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Nesroulah Yous A vec fa collaboration de Salima Mellah
Qui a tué à Bentalha ? Chronique d 'un massacre annoncé Postface de François Gèze el Salin/a Mellah
ÉDITIONS LA DÉCOUVERTE 9 bis, rue Abel-Hovelacque PARIS XIII" 2000
A Anne
À mes enfallts et il tous les enfants victimes, ljuij'espère pourront vivre libre,~ lflljour et pardollner «
Je veux lOumer la page, mais je veux la lire avanr. » Oriss Benzekri, prés ident du Forum Vérité e t Justice au Maroc
Catalo!!a!,!e Éleel"'. Bihlio!,!r~phie Yl~ ;.~. Ne,roulah Qui atu<: à Sentalha '!: c hron ique d'un 1ll3SS
ISBN 2-7071 ·.nn·9 Rameau:
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AI!!éri~ : polil iquc ct gou'·~mement : 1992 · .. _ massacres : !lenta illa (A lgérie) isla'net polit ique : Algérie nO,7 : Scicnc.: pol itique (politiqu.: ct !,!ouvernCIlII.:Ill), Conjon'lure e ' cond it iuns politiques Tout public
Si vo u, désirez être lenu régu li èreme nt au courant de nos parutions. il vous s uffit d' cnvo)'Cr vos nom Cl adresse aux Éd itions La l)écou\'en e. 9 biJ. rue Abel -Ilovelacq uc, 7.<;() 1~ Paris. VOlIS reCC"rel gratuitement nOire b ullel in tri mestriel A La l>
© Édi tiuns La [)éwuvene & Syros. Paris. 200().
Introduction En quête de vérité
26 septembre 1997. Tro is jo urs après le massacre . Me voici, seul , debout, appuyé sur mes béquilles, un fu sil à l'épaule, devant l'i mmeuble où habite ma mère, à Baraki. Le lieutenant de la Sécuri té militaire vient de me raccompagner en voiture. C'est lui qui m'avait dit, il y a à peine une semaine, lorsque je m'éta is rendu à la caserne de Baraki accompag né de deux voisins pour demander pour la éni ème fois o ù étaient nos armes: « J' en ai marre de vous voir ici. ne venez plus,je vous convoquerai cn temps utile ! ~) Et il avait lancé des insultes à mes compagnons. Il est bien plus di scret maintenant. Je me sens lourd, très lourd, comme si un poids invisible me clouait sur place. Les mot s que les mi li taires de la caserne m'ont lancés e n me remettant ce fus il à pompe resurgissent ct retenti ssent dans ma tête comme si on frappe du pil on : « Va, va chasser le haflouj, le sanglier. Va attraper les terrori stes ! ») Je ne ressens plus rien . C est le vide autour de moi. le vide en mOI.
Et pu is lentement, très lentement, je reprends conscience, je regarde autour de moi ct je vois les jeunes adossés aux murs qui m 'obse rvent. Auc un ne s' approche, aucun ne m'i nterpelle,
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comme s'ils sentaient que je ne suis plus de ce monde ... Je replonge dans Illon délire. « Va où les pieds te porteront et venge-toi )), m'ont-ils dit! Mai s où peuvent-ils m'emmener ces pieds meurtri s, comment peuvent-il s porter ce corps épuisé. brisé? Ces armes qu ' i Is ont refu sé de nous donner avant le massacre, ces armes qu i nous auraien t permis de résister aux égorgeurs e l de sauver des vies, ils nous les donnent maintenant , quelques heures se ul emcrH après no us avo ir fail massac rer à Bc nlalha ! à nou s, qui n'avons plus qu'un seu l désir: lucr.
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Toute la région est cn effervescence. Depuis des semaines, ces terrori stes dom personne ne sai t d'où ils viennent cl où ils disparaissent une fo is leur lâche accompl ie, foOl irruption dan~ nos quartiers, massacrent des centaines d ' innocents, de prérérence des femmes ct des enfa nts, [es découpent cn morceaux, les jelteOl par le balcon, les grillent dans le fou r, les clouent aux murs, sans état d ' âme. Quelle es t ce tte fo lie barba re q u i défe rl e sur nous? Qu'avons-nous fait pour subir ces tornades de sauvages? N'y a-t-il personne qui puisse arrêter ces monstres ? Nous savions ce qui allait nous frapper. Nous le pressentions. Mai s où aller'! Où seri ons-nous protégés? Où que ce soit, dans les en virons d'Alger, nous avi ons l'impress ion d'être condamnés. À part Hydra peut-être, le quartier des généraux, des intouchables. Mai s cc n'est pas vrai que nous n'avons rien e ntrepri s. Le fait déjà de rester à Bental ha, de relever ce défi , est un acte de courage ct de résistance. Encore aurait-il fallu que les autorités nous soutiennent. .. Depu is toutes ces années de guerre, de feu ct de sang, d ' horreur ct d'angoisse, ellcs nous o nt abandon nés. li vrés e n pflture aux égorgeurs ... Au début, en 1992, pour que lques-uns d'entre nous. il y avait encore une cause qui semblait j ustifier cetle guerre . Mai s plus tard, nou s n' avons plus ricn compri s ... S i ce n'est que l' enjeu nous dépassait. que nous étions les otages d'obscures luites de clans et de rdppons de forces où nous n'étions que de misérables t1gurants. Nous avons pou rtan t essayé d 'être acteurs. Nous voulions prendre nOIre destin en main. On nous l'a refusé. Nous n'avons 8
pas été protégés et nou s n'avons pu nous défendre nousmêmes. Nous en avons payé le prix: plus de 400 morts et plus de 100 blessés pour le seul massacre de Bentalha ! Je parle aujourd 'hui au passé, com me si ce cauchemar avait cessé. Malheureuseme nt. en cct été 2()(x), de pauvres innocents se fo nt touj ours massacrer en Algérie, des enfants, des femmes, des vieillards sont à la merci des mêmes lUeurs qu 'e n cette nuit fatidique du 22 septembre 1997. 11 a fallu que je qu itte Be ntalha . Il a fallu que je quitte l'Algérie. Je me retrouve exilé, espérant reconstruire un avenir tou t en étant hanté par ce passé, hanté par ces visages d 'enfants massacrés. Je suis parti d'Algérie en février 1998 et je me sui s juré de contribuer à faire la lumière sur ce qui s'est déroulé à Bentalha, ma is aussi à d ' autres endro its. J'ai décidé de lutter contre la désinformati on ici, en France, et là-bas, en Algérie, orchestrée par les officines des ser vices spéc iau x des deux pays. En Algérie déj à, nous avons exigé unc e nquête natiolwle su r le massacre. Nous avons obtenu une fin de non-recevoir: Il Vous ave7. soutenu les terroristes? À vous d'assumer mai ntenant ! » En réponse à ce mensonge, à ce mépris, nous, les survivants, les famille s de victimes. nous avons décidé d'« as sume r >.;1 notre mani ère: con tre ven ts et marées, nou s cherchons les responsables. Nous re fuso ns les injonctions de ceux qu i se prétendent défenseurs des droits de l'hom me et qu i interdisent de poser I.t question: Il Qui tue? » Ceux ~ l à nous o nt trahi s. Il s ont même cu l'audace de venir dans les villages martyrs pou r nous tuer une seconde fois. Ce qu 'on va lire est le récit de six ans de ma vie il Bentalh a. Et celui d 'une nu it où nous avons plongé dans l'enfer. Six ans ct une nuit qui on t boul eversé mon ex istence. Ceci cst mon modeste témoignage. D'a utres que moi raconteront au ss i leur histoire et, un jour, nous saurons la vérité. Toule la vérité. Je tiens à remercier ici tous ceux ou ce lles qui, dès mon "rrivée en France, m' ont soutenu, aidé et réappri s à vivre, à
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sauvé, c'est de savoi r qu ' il existe encore des ge ns simple s, formidables, sans autre souci que de combal1re le mal avec leur bonté. À tous ceux -là,je dis merci. Souve nt, je pense à ceux que j'ai laissés derrière moi, ces mi Ilions de compatriotes mépri sés et abandonnés par les autorités dès le début des événements, contraints d'être acteurs ou témoins d' une guerre qu i n' étai l pas la leu r. À tous ceux qui n'ont pas eu la chance, eomme moi, d'obten ir un visa, Je me demande comment ils vivent, ou survivent. Et je n'oublie pas que je suis devenu, par rapport à eux , un pri vilégié. Je rends enfin hommage à mes voisin s et aux autres qui se sont sacrifiés pour sau ver des vies huma ine s. À toutes les victi mes, quelles qu 'ell es soient, et aux fami ll es de disparus. C'est pour eux, d'abord, que je me battra i j usqu 'au bout pour obtenir que les crimes des responsables, généraux ou terroristes. soient un jour jugés par un tribunal international. Pari s. 30jui llct 2000
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La sale guerre au quotidien
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Le grand rêve de la démocratie
Les années folles Jeudi 26 décembre J 991 : premier tour des élections parlementaires. Ce sont les premières véritables élection s pluralistes dans l'hi stoi re de l'Algérie. Jamais. jusqu'à présent, les électeurs n' ont pu choisir librement entre des partis diamétralement opposés . L'auente eSI énorme. Cela fa it trois ans que le pays est en effervesce nce. Depu is les ré voltes d'oclobre 1988 réprimées dans le sang (p lus de cinq cents morts) , dont une des conséquences a été la création de nouveaux parti s politiques. de journaux ct d'associations. l'enthousiasme pousse les gens à s' impliquer dans J'act ivité politique et sociale, alors q ue pendant des décennies on ne leur avait jamais demandé leur avis. Tout le monde discute et débat de thèmes qui par le passé étaient confisqués par ce que nous appelons com munément le pouvoir militaire. Durant ces années d'ouverture, il faut le dire, nous avo ns beaucoup appris sur les magouil les des généraux et autre s centres mafieux . Nous avons pris conscience de la fragilité du régime el de la force de la jeu nesse; et nou s avons constaté l 'effroi des décideurs militaires deva nt la révolte de la
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« plèbe ». Nous vou lons enfin en découdre avec cc système. Tous, quell e que soi l nOire appartenance po litique. Et nous avons la conviction que le mo ment est enfin arrivé. À Baraki. une banlieue proche d 'Alger où j ' habite depui s 1984, tous les ponti s importants son t représentés. Mais il ne fau t pas se leurrer, le Front isla mique du salut (FI S) y est de loi n le plu s fort . C'est ainsi. Pourtant. beaucoup de gens du Front de li bération nationale (FLN) vivent ici et l'Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA), affiliée au FLN, y est assez fortement représentée. Avant 1986. le pani unique avait lancé plusieurs chantie rs dans le cadre d u projet « Jeunesse 2000 1>. Mais loul ça s'est rédui t en peau de chagrin avec 1:1 corrupt ion e t le s (( affai res )}. Et pui s, les milieux re li g ieux actifs on t investi les différents quartiers et mosquées, et il s ont comblé le vide laissé par l'Étal. En fa it, ces cercles étaient déjà mobili sés auparavant et ils ont souvent é té instrun1cnta li sés par le pouvo ir, notamment pour co ntre r le s co mmuni stes. Mai s ce n'est qu ' aprè s octobre 1988 que ces fo rces se sont fédérées ct qu ' en créant le FIS elles onl véritablement eu pignon sur rue. Pour ma part ,je ne sympathi se pas avec le FIS, et je suis organisé dans le Front des forces socialistes (FFS) depuis la fin de l'année 1990. Les mil itants du FFS ne son t pas très nombreux , mais ils sont volo ntaris tes, Notre activ ité princi pale est de di scuter avec les hab itants du quartier de la situation du pays et des solutions envisageables. Notre bureau se trouve dans un café en face du commissariat - le propriétaire est un sympathisant du FFS. On ne nous prend pas vraimen t au sérieux. parce que nous ne sommes pas très représe ntatifs, et puis, il faut l'avoue r, que pouvons·nous fa ire. avec tout l'activisme possi ble, dans un quartier acqui s aux idées du FIS? Quelques mo is plus tôt, no us aVOnS préparé les é lections législatives (en Algérie, on dit ( parlementaires ») prévues pour juin 199 1 : il s'agissait d'organiser des petites réunions et d 'a ll er voir les sy mpathi sants qui nous soutenaient ou dont no us es périons o bt e nir le sou tien . Nous subi ssio ns bien quelques inti midations de person nes qui auraient aimé que l'on ferme notre loca l. mai s ce n'é tait pas encore bi en sé ri eux. Mal gré la suprématie ct la pression du FIS, c'était une si tuati on 14
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to ut à fai t nouvelle que nous vivions alors et les discussions étaien t aussi nombreuses qu'animées. Nous avions l' avenir devant nous et, enfin, nous allions pouvoir le déterminer. Avant les électi ons communales de juin 1990, une contro· verse avait déjà animé la cl asse politique: fallait· il ou non parti ciper à ce vote dont les règles du jeu étaient fix ées par une Assemblée composée exc lu sivement de dépulés dc l' ancicn parti unique? Notre parti opta pour le boycottage, parce qu ' il co nsidérait q ue le mome nt n'éta it pas encore ve nu pour s'engager dan s des compétiti ons électorales. Nous n' avions pas encore surmonté les décennies de plomb, les représentants du système honni étaient encore en place et fai saient tout pour y rester. Comment introduire l'al ternance lorsque les moda· lités de changement étaient pipées? Les élections communales ct régionales (willlym ) s'étaient déroulées dan s une eu phorie joviale et une attente ex ubérante, mai s floue, de change ment. Le FIS obti nt p lu s de 50 % des commune s, score que person ne n' attendait et qui donna des ailes aux sy mpathisants de ce parti. Mais les milita ires, eux, se ntirent le danger venir, ct je pense que dès ce moment·l à ils se concertère nt po ur évite r la vic toi re du FIS aux scrutins futurs . Déjà, des cad res que je connai ssai s s'a pprê ta ie nt il quitter le pays .
Le FIS maître de la situa lion
À la fin 199 1. le FIS domine toute la scè ne politique, que cela nous plaise ou non. Il faut d ire que tout ce qui provient du FIS n'est pas négatif. loin de là. Il mobili se lesjcunes pour de justes causes, il prône une morali sation de la soc iété ct surtout de la polit ique, et, depui s que les communes sont entre leurs main s. ses res po nsa bles se sont attelés à résoud re certai ns problèmes cruciaux , dont celui de la distribution des logements sociaux aux démunis. Les ( décideurs » ont bi cn tenté de discréditer le FIS en réduisant le pouvoir des é lus communaux, qui s'étaient trouvés devant des caisses vides et une loi sur le budget communal modifiée. Leur marge de manœuvre sur le plan local était de ce fait très réduite, mai s cela n'affecta 15
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pa s trop leur créd ibilité c hez le urs sympathi sants. car il s avaie nt mis à nu pas ma l d ' affaires louches co nce rnant les représentants de l' ancien régime. Et ils avaient montré ce que pouvai t signifier la solidari té popu laire. Beaucou p disent alors Que ce n'est que du populisme. C'est
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vrai en part ie, el c'est ce qui me gêne aussi. Mais sur le terrain , le parti recrute des mil liers de personnes sincères. sans arrière· pensées. ni ambi tion de profit personnel. J'aime à me souvenir d e ce lte pé ri ode de discuss io ns trè s virulente s. où nou s sommes tous portés par un immense espoir de changemenl. Beaucoup de sy mpathisants du FIS souhaitent vivement une ruplure. san s voul o ir po ur au tant un État islam iq ue . C'e st l'époque de la découverte de nos possibilités inépuisables : une immense énergie féconde, qui aurait pu être orientée vers des proj et s au tre me nt sa lutai res que les luttes parti sa nes pour vaincre aux é lectio ns. Mais o n peut presque dire qu e tout es t allé trop vite: le s manifestatio ns sanglantes d'octobre 1988, la démoc rat isat ion de 1989 avec la créatio n de partis (Je F IS est official isé par le pouvoir e n fév rie r 1989, le FFS , vieux parti ex istant dans la clande stinité depui s 1963, est reco nnu offic iel le me nt pe u après), les élections communales de j uin 1990, la grève général e du FIS e n j uin 199 1 pou r protester contre le découpage électoral. l' état d 'urgence décrété à cette occasion, l'arrestati on de s leade rs du FI S, le report des élec tions légis lati ves prévues en j uin 1990 à décembre 199 1. Cela donne le verti ge! Et loul cel a après cent trente années de colonisatio n française et tre nte an nées de règne du parti un ique sous la tutelle de l'armée! Dans ces condi tions, une « tran sition » n ' est pas évidente, el il n'est pas facile de s' entendre sur ses buts. En fa it, pour être franc, la maj orité d 'entre nous n'est pas consciente de ce qui sc joue vraiment à ce moment-là. Et j'ose prétendre que nombre d ' acteurs politiques ne le sont pas non plus. Nous en paierons le prix . Le pri x fort ... Je co nnai s de s ge ns de la mouva nce is lamique qu e je respecte beauco up, même si nous n' avons pas le même projet politiq ue. Il s pratiquent la daawa (l'appel et J'invitati on à la religion ) el essaie nt de sensibili ser sur des questi ons rel igieuses e t morales. Ceux-là SOnt croy ants et sincères. J' e n 16
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co nnai ssai s déj à dans le s années q uatre-v ing t q ui o nt é té arrêtés et to rturés, alors q u ' il s n 'étai e nt n i vio lent s ni subversifs. En revanche,je me méfie de ces jeunes qu i, dujour au lende main , se métamorphosent et imposent à tous une façon de vivre ; nombreux sont ceux qui , par embal leme nt ou par inté rê t, rejo ig nent a lors le FIS , e t qu i, s'appu yant sur une connaissance très rudimentaire du livre sacré, croient pouvoir prêcher la bonne paro le. En fai t, c' est uniq uement pour tirer parti de la situati on de l' heure. Les vrais islami stes ont eu le tort d ' anticiper : il s ont entraîné une populatio n qu i n' était pas encore organi sée pol itiquement. Ils se sont précipi tés pour conquérir le pouvoir : c'est cela que je leur reproche. Un e mpressement qui a faci li té l' infiltrat ion du parti. Des personnes dou teuses, truands o u agents de la Sécurité militaire (les services de renseignement de l'armée, le véritable cœur du pouvoir depui s l' Indépendance, que to ut le monde appelle la « S M ~', même si clIc a changé de nom c n 1990 pou r devenir la « Direction du rense ignement et de la sécurité )'), ont pu s' y introdu ire parce que tout all ait si vite ct que beaucoup étaient prêts à réclamer un Ét
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va trop loin. Les aClions du FIS sont d'ail leurs très politi sées: les vieux slogans du parti unique, du genre « Pour le peuple ct par le peuple », ont été remplacés par des formules islamiques, com me « Ni charte, ni Constitutio n, Dieu a dit, le Prophète a dit ». Parmi les sympathi sants, il y en a qui s'éri ge nt même en policiers momux, et leurs comporlements n'ont pas gmndchose à voir avec les règles de j'i slam. Certains groupes radicaux croie nt pou voir dicter leurs lois, consistant par exemple l' ordo nner le port du hidjab ou à inte rd ire les j e ux. Ainsi, à Baraki , entre 1990 et 1992, le jeu de boules et le foot sont proh ibés. Ces mêmes groupes ve ul ent imposer leur vision re stri c ti ve de l'isl am aux fidèle s de la mosquée, ce q u i provoque des bagarres entre les différentes tendances. Ces groupuscules o nt même parfoi s recours à des voyo us nOloires, qui font le Il sale boulot» pour quelques dinars. Nous e n avons co nnu un exemple: e n 1990, Blan c-B lanc, un criminel craint dans lout le qu artier, a assassiné en leur nom plusieurs policiers, cn leur éclata nt la tête à coup de fusil à canon scié (Blanc- Bl anc a é té tué à Baraki fin 1991). Par ailleurs, nous savons que ces radicaux peuvent s' attaquer aussi à des resta urants où o n sert de l'alcool et il arrive que des cl ients soient tabassés jusqu 'à l' évanouissement à leur sortie de ces locaux. Ces comportements violent s provoquent chez moi et chez d 'aulres une peur de ces groupes et une appréhension quant à leur possi bilité de s'imposer au sein de la mouvance islamiste. Même si pour le moment celle-ci n'encourage pas ces exactio ns, ne peut-clle pas être dépassée un jour par ces éléme nts radicaux ? Déjà par le passé , il y ava it e u des cas d 'agressions de la part d 'islam istes (à l'époque on ne les appe lait pas ains i) à l' un iversité, contre des fille s o u des com muni stes. Et au début des années qua tre-vi ngt, le groupe armé de Mustafa S ouyal i menait la vic dure au pouvoir dans la gmnde ban lieue d'Alger, près de chez nous, où bon nombre de gens le soutenaient (Bouya li eSI mari dans une embuscade en février 1987. à Larbaa). NoIre crai nte est de surcroît attisée par certains articles de journaux rendant compte de ce qui se passe en Afghanistan et 18
en Iran, où des islami stes imposent leu rs préceptes à tous, y compri s par la violence. Pour nous, tOUI cela se mélange et nourrit la peur que nous éprouvons par moments durant ces années de montée du FIS. Au point que nous évoquons souve nt entre nous l'idée de quiuer le pays. Cette situation est pénible mais, heureusement, les groupes rad icaux ne sont pas si nombreux. C'est vrai qu'i l y a beaucoup de jeunes frustrés, et il y li de quoi l'être après toutes ces annéesde mépris de la part du pouvoi r. C'est pourquoi, lorsque les jeunes o nt e u la possibilité d 'agir, ils nous ont montré de quoi il s étaien t capables. Durant ces quelques années, il s on t fait preuve d ' un volontarisme bénévole hors du com mun . Le bouillonnement d 'acti vités des
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Sauver ou brader la démocratie '! Au lendemain du premier tour des élections lég islatives en décembre 199 1, lout le monde est à l'écoute: il faut s' attendre à une victoire du FI S, mais laque lle? Aura-t-il une majori té re lati ve de sièges ct de vra-t-il cohabiter avec d'au tres parti s dan s u ne Assemblé e pluraliste, o u bien obtiend ra+i l une majorité abso lue qui lui permettra, à condition de s' entendre avec le président de la Républ ique, d 'en dicter la politique? Pour les sy mpath isants du FIS , la chose est acqui se: le FIS gagnera . Pour ses op posa nts, c' est la paniq ue e t beaucoup parlent de quitter le pays. Moi aussi je veux partir, mais je n' ai pas obtenu de visa. Nous craignons qu'en voulant se débarrasser de l' ancien système, le FIS n' instaure un État autoritai re. Mai s il n' y a pas que la victoire du FIS qui nou s fait crai ndre pour l' avenir: nou s ne savons pas com ment réagira l'armée. Ses responsables ont bien décrété ne plus voulo ir sc mêler de politiq ue, ma is no us nou s doutons bie n qu ' ils n 'accepteront pas une altern ance qui me ttrai t en péril leu r pouvo ir . D'ai lieurs, au moment de 1,1 grève du FIS en j uin 1991 , l' année n'étai t-e lle pas so rtie des case rne s e t n 'avai t-ell e pas. sous l'é tat d 'u rgence. tiré sur des manifestants paisibles? Pour la deuxième foi s en l'espace de q uelq ues années, les militaires o nt tué des dizaines de jeunes dans la rue , Et il s ont tout fait pour éviter une victoire du parti diabolisé (notamment en arrêtant ses principaux dirigeants quelques mois plus lôt), Mai s ce dern ier est, de par sa force populaire, imprévi sible. Même ses dirigeants ne peuvent le contrôler tout à fait (au moment dc la gucrre du Golfe, par exem ple, la directi on du FIS avait soutenu l' Arabic saoudite. q ui ,Issurait une partie de son fina ncement ; mais e lle avait été contrainte de réviser cette position parce que la base du parti é tait solid ai re avec le pe up le e t le régi me irakiens), Ce qui me révolte e n cet hiver 199 1. c'est que le pouvoir a tou t fai t pour que la compéti tion é lectorale ne se joue qu'entre deux partis, le FIS et le FLN , alors qu 'i l existe une troisième fo rce et qu ' clle veut égalemen t en découdre avec ce système moribond. Cette troisième force, ce lle des « démocrates », est, il fau t le dire, dans un état plutôt pi teux , divi sée entre ceux qui
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s'oppose nt d ' abord au pouvoir ct ceux qu i ci ble ni sunoU[ les islamistes, affiehanl un projet de soc iété « démocratique » qui se di stingue Surtout par se s sloga ns pompeux. De plus , les concepts démocratiques sont assirni lés par la majori té des élcc· leurs au modèle de vie occidental. Enfin, nous apprenons les résultats du premier tour des élec· tians: le FIS a obtenu 188 des 430 sièges du Parleme nt, C'est l'euphorie chez les sympathi sants du FI S, chez nous c'est le choc . No us ne savo ns pas ce q ui va sc passer. Très vite , à l'initiative du Rassemblement pour la culture ct la démocratie (RCD), des communistes du Parti de l' avan t·ga rde social iste (PAGS) e t de l'U nion géné rale des tra vai ll eu rs algéri e ns (UGT A), un « Comité national de sauvegarde de l'Algérie » se crée qui appelle à l'arrêt des élections pour « sauver la démo· cratie », Au FFS, le mot d'ordre est à la mobili sation des démo· crates pour le second tour afin d 'évi ter une maj orité absolue des islamistes: près de 40 % des électeurs n'ont pas voté ct il s'agit de les inciter à s'exprimer le 16 janvier 1992. C'est dans ce but que le FFS organi se une manifestation le 2 jan vier. La marche sera impressionnante. Son slogan essentiel sc résume ai nsi : « Po ur la démocratie , ni islam istes, ni militaires, » Pl us tard , ce rtain s méd ia s c t érad ica teu rs, parti sans du « tout répressif» à J'encontre des islami stes, en ont fait une marche pour l' arrêt des élections, Mai s c' est fau x: nou s voulons ces élections et surtout pas une interruption; ct nous voulons au ssi to U[ fai re pour qu e le FIS compose avec d'autres mouvemenls représentatifs, Après cou p,je me suis dit que c'était une illusion de croire 4u'i l étai t possible de sauver le pl ural isme avec cette mobili sation pour le second tour. Je pensais d 'ailleurs déjà qu ' il aurait mieux valu reporter les élections à une date ultérieure, pour avoÎr plus de tem ps de se structurer com me trois ième force . Les rangs des démocrates étaient en effet très divisés. Le FLN , l'ancien parti unique, avait du mal à s' imposer cn parti d' oppo· si l ion malgré les efforts de sa nouvelle di recti on composée de ceux qu ' on appelait les « réformateurs», ct toute la haine du peupl e se concentrai t sur lu i. Le FFS , dont je fai sais partie, étai t un parti mûr, mais malgré ses initiati ves su r le pl an natio nal il restait cantonné dans les 21
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milieux kabyles. Sans compter que sa position de parti laïc le rendait suspect pour une majorité d ' Algériennes ct Algériens, pour qui (( l aïc ~) signifie « athée ». Le RCD, né d ' une sci ssion du FFS, n' avait q uant à lui auc une ligne politique cla ire, si ce n'est son hostili té à son co ura nt d ' o rigine et à so n leade r Hocine Aït-Ahmed, ainsi qu ' une haine viscérale de l'islami sme. qui lui avait permis de devenir l'un des piliers esse ntie ls de l' idéologie de 1' « éradication ». C 'est en France que les médias lui ont octroyé une importunee qu ' il [l ' a jamai s e ue Cil Algérie, même e n Kaby lie. En ce 2janvier 1992. il ne s' agit pou rtant pas d ' atti ser les conflit s entre le RCD et le FFS, ma is plutôt de resserrer les rangs avec tous ceux qui ne veulent pas d ' une majorité absolue d ' él us du FI S . Mai s ta nd is que no us, léga li stes qu e nou s sommes, pe nson s sauve r la démocrat ie, comptant les voix et fa isa nt des pronosti cs optimi stes, dans les cou lisses, les tenant s de l'opt ion militaire préparent un plan diabolique: un scénario q ui pe rmettra aux militai re s de s' éri ge r en sau veurs de la démocratie alors qu 'en réal ité, à peine éclose , ils l'ont enterrée. Et ce la avec la bénédic tion de prétendus représenta nts d' une « société civ ile » créée pour les beso ins de la cause et d ' un Occident conditionné et manipulé par les apparei ls de propagande algérien et fra nçai s.
Janvier 1992, une illusion s'effondre
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Après le 2 jan vier, date de lIotre grande marche, c 'est le s us pense . Du moins pour moi ct mes amis. Car les sy mputhiSiliUS du FI S savourent déjà leur tri omphe: ils sont proches de la victo ire. ils son t mê me près de gagne r les deu x tie rs de l'Asse mbl ée. Pou rta nt , no us se nto ns une certaine tens ion. Personne ne sait très bien ce q ui va se passer, et le s journaux franco pho nes so nt sur le pi ed de guerre. L' anxi été mo nte et nous ig norons vraiment co mment l' armée réagira: personne n'e n doute e n effet, c' est toujours e lle qui décide en dernière instance et, en son sei n, quelques générau x. L' homme fort du moment. c' est le min istre de la Défense, Khaled Nezzar.
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Enfi n. le Il j anvie r 1992, après plus d ' une semaÎ ne d ' une attente fi évreuse. le président de la Répu blique , C had li 8 endjedid , pro no nce u n di scours où il an nonce l' inte rrupt ion du processus électoral, sa démission ct la di sso lution de l'A sse mblée. décisio n antidatée du 4 j anvier. C'est le choc 1 C ' est une chose de stoppe r les élections, c' en est une
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mosquées affiliées au parti font des morts ct des blessés. Des man ifes tations spontanées se dérou lent da ns tout le pays et assez rapidement, les vendredis, jours de la prière hebdomadaire, les a lentou rs des lieux de culte se trans fo rme nt e n champs de bataille. Les fi dè les, en sortant des mosquées, protestent en général pacifiquement contre l'arrêt des élections mai s l'armée les encercle, n'hésitant pas à ouvri r le feu. Les cadres du FIS sont traqués ct arrêtés sur leur lieu de travail , à leur domicile ou dans les locaux du parti. Ceux-c i, ainsi que les mosq uées, sont perqui si tionnés et les registres nomi natifs confisqués. cc qui permet de nouvelles arrestations . L'état d' urgence est décrété le 9 fév rier (le couvre-feu sera instauré début décembre). Mais dès janvier, à la tombée de la nu it, les rues des quart iers populaires sont désertées. Les militaires s'y déploient et traquent les passants, surtout lesjeunes homme s suspectés de sy mpathie avec le FIS du fai l de leur all ure: beaucoup de ses militants parlent en effet la barbe ct souvent le Kamis, la tunique longue que les iS];l mistes affectionnent. Toutefoi s, ils soni nombreux à défier les forces de l'ordre en se rasse mblant spontanémen t dans les quartiers, criant des slogans, lançant des projectiles, etc. On leur a volé leur victoire et person ne ne sai t encore comment la situation va évoluer. De plus, nous nous trouvons dans un vide constitutionnel. Comment le remplir? À 8araki aussi, les habi tants sont révoltés. Quotid iennement, les adeptes du FIS sc re trouvent et manifesten t. Il s se rassemblent à la ,( cité 2 004 logements» et marche nt directement vers la mairie ou la police. Généra lement, ces m anife.~ta tions sont pacifiques. Les poli ciers son t là, un peu désemparés, et finale ment c'est J'armée qui intervient en tirant en l' air pour disperser les gens. Une semaine après l' arrêt des élections, une grande manifestation se dérou le à 8arah Il y a, semble-t-il, des provocation s de l'intérieur de la man ifestation . Il paraît que des manifestants ont tiré sur les forces de l'ordre, cc qui a provoqué des tirs de leur part. Déjà en 1988 et puis en 1991, nous avions connu ce genre de situations où des agents des services secrets avaient tiré sur les forces de l'ordre à partir de voi t ures banalisées, fai sa nt c ro ire que des manifestant s vio lents visaient les forces de l'ord re. Mai s en 1992, il Y a
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certainement aussi des islamistes qui cherchent la confrontation et espèrent déclencher une révolte. Le jour même de cene man ifestation, il y au rait eu une réunion à Haouch Mihoub sous l' égide d' un homme très connu dans les cercles islamistes, appelé El-Andalous. Il aurait rassemblé ceux don t il pensait qu' i Is étaient prêts à prendre les armes et c'est ai ns i que le premier groupe s'est constitué à Baraki . (C'était un groupe hétérocl ite, sans expérience ni armes. Il a d'abord, pendan t des mois, essayé de se consolider ct de se procurer armes et caches nécessai res pour survivre dans la clandestin ité; ce n'est que plus lard qu'il est passé à l' action. Ses membres seront assez rapide ment décimés par les forces de sécurité.) La population, elle, a dès le début exprimé son refus de cautionner ce putsch: tous les jou rs, vers 23 heures, les gens sortaient su r les balcons et aux fenê tres po ur «( cogner les pilons ,} (reprenant une vieille tradition, util isée même pendant lu guerre de libération, qu i consiste à cogner le pilon dans le mortier, tous deux e n cuivre) en lançant des youyous. Cela comme nçait à un endroi t et se ré pandai t comme un feu de hrousse d'une cité à l'autre, d'un quartier à un autre, embra.~ant toute la zone. C'était à la fois impression nant et effrayant. Puis les mil itaires débarqua ient et tiraien t e n direct ion des halcons et des fenêt res aux persiennes closes; ils arrêtaient à chaque fois beaucoup de jeunes. Des jours durant, nous avons suhi ces irruptions mu sclées. Fin janvier, Abdelkader Hachani , le leader du FIS, est arrêté. Il ,Iva it appelé les soldats à ne pas tirer sur la popu lation civi lc ct o n en a fait un appel 11 l'i nsubordination, prétexte pour l' arrêter (il restera près de cinq ans en prison avant d'êtrcjugé ct condamné). Et puis tou t va très vite . L'état d'except ion est décrété, les eamps dans le Sud sont ouverts et les mil itants du I;IS arrêtés y so nt envoyés par mill iers. Tous les cadres sont menacés et un grand nombre est tout de suite emprison né. Le FIS se retrouve sans direction et éclate dans tous les sens. On .~ent yue les sympathisants du FIS sont de plus en plus désemparés. Les protestations continuentlous les vendredis, mai s la répression est de plus en plus sévère. Le 4 mars, le F IS est interdi t, ses locaux à Alger et dans les autres vil les fermés . En avril , les assemblées communales et des wil ayas à majorité FIS 25
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so nt di sso utes ct remplacées par des fo nct ion na ires d ' Éta t dés ignés. À Ko uba c t Baraki, des di spos iti fs policiers s'i nstallent
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du rablement. Les mi litaires investissent ]' ENEMA (Entreprise nationale de météorologie, qui travai Ile avec A ir Algérie) qui sc trouve su r la route de Si di-M oussa, un peu après Haouch Mi houb e n directi on de Baraki. Il s y aménage nt un barrage permanent et arrête nt les personnes suspectes qu i porte nt une
barbe ou un kamis, co ntrôle nt les papiers d'ide ntité, ctc. Ce barrage sera la seule présence mi [itaire suivie dans les environs de Be ntalha j usq u' à l' insta llation du poste avancé en 1996. Pe ndan t IOUle s ces an nées. les mil itaires fero m des barrages mobiles à divers endroi ts mais, dès la nuit tombée, ils se terreront dans leurs casernes. La nuit, nous serons livrés à l' arbi tra ire. Pourtant nous no us tro uvons dans la première région mi litai re, o ù sont présents des di za ines de milliers de soldats. Après l'i nte rrupti o n du process us é lec toral, je cont inue d'aller à la section du FFS. Les militants de Baraki commencent à recevoir les premières menaces. Ils sont encore protégés parce que le siège sc trouve e n face du commissariat, mais il se ra bi e ntôt fe rmé. Entre fin 1992 e t 1995 , nou s ne nous sommes plus regroupés pou r discuter. Nos renco ntres entre anciens mil itants d u FFS ne reprendro nt q ue fi n 1995 . Des comm erça nt s sy mpathi sants du Re D se ro nt vict imes d'allentats, ceux du FFS nOIl. Pour ma pari, je n' ai pas repris d' activité politique par la suite.
Bentalha, un village en marge de la capilale , 1
Début 1992,j'habite encore Sarah dans la cité 2 004 logements, avec ma mère et mes frè res. Depuis 1987 ,j' ava is un terrai n à Bentalha qu 'on m'avait alloué gratuitement parce que je travai llais pour la mai rie (j'exerçais la fo nction de responsable technique dans l'Entrepri se commun ale de trava ux de Baraki). J'avais commencé à construire le t c• j anvier 1988 ct to us mes voi sin s avai e nt fa il de même . Bentalh a, bourgade situ ée à enviro n seize kil o mè tres d ' Al ger, fai t part ie de la co mmune de Bara ki et e n e st un pro lo ngement. Dura nt la 26
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période colonia le, Saraki éta it un vi ll age agricole typi que . construit autour d ' une place centrale bordée d'arbres, avec son çaféet sa mairie. Pl us tard a été érigée la cité de Diarel- Bamka, don t les habi tants devaie nt être rel ogés à Benlal ha, tant cl Ic était devenue vétuste et exiguë. Baraki a depui s longte mps perd u son ca ractè re villageois po ur resse mbler à un e ban lie ue de cap ital e. Il y a bie n des vergers et une mu ltitude de mai sons individuelles , mais de pl us cn plus de cités ont été construites pour subvenir aux besoins croissants d' une métropole grandissante. No us nous tro uvons dans la région la pl us fertile d' Algérie, la fa meuse plaine de la Mi tidja (durant l'occupation fra nçaise, Bentalha était composé de quel ques fermes coloniale s a u milieu des ve rge rs ct de gourbis où logeaient les o uvriers agricoles algériens. pour la plup art kabyl e s). Da ns le s années so ixante-dix a é té ço mmencée III constructio n de lotissements q u'on appe ll era plus tard l' II ancien Bentalha ». À part ir de 1986, une parti e de Ill" cité 200 logements se ra aménagée pour héberger des habitants expulsés d' EI-Harrach . 1] y a beauco up de Kaby les tant à Baraki q u' à Be l1talha o ù il s o nt leurs propres quartiers, comme d'ai lleurs auss i les Djidjeliens et les Séti fie ns arrivés dans les an nées suivantes. La densité de popul ation augmentant à Bamki, les no uveaux lot isse me nts de Be nt alha, notammen t Haï e l-Dji lali où se trouve mon terrain, deva ie nt être attri bués e n pri orité à se s habita nts. Toutefois, comme l'octroi des terres se fait surtout selon des critères de cli entélisme, près de 20 % des terrain s o nt élio! attribués à des mili taires et de s poli ciers don t certains ne résidaient pas à BlIraki. Avec les appuis nécessaires, ils obtenaient même deux ou trois terrain s. En fai l, ils ne pré voyaient pas toujours d'y construire et d'y habi ter, mais c 'étaie nt des ohjets de spécul ation: ils avaien t to ut à y gagner pu isqu'il s ava ient obten u ces parcelles gratuitement: III condi tion pour Ics conserver était de construire les fondations d' une bâti sse avant un an. Les délég ués communaux du FI S avaient en leur temps gelé les attribu ti ons de terrains et les perm is de construire. parce qu ' il s considéraient qu' il y avai t des manipu lat ions multiples el que les fami lles véritable ment nécessiteuses n' avaie nt rien >}
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la $o{f' guerre (lU quO/idieu
obtenu . Effective ment, ceux à qui avaient été concédées des terres avant 1990, c'est -à-dire avant les élections communales, ava Îent tous des relations avec le maire, les élus, le responsable mil itaire local, le commissai re de police ou le responsab le d u parti unique. C'était la pagaill e à cette époque et il n'é tait pas rare que le même terrai n so it attribué à plu sieu rs perso nne s. D'a ill eurs,j'a i moi -même connu ce problè me: alors que j'avais com mencé à creuser le sol pour préparer les fondations de ma maison. le secrétaire général de l' admin istration communa le me téléphona pour me préven ir que mon terrain avait été attri bué à quelqu ' un d 'au tre el qu'il prévoyait un autre lot pour moL Je refusai catégoriquemen t et il arriva final ement à régler le problème. Assez vite. les élus municipaux du FIS ont renoué avec ces prat iques: pour moti ver leurs mil itant(e)s, ils ont autorisé la construction de baraques en parpaings d'une manière anarch iqu e, avec promesse de régul arisation. Des cen taines de petites maisons o nt ainsi vu le jo ur, à Baraki ct ailleurs. Depu is que je construis, je passe mon temps entre Baraki et Bentalha - Baraki est le lieu de mes liens fam iliaux et sociaux et de mon activ isme politique, Ben talha, c'est là que va sc jouer notre aven ir. Je n'en suis pas très satisfait el tous les am is me demandent pourquoi je suis allé me terrer dans ce trou perdu , mai s il nou s fa llait bien un logement après le mari age de mes frères. Nous emménageons à Bentalha en avrÎI -mai 1992, trois mois après l'arrêt des élec ti ons, avec nos deux enfa nts - notre aînée est née en 1986 et le cadet e n 1990; la troisième verra le jour en 1995. En empruntant la rou te départementale de Baraki à SidiMoussa, Bental ha est situé à droite. Le vi llage est partagé en deux par une route que nous appelons le « grand boulevard » (voir la carte, p. 304-305). Il débouche à l'ouest sur le grand oued. À droite du bou levard en venant de la route sc trouvent une école. le centre de santé, le stade, ulle deux ième école, le q uart ier des Kabyles e t la ci té des 200 logements; du côté gauche, on passe devant le col lège, le quartier des Djidjéliens. celui des Sétifiens, la mosq uée, pui s Haï-Boudoumi , la pépinière, et l'emplacement où en 1996 sera construite la cité des préfabriqués . Là. se trouve le rond-poin t avec la station de bus
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ct un kiosque. Le petit oued qu 'on traverse à cet endroi t est remblayé. Fi nalemenl. ell continuant vers l' ouest, sc trou ve sur la gauche Haï e l-Djilali , qui est séparé en deux par une ru e tran sversale. Le carrefour entre cette rue et le grand boulevard est désigné par le « centre ,} de Haï el-Dj ilali. Dans la seconde purtie du quartie r. se trouve une sa lle de prière. Au sud des loti ssement s, des vergers s'étendent sur six kilomètres, tandi s qu 'au nord -o uest est localisé. au-delà du li t du grand oued, B
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III sale guerre
A J'entrée de Bentalha, se situe la zone industrielle appelée El -Ham ma. Des arti sans. commerçants ct petits industrie ls s'y so nt installés après avoir été obligés de quitter le ur quart ie r d 'orig ine de Belcoun, au centre d ' Alger. Il y a vair là un menui sier, un tourneur, un frai seur, des petites usines, notamment de confection de textiles, et des commerces, dont un supermarché qu i servira plus tard aux militaires de poste avancé. A partir de 1994. la zone industrielle sera désertée pendant plus d'un an . Bentalha est un quartier très hétéroclite. Les habitams sont originaires de régions différentes. Si certains ont des attaches à Sarah d'autres sont de Oued Semmar. des Eucalyptus ou de régions plus lointaines. Nous sommes réservés les uns vis~ à~v i s de s autres, s urto ut en ces temp s d 'i nsécuri té et de méfiance générali sée. Des liens ne se ti sseront que lentement, quand certains fe ront venir des voisi ns ou parent:; des villages d' origine. Mais cela ne se passera qu ' à partir de 1996. Dans la douleur. A cette époque, les fam ill es à Haï e l~Dji l a li sont jeunes. Bea uco up de parents ont la qua rantaine el il y a peu de personnes âgées. Les ado lescents ne se sente nt pas à l' aise parce qu'i ls n'y ont pas grandi et quc tous le urs amis sonl restés dans les quartiers d'origine. Généralcmcnl, ils n'y passent que la nuit et pendant la journée, s'il s ne vont pas au travai l, ils traî~ nent à Baraki ou ailleurs. Pourtant , par la force des choses, même les jeu nes sero nt contraints de rcster dans le quartier, puisque lOul déplacement deviendra très risqué. Une majorité d'habitants de nos quartie rs sont des sy mpathisants du FI S. Mai s ce ne son t pas des militants et il n' y a presq ue pa s d'hommes de Haï el ~ Djilali qui iront au maquis.
Démocratie usurpée ou sauvée '! Mais reveno ns au début de 1992. On nous a usurpé notre démocratie naissante e n no us répétant tout au long des articles de jou rnaux que cc coup d'État était nécessaire pour sau ver la démocratie. En fai t, ma position pendant la période prééleeto~ raie était très ambiguë: je plaidais pour les élections avec la
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le grand rél'" de {a déll/rx:ral;e
parti cipation du FIS , mais je ne le considérais pas comme un parti démocratique. Je soutenais qu'une victoire du FIS nous aurait menés vcrs une dictature , même si exista ient en son sein une te ndance modérée et des gens raisonnables. Mais la base, surtout là où je vis, ces jeunes mécon tents et avides de justice, n'ont pas suivi les mots d'ordre pacifiques. En réalité, on ne peU l le ur en vouloir. Nous n' avons jamais eu droit à la parti cipation politique et pour une foi s qu'on nous a au torisés à décider de notre uvenir , no us ne nous som mes, e n défin itive , pas si mal débrouillés. Que le FIS a it remporté ces é lecti ons n'est pas seulement une conséquence de son im portance, tou t à fa it réelle, mais aussi d'un concours de circonstances . 11 ne faut pas oubli er qu 'en définitive seulement trois millions d 'é lec teu rs .~ ur treize ont opté pour ce pani , ce qui n' est tout de même pas le « raz~dc~marée » dont on nous a rebattu les oreilles. Mais en cc début janvier 1992, no us sommes tous victi mes d ' une sanction militaire sous prétexte que « le peuple a fa it un mauva is l'hoix ». Une fois le choc passé, je s uis partagé. Je ne su is pas satisfuit de ce putsch, mais je ne peux nier qu' il a une dimens io n rass urante . Je croi s encore fo rte me nt qu'une coalition de démocrates peut tenir tête au FIS. En effet , je pen se comme hcaucoup d'autres « démoc rates » qu 'en se rasse mblant o n peut éviter une prise de pouvoir du FIS. Un point de vue doublement naïf. parce que nous raisonnons encore en termes de menace (du FIS) à co ntenir et voul ons croire à une armée « ré publi ca ine », a lo rs q u 'e n réalité les dés sont jetés et l'armée a bel et bien pris le pouvoir par la force pour s'y main ~ tcnir. À ma décharge, je dois dire qu 'à l'époque je ne pouvais antic iper ce qui allait se passer dans les mois et les années sui van ts ni prévoi r la déri ve de certains « démocrates » . Je dois avouer que, au début, je ne suis pas contre les camps dc concen tration . Je pense qu'on veut prov isoi re ment interner les plus violents militant s du FIS pour cal mer l' atmosphère et [las plus. Nous savons que certains d'entre eux se sont organis!!s pour prendre les armes ct que d ' autres suivront tant que les militaire s Ics traqueront. Et je crain s la confron tation
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cette immense injustice qui frappe mes ennemÎs politiques; el d'autre part, il y a ceux qui me sont politiquement ou culture llement plus proches qui défendenl celte injustice. Comme ces journaux qui soutiennent le bien-fondé de cette mesure anticonstitutionnelle, ou tous ces« démocrates)) qui ne sont pas mécontents de ce coup d'État qui ne dit pas son nom, ou encore un Boudiaf, imposant et impressionnant, qui promet de faire rétablir l'ordre et la démocratie. Et puis, il ne fa ut pas oubl ier ces militants du FIS qui par le passé avaient menacé de changer tant de choses, jusqu'aux tenues vestimentaires. Ce la avait que lque chose d'effrayant. Qu'on les contra igne à ne pas dépasser certaines limites ne m'est pa s désagréable. Sincèremenl , Les cadres du FIS étant internés ou contrainls à l' exil, les sympathi san ts sont livrés à eux-mêmes. Après avoir arrêté les responsables nationaux (Abdelkader Hachani, Al i Djeddi , Abdelkader Boukhamkham, etc.), ce sont les élus du premier tour des é leclions interrompues et les responsables admi ni stratifs locaux qui sont visés. Avec le recul , on peut s'éto nner que le parti ne se soit pas préparé à ce ge nre de coup ni n'ait pris certaines dispositions pour garantir la sécur ité de ses responsables ct militants. Il est incontestable que des groupes proches du FIS ou peut-être même au sein du FIS, ayant vécu la répression de la grève en juin 1991 et le report des élections comme une trahison, avaient déjà prévu la clandestinité avanl l'arrêt du processus, et décidé de ne plu s jouer le j eu de la démocratie parlementaire. Mais le gros des troupes vou lait un changement pacifique et je crois qu ' une bonne partie a vra iment voté pour le FIS d 'abord pour se débarrasser de l'ancien système incarné par le FLN, Il faut le dire, Boudiaf n' est pas apprécié de la populati on de nos quartiers. Il est en effet le symbole de l'interdiction du FIS et de l'ouverture des camps de concenrration. Déjà, on entend parler de torture s. Je me di s qu'il s'agit certaine men t de personnes qui ont commi s quelques délits ct surtout d' exagérations de la part des sympathi sants du FIS. Je n'y attache pas trop d'importance. Mais peu à peu, j' apprends qu'il y a des victimes ~ don t des jeunes que je connais - qu i meu ren t sous les sévices et qu'on enterre anonymement. Le gérant du foyer 32
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sportif du cl ub de Baraki, un gars très sérieux, sympathisant du FIS , est ain si arrêté en 1993 et meurt sous la tortu re . Il est enterré sans que la famille en soi t informée. Cela m'a révolté . Ce n'est pas le premier décès, mais c'est la première victime que je conna is personne llement et que j'appréciais beaucoup. Pour mes voisins à Bentalha et Baraki, le tag}wtlt (le tyran, nom générique désignant les ~(déc id e urs» de J'armée) s'est sl!rvi de BoudiaC qui s'est laissé instrumentaliser en cautionnant le putsch et la répression qui a suiv i, Son assassinat en juin 1992, six mois après son in vestiture, ne suscite aucune protestation ni tristesse dans nos quartiers. Au contraire, le s gens sont satisfaits. D'autant plus que les médias présen tent l'assassin com me un islamiste, Ce n' est que plus tard que les questions se poseront sur les véritables commanditaires. Pour ma part , j'ai mal pris la chose: c'est comme si la bouée de .~
avec les habitants, ils Icur donnent tout au plus des ordres. Toul le monde doi t rester chez soi jusqu'à ce qu ' il s débarquent dans les maisons. Il s ex igent le li vret de famille, demandent les
noms des personnes présentes, fouillent IOUles les pièces et
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L'engrenage se met en place
Lu chasse au « barbu» Très vite, les arrestations el les emprisonnements touc hent la population entière. s urtout dans ce qu 'on appe lle les« quar~ tiers chauds », ceux qui ont voté majoritairement pour le FIS . La répression s'abat s ur nous et notre quartier, au même titre que s ur tout l' Algérois. La salle de prière est détruite au bull~ dozer par les militaires qui arrêtent des dizai nes de jeunes et moi ns jeunes, dont l' imam , transférés e n prison ou dans les camps de conct!ntration dans le Sahara. C'est J'occasion pour certains pol iciers et mi litai res de se venger s ur les jeunes qu i avaien t montré leur force cn octobre 1988. A Haï el~Dj il a li , je n 'assiste pas aux premiers ratissages pilrce que je n'y habite pas enco re. Mai s à Baraki ,je vo is comment tout un quart ier peut êt re bloqué par les forces de séc uri té - souvent «combinées» : policiers, gendarmes ct militaiœs - , qui arrêtent les suspects su r la base de listes de nom s et d 'adresses, Il s arrivent généralement à 3 ou 4 heures du matin et encerclent le quartier. La chasse à l' homme qui su it a que lque chose d'épouvantable : on se lève le malin pour sortir et les milit aires nous somment de rentrer. Il s ne parlent pas
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repartent , non sans avoir délesté les habitants des bijoux et de l' argent qui leur tombent sous la main . Toules les maisons y passent. Ils arrêlenllcs suspects, nul ne peut aller au lravail ou à récole ct les commerces restent fermé s. C'est l'état de siège pour toute une journée. Dès la to mbée de la nuit. nous nous dépêchons de rentrer à la mai son. Les militaires peuvent surgir de façon imprévue, en nous ins ultant Cl tirant en l'air. Parfois. des perso nnes qui s'attardent dans les rues sont lOuchées. Un jour, à Baraki, je me promène dehors avec ma fille quand les militaires arrivent. Un ami me dit: « Fais vite, rentre. » Je lui réponds: «( Oui ,j'arrive, mai s il n'y a pas le feu, ils ne me font pas peur ces miliwires,» Et tout d'un coup, les voilà qui tirent sur les retardataires. Je plonge par terre, entraî nant ma fill e. À ~elle occas ion, d~ux person nes sont tuées et une est blessée. A Bentalha, ils v l en~ neTlt de manière très irrégulière, parfois pour arrêter quelqu'un de précis ou bien ilsquadrillcnt le quartier en tirant en j':\Îr. Ils exigent qu'on éteigne la lum ière ou q u'on ferme les volets. C ' est une sit uati on dangereuse, ma is pour nous, à Benta lha, elle reste prévisible parce que le village est situé à une certaine distance de la route départementale et nous voyons arriver les camions de loin . Les force s de séc urité, en fait . te ntent de préve nir IOUle contesta tion e n réprima nt to ut de s uite le plu s durement possible. Il s'agit de contenir les protestations en un court laps de temps, en se débarrassant de l'encadrement du parti et en maîtrisant rapidement le mouvement . En règle géné rale. les mil itan ts du FIS épargnés n'optent pas systématiquement pour la luue armée, mai s plutôt pou r l'expectative et la résistance pass ive. Mais cette persécutio n disproportionnée en pousse certains, surtout les plus jeunes, à prendre les armes contre les militaires. Malgré les co ups brutaux lors des ratissages, de s barrages et des arrestations ciblées. nous sentons d urant k s premiers mois que les forces de sécu rité ne sont pas tout à fa it à la hauteur de ce genre de situat ion. Les force s spéciali sées dans 35
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la lutte contre le terrori sme ne feront leur appariti on qu 'e n 1993. Quand les militaires viennent dans les q uartiers popu lai res, réputés fiefs du FIS, il s se donnent du courage en tiraru en l'a ir ct les balles « perdues» ont fait de nom bre uses vIctimes. Malgré le péri l, je n' ai pas peur. Il Ya évidemment des situations où je crai ns les forces de répress ion, mai s ce n'est pas cette angoi sse insidieuse cl profonde qui nous ass iégera plus tard et ne nous quittera plus pendan t de lo ngues années, au point de devenir une d ime nsion de notre personnalité. Durant l'année 1992, la répression a un caractère arbitraire, mai s elle me semble tout de même ciblée, ou du moins j'ai l'impression de pouvoir la cerner ct les menaces des islamistes sont rares. Au mOlllent de l'arrêt des élections, je su is à Baraki et les ran es policières sont quasi quotidiennes. Je me souviens d'un épisode q ui après coup nous a fait rire. Lors d ' une de ces descentes, un voisin q ui a fu i de chez lui se cac he dans noIre immeuble. II a très peur de sc faire repérer parce qu 'i 1porte unc grosse barbe et en ces temps qui courent porter une barbe est suspect. Je lui dis de ven ir chez moi. Il refuse d' abord pour ne pas me causer de problèmes . J'in siste en lui conseillant de raser sa barbe sur-le-champ. 1J fini t par me suivre,je lui donne du savon, une lame de rasoir et, en un rien de temps, il s'en débarrasse. Dans le malheur qui le frappe, je ne peux m'empêcher de rire car Sa peau fraîche mcnt rasée est si blanche qu ' il sc trahit encore une fois! Il me rendra bien plus tard, après le massacre de 1997, un grand se rvice, e n m'emme nant à Bentalha avec son taxi alors que personne ne s'y aven turai!. Entre avril et mai 1992, nou s e mmé nageo ns donc à Haï el-Djilali. dans Benwlha. Les forces de l'ordre ont déjà fait le premier « nettoyage» el beaucoup de ceux qui sont fi chés ou conn us comme acti vistes ou sym pathi sants du FIS on t é té embarqués. J'a i des di scussions très ani mées avec les rare s voisins qui me parlent. E ux sou ti enne nt les islamiste s et conda mne nt les pratique s po lici ères, moi, je p laid e pou r Boudiaf et m'efforce de les ju stifier. Ce n'es t pas toujours facile à gérer parce que je su is l' un des rares habitants de Haï e l-Djilali à penser ainsi. Dans les premières années, je suis assez marginalisé. 36
La vie de quartier Baraki a un caractère citadin et regroupe des gens d 'origines soc iales et politiques différentes. Cc brassage faÎt que j'y ai trouvé des amis ayant les mêmes affinités I?Olitiques. Bentalha et surtout Haï el-Djilali, c'est autre chose. A celle époque-là, il n'y a ni infrastructu res, ni endroit où se rencontrer, si ce n'cst la rue . Do nc, com ment se rapprocher et sc con naître pour se débarrasser des préj ugés, de plus dans un climat de peur et de suspicion? Les autres vois ins se sont souvent CÔlOyés depuis un certain tem ps et surtou t sont du même bord polit ique. Ma vic se di stingue en tout de la leur. J'écoute de la musique occidentale, je ne vais pas à la mosquée, ne fais pas le Ramadan . Mal gré cela, je sy mpathi se avec quelques-un!'> de nos voi~ins, d'abord avec les plus directs, M' hamed et sa femme Saluua, avec qui no us partageons la même terrasse. Lui est infirmier et se co mporte de manière assez autoritaire vis-à - vis de sa femme. Il ne l' autori se pas à sortir, de peur qu ' cl ic ne rencon tre les jeunes du quartier. Elle est encore jeu ne, parce qu ' elle s'est mariée très tôt. Ils o nt qualre enfants. Ses se ul s cont;JCIS dans le quartier, ce sont ma femme et Nassia, qui nous a beaucoup aidés dans nos débuts. Nous avons mis plus d ' un an pour nous installer dé finitive ment ct à celle époque le lo tisse ment est b ien habité . Nous n 'avo ns ni c au couran te, ni évac uat ion de s eaux usées. J ' aménage moi - même les insta llati ons, mai s pour l'eau potable, j'ai fait une demande à la mairic et il faut pa tienter. Nassia nous permet de nous approvis ionner e n eau chez elle pendan t presque deux mois. Elle vit seule avec ses six enfants dans une petite maison de trois pièces, toul près de chez nous. Elle n' a pu la constru ire qu ' en con tractant des empru nts à la banque. N'aya nt que très peu d 'arge nt , clic doit fa ire trois boulots pour joindre les deux bouts. Il y a aussi Messaoud, qui est origi na ire de Bentalha. 11 est menuisier. Nous nous sommes li és d'amitié au til de s ans. Il connaît bien l'endroit et il m'expliquera beaucoup de choses. Mohamed Brahimi. dit « Tourdo», lui , est co mmerça nt et assez aisé . Il sy mpiuhi se avec le FIS et aura des prob lè mes avec la justice quand un groupe armé volera sa voitu re. Il fcra
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" même de la pri so n. Lui aussi connaît bien le coin et, avec Me ss aoud, il m ' introduit auprès des aut res hab itants. Au début, il ne m ' apprécie pa s du tout , il me prend pour un communiste, mai s plus tard il me soutiendra, surtout auprès des mi licicns qui le respectent. Aïtar tra vaill e au siège de r APC (Assem blée popu laire co m munale) comme tâc heron: il construit le s dal les à Bental ha. 1I est originaire de la région de Djidjel et a de grands enfants. Je m' entends aussi très bien avec Mustapha ( Djaro », un cousin d' Anar. /1 est informaticien et s'absentera longtemps de Bentalha il partir de 1995, pour préparer un DEA en France. Il enseigne à l'Institut des postes et télécommunications, situé dans te quartier des Euca lyptus. Arezki Farès, tui , est de ta ci lé « Climat de France » , à Alger. La famille de sa femme est origi naire de Bab-el-Oued, et SOli beau-frère habite Bar .. ki. Il Ile sympathise pa s avec le FIS ; ct il connaît un com mi ss aire respo nsable de PCO (Poste de commandement opérationnel de la police), qui l'informe régul ièrement de ce qUI se passe. Donc peu 11 peu, nous no us rapprochons des voisin s. C'est surtout ma femme qui s'est bien adaptée au quartier en se ]jalll d'am it ié avec les voisines directes: Nassia, Salima, la femmc de Chouch, la femme de Mou ssa. Dans les premiers temps, les femmes se rencontrent au centre de santé ou bien sc rendent visite chez l'une ou l'autre. Plus tard. elles sortiront de moi ns en moins. En fa it, les femmes sont parmi les premières à subir les retombées de la cri se ct de la situation sécuritaire. Dès les premières menaces. leurs contacts sociaux en pâtissent énormément. Les visites en famille , qui sont d ' une grande importance pour elle s. di minuent considérab lement. Ce n ' est que plus tard, à partir de 1996, que les sorties en famille ct même les fêtes reprendront, parce que, décidément. on s' habitue à tout. La confrontatio n idéologiq ue se man ifeste j usqu ' au sein des familles ou entre fami Iles qui traditionnell ement sont très liées. Dans l' une. il y a un militaire ou un fon ctionnaire. dans j' autre. un is lam iste. Les con nit s idéo logiques louchent même les femmes qui habi tuellement n 'étaient pas intéressées par la polit ique , ct celles qui se retrouvent et se regroupent partagent
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les mêmes positions. Elles di scutent beaucoup de politique au cours de cette période. Salima Lachani , notre vois ine, par exemple, ne sort jamai s mai s sa it tout sur ce qui se passe à Alger e t dans la région. Son mari M' hamed a des parents membres des services de sécurité qui le s informent ré&,.ulièremenl. A cette époque, je travaille comme entreprene ur da ns le bâtiment pour une grande société qui réali se près de 90 % de ses projets avec les mil itaires. Les an nées 1992 et 1993 sont les années des contrats avec les services de sécurité . Tous veulent fai re fortifier leu rs bâtiments et prévoient des mu rs de clôture. C'est l'occasion pour moi de me faire une idée des déve loppe· men ts sur le terrain parce que j'ai de nombreux c hantie rs il superviser dan s toute la région, notamment dans la commune de Meftah où nous constru isons le siège de la commune, une éco le de douze classes et entretenons un chan tier dun s une caserne au-dessus du sarmlorium où s'i nstalleront plus tnrd des commundos spéciaux . Nous n'y resterons pas lon gtemps parce qu ' en fai t notre présence dérange les mi 1itaires. Avcc le te mps. travailler avec les mi litaires deviendra de plus e n plus d.mgereux et il faudra prendre loute une série de précautions. À partir de tu fin 1993 , des civil s qui travaillent pour l' armée sont assassinés. Je reço is les premières menaces en 1994 sou s forme d ' une lettre dans laquelle on ex ige une certaine somme d'argent. La deuxième leure est une menace de mort. Je quitte le chantier où je travaille à ce moment- là. Les menaces se font . plus nombreuse s sur nQ[re entreprise et nous sommes meme contraints d' interrompre quelques chantiers et de licencier des o uvrie rs. Parfois, on nous impose de travaille r malg ré les menaces et le fa it de ne pas se présenter est considéré comme un abandon de poste. J'ai réuss i à garder certains ouvriers en les plaçant ailleu rs. notam ment dans la grande caserne de la SM à Rcghaïa et à Boudouaou, bien plu s tard ,I uss i il EI-Harrach.
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,. la Jalt' guerre ou quotidiell
L'apparition des groupes armés
prières dans un lieu de cu lte devient suspect. Les hommes qui, à ce moment-là, sont décidés à résister, sont ceux qui prendrontles ilrmes peu après. Dans notre coin. il s sont originai res de Bamki et de la eité 200 logements à Bentalha, alors que les habitants de Haï el-Djilal i sont plu s réticents et distants. Personnellement, je Ile suis pas très introd ui t dans les milieux is lamistes et, ceux qui optent pour une activité clandestine se faisant plus ou moins discrets, je ne sais pas qui est organisé en groupe. Je sa is que des mil itants du FIS rejoignent le maqu is tand is que d'autres s'organisent loca lement. Le s groupes locaux ne font pas encore d'attentats et, dans leur grande majorité. il s so nt encore dans la légalité, ell phase de constitution et de préparation. Dès l'arrêt des élections ct l'interdiction du FIS, des slogans font leur apparition su r les murs. Dans la nuit, des jeunes expriment leur opposit ion au régi me militaire à coups de, versets comniques, de sloga ns de glorification du pani et de l'Etat islamiques, etc. Les mili tai res n'osent pas sort ir de leurs postes dans l'obscurité mais prennent leur revanche le lendemain en arrêtant tous ceux qui leur tombent sous la main. Souvent, ce sOlllles gendarmes qui investissent les maisons sur lesquelles ont été faites les inscriptions et obligent Ics habitants à révéler les noms des auteurs. Lors de ces interrogatoircs, les militaires sont présents. À Bentalha, à plusieurs reprises, des arrestations de ce genre ont eu li eu. Généralement, les suspects sont embarqués au poste, passent un mauva is quart d'heure et sont relâchés. C'est de l'intimidation. Mais parfois, cela ne sc passe pas de cette façon. Je connais un enfant de quatorze ans, très évei llé, habitant Baraki. Son père, militant du FIS, avait hébergé des membres d'un groupe armé. L'enfant est arrêté et torturé par les gendarmes de Baraki : ils lu i fracturent le bras et cognent sa tête avec une planche fichée d'u n clou. Ils lui ont fait un trou dans le crâne ... Il a été relâché parce que mineu r. Je ne sais pas ce gu 'i l est devenu. Vers la lin de l'année 1992 mais surtout en 1993, des tracts accrochés aux murs font leur apparition. Ils sont signés par des groupes armés. Il y est fait état de leurs exploits : il s'agi t surtout d'attentats contre des poli ciers, militaires, casernes ou brigades pour récupérer des armes. Apparaissent aussi des
Pourquoi n'y a- t-il pas e u de révolte populaire dès 1992? Est-ce le souveni r encore douloureux de la répressio n d'octobre 1988 qui a coûté la vie à plus de cinq cents jeunes? Est-ce le déploiement mi 1itaire qui fait redouter le pi re ? Est-ce parce que finalement les gens ne sont pas à ce point conva incus du rôle du FIS qu'i ls soient prêts à mourir pour le parti ou bien pour la démocratie? Certai ns,je J' ai dit, font cependant le choix de la lutte armée. Manifestement, il y a des groupes armés qui sc forme nt très tôt, certains même avant le put.,ch. Je suis persuadé qu'i ls ne sont pas très nombreux. sans quoi ils aura ient pu frap per fort. Si l'opposition armée avait été efficiente, elle aurait peut-être pu meure e n péril cc régime affaibli. On raco nte que certa in s généraux avaie nt déjà préparé le urs vali ses! Les groupes armés déjà consti tués ou qui s'organisent dès le déclenchement de la répression disposent d ' une forte crédi bilité au sei n de la mouvance islamiste. Le MIA (Mouvement islamique armé) s'est reconstitué au début des années quatre-vingt-dix après avoir été démantelé e n 1987. Les sympath isanb islami stes ont beaucoup de respect pour ce groupe qui tire cn partie sa légiti mité d'une longue expérience de lutte armée. De su rcroît, son che f, Chebout i. un ancicn militaire, est très apprécié. Beaucoup de jeunes victimes des services de sécurité décident de rejoindre ses hommes, mais certains crée ront aussi leurs propres formations sans allégeance précise, du moins dans les . . premiers mOIs. Dans le quartier, on connaît les militants du FIS et o n ne les craint pas. Ceux qui Ollt échappé aux vagues d'arrestations continuent de vivre parmi nous, travaillent, jouent au foot et essaient de ne pas se faire repérer. Mê me durant les années 1992 et 1993, certains co ntinue nt de porter barbe et kamis. Dans les Illois qui suivent le coup d'Étal des militaires. il y ade grandes discussions entre les plus politisés. Il y a ceux qu i plaident pour J'action et d 'autres qui se retirent et ne vont même plu s dans les mosquées auparavant contrô lées par les militants de FIS. Parfois, ils reno ncent même à aller tou t simpl ement à la mosquée, parce que, de plus en plus, faire ses
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trac ts recommandant de ne pa s regarder la télé . de ne pas fumer. de porler le hidjab, de ne pas aller dans les comm issariats, etc. Ce ne SOnt pas encore des interdits et il n'y a aucune menace de sanction . C'est à partir de cene date que j'entends concrètement parler de groupes armés. Mll is dans notre région, les groupes locllux ne sont pas encore vraiment actifs. De temps e n temps. a lieu un ca mbrio lage sans q ue nous sachi o ns si c'es t le fait des groupes o u de poli ciers. Il faut dire que. dans cette situation d 'i nséc urité e t d 'imp uni té accrues, les forces de sécu rité se permettent toutes sortes de crimes. Il s s' adonnent sans sc rupule au vol et au racke t, sachant très bie n qu ' il s nc seront pas pourSUIvI S. À Baraki et donc aussi à Bentalha, les mi litants du FIS cont inuent de se rencontrer pour échanger ct consolider de s réseaux de soutien aux fam ill es des victimes de la répression de l'État. Il s se me uve nt co mme dc s po isso ns dan s l' ea u et peuvent compter s ur Je soutien matériel et moral de la population. Les commerçants le ur fon t des dons très gé néreux et les groupes n'ont pas besoi n de les racketter. (Ce la changera lorsque la composition des groupes sc transformera et que des hommcs plus je u nes et mo ins connu s prendront la relève ; ce ux -là feront press ion pour soutirer des fonds aux commerçants .) C'est de l'argent qu i sera desti né notamment au soutien des fami ll es nécess iteuses et à l'ach at d'armes. Le libraire de Baraki par exemple ne s'en cache pas- il clame partout : ~( Un jour, no us aurons le pouvoir! » - et il fera un an de prison pour soutien aux groupes armés. La plupart des aUires donateurs sont plus discrets. Dans les années 1992 et une partie de 1993, les groupes ne sont pas contre la popu lation. Leurs membres sont connus, ce son t souvent des ho mmes pieux e t résolu s qu i o rgan ise nt la résistance. Ils combattent les forces de l'ordre et le système répressif, mai s c'est encore une vio lence calculée et ciblée. Ce n'es t que peu à peu que leurs co mposantes et leur caractère vont changer. Avec une répression devenan t de plus en plus féroce , le urs cou ps se ront plu s fréqu ents et les opérations d'embuscade contre les mil itai res se mulliplieront, mai s l'étau va se resserrer de plus en plu s sur nous, habitants des banlieues.
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Les lois des groupes Peu à peu. les règles établies par les groupes s'i mposent et leurs instructio ns dev iennent des interdits. Le contact avec les a utori tés est pro hibé e t il es t déco nsei ll é de se re ndre au comm issa riat , de tra va ill er avec l'admini s trati on de la commune. À partir de 1993, il est interdit de fumer puis de lire les journaux. de regarder la té lé vision et les femmes doiven t portcr le hidjab. Les fem mes, dans nos quarti crs. le portent dans leu r majori té sans contrai nte. Mais alors qu 'avant 1992 beaucoup de femmes vont sans foul ard. o n en voit de moins en mo ins ct en 1993 pratiquement toutes le porten t. Mê me les tilles commencent à le mettre. Nous sommes encore dans une péri ode où la population ne ressent pas ces interdits comme tels ct se soumet volontairement aux diktats. C'est une fu çon de se démarquer de ceux qui ont toléré le putsc h et d'exprimer son oppos ition. On sail que c'est un geste de bravoure que de porter la barbe. Car la répression est féroce et les barbu s sont souve nt arrêtés aux barrages: o n la leur en lève avec des moyens sauvages. Durant les tortures, les barbes sont brOlées, ex tirpées avec des pinces ou arrac hées après avoir é té emplâtrées. Le barbu est devenu sy nonyme de barbare incu lte. Il est l'ennemi désigné. Ma is to ut le monde ne se plie pa s aux ex ige nces. bi en évidemmen t. et cert ains refuse nt les prescript ions o u bie n changent de quartier. Et com ment ne plus parler à un policier ou ne plus se rendre au commissariat ? O n peut affi rmer cependant que. dans les quartiers populaires de la périphérie d'A lger, l'opposition aux groupes n'est guère mani fes te dans les deux premières années. Bien au contmi re, ces dern iers sont soutenus puisqu'i ls combatte nt le régime j ugé impie ~ t injuste. Ce n'est pas tant la lutle pour l' instauration d ' un Etat islamique qui moti ve les gens que le soutien 11 un mouve ment persécuté et contraint de passer à la clandesti nité afin de résis ter à l'inju stice qui s' abat quotidiennement sur lu i. Beaucoup de villageois sont prêts à nourrir les combattants et à leur remettre les fu sil s de chasse . À Bentalha, les premiers groupes commencent à s' installer dans les vergers; ils construisent des casemates et in vesti ssent le grand oued à l'ouest de notre quartier.
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espèce de lourdeur s'abattre sur nous. mai s je peux encore la refouler. Un peu pl us tard, avec la mo ntée de la ten sion, il va être de plus en plus difficile de mener une vie normale. Mais qu'est la normalité quand la press ion ct l'angoisse se gl isse nt de manière imperceptible et insidieuse chaque j our un peu plus dans notrc vie ?
Dès 1992, cerlll ins groupes islami stes appellent à la déserti on de l'armée. Beaucoup de jeunes suivent ce mot d 'ordre et qui u e nt l'armée ou re fu se nt de faire leur service militaire. Parfois, il s se cachen t à la ma ison o u bien il s fui ent vers l' étranger; ce peUl être par sy mpathie isla miste, mai s surtou t pour échapper à l' enrôlement dans une lutte anliterrori stc dans laquelle ils sont sacrifiés par milliers. Nous entendons souvent des rumeurs au sujet d ' épurations au sein de l'armée. Le FIS a beaucou p de sympathisanls parmi les so ldats, et pas seulement les appe lés. J' ap pre nds par des ami s militaires q ue des collègues pieux qui fo nt leurs prières sont suspects de sympathie avec le parti di ssous et peu vent être sanctionnés. Jusqu'où pe ut all er l'es prit inq uisiteu r ! Lo rsq ue les ass ass inat s d'appelés se mult ipl ient , nous enlendons souvenl les sy mpathi sants islam istes dire que, en fait. ils sont tués par les services de séc urité parce qu'i ls so nt o ri g inai res de s quarti ers « c hauds }, et pourraient se rallie r aux groupes . Oc p lu s, ce sera it une bonne manière d 'i ncriminer les groupes armés et de pousser les je unes à s' en rô ler dans l'armée. Cette stratégie abo utira plus tard et beaucoup de jeunes s' e ngage ro nt dans l'armée pour échapper à la mort. Je co mmence à me sentir mal à l' ai se. Je vi s dans une région qui passera sous la coupe des groupes ct où toute la vie changera . Néanmoins, dans l' année qui suitl':lrrêt des é lections, la vie soc iale n'est pus encore entièrement étouffée. Jc sors avec mes enfants pour observer les gens jouer aux boules en face de ma mai son. ou au football dans le stade. De temps en temps, jc vais me promener dans les orangeraies ou dans la pépinière et j ' en profite pour ramasser les escargots. Il y en a beaucou p, et rares sont les gens qui en mangent. Cert ain s après- mi d i. je marche à travers l'oued, o ù beaucoup de jeu nes sorte nt avec leurs chardon nerets - ce sont de belles balades où les e nfants se défou lent dans les vergers et découvrent la nature. Mai s peu à peu , je m ' aperçois que les gens vont plus rareme nt vers l'oued . Je fin is par y reno ncer q uand des vois in s m'averti ssent du danger : les groupes armés ont in vesti lu zone et il s n ' apprécie nt pas les intrus. No us n'a vons p lu s COmme occupations que de faire quelques bricolages dans nos mai sons ou d'entre tenir un petit jardin. Je se ns de pl us en plus une
Un étran ger s'aventure dans notre cauchemar Durant l'été 1993, mon frère fê te son mariage chez ma mère, à Baraki. Ma sœur Naccra et son mari fra nçai s déc ident de venir parlage r cet he ure ux moment avec nou s . C'es t la première vis ite de mon beau-frère en Algérie. Ce n'est pas le me ille ur moment, j'e n co nviens, mais nous avons tant pri s l' ha bi tud e d e cette s itua ti on que nous ne mesuro ns pa s l' ampleur des changements en l'espace d ·un an et demi. Lui ne se doute pas de ce qui se passe réellement, car ce qu' on lit dans les journaux reste abstrai t quand on ne le vit pas so i - m~me. Et lorsqu'on subit celle situation au quotidien, on fin it par nc rien con naître d ' autre. Il e st vrai que, à ce mo men t· là , la vie peut encore ê tre agréable à Al ger. L' ambiance reste accueillante cl le mili eu fami li al nous permet d 'oublier ce qui sc passe dans nos quar· tiers. Nous osons sortir de la ville, all er à Aïn-Beni an et à La Madrague. où il y a encore des restaurants ouverts et o ù il fait bon flâne r. Les premiers assassinats d ' étrangers n' auront lieu que fin septcmbre . Néanmoins. nous prenons certaines précautions: il y a de s routes que nous n'e mprunton s pas et nous re ntrons à la maison dès la tombée de la nuit. Malgré ce la. mon beau-frère sent que l'atmosphèrc est pesante: il y a de plus en plus de barrages fixes pendant la j ournée entre Al ger et Baraki , où les policiers n' hésite nt pas à no us fouill er et lancer de petites provocat ions. Les nuits so nt touj ours chaudes en é té , mais ce soir-là. à Baraki, il fait très lou rd, malgré les pers iennes ferm ées et les fenêlres ouvertes da n ~ l' attente d ' un petit vent rafraîch issant. Mon beau· frère joue aux dominos avec les jeunes de la fmnillc. Comme en période de fê te, la maison est pleine. Le ventilateur
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e n face d'elle , ma mère confecti on ne des gâteaux pour le mariage avec l'aide d ' une ou deux voisi nes. Il est un peu plus de 21 heures quand nous som mes surpri s par une détonati on. Nous, qui sommes un peu habitués à ce genre de déflagrati ons, ne les remarquons même plu s, mai s mon beau-frère tressai llit. Son visage se crispe et change de couleur. r essaie de le rassu rer en min imisant la chose et il se délend que lque peu lorsque ma tante, qui passe son temps à la fenêtre, desce nd en courant pou r nous informer qu·un groupe vient d ·assilssiner le fameux H'm issa, un terrible voyou qui se permet tout dans le quartier parce que son beau-frère Lyes, polic ier à Baraki,le couvre . C'est la première fo is que Illon beau-frère assiste, quasiment en direct. à une tuerie et ce la le met mal à l' ai se . Il se lè ve d 'un sau t et se met à la fenêtre. À l'extérieur, il fait noiret nous apercevons 11 peine quelques silhouettes se faufiler, en rasant les murs. Mon beau-frè re me dit que c'est la derni ère nuitqu' il passe il Baraki. Effeeti vement, le lendemain, ma sœ ur et lui s' installent à l'hôtel. La nouve lle de l'assassinat se répand tout de suite et les rucs sont désertées. Les jeunes appréhe ndent la descente des forces de séc urité et surtout de Lyes, réputé très violen t. Au ss itô t alertés, lui et ses camarades viennent en force et, lançant des insultes e t o bscéni tés aux habitants du quartier, se mette nt à tirer d ans to us les se ns, visan t les fenêtres des bâtiments. D'habitude, les policiers viennent très rare ment dans la ci té 2 004 loge ments. S' ils entrent dans la c ité, c'est parce qu' ils en ont reçu l'ordre explicite. Ils débarquent en grand nombre et en coup de vent à bord de leurs « BTR >. (véhicules bl indés). Dans l'i mmeuble où habite mil mère ct non loin du lieu du drame, vi t une famill e dont le fil s cadet, Ho ussem. es t un ancie n d 'Afg lulni stan qui a même combatt u en Bosn ie. Housse m e!s t co nnu dans le quartier pour son courage et sa droilUrc. Il vient de temps cn temps rendre visite à sa famill e et, comme il est recherché, les jeunes contrôlent les alentours. Les gens prétcndent qu'i l ne s' est jamais attaqué à un voisin ct n' a participé à aucun assassinilt ou attentat dans le quartier. Les jeunes ont énormément de respect pour lui parce que, en plus. il
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les protège viS-li-vis des autres groupes actifs de la région. dont chacun a ses propres règles et lois. Le lendemain. alors que la famille de H' missa s'oceupe des funé railles, d ' importants di sposi tifs son t mi s e n place ct la poli ce quadrille le quartier. Des militaires et des gendarmes sont là ilussi pour participer à l'enterreme nl du beau -frère du polic ier et surtout pour se protéger mutuellement. Lyes, quant à lui. profite de l'occas ion pour rendre visite avec quelques co ll ègues à la famille de Houssem, dans l'inte nti o n de se ve nger. Nous entendons quelq ues coups de feu qui prov iennent de l'appartement de la famille mais, heureusement. il n'y a ni morts ni blessés. Finalement, les policiers emmènent la mè re. la sœur et l'ilÎné au commissariat et Lyes, le policier, rejoint le cortège qui s' apprête à aller au cimeti ère de Sidi R 'zi nc. Dura nt plusieu rs jou rs, Lyes et ses collègues débarque nt dan s le quartier, très tard dans la nuit, souvent saoul s, pou r harceler les proches de Houssem, ce qu i se reproduirn après sa mo rt, dix-huit mois plu s tard. (Ho ussem , très re douté de s fo rces de l'ordre, sera en effet tué en 1995, dans un accrochage à Sidi-Moussa. Son corps a été attaché à un véhicule de l'arméect tiré pendant un long moment pour que tous le voient, av ant d 'être décapité. La dépouille n' a pilS été remi se à la famille , q ui s' est réfugiée pendant quelques mo is à Haï el-Djilali, dans la vi lla de Hassan. mon voisin , à l'époqUe! capitai ne de la Sécurité mi li taire.)
Délaissés des autorités Il faut di re que, pendant les premières années, les forces de sécuri té sont il peine présentes sur le terrain. La seule chose que nous subissons, ce sont les barrages ct les rati ssages. Ils ne sont d' aucune efticacité, parce que les membres actifs des groupes sont préparés à ces si tuations et savent les éviter. La population civile, en revanche, a le douloureux sentiment de ne bénéficier d 'aucune protection et d'être la victime de ces pratiques répressives. Les commissariats et gendarmeries fermen t leurs po rtes à double tour dès la nuit tombée. Les policiers et les
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gendarmes sont barricadés derrière des portes et des fenêtres blindées. Pa s moyen d e le s joindre même en s'y rendan t person ne ll e men t, tandis que le téléphone n ' e st ja mais décroché !, Dans la nui t, il ne reste pratiquement aucun barrage militaire. A Bentalha, ils le lèvent tout en restant embusqués. Leur seule fonc tion semble être de nous terroriser. Pendant ce temps, les groupes se déploient avec une facilité déconccr. tante dans nos régions. Ce rta ines sont entièrement sous leur coupe à pan ir de fin 1993. Je ne com prends pas du toul cette absence des services de sécurité . C'est comme s' il y avait une volon té de laisser la situation se dégrader. L' absence des force s de sécu rité pendant la nuit est compensée par leur comportement d 'a utant plus sa uvage à notre égard lors des rati ssages et des barrages. Ce so nt en général des forces combinées de militaires, gen darmes et poli · ciers qui débarquent, bouclen t un quartier, font sortir les gens de leurs maisons. et les em mènent. Souvent, on ne les revoit plus. À Alger, apparaissent en 1993 les premières unités spéciales de luite contre le terrori sme qu'on appelle « ninjas ». Ce sont des brute s. vêt ues d'une tenue de combat bleu som bre, le visage cou vert d'u ne cagoule et munies de mitraille uses. Généralement, ils surgissent en Nissan o u Toyota. terrorisant tout le monde su r leur passage. Ils embarquent leurs victimcs et les transfèrent dans les PCO où e lles passent un très mauvai s quart d ' heure . Ces un ités apparai ssent d'abord à Alger mai s, rapidement , elles s'installeront dans les quartiers périphé . riques de Kouba , Gué de Constan tine, Bourouba et Baraki. L' un des centres les plus redoutés sera celui de Chateauneuf, vers lequel se ront dirigées beaucoup de personnes arrêtées qui su bissent la torture ou disparaissent dans leurs geôles. Ce qui nous rend la vie vraiment dure à partir de 1993, c'cst l' in terruption de la construct ion de la route et la suppression du tran sport publi c entre Baraki et Bentalh a. Il nous faut faire deux kilomètres à pi ed, souvent dans le noir, le froid et la pluie, pour rejoindre la rou le départementale n" 115 e t le car e n partance de Sid i-M o ussa pour Alger. Ce so nt surtout le s femmes e t le s écoliers qui souffre nt de cette situ ati on. Le matin, des centaines de personnes sortent des petitcs ruelles et
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empruntenl le grand boulevard, formant une chaîne humaine sur 1,5 km. Après la marche, c'est l'attente dcs rares bus ou bien la continuation à pied. Les cars s' arrêtcnt rarement , sauf quand il y a encore des places vides. Mai s dès que la po rte s'ouvre, c'cst à qui sera le plus habile. le plus fort ou le plus chanceux pour s'y introduire. Pourtant, le calvaire ne fait que com mencer. Car. une fois installé dans le car, il faut passer les nombreux barrages mili taires. dont le plus proche est à peine à un kilomètre de l'entrée de Bentalha. C'est inév itable, dè s l'arri vée à la hauteur du premier poillt de contrôle militaire, tous les véhicules mettent leurs clignotants et se garent. Tout le monde descend I!t c'est la grande fouille. Les gens ont compri s que, une fois dehors. il s doivent sorti r leur carte d'identité, s'élo igner du véhicu le et attendre, les bras en l'air, pendant qu'un groupe monte dans le car po ur l'in spec ter. Une fois ce lu i·ci contrô lé, le même groupe de militaires commence la foui Ile des passagers. O n perd un temps fou, il faut se concentrer ct être très sérieux. Parfois, quand on est dans un bu s, o n oubl ie le barrllge. J'ai vu des so ldats g ifler des fill es qui l'ava ient o ublié I!t riaient. Comme si l'état d 'urgence interdisllit le rire! Combien de fois aj.je vu des gens hu mi liés à un barrage'! Plus d'une fo is, je m'e n sui s mê lé parce que je ne supportais pas cette façon de traiter les gens. Il m'est arrivé de recevoi r des coups de crosse de so ld ats me dema ndant pourquoi je voulais défend re ces« lâches JJ. Je cri ais et je menaçais de prévenir tel eomm.mdant, el souvent cela marchait. Comme quoi travailler avec les militaires pouvait rendre service! On compte huit barrages entre Alger el Mcftah et huit entre Alger et Barah Dans les premiers temps. il y a beaucoup de morts aux barrages: les automobi li stes ne sont pas habitués ct roulent trop vite, ou bien o mettent d'allumer la lumière imé· rieure du véhicu le avant de les franchir. Beaucoup d'automo· bi/i sles sont tués aux emplacemen ts des nouveaux points de contrôle ou de barrages mobiles. Les chauffeurs foncent sans se rendre compte de l'obstacle et vont droit vers III mort. Il faudra quelques mois pOUf que les gens s'adaptent et dével oppent de nouveaux réflexes.
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III mIt' gll~r/"t' ail qllO/illit'1I
Je voudrai s relater ic i l'histoire d'Aresk i Farès, mon voisi n originaire de Bab-e l-Oued. Son ma lheu r est arrivé bien plus tard, début 1996, quand les militaires 001 commencé à investir le terrai n. Che ik h Larbi. un mi li taire retrai té qu i habite la ma iso n (si tuée tout ju ste derrière la mien ne) appartena nt à Hassan , devenu commandant de l'armée fin 1995, se rend li 4 heures du matin chez Areski et le prie d' emmener sa fem me \Varda, dont l' accouc hement est imm ine nt, à l'hô pital. Le couv re-feu du re j usqu ' à 5 heu res , mais e ll e ne peut p lu s altendrc. Il faut fa ire vi te ct donc Areski prend la voiture pour e mbarquer M' harned, mo n vo isin d irect qui e st infir mier, Cheik h Larbi ct Warda. Arrivé au niveau du barrage, il allume la lumière intérie ure de la voi ture, étei nt les phares et avance lentement, comme nOus avons appri s à le faire. Et voilàqu·un mil itaire tire. Areski est blessé . Warda sort en criant : Il Arrê tez, je vai s accouche r! )) Après quelque s palabres, les militaires conse nten t à les lai sser passer, ct c'est M'hamcd qui prend le volant de la voiture pou r emmener l'un ct l'aulre d'urgence à l'hôpital. Ils arrivent devant le barrage sui van t, à El-Harrach, ct là les militaires manquent d'abattre Aresk i, parce qu 'i ls le prennent pou r un terrori ste blessé. Il faui tou te la force de persua sio n de Warda e t M 'ha med pour qu'e nfin il s soient autorisés à se rendre à l"hôpital. Areski , touché li la hanche, en gardera des séquelles jusqu 'à ce jou r. Warda, heureusement, accouchera sans grandes difficultés. Le barrage tout près de chez nous, à la sortie de Haouc h Mihoub (voir carte p. 303), est ce qu ' il y a de plus absurde. Pendalll des an nées, les mi litaires qui y sont postés harcè lent les habitants de nos régions. sachant très bien que les me mbres des groupes annés ne pre nnent ni le car, ni ne passent par cette route. Depui s 1993, ils con tournen ltout simplement ce po int de contrôle en empruntant par-derrière une pi ste qui passe par Ghrora pour déboucher sur Barak.i. Tout le monde le sait e l nous- mêmes nous empruntons ce chemi n pour év iter les mili taires. Ces derniers, eux, n'essaieron ljamais de barrer la route aux groupes.
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Exécutions sommaires Pendant ce temps, le mouvement armé sc structure de plus en plus et s'i mplante dans les vergers . D' ailleurs, à parti r de 1994, à Bentalha , les ratissages se fOllt pl us rares. En revanche. les descentes cib lées chez des personnes reche rc hées so nt fréquellles. Et il n' est pas rare que des membres de la fami lle du recherché so ient emmenés parce que suspectés de soutien au terrori sme . En fait. ces rafles dans les rues ou bien dans les maisons se multiplient parce que les personnes arrêtées passent par la torture et do nnent des noms. Les personnes c itées sont à leu r tour arrêtées, et ainsi de suite. De cette manière, les mil itaires espèrent démanteler les réseaux de soutien. Car il s 'ag it bien de ce la: nous n'avons pas l' impress ion qu 'ils veu lent vraiment en découdre avec les groupes armés, mais qu' ils sont surtout li la recherche de personnes qui aident ces derniers ct leur do nnent des informations. C'est surtout II Baraki que nous vivons ces descentes cauchemardesques. Ces cam pagnes de te rreur peuven t toucher n'impo rte qui : des femmes, des viei ll ards et des e nfan ls sonl embarqués par les fo rces de sécuri té et disparaissent. Mai s mi s à part ees rati ssages el ces rafles, les mili taires sont praliquemelll absents. Ce n'est qu' à partir du début 1996 que leu r présence s'est accrue . C'est aussi la période des exécuti ons sommaires d,ms les rucs. De nombreu x jeunes sont liquidés el, au petit matin , les voisins ou pa rents les découvren t, horrifié s. Cette pratique deviendra systématique à parti r de 1994. Durant celle an née-l à, nous apprenons qu'à Cherarba une cinquantaine d'appelés ont été tués. Tandis que l'armée oblige les habitants à quitter leur domic il e parce qu ' il s sont suspectés d ' héberger des groupes armés, un commandant de l'armée fait sorti r tous les soi rs unI! dizlIine dejeunes, qui sont fu sil lés. Je me souviens d ' une exécution à Barak i, débu t 1994. Les fo rces comb inées débarquent c he z un voisi n de ma mère - nous sommes alors en visite chez clle pour une semaine ou de ux. Très no mbreux e t bru ya nts. les membres de s forces années e ncercle nt le bâ timent ct se comporten t comme des sauvages. Le vo isin e n question a un demi-frère, voyo u et vo le ur, qui n 'a llucune relation avec les islamiste s. Il s le 51
III .mlt' 811t'I"rt' 1/fI qlll!lidil'il
recherchent en compagnie de deux bouchkaras l, dont la tête a été recouverte d' un sac pour q u'i ls ne soient pas reconnus. Ils s'introdu ise nt de force dan s l' apparteme nl et emmè nent le voisi n dans la rue, lui ordonn ant d 'i ndiquer o ù se trouve son demi-frère. Devant son refus de coopérer, ils le tabassent. mais il tien t bon. Finalement. ils lui permettent de remonter chez lui et nous pensons q ue l'affaire est close. Peu après. nous voyons à travers les pe rsiennes les mi litaires traîner de ux personnes, sac su r la tête el poignets attachés, derrière le bâtiment. Puis. des rafales de mitrai lleuses retentissent. De là où nous sommes postés, je vois clairement les mil itai res tirer. mais je ne peux d isti nguer les victimes car e ll es sont co ntre le mur. Cette nuit-Ià,je n 'a i pas pu do rmir. Les cad av res so nt restés là j usqu'au petit mati n, lorsque nous sommes descendus pour les identi fi er. Nous ne les conna issions pas. Ils portaient des traces de torture sur tout le corps. C'est une des premières exécuti ons à laquelle nous assistons directement. mais à parti r de 1994 nous y assistero ns réguli èrcmCIlI. Ava nt , quand les gen s é taient e nlevés, o n pen sa it qu ' il s étaient empri sonnés dans les centres de détent ion. Le s mOrts que nous trou vions dans la rue étaiCnI généralement des inconnus et. comme les groupes armés tuai ent aussi. nous ne sav ions pas très bien qui les avai t liquidés el pourquoi. Entre mars et avril 1994, au momen t des attentats contre l'ONACO (soc iété nat io na le de produit s alime nla ires), le souk -e l-fellah (su permarc hé é tatique) et l' EGU CO B ( une entrepri sc de génie urba in de la commu ne de Baraki), les mili taires se mettent â la recherche de quin7..c personnes, tous des jeunes, qu' ils trouvent à leurs domici les respectifs. Le lendemain, on retrouve leurs cadavres à différents endroi ts. À Cètte époq ue. je travai lle sur un petit chantier à Benghazi, où je me rends tôt le mati n ; et sur la route, j e découvre cinq cad avres, les mains attachées derri ère le dos, criblés de balles. Tout Je monde parle de ce t événement et j'apprends que trois au tres corps o nt été retro u vés à El-Harrach et de ux s ur la route d ' Hydra .
Plus tard, nous apprenons que ce ne sont pas ces jeunes qui ont incend ié les entreprises . C'est la police qui a donné ces no ms aux militaires. lesquels se sont chargés du sale boul ot sans s'em barrasser d ' une q uelconq ue enquête. Les policiers on t fait ce coup pour se venger des pères de ces gamins, des commerçants, qui avaient déci dé de ne plus se laisser par les policiers devenus trop ex igeants. Et les véritables auteurs de ces atte ntats? Ce sont les membres de notre groupe armé local di rigé par Djeha Benamrane, un type désa~réab l e qu i fe ra la loi c hez nous pe ndant plu sie urs années. A ce mo ment- là, il travaille e ncore à l' ONACO. L'armée, encore faibl e au début des confrontations avec les groupes armés, su bit de nombreuses défectio ns. Des appelés et engagés désertent en emportan t leu rs armes, d 'autres liv rent des informations de l' intéricur. Il a certai nement fa llu un bon bout dc temps pour se structurer ct fa ire face à ce nouveau défi. Né anmoins, nou s. qui sommes vict imes des e xac tions des groupes, nous ne comprenons pas que J' année ne soit pas interven ue pl us souvent alors qu 'el le cn avait les moyens. Quand ils o nt vou lu débusquer deux membres de gro upes armés dans notre quartil.!r en 1994 , ils ont bien employé les grands moyens. fa isant in terve nir parac hu tistes e t hé li coptè res. Po urqu o i n'ont-ils pas alo rs nettoyé les ve rgers une bo nne fois pour toutes? Ce n 'est q u'à part ir de 1995 que nous o bse rvo ns les nouveau x hé licoptères français de type « Écureui l », équipés de mi ssiles, avec lesquels ils pilon nenlles vergers. Ces opérati ons d uren t quel ques jou rs. mai s il n'y a pas de troupes de l'armée de terre pour les seco nder. Je pense que c'est pour tester leur nouveau matériel. Le bru it incessant des hélicoptères et de s bombes larguées es t absolument infe rna l. Nous nous demandons ensuite à quoi servent ces bombarde men ts. pui sq u'à notre niveau aucu n c ha nge ment notoire n 'es t il signaler: les groupes sont toujours aussi actifs.
• . Li u';ra lclI-.:nl : ,·~ux!t qui un nk:1 un sac sur b l~IC . Il peUl s agir dt rtpemis uu de 1l1il ilan ls comrain ls ;\ coll~oon:r après :" 'oir élé lonuréS.
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la salr Kuer"r au qUQlidit'1/
La « guerre des communiqués» Pendant des années, nous réagisso ns en fo nct ion des rumeurs. Celles lancées par la SM et celles propagées par les islam istes. Je ne suis pas spéc ial ement à l'écoute de ce que di sent les gens autour de moi. parce que j'ai une autre vision des choses et je ne pariage pas leurs analyses. Néanmoi ns, je suis exposé aux explicati ons de mes vois ins e t aux tracts affichés par les groupes. Ceux-ci sont souvent en contradiction avec ce que je lis dans les jou rnau x. Ils revendiquent des attaques de casernes ou de comm issariats dont les médias ne soufflent mot, ou bien dé mentent des opérati ons dont ils sont rendus responsables. Ai nsi, à Dabbah Cheri f, le 9 février 1992, un attentat est comm is contre une voitu re de police transportant c inq polic iers, alors que ces derniers n'ont pas emprunté un chemin habituel. Officiellement, il est dit que les te rroriste.~ Ics attendaient; les groupes, e ux, prétendent que ce sont des policiers qui o nt tué leu rs co llègues. Au débu t de la gue rre, une des plus grandes affaires est ce lle de l'aéroport d' Alger où, le 26 aoû t 1992, un attentat fait neuf morl s ct plus de cen t blessés, Des pilotes d'Ai r Algérie, qui n'Ont rien à voir avec le FIS, me disent après que ce sont peut être des gens du FIS qui ont placé la bombe, mais que, quels que soient les co mmandita ires, la di rection de l'aéroport en avait été avertie, Ce!:l me semble plausible, d'autant plus que j'a i assisté le même jour à un attentat à l'agence d 'Air France dans l'immeuble « Maurétania », tout près du commi ssari at central d 'Alger, où les employés avaient été prévenu~ q u'une bombe allait exploser e t q u' il fallait évacuer rapidement les lie ux (e ffect ive ment, cinq minu tes après. l'exp los io n a eu lieu). D'au tres avancent que c'es t la Sécurité milita ire q ui a com mi s ce crime pour déc réd ibili ser le FIS a uprès de ses sympathisants. Cet exemple montre bien en tout cas la confu sion dans l'in fo rm ati o n à tous les niveaux et la volon té de ma intenir cette confusion pour mani puler l'opinion publique. Une chose est tenaine: près d' un mo is après ce crime odieux , un décret antiterrori ste es t pro mul gué . No us e n subi rons les conséquences de plein fouct. 54
A vec la libéral isation de l'information à partir de 1990, nous nous étions habitués pendant deux ou trois ans à une libcrlé de la p re sse très encou ragean te. Mai s prog ressivement, le contrô le du pouvo ir ~ ur l'informa tion va se renforcer (o n apprendm plus tard qu 'en matière d ' information d ite« sécuritai re» un arrêté sec rc t imposera à partir de juin 1994 aux rédactions de ne diffuser que les communiqués officiels émis par une« cellule de comm unication» du ministère de J' Intérieur). S' ajoute à ce la J'obédience des j ournllux à te l parti ou te lle tendance du pouvoi r. La pression des miliulÎres se fait de plus en pl us forte et les articles de jou rnaux s' inscri vent fatalement dans une stratégie de « guerre totale ». À partir de 1992, la guerre psychologiq ue bat son plein par presse interposée, mais je ne m'en aperçois pas ct je continue à croi re à la liberté de la pre sse. Comme les jo urnali stes semblent faire de l'oppos ition au pouvoir. je ne remarque pas qu'en pratique ils s'acharnent surtout con tre les islami stes et soutiennent de fait l' option (( éradicatricc» du régime mil itai re. Quand les premiers assassi nats de journali stes ont lieu en 1993.je me dis qu'ils sont cou rageux dc continuer leur travail mal gré le s menaces q ui pèse nt sur eux. Mais il y a auss i les gens de mon quartier qui me répètent que ce qui se dit da ns les j ournaux sont des mensonges. Et effecti veme nt, il y a de plus en plus de manipu lations que je peux véri fier moi -même . Peu à peu, je perds ma confi ance dans la presse dite ( indépe ndante », Tou t d 'abo rd , quand des journalistes sont tué s dans des conditions absolument fl oues et que les enquêtes traînent sans jamais abou tir, ou bien pour fi nalement nous exhibe r des tueu rs q ui manifestement ont été torturé s, alors, je me de mande si les vrais com manditaires ne sont pus à chercher du côté des services sec rets, Le pl us insensé, c'est que ce sont souvent des journali stes connus pour leur position véritablemcnt critique vis-à-vis du pouvoir qui sont liquidés. Un Tahar Djaout ou un Saïd Mekbel , tout anti- islamistes qu ' il s étaie nt, dérangeaient surtout le sérail. d 'autant plus que leur notoriété s'éten dait au -delà des fro nti ères al gé ri en ne s. Quel se rail J'i ntérêt des islami stes de tuer un j o urna li ste qui dénonce les agi sse ments d'u n général ? 55
III Slll~ g"~"~ al< q,,()/idi~1I
Pour comprendre tou t cela. il m' a fa llu du temps. C'est tout un cheminement qui a duré des mois, s i ce n'est des années. Je savais bien que les gens étaient arrêtés. torturés, emmenés dans des camps, mai s cela est deve nu insoutenable pour moi lorsque j'ai eu des témoignages directs des victi mes ou des fami ll es. Dans les j ournaux, rien de tout cela. Lorsquej'assis tais à une tuerie de s imples c itoyens et que, le lendemain, j e li sa is que c'éta ient des terroristes en fuite q ui avaie nt péri, le jo urnal perdait une bon ne part ie de sa crédibil ité. C'est surtout à part ir de l'exécution de Hocine Abderndlim , fin août 1993, que j'ai commencé à douter sérieusement de cc qu!.!je li sai s. Il est alors prése nté par la presse comme l' un des instigateurs de l'attentat de J'aéroport. Mai s au lieu de tenter une investigation sérieuse, ou au mo ins de remettre en question les informations o ffic iel les, les j ournaux fo nt de la surenchère dan s la diffamation et la discri mi nation, ct multiplient les me nsonges à son sujet. ([ es t présen té par exemple co mme M~rocai n , pou r étayer la thèse d'un com plot étranger contre l'Etat algérien. Or il se trouve que je le connaissais bien. On ne s'é tait pas vus d ep uis long temps, mais il hab ita it la c it é 2004 logements et j'a va is de ses nouvell es par le b iais de connaissa nces com munes (mi litant du FIS, il était devenu en 1989 le chef de cabi net du leader du parti , Abass i Madan i). Il é ta it né au Maroc de parents algérie ns, ni plu s, ni mo in s. Hoci ne Abderrahim a été affreu sement torturé. Les services ont eu l' impudence de nous le montrer à la télévision dans un état s i pitoyable qu'aucune personne de bonne foi n'a pu cro ire à ses aveux. Il a finalemen t été co ndamné il mort en 1993 et exécuté dans la même année avec six autres personnes impliquées dans cette affaire. D'autres fai ts m'ont fait remettre en question le rôle de nOtre presse dite ~< indépendante ,). Ainsi, à t'occasion d'un roui ssage à Haï eI -Djilali en 1994, les militaires interviennent avec des parachutistes qui débarquent en hélicoptère. Ils ont eu vent de l'arrivée de deux « terroristes », dont ]'un veu t rendre vis ite 11 sa mère qui ha bi te la ci té des 200 logements à Bentalh.1. Il se fai t co in cer dans l'appartement ct est abattu, tan d is que le second fu it e n d irec ti on de l' o ued. où il est éga lement tué. Durant cette opération, un vo is in nommé Dil mi. qui travaille
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sur sa dalle, est fauc hé d ' une balle tirée par t'un des militaires. Le lendemain, il est présenté nommément dans les journaux comme un terro riste en fu ite abattu . La famill e a ve ndu la maison et s'est installée à Baraki . C'est aussi la période où je commence à avoir de plus en plus de problèmes avec les « démoc rate s ». T o ut e n parlant de démocratie.j'observe que leur combat premier se diri ge contre les islamistes et non pas contre le régime militaire. Moi aussi, je suis contre les islamistes, non paS en tant qu'i nd ividus, mai s comme part i politique ou mouvement voulant instaurer l' État islamique. Cepe ndant, co mment fe rmer les yeux devant une telle répression ? Comment cau tionner la torture systématique dan s les co mmi ssariats e t le s exéc utions so mmaires? Personne ne peut dÎ re q u'il ignore ce qui se passe! Ce n'est rien d'au tre que légitimer ce système de terreur sous prétexte que les islam istes sont pire s. Moi-mê me , j'ai étl! di sposé à excuser les arresl
/11 S/I/l' gut'rrf' /lU qllO/idinl
islamistes parce qu ' il y avait un fort potentiel de violence dans cc mouvement. En conséquence, la lutte comre les islamistes ~tai~ légitime . J'ai mis longtemps à comprendre que la fin n~ JustIfie pas les moyens ct qu ' il y a des limites qu 'on ne peut pas ~~p~ sse r. Tout au lo ng de ces années de sa ng, une partie de 1 edlfice de mes convictions s' écrou lera au fil des ballottages et ébran le.ments que nous vivrons. coincés dans un étau qui peu à peu deVIendra l' air que nous respi rons quotidi ennement .
3 Entre groupes armés et militaires
L'étau se resserre Peu à peu, les groupes qui auparavant se fai saient di screts. ou du moins ne s'exposaient pas à la vue de personnes comme moi. non imroduites. se font plus présen ts. Il faut dire que je ne co nnai s pas les sy mpalhi sa nt s du FIS q ui co nti nuent de s' activer dans la clandestinité. Je sais bien sOr que parm i mes voisins, à Bemalha comme à Baraki , une majorité sy mpathise avec le FIS, mais sans savoir qui est organisé dans des réseaux de soutien et qui agit au côté des groupes. prêt à mener une luite armée. Des jeunes disparaissent du quartier. notamment de la ci té 200 logements, et je pense qu ' ils fui ent la répress ion. Ce n'est que plus tard que j'apprends q u'ils sont au maqu is ou ont rejoint les groupes agissant dans nos quartiers. Effectivement, beaucoup fuient les persécutions et rejoignent involontai rement Ics groupes armés. J ' apprends par la même occ as io n que les groupe s sont constitués par regroupemen t de local ités, qu ' il s rival iscnt entre eux et que chacu n a une spéciali té . Celui de Birkhadern serait spécia li sé d ans le meurtre d 'é trangers, Iilndi s q ue celui de Baraki s'occuperait de membres de la SM. Il faul savoir que,
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III jllle 8l1efn' (III qrwlidim
dès 1993, les groupes s'appuie nt sur des informateurs, des « hiu istes» Ueunes sans emplo i qui n'ont rien d' autre à fa ire que de « soutenir les murs» auxquels il s sont adossés toute la journée) ou des vendeurs ambulants q ui se chargent pa r exemple de surve il ler les mil itaires o u les personnes suspectes dans un qu artier. Ils repèrent les person nes visées, savent qui travaille pou r l'adm inistration ou qui est membre des forces de sécurité. Ils surveillent leu rs allées ct venues, leu rs horaires et trajets. Mo i, je ne suis pas trop dans le coup, mai s j e sais que je do is fa ire atten tion de ne pas divu lguer le fait que je travail le avec les mil itaires. Cela devient de plus en plus dangereux de travai ller avec l' État et particulièrement avec l'armée. Dès octobre 1993, des barrages mobiles s'insta ll ent entre Baraki et Bentalha. Chez nous, ils se postent soit à l' en trée du vi llage, soit devant l'éco le ou devant le stade. Les hommes qui s' y arfaircnt sont habillés de tenues de combat qui ressemblent étrange men t à cell es des «ninjas ». Il s se présentent comme des islami stes mai s, avec le rccul ,je pense que c'étaient des gens de la SM . Il s utili sent des véhicu les ne ufs de marque Daewoo e t. [\ l'é poque , il n 'y a q ue les mi li taires et les membres de la Sécu rité mil itaire qui roulent dans ces voitures. Ils sont e ncagoulés et semblent très à J' aise dans leur unirorme ct dans leu r foncti on. Il s con trôle nt les all ées et venues des gens et véri fi ent s' il Ya des étrangers. Il s m'arrêtent aussi parfois , et je suis frappé par leur allure mi li taire. Ils o nt des fusi ls-mi trailleurs de type Kalach nikov . On les voit de temps en temps, le soir, si llonner le quartier en véhicule, vérifiam les papiers d' identité. Ils nous demandent ce que nous r.tisons à cet endroit ct nous ordonnent de rentrerchez nous. Il s rouil lent nos affai res et contrô lent si nous avons des cigarettes. Messaoud pré tend avoir reconnu Bouchakour et Djeha, deux de nos (( terroristes» locaux . Cc qu i est vra iment surprenant. c'est qu'e nv iron troi s mois plu s tard le s ba rrages de ces personnages ressemblant étrangement à des militaire s sont remplacés par des barrages de groupes armés qui e ux ne sont pas encagoul és et dont certains sont connus de la populati on. Il s font eX
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l'litre groUl'eSlml1ts l'imiliwires
contrôlent cc que transportent les habitants de Bent alha , s' il s ont bu de l'alcool, s' i Is ont des cigarettes sur eux, etc. Donc, à parti r du début de l'année 1994, je vois plus clai rement q ui sont les individus entrés dans la clandestin ité. Il y Il ceux qu i font les barrages pour contrôler les habitants. mais san s les attaquer. Ils o rga nisent to utefois des e mbu scades contre les militaires. Les aUl res membres de gro upes so nt installés dans les vergers au sud-ouest de Baraki ou au sud de Be ntalha. Ils sont aussÎ à Caïd-Gacem, un lotisseme nt comme le nôtre mais plus isolé. L'armée ne s' y aventure pas durant les années 1992- 1996. J'observe des petits groupes de q uatre ou six persOllnes sortir des ve rgers e n p le ine nuit pour se regrouper. à pied, au centre de Ben talha. Il s marchent en rang, de ux par deux. Au début, j e n'ai vu qu ' une tenue sombre que je n' arrivai s pas à distinguer. Par la suite, je les voi s au pe tit matin. Ces groupes sont formés en partie de jeunes de notre rég ion connus de la population et ils bénéficient pl us ou moins de son appu i. Les plus anciens recrutent de nou veaux hommes cn leur offrant pou r un pet it se rvice une é norme réco mpen se, C' est une façon de faire entrer ces jeunes dans une spi rale de dépendance . Peu à peu , ils les impliquent dans des acti vités subversives qui fo nt qu ' ils ne peuvent plu s faire marche arrière. Les recrues so nt emmenées dans les vergers, où e lles passe nt un petit entraînement avant de s'engager dans des opérations de nuit. Tous portent un bleu de Shanghai (costumes chinois de couleur bleue) lorsqu ' i Is agÎssent. Ils osent sc montrer en plein j our à pa rtir du d éb ut de 19 94 , mai s très ra re ment à Haï el-Dj il a li. En reva nche , à Bara ki , il s sont connu s e t ils se mo ntrent avec leu rs arme s. Tout le mo nde sai t qu i est au maqui s: Samir D., Hu ssem , un c hauffeur de taxi qui se ra abattu plu s tard sur la place des Martyrs à Alger, etc. Beaucou p de jeunes de Baraki et d'EI -Kattar sont membres des g ro upes armé s. T ant qu ' ils ne so nt pas reche rchés, ils peuven t vivre normalement avec leurs fam illes et agir durant la nuit. Nous reco nnaissons ces jeunes à leurs chaussures Nike et leurs jeans de marque, qu'i ls sont incapables d 'ac heter avec leurs propres moyens. À la cité 2 004 loge me nts, une g rande partie de la popul ation est en faveu r de la lutte armée, du moins
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emff grOlIJll'S (lfmis el mi/iwil"l'$
dan s les prem ière s années . Beau co up ne voient pas d'un ma uva is œi l l'é li minat io n des policiers. Presque tou s le s membres de ces premiers groupes armés sero nt tués a u cours des premiè res années dl! la g uerre.
L'évasion d e Tazoult En m ars 1994, a lieu la fameu se évasion de près d 'u n millier de dé te nu s de la pri son de Tazoul! (ex-Lambèse), près de Batna, à l' est de r Algérie. C ' est un épisode pl us qu ' étrange. La région de Batna est réputée « zone de haute sécu rité », car de nombreux responsables militaires en sOnt o riginaires ct les contrô les y sonl mult ipliés. D ' ailleurs , il n'y a pas beaucoup d ' attentat s. La prison de Tazoul t regorge de militants CI de sy mpathisants du F IS. On peut s'imagi ner que l genre de forteresse cc do it ê tre! Comme nt des centa ines de pri so nniers peuvent-il s S'C il évader? La question reste sallS réponse. To us les journaux rapportent cette évasion e t annoncent même, que lques mois plus lard , que le directeur et quelques-uns de ses s ubordonnés sont re levés de leurs fo nction s. Ma is aucune enquê te sérieu se n' a jamais é té faite. Par les o uvriers qui travaille nt avec moi , dont beaucoup sonl originai res de l'Es t du pays, j 'apprendrai des choses que les jo urnaux n ' ont pas colportées. E n fait, ava nt l' o pérati o n d'évas ion , des mouvements é tranges avaient attiré l' attention des habita nts. Des cam io ns de marque Magirus et beaucoup d ' étrangers à la région a lla ie nt et ven a ie nt dans la ville de Ba tna. Ce so nt ces mêmes camions qui auraient e mmené une partie des évadés. Les autres prisonniers, dont la plupart é taien t des membres du FIS o u d 'autres groupes d ' opposants de la première he ure, empru ntèrent à pied les rou te s me nant au maquis. On disait que ceUe évasion avait été préparée po ur les contraindre à fuir dans les mon tagnes où de faux islamistes, qui devaient les prendre en c harge, les ont liquidés. Les ge ns autour de moi étaient convainc us que les hommes transportés e n cami o n é taient des é léme nts des services secrets infiltrés dans la pri son pour survei lle r les véritables islamistes, ceux qui o nt rejoint les maqui sà leur sortie. En bref, il sc serail agi d' une
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gigantesque o pération d 'él iminati o n clandestine d 'opposa nts encombra nts et d'infi llration de groupes armés en action sur le terrain. D ' ailleurs, les journaux fO nl alo fs état de nombreux cadavres gisa nt s ur les routes des m o ntagnes. Ils prétende nt que la « guerre des groupes» en est la cause . Mai s comment peu t-on parler de guerre e ntre les groupes , quand un gro upe a rmé s' attaque à des personnes désarmées fuyant de prison? Toute cette his to ire d 'évasion reste très biza rre. Non pas qu 'on ne puisse pas du tout concevoir une évasion. Mais il ne f'lUt pas oublier que, quelques moi s plus ta rd, une a utre affaire é tmnge de prétendue tentative d'évasion à Berrouagh ia a é té dure ment réprimée sans qu 'on en connaisse le no mbre de victimes: ct début 1995, une muti nerie à la prison de Serkadji a e lle au ss i connu une fin sanglante avec au moins une centaine de mo rts. À chaque fo is. ce so nt les mili tants du F IS qui o nt é té (( c iblés ~). Sans qu e nou s sac hi ons ce qui s' e s t vraiment passé à Tazoult, no us avons constaté que certains des évadés atterrissent dans notre commune. Il y a parmi eux des ho mmes origi naire s de l' Algé roi s, mai s au ss i d ' a utres que no us ne conna issons pas. Certains sont de vrai s mercenaires q ui o nt fait la guerre d ' Afghanistan, de Bosnie, et sont très bien e ntraînés. Peu à pe u, la s itu ati o n va se durcir et les actions armées des ~roupe s de viendront de plus e ~ plus a ~b it raire ~ e t san g l a ~lCs. A ce moment-là, la rumeur fm t é tat d une fU SIon e ntre dIfférents g ro upes armé s, et quelques mo is plu s l a rd nou s entendons parler de la constitution de l' AIS (Armée is lamique du salul), branche armée du FIS qu i s'oppose aux pmtiques des GIA vis ant à mettre l ' Algérie à feu et à sa ng. Du re s te, à Benta lha, l'AIS n' exi ste pas c t les groupes actifs se re vendique nt à partir de 1994 exclusivement des G IA. C'est comme si to us les gro upes locaux s'étaient mlliés aux G IA.
Le diktat des GIA Perso nne ll ement. je n'entend parl er des GIA dans notre région qu'après l'évasion de Tazoult. Je connais aussi le ME l
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lu still! 8/1t'rre ( lU (juotidif!ll
(Mo uveme nt po ur un État isl am ique ), mais il n 'es t pas implanté dans nos contrées. Et je pense que l' AIS n' y est pas présente non plus. En revanche, à enviro n 100 km . dan s les alentours de Larbaa. Tablat et plu s loi n, à Médéa. avant leur unificati on sous la bann ière des G IA, il Ya des maqu is du MIA ct des groupes indépendants . Chez no us, à partir de 1994, il n'y a que les G IA. Les groupes loc.lU x sont intégrés dans les G IA ou leur font allége ance, mai s chac un a sa chasse gardée où il im pose sa propre loi. Peu à peu. la pression monte dans la population. car nous appreno ns q ue ce rtain s él éments armés sont passés à l'acte . La rumeur ci rcul e que des civil s sont tués parce qu 'i ls o nt été surpris en rumant ou bien parce qu' il s travaillent pour l'ad ministration. À Baraki. cela n'est jamais allé aussi loin et il y a mê me un alcoolique qui n' a pas eu de problèmes. Mais le rail de savoir que, à Blida par exemple, les gro upes contrôlent enti è re me nt certain s q uartiers, ont fermé c afés , kiosqu es, sal o ns de co iffure, hamm a ms , c t se sont attaqu és aux personnes qui ne respectent pas leurs prescript ions, commence à inquiéter les gens dans d 'autres agglomératio ns. Ju squ e-là. à part qu e lq ues e xcep ti o ns, le s G IA a vai ent comm is surtout des nssnssinats indi vidue ls . Bon nombre de journn [istes, d 'i ntellectuels ct d ' étrungers ont été tués à partir de 1993. Cc sont eux qui font la une des journaux , mais de très nom bre ux po l ic iers, pe tit s fonctionnaires, en se ig na nts ou commerçants sont éga lement victimes de celte mnchine à tuer qui se met en bran le dès 1993 pour aneindre son summum en 1995. À partir de 1994 , e ntre Barak i et Be ntalha, les ro ules se cou vrent de cratères suite aux attentats contre les convois mi li taires. Les groupes semblent être bien organi sés. Les mi li tants islam istes le d isent eux-mêmes, il s o nt du matérie l sophistiq ué, des talki es-walkies, des véhicules et semblent bénéfi cier de complicités uti les. Ils ont les codes nécessai res po ur entrer cn contact avec les policiers ct militaires et les narguent en le ur di sant : « Venez vous battre, vous êtes des lâches ! » Comme par hasard, ils sa vent toujours quand aura 1ieu un nltÎ ssage et di sparai sse nt à temps. No us les voyons quille r Ics vergers en voilUre la veille d ' une descente mi 1itaire. 64
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Le cri d' une fe mmc me poursuit toujours. Un soir de l' année 1994. no us l' ente ndo ns impl orer d'abord ses am is, puis ses voisins, ct enfin le bon Dicu de lui venir en aide. Personne ne répond malgré les hurlements dt! souffrance qu i se transforment en insultes contre les habitants de 8 araki di ssimu lés derrière le urs fe nêtres de la cité 2 004 logements. Son fi ls gît par terre, il agon ise et sc vide de tout son sang. El le est seule à scs côtés. sans pou voir le sauver. Pourtant, c'est un gent il jeune homme , un policie r soit, mais aimable et bien veillant , aya nt touj ours rendu se rvice à ses voi sin s qu and il le po uva it. [1 croyait, lui aussi, que les combattants ne s'attaquaient qu'aux person nes douteuses ct il leu r faisait confi ance. Deu x personnes armées e n déc ident autreme nt. Comme tous les soirs, il est ass is c t di sc ute calme me nt avec ses vo isins devant le magasin d ' Ahmed, dit« Marteau }}, à l'entrée de la cité, à trente mètres de l' endroit où habite ma mère chez qui je me trouva is cc soir-là. Il fait un pe u so mbre déj à qu and le s deux jeunes s'avancent et sortent le fusil à cano n scié diss imulé sous un long manteau . Il n'a pas le te mps de réagirquand le coup lu i fracasse le crl ne . Beaucoup d 'agents de police o nt été exécutés de cette façon. Les « combattants }. cro ie nt s'attaque r au po uvoir, mais se trompent souvent de cible, car ils cho isissent des policiers de quanier, sans protection ct généralement appréciés de la population. Pounnnt, l' ex pl icati on est simple. Pour qu ' une nouvell e recrue so it ado ptée au se in d ' un gro upe armé. el le doi t être capab le d e me ne r à b ie n un assass inat c t très souvent 1t:s nouveaux cho isissent une proie facile, d' autant plus q ue ceux qui se ch argen t de la propagande fon t le nécessa ire po ur convaincre la population du bi en-fondé de ces crimes. Comme nous avons pu le constater pour les assass inats individuels, qui ont c iblé toutes les catégories social es et professio nn e ll es de la socié té, un e par une, com me s i un pla n minutieux était mis à l'œ uvre, la même logique semble dicter les attentats et les sabotages . Après les allaques de convois mi litaires, nous subissons ceux sur les poteaux de li gnes téléphon ique s pu is les incendies d ' usines et autres infrastructu res publiques, des bombes sur les routes ct les trains et finale ment les attaques de com missariats ct ge ndarmeries. La population
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civi le se trouve de plus en plus isolée et commence à payer le prix de son soutie n. Ce qui nous semble étrange, c'est que, à p.. rt quelques exception s, les groupes ne s' anaq uenl pas aux « gros poi ssons 1) . Nous conna issons pa r exemple le cas du général en retraite Attaïlia , ancien responsable de la Premi ère Région militaire, con nu pour ses « affai res n, qui fut particulièreme nt sanguinai re lors du coup d 'État de juin 1965 ct des révoJ tes des jeunes en oc tobre 1988 : il plisse quotidiennement sur la rou te départementa le ct, à ma connai ssance, il n 'y a pas eu de tent;lI ive d'attenta t contre lui . Les dou tes quant aux commanditaires d' un certain nombre d'assass inats de personnalités s· accroissent.
Impunité Mai s cc n'est pas seu leme nt la press ion des groupes qui nous met les ne rfs à vi f. Les mili tai res nou s harcèlen t quand il s débarquent en force pour récupérer un tract accroché à un arbre sur leque l les groupes ex hibe nt le urs explo its, démentent certaines informations au sujet d'allen tats en les attri buant
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La conséqu ence de cet iso lement cro issan t est que nous subissons de plus en plus le déploiement des groupes, sans que no us pu iss io ns de mander de l' a ide à qui que ce soi t. Nos parents et am is év itent de venir dans nos quartiers et no usmêmes sortons rarement, à moins de séj ourner ailleurs, comme notre famille l' a très souvent fail. S'ajoute à cela que les assassinats de membres de force de sécurité poussent les po liciers et milit aires habitant Sentalha à fui r en abandonnant le urs mai so ns à des paren ts ou bien en le s laissant vides . Des commerça nt s, profe sseu rs et membres d 'autres profess ions qu ittent nos qua rt iers, qui se vident progressive ment. Les groupes armés, eux, s' imposcnt. Il s comme ncent à se ma ni fes ter en ple in jour et prenne nt les voi tures des habitants d u quartier en leur interdisant de déposer pl ainte sous menace de représaill es. La premi ère fois que je vois à l' intérieur de Haï el-DjiJali quelques hommes armés en plei n j our tou t e n étant sûr qu'il s sont des GIA , c'est un ve ndredi , aux env irons de 15 heures. J'effectue des travaux au premier étage de ma maison et les fen êtres sont grandes ouvertes. Je suis attiré par le brui t d u klaxo n d ' une camionnette de marque Peugeot. Je rega rde dehors et je vois que Moussa. le voisi n d ' en face. reçoit la visite de son cousin de Tablat. Je salue Moussa qui l' accueille Ili a porte e t, a u mê me i nstant. je remarque deux pe rso nnes sc rapp roc han t d ' un pas rapide e t décidé. Je n'y attac he pas d 'importance, malgré leur altitude étmnge. Il s sont mal rasés et portent le même vêtemen t, un bleu de Shanghai et des chaussures de sport blanches . Je retourne 11 mes occupations quand, soudain, j 'entends des éc lats de voix. Je me mets à la fen être et j'aperçois les quatre personnes gesticulant au mil ieu de la rue, à côté du véhicule . Les deux étrangers me tournçntle dos et je fai s un signe de la tête à Moussa pour savoi r cc qui se passe. Moussa me répond , égale ment d ' un signe de tête, qu ' il n'y a pas de quoi s' inquiéter, mai s son visage est blême et cri spé. C'est à ce mOlllent-là que je remarque ce qui m' avait interloqué auparavant dans l'altitude des deux gars . Il s on t leur main dro ite dans la poc he et la ves te lai sse apparaître un e forme dissim ul ée so us le bras. Ce sont des fu sil s. Les deux hommes montent à bord du véhicule ct partent à ta Ule vitesse, 67
"'!lrt ~roill'/'l' afmù l'llllili/(ûrl'J
10 sail' gUl'rrl' 1/11 Il"N;''i(''1
tandis que Mou ssa et son cousi n rentrent à la maison. Ce n'est qu 'en fin d 'après- midi quc Moussa me raconte que les deux hommes sont des « terros » qui, cn voyant la voiture pénétrer dans le lotissement, sont accourus pour sc l' approprier. Il s Ont prétendu en avoir besoi n pour une affaire urgente et l'ont pri se de force en montrant le bout du canon de la « Klach » dissimulée sous la veste, et e n précisant qu 'ils n' avaie nt pas intérèt à les dénoncer. Mo ussa travaille comme civ il dans l'administration du mini stère de la Défense. Il m' explique qu ' il ne faut surtout pas qu'il auire l'atten tion des groupes armés sur lui , mais qu'il prend également des risques car s i les terrori stes sc font arrêter. lui et so n cousin rencontrera ien t de sérieux problèmes avec les autorités. Les deux intrus onl tenu le ur promesse et le propriétaire récupérera son vé hicule comme prévu à 17 heure.~, lout près de Baraki. Comme dans nos quarti ers vivent beaucoup de villageois, il est normal qu'i ls aient des fusils dc chasse . Dès 1993, les autorités décident de dé sarmer les civils. Elles craig nent que ces derniers ne se retou rnent con tre l'État ou ne remetten t leurs armes aux groupes. Certains habitants ont déposé leur fu sil à la gendarmeri e, d 'a utres non. Plus tard, lorsque les groupe s armés on l vou lu récupérer les armes restantes, ils ont, s ur la base de listes, rendu visi te aux habitants qui avaient conservé leur arme et la leur Ont confisquée. Nous é ti ons pe rplexes: commen t les groupes disposaien t-ils de telles informat ions? Et une foi s de plus, nous avons découvert qu ' ils bénéficiaient de complici tés au sei n même de l'ad miniS!r.uion. En 1995. un décret sera é mis, permettant aux propriétaires de fus il s de récupér.er leur arme, ma is il ne sera jamais appliqué chez nous. A partir de 1994 et surtout e n 1995, des cadavres apparaisse nt s ur les routes de nos quartiers. Généralement, nous ne savon s pas d 'où ils viennenl. Cc ne sont pas des habitant s de nOIre coi n et il nous est interd it de chercher du secours pour les évacuer. Les groupes ont menacé les habitants de représailles et ensu ite les militaires a uss i nous en ont empêchés. Cerlains cadav res SOll t dé posés à un en droit de grande afOuence et y sont abandonnés pendant toute la nuit jusqu'au matin, parfois plusieurs jours, en gu ise d ' avertissement, et les passants sont contraints de les e nj ••mber ou de les COntourner. Les famille s 68
des victimes ne peuvent pas les enterrer le lendemai n du décès, comme le veut la tradition. Nous sommes e ncore à une période où les groupes bénéficient d' un certain soutien popu laire et où les habitants essaient encore de justifi e r leurs c rimes. Il s les expliquent e n prétendant que telle victime a dO trahir la Cause po ur s ubir la mort. D 'a près e ux. les II/o/ldjallit/illes - les combattan ts - ne s'attaquent pas a ux pe rsonnes intègres CI honn':tes. II est vrai qu ' au début les fame ux « combattants» ne s'a ttaquent q u 'à que lque s voyous, en les condamnant à plus ie urs coups de foue t, ne les tuant qu ' en de rares cas de récidive . Mais nous comprenons de moin s en moins les critères scion lesquel s les victimes sont choisies ct assassinées. Lors d'une réunion avec des responsables mi litaires chargés de la planification d 'un c hantier. j'apprends par le comnmlldarH de la gendarmeri e d ' EI-Harrac~, Mohamed, que certains groupe:-o onl des bases soute rraines. A Reghaïa, lors de la pours uite d'un groupe armé, les militaires sonl tombés s ur une grotte recouverte de branches. Un lieutenant est tombé dedans et il a été c riblé de balles. U ne fois les renforts arrivés, les mi 1ilaires ont attaqué celle caverne souterraine à la grenade e t ont réussi à ven ir à bout du groupe. Plus tard, nous trouverons aussi de s casema tes vides dan s les ve rgers a ux alentours de Ben lalha. C'est après la découverte de ces casematcs que les ratiss ages des militaires se sont espacés. Auparav:lIlt, il s prétendaient que nous hébergions les groupes.
L'affaire des neveux
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En avril 1994, ma mè re doit sc déplacer pour se faire soigner et mes neveux sont seuls à la maison. Nous déc idons qu 'i l est préférable de les loger chez nous à Benlalha, du moi ns pendant la nuit. Les journées, ils les passe nt à 8 nrak i avec leurs a mis. À cette époq ue , il faut les surveiller parce que, sens ibles aux discours islamistes, nous craignons qu'ils ne se lai ssent facilement recruter par des membres de groupes armés qui exploi tent ces jcunes irresponsables, avides d'aventures. Je cmin s surtout pour Merouane, qui est proche des militants is lami stes. Certains d'entre e ux ne m'inspirent pas confiance, en premier
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"/II',, lieu un certa in Hoc ine Bouga ndour, do nt o n pré te nd qu' il travaillerait avec les se rvices de renseignement et recruterait des j eunes. De fait , il est pour le moins étrange qu' il engage des j eunes, héberge et finance des membres de groupes armés au vu et au su de tout le monde sans être inqu iété ! Plus tard , il sera arrêté et, tand is que ses acolytes écoperont de plusieurs an nées de prison, lui sera li béré très rapideme nt. Un so ir , il es t près de 20 heu res, no us so upo ns e t j e m' inq uiète de l' absence de Merouane qui n'est pas encore de reto ur. Son plus jeune frè re Redha est là. Soudai n, Merouane el Mounir arri vent. Mou nir, un proche paren t, n'cst pas venu c hez mo i depui s de ux an s et je m'é to nne fo rteme nt de sa présencc. Je me do ute qu ' il a dû se passcr q uelque chose, p
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8r()IIP"S llnllb 1'/ miliwir..s
pas la laisser seule. J ' ai entendu tant d ' histo ires de viols ct de vols dans des conditions simi laires! Maisje n' ai pas le choix. Ils me font monter ct un groupe important de militai res me suit . Nous passons d' une chambre à J' autre, qu ' ils foui llent minutieuse ment. Pui s ils ex igent mon livret de famille. Il s me posent des questions au sujet dcs jeunes. leur ident ité. depui s quand ils sont là, e tc. Il s pre n nent mes pa p ie rs d 'ide ntité e t me somment de me prése nter le lende ma in à la gendarmerie. Le regard et l'attitude de quelques mil itai res me font penser qu' il s' agit de torti onnaires, les gendarmes en revanche ont l' air plus corrects et leur présence me rassure . (Plus tard, j ' apprendrai dc Me ro ua ne q ue , j uste me nt , J' un des m il itaires a tort uré Mounir.) Une fois qu ' il s sont parti s,je vais me coucher. Mais ne peux trouver le somme il. Je suis encore complètement déboussolé, d ' autant p lus q ue dans de no mbreux cas se mblab les, o ù les mil itai res o nt débusqué de s acti vistes présumés ou rée ls. les ma isons ont été dynam itées. J' ai peu r pour mes enfants, ma femme , pour mo i-même et ma maison. Ne pouvant dorm ir, je me lè ve et me mets e n route. Avan t d' affronter la fam ille, je vais jusqu 'à EI-Harrach en transport pu blic. Avec tout ce que no us avo ns vu com me choses terri fia ntes, j'appréhe nde de retro uver mo n neveu et mon cousin mo rts sur la route. Cette visio n de cadavres jo nché s le lo ng des ro utes me hante à te l point que je suis presq ue sûr qu'i ls ont été abattus. Soulagé de n'avoir rien trouvé, je décide d'acheter des pouss ins pour e n fa ire l' é le vage. Je me re nds au marché et j' e n c ho isis une centai ne qu i ma lheureuse ment périro nt. les cond iti ons chez moi n'étant pas favorables pour ces animaux si fragiles. On en mangera que lques- uns quand même ! Enfi n, j'ose affronter la mère de Mounir. qui me raconte que les forces combinées avaie nt débarq ué chez elle vers minu it avec un bOllchka ra , un homme dont la tête était recouve rte d' un sac. ct qu 'i ls avaient embarqué les lrois frères ct menacé de les fusi ller en bas de J' immeuble. C'est là qu' elle leur a dit où se trouvait Mo uni r. Dans la nu it, j e ne savai s P;l S qu 'i ls avaient pris le jeune frère de Mo unir, Karim, qui se trouvait à plat ve ntre dans un BTR sou ffrant le martyre pendant que ccs brutes étaient chez nous. Elle me répète sans arrêt : « Va pour 71
la sai" Kun,.,. ( Ut 4'lOlidit>1I
Mounir, il a fail des bêtises, il n'a que ccqu'i l mérite, combien de fO Îs je lui ai dit qu'i l falla it qu'il arrête. Mai s Karim, lui. n'a rien fai t, il s l'ont pri s se ulement pour qu 'il leur montre la maison! » Il s gardent Kari m une semaine. Ils le frappem mais ne le torturent pas. Mounir par comre subit la torture au chalumeau à la ge nda rmerie de Baraki. Il s le défigure m e n lui plaçan t un bandage sur le visage et en le cognant. tandis que Merouane doit supporter ses cri s dans une cellule voisi ne. La mère est dans tous ses é tats, elle pleure et se reproche d'avoir dit aux militai res où se trouvaient les jeunes. Mais en fa it, elle n'avait pas eu le choix. Elle sc présente à la gendarmerie ct le gendarme à la récept ion l' accueille parees propos: « Vou s êles fi ère de vos enfan ts, vous vous réjou issez quand vos enfants tuent ct égorge nt des policiers et des mili taires. Maimenant c'est à notre tour de nou s réjouir. Tu ne reverras pl us ton fil s. ), Elle essa ie de lui ex pliquer qu' il s'agit surtout du pet it, Karirn , qui n'a ri en à se reprocher. Il lu i répo nd; « Vous êtes tous complices )', et illa met dehors. Je me décide à al ler moi aussi à la gendarmerie. J'ai certainement échappé la vei lle il leur fureur parce que, ayant travaillé avec eux dans le domaine du bâtiment, ils me connaissent. Mais je sa is aussi qu'i ls sont imprévisibles. J ' attends loute la journée le chef de bri gade, qui a rri ve e nfin ve rs 18 heu res. Il me scru te cl continue son chemin j usqu 'au bureau . J'attends encore trois quarts d 'he ure avanl qu 'on me fasse entrer dans sa pièce. II m'invite à m'asseoir CI me pose quelques questions de routine. Il semble être informé de l' affaire et me di t qu' heureusement il me connaît, sinon il ne reste rai t rien , ni de moi, ni de ma famill e. Il me demande de l'allendre de hors el me remelle livret de fam ille . Une de mi - heure plus tard, il revient avec Merouanc. II me consei lle de fa ire attention à lui et d'apporter une photo de mon neveu. Depuis, Merouane est fiché . Dans la même journée, la mère de Mounir I!l Karim réuss it tout de même à leu r apporter de la nourriture. Réconfortée . elle demande ce qu i va advenir de Karim ; ils lu i répondent qu 'il sera relâché le soi r même, après l' arri vée du chef de brigade . Le lendemain, il n'e st to ujou rs pas li béré . Elle dépose il nouveau un pani e r de provi sions pour se:; fil s, pourtant Mero uane la prévient que, ta veille, ils n'o nt rien vu du repas
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apporté. Elle est très inquiète et quotidiennement, pendant une semaine, elle sc rend à la gendarmerie pour s'enquérir de ses fil s. Et soudai n, leur comportement. devenu plus conciliant, se métamorphose à nouveau. Ils lui ordonnent de ne plu s ven ir et ne pas apporter à manger. Ils l'envoient balader j usqu ' au jour où Kari m est libéré. Ils la prév iennent que Mounir a été tran:;féré ailleurs, en l'insultant : « Ah, tu viens plcurer ton fi ls, cc cri mi nel, tu ne pleurais pas quand il égorgeait les nô tres, ah, vous vou liez l'Etat islamique !» lis prétendent l'avoir transféré à un autre e ndroit, mais en fait il est e ncore c hez eux. Mouni r dispa raît donc pendant deux se maines sa ns que sa famille ne sache où il se trouve. (Ce n' est qu ' avec l' interven tion d ' un avocat que nous appre ndrons enfin qu 'il est écro ué à la pri son d'EI-Harrach ; il Y restera près de trois ans en mandat de dépôt avant de passer en ju st ice où il sera condam né à six ans de pri son. Il fera appel ct sera 1ibéré en 1999.) En sortan t de la gendarme rie avec Merouane, nous allons chez 1ui pour prendre quelques vêtements. Arrivés à la hauteu r du salon de thé « Takfarinas )), j'aperçois un groupe de mili tants islami stes attablés. Il s accostent Merouane et lui demandent si Mou nir a vraiment été arrêté ct s' il a parlé. Merouane les renseigne, mai s je lui ordonne rapidemen t de me suivre. Je crains que le fait de parler avec ces personnes ne nous mouille davantage . Nous étions déjà suspect s. Ils sont là pour savoi r si Mounir a donné des noms ct s'i ls do ivent déguerpi r. Merouane m 'exp lique que ce so nt des j eu nes qui militent dans de s réseaux, mai s qu 'ils ne sont pas encore connus des forces de sécurité. Ils savent que s' il s sont grillés. il s doivent prendre le maqu Is. Le réseau dont fait partie Mou nir est grand ct a~ tif de 8araki j usqu'à Reghaïa (dans la banlieue est d ' Alger). A l' origine, il s' agit ct ' un groupe de bienfaisance qu i récoltai t des vi vres pour les pauvres de la cité 2 004 logements. C'est une façon de venir e n aide aux gen s de s maqui s et aux pri so nn iers do nt le s fami ll es son t so uvent sans resso urces . Pe nd ant un ce rtain temps, ils récoltent des dons des commerçants cn produits ou argent. Quand ceux-ci ne donnent plus rien, il s COmmencen t à in timider les travail leu rs des grandes surfaces. Po ur e ux ce n'est pas du vol, c'est un butin de guerre pui squ'il s' ag it de
"litre gmuflt's (lrmis t'imililllirf's
biens de l'Étlll. Ces vols se font à grande éche ll e, avec la co mpl icité de certain s qui y travaillenl. Mai s celle source s'étant presque tarie, il s passen t aux petits hold-up. Ils attirent fina le ment l'atte ntio n des enq uêteurs lors d ' un détourne ment de fon ds de 100 000 dinars dans le soukel-fellah de Bab Ezzo uar. La po lice e nquê te sur ce vo l e t constate qu'un cerwin Nourredine, qui travaille dans un soukcl -fellah, est impliqué. Ce dernier est sous les ordres de Hocine Bouga ndou r, ce lui qui coll abore avec les groupes sans avoir jamais été condamné par la j ustice. Un j our qu' il se rend avcc un groupe de quatre ou cinq hommes au souk-el-fellah pour se « ravitailler », il s son! surpri s par une desce nte de pol ice. Nou rred inc est arrêté tand is que Bo ugandou r fu it et prévien t tout le monde de déguerpir. Mounir aussi prend le large, mai s il ne va pas bien loi n puisque c'est chez moi q u' il atterrit . C'est Bougandour qui garde les fameux cabas co menant l' argent d ' un ho ld -up commi s dans une banquc de Baraki et que le s militaires cherche nt chez mo i. Et c'est ainsi que, dans cette hi stoire, Mounir a écopé de six ans de prison alors que Bougandour, arrêté peu après, sera relâché quelques jours plus tard! Toute celle affaire m'a beaucoup angoissé. Je crai ns q ue les mil itai rcs doutent de moi et j'i mag ine sa ns arrêt q ue notre maison va être démolie. J ' ai souvent observé ce genre d 'opémtio ns, no tammen t aux Euca ly ptu s c t à EI-Mardja, o ù d es personnes so upçonnées d 'a ider les groupes terrori stes sont arrêtées chez elles et leurs maisons dynamitées. À Benlalha, en 1996, la maison d'EI-Azraoui, arrêté pou r avoir soute nu les groupes, a été dé mo lie
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Ulle opération de grande envergure
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En seplembre 1994, l' information circule que dans plusieurs villages. du côté de Boumcrdes et Larbaa, Ics groupes armés délesteraien t les citoyens de leurs pièces d'identi té. Ceux qu i ne ve u len t pas o bte mpérer se rai e nt fo ucnés à mo rt. La nouvelle se répand vite à travers l' Algéroi s o ù les gens paniquent. d' autant plus qu ' il s saven t qu 'i ls sont san s défe nse. Tous les quartiers y passent. même la cité 2 004 logcments où habi tent ma mère et mes neveux. L' un d 'entre eux. Am ine. me raconta qu ' un après-midi. alors qu ' il était assis avec deux de ses amis devant la porte de l'i mmeuble , troi s jeu nes se diri gèrent vers eux ct, tou t en leur mon trant les fu sil s- mitfilill eurs cachés sous leurs kamis, exigère nt leurs pap ier!'> d' identité. Mon neve u, qui n'avait pas ses papiers sur lui , fut pri s de panique . Il les supplia dc lui permettre d 'all er à la ma ison les chercher. L'un des jeunes du groupe le gifla et lu i donna deux mi nute s pour être de retour. Amine esca lada e n tro mbe les escaliers dcs troi s étages, prit son portefeu ille, fede!'>cendit le!'> escaliers, le tou t en 49 secondes! Un peu partout, ce sont des peti t!'> groupe s qui longen t les rues et interceptent les habitan ts pour leur en lever les papiers. Il ne nous se mble pas que ce soit systémat ique , bien que loute notre région soit touchée. Nous apprenons qu ' ils vien nent de passer par Caïd-Gacem. La rumeur ci rcule déj à que lcur visitc à Ben ta lh a es t imminente. Comme je ne eonnai s p
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terrasse. Et pui s. je suis persuadé qu'ayant prévenu les militaires. ceux-ci interviendront. Nous sommes en octobre 1994 et nous nous attendons 10US les soirs à la visite du gro upe . Je su is sur la terrasse avec M' hamed. La nuit est calme et do uce. De nombreuses lampes extérieures sont éteintes, mais la lune est si claire que nou s distinguons bien les objets à des dizaines de mètres. Il est exactement 22 heures quand nou s e ntendons un bruit vio le nt de coups frappés contre un rideau métallique et de s voix crier : « Ouvrez, o uvrez, c' est le GIA. ») Les voix proviennent de chez Ziane , à deux pâtés de maisons de la mien ne . Tout à coup. nous apercevons des individus qui avancent ct se déploient dans les ruelles du lo ti ssement. Le vacarme des coups cognés sur les rideaux métall iques se rapproc he. De nouveaux heurts chez Zianc retenti ssent , il dort ou n'ose pas ouvri r. Nous percevons des coups de pied. des insultes ct des menaces. Enfin, il réagit CI, après un courl échange de mots, il fini t par abdiquer et leur demande de patienter. Il ouvre la porte quand le claque ment d ' une gine sc fait e ntendre . Les intru s pénètrent chez lui en le poussant à l'intérieur. Dans la ruelle où il habite, les portes s' ouvrent l'une après l'autre. Je regarde la scène , impressionné par le nombre d'assaillants. Je descends de la ternisse sans dire un mot à mon voisin et je rne rends dans ma c hambre pou r cacher mon pa sse port et mon permi s de conduire . Je prends soin de préparer ma carte d' identité, qui est dans un piteux état. J'ai besoin de mon passeport , parce que je ne sai s pas ce q ui va arri ver et qu' il faut toujours être prêt pour un départ imprévu, d' autant plus qu' en cas de perte ou de vol les autorités n' en déli vrent un nouveau qu'après deux ans ou plus. Le permis de conduire m'est indispensable pour mon travail. Ma femme ct les enfants dorment pai siblement, ne se doutant de rien. Je remollle sur la ternisse pour observer ce qui st! passe. Du côté du petit oued, le groupe s'est scindé en deux, l'un d 'eux s'approche de nous. Il avance d ' une faço n très ordonnée. e n passant au crible tou tes les mai sons. Bien sar, certaines sont vides, mais les assaillant s procèdent à des vérifi cations en questionnant les voi sins ou en passant les murs de clôture. M'hamed est là et. lout en suivant leur progression, nous évitons de no us montrer.
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So udain , un groupe surgit dan s la ruelle à côté de ma maison. Nous les distinguons très bien. car à cet endroi t l'éclairage ex térieur est all umé (ce so nt des projecteurs q ue nous avo ns installés nous- mêmes, mai s après celle opénnion les groupes armés - j'y reviendrai - nous ordon nero nt d~ le s éteindre). Les membres du groupe portent des tenues d1fférentes. Certains sont vêtus à l' afghane avec turban sur la tête, d ' autres en jeans, T-shirt el chaussures de sport , ct quel ques-uns portent une kaclwbÎlI ( manteau de laine traditionnel. typiquement maghrébin). Les visages de certains sont masqués de cagou les d 'où dépasse nt de longues barbes. Il s so nt tous armés. M' hamed me dit qu ' il s sont au moins deux cents à deux cent cinquante ;je pcnseque c'est exagéré, mais en tout cas il s sont très nombreux. Pour ma part. je n' ai reconnu personne. Ce sont en majorité des jeunes, mai s les hom mes en tre trente et quarante ans sont nombreux également. Il est environ 23 h 30 quand il s fr ap pe nt à ma po rt e. Je descends en courant de ma terrasse pour leur ouvrir. quand ma femme qui s'est réveillée me demande ce qui se passe. Je lui fais signe de ne pas sc montrer et j'ouvre la porte d ' e ntrée. Deux jeunes au visage découvert ct en jeans se postent de part et d 'autre de l'entrée, l' un tie nt une Kal achnikov, l'au tre une mitraillette de marque Uzi. Un troi sième. vêtu d ' une kac/Illbia. a le visage couvert d' une engoule . Il doit porter une lon gue bnrbe . Il lient un gra nd sac dan s leque l s'amoncellent des dizaines de porte-documents ou autres papiers. Sans un mot,je comprends qu ' il faut mettre ma pièce dans le sac . C'est à ce moment-là que celui qui tend le sac. étonné, s' adresse à moi en me di sant avec un accent al gérois: <1 C' est toul? Va chercher les autres papiers! » Je lui réponds qu e c' est le seul doc ument que j'ai. II enchaîne : « Et ta famille 1 Tu habites seul ? » Je lui dis que je vi s
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III sllll' IIl1urt' ml qlwlidil'll
semble nt très à l' ai se dans leurs j eans et om des coupes de cheveux à la mode. Il s oml 'a ird 'être bien nourris et emraînés. Je ne sais pas ce qu i me fait penser que ce ne sont pas des islamistes, mais c'est une impression que j e ne serai pas le seul à éprouver. J'ai eu l"occusion de voir des ho mmes des maquis: il s o nt un autre comporte ment, so nt farou ches et di stam s. Souvent, il s o nt une marq ue sur le front (qui vient du fait qu' ils l'appuiem su r une pierre en priant), leur langage est truffé de formu les reli gieuses et il s in voquent Dieu à tout moment. Ccux qui no us ont rendu visi te n'ont ri en de tout cela et certa ins pourraie nt être tout juste sortis d' une boîte de nuit de Fortde-l' Eau, Bordj el- Kifan, un quartier de di verti ssement en bord de mer ! Pourl
j
Malgré mon double menson ge qui me met mal à l'aise, je suis un peu fi er de ne pas m' être ent ièrement soumis, mai s il est temps de m'écl ipser sans tarder. Je referme la porte à double tour et. après avoir e xpliqué à ma femme qui m' attend debout da ns le coulo ir ce qui s' est passé , je monte en courant sur la terrasse pour sui vre le déroulement de l'opéra tion. M' harned est déjà de retour sur la terrasse et m'attend . Il me dit avoir tout remis au groupe qui s'est introduit chez lui . Il a peur pour notre voisin Moussa. fo nctionnaire au mi ni stère de la Dé fen se. Il se poste au bord de la terrasse du côté de Moussa (maison n° 29 ') et observe la scène jusqu' à cc que cc dernier re ferme la porte derrière lui , sain et sauf. Moi, je me tiens du côté o pposé . où je vois que Mustapha Djaro (mai son n° 54) n'arrive pa!'i à ouvrir sa porte. Le gro upe !'i' impat ie nte et me nace de la fr.. casser. Mu stapha bégaie de sa petite cour qu 'i l ne retro uve pas tes cl efs . 11 le s sup plie de patienter une minute . Les autres lu i répondent gu' iIs n' ont pas de temps à perdre ct que s' i 1ne veut pas ouvrir, c'est qu ' il a quelque chose à .~e reproc her. Enfin , il arrive à l'ouvrir, Sil fe mme le suit, anxi euse. Il leur rem!!t deux sacoc hes e n expliquant que l'une est la sienne et la seconde celle de sa femme . Les intrus vérifie ntlous les papiers a va nt de s'en aller. Ju ste à côté de chez Mu stapha, nous voyo ns passer tro is é léme nts du gro upe emme nant avec e ux un ho mme fIgé. Je recon nais sa voi x, c' est celle d ' un sous-ofli cier en retraite de la garde républicaine (unité militaire chargée de la protectioll du préside nt de la République), qui vie nt d ' emménager avec sa famille, il y a à peine deux mois. En passant devant ma maison, j'ente nd s des mem bres du g ro upe lui d ire qu'il n ' a rien ri crai ndre, qu'ils veulent ju ste le présenter à l' émir, le chef du gro upe. Je m'attends toujours à une interventio n des militaires. Pl us le tem ps passe ct plus je m' inqui ète. II eSl llclUeltement minuit passé, les éléments du groupe armé se rassemblent sur le grand bo ul ev ard , ct je voi s q u ' il s e ntraî nent avec e ux plu sie urs ho mme:; enlevés que je ne reconnais pa s. L' un d ' entre eux les 1. Voir p. .m7. le pl~n dét~illé tic
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quanier ave,' b li ste d.;s n,~isonse!
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III/ (I" o(idil"/
supplie de le laisser retourner chez lui . Il gé mit : « Bien sûr,j'ai passé mon service mil itai re, mais cela fa it déjà bien longtemps. ~~ Les autres lu i répondent, en le bousculant pour qu 'il av:~nce : « Tu es concerné par le terrorisme , ~~ A 2 heures du matin, je redescends de la terrasse pour aller me coucher. J'espère trouver le sommeil. Dans leu r chambre, les enfants, heureusemen t. ne se sont aperç us de rien, il s dorment profondément. Je m'attarde quelques minutes dans le noir quand j'entends à nouveau des hurle ments et des cou ps cognés sur une porte tou te proche, Je remonte cette fois-c i au premier étage ct, à travers les persiennes, j ' aperçois un groupe qui s'apprête à enfoncer Je portai'i de Messaoud (mai son n065), qui vil là avec sa fe mme el un garçon de cinq ans. Il a toujou rs peu r, d'autant plus que, étant origi naire de Bcntalha, il connaît bi en le s <~ terros >, du coin et ne leur fa it pas très confi ance . Endormi, il a été réve illé par cc tapage ct, pri s dc pan ique, il re fu se d 'ouvri r. Finale ment , il cède lorsqu'il se rend compte que bientôt les assaillant s se seront frayé un passage de force, C'est à ce moment-là que j e remarque que les hommes qui s' acharne nt sur la porte ont un accent prono ncé de l'Est du pays, Il s pénètrent chez lui . J' ai une très bonne vue de là où je me tie ns caché. Messaoud est torse nu, sa femme en chemise de nuit. Les intrus leur ordonnent d'aller s' habi ller. Il enfile une veste de survêtement et revient à la hauteur de l' homme qui a l' air d'êlre un chef. Plusieu rs hommes entrent dans la maison et je vois Messaoud au mil ieu de la pièce éclairée montrant tous les papiers à ses agresseurs. Ils disculentlonguement et lui demandent pour que lles raisons il n'a pas voul u ouvrir. Deux ho mmes l' accompagnen t dehors où attend un grand hom me en kacJlllbia dont le visage est caché par une cagoule, Celui -ci lui pose qu el q ues que sti ons et Messaoud peu t final e me nt rej oindre sa ma iso n, soulagé. II a é té épargné parce q u ' il le conn aissaiL C'est un gars du quartier, du nom de Bouchakour, qui sèmera III terreur dans un proche avenÎr. En plus de ce la, la fem me de Mcssaoud li deux frères maquÎ sards, qui seront tLLés plus tard .
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l'IlIr.. XfOU/lI'S t/mlb " ( miliwirl'."
Scènes d ' horreur
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J',lpprends tout ce la le lendema in , ain si q ue le fait que le groupe armé n' a pas seulement encerclé nOIre lotissement mais tout Bentalha. L'opération a débuté aux environs de 20 heures et du ré jusq u ' à 3 he ures du matin . Le gro upe , qui s'étai t présenté comme étant du G IA , est reve nu da ns la même nuit, après s'être re ndu com pte qu'u ne partie du lotiSSe men t avai t été oubliée. Le quartier a été passé au peigne fin et je Ille suis demandé s'i ls n'avaie nt pas eu une 1iste, si non, comment avoir remarqué des absents? Une di zai ne de jeunes et deux émirs ont été recon nus de la population, notammem Omar, le frère de Djeha, un membre de groupe armé, le fil s d' un commerçant habitant près du quartier des Kaby les et un je une de la ci té 200 logements. Les autres assai lla nts étaient inconnus, mai s ce q ui nous li part iculi è rement frappés, c'est l' importance du groupe et la présence de nombreux gars de l'Est, Il s semblaien t très bien orga nisés ct opérer de manière très systématique . Une fo is leur besogne ac hevée, les assaillant s se sont regroupés sur le boulevard avant de disparaître par les vergers. Ce tte nuit-là , je n'ai pa s réuss i à trouve r le sommeil. À peine le jour levé , je sors pour aller au trava il. Je fa is les prem iers pas dans la ruelle à côté de chez moi, quand j'aperçois un attroupement important. Une femme et ses deux fil s sc diri gent vers moi, e n pleurant. C'est la famille de l' adjudant-che f de la garde républicaine en retraite. J'appréhende cc qui s'est passé , mais je n'ose pas le leur demander. Je conti nue vers l'all roupement au loin. Arrivé à la hauteur du grand boulevard, deva nt la première mai son de la cité 200 logeme nts, je vois une masse énorme recouve rte d ' un drap blanc taché de sang. De nouveaux arrivan ts se préci pitent sur le tas et soulèvent le drap. Je me retiens pour ne pas vomir à la vue des trois corps entassés l'un sur l' autre: le premier cadavre n'a plus de tête. Un hom me déchaîné court dans tous les sens, il ne retrouve pas son fil s enle vé la vei ll e. C'est Ic jeu ne appelé que j'avais e nt end u implore r ses ravi sseu rs . Quelqu ' u n lui co nse ille d'a ller voir un peu plu s loin, là où ont été découverts d 'autres cada vres, Mai s le malhe ureu x a déFI c herc hé dan s to ut 81
lu mie guerrt' /lU qltt./IÎ(!;t/I
Bentalha, en vain . Il découvrira son fil s décapité à Aïn-Naadja. Je vais moi aussi voir ce qu ' i1Ya pl us loin . Sur place, au centre du boulevard. la même scène, sauf que les cadavres ne son t pas recouverts. Il est très difficile de les reconnaître, car leur visage et leur corps sont recouverts de sang séché. À quelques mètres de là. derrière la pépi nière, une « assiette» de parabole traine par terre. Dans celte assiette, un casier en bois où est posée une tête. C'est celle de l'adjudant-chef de la garde républicaine. Ce spectacle est si monstrueux qu'i l en devient presque surréali ste. Je ne peux en supporter davantage. Je sens mon sang sc tïger en moi. c'est comme si un peu de ma vic partait aussi. Je rentre rapidement chez moi pour év iter à ma famille de voir ceue scène horrible . Tre ize personnes on t été tuées. parmi elles quelques mi litaires. J'apprendrai plus tard que le frère de Saïd, un capitaine de l'armée. a été assass iné à celte occas ion. Saïd, lui. deviendra patriote plus tard. Est-cc un double averti ssement? Pour les militaires ct pour ceux qui possèdent une parabole ou la télévision ? Les militaire s ne so nt venus qu'à 10 heures du matin . accompagnés d'ambu lances. Il s tirent dans tous les sens pour terroriser la population, parce qu'elle s'est pliée aux ex igences des groupes. Les rues sont presque vides ct personne n'ose sortir de peur des représa illes. Il s repartent assez rapidement et les am bulan ces emporte nt les cadav res. Ce n'es t qu 'à ce moment-là que les habitants sortent un à un. La mort plane sur notre 100issement . Si cela ne pouvait être qu'un mauvais rêve! Mal heureusement. cette agression a bel et bien eu lieu dans la nu it et les morts son t très réels. Maintenant, il faut se rendre à la gendarmerie de Barak i pour porter plainte et faire une déclarat ion de vo l de docu me nt s. Avec quelques voisi ns. no us prenons une fourgonnene en guise de transport. Sur le bord de la route , J'assiettc de pa rabo le est e ncore là. pleine de sang. Elle y restera quinze jours. jusqu'à ce que les mil itaires l' en lèven t. No us voyon s de no mbreu ses familles prcndre la fuite, emmenant quelques effets avec elles. À la hauteur de la gendarmerie, ulle foule immen se atte nd déjà devant le portail. Ccrlllins n'osent pas s'approcher. Deux ge ndarmes sortent du poste ct insultent les personnes qui attendent :« Vous leur avez donné vos papiers? La procha ine fois,
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! do nnez- leur vos femme s , bande de traîtres. ), DégoO té. je m'élo igne. Les gendarmes ont même refusé d'e nreg istrer les plaintes. Il a fallu l' intervention des autori tés pour qu 'environ trois mois plu s tard le problè me se règle. Par les temps q ui courent, toute personne sans papiers d'identité est suspecte! Ce lte intrusi on a fait pa niq uer les gens. À Bentalha . ell e avait un tout au tre caractère qu 'à d'autres endro its. Ailleurs. des groupes de quatre ou cinq éléme nts délestaient les habitants de leurs papiers, individuellement. Mais chez nous ainsi qu ' à Larbaa, celle opération avait un caractère paramil itaire! A la suite de ce carnage. de nombreux habitant s fuient le qU
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matériaux de construction e l même la production de matéri aux de construction, pui sque des fabriques de ciment CI des briqueteries par exe mple ont été détru ites. Les nouveaux entre· pre ne urs privé s qui s'étab li sse nt paient les grou pes armés. C'est donc grâce aux GIA qu ' ils onl pu prendre pied . Etquand il s ne peuvent plus payer, les GIA détruisent leurs install ations. Cc vol organisé a de graves conséque nces pou r les victimes. Non seulement. les commerçan ts ou autres petits entrepre-
Dérapages, confusion, incompréhensions
neurs sont à la merc i de groupes toujours plus avides. mais il n'est pas rare que les personnes rackettées soient arrêtées par
la ge ndarme rie . Il est incontestable que. dans les pre mi ers temps, bon nombre de commerçants ont soulenu les groupes
Les destructions d ' infrastructures De plus en plus d 'actes de sabotage sont perpétrés dans les années 1994 ct SUrlo ut 1995. Les groupes armés ne s'attaquent pas seulemen t ilUX commissariats et aux casernes, mai s aussi à un no mbre co nsidé rable d 'entreprises pu blique s, us ines, grandes surfilces, bâtiments admini stratifs des sociétés nationales, b.mques, etc. À Baraki , les attentats les plus spectacula ires sont ceux commi s contre la nouvelle agence d u CPA (Créd it populaire al gérien), la banque de Barah et l'entreprise ONACO. Les autobus sont très souvent incend iés, puis ce so nt les lignes té lépho niq ues q ui sont coupées, conséquence des poteaux sciés entre Baraki et Sidi-Moussa. Il n'y a plus de tr.msport public depuis la fi n 1993. ct il faut atte ndre u n peu plus d'un an ava nt q ue des fourgonnette s privées ne pre nnent en c harge la navette e ntre les différe nts quartiers de la périphérie et Al ger. En réalité, grâce à l' anéanti ssement de secteu rs entiers de l'économie étatique, les privés ont non se ulement pu s'install er mai s acquérir certains monopoles. Nous avons observé ce phé nomène dans le transport de pa ss age rs et J e nHlrc handi ses, l'approv isionnement d e
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volontairement. Mai s au fil des mo is, les 'lctions des groupes sont de moins en moins intel li gi bles et c'est l' incompréhension qui règne. La pression se fa it de plus en plus forte ct une grande partie des commerçants de Baraki et Bentalha sont contraints de débourser pour pouvoir survivre . Ces derniers en ont assez et je peux témoigner du courage de nombre d'entre eux, qui ont mis leur vie et cell e de leur fami Ile en péri l ou onl même payé de leur vic pour ne plus sc pl ier au dik tat des groupes. Je connais des entrepreneurs à Boudouaou qui n'onl pas voulu être rackettés el qui ont changé de lieu de rés idence o u ont été tués. J' ai vu mo i-même, à Reghaïa, deux jours de su ite, de nombreux camions incendiés. Les propriétai res s'étaient concertés pour ne plu s être sous la coupe des groupes armés: leurs vé hic ul es ont tou t si mple ment été détruits. Quant au propriétaire du kiosque de Haï el-Dj ilali . il a su bi tan t de press io ns qu 'a près avoir payé plusieu rs fois d 'importantes sommes aux groupes, il a fermé son commerce. Les me naces n'ont pas cessé et à l' occasion de l'u ne de ses rares visites à Bentalha, il a été assassiné. Ce qui me révolte, c'est le fa it que ces commerçants ct les autres personnes rackettées soie nt arrêtés et passe nt en j ustice, accusées de soutien au terrorisme. J'ai l'occasion d'en pilrler à un gendarm e, qui m ' exp lique que ces com me rçilnts sont connus des forces de l' ordre parce que les G IA les dé noncent e t q ue les se rvices de séc urité disposent mê me de li stes su r lesq uelles sont inscrites les sommes versées. La raison qu' il me don ne n'est pas très convai ncante : il s'agi rait pour les G IA
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fa !iale guerre (/1I4uU/ù{ieu
de les co mprom ettre pour les inciter à prendre le maquis. Même à la télévision, on nous présente des témoignages de commerçants arrêtés qui avoue nt leur délil. En réalité, nous cons tatons so uvent qu ' un mem bre de grou pe armé repenti ayant dénoncé le commerçant est remis e n liberté, tandis que ce dernier écope de plusieurs an nées de réclu si on, accusé de soutien au terrorisme. Mais les pauvres commerçants son t auss i rackettés par des membres des services de sécu ri té . En 1995,j'ai vu une fois de mes propres yeux co mm ent un magas in d ' alimentation a été déva li sé par des pol iciers en uniforme. Il s ont même stationné un cam ion à la porte et sorti toute la marchandise. Où aller se plaindre dans cc cas? On pouvai t tout de su ite être taxé de terrorisme e t se retrouver en prison! En fa it, celle si tuat ion extrême ne peut qu ' arranger le pouvoir. Elle permet de liquider des di za ines d 'e ntrepri ses publ iques non rentables, de licencier des milliers de travailleurs pour raison de « chômage technique )} et de ne pas leur verser les salaires. Les nouveaux patrons profitent eux aussi de cet te précarité pour introdu ire de nouveaux contrat s d'embauche qui ne garantissent plus aucun droit aux travail leurs. Tout est permis, et la situat ion sécuritaire sert de prétexte pour to ul. Tandis que les emp loyés d u sec teur publi c son t co nfrontés à des contra intes de plus en plus éprouvan tes, de nouvelles activités privées, comme l' importation de biens de co nsommat ion , neu ri ssent et permettent à des arrivis te s de s'e nrichir en un rien de temps. Plu s tard, cc sero nt les écoles et les ce ntre s de santé qui seront touchés. Chez nous, en 1995, une bombe est placée dans le centre de santé sur le grand boulevard ainsi que dans l'école prima ire à côté . Pour les enfants ct leu rs parents, c'est une situation très difficile à gérer, car ils doivent rejoindre le s établissements scolaires à Baraki. Tous les j ours, je fai s l'all erre tour pour emmener ma fille à l'éco le, mais au bout de quelques semaines nous décidons, ma femme et moi, de la lai sser chez ma mère à Baraki, parce qucje n'arrive pas à conci lier mon emploi du temps et le sien, Face à ces actes de sabotage, les militaires réagissent en réprimant la populat ion locale, la cons idé rant comme 86
compl ice. Il s débarquent toujours en retard et e mmènent des person nes au hasard . Lorsq u'à Bentalha le parc de matériaux de la Sonclgas situé derrière l'école (ce lle-ci deviendra plus tard le siège de la garde communale) est incendié, toute la zone est couverte d'une épaisse fumée noire . Des poteaux en bois, des grues et autres engins ont été brûlés. Les militaires ne viennent, com me d'habi tude, que le lendema in ct si llo nne nt les ruel les de Bentalha, ciblant les personnes déjà fichées, qu'ils em barquent. Mais nou s voyons bien les ag issements d e certaines autres personnes ct nous som mes étonnés q u'e lles ne soient pas inquiétées. Elles sont, semble-t-i l, tolérées j usqu'au moment où, pour fourn ir des informations, elles sont arrêtées. Pour les habitants de régions com me la nôtre, la vic quotidienne est devenue une vraie galère. Les problèmes des transports et des barrages ne sont pas les moindres, parce qu'il nous faut les affronter quotid ienne ment. Même le fait de disposer d'un véhicule person nel ne faci lite pas toujours les choses. 11 y a bien év idemme nt les con trô les rout iers permanents, mais également l'interdiction après une certaine heure d'e ntrer avec son véhicule dans des localités comme Sidi-Moussa. Pourtant, on ne peut le laisser à l'extérieur, car il est pratiquement certain qu' il sera volé par des groupes armés . Et si un quelconque acte terrori ste est commis avec un véhicule privé, son propriétaire est « cuit ». Pour un chauffeur de voiture o u de cam ion d 'une société, il faut absolument éviter de se faire enl ever ou brûler le véhicule. La menace de mise cn chômage technique plane comme une épée de Damoclès. Sans parler du fait que la possibilité de faire des heures su pplémentaires ct d'être envoyé en mi ssion est totalement comprom ise - des Il extras » qui permettaient aux chauffe urs d'arrondir leurs fin s de mois. Si le véhi cule est brûlé, le chauffeur passe en conse il de discipline et est mis à l'i ndex. C'est la même chose pour les gardiens de bâtiments ou de parcs automobiles. Et il n' est pas rare que des poursuites péna les soient engagées, qui aboutissent à une condamnation de pri son ferme. Mais ne pas abandonne r son véhicule lorsq u'u n groupe armé l' ordonne, cela peut sign ifier la mise 11 morl. C'est pour cela que les chauffeu rs so nt touj ours bien
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.... lféral'ages, ("onfl./sio1l, incoIIll'dhemiollS
/a sale guerre (HI quolidien
informés des barrages des groupes ainsi que des routes à évite r
pour cause d' insécuri té. Mohamcd « Tourdo)) et Mohamed Tablati, deux vois ins de Haï eJ- Djilali , sont passés par là. Le chef de parc de Mohamed Tablati, employé par la Cour des comptes, oblige celui -ci à prendre quotidiennement le véhic ule après le tra vait avec lui pour sc fai re chercher le lendemain de bonne heure. Pourtant , il sait très bien qu 'à Bentalha les groupes sont actifs . Un jour, fin 1995, le véhi cule est incendié. Tabl ali est convoqué par la direction , qui le suspend de ses fonctions et porte plainte contre lui. Il est condamné à deux mois de pri son. À sa sonie , il n'est pas réi ntégré par son e mployeur. Pour ne pas se mouiller, les supérieurs ne donnent des ordres que verbale ment. S 'il arrive un incident, c'est le chauffeur qui en porte seul la responsabi lité. Dans le cas de Tablali , il lui a été reproché d'avoir pri s cette déc is ion lui-mê me et il de vait donc l'ass umer. Pour T o urdo , c'es t une aut re affa ire. Début 1995, des membres du g ro upe armé passent po ur prendre sa vo iture personnelle. Il s menacent de le tuer s' jl les dé nonce. Il s exécute nt un atte ntat près de la sabliè re à Be ntalha et il s vole nt des pneu s à un autre e ndroit. Les gendarmes arrêtent Tou rdo et. comme sa voiture a été impliquée dans un acte de sabotage. il écope de deux mois de pri son.
ttranges émirs Les personnages que j'ai vu ag ir ouvertement dans la zone de Bental ha sont ceux qui font la loi à partir de 1994. Bouchakour est pendant pl us de de ux ans l'émir de notre région . Origi naire d'une fe rme près de Be ntalha. il a une réputation de pelit déli nquant qui ne fréque ntait pas trop les mosquées avant l' avènement du FIS. II prend assez rapideme nt les armes après l' arrêt des électi ons et c'est lui que nous ve rrons habituelleme nt s ur les barrages. II a, d ' après certains ha bitan ts. participé à l'opération d'en lèvement des papie rs d ' ide ntité . Il se van tt: d'avoir égorgé lui -même deux cents personnes! Le vie il imam de Be ntalha ra pporte qu ' un jour de 1995, une se ma ine avant les é lec tion s préside nt ielles, alors q u ' il est 88
arrêté à un barrage de Bouchakour et son groupe, il assiste à une scè ne c ru elle. Le groupe es l à la recherc he d'un jeune homme qu i serait sur le point de rentrer à la maison après avoir effectué son service militai re, pour le liquider. Un é lé me nt du groupe d it à Bouc hakou r : « J'ai entendu dire que ton frè re a vait passé son serv ice militaire, alors avant d'aller che rcher ce mec- là, il fa udra it déjà co mm e nce r par lui ! ~~ Bo ucha kour a urait tout simpleme nt sorti son PA e t tiré une balle dans la têle de ce lui qui l' a interpellé ains i. L'i mam s'adresse à Bouchakour e n lu i di sant : « Mai s tu ne te rends pas compte de ce que tu fai s là ? C'est une injusti ce qui n'a rien à voir avec l ' i s lam .)~ Bouc hakour lui répond qu ' il a reçu des ordres et que nul n' a le droit de contredire ses déc is ions. Je ne sai s pas de qui il a reçu ces ordre s. Il sera tué tro is jou rs a près dans une embuscade mi litai re. Ens uite il y il Che rgu i, un voyou d'u ne tre ntaine d ' années q ui a été déclaré mort au moi ns à deux re pri ses. La première fo is fi n 1996, lors d' un accroc hage a vec les militai res et la seconde fo is lors du grand ma ssac re de Be ntal ha en septembre 1997. AI-A zraoui , âgé d ' environ tre nte-t ro is a ns, habitait quant à lui avec sa famille à l'entrée de Ben la lha . C'était plutôt quelqu' un de di scret et de pie ux qui fréquentait les mosquées. II était vendeur ambul ant de fru its et légumes. Les gens dise nt de lui qu'il n'était ni agressi f ni violent. Il a pri s les armes plus tard ct a succédé à Bouchakour après la mort de celui-ci. Lu i aussi a été déclaré au moi ns trois fois mort : une fo is e n compagnie de Chergui fin 1996. une deuxième foi s au mom ent d'une gra nde offensive m ili taire à Caïd -Gaccm pendant l' été 1997, et enlïn la derniè re fois durant l' offens ive de Ouled-A llal début octobre 1997. T ous ces ho mmes nous sont présentés comme des Ra mbo. Pas seulement par les habita nts du quartier qui les c raignent et les redoute nt, mai s aussi par les mi litai res. Je me souviens très bie n comment M 'r ize k, le ca pitain e respo ns able du po ste avancé de Bentalha. a dit à un patri ote qui se vantait de ne pas avoi r pcurde AI -Azraoui : « Que c rois-tu? Tu vas te permettre de tuer AI-Azraoui alors que moi , je lui ai liré huit balles dan s le corps sans qu'il meure?»
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La vie dans toute la région de Blida, Médéa. Meftah ct les banlieues sud et est d ' Al ger, dont Baraki et Bentalha, devient infernale. Après l'intru sion, en octobre 1994, des groupes qui no us ont enlevé les papiers ct J' assassinat de s voisins. notre e nferme me nt s'est accru. Nous étion s déj à ma rg inalisé s géog raphique ment ma is là, avec la peur et le d ik tat de s groupes, c'est un isolement comple!. Nous av ions instal lé des projecte urs ind ividuel s dans les rues, pui sq ue la mairie avai t tout lai ssé to mber, y compris I·éclairage . À partir de \' été 1995. certaines fam illes commencent à éteindre leur proj ecteur sans que je compren ne pourquo i. Et pu is j'appre nd s qu ' il s'agi t d ' une instruction des groupes. Moi,je sui s tout à fait contre ct je serai le dern ier à l'éteindre . C' est par pâtés de maisons que cela s'est fait. D' abord dans la "'.o ne de S idali. près d u gra nd bou lev ard , pui s la cité 200 logeme nt s; et finalement, nou s recevo ns la vis ite de Mohamed. le fil s de Sidali, qui nous prév ient que le GIA li ordo nné à toute la popul ati on d 'éte indre la lum ière. Dans de no mbre uses banl ie ues. d ès la nuit to mbée , les rues so nt plongées dans le noi r. Pendant plus de deux ans, ce sera ainsi. Ta nt qu'il fai t clai r. no us po uvons encore no us renco ntrer. mais dans la soirée chacun est chez soi. Parfois, je renco ntre M' hamed su r no tre terrasse commune . Mai s il n'y li plu s aucune di straction, plus personne ne j oue dehors, ni au fool. ni aux boules, on ne promène plus les oiseaux et il n'y a que les hommes qu i s' attardent encore un peu devant leur domic ile. On ne laisse plus les enfants j ouer dehors. Nous so mmes pour ai nsi d ire tétanisés. Nous vivons e n fonction des lois imposées par les groupes armés. tout en étant à l'écoute de signes toujours plus al armant... Les tout premiers mi li tants islamistes qui se sont ralliés à la lu tte armée ont été tués ou sont e mpri sonnés. Nos groupes locaux ont été assez rapidement récupérés par le GIA et à partir de la fin de l' année 1994. les émirs nationaux connus de la population, ceux qui o nt un pa ssé de mil itant s c t une ce rta ine créd ib ilité , sont éliminés ct re mplacés pa r des voyous . Ceux qui prenne nt la relève. même dan s nos quart iers. ne lult elll plu s pour une cause. Il s so nt encore écoutés de la populati o n, mai s leurs actions sc dirigent de plu s en plu s contre celle-ci et ce n'est quI.: 9()
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le recou rs à la violence qui garantit son rallieme nt. Les anciens sy mpathisants islamistes s'engagent de moi ns en mo ins volontairement. mais il n' est pas rare que leur soutien de la première heure les em pêche de faire marche arriè re. L' engrenage est fat al: ils sont contraints de rendre des services aux groupes ct, aux ye ux des mil itaires, il s sont complices. Celle position inconfortable va encore s'exacerber tout au long de l' année 1995. Le mal heu r est que, d uran t toute cette période au cours de laquelle les groupes dominent nos régions, aucune aide n'est à espérer de la part des autori tés. Nous ne sommes pas seulement délai ssés, mais pris véritablement entre deux feux. De surcroît, nous entendons parler de liquidations et d'arrestations de personnes qui ne peu vent être que la conséquence de dénonciatÎ ons de la part de la poli ce ou de l'armée: de plus en plu s de gens se plai gnent à la police des ag issements des groupes; el peu de temps après. ils sont liquidés.
Le cortège des morts Nous co mprenons de mo in s en mo ins cc qui se passe. À part ir de la mi - 1994 , les grou pes règnen t sans respecter aucune loi. Le GIA s' anaque à des fam ill es, des jeunes, c t impose des interdits qui suscitent des comportements aberrants. Les émirs et certains de leurs lieutenants se comportent en petits roÎ telets arrogants et exigeants. Les rég io ns comme Larbaa. Meftah , Khe mi s e l-Khec hna sont mêrne pendant un ce rtain te m ps ap pe lées «( zones libé rées » , parce q ue le s groupes y règnent tota le ment. Chez nous, la situatio n est un peu d ifférente. On ne peut pas parler de « zone libérée », car les grou pes n' ont pas le contrôle abso lu sur nos qu artiers. Mais dans ta ule la rég io n, la folie semble rég ner. To us le s deux jours, nous découvro ns des cada vres. y co mp ris de je unes fille s. Parfois, ils sont accrochés à un poteau ou attachés avec du fi l de fer , découpés en morceaux ou décapités. L' horreur ne se mble pas connaître de limites ct cette explosion de barbarie nous est tout à fait incompréhensible. Les personnes tuées le sont parfois parce qu 'e lles refu sent le racket ou bien parce qu 'elles sont fon ctionnai res, ou exerce nt
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III '"ljl" guerre lW quO/itlil'u
d'au lres profess ions prohibées par les grou pes armés. El les sont considé rées alo rs comme des traître s ou des sbires du pouvoir « corrompu et impie », Les cadavres mutilés de ceux qui on t é té enlevés à Ben talh a so nt largués à El -A mirat ou Caïd-Gace m ou même Aïn - Naaja. Ceux q u'o n e n lève à Baraki , on les retrouve par exe mple à Bentalha. Le premier cadavre de fem me que je vois. au début du mois de mars 1994, est déposé ft l'cntrée dc Bentalha, en plein milieu de la route. Personne n'ose l' évacuer. car des gens ont été tués pour avoi r porté ass istance aux blessés ou pour s'être occupés des mo rt s ou avoi r assisté à un e nterrement. À Meftah . par exemple. il y avai t eu un allentat contre un camion-citerne qui descendait de la caserne, Un militai re avait été tué et leconducteur b lessé . Ce dernier parv int à fuir jusqu'à la mosquée et chercha en vain de J' aide. Finalement. quelqu' un lui apporta du secours. Le lendemain , il fut liq uidé par le GIA. Mo i, je ne sui s pas assez courageux pour aider. Cela me révol te pourtant de voir des je unes hommes tués san s que quelqu' un ose intervenir. Nous fe rmons les persiennes et nous nous retirons chez nous. J'assiste ainsi à deux ou trois reprises à des exéc uti ons à Baraki ct à Haï e l-Djilali. san s que no us ayons le courage d' intervenir. El-Hadj , un serge nt-chef retrai té de l'a rmée qui travai ll e com me c ivil au min istère de la Défe nse, es t tué il bo ut po rta nt devant sa maiso n à Haï e l-Djilali . EI-Dufi et son complicc, tous deux membres du groupe armé de Baraki.le guenaient. J'entends le coup de fe u de ehez moi ct je me précipi te à l' ex térieur. D' abord, personne ne veut s' approcher de lui. et puis Issiakhen s'en charge. Mai s il q uittera le qu artier peu après, craignant les représailles des groupes. Le propriéta ire du ki osque, q ui avait dû fe rmer à cause des pressions qu ' exerçaient sur lui les groupes, a é té tué dans la rue, com me je l'ai déj à évoqué. en 1995; son corps a é té aba nd o nn é ju squ 'à ce q ue les se rvice s de séc u rité l'évacuent. PI us la popu lation prend ses distances vis-à- vis des groupes, plu s la pression sur elle s'exacerbe . Ainsi, alors que, dan s les années 1992- 1994, les membres des groupes ont leurs propres vé hicu les, à partir de 1995. lo rsque les forces de séc urité commencent il reprendre un peu le dessus. ils confi squent les
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déml'l'.t(es. Clmfllsiull. illcmuprlht'Ilsiol/s
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vo itu res des ha bit an ts. Du cou p, de mo in s en moins de personnes on t des voi tures à Haï e l-Djilali : les uns les melte nt sur cales. les autres les vendent Quand le gro upe patroui lle le quartier. je me fais di scret D'ailleu rs. je ne m 'aventure pas dans les alentours. Je sors tôt le mati n pou r aller au travail e t je reviens en fin d 'après-midi. avant l' installation du barrage, Je ne veux pas me faire repérer, parce que je crains qu' ils n' apprennent que je tra vail le pou r les militaires. Je fa is les achats à Bamki el je ne fréque nte pOIS les gens de Bentalha, il de rares exceptions près. D'a illeurs, il celle époque. nous sommes souve nt à Baraki chez ma mère ou chez ma sœur. à Bordj cI- Kifan. Nous avons même été cambriolés à de ux repri ses pendant notre absence. Pendant l' é té 1995, apparai sse nt des indi vi du s que nous n 'av io ns jamais vus aupara va nt. Ce son t de s gai ll ards très costauds. te ls qu'on nous les mo ntr.. it à la té lévision, en tenue afghane. longue barbe et crâne rasé. Il s ont des arme s imposa ntes avec eux, des fu sil s·mitraille urs FMPK . Il s sorte nt e n pl ein jour et viennent s'approvisionner chez Chouch, qui a un petit magasin d' alimentat ion, et dans un autre com merce d.. ns la rue derrière ma maison. Il s repartent c n direc tion du grand o ued el di sparaisse nt dan s les vergers. Il s n'e ntre nt pas en contac t avec la population . J'en ai vu trois ou quatre. mais j e pense qu'ils sont plu s nombreux dans les vergers. Il s ne sont pas restés longtemps, quelques jours peut-être. le temps de .. s approvIsion ner. Cest après la venue de ces maqui sards que nous observons un regain d' activité de nos grou pes locaux. Je les vois deux ou tro is fo is il Haï el- Dji lali el à plusieurs reprises dans le vie ux Bc ntalha. Ils so nt généralement en voi ture ct sillo nne nt les quartiers. Ce n'est que lorsque les mil itai res ont enfin installé leur poste avancé à l'entrée de Bentalha. débu t 1996, qu 'on Ile les aperçoi t pl us e n voi ture . Mais ils continuent de s'acti ver à pied . Il s von t il Baraki ou Sid i-Mou ssa, o ù il s con tinuent il perpétrer des attentats contre des personnes ou des infrastructures. Nous apprendrons qu' il s e mpruntent des canaux désaffe ctés aménagés pour ca nali ser l'oued. U ne fo is leur opération ilecornplie, ils se regrou pent le malin li l'en trée de Haï e l· Dj il al i et se replien t ver s les ve rgers e n di rec ti o n de
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Caïd-Gacem. À mon avi s. il aurait été facile de les débusquer, puisque leur itinérai re était connu . Je crois que, à ce moment-là, le groupe de Barak i s'est rallié à celui LIe Sidi-Moussa et qu ' il s opèrent e nse mbl e dans la région. Il s font des barrages au niveau de Caïd-Gaccm, où plu sieurs fois de suite il s attaquent des camions militaires pour di sparaître soudainement dans la nature . Il s'est avéré par la su ite qu'il s cachaient leurs véhicules dans la ,< maison de viei lIesse " de Caïd-Gacem, qu ' il s ont dû investir dès 1994 pour en faire leur QG , D 'ai ll eurs, cel a no us a toujou rs étonnés que l' hospi ce n'ait pa s eu de probl èmes, parce qu'il s' agit quand même d 'u ne in stituti o n publique. Fin 1994, en rai so n des nombreuses atlaques, les mili taires ont bloqué la roUle menant de Sidi-Moussa à Bentalha, sauf pou r les transports mil itaires ct par moments auss i les publi cs. Depuis lors, il nous falla it fai re le tour par Larbaa . Avec la présence accrue des mil itaires à partir du début 1996, le rav itai llement des groupes se complique et ils se rabattent sur la popul ation, même pou r quelques litres d 'essence. Au moment de la construction des mai sons e n préfabriqués à l'est de notre lotissement, pendant l'été 1996, l'entreprise de construction recrute cinq jeunes pour s'occuper du gardiennage de ce chantier. 11 est clair que cette mi ss ion implique de s'e xposer la nuit aux grou pes armés . Il faut donc trouver un compro mi s avec eux . Certains n'acceptent pas et q uittent le quartier, d'autres, comme Fodhil, qui habite dans la rangée de maisons où se trou ve Nassia (mai son n" 4 ), leur re nde nt de menus services, en leur fournissant de l'essence par exemple. Fodhil sera arrêté plu s tard par les servi ces de sécur ité et « disparaîtra ". Ju ste de rri è re Chouch, dans la même ra ngée, il y a un bou langer (n° 13). Le gérant est le gendre du propriétaire, un retraité de la ma irie. Le fil s de Bo ubaker tra vai lle chez IUÎ comme appren ti. C'est lui qui sert les groupes qui vien nent s' approvisionner pendant la nuit.]] ne peut pas faire autrement. Je pense que le géranll'a dénoncé en 1996: les gendarmes el les mil itaires, en compagnie des mili ciens, font une descente il Haï el-Djilali pour l'arrêter. À celte occasio n, il est tué par un
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démll{lKes. cOI/fi/sion. ilrcomprélwl!sio!1.\'
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patriote. Le bou langer a quitté les lieu x début 1997. lorsque de nombre ux habitants du quartier ont fui. En 1996. le di recteur el le responsable de l' administrai ion de l' hospice ont été relevés de leurs fonct ions. Il est difficilement imaginable que les militaires n 'a ie nt pas é té informés de la p rése nce d es gro upe s à cet e ndroit pe ndant des années. L' hospice est isolé, mais il se trouve tout de même à cinq kilomètres de la caserne de Baraki , au bord d' une route départementa le ct dans un paysage très o uve rt. Une all ée bo rdée d'arbres mène vers la maison de viei ll esse, située à quelques centaines de mètres du lotissement de Caïd-Gacem construi t vcrs 1986.
Faux maquis Créée pendant l'é té 1994, l'AIS n'est pas implantée c hez nous, mais dans l'ouest ct l' est du pays. Dans l'Al gérois, II Tablai, Médéa, Larbaa et Meftah, le MIA était bien impl anté, mais il a été fortement combattu par l'armée en 1992 ct 1993. Pendant un certain temps, il semblerait que le GIA ait dominé le terrain, jusqu'à ce que, à partir de 1995, interviennent des défections de groupes s'opposant à ses pratiques. La populati on loca le ne semble pas avoi r de problèmes avec les ancie ns activistes du parti originaires de cette rég io n qui sont montés dans le maq ui s. Nous avions déjà entendu dire que les ex-militants du FIS étaient la cible privilégiée des attaques des GIA. mais nous avons su très tôt que ces derniers o nt redou blé de férocité ct traqué les membre s des grou pe s d'oppos ition, notamment l' AIS. Il semblerait d'ailleu rs que celle dernière n'ait pas agi longtemps car, dè s 1995. des inform ati ons ci rculent à propos de négoc iati o ns menées avec le po uvo ir en vue d ' une trêve. Pendant ce temps-là, les cou ps portés par les GIA touchent de p lu s en plu s la populati o n c ivi le, qui comme nce à fuir le s vi ll ages. Nous, nous ne compre nons pas le pourquoi de ces ri valités entre fractions isl ami stes, mais pl us les campagnes de (erre ur et de menaces contre les populations acquises aux idées
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• /(/ Slllt' 8",rrf au quolidiflt
isl amistes se mult ipl ient. plu s nous nous posons de q uestions au sujet de l' identité de ces G IA. Certai ns réfu giés des régions attaquées s' installe ront chez no us. De nombreux vois ins craignent que Bentalha aussi soit confro ntée à cette vague de terreur. Mai s cc qui est à la fo is tro ub lan t e l choquant , c'es t que, de plu s en plu s souverll . j 'e ntends des témoignages qui font état d'opérations menées
par des mi 1itai rcs dégui sés en is lamistes. Nous o bte llons des informations direc tes de la régio n de Tablat. parce que plusieurs de nos voisins en sanl originairès ct reçoive nt la visite de parents. Par exemple, le fi ls de H'sscn elle cousin de Moussa rapporte nt avoi r reconnu des mil itaires dégu isés en islamistes qui, lors de barrages, o nt égorgé des cami on ne ttes e ntière s de passagers. Abderazek, vo isin ct neveu de Moussa, raconle qu'lI a vu des hommes portant des vête ments islam iques largués par des hé licoptères qui sc sont att aq ués :1de s villages . Prog re ss i veme nt , no us so mme s convaincus qu' il s' agi t de commandos spéciaux de l'année qui terrorise nt les populations pour discréditer les combattants des maqui s ct les retou rner contre ces derniers. L'objectif est aussi ce rtainement d 'a ffa ib lir l'A IS d ans ses reve nd ica tio ns. D' ai lleurs, dès 1996,j'e ntends dire que la trêve de l' AIS est mise e n pratique sans avoir encore été annoncée offi cielle, ment. Mais pas une ligne n'est écritc d,ms les journaux au sujet de ces massacres. En 1996, je suis persuadé que les services de sécurité lai ssent certai ns groupes armés islamistes agir en taule connaissance de cause. Je rencontre même des militaires qui se posent de s questions à ce s ujet ct qui me fonl part de leurs doutes quant à la nature de certain s pré tendus « terroristes )). C'est com me s' il y avait une volonté de laisser pourri r la situation. Ainsi, par exemple, des nombreux appelés qui sont tués: il est vra i que les groupes armés ont me nacé les appelés, mais cert aines liq uidations ne peuvent s'ex p liq uer que par de s dénonciati ons. Car lorsqu' un appelé a une permi ssion, il lui est inte rdit d'em mene r so n titre de perm iss io n et ses papi e rs (beaucoup avaient par le passé été interceptés dans les trai ns ou les cars et avaient été tués). Maintenant, les appelés ont l'ordre de quitter la case rne en c ivi l, san s emporter d' uniforme, sans
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fllr(I/'Ilgfs, umfusioll, incompréllt'miimu
papiers et sans avertir leur famille . Et voilà que des « terros » les acc ue ill en t c hez eux, le jou r même de leu r a rrivée . Comment ont-il s été informés'? Des mères qui ont rendu visi te à leur fils en service prétendent avoir reconnu des militai res de la caserne dans le quartier. Je co nnai ss ais un capitaine de l'a rmée trav aillant li la caserne de la SM à Bouzaréah, qui ba vardait beaucoup. Peutêtre est-cc la raison pour laquelle il a été tué, alors qu' il accompagnait sa fe mme à l' aéroport. C'est lui qu i me donnai t un certai n nombre d ' informations. Il m'avait dit que les mi lita ires craignaient que les appelés, après deux ans d 'entraînement. ne rejoignent les maquis et qu'en fait, en brandissant la menace de liqu id ati o n par les groupes arm és, ils les o bli geaie nt à s'engager. Les mi lit aires, à l'é poq ue, manq uent en effet d 'effect ifs , comme les policiers. Le service militaire dure dix-huit Illois, mai s l' armée garde les appelés six mois de plus : il s so nt al ors payés (plus tard, beaucoup sero nt enrôlés dans les rangs des gardes comm unau x). Mais quand Ics massacres à gra nde échelle ont comme ncé en 1997, j'ai vu devant les casernes et le siège de la Marine à] ' Amirauté des « chaînes» (des queues, comme on d it en France) incroyables de jeunes qui vou laient s'enguge r. Alors qu ' auparava nt l' armée n ' ava it pas assez d ' hom me s, elle ne savai t p lu s quo i fa ire de tous ces volontaires. Oc plus en plu s souvent, nous nous posons donc des questi ons s ur l' ide ntité des gro upes ct de leurs commanditaires. Tant d ' incidents insol ites se déroulent sous nos yeux suns que nous ne les comprenions, ct il faut parfois une certaine distance pour en sa isir le sens. Quand o n est acteu r, il y a beaucoup d 'é lé ments nous, opaques, q ui subsi stent sans qu'on y attache d ' importance. C'est avec le rec ul q ue certains événe men ts prennent une tou t autre sign ifi cation. Preno ns par exemple les recru teme nt s des jeun es à leur sortie de prison ou des centres de tortures. Pour moi. il n'était pas illogique qu ' il s rejoignent les maqu i .~ uprès avoir subi tant d ' inj usti ce: co mment continue r à supporter les foudres de peti ts agents de répress io n minables qui , dans une impunité totale, se dé roulent sur des gami ns, quels que soient les dé lit s
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lu sul.. RI/urt cm q/lUlie/il'"
dont il s sont accusés? Je pensais donc que cette violence pous· sait les jeunes vers les maq uis, où ils étaient pris en c harge par des militants chevronnés, d 'autant plus q ue, parm i les fu yards, no mbre u x é taie nt ce ux qui avaie nt déjà rendu de me nu s serv ices au x groupes. Cc n' est que plu s tard q ue je me s uis souvenu de cenains récits qui sur le moment ne m'avaient pas fait supposer l'ex iste nce de faux maqu is. Hocine est un jeu ne homme dynamique de di x-huit ans q ui habite la cité 2 004 loge me nts à Baraki. Comme des mill iers de jeunes, il suit le mouvement is lamiste da ns les années quatre vingt-dix. Il va régulièrement à la mosquée, Pou r une affaire de bagarre entre fam illes, il écope e n 1994 de trois mois de pri son. Duran t Sil période de détention, il est tout de suite protégé par un groupe d'is lamistes. Ses codétenus l'ont persuadé qu'il faut rej oindre le maq ui s po ur dé fendre la cau se de l' islam . À sa sortie , il est im médiate ment accosté à Baraki par des hommes qui lui propose nt de rej oi ndre les groupes armés. Refusant de coopérer avec e ux, il est battu une premiè re fo is devant toulle monde s ur le marché de Diarel-Baraka. Ils lui cassent le nez en le frappant violem ment avec une pla nche. Éta nt sans travail. son père ct ses frères se cotisent pou r lui acheter des cigarettes, qu ' il vend sur une petite table. Des po licie rs e n patrouille s' arrêtent de temps e n temps pour prendre des paquets grati s et fume r à l' œi l ; ils s'attardent devant son étalage el discute nt a vec lui . Tactique class ique des policiers pour brûler les je unes v is-à-v is des is lami s tes: avoir des co ntacts avcc de s age nts des services de séc urité les comprome t. Pour Hoc ine , cette situati on estlrès inconfortable, pu isque ne pas parler aux fi ics s ignifie ê tre de l'autre bord . Quelques jo urs s'écoulent avant qu ' un autre groupe. brandissant des haches ct des couteaux et c ri ant (( Allah est grand >l, ne lu i coure après pour le liquider. Il s'en sort miraculeusement e n abando nnant sa table de cigarettes et di sparaît pour quelques j ours du quartier. La tro isième foi s, il n'y éc happera pas. En pleine nuit , un groupe de commando de onze hommes, habill és co mm e des (( ninja s ", armés de Kalachnikovs e t remarquable ment entraînés, pénètrent dans la mai son fami 1iale ct l'cm mè ne nt malgré les s uppli cations de la mè re. Les assail lants me nacent dc la tuer el tnlÎne nt Hoci nc à 200 mètres de la
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e/ÙCll'{/g f's. nll/fuS;O/l. il /rOIll{' tllwlI sicm .1"
maison, le plaquent au sol, et lui tiren t plusieurs balles dan s la tête . Je l'a vai s rencontré peu de te m ps aupara vant. Il m ' a vai t raconté q ue pendant son séjour en prison, il av ait cu la fe rme inte ntio n de rejo indre le s groupes, mai s qu ' il s 'étai t rav isé pa rce qu'il ava it reconnu parmi les me m bres du groupe qu i l' avaient atte ndu à sa sort ie un mi litai re d ' une caserne d ' EI -Harnlch, Il a préféré ne pas se la ncer dans celle a ve nture, mais il en a payé le prix. Les is lami stes du q uartier, eux, sont convaincus qu 'i l a été tué par des (( frè res» e t donc du bie nfo ndé de cet assassinat. À ce ttc époque, la confusion s'amplifie. Déjà en 1994, il Y li des policie rs habillés cn islam istes qui contrôlent les transport s publics pour repérer les te rroristes . El des is lami stes s ' habille nt e n militaires pour mettre les victimes en confi ance. Cette s ituation que nous sai sissons de moi ns e n moi ns a pour conséquence que nous nous renfe rmo ns progressiveme nt dans celle logique de terreur qu ' i 1nous est impossibl e de communique r à d ' autres, extérieurs à nos ca uc he mars . Nous cont inuons à vivre,;1 parler et à ri re, mai s il semble que nous vivons da ns un autre monde, ce lui de l'horreur e t du sang.
Meftah entre commandos spéciaux, faux et vrais maquis Comme de pui s 1992 je dirige plusie urs chant iers à Meftah , je connais bicn celle bourgade située à plus de 30 km d ' Alger e t 13 km de Be ntalha. L' un des c hantiers est au ni veau du siège de la commune au centre·v ille, le de uxiè me est une école dans la montagne de Safsaf e n plein maqui s e t le trois iè me se trouve d a ns la caserne de parachutistes, en hau t de la mo ntagne. au-dessus du sanatorium. s ur la rou te qui mène à Ta blaI. C 'est une zone accidentée et assez isolée. Les forces de sécu rité y so nt ma ss ivement implantées. a vec cctte case r ne de commandos parach utistes, une base de « ni njas », une cent rale de poli ce, ulle ge ndarmerie, une unité mili taire , le tout dans un rayon d'environ 10 km . Mai s c'cst aussi une rég ion de maqui sards. Ce n'est pas une (( zone li bérée .. mais, é tant donné que 99
la soit' gl/urt' (/Il quO/ic!itn
Zbarbar est la premi ère zone montagneuse en venant d 'A lge r, les groupes s'y replienl. Les groupes armés pratique nt la pol itique de la terre brûlée . Ils incend ient les camions qu' il s trouvent sur la route, détruisentie matériel dans les parcs. En 1993, quatre camio ns appartenant à la société pou r laq ue lle je travaille sont brûlés. Les « te rros » ont do nné l' ord re aux. deux. gardien s de ne pas bouger et ont mis le feu. Le lendemain, en découvrant j'acte de sabotage, je me rends à la gendarmerie avec l'un des gardiens pour porter plainte. Les gendarmes de Meftah ne le croient pas et le frappen t en lui disant: «. Po urquoi n'es-tu pas venu porter plainte h ier so ir'!» Il s save nl pou rt an t très bie n qu'i l est impossible de circuler le soi r. D' ailleurs, s'i l était venu, ils ne lui aura ient pas ouvert la porte. Dès la tombée de la nui t, ils se barricadent dans leur bri gade et plus rien ne les inté resse. II.~ menace nt d'écrouer le pauvre gardien. Heureuseme nt,je peux m'i nterposer et j ' arri ve à le tirer de leurs gri ffe s. Début 1995, nous décidons d' arrêter le proj et de constructi on de l'école à Mertah. Il est impossible de travai ller depu is que presq ue tout le matériel est incend ié ou volé. Je fa is donc appel II un transporteur privé pour e mba rq ue r le maté riel restant. Le ca mi on chargé cst intercepté par un groupe, qui dis paraît avec ce lui-ci et tou t l' équi pement, Le chau ffeur est contrai nt de se cacher pendant plus de s ix. mois par crai nte des représai lles des autorités, ma is aussi des groupes parce qu' il a osé porter plainte . Il y a même un mandat d ' arrêt qu i est lancé contre le propriétaire du camion. Le matériel, d ' une valeur de 400 000 dinars, a heureusement pu être retrouvé. Deux. de s ouvriers que j'avais envoyés charger le camion ont été arrêtés et ont écopé de trois mois de prison alors q u' ils n'avaiem rien à voir avec cette affaire et avaient quitté les lieux. après le chargement. J'ai eu des difficul tés pour q ue notre société leur paie leu r salaire. Je cro is que s i j'a i eu la vic sa uve, c'est grâce à certai ns ouvriers qui ont travai llé avec moi et q ui m' appréciaie nt. Que lques-un s o nt rejoint les maq uis après avoir é té à p lu s ieurs reprises arrêtés et torturés par les fo rce s de l' o rdre. Il s fo nt partie de ces jeunes qui n'ont jamais eu l'i ntention de prendre les armes, mais q ui ont été victi mes de ratles successives. Et 100
parce que les fo rces de sécurité trouven t qu'il s ont une sa le gueule, ils son t tabassés, tortu rés et fichés. À peine re lâchés, ils sont de nouveau arrêtés, passent par la torture et déc ident alors de s'enfuir dans les montagnes, BOil nombre o nt été arrêtés de cette façon trois, quatre ou cinq fo is, parce que. 10U I simplement. ce sont de pauvres gars sans défense et que les militaires ou ~enda rme s se vengent sur eux. A l'époque, tout le monde di t que les pri ncipaux. bu reaux de recru te men t des groupes ar més sont les com missariats, les brigades de ge nd armerie et les case rnes. Je s upe r vise une c inquantai ne d'ouvriers et, de temps en temps, il yen a un qui s'absente sans qu'on sache pourquoi. J' apprends par la suite qu'i l a été arrêté par les mil itaires , Le cas de J'un d'eux m'a pa rti cu li èreme nt c hoqué . Il s'ag it d'un je une conduc te ur d 'engin q ui réapparaît après avoi r été arrêté el torturé. II a le crâne rasé et les traces des brû lu res qu 'on lui li in tli gées sont spectaculaires . Je n'ose pas lui demander d'ex.pl ications tant il est éprouvé. Son regard est vide et il parle comme un automate. Il me demande d'envoyer sa paie à sa ram ille. Avant de partir pour le maquis, il me j ure qu' il n'a rien fa it ct me montre ses p laies encore suppu rantes sur le dos et le ven tre. Je suis horrifié. Dans les débuts,j' all ais régulièrement tl la caserne mili taire su r les hauteurs de Meftah. Il sem ble qu'tI un certain mome nt les militaires ne veulent plus d 'étrangers d.ms leur encei nle et je ne m'y re nds plus que rarement. C'esl une zone de haute sécurité et les contrôles pour e ntre r so nt très sévè res. À la mi-I 994, je dois y aller pour récupérer le matériel laissé par des collègues qui y ont travaillé. La cou r de la caserne est plei ne de solda ts fraîcheme nt débarqués, plusieurs centaines, qu i déc harge nt les camions et défont leur matériel. Il s ont des all ures de brutes, portent des insignes de parachuti ste et parlent avec un accent de l'Est du pays. Ils me donnent l' impressio n de venir de casernes du Sud, parce qu' ils sonl très bronzés. Peu de temps après, nous voyons ces mil itai res se déployer sur les routes et dans les vergers de la région de Meft ah. ll s ont l'air de sonder le terrai n. Il s porte nt toujo urs les treill is ve rts mais l' insigne de parac hutiste a disparu. Il s semblent s illonner depu is des jou rs les montag nes parce qu'ils sont sales ct ma l 101
hl l'IIf' guerre
ra~és.
llU IfIWlidiell
Il s sont véhiculés CI transportent avec eux des sacs de couchage el autres équ ipements. Ce qui est étrange, c'est qu' i ls pa nent des bandeaux noirs o u rouge s su r le front avec des inscriptions dorées. Il y est écrit Allahu Akbar (Dieu est grand) ou Bismillah Ar-rahman Ar-rahim (Au nom de Dieu clément ct mi séricordieux), deux formules religieuses avec lesquelles il s veulent probablem e nt afficher le ur prétendue identité islamiste. Un peu plus tard, nous apercevons ces mêmes personnages procéder à des barrages mobiles dans la région de Hammadi et Khemis el-Khechna, qui se trouvent respectivement à 8 km et 16 km de Mcftah. Il s sont postés à l' extérieur de Hammadi. dans les vergers, et interceptent les voitures. Pour me rendre à un chantier à Rouiba, je passe par Hammadi. et là, il s m'arrêtent à deux repri ses. J'ai très peur parce que je ne sais pas très bien s 'il s'agit de militaires ou de terrori stes, mai s je leur montre tout de même mon ordre de mi ssion et ils me laissent passer. Quelques-uns d 'entre eux portent ces bandeaux. À une de ces occasions, je vois un camion dans lequel attendent une dizaine de civi ls arrêtés. Depuis qu'ils tiennent les barrages, \cs méfait s de ces militaires terroristes se racontent au-delà de la région de Meftah . Ce sont des sauvages qui attaquent les maisons, fon t sorti r les habitants, les frappent , le s fu sillent ou les égorgent. Il n'y a pas d 'arrestations. Les habitants de ces régions sont décontenancés, ils ne savent vraiment pas à qui ils ont affaire. Mourad Soltan i est un chauFfeur de poids lourds qu i lravai Ile pour la même entrepri se que moi. Il a de nombreux défauts, co mme celui de s'abse nter pour c ultiver sa terre, o u faire quelques affaires avec le camion dont il est le propriétaire. Il habite dans un village près de Hammadi appelé Ben Ouaddah. Comme en Kabylie , ce vi llage est composé de troi s ou quatre familles installées sur des terres agricoles d ' où provient une bonne partie de le urs revenus. La plupart des constructions sont ill ici tes et les doss iers ont été déposés à la sous-préfecture pour légali sation, ma is ils n'ont pas été réglés. Le s groupes islam ique s son t très actifs dan s celte régio n ct beaucoup de jeu nes opte nt pour l'oppos ition armée et prennent le maquis.
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llirapages. confusion. ùrcomprihf'lIsiol/S
Certain s d 'elllre eux ravivent d 'anciennes querelles de famille ou vont dans les villages voisins pour afficher leur suprématie. Un jo ur, voyant Mo urad Soltani perturbé, je le convoque pour en savoir plus. lime racon te qu'il a de sérieux problèmes et qu' i1a peur pour sa fille qui a à pei ne quatorze ans. Certains membres du groupe armé qu i contrôle la région l'ont prévenu de faire attention à elle, car el le aura it de mauvai ses fréquentations. Il ne trouve rien de mieux à faire que d ' i nterdire à sa fille d ' a ller à l' école, craignant qu 'elle ne soit enlevée, violée ou tuée. Je lui demande s' il ne serait pas plus indiqué de prendre quelques se maines de congé et de di sparaître le temps que celte affaire se calme, voire de déménager carrément. Mais il nc vcut pas metlre le reste de sa famil le en danger ct espère régler le problème à sa façon. En plus, où aller ? Il ne prend pas de congé et essaie d 'ass urer son travail. Une sema ine après notre conversation, il s' ab sente sa ns me prévenir. Je demande à l'un de ses voisi ns, qui travaille également avec moi, d'all er se renseigner sur ce qu i se passe. Lc lendemain matin , je demande au voi sin s'i l a des nouve lles. D'abord il ne veut pas parler, mai s je le mets en confiance en lui montrant que je sui s au courant de l' affaire . Il me raconte alors que Mourad a de sérieux problèmes fam ili aux et qu'i l ne sait pas quand il pourra reprendre le travail: après les menaces à ['encontre de sa fi lle, le groupe armé aenle vé l'adolescente à son domicile, en plein jour, alors que son père était au travail. El le est restée introuvable pendant trois j ours, avant de revenir, le visage balafré et en sang . Elle avait été vi olée. Traumatisée, el le ne pouvait plus parler. Son père a « pété les plombs)} et n'a même pas ass isté au consei l de famille qui devait se tenir ce soi r-là. Un groupe armé, dont certain s sont habillés comme des milita ires et d 'autre s comme des islami stes , profite de ce rassemblemenl des hommes du vi ll age pour in vestir les lieux , tuer plu sieurs personnes et enlever une dizaine de jeune.~. Je m'aperçois que, en me racontant cette histoire tragique, la peur le gagne: il avance sur un terrain dangereux . Il ose enfin me confier qu 'en fait le groupe de com mandos était composé de militai res récemme nt affectés dans la caserne de Meftah , e t qu'il s portaient auto ur de la tête un bandea u ro uge avec l' inscription Allahu Akbar (Dieu est grand). 103
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glll'rrl' (lU ((uVlidil'1l
Environ trois mois après l'installation des commandos dans
la case rne de Mdt ah. je rencontre quelque s- un s de le urs membres dans la ville même. Je sui s sûr q u' il s appartie nne nl aux unités que j ' ai vues dans la caserne. parce q u' ils porlent le même uni forme el omla même allure . To utefoÎs. ils ne porten! pas les bandeau x. À cc mo ment-là. ils ont in vesti CI « ncnoyé » une grande partie de la région. Ces membres de comm andos spéc iaux sc comportent en vérilablcs barbares sa ngu inaires.
En pleine ville. ils terrorise nt les passants, les harcèle nt, les atlmpcnl ct les exécutent devant tout le monde. Ils les égorgent. Je les ai vus j ouer au fool avec la tête d' une victime décapitée sous les yeu x de poli ciers hilares. On m' a raconté que ces mê mes mili taires, que j'ai vu s entrer dans un café riant et be ug lant. ava ie nt pri s la tête d ' une personne é gorgée, commandé une limonade et versé le liquide dans la bouche dc cette tê te, C ' cst indescriptible et ins upportablc , Ce sont les brutes que j ' ai vues à la caserne de parachuti stes où ils ont leur QG. C ' est à partir de ce moment-là que les pol iciers de Meftah , qui s' étaient terrés pendant des mo is, tant que les islami s tes contrôlaient la ville, fo nt leur réapparition , et sc promènent ell vainqueurs, armes à la main. Entre-temps, ils ont aussi installé des barrages fi xes, ainsi que les gendarmes. Pe ndan t toute la pé ri ode o ù les groupes armés font la loi dans Meftah . Ic secrétaire généml de la daïra (commune) el le planton, son hom mc à tout fa ire, sont libres de leurs mouvcme nts ct continue nt leurs magoui Iles. Le premier a des parents dans le maquis, le second un fil s dans un gro upe armé et un autre en pri son. Il s n'ont été inq uiétés ni par les grouf.W!s armés, alors qu' un chef de dllïra de la région avait été exécuté par ces derniers, ni par les militaires, mal gré le fait que tous les deu x o nt de la f.. mille dans le maqui s. Il est des choses étmnges que nous n' arrivons pas à élucider. Je dois dire que mo i-même, lorsque j ' ai vu ces commandos au début. j'ai vraiment cru qu ' il s' agissait de militaires dont la fonction était de combattre les groupes armés. Les bandeaux . à mo n sens, c'était po ur montrer qu ' eux au ssi étai e nt de s mu sulm ans, au même titre que les islam is tes. Pui s. j'ai quand même douté e t j e me s ui s di t qu ' il s narguaie nll a reli gion, ct peu à peu , en appre nant quels crimes il s commettaient e n sc 104
({hOflC/gtS. (·o/lfllsirm. Ù,cvIII/,rllrt'lIs;ol!S
fa isant passer pour des islami stes. j' ai été révolté parce qu'i ls ne s' attaquaient pas seulement aux hommes armés mais aussi à la population civi le qui avai t soutenu les mllqui sards de gré ou de force.
l'(lrmée prend II' dessus
5 L' armée prend le dessus
Les élections présidentielles et le redéploiement des forces de sécurité L' opéra tio n de l'e nl è ve me nt des p api ers d'id e ntité e n oc to bre 199 4 a po ussé bea ucou p de vo isin s à f uir. Haï el-Djilali est déserté, Nous auss i, nous sommes plus souvent à Baraki qu 'à la maison : avec les destructi ons d'infrastructures, particuli ère me nt scol aires, nou s avons mi s les deux enfants dan s une école à Baraki, un e raiso n su pp lé me ntaire pour y passer beaucoup de te mps. En novembre 1995, doivent avoir lieu des élections prés ident ielles. Li amine Zéroual. un général à la retraite, avait été no m mé au pos te de prés ide nt de la Ré publiqu e dès jan vier 1994 par les« décide urs» militai res. Mai s cc manque de légitimité lu i colle II la peau et il s veulent y remédier par des é lectio ns qui , tou t en garanti ssa nlle bon choix, simul ent un scrutin plurali ste. L' armée autorise quatre candidatu res il la magi strature suprême, ce qui permet d 'être présenté comme un acqu is démocratique. On va même plu s loin - le ri dicule ne tue pas - en clamant que c'est du «jamai s Y U » dans le monde arabe ! 106
Donc, le 16 novembre 1995, plus de tro is ans après l' interruption du process us électoral de j anvi er 1992, va se dérouler le scrutin, Depuis des jours, tout le monde ne parle que de cela : faut-il , oui ou non, aller voter ? Il Ya d ' un côté les menaces des groupes islami stes qui condamne nt tout électeur à mort , mai s il y a aussi la lassitude générale et l'immense espoir qu ' après ces années de sang, si l' armée peut enfi n installer son candidat, on nous laisse vi vre en paix , Nous en avons assez d' être pris en otage par les gro upes qui multiplient leurs actes barbares et d ' être les c ib le s des ca mpagne s de terre ur des fo rces d e séc urité, Le jour J, j e me lève tôt et j 'observe l'a fflux des électeurs vers les bureau x de vote, Je sui s à la ci té 2 004- logements à Baraki et , dès 7 heu res du matin , une longue « chaîne» se forme devant l' éco le où je doi s mo i-même aller voter (offici elle ment , j ' habite enco re à Baraki) , Les gen s qui attende nt l' ouverture des bureaux ne sont pas de Baraki , mais de régions lointaines (comme S idi -Mo ussa et les Eucalyptus) : pour des raisons de sécuri té, les électeurs ont été regroupés à Baraki ; il faut dire qu ' une grande partie des infrastructures scolaires et administratives dans ces localités a été détruite ces dernières années (à Bentalha, dans les bureaux de vote, ce sont des mili taires cn civil qui s'occupent des formalités). Je ne m' attends pas du tout à tout ce monde! Les habitants de Baraki, eux , se font encore rares, mais ils viendro nt également. Je dois avouer que j 'ai voté pour Zéroual , J'a i été influe ncé par les mili taires que je co nnais: il s m' avai ent dit que c'est un ho mme intègre, qui veut rompre avec l'ancien régime, même s' il en é ma ne . Il se rait dan s une si tu ati on in confo rtable , pu isque d ' un côté il doi t se soumettre au x ordres de ceux qui l'ont hissé à ce poste, et de l' autre, il compte s' imposer par le d ia logue avec les parti s po litiques et mê me les di rigeants du FIS . Je me sui s dit : c'est l'homme fort du régime, comparé aux autres candidats qu i n'ont aucune marge de manœuvre . Al ors autant lui laisser sa chance de réaliser sa « réconci li ation nationale », même si elle ne fera que conforter la victoire des militaires. L' essentiel, c'est que le sang cesse de couler : je cro is que beaucoup d'électeurs ont pensé ai nsi. 10 7
l '(lnnù l'rend 1.. 111')'$11$
À l'i ss ue des électi o ns. remportées comme prévu pa r
à pi ed pour effectuer ces co ntrô les. Généralement . il s son l
Liamine Zéroual avec 6 1 % des voix. nombreux sont ceux qui estiment que la fraude a été massive, moins en ce qui conccrne le taux de participatio n au scrutin qu ' au niveau des pourcentages de votes obtenus par les différents candidms : o n di t que Mahfoud Nahnah, le candidm is lamiste, aurait récolté beaucoup plus de voix que son score o fficiel de 25,5 % ct dépasserai t peut -ê tre même ZérOUiIl . Mai s po ur le pouvoir. ces é lection s so nt une aubaine: elle s lui permetten t enfin de redorer son blason vis-à-vis de la communauté internationale, qui lui a reproché durant des années la tare du putsch de 1992 . O n a parlé d ' offens ive militai re contre les« terras » pendant l'été ct l'automne 1994 . Dans d'autres régions. clic a peu t-être été déclt!nchée - ce qui s'cst dérou lé à Meftah ou la « guerre des maqui s» cn scraient dcs indices - mais. dans notre coin. nous ,IVons été totalcmcnt abandonnés. Et ce n'est qu'au début de 1996 que de nom brt!ux c hangemenl~ s'y effectuent. Tout d'abord, je l' ai di t, un pos te militaire avancé est insta ll é ;1 l'cntréc de Bcntalha , sur la route départementale en tre Baraki ct Sidi-Moussa . Au début, ils son t elm e 200 et 300 so ldats, parmi Icsquel s une majorité d ' engagés qui dépendent de la caserne de Bar:,ki. Ils occupent les locaux d ' un anc ien supermarché fermé depui-; que les groupes armés sèment la terreur. En outre, les PCO Je Baraki ct Sidi-Moussa et surtout celu i des Eucalyptus (do lLt le responsable. le commissaire Birem, a une réputati on rle tortionnaire), ainsi que les brigades d'intervention. sont mieux entraînés ct di sposent de matériel plus sophistiqu é. On parl e d '« unit és spéci a les» d e IUlle co ntre le terroris me, qui compteraienl 60 0Cl0 hommes en 1995. À pani r du dé but de 1996. les militaires font des rondes en cami o n o u en Land Rover dan s nos quartiers, il des heures diffé rentes mais toujours pendant la journée. Il s font des rati ssages à Haï el- Djilali, au cours desquels ils sortent les jeunes de chez eu x et les pa rquent dan s le s tade pendant to ute la journée, avant d ' en cho is ir quelques-u ns qu'ils em mè nent avec eux. La plupart d'ent re eux di sparaîtront. Ce genre de rafte s 'cst déroulé troi s fui s en 1996 à Bcntalha , et ce sont s urtout le s je une s de la cité 200 logements qu i en ont pflti . Début 1997, les mi litai res osent même sort ir de leurs casernes
Cnlre vingt et tre nte et essaient de se rapprocher de la population, qui es t lasse des incurs ions de groupes armés. C'es t il partir de ce moment+là qu ' ils conseillent aux ci vil s de s' armer. Nous avons toujours l'impress ion que pour l'armée. ce qui im porte, ce n' est pas de pours uivre les groupes armés, mai s pl utôt de repérer les réseaux de soutien et de les démanteler. Il y a de petits accroc hages avec les groupes, mais ce n' est pas bien sérieux , J usqu ' à ce jour, je ne comprend s to ujours pa s pourquoi les militaires ne sont pas venu s à bout des groupes de notre région. Ces derniers se t rouvaient dans les vergers o u dans la maison de vieillesse de Caïd-Gacem : o n aumit facilement pu refermer l' étau sur eux et les arrêter. Je ne pe ux pas m ' imaginer q ue des groupes in s talle nt leu r QG dan s ce t hospice. à quelques kil omètre s seulement des mi litaires, et agissent pendant des années sans être inquiétés, Mais ces questions-là ne vont pas trouver de réponse; bien au contra ire, au fil des événements, elles vont en sou lever d' autres. encore pl us mystérieu ses.
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Les premiers patriotes font leur apparition
À l ' origine , qua nd l'ar mée déc ide de faire appel il des « supplétifs» civils pour l' aider à déloger les groupes armés,
e lle mobi li se les ancie ns mOlldjahidines (combattants) de la guerre de li bérat ion: généralement, ils sont de la région ct ils connai ssent bien le terrain ; de plu s, ils saven t manier des armes. Ils sont donc armés les premiers. Mais chez nous. il n'y a pratiquement pas d ' anciens combattants, et ceux qui viven t à Bentalha sont tro p âgé s. Il y e n a en reva nc he plu s ieurs à Barah dont certains seront tués par les groupes armés. Parmi eux . le propriétaire de la pompe à essence à l' cntrée de Baraki il survécu. C'est l' un des premiers à prendre les armt!s, fin 1995. Dans noire région, l'armement par l' État des civil s appelés Il pmriotes » est clairement associé à la volonté de récupérer certains membres de groupes armés ou islamistes acti fs, pour les util iscr dans la lutte contre le terrorisme. Orflce à la loi de la ralmw (clémence), promulguée en février 1995 et permett ant
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hl mil' gllerre (Ill quoliclit'Il
aux personnes rcc herchées o u impliquées dans des affaires de terrorisme de se rendre aux autorités et de bénéficier d ' allégements de pe ine s, l'u til isatio n des «( repe Oli s» perme t d e détecter ct de démanteler les réseaux de soutien. Mais ce n'est pas du jourau lendemai n que sc rendent les membres et sympathisants des groupes armés. Souvent , ils sont arrêtés, tortu rés, et ce n' est que sur promesse de remise en liberté qu'i ls acceptent de collaborer avec les autori tés. Chez nous, les prem ie rs pa triotes sont apparu s en 1996. À Bcntalha , le premier s'appelait Sami r D. (la mère de celui -c i était une fem me légè re. qui avait épo usé un jeun e po lic ier lice ncié pour vol). II ha bi tait dans le vieux Bentalha . derrière le quartier de s Kabyles, et f, q ui sont souv ent d 'a nc ie ns « repenti s », mais auss i des victimes ou des parents de victimes des ex actions des groupes armés . App..rus fi n 1994. il s tnlvai lIent avec la ge nd :mllcri e. Le ur no mbre alleindra environ 300 000 ; un e lo i re la tive aux GLD sera adoptée e n jan vier 1997.) Les responsabl es mil itai res locaux n' ont jamais acce pté d e no us arme r e n g ro upe . sa ns jamais l'a vo ue r 110
ramril' "rt'IU/Il! dnsu$
ouvertement. Cependant, nous aussi nous avons des rétice nces et des scrupules quant à l' armement. D'abord, les habitants se méfi ent des patriotes déj à armés, parce que ce so nt souvent d ' anc iens voyous qu i hier soutena ien t les gro upes armés, ct auj ou rd'h ui coll a borent avec le s mil itaire s. Parmi eu x, Krimo B., Sli mane ou Samir D. : mais il y a aussi Moussa, q ui n'est pas un repenti , e t Saïd, le frè re du m ilitaire qu i li été lynché e n 1994 au moment où o n nous li enlevé les papiers. Lui n'a qu ' une idée e n tête: se venger. En 1996. ils ne sont pas plus de hu it dans Bcntal ha . mais ils no us mo ntrent bien qui est le pl us fort. Bie n qu'il s n' ai e nt auc une formation, chacun est muni li ' un fusil de type Mat 49, cc qui leur do nne l'impressio n d 'être des shérifs. Ils habi tent presque to us dan s les bido nvilles près du g rand o ued e t se sentent lésés par rapport à nous. Ils sont souvent ori ginaires de Sour Ghoz lane. situé à e nviron 130 km d'Al ge r, e t se so nt install és dans ces bidonvilles depuis les années quatre- vingt. Lorsque les premiers loti ssements sont construits à Bentalha, ils espèrent, en vain, bénéfi cier d ' un logement. Ils travaillent dans les vergers et san! organisés en coopérati ve, Maintenant qu ' il s sont dan s une position de force, ils se vengent sur no us quotidiennement : ils trafiquent avec tout. nlckettent les gens, se servent dans les magasins et volent les fruit s da ns les vergers pour les reve ndre . Les propriétaires ont dO en effet abandonner leurs vergers lorsque les groupes armés y étaient e mbusq ués et q u'on prétendait qu ' j Is y avaient placé des mines: pourtant, les patriotes, eu x, s'y aventurent sans être blessés. Finaleme nt, les propriétaires doiven t faire appel au x militaires pour qu ' ils les accompagnent au moment des récoltes. Ils sont même o bligés de les payer. Djeha, le patriote, et Boudjemaa sont armés à titre ind ividue l. Ce n 'es t qu e bien p lu s tard , après le massac re d e Bentalha, que peu à peu les miliciens seront recrutés, structurés, e ncadrés, et remp liro lltleur rô le de ( suppl étifs )} de l' arm ée en co ntrô lant efficacem e nt la po pulati o n. Le s commerçan ts ambulan ts doi ve nt al ors, dès l' apparitio n des milic ie ns, leur demander une autorisation po ur entrer dans Be ntalha et so nt co ntra int s d e céder une pa rt ie de le ur marchandise. Le racket ne se fait pas directement. parce qu ' ils II I
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cra ig nen t les plai ntes. Il s s' adressent au x habi tants e n leu r disant : Il Il faut que la populatio n nous aide, parce que nous n' avons pas de salai re, et il n' y a que nous qui vous protégeons ... » Au débul, les habitants les payent de peur de représa illes. Alors que , en réalité, l' armée leur donne des pri mes importan tes tous les deux ou trois mois: c'est une fo rme de sa laire aléatoire, q ui vari e d ' une personne à l' autre et d 'une période à l'autre. Mo ussa il essayé de me f
Les gardes communales font leur :Ipparilion
À partir du début de 1996, les <1 gardes communales » font leu r apparition dmls not re région (en 1995, les autorités militaires avaient déc idé de créer des « gardes com munales » pour co ntrô ler les zones urbaines « nettoyées» c t pe rme ure à l' armée de se concentrer sur les maqu is; ces gardes se mu lt iplieront dans les années sui vantes pour atteindre un effectif de 50000 membres). La première garde est créée à S arah Une fo is établie , ce rtains de ses Illc mbres sont affectés à Bentalha, pui s à Benghazi, pour former les premiers noyaux des gardes locaux. Le recrutement se fa it d iscrètement ct ils béné fi cien t d ' une formation de trois mois ; ils portent un uniforme et sont payés. Pour au tant, la tâche n'est pas faci le pour l' armée, car certai ns font défection vers les maqu is. comme cela s· est passé à Sid i-Moussa. La ga rde à Be nt alh a es t créée ve rs j uin 1996 . pe u après l'i nstallation du poste mili taire ava ncé. Au départ , tant qu ' ils n' ont pas de loca l propre, les gardes partagent celui des mil itaires. Pui s ils retapent l'école, qui avait été en partie détruite
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lors d' un attentat, et s'y installent. C ' est à partir d'août qu 'on peut vra iment dire qu'i l y a des gardes commu naux à Be ntalha. Les premiers sont des habitants du coin, souven t choisis parmi les patriotes, qui connaissent le terra in . Ensuite, ceux-là sont affectés ailleurs pour des raiso ns de séc uri té, alors q ue des gardes de localités pl us lointaines sont mutés chez nous. Puis des appelés s'enrôlent dans ees formatio ns, parce que. une fo is leur service militai re achevé, ils sont en danger et ne peuvent rejoindre leurs villages d ' origine (beaucoup d 'appelés s' engagent aussi dans l' armée pour échapper aux menaces. tandis que d 'aut re s fuie nt vers la Li bye). Le responsa ble des gardes, Dja mel, ain si q ue deux autres me mbres, sont de 8 ara ki. Il s sont envi ron vingt au début et plus tard ils seront entre quarante et cinqu ante. Pe u de te mps avant le massac re, une garde communale est créée à Beng ha7.i . Le respo nsa bl e de Be nt alh a devllÎ t s'cn occuper et une partie de ses effectifs y est affec tée. Au moment du massacre, il s sont donc très peu nombreux à Bentalha. Les gardes fo nt régul ièrement des rondes pour essayer de se rapprocher de la popu lation, qui reste très méfiante vis-à-vis des mil itai res. Au quotidien, ils son t des intermédi aires entre les institutions mil itai res - ct parfois même admin istrati ves - et les habitants. Ils pre nnent ainsi en charge certain s problèmes bureaucratiques lorsque. comme c ' est le cas dan s certai nes régio ns, l'administration communale n'ex iste plus: ils servent à la fois à contrô ler la popul ation et à combler un vide adm in istratif. Ma is la garde est c hape ron née par les gend armes , q u i les em mènen t sou vent avec e ux pour le ur ap pre ndre la lutte contre le te rrori sme . C'est ainsi q ue les gardes co mm un aux fo nt au ss i des e mbu scades contre les groupes armes. Para ll èleme nt à ce dé pl oieme nt m ilita ire. no us avons l'i mpression qu' un changement radical s' effectue au niveau des groupes armés. Les « terros » que nous connai ssons sont li q uidés pa r l' a rmée o u dan s des règ lemen ts de co mpte s internes, et les nou ve lles recrues, que la popu lat io n ne connaît pas , semblent béné fi cier de l'indul gence des mi litaires. De fait, à partir de l'automne 1996, les GIA ne S' ave nturent plu s dans Bental ha: il n'y a plus de barrages, et les hommes armés ne 113
III mIe guerre (//1 qUIII;tlil'lI
viennent plus s 'approvi sio nner chez no us. Certes, il s font encore des atlentats et ils mènenl des incursions dans nos quartiers, mai s la situation a eonsidérablemenl évolué. L'atmosphère commence à sc délendrc, parce qu'il n'y a plus cetle présenee quotidienne des groupes. Et pourtant étrangement, à Alger comme dans sa grande banlieue, nous subissons de plus en plus des attaques à la bombe ou armées. Ce qui nous frappe , c'est que les pol iciers qui se sont terrés dans leurs postes pendant des années se pennel1ent désormais, alors q ue la po pulat ion c ivi le vÎl une rec ru de scence de la violence de la pari des G IA. de ci rculer dans la rue sans escorte. à pied ou en car. Pourtant. pe ndan t ce temps, des filles sont enlevées, des civils sont exécutés jusque dans la capitale, des bo mbe s exp losen t parlout, ta ndis q ue les forces de séc urité affichent de plu s en plus leur présence . Tout ce passe comme si ces derni ères étaient assurées de ne rien ri squer de la part des ( terros ". C'est à n'y rien comprendre.
L'assass inat de Sidali Avan t de relater l' affaire de Sida li. il me faut parler de la fa mille Benamrane. Celle-ci est totale ment impl iquée dans les mé fa its des grou pes armés. Originaire de Baraki , e lle habi te la cité 200 loge ments. En fa it. clle n' a rien d'i slamiste, mais ses me mbres profitent de la conjoncture pour dicte r leurs lois. Kaddour, le père, est un voyou ct s'impose dans le quartier en intimidant les habit'lO ts. Alors que les groupes locaux ont in te rd it de fumer, lu i ne se gêne pas, no n seule ment pou r narguer les autres, une eigareuc au coi n de la bouche, mai s aussi pour les sermonner quand illes surprend en fl agrant dél it . Il arnaque les gens qu i n'osent pas protester, parce que son fi ls Djeha travaille ouvertement avec les groupes. Ce dern ier est respo nsa ble de lu mort de plusieurs personnes. Il y a aussi Omar. le petit frère, qui exécu te de basses besognes, comme celle de transmeure certaines consignes 11 la population (par le passé, il avaitllccosté ma fill e à plusieurs reprises pour lu i dire de mettre un hidjllb). Lu i lIussi rackette les commerça nts. Il y li enfin la mère et la sœur q ui , elles, joueront un rôle louche dans 114
l '(lf/nb- l"ell(lle (le$SUs
les événe ments à ven ir. Djeha travai ll ait en 1994 à l'ONACO, l'entreprise qui a été incendiée, L'enquête a montré qu' il étai t impl iqué dans celte action: recherché depuis lors, il a rejoint ouvertement les groupes. On le voyai t régu lièrement avec les ( terros ,> de Baraki. Le père survei ll ait les milita ires e t en 19%. en fo rçant un barrage, il a été tué. Sida li a comme ncé à constru ire en 1989 sur une des rucs tran sversa les du boul evard . II s'est installé e n 199 1 à Haï el-Djilal i et a ouvert une gargote pour les ouvriers qu i travaillent dans le grand chantier du quartier: ils bâtissent alors une pan ie de la c ité 200 logements et de nombreuses maisons individuelles. Plus tard, Sidali aménage une plu s grande gargote et pui s il ouvre un magasi n d'alimentation . Les voyous se sont serv is de lu i et il s'est lai ssé fai re par lâcheté. Au dé but. un certa in Voucef, de la cité 200 logements, le père Be namrane et d'autres l'a idai ent et étaient nourri s e n éch ange. Ils venaient chez lui , se servaie nt e t se comportaie nt comme s' il s étaient chez eux. Mais c'est avec l'appari tion des groupes qu' il a été de plus en plus acculé et s'est compromi s. Le malheur de Haï el- Djilalj est venu de lù. Le local de Sidali es t devenu une es pèce de pe tit QG local. Il ne suit pas ces voyous par conviction, mais il a peur. J'ai discuté plusieurs fois avec lui: il ne sai t pas com me nt se déba rrasser de ces personnes. Entre-temps, les mil itaires instal lés au poste avancé ont co mpris q ue Sida li es t une plaque to urna nle pou r ce groupe. Il est boîte postale, lieu de regroupement et de survei llance. lls fo nt pression sur lui pour qu ' il change de comportemenl el c'est à partir de ce momen t-là qu'il refuse de faire le jeu des Benamrane. Cela s'est passé fin novembre 1996. Je me trouve à Baraki et j'apprends qu ' il y a eu une tueri e la veill e. Je m'e mpresse d ' aller à Bentalha pour me renseigner et on me raconte que, à la tombée de la nuit , un g ro upe armé - dont Djeha el Chergu i - a fait une descente. Il s sont arri vés en voitures, et l'une s'est arrêtée chez S idali. Djeha Benamrane et Cherg ui e ntrenl dans III mai son. Penda nt près d'une heu re, les voisins entendent des cris et des disputes à l'i ntérieu r de la demeure. Dj c ha accuse S idali d 'avoir ,( ve nd u" so n père , tu é une semai ne auparavant dans une embuscade mililaire. Il prétend 11 5
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que Sidali aurait changé de camp. O n dit que ce dernier aurait démenti ce qu ·on lu i reproche . La rumeur eolporre aussi que. quelque temps auparavant. Omar, le frère de Dje ha, aurai t demandé la main de la fi lle de Sidali et essuyé un refus. Omar, pour s'assurer que ce rejet ne le concernait pas personnellement, aurait envoyé une fe mme chez Sidali pour demander la main de sa fil le pour son frère policier et Sidali aurait accepté . Ce sont peul-être des ragots. Sidali s'était aussi rem is à fume r, alors qu'à cette époque les interdits des groupes étaient encore de rigueur ct il n'y avait que Kilddour qui en avaÎt le droi t. (II faut savoir que les interdits sont total ement di ffére nts d ' une région CI d' un endroit à l'autre: cela dépend de chaque émir, qui les dicte . Par exemple, à Larbaa, des gro upes se sont introduits d ans des mai so ns pou r casser to us les té lé vise urs. À Bentalha, la parabole était interd ite - la tête de l' adjudantchef sur l'assiette était un avertissement - , alors qu'à Baraki plus de 60 % des gens avaielllia parabole,) Après la di sp ute, il s égorge nt Sida li, so n épouse don t l'accouchement est imminent et ses deux fi Iles. Une parente et Omar, le plus jeune fi ls de Si d al i, o nt la vic sa uve ct so nt e nfe rmés dans une pièce. Le grand , Mohamed , est à celle époque en pri son pou r une affai rc de vol dans unc bijouterie . Les tueurs de la deuxième voiture se rendent entre-temps chez Abderrahmane, qui habite en face de la boulangerie, et le traînent dehors. Son fïls, un jeu ne homme de vingt-deux ans, les su it, Ile comprenant pas pou rquoi on emmène son père. Il s les em poigne nt alors to us les deux et les égorgent. Pui s il s se re ndent chez Cheik h Rabah. le propriéta ire d'un café . Il s sc jettent sur lui et l'exécutent, ainsi que son fïl s et son gendre. Je ne sais pas pourquoi il s o nt tué Abdcrrahmanc . Il travaillait chez Bi ot ie, une usine pharmace utiq ue à Se mmar. Avait-il refusé de les approv isionner en médi caments ? Ont-ils tué Cheikh Rabah parce qu ' il gère un ca fé et q u'on y j oue aux dominos ? C'est possible, étant don né que, par le passé, il aVilit été menacé à plusieurs reprises. Je ne sais pas q uel est le lien en tre les trois groupes de personnes tuées . Mais les assassi ns n'ont pas encore achevé leur sale boulot. puisqu'i ls sc ren de nt dans le magasin de C ho uch et st! renseignent à propos d 'une fille, du nom de Kicha. Il s veu le nt 116
l'(lr mù pre/ld le de,HIIS
savoir où e lle habi te . Son frère, un ami du fï ls de Chouch Boukhadra, se tro uve par hasard dans le magasi n. Il veut savoir pourquoi il s cherchent sa sœu r, o n lu i ré po nd de ne pas se mêler de ce qu i ne le regarde pas. Décontenancé, il donne l'adresse. Les « terros» surgissent chez la sœ ur et il s la tuent. Je ne sais pas qui encore a été tué, mais ce soir-là il y a e u treize morts.
La vengeance des patriotes Les militaires débarquent le lende main chez Sidali avec sa parente rescapée de la veille. Quand elle ouvre la pOrle, une bombe expl ose . Il y a cncore des morts . Le q uarti er est e ncercl é. Les habita nts qu i sorte nt de leur demeure au petit matin pour aller travailler sont frappés et insultés, beaucoup sont parqués dans le stade. Plusieurs jeunes sont arrêtés, parmi lesquels Omar, le frère de Djeha le « terro », El -Keehbo ur et Ghazal , qui écopera de plu s de deux ans de pri son. Certains ont disparu depui s. Le fil s de Sida li , Omar, est placé dan s une fam ille proche tandi s que l'autre fil s, Mohamed, emprisonné, est autorisé à assister à l'enterremen t. Peu de temps après, il est relâc hé et s'installe dans la maison parentale. Il veut deveni r patri ote ct, e n fait, je pense que c'est la raison pour laq uelle il a été relâché . Moi, je sui s abso lume nt co ntre le fait qu'on lui donne des armes, parce que c'es t un voyo u. Je sui s même intervenu auprès du com mandant pour qu'on ne lui en remette pas . Le surlendemain, les patri otes de Baraki viennent très tôt le matin pour arrêter El-Azraoui, un pauvre gars qui habite lout près des vergers et chez qui les gro upes se rasse mblent pour se restaurer, el trois autres vois ins parmi lesquels Lyes. le mari de Fatma, cell e qui lave le linge des groupes. Ce dernier prend la fu ite avec les autres, mais fi nalement ils se rendent à la brigade de gendarmerie; il s son t emprisonnés et passe nt e n j ustice. Près de troi s mois plu s tard, ils sont relâchés, mais il s ne reviennent pas à Haï el-Dj ilal i. 117
/a nllt' g uerrt! (lU quOlidi !'1/
Le s pat riot~ s vont auss i chez Mohamed Bo uamra , aUa.\· t ( Pil ote )), qu i es t liquidé par l'un d'entre eux , Hamid B., un patriote de Baraki . Mais le pauvre gars ne meurt pas sur le coup et agonise en perdant tOUI son sang. Sa mère appelle en vai n de r aide ct le tran sporte dans une brouelle sur une distance de cent mètres. Il fin ira par rendre l' âme. On dit que« Pil ote» travailla it pour les gro upes. Fodhil. lu i, reçoi t la visite des forces combi nées l' après- mid i ct est embarqué; il a di sparu depui s. Quelques jours plus tard, un bulldozer rase la maison d ' EI -Azraoui (n° 80). La famille , sans abri. quine le quartier. En fa it. ce sont IOUS des hommes qui ont servi les groupes armés de gré ou de force, mai s qui n' ont commis aucun crime de sang. En revanche, les vérita bles assassins sont en liberté. Des patri otes de Bilraki m' ont raconté qu' i Is avaient plus d ' une fois dé noncé 11 la ge ndarmerie des personnes connues pour leur activi sme mai s q ui n 'avaie nt pas été arrêt ées, alors que d ' autres qui Il ' avaient vrai ment pas fait grand-chose di sparai ssaient ou écopaient de plu sieurs années de prison. Le patriote Ham id B. il tué beaucoup de gens, sans être pmti queme nt jamais inq uiété par le s force s de séc urité. En se pte mbre 1997, une q uin zai ne de jou rs avant le massacre, alors que la pa nique et la peur sont à leur summum e t ont envahi to ut l'A lgérois, Moussa, Hamid B. et son cousin Krimo font une descente un soi r 11 EI-Harrach, pour prêter main-forte à un de leurs amis, ha bitant la cité 200 logements, q ui s'y est fa it agresser; il s fo nt sorti r des gens de leurs maisons. Ceux-ci ont cru avoir a ffaire à des terrori stes et ils ont ameuté tout le quart ier. Des hom mes de la SM les ont arrêtés chez eux et les o nl interrogés. À la suite de ce t é pi sode, Ham id B. a été désarmé pendant deux ou Irois mois, mai s il a pu reprendre ses fo ncti ons peu après . Krimo B. et Mou ssa o nt élé eux au ss i privés de le urs armcs mais, .. près llvo ir été interrogés par la SM. ils o nt repri s leurs aCli vités comme par le passé. Mai s re venons 11 l'assassinat de Sidali, en novembre 1996. Les habitants de Haï el-Dj ilali ne comprennent pas ce qui s'est passé pendant ce lte journée fatal e . Il s ne pleurent pas Sidali mai s Abderrahmane, une personne très appréciée, ainsi que la jeune lïlle. Celle tuerie a des répercussions considérables dans leur percepli on de la situati on générale. Certains se révoltent et
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"aml/Et! l'fl'Jld fI' dessus
veul ent avoir des armes. Nous, nous étions déjà chez ma mère et nous y resteron s encore pour un certain temps. Je me sens me nacé personne ll eme nt , parce que ma tan te dit à ma mère qu'Omar, le frère de Djeha, qu i se trouve en prison avec son fil s, l'aurait prévenu que j'aura is déno ncé des mem bres de groupe c t qu'on voul ait ma peau . J 'év ite donc Be ntalh a quelq ue temps et ce n'est que lorsque j'apprends q ue Djeha est mon que nous songeons à rentrer. Dj eha sera pri s au piège ent re Baraki e t Ben ta lha , unc se maine après la mort de Sidali. Étant connu de tout le monde, il ne pouvait plu s c irculer fac ilement. Il rencontre à Haouch Mihoub une patrouille militaire et SI.! réfugie avec quatre ou cinq de ses acolytes dans une mai so n. Il pre nd en otage les habitants pendant deux ou troi s jo urs. Une femme réussî t à s'échapper et préviem la brigade de ge ndarme ri e. Dj e ha , s'é lant rendu compte de sa fuit e, se vcnge sur so n mari et quelques autres membres de sa famill e. Les forces de sécurité cncerclenl la mai son et, au bout d ' une j ournée de bl ocus, elles les débu squent. J' étais au trava il et, quand je rentre en fin d ' après-midi à Baraki,je descends à la station d 'esscnce et je vois une foule rassemblée à l'arrêt de bu s. On me dit que les soldats vien nent ju ste de transporter les cadavres à la morgue de la polyclinique dl.! Baraki. Je m' y re nds parce que j e veux les voir de mes pro pres yeux, m .. is c'est tro p tard . Il y a un monde fo u, des femm es et des jeunes. r ap prends que les cadavres ont été accrochés pendant un bon moment aux grilles du parc de la mairie à Baraki, après avoir été transportés ct ex hi bés dans Bentalha dans une 404 bâchée. Ma fe mme, qu i va de te mps e n temps à Haï el-Djilali pour prendre des affaire s ou rendre visite aux voisines, appre nd par Sa lim a, notre vois ine directe, que les patriotes patrou illent dans le quartier et marquent d ' une croix toutes les maisons inocc upées , dans l'intention de les faire démoli r. Qu and ma femme m'en informe, je me rends à Haï el-Djilali ct j'apprends que c'est la garde républicaine qui a ordo nné aux patriotes de préve nir les habitan ts et de leur conseille r de ré intégrer leur maison. Je n'ai jam:lis compris pourquoi la garde républi caine, en pri ncipe chargée de la protecti on du président de la République, est interven ue d ans le s affa ires d'u n modeste
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quartier d'une commune de la grande banlieue d 'Alger. On nous oblige en tout cas à revenir. Et on nous menace même! Malgré cet ave rt issement , il fa ut e nvi ron un mois pour qu'u ne partie des anciens habitants se réinstalle dans Bental ha. Les gens viennent et partent, se concertent entre voisins, mai s ne se déciden t pas fa cilement. Nou s allo ns voir le capi taine M' rizck, à la caserne mi lita ire de Baraki ; c'est lui qui se charge d ' organiser les patroui lles dans le quartier. Et nous lui expliq uon s que nou s ne compto ns reve nir que si certai nes conditions so nt sllti sfa iles : nous vou lo ns un poste mîlitllire dan s Haï cI-Djilali. au ni veau de l' oued, et nous voul ons des armes. D'ailleurs, celle idée d'armement a été lancée par les militaires eux - mêmes. Quand ils faisaient leurs ronde s, ils nous répétaient q u'il s n ' al laien t pas tarder à se retirer pour rejoindre leurs casernes el que 110US serions alors livrés à nou smêmes . Il s nous conse ill aient donc de nous préparer à nous défendre ct suggéraiellt de déposer des dossiers de demande d'armes à la caserne. Ce qui me décide à revenir à Haï el-Dj ilali, c'est le fait que les miliwires font des promesses et qu ' il est même questi on d'installer la garde communale au niveau du kiosque . Entretem ps, nous contactons les habitants qui ont fui dans les alentours pour les prévenir des intentions des mil itaires. Malgré le délai acco rdé par ce s derniers. ce rta ines fa milles ne sonl revenues qu ' après des moi s. Mu stapha Benyahia , qui ava it loué sa mai son, Ile s ' y est déc idé qu ' une semai ne avant le massacre, À chaque fois que je le voyais dans la rue ou que je passai s à la mairie de Baraki o ù il travai ll ait. il me demandait quelle étai t la situat ion ct si je pensais qu ' il pouvait reven ir. Je lui di s que je ne pouvais rien décider pour lui . Mê me Abelkader Tlidji ne, le père de Fouad , qui avait fu i Bental ha pendant plu s d ' un an , reviendra chez lui après avoi r échappé à un ancnta! 11 la bombe le 9 juillet 1997 à Belcourt , un quartier d ' Alger. Abdelkader me dira: \( On n'est en sécurité nulle part! Si cela doit arriver, autant mourir chez soi . »
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La vie reprend dans le quartier Après la mort de certains membres de gro upes armés ct avec la présence de l' armée et des gardes communaux , une certai ne confi ance revient à Bentalha. La vie sociale reprend peu à peu . Je me remets aux travaux de la mai son et je pousse les autres à faire de même. Je fai s partie de ceux qui pensent qu 'on ne peut pas lai sser tant de maisons inhabitées. qu' il nous faut trouver des locataires, déblayer les endroits où les taill is et buissons bloquent la vue vers les vergers, construire des murs de c lôture, etc. Les militaires qui ont abandonné leurs mai sons dès 1994 nt: les ont pas toujours louées. Nous pensons que, pour garanti r no tre sécurité, il faut être nombreux sur p lace. mai s aussi savoir quelles familles héberger à Haï el-Djilali. Les patriotes veulent y place r leurs gens, mais nou s ne leur fai so ns pas confiance. Nous voulons que les personnes qu i emménage nt aient des attaches fami liales dans le quartier et non pas fai re un com merce de maisons vides en exigeant des comm iss ion s, comme le font les patriotes. Depui s le début de l' année 1997, de plus e n plus de gens fui ent d'autres régions. Des massacres sont perpétrés dans la région de Médéa, notamment à Beni Slimane et TablaI. où les GIA font la guerre aux autres maquis. Caïd-Gacem est sous le contrôle à la fo is des groupes et des mil itai res. Tous ces ge ns qui fuient ne savent pas où aller. De notre côté , nous espérons re nforcer la cohé s io n socia le dan s le quartier grâce a ux nouveaux venus, Mais il nous fau t demander l' autorisation aux propriétaires. Je vais voir trois mil itaires qui ont construit près de chez moi ct je les préviens des menaces de destruction des maisons. Ils se rendent personnelle ment ta la caserne de Baraki et demanden t une entrevue avec le capitai ne M' rizek . Par la suite. il s nous permetten t de trouver des locataires pour leur mai son. Chez le com mandant Hassan (n° 55), c' est Warda qui se réinsta lle . Elle y avai t déjà habité, mais elle avait quitté Bent;l lha après la mort de son mari , Cheikh Larbi. Elle emménage avec ses deux pet its enfants. Dans la maison de l'adj udant-chef de la SM (n047), nous avons installé Abdelkader Menaoui, originaire de Caïd-Gacem, et, dan s celle du capitaine de la SM 121
la snlt!' gl/t!'ut!' 1111 If",,/idit'II
(n° 46 ), ce so nt deux ne veux de Mou ss a, Abdera7.ek et Ramdane, et leurs famî1les , originaires de TablaI. qui [.W!uvent y habiter il condi tion de continuer la construction. Des anciens habi tmHs de Bentalha reviennelll, co mme Messaoud (originilire de Tablat), qui travai lle à Baraki. Ces changements nous permeltent de créer une bonne atmosphère dans Haï ei-Djilllii et l'idée de s'armer mûrit de plus en plus. Abdcl kader Menaoui est l'un des dern iers à emménager à Haïel -Djilali. en mai oujui n 1997. Il a fui Caïd-Gacern parce qu 'i l y a rencontré beau coup de problèmes. Sa fille, mariée à un pol icier qui a été ;rssassiné, est sans ressources. Elle habite chez ses parents avec son bébé. Les groupes armés dé barquaient sa ns cesse chez Menaoui , ordonnant de les lIider, cc qu ïl refusait, puis c'est l'armée qui venait et le traqu
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serviable et, quand les vois ins ont repris leurs constructions. ils se sont adressés à lui. Il a un père très curieux: qui , malgré son âge avancé, est un bohémien: il lu i alTive de quitter la mai son familiale pour prendre la route à pied. Il peut s' abse nter pendant des semaines, passant d ' un marché à l' au tre. Quant à mo i, j'ai arrêté de travailler pour l'entreprise de construction lin 1994 et je travai Ile depuis à mon compte. Cela me perme t d'être plus souven t à Baraki et Bentalha. Début 1997, j'a rrê te de travailler dans le bâtiment et j'ouvre un magas in dans ma maison (n° 44}. Au dé but, je ve nds des maté· riaux de construction et puis de l' alimentation. Donc, à partir de ce mome nt-là , je s uis toujou rs s ur place à Bemalha. C'cst pratique pou r être à l'écou te de ce qui se passe dans le quar· tier, m'occuper de recaser les fami lles dans les maisons libres et surtout m'occuper des jeunes qui veulent s'armer. La vie soc iale reprend et ce qui est surtout frappant, ce sont Ics cris et les rires d'enfants jouant dans la rue. Cela fail s i long· temps quc nous ne les avons plus entendu s! Tout le monde se remet à culti ver les jardins. et les échanges de plants repren· nent comme avant. Aprè s tou tes ces années de plomb ct de sang, j'ai ]' impression d ' une bouffée d' air. Cela se mani fe ste notamment dans ceue envie de reprendre la culture des fleurs ct des fruits. Mon jard in n'est pas très grand, mais je plante de tout . Je viens j uste d 'y mettre des fraises.
La tuerie desjt!unes Une fois le choc de la tu erie de S id ali su rm onté, nous commençons à nou s o rga niser en refusant les diktats de s groupes et des mili tai res. Nous renfo rçons les fenêtre s, installons des gri lles et des portes blindées et élevons des mu rs de clôture. Les constructions interrompues en 1994 reprennent et nous ins tallons l'é lectricité à l' ex térieur. C'est le premier Ramadan Olr les jeu nes sortent le soir et se retrouvent à Baraki pour vei ller. Bien sûr, certaines famill es sc terrent dès la nuit tombée, mais nous sommes maintenant nombreux à veiller le soir sur les terrasses.
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la sille 811erre (lU '1'" J/ùl;el/
Ce soi r du 14 janvier 1997, après la rupture du jeûne, je su is dans mon g; (rage oec upé à de menu s travaux, quand soudai n j'en tends des coups de feu tout près de chez moi. Devan t la maison de la famille Benziada (n° 50), plu sieurs jeunes sont réu ni s: Mohamed Djidjeli, Abdessalam Benziada, Yacine Menguelati. le fils de Sbaa et le (i ls du tailleur. Il s attendent Hammoud et Bouzid qui doivent rentrer de Baraki, ains i que le frère du topographe qui est .Il lé ac he ter des zlabia (des gâteaux très sucrés qu'on aime manger durant les veillées du Ramadan). Ils veu lent aller ensemble à la mosquée pour faire la prière de tarmvih (une prière supplémemaire dans les soirées du Ramadan). Souda in, Chergui et trois ou quatre complices s urgisse nt des orangeraies, o rdonnent aux jeunes de s' agenouiller e n tournant la tête vers le mur et tirent à bout portant avec une Klach et une !nahchoucha, un fusil à canon scié. Les tue urs font éclater la tête de Mohamed Djidjeli et du fils Sbaa. Le lendemain , on retrouvera le cadavre du frère du topographe qu'i ls on t inlcrcepté à so n retour de Baraki ; il s l'ont traîné dans les verge rs ct égorgé. Lo rsq ue j'e nte nds le s tirs, je monte su r la terrasse et j'entends la mère de Mohamed Djidjeli crier: « On a tué nos enfants! On a tué nos e nfants! }) Et, c royant vo ir Yacine à terre, les fi lles et les femme s crient :« On a tué Yacine! On a tué Yac ine! » Mo n fils qui est avec moi s ur la terrasse aime bien Yacine, un chauffeu r de fourgo n très sympathique CI bienvei ll ant. C'est épo uvantable! Je desce nds le pe ti t d ans la maison et je sors avec mon voisin M ' hamed dans la rue. Je ne vo is que deux corps. Cheikh M'hamed Menguelati . le père de Yacine. est hors de lui , il ne sai t pas quoi faire. Il me dit: « Mon fil s est dans la cour, il va mourir! )} Entre-temps. ils o nt rentré Abdessalam et Yaci ne. blessés. dans les cours respectives. Les remmes crie nt. impu issa ntes. sachan t que perso nne ne sera disponible pou r emmener les blessés à l'hôpital. Les de ux jeunes semblent être dans un état grave. Je vais voi r Yacine, qui me regarde en gémissa nt : « Je vais mourir ! Je va is mourir! )} Je lui soulève le T -shirt. Il a des impacts de balles au ni veau des côtes droites et du ventre mai s il n'a pas perdu beaucoup de sang. Abdessalam, lui, est dans un état cri tique. Le père est accroupi devant lui. Je le somme 124
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d 'entre prendre quelque chose ma is. désem paré c t rés igné, il dit: « Je ne fa is rien, s i Dieu veut qu ' il meure. eh bicn c'est sa vo lonté. » C'est une fami lle très discrète, qui ne veut surtout pas an irer l' anention de qui que ce soit sur elle. Cette attitude me révol te, le garçon sc meurt el no us pouvo ns peu t-être le sauver. Avec M'hamed, nous essayons de trouver une camionnette et constatons que de nombreux voisins sont sorti s de leur maison pour voir ce qu i sc passe ct proposer leur aide. Les gens arri vent même de l' ancie n Bentalha, avec des hac he s, des pell es ct des couteaux, pour nous porter du secours. Cela me réconfo rte, je me dis qu e nous so mm es capa bles de nous défe ndre nous- mêmes. À ce moment- là, nous ne sa vons pas que le g roupe s'est ret ranché dan s le petit oued et nous observe. Nous fai sons mê me plusieurs fois le va-et-vient sa ns qu' il no us attaque. Tout à coup, deux militaires apparaissent sur le boulevard dans un tracle ur de semi-remorque. Il s nous demandent cc qui sc passe et promettent de revenir avec du renfort. Il s ne réapparaîtront que deux heures plus tard ! En tre- temps, le fil s du taill eu r rep ren d co nn a iss ance . Indemne. il est pris de panique CI saute par-dessus deux murs de clôture, dont ce lui de Tourdo, pou r passer dans la ruelle arrière. Ce de rn ier, apercevant une o mbre sur so n terra in, pense q u'un" terro}) s'est caché chez lui ct [l 'ose pas sortir pour nou s donner son véhicu le . Il est persuadé que le rideau métallique du garage est piégé. Lorsque les mili taires arri vent enfin , nous n'avons to uj ou rs pas trouvé de vé hi cule. Il s sont près d'une quarantaine, venus à pied. Ils ne se dirigent pas di rectement sur le lieu du drame mais co ntourn e nt le quarti e r e t, à part ir d u ce ntre de Haï el-Dj ilali, emprunten t la ruelle du côté de ma maison pour se rapprocher de no us. Soudain, des ti rs retentissent du côté du pelit oued : ce sont les « terros » qui o uvrent le feu sur eux et ma maison est dans la li gne de tir. Je me trouve alors chez mon vo isi n M ' harned Me ng uela ti , le père de l 'un des jeunes touchés. Je sui s très inquiet, les tirs som soutenu s et ma fam ille se trouve dans la mai son. Soudain,je vois le patriote Krimo B. traverser la rue à côté de ma mai son. Il tombe à terre en criant: 125
hl sa/" KU"'''' (II/ quolidit'II
Ah ! Ma main! )} Mo ussa, l'autre patriote, accourt pour lui ve nir en aide et le traîne derri ère ma maison . Les militaires co ntinuent de tirer al ors que . du côté du groupe armé, il n'y a plus de riposte . Il se mbl e avoir pris la fuite. Je me dirige vers les m ilitaires qui so nt fl anq ués de s patriotes. Je leur raconte ce qui s'est passé deux heures plu s lôt et je leur e\ plique q u' il y a des blessés à évac uer. L'un des soldats nw réplique:« Va, cours, cours les chercher! »Cette dési nvolt ure me choque et je m'éloigne, dégoûté. E ntre- te mps , M'hamed a e nfi n trou vé une 504 c t, à plusieurs, il s embarque nt les blessés . Deu x mi lita ires osent s'ava nce r mais je reste en arrière, j e n' ai plu s env ie d 'avoir affaire à eux. L'u n d'eux insu lte Bouale m c t lui ordonne de rentrer cht:L lu i. Mai ntenant. i 1 fau t s' occuper des cadavres. Il s n'ose nt pas les retourne r, de pe ur q u' ils so ie nt pié gé s. Il s pl acent du fil de fer barbe lé et les tirent avec les Land Rover, qui j usq u'i ci n'ont servi à rien . Je ne supporte pas la vue de ce spectacle et je me reto urne pou r re ntrer chez moi. Arrivé à haute ur de ma mai so n, de ux mi litaire s accompag nés d'un patriote me cro iselll ct Ille de mande nt : « Ell e appart ient à qui cette mai son ? - À moi. - Ah, à toi, et qu i est-cc qui nous tirait dess us quand nous sommes arrivés? Il Y a un terrori ste dans ta maiso n, c'est lui qui a tiré sur nous. " ra i l'i mpression d'être dans un film tragi-comique. C'est complètement délirant! Je leur répo nds : « II n'y a personne qui a tiré de la maison, les tirs venaient du petit oued. J'ai vu siffler les balles du côté de la pépin ière . Je vien s de sortÎr de chez moi, il n'y ,1 personne.» Il s ne veu lent rien savoir ct m'ordon nent d 'entrer dans ma maison et de déloger le terrori ste. Je pense à ma fem me et mes enfants. Si c' est vrai cc qu ' ils di~e nt , alors il s sont en danger. Je leur dis :« D'accord.j·y vais, mai s vous m'accompagnez.» [l s réponde nt: « Pas question de ve nir avec toi, tu y vas et si tu ne rev iens pas dans dix min utes on fait e xploser ta mai son. )} Rien à faire, il s ne veu lent pas ve nir avec mo i, ni me donner une arme. Il faut donc que j'y ai ll e tout se ul. Qu 'est-ce que je vais faire en dix mi nutes? Je ne comprends pas du tout ce qui «
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se passe, mais en cet instant je suis pri s d'une angoisse terrible pour ma fami ll c et j e crois cc qu' il s me di sent. Je mc décide à entrcr. Il fai t no ir. Je cherche dans les garages,je monte, foui lle chaque pièce en tfltant les murs ct les objets. Je ne vois rien. Je suis pétrifié par la peur. Ma famill e n'esl pas là. Je vais chez M' hamed par la terrasse. j ' entends de s vo ix, ct e nfin je rencontre Sal ima. Elle est encore lout e ffaro uchée par ces tirs entre les patriotes ct les membres du groupe . Ma femme ct mes enfants se trouvent chez e lle et se cachent dans le couloir. Je su is sou lagé. Je reviens sur mes pas, j'allume la lumière dans la mai son, vérifie une seconde fois, et j 'aper~ois sur les murs les impacts de s ballc s qui o nt traversé les placards. Je redesce nds et je préviens les militaire s q u'i l n' y a person ne, qu'il s peuven t mon ter et vérifier eux-mêmes. C'est ce qu 'il s font , mai s ils persistent à dire que quelqu'u n a tiré de chez moi. Enfin, ils repartent. J'attend s le re tour de M' ha med qui a accom pag né le s blcssés à l'hôpital. À so n retour. il no us réco nfo rte, ces derniers ont la vie sauve . Tout le monde s'apprête à rentre r chez soi et les militaires sont sur le point de se retirer. quand les gendarmes arri vent. Il s se renseignent sur ce qui s'est déroulé. M' hamed ct Boua lem entendent le capitaine de la gendarmerie dire aux patriotes: « Laissez- les mourir comme des chiens! }' Je ne comprends pas pourquoi les patriotes et les mili taires préte ndent qu'o n a tiré de chez nous et cela me perturbe. Je n'arri ve pas à dormi r. Soudain. j 'entends des bru its insolites; je regarde ma mo ntre , il est environ 1 heure du matin. Je me lève et je regarde par la fenêtre de la cuisine. Je vois un groupe d' hommes s' avancer lentement ct encercler la maison. Il y a quelqu' un qui s'exclame: « Il est là ! Il est là ! » Je crois que c'es t un grou pe armé e mbusq ué près de c hez moi. Je me penche un peu vers l'ex térieu r et les hommes e n bas me dise nt de descendre . Je refuse, mais ils insi stent. Ils me nacent même de casse r ma porte. Pui s j'entends la voix de Hammoud qui crie: « Nasro, Nasro, n'aie pas peu r, c'est moi, on te demande seule ment de sortir, c'est pour vérifier. }) Je lui demande qu i sont ces gens, il me répond que ce sont des vo isins qui habitent la cité 200 logeme nts. Ce sont des l2J
l'armée f'rt'lIlllt' d"ssUJ
patriotes ct les hommes qui étaient venus auparavant, armés de haches. En fait, tandis qu ' ils encerc lent ma maison, d'autres patriotes passent chez M' hamed et le menacent de mort pour qu ' il confir me que je su is comp lice des terroristes. Je me résigne finalemenl à o uvrir la porte: il y il parmi eux un patriote qui est correct. mais il y a aussi le frère de Djeha , Slimane, un salopard fini. Moussa, le patriote, n'est pas là, car il a accompagné à l'hôpital son ami Krimo, blessé à la mai n lors de l'acc rochage . Il s e ntrent c hez moi, demandent une torche et cherchent des doui lles partout, prétendant qu' 0 11 a ti ré de la cage d'escalier. Po ur eux, les (1 terro s~) so nt des Superman. Il s me demandent ma pièce d 'ide ntité ct me disent d'al ler voir le lendemain le capitaine de la caserne. Le lendemain,je me rends avec M'hamed au poste avancé. Le capitaine M'rizek n'y est pas, parce qu'il s'est rendu dans les vergers pour mener l'enquête sur les assassinais de la vei lle. Nous y allons aussi et rencontrons de nombreux mi litaires. J' essa ie de parler au capitaine, mais il faut que j'attende jusqu'à midi avant de le voir. On lu i explique les faits ct il rétorque simpleme nt: Il Ah oui,je comprends.), Il ne veut pas no us dire ce qu'il comp rend , Il me rend mOIl permis de conduire et, e n rentrant, nou s voyons les pat riotes fouill er autou r de ma maison, L' un d 'e ntre eux trouve des douilles sur la dalle en face de ma maison; mo i- même j'en ramasse à l'endroit o ù se trouvaien! les patriotes pendant la nuit, provenant de fus ils de type Mat 49. Que s'est-il réellemem passé? Les patriotes venus avec les militaires onl été contrai nts par ces derniers de les devancer. Craignant les li rs du groupe armé retranché, il s On! prétendu qu ' un terroriste embusqué dans ma maison les empêchail d'a vancer, Le terroriste, c' éla it moi ! Heureusement que Krimo n'est pas mort. Lorsq ue je lui ai demandé si réellement on a vait tiré de chez moi, il a nié et confirmé que c'était de la dalle qu'on avait ti ré. Mais je crois aussi que ce qu i a poussé les patriotes à se comporter ainsi, c 'est qu'ils s'accommodent mal du fa it que d 'autres von! les concurrencer: avant même d'être armés, nous les menaçons, puisqu ' ils ne seront plu s les se ul s à recruter de nouveaux volon taires. En plus de cela, le commandant s'est adressé Il
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plusieurs reprises à moi pour me demander cc que je pensais de tel ou tcl demandeur, mal gré le fait que je ne sois pas armé, Les patriotes, quant à eux, n ' ont aucun in térêt à ce qu ' on nous arme, parce que ce la les empêcherait de poursuivre leurs affaires louches, en part ic ulier le racket des habitants qu'ils exercent cn to ute impunité pui squ 'il s SOIll les seu ls à être armés. Il s ont le ur réseau. se sont parta gé le gâteau ct ne veulent pas d'illlrus. Mou ssa et le chef des patri otes de Bental ha, Mohamed Bouamra (Il ne pas confondre avec so n cous in el homonyme, du bord opposé, assassiné quelques moi s plus tôt), sont d'ai ll eu rs allés à la caserne pour dire que nou s som mes des islami stes et qu ' il ne faut surtout pas nous donner des armes. Quand il s ont constaté que le commandant ne se la issai t pas influencer, il s sont allés à la gendarmerie nou s dénoncer comme étant proches des groupes armés. Mal gré notre discrétion, je crois que les groupes armés ont eu vent de nos discussions au sujet de l'armeme nt. Nous en parl ions, ou plutôt certains jeunes y songea ient parce que leurs copains de Baraki les influençaient. Mai s en fait, il n'y avait encore rien de bien sérieux , Je suis persuadé que l'assassinat des jeunes devait nous dissuader de ce projet avant même que nous ne le concevions sérieusement.
La question de l'armement Il nous fau l cependant un certain temps pou r nous décider Il demander des armes. Nous en parlons une première fo is à M'barek, le commandant de la case rne de Baraki . début 1997. après la mort de Sidal i. L'idée de former un groupe de légitime défense (GLD) vient d 'ailleurs du commandant luimême , Personnel lement, je ne veux pas de GLD : je préfere la formation d'un groupe de personnes armées individuellement. Pour moi, il s'agit d'organiser l'autodéfe nse et non de fa ire la chasse aux « terrori stes », qui est la fonction princ ipale des GLD, Nous allons donc le voi r e n fév ri er 1997 e t il nous consei lle de créer un groupe de douze personnes , Je lui fais conliance, car j'ai l' impression qu 'on peut parler avec lui. Ce n' est que plus tard que je me su is rendu compte que. en fait. les
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militaires a m eu des instructions de créer un GLD parcc que ce lu i-c i est sous leur com mandement et armé par eux, alors qu' un simple groupe d 'au todéfense est armé par la gendarmerie et ne remplit pas les mêmes foncti ons, C'est moi q ui recueille les dossiers de demande , Les jeuncs entre vingt ct vingt-cinq ans qui demandent des armes ne sont pas nombreux, mai s il s veulent protéger leur l'ami Ile et le quartie r contre les incurs io ns de s gro upes, Nous comme nçons;1 parler d' armement. mais discrè teme nt. pour n'a lerte r ni les g ro upes. ni les pa tri o tes, En fui t, ce qu i nou s a pou ssés à acceptcr l'i dée de l'arme men t c'est le fait que des je unes comme Ham moud e t Fo uil d sc rapp roc hent de s a nc ie ns piltrio tes, dont nous craigno ns la mau vai se influe nce. Nous vou lons nous organi se r. parce qu'il est év ident q ue la garde communale ne va pas créer un poste dans le quartier, Pour ma part, q ue la menace vie nne des islam istes ou des militaires,je veux me protéger et protéger les autres. Je procède avec prudence. parce que jc veux des gens sars. Il faut gagner la con fian ce des mili taires et donc cho is ir des pe rsonnes sa ns antécéden ts« te rroris tes » ou «crimi nel s )' . L' afraire sc révèle pourtant plus diffic ile à réal iser q ue prévu, car il no us faut des ho mmes de mon âge pour encadrer ces jeunes. Les dossiers en e ux- mêmes n' exigent pas beaucoup de forma lités. Il fau t une fiche d 'état civil. des photos, une lett re de moti vation, pas plus. Je rassemble douze hommes q ui ne peuve nt être suspectés: Ct.:: ne sont ni des sy mpalh isants du FIS, ni des voyous. Je vais voir k comm;lIldant ;Ivec Fouad (pa rce qu ' il a un parent haut gradé à la pol ice de Sidi-Moussa), Boualem (dont le frère travai lle au ministère de la Dé fense) et Bouzid, le rrère de Ha nullo ud . dont un au tre frère. Vahia, a été lâc heme nt assassiné et eoupé en morceaux. Ce dern ier avait été directeur par intéri III d ' un souk-cl-fel lah et avai t un magasi n d' alimentation dans Haï el-Dji lal i. Un jour, en plein après-mid i, alors que quelques copains jouaieru aux boules deva nt son magasin, le groupe de Che rgui s' approc he e t veu t rencont rer Yah ia . [1 exige ses papiers d' identité ct lui demande de l' accompagner. Deux jours pl us tard, son corps, ou plutôt ce qu ' il en reste, a été retrouvé. En réalité, il a été tué parce quï l n'autorisai t pas les 130
vols e t les mago uilles dans Je souk -e l-fella h, qu ïl deva it rcmcUre sur pied avant la raillite complète. Le mo t d ' ordre est passé qu 'i l étai t un vendu et le groupe a fa it le sale bou lot. Dans la ré union avec le commandam , Bo uzid éclate en sangl ots en relatant ce drame. Tou s ceux quc je présente n'ont aucun lien avec les groupe s, ctlcs mili taires le Sllvent. Au niveau du quartier, les réti cc ner.::s vis-à-vis de l'armeme nt sont multiples. Beaucoup d' hommes trouvent cela trop ri squé ou bien in utile. Il s considèrent que c'est un problè me e nt re les groupes a rmés et les m il ita ires et que cela ne les concerne pas. Ils estiment qu' il s ne sont pas visés par ce qui se passe. lb; Illo nte nt la garde parce q u 'i ls o nt peur pour leurs enfants, mai s ils partent du princi pe que les G IA n' auaquent pas sans raison. Et donc ils pe nsent que ceux qu i prennent les armes se condamne nt eux-mêmes, parce qu ' il s s' attirent les fo udres des groupes. Un père vie nt ainsi me voir, parce qu 'il ne veu t absolument pas que son fils fasse part ie de notre groupe . Il est un peu choqué lorsque je lui dis qu' il n' a qu ' à faire passer sa tête par la fe nêtre lorsque les terroristes viendront. Peu après, il donne l' accord à son fi ls pour demande r une arme. Je considère que de to ute façon nous sommes condamnés, donc autant sc pro tége r efficace me nt. Le ma ssac re des j e unes e n janvier 1997 il déc lenché une vague de demandes d 'armes, Mais tous nos e ffo rts seront vain s car, fin alement, nous n'en auron s pas. Ce sera encore le cas après le grand mass ac re de Raïs fin ao Ot 1997 - sur lequel je rev iendrai. Les hab itant s de nos régions sc rueront vers les casernes ct les brigades de gendarmerie, 011 ils ex igeront des armes avec insistance el détermination , Toute réserve ou crainte auron t disparu . La menace étant immine nte, tout le monde cst al ors convai ncu qu ' il faut se défendre par n' importe quel moye n. Nous arrivons mê me à former un groupe de vingt-q uatre person nes et les mil itai res sc rende nt compte du sérieu x de no tre détermination. Mai s le commanda nt de la caserne de Baraki , M' barek, m ' a bie n précisé qu'il n'accepterait pas plus de douze hommes avec un responsable. Mai ntenant que tant de vo lontaires se prése ntent , ils nous refusent les armes ! Il est vrai qu ' à l'époque on peut s' ac he te r un fu sil po ur 140 000 din ars . Mai s dan s no t re 13 1
quartier personne n' en a. mis à part Boudjemaa (lui a été au tori sé à s' armer à titre indi viduel. mais après avoÎr fait des pieds ct des mains pendant tks mois: il se se Olait très menacé parce qu' il vit au bord dc!'> vcrgers). De plus cn plus de villageois veul ent récupén!r les fusil s qu'i ls ont re mi s aux au torités en 1994, mai s la ge ndarmerie refuse de les leur rendre. Le 10 se ptembre, c'es t-à- di re de u x se mai nes ava nt le massac re, vers 11 heures, le commandant passe à Bentalha , à la hauteur de l'oued, avec un important détacheme nt. Il envoie un patri ote me c hercher. Cest là qu 'il me d it qu'il a bie n ré l1éehi et que ce sont aussi les ordres du secteur, qu 'il faut ce grou pe dc douze personnes. Je lui ré po nds qu e cela fa it un certai n temps déjà que je lu i ai envoyé les dossiers. Il se mble éton né et dit qu 'i l n'a rien reçu. Je les ava is pourtaOl bicn remis à Karim , le capitaine de la Sécurité militaire. Il me dit de ve nir à la caserne ct que dans deu x j ours tout sera rég lé . Il m 'envoie même un jour à la ge ndarmerie de Baraki, où il y aurait tro is fus ils pou r nous. Je m 'y re nd s, j'attends des heu res e t ta 20 heures, quand le brigadier arrive, j'apprends qu' il n' a pas de fu sils e t que je do is revenir le le ndemain. Au même instant, je vois tro is personnes sorti r de la gendarmerie avec trois fu sils: les nôtres. En fa it, je ne sais pas si o n m' a fait passer pour une poire ou s'i l y avai t un confli t au sein du commandement du secteur . J' e n s ui s arrivé à la co nclu sion qu e le refus ve nait de la Pre mière Région mil itaire. Il faut savoir que, à l' origine, différentes conceptions s'opposaient cnl rl! les forces de séc urité il U suj et du rôle du patriote. Certa ins estimen t que les patri otes SOnt partie prenante dans cette guerre mais d ' au tres militaires ne part age nt pas cc point de vue: ils considèrent que celle surabondance d 'armes est dangereuse. Ils redoutent - àjuste ti tre d'ai lle urs - les excès des patri otes et pensent q ue leu r rô le devrait St: limiter à faire dt:s investigat ions et à in forme r les fo rces de sécuri té avant d' arrêter des gens. J'ai de plus e n pl u ~ l'impression que nous sommes victimes de ces visions d ifférentes. Je crois que l' ancien commandant de la région, Saïd Bey, n' appréciait pas l'arme ment de civil s (il ava it peut -être reçu ses ordres de la SM) ; son successeur, lu i, fac ilitera largement la d istribu tion d' armes. 132
La disparition d'Amine To ut au long dc cette période. j'a i été égalemen t mobil isé par la d ispari tion de mon nevc u Amine, le fils de ma sœu r Nacc ra, surve nue dé but 1997 . Je sui s alors à Bentalh a, ma mère n'es t pas en Algérie el mes neve ux habitent che7. mo n frère à Baraki. Le 30 janvier 1997, en plcin Ramadan, je leur rends visite. Amine prend une douche et SOrt pour re ncontrer des copains. JI rev ient quelques instan ts plus tard parce q u' il a oublié ses papiers. Il ressort en pantoufles et T~s hirt . Je reOlre il Bentalha sans lui d ire au revoir, chose tout à fait habituel le. Le le nde main, mon frè re vie nt che z moi et me prév ient qu'A mi ne n'est pas rentré la nuit dernière. Lui-même, inquiet, n'est pas al lé au travil it. Nous commençons nos reche rches. Tandis que lui va au commissari at, j e fai s le tour de la famille. Pas de traces. Ensuite, c'est moi qui me rends au comm issariat c t à la ge ndarmer ie. Nous a ll ons voir son copain , qui dit q u'e ffec ti ve me nt ils se sont vus la vei lle, q u'A mine voulait rentrer à la maison pour prendre les papiers. Ils s'étaien l donné rendez-vous, nmis Amine n'cst pas reve nu . Il a donc displlfu tout j uste après être re monté dans l'appartement . J' appre nds que la veille, avant la tombée de la nuit, tout un dispositif de sécurité a été mis en place pa rce q u' une embuscade avait été tendue au préfet d ' Alger. Cc soir-là, le quartier regorgeait de forces de séc urité et, par la suite, no us avon s appri s que près de douze jeunes ho mmes o nt été en le vés à la même occas io n. Des voi sins pré te nd ent llv o ir vu ma ni e r Amine dans une voiture blanche, deva nt la gendarmerie, qui s'est dirigée vers Larbaa. Je me di s que peut-être il a ass isté ta un incide nt e n rapport avec cet attentat. Quand je me re nds à la police pour porter plainte, le pol icier me dit de fllire une décl aration et de don ner des photos d'identi té. Mo n frère s'y rend llussi et remet égale ment des photos. À chaque fo is q ue nous nous présen to ns chez eux, il s nous demandent des photos. Tout cela dure environ un moi s. Je fa is tou tes les casernes et on m'oriente d ' un endroi t à l'autre . On me dit que si c'est la SM qui r a enlevé. il doit se trouver à AïnNaadja, dans la caserne à III sorti e de Baraki , là où s'entraÎnai enlles premie rs patriotes. Pe ndant les deux j ours de l'Aid 133
III
sale guerre (lII quOiidiell
.seghir (la fête qui suit le mois de Ramadan et marque sa fin ), je ne fais que cela. Ce n'es t qu e grâce à l'in tervention d ' Amnesty Internat ional et d'autres ONG que le procureur d ' EI -Harrach se me t en co nta ct avec le commi ssa riat ct la gendarmerie de Baraki , et q u'enfin ils nous reçoivent. C'est là q ue je m ' aperçois qu ' un mois après la dis paritio n d'A mi ne aucu ne plainte n'a encore été en registrée! Aucun dossier n'a été constitué. Un j e une de Baraki m'a dit qu ' il avait vu Amine dans les locaux de la police. Cela m'a rendu méfi ant el je me su is dit que les services de séc urité l' avaien t arrêté ma is, la garde à vue étant de douze jou rs, il s n'i nscri vent pas de date pour pouvo ir la falsi fi e r a u ma rnent de présenter le suspect devant lajuslice, Mai s rien de tout ça. Amine ne réapparaîtra pa s, Cette situation est très dou lou reuse pour la famille , Ma mère revie nt à Alger et je reste avec e lle quelques jours parce qu ' elle est rongée de remords de l' avoir lai ssé. Ma sœur aussi vient à Alger et je reprends mes acti vités à Be ntal ha , Et. un jour de mars 1997, ma mère fait irruPlion chez moi. Il est rare qu'elle vienne à Be ntalha . Elle me dema nde de l'accompagner avec ma sœur à Oran , car o n aurail retrouvé la trace d ' Am ine. Quelqu ' un prétendant être un appelé s'est mis en contact avec ma mère et lui a raconté q u'Amine se trouverait da ns une caserne, blessé . En voulant pre ndre le bateau clandestinement, il aurait é té touc hé par des ba lles tirées par des so ldats, Je trouve louc he que, par le s temps qui co ure nt, un appe lé e n tenue de combat se re nde personnellement à Baraki , d ' autant plus que c'est mal vu de l'armée. 11 a prétendu être en permission et devoir re ntre r le soir à Oran. On s'es t do nn é rendez-vous à l'aéroport, mai s il n'est pas venu. Je fe rme le magas in, ma femm e va à Baraki avec les enfants, e t nous preno ns l' avion pou r Oran. Nous faisons des recherches dans to ute s le s caserne s, tous les hôpitaux , à la morg ue et au port. Enfi n, nous nous rendo ns da ns tous les e ndroits où no us pen so ns qu'il a pu passer, en vai n, Nou s n' obte no ns aucune information supplémelllaire. Ma mè re passe da ns une ém iss ion du genre « Avis de rec herch e~) et énormément de personnes lui téléphonent. À chaque fo is, de nou veaux espoirs sonl suscités sur le sort d' Amine, à chaque
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"(lnnée l'rend le de.mu
fois une nouvelle déception plonge sa mère et sa grand-mère dans le désespoir, Plu s tard, grâce à l' interventi on de voisin s qui ont des contacts avec la SM, nous aurons des informations sûres, selon lesquelles il se serail trouvé dans la caserne de Be n Aknoun. Cc qui est dur à supporter, c' est que les patriotes viennen t ha rce le r les familles des dispa ru s en prétenda nt qu e ceux-ci ont pri s le maqu is. Un an plus tard, à la fin du Ramadan 1998, un autre parent à nous disparaîtra. Dcs membres de la Sécuri té militaire l'enlèveront chez sa sœur en plein Alger. En fa it , policiers et militaires éta ient passés à plusieu rs repri ses en l' es pace d ' une semai ne chez sa mère pour l' arrêter. Il s avaient à chaque fois encerclé la maison, mai s ils ne l' avaient pas trouvé. Ils l'ont même c herc hé à so n li eu de tra vai l. Ne p arve nalll pas à l'a ltraper, il s arrê tent so n frè re, le menacent e l celui-ci les c mm è nc c he z la sœ ur. L ui-même est tabassé mai s il es t relâché, tandis que le recherché d isparaît .
l'hé des massacres
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L'été des massacres
Caïd-Gacem et l'offensive militaire Après le massacre de Sidali en novembre 1996, les militaires ont investi la maison de vieillesse à Caïd-Gaccm . Ils se sont e nfin rendu compte que les GIA y sont in stall és, qu'ils o pèrent dans le s alentours et cac hent leurs voitures dans l'hospice. Entre-temps, le lotissement de Caïd-Gacem s'est progres sivemenl vidé de ses habitants: tes « terros » ont imposé de plus en plus de contrai ntes aux habitants, qui ne supportaient plus la pression et Ont abandonné leurs mai sons, que les groupes armés ont occ upées en partie. Finalement, tout le quartier est encerc lé par l'armée à partir de IÏn mai 1997 et les derniers habitants le quinen!. C'est là que commence la grande o rrensive. On nous dit qu'il y a env iron cent ci nqua nte terroristes retranchés dans le lotissement ct qu ' ils au raient une soixantaine d'otages avec eux. À leur tête, sc trouverait Antar Zouabri, l'ém ir national des GIA , un sangu ina ire crain t par tous. Ce sont les mil itaires qui propagent cette information. On raconte ilUssi qu'ils s'apprêtaient à tenir un congrès et que, en fait, ils aurai ent été piégé s . No us remarquons la forte 136
concen trati on de militaires qui encercle nt toute la zone de Caïd-Gacem, les maisons et les vergers. Ils font venir des bulldozers pour creuser des tranchées et se frayer un passage car tout le terrain serait miné. Toutes les nuits, nous entendons des tirs isolés et des rafales de balles. Et pendant tOUI cet encerclement, qui a débuté juste avant les élec ti ons législatives du 5 juin 1997 et se terminera deux mois plus tard, des bombes explosent partout dans Alger et le s attentats et enlèvements se multiplient. Encore une fois, nous n'y comprenons rien ! Durant cette opération de grande envergure, le généralmajor Mohamed Lamari, chef suprême des armées, se déplace à trois reprises à bord de son hélicoptère pour voir de près la situation à Caïd-Gacem. Les m ilita ires prétendent que le groupe a suffisamment de vivres pour tenir; mais il aurait tout de même un sérieux problème avec "eau potable. Or, no us apprenons qu'une se mai ne après le début de l' offen sive un responsable de l'armée aurait chargé la mairie de Baraki d'assurer lt: trans port de c iternes d'eau qui. une fo is consommées, seraient abandonnées dans les champs près de l'hospice. L'ami de Sam ir, le patriote, travaille à t'intérieur de Caïd-Gacem comme conducteur d 'engin et démine le terrain: il confi rme que des employés de la mairie viennent apporter de l'eau pour le s« terros )}. Quel inlérêt l'armée aurait-elle d' approvisionner ces derniers? Nous avons l'impression que quelque c hose se trame qui dépasse notre capacité d' imagination. Les militaires disent qu'ils ne peuvent pas faire grandchose, à cause des otages, Ces derniers ne seraient pas de CaïdGaccm. C'est bien étrange, parce que nous savons très bien que ce la ne gêne pa s les militaires de bombarder des vill ages entiers au mortier ou aux mi ss ile s . Prétendument pour préserver la vie des otages, les militaires ne pourraient que resserrer l'étau peu à peu en détruisant les maisons du 100issement au bu lldozer. Une très grande partie du quartier sera ainsi rasée. L'encerclement est pris en charge d'un côté par les mili taires de Baraki , de l'autre par ccux de Si di-Moussa, implantés tout près du Haouch Tafil (à quelques kilomètres de CaïdGacem). Les soldats du poste avancé de Bentalha, qui
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la suIt [l! lt'rrt (lU qm)jÎdÎI'II
dépe ndent de la caserne de Baraki, sont égal eme nt e ngagés dans l'opération et ù leu r place son! apparus des gendarmes et des membres de la garde républicaine. Pendant toute la durée de l'opération, ce sont ccs deux corps qui s' occupent de no us, mai s ils ne font pas de rondes. Ceux de la garde républi caine se sao ulent régu lii·remellt. L' arsenal mil itai re mis ù leur d isposition est énounc, mai s ils ne l'u tili sent pas . Nos groupes armés loca ux ne :.c mblent pas faire partie du groupe encerclé: nous continuo!!:. de les apercevoir de temps à autre, même s'il s sont nettement affaibl is. Durant tout ce temps, la route e ntre Baraki et Sidi-Moussa est bloquée et il est interd it de l'emprunter. Et pUÎ s soudai n, début aoû t, les mÎ lita ires se retirent s;ms donner d 'ex plicat ions cl abandonnenl les otages et les groupes. Nous n'avons, une foi s de plu s, absolument rien compri s.
Les terrorisles retranchés de Caïd-Gacem Une semaine après le départ des militaires, les vie ux sont repl acés dans l' hospice. Profi tant du repliement des soldats, les membres des groupes toujours retra nchés dans Caïd-Gacem te ntent de timides sortie s pou r se ravi ta ill er auprè s des Haouchs, des petits hameaux isolés de la région de Benta lha . Mai s le g ros des grou pes semb le s' être vo latili sé ; il s ne do ive nt p lu s ê tre trh nombre ux e t para isse nt livré s 11 eux -mêmes. Une nuit. le dénommé Farkous, un repe nti. ex-membre de groupe, que les mil itaires ont armé pour combattre ses anciens com pli ces, attend e n embu scade deva nt une fe rme qu i sc trouve juste en face du poste militaire avancé. Un grou pe de qua tre hom mes s 'Introd uit dan s la fe rme e t Fark o us le s surprend quand ils sorte nt. II cn abat deux et en bl esse un troisième qui , traî né par le quatri ème, s' enfu it. Les gens raconte nt que les deux morts aura ient eu de la galette chaude dans leur poche. Une hi sto ire vraiment bizarre : d ' abord , je m'étonne que l'armée n' ait pas sanctionné les habi tants de la ferme pour avoir donné de la nourriture aux « terros» ; e nsuite, ne nous avai t-on pas di t qu' il s avaient suffi sammenl de vivres? Alors. pourquoi sonir pour de la galelle '!
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f 'ili lits IIWS$lICfI'S
Je vai s voir les cadavres au peti t mali n. Je cherche en effet lOuj ours mon neveu Amine (à l'époque , on disait que les militaire s sortaient des prisonniers de leur lieu de détenti on pour les 1iquider. en Ics fa isant passer poUf des terrori stes abattus au combat). Les cadavres criblés de balles sont entreposés sur la chaussée ct perso nne ne les reconnaît : il s sont habill és de bleus de travail el de pl usieurs tabliers, enfilés l' un au-dessus de l'autre. Le su rl endemain , il se passe ex ac te ment la même chose, mais cette fo is-cl. avec l'aide des militaires que Farko us a ob ligé s à sortir de leu r trou. On se demande po urquoi des groupes ressorten t une seconde fo is au même endroit. Ce tte fois-ci , les milita ire s tue nt q uatre hommes e t c n blesse nt plusieurs autres. To ute la nu it, no us e ntendo ns les tirs. Le lendemai n, ils exposent les cadavres sur une 404 : ce sont ceux d ' hommes très j eunes. Leurs corps sont égale rne m criblés de balles, mai s o n ne voit aucune trace de sang . La population dit qu ' ils ont bu du musc, un concentré de parfum que les islamistes sont réputés utili se r (absorbé en grande qua ntité , le musc permet d ' accélérer la coagulatio n du sang en cas de blessure par balle), Leurs visages sont gris-vert. L' un d' entre eux est gros , ce qui est étonnant quand on pense aux conditi ons dan s lesquelles il s so nt cen sés vivre! Ce qui cloche aussi. ce sont leurs habits: ces tabliers ne sont pas des vêtements de maqu isards, Et final eme nt. il s ont l' ai r bien peu sportifs. Nous nous demandons pourquoi il s sont repassés par le même endroit, puisque la fenne où a eu lieu ce second accrochage est toute proche de la prem ière . Tout ccla est si bizarre que nous nous de mandons si les pau vres bougres ne sont pas des pri sonniers qu 'on a exécutés. Je me pose même la question de savoir s' il s ne fo nt parti e des fa me ux o tages don t parlaient les mil itai res. Ne sentit-ce pas un coup monté avec la comp lici té de Farko us, qu 'on aurait utili sé (ce lui -ci aura des problèmes peu après: il sera enlevé par la SM , q ui le suspectait de vendre des munitions aux terrori stes) ? Une se ma ine ap rè s avo ir réinstallé le s loc ataire s de la maison de viei llesse, a li eu une descente des groupes armés da ns l' hospice . Il s attachent les vieux avec du fil de fer, les main s de rrière le d os, po ur les égorger. et en lèvent se pt 119
employées, dOllt l'u ne habite Baraki dans la cité 2004 logements, et une autre à Bentalha. Deux employés parvien nent à fuir et préviennent les mi litaires du poste avancé, situé à huit ce nts mè tre s. Celui qui C SI intervenu pour sauver les vieux, c 'est Zoheir. unl ieulenant . Il n' a pas reçu l' ordre d'intervenir, mais il a déb
Les mass
par groupes de cinq. avant de les égorger dehors. Ces témoignages te rrifia nt s ne provie nne nt pas seuleme nt de celle régi on. Tout au long de l'été, les chiffres des morts et les no ms des localités touchées vont défi 1er comme une funèbre li tanie ; souvent nou s renco ntrons des rescapés de Thalit , El -Omari a (dans la rég io n de Médéa) , Aïn-Defla , et , plus près de chez nous, Bougara, Baba Ali. Souhane. Beni Ali. où des dizai nes de victimes périssent sous les bal les et les lames d ' assaillants sanguInaires. Plus les massacres et les attentats à la bombe se rapprochent d ' Algeret plu s la peur s'empare de nous. Nous co mprenons de mo ins en moins ce qui se trame. Jusque-là, beaucoup de gens di saient que si nou s re sti ons neutre s, si no us ne nou s en mêlions pas, il ne nous arriverait rien, Mais en réalité. les deux parties veulent nous impliquer dans cc conflit. Il faut basculer d' un côté ou de l'autre, ct l'armée faitl110nter la prl!ss io n en me na ça nt de se retirer. Comment peuven t-il s env isage r de nous abandonne r aux hordes meu nri ères el re fu ser de nous armer '! Le pl us étrange dan s tout cela, c'est que, malgré les incursions des groupes armés ici ct là, poli ciers et militaires se baladent en plei ne jou rnée dans les « q uartiers cha uds» comme Baraki. Je n' arri ve pas à co ncevoir que des te rro riste s s' en prennent aux civi ls alors que les fo rces de l' o rdre circulent pratiquement librement. Ils osent prendre le bus et le taxi , individuellement et en uniforme ... Nous re marquons égale ment que les mariages, qui pendant des ann('Cs étaient cé lébrés dans l'intimité, retrouven t leur exubémnce d ' autrefois, notam ment chez les po lic iers qui manifestent à coups de fu sil leur joie. mais aussi leur victoire , Certains sont agacés par celle ostentation, vé cue comme une provocation vi s-à -v is des c iv ils éprouvés par la cri se économique et la guerre. qui continue de livrer son lot de mOrts quoti dien. Le 14 juillet 1997, une bombe ex plose sur le grand marché de Diar cl -Baraka à Baraki (la presse donnera le lendemai n un bilan provi so ire de vingt ct un morts ct d ' une cinquantaine de blessés) . Il est Il heures quand j'entends une importante déflagrati on. Je suis dans mon mag
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III )"(111' j!ut'rlY au quorillit'I/
brûlure dans la poi trine, une pression qu i ne me quiuera que dix jours plus tard. Rapidement, quelques voisins re vie nne nt de Baraki et nous expliquent que c ' cslle marché qu i est touché. C'es t un lundi. le j o ur où il est surtout fréquent é paf les femmes. En entendant l'explosion. les fem mes se précipitent hors des mai sons, têtes décou ve rtes. Presq ue c haque famille a un me m bre qui cc jour-Iii s'cst re ndu au rmuché ou y Inl vaille. J' ai j uste le temps de fermer mon ma ga.~ in . ct je vois la fam ille de Chouch qui court vers Baraki . L e père, cordonnier de son état , trimballe depui s des
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Le massacre de Raïs Raïs est situé à envi ron 10 km de Be ntalha . C' est une localité qui se trouve sur le bord d ' une route départemental e en direction de Larbaa. Dans la nuit du 28 au 29 aoû t 1997, nous sommes réveillés par des tirs au loi n et le bruit d ' un hé licoptère . Je mo nte sur la terra sse et j 'y re nco ntre Salima , ma voisine di recte, qui clic non plu s ne peut pas dorm ir. Nous no us demandons cc qui se passe, Le bruit d ' un hélicoptère n' a rien d' inh abitue l à cette époq ue: il e n passe un tou s les jours, parfo is même deux. Mais nous ne le voyons que très rarement. Un jour, ai pu apercevoir que c 'étai t un hé licoptère militaire. Cette nu it-là, nou s fi nissons 10 US par aller nous coucher, ne sachant pas trop de quo i il s' agit . Le lendemai n, .1 U leve r, le climat est lourd . On sen t que quelque chos\! de très grave est arri vé: les sirènes des ambulances retentisse nt sans interruptio n. Assez rapideme nt. nous apprenons cc qu i est arrivé: dans le village de Raïs, une horde de près de ce nt tueurs s' est jetée sur la popul ati on e t près de trois cents personnes ont été massacrées à l'arme blanche et à feu. Les ge ns ont essayé de fuir vers la caserne toute proche. mais - chose incroyabl e! - Ics militaires o nt tiré sur eux, fai sant plu sieurs victimes (il s expliqueront plus tard, ce qui paraît invrai sembl able, qu ' ils ne pouvaient di stinguer les habitants des terrori stes). Beaucoup o nt pu néanmoi ns s'échapper e n se réfugian t dans les vergers e nvi ro nnants. Des témoins disent q ue les terrori stes éta ient ven us tro is ou quatre jou rs avant le massacre et qu 'i ls se seraient fa it nou rrir par la population c n lu i promettant qu'elle n'au rai t rien à craindre, parce qu ' il s étai ent ve nu s pour « s'occuper de l' armée». Dans la so irée du massac re , un mari age é ta it fêté; le s terrori stes y aura ien t pa rt ic ipé e t tué toutes les pe rso nnes in vitées, une majorité de fem mes et d 'enfants, ta nd is qu ' un autre groupe serait sorti des vergers et au rait massacré tout un quartier. On raconte mê me qu 'un troupeau de deux cents vaches au rait été volé. Com ment un tel nombre d ' animaux peut-il di sparaître dans la nature '! J' ai parlé avec un ami de M' hamed, originai re de Raïs, qui me dit q ue ce lle version est inexac te . En réa li té, c'es t un
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• la salI' ,tif/l'nI' I/U qUOIidil'iI
comma ndo qui a fait une inc urs ion e l qui , des heures durant, li massacré la population. C'est vrai qu'il y il vail un mari age, ce qui a permi s aux assai ll ants de réunir un gra nd no mbre de vict imes el de les égorger. Bea ucoup de maisons onl été incendiées c t les habitants ont fui. Dès le le ndemain, les corps sont e nt errés; co mme nous l'obse rve rons après le massacre de Bentalha. les cada vres sont inhumés dans di fférents c imetiè res et souvent à plus ieurs corps dans une tombe, co mme s' il s'agissa it de masquer le nombre exact de vict imes. O ffic ie ll e me nt , o n avancera le ch iffre de quatrc-v ingt-dix-hui t morts. Les habitan ts parle nt de pl us de trois cents victimes . Des ru meurs folles courent depuis un certain te mps au sujet de ces tueurs q ui égorge nt sans état d 'âme. On dit q u' il s portellt des bandeaux où seraÎent inscri ts les mots : {li ghadhihull ala Allah (les révoltés contre Dieu). Le ur particularité est d'avoir l'index dro it secti onné, les sourcil s brûlés, le crâne rasé ct une longue barbe tei nte au henné: ces sti gmates volontaires exprimerll Îen tle reproche qu' ils tom à Di eu de ne pas les seconder dans leu r entrepr ise sangu inaire . On parle be aucoup de ces individus aux fac ultés s urnlllUrelles et plu s 011 en parle , plus les récits sont truffés de détails effroyabl es. Les militaires eux mêmes colporte nt ces hi stoires affreuses. Les habitant s sont pri s d'une espèce de frénésie qu'apaise ù pd ne le recours ù l' autodéfense . Une muhitude de questio ns nous s ubme rge nt : comment un tel massacre peut-il sc dérouler dans un périmètre largement sécurisé, où sont stationnés des mi Iliers de membres des forces de séc urité? Comment les tueurs am-ils pu se déplacer en camions sa ns être vus'? Il y a des bll rrages s ur tou s les axes routiers el les militaires som omniprése nt s : comme nt les assaillants ont-ils pu s'éva no uir dan s la nature sallS ê tre inquié tés? J'apprends que des po li cie rs so nl ven us dès le début de l'assau t, mai s qu'ils n'ont pas obte nu de re nforts. Il s auraient appe lé leur QG et le responsable du PCO aurait télé pho né llU commandant d e la caserne, qui était absent. L 'o ffi cier de permanence aurait ré pondu en substance: «Nous avons reçu l' ordre de ne pas sortir. El s i le s habitant s nous tendaie nt un 144
/' hé J" .I" lIIa.H(ICff'.I
piège? Il s n'ont qu'à se débrouiller eux- mêmes . » Que lques policiers auraient eu le coumge de tirer sur les assaillants, mais ils n' é taie nt pas assez nombre ux. On parle même de morts dans leurs rangs. Deux jours après, nous apprenons que le com mandant de la case rne a été affecté ailleu rs. Cela se passe toujours mns l. Mon vois in Tourdo m 'a raconté q ue le lendemain du massacre de Raïs, à Hu ssein-Dey, il a vu des voitures banalisées d'où des inconnus tiraient sur la population. On e ntend les mêmes rumeurs pour d'autres quartiers, à Kouba et Barak i notamment. Ces ti rs n' ont pas eausé de mOrls ou de blessés. C'est eomme s ' i 1s'agissait uniquement d' accentuer la panique el de pousser les gens à fuir ou à prendre les armes. Certains ont même vu qu 'on tirai t d ' une voiture banali sée alors que, q ue lques mètres plu s loin, se trouvaie nt des po li cie rs dans leu rs véhic ules. La voiture a passé un poi nt de contrôle et s'est volati lisée avant le second barrage. Le choc de Raïs n 'es t pas e ncore surmon té qu e no us appre nons qu 'à l'ouest d'A lger, dans les haute urs de la vi lle, à la li s iè re de la fo rê t de Baïnem. un quarti er de Beni -Messous du nom de Sidi Youcef a é té le théâtre d ' un nouveau carnage faisant près de quatre-vingt-dix morts. Là aussi, dans la soirée du 8 se pte mbre, des tueurs so nt a ppa ru s en cami on et o nt investi la place du village où sc rencontraient les hommes du village pour bavarde r. Les assaillants se sont présentés comme des agents de sécurité ct sc sont jetés s ur les hab itants mis en con fia nce pour les rassemb ler et les égorger. Les soldat s ne sont apparus que trois heures plus tard, lorsque les rescapé s prenaient déjà la fu ite. Comme si ce lie u n' avait pas s ubi assez d ' horre urs, le lendemain, peu après le i.lépart des soldats, les assaillants rev ie nnent et tuent Ù nouveau qua ran te-ci nq personnes . Ce double massacre suscite une telle paranoïa que des millie rs d'habitants de la banlieue algéroise se précipitent vers les places publ iques des ce ntres urbains, les hôpitaux el les écoles, pou r se protéger. Ceux qui res te nt c hez eux sc barricadent e t se munisse nt de tous les ustensi [es pouvant servir d 'arme . À la su ite de ces nouve ll es, une vér itabl e pa ni que sc déclenche ct dc nombreux habitant s se préci pi te nt ve rs les 145
. brigades de gendarmerie el les casernes pour demander dcs armes. À Bental ha . des voisins viennent me voir pour dépo!ier des dossiers de demande d'armes, que je ne peux que refuser puisq ue nous n 'e n recevrons que douze au plus. À la mi-septembre environ. nous nous présentons une nouvelle fois à la caserne, parce que nous attendons toujours notre armement. On nous dit que le commandant est à Caïd-Gaccm ; ct le 1ieutcnant de la Sécurité mil itaire, Lycs, nous interdit catégoriquement de revenir li 1,1 caserne pour celte question d'armement. Nous nous Tt'n d ons à Caïd -Gaccm pour parl er directement au cOlTlma ndan t et nous tombons sur une foule
devant la maison Je vieillesse. C'est là que je vois les vill as détruites au mortier : les militaires prétendent qu'ils ne peuve nt s'i ntroduire dans le quartier, parce que les {( lerros~) l'auraient miné; ils disent qu'ils ne tirent que s'ils voient de la lumière pendant la nuit mais, en fai t, ils bombardent même pendant la journée. Il y a là beaucoup d'hommes qui veulent des armes. Il s en ont assez d'être 11 la merc i de militaires qui non seulement leur font de fausses promesses, mais détruisent leurs biens: ils veulent se prendre en charge eux-mêmes. Le Ion monle, les militaires deviennent très agressifs et ils menacent de tirer sur les pauvres habitants s'ils font un pas de plus. Finalement, nous consta tons q ue des jeunes de Banlki obtiennent des armes individuellement et q uelq ues-un s de Caïd-Gacem so nt e ngagés co mm e patriotes. Il s veulent retourner dans leur quartier et demandent de l'aide à l'armée pour débusquer les derniers memb res de groupes armés retranchés dans leurs maisons. Les mililaires de Baraki refu se nt, tandis que ceux stationnés au niveau de J'hospice les narguent. Il s réponde nt aux habitants désespérés qu'il es t préférable de bombilrder les maisons de loin pour ne pas prendre de risques. Nous nous rendons aussi à la gendarmerie, où il y a une foule de gens qui comme nous veulent s'armer. Les gendarmes nous traitent de tous les nmm. Je vois un viei l homme pleurer pilrce qu'on lui a dit: {{ Continuez à leur donner vos filles, maintenant vous avez peur parce qu'ils vous massilcrent, ilvant vous les nourri ss iez bien!» C'est sadique, blessant, et les gens sont 146
accab lés. C'est comme si on les envoyait directement sur le chemin de la mort. Un autre vieux me dit: « Moi j'ai fait la guerre de libération, j'ai été blessé plusieurs fois, jamais on ne m'il filit ça. Les Français ne m'ont pas fait ça.» Dans nos quartiers, nous nous préparons à subir des incursions, mais certain s habitants quittent le quartier. Je fais partie de ceux qui ne veulent pas l'abandonner et j'essaie de motiver les autres pour rester, s'organiser et se défendre. Mais il faut prendre des précautions, parce que les incursions de « terras» sont nombreuses. Du moins c'est ce qu 'on nous dit. Je n'ai pas vu moi-même ces petits groupes qui piègent les maisons ou placent des bo mbes, mais à chaque fo i s que j'ai quitté Bental ha, au retour je vérifie tou tes les entrées, C'est une période où je ne quitte pas beaucoup le quartier. Mon commerce sert de point de renconlreet même de boîte aux leures, Nous installons des projecteu rs et trois ou quatre si rènes d'alarme . Les gens en demandent plus, mais il faut à chaque foi s coti ser, 200 dinars par personne. Nous montons des gardes, malgré le re fus de certa ins voisins qui estime nt qu'cn sc comportant ai nsi on s'expose aux « terros ) . Les patriotes, e ux, sont tout à fai l contre. Nous préparons également des armes pour nou s défendre, emmagasinons de l'essence pour confectionner des cocktails Molotov et plaçons des briques et toutes sortes de projectiles su r le s terrasses. Nous rassemblons des piques, des pelles et des haches. Je veux moi-même en acheter une, mais il n'yen a plus sur le marché. J'ai confectionné à partir d'un serre-joint une espèce d'épée. (En fin de compte, nous n'utiliserons pratiquement pas ces armes au moment crucial.) Ma voisine Nassia Bouti et ses en fants son t terrifiés. Il s habitent une maison au rez-de-chaussée (n° 4), sans aucune protection; et dans les moments de panique, de ma terrasse,je les vois rassemblés dans un coin de leur cour, pétrifiés par la peur. Nassia a deux fil s, de dix-neuf ct vingt-trois ans. Nous nous som mes vraiment rapprochés lors du Ramadan , J'avais en voyé mon fi ls Djamel acheter du petit-I.lit et com me il n'étai t pas de retour après l'adan, l'appel li la prière, je suis sorti pour voir où il était passé. J'ai entendu des cris et je suis tombé sur les deux fils Bouti qui se battaient. L 'aîné avait pri s des 147
III SUif' Ilutrrt OU quo/idi"n
co mpri més e t ne savai t plus ce qu 'i l fa isai t : il ava it deux couteaux dans les mains et voulait tuer so n frère. Sa mère est accou ru e e t m' a dema ndé de l'aider. J' a i séparé les deux garçons et elle m' a supplîé de rester pour dÎnl: r. Je suis resté tou te la so irée chez eux e t nous avons d iscuté. Elle m ' a fait co mpre ndre q u ' il fall ait qu 'e ll e parte. q ue ses filles ava ient peu r. Je leu r ai proposé de dormir chez no us c t pe nda nt la journée de vaquer à leurs occupations habituell es. Les fi lles aimaie nt beaucoup me s e nfant s et a idaie nt ma fe mme à li. maIso n. On peu t dire que, dans les que lques semaines qui précèdent le massac re, l' amb iance est assez é tra nge. La pan iq ue augmen te de jour e n j our, en fo nction des informations qui nous parv iennent des villages el des banli eues proches, tandis que de pl us en pl us de mil itaires sont stationnés aux alentours d 'A lger. Malgré cela, les populations se sentent de plus en plus dé laissées. Le pi re dan s cette situation, c'est que , abando nnés à nous-mêmes. no us n'ag issons pl us q u'e n fo nc ti on de s rumeu rs. Il n'y a en effet aucu ne informa tion offi ciel le au sujet de cette guerre inv isible: la télévision occulte complètemen t ces altaques nocturnes ct la presse en minimise la dimension. Nous sommes donc entièrement à la merci des récits colportés par la ru meur, qui riva lise nt to us de cruauté et de barbarie . Personne ne peut y rester indi ffére nt. L ',mgo isse se tra nsfo rme par mo me nts e n grog ne à l' e nco ntre des militaires q ui nous trahisse nt pour la é nième fo is, mais ee ue révolte sourde ne peut exploser tant l' horre ur de la mort inél uctable no us para lyse. Com bie n de fo is ai-je entendu des gens dire: « Ils n'ont qu'à nous tuer, tous, si c'est ce qu ' il s veule nt. Il s n 'o nt q u ' à nous fu siller, mai s qu ' il s ne nous égorgent pas comme du bétail enragé .)} C'est celte façon de mourir. c'est l'i mage de cette la me de eouteau gl issant sur la gorge, qui est insupportable. Des fe mmes s' end ui sent le cou d ' huile pour que le couteau gli sse pl us rapidement ...
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Les semaines qui précèdent le massacre Vers la mi-août. les mi li tai res de Barak i réinlègre nt le poste avancé. mais ils ne fo nt plus de rondes; et les gardes com mu· naux non pl us. Depu is q ue les mil itaires ne patrouillent plu s, ces derniers se contentent de passer dans la jo urnée, accompagnés d' un gendarme. D'a il leurs, la gilfde com munale va être installée à Benghazi et près de la moi tié des effectifs affectés à Bental ha y sont envoyés, ce qui sign ifie que nous ne disposo ns que de très peu de gardes en cas d'attaque de notre quartier. Nous a ll ons vo ir le comma ndant pour nous pla ind re de ce manque de protectio n : il ne semble pas être informé de celte nouvelle mesure, et il réprimande ses subordonnés. Les rondes reprennent dès le premier soir, puis cl les s' arrêtent à nouveau; puis elles reprennen t. Début septembre, deux jours après le massacre de Raïs, de nouveaux contingents mi litaires s'i nstal lent dans notre région, nota mment à Caïd-G acem (dans la maison de vie illesse) et à Oued Sem rnar : ces soldats portent des treil li s be ige cl air, ct ils sont équ ipé s de bl indés légers; o n d it d 'eux qu'i ls viennent de Biskra. Sur leurs véhicu les, ils arborent un ins igne représentant un chameau. Il pardÎt qu' ils son t près de 4 000 à être déployés dans toute la région. Un peu plus tôt, trois ou quatre jours avant le massac re de Raïs, le s unités en trei ll is vert qui avaient me né l'offe nsive contre Caïd-Gacem e n j uin et j uillet (on raconte qu ' il s' agi t des hommes de la 8c division blindée) revienne nt également. Et il s recomme nce nt à bo mbarde r Caïd-Gacem e t les en viro ns, détruisant les habitations qu' il s rasent ensuite carré ment; mais Tafil et El -Ami rat sont auss i visés. On di t q ue des gro upes armés de la région de Sidi-Moussa y sont retranchés. Les rondes irrégu lières effectuées par les militaires du poste ava ncé cesse nt q uelq ues jou rs ava nt le mas sac re d u 22 se pte mbre . Il s so nt re layés par le s nouveaux mili tai re s stationnés à Caïd-Gacem. Nou s ne les connaissons pas. Ces soldats portent des tenues de combat beige clair toutes neuves el des gilets pare-balles; ils ont des casques verts. Ils viennent presque to us les jo urs. à deux re pri ses pe ndant la journée et tro is fois le soir. Ils longent le bou levard quand il s passent dans 149
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III sillt' Kuart' 'lU quofiditm
la so irée, tandi s que da ns la journée ils s'affairent dans les vergers a vec leur paquetage. Il s retournen t à Caïd-Gaccm après leu r patrouille. La première fois qu ' ils passent par notre quarti er, il s di sem aux habitants de ne plu s mo nter la garde . Mais nous cominuons de le fa ire: tant d' incidents étranges se déroulent ces jours-ci . .. Depui s le massacre de Raïs, tous les deux ou trois jours, les patriotes apparai ssent en courant et ils nous dr.:mandent s' iln' y a pas un groupe terroriste q ui vient j uste de passer. S i nous nions avoir vu quelque chose. il s nous tra itent de complices. Et il s no us me nacent : « Vou s voyez des c hoses sa ns les dénoncer! De tou tes les fa çons, ça va être votre fêt e! » Il s disent que les GIA s'en prennent à la populalion et que ce sera donc bientôt notre tour. Les patri otes et les militai res prétendent que ce sont de nouveau x « terras» qu i vienne nt sonder le terrai n, puisque nos groupes locaux ne sont pratiquement plus présents (la plupart de leurs membres ont été tués et on dit que les survivants agissent plutôt vers Sidi-Moussa). Pourtant, curieusement , personne ne voit ces « nouveauX » terroristes. Mai s les histoires les plus abracadabrantes sont lancées par les patri otes. Ils raconte nt par exemple que des terroristes dégui sés en femmes et po rtant un hidj ab se rai ent
/'éli ,lf'S masU/crf'S
pas aux inc ursio ns racontées par les patriotes: tout le mo nde aurait été immédi atement alerté. C'est dans la mê me période, en tre le 4 et le 13 septembre, qu 'une bande de terrai n (de quinze mètres de large environ) est dégagée.1U bulldozer le long des vergers de Bentalha, de la ro ute départe mental e ju sq u 'à la pé pini ère au bord de Haï el-Dj il ali . L'object if est de dégage r la vue pour que les habi tants puissent surve iller les verge rs d'où les « terras» pou rraient surgir. Il s'ag it d ' une ini ti ative des patriotes, dont leur c hef Moha med Bo uam ra. qui répo nde nt ainsi à la dema nde insistante des habitants; les militai res ont don né leur accord . La largeur est te lle que des cami ons ct des Land Rover peuvent facilement passer. Nous no us de mando ns pou rquoi ils n 'o nt pas fr ayé un passage le long de notre quartier j usqu ' au grand oued, pui sque les groupes passent souvent par là. Et surtout pourquoi les mil itaires n'ont pas install é un disposi tif de con trôle des deux côtés de l' oued, formant un étau faci le à resserrer, comme ils )'on t fait ailleurs: cela aurait été chose facile , puisque de l'autre côté de la ri vière se trouve le cantonnemen t de Baba Ali, o ù sont stationnés égaleme nt un grand nombre de soldats. La mise en place d' un te l di sposi tif n'aurai t pas dema ndé beaucou p de moye ns, ni d 'effect ifs. Nous auss i. e n tout cas, no us vou lons débroussai ll er les abords du lotissement et enlever tous ces tailli s ct ces arbres pour préve nir u ne quelconque a ttaque. No us avon s d éj à arraché quelques mauvai ses herbes et bui ssons à la main, mais il nous fuu t un engin pour aller plus loin . Plusieurs foi s, nous demandons aux militaires de nous prêter leurs bu ll dozers: nous so mmes mê me prêts à paye r. Il s e n on t deux . ma is il s prétendent d'ubord qu 'i ls so nt e n panne. Pui s le cap itaine M' ri1.ek me don ne un accord de principe. Mais les militaires nous disent que la zone à dégager appartient uu patriote Djeha et à son frère Slimane. associés en coopérative avec d ' autres personnes, ct que ce sont eux qui s'y opposent : un arbre coûte très cher. En fai t, je pense que ce sont les mi litaires qui s'y oppose nt : quel est le poids d ' un Djeha ou d ' un Slimane? Le chef des patriotes, Mohamed Bouamra, qu i débroussaille à l'entrée de Bentalha, nous promet de venir une fois sa 151
ln snle guerre IlU IJllotidiell
besogne achevée, mais il n'en fera rien. Nous décidons donc de brûler les taillis dans certains coins le long des vergers, pour libérer un peu la vue. Cela n'est guère ertïcace, car il faudrait aussi en le ver des arbres. Dans cette ambiance tendue, nous essayons donc de nous préparer tant bien que mal à une possible auaque. Pendant les dix jours qui précèdent le massacre, je ne dors pratiquement pas. D'abord, nous entendons des hurlements insolites de ch'Kals. Il n'y a pas de chacals dan s nos contrées, mais tout le monde en parle: on dit que les islamistes communiquent entre eux cn se lançalll cc genre de cris. Depuis près d ' un an, les gens en parlent, mai:; moi-même je les entends pour la première fois peu avant l'attaque de notre quartier. Nous installons encore que lques projecteurs supplémentaires orientés ve rs les vergers. Mais il n'y a pas que cela: pendant une d izai ne de jours, nOlis percevons (Outes les nuits à partir de 23 heures des coups syncopés, comme si on frappait avec une massue sur du béton. Cela fait penser à du morse. Je n'ai jamais compri s cc que c'éta it. S'agit-il là au ss i de signaux? Et puis, il y a cet hélicoptère qui fait son apparition toutes les nuits. Nous le voyons arriver avec st!s phares allumés et, une fois quïl s'approche, il les éteint. Nous n'entendons que le bruit sourd de ses moteurs. C'est angoissant. Tous ces phénomènes étranges font que les familles se regroupent la nuit et dorment à plusieurs dans une même maison pour se protéger. Dans la dernière semaine,je demande à ma mère dc retenir ma femme Clics enfants chez elle sous un prétexte quelconque. C'est quand le lieutenant Lyes nou s ordonne de ne plus venir pour demander des armes que j e prends celle décision. Je n'en dis rien il ma femme, car je ne veux pas l'inquiéter, sachanl qu'clic n'accepterait pas de me laisser seul dans ces c ircon stance s. Moi , j e veux rester à Bentalha , parce que jc sens que j' ai une cenai ne responsabil ité vis-à-v is des voisins: je les ai poussés à se prendre en charge, li s'armer et se défendre , Ensemb le , nous avons repris les cons tructions, demandé de s armes, nous nous sommes préparés li s ubir une allaque et nous montons de:; gardes: comment les abandonner dans une situation pareille?
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,. été des masS/lCfI' 5
Nous essayons en tout cas de mener une vie normale, tout en restant vigilants. Nous vaquons à nos occu pations quotid iennes : les gens essaient d'aller au travail , les enfants à l'école, j'ouvre tous les jours mon magasin ct nous passons les soirées dans la rue le plu s longlemps possible. Mais parfoi s, des incidents semblent annoncer le drame: vers la mi -septembre, notre voisin Mekati vient nous voi r alors que nous jouons aux dominos. En 1995, il avait disjoncté : il en avait trop vu . Il habitait aux abords des vergers et il avait subi à de nombreu ses reprises les pres sions des GIA. Voulant sc protéger, il avait commencé à bricoler des bombes, et l'une d ' elles lui avait explosé dans les mains. Il avait des phases de lucidité et d'autres où il déraillait. Ce soir-là, il vient nous faire ses adieux. Comme la tradition musulmane l'exige, il demande pardon à tous et dit qu'il nous pardonne à tous. Il soutient que nous allons tous y passer. Certains rient, mai s son comportement est troublant. Je sens que, malgré les rires, le sa ng se glace dans nos veines. Il a dû senti r la mort. II n'échappera pas au carnage.
,
JI
Le massacre
7 Une soi rée presque comme les autres
«
Ils ne savent pas ce qui les attend »
Ce soi r du 22 septembre 1997, comme tous les soirs depu is un certain temps, nous sommes attablés devant mon magasi n, au bas de ma ma ison. La te mpérature est ag réable, et nous sommes les dern ie rs à rentrer. Il y a là Abdelkader Menaoui , Mohamed T ourdo, Arczki, qui s' attarde pOUf la première fois, ct M' hamed. Nous sommes six ou sept. Les parties de dominos s'éterni sent et nous procurcnI des moments d'évasion que nous n'avons pas connus depu is longtemps. C'est notre façon à nous de dire non à tout cc qui se passe . A nou s voir ainsi, on POU f* rai t croire que nous vivons e n temps de paix. Pounant, nou s traversons une période troublante. Nos ~< terras " ne sonl pas très act ifs, mai s i l y a un te l regain de vio lence avec ces massacres collectifs que la population failloul pour se préparer à une éventuelle attaque de groupes armés. Nous sommes sur nos gardes. Ce qui ne nous em~che pas d ' avoir des moments de divert issement, comme cette soirée- là. Il est 21 heures quand nous voyons passer un groupe de mili· taire s . Il s ront sû rement partie de ces no u vea ux venus stationnés à Caïd-Gacem, car nous n'en reconnaissons aucun. 157
IIIlt .wirit preS'l'll' COII/llll' les mllrtS
Il s o nt tou s des tenu es de co mbat neu ves et de s gi let s parc-balles. Il s sonl une quaramaÎne et marcheml'un derrière 1' ,lUtre cn file indienne sur unt.! distance de 150 m t.!nviron. Ils viennent de la sablière et longt.!nI 1<1 rut.! du côté nord de ma maison . Les premiers qui arrivent li notre hauteur, c' est-à-dire devant les m:ll so ns de Cho uch c t de Nass ia Bouti, nous regardent, étonnés, comme s' ils ne s' attendaient pas à nous voi r em:ore dehors à cetle heure-ci. L'un d 'entre eux lance
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du plaisir, e lle peut s'informer sur ce qui s' est passé lajournée dans le qua rtier. Elle ne parle pas beaucoup, Nassia, elle est tellement prise par son travai l ct ses souci s, . , Ju ste le temps de me préparer à dîner et il doit être entre 22 heures et 22 h 30 lorsque je les rejoins, M'hamed est déjà là ct bavllrde il distance avec les voisi ns. Depui s un certain temps, nous oson s di scuter d'une terrasse à l'autre , chose q ue nous n' avion s pas fai te pendant des année s. Ce soir-là, il y a là Abderazek, qui il des rapport s cha leure ux avec M'hamed, parce que, n' ayant pas construi t de mur de clôture entre leurs maisons, il s ont une cour commune . Il y a aussi Moussa et son frè re Boualem , qui habitent en face dans la même rue que nous ( ma ison n° 29), Chei kh H'sse n, le ur voisin ( n° 30), avec ses deux enfllnts, Ali Djidjli (n° 3 1), le voisin de Cheikh H' ssen, ct Ammi M' nouar (n° 23), qui habite en face de la cité des préfabriq ués ruai s qui, ce soir- là, sc trouve avec sa famille sur la terrasse d'A li Djidjli. De ma mai son, o n pe ut voir au nord le loti sseme nt de s Kabyles, et:'! l'e st la pé pini ère et Haouc h Boudoumi. Moussa et Boualem , ainsi qu ' Abderazek , n 'o nt pas de terrasse ct sont sur leurs balcons res pectifs au pre mier étage qui donne sur la rue, Dans notre rangée de mai so ns, Abdelkader MelHlOui , le vois in direct d ' Abderazek , un bon vivant qui apprécie ces soi rées gaies et chaleureu ses, e st auss i sur sa terrasse, ulors que Benyellou et Sa fa mille, qui habitent à côté de lui, se terrent dès la nuit tombée , Tourdo, le suivant dans la rangée, est installé sur sa terrasse, à la même hauteur que cel le de Menaoui. De chez moi, on ne peut pas les voir pui squ ' ils sont plu s hau t. Tous, nou s avons accumulé Ioules sortes de proj ectiles: madriers, parpai ngs, briques, hourdis, Moi-même j ' ai monté des blocs de pierre jaunes et marro n pour construire la façade de ma mai son ; en plus de ça, j ' ai des bouteil les et de l'essence dans le garage. Depuis un certain temps, ces réuni ons à l' extérieur se sont multipliées. C ' e st une fa ço n d 'e xprimer notre vo lo nté de renouer avec la vie. On passe le temps à blaguer ct à plaisanter, Auj ourd'h ui , l' objet de nos railleries est Ammi M'nouar. Il a du mal à comprendre la lenteur des autorités à installer l'électricité dans les maisons ainsi que l'éclairage extérieur, Il en est
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maladc e t il explose po ur un ri e n quand l ' un de nous le provoque. C'est vrai que cette silU ation ne peut durer ct que les coupures fréquentes ducs au grand nombre de gens branchés su r un même compt!!ur son t in s upportable s. Sa co lère es t d ' aut ant plu s just ifiée qu e no us, nou s avon s o btc nu un compteu r triphasé auprès de la Sone lgaz, alors que lui doit encore plltÎenter. La disc ussion par-de ss us les te rrasses s' interrompt qu and un groupe d ' une trentaine de me mbres de la garde communa le de Bental ha lo nge le boulevard . D' habitude. on ne les voit pas, parce qu'ils empruntent Ics petitcs rues. Ils viennent, se sé parent en petits groupes et arpentent les ruelles, prenant le temps qu'il fau t pour inspecter la régio n. Ils n' ont pas d ' horaire fixe , chois issent à chaq ue fo is d'autres itinéraires pour fai re leurs rondes et se rassemb lent aVilnt de re parti r. Nous remarquon s leur présence grâce aux chi ens qui aboien t s ur leur passage et aux s iffl cments qu ' ils lancent pour se repérer. Nous pouvons bien les distinguer parœ que, à partir de la cité 200 logements
"'II! soir;' prt'sq/l" l'omm/' l n /Ullrt'S
mo ind re bruit. Cc soir-là, je ne me fai s pas prier, la fati gue l'emporte sur la raiso n. Je descends au premier étage et j'essaie de dormir. Mais d 'i nnombmbles questions me tourmentent. Je ne comprends pas ce que les mil itaires ont voulu dire. Le fait de no us voir jouer aux domi nos devrait au contrai re leur montrer qu 'i l y a dans la populati on une volonté de ne plu s se so umettre . Pou rquoi certaines personnes croient-ell es que ça va ê tre « nOire tou r » ? Et pourquo i avoir d it il y a q ue lques jours 11 certains habitants de ne plus monter la garde ? Pourquoi les mili taires fo nt-ils tout pour no us empêcher de dégager le terrain autour du lotissement afin d ' avoir une meilleure vue sur Ic!s vergers, d 'où peuvent venir les terroristes? Je me souviens du passage. il y a peut-être q uatre jours, de troi s patri otes complètement ivres - deux étaient en civil et un tro is iè me e n uni forme. Il s on t traversé le lotissemenl de Haï c1-Djil a li e t ont ins ulté les ge ns: « Bande de sa lauds ! » , (( Bande de traîtres! ». C'est peut-être un détail ins ignifiant. mais il me tracasse ... Il s s'en prenaient aux chiens parce qu ' il s aboyaien t et il s disaient : (( Quand les terroristes passent. vous n'aboyez pas CI quand nous, on passe .. . » Je so mnole, bercé par le bruit du moteur de l' hél icoptère mi litaire qui, co mme d' habitude, s illonne le ciel. On a telleme nt pri s l' ha biwde de cet hé licoptère que souven t o n ne l'entend même plus. Je fini s par m ' endormi r quelques instants en réfléc hi ss ant ct en repe nsant à ce qu 'avait , une sema ine auparava nt, préd it Me kati . Quand souda in d' é pouvantab les défl agrati ons me réveillent brusquement. Je regarde l'heure: il es t 23 h 30.
Les premières bombes sonnent le glas Les e xplosions proviennent de la région proche des vergers. Sa ns m ' ha bi ll e r, j e mo nte en trombe su r la terrasse . Je demande ce qu i se passe. Personne ne sait. Les fe mmes et les enf,mts crient: (( Ça y esl, ça va venir, c'est notre tour! » En rait. IOul le monde sait ce qui sc passe. J'essaie d'appeler Fouad dont la maison donne s ur Haouch Boudoumi , mais ma voix est couverte par la sirène d'alarme de T ahar qui hurle à 16 1
I~ m"S!KJçr~
nous faire éclater les tympans. JI! lui o rdonne de l'a rrêter le te mp s d 'e ntrer e n co ntact avec Fo uad . Abdelk ader, qui n' habite pas très loi n de Tah ar, m' e ntend et le supplie de l' interrompre. Il faut coûte que coO te savoir s' i1Ya une altaque ct combien ils sont. Fouad ne répond pas ct les cris s· intensifien t. Ils prov iennent des habit.nions il côté des verge rs au sud-est du lot issement (l 'e ndroi t par où étaient partis les militaires trois heures plu s tôt). On enlCnd : « Il s altaqul!nt , il s attaquent! Il s sont en train de tout rnl, au sud de la cité des préfabriqués. Ce so nt des tirs soutenus qui dure nt env iron cinq minutes et, tOUI en provenant de différents e ndro its, ils sont orientés vers le poste avancé, situé à l'est. à l'entrée de Bentalha. Le ciel est vert et rouge. Je veux croire quc ce sont les militai res qui tirent. Je me di s que les patri otes ont e nte ndu quelque chose de suspect Ct ont ale rté les soldat s embusqués. Ce sont certa inement e ux qui ma in te nant do nne nt l'a larm e o u mo ntrent le ur po siti o n. Malheureusement. je me trompe. Les hu rlements des victimes de J'.maque sont de plu s en plu s persistant s c t inqu ié tams. Imposs ible d 'avoir Fo uad. On ne voi t pl us perso nne sur les tcrrasses des maisons en face; eux pourraient nous dire ce qui se passe, pui squ'ils ont la vue sur la partie du loti ssement d'où prov ien ne nt les défl agrations. H'sse n, avec qui nous avions causé juste avant , li disparu . Plu s tard , j'appre ndrai qu'à ce moment- là les assaillants sont du côté de «: Pilote» ct que le massacre a déjà com me ncé. Sur ma terrasse, les fem mes et les enfants sont recroquevi llés dans le coin du fond, sous une tôle d' Etern Ît qui en temps normal permet aux fem mes de se rctirer et de discuter sans être vues. Il y a la famille de Nassia composée de sept personnes, Sa lima , so n mari et ses e nrants. soit six perso nnes, et mo i. Sa lima fait le va-et-v ien t de façon hystérique e n tapan t des 162
mains. Ell e se comporte toujo urs ainsi q uand elle e ntend un bruit insolite, et il est difficile de la maîtriser. Nassia me supplie de faire quelque chose. Sa ti ll e Sou hila. qui a à peine dix -huit ans, est pri se d'une crise d'hystérie. Elle tremble sans rete nue . Je vais vers ell e,j' essaie de la réconforter en la prenant par les épaules et en lui disant douce ment : «: Ne crains rien, ils devront me tuer avant de te toucher. Les militaires vont arri ver. ') Sa mère s'approc he et me d it : « Ce sont les militaires qui vont nous tucr ! Tu n'as rien compris, ce sont eux qui vont nou s tuer ! » La ferm eté avec laquell e elle dit ces mots m'effrai e un peu , mai s pour le momen t il faut surtout rétablir le ca lme. Je décide de regrouper tout le monde el d'attendre l'arrivée des secours, c'est le seu l moyen de combanre la peur et de gagner du temps. Nassia, qui garde son sa ng-froid , s'occupe des enfan ts en les suppliant de ne pa s cri e r. EI -Hadi. son fil s. es t dé sorie nté. Quant au jeu ne Amine , il se tient de vant sa monta gne de briq ues ct de tu iles, prêt à contrec arrer les assaillants. À une centaine de mètres au sud du lotissement, lout près des orangeraies. le ciel est orange. À chaque déflagration, des flammes s'é lèvent ve rs le ciel , accompagnées d' un énorme nuage de fumée noir ct violet. Je leur demande de rester calmes, la peur étant la pire des ennem ies. Je di s à Amine de se poster du côté sud de sa mai son et à El- Hadi de su rvc ill e r du côté nord de la mien ne. On m' a raconté que les groupes. lors des assauts. s'é lancent en tirant d' un côté po ur attaq uer de l' autre. J' ai peur qu 'on se fa sse prendre par surpri se. Les rues so nt bien éclairées depuis que nous avon s installé des projecteurs un peu partout. Les assaill ants sont à ce moment à l'est, de l'autre côté de la rangée de maisons. Tou t à coup. j'en aperço is à hl hauteur de la maison de Benyanou (n° 27). au bout du lotissement dans la rangée de Fouad . Je me diri ge vers l'arrière de ma terrasse qui donne sur le cen tre de Haï e l-Dj ilali en directio n d u grand oued. Je cru in s qu 'on ne vie nne nou s attaquer de ce côté-là. Quelle n'est pas ma surprise quand je vois quatre ou cinq mili taires en tenue de com bat de camouflage claire , comme celles que panent les mil itaires de Caïd-Gacem, qui se dépl acent du 163
, II! III/US(/Ut
carre ro ur c n d irecti o n des vergers. Un las de questi o ns me s ubmerge nt. mai s je n'ai pas le temps de m 'y uuarder. déjà mon attention est attirée par un aUire événement. J'entends le bruit d ' un moteur.
Je reviens de l' autre côté de la te rrasse el je vois la voiture d' El-H adj , le gen dre d 'A bde lkader Me naoui , un brea k de couleur grenai garé en face de la maison de ce dernier (n° 47), pa nir à to ule allure en marche arriè re . Je la sui s du regard , jusqu 'à cc qu' clle disparaisse derrière la maison de Mu stapha Benyahia (n° 1). Il a laissé sa femme el sa fill e avec Menaoui . J'essaie une fois de plus d' appeler Fo uad. parce que nous ne savons touj ours pas ce qui se passe au juste. Je cric son no m plu sieurs fo is, parcc qu ' il faut qu 'on sache combien sont les assaillants. Apparemment, ils sonl très nombreux . Je vois des gens fuir dans la ruelle, en bas de chez mo i. Il s crient : « Il s attaque nt, il s égorgent toul le monde ! » Ccrl
Iml' so;rit' !,rt'S'IUI' comme
les (/I /Irn
ces militai re s au carrefo ur qu i n' in spire nt pas confiance, de l' au t re, le s assa illa nts qui se ra pproc hent. Je co nt in ue d' inspecter le voisi nage, quand tout 11 coup j e re marque deux se ntine ll es du g ro upe armé a u bo ut de la rue tran sversale devant la maison de Benyahia (n° 1). II doit être 23 h 45. Je compre nds que nous sommes encerclés et que no us ne pouvons ri en fai re d'a utre que de rester regroupés s ur ma te rrasse ct d 'attendre l' Întervention des militaires. E ntre- te mps, no us voyons beau co up d e ge ns courir. Je suppose que cc sont ceux qui ont subi la première attaq ue dans ln zone où habite Saïd (n° 28). C'est cet îlot de maisons qui a é té attaq ué. Les habitam s qui le fui e nt se d iri ge nt vers la maison de Boudjemaa (n° 88) et vers la mienne. Une partie des tueurs ira . une fois la tuerie en co urs chez Saïd, vers le qunni er de« Pil ote» . De nouveau, il y a des coups 11 ma porte. C' est Abdelk,lder Menao ui et sa famil le. Il faut fa ire vite, c' est la course contre la mo rt car les tueurs sont à leurs tro usses . Mlli s paradoxalement , les assa illants ne se pressent pas. Ils tirent quelq ues coups de fe u, mais leurs balles n' atteignent pas leurs cibles. Toute la fami lle s'éc happe, du vieu x père de soixante-qu inze ans à la petite-fill e de trois mois. Ils sont plu s d ' une vi ngtaine. il n'y a presque q ue des fem mes e t des e nfants. Abde lk ade r es t lu i auss i pieds et torse nus. Quand clic voit arriver tout ce monde, Nlissili me sermonne: « Mais tu vas nous fa ire tuer 1Tu es fo u de laisser entrer tout le monde ! » L' hé li coptère est là tout le te mps e t tou rne au-dess us de nous. Je dois dire que plus tard je n' y prête plus attention. Les évé ne me nt s s'accélè ren t, les gens fui ent et no us so mm es occ upés sur la terrasse à plllcer les uns et les autres, les calmer et compre ndre la situati on. De loin , j'ape rçois toujo urs les assaillants qui se dép loi e nt à parti r des vergers. Plu sieurs gro upe s apparai ssent. Les un s se d irigent ve rs le no rd en lo ngeant le petit oued, les autres vont vers l'oues t. Ceux qui se dirigent vers le nord viendront en petits grou pes se rassembler de vant nous. Peu après la ve nue d ' Abde lkader, un pre mier petit attroupeme nt d'assaillants se conce ntre en face de chez nou s. Il y a là une mai son en constructi on. avec unique ment l'ossature, le plancher ct la dal le du premi er étage, mais aucu n
165
! lU/('
mur. On peut donc voir cc qui se passe en dessous et derri ère la dalle.
«
On va tous vous égorger!
»
Je me penche vers la rue el je vois une fam ille accourir. Les fem mes te ntent de se sau ver, portant leu rs bébés, tirant leurs e nfants, hurlant et suppliant Dieu de les aider. Au bou t de la rue, au sud, surgissent ceux qui les poursuivent. La cavalcade est va ine, des gaillards pos tés de notre côté sont là pour les intercepter. Il s s'e mparen t du se ul homme, le ceÎntu re nt et ordonnent aux femmes et aux enfants de passer sous la da lle . J'entends des suppl ications, des sang lOIS et des gé mi sseme nts p ui s des cri s stride nt s, su ivis finaleme nt du so uffl e de personnes qu 'on égorge. Quelques jo urs ap rè s, j'aurai J' occ asion de parler à ce t homme, qui a réussi 11 leur éc happer. Il me racontera qu ' il a été forcé de regarder comment toute sa fami lle y passait el que, au moment où lu i-flIêml! devait être égorgé, il réussi t à se dé faire de l' étreinte des tueurs et à fuir. Les assaillan ts tirent alors sur lui et il se I ncl à courir dans la direction des deux sentine lles postées devant la mai son de Be nyah ia, qui sc re tirent pour évi ter les h.tlle s. C'est ce qui a perm is au pauvre gars de se sauver. Il a fui vers les militai res . Je revois ces deux hom mes montant la garde à une trentaine de mètres de chez moi . Il s sont là pour barrer la route à ceux qui soit courent le long du petit oued, venant de « Pi IOle ~>, soi t viennent de notre direction. L'un d'entre e ux, très grand, est habillé d'une kachabia et tient une longue épée lui sante à la main . Le second, plus petit, porte une tenue de combat et tien t un fu si l. De ux aulres assaill ants arri vent à leur hauteur. L'un entreprend de fo rcer la fenêtre située au rez-de-chaussée de la mai son de Mustapha Benyah ia ( n° 1) et J'au tre, à cou ps de crosse, casse la lampe extérieure . Pau vre Benyahia, ce la fait à peine une se mlline qu 'i l es t revenu vivre chez lu i avec sa femme, son petit garçon et se s sept fi lles . Comme je l'ai dit, il s avaiem fui Bentalha en 1996 et loué leur maison pendant une année à un proche d ' Abdelkader 166
soirée presque cOlIIme les (1ll1/"I'S
Menaoui. orig inaire de Caïd-Gacem. Heure use me nt , ce soi r-là, les assa illant s n' ont trouvé personne , la famille ayant pu s'échapper avant ['arrivée des sentinelles. Il s ont rejoint les mil itaires sur le boule vard. Il me racontera plu s tard qu'il a réussi à s'éc happer alors que les assai llan ts étaient embusqués derrière des arbustes, à soixante mètres des mi litaires. sans que ces derniers ne soient intervenus 1 Au moment OÙ le groupe est occupé à massacrer la famille sous la dal le, Mcssaoud Belaïdi el sa fa mille passent devant ma maison, bifurquent à gauche et cognent avec violence à [a porte d'entrée qui se trouve au nord de ma maison. Nassia se rue sur mo i et me suppl ie : <. N' ouvre plu s, tu vas tous nous faire massacrer ! » Mai s je ne peux pas laisser ces gens dehors! Je descends en co ura nt pour ouvrir. Messaoud fa it e ntrer sa famille Ilo mbreu se et reste derrière la porte, que je referme très rapidement. Il est pieds nu s, en tricot de peau et ti ent un long couteau dans sa main droi te. Sa femme ct ses e nfants se jettent à l'intérieur de la pièce, soulagés d'avoir la vic sauve. Ils viennent de l'éc happer be lle , alo rs q u'à quelques mè tres une famille se fait égorger. Les assaillants qu i intercepte nt à ce moment-là les fuyards pour les traîner sous la dal le ne SOllt pas plus de cinq o u six. C'est ce qui a sauvé la famill e de Messaoud. Mcssaoud habile au coin de notre rue au sud. De sa maison (n° 37), il a tout vu : les assaillants sont plus de deux cenIS, ils ont com me ncé par attaquer la ma ison de Saïd, et nu ! n'en a réchappé. Il y avait du monde chez Saïd. (] hébergeait tous les soirs quatre o u cinq familles des anciens d'O ued Semmar. Messaoud dit q ue les lueurs ont égorgé tout le monde et qu ' il s onl mis le feu à la bÎltisse. C'est la première maison q ui a brûlé. Lui-mê me et sa famille o nt réuss i à s'éc happer lorsque le groupe s'est sc indé cn deu x. Il me prév ient que nous serons bientôt encerclés . Les assa illants sont déj à dans notre rue et passent d 'une maison à l' autre . Bientôt ce sera nOIre tour. Nous som mes si nom breux et si faibles! Il Y a la famille Menaoui avec plus de vingt personnes, la famill e Djorlaf composée de dix membres ct avec celle de Messaoud nous sommes maintenanl près de soixante personnes. 167
II' IIII/SSl/cr e
Messaoud me demande de laisser sa fam ill e sur la terrasse et de sortir avec lui pour nous battre et nous défendre. C'est du suicide! Nous ne sommes que tro is hOmmes démunis et, en face. il y a plus de deux cents ennemis armés ct bien entraînés. Nous n'avons aucune chance. Il faut tenir jusq u'à l'arri vée des militaires. Messaoud est décidé à se bame. Je referme donc la porte su r lu i. Mai s avan t de mOnler, je va is dans le garage, accessible de l'intérieur, ct je prends le jerri can d 'essence et quelques bouteilles prévues pou r la fabrication de coc ktai1.~ Molotov. Je retourne su r la terrll sse et je remets le bidon au jeune Amine, qui verse aussitôt l'esse nce dans des bouteilles préparées pour la circonstance. Elles contiennent des gravllts et du sable. J ' elHends toujours le moteur de l' hélicoptère qui tourne et la sirène de Tahar qu i n' arrête pas de hurler. Il doit être mi nuit. Le fils Djorlaf est recroquev illé sur lui -même, au milieu de la terrasse, à côté d'un poteau en béto n. Il a la tête enfoui e entre ses main s et sc ba lance com me un pend ul e . M'hamed me déclare qu ' il ve ut partir et lai sser sa fam ill e ici. Sali ma. sa femme, m'avait prévenu qu'à la moindre occasion il l' abandonnerait. Elle avai t plus d'une fois essayé de le persuader de qu itter la région. Elle vient vers moi e n gé missant : <, Nasro, mon frère, no us all o ns tous mouri r, nul n'éc happe ra à ces sauvages.» Je lui réponds avec fe rmeté que je n'ai pas l' intenti on de me lai sser tuer. Tout d ' un coup, M' hamed a disparu. Je ne sa is pas comment il est parti. Soudain, de no mbreuses bal les traçante s rouges et vertes sill on nent le ciel. Elles SotH lancées entre notre lotissement et ce lui de H:l»uch Mih oub. L' espoir de voir veni r le groupe de mil itaires qui a traversé notre région se rav ive . Je veux croi re qu'il est resté embusq ué dllns le terrain vague près de la ci té des préfabriqués et mè ne main tenant le combat COntre les assaillants. Ce n' est qu ' une brève il lusion, car de la ruelle venant du petit oued en face de chez moi je vois sort ir de l' obscurité, d ' un pas déterminé, une c inquantaine de tueurs bien armés. Ils ont des fusi ls-mitrailleu rs, des Seminovs et des fu sils de ehasse à deux coups. Il s se ra sse mb le nt sous la dalle en face de ma maison et ti rent sur nOli S
W Il'
soirée l'rt'squt' en/ullle les (llIIrt'S
ressemblant à celle des ({ ninjas », les autres sont en kachahi(l, certains porte nt une cagoule, d ' autres la barbe. Je ne sais pas pourquoi , à aueun moment je n'ai cru que c'étaient des islamistes, On me demandera plus tard ce qui m' a fait penser que ce n'étaient pas des islamistes. Je crois que certaines barbes et ccrtai ns cheveux étaient artificie ls. La si tuati on dev ient de plus en plus cri tique. L'étau semble se resserrer sur no us lorsque quelques-uns du g ro upe no us aperçoive nt sur la te rrasse el se mettent à crier: ,< Regardez, il s son t là, ils sont nombreux! » On essaie de com prendre pourqu oi ils s'attaque nt à nous. Eux ve ul e nt gagner du temps, repérer combien nous sommes et en même temps il s commencent à nous ti rer dessus. Abdelkader Menaoui interpelle ce ux qui sont postés à droite du groupe et qui donne nt les ordres : il essaie de les di ss uader de s' ach arn er su r nous. Sa femme le supplie de se taire, de ne pas leur parler comme ça. (, Tu vas les rendre encore plus fu rieu x et les monter eontre no us », dit-elle. Elle n' a pas tort. En fait, ils ne s' adressent à nous que pour nous lancer des in sultes . Ce sont surtout les chefs qui parlent. crient et do nnent des ordres. À un certain mome nt il s soni sorti s du groupe et se sont mi s en avant; je crois me souvenir qu ' il s éta ient cagoulés . Mai s celui qui est du côté du pilier ne porte pas de cagoule et arbore une longue barbe; il porte une te nue de combat bl eu sombre, ce qui est inhabitu el puisque généralernent les barbus portent la kaclwbia. Il y en a surtout deux qui parlent à haute voix et nous insu ltent en nous disant: « On va tous vous égorger, tout le monde y passera, sans pitié! C'est notre devoir. » Je vois de nouveau une fami lle s'en fuir dans la rue. Elle est prise au piège. Les hommes armés empoignent les victimes qui ré sisten t à peine ct le s traîne nt so us la da ll e. J' ente nds les impl orations, les pleurs d'enfants pu is les cris stridents et enfin le râ le de certai ns dont la go rge est tranchée. Je ne peux les voir, car il y a de plus en plus d ' assaill ants regroupés à cel e ndroi t. Ce n'est que le le ndemain que je découvrirai lO ute l' horreur qui s'est déroulée à quelques mètres de ma maison. Au loin, sur le grand boulevard de Be ntalha , des lumières de phares s'a llume nt sou daine ment et atti rent notre attention. 169
le IIIU$${/cre
Wlt' soirée l're)'l{IU! CO/llllle
Je reconnais les blindés de l'armée, les BTR. Il s arrivent à toute vitesse et pren ne nt pos ition à l'entrée du loti ssement. Le s e nfants et les femmes cri ent : « Les militaires arrivent! Le s militaires arri vent! Nous so mmes sauvés!)o) De ma terrasse, on ne voit que deux BTR. en réali té il y en a six posté s sur le grand boul evard entre la route départe mentale et Haï el· Djilal i. Il est e nviron minuit CI quart.
«
Nous sommes ici pour vous envoyer chez votre Dieu! »
Entre-temps, la rue en bas de chez moi est bloquée des deux côtés et quelques hom mes armés se positionnent à plat ventre sur la dalle de la maison d 'cn fa ce, prêts à interven ir. Menaoui co ntinue de parler il ceux qui se mblelll les chefs e t nous observo ns q u' un gro upe sort de sous la dall e e t s'apprête à placer une bombe contre notre maison. 11 faut tout faire pour l'empêcher de s'approcher el nous envoyons dans sa direction tout ce qui no us to mbe sous la main . Menaou i continue néanmoins à tente r de co nvaincre les assailla nt s de notre inn oce nce, tandi s que moi, je me tiens derrière un pilier en béton et je ne di s pas un mot. J' essaie de compre ndre ce qui sc passe, de prévo ir ce qu ' il s vonl faire. Menaou i pours uit sa harangue: « Pou rquoi s'en prendre il nous, qu 'avons-nous fait ? On ne vous a rien fai t! Allez plutôt vo ir les militaires, il s sont:1 pe ine à cent mètres ! Allez les combattre au lieu de vous en prendre à nous ! » C'est comme s' il avait appuyé sur un bouton . Les chefs, que nous ape rcevo ns plu s clai re me nt maime nant , nous lancent d'un ton triomphant et haineux : « Les militaires ne viendront pas vous a ider! Nous avons toule la nuit po ur vio ler vos femme s et vos enfants, boire votre sang . Même si vous arrivez il no us échapper aujourd'hui , nous reviendro ns demain pour vous faire la fête! Nous sommes ici pour vous e nvoye r chez votre Di eu! » Je suis à la fo is offu squé, troublé et confoné dan s mon senti ment qu'il y a quelque chose qui c loche che:t ces indi vi dus . 170
les UlIIrn
Je ne sais pas très bien qui sont ces mo nstres en face de nous . Je veux bien croire que ce sont les terroristes dont on nous rebat les oreilles, mais j'en dou te de plus en pl us. Et s'afferm it en moi la conviction qu'il ne s'agit pas d'islam istes: il n' y a que les militaires pour blasphémer de la sorte. C'est quand le groupe posté sur la dall e tire que j'envoie mail premier coc ktail Molotov, mai s je n' arrive pas à les aueindre. Elle se fraca sse sur la route. De là où je me suis caché,je ne vois pas très bien ce qui se passe en bas. Je décide de descendre au premier étage pour observer les choses de plus près. En remontant, je découvre que Salima, qui ne cesse d'arpenter de long en large la terrasse, se ti ent l' épau le de la mai n droite. Elle vient d' être touc hée, ainsi que le fil s de Messaoud , qui s'écroule en gémissant. Le s balles sifflent el je me j e tte 11 te rre, ordo nnant aux autre s d'en faire autant. Je rampe jusqu' au blessé . Le tïl s de Messaoud a du mal à respirer, je demande aux femmes de s'en occupe r el de lui menre un morcea u de ti ss u pour év iler l'hémorragie. Salima n'est pa s gra ve men t atteinte, son fil s Abdclkader, âgé de huit ans, la supplie de se coucher. Elle ne l'entend pas et continue à fai re les cent pas en parlant tou te seule. Son autre fil s, Amine , me passe les cocktai ls Mo lotov, que nous allumons el balançons de la terrasse en direction des assail lants. La première bouteille d ' Ami ne s'écrase juste en bas dans la ruelle. L' autre atterrit plu s loin et nou s permet d'avoir un peu de répi t. Nous jetons lout ce qui se trouve sur la terrasse : parpaings, briques, pierres, tuiles .. . L' hélicoptère continue de tourner au-dessus de nous, mais no us ne le voyon s pa s, nou s n'e nte ndons que le bruit du mo teur. La sirène, elle, a cessé de hurler dès l' arri vée des BTR . Ils nous faut gagner du temps, en allendanl les renforts. Nous ne cessons d'espérer que du secours viendra. Pendant U/l cou rt instant, à l'arri vée des blindés, je crois que nous som mes sauvés. Mai s quandj 'e llle nds l'un des lUeurs crie r: « Nasro, tu ne nous échapperas pas », c'est com me un cou p violent en ple ine po itrin e e t, instinctivement, je co mpre nd s que no us n ' aurons aucune aille e t que no us ne pouvons compter que sur nous- mêmes. 17 1
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"'If soÎrtt' flfl'squ<,
Les choses vont trop vile. Je me rends com pte que nous nc sommes que tfois hommes conl re plus de soixante assaillanls ct leur groupe contin ue de gross ir. Les tirs d' en face continuent. plus intenses que jamais, et je comprends que c'est une façon de détou rner notre .mention d u grou pe qui transporte les bombes pour les fixer à la façade de lIotre maison. Une fo is une brèche frayée. le grou pe a Urd l'accès li bre jusqu'à nous. Je dis à EI-Hadi el Amine de les empêcher d ' avance r. mai s de ne pas gaspi ll er Irop de bouteilles ex plosives. Tous s ur la terrasse m'imi tent ct. à plat ventre, jeuent ce q ui le ur 10 mbe so us la main . Ma lg ré tou1 , nos ad ve rsai res réu ss isse nt à s'abriter sous mo n balcon el à placer la bombe à l'entrée de la porte d u j ardi n de M ' hamed, tandis que leurs acolytes nous bombardent de grenades artisanales. C'est fi ni. Il s nous ont eus. Nous ne pouvons plus rester ici. Maintenant , il faut fa ire vi te et déguerpir. Ce n' est qu'une questio n de minutes avant que la bombe n' explose et q ue les assa ill a nt s ne pé nètre nt dan s l'e ncei nte du jard in . T out le monde sc d iri ge ve rs la c age d 'esc a li e r d e mon vo isi n M' hamed . O n descend au premier étage. De là, il y a une petite fe nêtre qui donne sur le jardin derrière la maison. La fenêtre est à 1,70 m de hau leur e nviron. Que lq u' un st! poste en bas et so uti ent ceux qui de scendent. Il y a des fem mes âgées , des femmes corpulentes, des e nfants. Ce n'est pas faci le et le te mps presse. Tandis que les uns descendent par la fenêt re, les autres, déjà dehors, grimpe nt s ur le mur de clôture entre les j ard ins de M ' hamed (n° 45) ct Djaro (n° 54 ). Les jeunes on t trouvé un madrier qu'il s placent contre le mur d ' une hauteur de 2.40 III pour fac ili ter l' ascension, mai s e ncore faul - il redescendre de l'autre côté! Alo rs qu'une parti e des fu ya rd s se tro u ve encore s ur le termi n de M 'hamed, III bombe explose. La porte d'entrée du jardin est défoncée, mais clle ne cède pas. Le groupe est dans la rue, à vingt mètres, et ses membres ne semblent pas pressés. Il s s'i maginent peUl-être que nous avons de quoi riposter, ou bien il s sonl ce rtllin s que no us ne leur échapperons pas. Cela nous donne tout de mi!mc le temps de faire passe r k s enfants el les person nes âgées de l' autre côté du mur de cl ôture . Sal ima
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cO/.tllu, ltS (JlIlr..s
ne veut pas nous sui vre , elle n'a pl us de forces. Dep ui s des années, elle appréhende ce jour et maintenant el le ne veut pl us luuer contre la mort , elle l'attend calmement. Son fi ls Abde lkadcr la supplie de nous suiv re , en vain. Je stIute le mur et j'atterris dans le jardin de Mustllpha « Djaro »,
lafolie
8 La folie
Deuxième étape: chez Warda Quandj 'arri ve de t'au tre côté,je voi s déjà les gens passer le mur de c lôture en tre la mai son de Djaro et ce tle de Warda (n° 55) po ur sc rendre chez elle. Le cousin de Djaro no us a observés. ct quand il a vu tout ce monde sur son terrain il a refusé de nous laisser ~' 1l1rer ehez 1u1. Il nous ordonne de parti r. Nous ne pouvons rien faire d'autre que de fuir vers la maison voisine sur la gauche. Le cousin de Djaro el sa famille se sont planqués dans la maison et ont eu la vie sau ve. La mai so n où ha bite Warda appartient au com mandant Hassan, qui a bien renforcé portes el fen ê tre.~ . C'est ell e-même qui nous o uvre el nous fait e ntrer. Il y li déjà belmcoup de monde chez elle. Notre plan a apparemment réussi. nous sommes provisoirement sauvés. Je monte les escaliers rapidement. Il fait sombre dans la cage d'escalier, les lumières SOnl toutes éteinles. Au premier, j e croise le couple de loca taires de Warda. Le mari me prend par le bras pour me parler. II a l'a ir très nerveux. Je n'ai pas le temps de m'attarder avec lui, il faut que je grimpe sur la terrasse pour faire le point de la situation . Rarndanc est là. Il est 174
complètement abattu: les assaillants ont attaqué par-derrière la mai son de Moussa (n° 29) qui se trouve en face de la mienne. 11 y vit avec son oncle Boualem , qui a été tué, de même que sa femme el une fi Ile. Ramdane s'est battu, mais il n'a pu tenir. Il a fu i, tandi s que sa femm e était en levée el ses deux en fant s massacrés. Arrivé sur la terrasse,je me rends compte que nous sommes de plu s en pl us nombreux. Les e nfants ple ure nt, ce rtai nes femmes se lamenle nl , gémissent, d'au lres tentent tant bien que mal de les calmer. Il y a toujours quelqu'un qui les prie de se taire, mai s la peur l'em porte sur la raison. On voit les assai l· lanls chercher leurs prochaines proies et les gens fuir vers l'ouest, dans la direction de la mai son de Boudjemaa (n° 88). D' ici, je surplombe le q uartier parce que la maison est plus haute que la mienne. Je vois nettement mieux, à environ trois cents mèlres au nord, le boulevard ct J' entrée du loti ssement. Les blindés des militaires sont di sposés le long de la roule . Il s atte ndent. Leurs phares sonl allumés et ils le resteront toute la nuit, comme prêt s à intervenir. D'autres voitures arrivent, je crois deviner des véhicules de police. Il se mble y avoi r beauco up de mo nde autour du lo ti ssement , mais personne n'avance. Il faut que je grimpe plus haut, sur la buanderie, pour mieux di stinguer. EI-Hadi me suit, pui s c'est au tou rd ' Amine. Je leur fai s sig ne de se bai sser, il ne faut su rtout pa s anirer l'attention sur nous. De là· haut , je domine toute la région. Je voi s des bom bes explose r, des ince ndies, des gens fuir, et le déploiement et la progression des g roupes armés. Il s se sont partagés en petits groupes cl s'introdui sent dans les maisons en face de la mienne (n° 29 ct n° 37). La mai son de Warda (n° 55) étan! nettement plu s haute que les autres, je peux pour un moment sui vre les mouvements des tueurs: l' un des groupes semble repérer les maisons avec de nombreux occupants, l'autre semble chercher des gens précis . Au loin, dans le loti ssement de Haï Boudoumi, le s habitants luttent contre les assaillants: quelques-un s d 'entre eux sont armés de fusils à deux coups. Je ne les vois pas, mai s j'entends les coups de feu el les cris et j 'aperçois des mouveme nts sur les terrasses. 175
• laJoUI'
le massucrl'
A u s ud-ouest, da ns la r ue qui longe les orangeraies, un groupe d 'as:mi IJants assez important essaie d ' avancer, pou rsuivant des hab ita nts en fuite. Il est soudai nement s toppé par deux rafales de balles. Boudjemaa, qu i est armé, habite dans celle rue. Il rés iste et permet ains i aux fa mi lles de fu ir et de se réfu gier ailleurs. C'est là qu' i 1 nous faut aller. Le groupe q ue nous avons év ité a bifu rqué vers l' ouest et semb le p rêt à co ntourne r not re îl o l. Bientôt no us se rons e ncerc lés. Dans ma fue, ils sont encore très nombreux et mai ntenant ils arrivcm par-derri ère. Cen ains éléments regardent en l' air, ils o nt l' ai r d 'écouter d'où vie nnent les sons de voix. Quelques-uns donnent des ordres et insultent les exécu tants. Il s savent que nous nous sommes rassemblés dans certaines maisons et que beaucoup se sont réfug iés s ur les terrasses. Je d is à E l- Had i de descend re et d 'essaye r de fai re ta ire les fem mes . Juste au moment où il se lève, les chefs le voient et l'un d'entre eux poi nte le doigt dans notre d irection . Pl us une mi nute à pe rd re. Je descends de la bua nderie et demande aux aulres de me suivre. Nous al lons Jans le jard in et constatons que la porte qu i donne su r la rue est fer mée à clef. Abdelkader Menaoui se met à la recherche de Warda, qui lui d it que son locataire refuse de l' ouvri r de peu r que les assai lla nts ne pé nètrent dans sa maiso n. II es t inut il e d'insister, Moha med , le locataire, est hystériq ue. Menaoui est le premier à escalader le mur de clôture et aide ceux qui veu lent partir. Je reste au bas du mur pour les fa ire monter. O n ne va pas assez vite, et c'est un peu la paniq ue: je ne sais pas qu i vient avec nous el qui reste chez Warda. Ceux qu'on a fai t passer dans la rue arrière fuient, et j e ne sais pas vers où, parce qu e je suis occupé à fa ire passer les fem mes et les e nfants. Je demande Il l'un des ho mmes présents de me re mp lacer, tand is q ue j e monte à mon tour sur le mur à côté d ' Ahdelkader. Il fa ut accélérer, car il y a encore beaucoup de gens dans la cour d'entrée de Warda qui veulent fu ir avec nous. Tout d' un coup, je vois arri ver les assaillanls dans le jard in de M' hamed. Sali ma y est, e lle n' avait pas voul u nous suivre. Ell e est là, blessée, une grande tache de sang sur sa poitrine, et n'essa ie pas de s'échapper. Ell e savait que si e lle était agressée, e ll e ne sa urait se défe nd re. E ll e m 'a souve nt d it q u 'elle
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préfé rerait mou rir que de vivre cette a ngoisse . Un homme la tire par le bras et lui ordonne de le suivre. ili a traîne du côté d'un mur et je ne peux plus les voir. Elle veut en fi ni r et le supplie de la tuer. J'ente nds A bdel kader, son fil s, pleurer et crier: « Maman, maman! » Puis des coups de machette, et puis plus rien .. .
Pris au piège 'f Le groupe Hnné qu i se trouve dans le j ardi n de M' ha med m'aperçoit sur le mur. L ' un d ' entre eux d it aux autres: « C'est Nasro, il s'échappe ! }, Un au tre hurl e: « Il fa ut le pren dre vivant! Je le veux vivant ! >} Il s poi ntent leurs mitraillettes et j ' entends les balles si ffl er autour de moi. Je n' ai pas le temps de réaliser ce qu i se passe, je perds l'équilibre et je tombe dans la ruelle de l'autre côté du mu r d' une hauteur de 2,40 m. Mon p ied nu allerri t sur une pierre. Une doul eur intense me fo udroie. Lajambe enfl e tout de suite. Je vois les femmes ct les enfa nts s'e nfuir dans la rue, d'autres remontent dans la maison de Warda q uand mon regard se voile. Je perds connaissance. J' ignore combien de minutes se sont écou lées, mais quand, à même le sol, je reprends consc ience, je suis tout se ul dans la rue déserte. J'ai du mal à me relever et je com mence à grelotter. Il ne fait pas froid, mais je me sens glacé. J' aurai fro id toute la nui t, et j'aurai fro id pe nda nt toute une année. Je me rends compte que ce n'est plus comme avant . C'est comme s i j'étais projeté dans un fi lm, comme s ije passais da ns un autre monde: j'entends bie n les bombes exploser au loin, j'entends e ncore des cris à une certaine distance, mais, autour de moi, c'est un ca lme fe utré, irréel. J uste avant, il y avait tous ces gens avec moi et j'étais sa ns arrêt en action. Maintenanl.je suis seul dans la pénombre . Je ne perçois pl us aucu n son dan s la maison de Warda. C'est très pénible de se sentir condamné. Pour la prem ière fois,je réalise que j'ai peur. Je ne veux pas mourir. Je ne sai.~ pas où a ll er, je n'a rri ve pas à me décider. Je cherche un endroit où me réfugier et je remarque en face de
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•• Il/folil'
moi . de l'au tre côté de la rue. un petit passage obscur cnlre la maison de Messaoud el celle d 'A rez.ki Farès (n° 65 et n° 68) - ils n'ont pas construit de mur de cl ôture. Je fai s un grand effort pour me lever. Je n'arrive pas à me meUre debout entièreme nt et je saute sur une jambe. À chaque saut, je souffre le martyre. Finalement.je décide de ne pas aller me réfugier à cel
endroit car il est Irop exposé. Soudai n. j'enlends des voix d' assailla nts s' approcher du co in de la rue à dro ile . à une c inquantaine de mètres. Sans hésiter. j e me mets à courir vers la ga uc he. je ne sens plus la dou leur tan t j'ai peur d 'ê tre rattrapé. J'emprunte la prem ière ruelle à droite, après la maison de Fares. c'est la ruc où habite Aïtar(n° 79). Jusle au moment de bifurquer, j ' aperçois un groupe d ' assai lIants qui surgi t du coin de la rue en face de moi. Il s arrivent donc des deux côtés. Inconsc iemmenl, je prends le chemin que tout le monde a pri s après avoir quitlé la maison de Warda. Il me faut ra p ideme nt tro uve r une planque. En fait, à ce moment-l à, je n'ai pas r intention d' aller chez Aïtar, je dépasse même sa maison et je me cache dans un terrain non construit, où sont en treposées dc:s dizuines de piédroits en bois. Je ne trouve pas d ' endroit où m 'abriter. Je rampe sous les troncs d 'arbre et j' y reste q uelques minutes e n essayant de réfl échir à ma situation. Qui son t ces gens? Pourqu oi voulaient-il s me « prendre vivant » '! J 'ai du mal à m' im
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Troisième étape: chez Aïtar Non, il ne faut pas que je reste là, l' endroit est trop cxposé et écl airé ct c'est le premier lieu que les assai llants viendront inspecter. Juste au moment où je sors, des pierres s' abatte nt sur moi e t j'entends une voix de la terrasse qu i c rie: «C' est un te rro ri ste , c'est u n terrori ste! » C 'est Kader, le ge ndre de Mohamed Tablati, qui crie. Je ne sais pas où je sui s à ce mo men t précis. Je prends le ri sq ue, mal g ré la présen ce toute proche des assa ill ants, de ré po ndre: cc Arrê tez, c'es t moi . C'est mo i Na sro, votre VOlS Ill. »
Qu e lqu ' un descend et m'ouvre la porte. c'es t le fi ls des Aïtar. Je lu i di s que je ne peux pas marcher et d'autres viennent m' aider il monter les escaliers. À mi -chemi n, il s me soulèvent carréme nt. Au premier étage,j ' aperçois quelques fe mmes et e nfants. Mes porteurs me posent un instam pour souffler el repre nnent aussitôt l'ascension jusqu 'au deux ième étage . À cet étage, les cloisons de séparation intérieure ne sonl pas encore construites. Ici , il Y a beaucoup de femmes el d 'enfants. Certaines sont assises sur les marches d ' escalier. Celles q ui ont des petits enfants ou des bébés les en lacent pour les protéger. Ces mômes qui d'habit ude sont souriants ct moqueu rs se sont métamorphosés. La peur et l'horreur sont insc rites su r leurs visages. Ici , personne ne cric . Les fe mmes sont recroquevillées et parlent parfois à voix basse. Tout le monde attend. La lu miè re est é tei nte, il y a juste une ve ill euse qui écl aire les visages angoissés. Quelques-unes me regarden t et chuchotent entre elles. Je les entends uniquement prononcer mon prénom : CC C'est Nasro, il est blessé! » Est-ce un bon o u un mauvai s présage pou r elles? Moi, à ce moment-là,je ne pense plus qu ' à une seule chose. Le froid, après ma chute, a accéléré mo n besoin : je dois uri ner à tout prix et je ne peux plus résister. Je ne Ill C soucic guère des femmes et je demande à mes porteurs de me déposer pour fa ire mes beso ins. En temps normaL je ne me serai s jamais permis de l'exprimer ouvertement. Je me mets par terre, tourn ant le dos à l'assistance, et je me soulage. 179
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Je dois monter jusqu ' à la terrasse to ut seul , les autres étant déj à parti s. Après avoir reconnu quelques visages qui éta ient avec moi sur ma terrasse ,je me rappelle d u serment que j ' ai rait à la jeune Souhila, la fi lle de Nass ia. Je demande auss itôt si la fam il le Bo uli est là et quelqu ' un me répond que oui. Je s ui s SOUlllgé CI je n'en dem ande pas plus. Ce n' est que le lendemain que j ' apprendrai que chez AÏlar il n'y avait que les deux ti lles les plus âgées et les deux peti ts gMçons. Nassia ct sll!ille Souhi la, ainsi qu ' EI -Hadi . étaient restés chez Warda. Lui n' a pas voul u abando nner sa mère . Et la mère es t certainemen t restée à cause de sa fi lle qui paniquait. Les deux on t été tuées, tund is qu ' EI-Hadi a sauté de la terrasse avec Amine, le !i ls de Sali ma, e t Ramdane. Ils ont fait le mon et ont s urvécu. Quand j'llrrive sur la terrasse, il <.la it t:tre 1 heu re du matin . Les hommes sont nombreux, ulle quarantaine environ. Dans la mai son entière, il y a bi en œ nl vin gt person nes. Je retrouve pratiquement tous mes pruches voi sins, du plus vieux au plus jeune. Il s se sont pou r la plupart réfugiés derrière des tôles de zinc. Il y a là Messaoud « Domino )) , Tablati, Omar, Adila, donc une grande partie des voisins de l' î lot où habi te Aitar. En réali té, ils ne savent pas très bien ce qui se passe et ils me de mandent de le ur exp liqu er la sit ua ti o n deh ors . On me demande consei l, car il y en a qui veu lent ehllnger d ' endro it. Je propose de rester ensemble : nous sommes nombreux , nous pouvon s organiser la défell ~e. Je leur raconte qu ' à tro is nous avons ten u une demi ·heure sur ma terrasse. Ici , nous sommes d ix fois plu s nombre ux ! He ureu se me nt que la lll11 ison de Me ssaoud (n" 78) et celle des Aïtar (nO79) ne sont pas à la même hauh.,:uT : les assaillants ne pourront pas nous atte indre par la terra ...se de la pre mière . À côté de ce lle d ' Aïtar, il y a un le rrll in va),'lIe . Je me di s que no us avo ns de la chance d'ê tre dan s une t!spèce de forte resse el je me sen s un peu pl us en séc urité.
Une horreur en accompagne une autre Je fai s part à quelque s-un s de mes o bserva ti o ns s ur la manière de procéder des assaillants et ce qu'à mon avis il faut
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fai re . Le plus important. c' est de ne pas les laisser s'
fa ire une brèc he pour y pénétrer. Il fa Ul apporter quelques madri ers pour se protéger de s ti rs de ba ll es des terras ses voisines. Un jeune rassemble des planches de bois elles pose du côté de la façade principale qui don ne sur la·rue . Toujours
couché s ur le sol, je rampe vers les madriers et je me penche poUf voir la ruelle en bas. Je cro is qu 'à un certain moment les explosions de bombes sc font plus rares, parce que nous sommes attirés par des vo ix qu i proviennent de la villa de Warda. distante de cent mètres environ . Je s ui s inquiet pour les personne s qui son i res tées là-bas, les assa illants étaicnllou l près qu and nous avons fui . Â ce mome nt préci s, je vo is le s femme s regro upée s debout dan s le coi n à dro ite de la terra sse de Warda. De s om bre s so mbres s'ava ncent vers elles . Je vois des silhoue ttes sur la buanderie et je crois reconnaître ce lles d ' Am ine et Ramdane . Un des é léments du gro upe se d irige vers eux et leu r tend la main pour le s inc it er à desce ndre. Je l'ente nds d ire: « Descendez, n' ayez pas peu r, je jure qu' on ne vous fera pas de ma l ! » Les silhouettes d ' Ami ne ct des autres restent fi gées un moment et soudain se jeltent derrière la maison, dans le vide .. . Mon cœur va s' arrêter ! Pourtant , je ne suis pa s au bout dc l' horreur. L ' assaillant revient vers le groupe qui encercle les femmes et les en fants. O n entend les cris et les plcurs, les femmes se serrent les unes contre les au ues. leurs enfant s entre les jambes ou da ns les bras, et certaines bousc ulen t le s agresseu rs. Quelques-uns d 'e nt re eux empo ig ne nt des femme s pour les sépa rer du groupe, je suppose que cc sont cel les qu' i Is e nlèvent. Certaines femmes se battent avec eux com me des lionnes pour protéger leurs fille s. Celles qui ne veulent pas sui vre les criminels sont exécutées à coup de hache ou posées à même le sol pour être égorgées. Les femme s crient : « Ne nous égorgez pas! S ' il vo us plaît. tuez-nous avec vos balles, ne nous égorgez pas ! » li s ti ren t les e nfant s avec une agre ss ivi té ex trême el les jettent par-dessus la terrasse, et toul d ' un coup je vois l' un dcs tueurs arracher un enfant accroché il sa mère . La femme tente de le serrer contre elle, mai s il la frappe avec une mac hette. 11
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,1.. n/{/ss(I<'I~'
prend ['cnfant par le pied eL en faisa nt un demi-tour su r lui même. lui cogne la tête concre un pilier de béton. Les autres en font autant, ils sont pri s d' un rire frénétique. Je ne supporte plus cc spectacle clje me cache la têle entre les mains. Souda in. je s uis allÎré par des mouvements à g auche , au carre four de la rue dans ' ..quelle nous nous trouvons. C'est là qu ' habitait El- Hadj (n° 7 1). assassi né deux ans aupamvant. Un pelit groupe d 'assail lan ts arrive. ti rant un jeune homme qui parle à voix ha ute. Je reconmlÎ s« C hoco lat», le jeune frère d'El- Hadj, un handicapé mental. Le groupe a l' air de bicn s' amuser. L' un d 'e ntre cux l'en lace ct lu i lance des plaisanteries. Il leu r di t d' " I'er sc f'li re foutre ct d'arrêter II: massac re. Tout le monde ri!. Il s mel1ent le fe u à une voi ture stationnée à l'endroit même et certains veulent le jeter dans les flamm es, mais l'un d 'e ux l'empoigne et lui coupe un membre , pui s un autre. Les cri s de la pa uvre vic ti me déchiren t la nuit et sont indescri pti bles. Nous nous reg,lrdon s, pétrifiés par l' horreur. Je me bouche les oreille s, mai s je ne peux délOurner te regard. Il s traînent la sœur de « Chocolat ), el le vieux père hors de la maison. Quelq ues-uns des assaill ants sc ruent sur elle ct la violent il tour de rôle . Le père. attaché, est contraint de regarder la scè ne. Tous les deux seront tués peu de temps après. Un a utre petit gro upe s' av,lIlce avec un ho mme qui parle d ' une voix imposante. Il se débat et crie de toutes ses forces. Cest « Tourdo » qui , pris de panique, a sauté de chez lu i et est tombé dans les bras des assaill ants. Les tueu rs s'acharnent sur lui à coups de crosse et fini sse nt par le j eter dans la voiture en fl ammes. Des cris horribles s'échappent, il essaie de se relever, ma is les tueurs le mitraillent à bout portan!. Ma tête va éclater, je n'en peux plus. Je commence à trembler. Le froid devient de plus en plus intense . J'ai de nouveau ~nv i e d'uri ner. Le pantal on de mo n survêtement est mouillé, A ce moment-là, je suis persuadé que je n'en réchapperai pas. C'est la fin du monde. Je me mets à parler à Dieu, j'en veux à Dieu: (( Pou rquo i, pourquoi tant d'atroc ités? )} Je Ille se ns fati gué, vidé, vidé, j ' ll i froid et je n'ai plus aucune force . J 'a i l' impress io n que to ut souffle de vie s'échappe de mo n corps. Je se ns la mon proche lorsque je regarde vers le ciel, cet infini ble u- noir, et je m'adresse à Dieu ... Et là, c'est 182
fafo/il'
comme une décharge é lectrique qui me secoue, je sens la peur reprendre possession de moi,je se ns l'i nsti nct de survie, Je ne veu x pa s aba ndo nner, j e ve ux viv re, je ve ux revo ir me s e nfant s. Je commence à hurle r comme les autre s qu 'i l faut prendre une décision, qu ' i1faut SC battre, qu ' il fau t continuer. Les assaillants. eux, sont entraînés et ont un plan bien défi ni, tandis que nou s, nous arri vons à peine à prendre une déc ision commune . Certains veulent descendre se battre, d ' autres non. Nous perdons du temps alors que les tueurs sc mpprochen t de nous.
Une résistance acharnée et vaine De l'endroit où nous sommes, nous pouvons entcndn; ce qui sc pa sse dan s la dernière ran gée de mai so ns au bord de s verge rs. Les assaillant s o nt in ves ti la zo ne . Il s avancen t e n plaçant des bombes, s' introdui sent dans les maisons ct mass,lcrenl. On entend leurs rires frénétiques, déments. et les hurlemen ts de s victimes q ui essaient de s'échapper. Les habi tant s fui en t vers l'ouest, tandis que Boudjemaa, muni de son fu sil , les couvre. Les assaillant s les poursuivent, brisant sur le ur chemi n les projecteurs que nous avons placés, et passent d ' une demeu re à l' autre, calmement, méthodiquement. sans aucune crainte. Ils «( netto ient >. les lieux, tuant et pi ll ant tout sur leur passage. On voit dans la ruelle des Aïtar des gamins de dix à douze ans sortir des maisons en porlant des couffins. Cc sont des garçons du quartier que les tueurs contra igne nt à transporter leur butin. Ils se di rige nt vers les orangeraies où on les retrouvera morts par la suite. Les assaillants sont tout près de nous mainte nant , à moins de cent cinquante mètres. Ils longent les mu rs et avancent en tirant pour frayer un chemin à ceux qui transportent des bombes. Je demande l' heure à Mohamed Tablati. Il est e nviron 2 heures du matin. Je regarde Arezki Farès, all ongé p,lr terre, au bord de la terrasse. Que font les militaires? Pourquoi mettent-il s tant de temps à intervenir? Pourquo i les bli ndés install és d ans la maison de vieillesse, à 1,5 km d'ici. ne sortent-il s pas? 18)
,. laloli.,
Les ex plosions de bombes ont repri s de plus belle. Le CÎel cst nOÎr de fumée . J' arri ve il dist; nguer les silhouettes qui se fa ufi lent maintenant dans no tre rue. fouillant les maisons une à une. Les che fs sont toujours présents ct traquent leu rs subordonnés comme s' ils ne leur faisaient pas confiance . Il s les insul tent CI les sermonne nt ; « Mo nte par là ! Toi. regarde là-bas ! » ; «( Atte ntio n de ne pa.s mourir sous les balles, sinon vous n'irez pas au parildis. Faites vile! Al lez. avancez ! Les assa illants ava ncen t lentcmem , dans notre direction. NOLI S pu iso ns da ns le stoc k de briq ues el de ho urd i s. Nous arri vons à les retarder un peu, parce qu ' il s cherche nt il év ite r d'être touchés. Il n'y a personne s ur les terrasses avoi sinantes: lo uS so nt ic i o u bie n o nt fui c hez Dje ha, le patri ole , qu i se tro uve a u bo ut de la ru e ( n" 89 ) et tire po ur e mpêc he r la progress ion des tueurs. Ce rt ai ns ve u le nt fuir , co mm e S.ù d Adila et sa fa mille. D'autres les sui vent. Une fo is dehors. les assass ins qu i ne sont qu ' à que lques mètres tirent sur eux. Le fil s de S.ù·d est touché à la jam bc, il s' écroul e par terre, son père revient ct le soulève sur ses épaules, Il s arri ve nt à 1.. maison de Djeha. mais beau coup s'écroul en t sou s Ics ba lles des tueurs. Lorsq ue je pense q ue nou s aurions dO avo ir nos armes de pu is des se mai nes, j'enrage! Néanmoins, malgré tous nos e fforts pour éloigner les assail la nts, la maison d ' Aïtar est e ncerclée. Plus personne ne peu t fuir. Les tueurs réussissent à pénétrer dans la maison en fa ce et se pos tent s ur la terrasse pour nous tire r dess us. Il s touchent Messaoud « Domi no» en plei ne tête, JI s'écroule. Sa fem me accourt vers lui el est touchée. Je rampe vers les deux corps inertes. D'autres ti rs viennent du côté droit et touchent Farès au bras dro it. Il s jette nt des grenades ,\rti sanales dont les écl ats nous brûlent, mais je peux encore me déplace r. Su bitement. des projecteurs s' allu ment derrière la maison d ' Aïtar. et nous ébloui ssent. Tous les regards se braquent vers la lum ière . D 'o ù vie nt-e ll e ? E ll e s ' é tei nt e t se rallum e plu sie urs ro is d e s uite, pui s no us éc laire pe nd ant un bo n mo me nt. No us so m mes un pe u dése mparés, il no us fa ut trouver de nou ve lles planques pour ne pas être complètement 11 nu . )l,
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Les voisins s'écrient les uns après les aut res: « Les mi litaires arri vent! Les militaires arrive nt ! » Apparem me nt. il s ne sont pas très loin, Les assaillants aussi semble nt déroutés ct se reti re nt de la termsse en face, ce qui nous permet de sou m er un pe u. Mai s les chefs, des brutes, arrivent en courant e t hurlent aux éléme nts du groupe armé : « Conti nuez ! Ne vous laissez pas dérouter! Pre nez tout votre te mps, les militaires ne viendro nt pas. Allez, au tra vail ! » Je demande l' heure à un viei l ho mme 1\ côté de moi. Il me regarde, ], ~ir perdu, avant de me répondre: « Il cst J h 10 du matin . » J'essaie de me so ul ever, encore une envie pressante d ' uri ner. Je veux me di riger de l' autre côté de la terrasse. là où il n'y a perso nne. À mi-chern in , je tombe sur Halllmoud, l' aîné des fi ls d ' Abdc lk ader Mc nao uÎ, q ui e st sous le choc. Il e st couché s ur le corps de Messaoud et sanglote. Je lui di s de se lever. Il me ft! pond sans me regarde r: « Mo n pè re est morl. 1110 n pè re a été tué par ces salauds. » Je lui erie avec fureur que c ' est li ni ma inte nant , qu ' il fa ut penser à sauver sa peau. ct dans l'empressement j ' o ublie de lui dire que le corps qui gît s ur le sol n'e st pas de ce lui de son père , ma is celui de Messaoud , touché peu avant. Soudai n, la premiè re bombe explose dans 1<1 mai son d ' Aïtar. Apparem ment. les assaillants ont profi té de notre inatlenti on au moment où les projecteurs se sont allu més pour s' approcher de la maison et l' attaquer. La bombe est sans doute placée au ni veau des rideaux métalliques qu i donnent du eôté de la ruc. Un vacarme assourdi ssant nous fait tous s ursauter. Je ne pe ux pas alle r j usqu ' à l' autre bout de la teffilsse , je pi sse s ur place car je doi s reve ni r à mon poste c t, aveC le s autres, e mpêcher les assassins de placer une autre bombe . Les tueurs q ui avaient disparu un insta nt de la terrasse d ' cn face reviennent et leurs ti rs sont plu s no urris. Avec ceHe lu mière, no us so mmes bien visibles, ma is eux il uss i. (] y li de s zones d 'ombre grâce aux piliers en bé to n, moi je su is derrière le madrier. Le s p roj ec te urs, qui ont dû ê tre pla cé s deva nt la cit é 200 loge ments. se sont éteints après un quart d ' heure environ. Quant à l' hélicoptère, j ' en ai de nouveau pri s consc ience un
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peu plus lard. Aïlar el d ' aulres me diront qu ' il a tourné toute la nuit au-dessus du quartier. k me couche ca rré rnenl à p lat ve ntre, tâtant II.! sol pour trouver des pierres et les balancer par-dessus le madrier qui me sert de protection. En bas, un groupe arri ve en courant pour évacuer l' un de leurs camarades qui gît au sol, apparemme n! touché. J'essaie de Ics atlei ndre. La première bombe semble avoir fai t un trou au niveau du rideau métall ique, les assai ll ants y pénètrent en gnmd nombre. Ce n'est pas si si mple car. là aussi, ils doivent fai re face à une résis tance ac harnée des gens dans la ma ison. Il le ur faut du temps pour monter d'un étage à ]' au tre. Je crois entendre des ti rs dans la cage d'esca lier, des sons sourds e t résonnants. J' ai l'impression quïl y a des luites au corps à corps et, peu après, j'entends encore une deuxi ème bombe, pui s une troisième. C'est sû r que ces bombes On! tué des gens, même si e ll es ne so nt pas très puissantes. En fa it. e lles servent à fai re des brèc hes d,ms les mu rs à double cloison de brique . Ell es ne détruisen t pas fa cilement le béton, et les escaliers sont en bélOn. La mai sontrcmblc. En bas, les femmes et les e nfants crient, pleurent, hurlent. Les hommes restés sur la terrasse se consultent. Que faul-i 1faire? Les avis diffèrent. on perd du temps. Certains proposent de pren d re posit io n dans la cage d'escalier et d' empêc her les tueurs de monter jusqu'au", femmes. Il s n'onl rien pour se défendre à part q uelques ou ti ls et cou teaux. Je me souvien s avoir vu une fourche posée sur un amas de gravats. Je la prends et j'encour'lge les pe rso nnes volonta ires à desce ndre le plu s rapideme nt possi ble , mais je ne peu x me ten ir debout; la fo urche me sert d'appu i plus que d'arme de combat. Mohamed Tablali m'enlève l'objet des mains ct se porte vo lontaire pour desce ndre le prem ie r. Il me dit gentimen t : « Retourne à ta place, lu es plus utile là où lU es ! » Déc idément. on se tromjX! souven t sur les personnes, ct celles que l'on croi t incapables se révèlent ê tre les plus cou rageuses. Les plus jeunes passent il r .. ction el préparenll es parpaings qui serv iront à repousser les
sont restées sur place. La femme d ' Areski étail figée dans son coin pour protéger son garçon et sa fille. Elle a survécu, mais les deux petit s ont péri. Plusieurs bombes éclatent e n mê me temps, je crois que la mai son va fin ir par s'écrouler. Des tirs dans la cage d'escaliers ... Des cris de femmes et d'enfan ts ... Les hommes, sur la terrasse, se précipitent à leur lour dans la cage d ' escal ier. Après quelques minutes, ils remontent en courant, il s ne peuvent plus fa ire grand-chose, les tueurs o nt ré ussi il se posi tio nner au second étage et à bloquer les hommes qui veu lent descendre. Quelques femmes sc sont enfu ies sur la terrasse, mais un grand nombre d'entre elles, bloquées dans l'étroite cage d'escalier, ont été fauchées par les balles des assassi ns. Il fa ut mainten
Quatrième étape: les fantômes de la nuit Je co m me nce il deseendre ;1 l'a rriè re de la mai so n en m ' acc roc hant à la double c loi so n de la façade . J 'év itc de regarder en bas. Je n"'e Farès une dernière fois, ne pouvam me résigner il l' abandonner su r place. Il me regarde ct me sourit. Ce souri re Ille fend le cœu r, j 'ai l' im pression de le livrer à nos 187
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ennemi s. Mais de nouvel les rafales de balles retentissent dans les escaliers CI je commence la desce nte en m'agrippant aux
trous des briques. Chaque mouvemen t m 'arrache un peu de ma chair, mais je me liens du mieux que je peu x. Je me lâche sur la bordure du
bal co n du seco nd étage. Pui s je fais le mê me effort pour attei ndre le premie r é tage. Arri vé sur le balco n, je sui s surpri s par des voix de fe mmes à l' intérieur de la maison. Elles parlent posémen t. La lu mière es t all umée el { aperçois des ombres à tra vers les persie nnes: c ll es son t e n train de détrousser tes cadavres. Pendant un insta nt, mu colère manque de l'emporter sur ma raison. Je veux brise r les fenêtres ct les surprendre. La dou leur me d issuade de mener une tell e acti on. d ' aulant plus qu ' à l'intérieur il s doivent êlrl.! nombreux . Je me déc ide à me lâcher dans le noir. Je saule de trois mètres de haut environ. J 'a tt erri s fi na le ment sur mes deux pi ed s dan s le j artlin derrière la maison d' Aïtar et je ressens une douleur alroce da n ~ ma ja m be ga uche et da ns tOUI mo n co rp .~ me urtri . Il fail sombre, ma is le clair de lune me permet de di stinguer les bananiers ct les q uelques pl antes le lo ng de la dOl ure. Je réfl échis rapi deme nt , il ne fa ut pas perdre une minute . J'entends des vo ix et je pe nse que les ho mmes armés fouillem les j ard ins derrière la maison. Je décide de me hi sser sur le murde clôture CI d'al ler dans le se ns inverse d u groupe, c'est-à-dire de me d iriger da ns la direction d 'où j'étais ve nu q uelq ues heures plus tôt. Je rampe à genoux sur ce mu r q ui ne fait pas plus de 20 cm de large, m'écorchant la cha ir à chaq ue mouvement. Je suis éreinté, j ' ai très fro id cl en plus j 'ai peur. Je ne peux plus me défendre, j"li épui sé toutes mes forces et je me se ns pris au piège. Je parcours d ix. vi ng t, trente mè tres, je suis essoufOé . Je m'arrête q uelques instants puis je reprends ma course contre la mon . JI! ne pense plu s, j e ne sais pas où je vais, la seul e chose q ui compte, c'est de ne pas perdre l'équil ibre. Je parcours e nco re que lq ues mètres lo rsqu e je sui s pri s d ' un verti ge q ui me filit basc ul er du hau t du mur dans un j ardin. Heureusement , je ne me blesse pas . Je me cache sous un petit bui sson et je constate q u'à la lu mière de la lune on peut me vo ir. Je me barbouill e de terre le visage et les bras et je vais de
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l'autre côté du jardin, où les bui ssons sont suffi sanllnent hauts et épai s pour me cacher. Messaoud Selaïdi, qui était venu au début du massacre chez: moi et était ressorti pour se battre, se trouve là. II ne bronche pas. Pcndant un court instant, nous avons pe ur l'u n de l' aut re . C'est lui qui me reconnaît. Je rampe vcrs lui. il me demande de ne pas fa ire de brui t et de ne pas bouger. Lu i est là depuis un bon moment , il me dit q ue c ' est de la fo lie de contin uer mon chemin de ce côté, les assaill ants on t posté des se ntinelles et j ustcment il y en a deux j uste dans la ruelle arrière. Je pense que nous sommes dans les jard ins des maisons de Mohamed BoulaI et de Mohamed Tablati (n" 74 CI n" 75 ). Nous avo ns cc rt aineme nt d û y passe r une heure, to us les deu x, perd us, indécis et à [" écoute d u mo indre bru it insolite. On ente nd les cri s des habitants qui en fu ya nt se fo nt intercepter par les assaill ants. Ces derni ers leur dem;lIldent ,Ivec cahne et fe rmeté de pa sser par tel endro it ct de ne pliS avoi r pe ur . Je revois la scè ne que j ' ai vécue quelques heures plu s tôt en face de chez: mo i. Il s ut ilisent les mêmes procédés pour fin aleme nt égorger leurs victimes ou les massacrer à coups de hache. Nous entendons des hurlemen ts ct tout de suite la riposte, avec un mélange de ri res ct d ' insultes de l'u n des chefs du groupe armé. Tout d ' un coup, un cri déchire la nuil . Messaoud me prend le bras avec fo rce CI je sens ses doigts s'enfoncer dans ma chai r. II se rai di t. Il ose à peine me di re: « C'est mon fils, il s égorge nt mon enrant ! }, Le jeune homme hurle q u' il ne ve ut pas être égorgé et qu ' il préfère mo urir par balle, il suppli e ses agresseurs de le tuer rapidement. Son père se tient 1,1 tête entre les mains, impuissant. Son fils avait entre di x-hui t et vingt ans, c'est lu i qui avait été blessé sur la terrasse en même temps que Sal ima. Pour un instant seuleme nt , un silence de plo mb s' installe. Mais aussitôt, de nouvelles bombes ex pl osent au loin. La pe ur est là, elle ne me quittera pas malgré la présence de mon voisi n et complice. L'e nvie de fume r me pre nd , mais je n'ai pas de cigarcttes sur moi et d' ailleurs c'est mieu x ainsi. Le te mps me paraît très long, j e ne peux pas attendre salis rien fuire, pourtant je m'aperçois que je ne peux plus bouger, je grelolle et jc me mords la langue à chaque mouvement.
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C'est là que je me re nds comple de la présence de l' hélicoptère qui tourne e n rond dans le cie l. Cela fait un bon mome nt quej 'enlencts le bruit de son moteur, il se rapproche, il est tout près, mai s on n'arrive pas à le vo ir , pui s il s'é loi gne de nouveau .
J'ente nds un klaxon de cam ion, mai s je ne s,lis pas de quoi il s' agi t. Cc n' est que pl us lard que j ' apprendrai que les assai [lants avaient stationné deux cami ons de marque Mag irus au bord des verger.,;, au sud du lotissement.
Messaoud me suggè re d'aller de l'autre côté de la mai so n (n" 74 ) el, pour cela, il faut traverser une allée d'une qu inzaine
Je lui demande J'heure, il est 4 h 30 du matin . Je m' appuie su r son épaule et j'arri ve tant bien que mal , sautant
de mètres.
sur un seul pied, à la porte d' e ntrée principale en fe r forgé . Elle
est fermé e à clef, il nous est imposs ible de l'ouvrir. Messaoud s' absen te pe ndant un mome nt c t rev ient avec une éc he ll e métallique. Il grimpe le pre mier et me demande de le suivre. Je ne peux pas. J'essaie de gri mper les marches une à une sur les ge noux, mais j ' abandonne tout de suite. Me ss aoud es t parti mai ntenan t. J'ent e nd s des voix de personnes qui parlent avec agress ivité, mai s je ne peux pas comprendre ce qu'ellcs di sent . Je veux savoir ce qui se passe . Dans un dernier effort, je monte l'éc he ll e s ur les genoux en tirant fort sur mes bras, ju squ' à passer de l'autre côté du mur.
« Nasro, ils nous ont eus! »
La scène est trop dure à voir. À une trentaine de mètres de l' endroit où je sui s, des dizaines d ' e nfants sont regroupés au milieu de la rue, ass is à même le sol, et pleurent. Je vois des hommes faire so rtir des bl essés et entasse r le s bébés sur la route un peu avant la maison d' Aïtar. L ' un d'eux crie aux habi tants de sort ir des mai sons . Je m 'av an ce en sa utant , Ill'appuya nt au mur, quand to ut à coup j'entends Messaou d c rier: « Nasro, il s no us o nt eus, il s nous o nt eus! }) Je ne comprends absolument rie n. Je pense qu' il est tombé e n plein milie u du groupe armé. C'esl horrible . Je regarde ces enfants en sang, en croyant qu ' ils vont être massacrés. Je ne supporte
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pas cc spectacle e t je fui s. En fait, je ne comprends pas que les assaillants sont sur le point de se replier vers les orangeraies ct que des gens accourus de J' extérieur font sortir les blessés des maisons. Je sui s persuadé, à cc mome nt précis, que le carn age conti nue, là, e n fa ce de moi. Je ne sa is pa s com ment , avec ces douleu rs, je sui s arrivé chez Arezki (n° 68), Je reste dans la cage d ' escali e r, dans le no ir, près d ' une de mi-heure . Je sui s complèteme nt abasourdi, absent, comme dan s un é tat seco nd. Ce n 'est que lorsque j' e nte nds un bruit de voi tures et de voix rassurantes au-dehors que je me réve ill e de ma léthargie et que je me traîne vers la terrasse pour voir ce qui se passe. II doit ê tre entre 5 heures et 5 h 30. Je voi s des ge ns so rti r le s blessés et les morts de s maiso ns. On év acue les cadav res de la maiso n de Warda ( n° 55). Il s so nt méconnaissables: des gorges tranchées, du sang, du sang, du sang. Je m'effondre lü en sanglotant quand l' un des secouri stes m'aperçoit. JI me demande de descendre de la terrasse . Je lui exp lique avec diffi cu lté que je sui s blessé, é pui sé. Je ne sais pas com ment je s ui s a rrivé ic i parce que toutes le s issues sont bloquées. Un groupe de personnes amène une grande échelle, En s' apercevant que celle-ci est trop courte, l' un d 'entre eux demande du renfort. Il s se meUent à plusieurs pour la soutenir ct pour perme ttre ü l'un d 'eux de m' aide r à desce ndre. Arrivé enfin en bas,je m' assois sur le sol etfanends. C'esllà que j ' appre nds que Nassia est mon e, J'ai dû voir EI-H adi, mais je ne m' e n souvien s pas. Une Simca 1100 arrive pour me transporte r. J'insiste pour ne pas monter, car j'estime qu ' il y a des cas plus urgents à secou rir. Mais on me certifi e qu' il y il s uffi samme nt de voi tures et qu ' une bonne partie des blessés graves a déjà été évacuée . On m'aide à monter dans la vo iture et je m' in stalle à l' arri ère, entre deux hommes, L' un d'entre e ux m 'e nlace ma is j'enlève so n bras . Il veut me rassu rer en me di sa nt que nous sommes voisins. Je n'essaye même pas de le reconnaître,je pleure toujours. Je sui s en vie,je sui s en vie, Je cau che mar est passé, mais qui est e ncore vivant? Dans la nuit, les habitants des qu artiers voisins, de Baraki , de l' ancien Be ntalha ou d' aille urs, avaien t été alertés par les exp los io ns de bombes, le s ball es traça ntes, les cris e t les
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~urlemcnts des victi mes, CI étaient accourus immédi atement.
A cc mo mcnI-Jà. les militaires CI les polic iers avaient déjà déployé leurs effectifs s ur le grand boulevard el empêchaient les gens d 'interve nir. Ils on( attendu là toute la nui t ! Après des heures d 'a Hentc ango issan te. jls n 'Ont plus s upponé cette s ilUation et ont rorcé le barrage pour ven ir à nOIre secours. Ils étaient très nombreux el cc n'étaien t que des civils. Il y a ceux qui sont venus à pied par-derrière. entre 4 h 30 et 5 heures. el les autres qu i on t pris leur véhicule à partir de 5 heu res. Pas un seul mil itaire, pas un poli cier. pas une ambulance: il n'y a que
9 Lendemains d' horreur
des, civils, avec leur voiture, venus pour nous aider. A celte heure-là, il y a bien moi ns de bombes el de tirs. mais j ' apprendrai plus tard que les assai llants sont encore dans le quartier au mome nt où les seco urs arr ivent ~ Il s se replient lentement cn longeant les vergers. Ils crient au x gens réfugiés dans les orangeraie s: (( Sortez, so n ez, la po lice cst là ! )) Certa in s resca pés sorte nt naïvement de leur cac hette. La femme de Mohamed Ghazal, ce lui qu i est en prison (n" 83), ct ses quatre enfants sont tués ainsi, à la dern ière minute. Il est étonnan t que ees perso nnes soie nt tombée s dans le piège. y avait- il quelque chose qui les a mis e n confian ce'! Les assaill ants s'étaient-i ls débarrassés de leur kachabja ?
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A l'hôpital La voiture arrive devant l'école primaire sit uée au milieu du grand boulevard de Bentalha où de nombreuses ambulances ront le va-et-vient. C'est très écla iré. Il y a beaucoup de monde, des soignants, des blcssés et des morts. To us sont dans la cour. les morts sont regroupés à gauche, couverts d ' un drap. On me soulève pour me déposer dans la cour. Le chauffeur m'offre une cigarette avant de retourner sur le lieu du drame. Un infirmie r s' ava nce ve rs mo i pour m'en lever la ciga re tte ma is, devant mon refus, un e femme médecin interv ie nt c t lui demande de me laisser tranquille . To us les blessés so nt d ' abord trans portés à l'école par les civ ils ct de là les ambulances les e mmènent vers différents hôpitau x. Quelques mi litai res se trouvent dans l'ence incc de r école, mais la pl upart sont encore sur le bou levard . Tout va très vite ct la solidarité est grande: les habitants des quartiers voisins apportent de la nou rriture. des boissons ct des couvertures. Je ne s ui s pas resté là plu s de dix mi nutes. O n vient me prévenir que je vais être transpo rté à l'hôpital en ambulance . Il y a une femme à côté de moi , égorgée, qui râle.
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1< II.' massacre
Elle est g raveme nt bl essée. Elle ira d 'a bo rd comme moi à l' hôpi ta l Salim Z'm irl i mais, comme o n ne pou rra pli S l'y soigner, elle sera e mmenée à l' hôpital Mustapha. L' hôpi tal Z'mirli n'est qu'à si x kilomètres et nous arrivons aux urgences après quelques minutes dt.! roUIe seulement. JI est envi ron 6 heures du matin. J' attends mon tour sur un banc, la tête enfouie dans les ma ins. L'hôpi ta l est e n effervescence. To us sont débordés, le personne l hospita lier ne sait pl us où donne r de la tête, le spt.!ctnclc est du r à supporter. Il y a un manq ue chroniq ue ue so ign ant s, de civière s, de lits, e t ne parlon s pas des instru men ts et du matérie l. Je m'e n rendrai compte personnellement. T ro is gendarmes en uniforme tenant en ma in un carnet se dirigent vers moi ; il s Ille posent des tas de questions et je ne réponds à auc une d'entre clles. Leur prése nce m'énerve au plus haut point. Main tenant que tout est passé. ils s'i ntéressent à nous! Et où étai ent-il s cette nu it ? L' un d 'eux a l' audace de me demander combien j' ai J>l!rdu d'enfants. A lors là,je pète les plo mbs et j'éclate en sanglots. Je sais que mes enfants sont cn séc urité à Barakî. mais combien d 'enfants ont péri à Bentalha ? Ne sont-il s pas tous mes enfants? Je sors de la salle des urgences pour trouver une cigarette. et je m' assois en face d'un groupe de trois civi ls et deux secouristes en uni forme. Les ci vi Is s' approchent de moi et se présentent co m me éta nt des offi ciers de police. Il s me posen t également de nombreuses questions. L' un d'eux me demande que l ge nre d'armeme nt les terroristes avaien t. Un secou riste inte rvien t et affirme que le groupe ét Ol it très bien équ ipé el d isposOlit même d 'armes lourdes. Il se met ra décrire l' arsena l d ' armes, je me demande COIlUllcnt les gens som toujours si bien informés et je rétorque: violemment; « Qu'en sait-il. lui ? Il n' y é tait pas, que je s'II.:hc ! Les gens racon ten t vraimen t n'importe quoi! Il s n 'éta ient pas bien armés, il s ava ient des fusils, des Kalachnikuvs, des bombes ct grenades artisanales. mais jl s ont surt out uti li sé la machette el la hache pour égorger el découper 1~'lIrs viclimt!s ! ), Les pnlki\;rs en profitent pour me poser d'autres question s. L'u n d'ell~ .Ivoue ne rien comprendre et veut savoi r combien étaient les
boucherie. N' ayant pas de réponse à lui donner. je retourne dans la sa lle, espérant retrouver des surv ivants. Le premier que je rencontre est le jeune Adila . Cela me fait chaud au cœur. Il avai t été blessé par balle à la jambe. mai s rien de g rave appare mment. Je lui demande des nouve ll es des autres et il me dit qu'ArezkL son fil s Faouzi, Amine le fil s de M' hallled et plusieurs au tres voisi ns sont à l'intérieur de la salle des urgences. J'accours dans l'une des cabines de soins, heureux de trouver quelques survivan ts, et je me mets à la recherche de visages familiers. La prem ière que je reconna is est Hou ria. la femme d' Arezki Farès. Elle est enceinte de sepl mois et a perdu beaucoup de s.lng. Allongée sur une civière, immobile, des larmes cou lent silencieusement le long de ses joues. Elle li du mal il parler ct resp irer. Elle a été presque égorgée. Au moment de l'attaque des tueurs, elle tena it sa fille de quatre ,ms CI son fil s dans ses bras, et maintenant elle ne sait pa s ce qu'il s sont deve nu s. J'essaie de la réconforter en lui di sant que son mllri et son aut re fil s sont ju ste à côté dans Ulle autre cabine. J'en tre là o ù se trou ve Arezki , ému de le revo ir . Je me souviens du dern ie r in stant avan t de l' avoi r quitté sur la terrasse des Aïtar. Je ne savais pas si j'a llai s le revoi r vivan t. On se parle très peu, il me dit qu'il a perdu deux de ses e nfants. Il me montre sa blessure au bras et. cn sanglotant, me demande de regarde r le lit à côté du sien où est allongé Ramdane , qui hurle de douleur. Il a des fractures partout parce q u' il a suuté de la buanderie chez Warda: c'est un mi racle qu'i l soit encore en vie. Son oncle Boualem, en revanche, a été tué. Je vois Amine, le fil s de Salima , sautiller su r une jambe, lui aussÎ s'est fr.lclU ré le talon en sautant de la buanderie au moment où les assilillant s l'acculaient. Il ne sait pas que sa mère est morte. Je reconnais d ' autres voisins, mais soudain je ne supporte plus d' être ici. J ' ai hâte de quitter cc 1ieu morbide. Je vois le fils de Ramdane (ce lui de Tablat). Une semaine avan t, j'ava is arrangé avec ce dernier l'ac hat d'une maison ( n" 67). qui se trouve derrière ce lle de Mohllmed Tablati . Il est un parent de Moussa Koudri (n" 29) CI de son frère Boualem, tous deux originaires de Tablat comme H'ssen (n° 30) et Abdcrazek, qui so nt 10US apparenté s. Ramdane ve na it jus te 195
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d'emménager dans la mai son avec sa fa mîlte. Plusieurs de ses membre s on t été massllcrés cette nui t· là. Un fil s de dix -neuf ans se remettra assez rapidement de ses blessu res, mais je ne sai s pilScc qu 'est de ve nu son pe tit garçon de cinq ans qui a reçu des cou ps de hache sur la tête ... Au moment de la relè ve des éq uipes à 6 h 30, les infi rmiers et les médecins quittent l' hôpi till sans attendre leurs collègues. Nous som mes pendant un moment seuls, sans aucune assistance médica le ~ Les soignants nous traitent d 'ai lleurs avec mépris, comme si nous étions des terroristes. J'attends près de trois heures avant de passer des radios. On me plâtre la jambe sall S nettoye r les p laie s ni extrairc Ics épines ct les éclats de grenades, qui par la suite s' infecteront. J' en fais la remarque au médec in. qui Ille répo nd qu'ici ils manque nt de tout , mê me d'a lcool chirurgi ca l. Je sors tout se ul de la sal le des urgences et je me d irige vers J' e ntrée princi pal e en suutillllnt su r mon pi ed valide. Il es t 9 heures du matin . Devant le portail. des dizllines de person nes sonllil il attendre les listes des vktimes adm ises à l'hôpital ct celles transférées ai l leurs. L' accès est intcrdit à toute personne étfilllgère à rhôpitlll ct les rendez-vous sont reportés à une date ultérieure. Il n'y a pas beaucoup dl! membres de force s de sécuri té ct llucun journaliste.
La mort partout.., Je demll nde aux ga rd iens de me trou ve r un tax i: je n ' ai qu ' une envie maintenant. c'est de rent rer chez ma mère et revoir ml!S enfants. Après une dem i-heure d'attente et voyant qu·aucun taxi n'est Pfl!t à al ler dans la direction de Baraki.je me décide à descendre plus bas pour faire de l'auto-stop. Finalement, une camion nette s'arrête et propose de me transporter. Sur la rou te all ant à Baraki , en passan t devant le cimetière de Sidi R' zi ne, je demande
Mai s ce n ' est que pl us ta rd que j'apprendrai que de nombreu ses victimes o nt été e nterrées en r absence de leu r fami lle et de façon chaotique. Il s' avère aussi que des cadavres ont été e nte rrés da ns les cimet ière s d ' EI·Dj o um hou ria c t d ' El-Al ia et que, souvent, plusieurs corps ont été placés dans la mê me tombe. C'est ainsi que les autorités ont réduit le nombre officiel de victimes ! Le conducteur reprend la route da ns un silence total. Il me propose de me ramener chez mo i. Arri vé à Baraki , j e descends du véhicu le et je m'écroule par terre . Des voisins accourent et me porten t j usq u' à l' appariement de ma mère, situé au lroi· sième étage . Celle-ci n'y est pas car dès l' aube , info rmée du drame, clic s' était préc ipitée avec ma remme à Benta lha pour s'e nquérir de mon sort. Un important di sposi tif mi li ta ire el policier éta it déployé au niveau des deux écoles et personne d 'étranger n' était lI utorisé à entrer. Les deux femme s ré ussirent néanmoins à se frayer un passage et à atteindre l' éco le par où j 'étais passé. Un voisin, Benyahi a, les informa que j'avais été transporté aux urgences de ["hôpital Z' lllirl L Elles y al lèrent tout de suite, mais mon nom ne figura it pas sur la liste des perso nnes admises, alors qu ' à cc moment- là je me trouvais Il l'intérieur. Hors d 'elles, elles sc rendirent à l' hôpital Belfort et enfin à l'hôpital Mustapha à Alger. Ell es ne sc déci dèrent à appeler à la maison qu'en fin d ' après-midi et ma tante, qui étai t venue me rendre visite, les informa que j'étais sai n et sau f. En arrivant à la maison, je peux enfi n, pour la première fo is depuis plus de dou ze heures, m'abandonner. Je sens toules Ics fibre s de mon corps meurtri . Je m' affale sur le IiI. Les voisins vien nent pour me rendre visite et exprimer leu r compassi on. Ma mère, enfi n, rentre à la maison et , en me voyant. écl ate en sa ngl ots pui s s'éva no u it. Ma fem me , el le, e st tellem e nt effrayée c t perdue qu' e lle ne prononce pas un mot. Elle a appris la ma ri de ses amies et de tous ces enfan ts. El le restera choquée pendant cinq mois. Ce qu i me rend fou, c'est de voir mes enf.. nts effarouchés quand il s me voient. Je leur fai s peur. Et ils ont rai son d 'avoir peur, parce que je ne suis pl us maître de mes humeurs. Je les sens absolument décontenancés, ct je su is incapab le de les réconforter. Mais plus grave encore, c'est que je crains pou r eux: à l'hôpital. quelques resc apé s m'ont 197
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I f m a SSaCf l'
prévenu que les assaill:uHS avaient cherché mes enfants. Cela signifie donc qu ' il s n' uvaient pas seulemen t voulu m'avoir vivan t, mais q u' ils en voulni ent aussi à mes enfalHs, Il fa ut entreprendre quelque chose, mais dan s l'étnt dans lequel je me trouve , avec la douleu r physique et morale, l'épui sement et ln fièvre qui me terrassen!. je ne peux rien faire. Les images de l'horreur que je viens de vivre défil en t devant mes yeux sans que je pui sse Irouver le sommeil.
«
Vous êtes les racines du terrorisme »
Ma j ambe me fuit tant sou ff rir q ue farrive à peine à mnrcher. Pourtallt ,je ressens le beso in d'ullcr à Bentalha, de rencontrer mes voisins et de comprendre ce qui s'est réell eme nt déroulé dural11 celle nu it d'horreur. Je ne di s pas li lIla mère o ù je vais pour ne pas l'inquiéter, Le massacre a eu lieu dans la nuit du 22 au 23 septe mbre; le 24. je re to urn e 11 Bentalha pour lu première fois, Le tnx i-bus Ine dépose il l'entrée du lotissement et je termine les ce nt cinquunte mètres à pi ed . Je ne sui s pas habi tué aux béq uill es et mu ma rche e st très malai sée sur ces routes q ui n' o nl jamais reçu leur dern iè re co uche de goudron e t SO nt couvertes de pierres dé blayées pur les plu ies. À l'entrée, de nombreux patriotes sont rassemblés , mais le disposit if militai re a é té levé. Je vois des hab itant s qu itte r le q uartie r e n voilure en emportant quelques e ffe ts, Le loti ssemen t est désert et les quelques curieux n' osent pas s' attarder trop longtemps dans un e ndro it où la barbarie il alle int son summum e t où la morl rôde encore : ici . deux nuits plutôt, un important groupe armé a massacré, li la hache etuu couteau. nu moi ns trois cen IS personnes, en blessant pl usieurs centai nes et enlevant une trenta ine de femme s et de fi lles, La réalité, j e l' appre nds ic i même, de la bouche de mes vois ins ct amis q ui ont échappé com me mo i à la tuerie et qui , dès le le ndemain, ont chacun li sa manière essayé d'en savoir plus, Il est dur d ' acce pter certaines choses, même si les fait s sont év idents, La que sti on qui rev ient toujours ct à laque ll e no us n'au rons peut -être jarnilis de réponse est: pourquoi '! Il
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m'e st toujours in imugi nable q ue de s êtres humains ai ent pu commettre un tel acte et pourlant ce lui -c i a bien eu lieu, cc n' est pas un cauchemar. Bentalha lo ut e ntier est sous c hoc, Les habitanls sont en deuil. Quelques vo isins rescapés son t regro upés devant lu maison de Chouch ( n° 3) à quelques pas de chez moi. Il y a là Ben ali a , EI-Hadi Bouti, El -Hadj q ui avait pu s'enfui r en voit ure dans la nuit, H'ssc ll Be nziada, Bc nyctlou ct d ' nutres personnes venues de Tablat pour avoir des nouvelles de leur famill e. Presque tous les rescapé s se sont réfugiés chez de s pa rents o u ami s en dehors de Benla lha, mais il s rev iennent pour fa irc le po int sur ce qui s'c st passé e t écha nger les dern ières informati ons, Nou s débattons des premiers articles de jou rnaux et surto ut de la vis ite du mini stre de la Snnté, Yah i" Guidoum, Venu en coup de vc nt que lques heures après le massncre, il a choqué les survivants, Ceux qui nous rapporte nt cette e ntrevue sont écœurés ct ré voltés : les uutorités o nt été méprisan tes et les journaux enfoncent le couteau dans la plaie , Gui doum il déclaré être« affl igé » de ce qui nous est arrivé, mai s que c'est de notre faute car nou s n'aurions pns d a souten ir les groupes armés pendant six ans ! Lnlélévision illgérienne a filmé la séq uence dans laque lle Fouad, don t la mère et une petite sœur de quat re ans ont é té massacrées CI de ux sœurs enlevées, lui signale que les services de sécurité ne sont pas intervenus. Le mini stre n' a pas trouvé de réponse plus appropriée que de nous dire : « Vou s êtes les raci nes du terrorisme, vous le nourrissez, alors il fa ut assumer. » Dire une monstruosité pare il le à des gens qui viennent d' assi ster à un massacre où leur père , leur mère, leurs pelits frères et sœurs sont passés so us la lame d ' égorgeu rs barbares et inhumilins est insupportable et impardonnable . Pou r détourner l' attention du fait que les militaires ne nous onl pas secourus, on nous culpabilise, Et les journaux algériens non seulement reprenne nt ces all égatio ns, mais il s nous fon t passer pour des terrori stes, Nous te ntons de faire le bi lan de cc qui s'est passé ct nous constatons qu'il y a eu qu atre allaques celle nuit-là à Ben talh a : lu pre mi ère i. l'usi ne de plastique de Zaoui qui n'a pas causé beaucoup de dégâts mai s où le gardien a été tué: la de uxième
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11'/!(ll'IlIniuI il '1I o r11'1II'
dans le qu artier où habi tent les Kaby les. où il y il cu deux morts; la troisiè me dans Haï Boudoumi, où les habitants armés o nt pu se défendre (i l y a qUlllld même eu douze o u di x-huit mo rt s) ; c t enfi n chez no us, da ns Haï el- Djil ali , o ù ce fut l' hécatombe, Cc qui est s urprenan t, c'est que la cité des préfabriqu és, qui se trouve d ans l'alig neme nt des prem iè re s maisons attaquées Ct devant laquelle des di za ines d'assai llants so nt pas sés, n ' a pa s é té to uc hée, Je n 'a rri ve pas à me l'expliquer. Nous commençons à com pter les morts et les blessés, tâche guère a isée vu que le s r"mi ll es o nt fui le qu a rti e r. Nou s estimo ns alors que pl us de troi s cents personnes o nt é té tuées ceUe nuit-l à. alors que les journaux font état de q uatre-v ingt cinq morts. Ce sera le chi ffre offic iel des victimes du massacre de Bentalha . Cc jour-là, je ne m' avance pas dans Haï el-Dji lali . Et pou rtant , de là où nous no us retrouvons, je vo is les tas d'habi ts amonce lés CI les marcs de sang séché sous 1" dalle en face de ma mai so n , qui témo ig nent d es a troci tés. Je ne peux en supporte r davantage. Je revois ces famille s fu ya m la Illort , interceptées par les assai llants. Tous ont été égorgés, san s pit ié, petits et grands, femm es et enfants. Un seul homme a pu leur échapper mal gré les rafales d'armes automatiques, et a réussi par mimcle à rejoindre les militaires postés à l' entrée du lotissement. La première famill e qu i est tombée sous la lame des tueu rs sanguinaires, sous la dalle en face de ma maison, était origi naire de Tablat ct n'était que de passage ici, une visi te qu i li coûté la vie à tous ses membres, sauf le père. À bie n y réfléchir, nous constatons que de nom breu ses personnes éta ient venues ces derniers j ours à Benlalha ... pour mouri r. A vec mes compagnons d ' infortu ne, nous échangeons nOire incompréhensio n el notre désespoir. Ce qui m'impress ionne dès le lendemain du massacre, c'est que, ma lgré l' at roce do ul eur qui nous déchire , les ge ns s' en remettent entièrement li Dieu ; il s accepte nt ce qui est arrivé pour ne pas som brer da ns la fo li e, la haine et un be so in de vengea nce ave ug les. Ce n 'es t pas qu'ils pardonn en t au x cri minel s, mais c'est une façon de sc réconforter mutuellement. C hacu n surmonte Sil souffrance e n partageant la douleur
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de l' autre , Cela me donne des forces tout en me surprenant. Moi, je n' ai j amais accepté la fatalité et je veux comprendre et essayer de savoir pourquoi ils nou s on t choisis , nous. Le plus choqua nt. c'est que, à l' unanim ité, tous disent que cc sont les mili tai res qui nous ont tués. C'est te llement évident q ue personne ne demande comment nous cn arrivons à cette conc lusion et pourquoi nous en sommes si sûrs. Après coup,je me pose la question de savo ir s i des voisins ont reco nnu certain s mil itaires parmi les assa ill ants. J' ai du ma l, quand même. à acce pter auss i fac ileme nt le fai t que lcs mil itaires ai ent co mm is ce massacre , Mal g ré to us les ind ices qui se co nfi rmero nt au fil de nos inve stigations, l' idée q ue notre destin au rait été, longtemps auparavant. étudié et décidé, voire calcul é par une po ignée de hauts re spon sab les militaire s me paraît inconcevable, ou débi le. Je préfère largement mettre tout ça sur le compte de la fuli e humaine. Cc jour- là, nous commençons le recense men t macabre des vict imes : Aïtar a perdu sa femme, son til s et plu sieurs filles; il té moigne que dans sa maison trente-trois person nes o nt étl! tuées. Mekali ct lou te sa famille o nt été massacrés; Messaoud « Do mino }} ain si que sa femme ont été tués sur la terrasse d'AïtM : Abdel kade r Me naou i a pe rdu sa fill e , le bébé de ce lle-d, une autre fi lle, un garçon et sa fe mme. Le père M 'sili , caché entre deux cloisons dans un e space de vi ngt centimètres, a tenu la nui t entière mais il a dû ass ister à l'horrible spectacle de l'égorgement de sa femme ct de sa fill e, Fouad no us rai t part du drame qui s'est déroulé là où il se tro uvai !. To ute sa famille, ainsi que qu.lIre autres, étaie nt c"chées chez Ali Dj idj li où e lles se sont regroupées dans la buanderie . Fouad s' est accroché li la porte et lorsque les assail 1
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le Sud durant celte période , II n'y a que le fil s de Djidjli qui a réussi à s'échapper, c'est lui que j'avais vu fu ir, pensant qu'i l s' agissai t de Fouad. Ammi M·nouar. qui sc trouvait aussi dans la maison des Djidjl i. est mort, .. insi que sa femme, sa fill e ct son fi ls. Qu .. nd je pense q ue, peu avant, nou s av ions encore blagué au sujet du bmnchement d ' électricité ! Messaoud Belaïdi a perdu tou te sa fa mille, qu i se trouvait chez Warda. Il avait passé tout le temps dehors dans la rue, Il en a vu des horreurs! Il en il perdu la boule. Je n'ai plus de nouvell es de lui. Il éta it tâc heron. avait fu i TablaI. me nacé par les groupes, et travail lait à Baraki . Cela faisait six ou sepl moi s qu 'i l habitai t Haï el -Djila li ct, ces derniers te mps, il se réunissait avec no us et aimait jouer aux dominos, Tahar, le propriétai re de 1.. sirène, s'est caché avec sa fa mille CI tous ont eu la vie sau ve, Dan s la mai so n d e Mo ham ed Bouamra, alius « Pil ote », assass iné quelques moi s auparavant par de s patri otes, s'étaient réfugiées de nombre uses famill es, Ce fUI l' un des premiers endro it s .maqués . Toutes ont été tuées et la mai son dynamitée, Le même scénario s'est déroulé chez Saïd, une des premi ères ma isons, en venant de Caïd-Gacem. le long des vergers. Les qualre ou cinq famille s qui s'y trouvaient Ont toutes été massacrées et la maison a été brûlée . Voi là les« terroristes » dont parle Mons ieur le min istre de la Santé! Je rentre à Baraki la mort dans l' âme.
Peu à peu, les choses se préciscut Tou s les jours ou pre squ e. no us nous retrou vons à ce t e ndroit maudit. Ce SOnt les mê mes qui vien nent régu lièrement e t te ntent de compre ndre, tandi s que d ' autres appara isse nt furti veillent pour s'e nquérir des dernières nouvelles . Quel ques vo isins revÎennent uniquement pour pre ndre des affaires et disparaître aussitôt Cil rasant les murs. Dès ma deux ième venue à Bentalha,j' ose fai re quelques pas dan s le loti ssement. Un spcclacle horribl e s'offre à moi: des trous immenses dans les fa çades des bâtiments, des pOrles et des fe nêtres arrachées, des vo itures brûlées, du sa ng séc hé partout. des mai sons il\ccndiées, des douilles, des vêtements Ct
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des meubles trnÎnant dans les rues. Il y a très peu de monde , pas d'e nfants qui joue nt, pas de ri res de fe mmes prove nant des mai sons. C ' est un quartier fantôme q ue je traverse. Rie n ne me retient, si ce n'est la volonté de comprendre. Je n' arrive pas il m'imaginer ce qui s'est déroulé durant celle nuit cauchemardesque et pou rtant ce q ue j'ai vécu s'est incru sté dans mo n esprit et dans mes tri pes. Dan s les j o urs qui sui ven t, j'apprends de p lus e n plu s de choses confirmant mes appréhensions et mes craintes. Le soir du massacre, à 2~ heures, avant mê me que n'ex pl ose nt les prem ières bombes, pl usieurs ambu lances se sont garées devant l' école de Ben talha sur le grand bo ulevard, La police aussi s' était déjà installée devant la cité 200 logements, ju ste en face de Haï el-Dj ilali . L'attaque avait déjà commencé du côté de S:.ïd, mais nou s n' avi ons encore rie n re marqué. Connai ssant lu le nt e ur des autorités pour dépêc her du secours, nous nous demandons si e lles n'ont pas été averties aVlIlIf l'attaque. Je me souviens qu'un jou r. pas très lointain , oùj'étais en réun ion de travail avec le commandant de corps de la caserne ERMA de Dar el -Beida, il reçut un appe l téléphonique pour interve nir et trouver une ambulance afin d' évacuer un militaire qui revenai t d ' une perm iss ion et qui avait été blessé dans un attenlat. Le lieutenant-colonel avait mi s toute l' après-midi pour organiser les secours. Ces ambulances devant notre qUllrtier sont restées sur place toute la nui t et c'est elles qui nous ont transportés au petit malin vers les diffé rents hôpitaux . Autre indice e ffra yant qu i après coup lai sse supposer que certains membres des forces de sécurité devaient savoir que le massacre allait avoir lieu : des tombes avaient été creusées à l'ava nce. Dans le cime ti è re de Si d i R'zi ne, cel ui de la commune de Barak i do nt fa it partie Ben tal ha , une se mai ne auparavant, une trentaine de tombes avaie nt été ouvertes dans un no uvea u carré réservé spécialement aux vic times de massacres, J' avais vu ces tombes ouvertes auparavant, mais je n'y avais pliS prêté allcntion . À ce moment-l à, je ne savais pas qu 'i l s' lIgissait d ' un carré spécial pour victimes de massacres. Après le drame, je sui s allé au cimetière et j' ai parlé avec le gardi en. JI m ' a co nfi é qu ' une semaine avant le massac re il avait re çu la visite de militaires qu i lui avaien t o rdonné de
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creuser des tombes , pu is c'étaient les gendarmes qui étaient venus lui d ire de re mbl ayer ct e nfin , deux jours avant le massacre, des militaires lui aViiient demilndé de ma intenir les tombe s ouvertes. 11 m 'a dit aussi que le lendemain du massacre, li Il h 30. il avait compté 147 tombes en tout et que les gens ,lV,lient été enterrés n'impone comment: une femme avec son bébé, plusieu rs adultes dans une même tombe . Des victimes o nt aussi é té e nterrées d ans les ci meti è res d ' EI- Djoumhou ria (commu ne de Sid i-Moussa, les Eucalyptus) ct EI-Alia . Nous con tinuo ns nOIre dénombrement macabre : lorsque nous étions rassemblés chez Warda, les maisons de M'hamed (nO 45), Abdcrazck (n° 46), Abdelkader Menaoui (n° 47) et la mienne (nO 44) éta ie lll vides. Comme les assaillants se sont ac harnés s ur no us, no us avons détourné leur attention de s voisins. Benyllttou et sa famille sont restés chez eux et il ne leur est rien arrivé, la maison de Tourdo était pleine, mais lui, pri s de panique , il sa uté et les tueu rs l' ont lynché. Sa famille est sau ve. Nassia est mone , sa li Ile $ouhi la a di sparu , pourtant des gens l'ont vue égorgée chez Warda. Nous supposons qu'elle a été enterrée avec d 'aulres dans la même tombe. Salima et son fil s Abdelkader, W arda et ses enfants sont morts. Abderazek et son frère Ramdane ont chacun perdu leu r femme , enlevée, ct deux enf,ul!s. Hanulloud ct son frère sont allés chez le vois in aveugle qui hilbite une grande mai son de troi s étages (n° 52) appartenanl à Ak li, un grand commerçant kilbyle . Ils se sont tous cac hés da ns la buanderie ct o nt su rvécu. M'hamed s' est réfugié chez Djcha, car il avai t constaté que celui-ci ripostait par des tirs et il vou lait sauver sa peau. Cest dur ce qu ' il a f,lit , Illais je ne peux pas lui en vouloir. Je sai s quïl a des problèmes avec la fami ll e de Salima : elle lui reproche d ' avoir ab,mdonné sa propre famille. k ne veux pas enfoncer le clou mai s c'es t qUillld même difficile à supporter. Les perso nnes qui m 'étaien t les plus chères li Bentalha sont mortes: Sal ima CI Nass ia. Grâce à un e lis te que nou s avions établie afin que la Sonelgaz nous installe l'électri cité, nous disposons des nom s de tous les habitants de Haï e l-Djilali . Cc n'est donc que peu à
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peu, g râce aux recoupe men ts des témoignages, que no us pourro ns plus tard établir le chiffre de 417 morts. Une fo is fait, tant bi e n que mal , ce recensement de s personnes massacrées, une vue d 'cnsemble s'est concrétisée. Nous pouvons ai nsi localiser les mai sons attaq uées dans Haï el-Djilali el constater que seul notre petit quartier a été touché : c'est-à-dire le périmètre à partir des orangeraies au niveau de l'extension de Haï eI-Dj ilali à l'est jusqu 'à la rue transversa le à l' ouest marquan t le « centre » de Haï c l-Djililli, et au nord jusqu'à la ruelle à côté de ma maison. Seules quelques maisons individuelles situées à côté de la cité des préfabriqués ont. elles au ss i, été assai llies. Tou te la rangée de ma iso ns le long des vergers a été visitée par les tueurs, mai s une partie des habi tant s a pu heureuseme nt fu ir c hez Boudje maa. L' îlot isolé, comprenmll envi ron une dizaine de maisons, a été entièreme nt nlvagé et e' est là qu' i 1Ya eu cerrai nement le plus de mort s. Dans ce périmètre, toutes les rues ont été « vis itées» par les assaillants, mais certaines maisons ont été épargnées. Ce n'cst qu'en reprcnantle plan du quartier maison par mai son que nous constaton s avec stupéfaction que la majorité des maisons concernées appartien nent li des famill es originaires dcs régions de Tabl at et de Djidjel (comme je l'ai dit , beaucoup d 'e ntre elles s'étaient réfugiées chez nous pour fuir les exact ions des G IA qui terrorisaient les populations de ces régions, dans le but de déconsidérer les maqui s qui y étaient implantés). Si nous prenons la nlngée où habite Fouad, le long du peti t o ued , mis à part la maison des Hafsi (n° 26) qu i ne sont pas o riginai res de ces contrées. et où une bombe a été placée, il n'y il que les maisons. de Fouad Tlijine (n° 25) et d ' Ammi M ' nouar (n° 23) , originaires de Djidjel. qui ont été attaquées ct dont les familles ont été cn partie ou entièrement massllcrées. Dans la rangée en face de ma maison, toutes les mai sons où habitent des film illes origina ires de ces dcux régions ont élé attaquées: Moussa (n° 29), H'ssen (n° 30), Ali Djidjeli (n03 1), Me nguelati (n° 32), Ramdane (n° 33) ct Mess aoud Belaïdi (n° 37). Là auss i, une partie des famille s qui s'étaient terrées dans leurs maisons a été anéantie. Dans ma rangée. ce lles de M' hamed (n° 45), d' Abderazck (n° 46), de MenaouÎ (nO 47) ct Zouaoui (nO 53) ont été attaquées, les autres non. Là aussi. il 205
lendemain!! d 'horreur
le /lUls.werl'
s 'a g it de fa milles venan t s urtout de Tablat mai s au ss i de Dj idjel. Dans la rangée de Warda, même constat. Dans celle de Boudje maa, cc sont les Mekati (n° 86) ainsi que la fa mille habi tant trois maisons avant (n° 83), originaires de Tablat, qui ont tous été massacrés . Dans la rangée des Aïtar, qui eux sont de Djidjel, les fam illes origi naires de Tablat ont été ex termi nées, notam ment la famille Tablati (n° 75) ; il en va de même po ur cell es des mai sons situées à l'arrière (dont la n0 67). En revanche , il y a un ccrta in no mbre de mai sons où des famill es en ti ères s'étaie nt terrées qui n'ont été ni visitées, ni attaquées : celle de Tahar. o rig inaire de Djidje l (n° 57), qui avait mi s en marche la sirè ne au début du massacre, cel le de la fa mille du vie il adjudant de la garde républicaine assass iné en 1994 ( nO58), la bâti sse du g ra nd com me rçant Akli (dans laquelle s'étaie nt réfugiées pl usieurs famill es), celles de Fatma el Lyes ( n° 22), des de ux familles Benyattou ct Benye uou (nO27 et n° 48). Bien sûr, de nombreuses victimes ne sont pas originaires de ces deux région s, parce que les famil les se so nt regroupées dans les maisons, Ai nsi Arezki, dont la maison n'a pas été touchée, a perdu ses de ux enfants parce qu'i ls se trouvaien t chez Aïtar. De même pour Nassia et ses filles, dont la maison ne se si tuait même pas dans le périmètre attaqué. Plus nous cernons la manière dont s'est déroulé le massacre, plu s nous avons la conviction que les assa illants connai ssaient très bi en la compositi on du quanier et savaient qui devait être «ci bl é ~~. Ce n'étai t pas un gro upe de fou s cherchant à tuer dans le chaos total le plus de personnes possible, com me on a vou lu nous le faire croire, D'ai lleurs, nous sommes nombreu x à avo ir vu des as sa illants avec des papiers e ntre les mains, commc s ' i1s'agissai t de li stes. ct les meneurs ne poussaient pas leurs subalternes à tuer n'i mporte qui : ils les dirigcaient vers des ma iso ns bie n préci ses. Les re sca pés du ma ssacre qui avaient fui Tablat et s'étaient inslallés chez nous disaient: « Il s nou s 0 111 suivi s j usqu ' ic i! » Plu sieurs d'entre eux m' o nt certifié avoir reconnu parmi les assaillants certains des faux isla mi stes qui les avaie nt déjà perséc utés d ans leu r rég ion d'origine.
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Les assaillants Nous allon s rec ueillir d ' autres ind ices très troublants en reconstituant la chronologie des faits. Le soir du 22 septembre, il la tombée de la nui t, des habi tan ts de Haouch Boudoumi ont observé des petits groupes s' install ant dans les vergers au bord du lotissement, sur le chemin de Caïd·Gacem. Il s ont pensé que c'étaient des militaires se préparant à tendre une embuscade. Certains témoins disent qu ' il s ont cru voir des tenues bleues, du genre de celles que portent les gardes com munaux ou les « ninjas ,). Pui s un deuxième groupe est arrivé, envi ron une demi -he ure avant que les bombes n'éclatent à la hauteur de la maison où habitait « Pil ote », vers 23 h 30. C'est peu après que le troisième groupe, un grou pe spécial , est venu en force et a commencé il tuer . Cela signifie que les militaires que no us avions vu faire leur ro nde o nt dû passer au travers de ce s gro upes qui avaien t pri s position à la tombée de la nuit, dès 20 heu res. Comment s'ex plique r que la patrouille n ' ait pas réagi s'i l s'était agi d'authentiques terrori stes? C'est vers 23 h 30 que le gro upe déjà installé là a tiré de s ba lles traçantes . Nous avons fo rmulé deux hypothèses pou r expliquer cette act ion étrange: soi t il s'ag issait d ' islam istes armés cherchant à se faire passer pour des mil itaires (car les balles traça ntes proviennent d 'armes que les « terros» n'ont pa s l' habitude d ' utili se r) ; soi t il s'ag iss ait de militaires impliqués dan s l'o pé rati o n, informant par ces tirs leurs collègues stationnés dans les environs que le massacre avait com mencé et qu ' ils ne devaient pas intervenir. Après coup,je me suis posé la question de savo ir ce qui avait mis en con fianc e - les di ssuadant de donner l'alarme - les gens qui avaient observé les petits groupes s' installer dans les vergers. Nous éti o ns en effet d ans une période de panique généralisée, surtout après le massacre de Raïs, et la moindre chose bizarre nous alertait. Ces hom me s p o rtai ent~ils des uni fo rmes? Avaient*il s un comportement de militaires? Je sui s co nvainc u e n tout c as qu'i ls ne portaient pas il ce moment-là la longue barbe et la f«/(:habia, parce que cela aurait frappé les vois ins. En revanche, à celte époq ue, il étaitlout il fait banal de voir des mili taires embusqués .
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Le troisième groupe était constitué de près de 120 hommes. Il s'cst scindé en deux après avoir fait le « sale bou lOl » chez Saïd . Une partie s'est dirigée vers les maisons dans l'alignement de celle de Fouad , en direction du boulevard, pour bifu rquer à gauche, se rassembler devant ma maison sous la dalle ct se répandre dans les rues devant et derrière ma maison. L' autre partie s'est dirigée dans la direction de ce lle de Boudjemaa. Ils ont passé au peigne fin les mai sons de sa rangée et surtout l'îlot où habi te Saïd do nt il s o nt massac ré tous les habitants qu i n' ava ie nt pas pu fu ir. Quelques-u ns ont bifurqué dans la ruc q ui mène derrière ma maison pour ensuite emprunter les rucs transversa les, notamment ce ll e où se trouve la maison des An ar. Il s on t quadrillé toute la partie est du loti ssemen t à la recherche de leurs victimes. En y ré fl éc hi ss an t bi e n. j e me suis re ndu comple qu e les assa illants n' avaient pas besoin de se presser: il s savaient à l'év ide nce qu ' il s avaient toute la nuit devant eux. Alors que nous, sur le moml;: nt, no us pensio ns que loul devait aller très vile: nous avions en effet l' habitude des petits attentats, des incurs ions où les assai llan ts font leur cou p et disparaissent. Nous avions développé des réfl exes par rapport à ce genre de situations, et nous ne pouvions imaginer que cela allait être un massacre durant des heures, avec des centai nes de victimes. Ce n'est qu ' une fois Messaoud arri vé chez nous que j'appris qu ' i Is étaient deux ce nts à nous attaquer et que des familles ent ières avaie nt déjà élé égorgées. Je comme nçai alors à com prendre que nous étions vrai melll victi mes d 'une attaque de grande envergu re, que les assaill an ts étaie nt bien o rgan isés ct qu'ils avaien t une tactique é laborée. Mai s en réal ité, on ne sais ira jamais ce qui s'est passé parce que, pou r un esprit sai n, c'est tout sim plement inconcevable. En observant la façon de procéder des assai ll ants devant ma mai son,j' ava is compri s leur stratégie : le premier groupe était celui q ui posait les bonbonnes ex plosives, il était couvert par le deuxi ème. mun i d'arme s rt feu. Une fois l'accès fra yé, le troisième groupe s'avançai t, toujours couvert par le deuxième. Ce trois ième groupe était cel ui q ui égorgea it et massacrait à l' arme blanc he. 208
lf'lulell/lli1u d 'I!Qrrtur
Ce qui m'a fra ppé plusieurs foi s au cours de la nuit, c'est le rôle joué par certai ns assai liants: à leur faço n de se comporter, c'étaient assurémen t des meneurs, Il s donnaie nt des ordres, insu ltaien t, rabai ssaie nt Icu rs subalternes qui devaient obé ir sans broncher, À di fférentes reprises, lorsq ue les blindés on t avancé su r le boulevard ou que les projecteurs se sont all umés, j'ai re marqué que ces derniers devenaient indécis. ne sachant s 'i 15 devaient continuer ou se repl ier. Les chefs sc ruaient alors sur eux, les harcelant par leurs hurlements, mê lant menaces, blasphèmes et promesses de récompense dans l'au-delà. Ceux qui exécutaient les basses besognes, eux, ne parlaient pratiq uement pas. Pourtant, par moments, j ' ai eu l'occasion d'entendre les assaillants: d ' abord quand ils étaient en face de ma maison et qu'Abdelkader les interpellait . une autre fois de la terrasse des Aïtar qua nd j'ai pu entendre leurs voix c hez Warda , e t e nfin peu après, au carrefour de la rue, quand « Chocolat )), sa sœur et son père étaient entre leurs mains. J'ai été frappé par le fait que certains parlaient un dialecte prononcé de l' Est algérie n. En 1994, quand les groupes armés nous avaient enlevé nos papiers d'idemité e t a va ie nt voulu casser la po rte de Messaoud, le même accent de l'Est m'avait surpris. Quand j'ai observé les assaillants devant ma maison, j'a i remarqué des barbus et des no n-barbus. Plus tard, chez Aïtar, je n' ai plus vu de barbes. D' ai lleurs. elles m'ont semblé fau sses dès le début, mais nous n'en avons pas trouvé dans les maisons o u dans les rues après le massacre . En revanche, nous avons trouvé des seringues et des sachets de poudre blanche, Pour ce q ui est de leu r accoutrement, il y avait de tout : cerla ins étaient en ten ue de combat sombres, comme ce ll e que porten t les ( ninjas», el d'autres en kachllbitl. Les uns comme les autres pouvaient porter une barbe, To us étaient des gai ll ards mu sclés e t e ntraînés. ce rt ains étaient même particulièrement grands. com me l'une des sentinelles poslées près de chez moi. Près d 'une di za inc d 'assaillants mOrls sont restés sur place. Les voisins les ont vus. Ils les 0 111 embarqués le lendemain, mai s moi j e n'y éta is pas. Deux des tueurs avaient la tête tranchée, comme si clles avaient été e mmenées pour qu 'on ne les recon naisse pas. Il s portaient une kachabiu et en dessous de celle-c i une te nue de combat ble u
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le "wssac,-e
sombre. Un assaillant a été retrouvé dans une maison, li sant le Coran, compl ètement hé bété . Les habitants lui o nt posé des questions, ma is il était incapable de répond re. Les militaires l'ont emmené à la caserne . Je ne sais pa s ce quïl est deve nu . Est-i l passé en j ustice? À notre connai ssance, aucune enquête n'a été effectuée, et si une identificati on des morts a été entreprise, nous n'en avons pas été informés. Un des assaillants tués, un géa nt - je crois que c'cst l' une des sentinelles dont j'ai parlé - , portait une ce inture avec des seri ngues et de la drogue. J'ai appris qu ' i1avait été tué le lendemain pa r la population et transport é à tra vers Be ntalha e t Baraki dans une 404 bikhée. Mai s moijc ne l'ai pas vu. J'étai s à l'hôpi tal à ce mome nt- là. Ce qui est très trou blant, c'est que des vo isins d isen t avoir reconnu Irois o u quatre pe rsonnes fai sant partie des groupes armés locaux. Abdelkadcr Menaoui d it avoir vu un ce n ain Lefk.i r qu i habite Haouch Miho ub, d' autres prétendent avoir aperçu Al-Azraoui, mais ce lui-ci fait pan ie des fan tômes du terrorisme. Déclaré maintes foi s mort , nou s avons à chaque fois essayé de voir sa dé pouille. Cette fois-ci aussi, puisqu'on annonçai t sa liquidati on, nous som mes allés dans plusieurs morgues et hôpi tau x, en vain. À Bentalha, on dit que Chergui, le terrori ste du quartier, a été tué par des habitants de Haï Boudoum i, mai s je ne sais pas qui a vu son cadavre. Enfin , cen ains parl aient d'une femme - la mère de Djeha Benamrane, le terroriste abattu quelques mois auparavant - habillée de rouge, qui aurait détroussé les victimes ainsi que Nacera, sa fil1 e, dont la presse algérienne a fait sa une au moment opportun . Malgré les membres de groupes armés reconnus par des témoi ns la nuit du carnage, la popul ation cont inue à affirmer que [e s respon sable s so nt des mili taires. Seuls les patriotes disent que ce sa nt le s GIA. En en discutant a vec les voisins, nous som mes arri vés à la conclusion provisoi re que cc genre de massac re ne peut êt re o rgan isé e t exécuté que par de s commandos spéci aux , des (, escadrons de la mort ». Ce qui n'empêche pas que les « terros» que nous connaissons aient pu être, pour les besoi ns du moment, intégrés dans ces unités spéciales. En fait, ils sont peut-être manipu lés par ces mêmes tueurs depuis longtemps. 2 10
lendemains ,flwrreur
Comme on l'a souvent vu ailleurs, ces escadron s de la mort di sparai ssent ensuite, abandonnant les gars paumés dans la nature. Cela expl iquerait que [es assaillants aient décapité leurs acolytes tués pour évi ter qu ' ils soien t identifiés . El les habitants, ayant reconnu certains tueurs, peuvent croire que tout le groupe était composé d ' islamistes. Ceux-ci peuvent même être exhibés à [a télév ision et avouer leurs crimes. Les personnes abandonnées dans le quartier ou les vergers con fortent cette version. Fouad et d 'autres patriotes sont d ' ailleurs wmbés dans les vergers sur des gars qui avaient complèteme nt perdu la boussole. Mais [es gens ne sont pas dupes et la plupart d ' entre eux sont convaincus que ce sont bie n des professionne ls qui étaient à l' œuvre dans cene nuit de malheur, Nous avons par la suite trouvé tout un arsena l traînant dans les rues et les mai so ns: bo mbe s, diffé rentes grenades, la plupart de fab ri cati on arti sa nale. Les bombes pour faire des brèches dans les murs ont été transportées en chariol. Les assai ll ants allaient les chercher je ne sai s où. Je suppose qu ' ils les avaient apportées dan s les cam ions stationnés au bord des vergers. Il s o nt certainement fait exploser près d'une centaine de bombes et il faut les transporter! 11 s'agissait tout de même de bombes de 32 kg, C'étaien t des bouteilles de gaz butane rempl ies de TNT ct mun ies d ' un détonateur avec des fil s électriques ct une minu terie. Chez Aïtar, il s en o nt mis au moins huit. À un ce Tlain moment, j'ai cru que la mai so n allait s' écrouler. Les assai llant s avaient e n o utre p lusie urs fo rmes de grenades arti sanales, toutes n'étan t pas destinées à tuer mai s plutôt à faire du bruit, dégager de la fumée et terrifier, et tout de même blesser parce qu'elles étaient composées de morceaux de fer, de verre et de gravats. Il s av aien t de nombreu ses Kalachnikovs (fusil s-m itrai lleurs), des Sem inovs (fusil s semiautomatiques pour des ti rs de précision), des fusils à un coup ct à deux coups. Et e n dernier lieu, il s utili sa ient toute une panopl ie d ' armes blanches: épées, haches, divers couteaux, machettes (nous en avons retrouvé plusieu rs qui ava ie nt été abandonnées, comme s'il s'agissait de prouver que les assaillants n'utilisaient que ces armes (, fru stes» et pas d'armes à fe u). 21 1
ItlJr!l'IIwÎlrx tI 'horrt'lIr
Tou t a été e mpl oyé, des heures durant, mai s ce sont su rtou t les instrume nts pour égorger qu i o nt terrifié les gens. On les entendait très souvent hurler et suppl ier leu rs bourreaux de les Luer par balles. Même après avoi r son né la fin de la tuerie, les assass in s on t con tinué. Le s cam io ns ont k laxo nné e ntre 4 heu res et 4 h 30 et les assaill ants sc sont retirés en massacrant ! Les gens raconten t qu 'i ls sont pani s dans la direction de laquel le ils étaient venus, c'est-à-dire vers Caïd-Gacem.
Les forces de sécurité observent le spectacle sans intervenir Dans les jours qui suivent le massac re, j'ai l'occasion de parler avec El-Hadj (le gendre de Menaoui), ce lu i qui, dès les prem ières bombes, avait fu i avec sa voiture. Il me raconte qu ' il a dû passer par trois barrages, l' un li l'entrée de Haï eI-Djilali. le deuxième de la police, à la hauteur de l'école sur le boulevard, le troi s iè me , militaire, deva nt le poste de la garde communa le à l'ent rée de Betllalha sur la route de Sidi -Moussa. À deux repri ses, on lui 11 demandé de rebrousser chemi n. Il faut dire que, à ce moment déjà, les gens affluaient des alentours, se demandant cc qui se passait ct voul ant intervenir. On les a empêchés d ' avancer ct il s ont dû patienter pendant des heures deva nt les barrages . Certain s rescapés on t néa nmoi ns pu s'échapper par le grand bou levard, mai s nombreux sont ceux qui ont été re fou lés dans la direction d' où il s fuyaient. Les militaires sc sont avancés avec des blindés sur le grand boulevard vers minu it , c'est-à-dire au moment où le massacre « battait son plein » . De ma terrassc, nous pouv ions en apercevoir deux n1
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prétendu que des mines ava ie nt été placées pa r les gro upes armés pour bloquer l'accès au quartier. C'est une contre vé rité pure et simple. j' y reviendrai. Lorsque celle version ne tint plus le cap, on nous raconta que la vo iture qui avait explosé le soir du massacre aux environs de minuit ou minu it et demi , devan t la maison de Sidali , avait été attaquée par un groupe armé qui se serai t posté à ce ni veau en tirant avec des fu sil s-mitrai ll eurs su r les militai res. Il s o nt même di t q u' un policier avait été tué par un tueur d ' élite islamiste . J' ai pu parler avec un infirm ier à l' hôpital Z' mirl i, qui m' a dit que le po licier avait en réali té été tué à bout portan! . Personne d ' autre n 'a été touché sur le boulevard, pou rtant bondé de monde. Les gens racontent qu ' un policier a vou lu no us porter secou rs: il est fort probable qu'i l s'agisse du même homme, qui a été liquidé par les milit aires pou r l' empêche r d' interven ir. Supposons même qu' à cct endroit un pet it groupe armé ait été posté: les forces de l' ordre ne pouvaient-elles pas s' introduire dan s nos qua rt iers par d'au tres accès à l'oue st ou au nord '! J'avais bien aperçu peu après les premières explosions quelques mil itaires. ressemblant à ceux stationnés il CaïdGacem, au centre de Haï e l-Djilali sur le carrefour. Que sont-il s devenu s? L'armée dispose bien de parachu ti stes: nous le s avions vu s en acti on en 1994 lorsque tOut le quartier avait été bouclé pour déloger deux terrori stes. Pourquoi ne son t- ils pas intervenus celle nuit-là ? Les militaires ne son! entrés dans Haï el-Djilali qu ' après le départ de s assaill ants et bien après les ci vi ls. Quand j'éta is caché avee Messaoud dans le jardin e t que j ' ai vu les en fants dans la rue, il était env iron 4 h 30. Les mi li tai res ne sc sont déployés dans le quartier que vers 6 heures. al ors que les assaillants Ont di sparu entre 5 heures et 5 h 30. Et ils ne sont pas entrés dans les mai sons pour voir s' il y avait des cadavres et des blessés . Ce sont les voisins et les rescapés q ui s' en sont chargés. Les assail lants sont donc repartis par où il s étaient ve nus, c'est-il-dire par la piste tracée au bul ldozc:r mena nt vers CaïdGaeem. À ceue époque- là , des mill iers de so ldats é tai e nt stationnés à quelques kil omètres, cen ains même il moins d ' un 2 13
II" IIICIHU(' ft'
kil o mètre, ct deux cents hommes armés seraient parvenus li passer sans se faire repérer et intercepter? Plus ieurs ca mions avaient été stationnés au bord des vergers. Boudjemaa et son voisin Boubeker, qu i habitent de ce côté- là, les ont bien vus, Ils di sent que c'étaient des camions militaires, dans lesquel s était chargé ce que les tueu rs pill aient: il s ordonnai ent aux en fant s du quartier de transporter les objets volés vers les camions. Le lendemain, on a découvert de nombreux cadavres d 'enfants de dix à douze ans à cct endroit, dont celu i du !ils d' Arezk i, Comme je J'a i d it, ces cami o ns on t so nné le mome nt d u départ en klaxonnant et ils sont reparti s par où ils étaient vc nu .~, ilvec se ul eme nt quelques hommes pour surveil ler Je buti n (la majorité des assa ill an ts est repartie à pied par les vergers e n direction de Caïd-Gacem, et nous apprend rons - j'y reviendrai - que plusieu rs dizaines d'entre eux sont cn fait restés là). En qui ttant notn:: loti ssement, ils ne pouvaient que passer par la grande route de Sidi -M oussa, et lon ger Caïd-Gacem où étaie nt station nés des milliers de soldats! Pourquoi n'ont-i ls pas été arrêtés? Po urquoi n',,-I-OI1 pas bouclé toutes les issues de Haï e l-Djilali, dans la nuit du massacre? On nous a di t que les groupes terroristes éla ient terrés dans les vergers depu is des années, Mai s pour qui nous prennent- il s '! Ces vergers, qui s'étirent sur une étendue de six ki 10mètres ve rs le sud et de deux kilomètres vers l'ouest, sont non seulement dans une plaine, mais entourés d' habitations et de casernes militai res, Il y avait donc 4 000 soldats disposant de blindés, station nés dans la région, nOtamment à C lïd-Gacclll , à la caserne de Saba Ali qui se trouve à mo ins de dix kilomètres, le grand détachement de Baraki. sans parler des mili taires à l'entrée de Bentalha et ceux de l' ENEMA, Les groupes auraien t pu etre dé logés des orangeraies très fa cileme nt: il suffisait de tou t boucler ct de resserrer l'ét;lU, Mais il n' y a eu aucune volonté de combattre les groupes. Pour moi, c'est tout li fai t clair. La question est de savoir pourquoi. Tou le la nuit durant. je l'ai dit , un héli coptère <1 survolé le lieu du drame, Une di zai ne de jo urs plus tard, avec d'au tres survivilllls,j'a i interrogé i. cc sujet un groupe de militaires à la caserne de Baraki. Il s no us o nt confirmé qu'i l s' agissilÎl bien d 'u n hé li co ptè re de l'armée, venu de la base aérienne d e 214
Il"lIdl"lIWÙIS tl' l/Orreur
Soufarik, dis tan te d'une quinza ine de kil omè tres, e t que sa mi ssio n était de survei ller les mou ve ments des assa illants. Mais alors, s'i l transmellait des informations à ce sujet, pourq uo i n'ont-elles pas servi à une riposte de l'armée? En fait , nous avons eu l'i mpress ion que les mil itaires de Barak i n' en savaient pas plus que nous sur ce point. Et nous ne parviendrons pas à apprendre qu i a donné l'ordre à cet hélicoptère de décoller et dans quel bu t, ni à corroborer, comme l'ont affi rmé certains témoi ns, qu 'il a servi à débarquer sur place une partie des assaill ants. Le surle nde main du massac re , j'ai vo ulu vé ri fier d'où prove nait celle lumière crue qui no us avait éblouis au cours de la nuit. Sur un terrain vague situé au nord de la cité des préfabriq ués, à environ deux cents mètres de chez moi,j'ai vu deux « cigog nes» dc la poli ce - des projecteurs monté s sur des grues. Chac une co mportai t six o u huit proj ec teurs, faisant c hac un 500 o u 1 000 watt s. Le com m issaire d e Barnki m 'apprendra quc ce sont ce ll es qui ont fonctio nné la nuit du ma ssac re : il m'expliquera q ue les po li ciers les avai e nt installées dans la nuit derrière la maison d' Abderrahmane (n° 20), su r le terrain vague situé au sud du boulevard, pour éclai rer le quartier, dans le but de pouvoir intervenir, mais que les mili taires les en avaien t d iss uadés parce que le terrain serait miné ,
«
Va où les pieds le porleronl el venge-loi! ,.
Le soir du massacre, nous ne savions pas où étaien t les patriotes. Nous é ti o ns éto n nés de ne pas les vo ir ou les entendre. Généralement. nous le s entendion s au moment de leurs rondes irrégulières, même si nous ne les voyions pas. Ce n'est que plu s tard q ue nous saurons Oll ils ont passé la nuit. Dj eha et Boudjemaa se so nt posé la ques tion, parce qu 'ils étaient les seul s à avoir riposté avec des armes, On apprendra que la plupart d'entre eux avaient été invi tés par M' rizek, le capitaine de l'armée, à Fort-de- I' Eau, un lieu de divertissement à l'extérieu r d ' Alger, Ils sont allés faire la fête dans un coin où, 215
Itllc/ellUÛf! j'
même durant ces années de sang, les bars et les boîtes de nuit n'ont pas fcrmé. Les gardes communau x n'ont pas bronché non plus celle nuit-l à. Il faut dire qu ' il s sont sous le commandeme nt des autres forces armées. Il y a pourtant de ux gardes, do nt l'un habi tait dans la cité 200 loge ments et l'autre avait de la famille à Haï el -Djilali, qui so nt venu s au moment du drame . Il s avaient bien reçu l'ordre de 11\': pas bouger, mai s il s n' ollt pas supporté de rester passifs. Il s ont désobéi ct sont ve nus avec leur Kalachniko v. Au ni veau du barrage, il s o nt été bloqués par les pol iciers ct les militaires et il s o nt attendu comme les autres Ù l'entrée de Haï cI-Dji lal i. Je l' a i d it, il y avai t plus ieurs barrages sur le boulevard et un déploiement énorme de forces de sécurité. J'ai appris le le ndemai n qu 'i ls étaient ven us de p
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cl'horuur
massacre, on leur a demandé de passer à la caserne. Bouzid a reçu un fu si l à pompe, ct Hammoud, son frère, aussi. Les militaires n'ont pas déli vré de permis de port d' arme à Fouad, mais il s lui Olll remi s un fu sil à pompe illors quïl aurait dû recevoir une Kalachn ikov . C'est le capitain e qui les a armés. Il s me disent : I l Les militaires cherchent après toi , ton arme est prête. Si tu n'cs pas capab le, tu la donnes à quelqu ' un d' autre. » Pas questio n de lai sser l'arme, je ve ux protéger mes enfants. Je ne me présente pas le jour même à la cuserne, parce que je veux tOUI d ' abord aller à Bentalha. Les deux n'ont pas le courage d 'y aller. Fouad habite momentanéme nt il Diar e l-Baraka. Le lendemain, je me prése ntc à la caserne. J' ai l'impress ion que lout le monde est gêné. Moi, j ' ai la rage mai s jc sui s incapab le de l' expr imer: s' il s no us ava ient armés auparavanl comme prévu , no us auri ons pu sau ver des gens. Sans parler du fai t qu ' ils ont assisté à ce carnu ge sans broncher. Co mmen t pouvaie nt-ils supporter un te l spectacle sans intervenir? Je n'a i pas pu leur poser la question. Le comm andam M' barek ne me regarde pas dans les yeux, le capitaine ct le lieutenant non plus. Et no us ne parlons pas du massacre. C'est un tabou . Le COlllmandant ne parle q ue de vengea nce . Il a quelques mots pour me dire qu 'i l comprend ma douleur, qu'i l esl désolé et q u'i l ne faut pas e n rester là. Il ajoute: « Si tu as besoin de quelque chose, n' hésite pas à venir me voir à n' importe quelle he ure. » J 'en pro fite pour demander plus de munitio ns. On me donne mon fu sil, mon permi s de port d ' arme et je co nstate avec consternatio n la date qu'il porte : 23 .w:plembre /997, le jour même du massacre! Je suis incapable d ' exprimer ma stupeur lanl je suis dégoûté. Il s me donnent des munitions, sans les compter, et le capitaine de la case rne me dit de faire allention, parce qu' il a pris sur lui de nous confier ces armes. Le lieutenanl de la Sécurité militaire - celu i qui une semaine auparavant m' avait dit: 1< Ne rev iens plus» - me raccompagne en voilure jusqu 'a la maison. Que lques jours plus tard, les mili taires me donneront au ssi une tenue de combal, d ' un anci en modè le de couleur verte (après le massacre de Raïs, tou s les c ivi Is armés avaient reçu l'ordre de mettre une tenue de combat les distinguant des mili taires; mai s l' habillement était hétérocli te : certains sc sont procuré des tenues de commando, vo ire 2 17
Il'mll'lIwins d'horreur
d'aviateur, et la majorité des membres des G LD ne portaient qu'u ne veste ct un jeans, sans même porter le brassard orange ce nsé tes identifier), Celte arme tant alle ndue, ce n'est pas n'i mporte quoi: c'est une arme de guerre, un fus il il pompe, ca libre 12 mm , venu tout droi t de Ru ss ie et qui me permet de tuer. Mai s j e ne peux pas m'en réjou ir. Je suis obnubil é par l'idée que si nous av ions eu nos armes cette nuit·lil, nous auriom; pu nous défendre. J'ai la rage. Et ils ont le cynisme de dater te cert ificat de port d'arme du jour même du massacre! Maimenant q ue je suis co mpl è temc nt cassé, ma lade , me urtri. j'ai ce lle arme entre le s mai ns, Je suis deve nu fo u, mai s on me remet une ann e qu i peut me se rv ir il assouvi r un dés ir de vengeance et liqu ider qui je veux, comme bon me semb le. La scène des enfants terrorisés et abandon nés dans la rue après le massacre intensifie ma rage de tuer. C'est précisé· ment à cc momen t-là que les mil itai res me donnent une arme et me di se nt: « Va maintenant, va chasser le Iw/lmif, le sanglier. Va où tes pieds te porteront ct venge-toi ! » Tou t en n:ssentant cet te haine e t cc hcsoin de vengeance, je sui s consc ient que ce qui monte en moi, cet instinct de meurtre, de carnage, est destrucleuret ma lsain. et cela me révolte encore plus. Pendant des se ma ines. dcs mois, j'a urai de trè s fo rtes fi èvn:s, dépassant les 40 degrés. Je Sili .~ que je fais mal il ma fami lle et que je fais peur il mes en fants. Je veux les protéger et pourtantj'cn suis incapable . Je leur fais très peur. Je sui s malade, le pied dans le plâtre ct la rage aux tripes. Depui s celte nuit fatidique , nous Tl' avons plus dormi chez nou s. Nous sommes gé néralement il Baraki. chez ma mère. Pendant des nuits e ntières où le froid me paraît plu s froi d que jamai s. j·attend s. J' allends l'in stant de basculer dan s 1,1 barbarie. Les nuits où rien ne se passe, j e sens ma rage monter, je tire quelques balles en l'ai r sans me soucier n; des habitants qui dorment, ni des membres de ma famil le, qui se réveill ent en su rsaut. Je cours, avec peine bien sûr, mais je cours, dès que j'entends un peli t cri o u un son bizarre. Po ur me protéger d u fro id, j ' enfile deux pull s, Ull cal eço n e t la te nue de combat, mais j'ai touj ou rs froid , j'ai froid au plus profo nd de moi. ce 218
froid que j'ai connu le so ir d u massacre ct qu i ne me quittera plus pendant longtemps. Je descends, avec mon arme, avec ma hai ne . Je s ui s consc ient que c'est du suicide, mais je m'en fiche, ma vic n'a plus aucun sens. Je reste seul dans la rue. seul dans la nuit. Dès que le jour se lève, je remonte à la maison pour me reposer et, là aussi, je reste seul da ns mon lit avec ma fiè vre. Je ne parle plus à personne, même pas il mes enfants: il s m·indi sposent. Je revois le tem ps où je j ouai s avec eux , aimant raconter des blagues. me pro mener, chanter et leur apprendre à chanter, à dessi ne r. Tout ce la es t bien loin. MaÎntenanttout m 'agace ct moi-même en prem ier. La fiè vre persiste ct ma maladi e s'aggrave. je passe péri odiqu e ment troi s, voi re q uatre jours asso mmé e l g rel o ttant , n'aya nt plu s la force de me lever. Les orbites de mes yeux sc creusen t de plus e n plus, mes joues d isparai ssent en laissant apparaître de grandes et longues rides sur mon visage ravagé. Dès q ue j e retrouve Ull peu d'éne rg ie, je sors de la maison . Pendant lajo urnée, quand je ne prends pas mon fu sil,je prends avec moi. dans ma poche. un lo ng couteau que je serre très fo rt dans ma main gauche,j usqu'à ce que le sang coule . Je ne retourne plu s à Haï el-Dj ilali pour y habiter. Mai s j' y vais rég uli èreme nt, parfois même quotidien nement , afin de compre ndre ce qui s'cs t passé cette nuit -là c l surtou t pour accompagner mes amis qu i ont été armés. C'est ma seul e occupa ti o n lorsq ue je ne suis pas pris par mes dém arc hes pou r qu itte r le pays ou Illes déli res. Ma jambe me fait toujours souffrir et j'en aurai pour près de deux moi s avant de pouvoir marcher normalemenl . Ce qui m'aide en (;Cs moments difficil es, c'est le besoin que je co nstat e da ns l' o pinion in te rnationa le de voulo ir comprendre ce qui s'est passé à Bentalha . Ma sœur, résidente en France, me té lé phone po ur me demander si je sui s e n mesure d'apporter mon témoignage à Amnesly International el à un jo urnal iste q ui trav ai ll e pour Ca na l Plu s . L ' idée de l'enquê te inte rna tionale pourrai t m'aider à co mpre ndre certaines choses et je n'hési le pas une seconde à accepter de donner un témoignage. Ma sœur me met en contact avec le journaliste, qui se mble surtou t intéressé par la présence de 2 19
ItmdellUlin.f J 'horreur
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l'armée et l'implantation des casernes au tour de Bental ha. Apparemment. la quest ion de la non -intervention des mili taires pose un gn llld prob lème sur le plan intanatio nal. C'est en discullln t avec di vers journali stes ct représentan ts d ' organi sat ions non gouve rneme nta les que je me rends com pte du manq ue de connaissances sur ce q ui s'est passé cn Algérie ces dix dernières années. Cc constat m ' a beaucoup motivé pour chercher à co mpre ndre moi- mê me des événemen ts dont j'ai été à ma façon un aCleu r, Dans ces moments- Ià,féta is encore in ca pable de prendre le recul nécessaire. mai s j e prenai s conscience de l'i mportance de cet te réflex ion.
.'anique généralisée Je l'ai dit, bien avant le massacre de Bental ha. une p'lIliquc gé nérali sée s'était déjil install ée dans de nombreu ses régions. Des grouJXs armés faisaie nt leu r apparition, soudainement , el massacraient loul sur leur passage . Aucun endroi t ne se mblait sû r et la popul:uion tenlait de se défendre avec les moyens du bord . Les mai sons éta ie ni renforcées, des projecteurs et des sirènes install és et toutes sortes d ' armes étaient achetées : de préfé rence des ha ches mai s au ssi de s lo ngs co uteaux . des fourc hes ct des pel les, etc . Et pui s, les hommes fai saie nt tout pour obtenir des arilles des autori tés, Après le massacre de la nu it du 22 septe mbre. la pa nique prend une nouvelle ampleur. parce que nou s nous trouvons aux porte s d ' Alger. où d ' autres incursions de bandes armées se multiplient : EI-Harrac h, Kou ba , Bo uzareah. EI -Bia r même . Les gen s ne sa ve nt plu s quoi faire , sc regroupe nt dans les ma isons la nuit , monte nt des ga rdes , et pe nd an t p lus ieurs semai nes lo ute la vic soc iale est JXrturhée. Je vois les gens autour de mo i plonger dans l'angoi sse. Dans les Ci lés, tou s les je unes sont sur leur terrasse, mun is de leur arsenal de combat, surve illant le mo indre mou vement. car des groupes s' auaquelll régul ièrement aux patrioles des GLD, par surprise ou cn plaçant des bombe s, Il faut faire .me nti on. surveill er les perso nnes suspectes et même les militai res qui fOnl quelq ues rondes o u accouren t maintena nt dès qu ' une 220
alerte e st lancée. Les gen s n'ont plus co nfiance en eux, ils veulent se défe ndre eux-mêmes. La dern ière foi s qu ' il s so nt intervenus pour dé loger des personnes habitant au rez-de-chaussée d'u n immeuble dans la cité 2 004 logeme nts, les jeunes postés to ut près o nt don né l' alene el la cité s'est réve illée dans un grand fracas de cris el de hurlements. chassant les militaires à coups de briques. Il a fall u l' interve nti on de quelqu es patriotes co nnai ssant les é léments de l' armée du co in pour ca lmer l' atmosphè re et permettre la capture du groupe terrori ste. Celui-c i avait installé dans une cave un laboratoi re servant à la fabric ation de bombes arti san ales. Pe rso nn e ne so upçonna it ce s perso nnes qui vivaient en famille avec leurs enfants. Mais les bo mbes continue nt d 'éc later et les fam illes qui habitent les coi ns isolés gagnen t les agglomérations, cherchant rcfu ge dans les commi ssilriats I:t la mairi e o u passant la nuit dans lu rue . C'est la ruée dans tous les quart iers de la capitale et de ses alentours. Les ge ns occ upent rapideme nt les places publ iq ues, provoquan t l' embarras des autorités et des forces de l' ordre ,
muni/111/mimu n mtmSollges
mai s je me fai s des reproches parce que favais incité les habitant s de Haï cl-Dji lali à revenir chez eux après leur fuile e n 1996, les in vilant à reprendre goût à la vic. à conti nuer leurs constructions ct à défier les interdits. Beaucoup d' habitants du quartier sc sont réfugiés ai lleurs el vie nnent de temps à aUlre pour prendre des nouve ll es des
10 Manipulation s et mensonges
Un groupe de légitime défense pitoyable Nous voici donc armés. En fait . de s douze pe rso nnes de notre groupe qui devaient recevoir des armes, seulement cinq en ont obten u. Est-cc la press io n des ancien s patriOles qui a empêché la constitution du groupe tcl que nous en avions fai t la demande? Es t-cc le commandemen t mi li taire qui s'est ravi sé, nou s co ns id érant co mme insuffi sa mment s ûrs? Jusqu'à cc jour. je n' ai pas bien compris la mison de ce désengagement. d 'a utant plu s que d ' autres hommes du quartie r seron t armés. Je dois avouer que je ne sui s d 'a illeurs plus très chaud, mai s je me sens embarqué dans celle hi stoi re de formation de groupe d 'a utodéfense ct je ne peux plus faire marche arri ère. Je me sens responsable de ces j eunes qui o nt la haine au cœur et qui mai nte nan t d ispose nt d'u ne arme . Il faut les conten ir. En réal ité, dans l' étal dans leque l je me trouve. je n'en sui s pas capable: je ne su is pas beaucoup plu s ra ison nable qu'eux ~ Mai s je c ulpabili se parce qu e je les ai embarq ués dan s celle galère. Parfois, je me dis que tout ce malheur s'est aballu sur nous parce que nous avons de mandé des armeS. C'est bête ,
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voisins CI véri fier s' il s n'onl pas été cambriolés . Néanmoi ns. certaines fami lles sont restées el se sentent en danger. Car les massacres conti nuent dans les e nvirons d'A lger el ailleurs, j' y reviendrai . Les habitants de Bcntalha sont donc sur le quivive, ct ils cssaien llant bien que mal de sc dé fendre . Notre petil g ro upe eS I dan s un é lal assez piteux. vu notre condi ti on phy sique et surtout psychique. Les plus jeunes sont complèteme nt paumés, s' adonnent à la drogue, bo iven t, et même les pl us pratiquants ont perdu toute raison de vivre . Devant un tel état de désolation,j'en oubl ie mon propre délabre ment et ma dépression. Il nous faut comprendre cc qui s'est passé et nous prendre cn charge. Il faut savoir où sont passées les trente femme s enlevées. Il faut reconstruire Bentalha. Dès le lendemain du massacre. lorsque no us fai si on s le décompte des morts, j'ai pensé qu' il fallai t ériger une stèle à la mémoire de ces victimes innocentes. C'est un projet que je n'abandonne pas ct, un jour, je le réal iserai. Nou s ne vou lon s to ujours pas êt re mê lés aux anciens patriotes ct nous installons notre QG dans la maison des Hafsi (n° 26). Ces derniers ont qu itté le quartier avec quelque s meubles et effets une se maine après le massacre. Ils en avaient réc happé en se cachant sur la dalle de la buanderie avec la fam ille voisine, les Benya tlo u : les assaillants avaien t placé une bombe dans la maison. Mai s les militaires ne voulaient pas que les gens déménagent de Bentalha ct, à la sortie du village, il s notai ent les noms des familles qui partaient . les nu méros d ' immatriculation des camions de déménagement etleurdestÎnation. Ils posaient un tas de questions indiscrètes et les menaça ient : « Attent ion, si vous déménagez, vous ne revenez plus. » J'étais dans le cam ion lorsque Hafsi a déménagé le reste de ses meubles. Je trouvais ces questions des mil itaires révol tantes: c'étai t comme s'ils voulai e nt avoir nos nouvelles adresses parce qu ' i ls ne nous avaient pas eus du premier coup ! 223
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Donc, après le départ des Hafs i, leur mai son nous sert de base. Nous nous retrouvons tous les jours à cet endroit et nous montons la garde. Avec les autres groupes du quartier, nous nous sommes réparti les endroi ts et Ics horaires de garde et les iti néraires des rondes. Dans l'état dans leque l je me trouve,je ne peux all er quot idi ennemen t à Bentalha, sans parler des rondes que je ne peux effectuer avec ma jambe dans le plâtre. Mais ma prése ncc, com me celle des autres d'aille urs, est importante pour le mora l el il nous arrive de passer la nu il ensemble dans la maison, ce qui ren force nos liens. Il y a beaucoup à faire dans le q uarti er. Nous essayons de déblayer tout ce qui rappel le le massane en balayant les rues ct en nettoya nt le sang sur les murs; malgré ce la, les voitures, les mai sons calc inées et les trous dans les murs demeu reront plu s de cinq mo is. Ce sont les habitants eux -mêmes qui onl enlrepri s de retaper leur maison sans attendre l' aide officie lle. Mai s il y a auss i beaucoup à faire sur le plan humain: il faut prl!venir les règlements de comptes, les actes de vengeance et de pillage. L'année a installé des patriotes de Caïd-Gacem chez nou s, sans leu rs familles qui so nt logées cha des parents . Ils sont regroupés dans la maison d ' un voisi n, EI -Kechbou r (n° 81), qui avait été condam né à une peine de prison après avoir été arrêté par les patri otes en fé vrier 1996. Sa femme et une de ses fil les on t été blessées la nuit du massac re. Certains patriotes de CaïdGacem, dont les demeu res ont été dét ruites, vo udra ie nt in stalle r leur progéniture dans les mai so ns abandonnées de Bentalha, ce que nous voulons év iter à lout prix . Les militaires les soutiennent parce qu'i ls veulent que le quartier soit habité, mais no us savons qu ' une honne parti e des anciens voisins va revenir une fois le choc surmonté. Notre occupat ion pri ncipale dans les semaines qui sui vent le massacre, c'est donc de rassembler toutes les informations qui nous permettront de comprendre ce qui s'est passé. II y a tanl de choses à élucider. Com me, dans la préc ipitation du premier jour, les cadavres o nt été enterrés dans le désordre, nous ne savons pas, parmi les femmes disparues, qui a été enlevée et qui a été tuée. Sou hila, la tille de Nassia, a été aperçue morte la nuit même par de nombreuses personnes, mais el le n'a pas été 224
IIullii/lU/m;ons el J/lellJOuges
trouvée le lendemai n ct son décès n'a pas été constaté. Nous supposons qu 'elle est da ns une tombe commu ne . La fa mille a eu un mal fou àobtenir un acte de décès . Nous savo ns de même qu'environ une trentaine de fe mme!; ont été kidnappées par le!; assai llant s ct qu elques-uns d 'e ntre no us se me tte nt à le ur recherche, notamment Fouad, dont deux sœurs ont di sparu. Après avoir obligé certains anciens patriotes à les accompagner dans les vergers, ils tombent sur des casemates et un pu its contenant un charn ier. Mais il s'agit de cadavres plu s anciens. Les autorités en sonl informées, mais nou s ne saurons pas si une enquête est di lige ntée. Les casemates qu'i ls ont découvertes sont encore fonctionnelles et ils sont même tombés sur des gars paumés, membres de groupes armés. Cela montre bien que si l'a rmée a va it voulu e n finir avec ce!; « terros », elle aurait facilement pu les déloger. De ux ou trois jours après le massacre, les quelques surv ivants re stés à Bentalha dise nt qu'i ls ont aperçu dans les vergers des si lhouettes prêtes à attaquer une nouvelle foi s le quartier. Il s auraient entendu les cris de chacals. Je ne sa is pas s i c'es t vrai, parce que les gens so nt très nerveux et , à la moi ndre perturbation, ils pensent qu' il s'agi t de terroristes. Comme les autorités ne pren nent pas la situati on en main , les histoi res les plu s fa nta isistes circu lent. On raconte ainsi qu e de ux hommes armés en tenue afghane se seraient présentés à la caserne pour sc rendre aux au torités, et que le com mandant M'barek aurait réprimandé les patriotes parce que ces deux énergumènes avaient pu traverser divers quartiers et passer devant leu r nez san s être inq uiétés. Est-ce vrai ou est-ce une in vention des mil itaires pour faire press ion su r les patri otes'! Il paraît au ssi que deux femme s enlevées dans la nuit auraient pu fuir, complètement nues, jusqu' à la gend armeri e de Barak i. Nous aurions aimé savoir de qui il s'agissai t, mais on nous dira qu 'elles avaient été enlevées dans d'autres circonstances et ailleurs. Nous ne retrouverons pas les femmes de notre quartier et nous n'obtiendrons aucune information à leur sujet. Fouad a tout fa it pour él ucider un certain nombre d 'énigmes en rapport avec le massacre . L' une d'entre e ll es concerne la
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participation supposée de la mère er la fill e Benamrane au massacre, que cenains auraient vues détrousser les victimes. Déjà au moment de l' exp losion de la bombe sur le marché de Baraki en juillet 1997, on disait que c'était Nacera Benamrane qui l'avai t posée. Elle avait été arrêtée et relâchée peu après, au grand étonnement de la population de Barak i. Beaucoup se sont demandé comment e lle avait pu échapper à une condam nation. Je ne peux pas dire si elle a rée lleme nt panic ipé il la tuerie de Ben lalha ou non. Fouad, quant à lui. s'est mi s à sa recherche et l'a découverte chez sa sœu r à Fori-de- i 'Eau. Il s' y est rendu avec un officier de pol ice et el le a été arrêtée . Je ne sais pas ce qu'elle est deven ue. L' armée installe deux postes dans Bentalha au niveau des orangeraies, l'un, trois jours après le massacre, dans la mai son incendiée de la fam il le Ghazal (cel le don t la mère et quatre enfants fure nt massacrés lorsq ue les assa illants étaient sur le point de se retirer), ct l'autr!!, une douzaine de jours pl us lard, au sud de Haï Boudoumi. Ma is surlout, les militai res inondent le quarti er d'armes. Je ne sais pas du tout quels sont les cri tères pour le ur attribut ion, puisque notre groupe n'en au ra pas malgré les promesses . D'a utres hommes, dont nous ignorons qu'ils avaient fait une demande par le passé, se pavanent, arme au poi ng. Alors qu'a valU les patriotes étai enl munis des viei Il es Mat 49 datant de la période coloniale, ils obtiennent maintenant des Kalachn ikovs ou des fusils à pompe. Mais il n'y a pas que cela : les autorités tentent de surveiller e t de faire pression sur les person nes qui ose nt parler du massacre . Les patriotes ont reçu l'ordre d'intimider les habitants pour garantir un compo rte ment « correct ),. Après le massacre, les agents de la Sécurité militaire son t partout. Nous les rencont rons sans arrêt lors des visites de nos vo isins ~I l' hôpital par exempl e. Ces dern iers sont surveillés de près pour évi ter qu'ils parlent. Les me naces so nt à peine voi lées. Par exemple, Messaoud Belaïdi , don t pratiquement toute la rami 1h:: a été massacrée, s'est vu menilcer par un policier le lendemain même au ci metière parC!! qu' i1ava it parlé à un journal ist!! de la chaîne de té lévis ion saoudien ne MBC. Il lui a dit: « Tu la fermes ou j e te tue 1 » Beaucou p d'étnmgers viend ront no us
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rendre visite, notamment des journalistes, qu i ne pourront pas s'in former librement.
Les journalistes sous surveillance Dès le lendemain du massacre, les journa liste s algé riens sont empêchés de se rendre à Be ntaJha. Même au ni vea u de J'hôp ital Z'mirli vers lequel ont été évac ués la plupart des blessés, ils sont chassés. Mais nous avons l'impress ion qu' il s ne son t pas intéressés par les rescapés. S'ils le vou laient vraiment, il s pourraie nt nous parler. Les journali stes étrangers le feront bien, eux. Dan s les journaux algériens, on ne peut li re que la vers ion autorisée, sa ns mention du moindre doute quan t à J'identité réelle des assaillants et des com manditai res, Il s reprennent la thèse officielle qui nous met en cause et qui fa it état de hordes is lamistes se retournant contre nous parce que nous aurions fait face au terrorisme. Il s écri vent qu ' il s'agi t d'« actes désespérés des is lamistes qui ont été vai ncus mi litairement» ou bien qu' il s' agi t de ces « révoltés contre Dieu), issus des GIA « qui se sont acharnés depuis 1992 sur les populations, particulièrement dans la Mitidja et à Médéa, qui leur étaient acquises un moment l . . ,J et q ui en veulent maintenant à Dieu qui les aurai t - se lon eux - abandonnés » . Il s sou tiennent que les groupes armés veulent instau rer la République islamique en massacrant des milliers d'Algériens. Mais pas un mot au sujet des militaires stationnés tout près qui ont observé pendant des heures la boucherie sans in tervenir; pas un question nement sur ces assai li ants qui apparaissent souda inement et disparaissent dans cette rég ion occupée par les mil itai res. Avec leurs articles di ffamatoires et incendiaires, les journali stes algéri ens o nt sali la mémoire des victimes. Ils nous ont tués une seconde fois. Il s n'on t pas essayé de nous parler et quand ils le feront, bien plus tard , ce sera pour chercher à contredire les in formations publiées par les médias étrangers, Rapidement, en effet. des dizaines de journali stes de tous les coins du monde arri ven t à Bentalha ct essaient de comprendre. Il s sont accompagnés de gendarmes qui ne les quittent pas
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d' une semelle. Tout de suite après le massacre, il s vien nent en 4x4 et sont guidés uniquement vers Haï Boudoum i. Plus tard, il s viendront dan s des bus, tant ils seront nombreux. Je me souviens qu'u n j our, alors que nous traînons dans la rue, des journalistes de télévision s' informent dans le péri mètre autorisé. Tout à coup, l'un d'entre eux se trouve devant nous et ba ragou ine quelques mots d' arabe avec des habi tants. Très vite, deux gendarmes le rejoignent et lui disent qu'il est au mauvais endroit, que le massacre s'es t déro ulé li Haï Boudoum i. Il s insistent: il n'a pas le droit d'aller plus loin. Le journaliste semble se confondre en excuses, prétendant que pour lui le li eu du massacre était Bentalha et qu'i l n'en sa it pas plus. Les gendarmes lui demandent s' il a filmé quelque chose. Il cen ifi e que non. Mai s je su is sûr qu"!1 a filmé. À ce moment -là, je Ile veux pas encore parler avec des journal iSles. Mai s peu après, je co mprcndr:li qu'il est important d 'essayer de dire ce que nous avons véc u et je chercherai même des occasions de leu r parler. Pendant près de quatre mois, les journal istes vien nent aussi à Haï d-Djilali, mais ils sont touj ours accompagnés par des forces de sécu rité ct ne pe uvent parle r q u ' à des habitants désignés, souvent des patriotes dont le si lence a été acheté par les service s de séc urité. D' aill eurs, ces derniers feront des ra vage~ dans notre quartier : c'est eux qui, au fil des illOis ct des années, retourneront une il une les personnes prêtes à parler. Cil leur proposant voiture, argent et arme. Mai s il ceUe époque-Iü, un ce rtain nombre de vo isin s ne cherchent encore qu'il crier leur douleur el leur révolte contre les militaires, qu i ont gravement fai ll i à leur devoir de protection. Et nos accusations vont plus loin: nous pensons que les se rvices spéciaux de l'année sont responsab les du massacre! Et nous trouveron s des moyens de fa ire passer le message, dans des moments d'inattention où patri otes et ge ndarmes ne peuvent surveiller to ut le monde, ou bien lo rsq ue ce rtain s gendarmes, non informés de ce qui s'est réellement passé, nous laisse nt pa rl er. Je me souvie ns par exemple d'une visite de journalistes accompagnés de ge ndarmes d' EI -Harrach que je connai ssa is: c ' était la premi ère foi s que je rencontrais des membres des forces de sécurité vraiment touchés et choqués
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lIumil'ulmiollS ellllf'IISollgeI
par ce qui s'était passé, et ils nous lai ssèrent parler. Il existe ainsi des documents filmés où l'on voit certains voisins di rece qu'il s o nt vu c t dé noncer les me nso nge s co lportés dan s la presse algérienne . Fin 1997 et début 1998, les médias étrangers multiplient les mises en cause de l'armée algérienne qui n'est pas intervenue lors des massacres qui se sont dérou lés sous ses yeux , et la demande d 'une commission d'enquête internationale devient plus in sistante. Les serv ices de propagande algériens et leurs rela is médiatique s réagi sse nt al o rs en lançant un certain nombre de co ntrevé rités. Il s prétendent par exemple que le lotisseme nt n' était pas accessible dans la nuit parce qu ' il était e ntouré de mines. Mai s nou s n'avons vu auc une mine. Nous sommes absolument certains qu 'i l n'yen ava it pas dan s le coin, ni dans les vergers, ni du cô té du grand boulevard , où étaient stati onnés les militaires. D'aill eurs, si ce la ava it été vrai, com ment e xpliqu er que certai ns habi tanls aient réussi à s'échapper sans tomber sur des mines? Et pou rquo i les civ il s venus il notre secours au petit matin, al ors que le massacre continuait, n'ont-il s pas été déchi quetés ? Les militaires eux -mêmes sont entrés dans le quartier un peu plus tard san s tomber sur des mines . Les assaillant s auraient-ils pri s soin de les e nlever au moment de leur retraite? C'est tout si mplement absurde . Et il n'y a eu au cune opération de dé minage dans notre quartier. En fait, il s' agit d ' une invention pure et simple des autorités pour essayer de justifier la non-i ntervcnti on des militaires. Ces préte ndues mines ont fai t couler de l'e ncre et au demeurant, pour nous, leur invocation a lOujours eu quelque chose de mystérieux parce qu ' on en parlait à certains moments, quand il fallait d isculper les autorités, ct il d'autres, cet argument n'existait pas. On a aussi souve nt dit que s' il y avait eu autant de victimes, c'est parce qu 'e n fait nous ne voul ions pas nous armer. Pourquoi'! Parce que nous sou te nion s les groupes. C'est scandaleux et insensé! Nous avions tout fuit durant des mois pour obtenir des armes ct si nous n'avons pu les avoir, c'est parce que les militaires ne voulai ent pas que nous, à Haï el- Dji lai i, nous puissions nous défendre . 229
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Pour les habilanls de Bc ntal ha , ces visites de journa listes sont très impo rlanlcs. Nous voyons bien que les j ou rnau x na tionaux, par leur ignoran ce el leu r i ndifférenœ, n'on t que
mépris pour nous et ne veulent pas ente ndre nos réci ts. Par les chaînes de télév ision ct les radi os étrangères. nous constatons qu' ailleurs, en revanche. une fra ction des opi nions publiques ct même certains gouverneme nts sOnt à l'écoule Cl ne sc lai sse nt pas toujours tromper par les ex plications offï cic lles. Cela nous do nne l'espoir qu'enfi n, après toutes ces années de chape de pl omb. une pet ite partie de la vérité puisse perce r. Nou s voulons nous-mêmes comprendre. el que les responsables
soient j ugés. Nous sui vons ;H1en ti veme nt les déclarations de to us Ct.!ux qu i s'ex priment sur l' Al gérie et nous accuei lions avec enthousiasme l'idée d ' une commission d'enquête intermlt ionale q ue demandent plu sie urs gran des orga ni sa ti o ns (pui sque no us n' ;l vions même pas eu une enquête nat ionale). En février 1998, no us es pérons beaucoup de la visite d' un e dé léga tion de l'U ni on européenne; mais celle-c i nous déçoit profondément : ses membres ne so nt ven us q ue pou r con fon er le pouvoir en Algérie!
Les militaires et l'opératioll a libi d ' Ouled-Alla l Fil ce aux que stio nneme nt s to uj o urs plu s in s ista nts de certains cercles algérie ns mai s surtout des organis
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les grands massacres de septembre 1997 , à ses subordon nés de ne pas sort ir des casernes saliS un ordre exprès de l' étatmajor! On ne parle pas beaucoup de cet ordre et surtout on ne se de mande pas po urqu oi il a é té do nné. E n revan che, le s comme ntateurs et anal ystes algé rie ns (et pas seule ment e ux, q uand on pense à Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann) n' hésiteront pas à trouver une ex plication ori ginale à l'inaction de l'armée: ce lle-ci sera it e n fait paralysée par sa lourdeur, ses tec hniques obsolètes, Sol traditio n sov iétique, etc. Il se mble que l' on puisse dire n' importe q uoi, pou rvu que ce la serve à éviter que l' idée d 'u ne commission d 'enq uête internationale fa sse son che min . Et pour mo mrc r que l'armée sait prend re ses respo nsabil ités, le command an t de la Premi ère Région militaire, le général Saïd Bey. est dest itué après le massacre de Bentalha. Mais sur le terrain au ssi, nous remarquons l' affai re me nt des militaires . Tandi s que les habi ta nts des quarti ers touchés se réfug ient il d 'aulres endroits qu' il s espèrent plus sûrs, les autori tés tente nt de les contraindre de rester ou de revenir : ils ne veule nt pas que la vue des quartiers désertés révè le leur incompétence. Il s installent donc ces postes de contrôle à l' intérieur d u lot issement, mesure q ue nous avions ex igée depuis fort lo ngte mps. L ·éc lairage ex térieu r, qu i n ' a vait ja mai s été installé du rant toutes ces années, alors que nous en avio ns fait main tes fois la demande, est mis en place par la mairie ... une semaine "près le massac re! Et les aut ori tés tentent de no us amadouer en no us pro mettant des fi nance me nts pour répare r les maisons. Be ntalha devrait bénéfi cier de deux milliards de cen ti mes (enviro n deu x mill ions de francs fran ça is). Mai s q uatre mois après le carnage, l' argent n'est pas encore versé. S' ajou te nt à cel a les peti tes subve ntions en natu re pou r les pauvres lors du Ramadan o u à d ·autres occasions, préte ndus gestes de générosité qui fri sent le ridicule. Mais le vrai coup médiatiq ue des mil itaires sera porté avec l' o pérat ion d' O u le d- Allal. En viro n une semaine après le massacre, nous appre no ns q ue ce loti sse me nt situé près de Sidi -Moussa, à six ou sept kilomètres de chez nous, déserté de ses hab it:ulI S depu is près d'u n an, cst bo mbardé par l'armée sous prétex te que le groupe armé responsable des massacres 23 1
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s'y trouverait (alors que nous savo ns qu ' une bonne partie de nos assa illant s som res tés près de chez nous) . En réal ité, en 1996, l'armée avait déjà bombardé le quartier pour déloger un gro upe qui s'y terrait. Mni s comme no us l' avons observé à Caïd-Gacem, nu lieu de mener l'offen sive à terme, clic s'était retirée , abandonnant les ~~ terros » il leur sort. Le seul résultat eoncret de ces opérations avait été le déplacement des populations et la destru ction de leurs demeures. En septembre 1997, pour répondre aux critiques imernalionales, les« décideurs)} mil itaires décident donc de médiatiser leur nouvelle offensi ve contre Ouled-Allal. Les journalistes al gériens sont embarqués par d izai ne s po ur su ivre en direct l'anéanti sse men t d'u n prétendu nid de terroristes, déserté depui s un an ! Et les militai res e xhibent des cadavres! Une ce ntaine de terrori stes auraie nt été tués il ce lte occasio n. Trois mo is plus tard, toujours se lo n la ve rsion o ffi c ie lle , nous apprendrons mê me que les sup posés terroristes surv ivan ts auraient tro uvé refuge il l'ouest du pays, olt il s se se rai e nt rendus responsables du massacre de plus d' un millier d ' innocents! Nous nous sommes sérieusement demandé si les mi litaires n' avaient pas, comme cela est souvent arrivé, liquidé des prisonniers poliliques pour présenter leurs co rp.~ comme ce ux de ces dangereux terrori stes. À cett e occas ion, AI-Azraoui, 1° ém ir de notre groupe armé local, aurait d'ai lleurs été tué - sa mort avait déjà été annoncée deux fois auparavant par les informati o ns o ffi cielles! Nous avons vérifié d ans plusieurs morgues, sans succès . Ouled-Al lal servi ra d' ali bi pour montrer à l'opin ion internati ona le que l'année algéri enne est apte il ve nir ü bout de ce terrori sme qui fait encore des ravages, même - el surtout s' il es t ~< rés iduel ». La reve ndi catio n d' une co mmi ss ion d' enquête doit être étou ffée par tous Ics moyens et pou r cda le pouvoi r veut établir sa version des fait s, pour le moi ns contrad icto ire : les tueurs ne peuve nt ~tre que des isl ami stes, mai s l'armée contrôle parfai tement la situation. Dan s l"imméd iat , c he z 1I0US, l' armé e n 'e ntreprend pa s grand -chose sur le terrain. Pourtant certain s patriotes l' in for, me nt de la prése nce de membres de groupes armés dans les verge rs. Fouad, qu i les a vus personnellement. en parl e au
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capitaine M 'rizek, leq uel ne donnera aucune suite; ne compre nant pas la cause du re fus du cap itaine d 'a ller déloger les préte ndu s terroristes, j ' irai e ns uite voi r le com mandant M' barek, qui me promettra de s'en occuper. Il faudra attendre quarantc-cinqjours avant que les vergers ne soient quadrillés et pilonnés au mortier. Et penda nt cc temps, la bo ucherie se po urs uit. Tou s les jours, nous apprenons qu'entre dix et ci nquante personnes sont massacrées dans les wilayas de Blida, Médéa, Alger, Bouira, Tipaza, les départeme nts proches d ' Al ger. L'hécatombe, nous la vivrons à nouveau dans l'oues t du pays, o lt en que lques jours, entre la li n décembre 1997 et début j anvier 1998, près de mille personnes seront assassinées sauvageme nt , et plus prb de nous, ü Si di Hammed, près de Me ftah et Larbaa, où environ quatre cents personnes péri ront.
I<: vasion et ressourcement Je suis décidé à partir, il qu itter l' Algérie. Le massacre et J' abandon total des mil itaires me font désespérer peut-être plus que d ' autres, parce que tout au long de ces années je n' ai cessé de croire en cux. Jusqu'à la fi n, j'ai espéré les voir apparaître pour nous délivrer de cc cauche mar. Mai s la li tanie des vi llages e nde uill és ne cesse pas, 10 U S les j o urs le [ot des morts s'al ourdit , sous les yeux d ' un monde impui ssant fa ce à cette fol ie meurtrière . Po urquoi les gouvernements occ ide nta ux co ntinu e nt-il s à soutenir ce rég ime militaire . responsable di rectement ou indirectement de ces massac res? Je sui s abattu, cassé. À chaque nouveau massacre, je revis cel ui de Be ntalha . Je vois ces pauvres femmes recroquev ill ées ct les enfant s bl oni s contre e ll es, implorant Dieu de les épargner. Je sui s obsédé par ces bru tes qui semblai ent éprouver un réel plaisir à s' acharner sur leurs victimes. J'ai l'i mpression de ne plus pouvoir retrouver mes forces en restant ici. Il est hors de questi on po ur nous de retourner habiter à Benlalh,1. Après cette nuit d'horreur, j e n'e n ai pl us passé au cune dans ma maison. Il rnoa rnême fall u pl us d'une semaine pour y rentrer, parce que j 'étais persuadé qu' elle était piégée. Je n'osa is y aller
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seul et quand, e nfin, nou s y a vons péné tré, nous avons trou vé des traces de sa ng. Les assaillants é taient-il s passés par là ? Je ne sais pas, mais les mots de mes vois ins me prévenant q ue mes e nfa nt s é tai e nt en danger parce q ue le s t ue urs les a vaielH cherchés me pou rsuivent et je me dis qu ' il faut q ue j'a ille loin, très lo in pour leur échapper. NOLIS avons décidé, ma femme e t mo i, de nou s réfu gier cn France . Il no us fa ll a it pre nd re du rec ul par rapport il cc qui s'était passé durant toutes ces an nées, tenter de reprendre goût à la vie e t o ublier cette incessante angoisse de mo rt. Po urtant, cctte peur m'a accompagné, au-de là des ce ntainl!S de kil omètres, au - delà de la mer. En arri vant en France I! ll février 1998, il me fallait to ut d'abord retrou ver un certain équilibre . Les fièvres terrassantcs qui me clouaient au lit n'Olll pas cessé une fois parti d ' Algérie . Il m 'il fallu des mois pour réappre nd re à vi vre peu à peu . Et je ml! suis j uré de cOlllribuer à la compréhension de cc massacre dans lequel ces e nfants, ces femm es c t ces ho mmes assass inés o nt é té victimes de jeux pol iti ques, de luttes po ur le pouvoi r. Un jour, les command itaire s ne po urro nt plus se di ssimul e r, un j o ur, CI!S c riminels sl!romjugés. Un jour, une stè le porlalll ies noms des victimes du massac re de Bc ntalha sera éri gée e n le ur mémoi re.
Postface Crimes contre l' humanité pal' François Cèze et Salima Mellah
À la lecture du té mo ignage de Nesrou lah Vous, o n est com me sais i de ve rtige . Pour to us ceux qui, en Euro pe, ava ie nt é té bo uleversés par les no uvel les des massac res de l' été 1997, il oblige à se remé morer les te rmes de la polé mique re lancée a lo rs autour de la q uestion" Qui tue qu i ? ~>, née des doutes sur l' identi té des véritables coupables. Po ur nombre d'observateurs, cette interrogation étai t « obscène» : comment pouvai t-on poser une q uestio n a uss i man ifestement abs urd e? Comme nt la isser e nte ndre que certa in s clans de l' armée algérien ne .lUra ie nt pu êt re respo nsabl es de ces déc haîneme nts san g uinaires, a lo rs même qu ' il s é tai e nt revendiqués par les groupes terrori stes et q ue les témoignages ne manquaient pas sur l'all ure<< islami ste" des tue urs? Et pourtant, la sincérité ct la précision du récit de Nesrou lah YOllS ne laissent auc une pl.lcc au doute : celle hypothèse monstrue use était fo ndée, nou s all ons y revenir lo nguement. Hypothèse propreme nt monstrueuse, en effet: comme nt imagi ner9ue certains des plus hauts responsables des fo rces armées d' un Etat respecté dans le mo nde entier aie nt pu froid eme nt planifier les assass inats de masse de centaines de leurs concitoyens? Ce la semble tell eme nt incompréhensi bl e - le terme rev ie nt souvent 235
qui lill/t! il /Jl'lIIlIlhll ?
ailll/'I COIllI1' l '/I/mwlri,':
sous la plume de Ncsroulah - qu ' il paraillogique que se soi t si faci le ment imposée la thèse de l'évi de ncc : il n'y a ri en à «co mprendre» dan s cette barbarie. si ce n'est la démence à laq uelle pe ut condu ire le fa nat isme relig icux - e n l'espècl' cel ui d'un is lam dé voyé - , dont l' histoire <1 hélas donné déjà tan t d'cxe mples.
Un té moignage accablant Telle est la thèse ofli cielle du pouvoir algérien depuis le débu t de la « nouvd le guerre (j'A lgérie» en 1992. Une thèSe largement relayée par la presse nati onale, mai s aussi in ternati onale, 10 UI pilrt ic ul ii: re me nl e n France, pays lié à l'Al gérie par une lo ng ue h i .~toi re co mmun e, Ott les pilges sanglantes fur en t nombre uses. On peUl comprendre q ue le poids de celle hi stoire, çonjugué à l' :t veuglernent d 'une bonne partie des élites fran çaises sur la véritable nature du pouvoi r algérie n depuis l'indépe nda nce - no us y reviend rons - , a fait q ue l'opi ni on fran çilise il été propre me nt abasou rdie par le surgisseme nt de l'islam poli tique algérien e n 1989. Une surprise qui explique en pan ie la réce ptivité d es médias frança is aux a nal yses de la guerre produites en Algérie par les généraux eux- mêmes, mai s aussi par une pet ite fract ion de l'intell igents ia dite « démocratique ~), partic ulii:rement écou tée à p..ri s. Onns les autres pays e uropéens ct aux Étals-Unis, les analyses ont souvent été plus nuancées. rend;mt mie ux compte e n tout cas de l'ex trême complex ité de la s ituat ion, même s i le poi nt de vue dominant en France - considé ré com me partic ulièrement autorisé - a souvent prévalu. Il faut adme ttrc que. au-delà même des éventuelles œ illères idéologiques, les informations préc ises e t prouvées permell a nl de se faire une visio n d 'ense m ble des c ircons tances du dr;II11C a lgé ri en reste nt étonnamme nt rares. Une situati on e n cffet su rprenante si l'on songe qu'il s'agit de l' un e des g ue rres c ivil es parmi les plu s long ues CI les plu s sanglantes du dernier demi-s ièc le: plu s de 150 (X)() morts l, des 1. ChlITre a "m~"é pur k fl(I!silknr algé.ien hri . mêmc. M. AlxJcl a~i7. 1:I0ulcllib. de"ml1 des j<)UmatiSles rCunis en priv,; à l'~ris. tOI"» <.le sa ,'lsile <.1' ÉWI en Fran~c en juo A21 Il III
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mil liers de di s paru s, des vio lat ions mass ives des droi ts de l'homme de la part des groupes ar~és isln mistes, des forces de sécurité el des milices armées par l' Etat. Car cela, au moi ns, la communauté internat ionale ne l' ignore plu s, grâce nota mment aux e nquêtes menées sur pl ace par plusieurs organisations non gouverneme ntales de défense des droi ts de l'homme 1. Reste que les témoignages qu 'elles ont pu recu e illir sont re lat ivement peu no mbre ux - et presque toujours très ponctuel s - , tO UI particu liè re men t s ur l' un des
2 . VOIr nOlamn",nt : AM." Lny I NTr :~N ... Tr"N ... I. Ff. t )(MA1 1".'1I~TI k.'IA1HINAl.li IILS r.,.. >Il"!' r~, I:'K .M,\tL. IhIM,'N ~H ;!rl"!' W ...TCH. Rr... >1111 M." s ...... , r MI ""'Tri.ML" , AlxÙir. Ir li,·'t "IU',_ La Découvenc.l'aris. t991. 3 Un remarquabk <.Iocum~nlaire lélév isé tic JeaA- lbp1i sle Rivoire CI Jcan -Paul üilta"lr. fW/lwllm. 'WI"I'.
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.rr;/IIt's ('Olllrt l '1wnwniri
La vé rité es t hélas plu s simpl e ct plu s crue lle: le sil ence
Les grands massaCrL'S d e l'été 1997
s'e xp li que pllr ln te rre ur . Ca r si bc:lUco up de c hose s so nt
connues en Algérie, ces fails ne passent pas le fi ltre de la censure - ou de l' autocensure - des médias (fu ssent-il s réputés « indépendant s »). Les in fo rm ations les plus préc ises c ircul ent en rev,lIlchc largement entre personnes qui se sentent en confiance : le cercle de famill e. les amis ct .. cousins» de la même région d'origine. les collègues de travail dans l' entre prise (Ncsroulah Vou s en don ne un exemple en rapportant la façon dont il a été informé de cc qui s'est passé lors de l' évasion de la prison de
Tuza ul! ~). En dehors de ces cercles, ces in format ions. ces témoignages peuve nt v'lloi r la mort à œ lui yu i les diffuse ou à ses proc hes, surtout s' i Is sont précis et nominat ifs (nombre d 'exilés - notamment des déserteurs des forces de sécurité - refu sent ain si de té moigner publ iquement sur ce qu'ils ont vu ou véc u, par crainte de représaill es ~ ur les membres de leur famill e restée en Algérie) . Alors on se tai t. Une situ ati on qui ex plique aussi le rô!t:: fondam ental de la rumeur d,ms 1.1soc iété algérienne: rumeur souvent fo ndée, mai s aussi fruit de manipulations et d' intox ications, art dans lequel la fa me use « Séc urité mili ta ire » (deve nu e DRS ) est passée maîtresse. C'est précisé ment ce qu i fait la valeur du récit qu e r on vient de lire, Ollies fait s avérés rapportés par son auteur sont cl airement distingués des supposit ions. Pour en comprendre toute la portée, il nous a paru important de confronter d'abord ces informations à d'autres témoignages 5 relatifs aux grands mass:lcres de l'élé 1997, afin de bien comprendre cc qui permet de formu ler l' hypolhèse d ' une impl i. cation di rec te ou indirecte de certai ns secteurs de l' armée.
4. Voir ."'w". p. 6~ . ~.
Do>nl ~~ux du du<: ulI ",n l ~i,..., 1 ~ I':visé PN<' ;l': de J.:~n · lJu pl i.>l e It iv"i...., cl Jc~II · .. ~ul !Jillnu ll CI C"Cu ~ publiés d~ns : Youccf HI :IJJ" o\ll. Abbas AMOU". M ez;~nc AiT · LAM 1'1. A" 1"'Iulr... ;11/11 Il,~ AI)ln;"" MII.H "'·' ..... Houar édi1ion s. Genève. 1m .
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Le massacre de Bentalha s'i nsc rit dans une séquence temporellc partÎCu lière me nt trag ique. Quelques se maines plus IÔI, doms la nuit du 28 août 1997, Raïs, une bourgade siluée à vingt ki lomè tres d ' Alge r, avait éga leme nt co nnu une attaque de grande enverg ure, où les assaillants avaient assassiné plu s de tro is cents person nes. Les 7 et 8 septembre, à Sidi-Youcef, un qu artier de Beni-Messous, vill age situé à la périph érie de la c apit a le, un do ub le massac re a va it fa it q uatre- vingt -d ix victimes. Celui du 22 septembre 1997 à Bentalha ne sem pas le dernier : tout au long du dernier trimestre de l'année 1997 ct du premi er trimestre de 1998, la li ste des vill ages éprouvés ne fera qu e s' allonge r, auss i bi en dans cette zone de l' Algérois o ù se situent Raïs el Bcntalha, appelée le (, triangle de la mort », que da ns les autre s rég ion s. En réalité, les t ueri es co ll ectives, d ' intensité variable, n' ont pas cessé depui s, même si ce lles de l'été 1997 ont frappé l' opinion par leur ampleur. Pourqlw; les mi lita i r eJ ne JO/Il -iIJ pl/l' i lifervenUl' "!
Malgré le verrouillage de I"information, des journ alistes et des mil itants des droils de l' homme o nt pu recueillir nombre de voix de rescapés des trois« massacres de masse» - Raïs, SidiYoucef ( Beni-Messous) et Bentalha - qui se sont s uccédé ell moins d ' un mois. Quand on confronte ces informations, ce qui frappe au pre mier abord , c'est la s urprenante prox imité des quartiers louchés el d ' install ations militaires, dont le réseau est part ic uli ère ment dense dan s cette rég io n (ce qui n' a ri en de s ur prenant q ua nd o n sait qu e le sec teur mi lit aire d ' A lger regroupe près de 100 000 hommes) . Ain si, Raïs se trouve tout près des casernes militaires de Sidi Moussa et de S araki, mais au ss i du pos te de Caïd-Gacem o ù des centaines de sold ats étai ent stati onn és à celle époq ue, sans parler du poste situé à quelques centaines de mètres du lieu du massacre. De plu s, la région connaissait depuis le 16 août une vaste opérati on de ratissage et la présence mi li taire y était renforcée. Il en va de même pour Bel1lalha, où plusieurs unités de soldats étaient stationnées à mo ins d' un kil omètre , parmi lesque ls ce ux qui effectuaient
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qui li filé il Ikmalho
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crimes ("Olli re "!/Ulllimilé
leu rs rondes quotidiennes dans le quartier martyr. Le massacre de Sidi-Youcef, lui, a cu lieu:l quelques centaines de mètres de la plus grande caserne militaire du pays et du s iège national de la Sécurité militaire. Et dans les trois cas ~ ainsi q ue dans beaucoup d 'a utres ~, il ne faut pas oublier également les postes des gardes com munales et les miliciens armés, présents parfoi s par dizaines. Et pourtant, dans lcs trois cas là e ncore, ces forces ne sont pas inte rvenues pour arrêter les massacres, alors que ces derni ers ont duré des heures, sous un déluge de bombes et de bal les et parfoi s sous l'obse rvation d'un hé licoptè re militaire qui survolait les lieux. Plus grave e ncore: des habitants ont te nté de fuir vers les casernes, mais ils ont été refou lés par tes mil itaires. À Raïs, des rescapés raconte nt même qu 'en fuyant sur la rou te en directi on ?es soldats postés près de leu r quartier, ceux -ci Ollt tiré sur eux 1>. A Bentalha, on l'a vu, non seu le ment les militaires sont restés postés toute la nui t à une centaine de mètres du lieu du carnage, sans intervenir; mais ils ont aussi in terdit le passage à des civil s ou des pol iciers ven us à titre pe rsonnel des quartiers e nvironnants pour secouri r les agressés. L' un d' e ux , qui voulait passer outre, aurait mê me été tué par les soldats du barrage, comme le rapporte Nesroulah 7. Un autre témoin préc ise: « Des policiers d des gardes municipa ux de Baraki {.. . ] sont venus offri r de l'aide. L'armée les a bloqu és. Les so ldats disaient q ue pe rso nne n' avai t le droit d'intervenir, parce que te capi taine n'était pas là et que lui seul pouvait donner l'ordre ~,>> Il s'ag it très probablement du capi taine M'rizek, cel ui qu i, la nuit du massacre, est allé se divertir avec les mili ciens à Fort-de- I' Eau. Un a utre rescapé du massac re de Bentalha raconte : « Il y a des villageois qui ont échappé à la boucherie ct qui sont allés voir les militaires. On entendait les coups de feu, on e nte ndait les balles qu i si fflaient. Quelq u' un le ur a demandé: "'Mai s venez nous défendre !" Le soldat lui il répondu : "Je n'ai pas l' ordre de ti rer. J'attends les ordres." Le
gars leur a dit : "Donnez-moi au moins un Kal achnikov, je vais aller défe ndre mo i-même ma famille." Mai s le so ldat lui a répondu: "Tu ne vas pas m'apprendre mon boulot, non ?" 9 » Il s' agit là de l' une des pre miè res ex plications qui ont été avancées pour justifier l'inac tion des militaires postés à proximité: il s n'ont jamais reçu de le urs supérieurs l'ordre d'interveni r, alors même qu 'i ls avaient des instruction s très strictes de ne pas agir sans ordre. De nombreux journali stes 10 ont en effet rappo rté l' ex istence d'un télégramme adressé en août à toutes les un ités du pay s par le chef de l' é tat-major, le général Mohamed Lam ari, leur enjoignant impérativement de ne pas sortir de leurs cantonne me nts sans ordre exprès. Un autre jour~ nali ste indique : (( Les récents carnages commis à Raïs, Be niMessous et Bentalha ont tous troi s été exécutés dans des zones forte ment quadrillées par l'année et la gendarmerie. À BeniMessou s, à proximité de la capitale, les tueurs ont pu agi r pendant quatre heures sans être inquiétés, à quelques centaines de mètre s d'un e caserne des service s spéciaux où sont stat ionn ées les troupes d'élite du général Smaïn Lamari , À Be ntal ha, quelques heures avant le drame, des civils avaient signalé à J'armée la présence d'un groupe d' individu s suspects bivouaquant aux abords du petit village. Bref, c' est désormais un secret de pol ichinelle, les mili tai res sa vaient, mai s ils on t préféré de meurer l' arme au pied. On évoque même à A lge r l'existence d'une directive signée par le c hef d' état-major qui inte rdit de sortir la nui t des casernes sans ordre éc rit Il, » Cette information est un pre mie r indice important de l'impli cation des sphères su pé rie ures de l'armée dan s les massacres. Co mment imag ine r e n effe t que les militaires témo ins des tueries qui se déroulaient pratiquement sous leurs yeux n'aie nt pas informé imméd iate ment le ur hiérarchie? Disciplinés, appl iquant la directi ve reçue quelques se main es plu" tôt, il " ont allendu un ordre pour intervenir, mais ce lui-c i n'est à l'év idence jamai s venu, Pour quelles raisons? Nous essaierons plus loin de
6 . T érnoig nagcs préscntés ,J'"I~ le dIX·lllllc!I!ui IC lé lév i;;': de Suiru SU AII . A/X<"r;'111 VÙ'/Ma. diffus.: s~ r Iadl.1'ne brilanniQue ITN le 11 'ICI~ 1997. 7. Voir .''!If'ru. p. 11.~. Il. Ubhul;"/j.1J<>clObre 1 ~7.
9 . /J,mul/",. Allllq>.\·i, d ·un J>/I
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aimes COll/ft l '1UIHI(IUitl.
!lIIi" lUi ci Bnl/alha :'
répo ndre à ce tt e qu es ti on. Si no mbre d 'é lé me nt s lai sse nt supposer que les massacres on t impliqué certain s services de l' armée, il se mble probable en revanche que les militaires habituel lement stationnés dans les alento urs n'étaient pa s lO ti S in fo rmés de ces opér.ttions. Nesroulah Yo us cn donne un indice quand il rapporte la convers;lIioll qu'il a cue avec des o ffi ciers de la caserne de Baraki, le.~ q lle l s 1ui confi rment simpl emell t que l'hé licoptère qui avait tourné tQute la nu it étai t bi en militaire, mais qui lui pamissent aussi peu informés que lu i I ! . Le.~ explicariol/s de.~
Rb/hwlX
Quell e a été l'argumentation avancée o ffi ciellement par les hauts responsables de l' armée pour expliquer l' inaction de leurs tro upes? Un e ve rs ion parti c uliè reme nt autorisée en a été donnée par l'un des personnages les plus importants du petit g ro upe des « déc id eurs» milit a ires, lon g temp s co ns id é ré comme leur véritable « parrain » : le gé néral en retra ite Khalcd Nezzar, anck n mini stre de la Défense de juill et 1990 à juill et 1993. Dans ses mé moires publiés en 1999 à Alger H, il explique notamment : « Il est vrai que les tueries s uccessives c t rapprochées dans le temps survenues ;1Bentalha, Raïs, Beni-Mcssous et dans la région de Réli7,.ane à l'ouest du pays, ont séri c u ~ men t entamé, chez " opin ion, la crédibi lité des forces de séc uril(: dan s le ur mi ss ion de protect ion de la popu lation. Les délais pro lo ngés des exact ions, 1;1 prése nce de forces de séc urité q uadril lant les sec teurs et ], év a ll olli.~sern e nt dan s la natu re des terro ri s tes un c fo is leurs fo rfa it.~ accomp lis, on t contribu é à al imenter le doute sur la capac ité des forces de séc urÎté il re mplir sa miss ion convenablement. « Les raisons qui ex pliquent cc qui , ;1première vue. semhlt: inex plicable, re posent sur les facleurs sui vants: « 1) la présence au sein de la population ciblée de complice:actifs tota le ment sous l'emprise des terroristes : «2) la présencc de groupes terrori stes implantés dans un ti ss u urba in à l' intérieur d ' infrastructures aménagées fa cil itant 12. Vuir .1111'''''. ~. 2 14, I .l K h31~11 NI./JAH. M';""Iir~" . Chihul:> Édi lillns. A L~cr. I!.J'N. p. HI·H2.
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leurs exactions ct leur fuite une fo is cel les-ci com mises, toujours au bénéfi ce d' un écran de complic ité; «3) l' urbanisation sau vage ct très dense, rendant encore plus di ffic iles et plus lentes les interventions de secours; «4) la fe t wa rc ndant1icite. non seul ement l' assass inat de civils, mai s légiti mant aussi le butin (e l gllanima), don nant une onction religieuse à ces crimes; « 5) les lie ux , pendant les att aqu es, étaient pl ongés dans l'obscurité li dessein, cngendrant une mêlée entre les victimes et leurs bourreaux. « Duns ces conditions. quand bien même une unité se trouverait li prox imité, l'intervention dev ient très contraignante en raison de l'obsc urité, des pièges parse més. au préalable, sur tous Ics accès d' intervcntion possibles cl, surtout, de la mêlée entraÎ' nant la confusion totale. « Une attitude pour le cher de l' ordre dans ce cas, cons iste à se man irester par la présence et par les feux , afin de lim iter les pertes sans ri sques pour les c ivils ct tenter de neutrali se r les terrori stes en leur coupunt le chemin de re pli. « En tout émt de cause, il faut bien ad mettre qu'auc une armée au monde n 'est e n mes ure d 'ass urer hl séc urité de chaque hameau , ce ntre de vie, agg lo mérati on ct po ints sensib les de toutes sortes, dans le même temps. de surcroît quand le danger non identifié ém ane de ces agglomérations, hameaux ou centres de vie mêmes. « Dans pareill e situation, la parade immédiate consiste en un système d ' autoprotection armée pour, au moin s, ten ir en respect les assai llants dan s l'attente des secours, au mieux, leur faire échec. » Il nous a paru essentiel de citer longuement ce plaidoyer. car il est révé lateur à notre sens du profond cynis me de certains générau x a lgériens. C on fr o ntés au seul té moignag e de Nesro ulah, ccs arguments apparaissent soit rigoureusement inconsistants, soi t comme de simples contrevérités. Arrê· tons-nous seulement sur les plu s recevab les, souvent avuncés éga lement par d' aut re s responsabl es de l' armée . En premier lie u, leurs ho mmes ne pouvaient interve nir, car les quarti ers attaqués avai ent été cernés de mines par les terrori stes ( Khaled Nezzar préfère uti liser l'e uphémisme vague de« pièges »). On a
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qui" wé ù lh.'III(lliw :'
vu dans le récil de Nesro ulah qu'il s' agîllà d'uJlmcnsonge pur et simple: il n'y li jamais cu dt! mines autour de Haï eI -Djilali. le qu,lrtier de Benllllha où s'cst dérou lé le drame. Et d ' ailleurs, là comme ailleurs, les sauveteurs onl pu pénétrer sur les lieux sans aucune précaution particulière "près le repli des assaillants, alors même que ces derniers éta ient encore présents. Et que dire de 1'« obsc urité », qu i aurait empêché de distin guer ceux-ci de leu rs victimes? À Bentalha, au moi ns, on a vu que les projecteurs installés par les habitants sont restés allumés to ute la nui t même si les a ~s aillant s en ont bri sé plusieurs. Et s urto ut , les fo rces de séc urité étaient tout à fait en mes ure d' éc lairer les lieux, puisq ue hl police a installé ct allumé de pu issants projecteurs avant que ... les militaires lui ordonnent de les éteindre . Quant à r .. rgument de 1' « urban isati on sauvage », il suffit de jder un coup d'œil sur la carte de Bcntalha et surtout du quartier Haï el -Dj il ali pour constater que les rues et les parcel les ont été dessinées au cordcau ct sont très faci lement access ibles. Et mt':me dans le cas où l'on ncce pterait sans discussion lès argumelll s étranges du gé néra l Nezza r. comme nt ne pas sc demander pourqu oi il ne d it pas un mm des autres capacit és d'interventio n de J' armée'! II est noto ire t!n effet q ue ce lle-c i d ispo se de lo ng ue da te d ' hé licopt ères fo rt eme nt arm és c t équipés pour la visio n de nuit, alors que les islami stes armés n'ont jamais disposé de m i ss ile~ ~o l -a i r. Si c'était bien eux qui ét ai ent Il l'œu vrc, il n',lUra it pas é té très risq ué ni diffic ile d ' utili ser ces hé licopt è res - do nt p lusie urs sont ba sés il Boufari k, à quelques min ute.' de vol des lieux des pri nci pales llIeries - pour les rédu ire, ces homlllcs sc déplaçant en général en groupe lors des massacres : ce l.. n' ,ljamai s été tenté, et on peut voir là un nou ve l indi ce particu liè re me nt probant de l' impl ication de st!ctèurs de l' armée dans certains massacres, Plu s signiliC:lIi ve encore que ces faux-fuyant s eSI la misc en cause par Kh,lled Nezl.ar des populations elles-mêmes: il stigmati se les « co mpli ces actifs total eme nt sous l' e mpri se des terrori stes », 1'« éc ran de complicité» dont bénéficieraient ces dt!rniers, le " danger non identifié [quil émane de ces agglomérati ons », Et jllSlifi t! ain si le f"il que la meilleure parade serait l' annernent des habita11l .~ . En d'autres termes, puisqu'on ne peut 244
aim/'S con/rI' l'iumumité
distinguer les bourreaux des victimes, ce n' est pas 1'1 nous, militaires, d' intervenir : armons- les, et lai ssons-les s' entre-tucr ... 11 faut signaler enfin que les généraux d ' Alger ont très tôt dis till é des ex plication s un peu plu s s ubtil es qu e cell es des prétendues mines ou de l'obscurité. Comme il leur était difficile - on va comprendre pourquoi - de les avancer eux-mêmes, ils ont choi si. selon une méthode é prouvée, de fa ire passer le message par certains intelleclUels, journalistes ou hommes politiques algériens proc hes d ' eux ou partage ant le urs vues. Un message large ment repri s ens ui te par certain s obse rvate urs étrangers, dont le ph ilosophe-journali ste françai s Bern,lrdHenri Lévy. Au terme d'une enquête de dix jours en Al gérie, en particulier sur les lieux des massac res, début janvier 1998, ce dernier publiait dans le quotidien Le Monde 14 deux longs articles écrib avec fougue , où il expl iquait : « J'ai , li Tizi Ouzou et, Oran comme à Alger, renconlré d'autres officiers de terrain. A tOtlS, j' ai posé cette même question de la passivité des forces armées. Tous m'ont donné le même type de réponse, l'attribuant, soit à la "culture" de l'ALN , soit à la mobilité "insa isissable" des groupes terroristes, soit, encore, à la difficulté, pour n'importe quelle armée pl acée dans une situation sembl able. d' adapter son "outil " aux contraintes d'u ne guerre de guéril la qui n'a cessé, de surcroît, de changer de formes et de terrain (terrori sme urbain , attaques des banlieues pui s des vill ages, douars isolés), Et si je devai s, au bout du compte, résumer mo n propre sentiment, j e dirais comme , d ' aill eurs, la pl upart des inte llectuels o u des dé moc ra te~ :llgériens que j' ai pu rencontrer 1... 1: incompétence des mi lita ires, sûremen t, indifférence, peut·être; l' urrièrepen sée, dans la tête de certain s, que la vie d'u n bon so ldat ne vaut pas celle d'u n puysan qui. hier encore, jouait le FIS, pourquo i pas; mais un "état-maj o r", ou un "clan", o u mê me un "se rvi ce spéc ia l" , fomentant les massac res, o u arm:lnt les maSS:lcreurs, ou déguisant -cel:l s'est dit! - leurs hOlllmt!s en islami stes, voi là une hypothèse à laque lle je ne p'lrviens pas à croire. »
14. IkmJld ,1kil'; l.( vv . • Choses " Iles en
AI~Crie
". lot' ,",,,,,(if , 1\ el 9 janvier 1W8 .
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cr;mes ('Olll'e /'II/umm;tt>
qlli (/ IIIt> il lieJ/l/Illk/ ?
Il n'cs t nu l besoin d 'être un expe rt des arcanes de l' armée illgériennc pour savoÎr que la thèse de son « incompétence» n' a qu ' un rapport 10intaÎn avcc la vérité, Nou s reviendrons su r cc qu ' il y a à dire de la« c ullll re tres Armée rouge » (selon les termes ,d ' un o ffi cie r d té par Bernard - Henri Lévy) de cette année . A celle étape de notre analyse, dison s simplement pou rquoi il apparaît invraisemb lable d' av,lI1cer que l' indifférem:e ou l' ineffi cac ité de la « chaîne de commandement ,. expliqueraient l'abstention répétée d'unités de l'armée, dans des circonstanCI!S pmtiquement identiques, f.. ce à des actions terroristes d' envergure menées sous leurs yeux . Pour deux ra isons au moins. D' abord, tou s les observ:lte urs :luenli fs le savent, la din.:.'"Ct ion de J'armée cons tit ue la co lo nn e verté bral e du po u vo ir en Algérie, depui s l"indépendance de j ui llet 1962 (rappelons que c' est parun véritable coup d'État , cc même moi s, que l' <. ;mnée de s frontières » s' im posa face aux au tres tendunccs du mouvcment de libération; ses res ponsa blè:s, pui s leurs s uccesse urs, n'ont cessé depu is lors d'être les véri tables dirigeants, quels que soit! nt les paraven ts ci vi ls do nt il s ont affubl é la direc tion de rÉtal, surtOUI de pui s 1992). Une po ig née de générau x - 0"' p'lrle en Algéri e du « cabinet noi r » - maîtrise aujourd ' hui le jeu des all i.mces et dcs ri valités entre protagonistes mi litaires et civils, et tout le monde les COntlllÎt : parmi les plus important :'>, ;IU X commande s pend ant Io ules les ann cSes de la « seco nd e guerre d'A lgé ric .), on pcut menti on ner le gé néral en retraite Khal ed Nczza r (déjà c ité) , le général en re trai te ct an cie n mini .~ tre dc l' Intérieur Larhi Bclkh ei r l', le général Mohamed Lamari l b , le gé néral Mohamed Lamine Médiène 11 , le généra l
1.\. Ofîk,cr is.,u Jo! l' am"",
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Smaïn Lamari (num éro dc ux du DRS ), le géné ral majo r Mohamcd Touati 18, Ic général Fodhil Chérif (chef des opérations terrestres) ... Ces ho mmes, c t quelqucs autres, fonct ionne nt se lon des règles proche s de ce llcs des « coupoles» mafieuses italiennes - qu elqu es pil ro les sibyllines éc hangées entre eux peuvcnt suffire pour prendre les déci sions les plus graves. Il s tiennent d'u ne mai n de fer les rouages essen tiels du pays: les hydrocarbures (gaz ct pé tro le) et le commerce extérieur (sources des ,( co mmi ss ion s,. qui alimentent leurs fortune s), et bien sûr l' armée. Cc sont eux qui ont organisé 1-annulation des élections légi s lat ives etlc co up d ' Éta t de jan vier 1992 - le géné ral Nezzar l'a cla ire ment recon nu dan s ses mémo ircs préc ités . Personne ne nic que cc sont eux qui ont di rigé, au jour le jour et dans le délail. les différentes phases de r effroyable guerre qu ' ils mènent depuis lors contre leurs opposants islamistes, et sunout contre le peuple algé rien, dOnl il s crai gnent par-dessus to ut la révolte. Comment imaginer que ces hOTll mes pourraient s'accommoder d ' exécutants« incompéte nts » pour par vcni r à Ic urs fins? Cela est d' aulant plus inconcevable - et c' est la seconde ra ison - , qu'i ls o nt s u mettre cn place des unités s péc iales redoutablement effi caces pou r mener, d ' une façon certes bien particu li ère, la lutte « an titerrori ste ». Sur ce point préc is, les témoignages ne manquent pas. Tous les Algériens savent - ct il s sont nombreu x li l'avoir dit -q ue les hommes du DR S, pui ssant bras Ufmé d u pouvoir, sont présents partout, et qu' ils centrali sent une quantité impress ionnante de renseignements sur qui est qui et qui fait quoi dans le moi ndre quartier, la moindre entrepri se . De mê me , le seu l réc it de Nes rou lah re nd co mpte de mu ltiples acti ons de 1< Ninjas », con tre tel vi ll age, telle cité, vo ire te l ilpparteme nl, q ui n'ont pu être conduites san s une préparation ri goureuse, impensable dans une armée qui fonctionnerait de façon totalement « hureaucratique ». Cela, il faut li tout le moin s une certaine dosc de naïvcté pour ne pa s le vo ir . U ne naïve té qu 'o n ne saurait re proch er à 18. C(lIIsci ller ,k: Muha",,," L:"' .....i. di! • k ,\fl/"V' la p,in~iflil le Il:le p<:n'unt~ de la direclion
~ ~k
,,-="·eau ). ca, ",pulé poor êln:
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"i Bernard-Henri Lé vy, pui sque, une di zaine de j ours il peine après le massac re de Bentalha, il écrivait, àj uste titre. dans sa chronique de l'hebdomadaire Le Poim: « Pourquoi nt:: pas dire à cet État-FLN qui est. jusqu'à nou vel ordre, notre seul interl ocuteur : "Hulte à ]' État fou: halte à la venddta d'État: les islamistes, s i sanguinaires soient-i ls. ont droit à des procès : ils onl le droit, e ux a uss i, de n'être ni taffurés ni massacrés: c 'cst en répondant à la terreur par la contre-terreur qu 'on finit de ruiner la dé moc rati e et qu'on fait le lit du fasc is lamisme" l'!, » Alors, pourquoi. quatre moi s plu s tard , publi c-t-i l ces« choses vues en A lgérie» qui dédouanent totaleme nt cct « État - FLN » ? La ré ponse lui appartient. mais on nc peut qu'êt re profondé ment choqué par le soutien defi/cff' qu ' il apporte ainsi - même s'i l s'en défend - , dans ceUe pé riode si c ritique,:l des généraux dont dl! nombre ux té moignages, e ncore partÎd s, mettaient déjà en cause la responsabilité da ns les massacres de l' é té 1997. Quoi qu'il cn soi t force est de constate r que tous les arguments avancés oflï cielle ment o u officieusement pour cxp liquer l'inaction des militaires ne rési stent pas à l'analyse. C' est donc aille urs qu'i l faut c herche r, en revenant d'abord aux témoignages des rescapés c t particulièrement :t cel ui de Nesrou lah. Qui étaiel1lles « égorge/ln'
»
?
Q ue nous disent- il s, e n premier lieu, de l'allure des assaillants, que toutes les versions offi cielles ont décri ts comme des ,< barbus » proférant des slogans reli gie ux , égorgeant « au nom de Di eu» j usq u'aux fe mm es e nce intc s c t ,lUX bébés ? Celte barbari e qui dépasse l'en te nde me nt , on l'a vu, fut hé la s bien réelle. Pour autant, peut-on e n reste r l:t? Pe ut -on s'en tenir Il la convic tio n con sta mm e nt affir mée a vec force par ce ux qu'on appelle les « éradicatcurs » algériens et reprise:l son compte par Bernard-He nri Lévy en ces termes: <, Obscénité, oui , de la question "Qui lUe qui T, comme s' i 1fallait ajouter le doute, la confu sion, à l'horre ur!o.» Des mots pratiquemen t ident iques il ceux du phil osophe André Gluc ksmann, il la mê me époqu e: " La 19.
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crimes COI I/re / '/wlI/anili
question n" 1 que posen t, de pui s s ix mois, les Algérien s n'est pas: qui lUe? Celle-là , il s la trouvent désormai s obscène. Il n'y a pire aveugle que cel ui qui ne veut pas voi r ~I . » Dans tous les cas que nou s analysons, les assaillan ts sont a rri vés de nuit , a vec des camions, ou bi en il pied , co mme à Be ntalha, mai s avec des vé hi c ules d'acco mpagnement. Il s étaie nt très nombreu x, entre ce nt et de ux cents, habillés en civil , e n tenue traditionnelle (kac/whia), en vête ment (~ afghan » ou e n tcnue de combal. Parfois l'une sur l'autre n. L'accoutrement de certain s d'entrc eux a d'abord convainc u les hab itants qu' il s avaient affaire à des membres des force s de séc urité. Ce fut le cas à Sidi- Youcef, où il s ont mê me discu té avec ce ux qu 'i ls allai ent massacrer. À Bentalha, un habitant qui les a vus surgir du verger rapporte: « Au début, on croyait que c'étai t des militaires. Lorsqu'ils se sont rapprochés, on a compris que c'étaien t les assailla nts 1.1 . » À Raïs, une rescapée raconte co mment ceux-ci ont sommé l'homme de la maison de sortir: « Quand il fut dehors, il s y étaient [ ... J, avec des uni fo rmes militaires et ils agitaient des fusil s. 1\ y avai t des femm es pa rmi e ux . Les femm es portaient un hidjab au-dessus de la tenue militaire 2.t. » Ils étaient munis d'armes automatiques et d'armes blanches et ce rtain s portaient des barbes. Pl usie urs témoins on t noté l' utili sation de poi gna rd s de militaires o u de « couteaux de paras» 2~. D'autres ont indiqué qu'i ls paraissaient drogués (les re sca pés de Belltalha , on l'a vu, disent avoir retrouvé des sering ues dan s les rues le lendemain), hurl ant des propo s blasphé matoires.
1'.'",,,,,.
21. André GIlICKSMM<.' . El JO·.' 1ja"\'i,:r 19911. 22. Témoig nage de Mnl\: EI- KcchOOur. bk"éc lors ,lu 'lI~s>anc de Bcnlal ha (~OiT ,,,,,,J'it!" p, 22;\), :n. He",,,l/w . Aul"I'.
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q";ll ll.é à lJl'IlIalha ?
Ai nsi cette resc ~pée du m~ ss~c re de Raïs: « Sa fill e aînée a aussi été égorgée , elle était allongée ~u sol. Ils placèrent l'un de ses fils à droite, l'autre Il gauch e c: t c rièrent: "Allah akf
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crimes COIII re lïwm,mili
journaliste de Libéra/ion q ui a enquêté à Ben talha que lques semaines après Je drame: « Ce qui frappe Yah ia, c' est l'extrême organisation des hommes armés. Cc sont des gaillards robustes, habill és norm aleme nt. Que lques- un s seulement portent des cagoul es noi res . d"autres sont dégui sés en Afghans, avec une barbe et des che veux longs. Chacun fait son boulot: un groupe est c hargé du g uel, un autre défonce les portes, un troi sième massacre .11 . » Témoignage qui rejoint celui de Nesroulah Vous sur le modus 0fJer(llldi des assai Il,mts .12 . Ce q ui lai sse suppose r q u' au moin s certains d ' ent re e ux étai ent des me mbres d ' un ités spéc iale s (Nes roulah indiqu e - détail frappant - que cerlains des chefs des tueurs parlaient avec un fort acc ent de l' Est du pay s). Mai s ces co mmandos spéc iaux, s' il s savent s' in troduire dan s les demeures el massacrer, ne connai ssent pas le terrain, et ils semblent avoir été aidés dans k ur tâche par des hommes du coin, aussi bien - ce qui ne manque pas (l pri ori d 'ê tre s urprenant - des me mbres des forces suppléti ves de l'armée que des« terrori s l es~, locaux . Quelques rescapés font en effet état d'assai llants qu' ils onl reconnu s. À Bentalha, des témoins disent avoir aperçu certains des membres des groupes armés de la région, qu'il s con naissen t bien ; on parle même de la mari de certains d' entre eux, tués par les habitants. D'autres, à Raïs, déclarent qu' il s ont reconnu des gardes communaux : « Un re scapé d ' un récent massacre, à Baraki. décrit la tueri e à son ami qui rapporte ses propos: " À 22 heures, il s son! venus, cagou lés, chez mon ami, ils ont dit en voulo ir au fil s des voisins, il s l' accusaient d ' avoi r donné à manger a ux terroristes . Le père de celui-ci était là, et le s a menacés avec une hache. Ils l' ont tué. Sa mère a retiré la cagoule à l'un des assai Ilanls qui 1Lli a tiré une balle dans l' œi 1après avoir crié : Aljemi! ("Elle m'a reconnu"). Puis ils ont égorgé toulle monde, sauf un enfant de huit ans et le tï ls de mon ami, qui a fa it le mort." Le lendemain, la gendarmerie n' a pas vou lu enregi strer
JI. Florcn(c A'!II'.NAS.
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2JOCIobn: 1997 . .n. Voi r .<"1''''. p. 2HII.
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lllli a/lU! ri UI'I/Ialhll !
crimes ("Oll/re l'II11J1lal1ùi
son témoignage. Il affirme avoir reconnu un garde communal d~ Baraki .1.'. » Toutes ces informations. à l'évidence , n'ont pas été prÎses en compte par tous ccux qui ont affirmé avec forcequ'il ne pou vait y avoir aucu n doute sur l'identité des assai llants. En in voquant notamment un argu ment jugé définit if: ces massacres, comme bien d 'au tres act ions terroristes auparavant. ont été clairement revendiqués par des groupes ,lnués islam istes, principalement les GIA. Telle est la posit ion défend ue notamment pur Khalida Messaoudi , fervente partisane de 1' « érad ication» des islami s tes et de venue cé lè bre g rflcc à son liv re b es t -s cll e r ·l~. Quelq ues jours après le massacre de Raïs, e lle déclarait par exemple lors d ' un rassemblement de sol idarité pour l'Algérie organisé à la fête de L'Humanité: ~~ Nous lisons toujours dans la presse européenne, souvent sous la plume de pseudo-spécialistes de l' Algérie. la question su ivante: qu i tue? Je prends la responsabilité de dire, au nom des bébés décapités, au nom des femmes égorgées: ce sont les groupes islami stes armés! Ces massacres sont d'ai lleurs revendiq ués par ces groupes islamistes du FIS , dont le chef est Abassi Madani .I~. >, Pourtant, il est notoire que le« bras armé» du FIS , l' Armée islamique du salut (AIS), n'ajamai s émis la moindre revendication d es massacres de l' été 1997. Elle les a au co ntrai re condamnés à plusie urs repri ses, niant qu e des « islam istes» puissent être l'aute ur de te ls ma:;sacre:;. Quant au FIS, ses responsables les ont fe rmemcnt dénoncés, comme par cxemple Abde lkader Hac han i : « Le FIS condam ne s,ms rése rve ces mas:;ucre:;. [ ... J Je le dis clairement: ces ma:;sacre:; sont de véritables crime:; contre l' human ité. Lorsque les responsables de ce~ tuerie:; seront connus, il s devront être pou rsu ivis aussi bien ü l'intérieu r qu'à l'extérieur de l'A lgérie .\(>. » Pour autant, au-de lü de cette confusion :;cicmment entretenue entre l'A IS et les GIA (on sait que nombre de ces dernier:;, su rto ut à pani r de 1995, Ol1t ~.~ .
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en fait mené une guerre ineXpiable à l' AIS et aux au tres fractions ne partageant pas leurs posi ti ons), n'y a-t-il eu aucune revendicali on de groupe islamiste '! Ce lles qui ont été rendues pu bliques proviennent toutes du GIA , le plus sou vent sous la fo rme de communiqués incendia ires diffu sés à part ir de Lo ndres. Ai nsi, en février 1997, le GIA an nonce ~~ un e " nouve ll e phase" de la guerre avec le pouvoir algérien, promettant des explosions au cœur de la capitale. [ .. . ] Dans ce communiqué, le GIA promet d' égorger "tous les apostats et leurs alliés dans les villes et les villages" el de provoquer "des exp los ions en pl e in cœ ur d'Al ge r et d e Blida" \7 » . S'agissant des massacre s de Raïs, Sidi- Youcef et Bentalha, le seul documen t qui pui sse être considéré comme une rev~nd i cation est le « communiqué n° 5 1 » de 1'« ém ir » Antar Zouabri , publi é à Lo ndre s par AI -Ansar (so uvent présenté comme l'organe des GIA à l'étranger), le 27 septembre 1997, où l'on peut li re notamment: « Le reniement de ce peuple mécréant de sa fo i, son apostasie ainsi que son refu s de se so lidariser et de se rallier aux moudjahidin n' affectera en rien notre volonté el not re résolUl ion [d' all er de l'a van t] et ne nou s portera, avee l' aide de Dieu, auc un préj udice. Ainsi, tout ce qui a été commi s comme crime, égorge men t, banni sse ment, déplace ment de populations, incendi es, confi scat ion de biens et appropriation de femmes [, .. ] ne fut ri en qu· une offra nde il Dieu .18. » L'essentiel du communiqué est une diatribe virulente contre les « tyran s» au pouvoir, l'appel à la trêve de l'A IS et la « complici té» de la France . Mais on n'y trouve rien qui permettrait de lever le doute sur l'identité véritable de son ou ses aUlCurs. Un doute exprimé par les services de renseignements occi dentaux, mais aussi pllr de nom breux observateu rs indépendants. Ainsi. pour le consultant Antoine Basbous, « la diffusion de ce texte a suscÎlé beaucoup d'interrogati ons; ce chefd'œuvre du genre aurait pu être fabriqué par le bureau chargé de l' in toxication ou de la lutte contre l'i slamisme au sein de la
s<:p,c",br~
1997.
.'4. Khal ida MI ,~~/\IIliI>'.
V ile AIKir,ellll~ dP/Jolll. l'l ôUlIlIlJl"ioli. Pmi •. 199.'i. « L.: peupic SOli, qui ,u~ # , Rf K,ml.<. och>bre 1997.
.U. Khalida MI .~S.\lIli' >,. .16. In,erview de Ah<.lcl~~dcr Hachani recueillie par Arcài AïN . arbi. tf Fig",.o. 12janvier 19'ill
252
.~7.
C<.>nlllluniq"': cilé par le quO/idicn JrallopllollC A/·Haml. 24 février 1997. :"18. Cilé pilr Kamil T "Wu . AI·I",r,,"" "1·i.
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'1";" lué ù /kmal/w :'
crimes COlllre /'/Ulmmûli
Sécurité militaire. Que l message aurait pu servi r davanlage le régime que ce lui qui revendique les massacres, blanchit l'armée ct ses multiples auxiliaires et menace la France ct les Nations uni es, au cas où elles so uhait era ie nt intern at io nali se r la crise ·N ? ~>. Ou encore cette information rapportée par Patrick Forest ier, journaliste de Paris Mmeh à propos de Abu Ham za, responsable de la publication Al-Amal" à Londres: « Lorsq ue Ics services secrets britanniques ont mis son téléphone portable sur écoute, il s ont été su rpris: les appels d'Algérie du GIA provenaienl d'une caserne 40 !:>~ Une information p[ausible, bi en que non confirmée par d'autres sources 41. Dans cc m ~ m e article, Patrick Forestier affirm e que des milita ires so nt imp liqués dans Ics massacres. Mais l' explication qu'il en donne - q ui scra souvent reprise - est pour le moins sujene à caut ion. En s'appuyant sur un « rapport confident iel de la Sécuri té militaire », il avance que les GIA aurai",nt perpétré les ITliISSaCres pour le compte de « militaires qui appartiennent il la nomenklatura du com plexe mi 1itaro- industriel rangée derrière le président Zéroual :», o pposés au camp des « éradicaleurs » dirigé par [e général Mohamed Lamari. Leur objectif aurait été de facilitcr la mainmi se du «clan des affairi stes:» s ur Ics cent mille hectares constructibl es de la plaine de la Mitidja, appartenant à J'État et devant êt re privati sés au déb ut de [998. En « vidant les fermes collectives de leurs habitants » par la terreur. ils e mpêche rai e nt ces dern iers de fai re j oue r le ur dro it de préempt ion et laisseraient le cham p libre aux affai ristes de la hi érarchie militaire.
.w.
Amuine H A",,~ l s.l_ "1.<1"",;.,""" III'" ,,,,.,,Iutif,,, ",·" .. liI' 1. Ha..:hclle l ilh.'ralur6. 2000. p. 1M . 4(). P"l,kk F"~ I .STI I M. • Der,ièr" les lu~rie-'. de .OCi",." ". Mule h. 9 oclobre 1997. 41 . Abu Ha""". ",ihWllt b la lllisie cgypli,"n appa,,,,,,n"'''1 s incèrcnl\;nl "un , ain,' u de r.crv ir s.a cau..: cn 'clayanl la pmfXlgande de, G IA. ,;c",hk lu i-noème l:S wm:spo",lal1ls Cn Algùic ,l.;, • ju.tific"lions rcligieu.-..:, .. de ccs lIlass.a,·,,, ' . I\'e k s ayanl pas obtenue,. il s'c," 'llland lIlême résolu" diffuser le le Xie. mais il aurail en s uite fOmpu toul cunlaCI u,'e~ les Gl i\ (Kallll1 TA"'lI .. <"iF .. p. 2~O·2821. I~~ris.
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Trois ans plu s tard, celle thèse ressemble beaucoup li l'une de ces opérations d ' intoxication don t est coutumière la Séc urité mi 1itaire, visant en ]' espèce à déstabili ser le président Zéroual et son entourage. Car les victimes des grands massacres n'étaient pas de s paysans ex pl o itant les ferm es collect ives mais des citadins, aucune pri vat isation des terres n'est intervenue depui s et. comme on le verra, c'est précisément du côté de la Sécurité mil itaire qu'il faut c herc her pour lente r de co mprendre les rai sons de l'i mplication de certains sec teurs de l'armée dans la manipulation de la terreur. Qui est tué "! p
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D'autres questions plus essentiell es sc posent, qui confortent en tout cas l'idée de la préméd itation des tueries: pourquoi so nt-ce toujours des quarti ers bie n c irconscri ts qui o nt été choisis par les tueurs? Pourquoi. comme le demande alors un articl e de la presse algérienne, pourtant largeme nt acqui se à l'idée de la responsabil ité exclu sive des islamistes, « les terroristes qu i ont investi en grand no mbre le q uartier (de Bentalhal ont-il s ciblé telle rue du quartier au lieu de telle autre 42 ? ». De même - comme d'autres médias français et anglo-saxons - , le quoti die n françai s Libération remarqu e, dan s le cas du massacre de Raïs, deux « réali tés» : « La première est que les commandos avaient ciblé avec précision leurs allaques, cherchant des famille s et des mai sons particu lières . La seconde, plus diffuse, est que les villageois, sur place, semblaient connaître les tueurs, très probable ment originaires de la même région 4.1 . » Mais dans les semai nes qui ont suivi les massacres, ces faits ont été relég ués au second plan par la majorité des médias, algériens et étrangers. Aucune investigation sérieuse n'étant autori sée, les journali stes en ont souve nt rajouté dans l' horreur, produi sant parfois des récits incompréhens ibles : comme si c'était la foudre qui s' éta i, abattue et qu ' aucun e logiqu e ne guidait ces actes sanguinaires.
42. Ab ia CIII:MII .• lt:s vcrilcs sur lIcnlalha ~.I.., Ma/il,. 9d&elllbrc 1997. 4~. k an H,\ r~H.1.! >. Libh"liI"l. ~O août 1997.
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Plus tard, une première tentati ve de rat ionalisat ion s'est fait jour: c' est parce que les habitants des quartiers touchés refusaien t désormais de sou tenir les gro upes armés qu' il s o nt été frappés par une violence « aveugle ». Telle est la thèse reprise par Be rnard- Henr i Lévy: « Je m'approc he de s maiso ns dét ruites de Bent al ha. [ . .. ] Con tra indre. ell visant que lques famill es. un quart ier en ti er à se vider? Pe ut-êt re, oui. Mai s également cec i. plus vrai semblabl e: des famill es liées au FI S et bénéfic iaires de ses largesses au temps où, de 1988 il 1991 , il régnait sans partage sur lacommune - et pui s. un bea u mat in, le chef de la fam ille qui en a ussez de payer la dîme, ou qui se rend <.: omplc quc le vent tourne et que son allégeançe devient ri squée, ou encore, qu i donne à l' AIS. ulors 'lu' i1faudrait donner au GIA, ou l'inverse ... » Une expl ication en apparence rati onne lle. ct qui compone une part de vérité. La populat ion de Bcntalha, comme cell es des autres quart iers frappés par les massacres de l'été 1997, était en effet majoritai rement acqu ise au FIS. Mais là encore. en rajou tant les mots « ou l' inverse », cette thèse fait l' impasse su r le fait que cc son t des hommes des GIA. et non de l' A 15, qui s' en sont pris systémat iquemen t aux pop ulation s civ iles. Une confw:;ion qui confone defaclo la version cynique martelée par les« décideurs » algériens: les victimes sont en fait coupables, car elles ont un jou r sy mpathi sé avec le s égorge urs de bébés ~~. Alors mê me qu'au -delà des éven tuels règ lem ents de co mptes claniq ues ou familiaux - il s n'ont pas manqué depuis le début de la guerre - , force est de reconnaître que l'object if constant de nombreux groupes sc réclamant de s G IA a été le même que ce lui de l'armée: faire régner la terreur pour isoler le FIS ct son bras armé. l' AIS, de ses souti ens popu laires. Nous allons revenir sur cette autre rati onali té, beaucoup plus vrai semblable. Mais auparavant, il y a d'autres leçons à reten ir du témoi gnage de Nesroulah Y OUS. Cel ui -ci le montre bien : le carnage s'est déroulé dans une toute peti te zone de Belltalha. la parti e est de Haï eI -Djil al i, un petit rectangl e de que lq ues d izaines de 44, V"ir ,''''l'm. [>. 1Y'J, la <.lédaral ion Iri" ,ig " il;~ali "C du lIIin i"n: Je 1.. S'tnlé, y"h i" Guido"IlI :. Vou, .:tc, ks nl c'lneS du lerrorislll~. vou s le n"u"i ,s c/ , alor;; il bUI ,,' SU '"CI'. "
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mètres de côté , composé d' une centaine de maisons . Quelques ma isons o nt également été attaquées dans la partie appe lée «extension de Haï el- Dji lal i », mai s la cité des préfabriqués. composée de maisons d'u n seul étage, faci les à détruire et incendier, n'a pas été touc hée. Par aille urs, les rues du quartier ont été systématique men t ratissées, mais toutes les maisons n'ont pas été « visitées >~. On a vu que ce ll es qui J'ont été abrita ie nt presq ue toutes des famille s originaires des régions de Djidjel et de Médéa (en particulier du village de TablaI). alors que la plupart de celles où vivaient des personnes originaires d'autres régions ont été épargnées - à l' e xception de qu elques- un es où les assa illant s avaie nt remarq ué que beaucoup de gens s' étaient réfugiés. Or il sc trouve que plu sieurs des familles massacrées originaires de T .. blat ou de Djidjel s'étaient installées récem ment à Haï el-Dji lali, de façon définiti ve ou pour un court séjou r, pour fui r la terreur qui régnait chez eux. Elles avaient dû pour ce la obtenir au préalable une autorisation du commandement militai re local, ce qu i signifie que les autori tés étaient informées de hl présence de ces réfug iés. La plupart d 'e ntre eux s'étaient installés dans le quartier martyr, où, on l'a vu, plusieurs maisons étaient inoccupées (N esro ul ah relate que les mai sons vides avaient été marquées d'une croix quelque s mois a vant le massacre ~~) ; il Yavait n ès peu de fam illes de réfu giés dan s les au tres quartiers de Bentalha. Cette ci rconstance très parti culière pourrait être J'une des raisons du c ho ix de Haï e l-Djilal i par les« égorge urs ». Une hypothèse plausible est qu 'i l se sentit agi d' hommes des unités spéc iales de l'armée qui auraient été choisis pour se débarrasser de témoins gênants: ceux qui les auraient déjà vus agir, dégu i ~és en islamis tes, dan s les régions de Tablat et de Djidj e l ~6 . Un objec ti f q ui pourrait exp liq uer le choix circonstancie l de cc
Voir _''''l'ra. p_ l'N_ 40_ Débu! 1998. un !mnsrugc dC'l'unll& a ainsi raconlé uu 4uotidien b ritann ique nu' Ob,<",)"" qu · a[>rl:s a"oi r refuse d' obéir aux injonclion~ dc.~ mili taires de s' armer. les habi· l"nlS <.l·un village de la ré)1.ion de Djidjo:l avakm été a1l34Ués pm un commando <.le (aux i,lalll islcs. 4ui a"aicnl fail 4uutOrl.c "kl; mes ; ulle pm'tic <.les survivunlS SC rérugia dans une UUln: région (John SWn ,Ni'.Y. n,~ Oh.,nl'u. 18 janvi,'r 19911), ~ ~.
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quartier, a lo rs q ue cc semi t des raisons plus « stratégiques », que nou s évoq uerons plus lo in , qui auraient amené:1 la décisio n même d' un tel massacre de masse. À Raï s ég alement , des habitants é taient des ré fu giés de rég io ns é pro uvées par la terreur. Un surv ivant a racon té à un journaliste qu'au prilllcmps 1997. ils ava ie nt é té nombreux ü quiller la région de Larbaa pour se réfug ier :1 Raïs : « Des gars de l l·AIS [ ... \ étaient venus d ire à leurs fam il les de ne plus rester, parce que les égorgeurs alla ie nt venir ~J . »
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A lllod,Jfel1.1"t' 0/1 d/(u.w! il l ' ;S/(/IIIÎ.l"Il' ?
Un é lé me nt in triguant dans le récit de Nes ro ulah, que l'on retrouve dans d'''utrcs té mo ignages, co ncerne 1" q ues ti o n de l'arme me nt de c ivil s. Il narre avec préc ision les tergiversati ons des responsables militaires locaux qui , d ' un côté, inv Îten tl es habitant s de Be nt"lha ;1 pre ndre les ,Innes, les menaçant de les abandonner, e t de l'autre , se mble nt se mé fi e r d'eux, pui squ'i ls refusen t dans la pratique de les a rme r, attendant po ur le faire enlin le lendemain du drame. Il est certain , on J'a vu, q u'u ne partie de la populatio n ét.. it très réservée à l'idée de s'arme r, c raignant les représai lles des g ro upes is lamistes. Par .. ille urs, ce ux qu i voul .. ient le f.. ire SI,' méfiaiellltOllt autant de œs derniers que des mil ita ires et des {( patriotes » : re fu sant de devenir d c~ s upplé tifs de l'armée dans la lutte ,lI1t ite rroriste, ils a vaient ], intention d 'organiser e uxmê mes leur autodéfense. Il est donc plus que proba ble que les militaires n'étaient guèrt! e nclins à équiper des hommes qu 'ils ne pourraient pas contrôler. Ce point est essentie l. Car to ute la stratégie de l'armée. depuis le début de 1.. g uerre, a é té clai remen t g uidée par la volonté de fai re bascu ler la populatio n dans son camp, cel ui de ]' « é rad ication » par to us les moyens de l'oppos itio n islami ste. C'est ce qu'a exp liqué cy nique me nt en septembre 1997 un responsable D.: n":"..: . " n ;1 '" 'l"" Ne"""bh Yuu, ""ppon~ 'lue deu. lém"ins '-'c"us de la r"llin" ,1.: Tahbl (le (il, ,k H",,;(({ Cl le e"usi,{ ,le Mou"al y av~icm • recunnu de , militair,· ., de gui .... en i,I,n niSlcs 'lui. Iun. de llafr.JIlC' là Talllni 1. 1a""icnlt "Ilurgé ,le, ",,,,,ionnell'·.' enli"t". de p:"...;Jge')o ~ l ,"oir .ml''''. p. %1 ·H. I.JI C,.",.'. 26 seplcmlm: 1~7 .
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ano nyme du gouve rno rat du Grand Al ger, acc usan t da ns un jou rnal algérie n les po pulations locales de ne pas s'i mpliquer dans la lutte « antiterroriste ». Au jo urnaliste qui lui demandait cc que fai sait l'État pour les protéger, il a répondu :« Mais que fa it le ci toyen po ur l'Élat ? Po ur arrac he r ses droi ts, il fa ut . .. ssumcr ses deVQlrs .» A insi. dan s la région de Larb .... acqu ise au x groupes armés opposés aux G IA . qui o nt fait des ravages e n massacran t la po pulation civ il e. À ceux qui voul aient s'arme r - un ti e rs seulement d 'en tre e ux o nt vu leu r de ma nde satisfai te - , les gendarmes o nt répondu: « Si vous voulez que nous vous cons idério ns désorm .. is comme des ho mmes, il fau t no us ramener des têtes. Et cel les qu 'on veut sont ce lles de l'A [S ~'I. » De là à utili ser les massacres de civ ils pour obte nir la pl e ine adhés ion de la population, il n'y a qu'un pas do nt il n'est pa ~ absurde de penser qu ' il a été franc hi par certains services. C'est e n tout cas la convict ion de Mohamed Larbi Zitou t, un ancien d iplo mate rdugié e n Grande-Bretagne: « Cela veut dire qu 'on ne donne pas les armes à n' impo rte qui. On les do nne après avo ir mas sacré une partie du vi llage, pour qu'ils soient s incèreme nt convainc us de la luite antiterrori ste~ . » À Be ntalha, après le massacre, au fil des semai nes, de plus en plus d' ho mmes porteront des armes. Les auto rités iront même plus lo in en leur fo urnissant voilUre et paie pour qu'i ls ne lé moi· g ne nt pas s ur la nuit du drame. À Raïs, il s'est passé exacte ment la même chose: une se maine avant le c arnage, les habitants avaie nt encore de mandé des arm es, qu ' il s n 'ont reç ues qu , apres ' .
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peuvent être compris qu 'en supposan t que certa ins secteurs de l'armée ont ét!! impliq ués dan s les tueries. Po urtant, aucun de ces indices, pri s iso lémen t. ne peut être co ns idéré comllle d!!cis if: c'est leur conjoncti on q ui fai t se ns. Et s urtout, à ce stade, on ne pe ut di scern er la logiq ue q ui aurait pu am ener certai ns hauts res ponsables de l' ann!!e algérienne à planifier des violences aussi atroces contre la popul ation civile. C'est pourquoi il est essentiel maintenant de re mettre ces indices en perspect ive, en retraçant rapidement l' historique de la dérive des groupes armés islami stes à partir de 1992 ct de la guerre très particu li ère menée par I"armée à la fo is contre et avec e ux .' 1 ... Une « sale g uerre » , sang lante et cruelle, qu i va conduire à part ir de 1996 à cette conjoncture inéd ite: la concentrat ion da ns un rayon d'une tre nt aine de kilom ètres autour d'A lger (l 'équivalent de Paris et tic sa " grande couronne,,), où la densi té dt': la population t':st très fOlk , de plusieurs dizaint':s de mi ll iers dt': so ldats su r le pied de gueITt':, épau lés par des milli ers de mi liciens supplétifs et cohabitant avec quelques ccntaiues de combattants « islamistes" d ' un ge nre très singulie r. Une conjoncture qui a très probablement joué un rôle essentiel d,ms la préparation et la mise en œuvre des grands massacres de l'été 1997 (et qui justifie le fait que nOlis évoq uerOlls princ ipalement dans la su ite de ce tte analyse. les événeme nts survenus dans d ' Algérois). On peut d i stingu~r schématiquement plusiell rs phases dans la « nouvelle guerre d'Algérie» qui commence en j anvit': r 1992. La prem ière, qui dure j usqll'illa fin de 199.\ est marquée il la foi s par de nombre uses actions des groupes armés islamistes.
dans une assez grande confusion, et la répress ion très brutale exercée par les forces de sécurité con tre les secteurs de la population soupçon nés de sympath ies is lam istes . La de uxième s' ouvre début 1994, avec des opérations militaires de g rande envergure contre les maqu is des islamistes {( pol iti ques », des actions dt': plus en plu s sanguinai res des groupes armés rad icaux et une « privati sation» partielle de la guerre avec la mu hiplication des milices à l' instigation de certains secteurs du pouvoir, mais aussi l'intensification de la répression arbi traire contre la popu lation, comme l'atteste le nombre croissant de disparitions forcées, d'exécu ti ons sommaires, de person nes torturées, etc. À partir de 1996, les maq uis islamistes sont tn!s affaib lis, les milices de « patriotes » sont très nombreuses, et pourtant les violences et les tueries redoublent d' in ten sité, jusqu 'à l'acmé de l' été 1997. 1992·/993: entre liU/quis et grol/pes loclJl/x
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52. Il nc ,'agit pa, id de faire un hi,torique dCtaill<ô dc' <ô,·énc mcn t., de 1" llé riodc 1',1<)2- 1997. Parmi k, n<)mbrcu~ <)u \'rJg.~' qui Inoit~1ft ,1.: b que,t io". ,ln puurrJ ....: rermtcf il Sévcri nc L/\llA ' . 1.'''mÛ.'H.'· aIXhie" .... F",re l,'., "l'II (.\" ,'1 le """I"i.'·' Scuil . Pari, . l 'J9S ; Ru . ", n.ws ,/\/>, , H' ,.vni.wL.'. Le ",,"'''" alxhieu. /lu 1'1'''1'11' "'1 "w.c'·. La "c ne. Paris. 1996: Luis M /\HTt~l.I.. L, !!IU'IH ci,.il~~" AI!!Ùù·. Kanhal a. l'ari.'. 1998 : Luci le 1'><, ,\, 'ST. LI w, ."",/,' g"",r~ d·Mg<'ri~. FbnJlJmrinn. Pari., . 1998 . Dj alt "l MA' TI. 1", """"1'1/1' X"U",,, ·Alghie. 1)1.,· dà 1'''''' """1"<''''/1'1'. L, INcouvcl1c . Pari •. l 'N9 . An,,,in~ fI ,,'I"" " . L "i.;ity Pre.'''. New Yori<. 1Y'J7 : Wcrner Rut . 0,,· al!!ni.,<"lIe ha.ci;'{i". Agenda _Yerl,)g . Berl in. 1997 . Kamil T /\ 11.'11 .. AI.II",·".·" al-i.,("",im a( ·//",.,,,III{,II}i1 diu:Jlf,.. //J;'I ,,/.111'1""" il" • III.j""",,, •. "1'. ";/.
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Enjanvicr 1992, l'arrêt des élections sonne le glas du FIS, un front rassemblant grou pes et tendances très différents de la mouvanc e isl amiste . Les deux leaders, Aba ss i Madani et Ali Benhadj, avaient été arrêtés en j uin 199 1 à la sui te d' une grève générale réprim!!e dans le sang. Et c'est d'ai lleurs cette expérience de la répression, alors que la direction du FIS avai t pourtan t reç u des garant ies du gouverneme nt, q ui avait poussé certai ns mi li tants à fai re le choix de la clandesti nité et à considérer que la voie des urnes, pour obtenir l'avènement d'un État is lamiq ue, était une impa sse. Pour la plupart, ceux-là étaie nt restés dans)' ex pectative j usqu'à l'arrêt des élections, mesure qui les a confortés dans leur posi tion in itiale et les a conduÎls à for mer les prem iers maqu is, se lon un modèle largement nourri de la mythologie de la guerre de libération contr~ l'État colon ial frança is. Avec les arrestations massives et le démantèlemen t de toutes les structures affi liées au FIS, les militants ct les sympathisants éparg né s se retrouvent sans commandeme nt. De no uveaux ré sea ux informels se consti tuent et, s urtou t, une o pposition popu laire se manifeste. Nesroulah Vous décri t bien l'ambiance des quartiers de la péri phérie d'Alger à l'époque, où il observe la 26 1
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constitution des pr\!micrs groupes clandestins, formés de mili tants connus de la population, qui apportent un sou ti en m.ltériel aux maqui s et aux fami lles de pri sonniers; ct aussi le rcfu s de cautionner le putsch mililil ire cxprimé par un\! grande pim ie de la population, notamment en sui vant les « loi s islamiques ), recommandées par les militants. Dan s les pre miers moi s de [' année 1992 et jusq u' e n 199.1 , dans les quarti ers périphériques d'Alger, des groupes locaux de résistants sc forment. Il s sont encore faibl es et plutôt préoccupés de s' organi ser en év itant les coups des fo rces de l'ordr\!, qui traquent tous les hommes proches du FIS. Ces derni ers, s'i ls ne sont pas tués , empri sonnés (plu sieurs mi lli ers SOIli en voyés dan s les ca mps du Sahara) ou \!n ex il , sont poussés à la clandestinité ou à qui tter les villes et rejoig nent souvent les pre miers milqui s, en partic uli er ceu x du Mo uve me nt islam iste armé (MIA ) de Abdc lkader Chebouti, qui a dû sc retirer dan s les rég ions montagneuses de l' Atl as hli déen, aux portes d'Al ge r. Rej o ints , à partir du pr in temps 1993 , par des ce ntaines de prisonn iers libérés des camps de concentration du Sud , nombre d' entre eux formero nt, en j uillet 1994 , l'Année islamiqu e du salu t (A IS), la branc he armé\! du FI S, implantée s urtout dan s l' Ouest ct l'Est du pays . Dès le pri ntemps 1992, on entend parler des Djall/aal ü fl/ m(}'(J /II oum f!aha, ou «gro upes isl amiques arrll ~s ' .' " (G IA), " constellation de groupuscu les informel s .I~ }, çonstitués pour la plupart de mili tant s du FIS qui reproc hent au parti islami ste « d' a voir pacti sé avec le régime en participant au x élec tions.l.l ». Il s sont fortem ent implantés dans l' Al gérois - la rég ion qu i verra les massacres de masse de 1997 - , parce que c'est Iii que le FIS est né ct qu ' il est le plus populaire. Il s fédèrent une panie des militants les plus extrémi stes, dont les fameux « Afghans " , ."J. Cene appd bl i"n ~la;1 ,i "'plell"'nI ~u ,!.! I>UI çc Ile ul ,Iisée ~j>Onl ~n orig ines r"ujo un; do uleuses, n' J j~IIIJis permis de ,'" n lirmer ce ne dernière rhèse, 54, Séve ,ioc LI\III\'f, U" iJ/"",i.''/e,' al):àiell .•. "l', cil . p. 2Jt> 55. Ibi,I.. p, 2.15.
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ces quelque troi s il quatre cents militants islamistes algériens« à s' être enrôlés dans la résistance afghane entre 1986 et 1989 St> }', et le urs no mbreux émul es locaux, qui n' ont jamais quitté le pays. Des hommes particulièrement déterminés, dont tous les observateurs s' accordent à dire qu ' il s sont, dès le début, largement infiltres par les agents de la Sécurité militairelDRS .17 . Très tôt, sans doute dès l' été 1992, ces derniers ont créé des contre-maqui :-o pour attirer les jeunes révo ltés. Et il s parviendront ainsi à prendre le dessus sur l' organi sation mil itaire du FIS dans l' Algéroi s, où ni le M1A, ni plus tard l' AIS, ne pourront jama is s' imposer. Dès cette époque, no mbre d 'observateurs s'étonn eront qu'il n' y ai t aucune arrestat ion de me mbres des GIA, pourtant nombreux . Dans celte période, les manipulations du DRS ne se limitent pas aux GIA , comme en témoigne l' attentat qui fai l neuf morts et cent vingt-trois blessés à ]' aéroport Houari-Boumediene, le 26 ao ût 1992, le « premier al1entat aveugle qu ' a connu l' Al gérie indépendante -'8 )'. Selon plusieurs observateurs 59, il semble que des ho mmes du groupe de Abdelkader Chebouti, proche du FIS, avaient effectivement envi sagé un atte ntat contre la tour de contrô le. Mai s ce lui -c i devait surveni r de nu it, et n'était pas prog rammé pour faire de vi ctimes . Or la bombe a explosé en plein jour, au mili eu du hall des passagers : plu sieurs indice s - notamm ent I\! fait que celui qui sera d ~ s i gn é par la police comme le princ ipal responsabl e de l' attentat avait été ilrrêt~ ... huit jours plus tôt - laissent supposer que certains des artifi ci ers auraient été manipulés par les ( services » . Dans les banl ie ues d'A lger, de très no mbreux jeunes, fa scinés par la lulle armée, veulent alors rejoindre le maqui s, par con victio n ou po ur év iter la ré pression sau vage des « force s sp~ciales » : créé en 199.1, placé sous le commandement du chef d ' état -major, le général Moham ed Lamari. cc corps d'armée spéciali sé dans la luite contre le terroris me verra ses effect ifs passer de 15 000 à 60 000 membre s en 1995 . Dès 1992, ct ~t>.
Ibid.. p. 2~K Voir noranllllcnr A nto;ne Bl\slw MIS, "1'. , ';1. . p. 148. .'i~ . JO>;é GI\M~ ".~ .« L' DllcntJI ,le r aé '"pol1 ~. i" Rh'" )~n , ~s S,\NHK"~"Tlf:kl .~. & ,Imme
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s urt ou t ri parti r de 1993-1994, da ns l' A lgé ro is mais auss i aill curs, les qu artiers populaires ayant sy mpathi sé avec le FI S sont écrasés par un vérit:lble « rouleau compresseur », dans le but de terroriser CI de détru ire to ut lien ent re une population hostile au pouvoir et les is llll11 istes armés. Toutes les formes de violences sont cmployées : r..Itissagcs, dynmnitilges de maisons, assass inats «c iblés », mi tra illages à la sortie des mosquées, arrestations clandestines ou à gnmd spectacle, IOrlllres d ' une c ruau té ino uïe - le c hal umeau es t couram ment utilisésuivies de l'exposition de cadavres décapités ... Loi n d ',lvoir l'effet escompté, cette violence va w ntribuer :a grossir I c.~ r:lIlgs de l'oppos ition armée. Certai ns jeunes serOnl pris en charge par les G IA, d 'a ut res créeront le urs pro pres groupes locaux . Ex altés et avides de vengeance, ils mu lt iplieront les :Ittentats et les assassinats« ciblés >. - d ' abord de re prése nt:lIlt s de l' É tassinats). C' est aussi l' époque où, d;ms de no mbreuses vi ll es de l' Algéroi s, les G IA et les gro upes locau x « assujettissent la po pul ati on à un sévère ct vio lent contrôle soc ial. Des centai nes d 'écoles sont incendiées. La vente de eigarell es et de journa ux j ugés inféodés a u régi me es t pro hibée, [ ... 1 Le po rt du hidj ab pour les fem mes es t ex igé tand is que la collec te des impôts est prosc rite !lO. » De plus en pl us de gens ruient ces quartiers. 1994-/995 : f' ill srruml!lIwlisalùm dt!.~ GIA
Au printemps 1994, la guerre c hange d'éc helle et, en partie, de natu re. En premier lieu, l'armée mu ltip lie les opérations de grande envergure contre les maquis des moudjahidi ncs proches
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du FIS et leur porte des coups sévères: « Parfois bombardés au na palm comme à Mertah, les maquis du M IA sont, dès 1994 , dans l' incapacité de ronctionner, ce qui provoq ue la dispersion de ses combattants 61. » Nesroulah Yousconfinne dans son réci t la présence de ces maq uis ct comment l' armée reprend le dessus à partir de la mi- 1994. Après ces ex pédi tions mi litaires, les premiers maqu is du centre sont déci més et pour un certai n temps, d.ms l' Algérois, il n 'est plus qu esti on q ue des G IA (Nes ro ul:lh raconte q u' ils n'étai ent pas présents j usque-là à Bematha ; ce n'est qu' après la fa me use évas ion de Tazoult, en mars l 994 , que les groupes loca ux leu r fo nt allége anc e). Ceux-ci anno nce ront, en mai. l' unificati on sous ce nom de plusieurs gro upes, dont certai ns ~{ resc apé s» des maqui s (i l s' agi t notamm ent d ' une parti e de ceux du MI A et du MEl ou de ce qu ' il en reste, de Hijra wa rakJir et de mil itants du FIS du eouran! de la la:. 'lira , sous la directi on de Mohamed Saïd). L'A IS, créée deux mo is plus tard, restera cantonnée à l'Est et à l'Ouest du pays. Oc sanglan ts règlements de comptes se mu ltiplient au sein des G IA : le gro upe de Mo ha med Saïd sera ains i anéiln ti fi n 1995 ; le chef de la LIDO (Ligue islam ique pour la daawa et le djihad), actif dans la région de Médéa, rapportera que les G IA leu r ont déclaré la guerre à parti r de 1995, et qu' il s les ont alors q uittés pour créer plus tard , en 1997, la Ll D() 62 (leur ka riba _ unité combattante - a connu pl us de pcnes dans les combats avec les G IA qu'avec l' armée). De plu s en plus de gro upes feront défection, dénonçant la dérive des G IA qui ont claireme nt déclaré la guerre au peuple algérien, qualifi é d' « impie» et de « mécréant ». Les G IA s'en pre ndront également à l' AIS et su rtout aux fa milles de mi litants des groupes qui ne leur font pas all égeance. C'est là la première dérive de la guerre: dilns l'A lgéroi s. au début de 1994, les G IA bilscu lent dans une ~{ log ique de terreur pure et si mple, qui n' épargne plus la popuiation 6J ». Nesroulah 61. Luis MilnlNI 1. UI Il''''''<' < 'h'il~ ~" AI.drir. "1'. ";,.. p. .'123. ('12 . Voi r ri nt~rview .le r ~ ", i r de la LID O. Alj Bcn h adj~r. dan 5 L, S"ird·A l géri~. ~ 1janvicr201l0. 63 . Juse GilM~', >r< • • La vio len cc des isl ami slc~ ~. il! 11.1" >NTI .MS Si\N.~ 1M'>'-, II·.MI:S. Ù' (/r"",~ "'J.:hir". "l'. (";1 .. p. 4.~.
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qui (1 lUé il Ikll/(II/w :'
Vous fait état de cc« cortège des morts» dont on ne sait plus qui les a tués: les terrori stes ou les militaires? Mai s très vite, les habitants de la région comprennent confu séme nt que ceue di stinction a pe rdu son sens: les premi ers peuvent être de s soldats déguisés. les seconds s' accommodcnt parfaitement de la pré se nce de « terros » connus de tous. Et les un s co mme les autres mènent le même type d'actions. À Be ntalha et a Baraki , Nes roulah montre bien que les groupes locaux bénéficiant jusqu'alors de la sy mpathie de la population se transforment progressivement: la plupart des combattants issus de la région ont été tués par l'armée, et ils sont remplacés par des voyous et des illconnus qui, à partir de 1994. agissent au nom des GIA et s'i mposent de plu s en plus par la violence et le racket. Les habitants de ces quartiers sc plaignent de l'abandon de l'année. qui les laisse impui ssants face à la violence des groupes. Une habitantc de Bentalha expliquera à la BBC : " Ils vivaient parmi nous, personne ne peut vous dire le contraire. Dès la tombée de la nuit , l'armée partait et eux, ils arri vaient avec leur tenue afghane. Et il s sc baladaient dans le village, mai s I·armée ne leur a ri en f,lit. Nous, tau! çc qu 'on pouvait faÎre. c'était de prévenir l'armée, mai s elle ne fai sait rien ""'. » Pire. mi li tai res ct " terros») semblem souvellt marcher main dans la main . À preuve. cette terrible notati on de Nesrou lah : « De plus en plus de gens se plai gnent à la police des agissements des groupes; et peu de temps après, ils sont liquidés 6.< .» C'est cette conviction que certains groupes locaux bénéficient de complic ités au sein des forces de séc urité qui explique la méliance de la population vis-à-v is ces dernières. Une méfiance alime ntée par des nouvelle s étonnantes en provenance des régions mon tagneuses proches de Bentalha : de plu s e n plus so uven t. on parle d'inc ursio ns d'hommes débarqu és d'hélicoptères. coiffés de bandeaux allestant une identité « islamiste .), terrorisant et massacrant des civils dan~ les villages. Après ces" nettoyages », l'armée se réinstal le. Il devient évident que des faux maqui s co mbattent les vrais. rom t>4 . IJrlll"III,j : AW"I'Jif li ."" 11/".....", T". <.JQ<;ullIcmairc lélévi.<é dlé. f>.'i. Voir .' ''1''''. p. 91 .
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crimes CO/lire /" !UI!I1I1I1Î1é
pression sur la popu lalion et embrigadent les jeunes volontai res venus des villes. Nesroulah Vous a vu de ses propres yeux ces « mil itaires-terroristes» qui s' in stallent dans les régions montagneuses de Meftah à la mi-1994, se dégui sen t en islami stes et font régner la terreur 66. Des témoignages font état de tueries collectives dan s l'Algérois. Des commandos co mposés notamment de forc es spéciales investisse nt des vi liages considérés comme acqui s ü la lutte armée et arrêtent des dizaines de civil s, dont les cadavres sont retrouvés plus tard calcinés, après avoi r été torturés. C'est notamment le cas - resté ju squ 'à présen t méconnu - de vi llages de la région de Chief: entre le printemps et l'automne 1994. des dizaines de personnes y sont arrêtées etliquidées 67 . À celte époque déjà. si ces massacres ne sont pas passés complètement sous sile nce, le s service s de propagande du pouvoir présente nt ces opérati ons des groupes spéc iaux co mme des coups des islamistes. Même s' il faut les considérer avec prudencc - les ri sques de man ipul ation, voi re de dé sinformation. ne doi ve nt pas être né g ligés - , plu s ieurs réc it s de tra nsfuges de l'armée ont confirmé cc type d'actions. C'est le cas par exemple de cclui de « Adlane Chabane »), rapporté le 2 janvier 1998 par le quotidien arabophone de Londres El WU/an-El Arabi: « Depuis 1994, des massacres sont conduits par les services de sécurité, et particulièrement par une section Spéciale de la Sécurité militaire qui les organise et les exécute: la "Direction centrale de la Sécurité militaire". Ell e agit dans le cadre d' un "centre opérationnel" qui est constitué d'une unité de commandos dirigée par le colonel Othmane Tartag. surnommé Bachir. Le but est de terroriser les famille s d' islamistes dans les quartiers islam istes pour les isoler des autres famill es qui peuvent leur être d ' un grand sou ti en. Cette unité spécialisée a pour base la caserne de Ben Aknoun à Alger. Au début, cette unité était constituée de six à dix éléments vêtus de la kachabia ou de la djellaba qui laissaient pOllsser des barbes d'u ne dizaine de jours. 66. Voir.'''I'ra.p.IOI·I02. 1>7. SclOfllcs léllloi~nn~cs <.J·hJbiwnl' ,le Ténçs (""i/
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qui {/ lIIi il fJl.'l!Ial/w ?
« Leur méthode de travail est la sui vante: au milieu de la nuit , ils SO nt transportés dan s des véhicules civ il s dans les quartiers is lam istes co mme C he rarba, les Euc alyptu s, S idi -Moussa, Meftah, etc . Les éléments ren trent dans les localités el c iblent des fa milles bien précises, ce lles auxquelles appartie nnent les islamistes recherchés. Ils fnlppent à la porte cn criant: "Ouvrez, nous sommes les Moudjahidines." Dès que la porte s'ouvre, les occ upant s sont 10 US tués. Au pet it matin, le bil an est parfoi s d'un e trentaine de mo rts, Les maisons sont détru ites ensui te, durant lajournée. « Ces ac tions se sont développées avec le renforcemen t de cette unité spéciale par l'arri vée d'autres cOllllllandos, de pol iciers et de mili cie ns. C'est devenu la catastrophe et il y a eu meurtres, pi ll ages et viol s à très grande éc helle . Le pays est ain si rentré dans un engre nage dangereux. Et le plu s dangereux de tout , c'es l qu'il y a un no mbre croissant d'indi vidu s qui commettent ces massacres, comme s' ils étaient frapp és d'une "é pidémi e du massacre". Souvent. les tueurs se droguent pour ca lmer leurs nerfs ... Ces expéditions punitives étaien t au ss i considérées cOlllme des actions prévelllives visant à éviter que les sympathismlls du FIS rejo ignent les maqui s après avoir été libérés des camps du Sud. » L(lll/lIl1ip/iClIfioll del' milices
Un aUlre basculement majeur de la guerre s urvient en 1994: la c réa tio n de mil ices par le rég ime , vi sant o ffi c ie ll ement;1 permettre à la population d ' assurer son autodéfense et à l' arrnce de se décharger de cenaines missions de proxi mité pour mener plus efficlIccment la lu tte ;mtiterroriste. Dans un premier temps, ces gro upes de « patriotes » ou d '« autodéfense » se créent ct fonctionnent de façons
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crimes COlllre /'/umumili
la police au ministère de l' Intérieur), dont les effectifs auei ndront 50 (XX) hommes. Selon le Premier mini stre de l' époque, Mokdad Si fi ,« il n' y a pas de milices en Algérie, il n'y a pas de mercenaires, il n'y a q ue des Al géri ens, de vieux moudjah idines, des enfants de moudj ahidines, ainsi que des patriotes engagés dans les forces de séçurité et de la garde communale pour défendre la population COntre le meurtre, le vol et le vio l ()JI ». Dans de nombreux cas, la réalité se ra pou rtant bien différente, la violence des milices venant redoubler celle des groupes armés et des forces de sécurité, dans une confusion qu i vire parfois au chaos. Cela d 'aut;mt plus qu ' il n' est pas rare, o n l' a vu, que les armes ne soient di stribuées qu'après des massacres attribués aux islamistes - ce sera le éas à Bentalha - , entraînant des spirales de vengeances meurtrières. Dans la Mitidja, comme en témoigne Nesroulah Vous, les autorités militaires locales sc méfi ent de la populati on e t préfè rent souve nt armer de s hommes s urtout connu s pour leur passé de crim in el, voire de « te rroriste » , q u'elles soient sûres de contrôler. Des hommes qui se comportent rapidement en petits potentats, multipliant vols el chantages, o rga ni sa nt di verses co mbin es a vec le s militaire s et fonctionnllires locaux . Tout se passe comme si, loin de ramener la paix c ivile, l' objectif poursuivi est de banaliser l' exercice de la violence. Ma lgré ce la, ct malgré le fait que ces « patri otes,. armés continuent à opérer en dehors de tout cadre légal ou réglementaire, reur action com mence à être célébrée pilr les médias offi ciels à partir des élections présidentielles de novembre 1995 et leurs effectifs continueront à augmenter jusqu ' à compter près de 300 000 hommes, Ce n' est qu ' en janvier 1997 , sans doute en répon se aux dénonciation s des exactio ns de nombre de ces groupes par des ONG internationales de défense des droits de l' homme (ou dans le ~ou c i de mieux les contrôler), qu'u n décret gouv erne menta l transformera les mili ces d e patriotes en « groupes de légitime défense» (GLD), rattachés aux ministères de la Défense et de l'Intérieur. San s pour autant, se mblet-il , que leur acti on sur le terrain ait fondamen tal ement changé.
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.."mn cOlllrt l'hwlIlIIlÎli
qui li mi li Il/'I/W/lili ?
L'armée cOl1lrô/e le« fl"ùmgle de la Illon »
1997 : la guerre des clans
Ainsi, à partir de 1996, ceue région du Grand Alger que l' on con naîtra bientôt comme le « triangle de la mort » vit une situation des plus étranges; l' armée contrôle hlrgement la zone, les milices sont présentes, les groupes armés se font plus rares, ct pourtant les attentats et les incursions sanglantes de « terrori stes ,) - dont les habi tants sont de plus en plu s convaincus qu ' il s agissent en conni vence avec les forces de séc urité - ne cessent pas. Alors qu 'elles en aumient parfaiteme nt les moyens, les forces de séc urité ne mènent aucune enquête, n' arrêtent jamais les responsables de ces actions, mt:l11e quand il s ont été reconnus. Au ni veau national. la situation est parfoi s plus contrastée mai s, globalement. il n' es t pas excess if de dire que l'armée contrôle largement le terrain . Dès mars 1995, 1'« émir national » de l' AIS , Madani Melr:lg. a ferm ement dénoncé les exac ti ons attribuées :lUX GIA 69 contre la popu lation civile el a fait savoir qu 'il était oll vert itla pcrspt.'Çti ve de négociations « polit iques » av!...,," le pou voir. En durci ssant à peine Je trait, on peut considùer que l' essentiel des actes de violence aveugle qu i conti nuent à ensanglanter de nombreuses rég ions, surtout dans le ccntre. est le fait de forces contrôl ées directement ou indirectement par ccrtai ns secteurs de l'armée; les « groupes islamiques de l'armée" (com me un important respon sable pol itique de l' oppos iti o n a un j o ur qualifi é les GIA 70 ) , des mili ces de « patriotes ». ct des commandos spéciaux de l'armée qui agissent en se faisant passer pour des islami stes. C 'est dans celle conjonct ure. au début de 1997, qu ' un conni t s'envenime entre deux clans au sommet de l'État.
Selon le soc iologue algérien Lahouarî Addi, « le bon fonctionnement du système suppose que le militaire désigné comme c hef de l' État ne cherche pas à conquérir son autonomie par rapport à l'armée pour mieux s'i mposer à elle. Si le président prend à la lettre son rôle constitutionne~ de "c hef s up~ème ?e~ forces armées", la répanition des pouvoirs entre en cnse. D ou le coup d ' État de Houari Boumediene contre M. ~ hmed . B ~n Bella en jui n 1965, la démission forcée de M. Chadli BendJedld e n janvi er 1992 ou bien encore la di spa rition tragique de Mohamed Boudiuf en juin [992 7 ' ». D'où également le conflit qui oppose le président-général Liamine Zérouul aux principaux ehefs de l'armée à partir de la fin de 1996. C'est en janvier 1994, après la période de tmnsition ouverte par l'assassinat de Mohamed Boudiaf -.lequel avait,eu le tor~ de s'intéresser de tro p près à la corrupt ion des géneraux qUI l' avaient appelé à la magistratu re suprê me - , qu e Liamine Zéroual est désigné comme président par les « décideurs » de l'armée . Avec l' aide de son « consei ll e r à la séc urité », le général Mohamed Betchine. ancien patron de la Séc urité mil; t,lire. Zéroual mettra en œuvre la construction d'une « démocrati e de façad e ", conforme au plan conçu par ses pairs; en novembre 1995. il est élu prési dent de 1:1 République à l'issue d'élec tion s notoirement truquées et, en novembre 1996. il fail approuver par référe ndum un e no uvell e Co ns~ituti?n ~ui conforte les prérogatives présidentielles, Un «édifice IOSlltutionnel " qui sera parachevé par des élec tio ns légi slati ves et communales (ju in et octobre 1997), également marquées par la fraud e pour assurer l'hégémonie du nouveau parti du pouvoir, le Rassemblement national démocmtique (RND). " Éradiclitelirs
69 . • c~ dép;Is->c"",ms 1... 1 >o.N1I Ics fa il ~ II.: <...,nains ~ k!",,,ms inf,hrés c' i);nor.1Il1S 'l U, ' cukm '" [ po:uple alI'~n.:n 1pouSSo:r 11 des posi.i ...s non honorable. cl II.:~ ~'... mponcmcms Ju~ <"OIlsé'luc ......:. ffich.:u>.:s _ l in. MOIS de ,·':ril.1 _. k Ul"I!s adn:s.';':"s il di rrérclIls sec,eurs do: la socié,é al);':ri"nne par Madani Mezr:l, . rendues pub liques p~r le l'I S e n av ril 199." ,. 70. Une app..: n~.i lln 'lu i ne s ' ~ppl i'lue p«Jbahle1llcOl p;1s il r e",,"eHlble des );rnupc .• at;i,. Sam en lam qu~ • G IA _ . au !Ml il parai, œrlain 'l"" ,lt) lIIbrc ,rc'n're e ux ~ m ,le f"i , cOl1lrôl é~ par Ie~ forces de .~c uri,é. auran! il eSi impunanl dt: pr~cis.:r 'lue d.!s • "r~ is " GIA o m é,akl1 l<:l1! opéré pcndal1l un.: periOlk ".'".c~. lonau.: .
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»el «
dialoguistes»
Mais progressivement, à partir de 1996. Li amine Zéroual et son consei ll er parai ssent succo mber à la même te ntation que 7 1. Lahouari A' HH • • 1.' armée a lgérienne confisq...: k: pou voir ". t.L 101011<1, d'·"',mm · li'lll/'. f':"rier 1998 .
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"t;lI/ts (,Olllt~ / '/w/II(miti
qlli tllIIP ci /kll/l1l1lll ?
leurs prédécesseurs, ce lle de l' émancipation, en s'appuyant sur la « légitim ité » issue de 1:1 manipulation des urnes - même si, nou s y reviendrons, cene volonté d 'émancip'llion ne vise aucunement à remettre en cause la logique du système de pouvoir el la so lidarité des clans qui le composent. Les tensions entre ces derniers portent en général sur le pariage des ressources financières issues des circuits de la corruption, ct, en conséquence, su r les modalités de gestion de la «crise )} (euphém is me utili sé pour désigner la guerre civile). Au cou rs de la période. ces divergences opposent donc le clan du prés ident Zérou .. 1 ct de son conse iller S etc hinc il celu i des « déc ideurs)} mil itaires qui It!s on l nommés. Le noyau dur de ces de rn ie rs est co mposé notamm ent d u c hef de l'é tat- major Mohamcd Lumari J~ ct des deux patrons de la Sécurité militaire. Mohamcd Médi ène et Smaïn LUllari , assoc iés il le urs « parrai ns .> Kh aled Nezzar et Larbi Belkh eir : ces ho mmes, parfoi s qUlllifi és de c< janviéristes » (Cilf ib ont été les org:tn is:ttcurs du coup d'État de jlln vier 1992), son t pilrti s:tns du (( tout séc urit:lire» et affiche nt com mc objectif 1'« érad ic:tti on » définiti ve des Opposants islam istes (armés ou non) ; cc SOIl! eux , on 1'<1 vu, qu i cond uisent la g uerre et m:tnipulcnt la vio lence depu is 1992. Cc qui ne signifie p
72. L.!qud aV;lil pris .... ,in Ik "erro uiller k .: h~IIII)1k
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La première cassure entre les deux clans ser
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7.l, Vo;' ",lt anliIICOI : Henri TI:-
les ir\Culpi!s Cil III1.11; Vani nOlalllll",nl SJ décision par r C' iSlcn~c de • J()CunlCnl~ o.:c r.:t s ~ mlmllll J e nli ni' I""" bri"",ni'lUtS cl qu i s' appui cl1l , ur mppon s des sc rv;t"s de n:IIS1.'ignemCnls brilanniques CI ullléricain~ l'lui ] fonl ~ Ial J'ocle~ dt l.:rruri~ 1I1C pcrpélrés p~ r les ron.~s de ,éc urilé algériennes, 1", 1 S.:I"II lin aUIn= JocunlCnl, rien ne pcrmellr'di l ,1' ~lIribucr 11 des i sl~mi"cs les UlI cn lJIS 11 la OOIllOC ..~lI l1ln; S il Paris en 1 99~, alors 'lite .. un \Ic ~ allc nlUl S de L'<:II C CI""lUC ,,"r~il pu <:1'" "conlllmndil
,Ic.
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'lU; IIlIIii li JJf'lI/lIl1/(1
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d'appuyer la dé marc he de l'accord de Rome et de le convainc re au contraire de soutenir l' o ption de «gue rre tota le » des gé néflIUX a lgériens. À panir de la rin 1996, Liamine Zéro ual et Mo hal1l ed Be tc hine ag isse nt co mm e s'i ls se mbl e nt con va inc us que 1" rHorme constitutionne lle appro uvée par référendum leur offre un Ilo u vel es pac e d'auton o mi e. Et que ce tte poli tiqu e de violence tous azimuts n'est p l u .~ la meille ure manière d'assurer la pé ren nité du régime. Il s com me ncent ulors à rechercher les voies d ' une solution plus ~~ polit ique », qui passerai t notamlllent par un accord a vec les is lamistes du FI S. Les pn:mières di vergences sc font jo ur s ur la man ière de constituer le no uveau pa rti ~( offi ciel» - ce ~e ra le RassembleIlle nt n.ltion.d dé moc ratique ( RND ) - do nt le principe il é té déc idé, dans la perspec ti ve des prochaines é lections l égis l a ti ve~ e l communales, par l'ensemble des« décideurs» militaires ré unis en ~< conclave » en janvie r 199 7 : simple substitut à un « État-FLN » trop usé, pour les« janviérisles », ou part i « prés ident iel » porteur d'un (, reno uveau » du système, pour Zéroual ct S e tc hine ? Dans celle logiq ue, ces de rni e rs engagen t de s pourparlers d iscrets avec les chefs politiques du FI S, e n particuli e r Abde lkader Hac ha ni ( leq ue l sera libé ré de pri son e n juin 1997) et A li Djeddi. O n igno re bie n sûr le déta il des déb,lIs qu i se mè nent alo rs c ntre le clan Zéroual/Betc hine et celui des généraux « é radicate urs ». TOlljour~ est-il que ces de rniers e nvoient au prc mier plusieurs « .~ igne s » qu i mani (este nt leur désaccord. Le pre mi er est san s doute l'assass inat, le 28janv ier 1997, de Abde lhak Benhamouda, sec rétaire géné ra l de l' Uni on générale des travai lleurs algériens (le syndicilt offic iel ), que LiamÎne Zéroual avai t pressenti - contre l'avi s des .. janviéristes » - pou r prendre la tê te du no uvea u parl i o ffic iel. Un crime revendiqu é par un gro upe is la miq ue se di sant " indépe ndant e t libre .. c t qui va do nner lieu à une m ise e n scè ne bien dan s la traditi o n des «services» : l'assassin présumé, Rachid Medjahed, rapideme nt ;m êlé, est contraint i\ fai re des a veux télévisés, avant d'être s."IUI' l~joUfl1~1111" {;",mlil", <.lu 1 1 """-" !(M() .. ,"I~~ria II1I~rfa,..,. Paris. 2.lIl,all' 2tuJ. www .:dgcria· ,nl Cf f",~ ."·,HI' >.
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("r;m~ S ('oll,re 1"lI/III'O/Û';
exéc uté alors qu'i l élai t déten u au secret: et o n appre ndra que les me mbres de son groupe ont tou s é té tués q uelques jours après (cc qui justifiem l'absence de tou te enquê te offic ielle et no urrira la rumeur attribu ant I"assassinat aux « janviéristes»: mais une autre rUnle ur l'a attribué au contraire au cl an présidentiel, qui allrait découvert que A. Be nhamo ud,\ é tait prêt à se désoli dari ser de lui; il est e n tout cas cert:lin que cet assassinat est une conséque nce de la IUlle entre les deux c lan s). On parle mê me d'une tentative d'assassinat contre Zéroual 7~ . Comme cela a vait été systé m atiqu e ment le cas les an nées précédentes, c haque fo is qu ' intervenait une tentat ive de rapproc hement en tre certains secteurs du pouvoi r et les représentants du FIS 7~ , o n assiste a lo rs à une nouvelle nambée de violences. su rto ut dans le centre du pays. Nesroul ah Vous en re nd compte préc isément : ~~ De pu is le mois d ' avril , dan s la région de Médéa, les massacres ont pri s des dimensions effroyables. Des famill e!i enti ère!i fui e nt e t comme nou s avons de no mbre ux voi!iins o rigi naires de Tablat, nous essayons d 'en héberger quelques-unes. Cc que nOlis racontent les réfugiés est inimaginable et effrayant. Il s n'ont pas fui les maq uisards, au cont rai re: ce sont e ux q ui leur ont conseillé de partir, parce q ue les "égorgeurs" allaien t arriver, hordes de groupes occultes doni o n ne conn aît pas les commanditaires. Des témo ins mcontent qu ' ils on t vu arrÎver ces "terroristes" e n hélicoptère avant de fai re leur sale besogne. Des militaires se fai sant passer pour des is lami stes terrorisen t la popul atio n. [ ... ] Ces témoignages terri li ants ne proviennent pas seulemen t de ceUe région. Tout s" . • l.:I fausse liocrminn .ks lca(l..:~ du ri s : UIiC O<,."<.·a,i"fI perdu.: ~ .;/I R IJ.lINS l'M' 'N · T1L1<1 .~.IL dr",,,r "'gh ;,''', '1'. ";/ .. p. 21 \1,.
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qui CI lUI il lJell/til/,CI ?
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près decht!z n o u ~. Bougara. Baba Al i. Souhane, Beni Ali . où des d iza in es de vict im es pé ri sse nt so us les ba ll es ct les I lIIlle~ d ' assail lants ~an g u in ai res 16,» C'est d':tbord celle conjonct ure extraordinaire qui conduit :1 formuler t'h y pol hè~e d' une décision du ct:1n LamarifMéd iènèl La mari (ou d ' une partie de cc dernier ?), prise probable me nt au cours du pre mier semestre 1997, d ' utiliser tous les moyens _ y compris celui des massacres - pour torpil ler les initiati ves du clan ZéroualfBetc hine. désormais j ugées trop « d ivergentes », Cette déc ision pe ut paraître presque log ique si l'on pre nd e n compte la « schizophrénie ) très singulière de ces généraux : ils o nt to ujou rs agi - to us l e ,~ obser vate urs s'accorde nt s ur ce poi nt - co mme s i, po ur e ux, un champ pol it iq ue civ il ne pouvait ex ister que s' i1ét:li t structuré a utou!' de vraisffaux parti s « dé mocrat iqu es» ( vrai sffallx « is l:lmi s tes »), vrai sffa ll x « laïqu es n, etc .) qu ï b pui sse nt mllniplil e r ; ct comme cet objec tif pncilïquc n'est j:lmai s durableme nt assuré, ils e ntreti enne nt dan s le mê me te mps les varim1tes extrémi stes ct viole ntes de ces courants (G IA ma nipul és, mili ces « ré publicaines »J, q u' il s co ntrô le nt dès le ur c réati o n, c t utili sent les uni tés spéciales de l'année dont ils sont :lbsolumen t st_rs. En \, ac ti vant n ces forces, ils adresserai ent des « signaux n il le urs parte nairesfadversa ires, don t ils sa ve nt q u 'ils se ront parfai te ment compris : c'est:1eux, CI à eux seuls, de condu ire la reconlÏgu ration du c hamp pol iti que e n contr:lig nant le FIS à entrer dans leur jeu (dans cette pers JX.'C ti ve, il s' agi t en fa it moins pour e ux d' « éradiquer n l' islamisme que de Je M)umettre tota leme nt). D'où l' impo rta nt\! , à leurs yeux, de faire égal e me nt compre ndre il la b,lse du parti ishlmiste, celte « plè be n q u'i ls méprisent profondé me nt, qu 'elle cont inuera à souffri r les coups des pré te ndus part isans du r:ld iealisme religieux t:lnt q ue le FIS n'aura p
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uimt'.f ("OIIII"t, "/III11I(111iti
nou veau à grande éc he ll e :lu pri nte mp s 1997, d a ns to ut l' Al gé ro is. rég io n désormai s pa rfa ite me nt co ntrô lée pa r l' armée.
LlI folie dérive des ... j alll'iùisres
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À mesure que l'été 1997 se rapproche, les tensions s' aiguisent e ntre les de ux camps. Dès le printemps, le n<> 2 du ORS, le géné ral Smaïn Lamari, prend discrètement contact avec Madani Mezrag, 1' « ém ir national » de l'A IS, dans le but de courtcircu ite r les négoc ia ti ons e ngagées e ntre la prési de nce de la République et les politiques du FIS. En j uin , le parti présidentic l re mporte comme prévu les élections législati ves ct. d:ms la foulée, Liamine Zé roual limoge e n j uillet le commandant de la ge nda rme ri e, Abb:ls Ghe zaïe l ( un « é radi cate ur »), e t le re mplace par un homme à lui , Tayeb Oerradji , Mui s surtout, le préside nt libère de ux des diri geant s historiques du FIS, Abdelbde!" Hachani (e n jui n) et Ahbassi Madani (en juillet), ce qui ne peut qu' irriter les « jan vié ri stes »). C'est préc isément dans cette période que ces derniers lancent dans l' Algérois une vaste opéralion « antite rrori stc» dont rend com pte Nesrou lah : « Nous remarquons la fo n e concentration de militai res qui encercle nt toute la zone de Caïd-Gilcem, les maisons el les vergers . Ils font venir des bulldozers pou r creuse r des tra nc hées e t se fra yer un passage car tout le terrai n serait mi né. Toules les nu its, nous e nte ndons des lirs isolés e t des r... fales de balles. Et pendant tout cet encercleme nt qui a débu té juste avant les élections légis lati ves du 5 ju in 1997 e t qui se termine ra de ux mois plu s tard, des bombes explosent partou t dans Alger ct les atte ntats ct en lève ments se multiplie nt. Encore une fois, nous n'y comprenons rien! Durant cette opé ration dc grande e nve rgure, le géné ral- major Mohamcd Lli mari, c he f suprême des armées, se dé place à tro is re prises à bord de son hélicoptère pour voir de près la situation ü Caïd-Gacc m. Et puis so udain , déhut
r,.. ]
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aillll"f COIll" "'wmmlüi
so lda ts H.» Une rume ur s uffi samm e nt fo rt e pou r que les Étals-U nis, par la voix de leur ambassadeur en Algérie, appor· tent publ iquement leu r soutien au chef de l' État. Dé but septembre, quelques jours après le massacre de Raïs, s itu é à qu elques kil o rn è tre,~, ces so ldaIs viennent sï nSlall cr à Caïd-G acem. Nesrou lah Vous entend dire qu'il s'agirait d' une unité venue de Biskra (dan s le sud de l' Algéri e), Une in fo rma· tia n qui recoupe celle rapporlée en 1998 par le leader du FFS, Hocine Aï t-Ahmed : « Dans cette histoire, on n' a pas seulement laissé fa ire: nous avons des inform ations selon lesq uelles des troupes spéciales venues de Biskra seraie nt interve nues. Elles au mient été déposées en hélicoptère et dopées pou r participer ;. des massacres à Raïs mais aussi il Béni -Messous 71. » L'enc haîne ment des événements déjà connus confon e en tout cas l' hypothèse d'une plani fica tion préalable: - au début de l'été, q ue lqu e 4 000 ho mmes des forces s péc iales !-io nt dé pl oyés dan s la rég ion , sous la s uper vis ion din:.'Cte du général Mohamed Lamar; : - en 1I0üt. ce derni er donne ins trUClion ;. toutes les uni tés militaires de ne sortir de leur cantonne ment sous aucun prétex te S,HIS un ordre ex près: - 28 ao ût ct 7 sept embre : ma ssacre s de R aïs c t Sidi·Youcef: IC' septembre: Abassi Madani est pl acé en rési dence surveillée, au motifqu ' il au rait ré pondu fa vorablement il l'appel au dial ogue lancé par le secrétaire général des Nati ons unies, Kofi Ann an : - mi -septembre: les soldats des forces spéciales commencent;1 patrouiller dans Bentalh a ct ex igent des habitants qu' ils cessen t de monter les gardes: à la demande des militaires, des tombes som c re usées dan s le c im et ière de Sid i R 'zinc, qui
77. Voir .'"1''''. p. 1.1.0- 0 1. 7~ . • L~ politi,!"" ,l'éradication a ci,'hou~ _, enl.el icn a"e,' Ih",int A t'r, AU,, ' 1>, '" J,.I', CfM. ;1" ~ ,",\\I IJ Idir.). C"'Ylll"",·t'.i MI ,lunrill,,'r, n" 2.\ rrimc"'fIS 1998. p. 10.\. Celle informai ion ",jui ni cc lle rappo" ce par plu sieurs observateurs !:,i,am ,;'al de rexislence il pa l li, de 1\1\14 d' ull e . Unile 192" (ain s, 'Io"'''',;cen rd':rcn~c '"Il ,:oup d'Étal de janvier 1992). uni l': du DRS pb,'ée ,,'us la direc,ion du culunel ~ H~chil' " Tall,"~ c, cha,!;.'e de cc Iype d· . "r.:r~tions spê,'i:.I,', ~ \ voir .1111"", l', 267, le 1 ';"I\);g",,~e du 1"." , · fu~-.: . Adl;,nc Chabanc - J.
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se rviront à inhumer une parti e des victimes du massacre de Bental ha (voi r l 'u l m l , p. 203) : - 21 septembre: la « trêve ", qu i prendra effelle I ~ octobre, est signée entre Madani Mezrag (A IS) et Smaïn Lamari (ORS) ; - 22 septembre: massacre de Bentalha : - 5 octobre: l' armée convoque lu presse pour assister à une offensive militaire spectacu laire contre le village d'OuledAllal. présenté comme le repaire des G IA qu i auraient perpétré les massac res, Cette dernière initiative est importante: c'est la première fois depu is le débu t de la guerre q ue l'armée médiatise de la sorte une opération antiterroriste - ce que souligneront à l'e nvi les ti tres des quotidiens algé rois (<< L'armée ro mpt le s ilence », « L' armée révèle ))). Alors que tout indique qu'i l s' agit, de bout en bout, d' une mi se en scène - Nesroulah Vous parle, à j uste ti tre, d' « o pératio n alibi » ct se dema nde .< s i les militaires n' avaient pas, comme ce la est souvent arri vé, liquidé des prisonniers polit iques pour présenter leurs corps comme ceux de ces dangereux terroristes 19». L' affaire d'Ouled-AlIlil clôt ainsi une première séquence de trois mo is dont on do it constater que la médiatisation - y compris celle des grands massacres - aura été orc hestrée de bout en bout. Pour les organisateurs de ces crimes, l'ensemble de l'opératio n aurait perm is de faire passe r plu sieurs« messages» : au prés ident Zéroual que ce n' est pas à lui d 'organi ser la recompos ition du champ politique en négoc iant pour son compte avec les di rige:Hlts du FIS ; à ces derniers ct aux chefs de l' AIS, qu ' il s n'ont d ' autre choix que d ' accepter une trêve à leurs conditions, s' il s veulent que prenne fin la terreur qui ffllppe leurs pan isans : au peuple ••lgérien qu' il n'a plus d ' autre recours, dans ce tou rbi lion de folie sanguinaire, que de continuer à plier l'échine et à sc soumettre à la loi des « décideurs» : ct, enfi n, à la communauté internationale, de comprendre une bonne fois pour toutes que la « barbarie is lamiste» est capable de tel les horreurs qu ' il est dan s son intérêt de soutenir les seul s qui peu vent lu i faire rempart, fu ssent -il s corro mpu s el peu fréquentabl es (c'est le se ns de l' e xœ pt io nnell e cou verture méd iatique des grands 79. Voir l l'I'''', 1'. 2.\2.
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qui (1 'u; à lif'IIW/l1ll
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massacres permise - sous un strict contrôle - aux organes de presse étrangers). Et au-delà de ces objectifs « stratégiques », il n'est pas excl u, on l' a vu, que le c hoix des quartiers martyrs ait égale ment permis de régler d'autres « problèmes », com me la nécessai re él imin ation de té moin s gênants et la liquidation de sympath isants de l'opposition armée. Da ns les trois mois q ui sui vent, les escarmouches en tre les deux cl ans ne cesseront pas . Et les massacres, moins spectac ulaires, continueront à être très nombreux, jusqu 'à l' accal mie qui sui vra le.') grands massacres dans la région de Réliza ne, à l'ouest du pays, qu i font près de 1 000 morts entre la fin décembre J 997 e t les pn:: mil!rsjours de 1998. Une accalm ie obSl!rvée à partir de février 1998, coïncidant avec l'e xtraordinaire opération de relati ons pu bliques internati olmles organi sée par les « décideurs» algé rie ns, sur laq uelle nous all ons re ve nir 80 . La « gue rre des clans» se poursuit de façon moins sanglante tout au long du premier semestre 1998, c ulm inant à l'été par une vio le nte campagne d'une partie de la presse « indé pe ndante" contre Mohamed Hetchine. Elle se conclut par la démission du prés ide nt Li am in c Zé ro ua l le 15 se pte mbre, et ce ll c de son « consei ller spéc ial » deux mois plus tard . Les «j an vié ristes» on t gil gné, ct ils org;tn ise ront , en févrie r 1999, l' élec ti o n - truquée comme les précédentes - de le ur nouve'1U paravent civ il, Abde laziz Bouten ika (lequel ne ma nquera pas, comme ses prédécesse urs, de che rche r à so n tour à s'é manci pe r de ses mentors ." ),
crillll' j COII/rf lïl/llll(III;11
Aux origines d e la violence Nous ilvons bien consc ience que le s ini st re « scénario » que no us vcnons de présenter pour explique r les massac res atroces de l' é té 1997 n 'est pas prouvé de façon défi niti ve, ct qu 'i l co mpo rte très pro bable me nt des lac unes . Les fa its avé rés _ dont ceux rapportés dans ce livre pa r Nesro ula h Yous acc réd ite nt to us la pre miè re hypothèse d ' une implic a tion _ directe ou indirecte - de certai ns secte urs de l'armée. On di spose à l'évidence de moi ns d'éléme nts préc is pour déte rmine r les cau ses d ' une telle impl ic atio n, ct e n partic uli e r la seconde hypoth èse que nous venons de présen te r, celle d' une planific mion des massacres par lOu t ou partie du commandeme nt militaire dans le cadre d ' un connit avec le clan présidentiel. En l'état des informati ons di sponibles, ce ll e-ci sembl e la p lu s vra ise mb la b le , mai s on ne pe ut e xclure qu e d ' autres facte urs e t d'autres acte urs aient pu inte rvenir. En lOut état de C;IU SC , nous le disons ct le ré pétons: seules des e nquètes indépenda ntes pourront trancher cette question c rucial e, lourde de conséque nces, Quo i q u' il e n soi t, l' éva luati on de la pe rti ne nce de cette do ub le hypot hèse ne pe ut faire l' éco no mi e d 'une seco nde « mi se e n perspective» avec ce que l' on sait du mode de fonctionneme nt du pouvoir algérien de pu is une qu inzaine d' années e t du poids de l' hi s to ire co lo ni ale d a ns ce ll e d e l' Algé ri e indépendante. Cwlisme et cra Îl/ te d e Ill '" r ift:'
110. ~uc ~ood u~ iun n:joint ~dle IleS aUlcun.lle AIIIII'I"i'y i"", Il,, AIII",i"" M
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JO
Pou r les « déc ideurs» mil itai res, la lulle contre la mouvance is lami ste surg ie à la fin des ann ées quatre-v ingt n' a e n effe t jamais é té politique, au sens classique du te rme: il ne s'est pas agi pour e ux, comme on l' a souvent prétendu , de combattre un projet de société dont ils récuseraie nt l'cssence totalitaire. Leur objectif a toujours é té - il l'est toujours, près de neuf ans nprès le début de la guerre - de détruire ceux qui pourraie nt e ntruÎne r le peuple dans une révolution risquant de me ttre fin à leurs pri vilèges ct de tarir défini ti vem ent les so urces de le ur fortun e: essenti ell ement les commi ssions sur les échanges commerciaux
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qll; li 1411 ri /J"lIwllw ?
(exportat ion s de gn el de pétrole. importations de biens de consom mation) représem:mt chaque année plusieurs milliards de fmnc s 81 (ct qui impliquelltla complicité des intérêts occidentaux , lo ul particu lièrement en France, facteur important du soutien franç ais au régi me algérien). Une fonune qu' i Is tien nent par-dessus tout à préserver et, plus encore. il transmettre à leurs enfants. comme r a rapporté !ajournaliste José Garçon, de façon sais issante. en citan t les propos d ' un « très haut re ... ponsable » recuei llis après la violente répression des émeutes d 'octobre 1988 : « Pendant trente ans, nOLI s avons pu nous déc hirer, nou s mettre des couleaux dans le dos. Mais nous prenions soin de ne jamais abandonner un dirigeant exc lu, ne serait-ce qu'en continuant :1lui rendre visite. Car nous éti ons uni s par lill e certi tude : no s enfan ts devaie nt nou s succéder. Nom; savions que le jour où cette loi serait rompue, ce la en serait fini pOUl' nous tou s, car la rue, elle. ne sc COlllell1erait pas d' tlne tête, mais lescxigerait toutes g!.» Respecter cettc« lo i », telle semble bien avoir été la se ule boussole des« décideu rs » algériens depuis la cassure de 1988 et le déc lenchement de la guerre e n 1992. Mais ce cyn is me "hsolu , ce mé pri s ct celle craint e constante de la « rue », ne seraient ce rlilin e ~llenl pas aussi déterminés s'ils ne s'inscri vaient pas dans une tradition de pou voir caractérisée par le clanisme ct la manipulati on de la violence, qui remOnte à la guerre d'i ndépendance. « À la direct ion , i] n' y a plu s de tendances politiques mais des clans. Les liens pcr~o nnel s prennent la place des affin ités politiques. Person ne n ' a de stratégie cohérente pou r le prése nt ct pour l' avenir. Le problème e~'( de dl/rer [sou ligné par nous l. Chacun sc méfie de chacun et se préoccupe surtout de réagi r à to ute initiati ve pour pouvoir éventuelleme nt la neu traliser. » Ces lignes sais iss;lIucs s' appliquent pratiquement mot pour mot II I Voir ;1CC SlIjcl l'u n..: des Ir\:, r~ rcs ~Iudo:s a" " n~anl oks C.,l in~1I ion, pl:lU ,i blcs sur 1.. 'Iucsr io n : AllIk rabilli ZI MI OUIIII.' lc s circ uit, de rargc nl noir ". il/ R I.I~'N11.NS SM~.' 1MO~·Ui.MLS. U dr"'''t "Ixlri,,,. ''l', ,'it.. p, 1 12, Ains i que : !""Iiha T il' ,111"11·, • F.<:ononti,· admini slrêc. corruplion CI clll1rc nagc de b vinlcllCC Cn Algêric » . 111'\'111' Tiu ., .,llmull'. n" 1hl. scplc ,nbrc ! ()()(). X2. Jo": GI\M~"'N,. Le. IHccanÎsllIcs du pou~oir: "paçÎ lé CI orgJn ism.on ok b """fu. sion ". p~faœ a Djal kil Mill TI. 1.. , tllII..-dlt X'"' ,'''' " ·Alxlrir. "1' . .-Ir.. p. 1.1.
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crime! C/J/llrr l '/ullllwlilé
au fonctionnement actuel du pouvoir algérien. Elles concernent po urt ant la directi on du FLN à la fin 1957. selon l'historien Mohammed Harb i, au moment où ci nq chefs mili tai res ( Bel kace m Krim, Lakhdar Bentobblli. Abdelhafid Boussour. Amar Ouamrane et Mahmoud Chéri f) onl pris le contrô le de l'apparei l contre le« politique » Abbane Ramdane, à la suite des graves revers subis lors de la « bataille d' Alger» menée avec une brutalité inouïe par l'armée française 8.1. Mohammed Harbi commente en ces termes ce tournant décisif de la guerre d'indépendance: « Ainsi com mence l' ère des seigneurs de la guerre. » Cette « ère » semble toujours durer, quatre décennies plus tard, uvec une différence majeu re: les c hefs militaires qui hi er avaient confisq ué le pouvoir se bat laient pour l' indépendance de leur pay s, ceux d'aujourd'hui ne l'accapa rent que po ur préserver leu rs pri vilèges.
L 'héritage du« sy~'tèllle BOII.uollf:ll et de fa XI/erre ... à !a!rtmçaùe » Dès le dé but de la guerre, comllle l' ex plique Moh am med Harbi dans un article remarquable, « pour se prémunir contre le noyautage et les infi ltrations, réunir les informations destinées à neutrali ser les act ivités de personnes supposées hostiles, les dirigeants du FLN meUront en pl ace des services s péciaux. qui seront con nus à partir de 1960 sous le nom de MALG . Mai s leurs attributions. qui devaient à l' origi ne se limiter à la collecte de renseignemen ts. finiront par s'élCndre à la surveillance du FLN lui-même et au contrôle des populati ons. Et les services spéciaux vont aussi jouer un rôle central dans les luttes entre les facti ons U ». À pani r de 1956. son princi pal responsable, Abdelhafid Boussouf. ulili sc « la terreur pour imposer le monopole du pouvoi r, susci ter la délation, semer la méfiance qui décourage la crit ique . l'o rg'lIl isat ion et la ré vo lte K.\ ». Il sem not amment l' orga nisateu r, cn décembre 1957, de /'assass inm de Abbane Il.' , M"harn"o.:d H I\~I", IR f LN. mirux, <,1 ,-i"lill. Dr" ",iitillt.!'; 1<1 l''i,., dlll'''II""lr I/W5· I%Z). É<.l ilion~ J A. Paris. 1980. p. 2W, 114, Mo hummcd H ,\~UI •• Le sysl~Ule Boo,snu!' ~. III Ih:r_ )Nl' .~ S SI\I'~ 1~, 1....fl LM I:S, 1..i/rOllIW "'itlri,,,. ''l'' 0'11 .. p. H':I . K.~ . lbid.
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('rimt'J f()ll/ Tt' ('/umulI1ili
Ramdane. le leader charis mat ique du FLN qui. lors du congrès de la Soumm am en aoû t 1956. s'ét ait imposé fac e à ceux qui voulaie nt que les armes comma ndent au po litique (le FLN prétendra que Abbane Ramdane était mort au combat. tué par [es mi litai res fran çais). Bénéficiant d'u ne format ion dans les écoles du KGB à partir de 1958 - CI! se ra la fam euse pro moti o n « Tapi s rouge » 8/J_ , les ho mme s du sys tè me Bou ssou f ne cessero nt d ' étend re leur influenc e au sei n de l'a ppare il du FLN -ALN. Comme on r a rappelé, cn ju illet-aoû t 1962. l'état-major de 1'« armée des frontières », dirigé par le colonel Houari Boumediene. organise un coup d'État contre le G PRA (Gouvcrnemell1 provisoire de la Républiquc algéricnnc) et les wi/am,\' combattantes de r intérieur, et prend le pouvoir au prix d' affrontements me urtri e rs; il impose ra A hm ed Be n Be lla il la prés id ence comme façade civile pendant trois ans. Après l'év iction de leur chef, les Il Boussouf' s boy s» « reporteront leu r fid élité s ur le colonel Boumediene ct constitu eron t les premi ers cadres de la fameuse Sécurité mili taire, qui va devenir la colon ne vertébmle du régi me n ». Ses chefs successifs n'auront aucun état d' àme pour éliminer ccux qui const ituell1 à leurs yeux une menace. En témoignent nota mment les aSSil'isi nats (à l' étranger) de Mohamed Kh ider ( [967), BelIo.-acem Krim ( 1970)el A[i Méci li ( 1987). Et quand cette vio lence« c iblée » ne suffira plu s, il s n' hésiteront pas ft passer à la répression de la (. ruc » (octobre 1988) pui s, à parti r de 1992, 11la violence 1. de ma s.~e ». C'est donc dans cette tradition - trop rapidement évoq uée ici - que s'i nscrivent les «j a nvié ri s tes » q ui mène nt la « second e g ue rre d'Algé ri e» (il l'e xce pti o n d u généra l Médiène, tous sont d' anciens « DAF » - déserteurs de l' armée française - rall iés au FLN au cours de la guerre de libération). I!i>. • II ~ Y~(l1H\!mlmrll b mi.", Cil :.œllC. ro"g~ni",,!iQll ok, pro ...."oui..n s ~~ dc ~ C
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Ce la exp li que sans do ute que . dans un étrange miméti s me rétrospectif. ils aient largement repris les méthodes de la « sale guerre» menée pllr l' armée française au cours de la première guerre d' Algéri e. méthodes qui perfec tionnaient elles- mêmes celles utilisées depuis le début de la colon iSation pour briser la " des« 111 ' d"Igenes» 88 . reslstance Dan s leur version « rational isée », ces méthodes sont ce lles théorisées par la doctrine dite de« c ontre -iTl.~ u rrec ti on » mise au point à part ir de leu r expérience en Indochine ct en Algérie par d es militaires fran ça is, le s co lone ls Ga rde e t Trinqui e r - doctrine dont on sait que les offi ciers s upérieu rs algériens l' ont étudiée de près, y compris dans son avatar américain ultérieur de la« counter-insurgency »(on pourrait parler dans le cas de]' Algéri e de «co unler-djihad »), Le concept clé de celle doctrine est d' iso ler la guéri lla de la popu lation qui la souti ent ,< re tirer .'io n cau ,lU poi sson » - en combi nant « act io n psyc hologique» et« opérations sp(-c i:l lcs» n' ayant qu ' un loi ntain rapport avec les tec hniques de guerre classiq ues, comme l' ex plique un spéc ialiste américai n : « Pourquoi le régime algéri en n'a- t- il arrêté ni jugé aucun des assaill ants? Pourq uoi interdit-il à la presse d'interroger les survivants des massacres? Pourquoi est-il capable de protéger les Vil'ites régions pétrolières c t gazières alors qu ' il se montre impui ssant à protéger le petit peuple? Pou rquoi les ma ..sacres n'ont-ils pas eu lieu dans les quarti ers riches de la nomenklat ura? Pourquoi frappe nt-il s les zones il sy mpathie islam iste'! Comment expl iquer la contradiction ent re la proxim ité et la passivité de l'armée [ors de ces carnages burbares? CeUe "proximité-passivité" est-elle acc iden te lle. contingen te? Non 1 Selon les té moigmlges à notre disposition, ces massacres ont une structure comm une et ceue 1!8. Dans un "n ie'" 1 ~ docu".,nce. S.... k k Sd lJIlI propo.>M: un tlonnanl par:t11i:1c encre les nléthndc~ de J""~ uli1isél.'S aujourd'hui en AIJ<.'rie ct ~.., Ik:s d ' hicr : Sadck SU .l.AM. ., Ali:"rie : de$ colun ~ ~ bX colonels . Ca<1 ' ps, e~tcnni n~l ion. cr.tdicJ1ion ., ill C:tlhcrinc Ct (d ,r .1. /',u/u rin '·' ''''rs. /~"ur /n X",,~ ·i1urie Le Pcn • (l'ien c Vml\l . Nf\\,I1 11:T.• L' Algérie. socibé ",i l i!~in:"! Rmuions sur lrois (( IOUlen" d'une h istuin: : 1958. 19R8. 1998 •• ill Gilbl'n M t. y l'Ill Il (di r.). I.·A I.~irlf r""Ir"'I",ruillf. !J!/,,,, n .wluII"" .< /"'lIr .."Tli, J~ III ,.,i.rr. L·HJrm~1t an. Pari s. 210'). p. 1~·181).
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"prox im ité-pas!:'ivité" des rorces armées du rég ime y est répéti tive. systématique. Dans la tactique de guerre contre- insurrectionne lle, celle prox imité- pass ivité se nomme coord inati on opérationnelle, cela s' appelle la "zone gelée". C'est celle même coord in ation o péra ti onn elle qui a é té o bservée d ans le s massacres de vi lIageoi s par les j untes mi1ita ires d ' Amérique latine, au Sal v:ldor CI au Guatemala par exe mple, el en Rhodésie dans les années soixante-di x. Le G IA est ulle organisation de la co ntre-g uérilla is l,lOlÎ ste (c'est-à-d ire une rau sse guéri Il .. "ca moufl éc" en une vrdie), totalement contrôlée par la OR S qui gère la coord ination de ses "opératiolls spéci ales" avec les unités régulières de l'année algéri enne. Ces "opé ration s spéc ial es" vise nt à di sc rédite r la vrai e g uérill a, à c apitali se r sur les viole nces pour faire basculer 1:, soc iété, et donc i, cou per les vra is grou pes i ~ hllniqu es ,Inn és de s c ivil s qui les sou tenaiel11 ~'J. » Dans la prati que. les « jan viéri stes » ont en to ut cas porté il une échelle inédite les deux grands volets de l'action des mili taires rrançai s entre 1954 ct 1962 : barbarie et manipulation. Du côté de l,. barbari e, fi gure d'abord l'u sage géné ralisé de la tortu re, parfo i ,~ pratiquée dans le s lieux mêmes O ll sévissai ent autrefoi s les to rti o nna ires fran çais, co mm e les caves d es commi ssariats de Cavaignac ct Châteauneuf à Alger. Ou encore la sin istre habit ude de mut iler les cadavres des« terroristes » abattus :l vant de les cx poser publiquement 'III. OU les enlèvements opéré.'\ par les forces de séc urité, sui vis d ' une {{ disp.. ri tion » défini tive 'JI.
119. tnlcnicw \le J . S~u 'U •• GIA i_ a ~"unler·~ ucrr; l13 r,m...., ~. " fn, '" I/mlUm H;)<:h,.•
Du côté de la manipu lation, les Français avaient eréé des faux maq uis pour déconsidérer ceux de l' ALN, comme la fameuse « Force K » dirigée par Boukabous, un Illessalistc retoumé, en rai t conlrôlée par les capitaines Conilte et Hentic : ou ils avaient équipé en sou s- main des« groupes d 'autodérensc » - dont ce rtains pa sseront d'aille urs, à leur gra nd dam , du côté de l'ALN , comllle dans le cas de l' opération 1( Oi seau bleu» 9~. Ils on t également joué sur les di visions du ca mp national iste, en soutenant discrètement des maqu is opposés au FLN , comme ce lui de l'Armée national e du peupl e algérie n du « gé néra l Bellounis » '1.\. Autre techn ique : la désinformation, qui provoqua des dégâts considérables dan s les rangs de l'ALN. Ce fut le cas en 1958, avcc la tr istement cé lèbre « o pé rat io n Am iro uc he» (l a « bleuitc », du nom des bleus de chauffe portés par les supplétirs al géri ens du capitaine Léger, l' offici er françai s respons,lble de l' o pé rati on) : les mi li taires du co ntre·espionnage franç ais avaient arrêté des combattants de l' ALN, et les avaient ensuite rdflchés après leur avoi r lai ssé croire quc nombre de leurs camarades de combat étaient des traîtres il la solde de l'ennemi. Celle intox ic ation a condui t le co lo ne l Amirouc he, c he f de la will/ v{/ III (Kaby lie),:1 faire torturer et assassi ner près de deux mill~ moudjahidines~. Autre technique utilisée tout au long de ];1 guerre par l'armée rrançaise: la mobi li sation de forc es supplétives « indigènes .. _ qu elque 260 (X)() hommes, dont les plu s con nu s fu rent les harkis - pour diviser la popu lat ion 'I~.
N' ..... /n'rI'. YU!. 2. nO1. \1 M: pl ~ " lbr" 1\1"'. Si no us pan"geun.' a,,<,,. lar~~llIcnl (C il" anal ~..:. celle ·c; doit ~m: n,oanct.'c . Corn" .: "n r a "u. en en'c,. u" ".,. l'CU, park • • du G lA ~ <>011"''''' ""e « tl.. g~ "i.\.alioo • dassi'l uc. m' ·d le Jo" • ~(H"n:·gué.;lI a ~ : la liai ilé ,," .:en'Ii ·
tl'un ufficicr lr",;"" - Oi,,.,,,. hl". ' . 1.:1 l)éco uyc n e, Pa,i ~.
llell leni plu., wmp le~c . l>Cpu;s l'J9J, le sigle GIA 3 ~I~ ut i..."" ,ms... hicn par des ,n""l'C ' réelleme nl auhlllomcs Ilue pa .
9.1, Voir sur ....., poinl le li"re é lon nJOI dt: Ch" m" El' DI", 1. '''lJilirr n "II"".ti.l. /l i.<,oi,,.
guerre ~ r aulTe » ••'" J .. 1>. CH'" ;.~." 1Alli) 1di .. 1. COlllllln".,.•' MI,I"~", ,,,h, ,,~2!i. p.intellip., 1<,198. p, 1.'6. 91. Vuir il cc ,ujel le du"ic. 1rès eu",plel ~I ahli l'ar AL< a .KI"· W "leu. " 11011,1 """.. l"" ""f:. "111,.,.1'.0' ";""m,•. ,',·m/r; ·/r" ""US , .... Do,Hou .,'" /i'.< dr"/>,II"/I"'I,' "·,,il'· li d,·.' clllh~"'~III.• INII' /t,O ,'Ul'Ù ·,.... d.. ,w'..."iI':. Herlin. avril 1999 (www .a lgtria· waldule/awmf"li;;p . hl"' ~. Vu; r ':gu l e l"~11I k_ l ':m,, j gna~~~ 1<10111 ~eux ,/' un pulidcr ,'1
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T outes ces tec hniques de man ipulati o n - fau~ maqui s, désinformati on, fo rces suppléti ves - , on a vu que les générau x « j anvié ri sles » les onl util isées. Dès 1992- 1993, ce rtain s d 'entre I!UXsont très probabl ement à l' originl! d'escadrons de la mort « ci vi ls» (OJ AL c t OSRA ), dont l'ex istence fut toutefois éphémère, car la man ipulation des is l:unistes radicaux de." G IA sc révélem rapide ment plus erficace dans la guerre contrc- insurrectionnelle %. Au-delà des no mbre ux é lé ments fa c tu els q ue nous avons cités ct qui élablissl!nt celle manipulation, l' analyse des déclarations ou revendications attribuécs aux GIA ne laisse auc un doute sur ."on a mple ur, s urt ou t il panir de 1995 : da n:-l' hi stoire du XX" siède, on ne connaît guè re e n effe t de groupes de guéri lla prétendant se ba ttre contre un pouvoi r oppresseur c t qui revendique nt en mê me te mps Ol/verTe mell/ - ic i au nom prétend um ent de l"i s la m - la lutt è /olale contre le pe uple opprimé ... Pa r ces mé th odes, les «ja n vié ri s t e .~ " o nt ac ti vernl!n t co nt ribué ;1 géné ral ise r dans tout le pays une cu lture de la viole nce el de la Illon , détru Îsa nt toutes les bases du lien social. banali sa nt unè situatio n où la vie n 'u désormais plu s aucu ne vale ur. Ce tte logiq ue, grâce au cli mat ai m i c réé e t au sout ie n d'une communau té inlèrnationale en que lq ue sorte anesthésiée pa r la positi on fran çll isè , con fo rt e l' hypothèse que ce rtains d' entre e ux c n soknt venus il combiner barbarie et manipulation pour plan ifi er les massac res de masse de l'é té 1997. Des mnssacres qu i doiven t être considérés, a u regard du dro it inlèrnational , commc dèS c rimes contrè l'hu manité,
La comm um,uté intcrnlltionale COlllIJlicc [l est certain que l' 0 11 Ile disposai t pas, il l' aUIOnUll! 1997, d' un té moignage au ss i précis q ue cel ui dè Nesro ula h Y o u .~ , ni de l'ensemble des in formations e t des élé me nts d'analyse que l'on vient de prése nter. Pour a utant, l' horrèur des fait s rapportés par %. Ce ll e Icchni'l'''' >C11.I r':ul iti",~e [lt~, 1;llice,." com,no; UIIC •
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les médias i nt e rnati onau~ . les doutes qu'ils c ~pri me nt alors sur les ju stitïc utions avancées par les officiel s al gériens pour e xpli qu e r l'i nac tion des forces de séc urit é, n' ont pa s ma nqu é de susciter de nombre uses réactions, bic n timides du côté des États ct des orga ni sations inte rn ationales, plus vigoureuses du côté des ONG et de la socié té civi le. /nd igll lll iOlls
Ai nsi, pour ne prendre que quclqlles exemples, dès la fin août 1997, Ko fi Annan , le secrétaire général de l' ONU . déc lare: « Nous sommes e n présence d' une situ ation qui a longtemps été cons idérée commc un problè mc inté ric ur. Il est ex trê mement diffic il e po ur nous to us de faire comme si rie n ne se passait. comme si nous n'étions pas au courant ct devions abandonner lu population :Ilgérienne à son pro pre sort » : et il appelle il une «soluti on urgente')7 ». Début septe mbre, en France, le prés ide nt Jacq ues Chirac e xprime son « ind ignation », Cl François Hollande, premier sècrétaÎrc délégué du Parti social iste, appell e la communauté in ternationale 11 « pre ndre des in iti uti vès 'If ". Les Amé ricains m:m ifes tent égale me nt leur préoccupmion, tout en déclarant souten ir les ~< mesures mil itai res compati bles avec un ét;1I dl! droit pour protéger les populati ons 'l'J ». Des réactions en effet bien limides, q uand on se rappelle que ces État s è t l'opinion in te rn ationalè avaie nt été alertés depui s plu sie urs années p:lr plusie urs grandes organ isations internationales de défense dèS droits de l' hom me sur les horre urs de la gUè rrè civi le en Algérie, imputées aussi bien aux groupes armés islam istes qU':Iux forces de séc urité. D' oil la revendication de ces derniè res d' ulll! commi ss ion d'enquête inte rnati onale pour fai re la lumière sur ces violations dèS droits de l'hollllllè c t le urs responsables. Rl!vendication qu'elles réaffirme nt a vec force en oc tob re 1997, appe lant de s urcroît les mem bres de la
'J7 AFPell<~ulcrs . .\(JaoÎll 1\197. 'Jil. l.t' A/l'IOde. 2 sc[llcmbn: IIN7 . \19 . 1.J' M,.,,,/t. 21, s.:plcmbn: 1\197.
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commission des droits de l'homme de l' ONU 11con voquer une session l' xtraordi naire sur la situation algérienne lm. Celte id ée d ' une c ommi ss ion d'enquêt e int ernational e commence alors 11 renconlrer un certain éc ho auprès de personnalités et d'organisations intergou vernementales (comme Mary Robin son, nou veau Haut Comm issaire aux dro its de l'homme des Nation s unies 10 1, le Haut Commi ssariat aux réfu g iés de .~ Nation s unies, l' UNI CEF ou le Parlement eurupéen), ct surtout , e n Fran ce, auprès d'a ssoc iati o ns franç a ises e t al géri ennes - dont certaines organisent à Pari s le 10 novembre une manifes tali on de rue très suivi e autour de cc mot d'ordre. Si l'on en juge par la vigueur de leurs réacti ons, il semble que cette conjoncture - sans doute mal antic ipée par les « jan viéri stes » - ait été jugée très dangereuse par les « déc ideurs » algéri ens, tous clan s confondus. Il s savent en effet qu e c' est III France qui donne le « la » de la communauté internationale su r le « dossier algé rien » : ce la est vrai de l' UniOIl euro pée nn e, dont les État s membres ont toujours estimé, pour des raisons hi s torique s, qu 'i l s' ag issait du « do maine rése rvé» du Quai d'Orsay; mais auss i des Nati ons unies, et , dans une mo indre me s ure, des États- Uni s eux-mêm es, qui ne se son t jamai s résolu s à créer un casus belli avec Paris pour ce « dossier» de polÎlique international e somme tolite secondaire à leurs yeux . C'est bien pourquoi le pouvoir algérien n' ajamais ménagé ses effort s pour s' assure r la « neutra lité bi e nve illante}) du gou vernement fran çais. II a su indiscutabl ement tirer parti de la vieille culpabilité de la gauche " officidle» françai se, soc ialistes et communistes confondu s, dont les panis ne pouvaient guère en effet se glorifier de !cur attitude au cours de la guerre de 1110. A"" ., " sI"Y 1r< n, ~r: 1., -n .M:1 . l 'III "1,\1'. (l'ID H). Il l ' ''''''' .~ Rx alTs W "'1"\ "Il . RI:I"IH' ~ s SM<, 1k"~·lli: kI.'. ~ Algérie : aprel ~ a~i r p"ur me llre li n " ta "risc des dmi h ,le I·h"m" ,.: ". 1.' ""lOb..., 19'17 . La rc\"e lld,emion ,ru ll" commissio" d '''nquê!c inlcfIlationalc a élé é~lcmcnl mi><: en ava nl . dès l 'i97 . fli'" ~e ,1am.' flilll i, d' opp<,siliml en AIIo':àic cl p;tr dt lIuU/bn:ux "lIdk,'lucb a lg.'rlCIl ' (v"ir nowmmcllI : l'al iha T hl hlll n . Moh.1Ul mcd HAW IlI. L;th"uari ", >1)1 •• LeU,,, l'''''cne aux ér;lelOhrc 19')] 1.
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crimes ("DI/Ire "//UI/J(lIIirl
libération : cette situation , entretcnue par d ' anciennes ami tiés entre çhel"S du FLN et leaders de la gau che fran ç ai se, s'c st révé lée particulièrement favorabl e aux géné raux algérien s à pani r du début des ann ées qu atre-v in g t, avec l'arri vée au pouvoir de gouvernements de gauche en FranCè (conjoncture que I" on a retrouvé en Allemagne, où le SPD a toujours soutenu le FLN et le pouvoir). Mai s le rég ime algérien a également veillé 11 mainten ir de bonn es relation s - au -delà des prot estati ons péri odiques contre le « parti de la Fran ce» (H iz b F rança ), qu alifi catif habitue l pour sti gmati ser ses enn emis po litiques dans l'Al gérie indépendante - avec la droite fran çaise, en parti culi er çclle q ui se réclame du généra l de Gaull e . Et sur ces arrière- fond s politiqu es, de fru ctue uses affai res financ ières (commerc iales ct po li tiques) se sont nouées de longue date à haut ni veau, il droite comme à gauc he, dont on peut conce voir qu 'e lles ne faci litent pas une vi gilance de tous les instants sur les violations des droits de l'homme dont se rendraient responsables les« déc ideurs» algériens ... Depui s le début de la « seconde guerre d'A lgé ri e », il semble que celle complic ité« dorman te » n'ait pas suffit aux yeux de ces derniers - à j uste titre car son effi cac ité s'est sans do ute réduite avec le renouvell ement du personne l politique fran çai s. Dès jui llel 1995, un consei11er du Premier ministre Alain J uppé estimait ai nsi que l'attentat qui venait d'e nsanglanter Paris à la statio n Saint -Mi chel du RER, attribué aux GI A. pou vait être consi déré comme un averti sse ment en ce sen s: « C' est san s aucun doute une actio n des islami stes. Mais qui est derri ère? Pe ut -être un clan de la Sécurité mili taire al géri enn e ou du pouvoir qui voudrait nous entraîner à nous allier à eux dan s la lutte contre le terrori sme 102 ? » Une conviction à l' év idence partagée par le nouveau Premier mini stre Li onel Jos pin . En jan vier 1997, c inq mo is avant sa nominati on, celui qu i éwit al ors le c hef de l' o ppos it ion de gauche avait déclaré, très lucidement , évoquant le drame algérien :« On continue il hés iter entre le risque de l'indifférence et ce lu i de l' engrenage si on s·ex.pri me trop cl airement. Voilà, je 102. Ci lé par Cbmk AN< ;1;' , el Stéph;u,;c ~1I:S.~II . ~. S"lt 'tlJll'.' /,''"' r" Rfr",b!il/'w, /495 ·/ '197. Grus",/ . Paris. 19'17. p . Il 1.
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croi s, les raisons du s ilence, [ .. , ) 11 n'est pas question d'une capi tulmion devant des forces qu 'on peut à peine identi fi er, mab nous devons di re que nous ne sommes pas prêts, pou r au tant, Il soutenir le pouvoir algérien quoi qu'i l fasse, 1... ) Un gouverneme nt , qu'i l so it de dro ite ou de ga uche en France, peut se demander s i certains, ic i ou 10'1, ne pourraient pas être ten tés de frapper si nous nous exprimi ons plus nettement. [ ... ] On l'C ul œrte:. espérer 4u'en ne di sant rien on sera moins touché. Mai s on peut aussi se dire que, si le conflit nt.! trou ve pas de solUlion. l' aCC UlllUI.ttion de ces v i o l e n ce .~ est lourde de conséquences pour le futur. Il faut donc faire des choix IIH ... » Tro is mo is après son entrée en fo nction , ct quelques jours après les massacres de Raïs et de Sidi-Youccf, le même Lione l Jospin déc larait : « Même s i nou s resse ntons un se nt iment d ' horreur ct de compassi on [,.,J, avons-no us toujours ü nou:. sent ir coupables? La France:: n' e:.t plu s respons:lb le de cc qui meurtrit l'A lgérie aujourd'hui. Au plan offi ciel. le gouvcrne· ment fr:lll çais est cOIllra;1II dm l.\' JO li expressio/l [sou ligné par nou s] . Prendrait· il des in itiativesq u' eJles ne seraient pas reçues, nous le savons l().t, » De nombrl!Ux observôllcurs ont notammelll attribué cc rev ire ment aux « messages» dé li vrés
! 0.1. ' 1Ilcrvicw li. U/,ù"li,,". 27 j~ ll"icr 1W7.
1114. Illien';"",
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COll/ri' 1"llwmmiti
Vile extraordinaire OIJératitm d '", agil-pmp " ùl1enUl(ùmale Dès le mo is de sl!ptembre, les décideurs algériens réagissen t d 'abord très classiq ueme nt s ur le front dip lo matique , un domaine qu 'il s maîtri sent parfaitement , l'O ri S d' une tradition héri tée de CC LI X q ui s'y étaiem illustrés J Ilw SI,,'k, mwl. SI:Hc ,6janvicr l'Nil .
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groupes is lamiqucs armés, dOnl la q uasi-majorité des membres sont issus du FIS, o nt déclaré la guern: au peu ple a lgé rie n. Il s veu le nl ins taurer la république islamique par le "dji had" , en m.. ssacrant des m illiers d'Algérie ns 109 " ; deux sema ines plus tard, on peut également J ire dans son journal: « Cenaines popula t ions co ntinu en t. ma lg ré les ma lhe urs qui frap pen t les citoye ns, d ' ,lpporter leur soutie n au x groupes terrori stes, leu r perme tt ant a ins i d e bénéfic ier de la rges compli c ités pour échapper aux opérations de ratissage ou de contrôle 110, » Une argume ntat io n qu i apparaît aujourd' hui pan ic ul ière mc nt c hoquante après ce qu 'oll a lu dans ce li vre, Mai s qu i peU l êtrl' aussi ju gée fo rt médi oc re, dès lo r~ q u'II s'agit de convalm:rc l' opin ion internati onale. IYOll sans do ute le cons tat désabu sé dressé par le c hef de l' État lui- même, Li amine Zéroual, dans Lille « di recti ve" du 13 novembre 1997 : « Il convient de corriger l' image qui est véhicu lée de l' Algérie à l' étranger, une image souvent fau sse c:lr manipulée au gré des intérêts des c hape lles politiq ues int érieures e t ex té rie ures , Parce qu e la promoti on d ' une image saine de l' Algérie souffre d'un défau t de stratég ie [ ,.,J, d e relai s co mpl émentaire c t d'un e ncadrement aguerri, l'i nsti tut ion d'u ne agence de commun iC,lIion extérieun.: investie de la fonctio n de prod uire e t de projeter la véri table im .. ge du pays , lUX plans politique, économique, comme rci al. culture l et tou ristique, est une nécessité I II, » On peut légiti mement s'interroger sur le to n fausse me nt naï f de ce tex te é to nnant de la part du prés ident. très probablement publ ié à la demande des hommes du clan avec qu i il est a lo rs ell con ni t o uvert - mais dont il sc doit malgré toui d'être solidaire ,., Dc fait , 1'« .. gence » en question. si contr..tire aux traditions conspiratrices du « systè mc Boussouf », ne verra jamais le jour. Mais sur le court te rme, les missio ns qu i lui sont claire me nt assignées - jeter le ,",ile sur]' « opérat ion massacres., - vont être mises en œ uvre avec une redoutable efficacité,
IOY, 1::1 1V"/wl,29 a,,û I 1'N7 , 11 0 , I::llVmllll, J7 SCpicII,hre 1<)<)1 , III . Ci,,~ p.lr Je an·l'ierre TUUl r,,,, • Le,> SUC.i:5 Ik C'oll'IIlunkaiioll du rlJumir al ll.!· rien ", 1., /If"'ldf, 20 ré'
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Dès la fin 1997, plus ieurs dignitaires du régime (do nt Ali Haroun, anc ien di rigean t de la Fédération de France du FLN) viennent d isc rè tement à Pa ri s dé li vrer la bon ne paro le à quelques personnalités politiques et intel lectuelles, surtout de gauche, jugées influe ntes. Alo rs même que les tue ries rcdo ublent (p lus de 1 000 vic times, on ra vu. dans une série de massac res qui e nsanglantent l'Ouest du pays), celle démarche est Suivie d'un véritable ballet de visi tes, o fficielles ou no n, de personnal ités françaises et européennes en A lgérie, Les philosophes Be rnard-Henri Lévy et André G lucksmann, les pre miers, e n r:un ènent les re portages déjà évoq ués, qu i ne passent pas inapt!rçus - e t vaud ront à leu rs au te urs un hommage empoiso nné du « p,lrrain » des « jan vié ri stes », le général Khaled Nezzar (<< Il s o nt par le ur courage fa it connaître la véri té », écrira- t- il dé but février dans El Waral! , a vant d ' ass ure r « ces ho mmes de courage ct de convic ti on» de « son plu s g rand respect » et de sa« p 1us h,lUte consl"d"enlllon » II') - , Pui s ce sera le tour, e n jan vier et fév rier 1998: de l'anci e n ministre soc iali ste des Affaires é tra ngères C laude C heysson, vie ux compagnon de ro ute du régime (il ex pliquera à son retou r qu'i l « comprend la réaction d' Al ger » refusant l' ingérence que consti tue ra it une commiss ion d 'enquête interna tio nal e lU, et que , contre les groupes islamistes armés, « seule la contreviole nce est possible I I ~ »); de l'ex-ministre soc ial is te Yveue Roudy (pour clic, « il est clair que ce sont les is lamistes, ces fo us de Dicu, qui tu en t l 1 ~ ») : d'une délégation du PCF emmenée par Francis Wurt z (<< Nou s ne re tournerons pa s e n Fra nee po ur pOIrier de maSS:lc res et de viols, No us dirons ce que no us avo ns vu. Une A lgérie qui vit, qui se bat e t construit son avenir I I ~ »); ou encore du président de la commissio n des Affai res étr:mgères de l'Assemblée nationale, le soc ia liste Jack Lang, e n visite « pri vée» (d'où il reviendra avec de« bonnes impressions et (laI convic tion que la démocratie a réuss i à constru ire un Parleme nt plurali ste, un Conse il de la nation, à te nir des élec tions 1 12, Cilé P.1f Jean . Pit!rn: Tt J()lJ<~. ibid, 1 t.1 , L ' H"",,,"i1r,.'\ janvier 199 8, 1t 4, l, 'f: fj"'U,(, 22 j'In,'ie. 199~, I l .'\ , iii W,, /,,", 1<> "ws 19'i~ , 116, 1. 'Hlllm",itr, 2 1 février t
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Il''; (IIII'; à JJf.'lIIlIlIw :'
locales ct à donner la parole et la responsabi lité au peuple et la liberté d'expression à la lumière d'un pluralisme réel et un État de droit au sens propre du terme 117 »). C'est au ss i l'époque d'une vis ite écla ir de vi ngt-quatre heures, le 19 janvier, de la « troïka » de l'Union européen ne, lors de laquelle les trois secrétai res d'État aux Afr<üres étrangères des Quinze sou lèven t publiquement la question des droits de l'ho mme e t de mandent au gouvernement algérien de permeltre la visi te des rapporteurs spéc iau x des Nations unies sur la torture et sur les exécutions extrajudic iaires, demande qui restera sans sui te. Il s aborden t également la « coopération dans la lutte contre le terrorisme », com me l' exigent leurs interlocu ,· ens 118 - eXigence ' ' f Irmee f i ' par ces dermers ' t eurs a l gen a l ors rea lors de diverses rencontres internationales (réu nion du « G 15 », conférence au Caire, meeting des ministres de l'Intérieur des pays méditerranéens à Naples). Et du 8 au J 2 février, Alger accueille une délégation du Parlement européen emmenée par le député français André Soulier, non salls avo ir auparavant imposé ses conditi ons. La députée be lge Anne André-Léonard racontera plus tard comment a été organisée celle visite: « Alger dit non, c'est c lai r et net : pas question qu'on mene notre nez dan s les affaires algériennes. L'enjeu, c'étai l --S i vous insistez su r les massacres, vou s n' entrerez pas en Algérie," Oui. il faut reconnaître qu'on n'a pas voulu prendre cc ri ,~que-Ià Il'J , » La conc lusion du président de la délégation sera sans surpri se: les forces de ,~écurité ~( ne sont pas impliquées dans les maSSlicres mais constituent une armée mal entraînée et mal équipée pour lutter contre les formes mutantes de terrori sme I!{I » , Une complaisance que la journaliste algérienne SOli ima Ghezal i, qui vient justement de recevoi r du Parlemen! européen le prix Sakharov des droits de l'homme. juge en ces termes : « Ainsi l' Europe conti nue, sans surprise, à ne pas se 1 17 .
I{cUl~rs,.t~vtil
1'198.
118, Vuir les déwils d: ~~(I<' <'i,il~ CI tes «mdilluns algérienrlCS ,I~ns: Abba> A~""!I, ~ L' VI:: el ics """,anes ". ;11 Ali bUll/in' ;'1/" ,II.. AII
120. Cilé p;tr M,n~-.:I Sn ln", ~ Les dépulés curop&"s qui.'>
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crimes CO/JlrI' / '/wmalJiré
définir ct, en fOlit, à soutenir le régime algérien à l'instigation de Pari s 12 ', )} Celte offe nsive dipl omatique culmine avec la v isite en Algérie, du 22juillet au 4 août 1998, d'un « pancl » de personnalités mandatées par les Nations unies, so us la directi on de "ancien président de la République portugaise Mario Soares. Rendu pu blic le 15 septembre, le rapport de cette mission est jugé « conforme à ce qui a été conc lu emre nous et l'ONU », comme le déclare cy niquement le ministre des Affaires étrangères. Ahmed Anaf, De fail , loin de sui vre les récentes recommandations de la co mmission des droits de l'homme des Nations unies. qui avait j ugé le 20 juillet nécessaire « notamment des enquêtes indépendantes sur le comportement des forces de sécurité dans les massacres en Algérie m », le rapport de la dé légation bl anch it dan s les failS le pouvoir algérien: s'agissant des massacres de masse, il reproduit la version offi cielle, et le s vio lati o ns des droit s de l'homm e de la part d es forc es de sécurité n 'y so nt qualifiée s que de l' 1 ' « depassements" -. Cette li ste impressionnante ne serait pas compl ète sans la mention du battage médiatique orchestré en France autour de prises de position militllO tes d'intc:llectuels en vue, Le double point d'orgueen fut assurément le« meeting national unhaire» organisé au palais de la Mutualité à Paris le 21 janvier 1998 sous le titre « Algérie: le sil ence tue », suiv i le lendemain d'une soirée consacrée à la « nuit algérienne » par la chaîne de télévision franco-all emande Arle, Dans son appel au meeting, l"organisation Génération Écologie expliquait sans délOurs que« la gravité de la situation nous impose désormai s de mettre en accusat ion les assassi ns avant les autocrates , [".J S' il est vrai que nul n'est parfait, el s urtout pas le régime algé rien. les assassins, égorgeu rs, découpeurs , violeurs, év iscé raleurs, sont bien pires ». Un point de vue que l'on retrouvait le lendemain sur le plateau d·Arte. avec une partie des mêmes participants (on y 12 l , '-t S"i, de IJruxclb, 14 février 1998, 122. A f!.', ~ aoûl 1998, 1D. Ce ruppnn ~Sl ,un'uh"hlc il l' a
meSu'-': , " ". 10 Sl!pl"mbre 1998, cl ,Ii "erses aUI'-':, ré~,tio~s
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qui il /Ut> il IInlllllha ?
cntcnditle direc te ur de la rédacti on de L 'Expre!i.ç s' excl amer avec forCl! : « Ce n'cst pas l' armée qui tue cn Algérie! »). La même sema ine, l'organi sateur de ceUe soirée télévisée, le journali ste Daniel Leconte, expliquait : « J' en avai s assez des anal yses et des commentairc=s qui compliquent la si tuation. Je voulais des faits ct non des spéculations. Je m'élève contre ces ana lyses qui consistent à ne pas vouloir nom mer le mal - d, style "On ne sait pas qui tue" - ct surtout à occ ul ter le fait llU ' on lUe en Algérie ,lU nom de l'is lam ou, du mo ins, d' une certaine idée de l"i s lam . O n pré fère entrete nir la co nfus io n à coup d',1I11 algôl mes t!ntrt! ces massac res et les eXllctions qui relèvt!llt de la rt!sponsab ilité du régime; cl 100isser entendre que l' armée ou la Sécurité mi 1iwire aurai ent perpétré des tueries "attribuées" aux is lamistes - sans jamai s, bien entendu. avancer le moindre élément préc is:1 l' :lppu i de celle thèse. / ... 1 Aujourd'hui, de la même façon, ctWCUIl cho isit son camp. En cc qui me COllœ rnc, je me fi e plu s au x dé moc rates ct au x journali stcs al géri cns qu ' aux censeurs ou autres compagnons de route d' orgOlnisations totalitaires I~~ . » Cette prisc de positi on, dont o n ne peut mettre en doute la s incérité. illu stre bien la fi bre dont li s u jouer parfaitement le c lan des « éradic:lte urs » algériens: son di scours fai sant de la " barbarie islam iste» la cause ultime de 10 US les drames du pays ne po uvait q u'être bien reç u. da ns un e France profondémcnl laïque, par 10US ccux qui avaient décidé de refu ser les" analyses et commentaires qui compliquem la situ ation ». D'où sans doute le succès durable de leur campagne massive de 1997·1 998 : près de Irois OIns après, la pers pective de r envoi d ' une commission d 'enquête internationale se mble plus éloignée que j amais. Et le sang conti nue à couler en Algérie ... •
A uc une réconc ili ati on, aucu ne concorde véritab le ne sera poss ible cn Algé rie sans qu e j ustice soit n:ndue aux vic timcs. M ais faudra+il att end re q ue l'év olutio n politiqu e ren de possible le jugc ment des coupilblcs par des tribunaux al gériens
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l'rimes 'Oll/rt l 'IUllltauilé
indépendants pour que ces crimes soient reconnus? L'exem ple de r Afrique du Sud ct de sa« Comm ission pour la vérité et la réconci li ation » montre que ce la est possibl e. Ce jour viend ra certainemen t ; pourtant, cn al1endant, n'y a-t-i l rien à fa ire? A ujourd ' hui , les avancées du dro it international ouvrent des perspectives à une action pour la reconnaissance de ces crimes. Grâce à la ténaci té des victimes, de leurs fll milles et des ON G locales ct internationales, quinze ans après la fi n de la dictature chilienne. l'obstination du juge espagnol B:lltasar Garz6n a mis fi n il l' impunité dont bénéficiait le général AuguslO Pinochet. Et le même j uge a déclenché un séisme pol itique en Arge ntine en inc ulpant des généraux responsables de plus de 10 000 disparitionsentre 1976 et1 981 . Des massacres de l'ampleur de ceux de Bentalha, Raïs. Rélizane. etc., auraient déjà pu être reconnus comme crimes contre l'humanité ct, II cc titre , donner lieu à la créut ion d ' un tribunal pén:11 international. comme pour 1:1 Yougoslavie, le Rwandn ou, plu s récemment, la Sierra Leone. Le s ilence offi ciel de la France (qui n' a toujours pas répondu aux acc usati ons concernant ses propres cri mes de guerre ct crimes contre l'hum anit é co mmis durant la période coloniale el la guerre de li bération) ct l' intense acti vi té des réseaux et lobbies franco-algériens pour empêcher la constitut ion d' une commission d' enquête internationale sur l' Algérie d,ms le eadre de l' ON U ont joué, nous l' avons vu, un rôle déterminant. Si cela ne s'est toujours pas fai t et s i cescrimes demeurent :1 ce jour impuni s. c'est esse ntiellemen t pour des r.lisons géopolitiques, comme c'est le cas pour les crimes de la Russie en Tchétchénic depuis 1996. Mais il est néanmoi ns possible d' agir en se référant au droit international : les auteurs de tortures (c rime imprescriptible) et les responsabl es de di s pariti ons (ac te considéré comme un «crime contin u » par la législation internationale) peuvent être poursu ivis par des Iribunau x étrangers. Il p,lraÎt donc diffici lement conct!vable, dans cene conjoncture, que les responsabl es de crimes de guerre et de cri mes contre l'humanité en Al géri e pui ssellt continuer à éc happer à la ju stice. Quc cert ains de ces responsables soient des " combattant s» is lami stes, celli es t ind isc utabl e; mai s force est de constater qu 'aucun d' eux n' a jmna is été j ugé et condamné par la ju stice algéri enne, ce qui
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Il'' ; ( 1 '"i Il Il ''IIlalll,, ?
justifie pleinellle:nt dans leur cas la mobilisation des instru ments du droit international. Cela vaut aforl;or; pour ce:rtai ns des chefs de: ]' armée algérienne: nous l' avons vu, le témoignage de Nesroulah Vous ne peut laisser aucun doute sur l' implicat ion de forces placées sous les ordres d ' une pan ic d'entre eux dan:. le massacre de Bentalha ; ct nous avons essayé de réuni r, dans Ct!lIe postface, un ensemble d' informations et de faits montrant qu' il ne s'agit là en aucune façon d' un événeme:nt exceptionnel depu is le début de la guerre en 1992 , Les noms de certains de ces responsables mili taires, toujours en activité aujo urd ' hui. sont connus. Des soupçons graves et préc is pèsen t s ur e ux. Il es t nécessai re d' ag ir. à part ir de J' exemple des ex périences l'Ltino-.. méricai nes et sud-africaine. afin que des enquêtes indépendantes soient engagées pOli r faire la lu m iè re e t d éfére r les co upab les de va nt les t ribu nlLUx compétents. Notre espoi r est que le li vre courage ux de Nesrou lah Vous con tribu era 1\ préc ipiter cette éc héance. Et q u' il .. idera ai nsi ;L mettre fin au cauc hcmil r qu e Vil, depui s plus de hu it an s, le peuple algéri en. Pa ris, Berlin , septembre 2000
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ANNEXE
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DE H AlEL-D JILALI
Liste des habitants du quartier 1. Mut""'" _y.hi • .
M·h.mod Bl n"' • . CIoooIoh Bou ~h.d.., N•• olo 8.,..1, Moh ....... . 1I<0II1m Mo.1I (pol,. du di.p. ,u ~odhill· 13. Le Mul' ''1Ie, IgoOO .. de Ch. i.h Am"I . 2. 3. •. 5. 6.
18. L• ..,1/101" . 20. Abdoor.bm.n • .
21. F..m ••• l _ . 23. Amml M'""uar (~te d'AdI~","1
25. Abdolkod .. Tlldj lnl (polre de fou.d l U. Fomil lo H.tol.
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52. Homm ..... ugl. Il. m" oon O!>plrtion' . u
lS. M ....... koudri
67. Aomd .... l;;gol.mo"t lool"i,. dol. mlioon ,,' 33) 68. A... ki f _ . 70. Om ...
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du lot jssement de Haï el-Djil ali
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Introduction. En quête de vérité .............................. .
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1/ LA SA LE GUERRE AU QUOTIDIEN 1. Le grand rêve de la démocratie ........................... . Les wméesfolles .. ........... .... ... ... ... ... ... ... ............... .. . Le FIS fl/aÎlre de la situa/ion ........ ... .... .... ... .... ..... ... .
Sau ver 011 brader fa démocratie? .......... .. .............. . Jal/ vier 1992, IIne illlHion .\" effondre ..... .. .............. . Ben/a/ha, 1/11 village en lIIarge de la capitale .......... . Démocratie Il.HI/pée 011 .~Q!/vée ? .... .. ..................... .
2. L'engrenage se met en place ............................... .. La chasse ail « barbu» ......... .. .............. ... ... .... ... ... .. La vie de ql/artier ............. ........ ... ....... ... ....... .. ....... .. L 'apparition de:, groupes armés ............................ . Le.~ lois de.l· groupes .............................. .... .. .... ...... .. Vn étranger s 'a velllure dans notre ca uchemar ..... .. Délai.I·Sés des autorité.\· ....... ..................... ..... ....... ... . ExécuriolH sm/IIIU/ires ....... .......... ........................... . La « guerre des communiqués» ............................. .
13 13 15
20 22 26
••
30 34 34 37
40 43
45 47 51
54
1 1
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••
1
q/Ii 0 lué il Ikl//oll/(/ :'
3. Entre groUpl'S armés et militaires ....................... . 1~ "e/(1I1se resserre ................................................... . L 'él'aSÙJII de Ta zo/lll .............................................. . Le diktat des GIA ................................................... .. /mpull/le ................................................................. . L 'affaire cles nel'eux ............................................... . Vile o/Jùatùm de grallde ell vergure ....................... . Scènes c/'/wr/"ell/' .............................. ...................... .
4. Dérapages, conrusion, in compréhensions ........ ... Les deslruclùms d·illfra.wl"lIcfllres ......................... . Étrall~ es émirs ...................... ..... ..... ............... ... ... .. . Le c()l"lè~e des II/oriS .................. .. ... .. .......... ... ... ... .. . Fallx /II(lt/IIÜ ................................ ........................... .
Mefiah ent re emll/lIlll/dos :..péciallx. foux el vl"ai.\· lIu/(/lIis ............................................ .
S. L'arméc I)rcnd le dessus ...................................... . Les élec:l;o/ls /)ré.\·idt'l!/ idle.~ et fe redéploiemenl dl!.~fo/"(:es de sé("l! /"iré .. ........ . Les premiers patriole:..IolIf leur apparirioll .. ...... .... . Le.l· garde.~ c.·olllmwwle.~ fOll/lel/r appa /"ilioll ......... . L 'a.\·oW1Hùw t de Sidali ............................................. . LUI't'lIgemu'e des /Jat,.iOle.~ .................................... . La vie reprelld dlUU" le quartiel" ............................. .. La tuaie de.~ jel/lle.l· ..................... ... ............... .. ....... . La qlle .~I iOIl de f' "rll/el/lelll .......... .. ......................... . La dis,Jal"iriol/ d 'Amillt' .................. ........... ............. .
6. L'été des massacres .............................................. . Caïd·Gm:elll et l'offensil'I! militaire ....................... . Le.I·lermrÜtes rerm llclu!s de Cllïd·Gm."em ............. . Le.l· lIIa.I·X(u:re:..· s 'lIlIIl,1 ifiellt el la Pllllique aU.D·; ...... . Le l/Ias.\"aC"l"e liC' Rai:l' .. ... .... .............. ........................ . Le:,' :,,·ell/(lille.'· qui IJrécèdem le mos.WIae ................ .
310
59 59 62 63 66
69 75
81 84 84
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1/ / LE MA SSACRE
7. Une soirée presque comme les autres ................ . « Ils ne savent pliS ce qui les al/el/d
JO
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Les premières bombes sOl/nelllle glas .................. . « 011 va tOllS vous égorger!» .......... .................... . « Nous SOl1lmes ici pour vous envoyer elleZ IIOfre Dieu .1 ,. ...................... ... ...... ............ .
8. La folie ................................................................. Del/xième étape .- chez Warda .............................. . " " ) ..................................................... . Pn .s (/11 pIege. Troisième étape .- chez Aitar ................................. . Vile horreur en accompaglle Il/le ml/re ................ . Vile ré.l"i.lïance acharnée el l'aille ......................... . QI/otl"ième étape." le.yfalllôm es de la n//il ............. . " Nasro. i1.\' 11011 .1' o lZl eus f » . .. . .. .. .. .... .. .. . .............. .
157 157 16 1 166 170 174 174 177
179
180 183
187 190 •
106 106
109 112 114 1 17 121
m 129
Ln 136 136 138 140 143
1
9. Lendemains d'horreur .............................. ........ . À /' hôpital ..... ....................................................... . Ll.l /llol"1 partollt... ................................................. . « VOl/.\" êtes les racines dulerrorisl/ll' » ................ . Peu cl l'eu, les choses se précisel/I ........................ . J...es llSsaillallts ...................................................... . Le:..Iorces de séCllrité uhserl'etllie SIJectac/e .mus intervenir .................................................. . « Va 0/1 tes I,ieds le porterom el vel/ge-lOi ! li> ••••••• Pl/llique Rét/ùalisée ............................................. .
10. Manipulations et mensonges ............................. . Vn groupe de légitime liéfeme IJilo.l'ablC' .............. . LesjO/lI"/llllütes som surveillal/Ct' ........................ . Les lIIiliU/ires et l'opération alibi d 'Oufed-A IInf .. . É L1a.\·ioll et reHourcemell1 ..... ... .. ... ... ... ........ ........ .. .
193 193 196
198 202 207 2 12 2 15 220
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