés. Ce mode de production est appelé F3. Spécificités productionnelles des Types F1 et F2 Les techno-types produits par ces deux Types F1 et F2 n’ont rien d’original puisqu’ils peuvent être obtenus avec des débitages de Types D, E et C. Les lames peuvent résulter des Types C2, D2, E2 et F2 ; les typo-pointes Levallois peuvent provenir des Types D3, E2 et F2 et les typo-éclats Levallois de débitages de Type D1. Il ne semble donc pas exister d’adéquation entre un type de produit et la structure volumétrique du volume utile aux dépens duquel il est obtenu (Figure 101). On peut donc légitimement s’interroger sur la spécificité productionnelle des débitages de Types F1 et F2. Pourquoi configurer la totalité du bloc à débiter ? Il n’existe pas de réponse directe et unique. Il semble y avoir plusieurs raisons concomitantes qu’il est difficile de hiérarchiser, nous en distinguons trois.
Figure 101 D’après ce tableau, il n’existe pas d’adéquation entre un type de produit et le type de structure volumétrique du nucléus. 116 117
Nous reviendrons plus en détail sur ce mode de production en donnant quelques exemples archéologiques. Débitage dont nous rappelons que l’objectif doit être exclusif, en l’occurrence la lame.
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Première raison : la normalisation de la partie préhensée La première raison est liée à une plus grande normalisation de certains caractères techniques des supports recherchés dont leur partie préhensée. Dans le cas des Types F1/débitage Levallois et F2/débitage laminaire, il est clair que la partie préhensée est un objectif majeur au même titre que la partie transformative. La typologie, en se focalisant essentiellement sur la partie transformative118 des outils, a occulté la notion de support. Or cette dernière notion, comme nous l’avons longuement développé, est fondamentale puisqu’elle est le lien entre les moyens : le volume utile, et l’outil. Si l’on change de perspective d’analyse en s’interrogeant sur ce qui ne change pas sur les supports des Types F1 et F2 au lieu de ce qui change, on se rend compte que la partie préhensive fait l’objet d’un investissement insoupçonné dès le stade de configuration du nucléus. Cette normalisation est certainement liée à la notion d’emmanchement. Cette rationalisation de la partie préhensive avait déjà été évoquée pour le phénomène laminaire, mais en aucun cas pour le débitage Levallois, où l’on se focalisait sur la silhouette. Deuxième raison : une production en série – diversité/unicité La deuxième raison est spécifique à chacun des Types F1 et F2. Le débitage F1 où la nécessaire diversité des artefacts : un avantage structurel Dans le cas de F1, il s’agit d’une production de supports potentiellement différents, excepté lorsqu’il s’agit d’une production à enlèvement préférentiel (Figures 102 et 103). Cette unicité de produit par surface de débitage n’empêche en rien une éventuelle variabilité des méthodes d’initialisation dans chaque catégorie de produit. Cette variabilité permet de créer des supports de même silhouette mais de bords structurellement différents (Figures 104, 105 et 106).
Figure 102 Nucléus à éclat préférentiel de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : préférentielle. Syrie, Bassin de Palmyre. Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE – Nanterre 118
Excepté lorsque la partie préhensive fait l’objet d’un aménagement visible, comme dans le cas de nombreux outils du Paléolithique supérieur européen : telles que les pointes à cran et les multiples pièces à dos.
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Figure 103 Nucléus à pointe de Type F1 Méthode d’initialisation : bipolaire. Méthode de production : préférentielle Syrie, Bassin de Palmyre Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
Figure 104 Nucléus à éclat triangulaire préférentiel de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète en distale ; unipolaire en proximale. Méthode de production : préférentielle. Syrie, Bassin de Palmyre
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Figure 105 Nucléus préférentiel à pointe Levallois de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : préférentielle. Umm el Tlel, couche VI 3a’- Syrie
Figure 106 Nucléus à pointe de Type F1 Méthode d’initialisation : bipolaire. Méthode de production : préférentielle. Syrie, Bassin de Palmyre
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En revanche, cette différence, sera quasi obligatoire dans le cas de méthodes de débitage récurrentes (Figure 107). En effet, il est quasi impossible d’arriver à produire un seul et même type de produit au sein d’une même série récurrente. Cette diversité porte sur la silhouette générale et un grand nombre de caractères techniques dont ceux de la face supérieure. Lorsque l’on prend en compte le support dans sa réalité fonctionnelle, en distinguant la partie préhensive de la partie transformative, on s’aperçoit que la diversité typotechnique porte essentiellement sur la future partie transformative et très peu sur la partie préhensée. Les parties transformatives peuvent être courtes ou allongées, et/ou convergentes, bi-angulaires, ogivales, en arc de cercle, etc. ; associées ou non à un caractère technique supplémentaire tel qu’un dos naturel, un débordement, une nervure parallèle ou convergente (pointe Levallois), etc. Cette diversité est rendue possible par le grand nombre de méthodes d’initialisation et de production récurrente - unipolaire parallèle, convergente, bipolaire et centripète), propre à cette configuration volumétrique (Figures 107 à 113).
Figure 107 Nucléus récurrent de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : récurrente unipolaire parallèle. Corbiac cavaille - Dordogne, France Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
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Figure 108 Nucléus à enlèvements récurrents de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : récurrente unipolaire parallèle. Barbas I, couche C’4 inférieure - Dordogne, France
Figure 109 Nucléus récurrent de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : récurrente unipolaire parallèle. Syrie, Bicheri
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Figure 110 Nucléus à enlèvements récurrents de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : récurrente bipolaire parallèle. Biache-Saint-Vaast - Pas de Calais, France
Figure 111 Nucléus récurrent à pointe et enlèvement convergent de Type F1 Méthode d’initialisation : mixte unipolaire parallèle/centripète. Méthode de production : récurrente bipolaire. Syrie, Bassin de Palmyre
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Figure 112 Nucléus récurrent à pointe Levallois de Type F1 Méthode d’initialisation : unipolaire convergente. Méthode de production : récurrente bipolaire. Syrie, Bassin de Palmyre Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
Figure 113 Nucléus récurrent à pointe et éclat laminaire de Type F1 Méthode d’initialisation : unipolaire convergente. Méthode de production : récurrente unipolaire convergente. Syrie, Bassin de Palmyre
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La plupart des méthodes récurrentes permettent de produire des enlèvements caractéristiques, bien que différents et facilement reconnaissables. En revanche, la méthode récurrente centripète Type F1, tant par son nucléus que par ses produits, fait l’objet de nombreuses confusions avec le débitage de Type E1. Cette situation est en partie due à l’incurie de la dénomination des modes de débitage qui repose sur une pluralité sémantique des plus polysémiques. Le terme de centripète, comme celui d’unipolaire, est un faux fuyant qui a pour conséquence de regrouper des choses différentes dans une même catégorie. En ce qui concerne la différentiation des nucléus, confère l’article de 1993 (Boëda E.1993) et à ce que nous avons longuement développé dans ce travail (Figure 114). Si on se centre sur les objectifs des productions, en évitant de mettre en exergue un type d’éclat au détriment des autres, on se rend compte que les productions sont très différentes. Dans le cas d’un débitage de Type F1, la production peut être diversifiée à loisir, ce qui n’est pas le cas du Type E1. Par ailleurs, du fait des modalités différentes de débitage selon le plan d’intersection des deux surfaces, parallèle pour F1, sécant pour E1, les sections, dans leur axe longitudinal, seront différentes (Boëda E. 1993). En revanche, comme tout débitage à majorité d’enlèvements centripètes et cordaux, la production de bords convergents désaxés est importante et peut être recherchée. Ce recouvrement d’objectifs, même partiel, a entraîné une certaine confusion (Figures 115 et 116). Or, pourquoi dissocier des modes de production aux objectifs parfois identiques ? Ces exemples confirment qu’un même objectif peut résulter de méthodes différentes et qu’une même méthode peut produire des objectifs différents. Ce qui signifie que l’on ne peut corréler avec certitude un type de produit à un mode de production. Rappelons qu’un objet n’existe et ne se définit que dans l’ensemble technique auquel il appartient. Cette observation peut être prolongée en étudiant les modes d’initialisation. La méthode d’initialisation ne peut pas être un facteur d’identification de tel ou tel type de débitage. Nous avons déjà évoqué ce problème dans le cas des débitages de Type D. Nous devons insister sur ce point car les débitages de Type F sont aussi source de progrès. Il est fréquent de lire que nous avons affaire à une initialisation partielle, laissant sous-entendre que la configuration ne porte que sur une partie du bloc à débiter. Certes, cette possibilité doit être envisagée, mais il est tout aussi logique de s’interroger sur les modalités d’initialisation : s’agit-il d’une unique phase d’aménagement et/ou d’une sélection précédant cette phase ? Des critères techniques naturellement présents peuvent être intégrés comme critères d’initialisation (Figure 117). Cela revient, encore une fois, à dire que seule une perception structurelle de l’ensemble des produits permet de comprendre les enjeux techniques présents en vue d’objectifs précis. Or, un tel potentiel de variabilité, quelles que soient les méthodes, a pour conséquence de rendre presque impossible la production d’une série récurrente en vue d’un objectif unique. Grâce aux nombreux remontages et aux expérimentations multiples, on se rend très vite compte que la récurrence, pour être maintenue, a besoin d’une nécessaire diversité dans la production d’artefacts, qu’il s’agisse d’une production d’éclats, de pointes ou d’éclats laminaires. Le cas de la lame est le plus emblématique. L’option d’utiliser un support/produit 153
prédéterminé exclusif, comme la lame, est une des raisons techniques de l’abandon du débitage F1/Levallois au profit d’un débitage laminaire spécifique de Type D2 et E2 puis très vite de Type F2.
Figure 114 Nucléus récurrent de Type F1 Méthode d’initialisation : centripète. Méthode de production : préférentielle. La Bouloie, Crenay - Haute-Marne, France (Boëda E. 1993 ; Amiot C. et Etienne J.-C. 1977)
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Figure 115 Débitage récurrent centripète de Type F1 Production, entre autres, d’éclats aux bords convergents retouchés ou non La Bouloie, Crenay - Haute-Marne, France. (d’après Amiot C. et Etienne J.-C. 1977)
Figure 116 Débitage récurrent centripète de Type E1 Production, entre autres, d’éclats aux bords convergents retouchés ou non. Des Forêts – Dordogne, France (d’après Brenet M. et Folgado M. 2003)
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Figure 117 Débitage récurrent centripète de Type F1 L’initialisation s’appuie sur la sélection d’une surface de gel convexe partiellement aménagée. Selon l’évolution du débitage, l’apparence peut laisser croire à différents types de débitage, qu’une analyse technologique globale de l’ensemble du matériel élimine immédiatement. La Bouloie, Crenay - Haute-Marne, France
Le débitage F2 ou l’option de la normalisation d’un seul type d’artefact Le débitage de Type F2, à l’inverse a pour objectif la normalisation d’une silhouette : la lame. Certes, des différences techniques et métriques sont inévitables lors de toute production récurrente, mais il est impossible ici d’introduire d’autres silhouettes – quadrangulaires ou triangulaires - durant la production, au risque d’interrompre la récurrence laminaire et de devoir reconfigurer le nucléus. La variabilité des silhouettes laminaires, en fonction de l’évolution des structures de débitage, va s’atténuer au fur et à mesure, voire disparaître, pour aboutir à une production quasi normalisée à tous les stades de la production. Cette propension est due aux changements de modalité de détachement des enlèvements, sans qu’il y ait la moindre modification structurelle du nucléus. Cette particularité est spécifique des débitages de Type F2 : elle y est inscrite structurellement. Parmi toutes les autres configurations structurelles que nous avons pu étudier, la structure de Type F2 est la seule à faire l’objet d’une évolution des modes de détachement, avec une succession des percussions marginales directes et indirectes, de la
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pression119, puis de l’interaction de la percussion indirecte et de la pression (Pelegrin J. 2006). Ces nouveaux modes de percussion appliqués aux débitages laminaires sont précédés par une longue période d’utilisation exclusive de la percussion interne (Figure 118).
Figure 118 Evolution des modes de détachement selon les types laminaires de volume utile
L’introduction d’une percussion marginale directe puis indirecte, suivie de la pression, est due à cette recherche de normalisation120, qui n’est rendue possible que par la structure volumétrique de Type F2. Plus que l’invention de la percussion indirecte ou l’invention de la pression121 en tant que telle, ce qui nous semble important c’est la capacité de réponse de la structure à de nouveaux objectifs. Il y a comme une sorte de co-évolution structurelle et fonctionnelle. Cette évolution des processus de détachement n’est absolument pas présente dans le cas des débitages de Type F1122 qui, tout au long de leur évolution, requerront une percussion interne aux dépens de plans de frappe spécifiques permettant d’obtenir une certaine homogénéité des parties préhensées123 et non de l’ensemble du support. Ces deux premières raisons : normalisation et récurrence en série, quel que soit le Type F1 ou F2, vont donc dans le sens d’une normalisation poussée au plus près du futur outil ou d’une composante d’un nouvel outil. Une complexité fonctionnelle y est certainement associée, sans doute traduite par une gamme de gestes plus large. Cette complexité 119
Cette hypothèse pourrait être considérée comme fausse si on ne considère que les débitages du GrandPressigny. Mais, d’après les travaux expérimentaux, nous aurions affaire à des modes de détachement mixtes : percussion indirecte/pression. 120 Cette hyper-normalisation se retrouvera dans le débitage lamellaire. L’évolution lamellaire suit exactement l’évolution laminaire. 121 Cette idée de pression est souvent évoquée par de nombreux technologues et expérimentateurs devant la retouche de certains outils moustériens. Les tests que nous avons nous même effectués attestent de cette possible utilisation. Une différence doit néanmoins être faite entre un débitage par pression et une retouche par pression. Dans le cas d’une retouche, ce sont les conséquences techniques du tranchant aux dépens duquel l’enlèvement est retiré qui sont recherchées et non ses conséquences techniques comme dans le cas d’un débitage. Cette simple distinction fait que nous n’utiliserons pas le compresseur de la même façon. C’est peut-être cela le plus important ! 122 Même si dans quelques cas, très rares et anecdotiques, on observe une percussion marginale. 123 D’ailleurs, à une époque, certains préhistoriens souhaitaient définir le débitage Levallois par son type de talon. Cette idée a été récusée par F. Bordes. De fait, ce n’est pas le chapeau de gendarme qui fait le Levallois, c’est l’idée de normalisation de la partie préhensée qu’induit le chapeau de gendarme qui fait le Levallois. Dans le débitage Levallois, une autre façon de créer la partie préhensée existe : le talon facetté convexe. Proportionnellement, ce type de talon est tout aussi important que le chapeau de gendarme.
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fonctionnelle ne signifie pas qu’un plus grand nombre d’éléments intervient dans l’outil, mais que la synergie entre les différentes parties de l’outil augmente allant vers une plus grande concrétisation de celui-ci. Troisième raison : un rapport volume nucléus/volume artefact La troisième raison concerne l’une des spécificités de la structure F. Il s’agit du rapport entre le volume du nucléus et le volume de l’artefact produit. Les modalités F1 et F2 seraient alors la réponse à une productivité accrue124. Cette réponse structurelle va dans le sens de l’évolution structurelle des nucléus puisque nous nous approchons « d’une sorte d’auto-régulation où d’auto-adaptation et d’une sorte aussi d’auto-corrélation » (Simondon G. 1958). La configuration du nucléus permet en effet de répondre d’une part à un grand nombre de problèmes survenant lors du débitage, d’autre part à un changement d’objectifs. Il s’agit d’une sorte d’adaptation interne à des circonstances externe. Nous définirions l’autocorrélation - cohérence interne globale, comme le fait que le nucléus intègre dans sa structure une organisation systémique de ses différentes composantes techniques permettant, à tout moment, à partir d’un pôle du nucléus – la surface de plan de frappe pour les nucléus de Type F1 ; une crête ou la surface de plan de frappe pour les nucléus de Type F2 - de parfaire les critères de prédétermination manquants. Dans le cas du débitage F1, c’est la possibilité à tout moment, à partir de la surface de plan de frappe, d’intervenir sur la surface de débitage. C’est pour cela que dans la définition que nous avons donnée dès 1986 (Boëda E. 1994), nous avions parlé de surfaces hiérarchisées. Cette hiérarchisation est obligatoire pour garder le caractère opérationnel de chacune des surfaces à tout moment. Ce caractère va se traduire dans la silhouette des nucléus, vus de profil. Le rapport entre le périmètre de la surface et l’épaisseur est toujours très élevé. Les nucléus sont donc toujours plats, permettant ainsi de disposer en permanence d’un bon angle de frappe entre les deux surfaces et d’intervenir sur le nucléus, pour n’importe qu’elle raison. Cette capacité « d’auto-corrélation » se traduit par le maintien de la silhouette originelle du nucleus pendant tout le débitage. En effet, la morphologie du nucléus reste telle quelle durant tout le processus opératoire, quelle que soit la méthode de production utilisée et la phase du processus opératoire. Tant que la structure du nucléus est respectée, c’est-à-dire la synergie des critères techniques mis en jeu, la « forme » de celui-ci est invariant. Il s’agit d’un processus homothétique : le débitage de Type F1 est une structure homothétique 125 (Figure 119).
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Cette augmentation de productivité passe par une préparation minutieuse et souvent longue qui, dans certains cas, est décrite comme dispendieuse en matière première (technique Yubetsu) (Aita Y. et al. 1991), alors que des débitages plus directs comme les Types D2 le seraient moins (technique Setouchi) (Aita Y. et al. 1991). Si, de fait, les débitages de Type F - F1 et F2, sont en général dispendieux en matière première dans la phase d’initialisation, c’est le contraire lors des phases de réalisation. Dans le cadre d’une étude comparative entre les différents types de débitage, il serait intéressant de croiser cette observation avec les espaces parcourus. 125 Ce caractère particulier a permis au nucléus Levallois à éclat préférentiel d’être repéré très tôt, accédant ainsi à une célébrité qui laissera dans l’ombre les autres modes de débitage ne présentant pas ce caractère homothétique, d’où les errances terminologiques pour certaines catégories de débitage.
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Figure 119 Schéma d’exploitation d’un nucléus de Type F1, présentant le caractère d’« auto-corrélation »
Un ajout à la définition des débitages de Type F1 : l‘«auto-corrélation» La configuration volumétrique du nucléus de Type F1/Levallois est régie par cinq critères que nous avions définis en 1986 et publiés en 1994 (Boëda E. 1994), il s’agit : Critères 1 et 2 - d’un plan d’intersection (critère 1) délimitant deux surfaces distinctes dont chacune a un rôle spécifique et non interchangeable (critère 2) et ce aussi bien dans le cadre des phases d’initialisation que de production ; Critère 3 - les enlèvements issus des phases d’initialisation/production sont détachés exclusivement par une percussion interne au percuteur dur ; Critère 4 - la phase d’initialisation a pour fonction de mettre en place les caractères de prédétermination – convexités et/ou nervures, sur la surface de débitage afin de répondre aux objectifs et d’aménager la surface de plans de frappe ; Critère 5 - les enlèvements prédéterminants de la surface de débitage et de la surface de plans de frappe sont sécants au plan d’intersection, alors que les enlèvements prédéterminés ont un plan de détachement parallèle ou sub-parallèle au plan d’intersection des deux surfaces (Figure 120). Critère 6 – Enfin, il existe un autre critère que nous n’avons pas encore introduit et qui nous semble fondamental : la mise en synergie de l’ensemble des caractères techniques mentionnés ci-dessus, qui introduit une capacité d’ « auto-corrélation » capable de : corriger les accidents lors de la phase de production ; remettre en place les caractères de prédétermination sur la surface de débitage à partir d’une surface de plans de frappe constamment aménageable en conséquence. 159
Figure 120 Critères de définition du débitage de Type F1/ Levallois
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Ce sixième critère est le critère témoin de l’évolution de la lignée vers sa phase terminale, tant d’un point de vue historique qu’évolutif. Le débitage de Type F1/Levallois est la dernière configuration volumétrique capable d’une production mixte d’artefacts. Ce statut de dernier de lignée est du à son incapacité à répondre à une production normalisée laminaire. Cela signifie que le milieu extérieur qui, dans le cas présent, est constitué entre autres par les motivations d’une nouvelle production, change et ne permet plus à la structure en place d’y répondre. On peut alors qualifier d’hypertélique cette hyper-spécialisation du nucléus Levallois incapable de pouvoir s’adapter à un changement du milieu associé. Pour autant, cette hypertélie n’est pas fatale (Simondon G. 1958). La longévité du débitage Type F1/Levallois et sa répartition géographique en témoignent. Le progrès que pourrait représenter le débitage laminaire de Type F2 n’en est pas un en réalité, ni dans le sens technologique du terme, ni dans le sens évolutif. On assiste à un changement, une rupture de lignée d’objets qui nécessite ses propres structures et qui fera l’objet d’un cycle évolutif propre comme toutes les autres structures. L’explication du changement opéré est à chercher dans le nouveau milieu associé. La chronologie du tout laminaire peut nous apporter quelques éléments de réponse. Comme nous l’avons déjà dit, l’option du tout laminaire date de plus 200 000 ans, tant en Europe de l’Ouest, en Afrique qu’au Proche-Orient. Mais l’observation des stades évolutifs des structures volumétriques utilisées à ces périodes montre qu’il n’y a pas eu de cycle évolutif. On observe une rupture de lignée avec l’apparition d’une nouvelle lignée : le débitage de Type F1/Levallois. Cette non évolution du cycle laminaire est à mettre sur le compte, là encore, du milieu associé. On pourrait dire que le débitage de Type F1 « Levallois » est venu interrompre le cycle évolutif laminaire par changement du milieu associé. Mais lui-même va se voir « détrôner » par la réapparition du débitage de Type F2 laminaire avec son nouveau milieu associé. Pour autant, s’agit-il du même milieu associé que lors du premier épisode laminaire ? La réponse logique semble que non, à moins d’imaginer une stase des sociétés, indépendamment des périodes et des espaces géographiques. Cela signifierait que les changements sont à comprendre d’un point de vue historique et non pas d’un point de vue techno-logique. L’« auto-corrélation » des Types F2 Dans le cas du débitage de Type F2 de lames et de lamelles, le phénomène « d’autocorrélation » est possible et augmentera en fonction des changements de modalités de détachement. La percussion indirecte et la pression permettent toutes deux d’aller au maximum des possibilités d’un nucléus en intensifiant sa production et l’extrême normalisation des produits (Figures 121 à 126). Le caractère homothétique des nucléus de Type F2 est tout aussi marquant que pour les débitages de Type F1 et le sera d’autant plus que les modes de détachement se développeront (Figures 124 à 126).
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Figure 121 Schémas d’initialisation et d’exploitation d’un nucléus de Type F2, présentant le caractère d’«auto-corrélation» Initialisation 1 - Avec une crête antérieure et deux crêtes postéro-latérales Initialisation 2 - Avec deux crêtes antérieures et postérieures. La percussion est marginale directe et nécessite des phases de réinitialisation partielle de la surface de débitage et de la surface de plans de frappe. Ceci est rendu possible grâce à la structure intégrée du nucléus. Initialisation 3 - Percussion marginale indirecte. Initialisation 4 - Le rendement et la régularité augmentant, l’initialisation atteint son sommet avec la pression
Figure 122 Nucléus laminaire Magdalénien de Type F2 Villazette III - Dordogne, France Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE – Nanterre
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Figure 123 Nucléus laminaire Périgordien de Type F2 Queyssac - Dordogne, France Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
Figure 124 Nucléus de Type F2, débitage par pression Chalcolithique, collection de Macquenem Suse - Iran (d’après Dauvois M. 1976)
Figure 125 Nucléus Yubetsu, Paléolithique supérieur. Site de Suyanggye - province de Chungcheongbuk, Corée (Yonsei University Press 2001)
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Figure 126 Nucléus lamellaires de Type F2, débitage par pression Chine du Nord Photo © Oboukhoff S. – service photographie CNRS, médiathèque de la MAE - Nanterre
Spécificités productionnelles du Type F3. Le Type F3 est spécifique du monde des galets et en tant que tel il appartient à une lignée spécifique, dont il est très certainement le stade terminal. Géographiquement, cette lignée est présente sur le continent asiatique et sud-américain, avec quelques cas en Europe, en particulier en Italie durant le Pontinien. Cette lignée ne débute pas par ce que l’on nomme classiquement et abusivement : Chopper et Chopping tool. Elle est bien plus complexe et représente une alternative technique au monde du bloc à débiter que l’on retrouve dans le circum méditerranéen. Une alternative et non un ersatz, comme cela peut être dit parfois. A la différence du bloc, le galet offre naturellement des caractères techniques fonctionnels propres à la partie préhensée. Nous nous retrouvons ainsi à l’opposé de ce que nous avons précédemment dit dans le cas de la fracturation des blocs, où c’est la partie transformative et elle seule qui est investie d’un caractère techno-fonctionnel récurrent : le fil incisant. Cette opposition caractérise des options techniques qui vont conduire à deux mondes techniques différents qui ne se chevaucheront pas : le monde du débitage et/ou du façonnage de blocs et celui des galets. Dans le monde du bloc, au fil de l’évolution des outils nous verrons une intégration de la partie préhensive avec la partie transformative dans une synergie d’effets, alors que dans le monde du galet, l’intégration est inverse, la partie transformative va se construire en tenant compte de la partie préhensée. Néanmoins, dans les deux cas, on peut dire que l’existence précède l'essence. L’existence d’un potentiel incisant de l’éclat naturel où la partie préhensée naturelle du galet montre que le début de la notion d’outil est la rencontre d’une pensée fonctionnelle et d’un individu. Rappelons cependant que cet individu peut aussi être un primate non humain. Ne peut-on pas alors dire que la différence entre le primate non humain et le primate humain n’est rien d’autre que ce qu’il fait ? (Sartre J.-P. 1996) Le Type F3 est la structure la plus aboutie. Dans le meilleur des cas, elle produit deux hémi-galets similaires dont le volume est égal au galet/nucléus. Ce mode de production est le summum de la prédétermination. Néanmoins, contrairement à ce que nous aurions pu attendre, ce mode de production reste géographiquement ponctuel et limité. En revanche, sa position chronologique tant en Europe qu’en Asie - Pléistocène supérieur, est techno-logique. En Europe, le Pontinien (Laj Pannochia F. 1950) est considéré comme une industrie moustérienne de type Charentien originale, localisée dans le Latium. L’option de ce mode de débitage ne semble pas s’inscrire dans une « tradition » d’industrie sur galet. Il s’agit très 164
certainement d’une invention locale dont l’objectif est la recherche d’un contrôle maximum d’éclats prédéterminés ayant un certain volume. L’option du galet est peut-être due à la disponibilité de la matière première, et l’option de la technique bi-polaire à la recherche d’un volume prédéterminé de dimension supérieure à ce qu’aurait été un simple débitage par percussion unipolaire des mêmes galets. Il existe donc une synergie technique de plusieurs objectifs aboutissant à un produit « normé ». Cette normalisation d’éclats/supports est de la même essence que le débitage Levallois du circum méditerranéen. En Asie, en revanche, il semble que nous nous situions dans une autre perspective évolutive. Dans les régions du sudouest de la Chine, nous retrouvons une industrie126 du Pléistocène final qui repose sur une production quasi exclusive de splits et d’outils sur splits (Figure 100). Le faciès des outils est similaire à ce que nous pourrions attendre dans une phase moustérienne européenne. Mais cette similitude est trompeuse. En effet, lorsque que l’on se place sur le plan de l’évolution, afin de comprendre les rapports entre les objets techniques, on se rend compte que la genèse de cette option technique s’inscrit dans une lignée dont le principe technique repose sur l’utilisation d’un volume en partie normé : le galet. L’idée d’individualiser le « phénomène » galet et de le circonscrire à une aire géographique a été évoquée par Movius dès 1944 (1944, 1948). Mais cette aire était chronologiquement limitée aux périodes Paléolithiques contemporaines de l’Acheuléen africain, représentant la limite septentrionale de la deuxième migration extra africaine, entre 0.7 et 0.5 MA (Bar-Yosef O. et Belfer-Cohen A. 2000). Loin de nous de reprendre ce modèle devenu au fur et à mesure des années un véritable paradigme, qui relève au mieux d’un point de vue historique mais non technologique127. Intéressons-nous à l’aspect essentiellement technologique. Le monde technique du sud-est asiatique présente un fait indéniable : une originalité, indépendante de la période chronologique, dominée par l’utilisation de galets et par l’intégration des critères volumétriques du galet dans les schèmes de configuration des nucléus et des outils. Trois industries asiatiques illustrent parfaitement ce cas de figure : les industries de Longgupo et de Bose en Chine, et de l’Hoabinien en Asie du sud est. Dans le cas de Longgupo - Plio/Pléistocène (Boëda E. et al. 2011a et 2011b), le galet sert de matrice de base qui, par débitage bipolaire et façonnage puis confection, aboutira à toute une panoplie d’outils sur deux types de matrice à biseau : simple ou double. L’industrie de Bose (Hou Y.-M. et al. 2000) est une industrie du pléistocène moyen dont plus de 95% des outils sont des unifaces128 sur galets, obtenus par façonnage et confection avec un ou deux bords retouchés. Au lieu d’être sur éclat, le futur support est aménagé directement aux dépens d’un galet dont on sélectionne le volume, une partie de la future partie transformative - la surface plane du plan de section, et la partie préhensée. Cette notion de volume est semble-t-il très importante car tous les galets utilisés auraient pu produire des éclats de bonne taille et 126
Site de Maomaomadong et Chuandong - province du Guizhou, Chine. En effet, on ne peut être que surpris devant un tel scénario lorsque l’on connaît la très grande rareté des données. 128 Moins de 5% des pièces sont des pièces bifaciales que l’on peut classer comme des bifaces avec une base réservée. Cette industrie de Bose est souvent mise en avant pour parler d’un Acheuléen « chinois » contredisant la ligne de Movius. Mais est-ce le biface qui fait l’Acheuléen ? Cette question, ne présente pas grand intérêt si ce n’est celui de nourrir le paradigme de la diffusion des Homo Erectus hors d’Afrique. Il est plus réaliste de s’intéresser à la totalité du matériel et non à un seul type d’objet. 127
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servir d’outils, mais, à ce stade de production, la partie préhensée serait alors aléatoire. L’Hoabinien (Colani M. 1927, 1929) apparaît dans la phase finale du pléistocène supérieur. Là encore, les outils sont essentiellement produits aux dépens de galets préalablement sélectionnés. De forme oblongue à section rectangulaire ou trapézoïdale, les galets sélectionnés sont naturellement proches d’une structure plan-convexe, aidant à la confection des outils (Zeitoun V. et al. 2008). La morphologie générale des pièces est stéréotypée : une surface plane corticale opposée à une surface façonnée. Cette morphologie est soit obtenue par façonnage direct sur un galet sélectionné, soit de façon indirecte à partir d’un split préalablement obtenu par percussion bipolaire suivie d’un façonnage. Le Type F3 que nous avons mis en évidence dans les sites de Maomaodong (Figures 127 et 128) et de Chuandong - Chine, province de Guizhou, atteste d’une étape supérieure puisqu’il s’agit d’une opération de débitage aboutissant, en un seul coup, à la production de deux hémi-galets dont seules les parties transformatives feront l’objet d’une confection. Dans le cas de ces deux sites, il est intéressant de noter qu’une autre matière première est disponible sous forme de galets et de blocs. Il s’agit d’un silex de très bonne qualité qui aurait pu tout aussi bien être utilisé pour fabriquer les mêmes volumes. Nous pouvons ajouter que, malgré la présence de ce silex, il n’existe aucun débitage de Type D, E ou F129. Les changements techniques se retrouvent ainsi supportés par le galet et aucun autre type de support. Le silex, quand il est utilisé et bien que d’excellente qualité, ne présente qu’un stade premier d’évolution, ce qui n’est pas le cas du galet. Nous sommes bien dans un autre monde technique où les options de départ sont maintenues. Phénomène clairement significatif d’une altérité culturelle Est/Ouest, trop souvent négligée et certainement plus riche que nous le soupçonnons130.
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Notons qu’alors que nous nous situons dans l’axe de diffusion Ouest/Est, on ne peut qu’être surpris, si l’on adhère au paradigme de la diffusion de Sapiens, de ne trouver aucune trace des cultures techniques Levallois puis laminaires du Pléistocène moyen et supérieur du circum méditerranéen et d’Asie centrale, considéré pourtant comme le moyen technique permettant cette migration et le témoin d’un développement cognitif et d’une emprise sur son environnement. 130 Cette richesse serait à rechercher dans un autre monde technique qui doit lui être associé : le monde végétal (Forestier H. 2010).
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Figure 127 Splits transformés en outils Maomaodong - Province du Guizhou, Chine Dessin © Forestier H.
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Figure 128 Splits transformés en outils Seul un débitage de Type C sera utilisé pour produire des éclats aux silhouettes peu normalisées, comme dans le site de Maomaodong - Province du Guizhou, Chine. Photo © Boëda E.
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Troisième partie
Le sens Anthropologique : une paléo-histoire des lignées de productions laminaires et des produits laminaires au Proche-Orient durant le Pléistocène
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Deux points de vue hiérarchisés : l’Histoire et l’Evolution Pour aborder les faits techniques de la préhistoire nous disposons de deux points de vue : celui de l’Histoire et celui de l’Evolution. Le point de vue de l’Histoire, comme nous le suggère Leroi-Gourhan, traite des faits dans leurs rapports au temps - objet daté, et aux espaces - objet situé. Le point de vue de l’évolution est abordé par la notion de tendance en traitant ces faits dans leurs rapports morphologiques131 (Leroi-Gourhan A. 1945). Cette notion de tendance est à la fois trop synthétique et limitatrice132, car elle vise à proposer des règles a priori. Elle se substitue à l’impossibilité de connaître la succession historique effective (Guchet X. 2005). En effet, en voulant donner un sens historique à cette évolution on totalise l’Histoire dans une pensée rationnelle. Il faut alors substituer à la notion de tendance la notion de techno-logique. On s’oriente ainsi vers une compréhension structurelle des objets en cherchant ce qui les lie malgré le fait qu’ils changent. C’est la mise en évidence des synergies
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Leroi-Gourhan ne fait pas d’analyse structurelle des objets, il reste centré sur la morphologie. Il classifie les formes selon les contraintes du geste opératoire. L’outil se construit du fait des contraintes structurelles du geste. En réalité, Leroi-Gourhan ne fait pas de lignée d’objets : il crée des lignées de gestes opératoires à l’intérieur desquelles il place différentes formes d’objets. La planche, fameuse, dans Le Geste et la parole (Leroi-Gourhan A. 1965 p. 108) où l’on retrouve associés, entre autres : le chopper, le biface, l’éclat Levallois, la lame et le couteau en métal en est l’illustration parfaite. Ce qui relie ces objets, c’est le geste opératoire. Il ne faut pas y voir une simple succession de formes, mais des formes qui se structurent en fonction d’un même geste opératoire, qu’importe ce qu’il coupe. De nombreuses objections ont été formulées sur ce dernier point, lui reprochant de confondre des usages différents et de créer ainsi des tendances artificielles. Mais en fait, contrairement à ce que l’on pense, Leroi-Gourhan ne propose pas une histoire technique des objets coupants. Pour lui, ce classement se justifie parce qu’il est en dehors de l’Histoire. Il ne se construit pas de continuité historique entre les objets. Pour lui, comme pour Simondon, l’unité d’usage ne conduit pas à une signification technologique. En effet, comme le dit Simondon (Simondon G. 1958) : à une même fonction peut correspondre différents objets et un même objet peut répondre à différentes fonctions. Autrement dit, un usage peut relever de lignées différentes d’objets. Il ne faut cependant pas confondre fonction et usage social. L’un renvoie à la technologie et indique une tendance. L’autre renvoie à une réalité sociale. Le changement de perspective d’analyse, en proposant une analyse structurelle des objets, évite cette controverse. Si l’objet est une réponse adaptative à différentes contraintes dont celle du geste, parmi d’autres, ce n’est qu’en rendant compte de la structure et donc de la synergie fonctionnelle des éléments qui le constituent que nous accèderons à une lecture techno-logique capable de rendre compte d’une évolution. 132 La notion de tendance chez Leroi-Gourhan établit une relation entre l’outil et la fonction dans une relation d’adaptation, les outils les plus anciens étant les moins bien adaptés (Leroi-Gouhran A. 1943). Cette notion d’adaptation est subjective. Elle émane d’un non utilisateur qui traite d’objets extérieurs à sa mémoire. Cette notion d’adaptation n’est pas opérationnelle sur le temps long de la préhistoire. Elle ne peut l’être que si l’on dispose de l’avis de l’utilisateur !
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fonctionnelles successives, spécifiques à chaque objet d’une lignée133, et leur compréhension qui nous permettent de donner un sens logique à l’évolution. De façon plus triviale, quelles que soient les lignées d’objets nous ne connaissons pas « d’invention à l’envers », qui irait de l’objet concret vers l’objet abstrait. Encore aujourd’hui, dans notre monde moderne, la 2 CV ne précède pas la dernière C6 de Citroën : une techno-logique existe. Pour autant, toute structure ne suivra pas nécessairement un chemin linéaire. Pour Simondon (1958), l’évolution technologique ne se fait pas contre l’Histoire134, mais au contraire dans le but de fonder un discours historique (Guchet X. 2005). Il ne s’agit pas de créer un monde à part, mais de poser les bases d’une explication structurelle pour comprendre l’évolution des objets à l’intérieur d’une même lignée technique en rendant compte des règles de changement. C’est le temps de la reconnaissance de la lignée à laquelle appartient l’objet et de la place qu’il y occupe. Ce n’est en aucun cas un déterminisme, car le devenir n’est pas inéluctable. Néanmoins, le potentiel de devenir des structures donne un sens à l’évolution. Il s’agit d’un effet réflexif potentiel propre à chaque stade dont on aura à tenir compte lorsque l’on abordera l’aspect historique. De fait, l’effet d’un événement, d’une invention, peut être perçu à distance. A ce propos, Merleau-Ponty parle d’histoire des profondeurs (Merleau-Ponty M. 1960). L’histoire des profondeurs se ressent d’autant mieux sur le temps long de la préhistoire où l’invention, comme le « biface » ou encore le Levallois, par leur durée de vie, relève d’une manière de penser, une norme se projetant dans l’espace et le temps. A cette histoire s’en superpose une autre, celle de l’explication des changements, des bifurcations, des arrêts, des reprises au sein d’une lignée ou d’une lignée à l’autre. Elle est de l’ordre historique car le changement fait appel aux contingences sociales, environnementales, voire biologiques. En d’autres termes, le temps de l’histoire décrit la façon dont les étapes évolutives se succèdent. C’est aussi le temps du discours de la généalogie du récit mythico-évolutionniste des usagers et des acteurs qui se construit135.
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Simondon parle d’essence technique : « qui reste stable à travers la lignée évolutive, et non seulement stable, mais encore productrice de structuration progressive » (Simondon G. 1958, p. 43). Ainsi donc « l’essence n’est pas un invariant statique, elle est une dynamique interne de concrétisation » (Guchet X. 2005, p. 212). 134 Deleuze parle de logique du sens (1969). 135 Ce discours est extrêmement intéressant à étudier dans le cadre de la préhistoire, où le temps particulièrement long et le peu de traces mémorielles qui nous restent vont engendrer différents discours dont ceux qui postulent que les objets sont morts, sans mémoire. Selon ce point de vue, les classifications typologiques peuvent s’établir selon n’importe quels critères tant qu’elles établissent des différences. Le sens de ces différences trouve leur explication en dehors de l’objet. On imagine les dérives et surtout les paradigmes qui peuvent en résulter. Citons pour exemple la confusion majeure qu’entraîne cette conception sur un objet comme le biface : des cultures acheuléennes surgissent aux quatre coins du monde dès qu’un biface est présent et des cartes de diffusion rendent compte de cette culture à travers le monde ! Comme si, d’un point de vue médical, l’apparition d’un bouton était synonyme de varicelle et sa distribution de par le monde significative de la migration du porteur. Tout bon médecin qui se respecte traiterait son confrère de docteur Knock ! On peut aussi avoir le discours béat de ceux qui voit dans l’évolution technique l’ascendance irrémédiable de la lignée Humaine et de son avènement : nous, Homo sapiens ; ou encore celui des apologistes du progrès technique, qui nous prédisent des mondes meilleurs !
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Le phénomène laminaire Pour illustrer ce phénomène, nous allons nous attacher à la perception de la lignée des productions laminaires et à celle du produit lame inhérent à ces modes de production durant le Pléistocène.
Préambule évolutionniste Rappelons que nous définissons les éléments d’une lignée comme tout objet ayant la même fonction d’usage et mettant en œuvre le même principe (Deforge Y. 1985). Dans le cas de la lignée laminaire, cela concerne tous les volumes ayant pour finalité technique de produire exclusivement des objets plus longs que larges appelés lames et ayant pour principe d’obtention la fracturation des roches dures. Pour mémoire, la lignée des productions laminaires est présente sur d’autres territoires que le Proche-Orient : en Afrique dès 240 000 ans dans la formation de Kapthurin136- Kenya (McBrearty et al. 1996) ; en Europe de l’Ouest où de nombreux sites existent durant les stades isotopiques 6, 5 et 4 (Heinzelin J. et Haesaerts P. 1983 ; Delagnes A. 2000 ; Koehler H. 2009) ; en Asie Centrale dans le site de Khonako III au Tadzhikistan (Shäfer J. et Ranov V.A. 1998). La lignée des produits laminaires est, dans le cadre de cet ouvrage, volontairement limitée aux produits issus des productions exclusivement laminaires. En effet, nous avons souhaité comprendre pourquoi ces productions sont axées exclusivement sur l’obtention d’un type de produit aussi normé. Qui, de plus, est le premier produit débité à être autant normalisé avec, pour corollaire, l’émergence d’une lignée technique spécifique. En conséquence de quoi, c’est bien la nécessité du tout laminaire qui est le phénomène (ce qui nous apparaît)137 à questionner en premier et non le phénomène « lame »138 qui existe antérieurement. A notre avis, le phénomène « lame » prend un tout nouveau sens à partir du moment où il est l’objet d’une production spécifique. Autrement dit, on passe d’une lignée de quelques produits laminaires à une lignée « lames ». L’approche ontologique que nous proposons évite l’aporie purement technicienne où l’on s’interrogerait sans cesse sur la primauté de la lame et sur son mode de production. Ce n’est ni la nécessité de produire un produit laminaire qui amène à un mode de production exclusif, ni la volonté d’une production exclusive qui débouche sur le produit exclusif « lame ». C’est une ou des nécessité-s extérieure-s, sociétale-s139, donc historique-s, qui a ou ont amené à changer de mode de production afin de créer un outil et/ou un support unique. Rappelons que le produit « lame » n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’un moyen. Mais cette 136
Nous devons rester prudents sur ce site, car très peu de choses ont été publiées à propos des artefacts lithiques. 137 Avec tous les biais idéologiques et méthodologiques liés à notre in-capacité à percevoir. 138 Dans le sens de produit laminaire. 139 Ce terme de sociétal est trop vague. Néanmoins, il renvoie à une causalité qui est extérieure à l’objet, dont la structure, par sa capacité à y répondre, se transformera. Comme nous le verrons par la suite, l’option du tout laminaire s’inscrit comme étant la réponse structurelle obligatoire pour déboucher sur de nouveaux gestes, de nouvelles énergies.
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réalisation ne peut se matérialiser que si l’on dispose de la technicité nécessaire, soit : avonsnous les moyens techniques pour y répondre ? Cela renvoie à la capacité structurelle des moyens de production pour répondre à cette orientation. La réponse peut être positive et ne nécessiter qu’un pas de plus vers la concrétisation des structures de production, ou négative, induisant la nécessité d’en inventer une nouvelle sous sa forme première, abstraite. Considérons le débitage Levallois. Il est antérieur à toute production laminaire et il a la capacité de produire des supports laminaires. Il aurait pu perdurer. Or, il n’a pas perduré. Pourquoi ? Peut-être présentait-il l’inconvénient, dans une optique que nous ne percevons pas, de ne pas pouvoir se réduire à la production d’un seul et même techno-type d’objets aussi normalisés. D’un point de vue évolutif, il est probable qu’en fonction de nouveaux objectifs/besoins, le débitage Levallois soit devenu hypertélique. L’hypertélie renvoie à une spécialisation exagérée de l'objet. Dans le cas présent, le débitage Levallois serait devenu trop spécialisé dans une production hétérogène de techno-types. On peut en conclure que le phénomène « lame » est la réponse adéquate à de nouvelles options « techniques » dont seule l’adaptation structurelle des modes de débitage par la création d’une nouvelle lignée est la réponse. Mais, comme on le verra, le potentiel technique de la lame ne se révèlera qu’au fur et à mesure. La lignée des modes de production n’étant alors que la réponse au potentiel d’évolution140 de la lame en tant que support d’outils.
Préambule historique Un regard transcontinental montre que les phénomènes de productions laminaires et du « tout lames » n’ont pas la même histoire tant des points de vues spatiaux que chronologiques. Du point de vue de sa répartition géographique, le phénomène de production laminaire pleistocène est absent des sous-continents est-asiatique et ouest-africain. Les moments où il apparaît sont différents d’un continent à l’autre, et leur durée de vie est aléatoire. Sa position parmi les autres modes de production est également diversifiée, en particulier avec le débitage Levallois. Si ce dernier précède toujours le phénomène de production laminaire, cela ne signifie pas que celui-ci lui succède. Dans la plupart des continents où ces deux phénomènes techniques existent, ils peuvent s’associer et/ou se succéder l’un à l’autre et cela pendant plus de 200 000 ans parfois. En revanche, seul le « tout lames » persistera. L’histoire du phénomène des outils sur lames est tout aussi surprenante. A ses débuts la lame, tant en Europe de l’Ouest qu’au Proche-Orient, se présente dénuée de toute retouche d’aménagement. Ce qui ne signifie pas qu’il s’agisse du même outil. Dans le cas du Proche140
Nous avons précédemment évoqué une industrie de la transition pléistocène/holocène d’Amérique du Sud nommée Itaparica, qui produit des outils plus longs que larges appelés « lesmas ». Sur le plan morphologique, ces produits sont de véritables lames mais ces lames sont obtenues à la suite d’un long façonnage d’éclats. Ces supports allongés vont être l’objet de stades de confections amenant à des outils différents. Il est intéressant de noter que, d’une part, la production de supports allongés aux dépens desquels différents types de parties transformatives sont réalisés n’est pas spécifique de la lame, d’autre part, que le choix du façonnage et non du débitage pour produire cette silhouette aura pour conséquence de bloquer toute possibilité évolutive des modes de production. En effet, la production d’outils laminaires va disparaître.
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Orient, durant l’Amudien, les lames sont recherchées avec un dos naturel, selon une organisation spécifique du débitage. Nous reviendrons plus longuement sur cette situation particulière. En Europe, la situation est plus complexe. Les premières lames sont elles-aussi brutes de retouche et ne semblent pas être associées à des caractères techniques spécifiques, si ce n’est les deux bords tranchants - Saint-Valéry-Sur-Somme (Heinzelin de J. et Haesaerts P. 1983). Par la suite, la situation est plus panachée. Les lames peuvent rester brutes de retouche comme à Saint-Germain des Vaux (Cliquet D. 1992), ou être retouchées comme à Séclin (Revillon S. et Tuffreau A. 1994) et à Riencourt-les-Bapaumes (Tuffreau A. et al. 1991 ; Ameloot-Van Der Heijden N. 1994). En Afrique du Sud, le cas de l’Howieson's Poort est tout aussi surprenant, avec une production laminaire essentiellement axée sur la production d’un seul type objet retouché (Lombard M. 2005 ; Soriano S. et al. 2007 ; Porraz G. et al. 2008 ; Villa P. et al. 2010). L’histoire du débitage laminaire à travers ses modes de production et des produits qui en sont issus est donc loin d’être aussi linéaire qu’on le croit.
Les temps de la techno-logique Les modes de production Le discours historique ne pouvant se fonder que grâce au concept d’évolution, examinons la lignée laminaire sur le plan structurel avant d’entamer son histoire. Selon la « loi d’évolution » que nous avons développée tout au long de ce travail, nous regroupons les quatre structures que nous avons au préalablement définies : C2, D2, E2 et F2. Ces structures s’ordonnent dans le temps, dans le sens où chacune de ces solutions techniques correspond à un stade d’intégration structurel supérieur à celui qui le précède. Cependant, comme nous allons le voir, cela ne signifie pas qu’en tout temps et en tout lieu ces différentes étapes évolutives se succéderont de façon linéaire et continue. Cet aspect du devenir matériel des lignées est de l’ordre de leur histoire. Rappelons que chaque structure est une émergence signifiante d’un groupe, d’une société, comme toute autre production humaine. L’évolution, la fluctuation, la disparition des lignées seront conjecturelles. N’oublions pas que chaque élément d’une lignée est un « être en soi » dans un système des objets (Deforge Y. 1985). Les produits Les changements de mode de production sont des réponses à de nouvelles exigences culturelles. L’évolution structurelle des outils porte sur l’intégration de ses trois parties : préhensée, transmettrice de l’énergie et transformative. Le changement est régi par la même « loi évolutive » que celle décrite pour les modes de production. De façon générale, on observe un changement dans le sens d’une meilleure intégration de la partie préhensée au reste de l’outil. Toutefois, la raison d’être d’un objet matériel est de pourvoir à la transformation d’une matière d’œuvre. Il est donc nécessaire que cet objet soit avant tout doté d’une partie transformative. La partie préhensée n’en est pas moins structurellement présente et essentielle, car c’est d’elle que dépendent la gestuelle et l’énergie nécessaires à la réalisation de l’objectif. Serions-nous de nouveau confrontés à une aporie, s’agissant de 175
replacer dans une logique fonctionnelle les parties constitutives d’un outil : le tranchant au contact de la matière d’œuvre dont dépend le succès de la transformation, et la partie préhensée au contact avec l’énergie nécessaire produite par l’homme ? Le concept d’évolution permet de résoudre cette difficulté rationnelle en montrant que ces deux parties fonctionnelles vont se transformer d’une part par leur intégration successive au fil du temps, d’autre part par le fait de contraintes extérieures. Les modes de production et les produits La lignée de production de lames n’est pas première. Elle apparaît globalement vers 200 000 ans au Proche-Orient. Issu de productions non exclusives de lames, le support « enlèvement laminaire » lui est antérieur. Le support « enlèvement laminaire » est donc très certainement un produit déjà investi de contraintes techniques préhensives importantes quelle que soit la transformation de la partie transformative. Par la suite, la normalisation de l’enlèvement laminaire à la lame est telle que nous assistons à des modifications structurelles du débitage, allant dans le sens d’une plus grande complexification des interactions entre les différents paramètres techniques du volume à débiter et les moyens techniques de production. Si nos observations nous conduisent à parler de normalisation, il est difficile de déterminer ce qu’est réellement la norme. Est-ce un nouveau rapport longueur/largeur des supports d’outil et des futurs outils ? Auquel cas, à quoi cela renvoie-t-il : une/des préhensions, un/des geste-s, une/des énergie-s ? Un élément de réponse indirect nous est donné par le fait que des structures de débitage spécifiques vont s’avérer nécessaires et se succéder créant un cycle évolutif à tempo variable. Les sens de l’évolution de ces structures laminaires successives, ne produisant que des lames, sont qualitatifs, qui tendent vers une plus grande similitude des lames, et quantitatifs, qui tendent vers un nombre croissant de lames par volume à débiter. A l’échelle d’une industrie, l’option du tout laminaire ne signifie pas que ce mode de production soit exclusif. Nous devons dissocier les industries au seul débitage laminaire de celles qui y associent d’autres débitages, donc d’autres supports prédéterminés. Ces conceptions renvoient à des options différentes. Dans les industries au seul débitage laminaire, un seul type de support prédéterminé est choisi pour supporter l’ensemble des outils avec, ou non, le même maintien, la même gestuelle et la même énergie. Parfois, une autre production peut leur être associée, alors peu contraignante pour les supports, ne portant que sur un minimum de caractères et rarement la partie préhensée. Dans le cas des industries laminaires associées à d’autres débitages, le choix de plusieurs supports prédéterminés provenant de productions distinctes correspond à des préhensions et des gestes, voire des énergies, différents. Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, sur un support déjà normalisé et exclusif – la lame, une évolution viendra se surajouter qui portera sur la régularisation de la partie préhensée et la capacité à produire toutes sortes de parties transformatives. Le recours à un stade de confection est alors obligatoire si l’on souhaite des tranchants, des silhouettes, des caractères techniques particuliers qui ne peuvent pas être obtenus lors du débitage.
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L’application archéologique devra donc prendre en compte l’ensemble de ces points. Mais ces derniers n’auront de sens que remis dans des contextes archéologiques, c’est-à-dire par confrontation de l’ensemble des éléments techniques. En dehors d’un rapport de filiation logique entre les faits techniques, il existe un rapport de succession chronologique (Bergson H. 2009). Ce temps de l’analyse est celui du temps de la genèse des faits.
Le temps chronologique Les productions de lames Pour mieux illustrer notre propos, nous distinguerons cinq phases. La première débute avec les premiers débitages laminaires, nommés selon leurs caractéristiques Amudien, Pré-aurignacien et Hummalien. Ces industries précèdent la grande période Levalloiso-moustérienne. La deuxième phase débute avec les industries dites du Paléolithique Intermédiaire ou de Transition ou encore Initial Upper Palaeolithic et se termine avec les dernières industries laminaires de l’Holocène. Première phase Durant cette phase comprise entre 300 000 et 200 000 ans, les premières industries laminaires sont connues dans la région du Levant, au Liban et en Israël, sous le nom d’Amudien (Figure 129). L’Amudien est retrouvé dans différentes positions stratigraphiques par rapport à l’industrie yabroudienne. Il est soit en position interstratifiée comme dans la grotte de Tabun en Israël - unit XI, où il est daté de 264+/- 28 ky (Garrod D.-A.-E. et Bate D. 1937 ; D.-A. 1956 ; Jelinek A. 1975, 1981, 1982, 1990 ; Mercier N et Valladas H. 2003), soit il succède au Yabroudien comme dans l’abri Zumoffen au Liban, où il est daté du stade isotopique 7 (Garrod D.-A.-E. et Kirkbride D. 1961 ; Roe D.-A. 1983 ; Sanlaville P. 1998). Les dernières découvertes du site de Qesem, en Israël, datées entre 400 et 200 ky, en font une industrie contemporaine, voire un faciès d’activité, du Yabroudien141 (Barkai R. et al. 2003, 2005, 2009, 2010 ; Gopher A. et al. 2005). Deuxième phase Durant cette phase, comprise entre 200 000 ans et 150 000 ans, les industries laminaires connues sont retrouvées dans les régions du Levant et de la Syrie intérieure (Figure 129). 141
Rappelons que dans ce site la couche amudienne est épaisse de trois mètres, ce qui affaiblit la portée d’une telle hypothèse. Il n’en reste pas moins que : tant à Tabun, à Qesem qu’à Yabroud, il existe un phénomène laminaire interstratifié avec le Yabroudien. Dans les cas de Yabroud et de Zummofen, il semble qu’il s’agisse de couches spécifiques, mais c’est incertain.
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Dans la région du Levant : - le Pré-aurignacien : est connu à Yabroud (Syrie) en position inter-stratifiée avec les niveaux yabroudiens - Yabroud couches 13 et 15 (Rust A. 1950 ; Bordes F. 1955, 1958, 1961, 1997) ; cette industrie ne semble pas être plus ancienne que 195 +/- 15 000 kyr (TL), date obtenue à partir de la couche 18, couche yabroudienne sous-jacente (Farrand W.-R. 1994 ; Garrod D.-A.-E. 1956) ; - le laminaire d’Hayonim142 : est connu en Israël sous la séquence levalloiso-moustérienne du site d’Hayonim - couche E base et F, et est daté de 160-230 000 (TL, ESR) (Meignen L. 1998a et b, 2000, 2007, 2011 ; Valladas H. et al. 1998 ; Schwarcz H.-P. et al. 1998 ; Mercier N. et al. 2007). Dans les régions de Palmyre et d’El Kowm, en Syrie : - l’Hummalien : est actuellement connu en stratigraphie dans deux sites : Hummal et Umm el Tlel. A Hummal la situation est un peu confuse. L’ensemble hummalien a été découvert pour la première fois en 1980. A l’époque il fut nommé Ia (J. Besançon et al. 1981, 1982 ; Hours F. 1982 ; Boëda E. 1995a, 1997). Une première série de dates, effectuée par Henning, avait donnée un âge de 160 +/- 22 000 ans (TL) pour le conglomérat travertineux - couche Ib, contenant des éléments yabroudiens sous-jacents à l’ensemble hummalien (Henning G.-J. et Hours F. 1982). Mais cet âge a été remis en cause du fait de la contamination des sédiments par des radioéléments (Mercier N. et Valladas H. 1994). Lors de la reprise des fouilles par J.M. Le Tensorer, dans les années 2000, deux ensembles hummaliens ont été mis au jour. Le premier, nommé alpha h, correspondait à l’ancien Ia. Le second, sans raccord stratigraphique de visu avec le premier, provenait des couches 6 et 7, datées de 160 000 et de 250 000 ka (TL) (Le Tensorer J.-M. 2005, 2007 ; Richter D. et al. 2011). Or, ce dernier ensemble, nommé VIb ou 6b, avait fait l’objet de prélèvements in situ143 en 1982 et 1983 par l’équipe de la RCP 438144, puis par nous même en 1991. Les analyses que nous avons menées en 1991 sur ce matériel, ainsi que sur celui de la couche Ia, indiquaient clairement que ce n’était pas la même industrie 142
Nous ne qualifions pas le laminaire d’Hayonim d’Hummalien comme le souhaite les auteurs. Bien qu’il existe une très forte similitude dans le mode de débitage ainsi que dans la composition typologique qui en font, à notre avis, un parent très proche. En effet, ayant eu la possibilité d’analyser plus de 500 pièces hummaliennes de la couche Ia d’Hummal (Besançon J. et al. 1982), nous ne pouvons que constater une très forte similitude entre la couche E base et F d’Hayonim et la couche Ia d’Hummal (Boëda E. 1995b, 1997). 143 Cet ensemble a été repéré et prélevé à partir des années 1982 et 1983 et non en 1980 lors de l’élaboration de la première stratigraphie, raison pour laquelle il n’est pas mentionné dans des publications de J. Besançon et de F. Hours (Besançon J. et al. 1982 ; Hours F. 1982). En revanche, il a bien fait l’objet d’une identification à partir de 1982, date à laquelle les premiers prélèvements ont eu lieu. Les pièces et les sacs qui les contenaient sont notés couche VIb ou 6b, 1982 et 1983. Par la suite, cet ensemble n’a fait l’objet d’aucune publication spécifique car, au regard de sa position stratigraphique définie à l’époque comme appartenant à la base du complexe VI, il relevait de la phase finale du Levalloiso-moustérien et ce dernier était déjà largement représenté dans les couches sous-jacentes III, IV et V. Par ailleurs, les conversations que j’ai pu avoir avec L. Copeland m’ont confirmé que ce niveau VIb avait été considéré, dès le début, comme pouvant relever de la transition avec le Paléolithique supérieur. 144 R.C.P. 438 : L’Homme et le milieu au Proche-Orient, responsable P. Sanlaville.
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s’agissant néanmoins de l’expression d’un phénomène laminaire. En conséquence, il nous semble judicieux de garder l’appellation d’Hummalien pour les industries des niveaux Ia et alpha b mais pas pour la couche VIb/6b. A Umm el Tlel, le niveau hummalien succède à un ensemble yabroudien pris dans un conglomérat travertineux daté de 140 000 ans (Boëda E. et al. 2006, 2007, 2008, 2009 ; Copeland L. et Hours F. 1981, 1983). Cependant la date est ancienne et n’a pas encore pu être vérifiée. Elle doit être considérée avec prudence, car sur le plan chronostratigraphique les fouilles actuelles indiquent un âge antérieur au stade isotopique 6/7 (Henning et Hours F. 1982 ; Copeland L. 1981). L’ensemble 6b d’Hummal (stratigraphie de J. Besançon J. et al. 1982 et de J.-M. Le Tensorer F. 2007 ; Wotjtczak D. 2011). Cet ensemble est distinct de celui de la couche Ia. Il s’agit d’un débitage laminaire spécifique, produisant des lames épaisses de section trapézoïdale très caractéristique. La retouche est difficile à différencier des importantes altérations post-dépositionnelles observées. Le matériel est pris dans une matrice de gravillons témoins d’une forte érosion. La position stratigraphique de cet ensemble par rapport à l’Hummalien alpha h est difficile à déterminer, malgré les nouvelles fouilles. Par ailleurs, il reste un problème que ces dernières ne semblent pas avoir pas résolu. En effet, lors de la découverte du site, dans un autre secteur du puits, plusieurs niveaux – II, III et IV – comprenant des produits Levallois dont des lames – II, furent clairement mentionnés comme ayant un lien avec le niveau Ia. (Besançon J. et al. 1981)145. Bien qu’il soit impossible de faire le raccord stratigraphique avec les nouvelles données, ces informations ne doivent pas être rejetées. Elles témoignent manifestement d’une industrie Levallois laminaire de type Tabun D (Blady Early MP), comme cela est également attesté dans la séquence d’Umm el Tlel (Boëda E. et al. 2008). Néanmoins, dans l’état actuel des données, on ne peut pas conclure à la présence d’éléments culturels de type Tabun D audessus du Yabroudien d’Hummal. Les dates obtenues pour la couche 6b (Richter D. et al. 2011) devront être confirmées en réglant le problème des doses résiduelles de radioéléments dans les sédiments (Mercier N. et Valladas H. 1994). Le site de Kaféine : il s’agit d’une nouvelle industrie, récemment découverte, composée d’un débitage laminaire, connue en stratigraphie dans la région d’Araka sur les sites de Kaféine 1, 2 et 3146 (Boëda E. 2005b). Le site de Kaféine 1 présente plus de six couches archéologiques composées pour l’essentiel de déchets de taille, de nucléus et de nombreux produits laminaires non retouchés. La base du site n’est pas connue. En surface, un faciès d’atelier de 145
L’étude que nous avons pu faire en 1991 (non publié) sur ce matériel atteste d’une production d’enlèvements laminaires Levallois mais également de pointes Levallois et d’éclats quadrangulaires allongés. Les produits laminaires sont pour certains d’entre eux retouchés, mais ils n’évoquent pas la diversité des outils hummaliens. Par ailleurs, l’ensemble des pièces a un talon facetté que l’on retrouve communément dans le débitage Levallois, ce qui n’est pas le cas dans l’Hummalien. 146 A la suite d’une prospection menée en 2004 entre les deux régions de Palmyre et d’El Kowm, nous avons retrouvé un ensemble lithique en stratigraphie sur le site de Kaféine, surmonté en surface de quelques nucléus Levallois. Il s’agit donc a priori d’une industrie antérieure aux industries Levallois.
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taille de pointes et d’éclats Levallois classiques a été retrouvé, correspondant aux stades isotopiques 5 et 4 de la région d’El Kowm. L’attribution d’un âge antérieur au Levalloisomoustérien autre que Tabun D (Blady Early MP) pour cette industrie paraît possible. Dans l’une des couches, un nucléus Levallois patiné, à enlèvements laminaires de grande taille a été découvert. Ce nucléus peut évoquer une période Levalloiso-moustérienne ancienne, antérieure à la production laminaire. Il n’existe pas de similitude technique ni typologique avec la couche 6b d’Hummal. Néanmoins, avec ce site et celui d’Hummal (6b), il semble exister, dans le bassin d’El Kowm, une industrie laminaire non Levallois, autre qu’Hummalienne, probablement postérieure ou contemporaine des premiers faciès Levallois-moustérien. Au sud du Caucase : - le complexe de Djruchula-Koudaro également appelé Djruchulien (Liubin V.-P. 1977, 1989 ; Meignen L. et Tushabramishvili N. 2006 ; Golovanova L. et Doronichev V.-B. 2003). Bien que situé nettement plus au nord, sur le versant sud du Caucase, ces industries, et en particulier les assemblages de Djruchula en Géorgie, s’apparentent sur un plan technique et typologique aux industries laminaires identifiées au Proche-Orient dans les sites d’Hayonim base E et base F, d’Hummal Ia (Copeland L. 1985) et d’Abou Sif (Neuville R. 1951), même si elles s’en différencient par certains caractères, comme le traitement bifacial de la retouche (Meignen L. et Tushabramishvili N. 2006). Dans le site de Djruchula, deux périodes d’occupation caractérisées par ces industries laminaires sont datées par TL entre 260/210 ka pour la première et aux alentours de 140 ka pour la seconde (Mercier N. et Valladas H. 2011)
Figure 129 Tableau chronologique des industries des deux premières phases
Données techniques sur les deux premières phases Sur un plan analytique, de nombreuses descriptions ont été produites considérant tel ou tel caractère issu de tel ou tel registre méthodologique. De fait, excepté dans de rares cas, les synthèses s’avèrent très difficiles et peuvent prendre des sens différents selon les caractères requis. Une synthèse, a minima, consisterait à dire qu’un grand nombre de nucléus à lames atteste de concepts de débitage non Levallois, que la percussion est directe au percuteur minéral - dur ou tendre, et que le point d’impact est interne et non marginal. 180
La présence ou non du débitage Levallois est à prendre avec la plus grande précaution. Dans certains cas, le « diagnostic » est fait à partir de quelques produits et en particulier des pointes147. Les expérimentateurs connaissent bien la dangerosité d’une telle approche. Dans d’autres cas, ce sont les nucléus qui sont mis en avant. Or, nous avons précédemment montré que certains nucléus de conception volumétrique de Type D peuvent simuler l’appartenance d’une conception Levallois. En dernier lieu, certains débitages laminaires non Levallois de conception D peuvent, selon leur stade d’abandon, donner l’impression d’être de conception Levallois. En réalité, il ne s’agit que de morphologies similaires, les conceptions sous-jacentes sont radicalement différentes. Nous avons longuement expérimenté les modes de débitage laminaire hummalien afin de confirmer ce passage de « morphologie successive » qui permet de conserver une production de lames non pas continue mais suivant le débitage des volumes utiles. Nous pensons que ce point est particulièrement important à souligner. En effet, si les analyses techniques se sont surtout attachées à la reconnaissance des procédés de production concepts et méthodes, et si de nombreux progrès ont été effectués, il n’en reste pas moins qu’à vouloir trop classifier on a rigidifié le système. Ceci est particulièrement vrai pour certains modes de débitage non homothétiques. Il y a une confusion de rang majeure entre le concept et la méthode. Ceci est particulièrement vrai pour le débitage laminaire148 qui suscite de nombreux paradoxes. Par exemple, d’un côté on atteste d’un débitage laminaire Levallois, donc d’un concept volumétrique affirmé et reconnu, sans en définir réellement la ou les méthodes de façon précise - si ce n’est pour la méthode uni-polaire, et de l’autre, on mentionne des débitages non Levallois à lames, avec moult détails sur les méthodes sans la moindre référence à un concept volumétrique. Raison pour laquelle un vocabulaire riche, sémantiquement très diversifié et imagé tel que : tournant, semi-tournant, unipolaire, pseudopyramidal, etc. Mais sur un plan conceptuel qu’en est–t-il ? Conceptuellement que signifie un débitage non-Levallois ? En d’autres termes, que traduisent ces expressions sur un plan conceptuel et en termes de finalité ? Il faut dépasser ce stade de reconnaissance des faits pour arriver à un niveau analytique. C’est une étape supplémentaire qu’il nous faut franchir. Car nous sommes là toujours confrontés aux problèmes des effets de classification et de leur dynamique d’évolution. A chaque fois que l’on franchit un stade de compréhension, on est tenté de le figer par une classification trop rigide qui, d’une certaine manière, est rassurante parce qu’elle permet de produire un discours. Encore faut-il qu’elle classe des faits de même rang ! Troisième phase Nous regroupons dans cette phase des industries chronologiquement plus jeunes, présentant toujours un débitage laminaire spécifique associé ou non avec un débitage Levallois. Les gisements sont peu nombreux, répartis sur un vaste territoire et 147
Nous ne reviendrons pas sur l’erreur fréquemment commise entre un produit dit Levallois et un mode de débitage Levallois. Sur ce point, certains préconisent de ne plus utiliser le nom de pointe Levallois lorsqu’elles sont issues d’un autre mode de débitage (Meignen L. 2007). Nous proposons deux possibilités : soit de différencier, comme nous le faisons, des typo-pointes Levallois, non issues d’un débitage Levallois, des technopointes Levallois issues d’un débitage Levallois ; soit d’utiliser les termes de pointes de Type D3, E2, F2. 148 Nous aurions tout aussi bien pu illustrer ce problème avec le débitage de type E1 - Discoïde.
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chronologiquement éparpillé. Ces industries se différencient des industries de type Tabun D (Blady Early MP) où la composante laminaire Levallois est clairement dominante ainsi qu’une production de supports courts - éclats et/ou pointes (Copeland L. 1975 ; Meignen L. 2007. Pour la région du Levant : - le site de Rosh Ein Mor est daté aux environs de 80 000 (U/TH) (Marks A.-E. et Crew H.-L. 1972 ; Marks A.-E. et Monigal K. 1995 ; Schwarcz et al. 1979) ; - le site d’Ain Difla est daté entre 90 et 180 000 ans (TL, ESR, U/Th) (Lindly J. et Clark G. 1987 ; Clark G. et al. 1988, 1997). Pour les régions de Palmyre et d’El Kowm : - les couches VI2 alpha a et VIII 1a’ du site d’Umm el Tlel comprises respectivement entre 60 et 70 000 ka (TL) et entre 70 et 110 000 ka (TL) (Boëda E. 1997 ; Boëda E. et al. 2007, 2008). Quatrième phase Cette quatrième phase commence avec les premières industries dites 149 Transitional Industry, Levantine Early Upper Paleolithic ou Initial Upper Palaeolithic (Garrod D.-A.-E. 1951, 1955 ; Azoury I. 1986 ; Copeland L. 1970, 1975 ; Ohnuma K. 1988 ; Bar-Yosef O. et Belfer-Cohen A. 1988 ; Belfer-Cohen A. et Bar-Yosef O. 1999 ; Gilead I. 1991 ; Marks A.-E. 1983a et b, 1993 ; Kuhn S. et al. 2004 ; Brantingham P.-J. et al. 2004 ; Meignen L. et al. 2006), ou encore Paléolithique Intermédiaire150 (Boëda E. et Muhesen S. 1993 ; Boëda E. et Bonilauri S. 2006a). Le terme de transition établit une relation phylétique entre les différentes cultures qui l’encadrent, alors que celui d’Upper Palaeolithic ou d’Initial Upper Palaeolithic témoigne à la fois d’une rupture avec les cultures précédentes et d’un début d’autre chose qui ira en s’épanouissant. En réalité, le choix des expressions dépend de la caractéristique que l’on désire mettre en avant. Dans certains cas, c’est la persistance d’un trait archaïque comme la pointe Levallois, issue ou non d’un débitage de Type F1/Levallois, ou la présence de pointes d’Emireh qui est prépondérante, et ceci, malgré la présence d’un outillage de type Paléolithique supérieur. Dans d’autres cas, la primauté est donnée à la tendance laminaire du débitage et/ou à la présence d’outils de type Paléolithique supérieur - grattoirs et burins réalisés sur les lames. On parle alors d’artefacts leptolithiques, surtout pour les industries d’Europe de l’ouest et d’Europe centrale (Breuil H. 1912 ; Kozlowski J.-K. 1988 ; Kozlowski J.-K et al. 1996), soulignant que l’existence de ces outils est le signe d’une évolution vers le Paléolithique supérieur. 149
Ce sont autant de termes différents pour témoigner d’un même phénomène : celui de la réapparition d’un débitage de lames et de la production d’outils de type Paléolithique supérieur. 150 Ce terme a été utilisé dans le cadre des données stratigraphiques des sites du bassin d’El Kowm et de Palmyre. En effet, les industries comprises entre un Levalloiso-moustérien classique et un Ahmarien ou un Aurignacien sont trop différentes pour utiliser le terme classique de Transition.
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De fait, la principale caractéristique de toutes ces industries est un mélange de caractères techniques « apomorphes »151 et « plésiomorphes »152, suivant la primauté donnée à l’un ou à l’autre nous serions face à la fin de quelque chose, ou, au contraire, au début d’un nouveau processus en développement. Mais pourquoi attribuer plus de valeur à l’un qu’à l’autre ? Des nombreux sites connus, nous ne citerons que les plus célèbres : Ksar-Akil - Liban (Azoury I. 1986 ; Ohnuma K. 1988), Boker Tachtit - Israël (Marks A.-E. 1983a et b), Tor Sadaf - Jordanie (Fox J.-R. 2003 ; Coinman N.-R. 2004), Umm el Tlel - Syrie (Boëda E. et Muhesen S, 1993 ; Boëda E. et Bonilauri S. 2006a) et Üçagzli - Turquie (Kuhn S. 2004 ; Kuhn S. et al. 2004). Ainsi, la réapparition géographique de ce phénomène couvre tout le Proche-Orient, de la Méditerranée à l’Euphrate et bien au-delà puisque nous le retrouvons en Asie centrale à Obi Rakhmat et à Khudji (Ranov V.-A. et Amosova A.-G. 1984 ; Vishnyatsky L.-B. 2004), en Altaï à Kara-Bom (Goebel T. 2004) et très certainement en Chine du Nord à Schidongou (Brantingham P.-J. et al. 2004 ; Boëda E. et al. 2013). La durée de ce phénomène au Proche-Orient est courte, puisqu’il est compris entre 4547 000 ans pour les plus anciennes couches - Boker Tachtit niveau 1 (Marks A.-E. 1983a et b)153 et 36 000 ans pour les couches les plus récentes - zones steppiques (Boëda E. et al. 1996). Dans les zones situées plus à l’Est nous disposons de dates plus anciennes, qui sont en cours de vérification. Cette quatrième phase présente une extension géographique au-delà du Proche-Orient, témoin de la circulation et de l’acceptation technique de cette nouvelle idée, transcendant des espaces géographiques et ethniques différents. Cinquième phase La cinquième et dernière phase regroupe l’ensemble des industries postérieures aux industries dites de transition jusqu’à leur disparition. Ces industries laminaires sont connues dès 43 700 ka B.P. à Kebara - Unit IV-V (Bar Yosef O. et al. 1996 ; Bar Yosef O. 2000). A partir de 36-35 000 ans B.P. à Kébara - Unit IIf, un nouveau complexe d’industries dénommé Aurignacien ou Levantine Aurignacian apparaît qui perdurera jusqu’à 21 000 ans B.P. comme à Ksar’Akil (Mellars P. et Tixier J. 1989). Ce complexe occupe le même espace proche-oriental154 que l’Ahmarien, sans qu’il y ait de réelle substitution de l’un par l’autre (Goring-Morris N.-A. et Belfer-Cohen A. 2003 ; Mellars P. 151
Terme utilisé en anthropologie pour parler d’un caractère qui est différent de l'état ancestral. Terme utilisé en anthropologie pour parler de la présence d’un caractère ancestral. 153 Une industrie Ahmarienne a été datée à Kebara - unité IV-III, de 40-42000 ans (Bar Yosef O. et al. 1996). Elle serait contemporaine des industries dites de Transition du Negev - Boker Tachtit (Marks A.-E. 1983a et b). 154 Mais ce complexe n’occupe pas les mêmes lieux. Durant la période de 30/20 000 ans, on pourrait opposer une zone levantine aurignacienne dont témoigne les séquences de Ksra’Akil (Mellars P. et Tixier J. 1989) et une zone ahmarienne du Negev et du Sinaï comme le montrent les séquences de Boker Tachtit (Marks A.-E. 1983a et b) et de AbuNoshra II et I (Phillips J.-L. 1994). Seule la séquence du site d’Umm el Tlel, située en Syrie centrale (Ploux S. et Soriano S. 2003), montre une réelle coexistence, dans un même lieu, d’industries ahmariennes et aurignaciennes. 152
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2004). En effet, l’Ahmarien est un complexe d’industries et non une entité homogène, que l’on retrouvera pendant et après toute la période aurignacienne (Bar Yosef O et Belfer-Cohen A. 1977 ; Bar Yosef O. 2000). Et la phase finale du Paléolithique supérieur proche-oriental, entre 25 et 20 000 ans, est souvent assimilée à un faciès final de l’Ahmarien ou Late Ahmarian complex, en particulier en Syrie (Ploux S. et Soriano S. 2003) et en Jordanie (Coinman N.-R. 1993, 1998 ; Olszewski D. 1997 ; Byrd B.-F. 1988 ; Byrd B.-F. et Garard A.N. 1990). Après cette phase finale, l’Ahmarien est suivi par le Kébarien géométrique vers 17 500-14 600 cal BP, puis par le Natoufien entre 14 600 et 12 900 cal BP (Belfer-Cohen A. et Goring-Morris A.-N. 2003 ; Maher L. et al. 2011 ; Godfrey-Smith D.-I. et al. 2003). Le début du Néolithique appelé PPNA et PPNB, entre 9000 et 7000 ans, voit se poursuivre la tradition laminaire (Abbès F. 2003 ; Calley S. 1986 ; Cauvin J. 1977, 1994). Cette tradition s’achèvera avec le bronze ancien (Neuville R. 1930 ; Rosen S.-A. 1983, 1997 ; Contenson H. 2000) et les lames dites cananéennes. Sur un plan géographique, l’aire de répartition de la cinquième phase épouse l’aire géographique de la quatrième phase. Les produits lames Le début du phénomène laminaire : les lames amudiennes et hummaliennes Pour le début du phénomène laminaire, les données factuelles concernant les outils ne sont pas très précises. De grandes différences analytiques existent d’un site à l’autre. En revanche, pour les périodes postérieures à 45 000 ans, les données sont nombreuses données. Néanmoins, en ce qui concerne les premières industries nous avons essayé, dans un tableau récapitulatif, de synthétiser au mieux les données dont nous disposons. En tenant compte des données chronologiques on peut raisonnablement distinguer deux grandes tendances. Une première tendance est caractérisée par des lames majoritairement brutes de retouches, ce qui ne signifie pas que ce ne sont pas des outils. Lorsque les données tracéologiques existent, elles confirment que la plupart des lames brutes de retouches sont des outils ayant fonctionnés. Cette notion d’outil a été décelée dès l’analyse technique des schémas de production, sans le secours de la tracéologie, comme c’est le cas pour l’Amudien (Meignen L. 1994 et 1996). Les caractères technofonctionnels des futurs outils laminaires sont intégrés dans le schème de production, afin qu’ils soient présents lors du débitage des outils. Chaque lame produite est ainsi un artefact prêt à l’emploi. Seule l’énergie du geste manque pour qu’elles deviennent des outils. Face à un tel système, deux remarques peuvent être formulées. La première est que le potentiel d’utilisation des lames, par transformation par la retouche en un autre outil, est très rarement envisagé, voire jamais. Cette situation amène à un autre niveau de réflexion qui porte sur la complémentarité des outils d’un même ensemble les uns par rapport aux autres. Deux solutions peuvent être envisagées. La plus simple est d’imaginer que nous avons affaire à des sites d’activités spécialisées ne nécessitant qu’un minimum d’outils. Dans le cas de l’Amudien, cela semble envisageable car dans la plupart des sites on le retrouve associé à des outils yabroudiens. Sur un plan conceptuel, cette 184
association pourrait tout d’abord être rejetée tant les conceptions techniques sous-jacentes semblent différentes et opposées. A moins que cette opposition ne soit ce qui relie ces différentes conceptions techno-fonctionnelles en les rendant complémentaires ? L’autre hypothèse serait de considérer que le faciès Amudien est une entité technique avec une diversité d’outils réelle, qui ne nous apparaît pas de prime abord. Conjuguant une analyse techno-fonctionnelle avec une observation tracéologique, les travaux effectués sur le site d’Umm el Tlel (Bonilauri S. 2010), bien qu’ils ne portent que sur des industries Levallois à majorité d’outils convergents, ont montré que la retouche n’était pas justifiée pour la réalisation d’objectifs aussi variés que la coupe de végétaux ou de viande, que ce soit pour couper ou racler. En conséquence de quoi, les lames de l’Amudien ont pu être affectées à de nombreuses tâches différentes, sans lien avec une quelconque spécialisation. La seconde remarque est à considérer dans un cadre évolutif. Etant donné que nous sommes dans la première phase d’émergence du système laminaire, on peut envisager que le potentiel structurel de la lame ne soit pas encore développé, puisqu’il est à son stade premier. Seules ses capacités techniques brutes sont retenues et jugées suffisantes. Cette remarque ne va aucunement à l’encontre de ce que nous avons dit précédemment, bien au contraire, elles vont dans le même sens. N’en est-il pas de même en Europe ? Là encore il existe une technologique. La seconde tendance témoigne de l’utilisation de la lame comme support idéal pour fabriquer différents artefacts avec un ou plusieurs schèmes opératoires (Figure 130). Tout le potentiel structurel de la lame est ainsi utilisé, nous y reviendrons. Disons simplement que : d’outil brut la lame devient support d’outils. Ainsi la lame est utilisée comme une matrice. D’un point de vue uniquement descriptif, en prenant le cas de l’Hummalien que nous connaissons bien, on se rend compte que l’on peut distinguer là encore deux tendances d’artefacts retouchés. Nous utilisons artefacts et non outils, comme le font les ergonomes car
Figure 130 Production laminaire et types d’outils (sens typologique classique)
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dans le cas présent cette distinction est des plus importantes. En effet, si l’on ne prend en compte que le type de retouche on peut distinguer une première tendance dans laquelle nous regrouperions des artefacts retouchés de types racloirs, selon la terminologie de Bordes : racloir simple, double, voire de retouche type Quina. La seconde tendance regroupe toute une gamme d’outils convergents que nous avons précédemment évoqués. Notons l’absence de grattoir et de vrai burin, sauf exception. Les récentes analyses que nous avons pu effectuer montrent, avec certitude, que les burins sont en réalité des nucléus à lamelles155 de plus de 3 à 4 cm de long. Revenons à la première tendance et intégrons le caractère techno-fonctionnel marquant de la lame : sa partie préhensée. La première observation est de dire que l’on ne peut pas utiliser le même terme de racloir pour qualifier un racloir sur éclat et un racloir sur lame. Nous préférons parler de lame retouchée, même si la fonction est la même. La structure lame induit un mode de maintien différent, donc un potentiel énergétique et gestuel différent. Il s’agit donc, par l’essence même de schèmes opératoires différents, d’outils distincts. La seconde observation est induite par la comparaison avec les outils qui sont antérieurs à l’Hummalien, en l’occurrence, dans le cas qui nous intéresse, ceux du Yabroudien. On peut parler de véritable rupture ergonomique. Cette rupture est largement confirmée par la seconde tendance que représentent les outils laminaires convergents. Au regard des artefacts/outils précédents, il s’agit là, de vrais nouveaux outils. Il ne s’agit pas de simples objets convergents. La convergence, dans le cas Hummalien, est utilisée pour réaliser différents types d’outils. Ainsi, nous distinguons différentes convergences : symétrique dans l’axe morphologique de la lame et perpendiculairement à celui-ci ; symétrique dans l’axe morphologique de la lame et asymétrique perpendiculairement à celui-ci ; déjetée dans l’axe morphologique de la lame et symétrique perpendiculairement à celui-ci ; déjetée dans l’axe morphologique de la lame et asymétrique perpendiculairement à celui-ci. Un autre degré de variabilité, dépendant du type de tranchant aménagé, pourrait aussi être pris en compte, qui multiplierait encore la panoplie d’outils. Pour résumer, le phénomène Hummalien et ses homologues levantins et caucasiens représentent une véritable révolution ergonomique, avec l’intégration de nouvelles énergies et de nouveaux gestes. Sur le plan évolutif, nous sommes dans la pleine expression du potentiel évolutif des lames.
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La notion de lamelles est toujours subjective, car elle se définie essentiellement en comparaison avec les lames produites. Dans le cas présent, les différences métriques sont telles que l’on peut qualifier cette production de lamellaire. En d’autres circonstances, ces lamelles auraient été considérées comme des lames, si elles avaient été associées à une production de « lames » encore bien plus petites.
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Nous pouvons également nous interroger sur l’évolution du système de production. Dans le cas présent, il est globalement le même que celui de l’Amudien. Cette observation corrobore ce que l’on observe sur l’intensité de la retouche de l’Hummalien. Globalement, il y a un manque de concordance entre le type de support et le type de silhouette d’outils recherchés. Cette absence d’adéquation est corrigée par l’importance de la retouche. Les nombreuses répliques expérimentales des modes de productions hummaliens attestent d’une grande diversité technique et morphologique des supports. L’objectif principal du débitage est une production discontinue de lames. Qu’importe la variabilité, elle sera corrigée par la retouche des parties transformative et préhensée (cf. § Hummalien dans partie 2). Il est fort intéressant de remarquer, que dans le site d’Umm el Tlel l’industrie sus-jacente au débitage Hummalien est une industrie Levallois de type Tabun D (Blady Early MP) qui présente le même type d’outils convergents, mais avec une retouche beaucoup moins prégnante. Le support Levallois, brut de retouche, est en effet un support qui possède, dès sa réalisation, la silhouette et les caractères techniques du futur outil. La retouche a uniquement pour rôle de fonctionnaliser les tranchants selon les objectifs recherchés. Les parties préhensées sont, quant à elles, pratiquement brutes de retouche. On retrouve un des caractères techno-fonctionnels propres au débitage de Type F1/Levallois dont nous avons précédemment parlé, à savoir une partie préhensée extrêmement normalisée et une partie transformative au plus près de la future silhouette de l’outil. Rappelons que le débitage Levallois, dans le cas des industries de Tabun D (Blady Early MP), a aussi pour rôle de produire d’autres types de support comme la pointe Levallois. Cette production variée explique l’abandon du tout laminaire, même si les produits allongés à tendance convergente continus d’être réalisés. L’après Hummalien Après cette période de lames retouchées, les industries essentiellement laminaires vont, durant l’ensemble des stades isotopiques 6 et 5, se raréfier au profit du tout F1/Levallois. Seuls quelques phénomènes laminaires ponctuels réapparaîtront. Les informations techniques concernant les types d’outils sont rares, si ce n’est qu’ils ne sont en aucun cas de type Hummalien. Il semblerait même que la majorité des produits laminaires soit bruts de retouche. Les produits laminaires et lamellaires : de la Transition au Néolithique Il faudra attendre la période dite de transition, soit plus de 100 000 ans plus tard, pour voir réapparaitre des outils sur lames qui perdureront, cette fois, jusqu’au Néolithique. Mais, il ne s’agit pas d’une réédition des outils précédents. Il s’agit de nouveaux outils avec l’apparition conjointe d’outils sur lamelles. Cette période est marquée par la naissance d’un débitage lamellaire156. Certes, on retrouve dans les phases finales du moustérien quelques nucléus à lamelles, mais cela reste très marginal et la production est très limitée. 156
Il ne s’agit pas réellement d’une innovation structurale, car les structures lamellaires de débitage seront strictement identiques à celles du débitage laminaire, avec les mêmes stades d’évolution. Avec le débitage lamellaire, ce n’est pas le mode productionnel qui est innovant, l’innovation réside dans la lamelle elle-même.
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Lorsqu’apparaît le débitage lamellaire avec les horizons de transition, les enlèvements lamellaires représentent un pourcentage important des produits prédéterminés157. Les outils sur lame sont pour l’essentiel des lames à dos, des lames appointées, des grattoirs et des burins. Il est intéressant de noter que les parties des grattoirs et des burins sont connues durant les phases moustériennes, certes en faible quantité, mais néanmoins suffisamment pour être régulièrement signalées. Cependant, les supports sont essentiellement des éclats prédéterminants, et non des éclats prédéterminés F1/Levallois ou autres. Ce caractère de non prédétermination est important car il témoigne de la non normalisation du support et donc de silhouettes variables. Cela ne signifie pas que le support ne requiert pas certains caractères techniques. Ces derniers sont sélectionnés dans le tout venant du débitage ; ils ne sont pas obtenus par le biais de procédures de débitage spécifiques amenant à un support aux parties transformatives et/ou préhensées normalisées. Le fait que ces mêmes parties transformatives soient systématiquement associées à un nouveau type de support, qui plus est le seul type de support normalisé, est significatif d’un changement profond. Ne voiton pas disparaître le débitage de Type F1/Levallois ainsi que tout autre mode de production fortement structuré comme le Type E2 ? Ce sont donc de nouveaux outils dont l’ergonomie, la gestuelle et les énergies sont différentes. Les outils sur lamelles appartiennent à une autre catégorie d’outils. Si la lamelle fait son apparition dans le système technique ce n’est pas pour supporter les mêmes parties transformatives que les lames. Au contraire, les parties transformatives sont toujours brutes de retouche, seule la partie préhensée fera l’objet d’un aménagement partiel comme dans le cas des lamelles ahmariennes et aurignaciennes, ou d’un aménagement plus conséquent afin d’obtenir la bonne silhouette, comme dans le cas du Kébarien. Néanmoins, il faut distinguer les lamelles de la période de transition car elles sont en général brutes de retouche et caractérisées par une spécificité liée au mode de préhension. Les données technofonctionnelles des couches de transition d’Umm el Tlel – Syrie, témoignent d’un emmanchement dans l’axe de débitage, qui est aussi l’axe morphologique de la lamelle, et d’une certaine adéquation du geste en fonction de la silhouette ; les silhouettes brutes de retouches correspondant à certaines catégories techno-fonctionnelles (Boëda E. et Bonilauri S. 2006a). A l’Aurignacien, le maintien devient essentiellement latéral tant pour les lamelles droites que torses. Durant les phases du PPNA et PPNB, la production lamellaire disparaît au profit d’un unique débitage laminaire et d’outils sur lames classiques : grattoirs, burins en tout genre, pointes de flèches nommées pointes d’Aswad, de Biblos, de Jerico ou d’Amouq, etc. et des lames-faucilles denticulées ou non. A la fin du PPNB, le débitage laminaire perd de son importance et les outils sont produits sur des éclats (Nishiaki Y. 2000 ; Ibáñez J.-J. et Urquijo J.-G. 2006). Seule persistera la production de lame d’obsidienne par pression.
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Dans le cas d’Umm el Tlel, les horizons de transition livrent une production lamellaire qui représente 30% de la production des supports prédéterminés. Cette situation est aussi décrite en Jordanie à Tor Sadaf (Fox J.-R. et Coinman N.-R. 2004 ; Coinman N.-R. et Fox J.-R. 2000).
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Le sens anthropologique par le croisement des données chronologiques et évolutives Paléo-histoire technique des modes de production et de leurs outils Première phase : l’Amudien, 300 000 – 200 000 ans Les productions laminaires et leurs outils Les toutes premières structures de productions laminaires apparaissent sous leurs formes abstraites, témoins du début de la lignée (Figures 131 et132). Deux hypothèses peuvent être émises : nous sommes en présence d’un processus d’invention purement local ; l’invention a eu lieu ailleurs et est parvenue sans que le processus d’évolution de la lignée n’ait encore eu lieu. Dans l’état actuel des données, la première hypothèse semble la plus probable. Lorsque l’on regarde les industries antérieures et/ou contemporaines, c'est-à-dire l’Acheuléen - soit le tout bifacial dans le cas du Proche-Orient, et le Yabroudien, la rupture évolutive est évidente. Mais cette rupture s’inscrit déjà dans un long passé de ruptures qui commencent avec le passage de l’Acheuléen et son tout bifacial, au Yabroudien et son tout éclat158. On abandonne le façonnage qui permettait de normaliser les supports au profit du tout débitage ou, plus exactement, au profit du tout débitage et du « tout confection ». Dans le cas du Yabroudien, la normalisation est mixte puisque le stade de confection amène au volume et au tranchant de l’outil. Etant donné l’importance de ce stade de confection, nous aurions pu individualiser une première étape dite de façonnage qui permet d’obtenir le volume normalisé et une seconde étape de confection sensu stricto qui n’intéresse que le tranchant. Mais cette subdivision n’a pas réellement d’importance, car ce qu’il faut retenir c’est que l’on complexifie la production de supports normalisés en introduisant une première phase de débitage. Et toute l’évolution que l’on verra par la suite avec le laminaire : C2, D2, E2 et F2 et les Types D1, D3, E1 et F1, sera une convergence vers la normalisation des supports. Le laminaire qui fait suite au Yabroudien est une nouvelle rupture. Même si la position du Yabroudien et de cette première phase n’est stratigraphiquement pas très claire, cette nouveauté est le témoin d’une nouvelle orientation qui débouchera sur l’Hummalien et ses homologues comme à Hayonim en Israël ou à Djruchula-Koudaro dans le Caucase. Lorsque l’on s’intéresse à l’outillage sur lame, on observe une absence de retouche. Cette absence a deux explications évolutives, mais pour cela nous devons dissocier l’analyse de l’outil de celle du support : 158
On retrouve dans le Yabroudien quelques pièces bifaciales dont certaines ont la même silhouette que les bifaces antérieurs. Mais leur très faible quantité, au regard de leur quasi exclusivité précédente, fait que ces pièces bifaciales et/ou bifaces ne sont pas les mêmes outils.
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stade abstrait de l’outil : dans le cadre d’une évolution, très souvent, l’outil est brut de retouche car il est structurellement à un stade abstrait ; cela ne veut pas dire que le nombre d’outils est limité, au contraire, les analyses tracéologiques on toujours montré une non spécialisation du simple tranchant ; cette hypothèse est celle du non technologue, une simple connaissance de nos outils actuels montre que si l’on ne retient que le simple tranchant et non sa structure et le volume aux dépens duquel il est aménagé, nous mettrions dans un même ensemble tous les outils tranchants - burin, ciseau, bédane, rabot, etc., et évidemment tous les différents types de couteaux ;
Figure 131 Evolution des structures de débitage de lames au Proche-Orient
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Figure 132 Evolution de l’ensemble des structures de production au Proche-Orient.
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stade de concrétisation du support, allant vers la normalisation : le débitage est la réponse à aux nouvelles exigences du « tout laminaire » ; dans le cas présent, le support se normalise, ce qui ne veut pas dire qu’il est arrivé à un stade de concrétisation, voire d’hypertélie comme le seront les productions du Chalcolithique ; cette normalisation porte avant tout sur la partie préhensée, c’est elle qui va structurer le support et en conséquence le volume à débiter ; il y aura, comme nous le verrons par la suite, une évolution des modes de production afin d’arriver au plus près de la future forme de l’outil, comme ce sera le cas dans les débitages de Type F1 et F2 ; dans le cas présent, de nouvelles exigences ergonomiques, liées à l’exploitation de gestuelles et d’énergies nouvelles, amènent à cette nouvelle silhouette de support. Il reste à expliquer, sur le plan sociétal, cette rupture avec le Yabroudien, comme celle de ce dernier avec l’Acheuléen. Bien que cela ne soit pas notre propos principal dans ce travail, il existe quelques pistes de réflexion. La première est géographique. Les phénomènes proche-orientaux Acheuléen159, Yabroudien et Amudien avec ses variantes, sont limités à un espace géographique qui va des monts du Zagros au nord, de l’Euphrate à l’est et de la zone steppique au sud. Sur un plan environnemental, nous n’observons aucune évidence d’adéquation entre la disparition et l’apparition de ces phénomènes culturels. De même que les explications migratrices sont à exclurent, point de bis repetita d’un nouveau Out of Africa. La seconde est d’ordre évolutif. Contrairement à une image de stabilité géographique, nous sommes dans une dynamique de rupture et non de stabilisation techno-cuturelle. Nous ne sommes donc pas en présence de changements à l’intérieur d’une même lignée. Nous devons cependant dissocier le passage Acheuléen/Yabroudien de celui du Yabroudien au laminaire dont l’Amudien. Le premier passage, de l’Acheuléen au Yabroudien, est attendu sur un plan évolutif. En effet, les structures bifaciales de l’Acheuléen sont arrivées à leur stade de concrétisation. En d’autres termes, il n’y a pas de possibilité d’évolution structurelle du volume « biface » utilisant l’énergie manuelle : il est arrivé à son point d’évolution maximale, raison pour laquelle la rupture est attendue. Au contraire, le second passage, du Yabroudien à l’Amudien, n’est pas attendu. Le Yabroudien apparaît comme une solution technique vraisemblablement associée à la nécessité sociétale d’utiliser des modes de préhension différents et donc des énergies et des gestes différents. Est-ce parce que nous sommes dans cette révolution énergétique que le débitage du « tout laminaire » apparaît presque conjointement avec l’éclat retouché yabroudien ? Doit-on pousser la réflexion plus loin, en supposant que la soi-disant incertitude stratigraphique que nous mettons en avant entre le Yabroudien et l’Amudien, n’en est pas une, qui ne serait que le reflet de notre cécité technique, incapable d’expliquer ce changement ? En réalité, le Yabroudien et l’Amudien sont évolutivement similaires donc potentiellement contemporains, chacun étant l’expression d’une option ergonomique différente : le tout éclat/outil normalisé avec le Yabroudien et le tout lame/outil normalisé avec l’Amudien (Figure 133). Ne serions-nous pas en face d’une nouvelle idée technique s’exprimant de différentes façons à des fins de complémentarité 159
Dont 100% des outils sont sur supports façonnés.
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fonctionnelle et non pas face à deux idées évolutives successives ? N’est-ce pas parce que le Yabroudien et l’Amudien disparaîtront que l’Hummalien laminaire apparaîtra ? Nous pensons que le Yabroudien est un choix d’adéquation entre un débitage au support peu normalisé et des volumes d’outils très normalisés. Sur un plan évolutif, il est donc tout aussi évolué que l’Amudien, même si ce dernier est son opposé techno-fonctionnel. L’Amudien est une autre façon de normaliser un support nouveau et bien différent. Ne pourraient-ils pas être complémentaires ? D’une part, la non exploitation structurelle du potentiel lame lors de l’Amudien serait logique en tant que premier stade évolutif et, d’autre part, non nécessaire du fait de la possibilité de réaliser certains types d’outils sur des éclats « yabroudiens ». Cette association n’est qu’une hypothèse de travail. Il nous faudrait plus de sites et retrouver les mêmes séquences au Proche-Orient. En effet, l’Amudien sous sa forme levantine ne semble pas être présent plus à l’Est, en Syrie, bien qu’il y existe un phénomène laminaire sans retouche, qui semble être associé à des racloirs bifaciaux. Dans cette région de Syrie orientale, le Yabroudien est présent mais n’est pas associé à des lames.
Figure 133 Modalités de normalisation des supports selon les différents faciès techniques Acheuléen : façonnage et confection ; Yabroudien : débitage et confection ; Amudien : débitage.
Deuxième phase : l’Hummalien et le laminaire Levallois, 200 000 – 150 000 ans Les productions laminaires et leurs outils Durant cette phase, le débitage « tout laminaire » perdure et le débitage d’éclats du Yabroudien disparaît (Figure 132). Mais l’industrie laminaire a changé sur le plan de l’outillage. La lame est devenue le support d’une gamme d’outils tous différents les uns des autres. Ainsi, on peut dénombrer plus d’une quinzaine d’aménagements différents. En revanche, les structures de débitage n’ont pas changé, elles sont identiques de celles connues dans l’Amudien. 193
Au Levant, l’Hummalien ou sa variante d’Hayonim semble succéder à l’Amudien, de même qu’à l’Est, dans la zone continentale steppique - régions de Palmyre et du bassin d’El Kowm. L’Hummalien sensu stricto semble aussi succéder à un phénomène laminaire sans retouche. Dans ce cas, il est possible que nous soyons en présence d’une lignée évolutive ou seul le potentiel structurel de la lame est en évolution. L’expérimentation, couplée avec l’analyse techno-fonctionnelle de ces outils, a montré que la retouche avait un double objectif. Le premier est de normaliser le support d’outil recherché. La production laminaire est une production de séries ininterrompues de lames sans réaménagement de la surface de débitage entre chacune d’entre elles. Le tailleur change de surface de débitage au cours de la production afin d’obtenir les meilleures conditions. Le résultat de cette démarche est une production de nombreuses lames par nucléus, avec un écart de taille de l’ordre de 5 cm entre les premières et les dernières lames, et une production aux caractères morpho-techniques très divers. Il n’y a pas, comme dans l’Amudien, une recherche spécifique d’un ou deux produits orientant tout le débitage. Le débitage de type Hummalien essentiellement de Type D2, est une production moins normalisée qui offre une plus grande diversité de caractères techniques des lames permettant ainsi d’effectuer un choix sélectif du support selon le type d’outil recherché. Du fait de cette spécificité paradoxale, la retouche s’avérera très importante pour finaliser la silhouette recherchée. D’où un stade de confection qui peut être important et qui portera aussi bien sur la partie préhensée que la partie transformative (Figure 134). Pour résumer, avec cette deuxième phase nous sommes en présence d’une évolution de la lignée laminaire qui, au lieu d’affiner ses modes de production afin d’arriver au plus près des silhouettes idéales, s’oriente vers l’exploitation du potentiel laminaire des lames. Pour la première fois, on voit naître toute une nouvelle gamme d’outils spécifiques liés à un mode de préhension unique : « la soie ». Pour cela, la confection des supports va au-delà d’une simple fonctionnalisation d’un tranchant puisqu’elle permet d’obtenir une nouvelle génération d’outils qui disparaîtra en partie avec le débitage de Type F1/Levallois laminaire. En partie, puisque la période dite de Tabun D - Blady Early MP, qui succède à l’Hummalien, se
Figure 134 Modalités de normalisation des supports selon les différents faciès techniques Amudien : débitage ; Hummalien : débitage et confection.
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caractérisera par des productions orientées vers l’obtention des mêmes outils convergents, excepté que, dans le cas des supports F1/Levallois, la partie préhensée ne sera pas reprise par une retouche ; le débitage F1/Levallois n’ayant pour fonction de normaliser le support, tant dans sa partie préhensée que dans sa partie transformative, au plus près de la future silhouette de l’outil. Le débitage de Type F1 et les outils de type Hummalien160 Le débitage de type Hummalien va disparaître avec ses modes de production du « tout laminaire » au profit du débitage F1/Levallois. Si, comme nous venons de le dire, ce débitage reprend à son compte une partie de la production de produits laminaires et des outils de type Hummalien, il va aussi être en rupture en introduisant d’autres types de supports comme les pointes et les éclats dits Levallois. Ces derniers vont supporter des retouches latérales, qui antérieurement étaient réalisées sur les supports laminaires. Avec le débitage F1/Levallois, on assiste à un bouleversement qui ne correspond pas à une évolution. Tout change ou presque ! Le débitage F1/Levallois avait déjà fait son apparition durant l’Acheuléen161 dans le nord de la Syrie et dans le bassin d’El Kowm (non publié). Mais l’expression technofonctionnelle de ce débitage est bien différente de celle du débitage F1/Levallois qui apparaît après l’Hummalien c'est-à-dire la période dite de Tabun D - Blady Early MP, pour le Levant. Si, évidemment, comme c’est trop souvent le cas, on en reste à l’antinomie Levallois/non Levallois, on ne perçoit pas de différence et on a l’impression d’un continuum. En revanche, une réflexion sur le potentiel de diversité techno-fonctionnelle qu’offre le débitage F1/Levallois, permet de se rendre compte qu’il n’existe pas de lien phylétique entre ces deux 160
Pour des commodités de langage, nous réunissons sous le terme d’Hummalien tous les assemblages exclusivement laminaires faisant l’objet d’un stade de confection afin de produire une large gamme d’outils dont certains sont convergents. 161 Retrouvé en Syrie du Nord, appelé le Samoukien du Nahr el Kebir (Copeland L. et Hours F. 1979) et Défaïen de l’Oronte (Besançon J. et al. 1978). Le débitage Levallois est également présent dans la phase finale de l’Acheuléen de la région d’El Kowm en Syrie centrale. Ces industries sont considérées comme Acheuléen final de faciès Samoukien (Hours F. 1986). Le débitage Levallois est aussi connu au Liban à Ras Beyrouth (Fleisch H. et Sanlaville P. 1969) et à Naamé (Fleisch H. 1970) sous sa forme Levalloiso-moustérienne. Dans ces deux cas, leur position chrono-stratigraphique, au contact des dépôts tyrrhéniens, semble similaire de celle observée à Adloun avec l’Acheuléo-Yabroudien et l’Amudien (Hours F. 1986). Ne disposant pas de date radiométrique, il est difficile d’établir une contemporanéité certaine entre ces différentes industries comme le suggère F. Hours (1986). Par ailleurs, avec les nouvelles dates radiométriques obtenues pour le Yabroudien sur le site de Tabun (Mercier N. et al. 1995) et pour l’Amudien de Qesem (Barkai R. et al. 2003), équivalentes aux stades isotopiques 8 et 9, une incompatibilité chronologique est apparue avec la position stratigraphique incontestable de l’Amudien et du Yabroudien d’Adloun, rapportée au mieux au stade isotopique 5 (Bar Yosef O. et Kra R.-S. 1994). Une toute récente découverte (non publiée) réalisée dans le site d’Umm el Tlel, éclaire cette apparente contradiction. En effet, il a été retrouvé deux ensembles yabroudiens stratigraphiquement et techniquement distincts. L’un sous-jacent à l’Hummalien - in situ, et le second compris entre une séquence Levalloisomoustérienne classique et un moustérien de faciès original avec des prodnickmesser typiques ! Bien que nous ne disposions pas encore de dates radiométriques pour ces couches, cette stratigraphie montre que le phénomène Yabroudien se décompose en deux temps séparés par la phase hummalienne. Par ailleurs, dans cette même région d’El Kowm, il existe deux sites en stratigraphie qui ont livré une industrie laminaire : Hummal - couche C.IV postérieure à l’Hummalien, et Kaféine, couche comprise entre deux périodes Levallois dont l’une, ancienne, est contemporaine de l’Acheuléen.
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industries Levallois. Dans le cas du Levallois présent dans l’Acheuléen, il s’agit d’une production d’enlèvements de grande taille, de silhouette non spécifique, excepté leur allongement, profil particulier que les formes bifaciales ne permettent pas d’obtenir dans le cas présent. Dans les industries dites de Tabun D - Blady Early MP, présentes dans tout le Proche-Orient et en particulier dans le bassin d’El Kowm, le débitage F1/Levallois semble « reprendre » les outils convergents. Autrement dit, il y a un transfert de support pour une même catégorie d’outils. Ce transfert s’accompagne d’un changement de lignée de mode de production. On passe d’une expression structurelle première laminaire - D2, à l’expression d’un stade terminal d’une lignée de structures productives d’enlèvements diversifiés F1. Il s’agit donc bien d’une rupture en termes de structure évolutive de production. En revanche, la continuité partielle de l’outillage convergent indique une évolution structurelle de la normalisation du support laminaire. Répétons-le, le débitage Levallois de Type F1 est une étape évolutive vers la normalisation des supports. En introduisant la dimension spatiale territoriale - on peut distinguer deux Histoires techniques. La première histoire est strictement locale. Elle s’inscrit dans une continuité territoriale. Le débitage F1/Levallois, présent dans la phase finale de l’Acheuléen, « survit » dans des zones refuges puis se développe à nouveau, sous une forme différente due à l’emprunt d’une gamme d’outils convergents de l’Hummalien, tout en produisant des outils spécifiques qui nécessitent une production mixte de Type F1. La seconde histoire met en scène des populations extérieures à la zone procheorientale ayant pour bagage technique le débitage Levallois de Type F1. Dans ce cas, l’emprunt serait inverse, ce serait des populations « extérieures » qui adopteraient des traditions locales, ne nécessitant aucune transformation des modes de production. Il s’agirait simplement d’un enrichissement technique qui irait aussi dans le sens de l’évolution : une meilleure intégration des différentes parties de l’outil. Troisième phase : débitages laminaires sporadiques - Levallois et non Levallois, postérieurs à 150 000 ans Les productions laminaires et leurs outils Plutôt qu’une phase à proprement parler, il s’agit de « spots » spatio-temporels de débitages laminaires (Figure 132). Comme nous l’avons déjà souligné, les données sont limitées. Ce que nous savons, c’est que les modes de production « renaissent » à l’identique sans le moindre signe d’évolution. Il s’agit de la énième réinvention du « tout laminaire » et de ses modes de production sans lendemain. Cette répétition non évolutive et sporadique témoigne probablement d’une quasi-absence de contact et/ou de diffusion des hommes entraînant, conséquemment, des réinventions et des ré-innovations locales ainsi qu’une relative autonomie de ce monde levalloiso-moustérien proche-oriental. Il est intéressant de noter que, lorsque nous avons la chance de posséder une séquence chronostratigraphique comme à Umm el Tlel en Syrie, avec une cinquantaine de niveaux archéologiques parfaitement individualisés, on se rend compte que cette monotonie est apparente. Parmi la cinquantaine d’ensembles archéologiques présents à Umm el Tlel, plus d’une trentaine sont différents, bien qu’utilisant tous le débitage de Type F1. En conséquence, l’expression 196
laminaire sporadique n’est que l’expression d’une diversité supplémentaire, certes d’essence différente, mais appartenant au même mouvement de changement. Ces changements renvoient évidemment à une mobilité spatiale bien plus importante que celle perçue dans l’antinomie F1/Levallois - D2/laminaire non Levallois. Cette mobilité s’inscrit alors dans le cadre de l’extension géographique du débitage Levallois. Les industries laminaires restent, quant à elles, au même stade évolutif sans changement de l’outillage sur lame. Quatrième phase : la Transition, 45/47 000 – 36 000 ans Les outils Cette quatrième phase est classiquement appelée phase de Transition ou Early Upper Paleolithic (Figures 131, 132 et 135). Ces deux termes signifient une phase de changement qui, selon les arguments techniques « apomorphes » et « plésiomorphes », sera perçue comme une phase intermédiaire « moitié/moitié » de changement ou comme une phase débutant vers autre chose. Qu’en est-il exactement des supports prédéterminés des outils retouchés ? Les supports prédéterminés : nouveautés la lame la lamelle la typo-pointe Levallois allongée à base étroite disparition le techno-éclat Levallois la techno-pointe Levallois à base large, petite et grande. Les outils retouchés : nouveautés les typo-grattoirs et les typo-burins les lames retouchées, à dos, appointées etc. les éclats retouchés disparitions les différents typo-racloirs simples, doubles, convergents etc. les Nahr Ibrahim les pointes Levallois retouchées.
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Figure 135 Umm el Tlel - Syrie centrale III2b : première couche de la phase de transition, comprise entre 42 000 ans et 35 000 ans.
Les lames deviennent le principal support prédéterminé des outils retouchés, à l’exception de quelques éclats retouchés ou « typo-racloirs ». Malgré la présence, parfois, d’une production de Type F1/Levallois, axée sur l’obtention de pointes Levallois allongées à base étroite, et de quelques produits laminaires, les « typo-racloirs » sont réalisés sur des supports prédéterminants. L’adoption d’un nouveau support prédéterminé, la lame, a pour conséquence la quasi-disparition du typo-racloir. Et, lorsque ces derniers sont présents, ils le sont dorénavant sur des éclats prédéterminants, voire sur des nucléus. S’agit-il encore du même outil ? Sur un plan structurel, entre les typo-racloirs réalisés sur des éclats prédéterminés et ceux aménagés sur des éclats prédéterminants, le changement porte a priori sur la partie préhensée et non sur la partie transformative. En effet, puisque cette partie fonctionnelle est confectionnée, elle peut être similaire d’un support à l’autre. Par conséquent, le fait de choisir comme support un éclat prédéterminant signifie très certainement des modalités de préhension moins strictes, puisque la partie préhensée n’est pas prédéterminée. Ce qui ne signifie pas que lors de la sélection du support des caractères techniques spécifiques ne soient pas recherchés. 198
L’abandon de la production de techno-éclats Levallois162 impose une sélection a posteriori du futur support d’outil. Ce choix de support est effectué parmi un ensemble d’éclats prédéterminants participant à la réalisation de divers enlèvements prédéterminés. Cela implique un non choix des caractères techno-fonctionnels et signifie une faible exigence de contraintes pour les parties préhensées. Pour la catégorie des outils de type grattoir ou burin, la situation est différente, voire contraire. Ils sont dorénavant quasi-exclusivement produits sur des supports laminaires. Les parties préhensées deviennent similaires. Les parties transformatives quant à elles restent identiques. Là encore, cette observation indique très clairement que, s’il y a un changement, il porte avant tout sur la partie préhensée du support, avec un inévitable cortège de conséquences fonctionnelles que nous aborderons plus tard. Ces observations convergent donc toutes, vers le fait que le nœud du changement porte en partie sur la partie préhensée des supports. Mais que sont structurellement ces nouveaux outils ? Pour tenter de comprendre l’émergence des nouveaux outils sur un support connu, nous devons revenir sur la disparition simultanée des éclats prédéterminés et des typo-racloirs, qui traduirait une sorte de « déterminisme » techno-fonctionnel. Comme s’il ne pouvait pas y avoir de typo-racloirs sur lame. Cette apparente concomitance est fausse. En effet, l’histoire des typo-racloirs montre que tous les types de supports possibles : pièces bifaciales acheuléennes et micoquiennes, techno-éclats prédéterminés Levallois, Discoïde, etc., éclats prédéterminants et lames, ont été retouchés en typo-racloirs. D’un point de vue typologique, l’ensemble de ces typo-racloirs est varié puisqu’ils peuvent être : de localisation simple, double, etc. ; de délinéation convergente asymétrique, symétrique, etc. de différents types de retouche, avec ou sans retouche de type Quina. Au regard du temps long, il n’existe donc pas d’exclusivité entre un type de support et la classe des typo-racloirs. A chaque grande période, ce typo-type est présent sur un support différent. Mais alors, pourquoi, quand réapparaît le débitage laminaire lors de cette quatrième phase, les typo-racloirs vont-ils cette fois presque définitivement disparaître ? Nous pouvons prolonger la question, en nous demandant si cette disparition s’accompagne de celles des fonctions liées à ces artefacts, indépendamment du support. Dans le cas d’une réponse positive, cela signifierait que tout un ensemble de fonctions, existantes depuis au moins deux millions d’années, disparaissent brutalement. C’est difficilement envisageable, car cela induirait l’existence d’un déterminisme entre une classe outil et une fonction. Or, l’histoire des techniques montre qu’une même fonction peut être obtenue par des outils différents et qu’un même type d’outil peut réaliser des fonctions différentes163. En conséquence de quoi, 162
Le Levallois continu à être utilisé dans certains faciès. Ce mode de débitage est alors, utilisé pour une production mixte de pointes et d’éclats laminaires et non pour une production d’éclats larges. Cela renforce le phénomène d’abandon de l’éclat Levallois comme support prédéterminé. 163 Un même tranchant transformatif peut, selon la modalité de fonctionnement retenue, réaliser différents objectifs. De même, une fonction identique peut être réalisée par différents types de tranchants transformatifs.
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on peut très logiquement admettre que la disparition du typo-racloir n’est pas due à une perte des objectifs fonctionnels propres à cet outil. Ces mêmes objectifs furent très certainement effectués par de nouveaux outils réalisés dans une autre matière minérale, voire dans d’autres matériaux tels que l’os ou le végétal, impliquant de nouveaux types de contacts transformatifs et de nouveaux gestes. A l’inverse, l’augmentation concomitante des typo-grattoirs et des typo-burins n’est pas plus synonyme d’une spécialisation intensive d’anciennes fonctions. Peut-être s’agit-il de nouvelles fonctions pour des parties transformatives identiques mais supportées par des supports différents ; supports recelant un potentiel structurel encore non utilisé. En cela nous évitons l’aporie qui consisterait à nous demander sans cesse si c’est le grattoir qui fait la lame ou, inversement, si c’est la lame qui fait le grattoir. La nouveauté c’est l’intégration de deux éléments techniques anciennement connus séparément : les parties transformatives des typo-grattoirs et des typo-burins et le support lame comme support prédéterminé. Une nouvelle gamme d’outils va ainsi se développer. Ce sont donc bien les capacités structurelles de la lame, jusqu’ici sous exploitées, qui vont se révéler par l’intégration d’une nouvelle gamme de parties transformatives. Cette utilisation de capacités inexplorées n’est pas à associer à une considération cognitive. Rappelons que durant l’Howiesons Poort, alors que nous sommes en présence d’un Homo Sapiens Sapiens, les lames sont limitées à la fabrication d’un seul type d’outil ou plus exactement d’un élément d’outil, comme on le retrouvera durant le Paléolithique supérieur proche-oriental et durant le Kébarien. Sur le plan de l’évolution des techniques, nous devrions alors reformuler les raisons du développement de cette quatrième phase. La lame, support prédéterminé, présente un potentiel structurel qui, lorsqu’il est sollicité, permet l’apparition de nouveaux outils. Cependant, ces nouveautés s’accompagnent de la disparition définitive d’une quantité considérable d’outils divers mais sans doute pas des fonctions. D’un point de vue historique, que peut signifier structurellement un tel bouleversement, une telle révolution dans l’outillage ? Pour expliquer cette fulgurance, il est nécessaire d’envisager l’utilisation d’une nouvelle énergie, ou, tout du moins, de l’exploitation progressive d’une nouvelle énergie : l’énergie cinétique. Energie qui va se généraliser et concerner toutes les fonctions. En effet, de part sa structure la lame permet : - l’émergence : - d’une zone de maintien particulière, telle une soie, permettant de multiples modes de préhension, créateurs de nouveaux gestes, de nouveaux fonctionnements et, par conséquent, de nouvelles fonctions ; - de nouvelles parties transformatives, créatrices de nouvelles fonctions et de nouveaux fonctionnements ; - de démultiplier l’énergie potentielle en créant une nouvelle Unité-Techno-Fonctionnelle, appelée partie transmettrice de l’énergie, située entre les parties préhensée et transformative ; - d’une nouvelle énergie : l’énergie cinétique en relation avec la longueur de la partie transmettrice et du mode de fonctionnement. Mais aussi : 200
- le maintien possible : - des mêmes zones de maintien que sur les éclats, par exemple pour les pièces à dos ; - des mêmes types de parties transformatives que celles présentes sur des éclats. L’exploitation d’un potentiel énergétique : une partie transformative qui s’extériorise Le choix de la lame comme support unique d’outil avec sa bipartition fonctionnelle, opposant et distançant dans l’axe du support partie transformative et préhensée, a pour conséquence la mise en jeu de la partie les reliant : la partie transmettrice de l’énergie. Mais, si cette partie a le potentiel de relier les parties transformative et préhensée, elle peut aussi les éloigner. C’est dans cet éloignement potentiel que se situe le développement possible de l’énergie cinétique. En paraphrasant Leroi-Gourhan qui parlait de l’apparition de l’outil comme étant un phénomène d’extériorisation par rapport au corps, nous pensons que, dans le cadre de l’évolution des techniques, le potentiel du laminaire permet d’extérioriser la partie transformative de l’outil par rapport à la main, par l’intermédiaire d’une partie transmettrice de l’énergie qui va potentialiser une nouvelle énergie (Figure 136). Une nouvelle aire technique de développement se trouve ainsi possible avec toutes ces conséquences innovantes, fantastiques. Mais cette révolution technique marque également la fin du débitage « tout laminaire » ! En effet, le débitage « tout laminaire » sera le dernier débitage du monde minéral. C’est le métal qui lui succèdera164. Cette extériorisation de la partie transformative de l’outil par rapport à la partie préhensée, n’est cependant pas apparue subitement pendant la quatrième phase. Rappelons que durant l’Hummalien, plus de la moitié des outils sur lames sont des outils convergents, témoins de cette extériorisation. Mais, ces outils, bien que convergents et emmanchés dans leur axe morphologique (Figure 137), se caractérisent par des parties transformatives latérales et non axiales, empêchant ainsi toute augmentation potentielle de la partie transmettrice de l’énergie. Cette particularité des outils hummaliens a pour conséquence une perte fonctionnelle.
Figure 136 Phénomène d’extériorisation de la partie transformative par rapport à la partie préhensée 164
Durant le Chalcolithique, une part de plus en plus importante sera donnée à la fonction de signe des lames telles que les lames de Varna (Gurova M. 2010).
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Figure 137 Hummalien d’Umm el Tlel 1 à 3 : outils à retouche latérale ; 4 à 6 : outils convergents.
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Dans le cadre d’un processus évolutif continu du débitage « tout laminaire », cette quatrième phase aurait pu succéder, sans interruption, à la seconde phase. En effet, tant sur le plan des outils que sur celui des modes de production, en toute techno-logique, à la suite de l’Hummalien, nous aurions dû observer de nouveaux outils explorant le potentiel structurel des lames, mais également, et en réponse à cette évolution, nous aurions dû observer une modification des modes de production, allant vers une plus grande normalisation des supports. Or, ces changements n’ont pas eu lieu. L’apparition du débitage F1/Levallois, après l’Hummalien, peut être à l’origine de cet arrêt de l’évolution de la lignée laminaire durant plusieurs dizaines de millénaires du fait de sa capacité à produire de la diversité. Inversement, son dépassement lors de la quatrième phase, est du à son impossibilité de produire des supports laminaires de façon exclusive et donc d’utiliser le potentiel de développement énergétique qu’offre ces produits. Sur le plan structurel, la confrontation des deux débitages est inégale. Le débitage laminaire en est à sa phase abstraite de développement, alors que le débitage de type F1/Levallois est à l’apogée de sa lignée165 (Figure 138). Ce dernier a la capacité structurelle, par ses supports normalisés, d’aller au plus près des caractères techniques des outils recherchés, mais aussi de produire une gamme de supports techniquement diversifiés et normalisés. Normalisation et diversité sont caractéristiques du débitage F1. Ce dernier permet ainsi d’apporter une meilleure normalisation du support lame du fait de la diminution de la phase de « façonnage » des lames hummaliennes (Figure 139). De plus, il permet un transfert possible de la retouche latérale de la lame vers une plus large catégorie d’enlèvements : l’éclat ou la pointe et leurs variantes. Ce potentiel structurel des supports de Type F1 s’inscrit dans le cadre de l’évolution des supports d’outils, indépendamment de leur mode de production. La normalisation des supports et la diversité potentielle des modalités d’exploitation d’une structure de Type F1, et donc de ses supports, permettent aux outils d’évoluer par une meilleure intégration de leurs parties fonctionnelles. De notre point de vue, entre l’Hummalien et le faciès de type Blady Early MP, il existe une rupture productionnelle et une continuité évolutive des critères de normalisation du support. Alors qu’avec cette quatrième phase, la rupture porte autant sur les outils que sur les modes de production. Soulignons par ailleurs que les méthodes de débitage de Type F1/Levallois, utilisées dans les phases finales du levalloiso-moustérien, produisent des supports à l’opposé de ce qui était produit durant la phase de Blady Early MP, ce qui explique cette impression de rupture166.
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Rappelons que le débitage de Type F1 est structurellement au fait de sa lignée. C’est cette structuration concrète qui permet l’exploitation de cette structure par de très nombreuses méthodes, laissant ainsi une grande latitude aux différentes civilisations qui l’ont exploité. L’existence d’un débitage de type F1 /Levallois durant l’Acheuléen puis après l’Hummalien ne signifie pas qu’il y ait eu une évolution structurelle interne. Il n’existe pas de proto, ni de para, il existe simplement différentes méthodes qui permettent de répondre différemment aux objectifs fonctionnels selon les besoins des populations en fonction de leur stade d’évolution technique. 166 Un travail d’analyse structurelle, concernant l’évolution du débitage de Type F1 à partir de l’étude des méthodes de production, serait à entreprendre.
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Figure 138 Les structures volumétriques laminaires utilisées représentent les premières étapes évolutives -C2 et D2-, à la différence du débitage de Type F1 qui est le dernier stade évolutif des lignées de production d’éclats mixtes. Il existe donc une discontinuité dans les structures de production. Ce qui n’est pas le cas pour les structures d’outils où l’on assiste à une évolution structurelle des supports.
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Figure 139 Site d’Umm el Tlel – Syrie 1 à 4 : pièces convergentes hummaliennes ; 5 à 7 : pièces levalloiso-moustériennes de faciès Tabun D.
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Pour résumer, les nouveaux outils sont, à notre avis, les témoins du choix d’un type d’énergie rendu possible par le laminaire. Cette énergie a été systématisée, modifiant ainsi la panoplie d’outils existants, tout en créant de nouveaux outils et tout en conservant les mêmes fonctions. Un autre point concernant la panoplie de ces nouveaux outils est à souligner. En effet, lorsque l’on considère l’ensemble des sites de Transition du Levant, du Sinaï et de la Syrie orientale, la quasi-totalité des outils du Paléolithique supérieur est déjà présente. La plupart des outils sont inventés de façon éparse sur de larges territoires, adoptant un nouveau potentiel énergétique dont chaque combinaison d’outils est le reflet de particularismes locaux, témoins à la fois d’une seule aire culturelle technique et de plusieurs aires culturelles sociétales. Les productions laminaires Sur le plan évolutif, les productions du « tout laminaire » apparaissent sous leur forme première C2 et D2, à l’image des industries laminaires antérieures. Cette réinvention s’explique par l’incapacité structurelle du mode de production F1/Levallois à produire exclusivement des lames. Néanmoins, ce débitage de Type F1 ne disparaît pas pour autant. De façon générale, il est présent lorsque les typo-pointes Levallois allongées à base étroite sont recherchées. Cependant, dans certains cas, ces typo-pointes sont produites à partir de débitages de Type E2167, comme à Boker Tachtitt (Marks A.-E. et Volkman P. 1983). Alors, le débitage de Type F1 est absent. La réalité historique est loin d’être aussi tranchée. En effet, on retrouve maintes solutions techniques. En cela, la séquence du Paléolithique intermédiaire d’Umm el Tlel est très instructive (Boëda E. et Muhesen S. 1993 ; Boëda E et Bonilauri S. 2006 a et b). Du bas vers le haut de la séquence, une première industrie – III 2b’, succédant au dernier niveau moustérien, marque une rupture technique flagrante. Le débitage, réalisé aux dépens de structures de débitages de Types C2 et D2, est exclusivement laminaire et la panoplie d’outils classiques ne comprend pas de typo-pointes, ce qui peut expliquer l’absence de débitage F1/Levallois. Les deux industries suivantes - III 2a’ et II base’, s’identifient par une double solution productionnelle : F1/Levallois et C2, D2. Si le débitage Levallois est associé à une production de typo-pointes, il est aussi à l’origine d’une grande part de la production laminaire et surtout lamellaire168 (Boëda E. et Bonilauri S. 2006 a et b). Les méthodes de débitage employées sont donc spécifiques. Un autre ensemble non corrélé stratigraphiquement – de type Qualta, atteste quant à lui de l’utilisation exclusive d’un débitage de Type F1/Levallois : les typo-pointes et les éclats laminaires sont produits successivement. La séquence de Boker Tachtitt dans le Sinaï est tout aussi démonstrative. Le niveau inférieur 1 atteste d’une production double, F1/Levallois et C2/D2, alors que les trois niveaux supérieurs 2, 3 et 4, pour une même panoplie d’outils faite de typo-pointes Levallois, témoignent de l’utilisation de débitages de Types C2, D2 et E2 et de la disparition du débitage de Type F1.
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Il semble aussi y avoir un débitage de Type D3, mais les descriptions sont insuffisantes pour l’affirmer. Nous reviendrons sur cet aspect très particulier.
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Cette situation est l’opposé de ce que l’on observe à Umm el Tlel. La présence d’un débitage F1 est souvent perçue comme un signe archaïque. Nous pensons qu’il est préférable de considérer que toutes ces variantes attestent sur, le plan historique, de la diffusion et de l’acceptation d’idées nouvelles qui subiront le filtre culturel propre à chaque groupe, témoignant d’une altérité technique passée et présente. Les réponses sont autant de possibles techniques, témoins à la fois d’innovations et de conservatismes, qui finiront par s’harmoniser lors de la cinquième phase. Si, dans certaines régions comme dans le Sinaï, on observe une « histoire » qui suit le courant de l’évolution, allant vers une plus grande interaction des éléments structurels du nucléus afin de satisfaire au mieux les objectifs, le cas d’Umm el Tlel montre que des populations peuvent faire le choix de l’invention, de la complémentarité ou du perfectionnement. Les moyens de production laminaires La situation est relativement homogène. Il s’agit en général d’une percussion interne ou partiellement tangentielle au percuteur de pierre tendre, identique à celle utilisée pour les productions de Type F1. Le phénomène lamellaire : ses outils et ses productions - Ses outils L’existence de débitages lamellaires n’a que très récemment été mentionnée pour des industries antérieures au Paléolithique supérieur sensu stricto proche oriental. La phase finale du Levalloiso-moustérien montre, dans quelques rares sites, un débitage spécifique de lamelles sur des nucléus spécifiques. Ce qui n’est plus le cas durant les phases dites de Transition où le débitage lamellaire prend toute son ampleur avec des pourcentages169 pouvant dépasser certaines industries aurignaciennes ou ahmariennes. Notons que sa récente reconnaissance a été faite, en partie, dans de nombreux sites syriens du bassin d’El Kowm dont celui d’Umm el Tlel (Figure 140 ; Boëda E. et Bonilauri S. 2006 a et b) ainsi qu’en Jordanie à Tor Sadaf (Fox J.-R. et Coinman N.-R. 2004)170. Les débitages lamellaires et laminaires apparaissent donc réellement avec la quatrième phase du débitage laminaire et non lors de la cinquième comme on a l’habitude de le dire. Comment expliquer cette concomitance du point de vue techno-logique ? Sur le plan chronologique, à chaque fois qu’apparaît le phénomène du « tout laminaire » avec une diversité d’outils retouchés sur lames, le débitage lamellaire est présent. Il existe donc une indéniable concomitance structurelle entre ces deux modes de débitage et la diversité des outils.
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Dans le cas de la couche C II base d’Umm el Tlel, le pourcentage de lamelles atteint 37% de la production d’enlèvements prédéterminés. 170 Cette présence aurait pu être attestée plus tôt au Levant, mais à cette époque la présence, dans un même ensemble, de produits Levallois et de produits lamellaires évoquait, dans le meilleur des cas, un palimpseste interculturel, sinon des perturbations d’ordre taphonomique.
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Figure 140 Site d’Umm el Tlel - Syrie centrale Lamelles de la couche c.II base
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Dans le chapitre consacré à l’Hummalien, nous avons signalé l’existence de lamelles provenant de débitages spécifiques, sans nous attarder sur leur description. Pour être plus précis dans le cas de l’Hummalien d’Umm el Tlel, la situation paraît bien plus compliquée qu’une simple dichotomie opposant lame et lamelle. En réalité, nous disposons de toutes les dimensions de lames comprises entre 15 et 4 centimètres de long et entre 2 et 0,5 centimètres de large. Dans l’ensemble, les plus petites sont minoritaires mais, produites aux dépens de nucléus spécifiques, elles font l’objet d’intentions particulières. Il existe donc bien des lamelles. En ce qui concerne la confection, nous constatons une nette différence ; les plus petites lames ou lamelles, inférieures à 5 centimètres, ne sont jamais retouchées, à la différence des plus grandes. Ce caractère « non retouché » des lamelles est aussi présent dans les industries de Transition de Syrie orientale, ce qui ne semble pas être le cas en Jordanie. En revanche, la comparaison des silhouettes des lamelles hummaliennes avec celles de la Transition, atteste de très nettes différences. Dans le cas de ces dernières, il est évident que sont recherchées des lamelles de délinéation rectiligne et aux bords convergents. Ces caractères techniques ne se retrouvent pas dans les lamelles hummaliennes. En ce qui concerne les fonctions des lamelles, les données tracéologiques son rares et concernent uniquement les lamelles de la Transition. Les quelques études tracéologiques disponibles indiquent un emmanchement dans l’axe de la lamelle et une utilisation de la partie distale et latérale adjacente ; cette intention techno-fonctionnelle trouve son corollaire dans le choix des méthodes de débitage, comme nous le verrons peu après (Figure 141 ; Boëda E. et Bonilauri S. 2006 a et b). Quelques lamelles, dans une moindre proportion, sont utilisées latéralement à la manière des lamelles aurignaciennes et kébariennes d’Umm el Tlel.
Figure 141 Site d’Umm el Tlel, Syrie - Traces d’emmanchement rouge et vert : dans l’axe morphologique de la lamelle ; brun : latéralement (Boëda E. et Bonilauri S. 2006 a et b).
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Le maintien axial171 des lamelles lors de cette quatrième phase se transformera en un maintien majoritairement latéral lors de la cinquième phase. Cette observation s’applique également aux lames. En effet, lors de la cinquième phase, certaines lames seront fixées pour un maintien latéral - par rapport à leur axe morphologique, pour réaliser différentes fonctions. Cette similitude évolutive fonctionnelle confirme la complémentarité entre la lame et la lamelle, comme une sorte de co-évolution structurelle. Selon une perspective différente, ne pourrait-on pas suggérer que les lamelles puissent être assimilées à une phase de miniaturisation annonciatrice de l’aboutissement de la lignée des produits allongés ? Ce phénomène de miniaturisation concerne le support, la lamelle, et non l’outil composite fait de lamelles. En revanche, ce phénomène est concomitant des outils composites et de l’utilisation de nouvelles énergies. Bien évidemment l’histoire du lamellaire ne se résume pas à cette linéarité. Les données de terrain livrent des histoires différentes d’un lieu à l’autre. Mais, sur le long terme, on ne peut qu’être étonné de ne pas rencontrer d’histoire évolutive qui fonctionnerait à l’envers. Pour autant, cela signifie qu’il existe bien une co-évolution de l’homme et des objets, mais également un sens de l’évolution et des sens historiques, et que l’on doit distinguer un « ordre technologique autonome », source d’invention, des contextes d’invention et d’innovation qui sont de l’ordre du sujet (Gille B. 1978). - Ses modes de productions Les modes de productions, relativement « classiques », sont de structures abstraites de Types C2 et D2 (Figure 142) et la technique de taille est une percussion tangentielle, non exclusive. Ce début du débitage lamellaire réalisé aux dépens de structures premières témoigne d’une invention locale proche-orientale. Pour résumer, lorsque l’on considère l’ensemble des données productionnelles laminaires et lamellaires nous sommes confrontés à un paradoxe. La durée de cette quatrième phase est de l’ordre de quelques millénaires avec une extension sur un large territoire, s’étalant dans un axe nord sud du Sinaï à la Turquie, l’extension Est n’étant pas connue172. Quel que soit l’âge du site, ancien ou tardif, les structures de débitage présentent un même stade évolutif et sont toujours premières – C2 et D2. Comme si, à chaque fois, il s’agissait d’une invention locale, ce qui va à l’encontre du schéma diffusionniste classique où l’on distingue un centre d’invention - le plus ancien, et son extension hégémonique. Le croisement des données évolutives – productionnelles et techno-fonctionnelles, montrent que le scénario, à supposer qu’il soit unique, n’est pas celui classiquement admis. Nous sommes donc confrontés à un phénomène de substitution radicale d’une panoplie d’outils par une autre complètement innovante, avec toutes les contraintes ergonomiques imaginables et avec des moyens de productions hétérogènes. Cette hétérogénéité se traduit par l’adoption ou non
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Observation à confirmer en multipliant les données tracéologiques. Cette répartition va bien au-delà du Proche-Orient. En Asie centrale et en Mongolie du Sud - partie chinoise, on retrouve des industries que l’on pourrait qualifier techniquement de transition avec le même cortège typotechnique. 172
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d’une nouvelle lignée de production, le « tout laminaire », débutant techno-logiquement par ses formes abstraites. La séquence d’Umm el Tlel illustre parfaitement ce phénomène. Elle offre tout à la fois le visage d’une acceptation radicale de nouveaux outils, avec la disparition totale des outils antérieurs, tout en conservant le filtre mémoriel de la production. Ce filtre révèle des choix différents : novateurs et/ou adaptatifs. Par exemple, le débitage Levallois reste un élément structurant dans certains niveaux transitionnels, mais il n’est jamais exclusif même lorsqu’il produit des lames. D’autre part, dans cette même séquence, la plus ancienne industrie est entièrement non Levallois, puisque celui-ci n’apparaît qu’après ! Il n’y a donc pas de logique historique de ce phénomène de production laminaire. C’est comme si nous avions affaire à une complexification fonctionnelle aboutie et à une complexité structurelle productionnelle qui doit en passer par ses stades évolutifs. Le fait que les stades de la lignée laminaire sont à chaque fois les mêmes, signifie que nous ne sommes pas en face d’une éradication de populations locales, mais bien au contraire, dans un phénomène d’emprunt aux modalités spécifiques à chaque groupe culturel adoptant cette nouvelle ergonomie. En tout cas, le phénomène dit de Transition, n’en est pas un. Il est le début d’une fulgurance techno-fonctionnelle avec une adaptation productionnelle qui suit naturellement les stades évolutifs universels de l’abstrait au concret. Cette évolution « normalisée » est socio-culturellement très importante car elle témoigne de bouleversements définitifs sur le plan technique.
Figure 142 Nucléus à lamelles Umm el Tlel, couche c.II base - Syrie: Type C2 sur fragment de bloc 3, Type D2 sur éclat et Type E2 Qualta - Syrie : Type D2 sur éclat
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Cinquième phase Cette cinquième phase est extrêmement riche en évènements historiques qui mériteraient un long développement (Figures 131 et 132). Nous nous attacherons ici à mettre en avant les éléments les plus importants selon les seuls points de vue de l’évolution et de l’histoire des techniques. Les modes de production Le premier point à noter est que les modes de production de débitage « tout laminaire et lamellaire » vont rester quasi exclusifs, tout du moins au Proche-Orient. Néanmoins, nous constatons, l’utilisation sporadique de quelques cas de débitages à éclats non prédéterminés. Les principaux débitages mixtes, autres que ceux de la lignée laminaire, vont disparaître définitivement. Cet abandon est le témoin d’une dynamique évolutive propre au milieu sociétal extérieur. De nouvelles lignées techniques auraient pu apparaître mais ce ne fut pas le cas. Là encore, les exemples de l’Asie173 ou du continent sud américain montrent d’autres possibles. Le second point confirme les théories évolutives de Simondon. Les structures concrètes de Type F2 vont très rapidement s’installer et perdurer. Pour autant, les solutions abstraites de Type D2 ne vont pas totalement disparaître. Au contraire, sur le plan historique ces modes de débitages persisteront dans de nombreux cas. Tout aussi rapidement que l’avènement des formes concrètes, on voit se développer l’évolution des moyens techniques de production. Nous en avons déjà préalablement parlé. Rappelons que l’on voit se succéder pour la première fois dans l’histoire des techniques, des transformations des modes de production qui peuvent se résumer au triptyque : percussion directe marginale/percussion indirecte/pression, allant toujours vers une plus grande normalisation des supports laminaires et lamellaires. Pour la pression, on peut d’ailleurs parler, d’une quasi-standardisation des produits. En termes techno-logique, au regard des processus de production en cours durant la quatrième phase – percussion directe marginale, on peut dire que le système de production laminaire est arrivé très tôt à sa phase concrète. Le besoin sociétal allant vers une plus grande normalisation des supports, la structure volumétrique de Type F2 a permis de répondre à cette évolution, en ne modifiant que ses moyens de production. Il n’y a aucun changement structurel du volume à débiter. Cette évolution vers une plus grande normalisation est en soi une tendance évolutive qui transcende le temps long de la préhistoire. Il nous est plus facile de l’observer durant cette phase finale du Pléistocène et de l’Holocène, car elle se donne plus à voir, mais cette tendance vers la normalisation est spécifique de toutes les lignées bifaciales et à éclats mixtes. Cette normalisation s’accompagne d’un développement du monde associé à l’artefact. En effet, l’artefact lithique devient l’un des éléments de l’outil. Comme un moteur à combustion sans essence, l’artefact de pierre accompagne la complexité fonctionnelle des outils en devenant lui même un élément du milieu associé. L’évolution productionnelle s’arrête. Les nucléus de 173
Le cas de l’Asie est effectivement complètement différent. Excepté les fonctions essentielles qui restent les mêmes, les options techniques sont aux antipodes de ce que l’on connaît par ailleurs.
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Type F2 et F1, en devenant l’intégralité de la matière première à débiter sont en quelque sorte naturalisés174. La fonction du nucléus est totalement remplie, il n’a plus qu’à se perpétuer. Mais en parallèle de cette stagnation, l’outil continue à suivre son évolution. La lame et la lamelle, tout en remplissant les mêmes fonctions, vont être le fait d’application de nouveaux principes énergétiques. L’exploitation d’un potentiel énergétique : une partie transmettrice de l’artefact qui s’individualise
Figure 143 Substitution des parties préhensées lors du phénomène d’extériorisation Allongement de la partie transmettrice.
Sur le plan structurel, durant la cinquième phase nous allons voir une stabilité des parties transformatives175 et une modification des parties transmettrices de l’énergie et des parties préhensées (Figure 143). 174
En analyse systémique, nous dirions que le réservoir potentiel qui pouvait être mobilisé a totalement disparu. Les nucléus de Types F1 et F2 sont à la fois nucléus et totalité de la matière. 175 De nouvelles parties transformatives vont apparaître, en grande partie réalisées sur d’autres matériaux.
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Le phénomène d’extériorisation
Figure 144 Nouveau positionnement de la partie préhensée selon la longueur et le type de partie transmettrice de l’énergie
Le phénomène d’extériorisation est une idée conceptuelle que porte la structure de chaque lame. Cette capacité d’extériorisation induit l’existence d’une partie transmettrice de l’énergie qui, elle-même, va transcender l’artefact lame pour se prolonger dans un porte artefact. Cette transcendance a pour conséquence un changement de statut fonctionnel de la partie préhensée de l’artefact, qui était aussi la partie préhensée de l’outil, pour devenir un élément de la partie transmettrice de l’énergie. La partie préhensée de l’outil est désormais définitivement extériorisée (Figure 144). La partie préhensée des nouveaux outils appartient définitivement au porte artefact. Dans ces conditions, la partie transmettrice de l’énergie de toute une catégorie d’outils sensu stricto, sera faite de matériaux composites - végétal/animal/bitume etc., avec tous les problèmes de transmission d’énergie qui y seront liés. La nouvelle partie transmettrice de l’énergie sera composée des anciennes parties transmettrice et préhensée de l’artefact lithique et d’une partie importante, ou non, du porte artefact. Selon le travail recherché et l’énergie mécanique nécessaire, la partie transmettrice de l’énergie présentera une certaine variabilité qui portera sur les propriétés mécaniques des matériaux utilisés et/ou sur la forme, mais aussi sur le positionnement de l’artefact dans la partie préhensive du porte artefact (Figure 145). L’exploitation du potentiel structurel de cette nouvelle construction de l’outil va surtout se réaliser durant ce que nous considérons comme la cinquième phase du développement laminaire. Le positionnement de l’artefact en pierre dans la partie préhensée pourra se faire dans l’axe morphologique de l’outil (Figure 145a) ou, au contraire, perpendiculairement à cet axe (Figures 145 b et c), ce qui est appelé préhension latéralisée. Dans le cadre de cette préhension latéralisée, l’artefact en pierre, et en particulier la lame, n’est plus utilisé dans son axe morphologique. Cette observation pertinente souligne surtout le changement de statut de l’artefact lithique et de la constitution d’une nouvelle gamme d’outils que l’on pourrait appeler outils à artefacts lithiques multiples (Figures 145 d et e). Du fait de ce changement de statut, la lame devient un élément transformable et surtout décomposable par fragmentation. On peut dire qu’il y a un transfert structurel des caractéristiques de la lame à un ensemble composite qui prolonge et 214
démultiplie ses caractéristiques et en particulier le potentiel énergétique. La lame devient une sorte de réservoir de matière première, dont le volume est structuré de façon à fournir une partie des caractéristiques techniques recherchées. D’où l’apparition du débitage lamellaire, qui sera la réponse la plus adéquate pour les outils à artefacts lithiques multiples et identiques. Cette fragmentation potentielle de la lame, qui s’inscrit dans le cadre évolutif des outils, ne signifie pas l’abandon de son potentiel structurel « classique ». Ce qui explique le maintien du débitage laminaire et non sa substitution par le débitage lamellaire.
Figure 145 Modification des caractères qualitatifs de la partie transmettrice de l’énergie et modification de l’implantation de la partie transformative
En d’autres termes, soit la lame reste l’élément structurant de l’outil, soit elle perd ce rôle, comme dans le cas d’un outil composite. Ce qui n’empêche pas que la lame continue à porter la partie transformative essentielle au fonctionnement de l’outil. Dans le cadre de cette double possibilité, les moyens de production évolueront, allant vers une plus grande normalisation du support, qui, vers sa phase finale, avec la pression, pourra être assimilé à une véritable standardisation176. Cette évolution des moyens de 176
Par analogie structurelle, on pourrait dire que nous sommes passés d’un monde « artisanal », analytique, à un monde « industriel », synthétique. On passe du support ajusté au support standardisé avec très certainement une idéologie « productiviste » sous-jacente lorsque que l’on voit le rapport productionnel volume débité/volume de produits débités. Nous serions alors tentés de dire, comme Axelos (1961) reprenant Marx et cité par Deforge : « Par un mouvement ascendant les besoins ont toujours suscité des forces productives qui ont influencé à leur tour les rapports de production et ceux-ci ont conditionné les « superstructures » ». Ces observations que nous faisons des dizaines de millénaires avant l’avènement de nos sociétés montrent que contrairement à ce que pensait Marx l’évolution des systèmes de production vient de loin, très loin et qu’aucune « révolution » ne l’a
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production se fera sans modifications de la structure des nucléus, arrivés à leur stade de concrétude. Cette extériorisation de la partie transformative, suite au développement de la partie transmettrice de l’énergie, va d’une certaine façon donner naissance à toute une gamme d’outils et se développera durant cette cinquième phase. L’artefact en pierre devient quant à lui un objet à multiple facettes, soit outil, soit élément d’outil. Ce dernier cas a très certainement existé de façon sporadique à travers l’histoire des techniques, mais il s’agit toujours d’histoire avortée. Or, lors de cette cinquième phase, il n’y a pas d’arrêt « évolutif ». Globalement, l’évolution, tant au niveau des systèmes de production que des outils, se fait sans phase d’interruption généralisée177 comme ce fut le cas lors de la troisième phase. Cette cinquième phase s’achèvera par l’utilisation d’un nouveau matériau et donc de nouveaux outils capables de développer de nouvelles énergies Comme attendu, les premiers outils en métal seront des répliques des outils en pierre. Un nouveau cycle d’évolution débutera, basé sur l’utilisation de nouveaux matériaux qui permettront la création de nouveaux outils capables de développer de nouvelles énergies. Tout cela est déjà vu. Le sens de l’évolution est à mettre au pluriel : des sens de l’évolution, faits de lois et de cycles.
empêché de suivre son cours. De fait, c’est la psychologie de l’Homme, facteur autonome de toute structure qui fait changer les choses (Schumacher E.-F. 1978). Nous renvoyons à l’ouvrage de Deforge Y. qui décrit parfaitement cette scénarisation (1985). 177 Sur le plan historique, on peut observer des phases de régression technique, comme c’est le cas durant le Badegoulien en Europe de l’Ouest. C’est pourquoi il nous faut distinguer le sens de l’évolution et l’histoire de cette évolution qui a un autre sens, celui du sujet.
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Conclusion
A l’issue de ces trois volets épistémologique, théorique et analytique, nous souhaiterions agrémenter la conclusion d’un autre regard, empruntant à Bergson (2008) sa perception de la durée et de la mémoire. Mais plutôt qu’une conception centrée sur le corps, nous intégrerons au sujet l’objet comme instrument constitutif de l’action, interface entre le sujet et le milieu. Pour illustrer cette médiation, nous empruntons le schéma du cône (Figure 146) dont la pointe représente le contact avec la réalité matérielle – objet au présent et situé spatialement, et dont le cône en lui même représente la totalité de ce que le moi a vécu. Ainsi, le cône représente la profondeur temporelle du moi, sa durée, sa mémoire, alors que la pointe représente le présent spatialement situé, un présent extérieur car l’action n’est pas tournée vers le moi. En revanche, il n’y a pas d’action sans l’existence du moi intérieur. Bergson établit une distinction supplémentaire en dissociant ce qui, dans le cône, est près ou loin du contact avec la réalité matérielle, signifié par la pointe. La mémoire souvenir, la plus éloignée, n’interfère pas dans l’action qui mobilise la mémoire vive, mais les deux sont garantes de l’existence et de l’efficience du couple corps/outil, acteur de l’action. L’action est donc à la fois le cône de mémoires et la trace spatialisée de leur matérialité. Si nous transposons ce schéma à l’objet matériel, nous trouvons de singulières similitudes. L’objet en action est l’effecteur de l’action et le détenteur d’une mémoire épiphylogénétique qui lui permet d’être au monde. Cette mémoire n’est pas actrice de l’action, elle est constitutive de l’action. Lorsque je visse un écrou, je ne suis pas en train de me remémorer l’histoire de l’évolution technique de l’écrou et de la vis. En revanche, quand je suis confronté à un problème technique, je peux être amené à me remémorer une partie de cette histoire pour le résoudre. Je fais alors appel à une mémoire virtuelle, informative de ou des actions passées, qui me permet de me projeter ce que je devrais faire dans le futur. Le sujet et l’objet, tous deux constitutifs de l’action, sont comme une entité porteuse de mémoires : mémoires du sujet qui crée l’objet et de l’objet qui porte en lui la mémoire de sa lignée, passée, future, bien au-delà du sujet (Figure 146). Cette mémoire de l’objet épiphylognénétique est de nature transcendantale. Elle est à la fois ontogénétique et phylogénétique. Elle permet de resituer l’objet dans une temporalité d’ordre ontologique que 217
l’outil « chaîne opératoire » permet de matérialiser dans une temporalité d’ordre « génésiaque », car l’objet n’a d’existence propre qu’à travers l’ontogénèse de sa lignée. Simondon ne dit rien d’autre lorsqu’il dit qu’un objet technique ne peut se définir qu’à partir des critères de sa genèse (Simondon G. 1958).
Figure 146 Représentation de l’interaction objet/sujet
Les espaces temps du quotidien L’espace temps dans lequel nous vivons peut se figurer comme une surface ponctuée de moments différents, représentant autant de situations possibles, reliées les unes aux autres, témoins de l’existence de systèmes de production, d’utilisation et de consommation. La durée de l’action est, quant à elle, une temporalité variable qui équivaut à une troisième dimension : les temps matérialisés.
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Il existe une quatrième dimension évoquée par l’image du cône, celle de la durée transcendantale dont témoignent les connaissances que porte en soi chaque être, chaque objet : connaissances vives ou enfouies. Quand on manipule un objet on mobilise ses connaissances, ses mémoires (Figures 146 et 147). Cette dimension mémorielle est souvent « ignorée », non mobilisée, car l’action donne l’impression d’une immédiateté réflexive. Or, cette dimension de la durée est l’essence même de l’existence de l’objet. Sans cette mémoire l’objet n’existerait pas. Nous même n’existerions pas ! Pourtant, notre quotidien est souvent vécu comme une somme de moments donnés successifs. En préhistoire, c’est le cas de la chaîne opératoire, par exemple. En réalité, nous devrions nous définir par ce qui nous a amenés à être ce que nous sommes, à un moment donné, qui nous aménera à être différemment dans le futur, et non par ce que nous sommes à un moment donné. De façon imagée, nous sommes la totalité du cône et non le seul point de contact, qui est l’immédiateté du moment. Il en est de même pour les objets. Si, par exemple, nous observons une voiture immobile nous sommes capables suivant un certain nombre d’informations extérieures de déterminer la marque, son âge, c’est-à-dire la place qu’elle occupe dans sa lignée, mais aussi sa fonction et son mode de fonctionnement, voire son devenir, sans que cet objet soit nécessairement dans l’action. L’objet porte en lui son individualité et sa spécificté, ce qui permet de le situer dans une temporalité. Nous le définissons ainsi par l’information mémorielle dont il témoigne et dont j’ai la conaissance et non par sa façon d’apparaître. Cette connaissance est donc obligatoire pour la compréhension de tout objet. D’où la nécessité de posséder une culture technique au-delà du seul sens historique. Cette culture repose sur une connaissance techno-logique ; sur ce qui lie les différentes temporalités existentielles : les mémoires vives et enfouies. La mémoire constitue la durée. La durée se transpose dans l’objet.
Les espaces temps d’un quotidien passé En situation archéologique, suivant l’accès à la mémoire vive et/ou enfouie qui nous est donné la situation peut être très différente. Deux cas de figure peuvent se présenter. Le premier est classique pour les périodes comprises entre le Paléolithique supérieur et l’Holocène (Figure 148). La mémoire vive des objets est altérée, elle est parcellaire. Néanmoins, un lien mémoriel fort persiste avec nos connaissances, qui peut, selon les périodes concernées, être renforcé par divers documents. La mémoire parcellaire peut ainsi être partiellement comblée grâce, par exemple, à l’ethnologie, méthode alors appelée ethnoarchéologie (Figure 149). Il faut cependant rester extrêmement prudent, car l’altérité est une réalité et peut induire de nombreuses erreurs analogiques.
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Figure 147 Représentation spatiale d’un système technique composé de plusieurs objets
Malgré cela, pour cette période, la connaissance de l’objet archéologique se fait par le biais d’un cône de connaissances que nous partageons encore. En revanche, plus nous reculons dans le temps, au-delà du Paléolithique supérieur, plus la mémoire parcellaire que nous pouvions encore partager devient fragmentaire pour finir par disparaître complètement de notre propre mémoire. C’est une mémoire oubliée (Figure 148). L’objet ne se perçoit plus que par ce qu’il donne à voir dans la matérialité de sa découverte, contextualisée ou non, et non plus par la mémoire qu’il porte en lui, cette dernière ne faisant plus écho en nous. Cette perception extérieure à l’objet même rend compte de son existence mais pas de sa réalité. Dans un contexte archéologique, les objets n’ont donc pas tous la même valeur informative selon la période chronologique à laquelle ils appartiennent. Or, bien que cet état de fait soit d’importance capitale, il n’est pas considéré. Ceci est d’autant plus surprenant lorsque l’on travaille exclusivement sur des vestiges matériels. En fait, cette situation « d’oubli » n’est pas vécue comme telle, elle est gérée par la façon dont nous considérons et abordons les objets. La première façon d’aborder les objets est classificatrice. La compréhension des objets doit nécessairement passer par une classification dont l’ordonnancement est le reflet du sens que nous donnons aux objets. Pour cela, nous utilisons une seule méthode de lecture faite de critères descriptifs issus de la mémoire vive des objets, en ayant recours à toutes sortes d’approches : similitude morphologique entre différents objets, quels que soient les lieux et les périodes ; analogie ethnographique ; analogie avec le monde artisanal, etc. L’objectif est de montrer des différences par le classement, qu’importent les critères retenus pourvus qu’ils 220
Figure 148 Les différentes mémoires qui nous parviennent La mémoire parcellaire de l’objet est encore partagée par nous, ce qui n’est plus le cas de la mémoire oubliée. L’objet recèle alors une mémoire qui n’a plus d’écho pour nous.
Figure 149 La mémoire parcellaire par le biais de l’ethno-archéologie est capable d’être en partie reconstituée
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soient comparativement discriminants et identiques pour tout objet quel que soit son âge. Les objets porteurs d’une mémoire vive, parcellaire ou oubliée, sont ainsi identifiés et vécus de la même façon. De la sorte, on crée un « cône » de l’objet en toute bonne foi, pensant qu’il s’agit du bon cône. Dans le cas d’une mémoire vive ou parcellaire, il s’agira du bon cône, raison de l’efficience des typologies du Paléolithique supérieur et de l’Holocène. En revanche, ce ne sera pas le cas pour l’objet dont la mémoire est oubliée. On substitue au cône de mémoire oubliée un cône « inventé », considéré comme l’unique possible, la mémoire oubliée n’étant jamais considère comme telle ! Comme un lien phylogénétique est tissé à travers le temps qui relie ces objets les uns aux autres, à aucun moment il n’y a de doute sur la réalité mémorielle de chacun d’entre eux. La supposée réalité mémorielle de tous justifie l’universalisme de la méthode typologique. Lorsque l’analogie n’est pas possible on nomme l’objet suivant le lieu où il a été trouvé pour la première fois : pointe de Tayac, Levallois, où encore selon la morphologie qu’il évoque avec le monde naturel : quartier d’orange, feuille de laurier, limace, burin bec de perroquet, tortoise core ! S’il fallait encore se convaincre de l’erreur d’appréciation commise, il suffit de constater le manque d’efficience chrono-culturelle de la typologie appliquée au Paléolithique moyen et inférieur. La seconde façon de percevoir les objets s’est construite sur l’échec de la première. Conscients de cette mémoire oubliée, les objets sont décrétés morts de toute mémoire. Le cône est considéré comme inaccessible, vidé de toute trace. L’approche jugée capable de redonner un sens aux objets est extérieure à eux. Elle consiste à travailler dans l’espace/temps dans lequel les objets se situent en cherchant les relations qui les lient avec toutes les autres formes d’informations - environnementales, économiques, anthropologique, issues de ce même espace/temps. Seule la mise en réseau des objets, indépendamment du sens intrinsèque, inaccessible, qu’ils portent, pourra donner un sens au document. Il s’agit d’une approche processualiste qui fait la part belle aux interactions entre les différents acteurs en présences – individus, cultures, objets, environnements, rejetant la dimension historico-culturelle alors considérée comme inaccessible et empreinte de subjectivité. Pour résumer : d’un côté on naturalise l’objet en l’identifiant, présupposant l’existence d’un lien mémoriel avec notre mémoire et donc de la justesse de son identité ; d’un autre côté, en décrétant la mémoire de l’objet perdue, morte, on essaie de redonner un sens à celui-ci en le contextualisant. La première approche débouche sur une aporie interprétative pour les périodes anciennes. L’approche processualiste en revanche, en se gardant de partir de données erronées, puisque les objets n’ont effectivement plus de mémoire propre, produit un discours plus rationnel mais se limite aux champs des hypothèses. Ces hypothèses ne pourront jamais être validées, puisque le sens de l'objet lui même n’est pas questionné. Ce qui n’empêche pas d’observer quelques déviances intéressantes. Le fait de décréter l’objet mort fait que l’on ne s’interroge pas sur la façon de l’analyser. Seuls quelques objets se donnant à voir, comme les pointes de flèches ou les bifaces, vont être emprunts d’une attention particulière, à la différence de l’analyse typologique qui prend en compte l’ensemble des objets. Cette situation d’exclusion au profit d’une seule catégorie de pièces caractéristiques, connues dans notre 222
monde, montre que l’analyse technique exhaustive de tout objet n’existe pas. Cela amène évidemment à des situations paradoxales où ce qui n’est pas reconnu n’est pas considéré. L’exclusion peut encore aller plus loin, allant jusqu’à la négation du caractère anthropique. Le plus bel exemple de cette situation extrême, nous est donné à propos de la polémique des sites antérieurs à 12 000 ans en Amérique du Sud. Il est extrêmement surprenant de voir des non spécialistes du lithique donner un diagnostic anthropique à des objets qui leur sont étrangers. Dans ce cas, l’hypothèse de départ étant devenue un paradigme, elle ne peut plus être contestée. Sans vouloir entrer dans les détails, il est extrêmement intéressant de lire les nombreux articles cherchant par tous les moyens à discriminer cette ancienneté. On pourrait être d’accord sur la nécessité de renforcer la démonstration du caractère anthropique des faits observés. En toute logique, il faudrait alors appliquer cette même rigueur aux matériaux provenant des sites postérieurs à la date de 12 000 ans. Ce qui n’est pas le cas. Le non spécialiste s’érige en spécialiste contre le vrai spécialiste qui, lui, utilise des méthodes développées et appropriées à la reconnaissances des caractères anthropiques ou non anthropiques. D’un côté, nous avons le non spécialiste qui base son approche sur la seule analogie, jugement subjectif construit à partir d’éléments extérieurs à l’objet ; de l’autre côté, nous avons le spécialiste dont la démonstration repose sur un ensemble d’analyses technotypo-productionnelle, techno-typo-fonctionnelle, techno-logique, taphonomique et expérimentale. Cela nous ramène à dissocier le fait de l’histoire du fait, hélas la preuve n’est pas démonstration !
La mémoire de l’autre L’omniprésence du lithique est liée à sa nature impérissable. Dès que les conditions le permettent d’autres matériaux sont découverts : le bois, le bitume, l’os, l’ivoire, etc. Mais, indépendamment de ces conditions de conservation exceptionnelles, l’objet lithique peut renvoyer à d’autres objets matériellement disparus dont la complémentarité nous est accessible par l’analyse techno-fonctionnelle. Les emmanchements font partie de cette catégorie disparue mais reconstituable. Les arguments sont à rechercher dans la cohérence du système technique par l’approche techno-fonctionnelle et non pas par la tracéologie qui ne fait que confirmer l’existence de l’emmanchement178, sans nous informer de ses spécificités. Lorsque l’on considère, par exemple, le début du Paléolithique moyen au Proche-Orient, le Yabroudien, l’Amudien et l’Hummalien sont l’expression de la recherche d’un ou deux types de supports qui permettront l’aménagement d’une gamme de tranchants diversifiés. Cette homogénéisation du support, quel que soit le type de tranchant, témoigne de l’acceptation de contraintes techniques qui finissent par apporter un « plus » technique. Dans ces cas précis, particulièrement pour l’Hummalien, ne doit-on pas y voir pour la première fois exprimée la notion d’une normalisation de la partie préhensée du support et d’un manche tout aussi normalisé avec une nouvelle capacité d’énergie et de gestuelle ? L’analyse technofonctionnelle renvoie ainsi à l’existence de la partie manquante. Nous pourrions également 178
Souvenons-nous, qu’une action peut ne laisser aucune trace et qu’une trace peut être amenée à disparaître. La tracéologie constate de l’existence ou non d’une trace, aucunement de l’outil en action ou que très partiellement.
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considérer l’exemple développé par H. Forestier à propos des outils Hoabinien qui, par leur spécificité technique et leur non évolution sur plus de 30 000 ans, témoignent d’un investissement dans un autre matériau tel que le bambou (Forestier H. 2010). En effet, comment expliquer que dans un monde de chasseurs-cueilleurs aucun objet perçant en pierre ne soit attesté ? Cette absence renvoie à l’existence d’un monde technique du végétal où ces objets devaient nécessairement exister. En conséquence, si l’on ne prend en compte que le lithique, on occulte toute une partie du système technique, créant artificiellement un autre monde technique qui sera comparé à d’autres.
La production de nouvelles données L’objectif est donc de reconquérir cette mémoire oubliée de l’objet afin de mieux le définir. Pour cela nous disposons de deux points de vue : celui de l’évolution et celui de l’histoire. Le point de vue de l’évolution se veut de comprendre l’objet à travers l’ontogénie de la lignée à laquelle il appartient. Cela sous-entend, comme nous l’avons montré tout au long de ces pages, qu’il existe un sens ontogénique à chaque lignée, sens que nous avons emprunté à Simondon qui est celui de l’individuation de l’objet allant d’une forme abstraite vers une forme concrète. Tous les objets n’ont pas la structure requise pour évoluer ainsi à travers le temps. D’une certaine manière, certains sont inventés « concrets ». Nous pourrions citer comme exemple le hachereau qui va traverser le temps sans changer de structure. Cependant, à part de rares exemples, la plupart des objets sont le fruit d’une évolution. Notre travail consiste à comprendre les mécanismes intrinsèques à ces changements afin de comprendre les objets tels qu’ils nous apparaissent, mais surtout et essentiellement pour comprendre d’où ils viennent et quel est leur potentiel d’évolution. Il s’agit d’une perception de l’objet à travers son potentiel évolutif. Ce n’est qu’une fois ce travail effectué que le point de vue historique doit entrer en considération. Ce point de vue donne un autre sens à l’évolution, il est de l’ordre de la réalité matérielle observable. L’un des sens de l’évolution réside dans le potentiel structurel des objets, un autre est donné par l’histoire. C’est l’histoire des techniques qui est co-évolutive avec l’Homme.
L’ontologie des lignées D’une certaine façon, comme nous l’avons montré dans l’analyse de la construction de l’outil typologique classique, cette méthode se fonde aussi sur une démarche ontologique, qui classe les objets dans une continuité évolutive linéaire dans le sens d’un perfectionnement sans cesse grandissant. L’évolution linéaire ainsi proposée situe l’objet entre deux autres objets. Le problème est que le moteur de l’évolution est uniquement externe à l’objet, culturel, environnemental, biologique. Or, nous préconisons que l’évolution des objets présente une co-occurrence interne et externe.
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Interne : c’est le sens de l’évolution d’une lignée allant vers une intégration de plus en plus importante de ses éléments. Il ne s’agit pas d’un perfectionnement mais d’une intégration fonctionnelle des différents composants structurels de l’objet. En conséquence de quoi, le sens de l’évolution équivaut au potentiel de transformation de l’objet allant vers une plus grande intégration structurelle. Ce potentiel évolutif est propre à chaque structure et va donner lieu, du fait de sa co-évolution avec l’Homme, à la réalité matérielle des changements. Nous touchons en cela une dynamique particulière que nous n’avons pas abordée jusqu’à maintenant : l’invention. D’un point de vue strictement évolutif nous distinguons deux niveaux d’invention. Le premier niveau de l’invention porte sur le passage à l’intérieur d’une même lignée d’un état structurel à un autre. Ainsi donc le cycle d’évolution d’une lignée est le fait d’inventions successives potentielles. Le second niveau de l’invention, c’est le passage d’une lignée à une autre : la création d’une nouvelle lignée structurelle. Dans ce cas, la phase de concrétisation étant aboutie, l’objet ne peut plus évoluer en tant que tel, son intégration est maximale. Cet état peut perdurer ou disparaître. Ce changement de lignée porte sur des modalités d’invention structurelles différentes. Les changements d’étapes à l’intérieur d’une même lignée et les changements de lignées ne sont donc pas du même ordre. Si le premier changement s’exprime selon une direction, les inventions successives ne remettent pas en cause le principe de fonctionnement. En revanche, le second changement porte sur le principe de fonctionnement tout en conservant les mêmes objectifs. Ces deux modalités d’invention répondent donc à des contraintes extérieures différentes avec l’Homme au centre du dispositif. Externe : c’est le sens historique de l’évolution. Puisque l’Homme est au centre du dispositif, il sera créateur de l’histoire de ses/ces inventions et donnera sens aux changements.
Des situations différentes Grâce à cette double approche, nous sommes mieux à même de discerner des situations historiques différentes. Prenons l’exemple d’une situation historique où un objet Z d’une lignée α disparaît au profit d’un autre objet A d’une lignée β. En plaçant l’analyse structurelle avant l’analyse historique, afin de déterminer la place de l’objet dans le cycle évolutif de la lignée à laquelle il appartient, on peut ainsi se rendre compte que plusieurs cas de figures sont possibles amenant à des interprétations historiques différentes. Prenons plusieurs exemples où se succèdent, dans un même site, deux industries lithiques avec des objets de lignées différentes, sachant que nous aurions pu tout aussi bien considérer différents systèmes de production. Situation 1 (Figure 150) – Lignée α : avec un objet Z en fin de cycle ; Lignée β : avec un objet A en début de cycle. Dans cette situation, sur le plan évolutif, l’arrivée de l’objet A de la lignée β est logique parce que, d’une part l’objet Z de la lignée α est arrivé en fin de lignée, d’autre part parce que l’objet A débute par sa forme abstraite, signifiant que l’invention peut être locale. Néanmoins, dans le cas de la lignée α, nous ne devons pas nous limiter à cette simple 225
observation. En effet, dans cette situation nous devons rechercher l’existence ou non de la présence des étapes évolutives antérieures à Z dans les couches archéologiques précédentes (Figure 151).
Figure 150 Situation 1 1- Regards ontologique et génésiaque des lignées ; 2- Regard historique.
Dans le cas où, dans le même espace géographique on retrouve l’ensemble des étapes antérieures, cela signifie que le cycle évolutif de la lignée α est d’essence locale (Figure 151-1). Nous pourrions pousser plus loin l’analyse en nous interrogeant sur la répartition spatiale des différentes étapes évolutives. Sont-elles présentes en tout lieu ou se distribuent-elles selon des aires distinctes ? Cette suite de questionnements démontre bien le caractère heuristique de cette notion de cycle évolutif et de ses implications historicogéographiques. Dans le cas où, seul le stade évolutif Z est présent, cela signifie que nous avons affaire à un phénomène de migration ou à un phénomène d’acculturation (Figure 151-2). Nous devons alors déterminer les lignées techniques antérieures ainsi que leur positionnement dans le cycle afin de déterminer si nous sommes ou non dans une situation techno-logique. Suivant la réponse, d’autres registres de questionnements suivront.
Figure 151 Situations historiques différentes de la lignée α
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Situation 2 (Figure 152) – Lignée α : objet Z en fin de cycle ; Lignée β : objet K en cours de cycle.
Figure 152 Situation 2 1- Regards ontologique et génésiaque des lignées 2- Regard historique.
Dans cette situation, le passage de la lignée α à une lignée β est techno-logique. En effet, la lignée α est arrivée à un stade évolutif terminal. En revanche, dans le cas de la lignée β, le fait que nous soyons en présence d’un objet K en cours d’intégration structurelle c’est-àdire en cours de cycle évolutif, signifie que l’invention de la lignée β ne s’est pas faite sur place et qu’il s’agit d’un phénomène d’acculturation dû à de l’arrivée d’une nouvelle population possédant un stade technique non premier. Comme dans le cas précédent, nous devons questionner de façon plus approfondie la situation de la lignée α, avec les mêmes cas de figures possibles (Figure 151 -1 et 2). Cela ne change en rien le caractère migratoire qu’exprime la lignée β. Néanmoins, comme dans le cas de lignée α, nous devrons regarder ce qui se passe après le stade K de la lignée β, car selon les situations nous serons en présence d’informations comportementales différentes (Figure 153).
Figure 153 Situations historiques différentes de la lignée β
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Si les étapes postérieures sont absentes, cela signifie que nous sommes en présence d’une situation ponctuelle sans suite, signifiant sans doute un nouveau déplacement de la population porteuse de cette technique (Figure 153-1). Il faut alors nous interroger sur les raisons de ce comportement migratoire dont les causes peuvent être multiples. De même, selon ce qui succèdera à la lignée β, différents scénarios peuvent être imaginés. Deux cas sont possibles : une nouvelle lignée est représentée par quelques stades successifs (Figure 153-2) soit par l’ensemble des stades successifs (Figure 153-3). Selon le cas, cela renvoie respectivement à un phénomène migratoire au-delà d’un simple groupe, plutôt un métacomportement partagé par différents groupes, ou à une stabilité territoriale d’un même groupe. Nous pourrions pousser encore plus loin l’analyse dans le cas de la présence d’un seul stade évolutif, suivant que celui-ci serait le premier ou non de la lignée. S’il est le premier, cela signifie que l’on assiste au commencement de quelque chose de nouveau dans un nouveau territoire. S’il n’est pas premier, nous sommes dans le même cas que la lignée β. Situation 3 – Lignée α : objet D en cours de cycle ; Lignée β : objet A en début de cycle.
Figure 154 Situation 3 1- Regards ontologique et génésiaque des lignées ; 2- regard historique.
Cette situation évoque des ruptures dont les causes sont, là aussi, à chercher dans la dimension historique du phénomène (Figure 154). Dans le cas de la lignée α, le stade évolutif D, sans sa suite, évoque une rupture historique. Les populations D n’ont vraisemblablement pas eu la possibilité de rester, pour des raisons à déterminer. Elles ont laissé la place aux objets d’une nouvelle lignée β. Objets qui témoignent d’un début de lignée. Deux questions se posent. Le passage de D à A est-il le fait de la même population ou de deux populations différentes, sans histoire commune ? Dans le premier cas, nous aurions un événement extérieur majeur qui indiquerait l’adoption radicale d’une nouvelle technicité, comme on le voit pour le phénomène de transition au ProcheOrient. On peut complexifier l’analyse en s’interrogeant sur ce qui se passe avant le stade D de la lignée α dans les couches archéologiques antérieures : soit celui-ci est le seul stade de la lignée et nous sommes donc dans un scénario migratoire ; soit, au contraire, il succède aux stades précédents témoignant d’une stabilité territoriale interrompue. 228
C’est la même chose pour la lignée β, où l’on constatera une continuité ou non des étapes antérieures du cycle de la lignée dans un même territoire. Situation 4 – Lignée alpha : objet F en cours de cycle ; Lignée béta : objet M en cours de cycle.
Figure 155 Situation 4 1- Regards ontologique et génésiaque des lignées ; 2- Regard historique.
Ici, la situation de la lignée α est identique à la Situation 3. Nous n’y reviendrons pas. Le cycle d’évolution est interrompu, le dernier objet : F, est en cours de concrétisation (Figure 155). La lignée β présente la même rupture. Le fait que nous ne retrouvions pas, sur place, le début du processus d’invention avec ses premières étapes donne à penser que nous sommes réellement face à l’intrusion de nouvelles populations avec leurs propres lignées et stades évolutifs qui se substituent à F. Comme dans les situations précédentes, nous devons compléter l’analyse en nous interrogeant sur ce qui se passe avant F et après M. De façon générale, nous revenons toujours sur les cas de figure de populations qui migrent, arrivant et repartant, ou qui perdurent en un même lieu et se développent. Dans les situations que nous venons de présenter, nous avons pris le parti d’évoquer les industries successives comme les stades évolutifs d’un même cycle, nous aurions aussi pu considérer le cas où le stade évolutif se répète sans évoluer, et bien d’autres situations encore. Notre propos n’est pas d’être exhaustif sous prétexte de conclure, mais de montrer le caractère heuristique de l’approche ontologique et génésiaque des lignées. Comme nous l’avons illustré avec le phénomène laminaire du Proche-Orient, ce positionnement méthodologique rend compte d’une Histoire riche et imprévisible dans son déroulement et son tempo parce qu’elle est le fait de l’Homme. En effet, l’intervention de l’Homme face à de si nombreuses situations possibles aura pour conséquence de multiplier les différents « autres » possibles. Cette méthode permet ainsi de montrer l’existence de l’Autre et de mieux l’identifier. Ainsi, l’altérité est enfin perceptible. Mais la reconnaissance de l’altérité n’est pas à confondre avec la mise en évidence de la diversité. L’altérité rend compte d’une dimension anthropologique, alors que la diversité ne rend compte que d’un ensemble de possibles qu’offre l’Homme sans en être l’essence. La diversité est un simple constat. Cette phase, reste néanmoins essentielle et fait l’objet d’un ensemble de méthodes capable de 229
montrer l’existence de différences et sur quoi portent ces différences. Le sens de l’altérité ou plutôt les sens de l’altérité sont plus difficiles à appréhender. Pour aborder certains d’entre eux, nous ne parlerons pas de métaphysique, trop éloignée de nos préoccupations immédiates, mais d’ontologie nous attachant aux objets produits par l’Homme et non à l’Homme pris isolément. Pourquoi s’attacher aux objets le plus souvent perçus comme complémentaires et extérieurs à l’Homme ? Parce que nous considérons l’Homme et la technique comme coévolutifs, considérant la technique comme constitutive de l’évolution humaine. De l’ontologie du sujet, nous nous déplaçons ainsi vers l’ontologie de l’objet puis vers celle du couple objet/sujet. En cela, nous introduisons une distinction fondamentale capable de rendre compte de l’existence de sens pluriels de l’évolution.
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Techno-logique & technologie, en deux mots tout est dit. Deux mots cependant qu’il convient d’éclaircir à partir de la matière même à laquelle ils sont appliqués ici et qui, en retour, en constitue le fondement épistémologique, à savoir : les industries lithiques de la préhistoire. Si la forme fut le premier signe extérieur qui permit de distinguer l’objet naturel de celui réalisé par la main de l’Homme, les limites de la classification typologique qui en résulta conduisirent à un questionnement technique et une pratique expérimentale desquels naquit la technologie au milieu du XXe s. La réflexion proposée dans le présent ouvrage, prolonge autant qu’elle s’en détache cette histoire de la pensée technique appliquée aux plus anciennes industries humaines connues. Non plus seulement technologie, la pensée présentée est celle d’une techno-logique, soit une tentative d’approche de la logique interne à la production d’outils que l’étude des industries lithiques de la préhistoire permet de mettre en évidence. Sa force, outre l’élaboration d’un nouvel outil à penser les industries de la préhistoire, est d’asseoir la validité scientifique de l’étude techno-logique. Spécialiste des industries anciennes de la préhistoire, expérimentateur éminent, en charge de nombreuses missions par le monde, Eric Boëda, Professeur de préhistoire à l’Université de Paris X Nanterre-La Défense, est reconnu depuis le début de sa recherche comme un technologue influent. Cet ouvrage reflète l’élaboration de son approche des productions techniques de la préhistoire, nourrie de philosophie et éprouvée pendant plus de vingt ans à la diversité des industries rencontrées en Europe autant qu’en Afrique, en Asie et en Amérique. Exposer une pensée nouvelle n’est jamais sans surprendre. La nouveauté de celle présentée ici est de mettre en perspective la technique comme une composante inhérente à l’humain, faisant le pari d’une unique histoire des techniques, vieille de trois millions d'années !
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Eric Boëda Professeur Membre de l'Institut Universitaire de France Membre de l'UMR 7041, Equipe ArScAn Archéologie et Sciences de l’Antiquité Responsable de l’équipe AnTET Anthropologie des Techniques, des Espaces et des Territoires http://www.mae.u-paris10.fr/arscan-antet/fr/index_fr.html Préface de Françoise Audouze Directrice de Recherche émérite CNRS UMR 7041 ArScAn - équipe d'Ethnologie préhistorique
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Cet ouvrage a été publié avec le concours de l’Institut Universitaire de France et l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense ISBN 978-2-36461-004-0
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