GUERRE
Histoire Exclusif !
BOMBARDE
Jean-Michel Caffi un Français engag contree la guérilla contr en Rhodésie
Les premiers feux de l’artillerie
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30idées reçues
5 9 , 5
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sur la guerre guerre du pacifique
ATAILLON SACRÉ
TROUPES DE MARINE
ERICH LUDENDORFF
Plassey, 175
L’Hi ’Hist stoir oire e aut autrem rement ent..
« Je n’enseigne pas, je raconte. » Montaigne
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« Je n’enseigne pas, je raconte. » Montaigne
C
haque année, Guerres&Histoire reçoit entre 200 et 400 ouvrages, selon les crus, qu’on peut qualifier comme étant de l’hi l’histoire stoire militaire. militaire. Nous avons aussi une veille sur l’édition anglo-saxonne anglo-saxonne et allemande, dont une minuscule fraction est traduite dans notre langue. Bref, Bref, votre serviteur dispose d’un point de vue assez large à partir duquel observer cette production qui fait, directement ou indirectement, la matière de notre magazine. Plusieurs caractéristiques sautent aux yeux. Et d’abord le centrage sur l’Europe : les conflits qui l’ont ensanglantée dominent, de loin, les publications. L’Afrique noire précoloniale reste terra incognita, l’aire islamique n’apparaît que dans ses contacts avec la chrétienté. Pas facile non plus de trouver à lire sur les conflits contemporains en Amérique latine. Je signale au passage la parution, chez Economica, de La Guerre du Chaco (1932-1935) , de notre collaborateur Thierry Noël. Deuxième remarque : la masse des ouvrages traite des grandes puissances militaires — Grande-Bretagne, Grande-Br etagne, Allemagne, France, États-Unis, Russie/URSS… À la Suède ou la Pologne du XVIIe siècle, à la Perse safavide, leur contemporaine, pour ne citer qu’elles, on n’aura que peu d’accès. En troisième lieu, les conflits interétatiques sont surreprésentés, les guerres civiles et autres guérillas sont négligées, même si la décolonisation et les turbulences contemporaines délivrent des poussées inverses. Autre évidence, la technologie militaire — le « matériel » —, comme isolat ou comme facteur explicatif unique, a la part du lion. Combien de livres traitent encore de matchs ineptes du style « Panther vs T-34 » sans se référ référer er à la production, la formation des équipages, les doctrines doc trines ? Enfin, la bataille, l’affrontement l’affrontement direct, dévore presque tout l’espace éditorial, laissant des miettes aux secteurs moins glamour — logistique, sociologie de la troupe, moyens économiques et financiers, forces politiques. Ce qui est proprement proprem ent une aberration intellectuelle. Guerres & Histoire n’a bien sûr pas la prétention d’échapper à ces travers communs. Néanmoins, nous faisons des efforts pour sortir d’Europe (dans ce numéro, l’Afrique, l’Afrique, orientale et occidentale, l’Inde, l’Asie l’Asie orientale), aborder la troupe comme corps social (bataillon thébain, marsouins et bigors), réinterroger réinterroger le rôle de la technologie (ici, la bombarde). Les biais qui demeurent — comme ils sont nombreux! — s’e s’expliquent xpliquent par l’inertie des choses, les verrous linguistiques,, culturels et politiques. À nos rédacteurs ou envoyés spéciaux, les portes du linguistiques monde arabe sont à peu près closes, celles de l’Asie commencent à peine à s’entrouvrir. Et voilà que, maintenant, celles de la Russie se referment. Je convie à ce propos le lecteur à se reporter à la brève de tête page 15, qui illustre combien il est devenu difficile de parler librement d’histoiree dans ce pays, d’histoir p ays, surtout de la Seconde Guerre mondiale. mondiale. La biographie de Joukov Joukov,, signée par Lasha Otkhmezuri et votre serviteur, serviteur, a ainsi été traduite en russe et publiée… censurée par l’éditeur car laisser lire le chapitre escamoté (sur les crimes de guerre de l’Armée rouge) « aurait causé des difficultés dans la distribution du livre en Russie ». Malgré cela, en avant toutes ! Inoxydablement vôtre. Jean Lopez, directeur de la rédaction
NOTRE COMITÉ ÉDITORIAL
Jean Lopez
Pierre Grumberg
Yacha MacLasha
Michel Goya
Laurent Henninger Benoist Bihan
Maurin Picard
Directeur de la rédaction.
Rédacteur en chef adjoint.
Reporter polygl pol yglotte otte..
Ancien colo Ancien colonel nel,, historien et stratégiste.
Historien, membre de la rédaction de la Revue
Reporter au long cours établi en Amérique du Nord.
Défense Nationale.
Chercheur en études stratégiques.
CRÉDITS DE COUVERTURE. DOSSIER : GETTY IMAGES/COLORISATION LEONARDO DE SÁ � US COAST GUARD/THE LIFE PICTURE COLLECTION/GETTY IMAGES. EXCLUSIVITÉ : RICHARD PERRY COLLECTION/ HTTPS://JOHNWYNNEHOPKINS/COLORISATION HTTPS://JOHNWYNNEHOPKINS/COLORISATION LEONARDO DE SÁ. BOMBARDE : RMN. BATAILLON BAT AILLON SACRÉ : GIUSEPPE RAVA POUR � G&H �. PLASSEY : ÉDOUARD GROULT POUR � G&H �.
QUAND L’HISTOIRE FORGE LES DESTINS LES PLUS ROMANESQUES… Suivez le récit de personnages hors du commun que l’Histoire va transformer.
L’AMBULANCE 13 Ordas, Cothias & Mounier Cycle 4, épisode 1/2 Déjà disponible
Du front aux services de renseignements, le lieutenant Bouteloup traverse la guerre et ses ravages. Inclus : un cahier documentaire de 8 pages sur les évolutions et le développement du ravitaillement sanitaire de la Première Guerre mondiale à nos jours.
CHARLES DE GAULLE Le Naour & Plumail Épisode 2 Déjà disponible
À Londres en juin 1940, il emporte avec lui l’honneur de la France… Inclus : un cahier documentaire de 8 pages réalisé avec la Fondation Charles de Gaulle.
LA NUIT DE L’EMPEREUR Ordas & Delaporte Épisode 2/2 Sortie en ja nvier 2017 1812, campagne de Russie. Pour Napoléon, le péril est partout… y compris dans son propre camp. 6 1 0 2 n o i t i d É o o b m a B ©
Suivez toute l’actualité de vos BD sur
w. angl
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32 DOSSIER
! E t i v i s u l c
30 idées reçues sur la guerre du Pacifique
34 La marche à la guerre 37 Les opérations 45 Les machines 48 Les hommes 51 Les lauriers et l’opprobre
6 « C’était comme une chasse sauf que le gibier pouvait tirer »
Le Français Jean-Michel Caffin raconte son engagement dans les années 1970 contre la guérilla en Rhodésie menée par les mouvements nationalistes noirs.
SUR LE FRONT
18 Caméra au poing – Éthiopie, 1935-1936. Le Duce détrône le Négus 56 La bataille oubliée – Plassey, l’adieu des Français aux Indes 62 Aux armes ! – La bombarde ou les premiers feux de l’artillerie 70 Troupes – Troupes de marine, les conquérants de l’outre-terre 76 Chasse aux mythes – Le bataillon sacré thébain, des pros avant tout 80 États de service – Ludendorff, le tacticien dépassé par la stratégie
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RUBRIQUES
14 Actualités de l’histoire militaire dans la presse et la recherche. 28 Vos questions à la une ! Écrivez-nous, nous répondons. 68 Un objet, une histoire La dolabra, l’outil à tout faire du légionnaire 86 À lire, à voir, à jouer
Actualité de l’édition, des expositions, des sorties DVD, du jeu vidéo et du wargame.
95 Quiz Connaissez-vous Jeanne d’Arc ? 96 Courrier des lecteurs 98 D’estoc & de taille par Charles Turquin Vers des guerres sans cadavres !
x c l u s
« C’était comme une chasse, sauf que le gibier pouvait tirer »
En quête d’aventures, le Français Jean-Michel Caffin rejoint à 24 ans la Fire Force, « pompiers » héliportés rhodésiens 100 % blancs destinés à éteindre les feux de la guérilla nationaliste noire. Une troupe d’élite originale qui invente en brousse une nouvelle guerre. Propos recueillis à Paris le 26 novembre 2015 par Laurent Henninger Le 1st Battalion Rhodesian Light Infantry (1RLI), premier bataillon d’infanterie légère de Rhodésie, est formé en 1961 comme une unité entièrement blanche et professionnelle (elle n’intègre des conscrits qu’en 1973), sur le modèle des commandos britanniques. Fer de lance de la contre-guérilla, elle obtient des succès spectaculaires grâce à ses tactiques innovantes, luttant contre l’infiltration et attaquant les bases arrière. L’unité déplore en tout, jusqu’à sa dissolution en 1980, 85 tués au combat, dont les trois quarts dans les quatre dernières années de guerre, les plus difficiles. Dans la foulée chaotique de la décolonisation du Congo belge entamée en 1960, la rébellion des Simbas d’inspiration (superficiellement) maoïste en 1964 aboutit au massacre de centaines de Blancs (et aussi de 20 000 Noirs) dans l’Est du pays. Les menaces justifient du 24 au 27 novembre 1964 une opération aéroportée américano-belge sur Stanleyville pour libérer 300 otages occidentaux, 24 étant tués à l’arrivée des paras.
G&H : Qu’est-ce qui peut
bien pousser un jeune Français à aller se battre en Rhodésie à la fin des années 1970 ? Jean-Michel Caffin : L’attrait de
l’aventure et de la guerre, tout simplement. Je suis né au Maroc. J’ai grandi dans ce pays et j’appartiens ainsi à la famille des Européens d’Afrique, ceux que l’on a aussi surnommés « The White Tribe of Africa » (« la tribu blanche d’Afrique »). Mon intérêt pour la Rhodésie vient de là. Et puis, je passe ma jeunesse à lire des récits sur les guerres d’Indochine (surtout) et d’Algérie. La guerre me fait rêver. J’embrasse totalement le mythe des paras [voir dossier G&H no 3] et je veux à tout prix intégrer une de leurs unités. Mon service militaire [dans les commandos de l’air ; voir biographie p. 8 ] terminé, je me demande ce que je vais faire. On est alors fin 1977. Je m’intéresse depuis longtemps à la Rhodésie. Que savez-vous alors de plus sur ce pays ?
Que les colons blancs, d’origine britannique ou sud-africaine très majoritairement anglophones, ont gardé leurs distances avec le régime d’apartheid de Pretoria, avec lequel ils ont d’ailleurs rejeté en 1962 l’union par référendum. Que la Rhodésie s’est développée seule, rejetant l’immigration de masse et choisissant soigneusement ses immigrants blancs, n’acceptant que des personnes qualifiées. Qu’à la fin des
années 1970, le pays est entré dans une phase de transfert du pouvoir à des dirigeants noirs modérés, convaincus de la nécessité de continuer à gérer l’économie du pays de façon pragmatique et productive, car la Rhodésie a connu un développement exemplaire. C’est pour cela que je m’oppose au régime proposé
par Robert Mugabe [voir encadré p. 10]. Trente-cinq ans plus tard, nous savons tous ce qui en est advenu. Vos idées n’entrent-elles donc pas en ligne de compte ?
Pas vraiment. Je me suis bien tou jours intéressé à la géopolitique et surtout aux questions militaires. Mais je n’ai jamais adhéré à un parti, mouvement ou groupuscule. Je n’ai jamais épousé d’idéologie. Et puis, ayant eu la chance de grandir au Maroc dans les années suivant l’indépendance [de 1956, NDLR], j’ai toujours considéré — et c’est encore le cas aujourd’hui — que les Blancs de bonne volonté qui ont fait souche en Afrique ont le droit d’y rester et d’y vivre en bonne intelligence avec les populations locales. En Rhodésie, vous engagez-vous immédiatement ?
Oui, je suis clairement venu pour ça. Je suis bien accueilli, parce que leur armée manque d’hommes et qu’ils acceptent presque tous les volontaires étrangers : la population blanche (et les étrangers blancs résidents) est déjà presque entièrement militarisée. Chaque homme doit six mois de service par an, en alternant les mois, tandis que les réservistes effectuent des patrouilles et sont affectés à la garde de points sensibles pour épauler la gendarmerie.
Tout cela s’ajoute à l’armée régulière. Le fait que j’ai été sous-lieutenant américain) ou d’Africains autres dans l’armée française ne compte que des Blancs d’Afrique du Sud. pas. Je dois rapidement constater qu’ils n’ont pas tort : j’ai tout Comment votre premier contact à apprendre. Je suis immédiatese passe-t-il ? ment affecté dans une unité appelée Je dois commencer par y refaire des Rhodesian Light Infantry (RLI). J’ai classes. Seuls les Britanniques ont l’impression de m’engager dans en effet le droit de conserver le grade la Légion étrangère et c’est d’ailacquis préalablement. Les autres leurs comme ça qu’on surnomme repartent d’en bas, comme 2e classe, l’unité, qui accueille des anglophones ou avec un grade bien inférieur à celui — Britanniques, Américains, Sudacquis dans leur armée d’origine. Africains, Australiens, La formation dure Néo-Zélandais, seize semaines. C’est « Les quatre Canadiens (parmi lesun peu l’armée des quels un Amérindien) commandos Indes : nous portons — mais aussi des les longs shorts larges sont la force de Français, Portugais, typiques et avons réaction rapide droit aux classiques Grecs, Italiens, Islandais (deux !), inspections de chamdu pays. » Norvégiens, Allemands, brées, au drill, aux Russes, Hongrois, Israéliens… séances d’astiquage des boutons et Les autorités tiennent à créer des chaussures, etc. Dans un pays des unités blanches ; les massacres en guerre ! Or, moi, je le répète, je du Congo, en 1964, sont dans toutes veux me battre. Mais ces semaines les mémoires et on compte seuleme marquent à vie ; je me souviens ment 150 000 Blancs en Rhodésie. de tout ce que j’y ai appris. Tous les On craint également une mutinerie anciens peuvent en dire autant. de troupes noires — qui, d’ailleurs, ne s’est jamais produite… En revanche, Avez-vous droit aux punitions pas d’Asiatiques, de Sud-Américains corporelles ? (sauf un Portoricain assimilé Non, mais c’est limite… On prend
de petits coups, rien de vraiment méchant. Pour ma part, je suis relativement épargné car je suis discipliné. Le pire, c’est les punitions collectives. Enfin, vous arrivez en unité opérationnelle…
Oui, et là, tout change subitement : nous sommes du matin au soir en short de sport, t-shirt et baskets, cheveux longs, looks dépareillés, décontractés au possible. C’est aussi très « British », cette capacité à être alternativement formel et informel, sans transition. Ça nous change des seize semaines de robotisation. Comment l’unité est-elle organisée ?
Chaque compagnie du RLI était dénommée « commando » et de fait nous portons le béret vert. Il y a un groupe d’état-major, trois « commandos » et le commando d’appui (le mien, en l’occurrence), avec une section de reconnaissance, une de mortiers, une antichar et une de génie d’assaut (assault pioneers). Mais en fait, on fait tous un peu de tout ; c’est ainsi que j’acquiers des compétences en sabotage
Un stick de quatre soldats du 1RLI saute d’une Alouette III. Cette troupe d’élite est la force antiguérilla la plus expérimentée au monde quand Jean-Michel Caffin (à gauche) la rejoint en 1977. Son fusil FN FAL camouflé (une innovation alors) n’a pas de bretelle : l’arme doit être prête à épauler à tout instant.
Le béret vert (avec insigne à gauche) est adopté par les commandos britanniques en octobre 1942, puis par les troupes spéciales anglo-saxonnes (dont sont issus les commandos marine français). À ne pas confondre avec le béret vert généralisé en 1957 aux paras légionnaires puis à toute la Légion en 1959, porté avec insigne à droite.
Jean-Michel Caffin naît à Casablanca au Maroc en 1953 et grandit sur la ferme familiale. Diplômé de Sciences Po à Paris, il effectue son service militaire comme aspirant dans les commandos de l’air à Mururoa (Tahiti) puis part en Rhodésie fin 1977. En juin 1980, il quitte le Zimbabwe pour intégrer les commandos sud-africains. Redevenu civil en 1981, il revient en France en 1986 et réintègre l’armée (de l’air puis de terre) en mettant en valeur son expérience, ce qui lui vaut en 1990 un poste de capitaine au 93e RI (Beynes, Yvelines). À partir de 1993, il entame une carrière d’expert international de la gestion des risques, de l’intelligence économique et de la sécurité. Il vit en Floride depuis 1998 avec son épouse (rhodésienne) et ses trois enfants, adultes. Il est chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite. Le bimoteur de transport Douglas C-47 Skytrain (Dakota pour la RAF) dérive fin 1941 de l’avion de ligne DC-3 de 1935. Il peut embarquer 24 à 28 paras ou 3 tonnes de fret. Plus de 10 000 sont construits.
et explosifs, qui me seront utiles plus tard, lorsque je passerai dans les SAS. On alterne six semaines de déploiement et dix jours de repos, durant lesquels on redevient de vrais civils et on décompresse vraiment. Ce rythme est parfait et personne ne fait de burn-out. Et, du coup, on ne perd ni réflexe ni compétence, on s’améliore même constamment. Chaque mois, deux ou trois personnes partent (fin de contrat ou de temps de service) et deux ou trois autres arrivent : ainsi, l’expérience se transmet facilement et le niveau de l’unité reste constant, voire s’améliore. On a des types qui font la guerre presque en continu depuis six ou sept ans et sont devenus de splendides soldats. De purs guerriers.
D’où votre utilisation systématique des moyens aériens pour vous rendre sur place… Exactement ! Chaque commando, soit une soixantaine d’hommes environ, est regroupé sur une base sommaire (facile à déplacer) avec quelques tentes, une piste en terre et ses moyens aériens : quatre Alouette III allégées (les portes sont enlevées pour faciliter l’embarquement et le débarquement), avec un pilote, un mécano-mitrailleur et quatre soldats — toute l’armée est d’ailleurs organisée ainsi, en sticks de quatre hommes, commandés par un caporal, caporal-chef ou sergent, ou encore un lieutenant, parfois un
Quelle était la spécificité de votre unité en opération ? Nous sommes la « force de réaction rapide » du pays, les « pompiers N
RHODÉSIE
Le SAS (Special Air Service) est créé par les Britanniques en 1941 pour les opérations spéciales (sabotage, raids, renseignement…) sur les arrières ennemis. Le modèle est largement copié, notamment en Rhodésie dès 1951.
de combat », en quelque sorte, et on nous surnomme d’ailleurs la « Fire Force ». Tous les jours, ou presque, un commando — parfois les quatre — est déployé quelque part pour une intervention d’urgence. Chaque commando se voit assigner une zone de 100 000 km2 !
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ZIPRA è z e m b Z a E
ZAMBIE Lac Kariba
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Chinhoyi Salisbury (Harare)
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MOZAMBIQUE
Lac de Cahora Bassa
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RHODÉSIE
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Routes de guerrillas
U m z i n g w a n i
Fort Victoria
S a b i
R u n d e
Rutenga ZANLA
Lim popo
100 km
AFRIQUE DU SUD
La Rhodésie est encerclée d’États jeunes et faibles : la Zambie (ex-Rhodésie du Nord) naît en 1964, le Botswana en 1966, tandis que le Mozambique, en proie aux guérillas indépendantistes depuis 1964, ne se dégage de la tutelle portugaise qu’en 1975. Les guérillas — Zanla de Mugabe et Zipra de Nkomo — peuvent donc y installer des bases arrières et s’infiltrer par les immenses frontières.
capitaine. S’y ajoute l’Alouette du chef du commando, armée d’un canon de 20 mm.
Quand ces unités ont-elles été formées ? Dès la sécession du pays, en 1965, mais elles agissent alors peu. Elles sont créées sur la base d’idées mises en œuvre par les Français en Algérie, puis par les Portugais en Afrique (Angola, Guinée-Bissau, Mozambique) et perfectionnées par les Rhodésiens. D’une armée de type très « colonial British », avec shorts larges et folklore, on évolue ainsi vers une force bien plus moderne (bien que restant paradoxalement archaïque dans ses moyens), plus souple, plus informelle, et surtout bien mieux adaptée pour la lutte antiguérilla.
Mais le RLI a en plus une vocation à l’enveloppement vertical, c’est-à-dire à débarquer des airs. Oui, grâce aux Alouette III déjà mentionnées et à de vieux C-47 Dakota pour le parachutage. Au moment de cette transformation dans les années 1960 de simple infanterie légère en unité aéromobile et aéroportée [soit héliportée et parachutiste, NDLR], il a été décidé que tout membre devait être breveté para, quelle que soit sa condition physique. Donc, pas de tests d’aptitude comme dans toutes les autres armées : en six mois, tout le monde y passe.
Mais pourquoi donc faire appel aux avions ? Parce que nous manquons d’hélicos ! Dans nos attaques par enveloppement aérien, les Alouette déposent le premier échelon, tandis qu’un Dakota largue le second — seize hommes. Mais il est hors de question de sauter
Jean-Michel Caffin (en haut, avec un cache-œil d’entraînement au tir) photographie la vie de son unité, volontiers détendue hors opérations, mais toujours prête à agir sur préavis de quelques minutes. Le 1RLI est d’abord héli ou aéroporté (en haut au milieu, un Agusta-Bell 205A ; ci-contre un Dakota) mais aussi à terre sur les premiers véhicules conçus pour résister aux mines et blindés légers (en haut, version sud-africaine de l’AML-90 française). Mais son engin emblématique est l’Alouette III (ci-dessus, armée d’un affût latéral double Browning de 7,62 mm).
de façon classique, à moyenne hauteur, parce que le stick se retrouverait dispersé sur un kilomètre. On largue donc à très faible hauteur, idéalement 150 m, parfois moins. Or, le pays est en altitude, l’air y porte moins… Le Dakota effectue une seule passe à faible vitesse et largue tout le monde sur 200 m, soit dans un mouchoir de poche. Le saut ne dure que 10 à 11 secondes et il est viril… D’autant que les hommes portent tout l’équipement sur eux, et non pas suspendu au bout d’un câble. Notre régiment détient le record du monde de sauts opérationnels : aucune autre unité parachutiste au monde n’en a effectué autant au combat. Pouvez-vous nous expliquer le déroulement d’une mission type ? Généralement, cela se passe de la façon suivante. Une autre unité que la nôtre, les Selous Scouts [du nom de Frederick Courtney Selous (18511917), célèbre explorateur britannique en Afrique australe, NDLR], spécialisés dans la reconnaissance et formés d’Africains encadrés par des Blancs, repère un groupe de guérilleros et alerte la Fire Force par radio. Dans notre camp, nous sommes en permanence « en alerte », mais décontractés, en short, souvent torse nu, jouant au volley-ball ou paressant sur une chaise longue. Seuls les paras portent déjà leurs bottes de saut. Nos brêlages individuels sont posés le matin au pied des hélicos. Mais nous conservons notre fusil toute la journée. Quand l’alerte retentit, tout le monde enfile sa tenue de saut ou un pantalon. Les chefs de sticks vont au PC pour un briefing de deux minutes. Puis on décolle en direction de la zone signalée, souvent très éloignée. On est donc parfois obligés de ravitailler en cours de
Un équipement ui ement lléger er mais Livrable en 1960, l’Alouette III de SudAviation est construite à 2 000 exemplaires et adoptée par plus de 40 armées. Les Rhodésiens masquent par un cache les gaz chauds de la turbine sur lesquels se guident les SAM-7 des guérilleros.
route ; pour cela, nous nous posons près de postes militaires et de gendarmerie ou de dépôts répartis dans tout le pays pour refaire le plein. Pendant tout ce temps, les Selous Scouts restent camouflés à proximité de l’ennemi et nous renseignent sur l’évolution de la situation. Environ deux minutes avant l’arrivée sur zone, l’hélico canon monte en altitude et se met à tourner pour que le chef puisse « lire » le terrain et donner
parfaitement adapté
En dépit de l’embargo, les soldats de la RLI ne manquent pas d’armes, même hétéroclites, parfaitement adaptées au combat à mener. La principale est le fusil d’assaut belge FN FAL (adopté également par les Britanniques sous l’appellation de SLR) en version semi-automatique, le tir en rafale étant assimilé à un gaspillage de munitions. Championne du bricolage faute de ressources et grâce à l’esprit pionnier, l’armée rhodésienne inaugure le camouflage des armes et improvise à partir de vestes de chasse des brêlages (harnais portant munitions, outils, gourde…) faciles à enfiler, qui ont depuis fait école. Les Rhodésiens inventent également des véhicules capables de résister au souffle des mines, d’abord à partir de châssis de Land Rover, puis de camions. Les hélicoptères sont des Alouette III françaises (acquises à sept exemplaires en 1962), parc complé té par des engins similaires achetés clandestinement et que l’on fait passer pour les machines originales. L’armée s’en procure entre 40 et 50 selon les sources, auxquelles s’ajoutent en 1978 onze Agusta-Bell 205A, version italienne du fameux Bell UH-1D Huey déployé Viêtnam. L. H.
Symbole de la suprématie blanche, le Premier ministre Ian Smith s’oppose aux leaders insurgés, Robert Mugabe, patron de la Zanu et futur président du Zimbabwe (à g.), et son rival Joshua Nkomo (à dr.) de la Zapu.
LA GUERRE DU BUSH, QUINZE ANS DE CONFLIT La Rhodésie du Sud est un pur fruit du « Scramble for Africa », la ruée victorienne sur le continent noir. Le territoire, riche de promesses minières (or, cuivre, chrome, amiante, charbon…) mais aussi d’excellentes terres arables, suscite l’appétit de la British South Africa Company du Britannique Cecil Rhodes (18531902), qui s’en empare entre 1890 et 1894, écrasant grâce aux mitrailleuses Maxim l’opposition des indigènes. En 1960, quand le gouvernement de Londres, redevenu maître de la colonie en 1923, envisage une décolonisation à caractère démocratique, la rivalité s’envenime entre la minorité blanche et la majorité noire. À son pic (en 1974), la première ne dépasse guère 4 % de la population. Mais la Constitution lui octroie 50 sièges à l’Assemblée nationale contre 16 aux Noirs (dont 8 accordés personnellement à des chefs). Cette inégalité est combattue par des partis nationalistes noirs, sévèrement réprimés : la Zimbabwe African People’s Union (Zapu) de Joshua Nkomo et la Zimbabwe African National Union (Zanu) de Robert Mugabe. Fin 1965, le gouvernement du Premier ministre Ian Smith, refusant l’égalité que Londres veut imposer, déclare unilatéralement l’indépendance sous le nom de Rhodésie (la Rhodésie du Nord est devenue Zambie l’année précédente). Zapu et Zanu s’organisent alors en guérillas (très vaguement) marxisantes, appuyées respectivement par l’URSS et la Chine, deux puissances communistes en pleine rivalité. Mise sous embargo, non reconnue, la Rhodésie, soutenue par l’Afrique du Sud, tient bon grâce à l’excellence de ses forces armées. Tout change en avril 1974, quand la révolution à Lisbonne chasse les militaires du pouvoir et jette à bas l’empire colonial portugais. Le Mozambique indépendant, avec qui la Rhodésie partage 1 800 km de frontière, devient une base arrière de la Zanla (Zimbabwe African National Liberation Army) encadrée par la Zanu, tandis que la Zambie voit grossir sur son sol une Zimbabwe People’s Revolutionary Army (Zipra, force armée de la Zapu). Malgré les lourdes pertes infligées aux « terroristes » — plus de 10 000 morts, notamment grâce à des raids meurtriers sur leurs bases étrangères —, l’armée rhodésienne, faite de Blancs mais aussi de Noirs opposés à l’agenda marxiste, est débordée. En 1979, Ian Smith, en difficulté, accepte des concessions. Sont organisées en avril de premières élections multiraciales, où les Blancs contrôlent encore toutefois le tiers du Parlement. En émerge en juin un Premier ministre noir modéré, l’évêque Abel Muzorewa. Mais Nkomo et Mugabe refusent ce compromis, et c’est finalement le second, grâce au soutien des Shona, qui remporte de nouvelles élections en mars 1980. Si les Blancs ne sont pas chassés en masse (mais poussés à émigrer), Mugabe écrase la Zapu rivale dans le sang en 1982 puis installe un régime brutal et corrompu. La Rhodésie rebaptisée Zimbabwe bascule de la prospérité dans la misère. Le pays pointe aujourd’hui à la 155e place sur 188 pour l’indice de développement humain, calculé par l’ONU à partir de l’espérance de vie, l’éducation et le niveau de vie. Et Mugabe s’accroche toujours au pouvoir. P. G.
ses instructions tactiques aux chefs bombes légères. Peu de temps après, le Dakota largue ses paras sur une de sticks, dans les autres hélicos. Il cherche en particulier à deviner position opposée aux forces dépol’itinéraire de fuite des guérilleros, sées par les hélicos. Tout cela relève sur lequel nous nous posons. Puis les de la bonne vieille battue, mais où la hélicos remontent et tournent au-des- chasse est adaptée à la guérilla et aux sus de la zone dans le sens inverse moyens aériens. Et bien sûr le gibier de l’hélico du chef. peut vous tirer dessus ! Ils doivent pouvoir « Aucune autre rapidement se repoN’avez-vous unité para ser pour rembarquer aucun autre type les gars et éventuelde mission ? n’a effectué lement les redéployer Une fois par an, autant de sauts ailleurs. Pendant ce on nous déploie en fighting patrols, pour temps, le Dakota, parti au combat. » un peu après nous, nettoyer des zones tourne lui aussi, tandis qu’un petit qui n’ont pas été visitées par l’armée avion de tourisme armé (un Cessna depuis longtemps. On n’aime pas ça, Skymaster bipoutre fabriqué en c’est ennuyeux. Puis, dans les derFrance par Reims Aviation et baptisé nières années de la guerre, trois fois Lynx en Rhodésie) assure l’appuipar an, on rassemble tout le monde feu avec mitrailleuses, roquettes ou et on lance des raids sur les camps
d’entraînement ennemis en Zambie ou au Mozambique. Qui sont vos ennemis ?
On sait qu’il y a deux mouvements politico-militaires, l’un soutenu par les Soviétiques [la Zipra de Nkomo, NDLR] et l’autre par les Chinois [la Zanla de Mugabe, NDLR]. Nos adversaires — nous les appelions « ct » pour communist terrorists mais aussi gooks ou terrs — sont bien entraînés et bien armés mais pas aussi motivés que les jeunes Rhodésiens blancs ou que les Noirs servant dans les Rhodesian African Rifles (RAR) de l’armée rhodésienne. Ils ne valent pas les Viêt-công ou les futurs talibans.
Mais nous ne disposons que d’à peine 1 % des moyens déployés par les Américains au Viêtnam ou en Afghanistan. Et il y a une grande différence entre soldats de la Zanla et de la Zipra. Les premiers sont plutôt recrutés parmi les Shona, des agriculteurs. Les seconds sont surtout issus de l’ethnie guerrière des Matabele (ou Ndebele), cousine des Zoulous d’Afrique du Sud et se battent mieux — c’est la même ethnie qui
fournit le gros de ses volontaires à l’armée rhodésienne. On attribue au RLI un « kill ratio » fou de 35 à 50 contre 1. Le combat est-il à sens unique ?
Tout conflit contre-insurrectionnel
En 1976, le 1RLI se dote d’une poignée de « Daks », surnom local du Dakota. Chacun embarque 20 à 24 paras, nombre réduit à 16 en 1978 pour équiper l’avion de contre-mesures antimissiles.
Les soldats du 1RLI sont de plus en plus sollicités au fur et à mesure que le conflit durcit. En 1975, une période d’activité typique de cinq à six semaines aboutit à huit à douze contacts avec l’ennemi, contre deux à trois contacts quotidiens en 1979.
Des camions Unimog du RLI passent à travers une foule arborant le drapeau de la Zanu. Vu son terrible tableau de chasse (à dr., un guérillero prisonnier parmi ses camarades tués), l’unité est dissoute le 31 octobre 1980.
+ À lire • Rhodesian Fire Pour en savoir
Force 1966-80, K. Cocks,
Helion & Company, Company, 2015. 2 015. • Rhodesian Light Infantryman 1961-80, N. Grant, Osprey, 2015. • Modern African Wars (1) : Rhodesia 1965-80, P. Abbott, Osprey, 1986. • Bush War Operator : Memoirs of the Rhodesian Light Infantry, Selous Scouts and Beyond , A. Balaam,
Helion & Company, Company, 2014. 2 014. • The Part-Time War : Recollections of the Terrorist War in Rhodesia,
R. Wells, Fern House, 2011.
(ou asymétrique pour user du jargon à la mode) comporte ses propres facteurs favorables ou défavorables. La guerre en Rhodésie n’est pas différente en ce sens. Sans doute, le RLI a la satisfaction de faire le plus de « bilan » et de profiter de la grande mobilité de la Fire Force, mais nous ne sommes qu’une toute petite poignée et nos tactiques sont vues par les militaires conventionnels comme à la limite du suicidaire. Le combat n’est jamais une partie de pêche et il faut de la témérité, même si nos soldats dissimulent leur angoisse sous un masque et un langage caractéristique, rustique, macho et martial. De 1974 à 1980, le RLI perd tout de même environ 50 tués, sur un effectif opérationnel d’environ 300 hommes. Combien de temps restez-vous dans cette unité ? Deux ans. Ensuite, je suis sélectionné pour le cours des caporaux, un grade prestigieux et donnant beaucoup
L’avis de la rédaction de G&H
Ce qui frappe dans ce témoignage c’est la nostalgie d’un homme pour une période aventureuse de sa jeunesse, comme s’il ne s’était pas agi d’une guerre — il s’agit en revanche, quoi qu’il en dise, d’un engagement politique. Cela peut se comprendre au regard de l’ambiance sympathique régnant dans son unité, mais aussi et surtout au regard de la faiblesse relative de l’adversaire. On n’est ni à Stalingrad, ni à Khê Sanh ! Même si la tactique d’enveloppement vertical décrite est originale et intéressante, cette expérience n’offre, au-delà de son intérêt historique, que des enseignements limités pour comprendre et analyser d’autres guerres. À noter en filigrane un élément important qui distingue ce conflit de ceux menés parallèlement en Afrique du Sud, au Mozambique, voire en Namibie : la domination des colons blancs de Rhodésie est bien moins dure que celle des Afrikaners ou des Portugais. Il existe chez les Rhodésiens de vraies unités mixtes (comme les éclaireurs Selous), et l’on observe moins d’atrocités commises de part et d’autre. Enfin, le transfert du pouvoir à la majorité noire se déroule plutôt bien, vu les conditions. Le goût de la dictature qui s’installe dans la foulée n’en est que plus amer.
d’autorité, comme dans la Légion. J’y apprends dix fois plus de métier que dans les EOR [élèves officiers de réserve, cadre de formation des officiers appelés, NDLR]… En tant que
caporal, je peux par exemple diriger des frappes aériennes. Et ensuite ? Je décide de suivre la formation SAS pour intégrer cette unité prestigieuse, directement calquée sur les forces spéciales britanniques, et dont le rôle est très particulier : elle agit uniquement à l’étranger (Zambie, Mozambique, etc.), contre les camps d’entraînement de la guérilla, pour commettre des sabotages et éliminer des chefs adverses. Nous sommes alors grimés en Noirs, avec des treillis de la guérilla, armés de kalachnikov et de RPG-7. La sélection pour y entrer est très dure : seuls 10 % des volontaires sont retenus à l’issue d’un stage de 36 heures absolument infernales. Mais je ne fais que quelques opérations avec eux, car on arrive à la fin de la guerre.
de Mugabe s’emparent du pouvoir. Et la guerre s’arrête du jour au lendemain, sans OAS, sans massacres de Blancs. Tout le monde se calme : il n’existe alors pas de haine entre les communautés. Et Mugabe ne touche pas à l’armée, ni aux Blancs qui l’encadrent. Mais nous avons signé un accord secret avec Pretoria, selon lequel notre unité serait intégrée dans l’armée sud-africaine si les choses tournaient mal. C’est ce que fait une grande partie des SAS, et moi avec. La plupart n’y restent guère qu’un an. N’avez-vous pas vu venir la défaite ? Pas vraiment. Sur le terrain, on était victorieux tout le temps. Mais on n’avait aucune stratégie, je pense, juste la volonté de « faire du bilan ». C’est peutêtre ce qui nous a perdus… Mais pouvaiton vraiment avoir une stratégie dans une telle guerre ?
« On n’avait pas de stratégie, juste jus te la volo volonté nté de faire du bilan. »
Comment cet épisode se passe-t-il ? Les Rhodésiens sont obligés de se mettre à la table des négociations. Le gouvernement intérimaire noir modéré qu’ils souhaitent mettre en place est rejeté par l’ONU, il y a un cessez-le-feu. On arrête donc toutes nos opérations, a fortiori clandestines. clandestines. Puis arrivent les élections de 1980 [voir encadré p. 10], les partisans
Comment votre retour en France se passe-t-il ? N’avez-vous pas d’ennuis ? Au contraire ! Je rejoins la réserve comme capitaine et mon expérience est très appréciée. J’ai même le droit de porter mes décorations et mon brevet para rhodésiens. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces années ? Un regard nostalgique. Et aucun regret. Pour nous, la guerre, c’était fun. On avait 18 ans…
La guerre francoespagnole du XVIe s. réémerge à Cap Canaveral
L’explication des voix de Jeanne d’Arc se jouerait à un cheveu Deux neurologues italiens, Paolo Tinuper et Giuseppe D’Orsi, l’affirment : la science peut expliquer les voix entendues par la Pucelle d’Orléans (ici, incarnée par Ingrid Bergman en 1948). Selon l’hypothèse émise dès 2006 par les deux médecins, Jeanne aurait souffert « d’épilepsie partielle idiopathique avec caractères auditifs » (IPEAF (IPEAF,, en anglais) ou d’une autre variété dite « du lobe temporal latéral autosomique » (ADL (ADLTE) TE) produisant des symptômes similaires. Les hallucinations sonores causées par la maladie sont par exemple déclenchées par des stimuli particuliers (tel le son d’une cloche) et s’accompagnent parfois de visions, ce qui correspond assez bien aux descriptions données par Jeanne à son procès en 1431, estiment les chercheurs. Il restait jusqu’à présent impossible d’appuyer cette théorie discutée. Mais la découverte de marqueurs génétiques de ces maladies relance l’espoir. Jeanne, avant le bûcher, avait authentifié des lettres en ajoutant un cheveu — source potentielle d’ADN — dans la cire du cachet. Ne reste plus qu’à trouver ces reliques… – P. G.
Ils cherchaient cherchaient les débris des innombrables fusées tirées depuis la grande base spatiale de Floride. Ils sont tombés, à quelques mètres de profondeur, sur les restes de deux voiliers abritant un canon de bronze à fleur de lys fondu sous Henri II (1547-1559) et une petite colonne de marbre aux armes royales de France (semblable à celle de la gravure du XVIe s. ci-dessous). Les chasseurs d’épave de la société Global Marine Exploration ont d’abord pensé que ces vestiges signaient la découverte des navires, coulés par un ouragan en 1565, de Jean Ribault, navigateur colonisateur huguenot aux ordres du roi Charles IX. Si l’origine française des trouvailles est indubitable, il semblerait que les navires étaient espagnols : canon et colonne auraient été saisis en 1565 à Fort Caroline, colonie protestante
Le message du duce pour la postérité enfin révélé Sous l’obélisque de 300 t planté à Rome sur le Foro Italico, complexe sportif construit entre 1928 et 1938, se cacherait un message du Duce aux générations futures. Que dit-il ? Deux chercheurs, Bettina Reitz-Joosse et Han Lamers, viennent de le reconstituer à partir des quelques sources disponibles. Le texte de 1 200 mots, rédigé en latin par le classiciste Aurelio Giuseppe Amatucci, place d’abord Mussolini en continuité des empereurs romains, sauveur d’une Italie « régénérée par sa vision surhumaine ». Le reste du texte glorifierait les Jeunesses fascistes, dont le QG se trouvait sur le Foro, et les monuments du complexe. Tout cela au conditionnel : faute de potion magique, l’obélisque n’a pas bougé. – P. G.
Il y a 1000 ans… L’Angleterre intégrait l’Empire danois.
fondée en 1562 par Ribault près de l’actuelle Jacksonville et capturée juste après son départ vers la tempête fatale (rescapé, le malheureux sera pris et exécuté par les catholiques soldats de Philippe II d’Espagne). Puis les galions chargés de butin auraient sombré à leur tour. Bien mal acquis… – P. G.
Il est célèbre pour avoir tenté en vain d’arrêter la marée. Mais Knut le Grand (994 ou 995-1035), le roi Canut de la légende, s’est surtout illustré en annexant l’Angleterre à un immense empire scandinave. Revenant sur les conquêtes sans lendemain de son père Sweyn, Knut débarque près de Douvres en août 1015 et bat le roi anglo-saxon Edmond II à Assandun (dans l’actuel comté d’Essex) le 18 octobre 1016. Forcé à céder toutes ses possessions à part son Wessex d’origine, Edmond décède opportunément (mais sans doute naturellement) le 30 novembre, laissant la couronne entière à Knut. Lequel hérite ensuite du Danemark en 1018 à la mort de son frère puis s’empare de la Norvège en 1028. Mais le pouvoir danois est mal consolidé et la maison de Wessex récupère en 1042 le trône d’Angleterre. Jusqu’en 1066, où Guillaume, un autre « homme du Nord » venu cette fois du Sud, surgit près d’Hastings. – P. G.
Intriguant trophée remonté de l’épave du navire de guerre suédois Kronan, chaviré en 1676 lors de la bataille d’Öland : un pot en étain contenant une sorte de fromage bleu. Méchamment puant, apparemment, mais pas au point d’avoir causé le naufrage, imputé au mauvais temps ••• ••• Les chasseurs de trésor à la recherche du mythique « train d’or » abandonné par les nazis à Walbrzych (Pologne) ont admis le 24 août que leurs espoirs étaient vains. La ville aura réalisé un bénéfice de 200 millions
22 septembre 1939 : les Soviétiques (premier plan) font leur jonction avec les Allemands à Brest, en Pologne orientale.
Quand la justice russe instrumentalise l’histoire au service de la propagande « Les communistes et l’Allemagne ont attaqué conjointement la Pologne et ont déclenché la Seconde Guerre mondiale le 1 er septembre 1939. » Cette phrase tirée de la page VKontakte
(équivalent russe de Facebook) de Vladimir Louzguine lui a valu d’être condamné en juillet à une amende de 200 000 roubles (2 770 euros) par le tribunal régional de Perm, dans l’Oural. Le jugement a été confirmé le 1er septembre par la Cour suprême de Moscou. Les magistrats estiment que Louzguine s’est rendu coupable de « négation publique des conclusions du procès de Nuremberg » et de « diffusion de fausses informations sur l’activité de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ». Délit
puni par l’article 354.1 du code pénal russe (dit « contre la réhabilitation du nazisme »), signé par Vladimir Poutine le 5 mai 2014. Cet épisode est significatif à plus d’un titre, à commencer par la motivation des poursuites. La page incriminée, publiée le 24 décembre 2014, contient en fait un article anonyme intitulé « 15 faits sur Bandera sur lesquels le Kremlin reste silencieux ». Stepan Bandera (1909-1959)
est un personnage sulfureux : chef d’un mouvement nationaliste ukrainien antipolonais, antisoviétique et antisémite d’avant-guerre, il tente en vain de collaborer avec les nazis avant d’être assassiné par le KGB. Or, c’est curieusement la phrase la moins inexacte de cet article bourré de mensonges et de demi-vérités qui attire l’attention de la justice (rappelons que, sans minimiser la responsabilité soviétique, c’est Hitler qui déclenche seul la guerre le 1er septembre 1939, l’Armée rouge n’intervenant que seize jours plus tard). Ni activiste politique, ni journaliste comme certains médias occidentaux l’ont affirmé, Louzguine est un simple serrurier. Pourquoi l’attaquer, alors que, selon les médias locaux, seule une vingtaine de personnes ont lu l’article mis en cause ? Pourquoi déclencher une tempête dans un verre d’eau, au risque de ridiculiser la plus haute instance juridique de Russie, accusée de nier l’invasion de la Pologne orientale par Staline il y a soixante-dix-sept ans ? La curieuse genèse de l’article 354.1 donne des éléments de réponse. Il est proposé
à la Douma en mai 2009 par deux adeptes du contrôle étroit de l’information, les députés Irina Yarovaya et Vladimir Medinski, actuel ministre de la Culture. Mais le président Medvedev préfère alors créer une commission présidentielle « pour contrer les tentatives de falsification de l’histoire au détriment des intérêts de la Russie »… avant de la dissoudre en février 2012.
Puis le contexte politique change… En février 2014, Moscou annexe en effet la Crimée, puis intervient dans l’Est de l’Ukraine, dans un conflit que la propagande du Kremlin présente comme un combat contre les « fascistes banderovtsy », soit les partisans de Bandera. La thèse est immédiatement tournée en dérision par certains blogueurs russes. En avril, Yarovaya ressort opportunément son projet, que Poutine fait immédiatement adopter pour faire taire les moqueurs et réaffirmer sa vision. Quand l’expression « fascistes banderovtsy » désigne le gouvernement ukrainien dans le langage politique russe, on comprend mieux l’intérêt porté par l’État au serrurier de l’Oural. – Yacha MacLasha
grâce au tourisme engendré par l’affaire ! ••• Le Normandy Tank Museum, ouvert en 2013 près de Carentan, a fermé ses portes en septembre, victime de la concurrence acharnée entre établissements du même type. Sa remarquable collection, qui contient notamment un Sherman en état de marche, sera vendue aux enchères avant que nous mettions sous presse ••• Un projet de loi porté par le ministre de la Justice de Varsovie Zbigniew Ziobro vise à punir d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison l’emploi
Mais il reste encore bien des trésors à découvrir. La Huntington Library a donc lancé une campagne de « crowdsourcing », appel aux bonnes volontés bénévoles via Internet, pour aider au décryptage. Marche à suivre sur zooniverse.org/projects/zooniverse/ decoding-the-civil-war. – P. G.
Lodz, 1942. Himmler (en voiture) parle à Chaim Rumkowski, le doyen juif chargé de transformer le ghetto en base industrielle.
Le journal « secret » d’Himmler fuite dans la presse allemande Tonnerre médiatique outre-Rhin, où le magazine Bild a livré sur son site payant le 31 juillet dernier des extraits du « journal » d’Heinrich Himmler, perdu et retrouvé en Russie. En fait, il ne s’agit pas d’un journal à strictement parler mais d’un aide-mémoire listant jour après jour les visiteurs et invités du Reichsführer SS ainsi que ses déplacements. Il ne s’agit pas non plus d’une nouveauté : il y a déjà plusieurs années que l’Institut d’histoire allemand
de Moscou s’est fait remettre le document, saisi à Berlin en 1945 par l’Armée rouge et détenu depuis par les archives russes, en vue d’une publication scientifique. Les historiens connaissaient d’ailleurs son existence et des extraits sans grand intérêt avaient déjà été publiés (notamment par le révisionniste britannique David Irving). En 1999, une première édition scientifique avait livré les années 1941 et 1942, suivie des années 1940 et 1945. Les
Dewoitine D.551, décollage fin 2017 ?
d’entamer une vraie campagne d’essais, obligatoire pour tout avion neuf. – P. G.
Recréé ex nihilo par l’association toulousaine Réplic’Air (voir G&H no 17, p. 17 ), le Dewoitine D.551, intercepteur dont le prototype de 1940 n’a pu décoller avant sa destruction, devrait voler « fin 2017-début 2018 ». La structure est en fabrication et la restauration de deux moteurs Hispano d’origine poursuit son cours. L’avion devrait être une vedette statique du prochain salon du Bourget, avant
Le trésor télégraphique nordiste en cours de décryptage Pour le LA Times, c’est le fil Twitter de la guerre de Sécession: 15 922 télégrammes, le plus souvent cryptés, expédiés entre 1862 et 1867 par le bureau télégraphique du ministère de la Guerre
« bonnes feuilles » publiées par Bild anticipent en réalité la sortie, en 2017, des volumes 1938-1939 et 1943-1944, sous la direction de Matthias Uhl et Dieter Pohl. Un événement important pour mieux suivre les faits et gestes du grand ordonnateur de la Shoah. Les extraits donnés par Bild établissent par exemple qu’Himmler s’est bien rendu sur le site du camp d’extermination de Sobibor en février 1943, ce que niaient plusieurs révisionnistes. – J. L. nordiste et archivés par son chef, Thomas Eckert. Acquis par la bibliothèque Huntington de Los Angeles en 2012, ces documents présumés perdus sont en cours d’étude systématique depuis cet été. Les messages déjà décodés révèlent les préoccupations quotidiennes des plus grands chefs : on y voit Grant réclamer la solde des troupes noires en même temps que celle des Blancs, Sherman pleurer la mort de son fils, Lincoln se réjouir du siège enfin mis devant Petersburg…
Une tombe de nobles vikings révèle une énorme hache de combat La tombe d’un couple appartenant à la haute noblesse viking du Xe siècle contenait une énorme hache, « plus grande et plus lourde que celles auparavant retrouvées », selon les archéologues danois du Silkeborg Museum en charge de la trouvaille réalisée près de la ville de Haarup. L’arme en fer, sans ornement et destinée à marquer la nature guerrière du défunt, est typique des haches nordiques à long manche, maniable à deux mains. – P. G.
de l’expression « camp de la mort, de travail ou d’extermination polonais ». L’idée : refuser toute ambiguïté laissant supposer une coresponsabilité dans les crimes nazis ••• La plaque commémorative accrochée en juin à Saint-Pétersbourg pour honorer Gustaf Mannerheim va être enlevée. Les habitants ont objecté que l’officier héros de la Russie de Nicolas II, devenu maréchal et chef de l’armée finlandaise, a contribué avec la Wehrmacht au siège de la ville, qui a coûté la vie à 640 000 civils de septembre 1941
Citadelle de Lille : les chasseurs de Pokémon devront passer leur chemin.
Le réchauffement climatique risque de libérer les polluants d’une ancienne base polaire américaine Creusé en 1959 à 8 m dans la calotte polaire du Groenland avec l’accord du Danemark, Camp Century a servi en grand secret à tester le déploiement de missiles nucléaires américains sous la glace. Faute de résultat, la base, qui abritait jusqu’à 200 soldats, a été fermée en 1967, les chutes de neige enfouissant en principe les milliers de tonnes de déchets abandonnées là pour l’éternité. Hélas, alerte une étude internationale publiée le 4 août dans les Geophysical Research Letters, le réchauffement risque de faire fondre la couche protectrice, libérant en particulier le potentiel toxique d’une quantité « non négligeable » de PCB (polychlorobiphényles, composés organiques chlorés, utilisés par exemple dans les peintures et interdits en France depuis 1987) — sans compter quelques matières radioactives issues du refroidissement de la pile atomique alimentant le site. Certes, ces saletés ne referaient surface que vers… 2180. L’ennui est que les eaux infiltrées pourraient dissoudre et véhiculer les polluants plusieurs décennies en avance. Qui va se dévouer pour nettoyer ? – P. G.
269,5 milliards d’euros C’est le montant des indemnités réclamées à nouveau (voir G&H no 4, p. 15 ) fin août par la Grèce à l’Allemagne, en réparation des crimes commis par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et en remboursement d’un emprunt forcé de 476 millions de Reichsmarks (soit 10 milliards d’euros actuels, intérêts et principal). « La Grèce fera tout le nécessaire au niveau diplomatique, et si nécessaire légal », a affirmé le Premier ministre Alexis Tsipras. Nein, répond Berlin, qui estime que le dossier est fermé : la République fédérale d’Allemagne a versé 115 millions de marks en 1960 contre quitus d’Athènes. – P. G.
À Verdun, invasion de Pokémon sur les sites de mémoire L’ossuaire de Douaumont, où sont conservés les restes de 130 000 victimes de la bataille, n’est plus une arène Pokémon Go où les dresseurs de bestioles électroniques viennent s’affronter, mobile à la main : sur demande de la direction du site le 5 août, Niantic, l’éditeur, a effacé le site de la carte du jeu. Le mémorial de Verdun et le village martyr de Fleury-devant-Douaumont, également utilisés comme arène ou PokéStop (où les joueurs récupèrent des accessoires virtuels), ne devraient plus non plus servir de terrain de chasse, tout comme le camp d’Auschwitz en Pologne, l’US Holocaust Memorial Museum et le cimetière militaire d’Arlington à Washington ou le Mémorial de la paix d’Hiroshima. – P. G.
Le diplomate raoul Wallenberg a bien été liquidé par Staline La publication à Moscou en juin dernier du journal du premier chef du KGB, Ivan Serov, confirme les soupçons : Raoul Wallenberg,
le diplomate suédois dont l’activité inlassable et courageuse a sauvé des milliers de juifs hongrois fin 1944, a bien été exécuté trois ans plus tard
sur ordre de Staline et de Molotov, son ministre des Affaires étrangères. Victor Abakumov, patron du MGB (précurseur du KGB) de 1946 à 1951, l’aurait avoué à Serov avant d’être fusillé en 1954. Accusé d’espionnage, Wallenberg avait été arrêté par l’Armée rouge en janvier 1945 après la libération de Budapest. La Russie a reconnu en 2000 qu’il était mort en 1947 à la prison de la Loubianka, sans préciser les circonstances. – P. G.
à janvier 1944 ••• Surprise le 22 juillet au restaurant Frenchies Burger de La Flèche (Sarthe) : un sac de pommes de terre récoltées à Wavrin (Nord) contenait une grenade anglaise de la Grande Guerre, heureusement inoffensive ••• Le King’s College de Londres va procéder à une expertise génétique de 10 mèches de cheveux attribuées à sept mutins de la Bounty et à trois de leurs compagnes tahitiennes réfugiés sur l’île de Pitcairn en 1790. L’analyse doit confirmer l’identité des ex-propriétaires.
U POING
éthiopie, 1935-1936 le duce détrône le négus Dernier grand pays indépendant d’Afrique, l’empire millénaire d’Éthiopie aiguise les convoitises de l’Italie fasciste, déjà présente en Somalie et en Érythrée. Mussolini veut parfaire la puissance coloniale de la péninsule aux dépens du souverain issu de la mythique lignée de Salomon et de la reine de Saba, Hailé Sélassié. Par Vincent Bernard
Le ras (« duc ») Tafari Makonnen (1892-1975), régent du royaume depuis 1916 auprès de l’impératrice Zaouditou, est devenu à la mort de celle-ci en 1930 negusse negest, roi des rois, empereur d’Éthiopie, sous le nom d’Hailé Sélassié Ier. En Occident, on l’appellera simplement, jusqu’à sa chute en 1974, le Négus. En 1935-1936, il tente en vain de s’opposer à l’agression italienne. Exilé, il retrouvera son trône dès 1941, dans le sillage des forces britanniques. On le voit ici à Addis-Abeba en 1935, entouré de sa garde, armée en partie de fusils Mauser 98 K.
U POING
L’armée éthiopienne : des masses archaïques avec la volonté de se battre.
Les forces éthiopiennes comprennent environ un demimillion d’hommes organisés sur une base régionale. Le noyau dur est constitué des 25 000 soldats de la garde impériale et de troupes régulières (dont les fameux Mehal Sefari) plus ou moins formées à l’européenne, à l’instar de ces fantassins sur pick-up Ford avec mitrailleuse Vickers (en bas à g.), préfigurant d’autres images bien connues des conflits actuels. Le gros des forces régionales et tribales est beaucoup moins bien entraîné et équipé (quand il l’est), à l’image de ce chef à cheval en tenue traditionnelle ( en haut à g.) qui n’est pas là pour le folklore mais bien représentatif d’une grande partie des armées du Négus. Les Éthiopiens ne disposent que de 40 000 fusils modernes (Mauser, Lebel, Carcano…) et surtout quantité de stocks obsolètes du siècle précédent. S’y ajoutent quelques centaines d’armes automatiques, telle cette mitrailleuse Hotchkiss 8 mm (ci-contre), et de tubes d’artillerie (dont quelques Oerlikon antiaériens de 20 mm, antichars PaK 35, 75 Schneider…). Le parc motorisé se limite à une douzaine d’automitrailleuses et 300 camions ; l’aviation, à une poignée de Potez 25, Fokker F VII ainsi qu’un unique long courrier Farman 192.
U POING
Réputés pour leur rapidité, les fantassins éthiopiens combattent pieds nus non par manque d’équipement mais dans le souci de ne pas entraver cette légendaire mobilité. Ils livrent une furieuse résistance aux Italiens en dépit de leur infériorité technologique et de la supériorité aérienne totale de la Regia Aeronautica, comme ici, dans l’Ogaden, où une colonne vient d’être bombardée ( à droite). En revanche, le cliché (ci-contre) de cette jeune femme présentée comme guérillera abyssinienne (la guérilla se poursuit pendant les années d’occupation italienne) laisse perplexe. Pays de la reine de Saba, l’Éthiopie fascine les Européens ; l’image qui en est véhiculée s’appuie sur les stéréotypes du temps, n’hésitant pas à représenter complaisamment la nudité des femmes noires sous le couvert artistique ou anthropologique, ce que fait ici le photographe. Cela n’empêchera pas les Italiens, comme avant eux les Français dans la guerre du Rif, de bombarder et gazer les populations ou les installations de la Croix-Rouge sans retenue.
Face aux armes nouvelles, le courage et le sacrifice.
U POING
L’armée italienne est dans les années 1930 en pleine modernisation sous l’impulsion de Mussolini. Elle enverra jusqu’à un demi-million de soldats comprenant plusieurs divisions de chemises noires fascistes ( en bas à g.) et de nombreuses troupes coloniales, les ascari. Bien équipé et armé, le corps expéditionnaire déploie notamment plusieurs groupes d’artillerie motorisés (ici, en haut à g., des 75 tractés par engins Pavesi P4), des chars L-5 et autres « tankettes » L-3 dont plusieurs seront capturés et retournés. Surtout, il aligne plusieurs centaines d’appareils en appui de ses troupes. Couverts par quelques chasseurs biplans CR 20, les bombardiers Caproni 101 ou, comme sur ce cliché ( en haut à dr.), Ro.1 (Fokker C.V) sont utilisés intensivement contre les forces du Négus comme sur des objectifs civils. C’est notamment l’aviation qui anéantit l’armée de Sidamo du ras Desta à la frontière somalienne en janvier 1936. En dépit de cette supériorité technologique et de l’emploi des gaz, il faudra six mois pour venir à bout des armées éthiopiennes.
L’arsenal fasciste, dont Mussolini a accéléré la modernisation, est mis au banc d’essai.
U POING
Dans leur conquête de l’Abyssinie, les Italiens utilisent de nombreux supplétifs recrutés surtout en Érythrée, les ascari (de l’arabe asker , « militaire »). L’ascaro Abraïm Adaré pose ici avec ses décorations devant le drapeau de son unité en décembre 1935.
e 3 octobre 1935, après des mois de crise (notamment l’incident de Walwal en décembre 1934) et en violation flagrante de la charte de la Société des Nations (SDN), les troupes italo-érythréennes traversent la frontière et déclenchent la seconde guerre italo-éthiopienne. Le vieil empire d’Éthiopie, dernier grand pays indépendant d’Afrique désigné aussi par le nom d’Abyssinie, aiguise depuis des décennies les appétits italiens. Rome voit là l’occasion de relier ses colonies libyennes avec celles d’Afrique orientale (Érythrée et Somalie) tout en vengeant l’humiliation d’Adoua en 1896 face à l’empereur Ménélik II (voir G&H no 23, p. 42). La guerre se déroule sur un territoire montagneux et découpé très difficile : De Bono, commandant en chef, doit lancer l’offensive depuis l’Érythrée vers Addis-Abeba avec une dizaine de divisions et des bataillons ascari, soit 125 000 hommes et 150 avions. Au sud, la petite armée du général Graziani (une seule division régulière, Peloritana, bientôt renforcée d’une division libyenne et d’une de chemises noires) doit seulement protéger la Somalie avant que son chef n’obtienne du Duce l’autorisation tacite d’attaquer. C’est au nord, où l’empereur Hailé Sélassié prend le commandement direct, que se déroule le gros des combats. Alors que l’Éthiopie mobilise, De Bono s’empare de la ville sainte d’Aksoum, proclame (sans plus de résultats
L
que le Négus en 1924) la capitale que les fascistes Mer l’abolition de l’esclavage nomment « Marche de la Rouge et obtient la retentissante volonté de fer ». Le 5 mai ÉRYTHRÉE YÉMEN reddition sans combat 1936, une colonne mécad’un gendre de l’empereur. nisée entre à Addis-Abeba, SOMALIE Cependant, sa progression mettant un terme officiel De Bono FRANÇAISE SOUDAN ralentit face aux difficultés à un conflit dont le bilan SOMALIE n c logistiques et à la concenest mal connu et sujet a ANGLAISE Addis l l B i N Abeba tration des meilleures à caution mais apparaît ÉTHIOPIE Graziani troupes éthiopiennes. terrifiant. Cent cinquante Jugé trop lent, De Bono est mille à 300 000 Éthiopiens S O M A L I E remplacé dès novembre (certains évoquent ITALIENNE Territoires par Badoglio qui reprend un demi-million) seraient italiens Mogadiscio OUGANDA les préparatifs. La prometmorts du fait de la guerre AttaquesKENYA Océan Indien teuse « offensive de Noël » ou des années de résisitaliennes 500 km lancée en décembre tance à la colonisation. par le Négus le surprend Les pertes italiennes et cause de lourdes pertes. Mais en janvier, s’élèveraient jusqu’à la fin de 1936 à plus de au sud, une offensive du ras (« duc ») Desta 9 000 morts, pour moitié des ascari, et autant de contre la Somalie est écrasée par l’aviation. blessés. De nombreux cas de crimes de guerre Ce désastre ainsi que les combats incertains sont avérés, et pas seulement côté italien, du Tembien au nord achèvent de rendre l’iniles Éthiopiens pratiquant de fréquentes mutilatiative aux Italiens. Badoglio, qui a reçu des tions sur leurs prisonniers. renforts et le blanc-seing de Mussolini pour une La guerre ne s’achève pas avec l’exil du Négus dynamique de « guerre totale », passe à l’offenet l’annexion unilatérale italienne ; elle se prosive. En quelques jours, du 27 février au 2 mars, longera par cinq années d’une intense guérilla. il écrase l’armée du centre puis l’aile gauche En juin 1936, devant une SDN discréditée adverses. Regroupant sa garde, Sélassié tente et impuissante, Hailé Sélassié prononce son encore fin mars de résister à Maichew, au nord, célèbre discours prophétique : « Je suis venu mais voit ses dernières forces détruites. Quand en personne, témoin du crime commis à l’encontre en avril la dernière armée du sud, aux ordres du de mon peuple, afin de donner à l’Europe un averras Nasibu, est battue dans l’Ogaden, il ne reste tissement face au destin qui l’attend si elle s’incline rien pour s’opposer à la triomphale marche sur aujourd’hui devant les actes accomplis. N
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P H & G 1 V S 7 1 M C
Vos questions à la Une ALEXIS DEMEY, CHAMBÉRY (73)
MARTIN TERRIEN, PARIS (75)
Ses navires ayant été coulés par la Navy, qu’est devenue l’armée d’Égypte que Bonaparte a "abandonnée" pour retourner en France ?
Quel a été le rôle des drogues au cours de la Seconde Guerre Mondiale ?
Le 23 août 1799, embarquant à Alexandrie Alexandrie pour la France, le général Bonaparte confie le commandement de l’armée d’Égypte à Kléber Kléber.. Cette armée conquiert la Haute-Égypte en septembre et repousse un débarquement turc à Damiette le 1er novembre. Mais Kléber, conscient de sa faiblesse et de son isolement, négocie avec les Anglais un rapatriement honorable. Une convention est signée en ce sens à El-Arish le 28 janvier 1800, mais elle est désavouée par le commandement anglais et les Turcs. Ceux-ci marchent sur Le Caire, dont la population se révolte. Mais l’armée turque est écrasée le 20 mars à Héliopolis par les Français, qui matent ensuite la rébellion cairote avec difficulté : le calme ne revient que le 18 avril. Le 14 juin, Kléber est assassiné par un étudiant kurde de Syrie et le général Menou lui succède. Le 8 mars 1801, une armée anglaise débarque à Aboukir. Menou l’attaque à Canope le 20 mars, mais il est e st battu et s’enferme dans Alexandrie, où il capitule le 30 août en échange du rapatriement de son armée en France. Les Anglais, disposés à négocier avec Napoléon depuis l’aban l’abandon don de la coalition par l’Autriche l’Autriche (9 février) et la chute du gouvernement de William Pitt (1er mars), honorent cette capitulation. Les débris de l’armée d’Égypte débarquent à Marseille le 18 octobre. Un tiers des soldats partis en 1798 sont morts en Égypte et en Syrie. – A. Reverchon
Nous avons déjà traité cette question dans un numéro précédent mais, comme elle revient souvent, deux précisions supplémentaires. Un : les drogues de loin les plus utilisées ont été, comme durant la Première Guerre mondiale, l’alcool et le tabac, présents dans toutes les armées. Chez les Soviétiques, par exemple, l’on distribue toujours 100 ou 150 cl de vodka avant l’assaut et le tabac noir — la makhorka — n’a jamais jam ais man manqué. qué. Pou Pourr ce ce qui qui est est des des drogu drogues es de synthèse de la famille des amphétamines, elles ont été distribuées, dans quelques armées, à certaines troupes dont on attendait des performances soutenues durant trois ou quatre jours consécutifs, notamment en réduisant le besoin de sommeil. Leur usage est avéré chez les aviateurs anglo-saxons et les Allemands, qui en ont fait un large usage (sous le nom de pervitine) au début de la guerre, dans la Luftwaffe et l’arme blindée notamment. Mais, très vite, les médecins
MARC BRÉAUD, VALENCE (26)
En septembre 1939, si le commandement français s’était décidé à attaquer, quel était le rapport de force en sa faveur ?
Le mot : « fourragère » Désigne au XVIe s. une cordelette que portent à l’épaul l’épaulee les dragons autrichiens de façon à pouvoir constituer aisément une botte de foin ou de paille (le fourrage) pour leur monture. Napoléon transforme cet emploi utilitaire en élément réglementaire d’uniforme : ses hussards porteront une fourragère jaune et ses artilleurs, une rouge. Un usage supprimé en 1870. En 1916, la fourragèr fourragèree réapparaît avec son sens actuel de distinction collective. In Hugues Vial, Petit Abécédaire des armes, Pierre de Taillac, 2016.
militaires ont prévenu des effets secondaires très négatifs de ces stimulants (agressivité, dépression…) et leur usage a été plus encadré. Pour autant, dire que la Wehrmacht était « shootée » ou que le « secret » de ses premières victoires tient à cet état second est outrancier. – J. L.
Au premier abord, il peut sembler très favorable au début de septembre 1939, au moment de la petite « offensive de la Sarre » (7 au 14 septembre ; pho photo to). Grossièrement, une quarantaine de divisions françaises, avec plusieurs milliers de blindés et de pièces d’artillerie, font face à environ moitié moins d’unités allemandes, généralement de seconde ligne, assez mal équipées et sans panzers, entre Trèves et la frontière
suisse. Mais l’état-major français craint et surestime fortement les capacités de la Wehrmacht, de la Luftwaffe en particulier particulier,, et ne se sent prêt ni matériellement, ni logistiquement, ni psychologiquement à s’aventu s’aventurer rer dans une offensive majeure et nécessairement coûteuse. De plus, la mobilisation allemande est étonnamment rapide et le Westwall (la « ligne Siegfried ») bien qu’incomplètement achevé se renforce très vite. Fin septembre, on compte déjà plus de 40 divisions sur pied à l’Ouest, dispositif en constante hausse grâce aux succès rapides en Pologne. À la rigueur rigueur,, une offensive française vigoureuse aurait pu atteindre Wiesbaden et border le Rhin, mais cela aurait été se priver du bénéfice de la ligne Maginot et risquer un revers en rase campagne. Un tel effort, qui n’aurait pas sauvé la Pologne, s’intègre mal dans la stratégie attentiste des Franc Franco-Britanniques o-Britanniques qui ne prévoient p révoient aucune opération majeure avant 1941. C’est seulement à partir du printemps de cette annéelà, en effet, que l’on espère atteindre le plein effet du réarmement, de la montée en puissance britannique et du blocus naval. V. Bernard
Des fusiliers soviétiques sautent d’un T-34 durant la bataille de Koursk en juillet 1943. À cette époque du conflit, l’État-Major général revient à la « bataille en profondeur » et à « l’opération dans la profondeur », théorisées par Triandafillov dans les années 1920 et prises en compte par Toukhatchevski sur les plans doctrina et, avec l’appui de Staline, industriel. PIERRE�ROMAIN THIONNET, LABERGEMENT�SAINTE�MARIE (25)
La recherche de la profondeur est-elle est-elle une condition de l’art opéra opératif tif ? Non, mais elle est une nécessité de la guerre de masse industrielle : elle constitue le seul moyen d’échapper à la guerre d’usure, dans laquelle les forces de chaque camp s’affr s’affrontent ontent avec pour seul avantage différenciant l’écartt des l’écar de s ressources humaines et matérielles des belligérants. En frappant en profondeur profondeur,, il est au contraire possible de s’en prendre simultanément à l’ensemble des moyens adverses: forces déployées, réserves stratégiques, commande comman dement, ment, logistique… qui se trouvent alors mis hors d’état de combattre, sinon détruits, laissant
un adversaire même plus puissant offert à des offensives stratégiques contre ses centres de population, de production et de décision politique, clés de la victoire. De ceci, les théoriciens soviétiques de l’artt opératif sont conscients dès l’ar les années 1920, ce qui explique l’importance l’im portance qu’ils accordent à la bataille, puis aux « opérations dans la profondeur ». Mais ce n’est là qu’adaptation de l’art opératif aux circonstances circons tances de son époque de formulation, et d’ailleurs les praticiens de l’opératique ne sont pas les seuls à s’en rendre rendre compte : à leur manière, les partisans du
bombardement « stratégique », particulièrementt les Américains particulièremen qui cherchent à frapper le potentiel économique, ou les penseurs allemands comprennent que l’attaque en profondeur est décisive. La différence férenc e essentielle, qui permet de toucher à la nature de l’ar l’artt opératif, réside dans la finalité recher recherchée chée : pour les Soviétiques, l’opération en profondeur crée les conditions de la victoire stratégique, mais celleci n’est obtenue qu’au terme d’une exploitation militaire militaire et politique du succès. Tandis Tandis que les Allemands pensent que la défaite militaire de l’armée ennemie aboutit au succès
politique, et que les Américains estiment qu’il en va de même en cas de destruction du potentiel économique adverse. En réalité, là où les seconds estiment que l’action militaire doit réduir réduire e l’ennemi à l’impotence, le contraignant à se rendre mais sans nécessairement résoudre sur le fond le différend politique ayant provoqué la guerre, les Soviétiques considèrent qu’il faut pour l’emporter transformer le contexte politique ayant donné naissance au conflit. Ce que comprendront compren dront aussi, hors d’URSS, les dirigeants politiques, mais pas les militaires. B. Bihan
BAUDOUIN BLEECKX, BRUXELLES (BELGIQUE)
En Europe, de quel côté roulaient les alliés ? Par ailleurs, la notoriété des armateurs armat eurs grecs viendrait-elle d’un rachat de navires de transport de la seconde guerre mondiale afin de servir de ferries entre les îles ? PIERRE�ROMAIN THIONNET, LABERGEMENT�SAINTE�MARIE (25)
Qu’est-ce que l’Effects-Based Approach to Operations ? Existe-t-il une traduction française de ce concept ? Le terme d’« Effects-based Operations » (EBO) a émergé au lendemain de la guerre du Golfe photo to) sous la plume (1990-1991 ; pho de David Deptula, un officier de l’US Air Force. Deptula, un des principaux planificateurs des frappes menées contre l’Irak, y décrit cette campagne aérienne comme la première d’un nouveau genre de guerre, dans lequel les attaques menées ne le seraient plus seulement pour détruire une cible. À la place, chaque cible frappée devrait l’être en fonction d’un « effet », de préférence stratégique (c’est-à-dire touchant à la conduite de la guerre dans son ensemble). La capacité à mener de nombreuses frappes simultanées, permise par la technologie des armements guidés avec précision, offrirait ainsi la possibilité de l’emporter sans nécessairement avoir à combattre les forces armées adverses — sans bataille, donc. À la place, chaque frappe agirait comme un « message »
auquel l’adversaire, envisagé comme un « système », serait contraint de réagir d’une certaine manière (« l’effet » proprement dit). Chaque effet se combinerait aux autres jusqu’à obtenir le résultat désiré, soit généralement la réduction à l’impuissance de l’adversaire, contraint de se rendre. À l’origine, les EBO s’inscrivent donc dans la lignée des théories sur le « bombardement stratégique » des années 1920 et 1930, ainsi que dans une pensée américaine marquée depuis 1945 par l’incapacité à penser une stratégie limitée — le seul résultat possible étant la reddition sans conditions de l’ennemi — ainsi que, depuis le Viêtnam, par la volonté d’éviter autant que possible des combats prolongés. Étendues à l’ensemble du Pentagone, puis exportées dans les États alliés (OTAN en particulier), les EBO deviennent progressivement un nom générique pour toute
doctrine cherchant à contraindre un ennemi par la frappe unilatérale (sans combat). L’impossibilité pratique d’un tel mode de guerre, démontrée dans les faits ces dernières années en Irak et en Afghanistan où le combat est quotidien, conduit à son rejet officiel aux États-Unis en 2008… Mais pas dans l’Air Force ni au sein de l’OTAN, où le lien originel avec le bombardement stratégique offre un deuxième deuxième souffle aux EBAO, selon le nouveau sigle adopté. La France, sans avoir officiellement adopté le concept, est toutefois sensible à son influence depuis son retour dans le commande comman dement ment intégré de l’O l’OTAN TAN en 2007. Problème, l’inefficacité de « l’approche des opérations fondée sur les effets » est patente, ce concept n’étant finalement qu’une « utopie doctrinale », une guerre idéalisée où l’adversaire se contenterait de subir, et pas une doctrine réellement opératoire. B. B.
Les armées alliées roulaient à droite. La question n’a pas fait débat, ce côté étant celui des Américains et l’armée britannique ayant acquis le réflexe durant la Première Guerre mondiale et en 1939-1940 quand les autorités françaises ne leur avaient pas laissé le choix. À votre deuxième question, l’intuition est bonne. La flotte grecque, indispensable à l’économie nationale, n’a plus qu’une centaine de rafiots en 1945. Pour la reconstruire, et à l’instar de nombreuses autres marines, l’État acquiert 100 liberty ships et sept pétroliers tandis que le gouvernement américain en offre 23 au seul Aristote Onassis en remerciement de son implication au service des Alliés. Dans les années suivantes, les armateurs achètent à prix cassés près de 700 autres cargos (sur les 2 700 fabriqués). Mais d’autres éléments expliquent cet essor qui donne aujourd’hui aux armateurs grecs la première flotte mondiale avec 4 000 navires : un savoirfaire entrepreneurial entrepreneurial qui remonte au XIXe siècle, une fiscalité avantageuse protégée par la Constitution, la guerre de Corée qui a stimulé le transport maritime au meilleur moment et le transfert t ransfert de navires italiens au titre des dommages de guerre. N. Aubin
ENVOYEZ VOS QUESTIONS à courrier.SVGH�mondadori.fr ou déposez-les sur www.facebook.com/guerresethistoire
STEPHEN LACROIX, CHÂLONS�EN�CHAMPAGNE (51)
Combien d’opérations ont été commandées par Napoléon Bonaparte ? Quel est le rapport victoires/défaites de ses entreprises ? La comptabilité varie selon que l’on considère les campagnes où Napoléon a commandé sur le terrain, en tant que général, Premier consul ou Empereur, et celles qu’il a dirigées à l’échelon stratégique en tant que chef d’État sans être forcément présent sur le terrain. Si on se limite à la première définition, contentonsnous également de comptabiliser les opérations qui ont abouti à
JEAN�PASCAL BÉRUBÉ, QUÉBEC (CANADA)
Durant la guerre de Corée, des canons antichars ont-ils été utilisés contre des blindés ? imposer à l’ennemi, ou à se faire imposer par celui-ci, un résultat politique décisif (armistice, paix, capitulation, abdication) : il s’agit donc de campagnes plutôt que de simples batailles. Selon cet étalon, Napoléon Bonaparte remporte six victoires — 1796 contre le Piémont, 1797, 1805 contre l’Autriche et la Russie (ci-dessus, Austerlitz), 1806-1807 contre la Prusse et la Russie, 1809 contre l’Autriche, 1813 en Allemagne — et subit quatre défaites — 1798 en Égypte, 1808 en Espagne, 1812-1813-1814 en Russie, Allemagne et France, 1815 en Belgique —, sur dix campagnes au total. A. R.
Oui, mais sans grand succès. Lorsque l’armée nord-coréenne franchit le 38e parallèle, le 25 juin 1950, elle dispose de 150 T-34/85 organisés en une brigade blindée, plus un « régiment » (en fait un bataillon) indépendant. Ces chars sont secondés, dans chacune des dix divisions d’infanterie, par un bataillon de canons automoteurs SU-76. Ces engins d’origine soviétique surclassent totalement les défenses antichars sud-coréennes et américaines
dans les premières semaines de combat : ni les canons antichars de 37 mm, ni ceux de 57 mm ( photo) dont sont dotés les Sud-Coréens ne sont efficaces, et les canons sans recul légers et autre bazookas de l’US Army ne valent pas mieux. L’inverse est également vrai : les canons de 45 mm des troupes du Nord s’avèrent insuffisants face aux Sherman, Pershing et autres Centurion des forces des Nations unies.
Après 1951, les chars alliés se retrouvent seuls sur le champ de bataille, les forces nord-coréennes et le corps expéditionnaire chinois qui les soutient étant désormais organisés autour d’unités d’infanterie légère opérant en masse. En fait, les canons antichars sont en Corée, comme pendant la guerre du Pacifique, surtout utilisés par les deux camps comme armes lourdes en appui de l’infanterie, où leurs obus explosifs font des ravages. – B. B.
La citation
« Un capitaine sait toujours que tout ce qu’il fait tombera sous le feu de deux genres de critiques : celles du gouvernement qui l’emploie et celles des ennemis de ce gouvernement. » Field Marshal William Slim (1891-1970), vicomte de Yarralumla, Unofficial Hist
, 1959.
Yellow Beach, Okinawa, avril 1945 : des LCT Mk6 (Landing Craft Tank) délivrent du ravitaillement, tandis que manœuvrent un LSM (Landing Ship Medium, à usage polyvalent) et un LST Mk2 (Landing Ship Tank, transport de véhicule), tous aptes à franchir la barrière de corail pour accéder directement au rivage. Ces modèles sont respectivement construits à 960, 558 et 1 038 exemplaires. Fin 1941, l’US Navy n’avait aucun bateau de débarquement.
30 idées reçues sur la guerre Dossier
du pacifique
Son nom à lui seul est fallacieux : le conflit englobe également l’océan ’ Indien et, surtout, une part immense de l’Asie ! Et il ne commence pas fin 1941 mais dès 1937. Vous le saviez sans doute. Mais ces idées fausses sont loin d’être les seules dans une guerre méconnue, amplement mythifiée par les vainqueurs et les vaincus.
La marche à la guerre 1 − Le conflit a débuté le 7 décembre 1941 Dix ans avant que le premier Zéro n’apparaisse au-dessus de Pearl Harbor ont lieu les premiers affrontements de ce qui va devenir la guerre du Pacifique. Le 18 septembre 1931, des militaires japonais orchestrent en effet un faux attentat contre un chemin de fer près de Moukden, prétexte à l’annexion de la Mandchourie sans grande résistance d’une Chine en pleine guerre civile. Six ans plus tard, le 7 juillet 1937, un incident confus entre soldats japonais et chinois au pont dit Marco-Polo, près de Pékin, conduit à l’invasion de la Chine tout entière par le Japon ( voir G&H no 28, p. 56 ). C’est le début d’une guerre sino-japonaise qui ne s’achèvera qu’en 1945. Dès lors, Tokyo n’a de cesse d’étendre le conflit. En 1940, l’Indochine française est placée sous tutelle militaire, le Japon profitant de la défaite de la métropole aux mains allemandes. Une véritable guerre froide oppose alors Nippons et Anglo-Saxons, soutiens indirects de la Chine. L’attaque contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941 n’est donc qu’un nouveau palier dans un affrontement commencé depuis plusieurs années. Mais il est d’importance, puisqu’il confond guerre du Pacifique et Seconde Guerre mondiale, liant la destinée du Pacifique à celle de l’Europe. B. Bihan Issu d’une famille noble, Konoe Fumimaro (1891-1945), trois fois Premier ministre, est un nationaliste réaliste, conscient des moyens limités de son pays. S’il couvre l’agression contre la Chine en 1937, il tente, en vain, d’en limiter la portée. Durant la marche à la guerre en 1941, il s’oppose aux faucons mais, perdant l’oreille de l’empereur, il démissionne en octobre. Il se suicide en 1945.
GUERRE DU PACIFIQUE… MAIS AUSSI D’ASIE AVANT TOUT
Vue de Washington, la guerre est celle du Pacifique. C’est à Hawaï que les Japonais attaquent l’Amérique le 7 décembre 1941, avant de pousser leurs conquêtes jusqu’aux îles Salomon. Les contraintes logistiques imposées par l’immensité du théâtre (Guadalcanal est à 5 600 km de Tokyo) expliquent que la reconquête demande la reprise méthodique de bases, selon deux axes principaux : une poussée navale depuis le Pacifique centre à travers les atolls et une navalo-terrestre depuis le Pacifique sud-ouest via la Nouvelle-Guinée et les Philippines. Les deux convergent en avril 1945 sur l’archipel du Japon. Si les batailles aéronavales emblématiques se déroulent bien dans le Pacifique, ces engagements ne recouvrent pas toute Traditionnellement, la réalité du conflit. C’est en Asie que la pensée géopolitique se trouvent les gros bataillons. À l’apogée japonaise distingue de leur empire, 74 millions de Japonais deux directions règnent sur 371 millions d’âmes, dont 184 d’expansion en Chine et Mandchourie, 22 en Indochine, « naturelle » de 31 en Corée et à Taiwan, 16 en Birmanie, l’empire : vers le sud, 15 en Thaïlande… En mai 1944, l’armée Nanshin-ron, et vers impériale pousse encore en Inde et en le nord, Hokushin-ron. Chine, où se trouvent la grande majorité de La première vise ses soldats. Ce sont les peuples d’Asie qui à placer sous paient le tribut le plus lourd. Sans compter domination japonaise la disparition de 10 à 15 millions de l’Asie du Sud-Est et les Chinois, les famines combinées du Bengale archipels du Pacifique ; et d’Indochine font au moins 2,5 millions de la seconde rêve morts — autant que le Japon n’en déplore. de Mandchourie Et c’est en Mandchourie que l’Armée rouge et de Sibérie. met un point final à la guerre, conjointement avec les bombes atomiques venues de Tinian en août 1945.
2 − Les États-Uni
ont poussé le Japon à la guerr La guerre du Pacifique ? Un choc entre deux impérialismes. Roosevelt ? Un pompier pyromane qui ruine les efforts du courant modéré du prince Konoe et accule le Japon à la guerre par son embargo pétrolier de juillet 1941. Les jugements tombent. Définitifs ! Le fait que le projet panasiatique ne soit explicitement porté par aucun leader politique au Japon et l’instabilité politique (dix gouvernements entre 1931 et 1941, des assassinats à foison) contribuent, il est vrai, à obscurcir la ligne politique de Tokyo et aident à dégager le Japon de ses responsabilités. Pourtant, sa politique opportuniste où projet et moyens se construisent en temps réel n’a eu besoin de personne pour basculer dans la guerre. Initiée dès l’ère de modernisation Meiji (1868-1912), l’expansion japonaise se dirige vers « l’homme malade de l’Asie », la Chine (voir p. 34). L’archipel se retrouve en guerre sans réel projet politique autre qu’imposer un pouvoir fantoche et obliger Jiang Jieshi (voir p. 40) à négocier ou trouver une alternative conciliante parmi ses adversaires. L’obsession antichinoise est alors soutenue par le ministre Hirota Koki et par les généraux. Les membres du gouvernement irrésolus se font déborder. Mais le conflit s’enlise. La coalition du prince Konoe mobilise. Pour vaincre, il faut couper les vivres à Jiang Jieshi. L’opportunité se présente avec la défaite de la France. Le Japon s’installe au nord de l’Indochine et bloque l’artère principale vers la Chine. Le théâtre et les ambitions se dilatent pour le plus grand bonheur des partisans de « la marche au sud » alors que l’intelligence politique à long terme se rétracte au rythme d’une fuite en avant. Le prince Konoe se rallie au principe d’une « sphère de coprospérité de la plus grande Asie de l’Est » englobant la Malaisie britannique, les Indes néerlandaises ( voir p. 47 ) et les Philippines américaines. En 1940, le Japon franchit le point de non-retour. Renoncer au sud conduirait à renoncer à la Chine. Or, c’est seulement à cet instant que Roosevelt réagit autrement que par des actes cosmétiques et engage l’escalade : laisser faire ne ferait qu’encourager le Japon. La politique impérialiste est non seulement cautionnée par le courant modéré du prince Konoe mais c’est même lui qui la met en œuvre jusqu’au bout. En septembre 1941, il acte la décision de frapper les États-Unis, avant même son remplacement par le belliciste Tojo. Ultranationalisme, opportunisme irrationnel et faiblesse de l’État ont jeté le Japon dans le précipice. N. Aubin
3 − La confrontation entre Japonais et Américains était inévitable Dès 1938 et l’enlisement de son invasion Bénéfice supplémentaire : la Chine serait en Chine, la politique du Japon, dictée par entièrement isolée par mer comme par les militaires à des gouvernements affaiblis, terre (la route de Birmanie, qui sera coupée s’apparente à une fuite en avant. Incapables de 1942 à 1944). Jusqu’en 1939, ce plan (voir de venir à bout des résistances chinoises, p. 49) — qui sera adopté, avec l’option Pearl en butte aux sanctions financières et Harbor en plus — n’est pas celui privilégié. commerciales américaines déployées au fur L’armée de terre, qui domine la politique, et à mesure par Roosevelt, en rupture avec regarde plutôt vers l’Extrême-Orient soviél’ancien allié britannique qui les regarde tique : il semble une extension naturelle désormais avec crainte, les Japonais de la Mandchourie, nippone depuis 1931, et estiment que leur salut viendra d’un élarconstituerait un cœur industriel invulnérable gissement du conflit. On espère y trouver et une vaste colonie de peuplement. De plus, les ressources pour en finir avec la Chine l’URSS soutient la Chine nationaliste, à qui et mettre durablement l’archipel nippon elle fournit armes (chars, artillerie, avions…) à l’abri de toute menace. et conseillers militaires. Dans l’espoir de Mais comment s’y prendre ? Deux options déclencher la guerre, l’armée du Kwantung s’opposent. Pour les partisans de la doc(voir G&H no 17, p. 74), cœur du militarisme trine d’expansion vers le sud, Nanshin-ron japonais en Mandchourie, multiplie les (voir p. 34), la principale menace vient des incidents de frontière. En juillet 1938, une États-Unis et l’isolement de la Chine passe incursion en territoire soviétique déclenche par la défaite du géant d’outre-Pacifique. une série de combats violents autour du lac La saisie d’un périmètre défensif d’îlesKhasan, qui durent plus d’un an. Ce n’est bases qui transformeraient le Pacifique qu’un prélude. En juillet 1939, après deux central et oriental en mer japonaise, combi- mois d’escalade, deux divisions japonaises née à la confiscation des riches ressources renforcées échouent à forcer les défenses européennes en Asie du Sud-Est, ferait du frontalières soviétiques. En août, le futur Japon une forteresse quasi imprenable, maréchal Joukov lance une vaste contreespère la marine. Ses navires pourraient offensive et inflige aux agresseurs une en sortir pour frapper, détruisant la flotte cuisante défaite. Ce coup fatal à « l’extenaméricaine du Pacifique dans une bataille sion vers le nord » met définitivement le « décisive », sorte de Trafalgar tropical. Japon sur la route du Pacifique sud. B. B.
4 − Roosevelt savait que les Japonais allaient attaquer Pearl Harbor et il a laissé faire Tout le problème de cette vieille et tenace théorie complotiste est que la première partie est à moitié vraie : bien sûr que le président Roosevelt connaissait l’imminence d’une attaque, comme son gouvernement et les chefs des forces armées! Il est même exact de dire qu’il la souhaitait, afin de pouvoir enfin entrer en guerre. Les Américains avaient percé dès 1940 le code utilisé par les diplomates japonais et n’ignoraient pas les intentions agressives de Tokyo. En février 1941, un courrier prévient l’amiral Kimmel et le général Short, chefs respectifs de la Navy et de l’Army à Pearl Harbor, de la possibilité d’un assaut surprise et réclame la mise en place de mesures appropriées (voir G&H no 4, p. 53). Le 24 novembre 1941, treize jours avant l’attaque, la direction des opérations navales à Washington envoie par ailleurs à Hawaï une dépêche prévenant à nouveau d’une possible attaque, suivie le 27 par une alerte plus complète à considérer comme un « préavis de guerre », avertissant d’un « mouvement agressif des Japonais à prévoir dans les quelques prochains jours ». On ne saurait être plus clair !
Des soldats soviétiques font face aux Japonais près du lac Khasan en juillet 1938. L’affaire finit en sanglant match nul, interprété à tort par l’armée du Kwantung comme un signe de faiblesse de l’Armée rouge.
L’ennui est que les services de l’Army et de la Navy, tout comme le président, ignorent le lieu de l’attaque. Aussi les rédacteurs de la dépêche croient-ils bon de préciser ce qu’ils savent par observation directe : des mouvements de troupes et de navires en Indochine semblent augurer d’une « expédition amphibie » aux Philippines, en Thaïlande ou à Bornéo. Et la mention maladroite de ces trois objectifs peut laisser supposer que Pearl Harbor n’est pas directement menacé. Pour autant, l’amiral Turner, responsable de la rédaction, y réclame un « déploiement défensif ». Qu’entend-il par là ? Ni Kimmel ni Short ne jugent bon de le demander (ce qui permettra à Turner de se dédouaner par la suite). Des mesures sont toutefois prises : en particulier, les USS Enterprise et Lexington sont envoyés livrer des avions aux îles avancées de Wake et Midway, ce qui sauve ces précieux porte-avions de l’attaque. En réalité, l’impréparation américaine résulte surtout de l’incompétence de soldats et de politiciens qui sous-estiment gravement les capacités adverses. Personne ne croit, y compris à la Maison Blanche, que les Japonais auront le culot de monter un raid aussi complexe que risqué contre Pearl Harbor. P. G.
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Les opérations
5 − Pearl Harbor, l’immense victoire japonaise À Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, qui prend le commandement à Pearl l’aviation embarquée japonaise coule Harbor le 25 décembre 1941, s’attendéfinitivement deux cuirassés et en dait à bien pire. C’est le résultat endommage six autres, dont deux ne stratégique qui compte. Les cuirasretourneront au combat qu’en 1944. sés neutralisés ? Il s’agit d’unités En plus de dix autres navires touchés, obsolètes, dont l’amiral Yamamoto, 198 avions sont détruits. Difficile de ne l’instigateur du raid, exagère la valeur pas qualifier ce résultat de « victoire », militaire. Le capitaine de corvette payée au prix de seulement 29 avions et pilote Genda Minoru, auteur du plan et cinq sous-marins de poche perdus. d’attaque, a, lui, bien saisi que les Et l’audace de la marine impériale, porte-avions sont sa cible prioritaire. qui frappe à 6 500 km de ses bases, Mais ceux-ci ont quitté le port (voir mérite le respect. point no 4), escortés par les croiseurs Ce succès masque cependant lourds. Tous ces navires, replacés plusieurs échecs dont les conséfaute de cuirassés au centre de la docquences seront bien plus graves trine navale américaine, vont infliger pour les agresseurs que pour les vicà Yamamoto les fatals revers de 1942. times. Passons sur les imperfections Enfin, la forme même de l’assaut tactiques d’un raid mal exécuté est terriblement contre-productive. (voir dossier G&H 4) : l’amiral Nimitz, Si le but recherché est de démoraliser
l’Amérique pour l’amener à négocier, c’est raté : l’attaque surprise, amplifiée par la perception raciste du Japonais « fourbe et cruel », soude au contraire le peuple derrière Roosevelt en vue d’une lutte à mort que Tokyo n’a guère de chances de remporter. En fait, sans certitude de détruire les porte-avions, le raid offre plus d’inconvénients que d’avantages. Aurait-il fallu renoncer, en l’absence signalée des toits-plats ? Impossible, la flotte japonaise est trop avancée et risque d’être détectée. L’opération conçue par Yamamoto et Genda s’apparente donc à un coup de dés manqué, un succès tactique sans lendemain, magnifié par des vainqueurs avides de gloire et des vaincus assoiffés de vengeance. P. Grumberg
La Pacific Fleet s’aligne devant les pilotes d’avions torpilleurs japonais réincarnés pour le film nippo-américain Tora ! Tora ! Tora ! sorti en 1970. Le fait que certains cuirassés en masquent d’autres et que la rade soit peu profonde, ce qui facilite le renflouement, va limiter la casse : une attaque en haute mer aurait été bien plus redoutable.
Fondé dans l’urgence lors de la conférence Arcadia tenue à Washington du 22 décembre 1941 au 14 janvier 1942, l’ ABDA, ou ABDACOM, unifie le commandement pour les forces américaines, britanniques, hollandaises (Dutch) et australiennes chargées de protéger la Malaisie et les Indes néerlandaises d’une invasion nipponne. Commandée par le général Archibald Wavell, cette structure disparaît avec la chute de Singapour, le 15 février 1942. Une Task Force est une escadre organisée temporairement pour un but précis. Dans l’US Navy, elle tend à grossir et à devenir une organisation permanente, organisée autour d’un (en 1942) ou plusieurs porteavions (après 1942), et subdivisée en Task Groups, généralement protégés par des croiseurs (avec des cuirassés après 1943) et des destroyers. En 1944, certaines Task Forces atteignent la taille d’armada : en février 1945, la TF 58 qui appuie le débarquement à Iwo Jima encadre 18 porte-avions !
Une attaque submerge des GI’s aux Philippines, en… 1944. La pseudosupériorité numérique japonaise excuse jusqu’à la fin les déboires alliés.
6 − La déferlante nippone sur l’Asie en 1941-1942 était irrésistible Après Pearl Harbor commence « l’offensive centrifuge », surnom donné après guerre par le département d’histoire de l’école militaire américaine de West Point aux opérations japonaises contre l’Asie du Sud-Est de décembre 1941 à mai 1942 : Philippines sous protectorat américain, Malaisie britannique avec son « joyau » de Singapour, Indes néerlandaises (Indonésie). Elle apparaît irrésistible : surpris et surclassés, les Alliés n’auraient, semble-t-il, rien pu faire pour empêcher cette variante asiatique du Blitzkrieg, tout aussi redoutable. La réalité est plus complexe. En fait, l’offensive nippone repose principalement sur l’effet de surprise et la sidération que les Japonais espèrent ainsi susciter chez leurs adversaires, et ne réussit qu’avec une très faible marge de succès, les Japonais accumulant les handicaps. Premier souci : le ravitaillement. L’armée japonaise n’est absolument pas conçue pour conduire des opérations expéditionnaires outre-mer. Sa logistique est celle d’une armée territoriale, adaptée à l’occupation coloniale de la Corée ou à celle de la Mandchourie. Déjà mis à mal en Chine, où les distances le fragilisent, l’approvisionnement des divisions lancées vers l’Asie du Sud-Est est tout juste suffisant et n’aboutit que parce que la flotte japonaise tient les mers. Deuxième problème : les Japonais n’ont jamais la supériorité numérique. L’invasion de la Malaisie et la prise de Singapour opposent trois divisions nippones renforcées à des forces du Commonwealth équivalentes, auxquelles s’ajoutent diverses unités non endivisionnées. Aux Philippines, onze divisions, dont une américaine, affrontent l’équivalent de quatre divisions japonaises. Des forces nippones équivalentes s’emparent des Indes néerlandaises malgré les 75 000 défenseurs retranchés sur l’île principale, Java. Troisième difficulté : l’usure rapide des moyens aéronavals. Si l’aviation et la marine japonaise bénéficient d’une indéniable supériorité matérielle et en termes de personnels sur leurs homologues alliées dans la région, leurs moyens sont comptés. Une résistance prolongée aurait mis un coup d’arrêt aux opérations japonaises, notamment en privant celles-ci de ressources pétrolières essentielles à leurs opérations aéronavales. En fait, tout le plan japonais repose, une fois la surprise initiale obtenue, sur le maintien d’un tempo très rapide pour précisément empêcher les Alliés de se ressaisir. Mais le pari est plus que risqué : le moindre délai peut le faire échouer. Heureusement pour les Japonais, les Alliés n’arrivent pas à faire dérailler l’offensive. Plombés par un commandement multinational peu efficace — l’ABDA, mis en place dans la précipitation— et incapables de prioriser les efforts défensifs, inférieurs sur mer et dans les airs surtout faute d’avoir su concentrer leurs moyens, ils ne parviennent jamais à instiller à leurs forces l’esprit de résistance nécessaire. La chute de Singapour et Manille, les deux principales bases navales alliées, et deux défaites navales — perte des navires de ligne Repulse et Prince of Wales de la Royal Navy, destruction d’une force de croiseurs à la bataille de la mer de Java — scellent le sort de l’Asie du Sud-Est. B. B.
7 − Fin 1941, le Japon aurait pu débarquer à Hawaï La grande erreur de Yamamoto, lit-on souvent, est de n’avoir pas prévu un débarquement à Hawaï, à dire vrai la seule façon de tirer un avantage stratégique d’une victoire aéronavale à Pearl Harbor. Cette opération est cependant une vue de l’esprit, et Tokyo ne l’a jamais envisagée en 1941. La première raison est que les transports sont deux fois moins rapides que les navires de guerre, ce qui allonge le voyage et les risques de détection, ou implique une arrivée des transports avec au moins 24 heures de retard, avec perte certifiée de l’effet de surprise. Là-dessus se greffe une impossibilité militaire et logistique. Sans renoncer aux conquêtes prioritaires (voir point no 6), l’armée et la marine impériales n’ont ni les forces (trois divisions, soit 45 000 hommes), ni les navires nécessaires pour lancer et soutenir un débarquement sur une côte située à 6 500 km de leurs bases et défendue par 25 000 soldats : un type d’opération que les Américains eux-mêmes ne maîtriseront à cette échelle qu’à l’été 1944. Quant à revenir à la charge au printemps 1942, comme Tokyo l’a envisagé après le 7 décembre 1941, c’est encore plus irréaliste : en avril, Oahu est défendue par une centaine de milliers d’hommes et 272 avions, sans compter la flotte. Aucune chance ! P. G.
9 − Midway est le tournant miraculeux de la guerre du Pacifique Miracle at Midway , c’est le titre donné par l’historien améri-
Midway, 4 juin 1942, 10 h26 : l’unique bombe larguée par le SBD du Lieutenant Commander Best condamne l’ Akagi , navire amiral nippon.
8 − La bataille de la mer de Corail a sauvé l’Australie d’une invasion Du 4 au 8 mai 1942, l’escadre de l’amiral Fletcher, devinant les intentions ennemies grâce au décryptage partiel de messages, intercepte une flotte de débarquement japonaise et son escorte en route vers la base australienne de Port Moresby, au sud de la Nouvelle-Guinée. Déjouer l’opération, baptisée MO à Tokyo, coûte aux Américains le porte-avions Lexington tandis que son homologue Yorktown est gravement touché. Mais les Japonais perdent le porte-avions léger Shoho, tandis que les porte-avions d’escadre Shokaku (endommagé) et Zuikaku (groupe aérien anéanti) sont hors de combat. La flotte d’assaut fait donc demi-tour, ce qui a des conséquences stratégiques considérables. Mais pas le sauvetage de l’Australie, que l’opération MO visait à isoler , pas à conquérir . L’armée impériale, en effet, n’a pas l’intention de diluer 12 divisions sur un territoire immense et elle oppose son veto formel à une invasion. Les généraux acceptent cependant en rechignant l’idée d’une offensive vers le Pacifique sud-ouest. Une base aérienne à Port Moresby permettrait d’appuyer une poussée ultérieure vers la Nouvelle-Calédonie (riche en nickel et cuivre dont l’industrie nippone a bien besoin), puis les îles Fidji et Samoa, dans le but de couper le cordon ombilical vers les États-Unis. Port Moresby tiendrait en outre la côte nord australienne sous la menace, gênant les préparatifs d’une contre-offensive alliée en Nouvelle-Guinée. Tout le problème est que la marine, une fois l’accord de l’armée acquis, change de cible : l’amiral Yamamoto, qui concentre les moyens offensifs de la flotte, arrache, après une rude bagarre, le principe d’une poussée vers Hawaï, via Midway, afin de forcer les porte-avions américains à l’affrontement. L’amiral, pour calmer les généraux furieux du virement de bord, consent cependant du bout des lèvres au débarquement à Port Moresby. Mais il n’y délègue qu’un minimum de forces, ce qui est une des raisons majeures de la défaite et, au-delà, de celle qui va suivre à Midway (voir point no 9). Le Shokaku et le Zuikaku, obligés de rentrer au Japon, ne pourront en effet se joindre aux quatre autres grands porte-avions disponibles. La flotte combinée japonaise se trouve donc amputée d’un tiers et la balance des forces est déséquilibrée dès le départ en faveur des Américains. P. G.
cain Gordon Prange au grand classique qu’il consacre à la bataille, et qui paraît en 1982, quarante ans après celle-ci. Ce titre reflète parfaitement la vision toujours en cours depuis : celle d’Américains en infériorité qui réussissent à arracher le succès contre le fil de l’histoire. Or, cette perception de la bataille est complètement faussée : l’amiral Nimitz, commandant en chef de la Navy dans le Pacifique, a au contraire tous les atouts en main ! Pour commencer, il sait, grâce au décryptage des messages de la marine impériale, où et quand Yamamoto va l’attaquer : il peut donc monter une embuscade parfaite. Ensuite, Nimitz et ses commandants de Task Forces Fletcher et Spruance à Midway ont pour eux la supériorité numérique. Certes, ils n’alignent que trois porte-avions (Enterprise, Hornet, Yorktown) mais chacun embarque plus d’appareils que ceux de l’adversaire : 233 en tout pour la Navy, contre 248 pour les quatre porte-avions commandés par l’amiral Nagumo ( Akagi, Kaga, Hiryu, Soryu). Surtout, les Américains peuvent engager 99 avions de combat et 31 hydravions de reconnaissance Catalina à long rayon d’action basés à Midway. Les Américains disposent donc en tout de 363 avions contre 264 à Nagumo, une fois pris en compte 16 avions de reconnaissance lancés des croiseurs et cuirassés. Midway, en outre, n’est pas seulement un « porte-avions incoulable », c’est aussi l’œil qui permet à Fletcher et Spruance de découvrir la flotte adverse sans dévoiler la leur ainsi qu’une position fixe sur laquelle peuvent se poser des appareils perdus ou endommagés. Les porte-avions japonais, eux, opèrent sans appui du sol. Et ils n’ont pas de radar, fatal handicap qu’aggrave une construction fragile et inflammable. Comment, dans ces conditions, la bataille livrée le matin du 4 juin 1942 apparaît-elle comme aussi indécise et son résultat « miraculeux » ? Parce que Fletcher et Spruance, qui disposent d’un plan opérationnel idéal, patinent dans son exécution tactique, à l’inverse exacte de leurs adversaires. Les sous-marins que Nimitz a placés sur le chemin de Nagumo n’obtiennent rien. Puis les aviateurs embarqués gaspillent un temps et un carburant précieux pour s’organiser en l’air, avant de prendre des caps hasardeux. Des formations entières se perdent ainsi en mer. Quand l’ennemi est trouvé, les attaques sont menées par petits paquets, sans coordination, ce qui facilite la tâche des défenseurs. De 7 h 10 à 10 heures, Nagumo essuie ainsi pas moins de sept assauts, tous contrés sans dommages et en infligeant de lourdes pertes : 35 avions torpilleurs TBD Devastator sur 41 sont ainsi descendus. Ce harcèlement involontaire gêne cependant les Japonais, et les avantages accumulés par les Américains finissent enfin par payer. À 10 h 25, les bombardiers en piqué SBD Dauntless du Yorktown et de l’Enterprise débouchent par hasard simultanément et sans être détectés au-dessus des porte-avions nippons. Quelques bombes suffisent à incendier le Kaga, l’ Akagi et le Soryu. Le Hiryu rescapé réussit à lancer deux attaques qui mettent le Yorktown hors de combat (il sera achevé plus tard par un sous-marin), avant d’être incendié à son tour à 17 heures. Si la perte irréparable de quatre porteavions marque effectivement la fin de l’offensive japonaise, le vrai tournant de la guerre est déjà intervenu en mai en mer de Corail : la présence du Zuikaku et du Shokaku (voir point no 8) aurait nettement changé la donne à Midway. P. G.
Le Front uni est une alliance entre le Parti communiste chinois et le Guomindang (parti nationaliste de Jiang Jieshi, lui-même au centre d’une galaxie de seigneurs de la guerre ralliés) destinée à lutter contre le Japon. Conclue en décembre 1936 à Xian (Shaanxi), elle n’empêche pas une méfiance réciproque au point que personne n’ose s’engager résolument contre les Japonais de peur de tirer les marrons du feu pour son « partenaire ». Jiang Jieshi (1887-1975), ou Tchang Kaï-chek, se forme à l’académie militaire impériale du Japon avant de revenir en Chine en 1911. Patron de l’armée puis du parti nationaliste du Guomindang, il donne priorité à la lutte contre les communistes chinois avant d’incarner, aux yeux de l’Occident, la résistance à l’agression japonaise de 1937.
10 − La Chine a été sauvée grâce aux Tigres volants
Un Curtiss P-40B à gueule de requin emblématique de l’American Volunteer Group, nom officiel des Tigres volants.
Rendus célèbres par la BD Buck Danny anny , les Tigres volants restent une des rares références populaires à la guerre guerre sino-japonaise en Occident. Il s’agit d’une centaine de pilotes (et et de 200 mécanos) qui répondent à l’appel du général Claire Chennault ult pour pour venir en aide aux Chinois à la fin de l’année 1940. Ils sont alors ors des d s mercenaires, mais avec le soutien tacite de Roosevelt. Le temps emp du du déploiement, leur baptême du feu n’a lieu cependant que le 20 déc décembre mbre 1941, deux semaines après Pearl Harbor. Sept mois pluss tard, tar , les Flying Tigers, qui ont surtout combattu en Birmanie et n’ont ’ont plus que 29 avions en état de voler, sont dissous. Maiss leu leur emblème emblème est repris par l’ensemble des forces es aériennes américaines déployées en Chine, créditées en 1945 de pluss de 2 000 victoires. Faire de cette poignée de pilotes — et même de toute une Air Force à partir de 1943 — les sauveurs de la Chine n’est qu’une expression de l’ethnocentrisme occidental. Car l’aide américaine est trop tardive. Dès 1938, la guerre s’enlise. Malgré la perte de toute la « Chine utile » (la région de Pékin et Nankin, celles de Shanghai et de Canton), le Front uni tient bon, alors que les Japonais étaient certains que les défaites allaient le rompre. Replié en Chine centrale à Chongqing, Jiang Jieshi rejette une offre de collaboration. Au nord, les communistes s’organisent. Au centre, les armées nationalistes se raidissent. Il faut huit mois pour nettoyer la grande cité de Wuhan. Pire, des troubles éclatent à l’arrière. Huit cent mille hommes sont siphonnés par l’immensité du territoire et s’abîment dans une contreinsurrection sanguinaire. La Chine est un monde instable où la notion même de front n’a plus de consistance. Les Japonais quadrillent les principaux quartiers des villes et les routes, mais abandonnent la zone grise des campagnes. Il n’y a de surcroît plus d’objectif à portée dont la conquête solderait la guerre et une vague de bombardement stratégique échoue dès 1938 : le régime nationaliste n’est guère menacé que par ses dissensions. L’aide américaine est en outre jusqu’au bout insuffisante pour peser stratégiquement. La maîtrise de l’air sera disputée jusqu’en 1944 et la présence de plusieurs centaines d’avions américains n’empêchera même pas un ultime sursaut offensif japonais. L’immensité du territoire, toujours… N. Aubin
LA CHINE, PREMIER FRONT JAPONAIS
Au moment d’attaquer l’Amérique et l’Empire britannique, 75 % des forces de l’armée impériale combattent en Chine ou montent la garde en Mandchourie face aux Soviétiques. Il ne reste qu’une poignée de divisions disponibles pour le Pacifique, plus quelques unités d’infanterie de la marine. Cette faiblesse — qui ne rend que plus méritoires les succès en Malaisie, aux Philippines et en Birmanie — explique pourquoi les Japonais ne peuvent envisager en 1942 un débarquement à Hawaï
Un marine reprend son souffle sur une route de Saipan (îles Mariannes), en juillet 1944. Du fait de la densité du tir américain, la végétation est quasiment effacée du paysage.
11 − Les combats ont tous eu lieu dans la jungle De l’enfer vert de Guadalcanal à la moiteur de la profonde forêt birmane, la jungle couvre une bande à cheval entre le tropique du Cancer et l’équateur. Mais il est erroné de réduire la guerre à ce terrain : les combats se déroulent sur 60 degrés de latitude, de quoi varier les paysages. La moitié du littoral chinois, celle qui voit les affrontements les plus importants, offre les paysages les plus divers (rizières, plaines cultivées, montagnes, nombreuses cités) de plus en plus dénudés en remontant vers le nord jusqu’aux steppes de la Mandchourie, théâtre de l’offensive soviétique. Les atolls du Pacifique central, sableux et rocheux, voire lunaires après les bombardements préliminaires, n’abritent qu’une flore résiduelle. La carte postale du combat en forêt vierge est née de l’ignorance des Occidentaux de la guerre sino-japonaise et de leurs premiers combats qui se sont déroulés dans la jungle malaise (pour les Britanniques) et philippine (pour les Américains). Et pourtant, sur ce dernier théâtre, d’importants et meurtriers affrontements ont eu lieu à Manille en 1945, du 3 février au 3 mars. N. A.
12 − Les combats terrestres n’ont joué qu’un rôle marginal Décidée dans le ciel et les mers, la guerre dans le Pacifique ? Oui, mais pas seulement. Plus encore peut-être qu’en Europe, la victoire dans le Pacifique repose sur l’équilibre entre les efforts navals, aériens et terrestres des belligérants. C’est, bien sûr, vrai au plan stratégique : la Chine fixe pendant toute la durée de la guerre l’essentiel de l’armée impériale, y compris son aviation. Jusqu’au bout, la Chine est la grande affaire des militaires japonais qui n’octroient que chichement des moyens terrestres pour le Pacifique : moins d’une douzaine de divisions, presque exclusivement soutenues par la marine, pour conquérir l’Asie du Sud-Est en 1941-1942. Or c’est la capacité de celles-ci à surclasser leurs adversaires alliés qui transforme la maîtrise aéronavale japonaise en succès stratégique, en permettant la conquête des colonies européennes et des Philippines. Mais c’est aussi leur trop faible nombre, pour tenir un si grand périmètre, qui condamne ensuite à l’enlisement les efforts japonais en Asie, comme ils s’étaient déjà englués en Chine.
Les combats terrestres peuvent également faire basculer une opération : à Guadalcanal, en septembre-novembre 1942, c’est la capacité des marines, puis des GI’s à défendre l’aérodrome implanté sur l’île, et à s’assurer ensuite de la maîtrise de celle-ci, qui est décisif dans la campagne aéronavale qui suit : Henderson Field, nom donné à la base par les Américains, est leur atout clé pour s’emparer de la supériorité aérienne, gage de suprématie maritime. Et tactiquement, seule la maîtrise — qui fait appel de manière équilibrée aux compétences terrestres et aéronavales — des opérations amphibies permet aux Alliés de reconquérir le Pacifique : là encore, les capacités terrestres sont celles qui concrétisent la suprématie aérienne et navale alliée et permettent son déploiement, en s’emparant et en tenant les bases logistiques qui sont autant d’étapes vers l’archipel nippon. Enfin, une opération terrestre de très grande envergure joue dans le Pacifique un rôle absolument décisif : l’offensive soviétique en Mandchourie, en août 1945. Cette opération majoritairement terrestre (avec un appui aérien important et quelques opérations navales de faible envergure, surtout comparées à celles menées ailleurs par les Américains ou les Japonais eux-mêmes) pulvérise l’armée du Kwantung, siège du militarisme nippon, et fait peser sur Tokyo une pression politique cruciale pour la décision de reddition du Japon. B. B. Les durs combats de Guadalcanal (ici dans le film The Thin Red Line) ont pour enjeu un base aérienne vit pour la possessio des îles Salomon.
13 − À Leyte en 1944,
les cuirassés japonais ont failli infliger un désastre à la flotte américaine À 6 h 45, le 25 octobre 1944, au large des Philippines, les quatre cuirassés et six croiseurs lourds de l’amiral Kurita surprennent devant l’île de Samar six porte-avions d’escorte de l’amiral Sprague, qui appuient le débarquement à Leyte. Une bagarre furieuse s’engage… Mais alors que la destruction du troupeau américain semble à portée, Kurita, sa meute harcelée par une nuée de 400 avions étoilés, fait demi-tour à 9 h 20, avec un carnier de misère : un toit-plat, deux destroyers et un escorteur. L’affaire fait toujours couler de l’encre outre-Atlantique : il faut bien un peu de péril pour glorifier des victoires de plus en plus faciles. L’amiral « Bull » (le taureau) Halsey s’est fait leurrer en effet au nord par quatre porte-avions quasi désarmés, chiffon rouge agité par l’amiral Ozawa. Il laisse ainsi une porte ouverte à l’ennemi… La bévue de Halsey est énorme, mais qu’aurait changé la destruction de six porte-avions d’escorte sur les 122 que l’Amérique construit pendant la guerre ? Kurita est également critiqué doublement, pour avoir très mal mené son attaque (c’est vrai) puis abandonné sa proie. Mais que peut-il faire ? Quand il vire de bord, trois de ses croiseurs lourds sont déjà coulés et, s’il s’enferre plus avant pour un gibier misérable, il va tout perdre. Tous les Japonais ne sont pas suicidaires… P. G.
Doté d’une coque de pétrolier, un porte-avio d’escorte (ici le Sangam aux Philippines en novembre 1944) embarque 25 avions.
14 − Les kamikazes auraient
pu renverser la situation stratégique à la fin de la guerre
UN EFFARANT SACRIFICE HUMAIN
Du 6 avril au 22 juin 1945, les Japonais lancent 1 900 avions-suicides depuis Kyushu et Formose (Taiwan) contre Okinawa, à environ 700 km. Conscients que l’interception offre la défense la plus efficace, les Américains ont porté la dotation de leurs porte-avions lourds de 50 à 70 chasseurs. Face à des proies faciles, pas moins de 97 pilotes décrochent les cinq victoires (ou plus) nécessaires au titre d’as, parfois en une journée. Dix-sept navires sont toute de même coulés et 279 autres endommagés — près d’un quart de la flotte déployée
Tel est en tout cas l’espoir des Japonais qui misent tout, à partir de la fin 1944, sur l’effet tant militaire que psychologique provoqué par ces frappes suicides. Toute une série « d’unités d’attaque spéciale » (Tokubetsu kogeki-tai ), euphémisme pour désigner des forces vouées au sacrifice, est mise en place dans les derniers mois de la guerre : aux côtés des aviateurs, les plus connus, sur avions d’armes ou aux commandes d’avions-suicides dédiés, comme le Ohka, sorte de V-1 piloté, des marins arment des flottilles de vedettes ou de minisous-marins kamikazes. Le cuirassé Yamato (voir p. 46), orgueil de la marine impériale, finit par en faire partie : en pleine bataille d’Okinawa, il est e nvoyé avec une faible escorte s’échouer sur les côtes de l’île pour y servir de batterie d’artillerie lourde. L’aéronavale américaine rendra encore plus vain ce suicide en coulant le navire et ses escorteurs en pleine mer. Cette débauche de sacrifices était-elle militairement justifiée ? La réponse est clairement non. La « rentabilité » tactique des frappes de kamikazes est plus que médiocre. En tout, 2 525 pilotes de la marine et 1 387 de l’aviation de l’armée impériale sont « consommés » dans des attaques suicides entre octobre 1944 et septembre 1945. Seuls 14 % d’entre eux ont atteint une cible, la plupart ne lui occasionnant toutefois que des dommages réparables même si 4 900 marins alliés paient de leur vie ces attaques. Seuls 47 navires sont coulés par les kamikazes, un peu plus de 350 touchés. Sur ce total, peu de grandes unités, trop bien protégées : un seul porte-avions lourd, le Franklin, est si endommagé qu’il est mis hors de combat pour la guerre, mais l’essentiel des pertes subies l’est en escorteurs ou navires de débarquement, pas de quoi remettre en cause l’offensive alliée. Quant à l’effet psychologique, il a surtout pour conséquence de renforcer la détermination des combattants américains à en finir avec un peuple perçu comme totalement fanatisé… B. B.
15 − Le Pacifique était un front secondaire
L’obscure campagne de Nouvelle-Guinée dure de janvier 1942 à août 1945. Pas moi de 11 divisions alliée y participent.
dans la Seconde Guerre mondiale Les enjeux de la guerre du Pacifique sont au contraire aussi importants que ceux de la lutte contre le nazisme en Europe, en tout cas du point de vue géopolitique et stratégique. Le but de l’affrontement entre le Japon et les Alliés n’est en effet rien moins que la domination du plus vaste océan du globe, le Pacifique (et même de la moitié des mers de la planète, si l’on y ajoute l’océan Indien) mais surtout de l’Asie qu’il borde, de ses peuples et de ses considérables ressources économiques. Soit 40 % des terres émergées et 50 % de la population mondiale : on est loin du « théâtre secondaire » quand le sort de la moitié de l’humanité est en jeu ! De plus, les événements qui se jouent dans le Pacifique ont une influence considérable sur les opérations en Europe, et ce dès avant 1939. Depuis les années 1930, la Royal Navy, longtemps partenaire de la marine impériale japonaise qu’elle a largement portée sur les fonts baptismaux, voit en celle-ci l’ennemi principal. Et c’est la limitation de sa croissance qui pousse largement — bien avant le réarmement de la Kriegsmarine — aux traités de contrôle de l’armement naval de Washington et de Londres, d’ailleurs avec un mince succès. Plus directement, la défense de l’Inde est structurante pour l’outil militaire britannique et aura tout au long de la guerre une influence considérable sur la stratégie de Londres, en particulier en Méditerranée, jonction vitale entre la métropole britannique et le joyau de son empire. Pour les États-Unis, le Pacifique est un théâtre d’opérations majeur, et la décision de donner la priorité à l’Europe, prise par Roosevelt très vite après Pearl Harbor, fera d’ailleurs débat à Washington. Nombre d’armements américains ont d’ailleurs été développés avec le Pacifique en tête : c’est par exemple le cas du bombardier lourd B-17, fer de lance des bombardements sur l’Europe. Et la priorité politique à l’Europe n’empêchera pas en outre que l’essentiel des moyens navals américains, et d’importants moyens aériens restent concentrés pendant tout le conflit dans le Pacifique : pour l’US Navy, c’est l’Europe qui est le théâtre secondaire. Or certaines ressources navales, en particulier les moyens amphibies, sont en nombre limité et devront être basculées à plusieurs reprises d’une région à l’autre. Les puissances anglo-saxonnes ne sont cependant pas les seules à considérer le Pacifique comme essentiel : pour l’URSS aussi, cette région est jugée vitale. Avant 1941, les forces soviétiques en Extrême-Orient sont parmi les meilleures de l’Armée rouge, et Staline y conservera même aux pires moments de la guerre germano-soviétique des moyens importants. Plus décisifs encore, les combats frontaliers avec le Japon en 1939 — et la crainte d’une guerre soviéto-japonaise de grande ampleur — sont l’un des facteurs majeurs qui poussent Staline à ratifier le Pacte germano-soviétique, le dictateur étant ainsi le seul à éviter à son pays une guerre sur plusieurs fronts. Enfin, d’un point de vue strictement militaire, le Pacifique permet l’élaboration de nombreuses tactiques et méthodes qui bénéficient directement aux opérations en Europe : les Soviétiques expérimentent grandeur nature en 1939 leur doctrine des opérations en profondeur,
qui finira par pourfendre la Wehrmacht en 1944-1945 ; les Américains y raffinent les tactiques et techniques amphibies qui rendent possibles les débarquements en Sicile, en Italie et, puis surtout en France en 1943-1944. B. B.
EUROPE FIRST ? ÇA DÉPEND QUAND…
Lors de la conférence Arcadia (Washington, 22 décembre 1941-14 janvier 1942), Roosevelt convient avec Churchill que la destruction du III e Reich est prioritaire. Mais les militaires américains n’obéissent que… progressivement. En fait, l’effort essentiel est tourné contre le Japon tout au long de 1942 : fin août, l’USAAF (voir p. 45 ) déploie ainsi 1 448 avions dans le Pacifique contre 1 141 face aux Allemands. L’équilibre n’est véritablement renversé qu’à la mi-1943. La guerre dans le Pacifique n’exige d’ailleurs pas d’aussi gros bataillons terrestres que la reconquête de l’Europe, et l’US Army bénéficie d’importants contingents alliés locaux : fin 1944, 7 divisions australiennes et néo-zélandaises combattent ainsi aux côtés de 25 divisions américaines.
Les machines 16 − Les porte-avions ont été décisifs au combat Outre les six porte-avions construits avant Pearl Harbor (dont deux survivent en 1945), les chantiers américains produisent pendant la guerre 17 grosses unités de 31 300 t (sur 24 en tout) de la classe Essex ( voir G&H no 14, p. 86), chacune capable d’emporter 90 avions. S’y ajoutent neuf porte-avions dits légers de la classe Independence livrés en urgence en 1943 (33 avions) et pas moins de 122 porteavions d’escorte (24 avions). Les Japonais en mettent, eux, une vingtaine (dont 13 lourds) en service. Cet effort considérable s’explique. Le porte-avions est une arme à tout faire : lutter contre les navires de guerre comme de commerce, protéger les convois contre les sous-marins, appuyer débarquements et opérations à terre… Le tout avec une portée de plusieurs centaines de kilomètres quand les plus gros canons portent à 40 km. Irremplaçable, le porte-avions l’est d’autant plus dans le Pacifique, immensité marine dépourvue de base. Mais son rôle n’est pas décisif pour autant : c’est un système d’armes important, certes, mais parmi d’autres et très minoritaire en nombre : en 1945, il ne représente même pas 2 % des presque 5 000 navires de tous types alignés par la Navy, pour l’essentiel auxiliaires logistiques (21 %) ou voués aux débarquements (56 %). Un porte-avions ne peut en outre exister qu’au sein de la Task Force (voir p. 38) qui le protège. Ce navire figure certes au centre des grandes batailles aéronavales type Midway. Mais ces combats sont l’exception : on en compte quatre en 1942, aucun en 1943 et deux en 1944. L’éclipse de 1943 s’explique en grande partie à cause du paroxysme qui a précédé : les terribles pertes subies par les toits-plats en 1942 (quatre côté américain, six côté japonais) doivent être comblées, les flottes réorganisées. Cette usure des forces,
mais aussi le fait qu’une bonne partie des opérations de la période se déroule dans des eaux fermées (Guadalcanal, îles Salomon), pourvues en bases terrestres, expliquent une réapparition du canon et de la torpille : croiseurs et destroyers monopolisent alors l’action, tandis que les porte-avions américains appuient surtout les opérations amphibies du Pacifique centre. Deux éléments clés enfin doivent nuancer la vision trop « aéronavaliste » de la guerre du Pacifique. D’abord, on tend à oublier l’intensité des combats terrestres, certes moins visibles et plus ingrats ( voir p. 42). Les opérations en Nouvelle-Guinée, par exemple, durent de janvier 1942 à août 1945 et se payent par de très lourdes pertes jusqu’à la fin, tandis que la libération des Philippines dure du 20 octobre 1944 au 15 août 1945, dans les deux cas avec l’aide massive d’avions terrestres : le Pacifique est un théâtre important pour l’USAAF, qui y expédie 30 % de ses unités combattantes et y détruit 10 343 avions ennemis (25 % du total de l’USAAF pour la guerre). Ce sont les B-29 de l’Army qui mènent à partir d’octobre 1944, depuis les îles Mariannes, la grande offensive de bombardement et de minage du Japon, qui aboutit à Hiroshima et Nagasaki. Enfin, il ne faut pas oublier une arme majeure et sousestimée : les sous-marins. Bien qu’ils ne représentent qu’une part minuscule de l’effort naval américain (à peine 200 unités, armées par 16 000 marins, soit 1,6 % des effectifs), ils sont responsables de plus de la moitié du tonnage ennemi coulé (voir infographie p. 46) et jouent à ce titre un rôle essentiel dans la défaite du Japon… et la destruction de ses porte-avions : sur la vingtaine coulée par les Américains, douze le sont par des avions embarqués, huit par des sous-marins. P. G.
Succédant au United States Army Air Corps en juin 1941, la force aérienne de l’armée des États-Unis — US Army Air Forces ou USAAF — est la coquille organisationnelle de l’aviation américaine, subordonnée à l’étatmajor de l’US Army. Elle ne devient une arme réellement indépendante que le 18 septembre 1947 et prend son nom actuel de United States Air Force, abrégé en USAF.
Un bombardier en piqué SB2C Helldiver se prépare à apponter début juin 1945. Ce n’est qu’à la toute fin de la guerre, une fois l’impunité assurée, que les porteavions peuvent s’attaquer à fond au trafic marchand japonais, réduit alors à l’archipel nippon.
17 − Les bombardements des B-29 ont ruiné l’économie nippone L’économie japonaise est déjà en piteux état bien avant que le premier B-29 n’atteigne sa cible dans l’archipel. Bien plus que les bombardiers, ce sont les sous-marins de l’US Navy (voir point no 16) qui étranglent la fragile économie du Japon. Résumons : dès avant guerre, il est clair que l’archipel nippon, qui ne dispose de presque aucune des ressources naturelles nécessaires à un effort de guerre prolongé, est une piètre base économique pour un conflit de grande ampleur. Ce qui justifie, tour à tour, le coup de main sur la Mandchourie en 1931 (les Japonais espèrent en faire un grenier et un poumon industriel, sans succès), l’invasion de la Chine et l’offensive de 1941-1942 pour le pétrole d’Asie du Sud-Est. L’objectif de la « sphère de coprospérité » vantée par la propagande de Tokyo est ainsi surtout d’alimenter une poussive machine de guerre nippone, à la peine dès 1942 pour compenser les pertes. Or, ces approvisionnements passent tous par mer, et la « sous-marinade » américaine va très efficacement frapper les convois qui rallient la métropole japonaise. D’autant que la marine impériale, obsédée par la bataille décisive qu’elle entend livrer à l’US Navy, a totalement négligé les escortes et la lutte anti-sous-marine. L’aviation, basée à terre surtout, apporte aux submersibles un prompt renfort en harcelant jusqu’au cabotage dans les îles sous contrôle japonais. Résultat, lorsque les B-29 entament leurs raids, les usines qu’ils sont supposés frapper sont pour la plupart à court de matières premières… Les bombardiers lourds apportent toutefois une contribution d’importance à ce blocus aéronaval, en lançant d’innombrables mines dans les eaux côtières du Japon. Avant que les Américains ne décident, plutôt qu’une lente asphyxie économique, de mener des raids de terreur pour raser les centres de population. Ceux-ci atteignent leur paroxysme avec le bombardement incendiaire de Tokyo le 9 mars 1945, prélude aux deux bombardements atomiques des 6 et 9 août. B. B.
18 − Les cuirassés géants japonais étaient les meilleurs jamais fabriqués À l’entrée en guerre, les Japonais alignent une excellente flotte cuirassée. En plus de huit unités anciennes bien rénovées (dont quatre croiseurs de bataille), les trois navires récents alignés à l’entrée en guerre sont impressionnants : il y a là le Nagato et le Mutsu (33 250 t, huit canons de 406 mm, 26 nœuds) mis en service en 1920-1921 et, surtout, le Yamato, mis en service le 16 décembre 1941 : 62 300 t de déplacement à vide, neuf canons de 460 mm (le plus gros calibre jamais monté sur un navire), 27 nœuds… Et le monstre a un jumeau, le Musashi , admis dans la ligne le 5 août 1942. Ces navires de guerre superlatifs ont alimenté tous les fantasmes après guerre — car les Américains n’ont appris leurs caractéristiques complètes qu’à la fin de 1945. Faute d’affrontement direct, on ne saura jamais qui était vraiment « le meilleur » : le Yamato et le Musashi ont été coulés par des avions, et seul le premier a tiré des obus contre des navires de surface, lors de la bataille de Samar (voir point no 13), sans grand résultat.
Miraculeusement épargné par la guerre, le Nagato est victime le 30 juillet 1946 d’un essai atomique à Bikini. Son frère jumeau Mutsu est victime de l’explosion d’une soute à munition le 8 juin 1943.
C’EST LE SOUS�MARIN QUI TORPILLE L’INDUSTRIE JAPONAISE Convoqué à Nuremberg au procès de l’amiral Dönitz, ex-patron des U-Boote, l’amiral Nimitz admet lui aussi avoir mené une guerre sous-marine sans limite. Mais avec des résultats plus probants : fin 1944, la marine marchande nippone est quasi anéantie, et l’industrie privée de ressources importées. Les B-29 parachèvent le blocus en minant détroits et chenaux, campagne méconnue mais efficace.
L’étude complète d’Anthony Tully (voir bibliographie p. 55 ) montre en fait que les géants japonais auraient été à la peine face à leurs rivaux de même génération, les deux North Carolina, quatre South Dakota et quatre Iowa américains. Si seuls les derniers rivalisent en protection, tous sont aussi rapides (voire plus) et armés de canons de 406 mm, dotés d’obus dont la qualité compense la différence de calibre. Surtout, le radar de tir américain surclasse les outils primitifs P. G. des Japonais et permet de tirer en aveugle et en man
En 1945, sa DCA est imposante : 6 canons de 155 mm, 24 de 127, 162 de 25… Insuffisant. Le 7 avril 1945, le Yamato, envoyé s’échouer sur Okinawa, explose après avoir reçu au moins sept bombes et dix torpilles (voir G&H no 23, p. 6).
19 − Le Zéro était sans rival dans le ciel du Pacifique Comme tous les avions navals japonais, le Mitsubishi A6M, dit Zéro (voir G&H no 13, p. 86) est construit avec l’idée d’optimiser agilité et rayon d’action en s’accommodant de moteurs peu puissants. Le résultat ? Un appareil ultraléger : le A6M2, première version, ne pèse que 1 680 kg à vide, 740 de moins que son premier rival américain, le Grumman F4F-3 Wildcat. En 1941, le Zéro atteint 534 km/h, se pilote comme un appareil de voltige et peut voler sur 3 000 km ! Qualités remarquables qui, au départ exploitées par des pilotes surentraînés, expliquent la détresse des pilotes alliés à la fin de 1941 : le ciel de la Malaisie et des Indes néerlandaises est japonais. La surprise passée, les pilotes alliés réagissent. Plus question d’accepter le combat tournoyant, domaine d’excellence nippon : on privilégie les attaques en piqué, où les avions américains, plus lourds et rapides, ont l’avantage. De nouvelles tactiques mises au point par l’US Navy dès mai 1942, un meilleur armement et une capacité bien supérieure à prendre des coups rétablissent la balance avant même l’apparition d’engins plus performants (Hellcat, Corsair, Lightning, Spitfire…). Ainsi, les Wildcat font jeu égal avec les Zéro à Midway, en juin 1942. L’érosion qualitative des pilotes japonais, engagés à Guadalcanal dans une bataille d’usure qu’ils ne peuvent gagner, va mettre un point final au péril Zéro. Auquel l’industrie japonaise, faute de moteur, ne trouvera pas de réel successeur. P. G.
Figuré dans le film Le Vent se lève, le Zéro est un des tout premiers chasseurs à offrir une verrière type « bulle », permettant une excellente vision sur l’arrière. Mais le dos du pilote n’est pas protégé par un blindage, comme sur les avions américains.
Les Indes orientales néerlandaises naissent en 1800 comme colonie de la couronne des Pays-Bas à partir des possessions de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Elles couvrent l’actuelle Indonésie, Bornéo, les Moluques et l’est de la Nouvelle-Guinée. Sa capitale Batavia est devenue aujourd’hui Djakarta.
Les hommes 20 − Les Japonais étaient des soldats surentraînés Jusqu’à la déferlante de 1941-1942, l’armée japonaise est généralement perçue avec mépris. Et la succession de défaites occidentales fait par contraste naître le mythe d’un soldat japonais d’élite surentraîné. En 1942, les Britanniques mettent ainsi en avant l’expérience en Chine, la discipline, le moral élevé et une préparation tactique poussée pour expliquer la chute rapide de Singapour tandis qu’aux ÉtatsUnis, on souligne son « habileté impressionnante » dans les opérations nocturnes. Commodes pour justifier les échecs, ces analyses masquent les lacunes et le fait qu’il s’agit d’une petite fraction triée sur le volet (paras, bataillons de choc de la marine, etc.) qui est à l’offensive en 1941-1942, certes très compétente dans les domaines clés des opérations amphibies ou de la mobilité en terrain difficile (« bicyclette Blitzkrieg », permettant de doubler la vitesse de progression dans la jungle). Mais comme le montrent les années suivantes, le gros de l’armée japonaise est une simple force d’infanterie tactiquement médiocre et longtemps sacrifiée en masse de façon inepte au nom du gyokusai (« mort glorieuse »), de même que globalement indigente sur le plan de la logistique, de l’armement ou des blindés. V. Bernard
« Quelle est la force du Japon ? », se demande Life en 1943. Piégée par un encadrement fanatisé et brutal, la troupe brille surtout par sa ténacité en défense.
22 − L’amiral Yamamoto ne voulait pas la guerre Un guerrier prudent qui promet « six mois de triomphes mais sans assurance pour la deuxième et la troisième année », un Cassandre avertissant du risque de « réveiller le Dragon endormi », un modéré menacé de mort par les fanatiques qui « se demande si nos politiciens, qui parlent avec tant de légèreté d’une guerre, sont certains du résultat final ». Voilà le portrait
21 − MacArthur est le grand vainqueur américain Peu de personnalités de l’histoire militaire américaine sont plus controversées que Douglas MacArthur. Principal chef de l’US Army dans le Pacifique, il commande le théâtre du Pacifique sud-ouest, , taillé sur mesure à Washington pour lui éviter de prendre ses ordres de l’amiral Nimitz Nimitz et répartir également les commandements entre terriens rriens e et marins. mar ns. Parce qu’il montre pendant toute la guerre un talentt hors pair de communicant, ce qui finit par agacer Roosevelt lui-même, i-même, MacArthur passe après guerre pour l’Eisenhower du Paci Pacifique fique : « le » grand chef, rôle que ses fonctions de commandant dant suprême des puissances alliées au Japon après 19455 semblent attester. La réalité est pourtant tout autre. Lorsqu’a lieu l’attaque que ssur ur Pearl Harbor, MacArthur est… à la retraite. Chef d’état-major at-m jor de l’US Army au début des années 1930, sa carrière est déjà déjà prestigieuse restigieuse et il occupe son temps comme conseiller militaire spécial écial du du gouvernement philippin, alors sous protectorat américain. ricain. Rappelé Rappelé au service actif en juillet 1941 lorsque Roosevelt absorbe orbe l’armée l’’armée philippine, il est en charge de la défense des îles… ce qui qui fait de lui le chef militaire responsable de l’une des pires ires débâcles de l’histoire américaine, soldée par une tragique gique « marche à la mort » des prisonniers américanophilippins pris par les Japonais. Exfiltré de justesse (sur ordre exprès de Roosevelt) vers l’Australie, MacArthur parvient toutefois à y incarner l’esprit de résistance à ce qui passe alors pour une irrésistible marée nippone. C’est cela qui lui permet de s’imposer comme l’un des chefs militaires majeurs dans le Pacifique, avant de revenir ir en libérateur victorieux aux Philippines en octobre 1944. 944. Mais ce rôle considérable dans la reconquête n’en fait it pas pa le vainqueur à lui seul : les grandes décisions sont dee toute toute façon prises, de manière collégiale, à Washington, ett des opérations capitales sont commandées depuis Pearll Harbor Har or par le bien plus discret, mais au moins aussi efficace, e, Chester Ch ster Nimitz, patron de la flotte du Pacifique. C’est en particulier ticuli r le cas de tous les grands affrontements aéronavals de 1942, où le Japon perd définitivement l’initiative stratégique. tégiq e. MacArthur joue en fait son meilleur rôle après guerre, re, dans la pacification et la reconstruction du Japon. Véritable ritable proconsul américain à Tokyo, il est à ce titre l’un des père pèress du Japon contemporain. B. B.
que l’historiographie classique renvoie de l’amiral Yamamoto Isoroku, commandant en chef de la flotte combinée. Bref, un marin (dans une marine) raisonnable, un patriote honorable, contrairement aux officiers fascisants issus de l’armée, comme le Premier ministre Tojo Hideki. L’ennui est que ce portrait flatteur, élaboré à partir d’une poignée de sources invérifiables et non recoupées, est démenti par les faits, remarque l’historien britannique H. P. Willmott (voir bibliographie p. 55 ). C’est la marine, et non l’armée, qui réclame ainsi de pousser vers le Pacifique sud-est afin de s’approprier le pétrole des Indes néerlandaises. Non seulement Yamamoto soutient ces vues, mais c’est lui qui réclame, contre l’avis du modéré Nagano, le chef d’état-major de la marine, une attaque préalable contre Pearl Harbor que rien n’exige : mis en demeure de déclarer la guerre pour venir au secours d’intérêts étrangers, Roosevelt serait en difficulté face à une opinion isolationniste. Certes, Yamamoto peut arguer que la guerre est de toute façon inévitable, vu la détérioration des relations entre Washington et Tokyo,, et qu’il vaut mieux frapper fort et d’emblée. Reste que le choix d’une attaque surprise, qui va déclencher un réflexe de e vengeance, est es terriblement err emen brutal. Alors, Yamamoto aurait-il été agressif par pa pacifisme c ? Curieuse notion qu’on ne pourra jamais ex expliquer p : l’amiral a été abattu dans son avion le 18 1 avril 1943, devenant ainsi opportunément, comme dit it H. P. Willmott, « l’alibi » désireuse de d charger l’armée de tous d’une marine » les maux de la défaite. Et ssur u laquelle l’occupant américain est bien content d de pouvoir compter pour la lutte à venir avec le communisme. com P. G. En avril 1942, 60 000 à 80 000 prisonniers américains et philippins ont été contraints de marcher 100 km à travers la péninsule de Bataan, non loin de Manille, dans des conditions désastreuses. Trois mille à dix mille en sont morts, philippins à 90 %. Pour la marine japonaise, la flotte combinée (Rengo Kantai ) désigne l’amalgame temporaire, en vue d’une campagne, de flottes normalement sous commandements différents. Institution permanente avec son propre état-major en 1933, elle concentre en 1941 les grands porte-avions rapides.
24 − Hirohito était sans réel pouvoir et n’a aucune responsabilité dans la guerre
Kamikaze ? Voire. Le bandeau hachimaki, affirmation du courage viril et de la détermination, est en fait arboré par des pilotes dès 1937.
23 − Les Japonais étaient des fanatiques Corollaire de leur prétendu entraînement supérieur, les soldats japonais sont souvent perçus comme fanatiques. Cette vision unilatérale et simpliste a été portée pendant toute la guerre et depuis pour expliquer les difficultés de la reconquête ou le phénomène kamikaze voire justifier le double bombardement atomique évitant les hécatombes promises, y compris à la population, par un débarquement dans l’archipel nippon. À l’appui de cette vision, on met en avant les innombrables brutalités et crimes de guerre, tant envers les militaires que les civils (près de 6 000 cas sont jugés entre 1945 et 1949), à commencer par les massacres perpétrés en Chine. On évoque aussi les attaques suicides dites « banzaï » et « kamikazes », le très faible nombre de redditions, y compris civiles, à l’exemple d’Okinawa où des populations entières semblent préférer se suicider plutôt que de se rendre, ou encore le mythe d’une population entièrement armée — jusqu’à des lances de bambou — se préparant à combattre une invasion jusqu’au dernier vieillard. Pour autant, ramener le soldat japonais à une brute fanatisée est une grossière simplification qui méconnaît notamment les spécificités de la société et des codes régissant les rapports humains, ainsi que la variété des impulsions données par un corps d’officiers souvent très profondément imprégné d’un héritage déformé et instrumentalisé du bushido, la philosophie des samouraïs. À côté des brutalités indéniables et fréquentes, le général Horii donne par exemple des ordres précis pour prévenir toute exaction et tout pillage de la part de ses troupes. En réalité, la formation du soldat japonais est extrêmement dure en dépit de règlements prônant la modération, et l’esprit de discipline et de sacrifice, associé à la honte familiale en cas de défaite, souvent solidement ancré. De même, une intense propagande promet aux soldats qui se rendent les pires traitements de la part de leurs geôliers occidentaux, expliquant en partie cette réticence à la reddition. Quant aux kamikazes « volontaires », c’est la pesanteur du groupe et de la société qui dicte bien souvent leur geste plus qu’un quelconque fanatisme. Un portrait très humain, tout en nuances et en subtilité, de simples soldats japonais et de leurs rapports à leurs officiers transparaît notamment dans le film de Clint Eastwood Lettres d’Iwo Jima (2006). V. B.
Fils de Yoshihito (empereur Taisho), Hirohito est le 124e empereur en titre du Japon, régnant de 1926 à 1989, période appelée depuis ère Showa. Son rôle non seulement dans la guerre d’Asie-Pacifique mais aussi dans celle de Chine dès 1937 et l’ensemble de la politique expansionniste et impérialiste japonaise des années 1930 a été longtemps éludé, avec la complicité directe et assumée des autorités d’occupation américaine, à commencer par celle de MacArthur. L’imagerie traditionnelle a fait de lui une simple marionnette du pouvoir militaire, coupée des réalités et de son peuple jusqu’à un brutal réveil de majesté en 1945, imposant la fin des hostilités à une caste militariste prête à sacrifier la totalité du pays et de sa population. Étrangement, on n’avait de son vivant que très peu interrogé ce mythe, notamment l’incohérence évidente qu’il y avait à considérer un empereur, si longtemps sans pouvoir, parvenant à faire montre d’une telle autorité tardive. En réalité, Hirohito est dès l’origine parfaitement au fait de la situation politique et militaire de son pays, mais il est très loin de s’y opposer, notamment à la politique des incidents provoqués par l’armée japonaise en Chine en 1931 ou en 1937. Si son pouvoir ne prend pas la forme d’une mainmise directe sur les institutions à l’instar d’un Hitler ou, plus insidieusement, d’un Staline, nulle décision d’importance ne peut être prise qui n’ait reçu son approbation, et nul ne saurait s’opposer frontalement à un avis de l’empereur, quasi divinisé au pays du SoleilLevant. Comme il le montre en outre en 1945, une adresse directe à la population au moyen d’un rescrit impérial, certes exceptionnelle mais toujours possible, ne souffre pas la moindre contradiction. Même la dernière tentative de coup d’État par un groupe de jeunes officiers pour éviter la reddition à l’été 1945 ne se présente en aucun cas comme visant l’empereur lui-même, mais les conseillers qui l’entourent. L’autorité impériale est ainsi évidente, ainsi que le résumera son aide de camp, soulignant que « ce que [Sa Majesté] a fait à la fin de la guerre, aurait pu être fait à son début ». La mainmise sur la Mandchourie — sous le nom de protectorat du Mandchoukouo — au début des années 1930, puis la politique expansionniste dans le reste de la Chine à partir de 1937 ont l’aval de celui que la plupart des historiens définissent aujourd’hui comme un « opportuniste politique » cherchant à saisir les occasions d’expansion de l’empire sans être à proprement parler fondamentalement belliciste. De même, bien que beaucoup plus réticent en 1941 à entamer une guerre contre les Occidentaux, qu’il connaît bien pour avoir longtemps voyagé, notamment en Europe, Hirohito accepte le risque face à des rapports particulièrement optimistes et l’assurance du commandement d’un succès programmé. Pendant plus de trois ans il se raccroche aux positions bellicistes, mettant très longtemps à reconnaître l’inéluctabilité de la défaite. Au printemps 1945 encore, et alors que certains commencent à imaginer des solutions de paix, l’empereur continue de rejeter cette option. Il ne s’y rallie qu’en toute dernière extrémité et avec l’assurance de la préservation du trône, en dépit de la demande de reddition « inconditionnelle » des Alliés. Il est en outre impossible qu’il n’ait pas été au courant des innombrables exactions reprochées aux troupes japonaises en Chine, ou plus tard contre les civils et les prisonniers des régions du Pacifique occupées. V. B.
Les lauriers et l’opprobre
Bornéo, 10 mars 1945 : un 25-pounder (calibre 87,6 mm) australien tire sur des positions japonaises près de Balikpapan.
25 − Les marines ont reconquis seuls le Pacifique C’est une idée directrice de l’US Navy, longtemps entretenue avant guerre, que de se réserver une éventuelle guerre dans le Pacifique via son corps des marines (USMC) tout en laissant l’Europe aux soins de l’US Army. Mais cette conception théorique est vite abandonnée : elle ne résiste évidemment pas à l’analyse et aux enjeux. Entre 1942 et 1945, l’USMC — moins de 5 % de la totalité des effectifs militaires américains — joue dans le Pacifique le rôle de fer de lance amphibie interarmes ( Amphibious Forces) mais il est très loin de combattre seul. Fin 1943, outre les forces du Commonwealth, 1,8 million d’Américains sont déployés dans le Pacifique dont 820 000 appartiennent à l’armée (13 divisions), y compris l’USAAF, et seulement 160 000 aux marines (3 divisions). La plus forte concentration exclusive de l’USMC a lieu lors de la reconquête d’Iwo Jima menée par trois divisions de leathernecks (voir p. 52) en février-mars 1945. À l’été suivant, on compte, aux côtés de 6 divisions de marines et 450 000 hommes, 22 divisions de l’US Army, d’autres étant en cours de transfert depuis l’Eur vue de l’invasion du Japon. V. B.
US ARMY ET CONTINGENTS ALLIÉS, LES GRANDS OUBLIÉS
Ses pertes révèlent l’ampleur de son engagement : l’US Army déplore 41 592 tués sur le théâtre du Pacifique, contre 23 160 chez les marines. Ne pas oublier non plus les 27 000 Philippins tombés pour leur libération et les 17 500 Australiens et 600 Néo-Zélandais morts en combattant dans les îles immenses et au climat difficile de Nouvelle-Guinée et de l’Insulinde. À noter enfin l’énorme participation prévue de l’Army (en partie à base de troupes importées du III e Reich vaincu) à l’opération Downfall, l’invasion du Japon annulée par la capitulation.
26 − Seuls les Japonais ont commis des crimes de guerre Massacres de prisonniers par centaines de milliers, marches et chantiers de la mort, débauche de crimes sexuels, cobayes humains, politique planifiée de tueries — l’opération des « trois-tout » (tue tout, brûle tout, pille tout) en Chine du Nord avec à la clé 2,7 millions de morts. L’historien Jean-Louis Margolin décrit mieux que personne les conséquences du racisme et de l’ultranationalisme japonais (voir bibliographie p. 55 ). De telles horreurs éclipsent toutes celles d’en face qui sont pourtant légion. Dans le Pacifique, le crime de guerre disparaît en effet du vocabulaire. La brutalité du conflit amène beaucoup de GI’s et d’Australiens à abattre blessés et prisonniers par crainte que ces derniers ne se fassent exploser au milieu d’eux. Le refus de faire des prisonniers est plus qu’une consigne tacite : il est enseigné comme une précaution élémentaire. Mais les crimes américains sont aussi d’une autre nature. « Nous liquidions des hôpitaux, mitraillions des radeaux, tuions et maltraitions des civils, achevions les blessés, nous jetions les mourants dans le même trou que les morts, nous faisions bouillir la chair des crânes pour en faire des décors de table ou nous sculptions des coupe-papier en os », témoignent sans honte des marines Leathernecks (« nuques de cuir ») désignent les soldats du Marines Corps. Ce sobriquet leur viendrait des hauts cols durs en usage à la fin du XVIIIe siècle pour les protéger des coups de sabre des pirates Hygiène ou humiliation ? Un prisonnier japonais est forcé de se laver en public, avant d’être épouillé et vêtu d’un treillis américain, sous le regard goguenard de l’équipage du cuirassé New Jersey , en décembre 1944.
en 1946. Scalper, collectionner les oreilles ou arracher les dents en or, pratiques impensables en Europe, sont choses courantes dans le Pacifique et photographiées sans retenue pour Time Magazine. En 1944, 25 % des soldats répondent que leur but n’est pas de vaincre le Japon mais de tuer le plus de Japonais possible. Une telle haine ne peut avoir pour origine le seul désir de revanche après Pearl Harbor, elle se nourrit d’un racisme inscrit au cœur de la société américaine. Alors que la propagande distingue toujours l’honnête Allemand du nazi, il n’en est pas de même avec le Japonais, réduit à l’état de « singe jaune », voire de simple « face de citron ». Le général australien Blamey appelle ainsi devant la presse, sans être repris, à « l’éradication de la vermine jaune »… Bien sûr, la fracture civilisationnelle facilite la déshumanisation, conduisant 13 % des Américains à souhaiter « l’extermination du peuple japonais » et 13 autres à rêver de lui imposer les « pires sévices » une fois vaincu. En 1945, presque un quart regretteront que l’on n’ait pas eu le temps de larguer plus de bombes atomiques. N. A.
27 − Les Britanniques ont été au-dessous de tout, en Malaisie, à Singapour, en Birmanie, dans l’océan Indien
Birmanie, mars 1945 : des mitrailleurs indiens couvrent leur infanterie à Mandalay. Le Raj, l’empire des Indes britannique, fournit 2,6 millions de soldats, qui forment la majorité des forces déployées en Asie par le RoyaumeUni : 14 des 20 divisions et brigades en 1945 en sont
Pauvres Britanniques ! L’historiographie de la guerre dans le Pacifique n’est pas tendre avec eux. Il faut dire que celle-ci, américaine dans sa majorité, résume souvent la contribution de Londres aux désastres des premières semaines du conflit contre le Japon. Toute la contribution du Royaume-Uni et de l’Empire britannique est ainsi jugée à l’aune de la seule campagne de Malaisie. Celle-ci est sans conteste un désastre : les troupes de la Couronne présentes dans la péninsule malaise sont surtout des unités de police coloniale, mal entraînées aux opérations modernes. Les unités les plus solides, comme la 8e division australienne, manquent d’expérience. Surtout, le combat en jungle est presque totalement étranger aux forces du Commonwealth, qui restent collées aux routes et se font aisément déborder par des Japonais meilleurs manœuvriers. Résultat, Singapour, assiégé, chute le 15 février 1942, après à peine deux mois d’opérations. Pour compléter le désastre, les navires de ligne HMS Repulse et Prince of Wales sont coulés le 10 décembre 1941, humiliant la Royal Navy. Le problème de ce récit est qu’il ignore les réalités de la situation stratégique du Royaume-Uni. Oui, les Britanniques — qui subissent en même temps des défaites en Birmanie et dans l’océan Indien — font un mauvais début de guerre dans le Pacifique. Mais pas pire que celui des Américains, bousculés de Pearl Harbor aux Philippines. Et pas si pitoyable si on considère que Londres doit en même temps défendre son propre territoire mais aussi l’Égypte, dont le canal de Suez est la condition sine qua non de toute résistance prolongée en Asie : sans lui, pas de défense viable de l’Inde. Les Britanniques, comme ailleurs, plient donc sans rompre face aux Japonais. Concentrés sur la défense de l’Inde, ils remplacent un à un leurs « vieux coloniaux » inaptes à la guerre moderne par des officiers compétents, comme William « Bill » Slim, qui commande en Birmanie la 14e armée britannique, progressivement transformée en unité d’élite experte du combat en jungle. Passé la mi-1942, les Britanniques ne subissent plus aucune défaite majeure. L’ultime offensive japonaise contre l’Inde finit même en désastre pour l’armée impériale, défaite par Slim entre mars et juillet 1944 lors des batailles d’Imphàl et Kohima. Elle sera suivie d’une contre-offensive victorieuse jusqu’en 1945. Quant à la Royal Navy, elle déploie fin 1944 la British Pacific Fleet, qui compte jusqu’à six porte-avions lourds et une douzaine de légers ou d’escorte, cinq cuirassés (dont le Richelieu français) et plusieurs dizaines d’unités plus légères. Cette force combat à Okinawa et participe aux frappes contre le Japon. Mais à ce stade de la guerre, les contributions britanniques sont noyées dans l’immensité de l’effort de guerre américain. Le Royaume-Uni ne démérite pas, mais sa participation, alors que la libération de l’Europe a usé ses moyens déclinants, est nécessairement limitée, ce qui explique l’invisibilité relative des victoires de la Couronne de 1944-1945 dans le Pacifique — auxquelles les troupes de l’Empire britannique, indiennes mais aussi kenyanes ou ougandaises, par exemple, prennent une très large part. B. B.
28 − Les Britanniques ont sacrifié la défense de l’Australie
Sydney, 17 août 1942 : un soldat de l’Australian Imperial Force rapatrié retrouve sa petite fille. L’AIF et sa sœur néo-zélandaise forment le pilier de l’armée sous commandement britannique en Afrique du Nord, en Grèce et au Moyen-Orient jusqu’à la mi-1942.
La réalité est plus simple : en 1942, alors que la menace japonaise est au zénith, les Britanniques n’ont pas les moyens militaires — aériens et navals, en particulier — nécessaires pour aider à défendre le continent océanien. Le contrat implicite entre le Royaume-Uni et l’Australie, par lequel Canberra ne déploie des troupes pour participer aux guerres de la Couronne — en Afrique, en Europe — qu’en contrepartie de la protection impériale de Londres, s’effondre ainsi par faiblesse militaire de la métropole britannique. Churchill n’y peut pas grand-chose, même s’il répond favorablement à la demande des Australiens de rapatrier le gros de leurs forces dans le Pacifique, alors même qu’il en a cruellement besoin face aux Italo-Allemands en Méditerranée. Pour l’Australie, c’est le début d’un basculement géopolitique d’importance : c’est Washington qui devient la puissance tutélaire, garante ultime de la défense de l’île-continent, en parallèle à un effort d’autonomie militaire, notamment industrielle. Deux axes qui restent vrais aujourd’hui. B. B.
29 − Les Américains ont vaincu seuls le Japon Le terme « guerre du Pacifique » est profondément américano-centré dans l’espace et le temps. Il s’agit là plutôt d’une guerre d’Asie-Pacifique que les Japonais évoquent comme « guerre de grande Asie orientale » et qui débute par l’invasion de la Chine en 1937, voire celle de Mandchourie en 1931 (voir carte p. 34). À côté des opérations du Pacifique aux noms emblématiques de Midway, Guadalcanal, Tarawa, Iwo Jima, Leyte ou Okinawa, on méconnaît ainsi souvent l’existence ou l’ampleur des fronts birman et chinois, particulièrement actifs jusqu’à la fin de la guerre, de même que la brève mais spectaculaire offensive soviétique en Mandchourie en août 1945. Ces théâtres d’opérations, où les Américains n’interviennent que marginalement (17 000 hommes fin 1942, moins de 100 000 en 1944-1945) et surtout dans le domaine aérien, mobilisent un million d’Anglo-Indiens du South East Asia Command, 4 millions de Chinois et plus d’un million de Soviétiques, qui fixent les trois quarts des forces aériennes et terrestres japonaises (notamment l’armée du Kwantung) et jouent dès lors un rôle considérable dans la défaite finale de la puissance nippone. La Chine nationaliste est vraisemblablement l’acteur majeur le plus méconnu de la Seconde Guerre mondiale, suivi par l’Inde encore britannique selon un modus vivendi préparant déjà l’indépendance d’après-guerre. L’Armée nationale révolutionnaire (ANR) chinoise aligne, on l’a vu, jusqu’à 4 millions d’hommes, organisés en 133 corps ou armées (peu ou prou équivalents à des divisions occidentales et diversement équipées et entraînées). Une douzaine de divisions chinoises, la Force X, participent à la campagne de Birmanie, de même que le 11e groupe d’armées du Commonwealth, dont une dizaine de divisions et plusieurs brigades blindées indiennes prennent part à l’ensemble de la bataille du Sud-Est asiatique, de la Malaisie à l’Assam (État indien à l’extrême nord-est) en passant par la Birmanie. On notera par exemple que c’est la Royal Navy (Eastern Fleet puis British Pacific Fleet en 1944) qui s’oppose à la pénétration de la flotte japonaise dans l’océan Indien en 1942 ou que c’est une division indienne qui débarque à Rangoon puis rentre à Singapour en 1945. Enfin, l’invasion rapide de la Mandchourie jusqu’à la Corée et aux îles Kouriles par les armées soviétiques d’Extrême-Orient joue un rôle évident, bien que discuté, dans l’accélération de la fin des hostilités, menaçant très directement le nord de l’archipel nippon proprement dit (voir point n 30). V. B.
Birmanie, avril 1944 : l’équipage chinois d’un char américain M5 pose dans la vallée de Hukawng. En dépit des efforts de Washington, jamais l’armée nationaliste
Hiroshima, novembre 1945 : une mère et son enfant hibakusha (« les gens touchés par l’explosion » ; voir G&H no 26, p. 14) tentent de survivre dans les ruines de la ville dévastée. L’attaque atomique a fait au moins 90 000 morts.
La Force X désigne initialement le corps expéditionnaire chinois envoyé au secours des Britanniques en Birmanie en 1942. Battues, contraintes de se retirer en Inde, ces forces sont rééquipées et réentraînées par les Américains puis regroupées en deux armées (1re et 6e) de 40 000 hommes qui prendront part à la seconde campagne de Birmanie en 1944.
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Pour en savoir À lire • Atlas de la guerre du Pacifique, 1941-1945 ,
H. P. Willmott, Autrement, 2001. • Violences et crimes du Japon en guerre, 19371945 , J.-L. Margolin,
Hachette, 2009. • Choix fatidiques. Dix
30 − La bombe atomique a convaincu le Japon de se rendre Depuis 1945, c’est devenu un article de foi : la bombe atomique a provoqué la reddition précipitée du Japon. Mais cette thèse, qui a le double avantage de justifier l’emploi de cette arme de destruction massive — sur des cibles essentiellement civiles, de surcroît — et d’en justifier, immédiatement après guerre, la production en quantité comme « arme pacificatrice », ne résiste pas à l’analyse historique, comme l’a remarquablement montré en 2005 l’historien nippo-américain Tsuyoshi Hasegawa dans un livre majeur, Racing the Enemy (Harvard Univ. Press, 2006). Hasegawa y explique que la fin du second conflit mondial, premier acte en vérité de la guerre froide, est une course entre Américains et Soviétiques pour prendre l’avantage en Asie. L’offensive soviétique en Mandchourie, lancée le 9 août 1945, jour du largage de la deuxième bombe sur Nagasaki, est pour Staline le pendant nécessaire aux gages pris par l’Armée rouge en Europe de l’Est et participe de la même logique : doter l’URSS d’un glacis défensif la mettant durablement à l’abri de toute menace militaire majeure. Dans ce jeu géopolitique complexe, les Japonais sont instrumentalisés par les deux superpuissances. L’Armée rouge détruit certes, avec l’armée du Kwantung, le foyer majeur du militarisme nippon, mais ses objectifs stratégiques sont aussi d’éloigner de l’Extrême-Orient soviétique tout péril en évitant qu’aux Japonais succèdent en Mandchourie les Alliés occidentaux. Les États-Unis,
décisions qui ont changé le monde 1940-1941,
I. Kershaw, Seuil, 2009. • 1937-1947. La guerremonde, A. Aglan, R. Franck, Folio, 2015. • Empires in the Balance: Japanese and Allied Pacific Strategies to April 1942,
quant à eux, lorsqu’ils bombardent Hiroshima et Nagasaki, cherchent certes la reddition du Japon mais surtout à faire à Moscou la démonstration de leur puissance. Et les Japonais ? Ceux-ci sont en pleine crise politique intérieure entre les partisans de la lutte à outrance et ceux de la paix. L’enjeu de cette opposition, qui débouche sur une tentative de putsch des jusqu’au-boutistes le 14 août, n’est toutefois pas directement l’arrêt de la destruction des villes japonaises mais plutôt la survie du système politique nippon, et notamment le maintien de l’empereur (voir point no 24). Même les partisans de la paix n’envisagent celle-ci qu’à condition que l’institution impériale puisse être conservée comme base du gouvernement d’aprèsguerre. Et ceux-ci, abusés par les manœuvres de Staline avant le 9 août, espèrent pouvoir sur ce point compter… sur la médiation de Moscou auprès de Washington. C’est cette illusion qui vole en éclats avec l’offensive soviétique en Mandchourie, qui est déterminante — ajoutée à la peur de voir un Japon communiste, garantie de disparition du système politique traditionnel — dans la décision des Japonais de mettre un terme aux combats. C’est la raison pour laquelle c’est seulement le 15 août, soit six jours après Nagasaki, alors que d’autres bombardements atomiques auraient pu survenir, que le Japon accepte finalement de se rendre : il aura fallu ces six jours de débâcle face à l’Armée rouge pour achever de convaincre Tokyo qu’il n’existe aucun autre choix. B. B.
H. P. Willmott, EDS, 2008. • Refighting the Pacific War , Jim Bresnahan (dir.), Naval Inst. Press, 2011. • Why the Allies Won, R. Overy, Pimlico, 2006. • Nemesis. The Battle for Japan, 1944-45 , M. Hastings, Harper, 2007. • Pacific Crucible : War at Sea in the Pacific 1941-42 et The Conquering Tide : War in the Pacific Islands 1942-44, I. Toll, Norton,
2012 et 2015. • War Without Mercy, Race & Power in the Pacific War , J. Dower, Pantheon, 1986. • Silent Victory, the US Submarine War against Japan, C. Blair,
Naval Inst. Press, 2001. Sur le Web • L’étude d’A. Tully sur les cuirassés : www.combinedfleet. com/baddest.htm
Plassey, l’adieu de En 1757, près d’un obscur bourg du Bengale, une poignée de soldats de l’East India Company anglaise affronte l’immense armée du nawab. Mais la partie est jouée d’avance : l’incapacité française à intervenir donne à ses rivaux le loisir de profiter de l’instabilité politique locale. Et de fonder un formidable empire. Par Fadi El Hage La guerre dite de Sept Ans (qui dure en fait de 1754 à 1763 ; voir dossier G&H no 21) voit se dérouler deux grands conflits parallèles. En Europe, Autriche, Russie et France s’opposent à la Prusse et à l’Angleterre. Ailleurs, Français et Britanniques s’affrontent sur le terrain colonial. Faute de soutien efficace, notamment naval, Louis XV perd pied aux Indes et au Canada, mais le talent de son ministre Choiseul sauve les Antilles lors du traité final signé à Paris.
P
arviendriez-vous à situer Plassey sur une carte ? Le nom sonne bien français — il existe d’ailleurs un village homonyme dans le Doubs. À dire vrai, le nom exact du site — Palashi — ne vous renseignerait sans doute pas davantage. Et pourtant la bataille qui s’est jouée le 23 juin 1757, à 140 km au nord de Kolkata (Calcutta), a eu des retombées stratégiques considérables : avec les Indes tout entières, l’Angleterre y a gagné en effet le Bengale, joyau de ses bijoux coloniaux, dont le pillage des ressources a fait la fortune de l’Albion victorienne. Et la France a perdu en contrepartie une parcelle d’empire qui valait bien mieux que les territoires pauvres et peu
peuplés du Canada, ces « quelques arpents de neige » dénigrés par Voltaire que personne, pourtant, n’a oubliés. La défaite finale des armées de Louis XV en Inde pendant la guerre de Sept Ans est généralement imputée à Lally-Tollendal, bouc émissaire tout désigné et qui l’a payée de sa vie. Certes, l’inadaptation au contexte indien et le caractère épouvantable de ce général n’ont rien arrangé. Mais c’est oublier que le revers de Plassey, premier coup de boutoir aux intérêts français, est survenu dix mois avant l’arrivée de Lally à Pondichéry, la principale place française (voir carte p. 58), en avril 1758. Les causes profondes de Plassey n’ont en fait pas grand-chose à voir avec les querelles dynastiques de la guerre qui se joue parallèlement en Europe. Il s’agit de l’aboutissement
d’un conflit économique bien distinct, lié à la maîtrise des côtes de la péninsule dont dépendent les intérêts financiers des grandes compagnies de commerce privées. Celles-ci ont reçu de leurs rois respectifs le privilège de déclarer la guerre et de conclure des traités, l’éloignement de la métropole justifiant une certaine autonomie. En France, il s’agit bien sûr de la Compagnie des Indes orientales, fondée en 1664 par Colbert pour étendre le commerce et évangéliser les populations rencontrées.
La rivalité des compagnies À l’origine, le champ d’action de la compagnie française va de l’Afrique de l’Ouest à l’Inde. Les guerres de Louis XIV — et la Royal Navy — entravent son développement, mais elle profite de la longue période de
rançais aux Indes
paix qui suit pour reprendre sa prodes appuis locaux a été parfaitement gression, notamment à partir de compris par son grand ennemi, Pondichéry. Une dynamique politique Robert Clive (voir encadré p. 60 ). Avec d’alliance avec les princes étend alors une armée principalement composée son influence… Ce qui ne manque pas d’hindous, cet agent de la compagnie d’inquiéter sa grande rivale anglaise anglaise tout juste âgé de 27 ans fondée dès l’an 1600 par Élisabeth Ire : vainc le 13 juin 1752 à Trichinopoly l’East India Company (EIC). La guerre Law de Lauriston, un lieutenant de Succession d’Autriche, qui oppose de Dupleix. C’est un revers mineur et ouvertement la France et l’Angleterre le Français reprend vite la main. Mais en 1744, est l’occasion d’en venir ses commanditaires en profitent pour aux mains une première le rappeler en France fois. En dépit du manque L’intérêt des en 1753. de soutien accordé Quand Dupleix « avait appuis locaux par Versailles, Dupleix joué le rôle d’un grand (voir p. 59), gouverneur a été bien roi », Charles Godeheu, général des établissele nouveau gouvercompris par ments français, parvient neur de Pondichéry, à se maintenir et même les Anglais. « n’agit qu’en bon à étendre, après la marchand », raille paix de 1748, l’influence française Voltaire. De fait, Godeheu signe le par une politique d’alliances locales 26 décembre 1754 un traité réduisant et d’expansion territoriale. à néant l’œuvre territoriale réalisée. L’ambitieux programme de Dupleix lui La crainte des actionnaires pour gagne le contrôle de l’énorme région leurs intérêts commerciaux prend du Deccan (voir carte). Il est cependant le pas sur les impératifs militaires… jugé aventureux par les actionnaires En théorie, les deux compagnies de la compagnie et coûte bientôt rivales renoncent à toute expansion au gouverneur général sa place et et alliance avec les princes autochsa fortune… Car l’intérêt de cultiver tones. Mais il s’agit d’un marché
de dupes. Si les Français n’ont pour ambition que de conserver des comptoirs (ce qui arrivera effectivement), les Anglais n’ont aucune intention d’appliquer le traité. Afin d’asseoir dans la péninsule indienne l’autorité anglaise, Clive a l’intelligence (ou la perfidie, diront certains) de reprendre à son compte les méthodes de Dupleix, mais avec l’appui de Londres, qui a bien mieux compris les enjeux mondiaux de la possession de territoires outre-mer. Les hostilités entamées en 1754 en Amérique du Nord constituent l’« onde de choc », selon les mots d’Edmond Dziembowski (voir biblio graphie p. 60), qui jette à bas le traité Godeheu et contribue à ruiner le crédit de la France en Inde.
Le nawab du Bengale s’en mêle Le tournant fatal intervient en 1756 avec l’avènement au Bengale du nawab Siraj ud-Daulah, âgé de 23 ans (voir encadré p. 59 ). Désireux de préserver son indépendance face aux Français et aux Anglais dont il trouve
Thomas Arthur de LallyTollendal (1702-1766), commandant des forces françaises en Inde de 1758 à 1761, est jugé responsable de la perte des comptoirs à cause de son caractère irascible et de son ambition. Rentré volontairement de sa captivité en Angleterre, il est décapité en 1766, après un procès considéré par la suite comme inique et arbitraire. Si Louis XVI casse l’arrêt de sa condamnation en 1778, il n’est pas réhabilité, ses fautes personnelles ayant contribué à la défaite. La guerre de Succession d’Autriche intervient en 1740 quand Marie-Thérèse prend la suite contestée de son défunt père l’empereur Charles VI. La Prusse (alliée à la France, l’Espagne et la Saxe) y gagne la Silésie sur l’Autriche, alliée aux Provinces-Unies et à l’Angleterre. Après plusieurs revers en Allemagne en 1742-1743, Maurice de Saxe redore le blason militaire de Louis XV en Flandre. Dénouement à Plassey: l’East India Company donne l’assaut à la redoute couvrant la retraite du nawab, défendue par quelques loyaux soldats indiens… et 50 rescapés français de Chandernagor.
LA VICTOIRE DE L’ORGANISATION ET DE LA TRAHISON ?
Hâtivement fortifié dans une plantation, dos à la rivière et avec une force vingt fois inférieure en nombre à celle du nawab, Clive semble en fâcheuse posture quand l’énorme artillerie ennemie ouvre le feu à 8 heures du matin. Mais la victoire est déjà dans la poche des habits rouges. Gagné aux Britanniques, le traître Mir Jafar reste l’arme au pied, avec l’immense majorité des troupes. Seuls chargent les cavaliers de Mir Madan et Mohan Lal, soutenus par les canons de Saint-Frais. Ils sont repoussés, tandis qu’un orage de mousson détrempe la poudre des Bengalis. Clive, qui a abrité ses pièces, appuie alors une sortie en direction du camp adverse. Retranchés dans une redoute avec les Français, les derniers soldats loyaux du nawab tentent en vain de freiner la débâcle…
UNE LUTTE POUR L’HÉGÉMONIE
Enjeu de la première mondialisation, l’Inde est une étape majeure pour le commerce. Les comptoirs européens mettent en évidence les évolutions des empires coloniaux et des entreprises commerciales qui y sont liées. Le sous-continent indien devient alors un espace de lutte franco-anglaise, où les commandants et gouverneurs jouissent d’une grande autonomie du fait de la distance avec l’Europe. Dupleix l’a compris, Clive également. Mais le second est mieux soutenu dans ses ambitions que le premier, le rêve r ve français finissant en réalité r alit anglaise. anglaise.
(à raison) les implantations militaires envahissantes, il proteste aussitôt face à la construction ostensible de fortifications. Renault, le gouverneur français de Chandernagor, parvient à persuader le nawab qu’il ne fait que réparer les murs déjà existants suite à une tempête. Drake, le gouverneur anglais de Calcutta, moins diplomate, invoque la préparation d’un conflit avec la France et renvoie vertement l’émissaire. Furieux, Siraj ud-Daulah s’empare de Calcutta après un bref siège, du 16 au 20 juin 1756. La ville prise et pillée, des prisonniers anglais (146 selon la légende, en fait entre 39 et 69) sont entassés dans un cachot étroit où plusieurs dizaines (123 officiellement, 18 à 43 plus vraisemblablement) meurent d’asphyxie et de chaleur. Conscient qu’il va avoir besoin d’appuis, le nawab se rapproche alors
des Français. Ces derniers devraient sauter sur l’occasion. Mais comment ? Le gouverneur Renault n’a pas grandchose à offrir et Pondichéry, guère mieux loti, atermoie. La mort scandaleuse des prisonniers dans le « Black Hole » de Calcutta est en revanche un prétexte d’intervention tout trouvé pour Clive. L’Anglais mijote depuis Madras, où il dispose d’une forte garnison, un coup de main sur le Bengale, qu’il débarrasserait ainsi des Français. Jouant d’audace, il rameute 2 000 Européens, soldats de la compagnie et sepoys (ou cipayes, soldats locaux). Le 5 décembre 1756, il commence à remonter la Hooghly, branche occidentale du delta du Gange, arrache Calcutta le 2 janvier suivant et entreprend de ravager les alentours. Après quelques hésitations, Siraj part châtier l’importun avec une armée
Les éléphants de guerre, qui ont marqué l’imaginaire européen depuis l’Antiquité, restent redoutables, notamment pour leur effet psychologique.
Joseph-François Dupleix (1697-1763),administrateur de la Compagnie des Indes orientales, rêve de bâtir un empire aux Indes dans les années 1730-1750. Il y sauve les comptoirs français face aux Anglais durant la guerre de Succession d’Autriche grâce à une politique habile d’alliances locales. Jugé trop ambitieux et dangereux pour la paix avec les Britanniques, il est rappelé en France où il meurt disgracié et ruiné. Les Jagat Seth sont une famille de financiers et banquiers bengalis basée à Murshidabab, maîtres de la frappe de monnaie et du prêt d’argent de l’Empire moghol. Après avoir soutenu le putsch de Mir Jafar, ils sont éliminés par son successeur Mir Qasim en 1763.
d’environ 40 000 hommes et assiège une position proche de Calcutta, Fort William. Clive tente alors un coup audacieux : profitant du brouillard, il surprend les Bengalis au camp le 5 février. L’affaire manque de mal tourner mais Clive parvient dans le fort et le nawab, impressionné, signe un traité quatre jours plus tard. La compagnie anglaise voit ses privilèges confirmés, et le préjudice subi à Calcutta indemnisé. Ce répit obtenu, Clive, inquiet de mouvements français signalés au sud, attaque préventivement Chandernagor. L’amiral Watson remonte la Hooghly le 23 mars avec trois vaisseaux de ligne. Trois heures de tir par bordées de 87 canons (contre 16) rasent les remparts et Renault capitule, privant Siraj ud-Daulah d’un précieux appui en cas de revanche. Habilement, l’Anglais joue parallèlement de l’impopularité du nawab, cruel et fantasque. Secrètement,
il conclut un pacte avec son oncle et principal général, Mir Jafar, ainsi qu’avec les Jagat Seth, banquiers chargés d’apporter au complot un soutien politico-financier. Reste à détrôner le nawab, décidé finalement à curer ses États de l’abcès britannique.
Anglais à un contre vingt C’est dans ce contexte qu’intervient le 23 juin 1757 la bataille de Plassey. Les Anglais ne manquent jamais de souligner la disproportion des forces. Clive n’a avec lui que 900 soldats britanniques (750 fantassins, 150 artilleurs), renforcés par 2 100 à 2 200 cipayes et neuf canons. En face, Siraj dispose de 35 000 soldats et 15 000 cavaliers, appuyés par 53 canons, dont quatre servis par une cinquantaine de Français rescapés de Chandernagor, sous le commandement de Sinfray (Saint-Frais de
À Plassey, Clive peut compter sur les canons, la mousson… et la trahison.
Le Bengale, un trésor que l’Inde n’a pas fini de payer
Indépendante en 1717 de la tutelle de l’Empire moghol déclinant, la principauté du Bengale, gouvernée par un nawab (ou nabab, « délégué », « lieutenant ») héréditaire, est avant la guerre de Sept Ans un État prospère comptant 30 millions d’habitants, cinq fois la population anglo-galloise. Riche en terres fertiles, le pays produit du riz, de l’opium et, surtout, des cotonnades de qualité (mousselines) et des soieries très prisées en Occident. Si l’Europe s’efforce tant bien que mal de contrôler les importations afin de développer sa production, les compagnies occidentales, qui peuvent réexporter pour alimenter la lucrative traite africaine, ont tout intérêt à muscler leurs comptoirs. La victoire de Clive à Plassey change toute la donne. L’East India Company (EIC) exploite à son avantage l’instabilité politique au Bengale et ravit de facto le pouvoir grâce à cette victoire, confirmée en 1764 par celle de Buxar contre Mir Qasim, successeur de Mir Jafar, que la compagnie avait elle-même porté au pouvoir en 1760. Ce succès octroie à l’EIC le droit de lever l’impôt foncier, aussitôt élevé de 10 à 50 % des revenus agricoles. Bien que la corruption et les coûts militaires rendent la mainmise britannique moins rentable que prévu, les conséquences sur le pays sont énormes. Affaibli, le Bengale est régulièrement pillé par ses puissants voisins, les Marathes. Sous la tutelle de l’EIC, les cultures s’orientent en outre vers des productions à haute rentabilité — coton brut, opium, indigo — sans valeur nutritive, tandis que le stockage du riz est interdit. Lorsque tous ces éléments se conjuguent avec les mauvaises récoltes en 1768-1769, c’est la catastrophe. Tandis que l’EIC redouble de rapacité et de violence pour conserver ses revenus, la grande famine de 1770 emporte 10 millions de Bengalis, un sur trois… Jamais l e s’ emettra F. El Hage
Tradition plurimillénaire en Inde, la cavalerie s’alourdit à l’arrivée des Européens pour s’adapter à leur pratique de la guerre. Mais le feu et la discipline britanniques réduisent grandement son pouvoir de choc. Pour en savoir
+
À lire • The Global Seven Years War (1754-1763), D. Baugh, Pearson, 2011. • La Guerre de Sept Ans (1756-1763), E. Dziembowski, Perrin, 2015. • Les Européens et les Indes orientales au XVIII e siècle, R. Favier,
Ophrys, 1997. • Plassey, 1757 : Clive of India’s Finest Hour , P. Harrington, Osprey, 1994. • Les Compagnies des Indes orientales, P. Haudrère, Desjonquères, 2006.
son vrai nom), l’ex-secrétaire du Conseil de la place : le seul contingent français impliqué ce jour-là dans une bataille qui va coûter fort cher à Louis XV… Sur le papier, la position de Clive est périlleuse. Il est coincé dos à la rivière Baggiruttee dans un bosquet de manguiers protégé par des levées
Robert
Clive, le père fondateur de l’empire des Indes Né en 1725 dans une bonne (mais modeste) famille de serviteurs de la couronne anglaise, Robert Clive s’embarque en 1744 pour Madras, où son père lui a obtenu un poste d’agent de l’EIC. Sa compétence militaire le fait alors remarquer de 1746 à 1749. Mais c’est surtout la brillante défense de la place d’Arcot à quinze contre un en 1751 qui en fait une étoile de l’EIC à Londres où il revient brièvement. Promu lieutenant-colonel, Clive repart en Inde en 1755 et joue, tant par talent militaire que par sens politique, le premier rôle dans la prise de contrôle du Bengale, puis dans l’élimination des Français et des Néerlandais tout au long de la côte orientale du sous-continent, jetant les bases du futur empire des Indes. Bien entendu, Clive se remplit les poches, ce qui lui vaut des jalousies quand il regagne l’Angleterre en 1769. Bien qu’il soit blanchi des accusations de corruption portées contre lui, sa carrière politique en souffre et son moral décline. Il meurt le 22 novembre 1774 d’une overdose d’opium. Suicide ? Abus destiné à supporter d’horribles coliques néphrétiques ? On l’ignore. Il venait tout juste de refuser un commandement en Amérique. Qui sait ce que ce chef énergique et sans scrupule aurait réussi là-bas ? F. El Hage
de terre (voir plan p. 58). Mais il peut compter sur les canons des navires ancrés là, les intempéries et, surtout, la trahison. Alors que l’artillerie du nawab a entamé à 8 heures du matin sa préparation, un orage de mousson détrempe à midi la réserve de poudre… Clive, lui, a eu soin de protéger ses pièces : leur feu brise une première charge de cavalerie et tue Mir Madan, un des rares officiers loyaux de Siraj. Pendant que les trois quarts de son armée restent bras croisés, le nawab est persuadé par le félon Mir Jafar que la bataille est perdue. L’armée bengali se replie puis se désagrège. L’opiniâtreté des Français, derniers à résister face aux Anglais, ne change rien : à 17 heures, les hommes de Clive pillent le camp adverse. Plassey est « une démonstration, plus qu’une bataille », écrit l’historien américain Daniel Baugh. Le bilan des pertes ne le dément pas : 22 tués et 50 blessés chez Clive, tandis que Siraj perd environ 500 hommes, 1 % de ses forces! Reconnu le soir même
par Clive comme nouveau nawab, Mir Jafar fait promptement assassiner son prédécesseur et couvre d’or ses alliés bienfaiteurs. Clive est victorieux. Par traîtrise, certes, plus que par la force des armes, mais ce moyen n’a-t-il pas parfaitement réussi aux Espagnols et aux Portugais dans le Nouveau Monde ? Prise isolément, la journée de Plassey peut apparaître comme un détail, un de ces nombreux petits combats magnifiés a posteriori par une littérature fière de son empire colonial. Pourtant, les conséquences géopolitiques dépassent largement le cadre. Fort de son succès, Clive va mettre le Bengale en coupe réglée, faisant de Mir Jafar sa marionnette. Quand celui-ci, dessillé sur les ambitions de son « allié » complote avec les Néerlandais, l’Anglais le fait déposer en 1760 au profit de son gendre Mir Qasim, puis le remet sur le trône en 1763 quand le remplaçant devient à son tour gênant. Devenue une base solide de l’EIC, le Bengale démontre aux princes indiens à quel point le soutien français est fragile. Versailles tente bien d’exploiter les craintes locales pour rééquilibrer le rapport de force en sa faveur et expédie deux régiments de troupes régulières. Mais il est trop tard. Si la moitié des renforts français, partis en décembre 1756 de Lorient, arrivent sans encombre en septembre 1757, deux bataillons sont détournés sur Louisbourg, en Nouvelle-France (Canada), tandis que les quatre restants, partis seulement en mai 1757, débarquent à Pondichéry le 28 avril 1758, après une escale prolongée au Brésil pour cause de maladie et au lendemain d’une bataille navale au large de Gondelour. Ces bien maigres forces, assistées sur place par quelques alliés fidèles, sont tout ce dont LallyTollendal dispose pour reprendre l’initiative. Trois dates vont sceller son échec et le sort de l’empire français des Indes : le fiasco du siège de Madras le 16 février 1759, faute de soutien naval ; la défaite de Wandiwash, le 22 janvier 1760 ; puis la chute de Pondichéry le 16 janvier 1761. Ce comptoir comme celui de Chandernagor sont certes récupérés au traité de Paris qui met fin à la guerre de Sept Ans le 10 février 1763. Mais le rêve d’empire est tué et le malheureux Dupleix, qui l’avait incarné, meurt dans la misère neuf mois plus tard. Tout un symbole.
Grâce à cette victoire, les Anglais contrôlent tout le Bengale.
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Affût fixe et dispositif de pointage primitif : cette maquette d’une bombarde décrite par Froissart vers 1380 évoque une arme dépeint dans l’enluminure du siège de Dieppe (1443) tirée des Chroniques de Charles VII.
la Bombarde ou les premiers feux de l’artillerie Née au XIVe siècle avec l’adoption de la poudre, la bombarde change le visage de la guerre en condamnant le château fort médiéval. Son succès engendre une course à la dépense et au perfectionnement qui va déboucher sur l’artillerie moderne et accélérer le déclin du monde féodal. Par Laurent Henninger Le mot bombarde dérive du latin bombus , « bruit retentissant », peut-être par l’intermédiaire du mot latin médiéval bombarda, qui désigne un instrument à vent, sans doute ancêtre de l’actuelle bombarde inséparable du bagad breton.
I
l est rare qu’une arme parvienne à elle seule à mettre à bas un empire. C’est pourtant — symboliquement — le cas à Constantinople, centre de la puissance byzantine depuis l’an 330. Certes, Constantin XI Paléologue, le dernier basileus, n’est plus que le fantôme de ses illustres prédécesseurs. Le symbole n’en est pas moins évocateur. L’arme en question, c’est la bombarde, dont l’armée ottomane du sultan Mehmet II a fait fabriquer de
nombreux exemplaires (voir G&H no 6, p. 78). À partir du 11 avril 1453, ces pièces vont pilonner cinquante-cinq jours durant des remparts réputés les plus formidables du monde. Parmi elles, un modèle de 20 t et 8 m de long, fondu et monté en seulement trois mois non loin de là, à Edirne (Andrinople), et amené sur place par des chariots tirés par plusieurs dizaines de bœufs. L’engin, servi par 200 hommes, lance des boulets de pierre de 600 kg, au faible rythme de sept par jour, il est vrai.
La fabrication en deux pièces moulées puis vissées ensemble et la mise en œuvre du monstre sont confiées à l’ingénieur hongrois Orban. Un chrétien donc, qui a d’ailleurs proposé d’abord ses services à l’empereur byzantin. Celui-ci s’étant révélé incapable de payer l’énorme somme réclamée, Orban, qui est aussi un homme d’affaires, est allé voir son rival Mehmet II. Ce dernier a accepté le marché et ne peut que s’en féliciter. Si, quelques jours après ses premiers tirs, la bombarde explose — tuant
au passage son créateur —, elle est remise en état le 6 mai et contribue efficacement à abattre les murs en vue de l’assaut final, à la fin du mois. Ce succès spectaculaire va-t-il imposer la bombarde comme l’engin de siège ultime pour les siècles suivants ? Il n’en est rien : en réalité, la victoire de Constantinople n’est que le chant du cygne d’une technologie déjà obsolète, mais pas moins féconde pour autant.
Made in Europe La genèse de la bombarde remonte au tout premier âge de la poudre. On ne sait trop comment ce précieux mélange explosif est arrivé en Europe (voir encadré p. 64) mais on sait quand : en plein dans cette période bouillonnante que les médiévistes appellent la Première Renaissance des XIIe et XIIIe siècles. Comme toutes les inventions importées, la poudre fait, dès son arrivée, l’objet de recherches visant à l’adapter, à l’améliorer, à la transformer, à en percer le secret. Pendant que guerriers et clercs — tels le moine anglais Roger Bacon ou l’Allemand Berthold Schwarz (voir p. 64) — jouent aux alchimistes dans leurs laboratoires, on voit apparaître en Europe en 1326 des illustrations décrivant des pots à feu tirant d’énormes flèches. Qui les a inventés ? On l’ignore. Mais les dessins évoquent plus le baliste romain que les fusées chinoises, pro jectiles que l’Occident n’a d’ailleurs jamais adoptés. Les images de pots à feu n’émergent par ailleurs en Chine qu’en 1332, ce qui laisse supposer que l’idée n’a pas voyagé : elle est née simultanément en deux points de la planète. Qu’ils soient ou non les inventeurs de l’artillerie chimique, les Européens devancent rapidement les Chinois.
Dès lors, et même si les artilleries traditionnelles (névrobalistique ou à balancier) coexistent encore avec les armes à feu pendant plusieurs décennies, l’inventivité occidentale va donner naissance à une prodigieuse variété d’engins, de tous types, calibres et tailles, de l’arme individuelle de quelques kilogrammes au monstre de plusieurs tonnes. Dans cette dernière catégorie, les bombardes — appellation assez vague attribuée aux premières grosses pièces de siège — ouvrent immédiatement la course au gigantisme. Dans l’esprit de ceux qui en passent commande se trouve une idée bien précise : pour abattre les murailles des châteaux forts et villes fortifiées, évitant ainsi de longs et coûteux sièges, l’outil le plus efficace est le boulet de pierre similaire à ceux lancés par les catapultes et autres trébuchets. On comprend en outre très vite qu’une forme tubulaire est plus efficace qu’un pot évasé, car les gaz dégagés par l’explosion ’ de la poudre peuvent
pousser plus longtemps, accélérant d’autant le projectile. Or, un boulet de pierre assez lourd pour infliger des dégâts à une muraille implique pour le tirer un calibre considérable. Ce qui ne va pas sans poser problème à la métallurgie de l’époque.
Comment faire tonner le tonneau Incapables de forger des tubes de fer d’une pièce, les premiers fabricants font appel à la tonnellerie : des barres de fer sont disposées longitudinalement autour d’une énorme bille de bois, soudées entre elles puis serrées par des anneaux de fer sur toute la longueur, ces derniers étaient à leur tour soudés. En refroidissant, l’ensemble se contracte et se renforce. Ce « tube », ou volée, est complété par une chambre à poudre plus solide encore à l’une des extrémités. La bille de bois centrale est ensuite détruite par le feu. L’ensemble est enfin disposé sur
Les bombardes ouvrent la course au gigantisme des armes à feu.
Le siège de Constantinople en 1453 est l’occasion pour les Turcs de montrer qu’ils n’ignorent rien des progrès de l’artillerie réalisés en Occident : les bombardes, probablement les plus grosses jamais réalisées, viennent aisément à bout des murs millénaires de l’Empire byzantin.
La Première Renaissance chevauche les XIIe et XIIIe s. Elle voit l’économie, les arts, les sciences, les techniques et la pensée (émise par les clercs ou laïcs des premières universités) bouillonner frénétiquement avant que les crises du XIVe siècle, notamment la peste noire, n’y mettent un terme provisoire. Le mouvement repart dès le XVe siècle en Italie pour gagner le reste de l’Europe.
Cette bombardelle en fer forgé de petite taille (calibre 125 mm) aurait pu être montée sur un affût à deux roues, tel que figuré sur une enluminure du siège de Cherbourg (1450).
Le moine franciscain anglais Roger Bacon (v. 1219-v. 1292), par ses écrits consacrés à l’étude de la nature, est considéré comme l’un des premiers pionniers de la méthode scientifique. On lui doit la toute première description de la poudre en Occident, peut-être ramenée de Mongolie par d’autres frères. Berthold Schwarz (peut-être nommé ainsi d’après le nom allemand de la poudre noire, Schwarzpulver) serait un alchimiste allemand du XIVe siècle, réputé pour sa formule mais à l’historicité douteuse. L’artillerie névrobalistique tire son énergie de la torsion d’un câble (comme dans la baliste romaine). L’artillerie à balancier repose, elle, sur la gravité, par relâchement d’un contrepoids (trébuchet, mangonneau). L’artillerie chimique, enfin, fait appel à l’expansion rapide des gaz dégagés par une combustion explosive.
LES BOMBARDES EN BRONZE, MOULÉES EN TERRE COMME LES CLOCHES
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Le noyau bien sec est recouvert de 3 cendres pour l’empêcher d’adhérer au moule. Celui-ci est réalisé en couvrant le noyau de terre argileuse armée de fibres, renforcée de barres longitudinales et de cercles en fer (3). La culasse est réalisée à part de la même façon. Les moules séchés au feu, on retire le trousseau, la corde arrachant les débris de la forme en argile (4).
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Une fois le polissage de l’âme fait, la pièce terminée est montée sur son affût à roues en bois… si elle est réussie (7). Toutes les phases de fabrication sont en effet périlleuses, notamment le positionnement du noyau en fer. Un infime décalage et l’âme est décentrée, incapable d’encaisser harmonieusement les gaz explosifs. Les nombreux rebuts renchérissent les coûts. C’est pourquoi les canons sont coulés pleins à partir de 1713 grâce au procédé conçu par le Suisse Jean Maritz, dans lequel l’âme est percée a posteriori en faisant tourner le canon sur un foret.
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La première étape consiste à réaliser une forme du canon, le noyau. Une corde de foin est enroulée (1)autour d’un axe de bois (le trousseau), enduit d’une terre argileuse (2)armée par une matière fibreuse (crottin, bourre). Une dernière couche plus malléable est tournée contre un « échantillon » de bois portant le profil exact du canon.
Les moules sont enfouis verticalement dans une fosse cylindrique. On y positionne soigneusement un nouveau noyau en terre au calibre désiré. Le bronze coule entre le noyau et la paroi du moule (5). Une fois le métal solidifié, on démoule et on retire le noyau de fer. Culasse et fût sont alors vissés pour assurer l’étanchéité (6).
Avant le canon, la poudre D’où la poudre est-elle venue ? De Chine, très certainement, même si le trajet parcouru reste à déterminer. Plutôt qu’une traversée du monde musulman via l’Espagne ou les Ottomans, les dernières découvertes privilégient une piste plus septentrionale, par les Mongols via la Moscovie. Mieux vaudrait parler de poudres, d’ailleurs, tant la composition, jalousement gardée par les maîtres artilleurs et adaptée empiriquement à chaque arme, a pu fluctuer. Une recette des années 1350 donne par exemple les ingrédients suivants : 67 % de salpêtre (un nitrate, composant classique de tout explosif), 22 % de charbon de bois et 11 % de soufre. Ce qui n’est pas si éloigné de la composition optimale (respectivement 74, 14 et 12 %). La variation n’est pas en outre forcément significative d’une chimie primitive. « On ne cherchait pas systématiquement à utiliser les mélanges les plus efficaces possibles, écrit ainsi l’historien Philippe Contamine. Encore fallait-il en effet que la volée et surtout la chambre résistassent à l’explosion. » Et l’élaboration du mélange n’est pas tout. La finesse des grains joue un rôle majeur dans leur combustion (plus ils sont fins, moins le processus est contrôlable) et c’est la compréhension progressive du phénomène qui permet d’augmenter les charges et d’observer les proportions optimales. Ainsi, les nouvelles poudres à gros grain élaborées au XVe siècle et obtenues à l’aide de moulins inventés en 1429 permettent d’élever et amélior performances
un berceau de bois. En position de tir, l’engin est calé par des pieux fichés dans le sol à l’arrière afin d’absorber l’énorme recul. Ces pièces initiales, à mi-chemin entre canons et mortiers des siècles suivants, restent dépourvues de roues durant les premières décennies, ce qui les rend très peu (ou pas du tout) mobiles et restreint leur emploi sur les champs de bataille. Leur usage par les Anglais à Crécy, en 1346, est ainsi aujourd’hui remis en cause. D’ailleurs leur principale utilité est d’émettre un bruit de tonnerre — arme psychologique plus efficace qu’on ne croit dans une société médiévale très sensible aux sons. Quoi qu’il en soit, c’est surtout à la guerre de siège que sont destinées les bombardes, en dépit de
leurs défauts : tubes fragiles et portée limitée à quelques dizaines de mètres, ce qui implique de les protéger par un dispositif complexe de levées de terre, parapets, palissades et même toitures, car les servants font des cibles de choix pour les arbalétriers et archers depuis les remparts. Au milieu du XVe siècle, la fabrication des bombardes est bouleversée par l’abandon du fer forgé et des techniques de tonnellerie au bénéfice du bronze (voir ci-dessus), certes bien plus cher, en faisant appel aux artisans spécialisés dans la fonderie des cloches. L’arme peut ainsi être fabriquée d’une seule pièce, beaucoup plus solide. Comme on adopte simultanément des poudres plus puissantes, et des boulets de fonte ou de fer,
les pièces n’en restent pas moins fraLes projectiles utilisés au siège giles et l’on préfère fondre nombre de de Saint-Sauveur-le-Vicomte, bombardes en deux parties : la volée en 1375, pèsent 45 kg ; les bomet la chambre d’explosion. Vu les bardes autrichiennes forgées en énormes coûts qu’implique la produc1420 lancent des projectiles de tion (voir encadré p. 66), la destruction 700 kg ! Des modèles gigantesques accidentelle d’une des deux parties ont un impact décisif lors des sièges permet au moins de ne pas perdre le de Balaguer (1413), d’Harfleur (1415, bénéfice de l’arme entière. Dans ce par le roi d’Angleterre Henry V, au but, des mortaises sont début de la campagne moulées tout autour qui devait mener à la L’abandon bataille d’Azincourt), des extrémités des deux pièces destinées à être du fer forgé d’Orléans (1429, en jonction ; un pas de Jeanne d’Arc), pour le bronze par vis fileté à l’intérieur de Naples (1442) et bien bouleverse des tubes est réalisé. sûr de Constantinople, Chambre et volée sont la fabrication. en 1453. Le nombre soulevées au moyen de pièces augmente de chèvres, des leviers en bois sont également : là où les Anglais alignent insérés dans les mortaises et les deux dix pièces, tous modèles confondus, pièces sont alors vissées ensemble. au siège de Calais (1346-1347, celui du célèbre épisode des « Bourgeois »), on en compte plusieurs centaines Course au calibre quelques décennies plus tard — pas Les progrès des poudres et de la toutes des bombardes : la plupart sont métallurgie poussent à l’augmende petit ou moyen calibre, mais elles tation des charges et des calibres. protègent les plus grosses.
Le nombre de pièces et la durée du pilonnage — celui qui frappe Maastricht, accablé de 1 514 boulets à l’hiver 1407-1408, emporte tout par effet de cumul — compensent en outre un défaut majeur. Le manque d’étanchéité causé par des imprécisions dans le calibre du fût et des projectiles implique en effet la perte d’une partie de l’énergie dégagée par l’explosion de la poudre. En résultent une faible vitesse initiale des projectiles et un pouvoir perforant limité. Au service de Charles VII en Normandie à la fin de la guerre de Cent Ans, le parc de bombardes des frères Bureau enlève aux Anglais cinq châteaux par mois. Le rythme, jusqu’alors désespérément lent, de la guerre de siège en est bouleversé. Mais les retombées débordent très largement le domaine tactique. Elles sont d’abord économiques. Fabriquer des pièces de 20 t en bronze exige d’énormes quantités de cuivre (qui compose 88 % de l’alliage), dont la demande « explosive » fait
Natif de Bourges, Jacques Cœur (entre 1395 et 1400-1456) accumule une gigantesque fortune grâce au commerce avec le Levant. Il finance l’ascension de Charles VII, devenu roi en 1422, et sa guerre contre les Anglais. Il entreprend notamment l’exploitation de mines de cuivre argentifère dans le Lyonnais et le Beaujolais. Sa puissance fait des jaloux ; il est emprisonné et spolié en 1451. Il s’échappe cependant, met ses talents au service du pape et meurt (probablement de maladie) en dirigeant une expédition contre les Ottomans.
MONS MEG, LA GROSSE VOIX VENUE DE BELGIQUE CADEAU DE MARIAGE Selon la légende, l’arme aurait été fabriquée en Écosse par un forgeron local et baptisée Meg, nom de sa femme. En fait, l’arme est réalisée à Mons (Hainaut, actuelle Belgique) vers 1449 par Jehan Cambier pour Philippe le Bon (1396-1467), duc de Bourgogne. En 1454, Philippe l’offre à l’Écossais Jacques II Stewart, qui épouse sa petite-nièce, Marie de Gueldre.
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PLUS D’UN SIÈCLE DE CARRIÈRE Meg n’apparaît avec certitude qu’en 1513 contre le château de Norham, dont elle met les murs à bas. Puis l’arme défend le château d’Édimbourg (où elle se trouve encore) lors du Lang Siege (« long siège ») de 1571-1573, où les partisans de la reine Marie résistent (en vain) à ceux de l’enfant Jacques VI, appuyé par les Anglais.
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Fû
LE MONSTRE FINIT PAR ÉCLATER D’un calibre de 50 cm, Mons Meg mesure 4,06 m et pèse 6,6 t. Son énorme masse ne suffit pas à la rendre éternelle. Bien que réservée aux cérémonies après 1573, la pièce, sans doute victime d’une poudre moderne trop puissante, éclate le 30 octobre 1680, éjectant un des cercles de fer à la jointure de la chambre et du fût.
BOULETS DE 170 KG Selon des simulations réalisées en 2015, Meg aurait tiré des boulets de grès (130 à 140 kg) ou de granite (160 à 170 kg) à une vitesse initiale d’environ 315 m/s, avec une portée d’environ 3 500 m. Il faut au moins un mur de brique épais d’un mètre pour arrêter le boulet. Mais pas question de traverser la muraille de pierre de 3 m du donjon de Threave ! FORGÉE EN DEUX MORCEAUX Typiques des premières bombardes, Mons Meg est fabriquée en fer forgé. Des barres sont d’abord soudées dans l’axe longitudinal pour réaliser l’âme du canon, puis le tout est cerclé d’anneaux de plus en plus épais à mesure qu’on se rapproche de la chambre à poudre. Cette dernière est réalisée séparément selon le même procédé, puis vissée sur le fût.
Dommages causés en 1680
Culasse
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LA MAIN DE LA COMTESSE En 1455, le premier boulet tiré par Meg aurait traversé de part en part le donjon du château de Threave, repaire du clan rebelle des Douglas, arrachant la main de la comtesse Marguerite… Encore une légende. La pièce a sans doute servi pour la première fois en 1460 contre le château de Roxburgh (voir p. 66), un des derniers bastions anglais en Écosse.
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Les artilleurs de Jacques II d’Écosse poussent Mons Meg devant le château de Roxburgh, dernier bastion anglais en Écosse. La place, assiégée, tombe le 20 août 1460. Mais le roi est mort, tué par l’explosion d’une autre pièce. La puissante famille toscane des Médicis — à laquelle appartiennent Laurent le Magnifique (1449-1492) et les reines de France Catherine, épouse d’Henri II, et Marie, épouse d’Henri IV — investit aux XIVe et XVe s. en Europe centrale dans les mines de cuivre et d’argent, notamment en Slovaquie et Pologne. Jakob Fugger (1459-1525), dit Jacob le Riche, est le plus important représentant de cette famille de banquiers d’Augsbourg (Bavière), dont la fortune est bâtie sur l’extraction du cuivre et de l’argent en Bohême et Hongrie. Financier du futur empereur romain germanique Maximilien Ier (1508-1519), Fugger est un artisan majeur de la montée en puissance des Habsbourg en Europe, notamment en Espagne.
la fortune des propriétaires de mines de Bohême, de Hongrie et d’Allemagne du Sud. Cuivre et argent étant intimement mêlés, ces régions engendrent, au plus grand profit de financiers comme Jacques Cœur (voir p. 65 ) à Bourges, les Médicis à Florence ou Jakob Fugger à Augsbourg, le numéraire qui finance la Renaissance en Europe. Les conséquences sont également politiques : le coût de revient considérable de l’artillerie (voir encadré ci-dessous) la met hors de portée de bien des seigneurs, renforçant le pouvoir royal au détriment des féodaux.
Feu la bombarde, tire le canon Ces changements s’accompagnent enfin d’une accélération du progrès technologique. La création de pièces d’artillerie complexes requiert le rassemblement d’artisans et techniciens spécialisés (forgerons, fondeurs, charpentiers, fabricants de chariots…) en « nids d’innovation ». Les expérimentations qui s’y poursuivent accouchent au milieu du XVe siècle d’engins d’un nouveau genre, issues
Un boulet fatal pour le système féodal
À une époque où la métallurgie balbutie, la bombarde est un objet de haute technologie, donc forcément coûteux. Fabriquée vers 1449, une bombarde comme Mons Meg (voir p. 65 ) revient ainsi à 1 536 livres et 2 shillings, soit environ 1,124 million de livres sterling actuelles (avec les réserves d’usage sur ce genre de conversion). Ce chiffre ne prend évidemment pas en compte la logistique impliquée par une telle arme à l’échelle d’une armée : chevaux de trait par centaines, forges et moulins à poudre mobiles, stocks de boulets et de poudre (environ 15 t pour 250 pièces)… N’oublions pas la main-d’œuvre spécialisée : les artilleurs sont généralement des « civils », maîtres artisans indépendants organisés en corporations embauchés « en CDD » pour un siège ou une campagne, ou « en CDI » pour les plus grands princes désireux de conserver un parc permanent et des troupes entraînées. Tout cela coûte des sommes faramineuses, que seuls les États dotés d’un système fiscal efficace sont en mesure de régler. La centralisation étatique s’en trouve favorisée, au détriment des seigneurs, privés en outre par l’artillerie de la protection du château fort — les fortifications vont subsister cependant, mais en subissant une mutation radicale. La féodalité, déjà mal en point du fait des crises économiques, ne s’en remettra pas. Il en sera de même des citésÉtats italiennes qui, pour la plupart, sont incapables d’entrer dans la course à l’armement, réservée aux grand chies. L. H.
des pièces légères développées les décennies précédentes. Grâce à l’amélioration des techniques de fabrication, la fonte est assurée d’une seule pièce, ce qui améliore solidité et étanchéité du fût au moment du tir. On compense ainsi par une vitesse initiale accrue (de 300 m/s sur une bombarde à 400 m/s sur un canon de même époque, soit un gain de 30 % environ) la réduction de taille et de poids des boulets, désormais en fer, plus faciles à produire et plus perforants. Si les parois de la culasse, où explose la poudre, restent épaisses, le fût est affiné vers la bouche, ce qui épargne le bronze (et le trésor royal) tout en allégeant l’ensemble. Autant de progrès qui encouragent la standardisation des modèles et des boulets. Certains canons, bien que de tailles respectables (près de 4 m, pour 2,2 t environ), sont infiniment plus compacts que les bombardes. Il est dès lors possible de les monter sur des affûts à deux roues, plus pratiques et mobiles, moins dépendants de la logistique. Ces combinaisons changent le visage de la guerre, au profit immédiat des Français : grâce aux efforts poursuivis de Charles VII puis de Louis XI (les premiers affûts modernes datent de 1461, année de son couronnement), Charles VIII dispose dès 1492, deux ans avant sa campagne d’Italie, d’un
train ultramobile qui impressionne. « Quand on en vient au bombardement, trente ou quarante pièces font feu, en sorte que la muraille est bientôt réduite en poussière, frémit un ambassadeur
florentin cité par Philippe Contamine (voir bibliographie). Les Français disent que leur artillerie est capable de faire une brèche dans un mur de huit pieds d’épaisseur. Bien que chaque trou soit petit, leur nombre est grand, car, à partir du moment où l’on commence, on ne s’arrête plus un seul instant ni le jour ni la nuit. » Les Italiens notent la stupé-
Plus compacts, les canons peuvent être montés sur des affûts mobiles.
fiante mobilité de l’artillerie française, capable non seulement de réduire les fortifications mais aussi, révolution tactique, de jouer un rôle sur le champ de bataille (voir G&H no 7 p. 70). Ainsi, les canons chargés par la bouche, qui ne sont finalement que des cloches reconditionnées, sonnent le glas de la bombarde tout en annonçant leur nouveau règne. Il durera quatre siècles, jusqu’à la guerre de 1870.
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Pour en savoir À lire • La Guerre au Moyen-Age, Philippe
Contamine, PUF, 2003. • Medieval Military Technology , Kelly DeVries, Robert Douglas Smith, University of Toronto Press, 2012. • « The ballistic performance of the bombard Mons Meg », Ian Lewtas et al., Defence Technology , 12 (2016) 59-68, 2015. • Early Gunpowder Artillery , John Norris, Crowood Press, 2003.
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La dolabra, l’outil à tout faire du légionnaire De routes en sièges en passant par l’édification des camps, la dolabra a bâti l’Empire romain pendant cinq cents ans. Elle apparaît plus de dix fois sur la colonne Trajane. Et pourtant, cet instrument d’origine modeste et produit à des centaines de milliers d’exemplaires n’a eu droit à ce jour à aucune thèse. Injuste ! Par Éric Tréguier
1 � UN OUTIL POLYVALENT La dolabra est l’outil à tout faire par excellence : à la fois hache, pioche et houe. Les centaines de dolabrae qui sont parvenues jusqu’à nous sont de deux types : celles pour casser le cailloux, dont la tête est équipée d’un coté d’une hache et de l’autre d’une pioche, et celles pour dégager la terre, dont la tête est équipée d’une hache et d’une houe (tel le vestige présenté à droite). Comment étaient répartis les deux modèles ? Personne ne le sait mais l’usage de la dolabra devait être très répandu au point qu’elle pouvait être fabriquée en série. Une inscription funéraire de la ville d’Aquilée, dans le nord de l’Italie, mentionne ainsi un fabricant de dolabrae, un dolabarius, lui-même fils de vétéran de la légion VII Claudia.
2 � D’ORIGINE MODESTE
Outil clé de la logistique de la légion en campagne, elle peut devenir arme de sape.
S’il est en usage dans les légions du IIe siècle avant J.-C. au IIIe siècle après, l’instrument est très ancien, souligne l’historienne Catherine Wolff, professeur d’histoire romaine à l’université d’Avignon : « Il n’est pas propre aux soldats, puisqu’il était aussi utilisé par les agriculteurs pour couper des arbres et pour creuser la terre. » C’est aussi l’outil
de prédilection des vigiles de Rome. Cette unité d’anciens militaires assure la sécurité dans la capitale et s’occupe surtout de maîtriser les feux. À une époque où la lance à incendie n’a pas encore été inventée, « ils utilisent leurs dolabrae pour pénétrer dans les maisons », explique l’historien britannique John Rainbird, auteur d’une thèse sur les vigiles. Ou pour les détruire et éviter ainsi la propagation de l’incendie.
Chaque année, les fouilles en Europe ramènent à la surface des dizaines de dolabrae comme celle-ci ( à droite), exposée cette année lors d’une vente aux enchères d’une collection particulière en Allemagne. Utilisée lors de reconstitutions, cette réplique moderne ( à gauche) — dont l’acier est un peu trop brillant par rapport à ce que produisaient les Romains — est une variante équipée d’une pioche et non plus d’une houe. La partie plate de sa lame verticale, très tranchante, est couverte d’une protection de laiton comme en utilisaient les légionnaires.
3 � UNE CHARGE ESSENTIELLE POUR LES � MULES � Quand Caius Marius devient consul en 107-106 av. J.-C., il réforme profondément la légion. Il augmente ses effectifs, l’ouvre aux plus pauvres et renforce son autonomie. Chaque légionnaire devient une vraie mule surchargée, avec 20 kg d’armes (bouclier, cuirasse, casque, pilum lourd, pila légers, gladius et pugio) et autant de barda sur le dos, la sarcina. L’écrivain Flavius Josèphe (37-v. 100) en donne une description précise : sac, gourde, couverture, vivres, ustensiles de cuisine de sa section, piquet pour le mur du camp et plusieurs outils — « un panier d’osier, une faucille, des lanières de cuir » et, bien sûr, la lourde dolabra qui, avec sa tête de fer forgé, pèse 3 kg à elle seule. Mais c’est, selon le grand général Corbulon (v. 7-67) cité par Frontin (v. 30-v. 103) dans son traité d’art militaire, « l’arme avec laquelle on bat l’ennemi ».
4 � UN COMPAGNON AU QUOTIDIEN Lorsqu’ils sont en campagne, les légionnaires se lèvent chaque matin à l’aube, puis marchent pendant quelques heures. Ils s’arrêtent en début d’après-midi pour dresser leur camp. Un fossé est creusé autour à la dolabra par une partie des hommes, une autre partie entassant la terre évacuée pour faire un talus. D’autres encore, toujours avec leur dolabra, coupent du bois pour le feu et la palissade ( voir dossier G&H no 6). Le poète satirique Juvénal (v. 55-v. 140) évoque d’ailleurs un centurion qui casse son bâton — un cep de vigne, quand même — sur la tête de plusieurs légionnaires qui construisaient la palissade avec une « dolabra [trop] indolente » !
5 � UNE ARME REDOUTABLE Les légionnaires se servaient de dolabrae pour attaquer les murs des forteresses ennemies. Avant eux, comme le raconte l’historien Tite-Live (59 av.-17 ap. J.-C.), les soldats d’Hannibal avaient fait tomber en 211 les murs de Sagonte en les sapant par le bas, grâce à « 500 Africains armés de dolabrae ». Elle est parfois utilisée pour le corps à corps, un peu comme pouvaient l’être, au siècle dernier, les pelles dans les combats de tranchée. L’historien Tacite (v. 55-v. 120) raconte que lors de la bataille de Crémone, pendant la guerre civile de 69, certains légionnaires maniaient des dolabrae.
Troupes de Marine, les co Destinées aux opérations amphibies et outre-mer, les troupes de marine ont été, et sont toujours, de tous les combats de l’armée française. Ni marines à l’américaine, ni fusiliers marins, ni infanterie de ligne, elles constituent une force interarmes unique en son genre, dont l’utilité n’a jamais été démentie en près de quatre siècles de service. Par Michel Goya Les compagnies à charte sont des organismes privés dotés d’une autorisation royale pour commercer outre-mer et coloniser de nouveaux territoires. L’exemple type est la Compagnie française des Indes orientales fondée par Colbert en 1664 et basée à Lorient afin d’exploiter les ressources de l’océan Indien et des Indes.
S’
il existe des régiments d’infanterie aux origines plus anciennes encore, les troupes de marine (TDM) peuvent se vanter d’être la toute première force interarmes jamais créée en France. C’est en effet en 1622 que Richelieu crée les premières « compagnies de la mer » qui associent fusiliers et canonniers au sein de petites unités d’une centaine d’hommes intégrés dans des corps aux noms
changeants. Le cardinal veut doter la flotte de sa propre armée, afin de protéger ports et arsenaux mais aussi d’assurer le service des armes à bord des tout premiers vaisseaux de ligne. D’emblée, cette force rattachée à la Royale se trouve tiraillée entre les besoins contradictoires de la flotte, des colonies et de l’armée. Les « compagnies de la mer » sont régulièrement dissoutes puis reconstituées lorsqu’on s’aperçoit que le service de bord ne s’improvise pas. Quant au « service des colonies »,
initialement confié aux armées des compagnies à charte et des milices locales, il s’avère difficile à mener pour des renforts non acclimatés et toujours rares. La France est ainsi incapable de défendre les Indes et le Canada pendant la guerre de Sept Ans (en fait, 1754-1763 pour la France ; voir dossier G&H no 21 et article sur Plassey p. 56 ). En 1772, on organise donc un « corps royal de la marine » regroupant huit régiments stationnés dans les ports. Son infanterie disparaît dans la tourmente des guerres de la Révolution.
uérants de l’Outre-Terre Quant aux artilleurs, ils rejoignent pour l’essentiel les batteries de la Grande Armée après la défaite de Trafalgar en 1805.
Coquillages et cétacés Il faut attendre 1822 pour voir renaître des troupes de marine, avec une première évolution majeure : il ne s’agit plus de servir les armes d’un navire mais de combattre à terre. Par dérision, les artilleurs de marine deviennent pour les marins des « bigors », pour bigorneaux (à moins qu’il ne s’agisse d’une référence plus ancienne à l’ordre « bigues hors » consistant à lever les sabords). Les fantassins, quant à eux, deviennent des « marsouins », ces cétacés qui accompagnent
les navires en paraissant s’amuser. Après maints atermoiements, l’ordonnance du 14 mai 1831 crée enfin les deux premiers régiments d’infanterie de marine (RIM) à 30 compagnies, un troisième étant ajouté en 1838. En 1840, le régiment d’artillerie de marine est porté à 40 compagnies. Les garnisons associées aux unités trahissent déjà une vocation ultramarine. Le 3e RIM est ainsi présent simultanément à Toulon, à Cayenne, au Sénégal et sur l’île Bourbon (Réunion). En 1845 enfin, la vocation interarmes s’étoffe avec la naissance de la cavalerie de la marine à travers la création d’un escadron de spahis au Sénégal. Les troupes sont encadrées par des officiers formés dans les écoles de l’armée, à Saint-Cyr ou Polytechnique — où ils occupent
le fond des classements jusqu’aux années 1880. Il est vrai que le service outre-mer est éprouvant et la troupe, formée de volontaires ou de mauvais numéros tirés au sort, est jugée de mauvaise qualité. Il s’y forme cependant une culture très particulière, revendiquant l’origine populaire de ses membres mais aussi le goût du voyage et de l’aventure. La petite « armée de la marine », 16 000 hommes au total, est de toutes les expéditions de la monarchie de Juillet, du Mexique en 1838 à la guerre franco-tahitienne de 1844-1846 en passant par la prise de Tanger (voir p. 73) en 1844 ou les débarquements dans l’océan Indien. Après une interruption lors de la IIe République, le Second Empire renoue avec l’aventure coloniale et un
Suite à des différents commerciaux et à des dettes impayées, le roi Louis-Philippe lance une expédition contre le Mexique en 1838-1839 dont le sommet est la prise de la forteresse de Veracruz le 5 décembre 1838 par l’amiral Baudin et 1 500 marsouins. La résistance tahitienne à la colonisation entamée en 1838 par l’amiral Dupetit-Thouars dégénère en guerre ouverte en mars 1844. Les combats s’achèvent en 1846 par une mainmise française complète.
Sous le Second Empire, la guerre de Crimée consacre l’infanterie de marine comme troupe d’élite. Le 7 juin 1855, aux côtés des zouaves, les marsouins s’emparent des redoutes du « Mamelon vert », un des points clés de la forteresse de Sébastopol.
Si la bataille de Bazeilles en 1870 (en haut à g.) est la fête des troupes de marine, c’est surtout au loin que sont engagés les marsouins et bigors pour bâtir l’empire colonial, comme à Madagascar en 1895 ou au Tonkin (au centre, prise de Son Tay en décembre 1883), pour participer à la libération de la France (ci-dessus, le bataillon du Pacifique à Bir Hakeim en mai 1942) mais aussi aux guerres d’Indochine et d’Algérie (à droite, Marcel Bigeard et le 3e régiment de parachutistes coloniaux).
quatrième RIM est formé en 1854. Les cadres sont par ailleurs déployés dans les quelques troupes indigènes qui commencent à se former. Les expéditions de la marine (désormais à vapeur) reprennent : les marsouins s’emparent de la Nouvelle-Calédonie en 1853, débarquent à Canton en 1857 puis au Liban en 1860. Surtout, la Marine conquiert la Cochinchine de 1858 à 1860. Les troupes de marine participent aussi au long siège de Puebla au Mexique en 1863 et aux guerres en Europe. On les retrouve ainsi face à l’armée russe en 1854, en Crimée et dans la Baltique. Pendant la guerre de 1870, marsouins et bigors sont regroupés dans la division bleue du général de Vassoigne, qui s’illustre à Bazeilles (près de Sedan) par sa résistance acharnée les 31 août et 1er septembre — exploit qui devient en 1952 le fait d’armes fédérateur des TDM, célébré tous les ans. Après 1870, elles sont sur la sellette : la priorité est en effet à la préparation
de la « revanche ». L’expansion coloniale qui reprend à partir des années 1880 les sauve. En vingt-cinq ans, quelques officiers de marine audacieux — Borgnis-Desbordes, Archinard, Lamy ou Largeau — s’emparent de territoires immenses en Afrique avec des colonnes de quelques centaines d’hommes seulement. Les TDM participent aussi aux grandes expéditions : Tunisie en 1881, Tonkin à partir de 1883 et Madagascar en 1894. Mais les 15 000 marsouins et bigors dispersés dans le monde n’y suffisent pas et doivent être renforcés par l’armée métropolitaine. Outre que le ministère de la Guerre est réticent à ce détournement de ressources, on s’aperçoit que les pertes par maladies sont considérables parmi les appelés venant directement de France : presque 6 000 à Madagascar pour seulement 25 morts au combat. Le principe est alors acquis de ne plus envoyer de conscrits outre-mer, mais des engagés et des volontaires acclimatés.
Volontariat et métissage La fin du XIXe siècle est donc marquée par plusieurs évolutions. Il est décidé de renforcer les effectifs des TDM tout en ne faisant appel à partir de 1893 qu’à des volontaires. Le nombre de régiments d’infanterie en métropole est doublé et on en forme dix autres dans l’Empire. C’est un échec, les volontaires s’avérant insuffisamment nombreux pour les . Après
des années de tergiversations, on se décide enfin, par la loi du 5 juillet 1900, à faire passer ce qui est désormais « l’armée coloniale » (d’où le sobriquet de « colos » attribué aux TDM) sous la double tutelle des ministères de la Guerre et des Colonies, en fonction du stationnement des troupes. Un corps colonial est formé en métropole et intégré dans les plans de mobilisation de l’armée. Les unités sont à recrutement mixte, volontaires et appelés, mais seuls les premiers peuvent servir outre-mer. Simultanément, pour le service des colonies, on fait de plus en plus appel aux troupes indigènes, sous l’appellation de spahis et surtout de « tirailleurs », sénégalais (voir G&H no 22, p. 68), annamites, tonkinois ou malgaches. Les tirailleurs sénégalais — venant de moins en moins du Sénégal — passent ainsi de 6 600 en 1900 à 31 000 en 1914. Ces bataillons prévus à l’origine pour le contrôle de leur propre territoire deviennent vite une réserve opérationnelle qui est engagée au Maroc à partir de 1907, avant peut-être la métropole comme le propose Charles Mangin en 1910, dans La Force noire. Parallèlement, Gallieni dote le corps d’un esprit bien à part, l’idée d’un soldat attentif aux besoins des populations (voir encadré p. 73). Lorsque la guerre éclate en 1914, la « Colo » en métropole est forte d’un corps d’armée de deux divisions d’infanterie coloniale (DIC), soit environ 30 000 hommes. Cinq autres divisions et un deuxième corps d’armée s’y ajoutent bientôt. Dès septembre 1914, trois bataillons de tirailleurs sénégalais sont engagés. En 1915, une armée coloniale indigène est formée en métropole qui fournit 70 bataillons de tirailleurs pour les régiments d’infanterie coloniale. À la fin de la guerre, les troupes coloniales de
toutes origines représentent environ no 28, p. 6 ) en mai 1942 aux côtés de 10 % des forces combattantes franla Légion étrangère. Avec la réorganiçaises, engagées pour un tiers dans sation de 1943, ces premières forces les Balkans (et même en Russie). forment le noyau dur de la 1re division L’après-guerre voit l’armée coloniale française libre et de la 2e division sur tous les fronts, en Rhénanie, blindée de Leclerc tandis qu’une en Syrie et surtout au Maroc pendant nouvelle grande unité, la 9e DIC, est la guerre du Rif de 1921 à 1926 (voir formée. La coloniale participe ainsi o G&H n 28, p. 18). On conserve aussi largement à la libération de la France l’idée d’un corps à double mission et à la campagne en Allemagne. de garde de l’empire et de réserve Presque tous les régiments actuels métropolitaine. Lors de la mobilisades troupes de marine (y compris tion de 1939 et jusqu’en juin 1940, le 1er RPIMa, héritier des Special Air ce sont neuf divisions coloniales Service français, mais pas les deux qui sont formées. Avec un total de autres régiments paras, formés 500 000 hommes, les troupes coloensuite) sont issus de cette armée niales atteignent alors leur sommet. de la Libération. Elles se battent avec courage, perdent Les colos de la décolo 20 000 hommes mais n’empêchent pas le désastre. Comme les autres corps, l’armée Tout de suite après la fin de la guerre, coloniale se retrouve ensuite très diviles troupes coloniales sont au premier sée. Avec l’application de l’armistice, rang de la réaction aux mouvements il ne reste plus que trois régiments d’indépendance à Madagascar et, en métropole, l’Indochine est surtout, en Indochine. Le corps occupée par les Japonais et l’Afriqueexpéditionnaire qui y débarque Occidentale française, en octobre 1946 avec reste fidèle à Vichy. un groupement de Dès 1940, les Ce sont finalement la 2e DB, la 9e DIC et coloniaux ont la 3e DIC, est composé dans les provinces les plus éloignées de % de coloniaux. formé le gros àAux80côtés l’empire, dans l’Afriquede l’armée Équatoriale française des troupes de d’Afrique et des volonmétropolitains, et dans le Pacifique, la France libre. taires que sont formés les les coloniaux fourcontingents les plus importants de nissent un certain nombre d’unités de la France libre. Par habitude de l’auto- combat, notamment, à partir de 1948, nomie mais sans doute aussi parce les huit nouveaux groupements de que l’« esprit colonial français » s’accommandos coloniaux parachutistes corde mal avec les idées fascistes et (GCCP, devenus bataillons pararacistes, les coloniaux forment le gros chutistes coloniaux). Leur mission des volontaires de la France libre. principale est cependant une action Les bataillons de marche intègrent de présence dans les postes, les monla force du colonel Leclerc au Tchad tagnes ou les écoles avec les forces ou les brigades françaises libres locales, les indigènes ou l’armée e combattant avec la 8 armée britannationale vietnamienne. nique. Trois bataillons de marine sont À la confluence de l’héritage de engagés ainsi à Bir Hakeim (voir G&H Gallieni et des méthodes de contrôle
du Viêt-minh, des officiers y développent une école de pensée de la « guerre révolutionnaire » avant de basculer en Algérie. L’Algérie est par définition le territoire de l’armée d’Afrique et les « colos », 80 000 hommes, y interviennent pour la première fois. Ils y mettent en œuvre, en particulier sous le commandement du général Salan, de 1956 à 1958, diverses théories de pacification centrées sur la séduction et le contrôle de la population civile arabe. Ces idées s’opposent aux méthodes initiales plus répressives ou ensuite plus conventionnelles comme celle du général Challe (où s’illustrent à nouveau les quatre régiments parachutistes coloniaux). Elles échouent tout autant à trouver une issue favorable au conflit. La fin de l’empire ne signifie pas pour autant la fin de cette armée qui abandonne son qualificatif de « coloniale » par un décret d’avril 1958 pour devenir d’« outre-mer » puis définitivement et à nouveau « troupes de marine » à partir de 1961. Même si les « colos » sont désormais majoritairement en métropole, le service outre-mer est reconnu par la loi
En 1844, le soutien accordé par le Maroc à Abd el-Kader, animateur de la résistance à la colonisation de l’Algérie, déclenche une expédition. Tanger est bombardée et les Français s’emparent de Mogador (Essaouira), puis battent l’armée marocaine à Isly. Le maréchal (à titre posthume) Joseph Gallieni (1849-1916) est une figure cadre de la Coloniale, dans laquelle il sert au Niger, à la Réunion, à la Martinique, au Soudan, au Tonkin et, enfin, à Madagascar qu’il « pacifie » de 1896 à 1905, alliant la carotte (développement des routes, écoles, hôpitaux) et le bâton (répression brutale). Il joue un rôle clé dans la victoire de la Marne en 1914, puis devient ministre de la Guerre d’octobre 1915 à mars 1916. Il meurt peu après d’un cancer, après avoir tenté (en vain) d’obtenir le renvoi de Joffre.
La « Colo », un esprit à part En 1899, Joseph Gallieni publie un Rapport d’ensemble sur la pacification, l’organisation et la colonisation de Madagascar , où il expose son expérience de résident général. Reprenant des méthodes déjà appliquées au Tonkin mais dont l’origine remonte sans doute jusqu’à l’occupation de l’Aragon par Suchet en 1808, via Bugeaud, puis Faidherbe, Gallieni exprime l’idée que « le soldat ne doit pas se borner à l’action militaire » mais œuvrer à la mise en valeur du territoire qu’il occupe afin de démontrer clairement les bienfaits de la présence française et créer ainsi un cercle vertueux. La méthode n’est pas exempte de brutalité lorsque des résistances se présentent, mais elle s’accompagne de séduction. Cette approche empathique avec le milieu (et les retours qui en résultent : renseignement, recrutement d’unités mixtes…) constitue depuis un élément fondamental et particulier de la culture des TDM, apprécié aujourd’hui partout où la F intervient. M. G.
Depuis 1962, on retrouve les troupes de marine dans toutes les opérations extérieures françaises, en Afrique principalement mais aussi au Liban, en Afghanistan ou en Europe comme en Albanie (à gauche, le 2 e RIMa débarque au port albanais de Durrës en avril 1997) ou au Kosovo (à droite, le 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine est héliporté au village de Vladovo).
Une
du 20 décembre 1967 comme leur « vocation principale », qui justifie de conserver le statut d’« arme » et ainsi l’autonomie de gestion du personnel. Dans les DOM-TOM, ce service prend la forme de troupes de souveraineté et d’encadrement (avec le génie) du service militaire adapté (SMA), c’est-à-dire une formation professionnelle assistée par des militaires. De manière plus originale, il s’exerce aussi par une présence dans les anciennes colonies africaines via des conseillers, des bases permanentes et des forces d’intervention venues de métropole. Ce service outre-mer prend enfin une extension imprévue à partir de 1969 lorsqu’il faut mener une campagne de contre-insurrection au Tchad, puis lorsque les interventions se multiplient à partir de la fin des années 1970, en Afrique toujours mais aussi au Liban, en Nouvelle-Calédonie
force unique au monde
Souvent comparées au Marine Corps américain et aux Royal Marines britanniques, les TDM partagent de fait leur première vocation de force interarmes embarquée, vouée aux opérations amphibies. Les trois participent d’ailleurs aux aventures coloniales (limitées pour les Américains) et aux expéditions de police de leurs pays. Mais d’importantes différences subsistent. Tout d’abord, les Marines anglo-saxons dépendent de leur Navy respective, alors que les Français sont intégrés à l’armée de terre. Cette distinction n’est pas qu’administrative. Le Marine Corps n’a pas dépassé 5 000 hommes jusqu’en 1900 (contre 180 000 aujourd’hui), limitant leur impact aux zones côtières, et les Royal Marines ont perdu leur caractère interarmes en 1923 pour devenir pure infanterie expéditionnaire. En revanche, les TDM ont toujours disposé d’effectifs (relativement) importants qui permettent une action en profondeur et à long terme ajoutant ainsi au caractère amphibie un travail « pacificateur » de longue évoquant ’armée
ou dans le Golfe en 1990. Pour satisfaire les besoins en troupes d’intervention, on professionnalise sept régiments et la 9e division d’infanterie de marine est reformée en 1976.
En première ligne des Opex La fin de la guerre froide et la décision, en 1996, de professionnaliser entièrement les forces armées françaises entraînent la fin de la distinction entre armée métropolitaine et armée d’outre-mer. L’existence des troupes de marine est une nouvelle fois menacée. Un projet court un temps d’un nouveau rattachement à la marine. S’il n’est pas suivi d’effet, les « colos » jouent de cette tradition pour réinvestir les opérations amphibies. Les TDM sont finalement peu affectées par les restructurations. Logiquement, leurs régiments professionnels ne sont pas dissous. Et leurs régiments d’appelés sont souvent « compagnons de la Libération », donc intouchables. Paradoxalement, le poids des TDM tend ainsi à augmenter en métropole alors qu’il se réduit outre-mer où les bataillons deviennent des unités cadres accueillant des compagnies tournantes venues de toute l’armée de terre. Surtout, les troupes de marine et la Légion étrangère n’ont plus le quasi-monopole des opérations extérieures (Opex). Pour autant, les marsouins sont encore très engagés. Un tiers des soldats
français tombés en Afghanistan de 2001 à 2012 portaient une ancre de marine alors qu’ils ne représentent, avec 18 000 hommes et femmes, que 15 % des effectifs de l’armée de terre. Les troupes de marine françaises constituent ainsi une structure atypique assez différente des unités de « marines » des autres armées (voir encadré ci-contre). Si elles ont une compétence amphibie, leur cœur de métier reste l’intervention au loin et au milieu de populations étrangères avec une appréhension toujours globale des problèmes. Marsouins et bigors demeurent des nomades du XXIe siècle, sans cesse tournés vers la prochaine opération, tout en conservant le souvenir, parfois mythifié, des campagnes de Gallieni.
En Afghanistan, de 2001 à 2012, un tué français sur trois portait une ancre de marine.
Pour en savoir
+
À lire • Les Troupes de marine dans l’armée de terre, un siècle d’histoire 1900-2000, Centre d’étude d’histoire
de la défense, Lavauzelle, 2004.
• De Bizerte à Sarajevo. Les troupes de marine dans les opérations extérieures de 1961 à 1994, collectif, Lavauzelle, 2004. • Des troupes coloniales aux troupes de marines. Un rêve d’aventure 1900-2000,
C. Benoit, A. Champeaux, É. Deroo, M. Rives, Lavauzelle, 2000.
• Les Troupes de marines, 1622-1984,
collectif, Lavauzelle, 2000.
• La Coloniale : Du Rif au Tchad (1925-1980), E. Bergot, Presses
de la Cité, 1982.
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chasse aux mythes
le Bataillon sacré thébain, des pros avant tout La légende en a fait une troupe invincible, unie par un lien homosexuel. En réalité, cette unité d’élite a surtout assuré sa réputation en optant, comme les Spartiates, pour une recette éprouvée : être pros parmi les amateurs. Par Éric Tréguier
C
héronée, 338 avant notre ère… Le terrible soleil d’août sèche déjà le sang des morts — 8 000 dit-on — qui gisent ici dans l’étroite plaine, victimes d’un général borgne et balafré : Philippe II de Macédoine (voir dossier G&H no 32). Ses 30 000 soldats viennent d’écraser 35 000 hoplites principalement thébains et athéniens, dernier rempart de l’indépendance des cités grecques. Mais, raconte Plutarque, le roi de Macédoine affecte la retenue qui sied aux vrais triomphateurs. Il s’arrête près de corps ensanglantés que des prisonniers épuisés empilent, et verse une larme avant de s’écrier : « Maudits soient ceux qui soupçonnent ces hommes d’avoir pu faire ou subir quoi que ce soit de honteux ! »
Ces hommes, ce sont les 300 soldats du Hieròs Lóchos, le « bataillon sacré » de Thèbes, tous tombés au combat ou presque : six seulement guériront de leurs blessures, pour rejoindre, selon Plutarque, la garde personnelle du Macédonien. Mais qu’auraient-ils pu commettre de honteux, ces valeureux soldats ? Apparemment de s’être laissé aller à l’homosexualité — passive, la seule qui soit considérée comme dégradante par certains Grecs et, surtout, par les Romains, le public pour lequel écrit Plutarque quelque 450 ans après Chéronée. Le grand moraliste étaye d’ailleurs son exposé en affirmant que le bataillon aurait été composé d’amants, dont l’affection réciproque aurait renforcé l’efficacité guerrière, chaque membre du binôme redoublant de
bravoure pour rester digne de son aimé. L’histoire est belle et devient un mythe militaire de même qu’un objet de fascination. Faut-il donc réserver une place à part aux 300 Thébains de Chéronée, à l’instar des 300 Spartiates des Thermopyles ? Sans aucun doute. C’est d’ailleurs contre les Lacédémoniens que le bataillon sacré a gagné sa réputation, ce qui n’est pas rien. Leur étoile se lève dans le ciel militaire en 379. Cette année-là, Thèbes, la plus importante cité de Béotie, rejette le joug de Sparte, la grande puissance de l’époque qui depuis sa victoire lors de la guerre du Péloponnèse dicte la conduite de la plupart des cités grecques. La petite garnison spartiate de Cadmée, la cité forteresse qui domine Thèbes, est expulsée. C’est la guerre… Sparte mobilise. Thèbes convoque ses alliés et entraîne ses soldats. Ses rangs comptent cependant une arme nouvelle : une unité d’élite de 300 combattants formée quelques années plus tôt par un béotarque (magistrat béotien élu) appelé Gorgidas.
La guerre, pas le mariage En quoi se distingue-t-il donc, ce bataillon ? Pas par l’équipement : c’est celui de l’hoplite, équipé d’une lance et d’une épée, et protégés par un large bouclier rond, un casque très enveloppant, une cuirasse de lin doublé, une large ceinture et des jambières (voir illustration p. 79). Le recrutement, en revanche, est plus original. Le bataillon est formé de jeunes gens qui ont juré de ne pas se marier pour mieux se consacrer à la guerre. Ils ne sont pas choisis,
Plutarque est un philosophe et biographe romain (v. 46-v. 125) d’origine grecque, puisqu’il est né à Chéronée en Béotie. Son œuvre la plus célèbre est Vies parallèles des hommes illustres, qui rassemble
50 biographies, dont celles de Romulus, Alexandre le Grand, César et Cicéron… La guerre du Péloponnèse oppose principalement des alliances dirigées par Athènes et Sparte de 431 à 404 ( voir dossier G&H no 14). À l’issue d’un conflit meurtrier riche en rebondissements, la seconde sort victorieuse, mais épuisée. Leuctres, 6 juillet 371 : le bataillon sacré thébain percute de flanc la phalange spartiate, contribuant efficacement à la victoire. La rencontre entre armées grecques est un événement très codé : deux masses de miliciens d’une cité, en rangs serrés au sein d’une phalange, se jettent l’une sur l’autre. Chacune tente ensuite de bousculer l’adversaire par sa poussée ou les coups portés par les hoplites avec leurs lances. Les Spartiates excellent à ce jeu. Mais Épaminondas change la règle : il renforce son aile marchante pour en accentuer la poussée, refuse son aile affaiblie et cherche à déborder. La manœuvre aboutit à un succès spectaculaire.
Membre d’une bonne famille thébaine, l’athlète et politicien Pélopidas (?-364) organise le soulèvement de sa cité contre Sparte en 379. Élu béotarque (magistrat exécutif), il vainc les Spartiates à Tégyres en 375 avec l’aide du bataillon sacré, puis seconde Épaminondas. Il est l’un des maîtres militaires du futur Philippe II de Macédoine, otage à Thèbes. Pélopidas est tué en libérant la Thessalie du tyran Alexandre de Phères. L’homme d’État, général et maître tacticien Épaminondas (?-362) fait de Thèbes la puissance dominante en Grèce entre 371 et 362. Il expérimente notamment l’ordre oblique (voir G&H no 1, p. 58) qui lui permet de battre Sparte à Leuctres (371). Il sera tué lors de son ultime victoire sur Sparte et Athènes à Mantinée (362). Hippeis signifie « cavaliers », mais, dans le cas de Sparte, on pourrait tout aussi bien le traduire par « chevaliers fantassins ». Ces hoplites d’élite, qui sont entre 300 et 700, ont un statut spécial : on leur confie les missions les plus dangereuses, notamment, la protection du roi lors des batailles. Pour en savoir
À lire • Le IV e siècle
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grec jusqu’à la mort d’Alexandre, P. Carlier,
Le Seuil, 1995. • Bataille de Chéronée, J.-N. Corvisier, Economica, 2012. • Guerre et société dans les mondes grecs (490-322 av. J.-C.), J.-N. Corvisier,
Armand Colin, 1999. • Les Guerres grecques, V. Davis Hanson, Autrement, 1999.
précise Plutarque, « pour leur naissance mais seulement pour leurs qualités physiques et leurs mérites ».
Fort bien. Mais cela n’explique pas tout. La vraie raison de leur valeur repose sur leur statut. Dans la Grèce antique, explique l’historien américain Victor Davis Hanson, la guerre est essentiellement l’affaire des hoplites : des citoyens de classe moyenne (mesoi , selon Aristote) assez aisés pour se payer un équipement (alors plus de trois mois de salaire d’un artisan qualifié) et pour avoir envie de défendre ce qui leur appartient. Tous ces miliciens s’assemblent en phalanges, qui se percutent front contre front et poussent… La première qui craque a perdu. Naturellement, certains sont meilleurs que d’autres à ce jeu, notamment les Spartiates, et pour une bonne raison : ils passent l’essentiel de leur vie à s’entraîner, laissant les tâches domestiques (et la culture de leurs champs) à une population asservie, les hilotes (voir G&H no 31, p. 54 ). Le bataillon sacré thébain est tout simplement une application partielle du modèle lacédémonien : « Une unité professionnelle et permanente, mais financée sur fonds publics, résume Nicholas
Ryan Rockwell, de l’université de Californie. L’unité passait l’essentiel
de son temps en entraînement militaire. Et elle a développé sans aucun doute un moral et un esprit de camaraderie qui ont renforcé sa cohésion. »
L’amour, pas la débauche La « camaraderie » sous-entendelle un recrutement spécifiquement homosexuel ? Certes, les 150 paires de combattants sont, explique le rhéteur macédonien du IIe siècle av. J.-C. Polyène, « dévoués l’un à l’autre » par des vœux sacrés, prononcés sur l’autel de Iolaos, héros thébain et un des amants d’Héraclès. Et alors ? En fait, cela n’a rien d’extraordinaire dans une civilisation où l’homosexualité est normale et acceptée,
Exceptionnel mais pas unique
S’il se distingue par ses succès, le bataillon sacré n’est pas une exception en Grèce. L’historien du Ve siècle Thucydide mentionne ainsi un corps d’un millier de soldats, à Argos, « auxquels la cité fournissait une longue période d’entraînement sur fonds publics ». En 360, il existe également une unité d’élite de 300 soldats à Élis. Mais l’autre célèbre bataillon sacré est celui de Carthage. Formé de 2 500 citoyens, il connaît le même destin tragique que son homologue thébain. Complètement décimé à la bataille de Crimisos, en Sicile, en 341, il est reconstitué puis à nouveau anéanti, cette fois-ci définitivement, à la bataille de Tunis, en 310, Syracusain É.
à condition qu’elle soit honorable : on admet fort bien l’amour mais pas la débauche. Le système militaire grec est fondé en effet sur une relation initiatique maître-élève que l’on qualifierait aujourd’hui de pédérastique, institutionnalisée et légitimée par les couples célèbres de la mythologie : Héraclès et Iolaos déjà cités, Zeus et Ganymède, Achille et Patrocle… À Sparte, cette relation est même régie par la loi : pour devenir citoyen-hoplite, il faut passer par un certain nombre de stades. L’éphèbe, c’est-à-dire l’adolescent, est présenté par un citoyen plus âgé pour être entraîné à combattre dans la phalange. Cet éphèbe passe ensuite plusieurs années avec d’autres à suivre une sévère formation militaire et athlétique. « L’homosexualité des membres du bataillon sacré n’est que la continuation de ces liens, explique Nicholas Ryan Rockwell. D’autant plus que tous ces hommes vivent ensemble dans leur citadelle de Cadmée. »
Une homosexualité ordinaire Rien donc que de banal dans les relations entre membres du bataillon, ce que confirment d’ailleurs les sources. Sur les onze disponibles, mentionnant l’unité, étudiées par David Decosta Leitao, professeur à l’université de San Francisco, cinq ne font aucune allusion à un caractère homosexuel spécifique, ce qui serait très étrange, souligne-t-il, si telle était la caractéristique principale de l’unité. Quant aux six autres, ce sont, explique-t-il, des textes « moralisants ». Plutarque, qui est celui qui donne le plus de détails, utilise des précautions de langage inhabituelles, comme « dit-on » ou « certains rapportent que… », montrant bien qu’il est « réticent
Leur premier fait d’armes intervient en 375, un peu par hasard. Le général Pélopidas ayant appris par des espions que les troupes spartiates allaient quitter Orchomène, dernière place forte sous leur domination en Béotie, il décide, raconte l’historien Callisthène (v. 360-328), d’y envoyer son bataillon sacré et quelques cavaliers pour en prendre le contrôle. Mais en chemin, à Tégyres, il tombe nez à nez avec les Spartiates en mouvement. Combien sont-ils ? Les avis divergent selon les deux sources, Callisthène et un autre historien grec, Éphore. Mais on peut estimer leurs forces à au moins une mora (le régiment standard spartiate, soit 500 hommes), peut-être deux… L’apparition de ces guerriers endurcis — et réputés invincibles — suffit généralement à faire reculer leurs adversaires, même supérieurs en nombre. À Tégyres, c’est le contraire qui se produit ! Pendant que des cavaliers partent harceler les arrières ennemis, les 300 Thébains forment une phalange ultracompacte et, dès le premier choc, créent la surprise en tuant la plupart des officiers adverses. Ensuite, alors que les Spartiates tentent de les canaliser en ouvrant leurs rangs en deux pour les inciter à s’échapper, ils se jettent sur eux, profitant de l’ouverture du mur de boucliers. Surpris par l’audace, décimés par la violence, privés de chefs, les Spartiates déguerpissent. « Dans
La qualité du bataillon fait de Thèbes la cité grecque la plus puissante.
à l’idée même d’adhérer à cette historicité du bataillon sacré ». En fait, ce
bataillon sacré de Thèbes qu’il décrit, composé uniquement de couple d’amants, ressemble un peu trop au Symposium de Platon, une œuvre qui estime qu’une unité composée de tels couples serait presque invincible, car chaque membre « voudrait surpasser l’autre en courage et en exploits ». Le moraliste Plutarque fait donc appel au mythe pour appuyer sa leçon. Homosexuels probablement — mais pas plus que les autres Grecs —, les soldats du bataillon sacré sont surtout, et avant tout, de formidables combattants.
toutes les guerres entre Grecs ou contre les barbares, les Spartiates n’avaient jamais été battus en bataille rangée par des troupes égales aux leurs, et encore moins par des troupes inférieures en nombre », remarque Plutarque.
Le triomphe de Leuctres Après ce coup d’éclat, la consécration intervient à Leuctres, petite ville située à 10 km de Thèbes. C’est là, le 6 juillet 371, que la petite armée thébaine, avec ses 8 000 à 20 000 hommes, est contrainte d’accepter la bataille avec les Spartiates. Sûrs de leurs forces, ces derniers alignent 12 000 à 28 000 hommes selon les sources (alliés inclus) et sont bien décidés à faire un exemple de la cité qui ose secouer leur joug. Mais le général thébain Épaminondas innove alors en refusant son aile droite et en renforçant son aile gauche, épaissie à 50 rangs contre 8 à 12 habituellement, flanquée par le fameux
bataillon. La droite spartiate, où se concentrent traditionnellement les meilleurs guerriers, ploie sous la poussée, puis se trouve percutée de flanc par le bataillon… Ses chefs tués, la phalange spartiate dévisse, laissant un millier de morts dont 300 hippeis, élite de l’élite. Leuctres coûte à Sparte un tiers de ses (maigres) forces en quelques heures. Le génie tactique d’Épaminondas et la qualité militaire du bataillon sacré vont faire de Thèbes la première puissance grecque. Mais cette hégémonie est de courte durée : le général tombe à Mantinée, en 362, lors d’une ultime victoire contre Sparte. Épuisée par les guerres incessantes comme toutes les cités, Thèbes n’a plus la force de s’opposer à la nouvelle puissance qui monte au nord de la Grèce : la Macédoine, dont la phalange aux lances allongées (voir dossier G&H n 32) et la cavalerie lourde vont bouleverser la tactique. Cinquante ans après sa naissance, le bataillon sacré est obsolète. Ne subsiste de lui qu’un lion sur le champ de bataille (voir encadré ci-contre) et beaucoup, beaucoup de papier imprimé.
Le dory est l’arme principale de tous les hoplites. En cornouiller, un bois dur et flexible, cette lance mesure un peu plus de 2 m. Les combattants la passent au-dessus des boucliers et, pour le deuxième rang, au-dessus des épaules de leurs prédécesseurs, en visant le visage et les épaules de l’adversaire, parties du corps les plus exposées.
Chéronée : le lion n’est pas mort
« En arrivant à la ville de Chéronée, on trouve le polyandrion [« sépulture collective », NDLR] où furent enterrés les Thébains qui périrent en combattant contre Philippe » , écrit le géographe grec Pausanias (v. 115- v. 180) dans sa Description de la Grèce . « Il n’y a pas d’inscription sur ce monument, mais il est surmonté d’un lion, ce qui a principalement rapport au courage de ces derniers. On n’y a pas mis d’inscription, je pense, parce que la bonne fortune ne seconda pas leur valeur. » En 1818, George Ledwell Taylor, un Anglais
qui visite la région son Pausanias en main, bute sur un morceau de marbre. Ses fouilles mettent à jour un lion de pierre de plus de 3 m de hauteur. Sous lequel on a la surprise de trouver les ossements de 354 combattants ! Ceux du bataillon ? Comment savoir ? En tout cas, le lion a été placé sur un piédestal et a repris sa garde, comme il y a vingt-quatre siècles. É. T.
o
Les Thébains, comme (presque) tous les combattants du IVe siècle, ont abandonné les lourdes armures de bronze, comme cette cuirasse « musclée » à droite, pour le linothorax, version antique du gilet pare-balles. Constitué de couches de lin superposées et collées entre elles, il est capable d’arrêter les flèches et les coups indirects. Peu coûteux et léger, il équipera encore, deux siècles plus tard, les soldats des successeurs d’Alexandre.
Les casques grecs de l’époque n’ont plus rien à voir avec les casques corinthiens, ces splendides et encombrants couvrechefs encore courants au siècle précédent. Les combattants leur préfèrent de simples coiffes de bronze (et parfois de feutre), les pilos, ou des casques béotiens, comme celui ci-dessus, qui offrent une bonne protection sans réduire le champ de vision.
Les deux autres armes de l’hoplite sont l’épée et le bouclier. L’épée est soit un xiphos (double lame), soit un kopis (un seul tranchant), mais n’est utilisée que lorsque la lance est brisée.
Il n’est pas qu’une arme défensive : l’ aspis koilè (« bouclier creux ») avec ses 90 cm de diamètre et son maniement aisé, grâce à sa double poignée, sert à déséquilibrer l’adversaire. Son armature de bois est peinte ou recouverte d’une feuille de bronze, ornée d’un épisème, signe qui identifie la cité de la massue d’Héraclès, symbole de Thèbes.
Ludendorff, le tacticie Élevé dans l’ombre de Schlieffen, Erich Ludendorff est, côté allemand, l’acteur militaire le plus important de la Grande Guerre. En duo avec Hindenburg, il prend une série de décisions catastrophiques pour son pays, avant de devenir un général factieux et le théoricien de la guerre totale. Par Pierre Jardin Originellement polonaise, la Posnanie (centrée sur la ville de Poznan ou Posen en allemand) est annexée en partie par la Prusse en 1772, puis en totalité en 1793. Redonnée au grand-duché de Varsovie par Napoléon en 1807, la Posnanie revient en Prusse en 1815, est reperdue (en partie) en 1918, reconquise par Hitler en 1939 et cédée (enfin ?) à la Pologne en 1945. Le maréchal et stratégiste Alfred von Schlieffen (1833-1913) dirige le Grand État-Major impérial de 1891 et 1906. C’est là qu’il conçoit le plan qui porte son nom et qui doit, par un gigantesque enveloppement passant par la Belgique, piéger l’armée française et gagner la guerre.
B
ourgeois dans une armée commandée par des nobles, Allemand issu d’une terre polonaise, chef talentueux sans avoir directement commandé de troupes, brillant planificateur mais incapable de voir loin, prompt à revendiquer des succès mais refusant d’endosser les échecs, encourageant l’initiative mais autoritaire à l’excès… Le curriculum vitae d’Erich Ludendorff ne manque pas de ces paradoxes, en faisant un des personnages les plus fascinants du XXe siècle. Ce qui, somme toute, n’est pas étonnant : perdre une guerre mondiale n’est pas donné à tout le monde. Erich Ludendorff naît le 9 avril 1865 sur le domaine familial de Kruszewnia, en Posnanie, territoire de tension entre Est et Ouest. La Posnanie n’est prussienne que depuis 1793 : c’est encore une terre
Les Sturmtruppen, de l’effectif d’un bataillon, regroupent des sections d’infanterie et des sections spécialisées servant des mitrailleuses légères, des lance-flammes, des lance-mines, de l’artillerie légère. Les hommes portent une tenue spéciale (vareuse et pantalon renforcés de pièces de cuir), sont dotés d’armes légères, de grenades, d’outils (pinces, pelles…). Leur mission est de s’infiltrer en profondeur dans le dispositif ennemi en négligeant les points de résistance.
de colonisation où le gouvernement s’efforce d’imposer la présence allemande face à une population très majoritairement polonaise. C’est aussi une marche militaire face à la Russie, marquée par une forte présence de l’armée. Fils d’un bourgeois propriétaire terrien et officier de réserve, le jeune Ludendorff est tout naturellement destiné à la carrière des armes. Après des études dans une école de cadets, où son intelligence et la fermeté de son caractère lui valent tous les éloges, il reçoit sa patente d’officier. Admis en 1890 à la Kriegsakademie, il en sort parmi les meilleurs et apprend pendant un an à servir le Grand État-Major (Grosser Generalstab), le cerveau de l’armée allemande. C’est d’ailleurs là qu’il revient après une mission en Russie (où ses chefs l’envoient parfaire sa connaissance de la langue). Il se fait alors remarquer du grand patron, Alfred von Schlieffen, considéré comme un maître de la stratégie dont il subira profondément
l’influence, notamment dans l’idée qu’une grande bataille décisive décidée par un enveloppement géant peut gagner la guerre. Sa vie est dès lors celle d’un officier d’état-major affecté à divers corps, interrompue de brefs passages dans la troupe. Il retrouve le Grosser Generalstab en 1904 et, promu colonel, prend en 1908 la direction de la 2e Section, en charge de concentrer les forces en cas de conflit. Il travaille à adapter l’outil militaire aux menaces auxquelles le pays est confronté, la montée en puissance de l’armée russe au premier chef. À la mobilisation de 1914, il est Oberquartiermeister de la 2e armée. Il sait, pour en être l’auteur, que la réussite du plan de passage par la Belgique dépend de la saisie de Liège et, comme les choses n’avancent pas, il se rend sur place et prend la tête d’une des colonnes qui en sont chargées. Il force le passage et obtient la reddition de la citadelle, ce qui lui vaut la croix « Pour le Mérite », la plus haute distinction militaire impériale.
épassé par la stratégie Auréolé de gloire, il part pour la Prusse-Orientale menacée par deux armées russes, où Moltke le Jeune, chef du Grand État-Major, le dépêche pour tenter de rétablir la situation apparemment compromise de la 8e armée. Comme il n’a pas les titres nécessaires à l’exercice d’un commandement d’armée, on lui donne un chef en la personne du colonel-général Hindenburg, rappelé pour l’occasion. À la retraite depuis 1911, ce dernier a la solide expérience de la conduite des troupes qui manque à un subordonné rompu au travail d’état-major. Malgré les inévitables frictions, que les chroniques taisent pudiquement, l’attelage est couronné par l’immense succès de Tannenberg (voir encadré p. 83).
La guerre des Erich Alors qu’en France la guerre piétine, ces victoires ont un grand écho en Allemagne et suscitent un débat qui va durablement partager les élites politiques et militaires. Fort de son prestige tout neuf, Ludendorff voudrait reporter à l’Est le centre de gravité des forces allemandes. Erich von Falkenhayn, le nouveau commandant en chef,
qui n’exclut pas une paix séparée avec la Russie, estime au contraire ses forces insuffisantes pour courir le risque d’une nouvelle campagne de Russie qui serait non décisive. Son objectif est avant tout de soutenir l’Autriche-Hongrie. Il se contente donc de fournir à l’Est une nouvelle armée, la 9e, confiant à Hindenburg, promu maréchal, le commandement de l’ensemble des forces allemandes de l’Est avec le titre de commandant en chef à l’Est (Ober Ost). Fait lieutenant-général, Ludendorff reste son chef d’état-major. La fin de 1914 et le début de 1915 sont marqués par trois opérations successives signées Ludendorff, qui visent à réussir un super Tannenberg. Si elles obtiennent des succès non négligeables, elles sont sans résultat décisif et la guerre tourne, comme à l’Ouest, à la guerre de positions. Plus au sud les choses évoluent différemment : les Autrichiens subissent revers sur revers. Falkenhayn décide donc de prendre les choses en main et crée une nouvelle armée confiée à Mackensen et intégrée à l’armée autrichienne. C’est à lui
La prise de Liège le propulse vers la Prusse et la victoire de Tannenberg.
qu’il incombe de refouler les Russes, l’Ober Ost ne devant jouer qu’un rôle de soutien plus au nord. Ludendorff monte une opération en Lituanie pour faciliter la manœuvre, puis propose un vaste mouvement visant à encercler les forces russes de Pologne en les tournant très à l’est. Falkenhayn préfère une action plus limitée qui entraîne l’effondrement par pans du front russe : au terme d’une avance générale, les troupes allemandes sont installées, fin 1915, sur une ligne qui va du Niémen
L’Oberquartiermeister est l’officier supérieur en charge de l’intendance d’une armée. Les 1re et 2e armées constituant en août 1914 le fer de lance de la marche sur Paris, c’est un poste essentiel qui est ainsi confié à Ludendorff. Un portrait de Ludendorff en 1916 arborant la croix « Pour le Mérite », la plus haute distinction prussienne. L’artiste a considérablement adouci les traits d’un personnage aussi dur qu’énergique.
dont il ignorait tout, il décide le passage à la défensive sur une position raccourcie pour se procurer des réserves. Mais il entend ne pas se laisser enfermer dans la passivité et instaure de nouvelles méthodes de combat. En habituant ses troupes à rester mobiles et jouer de la profondeur du champ de bataille, il espère compenser la supériorité en hommes et en matériel de l’adversaire par la flexibilité tactique et la maîtrise technique — une idée qu’incarne la création d’une unité d’un type nouveau, les Sturmtruppen (voir légende p. 80). En même temps, il se préoccupe de relever le défi de la bataille de matériel, en prenant des mesures d’urgence : mobilisation accrue des ressources humaines et matérielles, mobilisation psychologique par la propagande. Globalement, ces décisions réaffirment la volonté d’une victoire totale, le refus du compromis. C’est dans ce contexte que Ludendorff pèse de tout son poids en faveur de la guerre sous-marine sans restrictions, au risque de provoquer l’entrée en guerre des États-Unis.
Le stratège irresponsable
L’OFFENSIVE DE LA PAIX
Entre mars et juillet 1918, Ludendorff joue son coup le plus spectaculaire et le plus désastreux pour l’Allemagne. Il jette une armée tactiquement rénovée mais fatiguée dans une série de cinq offensives décousues et dépourvues de perspectives politiques autant qu’opérationnelles. Le seul objectif intelligent de la première de ces offensives (21 mars-5 avril), la plus dangereuse, aurait été de tout investir dans une poussée directe sur l’embouchure de la Somme et Amiens, où se trouvent les magasins britanniques, et ainsi séparer les deux forces principales des Alliés. Mais Ludendorff choisira de courir à la fois vers l’ouest et vers le sud-ouest, dispersant ses efforts.
aux Carpates. Frustré encore une fois de n’avoir pu livrer cette bataille d’anéantissement dont il rêve, Ludendorff se console en exploitant les territoires conquis.
À l’Est, une vision nouvelle La priorité est de remettre en état les infrastructures, de relancer l’agriculture et les grandes exploitations forestières, d’installer une administration, dans ce qui apparaît comme une mosaïque ethnique et linguistique. Alors que dans les autres territoires occupés (Belgique, Pologne), c’est un gouverneur général assisté d’une administration civile qui officie, l’Ober Ost règne sans contrôle sur son territoire. C’est dans un premier temps une politique d’occupant brutale, faite de réquisitions et de travail forcé, qui permet non seulement de nourrir les troupes, mais aussi d’exporter vers le Reich denrées agricoles et matières premières. Mais Ludendorff voit plus loin que ne le feront les nazis et met en place une politique culturelle. Elle vise à une germanisation en douceur, que doit accompagner l’implantation d’une population allemande, envisageant
Technicien militaire, Ludendorff se fonde sur les assurances d’autres techniciens, les hommes de une pénétration de style colonial l’Amirauté, dont il n’a aucune raison appuyée sur l’installation d’anciens de penser que leur calcul (l’Angleterre soldats. Ces paysans-soldats seraient sera à genoux en six mois) repose les légionnaires retraités d’un nouen fait sur des données fantaisistes. veau limes protégeant les frontières Au diplomate qui lui conseille de ne du Reich. En Allemagne même, pas offenser Washington, Ludendorff la propagande de l’Ober Ost se déploie répond, avec son habituelle élépour sensibiliser l’opinion aux progance de langage, qu’il « se fout messes de ce rêve oriental auquel de l’Amérique ». Les dommages Ludendorff n’a jamais sont catastrophiques : renoncé. que le chanceLudendorff alors En août 1916, l’entrée lier a esquissé un pas en guerre de la Roumanie provoque vers la recherche d’un entraîne la disgrâce de compromis en faisant l’Amérique, Falkenhayn. Hindenburg en décembre 1916 dont il lui succède en principe une offre de paix, dont comme chef d’état-major « se fout ». il escompte que Wilson de l’armée en campagne, va la reprendre à son flanqué de Ludendorff, promu premier compte, c’est un véritable camouflet quartier-maître général — un titre infligé au président américain qui créé pour lui. Il s’agit donc en princonsidérera désormais l’Allemagne cipe d’un duumvirat, mais comme comme un outlaw. le second s’est vu reconnaître le droit Dès lors sans autre perspective de prendre, sous sa propre responque tenir à tout prix, l’Allemagne sabilité, toute mesure nécessaire ne voit poindre une évolution favoà la conduite des opérations, il est rable qu’avec la révolution russe de fait le patron. de février 1917. Ludendorff saisit Parant au plus pressé, Ludendorff l’opportunité offerte et ramène monte un plan d’opérations qui ses forces à l’Ouest. Pourtant, et bien permet de liquider la Roumanie que la paix soit officiellement signée en une campagne éclair. À l’Ouest, en mars 1918, il doit laisser à l’Est de découvrant la réalité d’une guerre nombreuses divisions, qu’il pousse
Le demi-vainqueur
de Tannenberg
Après avoir appris sa nomination en Prusse-Orientale le 22 août 1914 à l’état-major d’Hindenburg, Ludendorff trouve une situation déjà bien décantée. La 8e armée allemande du général von Prittwitz que le duo remplace a certes été étrillée la veille lors des premières rencontres avec l’armée du Russe Rennenkampf, mais celui-ci, faute de réserves et de munitions, n’a pu pousser son avantage. Du coup, l’état-major de l’armée, formaté par les exercices sur table (Kriegsspiele) de l’avant-guerre, décide de se tourner vers l’autre armée russe, celle de Samsonov. Ludendorff ne fait qu’entériner ce redéploiement, qui mène à la victoire de Tannenberg. Hindenburg, promu libérateur de la Prusse et héros national, se montre habile à en retirer la gloire, acquérant un statut d’intouchable dont son second Ludendorff sait également tirer parti. La suite, pourtant, est mitigée. Ludendorff se tourne en effet contre Rennenkampf, retranché à l’est des lacs Mazures. Il souhaite l’écraser par une man œuvre d’enveloppement par l’aile, empruntée au style de Schlieffen. Il échoue cependant pour ne pas avoir donné suffisamment de poids à son aile marchante, face à un adversaire qui montre de remarquables capacités défensives. Rennenkampf, s’il rompt le combat et laisse son adversaire maître du terrain, est loin d’être écrasé. P. J.
en Finlande, en Ukraine et jusqu’au Caucase. Autant de troupes qui feront défaut sur le point décisif.
Une ultime offensive mal conçue En décembre 1917, Ludendorff, toujours animé par le souffle de Schlieffen, décide de rechercher la décision à l’O fixe clairement
l’objectif : battre les Anglais avant que les Américains soient arrivés ; les battre en une seule opération ; mener cette opération le plus tôt possible. Mais il ne reprend pas le plan proposé par le groupe d’armées du prince Rupprecht de Bavière qui fait face aux Anglais : percer le front entre Armentières et La Bassée droit vers la côte, ce qui permettrait de rejeter l’adversaire sur les ports de la Manche
par un mouvement d’enroulement. Il préfère chercher la percée au niveau de Saint-Quentin dans l’Aisne en introduisant sur le front deux armées de choc, la 17e armée de Below, qui a fait ses preuves en enfonçant les Italiens sur l’Isonzo en octobre 1917, au sein du groupe d’armées Rupprecht, et la 18e armée de Hutier, qui a expérimenté les méthodes d’infiltration en profondeur lors de la prise de Riga en août 1917, au sein du groupe d’armées du Kronprinz impérial. Ludendorff a certainement voulu, en confiant l’opération à deux groupes d’armées différents, conserver pour lui-même le pouvoir de décision. Il a sans doute aussi voulu éviter
En haut, une vision (allemande) de la débandade des troupes russes de Samsonov à Tannenberg, la bataille qui fonde les légendes croisées de Ludendorff et Hindenburg. Ci-contre, les deux hommes en gare de Marienburg, le 23 août 1914. Ils viennent juste de faire connaissance et arrivent en Prusse pour prendre en main une 8e armée à la peine.
Des soldats du corps franc Ehrhardt, à Berlin, lors du putsch antirépublicain de Kapp-Lüttwitz, appuyé par Ludendorff, en mars 1920. Le coup d’État échoue face au déclenchement de la grève générale par les syndicats. Replié à Munich, Ludendorff y poursuit ses activités factieuses. Le 8 août 1918, les forces de la 4e armée britannique appuyées par de nombreux chars enfoncent sans difficultés les lignes de défense de la 2e armée allemande entre Somme et Avre. Ni Hindenburg ni Ludendorff ne comprennent immédiatement combien le fait est révélateur de l’état de faiblesse de l’armée. La révolution allemande de 1918 intervient dans le dernier mois de la guerre et le trimestre qui suit. Elle s’inspire plus ou moins de l’exemple bolchevique et prend de multiples formes : grèves, mutineries, conseils d’ouvriers et de soldats, insurrections. Elle aboutit à l’abdication du Kaiser Guillaume II et à la proclamation de la république le 9 novembre 1918 par le ministre social-démocrate Philipp Scheidemann.
que le Kronprinz de Bavière (et son chef d’état-major, un rival possible) ne recueille seul les lauriers de la victoire et y associer le Kronprinz impérial Wilhelm (voir G&H no 32, p. 61) pour des raisons de prestige dynastique. Mais, du coup, le dispositif présente un défaut : la configuration du front impose en effet une percée en direction du sud-ouest, alors que l’objectif est de rabattre les Anglais vers le nord-ouest, ce qui obligera les troupes engagées à des conversions difficiles en pleine bataille. De fait, si la percée réussit bien le 21 mars
Un théoricien qui pave la voie du nazisme
Homme d’action, même si c’est essentiellement sur carte, Ludendorff ne se consacre à la théorie qu’après guerre, de 1922 (Kriegsführung und Politik , « conduite de la guerre et politique ») à 1935 (Der totale Krieg, « la guerre totale »). Son comportement à partir de 1916 montre qu’il a saisi intuitivement le changement de nature de la guerre au XXe siècle : les États impliqués doivent lancer dans la bataille toutes leurs forces morales et physiques. Qu’est-ce que cela implique à l’avenir pour l’Allemagne ? Elle reste condamnée à lutter pour survivre : la guerre est son destin et cette guerre sera totale parce qu’elle la met face à des adversaires plus nombreux et plus riches. Elle souffre de ce fait de handicaps structurels qu’il lui faut chercher à compenser en se préparant non seulement matériellement, par l’acquisition des techniques les plus modernes, mais surtout mentalement, pour accepter l’affrontement et affermir sa volonté de vaincre à tout prix. Ceci ne peut se faire que sous la direction d’un chef militaire investi de tous les pouvoirs dès le temps de paix, qui doit préparer la seule guerre que l’Allemagne puisse gagner, en évitant de la laisser enfermer dans une guerre d’usure et en privilégiant l’offensive rapide et décisive. Ludendorff s’inscrit ici dans la continuité de la guerre « courte et vive » préconisée par Frédéric II. Mais il annonce également le Blitzkrieg — et la dictature — d’Hitler. P. J.
1918, la direction prise par les troupes d’assaut ne permet pas de développements décisifs. Rupprecht tente bien d’élargir le front plus au nord, en attaquant avec sa 6e armée dans la plaine de la Lys, mais il ne peut nourrir la bataille et ses forces épuisées doivent s’arrêter après la prise du mont Kemmel.
Piégé par son succès Pendant que Rupprecht se refait en vue de reprendre l’offensive en Flandre, Ludendorff monte une nouvelle opération destinée à attirer les réserves françaises au sud. Encore un paradoxe : à la veille de l’offensive de mars, il a en effet clairement expliqué que les forces allemandes ne suffiraient que pour un seul assaut contre le front ennemi et que toute diversion était exclue. Or, c’est précisément ce à quoi il se hasarde, non sans succès au moins apparent puisque, le 27 mai, la tactique de l’infiltration fait merveille lors de l’attaque du Chemin des Dames. La progression est spectaculaire, mais les forces allemandes s’engouffrent dans une poche aux flancs exposés dont la base ne peut être élargie, malgré l’apport de troupes prélevées sur le contingent alloué à Rupprecht. Et Ludendorff se laisse entraîner, passant de ce qui ne devait être qu’une diversion à une bataille de grand style sans objectif clair, dont le seul résultat est d’avoir aventuré ses forces dans un saillant exposé.
Il est alors face à un dilemme. La sagesse impose de se retirer d’une position exposée. Il choisit de se maintenir sur place et d’élargir le saillant, et décide une nouvelle offensive pour le 10 juillet. La logistique commence à peiner et l’offensive ne peut démarrer que le 15. En maintenant ses ordres malgré tout, Ludendorff prend un risque, d’autant qu’il sait que Foch prépare une contre-offensive. En fait, il se refuse à admettre que son armée est déjà trop épuisée pour rester fiable, ce que va révéler d’un coup le « jour noir » du 8 août. Il comprend alors qu’il n’a plus les moyens de la victoire, mais se refuse tout autant à en faire part au gouvernement en lui demandant d’en tirer les conséquences diplomatiques. De même, il refuse d’ordonner un vaste repli et continue à accepter la bataille sur tous les fronts, exposant ses forces à des coups de boutoir de plus en plus destructeurs.
L’homme du poignard En septembre, l’armée allemande est exsangue. Pour sortir de l’impasse, le colonel Heye, chef du bureau des opérations, prend sur lui de faire appel au secrétaire d’État Hintze pour lui demander de tenter d’ouvrir une négociation de paix. Mais Ludendorff, admettant d’un coup une réalité qu’il refusait jusque-là de voir, impose l’idée d’une demande d’armistice, ce qui revient à reconnaître publiquement la défaite. Bien qu’il essaye
Au centre, Ludendorff à côté d’Hitler, à la suite du putsch manqué de Munich en novembre 1923. Allié puis concurrent du chef nazi, Ludendorff tentera en vain de profiter de l’emprisonnement d’Hitler pour s’imposer comme patron d’une extrême droite revancharde, antisémite et autoritaire.
de corriger son erreur en affirmant qu’il échouera à enlever durablement ensuite ne pouvoir accepter que des le parti national-socialiste à Hitler. conditions d’armistice honorables, Ludendorff se replie alors sur le derpuis en tentant de relancer le combat, nier carré de ses fidèles. Adoptant le mal est fait et son incidence sur l’attitude d’un prophète, il prône l’opinion est dévastateur. Limogé le retour à une sorte de néopagale 25 octobre 1918 par le Kaiser, nisme germanique, tout en multipliant Ludendorff lui-même préfère s’éloiles écrits pour dénoncer le complot gner pendant que la révolution chasse de pseudo « forces supranationales » : les souverains allemands. juifs, francs-maçons et jésuites sont Après un bref exil en Suède, il rentre ses cibles favorites. à Berlin, soucieux de dégager sa responsabilité dans l’effondrement final Il faut rendre à Erich… et de régler ses comptes avec ceux auxquels il l’impute. Puissamment Ces dérives finales ne doivent pas relayé par la presse nationaliste, faire oublier que Ludendorff demeure il lance l’idée que la défaite ne serait un des rares généraux qui ont montré due qu’à la trahison du talent en 14-18. de l’arrière, mêlant cependant à en Après guerre, Reste dans une même vinmesurer l’étendue. dicte anciennes élites juifs, jésuites et Un premier point peut politiques du Reich, être retenu, attesté francs-maçons gouvernement, partis par les mémoires et syndicats, accusés sont ses cibles de ceux qui ont servi en bloc d’avoir refusé à favorites. sous ses ordres: à ses débuts, il reste l’armée les moyens de vaincre, puis de l’avoir « poignardée encore très marqué par l’esprit de dans le dos » en déclenchant la révoMoltke l’Ancien, laissant à ses suborlution au moment crucial. donnés une large part d’interprétation Considéré comme un recours par des directives qui leur sont données. les adversaires du nouveau régime, Ce principe se retrouve même au il joue le condottiere prêt à renverser niveau inférieur, puisqu’une des raila république et tente effectivement sons de l’efficacité des Sturmtruppen sa chance avec le putsch Kapp est précisément le très large pouvoir de mars 1920. L’échec de l’entreprise d’appréciation et de décision laissé à le contraint à quitter la capitale et l’encadrement, essentiellement formé il s’installe en Bavière, où il récidive, de sous-officiers. Mais au niveau aux côtés d’Hitler, avec le « putsch supérieur cette souplesse, qui est de la brasserie » du 8 novembre ce qu’il y a de mieux dans le style de 1923. Il échoue encore, de même dement allemand, disparaît
progressivement et laisse place à un autoritarisme qui n’admet pas la contradiction, prétend contrôler le moindre détail et fait tomber les têtes en cas d’échec. À la longue, cela ronge la confiance et tout le système s’en trouve grippé. Par son évolution personnelle, Ludendorff est le premier responsable d’une forme mortifère de démission collective au sein de l’armée. Dans la conception générale de ses opérations, Ludendorff apparaît comme un élève fidèle de Schlieffen. C’est clair dans les opérations à l’Est, où il recherche l’anéantissement de l’adversaire par l’enveloppement des ailes. Reste que, comme l’a prévu Falkenhayn, ce schéma tactique est inopérant face à un adversaire remarquablement efficace en défense, disposant d’espace et d’hommes pour se replier et se refaire. Ludendorff n’obtient donc que des succès tactiques, sans pouvoir monter d’enchaînements opérationnels. On retrouve la même chose lors de la dernière campagne sur le front Ouest. Ludendorff se concentre sur le problème tactique de la percée, mais ne tient pas compte d’un vieux principe édicté par le premier Moltke : une fois les choses lancées, on ne peut rattraper une erreur dans le dispositif de départ. Or il a établi ce dernier sans fixer clairement les phases d’enchaînement postérieures. Excellent tacticien, jamais il n’arrive à se hisser au niveau de l’art opératif. Défaut éternel des généraux allemands…
Lorsque les Alliés exigent en mars 1920 du gouvernement allemand qu’il applique les clauses du traité réduisant l’armée à 100 000 hommes, celui-ci envisage la dissolution des corps francs créés après la défaite. La brigade du capitaine Ehrhardt marche alors sur Berlin et installe brièvement à la chancellerie Wolfgang Kapp, politicien d’extrême droite proche de Ludendorff. Le putsch échoue devant une grève générale. Le maréchal Helmuth von Moltke (18001891) dit l’Ancien est chef d’état-major de l’armée prussienne pendant trente ans. Véritable intellectuel militaire, il est avec Bismarck l’artisan des victoires prussoallemandes de 1864 contre le Danemark, de 1866 contre l’Autriche et de 18701871 contre la France.
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Pour en savoir À lire • The German High Command at War : Hindenburg and Ludendorff Conduct World War I , R. B. Asprey,
William Morrow, 1991. • Le Sort des armes, C. Barnett, Presses de la Cité, 1964. • « Erich Ludendorff », R. Foley, in Grosse Feldherren der Weltgeschichte,
Bucher, 2008. • War Land on the Eastern Front, V. G. Liulevicius, Cambridge Univ. Press, 2000. • Ludendorff : Diktator im Ersten Weltkrieg, M. Nebelin, Siedler, 2010. • Aux racines du mal. 1918, le déni de défaite, P. Jardin, Tallandier, 2006.
s L i v r e
Penser le XXe siècle Tony Judt, Timothy Snyder
Éditions Héloïse d’Ormesson, 521 p., 24 €.
Deux grands historiens, à travers leur dialogue sstructuré en neuf chapitres ((plus un avant-propos et un éépilogue), nous embarquent pour un voyage à travers lle XXe siècle. L’itinéraire de cces deux « explorateurs » ddans ce siècle si « court » (1914-1991) sinue à travers un monde d’idées et d’idéologies qui se sont souvent transformées en projets monstrueux. En 2008, Tony Judt, auteur d’un ouvrage magnifique sur l’Europe d’après 1945 — Après guerre —, est diagnostiqué atteint d’une maladie dégénérative incurable, qui l’oblige à abandonner ses projets scientifiques. Son ami Snyder lui propose alors de faire une série d’entretiens, d’où sortira ce livre. Judt est décédé en août 2010, quelques semaines après avoir dicté un long épilogue, qui est aussi lucide que tout ce qu’il avait écrit jusque-là. Il était âgé de 62 ans. Si Judt a révolutionné l’histoire du XXe siècle en général et Timothy Snyder celle de la Shoah en particulier, c’est entre autres parce qu’ils ont beaucoup puisé dans des sources situées en Europe centrale et orientale. Ils ont ainsi rendu l’histoire européenne moins occidentocentrée, à la différence d’un Eric Hobsbawm dont le livre le plus connu — L’Âge des extrêmes. Le court XX e siècle, 1914-1991 — consacre 8 pages sur 800 à l’analyse de l’établissement du système stalinien en Europe de l’Est… Mais Penser le XX e siècle n’est pas seulement un livre sur le communisme et le nazisme, « vu de Varsovie ou de Prague », c’est aussi un ouvrage sur le sionisme, Israël ou encore les intellectuels français d’après-guerre, dont Judt était l’un des meilleurs spécialistes. Les deux hommes trouvent quelque chose de frappant et d’original à dire sur presque tous les événements ou les idées qui ont façonné l’Occident, qui nous ont façonnés… Un livre indispensable à tous pour cette raison et sans équivalent. Y. McL.
Histoire du monde John M. Roberts, Odd Arne Westad
Perrin, tome 1 : 455 p., 22 € ; tome 2 : 510 p., 24 € ; tome 3 : 600 p., 24 €.
La publication en français de cette impressionnante somme est l’événement éditorial de ces derniers mois. Son ambition ? Ni plus ni moins que de « raconter et décrypter l’histoire du monde »… Il s’agit d’un ouvrage de l’historien John M. Roberts paru en anglais il y a bientôt quarante ans
et qui a obtenu un succès mondial (plus d’un million d’exemplaires vendus). Constamment réédité dans sa langue d’origine, il a été complété par l’historien norvégien Odd Arne Westad après la mort de Roberts en 2003. Westad l’a mis à jour en y intégrant les récentes découvertes historiques ou archéologiques, mais également en y introduisant de nouvelles problématiques. Le premier tome couvre la préhistoire (brièvement mais intelligemment, et
en tant que processus menant à l’émergence des grandes aires culturelles), les premières civilisations et l’Antiquité classique. Il se concentre sur la Méditerranée, le Proche-Orient, le souscontinent indien et la Chine ; les autres aires comme les Amériques, l’Afrique ou l’Europe non méditerranéenne n’ayant droit qu’à un chapitre. Le deuxième tome,
couvrant mille ans, du Moyen Âge aux temps modernes, élargit considérablement son champ spatial, notamment en direction de l’Europe et du Japon. Quant au troisième, il traite naturellement de l’époque contemporaine, baptisée « âge des révolutions », qu’elles soient politiques ou industrielles, jusqu’à nos jours. Comme cet ouvrage se lit merveilleusement bien, on est d’autant plus fasciné devant le panorama grandiose offert par les auteurs. Si ces derniers se concentrent sur l’histoire des systèmes politiques et étatiques, des religions, des techniques et des pratiques, de l’économie, des modes de vie, des arts et de la pensée, et qu’il ne s’agit pas du tout d’un ouvrage d’histoire militaire, la guerre court bien sûr en filigrane des trois volumes, comme elle court à travers toute l’histoire de l’humanité.
En outre, les liens entre les civilisations sont constamment analysés, qu’ils soient conscients, produits par le hasard ou par des circonstances dépassant les hommes. Du coup, les auteurs se refusent à limiter la notion de « mondialisation » à ces dernières années, et ils ont bien raison ! De même, non contents de remettre en question certains clichés, ils prennent le risque d’émettre des jugements, ce que les historiens actuels n’osent plus faire, sans doute à tort, car cela oblige le lecteur à penser. Pourtant, l’ensemble n’est pas sans défauts. Outre l’absence de bibliographie, on notera quelques erreurs de détail ou des jugements et partis pris plus que contestables, défaut que l’on peut accepter car cette synthèse reste remarquable et indispensable à quiconque s’intéresse à l’histoire, ne serait-ce que pour mettre en perspective une période favorite. L. H.
Les Combattantes. Les aviatrices soviétiques contre les as de la Luftwaffe Liouba Vinogradova
Éd. Héloïse d’Ormesson, 426 p., 25 €.
Excellente idée que cette traduction d’un ouvrage russe. Liouba Vinogradova
(collaboratrice de longue date d’Anthony Beevor ; voir aussi G&H no 28, p. 44) a fondé sa recherche sur des archives inédites et des interviews menées auprès des survivantes. Dans la plupart des pays, les femmes ont commencé à piloter du « métal hurlant » seulement dans les années 1990. L’idéologie bolchevique, qui revendiquait l’égalité des sexes, a eu cet effet positif d’ouvrir tous les métiers aux deux sexes. Dans les années 1930, une bonne partie de la jeunesse, filles et garçons, adhère à la Dosaaf et à l’Osoviakhim, des organisations militarosportives puissantes qui disposent de leurs propres clubs d’aviation et dont la finalité est la préparation à un conflit jugé inévitable avec le monde capitaliste. Le 22 juin 1941, quand Hitler attaque l’URSS, beaucoup de jeunes femmes titulaires du brevet de pilotage se portent volontaires pour le front. Les réticences des chefs changent quand le pilote (et officier du NKVD) Marina Raskova, égérie de l’URSS pour ses exploits au long cours, réussit à persuader Staline de créer des unités féminines, le dictateur ayant, il est vrai, désespérément besoin de personnels alors que les Panzer sont à 100 km du Kremlin. Naît ainsi la 122e division, à trois régiments. « Nous pouvons tout faire », devient le mantra de Marina Raskova et le score des victoires remportées par ses « sorcières » est impressionnant — même s’il est exagéré. Le livre, bien écrit, devient captivant lorsqu’il entrecroise, avec des poèmes, des chansons et des histoires d’amours, les destins de ces femmes qui ont survécu au pire conflit de l’histoire sous l’un des pires régimes qui se puisse concevoir. Y. McL.
L’Armée ’ de César pendant la guerre des Gaules
sur l’équipement et les armes des soldats de César, tels que révélés par les plus récentes découvertes archéologiques. Bien que d’inspiration très anglosaxonne dans sa forme, le livre d’Historic’one possède aussi la qualité et le sérieux des publications universitaires « à la française ». Avec plusieurs niveaux d’entrée, il est destiné à un très large public. F. Bey
l’émir Al-Mostancir, il commet en ciblant Tunis une erreur stratégique majeure, aggravée par sa pratique solitaire du pouvoir. L’histoire des croisades trouve ici un solide complément ainsi que celles de saint Louis et du royaume de France. Un livre instructif, écrit avec élégance. S. Gouguenheim
François Gilbert, Florent Vincent
Historic’one, 119 p., 22,50 €.
Dépasser la seule étude des Commentaires de César pour tenter de donner la représentation la plus vivante possible de l’armée romaine lancée par son chef à la conquête de la Gaule, voilà l’objectif affiché par les auteurs de ce très beau livre. Ce sont des illustrations originales de Florent Vincent, aussi rigoureuses qu’évocatrices, qui confèrent son identité singulière à cet ouvrage de grand format. Chaque dessin représente un ou plusieurs soldats avec leurs armes, décrits dans des légendes détaillées. Un des mérites des auteurs est de mettre en lumière la variété souvent oubliée de l’armée de César : à côté des légionnaires, on trouve ainsi des enseignes et des musiciens, des cavaliers romains, gaulois et germains, des auxiliaires d’infanterie légère (archers, frondeurs, vélites) ou des arpenteurs. Ce penchant pour « l’histoire vivante » s’exprime aussi à travers de nombreuses photos de groupes de reconstituteurs en action, comme celui de la légion des Alouettes auquel appartient François Gilbert. Le texte, beaucoup plus généraliste et plus classique, laisse au contraire une impression de « déjà lu », tout en réalisant une parfaite synthèse des connaissances actuelles
La Dernière Croisade
La Restauration et la révolution espagnole. De Cadix au Trocadéro Antoine Roquette
Xavier Hélary
Éd. du Félin, 304 p., 25 €.
Perrin, 317 p., 22 €.
« Depuis le XIX e siècle les
historiens tentent d’expliquer le choix de Tunis, mais les contemporains n’ont pas été moins surpris qu’eux. » C’est cette énigme que Xavier Hélary résout dans son dernier ouvrage, troisième d’une trilogie, après Courtrai et L’Armée du roi de France. Partant d’une analyse minutieuse des sources, dont plusieurs inédites, il dresse un récit complet, et cohérent, de la huitième croisade, allant des préparatifs immenses de l’expédition, dès 1267, au retour des combattants trois mois après la mort du roi. Il apporte nombre d’informations sur les contingents, la flotte, l’environnement international (rôle des Génois et du pape). La responsabilité du monarque dans l’échec de l’entreprise est « écrasante » : aveuglé par sa piété et l’illusion de convertir
Il remonte loin dans l’histoire espagnole, rend l’importance du congrès de Vérone en 1822 de la Sainte-Alliance, présente les enjeux intérieurs pour le trône français des Bourbons tout aussi inquiet des mouvements libéraux que des complots de la Charbonnerie. Croisade réactionnaire et dynastique voulue par Louis XVIII, l’expédition d’Espagne a néanmoins joué un rôle non négligeable en « rendant unité et valeur à l’armée française permettant à la politique extérieure d’être active et utile jusqu’aux derniers jours du régime ». Tout cela, huit ans à peine après Waterloo. De nombreuses citations ajoutent à l’agrément de la lecture en nous remettant à l’oreille la belle langue du XIXe siècle. J. L.
Voici un bon livre d’histoire, bien édité et bien écrit. Il nous entraîne dans le sillage de Son Altesse royale le duc d’Angoulême placé à la tête de l’expédition des « Cent mille fils de saint Louis » en route vers l’Espagne en avril 1823. On reconnaît parmi les chefs de corps les maréchaux Oudinot et Moncey, le général Molitor et le prince de Hohenlohe dont une des unités est l’ancêtre de la Légion étrangère. Ces messieurs et leurs soldats marchent sur Madrid, battent les troupes constitutionnelles au Trocadéro, investissent Cadix et délivrent le roi d’Espagne Ferdinand VII. À part des noms de ponts et de rues, cet épisode n’a guère laissé de traces dans la mémoire nationale (voir G&H no 29, p. 98). Antoine Roquette, spécialiste de la Restauration, en restitue excellemment le contexte et en donne les clés.
savoir que le capitaine d’état-major de 25 ans Carl von Clausewitz assiste au désastre d’Auerstädt, le 14 octobre 1806. De même pour son action réformatrice à Königsberg auprès de Gneisenau et de Scharnhorst, en Russie, en 1812, et lors des dernières campagnes contre Napoléon (on l’accusera notamment d’avoir laissé échapper Grouchy à Wavre). Le chapitre 8 — « Le temps de l’écriture » — est à mon goût trop bref : on aimerait tellement en savoir plus sur les circonstances, les influences, les regrets de l’auteur en train de rédiger l’œuvre la plus féconde de toute l’histoire militaire et bien au-delà. Un ouvrage de référence, et qui le demeurera longtemps. Rappelons à nos lecteurs qu’ils trouveront une introduction à la pensée de Clausewitz dans les trois articles donnés à G&H par Benoist Bihan (nos 24, 25 et 26). J. L.
L’Extase totale. Le IIIe Reich, les Allemands et la drogue Norman Ohler
La Découverte, 250 p., 21 €.
Clausewitz Bruno Colson
Perrin, 600 p., 27 €.
Si vous cherchez un condensé, un commentaire ou une analyse de l’œuvre du penseur prussien, ce livre n’est pas pour vous. Bruno Colson, professeur à l’université de Namur, est parti à la recherche de l’homme et du combattant des guerres napoléoniennes. Un travail méticuleux, l’exploitation de documents nouveaux ont donné naissance à une biographie scientifique où rien n’est avancé qui ne soit sourcé. Il est évident qu’on ne peut comprendre le moteur de la rédaction de De la guerre
Norman Ohler est un journaliste allemand qui propose un livre de journaliste. Il raconte une histoire étonnante avec vivacité et offre aux amateurs de polars un vrai plaisir de lecture. L’ouvrage veut montrer que, sous le IIIe Reich, les Allemands — dirigeants, soldats et ménagères — se sont légalement, systématiquement et durablement drogués à la Pervitine, le nom commercial de la méthamphétamine. Un bon tiers traite des rapports entre Hitler, son médecin Theodor Morell et son étrange pharmacopée où Pervitine et cocaïne auraient souvent été prescrites. Le sujet est intéressant. Mais il méritait mieux. La ficelle est très grosse. Prenez un fait
l’aplomb de l’auteur. Il n’y en a pas. À force de vouloir tout expliquer par la drogue — nouveau nez de Cléopâtre —, Ohler, bien sûr, finit par ne rien expliquer du tout. Et son livre sombre dans l’outrance, demi-sœur de l’insignifiance. J. L
spectaculaire et croustillant, mais nullement nouveau, et transformez-le en cause générale, en sésame magique capable de tout expliquer: les victoires du début de la guerre, les défaites à la fin (mais pas un mot sur la période 1941-1943: la Wehrmacht aurait-elle subi une cure de désintox?), l’adhésion durable des Allemands au nazisme. Et pourquoi pas la Shoah expliquée par la Pervitine, pendant qu’on y est ? On cherchera en vain une source nouvelle qui justifierait
Ma bataille d’Alger Ted Morgan Tallandier, 352 p., 20,50 €.
Ce témoignage sur la guerre d’Algérie traduit de l’américain (première publication en 2006) est unique par la personnalité
Nous avons reçu et parcouru • Si je survis, Moriz Scheyer, Flammarion, 380 p., 23,90 €. L’incroyable odyssée, écrite à chaud, d’un journaliste viennois et juif, de l’Autriche à la Dordogne. • The Aviation Department of the Royal Army Museum in Brussels, 210 p., 30 €, édité par Patricia Henrion (info@ editionspatH.be). Ensemble de fiches sur les 144 avions civils et militaires détenus par ce prodigieux musée. • Eichmann avant Jérusalem. La vie tranquille d’un génocidaire, Bettina Stangneth, Calmann-Lévy, 736 p., 26,90 €. La vie du tueur de masse entre 1945 et 1960, date de son enlèvement en Argentine par le Mossad. • Entreprendre et réussir. Histoire du 19e régiment du génie, Christophe Lafaye, Éd. Pierre de Taillac, 175 p., 35 €. Depuis 1876, avec force images, l’histoire des « sapeurs d’Afrique » par un ancien officier de l’unité. • 2e étranger. 175 ans d’histoires d’hommes et de combats, André-Paul Comor, Éd. Pierre de Taillac, 250 p., 35 €. Même type d’ouvrage que précédemment par un historien de la Légion. La part du lion revient aux opérations extérieures contemporaines. • Pourquoi les Khmers rouges, Henri Locard, Vendémiaire, 384 p., 25 €. Une édition revue par un universitaire installé au Cambodge. Pour comprendre une révolution communiste qui a surpassé dans la terreur stalinisme et maoïsme.
de son auteur, son contenu et son ton. Ted Morgan, Sanche de Gramont de son vrai nom, descend d’une grande et ancienne famille de militaires français. Son père, engagé dans la France libre, est mort dans un accident d’avion en 1942. Possédant la double nationalité, par sa mère américaine, Morgan reçoit en 1955, alors qu’il vient d’être engagé comme journaliste à New York, une convocation pour faire son service militaire en France. Il accepte en souvenir de l’engagement de son père. Embarqué dans un conflit dont il comprend très bien les enjeux, après une expérience traumatisante dans le bled, il tue un homme durant un interrogatoire puis découvre la bataille d’Alger au sein des régiments paras du général Massu. Le récit de cet épisode est lucide. Ted Morgan sait tout, voit tout. Il remet la torture à sa place dans cette guerre. Il la condamne sans appel mais affirme qu’elle permet d’obtenir des renseignements, de terroriser le FLN terroriste et de contrôler étroitement Alger. Il dresse le portrait éclairant de plusieurs militaires français et de combattants algériens comme Zohra Drif ou Yacef Saadi avec une révélation sur ce dernier qui a fait hurler la presse algérienne. Au-delà de cette analyse, l’auteur restitue bien l’atmosphère de ce conflit dans une partie de l’armée française. Le lecteur comprend comment fonctionne cette armée, comment des hommes commettent des actes qu’ils n’imaginaient pas, comment se nouent les relations avec les « colons » ou la police. Écrit après coup, le texte bénéfice des qualités du journaliste,
prix Pulitzer en 1961, et de celles de l’analyste qui a vu de près le terrorisme urbain et quelques-unes des réponses qu’on peut lui apporter. Un texte qui résonne étrangement avec l’actualité. S. D.
La Russie des tsars d’Ivan le Terrible à Vladimir Poutine Emmanuel Hecht (dir.) Perrin, 400 p., 21 €.
Histoire de la Russie d’Ivan le Terrible à Nicolas II, 1547-1917 Pierre Gonneau Tallandier, 544 p., 24,90 €.
Les deux grands éditeurs d’histoire tirent les premiers pour commémorer le centenaire des révolutions russes. Ils le font en personnalisant cette histoire ce qui, en soi, n’est pas condamnable étant donné la place politique et symbolique qu’occupe le Père des peuples. L’ouvrage de Perrin est un collectif à 18 entrées, correspondant chacune à un tsar, blanc (Ivan le Terrible, les Romanov…), rouge (Lénine, Staline, Khrouchtchev…) ou gris (Kerenski, Eltsine, Poutine…). Placer ces trois derniers et leurs prédécesseurs bolcheviques dans la liste semble plus une affaire de marketing qu’un choix intellectuellement justifié, même si le texte
de Buisson sur Kerenski est bon. Les contributions sont de valeur variable, alternant des signatures de chercheurs confirmés et des plumes plus anecdotiques. Le livre de Pierre Gonneau, spécialiste de la Russie médiévale, s’arrête avec la dynastie des Romanov, en 1917. Il a le mérite, dans une langue claire, de bien intégrer les portraits des monarques dans le récit de l’histoire russe. Les cartes, la chronologie et l’index sont bienvenus. Mais comment peut-on expédier la guerre, la révolution et la fin des Romanov en cinq pages ?! Il faut savoir terminer un livre, comme aurait dit Maurice. J. L.
Cambronne. La légende de Waterloo Stéphane Calvet Vendémiaire, 288 p, 21 €.
Que le lecteur ne s’arrête pas au sous-titre de l’ouvrage, choisi pour des raisons marketing — la légende du mot (…) et de l’héroïque formule (« La Garde meurt… ») a déjà été éventée ailleurs ; elle ne fait d’ailleurs l’objet que de quelques paragraphes. Ce qui rend l’ouvrage passionnant, en revanche, est de croiser tous les épisodes d’une biographie somme toute classique avec ce que la nouvelle science historique
a apporté à la geste napoléonienne : statistiques sociologiques, médicales, financières, critique sans concession des sources secondaires, apocryphes ou postérieures aux événements, etc. Par comparaison avec les familles de négociants nantais ou le corps des officiers de la Grande Armée, le général Cambronne apparaît dans la moyenne des destinées de l’époque :
NOS AUTEURS ONT ÉCRIT
Le classique
La Guerre du Chaco, 1932-1935
Makers of Modern Strategy : Military Thought from Machiavelli to Hitler
Thierry Noël Economica, pages n. c., 23 €.
Edward Mead Earle, Gordon A. Craig, Felix Gilbert (dir.)
Princeton University Press, 1944.
Pendant trois longues années, la Bolivie et le Paraguay se sont livrés une guerre acharnée — 35 000 tués paraguayens, 45 000 boliviens — pour le contrôle d’une région inhospitalière et qui, malgré les espoirs à l’époque (pétrole en particulier), s’avérera sans réelle valeur économique ou stratégique : le Chaco boréal. Cette guerre méconnue en France est pourtant intéressante 7KLHUU\ 12¥L
LA GUERRE DU CHACO %ROLYLH r 3DUDJXD\ (1932-1935) 127
notabilité modeste, engagement républicain précoce, acculturation rapide à la « violence de guerre » qui entravera longtemps sa carrière, faute de qualités humaines ou intellectuelles, voire militaires (il ne commandera jamais plus qu’un bataillon), hors un courage absolu. C’est en fait la légende de Waterloo qui le sort d’un quasi-anonymat. Il n’aura de cesse de la combattre, car elle gêne son ralliement à Louis XVIII, suivant en cela la plupart de ses collègues. Mais la légende ne retiendra que la fidélité « éternelle » à Napoléon qu’il a accompagné à l’île d’Elbe, et bien sûr le « massacre » du dernier carré : pourtant, statistiques à l’appui, les deux tiers du bataillon en réchappèrent, autant que les autres bataillons de la Garde. L’auteur risque même une hypothèse sacrilège : et si le « mot » s’adressait à ses soldats qui se débandaient? A. Reverchon
ECONOMICA
à de multiples titres, non seulement comme éclairage sur l’histoire politique et diplomatique récente de l’Amérique latine, mais aussi comme illustration des capacités — réelles — et des limites — nombreuses — des armées de cette région. Précis, agréable à lire, le récit qu’en fait Thierry Noël est donc plus que bienvenu et continue, à la suite de ses deux précédents ouvrages (un portrait de Pablo Escobar et une Dernière guérilla du Che,
remarquable) d’imposer son auteur comme l’un des fins connaisseurs de cette région. Ne sombrant jamais dans les clichés, restituant tant l’évolution des opérations militaires que l’ambiance politique et le contexte diplomatique, ce livre efficace est l’une des bonnes surprises
Voici un ouvrage sans guère d’équivalent au XXe siècle. Paru en 1944, Makers of Modern Strategy est bien davantage qu’un recueil d’essais sur ceux qui, théoriciens ou praticiens, ont « forgé la stratégie moderne ». Au fil des chapitres — près d’une trentaine — qui composent cette somme collective, l’on assiste à l’émergence d’une culture stratégique américaine. Chaque penseur ou praticien de la stratégie étudié — Machiavel, Vauban, Frédéric II, Clausewitz, Moltke, Foch, mais aussi Marx et Engels, Clemenceau, Adam Smith (dans un passionnant article sur « les fondements économiques de la puissance militaire »), Mahan, Douhet… — l’est avec l’ambition affirmée de doter la puissance américaine du cerveau stratégique qui lui manque encore. Les universitaires auteurs des articles sont tous, à un degré ou un autre, impliqués dans la mobilisation scientifique et intellectuelle de l’Amérique. L’objectif est d’élaborer une « grande stratégie » (intégrant moyens militaires, économiques, diplomatiques, culturels, etc. au service d’une unique finalité politique) qui doit conduire Washington non seulement à la victoire sur l’Axe, mais vers une position dominante après guerre. Earle sera d’ailleurs décoré en 1946 pour son travail. L’ouvrage marque ainsi d’une certaine manière l’acte de naissance des « études de sécurité » (security studies), un genre dont les auteurs du début de la guerre froide, le plus souvent civils, seront parmi les principaux artisans de l’élaboration d’une stratégie pour l’ère nucléaire. Un ouvrage paru en 1986 avec le même titre prolongera d’ailleurs sa chronologie, s’étendant « de Machiavel à l’âge nucléaire » : il peut être lu comme un deuxième volume, cette fois sous la houlette de Peter Paret, l’un des coauteurs de la version anglaise du De la guerre de Clausewitz. Dépassé aujourd’hui en de nombreux points par les avancées de la recherche, Makers of Modern Strategy n’est toutefois pas à lire comme un livre d’histoire, mais comme un document. Il symbolise le « passage de témoin » en matière de stratégie entre l’Europe épuisée par deux guerres mondiales et l’Amérique alors triomphante. Il montre que l’histoire, notamment militaire, est un réel facteur de puissance pour un État. Mais il est aussi un témoin précoce de la confusion grandissante, dans le monde universitaire, entre travail scientifique et « conseil du prince », un mélange des genres aujourd’hui devenu structurel dans l’université anglo-saxonne et qui pose maintes questions. lI devient clair que de nombreux ouvrages à prétention « scientifique » sont en réalité orientés quant à leurs conclusions… Mais ce problème a-t-il une solution ? L’ « objectivité » n’est-elle pas aussi illusoire que l’esprit de parti est dangereux ? B. Bihan de la rentrée éditoriale en matière d’histoire militaire. B. B.
Leur obsession. Envahir l’Angleterre Charles Turquin Jourdan, 220 p., 18,90 €.
Philippe II d’Espagne (1588), Napoléon Bonaparte (1805) et Adolf Hitler (1940) — pour ne citer que les échecs majeurs — ont caressé l’idée de débarquer outreManche. Tous trois ont échoué, pour des raisons différentes. Charles Turquin nous livre l’analyse de ces échecs, une analyse
parfois très technique mais qui n’oublie jamais les ressorts stratégiques. Né sur l’embouchure de
l’Escaut (l’équivalent d’une certification Veritas), ancien marin, bon connaisseur de la Manche et de la mer du Nord, l’auteur a médité cet ouvrage alors qu’il menait son voilier, le Sonrisa del Gato, dans les parages fréquentés jadis par de plus redoutables navires. A-t-il lui-même conçu, pour sa Belgique natale, le dessein de prendre Douvres et Portsmouth ? L’on en saura plus quand les archives s’ouvriront. En attendant, nous convions le lecteur à embarquer à bord de ce délicieux ouvrage, alerte, joliment écrit et toujours pertinent. J. L.
B D
leur épaisseur et leur complexité. Ce qui est assez rare dans ce genre d’histoire. S. Dubreil
Nuit noire sur Brest Kris, Bertrand Galic, Damien Cuvillier
Futuropolis, 88 p., 16 €. Ce magnifique album mi-polar, mi-récit historique est tiré du livre de l’historien breton Patrick Gourlay : Nuit franquiste sur Brest. En août 1937, un sousmarin inconnu et en piteux état mouille en rade de Brest. Le capitaine déclare très vite aux autorités qu’il est espagnol et que son navire appartient à l’État légitime, donc au camp républicain. Démarre alors un feuilleton tordu où se heurtent les intérêts de l’équipage, des marins et dockers brestois qui les soutiennent d’une part, du gouvernement français en principe neutre d’autre part, des réseaux franquistes et de leur relais locaux d’extrême droite bien décidés à récupérer le navire enfin. En entrecroisant avec talent les chemins de multiples personnages, les scénaristes, Bertrand Galic et Kris (bien connu de G&H) jouent avec les désirs, les convictions et les peurs tout en respectant l’époque, bien servie par le dessin expressif et précis de Damien Cuvillier. Certes, on perçoit bien vite où vont les sympathies des auteurs. Ce qui ne fait pas de Nuit noire… une BD bêtement manichéenne : les personnages gardent tout au long du récit
Finnele. Dommages de guerre Anne Teuf
Delcourt, 212 p., 15,50 €. 1920, la Grande Guerre est finie depuis deux ans et nous retrouvons Finnele, personnage inspiré par la grand-mère de l’auteur. Elle a 14 ans et sa vie n’est pas toujours rose dans l’Alsace en ruine… Anne Teuf met ici en lumière un pan de l’histoire peu abordé : le sort ingrat des femmes de milieux modestes dans l’aprèsguerre. Elle raconte aussi cette région meurtrie dont la population, tout juste redevenue française, est en butte aux tracasseries et aux vexations administratives. Enfin, et le charme de la série vient de là, Anne Teuf suit avec une tendresse teintée d’admiration le parcours de cette future grand-mère qui sort de l’enfance pour trouver son chemin. Encore un beau récit d’après-guerre, un exemple d’humanité optimiste. S. D.
Insoumises Javier Cosnava, Rubén del Ricon
Éd. du Long bec, 96 p., 17 €. « C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et qu
du bétail livré à luimême… Tout un merdier copieusement arrosé par les stukas dans lequel Amédée Videgrain se demande ce qu’il fait. Mais pas nous, car cette déconfiture est un Rabaté grand cru ! P. Q. parfois, le courage n’obtient ’ pas de récompense… » C’est Albert Camus qui s’exprime ainsi, figuré au début et à la fin de la BD, bien qu’il ne se soit jamais rendu à Oviedo, dans les Asturies, où le livre démarre en octobre 1934 : trois femmes courent pour échapper aux gardes civils et à la mort. Elles participent à l’éphémère insurrection armée contre le gouvernement d’extrême droite de Gil Robles, sévèrement réprimé par les troupes de Franco, déjà… Suivent trois décennies de combats et de désillusions, de la guerre d’Espagne à Mai 68, où les destins des trois insoumises se croisent et se lient. P. Quehen
Jeanne d’Arc ’ J. le Gris, I. Noé, M. Gaude-Ferragu
Glénat, 56 p., 14,50 €. Enfin un volume de la série « Ils ont fait l’histoire » qui sort de l’académisme. Plutôt que de retracer la (courte) vie de la Pucelle dans le détail, les auteurs en dressent un portrait psychologique à travers ses coups d’éclat. Au centre du récit, Jeanne est l’astre éclairant les protagonistes qui gravitent autour d’elle, juges et bourreaux rouennais compris. Le dessin, très expressif, tranche avec la fadeur des autres albums de la série. S. D.
La Déconfiture (t. 1) Pascal Rabaté
Futuropolis, 94 p., 19 €. Mais où est donc passé le 11e régiment ? Le soldat Videgrain, laissé seul à faire le « panneau indicateur » sur la route de la Débâcle, se le demande et part à sa recherche. Il rencontre des civils paranos, des bonnes sœurs en godillots, des fossoyeurs amateurs,
Capa. L’étoile ’ filante Florent Silloray
Casterman, 86 p., 17 €. La vie du grand reporter racontée à la première
personne : c’est déroutant au début mais la justesse des dialogues — que Capa aurait sans doute pu écrire — et l’humilité du dessin font de cet album une réussite. Au-delà de la vie de l’homme, il évoque l’immédiat avant et aprèsguerre, moment charnière de l’histoire de la presse où les photographes sont aussi des artistes et des stars mondaines, un jour au bras d’Ingrid Bergman, un autre dans un champ de mines indochinois… Le dessinateur s’est immergé dans l’œuvre du photographe et dans les archives de ses amis ; il s’en inspire sans servilité, avec justesse et au service du roman. S. D.
Bérézina (tome 2/3) Gil, Rambaud, Richaud
Dupuis, 56 p., 15,50 €. 17 septembre 1812. Moscou occupée par la Grande Armée flambe depuis trois jours. Réfugié dans le palais Petrovski, confortable résidence d’été des tsars, Napoléon, contre l’avis de ses généraux, refuse de quitter la ville où il attend l’hypothétique reddition d’Alexandre Ier. La suite, hélas, est connue mais rarement vue : un mois d’attente dans la pénurie et la misère, puis l’interminable retraite vers l’Ouest… Magistrale à tous points de vue, cette deuxième partie de l’adaptation d’Il neigeait de Patrick Rambaud glace le sang ! P. Q.
S E X P O Le Grand Condé, un rival du Roi-Soleil ?
Domaine de Chantilly (60), jusqu’au 2 janvier 2017. Catalogue Éditions Snoek, 232 p., 29 € ; site : www. domainedechantilly.com Le Grand Condé est de retour en son fief de Chantilly, château qu’il occupe après son retour en grâce à Versailles. Et c’est un triomphe. À l’inverse du décapage de la légende tenté par G&H (no 31), l’exposition glorifie le rebelle frondeur, sur deux faces: le militaire, présenté à travers une superbe sélection de tableaux et objets souvent restaurés pour l’occasion, et le mécène cultivé, collectionneur, bibliophile amateur de littérature et protecteur de Molière, dont il appuie le Tartuffe interdit. Même si l’expo ne répond guère à la question posée sur l’affiche, elle a le mérite de bien mettre en avant la complexité du personnage. S. Dubreil
Austrasie, le royaume mérovingien oublié
À l’espace Camille-Claudel de Saint-Dizier (52), jusqu’au 20 mars 2017 ; site: www.austrasie-expo.fr Sur trois siècles (de 511 à 717) et sur un territoire immense couvrant PaysBas, Belgique, Luxembourg, Est de la France et Sud de l’Allemagne actuelles, les rois mérovingiens d’Austrasie ont régné sur un peuple riche
vo r et entreprenant, guerrier certes mais raffiné, comme le montrent les belles pièces rassemblées pour l’expo : tombe du petit prince de Cologne, anneau de l’évêque Arnoul de Metz, bijoux de la dame de GrezDoiceau, tombe de chef (Saint-Dizier)… Occasion unique de tout voir en un seul déplacement. S. D.
D V D Le Siège De Rémy Ourdan, réalisé avec Patrick Chauvel
AGAT Films & Cie, 19,99 €. Nous revoici plongés dans Sarajevo, la ville martyre de la fin du XXe siècle. Ce film mêle images d’archives, extraits de journaux télévisés, chroniques radio qu’assurait alors Rémy Ourdan pour RTL, entretiens réalisés vingt ans après avec des Sarajéviens, combattants des milices ou civils engagés malgré eux dans cette lutte pour la survie. On retrouve aussi des images fortes de grands reporters (Gilles Peress, Éric Bouvet, Ron Haviv…), pour certaines devenues iconiques de ce qui demeure le plus long siège de l’histoire récente, presque quatre ans d’avril 1992 à février 1996 durant lesquels sont morts 11 541 habitants de la capitale bosniaque. Ourdan se focalise sur les assiégés de ce « camp de concentration moderne » comme dit une témoin. L’ennemi est invisible, nulle image des assiégeants serbes. Les plans des collines qui entourent la ville suffisent à incarner la menace permanente. Une terreur quotidienne qui connaît son paroxysme ce matin de février 1994 où un obus de mortier de 120 mm pulvérise le marché de Markale, ses étals, ses vendeurs,
ses chalands. Soixante-huit morts, 200 blessés. La télé bosniaque passe en boucle les images du massacre. Et le Premier ministre déclare: « Regardez bien ces images, elles sont le visage de l’Europe de demain ! » Glaçante prophétie. C’est Sarajevo la multiculturelle que ce siège voulait réduire à néant ne cessent de rappeler les survivants. G. Echalier
Dix jours dans la guerre d’Espagne De Patrick Jeudy
Zed Éditions, 14,99 €. Octobre 1938 : Paris Soir et Match envoient Joseph Kessel et le photographe Jean Moral à Madrid pour dix jours de reportages et livrer autant d’articles sur la guerre d’Espagne — en fait la vision qu’en a Kessel, prompt à broder au besoin. Le documentaire suit les deux journalistes jour après jour. Si le commentaire s’essaye à imiter « Kessel » sans trop y parvenir, il reste les photos et une masse fabuleuses d’archives filmées. S. D.
Pétain De Jean Marbœuf
Éditions Tamasa, 14,99 €. Sorti en 1993, ce film à gros budget (61 millions
de francs) a fait sensation. Après le procès Touvier et celui de Barbie, Marbœuf (avec Marc Ferro) est le premier à vraiment mettre Vichy en scène, tentant le pari risqué de la vérité dans une période où le débat mémoriel fait rage, comme le prouvera le livre de Pierre Péan sur François Mitterrand. Le film tient sur deux fabuleux acteurs: Jacques Duffilho, en Pétain haineux, jaloux
et versatile, et Jean Yanne en Laval, maquignon politicien matois et cynique. Sur ces deux piliers, le film fonctionne en une tragédie classique, respectant unité de lieu (Vichy), de temps (les années de collaboration) et d’action (interactions entre membres du gouvernement et conseillers). L’intimité miteuse de l’État français a frappé le public en 1993, mais le film n’a pas pris une ride. S. D.
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I D é O V X U J E War of Rights Support : PC, disponible seulement en version alpha sur le site officiel Développeur : Campfire Games Prix : à partir de 15 € (contenu de base) ; date de sortie : courant 2017 . Langue : anglais. En dépit de la domination américaine sur l’industrie du jeu vidéo, force est de constater que les titres consacrés à la guerre de Sécession sont peu nombreux. War of Rights tente d’y remédier. Ce jeu de tir à la première personne, actuellement en développement, a récemment atteint son objectif de financement participatif. Vous plaçant dans la peau d’un unioniste ou d’un confédéré durant la campagne du Maryland de 1862, War of Rights s’annonce très ambitieux en termes d’authenticité historique. Ainsi, le jeu, surtout multijoueur bien que disposant d’un mode solo, met l’accent sur un important degré de
réalisme. Les développeurs ont particulièrement travaillé le contenu pour le mettre en adéquation avec les canons de l’histoire, faisant au passage preuve d’un impressionnant souci du détail. Il suffit de regarder le soin accordé à la modélisation des uniformes pour s’en rendre compte. War of Rights prend en compte le relief du terrain, la portée des armes de l’époque, le moral des troupes et l’inertie entre le moment où un ordre est donné par le général et celui où il est appliqué par les troupes sur le terrain. Chaque faction aura par ailleurs ses points forts et ses faiblesses. Si les confédérés disposent d’officiers d’élite au moral d’acier et de bonnes troupes d’infanterie armées du fusil Whitworth, le camp de l’Union pourra lui compter sur une artillerie dévastatrice et sur des fantassins armés de fusils Springfield 1855. Bien sûr, on retrouvera également de la musique
Par Ronan Boëbion
Cossacks 3 Support : PC, en développement Développeur : GSC Game World Prix : 20 € ; date de sortie : fin 2016. Langue : multilingue, dont le français.
War of Rights a soigné
le détail des uniformes. À droite, on repère aisément à son pantalon rouge un zouave confédéré du 1st Louisiana Zouave Battalion qui a notamment combattu à Bull Run (1862). militaire et les chansons populaires dans les armées en présence comme Dixie’s Land pour les sudistes,
When Johnny Comes Marching Home pour les nordistes. Pour l’heure, une version alpha du jeu est accessible à ceux qui ont soutenu son développement pour
plus de 69 dollars. On peut y jouer six des régiments les plus célèbres de la campagne du Maryland comme le 1st Louisiana Zouave Battalion, régiment sudiste constitué par les hommes les plus rudes de La Nouvelle-Orléans. Il faudra cependant encore patienter plusieurs mois avant de pouvoir rejouer la bataille de Harpers Ferry dans son salon car War of Rights n’est pas attendu en version finale avant 2017.
Pour tout fan de jeux de stratégie ayant grandi dans les années 2000, la licence Cossacks constitue l’une des références. Le dernier opus de la série, intitulé Napoleonic Wars, date de 2005. C’est donc douze ans plus tard que s’annonce son successeur, qui renoue avec l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. Le jeu vous permettra de diriger l’une des douze nations les plus puissantes de l’époque parmi lesquelles figurent la France, la Prusse, la Russie ou la GrandeBretagne. Offrant à la fois une administration de l’économie, avec des paysans qui seront chargés de collecter des ressources utiles à la constitution d’une armée, et une gestion militaire, avec des unités à entraîner, Cossacks 3 suivra logiquement l’esprit de ses prédécesseurs.
Si ses graphismes peuvent apparaître quelque peu vieillots, Cossacks 3 parvient à reconstituer des affrontements massifs dans lesquels sont engagées plusieurs centaines d’unités.
Les formations qu’emploieront vos troupes auront leur importance sur le terrain, de même que la fumée, les explosions et les armes à feu qui seront adaptées au terrain sur lequel vous vous trouvez. Ainsi, le fait de négliger l’alignement de vos troupes pourra vous coûter la victoire, tout comme le fait d’envoyer des hallebardiers attaquer des mousquetaires perchés sur un relief. Gare à la négligence. Dans Cossacks 3, elle ne pardonne pas ! Par ailleurs, le jeu brille par sa capacité à mettre en scène d’énormes batailles, tant ses graphismes sont soignés. Cossacks 3 permettra d’afficher plus de 10 000 unités animées sur le champ de bataille et les développeurs annoncent plus de 70 types de formations militaires différents et la présence de 140 bâtiments historiques.
Enfin, on pourra croiser le fer dans des parties allant jusqu’à sept en multijoueur ou affronter l’ordinateur dans des escarmouches ou l’une des cinq campagnes présentées. Si, à l’heure où nous bouclions, aucune date précise n’avait été annoncée, la rumeur annonçait Cossacks 3 pour ce mois de septembre.
Command Live: Old Grudges Never Die Support : PC, le jeu de base Command : Modern Air/Naval Operations est requis pour faire tourner cette extension Développeur : Warfare Sims Prix : sur Steam, 3 € seul, 78 € avec le jeu de base requis ; date de sortie : 19 juillet 2016. Langue : anglais. Les jeux vidéo historiques ont pour habitude de se concentrer sur des conflits allant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Ce n’est que rarement qu’ils s’intéressent à des événements plus récents, tombant alors souvent dans la fiction quand il s’agit de traiter de la guerre moderne, afin de ne pas basculer dans le politiquement incorrect. Un simulateur s’est récemment démarqué de la masse en permettant de jouer des scénarios fondés sur des situations actuelles, comme la guerre civile syrienne. Disons-le clairement : Command Live s’adresse à un public de connaisseurs exigeants, férus de simulations militaires pointues et poussées à l’extrême. Ici, point de graphismes en 3D. Le « jeu » s’apparente à des logiciels utilisés par l’armée elle-même. De fait, il est horriblement complexe à prendre en main tout en faisant montre d’une grande austérité dans son interface. Le quidam non passionné
ferait mieux de passer son chemin — le manuel d’utilisation dépasse 400 pages ! Il s’agit en fait d’une extension venant prolonger le jeu de base Command : Modern Air/ Naval Operations. Command Live propose à travers plusieurs épisodes divers scénarios. Le premier de ces épisodes, intitulé Old Grudges Never Die, présente un cas de figure remontant à novembre 2015, lorsqu’un F-16 turc abat un Su-24 russe au-dessus de la frontière turco-syrienne. Contrôlant les forces armées turques ou russes, vous serez donc amené à traverser cette situation de crise en jonglant entre un contexte géopolitique tendu et diverses pressions internationales comme celle de l’OTAN. De nombreux outils sont
mis à votre disposition pour coordonner les ordres de vos troupes et organiser des opérations militaires dans le secteur. L’interface de Command Live est telle qu’on a vraiment tendance à se prendre pour un général suivant en temps réel l’avancée de la situation d’une mission à des milliers de kilomètres. Enfin, guerre civile syrienne oblige, les Français sont présents. Une partie du scénario vous placera aux commandes des frégates Chevalier Paul et Courbet. Vous pourrez ainsi simuler la coordination de frappes aériennes et navales depuis votre PC. La contrepartie de cette complexité dans la prise en main se révèle sans doute dans la richesse du gameplay et dans la satisfaction que le joueur tirera à mener à bien une mission. Si Command Live est destiné à un public trié sur le volet, il a le mérite de s’engager dans l’ultracontemporain de façon assumée. Cela en fait assurément un jeu qui sort du lot.
EN BREF Hearts of Iron IV , bientôt un mode
Première Guerre mondiale
Une équipe de passionnés de Paradox Interactive développe une modification qui permettra de jouer à partir de 1910 et donc de vivre la Première Guerre mondiale. Pour l’heure, pas de date de sortie, mais le projet semble des plus ambitieux. Civilization VI : plus d’infos sur la France
C’est Catherine de Médicis qui sera le leader de la faction française dans le prochain Civilization, prévu pour le 21 octobre prochain. Outre ce choix original pour succéder à Napoléon Ier, on sait également que la France aura dans le jeu des bonus économiques liés à son tourisme et des bonus militaires dans les domaines de la cavalerie et de l’espionnage. Par ailleurs, l’unité française spéciale sera la garde impériale. Sudden Strike 4 sortira en 2017
Cossacks n’est pas la seule licence phare des années 2000 à faire son grand retour sur le devant de la scène en 2016 : Sudden Strike 4 vient d’être annoncé ! Dix ans après le dernier opus de la série, ce jeu de stratégie prenant place durant la Seconde Guerre mondiale et dans lequel vous contrôlez une compagnie fera son retour au deuxième trimestre 2017.
ouer M E S A G R A
Par Frank Stora
Un thème très apprécié La guerre du Pacifique a toujours été, et reste, l’un des sujets favoris des es concepteurs de wargames. Depuis le vénérable ancêtre qu’était Flat Top (Avalon Hill), on a tout vu, du pire au meilleur. Restons dans les jeux relativement récents. • Dans le genre monstrueux : War in the Pacific (Decision Games), sept cartes de 85 x 55 cm, plus de 9 000 pions, plus de 4 kg, plus de 420 $… Qui dit mieux — ou pire ? • Dans le genre abstrait : Empire of the Sun (GMT Games), un card driven stratégique
Guerre AsiePacifique : au début, un « incident » La guerre du Pacifique, sujet principal de ce numéro, trouve ses racines dans la guerre sino-japonaise. Et l’une des étapes majeures de celle-ci fut « l’incident de Shanghai » — un incident qui a tout de même vu l’engagement de quatre ou cinq divisions de chaque côté et l’utilisation de l’aviation, de la marine et de trains blindés, le tout pendant plusieurs semaines ! Shanghai Incident (par Chris Perello, Decision Games, 23,50 €) évoque cette bataille très méconnue en Occident. Shanghai, les concessions étrangères, une automitrailleuse japonaise patrouillant dans une rue chinoise… Oui, c’est bien le décor du Lotus Bleu, cette aventure de Tintin qui se déroule un ou deux ans après l’événement. Celui-ci survient le 28 janvier 1932,
quand une faction des forces japonaises pense pouvoir aisément prendre le contrôle de la grande ville de Shanghai, base idéale pour progresser plus avant en Chine. Mauvais calcul : les Chinois réagissent violemment et efficacement ! Bien entendu, les Japonais vont s’acharner… Durant cinq semaines, jusqu’au 2 mars, aucun des deux camps ne va céder, malgré les difficultés logistiques. Celles-ci sont une des caractéristiques les plus marquantes du jeu. En effet, les combats vvont être entrecoupés d’une e à quatre « pauses sstratégiques » permettant p aux deux camps a de se renforcer. d Le concepteur L de Shanghai d Incident est parti In d’une base simple, d ccelle de la règle « Fire &Movement » de la série Folio de Decision Games. Avec une centaine de pions et une carte de 55 x 43 cm, il a réussi une évocation d’une bataille
des plus originales. Il y est parvenu en ajoutant, bien sûr, du « chrome » : des trains blindés, des unités aériennes et navales, des forts et des retranchements, plus une règle sur les concessions (les violer coûte cher en points de victoire aux Japonais). Mais surtout, il a introduit une règle forçant les deux adversaires à bien réfléchir avant d’engager leurs renforts. Le Japonais décide quand ont lieu les pauses stratégiques, où il reçoit à volonté des munitions et de nouvelles unités… mais chacune lui coûte des points de victoire (PV). Lors de ces pauses, le Chinois dispose de points logistiques en partie aléatoires pour récupérer des unités éliminées et faire venir des renforts… dont certains rapportent des PV au Japonais. En résumé, avec des moyens réduits (et pour un coût très limité), un jeu de bon niveau sur un sujet très original qui nous change des Midway et Guadalcanal !
d grande qualité, desservi de par une présentation p un peu aride et des pions u iimpersonnels, alors que les règles sont excellentes le (c’est du Mark Herman). (c • Dans le genre naval : une grande partie de la série d’Avalanche Press Second World War at Sea est consacrée à la guerre du Pacifique. Mer de Corail, Midway, SOPAC (Pacifique sud-ouest), toutes les batailles navales ont fait l’objet d’un jeu ou d’une extension, y compris celle de Leyte, dans une énorme boîte (tout est à l’échelle un pion égale un navire). • Dans le genre sous-marin : le plus récent est Silent Victory (Consimpress). • Dans le genre terrestre : Decision Games propose par exemple un Saipan et (en solo) un Iwo (ainsi qu’un mini-jeu aérien, Cactus Air Force). Et la série Conflict of Heroes (Asyncron) est passée de la Russie au Pacifique avec une grosse boîte titrée Guadalcanal. Même Memoire 44 possède des extensions sur les batailles terrestres du Pacifique. Quelle que soit votre bataille préférée, elle a sans doute été simulée !
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Par Grégoire Thonnat
Connaissez-vous
jeanne d’arc ?
1 pt 1) Quelle est l’origine sociale de Jeanne ? a) Une bâtarde royale. b) Une pauvre bergère. c) Une fille de « laboureurs » relativement aisés. 1 pt 2) Quelle langue parle Jeanne ? a) Le latin médiéval. b) Le moyen français. c) Le patois lorrain. 1 pt 3) Combien de temps dure l’épopée de Jeanne ? a) Moins de six mois. b) Deux ans. c) Huit ans. 2 pts 4) Pour quelle raison Jeanne vat-elle livrer son premier combat contre les Anglais à Orléans ? a) C’est le lieu où se trouve la cour du roi de France. b) C’est un carrefour commercial important. c) C’est un point stratégique car c’est une des seules villes à posséder un pont sur la Loire. 1 pt 5) Qui sont les bourguignons ? a) Les Français qui soutiennent Philippe le Bon, duc de Bourgogne, allié des Anglais. b) Les soldats qui constituent l’escorte de Jeanne durant son épopée. c) Les partisans du roi de France. 2 pts 6) Qu’est-ce que la « bataille de Patay » qui a lieu le 18 juin 1429 ? a) C’est la dernière bataille de l’épopée de Jeanne, durant laquelle elle est faite prisonnière. b) C’est le premier succès français dans une bataille rangée depuis l’écrasante défaite d’Azincourt. c) C’est la bataille qui marque la fin de la guerre de Cent Ans.
Jeanne affronte les Anglais pour la première fois à Orléans et obtient la levée du siège le 8 mai 1429.
1 pt 7) Quel est le rôle militaire réel de Jeanne ? a) Elle ne combat pas, mais joue un rôle de meneuse auprès des troupes. b) Elle commande l’armée royale. c) Elle est le porte-étendard des troupes françaises. 2 pts 8) Durant son procès, quel acte Jeanne déclare-t-elle n’avoir jamais commis pendant les batailles ? a) « Je n’ai jamais blasphémé. » b) « Je n’ai jamais tué personne. » c) « Je n’ai jamais exécuté de prisonniers anglais. » 1 pt 9) Quel est le poids du « harnois blanc », l’armure qui protège de la tête aux pieds ? a) Environ 10 kg. b) Entre 20 et 30 kg. c) Près de 50 kg. 2 pts 10) Qui est le chef des armées anglaises en France durant l’épopée de Jeanne ? a) Henri V.
b) Henri VI. c) Jean de Lancastre, duc de Bedford. 1 pt 11) Par quel terme les Français surnomment-ils les Anglais ? a) Les armagnacs. b) Les godons, d’un des jurons favoris des Anglais, « God damm ». c) Les tuniques rouges. 1 pt 12) Pourquoi le procès de Jeanne se déroule-t-il à Rouen? a) La ville est le siège du pouvoir anglais dans le royaume de France. b) Pierre Cauchon, qui est l’ordonnateur du procès de Jeanne, est alors l’évêque de la ville. c) C’est son lieu de capture. 1 pt 13) Où a lieu le supplice de Jeanne ? a) À Paris, sur la place de Grève. b) Au château de Chinon. c) À Rouen, place du Vieux-Marché. 1 pt 14) « Entrez hardiment parmi les Anglais ! » À quelle occasion Jeanne prononce-t-elle cette
phrase qui lui est attribuée ? a) Le 7 mai 1429, afin de lever le siège d’Orléans. b) Le 8 septembre 1429 lors du siège de Paris où elle est blessée. c) Lors de son supplice sur le bûcher le 30 mai 1431. 2 pts 15) Quel événement se déroule à Rouen le 7 juillet 1456 ? a) La libération de la ville de l’occupation anglaise. b) La proclamation solennelle de la nullité du procès de condamnation de Jeanne. c) La béatification de Jeanne. . b 5 1 ; a 4 1 ; c 3 1 ; a 2 1 ; b 1 1 ; c 0 1 ; b 9 ; b 8 ; a 7 ; b 6 ; a 5 ; c 4 ; b 3 ; b 2 ; c 1 : s e s n o p é R
Total :
/ 20 points
Si vous avez eu moins de 10 points, lisez Le Petit Quiz : Jeanne d’Arc de Grégoire Thonnat (Historial Jeanne d’Arc, 2016) et Jeanne d’Arc – Vérités et légendes de Colette Beaune (Tempus, 2008). Profitez-en pour faire la visite de l’Historial Jeanne d’Arc à Rouen (www.historial-jeannedarc.fr).
Éléphants de poche
Je tiens à vous signaler une invraisemblance dans le très intéressant dossier consacré à l’armée macédonienne dans le no 32 : page 45, dans l’article consacré à la bataille de Raphia, il est indiqué que la fuite des éléphants africains de Ptolémée IV devant ceux d’Antiochos III s’expliquerait par la différence de gabarit, les éléphants africains étant plus petits que les indiens. Or, les éléphants africains sont plus grands et lourds que leurs cousins indiens. La hauteur étant un avantage sur un champ de bataille de cette époque, il serait étonnant que les « Gréco-Égyptiens » aient dressé de petits spécimens pour un usage guerrier. Au contraire, il est plus que probable que les éléphants africains utilisés sur le champ de bataille aient été plus grands et lourds que les éléphants indiens. Aussi, je pense que cette débandade s’explique par une différence de qualité du dressage, les spécimens africains, plus sauvages, étant connus comme moins aptes au dressage que leurs cousins indiens, domestiqués depuis des millénaires. – J. L. Stutzmann
Votre remarque est très pertinente et nous permet de clarifier un point qui fut âprement disputé par les spécialistes et n’a été tranché que récemment. En effet, à Raphia, et faute de pouvoir compter sur l’approvisionnement indien, coupé par les Séleucides, les Égyptiens sont allés chercher leurs propres éléphants au Soudan actuel que les Anciens appelaient l’Érythrée. À cette époque, et jusqu’au XIXe siècle semble-t-il, subsistait dans la région une population d’éléphants que nous appelons aujourd’hui « des forêts », ou Loxodonta cyclotis. Cette espèce qui à présent ne survit à peu
près qu’au Gabon, au sud du Cameroun et au CongoBrazzaville est nettement plus petite que l’éléphant d’Asie. On a longtemps cru qu’il ne s’agissait que de nanisme de l’éléphant d’Afrique, lié à des facteurs environnementaux. En réalité, les sousespèces, d’après les études ADN, ont divergé il y a 500 000 ans. Les seuls éléphants d’Afrique que connaissaient les Anciens étaient ces Loxodonta cyclotis , communs à l’époque en Afrique du Nord. À noter que les traités indiens insistent sur le fait qu’un éléphant, quel que soit son dressage, sera toujours réticent à affronter un congénère
a g eSur notre page d n o s facebook.com/guerresethistoire, le sondage portait sur un sujet qui, hélas, n’est pas près de quitter l’actualité. Il s’agissait de tester votre opinion sur la possibilité de voir éclore une solution au conflit israélo-palestinien alors que l’on va commémorer, en juin prochain, le cinquantenaire de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. 36 % des répondants croient à la naissance d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël. Au vu du blocage actuel, c’est une position optimiste. Encore plus optimistes, 19,5 % des sondés croient à la création d’une « entité israélopalestinienne ». On peut trouver là l’écho de l’espoir gauchiste des années 1960
de plus grande taille. Ce que l’éthologie moderne confirme. La taille a donc joué à Raphia. Mais vous avez raison sur un point : il est probable que le dressage ait aussi été de moins bonne qualité. Les mahouts égyptiens n’étaient que les élèves des élèves des premiers mahouts importés avec leurs bêtes sous Alexandre, tandis que les Séleucides avaient toujours accès, via leurs rapports avec l’Inde, à des spécialistes de première main. Si vous ne craignez pas l’anachronisme, cette partie du combat de Raphia s’apparentait dès lors à une charge de Panzer IV conduits par des équipages instruits sur des Renault FT-17… – Philippe Bondurand
Panther : c’est bien pire ! L’article que vous avez publié dans le no 31 sur le Panther est très intéressant, surtout parce qu’il ne se limite pas aux points forts que sont le canon et le système de
et 1970 de voir naître un État laïque, et non sioniste, fédérant les deux peuples. On peut aussi se souvenir que certains libéraux croient que l’économie sera le moteur d’une agrégation lente des Palestiniens à la société israélienne, sur le modèle européen de l’immigration. Les pessimistes — « Il n’y aura jamais d’État palestinien et Israël ne quittera jamais les territoires occupés » — représentent quant à eux la majorité absolue des sondés (44,5 %). L’évolution de la société israélienne (recul de la laïcité, arrivée massive de migrants russes et colonisation des territoires, effondrement du Parti travailliste) conforte pour l’instant cette vision de l’avenir. – J. Lopez
visée mais aborde aussi tout le reste, en particulier les graves faiblesses du châssis et de la motorisation, qui seront la cause de beaucoup trop de pertes. Mais vous écrivez, page 65, qu’avec une consommation de 280 l aux 100 km, le Panther consomme 50 % de plus que le T-34. C’est bien pire ! Il consomme 100 % de plus puisque vous précisez au-dessus que le T-34 est à 141 l. En fait, c’est le T-34 qui consomme 50 % de moins que le Panther. Et comme vous l’ajoutez, le Panther tourne en plus à l’essence et non au gazole. C’est catastrophique. – Christophe Jauze (33)
Pas d’Espagne en 1400, désolé ! J’aimerais vous féliciter pour votre magazine, que j’achète chaque fois que je passe par la France. Je vous écris parce que dans votre no 31, page 76, on lit que « le Renard roux […] est déjà l’homme le plus puissant d’Europe, devant le roi de France et celui d’Espagne ». Mais je suis
désolé, l’Espagne n’existait pas en 1400. On aurait pu dire le roi de Castille ou bien d’Aragon, mais pas d’Espagne… D’un autre côté, merci de dédier un numéro spécial à la guerre civile d’Espagne. À mon avis, on aurait pu ajouter d’autres auteurs comme références (Payne, etc.), mais c’est, en tout cas, un dossier très intéressant. – Javier Fernández (Espagne)
Beau méli-mélo avec Melo Une petite remarque à propos de l’article sur le Grand Condé, de votre no 31, pages 81 et 82. Fadi El Hage identifie Francisco de Melo comme espagnol, mais en fait, il est un politique et militaire portugais au service des Espagnols. Premier comte d’Assumar — titre créé par Philippe III (IV d’Espagne), par lettre en date du 30 mars 1630
en sa faveur —, il est né à Estremoz (Portugal) en 1597 au cours de l’union réelle d’États ibériques. Il est souvent identifié par erreur comme fils aîné du vice-roi de l’Inde portugaise, Dom Constantino de Bragança (future maison royale du Portugal), ou avec le 3e marquis de Ferreira. Pour quelques explications simples, voir http://fr.dbpedia.org/page/ Francisco_de_Melo. – Filipe G.
Attention aux trains Je me permets de vous signaler deux petites erreurs dans votre excellent dossier du no 31 sur la guerre d’Espagne. Page 43, le bombardier italien présenté comme un SM-79 « Sparviero » est en fait un SM-81 « Pipistrello », immédiatement reconnaissable à son train fixe. Bref, cet épervier est en réalité une chauve-souris. Autre affaire de train (une photo plus bas), les stukas ne sont pas des Ju 87-A, mais des modèles B-1 à la silhouette très différente, le A ayant en outre des « pantalons » de train d’atterrissage beaucoup plus massifs, eux aussi très reconnaissables. Cinq modèles B-1 ont en effet eu le temps d’être engagés dans les derniers mois du conflit. – Pierre-André Boillat, Neuchâtel (Suisse)
Colonisation et traite, rien à voir Fidèle lecteur et abonné de G&H, j’ai quelque peu sursauté à la lecture de la réponse faite à la question : « La traite des Noirs a-telle facilité le colonialisme européen en Afrique ? »
(no 32, p. 30). Les travaux d’Olivier Pétré-Grenouilleau et d’autres historiens ont établi qu’au XVIIIe siècle, pic de la traite négrière atlantique, le prélèvement annuel de celle-ci représentait 0,095 % de la population estimée du continent noir, qui augmentait naturellement d’environ 1 % par an, à un rythme qui s’est accéléré par l’importation en Afrique de plantes alimentaires venues d’Amérique (manioc, maïs, haricots) et d’Asie (riz).
Même si on y ajoute la traite musulmane (laissons de côté la traite interafricaine « locale », importante mais impossible à mesurer et qui ne dépeuple pas le continent), il n’y a pas de quoi voir là la cause de « l’atonie démographique de l’Afrique », qui est à chercher du côté des maladies endémiques et des famines engendrées par divers facteurs, climatiques ou conflictuels. Les côtes africaines n’ont en rien été dépeuplées par le trafic négrier, qui a au contraire dopé la croissance économique des royaumes et chefferies du littoral, lesquelles se sont enrichies par la vente de captifs raflés dans l’intérieur. Du XVIe au XIXe siècles, la présence européenne en Afrique noire se limitait
à quelques points d’appui sur les côtes, et dépendait totalement du bon vouloir des Africains eux-mêmes. Les quelques tentatives de conquête brutale, comme celle des Portugais en Angola au XVIe siècle, se sont toutes soldées par des échecs. La traite négrière européenne n’a donc absolument pas facilité la conquête ultérieure du continent, qui n’a été rendue possible que par les progrès technologiques et médicaux de la révolution industrielle, ainsi que par les divisions ethniques, religieuses et politiques des Africains face à des Européens plus déterminés. Cet amalgame entre colonisation et traite, qui fait des Européens les seuls responsables de
tous les maux de l’Afrique actuelle, relève d’un enjeu politique contemporain qu’a fort justement dénoncé Roger Botte dans son article « Le spectre de l’esclavage » paru dans Les Temps modernes (no 620-621, pp. 144-164). Le seul lien que l’on puisse trouver entre les deux, c’est en fait la volonté affichée des milieux « humanitaires » européens de la seconde moitié du XIXe siècle de lutter contre l’esclavage et la traite, abolies dans les colonies européennes, puis par les jeunes États américains, mais toujours pratiquée en Afrique. Ce fut l’un des motifs mis en avant pour justifier l’expansion coloniale sur le continent noir. – Philippe Bouché, Sendets (64)
Précision Plusieurs lecteurs nous ont fait remarquer que, dans la bibliographie qui clôt le dossier Alexandre le Grand (no 32), nous citons en anglais deux ouvrages importants… qui existent en français. Rectifions. Le livre de Ian Worthington, Philippe II, roi de Macédoine a été publié en 2011 chez Economica. Celui de Nicholas Hammond, Le Génie d’Alexandre le Grand , est paru en 2002
chez le même éditeur. Les deux livres sont toujours disponibles. –
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D’estoc & de taille Par Charles Turquin
Vers des guerres sans cadavres ! Guerres sans victimes, suppression du travail, bien-être général : les développements de la robotique vont assurer l’avenir radieux de l’humanité. Entretien avec Kevin LeTrognon-Duschmoll, futurologue du Centre des hautes études stratégiques de Waterloo.
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oujours plus nombreux, de plus en plus performants, les robots vont modifier toutes nos activités, pacifiques ou guerrières. Déjà se manifeste leur importance croissante dans les domaines les plus divers : robotique industrielle bien sûr, mais aussi voitures autonomes1, réceptionnistes mécaniques, automates hospitaliers, robots-vigiles pour supermarchés2, appareils bancaires, toilettes publiques à portillons… Ce n’est qu’un début : des experts considèrent que 50 % des emplois actuels pourraient dès demain être assumés par des robots. Et bien sûr cette proportion ne pourra qu’augmenter. Cela se fera très vite, on n’arrête pas le progrès. — Même évolution sur le plan militaire ? — Plus rapide encore ! Nous constatons déjà l’utilisation de robots explorateurs, démineurs ou « terminators »3. Il existe quelques prototypes de « robocops ». Les armées disposent de drones de reconnaissance ou de combat, généralement téléguidés… mais certains, plus évolués, sont capables d’initiative et prennent la décision d’ouvrir le feu. — Mais alors… si cette tendance se confirme, les humains deviendront inutiles, tant pour le travail que pour le combat ? Nous aurons sept milliards d’oisifs ? — Plutôt dix à douze milliards d’ici la fin du siècle, à moins qu’on trouve le moyen de stabiliser notre démographie galopante. — On garderait quand même une élite de techniciens, d’opérateurs, de dirigeants ? Un petit pourcentage indispensable d’humains actifs ? — Provisoirement, sans doute. Encore que rien n’interdise d’envisager des politiciens robotiques4, des cybergénéraux, des PDG bioniques, une direction suprême assurée par un Grand Ordinateur comptable.
— C’est… c’est vertigineux ! Mais pourquoi les guerres feront-elles moins de morts ? — Voyons, quel intérêt trouverait-on à massacrer des humanoïdes parfaitement inertes ? De toute évidence, tout cyberstratège s’efforcerait de taper sur les robots de l’adversaire ! Plus que jamais, nous aurons des guerres de matériel. La victoire appartiendra au camp disposant des meilleurs et des plus nombreux automates. Paradoxalement, les conflits robotiques seront donc beaucoup plus humains !
« Quel intérêt y aura-t-il à massacrer des humanoïdes parfaitement inertes ? Les conflits robotiques seront donc beaucoup plus humains ! » — Tout de même, qu’allons-nous faire de nos douze milliards d’inutiles ? Les envoyer sur Mars ou sur Vénus ? — Certainement pas, car nos robots conviendront bien mieux pour les explorations spatiales (c’est déjà le cas) et les colonisations néoplanétaires. Ils résisteront mieux aux voyages galactiques, ils peuvent se passer d’oxygène, ils n’auront pas la nostalgie de la planète bleue… Nous resterons ici-bas, sur la Terre, comme dans une réserve indienne. — Mais comment vivre ? Sans emplois, sans ressources ? Va-t-on nous laisser crever de faim ? Déjà que trop de gens, de par le monde… — Ne vous inquiétez pas. Quelques pays, déjà, envisagent une « allocation universelle », égale pour tous. De quoi remplir la gamelle de chacun.
— Oui mais… ne pourra-t-on craindre une sorte d’érosion ? Une dévaluation progressive du contenu de cette gamelle ? Il n’y aura pas de steak pour tout le monde… — On s’adaptera, on s’adapte déjà. On mangera des algues. Constatez le succès croissant des tendances végétariennes, voire véganes. — Mais le Créateur nous a dotés de canines… et d’une vision frontale pour télémétrer la proie ! — Des variantes sont prévues : on nous vante déjà l’excellence et la haute valeur nutritive des insectes, consommés en soupes ou en pâtés. Les gastronomes apprécieront la tarte aux poux, le gratin d’araignées… — Bon, admettons, nous serons nourris. Mais à quoi pourra-t-on occuper les foules, leur donner une activité, un idéal, un but d’existence ? Faire des poteries et des danses indigènes, pour les robots-touristes ? — Ne soyez pas si négatif ! Il nous restera le foot, les séries télé, les débats électoraux. Et mieux encore : les jeux électroniques ! Il existe déjà de splendides simulations guerrières, pour défouler nos vieux instincts belliqueux. Et surtout le Pokémon-Go, dont la valeur addictive est déjà largement démontrée ! Que vous faut-il de plus pour passionner les foules ? — Ouais, ouais… ça nous fera quand même une curieuse humanité ! — Ah, certes, il y faudra un processus d’évolution darwinienne ! À force de bidouiller des claviers, des boutons, des manettes de consoles, nos descendants auront sans doute d’énormes pouces, hypertrophiés… — Et de tout petits cerveaux ? — De quoi parlez-vous ? Correctement programmés, nous n’en aurons plus besoin ! » Qui ont déjà causé quelques accidents… L’un d’eux a réussi à écraser un petit garçon. 3 Liquidation récente, aux États-Unis, d’un terroriste par robot explosif. 4 Déjà majoritaires ? 1 2
2 DOCUMENTAIRES D’EXCEPTION REMASTERISÉS ET ENTIÈREMENT BASÉS SUR DES ARCHIVES INÉDITES ET DES IMAGES COLORISÉES
L A C H U T E
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R E I C H
Du débarquement de Normandie - 1-rb|-om -;l-m7;ķ u;|ou sur les 11 mois les plus meurtriers de la 2nde Guerre Mondiale.
A P R È S H I T L E R Découvrez le monde entre l’immédiat après-guerre et le début de la guerre =uob7;ĺĺĺ obm 7Ľm; r-b 7u-0;ķ b de nouveau se retrouver au bord de l’apocalypse.
B O N U S “LE SENS DU NAZISME” (10 LES COULISSES DE LA COLORISATION DES ARCHIVES (4 ENTRETIEN AVEC LES AU
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