NGALASSO Mwatha Musanji : Langage et violence dans la littérature africaine écrite en français
LANGAGE ET VIOLENCE DANS LA LITTERATURE AFRICAINE ECRITE EN FRANÇAIS* NGALASSO Mwatha Musanji Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3
La violence est un concept difficile à cerner par le discours, en raison de l'ambiguïté de notre attitude à son égard : elle nous répugne (nous nous déclarons volontiers "contre" la violence) autant qu'elle nous fascine (nous cachons mal notre penchant naturel "pour" le spectacle de la violence que ce soit dans la rue, au cinéma ou dans les livres). Notre moi rationnel abhorre ce qu'adore notre moi animal. De sorte que le discours sur la violence, généralement anti-violence, même s'il n'est pas toujours lui-même dépourvu de violence, est souvent simple affichage de cette rationalité fréquemment contrarié et contredite par l’animalité. Une animalité qui pousse les détenteurs du pouvoir à l’usage de la force physique ou idéologique comme moyen de gouvernement. Dans ces conditions la violence discursive ou scripturaire, qui, seule, nous intéresse ici, apparaît comme une forme de contre-pouvoir, une arme redoutable entre les mains des sans-pouvoir. Etudier la relation entre la violence et le langage1 dans la littérature africaine d'expression française c'est s'interroger sur les usages qui sont faits de l'écriture comme moyen d'influence et sur la manière dont la langue d'écriture, en l'occurrence le français, se trouve (mal?)traitée comme outil de création par des écrivains dont elle n'est pas la langue native. Il ne s'agit surtout pas de revenir sur le vieux (et bien inutile) débat concernant la relation personnelle de l'écrivain à la langue d'écriture (la liberté de celui-ci doit être totale en la matière) ; il s'agit plutôt de tenter d'apprécier l'efficacité d'une langue seconde apprise formellement et de comprendre son évolution dans un environnement où elle coexiste, de façon dynamique, avec les langues maternelles acquises naturellement. *Une version abrégée de cet article est parue dans Notre Librairie, numéro 148 (2002) 1 Robert Gauthier (1999 : 45) note, avec justesse, que “ violence et langage ont la même origine : le désir d’exister, de maîtriser, de se protéger, de se reproduire, de se survivre. Le désir est violence puisqu’il implique de s’intégrer l’autre, de s’approprier l’objet convoité, de se rendre pareil à un modèle, donc de se faire violence ”.
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La violence est omniprésente dans la littérature à travers les thèmes éternels de la vie, de l'amour et de la mort. Les mots et les images qu’ils portent, par le biais de l'écriture, sont sa meilleure expression. Mais l'écriture, en tant que travail sur les mots et sur la syntaxe, élaboration et "refaçonnage" des formes du langage, n'est-elle pas aussi une forme de violence sur la langue ?
Ecritures de la violence Cette expression2 réfère, ici, non seulement à la littérature qui fait de la violence son thème privilégié mais aussi et surtout aux formes d'écriture qui marquent, d'une manière plus ou moins brutale, une solution de continuité avec l’état des choses précédent. Georges Ngal (1994) parle de "rupture" comme moteur de la création littéraire. Cette notion de rupture qui, depuis quelques années, occupe une place de choix dans la réflexion sur les littératures africaines3, renvoie explicitement à toute (r)évolution chronologique (changement d’époques qui autorise de nouvelles périodisations), thématique (surgissement de nouveaux thèmes), structurelle (renouvellement des structures du récit ou de la poésie) ou stylistique (contravention aux normes linguistiques et esthétiques établies), observable dans le mouvement de la création littéraire et sentie comme coupure, discontinuité, modification, saut qualitatif. La violence, dans ce cas, réside dans le refus du conformisme, l'ébranlement des habitudes acquises, le “ refus de respecter la loi du silence, en écrivant aussi sur ce qu'il ne faut pas dire ” (Borgomano, 1995 : 74), dans la transgression des tabous scripturaires au nom du principe que toute vérité, même celle qui n'est pas bonne à dire, est bonne à écrire. C’est un acte de libération de l'écriture de toutes les formes d'enchaînement ou d'enfermement, que ce soit par la tradition, par la religion ou par l'idéologie. Elle est fondée sur la contestation et la dénonciation d'une situation initiale jugée inacceptable et sur le désir de fonder un ordre nouveau considéré comme nécessairement meilleur. Il s’agit donc, pour le critique, de rompre, lui aussi, avec une historiographie littéraire dont l'ambition serait de retracer des étapes invariables d'une littérature africaine une et uniforme. La littérature africaine est, en réalité, plurielle du fait de la pluralité des itinéraires personnels des auteurs, de la diversité des thèmes exploités, de la variété des médiums linguistiques utilisés. L'écrivain africain des années 2000 n'est plus le Négro-africain apatride luttant, dès les années 2
Elle fut utilisée dans le titre d’un livre récent par Ngandu (1997). Voir notre compte-rendu de cet ouvrage dans Notre Librairie, 135 (1998) : 87. 3 Sewanou Dabla (1986) a été parmi les premiers à analyser rigoureusement le phénomène des “ nouvelles écritures africainres ”. De son côté, s’agissant de la littérature du Maghreb, M’hamed Alaoui Abdallaoui (1989) utilise le terme “ ruptures ” pour caractériser à la fois le mouvement d’abandon et de retour des auteurs maghrébins à la langue arabe (ou, si l’on préfère, d’adoption puis de rejet de la langue française). Un point de vue critique sur la notion de “ rupture ” est donné par Mateso (1990).
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1930, à partir de Paris, pour la reconnaissance d'une identité niée ; il n'est plus un homme politique déguisé en poète ni, d'ailleurs, seulement un homme (car les femmes aussi écrivent4) ni même un thuriféraire de la langue classique (puisqu'on écrit de plus en plus en "français local"5). Avec la fin de l’époque coloniale la négritude a cessé d'être le thème-phare de la littérature et le français n'est plus (l’a-t-il jamais été ?)6, l'unique langue de la création littéraire. Rupture dans la chaîne de production et dans l’instrument de travail. Rupture aussi du côté du consommateur, du lecteur-destinataire qui n'est plus potentiellement euroccidental ni exclusivement francophone. Rupture enfin par l'intrusion de l'oralité dans la scripturalité. La notion de “ génération littéraire ” elle-même bouge : les Ahmadou Kourouma, Jean-Marie Adiaffi, Henri Lopès, Sony Labou Tansi, Aminata Sow Fall, Vumbi Yoka Mudimbe, Tierno Monenembo, considérés naguère (dans les années 1980) comme représentant le “ nouveau courant ” sont déjà bousculés par les jeunes nés autour des années 1960 (les Calixthe Beyala, Marie Ndiaye, Véronique Tadjo, Bolya Baenga, Kangni Alemjrodo, Alain Mabanckou, Abdourahaman Waberi, etc.). Pour exprimer les conflits (des traditions, des classes ou des générations), exacerber le sentiment de crise et justifier la rupture l’écriture opère sur un mode essentiellement agonique qui souligne les oppositions et les antagonismes plutôt que sur le mode irénique qui recherche l'entente et le consensus. Ce contre quoi elle s'élève avec virulence ce sont toutes les violences vécues, individuellement ou collectivement, dans l'histoire passée ou immédiate du continent africain : l’esclavage, le racisme, le colonialisme, la dictature, le népotisme, la marginalisation. Une étude attentive des thèmes de la littérature africaine écrite en français révèle, notamment à travers les titres des oeuvres romanesques, poétiques ou théâtrales7, un imaginaire particulièrement débridé : il s'agit, le plus souvent, de caractériser ou de stigmatiser, d'un mot ou d'une phrase, la dégradation permanente des sociétés africaines (celle que dépeint Sony Labou Tansi dans ses romans comme dans ses pièces de théâtre), de dénoncer un univers social violent, hostile et inhospitalier (celui que décrit, par exemple, Ahmadou Kourouma dans Allah n'est pas obligé) qui appelle, à son tour, la violence physique (crimes et délits), psychologique (magie et sorcellerie), politique (violence idéologique ou régalienne) ou verbale (parole injurieuse ou maldisante) qui habite l'espace du quotidien africain : en famille, dans la rue, au marché, au lieu de travail ou de loisir. Il s’agit aussi de formuler, de manière lapidaire et percutante, les nouvelles 4
L’entrée des femmes en littérature dans les années 1970-80 est l’un des événements les plus importants de l’histoire africaine. Citons quelques pionnières : Clémentine Nzuji-Madiya avec Kasala et autres poèmes (1969), Aminata Sow Fall avec Le revenant (1976) et La grève des Battù (1979), Nafissatou Diallo avac De Tylène au Plateau (1976), Mariama Bâ avec Une si longue lettre (1979), Marie-Léontine Tshibinda avec Poèmes de la terre (1980) . La relève est, aujourd’hui, largement assurée avec des “ écrivaines ” au talent incontestable comme Ken Bugul (Sénégal), Véronique Tadjo et Tanella Boni (Côte-d’Ivoire), Angèle Ntyugwetondo Rawiri (Gabon), Werewere Liking, Calixthe Beyala et Evelyne Mpoudi-Ngolle (Cameroun) et bien d’autres. 5 Un bon exemple en est fourni par Les Matitis : mes pauvres univers en contre-plaqué, en planche et en toile du Gabonais Hubert Freddy Ndong Mbeng (1992). 6 Sur cet aspect lire notamment Gérard (1971 et 1981), Ngandu (1992) et Ricard (1995). 7 Voir les différentes et très riches livraisons du LITAF : Notre Librairie, numéros 94, 129 et 147.
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problématiques de la vie en ville ou à l’étranger, dans ce perpétuel mouvement de migration et d’exil à l’intérieur ou à l’extérieur de son pays. Une part importante de la littérature africaine d'aujourd'hui procède de la dénonciation des maux dont souffre la société, de la contestation des remèdes proposés par les responsables et de la révolte contre l'impuissance à changer le monde dans lequel vivent les Africains. L'écriture de la violence apparaît alors comme une façon de lutter, avec les mots, contre la décrépitude de la pensée, le cynisme des idéologies et l'absurdité des actions de ceux qui ont en charge le destin de leurs concitoyens ; comme une thérapeutique collective par la conscientisation des citoyenslecteurs. Encore faut-il que ceux-ci soient formés au difficile exercice de la lecture, qu'ils entendent le message en un langage qui leur soit accessible et qu'ils soient en nombre suffisant pour prétendre changer réellement le cours des événements.
Violence du verbe C’est à la violence brute par la contrainte physique et idéologique que s’ oppose la violence douce de la persuasion par la parole orale ou écrite, comme antidote au dogmatisme et au fanatisme. La littérature, quand elle est engagée, ce qu'elle est presque toujours, use des mots dont l’entrechoc peut produire des effets catastrophiques (combien d'écrivains ont connu la mort8 ou l'exil9 ? combien d'autres croupissent encore dans des prisons sordides pour "délit d'écriture" ?) ou salutaires (par exemple on a cru voir dans les indépendances africaines, au début des années 1960, la conséquence directe de l’engagement politique des écrivains et artistes du monde noir). Les mots ont donc un pouvoir ; les mots sont un pouvoir10. En particulier ceux qui relèvent de la cacophémie, univers nébuleux de la maldisance dont le rapport à la violence est patente. Je m’en tiendrai, ici et pour l’instant, à cette seule catégorie de violence verbale dont je voudrais relever quelques manifestations fortes et indiquer la fonctionnalité essentielle dans l’énonciation littéraire africaine. Jurons, insultes, injures et autres gros mots
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On pense avec émotion au Nigérian Ken Saro-Wiwa sauvagement exécuté en 1995, mais aussi aux tribulations du Guinéen William Sassine et du Congolais Sony Labou Tansi morts de solitude et "de chagrin", ce qui est un euphémisme. 9 Ce fut le sort notamment du Kenyan Ngugi Wa Thiong'o, du Nigérian Wole Soyinka, premier Prix Nobel de littérature africain, des Algériens Noureddine Aba et Rachid Mimouni, et bien d’autres. 10 Lire, à ce sujet, Ngalasso (1996).
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Parmi les procédés langagiers, mots, expressions ou énoncés, qui entrent dans la violence verbale ordinaire il y a les insultes et les injures11, ces paroles offensantes dirigées contre autrui ou contre soi-même ; il y a les gros mots (jurons, blasphèmes et autres imprécations) définissable essentiellement par leur caractère de transgressions gratuites. Ces catégories, qui ne sont pas à confondre, malgré leur forte proximité sémantique et fonctionnelle, s'inscrivent directement dans le registre de la grossièreté, de la malséance et de l'obscénité, en raison de leur rapport au sexe, à l’infirmité, à la mort et à la matière fécale. Les “ gros mots ” ne sont pas seulement des mots grossiers (mal dégrossis, dépourvus de finition et de finesse) qui impliquent une forte dépréciation de soi et de l’autre ; ils se définissent aussi comme des “ bas mots ” en raison de leur usage essentiellement oral et de leur fréquence particulièrement élevé dans les classes sociales dites populaires qui en sont, du reste, les principaux producteurs. De là leur désignation ordinaire comme “ mots vulgaires ” . Or ces formes “ crues ” et vulgaires abondent dans les textes d’un grand nombre d’écrivains africains contemporains qui les utilisent comme marques de style écrit. Parmi les écrivains passés maîtres en la matière on cite souvent Sony Labou Tansi, Ahmadou Kourouma, et Calixthe Beyala. On a parlé de "sexualisation" et de "fécalisation" chez Sony Labou Tansi (Chevrier, 1998 : 118), d’ “ érotisme du style ” et d'écriture "scatologique" chez Ahmadou Kourouma (Gassama, 1995 : 17), d'écriture "érotique" voire "pornographique" chez Beyala (Kom, 1996 : 67). La grossièreté du langage va souvent de paire avec la laideur des personnages, au physique comme au moral. Les héros de Sony Labou Tansi, dont la langue (celle des héros, bien sûr) opère à partir du bas-ventre, ne sont pas seulement des êtres bêtes et méchants, cruels et grotesques, dotés, de surcroît, d’un appétit (y compris sexuel) pantagruélique, ils sont aussi fréquemment des monstres accablés des pires infirmités physiques et psychologiques comme dans L’état honteux (1981) où la hernie de Martillimi Lopez est à la fois la malformation d’un organe mâle et “ le symbole d'un phallus hors de proportion qui semble avoir définitivement remplacé le siège de la pensée chez la plupart des tyrans ” (Chevrier 1998 : 112). Sony accorde visiblement une place de choix à tout ce qui concerne le “ bas-corporel ” ; dans La vie et demie (1979) c’est une véritable célébration qu’il voue au "cul essentiel et envoûtant" de Chaïdana-à-la-grosse-viande, l'opposante farouche au "Guide providentiel", capable de subir sans faiblir les assauts de ... 363 miliciens. Sony demeure le maître incontesté de la dérision dont les victimes désignées sont les maîtres de ce monde, les dinosaures de la politique, tyrans de leur état, décrits sous les traits les plus dégradants qui les rabaissent au niveau de la pure bestialité. Tout cela est porté par un vocabulaire dont l’audace ne connaît aucune limite, aucune censure. 11
La différence entre ces deux termes réside dans le fait que l’un (l’insulte) est un jugement asserté comme vrai et vérifiable alors que l’autre (l’injure) est un jugement au delà de la vérité voire de la vraisemblance : l’insulte s’apparente à la médisance alors que l’injure est une forme péremptoire de calomnie
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Ahmadou Kourouma est de ceux qui manient avec le plus d’aisance le gros mot, le juron, l’injure et l’insulte qui se répandent par quantité dans tous ses textes. Le héros de son dernier roman, allah n’est pas obligé (2000), Birahima, un “ sale gosse ” de 10-12 ans, devenu enfantsoldat dans “ un pays foutu et barbare ” où “ tout le monde s’égorge ” et où il mène “ une vie de merde ”, n’a que cela à la bouche : faforo, gnamokodé, walahé12. Ces mots grossiers proférés en malinké, la langue maternelle de l’auteur, ne sont pas seulement la manifestation de la colère qui sourd en lui ; ils servent aussi de ponctuation au récit sur toute sa longueur et fonctionnent comme marques phatiques de maintien de la relation avec le lecteur et comme mots de clôture des différents chapitres du livre. La langue malinkée n'apparaît pas ici dans la fonction communicative, toute entière dévolue au français, mais uniquement dans les fonctions expressive et phatique à travers les jurons, insultes et autres gros mots de Birahima. L'écrivain en langue seconde n'est donc pas sujet à une amnésie totale face à sa langue maternelle : c'est l'histoire du palimpseste où la langue oubliée n'est pas effacée de la mémoire et resurgit de sa trace, subrepticement, dans le texte en langue d'écriture. Un auteur beaucoup plus jeune qui se situe, sans complexe, dans la même veine du langage scatologique, c’est le Congolais Bolya Baenga. La parution de son premier roman, Cannibale (1986) avait déjà fait l’effet d’une bombe sur la scène littéraire africaine. Ses derniers titres ne sont pas moins ragoûtants : La polyandre (1998), Les cocus posthumes (2001). Parmi les femmes c’est assurément Calixthe Beyala qui va le plus loin dans l’audace langagière. Cette “ amazone des lettres africaines ”, selon l’heureuse expression de Jacques Chevrier, part résolument en guerre contre "la dictature des couilles" (entendez la “ phallocratie") et parle, avec mépris, des "fesses coutumières", ces matrones africaines conservatrices des coutumes rétrogrades de soumission et d’allégeance excessives aux pères géniteurs et aux maris jaloux. La plupart de ses textes tournent autour du sexe. Le titre de son dernier roman n’est pas, à cet égard, le moins évocateur : Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000). Voilà qui fait dire à la critique que “ sur ce plan l'oeuvre de Beyala constitue un point de rupture avec ses devancières. Chez elle, la libération du corps féminin va de pair avec l'affranchissement du texte, ce qui signifie à la fois subversion des codes littéraires habituels et élaboration d'un nouveau discours romanesque ”, qu’on trouve chez elle “ une violence à la fois politique, idéologique et rhétorique [...] qui entend faire émerger dans le corps du récit la réalité du corps féminin enfin affranchi des fantasmes et des tabous qui en ont longtemps brouillé l'image ” (Chevrier, 1998 : 64). Mais, bien entendu, la violence qui s’exprime par les mots du registre cacophémique a, dans la communication, des fonctions énonciatives qu’il convient d’identifier très précisément. 12
Ces mots sont expliqués dès le début du roman (p. 10) : "Je dis pas comme les nègres noirs africains bien cravatés : merde! putain! salaud! J'emploie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père). Comme gnamokodé ! (Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise). Comme walahé ! (Waladé ! signifie Au nom d'Allah)".
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Référentialité, expressivité et impressivité En s’inspirant des polarités du langage mises en évidence par Roman Jacobson (1963), Huston, dans Dire et interdire (1980), dégage une analyse des mots trangressifs qui me paraît tout à fait pertinente à l’objet de la présente réflexion. Selon cette approche on peut identifier trois fonctions majeures dans les usages de cette catégorie de mots en discours : les fonctions référentielle, expressive et conative ou impressive. Les procédés cacophémiques ont tous pour but, et c’est ce qui les unit, de déto(n)ner bruyamment, donc de créer un électrochoc chez la victime-cible mais aussi chez le lecteurdestinataire du message en transgressant, sans façons, les règles de bienséance, en violant, sans vergogne, les tabous sociaux les plus stricts. Leurs armes favorites : la dérision, la raillerie, le sarcasme, le ricanement. Leurs genres de prédilection : la satire, le pamphlet et, parfois, la réécriture parodique des discours officiels. Leurs mots-clés : le dégoût, la nausée, le vomissement, pouah ! Ces usages se retrouvent, évidemment, chez nombre d’auteurs africains actuels dont la volonté de plus en plus affichée d'appeler un chat un chat contraste avec le style pudibond et excessivement alambiqué des écrivains de la négritude. L’écriture de la violence et de la transgression a donc pour fonction majeure de briser les mythes, d’ébranler les certitudes, de démystifier les vérités uniques, de régler leur compte aux contre-vérités, de rompre l'opacité et la non-transparence dans la communication, de briser la loi du silence, de combattre la langue de bois. Le dernier roman de Kourouma nous en fournit un excellent échantillon. Certains des procédés transgressifs (les gros mots) ont une fonction référentielle évidente : nommer l'innommable, dire l’indicible. Ainsi : Merde, Faforo (sexe de mon père) ou L’école ça vaut pas le pet de la grand-mère, Un pet sorti des fesses ne se rattrape jamais. D’autres ont une valeur expressive remarquable : extérioriser les sentiments intérieurs du sujet parlant ou écrivant ; ce sont les jurons : Merde !, Gnamokodé (bâtard) !, Walahé (au nom d'Allah) !. D'autres encore ont clairement une fonction impressive : blesser la victime ou choquer le lecteur, en tous cas l’influencer de quelque manière ; ce sont les insultes et les injures qui ne se distinguent des autres catégories que par leur tonalité et leur intentionnalité, puisque les formes utilisées peuvent être rigoureusement les mêmes, comme on peut le voir avec Merde, selon le ton qu’on y met. Il se situe sur le pôle du référent en tant que mot désignant une notion réputée obscène : la merde. Il est expressif en tant que juron : Merde ! Il est impressif en tant qu’injure, c’est-à-dire un énoncé dégradant à l’encontre du destinataire : Je te dis “ Merde ”, que “ tu es la merde ”. Ces trois fonctions se trouvent d’ailleurs souvent imbriquées : par exemple les jurons, qui sont une marque
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d'expressivité du sujet parlant ou écrivant, implique, en même temps, un agressivité virtuelle dirigée vers le destinataire, auditeur ou lecteur ; l’injure et l’insulte sont une manière de manifester son animosité contre autrui (fonction expressive) en même temps qu’elles visent à le blesser, à le provoquer ou à le faire agir (fonction impressive). Enfin l’usage que le narrateur (Birahima), ou l’auteur qui se cache derrière lui (Kourouma), fait de faforo dans différents passages du roman, notamment par les traductions très variables qu’il en donne, montre bien que ce mot n’a pas un référent unique ; celui-ci peut être, en réalité, n’importe quel actant dans l’échange : le narrateur, le lecteur voire l’auteur ; faforo peut donc signifier tantôt “ sexe du père ”, tantôt “ sexe de mon/ton/son père ”.
Caliban et la langue de Prospéro Une langue volée... Les auteurs africains qui écrivent en français, utilisent une langue qui leur est, au départ, étrangère. Bien souvent ils se sont appropriés cette "langue de l'autre" avec une assurance qui les autorise à l'employer non seulement comme moyen de communication mais aussi comme outil de création. Ce qui justifie, pour le français, le statut de "langue seconde" (Ngalasso, 1992). En cela les auteurs africains, comme d'autres francophones non natifs, sont des "voleurs de langue". Sauf que cet acte, qui se situe hors de la sphère morale, n'a rien d'ignominieux puisqu'il n'implique ni l'idée de "spoliation" honteuse par le voleur ni celle de "privation" douloureuse pour le volé. Il n'y a, par conséquent, ni culpabilité ni amertume d'aucune sorte. La seule question pertinente qui se pose est de savoir si l'écrivain francophone, en l'occurrence africain, dont le français n'est pas la langue naturelle, peut "écrire sans douleur" dans cette langue d'emprunt, une langue dont un écrivain marocain francophone, Abdellatif Laâbi13, dit qu'elle est "prêtée à un taux exorbitant". La réponse est évidemment non puisqu'on ne cesse jamais d'être, au moins partiellement, étranger à une langue d'adoption dont on ne maîtrise jamais totalement ni les subtilités et les nuances de l'expression ni l'étendue et la finesse de la culture véhiculée. Le comble, sinon le drame, c'est quand l'adoption d'une langue seconde vous rend étranger à votre langue originelle. Cette situation extrême de "double extranéité" est, fort heureusement, chez la grande majorité des écrivains africains, qui sont généralement bien enracinés dans leur langue et souvent parfaits polyglottes, une pure hypothèse d'école. Aux écrivains issus de la nouvelle génération née dans l'immigration, pour qui le français est parfois l'unique langue de
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Abdellatif Laâbi (1981), Traversée d'écriture, dans Visions du Maghreb, Paris, Edisud; cité par Alaoui Abdallaoui (1989 : 15).
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communication et de création, l'interrogation ne se pose évidemment pas†: c'est l'idiome de leurs parents qui est, pour eux, langue seconde voire langue étrangère. ... Une langue violée ? L'écrivain africain francophone se trouve, actuellement, devant un impossible choix : abandonner l'usage du français pour celui des langues locales identitaires, comme l'ont fait certains écrivains maghrébins (Rachid Boudjedra ou Kateb Yacine) en faveur de l'arabe (sans, d'ailleurs, pour autant, cesser définitivement d'écrire en français) ou des auteurs anglophones (le plus illustre étant le kényan Ngugi wa Thiong'o14) en faveur de leurs langues maternelles. En Afrique noire francophone on trouve peu d'exemples similaires : le cas du Rwandais Alexis Kagame, qui a traduit lui-même une partie de ses textes en kinyarwanda, et du Camerounais Elolongue Epanya Yondo, qui a livré, dès 1960, un recueil de poèmes (Kamerun, Kamerun!) contenant des textes en douala, paraît très exceptionnel. Le Congolais Ngandu Nkashama, qui insère fréquemment dans ses textes en français des passages en ciluba, sa langue maternelle, annonçait, en 1994, que Yakouta était son dernier roman en langue étrangère (voir en quatrième de couverture). La bonne nouvelle ! Une affaire à suivre... Quant au Sénégalais Ousmane Sembene, sa démarche concerne essentiellement le cinéma qu'il ne réalise plus, depuis longtemps, qu'en wolof. Sortir de l'exil linguistique pour recourir à l'expression littéraire en langue vernaculaire est un projet légitime mais difficile. Suffit-il de le vouloir pour le pouvoir ? Beaucoup ne peuvent, dans l'état actuel des choses, y parvenir en raison de plusieurs obstacles réels (absence d'alphabétisation et de formation des populations à l'écriture et à la lecture dans leur langue maternelle, non intégration des langues à l’école) ou imaginaires (absence de lectorat désireux de lire dans les langues locales, impossibilité technique d'effectuer le passage des langues africaines à l'écriture, etc.). Il reste alors l'autre (non)choix, celui que font la majorité de nos écrivains : adopter la langue française, même quand sa maîtrise est mal assurée, quitte à la plier aux exigences de ses propres besoins d'expression, éventuellement au prix d'importantes manipulations, quitte à la "subvertir", donc à lui faire violence. Certains ont parlé de "viol", ce qui me semble bien excessif car viol suppose "zone interdite" ou de "non-droit", ce qui n'est, évidemment, pas le cas pour une langue devenue, depuis longtemps, en raison de son statut juridique et social, la copropriété de tous ceux qui le parlent dans les pays dits "francophones". La violence sur la langue, dans le sens de participation active à son élaboration, à son évolution et à son enrichissement, commence par le refus de la langue classique, excessivement normée, diffusée par l'école au détriment de la langue vivante propre à notre temps et à notre lieu. 14
Auteur de plusieurs best-sellers (dont A Grain of Wheat, 1967 et Petals of Blood, 1977) traduits dans plusieurs langues, dont le français. Il explique sa démarche dans un livre intitulé Decolonising the mind (1988).
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NGALASSO Mwatha Musanji : Langage et violence dans la littérature africaine écrite en français
Ce refus est exprimé par plusieurs auteurs africains dont Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi sont les porte-étendard. Ils parlent de "dompter" la langue française, de "l'acclimater", de "la domestiquer", de la "cocufier", de lui "tordre le cou", bref de "l'adapter" à leur vécu d'Africains en vue de lui apporter le renouvellement nécessaire au sein même de la communauté francophone mondiale. D'où leur volonté clairement affichée de recourir à la langue courante en usage dans les villes et les campagnes africaines, une langue authentique, qui ne craint ni l'emprunt ni le calque ni le particularisme ni même la faute. La violence se manifeste alors, concrètement, comme une véritable intrusion dans la "langue de l'autre", une forme de pénétration, par effraction, dans le corps des mots et des sens. Cela se fait par le recours aux termes "indigènes"15, par les emprunts et les interférences de toutes sortes, y compris au niveau de l'onomastique (anthroponymie, toponymie, ethnonymie, etc.)16. Cela se fait aussi par d'audacieuses créations lexicales17, au départ individuelles, qui se répandent ensuite dans la langue générale18, par des re-créations sémantiques (processus de resémantisation des mots français par monosémisation ou par polysémisation)19, par des reconstructions syntaxiques20, par la pulvérisation des lois énonciatives, discursives et narratives classiques21. Le 15
Termes désignant des réalités locales spécifiques. Mais la Congolaise Mambou Aimée Gnali vient de publier, chez Gallimard, un récit portant un titre en kikongo : Beto na beto. Le poids de la tribu. 16 La plupart des auteurs recourent aux emprunts de mots et aux noms propres locaux dans leurs titres comme dans la désignation des personnages, des lieux ou des peuples. 17 Certains auteurs comme Sony Labou Tansi ou Ahmadou Kourouma, sont passés maîtres dans l'art de l'inventivité lexicale par dérivation ou par composition. Ainsi chez le premier : merder, merdeur ; gester, téléparler, mocherie, excellentiel, anté-peuple, les pas-tout-à-fait-vivants, les près-de-mourir, etc.; chez le second : déhonté, déshonnête, griotter, nuiter, viander, menterie, griotterie, vilainerie, tutubement, répondeur, travailleur forcé, , etc. De nombreuses expressions sont des africanismes traduits des langues locales : frère même père même mère "frangin", asseoir un palabre "tenir un palabre", refroidir le coeur "apaiser", courber les prières "réciter les prières", tuer des sacrifices "offrir des sacrifices vivants". 18 Voir, à ce sujet, l'Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire dont une part non négligeable du vocabulaire recensé provient des écrits d'auteurs africains. Ce qui n'empêche pas un écrivain comme Kourouma d'en faire, en retour, un usage explicite dans Allah n'est pas obligé. 19 On trouve chez Kourouma : les mendiants ...miaulaient d'une façon impie, le croassement des boubous amidonnés, etc. 20 La locution nominale invariable bon pied la route employée au Cameroun pour dire "bon voyage !" permet à Kourouma de créer de nombreuses expressions à base verbale, comme faire pied la route, partir pied la route ou prendre son pied la route, exploitant ainsi à fond une structure particulièrement productive : Après ça, nous n'avons pas encore longtemps fait beaucoup pied la route. Cet auteur n'hésite pas à recourir à la dislocation de la forme du gérondif par un adverbe (en bien mouillant les barbes des douaniers) ni à celle d'un nom composé incorporant un adjectif épithète (un éclat ébourifant de rire) ni à des structures syntaxiques lourdement redondantes comme le fameux syntagme nègre noir africain indigène, dont la forme la plus cumulative est un vrai enfant nègre noir africain broussard (p. 13), et la structure parallèle le commandant blanc toubab colon colonialiste (p. 221), à l'extrême limite de la saturation des possibilités combinatoires de la langue française. Une phrase comme Saydou était jaloux : il ne voulait pas que sa mère s'occupe du petit Mamadou avec la tendresse qu'elle le faisait (221) est à la limite de la correction. 21
Des expressions comme s'éffondrer dans les larmes ou tout le long et large de l'Afrique paraissent bien curieuses ; mais Kourouma nous a habitués, depuis longtemps, à ce type de formulations analogiques dont le caractère poétique ou "poiétique" (au sens fort du terme, c'est-à-dire "inventif") est indéniable, produisant, chez le lecteur, un effet de surprise garanti. En voici quelques autres qui ne manquent pas de croustillant : Sarah était unique et belle
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résultat le plus perceptible est que la langue étrangère employée par l'étranger devient étrangère à ses usagers naturels22. L'indigénisation est une forme de cannibalisation, si, au lieu d'être un facteur d'enrichissement de la langue étrangère apprise, elle devient un élément de brouillage de l'intercompréhension entre ceux qui partagent la même langue. On retrouve là le fameux mythe de Caliban voleur de langue (Jahn, 1965 : 230) : Caliban force la prison qu'est la langue de Prospéro [...] Caliban continuera à comprendre la langue de Prospéro. Mais la langue qui sera désormais propre à Caliban, Prospéro ne la comprendra plus que partiellement. Que dire de la génération des "blacks et beurs", ces Afro-français nés de parents entièrement ou partiellement africains, hors d'Afrique, dans la banlieue parisienne, lyonnaise, marseillaise, bordelaise où ils ont leur résidence ordinaire ? Il est clair , comme le relève Françoise Gadet (2001), que leur problème de langage est tout différent de celui de la génération de leurs parents immigrés. Leurs pratiques discursives et scripturaires aussi.
Conclusion La violence est une forme de langage. Elle peut investir l'espace littéraire en devenant une forme d'écriture. Il est important de comprendre que l'écriture de la violence comme tentative de conscientisation, comme forme de subversion, à travers la dérision et les divers procédés de transgression qu'elle cultive, n'est pas un exercice dérisoire : elle exerce un véritable pouvoir d'influence sur les citoyens-lecteurs et recèle une dimension thérapeutique indéniable. Il s’agit, à défaut de guérir par le cri de douleur, d'exorciser la peur par un éclat de rire, le fameux "rire de sauvetage" de Sony Labou Tansi, le "pleurer-rire" de Henri Lopès. L'histoire de la littérature africaine écrite est faite de multiples soubresauts thématiques, structurelles ou stylistiques dont on a parlé en termes de "ruptures". Celles-ci sont la marque d'une vitalité évidente de cette littérature, d'une créativité manifeste des auteurs africains écrivant en une langue non maternelle, d'une nécessaire recréation de cette même langue.
comme quatre (92), Il avança dans la mitraille avec tellement d'aplomb, tellement de couilles entre les jambes que les mitrailleurs d'en face décrochèrent. Pour se tailler (128). 22 Pour une meilleure compréhension du phénomène je renvoie à Ngalasso (2001).
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Une seule rupture n'a pas encore eu lieu : la rupture linguistique, par une prise de liberté par rapport au médium d'écriture. Ce fait est d'autant plus étonnant que la majorité des écrivains africains évoluent dans des contextes d'énonciation dominés par le plurilinguisme et que beaucoup d'entre eux sont polyglottes. Certains, comme Ahmadou Kourouma, affirment penser dans leur langue maternelle et écrire en français n'offrant ainsi au lecteur qu'une sorte de traduction dont ils se refusent à livrer l'original. D'autres, comme Sony Labou Tansi (Devésa, 1996 : 51), n'ont, en réalité, jamais cessé d'écrire dans leurs langues mais ils ne se sont jamais résolus à publier dans ces langues parce que, disons-le, cela n'est pas actuellement rentable, ni financièrement ni commercialement ni politiquement. Cette rupture souhaitable ne doit pas être entendue de façon négative en termes d'abandon-rejet du français mais positivement comme une possibilité supplémentaire offerte à l'écrivain plurilingue, qui en a la compétence, de faire un usage alterné de la pluralité des langues dont il a la maîtrise. La violence verbale en littérature, faite de plusieurs types de ruptures, peut alors fonctionner comme une mécanique de plaisir, la fonction poétique du langage s'investissant tout naturellement dans l'écriture comme jeu et récréation et pas seulement comme re-création du monde. Un problème se pose, qui concerne l'avenir : sommes-nous en train de nous acheminer, par toutes ces formes de violence qui s'exercent sur le français, que d'aucuns n'hésitent pas à nommer, bien improprement, "viol", vers la pidginisation ou la créolisation de cette langue et, ce qui serait plus inquiétant encore, vers la substitution, à terme, de cette forme linguistique abâtardie aux langues africaines, un peu comme cela s'est passé en Gaulle où un latin colonial dégénéré a remplacé la langue original indigène, le gaulois ? J'ai expliqué ailleurs (Ngalasso, 1990) les raisons pour lesquelles je pense qu'il n'en sera pas ainsi.
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